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Titre : Lamarck et son oeuvre / par Émile Corra

Auteur : Corra, Émile (1848-1934). Auteur du texte

Éditeur : au siège de la Société positiviste internationale (Paris)

Date d'édition : 1908

Sujet : Lamarck, Jean-Baptiste de Monet de (1744-1829)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb341674960

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 88 p. ; in-8

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Description : Contient une table des matières

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k729998

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, Ln27-58487

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Au Siège de la Société PMdtiviate Internationale 2, rue Antoine-Dubois, 2

Prés l'École de Médecine.

1908

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LAMARCK

ET SON ŒUVRE

Le Muséum d'histoire naturelle de Paris inaugurera, dans le mois de novembre prochain, le monument élevé, par souscription universelle, à la mémoire de Lamarck, sur l'initiative de M. Edmond Perrier, l'illustre directeur de cet établissement, un de ses plus fervents disciples actuels.

L'une des premières, la Société positiviste internationale a souscrit à ce monument elle ne manquera pas de se faire représenter à son érection mais elle témoignerait bien faiblement son admiration pour le grand homme qui en est l'objet et dont les idées géniales exercent une si féconde influence sur tous les aspects de la pensée contemporaine, en se bornant à la manifester sous la double forme que je viens d'indiquer.

C'est pourquoi j'ai le dessein d'associer plus catégoriquement le Positivisme à la glorification tardive de Lamarck, en consacrant à son oeuvre grandiose une étude spéciale, à laquelle je préluderai en donnant, sur sa personne et sur sa vie, quelques renseignements indispensables.

ï

La Vie de Lamarck.

Lamarck naquit en Picardie, à Bazentin, près de Péronne, en août 1744. C'était le onzième enfant d'un gentilhomme campagnard, fort embarrassé d'assurer une


carrière honorable à chacun des membres df, sa nombreuse lignée, et qui nt élever celui-ci chez :es Jésuites d'Amiens, dans l'espoir qu'il consenUnut & embrasser l'état ecclésiastique, dernière ressource de tous les cadets de famille de cette époque mais Lamarck n'avait aucun goût pour la ciéricature. Son père étant mort, en 1760, il s'anranchit sur-le-champ du collège, et, sans autre viatique qu'une lettre de recommandation pour le colonel du régiment de Beaujolais, que lui avait remise une châtelaine, voisine de la seigneurie de Bazentin, il rejoignit, en Hanovre, l'armée du maréchal de Broglie, qui opérait alors, dans ce pays, contre le roi de Prusse, Frédéric H.. Le colonel du régiment de Beaujolais hésitait beaucoup, parait-il, à incorporer cet enfant de seize ans, d'une constitution chétive qui lui donnait une apparence plus juvénile encore; mais, dans une bataille, consécutive à l'arrivée de Lamarck à l'armée, le 16 juillet 1761, ce soldat volontaire se conduisit avec une bravoure et une fermeté telles qu'on le promut immédiatement officier. Lamarck était, en effet, doué de qualités de caractère exceptionnelles; celles dont il fit preuve, en cette occurrence, le distinguèrent pendant toute la durée de sa vie elles ne l'abandonnèrent même pas dans la plus extrême vieillesse, et ne furent pas étrangères aux résultatsdeses longues et difficiles études scientifiques.

Quand la guerre de sept ans fut terminée, Lamarck, devenu lieutenant, alla tenir garnison à Toulon, puis à Monaco. La végétation spéciale de la contrée excita vivement sa curiosité scientifique, naissante des idées nouvelles s'éveillèrent dans son esprit et il ne tarda pas à reconnaître qu'il avait, pour l'état militaire, aussi peu de vocation réelle que pour les fonctions ecclésiastiques. Aussi, souffrant d'une adénite cervicale et forcé de venir à Paris, où il fut opéré avec succès parTenon, l'une


des célébrités chirurgicales de l'époque, renonça-t-il, sans regrets, à la carrière des armes, bien que cette décision le réduisit à une pension alimentaire de 400 livres pour toutes ressources annuelles.

H pourvut à ses besoins matériels les plus impérieux en acceptant un emploi chez un banquier et, logé dans une mansarde, « beaucoup plus haut qu'il n'aurait voulue, disait-il, il donna, dès lors, libre cours à ses goûts fcien- tinques, en faisant des observations météorologiques, en lisant, avec a\idité, les travaux de Buffon, en visitant les collections du Jardin du Roi, en suivant les herborisations et les coura de Bernard de Jussieu, en étudiant la médecine.

Cet ensemble de premiers travaux eut pour fruits un mémoire sur les vapeurs de l'atmosphère, favorablement accueilli par l'Académie des Sciences, et La Flore française, description succincte cfe toutes les plantes qui croissent naturellement en France, disposée suivant une nouvelle méthode d'analyse, que Lamarck composa, en six mois, après dix ans d'observations attentives et de méditations prolongées.

Cet important ouvrage, publié en 1778, sortit brusquement Lamarck de l'obscurité et lui ouvrit, l'année suivante, les portes de la section de botanique à l'Académie des Sciences.

En effet, non seulement La Flore française provoqua l'enthousiasme de Buffon, au point qu'il en fit imprimer les trois volumes, aux frais de l'État, à l'Imprimerie Royale, et remettre l'édition entière à l'auteur non seulement, comme le remarquait Duhamel, en demandant à l'Académie des Sciences de la reconnaitre digne de son approbation, cette Flore révélait, chez son auteur, a beaucoup de connaissances en botanique, un esprit d'ordre, d'analyse et de précision ?, et constituait vrai* ment le premier essor du génie généralisateur et. coofdi-


nateur de Lamarck elle tépondait encore à un véritable besoin public.

Car les nombreux systèmes de distribution des plantes, par classes, familles et genres, alors en honneur, n'étaient au fond, selon l'expression de Lamarck, « qu'un aveu de faiblesse déguisé sous un appareil imposant et scientifique »; ils détournaient de la botanique plutôt qu'ils ne facilitaient son étude. Or, les ouvrages de J.-J. Rousseau avaient précisément mis cette étude en grande faveur en la rendant « plus simple, plus facile et plus propre à la connaissance des plantes a, en instituant un système d'analyse tel que chacun pût, sans préparation pour ainsi dire, parvenir, seni, à déterminer les caractères et le nom des plantes qu'il récoltait, Lamarck ne provoqua pas seulement l'estime des savants il s'attira, par surcroît, la reconnaissance de tous les amateurs d~ botanique, alors très répandus, et fit une œuvre de vulgarisation scientifique, d'autant mieux accueillie que, suivant l'exemple, tout nouveau, de son maître Buffon, il répudia le latin et rédigea sa Flore en français. Dans tous les cas, à partir de ce moment, la destinée de Lamarck est nettement tracée et suivie par lui sans la moindre défaillance il s'attache aux sciences naturelles, et, jusqu'à la fin de sa longue vie, il ne cesse de les faire progresser, d'une manière vigoureuse. Grâce à la protection de Buffon, qui lui fit décerner le titre de botaniste du roi et le donna pour précepteur à son fils, il parcourut la Hollande, la Prusse, la Hongrie, l'Allemagne, de 1780 à 1782, avec mission de visiter les jardins et cabinets étrangers et d'établir des correspondances avec le Jardin des Plàntes de Paris.

Il s'éleva, de la sorte, au premier rang des botanistes français, sur lesquels il acquit enfin une prépondérance et une autorité incontestables, en écrivant quatre volumes de botanique pour l'Enc~o~dM méthodique et en


publiant un même nombre de tomes de l'lllastration des genres.

Néanmoins, en 1788 seulement, après la mort de BuNbn, il obtint de prendre place parmi les administrateurs du Jardin des Plantes, comme adjoint à Daubenton, « pour la garde des herbiers du roi », et demeura dans cette situation précaire, qui lui fut même âprement dtspntée, aux appointements de 1.800 livres, avec une femme et six enfants, jusqu'au décret de la Convention; en date du 10 juin 1793, qui transforma l'établissement en Muséum d'histoire naturelle.

Ce décret instituait, pour l'étude de toute la zoologie, deux chaires seulement l'une aNëctée à l'histoire naturelle des quadrupèdes, des cétacés, des reptiles et des poissons l'autre, à celle des insectes, des vers et des animaux microscopiques.

La première fut attribuée à Étienne Geoffroy-SaintHitaire, qui n'avait que vingt et un ans; la seconde, dont personne ne se souciait, parce que, selon l'expression de Michelet, elle avait pour objet l'inconnu, fut offerte à Lamarck; il l'accepta, bien qu'il fut âgé de quarante-neuf ans, qu'il se fut, jusque-là, principalement occupé de botanique, et qu'il n'eut d'autres titres à faire valoir, qu'une collection de coquilles, qu'il avait soigneusement formée en participant aux recherches de Bruguïères il est vrai que cette collection était fort rare, qu'elle était le produit de longues études, et que le gouvernement, instruit de sa valeur scientifique, en nt ulténeurement, l'acquisition au prix de 5.000 livres. <La loi de 1793, dit Étienne Geoffroy-Saint-Hilaire, avait prescrit que toutes les parties des sciences naturelles seraient également enseignées. Les insectes, les coquilles et une inanité d'êtres, portion encore presque inconnue de la création, restaient à prendre. De la condescendance à l'égard de ses collègues, membres de


~'administration, et, sans doute aussi, la conscience de sa force déterminèrent M. de Lamarck ce lot si considérable et qui doit entraîner dans des recherches sans nombre, ce lot délaissé, il l'accepta résolution courageuse qui nous a valu d'immenses travaux et d'importants ouvrages B (1). o

En effet, la portion du monde animal, dont l'étude éehut à Lamarck, constituait la masse immense, confuse et ténébreuse, de ce qu'on nommait, vicieusement, depuis Linné, les animaux à sang blanc, et Lamarck, le premier, introduisit l'ordre et la lumière dans cette multitude inexplorée, en opérant des découvertes mémorables que je préciserai plus opportunément, lorsque j'apprécierai ses travaux biotaxiques.

Je noterai simplement ici que, doué d'une prodigieuse activité, il ouvrit son cours, en 1794, après dix mois de préparation, et que, d'année en année, il établit graduellement la classification des invertébrés sur des bases que la postérité s'est bornée à perfectionner, sans jamais les ébranler car le monument scientifique qu'il a, de la sorte, édifié, est fait comme le disait Cuvier, « pour durer autant que les objets sur lesquels il repose ».

Pour aboutir à ce grand résultat, Lamarck manipula, disséqua, compara une prodigieuse quantité d'êtres divers leur contemplation familière fit surgir en lui des idées générales relatives à leur commune origine et à leur généalogie, autant qu'à leur similitude.

!1 consigna le fruit de ses premières méditations sur ce difficile problème philosophique

10 Dans le discours d'ouverture de son cours, prononcé le 21 Floréal an VM, et publié en 1801, avec la première iMitiondu Système des onunaaa: sans vertèbres p- 2* Dans un ouvrage de 1802, intitulé Recherches snr (1) !Mace<trs prononcé aux &méraiUes de, Lamarck.


l'orgdnisation des corps vivants, et particulièrement sur son origine, sur. la cause de ses développements et des progrès de sa composition, où il esquisse un tableau du règne animal, destiné à montrer la dégradation progressive des organes spéciaux jusqu'à leur anéantissement.

Ces conceptions philosophiques, initiales de Lamarck, dont l'exposition, de plus en plus perfectionnée, fut renouvelée tous les ans, à l'ouverture de son cours, furent corroborées par la détermination qu'il fit des espèces d'invertébrés fossiles des environs de Paris, avec la même sagacité qu'il avait apportée dans là détermination des espèces vivantes.

Dès lors, sa préoccupation dominante, sa passion de savant, son ambition suprême furent de démontrer la solidarité du monde animal,. la variabilité continue des espèces, et de constituer l'échelle des animaux, c'est-àdire de les classer et de les superposer en série, suivant une graduation naturelle révélant les liens qui unissent entre elles, tout au moins, les masses principales de leurs représentants~).

C'est à ce persévérant et puissant effort de la pensée de Lamarck qu'est due son œuvre la plus géniale La Philosophie zoologique ou exposition des considérations relatives à fAM~M naturelle des animaux, à la diversité de leur organisation, et des /hcaMs qu'ils en obtiennent; aux causes physiques qui maintiennent en .eux la vie et donnent ~n aux mouvements qu'ils exécutent enfin à celles qui produisent, les unes le MnMment, les autres l'intelligence de ceux qui en sont doué3. Cet ouvrage impérissable vit le jour en 1809; il frappa médiocrement l'attention des savants, et les philosophes contemporains l'ignorèrent. Comme Lamarck y soutient, (1) DiM.OM d'ocvertnre prononcé 27 Hor&tï an X. AecAercAe. N<r l'organisation des co~ps vivants; p. S9.


parfois, ses convictions, à l'aide d'arguments téméraires, et comme certaines pages renferment plutôt des énoncés d'hypothèses que des observations de faits, les esprits malicieux exploitèrent même ces parties faibles de la Philosophie Zoologique, pour faire à son immortel auteur une réputation d'écrivain chimérique et pour ridiculiser son génie.

Lamarck répondit à ces critiques superficiels en publiant les « pièces justificatives » et le catalogue dé~ taillé de tous les matériaux objectifs qui avaient servi d'aliment à ses méditations et de substratum à ses théories. Cet inventaire, en sept volumes, parus de 1815 à 1822, forme l'édition définitive de l'Histoire natu. relle des animaux sans vertèbres, présentant les caractères généraux et particuliers de ces animaux, leur dts~rt&a~ton, leurs classes, leurs /amtMes, leurs genres et la citation des principales espèces qui s'~ rappor~en~. C'est une œuvre colossale que précède une Th~roefHc~n offrant la détermination des caractères essentiels de l'animal, sa distinction du végétal et des autres corps naturels, enfin l'exposition des principes fondamentaux de la zoologie. En réalité, cette introduction, à laquelle près de 400 pages sont consacrées, réédite, en les accentuant et en les appuyant sur des arguments nouveaux, les théories exposées par Lamarck dans tous ses cours et qui présentent leur premier degré de condensation, dans la Philosophie zoologique.

L' Histoire naturelle des animaux sans vertèbres fut, immédiatement, et du consentement unanime, mise au rang des monuments de la zoologie mais son introduction n'eut pas un meilleur sort que là Philosophie zoologique qu'elle complétait.

Lamarck l'avait prévu, d'ailleurs, puisqu'il disait, attestant ainsi qu'il était aussi profond observateur de l'évolution des idées que de celle des organismes « Les


hommes qui s'efforcent, par leurs travaux, de reculer les limites des connaissances humaines, savent assez qu'il ne leur suffit pas de découvrir et de montrer une vérité utile qu'on ignorait, et qu'il faut encore pouvoir la répandre et la faire reconnaitre. Or, la raison individuelle et la raison publique, qui se trouvent dans le cas d'en éprouver quelque dérangement, y mettent, en généra!, un obstacle tel qu'il est souvent ptus difficile de faire reconnaitre une vérité que de la découvrir. Je laisse ce sujet sans développement, parce que je sais que mes lecteurs y suppléeront suffisamment, pour peu qu'ils aient d'expérience dans l'observation des causes qui déterminent les actions des hommes B (1).

Malheureusement, pendant la rédaction de l'Histoire des animaux sans vertèbres, la vue de Lamarck, depuis longtemps affaiblie par les longues et multiples observations qu'il n'avait cessé de faire à la loupe et au micros~ cope, sur les plantes et sur les animaux, s'éteignit entièrement.

Une partie du VI<% et tout le VIle volume de cet ouvrage. furent rédigés, par sa fille aînée, daprès ses cahiers.

Cependant, cette catastrophe n'abattit pas Lamarck, chez qui l'énergie, nous l'avons dit, était à la hauteur du génie scientifique; en 1820, à l'âge de 76 ans, il eut encore assez de vigueur d'esprit et de sérénité pour dicter son testament philosophique qui parut, la même année, sous le titre de SYSTÈME ANALYTIQUE DES coNNAïsSANCES POSITIVES DE L'HOMME, MSTREMTES A CELLES QOt PROVIENNENT DIRECTEMENT OC INDIRECTEMENT DE L'OBSERVATION.

Ses dernières années, seules, furent assombries par la mélancolie, que des soucis matériels, causés par la perte (1) Philosophie zoologique Edition Martias, vol. H, p. 411.


du très modeste patrimoine qu'il avait épargné, aggravèrent encore.

La fortune ne sourit donc jamais à cet infatigable travailleur, dont le génie pourtant ne cessa de suivre une marche ascendante, comme l'atteste, notamment, la comparaison de la Philosophie zoologique <1809), et de la magistrale introduction de l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres (1815).

« Lamarck, dit Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, pour arriver à la démonstration du principe vrai de la variabilité des formes chez les êtres organisés, produisit trop souvent des preuves surabondantes, exagérées et pour la plupart erronées, que ses adversaires, habiles à saisir le coté faiblissant de ses talents, s'empressèrent de relever et de mettre en lumière. Attaqué de tous côtés, injurié m~me par d'odieuses plaisanteries, Lamarck, trop indignd pour répondre à de sanglantes épigrammes, en subit l'épreuve avec une douloureuse patience. Je megarderai d'insister sur ces souvenirs j'aurais trop d'accusations à porter. Lamarck vécut longtemps pauvre et délaissé, non de moi je l'aimai et le vénérai toujours. Sa fille, nouvelle Antigone, vouée aux soins les plus généreux de la tendresse filiale, soutenait son courage et consolait sa misère par ces seuls mots La postérité vous honorera, vous vengera

Et Cuvier lui-même traduit en ces termes le respect profond que le beau caractère de Lamarck imposait à tous « Sa vie retirée, suite des habitudes de sa jeunesse~ sa persistance dans des systèmes peu d'accord avec les idées qui dominaient dans les sciences, n'avaient pas dû lui concilier la faveur des dispensateurs de grâces; et lorsque les infirmités sans nombre, amenées par la vieillesse, eurent accru ses besoins, toute son existence se trouva à peu près réduite au modique traitement de sa chaire. Les amis des sciences, attirés par la haute


réputation que lui avaient value: ses ouvrages de botanique et de zoologie, voyaient ce délaissement avec sur.prise il leur semblait qu'un gouvernement protecteur des sciences aurait dû mettre un peu plus de soin à s'informer de la position d'un homme célèbre; mais leur èstime redoublait à la vue du courage avec lequel ee vieillard illustre supportait les atteintes de la fortune et celles de la nature ilsadmiraientsurtoutledévouement qu U avait su inspirer à ceux de ses enfants qui étaient demeurés auprès de lui sa fille ainée, entièrement consacrée aux devoirs de l'amour filial pendant des années entières, ne l'a pas quitté un instant, n'a pas cessé de se prêter à toutes les études qui pouvaient suppléer au défaut de la vue, d'écrire, sous sa dictée, une partie de ses derniers ouvrages, de l'accompagner, de le soutenir, tant qu'il a pu faire encore quelque exercice, et ces sacrifices sont allés au-delà de tout ce que l'on pourrait exprimer depuis que le père ne quittait plus la chambre, la fille ne quittait plus la maison; à'sa première sortie, elle fut mcommodée par l'air libre dont elle avait perdu l'usage. Sd est rare de porter à ce point la vertu, il ne l'est pas moins de l'inspirer »à ce degré et c'est avoir ajouté à l'éloge de M. de Lamarck que d'avoir raconté ce qu'ont fait pour lui ses enfants (l).

Lamarck mourut en 1829, à l'àge de 85 ans; il laissait sans ressources ses deux filles et collaboratrices, qu'une tendre affection avait rendues plus clairvoyantes que tous è~~ contemporains, à l'égard du génie-de

leur père.

« J'ai vu moi-même en 1832, dit M. Martins, auteur d'une réédition de ia PMc~~ (2), Mademoiselle Cornélie de Lamarck attacher, pour un mince salaire, sur des feuilles de papier blanc, les plantes (Ï) Éloge de Lamarck.

(2) Paris, 1873, Savy, édit.


de l'herbier du Muséum, où son père avait été professeur. Souvent, des espèces, nommées et décrites par lui, ont passer sous ses yeux, et ce souvenir ajoutait sans doute à l'amertume de ses regrets. Fille d'un ministre ou d'un général, les deux sœurs eussent été pensionnées par l'Etat; mais leur père n'était qu'un grand naturaliste honorant son pays dans le présent et dans l'avenir, elles devaient être oubliées et le furent en effet. »

D'autre part, si l'on excepte le discours ému, mais très bref, qu'Ëtienne Geoffroy-Saint-Hilaire prononça au cimetière Montparnasse (1), le 20 décembre 1829, le seul hommage véritable qu'on rendit à la grandeur de l'oeuvre de Lamarck, à l'époque de sa disparition, fut de dédoubler la chaire dont il était titulaire au Muséum. L'entomologie fut attribuée à Latreille et la conchyologie à de Blain~lle, parce que le développement immense que le fondateur avait donné à l'objet primitif de cette chaire était désormais hors de proportion avec la capacité d'un professeur unique.

En effet, on ne peut, aujourd'hui, décemment considérer, comme une justice rendue à Lamarck, l'éloge que Cuvier, l'irréconciliable champion de la théorie de la nxité des espèces, avait préparé et qui fut lu, après sa mort, par le baron Sylvestre, à la séance. de l'Institut du novembre 1832 (2).

Cet éloge, dont la lecture publique ne fut, du reste, possible que grâce à. la suppression préalable de plufleurs passages trop acrimonieux, ne s'adresse qu'au naturaliste descriptif et au classificateur; il ne parle du

(1). L'emplacement, seul, de la tombe de Lamarck peut être, aujourd'hui, déterminé; le terrain dans lequel il fut déposé ne fut probablement l'objet que d'une concession temporaire et il a depuis reçu de nouveaux occupants.

(2) Publié dans les Mémoires de !ca<Mmte des SctencM, 2' série, tomeXMH835.


phiipsophequ avecune impertinence académique~en l'assimilant à ces hommes qui « croient pouvoir devancer a l'expérience et le calcul et construisent laborieusement t de vastes édifices sur des bases imaginaires, semblables <[ à ces palais enchantés de nos vieux romans que l'on <[ faisait évanouir en brisant le talisman dont dépendait « leur existence, »

En réalité, parmi les penseurs de la première moitié du Xtx" siècle, Auguste Comte est le seul qui reconnut la, puissante originalité de Lamarck et qui signala toute l'importance philosophique que ses théories présentaient pour l'entreprise et la direction des travaux biologiques ultérieurs.

Auguste Comte éprouvait la plus vive admiration pour Lamarck il parle, fréquemment, avec une sorte d'enthousiasme, < de la hardiesse de son beau génie philosophique ?; il oppose < la noble persistance de ce penseur, « octogénaire et aveugle, à la rétrogradation de Blainville, « en politique et même en science ? il donne une large place à l'appréciation de sa tentative de constitution de l'échelle animale, dans ses considérations générâtes sur la philosophie biotaxique (1); il le proclame fondateur de la théorie des milieux et de la modiRcabilité (2) enfin, il a fait figurer la Philosophie zoologique parmi les monuments de la pensée humaine, dont la postérité doit éternellement s'inspirer, et il inscrivit le nom de Lamarck dans son calendrier des grands hommes, dans le mois cp~sacré à la commémoration des divers procréateurs de la science moderne/et dans la semaine réservée aux biologistes.

Préoccupé de l'amélioration organique des végétaux,

(l)43.iecon du cours de Philosophie po~M, écrite en 1836. vol. UI de ce cours pp. 388-398.

(a)/M<fem,p.397


des animaux et de l'homme, Auguste Comte a même proposé d'appliquer d'une manière, au moins curieuse, les théories de Lamarck double influence de rexercice individuel et de la transmission héréditaire, la vraie providence (c'est-à-dire la providence humaine), lui semblait pouvoir étendre la variation normal des espèces jusqu'à la transformation complète des herbivores en carnivores (1), dans le but de perfectionner l'intelligence de nos auxiliaires et spécialement celle du

cheval JI.

D'autre part,. le principe irrécusable de ~ur l'influence nece~aire d'un exercice homogène et contmu~ pour produire dans tout organise animal, et surtout chez l'homme, un perfectionnement organique, susceptible d'être graduellement fixé dans la race, après une persistance suffisamment prolongée ~P~~pré à expliquer à la fois, ia plus grande aptitude naturelle aux combinaisons d'esprit que présentent les peuples très civilisés, indépendamment de toute culture quelconque et la prépondérance croissante, chez ces mêmes peuples, des plus nobles penchants de notre

nature (2).

Néanmoins, Auguste Comte ne rendit à Lamarck q~ne~paSeUe,parcequ.Upro~ait~ne saurait se re~ser d'admettre, comme une grande loi naturelle, la tendance essentielle des espèces vivantes à se perpétuer indéûniment avec les mêmes caractères principaux, malgré la variation du système extérieur de leurs conditions d'existence a (3).

C'est pourquoi, tout en reconnaissant, selon sa propre méthode, qu'aucun problème n'est jamais nettement formulé, tant qu'on n'en fournit pas une première solu-

(1) Politique positive, p. 666.

(2) PA~h~p~MM, IV, pp. 276 et vivantes. (3) Ibidem, !H, p. 3M.


tion approximative, et que Lamarck eut le mérite de poser, sous cette forme, le problème de l'influence exercée par les milieux sur les êtres vivants, Auguste Comte considère,. comme purement subjectives et même comme a naïves », les idées de Lamarck sur l'évolution continue des espèces.

Finalement, les conceptions magistrales de Lamarck semblaient devoir rester enfouies, avec lui, dans les ténèbres de la tombe, lorsque parut, en 1859, le livre dé Darwin sur l'Origine des Espèces.

Ce livre fut le point de départ d'un ébranlement scientifique et philosophique, universel, relativement nui questions qui avaient fait l'objet incessant des méditations du grand naturaliste dont nous venons de retracer l'existence laborieuse.

La Philosophie zoologique et son complément, l'introduction de l'Histoire naturelle des antmatM? sans vertèbres, furent alors exhumés, et le génie de Lamarck résplendit enfin dans tout son éclat on peut même, sans exagération, dire qu'à plusieurs égards il éclipse, aujourd'hui, celui de Darwin, non seulement à cause de son antériorité, mais en raison de l'ampleur et de l'importance supéi.rieures des sujets sur lesquels il s'est exercé. C'est du moins ce qui ressortira, je l'espère, de l'appréciation des principales théories biologiques de Lamarck, à laquelle je vais maintenant procéder, en dégageant préalablement les idées directrices et la philosophie qui les inspirèrent car elles jettent une vive lumière sur l'ensemble de song~re.dont toutes les parties s'enchainent, et permë~S~mieux scruter les pro- fondeurs. t t <

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La philosophie générale de Lamarck.

Lamarck était imbu de la philosophie du xvtn" siècle; son esprit offre ce curieux mélange de métaphysique et de positivité, qui caractérisait ia plupart de ses contemporains et qu'Auguste Comte, le premier, a déRmtivement dissocié il invoque souvent, dans ses explications, a l'auteur suprême de toutes choses », et « la nature B toutefois, il ne considère pas celle-ci comme un pouvoir arbitraire et sa préoccupation incessante est de découvrir les lois qui la constituent et la gouvernent, en dehors de toute influence surnaturelle.

C'est ainsi qu'il consacre toute la Vf partie de l'introdùction de l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres à l'étude « de la nature, ou de !a puissance, en quelque sorte mécanique, qui a donné l'existence aux animaux et qui les a faits nécessairement ce qu'ils sont ». Et, d'autre part, il dit « la nature, ce mot si souvent prononcé comme s'il s'agissait d'un être particulier, ne doit être à nos yeux que l'ensemble <fo&~ qui romprend

« l" tous les corps physiques qui existent

« 2' les lois générales et particulières qui régissent les changements d'état et de situation que ces corps peuvent éprouver;

« 3" enfin, le mouvement diversement répandu parmi eux, perpétuellement entretenu ou renaissant dans sa source, infiniment varié dans ses produits, et d'où résulte l'ordre admirable de choses que cet ensemble nous présente )) (1).

(1) PM<M)opMe MO~Me, vol. 1 p. 349. Édttton Marttns.


Car, ajoute-t-il, ailleurs

« Je dirai, sans crainte de me tromper, que la nature 'ne nous offre d'observable que des corps; que du mouvement entre des corp3 ou leurs parties; que des changements dans les corps ou parmi eux que les propriétés des corps; que des phénomènes opérés par les corps et surtout par certains d'entre eux enfin, que des lois immuables, qui régissent partout les mouvements, les changements et les phénomènes que nous présentent les corps ? (Ï).

Sa théorie même des causes premières de la vie et des générations spontanées constituait un vigoureux effort, pour arracher à la théologie l'explication de l'origine des êtres organisés et tenter de prouver que la vie résulta, primitivement, d'une manière directe, des milieux matériels.

En réalité, malgré quelques déviations furtives, qui n'altèrent ni sa méthode générale, ni l'ensemble de ses découvertes, Lamarck subordonne toujours l'imagination à l'observation; c'est dans l'observation seule, qu'il puise ses idées les plus lumineuses et ses arguments les plus péremptoires.

« Quant à moi, dit-il, convaincu que les seules connaissances positives que nous puissions avoir, ne sont autres que celles que l'on peut acquérir par l'observation, sachant d'ailleurs que, hors de la nature, hors des objets qui sont de son domaine, et des phénomènes que nous offrent ces objets, nous ne pouvons rien observer, je me suis imposé pour règle, à l'égard de l'étude de la nature, de ne m'arrêter dans mes recherches, que lorsque les moyens me manqueraient entièrement )) (2). (1) Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, vol. t, introduc* tion p. 200.

(2) ~Mem pp. 165, 213 et suiv.


Et, dans son testament philosophique, dans son SysMoM des connaissances positives de l'homme, restreintes à celles qui proviennent directement ou indirectement de fo6serpa/ton, que j'ai signalé plus haut, il écrit encore « Je me suis livré constamment à l'observation des faits et me suis ensuite efforcé de rassembler tous ceux qui avaient été constatés par d'autres observateurs. Alors, 'faisant provisoirement abstraction de mes pensées et de toute opinion admise à l'égard des sujets que je considérais, j'ai longtemps examiné tous les faits parvenus à ma connaissance, j'en ai tiré des conséquences, les unes générales, les autres plus particulières et progressivement dépendantes, et j'en ai formé une théorie dont je présente ici les principes qui la fondent.

a Ayant une longue habitude de méditer sur les faits observés, ces principes ont obtenu toute ma confiance et ont dirigé toutes les considérations éparses dans mes divers ouvrages N (1).

Aussi déclare-t-il, dans le même ouvrage, que le premier de ses principes est le suivant

« Premier principe Toute connaissance qui n'est pas le produit réel de l'observation on des conséquences tirées de l'observation, est tout à fait sans fondement et véritablement illusoire B (2).

Lamarck n'avait donc plus foi que dans l'esprit positif. C'est pour cela qu'il estime que l'essor de l'intelligence humaine est circonscrit par ce qu'il nomme « le champ des réalités (3) mais, parmi toutes les réalités observables, il en est une qui, par sa nature propre, par son

(1) Discours préliminaire p. 2. (2) Ibidem p. 84.

(3) JMdem p. 78.


intérêt, par son importance. lui semble infiniment supé.rieure à toutes les autres c'est l'homme.

Et, dominé par cetH conception maîtresse, il assigne, comme but suprême à toutes les études, une connais* sance plus complète de l'homme, de son organisation, de ses besoins, de ses sentiments, de ses idées, de jtenrs résultats, des lois naturelles qui régissent l'évolution de son espèce, et par suite dé ses devoirs. L'homme, dit-il, est forcé de reconnaître que 1 histoire naturelle est assurément « la plus grande et la plus importante de toutes les sciences dont il puisse s'occuper », et qu'il a le plus grand intérêt à la connaître et à l'étudier, « ann de M point se mettre en contradition, par ses actions, avec un ordre et une force de choses auxquels il est entièrement assujetti M (1).

C'est pourquoi Lamarck est résolument hosUle à la dispersion scientiBque il en pressent le danger il s'indigne de l'étendue croissante des spécialités qu'il nomme le /~M.r-M~o<r par lequel « la philosophie des sciences perd de plus en plus la simplicité qui lui est'si essentielle; ses connexions intimes avec les lois de la nature disparaissent insensiblement'et les théories de ces mêmes sciences, encombrées par une immensité de détails dans lesquels elles continuent de s'enfoncer, obscurcies par les fausses vues dont elles sont remplies, deviennent de jour en jour plus défectueuses ? (2). En outre, non seulement Lamarck ne perd jamais de vue que la science a la philosophie pour couronnement, mais encore la morale et l'intérêt public lui servent aussi de régulateurs. Il n'est pas de ces dilettante de la science, reclus dans leur laboratoire, qui demeurent indiuërents à tout ce qui se passe au dehors.

(1) Dtscoar<! préliminaire p. 82. (2) Ibidem p. 87.


Le second et le troisième des principes fondamentaux qui ont dirigé sa vie sont ainsi formulés par lui « Second principe dans les relations qui existent, soit entre les individus, soit envers les diverses sociétés que forment ces individus, soit encore entre les peuples et leurs gouvernements, la concordance entre les intérêts réciproques est le principe du bien, comme la discordance entre ces mêmes intérêts est celui du mal. « Troisième principe relativement aux affections de l'homme social, outre celle que lui donne la nature pour sa famille, pour les objets qui l'ont entouré ou qui ont eu des rapports avec lui dans sa jeunesse, et quelles que soient celles qu'il ait pour tout autre objet, ces affections ne doivent jamais être en opposition avec l'intérêt public, en un mot, avec celui de la nation dont il fait partie B (1).

Bref, après avoir fait, avec une scrupuleuse sincérité, l'examen de toute sa conscience philosophique, Lamarck conclut lui-même

« 1" que, pour l'homme, la plus utile des connaissances est celle de ta nature, considérée sous tous ses rapports

« que, conséquemment, la plus importante de ses études est celle qui a pour but l'acquisition entière de cette connaissance que cette étude ne doit pas se borner à l'art de distinguer et de classer les productions de la nature, mais qu'elle doit conduire à reconnaître ce qu'est la nature elle-même, quel est son pouvoir, quelles sont ses lois dans tout ce qu'elle fait, dans tous les changements qu'elle exécute et quelle est la marche constante qu'elle suit, dans tout ce qu'elle opère

a 3" que, parmi les sujets de cette grande étude, celle

(1) Discours pr~Nm&ta&'e p. 85.


des Jois de la nature qui régissent tes faits et tes phénomènes de l'organisation de l'homme, son sentiment intérieur, ses penchants, etc. et celles aussi auxquelles sont soumis tes agents extérieurs qui l'affectent, ou ceux qui peuvent compromettre tout ce qui t'intéresse directement, doivent attirer son attention et inciter ses recherches avant tes autres

« 4" qu'à l'aide des connaissances qu'il peut obtenir par ses études, il se conformera plus aisément aux lois de la nature dans toutes ses actions il pourra se soustraire à des maux de tout genre; enfin il en retirera les plus grands avantages B (1).

Avec Lamarck, nous sommes donc, bien manifestement, en présence d'un génie éminemment philosophique, et social, voué à l'étude positive et simultanée du monde, de l'homme et de la société, dont la pensée s'est rapidement étevée et familièrement maintenue sur tes plus hauts sommets.

Pour toutes ces raisons, ce grand homme est digne de la pius profonde vénération des positivistes.

Je vais, du moins, m'efforcer'de mettre cette affirmation hors de tout débat contradictoire, en effectuant une analyse plus spéciale des principales oeuvres de Lamarck.

(î) Discours préliminaire p. 95.


Appréciation des principaux travaux de Lamarck.

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TRAVAUX COSMOLOGtQUES

L'activité studieuse, vraiment extraordinaire, de Lamarck, s'est exercée danstouslesdomainesdes sciences physiques et naturelles avec une grande fécondité, et, bien que sa gloire dérive surtout de ses découvertes biologiques, il n'en a pas moins émis, en cosmologie, quelques théories ingénieuses dont la conception suiSrait à l'honneur d'un savant ordinaire car, à cet égard même, il a souvent devancé son époque (1).

En minéralogie, par exemple, il a mis en lumière les caractères fondamentaux qui distinguent les corps organiques des corps vivants, et proposé de classer les premiers en séries, en prenant pour base initiale, soit l'ancienneté de leur origine, soit l'éloignement qui existe entre la structure de chacun d'eux et celle des êtres organisés.

(1) L'énnmêration détaillée de tous les ouvrages de Lamarck se trouve dans un index bibliographique,. pubiié dans le livre le plus complet qui existe, josqtt'ici, sur Lamarck Lamarck, <Ae founder of évolution, h& t!e nnd work, a~A translations of Ats writings on organic eooM&M~ by Alphens S. Packard, Longman, green, and C*~ IWetc-ïor&, ~M.'


:fEo géologie, il soutenait, ajuste titre, que la surface terrestre est dans un état permanent de transformation et que l'intelligence des phénomènes anciens est subordonnée à l'étude préalable des phénomènes actuels.. On lui doit sur ce sujet-.tout un ouvrage mhtulé: Hydrogéologie ou rechérches sm- 7'tn~uence qu'ont les eaux sur ~sor/ace d<t'~o6e terrestre; sur les causes de l'existence du bassin des mers, ~e~n déplacement et de son ~an~or~aec~s~~r différents points de ta Mr/ace du globe; enfin sur les.phangements que les corps vivants ea-ercenf sur la na<Hre e< l'état de cette surface (An X). Certes, ce livre contient des hypothèses que les observations scientifiques, posté) ieures, ont ruinées mais son auteur n'en est pas moins au premier rang de ceux qui ont conçu la doctrine, aujourd'hui triomphante, de la lenteur et de la continuité des grandes révolutions du globe, et qui se sont eiïbrcés de la substituer à la théorie des~atac!ysmes, universels et successifs.

De plus, Lamarck a dévoilé le rôle énorme des protozaires et des zoophytes, dans la constitution des couches calcaires de la croûte terrestre et c'est à lui qu'on doit l'attribution exclusive, aux restes des aneiensêtres organisés, du nom de fossiles, qui, primitivement, était donné, d'une manière vague, à tous les objets de curiosité trouvés dans la terre.

« C'est à ces dépouilles encore reconnaissables des corps organisés, dit-il, qu'on trouve dans le sein de la terre et à sa surface, que j'ai donné particulièrement le nom de fossiles a (1).

<tCes fossiles sont des monuments extrêmement. précieux pour l'étude des révolutions qu'ont subies les dinerents points de la surface du globe et des changements

(Ï) Hydrogéologie; p. 55.


que les êtres vivants y ont eux-mêmes successivement éprouvés )) (1).

S'appuyant sur cet ensemble de matériaux et de faits~ Lamarck éliminait les traditions bibliques relatives aa déluge et à l'origine récente de la terre scrutant l'im~ mensité des temps que représentent les modifications que notre planète a subies, il écrivait

« Combien cette antiquité du globe terrestre s'agrandira encore aux yeux de l'homme, lorsqu'il se sera formé une juste idée de l'origine des corps vivants, ainsi que des causes du développement et du perfectionnement graduels de l'organisation de ces corps et surtout lorsque concevra que le temps et les circonstances ayant été nécessaires pour donner l'existence à toutes les espèces vivantes telles que nous les voyons actuellement, il est lui-même le résultat et le maximum actuel de ce perfectionnement, dont le terme, s'il en existe, ne peut être connu )) (2).

Passionné pour l'histoire de notre globe, il avait même conçu le projet de ne publier ses travaux biologiques qu'après sesobservations sur la météorologie, qui devaient servir de première partie à une Physique terrestre, dans laquelle il aurait étudié tout ce qui se passe et tout ce qu'on observe à la surface et dans la croûte externe de la terre.

Effectivement, il publia plusieurs mémoires sur la météorologie, et, pendant onze ans consécutifs, de 1800 à 1810, un annuaire météorologique.

Arago, dans l'Histoire de sa jeunesse, raconte, à ce sujet, une anecdote édiRante, datant de 1809; il venait d'entrer à l'Académie des Sciences et il assistait à une séance (1) Sur les fossiles; appendice au SysMme des animaux sans verM6re~ 1C01 p. 406.

(2) Hydrogéologie, p. 89, et ~moffes sur tes fossiles des environs de PaWs, 1823 Introduction.


solennelle dans laquelle les membres de cette Académie devaient présenter a Napoléon leurs dernières œuvres. Lamarck lui ayant offert un livre, Napoléon s'écria Qu'est-ce que cela ? C'est votre absurde météorologie C'est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Mathieu Lœnsberg, cet annuaire qui déshonore nos vieux jours; faites de l'histoire naturelle et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. Tenez. et il passa le livre à un aide de camp, sans l'examiner.

Vainement Lamarck insista pour faire remarquer qu tl y avait confusion et que le livre qu'il offrait était un ouvrage d'histoire naturelle le despote insolent ne Fécouta pas et reçut la Philosophie zoologique, qu'en réalité l'auteur lui présentait, comme un annuaire de météorologie.

Le vieux philosophe naturaliste, affligé decette brataie méconnaissance, versa des larmes, ajoute Arago. L'injure gratuite, qui lui fut faite en cette circonstance, dut, en effet, lui être d'autant plus sensible qu'elle attestait que Bonaparte n'était pas moins ignorant du but que Lamarck poursuivait avec son annuaire météorologique, qu'incapable d'apprécier la Philosophie zoologique car Lamarck s'est toujours défendu, dans toutes les préfaces de cet annuaire, de faire des prédictions; il n'a jamais voulu donner que des probabilités, résultant de l'observation des phénomènes correspondants des années précédentes il proclamait bien haut et sans cesse, que l'objet de son annuaire météorologique était « de publier annuellement toutes les observations des physiciens météorologistes qu'il aurait pu recueillir, pendant l'année~ ou au moins leurs principaux résultats, d'y exposer les siennes, et d'employer ces faits, sous les yeux même du public, à la recherche d'un ordre quelconque dan) les


principales variations de l'atmosphèreennosclimats~l). En un mot, Lamarck voulait introduire la méthode scientifique dans les études météorologiques. Il demanda et obtint qu'on établit, en différents points de ta France, « une correspondance d'observations météorologiques détaillées et régulières, faites au moins trois fois par jour, dans chacun de ces points, et ensuite toutes ramenées à un point central pour y être mises en comparaison les unes avec les autres et en regard, avec les causes qui ont pu occasionner les faits que ces observations concernent, afin d'en pouvoir obtenir des résultats ? (2).

1 Lamarck fut, un moment, chargé, par le ministre de l'Intérieur, de diriger cette correspondance et il eut ainsi, le premier, la conception de notre bureau central météorologique actuel et des observatoires régionaux qui lui sont rattachés.

Il a, de plus, émis l'idée des marées atmosphériques et du peuplement de l'air par des germes microscopiques, qui, croyait-il, donnaient naissance à des animalcules. Enfin, en chimie générale, Lamarck s'ést etïbrcé de prouver que tous les actes chimiques dépendent des atomes, qui entrent dans la composition des corps, et que ces atomes, par leur nature, leur forme et leur disposition, déterminent la différence des corps composés. Au surplus, je ne signale que pour mémoire toutes ces vues cosmologiques, originales, de Lamarck, dont quelques-unes, plus approfondies, ont cependant fait fortune ultérieurement car l'influence, exercée par ce grand homme sur la science et sur l'évolution de l'esprit humain, est exclusivement inhérente à ses travaux biologiques.'

(1) Annuaire nt~oroïo~~Mc pour l'an X p. 1.

(2) lbidem; p. 7.


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TRAVAUX BtOLOGtOUES

Les travaux biologiques de Lamarck sont innombrables et gigantesques. Ils ont, à vrai dire~.pour objet, tous les aspects de la biologie, puisqu'ils concernent la biologie générale, l'anatomie générale et descriptive, l'histoire naturelle, la biotaxie, la physiologie génère, la physiologie spéciale du système nerveux périphérique, la physiologie cérébrale, la théorie, des milieux. la théorie de la modincabilité, la généalogie des animaux et de l'homme.

Nous allons successivement passer en revue tous ces travaux qui se distinguent par le génie philosophique et synthétique. Ils sont condensés dans les Considérations sur l'organisation des corps Mo<M~, la Philosophie Mo/o* gique et l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, pièces justificatives et supplément de la Philosophie zoologique, fruit de quarante ans d'études ininterrompues (1).

Biologie générale.

Spéculant, comme BuNon, comme Bichat, comme tous les penseurs de son temps, sur la nature des phénomènes que présentent tous les êtres organisés, sans distinction, Lamarck s'est continuellement préoccupé de formuler une théorie générale de la vie, aussi positive que possible.

Il ne méconnaît nullement les propriétés spéciales, qui font que les corps inorganiques forment, à nos yeux, une catégorie distincte des corps vivants il démontre que les premiers ont une constitution essentiellement (1) Histoire naturelle des animaux sans vertèbres Avertissement PP. « ~t xi(}.


moléculaire, qu'ils sont homogènes, solides, liquides ou gazeux, qoe leur forme est inconstante, que leurs motécules sont indépendantes, qu'ils sont dans un état apparent de repos et perdent leur forme, leur consistance et même leur nature, sous l'influence du mouvement et de certains changements extérieurs, que leur croissance n'est pas limitée et s'opère par juxtaposition, enfin qu'ils sont formés de parties séparables, qu'ils ne sont pas soumis à l'obligation de se nourrir et n'ont, à proprement parler, ni naissance, ni mort; tandis que, tout au contraire, les corps vivants sont individualisés Ils sont hétérogènes ils réunissent en eux, au moins deux états de la matière ils ont une forme spéciale leurs molécules dépendent les unes des autres et concourent à une même un; ils subissent de perpétuels changements d'état, sans changer de nature ils sont continuellement en voie de destruction et de rénovation matérielle leur développement est borné et s'opère par intussusception enfin ils sont astreints à la nutrition ils proviennent d'un germe originel ils n'ont qu'une existence limitée durant laquelle ils évoluent; ils naissent, se développent et meurent (1).

« Les caractères des corps inorganiques, mis en opposition avec ceux des corps vivants, nous font connaître, dit Lamarck, l'existence d'un hiatus, en quelque sorte immense, entre les uns et les autres, hiatus constitué par l'impossibilité des uns de donner lieu au phénomène de la vie, tandis que l'exécution de ce phénomène est possible et toujours effectif dans les autres ? (2). Mais, d'autre part, Lamarck s'attache avec persévérance à démontrer que la vie ne nous paraît miraculeuse que parce que nous la connaissons et l'étudions (1) Histoire naturelle des animaux sans Mr~r~ 1" partie, chap. tttH. Il.

(2) Ibidem; p. 37.


ma! qu'elle n'est pas un phénomène surnaturel, soustrait à nos investigations que les anciens philosophes <mt, à tort, imaginé qu'elle pouvait exister indépendamment et hors des corps dans lesquels elle se manifeste que les phénomènes biologiques sont impérieusement subordonnés aux phénomènes physico-chimiques. Donc, c'est dans l'observation de la nature, seule, qu'H cherche le secret de la vie.

« Hors de la nature, dit-il, tout n'est qu'égarement et mensonge ? (Ï); et il rattache étroiiement la vie à J'ensemble de la matière, au moyen des principes suivants qu'il formule comme principes fondamentaux « .f~ Principe Tout fait ou phénomène que l'observation peut faire connaître, est essentiellement physique et ne doit son existence ou sa production qu'à des corps, ou qu'à des relations entre des corps.

« Principe Tout mouvement ou changement, toute force agissante et tout effet quelconque, observés dans un corps, tiennent nécessairement & des causes mécaniques régies par des lois.

« 3e Principe Tout fait ou phénomène observé dans un corps vivant est à la fois un fait ou phénomène physique et un produit de l'organisation.

« 4" Principe II n'y a, dans la nature, aucune matière qui ait en propre la faculté de vivre. Tout corps, en qui la vie se manifeste, offre, dans le produit de l'organisation qu'il possède, et dans celui d'une suite de mouvements excités dans ses parties, le phénomène physique et organique que la vie constitue, phénomène qui s'exécute et se maintient dans ce corps, tant que les conditions ,essentielles à sa production subsistent.

< Principe II n'y a, dans la nature, aucune matière (î) Philosophie zoologique, édit. Martins Il p. 3.


qui ait en propre la faculté d'avoir, ou de se former des idées, en un mot, de penser. Là o& de pareils phénomènes se montrent (et l'on n'en observe de cette sorte que dans les animaux les plus parfaits), l'on trouve toujours un système d'organes particulier, proprè à les produire, système dont l'étendue et l'intégrité sont constamment en rapports avec le degré d'éminence et l'état des phénomènes dont il s'agit.

« 6e Principe Ennn, il n'y a,. dans la nature, aucune matière qui ait en propre la faculté de sentir; aussi, là où cette faculté peut être constatée, là seulement se trouve, dans le corps vivant qui en est doué, un système d'organes particulier, capable de donner lieu au phénomène physique, mécanique et organique, qui, seul, constitue la sensation » (1).

Il ressort clairement de ces principes, dans lesquels le génie abstrait et généralisateur de Lamarck éclate si manifestement, que, pour lui, la vie n'est autre que le phénomène ou l'ensemble de phénomènes présenté par un organisme en fonction et que la sensation, les facultés morales et les facultés intellectuelles ont, comme elle, un substratum matériel.

Entrainé par son désir de tout expliquer scientifiquement, il a même l'audace de soutenir que « la nature, & -raide de la chaleur, de la lumière, de l'électricité et de l'humidité, forme des générations spontanées ou directes, à l'extrémité de chaque règne des corps vivants, où se trouvent les plus simples de ces corps o (2), et il déclare qu'il ne doute nullement « que les eaux soient le berceau du règne animal tout entier )) (3).

Dans tous les cas, si la vie est, intégralement, un phénomène naturel, il en est de même, bien entendu, de (1) Histoire naturelle des animaux MM cer~re~ p. tl. (2) PMoMphfe zoologique, Il p. 76.

(3) Ibidem, Il p. 418.


sa manifestation ultime, de la mort, et dela putréfaction consécutive qui libère, pour une nouvelle activité, les matériaux constitutifs des corps vivants et tes fait reutrer dans le circulus universel.

< L'organisation et la vie, dit Lamarck, ne so~ que des phénomènes naturels et leur destruction dans H<M~vidu qui les possède n'est encore qu'un phénomène naturel, suite nécessaire de l'existence des premiers. « Les corps sont, sans cesse, assujettis à des mutations d'état, de combinaison et de nature, au milieu desquelles les uns passent continuellement, de l'état de corps in~ït& ou passif, à celui qui permet en eux la vie, tandis qo~ les autres repassent de l'état vivant à celui de corps bro~ et sans vie. Ces passages de la vie à la mort et de la mort à la vie font évidemment partie du cercle de toutes les sortes de changements auxquets, pendant le cours des temps, tous les corps physiques sont soumis ? (1). Et ailleurs

< La mort de tout corps vivant est un phénomène naturel qui résulte nécessairement des suites de la vie dans ce corps, si quelque cause accidentelle ne te produit pas avant que les causes naturelles l'amènent ce phénomène n'est autre chose que la cessation complète des mouvements vitaux à la suite d'un dérangement quelconque dans l'ordre et l'état des choses nécessaire pour l'exécution de ces mouvements; et dans les animaux à organisation très composée, les principaux systèmes d'organes possédant, en quelque sorte, une vie particulière, quoique étroitement liée à la vie générale de l'individu, la mort de l'animal s'exécute graduellement et comme par parties, de manière que la vie s'éteint successivement dans ses principaux organes et dans un ordre (1) Philosophie <oo!oa<9M~ o'' Il; p.


constamment le même, et l'instant où le dernier organe cesse de vivre est celui qui complète Ja mort de l'individu » (1).

Prenant ainsi position sur les plus hauts sommets des sciences natureiles, Lamarck a toujours, de préférence, dans toutes ses études, fixé son attention sur les facultés communes à tous les corps vivants qui sont, disait-U 10 de se nourrir à l'aide de matières alimentaires incorporées

2" de composer leur corps, c'est-à-dire de former euxmêmes tes substances propres qui le constituent, avec dés matériaux qui en contiennent seulement les principes et que les matières alimentaires leur fournissent particu-

iièrement;

3. de se développer et de s'accroître jusqu'à un certam terme, particuti~r à chacun d'eux, sans que leur accroissèment résulte de l'apposition à l'extérieur des matières qui se réunissent à leur corps

4" de se régénérer eux-mêmes, c'est-à-dire de produire d'autres corps qui leur soient en tout semblables; 5. de perdre Ja vie qu'ils possédaient par une cause qui est en eux-mêmes (2).

Finalement, par ses méditations constantes sur les phénomènes communs à tous les êtres organisés <t dont la totalité peut être regardée comme un laboratoire immense et toujours actif Lamarck fut conduit à la conception d'une science générale de la vie, qu'il exposa dans les termes suivants

« La vie que les corps vivants possèdent, ainsi que les acuités, qu'ils en obtiennent, les distinguent essentiellement des autres corps de la nature. Ils offrent en eux, et dans les phénomènes divers qu'ils présentent, les ma(1) Philosophie zoologique, il p. 163. < <

(2) Ibidem, chap. VIII. Les facattés communes à tous tes corps vivants spécialement, p. 106 et 116.


tériaux d'une science particulière qui n'est pas encore fondée, qui n'a pas même de nom, dont j'ai proposé quelques bases dans ma Philosophie zoologique, et à laquelle je donnerai le nom de Biologie.

« On conçoit que tout ce qui est généralement commun aux végétaux et aux animaux, comme toutes les facultés qui sont propres à chacun de ces êtres sans exception, doit constituer l'unique et vaste objet de la Biologie; car les deux sortes d'êtres que je viens de citer sont tous essentiellement des corps vivants et ce sont les seuls êtres de cette nature qui existent sur notre globe. « Les considérations qui appartiennent à la &o~o~ sont donc tout à fait indépendantes des différences que les végétaux et les animaux peuvent offrir dans leur nature, leur état, et les facultés qui peuvent être particulières à certains d'entre eux B (2).

Les vœux de Lamarck sont aujourd'hui réalisés. Non seulement, la Biologie s'est constituée avec le caractère de haute généralité qu'il désirait mais encore elle a conservé le nom de baptême qu'il lui a donné. Analomie générale. Anatomie descriptive. Histoire <M/Mrc//e.

En anatomie générale, universalisant la notion que le génie de Bichat avait seulement étendue à la considération de l'ensemble de l'organisme humain qui lui était plus lamilière, Lamarck a montré que le tissu cellulaire doit être regardé « comme la gangue dans laquelle tout organisme a été formé !) (3).

<[ Le tissu cellulaire, dit-il, est la matrice générale de tout organisme, et, sans ce tissu, aucun corps vivant ne pourrait exister et n'aurait pu se former. »

(t) Histoire TM~tU~Ne des animaux sans Mf~rM, vol. I"' p. 4~. (2) Philosophie zoologique, Il, chap. V.


De plus, observant que les divers tissus des végétaux cotylédonés ne sont que du tissu cellulaire modiné, il soutient que tous les organes se forment au milieu et aux dépens de ce tissu.

En anatomie descriptive, on doit à Lamarck la connaissance de la structure d'innombrables espèces de plantes, et, surtout, d'Invertébrés vivants et fossiles. Enfin, on lui doit l'histoire naturelle de la plus grande partie de la multitude de ces derniers êtres, c'est-à-dire l'étude minutieuse de leur nature propre, de leur mode de nutrition, de reproduction, d'habitat, et du rang qu'il convient d'assigner à chacune de leurs classes dans la série animale.

C'est Lamarck, en effet, qui a reconnu les caractères diSérentie!s des animaux sans vertèbres et substitué le nom d'Invertébrés à celui d'animaux à sang blanc. sous lequel on les désignait; par erreur, antérieurement, et c'est lui qui a mis en ordre méthodiquement, après avoir déterminé leurs caractères spéciuques les Mollusques, en 1795 les Échinodermes et les Crustacés en 1799 les Arachnides, en 1800 les Annétides et les Radiaires, en 1802 les Infusoires, en 1807 les Ascidiens, en 1815. Dès 1801, dans le Système des antmaaa: sans vertèbres, Lamarck partage ces animaux en sept classes distinctes, savoir 1° les Mollusques; 2" les Crustacés; 3° les Arachnides 4" les Insectes; 5" les Vers; 6" les Radiaires; 7" les Polypes (I).

Il porte le nombre de ces classes à 10, en 1807, par l'adjonction des Cirrhipêdes, des Annélides et des Infusoires (2), et à 13, en 1815, par celle des Ascidiens, des Acéphales, et des Épizoaires (3).

Toutes ces découvertes de Lamarok, qui n'ont reçu (1) P. 35 <

Q) PMtMOjpMe zooïo~ 1 p. ,t,.5<7 S Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, t; pp. 46M7.


que des perfectionnements ultérieurs, ne lui ont jamais été sérieusement contestées, bien que leur valeur réelle n'ait été que plus tardivement appréciée.

a Ce qui lui appartient, ce qui demeurera fondamental dans toutes les recherches ultérieures, dit Cuvier, ce sont ses observations sur les coquilles et sur les polypiers, soit pierreux, soit flexibles; la sagacité avec laquelle il en a circonscrit et caractérisé les genres, d'après des circonstances de forme, de proportion, de surface et de structure, choisies avec jugement et appréciables avec facilité, la persévérance avec laquelle il en a compté les espèces, en a fixé la synonymie, leur a donné des descriptions détaillées et claires, ont fait successivement de chacun de ces ouvrages, le régulateur de cette partie de l'histoire naturelle ? (1).

Biotaxie.

Mais, malgré ses aptitudes exceptionnelles aux observations les plus précises, Lamarck n'était pas de ces naturalistes, au champ visuel rétréci, qui se connnent dans les détails et se contentent de connaître tous les dédales de leur taupinière scientifique; c'était un philosophe et toutes ses recherches avaient les idées générales pour point de départ ou pour destination.

Fort de l'expérience que lui avait donnée l'étude approfondie des Invertébrés, il entreprit de soustraire l'art général des classifications zoologiques à l'arbitraire et de le soumettre à une législation rigoureuse (2). Se conformant strictement à la méthode naturelle, il institua des règles pour former les embranchements, les classes, les (1) Éloge lu à l'Académie des Sciences, le 26 novembre 1832, par !e baron Sylvestre.

(2) Philosophie zoologique, chap. V; Histoire naturelle des an&Maaa: MtM M-r~res, Vïl' partie.


ordres, les familles, tes genres, tes nomenclatures, et s'enbrça de ranger tous les animaux en série graduée, autrement dit, de constituer une échelle animale, en prenant l'homme comme terme de comparaison, comme zoomètre, en s'élevant jusqu'à lui, suivant une marche progressive conduisant de l'organisation la plus simple à la plus composée, et en accordant aux organes euxmêmes un ordre d'importance fixé par ïe tableau cidessous (Ï)

Organes de la digestion » de la respiration du mouvement » de la génération » du sentiment

N de la circulation.

Cette prééminence, accordée par Lamarck, dans la hiérarchie animale, aux organes de la vie végétative, ~présentait le côté défectueux de sa méthode; car il est bien manifeste que la supériorité relativè des animaux résulte surtout de ce qui caractérise le mieux i'animahté, c'est-à-dire du développement de leurs facultés intellectuelles et morales et de locomotion, ou, plus exactement, de leur système nerveux.

D'ailleurs, infidèle lui-même, en certains points, a sa propre méthode, Lamarck proposa finalement de disposer, hiérarchiquement, les trois groupes qu'il reconnaissait dans le règne anima!, en considérant l'exclusion ou la possession des acuités les plus éminentes dont la nature animale puisse être douée, savoir le sentiment et l'intelligence et il dressa pour la série animale l'échelle que voici (2)

(1) Histoire naturelle des an&natcc sans pérores, p. 360. (2) Ibidem; p. 381.


DISTRIBUTION GÉNÉRALE ET DIVISIONS PRIMAIRES

UDMM apathies. 1. ï~a tntnaettf~a.

2. Les Polypes.

3. tea Badtah~a.

~.t~aVera.

(ÊpiMatrM).

H. Animaux sensibles.

C. Lea AractmMea. 7.~eaCrnstac6a. 9 t<ea AanNMea. C. Lea CfrrMpMea.

8. Les Cirrhip8des.

iC. Les MeUMt~ee.

n!.AMmMU!le!iig6t)~ 1~. Les PotMona.

12. Les ReptttM.

M. Les Oi<ea<Ht.

DES ANtMAUX

Ils ne sentent point, et ne se meuvent que par leur irritabilité excitée. Caraco Point de cerveau, ni de masse médullaire allongée; point de sens; formes variées rarement des articulations.

Ils sentent, mais- n'obtiennent de leurs sensations que des perceptions des objets, espèces d'idées 1 simples qu'ils ne peuvent combiner entr'elles pour en obtenir de complexes.

Caract. Point de colonne vertébrale; un cerveau et le plus souvent une masse médullaire allongée quelques sens distincts; les organes du mouvement attachés sous la peau forme symétrique par des parties paires. i

Ils sentent;, acquièrent des idées con-'servables; exécntentdesopérations entre ces idées, qui leur eu ibur.nissent d'aatres;etaoHtinte!!igpats j dans diSërents degrés.

Caraco Une colonne ~er~braîe; un cerveau et âne moelle épinière; g des sens distincts les organes do j mouvement fixés sur les parties d'un squelette intérieur ibrm~ symétrique par des parties paires.


Cette échelle animale, sur laquelle Lamarck donne, ailleurs, des dé!aits scientifiques beaucoup plus explicites (1) et qui ne cessa jamais de faire l'objet de ses méditations, avait principalement, dans sa pensée, une valeur didactique; il la considérait comme un artifice logique,'comme un grand instrument pédagogique, comme une sorte de tableau synoptique, dont on devait faire usage dans les ouvrages et dans les cours, a pour caractériser, distinguer et faire connaître les animaux observés », et pour résumer, dans une intense condensation, les connaissances acquises « sur la progression des dinérentes organisations animales, considérées chacune dans l'ensemble de leurs parties, en s'aidant des préceptes qu'il avait proposés (2).

Mais, simultanément, comme nous le montrerons ensuite, Lamarck se proposa de dresser une échelle des animaux, conformément a leur ordre présumé de formation (à), persuadé qu'il était que a la nature n'opérant rien que graduellement, et, par cela même, n'ayant pu produire les animaux que successivement, a, évidemment, procédé, dans cette production, du plus simple vers le plus composé. B

Cette tentative était prématurée à une époque où la paléontologie naissait à peine; néanmoins, jointe à ses autres travaux biotaxiques, elle contribue à faire de Lamarck le continuateur immédiat d'Aristote et de Linné et l'instituteur dénnitifde la série animale, dont la notion et l'usage ont si puissamment secondé les recherches et les découvertes biologiques du xixe siècle.

(t) Philosophie zoologique, chap. VI Dégradation et simplification de l'organisation d'nne extrémité à l'autre de la chaine animale, en procédant dm plus composé vers le plus simple.

(3) NMo~e naturelle des «Mt&natN: «MM per~e&res, p. 461. 0) PMtosopMe zoologique, 1" partte, chap. VIII, et Histoire natufeNe des animaux sans vertèbres, 1 pp. 37& et 457.


Physiologie o~néra~e. Lamarck n'a pas illuminé le domaine de la physiologie moins profondément que celui de la philosophie anatomique.

En physiologie générale, mieux inspiré que ses contemporains qui plaçaient le principal foyer de la chaleur animale dans l'appareil respiratoire et la faisaient résulter de la combinaison de l'air avec le sang dans les poumons, il considérait que la véritable source de ce phénomène devait être recherchée dans les combustions opérées dans l'intimité des tissus (1); en outre, il distinguait, judicieusement, comme Haller, la contractilité de la sensibilité (2) de plus, en suivant, dans ses Considérations sur ror~anM<~KM! des corps vivants, la dégradation progressive des organes spéciaux jusqu'à leur anéantissement, et en étudiant ensuite, dans sa Philosophie zoolo~tÇHe (3), les fonctions des appareils et des organes, dans l'ensemble de la série, il a montré comment on peutdéterminer rigoureusement, à l'aide de l'anatomie et de la physiologie comparées, les caractères fondamentaux de chaque appareil organique et de chaque fonction. Ennn, Lamarck a découvert et démontré cette grande loi naturelle, qui projette, sur la' sociologie et sur la morale, autant de lumière que sur la biologie, à savoir il n'~ a pas de fonction sans organe.

<( Les facultés particulières, dit-il, sont chacune le produit d'un organe ou d'un système d'organes spécial qui les leur procure, en sorte que tout animal, en qui cet organe ou ce système d'organes n'existe pas, ne peut nullement posséder la faculté qu'il donne à ceux qui en sont munis.

(1) Philosophie zoologique, p. 30.

~) Ibidem, p. 40 et Histoire naturelle des animaux sans oestres; pp. 90 et suiv.; 229 et suiv.

(9) J"M<Mo;pMe zoologique, M pp. 117 et saiv.


<t Partout où an organe spécial n'existe plus, la faculté à laquelle il donnait lieu cesse aussi d'exister, et, à mesure qu'un organe se dégrade et s'appauvrit, la faculté qui en résultait devient proportionnellement plus obscure et plus imparfaite a (1).

Enfin Lamarck établit que la tbnction crée'et développe l'organe, ou que sa désuétude est suivie d'atrophie, et que les modifications, qui se produisent chez l'individu, sont transmises et conservées par l'hérédité, En conséquence, il formule les deux lois suivantes « PfenM~re loi Dans tout animal qui n'a pas dépassa le terme de ses développements, l'emploi plus fréquent et soutenu d'un organe quelconque, fortifie peu à peu cet organe, le développe, l'agrandit et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi tandis que le défaut constant d'usage de tel organe, l'aNaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés et finit par le faire disparaitre. « DeaaM~Ke loi Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus, par l'influence des circonstances où leur vie se trouve depuis longtemps exposée, et, par conséquent, par l'influence de l'emploi prédominant d'un organe ou par celle d'un défaut constant d'usage de telle partie, elle le conserve, par la génération, aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexea ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus (2). Lamarck attachait, avec un légitime orgueil, un prix tout particulier à la découverte de ces lois; il disait de la première

et En considérant l'importance de cette loi et les Iu(1) PJMhMtopMe Motoa~tte, vol. Ï pp. 217 et 218.

(2) Ibidem, p. 235 et Histoire naturelle des <mM!MttM:MtM perMtre~ Ï pp. 181 et suiv.


mièpes qu'elle répand sur les causes qui ont amené l'étonnante diversité des animaux, je tiens plus à l'avoir reconnue et déterminée le. premier, qu'à la satisfaction d'avoir formé des classes, des ordres, beaucoup de genres et quantité d'espèces, en m'occupant de l'art des distinctions, art qui fait presque l'unique objet des études des autres zoologistes a (1).

Physiologie spéciale du système nerveux périphérique et du système nerveux central.

Dans cette région supérieure, délicate et complexe,. de la biologie, dont l'exploration scientifique commençait à peine an temps ou vivait Lamarck, aucune découverte essentielle n'est propre à ce grand homme. Cependant il n'est pas impossible qu'il en ait inspiré et préparé quelques-unes, par les hypothèses magistrales qu'il émit. En effet, convaincu qu'il n'y a pas de fonction sans organe et se basant sur une analyse très sagace des faits physiologiques, il eut le pressentiment des fonctions du grand sympathique (2); il distingua formellement les nerfs moteurs des nerfs sensitifs, avant que la vérinca.tion anatomique de cette distinction fût faite (3). « Qu'importe, disait-il, que les différents systèmes de nerfs particuliers, que je viens de citer, ne soient pas susceptibles d'être distingués les uns des autres anatomiquement, si les résultats de leurs fonctions les distinguentconstamment et constatent leur indépendance ? (4). Il soupçonna le rôle que joue la moelle épinière, comme centre de coordination des actes réflexes (5) et fut per(1). Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, ï p. 191. KM Ibidem, I; pp. 228 et 230.

3 Philosophie zoologique, 1809. H; pp. 185. 188 et 240 La pubitcation des mémorables travaux de Charles Bell, sur le même s~et, ne date réellement que de 1826. <,< (4) Histoire naturelle des animaux sans pefM&res, I; pp. 209 et 223. (6) Philosophie zoologique, 11 p. 181.


suadé que, suivant la pittoresque expression de Pierre Laffitte, ]e cerveau est un grand seigneur qui ne donne pas audience à tout le monde.

En résumé, il professait ce qui n'était pas commun de son temps, même parmi- les naturalistes que les fonctions du système nerveux sont

<f 1" De provoquer l'action des muscles

« 2° de donner lieu au sentiment, c'est-à-dire aux sensations qui le constituent

« 3" de produire les émotions du sentiment intérieur a 4" enfin d'effectuer la formation des idées, des jugements, des pensées, de l'imagination, de la mémoire, etc. » (1).

Avec Cabanis, Lamarck admettait, en effet, que « les deux grandes modifications de notre existence, qu'on nomme~e~hysique et le moral, et qui-offrent deux ordres de phénomènes, si séparés en apparence, ont leur base. commune dans l'organisation » (2).

Pour lui, <t le physique. et le moral ont une source commune; les idées, la pensée, l'imagination même ne sont que des phénomènes de la. nature, et conséquemment que de véritables faits d'organisation ? (3). On ne saurait douter, maintenant, que les actes d'intelligence ne soient uniquement des faits d'organisation, puisque, dans l'homme même qui tient de si près ï.ux animaux par la sienne, il est reconnu que des dérangements dans les organes qui produisent ces actes, en entraînent dans la production des actes dont il s'agit et dans la nature même de leurs résultats ? (4).

Lamarck niait donc qu'il y eût, dans la source origi(1) Philosophie zoologique, H p. 184.

(2) JTt~em, t; p. 383, et BMoire nottu-cHe des <utim<HM! MM cer~res p. 222.

(3) Philosophie ~ooto~M~ 11 p. 162.

(4)ZMdem;p.l62.


nelle des facultés intellectuelles et morales « quelque chose de métaphysique, quelque chose qui soit étranger à la matière » (1).

« Quel est, demandait-il, cet être particulier qu'on nomme esprit et qui est, dit-on, en rapport avec les actes du cerveau, de manière que les fonctions de cet organe sont d'un autre ordre que celles des autres organes de l'individu ??

« Je ne vois, dans cet être factice, dont la nature ne m'offre aucun modèle, qn'm~ moyen imaginé pour résoudre des dimcultés que l'on n'avait pu lever, faute d'avoir étudié suffisamment les lois de la nature t (2). Bref, Lamarck soutenait, avec Gall que les fàculté& intellectuelles et morales ont un siège organique que ce siège est le cerveau que le développement de ces facultés correspond a celui de l'appareil dans lequel. elles résident (3); que cet appareil n'est pas simple et que ces acuités elles-mêmes sont multiples (4).

Enfin, comme le grand biologiste, dont je viens de rappeler le nom et dont le génie fut aussi d'abord méconnu, Lamarck entreprit l'analyse des &cultés intellectuelles et morales il les a décomposées en trois grande groupes distincts: le sentiment, l'intelligence, la volonté, et, procédant à une étude plus approfondie du premier, attendu que, dans le domaine~dn momlis~JMe ~MU± importante revient au naturaliste (5), il montrait que, da penchant fondamental à la conservation, dérivent, naturellement le penchant à la reproduction la tendance vers le bien-être l'amour de soi-même le penchant a. (1) Histoire naturelle des an&netn~ sans MerMtTM, p. 222. (2) Philosophie :zoologique, H p. tM.

(3) BMofre naturelle des animaux sans Mf/~M~ 1 pp. 2M, 2tt, 226,337.

(4) f&Me!M, pp. 224, 230, 236.

(e)~Mem;p.281.


dominer (1), et que la diversité des hommes provient surtout des différences qui existent entre eux, sous le rapport de la naissance, de la constitution physique, de !'âge, de l'éducation, des habitudes; des occupations, de la fortune, de la situation sociale (2).

Avec une admirable clairvoyance, Lamarck a même nettement aperçu le danger que présente le développement intellectuel, à l'exclusion du développement moral

a Plus l'intelligence est développée dans un individu, disait-il, plus il en obtient de moyens, et plus, en général, il en profite pour se livrer avec succès à ses penchants. Sous certains rapports,. l'intelligence très développée fournit à ceux qui la possèdent de grands moyens pour abuser, dominer, maîtriser, et, trop souvent, pour opprimer les autres, ce qui semble rendre cette faculté plus nuisible qu'utile au bonheur général de toute société ? (3). Donc, dans toutes les branches de la physiologie, aussi bien'que dans l'anatomie, Lamarck a laissé des traces de sa rare supériorité.

Pourtant, toutes ces belles études, toutes ces grandes découvertes de philosophie biologique, que nous avons passées en revue dans les pages précédentes, ne sont pas celles qui ont contribué le plus à la gloire de Lamarck ce .ne sont pas celles qui lui assureront le mieux l'immortalité. Son génie. devait s'élever plus haut encore car dans un audacieux effort, il embrassa la nature vivante, dans l'immense étendue des temps écoulés, et pénétra le secret de son infinie diversité, de ses modifications incessantes et de son développement continu.

(1) Histoire naturelle des an~matM: sans perMttreo, p. 270 et suly.

(2~Mdem;p.298.

(3) Ibidem p. 300.

(9) Ibidem p. 800.


t

M~one des milieux et de la modificabilité. Généalogie antnMM.B et de f homme. @-

Depuis que la vie est objectivement étudiée, à t'aide de l'observation et de l'expérience, personne ne d'ouïe plus que ce phénomène soit, d'une manière générale; rigoureusement subordonné au milieu dans lequel les êtres qui le présentent se trouvent placés et que tes fonctions les plus essentielles de ceux-ci soient l'expression d'un mode particulier de relation de leur organisme avec le monde extérieur.

Mais ce grand fait biologique était beaucoup moins incontesté du temps de Lamarck, où la métaphysique, dont cet observateur de génie n'avait pas, lui-même, complètement secoué le joug, était encore triomphante et troublait toujours les conceptions les plus claires. En démontrant, avec insistance, que la connaissance de la constitution propre des êtres vivants ne suffit pas pour l'intelligence de leur nature, et qu'il faut, de plus, tenir grand compte de l'influence qu'exercent sur eux la température, l'humidité, la lumière, l'électricité, le climat, l'altitude, la composition chimique de l'atmosphère, la nourriture, les habitudes, le genre de vie qui leur est imposé, c'est-à-dire l'ensemble des circonstances dans lesquelles ils naissent et se développent, Lamarck eut donc le rare mérite de compléter la biologie, en lui assignant comme nouvel objet de recherches, après

l'anatomie et la physiologie, l'étude des milieux il est, en réalité, l'instituteur déRnitif de cet important problème.

L'étude des milieux présente même, à' ses yeux, un intérêt majeur; car il la pousse jusqu'à concevoir que les


conditions physico-chimiques ont suffi pour déterminer, dans Je sein des eaux, la formation de masses de matière, d'une consistance gélatineuse ou mucilagineuse, dans lesquelles la vie a trouvé ses premiers éléments d'organisation (1) et que <ï la nature, à l'aide de la chaleur, de la lumière, de l'électricité et de l'humidité, forme des générations spontanées ou directes, à l'extrémité de chaque règne des corps vivants, où se trouvent les plus simples de ces corps B (2).

S'appuyant sur ce que l'incubation des oeufs, la germination et la végétation des plantes, la vie de certains animaux, peuvent être suspendues, puis réveillées, par des modifications circonscrites à la températureambiante~ Lamarck attribue, en outre, à la chaleur et à l'électricité combinées, le privilège d'exciter, d'une manière toute spéciale, les phénomènes vitaux (3).

Certes, ce rôle de stimulus, qu'il attribue à l'électricité, constituait en 1809 et a constitué jusqu'au début du xxe siècle, une aSïrmation sans preuves; mais il n'en est plus absolument de même aujourd'hui; depuis que M. Delage a entrepris ses curieuses recherches sur la parthogénèse expérimentale et depuis qu'il a obtenu des larves, parfaitement viables, en soumettant des oeu& d'oursins, non fécondés, uniquement à des chargea électriques ~méthodiques.

Quoi qu'il en soit, s'appropriant, développant, généralisant et systématisant les idées émises déjà par Hippocraie dans le traité Des airs, des eaux et des lieux, par (J) FM<Mop/Me zoologique, 11; p. ?9.

(2) /M<fcnt,p.7S.

(3) Ibidem., 11* partie; chap. 1II. De la cause excitatrire des mouvements organiques.


son .maihe Buffon dans l'Histoire naturelle des animaux, par Montesquieu dans i-E~ par Cabanis dans Les Rapports du physique et du moral de l'homme (1), Lamarck aboutit à cette théorie capi<. tale:

« que tout changement un peu considérable et ensuite maintenu, dans les circonstances où se trouve chaque race d'animaux, opère en elle un changement réel dans leurs besoins;

« 2" que tout changement dans les besoins des an~ maux nécessite pour eux d'autres actions pour satisfaire aux nouveaux besoins et, par suite, d'autres habi~

tudes;

« S" que tout nouveau besoin, nécessitant d~nouveiiea actions pour y satisfaire, exige de l'animal qui réprouve, soit l'emploi plus fréquent de telle de ses parties dont auparavant il faisait moins d'usage et qui la développe et l'agrandit considérablement, soit l'emploi de non' veUes parties que les besoins font naître insensiMement en lui par des efforts de son sentiment intérieur ? (2) enfin que les résultats, acquis dans l'un et l'awir~ cas, sont nxés. dans Ja race, par l'hérédité.

Bref, Lamarck traça, d'une main magistrale, le plan de toute !a théorie de l'évolution des êtres organisés que ses prédécesseurs avaient simplement ébaucha d'u~ manière incidente.

Dès 1801, dans l'appendice sur les fossiles, joïnt au S~me des animaux sans Mr/~rM, il en énonce c!a!r~ (1) A ce dernier point de vue, la docteur Georges Hervé, ~MeMy à Se. d'anthropologie de Paris, a publié, ~sie titre ~Me cnMM Cabanis, une très remarquable étude, d~ S~ scientifique de la

let 1905.

(2) Philosophie zoologique, p. 2M. et Histoire naturelle des <H!~ mattiB MM perfetret, ï, p. 181.

4


ment et avec concision la conception générale, en disant

<t Tout, à la surface de la terre, change de situation; de forme et d'aspect.

« Or si, comme j'essaierai de le faire voir ailleurs, la diversité des circonstances amène, pour les êtres vivants, une diversité d'habitudes, un mode différent d'exister, et, par suite, des modifications ou des développements dans leurs organes et dans ia forme de leurs parties, on doit sentir qu'insensiblement tout être vivant quelconque doit varier dans son organisation et dans ses formes. On doit encore sentir que toutes les modifications qu'il éprouvera dans son organisation et dans ses formes, par suite des circonstances qui auront influé sur cet être, se propageront par la génération, et qu'après une longue suite de siècles, non seulement il aura pu se former de nouvelles espèces, de nouveaux genres et même de nouveaux ordres, mais que chaque espèce aura même varié nécessairement dans son organisation et dans ses formes ~(1).

L'évolution organique, telle que la conçoit Lamarck, résulte donc de l'influence combinée des variations du milieu, de la loi de l'exercice et du perfectionnement des organes, et de la loi de l'hérédité il en formule la théorie définitive dans la Philosophie zoologique, notamment dans le chapitre VII de la première partie de cet ouvrage, qu'il consacre à l'étude de l'influence des circonstances sur les actions et les habitudes des animaux, et de celle des actions et des habitudes de ces corps vivants, comme causes qui modifient leur organisation et leurs parties, chapitre qui contient non seulement la théorie des milieux et de la modiScabilité, mais aussi les germes de

(î) P 409.


la théorie de la concurrence vitale (1) et de la sélection

naturelle.

11 y précise le sens qu'il attache à ces expressions Les c~ animaux; c'est-à-dire qu'en devenant très différentes, elles changent, avec le temps, et cette forme et ~n.~io~ par des modifications propor-

tionnées.

~nrément, dit-il, si ron prenait ces expressions à la lettre, on m'attribuerait une erreur; car, quelles que .puissent être les circonstances, elles n'optent directe.ment sur la forme et sur l'organisation des animaux aucune modification quelconque.

« Mais de grands changements dans les circonstances -amènent pour les animaux de grands changements dans .leurs besoins et de pareils changements dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constants ou très durables, 'les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naitre. ..Voilà ce qu'il est facile de démontrer et même ce qui n'exige aucune explication pour être senti (2). De grands changements de circonstances produisent .de même de grandes différences chez les végétaux et Bnissent aussi par les rendre méconnaissables. Le froment cultivé, les plantes potagères sont des êtres qu'on chercherait vainement dans la nature, de même que l'infinie variété de pigeons, de poules, de chiens et d'autres animaux, que l'homme a produits, à l'aide d'une longue domesticité (3).

(i) Voir en outre chap. IV; p. H3, <~ second. partie, chap. Il; pp. 341 et vivantes.

(2)Vo!p.223.

t3) Ibidem, p. NS. ·


Pour toutes ces raisons, Lamarck aboutit & cette conclusion

« Le fait est que les divers animaux ont chacun, suivant leur genre et leur espèce, des habitudes particulières et toujours une organisation qui se trouve parfaitement en rapport avec ces habitudes.

<: De ia considération de ce fait, il semble qu'on soit libre d'admettre, soit l'une, soit l'autre des deux conclusions suivantes et qu'aucune d'elles ne puisse être prouvée.

« Conclusion admise jusqu'à ce jour la nature (ou son Auteur), en créant les animaux, a prévu toutes les sortes possibles de circonstances dans lesquelles ils auraient & vivre, et a donné à chaque espèce une organisation constante, ainsi qu'une forme déterminée et invariable dans ses parties, qui forcent chaque espèce à vivre dans les lieux et les climats où on la trouve et à y conserver les habitudes qu'on lui connaît.

« Ma conclusion particulière la nature, en produisant successivement toutes les espèces d'animaux et commençant par les plus imparfaits ou les plus simples, pour terminer son ouvrage par les plus parfaits, a compliqué graduellement leur organisation, et ces animaux, se répandant généralement dans toutes les régions habitables du globe, chaque espèce a reçu de l'inQaence des circonstances dans lesquelles elle s'est rencontrée, les habitudes que nous lui connaissons et les modifications dans ses parties que l'observation nous montre en elle.

< La première de ces deux conclusions est celle qu'on a tirée jusqu'à présent, c'est-à-dire que c'est à peu près celle de tout le monde elle suppose, dans chaque animal, une organisation constante et des parties qui n'ont jamais varié et qui ne varient jamais; elle suppose


encôre que les circonsiances des lieur. qu'habite chaque

espèce d'animal ne varient jamais dans ces lieux; car,

si' elles variaient, les mêmes animaux n'y pourraient

plus vivre et la possibilité d'en retrouver ailleurs de

dite.

'r~

suppose que, par l'influence des circonstances sur les

habitudes et qu'ensuite par celle des habitudes sur l'état

des parties et même sur celui de l'organisation, chaque

animal peut recevoir dans ses parties et son organisation

E~=:=.='=-

rables et d'avoir donné lieu à l'état où nous trouvons tous

les animaux.

~T~.=~~=~

fondement, il faut d'abord prouver que chaque point de

la surface du globe ne varie jamais dans sa nature, son

exposition. sa situation élevée ou enfoncée, son climat,

etc., etc. et prouver ensuite qu'aucune partie des ani-

maux ne subit, même à la suite de beaucoup de temps,

aucune modification par lechangement des circonstances

et par la nécessité qui les contraint à un autre genre de

vie et d'action que celui qui leur était habituel.

({ Or, si un seul fait constate qu'un animal depuis long-

temps en domesticité diffère de l'espèce sauvage dont il est provenu, et si, parmi telle espèce en domesticité, l'on

trouve une grande différence de conformation entre les

individus que l'on a soumis à telle habitude et q~

l'on a contraints à des habitudes différentes, alors ilsera

certain que la première conclusion n'est point conforme aux lois de la nature et qu'au contraire la seconde est parfaitement d'accord avec elles.

« Tout concourt donc à prouver mon assertion que

ce n'est point la forme, soit du corps, soit de ses parties,

manière de vivre


des animaux, mais que ce sont, au contraire. les habi., tudes, la manière de vivre, et toutes les autres circonstances influentes qui ont, avec le temps, constitué la forme du corps et des parties des animaux. Avec de nouvelles formes, de nouvelles facultés ont été acquises, et, peu à peu, la nature est parvenue à former les animaux tels que nous les voyons actuellement » (1).

En résumé, les variations du milieu, les modifications qu'eHes provoquent dans les besoins et dans les organes des êtres vivants, l'hérédité qui fixe et accumule graduellement dans les générations qui se succèdent, sous un même régime, les changements que subissent les individus, le temps enfin, tels sont les arguments invoqués par Lamarck pour afnrmer et expliquer l'évolution organique.

En ce qui concerne le dernier de ces facteurs convergents, il pressent l'immense durée des temps géologiques, que la science a dévoilée, ultérieurement, car il met le sceau à sa Philosophie zoologique en écrivant « Parmi les changements que la nature exécute sans cesse dans toutes ses parties, sans exception, son en' semble et ses lois restant toujours les mêmes, ceux de ces changements qui, pour s'opérer, n'exigent pas beaucoup plus de temps que la durée de la vie humaine, sont facilement reconnus de l'homme qui les observe mais il ne saurait s'apercevoir de ceux qui ne s'exécutent qu'à la suite d'un temps considérable.

< Que l'on me permette la supposition suivante pour me faire entendre.

« Si la durée de la vie humaine ne s'étendait qu'à la durée d'une seconde, et s'il existait une de nos pendules actuelles, montée et en mouvement, chaque individu de

(1) Philosophie zoologique 1; pp. 263 et saiv.


Botte espèce qui conbitlèrerait l'aiguille des beures de

Sg!5SSS=

le cours de sa vie, quoique cette niguiJIe ne soilréelle-.

ment pas stationnaire.

«Lesobservations detrentegénérationanapprendraient

rien de bien évident sur le déplacement de cette aiguille,

car son mouvement n'étant que celui qui s'opère pen-

dant une demi-minute, serait trop peu dé chose pour

être' bien saisi et si des observations beaucoup plus

anciennes apprenaient que cette même aiguille a réelle-

ment changé de place, ceux qui en verraient l'énoncé n'y

croiraient pas et supposeraient quelque erreur, chacun

ayant toujours vu l'aiguille sur le même point du

cadran (1).

Sous l'empire de toutes ces idées, continuel objet de

ses méditations et de ses travaux ~cientifiques, Lamarck

se sépare résolument des partisans de la fixité des espè-

ces il se déclare« très convaicu que les races, auxquelles

on a donné le nom d'espèces, n'ont, dans leurs caraclères,

qu'une constance bornée ou temporaire, et qu'il n'y a aucune espèce qui soit d'une constance absolue (2).

< <'

C'est pourquoi La~rck s'efforça dedebro.;MerI'ine~

tricable écheveau des liens généalogiques, plus ou moins

éloignés, qui rattachent, les une aux autres, les espèces

actuelles, en partant de ce principe, maintes fois énoncé

par lui, que l' « ordre de la formation successive des dif-

férents animaux ne saurait être maintenant contesté » (3),

et que les animaux dérivent les unes des autres, principe

(1) Philosophie wotogique vol. 11 p. 426. introduadon,

gX~~X' '°'

p. 197.

'~M<°~"°°"


qu'il érigea, d'une manière dénnitive, en axiome zootor gique, dans les termes ci dessous

« La nature, dans toutes ses opérations, ne pouvant procéder que graduellement, n'a pu produire tous les animaux à la fois elle n'a d'abord formé que les plus simples; et, passant de ceux-ci jusques aux plus composés, ellè a établi successivement en eux différents systèmes d'organes particuliers, les a multipliés, en a augmenté de plus en plus l'énergie, et, les cumutantdans les plus parfaits, elle a fait exister tous les animaux connus avec l'organisation et les facultés que nous leur observons (1).

Lamarck fut, de la sorte, logiquement conduit à rechercher l'ordre de production des animaux et à les classer suivant cet ordre supposé, en constituant une série distincte de la série didactique que nous avons précédemment signalée, en rappelant ses travaux bio taxiques.

«Cet ordre, dit-il, est loin d'être simple; il est rameux et parait même composé de plusieurs séries distinctes (2), présentant elles-mêmes des rameaux latéraux (:!).

Dans tous les cas, Lamarck admit au .noins deux séries particulières, et, conformément à cette vue, il dressa l'arbre généalogique des animaux, une première fois, dans sa Philosophie zoologique (4), et en dernier lieu, dans son Histoire naturelle des animaux sans cer~bres, dont le premier volume est complété par un ~Mp~/cMe~ à la distribution générale des animaux, concernant l'ordre réel de formation r~a~ ces êtres (5), (1) Ibidem, p. 123 et anfe, pp. 193, 804 et sniv.

(2) Ibidem, 1; p. 452.

(3) Ibidem, p. 454, et Philosophie zoologique, 1 p. 76.

(4)VoLM;p.424. ..f

(6) Pp. 4M et suiv.


~po'sée dans l'introduction de cet ouvrage. C'est ce dernier tableau que je reproduis ici.

<T~

deux séries séparées, subr~meuse8,

Série des animaux

Inarticulés. articulés.

1. ~ar~cM/es. Infusoires.

jj i Poîypes.

) Rad!aires. Vers.

Radiaires. Vers.

Ascidtens.

t ) ) Épizoaires.

Acéphales. Insectes.

g.) Acéphales.

J Mollusques~ Annélides Arachnides. j f { Crustacés. Céphalopodes, cirrhipedes.

Cirl'hipèdes.

§ Poissons.

Jj~ Reptiles.

Oiseaux.

Mammifères.

Lamarck ne se faisait pas d'illusion sur l'insuaisance, les lacunes, les erreurs même de ce tableau dans lequel il se borne à condenser les vues émises, dans ses ouvrages, sur la filiation générale des animaux; il reconnaissait que, faute d'observations, de nombreux éléments de transition lui manquaient et que, sans doute, ces problèmes resteraient encore longtemps sans solution. L'aspect matériel, sous lequel l'arbre généalogique se


présentait, ne le satisfaisait même pas il considérai qu'il déRgurait légèrement l'idée qu'il avait voulu ren. dre (1) et regrettait que les convenances typographiques ne lui eussent pas permis d'employer la forme ramiSée, maintenant usitée dans tous les ouvrages. de ce genre il eût préféré donner une direction oblique aux lignes indicatrices des branches latérales des séries. Néanmoins, il proclamait quêtons ces dé&ut& n'altéraient nullement le principe dé la, production snccessBE~ des différents animaux, et, tirant de ce principe toutes les conséquences qu'il comporte, il posa nettement, malgré quelques réserves dénuées de conviction, le problème de l'origine, purement animale et simienne, de l'homme (2), en montrant, par hypothèse, comment une race d'anthropoides pourrait progressivement acquérir tous les caractères d'organisation qui distinguent, aujourd'hui, l'homme des quadrumanes.

<t <

Toutes les grandes questions de philosophie biologique qui passionnent encore l'esprit des savants progressistes, ou que la science a, depuis, élucidées, ont donc été résolument abordées par Lamarck. C'est à juste titre que la postérité le considère comme le véritable fondaur de la doctrine générale de l'évolution, à laquelle on a, tout d'abord, improprement donné le nom de transformisme.

(1) Histoire naturelle des animaux sans cerMtreft p. 460. (2) Philosophie zoologique, 1, pp. 339 et suiv. Quelques observations relatives d l'homme.


<

IV

Apprit.. des théories philosophiques de Lamarck.

~M M~cr<e la .diaca. des 't ~c.

trice, permanente, ne fut pas favorablement accueillie,

dénigrée que discutée.

attribuée à la résistance aveugle des esprits indolents et

vulgaires à toutea les découvertes originales qui les obli-

gent à moditler la manière de penser à laquelle ils sont

accoutumés elle doit encore être recherchée dans la

de

ses conceptions géniales.

Trop souvent, ces conceptions ont un vêtement méta-

physique elles sont formulées comme dea affirmations

arbitraires elles semblent émaner d'une inspiration

cations fantaisistes. Bref, elles n'ont pas la riguear des

démonstrations scientifiques, dont les preuves et la

X==~=~ S~

racines imaginaires elles reposaient, extérieurement,

mulés par lui, et, dana sa tête même, aur .une ulultitude

~=s±~

et fréquemment renouveléea, dans le cours de sa longue

carriére de naturaliste.

:ss=.

ont consulté lea grandes collections, ont pu se con ,'aincre'


que si les circonstances d'habitation, d'exposition, de climat, de nourriture, d'habitude de vivre, etc. viennent à changer, les caractères de taille, de forme, de proportion entre les parties, de couleur, de consistance, d'agilité et d'industrie, pour les animaux, changent proportionnellement (1).

Et plus tard

« Que l'on veuille se représenter qu'ayant rassemblé sur l'important sujet, dont je m'occupe depuis quarante ans, les faits les plus nombreux et surtout les plus essentiels, il est résulté pour moi, de leur considération, cette force des choses qui m'a conduit à découvrir et à coordonner peu à peu la théorie que je présente actuellement, théorie que je n'eusse assurément pu imaginer sans les causes qui m'ont amené à la saisir a (2).

La conviction de Lamarck résultait donc d'une immense induction; elle lui fut pour ainsi dire imposée par la nature de ses études, par ses travaux de détermination, de classification, de nomenclature, qui lui révélèrent les inconvénients et l'irrationnalité de la multiplication des genres, inconvénients devenus tels que, disaitil, le plus bel effort de l'homme pour établir les moyens de reconnaître et distinguer tout ce que la nature offre, à son observation, et à son usage, est changé en un dédale immense dans lequel on tremble avec raison de s'enfoncer B (3).

Toutefois, l'idée de la modincabilité lui avait surtout été inspirée par l'étude des Invertébrés

« 1° parce que les espèces decesanimaux sont beaucoup plus nombreuses que celles des animaux vertébrés (1) Philosophie zoologique, 1; p. N7.

(2) Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, vol. avertissement p. vt.

(3) PMosopMe zoologique, 1; pp. 66, 73, 76.


2. qu'étant plus M" elles sont d. ~r .n

gp parce que les variations de leur organisation sont

b. plus et plus

liéres

4o parce que leur étude est beauçoup plus propre à

nous faire apercevoir l'origine même de l'organisation,

ainsi que la cause de sa composition et de ses développe-

ments))(l). Néanmoins, ce qui P.r.~tt M~t P-

Lamarck; familiarisés avec la contemplation de riches

collections de matériaux conformes à ses coneeptions,

ne l'était pas, au même degré, pour les le~cteurs de la

partie' philosophique de ses livres (lui présente snr-

tout le fruit de ses nriédüationa générules sur les causes

génératrices des naances, souvent imperceptibles, qui

~r~=~

autres..

De là, l'opposition rencontrée par les' théories de

Lamarck, lors de leur apparition. La légitimité primitive

de cette apparition ne saurait étre contestée, puisqu'elle

a trouvé des organes tels que Cuvier et Auguste Comte.

En raison de la nature de son esprit et

CuvJerne pouvait, étre convaincu que par des preuvea

=:SS==:

faisaient ordinairement défaut, dans les œuvres pbiloso-

phiques de Lamarck,

Quant à Comte, préoccupé de maintenir strictement

toutes les sciencea aur le roc des faits démontrables et

de cuasser de leur domaine toutes les hypot,bèses invé..

i~c p. p~ des adopter que partiellement la doctrine de Latnarck. (1) MMoeop~te <oo!<c, ï; p. 30.


H admit comme incontestables les deux principes fondamentaux de Lamarck

« I" l'aptitude essentielle d'un organisme quelconque et surtout d'un organisme animal, à se modifier conformément aux circonstances extérieures où il est placé et qui sollicitent l'exercice prédominant de tel organe spécial, correspondant à telle facuité devenue plus nécessaire

« 2° !a tendance, non moins certaine, à fixer dans les races, par la seule transmission héréditaire, les modifications d'abord directes et individuelles, de manière à les augmenter graduellement, à chaque génération nouvelle, si l'action du milieu ambiant persévère identiquement ?(1).

Il considéra que Lamarck avait rendu un service éminent au progrès général de la saine philosophie biologique en posant le prob!ème de la modincabitité « Un te! ordre de recherches, dit-il, quoique fort négligé, constitue, sans doute, l'un des plus beaux sujets que l'état présent de cette philosophie puisse offrir à l'activité de toutes les hautes intelligences. 11 devrait, ce me semble, inspirer d'autant plus d'intérêt, que les lois générales de ce genre de phénomènes seraient, par Jeur nature, immédiatement applicables à ia vraie théorie du perfectionnement systématique des espèces vivantes, y compris même l'espèce humaine )) (2).

Mais, malgré l'imposante autorité de Lamarck (3), il resta convaincu que « l'aptitude incontestable de tout organisme à se modifier, d'après !a constitution spéciale du milieu correspondant, était circonscrite dans d'étroites limites (4) et que non seulement !es familles et les (t) Philosophie Positive, vol. p. 391.

(2~ Ibidem, p. 397 et 430.

(3 et 4) Ibidem, p. 394.


genres, mais les espèces elles-mêmes « demeurent essentiellement fixes, à travers toutes les variations extérieures compatibles avec leur existence » (1). Les raisons déterminantes d'Auguste Comte furent celles qu'invoquait Cuvier dans Je célèbre Discours sur les r~oo/H~oM du globe, dont il trouvait l'argumentation lumineuse elles se réduisent à !a permanence des espèces les plus anciennement observées, constatées par la comparaison des momies de crocodiles, d'oiseaux et de carnassiers de l'ancienne Egypte, avec les espèces vivantes et la résistance des espèces actuelles aux plus grandes forces modificatrices (2).

Pendant longtemps, ces deux puissants champions de la fixité des espèces rallièrent, à leur manière de voir, l'un comme savant, l'autre comme philosophe, un très grand nombre de bons esprits qui, suivant L'usage, exagérèrent même la résistance de leurs maitres, en opposant imprudemment leur opinion à des faits qu'ils n'avaient pas connus.

Cependant, ce furent Cuvier et Auguste Comte qui fournirent les armes les mieux trempées pour défendre la doctrine de Lamarck et pour l'arracher, victorieuse, à la mê)ée des controverses le premier, en créant la paléontologie le second, en systématisant la méthode scientifique, en astreignant l'esprit positif à toujours subordonner l'imagination à l'observation et à Caire toujours l'hypothèse la plus simple en rapport avec les renseignements obtenus, en démontrant que, dans tous les domaines, le progrès n'est jamais que le développement de l'ordre, en introduisant enfln, avec Turgot et Condorcet, l'idée d'évolution dans I~étude de la succession des phénomènes historiques.

(1) Philosophie Positive, vol. III p. 394.

(2) Ibidem, p. 395, et CovtER Discours sur les révolutions du globe !ea espèces perdues ne sont pas des variétés des espèces vivantes.


Sous cette double impulsion, les conditions du pro. blème, posé par Lamarck, se sont modiHées.d'autant plus profondément que ce proiéme fut simuitanément ou sac.cessivement éclairé par les observations de Gœthe sur la théorie vertébrale du crâne, les métamorphoses des plantes et l'assimilation des fleurs des végétaux à leurs feuilles; d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, sur t'unité de plan de composition, sur l'embryologie et sur les organes rudimentaires; des savants divers auxquels Darwin rend personnellement hommage, dans la notice historique placée au frontispice de son livre sur L'Orne des Espèces; de Darwin enfin, sur la variation des espèces a l'état domestique et à l'état de nature, sur la concurrence vitale et la sélection naturelle.

Depuis les travaux de ce dernier auteur et les innombrables recherches concordantes qu'ils ont suscitées, la stabilité des espèces a réellement cessé d'être l'hypothèse la plus conforme à l'ensemble des observations recueillies, et la grande construction de Lamarck, dont l'audacieuse architecture semblait d'abord si frêle et si menacée, apparait, aujourd'hui, comme un monument scientiûque d'une rare solidité; car elle est étayée par les faits patéontotogiques, par l'embryologie et par l'anatomie comparée.

Confirmation des théories de Lamarck par les faits paléontologiques.

En premier lieu, la paléontologie, dans l'état de développement qu'elle a maintenant atteint, démontre, comme Lamarck l'avait pressenti, que les espèces organisées ont fait leur apparition sur la terre, successivement, dans un ordre de complication croissante.

Évidemment, ia paléontologie ne nous renseigne pas sur les origines mêmes de la vie, sur notre globe. Le ter. rain cristallophyllien, dont la formation sédimentaiye


n'est plus contestée et qui provient des premiers dépôts vaseux, sablonneux et calcaires, effectués au sein des Océans, ne renferme aucune trace d'êtres organisés, tandis que les fossiles, qu'on trouve dans les terrains postérieurs qui lui sont immédiatement contigus, révèlent une faune, déjà riche et variée, dont l'organisation est souvent très éloignée de celle des êtres primitifs. Toutefois, cette anomalie n'est pas surprenante. Sous la pression colossale et toujours croissante des autres terrains, auxquels ils servent de support, les terrains Archéens se sont graduellement aNaissés et de plus en plus rapprochés de la partie de la croûte terrestre qui conserve une très haute température; au voisinage de ce foyer, ils se sont transformés, métamorphosés en roches cristallines, très semblables aux roches d'origine ignée, et tous les fossiles qu'ils pouvaient contenir ont été de la sorte, anéantis.

Mais lorsque, quittant cet étage stérilisé, on s'élève, par degrés, jusqu'à la superficie actuelle de la terre, au travers des couches de plusieurs kilomètres d'épaisseur qui se sont, tour à tour, superposées à lui, dans la longue suite des âges, on assiste, pour ainsi dire, à l'épanouissement successif de tout ce qui devait constituer, à la fin, la multitude contemporaine du monde vivant, végétal et' animal.

C'est ainsi que le terrain Cambrien renferme des représentants de la plupart des groupes d'Invertébrés. On y trouve desForaminifères, des Spongiaires, des Polypiers, des Échinodermes, des traces de Vers, des Mollusques, même des Crustacés, voisins du genre d'animaux que représentent aujourd'hui les Limules et auxquels on a donné le nom significatif de Paradoxides; mais aucun Vertébré n'a été découvert, jusqu'ici, dans Jes archives paléontologiques des temps Cambrions.

Ce dernier grand embranchement du règne animal


débute, seulement, dans le terrain Silurien, consécutif au Cambrien, sous !a forme de Poissons cartilagineux et cuirasses, dont certains types présentent quelques anatogies avec les Crustacés de l'époque antérieure. Cette classe d'animaux se multiplie et commence à se diHérencier, durant les temps où le terrain Dévonien se dépose; mais, alors, elle reste toujours seule pour représenter les Vertébrés et les êtres qui la forment sont bien différents des Poissons d'aujourd'hui leur colonne vertébrale n'est pas ossiSée elle est molle, comme dans l'embryon des Vertébrés actuels, et leur corps est extérieurement recouvert de fortes écaiUes émaiHées ces Poissons sont notocordaux et ganoïdes.

A l'époque permo-carboniîère, au contraire, les Poissons offrent des caractères qui révélent leur tendance à se rapprocher des poissons actuels, et les Reptiles apparaissent; mais ces reptiles sontganocéphates leurs vertèbres, incomplètement ossifiées, sont composées de plusieurs pièces et ils appartiennent surtout à une classe intermédiaire entre lés Reptiles véritables et les Poissons; ce sont des Amphibiens, qui constituent la souche primitive des Batraciens.

D'autre part, à la même époque, les Insectes, qui ne font leur apparition que dans le Dévonien, ont atteint de grandes dimensions et le développement d'une végétation luxuriante est attesté par une flore gigantesque bien que tous ses éléments appartiennent, exclusivement, au groupe des Cryptogames vasculaires.

Pendant l'ère secondaire, qui succède à t'ère primaire, dont nous venons de traverser les principales époques, aucune classe nouvelle d'Invertébrés n'a pris naissance; mais l'essor des Vertébrés s'est enëctué, d'une manière prodigieuse.

Les Poissons, libérés de l'armure des ganoides qui disparurent progressivement, doués d'une colonne verté-


".il

brale parfaitement ossifiée et recouverts d'écaillés souples, sont devenus les êtres, agiles et variés, que nous connaissons.

Les Reptiles ont conquis l'empire des mers, de la terre et des airs, avec leurs légions de formes adaptées à cha. cun de ces trois milieux; quelques-uns, parmi les reptiles terrestres, en particulier, avaient des dimensions phénoménales, qu'on ne peut réellement se figurer, si l'on n'a .pas contemplé les squelettes mêmes de quelques Ichtyosaures, du ~M<MQHra~ de Iguanodon et du Diplodocus.

En outre, une classe nouvelle de Vertébrés, la classe des Oiseaux, a surgi vers le milieu des temps secondaires. Cette classe était alors manifestement apparentée à celle des Reptiles, puisque l'Archéoptéryx, qui en est le ,premier type, a les mâchoires garnies de dents coniques, une longue queue vertébrée et pennée, les ailes terminées par des doigts séparés, pourvus de griffes, et que l'Hesperornis et l'Zc/~or~ contemporains de la fin des ,temps secondaires, ont encore, quoique beaucoup plus rapprochés de nos oiseaux actuels, les mandibules armées de dents.

Enfin; vers la même époque, des petits êtres rares et chétifs, présentant les caractères des Monotrèmes, puis ceux des Marsupiaux, annoncèrent la formation de la .dernière çtasse des Vertébrés, celle des Mammifères. D'ailleurs, la physionomie de la flore terrestre s'est aussi modifiée et complétée, durant l'ère secondaire. D'abord les plantes Gymnospermes sont venues s'ajouter aux végétaux vasculaires, dans le temps où se déposaient ks couches du Trias; puis les Monocotylédones apparurent, au début des temps Jurassiques; enfin, pendant la période Crétacée, les plantes Dicotylédones angio. spermes et à feuilles caduques, se répandirent et leur présence prouve que l'alternance des saisons se substi-


tua dès lors à l'antérieure uniformité de la température tropicale.

Lorsque l'ère tertiaire s'ouvre, tous les grands groupes de plantes sont donc formés; les familles qui les composent ont, seulement, une répartition géographique différente de celle d'aujourd'hui. Les palmiers, les lauriers, les pandanées sont mélangés aux peupliers, aux hêtres et aux châtaigniers, dans le nord de la planète, et la flore de la Baltique est identique à celle de la Méditerranée mais la température moyenne s'abaisse insensiblement et les hivers se font sentir, tandis que les graminées et les diverses familles des plantes phanérogames, apétales, polypétales et gamopétales, prennent un développement considérable et se diversifient. Ce qui distmgue surtout la paléontologie de l'ère tertiaire de celle de la précédente, c'est la disparition des grands Sauriens qui caractérisaient celle-ci et l'apparition des Mammifères placentaires qui deviennent, à leur tour, les maitres de la surface planétaire.

Au commencement, pendant l'époque Ëocène, ils ne sont représentés que par des bêtes massives et stupides, de l'ordre des Pachydermes; mais, au temps du Miocène, les Ruminants forment des troupeaux; les Proboscidiens majestueux se répandent; les Carnassiers se perfectionnent l'oidre des Primates surgit avec les singes, avec les premiers anthropoides, et, finalement, avec le Pithécanthrope, dont les restes ont été retrouvés dans le terrain pliocène de Java; de telle sorte qu'à la fin de l'ère tertiaire, l'apogée du monde animal est atteint; tous les genres actuels de Mammifères existent et la terre est peuplée des diverses sortes d'animaux qui l'habitent aujourd'hui.

En effet, les genres, seuls, se diversifient, pendant yère quaternaire, où se constituent, puis disparaissent, dans les régions septentrionales, le Mammouth, le Rhino"


cérps velu, l'Aurochs, FHyène, l'Ours et !e Lion des. cavernes, et pendant laquelle !a scène changeante du, monde, dont les décors et les personnages principaux se sont tant de fois renouvelés, est enfin occupée par l'homme, primitivement représenté par les races de Néanderthal et de Spy, très voisines do Pithécanthrope, auxquelles succèdent les races de Cro-Magnon et des Eysies, que les plus dédaigneux de nos contemporains ne peuvent renier comme des ancêtres authentiques.

Il résulte donc, bien manifestement, de l'étude des documents paléontologiques que l'apparition et la complication des êtres organisés, végétaux et animaux, se sont opérées graduellement. L'échelle paléontologique, végétale et animale, concorde exactement avec les écheltes didactiques que les naturalistes avaient auparavaut dressées, pour résumer leurs classincatiôns et dans lesquelles on passe des êtres les plus simples aux plus complexes, quand on les parcourt de la base au sommet

Par conséquent, c'est à juste titre qu'on divise la paléontologie en quatre époques principales

L'époque pa~oîqae, Ou des animaux anciens, correspondant à l'ère primaire;

L'époque mésozoique, où des animaux intermédiaires, synchronique avec l'ère secondaire

L'époque cainozoique, ou des animaux nouveaux, qui n'est autre que l'ère tertiaire

Eti'époque an~hropozot~He, contemporainedel'homme. Mais ces renseignements indiscutables ne sont pas les seules lumières que la paléontologie nous fournisse sur le passé des êtres organisés; elle nous dévoile, en outre, Mmmense durée du temps que représente leur histoire, durée que d'aucuns, comme Haeckel, évaluent, d'après


l'épaisseur des terrains sédimentaires, à cent millions' d'années, répartis de la manière suivantes (1)

Époque archéozoïque 52 millions d'ans

» paléozoîque 94 a

? mésozoïque II l »

caïnozoïque 3 »

» anthropozoïque 0,1

En~n, la paléontologie nous autorise à supposer qu'il existe, entre les êtres les plus récents et les plus anciens, une liaison continue et que ceux-ci dérivent de ceux-là. Car, à de très rares exceptions près, ces êtres ont varié perpétuellement, et bien que leurs variations se soient, généralement, produites avec une extrême lenteur, leurs diverses espèces connues sont, dès maintenant, innombrables de plus, les découvertes les multiplient sans cesse, et nous ne pouvons nous flatter de les posséder toutes.

Pour nier la nliaiion qui existe entre ces légions d'espèces, il faudrait admettre qn'eHes ont été successivement créées, dans leur intégrité respective. C'est ce que Cuvier a plus ou moins nettement formulé, lorsque, grâce à lui, la paléontologie prenait naissance il supposait alors que trois créations successives, séparées les unes des autres par des catastrophes, sufflsaient pour rendre compte des changements de spectacle que la nature vivante a présentés.

En 1849, d'Orhigny portait déjà leur nombre à vingtsept. Mais, dans l'état nouveau de nos connaissances, il faudrait invoquer plusieurs centaines de ces créations et le problème de l'origine des espèces ne serait pas davantage résolu, parce que ses créations incessantes n'expliqueraient nullement

(1) HAECKBL: L'origine de l'homme. Schleicher frères, Mit.; p.e7.


pourquoi des types <!e transition existent entre des classes déterminées; pourquoi, par exemple, les Poissons notocordaux sont antérieurs aux Poissons osseux, les Batraciens aux Reptiles, les Oiseaux, à caractères reptiliens, aux Oiseaux véritables, les Mammi~res didelphes aux Mammifères placentaires

pourquoi, dans l'histoire de chaque classe, on trouve, d'abord, dés formes confuses, synthétiques, et pourquoi les formes différenciées, parmi lesquelles tes plus spéciales sont les plus récentes, n'apparaissent que postérieurement et successivement

pourquoi des types intermédiaires existent dans tous les gisements;

pourquoi les plus anciens êtres humains ont des caractères d'anthropoïdes

pourquoi des analogies subsistent, entre des espèces éteintes, sans représentants actuels, et des espècesencore vivantes

enfin, pourquoi la toi, générale et rigoureuse, qui gouverne aujourd'hui les origines de la vie, omne vivum c.c vivo, et par suite de laquelle tout être vivant provient d'un autre être vivant, semblable à lui, n'aurait exercé son empire que par intermittence.

Concluons donc avec Edmond Perrier

<[ Deux faits incontestables, et d'ailleurs incontestés, dominent toute la discussion, et il n'est permis à per. sonne de les oublier

« 1" Les formes végétales et animalesd'unepériodegéologique ne sont nullement identiques à celles de la période suivante, bien qu'aucun cataclysme ne sépare ces périodes les unes des autres;

« 2" Toute forme vivante est issue d'une forme vivante antérieure, à laquelle elle ressemble d'ordinaire presque exactement, bien qu'elle en puisse différer dans une certaine mesure.


« Les faits constatés, sans qu'on puisse citer une dérogation quelconque à cette règle, sans que rien puisse autoriser à croire qu'à un moment quelconque de la durée des temps paléontologiques une exception se soit produite, tes faits constatés s'opposent à ce que l'on puisse admettre un seul instant, sans faire une hypothèse gratuite, que la chaîne des générations ait été interrompue, que les formes de végétaux et d'animaux de la période actuelle ne dérivent pas, en conséquence, de ceux des périodes antérieures or, comme ces animaux ne se ressemblent pas, la variabilité des espèces est par cela même scientifiquement démontrée, sans que rien puisse être opposé à cette conclusion, à moins que l'on n'entre dans le domaine des hypothèses;

<t Il y a plus. Quand on suit attentivement la série des formes analogues, qui se succèdent pendant la durée de longues périodes paléontologiques, et jusqu'à la période actuelle, on constate que les différences qui: existent entre ces termes ne dépassent nullement les limites de celles qu'on obserye aujourd'hui entre les races d'une même espèce.

« C'est, en particulier, ce qui résulte invinciblement des belles recherches de M. Albert Gaudry et de M. Filhel, sur les mammifères tertiaires. Les ~Hs constatés n'autorisent donc pas à admettre dans la science une autre doctrine que celle du transformisme, que celle de Lamarck ))(!).

A vrai dire, ces notions scientifiques doivent, désor-

mais, faire partie des connaissances élémentaires de tout homme éclairé; elles sont indispensables pour apprécier sainement la nature humaine et, comme le dit Haeckel, pour familiariser l'esprit avec l'inSni de la durée, de

(1) Lamarck ei le trans~rmtsme actuel, in le Centënat Je ta fondation du Museum d'N~o!re naturelle 1893 p. 516.


~&me que la contemplation du ciel étoile le familiarise avec l'infini de l'espace. On ne saurait donc trop fëiiciter le gouvernement de la République française d'avoir reconnu leur valeur éducative générale, en introduisant leur enseignement, dans les. programmes de l'instruction secondaire, sous forme de ~nfërences de Paléontologie.

Con firmation des théories de Lamarck

par l'embryologie.

Les théories de Lamarck, concernant l'évolution des êtres organisés, n'ont pas été seulement confirmées par les faits paléontologiques elles trouvent encore un pointd'appui solide, dans les faits embryologiques.

Rapprochant ces deux ordres de faits et frappés par lé paraUétisme existant entre le développement embryolo-'<{ique et le développement paléontologique, quelques savants se sont même crus autorisés à conclure que,' dans chaque espèce, l'évolution embryonnaire de l'individu n'est que la répétition rapide et raccourcie de l'évo. lution paléoniologique de tout le rameau dont son espèce est la terminaison.

C'est d'après ces données qu'Haeckel a formulé ce qu'il ` a nommé la loi fondamentale biogénétique.

« L'ontologie, dit-il, ou l'histoire du développement de l'individu, est simplement une récapitulation courte, rapide, conforme aux lois de l'hérédité et de l'adaptation, de la ph~~M, c'est-à-dire de l'évolution paléontplogiquede toute la tribu organique ou~/om à laqueUe appartient l'individu considéré B. `'

Faisant application de cette loi générale au cas parti-, i caUer de l'homme, Haeckel a soutenu que les diverses phases de son évolution intra-utérine correspondant


vingt-deux stades paléontologiques, consécutifs, qn'tt s'est efforcé de préciser.

Les documents paléontologiques n'ont pas, jusqu'il fourni toutes les preuves rigoureuses qu'une théorie aussi formelle exigerait; mais il est indéniable qùe chaque individu, dans son évolution propre, repasse, graduellement, par lesprincipaux degrés de la série animale, placés au-dessous de celui qu'il doit atteindre. Les Invertébrés et les Vertébrés ne se distinguent pas, les uï.s des autres, durant la première phase de l'évolu"tion intra-ovulaire, et l'embryon des Vertébrés, selon les remarques d'Haeckel, se présente d'abord, sous la forme d'une simple cellule puis, comme un amas cellulaire, provenant de la segmentation de la cellule primitive; ensuite, comme un sac, à ouverture unique, essentielle.ment constitué par un feuillet externe, ou épidermique, et un feuillet interne ou intestinal, invaginé plus tard, comme un tube à deux ouvertures, semblable aux Vers enfin, comme un de ces Vertébrés acràniens, dont FAïnphioxus, qui n'a qu'un squelette rudimentaire, constitué par une corde dorsale, est le dernier représentant vivant. A ce moment, nul ne peut dire, avec certitude, si cet embryon de vertébré deviendra poisson, reptile, oiseau ou mammifère, et le créateur de l'embryologie, de Baer,

traduisait la perplexité dans laquelle les savants se trou». vent, à cet égard, en disant que s'il omettait d' <t étiqueter » les bocaux, dans lesquels il renfermait les très jeunes embryons de Vertébrés qu'il recevait, il ne pouvait ensuite distinguer la classe à laquelle chacun d'eux appartenait.

« Les embryons de l'homme, du chien, de la tortue, et l'embryon du poulet, au quatrième jour de l'Incubation, diffèrent si peu l'un de l'autre, qu'on ne saurait les distinguer c'est seulement au bout de six ou huit semaines, pour les trois premiers, au bout de sept jours, pour le


dernier, que les traits distinctifs apparaissent et s'accentuent, à mesure que l'animal se développe B (t). Cette succession d'états transitoires, images fugitives de constitutions demeurées permanentes pour les êtres inférieurs des temps paléontologîques ou présents, ne s'observe pas seulement dans là. morphologie et l'organisation générale de l'embryon' des Invertébrés supérieurs et des Vertébrés; la formation de chacun des organes de cet embryon, qui évoluent tous, aussi, tandis qu'ii se développe, est subordonnée à: la même loi nature!!p. Par exemple, chez l'homme, le tube digestif ne présente d'abord aucune démarcation l'estomac et le gros. intestin ne se différencient du canal intestinal qu'utiérieurement. Les cavités buccale et nasale sont confondues. Le foie débute par des tubes cylindriques qui rappellent le foie des insectes. Les reins sont primitivement réduits à un uretère; puis cet organe rudimentaire se compliqué de tubes rec< tilignes, pourvus d'un glomérule, comme chez les Pois..sons cyclostomes et le rein se divise en lobes, comme chez les Reptiles et les Oiseaux. Ce sont ces lobes qui se fusionnent pour former le rein humain.

L'appareil respiratoire prend naissance, soua forme de bourgeons de la cavité phoryagienne, comm< celui des Poissons; puis il consiste, momentanément, en poches peu raminées, analogues aux poumons des Reptiles. Les organes sexuels n'ont,' originellement, qu'une forme indifférente, et, même après avoir évolué nettement vers leur destination dénnitive, les organes mâles restent longtemps inclus dans l'abdomen, comme ceux des Oiseaux, tandis que l'utérus du sexe féminin traverse une phase d'utérus a cornes, qui l'assimile aux oviductcs. des animaux ovipares.

(1) MATHMS DOVAL Le D<M'tP~!<MK*; 48.


Le cœu" n'est, d'abord, qu'un punclum saliens qui rappelle l'appareil circulatoire des Vers puis il présente les deux dilations qui persistent chez les Mollusques enfin, avec le trou de Botal, il reste, jusqu'à !a naissance et a ~a respiration aérienne, à l'état de cœur à trois cavités il reproduit ainsi le cœur des Reptiles, auxquels cous assimilent encore les arcs aort!ques qui entrent primitivement dans !a comnoMtion de notre appareil circulatoire périphérique.

Les mêmes analogies/avec les animaux inférieurs, se produisent, passagèrement, durant l'évolution embryonnaire, dans les appareils de la vie de relation.

Le système nerveux est, au début, réduit à la moelle épinière, formée par l'adossement de cordons distincts, comme chez les Invertébrés, et la moelle rachidienne descend très bas, dans ta gouttière qui la renferme, comme chez les Poissons et les Oiseaux. L'encéphale apparait sous la forme des vésicules cérébrales qui restent stationnaires dans les Poissons. Le cerveau, lorsqu'il commence à se spécialiser, est dépourvu de circonvolutions; celles-ci ne se dessinent que vers le milieu de la vie embryonnaire. Enfin, l'apparition du système osseux est postérieure aux autres elle débute par une corde dorsale et la formation des vertèbres crâniennes, de même que celle des corps vertébraux, d'abord cartilagineux, est inaugurée par une dissociation des diverses parties de ces os, qui reproduit l'état squelettique des Vertébrés primaires. Loin de contredire l'évolution paléontologique, l'embryologie tend donc à corroborer sa doctrine elle met en relief de nombreux traits de ressemblance entre les êtres supérieurs et récents et les être', les plus inférieurs et les plus anciens, et, comme ces traits ne peuvent provenir que de 1 crédité, l'embryologie fortifie l'hypothèse de la filiation de tous les êtres organisés.


Confirmation des fh~ortM de Lamarck par l'anatomie comparée.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement au début de leur vie que les animaux Invertébrés et Vertébrés passent par l'état cellulaire, réduction de l'organisation biologique a sa plus simple expression & vrai dire, ils ne sont jamais qu'une agrégation d'éléments anatomiques, micros-.copiques.

a Tout être vivant, quelque peu compliqué, n'est qu'une accumulation d'éléments dont chacun est exactement comparable, pour sa constitution, ses propriétés physiologiques, et souvent même les détails de sa forme, aux êtres vivants les plus simples que nous connaissons. Ces êtres vivants les plus simples forment la grande division des Protozoaires. Nous pouvons donc dire brièvement aujourd'hui ce que Lamarck ne pouvait deviner Tout être vivant, d'organisation tant soit peu compliquée, n'est qu'une association de protozoaires B (1).

Or, les protozoaires sont des êtres aquatiques il en est de même de tous les éléments anatomiques des animaux supérieurs, qui sont soumis à la loi de constance du milieu des Océans primitifs, découverte par Quinton, soit que les animaux qu'ils constituent séjournent dans le milieu marin, soit qu'ils vivent dans l'eau douce ou dans l'air.

Ainsi se trouve connrmée la vue de Lamarck, relative à l'origine Océanique de la vie.

D'autre part, l'anatomie comparée a découvert, et découvre tons les jours, des liens nombreux qui rattachent les espèces, actuellement existantes, à des espèces éteintes, et qui rattachent celles-ci, les unes aux autres, au travers de l'immensité des temps géologiques. Grâce

(1) PEMUBB loco citato; p. 496.


à elle, des enchaînements sont maintenant établis entre des animaux d'espèces difïérentes, de genre diuérents, de familles différentes, d'ordres différents (1), et des séries de formes qui se prolongent pendant plusieurs époques ont pu être reconstituées dans quelques ordres d'Invertébrés et de !a classe des Mammifères, des Reptiles et des Poissons (2).

A défaut de ces formes, l'anatomie comparée peut invoquer les organes rttdtme~atfM, ou plus exactement atrophiés, correspondant, dans certaines catégories d'animaux, à des organes qui sont très fonctionnels chez d'autres.

Ces organes se remarquent dans tous les groupes du règne animal, chez les Spongiaires, les Échinodermes, les Mollusques, les Arthropodes, les Insectes, les Poissons, les Reptiles, les Oiseaux, les Cétacés, les Ruminants, les Solipèdes, les Carnassiers et l'Homme its attestent un même type d'organisation dans les groupes auxquels appartiennent les animaux qui les présentent et ils sont absolument inexplicables, sans le secours de la théorie de la modHicabitité (3).

A plus forte raison en est-il ainsi des anomalies régressives qui se traduisent par la réapparition fortuite, chez un individu, d'organes ou de rudiments d'organes, disparus dans les types normaux de son espèce, mais ayant fait partie de l'organisation d'espèces antérieures. Tels sont les germes de dents dans la mâchoire de quelques jeunes oiseaux; les stylets, ou doigts latéraux, que possèdent certains chevaux; et, chez l'homme la cloi-

(1) V. ALBERT GAUDBY Z-es enchaînements da monde animal dans les temps géologiques, résumé.

(2) CHARLES DÉp&RET Les 'transformations du monde animal; pp. 160 et suiv.

(3) V. WtEDEMHEtM La structure de l'homme, témoignage de son passé.


son interstomacale qui sépare quelquefois le grand cul. de-sac du petit cul-de-sac de l'estomac; la mobilité du pavDton auriculaire; un appendice cauda! et le s~fmaMf 6< a~orHtn, dont j'ai, personnellement, pu voir, en !879, un spécimen, sur un sujet, au laboratoire de !a Société d'Anthropologie de Paris, lorsque je suivais les cours si remarquables du professeur Broca, sur l'anatomie comparée de l'homme et des animaux supérieurs.

En résumé, la philosophie paléontologique, la philosophie anatomique, convergent vers un même but !a démonstration de révolution des êtres organisés. En présence de !a multiplicité de ces faits concordants, cette hypothèse s'impose. Quelles que soient les ditBcuhés, les lacunes et les énigmes que sa YériHcation présente encore, c'est la plus conforme à l'ensemble des, renseignements obtenus; il est de plus en plus irrationnel de la repousser. Tous les savants, dignes de ce nom, l'ont adoptée et ses adversaires ont perdu toute autorité. Ce n'est certainement pas dans les rangs des véritables philosophes positivistes que ces adversaires trouveront leur dernier refuge.

Tentatives d'explicalion de la modi ficabilité.

<Super«M't<e des raisons invoquées par Lamarck. Le fait et le principe de la modificabilité des espèces étant mis hors de contestation, la science se trouve en face d'un nouveau problème.

Quelles sont les causes déterminantes de ce phénomène? Cet autre aspect de la question n'a pas échappé à la perspicacité de Lamarck il l'a, le premier, scientifiquement envisagé.

Considérant l'organisme comme actif dans son évolution, il émit l'hypothèse que les changements de milieu


et de circonstances provoquent de nouveaux besoins physiologiques, de nouvelles habitudes, et que, par suite des efforts continus que ces. changements suscitent, les organes subissent des modifications que l'hérédité une. de telle manière que, progressivement, l'organisme M transforme pour s'adapter aux nouvelles conditions d'existence qui lui sont imposées.

J'ai, plus haut, exposé sa thèse, à ce sujet; je me borne, en conséquence, à !a rappeler ici.

Ce ne sont pas les organes.dit-il, c'est à-dire la nature et la forme des parties du corps d'un animal qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières mais ce sont, au contraire, ses habitudes, sa manière de vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont, avec le temps. constitué la forme de ?on corps, le nombre et l'état de acs. organes, enfin les facultés dont il jouit (1).

Isidore Geoffroy Saint-Hilaire considérait, au contraire, l'organisme comme passivement soumis à l'action du milieu ambiant.

Darwin enfin a soutenu que la lutte perpétuelle, pour l'existence et pour la reproduction, à laquelle les animaux se livrent, a pour résultats une sélection qui aboutit à la survivance des mieux organisés et a la conservation des formes qui sont le plus en harmonie avec les conditions du milieu.

Mais les influences, signalées par Darwin, si réeUcs au'eMes soient, ne s'exercent que dans des limites très circonscrites elles contribuent à l'intelligence des variétés qui se produisent dans des espèces déjà formées elles ne rendent pas compte de l'origine des formes nouvelles. «La survivance du plus apte, comme dit Cope, n'est pas l'origine du plus apte ».

(1) Philosophie zoologique, p. 237.


D'autre part, les raisons de Darwin n'expliquent pas davantage l'extinction de certaines espèces, merveittousement douées au point de vue de la concurrence vitale, et, de plus, très disséminées. Or, la paléontologie nous apprend qu'à diverses époques géologiques, et dans des classes très diiïérentes, des espèces de ce genre ont précisément disparu brusquement, et cédé la place à des espèces chétives tel est le cas des Trilobites, à la fin des temps Primaires des Ammonites et des Dinosauriens, à la fin des temps Secondaires des Mammifères colossaux de la fin de l'époque Tertiaire et du début du Quaternaire.

Il semble donc que la concurrence vitale n'a jamais eu qu'une efncacité modificatrice secondaire et restreinte. L'influence des milieux est, au contraire, générale et permanente, et la nature, l'industrie humaine nous rendent, chaque jour, témoins des effets que leurs variations produisent sur les plantes et sur les animaux. Les plantes d'une même espèce sont très différentes, selon qu'elles vivent dans un sol humide ou sec, dans les régions tempérées ou équatoriates, dans les plaines ou sur les altitudes. Il en est de même des animaux. La vie s'éteint sous les potes elle jaillit de toutes paris, avec une irrésistible intensité, sous les tropiques. Or, nous sommes assurés que les milieux ont maintes fois changé, dans le cours des âges géologiques. La composition et la température de l'atmosphère, celles des Océans se sont modiBées.

La terre fut, d'abord, tout entière recouverte par :as eaux et le climat tropical était universel, puisqu'on retrouve, sous les pôles, des fossiles appartenant à des espèces qui ne vivent plus que dans des régions chaudes. En outre, il n'y a que des restes fossiles d'animaux aquatiques dans les terrains Cambrien, Silurien et Devonien.

<


1-a Horc et )n tnunp cnntinentnies n'apparaissent qu'à i'cpo'tttePermo.ca<bon!K'«',où les végétaux commencent à purger l'atmosphère saturée d'acide carbonique et d'humidité.

La période secondaire est caractérisée par une stabilité relative, révélée par l'absence de' roches volcaniques; mais il n'en est pas de même de l'époque tertiaire où, plus particulièrement, l'émersion des grandes chaînes de montagnes, des îles et des continents, a créé des.bassins maritimes et des compartiments terrestres divers, dans lesquels les êtres vivants ont été soumis à des régimes spéciaux.

C'est pendant cette dernière époque encore que les saisons se sont diversifiées et que les graminées ont couvert le sol de prairies luxuriantes et de steppes immenses. Cette circonstance sans doute a favorisé !e développement des Mammifères herbivores, qui a luimême précédé celui des Carnassiers de la même classe. Enfin l'ère gtnciaire. pendant les temps Quaternaires, fut contemporaine de grands Mammifères, parfaitement ~adaptés à sa nature, et qui ne lui ont pas survécu. Pour toutes ces raisons, les naturalistes inclinent à considérer, comme prépondérantes, les raisons invoquées par Lamatck pour justifier la mutabilité des espèces. Néanmoins, il convient de maintenir une distinction entre le fait même de l'évolution des êtres organisés et l'explication de ce fait.

Le fait repose sur une muHipiicité d'observations convergentes qui, toutes, fortifient la doctrine de la modificabiiité. Les causes génératrices de ce fait restent obscures et problématiques jusqu'ici; mais cette situation ne peut nullement ébranler l'autorité que les faits eux-mêmes ont acquise.


v

Conclusion.

En résumé

Lamarck a conçu la biologie générale et créé sa dénomination

Il a produit d'énormes travaux d'histoire naturelle, en botanique et en zoologie

H a, le premier, introduit l'ordre dans la multitude, jusque-là chaotique, des Invertébrés

!1 a jeté les bases de la théorie des classilications; H a, le premier, entrepris, d'une manière vraiment scientifique, la construction de la série animale II est le promoteur de la physiologie générale; il a fortement consolidé ce principe philosophique « qu'il n'y a pas de fonction sans organe » il a généralisé la loi de l'exercice et du perfectionnement; il a mis en relief l'importance universelle des lois de l'hérédité Enfin, il est le fondateur de la théorie des milieux, de la théorie de la modincabilité, et, le premier, il a tenté d'arracher aux ténèbres du passé le secret des origines et de l'évolution des êtres vivants.

Sous ce dernier aspect, l'oeuvre de Lamarck. défie maintenant tous les assauts de la critique.

Edmond Perrier, qui a repris, une à une, toutes les propositions essentielles que cette œuvre renferme, et consciencieusement cherché ce que la science moderne doit penser d'elles, a montré que, le plus souvent, a la théorie positive n'a fait que mettre des faits observés à la place où Lamarck avait mis des suppositions elle s'est bornée à remplacer, dans l'édince demeuré debout,


une pierre altérée par une autre, d'apparence plus solide » (1).

« Rien de semblable n'avait jamais été tenté, dit le même savant. Personne, soit par respect des textes hébraïques, soit par un sentiment exagéré de l'impuissance de l'homme, n'avait osé demander à la seule science l'explication de la vie, l'explication de la naissance des êtres vivants, cette de leurs transformations, atnrmées pour la première fois, avec cette énergie, par un homme vraiment familier avec toutes les productions naturelles; on peut dire qu'au temps où vivait Lamarck, avec les faits dont il disposait, il était difficile d'aller au-delà du terme qu'il atteignit du premier coup. Sa théorie avait d'ailleurs une portée bien plus grande que celles qui ontjété proposées depuis et notamment que la fameuse théorie de.-Datwin. Lamarck, en effet, ne laisse derrière lui aucun postulatum; il essaye d'abord d'expliquer l'origine des êtres vivants que d'autres supposeront tout crées, avec 3és formes seulement différentes de celles qui florissent aujourd'hui il recherche ensuite comment les formes simples, spontanément engendrées, se sont graduellement compliquées, perfectionnées, adaptées aux circonstances dans lesquelles elles vivent, de manière à constituer ces formes qui se transmettent longtemps, sans altération sensible, et qu'on nomme les espèces. Ces espèces, pour lui, ne sont que des abstractions l'hérédité sumt pour expliquer leur permanence, et Lamarck, cherchant surtout à relier les espèces actuelles aux espèces fossiles, n'a pas trop à se préoccuper des hiatus qui existent actuellement entre elles » (2).

En outre, les conceptions de Lamarck sont douées d'une inépuisable fécondité toutes les études de philo(1) Lamarck et le tr<M!~brm<SB~ actuel, in le Ce~MCtfM <fH JtftN&Mt;p.498.

(2) Ibid.; p. 490.


sophie biologique et même sociologique, sont maintenant · inspirées par elles.

Bref, Lamarck joue, en biologie, le rôle qu'ont joué Descartes en philosophie générale, Newton en mathéma- tiques et en mécanique céleste, Lavoisier en chimie, Auguste Comte en sociologie; il a dévoité de nouveaux horizons aux yeux de l'Humanité il a livré de nouveaux domaines à ses investigations; il mérite d'être · gloriné comme l'un de~va~rs de la pensée et des méthodes scientinqu~~ <

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~ËSACtDiF~ A SABiJË

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TABLE DES MATIERES

P L' f ~)

~{~8M.

LaviedeItamaMk. g La philosophie générale de Lamarok 18 Appréciation des principaux travaux de Lamarck. 24 1, TRAVAUX COSMOLOStQUES 24 n.TBAVAOXBMLOGtQOES 29 Biologie générale. 29 Anatomie généra!e. Anatomie descriptive.

Histoire naturelle 35 Biptaxie. 37 Physiotogicgénérate. 41 Physiologie spéciate du systèntc nerveux péri-

phérique et du système nerveux centra! 43 Théorie des milieux et de la modiHcabtIité.

Généalogie des animaux et de t'hommc. 47 Appréciation des théories philosophiques de Lamarck 59 Confirmation des théories de Lamarck par les

faits pa!éonto!ogiques. 64 Confirmation des théories de Lamarck par l'em-

bryologie. 73 Confirmation des théories de Lamarck par l'aoatomiecomparée. y~ Tentatives d'explication de la modiBcabiiité.

Supériorité des raisons invoquées par Lamarck. 79 Conclusion. gg


CHATEAUDUN

MPMMKRtE na LA SOCIÉTÉ TIfPOCnAPUtQUE 3, rue de Blois