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Titre : Pages d'Italie ; L'Italie en 1818 ; Moeurs romaines / Stendhal ; établissement du texte et préface par Henri Martineau

Auteur : Stendhal (1783-1842). Auteur du texte

Éditeur : Le divan (Paris)

Date d'édition : 1932

Contributeur : Martineau, Henri (1882-1958). Éditeur scientifique

Sujet : Italie

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb421257234

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32425072t

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (XVI-327 p.) ; in-16

Format : Nombre total de vues : 351

Description : Collection : Le livre du divan

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : GTextes1

Description : Contient une table des matières

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6925g

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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LE LIVRE DU DIVAN

STENDHAL PAGES D'ITALIE

ÉTABLISSEMENT DU TEXTE ET PRÉFACE PAR J i .=: HENRI MARTINEAU [. ,fj PARIS

LJE DIVAN

37, Rue Bonaparte, 37

s, i:~ J; SOMXXXII :?' -f:'J!


PAGES D'MTAME I



PAGES D'ITALIE


CETTE ÉDITION A ÉTÉ TIRÉE A 1.825 EXEMPLAIRES 25 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A XXV SUR PAPIER DE RIVES TEINTÉ, ET 1.800 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 1.800 SUR VERGÉ LAFUMA.


STENDHAL

PAGES

D'ITALIE L'ITALIE EN 1818

MŒURS ROMAINES

¥

PARIS

LE DIVAN

37, Rue Bonaparte, 37

MOSIXXX1I



PRÉFACE DE L'ÉDITEUR

Ces Pages d'Italie forment le comptément naturel de Rome, Naples et Florence et des Promenades dans Rome. Stendhal les a originairement toutes écrites pour les f aire figurer dans l'un ou l'autre de ces guides d'Italie qui à leur époque passaient pour les plus fidèles et les plus récréatifs et qui sont encore considérés comme deux des meilleurs ouvrages de l'écrivain, à la fois spirituels, rêveurs et charmants.

Rome, Naples et Florence sous sa première forme, en un seul volume, avait paru au début de septembre 1817. Le tirage en avait été de cinq cent quatre exemplaires seulement, et sa vente s'était immédiatement annoncée comme devant être facile. Aussi Henri Beyle s' inquiéla-t-il aussitôt d'en préparer une seconde édition. Le 3 septembre 1818 il écrivait à son ami Mareste: « La vanité of author m'a fait penser un peu depuis trois jours to the second édition of Slendhal. » Quand il ne dit pas «le tour (sous-entendant « d'Ita-


lie »), c'esl presque toujours en effet sous ce nom tout frais de Stendhal, créé pour désigner le baron prussien qui était censé avoir relalé ce voyage tout fictif, que Beyle dans ses notes et sa correspondance parle de Rome, Naples et Florence en 1817. Il dit de même Bombet pour les Vies de Haydn, Mozart et Métastase, et « l'histoire », ou parfois Aubertin, pour /'Histoire de la Peinture en Italie.

Donc, à peine son ouvrage paru, Beyle songe à en préparer une nouvelle édition. Il veut en corriger les erreurs, y introduire plus de variété, plus de mouvement et une foule de renseignements inédits. A cet effet, durant le mois de septembre 1818, il jette sur le papier un assez grand nombre d'impressions saisies sur le vif il esquisse même une préface nouvelle. Mais en réalité c'esl dès la fin de 1817 qu'il a commencé à remanier son livre. Il semble avoir systématiquement continué ce trauail jusqu'au seuil de l'année 1819. Peut-être même ne l'abandonna-t-il que pour se consacrer â De l'Amour dont il eût alors l'idée. Toutefois Henri Beyle revint en France en 1821: son retour avait été suffisamment impromptu et précipité pour qu'il ail dû laisser tous ses papiers d Milan chez un ami. Il n'en avait pas encore repris possession quand il se remit ait travail pour


préparer l'édition nouvelle de son livre qui parut en deux tomes au cours de 1826. Ce n'est qu'après sa mort que tous les manuscrits demeurés à Milan furent rapportés en France par Mares te et remis à ses exéculeurs testamentaires Crozet et Colomb. Ce dernier n'en a publié que de rares fragments dans l'édition posthume des œuvres de son cousin, parue, par ses soins aux éditions Lévy. Aujourd'hui les feuillets noircis à Milan en vue de la refonte de Rome, Naples et Florence sont disséminés sans ordre dans les manuscrits de Stendhal que conserve la bibliothèque municipale de Grenoble 1. Ils sont néanmoins d'autant plus faciles à rassembler qu'un certain nombre d'entre eux portent en tête des indications de ce genre « Pour une nouvelle éditïjon] of Sl[endhal] », « A placer dans le Tour », « L'Italie en 1818 ».

Ce sont ces fragments écrits de 1817 à 1819 el réunis ici pour la première fois, qui forment la partie la plus importante du présent volume.

Il m'a paru néanmoins légitime d'y joindre, comme j'ai fait, quelques brèves notes tracées antérieurement, vers 1815, 1. On les trouvera particulièrement nombreux aux tomes 2 7, 10, 20 et 26 de R. 5.896 et dans II. 292-295 C'est de là que Jean de Mitty en a tiré, avec son infidélité ordinaire, deux ou trois chapitres pour le volume de mélanges qu il a intitulé Napoléon.


et qui n'ayant pas trouvé place dans la première édition ou tout au moins n'ayant pu y être utilisées sous leur forme primitive, étaient demeurées dans les papiers de Beyle. Ce premier ensemble est réuni ici sous le litre de l'Italie en 1818.

Les derniers chapitres de ce livre ont une autre origine. Quand Henri Beyle de retour à Paris prépara, avec succès celte fois, de 1S24 à 1826, la nouvelle édition fort augmentée de Rome, Naples et Florence, il avait oublié ses notes antérieures ou ne se souciait pas, par prudence, de les faire revenir de Milan. Toujours est-il qu'il récrivit presque entièrement son livre. Mais il n'y put faire tenir toute la copie qu'il venait d'accumuler1. Une partie de ce qui lui demeura en portefeuille a servi, ce n'est point douteux, de premier substratum aux Promenades dans Rome qu'il devait entreprendre quelques mois plus tard 2. Mais une fois encore 1. Un exemplaire de Rome, Naples et Florence (édition de 1826), annoté par Stendhal et conservé à la Bibliothèque Nationale de Rome, en fait foi. Aux derniers feuilleta du volume, Stendhal a tracé ce renseignement relevé par M. Baolo Costa «Fragments refusés par l'Imprimerie Vie de Pie VI, Vie de Pie VII, Vie de Léon XII, Le Mariage au Nord et au Midi, Marionnettes, Cassandrino, La Princesse Santavalle. » <C£. Mercure de France, I-VH-1006.)

2. C'est ainsi qu'il y glissa quelques lignes de son article sur les Marionnettes.


le manuscrit de ce dernier ouvrage se lrouva trop copieux et l'auteur dut sacri fier nombre de pages entières. Il tenta d'en publier quelques-unes dans les périodiques français ou anglais qui lui étaient ouverts, et il en abandonna quelques autres, avec une générosité qu'il faut bien souligner, à son cousin Romain Colomb qui venait de l'aider dans son travail et qui préparait lui-même un Voyage en Italie.

C'est en puisant d ces diverses sources que l'on a cru pouvoir réunir l'ensemble intitulé Mœurs Romaines.

Parmi les pages écrites ainsi par Slendhal après son voyage à Rome, d'octobre 1823 à avril 1824, quelques-unes comme Première journée à Rome ou la Cascade de Terni, pleines des souvenirs récents de l'auteur, avaient été placées dans la Correspondance par Romain Colomb, désireux avec raison de les sauver de l'oubli.

D'autres onl paru dans les périodiques anglais (on les trouvera dans un autre volume de celle collection 1), ou dans des publications françaises. C'est ainsi que les Fantoccini à Rome sont repris de deux articles du Globe des 2 et 8 octobre 1824' Ces articles

1. Courrier anglais, à paraître.

2. Ces mêmes articles, à très peu de choses près, avaient paru, traduits en anglais, dans le New-Monthly Magazine, XI, septembre 1824, sous ce titre Letters jrom Rome. Roman


ne sont pas signés bien entendu. Sont-ils bien de Stendhal? Rome, Naples et Florence1, en 1826, et les Promenades dans Rome en 1829 donnent sur les marionnettes à Rome el à Naples des délails qui se trouvent déjà dans les articles du Globe. Stendhal, il est vrai, aurait pu les leur emprunter, sans être pour cela l'auteur de ces articles. Mais il faut remarquer que dans une lettre adressée le 8 août 1824 à son ami Mareste, Beyle lui annonçait déjà qu'il avait terminé les Marionnettes. Or, M. Edouard Champion en possède les manuscrits et M. Daniel Muller les a fait figurer en appendice de sa belle édition de Rome, Naples et Florence (Champion, 1919) les Marionnettes satiriques de Naples et les Marionnettes de Rome. Il est impossible de n'y pas reconnaître la première ébauche des renseignements utilisés dans Rome, Naples et Florence el dans les Promenades dans Rome, comme de l'article du Globe dont l'authenticité ne saurait plus faire aucun doute.

Casimir Stryienski, d'autre part, au tome 11 des intéressantes Soirées du StenPupvet-shows. La Revue Britannique en décembre 1827 en donna à son tour une traduction française.

1. Rome, Naples et Florence, Édition du Divan, t. II, pp. 265-2G9 et 295-304.

2. Promenades clans Rome, édition du Divan, t. II, p. 335^


dhal-Glub, a publié le premier en France la plus notable partie de l'étude intitulée Les Anglais a Rome dont il possédait le manuscrit1 Romain Colomb en avait fait faire une copie qu'il comptait glisser dans la Correspondance, comme il a fait pour bien d'autres papiers épars. (D'où la fausse petite lettre-avertissement qu'il Iraça en tête et qu'Adolphe Paupe a indûment publiée dans son édition de la Correspondance, à la date du 13 novembre 1824.) Mais sans doule s'apercevant à la dernière minute que ces pages présentaient une ressemblance trop évidente avec certaines pages des Promenades dans Rome 2, aura-t-il supprimé le tout.

Ce précieux manuscrit appartient aujourd'hui à M. Genlili di Gtuseppe, amateur des plus distingués, excellent traducteur en italien de plusieurs œuvres de Stendhal et colleclionneur averti. Je liens à le remercier ici d'avoir bien voulu revoir pour moi le texte même de Stendhal et de m'avoir obligeamment donné la possibilité de publier ce chapitre in extenso s.

Pour le chapitre inlitulé Dots aux jeunes 1. Cette étude avait paru, traduite en anglais, dans le Seio-MontMy-Magazint, XIV, juillet I, 1825, pp. 33-39. 2. Promenades dans Rome, édition du Divan, 1. 1, pp. 241, 291, 310 et t. II, p. 233. -fi..

3. Faut-il faire remarquer que ces pages datées de Rome ont en réalité été rédigées à Paris sur les souvenirs que


filles. Mariages, il est probable que c'est celui que Beyle, nous en avons vu l'allesiation de sa main, a été contraint d enlever à la prière de son éditeur, de son manuscrit de Rome, Naples et Florence. Sans doute ne put-il pas davantage le caser dans les Promenades dans Rome. Il en fît alors don à son cousin Romain Colomb. Celui-ci le plaça scrupuleusement entre guillemets dans son Journal d'un Voyage en Italie et en Suisse pendant l année lb*5», paru chez Verdière en 1833. Il avait pris soin en outre de le faire précéder du petit chapeau suivant: « Tout en prenant quelques instants de repos dans l'église de la Minerve, un ami me donne des détails intéressants sur les distributions de dots à de jeunes filles el sur certains mariages; voici son ïpêc>il »

C'est encore dans le même ouvrage de Colomb qu'on rencontre cet autre chapitre des Brigands en Italie, toujours publié entre guillemets et précédé des lignes suivantes « Notre promenade nous ayant conduits au milieu de ce joli bois qui commence près du tombeau des Horaces, la conversation a roulé sur les voleurs. Stendhal can~exva,it de son séjour en It.¡¡,l!e en 1823-1824 ? Le manuscrit entièrement de la nmin de Beyle porte sur son dernier feuillet cette annotation « Fin de la troisième lettre sur Rome, 12 et 13 novembre 182i, 26 pages. »


Souvent ils ont choisi pour asile ces bosquets de chênes-verts entremêlés de noisetiers. L'un de mes nouveaux amis, qui paraît fort instruit de tout ce qui se rapporte au brigandage en Italie, nous a lu une notice qu'il a faite sur ce sujet intéressant, il m'a permis d'en prendre copie, et la voici. » On peul penser que cette digression sur les Brigands est bien l'œuvre de Stendhal et qu'il l'avait écrite vers 1828 ou 1829 pour ses Promenades dans Rome. Trois pages environ de celle œuvre y résument à peu prés, sous le titre de Brigandage, la première moitié du chapitre qu'on trouvera plus loin. Puis Stendhal, dans l'étude qu'en 1835 il consacra au livre de son cousin1, cita précisément quelques paragraphes de cet essai sur les brigands dont il trouvait l'abrégé fort intéressant. Celte complaisance à reproduire précisément ces passages ne saurait à elle seule prouver que sous cape il s'en reconnaissail l'auteur. Toutefois, à la fin de son article un sentiment semblable le portait encore à donner quelques lignes sur la beauté antique et le mérite de la sculpture que Colomb avait insérées, toujours entre guillemets, et qui portent incontestablement, elles aussi, la marque stendhalienne. Ce soin malicieux de se citer 1. Voir les Mélanges de Littérature, édition du Divan à paraître.


lui-même ajouterait encore s'il était besoin à d'attribution des Brigands.

Au sujet des Ambassadeurs qui ont paru dans le Globe des 19 et 30 janvier 18281, on peut se demander, comme pour les Fantoccini, si cet article a seulement inspiré plusieurs passages des Promenades dans Rome ou s'il eut bien Stendhal pour auteur. Aucun manuscrit n'en est parvenu jusqu'à nous. Mais le ton et les jugements en sont trop proches parents du ton ordinaire de Stendhal et des jugements que dans tous ses écrits il a formulés sur les mêmes hommes pour qu'on puisse hésiter, avec le béné fice du doute, à lui en accorder la paternité 2.

Sans doute ne trouvera-t-on pas dans ces Pages d'Italie tout ce qu'à une époque ou à une autre, de 1815 à 1829, Beyle a jeté sur le papier pour en orner ses impressions de voyageur au pays de l'Ariosie et de Cimarosa et qu'il n'a pas eu, le moment t'enu, le loisir ou la place d'y incorporer. Beaucoup de ces pages en effet doivent être per1. L'article avait également paru en anglais dans le NeivMonthlu-Magasinc et avait ensuite été retraduit en français dans la Revus BrOannUpte.

2. C'est du reste l'opinion autorisée de Mil. Bromkowsiu et Merre Martino,


dues, d'autres doivent être plus logiquement distribuées ailleurs. Tels sont par exemple les articles publiés uniquement dans les revues anglaises quelques réflexions sur madame de Slaêl qui seront groupées dans les Mélanges de Littérature, avec les autres critiques sur le même écrivain une note pour Shakspeare réunie aux autres morceaux sur Shakspeare 1.

Toul ce qui reste dans le présent recueil a du moins, sous la bariolure des litres et des sujets, le mérite d'une unité réelle. Tout s'y rapporte à la chère Italie, tout absolument, Il compris, pour si paradoxal que cela puisse paraître à première vue, les chapitres sur les Anglais. Beyle parle à tout bout de champ des Anglais dans ce livre, c'est qu'on en rencontrait effectivement beaucoup dans la Péninsule dès ce temps-là. C'est aussi qu'il lisait assidûment les revues anglaises el y prenait à pleine main des renseignement, des anecdotes, des jugements. Bref tout cet excitant littéraire dont il avait besoin.

Mais qu'il abandonne l'Anglais en voyage, pour traiter de l'Anglais puritain qui puise ses terreurs dans la Bible ou qu'il insiste sur le manque de liberté des colonies an1. Note pour Slwlcspeare (Extrait de la biographie d'Alex Chatmeis) dans Molière, Shal-speare, la Comédie et le rire. Edition du Divan, p. 217.


glaises, l'auteur n'oublie point que l'objet de son étude, c'est l'homme, son caractère et ses mœurs, et qu'il ne le comprend jamuis davantage qu'en confrontant l'homme anglais à l'homme italien et à l'homme français. Tout ce qui peut refléter pour lui une image exacte du cœur humain le frappe à un point tel que nous voyons parfois les mêmes exemples figurer dans ses premiers livres et dans les écrits de sa vieillesse. Il rapporte ainsi en 1818 l'anecdote de ce préfet qui veut refuser la juste indemnité accordée par le roi à l'un de ses administrés dont la maison f ut incendiée par les Prussiens, sous prétexte que ce citoyen a fait à l'ennemi une résistance inconsidérée. N'est-ce pas le même souvenir qui vingt ans plus tard lui dictera au début de Lamiel l'apostrophe du bedeau Hautemare contre son neveu. coupable de s'être enrôlé dans les corps francs et d'avoir peut-être tué un Prussien?

Pour tout ce qu'il emprunte, est-il nécessaire encore de montrer par des exemples nouveaux combien Stendhal se l'assimile et, par une mystérieuse et profonde chimie, sait faire de tant d'éléments étrangers la vraie chair de sa chair? Peut-être peut-on compter ait nombre des pages les plus pré1. Lamiel, édition du Divan, p. 26.


cieuses de son œuvre entier la méditalion ardente et sereine qu'on pourra lire plus loin et qui est appelée: Rivages de la mer. Ces pages sont d'un ton si personnel qu'on aurait tendance à les faire figurer dans son Journal. Or, il semble bien qu'elles soient traduites, imitées ou pour le moins inspirées d'un article anglais. Troublante question de la propriété littéraire et de l'inspiration originale que constamment le génie singulier de Stendhal pose et repose sous toutes ses formes devant nos yeux éblouis.

Pour le surplus, fidèle à sa méthode, il entremêle toutes ses théories d'anecdotes prestes et rapides, de souvenirs piquants, de détails ingénieux. C'est le signor Enrico Beyle tel qu'il pérorait dans un cercle de quelques intimes, chez Métilde d l'époque où il y était encore reçu, et dans l'atelier de Thorwaldsen d Milan, ou, à Rome, au café del Greco et dans l'officine de M. Agoslino Manni. Cet apothicaire, qui savait préparer la quinine comme Caventou luimême, nous apprenons comment Beyle en vint à le fréquenter et â découvrir en lui une des grandes ressources de ses soirées romaines x.

1. Agostino Mann! est nommé fréquemment dans la Correspondance et Beyle déjà n'a pas manqué de parler de lui dans Rome, Naples et Florence et dans les Promenades dans Home.


Par ailleurs, les préoccupations de notre touriste nous sont bien connues. A peine, libre ici de toute censure, s'en donne-t-il davantage à cœur joie dans ses sarcasmes contre l'église, le christianisme et le clergé. Le Voltairien est déchaîné. Puis soudain une pirouette, et il affirme avec autorité la sagesse de quelque haut prélat et le bon sens du catéchisme en face des préclies protestants. Mais pour si passionnantes que lui apparaissent la politique el les questions religieuses, il abandonne volontiers la liberté de la presse ou l'influence du clergé pour nous entretenir de musique, de sculpture ou des femmes.

La Scala de l1iilan, les ballets de Vigatio, les opéras de Rossini, comment en aurait-il jamais fini sur ces sujets qui passionnent son âme? Et s'il s'étend si longuement sur les Fantoccini, s'il nous les détaille avec une complaisance charmée qui évoque les jeux, moins chasles, mais de la même exquise veine, des marionnettes turques que Gérard de Nerval a décrites dans son Voyage en Orient, c'est que ces poupées évoquent les mœurs du pays qu'il chérit le plus au monde el le conduisent à parler d'amour. Il n'est sans doute pas, dans tout Stendhal, un tableau plus vif et plus joli que celui de celle dame qui réveille la nuit son mari et son amant, ligués et d'accord comme il


est alors d'usage en Italie 1, pour les prier de la soustraire aux entreprises d'un galant: « Emmenez-moi, ou je ferai quelque folie ». Dix minutes plus tard ils prenaient la route de Venise.

Les y accompagnerons-nous? Stendhal nous y montrerail le désastre que fut pour la civilisation le déclin de la ville des doges et du Titien. Ne V écouterons-nous pas plutôt revendiquer les droits du peintre sur la susceptibilité ordinaire de tous les gens donl il s'agit, en toute impartialité, de fixe/' la ressemblance? Demandons-lui plutôt en passant un conseil littéraire. On s'est trop souvenu de sa boutade recommandant de lire chaque matin quelques articles du code civil. Certes, il n'était pas dédaigneux du style, comme on l'a souvent voulu prétendre. Les hiatus, les répétitions trop niaises, le retour du même son, le déf aut de mélodie même le choquaient: tous ses brouillons el les corrections marginales de ses livres en font foi; mais par-dessus tout il avait horreur de parler pour ne rien dire. A l'appui de cette opinion relevons aujourd'hui une toute petite phrase du présent livre: « La seule école du littérateur devrait être la tribune 1. Colomb, publiant cette historlette, a omis l'amant. C'est lui enlever tout pittoresque. Avait-il donc oublié les relations profondément amicales qui, nous assure Stendhal existent le plus souvent entre le mari et le sigisbée ? P


de la Chambre des Communes, car les dépulés qu'on écoute ont quelque chose à dire et ne f ont pas de la littérature un métier. » Mais les choses ont sans doute bien changé depuis lors.

Henri Martineâu.


L'ITALIE EN 1818



L'ITALIE EN 1818

21 septembre 1818.

PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION

EXCUSE

UAND une jolie femme voit qu'on met du noir dans son portrait elle se fâche et arrête la main du peintre. Mais par malheur les ombres sont dans la nature et sans ombres, il n'y aurait point de parties brillantes. C'est ce qui fait que tout est si terne à la Cour, dans ce plat domaine de la flatterie. Les nations prises collectivement seraient comme les jolies femmes si elles avaient quelque chose de joli ou d'aimable. On peut dire que rien n'est bête comme une nation. C'est que les gens d'esprit ne se chargent pas de plaider ces sortes de causes, ce sont les sots qui, n'ayant rien à dire et s'armant du droit incontestable que leur donne leur immense majorité, se chargent d'ordinaire de ces accusations d'attentat à l'honneur national, au caractère d'un peuple et autres bali-


vernes. Il est évident que les nations de l'Europe n'ayant entre elles depuis vingt ans aucune relation sérieuse, leur réputation dépend de ce que peut dire ou faire un individu. L'agréable auteur de Waoerleg, de V Antiquaire, de Roh-Roy et de tous ces jolis romans écossais si supérieurs à tout ce qu'on fait sur le continent, a été représenté comme attentant à l'honneur national, parce qu'il a osé donner un nom écossais à un scélérat nécessaire à sa fable. Il est vrai que tous les autres personnages sont Ecossais, que la scène est en Ecosse et que l'histoire d'Ecosse, comme toutes les autres histoires, est pleine de crimes et d'atrocités. N'importe, il devait donner le rôle du scélérat à un Turc ou à un Abyssin, car le temps présent est sous la garde des sots de tous les pays. C'est pourquoi, je fais de très humbles excuses à ceux d'Allemagne et d'Italie pour les avoir choqués par quelques désapprobations légères dans la première édition de cet opuscule, je leur déclare que dans le fait je n'ai trouvé, en Italie et en Allemagne, que des gouvernements angéliques faisant exécuter des lois sublimes par leur sagesse, sous des hommes qui étaient tous, et sans aucune exception, des héros de délicatesse, des anges de bonté et des sages à laisser bien loin derrière eux tous ceux


de la Grèce. Quant aux choses, elles étaient ce que nous appelons parfaites, c'est-à-dire qu'on s'abstenait sagement des jouissances les plus douces et les moins nuisibles à qui que ce soit et le plus à notre portée que le hasard nous ait données. Si donc, il se trouve dans ce journal quelque homme qui ne soit pas un héros ou quelque femme chez laquelle ne brille pas toutes les vertus d'une Pénélope ou d'une Artémise, c'est pure invention de voyageur dont l'âme noire et ennemie jurée de l'honneur des nations, de la pureté du caractère national etc., etc., etc., etc. a besoin de telles inventions pour satisfaire sa rage impuissante. Il va sans dire que tous les poètes sont des Homères ou des Pindares, tous les peintres bien supérieurs à Raphaël, car j'apprends que plusieurs se trouvent offensés de la simple comparaison avec le peintre d'Urbin. Quant aux prêtres actuels, ils laissent bien loin derrière eux les vertus de Fénelon et de Las Cases, on n'a qu'à voir les missions de France. Enfin c'est à tort qu'on a méchamment et traîtreusement osé accuser les cosaques et autres tribus à demi civilisées de l'Asie d'être quelquefois un peu pillards. Rien n'est plus calomnieux et nous leur devons beaucoup de reconnaissance. Les gens assez jacobins pour avoir des doutes à cet égard n'ont qu'à


voirl le jugement de Villefranche 2 (Bibliothèque historique).

Il reste donc bien entendu que tout ce qui est censuré le moins du monde dans ce journal est de pure invention. L'auteur étant fort sujet au spleen, quand il lui vient des idées sinistres, au lieu de prendre des pistolets pour se brûler la cervelle, ou une belle chaufferette de charbon pour s'asphyxier, a recours à sa plume, il trace quelque calomnie bien noire contre le caractère national des Italiens ou des Anglais et le voilà soulagé. On ne doit point être étonné de ce remède inventé depuis quelques années par les nobles écrivains payés à tant la toise par les gouvernements a.

Enfin, l'auteur a une raison de délicatesse pour ne dire aucun mal de l'Allemagne, de l'Angleterre et de l'Italie. Il a vécu plusieurs années dans ces pays. Il doit avouer qu'il a pris un grand nombre de repas dans les auberges. Il a trouvé chez plusieurs négociants, en hiver, des draps bien chauds pour se couvrir, en été, des 1. A vérifier.

2. Voir l'Anecdote, t. I, page. de la Bibliothèque bistorique, ou page. de ce volume.

3. Beyle avait d'abord écrit « inventé depuis trois ans par les rédacteurs des Débats. » H a biffé et refait sa phrase et à la fin ajouta cette parenthèse « (A Paris MM. A. L. etc,; à Londres MM, Rose, Giffard à Berlin Mrs. S. W.)»


nankins bien frais. De plus, il a été indisposé plusieurs fois et a reçu les soins de plusieurs médecins. Il est évident que, d'après les règles les plus élémentaires de l'honneur, il doit une reconnaissance éternelle à tant de braves gens. Il est vrai qu'il les a bien payés. Mais il n'en est pas moins évident qu'ils n'agissaient que pour l'obliger et qu'il serait affreux de payer leur généreuse hospitalité par des plaisanteries sur les petites faiblesses auxquelles tant de héros de divers métiers peuvent être sujets. Que deviendrait le voyageur si nous prenions l'argument, et que nous le représentassions introduit dans ces réunions choisies qu'on appelle salles de spectacles, n'écoutant les délicieuses cantatrices du pays ou ses musiciens renommés que dans la noire intention de juger de leur talent, c'est-à-dire de louer le bon et de e critiquer le mauvais.

Dans son long pèlerinage loin de sa patrie, l'auteur a été admis dans plusieurs sociétés où sans doute on se sera bien gardé de rire de ses ridicules, de son accent, de ses bévues il professe trop d'estime pour les Italiens pour les croire coupables de pareils crimes. Il est trop évident qu'on ne l'admettait pas dans ces sociétés par le même motif qui l'y faisait aller, le besoin de s'amuser en voyant quelque chose de


singulier. Si sans nommer ni les personnages ni la société, et en transportant souvent les récits d'un pays à un autre, et en se montrant religieusement exact à cet égard, il ose dire qu'il a trouvé dans telle ville des hommes à prétentions ou des femmes prudes et ennuyeuses, n'est-il pas évident qu'il outrage toute cette ville qui avait les prétentions les mieux fondées et les plus modestes à la perfection ?

L'auteur confondu n'ajoute qu'un mot, c'est que toutes les anecdotes par lesquelles il a prétendu peindre les mœurs sont de son invention.

FIN

(C'est Michel- Ange peignant un petit paysage. 21 septembre 1818.)


Milan, le 10 janvier 1817 1.

Monsieur,

E crois utile de rappeler et même de citer les bêtises qu'on imprimait à Paris, en 1779, sur la musique {Œuvres de l'abbé Arnaud, t. II, p. 386) cela nous fera réfléchir à la grossièreté des gens qui proclament M. Girodet l'égal de Raphaël. Il est vrai que cela n'a rien d'étonnant dans le pays où l'on écrivait r » « Ah Monsieur, au nom d'Apollon et de toutes les Muses, laissez, laissez à la musique ultramontaine les pompons, les colifichets et les extravagances qui la déshonorent depuis si longtemps gardez-vous de porter envie à de fausses et misérables richesses et n'invoquez point une manière proscrite par tout ce qu'il y a de philosophes, de gens d'esprit et d'amateurs éclairés en Italie. Quoi vous trouverez bon qu'au moment même où l'on devrait porter au plus haut degré l'émotion à 1. Beyle devait être à Rome le 10 janvier 1817. Bien au surplus ne nous afflrme la sincérité de cette date, car ce fragment est un de ceux qui ont été publiés par Romain Colomb et placés par lui dans la Correspondance. N. B.5


laquelle on avait préparé votre âme, l'auteur s'amuse à broder des voyelles et reste, comme par enchantement, la bouche ouverte, au milieu d'un mot, pour donner passage à une foule de sons inarticulés 1 De toutes les invraisemblances que vous pourrez dévorer, voyez s'il en est de plus forte et de plus choquante. Que diriezvous d'un acteur qui, déclamant une scène tragique, entremêlerait ses gestes des lazzi d'Arlequin ?

» Je crois et je dis que la musique vocale italienne s'étant confondue (vers 1779) avec la musique instrumentale, la multitude des petits sons dont on a surchargé les syllabes, a presque toujours détruit l'harmonie propre du vers, et qu'au lieu d'embellir et de fortifier la parole, le compositeur a fait dégénérer la parole en ramage. »

A l'époque où un bel esprit de Paris, l'abbé Arnaud, dictait ses arrêts, Galuppi, Sacchini, Piccini, Paisiello, Guglielmi, Zmgarelli, Cimarosa enchantaient l'Italie. Ce n'est pas que je taxe l'abbé Arnaud de mauvaise foi mais il faudrait se connaître. Cet académicien ne pouvant pas lire dans son cœur comment la musique plaît, aurait pu trouver l'explication de ce phénomène dans Grimm. Les Italiens sont en général fort indif-


férents à tous ces jugements ténébreux. Lorsque je suis à un bal charmant, au milieu de tous les plaisirs délicats, près de M™e de B. et écoutant Mme de Staël, que m'importe que le pauvre pédant qui passe dans la rue s'arrête pour prouver à la porte cochère que je suis dans la boue et dans le froid comme lui ? ',>

Un Vénitien s'est cependant amusé à rassembler ce que les MM. Boutard de la musique écrivaient vers 1770. Voici quelques phrases de son pamphlet qui est une lettre adressée à un Français

« Permettez-moi, Monsieur, de remercier vos compatriotes de ce qu'ils veulent bien nous apprendre que leur théâtre dramatique passe dans toute l'Europe pour être l'école de la belle déclamation, de ce que leurs chants se saisissent, se retiennent aisément, tandis qu'il en est tout autrement des nôtres.

? J'admire la sagacité qui leur fait sentir que l'idée de musique italienne comporte celle de la légèreté.

» Je les félicite de l'excès de modestie qui leur a persuadé que personne n'a, comme eux, 1 intelligence et le discernement nécessaires pour pouvoir donner aux morceaux de grande ex-pression cette dignité et cette grâce que leur procurent les accompagnements coupés genre de beauté


dans lequel le grand Rameau serait même pour nous un modèle à suivre

» De cette finesse de tact par laquelle ils ont découvert que les Italiens (moins habiles qu'eux quant aux principes raisonnés de l'art et naturellement abandonnés aux désordres de l'imagination) semblent nés avec un penchant à la négligence qui ne leur permet de viser qu'à l'effet » De ce que la musique italienne ne comporte ni variété, ni ordonnance, ni distribution

» De la bonté qu'ils ont de nous avertir que le récitatif français tient au genre de la déclamation dramatique, au lieu que le nôtre n'a qu'une espèce de vérité accompagnée d'un air roide et sauvage, que le bon goût n'a jamais dicté, et que nous le chantons de la même manière dont parlent les matelots, ou dont les crocheteurs crient sur le port de Venise

)) De cette surabondance de sentiment, qui leur dit que Senailler, Leelerc, Talleman, et autres aussi connus, ont fait de la musique italienne, tandis que Jomelli, Hasse, Terradeglias et Pergolèse n'ont fait que de la musique instrumentale » De cette naïveté avec laquelle ils avouent que le chant français est d'un ton si naturel, qu'on n'a rien à y désirer du côté de l'expression, et que cet air,


simple et ingénu est un don de la nature qu'on ne saurait leur disputer

» De ce qu'étant doués plus heureusement que nous, ils ne peuvent trouver que de la folie et un genre outré dans notre musique

» De ce qu'enfin le chant français est toujours au-dessus de l'ariette italienne, qui n'inspire jamais le sentiment ou ne l'atteint guère que pour aller bientôt au delà et le défigurer aussitôt qu'elle a pu le saisir. »

Voilà exactement ce que l'on imprimait de 1770 à 1779, dans les journaux français d'alors. Ne croit-on pas lire un bel article de MM. Boutard, ou Aimé Martin, ou Charles Nodier ?


23 mars 1817.

Paris 1.

Il n'y a plus d'acteurs depuis qu'il n'y a j plus de sifilets.

Pour que le génie des artistes français, si génie y a, ne soit pas tout à fait avili par l'antichambre du ministre, on pourrait permettre aux assemblées électorales de commander un tableau pour leur département. C'est la réunion la plus passionnée du royaume.

Il faut que les arts tiennent à un sentiment et non à un système.

Chaque année la chambre des Députes pourra dépenser vingt mille francs pour un tableau ou une statue. Les premiers choix seront ridicules, mais le ridicule corrige le ridicule, et rien ne corrige les intrigues intérieures d'un Institut. Les artistes français, je ne parle que des morts, n'étaient que des ouvriers endimanchés. La science de l'homme est pour eux lettres closes. Il n'en était pas tout à fait de même de Léonard de Vinci et de 1. A cette date, Beyle était h Milan. N. D. L. E.


Michel-Ange. Pergolèse et Mozart étaient des gens emportés par les passions. Ici on loue beaucoup un jeune artiste quand il est ce qu'on appelle sage.


SUR L'ÊîTEEGIE EN ITALIE 1

Sienne, le.

u moyen âge, dans le reste de l'Europe, des seigneurs féodaux qui écrasaient leurs domaines furent écrasés à leur tour par les rois, par exemple, Louis XI. L'énergie ne pouvait donc naître que dans quelques centres de seigneurs féodaux ou dans le roi, tous gens facilement étiolés par la richesse.

En Italie, tous les caractères ardents, tous les esprits actifs, étaient inévitablement entraînés à se disputer le pouvoir, cette jouissance délicieuse et peut-être 1. Ce fragment écrit sans doute par Beyle avant 1820 pour prendre place dans sa seconde édition de Rorne, Naples et Florence a été placé par R. Colomb dans la Correspondance, précédé des lignes suivantes

A M. EOJIAIN OO1OSBB,

« Directeur des contributions indirectet, à MonîbrUon. e Sienne, le 25 novembre 1817.

e Je viens d'écrire l'Histoire de l'Énergie en Italie. A moins que tu ne sois bien changé, ce sujet sera de ton goût car je t'ai reconnu une certaine force dans le caractère dès nos jeux d'enfance, et je ne pensejpas que les saletés politiques aient pu l'amollir complètement. »

Nous le publions ici conformément aux textes des manuscrits de Grenoble N. D. L. E.


au-dessus de toutes les autres pour des gens défiants, du moins plus durable. Milan, Gênes, Florence, Rimini, Urbin, Sienne, Pise, Plaisance et vingt autres villes étaient dévorées par les flammes des factions. Leurs citoyens sacrifiaient avec joie à leur ambition politique, le soin de leurs intérêts privés et la défense de ce que nous appelons les droils civils. De là, ce conflit éternel des familles puissantes, dont l'histoire domestique est si singulière, cette lutte violente des factions, ce long enchaînement de vengeances, de proscriptions, de catastrophes.

Voilà le foyer qui produisit les guerres interminables et acharnées de ville à ville. Par exemple, de Sienne et Florence, de Pise et Florence, etc. et enfin les invasions étrangères de peuples qui, armés par un roi, eurent bon marché de petites villes qui s'abhorraient entre elles car il ne faut pas le dissimuler, en même temps que l'énergie, le moyen âge a laissé en Italie la funeste habitude de la haine. C'est là, dans ce climat enchanteur, que cette funeste passion éclate dans toute sa force. Les tyrannies soupçonneuses, faibles et atroces, qui gouvernèrent l'Italie de 1530 à 1796, ont changé la prudence du moyen âge en sombre méfiance.

De là, la première qualité d'un cœur


italien, je parle de ce qui n'est pas réduit à la stupidité par le christianisme ou la tyrannie, est l'énergie la seconde, la défiance la troisième, la volupté; la quatrième. la haine.

Les Italiens, à l'exemple des Romains, que Pétrarque leur avait expliqués, entendaient par le mot de liberté la part que chaque citoyen devait avoir aux élections et délibérations publiques.

Les Florentins voulaient gouverner dans la place publique et au Palazzo di Cilla. Nous, nous voulons être tranquilles dans notre salon, et surtout n'être pas choqués au bal par l'insolence d'un noble.

On ne trouve à Florence, au xive siècle, par exemple, que des lois et des habitudes imparfaites pour pourvoir à la sûreté des personnes et des propriétés. Il n'était pas encore question de la liberté de l'industrie, des opinions et des consciences. Des hommes, dont les propriétés, l'industrie et les personnes étaient si mal garanties, et qui ne connaissaient presque pas la liberté civile, perdaient tout quand, au lieu de nommer leur conseil sur la place publique, ils venaient à être gouvernés despotiquement par le chef de la famille noble la plus puissante de leur ville. Ce tyran sanguinaire se trouvait sans lois pour le contenir, ou même pour le diriger


car, quand il eut de l'esprit, ce tyran sentit qu'il était de son intérêt d'être juste par exemple Castruecio. Il faut soigner le cheval qui nous porte. Au milieu de tant de dangers, comment l'honneur aurait-il pu naître ? Comment trouver le temps d'avoir de la vanité ?

Le gouvernement, à moins qu'il ne soit fort et séduisant comme celui de Napoléon, ne passe dans les mœurs qu'au bout d'un siècle. De là les progrès des beauxarts pendant ce xve siècle, où la liberté (entendez toujours la liberté d'alors, la liberté gouvernante et non jouissante) commençait si fort à languir.

Les tyrans d'Italie, pleins d'énergie, de finesse, de défiance et de haine, et, dans les beaux-arts, d'esprit et de goût, n'eurent jamais aucun talent comme administrateurs ils se moquaient de l'avenir; ils écrasèrent l'industrie et le commerce. Volterre, qui comptait cent mille habitants 1, n'en a plus que quatre mille. Jamais ils n'établirent de lois raisonnables ou ne maintinrent de justice équitable.

Enfin, du temps des républiques italiennes, le pape faisait brûler Savonarole, qui avait voulu faire le petit Luther. La liberté des écrits sur les intérêts communs 1. A vériaer. ·


à tous les citoyens, quand les lois l'auraient accordée, aurait été bien assez restreinte par le péril d'offenser les factions dominantes, ou même celles qui pouvaient le redevenir. Dès que l'une d'elles avait saisi le pouvoir, il en était comme chez nous en 1815 c'était un crime non seulement de dire, faire ou écrire, mais d'avoir fait, dit ou écrit quoi que ce soit contre elle. A chaque révolution d'une ville la volonté des vainqueurs réglait tous les droits et tous les devoirs. Il ne restait aux vaincus qu'une ressource, celle de tenter, à leurs risques et périls, de vaincre à leur tour.

Comment diable n'être pas énergiques avec le soleil et les richesses d'Italie, et quatre siècles dece joli petit gouvernement? Il n'y avait un peu d'exception pour tout cela, et un peu de fixité qu'à Venise. Aussi les Vénitiens étaient-ils devenus les Français de l'Italie, gais, spirituels et sans énergie1. Avec une énergie brûlante ou sombre, suivant qu'on est dans une veine de bonheur ou d'adversité il est impossible d'être gai, spirituel, léger. L'esprit a l'habitude de mettre trop d'importance à tout dès qu'on est indigné, l'on ne peut plus rire, ni sourire.

1 Voyez dans la Vie d'Alfieri, écrite par lui-même, les éehevins de Paria seperdant dans la bone, en allant complimenter Louis XV le premier de l'an.


EÊFLEXIONS SUR OTELLO

Milan, le 9 février 1818.

Lellre à Vigano

MONSIEUR,

Je voudrais que le dernier acte d'Otello s'ouvrît par Desdemona marchant V tristement et exprimant à deux de ses dames qu'elle a de sinistres pressentiments. Elle demande sa harpe et elle joue l'air Voi che sapete che cos é amore de Mozart dans le Nozze di Figaro. Il faut là un air de Mozart, c'est le compositeur qui exprime le mieux la sombre mélancolie.

Après cet air Desdemona renvoie ses suivantes, fait sa prière au ciel et se couche. Puisqu'on change le Balabile, ne pourriez-vous pas, Monsieur, puisque ce changement vous convient, le placer à la douzième représentation ? Vous feriez pleurer davantage, les cœurs seraient plus attendris.

%° Je voudrais exprimer, si cela est possible à l'art du ballet, que le mouchoir a été donné à la mère d'Otello par une


fée. Otello, en le donnant à Desdemona, lui dirait que suivant ce que lui a dit sa mère tant qu'elle conservera le mouchoir elle sera sûre de son amour. Cela préparerait l'admirable parti que vous en avez tiré dans les Reprises de jalousie du dernier acte. Les deux changements ci-dessus sont possibles. Je suis fâché qu'il ne soit plus temps d'admettre le troisième.

Pourquoi, Monsieur, avez-vous rejeté le premier acte de Shakspeare ? Ce sénateur dans son palais réveillé par les cris de Iago, Otello sortant au milieu de la nuit, son arrivée au Sénat, son plaidoyer contre Brabantio, père de Desdemona ? Quels matériaux pour votre génie i Au reste, si vous avez négligé plusieurs des beautés qui sont dans le Shakspeare traduit par Letourneur, vous en avez mis de nouvelles puisées dans la vraie nature de l'art admirable dont vous faites la gloire. Telle est au premier acte cette admirable Furlana. Quel contraste de cette gaîté si nationale à Venise avec le sombre du dernier acte Je suis convaincu, Monsieur, qu'aucun théâtre d'Europe en février 1818 n'a un spectacle aussi magnifique et aussi touchant. 0

Je suis fâché que le désir d'être régulier vous ait fait rejeter le premier acte si original de Shakspeare.


Encore deux critiques Pourquoi le Doge, chef d'un gouvernement, reconnu par sa sagesse, destitue-t-il Otello, général utile à la République, parce que le dit général se conduit mal avec sa femme ? Cela n'est pas digne du chef d'un état.

Pourquoi Otello est-il si fort en colère contre Cassio ? une demi-colère suffit. Cette première colère ôte la lumière principale à la colère si hautement tragique du dernier acte.

Du reste, Monsieur, je crois qu'avec Canova et Rossini vous faites la gloire actuelle de l'Italie. Et votre génie est plus neuf qu'il y a loin des gambades des grotesques qu'on voyait à la Scala en 1800, à la sublime tragédie d'Olello. C'était le tombereau de Thespis et vous êtes le Sophocle de cet art. Que de belles choses vous pouvez encore tirer de Shakspeare 1 Par exemple le ballet de Cymbeline. Jachimo sortant du coffre au milieu de la nuit et contemplant Imogène endormie. La simplicité sublime des deux jeunes gens enterrant.


15 février 1818.

Rome, le.

J'ai vu beaucoup de moines pendant mon séjour ici, entre autres des V chefs d'ordre. Je leur ai été présenté par la jolie comtesse M. Ce sont des gens très fins qui puisent la connaissance du monde dans les intrigues intérieures de leur couvent. Je leur dois sinon les idées suivantes, au moins les faits certains dont les idées suivantes sont les immédiates conséquences.

De quelques bavardages savants que l'on veuille obscurcir un fait, il reste constant pour l'homme qui sait voir que de l'an 400 à l'an 1S00 le gouvernement de l'Eglise fut représentatif et électif. J'ai étudié avec mes moines la vie de saint Ambroise, évêque de Milan, qui, ainsi que l'Archevêque saint Charles, fut un grand homme 1. J'ai vu que le métropolitain de Milan était élu par les principaux ecclésiastiques de la ville qui s'intitulaient Cardinali della sancia chiesa mila1. Verri.


nese. Les évêques suffragants étaient élus par le clergé de leur ville. Les suffragants étaient sacrés par le métropolitain, et les métropolitains par les suffragants. Le métropolitain décidait les petites affaires, les grandes étaient portées à un concile provincial qui décidait entre autres choses de la validité des élections.

Pour donner dans le moins de mots possible le résultat de la vue générale que j'ai jetée sur l'église du quartier général de Rome je dirai

10 Que je n'entrerai pas dans la question s'il est utile ou non au bonheur et à la liberté des peuples que la religion romaine subsiste. Je pense que la religion de Hanovre, de Dresde et de Berlin est bien meilleure. Le papisme a de trop mauvaises habitudes.

Mais si l'on veut que la religion romaine subsiste il faut ZD

1. Le mariage des prêtres toutes les fois qu'ils pourront prouver qu'ils ont trois mille francs de rente, indépendamment de leur place.

2. L'exécution des règlements confiée au Pape ou au Roi.

1. Origine du sentiment religieux que B. Constant regarde à tort comme inné

Primus in orbe deos feeit timor, ardua cœlo

Fulmina eum caderent.


3. On prendra pour point de départ la foi actuelle, les dogmes et les rites, tels qu'ils existent dans chaque état, en un mot l'usage actuel dans chaque état sans remonter aux droits et actes sur lesquels il peut être fondé.

4. On formera un code religieux descriptif de cet état actuel.

5. Le nouveau code religieux et en général les nouveaux règlements ne pourront être faits que de concert entre le Pape, la chambre des évêques et la chambre des curés.

6. Chaque année les deux chambres se réuniront à l'époque indiquée par le Pape ou le Roi et dans la capitale de l'Etat.

7. Tous les archevêques et éveques formeront une chambre.

8. Les prêtres, autres qu' évêques, réunis à un certain nombre des habitants les plus imposés éliront pour députés un nombre de curés qui, pour la France par exemple, serait de deux cents. Dans chaque assemblée électorale le nombre des laïques sera du quart. 9. Nul ne pourra être évêque s'il n a été cinq ans curé, et, de plus élu député. 10. Le clergé de chaque diocèse présentera pour la place d'évêque deux candidats au pape ou au roi.


Il. Cinquante ans après la mise en activité de ce régime, ils nommeront directement l'évoque. Le Roi ou le Pape pourront s'opposer à la nomination, mais ils devront traduire en justice l'évêque élu, et s'il n'est pas condamné il entrera en possession de son siège.

12. Tous les délits ecclésiastiques seront jugés par les deux chambres celle des évêques et celle des curés. 13. Les curés seront choisis parmi tous les prêtres français et par les deux cents habitants les plus imposés de la cure.

14. Nul ne pourra exercer les fonctions d'Archevêque s'il n'est actuellement marié. Un Archevêque veuf se retirera ou se remariera dans l'année. Pour dire les mêmes choses en évitant la forme ambitieuse des articles il fallait huit pages. Si d'ici à cinquante ans l'on n'introduit pas l'opinion dans la religion romaine, l'opinion nous donnera ou la religion du Hanovre ou l'indifférence totale pour les religions. Qu'on ose voir l'état réel de la religion en France. Il est tel que l'énoncer passerait pour une impiété et conduirait l'auteur devant les tribunaux. Où trouver un homme qui depuis dix ans se soit confessé ? Et ceux qui se sont conPA9ES D'iIAME a


fessés n'était-ce pas pour hériter de quelque vieillard, ou pour obtenir la croix d'un Prince ou arriver? Et parmi nous dès que les tribunaux correctionnels prennent quelque chose sous leur protection, la dédaigneuse opinion ne leur retire-t-elle pas la sienne ? 2

Même en Italie où la religion romaine est plus puissante et plus odieuse, elle va tomber. Le remède unique est encore la constitution proposée. Joseph II par ses réformes a détruit la religion en Lombardie. Le papisme y fait moins de mal qu'ailleurs et le reste de l'Italie regarde la Lombardie. Seulement le mariage des prêtres est une mesure trop sage pour les yeux faibles encore de la pauvre Italie. Il faut remarquer que Joseph II, en affaiblissant la religion romaine, n'a rien mis à la place. Les prêtres à Milan se trouvent dans cette triste position ils sont encore assez puissants pour être haïs et pas assez puissants pour se faire craindre.


15 février 1818.

SUR VENISE

Lors de la venue d'Attila, des fugitifs t de Padoue allèrent former Venise. -< Aujourd'hui Venise, ville artificielle, n'étant plus soutenue par rien, les familles vénitiennes accourent en foule à Padoue.

En 1790, Venise la superbe avait 180.000 habitants, Venise la misérable est à 84.000 en 1818 et sera à 30.000 en 1850. C'est dommage pour la volupté. Le hasard avait formé lentement pendant dix siècles de tranquillité une foule de bancs de sables, de récifs et de courants desquels naissait forcément la volupté. Chaque état se montrait par ce qu'il avait de plus aimable. Les parties haineuses de l'âme n'étaient pas cultivées. Aucune charte écrite ne peut donner cette Charle des habitudes. Et malheureusement jusqu'ici l'effet le plus assuré des chartes est de réveiller les parties haineuses de l'âme. Au lieu des aimables fats du siècle de Louis XV, nous avons eu le hideux ultra de 1815, avec ses lois d'exception et ses catégories.


Cette pauvre Venise Si la circonstance de n'avoir jamais obéi qu'à ses propres lois, faites et conservées par ses propres citoyens, et pendant le long cours de treize siècles de s'être constamment préservée de la conquête est un titre de noblesse, aucune ville connue, pas même l'ancienne Rome, ne peut se vanter d'une noblesse égale à celle de la pauvre Venise. Les Vénitiens n'acquirent point leur sol par l'usurpation et par l'extermination d'autres hommes, mais en créant par une industrie aussi patiente que sagace le sol même sur lequel ils bâtissaient, étendaient leur ville 1, sorte de domination la plus juste de toutes. Là, parmi ces aimables Vénitiens s'est conservé le plus pur sang italien, toujours défendu contre les armées de terre par une mer profonde seulement de deux ou trois pieds, et inaccessible aux vaisseaux. Enfin c'est encore une gloire pour Venise, puisqu'il fallait finir, de ne succomber que sous les armes de ce Napoléon qui sera célèbre dans l'histoire pour avoir fait finir toutes les anciennes monarchies d'Europe et les avoir changées en gouvernements constitutionnels.


23 février 1818.

1^ out Venise, son ancien gouvernej ment, son bavardage dans les 3 vol. Mémorie inutili di Carlo Gozzi, A développer. (Voir le développement plus bas.)

Sur les décorations, à ajouter, said by Katena.

En 1817 on a eu cent vingt décorations neuves au théâtre de la Scala. On les a payées vingt-quatre sequins chacune à M. Sanquirico. Je crois qu il fournit la toile. Il gagne sur les décorations brisées. Le théâtre San Carlo n'a offert au public en 1817 que quarante-deux décorations. Le défaut de Sanquiric, c'est le manque de vigueur surtout dans les seconds plans qui paraissent comme à moitié cachés par de la brume. Ses rochers trop blancs et trop frais n'ont nullement l'air majestueux de ces ruines du monde. La verdure n'est pas verte, mais gris bleu. Mais il faut une terrible imagination pour enfanter une décoration nouvelle tous les trois jours. Cet art se maintient vivant parce qu'on ne conserve jamais aucune décoration quelque vivante qu'elle soit.


Venise (Gozzi).

Ce gouvernement était agréable alors, il serait insupportable aujourd'hui. Si Napoléon n'avait pas détruit cet agrément; la marche des choses humaines l'aurait détruit. Le gouvernement de Venise serait aujourd'hui pire que celui de Berne, consolons-nous donc de sa chute.

Une anecdote de Tipo

Habit bleu, chercher la conversation] de Borgo.

Du reste ce G. trop sage pour chercher noise à un torrent.


LA LIBERTÉ DE LA PRESSE A MILAN

11 y avait plus de liberté de la presse j! à Milan en 1783 quand Yerri puA. blia son Histoire qu'en 1818 où l'on défend Beccaria di delilli é délle pene. On laisse porter du feu dans un lieu où la poudre est mouillée, on a peur de la moindre étincelle dans un lieu où la poudre est bien sèche. C'est comme Catherine II accueillant Diderot et protégeant les philosophes, ou avec ce qu'elle pensait lorsque la Révolution française lui a fait peur. Plusieurs princes étaient à moitié libéraux en 1783, aujourd'hui la guerre à mort est déclarée.

(Approuvé pour le Tour, le

16 février 1818. Promenant dans

Milan.)

x x

Verri, son histoire, conversation d'un vieillard instruit et sage, bon et un peu bavard. C'est un élève de Voltaire. Cette manière de bonhomie contraire à celle de Montesquieu, contraire à celle de


Dominiclue, ennuie mais persuade beaucoup et ne laisse rien d'obscur.

16 février.

Comédie improvisée. C'est, Goldoni qui l'a détruite avec l'abbé Ghiari, protégé par Carlo Gozzi, homme à qui il n'a manqué que de naître à Paris ou dans quelqu'autre pays raisonnable, pour être un grand comique.

r

Le métier de Comédien et Chanteur est si agréable au fond en Italie qu'on trouvait en 1770 des gens qui le faisaient malgré le mépris et la pauvreté. Ex[em̃plej la Ricci. Gozzi, vers 60.

Les Comédiennes italiennes vivant avec de la canaille ou des Gonzi, ce sont les amoureux qu'elles trompent, ont une manière de parler ampoulée et affectée même dans leur chambre. Il est impossible qu'elles s'en corrigent au théâtre. Dans la vie l'affecté renaît dix fois contre le naturel une, car l'affecté est modelé sur le goût de la majorité des hommes. Il


déplait à l'âme sublime, au grand artiste, etc., etc. Mais les âmes tendres et sublimes sont accoutumées aux mécomptes. Ces genslà ont trop de plaisir dans le fond de leur cœur pour aller faire du tapage au théâtre. Donc il est impossible de trouver une actrice en Italie qui ait du naturel. Pour le naturel il faut une capitale qui ait au moins dix millions de sujets.

D[ominique] lisant Gozzi, 86.

Les défauts de la Ricci.

20 février 1818.


QU'EST-CE QU'UNE lOTËKATCBE

SANS LIBEBTÉ

N France, où depuis la mort de Louis XIV on a l'appui de l'opijLj nion publique, on ne peut pas se faire d'idéedugenre demalheur qui opprime la littérature d'Italie. L'homme qui écrit en Italie est un homme notoirement suspect, l'usage donne presque aux ministres le droit de le vexer sans motif. Tous les sots disent aussi pourquoi écrit-il ?

Ce ne serait rien que de se garder d'offenser les deux pierres dont le Prince protège le slalu quo la religion et l'art de gouverner. Comme on l'a vu en France de 1715 à 1760 il y aurait encore un beau champ pour l'esprit humain. Mais à tout moment il faut s'incliner avec respect devant les erreurs du pédant accrédité auprès du gouverneur de la ville. Le pauvre jeune homme qui s'aviserait de ne pas l'admirer est plus perdu que s'il se fût attaqué au gouvernement lui-même. Dans la prétendue république des lettres italiennes, tous les jeunes gens tremblent devant les vieux. Or, comme la chimie le montrait en France il y a peu d'années,


c'est toujours parmi les jeunes gens que la vérité commence à se faire jour. Chaque capitale d'Italie a deux ou trois pédants de soixante ans qui font trembler tout ce qui s'occupe du culte de la vérité parmi les jeunes gens. Ceux-ci ne peuvent les battre que par des traductions des livres estimés à l'étranger en Italie le vieux professeur sage eût empêché les Chaptaf et les Berthollet de publier leurs idées.

A Paris le levier de la vérité est mis en jeu par le poids immense de l'opinion publique. Un jeune homme n'a qu'à publier un bon hvre, le public ne demande pas mieux que d'oublier le vieux pédant qui vingt ans auparavant a traité le même sujet.

Les pédants d'Italie ont la confiance de petits despotes mourant de peur. Je parle des ministres, car les souverains sont tous de bonnes gens qui laissent faire le mal par qui en a envie. Ils disposent de toutes les places de professeurs et,de bibliothécaires, places qui font la ressource des trois quarts des littérateurs. Comment ont vécu Parini, Monti, Foscolo ? Ce système de despotisme des pédants, un des points les plus pernicieux des autres petits despotismes tremblants qui pèsent sur l'Italie, n'arrête pas l'homme


de génie, non, mais il empêche la diffusion des lumières.

Et supposons un instant qu'avec le même ressort intérieur Alfieri ou Monti fussent nés à vingt pas du Collège de France qui compte parmi ses professeurs les Cuvier, les Pariset, les Benjamin Constant, les Lemercier, les Tissot, combien de qualités que nous cherchons en vain brilleraient dans leurs chefs-d'œuvre Ils auraient dix siècles de vie de plus. Dans trente ans la moitié des ouvrages d'Alfieri et de Monti auront je ne sais quelle couleur d'idées antiques et rétrécies qui fera tomber le livre des mains.

En Italie la vente d'aucun chef-d'œuvre ne peut couvrir les frais d'impression. Si le livre est bon on le contrefait à 6 lieues de là, dans l'état voisin. Comme aucun des journaux n'a de force suffisante pour se maintenir, comme ils ne peuvent pas comme chez nous opposer le Languedoc à l'Alsace, le ministre a toujours peur et ne pardonne jamais. Telle phrase hasardée aujourd'hui par un jeune homme le perdra dans dix ans. Presque partout le rédacteur de la Gazette de la ville est le premier espion qui pèse sur les pauvres gens de lettres.

1. En marge Stendhal a noté. « Exagéré.


Le littérateur italien n'est donc jamais dans la situation d'écrire clairement sur un sujet intéressant. Dès qu'un sujet intéresse le public il est défendu d'en parler en revanche il est sans cesse porté à écrire avec érudition et élégance sur quelque niaiserie littéraire.

Or l'élégance devient bientôt la chose la plus ridicule du monde dans les pays où la majeure partie des littérateurs n'écrit pas habituellement sur des sujets également intéressants pour l'écrivain et pour le lecteur. Voyez en France l'élégance des Dorat, des Pezay et autres écrivains du règne de Louis XVI. L'esclavage pour lequel l'autel est complice du trône permet un certain nombre d'idées. Lorsque cet état de choses dure depuis un siècle ou deux, il faut nécessairement que la littérature tombe dans le genre bête. Car les âmes fortes cherchent des plaisirs ailleurs que dans la littérature et l'on a épuisé toutes les idées auxquelles il est permis de toucher.

D'ailleurs le despotisme jeune encore laisse passer beaucoup d'idées que quelque temps après quand les âmes sont plus avilies, il se trouve en état de proscrire. Ainsi Napoléon laissait imprimer en 1802 LEconomie politique de Say qu'il défendait ensuite. Ainsi les despotismes italiens


au xvie siècle laissaient passer tout ce qui n'est qu'indéceni comme le prouve longuement le dictionnaire de la Grusca. Il y a à Milan, en 1818, un journal littéraire qui se publie tous les trois mois comme l'Edinbargh-Reoiew. Comparez le journal écossais à la Bibiloteca italiana,vous voyez bien que tout ce qui a quelque génie en Italie aimerait mieux se couper le poing que d'écrire.

Ecrire n'est plus un moyen de satisfaire son âme1, et il n'est en Italie aucune âme un peu bien née qui trouve quelque soulagement à parcourir la production du jour.

Un libraire homme d'esprit me disait qu'à Milan, ville de 120.000 âmes, on ne peut jamais vendre plusdecent exemplaires du livre le plus à la mode. Dans chaque petite ville de 6 à 10.000, âmes on en vend quatre à cinq. A Venise un livre à la mode se vend à mille exemplaires. Pour tout bon livre on peut toujours compter sur un débit de trois cents exemplaires en Sicile. Toute cette organisation intérieure de la littérature n'est point à mépriser. Jamais


ici J.-J.Rousseau n'aurait trouvé à imprimer ses cinq ou six premiers ouvrages. Mais surtout l'Italie actuelle repousse absolument les Marmontel, les Duclos, les Saint-Foix, les Lacretelle, les Chamfort, les Dalembert, les Palissot, les Suard, tous les bons écrivains dans le genre médiocres qui font la richesse d'une littérature, en forçant les grands hommes à s'élancer au delà. Marmontel, par exemple; en écrivant des ouvrages qui n'étaient pas absolument plats (sous le côté moral et politique x), parvint à amasser un petit pécule de 120.000 francs qui fit le bonheur et la tranquillité de ses vieux jours. En Italie, s'il s'était roidi contre la nécessité, il eût fini comme Gianone. Mais comme les gens de cette dose de génie ne se roidissent contre rien, il eût été un pédant fort considéré dans quelque université.

Donc s'il naît des gens de génie en Italie, ou plutôt si quelque homme de génie peut se montrer au public, il sera né noble ou riche et n'ayant pas affaire à un public rendu difficile par les Marmontel et les Suard, il se permettra beaucoup de choses communes.

1. En marge, note de Stendhal c absolument avili par le respect pour l'autorité. »


Adoré dans son pays à cause de la rareté et du patriotisme d'antichambre, il sera souvent ennuyeux pour l'habitant de Londres ou de Paris. D'ailleurs il sera toujours un peu piqué, il aura toujours trop de bile, il réveillera trop souvent des idées désagréables et haineuses, il touchera trop souvent à Y odieux.

Probablement les habitants de Paris étiolés par une politesse excessive ne verront pas se former parmi eux de ces âmes fortes jusqu'à la fureur habituelle, qui pullulent dans ces pays à moitié sauvages, la Corse et le Piémont.

Pour les soldats romains la guerre était un état de repos. Se trouver au milieu des périls, des conspirations, des vengeances et des grandes actions est le seul état de repos que puissent jamais goûter quelques jeunes corses et piémontais de ma connaissance. Dans le genre de l'operabuffa comme dans le genre des batailles la seule qualité essentielle au grand homme c'est la force. Au fond du génie de Cimarosa et de Napoléon on trouve une qualité commune, c'est la f orce. Dans un cas l'âme doit mettre sa force à sentir, dans l'autre à agir sur les environnants. A Paris on trouve de tout excepté de la force. Au reste je ne dissimulerai point que les jeunes Italiens chez lesquels j'ai observé cette


condition première du grand homme sont loin d'être aimables à notre manière, à la française. Par exemple ils sont toujours eux-mêmes et jamais comme un autre. A ces grands hommes inconnus qui ne peuvent se montrer par des actions, il ne manque que l'idée d'écrire pour effacer les Alfieri et balancer les Machiavel.


LANGUE ITALIENNE

Ils mettent un amour-propre bien grand et bien irritable à ne se ser-iL vir d'aucune tournure empruntée du français (un francesismo) et cependant le peu d'idées fines ou un peu pittoresques par leur généralité qu'ils aient en philosophie, en morale, en politique, en grammaire générale, ils les doivent aux philosophes français. Ils veulent exprimer tout cela par des tournures du xve siècle. C'est comme si M. Benjamin Constant ne voulait employer aucune tournure, aucun mot qui ne fut dans Amyot.

Par exemple ils me montraient un ouvrage nouveau du premier poète de l'Italie qui a dit il fondo della lingua (dans cette phrase le fonds de la langue est formé de mots pris du latin), ils détestent ce francesismo, mais l'image la plus claire et la plus pittoresque à employer ici, n'estce pas le fonds de la langue ?

Les hommes qui peuplent la société sont ici plus fins, plus portés par une ima-


ginalion enflammée qu'en France. S'ils avaient pu depuis trois siècles être naturels en écrivant, leur littérature balancerait la nôtre. Mais tout ce qui a écrit est un sol pédant ou hypocrite ou du moins enchaîné. De là le manque total en italien de tournures vives, nobles, pittoresques, pour exprimer les idées fines. De là le manque de goût qui porte les génies les plus nobles et les plus élevés à employer des images révoltantes et basses 1.

Toutes les prétentions de la noblesse les Toscans les portent dans la littérature et, semblables aux plébéiens de Rome, les autres Italiens crient sans cesse contre la tyrannie, mais dès qu'il s'agit de porter les mains sur elle et de la renverser ils sont saisis d'un respect superstitieux2. Les Toscans, tantôt avec la franchise de l'orgueil, tantôt avec toute la souplesse du jésuitisme, veulent faire prévaloir cette maxime « Tout mot employé en Toscane, même par la canaille, est excellent italien, car l'italien c'est le toscan. »

Les littérateurs de Venise, de Naples, de Milan, de Piémont, disent ce La langue généralement employée par les Italiens qui ont écrit avec succès depuis cent ans est le véritable italien. »

1. Dea cloaclne.

2. Traité de M. le Comte Jules Perticari, 1818, Milan.


Mais effrayés eux-mêmes de ce qu'ils viennent de prononcer, ils se hâtent d'ajouter1 «Car il ont imité avec sagesse tout ce qu'il y a de bon dans les auteurs cités par isC Crusca (i testi di lingua).

Pour les nobles Toscans ce mot de Testi di lingua est comme le mot lég[itimisme] pour les uill'a. C'est la boîte de Pandore dont ils font sortir toutes les prétentions et ici aussi, on a la bonté de répondre sérieusement à leur patelinage. On distingue, on avance que toutes les idées philosophiques, morales et politiques ne se trouvent pas précisément dans les auteurs du xme siècle, qu'il faut par conséquent prendre aussi quelques tournures dans ceux du xive siècle, mais les plus hardis ont bientôt peur et comme on n'a de gloire ici que par la pédanterie on ajoute bien vite: Mais celui qui n'étudiera pas, jour et nuit, les ire centili ne fera jamais rien qui vaille 2.»

les portent sans s'en douter dans leur prétendu toscan, dès qu'ils s'en écartent 1. Beyle avait d'abord écrit « Mais eux-mêmes qui p0l1ssentlafl1reurtrlbl1nicien11e jusqu'à oser prononcer cette phrase mal sonnante, s'en repentent bien -rite ils ajoutent S, Dernier chapitre de Perticari.


ils écrivent dans une langue morte. Or, voyez quels chefs-d'œuvre nous devons à des milliers de gens instruits qui depuis cinq cents ans ont écrit en latin, pas même un ouvrage passable.

(Petit mot d'un barbare sur

le beau livre de M. Monti. 16 pages in-18.

Commencé le 26 ou le 27 fé-

vrier 1818.)


PROPOSITION DE LA CRÉATION D'UN COMITÉ A BOLOGNE POUR LA CONFECTION D'UN DICTIONNAIRE 1

Un député piémontais, un député milanais, vénitien, bolonais, génois, romain, florentin,napolitain, sicilien. Pas plus de quarante ans chacun avec un secrétaire qui n'ait pas plus de trente ans et qui sache parfaitement une langue moderne.

Pendant cinq ans à Bologne, 6.000 fr. au député, 4.000 au secrétaire.

Les députés tirent au sort les neuf premières lettres de l'alphabet.

Le dictionnaire fait co-propriété et est à eux et à leurs familles.

Bases le dictionnaire de Johnson, celui de l'Académie.

Mars 1818.

1. En marge Beyle a écrit « Idée soumettre a Yisïmnra] et au crayon rouge celui-ci sans doute a écrit « approuvé le 6 mars 1818. » la signature est un V et un paraphe.


Sismondi l'illisible dit de l'Italie en général Tome 16, page 354

L n'y a pas un des objets dont nos g yeux sont frappés en Italie qui ne JL serve à prouver et les progrès surprenants qu'avaient faits les Italiens dans tous les arts de la Civilisation avant le xve siècle et leur décadence depuis cette époque. Ils avaient la liberté, en 1530 ils perdirent la liberté. Le reste de l'Europe qui justement alors commençait par la réforme de Luther à avoir un peu de liberté s'emparades jeunes sciences que cette source de tout bonheur avait fait naître en Italie. Et de nos jours l'Italie avilie par les prêtres est obligée de traduire des étrangers pour avoir une histoire passable de ses révolutions et de ses arts (Sismondi, Ginguené, Winkelmann, Aubertin1 se traduisent en italien avec des notes atténuantes). L'histoire de tout ce qui a existé et de tout ce qui existera peut se resserrer en deux mots Rien sans la liberté, tout avec la liberté. Dominique.


¥

Rhi, le.

C'est aujourd'hui dimanche1. Je suis surpris et enthousiasmé par la charmante et superbe église de Pellegrino qui apparaît tout à coup à gauche de la route. J'assiste à l'olfice. Quel chétif troupeau se rassemble dans ce temple auguste Ce n'est pas ces gens-là qui ont pu bâtir cette église. Appliquez cela à tout ce que vous voyez de sublime en Italie, pour toutes les' actions publiques. Un peuple de géants et de héros est mort en 1530 et a été remplacé par un peuple de pygmées. La grandeur s'est réfugiée dans l'intérieur des appartements où ne peut pénétrer l'œil tout tuant du g[ouvernemen]t.

(To take an other exemple

than Rhi and an église too by

native of the 15 th. Century.)

Sismondi 354.

x t

a.

Rome le (avant Naples pour. de la musique).

1. 22 mal.


La manière d'être libre n'a été inventée que de nos jours (icile passage de Jelïerson), Ensuite les extraits de 357.

357.- Mais qu'est-ce que cette liberté italienne qui expira en 1530 et qui a commencé la civilisation du monde ? '?

D'abord ce n'est pas la liberlé que l'on trouve à Philadelphie et que l'on rêve sur les bords de la Tamise et de la Seine 1. La liberté que les badauds voient sous l'Aristocratie anglaise est en arrière des lumières actuelles. La liberté de l'Italie au xive siècle était de longtemps en avant des théories. La preuve c'est qu'on ne la trouve ni dans les lois qui l'étayaient, ni dans les notions de ceux qui la possédèrent, ni dans les coutumes qui naquirent d'elle. Lé mode d'assurer la liberté que nous désirons a été découvert il y a trente ans. La politique est une science qui exige des expériences comme la chimie, et par malheur d'ordinaire il n'y a que des sots qui soient à portée de faire ces expériences. En 1819, l'Europe appelle LIBERTÉ la protection du repos (voir la définition de Tracy), du bonheur, de l'indépendance domestique. La liberté des Grecs, des 1. Pour bien marquer que ce paragraphe lui appartient Beyle écrit en marge DCominiJaue.


Romains, la ci-devant liberté des Suisses, la liberté des Italiens ne fut que la participation à la souveraineté du pays. On ne pouvait être heureux qu'au Forum, nous, nous voulons être heureux au fond de notre maison.

361. Les anciens ne connurent pas les droits de l'homme. La liberté fut pour eux un héritage comme la fortune. Dans les Républiques italiennes la liberté fut souvent la propriété d'un certain nombre de familles. Tout le reste fut esclave, mais ce resle maniait le couteau et sut se faire respecter. Les mœurs s'adoucirent après la chute de Florence en 1530, le couteau tomba des mains, VEsclavage parut, et à la suite ses compagnes fidèles l'avilissement et la bêtise. Il y a un beau livre à faire l'éloge de l'assassinat. Il, précède toute convention humaine, toute justice. Quand la justice n'est plus que l'arme du plus fort, qu'une dérision cruelle, l'homme rentre dans l'état de nature, l'assassinat redevient un droit. L'immense bienfait de l'autel envers le trône a été de cacher aux peuples cette conséquence. L'Italie fut avilie de 1530 à 1782, il y eut des tyrans abominables et des peuples dans l'excès de la bassesse non pas par le manque mais par la disette d'assassinats. S'il y eût eu plus souvent des tragédies


comme celle de Pierre-Louis Farnèse l'histoire ne trouverait pas tant de Gaston de Médieis. Je suis indigné, je viens d'avoir la patience de lire avec MonsignorF. une vingtaine de procès criminels de l'an 1740. Les Italiens avaient trop de finesse pour ne pas voir que le travail d'un homme libre est plus profitable que celui d'un esclave il n'y eut plus d'esclavage domestique dans les aristocraties de Venise, de Gènes, de Luques, par là un peu meilleures que les Républiques des temps anciens. Du reste le mot de liberté à Gênes comme à Venise n'était qu'une sanglante dérision x.

363. Ce n'est donc pas un crime dans Napoléon que d'avoir détruit ces gouvernements hypocrites qui n'étaient bons qu'à déshonorer le nom de république. II était digne des aristocrates anglais de lui en faire un crime impardonnable 2. Qu'ils apprennent, mais ils le savent mieux que nous, qu'on était plus heureux et plus libre à Venise sous M. Galvagna, préfet du roi d'Italie, que sous le doge Manfrin. 370. Le gouvernement de Napoléon était beaucoup plus près qu'aucun 1. Voir le comment de tout cela très savamment expliqué dans le 16« volume de la médiocre histoire de M. Sismondi p. SOS.

2. Edinburg-Review, a" 54.

Pourçiuoi des gens si éclairé3 sont-ils hypocrites ?


gouvernement antérieur de reconnattre que l'exercice de toute faculté qui n'a point d'action sur les autres n'est pas du ressort du gouvernement.

Ses préfets, qui ne demandaient que des hommes et de l'argent, convenaient assez souvent que la répression de certaines actions qui peuvent devenir nuisibles était souvent un mal plus grand que les inconvénients qu'elles pouvaient produire. De 1530 à 1782 les gouvernements d'Italie étant souverainement faibles ne se soutenaient que par l'astuce.

Vous voyez combien ils étaient loin de cette maxime qu'un gouvernement est d'autant plus libre que l'on sent moins son action, qu'il est libre non seulement parce qu'il ne punit que ce que la loi défend, mais encore parce que la loi ne défend pas tout ce qu'elle pourrait défendre

S. E. M. le Cardinal* évêque de Novare a dernièrement fait appeler 1 pour leur dire 1, mais les citoyens fortifiés par le despotisme (deux mots incompatibles) de Napoléon l'ont envoyé promener. Les Républiques italiennes n'avaient nulle idée de l'épée du citoyen (la liberté de la Presse). Cette notion ne s'était pas 1. En blanc dans le manuscrit.


plus présentée à leurs législateurs que l'idée d électricité à Bacon (à choisir cet exemple). On trouve à peine dans toute l'histoire de l'Italie deux ou trois exemples d'écrits publiés sur les affaires du gouvernement. On les imprime en pays étrangers et chaque fois qu'on peut atteindre ou les auteurs ou les distributeurs le gouvernement régnant se venge comme les gouvernements se vengent. C'est-à-dire plus que l'homme le plus peureux.

Par instinct on y avait séparé (dans les républiques italiennes) les fonctions administratives des fonctions judiciaires. En général on appelait des étrangers pour juges. Cette mesure si gothique en apparence aurait peut-être sauvé de leur gloire nos tribunaux conventionnels (1818). Terracine, le.

378. On jure en France, on ne blasphème pas. Ceci est particulier aux pays des beaux-arts. C'est un de ces vices indices de vertus et que j'aime tant à rencontrer parce que l'hypocrisie n'a pas encore appris à les contrefaire. L'épi thè te caractéristique du xixe siècle sera l'hypocrite, cela depuis les gouvernements paternels jusqu'aux bons hommes, qui peuplent les salons.


Les Italiens dans leurs accès de colère s'attaquent aux objets de leur culte, ils les menacent et ils accablent de paroles outrageantes la divinité elle-même, le rédempteur ou ses saints. On voit qu'en ce pays, la satiété doit tuer plus rarement l'amour.

e 380, Les gouvernements des Italiens, avant qu'ils eussent laissé échapper le poignard en 1530. poursuivaient une foule de crimes impossibles à bien prouver le blasphème, la magie, le jeu, le luxe, etc. A Florence la faction des Piagnoni renouvela toutes les plates horreurs dont les puritains ont souillé le caractère anglais dans leurs plates recherches des péchés contre les mœurs. Les mauvaises mœurs furent poursuivies jusque dans l'intérieur des familles par des dénonciations secrètes. Dans les conseils il faut au xixe siècle délibérer d'abord puis voter. Les vengeances empêchaient toute discussion en Italie, on ne cherchait qu'à voter le plus secrètement possible. De là des précautions vraiment très fines pour envelopper des plus sombres voiles cette action si dangereuse. Chaque conseiller recevait à Florence pour donner son suffrage des fèves


blanches ou noires, à Venise de petites boules de buis. La main du votant pénétrait dans l'urne, on ne pouvait voir ce qu'elle y faisait 1.

Au milieu de lois défectueuses comment l'Italie fut-elle libre ? `t

1° par le poignard. Un peuple a toujours le degré de liberté auquel il force.

2° par les maximes suivantes qui

1. Voir dans de Brosses la description d'une élection à Venise en 1740, Tome page.


15 juillet J'aifroid.

A placer in the Toizr x

Les nobles Italiens n'ont pas de de devant leur nom. On peut vivre L des mois entiers avec eux sans se douter de leur dignité. Beaucoup des Tyrans du moyen âge étant tombés comme Denis, un avocat de Bologne est comte et le premier médecin de Bergame, M. Guardi, descend des anciens souverains du pays.

V. ne voulant pas applaudir Mozart parce qu'il est allemand.

Les deux mots Piêmonlais

Si j'étais roi tous mes ambassadeurs seraient Piémontais. C'est le peuple le 1. Lacunes:

'l» page 133 Statues et chapelle de St-Sauveur. Lacune 142 Le Moïse.

Lacune le jugement dernier by 145.


plus sagace de l'univers. Tout ce qui est frivole ne les arrête pas un instant ils mettent sur-le-champ le doigt sur la plaie. En cela bien supérieurs aux Français qui s'amusent à chercher les facettes épigrammatiques 1.

¥ ¥

L'on a eu soin de bouleverser les noms et les dates de manière à ce que personne ne puisse être reconnu. L'auteur est bien fâché de ne pouvoir rendre hommage à toutes les personnes qui ont fait pour lui de l'Italie un séjour de bonheur. Mais il n'a pas oublié qu'être désignées dans un livre jacobin comme celui-ci pourrait t les compromettre. II croit s'acquitter à leurs yeux en leur assurant qu'il forme des vœux aussi ardents qu'elles pour que ce beau pays de dix-huit millions d'hommes soit. enfin réuni sous un seul roi et une constitution semblable à celle que la France doit à Louis XVIII a.

1. Beyle a barré ce paragraphe et écrit en travers t took »• N. D. L. E.

2. Progrès des Arts.

Les enseignes de Paris.

La musique des carrefours.


17 janvier 1815.

Dans un pays auquel la chute de Napog léon a rendu un roi de cinquanteiLF cinq ans, apparemment sans passions violentes et que les gentilshommes n ont pas manqué de dire formé à l'école du malheur, voici ce qui est arrivé par rapport aux arts

Le roi n'étant point retenu par la crainte du ridicule dont les discussions imprimées d'une chambre des Communes peuvent couvrir ses ordres, les habitants de Saluces en apprenant la mort de Bodoni leur compatriote se cotisent pour faire dire une grand'messe en son honneur.

Le ministre se hâte d'écrire qu'en général de telles cotisations sont défendues et que dans le cas particulier ces honneurs sont excessifs pour la mémoire d'un simple artiste.

Les impôts établis par Napoléon n'ont pas été diminués d'un centime. Les Ministres du roi ont eu assez d'esprit pour sentir que la culture du bon sens était dans la monarchie absolue une conspiration perpétuelle.

Cependant la liberté de la presse dans


un état voisin et le passage des Anglais inquiétaient. On n'a donc pas osé supprimer l'université. Mais on a réduit à quinze cents francs d'appointement des professeurs qui en avaient quatre mille sous Napoléon et qui n'ont pu acquérir la science qu'ils enseignent que par dix ans d'études. On a fait Fétourdene de nommer cesprofesseursàdaterdu8octobrel814. Puis on s'est aperçu que les cours ne commençaient que le 1er novembre. Pour épargner des appointements de 125 francs par mois on a biffé l'ordonnance et on en a fait une nouvelle datée du ler novembre. Ensuite on a fait payer à de pauvres diables de savants enrichis par des appointements de cent vingt-cinq francs par mois leur brevet en parchemin signé par le roi cent quatre-vingts francs.

Cette forme d'université a été ouverte par un discours. Mais le ministre a envoyé dire à l'orateur qu'il eût à ne pas nommer Alfieri.

Or, les deux seuls artistes que le pays ait produits depuis un siècle sont Alfieri et Bodoni.

Ajouterai-je qu'un juge homme d'esprit m'a assuré qu'au 10 février 1815 le nombre des assassinats commis depuis le retour du père du peuple égalait la somme des assassinats commis pendant


les quatorze ans qu'a duré le despotisme du tyran ? Il y a huit jours qu'un officier a tiré un coup de pistolet au portier d'un homme riche fort en crédit. Comme l'officier était noble, il passa pour fou, on l'a renvoyé passer quelques mois chez son père.

Avant-hier un de ces jeunes gens qui portent des épaulettes a insulté un bourgeois qui lui a donné vingt soufflets et a fini par lui prendre son épée et le fustigea avec cet instrument de l'honneur. Le jeune homme a fait mettre son adversaire en prison oit il est pour longtemps1.

Remarquez que le père du peuple est un brave homme nullement remarquable en mal. Il a rapporté de l'école du malheur si importante sous la plume éloquente de M. de Chateaubriand, l'habitude de siffler des marches et le désir que tous ses sujets qui ne sont pas militaires portent toujours l'habit noir et l'épée. 1. Ce qui ne m'a pas étonné, on m'a conduit a un beau théâtre où le premier rang des loges est réservé aux gens présentés à la Cour et les deux suivants à l'exclusion de tout bourgeois quelque riche qu'il soit.

Un ambassadeur me disait à ce sujet on disait de l'ancienne monarchie française que c'était un despotisme teir.r>éré par des chansons, on peut dire de ce gouvernement que c'est un despotisme tempéré par l'ineptie do ses ministres.


THÉATBE DE LA SOA1A

Milan, 20 mars 1816.

AI Signor Davide.

Il y une certaine Fleur d'esprit indis-

pensable dans un article Spectacle et qui tient en grande partie aux finesses de la langue dans laquelle on écrit. On présente ici au Sigaor Davide des idées nues à habiller avec le coloris de Bacelli.

C'est avec un vif plaisir que le puSJ blie de Milan a revu on Juan. Cette musique singulière a besoin d'être entendue plusieurs fois pour être comprise et nous la sentons bien mieux aujourd'hui qu'il y a un an, quand Galli faisait don Juan. Ce n'est pas que la voix de Bonoldi, puisse être comparée à la sienne. Mais la nature a décidé qu'un séducteur pour toucher le cœur des Dames doit avoir une voix de tenore. La figure de Bonoldi, beaucoup moins marquée que celle de Galli, a l'air plus jeune. Il est deux passages où on l'applaudit toujours, c'est quand de la fenêtre de son


casin il dit à Leporello en parlant des masques.

Faile passar avaati

Di che ci fanno onore

et la fameuse interrogation à la statue Verete a Gêna ?

Je ne parle pas de son duo

Là ci darem la mono

dont il se tire à merveille, mais dont il partage la gloire avec La Correa. La voix de cette belle Espagnole est toujours superbe, son jeu très bon dans le bouffe et si elle pouvait amincir sa taille elle serait parfaite.

Elle est pleine de feu et de gaîté, ce qu'on ne peut assurément pas dire de la Festa chargée du rôle de donna Anna. Et quelle énergie de passion ne faudrait-il pas pour donner de la vraisemblance et de l'effet à ce morceau sublime, quand les yeux noyés de pleurs et dans le délire de la douleur elle prend son amant pour l'assassin de son père. Comme un abassamenlo di voce ne lui permet pas de chanter ses airs, nous passerons à la Marcolini qui comme l'année dernière chante faux dans deux ou trois passages, mais qui du reste se donne je ne sais comment une voix plus forte et dans le tameux terzetto qu'on


chante en domino avant d'entrer au bal produit un fort bon effet. Mais ce terzetto fait vivement regretter Davide le fils qui l'an dernier faisait don Ottavio. En revanche votre Commandeur de cette année (Cavara) vaut beaucoup mieux que l'autre. J'ai vu plusieurs jolies femmes frémir lorsque du haut de son cheval de marbre il interrompt par des sons si terribles la conversation libertine de don Juan et de Leporello.

Je lui ferai observer seulement qu'au deuxième acte, lorsqu'il a remis son assassin don Juan aux mains des diables, il ne doit pas s'esquiver de la scène en courant, mais marcher d'un pas majestueux et indiquer un sentiment d'horreur. L'affectation tue l'illusion et avec l'illusion l'effet dramatique. Je conseille donc à Cavara de ne pas marcher d'une manière si forcée lorsqu'il se rend au souper de don Juan. Je ne vois pas où il a pris la nécessité de faire des pas énormes et ridicules.

Pacini fait rire. Peu lui importe par conséquent le sentiment de la critique. Sans quoi je lui dirais que dans le fameux trio où il invite la statue à souper ses gestes ne sont que des contorsions dignes des tréteaux, mais qui ne rendent nullement la ferreur. Le malheureux qui éprouve cette émotion ridicule, cherche en vain l'usage


de ses jambes. Plus il veut fuir avec rapidité, moins il a la force de le faire. Et de là naît son extrême angoisse. Il faut au contraire beaucoup de force et même d'agilité pour se bien tirer des grimaces de Pacini il n'a qu'un beau geste, c'est le frissonnement que lui cause la voix du Commandeur. Aussi le public l'applaudit-il chaque soir. (Ici des louanges.)

Si jamais il arrive que le rôle de Leporello soit chanté, le public découvrira un air délicieux. C'est celui qui exprime les diverses qualités que le connaisseur don Juan aime dans les femmes

Vuol d'estate la magrotta.

L'orchestre se tire mieux de la partition de don Juan que la première fois. Cependant il n'a pas encore le nerf et le brio qui rendent celui de Naples le premier orchestre du monde. Il joue toujours comme s'il accompagnait, mais lorsque l'on n'a pas la voix à ménager il faut enlever les ritournelles avec feu, et marquer ferme tous les détails d'orchestre qui chez Mozart ajoutent tellement à l'expression des paroles. Je puis me tromper, mais en général l'expression me paraît molle et souvent indécise. Au reste la musique de Mozart est tellement difficile que l'indulgence


n'est ici que de la justice. (Ici des louanges.) La décoration de l'enfer est bien mauvaise. On y a réuni trois manières d'imiter la flamme les tourniquets verticaux et luisants, la flamme peinte et enfin la flamme réelle qui illumine le ridicule des deux autres manières d'imiter, tout cela est contre les premières règles du goût. Cela est aussi sensé que si Canova pour augmenter l'effet de ses statues leur donnait la couleur de chair. Il faut connaître les limites des arts et ne jamais confondre deux manières d'imiter. Nos décorateurs savent trop qu'ils sont les premiers du monde, mais il faut leur apprendre que le théâtre de la Scala ne l'emporte sur tous les autres que par les scènes d'architecture. Les arbres sont toujours mal faits et du vert le plus faux du monde. Cependant 'les forêts sont absolument nécessaires pour reposer l'œil du brillant de l'architecture. (Ici des louanges.)

La première scène qui est vieille a donné lieu à une bévue bien ridicule. Elle doit représenter un effet de nuit, la rampe est baissée quand la pièce commence, ce qui n'empêche pas que l'ombre des colonnes ne soit marquée par le soleil. En revanche le tombeau du Commandeur est superbe, c'est-à-dire parfaitement dans le caractère de la situation. Le tail-


leur de la Scala mérite un éloge pour la manière dont il a su rendre l'ombre de la lune sur l'habit du Commandeur. Le moment du bal est un peu froid. Il faudrait que les danseurs fussent plus près de la rampe et qu'il y eût au moins deux ou trois menuets à la fois. Car il est absolument nécessaire qu'ils puissent cacher à l'œil du pauvre Marzetto, les faits et gestes de sa future épouse.

Je me suis appesanti sur quelques petites inconvenances parce que, à cela près, le spectacle est superbe. L'ensemble est tel que plusieurs étrangers, faits pour s'y connaître, ont assuré que jamais sur aucun théâtre don Juan n'avait été mis avec plus de magnificence et n'avait produit autant d'effet. La satisfaction du public augmente à chaque soirée. Peutêtre la remise de don Juan moins d'un an après qu'on l'avait vu pour la première fois, chose inouïe – sera-t-elle l'époque d'une révolution fort à désirer.

Le public consentira qu'on lui fasse revoir les chefs-d'œuvre des Buranello, des Mozart, des Cimarosa, des Paisiello, joués à l'étranger ou, il y a trente ou quarante ans, lorsque la plupart des spectateurs actuels n'étaient pas nés. Les Nemici generosi de Cimarosa par exemple valent un peu mieux que les Usi della Cita et sont


tout aussi nouveaux. Le peu de succès de la Secchia rapita ne prouve rien. La musique était un centon maladroit et les chanteurs avaient à-lutter contre de trop grands souvenirs.

On nous fait espérer la Flûte enchantée. Je ne sais si elle réussira. C'est une musique faite pour un petit théâtre et toute pleine d'effets de miniature. Ce dont je suis sûr c'est que ce chef-d'œuvre plaira beaucoup plus au bout de quinze jours que la première soirée. Cette musique est pleine de détails délicieux qu'il faut saisir.

Quelle que soit la réussite de la Flûte enchantée je suis sûr que la Clémence de Titus ou Idoménée enlèveraient tous les coeurs. Nous pouvons tout attendre d'une administration active et pleine de goût. Espérons qu'après les chefs-d'œuvre de Mozart elle osera nous faire jouir de ceux des Cimarosa et des Sachini.

(Tout ceci est d'un hypercritique insérer de justes louanges pour Mme Festa, Pacini, RoIIa, etc., etc., etc.1.)

1. Au verso de ces pages Beyle a laissé cette indication Traduit du Speettàeiif, 81 mars 1816. » N. D. L. E.


8 août 1818.

NOUVELLE ORGANISATION DE LA SCALA Depuis 1814 on donne assez souvent de mauvais spectacles à la Scala JLF c'est que l'entreprise n'a presque pas d'intérêt à en donner de bons. Cette entreprise est composée de huit ou dix riches voluptueux qui avant 1796 perdaient chacun huit ou dix mille francs chaque année. On dit qu'aujourd'hui ils ne perdent plus. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'ils ont le droit exclusif et très exclusif de se trouver dans les coulisses au milieu d'un sérail et d'un sérail le plus agréable de tous parce que d'après les usages] d'Italie il se renouvelle presque entièrement à chaque saison. D'ailleurs les sultanes joignent souvent le charme du caprice à celui de la beauté. La charmante danseuse Maria Conti faisait donner au diable le prince B., gouverneur général du Piémont, qu'elle trouvait moins aimable qu'un jeune garde d'honneur. Loin de mer le garde d'honneur elle parlait souvent de lui au prince et le menaçait de ne jamais le revoir si le garde d'honneur recevait le moindre dommage. On


sent bien qu'un Prince surtout doit devenir fou pour une femme aimable qui a ce degré de franchise.

Il y a un mois que la Fabri s'est moquée du Prince. le directeur des spectacles de Palerme, elle lui a dit qu'elle ne le trouvait point aimable et qu'ils n'auraient jamais rien de commun le Prince a eu la tyrannie de la tenir huit jours en prison, mais elle en est sortie triomphante et vierge.

L'entreprise du théâtre de la Scala est ordinairement donnée pour quatre ans ̃ avant la Révolution c'étaient des nobles qui l'avaient et ils prélevaient toujours mille sequins chacun. Depuis le jour des négociants qui quelquefois gagnent et qui considèrent le théâtre davantage comme une spéculation, on va au spectacle par habitude, dans le court intervalle de quatre ans cette habitude ne peut recevoir des atteintes bien sensibles à la bourse des entrepreneurs. Des gens qui perdront 10.000 francs par an pour leurs plaisirs se moquent assez d'en perdre douze ou quinze mille.

C'est au Public à rendre le métier plus difficile. Or public n'est représenté pour le théâtre comme pour le reste que par le souverain, etc. etc. etc. Vous voyez que tout doit aller à la diable. Le public a


crié comme un aigle en 1818 où l'on a eu de suite cinq opéras exécrables, les entrepreneurs ont répondu que c'étaient les ballets qui amenaient les billets.

Leur grande sécurité vient des deux cent mille francs que donne le gouvernement. Voici les changements proposés au dit gouvernement par un amateur politique II faut prendre l'état des billets qui se sont distribués chaque jour de spectacle, durant l'année 1818, et diviser entre le nombre de ces billets une somme de cent mille francs. A l'avenir on payera l'entreprise à la fin du mois suivant le nombre des billets distribués chaque soir. Comme les abonnements sont l'effet de l'habitude et des arrangements de société, là il faut cinq ou six ans de mauvais spectacles pour les faire tomber.

Les cent mille francs disponibles seront distribués chaque mois et par douzième à l'entreprise par le Gouvernement et d'après l'avis d'une commission.

Cette commission directrice des spectacles de Milan sera composée comme à Londres de dix gens de lettres artistes ou amateurs distingués. En 1819 par exemple, MM. Monti, Pallazi,Longlii,ErmésVisconti, Rolla, Litton, etc., seraient priés d'en faire partie. Aucun opéra, aucun ballet ne pourra être donné à la Scala si le spectacle


projeté ne réunit au moins sept voix sur dix. Aucun sujet ne pourra être engagé s'il ne réunit pas la même majorité. Il serait encore mieux que le gouvernement fût assez libéral pour permettre l'élection annuelle de cette commission par les deux cents propriétaires ou locataires des loges, l'époque de l'élection serait à Pâques, mais c'est ce qu'on ne peut pas espérer. Le vingt de chaque mois la commission décidera de la somme à laquelle l'entreprise a droit, elle écrira en conséquence au gouvernement. S'il y a des économies à la fin de l'année, on fera venir une danseuse de Paris. Car le ballet à la Vigano,ou la tragédie mimique, fait trop négliger la danse proprement dite qui en 1818 a été au-dessous du médiocre

Tous les ans la commission fera à S. M. l'Empereur un rapport détaillé sur les spectacles et ce rapport sera imprimé dans la Gazelle de Milan.

La même Gazelle imprimera chaque mois le nombre des billets distribués et recevra l'ordre d'être moins louangeuse dans ses critiques.

I. En marge, Stendhal a noté » Donner un opéra neuf avant dix jours toutes les fois qu'à la troisième il n'y a pas. billets, n'amènera pas dans ies trois premières représentations deux mille billets. N. D. L. E.


L'ITALIE EN 1818 1

Maxime Pas d'odieux et de politique.

Cet ouvrage délasse.

Bome, 15 septembre 1818. Je prends la plume pour la première fois. L Ce que je craignais au mois de juillet 1817 n'a pas manqué d'arriver. Mon voyage en Italie, ou ma folie, comme disent mes amis, m'a jeté dans une suite de contrariétés et de dégoûts dont la source est irréparable. Mes chefs me croient l'impertinence de vouloir être plus heureux qu'eux. Ce jeune homme prétend trouver le bonheur dans lui-même, et qu'une entière liberté avec une petite rente vaut mieux qu'une place et trois cordons. Nous lui ferons bien voir.

J'étais donc, il y a six semaines, à mille lieues de l'Italie et du bonheur quand la meilleure tête de mes chefs, car c'est celui qui m'accuse avec le plus d'acharnement d'en avoir une mauvaise, s'est figuré qu'il avait mal à la poitrine II faut m'envoyer en Italie. Mais nous serons assas1. Ce fragment a été écrit le 2 septembre 1818, et porte a note Lettre de Besançon du 12 août 1818. » N. D. L. E.


sinés dans ce pays de brigands. D'ailleurs nous ne savons pas la langue, ni les usages il n'y a que M. de S.

A cette belle proposition je me suis rappelé l'anecdote de Collin qui persuadé qu'un grand seigneur nous fait toujours assez de bien quand il ne nous fait pas de mal, et convié par le duc d'Orléans de lui lire ses comédies, ne voulut paraître chez le prince qu'autant que celui-ci lui ferait avoir un intérêt dans les finances. Et il évita ainsi le ridicule d'être la dupe d'une Altesse.

J'ai payé la mienne de respect et de froideur, tout à coup transporté d'amour pour le séjour de Berlin. L'on en est venu à me solliciter, j'ai fait mon marché et par écrit, et certes il est avantageux. Après le voyage, s'il n'y a pas guerre, j'ai ma liberté pour dix-huit mois.

Mais j'éprouve déjà le triste effet de l'absence de cette source de tout bonheur. L'Italie n'est plus pour moi tout ce qu'elle était il y a deux ans. D'ailleurs forcé de voir les grands seigneurs des pays où nous passons, je suis en mauvaise compagnie. Avec toute l'insipidité et tout le manque d'idées de nos seigneurs, ils sont bien loin d'en voir la politesse exquise et les manières aimables. Leurs prétentions grossières et marquées donnent l'idée d'Arlequin


devenu prince. Quelques-uns se font libéraux, c'est la pire espèce. La liberté n'a pas d'ennemis plus vénéneux. Ils trahiront toujours leur parti pour une petite croix.


3 septembre 1818.

Le ton mouton du présent siècle me fait toujours admirer davantage la force de caractère dont eurent besoin ces grands peintres Les Carrache. « Le penchant de tous les esprits médiocres, dit le seul Italien qui ait eu de l'esprit français, l'abbé Galiani, le penchant des esprits médiocres est de briller par le ton et le jargon du siècle. Il faut avoir un grand fonds de caractère dans l'âme pour mépriser une gloire et un applaudissement infaillible aussitôt qu'on prend la couleur (le ton) à la mode.» Débats du 20 août 1818.

Alhées

Au xive siècle l'Italie républicaine et féroce donnait des âmes fortes à ses citoyens, il y avait beaucoup d'athées Les petits despotismes du xvie siècle ont amoindri les âmes et l'athéisme a disparu. Depuis cinquante ans les progrès des lumières


ont amené le genre de considération auquel le génie étonnant du xve siècle s'était élancé et je connais dix-sept curés athées dans le Frioul. L'esprit d'Helvétius serpente dans les états de Venise.

The last fait said by.

the confid. of D[omini]q\ie.

Si Alfieri eût appris et comme à dixhuit ans tout le fatras classique, l'expérience de la vie lui eût révélé qu'on n'exerce pas le souverain pouvoir à Paris en 1800 comme à Athènes du temps de Pisistrate. A trente-six ans il eût mis Sophocle et Euripide leur place. Il eût été le peintre de son siècle, comme le Dante l'a été du sien, et il aurait été cité comme le Dante trois cents ans après sa mort. Etudiant au contraire le fatras littéraire à trente ans, au lieu de se lancer dans la mêlée du monde et de l'expérience il estima trop ce qui lui coûtait tant de peine.

Le naturel se voit partout. La bonhomie ne se trouve guère au midi du Pô. Tout cela est caché par la méfiance. Ce qui


n'empêche pas que les habitants de ce peuple au milieu desquels plonge le voyageur ne soient extrêmement favorables au bonheur.

La conversation ici n'est pas un jeu. On ne chasse aucun plaisir de vanité. C'est un avis bref et timide que se donnent deux malheureux poursuivis par des espions et fuyant par un chemin bordé de précipices.

x

4 septembre 1818.

Coni, le.

Nous n'avons passé qu'une nuit à Coni, ville qui passe pour la Béotie du Piémont. Il y a huit jours que la police qui ici se mêle de tout, même des procès entre particuliers, fit défense à un jeune homme de mettre les pieds dans la maison d'un riche particulier du pays dont la femme était sa maîtresse. La porte était soigneusement fermée le soir, le jeune homme s'aidant d'une grille monte par dehors jusqu'au balcon de la salle où se trouvaient les deux époux, attaché à son balcon, et dit au mari « Pedrin, ti t'as


ottnuu, mi to chreu pi nenn toa fomna ma ti t'la fotras pi nenn, e guai a ti s'mi seu ch'chiell at tocca. »

b

Les anecdotes que je transcris dans mon journal sont vraies pour moi et mes amis, et les circonstances recueillies avec la plus religieuse exactitude quant au public il m'est indifférent qu'il les prenne pour des apologues. Tous les noms propres d'hommes et de villes sont changés avec le plus grand soin.

t

x

Parc de Monza

On vient de couper pour trente-six mille francs de bois dans ce jardin anglais, chef-d'œuvre de la grandeur de Napoléon. Le prince Eugène avait donné à ce jardin dix milles de tour et l'avait entouré d'une belle muraille de quinze pieds de haut. Ces trente-six mille francs sont bien impolitiques. Ces beaux arbres couchés par terre ont fait saigner les cœurs italiens. (Vu and said by Métil[dej.)


x

Pour la Langue

Les écrivains d'Italie semblent n'avoir jamais lu Voltaire chaque chose a des noms différents qui la peignent sous divers aspects et qui donnent d'elle des idées fort différentes, ditce grand homme l. Les mots de religieux et de moine, de magistrat et de robin, de citoyen et de bourgeois, ne signifient pas la même chose. La consommation du mariage et tout ce qui sert à ce grand œuvre sera différemment exprimé par le curé, par le mari, par le médecin et par un jeune homme amoureux. Le mot dont celui-ci se servira réveillera l'image du plaisir, les termes du médecin ne présenteront que des figures anatomiques le mari fera entendre avec audace ce que le jeune indiscret aura dit avec audace, et le curé tâchera de donner l'idée d'un sacrement. Les mots ne sont donc pas indifférents et il n'y a point de synonymes.

x

La noblesse en Angleterre a un goût romantique, c'est-à-dire tiré de ses intérêts I. Voltaire, t. 7, 1™ partie, p. 65.


actuels, lorsqu'elle fait donner une façade gothique à ses châteaux. C'est dans le moyen-âge qu'il valait la peine d'être noble lorsque bien couvert de fer on pouvait piller les vils marchands, et sans danger. D[omini]que.

6 9

Epigraphe

Dans Galeolli J.l1antredi, tragédie de Monti, un adroit coquin nommé Zambrino voulant porter à un assassinat un jeune homme plein d'honneur et tout de feu lui fait ce tableau véritable de l'Italie au moyen-âge.

Epigraphe

Vois la guerre et les conjurations mettre en feu l'Italie, vois notre patrie déchirée par autant de tyrans qu'elle a de villes, et jamais aucun d'eux ne conserver le sceptre une seule année. Tel fut soldat hier qu'aujourd'hui il nous faut redouter comme le maître de la République. Tel monte au


rang de Sforze et des Médieis que noue vîmes naguère un vil paysan à peine suivi de quelques cavaliers.


84 PAGES D'ITALIE


Par exemple la Lombardie était encore pervertie par les institutions de l'exécrable Philippe II. Les pratiques superstitieuses, les préjugés domestiques, une arrogante pédanterie y étouffaient encore les génies dont la nature fut toujours libérale envers la belle Italie. L'imitation mécanique des phrases de Cicéron s'y appelait et s'y appelle éloquence. Les disputes scolastiques s'y appelaient logique. L'indigeste rapsodie des opinions des légistes s'y appelait la science des lois. L'homme qui avec le moins d'idée avait le plus de mémoire passait pour le plus savant. On ignorait jusqu'aux découvertes en histoire naturelle, science dont la Lombardie était destinée à reculer les bornes par ses Volta, ses. 2 et ses Brochi.

A cette époque le gouvernement autrichien sans protéger les études commença à être tolérant, et cette bienheureuse inertie suffît, tant le génie italien est fait pour les grandes choses, suffit, dis-je, pour qu'une foule d'hommes illustres se développassent à l'instant,.

Vers 1760 la maison d'Autriche ordonna à Milan à une abbaye de Citeaux 1. J'emprunte les paroles de M. Pietro Castodi, l'un des philosophes les plus judicieux qui honorent en ce moment la ville de Milan.

2. En blanc dans le manuscrit. N. D. L. E.


énormément riche d'établir une imprimerie. Une imprimerie s'écrieront certaines gens, ce monstre que nous donnerions tout au monde pour extirper i oui, Messieurs, une imprimerie, et de plus d'ouvrir une école pour expliquer la diplomatique, c'est-à-dire les anciens monuments écrits de l'histoire de l'Italie. Et, comme il arrivera toujours, il se trouva parmi les religieux un homme de mérite pour remplir le vœu du gouverneur. C'est le Père Fumagalli, de Milan, que le comte de Firmian, gouverneur du pays, fut obligé de défendre contre les vrais catholiques 1. Le comte de Firmian, ami de Métastase et de plusieurs philosophes français, fut fait ambassadeur à Naples et à Rome par le célèbre prince de Kaunitz. En 1759 on l'envoya à Milan comme administrateur de la Lombardie. Il fut à peu près roi de ce pays jusqu'au 20 juin 1782, jour de sa mort. Ce fut un homme libéral par le cœur sans être un grand génie, un vrai roi constitutionnel. II se ruinait pour former une belle bibliothèque et une galerie de s tableaux. Il ne comprit qu'à moitié le grand principe 1. Un catholique s'il est conséquent est nécessairement du parti de l'inauiîition et de l'intolérance, la tollranct est un mot infâme. Pour quelques douceurs dans cette courte vie vous privez les malheureux pécheurs d'un bonheur éternel dans l'autre. Si je croyais au catholicisme, demain je me ferais martyr.


qu'on ne peut réformer un état que par l'éducation. La sienne s'était achevée à Paris, il aurait dû trouver un prétexte pour y envoyer cent jeunes gentilshommes de douze ans. II eut les défauts des âmes faibles et cependant la Lombardie doit le bénir à jamais, ainsi que son maître Joseph II. Ces deux hommes médiocres ont la gloire d'avoir rendu le catholicisme plus raisonnable en Lombardie qu'il ne l'est dans le reste de l'Italie. Ils supprimèrent beaucoup de couvents, mais ils permirent aux moines de piller leurs maisons avant que d'en sortir, et l'on cite encore des dames dont les diamants viennent de quelque madone. Joseph II et le comte de Firmian ôtèrent aux nobles leurs privilèges comme ordre. Tout ce bien là se fit lentement, timidement, et par des voies détournées. Mais il se fit. Pourquoi ces deux hommes ne mirent-ils pas les deux chambres à Milan ? D'abord l'art du gouvernement représentatif n'était pas encore inventé, et en second lieu l'eût-il été, ces deux hommes n'étaient pas assez amis de l'humanité pour l'adopter. Ils voulaient bien exercer honnêtement pour l'avantage des hommes leur autorité absolue, mais ils voulaient la conserver sans songer que Marc-Aurèle eut pour successeur Commode. Ils auraient dû au moins


donner une constitution aux approcnes de leur mort et réunir ainsi les avantages du vice et les honneurs de la vertu. Le comte de Firmian fut secondé par deux milanais célèbres le marquis Beccaria et le comte Verri. La guerre n'était point encore déclarée entre les peuples et les nobles, ceux-ci agirent dans le sens le plus libéral, et ce qui prouve qu'ilsméritent la reconnaissance des nations, c'est qu'ils sont insultés dans cette rapsodie digne du xv« siècle qu'on appelle la Biographie Michaud1. Beccaria secoua le joug d'une éducation fanatique. [Il] imprimait en 1761 « A Milan sur une population de cent vingt mille âmes on trouve à peine vingt personnes qui aiment à s'instruire et qui sacrifient à la vérité et à la vertu. » Il donna en 1764 Les Délits el les Peines. Cet ouvrage si fameux, le précurseur de nos Codes, fut fait en deux mois. Mais l'auteur se garda bien d'v mettre son nom. La société de Berne décerna une médaille à l'auteur inconnu en l'invitant à se faire connaître. Aujourd'hui je ne lui conseillerais pas de coucher à Berne 2.

1 Volume 4, p. 15. Tout mort qu'est l'auteur, il effraie encore ies aristocrates. Un privilégié croit devoir 1 attaquer à Paris, et aux lieux où il fut écrit la police en prohibe la vent.e.

2. Voyez ce qui est arrivé à M. TMbaudeau et les écrits de M. de Haller.


Les lettres de Beccaria sont curieuses et aimables. Il y raconte comme quoi il fut obscur exprès. J'ai toujours sous les yeux l'exemple récent de Gianone, et ceux de Galilée et de Machiavel.

Beccaria fut le premier Italien qui appela le jury dans chaque procès criminel sous le nom d'assesseurs donnés aux juges par le sort.

Beccaria, respecté de l'Europe entière, vit les bigots du pays se réunir pour le perdre. Un moine nommé Fachinei et digne de son nom aurait bien voulu le faire mettre en prison. Le comte Firmian au lieu de seconder ce digne prêtre créa une chaire d'économie publique pour le jeune philosophe. Mais il adorait sa femme, il ne voulut pas troubler son repos et il brisa cette plume qui promettait tant de gloire à sa patrie. Il avait osé dire que l'esprit de famille est toujours en opposition avec l'utilité publique. Il connaissait bien son pays celui qui a souhaité qu'une jeunesse vigoureuse fût affranchie de la souveraineté des chefs de famille et livrée à elle-même sur le théâtre politique. Il osait dire que la morale, la politique, les beaux arts dérivent tous d'une science unique la connaissance de l'homme. Une chose curieuse et qui marque bien la connaissance des temps, c'est une lettre que le comte de


Firmian écrivait le 27 avril 1767 en demandant des renseignements sur le jeune philosophe. Elle semble dictée par Fox. Il y a loin de là aux correspondances tenues par les polices actuelles au sujet des prétendus libéraux qui ont la témérité d'écrire. Il eut la gloire de proposer en 1780 de tirer des mesures célestes le système métrique et la ville de Milan a la gloire d'avoir vu naître l'idée d'une des plus utiles institutions de notre glorieuse révolution. Beccaria dit à ses compatriotes que la véritable éloquence n'a pas d'autre source que la précision et le nombre des idées. Jamais leçon ne fut plus perdue. Beccaria et les frères Verti firent l'ouvrage le plus utile à leur patrie un journal intitulé Le Coffï, qui sans effrayer la mollesse et la paresse donnaitdesidées nouvellesetclajres. Ce journal, qui aujourd'hui conduirait bien certainement les auteurs en prison, jeta Beccaria dans les grandes charges de l'administration de son pays. Il fut vinet-cinq ans de suite le conseiller d'état le plus occupé et le plus occupé de grandes choses. Beccaria n'eut pas la consolation de voir renaître cette patrie qu'il avait tant aimée. Il finit en 1793, trois ans avant l'entrée de Bonaparte à Milan. Ce grand homme ne savait pas l'orthographe. Le roi de Naples lorsqu'il était à Milan se


présenta deux fois chez lui pour le voir, il ne fut pas admis. Ainsi que Hobbes il avait peur dès qu'il se trouvait seul.

L'autre homme illustre qui fut en Italie le précurseur de Napoléon fut le comte Pietro Verri. En 1765 Kaunitz, le Colbert de l'Autriche, le fit conseiller au suprême conseil de l'Economie publique. En 1772 il en fut vice-président et président en 1780. En 1783 il fut conseiller intime et eut le cordon de Saint-Etienne. L'extrême franchise de son caractère, l'ardeur avec laquelle il démasquait l'hypocrisie le firent disgracier en 1786. Dix ans après il fut un des premiers hommes employés par Bonaparte. Mais s'il eut le bonheur de voir la résurrection de son pays, il ne put en jouir. Il cessa de vivre un an après' ` 1 entrée des Français, le 28 juin 1797, à soixante-neuf ans.

En 1777 Marie-Thérèse avait institué à Milan une société d'agriculture Verri en fut le président. Sa grande action est d'avoir délivré sa patrie du joug des fermiers généraux pour les impôts. II faut réfléchir un instant et l'on concevra quel patriotisme, quel courage et quelle probité il fallut à Verri pour faire supprimer des gens qui chaque année gagnaient un demi-million chacun, et qui en rendaient quelque chose à tous les ministres. Dans une


grande occasion, il osa résister seul au comte de Firmian et à tout le conseil. Il raisonnait comme Socrate et savait exposer ses raisonnements comme Lucien. Cette gaîté unie au courage désolait ses ennemis. Il a fait une Histoire de Milan qu'on dirait écrite par Fénelon. C'est un bon père qui explique tout à ses enfants, et qui tout simplement appelle les crimes par leur nom. Si l'on avait tout ce qu'il a écrit sur saint Charles, la réputation de ce grand homme en serait bien diminuée. On"y verrait qu'un des grands buts de saint Charles fut d'hébéter les peuples de la Lombardie et de remplacer les idées militaires et héroïques par les idées ascétiques. Ce saint rappelle notre grand Bossuet qui divinisait les massacres des Cévennes et les autres horreurs de Louis XIV. P. Verri fut obligé de faire beaucoup de retranchements à son manuscrit et il n'est Eas probable que sa famille les laisse publier. Il écrivait en français comme le prince de Ligne, courant toujours après l'esprit et le rencontrant quelquefois. Les manuscrits de P. Verri en italien et en français sont pleins de sentiments jacobins on y voit qu'il sentit vivement dans sa jeunesse, et avançant dans la vie il n'aima plus avec passion que sa patrie 1. J'ai 1. Les Nuits romaines sont un ouvrage à La Chateaubriand avec moins de fraîcheur dans les images. Du reste


lu avec attendrissement dans un de ces manuscrits ces phrases sur lui-même. Dans ses Pensées sur Vêlai politique du Milanais en 1790, parlant du comte Pallavicini, gouverneur avant Firmian «. Cet homme, né citoyen libre d'une patrie libre, n'eut pas l'âme assez élevée pour sentir le bonheurde sa naissance. La pitoyable vanité de commander le fit esclave et il aurait voulu à son exemple faire des esclaves de tous les milanais. Le comte Firmian lui succéda. Ce ministre nous tenait comprimés (depressi) par sa police invisible, et, toujours caché au fond d'une galerie de mauvais tableaux, ne savait que signer sans les lire les décrets que lui présentaient ses commis favoris. »

Ce qui précède est traduit, voici de son style français

« Quand nous sommes dans notre jeunesse nous ne voyons les hommes en place que dans un certain éloignement dès que nous sommes à l'âge de maturité nous y voyons des hommes que nous avons connus l'auteur italien comme le français n'est pas même à la hanteur de comprendre Montesquieu. Qu'est-il donc à l'égard de Tracy et de Bentham ? H

On dit que le comte Verri a voulu rendre Napoléon dans sa Vie d'Erostrate, et que malgré cette bonne intention sa famille s'oppose à la publication de ses oeuvres posthumes.


de plus près. Voilà pourquoi on s'imagine que le monde empire. »

« On n'a pas osé analyser la crainte, du moins nul homme que je sache ne s'en est occupé jusqu'à présent. Cependant je la crois la mère de tout ce qu'il y a de perfection dans l'homme. La crainte est le principe universel de toute association. L'amour de la liberté, l'ambition même, l'héroïsme peut-être sont des productions de la crainte. La crainte combinée des objets à venir donne la prévoyance, l'amour de la liberté, la valeur et l'héroïsme. » « Les chiens de village aboient au moindre bruit, tandis que les chiens des villes laissent rouler paisiblement les voitures jour et nuit. Voilà l'image des philosophes manqués aussi bien que des vrais philosophes. »


5 septembre 1818,

Brescia, le.

Jeunes gens ilaliens

/ufeLQUES-UNS vers les trente ans sen1 I tent le dégoût d'une extrême galan>g£ terie, mais ils se trouvent une paresse invincible. Ils ne manquent pas de génie, mais il les jette dans le malheur. Ils sont dégoûtés de ce qu'ils savent faire, et faute d'avoir le courage de lire vingt volumes ils ne peuvent parvenir à ce qu'ils voudraient être. L'Allemagne et la France vous ennuient avec des génies médiocres surcultivés, ici on est étonné d'une foule de génies bruts qui ignorent les premiers éléments des choses. Ils ne jouissent de leur énergie que dans la force de volonté et au besoin beaucoup de ces Alfieri seraient des Brutus. De là la foule des poètes, de là l'enthousiasme pour les ballets de Vigano que l'on comprend1.

1. For me qui leur rend intelligibles les tragédies de Sliatopeare.


Voyages

L'un des meilleurs voyages en Italie, du. moins le plus utile à l'étranger et le plus rempli de faits, est l'itinéraire que plusieurs milanais ont écrit sans prétention pour le libraire Vollandi. Je me sers de la dixième édition faite en 1818. Il y a moins de superlatifs que dans ce que les Italiens écrivent ordinairement sur leur patrie j'y voudrais plus de clarté, mais c'est là l'écueil éternel de l'Italien.

Ceux des voyages que j'aime le mieux sont ceux du président de Brosses en 1740, livre charmant, de Forsyth en 1802, le petit volume de Duclos en 1760 et celui d'Arthur Young en 1790. Il est amusant de voir les idées anciennes dans le voyage du spirituel Misson en 1680. Excepté deBrosses, les voyageurs ne se sont pas doutés des mœurs, des habitudes, des préjugés, des diverses manières de chercher le bonheur du peuple qu'ils tra versaient, ils n'ont vu que les murs.

Milan, le.

Manque étonnant de civilisation. Chose qui montre combien on lit peu dans cette ville. Il n'y a pas une échoppe littéraire


où l'on puisse lire les journaux. Ce qui se trouve à Florence, à Gènes, à Rome, à Naples même n'existe pas ici. Le gouvernement le permettrait, car à l'exception du Journal du Commerce et de la Minerve, il laisse venir les journaux dans les cafés. Les gens d'ici sont dévorés de curiosité, ils se disent sans cesse cos è de neuf ? Mais prendre la peine de lire sept à huit pages, impossible. Toute leur libéralité échoue contre cet écueil. Et cependant Milan est la première ville d'Italie si ce n'est pour la vivacité de l'esprit, du moins pour la culture morale.

Mœurs

Bologne, le.

J'ai trouvé ce soir chez le Cardinal Spina despote de ce pays, un espèce d'ambassadeur français, c'est-à-dire un ultra qui jetait feu et flamme contre les mœurs de la Lombardie. J'ai compris qu'en sa qualité d'ultra il avait été sifflé par les femmes qui sont toutes ultra-napoléonistes. Dès qu'on parle de mœurs, avant de rien, blâmer, on arrive à ,1a grande ques--


tion du mariage. Le sot a recours au catholicisme de trois sots, c'est commode, mais l'homme raisonnable est plus embarrassé. Qu'est-ce que penser en effet qu'un lien qui fait le malheur de la grande moitié des personnes qui y sont engagées ? Peu à peu l'influence de la religion cessant, les gens d'esprit ne se marieront plus à moins qu'ils ne soient très riches.

There l'Amour de Tracy.

Avarice

Je viens de faire une partie de Taroc avec un vieux marquis sec comme une momie, avare comme Harpagon et de plus borgne. Il vient d'avoir une maladie dangereuse à l'œil qui lui reste. Il sortit hier pour la première fois. M. B. lui disait « Quel malheur pour vous de perdre encore un œil, vous auriez donné la moitié de votre bien pour guérir. – Moi, réponditil d'un grand calme, je n'aurais pas donné cinq sequins. »

Il n'a qu'une passion c'est celle des doubles napoléons avec le millésime de 1802. Il donne huit sous par pièce à plusieurs marchands de la ville qui lui en font des collections. Il dit en les recevant- « Cela


fera un jour le bonheur de quelqu'un », et il court les enterrer. On suppose qu'il a sous terre deux cent mille francs.

Henri Hallam («n° 59 p. 140) View of fhe state of Europe during the middle ages. 2 vol. in-4°. Londres, 1818. A citer Erreur de Montesquieu, la meilleure histoire de la féodalité, le meilleur chapitre sur la constitution d'Angleterre. Excellent abrégé de l'histoire de France. 141. 1er chapitre du livre.


7 seplembre

chaleur accablante 21 degrés.

Eslime pour la force

Peut-être peut-on dire que plus la force physique est en estime (con-M- sidération) chez un peuple, moins il est civilisé. Si c'était là le thermomètre adopté, il serait peu favorable aux Italiens, ou plutôt il le serait infiniment. Comme peuple non civilisé, mais chez lequel l'énergie et la beauté des sentiments et la finesse de l'esprit corrige l'atrocité ou l'ineptie des lois civiles ou religieuses, il est admirable. Je suis convaincu que le peuple anglais, soumis aux circonstances qui depuis l'an 1530 empoisonnent l'Italie de toutes les manières et par tous les bouts, serait plus méprisable. Dès que l'extrême et excellente civilisation des Anglais laisse le moindre interstice, j'aperçois quelque chose (un fonds) de farouche et de cruel. Je vois en 1816 un jury de grands propriétaires condamner à mort une jeune et


charmante fille de seize ans pour avoir volé pour cinquante-deux sous de mousseline. J'ose dire que ce trait est impossible, même dans le royaume de Naples. On me répondra par la folie inhumaine des Français naufragés sur le radeau de la Méduse. Les Français ayant de l'eau jusqu'à la ceinture et ne mangeant pas depuis trois jours étaient fous, mais ces riches propriétaires anglais assis commodément sur leurs chaises sont l'opprobre de la civilisation.

To la the history of the force from Grojo.

To lake

Grâce à Voltaire, il n'existe plus en France de fanatisme religieux ou politique. Les prétendus royalistes ou catholiques de nos jours n'appartiennent à aucune croyance comme ils n'appartiennent à aucune opinion. On leur fait trop d'honneur en les associant à une doctrine quelconque. Ceux de la classe supérieure veulent du pouvoir, ceux des classes inférieures du pillage. Voyez la nole secrète de 1818, et les massacres de Nîmes.

B. CONSTANT.


-f.

Buste de Sénèque

ajouter.

C'est une copie assez froide faite du temps des Antonins d'après un excellent original du temps de Néron.

Bib. St. février 1817.

8 septembre 1818.

Proverbe

Triste comme un dimanche d'Angleterre. X. 480.

Naples. Lacrima Chrisli

Un Irlandais nous a dit qu'il souhaitait que le Christ eût pleuré en Irlande. Voilà de l'esprit anglais.

Les savants italiens sont diffus, verbeux, exagérant le mérite de leurs découvertes. Du moins c'est ce que j'ai trouvé dans Spalanzani et beaucoup d'autres. X.364.


Les livres anglais sur l'Italie comme le voyage d'Exeton et, VEdinburg Review (X, 365) sont écrits dans les principes de l'ultraïsme le plus amusant. On croit entendre nos missionnaires de 1818.

Depuis qu'il n'y a plus de castrats il n'y a plus de science musicale au théâtre. Ces pauvres diables devenaient de profonds musiciens par désespoir. Ils soutenaient toute une troupe dans les morceaux d'ensemble. Aujourd'hui les théâtres sont remplis de gens qui apprennent leurs rôles, comme nous apprenions une chanson dans notre enfance. Dès que la mesure (il tempo) est un peu difficile, elle va à tous les diables. En cela les Italiens sont bien loin des Allemands dont ta musique baroque et dure serait à faire sauter par la fenêtre s'ils n'étaient pas les premiers tempistes du monde 1.

1 L fmgment a été biffé d'un léger tralt de phtme. iN » 1- X?. H Xi> »^8mellt E. aUSé d'un léger trait de plume.


Florence.

Je remarque avec attendrissement dans le jardin demi-anglais de Boboli une jolie famille vêtue de noir, c'est madame la maréchale Ney et ses fils.

La conduite du maréchal ne fut pas celle d'un homme délicat, d'un courtisan de Louis XV, mais l'épouvantable événement de la mort du héros du Borysthène couvre tout, efface tout. Le marquis C. observe fort bien qu'il faut toujours en revenir au grand principe. Le cerveau de l'homme n'a qu'un nombre déterminé de cases, c'est parce qu'un grand homme est sublime dans un genre qu'il n'est sublime dans les autres. Discussion sur le caractère de divers maréchaux de France. Le marquis nous raconte qu'au milieu des horreurs de la place Louis XV, le soir du malheureux feu d'artifice qui annonça le règne de Louis XVI, on dit que le maréchal de Richelieu eût une telle peur qu'il s'élança hors de sa voiture et s'écriait d'une voix piteuse « Est-ce qu'on veut laisser périr un maréchal de France ? N'y a-t-U personne pour secourir un maréchal de France ? »

Ed[inburg] R[eview], 10 page 337.

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Many a private man might make a great King but, except Fréderick, where is the King that would make a great private man ? o

n° 10, 476. Thomson

Mémoires militaires, p. 457,

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Grossièreté italienne

Les Italiens sont loin d'être polis. Dans un salon ils poursuivent souvent avec rudesse l'exercice des plus petits avantages. Ici la politesse passe pour de la faiblesse. Beaucoup de voyageurs ont appelé cela de la grossièreté. J'en félicite les Italiens, c'est une bonne disposition. C'est un présent que le despotisme lègue a la liberté quand celle-ci n'a pas été précédée de l'avilissante monarchie à la Louis XV. L'exercice de la liberté est inséparable de quelque rudesse. La politesse et l'urbanité dans le peuple sont les signes certains de l'esclavage. Il n'y a rien de moins urbain que l'Américain dans les rues de Philadelphie. Où l'homme est libre l'homme est fier. En Italie dès que le tyran tourne la tête, le sujet redevient fier. Ces grands cœurs pleins d'ignorance


ne savent pas de quoi ils sont fiers, je le leur disais ce soir (je le leur dirai) Ils sont fiers de l'énergie de leurs passions1.

Pour la page.

Qui ne sait aujourd'hui que l'Allemagne malgré le lourd sommeil où la plongeaient sa féodalité et sa philosophie, se réveille un peu à la vue de la Révolution de 1789. Il fallait le canon d'Iéna pour la réveiller tout à fait. Elle regarda Napoléon, il pouvait lui donner les deux chambres, au lieu de cela il donna aux trente-huit princes qui se partagent aujourd'hui l'Allemagne un despotisme de droit au lieu du despotisme paternel qu'ils exerçaient depuis longtemps. L'exemple de Wurtemberg effraye l'Allemagne qui ne fut point rassurée par le bel exemple de la diète de Cassel refusant une loi à M. Molchos, ministre du roi Jérôme. L'Allemagne qui, longtemps, avait été sur le point d'adorer Napoléon ne vit en lui que le facteur du despotisme. Elle avait raison. Napoléon fut pour l'Allemagne exactement le contraire de ce qu'il fut pour l'Italie et de ce 1. Très bon et bien écrit, 23 juillet 1820,


qu'il voulut être pour l'Espagne 1. Une société secrète dont le centre était à Berlin sous le nom de Confédéralion de la Verlu. Elle voulait délivrer la patrie de la présence des Français et établir une constitution libérale. Des hommes à talent étaient à la tête du Tugenbond. L'Allemagne cite avec orgueil les noms des Stein, des Wineke, des Grune, des Dceraberg.

L'Allemagne d'abord maudissait et exécrait les Français, elle n'entendait que les satellites de Napoléon, que les soutiens du gros roi Frédéric de Wurtemberg. L'Allemagne s'aperçoit aujourd'hui avec étonnement qu'elle n'a vaincu que pour l'indépendance après avoir combattu aussi pour la liberté. Les nobles qui s'aperçoivent qu'en 18181a liberté vient de France, tâchent de répéter les injures et les exécrations que la nation lançait aux Français de 1812. Mais malgré le fond de sottise et d'obscurité que Kant a mis dans la tête des Allemands, il n'y a plus que les lourdauds de chaque ville qui haïssent les Français. L'immense majorité veut imiter les Français en tout excepté dans l'établissement des deux chambres. Les nobles 1. Comparez la Constitution de Bayonne fi l'état actuel, et admirez la bêtise des Porlier et des Lascy.


sont trop furieux contre le peuple pour que les Allemands admettent cette institution qui ne convient qu'à l'Angleterre. C'est ce qui a fait siffler les constitutions de Bavière. C'est un despotisme pur et véritable qui, de la Meuse à la Baltique, régit encore tant de peuples divers. Au milieu de tant de princes il n'y en a qu'un que l'opinion publique ait adopté, c'est le duc de.

Phrases to lake

Un de mes amis romains me disait « Vous parlez mal de nous. les Français nous veulent du mal. » Arrêtez. L'étranger n'est pas celui que sépare de nous le hasard d'une rivière ou d'une montagne. Mais celui dont les principes, les vœux et les sentiments sont en guerre avec vos principes, vos vœux et vos sentiments Ainsi M. de Chateaubriand estétrangerpour moi, et je suis plus le compatriote de M. Ras. que si la même cabane nous avait vu naître. Suis-je donc votre ennemi à vous avec lequel mille rapports m'unissent parce 1. En regard de cette phrase Beyle trace une accolade et écrit Epigraphe.


que je dis qu'il y a parmi vous mille cœurs comme celui de M. de Chateaubriand} pour une âme comme celle de M. Ras.

Les avocats du pouvoir subsistant ont coutume de caractériser leurs adversaires par l'excès possible des opinions qu'ils ont embrassées, etc.

x

Pour un Français, un homme est d'une ennuyeuse conversation quand il ne nous excite pas assez pour que vous ayez du plaisir à lancer la bombe, et une vive jouissance de vanité à la bien parer 1.

au palais Quirinal. Napoléon lui avait demandé l'Entrée d'Alexandre dans Babylone~. Cela est presque aussi beau que l'antique, mais cela est grossier et n'exprime rien de délicat ou de sublime. Ce qui n'em1. Vrai, novembre 1819. Vrai, avril 1820.

2. Le modèle en plâtre en fut exécuté en 1811-1812 pour la salle marbre se trouve dans la célèbre villa OarIotta, à. Premozzo, sur le lac Majeur. (Note due à l'obligeance de M. M. DoUot.) ««»<»u.uvar«


pêche pas que nous n'ayons grand besoin à Paris de l'Entrée d".4 Sandre. Elle est pleine de grandiose, c'est précisément ce qui manque à nos prétendus grands peintres. Voyez la colonne de la place Vendôme nos soldats ont fait de grandes actions, mais nos artistes n'ont pas su les rendre. Le public, s'accoutumant à ces belles formes, forcerait les artistes à les reproduire. Thorwaldsen exécute son bas-relief en marbre pour M. Sommariva. Peutêtre Canova se tirerait-il moins bien de ce genre secondaire, tout occupé à inventer une nouvelle beauté il a peut-être moins étudié le bas-relief antique.

Nos femmes de Paris seraient ravies du Sommeil, autre bas-relief.

La beauté antique était l'expression des vertus qui étaient utiles aux hommes du temps de Thésée. La beauté de Canova est l'expression des qualités qui nous sont agréables en 1818. Les Athéniens disaient à Thésée défendez-nous et soyez juste», et il leur rapportait la tête du Minotaure. La force qui était tout dans l'antiquité n'est presque plus rien dans nos civilisations modernes. Elle n'est nécessaire que dans les subalternes. Personne ne s'avise 1. A partir d'ici tout ce qui suit est Dlffé et Stendhal a écrit au travers 136. N. D. L. Ji.


de demander si Napoléon ou Frédéric savaient bien appliquer un coup de sabre. La force que nous admirons, c'est celle de Napoléon visitant l'hôpital de Jaffa, ou s'approchant en souriant du premier bataillon des troupes royales près de Vizille1. C'est la force de l'âme.

Nous ne disons pas à notre ami « Défendez-moi », mais « intéressez-moi » ou « amusez-moi ». Les qualités morales qu'il s'agit de rendre sensibles ne sont donc plus les mêmes. C'est ce que ne voient pas tous les nigauds qui copient l'antique, mais c'est ce qu'ont vu Michel-Ange, le sculpteur de l'inquisition, et Canova, le sculpteur du xixe siècle.

Les qualités, les vertus sont des habitudes de l'âme. Or, tout ce qui est habitude disparaît dans les moments passionnés, de là l'apparente froideur de la sculpture. Elle n'a pas les yeux, elle n'a que la forme des muscles pour rendre sensibles les habitudes de l'âme, donc il lui faut le nu. Donc la beauté n'est jamais que la saillie des qualités que nous désirons le plus trouver dans les autres a.

Je viens de me faire moquer de moi à 1. Hobbliouse.

2. Ici s'arrête le trait léger, encadrant l'indication 13G, que Beyle avait tracé sur sa copie et sur la redite de ces théories cent fois exprimées. N. D. 1. E.


fond en me laissant aller à expliquer cette théorie chez Thorwaldsen. Il n'y a que Mathilde qui m'ait compris.

(Ces deux pages pour 136.)

11 seplembre 1818.

Rossini

L'amour que sa musique exprime est à peine de l'amour d'opéra-buffa. Il y a une sensibilité douce, délicieuse et digne de Mozart dans le premier duo entre Desdemona et Emilia. Il y a vingt passages que Rossini seul peut trouver aujourd'hui et que j'aimerais mieux avoir faits que tous les opéras de MM. Paer et Spontini. L'ouverture est d'une fraîcheur étonnante, facile à comprendre et entraînante même pour les ignorants sans avoir rien de commun. Mais une musique pour Otello peut être tout cela et rester encore à cent piques au-dessous de ce qu'il faudrait. Il n'y a rien de trop profond dans tout Mozart et dans les Sepl paroles de Haydn pour un tel sujet. Il faut des sons horribles et toutes les richesses du genre en harmonique pour lago. Il me semble que Rossini ne sait pas sa langue au point


d'écrire de telles choses. D'ailleurs il est trop heureux et trop gai i.

Il n'y a point de honte en Italie à faire ce qui est raisonnable. Les tristes vicissitudes des trois pieds du despotisme espagnol lui ont appris à étouffer les répugnances. Ça n'empêche pas que je n'aie le cœur brisé. Je viens de trouver chez une de mes amies de l'année dernière une nouvelle femme de chambre qui m'a intéressé par sa beauté. On m'a répondu froidement « C'est la femme d'un capitaine du train de 1 artillerie. – Oh Dieu son mari est mort sans doute. Pas du tout. Il vient la prendre tous les soirs pour promener avec elle et sa petite fille. Et lui, que fait-il ? Il fait des embauchoirs de bottes qu'il ne trouve pas à vendre. »

En France, il me semble qu'on se tue plutôt que de tomber à ce degré de malheur. Et que deviendrait la petite fille si ces deux malheureux se tuaient ? Voilà notre faux point d'honneur monarchique qui, au reste, disparaît tous les jours. TV <Peîle, avait a»llté cette phrase qu'a a ensuite biffée Il faut des hommes de mélaneoUa sombre poar étee à Ia hauteur de co sujet..


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»

Rome.

Le poison est un moyen politique qui n'estpas hors d'usage ici. Le PèreTambroni passant au delà des Alpes comme défenseur des liberté de l'église lombarde fut, je crois, excommunié et vit à Rome. On tenta de l'empoisonner et il fut obligé do prendre des précautions.

12 septembre 1818.

En France, lorsqu'on écrit bien, c'est-àdire lorsque l'on donne à la vanité de ses lecteurs une partie des plaisirs d'une société choisie et l'occasion de louer, de juger, de montrer de l'esprit, on peut tout dire, le fond des pensées ne signifie plus rien. Voyez les ouvrages de Mme de Staël et de M. de Chateaubriand. Ces écrivains illustres ne pensent pas. Il y a plus d'idées dans. 1 que dans la Littérature de Mme de Staël par exemple. Mais personne ne fait attention au premier ouvrage, il n'est pas bien écrit. Si la France reste libre, la renommée de ces écrivains fera l'étonne1. Beyle a la!ssé_lci un blanc.


ment du xxe siècle. C'est qu'on sera moins vaniteux 1.

D[omini]que.

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13 septembre,

second diner wifch Kassera.

Je sors d'Agamemnon encore tout troublé de la facilité avec laquelle un scélérat habile peut porter au crime une âme honnête, mais passionnée. Le quatrième acte de cette tragédie suffirait seul pour mettre Alfieri au rang des Corneilles et des Racines. Mme Bazri a eut dans le rôle de Glytemnestre des moments d'une simplicité et d'un sublime bien au-dessus de la psalmodie du théâtre français. (13 septembre 1818:)

x

Que pouvons-nous voir dans ce parlement d'Angleterre, autrefois la tribune de l'Europe, mais qui vient d'envoyer à 1. Beyle ajoute en surcharge de cette page 12 septembre. Je tells ma phrase, je suis fâché de-n'v trouver que des mots propres et des sentiments Justes. Plus tard, en marge il ajoute « Bon. 28 avril 1820. N. D. L. E


l'unanimité le héros qui nous donna l'existence mourir à petit feu sur un rocher brûlé, qu'une réunion d'hommes aussi estimables que Castler[eagh],

– Oui, le jour des malheurs de l'Angleterre sera un jour de fête pour l'Italie. Elle assassine notre Père et veut avoir le profit de l'assassinat sans la honte.

Les Anglais

Pour achever de peindre les Anglais aux yeux des Italiens, le hasard a jeté parmi eux quelques officiers prisonniers dans les affreux pontons de l'Angleterre. Ces pontons seuls, disent les Italiens, suffisent pour déshonorer une nation. S'ils n'étaient le crime que du gouvernement, pourquoi chaque mois ne voyait-on pas éclore parmi les sensibles anglais une pétition contre les pontons. Puisqu'il vous faut de la vengeance, dis-je à mes amis, consolezvous, vous en aurez L'Angleterre, quoiqu'elle semble encore vivante, est désorganisée. Sa liberté a fini à Waterloo, son aristocratie s'est séparée du peuple, car pour défendre l'existence des lords il a fallu ôter au pauvre le pain sans lequel il


ne peut subsister 1. Une révolution gronde déjà sourdement en Angleterre, et comme les Anglais sont., à ce qu'ils nous disent, sensibles et humains, vous verrez de quelles horreurs les inventeurs des pontons vont épouvanter la terre.

Le poète2 est souvent inspiré par une sottise'.

13 septembre.

1 Le 15 septembre on m'écrit Depuis deux mois, 15.000 ouvriers de Manchester ont cessé de travailler parce qu'on refuse d'augmenter leur salaire. Ce salaire est cependant de quatre francs par jour, mais l'impôt enlève chaque jour à ces ouvriers deux francs cinauante centimes. Ils payent ces deux francs cinquante centimes pour avoir le plaisir d'avoir des Lords. Il n'est aucun d'eux qui ne dise Si nous avions le gouvernement de l'Amérique, chacun da nous gagnerait au moins deux francs par jour. Les ouvriers de Manchester paient les aliments, les vêtements, le logement 2 fr. 50 chaque jour de plus qu'ils ne coûteraient sans les impôts établis pour sauver l'Arlstrocatie et faire tomber Napoléon.

2, En surcharge Le compositeur.

Si En surcharge par une chose de rien.


LE YOYAGBUB ET LES FEMMES 1

Milan, 24 octobre 1817.

Dans la première édition de ce Jouri naî on n'a pas donné le portrait du -L~ voyageur. On craignait que parler de soi ne fût ridicule on me dit que dans la circonstance, il n'en est pas ainsi. Le grand mal de la vie, pour moi, c'est l'ennui. Ma tête est une lanterne magique je m'amuse avec les images, folles ou

1. Ce fragment a été écrit par Beyle le 13 septembre 1818. Il indique de le placer dans une nouvelle édition de Jiome, Xaples el Floren'e après l'architecture du dôme pour contraster ». n ajoute: Ces observations sont possibles après un mois de séjour. Colomb l'a inséré dans la Correspondance avec le chapeau suivant:

« A KOMAIN COLOMB, A ÎIOKIBEISON

Milan, le 4 septembre 1820.

Dans le petit volume dont ma générosité t'a gratiné l'année dernière, à Cubro, je n'ai pas donné le portrait du voyageur il me semblait que parier de soi était chose ridicule. Des amis m'affirment que, dans la circonstance, il n'en est pas ainsi. Donc la nouvelle édition comprendra le portrait dudit voyageur et quelques observations de son cru sur les femmes italiennes je veux te faire jouir de ce supplément par anticipation, s 3î. D. L. E.


tendres, que mon imagination me présente. Un quart d'heure après que je suis avec un sot, mon imagination ne me présente plus que des images ternes et ennuyeuses. L'Inconstant raconte que ce qui le charme dans les voyages, c'est qu'

on ne revoit jamais ce qu'on a déjà vu. Je suis inconstant d'une manière un peu moins rapide ce n'est qu'à la seconde ou troisième fois qu'un pays, qu'une musique, qu'un tableau me plaisent extrêmement. Ensuite, la musique, au bout de cent représentations, le tableau, après trente visites, la contrée, au cinquième ou sixième voyage, commencent à ne plus rien fournir à mon imagination et je m'ennuie.

On voit que mes bêtes d'aversion, c'est le vulgaire et l'affeclé. Je ne suis irrité que par deux choses le manque de liberté et le papisme, que je crois la source de tous les crimes.

Un être humain ne me paraît jamais que le résultat de ce que les lois ont mis sur sa tête, et le climat dans son cœur. Quand je suis arrêté par des voleurs ou qu'on me tire des coups de fusil, je me sens une grande colère contre le gouvernement et le curé de l'endroit. Quant au voleur, il


me plaît, quand il est énergique, car il m'amuse.

Comme j'ai passé quinze ans à Paris, ce qui m'est le plus indifférent au monde, c'est une jolie femme française. Et souvent mon aversion pour le vulgaire et l'affecté m'entraîne au delà de l'indifférence.

Si je rencontre une jeune femme française et que, par malheur, elle soit bien élevée, je me rappelle sur-le-champ la maison paternelle et l'éducation de mes soeurs, je prévois tous ses mouvements et jusqu'aux plus fugitives nuances de ses pensées. C'est ce qui fait que j'aime beaucoup la mauvaise compagnie, où il y a plus d'imprévu. Autant que je me connais, voilà la fibre sur laquelle les hommes et les choses d'Italie sont venus frapper. Qu'on juge de mes transports quand j'ai trouvé en Italie, sans qu'aucun voyageur m'en eût gâté le plaisir en m'avertissant, que c'était précisément dans la bonne compagnie qu'il y avait le plus d'imprévu. Ces gens singuliers ne sont arrêtés que par le manque de fortune et par l'impossible et s'il y a encore des préjugés, ce n'est que dans les basses classes.

Les femmes, en Italie, avec l'âme de feu que le ciel leur a donnée, reçoivent une éducation qui consiste dans la musique


et une quantité de momeries religieuses. Le point capital, c'est que, quelque péché qu'on fasse, en s'en confessant, il n'en reste pas de trace. Elles entrevoient la conduite de leur mère on les marie; elles se trouvent enfin délivrées du joug, et, [si elles sont jolies], de la jalousie de leur mère. Elles oublient, en un clin d'œil, toute la religion, et [considèrent] tout ce qu'on leur a dit comme des choses excellentes, mais bonnes pour des enfants.

Les femmes ne vivent pas ensemble la loge de chacune d'elles devient une petite Cour tout le monde veut obtenir un sourire de la reine de la société personne ne veut gâter l'avenir.

Quelque folie qu'elle dise, dix voix partent à la fois pour lui donner raison il n'y a de différence que par le plus ou moins d'esprit des courtisans. Il n'y a qu'un point sur lequel elle essuye des contradictions elle peut dire qu'il est nuit en plein midi mais si elle s'avise de dire que la musique de Paer vaut mieux que celle de Rossini, dix voix s'élèvent pour se moquer d'elle. Du reste, toutes les parties de campagne, tous les voyages 1. Rien de plus opposé que le christianisme de France et la superstition de Naples. Autant nos prêtres sont éclairés, vertueux, sincères, autant la conduite des autres est peu exemplaire. v


les plus bizarrement assortis, tous les caprices les plus fous qui lui passent par la tête, sont autant «Toracles pour sa cour. Dernièrement, une jolie et très jeune femme de Brescia a provoqué son amant en duel. Elle lui a écrit d'une écriture contrefaite c'était un officier, il s'est rendu sur le terrain il a trouvé un petit polisson avec deux moustaches postiches et deux pistolets, qui voulait absolument se battre. Ce trait, que je cite au hasard entre mille aussi forts, et qu'on ne peut imprimer, n'a fait aucun tort à la belle Marietta. Elle n'en a trouvé que plus d'amants empressés à lui faire oublier l'infidèle.

Vous voyez comment chaque femme ici il des manières à elle, des idées à elle, des discours à elle.

D'une loge à l'autre, vous trouvez un autre monde non seulement d'autres idées, mais une autre langue ce qui est une vérité reconnue dans l'une est une rêverie dans l'autre c'est comme être ambassadeur i la cour d'un prince jeune et militaire, ou à celle d'un vieux souverain prudent. (En 1810 les cours de Bade et de Dresde.)

Les événements {vicende) d'une vie orageuse, sous l'apparence de la tranquillité, forment bien vite le jugement des


dames italiennes il leur est permis de dire des sottises, mais non pas d'en faire chaque erreur est sévèrement punie par les événements chez nous, on trouve de l'agrément et puis de la niaiserie dès qu on entrevoit une ombre de péril c'est le contraire ici.

Les femmes italiennes ont du caractère contre tous les accidents de la vie, excepté contre la plaisanterie, qui leur semble toujours une atrocité. Jamais, dans le monde, un homme, pour plaire à son amie, ne persifle une autre femme, puisque jamais deux femmes ne sont ensemble qu en cérémonie. Par la même raison, jamais deux femmes ne se picotent. Cette horreur de la plaisanterie se trouve au même degré chez les hommes au moindre mot qui peut être une raillerie, vous les voyez changer de couleur. Vous voyez le mécanisme qui rend impossible ici l'esprit français l'Apennin se changera en plaine avant qu'il puisse s'introduire en Italie. La louange fine et délicate ne peut avoir de grâce qu'autant que la critique est permise comment le goût de la société pourrait-il nattre ici, puisque ce qui fait le charme de la société ne peut y exister ? Comment des indifférents, réunis dans un beau salon, bien chauffé et bien éclairé, peuvent-ils se donner du plaisir, si la plai-


santerie est interdite ? Les habitudes et les préjugés actuels des Italiens les forcent donc à passer leur vie en tête-à-tête.. Ajoutez encore que la politesse qui porte à préférer les autres à soi passe pour de la faiblesse dans un salon jugez de ce que c'est au café, au spectacle, dans les lieux publics. Un étranger est obligé de refaire son éducation et à tous moments se trouve trop poli s'il fait la moindre plaisanterie à son ami, l'autre croit qu'il ne l'aime plus. Chez les hommes, comme parmi les femmes, les caractères se déploient en toute liberté il y a. plus de génies et plus de sots. Les bêtes le sont à un point incroyable et à tout moment vous surprennent par des traits à faire constater par témoins, si l'on veut les conter. Un de mes amis, il y a huit jours, était allé rendre visite à une très nouvelle connaissance et à une heure très indue. Le mari était à deux lieues de là, dans sa terre, à tirer le pistolet avec des amis la pluie survient et ennuyés de leur soirée, ils rentrent à Brescia. Le mari, très jaloux de son naturel, va droit à la chambre de sa femme, ses pistolets à la main. Etonné de la porte fermée, il frappe. La femme dit à son amant en riant et en chantant « Ah voilà mon mari Ah voilà mon mari » et elle court lui ouvrir, l'embrasse


et lui dit « Sais-tu ? Colonna est là. Et où est-il ? Dans le petit cabinet à côté de mon lit. » À ces mots, l'amant ne voulant pas se laisser bloquer dans le cabinet, sort assez mal en ordre. Qu'on se figure la mine de ces deux hommes, le mari violent et les pistolets chargés à la main, l'amant déconfit Tout se passa en plaisanterie, un peu forcée, je m'imagine. Comme l'amant s'en allait, et, à sa grande joie, se trouvait déjà dans l'antichambre, le mari le rappelle d'un air fort sérieux l'autre traverse tous ces grands salons sombres, éclairés chacun par une seule bougie. Le mari le rappelait pour lui faire cadeau d'un fort beau bassin de gibier que son garde-chasse venait de lui apporter à la campagne. Voulait-il se moquer de lui ? C'est ce que nous n'avons pas pu encore deviner. Mais voilà ce que j'appelle une idiote charmante qu'on juge des femmes d'esprit

Ici les moyens de plaire aux femmes par la conversation (l'esprit) sont donc très différents. Il n'y a de ressemblance qu'en deux choses, et l'essence de ces choses, quand elles sont libres, est d'être éternellement différente c'est l'imagination et l'amour.

Tout homme qui conte clairement et avec feu des choses nouvelles, est sûr des


applaudissements des femmes d itane. Peu importe qu'il fasse rire ou pleurer pourvu qu'il agisse fortement sur les cœurs, il est aimable.

Vous pouvez leur raconter la fable de la comédie du Tartufe, et. la manière barbare avec laquelle Néron vient d'empoisonner Britannicus, vous les intéressez autant qu'en leur racontant la mort du roi Murât.

Il s'agit d'être clair et extrêmement énergique.

Comme la sensibilité l'emporte de bien loin sur la vanité, vous plairez, même en étant ridiculement outré on s'aperçoit de l'enflure, mais ce n'est pas une offense. Le livre dont elles raffolent aujourd'hui, c'est V Histoire de l'Inquisition d'Espagne de M. Llorente par ses noirs fantômes, il les empêche de dormir. Un inquisiteur qui viendrait à Milan dans ce moment pourrait être très à la mode et fort couru. L'essentiel de l'esprit ici, à l'égard des femmes, c'est beaucoup d'imprévu et beaucoup de clair-obscur (beaucoup de différence des grands clairs aux grandes ombres) et dans les personnes beaucoup d'air militaire le moins possible de ce que l'on appelle en France l'air robin, ce ton de nos jeunes magistrats, l'air sensé, important, content de soi, réglé, pédant. C'est leur


bête d'aversion elles appellent cela l'air andeghé. Fernim amant. Elles adorent les moustaches, surtout celles qui ont passé les revues de Napoléon.

Les femmes sont très supérieures aux hommes. Les femmes écoutent le génie naturel du pays. Les hommes sont gâtés par les pédants. Le gouvernement empêche les hommes à talent de naître et favorise ou du moins ne décourage pas les pédants qui, se trouvant avoir les honneurs des gens à talent, pullulent à foison. i Rien n'est donc plus rare et surtout moins durable que de voir une femme en recevoir d'autres il faut des circonstances extrêmement particulières, par exemple qu'elles soient toutes deux jolies et qu'en aimant beaucoup l'amour, elles se soucient peu de l'amant 2.

Ce trait frappant des mœurs milanaises a été formé ou fortifié, je ne sais lequel, par le théâtre de la Scala. Là, chaque femme reçoit tous les soirs ses amis et brille 1. Ici se terminent les pages manuscrites du tome 19 de R, 5890. Nous laissons à leur suite les pages qu'avait placées sous le même titre Romain Colomb et qui proviennent du tome 2.

Elles devaient elles-mêmes compléter un autre fragment il était question des femmes d'Italie qui se volent leurs amants. L'usage « est se rubar ». N. D. L. E. 2. Comme la Nina et la Bonsignori.


seule dans la loge, où, pour ne pas emprunter une idée française, [elle] est le seul objet des galanteries et des caresses ~prindise i galoij des visitants. Les femmes qui n'ont pas le bonheur d'avoir une des deux cents loges de ce théâtre reçoivent quelques amis qui font un laroc, assaisonné des paroles les plus grossières asinone, coujonon ? ce jeu est une dispute continuelle. Dans la petite bourgeoisie et dans les maisons où l'on vit à l'antique, la bouteille de vin bon est sur le champ de bataille et sert à redonner courage aux combattants.

Les agréments plus délicats, et si enchanteurs une fois qu'on les a goûtés, d'une société mélangée d'hommes et de femmes, sont inconnus ici. Les hommes ne demandent pas d'une manière impérieuse des jouissances dont ils n'ont pas d'idée, et il faudrait les exiger de ce ton, pour obtenir des femmes une chose qui blesse si cruellement leurs intérêts les plus chers. Tels est le mécanisme en vertu duquel il ne se formera jamais de société à Milan. 4 Paris, la société absorbe tout un homme un homme de société n'est plus rien tout lui dit comme la baronne des Dehors trompeurs

Ne soyez poifrt époux, ne soyez point amant; Soyez l'homme du jour et vous serez charmant.


C'est que la vanité fait les cinq sixièmes de l'amour chez un Français. Ici, c'est tout autre chose l'amour est bien l'amour, et quoiqu'il soit plus enchanteur, il ne demande point le sacrifice de toute votre vie, de toutes vos occupations, de toute l'empreinîe qui, au fond, vous distingue des autres hommes. Ici, c'est la maîtresse qui prend le ton de l'homme qu'elle aime. La maîtresse de Canova est artiste, et celle de Spallanzani l'aidait dans ses expériences de physique. Parmi les jeunes gens, excepté deux ou trois sots cités, personne ne songe à être mieux mis qu'un autre il faut être comme tout le monde. Trois ou quatre hommes à bonnes fortunes m'ont paru généralementdétestés des femmes; les plus jolies ne voudraient pas les recevoir, mais s'ils savent leur métier et qu'ils les trouvent, par hasard, dans une maison de campagne, ils peuvent les rendre folles en une soirée c'est ce dont j'ai été témoin et presque confident.

« Qu'avez-vous donc ? disais-je à une jolie femme. » « Je suis blessée au cœur, me dit-elle franchement, ce mauvais sujet me plaît. » La nuit, elle réveilla son mari, fit appeler son amant « Emmenezmoi, lui dit-elle, ou je ferai quelque folie. » Il ne se le fit pas répéter, et dix minutes après, ils étaient sur la route de Venise.


On me reprochera de tout louer. Hélas 1 non j'ai un grand malheur à décrire, rien n'est plus petite ville que la grande société de Milan. Il se forme comme une espèce d'aristocratie, des deux cents femmes qui ont une loge à la Scala et de celles qui vont tous les soirs au Cours en v oiture dans ce cercle, qui est celui de la mode et des plaisirs, tout est connu. Le premier regard qu'une femme donne à la salle, en arrivant dans sa loge, est pour en passer la revue et comme depuis la chute du royaume, en 1814, il n'y a plus de nouvelles, si elle remarque la moindre irrégularité, si Monsieur un tel n'est plus vis-à-vis de Monsieur et Madame une telle, elle se tourne vers son amant, qui va au parterre, et de loge en loge, pour savoir cos'é dé neuf, ce qu'il y a de nouveau. Vous n'avez pas d'idée de la facilité avec laquelle on arrive, en une demi-heure, à une information précise. L'amant revient et apprend à son amie pourquoi Monsieur un tel n'est pas à son poste. Pendant ce temps-là, elle a remarqué que Del Canto, un officier de ses amis, est depuis trois jours assis au parterre, toujours à la même place. –Et ne savez-vous pas, lui dit-on, qu'il lorgne la comtesse Conti ?

Je m'imagine que cet affreux caquetage, ce pellegolismo, qui fait aussi le malheur


des petites villes, ne corrompt pas autant la société des marchands et des gens moins riches dont les femmes vont tout simplement au parterre, ou dans quelqueloge empruntée. La naissance ne fait rien pour être admis dans cette aristocratie de la Scala il ne faut absolument que de la fortune et un peu d'esprit. Il y a telle femme très noble qui se morfond dans sa loge avec son servant, et dont on se garde bien d'aller troubler le îête-à-lêle. Ces femmes-là ne peuvent avoir des hommes un peu bien elles sont réduites à quelque espèce, ordinairement quelque cadet de grande famille, dont le frère a quatre-vingt mille livres de rente et qui, lui, a huit cents francs de pension et la table.

Dans quelques familles, très nobles et très antiques, j'ai distingué de certaines nuances qui tiennent encore aux mœurs des Espagnols, qui ont si longtemps opprimé et pollué ce beau pays, avec l'infâme administration de Philippe II. C'est à ce prince exécrable et à ses successeurs qu'il faut attribuer tous les malheurs de l'Italie et la bêtise générale qui a succédé aux lauriers, qu'elle moissonnait dans tous les genres, avant l'an 1530. L'influence de Napoléon a fait tomber les idées espagnoles mais si le remède fut énergique, il a été trop court.


Les gens à la mode, ici comme en France, sont les officiers à demi-solde. Au reste, c'est à leur amabilité et à l'abondance de leurs idées que vous vous apercevez qu'ils ont servi ils n'ont rien de cette jactance militaire, de ce ton blagueur qui me choquait tant à Londres, dans certaines réunions de Saint-James's street.

Un autre inconvénient de la société, ici, c'est qu'on meurt d'inedia (d'épuisement) on ne sait que dire, il n'y a jamais de nouvelles. La Minerve est proscrite à Milan, comme au jardin des Tuileries, et le Journal du Commerce est prohibé. La soirée se passe, entre hommes, à maudire la bassesse, et l'hypocrisie et les mensonges des Débats. Ils se mettent dans une colère comique et affublent les rédacteurs des épithètes les plus avilissantes, et faute de savoir ce qui se passe, toutes les discussions politiques se finissent par des cris de rage. L'on se tait un moment et puis l'on se met à parler des ballets de Vigano la Vestale et Olello ont plus fait parler à Milan, même dans les basses classes, qu'à Paris, la dernière conspiration des Ultra. Or, une discussion sur Otello n'est pas si 1. Revue hebdomadaire publiée de février 1818 à mars 1820 elle eut une très grande vogue et fut tuée par l'établissement de la censure après l'assassinat du due de Berry. (Note de Romain Colomb.)


utile, mais est infiniment plus agréable qu'une discussion sur M. de Marchangy. Elle ne viendra que trop tôt pour les aimables Milanais, cette fièvre politique qui rend inaccessible à tous les arts et par laquelle, pourtant, grâce à la féodalité, il faut passer pour arriver au bonheur. En attendant, les gens que nous sommes obligés de ne mépriser qu'en secret à Paris, sont ici affublés de tous les noms qu'ils méritent, et les Lanjuinais, les Constant, les Carnot, les Exelmans, portés aux nues. La Gazette de Lugano donne, deux fois par semaine, des nouvelles de ces gens que l'on aime sans en pouvoir parler il n'est pas de loge où je n'aie entendu parler ce soir du procès de M. Dunoyer et de la sérénade que lui ont donnée les jeunes gens de Rennes.

Et, me dira-t-on, vous avez vu tout cela en un mois ? Les trois quarts des choses que je dis peuvent se trouver inexactes, et je les donne pour ce qu'elles valent, pour les apparences j'ai cru voir ainsi. L'on ne lirait plus de voyages si on exigeait de chaque voyageur qu'il eût habité assez longtemps chacune des villes dont il parle, pour en pouvoir parler avec l'apparence de la certitude. Il faudrait habiter cinq ou six ans l'Italie ou l'Angleterre les gens qui s'expatrient ainsi


sont, pour la plupart, des négociants et non des observateurs. Un de mes amis qui a longtemps habité l'Italie m'a assuré que mon journal était plein d'inexactitudes, moi j'ai vu ainsi.


24 septembre.

Caractères

Claudius, Appius, 'FiLe-Live),

t Coriolan (Voir Tite-Live),

"L~ Alfieri (et peut-être).

k

Beaucoup d'orgueil, de courage, d'injustice et de mérite.

For thé young Italiens],

Beaucoup d'orgueil, de fureur, de courage, de haine, d'injustice et peu de lumières. 1

Ils ont lu de mauvais livres à l'Université et par orgueil et paresse ne peuvent pas lire les bons, à cette heure. Parler des idées contenues dans les bons livres sur la politique dont ils parlent sans cesse (Tracy, Say, Mallhus, Bentham, Helvétius, Cabanis) est le sûr moyen de les mettre en colère.

̃


25 septembre.

Les nobles qui n'ont pas pu se faire employer par le gouvernement ou acrocher quelque place de la cour (P. del Réal à Turin) 1 se sont faits libéraux. Ils appellent Nap[oléon] fascinoroso et la seule chose qui les sorte du vulgaire est la croix que le grand homme leur donna par erreur ou à cause de leurs relations de famille. Du reste les plus honnêtes gens du monde.

28 septembre 1818.

Mariage

Extrait de Fr.

(L'objet est de justifier les mœurs italiennes en montrant ce que les mœurs devraient être à l'égard de l'amour. Ne donner aucune entorse à la vérité.)

t

to take le haut de la page 8, état des mœurs en France.

1. Parenthèse en surcharge et d'une lecture douteuse. N. D. L. E.


x ¥

Volney 28 septembre.

Préface du tableau to take for St[en dhal] V. Sur les habitudes des Corporations. – VI. For the future of It. – XIII.

En Italie comme en Amérique sans cesse on croit voir l'intention,

x. x

To take le tiers des pages 3 et 4 de l'Amour for Stjendhal].

Pour être raisonnable il faut avoir une imagination peu active. Comment juger de la vraie couleur des objets à travers une lunette dont les verres changent de couleur suivant le temps qu'il fait ou le nombre de tasses de café que vous avez prises.

(Paraphrase de la page 4 de l'Amour.)

x x

Commencement de mon article.

Toutes nos idées sur les femmes viennent du catéchisme de trois sous. Et ce qu'il


y a de plaisant, c'est que beaucoup de gens qui n'admettraient pas l'autorité de ce livre pour régler une affaire de cinquante francs, le suivent à la lettre et stupidement dans les habitudes de juger sur l'objet qui, dans l'état des habitudes du xixe siècle, importe peut-être le plus à leur bonheur.

Les Français n'ont été à Lisbonne que dans un état de guerre et sous un chef à demi fou et cependant ils l'ont civilisé infiniment quant à la police. Ed. Rev. tome XII. 388.

Après s'être plaint de la grossièreté italienne.

Pour la France de 1637 on disait dans la Comédie alors la plus applaudie les Visionnaires de Desmarets, en parlant du mérite d'un homme

S'il est courtois, sons doute il vient d'un noble sang. ̃*̃

3

L'une des grâces de la nature, l'une de ces choses qui embellissent le monde.


x

Rome, le.

On m'interroge beaucoup sur le gouvernement de France, je dis qu'à Paris on est libre et qu'en prenant un avocat célèbre on peut espérer la justice, mais en province chaque préfet est maître de son département, en voici un fait 1

Un propriétaire de la ville d'Autun, lors de la première invasion de la Bourgogne par les Prussiens, court aux armes avec une portion de la population, il défend vaillamment le pont de Chaslons-surSaône l'ennemi pour le punir de sa résistance incendie sa maison de campagne qui valait au moins trente mille francs. Le roi accorde une somme considérable pour indemniser les citoyens qui ont le plus souffert. L'habitant d'Autun obtient environ cinq mille francs il les touche mais à peine est-il en possession de ce faible dédommagement que le Préfet du département se ravise, il décide qu'on ne doit indemniser les citoyens que dans le cas où ils n'auraient pas fait à l'ennemi une résistance inconsidérée.

1. Mimive, n" SO, page 178.


(Oui, messieurs, voilà le mot qui a sali les arrêtés d'un préfet français.)

Il ordonne en conséquence à M. Desplaces, c'est le nom de ce particulier, de restituer sur-le-champ les cinq mille francs, et il l'envoie en exil et en surveillance dans la ville de Blois.

M. Desplaces se plaint à M. Laine, ministre de l'Intérieur, de l'arrêté du préfet qui punit une résistance que le roi semble avoir voulu récompenser. [Il] lui répond que V arrêté du préfet a reçu son exécution, et qu'il ne lui est plus possible de revenir sur ce qui est ait.

Si vous voulez des centaines de pareils faits tombant toujours sur la partie énergique et brave de la nation, ouvrez la Bibliothèque historique. Vous y verrez un capitaine français, condamné pour avoir dans un moment d'humeur appelé son cheval cosaque, attendu que la France doit beaucoup de reconnaissance aux cosaques. Le capitaine, frappé d'étonnement, est mort de douleur.

J'entre à l'école de droit de Paris, un élève soutient une thèse (septembre 1818). Il prend pour épigraphe cette maxime Le juge est l'organe de la loi, la loi est l'expression de 'la volonté nationale. Un des interrogateurs fronce le sourcil et essaie de prouver au candidat que cette maxime


est tausse à quoi le président se hâte d'ajouter qu'il n'a pas eu connaissance de l'épigraphe et qu'il ne l'aurait pas approuvée.

rel est l'esprit louable de la plupart des salariés.

(Journal de Genève du 9 septembre.)

M. Bertolatis, le rédacteur du Speclateur, est un homme d'esprit bien au-dessus de tous les pédants romantiques ou antiromantiques qui se mêlent de littérature dans son pays. Mais ici, me disait-il, on prend la moindre critique pour une atrocité et l'on est mauvais Italien si l'on ne trouve pas excellents tous les livres qu'on imprime en Italie.

30 septembre.

Rareté du mérite

Le mérite lorsqu'il est rare est souvent gâté par la Pédanterie, mais la pédanterie tient à la rareté, mais non au mérite. D[ominique] reading 18 of Tracy.

(Applicable aux femmes de mérite et aux moeurs simples.)


if

Venini

Raconté au Galle par l'avocat P. le jour de Saint-Michel 29 septembre 1818. L'Aristocratie dans ses détails. M. Venini et le paysan de Bellagio. Il l'invite à dîner avec lui et le fait insulter par ses gens, pour qu'il commette quelquejmconséquence, le faire mettre en prison et pendant ce temps lui enlever un champ sur la route, le payeur mettant ses enfants devant les gens qui coupent ses oliviers.

[4 oclobre 1818]

Rome.

Impossible à un moderne d'avoir d'idée de la Rome ancienne. Je me garderai bien de parler de l'absence de Y Amour et des plaisirs de salon, l'on ne me comprendrait pas, je me borne au matériel, au mercantile de la chose.

Rome était comme le quartier général du genre humain, habitée entièrement par des gens aisés qui achetaient les pro-


duits des pays moins avancés en civilisation, et se bornaient à jouir des douceurs de la vie dans leurs domaines. Du temps d'Auguste tout le Latium était un jardin anglais et les blés venaient de Sicile et d'Egypte 1.


BUREAUCRATIE

LODI, le.

En voyant le peu de liberté politique dont jouit cette belle Lombar-*–~ die, belle au suprême degré, quoiqu'on n'y cherche que l'utile, je ne pourrais réconcilier les prodiges de culture, de bonheur, et de richesses avec cette ligne de Montesquieu « Les pays ne sont point cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté. »

J'ai trouvé le secret en parcourant avec dégoût les lettres de M. Fiévée. La Lombardie a bien la Monarchie absolue, si vous voulez 1, mais elle n'a pas la Bureaucratie. Toutes les petites affaires n'y sont pas décidées par des commis claquemurés dans un bureau bien chauffé, à trois cents lieues des intéressés.

M. Fiévée donc, cet homme d'esprit au service de la Féodalité (lre et quatrième lettres).

Un paysan demande qu'on lui concède un petit terrain vague et inculte afin de 1. Mais un despotisme sans aristocratie et sans prêt isme, par conséquent juste toutes les foi» que l'intérêt du roi et celui du sujet s'accordent, et il s'accordent sans cesse en 1819. <


pouvoir y bâtir une petite cahute. Il faut que le paysan fasse sa demande au maire, 2° que le maire écrive au souspréfet pour qu'il obtienne du préfet la permission qu'on assemble le conseil municipal, 3° que le préfet réponde pour accorder cette permission, 4° que le conseil municipal s'assemble et nomme des experts pour faire l'estimation, 5° que l'expertise ait lieu et qu'un procès-verbal en soit dressé, 6° que le rapport en soit fait au conseil municipal et qu'il prenne une délibération qui soit envoyée au souspréfet et par celui-ci au préfet, 70 que le préfet envoie la demande, les pièces à l'appui et un rapport de lui au Ministre de l'Intérieur, 8° que le Ministre de l'Intérieur présente le tout au roi ou empereur en donnant son avis motivé, 9° que le roi ou empereur signe ces mots renvoyé au conseil d'état, section de l'Intérieur, 10° que le président de cette section nomme un rapporteur, 1 que le rapporteur explique l'affaire à la section et qu'elle l'approuve, 12° que cette affaire soit mise sur le tableau de l'ordre du jour du conseil d'état, qu'elle soit appelée, rapportée et décidée, puis renvoyée à la secrétairerie d'état qui la renvoie au ministre, qui la renvoie au préfet, qui la renvoie au sous-préfet et enfin au maire qui fait appeler le pauvre paysan


et qui lui accorde ce petit terrain moyennant une rétribution annuelle de trentecinq centimes.

Voilà le vice rongeur de l'administration d'un despote homme de génie, voilà ce que les sots ont eu garde de lui reprocher, voilà ce qui n'existe pas en Lombardie sous la sage et très sage administration de la maison d'Autriche.

Remarquez que le pauvre paysan n'obtient son bout de terrain que dix-huit mois ou deux ans après la demande, et que comme là où il n'y a pas de liberté et par conséquent d'opinion publique, il faut payer en argent tous les services des conseillers d'Etat, préfets, sous-préfets, etc., cette concession de trente-cinq centimes coûte deux ou trois mille francs de gages d'employés. Et qui paye ces deux ou trois mille francs ? Le pauvre paysan par les impôts.

Le même vice existe en Angleterre sous une autre forme 1.

Les Princes autrichiens seraient tous d'excellents préfets. Le Ministre de l'Intérieur M. de Saurau, homme supérieur, fait faire par des collèges subalternes toutes les petites affaires. Il se réserve ainsi 1. Voir l'article Naples, page. (extrait de Birkbeck.)


de l'attention pour les grandes. Quand nos ministres de l'Intérieur auront-ils un peu de ce bon sens ?

Cela m'explique la richesse agricole de la Lombardie. Remarquez toujours que depuis Joseph II (1782), la recommandation de M. le Marquis un tel, maître du château, du village, ou celle de M. le Curé ne signifient absolument rien. Il ne s'écrit même plus de ces sortes de lettres, me disait le délégué de Mantoue. Il n'est pas de sous-préfet en France qui n'en reçoive 1500 par an et qui ne s'empresse d'accéder à 1450 1. En Lombardie les nobles et les prêtres ont perdu jusqu'à l'idée d'être les tyrans du village. Si jamais ce pays a les deux Chambres il produira plus de richesse ou de bonheur que la moitié de l'Angleterre, La méfiance italienne, le contraire de la badauderie française est la meilleure disposition possible pour le régime constitutionnel. Hâtons-nous de démolir le plat bas-relief de 1815 qui déshonore le fronton de notre beau palais du corps législatif et écrivons-y en grandes lettres de bronze, ce seul mot MÉFIANCE

De ce jour-là le peuple aura confiance en son roi.

21 oclobre 1818.

1. Voir la Bibliothèque historique en 1818.


2-7-28 ocloblre 1818.

Florence, le.

N peut voir dans les défauts que les 0 étrangers reprochent à la Nouvelle Héloïse, cet ouvrage immortel, les fausses maximes dont est encore travaillée aujourd'hui la littérature française. La principale hérésie, c'est que les auteurs se croient obligés d'apprendre la littérature avant que d'écrire, tandis qu'ils ne devraient apprendre que la langue, afin de ne pas inventer une tournure pour exprimer un sentiment lorsque déjà depuis longtemps cette tournure existe dans Montaigne ou dans La Bruyère. La seule école de littérateur devrait être la tribune de la Chambre des Communes, car les députés qu'on écoute ont quelque chose à dire et ne font pas de la littérature un métier. La femme la plus héroïque que j'aie jamais rencontrée vient de me prêter ce soir la quinzième édition des Lettres de Jacopo Orfis, c'est une excellente traduction de Werther quoique l'auteur jure d'être original. C'est le Werther d'Italie comme le jeune Jérusalem fut le Werther


de la froide et imaginante Allemagne. Ce livre de 237 pages a suivant la coutume des nobles écrivains actuels une préface de 112 pages seulement qui prouve que le livre est sublime. J'y ai distingué un jugement sur la Nouvelle Héloïse qui reproduit exactement ce que j'ai entendu dire en vingt endroits d'Italie. L'auteur, le célèbre Foscolo, passe avec raison pour le premier littérateur de son pays. De plus on dit qu'il a éprouvé cette passion qu'il peint avec tant de chaleur et de naturel, car ce n'est pas sa faute si son naturel n'est pas celui des autres. Il s'habillait entièrement de noir chaque nuit pour n'être pas vu escaladant les murs d'un jardin. II était reçu, disent les indiscrets, dans la chambre à coucher de sa maîtresse, il en était traité comme l'amant le plus favorisé et cependant tel fut l'empire de la vertu sur ces deux cœurs qu'elle passa vierge dans les bras de l'époux indifférent à qui il fut donné de profaner tant de charmes. Tout cela m'était raconté ce soir, à deux heures du matin, à la suite d'une discussion sur le Dante, sur l'amour, sur Saint-Preux, sur les lettres de la Religieuse portugaise par une jeune femme encore dans toute la fleur de la beauté et qui il v a trois ans s'empoisonna par amour. Quelles délices de parler de ces grands objets si profanés


par le vulgaire avec des âmes si bien faites pour les sentir C'est alors que la moindre objection a du poids, que la plus petite nuance est sentie avec volupté, que l'on ne répond pas avec son esprit, mais avec son coeur. Femmes charmantes, combien vous êtes au-dessus des Staël de Paris et d'Angleterre, qui toujours récitent une leçon et songent à briller. Quand je ne rapporterais de mon voyage en Italie que la connaissance de ces deux amies, mes fatigues sont assez payées. Je suis donc assuré enfin qu'il existe de telles âmes au inonde

l (A la fin.)

Si Foscolo au lieu d'écrire 100 pages de prose et 600 vers eût produit vingt volumes comme Rousseau, peut-être qu'il eût empêché la langue italienne d'être dévorée et engloutie par le français. Dans cent ans à Rome et à Florence on parlera français, une des désinences italienne. (Dit par Silvio.)

2. Ici l'indication de quelques pages de-i Lettres d'Ortis que Beyle voulait citer. N. D. L. E.


AÏIGLETEREE

Oclobre-Novembre 1818

Naples, le.

Il est bien singulier et il serait bien g agréable aux yeux d'un Français qui serait plus patriote que libéral, de voir que l'époque de la perte totale de la liberté en Angleterre, n'est autre que le jour de la bataille de Waterloo.

C'est alors que les nobles et les riches de toute espèce ont définitivement signé un traité d'alliance offensive et défensive contre les pauvres et les travailleurs. Je suis loin de trop blâmer les aristocrates leur sûreté est en péril. Un impôt, pour être productif, doit être payé par le plus grand nombre en Angleterre le produit des impôts est employé contre le plus grand nombre.

Comme je ne suis pas ici pour faire l'éducation des niais, je ne chercherai pas à prouver cette singulière assertion. Les aristocrates de la Chambre des pairs nomment la majorité de la Chambre des


communes. La liberté ne peut donc plus exister de droit (ou de par les lois), mais seulement par les habitudes. Il n'yad'exception que pour la liberté de la presse qui d'ailleurs est moindre qu'on ne le croit en France. Heureusement pour l'Angleterre on peut facilementintroduire des pamphlets imprimés en Amérique.

Les discussions sur les réformes parlementaires ne sont que ceci

I. L'Angleterre sera-t-elle en 1880 un royaume absolument comme le P. où le roi, les nobles et les prêtres, étroitement unis entre eux, vivent aux dépend des travailleurs ? '?

II. L'Angleterre sera-t-elle une république dirigée par un simple président, comme celle des Etats-Unis ?

Car il est évident que si les Anglais payant seulement mille francs d'imposition, obtiennent le droit d'envoyer au Parlement, ils se vengeront de l'état d'extrême malheur où Pitt les plongea en 1794 pour sauver l'Aristocratie. En Angleterre les seuls appointements des ministres et du roi coûtent plus que toutes les dépenses quelconques du gouvernement d'Amérique.

Dans tous les cas, l'Angleterre en est au moment d'une Révolution, à peu près comme notre belle France en 1780. Si


Georges IV fait des concessions et les fait de bonne foi, il n'aura pas le sort de Louis XVI. Mais aussi les Anglais seront moins solidement libres que s'ils arrachent la liberté par une fièvre ardente de quinze ou vingt ans.

Malheureusement pour leur orgueil, l'Amérique aiguisera des armes et va venger l'Europe des larmes de sang que Pitt et G[obourg] lui ont fait répandre. Le nom seul de l'Amérique fait pâlir ces lords si riches et si insolents et si inhumains. (Le; pontons et le sort des ouvriers de Manchester au fond de ces deux mots, il y a plus de froide cruauté que dans tout Robespierre.) C'est à cause de cette imminente Révolution et de la farouche cruauté des basses classes, nourries de la lecture de la Bible et des massacres hébreux, que beaucoup d'Anglais achètent des terres en France. On parlera ainsi de l'Angleterre en 1880 Elle fut libre, sans savoir comment, en 1688. Elle eut les habitudes et non les lois de la liberté, vers 17201.

Elle avait déjà perdu ses vertus vers 1780 et le prouva par son infâme guerre d'Amérique2. Elle n'eut même plus de pudeur vers 1790 et le prouva par sa conduite 1. Montesquieu parle de l'Angleterre comme un amant de sa maîtresse, avec une extrême déraison.

g. Œuvres et Vie de Franklin.


dans l'Inde (famine de M. Hastings I1). Enfin, après avoir entr'ouvert à la liberté les yeux de l'Europe, elle la perdit pour elle-même vers 1794, sous un roi sans vertus et par un scélérat habile et orgueilleux (M. Pitt). En 1814, après Waterloo, il devint impossible à un pair, et même à un homme riche quelconque, d'être libéral2. Elle eut encore quelques habitudes de liberté jusqu'en 1830, mais depuis longtemps le bonheur avait entièrement disparu du sein d'un peuple sombre, religieux, féroce et travaillé par des lois monétairement atroces.

Alors éclata une révolution sans exemple par le nombre des massacres.

L'Amérique, avec une population double de celle de l'Angleterre, et une position bien autrement inattaquable que la Russie, réduisit facilement sa superbe rivale au' rang de puissance du troisième ordre. Elle est maintenant heureuse sous un roi constitutionnel par force, qui meurt d'envie d'être absolu, mais qui n'y parviendra jamais 3.

1. Œuvres de Burke.

2. Changements dans les prix de ferme.

3. II y a cinquante ans que Qmer, à mes yeux le meilleur historien de l'Angleterre, prédisait tout cela A refractory ̃oeople presuroing still on an imaginary superiority, yet itrtinately blind to its own defects, and weakness. laws being forced. tbe corruption of a servile and dépendant


La gangrène des dépenses excessives et aristocratiques a tout pénétré en Angleterre, même l'établissement de leurs courtiers pour l'achat de thé à Canton. Il est curieux de comparer l'établissement américain, aussi à Canton. Ce seul détail peint les deux gouvernements et la nature des impôts qu'ils doivent exiger des peuples. Les Anglais en général, ne peuvent pas avoir d'esprit. Ne parlons pas de leur Constitution, dont la forme s'y oppose tenons-nous aux habitudes que chacun peut vérifier.

Le peuple anglais est un peuple affairé. Il manque souverainement de loisirs pour tout ce qui n'est pas argent. Remarquez Senate. a doting, méan splrifcless, covetous, prejuOloed andisceving Prince, ete. Depuis Gover, les fils des pairs destinés à avoir des fortunes de 200 mille francs de rentes ont imaginé de passer leur jeunesse dans les bureaux des ministres et de se vendre à eux comme commis pour 200 ou 300 louis avant de se vendre comme sénateurs. Le grand ridicule aux yeux de cette brillante jeunesse c'est l'amour de la liberté. Ajoutez à cela les mœurs décrites par le général Pillet, qui n'exagère pas toujours et qui n'a eu que le tort de ne pas connaître dix mille familles pleines de vertus et dignes de toutes sortes de respecte, mais dix mille familles et quelques pairs comme les lords Grosvenor, Holland, Lansdown, Byron ne peuvent pas lutter contre la force des choses et des lois. Les jeunes gens qui désirent savoir à quoi s'en tenir sur cette Angleterre qui pendant si longtemps va être le sujet de nos conversations, n'ont qu'à lire mille pages in-8 savoir Mémoire of a celebrated literary caracter ISf. Govzr], Murmy. Loni:n. 1813 The Diary of lord Melcombre, et enfin une Histoire des Pontons qui paraltra en 1820.


qu'il n'aime pas l'argent par cupidité, mais, exactement parlant, pour ne pas mourir de faim dans la rue.

Cette affreuse nécessité et la noire anxiété dont elle remplit l'âme, ne lui laisse pas, à ce peuple anglais si mal connu, le temps de comprendre la conduite de ses plus" brillants défenseurs. Combien de fois le sublime Fox1 n'est-il pas sorti de la Chambre des communes au milieu des huées de ce peuple qu'il venait de défendre, non seulement aux dépens de sa fortune pécuniaire, mais même de sa réputation ? Il a passé sa généreuse vie à protester contre deux guerres qui ont triplé le prix de la subsistance du peuple anglais. La première de ces guerres a donné l'existence à la République qui détruira l'Angleterre la seconde a semé en Europe, en même temps que la liberté, une haine aveugle et enragée contre l'Angleterre qui a fait tomber ce Napoléon qui sans le savoir, semait la liberté en Europe. Ce sont les Anglais que l'exécration publique charge partout (la France excepté) des maux sans nombre que ramène tous les jours le rétablissement de toutes les vieil1. Comparez la vie de Fox avec celle de Mr. George Kœe. Entrez dans les détails et vous verrez la rapide décadence de l'Angleterre. (Je me souviens de la vie de Rose dans Galignani Wenenger.)


leries 1. Allez à Gênes, à Madrid, à Naples et vous verrez. Mais revenons à l'esprit de ces hommes, la source unique de la plus intolérable partie des malheurs de l'Europe. S'ils n'ont pas d'esprit pour comprendre leurs propres défenseurs, où en trouveraient-ils pour comprendre les Lettres et les Arts ? 2

L'on peut répondre dans la meilleure éducation classique qu'ait reçue jamais aucun peuple. Nulle part, en effet, l'on ne connaît aussi bien les auteurs grecs et latins.

Mais d'abord cette éducation ne donne pas de dispositions à l'esprit bien au contraire. En second lieu elle n'est à la portée que de la classe riche. Pour le reste de la nation et ouvrez les biographies de la France c'est de la classe pauvre et énergique que sortent les génies tout le reste de la nation n'a de loisir que le dimanche, et pour finir par le trait le plus triste, les cinq sixièmes de ce loisir sont occupés par l'infâme et féroce lecture de la Bible.

Assurément, rien n'est plus contraire à esprit ou à l'invention des idées agréables à nos hommes du xixe siècle, que la contemplation des images féroces gigantesques 1. Les Jésuites Eribourg, Nimes.


de ces vieux poèmes orientaux. Ces images rendent le pauvre féroce dès cette vie et le remplissent de sombres alarmes et de tristesse, en le tourmentant sur la seule consolation qui lui reste l'espérance du bonheur dans l'autre vie.

L'opinion de la bonne compagnie en Europe est de mauvais goût parce qu'elle est éminemment aristocratique. En second lieu elle est exprimée par des êtres fort riches arrivés à 30 ou 35 ans, c'est-à-dire pour la plupart blasés sur les plaisirs vifs et naturels. Le singulier, le difficile, le cher l'emporte nécessairement sur le beau simple. (Exemple leur goût pour M. Cataloni. 2e exemple les lettres d'Horace Walpole.) On peut même avancer qu'un homme jouissant d'une grande fortune dès l'âge de quinze ans na jamais senti le vrai beau.

L'opinion est surtout aristocratique en Angleterre, de là la corruption du peu d'esprit que le manque de loisir et la Bible leur laissent.

Ensuite tous les riches d'Angleterre s'unissent avec tous les gens payés par le gouvernement pour louer les livres et les opinions ultra qui en général sont les plus bêtes. Il est absurde de dire aux hommes


c Aimez votre malheur, aimez vos tyrans qui ne sont vos tyrans que parce que votre main gauche se bat contre votre main droite. » Il faut donc infiniment plus d'esprit pour soutenir une opinion ultra que pour une opinion libérale. On peut commander ce despotisme par la terreur, rien de plus simple. Le Dey d'Alger s'en tire fort bien. Mais persuader le despotisme voilà ce qui me semble le •chef-d'œuvre de l'esprit humain.

Enfin remarquez que sur le Continent un homme qui a gagné cent mille francs autrement que par le jeu ne méprise plus qu'à demi les Lettres et les Arts. Que serace d'une nation où tout le monde fait le commerce ? On voit pourquoi l'esprit en Angleterre passe pour ne pas s'accorder avec la dignité.

Le grand défaut de la forme de liberté inventée depuis 50 ans (le gouvernement représentatif) c'est l'état d'anxiété où il plonge, si ce n'est la masse du peuple au moins toute la classe éclairée d'une nation. Peut-être cette anxiété tient-elle beaucoup à l'hérédité de la chambre des pairs. Un homme né pair et riche est plus probablement médiocre que le fils de son fermier. n° 28 page 334.


le sombre DES ANGLAIS 1

Oclobre-Novembre 1818

J'arrive de Pœstum. Nous étions trois voitures presque tous Anglais. Au V retour nous avons pris' une speronaza, il y a eu tempête, relâche, débarquement par la pluie et mourant de faim sur une plage déserte, mille accidents désagréables. C'est ce qu'il me faut j'aime à observer moi et les autres.

Non seulement les Anglais lisent la Bible, mais leurs pères et leurs grandspères l'ont lue. Voilà ce me semble le secret de ce sombre malheur qu'ils portent partout et même au sein des plaisirs les plus doux pour le reste des hommes. La Bible est un livre fait pour être cru à l'aveugle et non discuté. Voyez le voyageur Twedell, un de leurs jeunes gens qui promettait le plus, très occupé vers la fin de sa vie pour savoir s'il était bien légitime de manger des poulets 2.

1. Si nous en croyons une note assez éuigmati^ue sur le manuscrit, ces pages seraient Imitées ou traduites de VEcleetic Remew du mois de mai. N. D. L. E.

2. Le texte, Ici.


Je vois un de mes amis intimes, homme très instruit et de très bonne foi, ne pouvoir croire à la parfaite indifférence des Français. « Que m'importe l'existence de votre Dieu de la Bible, vous dites qu'il est juste, eh bien, si demain il me parlait du haut d'une nue je ne changerais pas un iota à ma conduite. »

Mais les raisonnements les plus simples n'ont aucune influence sur les Anglais instruits. Outre les terreurs de la Bible qui dès leur enfance sont déposées au fond de leur cœur et qui ne sont jamais neutralisées par l'agréable sacrement de la Pénitence, leur logique écossaise qui a beaucoup de rapports avec les rêveries de Kant les rend insensibles au choses les plus palpables. Ils lisent Pindare et Lucrèce avec la même facilité qu'un Français lit un journal, mais Tracy et Helvétius sont pour eux ce que le grec de Pindare est pour nous. Si l'on a le moindre doute sur cette éducation hébraïque et atroce du caractère anglais, on n'a qu'à faire un peu de conversation avec les sectaires qui pullulent en Angleterre et en Amérique par exemple les Har momies et les Shakers1. Par surplus examiner la conduite farouche de la populace anglaise, et lire cent 1. Voyage de Blrkbeck aux Etats-Unis, page 135.


pages de la Bible à l'ouverture du livre. C'est le Dieu de l'inquisition, et comme il répugne au sens commun on ne peut avoir de tranquillité en ce monde, qu'en y croyant à la napolitaine. Je conclus hardiment que la religion napolitaine est moins absurde que celle de Londres.

Comme je ne suis pas ici pour faire l'éducation des niais, je saute mille conséquences qui pourraient servir de preuves et qui m'ont fort amusé dans la barque en faisant sauter mes Anglais.

Y a-t-il rien de plus plaisant par exemple, que la gravité ridicule avec laquelle les Anglais traitent les plus petites choses ? i N'est-il pas bien bon de trouver l'art de la cuisine discuté en ces termes dans les in-4° de M. Dugald-Stewart, un de leurs prétendus philosophes écossais ?

'<

Caractère anglais

Agreably to this view of the subject, siveet, may be said to be inlrinsically pleasing, and biiter to be relatively pleasing which both are, in many cases, aqually essential to those effect which in the e art of cookery correspond to that composite beauty which it is the object of the


painter and of the poet to create (Philosophical essays) 1.

Les Anglais sont parfaitement purs du sentimentalisme genevois.

Prendre les plaisanteries sur le voyage de Pictet, Edinburg-Reoiew, 6.

20 Novembre 1818

Lu V Ecledic-Revlew du mois de mai, article agréable surSt[endhal]. Traduction anglaise, énormes contresens dans les fragments cités.

M. Bertolotti me présente à. M. Cataneo, sa bibliothèque de médailles est un trésor pour moi, ouverte de 9 à 3 heures Je donne une livre. 20 novembre 1818. II m'est plus facile d'être traduit en Angleterre qu'annoncé à Paris.

1. On salt assez que toutes les rêveries de Kant, Steding et Oie sont à la lettre renouvelées des Grecs. Toute cette philosophie est dans Platon et est fondée sur une sainte horreur pour l'expérience. Le parti ultra protège beaucoup cette philosophie, puisque par malheur il est de mode d'en avoir une. Comme on n'a pu nous faire avaler la philosophie allemande, on se retranche du moins à la philosophie écossaise. Même en Ecosse, l'ai trouvé beaucoup de gens qui se moquent du beau style vide de pensée de M. DugaldStewart. Mais on s'en moque tout bas, car les prêtres, qui maudissent ce philosophe, maudissent encore plus les impies qui se moquent de ses jugements téméraires. En Angleterre les prêtres peuvent fort bien faire passer un honnête homme pour un coquin.


CHRISTIANISME 1

J'écrivis ce qui suit à Bologne à une heure du matin le. 1817. Le V cardinal Lante qui vient de mourir d'une maladie de jeune homme et qui était adoré à Bologne où il était despote (légat) et où il tâchait de conserver quelques usages de l'administration de Napoléon venait de dire devant moi à l'ambassadeur H.

« Le christianisme tel qu'il est aujourd'hui n'est que l'intérêt du Pape mêlé à un haut degré à l'intérêt de la religion. Votre Excellence sait que je n'ai nul intérêtà à tout cela, j'ai accroché un bon lot, je suis aimé de mes sujets, et je mourrai longtemps avant la chute de ma dignité ou de ma place. D'ailleurs on sait que je ne crois pas un mot de tout cela. Moi, bien désintéressé par ce libre aveu, je prendrai la liberté de vous raconter une longue conversation dogmatique que j'eus à Rome dernièrement avec ce coquin de Cardinal M. que bien connaissez. Il me disait un jour et je pense de bonne foi je crois, 1. Ecrit les 22 et 23 novembre 1818.


entre nous, que la fin du monde arrivera vers le commencement du xxe siècle. La a religion ne peut guère aller au delà. Tout a été perdu du moment qu'on a osé défendre la religion comme utile (dès cette vie). Cela seul constitue la plus dangereuse et la plus noire impiété. Dans les beaux jours de la religion l'inquisition aurait fait brûler l'auteur du Génie du Christianisme et suivant moi très justement. N'est-il pas bien impertinent au xixe siècle et bien impie au xne, de dire que le christianisme cette machine sublime qui doit faire le bonheur et le malheur éternel de tous les hommes selon qu'ils l'auront connue ou ignorée, n'est qu'une bonne recette pour faire des chansons ? Le génie du christianisme, c'est les moeurs du xive siècle et non les phrases puériles de l'écrivain français.

» Même en Angleterre, le seul pays où l'on sache nous défendre, je vois toujours avancer ce détestable argument de l'utilité.

» Qu'est-ce que le plus ou moins de plaisir que l'on peut goûter pendant un quart d'heure, comparé au bonheur de toute une vie de 60 ou 80 ans telle qu'elle est accordée à l'homme ?

» Or, voilà exactement la position du chrétien.


» Une autre théorie aussi odieuse, et heureusement encore plus absurde, c'est celle de la tolérance.

» Si les rois d'Espagne, en faisant brûler 200.000 de leurs sujets, ont assuré la félicité éternelle de 8 ou 10 millions d'hommes qui auraient été séduits dans la suite des temps par les erreurs des Juifs, des Maures ou des Protestants, et c'est ce qu'il est facile de prouver, ils ont agi en bons pères.

» Quoi, nous faisons des lazarets contre la peste et je vois le roi très catholique protéger les protestants. Il croit fermement que hors de l'Eglise point de salut, il le répète tous les jours vingt fois dans ses prières et il ne se hâte pas de faire le bonheur d'un million d'hommes aux dépens de la vie de 3 ou 400 hérétiques. Il oublie la première maxime de l'art de règner, salus populi suprema lex eslo. Il est aveugle au grand exemple donné par Louis XIV et tout cela contre la religion qu'il prétend suivre On voit qu'il n'y a rien de plus absurde que la tolérance. Je ne crains pas de le dire et beaucoup de nos collègues le pensent avec moi. C'est une des hérésies les plus abominables qui aient jamais infecté l'Eglise, et saint Dominique, outre qu'il est un grand homme pour ceux qui savent lire l'histoire, a été le plus humain


des hommes, ou la religion chrétienne est fausse, il n'y a pas de milieu là-dedans. » Une troisième erreur de Paley et de nos autres défenseurs, est de vouloir prouver la foi. Mais celle-là n'est rien auprès des deux monstrueuses doctrines de l'utilité et de la tolérance.

a Il est évident que l'intérêt de la religion (ou du bonheur éternel) est opposé à l'intérêt du quart d'heure que vous passez sur la terre (ou à l'intérêt du bonheur passager). Je n'en veux d'exemple que le jeûne et la prière qui assurément ne sont pas un plaisir, ou ne le sont que pour ceux qui sont sûrs d'en être payés au centuple dans l'autre monde.

» Le Cardinal M. continue pendant une heure à déraisonner sur la fin du monde qui doit arriver vers l'an 1917, mais je vous avoue que comme logicien exact je suis entièrement de son avis sur la tolérance et sur l'utilité.

» Je vais à cette heure vous parler comme politique:' Il est absurde de vouloir armer les rois contre les nobles ou contre les prêtres sous prétexte qu'Hildebrand a fait prendre froid aux pieds à l'empereur Frédéric ou que les seigneurs.

» C'est un homme qui vient de traverser 1. Histoire de la puissance temporelle des Papes, Paris, 1818.


le désert de Suez à Alexandrie, qui s'embarque dans cette ville et auquel vous voulez persuader, tandis qu'il vogue sur la Méditerranée, qu'il est en danger d'être étouffé par les nuages de sable brûlant, tandis que c'est de n'être pas noyé qu'il s'agit uniquement pour lui.

» L'invasion de la famille d'idées libérales que je vois s'avancer en conquérantes en Europe menace également les rois, les prêtres et les nobles.

» Si vous voulez prétendre qu'elles ne menacent pas les Rois, vous êtes réduit à un misérable artifice de théâtre, celui de changer le sens des mots. J'appelle roi l'homme qui exerce ïa place de Louis XV ou de Marie-Thérèse et vous appelez roi M. Monroe, président des Etats-Unis d'Amérique, rien de plus opposé. Laissez faire vos libéraux, et tous les rois d'Europe ne seront bientôt plus que des Présidents forcés de conduire les peuples suivant le vœu de la majorité, obligés de descendre du trône s'ils veulent parler de leurs droits particuliers, et toujours accablés d'injures et de quolibets pour venger l'envie des particuliers.

» Donc tout roi qui ne rétablit pas nos Jésuites et qui ne fait pas donner une excellente éducation à sa noblesse, et à sa noblesse seule, tout roi qui souffre par


exemple nos écoles d'enseignemenl mutuel est un roi qui ne sait pas son métier ou qui comme moi se fiche de tout (che s'imbuzava della baracca).

» Mais si les rois ne peuvent pas se tenir sans la religion et la noblesse, la religion peut se moquer des deux autres. La preuve en est que rien n'est plus religieux que l'Ecosse et les Etats-Unis, les pays les plus éloignés de la monarchie et les vrais repaires (officina generis humani) des idées libérales.

» Les prêtres de toutes les religions chrétiennes n'ont rien de mieux à faire que de se bien vite réunir au Pape non pas parce qu'il est plus ou moins absurde dans ce qu'il enseigne, mais parce qu'il est Ror. » Sans l'immense réforme effectuée par le Concile de Trente, réforme que nous avons toujours tâché de vous faire oublier, Luther tuait le catholicisme sans une réforme analogue vos idées libérales qui vont tout changer depuis le théâtre jusqu'à la littérature nous menacent d'un bien autre danger.

» Luther n'était qu'un homme et ici il ne s'agit de rien moins que de n'être pas renversé par une force qui nécessairement et quoi qu'on fasse va tout renverser. » Heureusement la religion a pour elle » 1° les âmes tendres et passionnées


» 2° l'immense majorité des sots et des jeunes gens qui sont tourmentés par le doute philosophique, qui est cependant l'état habituel du sage, et qui ont besoin de croire quelque chose, les prédictions de Mlle Lenormand ou le [symbole des Apôtres.

» Notre grand adversaire auprès des jeunes gens et des femmes, c'est-à-dire auprès de cette partie la plus active de nos partisans, c'est l'amour. Transigeons donc avec l'amour comme nous le faisons en Italie depuis cent ans.

» Voilà le premier et singulier article de la réforme à faire par le nouveau Concile de Trente. Là-dessus, allons nous coucher, car je vois que Votre Excellence a sommeil et vous deux, Messieurs, faites-moi l'amitié de venir dîner demain chez moi, et de ne parler de mes rêveries qu'après ma mort. Croyez que si quelquefois nous nous moquons à Rome de vos livres libéraux, c'est que nous voyons des enfants qui ne savent pas la moitié des raisons de la cause dont ils se font les avocats. » Quand la religion 2 chrétienne n'aurait produit que l'institution des jésuites, c'est 1. C'est un des points les plus admirables de la doctrine des Jésuites.

2. 23 novembre 1818.


une raison suffisante pour mettre en discussion si cette législation n'a pas été plus nuisible qu'utile à l'humanité, et ce à partir du siècle de Grégoire VIL

La Saint-Barthélémy et les autres crimes publics ne sont rien, que d'atroces infamies sanctifiées dans le fond des familles, me disait l'avocat R. à Naples î


12 décembre 1818.

(TPI nvoyer la copie de ceci à mon ami ri St[end.hal] pour sa seconde). J-^ A ajouter à la page.

Mon copiste me regarde en riant et le temps présent est l'arche du Seigneur. Parmi les livres qui pourront donner à la postérité une idée de ces temps héroïques de la Lombardie et de l'Italie, j'ai ouï citer avec les plus grands éloges un manuscrit inédit, et pour cause, intitulé Essai slatistique sur le royaume d'Italie. M. Pecchio est un homme d'infiniment d'esprit et d'un esprit bien rare en Italie, c'est-à-dire exempt d'emphase et de ce patriotisme monacal qui porte à mentir effrontément pour flatter sa patrie. J'espère que sa prose ne sera pas lâche et énervée comme il est d'usage ici 1. M. jeune officier de la plus belle valeur, a écrit l'histoire des sièges faits en Espagne par les troupes italiennes. On dit qu'un jeune homme riche de ce pays-ci a avancé au libraire vingt mille francs pour la gravure des planches.

1. C'est l'avis de l'Ed[inburgh] Eev[iew] sur rilangîerin0.


Y

12 décembre 1818.

Le Thésée demandé à Canova par M. Melzi va arriver. On le voulait placer sur la jolie place de Saint-Fidèle. C'est un quartier de Milan qui ressemble à Rome. Les palais Beljiojoso, la maison des Omenoni avec ses huit colonnes avançant sur la rue et noircies par le temps, l'immense Palais Marin et plus que tout la charmante église construite par Pellegrini auraient préparé l'âme à l'élévation de Persée et à la profonde attention nécessaire à la sculpture. Mais les poètes ont représenté que Thésée était païen et certainement damné et qu'il ne convenait pas de placer l'image d un damné devant la porte de Saint-Fidèle. Voilà ce que sont encore les prêtres dans ce pays-ci malgré Joseph II, le courageux Tamburini et un gouvernement infiniment plus libéral à cet égard que celui de France. Qu'on juge du génie du christianisme à Naples et à Florence On va reléguer Thésée dans un coin de la mauvaise place du Palazzo Reale dont la plate architecture pleine de prétention n'est faite que pour donner le dégoût de tous les arts. Espérons qu'un jour on démolira la moitié des ailes de ce vilain édifice.


L'aile de gauche cache la partie la plus importante du dôme de Milan, incontestablement le second édifice de l'Europe après Saint^Pierre de Rome. Car SaintPaul de Londres et le Panthéon de Paris, comme copies plus ou moins bonnes de Saint-Pierre, ne peuvent pas lutter avec les sensations que donne l'originalité hardie du plus bel édifice gothique qui existe. Et cet édifice terminé dans ses parties les plus brillantes par Napoléon a encore toute l'éclatante blancheur du plus beau marbre.

12 décembre.

Les Napolitains, si bruyants ailleurs, font au théâtre le plus profond silence, bel exemple pour les Milanais qui à la Scala jasent un peu plus haut que dans la rue.

Défauts des écrivains d'Italie

Ils ont trop peur de tomber dans des fautes pour "atteindre les plus grandes beautés.

« They stand to much in dread of faults


to attain many of the greater beauties », dit l'Edinburg Review, n° 15-155, d'un auteur anglais.

Le cardinal Gallo. au Pape1 en toute humilité et après de grands combats « Je songeais que si vous après ma mort, vous étiez fait pape on vous appellerait Papagallo (Perroquet). »

1. Lapsus probable do Stendhal Ta phrase ne se comprend que dite par le Pape au cardinal. N. D. L. E.


ETVAGES DE LA MER 1

Recco, 8 septembre 1818.

Il y avait une fête de la vierge à Recco2. J'y suis allé avec les petites -*L filles de l'ancien doge S. qui ont été élevées en Flandre, dans un couvent dont ma tante était abbesse. Nous étions dix montés sur des ânes nous nous faisions spectacle à nous-mêmes par cette petite route toujours en corniche sur la mer et qui monte ou descend sans cesse pour passer les promontoires dont les vagues ont ruiné le bout. Gaieté folle, d l'italienne, sans nulle affectation. Je profite de cette liberté pour quitter la troupe en arrivant à Recco je suis à pied le rivage de la mer; j'ai regret de n'être pas né en Italie.

Quoi de plus insensé que de laisser empoisonner son âme par des événements qui ont eu lieu parce qu'il devaient arriver. 1

1. Si l'on comprend bien les notes elliptiques placées en marge de ces pages elles auraient été écrites en décembre 1818, et tirées de VEdetiv-, Review, august 1818, N.D.L.E. S. A seize kilomètres de GêBEBAÎfote de J.de Milty qui lepremier,mais très infidèlement, a publié ce- fragment.) N.D.Ii.E.


Quoi donc, l'herbe sera malheureuse parce qu'un volcan a bouleversé toute la montagne et avec les autres la motte de terre où est rattachée sa petite existence 1 Ne vaudrait-il pas mieux, mille fois, ignorer ces événements, comme ces jeunes italiens ? Qu'y a-t-il de réel pour chaque être, si ce n'est sa propre existence ? Et ce court passage de vingt à trente ans, qui est tout pour moi, je le sacrifierais dans les larmes et dans les soupirs, parce que certains événements ont eu lieu qui étaient amenés par l'éternelle chaîne de la destinée ? Quoi de plus faible, quoi même de plus ridicule ? Mais, au nom de Dieu, n'allez pas vous y tromper, mon ami, je n'ai pas regret de mes honneurs passés, j'ai regret du malheur du genre humain. Une fausse philosophie fait que l'on se moque de l'ignorance italienne, et un peu plus d'expérience de la vie fait que l'on porte envie à cette heureuse ignorance.

L'histoire n'est pour eux que les dates de l'avènement et de la mort des papes et des rois ils n'ont pas eu le malheur de devenir amoureux du genre humain. Ils croient fermement que tout sera dans cent ans comme il y a cent ans, et cette heureuse erreur tue dans leurs âmes toute anxiété pour ces objets. L'histoire est pour eux comme la mythologie, une chose qu'il faut savoir pour


ne pas faire une mauvaise figure dans le monde, mais qui s'intéresse aux malheurs d'Hercule ? Et toutes leurs pensées sont tournées vers le moment présent et vers le bonheur d'aimer.

Ces pensées m'ont conduit à plus d'une lieue de Recco, au pied de montagnes solitaires. Le soleil venait de se coucher. Je me suis assis tout à fait au bord de la mer. L'écume des vagues venait mourir à mes pieds, et lorsque la vague était un peu plus forte, j'étais mouillé.Un pas de plus, et je n'étais plus. J'étais sur le bord de l'éternité. Insensiblement l'occident est devenu plus sombre, la lune s'est levée, l'âpreté de mes chagrins s'est calmée, et j'ai trouvé deux heures d'un bonheur plus sombre, sans doute, mais peutêtre plus occupant, plus absorbant l'âme tout entière, que celui de nos jeunes italiens. Ils ne savaient pas ce que c'est que de passer la vie sans aimer mener une vie errante, changer de ville tous les quinze jours, sacrifier toutes les émotions de la jeunesse à ce qui est ou à ce que l'on croit être une noble cause tout cela est pour eux de la mythologie. Il leur manque d'avoir été malheureux pour sentir le profond bonheur de la situation.

Et puis, me dis-je, si je me suis trompé dans le chemin de la vie. C'est bientôt


fait. Encore huit ou dix ans, et ce bonheur que je regrette de ne pas suivre, sera à jamais impossible pour moi. Qui songe à aimer à quarante ans 1

Les plus beaux souvenirs de l'espèce humaine et ses regrets les plus profonds se lient aux rivages de cette mer que j'ai sous les yeux. C'est sur les rivages baignés par ces ondes qui se brisent à trois pieds de mon crayon qu'eurent lieu les événements les plus intéressants de l'histoire de l'espèce humaine et tout ce que le genre humain possède de liberté, de bonheur, de pouvoir sur le reste de la nature, et do science, nous ramène, si nous en cherchons l'origine, à ces rivages enchanteurs de la Méditerranée.

Mais le génie du christianisme et son allié intime, le génie du despotisme, sont venus placer les exemples du dernier avilissement et du dernier malheur sur ces mêmes rivages de la Grèce et de l'Espagne qui, sous l'empire de Jupiter Olympien et de l'Apollon de Delphes, étaient aussi heureux par leurs habitudes morales et par leur climat.

Ici j'entends le bruit des coups de fusil et des moltarelti (petits mortiers) tirés en l'honneur de la Sainte-Vierge par ces habitants avares et voleurs qui interrompent à peine la solitude de ces montagnes si


peuplées et d'une population si heureuse du temps d'Auguste et de Tibère. Non, les rivages d'aucune mer ne peuvent donner ce charme des souvenirs héroïques et malheureux. Combien la mort du maréchal Ney n'ajoutera-t-elle pas d'intérêt dans l'histoire aux récits de ses héroïques exploits Le malheur de Napoléon et de la France était le seul charme qui manquât à ces campagnes sublimes qui ont enployé notre jeunesse. Comme artiste, je suis presque tenté de me réjouir de la bataille de Waterloo « Voilà donc comme est tombé, diront les races futures, cet homme qui voulait nous guérir de dix-huit siècles de christianisme et de féodalité »

Barcelone qui est là, vis-à-vis de moi Carthagène, Cattaro, Rome, Palerme, Naples, Corfou et bientôt Chypre et Alexandrie, allaient avoir les deux Chambres. Partout, pour préparer ce grand jour, le crime disparaissait le vol et l'assassinat étaient punis sur les mêmes rivages où, aujourd'hui, l'on traite avec le chef des voleurs.

En 1900, l'Europe n'aura qu'un moyen de résister à l'énorme population et à la raison profonde de l'Amérique ce sera de donner à l' Asie-Mineure, à la Grèce, à la Dalmatie, la même civilisation; c'est-à


dire le même degré de liberté dont on jouit dans la Pensylvanie. Ces fils de la liberté détruiront en deux ou trois campagnes, s'ils le veulent, les plus grands pouvoirs exercés par le despotisme.

Il est dix heures. Le spectacle devient plus sublime à chaque inst-ant. La lune plus claire brille au milieu d'un ciel élincelant.' Je n'ai, d'autre arme que mon poignard. Sans doute, les paysans revenant de la fête de la Madone, trouvant un signor (un monsieur riche) en si belle position, n'hésiteraient pas à me jeter à la mer. Je m'en vais.

9 septembre.

Je rentrais hier soir à Recco, à onze heures. A un mille de distance j'entendis le bruit du fifre et de la clarinette. Le village était richement illuminé. Je trouvai les dames dansant. L'on me gronda sérieusement de mon imprudence. Une dame qui m'avait fait des agaceries toute la route, me forca à danser des monférines. Nous avons dansé jusqu'à deux heures du maLin et ensuite soupé.

Aujourd'hui, j'ai presque honte de ce que j'écrivais hier soir au crayon, sur mon agenda, et encore plus des sentiments qui m'agitaient et que je ne savais comment


écrire. Pour m'en punir je transcris mon griffonnage sans m'accorder d'y changer un seul mot. En revenant de ces extases de mélancolie je suis gauche et timide. Cette jeune belle sposa de vingt ans, que je ne connaissais pas et que je ne pourrai revoir à Gênes, m'a fait des agaceries incroyables auxquelles je suis resté les yeux ouverts et étonné comme un benêt qui vient de l'autre monde.

Demain, peut-être, elle ne songera plus à moi et même se moquera si je m'avise de croire que demain est la suite d'hier. Rien ne sera plus impossible que de lui-faire la cour.

L'amour-sensation est comme la gloire à l'armée il n'y a qu'un moment pour le saisir.


THEOLOGIE EN ANGLETERRE (1)

Depuis 1814, les riches d'Angleterre | meurent de peur que les pauvres ne s'aperçoivent qu'ils payent un gouvernement qui non seulement est entièrement dirigé en faveur des riches, mais encore contre les pauvres. Ce sentiment qui remonte jusqu'à 1760 prit de grandes forces en 1794, mais n'a éclaté dans toute la fureur de sa peur que depuis 1814. Alors le gouvernement n'a plus eu le prétexte de la guerre et les pauvres ont commencé à voir clair dans leur affaires 2. Les riches d'Angleterre ont appelé à leur secours la religion qui depuis cinquante ans n'est partout qu'un instrument plus ou moins corrompu dans la main des gouvernements. Ils ont trouvé de grandes facilités, car en Angleterre le clergé est naturellement ultra; Henri VIII lorsqu'il opéra jadis la réforme pour n'être pas embarrassé par les frottements combla de richesses les prêtres alors vivants.

1. Ecrit le 18 décembre 1818. 2. Voir le voyage de Bïrkbeck.


Les riches ont si bien opéré depuis 1814 qu'en 1819 les deux tiers des livres qui se publient en Angleterre et dont les annonces remplissent les journaux littéraires sont de la théologie la plus absurde 1. Les pauvres étant éminemment religieux, et d'un autre côté sentant vivement leurs maux, sont au désespoir et presque fous. La place est faite pour un autre Luther, mais gare le sang.

La théologie d'Angleterre est plus absurde que celle de Rome en ce que le Pape vous dit croyez votre catéchisme de trois sous, ou vous serez damné, et tout est fini. Les prêtres anglais vous disent croyez sans examen aucun que ce recueil de vieux poèmes hébreux a été dicté par Dieu. Après quoi réveillez toute votre raison et je vais vous prouver géométriquement < i

que ces vieux poèmes me donnent le droit d'être payé par vous pour vous prêcher

2° qu'ils commandent toutes les vertus exigées par la civilisation du xixe siècle et qu'il convient à lord Gastlereagh et aux riches de souffrir en Angleterre

3o et surtout qu'ils proscrivent le jacobinisme et les détestables exemples que 1. Voir VEdeclie-Reciev), la Brttkli Crilic, etc., etc.


nous donne l'Amérique où l'on a le malheur de vivre sans noblesse et sans archevêques, et où le Président n'est que le premier employé de l'Etat.

Quant à cette clé il n'y a rien de plaisant comme la théologie de Paley ou de Kennicott ou de Beattie. Par exemple les deux premiers de ces écrivains raisonnent fort juste, il est drôle de les voir suer sang et eau pour prouver que notre code d'instruction criminelle est contenu en entier dans la chanson Malbrough s'en va-t-en guerre. Ces pauvres diables reçoivent bassement l'aumône dans leur jeunesse 1 et sont récompensés sur leurs vieux jours par une pension de deux cents louis, et l'archevêque de Cantorbery a deux millions de rente (vies de Beattie de l'Evêque Watson, de Kennicott, etc., etc., etc.)

1. Voir la vie de Beattie recevant de petits cadeaux de dix louis de vieilles comtesses pour avoir injurié Hume, et George III lui donnant une audience pour le même objet. Kos missionnaires actuels doivent être bien Jaloux de tant de bonheur.


18 décembre 1818.

APPENDICE 1

Malte, le 1819.

On profite ici du caractère juste et profondément raisonnable que la constitution anglaise a procuré à plusieurs anglais. Mais les colonies anglaises sont le lieu du monde l'on entend le plus bassement injurier la liberté. C'est tout simple depuis le gouverneur jusqu'au Pasteur comique tous attendent leur avancement de Lord C[astlerei]gh. Si vous voulez des preuves écrites, et dans les journaux encore, voyez les lettres par lesquelles Lord Exmouth annonce son utile et sanglante victoire d'Alger (il avait perdu huit cents hommes) au roi de Naples et autres souverains de la Méditerranée. Pour mériter les grâces du gouvernement anglais il faut commencer par abhorrer la liberté et les Jacobins tels que Franklin et Algernon Sidney. Un noble espagnol sera plus considéré à 1. Datant l'appendice de Malte ce qui m'autorise un peu à tant parler des Anglais.


Malte qu'un gentilhomme français. On suppose le premier plus ennemi du jacobinisme. En un mot une colonie sous Bonaparte était infiniment plus libérale qu'une colonie anglaise en 1819. Le moindre lieutenant qui lirait Voltaire craindrait avec raison de ne jamais passer capitaine. On m'assurait hier que la police à cet égard était faite par les prêtres anglais. Il n'y a que deux articles sur lesquels les militaires anglais diffèrent de nos ultra, le courage d'abord, et en second lieu leur admiration pour N[apoléon]. Je viens de voir un général anglais se découvrir gravement parce qu'il a nommé l'usurpateur. Des yeux fidèles sont offensés par le portrait de cet homme qui se reproduit dans toutes les Chambres. Ce qu'il avait de despotique dans le caractère ne nuit pas à ce culte.

Un des amis d'un grand personnage lui reprochait le mois passé de voler un peu trop. Sans répondre il prend son ami par la main et s'approchant de la fenêtre « Voyez cette prison.. Que peut-on y faire, si ce n'est y amasser les moyens d'être passablement ailleurs » Tous pensent ainsi et les conquêtes de l'Angleterre la ruinent. Que sera-ce quand les Américains commenceront à les vexer ? '?


20 décembre 1818.

La nuit d'une Italienne (contée hier 19 jusqu'à trois heures du matin).

La nuit de la N. dans la rue déserte de San Vicenzino, cela, est caractéristique par jalousie. Plus la C. K. sortant à une heure pour aller chercher son mari dont elle était inquiète, et jalousie de celui-ci.

Ne jamais souffrir que son cœur soit ému par aucune attente en montant chez une femme.

She shall not be there but to morrow evening.

Le 21 décembre 1818, revenant de chez Lady M[étilde].

23 décembre 1818,

to take E[dinburgli] R[eview] 60, page 430. je l'ai trop peu travaillé).

Quand un gouvernement est attaqué la


première question que se font les gens qui ont reçu une certaine éducation, c'est La même providence qui a donné l'électorat de Cassel à l'Allemagne et le P[ape] à l'Italie pour leur montrer ce que c'est que la monarchie regrettée par les nobles et par les prêtres, vient de nous envoyer en 1818 les oeuvres de l'abbé Georgel. Comme cet homme a beaucoup de sagacité et d'esprit, c'est un témoin aussi agréable qu'irrécusable. Il montre ce qu'étaient les gouvernements en 1780 et ce qu'était alors un prêtre. L'homme qui après cette lecture a encore des doutes n'est bon dans le monde qu'à jouer au piquet ou à nous donner sa fille en mariage s'il est riche.

Pour l'instruction comme pour l'amusement l'abbé Georgel seul vaut infiniment mieux que tous les ouvrages de MM. Benjamin Constant et Birkbeck.

23 décembre 1818.

Georgel Voyage en Russie.

Je lis avec plaisir depuis six jours le voyage de ce coquin de Jésuite. II peint


ressemblant, quel témoignage contre le despotisme Quel malheur qu'il n'ait pas résidé deux mois de plus à Pétersbourg pour voir l'assassinat de Paul Ier. Comme ce prêtre ultra peint bien le despotisme 1 Voici des pages où j'ai des notes à prendre surtout pour les jardins anglais de l'Allemagne. Aujourd'hui 1 am too in Lfove] pour pouvoir travailler.

Pages 61, 68, 71, 75, 90, 92, 114, 124, loi, 168, 184, 328, 402, 403, 418.

7 janvier 1819.

Du 22 décembre au 7 janvier 1819 je n'ai rien écrit by love, by santé et par le désir of making dialogues au lieu de proses. 4 janvier 1 see she loves me 6 1 am without witt and very tendre 1.

̃

Je ne trouve les Italiens de mauvais goût que dans l'épigramme qui chez eux n'est qu'une énigme passionnée. On voit encore là qu'il leur manque un Louis XIV. 1. ïlelu et commenta le 14 novembre 1819.


Dans la. conversation ils abhorrent la plaisanterie la plus légère et la prennent pour une marque de haine, en France c'est une preuve de familiarité.

Le célèbre poète Manfredi étant venu à Rome, l'abbé Berardi, secrétaire, âme damnée d'un cardinal, lui fit le sonnet suivant que je cite non pas assurément pour sa véracité mais parce que chez Mme Gh[erardi] tout le monde m'a dit que c'était un chef-d'œuvre

Col tozzo in mano colla bisaccia in collo Trop sûr d'être aimé pour craindre de pouvoir déplaire.

Un Italien achète deux barques de vieux livres de théologie au poids en Italie et les revend en Espagne au poids de l'or pour compléter les bibliothèques des moines et des inquisiteurs.

Ed[inburgh] Eeview, n° 17, p. 185. Caractères des nations et surtout 1 différencié de l'Anglais et de l'Irlandais. To take for S[tendh]al.

24 janvier 1819.

1. Un mot illisible.



MŒURS ROMAINES



MŒURS ROMAINES

LES FANTOCCINI A ROME 1

(Lettre)

Mon cher V.,vous insistez pour que je vous dise quelque chose de la ville élernelle, que j'ai habitée pendant quelques mois mais quelle partie de son bizarre aspect, moitié antique, moitié moderne, pourrais-je choisir comme texte, qui n'ait été rebattue par les innombrables voyageurs de tout pays, de tout sexe, de toute condition, qui s'y sont succédés depuis dix ans ? Rêvant au choix d'un sujet, comme je descendais le Corso je fus tiré de mes idées par les vociférations d'un homme qui, à l'entrée d'une espèce de cave sous le palais Fiano, criait à tuetête « Entraxe, ô signori, etc.», « Entrez, Messieurs, entrez, on va commencer. » J'entrai et je trouvai ce que je cherchais pour vous, un sujet encore vierge. En payant trente-huit centimes, je pus assis1. Le Globe, aamedi 2 octobre 1824.


ter à un spectacle de marionnettes. Lamodicité du prix me fit craindre d'y rencontrer mauvaise compagnie, mais je fus agréablement surpris de voir que 38 centimes dans un pays sans argent suffisaient pour écarter la canaille, et je pris ma place au milieu d'une réunion fort décente et fort respectable de citoyens de Rome. Les habitants de Rome sont peut-être, en Europe, le peuple qui entend le mieux la satire légère et piquante doués d'une grande pénétration, ils saisissent avec vivacité les allusions les plus fines et les plus éloignées et ils mettent leur malice à s'égayer sur le compte des grands, toutes les fois qu'ils le peuvent, par des dialogues piquants entre Pasquin et Marforio, ou par le jeu non moins fin et non moins satirique de leurs chers fanloccini. Il est inutile de dire qu'on chercherait en vain la même liberté dans les théâtres réguliers, dont toutes les pièces sont soumises à la censure ce n'est qu'au théâtre des marionnettes, où les pièces sont improvisées, que les Romains peuvent espérer quelque indulgence pour leur divertissement favori. Ce préambule était nécessaire pour vous empêcher de vous moquer de moi, quand je vous dirai que j'ai passé des soirées délicieuses à une représentation des marionnettes du palais Fiano. Les


acteurs n'ont pas plus d'un pied de haut et la scène sur laquelle ils jouent une petite heure a environ douze pieds de large sur quatre ou cinq de hauteur. Les portes, les fenêtres, les coulisses, etc., sont dans un rapport mathématique avec les petites dimensions de ces acteurs de douze pouces. Le personnage maintenant en faveur près du peuple de Rome, et dont les aventures ne l'ennuient jamais, est Cassandrino. Cassandrino est un vieux fat de cinquantecinq ou cinquante-six ans, soigné dans sa personne, vif dans ses mouvements, à cheveux gris bien arrangés, possédant les manières de la meilleure société, connaissant parfaitement les hommes et les choses et sachant mettre à profit la passion dominante du jour en un mot, Cassandrino pourrait passer pour un homme à peu près parfait, pour une espèce de Grandisson sexagénaire, s'il n'avait pas le petit défaut de s'amouracher de toutes les jolies figures que le hasard lui fait rencontrer. Dans un pays où le gouvernement est entièrement composé de célibataires, c'est une idée heureuse quoique hasardeuse d'avoir créé un caractère tel que celui de Cassandrino. Il est ordinairement représenté en laïque, mais l'imagination des spectateurs lui donne bientôt les ordres sacrés ei, l'habillement violet des monsignori. Les mon-


signori sont ceux qui, ti la cour du pape, aspirent aux honneurs de la cléricature, et c'est cette classe qui remplit la plupart des dignités ecclésiastiques. Le cardinal Consaïvi, par exemple, fut monsignore pendant trente ans de sa vie. Rome est pleine de monsignori du même âge que Cassandrino, qui ont encore leur fortune à faire, mais qui tâchent de se consoler en faisant une cour assidue aux jolies femmes de Rome. La pièce représentée par les marionnettes du palais Fiano, le soir où j'eus le bonheur de m'y fourvoyer, était intitulée Cassandrino allievo di un pittore (Cassandrino élève d'un peintre).

Un peintre fameux de Rome a une fille très belle, dont les charmes ont fait une impression profonde sur Cassandrino, ci-devant jeune homme de soixante ans l'amoureux sexagénaire appelle quelqu'un pour voir sa perruque blonde, et se donne lui-même en entrant sur la scène, tous les airs et toutes les grâces d'un cardinal en espérance. La vue de Cassandrino sur la scène, et les trois ou quatre tours qu'il fait en attendant sa belle, qu'il a envoyée chercher par la cameriera di casa après lui avoir glissé quelques pièces dans la main, excitent la gaieté de l'assemblée, tant ses mouvements imitent admirablement la tournure affectée d'un jeune monsignore.


J'oserais presque affirmer que, dans ce moment, personne au théâtre ne croit voir marcher sur les planches un morceau de bois travaillé. La fille du peintre arrive et Cassandrino qui n'a pas encore osé, à cause de son âge, lui faire une déclaration positive de ses sentiments, lui demande la permission de chanter une cavatine qu'il a tout nouvellement entendue à un concert. Cette cavatine, un des airs les plus délicieux de Paesiello, fut chantée de la manière la plus ravissante. On l'applaudit avec enthousiasme, mais l'illusion fut un moment détruite par les cris des spectateurs Brava la Ciabalina C'était le nom. de la chanteuse placée derrière le théâtre elle est fille d'un savetier, et elle a une voix superbe on lui donne une couronne pour chanter cet air chaque soirée. Dans les paroles de la cavatine le tendre Cassandrino place une déclaration de sa passion la jeune fille lui répond par quelques compliments sur l'élégance de sa mise, dont le vieux cavalier est enchanté, et aussitôt commence l'énumération louangeuse des divers articles de sa toilette. Le drap de son habit est de France celui de ses pantalons, d'Angleterre. Il parle ensuite de sa superbe montre à répétition faite à Genève, qu'il tire et fait sonner en un mot Cassandrino montre toute la gloriole et toute la


petite vanité d'un vieux garçon amoureux fou. Prenant de l'assurance à mesure qu'il étale les nombreuses perfections de sa toilette et de ses breloques, il rapproche peu à peu sa chaise de celle de la jeune fille, et la menace d'une déclaration en forme, lorsque le tendre tête-à-tête est mal à propos interrompu par l'entrée du peintre qui paraît avec une énorme paire de favoris et de longs cheveux flottants, parce qu'il est de mode à Rome, parmi les artistes qui ont du génie ou qui n'en ont pas, d'imiter ainsi lord Byron, dont la personne et le caractère sont populaires en Italie, surtout depuis qu'il a si noblement dévoué sa fortune et sa vie à la cause glorieuse des Grecs. Le peintre rend à Cassandrino une miniature qu'il avait retouchée pour lui, et le prie en même temps de ne plus honorer sa fille de ses visites. Cassandrino, au lieu de prendre feu à cette intimation, fait au jeune peintre les éloges les plus flatteurs sur son talent et son habileté. Le peintre se trouvant seul alors avec sa fille lui demande « Comment avez-vous été assez imprudente pour accorder un tête-à-tête à un homme qui ne peut pas vous épouser ? » Ce trait, qui indique clairement le caractère clérical du galant, fut saisi et applaudi par les spectateurs. Vient ensuite un monologue de Cassandrino dans la rue


il est inconsolable de ne plus voir sa belle, dont il est amoureux plus que jamais. Les raisons qu'il se donne à lui-même pour se cacher ses soixante ans sont les plus comiques du monde, d'autant plus que Cassandrmo n'est point un fou, mais au contraire un homme d'une grande expérience, et même d'une âme élevée, mais qui tombe dans ces faiblesses ridicules parce qu'il est amoureux. A la fin il prend la résolution de se déguiser en jeune homme et de se faire l'élève du peintre. Ici se termine le premier acte.

Dans le second nous voyons de nouveau Cassandrino chez le peintre sa figure a disparu presque entièrement sous de longs favoris noirs et une perruque à boucles ondoyantes, mais derrière les oreilles on voit passer les petits cheveux gris et poudrés du sexagénaire. La scène d'amour avec la fille du peintre est excellente en véritable vieux garçon, il s'efforce d'exciter sa tendresse par l'étalage de sa fortune, qu'il offre de partager avec elle, et finit par dire « Nous serons heureux ensemble, et personne ne connaîtra notre bonheur. » Cet autre trait, qui sent le monsignore d'une lieue, est saisi et applaudi. Enfin Cassandrino se hasarde à tomber aux pieds de sa maîtresse et il est surpris dans cette situation par une vieille tante qui l'avait


connu à Ferrare, quarante ans auparavant elle lui rappelle qu'il lui fit alors la cour sans succès. Cassandrino quitte la chambre tout confus et se sauve dans l'atelier du peintre mais il revient bientôt suivi d'un groupe de jeunes artistes qui font pleuvoir sur lui un millier de plaisanteries. Le peintre arrive, et après avoir fait sortir ses élèves, il a un long entretien avec Cassandrino,qui tremble de tout son corps que l'affaire ne devienne publique. Cette nouvelle allusion n'est pas perdue pour la sagacité d'une assemblée romaine. Le peintre, après s'être amusé de l'embarras de Cassandrino, finit par lui dire « Vous êtes venu ici prendre des leçons de peinture bien, je vous en donnerai quelques-unes, et je commencerai par le coloris mes élèves vont vous déshabiller et vous peindre le corps en bel écarlale et quand vous aurez la robe que vous désirez, je vous promènerai d'un bout à l'autre du Corso. » Cassandrino, tout hors de lui-même à l'idée d'une telle promenade, consent à épouser la vieille tante qu'il avait courtisée jadis à Ferrare il s'approche ensuite sur la pointe du pied, et dit en aparté à l'assemblée « Je renonce à l'écarlate, mais je deviendrai l'oncle de l'objet que j'adore, et puis. y> Ici il prétend qu'on l'appelle dehors, fait un profond salut à l'assemblée


et disparaît. Telle est l'analyse imparfaite de la délicieuse petite pièce qui produisit constamment parmi les spectateurs des éclats de gaieté, ou excita un rire contenu et concentré encore plus agréable. A la fin de la représentation, un enfant s'avançait pour souffler les chandelles lorsqu'il s'éleva un cri de surprise dans l'assemblée, qui croyait voir un géant, tant l'illusion avait été forte et tant ils avaient complètement oublié les petites proportions des personnages qui les avaient si bien amusés durant trois quarts d'heure. Nous eûmes ensuite un ballet appelé le Puits enchanlé et tiré des Mille et une Nuits. Ce ballet était encore plus étonnant, s'il est possible, que la comédie, par les mouvements naturels et gracieux des figures de bois. Ayant questionné un de mes voisins sur le mécanisme de ces charmants danseurs, j'appris que leurs pieds sont de plomb, que les fils qui les font mouvoir passent dans l'intérieur du corps, et sont renfermés, avec ceux qui dirigent le mouvement de la tête, dans un petit tube dont l'ouverture est au sommet de la tête il n'y a donc d'un peu visible que les fils qui font mouvoir les bras, encore cet inconvénient peut-il être évité en plaçant les acteurs à cinq ou six pas en arrière de l'avant-scène. Les yeux ne sont mobiles que quand la tête incline à droite PAGES D'ITALIE. is


ou à gauche mais je désespère de vous donner une idée exacte de l'habileté avec laquelle un mécanisme qui à la description paraît si simple et même grossier, imite les mouvements et les attitudes naturels du corps.

(La suite à un prochain numéro)

II1

Ce ne fut que trois jours après, que je pus trouver une soirée libre pour revoir mes chers fanloccini du palais Fiano mais alors la nature du spectacle avait changé du doux au grave, du plaisant, au sévère. On nous donna tout simplement en prose une tragédie intitulée Temislo. et je crains presque de vous faire rire, en vous avançant que ce soir je pleurai presque autant que j'avais ri la première fois. Voici la tragédie de Temisto, qui produisit tant d'émotions, bien que représentée par des acteurs de douze pouces. L'action se passe en Grèce pendant la célébration des fêtes de Bacchus. Le roi Cresphonte fut d'abord marié à Temisto, dont if eut un fils, nommé Phlistène. Erista, femme aussi méchante que belle, ayant conçu une violente passion î. Le Qlobe, 8 octobre 1S24.


pour le roi, lui persuada que Temisto lui était infidèle bientôt après, la reine outragée disparut et fut, par les intrigues d'Erista, vendue comme esclave à quelques Egyptiens, qui l'emmenèrent avec eux dans leur pays. Le roi alors épousa Erista. Dix ans après Temisto revint d'Egypte sous un autre nom, et, comme elle était profondément versée dans les mystères mythologiques de cette contrée, elle fut élevée à la dignité de grande-prêtresse de Bacchus, et devint confidente de la méchante reine Erista. Cette exposition, qui pourra vous paraître longue à la lecture, fut improvisée d'une manière claire et rapide aux Fantoccini le style avait du naturel et du mouvement. A la vérité, l'histoire était légèrement altérée, et on voyait bien que c'était un Italien du xixe siècle, et non un Grec des temps héroïques, qui parlait mais ce défaut était compensé par l'extrême vivacité du dialogue, qui devint quelquefois si pressé, que les interlocuteurs s'interrompaient l'un l'autre, sur quoi une salve d'applaudissements éclatait dans l'assemblée. A l'ouverture de la tragédie, la reine Erista veut assassiner Phlistène, et, dans ce dessein, elle s'adresse à la grande-prêtresse de Bacchus, qu'elle charge de l'exécution du meurtre, comme pouvant aisément


l'accomplir au milieu de la licence des Bacchanales. Temisto, quoique saisie d'horreur à la proposition de détruire son propre fils, feint d'y consentir, de peur que la reine ne confie cette exécution à d'autres mains. Il serait trop long de suivre en détail le développement de cette tragédie. Le fond du sujet et la manière dont l'action se noue m'ont rappelé la Mérope de Voltaire. J'ajouterai seulement que, dans la dernière scène, l'émotion des spectateurs fut portée à son comble, et que j'ai vu rarement, pour ne pas dire jamais, couler des larmes aussi vraies et aussi abondantes à une représentation tragique donnée par des acteurs de chair et d'os. Après vous avoir parlé des fanloccini tragiques et comiques, je terminerai cette lettre, beaucoup trop longue, par quelques mots sur les fanloccini satiriques. Ayantrencontré ici une charmante famille que j'avais intimement connue à Naples sous le règne de Murât, je fus invité à une représentation particulière d'une comédie satirique dans le genre de la Mandragore de Machiavel. Dans cette pièce, les mœurs actuelles de quelques grands de Rome sont retracées avec une fidélité étonnante. Dès la première scène, on se rappelle les proverbes français de Carmontelle, et l'admirable vérité avec laquelle cet écrivain,


trop peu apprécié, a peint les mœurs des Français sous Louis XVI. La pièce que je vis dans cette circonstance avait pour titre Fera-t-on ou non un Secrétaire d'Etal?

Un des personnages de cette pièce n'est rien moins que le pape lui-même, qui sent toute l'incapacité de son secrétaire d'Etat, vieux cardinal de quatre-vingt-deux ans, autrefois fort habile et fort adroit à manier les affaires, mais devenu presque incapable depuis qu'il a perdu totalement la mémoire. La scène dans laquelle ce cardinal sans mémoire est représenté parlant à trois personnes, un curé, un bouvier et le frère d[un carbonaro, qui lui ont présenté chacun différentes pétitions mais qu'il confond perpétuellement dans ses réponses, est délicieuse. Le cardinal, qui s'aperçoit de son erreur, résiste bravement à son infirmité, et prétend se rappeler parfaitement les pétitions, ce qu'il prouve en disant au bouvier que son frère a conspiré contre l'Etat, et qu'il est justement soumis à la sévérité des lois, tandis qu'il cherche à convaincre le malheureux frère du carbonaro de l'inconvénient de laisser entrer sur le territoire romain deux cents bêtes à cornes du royaume de Naples. En entendant ces plaisantes absurdités débitées par un petit personnage de douze pouces,


revêtu des habits écarlates d'un cardinal, on pleurait à force de rire. La société présente n'était composée que de dixhuit personnes, dont quelques-unes dirigeaient les mouvements des marionnettes et parlaient pour elles. Je remarquai avec plaisir que le seul manque de respect envers la personne du pape, dans cette occasion, était de l'avoir représenté ainsi en miniature le rôle qui lui est assigné dans la pièce n'est nullement ridicule, on peut même dire qu'on le flatte sur son énergie. Voici la manière dont ces comédies sont montées le plan de l'intrigue, ou le canevas est concerté d'avance par les acteurs, ou pour mieux dire par ceux qui parlent pour les marionnettes. L'intrigue, ainsi arrangée, est écrite, et on en met une copie vis-à-vis chacun de ceux qui parlent derrière la scène ce sont de jeunes femmes qui prêtent, leur voix aux personnes femelles. La dernière fois que j' allai au palais Fiano, étant arrivé fort tard, je ne trouvai de place que dans une encoignure, tout près de la scène, d'où je ne pouvais éviter de voir la jeune fille qui parlait pour l'héroïne de la pièce cela détruisit sur le champ toute illusion. J'abandonnai bientôt ce théâtre, mais avant de quitter ma place, je ne pus m'empêcher d'être frappé des gestes de cette jeune personne,


gestes aussi animés et bien plus naturels que si elle eût été elle-même sur la scène. En général le dialogue aux Fantoccini est plus naturel d'intonation, plus riche et plus varié d'inflexion, que la déclamation mesurée des théâtres ordinaires; la raison en est peut-être, outre la chaleur de l'improvisation, que ceux qui parlent n'ont point à faire attention au jeu de leur physionomie, aux mouvements de leur corps, les yeux de l'assemblée n'étant pas fixés sur eux. Cette dernière circonstance est particulièrement favorable à la comédie satirique. A la représentation de celle que je vous ai décrite, les jeunes gens chargés des rôles imitèrent non seulement l'accent des personnages, mais même la tournure de leurs idées, d'une manière vraiment admirable trois ou quatre d'entre nous avaient passé la première partie de la soirée avec ces graves et puissants personnages, qu'ils avaient ensuite le plaisir de voir représentés en petit. Cette espèce de comédie, lorsqu'elle n'est point une caricature, mais qu'elle est d'un comique gai, naturel et vrai, est, du moins à mon sens, un des plaisirs intellectuels les plus délicieux que l'on puisse goûter dans un pays comme celui-ci.

J'oubliais de vous dire que le principal acteur, ou, pour parler plus justement,


le principal orateur au palais Fiano, va régulièrement trois ou quatre fois par an en prison pour quelque atteinte aux bienséances morales ou politiques qui lui échoppe dans la chaleur de l'improvisation. Il y serait encore plus souvent envoyé, sans le directeur, qui a soin de payer les deux ou trois espions chargés par la police de surveiller les représentations des fantoccini, et de rapporter les indiscrétions impromptu dont ils peuvent se rendre coupables. Ce directeur, homme sage dans son espèce, au lieu de graisser la patte à ces argus après la représentation, le fait d'avance, en sorte qu'ils sont généralement à moitié ivres au lever de la toile. Une autre circonstance non moins curieuse, c'est que le directeur de ce théâtre et son associé, qui est un charpentier, font chaque nuit leurs comptes, et satisfont à toutes les demandes, comme si l'entreprise était finie. Je me suis laissé dire que leur profit net, une soirée dans l'autre, était d'environ quarante francs à chaque représentation. Girolemo, directeur du théâtre des f antoccini à Milan, est mort il y a peu de temps, après avoir amassé une fortune de trois cent mille francs il est vrai qu'il la dut en grande partie à l'excellence de ses ballets. Il eût fallu voir, pour y croire, le degré de grâce


et de moelleux qu'il savait donner aux ronds de jambes et aux entrechats de ses petits figurants de bois. II n'était pas rare d'entendre dire à Milan que la première marionnette de Girolemo valait mieux que le premier danseur de la Scala. Le principal personnage comique des pièces de Girolemo n'était pas, comme à Rome, Cassandrino. Dans un pays où le gouvernement n'est pas exclusivement entre les mains des célibataires, un pareil caractère eût manqué de sel. Granduja personnage comique employé par Girolemo, est un valet piémontais qui, étonné des mœurs et des usages du bon peuple de Milan, tait là-dessus les plus drôles observations dans le patois de son pays II y a quelque gaieté dans l'idée d'un tel personnage, qui, surpris de tout ce qu'il voit, en demande la raison, ou se l'explique à lui-même par les suppositions les plus burlesques et les plus caustiques. Les Italiens aiment beaucoup dans leurs comédies impromptu ces caractères invariables dont les habitudes sont de tradition et connues d'avance. Ils épargnent l'ennui d'une exposition ou d'une explication de là la vogue d'Arlequin, de Pantalon, de Brighella, et il paraîtrait, d'après quelques découvertes faites dernièrement à Naples, que des personnages semblables


étaient employés dans les pièces atellanes qu'on jouait avant et sous les Romains, à Capoue et dans les villes voisines. Les fanîoccini sont une ressource unique pour la comédie, satirique. J'ai entendu parler d'une comédie de ce genre, jouée dernièrement à Naples, et qui était d'une nature si dangereuse, que les acteurs et le public ne faisaient en tout que six personnes, dont trois spectateurs. A la seconde représentation, les spectateurs changèrent de rôles avec les acteurs, afin que ceux-ci pussent s'amuser à leur tour, etc.


LES ANGLAIS A ROME

Borne, le 13 novembre 1824.

Rome est fort heureuse de voir les ~-t voyageurs anglais accourir dans ses murs. Sans eux les classes laborieuses ne verraient jamais un écu sans eux les classes supérieures ne verraient jamais une idée nouvelle. D'où vient cependant qu'à part quelques exceptions, aussi rares qu'honorables, les Anglais sont profondément haïs par la classe inférieure et poursuivis par le ridicule, dans les salons de M. le duc Torlonia ou de M. Demidoff? Voici deux anecdotes dont j'ai été témoin et qui indiqueront les motifs et les sources des sentiments des habitants de Rome, à l'égard des Anglais, qui les enrichissent par leur visite. Il y a un tableau célèbre à Velletri ce tableau est à l'Hôtel de Ville le portier entre dans l'intérieur des appartements et ouvre d'en dedans la petite chapelle où est le tableau. Je me rencontrai à la porte de cette chapelle avec quatre voyageurs anglais l'un deux, qui parlait fort bien l'italien, mais l'italien de Pétrarque et


non pas celui de la conversation habituelle, est fils d'un marchand très riche de Londres. Nous entrâmes ensemble, nous vîmes le tableau célèbre. Au sortir de la chapelle, le jeune Anglais qui parlait italien présenta, pour lui et ses camarades, au portier cinq sous de France (un mezzo paolo). Sur quoi le portier les accabla d'imprécations car dans ce pays le despotisme est si fort depuis trois cents ans, qu'il a détruit l'aristocratie. Le peuple de Rome n'estime un homme que d'après sa dépense actuelle. Il n'y a d'exception que pour les familles Borghese, Chigi, Gabrielli, Falconieri, AIbani et une ou deux autres, que le peuple respecte, parce qu'il admire leurs palais. La seconde anecdote que j'ai à vous conter s'est passée sur la place d'Espagne. Un jeune Anglais donne à un armurier célèbre un fusil de chasse à raccommoder on le lui rapporte au bout de huit jours le garçon demande deux écus (11 francs). Le jeune Anglais l'envoie promener, dit que c'est trop cher, se met en colère. Le garçon de l'armurier lui rend le fusil, mais retient la baguette, disant avec le sang-froid parfait du peuple à Rome, sang-froid qui dure jusqu'au moment où éclate la colère la plus enragée « J'ai ordre de mon maître de recevoir deux ôcus j'emporte la baguette du fusil passez à


la boutique, vous marchanderez avec mon maître. » Le jeune Anglais passe à la boutique de l'armurier avec un de ses amis. II y a une discussion dans laquelle l'Anglais dit en italien à l'armurier vous êtes un fripon. L'armurier répond à cette injure par des injures l'ami de l'Anglais tombe sur l'armurier à coups de cravache un enfant de seize ans qui était au fond de la boutique, voyant battre son maître, saisit un couteau de chasse qui était à côté de la meule à aiguiser, se précipite sur l'Anglais qui horsewhiped (frappe) son maître et lui porte un coup dans la cuisse la lame du couteau de chasse rencontre une artère, l'Anglais tombe dans son sang, le jeune homme prend la fuite. Après cet assassinat, qui eut lieu dans les premiers jours de décembre de l'année dernière (1823), les Anglais qui étaient reçus chez le duc Torlonia, riche banquier, fort juif, et dans un petit nombre d'autres maisons, affectèrent de se répandre en injures sur le caractère romain, en parlant des Romains et chez eux.

Un Anglais se serait-il permis de traiter un armurier anglais comme le jeune voyageur traita l'armurier de la place d'Espagne ?

Un Anglais souffrirait-il qu'à dîner chez lui, un étranger vilipendât, dans les termes


les plus offensants, le caractère anglais ? Un Anglais oserait-il offrir deux pence and a hall (cinq sous de France), au concierge de l'Hôtel de Ville de Cambridge, qui lui aurait montré un tableau célèbre ? `? L'on me dira dans la foule immense des Anglais qui inondent l'Italie, il y a des gens des classes inférieures de la nation. J'ai prévu cette objection. L'Anglais qui a donné cinq sous au portier de Velletri, les deux Anglais qui sont allés chez l'armurier, sont fort riches et appartiennent à la classe distinguée de la nation ce sont des gens comme il faut. Veut-on connaître le mal, le voici les Anglais croient qu'il leur est permis de se conduire en Italie, comme ils n'oseraient pas se conduire à Londres.

On peut battre un ouvrier de Florence, il s'humiliera Florence, depuis Cosme II 1, est un pays d'aristocratie. On peut battre un ouvrier français s'il a servi, il vous proposera un duel. On citait, l'année dernière, un cocher de cabriolet qui, frappé par un officier russe, avait tiré la croix de la Légion d'honneur de sa poche, l'avait arborée froidement à sa boutonnière cela fait, avait donné un soufflet à l'officier insolent. Il y eut duel au pistolet et le 1. 1500-1821.


hasard, juste cette fois, fit tomber l'officier insolent. A cette seule exception près, l'on peut battre impunément l'ouvrier français, mais non le romain et c'est sur quoi je me fonde pour estimer ce peuple. L'abominable despotisme qui pèse sur lui depuis le xve siècle (voyez les Mémoires s de Benvenuto Cellini), ne lui a laissé qu'une vertu la force. Cette vertu prend souvent la physionomie du crime, comme dans l'assassinat de l'armurier de la place d'Espagne. Mais je le demande à tout homme de coeur, dans l'absence totale des lois, lorsque le Romain des basses classes sait, par une expérience de tous les jours, qu'il est absolument inutile de demander justice pour violences personnelles, contre un homme bien velu, auriez-vous mieux aimé que le jeune ouvrier armurier laissât battre son père ? 2

II esc vrai qu'il y a loin du Romain au patient Irlandais, qui, ainsi qu'il est prouvé au procès de Lord Clermont (Times de septembre 1824), laisse patiemment battre son fils, et même souffre que Lord Clermont lui casse le bras.

Le parti que prirent les Anglais de la classe élevée à Rome, de charger de malédictions le caractère romain, à propos de l'assassinat de la place d'Espagne, redoubla la haine qu on porte à la nation


anglaise, étouffa la voix de plusieurs philanthropes qui cherchaient depuis longtemps à combattre ce sentiment. Je fus témoin d'une discussion qui eut lieu à ce sujet autour du lit du savant chevalier Tambroni, le mari de la maîtresse de Canova. Une chose ajoutait à la haine profonde excitée par l'insolence anglaise. A Rome, en décembre 1823, la haine connue du Pape Léon XII (Annibal délia Genga) pour le cardinal Consalvi, venait de faire éloigner des affaires cet homme d'Etat habile. Il avait été remplacé- par un vieillard de 80 ans, autrefois fort galant et fort ullrà, comme le cardinal della Genga, le cardinal della Somaglia. Consalvi avait protégé les Anglais de la manière la plus singulière. Il était allé, au grand scandale du cardinal Pacca et de tout le parti ultra, jusqu'à tolérer à Rome l'exercice du culte anglican. Délia Somaglia ne protégeait plus les Anglais et rien ne semble exorbitant à un Romain et ne le met en fureur comme une insolence non soutenue (backed) par le pouvoir réel. C'est un sentiment analogue à celui qu'éprouverait un militaire commandant une place fort importante, et qui se verrait sommé de se rendre, par le colonel d'un régiment approchant de sa place sans canon. Je m'amusai beaucoup, chez M. Tambroni, à vérifier que la colère des


Romains venait surtout de ce que cette insolence anglaise avait lieu sous un ministère non ami des Anglais. Voilà un trait bien remarquable dans l'histoire morale d'un peuple gâté par quatre siècles du despotisme le plus complel qui soit en Europe. Les Anglais font beaucoup de dépenses à Rome mais comme ils ont toujours peur d'être trompés, ils dépensent leur argent sans grâce. Au contraire de M. Demidofî, qui dit publiquement « Un homme comme moi, qui a huit mille francs de rente par jour et qui en dépense deux à Rome, ne doit jamais s'apercevoir qu'on lui vole cent louis par mois. » Cette résolution peut n'être pas morale, mais les Romains sont tellement démoralisés, que la conduite d'un étranger ou de mille étrangers n'y fait rien. M. Demidoff à qui V ullracîsme de Léon XII vient de faire déserter Rome pour Florence, M. Demidofî se proposait de consacrer cent mille francs à l'enlèvement des terres qui couvrent le forum romain, ce qui l'eût entièrement déblayé. M. Demidoff est adoré à Rome ainsi que tous les Russes; tandis que, grâce à leur économie grondeuse, les Anglais sont haïs de ce peuple romain qui, sans eux, mourrait de faim. Car l'on voit fort rarement à Rome un Français ou un Allemand riche. Les hôtels chers sont occupés par


les Anglais et quelques Russes. La feue duchesse de Devonshire et le duc de Devonshire sont les seuls Anglais, à ma connaissance, pour lesquels les Romains aient fait exception à la haine profonde qu'ils portent aux Anglais, Il y a à Rome plusieurs peintres remplis de talent MM. Léopold Robert, Schnetz, Cornélius, Weiss, etc. Un Anglais que je pourrais nommer va chez un de ces messieurs, marchande un petit tableau. Quel est le prix ? Quarante louis. – Monsieur, combien avez-vous mis de temps à le faire ? Douze jours. Eh bien, monsieur, je vous en donne cent quarante-quatre francs; il me semble que douze francs par jour c'est assez payé

L'artiste, indigné et humilié, retourna son tableau contre le mur, tourna le dos au riche Anglais et alla se remettre à peindre. Le soir cette anecdote, racontée au café de l'Académie de France, fit éclater les réflexions les plus sévères sur le caractère anglais, que l'on mit en contraste avec celui du prince royal de Bavière, être assez ridicule, mais qui traite tout le monde et surtout les artistes, avec la politesse parfaite qu'il a apprise de son père, le plus aimable des hommes. Lorsqu'il était à Rome, le prince royal de Bavière adressa aux artistes allemands une pièce de vers,


qui n'était pas sans mérite et qui était fort supérieure à sa conversation.

A Rome l'opinion publique n'a autre chose à faire que de demander Comment se porte le Pape ? Après la réponse à cette question de tous les matins, on parle peinture et musique. Le prix d'un tableau de Schnetz ou de Chauvin est donc connu à un louis près. Un étranger qui se mêlerait à la société romaine pourrait acheter directement les tableaux aux peintres, qui en sont les auteurs. Ces artistes, dégoûtés des dialogues qu'il leur faut soutenir avec les Anglais, et dont je viens de donner un échantillon, chargent des brocanteurs du soin de vendre leurs ouvrages. J'ai vu des Anglais venir montrer à leur banquier, le duc Torlonia, des tableaux qu'ils venaient de payer soixante ou quatre-vingt louis et qui en valaient quinze ou vingt, tout au plus. Tout le monde riait sous cape et l'insolence habituelle de ces messieurs faisait que personne n'avait la charité de lés prémunir contre la friponnerie des brocanteurs subalternes.

Vous allez croire que je hais les Anglais, loin de là, j'aime les civilisations anglaise et française ce sont pour moi les deux premiers peuples du monde. L'Italien, si Napoléon eût régné vingt ans de plus, serait devenu au moins l'égal du Français et de


l'Anglais. Je n'aime ni ne hais aucune nation plus que les autres. Les Russes desquels Napoléon disait « Ouvrez le jabot de ce Russe si bien mis, qui paraît à ma cour, écartez sa chemise et vous apercevrez le poil de l'ours », les Russes dont l'enfance est entourée d'esclaves, les Russes, encore si barbares au fond, sont adorés à Florence, où ils étaient, il y a trois mois, au nombre de quatre ou cinq cents, tandis que les Anglais y sont vus du même œil qu'à Rome. A Rome et à Florence, toutefois, l'argent est adoré, à la lettre, et le peuple dit, en parlant des Anglais nehanno (ils en ont), par excellence, et sans prononcer la parole or.

Les Anglais auraient à Rome des facilités particulières pour former des liaisons avec la société. La plus jolie femme de Rome a épousé un Anglais, le savant M. Dodwell. Mais l'Italien est nerveux et sensible, avant tout, et l'Anglais, en Italie, porte toujours la méfiance sculptée sur sa figure. Mon but, en écrivant ces pages sévères, est que les jeunes Anglais qui les parcourront, avant de partir pour l'Italie, se guérissent de cette apparence de méfiance et surtout se gardent bien de se permettre à Rome, des insolences qu'ils éviteraient soigneusement dans les royaumes unis. C'est la force qui est tout a Rome, le respect


pour l'aristocratie, n'étant point bàcked (soutenu), comme en Angleterre, par une législation sévère, est nul. En Allemagne, en France, un paysan qui est en colère donne un coup de poing à son voisin à Rome il donne un coup de couteau. Il y a eu seize mille assassinats durant le règne de Pie VI, qui a été de vingt-quatre ans c'est presque deux par jour 1. Personne ne s'en étonnait, personne ne cherchait à y porter remède. L'assassinatne produit point à Rome l'effet moral, l'horreur profonde qui l'accompagne dans les pays plus civilisés du Nord. Les gendarmes français et la sage administration du général Miollis avaient supprimé l'assassinat à Rome. Les étrangers qui affluent dans cette grande ville ne possèdent nullement l'art de s'amuser. La société romaine est pleine de feu, de génie naturel, de passion, de bonne envie de s'amuser toutes les fois que la prudence le permet. Les étrangers anglais et russes qui arrivent à Rome, privés de leur société habituelle, entourés d'habitudes nouvelles, n'ayant pour compensation unique que l'admiration des ruines de l'antiquité, l'admiration des statues de Canova, l'admiration des galeries de peintures, etc., sont bientôt lassés de ce 1. 865X24 = 8.760 jours.


régime et, en général, s'ennuient beaucoup les premiers mois à Rome. Eh bien 1 aucun d'eux n'a eu l'idée de se lier avec la société du pays. Chaque soir, à Rome, MM. les ambassadeurs d'Autriche et de France, M. le prince de Montfort (Jérôme Bonaparte, homme plein de bravoure, ne manquant pas d'esprit, vrai Don Juan, fort libertin et mourant d'ennui), Mme la princesse Borghese, M. le duc Torlonia (banquier fort avare et un peu fripon), donnent des soirées. C'est là que les étrangers aperçoivent la haute société romaine je dis aperçoivent, car il y a peu de liaison. Si un étranger parle à un Romain, il ne manque guère, avec une politesse parfaite, de l'entretenir des choses ridicules ou odieuses qu'il a remarquées à Rome. Le Romain parle le moins qu'il peut à un étranger, de peur d'être méprisé. D'après l'étiquette romaine, l'on ne rencontre dans les cercles que j'ai indiqués que la haute noblesse, les familles Altieri, Gabrielli, Falconieri, etc. Ce qu'on appelle le ceto di mezzo, la bourgeoisie riche, n'y est pas admise, et malheureusement pour les étrangers car ce mezzo celo est celui qui a le mieux profité de la présence des Français. -Presque tous les jeunes gens de cette classe ont reçu une éducation passable. Ils sont, par exemple, enthousiastes de


Lord Byron sa mort a produit une vive sensation de douleur j'ai vu, à cette occasion des larmes dans de beaux yeux romains. Je viens, dans ce moment, d'écrire à Londres pour faire venir trois exemplaires des Conversations de L. Byron, par le capitaine Medwin. J'invite les jeunes Anglais qui liront ces pages et qui me croiront de bonne foi et sans passion, tel que je suis, un vrai cosmopolite, à chercher à se lier à Rome avec les jeunes gens du mezzo celo.

La haute société anglaise, à l'exception de la feue duchesse de Devonshire, a évité de se lier même avec la haute noblesse romaine, qu'elle rencontre tous les soirs car, sauf le temps du théâtre, pendant le carnaval, chaque jour il y a une belle soirée diplomatique. Les plus agréables sont chez M. le due de Laval, ambassadeur de France. C'est un homme fort poli, qui a été intime ami de Mme de Staël, de Mme Récamier et de Ferdinand VII roi d'Espagne. De huit à neuf heures trois cents personnes, parmi lesquelles les cinquante plus jolies femmes de Rome et toutes les Anglaises présentes à Rome, arrivent chez M. le duc de Laval. On s'assied, on circule dans quatre salons magnifiques. Il est curieux de voir vingt vieux cardinaux, dont plusieurs ont été fort galants, le cardinal


Albani, par exemple, circuler au milieu de ces cent jolies femmes qui, par parenthèse portent des robes de cour très décolletées, très favorables au display of the fraîcheur of the skin1. L'année dernière la pauvre miss Bathurst brillait dans ces réunions plusieurs étrangers la trouvaient la plus belle personne de Rome d'autres préféraient à miss Bathurst Mme Dodwell (c'est une grande dame romaine qui a épousé un Anglais). Mmes Bonacorsi, Martinetti. Sorlofia, etc., brillaient avec les deux beautés que j'ai nommées les premières. Les cardinaux étaient grands admirateurs de la fraîcheur de miss Bathurst elle était souvent entourée de trois ou quatre. Le plus empressé était le beau cardinal de Gregorio, fils naturel du roi d'Espagne, Charles III, et qui vient chez les ambassadeurs pour les engager à le faire pape à la mort de Léon XII, que tout le monde regarde comme prochaine. « La Sainte Alliance, dit-il aux ambassadeurs, veut un pape qui lui soit déyoué où peut-elle trouver mieux que moi, qui suis un Bourbon, quoi qu'on en dise »

Mme la comtesse Apponyi, ambassadrice d'Autriche, est fort respectée à Rome, parce

1. For fort décolletées, elles laissent à découvert la gorge et les ( pailles


qu'elle a fait son confesseur archevêque. Ce peuple-ci est à genoux devant le pouvoir mais comprenez-moi bien, devant le pouvoir réel, et pas du tout devant l'aristocratie c'est l'effet du despotisme. Le valet de chambre du Pape, s'il a du pouvoir sur son maître, est plus respecté que le prince Borghese, le plus riche des princes romains il a douze cent mille francs de rente. Mme la comtesse Apponyi eut l'idée, la saison dernière, de jouer une comédie française. Elle y admit beaucoup de dames anglaises, plusieurs Français et pas une dame ni un cavalier romain. Qu'arrivat-il ? rien de plus triste que la représentation de la comtesse Apponyi. Les Romains en firent des gorges chaudes dans leurs soirées particulières.

Je conclurai de l'esquisse des mœurs romaines que je viens d'essayer, qu'un Anglais riche qui arrive à Rome doit affecter beaucoup de politesse envers les Romains, placer le buste de Lord Byron dans son salon, se faire présenter dans la société romaine, être fort poli avec les artistes, acheter chaque mois pour vingt louis de petits tableaux aux peintres romains et, enfin, donner, une fois par semaine, un dîner où l'on prierait toujours sept à huit Romains. Après trois ou quatre mois de cette conduite, on sera


populaire à Rome et l'on jouira des agréments de la société romaine que je suppose l'une des plus agréables de l'Italie et dont les Anglais ne se doutent pas plus aujourd'hui que de la société de Constantinople. Le dernier conclave qui a élu Léon XII n'a duré que vingt-sept jours et a produit huit cent quarante pages in-4° de satires. Je viens d'acheter fort cher ces satires manuscrites, formant deux volumes in-4°. Il y en a de charmantes plusieurs sont très gaies il est fort amusant de les entendre lire dans un cercle de Romains et surtout de les voir les expliquer à un étranger mais il va sans dire qu'il faut que cet étranger leur inspire beaucoup de confiance.

M. Demidofî, Russe fort riche et fort poli a une troupe de comédiens français assez bons. La première actrice est sa maîtresse. L'année dernière il donnait soirée et comédie tous les jeudis au Palais Ruspoli qu'il avait loué. Il avait l'esprit d'inviter toute la société romaine non seulement la haute noblesse mais même le mezzo ceto (la bourgeoisie riche). Dans un des vaudevilles du Gymnase de Paris que la troupe de M. Demidoff voulait jouer le nom de l'amoureux était Saint-Léon. On ne se figure pas le chagrin que ce nom a causé au premier Ministre le vieux Cardinal della Somaglia


qui entre autres qualifications au sujet de sa place passe pour avoir perdu entièrement la mémoire et, de plus, être détesté par le Pape Léon XII, qui n'ose pas le destituer. Après bien des négociations avec M. Demidoff que l'on craignait d'éloigner de Rome où il dépense 60 mille francs par mois, le vieux et imbécile Cardinal della Somaglia a fini par faire défendre le vaudeville dont l'amoureux s'appelait Saint-Léon. On a de plus défendu aux acteurs Demidoff de se servir de l'interjection oh, mon dieu 1 qui en français revient à chaque instant.

Le règne de Léon XII est tout à fait bigot et ultra. Le pape vient de rétablir l'asile pour les assassins dans Ostia et trois autres villes fort malsaines. L'édit papal dit que c'est pour repeupler ces villes. Tout assassin qui se rend dans ces localités d'as ile situées à 10 lieues des routes où l'on assassine le plus est à l'abri des poursuites.

Le Cardinal Consalvi était extrêmement jaloux du pouvoir absolu qu'il a eu le plaisir d'exercer pendant 9 ans de 1814 à 1823. Pour mettre Pie VII son maître, hors d'état de le remplacer il a peuplé le Collège des Cardinaux d'imbéciles. Il y a 4 places à la Cour de Rome desquelles -on ne peut sortir que pour être Cardinal


Le Trésorier (Ministre des Finances), le Gouverneur de Rome (Ministre de la Police) le Secrétaire d'Etat le Dataire. quatre autres charges ont usurpé le même privilège par exemple, le Doyen de la rota (Tribunal Supérieur de Justice), ne quitte cet emploi que pour devenir Cardinal. Hé bien excepté les sujets sortis de ces huit places, tels que les cardinaux Cavolchini, Paletta, etc., tous les Cardinaux créés par le Pape sous le Ministère absolu de Consalvi, sont des imbéciles, incapables d'excercer un emploi de Juge de Paix. Tous les vœux porteraient à la Chaire de St Pierre à la première vacance, le Cardinal Spina qui règne à Bologne. On aime tant à Bologne le Cardinal Spina que c'est pour ne pas lui faire de la peine que les Bolonais ne se sont par révoltés lorsque le Piémont essaya il y a quatre ans de se donner une Constitution. Le Cardinal Spina possède les plus grands titres, il est peut-être supérieur au Cardinal Consalvi, mais d'abord il a 70 ans en second lieu la France lui donnerait l'exclusion comme partisan de la Maison d'Autriche. Au dernier conclave la Cour d'Autriche a donné l'exclusion au Cardinal Severoli à l'enterrement duquel je suis allé avanthier Le Cardinal Severoli étant Légat à Vienne lorsque Napoléon épousa Marie-


Louise déclara à l'Empereur François qu'il ne pouvait sans pécher mortellement donner sa fille à un homme dont la première femme n'était pas morte.


PREMIÈRE JOTJRNÉB A ROME 1

TROIS ou quatre lieues de Rome, on commence à remarquer cette soli.f~. tude parfaite, cette désolation sublime, dont tant de voyageurs ont parlé. Si jamais un grand roi, comme Napoléon, parvenait à rendre à la culture VA gro Romano, Rome perdrait les trois quarts de sa beauté. Je traverse des paysages admirables, c'est-à-dire tristes, tranquilles, grandioses, remuant l'âme profondément, et du souvenir desquels on ne peut plus se 1. Ce fragment, probablement écrit pour la seconde édl- Mon de Rome, Xaples et Florence du temps que Beyle fapiéparaità Paris sur d'anciennes notes a été placé par Colomb dans la CorreîPtmdan'.e, sous la date erronée de 1825 on remarque notamment que Beyle y parle d'une visite à Canova qui était mort depuis octobre 1822, et du cardinal Coosalvi mort l'année suivante. Colomb l'a fait précéder du préambule suivant

« A EOMAIS OO1O5IB, A PARIS

Borne, le 11 novembre 1825.

Si quelque chose nous captive vivement, nous nous Rgurons qu'elle doit offrir un égal intérêt à tout le monde. Cette commune erreur, je la partage, peut-être, en ce moment, en t'envoyant quelques pages écrites sous l'impression de mon débotté à Rome. Quoi au'il en soit, tu me sauras toujours gré de ce long souvenir, que tu pourras communiquer aux amis de l'iltnstre et savant voyageur» N. D. L.E.


détacher. Je n'ai jamais rien vu d'approchant, et cependant j'ai bien couru l'Europe.

Rome est entourée d'une muraille qui est, en architecture, ce que la campagne voisine est pour le paysage. Ce mur, bâti, relevé, réparé par vingt hommes célèbres, entre autres par Bélisaire, a cinquante pieds de haut sur huit à dix pieds d'épaisseur. J'arrive à une niche dans ce mur au fond de la niche est une porte c'est la célèbre Porte du peuple, arrangée par Michel Ange. Cette porte, et l'entrée dans Rome, qui la suit, sont fort au-dessous de leur réputation cela est plein de petitesse. Je trouve une attention bien aimable de M. le cardinal Lante. Le pauvre étranger qui arrive à Rome est impitoyablement conduit à la douane, pour la visite de ses effets. Pour peu qu'il y trouve deux ou trois voitures arrivées avant la sienne, on le retient quatre ou cinq heures, et bien loin de l'enthousiasme divin, ses premiers moments dans la ville éternelle se passent t en mouvements d'impatience contre les douaniers.

En présentant mon passeport à la porte du Peuple, on m'a dit Etes-vous Monsieur G. ? – Oui. Voici une autorisation de faire visiter vos effets chez vous. J'ai eu peu de débarras aussi agréables


dans ma vie. Je laisse à mon domestique le soin de chercher un logement. Pour comble de bonheur, je vois une calèche attelée de deux chevaux très vifs c'est un fiacre. Irai-je au Colisée ou à SaintPierre ? Que préférerai-je de l'architecture antique rendue encore plus grandiose par les injures des siècles, ou du chef-d'œuvre de la religion chrétienne et de l'architecture moderne ?

Je dis au Colisée. Je traverse toute cette magnifique rue du Corso, la rue de l'Europe qui a le plus de style. Je vois la colonne Trajane et la. superbe basilique déterrée par Napoléon je traverse le Forum romain. La crainte d'être confondu avec nos petites femmes, jouant toujours la comédie, m'empêche presque d'écrire combien mon coeur battait en entrant au Colisée et en me trouvant au milieu de cette vaste solitude. – Chant des oiseaux perchés sur les buissons qui couronnent les ruines des étages supérieurs. J'ai passé une heure dans cet attendrissement extrême, dont on a honte de parler, même aux amis les plus intimes. Je monte aux étages supérieurs du Colisée. Vue admirable de la pyramide de Cestius, à travers les arcades ruinées. Me voici au troisième étage du Colisée vue au delà des jardins des moines de San Pietro in Vincoli. Voilà le sublime


du paysage mais ce n'est pas le paysage riant les tristes pins couronnent de tous côtés les collines de la ville éternelle. Ouoi i c'est ici que Camille a vécu ? C'est là, tout près de moi, que Romulus a fondé sa ville ? L'extrême des passions est niais à noter je me tais.

« Sommes-nous loin, dis-je à mon cocher en sortant, des Thermes de Caracalla ? A une demi-heure. Courons. » Le sentiment de l'admiration profonde, le ravissement de l'antique, si je puis ainsi dire, sont encore plus vifs. Enfin je dis au cocher « Menez-moi à SaintPierre » je monte dans la calèche et je ferme les yeux. La machine humaine ne peut résister aux sensations de cette force. Cette demi-journée-ci me récompense de tout le temps que j'ai passé à étudierl'architecture, mais à l'étudier à ma manière, sans jamais en parler à aucun homme vivant la petitesse et l'affectation actuelles m'auraient tout empoisonné.

Le cocher me dit Ecco san Pietro. J'étais déjà, lorsque j'ouvre les yeux, au milieu des deux fontaines admirables, tout, près de l'obélisque. Je mets pied à terre, au bas de l'escalier de Saint-Pierre je repousse avec colère une trentaine de pauvres, qui me poursuivent avec une insolence extrême ils sont chez eux. Ici, un mendiant galeux


est une espèce de moine au petit pied. Je monte la rampe mauvaise façade. J'entre dans Saint-Pierre le charme opère. Que dire d'un premier rendez-vous avec une femme qu'on a longtemps aimée 1 J'ai mon logement sur le cours, dans le palais Ruspoli. Affreuse saleté des rues l'odeur des tronçons de choux pourris me poursuit jusqu'à la nausée. J'entre chez un apothicaire pour un flacon de sel anglais. Cet apothicaire se trouve être un homme d'esprit et de bon sens, qui a été à Londres nous parlons anglais il me fait voir ses procédés pour faire la kinine. En un mot, j'ai eu le bonheur de devenir l'ami de M. Agostino Manni. Je ne lui ai jamais dit le mal que je pense de certaines choses mais, à tout prendre, sa maison est et sera pour moi la ressource la plus agréable pendant mon séjour à Rome. Je dois à M. Manni la connaissance de M. Metaxa et de plusieurs autres médecins fort instruits, avec lesquels j'ai approfondi la question des marais Pontins. Mais j'ai eu l'attention de ne jamais dire un mot de politique. Je souhaite aux étrangers l'amitié d'un homme tel que M. Manni il sait la chimie comme nos Caventou et nos Vauquelin. Je retourne au Colisée. La beauté du ciel d'Italie nulle part n'est plus sensible qu'au travers des fenêtres du Colisée, vers le nord.


Je reconnais Canova, de loin, dans une petite gravure placée au pied de la croix du Colisée c'est la gravure d'un tableau de ce grand sculpteur je m'approche, même style que dans ses statues. Dans la tête de la madone, on remarque le peu de distance du nez à la bouche.

Je ne puis revenir de mon étonnement des dix ou douze pieds de terre qui sont tombés du ciel sur les ruines de l'ancienne Rome et sur les environs. D'où est venue cette terre ?

Je vois la curiosité qui paraît pour la première fois avec ses doutes, ses raisonnements, et vient diminuer l'émotion. En effet, à Rome, peu à peu je suis devenu comme un savant, avec de la curiosité et point de cœur mais, grâce au ciel, conservant toujours un peu de cette logique sévère que m'a donnée l'habitude des affaires. Si. Nibby, le moins bête des savants romains, a déjà donné, dans ses ouvrages imprimés, cinq dénominations différentes au temple de Jupiter Sdator, et la dernière découverte est toujours également indubitable.

Le manque de logique est incroyable en Italie parmi les savants c'est que dans leurs académies, si l'on contredit un collègue, l'on se fait un ennemi mortel. Un


savant protégé par un cardinal est ici un animal invulnérable.

Aujourd'hui, venant du Colisée et allant, au hasard, vers le palais Quirinal (Monte Cavallo), j'ai rencontré une jeune fille de dix-huit ans, qui faisait les sept stations, marmottant des prières c'est la plus grande beauté, dans le genre de Raphaël, que j'aie vue de ma vie. Je l'ai suivie, mais avec le respect convenable, pendant plus de trois quarts de lieue. Figure absolument dans le genre de la Madonna alla Seggiola (du palais Pitti). Nous voyons dans la lettre de Raphaël au comte Castiglione 1 que ce grand homme ne faisait guère que des portraits. Me trouvant dans le pays où il a vécu, je rencontre ses têtes dans les rues rien de plus simple cela m'est déjà arrivé à Parme pour le Corrège à Bologne, pour les Carrache, etc. J'ai éprouvé aujourd'hui que pour bien sentir la beauté il faut n'avoir absolument aucun projet de séduction sur la femme qu'on admire.

Magnifique fontaine de Monte Cavallo, devant les colosses. Cette fontaine est tout simplement parfaite. J'éprouve cette sen1. Recueil de lettres de grands artistes, publiées par L.-J. ûay, page 18» Cette lettre, datée de Rome, a été écrite peu de temps avant la mort de Raphaël car il est question de la Galatée, l'un de ses derniers ouvrages. (Note de Romain Colomb.)


sation si rare, qui consiste dans l'impossibilité se trouve l'imagination de rien ajouter à la beauté de ce que l'on voit.Belle cour du palais de Monte Cavallo. Je vois fort bien le cardinal Consalvi rentrant chez lui. Tout est tranquille à Rome comme dans un village. L'absence de la fatuité militaire, de la manière bruyante de marcher d'un général de brigade important, m'est agréable. Le premier ministre rentre chez lui à pied, comme un bourgeois il rencontre près de sa porte un groupe de trois ou quatre poules, qui grattaient la terre tranquillement pour chercher à vivre. Ici, personne n'a l'air pressé. Beauté admirable des yeux du cardinal, saillie extrême des sourcils, air fin du grand monde, mais nullement l'air grand seigneur comme Fleury. Quel dommage que cet homme d'esprit n'ait jamais lu Adam Smith et Jérémie Bentham

Le tombeau de Clément XIII (Rezzonico), à Saint-Pierre, par Canova, m'inspire une vive et tendre admiration. Dans le genre copie de la nature, quelle tête que celle de ce pape Cela est encore plus beau que la tête du Louis XIV, de la statue de la place des Victoires. Dans le genre idéal, quoi de plus beau que le Génie qui s'afflige ? ~t Le soir je vais voir Canova chez sa maîtresse, Mme T. ce grand homme me


reçoit avec bonté. Nous parlons de M. de Samt-Vallier, qui lui fit accepter la Croix de la Réunion, pour laquelle il n'y avait point de serment à prêter Canova refusa courageusement la croix de la Légion d'honneur, parce qu'il fallait un serment. Il est profondément religieux je me sens rempli de respect devant sa personne quand je vais à 1 audience d'un roi, mon esprit est tout à l'épigramme. Une seule chose me choque dans Canova par prudence, il ne blâme aucun artiste, si mauvais qu'il soit. J'ai parlé du Corrège avec Canov a j'éprouve une extrême satisfaction de voir que je sens le Corrège un peu comme lui. Il me dit « Je veux faire une jeune fille réveillée par son amant, qui chante dans la rue. Je tomberais facilement dans l'indécence en un tel sujet, et je jetterais plutôt mes ciseaux. Heureusement, j'ai trouvé un moyen c'est un petit Amour qui joue de la lyre près de la nymphe, et qui la réveille. Je compte que cette figure, éloignée de la réalité, ôtera l'indécence1.

Ici, comme à Bologne, j'ai trouvé des amours qui durent depuis six, huit, douze ans la plupart se sont formés en quelques jours. Dès que vous voyez, dans la société, qu'une femme vous regarde avec plaisir, 1. Ce groupe est en Angleterre.


vous pouvez, au bout de deux ou trois soirées, lui adresser hardiment cette question Mi voleté bene? (Me voulez-vous du bien ?) Si elle répond Non c'est que jamais elle ne sentira rien pour vous si, au contraire, elle vous aime, elle répond Oui et tout est fini.

L'orgueil romain a garanti les gens de ce pays-ci de toutes les petitesses de la vanité française et de la sottise de vouloir imiter quelque autre ville au monde que ce soit. A Milan, on avoue hautement l'imitation de Paris, et l'on a des fats dignes du café Tortoni. Ici l'honneur national couvrirait de ridicule l'imprudent qui avouerait une telle prétention, et le ridicule se lance à Rome avec une admirable rapidité. « Un Romain doit, avant toutes choses, être Romain, disait devant moi, ce soir, l'architecte Serafini, homme d'esprit mais je ne pourrais parler pi us en détail de la société sansm'engager dans les noms propres. Je ne puis rien dire de ma soirée je me suis même fait une règle de ne transcrire qu'avec beaucoup de réserve celles de mes notes de 1817, dans lesquelles je parle d'amis que le sort commun de l'humanité a mis à l'abri de toutes les vaines persécutions. Heureusement, la plupart des personnes qui, à Rome, m'ont accueilli


avec quelque bonté, vivent encore. Je ne te dirai donc rien des salons de cette seconde capitale de l'Europe. Suivant mes idées, la perfection de la société se trouve à Rome. C'est là que des indifférents réunis ont trouvé le secret de se donner réciproquement le plus de moments agréables. Il est vrai que notre vanité inquiète de Paris étant assez rare à Rome, les gens qui se trouvent souvent ensemble dans un salon, ne conservent pas longtemps leurs droits à ce titre d'indifférents que j'ai supposé plus haut comme une des données du problème. Un doux sentiment de bienveillance, qui, au premier petit service, se change bien vite en amitié, réunit des gens qui se voient souvent.

Je ferais deux ou trois volumes si je voulais [transcrire] toutes mes remarques sur Rome.


LA CASCADE DE TERKT i

Après un grand nombre de zigzags dans l'Apennin, de Narni à Terni, je suis arrivé dans cette villette par un clair de lune à neuf heures du soir. Le lendemain matin, par un soleil superbe, et les arbres encore garnis de leurs feuilles seulement rougies par l'automne, je suis allé à pied à la cascade, parce que j'ai eu la petitesse de me mettre en colère avec le maître de poste, que le gouvernement papal a autorisé à prendre un prix énorme pour faire sept milles. De Terni à la cascade, on suit le fond d'une vallée où j'ai eu le plaisir de me perdre. J'ai demandé plusieurs fois mon chemin. Une paysanne, après m'avoir

1. Fragment écrit par Beyle pour la seconde édition de Rome, Saples et Florence et publié par Romain Colomb dans la Correspondance, sous lo chapeau suivant A BOMAIK COLOMB A PARIS

Rome, le 20 novembre 1825.

Ah 1 parbleu, Je te conseille de venir me parler dorénavant de tes cascades de la Savoie et de la Suisse I Je viens de voir la belliasinia easeata di Terni. Ouvre tes deux oreilles et écoute ce que tu vas ouïr. Un incident assez singulier est t venu encore ajouter à l'agrément de ma charmante excursion dans ces montagnes1. N. D. L. E.


répondu fort soigneusement, m'a dit avec familiarité cc Donne-moi quelque chose pour l'amour de la madone. » Le tutoiement vient de l'ancien latin. L'absence de toute vergogne avec laquelle tout paysan demande au voyageur tient 1° au défaut total de vanité; 2° à l'égalité devant le prêtre à l'égalité devant Dieu. Il y a si peu de vanité dans ce pays-ci depuis le lac de Trasimène, que je commence à la regretter. Les paysans en France, pour exprimer le comble du malheur, disent fort bien 17 fui réduit à tendre la main. Ici, vous passez devant une femme qui travaille assise sur le devant de sa porte elle tend la main sans sedérangeretvousdit: «Donnemoi quelque chose. » Mais l'absence de vanité, funeste dans les basses classes, est bien agréable et produit des effets bien neufs pour nous, dans la société.

Je te fais grâce des autres pensées du même genre qui m'amusaient pendant que j'allais à la cascade. Je suivais le fond de cette vallée à bords escarpés, mais je ne voyais point arriver la cascade. Dans mon inquiétude, j'ai quitté le chemin et me suis mis à marcher sur le bord même de la rivière limpide qui vient de la cascade. J'ai failli tomber dans l'eau en sautant de rocher en rocher, dans mon obstination de ne point quitter la rivière. Enfin, je suis arrivé


sous un pont, je me suis hissé sur le pont, et me voilà sur la rive droite de la rivière. Je suis une allée d'orangers, j'entends un grand bruit, je vois une grande fumée d'eau brisée je fais un détour et, à ma droite, je vois la rivière qui se précipite du haut du bord escarpé de la vallée. C'est la plus belle chute d'eau que j'aie vue de ma vie. Je reste une heure au fond de la vallée. Combien je suis heureux de ne pas m'être fait accompagner par un guide

Au bout d'une heure, un joli petit paysan m'aborde d'un air riant qui me surprend, et me demande avec amitié si je ne veux pas monter et voir lacascade de haut enbas. Je monte, en effet, par un petit sentier en zigzag qu'on a pratiqué l'année dernière le long du côté oriental de la vallée, en l'honneur de l'empereur d'Autriche. A mi-hauteur de la cascade, il y a un belvédère qui s'avance et qui est, en quelque sorte, comme suspendu sur la nappe énorme qui tombe au fond de la vallée. Cela est parfaitement beau. Je grimpe enfin tout à fait au haut de la cascade, je vois la rivière à six pieds au-dessus de l'endroit où elle se précipite on jouit en ce lieu d'une cascade en raccourci. Cette petite rivière (le Velino) coule dans un canal construit par les Romains pour abaisser le niveau d'un lac qui est à deux milles


de la cascade et gagner des terrains cultivables sur ses bords.

J'ai suivi, pour revenir à Terni, un chemin qu'on a pratiqué tout au haut du bord oriental de la vallée, tout au bord du précipice qu'elle forme. J'étais fatigué d'admiration, j'avais besoin de sensations d'une autre espèce elles n'ont pas tardé à venir. Une paysanne qui passait m'a salué en riant d'un air de connaissance. J'ai pensé à l'air affable de mon petit guide, chose si rare en Italie, où c'est toujours l'air hagard de la méfiance et de la haine que l'on trouve dans les yeux mêmes des gens que l'on paye le mieux. J'ai interrogé mon petit guide un air malin brillait dans ses yeux si beaux; il refusait de me répondre. Enfin il m'a dit en riant « Je vois bien, seigneur Stéfano, que vous no voulez pas être connu. Voici cependant l'habit que j'ai acheté avec les six écus que vous m'avez donnés à votre départ. »

J'abrège les détails infinis et fort amusants pour moi, qui ne comprenais pas. Je vois enfin que je suis M. Etienne Forby, paysagiste français, qui a passé vingt-six jours au petit village de Fossagno, occupé à peindre à l'huile tous les aspects de la cascade. Tous les paysans que je rencontre me saluent avec une bienveillance marquée, je vois que je suis un brave homme. De


jeunes paysannes me saluent aussi fort amicalement. Je m'enquiers de mon petit domestique, de ma manière de passer mes soirées je demande si je n'avais point de maîtresse. Hélas non mon ménechme a eu la constance de s'ennuyer ici vingt-six soirées de suite, sans se mêler à la. société, car il y en a pourtant en Italie. J'ai été présenté à la paysanne qui me louait mon logement, à celle qui me faisait à dîner et dont la sœur venait d'avoir le malheur de perdre sa petite fille Mariaccia, celle que j'aimais tant.

J'ai voulu, au milieu de tout le village rassemblé autour de moi pour me faire fête, essayer de renier mon nom impossible. Tout le monde me criait « Vous voulez rire, seigneur Stéfano. » J'ai passé trois heures au milieu de ces bonnes gens, que j'ai régalés de vin blanc et de saucisses sentant l'ail d'une lieue. Jamais, quoi que j'aie pu faire, il ne m'a été possible de faire naître le moindre doute sur mon identité. Enfin, mon petit domestique m'a reconduit à Terni, où je ne suis arrivé qu'à six heures du soir, en péchant le long de la rivière. ̃ II parait que mon ménechme est un homme excellent je me suis diverti avec ces paysans qui me traitaient d'une manière si intime je me suis enquis de tous les détails possibles sur la vie qu'ils


mènent je leur ai promis de revenir dans un mois, toujours bien contrarié de trouver mon ménechme si peu galant, car je voyais des yeux superbes parmi les paysannes que je régalais. J'ai eu jusqu'à soixante ou quatre-vingts personnes autour de moi, et toujours adoré de tout le monde. J'étais assis sur le banc de la boutique du salamiere (du charcutier) et une barrière formée par deux chaises placées devant moi, empêchait la foule de m'opprimer. J'écrivis sur ce banc une attestation que me demanda Francesco, mon petit domestique mes successeurs pourront vérifier la vérité de cette aventure.

A Rome, au café del Greco, vià de'Condotti, on m'a présenté à mon ménechme qui était, sans doute, fort bien au moral, mais j'ai été choqué de le trouver si peu beau c'est une leçon. Il est singulier combien l'homme le moins fat parvient encore à se faire illusion sur sa taille, sa figure. En se regardant pour mettre leur cravate, les gens mêmes qui voient des tableaux toute la journée finissent par faire abstraction totale des défauts.


DOTS AUX JETOTES PILLES. – MARIAGES Dans une ville dépourvue d'industrie et où il existe d'ailleurs un aussi -B-~ grand éloignement pour le travail, on a cherché dans tous les temps à venir au secours des indigents. Parmi les différents moyens employés pour atteindre ce but, il en est un dont on ne s'avise guère ailleurs c'est de distribuer des dots aux filles de parents pauvres. Ces dots sont depuis 25 jusqu'à 100 écus romains (540 francs) on ne délivre l'argent aux filles que lorsqu'elles se marient ou qu'elles font profession.

Plusieurs confréries, entrautres celles des Saints Apôtres, de Saint-Louis des Français et delà Minerve, ont imaginé cette œuvre philanthropique pour prévenir les désordres de mœurs, qui, malgré cela, ne sont que trop multipliés.

Le 8 septembre de chaque année, les dominicains de la Minerve remettent les dots aux jeunes filles. Après avoir entendu la messe et communié, elles reçoivent des cédules ou actions du montant de la dot. Le nombre des dotées s'élève quelquefois jusqufà deux cents elles ont


généralement de quatorze à dix-sept ans. La cérémonie se termine par une longue procession les jeunes filles y sont uniformément vêtues de serge blanche, voilées, portant leur cédule à la ceinture, marchant deux à deux, ayant un cierge à la main. Deux ecclésiastiques marchent en tête de chaque fondation.

Les jeunes filles qui préfèrent le couvent u un mari reçoivent une dot plus forte, portent à la procession une couronne sur la tète, un rosaire et un grand crucifix au côté, et marchent les dernières. Quelquefois, il y a des filles dotées qui ne veulent pas être connues, et qui en font aller d'autres à leur place, en les payant pour figurer à la procession.

La distribution des dots n'étant soumise a aucune règle certaine et ne dépendant que du caprice de ceux qui les distribuent, on conçoit aisément la large part que l'intrigue doit obtenir. Une fille qui s'en passerait facilement en accumule souvent plusieurs, dans différentes églises, par le moyen de ses protecteurs, et se forme un établissement avantageux au préjudice de dix autres. Dès qu'elle s'est acquis la protection des gens d'un cardinal, la jeune fille ne veut plus rien faire, et passe son temps à la fenêtre à regarder les passants. Ainsi, à Rome, une jolie fille de la classe


du peuple, commence, dès l'âge de neuf ou dix ans, à chercher des dots. Sa mère a soin de la conduire à l'église où entend la messe le cardinal ou autre personnage qui dispose des dots. Au sortir de cette messe, la jeune fille va à celle de quelque fratone, moine en crédit auprès de l'homme puissant la mère ne manque pas de se lier avec ses domestiques. Pour peu qu'elle ait d'aisance, elle les invite à dîner les jours de grande fête. Si elle est épicière au bout d'un an ou deux, elle prend la liberté d'envoyer un cadeau de chocolat au secrétaire de celui dont dépend l'obtention de la dot, etc., etc. Le fait est que, dès le premier mois que cette espèce de cour se déclare, elle est connue du haut personnage qui en est l'objet. Quand enfin, arrivée à seize ou dix-sept ans, la jeune fille se marie, elle apporte à son heureux époux deux ou trois dots, quelquefois même davantage, et de plus beaucoup de connaissance du monde.

Il faut aussi vous dire quelque chose des mariages obligaloires et de ceux volontaires c'est un des plus criants abus. Un jeune amoureux reçoit un rendezvous les parents de la belle, assistés d'un prêtre et d'un notaire, surprennent les amants ensemble le jeune homme doit opter entre la prison et le mariage son


choix est bientôt fait, et on le force ainsi à épouser. Ses parents ne sont point appelés à la cérémonie ils ignorent absolument ce qui se passe mais lorsque tout est terminé, le tribunal du vicaire leur en donne avis il les oblige à faire une pension alimentaire à leur fils ainsi marié, fût-il même mineur. Voilà le mariage obligaloire. Beaucoup de mariages sont faits par ce tribunal, qui est la terreur des étrangers surtout. Les gens du peuple, ayant une fille belle, parviennent ainsi à s'assurer des ressources pour leur vieillesse car un gendre riche ne veut pas voir son beau-père mendier.

Deux jeunes amants se présentent à un curé et lui demandent de les unir il le fait c'est le mariage volontaire. M. V. en rentrant chez lui, trouva sa fille ainsi mariée à un maçon qu'il faisait travailler ce malheureux père en mourut de chagrin. On pourrait citer cent autres exemples. Les chefs de. famille réclament depuis longtemps mais les papes croiraient charger leur conscience en interdisant ces mariages qui effacent le péché.

Le pape Sirice (qui occupa le trône de 385 à 398) paraît être le premier pontife romain qui ait défendu aux évêques,


aux prêtres et aux diacres le mariage légitime mais Grégoire VII (qui régna de 1073 à 1086) les força définitivement au célibat. II fut d'abord recommandé comme une vertu, ensuite comme un devoir et enfin imposé comme une obligation absolue.

L'intervention des prêtres dans l'acte du mariage date du milieu du sixième siècle Justinien ordonna qu'ils y parussent mais comme simples témoins, sans prescrire aucunement la bénédiction nuptiale. L'empereur Léon semble être le premier qui ait mis la cérémonie religieuse au rang des conditions nécessaires pour valider le contrat. Avant Justinien et au commencement de son règne, le consentement des parties, en présence de témoins, sans aucune cérémonie de l'église, légitimait encore le mariage parmi les chrétiens.


LES BRIGANDS EN ITALIE

En France et dans la plupart des Etats ~1 de l'Europe, on s'entend facilement -=-~ sur la qualification à donner aux hommes dont la profession est de rançonner les voyageurs sur les grands chemins ce sont des brigands. En Italie, on les appelle bien assassin, ladroni, banditi, fuorusciîi; mais ce serait une grande erreur de croire que ce genre d'industrie y soit frappé d'une réprobation aussi vive, aussi universelle qu'elle l'est partout ailleurs. Tout le monde redoute les brigands mais, chose étrange chacun en particulier les plaint lorsqu'ils reçoivent le châtiment de leurs crimes. Enfin, on leur porte une sorte de respect jusque dans l'exercice du droit terrible qu'ils se sont arrogé

Le peuple italien fait sa lecture habituelle de petits poèmes où sont rappelées les circonstances remarquables de la vie des bandits les plus renommés ce qu'il y a d'héroïque lui en plaît, et il finit par avoir pour eux une admiration qui tient beaucoup du sentiment que, dans l'anti-


quité, les Grecs avaient pour certains de leurs demi-dieux.

En 1580, il s'était formé au milieu de la Lombardie un corps d'assassins très redouté c'était celui des Bravi. Beaucoup de grands seigneurs en avaient à gages et en disposaient souverainement pour satisfaire à tous leurs caprices, soit de haine, soit de vengeance, soit même d'amour. Les bravi exécutaient avec une audace et une habileté sans exemple les missions les plus difficiles; ils faisaient trembler jusqu'aux autorités. Dès 1583, le gouverneur espagnol de Milan fit de vains efforts pour détruire cette corporation dangereuse il publia édits sur édits, ce qui n'empêcha pas les bravi de se recruter. En 1628, ce corps était très florissant et avait la plus effrayante réputation pour ses assassinats et ses rapts.

Les bravi servaient de seconds dans les duels que les seigneurs auxquels ils appartenaient pouvaient avoir entre eux. Une obéissance aveugle, la discrétion et la prudence, étaient les premières qualités de la profession de bravo.

Le brigandage existe en Italie de temps immémorial mais c'est vers le milieu du siècle qu'il prit une grande extension. Cette profession fut d'abord exercée par des hommes qui trouvaient plus hono-


rable de conserver ainsi leur indépendance que de fléchir le genou devant l'autorité pontificale. Le souvenir des républiques du moyen âge agissait encore puissamment sur les esprits, il troublait toutes les têtes en un mot, le but semblait légitimer les moyens. C'était plutôt un esprit d'opposition au gouvernement, qu'une intention préméditée d'attenter à la fortune et à la vie de simples particuliers, qui animait ces hommes doués d'une si sauvage énergie. Alphonse Piccolomini, duc de Montemariano, et Marco Sciarra, dirigèrent avec succès des bandes contre les armées du pape.

Piccolomini passa en France, dans l'année 1582, y trouva du service militaire et y séjourna'huit ans. Le 16 mars 1591, Ferdinand, grand-duc de Toscane, le fit pendre, malgré les réclamations de Philippe II et de Grégoire XIV, dans les Etats duquel il avait répandu la désolation. La petite armée de Piccolomini se composait de tous les malfaiteurs de la Toscane, de la Romagne, de la Marche et du Patrimoine de Saint-Pierre.

Sciarra fut le chef d'une bande nombreuse et redoutable qui, sous Grégoire XIII et vers la fin du xvi" siècle, ravagea les Etats romains et les frontières 4e Toscane et de Naples. Cette troupe


s'éleva quelquefois à plusieurs milliers de soldats. Sixte-Quint parvint à l'éloigner de Rome, mais non à la dompter. Clément VIII attaqua Sciarra avec tant de vigueur, en 1592, que cet illustre brigand se vit obligé de renoncer à son dangereux métier, et passa au service de la République de Venise avec cinq cents de ses plus braves compagnons. On l'envoya, en Dalmatie faire la guerre aux Uscoques mais Clément se plaignit vivement de ce que les bandits qu'il poursuivait s'étaient ainsi soustraits à sa j ustice; il demand a qu'ils lui fussent livrés; le Sénat de Venise prit peur, fit assassiner Sciarra, et envoya ses compagnons mourir de la peste dans l'île de Candie.

Obligés de guerroyer sans cesse avec les troupes pontificales, les brigands se réfugièrent dans les bois dénués de toute ressource, ils volèrent et assassinèrent pour vivre. Leur ligne d'opérations embrassait les montagnes qui s'étendent d'Ancône à Terracine, de Ravenne à Naples. Mais lorsque l'impunité, par manque de moyens de répression, ou par défaut de bonne volonté des gouvernements, fut devenue une espèce de sanction tacite, alors le brigandage couvrit toute l'Italie. Cette vie indépendante et aventureuse séduisit des esprits qui, bien dirigés, auraient été capables de grandes choses. Prendre la forêl


était souvent, pour un opprimé, le seul moyen de se venger de la tyrannie d'un grand seigneur ou d'un abbé en crédit. Les Colonna et les Orsini possédaient presque en totalité les terres aux environs de Rome. Ces deux familles puissantes étaient ennemies l'une de l'autre, depuis près de deux siècles. En se faisant une guerre acharnée, en cherchant réciproquement à se détruire, elles achevaient la dévastation de la campagne de Rome, si bien commencée par les barbares, et la réduisaient à l'état de dépopulation et d'insalubrité où nous la voyons maintenant. Toute la noblesse, sous les ordres des redoutables condottieri, suivait le parti des Colonna ou celui des Orsini. Sixte-Quint parvint à les réconcilier, en se les attachant c'était assurer de plus en plus son autorité. Ce pape, homme d'esprit et de tête, avait deux petites nièces il maria l'une à l'aîné de la maison Colonna, et l'autre à l'aîné de la maison Orsini. La rivalité des Orsini et des Colonna datait du pontificat de Boniface VIII (1294), auquel les Orsini avaient procuré la tiare.

Toute l'Italie a été simultanément ou tour à tour infestée de brigands mais c'est principalement dans les Etats du Pape et dans le royaume de Naples, qu'ils


ont régné le plus longtemps et qu'ils ont instrumenté d'une manière à la fois plus constante et plus méthodique. Là, ils ont une organisation, des privilèges, et l'assurance de l'impunité, s'ils parviennent à être assez forts pour intimider les gouvernements alors leur fortune est faite. C'est donc à ce but qu'ils tendent constamment, pendant tout le temps qu'ils exercent leur infâme métier. On se croirait encore à ces temps de barbarie où, en l'absence de tout droit, la force était le seul arbitre, le seul pouvoir reconnu. Quel gouvernement que celui qui en est réduit à trembler devant une poignée de malfaiteurs Vingt ou trente hommes suffisent pour répandre l'épouvante dans tout un pays et pour mettre en campagne tous les carabiniers du pape 1

La ville et le territoire de Brescia étaient renommés autrefois pour le grand nombre d'assassinats qui s'y commettaient il y en avait communément deux cents par année. De nos jours, la police militaire française, puis les baïonnettes autrichiennes ont fait cesser cet état de choses.

On se souviendra longtemps en Calabre de la lutte que les Français y soutinrent pendant une douzaine d'années (1797 à 1808). Les brigands, encouragés par les Anglais, furent d'abord le noyau de l'in-


surrection royaliste. Plus tard, des mécontents poussés par le fanatisme religieux ou par celui qui prend sa source dans l'amour de la patrie, se réunirent à eux. Jamais peut-être résistance au joug étranger ne fut accompagnée d'une frénésie aussi sanguinaire. De part et d'autre on se combattait à outrance toutes les horreurs, toutes les cruautés d'une guerre civile ensanglantèrent ce malheureux pays. La troupe d'assassins que commandait Francatripa était alimentée par les bandits de la Sicile, que les Anglais débarquaient fréquemment sur les côtes (1807).

En Calabre, il est assez d'usage que la famille de celui qui a commis un meurtre offre de traiter avec celle de la victime. Si le prix demandé est trop élevé, qu'on ne puisse ou qu'on ne veuille pas l'accorder et que la plainte soit portée, une haine irréconciliable s'établit entre les deux familles, et il faut s'attendre à une longue suite de vengeances. Les paysans calabrais parlent encore avec orgueil de leurs ancêtres et de Scander-Beg, qui en 1443 déploya l'étendard de l'indépendance contre l'usurpateur de son patrimoine et le meurtrier de sa famille, le sultan Amurath.

Dépouillés de tous leurs droits civils et politiques, livres à la merci d'un arbitraire prétendu divin, les sujets du Saint-Père


doivent encore être rançonnés, égorgés par les brigands dont sont infestés les domaines de l'Eglise.

Il faut l'avouer, le gouvernement, par sa conduite pusillanime et sa lâche condescendance envers les assassins, par les absolutions, les récompenses, les pensions, les emplois même dont il les gratifie, se rend leur complice. Que ferait-il de plus s'il voulait les encourager ? Un pape poussa l'oubli de toutes les convenances jusqu'à faire chevalier Ghino di Tacco, voleur célèbre, uniquement par admiration pour son courage.

Ces brigands, au surplus, ne ressemblent point au vulgaire des voleurs. Ainsi que je l'ai déjà dit, ce n'est pas toujours le besoin qui les jette dans la carrière du crime c'est le hasard, l'oisiveté, et le plus souvent une vocation déterminée mais combien d'entre eux ne demandaient qu'un champ à cultiver pour ne pas se faire brigands

Ils soumettent à 'un noviciat, à des épreuves sévères ceux qui aspirent à être agrégés à leur compagnie. Beaucoup possèdent une maison, du bétail, et sont mariés.. Ils obéissent à un chef dont le pouvoir est absolu. Mais librement élu, ce chef peut être déposé et même mis à mort, s'il trahit ses compagnons ou s'il viole ses serments.


Les bandits sont vêtus d'une manière à peu près uniforme leur costume pittoresque a quelque chose de militaire culotte courte en drap bleu, avec de larges boucles d'argent sur des jarretières rouges gilet de même étoffe orné de deux rangs de boutons d'argent veste ronde, également en drap bleu, garnie de poches de chaque côté manteau de drap brun jeté sur l'épaule; chemise ouverte, à col rabattu; une cravate, dont les deux bouts sont réunis par les anneaux et bagues volés chapeau de feutre roux, pointu et de forme élevée, avec des cordons ou rubans de diverses couleurs bas attachés à la jambe par de petites bandes de cuir, qui tiennent à une sandale ou des brodequins serrés large ceinture de cuir avec des fentes pour recevoir des cartouches, et fixée par des agrafes d'argent une giberne un baudrier auquel pendent un sabre, une fourcbette, une cuillère, un poignard à leur cou est un ruban rouge soutenant et laissant descendre sur la poitrine un cœur d'argent il renferme des reliques et offre à l'extérieur l'image en relief de la Vierge et de l'Enfant Jésus. Tel est le costume guerrier et religieux de ces hommes qui, asservis à une discipline sévère, ne marchent que par bandes plus ou moins nombreuses. Payant largement leurs espions


et leurs pourvoyeurs, ils sont rarement trahis.

Leur vie un peu nomade se partage entre les soins à donner aux troupeaux de chèvres dont ils tirent en partie leur subsistance, et la surveillance des grandes routes ou des chemins détournés, sur lesquels ils attendent les voyageurs. Souvent aussi ces hordes de bandits ne sont autre chose que des villageois de la Sabine et des Abruzzes ils s'occupent de travaux champêtres une partie de l'année, mais comme leur travail dans ces rochers ne suffit pas aux besoins de la famille, ils se livrent à leur penchant naturel pour le meurtre et le pillage. Cette habitude de brigandage n'est d'ailleurs pour eux qu'une manière de vivre à laquelle ils savent fort bien qu'est attaché le danger de l'échafaud. La majorité de la population étant enrôlée sous la bannière de quelques chefs, ceux-ci ont toujours à leurs ordres une petite armée aussi promptement réunie qu'elle est dispersée après l'action.

Dans leurs expéditions, les bandits sont ordinairement aidés par les bergers. Les hommes adonnés à la pastorizia mènent une existence à demi sauvage, qui les laisse en communication avec les villes, d'où ils peuvent tirer des provisions, et les détache cependant assez de tous les liens sociaux


pour les rendre indifférents aux crimes des autres.

Affronter tous les périls, supporter toutes les privations, endurer toutes les fatigues voilà l'existence habituelle des brigands. Ils dorment le plus souvent au fond d'un ravin, enveloppés dans leur manteau, n'ayant d'autre abri que la voûte du ciel. De là ces forbans de terre courent sur leurs victimes, les emportent dans leurs repaires, et les massacrent si elles ne peuvent payer la rançon fixée. Voilà le traitement réservé aux gens du pays. Quant aux étrangers, ils ne sont ordinairement que dépouillés, mais quelquefois de manière à rester nus sur la place. Le premier ordre que donnent les bandits aux voyageurs qu'ils attaquent, c'est de mettre le visage contre terre faccia in terra.

Souvent une bande arrive à l'improviste au milieu d'un troupeau de moutons. Alors, si la faim est aiguisée, les voleurs ordonnent aux bergers d'en égorger un ou plusieurs. Immédiatement après, les moutons sont dépouillés, coupés en morceaux, que l'on fait griller au bout d'une baguette de fusil, et dévorés. Le pain et le vin arrivent par des moyens analogues. Durant le repas, les brigands ont généralement pour habitude d'occuper les bergers dont ils déciment le troupeau,


à couper du bois, à puiser de l'eau, etc., etc. Lorsqu'une bande stationne quelque part elle prend toutes les précautions de prudence dont use un corps armé en pays ennemi. Des sentinelles relevées à de courts intervalles sont placées sur les divers points par lesquels on pourrait être surpris. Ce préalable rempli, les bandits se divisent en groupes les uns jouent aux cartes, d'autres à la morra x ceux-ci dansent, ceux-là écoutent une histoire ou une chanson avec une insouciance et une sécurité complètes.

Dans le cours de sa vie aventureuse, deux choses dont il ne se sépare jamais rassurent le brigand italien son fusil, pour défendre sa vie l'image de la Vierge pour sauver son âme. Rien de plus effrayant que ce mélange de férocité et de superstition Cet homme finit par se persuader que la mort sur l'échafaud, précédée de l'absolution donnée par un prêtre, lui assure une place dans le ciel. Souvent une semblable idée pousse un malheureux à commettre quelque crime entraînant la peine. capitale, afin de mieux s'assurer un bonheur que le sacrifice de sa vie rend certain Enfin, ces gens-là vous assassinent très bien, le 1. Jeu dans lequel les deux Joueurs lèvent à la fois un certain nombre de doigta, et celui qui devine juste gagne la partie.


rosaire et le chapelet à la main, en accompagnant le coup de stylet d'un per amor di Dio.

Un bandit, accusé de quantité d'assassinats, comparaissait devant ses juges loin de nier les crimes qu'on lui imputait, il en avoua d'autres jusque-là ignorés de la justice mais lorsqu'on en vint à lui demander s'il avait observé exactement les jours de jeûne le coquin dévot se fâcha. Ce doute était l'offense la plus grave. « Me soupconnez-vous donc de n'être pointchrétien?» dit-il amèrement au magistrat qui l'interrogeait.

L'histoire de ces hommes extraordinaires, depuis qu'ils ont acquis de la célébrité, serait longue et curieuse; mais outre qu'il y aurait de la difficulté à en réunir les éléments, je n'ai eu ni le temps ni la volonté d'en faire la recherche. Pour ne parler que de ceux sur lesquels on a des renseignements exacts, puisqu'ils sont nos contemporains, mon récit ne manquera pas d'un certain intérêt.

Un homme digne de foi, M. Tambroni, affirma qu'il y a eu dans l'Etat papal dix-huit mille assassinats pendant le règne de Pie VI (de 1775 à 1800). Il y en avait eu dix mille, dont quatre mille à Ronv mêm-3, sous Clément XIII. On sait que sous le pontificat de Pie VII, un grand


nombre de bandits ce sont rendus célèbres Maïno d'Alexandrie a été l'un des hommes les plus remarquables de ce siècle il se faisait appeler l'Empereur des Alpes, et signait de ce titre les proclamations qu'il faisait afficher sur la route. Dans ses jours de représentation ou de grande revue de sa bande, il paraissait avec les uniformes et les décorations qu'il avait enlevés à des généraux et à de grands fonctionnaires français 1. Maïno lutta pendantjplusieurs années contre la gendarmerie. Enfin, trahi par une femme, la maison dans laquelle il se trouvait au village de la Spinetta, lieu de sa naissance, fut cernée inopinément par des agents de police et deux brigades de gendarmerie un combat des plus acharnés s'engagea entre un homme et une troupe de gens armés jusqu'aux dents. Le héros de grands chemins se défendit comme un lion, tua plusieurs de ses adversaires, et n'abandonna son gîte qu'après qu'on y eut mis le feu. II se sauve alors, escalade un mur, reçoit un coup de fusil qui lui casse la cuisse, et finit par être tué sur le lieu même en se débattant avec les gendarmes. Maïno n'avait que vingt-cinq ans.

sJîakti général Milhaud et le cominiasaire extraordinairo Sa,ilCEtti.


Un tel homme succombera sous îes efforts opiniâtres d'une police militaire fortement organisée il recevra sur l'échafaud le prix de ses crimes et de son audacieux courage; mais l'opinion lui accordera plus de génie et de sang-froid qu'à bien des généraux qui ont laissé une réputation. Parella, dont les déplorables excès ont répandu l'effroi pendant si longtemps dans le royaume de Naples, était pourchassé par les soldats français depuis trois ans. Ne pouvant le saisir, le ministre Salicetti mit sa tête à prix. Un paysan, barbier, domestique et l'homme de confiance de Parella depuis douze ans, eut un jour à se plaindre de lui il cède à l'appât du gain et au désir de se v enger il coupe le cou à son maître un matin en le rasant, apporte sa tête et touche quatre cents ducats pour prix de cette action.

Le chef appelé Diecinove, parce qu'il lui manquait un orteil, était encore plus altéré de sang que d'or il torturait ses victimes avec un barbare plaisir, longtemps avant de les achever. Diecinove, dont la cruauté était plutôt fatiguée qu'assouvie, proposa un armistice au gouvernement pontifical, qui l'accepta.

Une fois graciés comme bandits et absous comme chrétiens, Diecinove et ses compagnons purent se présenter impu-


nément chez les parents de ceux qu'ils avaient égorgés. Après s'être assis à leur table, et avoir prix part au repas de famille, ces scélérats, avant de s'éloigner, demandaient encore de l'argent, en retour des égards dont ils prétendaient avoir usé lorsqu'ils exerçaient leur profession de voleurs personne n'osait refuser. De cette manière, ils conservaient les bénéfices de leur ancien métier, sans courir le moindre danger.

La troupe de Corampono, après avoir rivalisé de cruautés avec celle de Diecinove, obtint les mêmes immunités. De Terracina à Fondi, de Fondi à Itri, on est sur la terre classique du brigandage z terre qui a vu naître le célèbre Giuseppe Mastrilli. L'amour en fit un assassin il fut banni des Etats de Rome et de Naples, y reparut plusieurs fois, échappa toujours à la justice, et mourut tranquillement en annonçant le repentir de ses crimes. Avant d'être chef de bande, cet homme de génie avait appartenu à celle du vieux BarbaGirolamo.

Mastrïili joua un rôle important dans la plus singulière parade contre-révolutionnaire dont l'Europe nous ait donné le spectacle depuis 1789. Ce brigand allait être pendu, pour ses crimes, à Montalbano, petite ville vers l'extrémité de la botte


italienne, lorsque le cardinal Ruffo 1, général des chouans de la Calabre, le seul homme de tête du parti royal, jugea utile à la cause de Ferdinand III de présenter Mastrilli à ses soldats et à la populace comme étant le duc de Calabre, avec lequel il avait effectivement quelque ressemblance. Le bandit parut à un balcon, chamarré des ordres de Saint-Ferdinand et de la Toison d'or la multitude, trompée par les apparences, fit retentir l'air de ses vivat, et l'accueillit avec le plus grand enthousiasme. Ce prince d'un moment présenta sa main au cardinal Ruffo, et l'Emmence la baisa dans l'attitude la plus respectueuse.

Avant de se mettre à la tête de la petite troupe qui obéissait à Ruffo, Mastrilli prit ses précautions pour s'assurer de sa grâce et d'une récompense pécuniaire de la part du roi légitime soutenu par le peuple qu'on venait d'abuser avec tant 1. Le cardinal Buffo n'a rien de commun ayeo Fabrisio Euffo, devenu prince de Casteîcicala qui présida la. junte royaliste à Naples de 1795 à 1798, et qui est mort à Paria, le 16 avril 1832. Ce cardinal Ruffo, sous le titre de vicaire et de lieutenant-général du royaume des Deux-Sioiles, commandait une petite armée composée de bandits et de lazz-troni, auxquels s'étaient joints quelques émigrés français. le vieux roi de Naples, démoralisant son peuple au profit de la royauté, avait organisé le brigandage en Calabre contre les Français, maîtres alors de sa. capitale et de toutes ses provinces du continent.


d'impudence, notre héros put prendre un ton d'autorité et dicter ses conditions au cardinal.

Vers le milieu du siècle dernier, un brigand avait déjà rendu célèbre le nom de" Mastrilli. Les crimes qu'il commit et l'adresse avec laquelle il savait se soustraire à la justice, en firent un homme si dangereux, qu'on ne put s'en défaire qu'en mettant sa tête à prix il fut trahi, et tué étant à la chasse. En 1766, on voyait sa tête exposée sur la porte de Terracine, du côté de Naples.

Toute l'Italie tremblait, en 1806, au seul nom de Fra-Diavolo. Ce brigand, né à Itri, jeta l'épouvante principalement parmi les populations des bords de la Méditerranée, faisant partie des Etats Romains et de ceux de Naples. Cet ex-moine et exgalérien, tout noirci du soleil, tuait ses semblables par goût et par besoin, les sauvant quelquefois par caprice ou les secourant par bonté. Avec cela, il était dévot, tout à la Vierge et aux saints. De brigand il se fit contre-révolutionnaire, devint officier supérieur dans l'armée du cardinal Ruffo, et égorgea à Naples par dévouement pour l'autel et le trône. Toujours il était couvert d'amulettes et armé de poignards. Après beaucoup d'actions d'une hardiesse et d'un courage


étonnants, Kra-Diavolo tomba au milieu d'un détachement français il fut pris, jugé et pendu. r

La bande dont le quartier-général se tenait dans les environs de Sonnino répandait la terreur, de Fondi à Rome ses chefs, Mazochi et Garbarone, étaient doués d'un infernal génie. La ruse qu'ils employèrent pour transporter dans leurs montagnes tous les élèves du séminaire de Terracina est vraiment incroyable.

Le digne ecclésiastique qui dirigeait cet établissement méditait depuis longtemps sur les moyens de mettre un terme aux crimes affreux que commettaient ces brigands. Un jour, emporté par son zèle, il met sa croix sur son épaule, gravit la montagne servant de repaire aux bandits, pénètre jusqu'au milieu de la troupe, et y plante le signe de la rédemption. Ce vertueux missionnaire leur rappelle vivement tous les maux qu'ils répandent sur la contrée il les conjure d'abandonner une profession si funeste il s'engage à leur faire accorder sans résistance ce qu'ils n'obtiennent que par le pillage et l'assassinat il dit enfin tout ce que sa philanthropie apostolique lui inspire de plus persuasif. Peu à peu les brigands paraissent touchés ils acceptent les propositions de l'ecclésiastique ils font plus, ils annoncent


un repentir sincère et le désir de rentrer dans le sein de la religion, en confessant leurs crimes. Le prêtre vénérable répand des larmes de joie, et propose aux voleurs de réaliser de si bonnes intentions en l'accompagnant à son séminaire. Ils l'y suivent, écoutent ses instructions, assistent à toutes les prières, remplissent, en un mot, tous les devoirs d'un bon chrétien. Chaque jour le brave directeur remerciait Dieu de l'heureuse conversion qui rendait la, paix à la contrée. La sincérité de ses néophytes était à l'abri de tout soupçon. Obligé de s'absenter pendant deux jours, il part pour Velletri, après leur avoir fait amicalement ses adieux chacun d'eux baisa sa main, et ce digne homme traversa les marais Pontins, agréablement préoccupé des douces pensées qui accompagnent une bonne action.

Le prêtre avait à peine quitté les nouveaux convertis qu ils se préparèrent à l'exécution du hardi projet qu'ils avaient si habilement conduit. Dans la nuit même qui suivit, mes coquins transportèrent au sein de leurs montagnes tous les séminaristes. Là, des lettres écrites par eux, le poignard sur le cœur, invitaient leurs parents à envoyer sans aucun délai la somme fixée pour leur rançon.

Le terme fatal assigné pour la remise de


ces tributs partiels étant expiré, trois de ces malheureux jeunes gens n'étaient pas rachetés deux furent égorgés le troisième allait subir le même sort il se jette aux genoux des assassins, en invoquant saint Antoine Cette prière le sauva, et ils le renvoyèrent à ses parents après lui avoir donné un sauf-conduit.

En 1813, la police française, après cinq ans de poursuites, parvint à s'emparer d'un chef redoutable, le Calabrese. Cet homme, pour ennoblir son existence, se donnait un caractère politique et voulait se faire considérer comme le chef de la Vendée romaine il se décorait des titres les plus pompeux. Les soldats du Calabrese, désolés de son arrestation et voulant à tout prix prévenir son supplice, envoyèrent un parlementaire à l'officier de gendarmerie ils proposèrent de se charger, moyennant trente sous par jour, de maintenir la sûreté de la route des marais Pontins, contre toutes les autres bandes. En revanche l'autorité s'engagerait à ne pas mettre en jugement le Calabrese et à le déporter en Corse pour toute peine. Ce traité singulier fut conclu, et chacune des parties en observa religieusement les conditions.

La bande de l'Indépendance, commandée, je crois, par de Cesaris, exerçait en 1817 un pouvoir absolu et terrible en


Calabre; elle se composait de trente hommes et quatre femmes. Les propriétaires et les fermiers étaient ses principaux tributaires ils n'avaient garde de manquer à l'ordre qui leur était adressé de déposer tel jour, à telle heure, au pied d'un arbre ou d'un fût de colonne, la chose demandée. Un fermier cependant voulut se soustraire à ce dur vasselage. Au lieu donc de porter son tribut, il avertit l'autorité et des troupes à pied et à cheval cernèrent les indépendants. Voyant qu'ils étaient trahis, les brigands firent une trouée, en couvrant le terrain des cadavres de leurs ennemis. Trois jours après, ils tirèrent une vengeance des plus terribles de ce malheureux fermier. Après avoir été mis à la torture et condamné à mort, il fut lancé dans une immense chaudière où l'on faisait bouillir du lait pour les fromages, et les bandits obligèrent chacun de ses domestiques à manger un morceau du corps de leur maître.

Pendant la disette de 1817, le chef des Indépendants distribuait aux pauvres des bons sur les riches la ration était d'une livre et demie depain pourunhomme, d'une livre pour une femme, et du double lorsqu'elle était enceinte.

Une bande très entreprenante s'était cantonnée, en 1819, aux environs de Tivoli; un jour elle enleva l'archiprêtre de Vico-


varo après avoir tué son neveu, qui faisait mine de vouloir se défendre. La rançon demandée pour ce prêtre et un de ses compagnons d'infortune était si élevée qu'on ne put la fournir; les brigands envoyèrent les oreilles des malheureux captifs, et plus tard quelques-uns de leurs doigts, à leurs familles. Enfin, lassés d'attendre, ou peutêtre irrités des plaintes de ces infortunés, ils les massacrèrent.

Au mois de janvier 1825, M. Hunt, jeune Anglais, marié depuis peu à une très jolie femme, arriva à Naples. Il fut visiter les antiquités de Pestum, accompagné de ses nombreux domestiques on servit son dîner dans le temple de Neptune. Malheureusement les domestiques avaient apporté de la vaisselle plate, ainsi qu'un nécessaire contenant des pièces d'argenterie madame avait des bagues. L'Anglais repartit quelques heures après avec sa suite, et à deux cents pas de Pestum il fut arrêté par des paysans lui demandant tout ce qui était dans sa voiture, mais avec une certaine urbanité rassurante. M. Hunt prit la chose gaiement et leur jeta* en riant les fruits de la desserte du dîner. Comme il se baissait pour en ramasser qui étaient tombés au fond de la caisse, les paysans crurent qu'il cherchait des armes ils firent feu à bout portant une balle, après avoir traversé


le corps du mari, atteignit sa femme on les transporta à quelques milles du lieu de cette triste scène, où ils expirèrent, le mari deux heures après et la femme le lendemain.

pf Cette affaire n'aurait pas eu de suites, si les morts eussent été d'une classe ordinaire mais comme leur famille était en crédit, l'ambassadeur d'Angleterre déclara qu'il exigeait qu'on arrêtât les assassins il tint bon, et ces paysans furent jugés et exécutés.

Le chef Mezza-Pinta, tombé entre les mains des carabiniers, fut déposé le 1er novembre 1825, avec vingt-sept hommes de sa bande, au château Saint-Ange c'est un honnête petit prêtre qui les fit prendre. Ces brigands étaient cernés par les troupes pontificales dans l'une des montagnes les plus sauvages de l'Abruzze, sur les confins des Etats de l'Eglise il leur restait encore cependant quelque moyen de s'échapper, soit à force ouverte, soit par quelque secret passage. Avec beaucoup de temps et de patience le saint homme se fit leur ami, et sous la prcmsssè de grâce entière du Saint-Père, il les amena tout doucement, l'un après l'autre, à un colonel de gendarmerie, embusqué avec son régiment à quelques milles de là. Un parti admira fort la conduite du prêtre, et pensa qu'il


devait en être récompensé par un évêché j'ignore si on le lui a donné.

Gasparoni, actuellcment dans les prisons de Rome, a commandé une bande qui a compté jusqu'à deux cents hommes il est poursuivi comma auteur de cent quarante-trois assassinats. Son premier crime fut commis à l'âge de seize ans, sur le curé de sa paroisse, qui, chose étrange, lui avait refusé l'absolution d'un vol. A dix-huit ans Gasparoni se distingua dans un combat contre la force armée il y tua ou blessa vingt personnes, et cette action d'éclat lui valut le commandement, de la bande dans laquelle il servait. Parmi les faits mémorables de cette troupe on cite l'enlèvement d'un couvent de nonnes du Monte Commodo trentequatre jeunes filles, qui se trouvaient dans ce couvent, furent emmenées de vive force et en plein jour. Les brigands avaient choisi celles dont les parents pouvaient payer la plus forte rançon ils les tinrent cachées dans la montagne pendant dix jours mais, par une heureuse exception aux usages des bandits, ces jeunes filles furent traitées avec tous les égards que comportait leur triste situation. La rançon demandée pour chacune variait de 200 à 1.000 écus romain? (5.400 francs). Gasparoni, au surplus, observait stric-


tement toutes les formes extérieures de la religion jamais lui et sa troupe n'auraient commis un vol ou un meurtre le vendredi ce jour, et à toutes les autres époques fixées par l'Eglise, ils gardaient fidèlement le jeûne tous les mois ils appelaient pour les confesser un prêtre qui, par terreur ou par tout autre motif, n'hésitait jamais à les absoudre.

Une femme avec laquelle Gasparoni entretenait des liaisons devint l'instrument dont l'autorité se servit pour détruire sa bande et s'emparer de sa personne ainsi que de quelques-uns des siens. La police romaine séduisit cette femme elle ne put résister à l'appât d'une récompense de six mille écus romains (32.400 francs) le brigand se laissa prendre au piège qu'elle lui tendit il vint avec confiance dans un bois désigné pour le rendez-vous, mais devinant bientôt qu'il était trahi par sa maîtresse, Gasparoni put encore l'étrangler avant que de tomber dans les mains des sbires. Ainsi cette malheureuse ne put jouir du fruit de sa perfidie.

Le Piémontais Rondino, désigné par le sort pour la milice, avait obtenu le grade de sergent, comme récompense de sa bravoure et de son intelligence. Le temps de son service étant fait, il revint au lieu de sa naissance, et débuta dans la carrière du


crime par tuer d'un coup de stylet un oncle qui s'était emparé sans aucun titre de sa petite fortune, et qui pour toute satisfaction l'injuria et le frappa.

Ce premier pas une fois fait, Rondino se retira au milieu des montagnes et fit la petite guerre avec les gendarmes, qui venaient de temps en temps l'y chercher. Ses exploits contre eux le firent considérer comme un héros parmi les paysans du voisinage, animés d'ailleurs d'une haine très vive pour les persécuteurs des carbonari dans l'espace de deux ou trois ans, Rondino tua ou blessa une quinzaine de gendarmes. Cet homme, qu'un si malheureux hasard avait rendu criminel, changeait souvent de retraite, mais ne s'éloignait jamais de plus de sept à huit lieues du village aux environs de Turin, où il était né. Il ne volait point seulement quand ses munitions et ses vivres étaient épuisés, il demandait au premier passant un quart d'écu pour se procurer de la poudre, du plomb et du pain si on voulait lui donner davantage il refusait le surplus.

Ce brigand honnête avait un profond mépris pourles assassins et pour les voleurs sa qualité de proscrit pouvait seule excuser à ses propres yeux le singulier métier qu'il exerçait. Une fois, on le vit déjouer noblement une bande qui lui avait communiqué


ses intentions de dévaliser un conseiller de Turin, dont la voiture renfermait 40.000 fr. Rondino le défendit tout seul contre cette bande, et refusa toute récompense. Il y a près de six mois que le pauvre Rondino tomba entre les mains de la justice voici comment il vint coucher une nuit dans un presbytère; selon son habitude il demanda toutes les clefs mais le curé en garda une au moyen de laquelle il put faire sortir quelqu'un et envoyer chercher les carabinieri. Eveillé par les cris de son chien, doué d'un instinct inouï, Rondino put encore monter dans le clocher et s'y barricader. Le jour arrivé, il s'établit une fusillade entre lui et les carabiniers aucun coup ne l'atteignit, tandis que plusieurs de ses adversaires furent mis hors de combat. Mais manquant de munitions et de vivres, force fut bien de se rendre seulement Rondino ne voulut se livrer qu'à des soldats de la ligne, dont un détachement entrait en ce moment dans le village. Après avoir brisé la crosse de son fusil et donné son chien à l'officier commandant, Rondino se laissa emmener sans résistance, attendit assez longtemps son arrêt, l'écouta avec sang-froid, et subit son supplice sans faiblesse ni fanfaronnade.

Qui pourrait refuser de la pitié, de l'intérêt même, à un tel homme Jeté dans la


carrière du crime par une circonstance où il lui semblait n'avoir usé que d'un droit légitime, ce malheureux y conserva toujours des principes et une certaine loyauté dont beaucoup de gens réputés honnêtes manquent souvent.

Pour achever cette esquisse des mœurs de ces hommes extraordinaires, qui cueillent les lauriers sur les grands chemins, voici quelques traits de la vie du fameux Barbone, qui, selon lesjuns, est aujourd'hui pensionnaire externe, et, selon d'autres, concierge du château Saint-Ange, où il a été enfermé assez longtemps.

Né à Velletri, Barbone fit, dès l'âge le plus tendre, l'apprentissage de son affreux métier sa mère, appelée Rinalda, fut elle-même son institutrice. Il était le fruit d'une liaison decette femme avec un certain Peronti, qui était passé de l'autel à la forêl. Dès que ce prêtre renégat eut obtenu par quelque coup d'éclat une récompense lucrative du gouvernement, accompagnée de sa grâce, il quitta l'état de brigand et revint prêcher la parole de Dieu dans sa paroisse.

La mère de Barbone, furieuse de se voir trahie par un homme qu'elle avait aimé passionnément, ne respira plus que vengeance elle mettait tous ses soins à faire partager à son fils la haine atroce


qu'elle nourrissait et n'attendait que le moment où il serait en âge de l'aider à la satisfaire Rinalda voulait immoler le traître au pied de l'autel. Mais Peronti mourut de mort naturelle, et le désespoir qu'éprouva Rinalda de n'avoir pu se venger la précipita peu après au tombeau. Barbone ne démentit pas son origine avec une troupe aguerrie, il se rendit l'effroi des voyageurs, notamment dans les environs de Tivoli, Palestrina et Poli. Ce brigand, ayant parcouru le cercle de tous les crimes possibles, éprouva le besoin du repos et, à l'exemple de Sylla, voulut descendre du faîte du pouvoir. Il offrit au pape de déposer sa dictature, à la condition qu'on lui donnerait en dédommagement une indemnité et force absolutions le Saint-Père accepta ce traité Barbone lui envoya comme gage de sa foi les insignes de son autorité.

Lorsque ce célèbre bandit fit son entrée dans la capitale du monde chrétien, en 1818, la foule se pressait sur ses pas on trouvait un certain charme à pouvoir considérer sans danger celui qui avait été la terreur du pays. D'ailleurs, il y a toujours à Rome de l'indulgence, de l'intérêt même pour les assassins on reporte d'ordinaire sur le meurtrier la pitié qu'on devrait à sa victime expliqué qui pourra


cet étrange sentiment c'est un des traits caractéristiques de ce peuple placez-le entre l'assassin et l'assassiné, il ne s'attendrit que sur les dangers que peut courir le premier. Vous l'entendrez dire, en voyant traîner en prison un homme qui a commis les crimes les plus atroces « Poverino 1 ha atnmazzato un uomo » « Pauvre petit 1 il a tué un homme » ou bien il a eu un malheur ».

Le peuple s'est familiarisé avec l'aspect de Barbone on le voit, maintenant sans étonneraient, mais toujours avec admiration, se promener dans les rues de Rome il les parcourt avec la sécurité d'un homma de bien et tout le calme d'une bonne conscience.

Aux noms des brigands qui se sont acquis' une triste célébrité, il faut ajouter encore ceux de Stefano Spadoloni Pietro Mancino Gobertinco qui, à ce qu'on assure, tua neuf cent soixante el dix personnes et mourut avec le regret de n'avoir pas assez vécu pour accomplir le vœu qu'il avait fait d'en tuer mille Angelo del Duca Oronzo Albegna, qui tua son père, sa mère, deux frères et une sœur encore au berceau Veneranda Porta et Stefano Fantini de Venise.

L'existence des bandits en Italie n'est point, au surplus, comme on pourrait le


croire, un mal irrémédiable, un inconvénient absolument inhérent aux localités. Les hommes à caractère qui, à diverses époques, ont tenu les rênes de l'Etat, surent bien les réprimer.

Nicolas Rienzi qui, en 1347, se rendit maître de Rome et fut revêtu du titre de tribun, purgea le pays des brigands dont il était déjà infesté. Fait sénateur de Rome en 1354, cet homme extraordinaire fit exécuter le chevalier de Montréal qui, après avoir exercé publiquement la profession de voleur, mourut en héros. A la tête d'une compagnie libre, la première qui eût désolé l'Italie, Montréal s'enrichit et devint formidable il avait de l'argent dans toutes les banques à Padoue seulement, il avait 60.000 ducats.

Sixte-Quint déploya une grande énergie envers les bandits, et ne souffrit pas que d'autres que lui disposassent de la vie et de la fortune de ses sujets. Les brigands qui échappèrent au:supplice par la fuite, les vagabonds et gens sans aveu refluèrent chez les princes voisins. Ceux-ci s'en étant plaints, Sixte, pour toute réponse, leur fit dire qu'ils n'avaient qu'à l'imiter ou à lui céder leurs Etats. Les bandits, ainsi traqués se dégoûtèrent de leur métieret disparurent. Sixte-Quint voulut un jour voir de près les voleurs s'étant. déguisé en paysan,


il s'achemina avec un âne chargé de vin, vers des bois où on en avait vu. Les bandits le saisirent bientôt, lui, l'âne et le vin ils occupèrent Sixte à tourner la broche, tandis qu'ils buvaient, mangeaient et se moquaient de lui. Mais le rusé pape avait mis de l'opium dans le vin le narcotique agit insensiblement Sixte attendit le moment favorable, donna un coup de sifflet, et ses soldats, embusqués à une petite distance, s'emparèrent sans difficulté de toute la bande plongée dans un profond sommeil.

Cent ans après la mort de Sixte-Quint, vers la fin du dix-septième siècle, le marquis del Carpio, dernier vice-roi de Naples, donna également la chasse, avec succès, aux voleurs. Ils étaient en si grand nombre que, pour voyager en sûreté dans ce beau pays, il fallait se réunir en caravanes. Quelques bandits traitèrent avec le viceroi, à la condition de la vie sauve il en fit périr un grand nombre par l'épée ou par la main du bourreau et utilisa les autres à des travaux publics.

Les trois papes qui succédèrent à SixteQuint ne partagèrent probablement point ses idées à l'égard des brigands, ou leur règne trop court ne leur permit peut-être pas de s'occuper de la police des grands chemins tant il y a qu'ils reparurent dans


les domaines de l'Eglise, et que jusqu'à Pie VII, qui s'aperçut un peu tard de sa fausse politique à leur égard, et Léon XII qui est parvenu à les expulser presque entièrement des pays sous sa domination, aucun pape ne les réprima.

Sous Napoléon, les Français, par des mesures sages et vigoureuses, continrent ces bandes d'assassins, et pendant le peu de temps que dura leur administration, ils firent jouir les Romains et les autres peuples de l'Italie d'une sécurité inconnue depuis plusieurs siècles.

En 1814, lorsque Pie VII fut réintégré dans ses droits, il préluda à l'exercice de son autorité en accordant à diverses bandes de voleurs un pardon absolu la compagnie de Rocagorga fut du nombre. Cette indulgence ne fit qu'accroître l'audace des brigands il fallut recourir cinq ans plus tard à l'emploidemesures terribles. Le cardinal Consalvi, à l'exemple de ce qui s'était fait en 1557, sous Paul IV, pour la ville de Montefortino, ordonna la destruction de Sonnino 1, devenu le point de ralliement et le refuge d'un grand nombre d'assassins. Rien de plus sévère que cet édit de Consalvi (du 18 juillet 1819) il portait la peiné de mort contre tous ceux 1. Ville de quatre à cinq mille habitant*.


qui donneraient des aliments, de l'argent, ou simplement un asile aux brigands il n'y avait personne d'excepté, pas même les parents au premier degré.

Le droit d'asile, si souvent aboli, rétabli ou modifié, a été l'un des plus grands encouragements donnés au brigandage. L'homme qui avait commis un meurtre, ou détroussé des voyageurs sur les grands chemins, se retirait^ dans le palais d'un cardinal, sous le portique d'une église, dans l'enceinte du quartier d'un ambassadeur, dans un couvent. Là, il vivait en toute sécurité, narguant les agents de la force publique et rançonnant les passants lorsque l'occasion s'en présentait. Des bandes de misérables des deux sexes se réunissaient ainsi, vivant dans une espèce de communauté crapuleuse, se livrant à la plus révoltante débauche et tenant école de gueuserie. C'étaient des assassins, des fratricides, des empoisonneurs, des incendiaires, des déserteurs, des voleurs, des moines chassés de leur couvent, etc., etc., qui se trouvaient pêle-mêle dans le même asile ils en sortaient furtivement, commettaient de nouveaux vols ou assassinats; puis, au moment où on les poursuivait, ils rentraient dans le séjour qui assurait leur impunité. Outre les asiles, beaucoup de palais de prélats, de princes, de seigneurs jouissaient


à Rome de prérogatives qui ne permettaient pas aux sbires d'y entrer sans la permission des propriétaires en définitive, il y avait un tiers ou moitié de la ville où les bandits trouvaient un refuge facile et à l'abri de toute crainte. Dès lors, on peut juger de la difficulté qu'il y avait pour la police de saisir des malfaiteurs lorsque, par hasard, s'écartant de ses habitudes de protection à leur égard, elle prenait une bonne résolution de les poursuivre. Chez les anciens Romains, les criminels jouissaient déjà du droit d'asile dans les temples du paganisme, et dès l'année 355 de notre ère le même privilège était assuré aux églises chrétiennes.

Un des principaux asiles à Rome fut le grand escalier de la Trinità de'Monti. Les amis et les parents des honnêtes gens qui en faisaient leur demeure, y portaient pendant le jour les vivres dont ils pouvaient avoir besoin la nuit, les coquins se cachaient dans leurs repaires au bout de quelques jours l'affaire s'oubliait, et ils reprenaient leurs anciennes habitudes. Aujourd'hui les bandes de voleurs sont à peu près détruites ou dispersées elles ont mis bas leur uniforme. Quelques attaques hardies 1 ont encore lieu de loin I. Celle de l'auteur de ce journal, par exemple le 5 mal 1828, p. 180. (Note de Romain Colomb).


en loin sur les grandes routes mais somme toute, il faut reconnaître que, sous le rapport des voleurs assassins, on voyage maintenant en Italie presque avec autant de sécurité qu'en France.


LES AMBASSADEURS

(traduit du N&iv Monthly Magasiné).

il" arthlel)

LE MARQTOS FUSOALDI. CONDfi DE FOTTOaAl. –XB BARON »E KEDBN

O 1 que pobrete es un ernbaxador.

Lo mas importante que tencmos que

ïiaçer es no haçsr mal.

DON Diego Mendoza.

Les patriciens de Rome, quoiqu'AIfieri en ait pu dire2, sontdes plus pauvres JL~ et des plus orgueilleux de toute l'Italie. Ils sentent le poids de leurs grands noms historiques, et ont assez le sentiment de leur propre dignité pour ne point exposer la peine qu'ils ont à le soutenir aux regards inquisiteurs et peu charitables des étrangers. Dans Rome, les nobles sont les meilleures images de Rome elle-même, 1. Le Globe, samedi 19 janvier 1828.

2. Rîechi patrkii, e più che riechi, st:tti (Sonet. XVI). Hais ce n'est qu'une boutade du poète satirique qu'il faut attribuer aux mauvais lits et aux moustiques de Baccano. Voyez Vita, tome II. A la vérité, Piombino, et un ou deux autres, peuvent justifier de pareilles épithêtes. Mab ils sont rares, et on les compte.


et rien ne peint mieux à l'imagination cette cité des morts que les spectres vivant de gloire tombée qu'on voit errer encore parmi ses ruines.

Les exceptions, en petit nombre, sont ou les nouvelles familles qui doivent à leurs patients efïorts les privilèges et le patrimoine dont elles jouissent, ou les restes des anciennes générations qui, en s'alliant à des noms que leurs pères eussent méprisés, ont sauvé de la destruction quelques débris de cette aristocratie croulante. La richesse des uns, la hauteur des autres, forment une singulière mosaïque comme dans quelques-uns des monuments du Forum, où l'on démêle çà et là une ancienne colonne de marbre de Paros au milieu du stuc et du clinquant de l'église moderne. Le contraste du passé avec le présent se continue des choses aux hommes et, dans les salons aussi bien que dans les rues, on bronche à chaque pas contre quelques-uns de ces débris, mal appareillés, des antiques splendeurs.

Ce n'est cependant pas dans leurs propres maisons, comme on peut bien l'imaginer, qu'il faut chercher les descendants de la noblesse romaine. La plupart, chassés de salle en salle par les envahissements de la pauvreté, ont été contraints de prendre pour dernier refuge l'entresol de leur


palais encore l'abandonnent-ils souvent, séduits par des offres tentantes, à l'avidité des étrangers. Il ne faut pas conclure de là que l'observateur soit tout à fait privé des occasions d'étudier à son aise les particularités caractéristiques du primo-celo. La retraite, imposée par nécessité, non par choix, n'est pas absolue. Le cercle de l'exdynastie, dont tant de membres résident à Rome, offre aussi quelques chances bornées decommunication; et, quoiqu'il soit naturel de supposer que les habitués d'un pareil cercle doivent tous participer, plus ou moins, de la même physionomie politique, cependant on y rencontre parfois des spécimen chez lesquels le caractère national et original domine le caractère acquis mais ces occasions sont extrêmement limitées. Les gens à la suite d'une cour, ou quêtant ses faveurs (et chacun ici est courtisan, soit qu'il possède, soit qu'il attende), ne se montrent pas d'ordinaire très empressés dans leurs attentions pour un parti rival ou déchu et si le voyageur s'en fiait aux soirées des Bonaparte pour juger la société de Rome, il pourrait quitter ce pays avec une opinion à peu près aussi juste que celle que prendrait de l'Angleterre ou de la France un homme qui, de chaque côté du détroit, n'aurait visité que les salons des whigs et des libéraux..


Dénuée du moyen de tout représenter chez soi ou d'occuper un rang convenable dans une cour étrangère, la noblesse romaine a heureusement trouvé une compensation admirable dans l'organisation si propice du corps diplomatique. C'est chez les ambassadeurs qu'on peut voir, comme d'une galerie, défiler processionnellement toutes les familles nobles et les ambassadeurs eux-mêmes sont, en général, choisis de façon à devenir un accessoire important pour l'amusement et l'instruction des spectateurs. Les ambassadeurs sont une espèce à part, marquée par des singularités très tranchées, et ces singularités sont encore rehaussées par la situation et le caractère personnel et politique du souverain qui les envoie ou qui les reçoit. En Angleterre, une ambassade est regardée comme le meilleur moyen de faire le voyage du continent à son aise. Un ministre fatigué ou renvoyé désire mettre de côté, pour lui et sa postérité, un fond de santé, un service d'argenterie, un ruban bleu ou rouge et condescend à accepter l'emploi, avec la même dignité dédaigneuse qu'un émérite de la chambre des Communes met à accepter ses Chiltern-Hundreds1. Chez nos voisins, 1. Sorte de titre honoraire auquel a droit un membre de la chambre des Communes quand il a siégé un certain temps et qu'il veut se retirer.


le cas est un peu différent. Plus le cercle des combinaisons politiques est resserré dans un pays, plus on cherche les occasions de se distinguer au dehors. La diplomatie est, pour eux, ce que sont pour nous les débats parlementaires un homme déploie tout son génie dans les ingénieuses tactiques des cabinets étrangers, et revient avec une grande provision de petite sagesse pour l'usage et l'admiration de ceux de ses contemporains qui n'ont pas voyagé. A la vérité, il est survenu parfois des circonstances des talents d'une trempe plus ferme sont devenus nécessaires et l'Alexandre de notre siècle a souvent tranché, d'un seul coup de sabre, tous les nœuds gordiens et tous les sophismes de ces très prudents personnages, à peu près comme un téméraire écolier balaierait du bout du doigt les plus savantes fortifications d'une araignée. II réduisit, â fort peu de chose près, l'art des négociations, aux deux importants monosyllabes qui décident toute affaire humaine et l'expression péremptoire de ses volontés, l'extrême simplicité de sa logique, renversèrent tout l'échafaudage de savoir et d'argumentations compliquées de ces très habiles et très nobles dialecticiens. Mais les bons vieux temps de la diplomatie sont revenus la solennité officielle, la science des délais


dignes et rusés, valent encore une fois la peine d'être étudiées en Europe. Le même ordre des intelligences de cour a aujourd'hui un corps de doctrines à son usage et à présent que nous avons en perspective les canons à vapeur de Perkins, il faut espérer, pour le bien de l'humanité, qu'à l'avenir on mettra plus de temps à poser les règles d'après lesquelles on peut commencer une querelle avec décorum qu'on n'en mettait autrefois à l'entamer, à la vider et à la terminer tout à fait. Rien, dans la cour de Rome, ne nécessitait précisément la résidence d'un corps diplomatique aussi imposant que celui qui l'assiège. Le souverain, il est vrai, conserve encore sa domination spirituelle sur une grande portion du genre humain, mais les occasions d'exercer son pouvoir temporel, du moins d'une manière ostensible, sont très rares, ou très rarement saisies. On peut alléguer que la position centrale de Rome et sa faiblesse avouée la rendent particulièrement propre à servir de chambre de conseil à l'Italie, et qu'elle offre un terrain neutre où, à l'ombre d'un nom puissant, les prétentions des candidats rivaux à ce jardin des Hespérides peuvent ce disputer avec plus d'avantages et moins de danger d'être observés. Quoiqu'il en soit, l'ambassade de Rome est au premier rang


parmi les ambassades chez les puissances du sud et l'importance de ses personnages diplomatiques n'est guère moins attrayante pour l'observateur que la vanité et la splendeur de ses pompes religieuses. Rome est une petite ville et une grande ruine il n'y a point de foule il n'y a pas à craindre que l'individu se perde dans les masses. L'ambassadeur ne disparaît point confondu parmi des millions d'hommes. Tout contraste a son effet, tout mouvement sa valeur. Le pape ne tient point cour et les ambassadeurs sont à la fois le pape et la cour pour l'étranger. Ils prennent en quelque sorte la place du prince et le souverain naturel s'éclipse tout à fait derrière les innombrables représentants des souverains de toutes les autres contrées de l'Europe.

J'étais impatient de voir ce système en pleine activité aussi fus-je enchanté de découvrir sur ma cheminée un billet d'invitation de l'ambassadeur de Naples, le marchese Fuscaldi, pour une fête donnée au palais Farnèse à l'occasion de la naissance ou du mariage de quelques-unes des princesses napolitaines. Les personnes invitées étaient priées de venir en habii habillé, et tout promettait une magnifique mascarade.

Quoiqu'arrivé de bonne heure, je trouvai


la grande place devant le palais déjà occupée par une longue file de voitures. Ce n'était ni l'heure, ni l'occasion de se former une juste idée de l'architecture mais l'éclat et la. lueur scintillante des torches disposées en ligne le long de la façade, cérémonie dont l'aristocratie se dispense rarement, donnaient une extrême grandeur aux proportions larges, sombres et massives de ce chef-d'œuvre de Michel-Ange. Au bout de quelques moments, mon attention fut attirée par d'autres objets les flambeaux qui se croisaient et se mêlaient, les cris des laquais diversement bigarrés, parmi lesquels on remarquait surtout les costumes plus fantasques que pittoresques des valets et des piqueurs des ambassadeurs la solennité ténébreuse de la cour du Palais, vue à travers la fumée et le tumulte des torches les Suisses annonçant au bas de l'escalier la magnificence du vaste escalier même tout se pressait rapidement et confusément devant mes yeux et mon imagination. Je traversai à grands pas la froide galerie ouverte, et j'arrivai bientôt à l'entrée de l'antichambre. Là étaient rangés les valets de pied, etc., dans tout le brillant de leurs pompeuses livrées. Affrontant leur double file et le feu croisé de leurs observations, je passai au grand salon.


On faisait foule dans l'appartement'; tout Rome était là. Je me trouvai plongé dans un nuage d'étoiles, de croix, de décorations, d'habits brodés et autres nugae, empruntés à la lune de l'Arioste, et devant y retourner. Tandis que je me frayais un chemin parmi ces splendeurs, dans l'intention d'aller rendre mes devoirs au noble hôte, et tout à tour distrait par les diamants et les plumes des dames, les calottes rouges et le teint brun acajou des cardinaux, les moustaches et l'aspect rodomont des militaires, mon attention fut tout à coup appelée à ma droite par un rire bruyant et au centre d'un groupe composé des éléments les plus hétérogènes, déclamant avec l'accent napolitain le plus prononcé, j'entendis d'abord, et distinguai ensuite, quoiqu'avec peine, le marchese Fuscaldi. Imaginez un petit personnage d'environ quatre pieds huit pouces de haut, boiteux d'un pied, borgne d'un œil, et clopin-clopant, louchant, s'agitant, pour faire les honneurs de la fête, avec une imperturbable intrépidité de satisfaction de soi-même et de bon naturel, comme si tout cela n'était qu'un déguisement de carnaval qu'il pût quitter à son gré, avec son masque et son domino.

La danse venait de commencer dans la belle galerie des Carraches les cardinaux


et le clergé étaient demeurés seuls dans la première salle. Il est d'étiquette qu'ils se retirent aux premiers sons du violon quelques-uns qui ont des oreilles plus consciencieuses que leurs confrères, se conforment sans beaucoup de peine à l'attente du public. D'autres trouvent moyen avec leur allure moitié timide, moitié audacieuse, de rester derrière un petit groupe s'était confortablement niché à l'extrémité du sopha le plus éloigné du feu (aussi craint en Italie qu'il est recherché en Angleterre), lorsque la brusque entrée de l'ambassadeur de Portugal déconcerta de nouveau tout cet arrangement. Il arriva sautillant sur la pointe du pied, d'un air de gaieté qui scandalisa les admirateurs du passé, et qui était à peine en harmonie avec les prétentions carrées et la tournure un peu trapue de son excellence. En un moment, il eut salué tout le monde, et tout le monde, en se retournant, reconnut Condé de Funchal. Il n'avait rien perdu de la réputation qu'il s'était faite autrefois en Angleterre c'était encore la fleur des égrillards de l'ancien régime ou de bon ton, le modèle de la courtoisie ambassadoriale sa petite tête ronde et bien poudrée était tenue avec la même netteté et le même ordre et si je remarquai en lui quelque changement, c'est que ses traits ramassés s'étaient tant


soit peu élargis, et que l'écarlate de ses joues avait pris une teinte plus foncée. Avec tout cela, quoique trop laid pour un sylvain, c'était encore le beau idéal comparé à Fuscaldi. Ouand ce dernier rentre dans dans son repos, il a une certaine nonchalance, un farniente bienveillant, qu'un bal trop prolongé ou une conversation trop longue, convertirait bientôt en un sommeil pesant. Funchal, au contraire, est toute vivacité et tout feu il y a dans ses petits yeux noirs et scintillants une source intarissable d'activité, et il semble n'exister qu'en paroles et en mouvements. Il est universel dans son dévouement au beau sexe, jamais plus heureux que lorsqu'il reçoit ou rend un compliment et quoique mal secondé par la gravité ou la grâce dans sa façon de s'énoncer, ses phrases ont toujours cette espèce de charme que donne la politesse de cour, si commune sur le continent, et si rare en Angleterre. J'avais connu Condé autrefois, et je fus bien aise de le rencontrer de nouveau. C'était sa seconde visite à Rome et son retour pouvait être attribué autant à la partialité personnelle du pontife pour lui qu'à son nom illustre de Souza, et à son expérience bien reconnue dans le rituel des cours. Il avait été député, en qualité de ministre plénipotentiaire, pour féliciter Pie VII sur sa restauration, et la


maladie de Pinto, le ministre ordinaire, jointe à son grand âge, était un prétexte plausible pour prolonger le séjour de Condé en Italie, où il avait aussi, lui, d'autres points d'attraction. Il était franc et éclairé dans ses opinions politiques. Il avait le goût juste, et autant de passion que son parent pour la culture des lettres et des beaux-arts. Je dînai souvent chez lui, un peu plus tard, au palais Fiano, et je vis réalisés à sa table quelques traits d'une utopie philosophique comme je l'aurais conçue. Il avait l'art et le mérite de réunir des hommes tels que Niebuhr, Akerblad, Sismondi et la libéralité d'appeler les autres à jouir de leur société et de leur instruction.

Dans le groupe du sopha dont j'ai déjà parlé, j'observai, quoiqu'un peu à part du reste, une tête fort remarquable, qui se détachait complètement des figures pâles et purement italiennes qui l'entouraient. Condé. démêlant sur mes lèvres une hésitation entre une question et un sourire, m'appela, et me présenta, sans autre préliminaire, à son ami. C'était « le ministre de sa majesté britannique le roi de Hanovre » moyen ingénieux pour échapper à

1. Editeur de la magnifique édition du Camoens imprimée par Didot.


l'insignifiance d'un royaume dans la magnificence de l'autre, par un compromis entre tous deux, et pour répondre aux objections que sir John Copley aurait pu faire à lord Lyndhurst sur l'inconvenance qu'il y avait à ce que sa majesté britannique le roi d'Angleterre entretint, un ministre à la cour dé Rome. Le baron de Reden n'avait rien de très séduisant dans son abord, ni dans son extérieur mais si j'avais à représenter la plus anti-diplomatique, ultra-honnête, extra-consciencieuse figure qu'une cour allemande put envoyer comme échantillon des produits de ses manufactures, en fait de ministres, à une cour italienne, je serais certainement tenté de choisir son excellence. Il était petit et disgracieux. L'âge n'avait pas embelli ses traits lourds et bourgeonnes et son costume pendait sur ses formes épaisses et gauches comme s'il en eût hérité du plus robuste de ses ancêtres. Puis venaient ses manières rustiques et courtoises. C'était une chose curieuse à voir que la façon pesante et solennelle dont il s'inclinait, et dont son visage s'épanouissait en un sourire admiratif devant l'attrait de la beauté. Mais toutes ces nuances se perdaient dans la franchise évidente, dans la loyauté hanséatique de son caractère. Le baron ne disait jamais un mot sans citer une auto-


rite à l'appui, encore ne s'attendait-il pas à une foi entière. Son regard droit, calme, et en quelque sorte substantiel, ne cachait point d'arrière-pensée. Sa grosse lèvre germanique n'avait rien de perfide dans son naïf sourire. A la vérité, ses opinions étaient toutes extrêmes, droites, mais sans la bigoterie et le fiel de la médiocrité. II portait dans sa diplomatie la bonhomie de son ménage et le baron de Reden était, comme je l'appris ensuite, le modèle des vertus domestiques. Son intérieur était un tableau d'Auguste Lafontaine, son ambassade une famille et tous ceux qui avaient à faire à lui, du plus bas au plus haut étage, le trouvaient constamment et sincèrement paternel. Ses yeux brillaient quand il parlait de son précepteur, qui avait alors tout près de quatre-vingt-dix ans et l'un des plus grands plaisirs qu'il se promit à son retour en Hanovre était de lui demander sa bénédiction et de baiser sa main. Ses filles étaient formées sur le même moule d'excellence primitive. Pendant une de mes visites au palais, je remarquai un dessin dans un des principaux appartements. Le secrétaire de la légation m'en expliqua le sujet, tandis que les dames baissaient la tête. C'était le portrait de la fille aînée du baron, sous la figure de Charlotte, distribuant du pain et du beurre aux enfants.


Personne ne pouvait mieux que M. Kestner1 rendre justice à un pareil sujet.

Le baron de Reden ne paraissait pas avoir de fonctions diplomatiques très décidées à Rome, et quiconque eût étudié sa physionomie aurait pu se convaincre qu'il n'y avait là rien d'alarmant pour M. CConnelI ou M. Peel. Je ne découvris pas une seule pensée du veto dans sa bouche ou son oeil et les charmes de la femme de l'Apocalypse « vêtue de pourpre et d'écarlate 2 » semblaient avoir échoué « imbelle lelum sine iclu » sur son vieux cœur luthérien. Il succéda, dans des jours mauvais, à une situation douteuse, lors de la retraite du baron Ompteda; mais le choix qu'on faisait de lui annonçait la fin d'un système, avec lequel la tête, et j'espère aussi le cœur du baron de Reden, n'auraient pu être en harmonie. Le baron a la bonne fortune, et je pourrais ajouter le bonheur, de voir ses fonctions se borner à 1. M, Kestner a remplacé le baron de Reden, et est, ie crois, le ministre actuel à Home. J'ai eu le plaisir de le connaître intimement pendant plusieurs années et d'admirer la profondeur de son instruction, la chaleur et la vivacité de son imagination, la pureté et la modestie de son caractère. Il est, dit-on, un des descendants de Charlotte, et ami de Crœthe, avec lequel il a eu une correspondance publiée il y a quelque années dans les recueils périodiques de l'Allemagne.

2. Manière de désigner l'église de Rome, longtemps en usage parmi les Puritains, et qu'emploient encore les zélés protestants anglais.


l'importante prérogative de recevoir et de présenter au pape tous les sujets de sa majesté britannique soit du Hanovre, soit de l'Angleterre, tant protestante que catholique, whigs que tories, etc. (2° aitlcU 1)

ITAMKSKI. LE COMTE D'APPONYI. LE COMTE DE BLAOAS ET LES BONAÎAT.TES. M. DE LAVÀI-MONTHOKEtîOl'. MISS BATHUKST

J'entrai dans la salle voisine, espérant rencontrer d'autres originaux, et je passai près d'Italinski, l'ambassadeur russe, qui venait d'arriver. Il était depuis longtemps le centre de l'érudition de Rome, comme Funchal était celui de la littérature légère. A son extérieur grave et philosophique, à sa taille un peu courbée, on reconnaissait facilement ses habitudes sédentaires et studieuses. Italinsld quittait rarement son palais, situé sur la Piazza Nuova il vivait au milieu d'une académie permanente, composée des antiquaires, des orientalistes et des savants de Rome. Mais ce cercle avait plutôt l'austérité d'un conseil de collège que l'élégance littéraire qui distinguait les après-dînées de l'ambassadeur portugais.

Le noble russe est, en général, fastueux et imitateur. Saint-Pétersbourg s'étudie à singer Paris. Mais Italinski différait, sous 1. Le Globe, mercredi 30 janvier 1828.


plusieurs rapports, de ses compatriotes. Son ameublement était aussi simple que sa façon de vivre, plutôt au-dessous qu'audessus de son rang. Un poêle au mois d'avril et un portrait barbare du sultan Mahmoud, peint à Constantinople, étaient les principaux ornements du vaste salon où il donnait audience aux officiers russes se rendant à Moscou ou à Odessa, aux voyageurs à leur retour d'Egypte, aux amateurs de la langue éthiopienne, et aux lettrés qui venaient exploiter les découvertes de monsiçnor Maïo. Il trouvait encore le temps de soigner les intérêts de la Russie près de Sa Sainteté, et l'Eglise grecque n'avait jamais à se plaindre de son ambassadeur. L'envoyé d'Espagne gardait une sorte de réserve du même genre, quoique je doute fort qu'il eût pour la justifier d'aussi bonnes raisons. Mais un ambassadeur de Ferdinand VII doit être un véritable Protée; les ombres de la dernière révolution s'étaient depuis longtemps étendues jusqu'à Rome, et avaient'considérablement rembruni les ténèbres habituelles du Palazzo di Spagna. Même dans des temps ordinaires, le représentant de sa majesté très catholique n'occupe pas la position la plus brillante au centre du catholicisme; et plutôt que de n'être pas le premier, il aime mieux n'être pas du tout.


En parcourant les rangs divers, distingués chacun par les décorations de leur cour, et jouant la pompe et les prétentions des majestés respectives qui les avaient choisis pour organes ou pour masques, je passai en revue l'armée entière des ministres pro tempore et plénipotentiaires. Et comme je regrettais l'absence de Niebuhr (mal représenté par Bartoldi, le ci-devant juif) et que je souriais de l'activité pétulante du chancelant cardinal de Heflin, ministre bavarois, de la lourde étourderie de l'envoyé de Wurtemberg, et de la grave confortabilité de celui de Hollande, j'entendis tout à coup annoncer, suivi d'une éclatante et nombreuse suite, l'ambassadeur autrichien, le comte d'Apponyi. Dans des circonstances ordinaires, un ambassadeur d'Autriche aura toujours à Rome quelque os à ronger d'abord la garnison de Ferrare, pro forma, à discipliner convenablement et à entretenir « pour la protection de sa sainteté », puis les bataillons allemands à envoyer à l'engrais dans les pâturages de la campagne felice; à maintenir sous un nouveau nom la vieille querelle de la papauté et de l'empire à veiller à ce qu'aucun milanais ou vénitien ne puisse usurper un évêché dans sa ville natale à ce qu'un nonce obstiné, comme Severoli, ne parvienne pas à se glisser dans


la chaire des Apôtres enfin, jusqu'à ce que l'Italie soit tout à fait mûre pour les bienfaits de la concentration en un seul royaume, aucun Italien ne doit parler d'union, sous peine de haute trahison envers son empereur futur. Tout cela exige un sabre affilé, une main adroite, et une tête sage pour les bien diriger. A juger sur les apparences, je doute fort que le comte soit l'homme qu'on eût dû choisir pour cette politique.

Il est jeune, ou plutôt il n'est pas vieux et il a dans les manières une certaine élévation et un courage de jeunesse qu'il conserve, j'espère, dans sa diplomatie. C'est un Hongrois, et un militaire, et quoique je ne me soucierais pas du tout de lui confier les libertés d'une province conquise, je crois cependant qu'il emploierait le sabre de préférence au stylet, et qu'il aimerait mieux opprimer ouvertement que de trahir avec bassesse. Un mauvais système peut faire de lui un instrument de mal mais il a résisté à l'ultracisme de ses collègues, et la réception des Bonaparte dans son palais a été longtemps un sujet de scandale, et même de reproches, de la part de ses confrères les légitimes. Toutes choses considérées, c'est une image aussi douce de la divinité qu'il représente que l'Italie pouvait l'espérer dans le moment


actuel. En même temps, il ne faut pas se dissimuler qu'il doit une partie de sa popularité à son luxe, et surtout à sa femme. Personne ne soutient avec plus d'éclat tout l'apparat et toute la pompe de cette royauté du second ordre le Palazzo di Venezia est, à la lettre, la cour de Rome, et ses mercredis les levers de la capitale du pape. Mais, dans ces occasions, l'ambassadrice absorbe tout, et éclipse si complètement l'ambassadeur, que je suis fâché de dire que, pendant toute la soirée, à peine est-il question du souverain. Grande, maigre, dépourvue de cette harmonie de proportions si essentielle au charme du beau sexe, la comtesse d Apponyi fait oublier ces défauts par la délicatesse calme de ses traits la douceur pénétrante de son sourire, la grâce de cygne qu'elle déploie dans ses mouvements, et l'élégance inimitable de ses manières. Née en Italie, élevée en Allemagne, elle unit les qualités des deux nations. Elle se trouve au point difficile où finit la grâce et où l'affectation commence. Son chant est une émanation d'ellemême et un type juste de ce qui la caractérise. Elle donnait de temps en temps aux habitués de son cercle, dans ses petits appartements, le plaisir d'entendre quelques-uns des plus délicieux morceaux de la musique nationale s les Allemands


applaudissaient, et les Italiens oubliaient qu ils étaient dans le palais d'un Autrichien.

J'étais parvenu assez avant dans la galerie des Carraches, et je profitais des intervalles d'un quadrille pour en contempler les admirables fresques, quoiqu'elles fussent en quelque sorte noyées dans l'éclat des lumières, lorsqu'un personnage d'un aspect assez imposant passa à grands pas devant moi, et traversa la salle dans toute sa longueur. Il y avait quelque chose d'extrêmement arrogant dans sa tenue, et je me serais détourné avec les sentiments qu'excitent de pareils dehors, si je n'eusse remarqué les fleurs de lis de ses broderies, et l'ordre du Saint-Esprit sur sa poitrine. La nation et la cour auxquelles il appartenait évidemment m'intéressaient1 et, m'informant à un de mes amis, j'appris que ce n'était rien moins que « Monsieur le comte (maintenant duc) de Blacas d'Aulps, ambassadeur de sa majesté très chrétienne près le Saint-Siège ». Je le connaissais déjà de réputation, et le premier coup d'œil ne fut pas de nature à dissiper les préventions que je m'étais faites sur son compte. Organe de la première puissance catholique de l'Europe (sinon comme rang du moins comme civilisation) et représentant du fils aîné de l'Eglise, il ne peut


manquer d'occuper une haute situation et d'exercer en dépit de l'Autriche, une influence assez étendue dans la capitale de la chrétienté. Cependant cette suprématie serait plus volontiers et plus généralement reconnue, s'il voulait moins l'imposer jusqu'aux plus vils et. aux plus faibles courtisans se révoltent contre un orgueil qu'on aurait à peine toléré dans le représentant du Charlemagne moderne. Les modifications au concordat de Napoléon exigeaient sans doute les talents d'un habile ambassadeur, mais il y avait d'autres motifs plus forts pour faire choisir Blacas. Compagnon du comte de Lille dans sa petite cour d'Angleterre, il fut récompensé par le roi lors de la restauration, pour ses services réels ou supposés, par une part spéciale de faveurs mais la catastrophe du 12 mars et la fuite de Paris, attribuées en grande partie aux fautes de Blacas, même par les gens de son opinion, dissipèrent les prospérités et, à la seconde restauration, son protecteur fut obligé de satisfaire la rumeur publique en lui accordant un exil honorable pour quelques années. Le comte de Blacas quitta donc ses charges de « premier gentilhomme de la maison du roi » pour l'ambassade de Rome, n'emportant d'autres regrets que ceux de son souverain. Son départ n'était


pas l'unique objet qu'on eût en vue. Les Bonaparte, avec d'autres débris des dynasties détrônées, avaient cherché un asile dans les bras du Père commun mais les jours de l'île d'Elbe n'étaient pas oubliés les réfugiés devaient être poursuivis jusque dans l'intimité de leur retraite, espionnés, persécutés en détail. La nouvelle inquisition fut habilement organisée ses familiers étaient partout. Tandis que d'un côté l'ambassadeur de l'Eglise gallicane ne semblait occupé qu'à défendre ses privilèges, le comte planait sans cesse sur le seuil de la famille détestée, et exigeait de ses agents (souvent domestiques et quelquefois pis) un rapport détaillé sur chaque individu qui avait osé le franchir sans son laissezpasser.

S'ily avait une salle, un plafond à peindre, défense était faite aux artistes français d'y travailler si l'on voulait dédier une gravure, il fallait que ce fût en secret. La reconnaissance devenait un crime du moment qu'elle était publique, et il n'y avait point de titre aux faveurs sans un oubli total du passé. C'était souillure de les saluer trahison de leur parler et l'Anglais qui ne se rappelait pas qu'il était aussi leur ennemi, et qui consentait à se montrer dans leurs cercles, était considéré comme indigne de sa nation et dévoué aux


anathèmes et au mépris des légitimes K Des certificats d'une bonne façon de penser, et d'une conduite sans reproches à cet égard, étaient les seuls billets d'admission chez M. deBIacas à l'aide desquels on pouvait jouir de la gaieté lugubre de son salon. Tout consul ou tout ambassadeur qui avait à cœur les menus plaisirs de ses compatriotes avait soin de leur recommander comme premier devoir de prendre tout de suite parti dans l'un ou l'autre camp. Cette guerre de société se livrait avec une égale ardeur des deux côtés. Les glaces et les services en vermeil, pour ne rien dire des autres attraits de la princesse Borghèse, le dispu1. Les exemples de ce genre sont nombreux. Un gentilhomme anglais de ma connaissance avait été présenté à l'ambassadeur et fort bien accueilli. Malheureusement il avait connu le prince de Canino en Angleterre pendant sa captivité, et il crut qu'une visite à son arrivée à Rome était une chose indispensable et qui se devait. Blacas fut instruit de cette démarche par sa gendarmerie en livrée et, lorsque l'Anglais se présenta chez lui, on lui annonça qu'à l'avenir Son Excellence le dispensait de ses visites. Qnelque chose d'approchant arriva plus tard à un noble irlandais.Toutle monde connaît. la. méprise du secrétaire Artaud. Monsignor Isoard, l'un des juges de la Rots, de la création, je crois, de Napoléon, avait été suivi jusqu'au palais du cardinal Fesch, on l'avait vu franchir la porte à une heure avancée, etc., etc., et en conséquence on lui refusa l'entrée chez l'ambassadeur, le lendemain soir. Un examen plus approfondi fit découvrir que ce n'était pas dans le palais qu'il était entré mais dans l'église de la Chiesa délia Morte, la porte après. Cela faisait toute la différence du inonde Monsignor fut acquitté, le secrétaire réprimandé, et l'ambassadeur se mordit les lèvres. Le monde rit, et avec raison, de tous trois.


tèrent bientôt et balancèrent enfin l'ascendant de Blacas. Il fut attaqué sur son propre terrain il y eut des représailles et pour meubler sa salle d'audience de nouvelles figures, il se vit obligé de modérer l'animosité de son blocus politique, mais ce ne fut que vers la fin de son règne. Pendant longtemps il poussa cette guerre de la fronde au point de tâcher d'étendre la proscription à tous les cercles d'ambassades de Rome. Il y réussit, non sans quelques frais de diplomatie et plus d'une fois il fut contraint de se plaindre de la bande de conspirateurs qui osaient se rassembler autour de quelques membres de la famille, au centre même du Palazzo di Venezia, sans être intimidés par sa défense ou son regard. Autant que j'ai pu en juger, le comte de Blacas n'avait de bien remarquable qu'un penchant pareil à celui de la taupe pour le petit et le noir, et un talent distingué pour tous les stratagèmes lilliputiens par lesquels il pouvait parvenir à tenir le fil de toutes les intrigues bonapartistes il affectait d'ailleurs de couvrir ce qu'il y avait de pénible dans ses fonctions, d'une sorte de parure littéraire il protégeait les arts avec ostentation, quoique avec parcimonie, et fut un moment entouré d'encens et. de flatteurs. Sa collection, surtout en pierres antiques, était belle,


car il l'avait faite avec les yeux d'autrui mais les Romains ont un instinct sûr pour reconnaître le véritable amateur, et en ce genre le faux n'échappe pas longtemps à leur pénétration. Ses richesses cessèrent bientôt d'exciter la surprise.

Quelques mois après, à mon retour à Rome, je ne retrouvai plus le comte de Blacas. Il avait été remplacé par le duc de Laval-Montmorency. Le changement me surprit il faisait encore le sujet des félicitations et des conjectures du public. La mort du captif de Sainte-Hélène avait changé les positions politiques de l'Europe, et à Rome sa famille semblait avoir expiré avec lui. Un duché récompensa les services du comte, et ses amis de Paris qui avaient cru son éloignement utile, désiraient maintenant son retour. Le duc de Berri, et quelques autres de ses opposants politiques et personnels, n'étaient plus l'affection du roi avait augmenté, et le « ci-devant gentilhomme de la maison de Monsieur » fut invité à reprendre ses fonctions avec des armoiries plus éclatantes. Une autre circonstance hâta son départ d'Italie. Il avait fait une courte excursion à Naples où l'austérité du diplomate avait cédé, disait-on,à l'influence énervante du climat. Le noble qui lui succéda est d'une tout autre trempe, soit qu'on l'envisage comme


ambassadeur, ou comme homme du monde. Il ne prétend à aucun talent politique et il a du moins le mérite d'être au-dessus de ses prétentions. Son nom est surchargé de tous les souvenirs que la chevalerie et la noblesse peuvent évoquer mais le fils des premiers barons chrétiens n'a point besoin de ces attributs de circonstance pour rehausser son mérite réel. Il est franc, généreux, courtois c'est un compromis entre le passé et le présent de la nation française, un chaînon qui lie les jours d'autrefois avec ceux d'aujourd'hui. Aussi peu entiché que possible des préjugés de sa caste, il n'a rien non plus de la rudesse soldatesque de la révolution. Il a servi l'empire sous Napoléon, et a été de tout temps fidèle à la France. Les manières de cour de l'empire étaient mâles, souvent âpres elles changeaient ou dégoûtaient les membres de la vieille aristocratie qui étaient invités ou admis au partage des honneurs. Le duc de Laval a fort peu de ces nuances son esprit, en passant à travers tant d'atmosphères variées, a laissé derrière lui toutes les haines et les fausses notions qui ternissent les meilleures qualités de ses confrères. Personne n'est plus accessible au malheur et au mérite. Et c'est une singulière gloire pour un ambassadeur que la réputation d'avoir agrandi


sa vue intellectuelle dans son commerce avec les cours, au lieu de l'avoir rétrécie. <t Le nom ne fait rien à l'affaire est un axiome que ses amis lui attribuent, et que ses ennemis, s'il en a, n'ont pas pris la peine de démentir. Que le mot soit vrai ou faux, c'est d'après ce principe qu'il agit. Il éprouve une sorte de jouissance à se débarrasser des dehors et de l'enseigne de ses fonctions. Rien ne peut surpasser la bienveillance naturelle avec laquelle il s'acquitte des devoirs de sa charge. Les solliciteurs et les visiteurs ne perdent rien à la métamorphose de l'ambassadeur en duc. Il a peu de chose à faire à Rome les libertés de l'église gallicane sontadmises, il n'est point tourmenté de toutes les craintes qui fatiguaient son prédécesseur. Ce n'est pas un crime de lèse-majesié de boire le vin et entendre la musique des Bonaparte. Le Palazzo Teodoli reconnaît les droits du Palazzo Luciano, leurs concierges se saluent mutuellement, et l'on a vu l'ambassadeur lui-même ôter son chapeau à une des plus jeunes et des plus belles détrônées. Ses attentions, surtout pour les dames, forment un contraste remarquable avec le ton dur et bourru de son devancier. Peu de gens ont autant de cette admiration et de ce dévouement pour le beau sexe, qui a fait si longtemps


l'ambition et la gloire des chevaliers français. A tout cela se joint une sorte d'indifférence philosophique pour le grandiose de sa charge, parfois très plaisante, et qui décontenance souvent ses collègues. Je l'ai vu fréquemment se promener à pied sur le Corso, sans un seul domestique, s'arrêter de distance en distance, avec une admiration sincère, devant chaque nouvelle fenêtre ou devant le portrait monstrueux de quelque bête sauvage nouvellement débarquée et lorsqu'il s'apercevait qu'il était observé, laissant retomber son lorgnon, se redressant, et pressant le pas, comme honteux d'avoir été surpris pour la centième fois en flagrant délit et dans l'oubli total de sa dignité. Mais ceci n'a rien à faire avec les qualités plus solides de son cœur le triste événement de la mort de miss Bathurst les montra sous le point de vue le plus favorable. Il est vrai que la ville entière en fut extrêmement affectée, et la part que l'ambassadeur eut à cette catastrophe doubla en lui l'émotion générale. Il fut obligé de garder le lit pendant plusieurs jours et quoique je le vis ensuite assez bien remis, je doute fort que, tout Français qu'il est, il puisse jamais oublier la fatale calvacade du Tibre.

L'histoire de cette intéressante jeune fille est déjà en partie connue du public


mais il n'y a que ceux qui se trouvaient alors à Rome qui puissent apprécier la sensation universelle qu'elle y produisit. La veille au soir, elle avait paru, entourée du cercle brillant de ses amis et de ses admirateurs, dans un grand bal, donné chez elle, en l'honneur, à ce qu'on supposait, de son prochain mariage. Son futur était à Turin, et on l'attendait à Rome de jour en jour. A ceux qui observèrent la légèreté de ses pas ce soir-là, qui virent les rayons de la joie et de l'espérance illuminer ses traits charmants, elle semblait toucher aux bornes de la félicité humaine, et être invulnérable aux traits du sort. La Providence en ordonna autrement les adieux de cette soirée devaient être éternels. La nuit était orageuse, et des pluies fréquentes depuis quelques jours avaient enflé le Tibre. Ses bords sont la promenade favorite des Anglais dans cette saison. Tous nos échappés d'Oxford aiment à comparer le fleuve avec la description qu'en a faite Horace, et tout le monde s'y rappelle Shakspeare 1. Le lendemain, la pluie avait cessé et ce soleil d'Italie qui n'abandonne jamais ses enfants que pour quelques heures, invitait à sortir. L'ambassadeur 1. L'admirable récit de Cassius, dans Jules César For onee, upon a raw and çttsty iay,

The troubled Tyber chafing with Ait shorez, etc


proposa, m'a-t-'on dit, de se diriger vers la rivière. Son conseil fut malheureusement suivi. Toute la cavalcade défila par la Porla del Popolo, et prit la route du Tibre. On fut bientôt au Ponte Molle. A droite du chemin, sur le bord de l'eau, un petit sentier conduit une vigne. Chacun désirait jouir aussi bien que possible de la vue du paysage et, sans réfléchir aux changements qui avaient eu lieu depuis une dernière visite, on s'engagea dans l'entreprise hasardeuse de gagner la porte de la vigne, pour contempler de là à loisir les eaux « jaunâtres et irritées ». Le sentier était étroit on fut obligé d'avancer un à un. Tous descendirent de cheval, excepté miss Bathurst. Ce fut une circonstance funeste, mais de peu d'importance si elle ne se fût liée à d'autres. Arrivé au terme, on trouva la porte de la vigne fermée, contre l'ordinaire, et il fallut redescendre. Le sentier était glissant, la rive du Tibre escarpée, le fleuve rapide et très gonflé. Le cheval hésita elle voulut le pousser en avant il recula, son pied de derrière glissa, et l'instant d'après le cheval et la jeune fille furent précipités au milieu même du torrent. La consternation fut terrible tout le monde perdit sa présence d'esprit. On assure que personne ne savait nager, excepté le domestique de miss Bathurst,


qui, par une de ces fatalités que toute la prudence humaine ne saurait prévoir, avait été renvoyé à Rome, au commencement de la promenade, pour y chercher la pelisse de sa maîtresse. Ce qui est certain, c'est qu'aucune tentative ne fut faite et peut-être aucun effort n'eût-il pu la sauver. La vie cependant rallia deux fois ses forces, et reparut dans toute l'horreur d'une lutte inégale avec la mort deux fois la jeune fille se souleva sur l'eau, et agitant sa cravache au-dessus de sa tête, appelant ses amis par les noms les plus tendres, leur cria de la sauver, de la sauver » L'instant d'après, elle disparut sans qu'on la revît ou l'entendit davantage. Son cheval, emporté par le courant, aborda plus bas.

Le lendemain, tout Rome accourut en foule au lieu de la catastrophe. Cinquante louis furent offerts pour retrouver le corps, mais des personnes de toutes classes s'occupaient déjà de cette recherche, sans autre motif que l'humanité. Rien ne peut être plus honorable pour le peuple romain que la part qu'il prit à ce désastre. Dans ce pays, la jeunesse, la beauté, le malheur, éveillent bien plus de sympathie que les révolutions des empires.

Son oncle se retira à la villa Spada, où sa douleur prit pendant plusieurs jours


le caractère de l'égarement. II avait été un des malheureux témoins de sa mort. Quelques heures après que l'événement fut connu à Rome, je vis plusieurs figures silencieuses sur les degrés de la Trimlà di Monte (sa dernière résidence), contemplant, les larmes aux yeux, et avec l'expression de la plus profonde sympathie, les volets fermés et la tranquillité funèbre d'une des maisons les plus gaies et les plus hospitalières de la ville. Toutes les recherches pour retrouver le corps furent vaines pendant plusieurs semaines. On le découvrit enfin, non comme on le conjecturait, près de la ville, mais presque à l'endroit même ,où elle était tombée. Les ruines de l'ancien pons Milvius l'avaient retenue. Il fut transporté dans une petite hôtellerie voisine. Toutes traces de beauté étaient effacées les bagues qu'elle avait aux doigts purent seules la faire reconnaître. Le lendemain, de très bonne heure, ses restes mortels, suivis d'un petit nombre d'amis au désespoir, furent inhumés dans le cemelerio degli Inglesi. Ils y reposent encore, et peu d'Anglais traversent Rome sans visiter la tombe de leur malheureuse compatriote.

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Préface de l'éditeur. 1 L'ITALIE EN 1818

Préface. 3 La musique. 9 Les artistes. 14 Sur l'énergie en Italie. 16 Réflexions sur Otello 21 Le gouvernement de l'Eglise. 24 Sur Venise. 29 La liberté de la Presse à. Milan. 33 Qu'est-ce qu'une littérature sans liberté.. 36 Langue italienne. 44 Confection d'un dictionnaire. 48 Sismondi dit. 49 Les nobles italiens. 58 La peur du bon sens. 60 Théâtre de la Scala 63 Nouvelle organisation de la Scala. 70 L'Italie en 1818. 74 Conduite de la Maison d'Autriche en Lombardie. 84 Jeunes gens Italiens. 95 Estime pour la force. 100

TABLE


Le voyageur et les femmes. 118 Caractères. 135 Bureaucratie. 1.14 La nouveUeHéMse. 148 Angleterre 151 Le sombre des Anglais. 160 Christianisme. 164 Essai statistique. 172 Rivages de la mer. 176 6 Théologie en Angleterre 183 Appendice. 186 La nuit d'une Italienne. 188 MŒURS ROMAINES

Les Fantoccini à Rome. 195 Les Anglais à Rome. 213 Première journée à Rome. 232 La cascade de Terni. 243 Dots aux jeunes filles. Mariages. 249 Les brigands en Italie 254 Les Ambassadeurs. 291


AMIEVÊ D'IMPRIMER

LE DIX OCTOBRE MIL NEUF CENT-TRENTE-DEUX, SUR LES PRESSES DE I/BIPRIJIERIE ALENÇONNAISE (ANCIENNES MAISONS JPOOLET-MALASSIS, RENAUT-DE BROISE ET GEORGES SUPOT RÉUNIES), ALENÇON, F. GRISA RD, ADMDîISTRATEUR.