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Titre : Voyage au centre de la terre (55e édition) / Jules Verne ; vignettes par Riou

Auteur : Verne, Jules (1828-1905). Auteur du texte

Éditeur : Hachette (Paris)

Date d'édition : 1919

Contributeur : Riou, Édouard (1833-1900). Illustrateur

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12342582t

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb315627241

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (355 p.-[1] f. de pl.) : ill. ; in-8

Format : Nombre total de vues : 365

Description : [Voyage au centre de la terre (français)]

Description : Collection : Les voyages extraordinaires

Description : Collection numérique : Littérature de jeunesse

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k65995d

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Y2-24583

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Fin d'une séiie da documents M couleut


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1.~ VOYAGE

AU CENTRE DE LA TERRE

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Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Kônig-strasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Ham bourg.

La bonne Marthe dut se croire fort en retard. car le dîner commençait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine.

« Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des hommes, va pousser des cris de détresse.


MWWi.ww -̃̃i^y».– .n.»- ,nWII mi. IIM>m> <m ̃̃ i«ni

DéjA M. Ljdonhrook 1 s'écria la bonne Mmtne

stiipéfaite, *m oiitro-bûiHant la porte de la aajle

à manger. `

Oui, Marine; mais le dîner A le droit de ne point ôtvo ouït, aar il n'est pas deux heure». Lit demie vient à poino do sonner à Bnlut-Miohel. Alors pourquoi M. Lidenbrook renlre-t-ilï H noua lo (lire vraisemblablement. La voilà! jo mo huuvo. Monsieur Axel, vous lui ferez entendre raison. »

Et^la bonne Marthe regagna ion lttbôratolfë uulinaire.

Je rostai soûl. Mais do faire entendre raison au plus irascible des professeurs^ c'est eo qtio mon caraétbfd un peu indéeis ne me permettait pas. Aussi je me préparais à regagner prudemment ma petite chambre du haut, quand la porte de la rue cria sur ses gonds; de grands pieds firent craquer l'escalier de bois, et le maitre de la maison, traversant la salle à manger, se précipita aussitôt dans son cabinet de travail. Mais, pendant ce rapide passage, il avait jeté dans un coin sa canne à tête de casse-noisette, sur la table son large chapeau à poils, rebroussés, et & son neveu ces paroles retentissantes « Axel,, suis-moi

Je n'avais pas eu le temps de bouger que professeur me criait déjà avec un vif accent d'Int»

patienoâ 2 a N .̃̃


« Eh bien! lu n'es pas oncoro iei? »

Je m'élançai dans lu cnhmotde ». on redoutable maitre.

Otto Litlonbrock n'était, pas un méchant homme, j'en convions volontiers; mais, à moins do changements improbables, il mourra dans la peau d'un terrible original.

Il «Huit professeur au Johanmeum, et faisait un cours do minéralogie pendant loquol il se mettait régulièrement en colère une fois ou deux. Non point qu'il so préoccupât d'avoir des élèves assidua à ses leçons, ni du degré d'attention qu'ils lui accordaient, ni du succès qu'Us pouvaient obtenir par la suite; ces détails ne l'inquiétaient guère. Il professait « subjectivement », suivant une expression de la philosophie allemande, pour lui et non pour les autres. C'était un savant égoïste, un puits de science dont la poulie grinçait quand on en voulait tirer quelque chose. En un mot, un avare.

Il y a quelques professeurs de ce genre en -Allemagne.

Mon oncle, malheureusement, ne jouissait pas d'une extrême facilité de prononciation, sinon dVns l'intimité, au moins quand'il parlait en publie, et c'est un défaut regrettable chez un orateur. En effet, dans ses démonstrations au-Johannasum, souvent le professeur s'arrêtait court; il luttait oontre un mot récalcitrant qui Die voulait


pas glisser entre ses lèvres, un de' ces mots qui résistent, se gonflent et finissent par sortir sous la forme peu pcientifique d'un juron. De là, grande colère.

̃' H y a en minéralogie bien des dénominations semi-grecques, ttemi-latines, difficiles à prononcer, de ces rudes appellations qui éooroheraient les lèvres d'un poète. Je ne veux pas dire du mal de cette science. Loin de moi. Mais lorsqu'on se trouve en présence des cristallisations rhomboédriques, des résines rétinasphaltes, des rhélénites, des tangasites, des molybdates de plotnb, des tungetatos de manganèse et des titanïates de x «ircone, il est permis à la langue la plus adroite

de fourcher.

(%, dans la ville on connaissait cette pardons nà))1e, 'infirmi,té de m~nonble, et on~ en abusait, et on l'attendait aux passages dangereux, et il se mutait en fureur, et l'on riait, ce qui n'est pas de bon goût, même pour des Allemands. S'il J avait donc toujours grande afiluenoe d'auditeurs aui cours de Lîdenbrock, combien les suivaient assidûment qui.venaieht surt<Npoura« dérldeip MvaL bellefcolères du ptbfeôsëupl Quoi qu'il en soft* mon oncle, je ne saurais trop le dire, était un véritable savant. Bien qu'il Vassal parfois ses échantillons à les essayer trop brus- «lùôment, il joignait au génie jdu«éologue Ymïl ^w^nmntn. Avec son marteau, sa pointe d'a-

̃' :'̃?. ̃̃̃ ̃"̃̃̃' "̃̃"


II


oier, son aiguille aimantée> son chalumeau .et son flacon d'acide nitrique, c'était un homme très fort. A la cassure, à l'aspect, à la dureté, k la fusibilité, au soin, à l'odeur, au go£t d'un mineral quelconque, il le classait sans hésiter parmi les six cents esjiôo»* que la soioiloo compte

aujourd'hui.

Aussi le nom do Lidenbrock retentissait aveo honneur dans les gymnases et les association» nationales. MWLHumphry Davy, doHumboldt, les capitaines Franklin et Sabine, ne manquèrent pas do lui rendre visite & leur passage à Hanv bourg. MM. Becquerel, Ebolmen, Brownter, Dumas, MHneEdwards, aimaient à le oonsulter sur des questions les plus palpitantes de la chimie. Cette science lui devait d'assez belles déoou« vertes, et, en 1853, il avait paru a Leipzig un Traité de Cristallographie tomacerçdanfe, par le professeur Otto Lidenbrook, grand in-folio avec planches, qui cependant ne Ht pas ses frais, Ajoutes à cela que mon onole était conserva-» tour du musée minéralogique de M. Struve, am- bassadeur de Russie, précieuse collection dune renommée européenne. >

Voilà donc le personnage qui m'interpellait avec 'tant d'impatience. Représentoz-vous un homme grand, maigre, d'une santé de fer, et d'un blond juvénile qui lui ôtait dix bonnes années de sa cinquantaine Sée gros yeux roulaient sans

̃.̃̃ .'̃'̃ .̃̃̃


cesse derrière des lunettes considérables; son nez, long et mince, ressemblait à une lame affilée les méchants prétendaient même qu'il était aimanté et qu'il attirait la limaille doter. Pure calomnie; il n'attirait quo le tabae, mais eu grande abondance, pour ne point mentir. Quand j'aurai ajouté que mon oncle faisait des enjambéos mathématiques d'une demi-toise, et si je dis qu'en marchant il tenait ses poings Solidement fermés, signe d'un tempérament impétueux, on le connaîtra assez pour ne pas se montrer friand de sa compagnie.

Il demeurait dans sa petite maison de.Kônigstrasso, une habitation moitié bois, moitié brique, à pignon dentelé elle donnait sur l'un de ces canaux sinueux qui se croisent au milieu du plus ancien quartier de Hambourg que l'incendie de i842 a heureusement respecté. La vieille maison penchait un peu, il est vrai, et tendait le ventre aux passants; elle portait son toit incliné sur l'oreille, comme la casquette d'un étudiant de la Tugendbund; l'aplomb do ses lignes laissait à désirer mais, en somme, elle se tenait bien, grade à un vieil orme vigoureusèment encastré dans la façade, qui poussait au printemps ses bourgeons en fleurs à travers les vitraux des fenêtres. Mon oncle ne laissait pas d'être riche pour un professeur allemand. La maison lui appartenait


en toute propriété, contenant et contenu. Le contenu, c'était sa filleule Grattben, jeune Virlandaise de dix-sept ans, la bonne Marthe et moi. En ma double qualité de neveu et d'orphelin, je devins son aide-préparateur dans ses expériences.

l'avouerai que je mordis avec appétit 'aux sciences géologiques; j'avais du sang de minéralogiste dans les veines, et je ne m'ennuyais jamais en compagnie de mes précieux cailloux. En somme, on pouvait vivre heureux dans cette maisonnette de Kônig-strasse, malgré les impatiences de son propriétaire, car, tout en s'y prenant d'une façon un peu brutale, celui-ci ne m'en aimait pas moins. Mais cet homme-là ne savait pas attendre, et il était plus pressé que nature.

Quand, en avril, il avait planté dans les pots de faïence de son salon des pieds de réséda ou de volubilis, chaque matin il allait régulièrement les tirer par les feuilles afin de hâter leur croissance. Avec un pareil original, il n'y avait qu'à obéir. Je me précipitai donc dans son cabinet.


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T.

Ce cabinet était un véritable musée. Tous les échantillons dit règne minéral s'y trouvaient étiquetés avec l'ordre le plus parfait, suivant les trois grandes divisions des minéraux inflammables, métalliques et lithof des. i

Comme je les connaissais, ces bibelots de 1a science minéralogique Que de fois, au lieu de muser avec des garçons de mon âge, je m'étais plu à épousseter ces graphites, ces anthracites, ces houilles; ces lignites, ces tourbes! Et les bitunies, les résines', les sels organiques qu'il fallait préserver du moindre atome de poussière 1 ]|t ces métaux, depuis le fer jusqu'à l'or, dont la valeur relative disparaissait devant l'égalité absolue des spécimens scientifiques! Et toutes ces pierres qui eussent suffi à reconstruire la maison de KÔnig-strasse, même uveo une belle chambre de plus, dont je me serais si bien arrangé biais, en entrant dans le cabinet, je ne Bougeais guère à ces merveilles. Mon oncle seul occupait ma pensée. II était enfoui dans son large fauteuil garni de velotlra d'Utrecht, et tenait entre les


mains un livre qu'il considérait avec la plus profonde admiration.

« Quel livra! quel livre! » s*éoriait4l. Cette exclamation me rappela que te professeur Lidenbroek était aussi bibliomano à ses moments perdus; mais un bouquin n'avait de prix à aes yeux qu'à la condition d'être introuvable, ou tout au moins illisible.

« Eh bien me dit-il, tu ne voia donc pas f Mais c'est un trésor inestimable que j'ai rencontré ce matin en furetant dans la boutique du juif

Hevelius.

Magnifique! » répondis-je avec un enthousiasme de commande.

En effet, à quoi bon oe fracas pour un vieil in-quarto dont lo dos et los plats semblaient faits d'un veau grossier, un bouquin jaunâtre auquel pendait un signet dépoloré ?

Cependant les interjections admiratives dit professeur ne discontinuaient pas. « Vois, disait-il, en se faisant à lui-même demandes et réponses; est-ce assez beau ?Oui, c'est admirable! Et quelle reliure Ce livre s'ouvre-t-H facilement? Oui, o»r il reste ouvert à n'importe quelle page! Mais se fenne*-t-il bien? Oui,- car la couverture et les feuilles forment un tout bien uni, sans se séparer ni bâiller en aucun endroit Et ee dos qui n'offre pas una seule brisure aprèt sept o#nt« uns 4'n-xintena* 1 Ah ïoila une reliur*

̃" 'V' ̃ ̃ ̃̃̃̃:


dont Bosserian, Closs ou Purgold eussent été Itorsl »

En parlant ainsi, mon oncle ouvrait et fermait successivement le vieux bouquin. Je ne pouvais faire moins que de l'interroger sur son contenu, bien que cela ne m'intéressât aucunement. « Et quel est donc le titre de ce merveilleux volume? demandai-je avec un empressement trop enthousiaste pour »'*V"> pas feint.

Cet ouvrage! répondit mon oncle en s'anĩ iqant, c'est YHeims-Kringla de Snorre Turleson, .1 le fameux auteur islandais du douzième siècle p c'est la Chronique des princes norvégiens qui régnèrent en Islande.

Vraiment! I in'écriai-je de mon mieux, et, sans doute, c'est une traduction en langue fille» mande Y

i Bon riposta vivement le professeur, une traduction Et qu'en ferais-je de ta traduction 1 Qui se soucie de ta traduction Ceci est l'ouvrage original en langue islandaise, ce magnifique idiome, riche et simple à la fois, qui autorise les combinaisons grammaticales les plus variées et de nombreuses modifications de mots r. Comme l'allemand, insinuai-je avec assez de bonheur.

Oui, répondit mon oncle en haussant les épaules; mais avec cette différence que la langue islandaise admet les trois genres comme le greo


et décline le» noms propres comme le latin! Ah fis-je un peu ébranlé dans mon indifférence,et les caractères de ce livre sont-Us beaux? Des caractères qui te parle de caractères, malheureux Axel! II s'agit bien de oaraotères! Ah! tu prends cela pour un imprimé! Mais, ignorant, c'eut un manuscrit, et un manuscrit runique!

Runique?

Oui Vas-tu me demander maintenant de expliquer ce mot? f

Je m'en garderai bien, »répliquai-je avec l'accent d'un homme blessé dans son amour-propre. Mais mon on ole continua de plus belle, et m'instruisit, malgré moi, de choses que je ne tenais guère à savoir.

« Les runes, reprit-il, étaient des caractères d'écriture usités autrefois en Islande, et, suivant la tradition, ils furent inventés par Odin luimême! Mais regarde donc, admire donc, impie, ces types qui sont sortis de t'imagination d'un dieu! »

Ma foi, faute de réplique, j'allais me prosterner, genre de réponse qui doit plaire aux dieux comme aux rois, car elle a l'avantage de ne jamais les embarrasser, quand un incident vint détourner le cours de la conversation. Ce fut l'apparition d'un parchemin crasseux qui çHssa du bouquin et tomba à tdïfd.


Mon oncle se préotpita sur ce brimborion avec une avidité facile à comprendre. Un vieux document, enfermé peut-être depuis un temps immémorial dans un vieux livre, ne pouvait manquer d'avoir un haut prix à ses yeux.

« Qu'est-ce que cela ? » s'écria- t-il.

Et, en même temps, il déployait soigneusement sur sa table un morceau de parchemin long de oinq pouce», large de trois, et sur lequel s'allongeaient, en lignes transversales, des oaracteres de grimoire..

En voici le fac-sîmilo exact. Je tiens à faire connaitre ces signes bizarres, car ils amenèrent le professeur Lidonbrock et son neveu à entreprendre la plus étrange expédition du dix-neuvième siècle:

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Le professeur considéra pendant quelques estants cette série do caractères; puis il dit en relevant ses lunettes

« C'est du «inique ces types sont absolument


identique» coux du manuscrit de Snorro Turloson Mois, qu'este que cela peut signifier?» Comme le runique me paraissait être une invention de savants pour mystifier le pauvre monde,je ne fus pas fôché de voirque mon owl<< n'y comprenait rien. Du moins, cela me sembla ainsi arf mouvement de ses doigts qui commençaient à s'agiter terriblement.

« C'est pourtant du vieil islandais » murmu. rait-il entre ses dents.

Et le professeur 'Lidonbrock devait bien a'y, connaître, car il passait pour être un véritable polyglotte. Non pas qu'il parlât couramment les deux mille langues et les quatre mille idiomes employés à la surface du globe, mais enfin il en savait sa bonne part.

II allait donc, en présence de cette difficulté, se livrer à toute l'impétuosité de son caractère, et je prévoyais une scène violente, quand deux heures sonnèrent au petit cartel de la cheminée. Aussitôt la bonne Marthe ouvrit la porte du cabinet en disant « La soupe est servie.

` Au diable la soupe, s'écria mon oncle, et celle qui l'a faite, et ceux qui la mangeront I » Marthe s'enfuit; je volai sur ses pas, et, sans savoir comment, je me trouvai assis à ma place babituelle dans la salle à manger.

J'attendis quelques instants. Le professeur ne


vint pas. C'était la première fois, à ma connnissance, qu'il manquait à la solennité du dîner. Et quel dinor, cependant! une soupe au persil, une omelette au jambon relevée d'oseille à la muscade, une longe de veau à la compote de prunes, et, pour dessert, des crevettes au sucre, le tout arrosé d'un joli vin de la Moselle.

Voilà ce qu'un vieux papier allait coûter à mon onole. Ma Soi, en qualité de neveu dévoué, je me crus obligé de manger pour lui, et même pour moi. Ce que je fis en conscience.

« Je n'ai jamais vu chose pareille! disait la bonne Marthe en servant. M. Lidenbrock qui n'est pas à table 1

C'est à ne pas le croire.

-*• Cela présage quelque événement grave! « reprenait la vieille servante en hochant la tête. Dans mon opinion, cela ne présageait rien, sinon une scène épouvantable, quand mon oncle trouverait son dîner dévoré.

J'en étais à ma dernière crevette, lorsqu'une voix retentissante m'arracha aux voluptés du dessert. Je ne fis qu'un bond de la salle dans le cabinet


« C'est évidemment du runique, disait le professeur en fronçant le sourcil. Mais il y a un secrot, et je le découvrirai, sinon. »

Un geste violent acheva sa pensé©.

« Mets-toi là, ejouta-t-il en m'indiquant la' table du poing;, et écris. »

En un instant je fus prêt.

« Maintenant, je vais te dicter chaque lettre de notre alphabet qui correspond à l'un de ces » caractères islandais. Nous verrons ce. que cela donnera. Mais, par saint Miohel! garde-toi bien de te tromper! »

La dictée commença. Je m'appliquai de mon mieux; chaque lettre fut appelée l'une aprè8 Vautre, et forma rincomprëfaensible succession des mots suivants

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Quand ce travail fut termina, mon onclo prit vivement la feuille sur laquelle je venais d'écrire, et il l'examina longtemps avec attention. « Qu'est-ce que cela veut dire? » répétait-il machinalement.

Sur l'honneur, je n'aurais pas pu le lui apprendre. D'ailleurs il ne m'interrogea pas à cet égard, et il continua de se parler à lui-même *t C'est oeque nous appelons utt cryptogramme, disait-il, dans* lequel le sens est caché sou** dea lettres brouillées à dessein, et qui, convenablement disposées, formeraient une phrase intelligible Quand je pense qu'il y a là peut-être l'explioation ou l'indication d'une grande découverte » Pour mon compte, je pensais qu'il n'y avait absolument rien, mais je gardai prudemment mon opinion.

Le professeur prit alors lelivro et le parchemin, et les compara tous les deux.

« Ces deux écritures ne sont pas de la même main, dit-il; le cryptogramme est postérieur au livre, et j'en vois tout d'abord une preuve irréfragable. En effet, la première lettre est une double M qu'on chercherait vainement dans le livre de Turleson, car elle ne fut ajoutée à l'alphabet islandais qu'au quatorzième siècle. Ainsi donc, il y a au moins deux cents ans entre le manuscrit'et le document. ̃»

Cela \n conviens, parut assez logique.


« Je suis donc conduit à penser» reprit mon oncle, que l'un des possesseurs de ce livre aura tracé oes caractères mystérieux. Mais qui diable xtait ce possesseur? N'aurait-il point mis son nom à quelque endroit de ce manuscrit? » Mon oncle releva ses lunettes, prit une forte loupe, et passa soigneusement en revue les premières pages du livre. Au verso de la seconde, celle du faux titre, il découvrit une sorte de maouïe, qui faisait à l'œil l'effet d'une tache d'encre. Cependant, en y regardant de près, on distinguait quelques caractères à demi effacés. Mon oncle comprit que là était le point intéressant; il s'acharna donc sur la macule et, sa grosse loupe aidant, il finit par reconnaître les signes que voici, caractères runiques qu'il lut sans hésiter

1~t ~FMiWX

« Arné Saknussem! s'écria-t-il d'un ton triomphant, mais c'est un nom cela, et un nom islandais encore! celui d'un savant du seizième siècle, d'un alchimiste célèbre! »

Je regardai mon oncle avec une certaine admiration.

« Ces alchimistes, reprit-il, Avicenne, Bacon, Lulle, Paracelse, étaient les véritables, les seuls savants de leur époque. Ils ont fait des découvertes dont noua avons le droit à'êfta &U*tmâ».

̃


Pourquoi, ce Snluiussemm n'aurait-il pas enfoui bous cet incompréhensible cryptogramme quel* que surprenante invention? Cela doit être ainsi. Cela est. »

L'imagination du professeur s'enflammait à cette hypothèse.

« Sans doute, osai-je répondre, mais quel intérêt pouvait avoir ce savant à cacher ainsi quelque merveilleuse découverte ?

Pourquoi? pourquoi? Eh! le sais-je? Galilée n'enat-il pas agi ainsi pour Saturne? D'ailleurs, nous verrons bien; j'aurai le secret de ce document, et je ne prendrai ni nourriture ni sommeil avant de l'avoir deviné.

Oh! pensai-jo.

Ni toi, non plus, Axel, reprit-il.

Diable! me dis-je, il est heureux que j'aie dîné pour deux l~ Et d'abord, fit mon oncle, il faut trouver la langue de ce « chiffre. » Cela ne doit pas être difficile. »

A ces mots, je relevai vivement la tête. Mon oncle reprit son soliloque

« Rien n'est plus aisé. Il y a dans ce document cent trente-deux lettres qui donnent soixante-dixneuf consonnes contre cinquante-trois voyelles. Or, c'est à peu près suivant cette proportion que sont formés les mots des langues méridionales, tfthdis que lès idiomes du nord sont mfiûiiïierti


plus riches en consonnes. Il s agit donc d'une langue du midi. »

Ces conclusions étaient fort justes.

« Mais quelle est cette langue? »

C'est là que j'attendais mon savant, chez lequel cependant je 'découvrais un profond analyste. v « Ce SaknussemnY, roprit-il, était un homme instruit; or, dès qu'il n'écrivait pas dans sa langue maternelle, il devait choisir de préférence la langue courante entra les esprits cultivés du seizième siècle, je veux dire le latin. Si je me trompe, je pourrai essayer de l'espagnol, du français') de l'italien, du grec, de l'hébreu. Mais les savants du seizième siècle écrivaient généra- lement en latin. J'ai donc le droit dé dire à priori ceci est du latin. »

Je sautai sur ma chaise. Mes souvenirs de latiniste se révoltaient contre la prétention que cette suite de mots baroques pût appartenir âla douce langue de. Virgile.. ̃ · « Qui du latin, reprit mon oncle, mais du latin brouillé,

A la bonne heure! 1 pensai-je. Si tu le débrouilles, tu seras fin, mon oncle.

Examinons bien) dit-il» en reprenant la feuille sur laquelle j'avais écrit. Voilà une sérié de cent trente-deux lettres qui se présentent sous un désordre apparent. Il y a 'des mots les consonnes reacontrent seules e&a&àé îe

̃̃̃•' -̃̃


premier « mrnlls, » d'autres où les voyelles, au contraire, abondent, le cinquième, par exemple, « unteief, » ou l'avant-dernier « oseibo. » Or, cette disposition n'a évidemment pas été combinée elle est donnée mathématiquement parla raison inconnue qui a présidé à la succession de ces lettres. Il me parait certain que la phrase primitive a été écrite régulièrement, puis retournée suivant une loi qu'il faut découvrir. Celui qui posséderait la clef de ce « chiffre » le lirait eouramment. Mais quelle, est cette clef? Axel, as-tu cette clef? a

A cette question je ne répondis rien, et pour cause. Mes regards s'étaient arrêtés sur un chatmant portrait suspendu au mur, le portrait de Grailben. La pupille de mon oncle se trouvait alors à Altona, chez une de ses parentes, et son absence me rendait fort triste, car, je puis l'avouer maintenant, la jolie Virlandaise et le neveu du professeur s'aimaient avec toute la patience et toute la tranquillité allemandes; nous nous étions fiancés àl'insu de mon oncle, trop géologue pour comprendre de pareils sentiments. Graubeh était une charmante jeune fille blonde aux yeux bleus, d'un caractère un peu grave,.d'un esprit un peu sérieux; mais elle ne m'en aimait pas moins; pour mon compte, je l'adorais, si toutefois ce verbe existe dans la langue tudesque L'image çfô ma petite Virlartilïtiso ine, rejeta donc, en un


instant, du monde des réalités dans celui des chimères, dans celui des souvenirs.

Je revis la fidèle compagne de mes travaux et de mes -plaisirs. Elle m'aidait à ranger chaque jour les précieuses pierres de mon oncle; elle les étiquetait avec moi. C'était une très forte minéralogiste que mademoiselle Grattben! Elle aimait à approfondir les questions ardues de la science. Que de douces heures nous avions passées à étudier ensemble, et combien j'enviai souvent le sort de ces pierres insensibles qu'elle maniait de ses charmantes mains.

Puis, l'instant, do la récréation venue, nous sortions tous les deux; nous prenions par les allées touffues de l'Alsser, et nous nous rendions de compagnie au vieux moulin goudronné qui fait si bon effet à l'extrémité du lac; chemin faisant, on causait en se tenant par la main; je lui racontais des choses dont elle riait de son mieux; on arrivait ainsi jusqu'au bord de l'Elbe, et, après avoir dit bonsoir. aux cygnes qui nagent parmi les grands nénuphars blancs, nous revenions au quai par la barque à vapeur. 1 Or, j'en étais là de mon rêve, quand mon oncle, ̃ frappant la table du poing, me ramena violemment & la réalité.

« Voyons, dit-il, la première. idée qui doit se présenter à l'esprit pour brouiller les lettres d'une phrase, c'est, il me semble, d'écrire les.


mots verticalement au lieu de les tracer horizontalement.

Tiens! ponsai-je.

Il faut voir ce que cela produit. Axel. jette une phrase quelconque sur ce bout de papier; mais,.au lieu de disposer les lettres à la suite les unes des autres, mets-les successivement par colonnes verticales, de manière à les grouper en nombre de cinq ou six. »

Je compris oe dont il s'agissait, et, immédiatement j'écrivis de haut en bas

J m n e b

e e t G e

t' b m i r n

a i a t a t

i e p e û

i

« Bon, dit le professeur, sans avoir lu. Maintenant, dispose ces mots sur une ligne horizontale.

J'obéis, et j'obtins la phrase suivante Jmne,b ee,tGe t'bmirn aiata.1 iepeû « Parfait fit mon oncle en m'arrachant le papier des mains, voilà qui a déjà la physionomie du vieux document; les voyelles sont groupées ainsi que les consonnes dans le même désordre; il y a même des majuscules au milieu des mots,


ainsi que dos virgules, tout coromo dans le par*chemin do SaUnussemm! »

Jene pûsm'ompêcherde'trouver ces remarques fort ingénieuses.

« Or, reprit mon oncle on s'adressant directement à moi, pour lire la phrase que te viens d'écrire, et x que je no connais pas, il me suffira do prendre successivement la première lettre de chaque mot, puis la seconde, puis la troisième, ainsi de suite.

Et mon onole, à son grand étonnement, et surtout au mien, lut

Je t'aime bien, ma petite Gmùben

« Hein! » fit le professeur.

Oui, sans m'en douter, en amoureux maladroit, j'avais tracé cette phrase compromettante I 1 « Ah! tu aimes Qrauben! reprit mon oncle d'un, véritable ton, de tuteur I

Oui. Non.l. baîbutiai-je! f

Ah! 1 tu aimes Graaben, reprit-il machinalement. Eh bien,, appliquons mon procédé au document en question »

Mon oncle, retombé dans son absorbante contemplation, oubliait déjà mes imprudentes paroles. Je dis imprudentes, car la tâterdu savant ne pouvait comprendre les choses du coeur. Mais, heureusement, la grande affaire du document l'emporta..


Au moment do fairo son expérience capitale, les yeux du professeur Lidenbrook lancèrent dos éclairs à travers ses lunettes; ses doigts tremblèrent, lorsqu'il reprit le vieux parchemin; il était sérieusement ému. Enfin il toussa fortement, 0t d'une voix grave, appolant sueeesshcn.ent la première lettre, puis la seconde du chaque mot; il me. dicta la série suivante mmea&unkaSonrA.icefdoK.segnittamurtn ecertserrettGfrotaiv&iiduafCdnecsedsadne lac&rtniiiluJsiratraçSarbmuta.biledmek meretarcsiluco YsleffenSnl

En finissant, je l'avouerai, j'étais émotionné, «es lettres, nommées une h une,ne m'avaient présenté aucun sens à l'esprit; j'attendais donc que le professeur laissât se dérouler pompeusement entre ses lèvres une phrase d'une magnifique latinité.

Mais, qui aurait pu le prévoir! Un violent coup de poing ébranla la, table. L'encre rejaillit, la plume me sauta des mains.

« Ce n>stpas cela s'écria mon oncle, ce!an'a pas le seps commun! » 1 Puis, traversant cabinet comme un boulet, descendant tescalier comme une avalanche, il se précipita dan§ &ônjg-strasse, $ s'enftUt toutes jambes.


IV

Il est parti? s'écria Marthe en accourant au bruit do la porto de la rue qui, violemment refermée, venait d'ébranler la maison tout entière. Oui! répondis-je, complètement parti d Eh bien et son dîner? fit la vieille servante. Il ne dinera pa'sl

Et aon souper?

Il ne soupera pas

Comment? dit Marthe en joignant les mains. Non, bonne Marthe, il ne mangera plus, ni personne dans la maison Mon onole Lidenbrock nous mot tous à la diète jusqu'au moment où il aura déchiffré un vieux grimoire qui est absolument indéchiffrable 1

Jésus I nous n'avons donc plus qu'à mourir de faim! »

Je n'osai pas avouer qu'&tee un homme aussi absolu que mon oncle, c'était un sort inévitable.*La vieille. servante, sérieusement alarmée, retourna dans sa cuisine en gémissant. Quand je fus seul, l'idée me virt d'aller tout conter à Grauben; mais comment quitter la mai-


son? Et s'il m'appelait? Et «'il voulait recommencor ce travail logogriphique, qu'on eût vainement proposé au vieil Œdipe! Et si je ne répondais pas à son appel, qu'adviendrait-il?

Le plus sage était de rester. Justement, un mi. néralogiste de Besançon venait de nous adresser une collection de géodes siliceuses qu'il fallait classer. Je me mis au travail. Je triai, j'étiquetai, je disposai dans leur vitrine toutes ces pierres creuses au-dedans desquelles s'agitaient de petits cristaux.

Mais cette occupation ne m'absorbait pas; l'affaire du vieux document ne laissait point de me préoccuper étrangement. Ma tête bouillonnait, et je me sentais pris d'une vague inquiétude. J'avais le pressentiment d'une catastrophe prochaine. Au bout d'une heure, mes géodes étaient étagées avec ordre. Je me laissai aller alors dans le grand fauteuil d'Utrecht, les bras ballants et la tête renversée. J'allumai ma pipe à long tuyau. courbe, dont le fourneau sculpté représentait une naïade nonchalamment étendue; puis, je m'amusai à suivre les progrès de la carbonisation, qui de ma naïade faisait peu à peu une négresse accomplie. De temps en temps, j'écoutais si quelque pas retentissait dans l'escalier. Mais non. Où pouvait être mon oncle en ce moment! Je mo le figurais courant sous les beaux arbres de la route d'Altona, gesticulant, tirant au mut


avec sa canne, d'un bras violent battant les herbes, décapitant ies* chardons et troublant dans leur repos les cigognes solitaires.

Rentrerait-il triomphant ou découragé? Qui aurait raison l'un de l'autre; du secret ou de lui? Je m'interrogeait» ainsi, et, machinalement, je pris entre mes doigts la feuille de papier sur laquelle s'allongeait l'itiOQnipréhensible série dos lettres tracées par moi. Je me répétais « Qu'est-ce que cela signifie?»

Je cherchai à grouper ces lettres de manière à former des mots. Impossible. Qu'on les réunit par deux, trois, ou cinq, ou six, cela ne donnait absolument rien d'intelligible; il y avajt bien les quatorzième, quinzième et seizième lettres qui faisaient le mot anglais « ice », et la quatre-vingt- quatrième,laquata-e-vingt-cinquièmeetlaquatrevingt-sixième formaient le mot « sir ». Enfin, dans le corps du document, et à la deuxième et à la troisième ligne, je remarquai aussi les mots latins « rota », « mutabile », « ira », « neo », « atra», « Diable, pensai-je, ces derniers mots senv» feraient donner raison à mon oncle sur la langue du document! Et m#ine, à la quatrième ligne, j'aperçois encore le mot « luco » qui se traduit par « bois sacré ». H est vrai qu'& la troisième, on Ht le mot « tabiled » de tournure parfaitement hébraïque, e£à la djsrnièrQjes. mçables « mer.»»

« arc », « mère qui sont purement français. «


JI y avait là de quoi perdre la tête! Quatre idiomes différents dans cotte phrase absurde! Quel rapport pouvait-il exister entre les mots « glace, monsieur, colore, cruel, bois saerô, changeant, mère, arc ou mer? » Le premier et le dernier seuls so rapprochaient facilement; rien d'étonnant que, dans un document écrit en Islande, il fût question d'une « ner de glace ». Mais delà àcomprendreloreste du cryptogramme, c'était autre chose.

Je me débattais donc contre une insoluble difficulté; mon cerveau s'échauffait; mes yeux clignaient sur la feuille de papier; les cent trentedeux lettres semblaient voltiger autour de moi, comme ces larmes d'argent qui glissent dans l'air autour de notre tête, lorsque le sang s'y est violemment porté.

J'étais en proie à une sorte d'hallucination; j'étouffais il me fallait de l'air. Machinalement, je m'éventai avec la feuille de papier, dont le verso et le recto se présentèrent successivement à met regards.

Quelle fut ma surprise, quand, dans l'une de ces voltes rapides, au moment oule verso se tournait vers moi, je crus voir apparaître, des mots parfaitement lisibles, des mots latins, entre autres « craterem » et « terrestre »

Soudain une lueur se fit dans mon esprit; ces seuls indices me firent entrevoir la vérité} j'avais


découvert la loi du chiffre. Pour lire ce document, il n'était pas même nécessaire de le lire à travers la feuille retournée! Non. Tel il était, tel il m'avait été dieté, tel il pouvait être épelé couramment.Touteslesingénieusescombinaisons du professeur se réalisaient il avait eu raison pour la disposition dos lettres, raison pour la langue du document! Il s'en fallut d'un « rien a qu'il pût lire d'un bout à l'autre cette phrase latine, et ce a rien », le hasard venait de me le donner 1

On comprend si je fus ému! Mes yeux se troublèrent. Je ne pouvais m'en servir. J'avais étalé la feuille de papier sur la table. H me suffisait d'y jeter un regard pour devenir possesseur du secret.

Enfin je parvins à. calmer mon agitation. Je a m'imposai la loi de faire deux fois le tour de la chambre pour apaiser mes nerfs, et je revins m'engouffrer dans le vaste fauteuil.

a Lisons », m'écriai-je, après avoir refait dans mes poumons une ample provision d'air. Je me penchai sur la table; je posai mon doigt successivement sur chaque lettre, et, sans m'ar rêter, sans hésiter, un instant, je prononçai à haute voix la phrase tout entière i

Mais, quelle stupéfaction, quelle terreur m'en»Tahiti Je restai d'abord comme frappé d'un coup' subit* Quoi! ce qUo fe -sortais d'appïeudn» «"était

Y


accompli un homme avait ou assez d'audace pour pénétrer!

« Ah! m'écriai-jo en bondissant: mais non! mais non mon oncle ne le saura pas! Il ne manquerait plus qu'il vint à connaître un semblable voyage! 11 voudrait en goûter aussi! Rien ne pourrait l'arrêter! Un géologue si déterminé! il partirait quand même, malgré tout, en dépit de tout! Et il m'emmènerait avec lui, et nous n'en reviendrions pas! Jamais! jamais! »

J'étais dans une surexcitation difTioileàpeindre. «Non! non! ce ne sera pas, dis-je avec énergie, et, puisque je peux empêcher qu'une pa'reille idée vienne à l'esprit de mon tyran, je le ferai. A tourner et à retourner ce document, il pourrait par hasard en découvrir la clef! Détruisons-le. » b

Il y avait un reste de feu dans la cheminée. Je saisis non seulement la feuille de papier, mais le parchemin de Saknussem; d'une main fébrile j'allais précipiter le tout sur les charbons et ané- antir de dangereux secret, quand la porte du cabinet s'ouvrit. Mon oncle parut.

1

V

Je n'eus que le temps de replacer sur la table

te fiialeiïcciiti'etiii dofiumenS.


Le professeur Lirlenbrook paraissait profondément absorbé. Sa pensée dominante ne lui laissait pas un instant de répit; il avait évidemment scruté, analysé l'affairé, mis eh oeuvre toutes lés ressources de son imagination pendant sa promenade, et il revenait appliquer quelque combinaison nouvelle.

En 'effet,, il s'assit dans son fauteuil, 'et, la plume à la main, il commença à établir des formules qui ressemblaient à un calcul algébrique. Je suivais du regard sa main frémissante je ne perdais pas un seul dé ses mouvements. Quelque résultat inespéré allait-il donc inopiné- ment se produire?-Jo tremblais, et sans raison, puisque la vraie combinaison, la « seule ». étant déjà trouvée, toute autre recherche devenait fortement vaine.

Pendant trois longues heures, mon oncle travailla sans parler, sans lever là tête, effaçant, reprenant, raturant, recommençant mille fois. Je savais bien que, s'il parvenait à arranger c~es lettrés suivant toutes les positions relatives qu'elles pouvaient occuper, la phrase se trouver < irait faite. Mais je savais aussi que vingt lettres seulement peuvent former deux quintillions, quatre cent trente-deux quatrillions, neuf cent deux trillions, huit, milliards, cent soixante-seize

millions, six cent «JUarïtttë mille combinaisons.

Or, il -y avait cent trente- dëili lettrée dans

̃ Y ̃:


phrase, et ces cent trente-deux lettres donnaient un nombre de phrases différentes composé de cent trente-trois chiffres au moins, nombre presque impossible à énumerer et qui échappe à toute appréciation.

J'étais rassuré sur ce moyen héroïque de résoudre le problème.

Cependant le temps s'écoulait; la nuit se fit; les bruits de la rue s'apaisèrent; mon oncle, toujours courbé sur sa tâche, ne vit rien, pas même. la bonne Marthe qui entr'ouvrit la porte; il n'entendit rien, pas même la voix de cette digne servante, disant

« Monsieur soupera-t-il ce soir? »

Aussi Marthe dut-elle s'en aller sans réponse: pour moi, après avoir résisté pendant quelque temps, je fus pris d'un invincible sommeil, et je m'endormis sur un bout du canapé, tandis que mon oncle Lidenbroçk calculait et raturait toujours.

Quand jt» me réveillai, le lendemain, l'infâtigable piocheur était encore au travail. Ses yeux rouges, son teint blafard, ses cheveux entremêlés sous sa main fièvreuse, ses pommettes empourprées indiquaient assez sa lutte terrible avec l'impossibîey. et, dans quelles fatigues de l'esprit, dans quelle «entention du cerveau, les heures durent s'écouler pour lui.

Vraiment, il me fit pitié. Malgré les reproches


que je croyais être en droit de lui faire, une certaine émotion me gagnait. Le pauvre homme était tellement possédé de son idée, qu'il oubliait de se mettre en colère toutes ses forces vives se concentraient sur un seul point, et, comme elles ne s'éohappaient pas par leur exutoire ordinaire, on pouvait craindre que leur tension ne le fit éclater d'un instant à l'autre.

Je pouvais d'un geste desserrer cet étau de fer qui lui serrait le crâne, d'un mot seulement! Et je n'en fis rien..

Cependant j'avais bon cœur. Pourquoi restai-je muet en pareille circonstance? Dans l'intérêt même de mon oncle.

« Non, non, répétai-je, non, je ne parlerai pas' n voudrait y aller, je le connais; rien ne saurait l'arrêter. C'est une imagination volcanique, et, pour faire ce que d'autres géologues n'ont point fait, il risquerait sa vie. Je me tairai; je garderai ce secret dout le hasard m'a rendu maître; le découvrir, ce serait tuer le professeur Lidenbrook. Qu'il le devine, s'il le peut; je ne veux pas me reprocher un jour de l'avoir conduit à sa perte. Ceci bien résolu, je me croisai les bras, et j'attendis. Mais j'avais compté sans un incident qui se produisit à quelques heures de là. Lorsque la bonne Marthe voulut sortir de la maison pour se rendre au marché, elle trouva la çorle close^ la grosse clef" manquait À Ï* ser-


«ire. Qui l'avait ôtée? Mon oncle évidemment, ^uand il rentra la veille après aon excursion précipitée.

Était-ce à dessein? Était-ce par mégarde ? Voulait-il nous soumettre aux rigueurs de la faim? Cela m'eût paru un peu fort. Quoi! Marthe et moi, nous serions victimes d'une situation qui ne nous regardait pas le moins du monde? Sans doute, et je me souvins d'un précédent de nature à nous effrayer. En effet, il y a quelques années, à l'époque où mon oncle travaillait à sa grande classification minéralogiqûe, il demeura quarante-huit heures sans manger, et toute sa maison dut se conformer à cette diète scientifique. Pour mon compte, j'y gagnai des crampes d'estomac fort peu récréatives chez un garçon d'un naturel assez vorace.

Or, il me parut que le déjeuner allait faire défaut comme le souper de la veille. Cependant je résolus d'être héroïque et de ne pas céder devant les exigences de la faim. Marthe prenait cela très au sérieux et se désolait, la bonne femme. Quant & moi, l'impossibilité de quitter la maison me préoccupait davantage et pour cause. On me comprend bien.

Mon oncle travaillait toujours son imagination se perdait dans lemonde idéal des combinaisons; 11 vivait loin de la terre, et véritablement en dehors des besoins terrestres.


Ver* midUa faim m'aiguillonna sérieusement Marthe, très innocemment, avait dévoré1 là veille les provisions du garde-manger; il ne restait plus rien à la maison, dépendant jo tins bon. J'y mettais une sorte de point d'honneur.

Deux heures sonnèrent. Cela devenait ridicule, intolérable même; j'ouvrais des peux démesurés. Je commençai à me dire que j'ofcagérais l'importance du document; que mon oueJe n'y ajouterait pas foi; qu'il verrait là une simple mystification; qu'au pis aller on le retiendrait -malgré lui, sMl voulait tenter l'aventure; qu'enfin il pouvait découvrir lui-même la clef du «chiffre», et que j'étt serais alors pouf mes frais d'abstinence.

Ces raisons, que j'eusse rejetées la veille avec indignation, me parurent excellentes; je trouvai même parfaitement absurde d'avoir attendu si longtemps, et mon parti fut ptïé de tout dire.

Je cherchais flotte une attirée en matiëtfé, pas trop brusque, quand le profeslsettr ëe leva, mit json chapeau et se prépara à sorti*. Quoi, quitter maison, et nottB èiifeïmel? ëtt* côre! Jamais.

« Mon oncle fais-je.

11 ne partit pâë m'entëndi*. ft « Mon oncle Lidenbrock rèpétei-Jè en «âleVatti la voix.

̃̃


III


Hein? fît-il comme un homme subitement réveillé..

Eh bien 1 cette clef?

Quelle clef? La clef de la porto?

Mais non, m'éoriai-je, la clef du document!» Le professeur me regarda par-dessus ses lunettes il remarqua sans doute quelque chose d'insolite dans ma physionomie, car il me saisit vivement le bras, et, sans pouvoir parler, il m'interrogea du regard. Cependant jamais demande ne fut formulée d'une façon plus nette. Je remuai la tête de haut en bas.

Il secoua la" sienne aveo une sorte de pitié, comme s'il avait affaire à un fou.

Je fis un geste plus affirmatif.

Ses yeux brillèrent d'un .vif éclat sa main devint menaçante.

Cette conversation muette dans ces circonstances eût intéressé le spectateur le plus indifférent. Et vraiment j'en arrivais à ne plus oser parler, tant je craignais que mon oncle nè m'étouffât dans les premiers embrassements de sa oie, Mais il devint si pressant qu'il fallut répondre.

« Oui, cette olef le hasard!

Que dis-tu s'écria-t-il. avec une indescrip»' tibïe émotion.

Tenez, dis-je en lui présentant la feuille depapier sur laquelle j'avais écrit, lisez. t


Mais oela ne signifie rien! répondit-il en froissant la feuille.

Rien, en commençant à lire par le commen- cement, mais par la fin.»

Je n'avais pas achevé ma phrase que le prof es.seur poussait un ori, mieux qu'un ori, un véritable rugissement! Une révélation venait de se faire dans son esprit. Il était transfiguré. « Ah! ingénieux Saknussemm s'éoria-t-il, tu avais donc d'abord écrit ta phrase à l'envers! » Et se précipitant sur la feuille de papier, l'œil trouble, la voix émue, il lut le document tout entier, en remontant de la dernière lettre à la première.

Il était conçu on ces termes

In Sneffels Yoculis craterem hem delibat umbra Scartaris Julii intra calendas descende audas viator, et terrestre centrum attinges. Kod feci. Arne Saknussem.

Ce qui, de ce mauvais latin, peut être traduit ainsi:

Descends dam le cratère du Yocul de Sneffels que l'ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de .Juillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre de la Terre. Ce que j'ai fait. Ame Saknussemm.


Mon oncle, à cette lecture, bondit comme s'il eût inopinément touohé une bouteille de Leyde. 11 était magnifique d'audace, de joie et de conviction. Il allait et venait; il prenait sa tête à deux mains; il déplaçait les siégea; il empilait ses livres; il jonglait, c'est à ne pas le croire, avec ses précieuses géodes; il lançait un coup de poing par-ci, une tape par-là. Enfin ses nerfs se calmèrent et, comme un homme épuisé par une trop grande dépense de fluide, il retomba dans son fauteuil.

« Quelle heure est-il donc? deraanda-t-il après quelques instants de silence.

Trois heures, répondis-je.

Tiens! mon dîner a passé vite, Je meurs de faim. A table. Puis ensuite.

Ensuite?

Tu feras ma malle.

Hein! m'écriai-je.

Et la tienne! » répondit l'impitoyable professeur en entrant dans la salle à manger. VI

A ces paroles, un frisson me passa par tout le corps. Cependant je me contins. Je résolus même de faire bonne figure. Des' arguments soienti-


iiquos pouvaient seuls arrêter le professeur Lidenbroelc or, il y en avait, et de bons, contre la possibilité d'un pareil voyage. Aller au centre de la terre! Quelle folie! Je réservai ma dialectique pour le moment opportun, et je m'occupai du repas.

Inutile do rapporter les imprécations de mon oncle devant la table desservie. Tout s'expliqua. La liberté fut rendue à la bonne Martbo Elle courut au marché et fib si bien, qu'une heure après ma faim était calmée, et je revenais au sentiment de la situation.

Pendant le repas, mon oncle fut presque gai; il lui échappait de ces plaisanteries de savant qui ne fiunt jamais bien dangereuses. Après le dessert, il me fit signe de le suivre dans son cabinet. J'obéis. Il s'assit à un bout de sa table de travail, et moi à l'autre.

« Axel, dit-il d'une voix assez douce, tu es un garçon très ingénieux; tu m'as rendu là un fier service, quand, de guerre lasse, j'allais abandonner cette combinaison. Où rne serais-je égaré? Nul ne peut le savoir! Je n'oublierai jamais cela, mon garçon, et de la gloire que nous allons acquérir tu auras ta part.

« Allons! pensai-je, il est de bonne humeur; le moment est venu de discuter cette gloire. Avant-tout, reprit mon oncle, je te recommande le secret le plus absolu, tu m'entends? Je


ne manque pas d'envieux dans le monde des savants, et beaucoup voudraient entreprendre ce voyage, qui ne s'en douteront qu'à notre retour. '̃– Croyez-vous, dfo-je, que le nombre de ces audacieux fût si grand?

Certes! qui hésiterait à conquérir une telle renommée? Si ce document était connu, une armée entière de géologues se précipiterait sur les traces d'Ame Saknussemmt

Voilà ce dont je ne suis pas persuadé, mon oncle, car rien ne prouve l'authenticité de ce document.

Comment! Et le livre dans lequel nous l'a*vons découvert! 't

Bon j'accorde que ce Saknussemm ait écrit ces lignes, mais s'ensuit-il qu'il ait réellement accompli ce voyage, et ce vieux parchemin ne peut-il renfermer une mystification? » Ce dernier mot, un peu hasardé, je regrettai presque de l'avor* prononcé le professeur fronça son épais sourcil, et je craignais d'avoir compromis les suites de cette conversation. Heureusement il n'en fut rien. Mon sévère interlocuteur ébaucha une sorte de sourire sur ses lèvres et répondit .[< a C'est ce que nous verrons. | Ah fis-je un peu vexé; mais permettez-moi d'épuiser la série des objections relatives à ce

document


Parle, mon garçon, ne te gêne pas. Je te laisse toute liberté d'exprimer ton opinion. Tu n'es plus mon neveu, mais mon collègue. Ainsi, va. Eh bien, je vous demanderai d'abord ce que sont ce Yooul, ce Sneffels et co Scartaris, dont je n'ai jamais entendu parler?

Rien n'est plus facile. J'ai précisément reçu, il y a quelque temps, une carte de mon ami Peterman, de Leipzig; elle ne pouvait arriver plus à propos. Prends le troisième atlas dans la seconde travée de la grande bibliothèque, série Z, planche 4. »

Je me levai, et, grâce à ces indications précises, je trouvai rapidement l'atlas demandé. Mon oncle l'ouvrit et dit

« Voici une des meilleures cartes de l'Islande, celle de Handerson, et je crois quelle va nous donner la solution de toutes tes difficultés. » Je me penchai sur la carte.

« Vois cette ile composée de volcans, dit le professeur, et remarque qu'ils portent tous le nom de .Yocul. Ce mot veut dire « glacier » en islandais, et, sous la latitude élevée de l'Islande, la plupart des éruptions se font jour à travers les couches de glace. De là cette dénomination de Yocul appliquée à tous les monts ignivomes de l'île.

Bien» répondis-je, mais qu'est-ce que le Snefïels?


J'espéràis qu'à cette demande il n'y aurait pas «Je réponse. Je me trompais. Mon oncle reprit: « Suis-moi sur la côte oopidentale de l'Islande. Aperçois-tu Reykjawik, sa capital©? Oui. Bien. Remonte les fjords innombrable? de ces rivages rongés par la mer, et arrête-toi un pou au-dessous du soixante-cinquième degré de latitude. Que vois-tu là? 2

Une sorte de presqu'île semblable à un os décharné, que termine une énorme rotule. La comparaison est juste, mon garçon; maintenant, n'aperçois-tu rien sur cette yptule? Si, un mont qui semble avoir poussé en mer. Bon! c'est le Sneffels.

Le Sneffels?

Lui-même une montagne haute de cinq mille pieds, l'une des plus remarquables de l'île, et à coup sûr la plus célèbre du monde entier, si son cratère aboutit au centre du globe. 7- Mais c'est impossible! m'écriai-je en haussant les épaules et révolté contre une pareille supposition. Impossible! répondit le professeur Lidenbrock d'un ton sévère. Et pourquoi cela ? P Parce que ce cratère, est évidemment obstrué par les laves, les roches brûlantes, et qu'a» lors. ̃

Et si c'est un cratère éteint?

-r Eteint?

Y


Oui, Le nombre des volcans en activité à la surface du globe n'est actuellement que de trois cents environ mais il existe une bien plus grande quantité de volcans éteints. Or le Snelïels compte parmi ces derniers, et, depuis les temps historiques, il n'a eu qu'une seule éruption, celle de 1219; à partir de cette époque, ses rumeurs se sont apaisées peu à peu, et il n'est plus au nombre des volcans actifs. »

A ces affirmations positives je n'avais absolument rien à répondre; je. me rejetai donc sur les autres obscurités que renfermait le document.

« Que signifie ce mot Scartaris, demandai-je, et que viennent faire là les calendes de juillet? » Mon oncle prit quelques moments de réflexion. J'eus un instant d'espoir, mais un seul, car bientôt il me répondit en ces termes

« Ce que tu appelles obscurité est pour moi lumière. Cela prouve les soins ingénieux avec lesquels Saknussemm avoulu préciser sa découverte. LeSneffels est formé de plusieurs cratères; il y avait donc nécessité d'indiquer celui dëntre eux qui mène au centre du globe. Qu'a fait le savant Islandais? Il a remarqué qu'aux approches des calendes de juillet, c'est-à-dire vers les derniers jours du mois de juin, un des pics de la montagne, le Scartaris, projetait son ombre jusqu'à l'ouverture du cratère en question-, et il i


consigné le fait dans son document. Pouvait-il imaginer une indication plus exacte, et une fois arrivés au sommet du Sneffels, nous serà-t-il possible d'hésiter sur le chemin à prendre? » Décidément mon oncle avait réponse à tout. Je vis bien qu'il était inattaquable sur les mots du vieux parchemin. Je cessai donc de le presser à ce sujet, et, comme il fallait le convaincre avant tout, je passais aux objections scientifiques, bien autrement graves, à mon avis.

« Allons, dis-je, je suis forcé d'en convenir,'la phrase de Saknussemm est claire et ne peut laisser aucun doute à l'esprit. J'accorde même que le document a un air de parfaite authenticité. Ce savant est allé au fond du Sneffels il a vu l'ombre du Scartaris caresser les bords du cratère avant les calendes de juillet; il a même entendu raconter dans les réoits légendaires de son temps que ce cratère aboutissait au centre de la terre; mais quant à y être parvenu lui-même, quant à avoir fait le voyage et à en être revenu, s'il l'a entrepris, non, cent fois non!

Et la raison? dit mon oncle d'un ton singu. Uèrement moqueur.

C'est que toutes les théories de la science démontrent qu'une pareille entreprise est impraticable

1 Toutes lés théories disent cela ? répondit le professeur en prenant un-air bonhomme. Ah les


vilaines théories! comme elles vont nous gêner, ces pauvres théories »

Je vis qu'il se moquait de moi, mais je conti.nuai néanmoins.

« Oui il est parfaitement reconnu que la chaleur augmente environ d'un degré par soixante-, dix pieds de profondeur au-dessous de la surface du globe; or, en admettant cette proportionnalité constante, le rayon terrestre étant de quinze cents lieues, il existe au centre une température de deux millions de degrés. Les matières do l'intérieur de la terre se trouvent donc à l'état de gaz incandescent, car les métaux, l'or, le platine, les roches le plus dures, ne. résistent pas à une pareille chaleur. J'ai donc le droit de demander s'il est possible de pénétrer dans un semblable milieu 1

Ainsi, Axel-, c'est la chaleur qui t'embarrasse ? Y

Sans doute. Si nous arrivions à une profondeur de dix lieues seulement, nous serions parvenus à la limite de l'écorce terrestre, car déjà îa température est supérieure à treize cents degrés.

Et tu as peur d'entrer en fusion?

Je vous laisse la question à décider, répondis-je avec humeur. ¡ `

-r- Voici ce. que je décide, répondit le professeur Lidehbrock en prenant ses grands airs;


o'est que hi toi ni personne ne sait d'une façon certaine ce qui se passe à l'intérieur du globe, attendu qu'on connaît a peine la douze millième partie de son rayon c'est que la science est éminemment perfectible et que chaque théorie est incessamment détruite par une théorie nouvelle. N'a-t-on pas cru jusqu'à Fourier que la température des espaces planétaires allait toujours diminuant, et ne sait-on pas aujourd'hui que les plus grands froids des régions éthéréos ne dépassent pas quarante ou cinquante degrés au-dessous de zéro? Pourquoi n'en serait-il pas ainsi de la chaleur interne ? Pourquoi, à une certaine profonfondeur, n'atteindrait-elle pas une limite infran chissable, au lieu de s'élever jusqu'au degré de fusion des minéraux les plus réfraotaires » Mon oncle plaçant la question sur le terrain des hypothèses, je n'eus rien à répondre. « Eh bien, je te dirai que de véritables savants, Poisson entre autres, ont prouvé que, si'une chaleur de deux millions de degrés existait à l'inté- rieur du globe, les gaz incandescents provenant tes matières fondues acquerraient une élasticité telle que Vécorce terrestre ne pourrait y résister et éclaterait commè les parois d'une chaudière sous l'effort de la vapeur.

C'est l'avis de Poisson, mon oncle, voilà tout. «- D'accord, mais o'eët atiasi l'avis d'&utrel


géologues distingués, que l'intérieur du globe n'est formé m de gaz ni d'eau, ni dos plus lourdes pierres que nous connaissions, car, dans ce cas, la terre aurait un poids deux fois moindre. Oh aveo les ohiffres on prouve tout ce qu'on veut! 1

Et avec les faits, mon garçon, en est-il de même? N'est-il pas constant que le nombre des volcans a considérablement diminué depuis les premiers jours du monde, et, si chaleur centrale il y a, ne peut-on en conclure qu'elle tend à s'affaiblir ?

Mon oncle, si vous entrez dans le champ des suppositions, je n'ai plus à discuter.

Et moi j'ai à dire qu'à mon opinion se joignent les opinions de gens fort compétents. Te souviens-tu d'une visite que me fit le célèbre chimiste anglais Humphry Davy en 1825? Aucunement, car je ne suis venu au monde que dix-neuf ans après.

Eh bien, Huinphry Davy vint me voir à son passage à Hambourg. Nous discutâmes. longtemps, entre autres questions, l'hypothèse de la liquidité du noyau intérieur de la terre. Nous étions tous deux d'accord que cette liquidité ne pouvait exister, par une raison à laquelle la science n'a jamais trouvé de réponse.

Et laquelle ? dis-je un peu étonné.

z– C'est que cette masse liquide serait sujette


comme l'Océan, à 1'attraotion de la tune, et oon« séquemment, deux fois par jour, il se produirait- dos marées intérieures qui, soulevant réoorca, terrestre, donneraient lieu à des tremblement» de terre périodiques

Mais il est pourtant évident que la surface du globe a été soumise à la combustion, et il est permis do supposer que la croûte extérieure, s'est refroidie d'abord, tandis que la chaleur se eéfu» giait au centre.

Erreur, répondit mon onolé; la terre a. été échauffée par la combustion de sa surface, et non autrement. Bft surfaoe était composée d'une grande quantité de métaux, tels que le potas.? sium, le spdium, qui ont la propriété de s'enflammer au seul contaot de l'air- et de l'eau p.pj létaux prirent feu quand les, vapeurs atmospltAt riques se précipitèrent en plufe sur l* £Pl» et PPH à peu, lorsque les eaux pénétrèrent dans }e§ fis* sures do l'écorce terrestre, elles 4éterminère.n| de nouveau* incendies avec explosions e| éruptions, De I» les volcans si nombreux »ux prsmferg jours du monde-

Mm vpijà uneinffénienw byppfiièpe J m*é» criaj-jp un peu malgré moi.

-r- Et qu'Humpnry Davy »e iFP»dtt sensible,, iei même, par une expérienpe bien simplet. Il PQHÏa posa une boule métallique faite prinoinftlement des métaux dont je viens déparier, et qui figu-


rajt parfaitement notre globe lorsqu'on faisait tomber une fino* rosée à sa surface, celle-ci se boursouflait, s'oxydait et formait une petite mon»tagne un cratère s'ouvrait à son sommet l'éruption avait lieu et communiquait à toute la boule une chaleur telle qu'il devenait impossible de la tenir à la main. »

Vraiment, je commençais à être ébranlé par les arguments du professeur; il les faisait valoir d'ailleurs avec sa passion et son enthousiasme habituel».

« Tu le vois, \xol, Jijouta-t-il, l'état du noyau central a soulevé des hypothèses diverses entre les géologues rien de moins prouvé que ce fait d'une chaleur interne; suivant moi, elle n'existe pas; elle ne saurait exister; nous le verrons, d'ailleurs, et, comme Arne Saltnussemm, nous saurons h, quoi nous en tenir sur cette grande question.

Eh bien oui, répondis-je en me sentant gagner ii cet enthousiasme Qui, noua le verrons, si on y yp,it toutefois,

Et pourquoi pas? Ne pouvons-nous compter sur des phénomènes électriques pour nous éclairer, et Prême sur l'atmosphère, que sa pression peutrendrelu.mjneuse ens'approchant du centre? 7 Qui, disrje, ou.il cela est possible, après tout,

=~ Cela est certain, répondit triomphalement


mon oncle mais silence, entends-tu silence sur tout ceoi, et que personne n'ait idée de découvrir avant nous le centre de la terre »

VII

Ainsi se termina cette mémorable séance. Cet entretien me donna la fièvre. Je sortis du cabinet de mon oncle comme étourdi, et il n'y avait pas assez d'air dans les rues de Hambourg pour me remettre, je gagnai donc les bords de l'Elbe, du côté du bac à vapeur qui met la ville en com- munication avec le chemin de fer de Harbourg Étais-je convaincu de ce que je venais d'apprendre ? N'avais-je pas subi la domination du professeur Lidenbrock ? Devais-je prendre au se*rieux sa résolution d'aller au centre du massif terrestre? Venais-je d'entendre les spéculations insensées d'un fou ou les déductions scientifiques d'un grand génie? En tout cela, où s'arrêtait la vérité, où commençait l'erreur ?

Je flottais entre mille hypothèses contradictoires, sans pouvoir m'accrocher à aucune, Cependant je me rappelais avoir été' convaincu, quoique mon enthousiasme commençât à se modérer mais j'aurais voulu partir immédiatement


et ne pas prendre le temps de la réflexion. Oui, le courage ne m'eût pas manqué pour bouder ma valise en ce moment.

Il faut pourtant l'avouer, une heure après, cette surexcitation tomba mes nerfs se détendirent, et des profonds abîmes de la terre je remontai à sa surface.

« C'est absurde m'écriai-je cela n'a pas le sens commun Ce n'est pas une proposition sérieuse à faire à un garçon sensé. Rien de tout cela n'existe. J'ai mal dormi, j'ai fait un mauvais rêve. »

Cependant j'avais suivi les bords de l'Elbe et tourné la ville. Après avoir remonté le port, j'étais arrivé à la route d'Altona. Un pressentiment me conduisait, pressentiment justifié, car. j'aperçus bientôt ma petite Grallben qui, de son pied leste, revenait bravement à Hambourg.

« GraUben » lui criai-je de loin.

La jeune fille s'arrêta, un peu troublée, j'imagine, de s'entendre appeler ainsi sur une grande route. ;En dix pas je fus près d'elle.

« Axel! fit-elle surprise. Ah! tu es venu à ma rencontre C'est bien cela, monsieur. » Mais, en me regardant, Graüben ne putjse méprendre à mon air inquiet, bouleversé. « Qu'as-tu donc? dit-elle en me tendant la main. Ce que j'ai, Grattben » m'écriai-je. En deux sécondos et en trois phrases ma jolie


Virlandaise était au courant de la situation. Pendant quelques instants elle garda le silence. Son cœur palpitait-il à l'égal du mien? je l'ignore, mais sa main ne tremblait pas dans la mienne. Nous fîmes une centaine de pas sans parler. « Axel me dit-elle enfin.

Ma chère GraUben

Ce sera là un beau voyage. »

Je bondis à ces mots/

« Oui, Àxel, et digne du heveu d'un savant. 11 est bien qu'un homme se soit distingué par quoique grande entreprise 1

Quoi Graûben, tu ne me détournes pas de tenter une pareille expédition t

Non, cher Axel, et ton oncle et toi, je vous accompagnerais volontiers, si une pauvre fille ne devait être un embatras pour vous.

Dis-tu vrai 1* ,>, Je dis vrai. »

Ah femmes, jeunes filles, cœurs féminins tou- jours incompréhensibles ) Quand vous n'êtes pas les plus timides des êtres, vous en êtes les plus braves La raison n'a que faire auprès de vous. Quoi cette enfant m'encourageait à prendre part a oette expédition Elle n'eût pas craint de tenter l'aventure. Elle m'y poussait, moi qu'elle aimait cependant

J'étais déconcerté et, pourquoi île pas le dire,

honteux.


Graüben, repris je, nous verrons si demain tu parleras de cette manière.

Demain, cher Axel, je parlerai comme aujourd'hui. »

Grattben et moi, nous tenant par la main, mais gardant un profond silence, nous continuâmes notre chemin. J'étais brisé par les émotions de la journée.

« Après tout, pensai-je, les calendes de juillet sont encore loin'et, d'ici là, bien des événements se passeront qui guériront mon oncle de sa manie de voyager sous terre. »

La nuit était venue quand nous arrivâmes à la maison de Kflnig-strasse. Je m'attendais à trouver là demeure tranquille, mon oncle couohé suivant son habitude et la bonne Marthe donnant à la salle & mange? le dernier coup de plumeau du Bttir.

Mais j'avais compté sans l'impatience du professeur. Je le trouvai criant, s'agitant au milieu d'une troupe de porteurs qui déchargaient certaine^ marchandises dans l'allée la vieille servante ne savait donner de la tête.

« Mais viens donc, Axel hâte-toi donc, malheureux s'écria mon oncle du plus loin qu'il m'aperçut, et ta malle qui n'est pas faite, -et mes papiers qui ne sont pas en ordre, et mon sac de voyage dont je ne trouve pas la dlef, et mes guettes qui n'arrivent pas


Je demeurai stupéfait. La voix me manquait pour parler. C'est à peine si mes lèvres purent articuler ces mots

« Nous partons donc? P

Oui, malheureux garçon, qui vas te promener au lieu d'être là!

Nous partons? répétai-je d'une voix affaiblie.

Oui, après-demain matin,, à la première heure. »

Je ne pus en entendre davantage, et je m'enfuis dans ma petite chambre.

Il n'y avait plus à en douter; mon oncle venait d'employer son après:midi à se procurer une partie des objets et ustensiles nécessaires à son voyage; l'allée était encombrée d'échelles de cordes à nœuds, de torches, de gourdes, de crampons de fer, de pics, de bâtons ferrés, de pioches, de quoi charger dix hommes au moins. Je passai une nuit affreuse. Le lendemain jem'entendis appeler de bonne heure. J'étais décidé à ne pas ouvrir ma porte. Mais le moyen de résistera la douce voix qui prononçait ces mots « Mon cher Axel

Je sortis de ma chambre. Je pensai que mon lir défait, ma pâleur, mes yeux- rougis par l'insomnie allaient produire leur effet sur Oraûben et changer ses idées.

« Ah mon cher Axel, me dit-elle, je vois que


tu te portes mieux et que la nuit t'a calmé. Calmé! » m'éoriai-je.

Je me précipitai vers mon miroir. Eh bien, j'avais moins mauvaise mine que je ne le supposais. C'était à n'y pas croire.

« Axel, me dit Graûben, j'ai longtemps causé avec mon tuteur. C'est un hardi savant, un homme do grand courage, et tu te souviendras que son sang coule dans tes veines. Il m'a raconté ses projets, ses espérances, pourquoi et comment .il espère atteindre son but. Il y parviendra, je n'en doute pas. Ah cher Axel, c'est beau de se dévouer ainsi à la science Quelle gloire attend M. Lidenbrock et rejaillira sur son compagnon! Au retour, Axel, tu seras un homme, son égal, libre de parler, libre d'agir, libre enfin de. »

La jeune fille, rougissante, n'acheva pas. Ses paroles me ranimaient. Cependant je ne voulais pas croire encore à notre départ. J'entrainai Gratiben vers le cabinet du professeur. « Mon oncle, dis-je, il est donc bien décidé que nous partons? 2

-–Comment! tu en doutes?

Non, dis-je afin de ne pas le contrarier. Seulement, je vous demanderai ce qui nous presse.

Mais le temps! le temps qui fuit avec une irréparable vitesse 1


Cependant nous ne sommes qu'au 26 mai, et jusqu'à la fin de juin.

Eh crois-tu donc, ignorant, qu'on se rende si facilement en Islande? Si tu ne m'avais pas quitté comme un fou, je t'aurais emmené au bureau-office de Copenhague, chez Lilïonder et Co. Là, tu aurais vu que do Copenhague à Reykjawik il n'y a qu'un service.

Eh bien? f

Eh bien si nous attendions au 22 juin, nous arriverions trop tard pour voir l'ombre du Soàrtaris caresser le cratère du Snelîels il faut donc gagner Copenhague au plus vite pour y chercher un moyen de transport. Va faire ta malle!»

Il n'y avait pas un mot à répondre, je remontai dans ma chambre. Grailben me suivit. Ce fut elle qui se chargea de mettre en ordre, dans une petite valise, les objets nécessaires à mon voyage. Elle n'était pas plus émue que s'il se fût agi d'une promenade à Lubeck ou à Heligoland ses petites mains allaient et venaient sans précipitation; elle causait avec calme; elle me donnait les raisons les plus sensées en faveur de notre expédition. Elle m'enchantait, et je me sentais une grosse colère contre elle. Quelquefois je voulais m'emporter, mais elle n'y prenait garde et continuait méthodiquement sa tranquille besogne. v.

V


Enfin la dernière courroie de la valise fut bou clée. Je descendis au rez-de-chaussée. Pendant cette journée les fournisseurs d'instruments de physique, d'armes, d'appareils ëleotriques s'étaient multipliés. La bonne Marthe en perdait la tête.

« Est-ce que Monsieur est fou? » me dit-elle. Je fis un signe affirmatif.

« Et il vous emmène aveo lui? »

Même affirmation.

« Où cela? dit-elle. »

J'indiquai du doigt le centre de la terre. « A la cave? s'écria la vieille servante. Non, dis-je enfin, plus bas! »

Le soir arriva. Je n'avais plus conscience du temps écoulé.

« À demain matin, dit mon oncle, nous partons à six heures précises, a

A dix heures je tombai sur mon lit «somme une masse inerte.

Pendant la nuit mes tërreuVs nie reprirent. Je la passai à rêver de gouffres! J'étais en proi© au délire. Je me sentais étreitit par la main vigoureuse du professeur, entraîné, abîmé, enlisé Je tombais au fond d'insondables précipices avec cette vitesse croissante des corps abandonnés dans l'espace. Ma vie n'était plus qti'unô chute interminable.

te me réveillai à cinq heures, brisé de fatigttè


et d'émotion. Je descendis à la salle à manger. Mon oncle était à table. Il dévorait. Je le regardai avec un sentfment d'horreur. Mais Gràûbon était là. Je ne dis rien. Je ne pus manger.

A cinq heures et demie, un roulement se fit entendre dans la rue. Une large voiture arrivait pour nous conduire au chemin de fer d'Âltona. Elle fut bientôt encombrée des colis de mon oncle.

« Et ta malle? me dit-il.

Elle est prête, répondis-je en défaillant. Dépêche-toi donc de la descendre, ou tu vas nous faire manquer le train »

Lutter contre ma destinée me parut alors impossible. Je remontai dans ma chambre, et,' laissant glisser ma valise sur les marches de l'escalier, je m'élançai à sa suite.

En ce moment mon oncle remettait solennellement entre les mains de Grailben « les rênes » de sa maison. Ma jolie Virlandaise conservait son calme habituel. Elle embrassa son tuteur, mais elle ne put retenir une larme en emeurant ma joue de ses douces lèvres.

« Graubeh! m'écriai-je.

-–Va, mon cher Axel, va, me dit-elle, tu quittes ta fiancée, mais tu trouveras ta femme au retour. »

Je serrai Graûben dans mes bras, et pris place dans la voiture. Marthe et la jeune fille, du seuil


de la porte, nous adressèrent un dernier adieu; puis'les deux chevaux, excités par le siftlement de leur conducteur, s'élancèrent au galop sur la route d'Altona.

vin

Altona, véritable banlieue de Hambourg, est tête de ligne du chemin de fer de Kiel qui devait nous conduire au rivage des Belt. En moins de vingt minutes, nous entrions sur le territoire du Holstein.

A six heures et demie la voiture s'arrêta devant la gare les nombreux colis de mon oncle, ses volumineux articles de voyage furent déchargés, transportés, pesés, étiquetés, rechargés dans le wagon de bagages, et à sept heures nous étions assis l'un vis-à-vis de l'autre dans le même compartiment. La vapeur siffla, la locomotive se mit en mouvement Nous étions partis. Étais-je résigné? "Pas encore. Cependant l'air fàais du matin, les détails de la route rapidement renouvelés par la vitesse du train me distrayaient de ma grande préoccupation.

Quant à la pènsée du professeur, elle devançait évidemment ôe èoàvoi trop lent m.-gsê de so«


impatience. Nous étions seuls dans le wagon, mais sans parler. Mon oncle revisitait ses poches et son sac de voyago avec une minutieuse attention. Je vis bien que rien ne lui manquait des pièces nécessaires à l'exécution de ses projets. Entre autres, une feuille de papier, pliée avec soin, portait l'entête de la chancellerie danoise, avec la signature de M. Chriatienson, consul à Hambourg et l'ami du professeur. Cela devait nous donnertoute facilité d'obtenir à Copenhague dos recommandations pour le gouverneur de l'Islande.

J'aperçus aussi le fameux document précieusement enfoui dans la plus seorète poche du portefeuille. Je le maudis du fond du cœur, et je me remis à examiner le pays. C'était une vaste suite. de plaines peu curieuses, monotones, limoneuses et assez fécondes une campagne très favorable à l'établissement d'un railway et propice à ces lignes droites ai chères aux compa* gnies de chemins de fer.

Mais cette monotonie n'eut pas le temps de ma fatiguer, car, trois heures après notre départ, le train s'arrêtait à Kiel, h deux paa de la mer. Nos bagages étant enregistrés pour Copen-* bague, il n'y eut pas à s'on occuper. Cependant le professeur les suivit d'un œil inquiet pendant leur transport au bateau £ vapeur. ]Uà ils disparurent & fond de «ait».


Mon oncle, dans sa précipitation, avait si bien calculé les heures do correspondance du chemin de fer et du bateau, qu'il nous restait une journée entière à perdre. Le steamer YEllenara ne partait pas avant la nuit. De là une fièvre de neuf heures, pendant laquelle l'irascible voyagour envoya à tous les diables l'administration des bateaux et des railways et les gouvernements qui toléraient de pareils abus. Je dus faire chorus avec lui quand il entreprit le capitaine de Y Ellenora h ce sujet. Il voulait l'obliger à chauffer sans perdre un instant. L'autre l'envoya promener. A Kiel, comme ailleurs, il faut bien qu'une journée se passe. A farce do nous promener sur les rivages verdoyants de la baie au fond do laquelle s'élève la petite ville, de parcourir les bois touffus qui lui donnent l'apparence d'un nid dans un faisceau de branches, d'admirer les villas pourvues chacune de leur petite maison de bain froid, enfin de courir et de maugréer, nous atteignimes dix heures du soir.

Les tourbillons de la fumée de l'Ellenora se développaient dans le ciel; le pont tremblotait sous les frissonnements de la chaudière nous étions a bord et propriétaires de deux oouchettea étagces dans l'unique ohambre du bateau. A dix heures un quart les amarres furent lar- guées, et le steamer fila rapidement sur les sombres eaux du grand Belt


La nuit était noire il y avait belle brise et aorte mer; quelques feux de la côte apparurent dans les ténèbres plus tard, je ne sais, un phare à éclats étincela au-dessus des flots; ce fut tout ce qui resta dans mon souvenir de cette première traversée.

A sept heures du matin nous débarquions à Korsôr, petite ville située sur la côte occidentale du Seeland. Là nous,sautions du bateau dans un nouveau chemin de fer qui nous emportait à travers un pays non moins plat que les campagnes du Holstein.

C'était encore trois heures de voyage avant d'atteindre ia capitale du Danemark. Mon oncle n'avait pas fermé l'oeil de la nuit. Dans son impatience, je orois qu'il poussait le wagon avec ses pieds.

Enfin il aperçut une échappée de mer. « Le Sund! » s'écria-t-il.

Il y avait sur notre gauche une vaste oonstruction qui ressemblait à un hôpital.

« C'est une maison de fous,'dit un de nos compagnons de voyage.

Bon, pensai-je, voilà un établissement où nous devrions finir nos jours Et, si grand qu'il fût, cet hôpital serait encore trop petit pour contenir toute la folie du professeur Lidenbrock! » Enfin, à dix heures du matin, nous prenions pied à Copenhague; les bagages furent chargés


sur une voiture et conduits avec nous à l'hôtel ̃; du Phtenîx dans Bred-Gade. Ce fut l'affaire d'une demi-heure, car la gare est située en dehors de £ la ville. Puis mon oncle, faisant une toilette som- u maire, m'entraina à sa suite. Le portier de l'hô- tel parlait l'allemand et l'anglais; mais le pro- fesseur, en sa qualité de polyglotto, l'interrogea on bon danois, et ce fut en bon danois que ce personnage lui indiqua la situation du Muséum des Antiquités du Nord. Le directeur de ce curieux établissement, où sont entassées des merveilles qui' permettraient de reconstruire l'histoire du pays avec ses vieilles armes de pierre, ses hanaps' et ses bijoux,. était un savant, l'ami du consul de Hambourg, M. le professeur Thomson. ?

Mon oncle avait pour lui une chaude lettre de recommandation. En général, un savant en reçoit assez mal un autre. Mais ici ce fut toit autrement. M. Thomson, en homme serviable, fit un cordial accueil au professeur Lidenbrock, et ] même à son neveu. Dire que notre secret fut gardé vis-à-vis de l'excellent directeur du Muséum, c'est à peine nécessaire. Nous voulions tout bonnement visiter l'Islande en amateurs désintéressés.

M. Thomson se mit entièrement à notre disposition, et nous courûmes les quais afin de


J'espérais que les moyens de transport manqueraient absolument; mais il n'en fut rien. Une petite goélette danoise, la Valkyria, devait mettre à la voile le 2 juin pour Reykjawik. La capitaine, M. Bjarne, se trouvait à bord; son futur passager, dans sa joie, lui serra les mains à les briser. Ce brave homme fut un pou étonné d'une pareille étreinte, Il trouvait tout simple d'aller en Islande, puisque c'était son métier Mon oncle trouvait cela sublime. Le digne capitaine profita do cet enthousiasme pour nous faire payer double le passage sur son bâtiment. Mais nous n'y regardions pas de si près.

« Soyez à bord mardi, à sept heures du matin, » dit M. Bjarno après avoir empoché un nombre respectable de spccies-dollars. Nous remerciâmes alors M. Thomson de ses bons soins, et nous revînmes à l'hôtel du Phœnix.

« Cela va bien 1 cela va très bien, répétait mon oncle. Quel heureux hasard d'avoir trouvé ce bâtiment prêt à partir! Maintenant déjeunons,. et allons visiter la ville. »

Nous nous rendîmes à Kongèns-Nye-Torw, place irrégulière où se trouve un posto avec deux innocents canons braqués qui ne font peur à personne. Tout près, au n° 5, il y avait une a restauration » française, tenue par un cuisinier nommé Vincent; nous y déjeunâmes suffi-


aammont pour le prix modéré de quatre marks chacun'.

Puis je pris un plaisir d'enfant à parcourir la ville; mon oncle se laissait promonor; d'ailleurs il ne vit rien, ni l'insignifiant palais du roi, ni le joli pont du dix-septième siècle qui enjambe le canal devant te Muséum, ni cet immense cénotaphe do Torwatdsen, orné de peintures murales horribles ai qui contient à l'intérieur les œuvres de ce statuaire, ni, dans un assez beau parc, le château bonbonnière de Rosenborg, ni l'admirable édifloe renaissance do la Boir.so, ni son clocher fait avec les queues entrelacées do quatre dragons do bronze, ni les grands moulins des remparts, dont les vastes ailes s'enflaient comme les voiles d'un vaisseau au vent de la mer. Quelles délicieuses promenades nous eussions faites, ma jolie Virlandaise et moi, du côté du port où les deux-ponts et les frégates dormaient paisiblement sous leur toiture rouge,' sur les bords verdoyants du détroit, à travers ces ombrages touffus au sein desquels se cache la citadelle, dont les canons allongent leur gueule noirâtre entre les branches des sureaux et des saules! 1

Mais, hélas! elle était loin, ma pauvre Grattben, et pouvais-je espérer de la revoir jamais! •. 2 fr. 75 c, exmroo.


Cependant, si mon oncle ne remarqua rien de ces sites enchanteurs, il fut vivement frappé par la vue d'un certain clocher situé dans l'île d'Amak, qui forme le quartier sud-ouest de Copenhague.

Je reçus l'ordre de diriger nos pas de ce côté; je montai dans une petite embarcation à vapeur qui faisait le service des canaux, et, en quelques instants, ello accosta le quai de Dock-Yard. Après avoir traversé quelques rues étroites où des galériens, vêtus de pantalons mi-partie jaunes et gris, travaillaient sous le bâton des argousins, nous arrivâmes devant Vor-Frelsers-Kirk. Cette église n'offrait rien de remarquable. Mais voioi pourquoi son clocher assez élevé avait attiré l'attontion du professeur: à partir de la plate-forme,, un escalier extérieur circulait autour de sa tlèche, et sés spirales se déroulaient en plein ciel, « Montons, dit mon oncle.

Mais, le vertige? répliquai-je.

Raison de plus, il faut s'y habituer. Cependant.

Viens, te dis-je,ne perdons pas de temps. » Il fallut obéir. Un gardien, qui demeurait de l'autre côté de la rue, nous remit une clef, et l'ascension commença.

Mon oncle me précédait d'un pas alerte. Je le suivais non sans terreur, car la tête me tournait avec une déplorable facilité. Je a'avais ni l'a-


plomb des aigles ni l'insensibilité do leurs nerfs. Tant que nous fûmes emprisonnés dans la vis intérieure, tout alla bien; mais après cent cinquante marches l'air vint me frapper au visage; nous étions parvenus à la plate-forme du clocher. Là commençait l'escalier aérien, gardé par une frêle rampe, et dont les marches, de plus en plus étroites, semblaient monter vers l'infini. « Je ne pourrai jamais m'éoriai-je.

Serais-tu poltron, par hasard? Monte! » répondit impitoyablement le professeur. Force fut de le suivre en me cramponnant. Le grand air m'étourdissait; je sentais le clocher osciller sous les rafales; mes jambes se dérobaient je grimpai bientôt sur les genoux, puis sur le ventre; je fermais les yeux; j'éprouvais le mal de l'espace.

Enfin, mon oncle me tirant parle collet, j'arrivai près de la boule.

« Regarde, me dit-il, et regarde bien! il fau* prendre des leçons d'abîme! »

Je dus ouvrir les yeux. J'apercevais les maisons aplaties et comme écrasées par une chute, au milieu du brouillard des fumées. Au-dessus de ma tête passaient dès nuages échevelés, et, par un renversement d'optique, ils me paraissaient immobiles, tandis que le clocher, la boule, moi, uôus étions entraînés avec une fantastique vitesse. AH loin, d'un côté s'étendait la campagne


verdoyante de l'autre étincelait la mer sous un faisceau de rayons. Le Sund déroul&it à la pointe d'Elseneur.avee quelques voiles blanches, véritables ailes de goéland, et dans la brume de l'est ondulaient les côtes à peine estompées de la Suède. Toute cette immensité tourbillonnait à mes regards.

Néanmoins il fallut me lever, me tenir droit et regarder. Ma première leçon de vertige dura une heure. Quand enfin il me fut permis de redescendre et de toucher du, pied le pavé solide des rues, j'étais courbaturé.

« Nous recommencerons demain, » dit mon professeur.

Et en effet, pendant cinq jours, je repris cet exercice vertigineux, et, bon gré mal gré, je fis des progrès sensibles dans l'art « des hautes contemplations ».


IX

La jour au départ arriva. La voiilo, le complaisant M. Thomson nous avait apporté des let- tres de recommandations pressantes pour le comte Trampo, gouverneur de l'Islande, M. Pictursson, le coadjuteur.de l'évêque, et M. Finsen, maire de Reykjawik. En retour, mon oncle lui octroya les plus chaleureuses poignées de main. Le 2, à six heures du matin, nos précieux bagages étaient rendus à bord de la Valkyrie. Le capitaine nous conduisit à dos cabines assez étroites et disposées sous une espèce de rouf. « Avons-nous bon vent? demanda mon oncle. Excellent, répondit le capitaine Bjarne. Un vent de sud-est. Nous allons sortir du Sund grand largue et toutes voiles dehors. »

Quelques instants plus tard, la goélette, sous sa misaine, sa brigantine, son hunier et son perroquet, appareilla et donna à pleine toile dans le détroit. Une heure après la capitale du Danemark semblait -«'enfoncer dans les flots éloignés et la Valhv- .asàifccôte d'Elseneur. Dans la disposition nerveuse où je me trouvais, je m'at«


tendais à voir l'ombre d'Hamlet errant sur la terrasse légendaire.

« Sublimé insensé! disais-je, tu nous approuverais sans doute! tu nous suivrais peut-être pour venir au centre du globe chercher une solutton à ton doute éternel »

Mais rien ne parut sur les antiques murailles le château est, d'ailleurs, beaucoup plus jeune que l'héroïque prince de Danemark. Il sert maintenant de loge somptueuse au portier de ce détroit du Sund où passent chaque. année quinze mille navires de toutes les nations. Le château de Krongborg disparut bientôt dans la brume, ainsi que la tour d'Helsjnborg, élevée sur la rive suédoise et la goélette s'inclina légèrement sous les brises du Cattégat.

La Valkyrie était fine voilière, mais avec un navire à voiles on ne sait jamais trop sur quoi compter. Elle transportàit à Reykjawik du charbon, des ustensiles de ménage, de la poterie, des vêtements de laine et une. cargaison, de blé; cinq hommes d'équipage, tous Danois, suffisaient à la manœuvrer.

« Quelle sera la durée de la traversée? demanda mon oncle au capitaine.

Une dizaine de jours, répondit ce dernier, si nous ne rencontrons pas tr"op greius de nord-ouest par le travers des Feroe.


Mais, enfin, vous n'êtes pas sujet à éprouver des retards considérables ? P

Non, monsieur Lid.enbrook; soyez tranquille, nous arriverons, »

Vers le soir la goélette doubla le cap Skagen à la pointe nord du Danemark, traversa pendant la nqit le Skager-Rak, rangea l'extrémité de la Norvège par le travers du cap Lindness et donna dans la mer du Nord.

Deux jours après, nous avions eonnaissance des côtes d'Écosse à la hauteur de Peterheade, et la Valkyrie se dirigea vers les Feroë en passant entre les Orcades et les Seethland.

Bientôt notre goélette fut battue par les vagues de l'Atlantique; elle dut»louvoyer contre le vent du nord et n'atteignit pas sans peine les Feroë. Le 3, le capitaine reconnut Myganness, là plus orientale de ces îles, et, partir de ce moment, il'marcha droit au cap Portland, situé sur la côte méridionale de l'Islande.

La traversée n'offrit aucun incident remarquable. Je supportai assez bien les épreuves de la mer; mon oncle, à son grand dépit, et à sa honte plus grande encore, ne cessa pas d'être malade. Il ne put donc entreprendre le capitaine Bjarne sur la question du Sneffels, sur les moyens de ^ginunication, sur les facilités de transport; il dut remettre ses explications à son arrivée et passa tout ton tempg étendu daus «a cabfoe, doitf


les cloisons oraquaientpar les grands coups de tangago. Il faut l'avouer, il méritait un peu son sort. Le il, nous relevâmes le cap Portland; le temps, clair alors, permit d'apercevoir le Myrdals Yooul, qui le domine. Le cap se compose d'un gros morne à pentes roides, et planté tout seul sur la plage.

La Valhyrie se tint à une distance raisonnable des côtes, en les prolongeant vers l'ouest, au milieu de nombreux troupeaux de baleines et de requins. Bientôt apparut un immense rocher percé à jour, au travers duquel la mer écumeuse donnait avec furie. Les îlots de Westman semblèrent sortir de l'Océan, comme une semée de rocs sur la plaine liquide. A partir de ce mo- ment, la goélette prit du champ pour tourner à bonne distance le cap Keykjaness, qui ferme Nangle occidental de l'Islande. il La mer, très forte, empêchait mon oncle de monter sur le pont pour admirer ces côtes déchiquetées et battues par les vents du sud-ouest. Quarante-huit heures après, en sortant d'une tempête qui força la goélette de fuir a sec de toile, on releva dans l'est la balise de la pointe de Skagen, dont les roches dangereuses se pro-, 1 longent à une grande distance sous les flots. Un pilote islandais vint à bord, et, trois heures plus tard, la Vàlkyrie mouillait devant Reykjawifc,, dan» la baie de faxa.


Le professeur sortit enfin de sa cabine, un peu pâle, un peu défait, mais toujours enthousiaste. et avec un regard de satisfaction dans les yeux. La population de la ville, singulièrement intéressée par l'arrivée d'un navire dans lequel chacun a quelque chose à prendre, 8e grouptit sur le quai.

Mon oncle avait hâte d'abandonner sa prison flottante, pour ne pas dire son hôpital. Mais avant de quitter le pont de la goélette, il m'entraîna à l'avant, et là, du doigt, il me montra, à la partie septentrionale de la baie, une haute montagne à deux pointes, un double cône couvert de neiges éternelles.

« Le Sneffels! s'écria-t-il, le Sneffels » » Puis, après m'avoir recommandé du geste un silence absolu, il descendit dans le canot qui l'attendait. Je le suivis, et bientôt nous foulions du piedle sol de l'Islande.

Tout d'abord apparut un homme de bonne figure et revêtu d'un costume de général. Ce n'était cependant qu'un simple magistrat, le gouverneur de l'île, M. le baron Trampe en personne. Le professeur reconnut à qui il avait affaire. Il remit au gouverneur ses lettres de Copenhague, et il s'établit en danois une courte conversation à laquelle je demeurai absolument étranger, et pour cause. Mais de ce premier entretien il. résulta ceci que le baron Trampe ae


mottait anttàromont à la disposition du proiesseur Lidenbrock.

Mon onclo reçut un noouoil fort aimable du maire, M. Finson, non moins militaire par le costume que le gouverneur, mais aussi pacifique par tempérament ot par état.

Quant au coadjuteur, M. Piotursson, il faisait actuellement une tournée épiscopale dans. le Bailliago du nord; nous devions renoncer provisoirement à lui être présentés. Mais un charmant homme, et dont la concours nous devint fort pré.cieux, ce fut M. FridriUsson, professeur do sciences naturelles à l'école de Reykjawik. Ce savant modeste ne parlait que l'islandais et le latin; il vint m'oiïrir ses services dans la langue d'Horace, et je sentis que nous étions faits pour nous comprendre. Ce fut, en effet, le seul personnage avec lequel je pus m'entretenir pendant mon séjour en Islande.

Sur trois chambres dont se composait sa maison, cet excellent homme en mit deux à notre disposition, et bientôt nous y fûmes installés avec nos bagages, dont la quantité étonna un peu les habitants de Reykjawik. « Eh bien, Axel, me dit mon oncle, cela va, et le plus difficile est fait.

Comment, le plus difficile? m'écriai-je: -•Sans doute, nous tfavons $** Htt* *•*

Otndftl'


Si voua le pronoa ainsi, vous ave« raison; mais onnn, après avoir descendu, il faudra remonter, j'imagine ?

Oh! cela ne m'inquiète guère! Voyons! il n'y a pas do tomps à perdre. Jo vais me rendre a la bibliothèque. Peut-ôtre s'y trouve-t-il quelque manuscrit do Snknussomm, et jo serais bien aise do Jo consulter.

Alors, pendant co temps, je vais visiter la ville. Est-ce que vous tien forez pas autant? Oh! cola m'interosso médiocrement. Ce qui est curieux dans cotte terre d'Islande n'est pas dessus, mais dessous.

Je sortis et j'errai au hasard.

S'égarer dans les deux rues do Reykjawik n'eût pas été chose facile. Je ne fus donc pas obligé de demander mon chemin, ce qui, dans la langue des gestes, expose à beaucoup do mécomptes. La ville s'allonge sur un sol assez bas et marécageux, entre deux collines. Une immense coulée de laves la couvre d'un côté et descend en rampes assez douces vers la mer. De l'autre s'étend cette vaste baie de Faxa bornée au nord par l'énorme glacier dit Snetrels, et dans laquelle la Valkyrie se trouvait seule à l'ancre en ce moment. Ordinairement les gardes-pêche anglais et français s'y tiennent mouillés au large; mais ils étaient alors en service sur les côtes orientale* de l'île.


La plus longue des doux rues de Royfcjawik oat parallèle au rivay-o la doinouront les marchands et tes négociants, dans dos oabantm do bais faites de poutres rouges horizontalement disposées; l'autre rue, située plus a l'ouost, court vers un potit lac, ontro les maisons do l'évoque et des autres personnages étrangers au commerce. J'eus bientôt arpenté eus voies mornes et tristes; j'cnwevoyais parfois un bout do gazon décoloré, comme un vieux tapis do laine râpé par l'usage, ou bien quelque apparoree de verger, dont les rares légumes, pommes do terre, choux et laitues, eussent figuré à l'aise sur une tablo lilliputienne; quelques giroflées maladives essayaient aussi de prendre un petit air de soloil.

Vers le milieu de la rue non commerçante, je trouvai le cimetière publie enclos d'un mur en terre, et dans lequel la place ne manquait pas. Puis, en quelques enjambées, j'arrivai à la maison du gouverneur, une.masure comparée à l'hôtel de ville de Hambourg, dn palais auprès des huttes de la population islandaise.

Entre le petit lao et la ville s'élevait l'église, bâtie dans le goût protestant et construite en pierres calcinées dont les volcans font eux-mêmes les frais d'extraotion; par les grands vents d'ouest, son toit de tuiles rouges devait évidem ment se disperser dans les airs au grand dora* mage des f"ièies'.


Su* uno éminenoo voisino, j'aperçus l'École Nationale, où, comme je l'appris plus Tard de notre hôte, on professait l'hébreu, l'anglais, la français et le danois, quatre langues dont, à ma honte, je ne connaissais pas le premier mot. J'aurais été le dernier des quarante élevés que comptait ce petit collège, et indigno do coucher avec eux dans oos armoires à deux compartiments où do plus délicats étoufferaient dès la première nuit. En trois heures j'eus visité non seulement la villa, mais ses environs. L'aspect général en était singulièrement triste. Pas d'arbres, pas do végétation, pour ainst dire. Partout les arêtes vives des roches volcaniques. Les huttes dos Islandais sont faites do terre et de tourbe, et leurs murs inclinés en dedans; ollos ressemblent à des toits posés sur le sol. Seulement oes toits sont des prairies relativement fécondes. Grâce à la chaleur de l'habitation, l'herbe y pousse avec assez de perfection, et on la fauche soigneusement à l'époque de la fenaison, sans quoi les anl« maux domestiques viendraient paître sur cet demeures verdoyantes.

Pendant mon excursion, je rencontrai peu d'habitants en revenant de la rue commerçante, je vis la plus grande partie de la population occupée à sécher, saler et charger des morues, principal article d'exportation. Les hommes paraissaient' robustes, mais lourds, des espèces


d'Allemands Wqnds, à Vcoil pensif, qui £>e sentent un pou;eu tlohors de l!humftnit<f; pauvres, éxi|éa relégués suricoUo terre de gla<joi.dpnmt» nature

aUra1t^l>ien dûifairo fjfës j&squjmnux, •puisqu'elle

los condamnait à vivrosiir limitouhi cerota polaire' J'.easuyajsjen. vnin do surprendra un «aurore ,Bur «lotir, visage; ils riaient quelquefois par une sorte do contraction involontaire des muscles» main ils ne nouriaiont jftnuus.

Lotir costuma consistait en une grossière yareiiso do laine noiro connuo dans tous les pays Scandinaves souk 1<» non do « vndinêl », un chapeau à vastoH bords, un pantalon ù Jisôré rougo et un morceau de cui rropl on manière do chaussure. Los femmes, a figura triste et résignée, d'un type assoz agréable, mais sans expression, étaient vêtues d'un corsage et d'une jupe do « vadmol » sombre filles, elles portaient sur leurs cheveux tressés on guirlandes un petit bonnet do tricot brun mariées, elles entouraient leur tête d'un mouchoir de couteur, surmonté d'un cimier de toile blanche..

Après une bonne promenade, lorsque je rentrai dans la maison de M. Fridriksson, mon oncle s'y trouvait déjà en compagnie do son hôte.


x

Le dîner tUait prêt Il fut diWorô avec avidité par lo professeur Lidenbrock, dont la diète forcée du bord avait changé l'ts.stomao on un gouffre profond. Ce repas, plus danois qu'islandais, n'eut rien do remarquable en lui-mâine; mais notre hôto, plus islandais que danois, mo rappela les héros do l'antiquo hospitalité. Il mo parut évident que nous étions die/, lsit plus quo lui-même. La conversation so lit en langue indigène» que mon oncle entremêlait d'allemand et M. Fridriksson de latin, afin que je pusse la comprendre. Elle roula sur des questions scientifiques, comme il convient à des savants; mais le professeur Lidenbrock se tint sur la plus excessive réserve, et ses yeux me recommandaient, à chaque phrase, un silence absolu touchant nos projets à venir. Toutd'abord, M. Fridriksson s'.enquijt auprès de moii éncle du résultat de setf .recherches; à la bibliotHèque > > « ->'̃ < « t. Vdre bib!io«feè«iwl p'4*»»» tm dernier. alla


•e se compose que do livres dépareilles sur dos rayons presque déserta.

Comment! répondit M. Fridriksson, nous possédons huit mille volumes dont beaucoup sont précieux et rares, dos ouvrages en vioillo langue Scandinave, ot toutou les nouveautés dont Copenhague nous approvisionne chaque anndo. Où prenez-voua ces huit mille volumes? Pour mon compte.

Oh monsieur Lidenbrock, ils courent le pays; on a le goût de l'étude dans notre vieille Ile de glace! Pas un formior, pas un pôoheur qui nô saeho lire et ne liso. Nous pensons que des livres, au lieu de moisir derrière une grille de fer, loin des regards curieux, sont destinés à s'user sous les yeux des lecteurs. Aussi ces volumes passent-ils de main en main, feuilletés, lus et relus, et souvent ils ne' reviennent & leur rayoa qu'après un an ou deux d'absence.

En attendant, répondit mon oncle avec un certain dépit, les étrangers.

Que voulez-vous tes étrangers ont chez eux leurs bibliothèques, et, avant tout, il faut que nos paysans s'instruisent. Je vous le répète, l'amour de l'étude est dans le sang islandais. Aussi, en 18i@, nous avons fondé une Société Littéraire qui va bien; des savants étrangers s'honorent d'en faire partie elle publie des livres destinés à IWUttfitien dtnioft compatriote» et rend de vérfc»


tables services au pays. Si vous voulez être un de nos membres correspondants, monsieur Lidenbrook. vous nous ferez le plus grand plaisir. » Mon oncle, qui appartenait déjà à une centaine de sociétés seiontifiquos, accepta avec une bonne grâce dont fut touché M. Fridriksson.

« Maintenant, roprit oelui-oi, veuillez m'indiquer les livres que voua espériez trouver à notre bibliothèque, et je pourrai peut-être vous rensei. gner à leur égard. »

Je regardai mon oncle. Il hésita à répondre. Cela touchait directement à ses projets. Cependant, après avoir réfléchi, il se décida à parler. a Monsieur Fridriksson, dit-il, je voulais savoir si, parmi as ouvrages anciens, vous possédiez ceux d'Ame Saknussomm? T

Arne Saknussemm! répondit le professeur de Reykjawik; vous voulez parler de ce savant du seizième siècle, à la fois grand naturaliste, grand alchimiste et grand voyageur?

Précisément

Une des gloires de la littérature et de la science islandaises?

Comme vous dites.

Un homme illustre entre tous?

Je vous l'accorde.

Et dont l'audace égalait le génie?

Je vois que vous le connaissez bien. » Mon osieki nageait dan» la Joi« h entendre fat*


1er ainsi de son héros. II dévorait des yeux M. Fridriksson.

« Eh bion domanda-t-il, ses ouvrages? Ah! sus ouvrages, nous ne les avons pas? Quoi! en Islande?

lis n'existent ni en Islande ni aiHours, Et pourquoi?

Por«o que Arne Saknussomm fut peraéeulâ pour ouuho d'hérésie, ot qu'un 1573 ses ouvrages furent brûlés à Copenhague par la main du bourreau.

Très bien Parfait I s'écria mon oncle, au grand scandale du professeur de sciences naturollos,

Hein? fit ce dernier.

Oui! tout s'explique, tout s'enchaîne, tout est clair, et je comprends pourquoi Saknussemm, mis à l'index et forcé de cacher les découvertes de son génie, a dû enfouir dans un incompréhonsible cryptogramme le secret.

Quel secret? demanda vivement M. Fridriksson. w

Un secret qui. dont. répondit mon oncle en balbutiant. °

Est-ce que vous auriez quelque document particulier? reprit notre hôte.

Non Je faisais une pure supposition. Bien, répondit M. Fridriksson, qui eut la bonté de ne pa^s irsister en voyant le trouble de


son interlocuteur. J'espère, njoutn-t-iî, que vous ne quitterez pas notro ilo sans avoir puisé à ses richesses minéralogiques?

Cortos, répondit mon onele; mais j'arrive un peu tard; des savants ont déjà passé par ici ? Oui, monsieur Lidenbrook; les travaux de MM. Olafsen et Povelson exécuté* par ordre du roi, les études do Troll, la mission scientifique de MM. Gaimardet Robert, à bord do la corvette française la Recherche ♦, et dernièrement, les observations dés savants embarqués sur la frégate la Reine-Hortense, ont puissamment contribué & la reconnaissance do l'Islande. Mais, croyez-moi, il y a encore à faire.

Vous pensez? demanda mon oncle d'un air bonhomme, en essayant de modérer l'éclair de ses yeux.

Oui. Que de montagnes, de glaciers, de volcans à étudier, qui sont peu connus! Et tenez, sans aller plus loin, voyez ce mont qui s'élève à l'horizon c'est le Sneffels.

Ah! fit mon oncle, le Sneffels.

Oui, l'un des volcans les plus curieux et dont on visite rarement le cratère.

Éteint?

1. Lu Recherche fut envoyée en 1835 par l'amiral Duperré pour retrouver les traces d'une expédition perdue, celle de M. de Blosseville et de La lAUoiae. dont on n'a jajnaia «u <fo nouvelles.


Oh! éteint depuis cinq oonts ans.

Eh bien! répondit mon oncle, qui se orolsait frénétiquement les jambes pour ne pas sau- ter en l'air, j'ai envie de commencer mes études géologiques par ce Seflel. Feçsel. comment dites-vous?

Sneflels, reprit l'excellent M. Fridriksson. » Cette partie de la conversation avait eu lieu en latin; j'avais tout compris, et je gardais à peine mon sérieux à voir mon oncle contenir sa satisfaction qui débordait de toutes parts il prenait un petit air innocent qui ressemblait à la grimaoe d'un vieux diable.

« Oui, fit-il, vos paroles me décident; nous essayerons de gravir ce Sneiïels, peut-être même d'étudier son cratère! 1

Je regrette bien, répondit M. Fridriksson, que mes occupations ne me permettent pas de m'absenter; je vous aurais accompagné avec plaisir et profit.

Oh! non, oh non, répondit vivement mon oncle; nous ne voulons déranger personne, monsieur Fridriksson; je vous remercie de tout mon cœur. La présence d'un savant tel que vous, eût été très utile, mais les devoirs de votre profession. »

J'aime à pénsei que notre' hôte, dans l'innocence de son âme islandaise, ne comprit pas les grosses malices de mon oncle-


« Je vous approuve fort, monsieur l»idenbroek, dit-il, de commencer par ce volcan; vous ferez une ample moisson d'observations ourieuses. Mais, dites-moi, comment comptez-vous gagner la prosqu'ilo de Sneffels

Par mer, en traversant bai>. C'est la route la plus rapide.

––Sans doute; mais elle est impossible à prendre.

Pourquoi?

Parce que nous n'avons pas un seul canot à Reykjawik.

Diable!

Il faudra aller par terre, en suivant la côte. Co sera plus long, mais plus intéressant. Bon. Je verrai à me procurer un guide. J'en ai précisément un à vous offrir. Un homme sûr, intelligent? P

Oui, un habitant do la presqu'île. C'est un chasseur d'eider, fort habile, et dont vous serez content. II parle parfaitement le danois. Et quand pourrai-je le voir?

Demain, si cela vous plaît.

Pourquoi pas aujourd'hui? » C'est qu'il n'arrive que demain.

A demain donc, » répondit mon oncle avec un soupir.

Cette importante conversation se termina quelques instants plus tard par de chaleureux remet*


ciment» du professeur allemand au professeur ̃islandais. Pendant ce diner, mon oi»«ïe venait d'apprendre des choses importantes, entre autres l'histoire de Saknussemm, la raison de. son document mystérieux, comme quoi son hôte n< J'accompagnerait pas dans >on expédition, et qut dès le lendemain un guide serait à ses ordres. XI

Le soir, je fis uno courte promenade sur les rivages de Roykjawik, et je revins do bonne heure me coucher dans mon lit de grosses planches, où je dormis d'un profond sommeil. `

Quand je me réveillai, j'entendis mon .oncle parler abondamment dans la salle voisine. Je me levai aussitôt et je me hâtai d'aller le rejoindre. Il causait en danois avec un homme de haute teille, vigoureusement découplé. Ce grand gail.lard devait être d'une force peu commune. Ses yeux, percés dans une tête très grosse et assez naïve, me parurent'intelligents. Ils étaient d'un bleu rêveur. De longs cheveux, qui eussent passé pour roux, même en Angleterre, tombaient sur ses athlétiques épaules. Cet indigène avait les mouvements souples, mais, il remuait peu les bras, en homme qui ignorait ou dédaignait la langue des gestes. Tout \en lui révélait un tern*


péramont d'un ealmo parfait, non paR indolent, mais tranquille. On sentait qu'il ne demandait rion a personne, qu'il travaillait ù sa convenance, et que, dans ce monde, sa philosophie ne pouvait être ni étonnée ni troublée.

Je surpris les nuances de ce caractère, a la manière dont, l'Islandais écouta le verbiage passionné de son interlocuteur. Il demeurait les bras oroisés, immobile au milieu des gestes multipliés de mon oncle; pour nier, sa tête tournait de gauche à droite elle s'inclinait pour affirmer, et cela si peu, que ses longs cheveux bougeaient à peine; c'était l'économie du mouvement poussée jusqu'à l'avarice.

x Certes, à voir cet homme, je n'aurais jamais deviné sa profession de chasseur; celui-là ne devait pas effrayer le gibier, à coup sûr, mais comment pouvait-il l'atteindre? P

Tout s'expliqua quand M. Fridriksson m'apprit que ce tranquille personnage n'était qu'un « chasseur d'eider », oiseau dont le duvet constitue la plus grande richesse de l'île. En effet, ce duvet s'appelle l'édredon, et il ne faut pas une grande dépense de mouvement pour le recueillir. Aux premiers jours de l'été, la femelle deTeider, sorte de joli canard, va bâtir son nid parmi les rooheite des fjords dont la côte est toute franI. Nom donné aux goifes étroits tiui»s Les pays Scandinaves.


gdej ce nid bâti, elle lo tapisse avec do fines plumes qu'elle s'arraoho du ventre. Aussitôt le chasseur, 'ou mieux la négociant, arrive, prend le nid, et la femelle de recommencer son travail; cela dure ainsi tant qu'il lui reste quelque duvet. Quand elle s'est entièrement dépouillée, c'est au inâle de se déplumor à son tour. Seulement! comme la dépouille dure et grossière de ce dernier n'a aucune valeur commerciale, le ohasseur1 ne prend pas la peine de lui voler le lit de sa couvée; le nid s'achève donc; la femelle pond ses œufs les petits éolosent, et, l'année suivante, la récolte de l'édredon recommence.

Or, comme l'eider ne choisit pas les rocs escarpés pour y bâtir son nid, mais plutôt oes roches faciles et horizontales qui vont se perdre en mer, le chasseur islandais pouvait exercer son métier sans grande agitation. C'était un fermier qui n'avait ni à semer ni à couper sa moisson, mais à la récolter seulement.

Ce personnage grave, flegmatique et silencieux, se nommait Hans Bjelke; il venait à la recommandation de M. Fridriksson. C'était notre futur guide. · Sesmanièrcs contrastaient singulièrement avec celles 4e mon oncle.

Cependant ils s'entendirontfacilement. Ni l'un ni l'autre ne regardaient au prix; l'un prêt à accepter ce qu'on lui offrait* l'autre prêt à donner


ce qui lui serait demanda. Jamais marehà ne fut plus facile à conclure.

Or, dos conventions il résulta que Hr.its s'engageait à nous conduire au village do Stapi, situé sur la côte méridionale de la presqu'île du Sneffels, au pied môme du volcan. Il fallait oompter par terre vingt-deux milles environ, voyage à faire en deux jours, suivant l'opinion de mon oncle.

Mais quand il apprit qu'il s'agissait de milles danois de vingt-quatre mille pieds, il dut rabattre de son calcul et compter, vu l'insuffisance des chemins, sur sept ou huit jours de marche. Quatre chevaux devaient être mis à sa disposition, deux pour le porter, lui et moi, deux autres destinés à nos bagages. Hans, suivant son habitude, irait à pied. Il connaissait parfaitement cette partie de la côte, et il promit de prendre par le plus court.

Son engagement avec mon oncle n'expirait pas à notre arrivée à Stapi il demeurait à son service pendant tout le temps nécessaire à nos excursions scientifiques au prix de trois rixdales par semaine Seulement, il fut expressément convenu que cette somme serait comptée au guide chaque samedi soir, condition sine qua, non de son engagement.

t. 16 fr. 08 c


Le départ fut fixé au 16 juin. Mon oncle voulut remettre au chasseur les arrhes du marobé, mais colul-ci refusa d'un seul mot.

« Efter, » fit-il.

Après, » me dit la professeur pour mon édification.

Hans, le traité oonolu, ae retira tout d'une pièom.

« Un fameux homme, s'écria mon onole, mata il ne s'attend guère au merveilleux rôle quo l'avenir lui réserve do jouer.

Il nous accompagne donc jusqu'au. Oui, Axel, jusqu'au centre dé la terre. » Quarante-huit heures restaient encore à passer à mon grand regret, .je dus les employer à nos préparatifs; toute notre intelligence fut employée à disposer chaque objet de la façon la plus avantageuse, les instruments d'un côté, les armes d'un autre, les outils dans ce paquet, les vivres dans celui-là. En tout quatre groupes. Les instruments comprenaient

Un thermomètre centigrade de Eigel, gradué jusqu'à cent cinquante degrés, ce qui me paraissait trop ou pas assez. Trop, si la chaleur ambiante devait monter là, auquel cas nous aurions cuit. Pas assez, s'il s'agissait c|e mesurer la température de sources ou toute autre matière en fusion. > Un manomètre à air ^comprimé, disposé de


manière à indiquer des pressions supérieures « colles do l'atmosphère au niveau de l'Océan. En effet, ta baromètre ordinaire n'oût pas suffi, la pression atmosphérique devant augmenter pro.portionnellement à notre descente au-dessous do la surface de la terre. T

Un chronomètre de Boissonnas jeune de G ève, parfaitoment réglé au méridien do Hambourg.

4°*Doux boussoles d'inclinaison et do déolinaison.

5° Une lunette de nuit.

Deuxappareils doRuhtnkorflf, qui, au moyen d'un courant électrique, donnaient une lumière très portative, sûre et peu encombrante 1. L'appareil de M. UuhmkorflT consiste en une pile de Bunzon, mise en activité au moyen du bichromate de potasse qui ne donne aucune odeur. Une bobine d'induction met l'électricité produite par la pile en communication avec tiae lanterne d'une disposition -particulière; dans cette lanterne se trouve un serpentin de verre le vide a été fait, et dans lequel reste seulement un résidu de gaz carbonique ou d'azote. Quand l'appareil fonctionne, ce gaz devient lumineux en pro- duisant une lumière blanchâtre et continue. La pile et la bobine sont placées dans un sac de cuir que le voyageur porte en bandoulière. La lanterne, placée extérieurement, éclaire très suffisamment dans les profondes obscurités; elle permet de s'aventurer, sans craindre aucune, explosion, au milieu des gae les plus inflammables, et ne s'éteint pas même au sein des plus profonds cours d'eau. M. ftâhmkorô est un Bavant •t habile physicien. Sa grande découverte, c'ait aa bobine 4'induction qui permet de sradiu** 4e rëlectriettô ji bfittte


Les armés consistaient en deux carabines de t*imlloy More et C°, et de deux revolvers Colt. Pourquoi des armes? Noua n'avions ni sauvages ni bêtes féroces & redouter, je suppose. Mais mon oncle paraissait tenir à son arsenal comme à ses instruments, surtout à une notablo quantité de fulmi-ooton inaltérable à l'humidité, et dont la forco expamàvo est fort {supérieure à celle do la poudro ordinairo.

Les outils comprenaient deux pios, deux pioches, une échelle do so'e, -trois bâtons ferrés, uno hache, un marteau, une douzaine de coins et pitons de fer, et de longues cordes à nœuds. Cela ne laissait pas do faire un fort colis, car l'échelle mesurait trois conta pieds de longueur. Enfin, il y avait les provisions; le paquet n'était pas gros, mais rassurant, car je savais qu'on viande concentrée et en biscuits secs il contenait pour six mois de vivres. Le genièvre en formait toute la partie liquide, et l'eau manquait totale- ment; mais nous avions des gourdes, et mon oncle comptait sur les sources pour les remplir; les objections que j'avais pu faire sur leur qua.lité, leur température, et même leur absence, étaient restées sans succès. .It

Pour, compléter la nomenclature exacte de nos teDOion.il a obtenu, en 1864, le prix quinquennal de 50,000 fr. qae ia drapes rtsarç&Jt 4 a fcias ia^Saisuas application

1~1,¡wi.1.

lilea4#I~fty ·


artùiltm do vovngu, jo noterai uiwplumnuom por. tativo contonant do»» cintmux a lamus moussos, des attoiloH pour (Vue t uns, une piùco ruban on (il écru, des bandow et eomjH'osHos, du sparadrap, une palette pour soignèo, toute» choses attrayantes do plus, uno sthiu do fluconn contenant de la dextrine, de l'alcool vulnûrairo, de l'acétate de plomb liquide, do IVithor, du vinaigre ot do rammoniu(|Uti, toutes drogues d'un emploi peu rassurant; enfin les matières nécessaires aux appareils de HuhmkoriT,

Mon onolo n'avait eu garde d'oublier la provision de tabac, do poudre de chasse et d'amadou, non pliiu qu'une ceinture do cuir qu'il portait au« tour des reins et où se trouvait une suffisante quantité do monnaie d'or, d'argent et do papier. De bonnes chaussures, rendues imperméables par un enduit de goudron et de gomme élastique, so trouvaient au nombre de six paires dans le groupe des outils.

« Ainsi vêtus, chaussés, équipés, il n'y a aucune raison pour ne pas aller *oin, » me dit mon oncle. La journée du 14 fut employée tout entière à dispqser ces différents objets. Le soir, nous di. nàmes chez le baron Trampe, en compagnie du maire de Reykjawik et du docteur Hyaltalin, le.grand médecin du pays. M. Fridriksson n'était pas au nombre des convives; j'appris plus tard 4u« !• gouvsrat us «i M •• trouvaient eh «Usao*


oord sur une question d'administration et ne se voyaient pas. Je n'eus donc pas l'occasion do comprendre un mot de ce qui se dit pendant oe diner somioffioioï. Jo romarquai seulement que mon onclb parla tout le temps.

Le londomoin 15, les préparatifs furent achevés. Notre hôto fit un sonsiblo plaisir au professeur nn lui romottant une carte do l'Islande, inoompawblemont plu» pariait» que celle d'Henderson, la o»rte de M. Olaf NiUolas Olsen, réduite au ^^l- et publiée par la Société lHtérairo islandaise, d'après les travaux géodésiques de M. Soheel Frisac, et le levé topographique do M. Bjorn Gumlaugsonn. C'était un précieux document pour un minéralogiste.

La dernière soirée se passa dans une intime causerie avec M. Fridrikssonn, pour lequel je me sentais pris d'une vivo sympathie; puis, à la conversation succéda un sommeil assez agité, de ma part du moins.

A cinq heures du matin, le hennissement de, quatre chevaux qui piaffaient sous ma fcnôire me réveilla» Je m'habillai à la hâte et je descendis dans la rue. Là, Hans achevait do charger nos bagages sans se remuer, pour ainsi dire. Cependant il opérait avec une adresse peu commune. Mon oncle faisait plus de bruit, que de bésogne, et le guide paraissait se soucier fort peu

de «fis recommandations.


Tout fut termind à six heures. M, Fridriksson noua serra les mains. Mon oncle le remercia en islnndais de sa bienveillante hospitalité, et aveo beaucoup do cœur. Quant à moi, j'ébauchai dans mon meilleur latin quelque salut cordial; puia nous nous mîmes en selle, et M. Fridriksson me lança avec son dernier adieu ce vers que Virgile semblait avoir fait pour nous, voyageura in«*r •• tains, do la route

Et quacunquo viain daderit tortuna sâquamur. XII

Nous étions partis par un temps couvert, mais fixe. Pas de fatigantes chaleurs à redouter, ni pluies désastreuses. Un temps de touristes. Le plaisir de courir à cheval à travers un pays inconnu me rendait de facile composition sur le début de l'entreprise. J'étais tout entier au bonheur de l'excursionniste fait de désirs et de liberté. Je commençais à prendre mon parti de l'affaire.. « D'ailleurs, me disais-je, qu'est-ce que je risque? de voyager au milieu du pays le plus «urieux! de gravir uiM^Ûoi^a^ne fort remar-


quable au pis-aller do descendre au fond d'un cratère éteint? Il est bien évident que oeSaknussemm n'a pasi fait autre chose. Quant a l'existence d'une galerie qui aboutisse au centre du globe, pure imagination! pure impossibilité! Donc, ce qu'il y a de bon à prendre de cette expédition, pronons-lo, et sans marchander! »

Ce raisonnement à peine achevé, nous avions quitté lloykjawik.

Hans marchait en tête, d'un pas rapide, égal et continu. Les deux chevaux chargés de nos bagages le suivaient, sans qu'il fût nécessaire do les diriger. Mon oncle et moi, nous venions ensuite, et vraiment sans faire trop mauvaise figure sur nos bêtes petites, mais vigoureuses. < L'Islande est une des grandes iles de l'Europe elle mesure quatorze cents milles de surface, et ne compte que soixante mille habitants. Les géographes l'ont divisée en quatre quartiers, et nous avions à traverser presque obliquement celui qui porte le nom de Pays du quart du Sud.Ouest, « Sudvesfr Pjordùngr. »

Hans, en laissant Reykjawik, avait immédiatement suivi les bords de la mer; nous traversions de maigres pâturages qui se donnaient bien du mal- pour être verts; le jaune réussissait mieux. Les sommets rugueux des masses trachytiques s'estompaient à l'horizon dans les-brumes de l'est; par mom»n»». quelques plaques déneige,


concentrant la lumière diffuse, resplendissaient sur le versant des cimes éloignées; certains pics, plus hardiment dressés, trouaient les nuages gris etréappanussaientau-dossus dos vapeurs mou vaiv tes, semblables à des écueils émergés en plein oiol. Souvent ces chaînes do rocs nrides faisaient Une pointe vers la mer et mordaiont sur le pâturage mais il restait toujours uno place suffisante pour passer. Nos chevaux, d'ailleurs, choisissaient d'instinct les endroits propices sans jamais ralentir leur marche. Mon oncle'n'avait pas même la consolation d'exciter sa monture do la voix ou du fôuot; il no lui était pas permis d'être impatient. Je no pouvais m'empêcher de sourire en le voyant si grand sur son petit cheval, et, comme ses longues jambes rasaient le sol, il ressemblait à un centaure à six pieds.

« Bonne bête 'bonne bête! disait-il. Tu verras, Axel, que pas un animal ne l'emporte en intelligence sur le cheval islandais; neiges, tempêtes, chemins impraticables, rochers, glaciers, rien ne l'arrête. Il est bravo, il est sobre, il est sûr. Jamais un faux pas, jamais une -réaction. Qu'il se présente quelque rivière, quelque fjord à traverser, et il s'en présentera, tu le verras sans hésiter se jeter à l'eau, comme un amphibie, et gagner le bord opposé Mais ne le brusquons pas, laissons-le agir, et nous ferons, l'un portant l'autre, nos <iw lieues par jour.


Nous, sans doute, répondis-je, mais le guide? R

Oh! il ne m'inquiète guère. Ces gens-Ut, cela marche sans s'en apercevoir; celui-ci se remue si pou qu'il ne doit pas se fatiguer. D'ailleurs, au besoin, jè lui céderai ma monture. Les crampes me prendraient bientôt, si je ne me donnais pas quelque mouvement. Les bras vont bien, mais il faut songer aux jambes, » Cependant nous avancions d'un pas rapide; le pays était déjà à peu près désert. Çà et là une ferme isolée, quelque bo8r « solitaire, fait de bois, de terre, de morceaux de lavo, apparaissait comme un mendiant au bord d'un chemin creux. Ces huttes délabrées avaient l'air d'implorer la charité des passants, et, pour un peu, on leur eût fait ^aumône. Dans ce pays, les routes, les sentiers même manquaient absolument, et la végétation, si lente qu'elle fût, avait vite fait d'effacer le pas des rares voyageurs.

Pourtant cette partie de la province, située à deux pas de sa capitale, comptait parmi les portions habitées et cultivées de l'Islande. Qu'étaient alors les contrées plus désertes que ce désert? Un demi-mille franchi, nous n'avions encore rencontré ni un fermier sur la porte de sa chaumière, ni un berger sauvage paissant un troupeau

1. Sfaiaon du paysan ielàndaui

1


moins sauvage que lui; seulement quelques vaches et des moutons abandonnés à eux-mêmes. Que seraient donc les régions convulsionnées, bouleversées par les phénomènes éruptifs, nées des explosions volcaniques et des commotions souterraines? l

Nous étions destinés à les connaître plus tard; mais, en consultant la oarte d'Olsen, je vis qu'on les évitait on longeant la sinueuse lisière du rivage; en effet, le grand mouvement plutonique s'est ooncentré surtout à l'intérieur de l'ile; là les couches horizontales de roches superposées, appelées trapps en langue Scandinave, les bandes trachytiques, les éruptions de basalte, de tufs et de tous les conglomérats volcaniques, les coulées de lave et de porpliyre en fusion, ont fait un pays d'une surnaturelle horreur. Je ne me doutais guère alors du spectacle qui nous attendait.à la presqu'ile du Sneffels, où ces dégâts d'une nature fougueuse forment un formidable chaos. Deux heures après avoir quitté Reykjawik, nous arrivions au bourg de Gufunes, appelé « Aoalkirkja » ou Église principale. Il n'offrait rien de remarquable. Quelques-maisons seulement. A peine de quoi faite un hameau de l'Allemagne.

Hans s'y arrêta une demi-heure; il partagea notre frugal déjeuner, répondit par oui et par non aux questions de mon oncle sur la naturo de


la route, q,t lorsqu'on lui demanda en quel endroit il comptait passer la nuit

« Gardttr, dit-il seulement.

Je consultai la carte pour savoir ce qu'était Gardar. 3e vis une bourgade de ce nom sur les bords du Hvaljôrd, à quatre milles de Reykjavik. Je la montrai à mon oncle.

« Quatre milles seulement dit-il. Quatre milles sur vingt-deux! Voilà une jolie promenade. »

11 voulut faire une observation au guide, qui, sa»s lui répondre, reprit la tête des cheveux et se remit en marche.

Trois heures plus tard, toujours en foulant le gazon décoloré des pâturages, il fallut -contourner le Kollafjôrd, détour plus facile et moins long qu'une traversée de ce golfe bientôt nous entrions dans un « pingstaoer », lieu de juridiction communale, nommé Ejulberg, et dont le clocher eût sonné midi, si les églises islandaises avaient été assez riches pour posséder une horloge; mais elles ressemblent fort à leurs paroissiens, qui n'ont pas de montres, et qui s'en passent. Là les chevaux furent rafraîchis; puis, prenant par un rivage resserré entre une chaîne .de collines et la mer, ils nous portèrent d'une traite à 1* « aoâlkirkja» de Brantar, et un mille plus loin à Saurboer « annexia», église annexe, située sur la rive méridionale du Hvalfjôrd.


H était alors quatre heures du soir; noua avion» franchi quatre milles ».

Le fjUrcl était large en cet endroit d'un demimille au moins; les vagues déferlaient avec bruit sur les rocs aigus; ce golfe s'évasait entre des murailles de rochers, sorte d'escarpe à pie haute de trois mille pieds et remarquable par ses couches brunes que séparaient des lits de tuf d'une nuance rougeâtre. Quelle que fût l'intelligence de nos chevaux, je n'augurais pas bien de la traversée d'un véritable bras de mer opérée sur le dos d'un quadrupède.

« S'ils sont intelligents, dis-je, ils n'essayeront point de passer. En tout cas, je me charge d'être intelligent pour eux. »

Mais mon oncle ne voulait pas attendre; il piqua des deux vers le rivage. Sa monture vint flairer la dernière ondulation des vagues et «.'ar- rêta; mon oncle, qui avait son instinct à lui, la pressa d'avancer. Nouveau refus de l'animal, qui secoua la tête. Alors jurons et coups de fouet, mais ruades de'la bête, qui commença à désar. çonner son cavalier enfin le petit cheval, ployant t ses jarrets, -se retira des jambes du professeur et le laissa tout droit planté. sur deux pierres du rivàge, comme le colosse de Rhodes.

« Ah! maudit animal! s'écria le cavalier, subi.

« ̃

SuillieîMS*


tement transformé en piéton et honteux comme un officier de cavalerie qui passerait fantassin. « Farja, » fit le guide en lui touchant l'épaule.

Quoi! un bac?*

« Der, » répondit Hans en montrant un bateau.

Oui, m oortui-jo, il y a un bac.

Il fallait donc le dire! Eh bien, en route! t « Tidvatten, » reprit le guide.

Que dit-il?

Il dit marée, répondit mon oncle en me traduisant le mot danois.

Sans doute, il faut attendre la marée V « Fôrbida? » demanda mon oncle.

« Ja, » répondit Hans.

Mon oncle frappa du pied, tandis que les chevaux se dirigeaient vers le bac.

Je compris parfaitement la nécessité d'attendre un certain instant de la marée pour entreprendre la traversée du fjord, celui où la mer, arrivée à sa plus grande hauteur, est étale. Alors le flux et le reflux n'ont aucune action sensible, et le bac ne risque pas d'être entrainé, soit au fond du golfe, soit en plein Océan.

L'instant favorable n'arriva qu'à six heures du soir; mon oncle, moi, le guide, deux passeurs et les quatre chevaux, nous avions pris place dans ano sorte de barque plate assez fragile. Habitué


que j'étais aux bacs à vapeur de l'Elbe, je trouvai les rames des bateliers un triste engin mécanique. Il fallut plus d'une heure pour traverser le fjord; mais enfin le passage se fit sans accident.

Une demi-heure après, # nous atteignions 1' « aoalkirkja » de Gard&r.

XIII

II aurait faire nuit, mais sous le soixante cinquième parallèle, la clarté diurne des régions polaires ne devait pas m'étonner; en Islande, pondant les mois de juin et juillet, le soleil no se couche pas..

Néanmoins la température s'était abaissée; j'avais froid, et surtout faim. Bienvenu fut le « boer » qui s'ouvrit hospitalièrement pour nous recevoir.

C'était la maison d'un paysan, mais, en fait d'hospitalité, elle valait celle d'un roi. A notre arrivée, le maître vint nous tendre la main, et, sans plus de cérémonie, il nous fit signe de le suivre.

Le suivre, en effet, car l'accompagner eût été impossible. Un passage long, étroit, obscur.


donnait accès dans cette habitation construite en poutres à peino équarries et permettait d'arriver à chacune des chambres eelles-oi étaient au nombre de quatre la cuisine, l'atelier de tissage, la « budstofa », chambre à coucher do la famillu, et, la meilleure ontro toutes, la chambre des étrangers. Mon oncle, à la taille duquel on n'avait pas songé en bâtissant la maison, no manqua .pas do donner trois ou quatre fois de la tôte contre les saillies du plafond.

On nous introduisit dans notre ohambro, sorte de grando salle avec un sol de terre battue et éclairée d'une fenêtre dont les vitres étaient faites do membranes do mouton assez peu transparentes. La literie se composait do fourrage seo jeté dans doux cadres de bois peints en rouge et ornés de sentences islandaises. Je ne m'attendais pas à ce confortable; seulement, il régnait dans cette maison une forte odeur de poisson sec, de viande macérée et de lait aigre dont mon odorat ae trouvait assez mal.

Lorsque nous eûmes mis de côté notre harna. chement de voyageurs, la voix de l'hôte se fit entendre, qui,nous conviait à passer dans la cuisine, «eule pièce où l'on fit du feu, même par les plus grands froids.

Mon oncle se hâta d'obéir à cette amicale injonction. Je le suivis..

La cheminée de la cuisine était d'un modèle


antique; au milieu de la chambre, uno piom? pour tout î&yey, 'au toit, un trou par taquet s'échappait la fumée. Cette cuisine servait aussi rie salle à manger.

A notre entrée, l'hôte, comme s'il ne nous avait pas encore vus, nous salua du mot « sœllvertu, qui signifie « soyox houroux », et il vint nous baiser sur la joue.

Sa femme, 'apros lui, prononça les même» paroles, accompagnées du menu» cérémonial; puis les doux époux, plaçant la main droite sur leur cœur, .s'inclinèrent profondément. Je me h^to de dire que l'Islandalso était mère de dix-neuf enfants, tous, grands et petits, grouillant polo-môle au milieu des volutes do fumée dont le foyer remplissait la chambre. A chaque instant j'apercevais uno petite tête blonde et un peu mélanoolique sortir do ce brouillard. On eût dit une guirlande d'anges insuffisamment débarbouilles.

Mon oncle et moi, nous fimes très bon accueil à cette-» couvée », et bientôt il y eut trois ou quatre de ces marmots 'Sur nos épaules, autant sur nos genoux et le reste entre nos jambes. Ceux qui parlaient répétaient « sœllvertu » dans tous les tons imaginables. Ceux qui ne parlaient pas n'en criaient que mieux.

Ce concert fut interrompu par l'annonce du repas. En ce moment rentra le chasseur, qui venait


do pourvoir à la nourriture do« chevaux, o'eatà-dire qu'il les avait économiquement Juchés h. travers champs; les pauvre» bûtes devaient se contenter de brouter la mousse ruro dos rochers, quelques fuoun pou nourrissants, ot le lendemain elloK ne manqueraient pan de venir d'elles-mêmes reprendre le travail do la veille, ·

« Sœllvortu, » fit Hans en entrant.

Puis tranquillement, automatiquement, sans qu'un baiser fût plus acoontué que l'autre, il om.brassa l'hôte, l'hôtesse et leurs dix-neuf enfants. La cérémonie terminco, on se mit à table, au nombre de vingt-quatre, et par conséquent les uns sur les autres, dans le véritable sens do l'expression. Les plus favorisés n'avaient que deux marmots sur les genoux.

Cependant le silence se fit dans ce petit mono* à l'arrivée de la soupe, et la taciturnité naturelle, même aux gamins islandais, reprit son empire. L'hôte nous servit une soupe au lichen et point désagréable, puis une énorme portion de poisson sec nageant dans du beurre aigri depuis vingt ans, et par conséquent bien préférable au beurre frais, d'après les idées gastronomiques de l'Islande. Il y avait avec cela du « skyr n, sorte de lait caillé, accompagné de biscuit et relevé* par du jus de baies de genièvre enfin, pour boisson, du petit lait mêlé d'eau, nommé « blanda » dans le pays. Si cette singulière nourriture était

1


bonno ou non, c'est ou dont je no pus juger. J'avais faim, et, au dessert, j'avalai jusqu'à la dor. nièro bouchée uno épaisse bouillie do sarrasin. Lo repas terminé, les enfants disparurent; les grandes personnes entourèrent le foyer brûlaient do la tourbe, de.s bruyère», du fumier do vnoho et dos os do poissons desséchés. Put», âpre» cotte « prise do chaleur», loa divers groupes regagnèrent tours chamhres respective». L'hôtosso offrit do nous retirer, suivant la coutume, noa bas ot nos pantalons; mais, sur un refus des plus gracieux de notre part, ello n'insista pas, et je pus enfin me blottir dans ma couche de fourrage. Lo lendemain, à cinq heures, nous faisions nos adioux au paysan islandais mon onclo eut beau*coupde peine àlui faire aeeepteruno rémunération convenable, et Hans donna le signal du départ. A cent pas de Gardar, le terrain commença à changer d'aspect; le sol devint marécageux et moins favorable à la marche. Sur la droite, la série des montagnes se prolongeait indéfiniment comme un immense système de fortifications naturelles, dont nous suivions la contrescarpe; sou.,vent des ruisseaux se présentaient à franchir qu'il fallait nécessairement passer à gué et sans trop mouiller les bagages.

Le désert se faisait de plus en plus profond; quelquefois, cependant, une ombre humaine tosibîatt fuir au loin; ai les détours de 1& routé


̃ -# 1^

nous rapprochaient inopinément do l'un de ces spectres, j'éprouvais un dégoût soudain à In vue d'une tôte gonflée, à peau limante, dopaurvuo do cheveux, et de plaies repoussantes qu.o trahis^ «aient les déchirures de misérables haillons. I Lit malheureuse crdnturo ne venait pas tendro aa main déformée elle se sauvait, au contraire, mai» pas si vite. que Hans ne l'eût saluée du « sœllvortu » habituel.

« 8potol.sk, » disait-il.

Un lépreux I » répétait mon onéle.

Et ce mot seul produisait son offot répulsif. Cette horrible affection de la lèpre est assez commune en Islando olle n'est pas contagieuse, mais héréditaire aussi le mariage est-il interdit à ces misérables.

Ces apparitions n'étaient pas de nature à égayer le paysage qui devenait profondément triste; les dernières touffos d'herbes venaient f' mourir sous nos pieds. Pas un arbre,'si ce n'est) quelques bouquets de bouleaux nains semblables à des broussailles; Pas un animal, sinon quelques chevaux, de ceux que. leur maître ne pouvait nourrir, et qui erraient sur les mornes plaines. Parfois un faucon planait dans les nuages gris et s'enfuyait à tire-d'aile vers les contréos du sud; je me laissais aller à la mélancolie de cette nature sauvage, et mes souvenirs me-ramonaient à mon

~8 nataï


Il fallut bientôt traverser plusieurs petits fjords sans importance, et onfin un véritable golfe; la marée, étale alors, nous pormit do' passer sans attendre et de giignorlo hameau d'Alf'tanos, situé un mille au delà.

Le soir, après avoir coupa à gué deux rivières riches en truites et en brochets, l'Alfa et l'Uota, noua, fûmes obligés do passer la nuit dans une masure abandonnée, digne d'être hantée par tous les lutins do la. mythologie Scandinave à coup sûr le génie du froid y avait élu domicile, et il fit des siennes pendant' toute la nuit.

La journée suivante ne présenta aucun incident particulier. Toujours même-sol marécageux, même uniformité, même physionomie triste. Le soir, nous avions franchi la moitié do la distance à parcourir, et nous couchions à « l'annoxia » de Krôsolbt.

Le 19 juin, pendant un mille environ, un terrain de lave s'étendit sous nos pieds;- cette disposition du sol est' appelée « hraun » dans le pays; la lave ridée à la surface affectait des formes de

câbles tantôt allongés, tantôt roulés sur euxmêmes; une immense coulée descendait des montagnes voisines, volcans actuellement éteints, 'mais dont ces débris attestaient la violence passée. Cependant quelques fumées de source chaudeè rampaient çà et là.

Le temps nous manquait pour observer ces


phénomènes; il fallait marcher; bientôt le sol marécageux reparut sous le pied de nos mon- tures; de petits lacs l'entrecoupaient. Notre diteotion était alors à l'ouest; nous avions en effet tourné la grande baie de Faxa, et la double cime blanche du Sneffels se dressait dans les nuages à moins de cinq milles.

Les chevaux marchaient bien los difficultés du sol ne les arrêtaient pas; pour mon* compte, je commençais à devenir très fatigué; mon oncle demeurait ferme et droit comme au premier jour; je ne pouvais m'empêcher de l'admirer .a l'égal du chasseur, qui regardait cette expédition comme une simple promenade.

Le samedi 20 juin, à six heures du soir, nous atteignions Bûdir, bourgade située sur lo bord de la mer, et le guide réclamait sa paye convenue. Mon oncle régla avec lui. Ce fut la famille même de Hans, c'est-à-dire ses oncles et cousins germains, qui nous offrit l'hospitalité; nous fûmes bien reçus, et sans abuser des bontés de ces braves gens, je serais volontiers refait chez eux des fatigues du 'voyage*. Mais mon oncle, qui n'avait rien à refaire, ne l'entendait pas ainsi, et le lendemain il fallut enfourcher de. nouveau nos bonnes bêtes. Le sol se ressentait du voisinage de la montagne dont les racines de granit sortaient de terre; comme celles d'un vieux chêne. Nous écrit*


tournions l'immense base dit volcan. Le profoasour no le perdait pas des yeux; il gesticulait, il semblait le prendre au défi et dire « Voilà donc lo géant que je vais dompter! » Enfin, après vingt-quatre heures de marche, les chevaux s'arrêtèrent d'eux-mêmes à la porte du presbytère de Stapi.

XIV

Stapi est une bourgade formée d'une trentaine de huttes, et bâtie en ploine lave sous les rayons du soleil réfléchis par le volcan. Elle s'étend au fond d'un petit fjord encaissé dans une muraille du plus étrange effet.

On sait'que le basalte est une roche brune d'origine ignée; elle affecte des formes régulières qui surprennent par leur disposition. Ici la nature procède géométriquement et travaille à la manière humaine, comme si elle eût manié l'éqUerre, le compas et le fil à plomb. Si partout ailleurs elle fait de l'art avec ses grandes masses jetées sans ordre, ses cônes à peine ébauches, ses pyramides imparfaites, avec la bizarre succès* aion de ses lignes, ici, voulant donner l'exemple de la régularité, et précédant les architectes des


premiers âges, elle a créé. un ordre sévère, que ni les splendeurs de Babylone ni les merveilles de la Grèce n'ont jamais dépassé.

J'avais bien entendu parler de la, Chaussée dos Céants en Irlande, et de la Grotte de Fingal dans l'une des Hébrides, mais le speotaole d'une substruotion basaltique ne s'était pas encore offert à mes regards.

Or, à Stapi, ce phénomène apparaissait dans toute sa beauté.

La muraille du fjord, comme toute la côte de la presqu'île, se composait d'une suite de colonnes verticales, hautes de trente pieds. Ces fûts droits et d'une proportion pure supportaient une archivolte, faite de colonnes horizontales dont le surplombement formait demi-voûte au-dessus de la mer. A de certains intervalles, et sous cet impluvium naturel, l'œil surprenait des ouvertures ogivales d'un dessin admirable, à travers lesquelles les flots du large venaient se précipiter en écumant. Quelques tronçons de basalte, arrachés. par les fureurs de l'Océan, s'allongeaient sur le sol comme les débris d'un temple antique, ruines éternellement jeunes, sur lesquelles passaient les siècles sans les entamer. Telle était la dernière étape de notre voyage terrestre. Hans nous y avait conduits avec intelligence, et je me rassurais un peu en songeant qu'il devait nous accompagner encore.


En arrivant à la porte do la maison du recteur, simple cabane bas.so, ni plus belle, ni plus confortable que ses voisines, je vis un homme en train de ferrer un cheval, le marteau à la main, et le tablier de cuir aux reins.

« Sasl vertu, » lui dit le chasseur.

« God dag, » répondit le maréchal-ferrant en parfait danois.

« Kyrkoherde, » fit Hans en se retournant vers mon oncle.

Le recteur! répéta ce dernier. Il paraît, Axel, que ce brave homme est le recteur. » Pendant ce temps, le guide mettait le « kyrkoherde » au courant do la situation; celui-ci, suspendant son travail, poussa une sorte de cri on usage sans doute entre chevaux et maquignons, et aussitôt une grande mégère sortit de la cabane. Si elle ne mesurait pas six pieds de haut, il ne s'en fallait guère.

Je craignais qu'elle ne vînt offrir aux voyageurs le baiser islandais; mais il n'en fut rien, et même elle mit assez peu de bonne grâce à nous introduire dans sa maison.

La chambre des étrangers me parut être la plus mauvaise du presbytère, étroite, sale etf'inJecte. Il fallut s'en contenter; le recteur ne semblait pas pratiquer l'hospitalité antique. Loin de là. Avant la fin du jour, je vis .que nous avions affaire à un forgeron, à un pêcheur, à un chas*


seur, à un charpentier, et pas du tout à un ministre du Seigneur. Nous. étions en semaine, il est vrai. Peut-être se rattrapait«il îo dîtnniicho. Je no vaux pas dire du mal de ces pauvres prêtres qui, après tout, sont fort misérables; ils reçoivent du gouvernement danois un traitement ridicule et perçoivent le quart de la dime de leur paroisse, ce qui no fait pas une somme de soixante marks courants1. De là, nécessité de travailler pour vivre mais à pécher, à chasser, & ferrer des chevaux, on finit par prendre les manières, le ton et les mœurs des chasseurs, des pêcheurs et autres gens un pou' rudes; le soir même je m'aperçus que notre hôte ne comptait pas la sobriété au nombre de ses vertus. Mon oncle comprit vite à quel genre d'homme 'il avait affaire; au lieu d'un brave et digne savant, il trouvait un paysan lourd et grossier; il résolut donc de commencer au plus tôt sa grande expédition et de quitter cette cure peu hospitalière. Il ne regardait pas à ses fatigues et résolut d'aller passer quelques jours dans la montagne..

Les préparatifs de départ furent donc faits dèa le lendemain de notre arrivée à Stapi. Hansloua les services de trois islandais pour remplacer les chevaux dans le transport des bagages; mais, une I. Moanaie de Httmbvurg, ço fr. envifça-


fois arrivés au fond du cratère, ces indigènes devaient rebrousser chemin et nous abandonner à nous-mêmes. Co point fut parfaitement arrêté. A cette occasion, mdn oncle dut apprendre au chasseur que son intentiorr était de poursuivre la reconnaissance du volcan jusqu'à ses dernières limites.

Hans se contenta d'incliner la tête. Aller là ou ailleurs, s'enfoncer dans les entrailles do son. ile ou -la parcourir, il n'y voyait aucune différence; quant à moi, distrait jusqu'alors par les incidents du voyage, j'avais un peu oublié l'avenir, mais maintenant je sentais l'émotion me reprendre de plus belle. Qu'y faire? Si j'avais pu tenter de résister au professeur Lidonbrock, c'était à Hambourg et non au pied du Sneffels.

Une idée, entre toutes, me tracassait fort, idée effrayante et faite pour ébranler des nerfs moins sensibles que les miens.

« Voyons, me disais-je, nous allons gravir le Sneffels. Bien. Nous allons visiter son cratère. Bon. D'autres l'ont fait, qui n'en sont pas morts. Mars ce n'est pas tout. S'il se présente un chemin pour descendre dans les entrailles du sol, si ce malencontreux Saknussemm a dit vrai, nous allons nous perdre au milieu des galeries souter- raines du volcan. Or, rien n'affirme. que le Sneffels soit éteint? Qui prouve qu'une éruption ne se prépare pas? De ce que le monstre dort depuis


1229, s'ensuit-il qu'il no puisse se réveiller? Et, s'il se réveille, qu'est-ce que nous deviendrons? » Cela demandait la peine d'y réfléchir, et j'y réfléchissais. Je ne pouvais dormir sans rêver d'éruption; or, le rôle de scorie me paraissait assez brutal à jouer.

Enfin je n'y tins plus; je résolus de soumettre le casa mon oncle le plus adroitement possible, et tous la forme d'une hypothèse parfaitement irréalisable.

J'allai le trouver. Je lui fis part de mes craintes, et je me reculai pour le laisser éclater à son aise.

« J'y pensais, » répondit-il simplement. Que signifiaient ces paroles! Allait-il donc entendre la voix de la raison? Songeait-il $ suspendre ses projets? C'eût été trop beau pour être possible..

Après quelques instants de silence, pendant lesquels je n'osais l'interroger, il reprit en disant « J'y pensais. Depuis notre arrivée à Stapi, je me suis préoccupé de la grave question que tu viens de me soumettre, car il ne faut pas agir en Imprudents.

Non, répondis-je avec force.

n y a six cents ans que le Sfleffels est muet i mais il peut parler. Or. les éruptions sont toujours précédées par des phénomènes parfaitejnenlconnus; j'ai donc interrogé les habitants qu


pays, j'ai étudié le sol, et je puis te le dire, Axel. il n'y aura pas d'éruption. »

A cette affirmation je restai stupéfait, et je no pus répliquer.

« Tu doutes de mes paroles?dit mon oncle, eh bien suis-moi, »

J'obéis machinalement. En sortant du presby- tère, le professeur prit un chemin direct qui, pat une ouverture de la muraille basaltique, s'éloignait de la mer. Bientôt nous étions en rase campagne, si l'on peut donner ce nom à un amoncellement immense de déjections volcaniques le pays paraissait comme écrasé sous une pluie de pierres énormes, de trapp, de basalte. de granit et de toutes les roches pyroxéniques

Je voyais çâ et des fumerolles monter dans les airs; ces vapeurs blanches nommées a reykir » en langue islandaise, venaient des sources thermales, et elles indiquaient, parleur violence, l'activité volcanique du sol. Cela me paraissait justifier mes craintes. Aussi je tombai de mon haut quand mon oncle me dit

« Tu vois toutes ces fumées, Axel; eh bien, elles prouvent que nous n'avons rien à redouter des fureurs du volcan

Par exemple m'écriai-je.

Retiens bien ceci, reprit le professeur aux approch.es d'une éruption, ces fumerolle* recfau.-


Ment d'activité pour disparaître complètement pendant la durée du phénomène, car les fluides élastiques, n'ayant plus la tension nécessaire, prennentle chemin des cratères au lieu de s'échapper à travers les fissures du globe. Si donc coa vapeurs se maintiennent dans leur état habituel, si leur énergie ne s'accroit pas, si tu ajoutes à cette observation que le vent, ta pluie ne sont pas remplacés par un air lourdet oalme, tu peux affirmer qu'il n'y aura pas d'éruption prochaine. Mais. ï Assez. Quand la science a prononcé, il n'y a plus qu'à se taire, »

Je revins à la cure l'oreillo basse; mon oncle m'avait battu avec des arguments scientifiques. Cependant j'avais encore un espoir, c'est qu'une fois arrivés au fond du cratère, il serait impossible, faute de galerie, de descendre plus profondément, et cela en dépit de tous les Saknussemm du monde.

Je passai la nuit suivante en plein cauchemar au milieu d'un volcan et des profondeurs de la terre, je me sentis lancé dans les espaces planétaires sous la forme de roche éruptive. Le lendemain, 23 juin, Hans nous attendait avec ses compagnons chargés dés vivres, des outils et des instruments. Deux bâtons ferrés, deux fusils, deux cartouchières, étaient réservés à mon oncle et à moi. Hans, en homme de pr A-


M

caution, avait ajouté à nos bagages une outre pleine qui, jointe à nos gourdes, noua assurait de l'eau pour huit jours,

H était neuf heures du matin. Le rectour et sa haute mégère attendaient devant leur porte. Ils voulaientsansdoutenousadresscrl'adieusuprûme do l'hôte au voyageur. Mais cet adieu prit la forme inattendue d'une note formidable, où l'on comptait jusqu'à l'air de la maison pastorale, air infect, j'ose le dire. Ce digne couple nous rançonnait comme un aubergiste suisse et portait à un beau prix son hospitalité surfaite.

Mon oncle paya sans marchander. Un homme qni partait pour le contre de la terre ne regardait pas à quelques rixdales.

Ce point réglé, Hans donna le signal du départ, et quelques instants après nous avions quitté Stapi.


XV

Le Sneflols est haut ^de cinq mille pieds; il termine, par son double cône, une bande tr«ehy tique qui se détaohe du système orographique de Vile. De notre point de départ on ne pouvait noir ses deux pies se profiler sur le fond grisâtre du eiel. J'apercevais seulement une énorme calotte de neige abaissée sur le front du géant.

Nous marchions en file, précédés du chasseur; celui-ci remontait d'étroits sentiers où deux personnes n'Auraient pas pu aller de front. Toute conversation devenait donc à peu près impossible.

Au delà de la muraille basaltique du fjdrd de Stapi, se présenta d'abord un sol de tourbe herbacée et fibreuse, résidu de l'antique végétation des marécages de la presqu'île la masse de 'ce combustible encore inexploité suffirait à chauffer pendant un siècle toute la population de l'Islande cette vaste tourbière, mesurée du fond de certains ravins, avait souvent soixante-dix pieds .de haut et présentait des couches successives de détritus carbonisés, séparées par des feuillets de tuf ponceux.. ̃

En véritable neveu du professeur Lidenbrock,


et malgré mes préoccupations, j'observais avec intérêt les curiosités minéralogiques étalées dans ce vastocabinet d'histoire naturelle; en même temps jo refaisais dans mon esprit toute l'histoire géologique de l'Islande.

Cette ile, si curieuse, est évidemment sortie du fond des eaux à une époque relativement rnoderno; peut-être même s'éleve-t-eile encore par un mouvement insensible. S'il en est ainsi, on ne .peut attribuer son origine qu'à l'action des feu» souterrains. Donc, dans ce cas, la théorie de Hum p'hry Davy, le document do Saknusscmm, les prétentions. de mon oncle, tout s'en allait on fumée. Cette hypothèse me conduisit à examiner attentivement la nature du sol, et je me rendis bientôt compte de la succession des phénomènes qui pré- sidèrent à la formation do l'île.

L'Islande, absolument privée de terrain sédimentaire, se compose uniquement de tuf volcanique, c'est-à-dire d'un agglomérat de pierres et de roches d'une texture poreuse. Avant l'existence des volcans; elle était faite d'un massif trappéen, lentement soulevé au-dessus des flots par la poussée des forces centrales. Les feux intérieurs n'avaient'pas encore fait irruption au dehors. Mais, plus tard, une large fente se creusa diagonalement du sud-oucsj; au nord-ouest de l'île, par laquelle s'épancha peu à peu toute la pâte trachy tique. Le phénomène s'accomplissait alo»


sans violence l'issue était énorme, elles matières fondues, rejotoes des entrailles du globe, s'étendirent tranquillement en vastes nappes ou en niasses mamelonnées. A cette époque apparurent los fedspaths, les syénites et les porphyres. Mais, grâce à cet êpanohement, l'épaisseur de l'ilo s'accrut considérablement, et, par suite, sa foroo de résistance. On conçoit quelle quantité de fluides élastiques s'emmagasina dans son sein, lorsqu'elle n'offrit plus aucune issue, uprès le refroidissement de la croûte traohytique. n arriva donc un moment la puissance mécanique de ces gaz fut telle qu'ils soulevèrent la lourde écorce et se creuseront de hautes cheminées. Délaie volcan fait du soulèvement de la croûte, puis le cratère subitement troué au sommet du volcan. 1

Alors aux phénomènes éruptifs succédèrent les phénomènes volcaniques; par les ouvertures nouvellement formées s'échappèrent d'abord les déjections basaltiques, dont la plaine que nous traversions en ce moment offrait à nos regards les plus merveilleux spécimens. Nous marchions sur ces roches pesantes d'un gris foncé que lerefroi dissèment avait moulées en prismes à base hexagone. Au loin se voyaient un grand nombre de cônes aplatis, qui furent jadis autant débouches îgnivomes. c' < Puis* l'éruptioa. basaltique épuisée, 1* voïeaBj


dont la force s'iicorut do celle des cratères éteints, donna passade aux laves et à ces tula <îo eemlrus et de scories dont j'apercevais les longues coulées éparpillées sur sea flancs comme une chevelure opulente. `

Telle fut lu succession dos phénomènes qui constituèrent l'Islande tous provenaient de Tac* tion des foux intérieurs, ot supposer que la masse interne no demeurait pas dans un état permanent .d'incandescente liquidité, c'était folie. Folie sur" tout de prétendre atteindre le centre du globe! Je me rassurais donc sur l'issue de notre entre*prise, tout en marchant à l'assaut du Sueffels. La route devenait de plus en plus difficile; le sol montait; les éclats do roches s'ébranlaient, et il fallait la plus scrupuleuse attention pour éviter des chutes dangereuses.

Hans s'avançait tranquillement comme sur un terrain uni; parfois il disparaissait derrière les grands blocs, et nous le perdions de vue momentanément alors un sifflement aigu, échappé de ses lèvres, indiquait la direction à suivre. Souvent aussi il s'arrêtait, ramassait quelques débris de rocs, les disposait d'une façon reconnaissable et formait ainsi des amers destinés à indiquer la toute du retour. Précaution bonne en soi, mais que les événements futurs rendirent inutile. Trois fatigantes heures de marche nous vaient amenée seulement à la base delà montagne, {«à,


Hans lit signe do s'arrûler, et un dojeunor sommaire fut partagé entre tous. Mon oncle mangeait les morceaux doubles pour aller plus vite. Seulement, cette halte de réfection étant aussi une halte de repos, il dut attendre le bon plaisir du guide, qui donna lè signal du départ une heure après. Les trois Islandais, aussi taciturnes que leur camarade le chasseur, ne prononcèrent pas un soûl mot et mangeront sobrement. Nous commencions maintenant à gravir les pentes du Sneffels son neigeux sommet, par une illusion d'optique fréquente dans les montagnes, me paraissait fort rapproché, et cependant, que de longues heures avant de l'atteindre! quelle fatigue surtout! Les pierres qu'aucun ciment de terre; aucune herbe ne liaient entre elles, s'éboulaient sous nos pieds et allaient se perdre dana la plaine avec la rapidité d'une avalanche. En de certains, endroits, les flancs du mont faisaientavec l'horizon un angle detrente-six degrés au moins il était impossible de Jes gravir, et ces raidillons pierreux devaient être tournés non sans difficulté. Nous nous prêtions alors un mutuel secours à l'aide de nos bâtons.

Je dois dire que mon oncle se tenait près de moi le plus possible; il ne me perdait pas de vue, et en mainte occasion, son bras me fournit un solide appui. Pour son compte, il avait sans doute sentiment inné de l'équilibre, car il ne


bronchait pas. Les Islandais, quoique chargés grimpaient avec une agilité de montagnards. A voir la hauteur de la cime du Sneffels, il ma semblait impossible qu'on pût l'atteindre de ce côté, si l'angle d'inclinaison des pontes no se fer. mait pas. Heureusement, après une heure d« fatigues et de tours de force, au milieu du vaste tapis de neige développé sur la croupe du volcan, une sorte d'escalier se présenta inopinément, qui simplifia notre ascension. Il était formé par l'un de ces torrents de pierres rejetées par les éruptions, et dont le nom islandais est « stinâ ». Si ce torrent n'eût' pas été arrêté dans sa chute par la disposition des flancs de la montagne, il serait allé se précipiter dans t& mer et former des îles nouvelles.

Tel il était, tel il nous servit fort; la raideur des pentes s'accroissait, mais ces marchés de pierres permettaient de les gravir aisément, et si rapidement même, qu'étant resté un moment en arrière pendantque mes compagnons continuaient leur ascension, je les aperçus déjà réduits, par l'éloignement, à une apparence microscopique. A sept heures du soir nous avions monté les deux mille marches de l'escalier, et nous dominions une extumescence de la montagne, sorte d'assise sur laquelle s'appuyait le cône proprement dit du cratère.

La mer s'étendait à une profondeur de trois


ii .i i i j .».m ni i_ nui. i

mille deux cents pieds; nous avions dépassé la limitedosnoigosporpôtuolles, assez pou élevée en Islande par suite de l'humidité constante du climat. Il faisait un froid violent; le vent soufflait avec force. J'étais épuisé. ]Lo professeur vit bien que mes jambes me refusaient tout service, et, malgré son impatience, il se décida à s'arrêter. Il fit donc signe au chasseur, qui secoua la tête en disant

« Ofvanfôr. »

Il parait qu'il. faut aller plus haut, dit mon oncle.

Puis il demanda à Hans le motif de sa réponse. « Mistour », répondit le guide.

n « Ja, mistour, » répéta l'un des Islandais d'un top effrayé.

Que signifie ce mot ? demandai-je avec inquiétude.

Vois, » dit mon oncle.

Je portai mes regards vers la plaine; une immense colonne de pierre ponce pulvérisée, de sable et de poussière s'élevait en tournoyant comme une trombe; le vent la rabattait sur le flanc du Sneffels, auquel nous étions accrochés; ce rideau opaque étendu devant le soleil produisait une grande ombre jetée sur la montagne. Si cette trombe s'inclinait, elle devait inévitablement nous enlacer, dans ses tourbillons. Ce phé- nomène, 'assea Jréquon^ lonrçttO lo vent souffla


des glaciers, prend le nom de « mistour » en langue islandaise.

« Hastigt, hastigt, » s'écria notre guide. Sans savoir'le danois, je compris qu'il nous fallait suivre Hans au plus vite. Celui-ci commença à tourner le cône du cratère, mais en biaisant, de manière à faciliter la marche; bientôt, la trombe s'abattit sur la montagne, qui tressaillit à son choc; les pierres saisies dans les remous du vent volèrent en pluie comme dans une éruption. Nous étions, heureusement, sur le versant opposé et à l'abri de tout danger; sans la précaution du guide, nos corps déchiquetés, réduits en poussière, fussent retombés au loin comme le produit de quelque météore inconnu. Cependant Hans né jugea pas prudent de passer la nuit sur les flancs du cône. Nous continuâmes notre ascension en zigzag; les quinze cents pieds qui restaient à franchir prirent près dé cinq heures; les détours; les biais et contremarches mesuraient trois lieues au moins. Je n'en pouvais plus; je succombais au froid et à la faim. L'air, un peu raréfié, ne suffisaitpas au jeu de mes poumons. Enfin, à onze heures du soir, en pleine obscurité, le sommet du Sneffels fut atteint, et, avant d'aller m'abriter à l'intérieur du cratère, j'eus le temps d'apercevoir « le soleil de minuit » au plus bas de sa carrière, projetant ses pâles rayons sur l'île endormie à mes pieds


XVI

Le souper fut rapidement dévoré ot la petite troupe se casa de son mieux. La couche était dure, l'abri peu solide, la situation fort pénible, à cinq mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Cependant mon sommeil fut particulièrement paisible pendant cette nuit, l'une des meilleures que j'eusse passées depuis longtemps. Je ne rêvai même .pas.

Le lendemain on se réveilla à demi gelé par un air très vif, aux rayons d'un beau soleil. Je quittai ma couche de granit et j'allai jouir du magnifique spectacle qui se développait à mes regards.

J'occupais le sommet'de l'un des deux pics du Bneffels, celui du sud. De là ma vue s'étendait sur la plus grande partie'de l'île l'optique, commune à toutes les grandes hauteurs, en relevait les rivages, tandis que les parties centrales paraissaient s'enfoncer. On eût dit qu'une de ces cartes en relief d'Helbesmer s'étalait sbus mes pieds; je voyais les vallées profondes se croiser en tous sens, les précipices se creuser comme des puits, les lacs se changer en étangs, les. ri-


vières se faire ruisseaux. Sur ma droite se succédaient les glaciers sans nombre et les pics multipliés, dont quelques-uns s'empanachaient de fumées légères. Les ondulations do ces montagnes infinies, que leurs couches de neige semblaient rendre écumantes, rappelaient à mon souvenir la surface d'une mer agitée. Si je me retournais vers l'ouest, l'Océan s'y développait dans sa majestueuse étendue, comme une continuation de ces sommets moutonneux. Où finissait la terre, où commençaient les flots, mon œil le distinguait à peine.

Je me plongeais ainsi dans cette prestigieuse extase que donnent les hautes cimes, et cette fois, sans vertige, car je m'accoutumais enfin à ces sublimes contemplations. Mes regards éblouis ne baignaient dans la transparente irradiation des rayons solaires, j'oubliais qui j'étais, où j'étais, pour vivre de la vie des elfes ou des sylphes, imaginaires habitants de la mythologie scandinave; je m'enivrais de la volupté des hauteurs, sans songer aux abîmes dans lesquels ma destinée allait me plonger avant peu. Mais je fus ramené ail sentiment de la réalité par l'arrivée du professeur et de Hans, qui me rejoignirent au sommet du pic.

Mon oncle, se tournant vers l'ouest, m'indiqua de la main une légère vapeur, une brume, une apparence de terre qui dominait la ligne des flote.


« Le Groenland, dit-il.

Le Groenland? m'écriai-je.

Oui; nous n'en sommes pas à trente-cinq lieues, et, pendant les dégels, les ours blancs arrivent jusqu'à l'Islande, portés sur les, glaçons du nord. Mais cela importo peu. Nous sommes au sommet du Sneffels voioi deux pies, l'un au sud, l'autre au nord. Hans va nous dire de quel nom les Islandais appellent celui qui nous porte en ce moment. »

La demande formulée, le chasseur répondit « Scartaris. »

Mon oncle me jçta un coup d'œil triomphant. « Au cratère!.» dit-il.

Le cratère du Snoffels représentait un cône renversé dont l'orifice pouvait avoir une demilieue de diamètre. Sa profondeur je l'estimais à deux mille pieds environ. Que l'on juge de l'état d'un pareil récipient, lorsqu'il s'emplissait de tonnerres et de flammes. Le fond de l'entonnoir ne devait pas mesurer plus de cinq cents pieds de tour, de telle aorte que ses pentes assez douces permettaient d'arriver facilement à sa partie inférieure. Involontairement, je comparais ce cratère à un énorme tromblon évasé, et la comparaison m'épouvantait.

« Descendre dans un tromblon, pensai-je, quand il est peut-être chargé et qu'il peut partir au moindre choc, c'est l'œuvre de fous. »


Mais je n'avais pas à reculer. Hans, d'un air indifférent, reprit la tête de la troupe. Je le suivis sans mot dire.

Afin de faciliter la descente, Hans décrivait à l'intérieur du cône des ellipses très allongées; il fallait marcher au milieu des roches éruptives, dont quelques-unes, ébranlées dans leurs alvéoles, se précipitaient en rebondissant jusqu'au fond do l'abîme, Leur chute déterminait des réverbérations d'échos d'une étrange sonorité. Certaines parties du cône formaient des glaciers intérieurs; Hans ne s'avançait alors qu'avec une extrême précaution, sondant le sol de son bâton ferré pour y découvrir les crevasses. A de certains passages douteux, il devint nécessaire de nous lier par une longue corde, afin que celui auquel le pied viendrait à manquer inopinément ee trouvât soutenu par ses compagnons. Cette solidarité était chose prudente, mais elle n'excluait pas tout danger.

Cependant, et malgré les difficultés de la descente sur des pentes que le guide ne connaissait pas, la route se fit sans accident, sauf la chute d'un ballot de cordes qui s'échappa des mains d'un Islandais et alla par le plus court jusqu'au fond de l'abîme.

A midi nous étions arrivés. Je relevai tête, et j'aperçus l'orifice supérieur du cône, dans lequel s'encadrait un morceau de ciel d'une oiç-


conférence singulièrement réduite. mais presque Parfaite. Sur un point seulement se détachait le pic du Scartaris, qui s'enfonçait dans l'immen-

sité. `

Au fond du cratère s'ouvraient trois cheminées par lesquelles, au temps des éruptions du Bneffols, le foyer central chassait ses laves et ses vapeurs. Chacune de ces cheminées avait environ cent pieds do diamètre. Elles étaient là bdantos sous nos pas. Je n'eus pas la force d'y plonger mes regards. Le professeur Lidenbrock, lui, avait fail un examen rapide de leur disposition; il était haletant il courait de l'une à l'autre, gesticulant et lançant des parolos incompréhensibles. Hans et ses compagnons, assis sur des morceaux de lave, le regardaient faire; ils le prenaient évidemment pour un fou.

Tout à coup mon oncle poussa un cri; je crus qu'il venait de perdre pied et de tomber dans l'un des trois gouffres. Mais non. Je l'aperçus, les bras étendus, les jambes écartées, debout devant un roc de granit posé au centre du cratère, comme un énorme piédestal fait pour la statde d'un Pluton. Il était dans la pose d'un homme stupéfait, mais dont la stupéfaction fit bientôt place à une joie insensée.

Axel Âxeli s'écria-t-il, viens! viens » J'accourus. Ni Hans ni les Islandais ne bou-

geront.


« Regarde, » me dit le professeur.

Et, partageant sa stupéfaction, sinon sa joie, je lus sur la face occidentale du bloc, en caractères runiques à derai-rongés par le temps, ce nom mille fois maudit

Allt hiYkhhhiX

« Arne Saknussemm s'écria mon oncle, douteras-tu encore ? »

Je ne répondis pas, et je revins consterne à mon banc de lave. L'évidence m'éorasait. Combien de temps demeurai-je ainsi plonge dans mes réflexions, je l'ignore. Tout oe que je sais, o'est qu'en relevant la tête je vis mon oncle et Hans seuls au fond du cratère. Les Islandais ayaient été oongédiés, et maintenant ils redescendaient les pentes extérieures du Sneffels pour regagner Stapi.

Hans dormait tranquillement au pied d'un roo, dans une coulée de lave où il s'était fait un lit improvisé; mon oncle tournait au fond du cratère, comme une bête sauvage dans la fosse d'un trappeur. Je n'eus ni l'envie ni la force de me lever, et, prenant exemple sur le guide, je me laissai aller à un douloureux assoupissement, oroyant entendre des bruits ou sentir des fris.gonnements dans les fiança de la montagne. -9


Ainsi se passa cette première nuit au fond du cratère.

Le lendemain, un ciel gris, nuageux, lourd, s'abaissa sur le sommet du cône. Je ne m'en aperçus pas tant à l'obscurité du gouffre qu'à la oolère dont mon oncle fut pris.

J'en compris la raison, et' un reste d'espoir me revint au cœur. Voici pourquoi.

Des trois routes ouvertes sous nos pas, une seule avait été suivie par Saknusscmm. Au dire du savant islandais, on devait la reconnaître à cette particularité signalée dans le cryptogramme, que l'ombre du Scartaris venait en caresser les bords pendant les derniers jours du mois de juin.

On pouvait, en effet, considérer ce pic aigu comme le style d'un immense cadran solaire, dont l'ombre à un jour donné marquait le chemin du centre du globe.

Or, si le soleil venait à manquer, pas. d'ombre. Conséquemment, pas d'indication. Nous étions au 25 juin. Que le ciel demeurât couvert pendant six jours, et il faudrait remettre l'observation à une autre année.

Je renonce à peindre l'impuissante colère du professeur Lidendrock. La journée se passa, et aucune ombre ne vint s'allonger sur le fond,du cratère. Hans ne bougea pas de sa place; il devait jK>urten* «9 demander ce que noms $tten4ions,


dit se demandait quelque chose! Mon oncle ne m'adressa pas une seule fois la parole. Se» re- gards, invariablement tournés vers le ciel, ae perdaient dans sa teinte grise et brumeuse. Le 26, rien encore, une pluie mêlée de neige tomba pendant toute la journée. Hans construisit une hutte avec des morceaux de lave. Je pris un certain plaisir à suivre de l'œil les milliers de cascades improvisées sur les flancs du cône, et dont chaque pierre accroissait l'assourdissant murmure.

Mon oncle ne. se. contenait plus. Il y avait de quoi irriter un homme plus patient, car c'était véritablement échouer au port.

Mais aux grandes douleurs le ciel mêle incessamment les, grandes joies, et il réservait au professeur Lidenbrock une satisfaction égale à ses désespérants ennuis.

Le lendemain le ciel fut encore couvert, mais le dimanche, 28 juin, l'antépénultième jour du mois, avec le changement de lune vint le changement de temps. Le soleil versa ses rayons à flots dans le cratère. Chaque monticule, chaque roc, chaque pierre, chaque aspérité eut part à sa bienfaisante effluve et projeta instantanément son ombre sur le sol. Entre toutes, celle du Scartaris se dessina comme une vivo arête et se mit à tourner insensiblement vers l'astre radieux, M<m oncle tournait avec eUe, 1.


A midi, dans sa période la plus courte, elle vint lécher doucement le bord de la ohaminée centrale.

« C'est là! a'éorla le professeur, c'est là! Au centre du globe » ajouta-t-il en danois. Je regardai Hans.

« Porttt! » fit tranquillement le guide. En avant! » répondit mon onole.

Il était une heure et troize minutes du soir. XVII

Le véritable voyage commençait. Jusqu'alors les fatigues l'avaient emporté sur les difficultés; maintenant celles-ci allaient véritablement naitre sous nos pas.

Je n'avais point encore plongé mon regard dans ce puits insondable où J'allais m'engouffrer. Le moment était venu. Je pouvais encore ou prendre mon parti de l'entreprise ou refuser de la tenter. Mais j'eus honte de reculer devant le chasseur. Hana acceptait si tranquillement l'aventure, avec une telle indifférenoe, une si parfaite insouciance de tout danger, que je rougis à l'idée d'être moins brave que lui. Seul, j'aurais entamé la série des grands arguments j mais, eu


présence du guide, je me tus; un do mes souvenirs s'envola vers ma jolie Virlandaise, et je m'approchai de la cheminée centrale.

-J'ai dit qu'elle mesurait cent pieds de diamètre, ou trois cents pieds do tour. Je me penchai au-dessus d'un roo qui surplombait, et je regardai; mes cheveux se hérissèrent. Le sentiment du vide s'empara de mon être. Jo sentis le centre de gravité so déplacer en moi et le vertige monter à ma tête comme une ivresse. Rien de plus capiteux que cette attraction de l'abîme. J'allais tomber. Une main me retint. Celle do Hans. Décidément, je n'avais pas pris assez do leçons de gouffre à la Frolsers-Kirk de Copenhague. Cependant, si peu que j'eusse hasardé mes regards dans ce puits, je m'étais rendu compte de sa conformation. Ses parois, presque à pic, présentaient cependant de nombreuses saillies qui devaient faciliter la descente; mais si l'escalier ne manquait pas, la rampe faisait défaut. Une corde attachée à l'orifice aurait suffi pour nous soutnnir, mais comment la détaoher, lorsqu'on serait parvenu à son extrémité inférieure ? p Mon oncle employa un moyen fort simple pour obvier à cette difficulté. Il déroula une oorde de la grosseur du,pouce et longue de quatre cents pieds; il en laissa filer d'abord la moitié, puis il l'enroula autour d'un bloc de lave qui faisait saillie et rejeta }' Autre moitié dans le cheminée.


Chacun de nous pouvait alors descendre en réunissant dans sa main les deux moitiés de la corde qui ne pouvait se défiler une fois descendus de deux cents pieds, rien ne nous serait plus aisé que delà ramener en lâchant un bout et en halant sur l'autre. Puis, on recommencerait cet exercice usque ad infinitum.

« Maintenant, dit mon oncle après avoir achevé ces préparatifs, occupons-nous des bagages; ils vont être divisés en trois paquets, et chacun de nous en attachera un sur son dos; j'entends parler seulement des objets fragiles. »

L'audacieux professeur ne nous comprenait évidemment pas dans cette dernière catégorie. « Hans, reprit-il, va se charger des outils et d'une partie des vivres; toi, Axel, d'un second tiers des vivres et des armes; moi, du reste des vivres et des instruments délicats.

Mais, dis-je, et les vêtements, et cette masse de cordes et d'échelles, qui se chargent de les descendre ? P

Ils descendront tout seuls.

Comment cela ? demandai-je fort étonné. Tu vas le voir. »

Mon oncle employait volontiers les grands moyens et sans hésiter. Sur son ordre, Hans ré- unit on un.seul colis les objets non fragiles, et ce paquet,, solidement cordé, fut tout bonnement précipité dans le gouffre-


J'entendis ce mugissement sonore produit par le déplacement des couches d'air. Mon oncle, penché sur l'abîme, suivait d'un œil satisfait la descente de ses bagages, et ne se releva qu'après les avoir perdus de vue.

« Bon, fit-il. A nous maintenant. »

Je demande & tout homme de bonne foi s'il était possible d'entendre sans frissonner de telles. paroles i

Le professeur attacha sur son dos le paquet des instruments Hans prit celui des outils, moi celui des armes. La descente commença dans l'ordre suivant Hans, mon oncle et moi. Elle se fit dans un profond silence, troublé seulement par la chute des débris de roo qui se précipitaient dans l'abime.

Je me laissai couler, pour ainsi dire, serrant frénétiquement là double corde d'une main, de l'autre m'arc-boutant au moyen de mon bâton ferré. Une idée unique me dominait je craignais que le point d'appui ne vintàmanquer. Cette corde me paraissait bien fragile pour supporter le poids de trois personnes. Je m'en servais le moins possible, opérant des miracles d'équilibre sur les saillies de lave que mon pied cherchait à saisir comme une main.

Lorsqu'une de ces marches glissantes venait à s'ébranler sous le pas de Hans, il disait de sa voix tranquilles s •-̃


«Gifaktl»

Attention 1 » répétait mon oncle.

Après une demi-heure, nous étîons arrivés sur la surface d'un roo fortement engagé dans la paroi de la cheminée.

Hans tira la corde par l'un de ses bouts j l'autre «'éleva dans l'air; après avoir dépassé le rocher supérieur, il retomba en râolant les morceaux de pierres et de laves, sorte de pluie, ou mieux, de grêle fort dangereuse.

En me penchant au-dessus de notre étroit plateau, je remarquai que le fond du trou était encore invisible.

La manœuvre de la corde recommença, et une demi-heure après nous avions gagné une nouvelle profondeur de deux cents pieds.

Je ne sais si le plus enragé géologue eût essayé d'étudier, pendant cette descente, la nature des terrains qui l'environnaient. Pour mon compte, je ne m'en inquiétai guère; qu'ils fussent pliocènes, miocènes, éocènes, crétacés, jurassiques, triasiques, pemiens, oarbonifères,dévoniens, siluriens ou primitifs, cela me préoccupa peu. Mais le professeur, sans doute, fit ses observation? ou prit ses notes, car, à l'une des haltes, il me dit « Plus je vais, plus j'ai oonfianoe la disposition de ces terrains volcaniques donne absolument, raison à la théorie de Davy. Nous sommes en. plein. sol primordial, sol dans lequel s'est produit


l'opération chimique des métaux enflammés au contact de l'air et de l'eau je repousse absolument le système d'une chaleur centrale; d'ailleurs, nous verrons bien. »

Toujours la même conclusion. On comprend que je ne m'amusai pas à discuter. Mon silence fut pris pour un assentiment, et la descente recommença.

Au bout de trois heures, je n'entrevoyais pas encore le fond de la cheminée. Lorsque je relevais la tête, j'apercevais son orifice qui décroissait sensiblement; ses parois, par suite de leur légêflD inclinaison, tendaient à se rapprocher, L'obscurité se faisait peu à peu.

Cependant nous descendions toujours il me semblait que les pierres détachées des parois s'engloutissaient avec une répercussion plus mate et Qu'elles devaient rencontrer promptement le fond de l'abîme.

Comme j'avais eu soin de noter exactement nos manœuvres de corde, je pus me rendre un compte exact de la profondeur atteinte et du temps écoulé.

Nous avions alors répété quatorze fois cette manoeuvre qui durait une demi-heure. C'était donc sept heures, plus quatorze quarts d'heure de repos ou trois heures et demie. En tout, dix heures et demie. Nous étions partis à une heure, il devait être onze heures en ce moment.


Quant à la profondeur à laquelle nous étions parvenus, ces quatorze manœuvres d'une corde de deux cents pieds donnaient dèux mille huit cents pieds.

En ce moment la voix de Hans se fit entendre: « Hait! » dit-il.

Je m'arrêtai court au moment où j'allais heurter de mes pieds la tête de mon oncle. « Nous sommes arrivés, dit celui-ci.

Où? demandai-je en me laissant glisser près de lui.

Au fond de la cheminée perpendiculaire. Il n'y a donc pas d'autre issue?

Si, une sorte de couloir que j'entrevois et qui oblique vers la droite. Nous verrons cela demain. Soupons d'abord et nous dormirons après. » L'obscurité n'était pas encore complète. On ouvrit le sac aux provisions, on mangea et l'on se coucha de son mieux sur un lit de pierres et de .débris de lave.. Et quand, étendu sur le dos, j'ouvris les yeux, j'aperçus un point brillant à l'extrémité de ce tube long de trois mille pieds, qui se transformait en une gigantesque lunette;

C'était une étoile dépouillée de toute scintillation et qui, d'après mes calculs, devait être 6 de la petite Ourse.

Puis je m'endormis d'un profond sommeil.


xvra

A huit heures du matin, un rayon du jour vint nous réveiller. Les mille faoettes de lave des parois le recueillaient à son passage et l'épàrpillaient comme une pluie d'étincelles. Cette lueur était assez forte pour permettre de distinguer les objets environnants.

« Eh bien! Axel, qu'en dis-tu? fit mon onclo en fie frottant les mains. As-tu jamais passé une nuit plus paisible dans notre maison de Kôniir- stfasse. Plus de bruit de charrettes, plus de cri* de marchands, plus de vociférations de batu-

lierfl

Sans doute, nous sommes fort tranquilles au fond de ce puits; mais ce calme môme a quel- que chose d'effrayant.

Allons donc, s'écria mon oncle, si tu t'offrayes déjà, que sera-ce plus tard? Nous ne sommes pas encore entrés d'un pouce dans hs s entrailles de la terre?

Que voulea-vous dire? t

< Je v*»ux dire que nous avons atteint seuk aVJttt le sol de l'île Ce long tube vertical, qui aboutit au cratère* du Sneffels, s'arrête à peu prés du niveau de la mer.


En êtes-vous certain?

Très certain; consulte le baromètre, tu verras! »

En effet, le mercure, après avoir peu à peu remonté dans l'instrument à mesure que notre descente s'effectuait, s'était arrêté à vingt-neuf pouces.

« Tu le vois, reprit le professeur, nous n'avons encore que la pression d'une atmosphère, et il me tarde que le manomètre vi«pn« remplacer ce baromètre.

Cet instrument allait, en effet, nous devenir inutile, du moment que le poids de l'air dépasserait sa pression calculée au niveau de l'Océan. « Mais, dis-je, n'est-il pas à craindre que cette pression toujours croissante ne soit fort pénible? Non. Nous descendrons lentement, et nos poumons s'habitueront à respirer une'atmosphère plus comprimée. Les aéronautes finissent par manquer d'air en s'élevant dans les couches supérieures; nous, nous en aurons trop peut-être. Mais j'aime mieux cela.. Ne perdons pas un instant. Où est le paquet qui nous a précédés dans l'intérieur de la montagne? f

Je me souvins alors que nous l'avions vainement cherché la veille au soir. Mon onçle interrogea Hans, qui, après avoir regardé attentivement avec ses yeux de chasseur, répondit à lier huppe 1 »


Là-haut. »

En effet, ce paquet était accroché à une saillie de roc, à une centaine de pieds au-dessus de not«p tête. Aussitôt l'agile Islandais grimpa comme un chat et, en quelques minutes, le paquet nous rejoignit.

« Maintenant, dit mon oncle, déjeunons; mais déjeunons comme des gens qui peuvent avoir une longue course à faire. »

Le biscuit et la viande sèche furent arrosés de quelques gorgées d'eau mêlée de genièvre. Le déjeuner terminé, mon oncle tira de sa poche un carnet destiné aux observations il prit successivement ses divers instruments et nota les données suivantes

Lundi 4» juillet.

Chronomètre 8 h. i7 m. du matin»

Baromètre: 29 p. 7 1.

Thermomètre: 6°.

Direction: E.-S.-E.

Cette dernière observation s'appliquait à la galerie obscure et fut donnée par la boussole. a Maintenant, Axel, s'écria le professeur d'une voix enthousiaste, nous allons nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. Voici donc le moment précis auquel notre voyage

«oinra'enee. »


Cela dit, mon oncle prit d'une main l'apparoi. de Ruhmkorff suspendu à son cou de l'autre, il mit en communication le courant électrique avec le serpentin de la lanterne, et une assez vive lumière dissipa les ténèbres de la galerie, Hans portait le second appareil, qui fut également mis en activité. Cette ingénieuse applioation de l'électricité nous permettait d'aller longtemps en créant un jour artificiel, même au milieu des gaz les plus inflammables.

« En route » fit mon oncle..

Chacun reprit son ballot. Hans se chargea de pousser devant lui le paquet des cordages et des habits, et, moi troisième, nous entrâmes dans la galerie.

Au moment de m'engouffrer dans ce couloir obscur, je relevai la tête, et j'aperçus une dernière fois, par le champ de l'immense tube, ce ciel de l'Islande « que je ne devais plus jamais revoir. »

La lave, à la dernière éruption de 1229, s'était frayé un passage à travers ce tunnel. Elle tapissait l'intérieur d'un enduit épais et brillant la lumière électrique s'y réfléchissait en centuplant son intensité.. Toute la difficulté de la routé consistait à ne pas glisser trop rapidement sur une pente inclinée à quarante-cinq degrés environ; heureusement, certaines érosions, quelques boursou*


Cures, tenaient lieu de marches, et nous n'avions qu'à descendre en laissant filer nos bagages retenus par une longue corde.

Mais ce qui se faisait marche sous nos pieds devenait stalactites sur les autres parois la lave, poreuse en do certains endroits, présentait de petites ampoules arrondies; des cristaux do quartz opaque, ornés de limpides gouttes de verre et suspendus à la voûte comme des lustres, semblaient s'allumer à notre passage. On eût dit que les génies du gouffre illuminaient leur palais pour recevoir les hôtes de la terre.

« C'est magnifique! m'écriai-je involontaire.ment. Quel spectacle, mon oncle Admirez-vous ces nuances de la lave qui vont du rouge brun au jaune éclatant par dégradations insensibles? Et ces cristaux qui nous apparaissent comme des globes lumineux?

Ah! tu y viens, Axel! répondit mon oncle. Ah tu trouves cela splendide, mon garçon Tu en verras bien d'autres, je l'espère. Marchons! marchons »

II aurait dit plus justement « glissons, » car nous nous laissions aller sans fatigue sur des pentes inclinées. C'était le « facilis descensus Avenu », de Virgile. La' boussole, que je consultais fréquemment, indiquait la direction du sud-est avec une imperturbable rigueur. Cette coulée de lave n'obliquait ni d'un côté ni de


l'autre. Elle avait l'inflexibilité de la ligne droite. Cependant la chaleur n'augmentait pas d'une façon sensible; cela donnait raison aux théories de Davy, et plus d'une fois je consultai le thermomètre aveo étonnement. Deux heures après le départ, il ne marquait encore que 10°, «'està*dire un accroissement de 4°. Cela m'autorisait à penser que notre descente était plus horizontale que verticale. Quant à connaître exactement la profondeur atteinte, rien de plus facile. Le professeur mesurait exactement les angles de déviation et d'inclinaison do la route, mais il gardait pour lui le résultat de ses observations. Le soir, vers huit heures, il donna le signal d'arrêt. Hans aussitôt s'assit; les lampes furent accrochées à une saillie de lave. Noiis étions dans une sorte de caverne où l'air ne manquait pas. Au contraire. Certains souffles arrivaient jusqu'à nous. Quelle cause les produisait? A quelle agi. tation atmosphérique attribuer leur origine t C'est une question que je ne cherchai pas à résoudre en ce moment; la faim et la fatigue me, rendaient incapable de raisonner. Une descente de sept heures consécutives ne se fait pas sans une grande dépense de forces. J'étais épuisé. Le mot halte me fit donc plaisir à entendre. Hans étala quelques provisions sur un bloc de lave, et chacun mangea avec appétit. Cependant une chose m'inquiétait; notre réserve d'eau était à


demi consommée. Mon oncle comptait la refaire aux sources souterraines, mais jusqu'alors oellesci manquaient absolument. Je ne pus m'empêcher d'attirer son attention sur ce sujet. « Cette absence de sources te surprend? dit-il. Bans doute, et même elle m'inquiète; nous n'avons plus d'eau que pour cinq jours. Sois tranquille, Axel, je te réponds que nous trouverons de l'eau, et plus que nous n'en voudrons.

Quand cela?

Quand nous aurons quitté cette enveloppe de lave. Comment veux-tu que des sources jaillissent à travers ces parois P

Mais peut-être cette coulée se prolonget-elle à de grandes profondeurs? Il me semble que nous n'avons pas encore fait beaucoup de obTemin verticalement? P

Qui te fait supposer cela?

C'est que si nous étions très avancés dans l'intérieur de l'écorce terrestre, la chaleur serait plus forte.

D'après ton système, répondit mon oncle; et qu'indique le thermomètre?

Quinze degrés à peine, ce qui ne fait qu'un accroissement de neuf degrés depuis notre départ.

Eh bien, conclus.

Voici ma conclusion. D'après les observa-»


tiona las plus exactes, l'augmentation de la température à l'intérieur du globe est d'un degré par cent pieds. Mais certaines conditions db localité peuvent modifier ce chiffre. Ainsi, à Yakoust en Sibérie, on a remarqué que l'accroissement d'un degré avait lieu par trente-six pieds; cela dépend évidemment do la conductibilité des roches. J'ajouterai aussi que, dans le voisinage d'un volcan éteint, et à travers lo gneiss, on a remarqué que l'élévation de la température était d'un degré seulement pour cent vingt-cinq pieds. Prenons donc cette dernière hypothèse, qui est la plus favorable, et calculons.

Calcule, mon garçon.

Rien n'est plus facile, dis-je en disposant des ohiffres sur mon carnet. Neuf fois cent vingt.oinq pieds donnent onze cent vingt*cinq pieds de profondeur.

Rien de plus exact. Eh bien?

<– Eh bien, d'après mes observations, nous sommes arrivés à dix mille pieds au-dessous du niveau de la mer.

Est-il possible?

Oui, ou les ohiffres ne sont plus les chif-

fres

Les calculs du professeur étaient exacts nous avions déjà dépassé de six mille pieds les plus grandes profondeurs atteintes par l'homme, telles


que les mines do Kitz-Dahl dans le ïyrol, et celles do Wuttemberg en Bohème.

La température, qui aurait dû être de quatre* vingt-un degrés en cet endroit, était do quinze & peine. Cela donnait singulièrement à réfléchir. XIX

ke lendemain, mardi 30 juin, à six heures, la descente fut reprise.

Nous suivions toujours la galerie de lave, véritable rampe naturelle, douce comme ces plans inclinés qui remplacent encore l'escalier dans les vieilles maisons, Ce fut ainsi jusqu'à midi dixsept minutes, instant précis où nous rejoignîmes Hans, qui venait de s'arrêter.

g Ah! s'écria mon oncle, noua sommes parvenus à l'extrémité de la cheminée. »

Je regardai autour de moi; nous étions au centre d'un carrefour, auquel deux routes venaient aboutir, toutes deux sombres et étroiteSt Laquelle convenait-il de prendre? Il y avait la une difficulté. Cependant mon oncle ne voulut paraître hésiter ni devant'moi ni devant le guide il désigna le tunnel de l'est, et bientôt nous y étions enfoncés tous les trp»*».


D'ailleurs toute hésitation devant ce double chemin se serait prolongée indéfiniment, car nul indice ne pouvait déterminer le choix de l'un ou de l'autre; il fallait s'en remettre absolument au hasard.

La ponte de cette nouvelle galerie était peu sensible, et sa section fort inégale parfois une succession d'arceaux se déroulait devant nos pas comme les contre-nefs d'une cathédrale gothique les artistes du moyen âge auraient pu étudier là toutes les formes de cette architecture religieuse qui a l'ogive pour générateur. Un mille plus loin, notre tête se courbait sous les cintres surbaissés du style roman, et de gros piliers engagea dans le massif pliaient sous la retombée des voûtes. A de certains endroits, cette disposition faisait place à de basses substruc^ions qui ressemblaient aux ouvrages des castors, et nous nous glissions en rampant à travers d'étroits boyaux.

La chaleur se maintenait à un degré supportable. Involontairement je songeais à son intensité, quand les laves vomies par le Sneffels se précipitaient par cette route si tranquille aujourd'hui. Je m'imaginais les torrents de feu brisés aux angles de la galerie et l'accumulation des vapeurs surchauffées dans cet étroit milieu! « Pourvu, pensai-je, que le vieux volcan ne tienne pas à se reprendre d'une fantaisie tardive


Ces réflexions, je ne les communiquai point à l'oncle Lidenbrocli; il ne les eût pas comprises; Son unique pensée était d'aller en avant. Il marchait, il glissait, il dégringolait môme, aveo une oonviction qu'après tout il valait mieux admirer. A six heures du soir, après une promenade peu fatigante, nous avions gagné deux lieues dans le sud, mais à peine un quart de mille en profondeur.

Mon oncle donna le signal du repos. On mangea sans trop causer, et l'on s'endormit sans trop réfléchir.

Nos dispositions pour la nuit étaient fort simples une couverture de voyage dans laquelle on se roulait, composait toute la literie. Nous n'avions à redouter ni froid, ni visite importune. ̃Les voyageurs qui s'enfoncent au milieu des déserts de l'Afrique, au sein des forêts du nouveau monde, sont forcés de,se veiller les uns les autres pendant les heures du sommeil; mais ici, solitude absolue et sécurité complète. Sauvages ou bêtes féroces, aucune de ces races malfaisantes n'était à craindre.

On se réveilla le lendemain frais et dispos. La route fut reprise. Nous suivions un chemin de lave comme la veille. Impossible de reconnaître la nature des terrains qu'il traversait. Le tunnel, au lieu de s'enfoncer dans les entrailles du globe, tendait à devenir absolument horizontal. Je crus


remarquer même qu'il remontait vers la surface de la terre. Cette disposition devint si manifeste vers dix heures du matin, et par suite si fatigante, que je fus forcé de modérer notre marche. ̃

« Eh bien, Axel? dit impatiemment le professeur.

Eh bien, je n'en peux plus, répondis-je. Quoi après trois heures de promenade sur une route si facile!

Facile, je ne dis pas non, mais fatigante à coup sûr.

-r~ Comment quand nous n'avons qu'à descendre

A monter, ne vous en déplaise

A monter! fit mon oncle en haussant les épaules.

Sans doute. Depuis une demi-heure, les pentes se sont modifiées, et à les suivre ainsi, nous reviendrons certainement à la terre d'Islande. »

Le professeur remua la tête en homme qui ne veut pas être convaincu. J'essayai de reprendre la conversation. 11 ne me répondit pas et donna le signal du départ. Je vis bien -que son silence n'était que de la mauvaise humeur concentrée. Cependant j'avais repris mon fardeau avec courage, et je suivais rapidement Hans, que précédait mon oncle. Je tenais à ne pas être distance;


ma grande préoccupation était de ne point perdre mes compagnons de vue. Je frémissais à la pensée de m'égarer dans les profondeurs de ce labyrinthe.

D'ailleurs, la route ascendante devenait plus pénible, je m'en consolais en songeant qu'elle me rapprochait de la surface de la terre. C'était un espoir. Chaque pas le confirmait.

A midi un changement d'aspect se produisit dans les parois de la galerie. Je m'en aperçus à l'affaiblissement de la lumière électrique réfléchie par les murailles. Au revêtement de lave succédait la roche vive; le massif se composait de couches inclinées et souvent disposées verticalement. Nous étions en pleine époque de transition, en pleine période silurienne «.

« C'est évident, m'écriai-je, les sédiments des eaux ont formé, à la seconde époque de la terre, ces schistes, ces calcaires et ces' grès Nous tournons le dos au massif granitique Nous ressemblons à des gens de Hambourg, qui prendraient le chemin de Hanovre pour aller à Lubeok. » J'aurais dû garder pour moi mes observations. Mais mon tempérament de géologue l'emporta sur la prudence, et l'oncle Lidenbrock entendit mes exclamations.

i. Ainsi nommée parce que lès terrains de cette période ̃ont tort étendus en Angleterre, danà les contrées habitées autrefois pftf peuplade celtique des Silures:


« Qu*as-tu donc ? dit-il.

Voyez répondis-je en lui montrant la sue- cession variée des grès, des calcaires et les premiers indicés des terrains ardoisés.

Eh bien?

Nous voici arrivés à cette période pendant laquelle ont apparu les premières plantes et les premiers animaux!

Ah! tu penses?

Mais regardez, examinez, observez t » Je forçai le professeur à promener sa lampe sur les parois do la galerie. Je m'attendais à quelque exclamation de sa part. Mais, loin de là, il ne dit pas un mot, et continua sa route. M'avait-il compris ou non? Ne voulait-il pas convenir, par amour-propre d'oncle et de savant, qu'il s'était trompé en choisissant le tunnel de l'est, ou tenait-il à reconnaître ce passage jusqu'à son extrémité? Il était évident que nous avions quitté la route des laves, et que ce chemin ne pouvait conduire au foyer du Sneffels. Cependant je me demandai si je n'accordais pas une trop grande importance à cette modification des terrains. Ne me trompais-je pas moimême ? Traversions-nous réellement ces couches de roches superposées au massif granitique ? » Si j'ai raison, pensai-je, je dois trouver quelque débris de plante primitive, et il faudra

bien m rendra à l'évidenea, ^tm^iàà^ #


Je n'avais pas fait cent pas que des preuves incontestables s'offrirent à mes yeux. Cela devait être, car, à l'époque silurienne, les mers renfer. maient plus de quinze cents espèces végétales ou animales. Mes pieds, habitués au sol dur des Îaves7 foulèrent tout à coup une poussière faite de débris de plantes et de coquille. Sur les parois se voyaient distinctement des empreintes de fucus et de lycopodes; le professeur Lidenbrock ne pouvait s'y tromper; mais il fermait les yeux, j'imagine, et continuait son. chemin d'un pas invariable.

C'était de l'entêtemen,t poussé hors de toutes limites. Je n'y tins plus. Je ramassai une coquille parfaitement conservée, qui avait appartenu à un animal à peu près» semblable au cloporte actuel puis je rejoignis mon oncle et je lui dis « Voyez! t ·

Eh bien, répondit-il tranquillement, c'est la coquille d'un crustacé de l'ordre disparu des trilobites. Pas autre, chose.

-y Mais n'en concluez-vous pas?.

Ce que tu conclus toi-même ? Si. Parfaitement. Nous avons abandonné la couche de granit et la route des laves. Il est possible que je me sois trompé; mais je ne serai certain de mon erreur qu'au moment où j'aurai atteint l'extrémité de cette galerie.

m* Vow» ftvess vftjbdn d'agir ainsi, mon oneïéy


et je vous approuverais fort si nous n'avions à craindre un danger de plus en plus tnenayant. Et lequel?

Le manque d'eau.

Eh bien nous nous rationnerons, Axel. XX

En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C'est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d'espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l'époque do transition.

Pendant toute la journée du lendemain la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait.

La route ne montait pas, du moins d'une façon sensible; parfois même elle semblait s'incliner. Mais cette tendance, peu marquée d'ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s'affirmait davantage.

La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grè»


rouges des parois; on aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d'un gris agate aveo des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d'un jaune taché de plaques rouges, plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives.

La plupart de ces marbres offraient des empreintes d'animaux primitifs; mais, depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilob.Ues rudimentaires, j'apercevais des débris d'un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoides et ces Sauropteris dans lesquels l'œil du paléontologiste a su découvrir .les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d'animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation.

Il devenait évident que nous remontions l'échelle de la vie animale dont l'homme occupe te sommet. Mais le professeur Lidenbrock na paraissait pas y prendre garde.

Il attendait deux choses ou qu'un puits vertical vînt à s'ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente; ou qu'un obtacle i'euv


péchât do continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée, Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai, à ressentir tes tourments do la soif, notre petite troupe s'enfonça de nouveau dana les détours de la galerie.

Après dix heures de marche, jo remarquai que la réverbération de nos. lampes tur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le. calcaire, les grès des murailles, faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. A un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m'appuyai sur sa paroi.

Quand je retirai ma main, elle était entière ment noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère.

« Une mine de charbon 1 m'écriai-je.

Une mine sans mineurs, répondit mon oncle.

Eh! qui sait?

Moi, je sais, répliqua le professeur d'un ton bref, et je suis certain que cette galerie percée à travers ces couches de houille n'a pas été faite de la main des hommes. Mais que ce soit ou non l'ouvrage de la nature, cela m'importe peu. L'heure du souper est venue. Soupons. » Hans, prépara quelques aliments. Je mangeai dy peine, et je bus les quelques gouttes d'eau qui formaient ma ration. La gourde du guide 4 demi


pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes.

Après leur repas, mes deux compagnons s'étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu'au matin.

Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation je reconnus alors que la main de l'homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d'équilibre.

Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s'était disloqué, laissant large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois.

Toute l'histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d'argile compacts, et comme écrasés par les couches supérieures.

A cet âge du monde qui précéda l'époque secondaire, la terre se recouvrit d'immenses végé-


tations dues à la double action d'une chaleur tropicale et d'une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs envoloppait le globe do toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil.

De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau; peut-être même l'astre du jour n'était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les « climats » n'existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l'Équateur et aux pôles. D'où venait-elle ? De l'intérieur du globe.

En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu'aux dernières couches de l'écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes emuves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours.

Il y avait peu d'arbres, des plantes herbacées -seulement, d'immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophylites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers. Or c'est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L'écorce •noora élastique du globe obéissait aux mouvfr


monts de la masse liquide qu'elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux; les plantes, entrainées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables.

Alors intervint l'action de la chimie- naturelle v au fond des mors, les masses végétales se firent tourbe d'abord puis, grûce à l'influence des gai, et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète.

Ainsi se formeront ces immenses couches de charbon que la consommation de tous les peu* pies, pendant de longs siècles encore, ne parviendra pas à épuiser.

Ces réflexions me revenaient à l'esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L'exploitation de ces mines reculées démanderait des sacrifices trop considérables. A quoi bon, d'ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles se* raient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde.

Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j'oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement


ce qu'elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur fort prononcée de protocarbure d'hydrogène. Je reconnus immédiatement, dans cette galerie, la présence d'une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l'explos'on a si souvent causé d'épouvantables catastrophes.

Heureusement nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff. Si, par malheur, nous avions imprudemtaant exploré- cette galerie la torche à la main, une explosion terrible eût fini le voyage en supprimant les voyageurs. Cette excursion dans la houillère dura jusqu'au soir. Mon oncle contenait à peine l'impatience' que lui causait l'horizontalité de la route. Les ténèbres, toujours profondes à vingt pas, empêchaient d'estimer la longueur de la galerie, et je commençai à la croire interminalyle, quand soudain, à six heures, un mur se présenta inopinément à nous. A droite, à gauche, en haut, en bas, il n'y avait aucun passage. Nous étions arrivés au fond d'une impasse.

« Eh bien tant mieux s'écria mon oncle, je sais au moins à 'quoi m'en tenir. Nous ne sommes pas sur la route de Saknussemm, et il ne reste plus qu'à revenir en arrière. Prenons une nuit de repos, et avant trois jours nous aurons i"ô-


çagtië le point où les doux galeries se bifurquent. Oui, dis-je, si nous en avons la force! Et pourquoi non ?

Parce que, demain, l'eau manquera tout. fait.

Et le courage manquera-t-il aussi? fit le professeur en me regardant d'un œil sévère, » Je n'osai lui répondre.'

XXI

Le lendemain le départ eut lieu de grand matin. Il fallait se hâter. Nous étions à cinq jours de marche du carrefour.

Je ne m'appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon onclevles supporta avec la colère d'un homme qui. ne se sent pas le plus fort; Hans avec la résignation de sa nature pacifique moi, je l'avoue, me plaignant et me désespérant je ne pouvais avoir de cœur contre cette mauvaise fortune.

Ainsi que je l'avais prévu, l'eau fit tout à fait défaut à la fin du premier jour de marche; notre provision liquide se réduisit alors à du genièvre mais cette infernale liqueur brûlait le gosier, et ne pouvais même en supporter la vue. Je trouvai* la température étouffante; la fatigue


me paralysait. Plus d'une fois, je faillis tomber sans mouvement. On faisait halte alors; mon oncle ou l'Islandais me réconfortaient de leur mieux. Mais je voyais déjà que le premier réagissait péniblement contre l'extrême fatigue et les tortures nées de la privation d'eau. Enfin, le mardi, 8 juP'ot, en nous traînant sur les genoux, sur les mains," nous arrivâmes à demi morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin.

Hans et mon oncle, accotés à la paroi, essayérent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements e'échappaient de mes lèvres tuméfiées. Je tombai dans un profond assoupissement.

Au bout de quelque temps, mon oncle s'approcha de moi et me souleva entre ses bras « Pauvre enfant! » murmura-t-il avec un vé- ritable accent de pitié.

Je fus touché de ces paroles, n'étant pas habitué aux tendresses du farouche professeur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides.

Je le vis alors prendre la gourde suspendue à son côté A ma grande stupéfaction, il l'approoha de mes lèvres z


« Boia, » fit-il.

'Avais-je bien entendu? Mon oncle était-il fou? i~ Je le regardais d'un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre..

« Bois, » reprit-il.

Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres.

Oh! jouissance infinie! une gorgée d'eau vint humecter ma bouche en feu, une soûle, mais elle suffit à rappeler en moi la vie qui s'échappait. Je remerciai mon oncle en joignant les mains. « Oui, fit-il, une gorgée d'eau! la dernière! entends-tu bien? la dernière 1 Je l'avais précieusement gardée au fond de ma gourde. Vingt fois, cent fois, j'ai dû résister à mon effrayant désir de la boire! Mais non, Axel, je la réservais pour toi.

Mon oncle murmurai-je pendant que de grosses larmes mouillaient mes yeux.

Oui, pauvre enfant, je savais qu'à ton arrivée à ce carrefour, tu tomberais à demi mort, et j'ai conservé mes dernières gouttes d'eau pour te ranimer.

Merci! merci! » m'écriai-je.

Si peu que ma soif fut apaisée, j'avais cependant retrouvé quelque force. Les muscles de mon gosier, contractés jusqu'alors, se détendaient l'inflammation de mes lèvres s'était adouoie, Je p<~ -as parler.


« Voyons, dis-je, nous n'avons maintenant qu'un parti à prendre l'eau nous manque; il faut revenir sur nos pas. »

Pendant que je parlais ainsi, mon oncle évitait de me regarder; il baissait la tête; ses yeux fuyaient les miens.

« II faut revenir, m'écriai-je, et reprendre le chemin du Sneffels. Que Dieu nous donne la force de remonter jusqu'au sommet, du cratbre! Revenir! fit mon oncle, comme s'il répondait plutôt à lui qu'à moi-même.

Oui, revenir, et sans perdre un instant. » Il y eut un moment de silence assez long. « Ainsi donc, Axel, reprit le professeur d'un ton bizarre, ces quelques gouttes d'eau ne t'ont pas rendu le courage et l'énergie? p

Le courage

Je te vois abattu comme avant, et faisant encore entendre des paroles de désespoir! » A quel homme avais-je affaire et quels projets son esprit audacieux formait-il encore? « Quoi vous ne voulez pas?.

Renoncer à cette expédition, au moment oit tout annonce qu'elle peut réussir ï Jamais 1 Alors il faut se résigner à périr?

Non, Axel, non! pars. Je' ne veux pas ta mort! Que Hans t'accompagne. Laisse-moi seul! –'Vous abandonner! 1

Laisse-moi, te dis-je! l'ai commencé «H>


voyage; je l'accomplirai jusqu'au bout, ou je n'en reviendrai pas. Va-t'en, Axel, va-t'en a Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure et menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l'impossible! Je ne voulais pas l'abandonner au fond de cet abîme, et, d'un autre côté, l'instinct de, la conservation me poussait à le fuir.

Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons; nos gestes indiquaient assez la voie différente. où chacun de nous essayait d'entraîner l'autre mais Hans semblait s'intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l'on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui! Mes paroles, mes gémissements, mon accent, auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. A nous deux nous aurions peut-être convaincu l'entêté professeur. Au besoin, nous l'aurions contraint à regagner.les hauteurs du Sneffels 1

Je m'approchai de Hans. Je mis ma main sur & sienne, ix ne aougea pas. Je lui montrai la


route du cratère. Il demeura immobile. Ma-figure haletante disait toutes mes souffrances. L'Islandais remua doucement la tête, et désignant tranquillement mon oncle

« Master », fit-il.

Le maitre, m'éoriai-je! insensé! non, il n'est pas le maître de ta vie il faut fuir! il faut l'entraîner! m'entends-tu! mé comprends-tu? » J'avais saisi Hans par le bras. Je voulais l'obliger à se lever. Je luttais^avec lui. Mon oncle intervint.

« Du calme, Axel, dit-il. Tu n'obtiendras rien 'de cet impassible serviteur. Ainsi, écoute ce que j'aià te proposer. »

Je me croisai les bras, en regardant mon oncle bien en face.

« Le manque d'eau, dit-il, met seul obstacle à l'accomplissement de mes projets. Dans cette galerie de l'est, faite de laves, de schistes, de houilles, nous n'avons pas rencontré une seule molécule liquide. Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l'ouest. »Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité.

« Écoute-moi jusqu'au bout, reprit le professe ur en forçant la voix. Pendantque tu gisais là sans mouvement, j'ai été reconnaître, la conformation de cette galerie. Elle s'enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu


d'heures, elle nous conduira au massif granitique. Là nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l'instinct est d'accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j'ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu'un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n'ai pas rencontré l'eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre. »•

En dépit de mon irritation, je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un. pareil langage.

« Eh bien! m'ecriai-je, qu'il soit fait comme vous ie désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. Vous n'avez plus que quelques heures à tenter le sort! En route! » XXII

La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son hàbitûtf" Nous n'avions pas frit cent pas, que le


professeur, promena; sa lampa le long des murailles, s'écriait

« Voilà les terrains primitifs! nous sommes dans la bonne voie! marchons marchons! 1 Lorsque la terre se refroidit peu à pou aux premiers jours du monde, la diminution do son volume produisit dans l'éoorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. Le couloir actuel était une fissure do 00 genre, par laquelle s'épanchait autrefois le granit éruptif; i ses mille détours formaient un inextricable labyrinthe à travers le sol primordial.

A mesure que nous descendions, la succession des couches composant le terrain primitif apparaissait avec plus de netteté. La science géologique considère ce terrain primitif comme la base de l'écorce minérale, et elle a reconnu qu'il se compose de trois couches différentes, les schistes, les gneiss, les micaschistes, reposant sur cette roche inébranlable au'on appelle le granit.

Or, jamais minéralogistes ne s'étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature surplace. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l'étudier de nos yeux, le toucher de nos mains.

A travers l'étage des schistes colorés dé belles


finances vertes soi'ptmtnieiit dos filons métallique» de cuivre, de manganbao avec quelque» traces de platine et d'or. Je sondais à cas riohesses enfuies dans le» entrailles du globe ot dont l'avidité humaine n'aura jamais la jouissance! Geo trésors, les bouleversements des pro.miers jours les ont enterrés à de tellos profondeurs, que ni la pioche, ni le pic ne sauront los arracher à leur tombeau.

Aux schistes succédèrent les gneiss, d'une structure stratiforme, romarquables par la régularité et le parallélisme de leura feuillets, puis, les micaschistes disposés en grandes lamollea rehaussées à l'œil par les scintillations du mica blano.

La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m'imaginais voyager S travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence,- la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés, dane l'immense prison de granit.


II ét«it huit heures du aoir. LVmù manquait

toujours.1' Je BOulTraiH horriblemoqt: Mon onolo

marohait en a?ant, II* tiç valait pas s'arrêter, xi s tendait l'orchle pour surprendre les murmures de quoique source. Mais t\m. Cependant mes jambe» lœfuii&iejntf de nie por- | ter. Je JcéMlstal^ à; mes tortures p>ur ne pas obli- if gojr mon oncle à faire halte. C'eût été pour lui | le coup du désespoir, car la journée Unissait, la ''] dernière qul'lûi app^tînt.

Entin-mes forces m'abandonnèrent; je poussai un cri et je tombai.' r

« A moi! je meurs! », «

Mon onole revint sur ses pas. Urne oonaidéia en croisant ses bras puis ces .paroles sourdes sortirent de ses- lèvres: ̃- '̃̃

VToutejrtlini! .V

Un effrayant geste de colère frappa une der- i|ière; fois mes regards, et je fermai les yeux. .:r,

Lorsque je lès rouvris,, j'aperçus mes clèux l

oompaçnon.s Immobiles et. roulés dans leur /jou-

̃ y^ùre. liprmai*ent;ils? Pour joaon compte, je ne pouvais trouver un instant de sommeil. Je^oui»'frais trop, et surtout de la pensée que mon mal

J^^cirV:^SW:'i?^^

,i~p~9~~I,.rii~t{~i~Íî~ i~~S" ~~<'ôr¡.n;

W^ôu^e^ït finit» car dans un pareil état de faiblesse il ne fallait même pas songer à regagner ï* surface du globe;

r


M'iva


Il y avait uno li«»uo ot domio d'éeoree terrestre I II nie semblait que cette masse pesait de tout 80» poids sur mes opaulos. Je mo sentais écrasé et je m'épuisais on olïorts violents pour mo re- tournor sur ma douche de granit.

Quelque* heures so passèrent. Un silence profond lignait autour do nous, un silence do tombcau. Kion n'arrivait à travers ces murailles dont la plus mince mesurait cinq millos d'épaisseur.

Cependant, au milieu de mon assoupissement, je crus entendre un bruit; l'obscurité so faisait dans lo tunnel. Je regardai plus attentivement, et il. me sembla voir l'Islandais qui disparaissait, la lampe à la main.

Pourquoi co départ? Hans nous abandonnait-il? Mon oncle dormait. Je, voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L'obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s'éteindre.

« Hans nous abandonne! m'écriai-je. Hans! Hans! »

Ces mots. je les criais en moi-même. Ils n'allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j'eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n'avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter Ja galerie, il la descendait. De mauvais desseins


Toussent entraîna on haut, non en bas. Co raisonnement ino calma un pou, ut je revins k un autre ordro Aidées, Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l'arracher à son repos. Allait-il donc li la découverte? Avait-il entendu pondant la nuit ailonuiouse quelque mur» mure dont la porception n'était pas arrivée jusqu'à moi?

XXII!

Pendant une houro j'imaginai dans mon cerveau on délire toutes les raisons qui avaient pu faire agir le tranquille chasseur. Les idées les plus absurdes s'enehovûtr 'rent dans ma tête. Je crus que j'allais devenir fou!

Mais enfin un bruit de pas se produisit dans les profondeurs du gouffre. Hans remontait. La lumière incertaine commençait à glisser sur les parois, puis elle déboucha parl'orifice du couloir. Hans parut.

11 s'approcha de mon oncle, lui mit la main sur l'épaule et l'éveilla doucement. Mon oncle se leva.

« Qu'est-ce donc fît-il.

« Vatten, » répondit le chasseur.

Il faut croire que. sous l'inspiration des vio-


lento» doulouva, chacun do vient pulyglotto. Jo ne «avais pas un soûl mot du danois, et cependant ic» compris d'instiuot lo mot do notro guida. « Do Veau! do l'omi! m'ticriai-je on battant des mains, on gestioutant commo un insonsû. De l'oau! répétait mon oncle. « Hvar? » domundu-t-il a riMlandais.

« Nodat, » répondit llana.

Où? En bas! Jo comprenais tout. J'avais saisi les mains du chasseur, ot jo los pressais, tandis qu'il me regardait aveu calme.

Les préparatifs du départ ne furent pas longs, et bientôt nous descendions un couloir dont la ponto atteignait doux pieds par toiso.

Une heuro plus tard, Inoim avions fait mille toisos environ et descendu deux mille pieds. En ce moment, nous entendions distinctement un son inaccoutumé courir dans les flancs de la muraille granitique, une sorte de mugissement sourd, commo un tonnerre éloigné. Pondant cette première demi-heure de marche, no rencontrant point la source annoncée, je sentais les angoisses me reprendre mais alors mon oncle m'apprit l'origine dos bruits qui se produisaient. « Hâns ne s'est pas trompé, » dit-il, ce que tu entends là, c'est le mugissement d'un torrent Un torrent? m'écriai-je.

11 n'y a pas à en douter. Un fleuve souterrain circule autour de nous »


Nous hàtùmos Jo pas, surexcité par l'ospuranoo. Jo no sentais plus ma fatk'itc. Ce bruit d'uno ©au murmurant» ma rafraîchissait déjà; lo torrent, après s'être longtemps soutenu au-.los.stiH do notre tête, courait maintenant dans la paroi de gaucho, mupUaant et bondissant. Jo passais fréquemment ma main sur lo roo, espérant y trouver dos traces do suintement ou d'humidité. Mais en vain.

Uno demi-heure s'écoula encore. Une demilieue fut encore franchie.

Il devint alors évident quo lo chasseur, pondant son absence, n'avait pu prolonger ses recherchos au delà. Guidé par un instinct particulier aux montagnards, aux'hydroseopes, il « sentit » co torrent à travers le roc, mais certainement il n'ayait point vu le précieux lirjuido; il ne s'v était pas désaltéré.

Bientôt même il fut constant que, si notre marche continuait, nous nous éloignerions du torrent dont le murmure tendait à diminuer. On rebroussa chemin. Hans s'arrêta à l'endroit précis où le torrent semblait être le plus rapproché.

Je m'assis près de la muraille, tandis que les eaux couraient à deux pieds de moi avec une violence extrême. Mais un mur de granit nous eh séparait encore.

-!ans réfléchir, sans me demander si quelque


moyen noxistait pas de se procurer cette eau, je me laissai aller à un premier moment de désespoir.

Hans me regarda et je crus voir un sourire apparaitre sur ses lèvres.

11 se leva et prit la lampe. Je le suivis. 11 se dirigea vers la muraille. Je le regardai faire. II colla son oreille sur la pierre sèche, et la promena lentement en écoutant avec le plus grand soin. Je compris qu'il cherchait le point précis où le torrent se faisait entendre plus bruyamment. Ce point, il le rencontra dans la paroi latérale de gauche, à trois pieds au-dessus du sol. Combien j'étais ému! Jo n'osais deviner ce que voulait faire le chasseur! Mais il fallut bien le comprendre et l'applaudir, et le presser do mes caresses, quand je le vis saisir son pic pour attaquer la roche elle-même.

« Sauvés! m'écriai-je, sauvés 1

Oui, répétait mon oncle avec frénésie, Hans a raison! Ah! le brave chasseur! Nous n'aurions pas trouvé cela! »

Je le crois bien! Un pareil moyen, quelque simple qu'il fût, ne nous serait pas venu à l'esprit. Rien de plus dangereux que de donner un coup de pioche dans cette charpente du globe. Et si quelque éboulement allait se produire qui nous écraserait! Et si le torrent, se faisant jour à travers le roc, allait nous envahir! Ces dangers


n'avaient rien de chimérique; mais alors les craintes d'éboulement ou d'inonu«ùon ne pouvaient nous arrêter, et notre soif était si intense que, pour l'apaiser, nous eussions creusé au lit même de l'Océan.

Hans se mit à ce travail, que ni mon onole ni moi nous n'eussions accompli. L'impatience emportant notre main, la roche eût voie en éclats sous ses eoups précipités. Le guide, au contraire, oalme et modéré, usa peu Ii pou le rocher par une série do petits eoups répétés, creusant une ouverture large d'un demi-pied. J'entendais le bruit du torrent s'accroitre, et je croyais déjà sentir l'eau bienfaisante rejailli sur mes lèvres. Bientôt le pic s'enfonça de deux pieds dans la muraille de granit; le travail durait depuis plus d'une heure; je me tordais d'impatience! Mon oncle voulait employer les grands moyens. J'eus de la peine à l'arrêter, et déjà il saisissait son pic, quand soudain un sifflement se fit entendre. Un jet d'eau s'élança de la muraille et vint se briser sur la paroi opposée.

Hans, à demi renversé par le choc, ne put retenir un cri de douleur. Je compris pourquoi lorsque, plongeant mes mains dans le jet liquide, je poussai à mon tour une violente exclamation: la source était bouillante.

« De l'eau à cent degrés! m'écriai-je.

«- $h bien, elle refroidira, » répondit mononolç,


Le couloir s'emplissait do vapeurs, tandis qu'un ruisseau se formait et allait se perdre dans les sinuosités souterraines; bientôt après, nous y puisions notro première gorgée.

Ah quelle jouissance quelle incomparable volupté? Qu'était cette eau? D'où venait-elle? t Peu importait. C'était de l'eau, et, quoique chaude encore, elle ramenait au cœur la vie prête è j'échapper. Je buvais sans m'arrêter, sans goûter même.

Ce ne fut qu'après une minute de délectation que je m'écriai

« Eh! mais c'est de l'eau ferrugineuse!. l, Excellente, pour l'estomac, répliqua mon ,oncle, et d'une haute minéralisation 1 Voilà un voyage qui vaudra celui de Spa ou de Tœplitz! Ah 1 que c'est bon 1

Je le crois bien, une eau puisée à deux lieues sous terre; elle a un goût d'encre qui n'a rien de désagréable. Une fameuse ressource que Hans nous a procurée là! Aussi je propose de donner son nom à ce ruisseau salutaire. Bien! » m'écriai-je.

Et le nom de « Hans-bach » fut aussitôt adopté. Hans n'en fut pas plus fier. "Apres s'être mode*rément rafraîchi, il s'accota dans un coin avec son calme accoutumé.

« Maintenant, dis-je, il ne faudrait pas laisser perdre cette eau,


A quoi bon? répondit mon oncle, je soupçonne la Houraa d'être intarissable.

r- Qu'importe remplissons l'outro et les gourdes, puis nous essayerons de l)ouchor l'on vorturo.» » Mon conseil fut suivi. Hans, au moyen d'éclats de granit et d'étoupe, essaya d'obstruer l'entaille faite à la paroi. Ce ne fut pas chose facile. On ko brûlait les mains sans y parvenir; la pression était trop considérable, et nos efforts demeùrèrent infructueux.

« Il est évident, dis-je, que les nappes supérieures de ce cours d'eau sont situées à une grande hauteur, à en juger par la force du jet. Cela n'est pas douteux, répliqua mon oncle, il y a là mille atmosphères de pression, si cette colonne d'eau a trente-deux mille pieds de hauteur. Mais il me vient une idée.

Laquelle?

Pourquoi nous entêter à boucher cette ouverture ?

Mais, parce que. »

J'aurais été embarrassé de trouver une bonne raison.

« Quand nos, gourdes seront vides, sommesnous Assurés de trouver à les remplir ? Non, évidemment.

Eh bien, laissons couler cette eau elle descendra naturellement et guidera ceux qu'elle rafraîchira en route!


Voilà qui est bien imaginé) ra'éoriai-je, et aveo ce ruisseau pour compagnon, il n'y a plus aucune raison pour no pas réussir dans nos projets.

Ah! tu y viens, mon garçon, dit le professeur en riant.

Je fais mieux que d'y venir, j'y suis. Un instant Commençons par prendre quelques heures do repos. »

J'oubliais vraiment qu'il fit nuit. Le chronomètre se chargea de me l'apprendre. Bientôt chacun de nous, suffisamment restauré et rafraîchi, s'endormit d'un profond sommeil.

XXIV

Le lendemain nous avions déjà oublié nos douleurs passées. Je m'étonnai tout d'abord de n'avoir plus soif, et j'en demandai la raison. Le ruisseau qui coulait à mes pieds en murmurant se chargea de me répondre. s

On déjeuna et l'on but de cette excellente eau ferrugineuse. Je me sentais tout ragaillardi et décidé à aller loin. Pourquoi un homme convaincu comme mon oncle ne réussirait-il pas, avec un guide industrieux comme Hans, et un


neveu « déterminé » comme moi V Voilà les belles idées qui so glissaient dans mon cerveau! On m'eût proposé do remonter à la cime du Sneffols que j'aurais refusé avec indignation.

Mais il n'était heureusement question que de descendre.

« Partons! » m'êcriai-jo en éveillant par mes accents enthousiastes les vieux échos du globe. La marche fut reprise le jeudi à huit heures du matin. Le couloir de granit, se contournant en sinueux détours, présentait des coudes inattendus, et affectait l'imbroglio d'un labyrinthe; mais, en somme, sa direction principale était toujours le sud-ost. Mon oncle ne cessait de consulter avec le plus grand soin sa boussole, pour se rendre compte du chemin parcouru. La galerie s'enfonçait presque horizontalement, avec deux pouces de pente par toise, tout au plus. Le ruisseau courait sans précipitation en murmurant sous nos pieds. Je le comparais à quelque génie familier qui nous guidait à travers la terre, et de la main je caressais la tiède naiade dont les chants accompagnaient nos pas. Ma bonne humeur prenait volontiers une tournure mythologique. Quant à mon oncle, il pestait contre l'horizontalité dé la route, lui, « l'homme des verticales ». Son chemin s'allongeait indéfiniment, et au lieu de glisser le long du rayon terrestre, suivant son.


expression, il s'en allait par l'hypoChônuso. Mais

nous n'avions pas le ehoix, e$ tant que l'on gagnait vers le centre, ai pou que ce fût, il ne fal lait pas ho plaindro.

D'ailleurs, de temps à autre, les pontos s'abaissaient la naïade so mettait à dégringoler on mugissant, et nous desoendions plus profonde*mont aveo elle.

En aommo, oo jour-là. et le lendemain, on fit beaucoup de chemin horizontal, et relativement pou de chemin vertical.

Lb vendredi soir, 10 juillet, d'après l'estime, nous devions être à trente lieues au sud-est de Reykjawik et à une profondeur do deux Jieues et demie.

Sous nos pieds s'ouvrit alors un puits assez effrayant. Mon oncle ne put s'empêcher de battre des mains en calculant .la raideur de ses pentes. « Voilà qui nous mènera loin, s'écria-t-il, et facilement, car les saillies du roo font un véritable escalier! »

Les cordes furent disposées par Hans de manière à prévenir tout accident. La descente commença. Je n'ose l'appeler périlleuse, car j'étais déjà familiarisé avec ce genre d'exercice. Ce puits était une fente étroite pratiquée dans le massif, duv genre de celles qu'on appelle « faille »; la contraction de la charpente terrestre, à l'époque de son refroidissement, l'avait


évidemment produites. Si elle survit autrefois de passage aux matières ôruptives vomie» par le Snoflols, je no m'expliquais pas comment celles- ci n'y laissèrent aucune trace. Nous descendions une sorte do vis tournante qu'on eût cru faite do la main des hommes.

De quart d'houro en quart d'heure, il fallait «'arrêter pour prendre un repos nécessaire et rendre à nos jarrets lour élasticité1. On s'assoyait alors sur quelque se' ilie, les jambes pondantes, oh causait en mangeant, et l'on se désaltérait au ruisseau.

Il va sans dire que, dans cette faille,, le Hans baeh s'était fait cascade au détriment de son volume; mais il suffisait et au delà à «Hàneher notre soif; d'ailleurs, avec les déclivités moins accusées, il ne pouvait manquer do reprendre son cours paisible. En ce moment il me rappelait mon digne oncle, ses impatiences et ses colères, tandis que, par les, pentes adoucies, c'était le calme du chasseur islandais.

Le 6 et le 7 juillet, nous suivîmes les spirales de cette faille, pénétrant encore de deux lieues dans l'écorce terrestre, ce qui faisait près de cinq lieues au-dessous du niveau de la mer. Mais, le 8, vers midi, la faille prit, dans la direction du sud-est, une inclinaison beaucoup plus douce, environ quarante-cinq degrés.

Le chemin devint alors aisé et d'une parfaite


monotonie. H tHaitdittloil« qu'il en fut autrement. La voyage no pouvait être varié par les incidents du paysage.

Enfin, la mercredi 15, nous étions à aupt lieues sous terre ot à cinquante lieues environ du Snoftols, Bien que nous fussions un pou fatiguas, nos sautés se maintenaient dans un état rassurant, et la pharmacie de voyage ôtalt oncore intacte. Mon oncle tenait heure par houro les indications de la boussole, du chronomètre, du manomètre et du thermomètre, celles-là même qu'il a publiées dans lo récit scientifique do son voyage. Il pouvait donc se rendre facilement compte de sa situation. Lorsqu'il m'apprit que nous étions à une distance horizontale do cinquante lieues, je ne pus retenir une exclamation.

« Qu'as-tu donc? demanda-t-il.

Rien, seulement jo fais une réflexion. Laquelle, mon garçon ? P

C'est que, si vos calculs eont exacts, nous ne sommes plus sous l'Islande.

Crois-tu?

Il est facile de nous en assurer. »

Je pris mes mesures au compas sur la carte. « Je ne me trompais pas, dis-je; nous avons dépassé le cap Portland, et ces cinquante lieues dans le sud-est nous mottent en pleine mer. Sous la pleine mer, répliqua mon oncle en se frottant les mains.


Ainsi, m'ôeriai-jo, l'Océan s'étend au-dos\us do notre tôtw! f

Bahl Axel,- rien do plus naturel N'y a-t-H pas A Nowcastlo dos mines de charbon qui s'avancent sous las nota »

Lo professeur pouvait trouver cette situation fort simple; mais lupensâo do mo promener sous la masse des ouux no laissa paH do me prooeeuper. Et cependant, quo les plaines et les montagnos de l'Islande fussent suspendues sur notre tête, ou les flots de l'Atlantique, cola différait peu, en somme, du monumt quo la charpente granitique était solide. Du reste, je m'habituai promptement à cette idée, car le couloir, tantôt droit, tantôt sinueux, capricieux dans ses pontes comme dans ses détours, mais toujours courant au sud-est, et toujours s'enfonçant davantage, nous conduisit rapidement à de grandes profondeurs.

Quatre jours plus tard, le samedi 18 juillet, le soir, nous arrivâmes à une espèce de grotte assez vaste; mon oncle remit à Hans ses trois rixdales hebdomadaires, et il fut décidé que le lendemain serait un jour de revu*.


XXV

Je me réveillai donc, lo dimanche matin, sans ootto préoccupation Habituelle d'un départ immôdiat. Et, quoique ou fut au plus profond des abîmes, cela ne laissait pas d'ôtre agréable. D'ailleurs, nous étions faits à ootto existence de troglodytes. Je ne pensais guère au soleil, aux étoiles, à la lune, aux arbres, aux maisons, aux villes, à toutes oos suporfluités terrestres dont l'être sublunàiro s'est fait une nécessité. En notre qualité de fossiles, nous faisions lî de ces inutiles merveilles.

La grotte formait une vasta salle; sur son sol granitique coulait doucement le ruisseau fidèle. A une pareille distance de sa source, son eau n'avait plus que la température ambiante et se laissait boire sans difficulté.

Après le déjeuner, le professeur voulut oonsacrer quelques heures à mettre en ordre ses notes quotidiennes.

« D'abord, dit-il, je vais faire des calculs, afin de relever exactement notre situation; je veux pouvoir, au retour, tracer une carte de notre, voyage, une sorte de section verticale du globe, «jui donnera le profil de l'expédition.


Ce sera fort curieux, 'mon omslo; mais vos observations auront-elles un degré suffisant de précision? Y

Oui. J'ai noté avec soin les ongles et les pentes; je suis sûr de no point me tromper, Voyons «l'abord où nous sommes. Prends lu boussole ot observe la direction qu'elle indique. Jo regardai l'instrument, ot, après un examen attentif, je répondis

« Est-quart-sud-ost.

Bien! fit le professeur en notant l'observation et on établissant quelques calculs rapides. J'en conclus que nous avons fait quatre-vingt-cinq tieues depuis notre point de départ.

Ainsi, nous voyageons sous l'Atlantique? P Parfaitement.

Et, dans ce moment, une tempôte s'y déchaine peut-être, et des navires sont secoués sur notre tête par les flots et l'ouragan?

Cela se peut.

Et les baleines viennent frapper de leur queue les murailles de notre prison?

Sois tranquille, Axel, elles ne parviendront pas à l'ébranler. Mais revenons à nos calculs. Nous sommes dans le sud-est, à quatre-vingt-cinq lieues de la base du Snoffels, et, d'après mes notes précédentes, j'estime à seize lieues la profondeur atteinte.

Seize lieues! m'écriai-jo.


Sans doute.

Mai» o'eat l'exti'âme limite assignée par la science à J'épuissour do l'écorce terrestre. Je ne dis pas non.

Et ici, suivant 1a loi de l'accroissement de Uft température, une chaleur de quinze cents degrés devrait exister.

Dovrait, mon garçon.

Et toutes granit no pourrait se maintenir à l'état solide et sorait en pleine fusion. Tu vois qu'il n'en est rien et que les faits, suivant leur habitude, viennent démentir les théories.

Je suis forcé d'en convenir, mais enfin cela m'étonne.

Qu'indique le thermomètre?

Vingt-sept degrés six dixièmes.

Il s'en manque donc de quatorze cent soixante-quatorze degrés, quatre dixièmes que les savants n'aient raison. Donc, l'accroissemont proportionnel de la température est une erreur. Donc, Humphry Davy ne se trompait pas. Donc, je n'ai pas ou tort de l'écouter, Qu'as-tu à répondre?

Rien. »

A la vérité, j'aurais eu beaucoup de choses à dire. Je n'admettais la théorie de Davy en aucune façon, je tenais toujours pour la chaleur centralè, bien que je n'en ressentisse point les effets. J'aimais mieux admettre, en vérité, que


cette cheminée d'un volouu rleint, recouvert oparles laves d'un enduit rôfraotaire, no permet- tait pus a la tempéruturo do ko propager à traversparois.

Mais, «uns m'arrèt»? à cmorehor dos argumenta nouveaux, jo mo bornai à prundro la situation telle qu'elle était,

« Mon onolo, ropris-jo, je tiens pour exact tous vos ealouls, mai* permettez-moi d'en. tirer une conséquence rigourouso.

Va, mon garçon, à ton aise.

-7- Au point où nous sommes, sous la latitude de l'Islande, le rayon torrestro est de quinze cent quatre-vingt-trois lieues à peu prbs?

Quinze cent quatre-vingt-trois lieues et un tiers.

Mettons seize cents lieues en chiffres ronds. Sur un voyage do seize cents lieues, nous en avons fait douze?

Comme tu dis.

Et oela au prix de quatre-vingt-oinq lieues de diagonale?

Parfaitement.

En vingt jours environ ?

En vingt jours.

Or seize lieues font le centième du raynn terrestre. A continuer ainsi, nous mettrons donc- deux mille jours, ou près de cinq ans et demi à descendre! »

a~


Le professeur no répondit pas.

« Snna compter que, si une verticale de seize lieues s'achète par une horizontale do quatrevingts, cela fera huit mille lieues dans le sudest, et il y aura longtemps que nous serons sortis par un point de la circonférence avant d'en atteindre le contre 1

Au diablo tes calouls! répliqua mon onole avec un mouvomont de colère. Au diable tes hypothèses Sur quoi reposent-elles? Qui te dit que ce couloir ne va pas directement à notre but? D'ailleurs j'ai pour moi un précédent, Oe que je fais là un autre l'a fait, et où il a réussi je réussirai à mon tour.

-r Je l'espère; mais, enfin, il m'est bien permis.

Il t'est permis de te taire, Axel, quand tu. voudras déraisonner de la sorte. »

Je vis bien que le terrible professeur menaçait de reparaître sous la peau de l'oncle, et je me tins pour averti.

« Maintenant, reprit-il, consulte le manomètre Qu'indique-t-il?

Une pression considérable.

Bien. Tu vois qu'en descendant doucement, en nous habituant peu à peu à la densité de cette atmosphère, nous n'en souffrons aucunement. Aucunement, sauf quelques douleurs d'o- reilles.


Ce n'est rien, et tu feras disparaitre ce malaise en mettant l'air extérieur en communication rapide avec l'air contenu dans tes poumons. Parfaitement, réponclis-je, bien décidé à ne plus contrarier mon oncle. H y a même un plaisir véritable à se sentir plongé dans cette atmosphère plus dense. Avez-vous remarqué avec quelle intensité le son s'y propage?

Sans doute; un sourd finirait par y entendre à merveille.

Mais cette densité augmentera sans aucun doute?

Pui, suivant une loi assez peu déterminée; il est vrai que l'intensité de la pesanteur diminuera à mesure que nous descendrons. Tu sais que o'est à la surface même de la terre que son action se fait le plus vivement sentir, et qu'au centre du globe les objets ne pèsent plus. Je le sais mais dites-moi, cet air ne finirat-il pas par acquérir la densité de l'eau? Sans doute, sous une pression de sept centdix atmosphères.

Et plus bas?

Plus bas, cette densité s'accroitra encore. Comment descendrons-nous alors?

Eh bien nous mettrons des cailloux dans nos poches.

Ma foi, mon oncle, vous avez réponse |

m-


Je n'osai pas aller plus avant dans le champ des hypothèses, car je me serais encore heurté à quelque impossibilité qui eût fait bondir le professeur.

n était évident, cependant, que l'air, sous une pression qui pouvait atteindre des milliers d'atmosphères, finirait par passer à l'état solide, et alors, en admettant que nos corps eussent rdsisté, il faudrait s'arrêter, en dépit de tous les raisonnements du monde.

Mais je ne fis pas valoir cet argument. Mon onole m'aurait encore riposté par son -éternel Saknussemm, précédent sans valeur, car, en tenant pour avéré le voyage du savant Islandais, il y avait une chose bien simple à répondre Au seizième siècle, ni le baromètre ni le manomètre n'étaient inventés comment donc Saknussemm avait-il pu déterminer son arrivée au centre du globe?

Mais je gardai cette objection pour moi, et J'attendis les événements.

Le reste de la journée se passa en calculs et en conversation. Je fus toujours de l'avis du professeur Lidenbrock, et j'enviai la parfaite indifférence de Hans, qui, sans chercher les effets et les causes, s'en allait aveuglément où le menait la destinée..


xxvr

II faut l'avouer, les choses jusqu'ici se paasaient bien, et j'aurais eu mauvaise grâce à me plaindre. Si la moyenne des « difficultés ne s'accroissait pas, nous ne pouvions manquer d'atteindre notre but. Et quelle gloire alors! J'en étais arrivé à faire ces raisonnements à la Lidenbroèk. Sérieusement. Cela tenait-il au milieu étrange dans lequel je vivais? Peut-être. Pendant quelques jours, des pentes plus rapides, quelques-unes même d'une effrayante verticalité, nous engagèrent profondément dans le massif interne; par certaines journées, on gagnait une lieue et demie à deux lieues vers le centre. Descentes périlleuses, pendant lesquelles l'adresse de Hans et son merveilleux sang-froid nous furent très utiles. Cet impassible Islandais se dévouait avec un incompréhensible sans-fagon, et, grâce à lui, plus d'un mauvais pas fut franchi dont nous ne serions pas sortis seuls. Par exemple, son mutisme s'augmentait de jour en jour. Je crois même qu'il nous gagnait. Les objets extérieurs ont une action réelle sur le cerveau. Qui s'enferme entre quatre murs


finit par pordre la faculté d'associer les idées et los mots. Que do prisonniers cellulaires devenus imbéciles, sinon fous, parle défaut d'exeroiee des facultés pensantes.

Pendant les deux semaines qui suivirent notre dernière conversation, il ne se produisit aucun incident digne d'être rapporté. Je ne retrouve dans ma mémoire, et pour cause, qu'un seul événement d'une extrême gravité. Il m'eût été diflioile d'en oublier le moindre détail.

Le 7 août, nos descentes successives nous avaient amenés à une profondeur de trente lieues; o'est-à-dire qu'il y avait sur notre tête trente lieues de rocs, d'océan, de continents et de villes. Nous devions être alors à deux cents lieues de l'Islande.

l Ce jour-là le tunnel suivait un plan,peu inoliné.

Je marchais en avant mon oncle portait l'un des deux appareils de Ruhmkorff, et moi l'autre. J examinais les couches de granit.

Tout à coup, en me retournant, je m'aperçus que j'étais seul.

« Bon, pensai-je, j'ai marché trop vite, ou bien Hans et mon oncle se sont arrêtés en route. AlIons, il faut les rejoindre. Heureusement le chemin ne monte pas sensiblement, »

Je revins sur mes pas. Je marchai pendant un quart d'heure. Je regarda}*. Personne. J'appelai.


Point de réponse. Ma voix se perdit au milieu des caverneux éohoa qu'elle éveilla soudain. Je commençai à me sentir inquiet. Un frisson ne parcourut tout le corps.

« Un peu de calme, dis-je à haute voix. Je suis sûr de retrouver mes compagnons. Il n'y a pas deux routes! Or, j'étais en avant, retournons en arrière. »

Je remontai pendant une demi-heure. J'écoutai Ii quelque appel 'ne m'était pas adressé, et dans cette atmosphère si dense, il pouv ait m'arriver de loin. Un silence extraordinaire régnait dans l'immense galerie.

Je m'arrêtai. Je ne pouvais croire à mon isolement. Je voulais bien être égaré, non perdu. Égaré, on se retrouve.

« Voyons, répetai-je, puisqu'il n'y a qu'une route, puisqu'ils la suivent, je dois les rejoindre. Il suffira de remonter encore. A moins que, ne me voyant pas, et oubliant que je les devançais, ils n'aient eu la pensée de revenir en arrière. Eh bien! même dans ce cas, en me hâtant, je tes retrouverai. C'est évident! »

Je répétai ces derniers mots comme un homme qui n'est pas convaincu. D'ailleurs, pour associer ces idées si simples, et les réunir sous forme de raisonnement, je dus employer un temps fort

long..

Vu doute me prit alors. Etais-je Mon eQ


Certes. Hans mo suivait, précédant mon oncle. Il s'était marne arrêté pendant quelques instant» pour rattacher ses bagages sur son épaule. Ce détail me revenait à l'esprit. C'est à ce moment même que j'avais dû continuer ma route. « D'ailleurs, pensai-je, j'ai un moyen sûr de ne pas m'égaror, un fil pour me guider dans ce labyrinthe, et qui ne saurait casser, mon fidèle ruisseau. Je n'ai qu'à remonter son cours, et je retrouverai forcément les traoès de mes compagnons. »

Ce raisonnement me ranima, et je résolus de. me remettre en marche sans perdre un instant. Combien je bénis alors la prévoyance do mon oncle, lorsqu'il empêcha le chasseur de boucher l'entaille faite à la paroi de granit Ainsi cette bienfaisante source, après nous avoir désaltéré pendant la route, allait me guider à travers les sinuosités de l'écorce terrestre.

Avant de remonter, je pensai qu'une ablution me ferait quelque bien.

Je me baissai donc pour plonger mon front. dans l'eau du Hans-bach

Que l'on juge de'ma stupéfaction

Je foulais un granit sec et raboteux! Le ruisseau ne coulait plus à mes pieds! 1


XXVII

Je ne puis poindre mon désespoir nul mot de la langue» humaine no rendrait mes sentiments. J'étais enterré vif, avec la perspective de mourir dans les tortures de la faim et de la soif. Machinalement je promenai mes mains brûlantes sur le sol. Que ee roc me sembla desséché! 1

Mais comment avais-je abandonné le cours du ruisseau? Car, enfin, il n'était plus là! Je compris alors la raison de ce silence étrange, quand j'écoutai pour la dernière fois si quelque appel de mes compagnons ne parviendrait pas à mon oreille. Ainsi, au moment où mon premier pas s'engagea dans la route imprudente, je ne remarquai point cette absence du ruisseau. Il est évident qu'à ce moment, une bifurcation de la galerie s'ouvrit devant moi, tandis que le Hans-bach obéissant aux caprices d'une autre pente, s'en allait avec mes compagnons vers des profondeurs inconnues!

Comment revenir. De traces, il n'y en avait pas. Mon pied ne laissait aucune empreinte sur ce granit. Je me brisais la tête à chercher ls so-


lution de «et insoluble problème. Ma situation se résumait en un seul mot perdu 1

Oui! perdu à une profondeur qui me semblait incommensurable! Ces trente lieues d'oooroo terrestre pesaient sur mes épaules d'un poids épouvantablo 1 Jo me sentais «k>ra«é.

J'essayai de ramener mes idéos aux choses de la terre. C'est à peine si jo pus y parvenir. Hambourg, la maison de Kônig-strasse, ma pauvre OruUben, tout ce monde sous lequel je m'égarajs, passa rapidement devant mon souvenir effaré. Je revis dans une vive hallucination les incidonts du voyage, la traversée, l'Islande, M. Fridriksson, le SnetTels Je me dis que si, dans ma position, je conservais encore l'ombre d'une espérance ce serait signe de folie, et qu'il valait mieux dé. sespérer!

En effet, quelle puissance humaine pouvait me ramener à la surface du globe et disjoindre ces voûtes énormes qui s'arc-boutaient au-dessus de ma tête? Qui pouvait me remettre sur la route du retour et me réunir à mes compagnons? « Oh! mon oncle! » m'écriai-je avec l'accent du désespoir.

Ce fut le seul mot de reproche qui me vint aux lèvres, car je compris ce que le malheureux homme devait souffrir en me cherchant à son tour.

Quand je me via ainsi on dehors de toutse-


cours humain, Incapable do rien tenter pour mon salut, je songeai aux secours du ciel. Les souvenirs do mon enfance, ceux do ma mèro que je n'avais connue qu'au temps des baisers, revinrent à ma mémoire. Je recourus à la prière, quelque pou de droits que j'eusae d'être entendu du Dieu auquol jo m'adressais si tard, et je l'implorai avec forveur.

Ce retour vers laProvidenoe me rendit un pou de oalmo, et jo pus concentrer sur ma situation toutes les forces de mon intellgonce.

J'avais pour trois jours de vivres, et ma gourde était pleine. Cependant je ne pouvais rester seul plus longtemps. Mais fallait-il monter ou descendre?

Monter évidemment! monter toujours! Je devais arriver ainsi au point où j'avais aban donné la source, à la funeste bifurcation. Là, une fois le ruisseau sous tes pieds, je pourrais toujours regagner le sommet du Sneffels.

Comment n'y avais-je pas songé plus tôt! 11 y avait évidemment là une chance de salut. Le plus pressé était done de retrouver le cours du Hansbach.

Je me levai et, m'appuyant sur mon bâton fer•é, je remontai la galerie. La pente en était assez -aide. Je marchais avec espoir et sans embarras, comme un homme qui n'a pas de choix àV chemin à suivre.


Pendant une demi-houre, aucun otataule n'arratu mes pas, J'essayais dé reoonnaitru ma route à la forme du tunnel, à la saillie do certaines roches, à la disposition dos anfraetuosités. Mais aucun signe particulier no frappait mon esprit, et je reconnus bientôt que cette galerie no pouvait me ramener à la bifurcation. Elle était sans issue. Je mo heurtai contre un mur impénétrable, et je tombai sur le roc.

De quelle épouvante, de quel désespoir je fus eaisi alors, je ne saurais le dire. Jo demeurai anéanti. Ma dernière espérance venait de se briser contre cette muraille de granit.

Perdu dansée labyrinthe dont les sinuosités se croisaient en tous sons, je n'avais plus à tenter une fuite impossible. Il fallait mourir do la plus effroyable des morts! Et, chose étrange, 1 il me vint à la pensée que, si mon corps fossilise se retrouvait un- jour, sa rencontre à trente lieues dans les entrailles de terre soulèverait de graves questions scientifiques!

Je voulus parler à voix haute, mais de rauques accents passèrent seuls entre mes lèvres desséchées. Je haletais.

Au milieu de ces angoisses, une nouvelle tcrreur vint s'emparer de mon esprit. Ma lampe s'était faussée en tombant. Je n'avais aucun moyen de la réparer. Sa lumière pâlissait et allait me

m&iitttterl 1


Jo regardai lo couvant lumineux s'amoindrir dans le serpentin de l'appareil. Une procession d'ombres mouvantes sa déroula sur les parois assombries. Je n'osais plus abaisser ma paupière, craignant de perdre lo moindre atome de cette clarté fugitive A chaque instant il mo semblait qu'elle allait s'évanouir et que « le noir » m'envahissait.

Enfin, une dernière lueur trembla dans la lampe. Je la suivis, je l'aspirai du regard, je concentrai sur elle toute la puissance de mes yeux, comme sur la dernière sensation de lumière qu'il leur fût donné d'éprouver, et je demeurai plongé dans les ténèbres immenses.

Quel cri terrible m'échappa! Sur terre au milieu des plus profondes nuits, la lumière n'abandonne jamais entièrement ses droits; elle est diffuse, elle est subtile; mais, si peu qu'il en reste, la rétine de l'œil finit par la percevoir! Ici, rien. L'ombre absolue faisait de moi un aveugle dans toute l'acception du mot.

Alors ma tête se perdit. Je me relevai, les bras en avant, essayant les tâtonnements les plus douloureux; je me pris à fuir, précipitant mes pas au hasard dans cet inextricable labyrinthe, descendant toujours, courant à travers la croûte, terrestre, comme un habitant des failles souterraines, appelant, criant, hurlant, bientôt meurtri aux saillies des rocs» tombant et me relevant


ensanglanté, cherahhnt à boire <so sang qui m'inondait le visage, et attendant toujours que quelque muraille imprévue vint offrir à ma tête un obstacle pour s'y briser 1

Où me conduisit cette course insensée? Je l'ignorerai toujours. Après plusieurs heures, sans doute à bout de forces, je tombai comme une masse inerte le long de la paroi, et je perdis tout gentiment, d'existence 1

XXVIII

Quand je revins à la vie, mon visage était mouillé, mais mouillé do larmes. Combien dura cet état d'insensibilité, je ne saurais le dire. Je n'avais plus aucun moyen de me rendre compte du temps. Jamais solitude ne fut semblable à la mienne, jamais abandon si complet!

Après ma chute, j'avais perdu beaucoup de sang. Je m'en sentais inondé! Ah! combien je regrettai de n'être pas mort « et que ce'fût encore à faire! » Je ne voulais plus penser. Je chassai toute idée et, vaincu par la douleur, je me roulai près de la paroi opposée.

Déjà je sentais l'évanouissement me reprendre, et, avec lui, l'anéantissement suprême, quand un bruit violent vint frapper mon oreille. Il res-


semblait au roulement prolongé (lu tonnerre, et j'entendis les ondes sonores se pordre pou à peu. dans les lointaines profondeurs du gouffre. L'où provenait ce bruit? de quelque phénomène sans doute, qui s'accomplissait au sein du massif terrestre. L'explosion d'un gaz, ou la chute de quelque puissante assise du grlobe. J'écoutai encore. Je voulus savoir si ce bruit se renouvellerait. Un quart d'heure se passa. Le silence régnait dans la galerie, Je n'entendais même plus les battements de mon cœur. Tout à coup mon oreille, appliquée par hasard sur la muraille, crut surprendre des paroles vagues, insaisissables, lointaines. Je tressaillis. « C'est une hallucination! » pensais-je. Mais non. En écoutant avec plus d'attention, j'entendis réellement un murmure de voix. Mais de comprendre ce qui se disait, c'est oe que ma faiblesse ne me permit pas. Cependant on parlait. J'en étais certain.

J'eus un instant la crainte que ces paroles ne fussent les miennes, rapportées par un écho. Peut-être avais-je crié à mon insu? Je fermai fortement les lèvres et j'appliquai de nouveau mon oreille à la paroi.

« Oui, certes, on parle on parle »

En me portant même àquelques pieds plus loin, le long de la muraille, j'entendis plus distinctement. Je par- vins à saisir des mots incertains, bir


zarros.ineoiniirôhonsiblos.llsm'arrivaiontcomme des paroles prononcées à voix basse, murmurées, pour ainsi dire. Le mot « fiirlorad » était plusieurs fois répété, et avec un accent de douleur. Que signifiait-il? Qui le prononçait? Mononole ou Mans, évidemment. Mais si je les entendais, ils pouvaient donc m'entendre.

a A moi! criai-je de toutes mes forces, à moi » J'écoutai, j'épiai dans l'ombre une réponse, un cri, un soupir. Rien ne se fit entendre. Quelques minutes se passèrent. Tout un monde d'idées avait éclos dans mon esprit. Je pensai que ma voix affaiblie no pouvait arriver jusqu'à mes

compagnons.

« Car ce sont eux, répétai-jo. Quels autres hommes seraient enfouis à trente lieues sous terre? »

Je me remis à écouter. En promenant mon oreille sur la paroi, je trouvai un point mathématique où les voix paraissaient atteindre leur maximum d'intensité. Le mot « fôrlorad » revint en- core à mon oreille, puis ce roulement de tonnerre qui m'avait tiré de ma, torpeur.

« Non, dis-je, non. Ce n'est point à travers le "nassif que ces voix se font entendre. La paroi ,st faite de granit elle ne permettrait pas à la plus forte détonation de la traverser! Ce bruit arrive par la galerie, même Il faut qu'il y ait un effet d'acoustique tout particulier »


J'écoutai de nouveau, ut wito fois, oui cette fois, j'entendis mon nom distinctement jeté à travers l'espace

C'était mon oncle qui le prononçait? Il causait aveo le guide, et le mot « fôrlorad » était un mot danois

Alors je compris tout. Pour me faire entendre il fallait précisément parler le long de cette muraille qui servirait à conduire ma voix comme le fil de fer conduit l'électricité.

Mais je n'avais pas de temps à perdre. Que mes compagnons se fussent éloignés de quelques pas et le phénomène d'acoustique eût été détruit. Je m'approchai donc de la muraille, et jv, prononçai ces mots, aussi distinctement que possible « Mon oncle Lidenbrock »

J'attendis dans la plus vive anxiété. Le son n'a pas une rapidité extrême. La densité des couches d'air n'accroit même pas sa vitesse elle n'augmente que son intensité. Quelques secondes, des siècles, se passèrent, et enfin ces paroles arrivèrent à mon oreille.

« Axel, Axel est-ce toi

v s .v

« Oui oui !» répondis-je

« Mon pauvre enfant, où es-tu ?.«

» •̃ « r « a

i Perdu dans plus profonde obscurité! »


· · · 1 v t v · v ·

«Mais ta lampe Y » »

« Éteinte. »

« Et le ruisseau ? »

« Disparu. »

« Axel, mon pauvre Axel, reprends oourag-o 9 »

« Attendez un peu, je suis épuisé; je n'ai plus la force de répondre. Mais parlez-moi »

« Courage, reprit mon oncle; ne parle pas, écoute-moi. Nous t'avons cherché en remontant et en descendant la galerie. Impossible de te trouver. Ah je t'ai bien pleuré, mon enfant Enfin, te supposant toujours sur le chemin du Hansbach, nous sommes redescendùs en tirant des coups de fusil. Maintenant, si nos voix peuvent se réunir, pur effet d'acoustique nos mains ne peuvent se toucher! Mais ne te désespère pas, Axel C'est déjà quelque chose de s'entendre

Pendant ce temps j'avais réfléchi. Un certain espoir, vague encore, me revenait au cœur. Tout d'abord, une chose m'importait à connaître. J'approchai donc mes lèvres de la muraille, et je dis:

"̃*̃̃̃


« Mon oncle? »

« Mon enfant? » me fut-il répondu après quel- ques instants.

« Il faut d'abord savoir quelle distance nous sc-pare. »

« Cela est faoile. »

a Vous avez votre chronomètre ? »

6

« Oui. »

0

K Eh bien, prenez-le. Prononcez mon nom en notant exactement la seconde où vous parlerez. Jo le répéterai, et vous observerez également le momentprécis auquel vous arrivera ma réponse. »

« Bien, et la moitié du temps compris entre ma demande et ta réponse indiquera celui que ma voix emploie pour arriver jusqu'à toi. »

« C'est cela, mon oncle »

v v W v v e n

« Es-tu prêt?*

<tt.<,< a

« Oui. »


« Eh bien, fais attention, je vais prononcer ton nom. »

0 t 0 9 e 9 4 t 0

J'appliquai mon oreille sur la paroi, et dès que le mot « Axel » me parvint, je répondis immédiatement « Axel, » puis j'attendis.

« Quarante secondes, » dit alors mon oncle; il s'est écoulé quarante secondes entre les deux mots; le son met dono vingt secondes à monter. Or, à mille vingt pieds par seconde, cela fait vingt mille quatre cents pieds, ou une lieue et demie et un huitième. »

« Une lieue et demie! » murmurai-je.

8.

« Eh bien, cela se franchit, Axel »

•••••••• ••

« Mais faut-il monter ou descendre ?

a Descendre, et voici pourquoi. Nous sommes arrivés à un vaste espace, auquel aboutissent un grand nombre de galeries. Celle que tu as suivie ne peut manquer de t'y conduire, car il semble que toutes ces fentes, ces fraotures du globe rayonnent autour de l'immense caverne que nous occupons. Relève-toi donc et reprends ta route; marche, Iraine-toi, s'il le faut, glisse sur les pentes rapides, et tu trouveras nos bras pour te recevoir


au bout du chemin. En route, mon enfant, on route »

Ces paroles me ranimèrent.

Ces paroles me ranimèrent.

« Adieu, mon oncle, ra'écriai-je je pars. Nos voix ne pourront plus communiquer entre elles, du moment que j'aurai quitté cette place Adieu dono! »

a ,.•«..••••••1

« Au revoir, Axel au rovoir a

Telles furent les dernières paroles que j'entendis. Cette surprenante conversation faite au travers de la masse terrestre, échangée à plus d'une lieue de distance, se termina sur ces paroles d'espoir Je fis une prière de reconnaissance à Dieu, car il m'avait conduit parmi ces immensités sombres au seul point peut-être où la voix de mes compagnons pouvait me parvenir. Cet effet d'acoustique très étonnant s'expliquait facilement par les seules lois physiques; il provenait de la forme du couloir et de la conductibilité de la roche il y a bien des exemples de cette propagation de sons non perceptibles aux espaces intermédiaires. Je me souvins qu'en maint endroit ce phénomène fut observé, entre autres, dans la galerie intérieure du dôme de Saint-Paul à Londres, et surtout au milieu de «ses curieuses cavernes de Sicile, ces latomies


situées près de Syracuse, dont la plus mer.. veilleuse en oe genre est connue sous le nom d'Oreille de Denys.

Ces souvenirs me revinrent à l'esprit, et je vis olairement que, puisque la voix de mon oncle arrivait jusqu'à moi, aucun obtaclo n'existait entre nous. En suivant le chemin du son, je devais .logiquement arriver comme lui, si les forces ne me trahissaient pas en route.

Je me levai dono. Je me traînai plutôt que je ne marchai. La pente était assez rapide; je me laissai glisser.

Bientôt la vitesse de ma descente s'accrut dans une effrayante proportion, et menaçait de rassembler & une chute. Je n'avais plu» la force de m'arrêtèr.

Tout à coup le terrain manqua sous mes pieds. Je me sentis rouler en rebondissant sur les aspérités d'une galerie verticale, un véritable puits; ma tête porta sur un roc aigu, et je perdis connaissanoe,

XXIX

Lorsque je revins à moi, j'étais dans une demiobscurité, étendu sur d'épaisses couvertures. Mon. oncU veillait, épiant sur mon visage un


resta d'existence. A mon premier soupir il me prit la main; à mon premier regard il poussa un cri de joie.

«UvitUlvitls'éeria-t-H.

Oui, répondis-ja d'une voix faible.

Mon enfant, fit mon onoleen me serrant sur sa poitrine, te voila sauvé! »

Je fus vivement touché de l'accent dont furent prononcées ces paroles, et plus encore des soins qui les accompagnèrent. Mais il fallait de telles épreuves pour provoquer choz le professeur un pareil épanehement.

En ce moment Hans arriva. Il vit ma main dans celle de mon oncle; j'ose affirmer que ses yeux exprimèrent un vif contentement.

« God dag, » dit-il.

Bonjour, Hans, bonjour, murmurai-je. Et maintenant, mon onole, apprenez* moi où nous sommes en ce moment?

Demain, Axel, demain; aujourd'hui, tu es encore trop faible j'ai entouré ta tête de compresses qu'il ne faut pas déranger; dors donc, mon garçon, et demain tu sauras tout. Mais au moins, repris-je, quelle heure, t quel jour est-il?

Onze heures du soir; c'est aujourd'hui dimanche, 9 août, et je ne te permets plus de m'interroger avant le 10 du présent mois. » En vérité, j'étais bien faible mes yeux se fer-


,n>.qni n, r–

mèrent involontairement, 11 me fallait une nuit de repos; je me laissai donc assoupir nui cette pensée que mon ieolement avait duré quatre longs jours. Le lendemain, à mon réveil, je regardai autour de moi. Ma couchette, faite de toutes les couver» tures de voyage, se trouvait installée dans une grotte charmante, ornée de magnifiques stalagmites, dont le sol était rocouvorfc d'un sable fin. Il y régnait une demi-obscurité. Aucune torche, aucune lampe n'était allumée, et cependant certaines clartés inexplicables venaient du dehors en pénétrant par une étroite ouverture de la grotte. J'entendais aussi un murmure vague et indéfini, semblable à celui des flots qui se brisent sur une grève, et parfois les sifflements de la brise. Je me demandai si j'étais bien éveillé, si je rêvais encore, si mon cerveau, fêlé dans ma chute, ne percevait pas des bruits purement imaginaires. Cependant ni mes yeux ni mes oreilles ne pouvaient se tromper à ce point.

« C'est un rayon du jour, pensai-je, qui se glisse par cette fente de rochers! Voilà bien le murmure des vagues! Voilà le sifflement do la brise.! Est-ce que je me trompe, ou sommes-nous revenus à la surface de la terre? Mon oncle a-t-il donc renoncé à son expédition, ou l'aurait-il heureusement terminée? »

Je me posais ces insolubles questions, quand le professeur entra


« Bonjour, Axel f fit-il joyeusement. Je gage- rais volontiers que tu te portes bien 1

Mais oui, dis-jo on me redressant sur ha couvertures.

Cola devait être, car tu as tranquillement dormi. Hana et moi, nous t'avons veillé tour à tour, et nous avons vu ta gucrison l'aire des progrès sensibles.

En effet, je me sens ragaillardi, et la prouve, c'est que je ferai honneur au déjeuner quo voua voudrez bien me servir! 1

Tu mangeras, mon garçon la fièvre t'a quitté. Hans a frotté tes plaies avec je ne sais quel onguent dont les Islandais ont le secret, et elles se sont cicatrisées à merveille. C'est un fier homme que notre chasseur l »

Tout en parlant, mon oncle apprêtait quelques aliments que je dévorai, malgré ses recommandations. Pendant ce temps, je l'accablai de questions auxquelles il s'empressa de répondre. J'appris alors que ma chute providentielle m'avait précisément amené à l'extrémité d'une galerie presque perpendiculaire; comme j'étais arrivé au milieu d'un torrent de pierres, dont la moins grosse eût suffi à m'écraser, il fallait en conclure qu'une partie du massif avait glissé avec moi. Cet effrayant véhicule me transporta ainsi jusque dans les bras de mon oncle, où jé tombai san* glant et inanimé.


« Véritablement, m» dit-il, il est étonnant que tu ne te sois pas tuô mille fois. Mais, pour Dieu! 1 ne nous séparons plus, car nous risquerions do ne jamais nous revoir. »

« Ne nous séparons plus » Le voyage n'était donc pas fini ? J'ouvrais de grands yeux étonnés, ce qui provoqua immédiatement cotte question « Qu'as-tu donc, Axel?

Une demande à vous adresser.. Vous dites' que me voilà sain et sauf?

Sans doute.

J'ai tous mes membres intacts?

Certainement.

Et ma tête?

Ta tête, sauf quelques contusions, est parfaitement à sa place sur tes épaules.

Eh bien, j'ai peur que mon cerveau ne soit dérangé,

Dérangé?

Oui. Nous rie sommes pas revenus à la surface du globe?

Non certes! 1 Alors il faut que je sois fou, car j'aperoois la lumière du jour, j'entends le bruit du vent qui souffle et de la mer qui se brise 1

Ah! n'est-ce que cela?

M'expliquerez-vous?

Je ne t'expliquerai rien, car c'est inexplicable mais tu verras et tu comprendras que la


science géologique n'a pas encore dit son dernier mot.

Sortons donc m'éeriai-je en me levant brus* quement.

Non, Axel, non! le grand air pourrait te faire du mal.

Le grand air?

Oui, le vent est assez violent. Je ne veux pas que tu t'exposes ainsi.

Mais je vous assure que je me porto à merveille.

Un peu de patience, mon garçon. Unoroehute nous mettrait dans l'embarras, et il ne faut pas perdre de temps, car la traversée peut être longue. La traversée?

Oui, repose-toi encore aujourd'hui, et nous nous embarquerons demain. 1

Nous embarquer! » »

Ce dernier mot me fit bondir.

Quoi! nous embarquer! Avions-nous donc un fleuve, un lac, une mer à notre disposition? Un bâtiment était-il mouillé dans quelque portintérieur? Ma curiosité fut excitée au plus haut point. Mon oncle essaya vainement de me retenir. Quand il vit que mon impatience me ferait plus de mal que la satisfaction de mes désirs, il céda. Je m'habillai rapidement; par surcroit de précaution, je m'enveloppai dans une des couvertures et je sortis de la grotte.


XXX

D'abord je ne vis rien; « mes yeux, déshabitués de lalumière, se fermèrent brusquement. Lorsque je pus les rouvrir, je demeurai encore plus stupéfait qu'émerveillé.

« La mer! m'écriai-je.

Oui, répondit mon onole.la merLidenbrock; et, j'aime à le penser, aucun navigateur ne me disputera l'honneur ae l'avoir découverte- et le droit de la nommer de mon nom »

Une vaste nappe d'eau, le commencement d'un lac ou d'un océan, s'étendait au delà des limites de la vue. Le rivage, largement éehaneré, offrait aux dernières ondulations des vagues un sable fin, doré et parsemé de ces petits coquillages où vécurent les premiers êtres de la création. Les Sots s'y brisaiert avec ce murmure sonore particulier aux milieux clos et immenses; une légère écume s'envolait au souffle d'un vent modéré, et quelques embruns m'arrivaient au visage. Sur cette grève légèrement inclinée, à cent toises environ de lit


lisière des vagues, venaient mourir les contreforts de rochers énormes qui montaient en s'évasant à une incommensurable hauteur. Quelquesuns, déchirant le rivage de tour arête aiguë, formaient des caps et des promontoires rongés par la dont du ressac. Plus loin, l'œil suivait leur masse nettement profilée sur les fonds brumeux de l'horizon.

C'était un océan véritable, avec le contour capricieux des rivages terrestres, mais désert et d'un aspect effroyablement sauvage.

Si mes regards pouvaient se promener au loin sur cette mer, c'est qu'une lumière « spéciale » en éclairait les moindres détails. Non pas la lumière du soleil avec ses faisceaux éclatants et l'irradiation splendide. de ses rayone, ni la lueur pâle et vague de l'astre des nuits, qui n'est qu'une réflexion sans chaleur. Non. Le pouvoir éclairant de cette lumière, sa diffusion tremblante, sa blancheur claire et sèche, le peu d'élévation de sa température, son éclat supérieur en réalité à celui de la lune, accusaient évidemment une origine purement électrique. C'était comme une aurore boréale, un «phénomène cosmique continu, qui remplissait cette caverne capable de contenir un océan.

Là voûte suspendue au-dessus de ma tête, 1& ciel, si l'on veut, semblait fait de grands nuages, vapeurs mobiles et changeantes, qui, par l'effet


de la condensation, devaient, à de certains jours, se résoudre en pluies torrentielles. J'aurais cru que, sous une pression aussi forte de l'atmosphère, l'éyaporation de l'eau ne pouvait se produire, et cependant, par une raison physique qui m'échappait, il y avait de larges nuées étendues dans l'air. Mais alors « il faisait beau », Les nappes électriques produisaient d'étonnants jeux de lumière sur les nuages très élevés des ombres vives se dessinaient & leurs volutes inférieures, et souvent, entre deux couches disjointes, un rayon se glissait jusqu'à nous avec une remarquable intensité. Mais, en somme, ce n'était pas le soleil, puisque la chaleur manquait a sa lumière. L'effet en était triste et souverainement mélancolique. Au lieu d'un firmament bril.lant d'étoiles, je sentais par-dessus ces nuages une voûte de granit qui m'écrasait de tout son poids, et cet espace n'eût pas suffi, tout immense qu'il fût, à la promenade du moins ambitieux des satellites.

Je me souvins.aloxs de cette théorie d'un capitaine anglais qui assimilait la terre à une vaste sphère creuse, à l'intérieur dé laquelle l'air se maintenait lumineux par suite de sa pression, tandis que deux astres, Pluton et Proserpine, y traçaient leurs mystérieuses orbites. Aurait-il dit vrai?

Nous étions réellement emprisonnés dans une


énorme excavation, Sa largeur, on ne pouvait la juger, puisque le rivage allait s'élargissant à perte de vue, ni sa longueur, car le regard était bientôt arrêté par une ligne d'horizon un peu indécise. Quant à sa hauteur, elle devait dépasser plusieurs lieues. Où cette voûte s'appuyait-elle sur ses contreforts de granit? L'ceF ne pouvait l'apercevoir; mais il y avait tel nuage suspendu dans l'atmosphère, dont l'élévation devait être estimée à deux mille toises, altitude supérieure à celle des vapeurs terrestres, et due sans doute à la densité considérable de l'air. Le mot « caverne » ne rend évidemment pas ma pensée pour peindre cet immense milieu Mais les mots de la langue humaine ne peuvent suffire à qui se hasarde dans les abimes du globe. Je ne savais pas, d'ailleurs, par quel fait géologique expliquer l'existence d'une pareille excavation. Le refroidissement du globe avait-il donc pu la produire? Je connaissais bien, parles récits des voyageurs, certaines cavernes célèbres, mais aucune ne présentait de telles dimensions. Si la grotte de Guachara, en Colombie, visitée par M. de Humboldt, n'avait pas livré le secret de sa profondeur au savant qui la reconnut sur un espace de deux mille cinq cents pieds, elle ne s'étendait vraisemblablement pas beaucoup au delà. L'immense caverne du Mammouth, dans le &entucky offrait bien des proportions gieran-


tesques, puisque sa voûte s'élevait à cinq oente pieds au-dessus d'un lac insondable, et que des voyageurs la parcoururent pendant plus de dix lieues sans en rencontrer la fin. Mais qu'étaient oes cavités auprès de celle que j'admirais alors, avec son ciel de vapeurs, ses irradiations électriques et une vaste mer renfermée dans ses flancs? Mon imagination se sentait impuissante devant cette immensité.

Toutes ces merveilles, je les contemplais en silence. Les paroles me manquaient pour rendre mes sensations. Je croyaisassister, dans quelque planète lointaine, Uranusou Neptune, à. des phénomènes dont ma nature « terrestrielle » n'avait pas conscience. A dos sensations nouvelles il fallait des mots nouveaux, et mon imagination ne me les fournissait pas. Je regardais, je pensais, j'admirais avec une stupéfaction mêlée d'une certaine quantité d'effroi.

L'imprévu de ce spectacle avait rappelé sur mon visage les couleurs de la santé j'étais en -train de me traiter par l'étonnement et d'opérer ma guérison au moyen de cette nouvelle thérapeutique d'ailleurs la vivacité d'un air très dense me ranimait, en fournissant plus d'oxygène à mes poumons.

On concevra sans peine qu'après un emprisonnement de quarante-sept jours dans une étroite galerie, c'était une jouissance infinie que d'aspirer


cette brise chargée d'humides émanations salines. Aussi n'eus-je point à me repentir d'avoir quitté ma grotte obscure. Mon oncle, déjà fait à ces merveilles, ne s'étonnait plus.

« Te sens-tu la force de te promener un peu P me demanda-t-il.

Oui, certes, répondis-je, et rien ne me sera plus agréable.

Eh bien, prends mon bras, Axel, et suivons les sinuosités du rivage. »

J'acceptai avec, empressement, et nous commençâmes à côtoyer cet océan nouveau. Sur la gauche, des rochers abrupts, grimpés les uns sur les autres, formaient un. entassement titanesque d'un prodigieux effet. Sur leurs flancs se déroulaient d'innombrables cascades, qui s'en allaient en nappes limpides et retentissantes; ¡. quelques légères vapeurs, sautant d'un roc à l'autre, marquaient la place des sources chaudes, et des ruisseaux coulaient doucement vers le bassin commun, en cherchant dans les pentes l'occasion de murmurer plus agréablement. Parmi ces ruisseaux je reconnus notre fidèle compagnon de route, le Hans-bach, qui venait se perdre tranquillement dans la mer, comme s'il n'edt jamais fait juitra chose depuis le commencement du monde.. »

« Il-nous manquera désormais, dis-je avec un xoupir.


Bah I répondit le professeur, lui ou un autre, qu'importe ? »

Je trouvai la réponse un pou ingrate.

Mais en ce moment mon attention fut attirée par un spectacle inattendu. A cinq cents pas, au détour d'un haut promontoire, une forêt haute, touffue, épaisse, apparut à nos yeux. Elle était faite d'arbres de moyenne grandeur, taillés en parasols réguliers, à contours nets et géométriques les courants de l'atmosphère ne semblaient pas avoir prise sur leur feuillage, et, au milieu des souffles, ils demeuraient immobiles comme un massif de cèdres pétrifiés.

Je hâtai le pas. Je ne pouvais mettre un nom à ces essences singulières. Ne faisaient-elles point partie des deux cent mille espèces végétales connues jusqu'alors, et fallait-il leur accorder une place spéciale dans la flore des végétations lacustres? Non. Quand nous arrivâmes sous leur ombrage, ma surprise ne.fut plus que de l'admiration.

` En effet, je me trouvais en présence de pro-.duits de la terre, mais taillés sur un patron gigantesque. Mon oncle les appela immédiatement de leur nom.

« Ce n'est qu'une forêt, de champignons, » dit-il.

Et il ne se trompait pas. Que l'on juge du développement acquis par ces plantes chères aux tûi?


lieux chauds et humides. Je savais que le « Lyeoperdon giganteum » atteint, suivant Bulliard, huit à neuf pieds de circonférence; mais il s'agissait ici de champignons blancs, hauts de trente à quarante pieds, avec une calotte d'un diamètre égal. Ils étaient là par milliers; la lumière ne parvenait pas à percer leur épais ombrage, et une obscurité complète régnait sous ces dômes juxtaposés comme les toits ronds d'une cité africaine. Cependant je voulus pénétrer plus avant. Un froid mortel descendait de ces voûtes charnues. Pendant une demi-heure, nous errâmes dans ces humides ténèbres, et ce fut avec un véritable sentiment de bien-être que je retrouvai les bords de la mer.

Mais la végétation de cette contrée souterraine ne s'en tenait pas à ces champignons. Plus loin s'élevaient par groupes un grand nombre d'autres arbres au feuillage décoloré. Ils étaient faciles à reconnaître c'étaient les humbles arbustes de la terre, avec des dimensions phénoménales, des lycopodes hauts de cent pieds, des sigillaires géantes, des fougères arborescentes, grandes comme les sapins des hautes latitudes, des lepidodendrons à tiges cylindriques bifurquées, terminées par de longues feuilles et hérissées de poils. rudes comme de monstrueuses plantes grasses. « Étonnant, magnifique, splendide.'s'écriamon


-oor'

oncle. VoilA toute la flore do la seconde époque du monde, de l'époque de transition. Voilà ces humbles plantes de nos jardins qui se faisaient arbres aux premiers siècles du globû Regarde, Axel, admire Jamais botaniste no s'est trouvé à pareille fête!

Vous avez raison, mon oncle; la Providence semble avoir voulu conserver dans cette serre immense ces plantes antédiluviennes que le sagacité des savants a reconstruites avec tant de bonheur.

Tu dis bien, mon garçon, c'est une serre; mais tu dirais mieux encore en ajoutant que o'est peut-être une ménagerie.

•– Une ménagerie! Y

Oui, sans doute. Vois cette poussière que nous foulons aux pieds, ces ossements épars sur le sol.

Des ossements m'écriai -je. Ouf, des ossements d'animaux antédiluviens ».

Je m'étais précipité sur ces débris séculaires faits d'une substance minérale indestructible'. Je mettais sans hésiter un nom à ces os gigantesques qui ressemblaient à des troncs d'arbres desséchés.

« Voilà la mâchoire inférieure du Mastodonte, disais-je; voilà les molaires du Dinotherium, voilà t. Phosphate de chaux..


un fémur qui ne peut avoir appartenu qu'au plus grand de ces animaux, au Mégatherium, Oui, o'est bien une ménagerie, car ces ossements n'ont certainement pas été transportés jusqu'ici par un cataclysme; les animaux auxquels ils appartiennent ont vécu sur les rivages de cette mer souterraine, à l'ombre de ces plantes arborescentes. Tenez, j'aperçois des squelettes entiers. Et cependant.

Cependant? dit mon oncle.

Je ne comprends pas. la présence de pareils quadrupèdes dans cette caverne de granit. Pourquoi?

Parce que la vie animale n'a existé sur la terre qu'aux périodes secondaires, lorsque le terrain sédimontaire a été formé par les alluvions, et a remplacé les roches incandescentes de l'époque primitive.

Eh bien Axel, il y a une réponse bien simple à faire à ton objection, c'est que ce terrain-ci est un terrain sédimen taire.

Comment à une pareille profondeur au-dessous de la surface de la terre?

Sans doute, et ce fait peut s'expliquer géologiquement. A une certaine époque, la terre n'était formée que d'une écorce élastique, soumise à des mouvements alternatifs de haut et de bas, en vertu des lois de l'attraction. li est probable que des affaissements du sol se sont produits, et


qu'une' partie des terrains sédimentaires a été entrainée au fond des gouffres subitement ouverts.

Cela doit être. Mais, si des animaux antédiluviens ont vécu dans ces régions souterraines, qui nous dit que l'un de ces monstres n'erre pas encore au milieu de ces forêts sombres ou derrière ces roos escarpés ? »

A cotte idée j'interrogeai, non sans effroi, les divers points de l'horizon; mais aucun être vivant n'apparaissait sur ces rivages déserts.

J'étais un pou fatigué j'allai m'asseoir alora à l'extrémité d'un promontoire au pied duquel les tlots venaient se briser avec fracas. De là mon regard embrassait toute cette baie formée par une échancrure de la côte. Au fond, un petit port s'y trouvait ménagé entre les roches pyramidales. Ses eaux calmes dormaient à l'abri du vent. Un brick et deux ou trois goélettes auraient pu y mouiller à l'aise. Je m'attendais presque à voir quelque navire sortant toutes voiles dehors et prenant le large sous la brise du sud.

Mais cette illusion se dissipa rapidement. Nous étions bien les seules créatures vivantes de ce monde souterrain. Par certaines accalmies du vent, un silence plus profond que les silences du désert, descendait sur les rocs arides et pesait à la surface de l'océan. Je cherchais alors à percer iestrumes lointaines, à déchirer oe rideau ieté su*


le fond mystérieux do l'horizon. Quelles demandes se pressaient sur mes lèvres? Où finissait cette mer?conduisait-elle? Pourrions-nous jamais en reconnaitre les rivages opposas? Mon oncle n'en doutait pas, pour son compte. Moi, je le désirais et je le craignais à la fois. Après une heure passée dans la contemplation de ce merveilleux spectacle, nous reprîmes le chemin de la grève pour regagner la grotte, et ce fut sous l'empire des plus étranges pensées que je m'endormis d'un profond sommeil.

XXXI

Le lendemain jeme réveillai complètement guéri. Je pensai qu'un bain me serait très salutaire, et j'allai me plonger pendant quelques minutes dans les eaux de cette Méditerranée. Ce nom, à coup sûr, elle le méritait entre tous.

Je revins déjeuner avec un bel appétit. Hans s'entendait à cuisiner notre petit menu il avait de l'eau et du feu à sa disposition, de sorte qu'il put varier un peu notre ordinaire. Au. dessert, il nous servit quelques tasses de café, et jamais ce délicieux breuvage ne me parut plus agréable à déguster. y

« Maintenant, dit mon oncle, voici l'heure de


la marée, et il ne faut pas manquer l'occasion d'étudier oe phénomène.

Comment» la marée m'éoriai-je.

Sans doute.

L'influence de la lune et du soleil se fait sentir jusqu'ici!

Pourquoi pas Les corps ne sont-ils pas soumis dans leur ensemble à l'attraction universelle ? Cette masse d'eau ne peut donc échapper à cette loi générale? Aussi, malgré la pression atmosphérique qui s'exeroe à sa surface, tu vas lavoirse soulever commel'Atlantique lui-même. » En oe moment nous foulions le sable du rivage et, les vagues gagnaient peu à peu sur la grève. « Voilà bien le flot qui commence, m'écriai-je. Oui, Axel, et d'après ces relais d'écume, tu peux voir que la mer s'élève d'une dizaine de pieds environ.

C'est merveilleux!

Non c'est naturel.

Vous avez beau dire, tout cela me parait extraordinaire, et c'est à peine si j'en crois mes yeux. Qui eût jamais imaginé dans cette écorce terrestre un océan véritable, avec ses flux et ses reflux, avec ses brises, avec ses tempêtes 1 Pourquoi pas? Y a-t-il une railon physique qui s'y oppose? P

Je n'en vois pas, du moment qu'il faut abandonner le système delà chaleur centrale.


Dono, jusqu'ici la théorie de Davy sa trouve justifiée?

Évidemment, et dès lors rien ne contredit l'existence de mers ou de contrées à l'intérieur du globe.

Sans doute, mais inhabitées,

Bon! pourquoi ces eaux ne donneraientelles pas asile à quelques poissons d'une espèce inconnue?

En tout cas, nous n'en avons pas aperçu un seul jusqu'ici.

Eh bien, nous pouvons fabriquer des lignes et voir si l'hameçon aura autant de succès ici-bas que dans les océans sublunaires.

Nous essayerons, Axel, car il faut pénétrer tous les secrets de ces régions nouvelles. Mais où sommes-nous, mon oncle ? car je ne vous ai point encore posé cette question à laquelle vos instruments ont dû répondre?

Horizontalement, à trois cent cinquante lieues de l'Islande.

Tout autant?

Je suis sûr de ne pas me tromper de cinq cents toises.

Et la boussole indique toujours le sudest ?

Oui, aveo une déclinaison occidentale de dix-neuf degrés et quarante-deux minutes, comme sur terre, absolument. Pour son inclinaison, il se


-H"

lasse un fait curieux que j'ai observé avec le plua grand soin.

Et lequel?

C'est que l'aiguille, au lieu de s'incliner vers lo pôle, comme elle le fait dans l'hémisphère boréal, se relève au contraire.

II faut donc en conclure que lé point d'attraction magnétique se trouve compris entre la surface du globe et l'endroit où nous sommes parvenus ?

Précisément, et il est probable que, si nous. arrivions sous les régions polaires, vers oe soixante-dixième degré où James Ross a découvert le pôle magnétique, nous verrions l'aiguille se dresser verticalement. Donc, ce mystérieux centre d'attraction rie se trouve pas situé à une grande profondeur

En effet, et voilà un fait que la science n'a pas soupçonné.

La science, mon garçon, est faite d'erreurs, mais 'd'erreurs qu'il est bon de commettre, car elles mènent peu à peu à la vérité.

Et à quelle profondeur sommes-nous? A une profondeur de trente-cinq lieues Ainsi, dis-je en considérant -la carte, la partie montagneuse de l'Ecosse est au-dessus de nous, et, là, les monts Grampians élèvent à une prodigieuse hauteur leur cime couverte de neige. Qui, répondit le professeur en riant; c'est


un peu lourd à porter, mais la voûte est solide le grand architecte do l'univers l'a construite on bons matériaux, et jamais l'homme n'eût pu lui donner une pareille portée! Que sont les arches des ponts et les arceaux des cathédrales auprès' de cette nef d'un rayon de trois lieues, sous laquelle un océan et des tempêtes peuvent se développer à leur aise?

Oh Je ne crains pas que le ciel me tombe sur la tête. Maintenant, mon oncle, quels sont vos projets? Ne comptez-vous pas retourner à la surface du globe?

Retourner! Par exemple! Continuer notre voyage, au contraire, puisque tout a si bien mar.ché jusqu'ioi. t

Cependant je ne vois pas comment noue pénétrerons sous cette plaine liquide.

Aussi je ne prétends point m'y précipiter la tête la première. Mais si les océans ne sont, à proprement parler, que des lacs, puisqu'ils sont entourés de terre, à plus forte raison cette mer intérieure se trouve-t-elle circonscrite parle massif granitique.

Cela n'est pas douteux.

Eh bien! sur les rivages opposés, je suis certain de trouver de nouvelles issues. Quelle longueur supposez-vous donc à cet océan? P

«*• Trente ou quarante liéuèéi


.Ah fls-je, tout en imaginant que cette estime pouvait bien être inexacte..

Ainsi nous n'avons pas de temps à perdre, et dès demain nous prendrons la mer. » Involontairement je cherchai des yeuxle navirequi devait nous transporter.

« Ah! dis-je, nous nous embarquerons. Bien! Et sur quel bâtiment prendrons-nous passage? Ce ne sera pas sur un bâtiment, mon garçon, mais sur un bon et solide radeau.

Un radeau! m'éoriai-je; un radeau est aussi impossible à construire qu'un navire, et je ne vois pas trop.

Tu ne vois pas, Axel, mais, si tu écoutais,' tu pourrais entendre J Entendre? P

Oui, certains coups de marteau qui t'apprendraient que Hans est déjà à l'œuvre. w

Il construit un radeau? P

Oui.

Comment! il a déjà fait tomber dès arbres sOus sa hache?

Oh! les arbres étaient tout abattus. Viens, et tu le verras à l'ouvrage. »

Après un quart d'heure de marche, de llautre côté du promontoire qui formait le petit port naturel, j'aperçus Hans au travail quelques pas encore, et je fus près de' lui. A ma grande surprise, un radeau à demi terminé s'étendait sur le


sable; il était fait de poutres d'un bois particulier, et un grand nombre de madriers, de courbes, de couples de toute espèce, jonohaient littéralement le sol. Il y avait là de quoi construire une marine entière.

« Mon oncle, m'écriai-je, quel est ce bois? C'est du pin, du sapin, du bouleau, toutes les espèces des conifères du Nord, minéralisées sous l'action des eaux de la mer.

Est-il possible?

C'est ce qu'on appelle du « surtarbrandur » ou bois fossile.

Mais alors, comme les lignites, il doit avoir la dureté delà pierre, et il ne pourra flotter? Quelquefois cela arrive il y a de ces bois qui sont devenus de véritables anthracites; mais d'autres, tels que ceux-ci, n'ont encore subi qu'un commencement de transformation fossile. Regarde plutôt, » ajouta mon oncle en jetant à la mer une de ces précieuses épaves.

Le morceau de. bois, après avoir disparu, revint à la surface des flots et oscilla au gré de leurs ondulations.

« Es-tu convaincu? dit mon oncle.

Convaincu surtout que cela n'est pas croyable! »

Le lendemain soir, grâce à l'habileté du guide^ te radeau était terminé il avait dix pieds de long sur cinq de large; les poutres de surtarbrandur,


reliées entre elles, par de fortes cordes, offraient une surface solide, et une fois lancée, cette em Jbaroation jmproviKÔti flotta tranquillement sur les ee$x çlela nper Lidenbrock,

'̃"̃ ̃ .̃̃̃ v ,̃̃̃ ̃̃"̃̃̃̃̃; ̃" ̃ -v

^ry ,•̃̃̃ XXXII- •; :̃̃, fr JL|B 13. ao$triQjnsfe réveijlâ de bon matin: Ila^açfissaitd'inaugurer un nouveau genre de, locon)o>

îion rapide et peu fatigant. ̃

l(n, mât fait deux bâtons jumelés, une vergue forméq d'un troisième, une voile empruntée à nos couyertures,- composaient; tout le gréenlent du radeau. Les cordes ne manquaient pas. Le to(Jt

était, -SQU46

,A fht heures, le ^ts^emffar donna Je- signal d'embarquer.' Les vivres, les. bagages, les instru-.me>n*Sj.les a^mes etxine notable. quantité d'eau douce se: trouvaient en place.

̃ Hans avait installé un) gouvernail qui' lui |>er- mettaît Rediriger sçn appareil flo1;tant. Il se.mit

k la barre. Je détachai l'arna^re qui nous retenait1

aùrrivage; la voile fut ot$Çn&é&, et nous^ébor-

d^tneiirapidêment.' *(̃ ~j~

Au momerit de quitter le petit port, mon oncle, qui tenait à sa ttomettclature géograph ique^ vot«*


v


–Il ̃̃̃̃̃ "-̃̃ ̃̃̃" ̃ ̃ IU "̃'̃'̃̃ ̃̃ III .1

lut lui donner un nom, le mien, entre autres. « Ma foi, dis-je, j'en ai un autre à vous proposer.

Lequel?

Le nom de GraUbon, Port-GraUben, èela fera très bien sur la carte.

Va pour Port-Graflben. w

Et voilà comment le souvenir de ma chère Virlandaise se rattacha à notre heureuse expédition.

La brise soufflait du nord-est nous niions vent arrière avec une extrême rapidité. Les couches très denses de l'atmosphère avaient une poussée considérable et agissaient sur la voile comme un puissant ventilateur.

Au bout d'une heure, mon oncle avait pu se rendre compte de notre vitesse.

« Si nous continuons à marcher ainsi, dit-il, nous ferons au moins trente lieues par vingtquatre heures et nous ne tarderons pas à reconnaitre les rivages opposés.

Je ne répondis pas, et j'allai prendre place à l'avant du radeau. Déjà la côte septentrionale s'abaissait à l'horizon les deux bras du rivage s'ouvraient largement comme pour faciliter notre départ. Devant mes yeux s'étendait une mer immense de grands nuages promenaient rapidement à sa surface leur ombre grisâtre, qui semblait peser sur cette eau mome. Les rayons


argentés de la lumière électrique, réfléchis çà et là par quelque gouttelette, faisaient éelore des points lumineux sur les côtés de l'embarcation. Bientôt toute terre fut perdue de vue, tout point de repère disparut, et, sans le sillage éoumeux du radeau, j'aurais pu croire qu'il demeurait dans une parfaite immobilité.

Vers midi, des algues immenses vinrent onduler à la surface des flots. Je connaissais la puis* sance végétative de ces plantes, qui rampent à une profondeur de plus de douze mille. pieds au fond des mers, se reproduisent sous une pression de près 3e quatre cents atmosphères et forment souvent des bancs assez considérables pour entraver la marche des navires; mais jamais, je crois, algues ne furent plus gigantesques que celles de la mer Lidenbrock.

Notre radeau longea des fucus longs de trois et quatre mille pieds, immenses serpents qui se développaient hors de la portée de lavue; je m'amusais à suivre du regard leurs rubans infinis, croyant toujours en atteindre l'extrémité, et pendant des heures entières ma patience était trompée, sinon mon étonnement.

Quelle 'force naturelle pouvait produire de telles plantes, et quel devait être l'aspect de la terre aux premiers siècles de sa formation, quand, sous l'action de la. chaleur et de l'humidité, le règne végétal se développait seul à sa surface!


Le soir arriva, et, ainsi que je l'avais remarqué la veille, l'état lumineux de l'air no suhit aucune diminution. C'était un phénomène constant sur la durée* duquol on pouvait compter.

Après la souper je m'étendis au pied du mât, et je ne tardai pas a m'endormir au milieu d'indolentes rêveries.

Hans, immobile au gouvernail, laissait courir le radeau, qui, d'ailleurs, poussé vent arrière, ne demandait même pas à être dirige. Depuis notre départ de Port-Grattben, le profes*seur Lidenbrock m'avait chargé de tenir le « journal du bord », de noter les moindres observations, de consigner les phénomènes intéressants, la direction du vent, la vitesse acquise, le chemin parcouru,.en un mot, tous les incidents de cette étrange navigation.

,V Je ^e bornerai donc à reproduire ici ces notes quotidiennes, écrites pour ainsi dire sous la dictée des événements, afin de donner un récit plus exact de notre traversée.

Vendredi 14 août. Brise égale du N.-O. Le radeau marche avec rapidité et en ligne droite. La côte reste à, trente lieues sous le vent. Rien à l'horizon. L'intensité de la lumière ne varie pas. Beau temps, c'est-à-dire que les nuages sont fort élevés, peu épais et baignés dans une atmosphère blanche, comme serait de l'argent en fusion.


Thermomètre + 32° centigr.

A midi Hans prépare un hameçon à l'extrémité d'une corde il l'amorce avec un petit morceau do viande et le jette à là mer. Pondant deux lioures il no prend rien. Cos eaux sont donc inha. bitées ? Non. Une secousse se produit. Hans tire «a ligne et ramène un poisson qui se débat vigoureusement.

« Un poisson s'écrie mon oncle.

C'est un esturgeon m'écriai-je à mon tour, un esturgeon de petite taille! »

Le professeur regarde attentivement l'animal et ne partage pas mon opinion. Ce poisson a la tête plate, arrondie et la partie antérieure du corps couverte de plaques osseuses; sa bouche est privée de dents; des nageoires pectorales assez développées sont ajustées à son corps dépourvu de queue. Cet animal appartient bien à un ordre où les naturalistes ont classé l'esturgeon, mais il en diffère par des côtés assez essentiels.

Mon oncle ne s'y trompe pas, car, après un assez court examen, il dit

« Ce poisson appartient à une famille éteinte depuis, des siècles et dont on retrouve des traces fossiles dans le terrain dévonien.

Comment! dis-je, nous aurions pu prendre vivant un de ces habitants des mers primitives? Oui, répond le professeur en continuant ses


observations, et tu vois que ces poissons fossiles n'ont aucune identité avec les espèces actuelles Or, tenir un de ces êtres vivant c'est un véritable bonheur de naturaliste.

Mais à quelle famille appartient-il? A l'ordre des Ganoïdes» famille des Cépha laspides, genre.

Eh bien?

Genre des Pterychtis, j'en jurerais; mai» celui-ci offre une particularité qui, dit-on, se rencontre chez les poissons des eaux souterraines. Laquelle? 'f

r– Il est aveugle! 1

Aveugle! 1

Non seulement aveugle, mais l'organe d# la vue lui manque absolument. »

Je regarde. Rien n'est plus vrai. Mais ce peut être un cas particulier. La ligne est donc amorcée de nouveau et rejetée à la mer. Cet océan, à coup sûr, est fort poissonneux, car en deux heures nous prenons une grande quantité de Pteryehtis, ainsi que des poissons appartenant à une famille > également éteinte, lès Dipterides, mais dont mon oncle ne peut reconnaître le genre. Tous sont dépourvus de l'organe de la vue. Cette pêche inespérée renouvelle -avantageusement nos provisions.

Ainsi donc, cela paraît constant, cette mer ne renferme que des espèces fossiles, dans lesquelles


les poissons comme les reptiles sont d'autant plus parfaits que leur création est plus ancienne Peut-être rencontrerons-nous quelques-uns de ces sauriens que la science a su refaire avec un bout d'ossement ou de cartilage.

Je prends la lunette et j'examine la mer. Elle est déserte. Sans doute nous sommes encore trop rapprochés des côtea.

Je regarde dans les airs. Pourquoi quelques-uns de ces oiseaux reconstruits par l'immortel Cuvier ne battraient-ils pas de leurs ailes ces lourdes couches atmosphériques? Les poissons leur fourniraient une suffisante nourriture. J'observe l'es pace, mais les airs sont inhabités comme les rivages.

Cependant mon imagination m'emporte dans les merveilleuses hypothèses de la paléontologie. Je rêve tout éveillé. Je crois voir à la surface des eaux ces énormes Chersites, ces tortues antédiluviennes, semblables à des îlots flottants. Il me semble que sur les grèves assombries passent les grands mammifères des premiers jours, le'Lepto- therium, trouvé dans les cavernes du Brésil, le ericotherium, venn des régions glacées de la Sibérie. Plus loin, le pachyderme Lophiodon, ce tapir gigantèsque, se cache derrière les rocs, prêt à disputer sa proie à l'Anoplotherium, animal étrange, qui tient du rhinocéros, du cheval, de l'hippopotame et dy chameau, confine si le Créa-


teur, pressé aux premières heures du monde, eût réuni plusieurs animaux en un seul. Le Mastodonte géant fait tournoyer sa trompe et broie tous ses défenses les rochers du rivage, tandis que le Megathorium, arc-bouté sur ses énormes pattes, fouille la terre en éveillantparses rugisse» ments l'écho des granits sonores. Plus haut, le Protopithèque, le premier singe apparu à la sur*face du globe, gravit les cimes ardues. Plus haut encore, le Ptérodactyle, à la main ailée, glisse comme une large chauve-souris sur l'air comprimé. Enfin, dans les dernières couches, des oiseaux immenses, plus puissants que le casoar, plus grands que l'autruche, déploient leurs vastes ailes et vont donner de la tête contre la paroi de la voûte granitique.

Tout ce monde fossile renait dans mon imagigination. Je- me reporte aux époques bibliques de la création, bien avant la naissance de l'homme, lorsque la terre incomplète ne pouvait lui suffire encore. Mon rêve alors devance l'apparition des êtres animés. Les mammifères disparaissent. puis les oiseaux, puis les reptiles de l'époque secondaire, et enfin les poissons, les crustacés, Li mollusques, les articulés. Les zoophytes de la période de transition retournent au néant à leur tour. Toute la vie de la terre se résume en moi. et mon cœur est seul à battre dans ce monde dépeuplé. Il n'y plus de saisons il n'y a plus d*


climats; la. chaleur propre du globe s'accroît sans cesse et neutralise celle de l'astre radieux. La végétation s'exagère je passe comme une ombre au milieu des fougères arborescentes, foulant de mon pas incertain les marnes irisées et les grès bigarrés du sol; je m'appuie au trono des conifères immenses je me couche à l'ombre des Sphenophylles, des Asterophylles et des Lycopodes hauts de cent pieds.

Les siècles s'écoulent comme des jours; je' remonte la série des transformations terrestres; les plantes disparaissent; les roches granitiques perdent leur dureté; l'état liquide va remplacer l'état solide sous l'action d'une chaleur plus intense; les eaux courent à la surface du globe; elles bouillonnent, elles se volatilisent; les vapeurs enveloppent la terre, qui peu à peu ne forme plus qu'une masse gazeuse, portée au rouge blanc, grosse comme le soleil et brillante comme lui

Au centre de cette nébuleuse, quatorze cent mille fois plus considérable que ce globe qu'elle va former un jour, je suis entraîné dans les espaces planétaires; mon corps se subtilise, se sublime à son tour et se mélange comme un atome impondérable à ces immenses vapeurs qui tracent dans l'infini leur orbite emflammée!

Quel rêve! Où m'emporte-t-il? Ma main fiévreuse en jette sur le papier les étranges détails.


J'ai tout oublié, et le professeur, et le guide, et le radeau Une hallucination s'est emparée de mon esprit.

« Qu'as-tu? » dit mon oncle.

Mes yeux tout ouverts se fixent sur lui sans le voir.

« Prends garde, Axel, tu vas tomber à la mer 1 En même temps, je me sens saisir vigoureusement par la main do'Hans. Sans lui, tous l'empire de mon rêve, je me précipitais dans les flots. « Est-ce qu'il devient fou ? s'écrie le professeur.. Qu'y a-t-il? dis-je enfin, en revenant à moi. Es-tu malade?

Non, j'ai eu un moment d'hallucination, mais il est passé. Tout va bien, d'ailleurs? Oui! bonne brise, belle mer nous filons rapidement, et si mon estime ne m'a pas trompé, nous ne pouvons tarder à atterrir. »

A ces paroles, je me lève, je consulte l'horizon j mais la ligne'd'eàu se confond tpujours avec la ligne des nuages.

XXXIII

Samedi 15 août, La mer conserve samonojne uniformité. Nulle terre n'est en vue. L'bQ» rj?on parait exee.8s.iYement reçul^


J'ai la tête encore alourdie par la violence de mon rêve.

Mon oncle n'a pas rêvé, lui, mais il est de mauvaise humeur; il parcourt tous les points de l'espace avec sa lunette et se croise les bras d'un air dépité.. Je remarque que le professeur Lidenbrock tend à redevenir l'homme impatient du passé, et je consigne le fait sur mon journal. H a fallu nies dangers et mes souffrances pour tirer de lui quelque étincelle d'humanité; mais, 'depuis ma guérison, la nature a repris le dessus. Et cependant, pourquoi s'emporter? Le voyage ne s'accomplit-il pas dans les circonstances les plus favorables ? Est-ce que le radeau ne file pas avec une merveilleuse rapidité? P

« Vous semblez inquiet, mon oncle? dis-je, en le voyant souvent porter la lunette à ses yeux. Inquiet? Non.

Impatient, alors ?

On le serait à moins! 1

Cependant nous marchons avec vitesse. •– Que m'emporte? Ce n'est pas la vitesse qui est trop petite; c'est la mer qui est trop grande! » le me souviens alors que le professeur, avant notre départ, estimait à une trentaine de lieues la longueur de ce souterrain. Or nous avons parcouru un chemin trois fois plus long, et les riyages du sud n'apparaissent pas encorer r


a Nous ne descendons pas! reprend le professeur. Tout cela est du temps pordu, et, en somme, je ne suis pas venu si loin pour faire une partit de bateau sur un étang!

Il appelle cette traversée une partie de bateau, et cette mer un étang

a Mais, dis-je puisque nous avons suivi la route indiquée par Saknussemm.

C'est la question. Avons-nous suivi cette route? Saknussemm a-t-il rencontré cette étendue d'eau? L'a-t-il traversée? Ce ruisseau que nous avons pris pour guide ne nous a-t-il pas complètement égarés?

En tout cas, nous ne pouvons regretter. d'être venus jusqu'ici. Ce spectacle est magnifique, et.

Il ne s'agit pas de voir. Je me suis proposé un but, et je veux l'atteindre 1 Ainsi ne me parle pas d'admirer

Je me le tiens pour dit, et je laisse le professeur se ronger les lèvres d'impatience. A six heures, du soir, Hans réclame sa paye, et ses trois rixdales lui sont comptés.

Dimanche 16 août. Rien de nouveau. Même temps. Le vent a une.légère tendance^ fraiehir. En me réveillant, mon premier soin, est de co«s^fcàter l'intensité de la, lumière. Je crains toujours que le phénomène électrique ne vienne à a*ob*


scureir, puis à s'éteindre. Il n'en est rien l'ombre du radeau est nettement dessinée à la surface des flots.

Vraiment cette mer est infinie Elle doit avoir la largeur de la Méditerranée, ou même de l'Atlantique. Pourquoi pas?

Mon oncle sonde à plusieurs reprises; il attache un des plus lourds pics à l'extrémité d'une corde qu'il laisse filer de deux cents brasses. Pas de fond. Nous avons beaucoup de peine à ramener notre sonde.

Quand le pio est remonté à bord, Hans me fait remarquer à sa surface des empreintes fortement accusées. On dirait que ce morceau de fer a été vigoureusement serré entre deux corps durs. Je regarde le chasseur.

« Tânder! » fait-41,

Je ne comprends .pas. Je me tourne vers mon oncle, qui est entièrement absorbé dans ses réflexions. Je ne me soucie pas de le' déranger. Je reviens vers l'Islandais. Celui-ci, ouvrant et ro fermant plusieurs fois la bouche, me fait comprendre sa pensée.

« Des dents! » dis-je avec stupéfaction en considérant plus attentivement la barre de fer. Oui! ce sont bien des dents dont l'empreinte s'est incrustée dans le métal! Les mâchoires qu'elles garnissent doivent posséder une force prodigieuse! Est-ce un monstre des espèces per-


duos qui s'agite sous la couche profonde des eaux, plus voraoe que le squale, plus redoutable que la baleine Je ne puis détacher mes regarda de cette barre à demi rongée! Mon rêve de la nuit dernière va-t-il devenir une réalité?

Ces pensées m'agitent pendant tout le jour, et mon imagination se calme à peine dans un sommeil de quelques heures.

Lundi 17 août. Je cherche à me rappeler les instincts particuliers à ces animaux antédiluviens de l'époque secondaire, qui, succédant aux mollusques, aux crustacés et aux poissons, précédèrent l'apparition des mammifères sur le globe. Le monde appartenait alors aux reptiles. Ces monstres régnaient en maîtres dans les mers jurassiques La nature leur avait accordé la plus complète organisation. Quelle gigantesque structure quelle force prodigieuse 1 Les sauriens actuels, alligators ou crocodiles, les plus gros et les plus redoutables, ne sont que des réductions affaiblies de leurs pères des premiers âges! l Je frissonne à l'évocation que je fais de ces monstres. Nul œil humain ne les a vus vivants. Us apparurent sur la terre mille siècles avant l'homme, mais leurs ossements fossiles, retrouvés dans ce calcaire argileux que les Anglais i. Mers dé la période secondaire qui ont formé les terrains «font ce eomposent'les moaUguta du Jura.


nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquement et de connaitre leur colossale conformation.

J'ai vu au Muséum de Hambourg le squelette de l'un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. Suis-je donc destiné, moi, habitant de la terre, à me trouver face à face aveo ces représentants d'une famille antédiluvienne ? Non 1 o'est impossible. Cependant la marque des dents puissantes est gravée sur la barre de fer, et à leur empreinte je reconnais qu'elles sont coniques comme celles du crocodile.

Mes yeux se fixent aveo effroi sur la mer; je crains de voir s'élancer l'un de ces habitants des cavernes sous-marines.

Je suppose que le professeur Lidenbrock partage mes idées, sinon mes craintes, car, après avoir examiné le pic, il parcourt l'océan du regard.

« Au diable, dis-je en moi-même, cette idée qu'il a eue de sonder I Il a troublé quelque animal marin dans sa retraite, et si nous ne sommes pas attaqués en route »

Je jette un coup d'oeil sur les armes, et je m'assure qu'elles sont en bon état. Mon oncle me voit faire et m'approuve du geste. Déjà de larges agitations produites à la surface des flots indiquent le trouble des couches reculées. Le danger est proche. Il faut veiller.


Mardi i8 août. Le soir arrive, ou plutôt le moment ou le sommeil alourdit nos paupières, car la nuit manque à cet océan, et l'implacable lumière fatigue obstinément nos yeux, comme si nous naviguions sous le soleil des mers arctiques. Hans est à la barre. Pendant son quart je m'endors.

Deux heures après, une secousse épouvantable me réveille. Le radeau a été soulevé hors des flots avec une indescriptible puissance et rejeté à vingt toises de là.

« Qu'y a-t-il? s'écrie mon oncle; avons-nous touohé?»

Hans montre du doigt, à une distance de deux cents toises, une masse noirâtre qui s'élève et s'abaisse tour à tour. Je regarde et je m'écrie « C'est un marsouin colossal I

Oui, réplique mon oncle, et voilà maintenant un lézard de mer d'une grosseur peu commune.

Et plus loin un crocodile monstrueux Voyez sa large mâchoire et les rangées de dents dont elle est armée. Ah! il disparait!

Une baleine! une baleine! s'écrie alors le professeur. J'aperçois ses nageoires énormes! Vois l'air et l'eau qu'elle chasse par ses évefats! » En effet, deux colonnes liquides s'élèvent à une hauteur considérable au-dessus de la mer. Nons restons surpris, stupéfaits, éppuvantét, en


présenoe de ce troupeau de monstres marins. Us ont des dimensions surnaturelles, et lo moindre d'entre eux briserai le radeau d'un coup de dent. Hans veut mettre la. barre au vent, afin de fuir ce voisinage dangereux; mais il aperçoit sur l'autre bord d'autres ennemis non moins redoutables une tortue large de quarante pieds, et un serpent long de trente, qui darde sa tôte énorme au-dessus des flots.

Impossible de fuir. Ces reptiles s'approchent; ils tournent autour du radeau avec une rapidité quo des convois lancés à grand o vitesse ne sauraient égaler; ils tracent autour do lui des cercles concentriques. J'ai pris ma carabine. Mais quel effet peut produire une balle sur les écailles dont le corps de ces animaux est recouvert? Nous sommes muets d'offroi. Les voici qui s'approchent! D'un côté le crocodile, de l'autre le serpent. Le reste du troupeau marin a disparu. Je vais faire feu. Hans m'arrête d'un signe. Les deux monstres passent à cinquante toises du radeau, se précipitent l'un sur l'autre, et leur fureur les empêche de nous apercevoir.

Le combat s'engage à cent toises du radeau. Nous voyons distinctement les deux monstres aux prises.

Mais il me semble que maintenant les autres animaux viennent prendre part à la lutte, le marsouin, la baîcino, le lézard, la tortue à chaque


instant joies entrevois. Je les montre à l'Islandais. Celui-ci remue la tête négativement. « fva », fait-il?

Quoi deux! il prétend que doux animaux

soulemont.

Il a raison, s'écrie mon oncle, dont la lunette n'a pas quitté les yeux.

Par exemple 1

Oui! le premier de ces monstres a le museau d'un marsouin, la tête d'un lézard, les dents d'un crocodile, et voilà ce qui nous a trompés. C'est le plus redoutable des reptiles antédiluviens, l'Ichthyosaurus I

Et l'autre

L'autre, c'est un serpent caché dans la carapace d'une tortue, le terrible ennemi du premier, le Plesiosaurus! »

Hans a dit vrai. Deux monstres seulement troublent ainsi la surface de la mer, et j'ai devant lesyeuxdeux reptiles des océans primitifs. J'aperçois l'œil sanglant de l'Ichthyosaurus, gros comme la tête d'un homme. La nature l'a doué d'un appareil d'optique d'une extrême puissance et capable de résister à la pression dés couches d'eau.dans les profondeurs qu'il habite. On l'a justement nommé la baleine des Sauriens, car il on a la rapidité et la taille. Celui-ci ne mesure pas moins de cent pieds, et je peux juger de sa grandeur quand il dresse au-dessus* des flots les nageoires


verticales de sa queue. Sa mâchoire est énorme, et d'après les naturalistes, elle ne compte pas moins de cent quatre-vingt-deux dents. Le Plesiosaurus, serpent à tronc cylindrique, à queue courte, a les pattes disposées en forme de rame. Son corps est entièrement revêtu d'une carapace, et son cou, flexible comme celui du cygne, se dresse à trente pieds au-dessus des flots? Ces animaux s'attaquent avec une indescriptible furie. Ils soulèvent des montagnes liquides 'qui s'étendent jusqu'au radeau. Vingt fois nous sommes sur le point de chavirer. Des sitilements d'une prodigieuse intensité se font entendre. Les deux bêtes sont enlacées. Je ne puis les distinguer l'une de l'autre! Il faut tout craindre de la rage du vainqueur.

Une heure, deux heures se passent. La lutte continue avec le même acharnement. Les combattants se rapprochent du radeau et's'en éloignent tour à tour. Nous restons immobiles, prêts à faire feu. Soudain l'Ichthyosaurus et le Plesiosaurus disparaissent en creusant un véritable maëlstrom. Le combat va-t-il se terminer dans les profondeurs de la mer?

Mais tout à coup une tête énorme s'élance au dehors, la tête du Plesiosaurus. Le monstre est blessé. à mort. Je n'aperçois plus son immense carapace. Seulement, son long cou se dresse, g'ahatj se relève, se recourbe* cingle les flots


comme un fouet gigantesque et se tord comme un ver coupé. L'eau rejaillit à une distance considérable. Elle nous aveugle. Mais bientôt l'agonie du reptile touche à sa fin, ses mouvements diminuent, ses contorsions s'apaisent, et ce long tronçon de serpent s'étend comme une masse inerte sur les flots calmés.

Quant à l'Ichthyosaurus, a-t-il donc regagné sa caverne sous-marine, ou va-t-il reparaître à la surface de la mer?

XXXIV

Mercredi 19 août. Heureusement le vent; qui souffle avec force, nous a permis de fuir rapidement le théâtre du combat. Hans est toujours au gouvernail. Mon oncle, tiré de ses absorbantes idées par les incidents de ce combat, retombe dans son impatiente contemplation de la mer. Le voyage reprend sa monotone uniformité, que je ne tiens pas à rompre au prix des dangers d'hier.

Jeudi 20 août. Brise N.-N.-E. assez inégale. Température chaude. Nous marchons avec une vitesse de trois lieues et demie à l'heure.


Vers midi un bruit très éloigné se fait entendre. Je consigne ici le fait sans pouvoir en donner l'oxplioation. C'est un mugissement continu. « II y a au loin, dit le professeur, quelque rocher, ou quelque îlot sur lequel la mer se brise. » Hans se hisse au sommet du mât, mais ne signale aucun éoueil. L'océan est uni jusqu'à sa ligne d'horizon.

Trois heures se passent. Les mugissements semblent provenir d'une chute d'eau éloignée. Je le fais remarquer à mon oncle, qui secoue la tête. J'ai pourtant la conviction que jè ne me trompe pas. Courons-nous donc à quelque cataracte qui nous précipitera dans l'abîme? Que cette manière de descendre plaise au professeur, parce qu'elle se rapproche de la verticale, c'est possible, mais à moi.

En tout cas, il doit y avoir à quelques lieues au vent un phénomène bruyant, car maintenant les mugissements se font entendre avec une grande violence. Viennent-ils du ciel ou de l'océan ? P

Je porte mes regards vers les vapeurs susrendues dans l'atmosphère, et je cherche à sonder leur profondeur. Le ciel est tranquille les nuages, emportés au plus haut de la voûte, semblent immobiles et se perdent dans l'intense irradiation de la lumière. Il faut donc chercher ailleurs la cause de ce phénomène..


J'interroge alors l'horizon pur et dégagé de toute brume. Son aspect n'a pas changé. Mais si oe bruit vient d'une chute, d'une cataracte; si tout cet océan se précipite dans mn bassin nférieur, si ces mugissements sont produits par une masse d'eau qui tombe, le courant doit s'activer, e(; sa vitesse croissante peut me donner la mesure du péril dont nous sommes menacés. Je consulte le courant. Il est nul. Upe bouteille vide que je jette à la mer reste sous le vent.. Vers quatre heures, IJans se lève, se cramponne au mât et monte à son extrémité, pe là son regard parcourt l'arc de cercle que l'pcéan décrit devant le radeau et s'arrête h un point* Sa figure n'exprime aucune surprise, mais son poil est devenu fixe.

« Il a vu quelque chose, dit mon oncle. Je le crois. »

flans redescend, puis il étend son bras vers le sud en disant

« Per nere »

Là-bas ? » répond mon oncle.

Et saisissant sa lunette, il regarde attentivement pendant une minute, qui me paraît un

siècle.

« Qui, oui s^crie-t-il.

Que voyez-vous?

Une gerbe ima>ense qui «l'élève (tu-dessus des flots*


«– Encore quelque animal marin? p

Peut-être.

Alors mettons le cap plus à l'ouest, car noua savons à quoi nous en tenir surle danger de rencontrer ces monstres antédiluviens

Laissons aller, » répond mon oncle. Je me retourne vers Hans. Hans maintient sa barre avec une inflexible rigueur.

Cependant, si de la distance qui nous sépare de cet animal, et qu'il faut estimer à douze lieues au moins, on peut apercevoir la colonne d'eau chassée par ses évents, il doit être d'une taille surnaturelle. Fuir serait se conformer aux lois de la plus vulgaire prudence. Mais nous ne sommes pas venus ici pour être prudents.

On va donc en avant. Plus nous approchons, plus la gerbe grandit. Quel monstre peut s'emplir d'une pareille quantité d'eau et l'expulser ainsi sans interruption?

A huit heures du soir nous ne sommes pas & deux lieues de lui. Son corps noirâtre, énorme, monstrueux, s'étend dans la mer comme un ilot. Est-ce illusion? est-ce effroi? Sa longueur me paraît dépasser mille toises Quel est donc ce cétacé que n'ont prévu ni les Cuvier ni les Blumerabach?ll est immobile et comme endormi;1 la mer semble ne pouvoir le soulever, et ce sont les vagues qui ondulent sur *-îs flancs. lia colonne d'eau, projetée à une ha*- de cinq cents pieds


retombe avec un bruit assourdissant. Nous courons en insensés vers cette masse puissante que cent baleines ne nourriraient pas pour un jour.

La terreur me prend. Je ne veux pas aller plus loin! Je couperai, s'il le faut, la drisse de la voile! Je me révolte contre le professeur, qui ne me répond pas.

Tout à coup Hans se lève, et montrant du doigt le point menaçant

« Holme! » dit-il.

Une ile s'écrie mon oncle.

Une île dis-je à mon tour en haussant les épaules.

Évidemment, répond le professeur en poussant un vaste éclat de rire.

Mais cette colonne d'eau 1

Geyser • fait Hans.

Eh sans doute, geyser, riposte mon oncle, un geyser pareil à ceux de l'Islande! » Je ne veux pas, d'abord, m'être trompé si grossièrement. Avoir pris un îlot pour un monstre marin Mais l'évidence se fait, et il faut enfin convenir de mon erreur. Il n'y a là qu'un phénomène naturel.

A mesure que nous approchons, les dimensions de la gerbe liquide deviennent grandioses. L'îlot t. Bqurce jaillissant* {rès célèbre située eu pied de V^éela,


représente à s'y méprendre un cétacé immense dont la tête domine les flots à une hauteur de dix toises. Le geyser, mot que les Islandais pro. noncent « geysir » et qui signifie « fureur », s'élève majestueusement à son extrémité. De sourdes détonations éclatent par instants, et l'énorme, jet, pris de colères plus violentes, secoue son panachedevapeursenbondissantjusqu'àlapremière couche de nuages. Il est seul. Ni fumerolles, ni sources chaudes ne l'entourent, et toute la puissance volcanique se résume en lui. Les rayons de la lumière électrique viennent se mêler à cette gerbe éblouissante, dont chaque goutte se nuance de toutes les couleurs du prisme:

« Accostons, » dit le professeur.

Mais il faut. éviter avec soin cette trombe d'eau, qui coulerait le radeau en un instant. Hans, manœuvrant adroitement, nous amène à l'extrémité de l'îlot.

Je saute sur le roc; mon oncle me suit lestement, tandis que le chasseur demeure à son poste, comme un homme au-dessus de ces étonnements.

Nous marchons sur un granit mêlé de tuf siliceux le sol frissonne sous nos pieds comme les flancs d'une chaudière où se tord de la vapeur surchauffée; il est brûlant. Nous arrivons en vue d'un petit bassin central d'où s'élève le geyser, le plonge dar|R l'eau qui coule en boujllo$nan,t


un thermomètre à déversement, et il marque une chaleur de cent soixante-trois degrés. Ainsi donc cette eau sort d'un foyer ardent. Cela contredit singulièrement les théories du professeur Lidenbroclt, Je ne puis m'empêcher d'en faire la remarque.'

« Eh bien, réplique-t-il, qu'est-ce .que cela prouve, contre ma doctrine ?

Rien, »'dis-je d'un ton sec, en voyant que je me heurte à un entêtement absolu.

Néanmoins, je suis forcé d'avouer que nous sommes singulièrement favorisés jusqu'ici, et que, pour une raison qui m'échappe, ce voyage s'accomplit dans des conditions particulières de température; mais il me paraît évident, certain, que nous arriverons un jour ou l'autre à ces régions ou la chaleur centrale atteint les plus hautes limites et dépasse toutes les graduations des thermomètres.

Nous verrons bien. C'est le mot du professeur, qui, après avoir baptisé oet ilot volcanique du nom de son neveu, donne le signal de l'embarquement.

Je reste pendant quelques minutes encore à contempler le geyser. Je remarque que son_ jet est irrégulier dans ses accès, qu'il diminue parfois d'intensité, puis reprend avec une nouvelle vigueur, ce que j'attribue aux variations de pression des vapeurs accumulées dans son réservoir.


Enfin nous partons en contournant les roches très aecores du sud. Hans a profite; de cette halte pour remettre le radeau en état.

Mais ayant de déborder je fais quelques observations pour calculer la distance parcourue, et je les note sur mon journal. Nous avons franchi dejjx cent soixante-dix lieues de mer depuis PortGrattben, et nous sommes à six cent vingt lieues 4e l'Islande, sous l'Angleterre.

XXXV

Vendredi n août. Le lendemain le magnifique geyser » disparu. Le vent a fraîchi; -et nous a rapidement éloignés de l'îlot Axel. Les mugissements se sont éteints peu à peu.

Lo temps, s'il est permis de s'exprimer ainsi, va changer avant peu. L'atmosphère se charge de vapeurs, qui emportent avec elles l'électricité formée par l'évaporation des eaux salines, les nuages s'abaissent sensiblement et prennent une 'teinte uniformément olivâtre; les rayons électriques peuvent à pejne percer cet opaque rideau baissé sur le théâtre se jouer le drame des tempêtes.

Je me sens particulièrement impressionné, comme l'est sur terre touje créatujre à J'approche


.d'un cataclysme. Les « cumulus » entassés dans le sud présentent un aspect sinistre; ils ont cette apparence « impitoyable » que j'ai «cuvent remarquée stu début des orages. L'air est lourd, la mer est calme.

Au loin les nuages ressemblent à de grosses balles de coton amoncelées dans un pittoresque désordre; peu à peu ils se gonflent et perdent en nombre ce qu'ils gagnent on grandeur; leur pesanteur est telle qu'ils ne peuvent se détacher de l'horizon; mais, au souffle des courants élevés, ils se fondent peu à peu, s'assombrissent et pré- sentent bientôt une couche unique d'un aspect redoutable; parfois une pelote de vapeurs, encore éolairoe, rebondit sur ce tapis grisâtre et va se perdre bientôt dans la masse opaque. Évidemment l'atmosphère est saturée de fluide, j'en suis tout imprégné, mes cheveux se dressent sur ma tête comme aux abords d'une màèhine électrique. Il me semble que, si mes compagnons me touchaient en ce moment, ils recevraient une commotion violente.

A dix heures du matin, les symptômes de lorage sont plus décisifs on dirait que le vent mollit pour mieuxreprendre haleine; la nue ressemble à une outre immense dans laquelle s'accumulent les ouragans.. ¡'

I. Nuages <fc fprçnes arrowjtef, >


VI


t«tt« V«U* jiflï» efoltu ftUx HuMUteoS du ciel, «i cependant je ne jiulu to'ompf'chf* du aire « Voilà tlU mnuvaiH temps (|Ul ho prépara, m ta professeur ne réuohd pas». 11 ««t. d'une lui- hifeUf thatmaoranto, à voir r«eôtin se prottmgi'r llH^n(illiitHttfdevahtKe«yoUx.lHmU6seltîf!ëpnUlt-H à tti«8 JJtttohm.

«t NhUh ttU^lis de forage, dlfi-je eh étfendrtrtt Ul tttdlh V«m l'horizon j (*h fttioges s'abaissent dUf lit ttiëf tidhime pmt VêotAmtï »

SitëHCfl général. Le vent se tait Lu «ntute « l'ilf d'UHë mortd et no f osjJlKi plun. Sut- le tuAt, «U je tofo déjà poindre un l^r feu 9«lrtt-l<;th!U, tft-toîtë diHcndue tombe eh plis lourde. Le wdeuu «Ht Ihitnobilo au milieu d'une met étatise et tHttta «JhttulëtloHs. M&ls, 6i nous ne ttiât-cliOHii {(lus, A quoi hm cohset-vef cette toile, qui peut h«ti« ttteitte êtt perdition au premier choo de lu tem« Atfletldhe-lë, dlfi.je, abattons ftotre niât efcJa «éfrt^udent.

» NdH, pat» le diable! s'ébrle moft ohcle, tout fojs tldri! Qttë lèvent nous saisisse! que l'ot-a^o itôtië ëmpdHe I mais que j'aperçoive enfin les Moliers d'Utt rivage, quand notre fadeatl dëVrâlt È*f briser eh mille pièces 1 »

Ces paroles m ëoilt pas achevées qiie l'haHzait du sud change subitement d'aspect les vapeurs accumulée» m résolvent «m osti, 6k l'air, violem-


mont appolô pour combler los vidos produits pur la condensation, m fait ouragan, H vteiit dos extrémités lus plus roouléos de la «taverne. L'obs- curité ruduublo. C'est ie poino si je puis prendra quolquoH notes hutomplatas.

Lo radtnw ko soulèvo, il bondit. Mon onolo est jotts do ao» haut. Jo mo truino ju.squ'A Iili, H H'o.st fortement cramponné à un bout do «Ablo ot parait oonaidérer avou pluisir co speotaolo dos olômonts déchaînés.

Hans ne bougo pas. Ses longs cheveux, ro.poussôs par l'ouragan ot ramenés sur su face immobile, lui donnent une étrange physionomie, car chacune de lours oxtrémîtés est hérissée de petites nigrottas luminouses. Son masque effrayant est oelui d'un homme antédiluvien, contemporain des Ichthyosaures et des Megathorium.

Cependant le mât résiste. La voile se tend comme une bulle prête à crever. Le radeau file avec un emportement que je ne puis estimer, mais moins vite encore que ces gouttes d'eau déplacées sous lui, dont la rapidité fait des lignes droites et nettes.

« La voile! la voile dis-je, en faisant signe do l'abaisser.

Non répond mon oncle.

NVj, » fait Huns en remuant doucement la lûle.


Cependant la pluie forme une cataracte mugistante devant cet horizon vers lequel noua cou» rons an insenacs. Maisuvunt qu'elle n'arrive jus.qu'à nous le voile de mutgct se déchire, la mer entre en ébullition et rôleatriaito, produite par une vaste notion «himiquo qui s'opèru dans les couohos supérieures, ost mise on juu. Aux éclats du tonnerre se mûleut les jets ëtinoolants do la foudre; do» éclairs sans nombre ft'ontru-uroisent au milieu dos détonations la masse des vapeurs devient incandescente; les grêlons qui frappent le métal de nos outils ou do nos armes se font lumineux les vagues soulevées semblent être autant de mamelons ignivomes sous lesquels oouve un feu intérieur, et dont chaque crête est empanaoheo d'une flamme.

Mes yeux sont éblouis par l'intensité de la lumière, mes oreilles brisées par le fracas de la foudre; il faut me retenir au mât, qui plie comme un roseau sous la violence de l'ouragan.

[loi mes notes de voyage devinrent très incomplètes. Je n'ai plus retrouvé que quelques observations fugitives et prises machinalement pour ainsi dire. Mais, dans leur brièveté, dans leur obscurité même, elles sont empreintes de l'émotion qui me dominait, et mieux que ma mémoire elles me donnent le sentiment de notre situation.]


.•̃

r e a v v t v v v s

Dimanche Ï3 août, sommos-nous? Emportés avec uno incomparable rapidité. La nuit a été épouvantable. L'orage n* se calme pas. Nous vivons dans un milieu do bruit, uno détonation ineossunte. Nos oroillcs saignent. On ne peut échanger uno parole.

Los éclair» no discontinuant pas. Jo vois dea zigaagH rétrogrades qui, après un jet rnpido, reviennent do bas en haut et vont frapper la voûte de granit.. Si cllo allait s'écrouler! D'autres éclairs ko bifurquent ou prennent lu forme de globes de feu qui éclatent comme dos bombes. bruit général no parait pas s'en accroître il $ déposstS la limite d'intensité que peut percevoir l'oreille uimajne. et, quand toutes les poudrières du monde viendraient à sauter ensemble, nous ne «aurions on entendre davantage.

y a émission continue de lumière à la surface des nuages; la matière électrique se dégage incessamment de leurs molécules; évidemment les principes pazeux de l'air sont altérés; des. colonnes d'eau innombrables s'élancent d,£»ns Va>i iDosp^ère et retombent or écumant.

Oi4aUons?-nous?v. typn pncle est poqché tpi^f

^e spn |qng ft l'extrémité du radeau.

La chaleur redouble, ^o regarde le th.eriP.Qn ^tre; jl |flrt!qW«» R4Ç chiffe est effapé.J


Lundi M août, Cela ne finira paa! Pour.quoi l'état do ootlo atmosphère ai dense, une foia

modifié, no smait-il pas définitif?

| Noua sommes brisés do futiuruo, Hnn» comme

Nous soiiiiiietî briqétq de f~itigue, IlanR commo

| à l'ordinaire. Le radeau court invariablement vers lo sud-est. Noua avons lait plus de deux eonts Houos depuis l'ilot AxH.

A midi la violence de l'ouragan redouble il faut lior solidement tous le* objets composant la cargaison. Chacun de nous s'attache également. Les flots passent par-dessus notre tête. Impossible do s'adresser une seule parole depuis trois jours. Nous ouvrons la bouche, nous remuons nos lèvres; il ne se produit aucun son appréciable. Môme en se parlant à l'oreille on ne peut s'entendre.

Mon oncle s'est approché de moi. Il a articulé quelques paroles. Je crois qu'il m'a dit « Nous sommes perdus. » Jo n'en suis pas certain. Je prends le parti de lui écrire ces mots « Amenons notre voile. »

Il me fait signe qu'il y consent.

Sa tête n'a pas eu le temps de se relever de bas en haut qu'un disque de feu àpparait au bord du radeau. Le mât et la voile sont partis tout d'un bloc, et je'les ai /vus s'enlever à une prodigieuse hauteur, semblables au Ptérodactyle, cet oiseau fantastique des premiers siècles.

Nouk sommes glanés d'effroi taboulé mi-partie


blanche, mi-partie azurée, de la grosseur d'une bombe de dix pouces, ao promène lentoment, en tournant avec une surprenante vitesse sous la lanière de l'ouragan. Elle vient ici, li\, monte sur un des bfttis du radeau, saute sur le sno aux provisions, redescend légèrement, bondit, effleura la caisse à poudre. Horreur Nous allons sauter! Non Le disque éblouissant s'éoarto il s'approche de Hans, qui le regarde fixement; de mon oncle, qui so précipite à genoux pour l'éviter de moi, pûle et frissonnant sous l'éclat de la lumière et do la chaleur; il pirouette prba de mon pied, que j'essaye do retirer. Je ne puis y parvenir. Une odeur de gaz nitreux remplit l'atmosphère; elle pénètre le gosier, les poumons. On étouffe. Pourquoi ne puis-je retirer mon pied? Il est donc rivé au radeau? Ah la chute de ce globe électrique a aimanté tout le fer du bord; les instruments, les outils, les armes s'agitent en se heurtantavec un cliquetis aigu les clous de ma chausaure adhèrent violemment à une plaque de fer incrustée dans le bois. Je ne puis retirer mon pied 1 Enfin, par un violent effort, je l'arrache au moment où la boule allait le saisir dans son mouvemont giratoire et m'entraîner moi-même, si. Ah! quelle lumière intense! le globe éclate! nous sommes couverts par des jets de flammes I Puis tout s'éteint. J'ai eu le temps de voir mon ùtktlo «Stendw ski te radeau; Haut» toujours S sa


barre et « crachant du fou » sous l'influence de l'éleptrîoltâ qui Je pénètre

allons-nous?allons-nous?

Mardi 2$ aoûf. Je sors d'un évanouissement prolongé; Vprogo continue; les éclairs se déchaînent comme une epuyde dp serpents lâohéodans l'atiiiospUm-ft.

Spmmos-nous toujours sur la mer? Oui, et einpprtéa avec un» vitesse incalculable. Nous avons passé bous l'Angleterre, sous la Manche, sous la France, sous l'Europe entière; peut-être 1

Pn brviit nouyo^ii se, fait entondre Évidemment, la mer qui se brise sur des rochers 1. Mais alors.

8 4f 8 8 e 8

JÇXXVI

V

M w tenons pa qws j'ai appelé « le joumal 09 feqçd, » si bsw^s^ent sauyp d» naufrage. Jirépjends, mon répit «wins devant.

Ge qui fe. pass^ au çhqc du radeau contre les


écueils de la c*' je no saurai le dire. Jo me sentis précipité dana les flots, et si j'échappai à la mort, si mon corps no fut pas déchira sur los rocs aigus, c'est que le bras vigoureux de Ilaus mo retira de t'abîme.

Le courageux Islandais me transporta hors de la portée des vagues, sur un subie brûlant oit je me trouvai.côto il côte avec mon oncle. 'Puis il revint vers ces rochers auxquels so heurtaient les lames furieuses, afin do sauvor quelques épaves du naufrage Jo no pouvais parler; j'étais brisé d'émotions ot de fatigues; il me fallut ui> grande heure pour me remettre. Cependant une pluie diluvienne continuait à tomber, mais avec ce redoublement qui annonce la fin des orages. Quelques rocs superposés nous offrirent un abri contre les torrents du ciel. Ilans prépara des aliments auxquels je ne pus toucher, et chacun de nous, épuisé par les veilles de trois nuits, tomba dans un douloureux sommeil. Le lendemain le temps était mugnifiquo. Le ciel et la mer s'étaient apaisés d'un commun accord. Toute trace de tempête avait disparu. Ce furent les paroles joyeuses du professeur qui saluèrent mon réveil.

« Eh bien, mon garçon, s'écria-t-il, as-tu bien dormi? »

N'eût-on pas dit que tiotts étions dans la maison de Kônig-strasse, que je descendais tranquille-'


ment pour déjeuner et que mon mariage avec la pauvre Grattben allait s'accomplir ce jour mémo? Hélas! pour peu que la tempête eût jeté le radeau dans l'est, nous avions passé sous l'Allemagne, sous ma chère ville de Hambourg, sous cette rue au demeurait tout ce que j'aimais au monde. Alors quarante lieues mV ,i séparaient à peine i Mais quarante lieues verticales d'un mur de gra< nit, et en réalité, plus de mille lieues à franchir! 1 Toutes ces douloureuses réflexions traversèrent rapidement mon esprit avant que je ne répondisse à la question de mon oncle.

« Ah çàl répéta-t-il, tu ne veux pas me dire si tu as bien dormi?

Très bien, répondis-je; je suis encore brisé, mais cela ne sera rien.

Absolument rien, un peu de fatigue, et voilà tout.

Mais vous me paraissez bien gai, <;u matin, mon' oncle.

Enchanté, mon garçon I enchanté! Nous sommes arrivés!

Au terme de notre expédition?

Non, mais au bout de cette mer qui n'en finissait pas. Nous allons reprendre maintenant la voie de terre et nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe.

Mon oncle, permettez-moi une question. Je te la permets, AxeL


Et le retour? P

Le retour 1 Ah tu penses à revenir quand on n'est même pas arrivé?

Non, je veux seulement demander comment il s'effectuera.

De la manière la plus simple du monde. Une fois arrivés au contre du sphéroïde, ou nous trouverons une route nouvelle pour remonter à sa surface, ou nous reviendrons tout bourgeoisement par le ohemin déjà parcouru. J'aime à penser qu'il ne se fermera pas derrière nous. Alors il faudra remettre le radeau en bon état.

Nécessairement.

Mais les provisions, en reste-t-il assez pour aooomplir toutes ces grandes choses?

Oui, certes. Hans est un garçon habile, et je suis sûr qu'il a sauvé la plus grande partie de la cargaison. Allons nous en assurer, d'ailleurs. » Nous quittâmes cette grotte ouverte à toutes les brises. J'avais un espoir qui était en même temps une crainte; il me semblait impossible que le terrible abordage du radeau n'eût pas anéanti tout ce qu'il portait. Je me trompais. A mon arrivée sur le rivage, j'aperçus Hans au milieu d'une foule d'objets rangés avec ordre. Mon oncle lui serra la main avec un vif sentiment de recon.naissance. Cet homme, d'un dévouement surhumain dont on ne trouverait peut-être pas d'sutro


exemple, avait travaillé pendant quo nous dormions et sauvé les objets les plus précieux au péril de art vie.

Ce n'est pas que nous n'eussions fait des pertes assez sensibles, nos armes, par exemple; mais enfin on pouvait s'en passer. La provision de poudre était detriuUrôo intacte, après avoir failli sauter pendant la tempête.

« Eh bien, s'écria le professeur, puisque les fusils manquent, nous en serons quittes pour ne pas chasser.

Bon; mais les intruments?

Voici le manomètre, le plus utile de tous, et pour lequel j'aurais donné les autres Avec lui, je puis calculer la profondeur et savoir quand nous aurons atteint le centre. Sans lui, nourrisquerions d'aller au delà et de ressortir par les antipodes ?

Cette gaîtô était féroce.

« Mais la boussole? demandai-jë.

m. La voici, sur ce rocher, en parfait état, ainsi que le chronomètre et les thermomètres. Ah! le chasseur est un homme précieux »

tl fallait bien le reconnaître, en fait d'instruments, rien ne manquait. Quant aux outils et aux engins, j'aperçUs, épars sur te sable, échelles, ebrdes, pibs, pioches, etc.

Cependant il y avait encore la question des vivres à élucider.


« Et les provisions? dis'je.

Voyons los provisions, » répondit mon onota. Les caisses qiu les contenaient étaient alignées sur la grève dans un parfait état de conservât ion la mor les avait respectées pour la plupart, et somme toute, en biscuits, viande salée, genièvre et poissons secs, on pouvait compter encore sur quatre mois do vivres.

« Quatre mois s'écria le professeur; nous avons le temps d'aller et de revenir, et aveoee (lui restora jo veux donner un grand diner à tous mes collèguos du Johannteum

J'aurais ôtro fait, depuis longtemps, au tempérament de mon onolo, et pourtant cet hommelà m'étonnai toujours.

« Maintenant, dit-il, nous allons refaire notre provision d'eau avec la pluie que l'orage a versée dans tous ces bassins do granit; par conséquent, nous n'avons pas à craindre d'être pris pur la soif. Quant au radeau, je vais recommander à Hans de le réparer de son mieux, quoiqu'il ne do'.ve plus nous servir, j'imagine 1

Comment cola? m'écriai-je.

Une idée à moi, mon garçon! Je crois que nous ne sortirons pas par où nous sommes entrés. » r

Je regardai le professeur avec une certaine défiance je me demandai s'il n'était pas devenu fou. Et cependant « il ne savait pas si bien dire.»


« Allons déjeuner, » reprit-il.

Je le suivis sur un cap ©lové, après qu'il eut donné ses instructions au chasseur. Là, de la viande sèche, du biscuit et du thé composèrent un repas excellent, et, je dois l'avouer, un des meilleurs que j'eusse fait do ma vie. Le besoin le grand air, le calme après les agitations, tout contribuait à mo mottre on appétit.

Pendant le déjeuner, je posai à mon oncle la question de savoir où nous étions en ce moment. « Cela, dis-je, me parait difficile à calculer. A calculer exactement, oui, répondit-il o'est même impossible, puisque, pendant ces trois jours de tempête, je n'ai pu tenir note de la vitesse et de la direction du radeau; mais cependant nous pouvons relever notre situation à l'estime. –i- En effet, la dernière observation a été faite à l'îlot du geyser.

A l'îlot Axel, mon garçon. Ne décline pas eet honneur d'avoir baptisé de ton nom la première île découverte au centre du massif terrestre. Soit! Al'ilotAxel, nous avions franchi environ deux cent soixante-dix lieues de mer et noue nous trouvions à plus de six cents lieues de l'Islande.

Bien! partons de ce point alors et comptons quatre jours d'orage, pendant lesquels notre vitesse n'a pas dû être inférieure à quatre-vingU lieues par vingt-quatre heure».


Je le crois. Ce serait dono trois cents liouea à ajouter.

Oui, et la moi, Lidonbroolc aurait à peu près six cents lieues d'un rivage à l'autre! Sais-tu bien, Axel, qu'elle peut lutter do grandeur aveo la Méditerranée ?

Oui, surtout si nous ne l'avons traversée que dans sa largeur!

Ce qui est fort possible!

Et, chose curieuse, ajoutai-jo, si nos calculs sont exacts, nous avons maintenant cette Méditerranée sur notre tête.

Vraiment!

Vraiment, car nous sommes à neuf cents lieues de Reykjawik!

Voilà un joli b ut de chemin, mon garçon mais, que nous soyons plutôt sous la Méditerranée que sous la Turquie. ou sous l'Atlantique, cela ne peut s'affirmer que si notre direction n'a pas dévié.

Non, le vent paraissait constant; je pense donc que ce rivage doit être situé au sud-est de Port-Grattben.

Bon, il est facile de s'en assurer en consul tant la boussole. Allons consulter la boussole! » Le professeur se dirigea vers le rocher sur lequel Hans avait déposé les instrumente. Il était gai, allègre, il se frottait les mains, il prenait des poses! Un vrai jeune homme! Je le suivis, assez


ijuvimix .do savoir ai Je no me trompai* pas «tout* mon estime.

Awivô aurooher, mon oncle prit t'ortipas, la posa horizontalement et observa l'aiguilla, qui, apri)» avoir oseille, s'arrêta dana uno position fixe sous l'influonca mtijynotiquo.

Mon onolo regard», puis il ko frotta ton yeux et regarda do nouveau. Enfin il m retourna do mon côté, stupéfait.

« Qu'y a-t-il? » demandai-je.

Il me fit signo d'examiner l'instrument. Une exclamation de surprise m'ûohappa. La fleur do l'aiguille marquait le nord où nous supposions le midi Elle se tournait vers la grève att Mou do montrer la pleine mer!

Je remuai la boussole, je l'examinai: elle était en parfait état. Quelque position que l'on fît prendre à l'aiguille; colle-ci reprenait obstinément cette direction inattendue.

Ainsi. donc, il ne fallait plus en douter, pendant la tempête une saute de vont s'était produite dont nous ne nous étions pas aperçus et avait ramené le radeau vers les rivages que mon oncle croyait laisser derrière lui.


XXXVII

H mo aérait impossible do poindra la succession dos sentiments qui agiteront lo prolbsa«ur Lidoiibrmsk, la «tupéfootion, l'incrédulité et enfin la cpjèr©. Jamais je no vis homme si décontenancé d'abord, ai irrité onsuito. Los fatigues do la traversée, les dangers courus, tout était à recommencer! Nous avions reculé au lieu do marcher en avant

Mai» mon onclo reprit rapidement le dessus. « Ah! la fatalité me joue de pareils teura! f s'écria-t-H; les éléments conspirant contre moi t l'air, le feu et l'eau combinent leurs efforts pour s'opposer h mon passage 1 Eh bien l'on saura ce que peut ma volonté. Je ne céderai pan, je ne reculerai pas d'une ligne, et nous verrons qui l'emportera de l'homme ou de la nature » » Debout sur le rocher, irrité, menaçant, Otto £,idenbrqck, pareil au farpuche Ajax, semblait défi? r les dieux. Mais je jugeai à propos d'intervenir et de mettre un frein à cette fougue insensée. «r $coutez-inoi, lui dis-je d'un ton ferme. Il y aune limite à toute ambition ioi-bas; il ne faut pan lutte? contre l'impossible; nous sommes mal


équipés pour un voyage aur mer; cinq cents lieues no se font pas sur un mauvais assemblage de poutres avec une couverture pour voile, un bftton en guise de mât, et contre les venta déchaînés. Nous ne pouvons gouverner, nous sommes le jouet des tempêtes, et c'est agir en fous que de tenter une seconde fois cette impossibles traversée

De ces raisons toutes irréfutables je pus dérouler la série pendant dix minutes sans être interrompu, mais eèla vint uniquement de l'inattention du professeur, qui n'entendit pas un mot de mon argumentation.

« Au radeau » s'écria-t-il..

Telle fut sa réponse. J'eus beau faire, supplier, m'emporter je me heurtai à une volonté plus dure que le granit.

Hans achevait en ce moment de réparer le radeau. On eût dit que cet être bizarre devinait les projets de mon onole. Avec quelques morceaux de surtarbrandur il avait consolidé l'embarcation. Une voile s'y élevait déjà et le vent jouait'dans ses plis flottants.

Le professeur dit quelques mots au guide, et aussitôt celui-ci d'embarquer les bagages et de tout disposer pour le départ. L'atmosphère était assez pure et le vent du nord-ouest tenait bon. Que pouvais-je faire? Résister seul contre deux? impossible. Si encore Haris àë fût joint à moU


Mais non! Il semblait que n&lanUais eût mis do côté tout© volonté poraonnollo et fait vœu d'abnégation. Je ne pouvais rion obtenir d'un servitour aussi inféodé à son maître. Il fallait marchor en avant.

J'allais dono prendre sur le radeau ma plaee accoutumée, quand mon oncle m'arrâta de la main.

« Nous ne partirons que demain, dit-il. » Je fis le geste d'un homme résigné à tout. « Je no dois rien négliger, reprit-il, et puisque la fatalité m'a poussé sur cette partie de la côte, je ne la quitterai pas sans l'avoir reconnue. » Cette remarque sera comprise quand on saura que nous étions revenus au rivage du nord, mais non pas à l'endroit même de notre premier départ. Port-GraUben devaitêtre situé plus à l'ouest. Rien de plus raisonnable dès lors que d'examiner avec soin les environs de ce nouvel atterrissage. a Allons à la découverte! » dis-je.

Et, laissant Hans à ses occupations, nous voilà partis. L'espace compris entre les relais de la mer et le pied des contre-forts était fort large;. on pouvait marcher une demi-heure avant d'arriver à la paroi de rochers. Nos pieds écrasaient d'innombrables coquillages de toutes formes et de toutes grandeurs, où vécurent les animaux des premières époques. J'apercevais aussi d'énormes carapaces; dont ta diamètre dépassait souvent


quinze pieds. Kilos avaient appartenu à ces gigantesques glyptodons do la période pliocène dont la tortue moderne n'est plus qu'une petite réduction. En outre le sol était semé d'une grande quantité de débris pierreux, sortes de galets arrondis par la lamo et rangés en liupno suecassjves. ;0 fus donc conduit il faire cotte remarque, que la mor devait autrefois occuper oet espace, $w les î-ocs épars et maintenant hors de ses atteintes, le» flots avaient laissé des traces évidentes de leur passage.

Ceci pouvait expliquer jusqu'à un certain point l'existence de cet océan, à quarante lieues au-dessous de la surface du globe. Mais, suivant moi, cette masse d'eau devait se perdre pou à peu dans les entrailles de la terre, et elle provenait évidemment des eaux de l'Océan, qui se firent jour à travers quelque fissure. Cependant il fallait admettre que cette fissure était actuellement bouchée, car toute cette caverne, ou mieux, cet immense réservoir, se fût rempli dans un temps assez court. Peut-être même cette eau, ayant eu & lutter contre des feux souterrains, s'était vaporisée en partie. De l'explication des nuages suspend1»8 sur notre tête et lé dégagement de cette .électricité qui créait des tempêtes à l'intérjeu.rd.ij massif terrestre.

Cefte théorie des phénomènes dont nous ay|9P§ été tém.gfn.s me graissait satisfaisante,


car, pour grandes que soient les merveilles de la nature, elles sont toujours explicables par des raisons physiquois.

Nous marchions donc sur une sorte de terrain sédimentaire formé par les eaux, comme tous les = terrains de cette période, si largement distribués à la surfaoo du globe. Le professeur examinait attentivement chaque interstice de roche. Qu'une « ouverture quelconque existât, et il devenait im- portant pour lui d'en faire sonder la protondeur. I

Pendant un mille, nous avions côtoyé les ri- vages de la mer Lidenbrook, quand le sol ohan- gea subitement d'aspect. Il paraissait bouleversé, convulsionné par un exhaussement violent des couches inférieures. En maint endroit, des onfoncements ou des soulèvements attestaient une dislocation puissante du massif terrestre.

Nous avancions difficilement sur ces cassures de granit, mélangées de silex, de quartz et de dépôts alluvionnaires, lorqu'un champ, plus qu'un champ, une plaine d'ossements apparut à nos regards. On eût dit un cimetière immense, où les générations de vingt siècles confondaient leur éternelle poussière. De hautes extumescences de débris s'étageaient au loin. Elles ondulaient jusqu'aux limites de l'horizon et s'y perdaient dans une brume fondante.. Là, sur trois milles carrés. i>«ui-être, s'àtistfmul&it fcmte là vie de t'histoire


animait», à peine écrite dans les tei^aina trop ré"cent» du Monde habité.

Cependant une impatiente curiosité noua entraînait, No» pieds écrasaient avec un bruit seo les restes de ces animaux antéhistorique?, et des fossiles dont le» Muséum» des grandes cité» se disputent lea rare» et intéressants débris, l'exis- tenoe de mille Cuvier n'aurait pas suffi à recomposer les aquelcttOH dos ôtres organiques wu-' ohés dans oe magnifique ossuaire.

J'étais stupéfait. Mon oncle avait levé ses grande braa -vers l'epaisèe voûte qui noua servait de oiel, Sa houehe ouverte démèsuVément» aea yeux fulgurants sous la lentillo do ses lunettes, aa tête remuant do haut en bas, de gauche A droite, toute aa posture onfin dénotait un otonnement sans borne. II se trouvait devant une inappréoiable collection do Leptothorium, de Mericotherium de Mastodontes, de Protopithôquoa, do Ptérodaotylas, de. tous les monstres antédiluviens entassés pour 8a «attnfaetion personnelle, Qu"on se figure un bibliotnane passionné transporté tout à coup dans cette fameuse bibliothèque d'Alexandrie brûlée par Omar et qu'un xairaaia aurait fait renaître de ses cen- ` drewl Tel était mon onolele professeur Wden- F

bpook. v

Mais oo fut un bien autre émerveillement, quand, courant & travers cette poussière volca- f


nique, il saisit un crâne dénudé, et s'écria d'une voix irémissanto

Axel Axel! une tête humaine 1

Une tête humaine! mon oncle, répondia-je, non moins stupéfait.

Oui, mon neveu Ah! M. Milno-Edwards! Ah! M. de Quatrefagos! quo n'ôtos-vous où je suis, moi, Otto Lidenbrook! »

XXXVIII

Pour comprendre oette évocation faite par mon oncle a ces illlustres savants français, il faut savoir qu'un fait d'une haute importance en paléontologie s'était produit quelque temps avant notre départ. Le 28 mars 1863, des terrassiers fouillant sous la direction de M. Boucher de Perthes les carrières de Moulin-Quignon, près Abbeville, dans le département de la Somme, en France, trouvèrent une mâchoire humaine à quatorze pieds au-dessous de la superficie du sol. C'était le premier fossile de cette espèce ramené à la lumière du grand jour. Près de lui se rencontrèrent des haches de pierre et des silex taillés, colorés et revêtus parle temps d'une patine uniforme.


Le bruit de cette découverte fut grand, non ̃eulement en Franco, mais en Angleterre et en Allemagne. Plusieurs savants de l'Institut français, entre autres MM. Milne- Edwards et de Quatrefages, prirent l'affaire à cœur, démontrèrent l'incontestable authenticité de l'ossement en question, et se firent les plus ardents défenseurs de ce « procès de la mâchoire », suivant l'expression anglaise. T

Aux géologues du Royaume-Uni qui tinrent le fait pour certain, MM. Falconer, Busk, Carpenter, etc., se joignirent des savants de l'Allemagne, et parmi eux, au premier rang, le plus fougueux,leplusen*housiaste, mon oncle Lidenbrock. L'authenticité d'un fossile humain de l'époque quaternaire semblait donc incontestablement démontrée et admise.

Ce système, il est vrai, avait eu un adversaire acharné dans M. Élie de Beaumont.. Ce savant de si haute autorité soutenait que le terrain de Moulin-Quignon n'appartenait pas au « diluvium », mais à une couche moins ancienne, et, d'accord en cela avec Cuvier, il n'admettait pas que l'espèce humaine eût été contemporaine des animaux de l'époque quaternaire. Mon oncle Lidenbrock, de concert avec la grande majorité des géologues, avait tenu bon, disputé, discute, et M. Élie de Beaumont était resté à peu près Ami ita «on par& y


Nous connaissions tous ces détails de l'affaire, mais nous ignorions que, depuis notre départ, la question avait fait des progrès nouveaux. D'autres mâchoires identiques, quoique appartenant à des individus de types divers et de nations différentes, furent trouvées dans les terres meubles et grises de certaines grottes, en France, en Suisse, en Belgique, ainsi que des armes, des ustensiles, des outils, des ossements d'entants, d'adolescents, d'hommes, de vieillards. L'existence de l'homme quaternaire s'affirmait dono chaque jour davantage.

Et ce n'était pas tout. Des débris nouveaux exhumés du terrain tertiaire pliocène avaient permis à des savants plus audacieux encore, d'assigner une haute antiquité à la race humaine. Ces débris, il est vrai, n'étaient point des ossements de l'homme, mais seulement des objets de son industrie, des. tibias, des fémurs d'animaux fossiles, striés régulièrement, sculptés pour ainsi dire, et qui portaient la marque d'un travail humain.

Ainsi, d'un bond, l'homme remontait l'échelle des temps d'un grand nombre de siècles; il précédait le Mastodonde; il devenait le contemporain de a l'Elephas meri<3ionalis » il avait cent mille ans d'existence, puisque c'est la date assignée par les géologues les plus renommés à la formation du terrain pliocène i


Tel était alors l'état de la science pnléontologique, et ce que nous en connaissions suffisait à expliquer notre attitude devant cet ossuaire do la mer Lidenbrook. On comprendra dono les stupéfactions et les joies de mon oncle, surtout quand, vingt pas plus loin, il se trouva en présence, on peut dire face à fttoo, avec un des spécimen» de l'homme quaternaire.

C'était un corps humain absolument recon.naisttable. Un sol d'une nature particulière, comme delul du'oimetiêre Saint-Michel, à Bordeaux, l'avait-il ainsi conservé pendant des siècles? je ne saurais le dire. Mais ce cadavre, la peau tendue et parcheminée, les membres encore moelleux, à la vue du moins, les dents intaotea, la chevelure abondante, les ongles des doigts et des orteils d'une grandeur effrayante, me montrait à nos yeux tel qu'il avait vécu. J'étais muet devant cette apparition d'un autre âge. Mon oncle, ai loquace, si Impétueusement discoureur d'habitude, se taisait aussi. Nous avions spulevé oe corps. Nous l'avions redressé. Il nous regardait avec ses orbites caves. Nous palpions son torse sonore. »

Après quelques instants de silenoe, l'onole fut vaincu par le professeur. Otto Lidenbrook, emporté par son tempérament, oublia les oirconstances dé notre voyage, le milieu où nous. étions,


l'Immense caverne qui noua contenait. Sans doute Il as orut au Johannaaum, professant devant ses élèves, car il prit un ton doctoral, et s'adressant à un auditoire imaginaire

« Messieurs, dit-il, j'ai l'honneur de vous pré senter un homme do -l'époque quaternaire. De grands savants ont nié son existence, d'autres non moins grands l'ont affirmée, Los saint Thomas de la paléontologie, s'ils étaient là, le toucheraient du doigt, et seraient bien forcés de reconnaître leur erreur. Je sais bien que la science doit se mettre en garde contre les découvertes de ce genre Je n'ignore pas quelle exploitation des hqmmos fossiles ont faite les Barnum et autres charlatans de même farine. Je connais l'histoire de la rotule d'Àjax, du prétendu corps d'OrcBte retrouvé par les Spartiates, et du corps d'Astériue, long de dix coudées, dont parle Pausanias. J'ai lu les rapports sur le squelette do Trapani découvert au XIVe siècle, et dans lequel on voulait reconnaître Polyphème, et l'histoire du géant déterré pendant le xvi* siècle aux environs de Palerme. Vous n'ignores pas plus que mol, Messieurs, l'analyse faite auprès de Lucerne, en 1577, de ces grands ossements que le célèbre médecin Félix Plater déclarait appartenir à un géant de dix-tteUf pieds! d J'ai dévoré les traités de Cassanion, et tous ces mémoires, brochures, discours et cohUvdiaeourB publiés a pro-


poa du squelette du roi des Cimbres, Teutoboehus, l'envahisseur de la Gaule, exhumé d'une sablonnière du Dauphinâ en 1613 Au xvm* sieole, j'aurais combattu avec Pierre Campet l'existence des préadamites de Seheuohzer J'ai eu entre les mains l'écrit nommé Gigana, »

loi reparut l'infirmité naturelle de mon oncle, qui en publie ne pouvait pas prononcer les mots difficiles.

« Léorit nommé Gigma. » reprit-il.

H ne pouvait aller plus loin.

« Gigantéo, »

Impossible Le mot malencontreux ne voulait pas sortir! On aurait bien ri au Johannœum! 1 « Gig&ntostéologie, » acheva de dire le professeur Lidenbrook entre deux jurons.

Puis, continuant dé plus belle, et s'animant a Oui, Messieurs, je sais toutes ces choses! Je sais aussi que Cuvier et Blumenbacb ont reconnu dans ces ossements de simples os de Mammouth et autres animaux de l'époque quaternaire. Mais ici le doute seul serait une injure à la science Le cadavre est là Vous pouvez le voir, le tou-cher! 'Ce n'est pas un squelette, o'est un corps intact, conservé dans un but uniquement anthropologique » Je voulus bien ne pas contredire cette assertion.

« Si je pouvais le laver dans «ne solution


d'acide sulfurique, dit encore mon oncle. j'en ferais disparaitre toutes les parties terreuses et ces coquillages resplendissants qui sont incrustés en lui. Mais le précieux dissolvant me manque. Cependant, tel il est, tel oo corps nous racontera sa propre histoire. »

Ici,, le professeur prit le cadavre fossile et le manœuvra avec la dextérité d'un montreur de curiosités.

« Vous le voyez, reprit-il, il n'a pas six pieds de long, et nous sommes loin des prétendus géants. Quant à la race a laquelle il appartient, elle est incontestablement caucasique. C'est la race blanche, c'est la nôtre Le crâne de ce fossile est régulièrement ovoïde, sans développe* ment des pommettes, sans projeution de la ma*choire. Il ne présente aucun caractère de ce prognathisme qui modifie l'angle facial • Mesurez cet angle, il est presque de quatre-vingt-dix degrés. Mais j'irai plus loin encore dans le chemin des'déductions. et j'oserai dire quo cet échan tillon humain appartient à la famille japétique, répandue depuis les Indes jusqu'aux limites 1. L'angle facial est formé par deux plans, l'un plus on moins vertical qui est tangent au front et aux incisives, l'autre horizontal, qui passe par l'ouverture des conduits auditifs et l'épine nasale inférieure. On appelle prognathisme, en langue anthropologique, cette projection de la mâchoire qai modifie fsasta facial.


do l'Europe occidentale. Ne souriez pas, Mom•ieursl »

Personne ne souriait, mais le professeur avait une telle habitude de voir les visages s'épanouir pendant ses savantes dissertations!

« Oui, reprit-il avec une animation nouvelle, c'est la un homme fossile, et contemporain dos Mastodontes dont les ossements emplissent cet amphithéâtre. Mais do vous dire par quelle route il est arrivé là, comment ces couohos où il était enfoui ont glissé. jusque dans cette énorme oa» vite du globe, c'est ce que je ne me permettrai pas. Sans doute, & l'époque quaternaire, des troubles considérables se manifestaient encore dans l'écorce terrestre le refroidissement continu du globe produisait des cassures, des fentes, des failles, où dévalait vraisemblablement une partie du terrain supérieur. Je ne me prononce pas, mais enfin l'homme est là, entouré des ouvrages de sa main, de ces haches, de ces silex taillés qui ont constitué l'âge de pierre, et à moine qu'il n'y soit venu comme moi en touriste, en pionnier de la science, je ne puis mettre en doute l'authenticité de son. antique origine. » Le professeur se tut, et j'éclatai en applaudis»lémente unanimes. D'ailleurs mon.oncle avait raison, et de plus savants que son neveu eussent été fort empêchés de le combattre. »

Autre indice. Ce corps fossilisé n'était pas le


mn\ do l'immenso ossuaù'u. D'autres oorps se n»noûiUvaiont à chaque pus que nous faisions dans nette pounsièro, «t mon ouolo pouvait ehoiair lo plus merveilleux tic ces échantillons pour convaincre les hm'ddules.

En vérité", u'tttiiit un «'tonnant sjiootttolo quo celui do am génôrationB U'hominos et cl'animwtix confondus dans <ji« «imotièro. Mais une question grave se pi'éHtntlMit, quo nous n'osions lésuvulro. Ces ôtros aniiuôs avaient-ils gli»së par uno con.vulsion du sol vors les rivages de la mer Lidtmbrook, alors qu'ils éfaiont déjà réduits en pousNièroV Ou plutôt vécurent-ils ici, dans ce monde souterrain, sous oe ciol factice, naissant et mourant comme les habitants de la terre? Jusqu'ici, les monstres marins, les poissons seuls, nous étaient apparus vivants! Quelque homme de l'abîme errait-il encore sur ces grèves désertes? XXXIX

Pendant une demi-heure encore, nos pieds foulèrent ces couches d'ossements. Nous allions en avant, poussés par une ardente curiosité. Quelles autres merveilles renfermait cette caverne, quels trésors pour lasûeiicè? Mou regard


«'attendait à toutes les surprises, mon imagination à tous les étonnements,

Los rivages do la mer avaient depuis longtemps disparu derrière les collines de l'ossuaire. L'ion*prudent professeur, s'inquiétant peu de s'égarer, m'entraînait au loin. Nous avancions silencieusement, baignés dans les ondes électriques. Par un phénomène que je ne puis expliquer, et grâce à sa diffusion, complote alors, la lumière éclairait uniformément les diverses faces des objets. Son foyer n'existait plus en un point déterminé de l'espace et elle ne produisait aucun effet d'ombre. On aurait pu se croire on plein midi et on plein été, au milieu des régions. équatoriales, sous les rayons verticaux du soleil. Toute vapeur, avait disparu. Les rochers, les montagnes lointaines, quelques masses confusos do forêts éloignées, prenaient un étrange aspect sous l'égale distributiou du fluide lumineux. Nous ressemblions à ce fantastique personnage d'Hoffmann qui a perdu son ombre'.

Après une marche d'un mille, apparut la lisière d'une forêt immense, mais non plus un de ces bois de champignons qui avoisinaient PortGraûben.

C'était la végétation de l'époque tertiaire dans toute sa magnificence. De grands palmiers, d'espèces aujourd'hui disparues, de superbes palmacriteg, des pins, des ifs, des cyprès, des thuyas,


représentaient la famille des conifères, et se reliaient entre eux par un réseau de lianes inoxtricables. Un tapis de moussos et d'hépathiquos revêtait moelleusemont le sol. Quelques ruisseaux murmuraient sous ees ombrages, peu dignes de ce nom, puisqu'ils ne produisaient pas d'ombre. Sur leurs bords croissaient des fougères arborescentes semblables ic colles des serres chaudes du globe habité. Seulement, la couleur manquait à ces arbres, à ces arbustes, à ces plantes, privés de la vivifiante chaleur du soleil. Tout se confondait dans une teinte uniforme, brunâtre et comme passée. Les fouilles étaient dépourvues de leur verdeur, et les fleurs ellesmêmes, si nombreuses à cette époque tertiaire qui les vit naître, alors sans couleurs et sans parfums, semblaient faites d'up papier décoloré sous l'action de l'atmosphère.

Mon oncle Lidonbrock s'aventura sous ces gigantesques taillis. Je le suivis, non sans une certaine appréhension. Puisque la nature avait fait là% les frais d'une alimentation végétale, pourquoi les redoutables mammifères ne s'y rencontreraient-ils pas? J'apercevais dans ces larges clairières que laissaient les arbres abattus et rongés par le temps, des légumineuses, des acérines, des rubiacées, et mille arbrisseaux cornes.tibles, chers aux ruminants de toutes les périodes. Jftiïa apparaissaient; confondu» èt entremêlés*


les arbres des contrées si différantes do la surface du globe, le chêne croissant près du palmier, l'eucalyptus australien s'appuyanfc au sapin de la Norwége le bouleau du Nord confondant ̃es branches avec les branches du kauris sélandais. C'était à confondre la raison des olassificateurs les plus ingénieux de la botanique terrestre.

Soudain je m'arrêtai. De la main, je retins mon oncle.

La lumière diffusa permettait d'apercevoir les moindres objets dans la profondeur des taillis. l'avais oru voir. 'non! réellement, de mes yeux, je voyais des formes immenses s'agiter sous les aibres! En olîet, c'étaient des animaux gigantesques, tout un troupeau de Mastodontes, non plus fossiles, mais vivants, et semblables à ceux dont les restes furent découverts en 1801 dans les marais de VOhio! J'apercevais ces grands éléphants dont les trompes grouillaient sous .les arbres comme une légion de serpente. J'entendais le bruit de leurs longues défenses dont l'ivoire taraudait les vieux troncs. Les branches craquaient, et les feuilles arrachées par masses considérables s'engouffraient dans la vaste gueule de ces monstres. ·

Ce rêve, où j'avais vu renaître tout ce monde des temps antébistoriques, des époques ternaire et quaternaire, se réalisait donc enfin! Et noua


étions là, seule, dans les entrailles du globe, à la moroi de ses farouches habitants 1

Mon oncle, regardait.

« Allons, dit-il tout d'un coup en me saisissant te bras, en avant, on avant! 1

Non ra'éoriai-je, non 1 Nous sommes sans armes Que ferions-nous au miliou de ce troupeau de quadrupèdes géants? Venez, mon oncle, venez! Nulle aréature humaine ne peut braver impunément la oolère de ces monstros. Nulle créature humaine répondit mon onole, en baissant la voix Tu te trompes, Axel Regarde, regarde, là-bas II me semble que j'aperçois un êtra vivant! un être semblable à nous! unhommo! »

Je regardai, haussant les épaules, et décidé à pousser l'incrédulité jusqu'à ses dernières limites. Maia, quoique j'en eue, il fallut bien me rendre à l'évidence.

En effet, à moins d'un quart de mille, appuyé au tronc d'un kauris énorme, un être humain, un Protée de oes contrées souterraines,, un nouveau fils de Neptune, gardait cet innombrable troupeaU de Mastodontes! 1

Immania pecoria cuatoa, immaniar ipae! t Oui! imm&nior ipse/ Ce n'était plus l'être fossile dont nous avions relevé le cadavre dans


l'ossuaire, c'était un géant capable de commander à ces monstres. Sa taille dépassait dotze pieds. Sa tête grosse comme la tête d'un buffle, disparaissait dans les broussailles d'une chevelure inculte. On eût dit une véritable crinière, semblabla à colle de l'éléphant des premiers âges. Il brandissait de là main une branche énorme, digne houlette de ce berger antédiluvien.

Nous étions restes immobiles, stupéfaits. Mais nous pouvions être aperçus. Il fallait fuir. « Venez, venez! tn'écriai-je, en entraînant mon oncle, qui pour première fois se laissa faire! Un quart d'heure plus tard, nous étions hors de la vue de ce redoutable ennemi.

Et maintenant que j'y songe tranquillement, maintenant que le calme s'est refait dans mon esprit, que des mois se sont écoulés depuis cette étrange et surnaturelle rencontre, que penser, que croire? Non! c'est. impossible! Nos sens ont été abusés, nos yeux n'ont pas vu ce qu'ils voyaient Nulle créature humaine n'existe dans ce monde subterrestre Nulle génération d'hommes n'habite ces cavernes inférieures du globe, sans se soucier des habitants de sa surface, sans communication avec eux! C'est insensé, profondément insensé! 1

r «Faime mieux admettre l'existence de quelque animal dont la structure se rapproche de la stru*


tara humaine, de quelque singe dos premières époques géologiques. do quoique Protopithoqu»-, de quelque Mésopithèque semblable à celui que découvrit M. Lartet dans le gîte ossifère de Sonsan! Mais celui-ci dépassait par sa taille toutu* los mesures données par la paléontologie! N importe Un singe, oui, un singe, si invraisenv* blablc qu'il soit Mais un homme, un homme vivant, et avoo lui toute une génération enfouie dans, les entrailles de la terre Jamais 1

Cependant nous avions quitté la forêt claire etluminou.se, muets d'étonnement, accablés sous une stupéfaction qui touchait à l'abrutissement. Nous courions malgré noua. C'était une vraie fuite, semblable à ces entraînements effroyables que l'on subit dans certains cauchemars. Instinctivement, nous revenions vers mer Lidenbrock, et-je ne sais dans quelles divagations mon esprit se fût emporté, sans une préoccupation qui me ramena à des observations plus pratiques. Bien que je fusse certain de fouler un sol entièrement vierge de nos pas, j'apercevais souvent des agrégations de rochers dont la forme rap- ` pelait ceux de Port-Grattben. C'était parfois à s'y méprendre. Des ruisseaux et des cascades tombaient'par centaines des saillies de rocs. Je croyais revoir la couche de surtarbrandur, notre fidèle Hans-bach et la grotto.où j'étais revenu à la vie puis, cfuatyues pas plu loin, laâispoaiU^à


des contre-forts, l'apparition d'un ruisseau, ]• profil surprenant d'un rocher venaient me rejeter dans le doute.

Le professeur partageait mon indécision il ne pouvait s'y reconnaître au milieu de ce panorama uniforme. Je le compris à quelques mots qui lui échappèrent.

« Évidemment, lui dis-je, nous n'avons pas «bordé à notre point de départ, mais certainement, en contournant le rivage, nous nous rapprocherons de Port» Grattben.

Dans ce cas, répondit mon oncle, il est inutile de continuer cette exploration, et le mieux est de retourner au radeau. Mais ne te trompes-tu pas, Axel?

il est difficile de se prononcer, car tous ces rochers se ressemblent. Il me semble pourtant reconnaître le promontoire au pied duquel Hans a construit son embarcation. Nous devons être près du petit port, si même ce n'est pas ici, ajoutai-je en examinant une crique que je crus reconnaitre.

Mais non, Axel, nous retrouverions au moins ïos propres traces, et je ne vois rien.

Mais je vois, moi! m'écriai-je, en m'élançant vers un objet qui brillait sur le sable.

Qu'est-ce donc?

Voilà! répondis-je, et je montrai à mon oncle an poignard que je venais de ramasser.


Tiens dit-il, tu avais donc emporté cette arme avec toi?

Moi, aucunement, mais vous, je suppose? Non pas, que je sache je n'ai jamais eu cet objet en ma possession.

Et moi'encore moins, mon oncle.

Voilà qui est particulier.

Mais non, c'est bien simplo les Islandais ont souvent des armes do ce genre, et Hans, à qui celle-ci appartient, l'a perdue sur cette plage. Hans » fit mon oncle en secouant la tête.

Puis il examina l'arme avec attention. ̃ « Axel, me dit-il d'un ton grave, ce poignard est une arme du seizième siècle, une véritable dague, de celles que les gentilshommes portaient t a leur ceinture pour donner le coup de grâce; elle est d'origine espagnole; elle n'appartient ni à toi, ni à moi, ni au chasseur!

Oserez-vous dire ?. a

Vois, elle ne s'est pas ébréchée ainsi à s'enfoncer dans la gorge dos gens sa lame est couverte d'une couche'de rouille qui ne date ni d'un jour, ni d'un an, ni d'un siècle »

Le professeur s'animait, suivant son habitude, en se laissant emporter par son imagination. « Axel, reprit-il, nous sommes sur la voie de la grande découverte Cette lame est restée abandonnée sur le sable depuis eent, deux cents, trois


conta ans, et s'est ébrôohée sur les rocs de cette mer souterraine

Mais elle n'est pas venue seule ra'écrîfti-je elle n'a pas été se tordre d'elle-même quelqu'uu nous a précédés!

Oui, un homme.

Et cet homme? P

Cet homme a gravé son nom avec ce poignard Cet homme a voulu encore une fois marquer de sa main la routo du centre! Cherchons, cherchons

Et, prodigieusement intéressés, nous voilà longeant la haute muraille, interrogeant les moindres fissures qui pouvaient se changer on galerie.

Nous arrivâmes ainsi à un endroit où le rivage se resserrait. La mer venait presque baigner le pied des contre-forts, laissant un passage large d'une toise au plus. Entre deux avancées de roc, on apercevait l'entrée d'un tunnel obscur. Là, sur une plaque de granit, apparaissaient deux lettres mystérieuses à demi rongées, les deux initiales du hardi et fantastique voyageur i

(

̃"• 4- H'

« A. S. I s'écria mon oncle. Arne Saknussemml Toujours Arne Saknussemm »

̃̃ ̃


XL

Depuis le oommonooment du voyage, j'avais ^nssô par bien des étonnements je devais mo croire à l'abri des surprises et blasé sur tout émerveillement. Cependant, à la vue de ces doux lettres gravées là depuis trois cents ans, je demeurai dans un ébahissement voisin de la stupidité. Non seulement la signature du savant alolimiste se lisait sur le roc, mais encore le stylet qui l'avait tracée était entre mes mains. A moins d'être d'une insigne mauvaise foi, je ne pouvais plus mettre en doute l'existence du voyageur et la réalité de son voyage.

Pendant que ces réflexions tourbillonnaient dans ma tête, le professer Ljfdenbrock se laissait aller à un accè» un peu dithyrambique à l'endroit d'Arne Saknussemm.

« Merveilleux génie s'écriait-il, tu n'as rien oublié de ce qui pouvait ouvrir à d'autres mortels les routes de l'écorce terrestre, et tes semblables peuvent retrouver les traces que tes pieds ont laissées, il y trois siècles, au fond do ces souterrains obscurs A d'autres regards que les tiens, tu as réservé la contemplation de ces mer-


veilles! Ton nom gravé d'étapes en étapes con.duit droit à son but la voyageur ns.se?. audacieux pour te suivre, et, au centre même de notre planète, il so trouvera encore inscrit de ta propre main. Eh bien! moi aussi, j'irai signer de mon nom cette dernière page de granit! Mais que, dès maintenant, ce cap vu par toi près de cette mer découverte par toi, soit à jamais appeld le cap Saknussemm » n

Voilà ce que j'entendis, ou à peu près, et je me sentis gagné par l'enthousiasme que respiraient ces paroles. Un feu intérieur se ranima dans ma poitrine J'oubliai tout, et les dangers du voyage, et les périls du retour. Ce qu'un autre avait fait, je voulais le faire aussi, et rien de ce qui était humain ne me paraissait impossible!

« En avant, en avant! » m'écriai-je.

Je m'élançais déjà vers la sombre galerie, quand le professeur m'arrêta, et lui, l'homme des emportements, il me conseilla la patience et le sangfroid.

« Retournons d'abord vers Hans, dit-il, et ramenons le radeau à cette place. »

J'obéis à cet ordre, non sans peine; et je me glissai rapidement au milieu des roches du rivage.

« Savez-yous, mon oncle, dis-je en marchant, que nous avons été singulièrement servis par les circonstances jusqu'ici I


Ah! tu trouves, Asolî

Sans doute, et il n'est pas jusqu'à la terapâte qui no nous ait remis dans le droit chemin. Béni soit l'orage! 1 il nous a ramenés à cette côte d'où le beau temps nous eût éloignés Supposez un instant que nous eussions touché de notre proue (la proue d'un radeau!) los rivages méridionaux de la mer Lidenbrook, que serions-nous devenus? Le nom de Saknussemm n'aurait pas apparu à nos yeux, et maintenant nous serions abandonnés sur une plage sans issue.

Oui, Axel, il y a quelque chose de providentiel à ce que, voguant vers le sud, nous soyons précisément revenus au nord et au cap Saknussemm. Je dois dire que c'est plus qu'étonnant, et il y a là un fait dont l'explication m'échappe absolument.

Eh qu'importe il n'y a pas à expliquer les frits, mais à en profiter!

Sans doute, mon garçon, mais.

-'Mais nous allons reprendre la route du nord, passer sous les contrées septentrionales de l'Europe, la Suède, la Russie, la Sibérie, que saisje au lieu de nous enfoncer sous les déserts de l'Afrique ou les. flots de l'Océan, et je ne veux pas en savoir davantage r

Oui, Axel, tu as raison, et tout est pour le mieux, puisque nous abandonnons cette mer horizontale qui ne pouvait mener à rien. Nous


alloua descendre, encore descendre, ot toujours dfmoondre) Sais-tu bien que, pour arriver au centra du globo, il n'y a plus quo quinze mml* lieue» a franchir! 1 Bah! m'doriai-jo, ce n'est vraiment pas la peine d'en parier En route en route! » Ces discours insensés duraient encore quand nous rejoignimoB le «haseeur. Tout était préparé pour un-départ Immédiat pas un colis qui ne fût embarqué noua prtmea place aur- le radeau, et la voile hissée, Hans se dirigea en suivant la côte vers le cap 8aknusaemm.

Le vont n'était pas favorable à un genre d'embarcation qui ne pouvait tenir le plus pros. Aussi, en maint endroit, 11 fallut avanoor à J'aide des bâtons ferrés. Souvent les roohera, allongea à fleur d'eau, nous forcèrent de faire des détours assez longs. Enfin, après trois heures de navigation, c'est-à-dire vers six heures du soir, on atteignait un endroit propice au débarquement. Je sautai à terre, suivi de mon onole et de l'Islandais. Cette traversée ne m'avait pas calmé. Au contraire, Je proposai même de brûler « nos vaisseaux », afin de nous couper toute retraite. Mais mon onele a'y opposa. Je le trouvai singulièrement tiède.

« Ail moina, dis-je, partons sans perdre un ins-

tant. f

Oui, mon garçon mais auparavant, exa-


minant» cette nouvelle gnlorio, «lin di> savoir s'il fouit préparer nos éehellas. »

Mon oncle mit son appareil do KuhmkorfT on activité; lo radeau, attaché au rivage, fut laissa «oui; d'ailleurs, l'ouverture de la galerie n'tHait pas à vingt pas do Iti, ot notre petite troupe, moi en tôto, s'y rendit sans retard.

L'orifieo, à pou pré» circulaire, présentait un diamètre de cinq pieds environ; l'o nombre tunnel était taillé dans le roc vif et soigneusement alésé par les matières éruptivos auxquelles il donnait autrefois passage sa partie inférieure affleurait le sol, de telle façon que l'on.put y pénétrer sans aucune diffloulté.

Nous suivions un plan presque horizontcil, quand, au bout de six pas, notre marche fut interrompue par l'interposition d'un bloc énorme. « Maudit roc! » m'éoriai-je avec colère, en me voyant subitement arrêté par un obstacle infranchissable.

Nous eûmes beau chercher à droite et à gauche, en bas et en haut, il n'existait aucun passage, aucune bifuroation. J'éprouvai un vif désappointement, et je ne voulais pas admettre la réalité de l'obstacle. Je me baissai. Je regardai au-dessous du bloc. Nul interstice. Au-dessus. Môme barrière de granit.; Hans porta la lumière de la lampe sur tous les points de la paroi; mais «elte*èi n'offrait auoune solution de continuité.


Il fallait renoncer à tout espoir de passer. Je m'étais assis sur le sol; mon oncle arpentait lo couloir à grands pas. « Mais alors Saknussomm? m'écriai-je. Oui, fit mon onole. a-t-il donc été arrêté par cette porte do pierre?

Non! non! repris-je avec vivacité. Ce quartier de roo, par suite d'une secousse quelconque, ou l'un de ces phénomènes magnétiques qui agitent l'écorce terrestre, a brusquement fermé ce passage. Bien dos années se sont écoulées entre le retour do Saknussemm et la chute de ce bloo. N'est-il pas évident que oette galerie a été autrefois le chemin des laves, et qu'alots les matières éruptives y circulaient librement. Voyez, il y a des fissures récentes qui sillonnent ce plafond de granit; il est fait de morceaux rapportés, de pierres énormes, comme si la main de quelque géant eût travaillé à cette substruction mais, un jour, la poussée a été plus forte, et ce bloc, semblable à une clef de voûte qui manque, a glissé jusqu'au sol en obstruant tout passage. Voilà un obstacle accidentel que Saknussemm n'a pas rencontré, et si nous ne--le renversons pas, nous sommes indignes d'arriver au centre du monde! » Voilà comment je parlais L'âme du professeur avait passé tout entière en moi. Le génie des découvertes m'inspirait. 'J'oubliais le passé, je dé4aigua|s l'avenir. Rien n'existait plus pour moi h

Y


la surface de ce sphéroïde'au soin duquel je m'é. tais engouffré, ni les villes, ni les campagnes, ni Hambourg, ni Kônig-strasse, ni ma pauvre Grauben, qui devait me croire à jamais perdu dans les entrailles de la terre.

«< Eh bien reprit mon oncle, à coups de pioche, à coups de pio, faisons notre route et renversons ces murailles

C'est trop dur pour le pio, nVéoriai-je. Alors la pioche 1

C'est trop long pour la pioche! 1

Mais!

Eh bien! la poudrel la mine! minons, et faisons sauter l'obstacle!

La poudre r

Oui il ne s'agitque d'unboutderooàbriser 1 Hans, à l'ouvrage! » s'écria mon oncle. L'Islandais retourna au radeau, et revint bientôt avec un pio dont il se servit pour creuser un fourneau de mine. Ce n'était pas un mince travail. Il s'agissait de faire un trou assez considérable pour contenir cinquante livres' de fulmicoton, dont la puissance expansive est quatre fois plus grande que celle de la poudre à canon. J'étais dans une prodigieuse surexcitation d'esprit. Pendant que Hans travaillait, j'aidai activement mon oncle à préparer une longue mèche faite avec de la poudre mouillée et renfermée dans un boyau 4e ioiiç.


v « Nous passerons (lisais-je.

Nous passerons, » répétait mon oncle. A minuit, notre travail de mineurs fut entièrement terminé; la charge de fulmi-ooton se trouvait enfouie dans le fourneau, et la mèche, se déroulant à travers la galerie, venait aboutir au dehors. 1

Une étincelle suffisait maintenant pour mettre ce formidable engin en activité.

« A demain, » dit le professeur.

11 fallut bien me résigner et attendre encore pendant six grandes heures 1

XU

N. t

Le lendemain, jeudi, 27 août, fut une date oélèbre de ce voyage subterrestre. Elle ne me revient pas à l'esprit sans que l'épouvante ne fasse encore battre mon cœur, A partir de ce moment, notre raison, notre jugement, notre ingéniosité, n'ont plus voix au chapitre, et nous allons devenir le jouet des phénomènes de la terré. A six heures, nous étions sur pied. Lie moment approchait de nous frayer par la poudre un passage à travers l'écorce de granit.

Je sollicitai l'honneur Omettre le feu à la


mine. Cela fait, je devais rejoindre mes compagnons surlo radoauqui n'avait point été déchargé puis nous prendrions au large, afin de parer aux dangers de l'explosion, dont les effets pouvaient ne pas se concentrer à l'intérieur du massif. La mèche devait brûler pendant dix minutes, selon nos calculs, avant do porter le feu à la chambre des poudres. J'avais donc le temps nécessaire pour regagner le radeau.

Je me préparai à remplir mon rôle, non sans une certaine émotion. · Après un repas rapide, mon oncle et le chasseur s'embarquèrent, tandis que je restais sur le rivage. J'étais muni d'une lanterne allumée qui devait me servir à mettre le feu à la moche. « Va, mon garçon, me dit mon oncle, et reviens immédiatement nous rejoindre.

Soyez tranquille, mon oncle, je ne m'amuserai point en route. »

Aussitôt je me dirigeai vers l'orifice de la galerie, j'ouvris ma lanterne, et'jé saisis l'extrémité de la mèche.

Le professeur tenait son chronomètre à la main. « Es-tu prêt? me cna-t-il.

Je suis prêt.

-*• Eh bien! feu, mon garçon! »

Je plongeai rapidement dans la flamme la mèche, qui pétilla à son contact, et, tuut, en cou»' rant, je revins au rivage.


« Embnrquo, fit mon oncle, et débordons. » Hans, d'une vigoureuse, poussée, nous rejeta en mer. Le radeau s'éloigna d'une vingtaine de toises.

C'était un moment palpitant, Le professeur suivait de l'œil l'aiguille du chronomètre. t « Encore cinq minutes, disait-il. Encore quatre. Enoofe trois. »

Mon pouls battait des demi-secondes.

« Encore deux. Une! Croulez, montagnes de granit! »

Que se passa-t-il alors ? Le bruit de la détonation, je crois que je ne l'entendis pas. Mais la forme des rochers se modifia subitement à mes regards ils s'ouvrirent comme un rideau. J'aperçus un insondable abîme qui se creusait en plein rivage. La mer, prise de vertige, ne fut plus qu'une vague énorme, sur le dos de laquelle le radeau s'éleva perpendiculairement. Nous fûmes renversés tous les trois. En moins d'une seconde, la lumière fit place à la plus profonde obscurité. Puis je sentis l'appui solide manquer, non à mes pieds, mais au radeau. Je orus qu'il coulait à pic. Il n'en était rien. J'aurais voulu adresser la parole à mon oncle; mais le mugissement des eaux, l'eût empêché de m'entendre. Malgré les ténèbres, le- bruit, la surprise, réniotion, je compris ce qui venait de se passer. Au delà du roc qui venait de sauter, il existait


un abime. L'explosion avait déterminé une sorte de tremblement de terre dans ce sol coupé do fissures, le gouffre s'était ouvert, et la mer, changée en torrent, nous y entraînait aveo elle Je me sentis perdu.

Une heure, doux heures, que sais-je! se passèrent ainsi. Nous nous serrions les coudes, nous nous tenions les mains afin de n'être pas précipités hors du radeau des chocs d'une extrême violence se produisaient, quand il heurtait la muraille. Cependant ces heurts étaient rares, d'où je conclus que la galerie s'élargissait considérablement. C'était, à n'en pas douter, le chemin de Saknussemm mais, au lieu de le descendre seul, nous avions, par notre imprudence, entraîné toute une mer avec nous.

Ces idées, on la comprend, se présentèrent à mon esprit sous une forme vague et obscure. Je les associais difficilement pendant cette course vertigineuse qui ressemblait à une chute. A en juger par l'air qui me fouettait le visage, elle devait surpasser celle des trains les plus rapides. Allumer une torche dans ces conditions était donc impossible, et notre dernier appareil électrique avait été brisé au moment de l'explosion. Je fus donc fort surpris de voir une lumière briller tout à eoup près de moi. La figure calme de Hans s'éclaira. L'adroit chasseur était parvenu à allumer la lanternent, bien que sa flamme


vacillât à s'éteindre, elle jeta quelques lueurs dans l'épouvantable obscurité.

La galerie était lnrgo. J'avais eu raison de laju* ger telle. Noire insuffisante lumière ne nous permettait pas d'apercevoir ses deux murailles à la fois. La pente des eaux qui nous emportaient dépassait cello dos plus insurmontables rapides do l'Amérique leur surface semblait faite d'un fais* eeau^dft flèches liquides décochées avec une extrême puissance. Je ne puis rendre mon ira* pression par une comparaison plus juste. Le radeau, pris par certains remous, filait parfois en tournoyant Lorsqu'il s'approchait dos parois d. la galerie, j'y projetais la lumière de la lanterne» et je pouvais juger de sa vitesse à voir les saillies du roc se changer en traits continus, de telle sorte que nous étions enserres dans un réseau de lignes mouvantes. J'estimai que notre vitesse devait atteindre trente lieues à l'heure. 1

Mon oncle et moi, nous regardions d'un oit hagard, accotés au tronçon du mât, qui, au moment de la catastrophe, s'était rompu net. Nous tournions le dos à l'air, afin de ne pas être étouffes par la rapidité d'un mouvement que nulle puis» sanee humaine ne pouvait enrayer.

Cependant les heures s'écoulèrent. La situation ne changeait pas, mais un incident vint la corn*

pliquer.

En cherchant è mettre un peu d'ordre dans la


cargaison, je vis que la plus grande partie des s objets embarqués avaient disparu au moment de s l'explosion, lorsque la mer nous assaillit si vio- 1 lemment! Je voulus savoir exactement à quoi m'en tenir sur nos ressources, et, la lanterne .-> la main, je commençai mes recherches. De nos [ instruments, il ne restait plus que la boussole et le chronomètre. Les échelles et les cordes se ré- s duisaient à un bout do câble enroulé autour du tronçon de mât. Pas une pioche, pas un pic, pas un marteau, et, malheur irréparable, nous n'a- vions pas de vivres pour un jour!

Je me mis à fouiller les interstices du radeau, les moindres coins formés par les poutres et la jointure des planches. Rien! nos provisions con sistaient uniquement en un morceau de viande sèche et quelqués biscuits.

Je regardais d'un air stupide Je ne voulais pas comprendre Et cependant de- quel danger me préoccupais-je? Quand les vivres eussent été suffisants pour des mois, pour des années, comment sortir des abîmes où nous entraînait cet irrésistible torrent? A quoi bon craindre les tortures de la faim, quand la mort s'offrait déjà sous tant d'autres formes? Mourir d'inanition, est-ce que nous en aurions le temps ? 1

Pourtant, par une inexplicable bizarrerie de l'imagination, j'oubliai le péril immédiat pour les menaces de l'avenir qui m'apparurent dans toute


leur horreur. D'ailleurs, peut-être pourrionsnous échapper aux fureurs du torrent et revenir à la surface du globe. Comment? je l'ignore. Où? Qu'importe! Une chance sur mille est toujours une chance, tandis que la mort par la faim ne noua laissait d'espoir dans aucune proportion, si petite qu'elle fût.

La pensée me vint de tout dire à mon oncle, de lui montrer à quel dénûment .nous étions réduits, et de faire l'exact calcul du temps qui nous restait à vivre. Mais j'eus le courage de me taire. Je voulais lui laisser tout son sang-froid.

En ce moment, la lumière de la lanterne baissa peu à'peu et s'éteignit entièrement. La mèche, avait brûlé jusqu'au bout. L'obscurité redevint ̃̃ absolue. Il ne fallait plus songer à dissiper ces mpéhétrables ténèbres. 11 restait encore une torche, mais elle n'aurait pu se maintenir allumée. Alors, comme un enfant, je fermai les yeux pour ne pas voir toute cette obscurité.

Après un laps de temps assez long, la vitesse de notre course redoubla. Je m'en aperçus à la réverbération de l'air sur mon visage. La pente des eaux devenait excessive. Je crois véritable* ` ment que nous ne glissions plus. Nous tombions. J'avais en moi l'impression d'une chute presque verticale. La main de mon oncle et celle de Hans, cramponnées à mes bras, me retenaient avec vigueur..


Tout à coup, après un temps inappréciable, je ressentis comme un choc le radeau n'avait pas heurté un corps dur, mais il s'était subitement arrêté dans sa chute. Une trombe d'eau, une immense colonne liquide' s'abattit à sa surface. Je fus suffoqué. Je me noyais.

Cependant, cette inondation soudaine ne dura pas. En quelques secondes je me trouvai à l'air libre que j'aspirai à pleins poumons. Mon oncle et Hans me serraient le bras à le briser, et le radeau nous portait encore tous les trois. XLII

Je suppose qu'il devait être alors dix heures du soir. Le premier de mes sens qui' fonctionna après ce dernier assaut fut le sens de l'ouïe. J'entendis presque aussitôt, car ce fut acte d'audition véritable, j'entendis le silence se faire dans la galerie, et succéder à ces mugissements qui, depuis ,de longues heures, remplissaient mes oreilles. Enfin ces paroles de mon oncle m'arrivèrent comme un murmure

« Nous montons

Que voulez-vous dire? m'écriai-je.

Oui, nous moutons! nous montons! »


J'étendis le bras; je touchai la muraille; ma main fut miRO en sang. Nous remontions avec une, extrême rapidité.

« La torche! la torche » s'écria le professeur.

Hans, non sans difficultés, parvint à l'allumer, et, bien que la flamme se rabattît de haut en bas, par suite du mouvement ascensionnel, elle jeta assez de clarté pour éclairer toute la sobne. « C'est bien ce que je pensais, dit mon onole. Nous sommes dans un puits étroit, qui n'a pas quatre toises de diamètre. L'eau, arrivée au fond du gouffre, reprend son niveau et nous monte avec elle.

Oui ( Je l'ignore, mais il faut se tenir prêts à tout événement. Nous montons avec une vitesse que j'évalue à deux toises par secondes, soitcent vingt toises par minute, ou plus de trois lieues et demie à l'heure. De ce train-là, on fait du chemin. Oui, si rien ne nous arrête, si ce puits a une issue! Mais s'il est bouché, si l'air se comprime peu à peu sous la pression de. la colonne d'eau, si nous allons être écrasés

Axel, répondit le professeur avec un grand calme, la situation est presque désespérée, mais il y a quelques chances de salut, et ce sont colleslà que j'examine. Si à chaque instant nous pou- vons périr, à chaque instant aussi nous pouvoutf


être sauvés. Soyons donc on mesure de profiter des moindres circonstances.

Mais que faire? Y

Réparer nos forces en mangeant. » A ces mots, je regardai mon onole d'un œil hagard. Ce que je n'avais pas voulu avouer, il fallait enfin le dire

« Manger? répétai-je.

Oui, sans retard. »

Le professeur ajouta quelques mots en danois. Hans secoua la tête.

« Quoi! s'écria mon oncle, nos provisions sont perdues?

Oui, voilà ce qui reste de vivres un morceau de viande sèohe pour nous trois! » Mon onole me regardait sans vouloir comprendre mes paroles.

« Eh bien dis-je, croyez-vous encore que nous puissions être sauvés? »

Ma demande n'obtint aucune réponse.

Une heure se passa. Je commençais à éprouver une faimviolente.Mes compagnons souffraient aussi, et pas un de nous n'osait toucher à ce misérable reste d'aliments.

Cependant nous montions toujours avec rapidité parfois l'air nous coupait la respiration comme aux aéronautes dont l'ascension est trop rapide. Mais si ceux-ci éprouvent un froid proportionnel 'à mesure qu'ils s'élèvent dans les couches


atmosphériques, nous subissions un effet absolument contraire. La chaleur s'accroissait d'une inquiétante façon et devait certainement atteindre quarante degrés.

Que signifiait un pareil changement? Jusqu'alors les faits avaient donné raison aux théories de Davy et do Lidonbrook; jusqu'alors des conditions particulières de roches rélYaetaires, d'élcetricité, de magnétisme avaient modifié les lois générales de la nature, on nous faisant une température modérée, car la théorie du feu central restait, à' ïaosyeux, la seule vraie, la seule explicable. Allions-nous donc revenir à un milieu où ces phénomènes s'accomplissaient dans toute leur rigueur et dans lequel la chaleur réduisait les roches à un complot état de fusion? Je le oraï- J gnais, et je dis au professeur « Si nous ne sommes pas noyés ou brisés, si nous ne mourons pas de faim, il nous reste toujours la chance d'être brûlés vifs. »

II se contenta de hausser les épaules et retombâ dans ses réflexions.

Une heure s'écoula. Et, sauf un léger accroissement dans la température, aucun incident modifia la situation. Enfin mon oncle rompit te silence.

« Voyons, dit-il, il faut prendre un parti. Prendre un parti? répliquai-je.

Oui. Il faut réparer nos forces, ai nous fess-


«ayons, en ménageant ce reste de nourriture, da prolonger notre existence de quelques heures, nous serons faibles jusqu'à la fin.

Oui, jusqu'à la fin, qui ne so fera pas { attendre.

Eh bien qu'une chance de satut se présente, qu'un moment d'action soit nécessaire, oit trouverons-nous la force d'agir, si nous nous laissons affaiblir par l'inanition?

Eh! mon onclo, ce morceau do viande dévoré, que nous restera-t-il ? i'

Rien, Axel, rien; mais te nourrira-t-il davantage à le manger de tes yeux? Tu fais là les raisonnements d'homme sans volonté, d'un être sans énergie 1

Ne désespérez-vous donc pas? m'éoriai-je avec irritation. ·

Non! répliqua fermement le professeur. Quoi vous croyez encore à quelque ehance de salut?

Oui! certes oui! et tant que son cœur bat, tant que sa chair palpite, je n'admets pas qu'un être doué de volonté laisse en lui place au désespoir. »

Quelles paroles L'homme qui les prononçait en de pareilles circonstances était certainement d'une trempe peu commune.

s Enfin, dis-je, que prétendez- vous faire? Manger ce qui reste de nourriture jusqu'à


la dernière miette et réparer nos foroes perdues. Ce repas sera notre dernier, soit! mais au moins, au lieu d'être épuisés, nous serons redevenus des hommes.

Eh bien! dévorons! » ra'éoriai-je.

Mon oncle prit le morceau de viande et les quelques biscuits échappés au naufrage; il.fit trois portions égales et les distribua. Cela faisait environ une livre d'aliments pour chacun. 'Le professeur mangea avidement, avec une sorte d'emportement fébrile; moi, sans plaisir, malgré ma faim, et presque avec dégoût Hans, tranquillement, modérément, mâchant sans bruit de potites bouchées et les savourant aveo le calme d'un homme que les soucis de l'avenir ne pouvaient inquiéter. Il avait en furetant bien, retrouvé une gourde à demi pleine de genièvre; il nous l'offrit, et cette bienfaisante liqueur eutla force de me ranimer un peu.

« FôrtrSfflig! dit Hans en buvant à son tour. Excellent! » riposta mon oncle.

J'avais repris quelque espoir. Mais notre dernier repas venait d'être achevé. Il était alors-cinq heures du matin.

L'homme est ainsi fait, que sa santé est un effet purement négatif; une fois le besoin de manger satisfait, on se figure difficilement les horreurs de la faim; il faut les éprouver, pour les comprendre. Aussi, au sortir d'un long jeûne, quel-


ques bouchées do biscuit et de viande triomphèrent de nos douleurs passées.

Cependant, après ce repas, ohaoun se laissaaller à ses réflexions. A quoi songeait Hans, oet homme de l'extrême Occident, que dominait la résignation fataliste des Orientaux? Pour mon compte, mes pensées n'étaient faites que de souvenirs, et ceux-ci me ramenaient à la surface de ce globe que je n'aurais jamais dû quitter. La maison de Kônig-strasse, ma pauvre GraUben, la bonne Marthe, passèrent comme des visions devant mes yeux, et, dans les grondements lugubres qui couraient à travers le massif, je croyais surprendre le bruit des oités de la terre.

Pour mon oncle, « toujours à son affaire », la torche à la main, il examinait avec attention la nature des terrains; il cherchait à reconnaitre sa situation par l'observation des couches superposées. Ce calcul, ou mieux cette estime, ne pouvait être que fort approximative; mais un savant est toujours un savant, quand il parvient à conserver son sang-froid, et certes, le professeur Lidenbrock possédait cette qualité à un degré peu ordinaire. Je l'entendais mumurer des mots de la science géologique; je les comprenais, et je m'intéressais malgré moi à cette étude suprême. « Granit éruptif, disait-il; nous sommes encore à l'époque primitive; mais nous montons! (tous montons! Qui sait? Il


•̃ i. "̃'̃̃•- v-"1 ~i" f

Qui sait? Il espérait toujours. De sa main il tâtait la paroi verticale, et, quelques instaute plus tard, il reprenait ainsi

« Voilà les gnoisa voilà les micaschistes Bon! 1 A bientôt les terrains de l'époque de transition, et alors. »

Que voulait dire le professeur? Pouvait-il mesurer l'épaisseur de l'écorce terrestre suspendue sur notre tête? Possédait-il un moyen quelconque de" faire ce calcul? Non. Le manomètre lui manquait, et nulle estime ne pouvait le suppléer. (

Cependant la température s'accroissait dans une forte proportion et je me sentais baigné au milieu d'une atmosphère brûlante. Je ne pouvais )a comparer qu'à la chaleur renvoyée par les fourneaux d'une fonderie à l'heure des coulées. Peu à peu, Hans, mon oncle et moi, nous avions dû quitter nos vestes et nos gilets; le moindre vêtement devenait une cause de malaise, pour ne pas dire de souffrances.

« Montons-nous donc vers un foyer incandescent ? m'écriai-je, à un moment où la chaleur redoublait.

Non, répondit mon oncle, c'est impossible! l c'est impossible!

Cependant, dis-je en tâtant la paroi, cette muraille est brûlante !»

Au moment où je prononçai ces paroles, ma


main ayant effleuré l'eau, je dus la retirer au plus vite.

« L'eau est brûlante » m'ccriai-je.

Le professeur, cette fois, no répondit que par un geste de colère.

Alors, une invincible épouvante s'empara de mon cerveau et ne le quitta plus. J'avais le sentiment d'une catastrophe prochaine, et telle que la plus audacieuse imagination n'aurait pu la concevoir. Une idée, d'abord vague, incertaine, se changeait en certitude dans mon esprit. Je la repoussai, mais elle revint avec obstination. Je n'osais la formuler. Cependant quelques observations involontaires déterminèrent ma conviction & la lueur douteuse de la torche, je remarquai dos mouvements désordonnés dans les couches granitiques un phénomène allait évidemment se produire, dans lequel l'électricité jouait un rôle; puis cette chaleur excessive, cette eau bouillonnantel. Je résolus d'observer la boussole.

Elle était affolée i

xLin

Oui, affolée 1 L'aiguille sautait d'un pôle à l'autre avec de brusques secousses, parcourait


tous les points du cadran, et tournait, comme d elle eût été prise de vertige.. 7" Je savais Mon que, d'après tes théories leg plus acceptées, l'écorce minérale du globe n'est jamais dans un état de repos absolu; les modifications amenées par la décomposition des matières internes, l'agitation provenant des grands courahtsliquides, l'action du magnétisme, tendent à l'ébranler incessamment, alors même que le» êtres disséminés à sa surface ne soupçonnent pas son agitation, Ce phénomène ne m'aurait donc pas autrement e%a^|; ou du moins il n'eût pas fait naître dans mon esprit une idée terrible. Mais d'autres faits, ceirtains détails suigenms, ne purent me tromperplus longtemps les détOr nations se multipliaient avec une effrayante, in- tensité je ne pouvais les comparer qu'au bruit que feraient un grand nombre de chariots ento-aines rapidement sur le pavé. C'était un tonnerre continu. Puis, la boussole affolée, secouée par les phénomènes électriques, me confirmait dans mon opinion; l'écorce minérale menaçait de se rompre,. j^ibassifs gràiiiti<Çaes de se rejoindre, la fissure $08$ eàmbler^ le Vide j de se rempluvet nous, pl^|e|i^mes» ^us^aflîibNr èti$ èerasés d^ns

~i~`:fbrmiâa~l$ etr~îta n 1 f 1

«iMon- oncle, mon oncle m'écriai-je, nous f^anmea perdus |


Vîî


Quelle est cette nouvelle terreur f me ré* fondit-il aveo un calme surprenant, Quas-tu donc?

Ce que j'ai Observez ces murailles qui s'a* gitent, ce massif qui se disloque. oette chaleu* torride, cotto eau qui bouillonne, ces vapeurs qui H'cpaissibBont, cotto aiguille folle, tous tes indloei d'un tremblement de terre »

Mon oncle secoua doucement la tête

« Un tremblement de terre f fit-il.

-Oui! I `

Mon garçon, je crois que tu te trompes Y j Quoi vous ne reconnaissez pas ces symp- tomes?

D'un tremblement de terre non J'attends mieux que cela!

Que voulez-vous dire t `

Une éruption, Axel.. » Une éruption dis-je nous sommes dans la cheminée d'un volcan en activité

Je le pense, dit le professeur en souriant, et o'est ce qui peut nous arriver de plus heureux 1 » De plus heureux) Mon oncle était-il donc de» venu fou? Que signifiaient ces paroles ? pourquoi ce calme et ce sourire f `

« Comment !m'écriai-je<, nous sommes pris dans une éruption la fatalité nous a jetés sur le chemin des laves incandescentes, des roches en feu, des eaux bouillonnantes, de toutes les matières


éruptives! nous allons être repousses, expulsés, rejetés, vomis, lancés dans les airs avec les quartiers de rocs, les pluies de cendres et de scories, dans un tourbillon de flammes et o'est ce qui pout nous arriver de plus heureux l

Oui, répondit le professeur en me regardant par-dessus ses lunettes, car c'est la seule chance que nous ayons derevenir à la surface de la terre !» Je passe rapidement sur lès mille idées qui se croisèrent dans mon cerveau. Mon oncle avait raison, absolument raison, et jamais il ne me parut ni plus audacieux ni plus convaincu qu'en ce moment, où il attendait et supputait avec calme les chances d'une éruption.

Cependant nous montions toujours; la nuit se passa dans ce mouvement ascensionnel les fracas environnants redoublaient; j'étais presque suffoqué, je croyais toucher à ma dernière heure, et, pourtant, l'imagination est si bizarre, que je me livrai à une recherche véritablement enfantine. Mais je subissais mes pensées, je ne les dominais

p~t que nous étions rejetée une

Il était évident que nous étions rejetés par une poussée éruptive; sous le radeau, il y avait des eaux bouillonnantes, et sous ces eaux toute une pâte de lave, un agrégat de roches qui, au sommet du cratère, se disperseraient en tous les sens. Nous étions donc dans la cheminée d'un volcan. Pu de doute & cet égard.


Mais cette fois, au lieu du Sneffela, volcan éteint, n s'agissait d'un volcan en pleine activité. Je me demandai donc quelle pouvait être cette montagne et dans quelle partie du monde nous allions être expulsés.

Dans les régions septentrionales, cela ne faisait aucun doute. Avant ses affolements, la boussole n'avait jamais varié à cet égard. Depuis le cap Saknussemm, nous avions été entrainés directement au nord pendant des centaines de lieues. Or, étions-nous revenus sous l'Islande? Devions-nous être rejetés par le oratère de l'Hécla ou par ceux des sept autres monts ignivomes de l'île? Dans un rayon de 500 lieues, à l'ouest, je ne voyais sous ce parallèle que les volcans mal connus de la côte nord-ouest de l'Amérique. Dansl'estjUnseulexistaitsouslequatre-vingtièmef degré de latitude, l'Esk, dans l'île tle Jean Mayen, non loin du Spitzberg Certes, les cratères ne manquaient pas, et, ils se trouvaient assez spacieux pour vomir une armée tout entière Mais lequel nous servirait d'issue, c'est ce que je cherchais à deviner.

Vers le matin, le mouvement d'ascension s'aooéléra. Si la. chaleur s'accrut, au lieu de diminuer, aux approches de la surface du globe, c'est quelle était toute locale et due à une influencé volcanique. Notre genre de locomotion ne pouvait plus me laisser aucun doute dans l'esprit;


une force énorme, une force de plusieurs centaines d'atmosphères, produite par les vapeurs aoeumulées dans le sein de la terre, nous poussait irrésistiblement. Mais à quels dangers innombrables elle nous exposait!

Bientôt des reflets fauves pénétrèrent dans la galerie verticale qui s'élargissait j'apercevais 4 droite et à gauche des couloirs profonds semblables à d'immenses tunnels d'où s'échappaient des vapeurs épaisses des langues de flammes en léchai, it les parois en pétillant.

« Voyez! voyez, mon oncle m'écriai-je. Eh bien ce sont des flammes sulfureuses Rien de plus naturel dans une éruption. -Mais si elles nous enveloppent?

Elles ne nous envelopperont pas.

Mais si nous étouffons?

Nous n'étoufferons pas la galerie s'élargit et, s'il le faut, nous abandonnerons le radeau pour nous abriter dans quelque crevasse.

-Et l'eau et l'eau montante 2

Il n'y a plus d'eau, Axel, mais une sorte dé pâte lavique qui nous soulève avec elle jusqù'à l'orifice du cratère. »

La colonne liquide avait effectivement disparu pour faire, place à des matières éruptives assez denses, quoique bouillonnantes. La température devenait insoutenable, et un thermomètre expose dans cette atmosphère eût marqué plus de


^ii.i .1 i^,i.w.i. !̃̃̃ « » .-̃̃, »-, ,mmmm.r m .imiii«W«

aoixanto-dix degrés La sueur m'inondait. Sans la rapidité de l'ascension, nous aurions été certainement étouffés. Cependant le professeur ne donna pas suite à sa proposition d'abandonner le radeau, et il fit bien. Ces quelques poutres mal jointes offraient une surface solide, un point d'appui qui nous eût manqué partout ailleurs.

Vers huit heures du matin, un nouvel incident se produisit pour la première fois. Le mouvement ascensionnel cessa tout à coup. Le radeau demeura absolument immobile.

« Qu'est-ce donc? demandais-je, ébranlé par cet arrêt subit comme par un choc.

Une halte, répondit mon oncle..

Est-ce l'éruption qui se calme?

J'espère bien que non. »

Je me levai. J'essayai de voir autour de moi. Peut-être le radeau, arrêté par une saillie de roc, opposait-il une résistance momentanée à la masse éruptive. Dans ce cas, il fallait se hâter de le dégager au plus vite.

Il n'en était rien. La colonne de cendres, de scories et de débris pierreux avait elle-même cessé de monter.

« Est-ce que l'éruption s'arrêterait ? m'écriai-je.

Ah fit mon oncle les dents serrées, tu le •rains, mon garçon; mais rassure-toi* nW»


ment de calme ne saurait se prolonger; voilà déjà cinq minutes qu'il dure, et avant peu nous reprendrons notre ascension vers l'orifice du cratère. » Le professeur, en parlant ainsi, ae cessait de consulter son chronomètre, et il devait avoir encore raison dans ses pronostics. Bientôt le radeau fut repris d'un mouvement rapide et désordonné qui dura deux minutes à peu près, et il s'arrête de nouveau.

« Bon, fit mon oncle en observant l'heure, dans dix minutes il se remettra en route.

Dix minutes?

Oui. Nous avons affaire à un volcan dont l'éruption est intermittente. Il nous laisse respirer avec lui. »

Rien n'était plus vrai. A la minute assignée, nous fûmes lancés de nouveau avec une extrême rapidité; il fallait se cramponner aux poutres pour ne pas être rejeté hors du radeau. Puis la poussée s'arrêta.

Depuis, j'ai réfléchi à ce singulier phénomène sans en trouver une explication satisfaisante. Toutefois il me paraît évident que nous n'occupions pas la cheminée principale du volcan, mais bien un conduit accessoire, où se faisait sentir un effet de contre-coup.

Combien de fois se reproduisit cette ma-, nœuvre, je ne saurais le aire tout ce que je puis affirmer; c'est qu'à chaque reprise dtt meuve*»


ment, nous étions lancés avec une force croissante et comme emportés par un véritable projeotile. Pendant les instants de halte, on étouffait; pendant les moments de projection, l'air brûlant me coupait la respiration. Je pensai un instant à cette volupté de me retrouver subitement dans les régions hyperboréennes par un froid de trente degrés au-dessous de zéro. Mon imagination surexcitée se promenait sur les plaines de neige des contrées arctiques, et j'aspirais au moment où je me roulerais sur les tapis .glacés du pôle Peu à peu, d'ailleurs, ma tête, brisée par ces secousses réitérées, se perdit. Sans les bras de Hans, plus d'une fois je me serais brisé le crâne contre la paroi de granit.

Je n'ai donc conservé aucun souvenir préois de ce qui se.passa pendant les heures suivantes. J'ai le sentiment confus de détonations continues, de l'agitation du massif, d'un mouvement giratoire dont fut. pris, le radeau. Il ondula sur des flots de laves, au milieu d'une pluie de cendres. Les flammes ronflantes l'enveloppèrent. Un ouragan qu'on eût dit chassé d'un ventilateur immense activait les feux souterrains. Une dernière fois, la figure de Hans m'apparut dans un reflet d'incendie, et je n'eus plus d'autre sentiment que cette épouvante sinistre des condamnés attachés à la bouohe d'un canon, au moment où le coup part et disperse leurs membres dans les airs.


Quand je rouvris les yeux, je me sentis serré à la ceinture par la main vigoureuse du guide. De l'autre main il soutenait mon oncle. Je n'étais pas blessé grièvement, mais brisé plutôt par une courbature générale. Je me vis couché sur le versant d'une montagne, à deux pas d'un gouffre dans lequel le moindre mouvement m'eût précipité. Hans m'avait sauvé de la mort, pendant que je roulais sur les flancs du cratère.

« Où sommes-nous? » demanda mon onde, qui me parut fort irrité d'être revenu sur terre. Le chasseur leva les épaules en sigM d'ignorance.

« En Islande? dis-je.

« Nej, » répondis Hante

Comment! non! s'écria le professeur.

Hans se trompe, » dis-je en me soulevant. Après les surprises innombrables de ce voyage, une stupéfaction nous était encore réservée. Je m'attendais à voir un cône couvert de neiges éternelles, au milieu des arides déserts des re-


gions septentrionales, sous les pâles rayons d'un oiol polaire, au delà des latitudes les plus élevées, et, contrairement à toutes ces prévisions, mon oncle, l'Islandais et moi, nous étions étendus & mi-flanc d'une montagne calcinée par les ardeurs du soleil qui nous dévorait de ses feux. Je ne voulais pas en croire mes regards; mais la réelle cuisson dont mon corps était l'objet ne permettait aucun doute. Nous étions sortis à demi nus du cratère, et l'astre radieux, auquel nous n'avions rien demandé depuis deux mois, se montrait à notre égard prodigue de lumipre et de chaleur et nous Versait à flots une splendide irradiation.

Quand mes yeux furent accoutumés à cet éclat dont ils avaient perdu l'habitude, je les employai à reotifier les erreurs de mon imagination. Pour le moins, je voulais être au Spitzberg, et je n'étais pas d'humeur à en démordre aisément. Le professeur avait le, premier pris la parole, et dit °

« En effet, voilà qui ne ressemble pas à l'Islande.

Mais l'île de Jean May en? répondis-je. Pas davantage, mon garçon. Ceci n'est point un volcan du nord, avec ses collines de granit et sa calotte de neige.

Cependant.

Regarde. Axel, regarde! »


Au-dessus de notre tête, à cinq cents pieds au plus, s'ouvrait le cratère d'un volcan par lequel s'échappait, de quart d'heure en quart d'heure, avec une très forte détonation, une haute colonne de flammes, mêlée de pierres ponces, de cendres et de laves. Je sentais les convulsions de la montagne qui respirait à la façon des baleines, et rejetait de temps à autre le feu et l'air par ses énormes évents. Au-dessous, et par une pente assrsz roide, les nappes de matières éruptives s'étendaient à une profondeur de sept à huit cents pieds, ce qui ne donnait pas au volcan une hauteur de cent toises. Sa base disparaissait dans une véritable corbeille d'arbres verts; parmi lesquels je distinguai des oliviers, des figuiers et des vignes chargées de grappes vermeilles. Ce n'était point l'aspect des régions arctiques, il fallait bien en convenir.

Lorsque le regard franchissait cette verdoyante enceinte, il arrivait rapidement à se perdre dâns les eaux d'une mer admirable ou d'un lac, qui faisait de cette terre enchantée une île large de quelques lieuet, à peine. Au levant,. se voyait un petit port précédé de quelques maisono et dans lequel des navires d'une forme particulière se balançaient aux ondulations des flots bleus. Au delà, des groupes d'ilots sortaient de la plaine liquide, et si nombreux, qu'ils ressemblaient à une vaste fourmilière. Vers le couchant,


des côtes éloignées «'arrondissaient à l'horizon sur les unes se profilaient des montagnes bjeuea d'une harmonieuse conformation; sur les autres, plus lointaines, apparaissait un cône prodigieusement élevé au sommet duquel s'agitait un panache de fumée. Dans le nord, une immense étendue d'eau étincelait sous les rayons solaires, laissant poindre ça et là l'extrémité d'une mâture ou la convexité d'une voile gonflée au vent.

L'imprévu d'un pareil spectacle en centuplait encore les merveilleuses beautés.

« Où sommes-nous? où sommes-nous? » répétais-je à mi-voix. j"

Hans fermait les yeux avec. indifférence, et mon oncle regardait sans comprendre. « Quelle que soit cette montagne, dit-il enfin, il y fait un peu chaud; les explosions ne discontinuent pas, et ce ne serait vraiment pas la peine d'être sortis d'une éruption pour recevoir un morceau de roc sur la tête. Descendons, et nous saurons à quoi nous en tenir. D'ailleurs je meurs de faim et de soif. »

Décidément le professeur n'était point un esprit contemplatif. Pour mon compte, oubliant le besoin et les fatigues; je serais resté à cette place pendant de longues heures encore, mais il fallut suivre mes compagnons. ·

he talus <Ui volcan offrait dea pentes très


raides; noua glissions dans de véritables fondrières de cendres, évitant les ruisseaux de lave qui s'allongeaient comme des serpents de feu. Tout en descendant, je. causais avec volubilité, «ar mon imagination était trop remplie pour ne point s'en aller en paroles.

« Nous sommes en Asie, m'écriai-je, sur les côtes de l'Inde, dans les iles Malaises, en pleine Océanie! Nous avons traversé la moitié du globe pour aboutir aux antipodes de l'Europe. Mais la boussole? répondit mon oncle. Oui la boussole disais-je d'un air embarrassé. A l'en croire, nous avons toujours mai>ché au nord.

Elle a donc menti?

Oh menti

A moins que ceci ne soit le pôle nord 1 Le pôle! non; mais. »

Il y avait là un fait inexplicable. Je ne savais qu'imaginer.

Cependant noue nous rapprochions de cette verdure qui faisait plaisir à voir. La faim me tourmentait et la soif aussi. Heureusement, après deux heures de marche, une jolie campagne s'offrit à nos regards, entièrement couverte d'orliviers, de grenadiers et de vignes qui avaient l'air d'appartenir à tout le monde.. D'ailleurs, dans notre dénûment, nous n'étions point Ans à y regarder de si près. Quelle jouissancêce fut de


presser ces fruits savoureux sur nos lèvres et de mordre à pleines grappes dans ces vignes vermeilles! Non loin, dans l'herbe, à l'ombre délicieuse des arbres, je découvris une source d'eau fraîche, où notre figure et nos mains se plongèrent voluptueusement.

Pendant que chacun s'abandonnait ainsi à toutes les douceurs du repos, un enfant apparut entre deux touffes d'oliviers.

« Ah! m'écriai-je, un habitant de cette heureuse contrée 1 »

C'était une espèce de petit pauvre, très misérablement vêtu, assez souffreteux, et que notre aspect parut .effrayer beaucoup; en effet, deminus, avec nos barbes incultes, nous avions fort mauvaise mine, et, à moins que ce pays ne fût un pays de Voleurs, nous étions faits de manière à effrayer ses habitants.

Au moment ou le gamin allait prendre la fuite, Hans courut après lui et le ramena, malgré ses cris et ses coups de pied.

Mon oncle commença par le rassurer de son mieux et lui dit en bon allemand

« Quel est le nom de cette montagne, mon petit ami?»

L'enfant ne répondit pas. « Bon, fit mon oncle, nous ne sommes point en Allemagne. »

Et il redit la même demande en anglais.


L'enfant ne répondit pas davantage. J'étais très intrigué.

« Est-il dono muet? » s'écria le professeur, qui, très fier de son polyglottisme, recommença la même demande en français.

Même silence de l'enfant.

« Alors essayons de l'italien », reprit mon oncle; et il dit en cette langue

« Doue noi siamo ?

Oui! sommes-nous? » répétai-je avec impatience.

L'enfant de ne point répondre.

« Ahçà! parleras-tu? s'écria mon oncle, que la oolère commençait à gagner, et qui secoua l'enfant par les oreilles. Come si noma questa isota ?

Stromboli, » répondit le petit pâtre, qui s'échappa des mains de Hans et gagna la plaine à travers les oliviers.

Nous ne pensions guère à lu! Le Stromboli! Que! effet produisit sur mon imagination ce nom inattendu Nous étions en pleine Méditerranée, au milieu de l'archipel éolien demythologique mémoire, dans l'ancienne Strongyle, ou Éole te-. nait à la chaîne les vents et les tempêtes. Et ces montagnes bleues qui s'arrondissaient au levant, frétaient les montagnes de la Calabre! Et ce volcan dressé à l'horizon du sud, l'Etna, lefaro iche Etna liii-uiêuK». ̃"


« Stromboli le Stromboli! » répét&i-je. Mon oncle m'accompagnait de ses gestes et de ses paroles. Nous avions l'air de chanter un ohœurl

Ah! quel voyage! Quel merveilleux voyage I Entrés par un volcan, nous étions sortis par un Autre, et cet autre était situé à plus de douze cents lieues du Sneffols, de cet aride paya de l'Islande jeté aux oonfins du monde 1 Les hasards de cette expédition nous avaient tranportés au sein des plus harmonieuses contrées de la ferre! If Nous avions abandonné la région des neiges éternelles pour celle de verdure infinie et laissé au-dessus de nos têtes le brouillard grisâtre des zones glacées pour revenir ail ciel azuré de la Sicile-

Après un délicieux repas composé de fruits et d'eau fraîche, nous nous remîmes en route pour gagner le port de Stromboli. Dire comment nous étions arrivés dans l'ile ne nous parut pas prudent l'esprit superstitieux dos Italiens n'ety; pas manqué de voir en nous dés démons vpmfs ai sein des enfers il fallut donc, se résigner à passer pour d'humbles naufragés. C'était moins glo- rieux, maiç plus sûr.

Chemin faisant, j'entendais mon oncle mur- murer: >, « Mais la boussole! la boussole, qui marquait le nord! comment expliquer ce fait?


vm


Ma foi dis-je avec un grand air de dédain, il ne faut pas l'expliquer, c'est plus faoile! Par exemple! un professeur au Johannœum qui ne trouverait pas la raison d'un phénomène cosmique, ce serait une honte 1 » En parlant ainsi, mon onole, demi-nu,. sa bourse de cuir autour des reins et dressant ses lunettes sur son nez, redevint le terrible professeur de minéralogie.

Une heure après avoir quitté le bois d'oliviers, nous arrivions au port de San-Vicenzo, où Hans réclamait le prix de sa treizième semaine de service, qui lui fut compté aveo de chalèureuses poignées de main.

En cet instant, s'il ne partagea pas notre émotion bien naturelle, il se laissa aller du moins à .,¡ un mouvement d'expansion extraordinaire. Du bout de ses doigts il pressa légèrement nos .< deux mains et se mit à sourire XLV

Voici la conclusion d'un récit auquel refusetont d'ajouter foi les gens les plus habitués à ne s'étonner de rien. Mais je suis cuirassé d'avanca ftontre l'incrédulité humaine^


Noua fûmes reçus par les pêcheurs stromboliotes avec les égards dus à des naufragés. Ils nous donnèrent des vêtements et desvivres. Après quarante-huit heures d'attente, le 31 août, un petit speronare nous conduisit a Messine, où quelques jours de repos nous remirent de toutes nos fatigues.

Le vendredi 4 septembre, nous nous embarquions à bord du Voltume, l'un des paquebotspostes des messageries impériales de France, et trois jours plus tard, nous prenions terre à Marseille, n'ayant plus qu'une seule préoccupation dans l'esprit, celle de notre maudite boussole. Ce fait inexplicable ne laissait pas de me tracaseer très sérieusement. Le 9 septembre au soir, nous arrivions à Hambourg.

Quelle fut la stupéfaction de Marthe, quelle fut la joie de GraOben, je renonce à le décrire. « Maintenant que tu es un héros, me dit ma chère fiancée, tu n'auras plus besoin de me quitter, Axel 1 »

Je la regardai. Ello pleurait en souriant. Je laisse à penser si le retour du professeur Lidenbrock fît sensation à Hambourg. Grâce aux. indiscrétions de Marthe, la nouvelle de son départ pour le centre de la terre s'était répandue dans le monde entier. On ne voulut pas y croire, et, en le revoyant, on n'y crut pas davantage. Cependant la présence de H&ssj "et <H versas


informations venues d'Islande modifieront peu à pou l'opinion publique.

Alors mon onole devint un grand homme, et moi, le neveu d'un grand homme, ce qui est déjà quelque chose. Hambourg donna une fête en notre honneur. Une séance publique eut lieu au Johannaium, où le professeur fit le récit de son expédition et n'omit que les faits relatifs à la boussole. Le jour même, il déposa aux archives de la ville le document de Saknussomm, et il exprima son vif regret de ce que les circonstances, plus fortes que sa volonté, ne lui eussent pas permis de suivre jusqu'au centre do la terre les traces du voyageur islandais. Il fut modeste dans sa gloire, et sa réputation s'en accrut. Tant d'honneur devait nécessairement lui susciter des envieux. Il en eut, et, comme ses théories, appuyées sur des faits certains, contredisaient les systèmes de la science sur la question du feu central, il soutint par la plume et par la parole de remarquables discussions avec les savants de tous pays.

Pour mon compte, je ne puis admettre sa théorie du refroidissement en dépit de ce que j'ai vu, je crois et je croirai toujours à la chaleur centrale; mais j'avoue que certaines circonstances encore mal définies peuvent modifier cette loi sous l'action de phénomènes natures. Au moment ces questions étàiehlpalpiiaiitea,


mon oncle éprouva un vrai chagrin. Haps, malgré ses Instances, avait quitté Hambourg; l'homme auquel nous devions tout ne voulut pas nous laisser lui payer notre dette. Il fut pris de la nostalgie de l'Islande.

« FBrval, » dit-il un jour, et sur ce simple mot d'adieu, il partit pour Reykjawik, où Il arriva heureusement.

Nous étions singulièrement attaohés à notre brave ohasseur d'eider; son absence ne le fera jamais oublier de ceux auxquels il a sauvé la vie, et certainement je ne mourrai pas sans l'avoir revu une dernière fois. ̃

Pour conclure, je dois ajouter que ce « Voyage au centre de la terre » fit une énorme sensation dans le monde. Il fut imprimé et traduit dans toutes les langues; les journaux los plus accrédités s'en arrachèrent les principaux épisodes, qui furent commentés, discutés, attaqués, soutenus avec une égale conviction dans le camp des croyants et des incrédules. Chose rare mon oncle jouissait de son vivant de toute la gloire qu'il avait acquise, et il n'y eut pas jusqu'à M. Barnum qui ne lui proposât de « l'exhiber » à un très haut prix dans les États de l'Union. <• Mais un ennui, disons même un tourment, se glissait au milieu de cette gloire. Un fait demeurait inexplicable, celui de' la boussole. Or, pour iin savant pareil phénomène inexpliqué 'devient


un supplice de l'intelligence. Eh bien! leoiel réser- ;5 vait à mon onde d'être complément heureux. Un jour, en rangeant une eolleetion de miné- v`. raux dans son oabinet, j'aperçus cette fameuse boussole et je me mis à observer.

Depuis six mois elle était lâ, dans son ooin, sans se douter des tracas qu'elle causait. Tout à coup, quelle fut ma stupéfaction Je -y poussai un cri. Le professeur accourut. « Qu'est-ce donc? demanda-t-il.

Cette boussole!

Eh bien? (

Mais son aiguille indique le sud et non le nord!

Que dis-tu? P °

Voyez! ses pôles sont ohangé». V Changés! »

Mon oncle regarda, compara, et fit trembler la maison par un bond superbe, ,` Quelle lumière éclairait à la fois son esprit et

te mien

« Ainsïdôndis'écria-t-il, dès qu'il retrouva 1§: parole1, après notre arrivée au cap Saknussemm, l' aiguille de cette damnée boussole marquait sud au lieu duiKir^f ~v < ,v

Évidebmeiit. ̃ .,y:i-;M.

Notre erreur s'explique alors. Mais quel phénomène a pu produire ce renversement des

P61ée?


Rien de plus simple.

Explique-toi, mon garçon.

Pendant l'orage, sur la mer Lidenbrock, cette boule de feu, qui aimantait le fer du radeau, avait tout simplement désorienté notre boussole 1 Ah! s'écria le professeur, en éolatant de rire, c'était donc un tour de l'éleotrioité? » A partir de ce jour, mon onole Ait le plus heureux des savants, et moi le plus heureux des hommes, car ma jolie Virlandaise, abdiquant sa position de pupille, prit rang dans la maison de Kdnig-strasse en la double qualité de nièce et d'épouse. Inutile d'ajouter que son oncle fut l'illustre professeur Otto Lidenbrock, membre correspondant de toutes les Sociétés scientifiques,géographiques et minéralogiques de? cinq pax$ta#£ du monde. A

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