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Notice complète:

Titre : Fables d'Ésope / Ésope ; traduction nouvelle illustrée par Arthur Rackham

Auteur : Ésope (0620?-0560? av. J.-C.). Auteur du texte

Éditeur : Hachette et Cie (Paris)

Date d'édition : 1913

Contributeur : Rackham, Arthur (1867-1939). Illustrateur

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12011874n

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb436881850

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (XII-120-[3] p.-[13] f. de pl.) : ill. en N&B et en quadrichromie ; 30 cm

Format : Nombre total de vues : 196

Description : [Fables (français). Extrait. 1913]

Description : Collection numérique : Littérature de jeunesse

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : BvdPrs001

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6567125d

Source : Ville de Paris / Fonds Heure joyeuse, 2013-374055

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 23/12/2013

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- ILLUSTRÉ - PAR.

ARTHUR-RACKHAM





FABLES D'ÉSOPE


- JUSTIFICATION DU TIRAGE

Il a été tiré de cet ouvrage cinquante-cinq exemplaires sur papier du Japon numerotés de 1 à 55 et trois cent soixante-quinze exemplaires sur papier vélin numérotés de 56 à 430

Exemplaire n"




LA TORTUE ET LE LIÈVRE



FABLES D'ÉSOPE

TRADUCTION NOUVELLE ILLUSTRÉE PAR-ARTHUR- RACKHAM

PARIS:HACHETTE-ET-CIE 79 BOULEVARD-SAINT-GERMAIN



TABLE DES FABLES

PAGES LE RENARD ET LES RAISINS LA POULE AUX ŒUFS D'OR 2 LE CHAT ET LES RATS 2 LE CHARBONNIER ET LE FOULON 3 L'ASSEMBLÉE DES SOURIS 3 LE CORBEAU ET LE RENARD 4 LA LUNE ET SA MÈRE 4 LE CHAT ET LES POULES 6 LE LOUP ET L'AGNEAU 6 HERMÈS ET LE BÛCHERON 8 LA FEMME ET LES SERVANTES 9 LE LION ET LE RAT 9 9 LA CORNEILLE ET LA CRUCHE 10 L'ÂNE, LE RENARD ET LE LION Il LE BERGER ET LE LOUP Il n BORÉE ET LE SOLEIL 12 12 LA LAITIÈRE ET LE SEAU DE LAIT 12 LES LIÈVRES ET LES GRENOUILLES 14 LE RENARD ET LA GRUE 15 LE CERF A L'ÉTABLE 16 LE RENARD ET LE SINGE 17 LE SAPIN ET LA RONCE 17 LE COUSIN ET LE TAUREAU 18 LE CHIEN ET LE COQ 18 LES VOYAGEURS ET L'OURS 19


PAGES L'ESCLAVE ET LE LION 20 L'ENFANT MENTEUR 21 LA PUCE ET L'HOMME 22 L'ÂNE PORTANT DU SEL 22 LES ROSEAUX ET LE CHENE 24 L'AVEUGLE 24 LE RENARD ET LE BOUC 26LE PÊCHEUR ET LE PETIT POISSON 27 LE LABOUREUR ET SES ENFANTS 27 L'ÉCREVISSE ET SA MÈRE 28 LES ENFANTS DU LABOUREUR 28 LES VOLEURS ET LE COQ 29 LA CHOUETTE ET LES OISEAUX 30 LE RAT ET LA GRENOUILLE 30 LA GRENOUILLE MÉDECIN 32 L'ÂNE ET LA PEAU DE LION 33 L'ENFANT AU BAIN 34 LE RENARD AU VENTRE GONFLÉ 35 LE NOYER 35 LE CHIEN DANS LA CRÈCHE 36 LE CHEVREAU SUR UN TOIT 36 L'AIGLE ET LA TORTUE 37 LE CHIEN ET SON MAITRE 37 LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI 38 LE LABOUREUR ET L'ARBRE 40 L'HOMME ET LE LION FAISANT ROUTE ENSEMBLE 40 LE LOUP ET L'AGNEAU 41 LE RENARD SANS QUEUE 42 LE NAUFRAGÉ ET LA MER 42 LE SANGLIER ET LE RENARD 43 HERMÈS ET LE STATUAIRE 44 LE CERF ET LE LION 44


PAGES LE FAON ET SA MÈRE 45 LE RENARD ET LE LION 46 LE CHIEN ET SON OMBRE 47 L'OURS ET LE RENARD 48 LES RATS ET LES BELETTES 48 LE FORGERON ET SON CHIEN 50 L'ÂNE ET LE VIEUX PAYSAN 50 LE BŒUF ET LE CRAPAUD 51 L'HOMME QUI BRISE UNE STATUE 52 HÉRACLÈS ET LE BOUVIER 52 LE NÈGRE 53 LE LION ET L'ONAGRE 53 L'HOMME ET LE SATYRE 54 LES DEUX VOYAGEURS ET LE VOLEUR DE GRAND CHEMIN 56 LE LOUP ET LA VIEILLE FEMME 56 LE JEUNE HOMME ET LE CHEVAL 57 LA VIEILLE FEMME ET L'AMPHORE 58 LA TORTUE ET LE LIÈVRE 58 LE CHAT ET LE COQ 60 LA VIPÈRE ET LA LIME 60 LE RICHE ET LE TANNEUR 62 LE LOUP ET LE LION 62 LA BREBIS, LE LOUP ET LE CERF 63 LE BOUC ET LA VIGNE 64 L'ALOUETTE ET LE LABOUREUR 64 LES DEUX POTS 65 LE LION ET L'ÂNE 66 LE DEVIN 66 LE CHIEN ET LE LIÈVRE 66 L'AIGLE, LA CHATTE ET LA LAIE 67 LE LOUP ET LA GRUE 68 LE THON ET LE DAUPHIN 70


PAGES LES TROIS ARTISANS 70 APHRODITE ET LA CHATTE 71 LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS 72 LE CORBEAU ET LE CYGNE 73 LE LION ET LE TAUREAU 73 LE POULET ET LA PERLE 74

LE LOUP ET LA BREBIS 74

LE LIÈVRE ET LE CHIEN 76 LE LABOUREUR ET LE SERPENT 76 LES GRENOUILLES 76 LA CIGALE ET LES FOURMIS 77 L'HOMME CHAUVE ET LA MOUCHE 78 L'ÂNE ET LE LOUP 79 LE SINGE ET LE CHAMEAU 80 LES PIEDS ET L'INTESTIN 80 LES VOYAGEURS ET LE PLATANE 81 LA PUCE ET LE BŒUF 81 L'AIGLE, LE CHOUCAS ET LE BERGER 82 LE LOUP ET LE PETIT ENFANT 83 LE CERF ET LA VIGNE 83 LE MEUNIER. SON FILS ET L'ÂNE 84 LE LOUP ET LA CHÈVRE 86 L'ÂNE ET LE MULET 88 LE LION ET LE LIÈVRE 88 LES ARBRES ET LA COGNÉE 89 LE ROYAUME DU LION 90 LE TAUREAU ET LE VEAU 91 L'ASTROLOGUE 91 L'HOMME QUI ACHÈTE UN ÂNE 91 LE PÈRE ET SES FILLES 92 LE CHEVREAU ET LE LOUP 93 L'ÂNE SAUVAGE ET L'ÂNE DOMESTIQUE 94


PAGES L'ÂNE ET LE JARDINIER 94 LA CIGALE ET LE RENARD 95 LE MULET 96 L'ÂNE PORTANT UNE STATUE 97 LE LION, PROMÉTHÉE ET L'ÉLÉPHANT 97 LES GRENOUILLES 98 LA BREBIS ET LE CHIEN 98 LA CHÈVRE ET LE CHEVRIER 100 LE LOUP ET LE CHEVAL 102 LA CHAUVE-SOURIS, LA RONCE ET LA MOUETTE 102 LA BELETTE PRISE AU PIÈGE 104 LE PÊCHEUR QUI JOUE DE LA FLUTE 104 LE CHIEN ET LE LOUP 106 LES CHIENS ET LE RENARD 107 LE ROSSIGNOL ET L'ÉPERVIER 107 LE SINGE ET LE DAUPHIN 108 LE LION, L'ÂNE ET LE RENARD 110 LE COUSIN ET LE LION 111 LES LOUPS, LES BREBIS ET LE BÉLIER 112 LE LION, LE LOUP ET LE RENARD 112 LE VIEILLARD ET LA MORT 113 LE RENARD ET LE LÉOPARD 114 LE RENARD ET LE HÉRISSON U4 LE CHEVAL ET LE CERF 115 L'AVARE 116 LE CHEVAL ET L'ÂNE 118 LE CHASSEUR POLTRON ET LE BÛCHERON 119 LES RENARDS II9 LE CHEVRIER ET LES CHÈVRES 120 LE FAUCON, LE MILAN ET LES PIGEONS 121



ILLUSTRATIONS

EN COULEURS Lr A TORTUE ET LE LIÈVRE F ronlispicePAGES LA LUNE ET SA MÈRE 8 LE SAPIN ET LA RONCE 16 L'ECREVISSE ET SA MÈRE 26 LA GRENOUILLE MÉDECIN 32 LE NAUFRAGÉ ET LA MER 42 LE NÈGRE 52 LES DEUX POTS 64 APHRODITE ET LA CHATTE 70 LES VOYAGEURS ET LE PLATANE 80 LES ARBRES ET LA COGNÉE 88 LE LION, PROMÉTHÉE ET L'ELÉPHANT 96 LE COUSIN ET LE LION 112

EN NOIR ET BLANC

LE RENARD ET LES RAISINS 1 LE CORBEAU ET LE RENARD 5 LE CHAT ET LES POULES 7 LA CORNEILLE ET LA CRUCHE 10 BORÉE ET LE SOLEIL 13 LE RENARD ET LA GRUE 15 LE COUSIN ET LE TAUREAU 18 LA PUCE ET L'HOMME 23 LES ROSEAUX ET LE CHENE 25 LES VOLEURS ET LE COQ 29 LACHOUETTE ET LES OISEAUX 31 L'ÂNE ET LA PEAU DE LION 33


PAGES L'ENFANT AU BAIN 34 LE CHIEN DANS LA CRÈCHE 36 LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI 38 LE ROI SOLIVEAU 39 LE RENARD SANS QUEUE 42 LE RENARD ET LE LION 46 LE CHIEN ET SON OMBRE 47 L'OURS ET LE RENARD 49 * LE BŒUF ET LE CRAPAUD 51 L'HOMME ET LE SATYRE 54,55 LA VIEILLE FEMME ET L'AMPHORE 59 LE CHAT ET LE COQ 61 LA BREBIS, LE LOUP ET LE CERF 63 LE Bouc ET LA VIGNE 64 LE CHIEN ET LE LIÈVRE 67 LE LOUP ET LA GRUE 69 LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS 72 LE POULET ET LA PERLE 75 LA CIGALE ET LES FOURMIS 77 L'HOMME CHAUVE ET LA MOUCHE 78 LE SINGE ET LE CHAMEAU 80 LE MEUNIER, SON FILS ET L'ÂNE 84-86 LE LOUP ET LA CHÈVRE 87 LE ROYAUME DU LION 90 LE CHEVREAU ET LE LOUP 93 LE MULET 96 LES GRENOUILLES 99 LA CHÈVRE ET LE CHEVRIER 101 LE LOUP ET LE CHEVAL 103 LE PÊCHEUR QUI JOUE DE LA FLÛTE 105 LE SINGE ET LE DAUPHIN 108,109 LE LION, L'ÂNE, ET LE RENARD 110 LE COUSIN ET LE LION 111 LE RENARD ET LE LÉOPARD 114 L'AVARE 117 LE CHEVAL ET L'ÂNE 118 LE CHASSEUR POLTRON ET LE BÛCHERON 119


FABLES D'ÉSOPE

LE RENARD ET LES RAISINS

u

N renard affamé apercevant des grappes qui pendaient à une vigne, voulut s'en emparer et n'y

arriva pas. Il s'éloigne alors et, se parlant à lui-même : C'est du raisin vert," dit-il.

Tels certains hommes, que leur faiblesse empêche de réussir et qui s'en prennent aux circonstances.


LA POULE AUX ŒUFS D'OR

U

N homme avait une poule qui pondait des œufs d'or.

Il se figura que ses entrailles contenaient un

lingot et la tua. Mais elle se trouva pareille à toutes les poules et le sot, qui avait espéré découvrir un trésor, perdit même la petite fortune que lui donnait sa poule.

Contentons-nous de ce que nous avons et ne soyons pas insatiables.

LE CHAT ET LES RATS

u

NE maison avait des rats en grand nombre. Un chat l'apprit et s'y rendit. Les rats se font

prendre et croquer l'un après l'autre. Las enfin de cet incessant carnage, ils vont se blottir au fond de leurs trous. Le chat, qui ne peut plus les atteindre, voit bien que la ruse est nécessaire pour les attirer. Il grimpe à une cheville, s'y suspend et fait le mort. L'un des rats met le nez à la fenêtre et l'aperçoit : Bon, mon ami, dit-il : mais quand tu serais sac, nous ne t'approcherions pas." Quand ils ont éprouvé la scélératesse de certaines gens, les hommes intelligents ne se laissent plus prendre à leurs comédies.


LE CHARBONNIER ET LE FOULON

u

N charbonnier vit un foulon s'établir auprès de la maison où il exerçait lui-même son métier. Il va

le trouver et l'invite à venir partager sa demeure : Nous en serons plus intimes, lui dit-il, et nous y gagnerons, n'ayant qu'une habitation pour deux. — Oui, répondit le foulon; mais cela m'est tout à fait impossible : ce que je blanchirais, vous le couvririez de suie."

Qu'est-ce à dire ? Que les contraires ne peuvent jamais s'associer.

L'ASSEMBLÉE DES SOURIS

L

ES souris se réunirent toutes un jour en conseil et examinèrent les meilleurs moyens de se mettre

à l'abri des attaques du chat. On avait déjà discuté plusieurs propositions quand l'une des souris, personne d'importance et d'expérience, se leva et dit : Je crois avoir trouvé un plan qui, si vous l'approuvez et le menez à bien, assurerait notre sécurité pour l'avenir. Voici : il nous faut attacher au cou de notre ennemi le chat un grelot dont le tintement nous avertira de son approche." Cette proposition fut chaudement applaudie ; et l'on avait déjà décidé de l'adopter, quand une vieille souris, se dressant sur ses pattes, dit : "Je conviens avec vous toutes que ce plan est quelque chose d'admirable; mais, puis-je vous demander qui va aller attacher le grelot ?


LE CORBEAU ET LE RENARD

u

N corbeau ayant dérobé un morceau de fromage alla se placer sur un arbre : un renard qui l'avait vu,

désirant s'emparer du morceau, se dressa sur ses pattes et lui fit compliment sur sa taille et sur sa beauté. Plus que tout autre, ajoutait-il, le corbeau méritait d'être roi des oiseaux, ce qui arriverait sûrement s'il avait de la voix. Pressé de montrer qu'il n'en manque pas, le corbeau lâche le fromage et se met à pousser de grands cris : l'autre ne fait qu'un bond et s'empare du fromage : Corbeau, dit-il, tu as tout ; il ne te manque que de la cervelle." Il y a des hommes sans cervelle ; le propos leur convient.

LA LUNE ET SA MÈRE

L

A lune pria un jour sa mère de lui confectionner une ( petite tunique à sa mesure. Et comment la faire

à ta mesure ? répondit la mère. Aujourd'hui, je te vois : tu es pleine lune ; une autre fois, tu seras demi-lune ; une autre, simple croissant." Il en est de même de l'homme sans esprit et sans caractère : point de richesse à sa mesure ; aujourd'hui, il a tels besoins ; un autre jour, tels autres, au gré de ses passions et des événements.


LE CORBEAU ET LE RENARD


LE CHAT ET LES POULES

U

N chat ayant appris qu'il y avait des poules malades dans une basse-cour, s'y rendit déguisé en médecin

avec les instruments ordinaires de l'art. Il s'arrête à l'entrée et demande comment l'on va : Très bien, lui répondent les poules, à condition que vous vous en

alliez. Les gens intelligents pénètrent les méchants même lorsqu'ils jouent le mieux la comédie de la bonté.

LE LOUP ET L'AGNEAU

U

N loup vit un agneau qui buvait à un cours d'eau et prétendit se couvrir d'un motif raisonnable pour

le dévorer. Aussi, bien qu'il se tînt lui-même en amont, l'accusa-t-il de troubler l'eau et de l'empêcher de boire.

L'autre répondit qu'il ne buvait que du bout des lèvres et que d'ailleurs il lui était impossible, en aval, de rien faire à l'eau qui coulait au-dessus de lui. Débouté sur ce point : Oui, dit le loup ; mais l'an passé, tu as insulté mon père. — Moi ! Je n'étais pas encore né. — Bon !

reprit le loup : tu peux avoir toutes sortes de bonnes raisons ; moi, cela ne m'empêchera pas de te manger." On le voit : auprès de qui est résolu à l'injustice, les plus justes raisons sont sans force.


LE CHAT ET LES POULES


HERMÈS ET LE BÛCHERON

UJ

N bûcheron, en suivant le bord d'un fleuve, y avait laissé tomber sa hache. Fort embarrassé, il

s 'assit sur la berge et se mit à gémir. Hermès, ayant appris la cause de son chagrin, eut pitié du malheureux : il plonge dans le fleuve, en rapporte une hache d'or et

lui demande si c'est là celle qu'il a perdue : Non," répond le bûcheron. Hermès plonge à nouveau et rapporte une hache d'argent. Le bûcheron déclarant que ce n'était pas la sienne, le dieu plonge une troisième fois et retire de l'eau la hache du pauvre homme. Et comme celui-ci s'écriait que c'était bien là celle qu'il avait perdue, Hermès, charmé de sa probité, les lui donna toutes trois. De retour chez lui, le bûcheron raconte l'aventure à ses compagnons. L'un d'eux voulut faire comme lui : il se rend au bord du fleuve, y laisse tomber exprès sa cognée et s 'assoit en pleurant.

Hermès se présente à lui comme à l'autre et lui ayant demandé pourquoi il se lamente, descend dans l'eau comme il l' a déjà fait. Il en retire une cognée d'or et demande au bûcheron si c'est celle qu'il a perdue. Oui, c'est bien elle ! s'écrie l'homme tout joyeux. Mais, indigné d'une pareille impudence, le dieu non seulement garde la hache d'or, mais ne lui rend même pas la sienne.

Autant les dieux sont favorables aux justes, autant ils sont contraires aux méchants.



LA LUNE ET SA MÈRE




LA FEMME ET LES SERVANTES

u

NE veuve, ennemie de la paresse, avait de jeunes servantes qu'elle avait coutume de réveiller en

pleine nuit pour les mettre à l'ouvrage au chant du coq.

Celles-ci, qui peinaient sans relâche, résolurent de tuer le coq du logis, puisque c'était lui qui la nuit réveillait leur maîtresse. Mais il arriva que, leur projet accompli, elles furent plus malheureuses encore ; car la veuve, à qui le coq n'apprenait plus l'heure, les faisait lever encore plus matin.

Pour bien des gens, les résolutions qu'ils prennent sont la source de leurs malheurs.

LE LION ET LE RAT

u

N lion dormait ; un rat vint se jeter contre sa gueule. Le lion se redresse, attrape le

rat et il allait le manger, quand l'autre lui demanda grâce, assurant qu'il saurait certainement reconnaître ce bienfait. Le lion se mit à rire et le laissa aller. Or qu'advint-il en effet? C'est que, peu après, au rat reconnaissant le lion dut à son tour la vie. Pris par des chasseurs, il était attaché à un arbre par une corde. Le rat entend ses gémissements, il accourt, ronge la corde tout autour et délivre le lion : Tu vois, dit-il : tu te moquais de moi l'autre jour ; tu ne t'attendais pas à être


payé de retour. Sache que les rats aussi pratiquent la reconnaissance. * En temps de révolution, les plus puissants eux-mêmes ont besoin des plus faibles.

LA CORNEILLE ET LA CRUCHE

u

NE corneille altérée trouva une cruche qui contenait un peu d'eau, mais si peu que, malgré tous ses

efforts, elle ne parvenait pas à l'atteindre du bec ; et il

semblait qu'elle fût condamnée à mourir de soif à côté de cette eau qui pouvait la sauver. Finalement, la corneille imagina un plan ingénieux. Elle se mit à faire tomber un à un des cailloux dans la cruche : à chaque caillou, le niveau de l'eau s'élevait un peu, tant et si bien qu'il finit par atteindre le bord de la cruche. Et l'oiseau malin put assouvir sa soif.

Nécessité est mère de l'invention.


A L'ÂNE, LE RENARD ET LE LION

u

N âne et un renard, ayant fait amitié, partirent pour la chasse. Ils rencontrèrent par hasard un lion.

Le renard, voyant le danger imminent, courut au lion et offrit de lui livrer son camarade, à condition d'avoir lui-même la vie sauve. Le lion ayant promis au renard de l'épargner, celui-ci conduisit l'âne vers un piège et manœuvra de façon à l'y faire choir. Sûr alors que cette proie ne lui échapperait pas, le lion se jeta d'abord sur le renard, après quoi il se tourna vers l'âne.

Trahir son allié, c'est, à son insu, se perdre souvent soi-même.

LE BERGER ET LE LOUP

u

N loup eut un jour l'idée de se donner un autre aspect, grâce auquel il pût se procurer à manger

en abondance. Il revêtit donc une peau de brebis et se mit à paître avec le troupeau. Le berger ne s'aperçut pas du stratagème et, la nuit venue, il enferma le loup avec le troupeau dans la bergerie, dont, sans défiance, il assure la clôture et ferme l'entrée d'une palissade.

Mais lorsqu'il eut envie de manger de la viande, c'est le loup qu'il égorgea d'un coup de couteau.

Celui qui donne pour sienne la parure d'autrui, paie souvent cette feinte de sa vie et sa comédie peut causer de grands malheurs.


BORÉE ET LE SOLEIL

B

ORÉE et le Soleil disputaient de leur puissance : ils décidèrent enfin d'attribuer la victoire à celui des

deux qui dépouillerait un voyageur de ses habits. Borée commence et souffle avec violence. Le voyageur, qui tenait son manteau devant lui, préféra s'en couvrir ; puis,

souffrant du froid encore davantage, il le serre plus fort contre lui. Enfin, découragé, Borée cède la place au Soleil. D'abord, celui-ci darde des rayons modérés ; puis l'homme ayant enlevé son manteau, désormais superflu, la chaleur se fait plus forte et, finalement, devient telle que, ne pouvant plus y tenir, le voyageur se déshabille et se jette en pleine rivière pour prendre un bain.

La persuasion est souvent plus efficace que la violence.

LA LAITIÈRE ET LE SEAU DE LAIT

L

A fille d'un fermier était allée traire les vaches et revenait à la laiterie, son seau plein de lait sur

la tête. Tout en marchant, elle se mit à rêver de cette façon : "Le lait qui est dans ce seau me donnera de la crème : j'en ferai du beurre et j'irai le vendre au marché.

Avec l'argent, j'achèterai beaucoup d'œufs, qui, une fois couvés, produiront des poussins, et je suis sûre, sous peu, d'avoir une grande basse-cour. Je vendrai alors une partie de ma volaille et, avec l'argent que cela me rapportera, je


BORÉE ET LE SOLEIL


m'achèterai une robe neuve que je mettrai pour aller à la foire : et tous les jeunes gens m'admireront, s'approcheront et me feront la cour ; et moi, je secouerai la tête en refusant de leur répondre un mot." Et sans penser à son seau, joignant l'action à la parole, la laitière secoua la tête.

Le seau tomba à terre, tout le lait fut répandu, et tous les beaux châteaux en Espagne s'évanouirent en un moment.

Ne comptez pas vos poulets avant qu'ils soient éclos.

LES LIÈVRES ET LES GRENOUILLES

L

ES lièvres assemblés déploraient un jour entre eux la tristesse de leur vie, exposée à tant de périls et

si pleine de terreurs. Hommes, chiens, aigles, combien d'autres encore font d'eux leur proie ! Mieux vaut mourir une fois que trembler toute sa vie ! C'est une chose dite : ils s'élancent tous ensemble vers un étang pour s'y précipiter et s'y noyer. Au bruit que fait leur course, les grenouilles qui se tenaient tout autour de l'étang sautent dans l'eau. Alors, un des lièvres, qui avait probablement plus d'esprit que les autres : Arrêtez, camarades, dit-il, ne poursuivez pas votre funeste dessein : vous le voyez maintenant, il y a des animaux encore plus peureux que nous." Les malheureux se consolent quand ils en voient de plus à plaindre qu 'eux.


LE RENARD ET LA GRUE

L

ES gens qui introduisent de lourds problèmes dans la conversation ne montrent pas, dans les relations

de société, plus de tact que la grue et le renard d'Ésope.

Le renard avait versé sur une pierre de large surface une purée appétissante : c'était gêner la grue et la rendre ridicule ; car la purée était liquide et s'échappait de son bec trop fin. A son tour, la grue invita le renard à dîner et servit dans une bouteille au col long et étroit : elle pouvait aisément y introduire son bec et manger ; le renard ne le pouvait pas. C'était le salaire qu'il méritait.

De même, quand les philosophes se plongent, pendant le repas, dans leurs dialectiques subtiles, ils gênent beaucoup de convives qui ne peuvent les suivre ; et ceux-ci, de leur côté, se jettent dans les chansons les plus frivoles, les propos communs et les trivialités : c' en est fait de l'accord qui convient au festin ; c'est un outrage à Dionvsos.


LE CERF A L'ÉTABLE

U

N cerf, chassé des bois qui lui servaient de retraite, court, aveuglé par la peur, vers la ferme la plus

voisine, trouve devant lui l'étable et s'y réfugie. Un bœuf, qui le voit se cacher : Quelle idée, malheureux, lui dit-il, de courir au-devant de la mort et de confier ta vie à la demeure de l'homme? — Vous, du moins, répondit le

cerf d'un ton suppliant, épargnez-moi l'espace d'une journée. La nuit viendra à son tour et je profiterai de l'occasion pour partir, pour m'échapper." Le bouvier apporte le fourrage et ne voit rien. Tous les gens de la ferme vont et viennent. Personne ne fait d'observation. Le régisseur passe et lui non plus ne s'aperçoit de rien. Les bœufs ne bougent pas et le cerf joyeux les remercie de lui avoir donné l'hospitalité dans l'infortune. Certes, répond l'un d'eux, nous désirons ton salut ; mais gare à l'homme aux cent yeux ! S'il vient, lui, ta vie sera bien menacée." Sur ces entrefaites, le maître revient à son tour de dîner ; et, comme il avait vu récemment les bœufs mal soignés, il s'approche du râtelier : Pourquoi si peu de fourrage ? dit-il.

Pourquoi, pas de litière ? Serait-ce un si grand travail d'enlever ces toiles d'araignée?" En examinant ainsi tout en détail, voilà qu'il aperçoit le haut des bois du cerf: il appelle ses serviteurs, fait tuer l'animal et emporte la dépouille.

Que veux dire notre fable? Que c 'est le maître qui voit le plus clair dans ses propres affaires.



LE SAPIN ET LA RONCE




LE RENARD ET LE SINGE

u

N renard et un singe, qui faisaient route ensemble, disputaient de la noblesse de leur origine. Chacun

d'eux exposait abondamment ses prétentions, quand ils arrivèrent en un lieu que le singe se mit à contempler en poussant des gémissements. Comme le renard lui en demandait la raison, le singe lui montra les tombeaux qui étaient là : Voyons, dit-il, puis-je m 'empêcher de pleurer en voyant les cippes de mes pères, tant affranchis qu 'esclaves ? — Bon, répondit le renard, mais mens donc à ton aise : aucun d'eux ne se lèvera pour te confondre." Il en est ainsi, chez les hommes, des hâbleurs, qui ne sont jamais plus fanfarons que quand il n 'y a personne qui les puisse reprendre.

LE SAPIN ET LA RONCE

L

E sapin disait glorieusement à la ronce : Pauvre créature, tu n 'es bonne à rien, tandis que, moi,

je sers à couvrir des maisons et à les meubler. — Ah !

répliqua la ronce ; si tu pensais aux haches et aux scies qui t'abattront, tu préférerais être ronce, plutôt que sapin. Mieux vaut pauvreté paisible que richesse avec ses conséquences.


LE COUSIN ET LE TAUREAU

u

N cousin s'était posé sur la

corne d'un taureau et il y demeura longtemps. Au moment de s 'envoler, il demanda au taureau s'il n'était pas bien aise de son départ : Moi ! dit le taureau, je ne me suis pas aperçu de ta venue ;

je ne mapercevrai pas davantage de ton départ." Cette fable offre l'image de ces gens qui ne peuvent rien et qui, présents ou absents, sont aussi peu nuisibles qu'utiles.

LE CHIEN ET LE COQ

u

N chien et un coq, ayant fait amitié, cheminaient de compagnie. Le soir les surprit : le coq

grimpa sur un arbre pour y dormir ; le chien se couche au pied, dans une cavité formée par les racines. La nuit, le coq chanta, selon son habitude. Un renard l'entend


et accourt. Il s'arrête au pied de l'arbre et demande au coq de descendre auprès de lui et de contenter son envie d'embrasser un animal qui a une si belle voix.

Le coq lui dit de réveiller d'abord le portier, couché sous les racines : Je descendrai quand il aura ouvert." Le renard veut appeler, en effet ; mais le chien, tout d'un coup, bondit et le met en pièces.

Les gens intelligents, quand un ennemi vient les assaillir, trouvent moyen de le renvoyer à plus fort qu 'eux-mêmes.

LES VOYAGEURS ET L'OURS

D

EUX amis faisaient route ensemble. Paraît un ours. L'un de nos deux compagnons n'a rien de

plus pressé que de grimper sur un arbre et de s 'y cacher.

L'autre était perdu sans recours : il se jette à terre et fait le mort. L'ours approche le museau et flaire tout autour. L'homme retient son souffle : l'ours, dit-on, ne touche pas aux cadavres. Enfin la bête s'éloigne.

Le premier descend de son arbre : Que t'a dit l'ours à l'oreille ? demande-t-il au second. — Il m'a dit de ne plus jamais prendre, pour faire route avec eux, d amis qui vous abandonnent dans le danger." Des amitiés sincères c'est le malheur qui est la pierre de touche.


L'ESCLAVE ET LE LION

u

N esclave, qui avait eu à souffrir de son maître les plus cruels traitements, s'enfuit de chez lui et,

pour éviter d être repris, se réfugia dans le désert. Comme il errait à la recherche d'un peu de nourriture et d'un abri, il arriva à une caverne : il y entra et la trouva vide. En réalité, c'était l'antre d'un lion ; et, presque au même instant, à l'épouvante du malheureux fugitif, le lion luimême apparut. L'homme se crut perdu ; mais, à son extrême surprise, au lieu de sauter sur lui et de le dévorer, le lion s'approcha et se mit à le caresser, tout en faisant entendre des plaintes et en levant sa patte vers lui. Voyant que cette patte était très enflée et enflammée, l'homme l'examina de plus près et trouva une grosse épine qui s'était enfoncée sous le pied. Il l'enleva avec soin et pansa du mieux qu'il put la blessure, qui, avec le temps, guérit complètement. La reconnaissance du lion ne connut pas de bornes : il regardait l'homme comme son ami et ils habitèrent quelque temps la caverne ensemble.

Un jour vint cependant, où l'esclave se mit à soupirer après la société de ses compagnons : il dit adieu au lion et s'en retourna à la ville. Là, il fut bientôt reconnu par son ancien maître, qui le fit emmener chargé de chaînes, et qui, voulant faire un exemple, donna l'ordre de le livrer aux bêtes au prochain spectacle qui se donnerait dans le théâtre. Au jour fatal, on lâcha les fauves dans l'arène, et, entre autres, un lion d'une taille énorme et d'un aspect féroce ; et le malheureux esclave fut jeté au milieu d'eux.

Mais quelle ne fut pas la stupéfaction des spectateurs


quand ils virent le lion bondir, au premier coup d'œil, sur l'esclave et se coucher à ses pieds, en donnant toutes les marques de l'affection et de la joie ! C'était l'ancien ami de la caverne ! Les spectateurs crièrent qu'il fallait épargner la vie de l'esclave ; et le gouverneur de la ville, émerveillé de trouver tant de gratitude et de fidélité dans un animal, ordonna de les mettre tous deux en liberté.

L'ENFANT MENTEUR

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N jeune garçon qui gardait des brebis fit un jour semblant de voir un loup qui s 'approchait pour

les dévorer. Il appelle les campagnards : Au secours !

cria-t-il. Ici ! Au loup!" Les autres accourent et reconnaissent la supercherie. L'enfant recommence à plusieurs reprises et, chaque fois, le mensonge est flagrant.

Mais, quelque temps après, le loup fondit sur le troupeau : A moi ! cria l'enfant. Un loup ! On n'en crut rien ; personne ne vint à son secours. Et le loup, bien tranquille, dévora tout le troupeau avec entrain.

Voilà ce qu'on gagne à mentir : on a beau dire souvent la vérité ; on n'est pas cru.


LA PUCE ET L'HOMME

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[ NE puce importunait fort un homme. Celui-ci l'ayant attrapée : Qui es-tu donc, s'écria-t-il,

pour me dévorer tous les membres, pour me faire mourir ainsi sans dessein, sans raison? — Mon ami, lui crie l'autre, laisse-moi la vie, ne me tue pas ; le mal que je puis faire n 'est pas grand." L'homme se mit à rire : Tu vas mourir à l'instant de mes propres mains, dit-il ; car, petit ou grand, il ne faut pas qu'il y ait de mal du tout au monde." N'ayez jamais pitié du méchant, grand ou petit.

L'ÂNE PORTANT DU SEL

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N âne portant du sel passait une rivière. Il glisse et tombe dans l'eau. Le sel fond et l'âne se remet

sur pieds allégé d'autant et se réjouissant fort de l'aventure. Un peu plus tard, comme il traversait encore une rivière, chargé cette fois d'épongés, il se dit qu'à tomber de nouveau il se relèverait bien plus à l'aise. Et le voilà qui se laisse exprès glisser. Qu'arriva-t-il ? L'eau gonfle les éponges ; l'âne ne peut se remettre debout et se noie sur place.

Il en est ainsi de certains hommes : ce sont leurs propres ruses qui deviennent, sans qu'ils s'en doutent, la cause de leurs malheurs.


LA PUCE ET L'HOMME


LES ROSEAUX ET LE CHÊNE

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E vent déracina un chêne et le précipita dans un fleuve. Emporté par le courant : "Et vous,

- - - - -- -

demanda le chêne aux roseaux, si faibles et si minces, comment la violence du vent ne vous déracine-t-elle pas ? — C'est que les chênes, répondirent-ils, luttent contre les vents et qu'ils leur tiennent tête ; et c'est

pourquoi les vents les déracinent ; nous, au contraire, nous plions à la moindre brise : il ne nous arrive rien et nous demeurons."

Il ne faut pas tenir tête aux puissants ; il faut leur céder et leur obéir.

L'AVEUGLE

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N aveugle s'était habitué à reconnaître au toucher les animaux qu'on lui mettait entre les mains. Un

jour, on lui présenta un louveteau. Il le tâta, puis, hésitant : Je ne sais, dit-il, si c'est là le petit d'un loup ou d'un renard ou de quelque autre bête du même genre ; mais ce que je sais bien, c'est que c'est un animal qu'il ne faut pas mettre avec un troupeau de brebis." Au physique du méchant, on reconnaît son caractère.


LES ROSEAUX ET LE CHÊNE


LE RENARD ET LE BOUC

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N renard était tombé dans un puits et il était bien forcé d' y rester, n'ayant aucun moyen d'en

sortir. Un bouc presse par la soif approche du même puits et, y apercevant le renard, lui demande si l'eau est bonne. Celui-ci, joyeux d'avance du malheur de l'autre, lui fait de l'eau les plus grands éloges — Elle est excellente," dit-il — et l'invite à descendre. Le bouc, tout à son besoin, descend sans autre réflexion. Dès qu'il eut apaisé sa soif, il se mit à chercher avec le renard le moyen de remonter. J'ai imaginé, dit le renard, un bon moyen de nous sauver tous deux. Lève, s'il te plaît, tes pieds de devant contre la muraille et incline tes cornes en avant : moi, je grimperai le long de ton dos, et toi je te ferai ensuite remonter à ton tour." Le bouc se prête volontiers pour la seconde fois à l'avis du renard.

Celui-ci se sert des pattes de son compagnon comme d'une échelle, lui saute sur le dos, du dos grimpe sur les cornes, arrive au bord du puits et s'éloigne. Et comme le bouc lui reproche de violer leurs conventions, il se retourne : Si tu avais, mon bon, dit-il, autant d'idées que de poils de barbe, tu ne serais pas descendu avant d'avoir examiné les moyens de remonter." Il en est de même des gens intelligents : qu'ils considèrent d'abord la fin de l'affaire, et qu'ensuite ils l' entreprennent.



L'ÉCREVISSE ET SA MÈRE




LE PÊCHEUR ET LE PETIT POISSON

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N pêcheur jeta son filet dans la mer et en retira une mendole. Elle le supplia de la relâcher pour cette

fois : -- Je suis si petite, disait-elle. Plus tard, quand je serai devenue grande, tu me rattraperas et tu tireras de moi plus de profit. — Oui, dit le pêcheur ; mais je serais bien simple de lâcher le profit que je tiens pour courir après une espérance incertaine.

Le profit qu'on tient vaut mieux, fûtil petit, que celui qu'on espère, fût-il grand.

LE LABOUREUR ET SES ENFANTS

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N laboureur sentant sa fin prochaine et voulant donner à ses enfants la pratique des travaux des

champs les appela auprès de lui et leur dit : Mes enfants, je vais bientôt quitter la vie ; pour vous, cherchez dans ma vigne et vous trouverez tout ce que j'y ai caché." Persuadés qu 'un trésor y avait été enfoui quelque part, les enfants, après la mort du père, retournèrent le sol de la vigne : de trésor, ils n'en trouvèrent pas, mais la vigne, bien travaillée, rendit cent fois plus à la vendange.

Le travail est pour l'homme un trésor.


L'ECREVISSE ET SA MÈRE

"P

OURQUOI marches-tu de travers, puisqu'on doit aller droit? disait une écrevisse à sa fille. -

Conduisez-moi, ma mère, répondit celle-ci, et je m'efforcerai de marcher sur vos pas." Mais marcher droit, la mère en était incapable, et sa fille l'accusa de folie.

Il est des entreprises dont il est naturellement impossible de venir à bout : il est plus facile de les conseiller.

LES ENFANTS DU LABOUREUR

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A discorde régnait parmi les enfants d'un laboureur.

Il eut beau les exhorter : ses discours n'arrivèrent

pas à changer leurs sentiments. Il résolut donc de mettre sa morale en action. Il les pria de lui apporter un faisceau de baguettes et, quand ils eurent fait ce qu'il leur avait dit, il leur donna d'abord les baguettes toutes ensemble, en leur commandant de les rompre.

En dépit de leurs efforts ils ne peuvent y arriver : le père délie le faisceau et leur donne maintenant les baguettes une à une, et, comme ils les cassent sans peine : Eh bien ! voilà ce qui vous attend, vous aussi, mes enfants, leur dit-il : unis, vous serez invincibles ; divisés, vous êtes à la merci de vos ennemis."

Autant l'union donne de force, autant la discorde favorise la défaite.


LES VOLEURS ET LE COQ

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ES voleurs ayant pénétré dans une maison n'y trouvèrent qu un coq et l'emportèrent. Le coq,

voyant qu'ils allaient le tuer, les supplia de le relâcher : Car, disait-il, je suis utile aux hommes ; c'est moi qui, la nuit, les rappelle au travail en les réveillant. - Raison de plus pour te tuer, répliquèrent les voleurs ; car, en les réveillant, tu nous empêches de voler.

C'est précisément ce qu'on fait de bien aux braves gens qui est le plus grand obstacle aux desseins des méchants.


LA CHOUETTE ET LES OISEAUX

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A chouette, qui était sage, conseillait aux oiseaux, en leur montrant un chêne qui commençait à sortir

de terre, de ne pas le laisser pousser, mais d'employer tous les moyens pour le faire disparaître. De lui, disait-elle, une substance sortira à laquelle on n'échappe pas et qui causera votre perte, la glu." Une autre fois, voyant des hommes semer le lin, elle recommanda aux oiseaux d'arracher encore ces semences : "Si elles poussent, ajoutait-elle, prenez garde." Une troisième fois, apercevant un archer : Attention, dit-elle de nouveau : voilà un homme qui, avec vos ailes, à vous, ira plus vite que vous. Sans quitter la terre, il vous touchera dans l'air, de ses flèches ailées." Les oiseaux n'en crurent rien. La chouette, pour eux, avait perdu l'esprit : C'est une folle," répétaient-ils. A l'épreuve, plus tard, ils l'admirèrent et virent bien qu'elle était au contraire fort sage. C'est pourquoi, quand elle paraît, ils s'avancent vers elle, comme vers un être qui sait tout.

Seulement, elle ne leur donne plus de conseils, elle ne fait que se lamenter.

LE RAT ET LA GRENOUILLE

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N rat de terre s'était, pour son malheur, lié d'amitié avec une grenouille. Celle-ci conçut un projet

perfide. Elle attache la patte du rat à la sienne. Et d'abord ils vont sur la terre ferme en quête de leur dîner ;


LA CHOUETTE ET LES OISEAUX


puis ils s 'approchent du bord de l'étang et la grenouille entraîne le rat au fond de l'eau, où elle se plonge ellemême avec délices en criant à tue-tête son Brékékékex, coax, coax. Quant au malheureux rat, l'eau l'avait asphyxié et son cadavre surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Mais un milan le voit, l'enlève dans ses serres et la grenouille, prisonnière de son rat, le suit, destinée à pourvoir elle aussi au souper du milan.

Même après la mort, on est fort pour la vengeance, car la justice divine surveille tout et, rendant à chacun selon ses œuvres, tient pour tous la balance égale.

LA GRENOUILLE MEDECIN

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NE grenouille criait un jour de son étang à tous les animaux : "Je suis médecin et me connais en

remèdes. Un renard l'entendit : Comment, lui dit-il, guérirais-tu les autres ? Tu es boîteuse toi-même et tu ne te guéris pas ! Le profane qui n'a pas reçu d'instruction, comment pourrait-il instruire autrui ?



LA GRENOUILLE MÉDECIN




L'ÂNE ET LA PEAU DE LION

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N âne s'était affublé d'une peau de lion et on le prenait partout pour un lion. Vite les hommes

s'enfuient, les troupeaux s'enfuient. Mais le vent vient à souffler et emporte la peau de lion. Voilà notre âne à nu. Aussitôt tous accourent : bâtons, massues s'abattent sur la bête..

Es-tu pauvre et simple particulier ?

N'imite pas les allures des riches : on se moquerait de toi et tu courrais grand risque. Ce qui n'est pas naturel ne nous va jamais bien.


L'ENFANT AU BAIN

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N enfant, se baignant un jour dans une rivière, allait se noyer, quand il vit un passant. Il l'appelle au

secours. L'autre alors lui reproche sa témérité : Oui, mais secourez-moi d'abord, lui répond le jeune garçon, vous me gronderez tout à l'heure, quand je serai hors d' a ffaire. Le sens de la fable ? Voici : pas de

reproche ; pitié.


LE RENARD AU VENTRE GONFLÉ

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N renard ayant faim aperçut dans le creux d'un chêne du - pain et de la viande, laissés là par des -- - H' iv /r 1-

bergers. Il se glissa dans l'arbre et mangea, mais, le ventre gonflé, il ne put plus sortir. Plaintes, gémissements. Un autre renard passant par là l'entend, s'ap- proche et lui demande la cause de ses lamentations.

Quand il sut ce qui setait passé : Eh bien ! lui dit-il, reste là jusqu'à ce que tu redeviennes aussi maigre qu en entrant : tu n'auras pas de peine à sortir.

Il y a des situations difficiles: le temps les dénoue.

LE NOYER

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N noyer planté dans un chemin portait des fruits en abondance. Les passants, à coups de cailloux, 1 1 1 - -- --..-

à coups de grosses pierres, en cassaient les brancnes puui avoir les noix. Et l'arbre de se plaindre: "Malheureux!

disait-il. Mon fruit les régale, et voilà la reconnaissance dont les cruels me paient ! Cette fable vise les ingrats malfaisants, ceux qui rendent le mal pour le bien.


LE CHIEN DANS LA CRÈCHE

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N chien était couché dans une crèche : il ne touchait pas lui-même à l'orge et il empêchait le bétail.

qui pouvait en manger, de le faire.

LE CHEVREAU SUR UN TOIT

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N chevreau, qui se tenait sur le toit d'une maison, voyant passer un loup, se mit à l'insulter et à se

moquer de lui : Ce n'est pas toi qui m'insultes, l'ami, lui dit le loup, c'est le lieu où tu te tiens."

C'est le lieu, l'occasion qui enhardissent souvent contre plus fort que soi.


L'AIGLE ET LA TORTUE

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NE tortue demandait à un aigle de lui apprendre à voler. Il avait beau lui représenter que cela

n était pas dans sa nature, la tortue n en mettait dans sa demande que plus d'insistance. Il la prit donc entre ses serres, l'enleva dans les airs, puis la lâcha. La tortue tomba sur des rochers où elle se brisa.

Bien des hommes, dans leur désir d'émulation, se font tort à eux-mêmes, pour n 'avoir pas voulu écouter des gens plus sensés qu eux.

LE CHIEN ET SON MAÎTRE

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N homme qui allait partir en voyage voit son chien immobile : Que restes-tu la gueule ouverte ?

dit-il. Achève tes préparatifs. Tu vas venir avec moi. Mais le chien, levant la queue : Je suis tout prêt, répond-il ; c'est toi qui tardes."

Il y a ainsi des hommes qui n'ont pas fait leurs préparatifs et ce sont eux qui gourmandent leurs compagnons tout prêts pour la route. Cette histoire leur convient.


LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI

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ES grenouilles, fâchées de n'avoir pas de gouvernement, envoyèrent à Zeus des ambassadeurs pour

lui demander un roi. Zeus, voyant leur naïveté, jeta dans leur étang un soliveau. Au bruit qu'il fit en tombant, les grenouilles épouvantées se réfugièrent au plus profond de l'étang. Mais, plus tard, voyant que le soliveau restait immobile, elles remontèrent à la surface et, bientôt, conçurent pour lui un tel mépris qu'elles grimpèrent dessus et s'y accroupirent. Avoir un pareil roi, c'est une indignité ! Elles se rendent de nouveau auprès de Zeus et le prient de leur en donner un autre, le premier étant décidément trop nonchalant.

Alors Zeus, irrité, leur envoya une cigogne qui les attrapa toutes et les mangea.

Un prince d'esprit lent et sans méchanceté vaut mieux qu'un agité malfaisant.


LE ROI SOLIVEAU


LE LABOUREUR ET L'ARBRE

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N laboureur avait dans son champ un arbre qui ne donnait point de fruit et servait seulement aux

moineaux et aux cigales de bruissant refuge. Il décide donc de couper cet arbre stérile : alors, il prend sa hache et lui en porte un coup. Cigales et moineaux le supplient de ne pas abattre leur asile, mais de leur permettre d'y chanter et de le charmer lui-même. Sans s'inquiéter de leurs prières, notre homme porte à l'arbre un second coup, puis un troisième. L'arbre s'entrouvre : l'homme aperçoit un essaim d'abeilles et leur miel ; il le goûte et aussitôt jette sa hache. L'arbre, devenu pour lui sacré, est l'objet de ses hommages et de sa sollicitude.

L'homme chérit naturellement moins et honore moins la justice qu'il ne met d'énergie à poursuivre son profit.

L'HOMME ET LE LION FAISANT ROUTE ENSEMBLE

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N homme et un lion faisaient un jour route ensemble, et cherchaient, en se vantant, à se persuader réci-

proquement de leur supériorité. Chemin faisant, ils rencontrèrent une sculpture représentant un homme qui terrassait un lion. L'homme les montra du doigt à son compagnon : Vois, dit-il, comme nous vous sommes supérieurs à tous et plus forts qu'aucune bête féroce.


— C'est vous, répondit le lion, qui concevez et qui exécutez ces sculptures. Si les lions savaient tailler la pierre, tu verrais beaucoup d'hommes terrassés par des lions." Que de vantards cherchent à se faire attribuer de grands mérites, qu'ils n'ont pas en réalité !

LE LOUP ET L'AGNEAU

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N loup rencontra un agneau égaré. Au lieu de l'enlever d'un coup de sa patte puissante, il

voulut avoir quelque raison spécieuse de le manger.

Et il lui tint à peu près ce langage : C'est toi qui, l'an passé, m'as accablé d'outrages. — Moi ? se récria l'agneau d'une voix plaintive ; je n'étais pas encore né ! Et le loup reprit : C'est dans mon champ que tu broutes.

— Je ne sais pas encore manger, répondit l'agneau.

— C'est à ma source que tu bois, continua le loup. — Je n ai pas encore bu d'eau : le lait de ma mère est à la fois ma nourriture et ma boisson." Le loup alors se jette sur lui et le mange : Soit, dit-il ; mais je ne vais pas rester plus longtemps sans souper, parce qu'à tous mes prétextes tu trouves à répon d re. On ne change pas par des raisonnements, si fondés qu'ils puissent être, les dispositions du cupide et du pervers.


LE RENARD SANS QUEUE

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N renard avait laissé sa queue dans un piège. Depuis lors, la honte lui rendait la vie insupportable.

C'est pourquoi il résolut d'amener les autres renards à partager son sort : ainsi le malheur général dissimulerait sa propre infortune. Il les réunit tous et les exhorta à se couper la queue, alléguant non seulement que cet appendice était fort laid, mais encore que c'était un fardeau superflu dont les avait chargés la nature.

Eh ! l'ami, lui répliqua l'un des renards, si tu n' y trouvais pour toi un avantage, nous aurais-tu, à nous, donné ce conseil ?

Le mot s'adresse à ceux qui se font les conseillers du prochain non par bienveillance, mais par intérêt.

LE NAUFRAGÉ ET LA MER

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N naufragé, jeté sur le rivage, s 'y était endormi de fatigue. Quand il se réveilla peu après et qu'il

aperçut la mer, il lui reprocha de séduire les hommes par



LE NAUFRAGÉ ET LA MER




la douceur de son aspect ; puis, quand elle les tenait, de s 'exaspérer et de les faire périr. Mais la mer, sous la figure d'une femme, lui répondit : Ce n'est pas à moi, l'ami, qu'il faut adresser vos reproches, c'est aux vents.

De nature, je suis ce qu'est la terre. Ce sont eux qui fondent sur moi à l'improviste, soulèvent mes flots et me rendent furieuse."

Nous non plus ne reprochons pas leurs torts à ceux qui dépendent d' autrui : les coupables sont ceux qui commandent.

LE SANGLIER ET LE RENARD

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N sanglier s était dressé contre un arbre et y aiguisait ses défenses. Un renard lui demanda pour-

quoi, puisque ni chasseur ni danger d'aucune sorte ne le menaçait. Oui, mais j'ai mes raisons, répondit le sanglier : ce n'est pas quand le danger aura fondu sur moi que je m'occuperai d'aiguiser mes défenses ; mais elles seront prêtes alors et je m'en servirai." C'est avant le danger qu'il faut faire ses préparatifs.


HERMÈS ET LE STATUAIRE

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ÉSIREUX de savoir en quelle estime le tenaient les hommes, Hermès prit la figure humaine et se

rendit dans un atelier de statuaire. Y apercevant une statue de Zeus : Combien ceci ? demanda-t-il. — Une drachme," répondit le sculpteur. Hermès se mit à rire, puis demanda : "Et cette Héra, combien ? — Elle est encore plus chère," fut la réponse. Plus loin, Hermès aperçut sa propre image et ne douta pas qu'elle ne fût d'un grand prix pour les hommes, puisqu'il était à la fois le messager des dieux et le dieu du lucre. Combien ?

dit-il. — Oh ! répondit le statuaire, si tu m'achètes les deux autres, je te donnerai celle-là par-dessus le marché." Ce conte s'applique bien à l'homme épris de vaine gloire et dont les autres ne font aucune estime.

LE CERF ET LE LION

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N cerf, pressé par la soif, s'était approché dune source. En buvant, il aperçut son image dans

l'eau. La vue de ses bois le réjouit, car ils étaient grands et variés dans leurs ramifications ; mais il vit avec douleur que ses jambes étaient grêles et faibles. Il méditait encore quand un lion parut et fondit sur lui ; et notre cerf de prendre la fuite, laissant le lion bien loin


derrière lui. Tant qu'ils furent en plaine, l'avance du cerf le sauva de tout danger. Mais ils arrivèrent en forêt, et, là, ses bois se prirent dans les branches d'arbres : arrêté dans sa course, il devint la proie du lion. Malheureux ! se dit-il au moment de mourir : c'est ce qui, à mes yeux, devait me perdre, qui m 'a sauvé, et ce qui me donnait confiance, qui cause ma mort.

Il en est souvent ainsi dans le péril: nous devons le salut à ceux que nous suspectons et ceux qui avaient toute notre confiance sont des traîtres.

LE FAON ET SA MERE

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NE biche réprimandait son petit en ces termes : Tu as des cornes, mon enfant, que la nature

t a données ; tu as pour toi la prestance qui te distingue et je ne vois pas ce qui fait que tu te sauves à l'approche des chiens." A peine a-t-elle fini qu 'on entend au loin des chiens qui accourent. Elle venait d'exhorter son fils à la résistance ; elle fut la première à donner l'exemple de la fuite.

A conseiller, on est toujours prêt ; l'exécution est plus embarrassante.


LE RENARD ET LE LION

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N renard n'avait encore jamais vu de lion. Un beau jour, le hasard lui en fit rencontrer un : peu

s en fallut qu'il ne mourût de frayeur. Puis il le rencontra une seconde fois : il eut encore peur, mais non pas autant que la première. Enfin, à la troisième rencontre, il s'enhardit au point d'aborder le lion et de converser avec lui.

Effet de l'habitude : ce qui nous effrayait devient d'accès facile.

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LE CHIEN ET SON OMBRE

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N chien traversait une rivière, tenant dans la gueule un morceau de viande. Il - aperçut

dans l'eau son ombre à lui-même et s imagina que c'était un autre chien, qui portait un plus gros morceau.

Aussitôt, il lâche celui qu'il tient et s"élance sur l'autre croyant l'attraper. Qu'arriva-t-il ? Ils lui échappèrent l'un et l'autre : celui qu'il convoitait, ce n'était qu'une image ; l'autre, le courant l'entraîna.

Homme cupide, voilà ton portrait.


L'OURS ET LE RENARD

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N ours, un jour, se vantait fort d'être, de tous les animaux, le plus ami de l'homme. L'ours en

effet, dit-on, ne touche pas aux cadavres. Le renard, qui l'entendit, se mit à rire : Mange donc les morts, lui répondit-il, et laisse les vivants." Juste satire des cupides qui jouent la comédie.

LES RATS ET LES BELETTES

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ATS et belettes étaient en guerre. Les rats, étant 1 toujours battus, se réunirent en assemblée : là

on fut d'avis que c'était le manque de chefs qui était la cause de tant de malheurs et, ayant fait choix de quelques-uns d'entre eux, nos rats les élurent stratèges.

Pour se distinguer de la multitude, les stratèges se fabriquent des panaches qu'ils se mettent sur la tête. La bataille s'engage : toute l'armée des rats est mise en déroute et les simples soldats se glissent sans peine dans leurs trous ; mais les stratèges, embarrassés par leurs panaches, sont pris tous à la fois et dévorés.

La vanité cause le malheur de bien des gens.


L'OURS ET LE RENARD


LE FORGERON ET SON CHIEN

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N forgeron avait un petit chien qui dormait pendant qu'il travaillait, mais qui se réveillait au moment

du repas. Ah ! misérable dormeur, répétait le forgeron en lui jetant un os ; que faire quand on voit un paresseux aussi endurci ? Frappé-je mon enclume, tu vas t'étendre sur ta litière ; au contraire, m'entends-tu remuer les mâchoires, vite tu te réveilles, et tu viens à moi en remuant la queue." Cette fable a en vue les somnolents, les paresseux, qui regardent peiner les autres.

L'ÂNE ET LE VIEUX PAYSAN

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ANS un changement de gouvernement, il n y a assez souvent que le maître qui change pour

les pauvres. La fable que voici le prouve en peu de mots.

Un vieillard, qui avait grand peur, faisait paître un âne dans un pré. Epouvanté soudain par les cris de l'ennemi : Sauvons-nous, dit-il à l'âne, pour ne pas être pris." Mais l'autre, sans s'émouvoir : Crois-tu, je te prie, que le vainqueur me fasse porter double bât ? — Non, dit le vieillard. — Alors, reprit l'âne, que me fait le nom de mon maître, pourvu que je ne porte toujours qu'une seule charge ?


LE BŒUF ET LE CRAPAUD

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N bœuf, auprès d'une mare, écrasa du pied le petit d'un crapaud. La mère survint — car elle ne

s'était pas trouvée la — et demanda à ses autres enfants où était leur frère. "Il est mort, ma mère. Il est venu, il n'y a qu'un instant, un énorme quadrupède : c'est lui qui a tué notre frère en l'écrasant sous son pied fourchu." La mère se gonfle alors : Était-il gros comme cela?

demanda-t-elle. — Assez ï disent alors les petits : à quoi bon te torturer? Tu éclateras en deux avant de l'égaler, ce l ui- l à, en grosseur. Petits, il est dangereux de vouloir se hausser à la taille des grands.


L'HOMME QUI BRISE UNE STATUE

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N homme avait un dieu en bois. Comme il était pauvre, il le suppliait de lui faire du bien. Vaines

prières ! Sa vie était de plus en plus misérable. Irrité, il prend la statue par une jambe et la lance contre le mur.

Il lui casse la tête et, immédiatement, un flot d'or s'en échappe ; et, en le ramassant : Tu m'as l'air, s'écrie l'homme, d'un fourbe et d'un ingrat. Je t'honore, tu ne fais rien pour moi. Je te frappe, et tu me combles de b iens ! On ne gagne rien à honorer le méchant ; à le frapper, on gagne davantage.

HÉRACLÈS ET LE BOUVIER

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N bouvier sortait du village avec un chariot. Le chariot tomba dans un ravin profond. Au lieu

de s'en occuper, notre homme reste à se croiser les bras en invoquant Héraclès, de tous les dieux celui qu'il aimait et honorait le plus. Mais le dieu apparaissant : Mets la main à la roue, lui dit-il, et pique tes bœufs ; n'invoque la divinité qu'en faisant quelque chose toimême et ne va pas, sans cela, l'invoquer pour rien."



LE NEGRE




LE NÈGRE

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N homme acheta un nègre, croyant que sa couleur venait du manque de soin de son premier maître.

Il l emmène chez lui, lui applique brosses et savons, lui fait prendre, pour le nettoyer, toutes sortes de bains.

Il ne changea rien à la couleur du nègre, mais il le rendit malade de fatigue.

Le naturel demeure ce qu'il a toujours été.

LE LION ET L'ONAGRE

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E lion et l'onagre étaient à la chasse, l'un ayant pour lui sa force, l'autre, la vitesse de ses pieds.

Lorsqu'ils eurent pris un certain nombre d'animaux, le lion divisa le butin et en fit trois parts. La première, dit-il, je la prendrai, comme étant le premier, puisque je suis roi ; la seconde, j'y prétends en qualité d'associé à droits égaux ; et quant à la troisième, la voici : mais gare à toi, si tu refuses de déguerpir.

Il est bon de mesurer toutes ses entreprises à ses forces, et de ne pas s'unir ou s 'associer à plus fort que soi.


L'HOMME ET LE SATYRE

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N homme et un satyre s'étaient, dit-on, liés d'amitié.

L'hiver arrivé, l'homme, un jour de froidure, se

- , mit à souffler dans ses doigts. Le satyre lui demandant pourquoi : C'est, dit-il, pour réchauffer mes mains glacées." Plus tard, la table mise, ce qu'on servit se trouva très chaud : l'homme n'en prenait que peu à la fois et soufflait dessus en le portant à sa bouche. De nouveau le satyre s'informe : "Je refroidis le manger,


qui est trop chaud," répond l'autre. — Oui, reprend le satyre ; mais je renonce à ton amitié, mon bon, puisque de la même bouche, tu souffles le froid et le chaud." Faisons de même : fuyons aussi l'amitié de ceux dont les sentiments sont doubles.


LES DEUX VOYAGEURS ET LE VOLEUR DE GRAND CHEMIN

D

EUX soldats rencontrèrent un brigand : l'un d'eux s'enfuit, mais l'autre tint ferme et se défendit d'un

- -

bras courageux. Le brigand une fois hors de combat, le poltron accourt, tire son épée, puis, rejetant son manteau : A moi cet homme-là, dit-il, je vais lui faire sentir à quels gaillards il s'est attaqué. — Voilà ce que tu aurais dû dire tout à l'heure, répondit celui qui avait soutenu la lutte, pour m 'aider au moins en paroles !

J'aurais été plus ferme, croyant le propos vrai. Maintenant, rangaine ton épée et ta langue : elles se valent.

Peut-être pourrais-tu tromper les gens qui ne te connaissent pas. Moi, j'ai vu ta vigueur à t'enfuir ; je sais à quel point il faut se garder de compter sur ton courage." A qui devons-nous appliquer cette histoire ? A qui est brave quand tout va bien, et, dans le péril, s'enfuit.

LE LOUP ET LA VIEILLE FEMME

u

N loup affamé rôdait cherchant à manger. Il arriva dans un lieu où il entendit un petit enfant

qui pleurait et une vieille femme qui lui disait : Cesse de pleurer, ou, sur l'heure, je te donne au loup." Croyant que la vieille femme disait vrai, le loup s'arrêta et attendit beaucoup plus d'une heure. Le soir venu, il


entendit de nouveau la vieille femme. Cette fois, elle caressait l'enfant : Si le loup vient ici, disait-elle, nous le tuerons, mon petit." A ces mots, le loup se remit en route : "En voilà une baraque ! fit-il: on y dit une chose et on en fait une autre."

Cette fable vise tous les gens dont les actes et les paroles ne se ressemblent pas.

LE JEUNE HOMME ET LE CHEVAL

u

N jeune homme sauta sur un cheval que sa fougue emportait. La bête l'enlève, l'entraîne ; sa course

ne s 7 arrête pas et le jeune homme ne peut plus descendre. Où t'en vas-tu ? lui demande un passant. —

Où il pourra lui plaire," répondit le jeune homme en montrant le cheval.

Il en est ainsi de beaucoup de gens.

Demandez-leur : Où allez-vous ? S'ils veulent dire la vérité, les uns vous répondront : Partout où il plaira à nos passions ; d'autres : Où il plaira à la volupté ; ou à la gloire ; ou à la cupidité." Ou bien ce sera la colère qui les emporte, ou la crainte, ou quelque autre mouvement du même genre.


LA VIEILLE FEMME ET L'AMPHORE

u

NE vieille femme aperçut par terre une amphore entièrement vidée; mais le dépôt d'un Falerne

versé d'une jarre de choix lui laissait encore un parfum dont le charme se répandait au loin. Après l'avoir humé avidement à plein nez, la vieille s 'écria : 0 suave bouquet ! que tu devais être exquis, à en juger par ce qui reste encore de toi ! A quoi je veux faire allusion, c 'est ce que dira qui me connaîtra bien.

LA TORTUE ET LE LIÈVRE

u

NE tortue et un lièvre disputaient sur leur vitesse, et, bref, ne se séparèrent qu'après avoir convenu

d'un jour et d'un lieu. Le lièvre, se fiant à son agilité naturelle, néglige de courir, se couche au bord du chemin et s'endort. La tortue, elle, ayant conscience de sa lenteur, court sans s'arrêter, dépasse le lièvre endormi et obtient le prix de la victoire.

Bien doué, mais négligent, on se fait battre souvent par qui prend de la peine.


LA VIEILLE FEMME ET L'AMPHORE


LE CHAT ET LE COQ

u

N chat ayant attrapé un coq prétendait se couvrir d'un motif raisonnable pour le dévorer. Il

l'accusa donc d'importuner les hommes en criant en pleine nuit et en les empêchant de goûter le sommeil.

Mais, c'est dans leur intérêt que je chante, répondit le coq pour sa défense ; c'est pour qu'ils s'éveillent et se remettent au travail accoutumé." Alors le chat formula un nouveau grief : "Et ton impiété envers la nature ?

Tu ne respectes dans tes amours ni ta mère ni tes sœurs !

— Mais là encore, répliqua le coq, j'agis dans l'intérêt de mes maîtres ; je leur assure ainsi des œufs en abondance.

— Bon ! reprit le chat. Tu as à ta disposition pour te défendre toutes sortes d'arguments spécieux : mais ce n'est pas une raison sans doute pour que je meure de faim, moi ! Quand le méchant est décidé au crime, c'est, s'il est possible, sous une apparence honnête; sinon, il se découvre et ne l'en commet pas moins.

LA VIPÈRE ET LA LIME

u

NE vipère ayant pénétré dans l'atelier d'un chaudronnier demandait une aumône aux outils. Tous

l'accordent, sauf la lime. La vipère, venant à elle, la priait aussi de lui donner quelque chose : Tu es vraiment bien naïve, répondit la lime, d'espérer tirer


LE CHAT ET LE COQ


quelque chose de moi ; je ne donne pas : c'est moi qui pren d aux autres. C'est folie d'espérer rien tirer d'un avare.

LE RICHE ET LE TANNEUR

u

N homme riche avait pour voisin un tanneur : ne pouvant supporter l'odeur de la tannerie, il le

pressait d'aller habiter ailleurs. L'autre, pour gagner du temps, répondait qu'il s'en irait bientôt ; mais il restait toujours. Qu'arriva-t-il ? Le riche s'accoutuma à l'odeur et cessa de l'importuner.

L'habitude rend aisé ce qui était difficile à faire.

LE LOUP ET LE LION

u

N loup, ayant enlevé un jour une brebis d'un troupeau, l'emportait à sa tanière. Survint un

lion qui lui ravit sa proie : Tu m'as dérobé mon bien, lui dit de loin le loup : tu n'en avais pas le droit." Le lion se mit à rire : Et toi, répondit-il, tu avais donc le droit? Cette brebis était sans doute le cadeau d'un • ! ami !

Cette fable vise les cupides, les rapaces, les voleurs, tous coupables de la même faute et qui s'accusent les uns les autres.


LA BREBIS, LE LOUP ET LE CERF

u

N cerf pria un jour la brebis de lui prêter une mesure de blé : son ami le loup, affirmait-il, se

porterait volontiers garant de cette dette. La brebis, flairant une tromperie des deux compères, s'excusa prudemment et répondit : "Le loup a l'habitude de s emparer de ce qu'il désire et de s'enfuir sans songer au paiement. Quant à vous, votre course est également plus rapide que la mienne. Comment serai-je capable de vous joindre l'un et l'autre lorsque l'heure de rembourser votre dette sera venue ?

Deux fripons ne font pas un honnête homme.


LE BOUC ET LA VIGNE

A

U temps où la vigne bourgeonne, un bouc mangeait les bourgeons. La vigne lui dit : Pourquoi me

faire tort ? N as-tu pas d'herbe ? C'est moi cependant qui fournirai tout le vin nécessaire quand on t'immolera." Cette fable s 'adresse aux ingrats, à ceux qui veulent avoir l'avantage sur leurs amis.

L'ALOUETTE ET LE LABOUREUR

L

ALOUETTE, qui chante au point du jour en réponse au pluvier, avait sa nichée dans un champ

de blé vert. Ses petits, bien nourris d'épis, avaient



LES DEUX POTS




déjà la huppe et des ailes vigoureuses. Le maître du champ vint le visiter et, voyant que les blés étaient mûrs : Il est temps, dit-il, que je rassemble tous mes amis pour faire la moisson." L'un des petits de l'alouette, la huppe dressée, entendit le propos et le redit à sa mère : Voyez, dit-il, où vous pourrez nous mettre. — Ce n'est pas encore, répondit l'alouette, le moment de fuir ; qui compte sur ses amis n'est pas si pressé." L'homme revint et, voyant que les rayons du soleil faisaient déjà couler les épis : Des salariés, dit-il, et dès demain, pour moissonner ; des salariés je ne veux que cela, pour porter les gerbes ! — C'est pour le coup, mes chers petits, qu'il faut décamper, dit alors l'alouette : il ne s'en remet plus à ses amis, mais à lui-même." Il faut, autant que possible, faire ses affaires soi-même et ne pas se fier, pour en prendre à son aise, au concours de ses amis.

LES DEUX POTS

u

N pot de terre et un pot d'airain étaient entraînés par un fleuve. Le premier dit à l'autre : Suis le

courant loin de moi, ne te rapproche pas ; car si tu viens à me toucher, je me brise, quelque désir que je puisse avoir moi-même de ne pas te toucher." Périlleuse est la vie du pauvre qui habite dans le voisinage d'un puissant.


LE LION ET L'ÂNE

L

E lion et l'âne, associés par contrat, étaient allés à la chasse. Ils arrivent à une grotte où se trou -

vaient des chèvres sauvages. Le lion se tient à l'ouverture pour guetter leur sortie ; l'âne pénètre à l'intérieur et les chèvres se sauvent tandis qu'il se met à braire pour les effrayer. La plupart deviennent la proie du lion et l'âne, sortant enfin, demande à son compagnon s'il a bravement combattu et s'il est bon chasseur : Bon !

dit l'autre, sais-tu que j'aurais moi-même eu peur de toi, si je n'avais pas su que tu fusses un âne ! Auprès de qui sait les choses, pas de fanfaronnades : ce serait pour faire rire justement à nos dépens.

LE DEVIN

u

N devin était à discourir sur la place publique. Tout à coup, quelqu 'un survient et lui annonce que

toutes les fenêtres de sa maison sont grandes ouvertes et que tout ce qui était à l'intérieur a été volé. Notre homme bondit en poussant un gémissement et part à toute vitesse. Mais en le voyant courir : Eh ! quoi, lui dit-on, tu fais profession de prédire les affaires des autres et tu n 'as pas prévu ce qui se passait chez toi ? Combien de gens qui gouvernent mal leur propre vie, prétendent pourvoir à ce qui ne les regarde pas.


LE CHIEN ET LE LIEVRE

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N chien poursuivait un lièvre. Il l'attrape enfin ; après quoi tantôt il le mord. tantôt il lui fait fête

en remuant la queue et le caresse : Si tu es mon ami, lui dit alors le lièvre, pourquoi me mords-tu ? Si tu es mon ennemi, pourquoi remues-tu la queue ?

L'AIGLE, LA CHATTE ET LA LAIE

U

NE aigle avait construit son aire au haut d'un chêne : une chatte trouvant un trou à mi-hauteur

de l'arbre, y avait fait ses petits ; une laie, habitante des forêts, avait mis bas au pied : communauté fortuite, que la chatte détruisit par sa fourberie et son abominable


méchanceté. Elle grimpe au nid de l'oiseau : Ta perte se prépare, lui dit-elle, et la mienne aussi peut-être, hélas ! Tu vois cette laie perfide occupée tous les jours à creuser le sol : elle veut abattre le chêne, pour jeter notre progéniture à terre et tomber sur elle aisément." Quand elle voit l'aigle terrifiée et l'esprit dans le plus grand trouble, la chatte descend en rampant au gîte de la laie hérissée de soies : Un grand danger, lui ditelle, menace tes petits ; à peine seras-tu sortie pour aller paître avec ton tendre troupeau, que l'aigle, qui se tient prête, fondra sur tes marcassins. Voilà l'autre logis également rempli de crainte. La rusée va se blottir au fond de son trou. Elle en sort la nuit pour rôder sur la pointe des pieds : elle se gorge de nourriture avec ses petits et passe toute la journée à feindre la peur et à faire le guet. L'aigle, craignant la chute de l'arbre, reste perchée sur ses branches ; la laie ne sort pas de son gîte, pour éviter le rapt qui la menace. Bref, toutes deux moururent de faim avec leur famille, fournissant à la chatte et aux petits chats de la viande en abondance.

L'homme à la parole double fait souvent bien du mal : la sotte crédulité en a maintenant la preuve.

LE LOUP ET LA GRUE

U

N loup avait un os arrêté dans le gosier. Il promit un salaire à la grue si elle voulait y introduire son

bec et lui retirer l'os. La grue y réussit et demanda son


LE LOUP ET LA GRUE


salaire. Le loup se mit à rire : N'est-ce point assez, dit-il en s 'aiguisant les dents, d'avoir, pour salaire, retiré de la gueule et des dents d'un loup ta tête entière et sans dommage ? Cette fable s 'adresse aux fourbes qui, une fois hors de danger, se targuent pour toute reconnaissance envers leurs bienfaiteurs, de ne leur avoir point fait tort.

LE THON ET LE DAUPHIN

U

N thon poursuivi par un dauphin fuyait devant lui à toute vitesse. Il allait être pris lorsque son

impétueux élan le jeta sur le rivage. Emporté par le même mouvement, le dauphin y échoua à côté de lui. Le thon se retourne alors et voyant son ennemi expirant : Ah ! s'écria-t-il, la mort ne m'est plus pénible, puisque je vois l'auteur de ma perte périr en même temps que moi." On supporte plus aisément les catastrophes quand on voit périr avec soi ceux qui les ont causées.

LES TROIS ARTISANS

L

ES citoyens d'une ville s'étaient assemblés et discutaient des meilleurs matériaux à employer

aux fortifications que l'on voulait ériger, pour assurer la



APHRODITE ET LA CHATTE




sécurité de la cité. Un charpentier se leva et conseilla d'y employer le bois, matière facile à travailler, disait-il, et que l'on se procure aisément. Un maçon protesta contre l'emploi du bois, trop inflammable, et proposa la pierre. Alors, un tanneur, se dressant sur ses jambes : A mon avis, affirme-t-il, il n'y a rien de pareil au cuir." Chacun pour soi.

1

APHRODITE ET LA CHATTE

u

NE chatte étant tombée amoureuse d'un jeune homme de belle prestance supplia Aphrodite de

la métamorphoser en femme. La déesse compatit à sa passion et fit d'elle une jolie fille. Dès qu'il l'aperçut, le jeune homme s'éprit d'elle à son tour et il en fit sa femme.

Tandis qu'ils étaient dans la chambre à coucher, Aphrodite fut curieuse de savoir si, en changeant de forme, la chatte avait aussi changé de goûts, et glissa une souris au milieu de la chambre. L'autre, oubliant ce qu'elle est maintenant, saute du lit et court après la souris qu'elle veut manger. Indignée, la déesse refit d'elle ce qu'elle était jadis.

Ceux qui sont naturellement et foncièrement méchants peuvent bien changer d'état : ce qui est sûr, c'est que leurs dispositions ne changent pas.


LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS

U

N rat des champs devint l'ami d'un rat de ville et, pour lui donner un gage de son amitié, il l' emmena

le premier aux champs, le traita hospitalièrement et lui servit tout ce que les champs fournissent à leurs habitants.

Pour rendre la politesse, le citadin conduit, à son tour, le campagnard à la ville, et l'introduit dans la demeure d'un homme riche. Ils allaient s'approcher des victuailles quand quelqu un qui entra les arrêta court ; et autant de fois ils tentèrent d'y aller, autant de fois ils durent renoncer à leur tentative. Je m'en vais, dit à la fin le rat des champs; je préfère la médiocrité de la campagne aux délices de la ville."

Une modeste aisance vaut mieux que la richesse.


LE CORBEAU ET LE CYGNE

A'

YANT vu le cygne, le corbeau fut jaloux de sa - couleur. S'imaginant qu'elle était due aux eaux

dans lesquelles il se baignait, le corbeau abandonne les autels et passe tout son temps sur les fleuves et sur les lacs. Mais il eut beau se frotter : il ne changeait pas de couleur. Et, d'autre part, la faim le fit périr.

On ne change pas de nature parce qu'on change de régime.

LE LION ET LE TAUREAU

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N lion guettait un taureau énorme qu'il voulait dévorer. Il imagina de l'inviter à venir manger

une brebis fraîchement tuée, comptant bien venir à bout de lui quand il serait à table. Le taureau arrive : il voit beaucoup de marmites, de grandes broches, mais de brebis, point. Aussi, se retire-t-il sans mot dire. Le lion lui fait des reproches, lui demande ses raisons : Que lui a-t-on fait ? Pourquoi s'en aller sans motif ? Sans motif, répondit-il. Non sans doute. Cet attirail que je vois là préparé, ce n 'est pas pour une brebis ; c 'est pour un taureau.

Les hommes intelligents pénètrent les artifices des méchants.


LE POULET ET LA PERLE

u

N jeune poulet qui cherchait à manger trouve une perle dans le fumier : Vilaine place, dit-il, - - - -

pour un si précieux objet ! Aperçue de 1 un de ceux que ton prix peut tenter, tu eusses vite recouvré ton plus bel éclat ! Mais c 'est moi qui te trouve, et j'aimerais bien mieux du grain ! Je ne puis rien pour toi et, toi, tu ne me sers à rien.

Soit dit pour ceux qui ne comprennent pas mes vers.

LE LOUP ET LA BREBIS

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N loup, mordu par des chiens et fort maltraité, était étendu par terre. Comme la faim le pressait, il

aperçut une brebis et la pria de lui apporter à boire d'un cours d'eau qui coulait près de là : Car, si tu me donnes à boire, ajoutait-il, je saurai bien trouver moimême à manger. — Oui, répondit la brebis, seulement, si je t'apporte la boisson, moi, tu auras aussi la viande : tu me mangeras.

Cette fable vise le méchant qui cherche à nous prendre en jouant la comédie.


LE POULET ET LA PERLE


LE LIÈVRE ET LE CHIEN

u

N chien leva dans un taillis un lièvre aux pattes velues et se lança à sa poursuite : il était bon

chasseur, mais l'autre le distança : '6 Voilà un petit animal qui s'est montré plus leste que toi. — C'est qu'on n'a pas, lui répondit le chien, pour donner la chasse aux autres, les jambes qu'on trouve pour échapper soi-même à la mort.

LE LABOUREUR ET LE SERPENT

u

N vieux laboureur trouva en hiver un serpent tout raidi par le froid. Pris de compassion, il le

ramassa et le mit dans son sein. Mais, à peine ranimé par la chaleur, le serpent, retouvant ses instincts, mordit son bienfaiteur. La plaie était mortelle : C'est bien fait, dit l'homme en expirant : j'ai eu pitié du méchant." La méchanceté ne change pas : les plus grands bienfaits eux-mêmes n'y pourraient rien.

LES GRENOUILLES

D

EUX grenouilles étaient voisines : l'une habitait le fond d'un étang éloigné de la route ; l'autre se

tenait sur la route, dans une flaque d'eau. Celle de l'étang engageait l'autre à descendre auprès d'elle, pour y trouver, elle aussi, une vie meilleure et plus sûre. L'autre


refusait, disant qu'elle était trop attachée à sa demeure par une longue habitude. Un beau jour, un char qui passait par là l'écrasa.

Il en est ainsi des hommes qui ont de mauvaises habitudes : la mort les surprend avant qu'ils aient pu se corriger.

LA CIGALE ET LES FOURMIS

c

'ETAIT l'hiver ; le grain était mouillé et les fourmis le faisaient sécher. Une cigale qui avait

faim leur demanda à manger. Pourquoi, lui direntelles, n 'as-tu pas fait des provisions pendant l'été ?

— Je n 'étais pas oisive, dit-elle, je chantais en artiste.

— Ah ! l'été, tu étais musicienne, repartirent les fourmis en riant ; en hiver fais-toi danseuse."

Il ne faut être négligent en rien, sous peine de s'exposer aux chagrins et aux périls.


L'HOMME CHAUVE ET LA MOUCHF

u

NE mouche avait piqué le crâne dénudé d'un homme chauve : celui-ci cherche à l'écraser et SP

donne un grand soufflet. La mouche alors le raillant:

'6 La piqûre d'un chétif insecte t'a paru mériter la mort, ditelle : que te feras-tu donc à toimême, pour avoir au mal ajouté l'affront ? — II m 'est aisé, répondit l'homme, de me réconcilier avec moi-même : je sais bien que je n'ai pas eu l'intention de me faire du mal. Mais toi.


méchante bête, qui répugnes à tout le monde, qui te délectes à sucer le sang humain, je voudrais te tuer, m'en coûtât-il davantage." Cette fable nous enseigne qu'on ne doit pardonner qu'à la faute involontaire ; mais qui fait le mal de propos délibéré, mérite, à mon avis, tous les châtiments.

L'ÂNE ET LE LOUP

u

N âne s'était enfoncé une épine dans le pied et boitait. Il aperçut un loup : Ah ! loup, lui dit-il,

quelle souffrance ! Tu vois : j'en meurs. D ailleurs, j'aime encore mieux te servir de dîner à toi qu 'aux vautours et aux corbeaux. Je ne te demande qu'une seule grâce : enlève-moi d'abord cette épine du pied, que je meure au moins sans souffrance ! Le loup, du bout des dents, saisit l'épine et l'arrache. Puis il ouvre la gueule. Mais l'âne, qui ne sent plus rien, lui détache une ruade et s'enfuit : museau, front, dents, d'un coup il avait tout cassé. Aïe ! dit le loup, c'est bien fait : j'avais appris à être boucher et voilà que je me mêle, tout d'un coup, de faire le vétérinaire ! On voit des hommes pris entre deux dangers accepter le secours de leurs ennemis et leur rendre perfidement le mal pour le bien.


LE SINGE ET LE CHAMEAU

A

U milieu des bêtes assemblées, le singe se leva et se mit à danser. Il plut beaucoup et reçut de tous

des félicitations. Le chameau, jaloux, voulut en recevoir aussi et, quittant sa place, tenta à son tour de danser ; mais il fit tant de contorsions ridicules que les animaux, indignés, le chassèrent à coups de bâtons.

Bonne leçon pour les envieux qui veulent rivaliser avec les gens de talent et qui échouent.

LES PIEDS ET L'INTESTIN

L

ES pieds et l'intestin disputaient de leur importance.

A chaque instant les pieds affirmaient : Nous

sommes les plus forts : l'estomac lui-même, c'est nous qui le portons. — Oui, reprit l'estomac ; mais, mes



LES VOYAGEURS ET LE PLATANE




pauvres amis, que je cesse, moi, de vous fournir votre subsistance, et vous ne pourriez rien porter du tout." Il en est ainsi des armées : les soldats ne peuvent rien sans la sagesse des chefs.

LES VOYAGEURS ET LE PLATANE

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N jour d'été, vers midi, deux voyageurs accablés par la chaleur aperçurent un platane et s 'étendirent

à son ombre pour se reposer. Là, levant les yeux sur l'arbre : Il ne sert à rien, se disaient-ils l'un à l'autre.

Il ne donne pas de fruit. — Ingrats, répondit le platane, vous jouissez encore de mes bienfaits et vous me traitez d'inutile et de stérile ?

Il y a ainsi des hommes qui ont assez peu de chance pour que leurs bienfaits mêmes ne fassent pas croire à leur bonté.

LA PUCE ET LE BŒUF

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A puce demanda un jour au bœuf : Comment se fait-il donc, énorme comme tu es, et courageux,

que tu te fasses, jour après jour, l'esclave de l'homme, alors que, moi, je lui déchire affreusement la chair et bois son sang à pleine bouche ? — Je ne saurais être ingrat


enve s la race des mortels, répondit le bœuf ; car ils m'aiment et me chérissent d'une manière extraordinaire, et ils me frottent sans cesse les épaules et le front. —

Tiens ! répliqua la puce, je n'ai pas de chance : il m'arrive aussi de subir ce frottement qui t'es si agréable ; mais, moi, c'est ce qui peut m'advenir de plus triste." Que de gens, qui, dans leurs propos font les fanfarons, et dont le moindre adversaire vient à bout !

L'AIGLE, LE CHOUCAS ET LE BERGER

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N aigle, du haut d'un rocher, fondit sur un agneau et l'enleva. Un choucas le voit et veut en faire

autant. A son tour il prend son vol avec un grand bruit d'ailes et s'abat sur un bélier. Mais ses serres s'empêtrent dans la toison. Il bat des ailes sans pouvoir se dégager.

Le berger, témoin de l'aventure, accourt et le prend à la main. Puis il lui coupe le bout des ailes et, le soir venu, l'apporte à ses enfants, qui lui demandent quel est cet oiseau : Un choucas, il n'y a pas de doute ; mais, à l'en croire, lui, un aigle." Rivaliser avec qui nous dépasse, ce n'est pas seulement faire œuvre vaine, c'est attirer sur soi le malheur et le ridicule.


LE LOUP ET LE PETIT ENFANT

u

N loup, rassasié de nourriture, aperçut un petit enfant étendu par terre. Comprenant qu'il était

tombé de peur, le loup s'approcha et le rassura, lui promettant de le laisser aller, pourvu qu'il dit trois paroles sincères. L'enfant lui dit d'abord que ce n'était pas sa faute s'il l'avait rencontré ; secondement qu'il s'était trompé comme un aveugle. En troisième lieu : Mort aux loups ? s' écria-t-il : ce sont tous des méchants à qui nous ne faisons rien et qui nous font une guerre cruelle." Et le loup, sans se fâcher de sa franchise, le laissa aller.

La vérité a souvent de la force même auprès de l'ennemi.

LE CERF ET LA VIGNE

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N cerf, poursuivi par des chasseurs, se cacha sous une vigne. Les chasseurs l'ayant quelque peu dépassé,

il se crut désormais en toute sûreté et se mit à brouter les feuilles de la vigne. Mais au bruit qu'il fit en les agitant, les chasseurs se retournèrent, jugeant, avec raison, qu'il y avait quelque animal caché sous ces feuilles, et ils abattirent le cerf à coups de flèches : C'est bien fait, dit la bête en expirant, il ne fallait pas faire tort à la vigne, ma bienfaitrice. La divinité punit ceux qui font du mal à leurs bienfaiteurs.


LE MEUNIER, SON FILS ET L'ÂNE

u

N meunier, accompagné de son jeune fils, conduisait son âne au marché dans l'espoir d'y trouver un

acheteur. En route, ils rencontrèrent une troupe de filles rieuses et bavardes : A-t-on jamais vu pareille paire de nigauds ? s'écriè- rent-elles. Aller à pied, le long de la route poussié-

reuse, quand ils pourraient monter sur l'âne ! Le meunier jugea qu'il y avait du sens dans ce qu'elles disaient : il fit monter son fils sur l'âne et marcha lui-même à côté. Peu après, ils rencontrèrent quelques anciennes connaissances qui les saluèrent et dirent : Vous allez

gâter votre fils en le laissant aller à dos d'âne, tandis que vous vous fatiguez à pied. Allons, faites-le marcher, ce grand paresseux ! Cela lui fera le plus grand bien." Le meunier, se conformant à leur avis


prit sur la bête la place de son fils, et l'enfant suivit à pied.

Ils n'avaient pas fait beaucoup de chemin quand ils rejoignirent un groupe de femmes et d'enfants ; et le meunier les entendit qui disaient : Quel

égoïste que ce vieillard ! Il va sur son âne tout à son aise et laisse son pauvre petit garçon sur ses jambes le suivre comme il peut." Le meunier fit donc monter son fils en croupe. Un peu plus loin, ils rencontrèrent quelques voyageurs qui demandèrent au meunier si l'âne qu'il

montait était à lui ou s'il l'avait loué pour la circonstance. Le meunier répondit qu'il était à lui, mais qu'il le conduisait au marché pour le vendre.

Bon Dieu ! s'écrièrent-ils, avec une pareille charge sur le dos, cette pauvre bête sera tellement épuisée de fatigue

quand elle arrivera que personne ne voudra la regarder.

Vous feriez bien mieux de la porter !" Pour vous être agréables, répondit le vieillard, nous pouvons essayer." Ils descendirent de l'âne, lui attachèrent les jambes avec

une corde qu'ils suspendirent à une perche et, portant l'âne entre eux deux, finirent par atteindre la ville. Ce spectacle était si étrange que les gens accouraient en foule pour s' en amuser. On se moqua


sans pitié du père et du fils: Ce sont des fous, disait-on même çà et là.

A ce moment, comme le cortège traversait un pont sur une rivière, l'âne, effrayé par le bruit et par

sa position inaccoutumée, se mit à donner des ruades et à se démener, tant et si bien qu'il finit par rompre les cordes qui le tenaient attaché, tomba dans l'eau et s'y noya. Là-dessus, l'infortuné meunier reprit le chemin de sa maison, vexé et confus, convaincu qu'à s'efforcer de contenter tout le monde, il n 'avait contenté personne, et, par-dessus le marché, avait perdu son âne.

LE LOUP ET LA CHEVRE

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N loup, voyant une chèvre brouter sur une grotte escarpée et ne pouvant l'atteindre, l'exhortait à

descendre : Car vous risquez de tomber s 'en vous en apercevoir, disait-il ; il y a d' ailleurs ici des prairies et l'herbe en est plus brillante. — Oui, répondit la chèvre, mais ce n 'est pas moi que vous invitez à brouter ; c 'est vous qui n avez rien à manger.

Quand le méchant s'en prend à qui sait les choses, il se trouve bien déçu dans ses machinations.


LE LOUP ET LA CHÈVRE


L'ÂNE ET LE MULET

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N ânier ayant chargé son âne et son mulet les poussait devant lui. Tant qu'on fut en plaine,

l'âne tînt bon sous le fardeau ; mais on arriva à une descente escarpée, et l'âne, incapable d'une plus longue résistance, supplia le mulet de prendre une partie de sa charge, afin de pouvoir lui-même porter le reste jusqu'au bout. Le mulet ayant fait la sourde oreille, l'âne roula dans le précipice et s 'y cassa l' échiné. Fort empêché, l'ânier non seulement surchargea le mulet de la charge de l'âne, mais mit encore par-dessus l'âne lui-même, après l'avoir écorché. Accablé bientôt sous ce poids excessif : C'est bien fait, se dit le mulet à lui-même; si j'avais écouté l'âne quand il me demandait de le soulager un peu, je n'aurais pas maintenant à porter son fardeau et son corps. Tel est le sort de certains créanciers trop avides : pour avoir refusé d'aider un peu leurs débiteurs, ils perdent souvent leur capital lui-même.

LE LION ET LE LIÈVRE

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N lion trouvant un lièvre endormi se préparait à le manger, quand il vit passer une biche ; abandon- ---

nant le lièvre, il se lance à sa poursuite. Le lièvre, éveillé par le bruit, s'enfuit. Quant à la biche, le lion a beau



LES ARBRES ET LA COGNÉE




courir longtemps : il ne peut l'atteindre. Il revient alors au lièvre ; mais voyant qu'il s 'est sauvé, lui aussi : C'est bien fait, dit-il : j'ai une proie entre les pattes, et je la lâche pour l'espoir d'une plus belle! Il en est de même de certains hommes : ils ne se contentent pas de gains modérés et, sans s 'en apercevoir, laissent échapper même ce qu'ils ont entre les mains.

LES ARBRES ET LA COGNÉE

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N bûcheron alla dans la forêt et pria les arbres de vouloir bien lui accorder un manche pour sa 1 1 1

cognée. Les arbres les plus considérables accueillirent aussitôt une demande si modeste et, sans hésiter, donnèrent au bûcheron un tout jeune frêne, avec lequel il se façonna le manche qu'il désirait. Mais il ne l'eut pas plus tôt achevé qu'il se mit à abattre les plus beaux arbres de la forêt. En voyant l'usage que le bûcheron faisait de leur présent : Hélas ! hélas ! s'écrièrent les arbres : nous sommes perdus et nous ne pouvons en accuser que nous-mêmes. C'est notre première concession qui nous vaut tous ces malheurs : si nous n 'avions pas sacrifié les droits du frêne, nous serions nous-mêmes restés debout pour des siècles."


LE ROYAUME DU LION

A

U temps où le lion régnait sur toutes les bêtes de 1 la terre, il ne fut jamais cruel, ni tyrannique, mais

se montra au contraire le monarque le plus doux et le plus juste que l'on puisse s'imaginer. Il convoqua un jour une assemblée générale des animaux et leur dressa une constitution sous la protection de laquelle tous devaient vivre dans une égalité absolue et dans une parfaite harmonie : le loup et l'agneau, le tigre et le cerf, le léopard et le chevreau, le chien et le lièvre vivraient désormais en paix unis par la plus profonde amitié.

Le lièvre dit alors : Oh ! avec quelle ferveur ai-je désiré la venue d'un tel jour où le faible pourra enfin sans crainte prendre place à côté du fort !


LE TAUREAU ET LE VEAU

L

A porte de l'étable était étroite : un taureau se débattait avec ses cornes, pouvant à peine y

pénétrer. Un veau lui montrait à plier la tete. Assez, lui dit-il : tu n'étais pas né que j'avais appris ce que j'ai à faire. a aIre.

Qui fait la leçon à plus savant que lui prenne le mot pour lui.

L'ASTROLOGUE

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N astrologue avait l'habitude de sortir tous les soirs pour contempler les étoiles. Il était allé faire une

fois un tour dans les faubourgs. L esprit perdu dans le ciel, il ne s'aperçut pas qu'il y avait un puits et il y tomba. Cris, lamentations. Un passant entend ses gémissements. Il s'approche et apprend l'accident : Ah ! le pauvre homme ! dit-il : tu prétends observer ce qu'il y a dans le ciel et ne vois pas ce qu'il y a par terre ! Avis aux extravagants vantards qui ne peuvent même pas se tirer de ce qui est à la portée de tout le monde.

L'HOMME QUI ACHÈTE UN ÂNE

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N homme voulait acheter un âne. Il en choisit un à l'essai et le conduisit à l'écurie où il le mit au

milieu des ânes qu'il possédait déjà. Or, le nouveau venu, délaissant tous ses autres compagnons, alla se


placer près du plus paresseux et du plus vorace du troupeau. Ce que voyant, notre homme lui mit aussitôt un licou et le reconduisit à son propriétaire. Déjà ?

s'écria celui-ci ; vous ne pouvez pas l'avoir essayé si vite ! - L'essayer ? répliqua l'autre. Il n'est pas nécessaire. Je sais bien qu'il ressemble au compagnon qu 'entre tous il s'est choisi." On imagine chacun semblable aux amis qu'il fréquente.

LE PÈRE ET SES FILLES

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N père avait deux filles; il maria l'une à un jardinier, l'autre à un potier. Quelque temps après, il alla

voir la femme du jardinier et lui demanda comment elle allait et si leurs affaires marchaient : Tout va bien chez nous, répondit-elle. Nous ne réclamons des dieux qu'une chose : une bonne pluie d'orage pour arroser nos légumes." Il alla voir ensuite l'épouse du potier et lui demanda de même comment elle allait : Nous n'avons besoin de rien, dit-elle ; tout ce que nous désirons, c'est que ce beau temps, ce brillant soleil durent un peu, pour que notre argile puisse sécher." Et le père alors : Si tu demandes du beau temps, s'écria-t-il, et ta sœur de la pluie, à laquelle de vous deux m'unirai-je dans mes prières ?

Entreprendre en même temps deux affaires qui s'opposent, c'est mériter d'échouer dans l'une et dans l'autre.


LE CHEVREAU ET LE LOUP

u

N chevreau, resté en arrière du troupeau, était poursuivi par un loup. Il se retourne vers lui et - -1 -

lui dit : "Je suis ta proie, ô loup, c'est entendu. Mais, pour que ma mort ne soit pas sans gloire, joue-moi un air de flûte et je danserai." Le loup joua de la flûte et le chevreau dansa. Mais les chiens entendent, accourent et donnent la chasse au loup. C'est lui qui se retourne maintenant et qui dit au chevreau : C est bien fait pour


moi : je suis boucher ; avais-je besoin de faire le musicien ? Qui agit dans une circonstance contrairement au bon sens, se voit dépouiller même de ce qu'il a entre les mains.

L'ÂNE SAUVAGE ET L'ÂNE DOMESTIQUE

L'

A ANE sauvage aperçut un âne domestique dans un lieu ensoleillé et, l'abordant, lui fit compliment

sur son embonpoint et sur la manière dont il est nourri et bien portant, il l' estima heureux ; il envia son abondante nourriture. Mais quand, un autre jour, il l'aperçut chargé d'un lourd fardeau, suivi de près de l'ânier qui lui donnait des coups de bâton : Oh ! oh ! lui dit-il, je n'envie plus ton bonheur : c'est, je le vois, un bonheur que tu paies cher." Nous non plus, n'envions pas les profits qui ne sont exempts ni de dangers ni de souffrances.

L'ÂNE ET LE JARDINIER

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N âne était au service d'un jardinier. Il mangeait peu et on le battait fort. Il pria Zeus de le délivrer

du jardinier et de lui donner un autre maître. Zeus


charge Hermès de le vendre à un potier. Nouvelles plaintes de l'âne : on lui imposait maintenant des charges bien plus lourdes qu'autrefois ! Nouvelle invocation.

Zeus, pour en finir, le fait vendre à un corroyeur. Mais a peine l'âne a-t-il vu le métier de son nouveau maître : Vraiment, dit-il, j'aimais mieux les autres : chez eux on me surchargeait et je mourais de faim. Mais ici !

que je vienne à trépasser : je n'aurai même pas de sépulture ! La morale de cette fable, c'est que les serviteurs ne regrettent jamais plus leurs premiers maîtres que quand ils ont fait l'essai des seconds.

LA CIGALE ET LE RENARD

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NE cigale chantait au haut d'un arbre. Un renard qui voulait la manger usa d'un stratagème.

Debout, devant l'arbre, il feint d'admirer le chant de la cigale et l'invite à descendre, voulant voir, dit-il, la taille d un animal aux accents si puissants. Mais la cigale, soupçonnant la tromperie : Tu t'es abusé, l'ami, ditelle, si tu as cru que j'allais descendre ; je me défie des renards depuis le jour où, dans le terrier de l'un d'eux, j'ai vu des ailes de cigales." Aux gens intelligents, les malheurs du prochain enseignent la prudence.


LE MULET

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N mulet nourri d'orge, gros et gras, faisait le fier : Mon père, disait-il, est le cheval de course.

et, moi, je lui ressemble absolument." Mais, un jour, quelque nécessité survint, qui l'obligea de courir. Bientôt, n en pouvant plus, il se souvint avec tristesse que c'était l'âne qui était son père.

Quand les circonstances nous mèneraient à la gloire, n'oublions pas notre origine : car rien n'est stable dans cette vie.

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LE LION. PROMÉTHÉE ET L'ÉLÉPHANT




L'ÂNE PORTANT UNE STATUE

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N homme conduisait un âne sur le dos duquel il avait placé la statue d'un dieu. La plupart des

gens qu on rencontrait se prosternaient au passage.

L âne s'imagine que tous ces hommages de campagnards s'adressent à lui et, ivre d'orgueil, il se met à sauter. Le dieu faillit tomber. Aussitôt le maître de faire jouer le bâton : Tu es un âne qui porte un dieu, dit-il ; tu n'est pas l'égal des dieux ; on ne te rend pas honneur. La bassesse s'enorgueillit souvent d'une gloire étrangère : c 'est à elle que ce discours s 'adresse.

LE LION, PROMÉTHÉE ET L'ÉLÉPHANT

L

E lion adressait souvent des reproches à Prométhée : Tu m 'as donné la taille et la beauté, tu as armé

mes mâchoires de dents, muni mes pattes de griffes; tu m as fait plus puissant que les autres animaux. Eh !

bien, avec tout cela, j'ai peur du coq. — Pourquoi ces vains reproches? répondit Prométhée. Tu tiens de moi tout ce que mes mains ont pu produire. C'est ton âme a toi qui mollit ainsi dans un cas unique. Le lion pleura sur lui-même, puis il se reprocha sa pusillanimité et, finalement, il voulut mourir. Il était dans cet état d'esprit quand il rencontra l'éléphant : il l'aborde et s arrête pour causer avec lui. L'éléphant remuait


continuellement les oreilles ; le lion le voit : Qu'as- tu ? lui dit-il. Pourquoi donc ton oreille ne reste-t-elle pas un instant immobile ? Un cousin volait par hasard autour de l'éléphant." Vois-tu, dit celui-ci, cet être minuscule, là, qui bourdonne? Qu'il m'entre dans le conduit de l'oreille, je suis mort. — Pourquoi, reprit alors le lion, parlerais-je encore de mourir : je suis plus heureux que l'éléphant de toute la supériorité * du coq sur le cousin !" Et vous le voyez : le cousin a assez de force pour que l'éléphant lui-même en ait peur.

LES GRENOUILLES

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EUX grenouilles habitaient un marais. Ce marais s'étant desséché l'été, elles le quittent et se met-

tent en quête pour en trouver un autre. Le hasard leur fit rencontrer une citerne profonde : Bon ! dit l'une ; descendons-y, ma chère. — Et si l'eau vient aussi à sécher, dit l'autre, comment remonterons-nous ?

Il ne faut pas s'engager dans une affaire inconsidérément.

LA BREBIS ET LE CHIEN

A

U temps où les bêtes parlaient, la brebis, dit-on, tint ce langage à son maître : Ta conduite est bien

étrange : nous te fournissons de la laine, des agneaux, du


LES GRENOUILLES


fromage et tu ne nous donnes rien que nous ne tirions déjà de la terre, tandis que le chien qui ne te fournit rien de pareil, partage le pain réservé à ton usage." Le chien l'entendit : "Eh ! oui, par Zeus, répondit-il ; mais n'est-ce pas moi à qui vous-mêmes devez sans cesse la vie, moi qui vous empêche d'être volées par les hommes ou dévorées par les loups. Si je n'étais pas là pour veiller sur vous, vous ne pourriez même pas paître l'herbe sans avoir peur de périr." On dit qu 'après cela les brebis consentirent à ce qu'on eût plus d'égard pour le chien.

LA CHÈVRE ET LE CHEVRIER

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NE de ses chèvres s'étant écartée du troupeau, un chevrier s'efforçait de la ramener vers les autres.

Comme ni ses cris ni ses coups de sifflet n'obtenaient de résultat, il lui lança une pierre qui lui brisa une corne. Il la supplia de n 'en rien dire au maître. Ô le plus sot des chevriers ! répliqua la chèvre, j'aurai beau me taire : ma corne parlera assez haut." Il faut être bien simple pour vouloir cacher ce qui saute aux yeux.


LA CHÈVRE ET LE CHEVRIER


LE LOUP ET LE CHEVAL

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N loup, qui passait près d'une terre labourée, vit de l'orge. Ne pouvant la manger, il s'éloignait sans

y toucher lorsqu il rencontra un cheval : Viens, lui dit-il, et va-t'en dans ce champ. J'y ai trouvé de l'orge, dont je n'ai pas mangé moi-même : je l'ai réservée pour toi ; car c'est encore un plaisir pour moi d'entendre le bruit de ta mâchoire. — Oui, mon bon, répondit le cheval, mais si les loups mangeaient de l'orge, tu n'aurais jamais préféré tes oreilles à ton ventre." Qui est foncièrement méchant, fît-il parade de bonté, n'inspire pas confiance.

LA CHAUVE-SOURIS, LA RONCE ET LA MOUETTE

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A chauve-souris, la ronce et la mouette, ayant formé une société, décidèrent de s'adonner au commerce :

la chauve-souris emprunta quelque argent et le mit dans la caisse commune, la ronce se munit d'un habit, la mouette fournit l'embarcation. Mais une violente tempête s'éleva, fit chavirer le bâtiment, et si les trois compagnons parvinrent à terre sains et saufs, ils avaient perdu tous leurs biens. C'est depuis ce temps-là que la mouette plonge dans l'eau, espérant retrouver le bateau qu'elle cherche toujours ; la chauve-souris, qui redoute ses créanciers, se cache le jour et ne sort que la nuit


LE LOUP ET LE CHEVAL


pour manger ; quant à la ronce, elle accroche les habits des passants, espérant qu'à force de chercher elle reconnaîtra le sien.

Les entreprises auxquelles nous nous attachons sont celles où nous avons commencé par échouer.

LA BELETTE PRISE AU PIÈGE

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N homme prit une belette au piège ; il l'attacha et la jeta pour la manger dans l'eau d'un ravin. La

triste récompense, dit-elle, pour les services que je t'ai rendus en donnant la chasse aux rats et aux lézards !

- J'en suis témoin, répondit l'homme. Mais en même temps tu m'étranglais tous mes petits, tu dépeuplais la basse-cour, trouvais les vases à viande. Meurs donc : car tu nous fais plus de mal que de bien." Bonne leçon pour ceux qui rendent de médiocres services et causent de grands maux.

LE PECHEUR QUI JOUE DE LA FLUTE

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N pêcheur, bon musicien, s'était rendu à la mer avec sa flûte et ses filets. Debout sur la pointe d'un

rocher, il commença par jouer de la flûte, persuadé que les poissons allaient arriver d'eux-mêmes pour écouter sa mélodie. Le temps se passe, et il a beau se donner du


LE PÊCHEUR QUI JOUE DE LA FLÛTE


mal, il n'arrive à rien. Il laisse alors sa flûte, prend son épervier, le lance au fond de l'eau et ramène des poissons en nombre. Il les rejette du filet sur le rivage et les voyant qui frétillent : Ah ! méchantes bêtes, dit-il, vous ne dansiez pas quand je jouais de la flûte, et vous le faites maintenant que je n'en joue plus ! Parole à propos contre ceux qui font tout hors de propos.

LE CHIEN ET LE LOUP

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N chien dormait devant une étable. Un loup, fondant sur lui, allait le dévorer, lorsque le chien

le pria de ne pas le mettre à mort tout de suite : En ce moment, dit-il, je suis maigre et décharné ; mais attends un peu, mes maîtres vont célébrer des noces et, comme j'y mangerai beaucoup, j'engraisserai et serai pour toi une nourriture plus agréable." Le loup se laissa persuader et s'en alla. Quelques jours après, il revint et trouva le chien couché sur le toit de la maison ; il l'appela d'en bas en lui rappelant leurs conventions.

Non, vois-tu, loup, lui répondit le chien ; mais si jamais tu me trouves encore endormi devant l'étable, n'attends plus les noces." Les gens intelligents qui ont une fois échappé à un péril, s'en gardent toute leur vie.


LES CHIENS ET LE RENARD

D

ES chiens trouvèrent une peau de lion et se mirent à la déchirer. Un renard les aperçut : Ah ! si le

lion était vivant, leur dit-il, vous verriez que ses griffes sont plus fortes que vos dents." Tels sont ceux qui traitent les grands avec mépris, si leur grandeur vient à déchoir.

LE ROSSIGNOL ET L'ÉPERVIER

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N rossignol, perché sur le haut d'un chêne, chantait selon son habitude. Un épervier le vit ; comme il

n'avait rien à manger, il fondit sur lui et le saisit. L'autre, sur le point de périr, le supplia de le laisser aller, alléguant qu'il n'était pas assez gros pour remplir à lui seul le ventre d'un épervier : il fallait, s'il avait faim, attaquer des oiseaux de plus grande taille : "Je serais bien fou, répondit l'épervier, de lâcher une proie que je tiens toute prête dans mes serres pour en poursuivre une autre que je n aperçois même pas. Bien fous aussi sont les hommes qui, dans l'espoir de trouver mieux, laissent échapper ce qu'ils ont entre les mains.


LE SINGE ET LE DAUPHIN

C

ETAIT la mode, en prenant la mer, d'emmener, pour se distraire pendant la traversée, de petits

chiens de Mélite et des singes. Un voyageur avait donc, sur un navire, un singe avec lui. On était arrivé à la hauteur du Cap Sunium, le promontoire de l'Attique, quand s'éleva une violente tempête. Le bâtiment chavire ; tout le monde se jette à la nage, et le singe aussi.

Un dauphin l'aperçoit et, le prenant pour un homme, il le soulève et le porte vers la terre. Quand il fut au Pirée, le port d'Athènes, il demanda au singe s'il était Athénien de naissance : Oui," dit le singe, ajoutant même qu'il avait le bonheur d'être né de parents illustres dans la ville. Et le Pirée, reprit le dauphin, vous le connaissez ?

— Certes, répond l'autre, croyant qu'il s'agissait d'un homme : c'est même mon ami le plus intime." Indigné d'un pareil mensonge, le dauphin le rejette à l'eau et le singe se noie.

La fable s'applique aux hommes qui ne savent pas la vérité et qui croient tromper autrui.


LE SINGE ET LE DAUPHIN


LE LION, L'ÂNE ET LE RENARD

L

E lion, l'âne et le renard s'étant associés partirent r pour la chasse. Lorsqu'ils eurent nris

-- --- - &' - -- "w.&..,t' de gibier, le lion ordonna à l'âne de faire le partage.

Celui-ci fit trois portions égales et invita ses associés à choisir; mais le lion irrité le dévora. Il ordonna ensuite au renard de faire les parts. Celui-ci mit tout le butin en un seul tas et ne s'en réserva qu 'une petite portion. Le lion lui demanda : Qui t'a, mon cher, si bien appris à partager ? — C'est le malheur de l'âne," répondit l'autre.

L'infortune du prochain sert de leçon aux hommes.


LE COUSIN ET LE LION

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N cousin s'approchant d'un lion : Tu ne me fais pas peur ; tu n 'es pas plus puissant que moi. Si

fait, dis-tu ? En quoi donc consiste ta puissance ? Tu égratignes avec tes griffes ; tu mords avec tes dents : une femme en fait autant, quand elle se bat avec son mari.

C'est moi qui suis le plus fort, et de beaucoup. Tiens, veux-tu ? Faisons la guerre." Le cousin sonne la charge et, s 'enfonçant dans les chairs, mord le lion autour du naseau, où le muffle est sans poils. De ses propres griffes le lion se déchire lui-même. Enfin sa fureur éclate, et le cousin s 'envole, vainqueur du lion et sonnant


la victoire. Mais il se prend dans une toile d'araignée et se sentant manger : Hélas ! gémit-il, je fais la guerre aux animaux les plus puissants et je meurs tué par une misérable araignée ! On en voit qui renversent les grands et que les petits renversent à leur tour..

LES LOUPS, LES BREBIS ET LE BÉLIER

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ES loups envoyèrent des ambassadeurs aux brebis pour conclure avec elles une paix éternelle, si elles

consentaient à s'emparer des chiens et à les tuer. Et les stupides brebis acceptaient. Mais un vieux bélier : Comment vous croirais-je, dit-il, et comment pourraisje vivre avec vous, quand sous la garde même des chiens, il ne m'est pas possible de brouter sans péril ? N'allez pas, vous fiant au serment d'ennemis irréconciliables, vous dépouiller de ce qui fait votre sûreté.

LE LION, LE LOUP ET LE RENARD

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N vieux lion était couché malade dans son antre.

Tous les animaux étaient venus voir leur roi :

seul le renard était absent. Le loup, profitant de l'occasion, l'accusa auprès du lion de le mépriser, lui, leur maître à tous : C'est pour cela qu'il n'est même pas



LE COUSIN ET LE LION




venu vous faire visite." Au même moment, le renard arrivait ; il entendit les derniers mots du loup. Quand il vit le lion rugissant de colère contre lui, il demanda le temps de se justifier : De tous ceux qui sont venus, dit-il, en est-il un seul qui t'ait rendu service autant que moi, moi qui ai voyagé partout, à la recherche d'un remède qui pût te guérir, et qui, en demandant aux médecins, ai fini par le trouver ?" Le lion lui ayant ordonné de dire sur-le-champ quel était ce remède : Ecorche un loup vivant, répondit-il, et enveloppe-toi de sa peau encore chaude." Puis quand il vit sur le sol le cadavre du loup : Voilà ! conclut le renard en riant : ce n'est pas à la colère qu'il faut disposer le maître ; c'est à la bienveillance."

Qui machine la perte du voisin voit le piège se retourner contre lui.

LE VIEILLARD ET LA MORT

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N vieillard ayant coupé du bois, le portait sur son dos. Le trajet était long. Las de marcher, il

dépose son fardeau, appelle la Mort à son secours. La Mort paraît. Pourquoi me fais-tu venir ? demande-telle. — Pour remettre mon fardeau sur moi," dit le vieillard.

Tout homme tient à la vie, même le malheureux.


LE RENARD ET LE LÉOPARD

L

E renard et le léopard disputaient sur leur beauté.

Ce dernier vantait sans cesse la variété de couleurs

de son pelage. Oui, répondait le renard, mais combien je te surpasse en beauté ! Cette variété que tu as sur le corps, moi, je l'ai dans l'esprit." Sur la beauté du corps l'emportent les ornements de l'esprit.

LE RENARD ET LE HÉRISSON

r É

SOPE discourait devant l'assemblée du peuple, à Samos, un jour qu 'on jugeait un démagogue snilq

le coup d une accusation capitale.

Un renard, traversant un fleuve à la nage, fut jeté dans une cavité profonde. Il n'en put sortir et y endura de longues souffrances, car un essaim de tiques s'étaient

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abattues sur lui. Un hérisson rôdait dans les environs ; il fut pris de pitié en apercevant le renard et lui demanda s'il ne serait pas aise qu'on le délivrât de ces insectes.

Mais le renard ne le voulut pas ; et, comme l'autre lui demandait le motif de ce refus : C'est, répondit-il, que ces tiques-là sont déjà soûles de mon sang et ne m'en tirent plus que peu ; si tu les chasses, il en viendra d'autres qui auront faim et qui me suceront le reste.' C'est votre histoire, Samiens, continua Esope. Cet homme ne vous fera plus de mal : il est riche ; mais, si vous le mettez à mort, d'autres viendront à sa place, qui seront pauvres et, par suite, plus ardents à vous voler et à gaspiller les deniers publics."

LE CHEVAL ET LE CERF

L

ES habitants d'Himère avaient élu Phalaris général en chef, avec pleins pouvoirs, et se préparaient à lui

donner une garde du corps. Stésichore, entre autres discours, leur raconta cette fable : Un cheval avait une prairie à lui seul. Un cerf y vint qui endommagea le pâturage. Le cheval voulut s'en venger et demanda à l'homme s'il pourrait, avec son aide, punir le cerf.

L'homme répondit qu'il le pouvait, mais à condition que le cheval acceptât un mors et le laissât lui-même monter sur son dos, armé de javelots. Marché conclu, l'homme monte et le cheval, au lieu d'obtenir vengeance, devient l'esclave de l'homme. Et vous aussi, ajouta Stésichore, craignez, en voulant tirer vengeance de vos ennemis,


d'éprouver le sort du cheval. Vous avez déjà le mors puisque vous avez élu un chef avec pleins pouvoirs ; si vous lui donnez une garde, si vous laissez Phalaris vous monter sur le dos, dès ce moment vous serez ses esc l aves.

L'AVARE

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N avare ayant fait argent de tout son avoir, le convertit en un lingot d'or qu'il enfouit quelque

part, enterrant en même temps son âme et son bon sens.

Chaque jour il allait contempler son or. Des ouvriers se trouvaient là : l'un d'eux, ayant épié le manège, se douta de ce qui s'était passé, déterra le lingot et l'emporta.

Quand l'avare revint et vit la cachette vide, il se mit à pleurer et à s 'arracher les cheveux. Quelqu 'un alors, l'ayant vu se désoler et s'étant enquis du motif : Ne vous désespérez pas ainsi, mon ami, dit-il. Vous n'aviez pas votre or, même quand vous l'aviez. Prenez une pierre, mettez-la à sa place et figurez-vous que c'est lui : elle remplira pour vous le même office, puisque, quand l'or était là, à ce que je vois, c'était un bien dont vous ne vous serviez pas.

Acquérir n'est rien si l'on ne sait pas jouir.


L'AVARE


LE CHEVAL ET L'ÂNE

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N cheval, fier de son bel harnachement, rencontre sur la grand route un âne pesamment chargé.

Comme ce dernier s'effaçait lentement pour le laisser passer, le cheval impatient lui cria qu'il avait une forte envie de lui envoyer une bonne ruade afin d'activer sa marche. L'âne ne répondit rien, mais n'oublia pas cette insolence. A quelque temps de là, le cheval devint poussif et son propriétaire le vendit à un fermier. Un jour qu'il tirait péniblement une charrette de fumier, il rencontra de nouveau l'âne qui, à son tour, le railla et lui dit : Ah ! ah ! vous qui étiez si orgueilleux, jamais vous n'auriez pensé en arriver là ? Où sont donc vos beaux ornements maintenant ?


LE CHASSEUR POLTRON ET LE BÛCHERON

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N chasseur cherchait la piste d'un lion. Il demanda à un bûcheron s'il avait vu des traces de lion et

s il savait où la bête gîtait. Je vais te montrer le lion lui-même," répondit le bûcheron. Alors, pâle d' épouvante et claquant des dents : "Ce n 'est pas le lion luimême que je cherche, reprit l'autre ; ce n'est que sa piste. Cette fable s'adresse aux valeureux poltrons, dont la hardiesse n'est qu'en paroles et jamais en action.

LES RENARDS

D

ES renards vinrent un jour en troupe au Méandre - pour y boire. En voyant l'impétuosité du courant,

ils s excitent les uns les autres, mais aucun ne se risque


à entrer dans la rivière. L'un d'eux cependant s'avance pour faire honte à ses compagnons, se raille de leur poltronnerie, et, voulant enfin donner l'exemple du courage, se jette résolument à l'eau. Mais le courant l'entraîne au milieu du fleuve : Ne nous laisse pas, lui crie du rivage le reste de la bande ; reviens et montrenous par où il faut aller pour boire sans danger. — J' ai, dit l'autre entraîné par les flots, une réponse à donner à Milet : c 'est pour cela que j'y vais ; je veux la porter.

En revenant, je vous instruirai." C'est l'histoire de ceux qui se créent par fanfaronnade un péril à euxmêmes.

LE CHEVRIER ET LES CHÈVRES

L

E chevrier qui avait conduit ses chèvres au pâturage r s'aperçut qu'elles s'étaient mêlées à des chèvres

sauvages : surpris par la nuit, il les poussa toutes dans sa grotte. Le lendemain il fit très mauvais temps. Ne pouvant donc conduire les bêtes au pâturage accoutumé, le chevrier les fit rester dans la grotte, ne donnant à ses propres chèvres que la nourriture juste suffisante pour qu'elles n'eussent pas faim, tandis qu'il amoncelait le fourrage autour des chèvres sauvages, afin de se les attacher elles aussi. Mais, quand la tempête prit fin et qu'il eut conduit tout le troupeau au pâturage, les chèvres sauvages prirent la montagne et s'enfuirent ;


et, comme le chevrier leur criait qu'il y aurait de l'ingratitude à l'abandonner ainsi, après avoir trouvé chez lui un traitement meilleur que son propre troupeau : Mais, c'est justement pour cela, dirent-elles en se retournant, que nous prenons nos précautions ; car si tu as pu faire des nouvelles venues d'hier plus de cas que de ton ancien troupeau, il est clair que, s'il t'arrivait par la suite d'autres chèvres encore, c'est à elles que tu donnerais sur nous la préférence. Ne devenons pas les amis d'hommes qui, à peine vous connaissent-ils, vous préfèrent à leurs vieux amis. Considérons que, s'ils font de nouvelles relations, c'est elles qu'ils préféreront ; et nous ne serons plus que des anciens, nous aussi.

LE FAUCON, LE MILAN ET LES PIGEONS

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N milan persécutait les pigeons d'un colombier : chaque instant il fondait sur eux et enlevait un

des leurs. Aussi prièrent-ils un faucon de s'installer dans le colombier, pour les défendre contre leur ennemi.

Mais ils ne tardèrent pas à se repentir de leur folie : le faucon faisait en un jour plus de victimes que le milan n' en avait fait en un an.



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