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Titre : Dix siècles d'enluminure italienne : VIe-XVIe siècles : [exposition], Paris, Bibliothèque nationale, [8 mars-30 mai 1984] / [catalogue par François Avril, Yolanta Zaluska, Marie-Thérèse Gousset, Michel Pastoureau] ; [préface par Alain Gourdon]

Auteur : Avril, François (1938-....). Auteur du texte

Auteur : Bibliothèque nationale (France). Auteur du texte

Éditeur : Bibliothèque nationale (Paris)

Date d'édition : 1984

Contributeur : Gourdon, Alain (1928-2013). Préfacier

Sujet : Enluminure médiévale -- Italie

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34746947j

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 195 p.-XXIV p. de pl. en coul. : ill., couv. ill. en coul. ; 24 cm

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Format : application/epub+zip 3.0 accessible

Format : Format adaptable de type XML DTBook, 2005-3

Description : [Exposition. Paris, Bibliothèque nationale. 1984]

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Description : Catalogues d'exposition

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k65340919

Source : Bibliothèque nationale de France, département Recherche bibliographique, 2006-151749

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 20/06/2013

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RENOV'LIVRES S.A.S.

2006








DIX SIÈCLES

D'ENLUMINURE ITALIENNE



DIX SIÈCLES

D'ENLUMINURE ITALIENNE

(VIe-XVIe siècles

Paris

BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

1984


Cette exposition a été conçue par François AVRIL, conservateur au Département des Manuscrits. La rédaction du catalogue a été assurée par Yolanta ZALUSKA, de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes (notices 1-16 et 18), Marie-Thérèse GOUSSET, I. T.A. du Ministère de la Culture attachée au Département des Manuscrits (notices 19-44), François AVRIL (notices 17 et 45-159), et Michel PASTOUREAU, conservateur au Département des Médailles (notices 160-177). Les index et la bibliographie ont été mis au point par Claudia RABEL, vacataire au Département des Manuscrits.

Galerie Mazarine

8 mars – 30 mai 1984

© Bibliothèque Nationale, Paris, 1984

« Phot. Bibl. Nat. Paris »

ISBN 2-7177-1690-4

Prix de vente : 140 F


Préface

Les manifestations consacrées à l'enluminure médiévale, qui avaient fleuri dans l'immédiat après-guerre, se sont faites plus rares de nos jours. On se félicitera donc de ce retour voulu à ce type de délectation qui n'enchante pas que les experts. Certes la présente exposition constitue un peu une gageure : les cent cinquante-neuf pièces dont elle se compose, non seulement prétendent retracer l'évolution de dix siècles d'enluminure italienne, mais elles procèdent des seules collections françaises, et principalement de celles du département des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale. Les ressources de cet illustre Cabinet sont en ce domaine en effet des plus considérables et les manuscrits italiens, décorés ou peints, qu'il détient, forment un ensemble impressionnant de mille huit cents unités qui ne le cède en nombre (mais non en qualité) qu'à celui des manuscrits français de la même époque.

Les richesses de ce trésor italien se trouvent assez heureusement réparties dans le temps et dans l'espace. Ainsi peut-on suivre dans sa continuité et ses cheminements divers l'esthétique du manuscrit et sa pratique « ultramontaine », depuis ses plus lointaines origines jusqu'au coeur de la Renaissance. De là notre intention de mettre en valeur un élément quelque peu méconnu, du moins en France, de notre patrimoine ; de là notre souci de mieux faire connaître aux Français cet aspect d'un art qui n'a rien de négligeable. Car ce n'est pas par hasard que les noms de Simone Martini, d'Altichiero, d'Andrea Mantegna et de Giovanni Bellini peuvent être prononcés, lorsque sont évoquées quelques-unes des oeuvres maîtresses qui relèvent de cette peinture de manuscrit.

La conception et l'organisation de l'exposition ont été assurées par François Avril, conservateur au département des Manuscrits, qui en a rédigé le catalogue avec l'aide de Yolanta Zatuska, de l'Institut de Recherche de l'Histoire des Textes et de Marie-Thérèse Gousset. Un choix de médailles pourvoit à l'accompagnement des oeuvres et les descriptions en sont dues à Michel Pastoureau, conservateur au département des Médailles. Signalons également qu'à la tête d'une petite équipe de chercheurs et avec le soutien de la Mission de la Recherche du Ministère de la Culture, François Avril s'attache depuis plusieurs années déjà à recenser de façon exhaustive, en vue de leur publication sous forme d'un catalogue scientifique, les témoins multiples de l'activité des ateliers de la péninsule, dispersés aujourd'hui dans les fonds du département des Manuscrits. Deux volumes ont déjà paru à ce jour. Publié en 1980, le premier décrit les manuscrits enluminés italiens du VIe au XIIe siècle ; le second qui porte sur les manuscrits du XIIIe siècle, paraît au moment même où s'ouvre cette exposition.


L'optique d'un catalogue d'exposition n'est évidemment pas celle de l'ouvrage érudit ; aussi ses auteurs ont-ils eu pour but primordial de s'adresser au grand public cultivé. Se refusant à toute simplification outrancière, ils ont néanmoins tenu à fournir ici un certain nombre de notations nouvelles ainsi qu'à mettre au jour des manuscrits peu connus, voire inédits.

Bien sûr, il a été fait appel aux ressources de plusieurs bibliothèques parisiennes et provinciales. Grâce à la compréhension de leurs conservateurs, et nous les remercions vivement de nous avoir confié pour quelques semaines certains de leurs très précieux manuscrits, l'hommage à un art des plus variés n'en sera que plus éclatant. De cet art, Dante, qui le désigne sous son nom français d'« enluminure », disait qu'il fait « sourire les page ». Laissons-nous charmer par ce sourire, sans oublier, si l'on préfère se référer à Rimbaud, qu'il opère aussi comme une sorte d'illumination.

Alain GOURDON

Administrateur général de la Bibliothèque Nationale.


Introduction

Montrer un large échantillon des richesses des fonds de la Bibliothèque nationale en matière de manuscrits enluminés italiens, et rappeler au public français, qui le connaît mal, l'originalité et la variété que revêt Outre-monts, durant le Moyen Age et la Renaissance, le décor du livre manuscrit, tel a été le but premier de cette exposition.

Celle-ci n'est pas la première dans notre pays à être consacrée à l'argument. Paris a déjà eu, en effet, l'occasion d'accueillir par deux fois d'importantes manifestations où une large part était faite aux manuscrits à peintures de la péninsule. La première est l'Exposition du Livre italien qu'abrita en 1926 le Musée des Arts Décoratifs. Elle eut pour maîtres d'oeuvre deux bibliographes éminents, Tammaro De Marinis et Seymour de Ricci. De l'extraordinaire réunion de chefs-d'oeuvre qui fut alors présentée et qui comprenait une majorité de pièces prêtées par les bibliothèques italiennes, mais aussi par des collections publiques et privées de France et de l'étranger, il ne reste aujourd'hui qu'un décevant livret, à peine illustré, sèche énumération des manuscrits exposés, dont l'auteur, Seymour de Ricci, regrettait lui-même l'indigence et avouait dans sa préface l'avoir rédigé en un mois. La Bibliothèque nationale n'était pas restée à l'écart de cette manifestation, et avait exposé dans ses murs cent trente-quatre pièces de toute nature appartenant à ses collections, parmi lesquelles soixante manuscrits, dont le choix avait été établi par Lucien Auvray, conservateur au Département des Manuscrits et italianiste distingué.

Si l'on omet la brève sélection de manuscrits, due aux mêmes Tammaro De Marinis et Seymour de Ricci, qui fut présentée en 1935 au Petit Palais à l'occasion de l'exposition de L'Art italien de Cimabue à Tiepolo (dont le catalogue est précédé d'une admirable préface de Valéry !), il faut attendre l'année 1950 pour voir à nouveau réuni à Paris un ensemble comparable à l'exposition de 1926. Ce fut la mémorable exposition des Trésors des bibliothèques d'Italie, qu'accueillit la Bibliothèque nationale. Sur les 457 numéros de cette exposition, destinée avant tout à illustrer les richesses bibliophiliques et artistiques de toutes sortes des bibliothèques italiennes – André- Chastel, l'un des rares critiques à en avoir rendu compte de façon pertinente (Paragone, 1950, fasc. 11, p. 61-64), disait que c'était en fait cinq expositions

expositions une –, les manuscrits, au nombre de deux cent trois, se taillaient la part du lion. Une quinzaine d'entre eux avaient été empruntés à nos fonds et constituaient la contribution de la Bibliothèque nationale et de l'Arsenal, dont quelques pièces figuraient également dans d'autres sections de l'exposition. Contribution modeste eu égard aux richesses de nos collections, mais qui ne visait qu'à accompagner et compléter sur quelques points les prêts vraiment magnifiques consentis par l'Italie. En ce qui concerne les manuscrits, cette exposition, présidée par l'éminent historien de l'art qu'était Mario Salmi, apparaît rétrospectivement comme une sorte de répétition générale de la monumentale Mostra storica nazionale della miniatura, que nos collègues italiens allaient présenter à Rome quatre ans plus tard dans le cadre prestigieux du Palais de Venise.

Bien que consacrée au même thème, l'exposition qui s'ouvre aujourd'hui a été conçue sur une base toute différente : si elle vise, en effet, comme celles qui viennent d'être évoquées, à dresser un panorama aussi complet que possible du développement de l'enluminure italienne depuis ses origines jusqu'à son déclin, au XVIe siècle, elle le fait, et ceci n'avait jamais été tenté jusqu'ici, à partir des seules collections françaises, et plus spécialement des fonds de la Bibliothèque nationale. Projet ambitieux que justifiaient les ressources étonnantes de notre pays dans ce domaine particulier.

Depuis 1978, une petite équipe de chercheurs animée par le signataire de ces lignes, s'attache à inventorier les manuscrits enluminés d'origine italienne dispersés dans les différents fonds du Département des Manuscrits. Les travaux de repérage entrepris à cette occasion ont permis d'établir que leur nombre atteignait à peu près mille huit cents unités, toutes époques et tous niveaux de qualité confondus. La constitution de cet ensemble est le fruit d'une longue histoire que nous ne saurions retracer en détail ici. Qu'il suffise d'en rappeler les dates essentielles. Le noyau initial de nos séries italiennes remonte à la fin du XVe siècle, lorsque, coup sur coup, Charles VIII puis Louis XII rapportèrent de leurs expéditions dans la péninsule, le premier en 1495, le second en 1499, un nombre considérable de manuscrits provenant de deux des plus belles collections princières qui aient jamais été réunies en Italie, celle des rois aragonais de Naples et celle des ducs de Milan. Ce dernier apport était particu-


lièrement important, car il englobait, outre les collections personnelles des Visconti et des Sforza, un certain nombre de manuscrits saisis ou confisqués par Jean-Galéas Visconti, dont ceux de Francesco 1 Carrara, seigneur de Padoue, qui avait lui-même recueilli l'essentiel de la bibliothèque de Pétrarque. C'est par ce biais que notre Bibliothèque nationale a hérité de la grande majorité des manuscrits du poète et humaniste florentin. Vers 1501, le cardinal Georges d'Amboise acquérait à son tour de Frédéric III d'Aragon, exilé à Tours, une nouvelle série de manuscrits provenant de la bibliothèque des Aragonais de Naples. Conservés au château de Gaillon, ces manuscrits devaient aboutir sous Henri IV dans les collections royales, qui s'étaient accrues également, en 1597, d'un autre ensemble riche en manuscrits d'origine italienne, celui de Catherine de Médicis, provenant du cardinal Ridolfi.

Les acquisitions italiennes des deux siècles suivants ne furent pas aussi spectaculaires ni aussi massives : il faut signaler cependant l'arrivée en 1622, parmi les livres de l'évêque de Chartres Philippe Hurault, d'un certain nombre de manuscrits aragonais sortis à une date inconnue de la bibliothèque constituée par le cardinal d'Amboise au château de Gaillon. L'entrée par vagues successives de collections comme celles de Philippe de Béthune, de Raphaël Trichet du Fresne, de Nicolas Fouquet, du cardinal Mazarin, de l'archevêque de – Reims Michel Le Tellier, de Philibert de la Mare, d'Étienne Baluze, d'Antoine Lancelot, des Noailles, et surtout de l'énorme collection réunie par Jean-Baptiste Colbert, amenait chaque fois son lot plus ou moins important de manuscrits italiens. A la fin de l'Ancien Régime encore, la Bibliothèque royale faisait l'acquisition d'un certain nombre de manuscrits de la collection La Vallière, parmi lesquels un chef-d'oeuvre de l'enluminure napolitaine du Trecento, les Statuts de l'Ordre du Saint-Esprit au droit désir (n° 61). La période révolutionnaire ne ralentit nullement ce mouvement, bien au contraire. Avec la sécularisation des biens du clergé, ce sont les bibliothèques de Saint-Germain-des-Prés (elle-même riche depuis 1731 des manuscrits très choisis du chancelier Pierre Séguier), de Saint-Victor, de la Sorbonne (qui avait accueilli en 1660 la collection du cardinal de Richelieu), et de nombreuses autres institutions religieuses ou monastiques, qui firent leur entrée dans les murs de la Bibliothèque nationale. Parallèlement, à la faveur des victoires militaires, le zèle des commissaires français s'exerçait à l'étranger, et notamment en Italie, dont les plus importantes bibliothèques, de 1796 à 1802, furent mises en coupe réglée. Les mille cinq cents manuscrits environ qui furent ainsi « prélevés » dans les bibliothèques de Milan, Modène, Bologne, Monza, Mantoue, Vérone, Venise, du Vatican, de Gênes et de Turin, furent presque intégralement restitués à leurs légitimes propriétaires en vertu du traité de Vienne de 1815. Seuls restèrent

restèrent manuscrits, souvent précieux, saisis à Rome en 1798 par Daunou parmi les livres de la bibliothèque particulière de Pie VI. De cette époque date également l'entrée dans nos collections d'une autre oeuvre capitale de l'enluminure napolitaine du XIVe siècle, la fameuse Bible moralisée « angevine »(n° 63). Celle-ci ne venait pas cependant d'Italie, mais faisait partie des manuscrits saisis en Belgique qui échappèrent aux restitutions de 1815. Nous avons pu établir que ce manuscrit était arrivé à la Bibliothèque de Bourgogne installée à Bruxelles, avec les livres de Marguerite d'Autriche hérités par sa nièce Marie de Hongrie.

Le XIXe siècle a marqué une pause certaine dans l'accroissement des séries italiennes de notre département. Quelques pièces entrent alors de façon erratique sur nos rayons. Il faut relever cependant quelques acquisitions spectaculaires au cours du dernier tiers de ce siècle : citons ainsi celles du Guiron le Courtois (n° 82) et du Tacuinum sanitatis (n° 86), qui complétèrent heureusement une série déjà sans rivale dans le domaine de l'enluminure lombarde du XIVe siècle. Également complémentaires des collections existantes, l'Inferno de Dante, enluminé par le maître des Vitae imperatorum (n° 130), et le superbe manuscrit de la Vie des Pères enluminé pour Ippolita Sforza (n° 136), entrés respectivement en 1887 et 1886.

Sans être plus nombreuses, les acquisitions de notre siècle n'en ont pas moins enrichi notre fonds de manuscrits italiens de quelques pièces significatives : les plus remarquables proviennent de la collection Smith-Lesouëf, léguée à la Bibliothèque nationale en 1913, et dont cinq manuscrits nous ont paru mériter de figurer à cette exposition (nos 32, 70, 85, 105, 107). Ici encore le hasard qui préside au destin des manuscrits a bien fait les choses : le superbe psautier bolonais exposé sous le n° 32 est venu rejoindre une oeuvre due au même artiste, la Bible dite de Clément VII (n° 31) entrée dans les collections royales dès 1740 avec les manuscrits Noailles. Encore plus extraordinaire est le cas du missel-livre d'heures Smith-Lesouëf 22 (n° 84) exécuté à la fin du XIVe siècle dans le même atelier lombard et pour le même destinataire que le missel-livre d'heures latin 757 (n° 85) qui figure sur nos rayons depuis la fin du XVIIe siècle ! La prestigieuse donation Henri de Rothschild, où les manuscrits n'occupent qu'une part réduite en nombre mais non en qualité, a fourni également à notre exposition une pièce intéressante, oeuvre d'un important enlumineur vénitien de la Renaissance, Benedetto Bordon (n° 118). Il nous est agréable de terminer ce trop bref aperçu historique en attirant l'attention sur deux acquisitions toutes récentes également présentées dans le cadre de cette exposition : la première, un missel toscan du XIVe siècle, qui illustre le renouvellement de style de l'enluminure florentine sous l'effet des innovations de Giotto (n° 45), est due à la générosité d'un bibliophile et ami de longue


date de la Bibliothèque nationale, M. Henri Schiller, auquel nous devons également le don d'une jolie Bible bolonaise du XIIIe siècle non exposée ici. Une autre Bible, peinte par l'un des meilleurs enlumineurs bolonais de la fin du XIIIe siècle en collaboration avec deux enlumineurs parisiens, est entrée par voie d'achat au Département des Manuscrits en janvier 1983 (n° 30) : ce manuscrit dû à un copiste anglais, Raulinus de Fremyngton, qui y a laissé d'étranges et indiscrètes confidences, est un passionnant document d'histoire tout autant qu'un monument artistique, et elle illustre de façon inattendue l'étonnante imbrication des milieux universitaires et artistiques de Paris et de Bologne à cette époque. Puisse cette ultime et heureuse acquisition, qui marque l'intérêt permanent de notre établissement pour l'enluminure d'Outre-monts, être suivie de beaucoup d'autres !

Il est évident que dans une telle masse de manuscrits, il n'était pas facile de faire un choix. Il nous a fallu bien des fois et à regret écarter des pièces pourtant importantes pour aboutir à une présentation équilibrée. Nous n'avons pas voulu pour autant gommer ce qui constitue incontestablement les points forts de nos collections, d'où par exemple la part qu'on jugera un peu disproportionnée peut-être, qui a été réservée aux manuscrits lombards dans la section du XIVe siècle, disproportion qui se justifie cependant par le nombre et la qualité exceptionnelle des témoins que nous possédons de cette époque et de cette région. Un autre équilibre délicat à établir était la part qu'il convenait d'accorder, dans cette confrontation, aux pièces inédites par rapport à des oeuvres déjà bien signalées. Si ces dernières sont bien sûr de loin les plus nombreuses, nous nous sommes efforcés cependant chaque fois que cela était possible, d'introduire des oeuvres peu connues, voire inconnues des spécialistes de l'enluminure italienne et susceptibles d'enrichir leur réflexion. A cet égard, il n'y a aucun doute que les deux superbes morceaux ferrarais exposés sous les numéros 121 et 122 ne suscitent surprise et intérêt.

Malgré les étonnantes richesses de notre département, il eût été nécessaire de faire quelques « impasses » fâcheuses sur certaines périodes et certains aspects de l'enluminure italienne, si nous n'avions pu avoir recours à d'autres bibliothèques françaises susceptibles de pallier nos lacunes. C'est ainsi qu'ont répondu très généreusement à notre appel les bibliothèques municipales d'Albi, de Boulogne-sur-Mer, de Chambéry, et de Douai : que leurs conservateurs MM. Pons, Séguin, Casanova, Mlle Bruno, les maires de leur ville et les inspecteurs généraux dont ils dépendent, soient ici très vivement remerciés. A Paris, ce sont les conservateurs de la Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts, de la Bibliothèque Mazarine, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et des Archives de la Compagnie de Saint-Sulpice qui ont bien voulu se dessaisir pour le temps de cette exposition, de certains de leurs très précieux manuscrits : à Mlle Jacques, à M. Gasnault,

Gasnault, M. Roux-Fouillet et à Mlle Linet, ainsi qu'à M. l'abbé Noye, nous adressons l'expression de notre reconnaissance. A ces différentes contributions, il faut ajouter celle de la Bibliothèque de l'Arsenal, qui est représentée ici par quatre superbes manuscrits provenant des précieuses collections du marquis de Paulmy : nous remercions M. Garreta, directeur de cette bibliothèque, qui nous en a courtoisement consenti le prêt. Ces emprunts qu'il eût été facile d'étendre à d'autres bibliothèques, mais que nous avons volontairement limités au nécessaire, rappelleront, s'il en est besoin, les ressources des collections françaises, et pas seulement de la Bibliothèque nationale, en pièces remarquables et représentatives de l'art du manuscrit enluminé italien. Certains départements de la Bibliothèque nationale détiennent eux aussi des oeuvres relevant du thème de cette exposition. Nous avons dû là encore nous limiter. C'est ainsi que nous nous sommes contentés d'emprunter à la Réserve des Imprimés deux incunables enluminés par deux importants artistes non représentés dans nos propres fonds, Girolamo de Crémone (n° 117) et Giovanni Pietro Birago (n° 140). Il va de soi que ces deux très belles pièces, que Mme Veyrin-Forrer, conservateur en chef de la Réserve des Imprimés, a bien voulu prêter à cette exposition, n'épuisent nullement les richesses de la Réserve, encore insuffisamment explorées dans ce domaine. De même avons-nous dû renoncer, non sans regret, pour ne pas alourdir la partie finale, déjà très étoffée, de l'exposition, à certains fragments d'époque tardive, pourtant dignes d'intérêt, conservés au Département des Estampes et au Département des Médailles : nous songeons en particulier aux deux portraits de Laurent le Magnifique et de son fils Jean, devenu pape sous le nom de Léon X, dus à l'enlumineur florentin Giovanni Boccardino et offerts en 1923 par Mme Valton à ce dernier département. Du moins l'absence de ces pièces sera-t-elle compensée par la belle série de médailles de la Renaissance, choisies par notre confrère et ami Michel Pastoureau, conservateur au Département des Médailles, qui a bien voulu également en rédiger les notices : toutes ces médailles se rapportent à des personnages, humanistes ou mécènes princiers, italiens ou étrangers, évoqués dans les manuscrits ici rassemblés.

Un des résultats positifs de cette exposition sera, nous l'espérons, d'avoir fait ressortir les échanges, plus nombreux qu'on ne l'imagine ordinairement, qui ont existé, à travers tout le Moyen Age, entre l'enluminure de notre pays et celle de la péninsule. De ces échanges, plusieurs manuscrits exposés ici apportent des témoignages précis.

Dès le XIIe siècle, les initiales d'un homéliaire de la région de Pistoie (n° 15), avec leurs empilements d'animaux et de personnages, évoquent certaines oeuvres de l'art roman du Sud-Ouest. Mais c'est surtout au siècle suivant, sous le règne de saint Louis que l'on mesure le rayonnement de l'enluminure française par-delà les


Alpes : à Naples tout d'abord (nos 42-43), mais aussi dans deux centres dont on a peu parlé jusqu'ici, et que des études en cours s'attachent à remettre en lumière, Rome (n° 36) et plus encore Gênes (nos 22 et 23). La Bible bolonaise du scribe Raulinus entrée récemment dans nos fonds rappelle opportunément les rapports incessants qui unissaient alors les deux principales universités de l'Europe chrétienne, Paris et Bologne. C'est également l'époque de la plus grande expansion des littératures française et provençale, l'époque aussi où le florentin Brunetto Latini décide d'écrire dans notre langue son oeuvre encyclopédique, le Trésor.

Le retour du balancier se produit au XIVe siècle, marqué par la révolution picturale introduite par Giotto et ses émules : désormais l'Europe entière se met à l'école des peintres florentins et siennois. Avignon qui héberge pour un temps la papauté, devient l'avant-poste d'une culture italienne que symbolisent Pétrarque, Simone Martini et Matteo Giovanetti, mais aussi ce fascinant enlumineur et peintre anonyme qu'on désigne sous le nom de « maître du Codex de saint Georges »(nos 47, 48), artiste qui semble avoir passé le plus clair de sa carrière dans la cité rhodanienne, auprès d'un mécène ecclésiastique raffiné, le cardinal Jacopo Stefaneschi, qui anticipe sous certains aspects notre Jean de Berry. La culture française n'en conserve pas moins son charme auprès de certaines cours italiennes liées pour des raisons dynastiques ou politiques à la monarchie capétienne : on ne s'étonne pas de trouver dans la Naples angevine des années 1320-1330, un enlumineur dont le graphisme gothique trahit les origines picardes (n° 59) ; non moins frappante est l'imitation parfois littérale des décors parisiens dans un groupe de manuscrits lombards de la fin du XIVe siècle (nOS 85, 88-90).

Le prestige du style français persistera au siècle suivant auprès des enlumineurs du duché de Milan. Mais dès cette époque, Fouquet franchit les Alpes et vient respirer l'atmosphère stimulante du « Grand Atelier » où s'élabore la nouvelle peinture. C'est le temps où les princes français, René d'Anjou en tête (nos 111 et 112), mais aussi Louis XI (n° 102) et son frère Charles de Normandie, s'entichent d'humanisme et recherchent les

beaux manuscrits italiens. Leur zèle à acquérir ou à se faire offrir de tels manuscrits explique finalement, s'il ne les excuse, les grandes rafles de Charles VIII, puis de Louis XII, à Naples et à Pavie. A l'extrême fin du XVe siècle, les Heures de Frédéric III d'Aragon (n° 158), oeuvre conjointe du tourangeau Bourdichon, disciple de Fouquet, et d'un excellent enlumineur napolitain au style marqué d'influences padouanes, témoigne de l'étonnante imbrication des deux cultures. Au terme de ce parcours à travers le temps, c'est un français, Vincent Raymond de Lodève, qui, dans la Rome de Paul III Farnèse, apparaît comme l'un des derniers grands enlumineurs de la Renaissance italienne (n° 149).

Cet incessant va-et-vient, au cours duquel, il faut bien le dire, la France a plus reçu que donné, ressemble fort à une relation d'amour.

François AVRIL

Les rédacteurs de ce catalogue ont eu bien souvent l'occasion de mettre au profit les informations orales ou écrites, fournies au cours des années par différents collègues français et étrangers et tiennent à exprimer leur gratitude à L. Ayres, Mgr Dykmans, A. Garzelli, C. Huter, M. Laclotte, M.-C. Leonelli, V. Pace, Mgr Ruysschaert, G. Schmidt, A. Stones, K. Sutton, D. Thiébaut et H. Toubert.

J'ai pour ma part bénéficié des travaux préparatoires au catalogue scientifique des manuscrits enluminés italiens du XVe siècle de mes collaborateurs J.-P. Aniel et A. Saulnier-Pinsard (manuscrits romains et florentins), ainsi que des notices très détaillées rédigées par S. Bandera-Bistoletti sur certains de nos manuscrits lombards. Je n'aurai garde d'oublier la dette toute particulière que j'ai contractée personnellement vis-à-vis d'Albinia de la Mare, Assistant Keeper au Département des manuscrits de la Bibliothèque Bodléienne, et de Jonathan Alexander, professeur au Département d'Histoire de l'Art de l'Université de Manchester : c'est grâce à leur catalogue des manuscrits italiens de la collection du Major Abbey, cette bible indispensable à tout débutant cherchant à s'initier aux différents styles pratiqués par les enlumineurs de la Renaissance italienne, ainsi qu'à leurs avis toujours précieux sur tel ou tel de nos manuscrits, que j'ai appris peu à peu à m'orienter dans ce monde complexe et foisonnant.

F.A.


Cat. 6. Passage de la Mer Rouge (Exultet de Fondi).


Cat. 11. Initiale « P »(Bible romaine).


Cat. 14. Initiale « P »(Saint Grégoire, Moralia in Job).


Cat. 43. Début du livre d'Aggée (Bible napolitaine).


Cat. 34. Prince régissant sa maison (Gilles de Rome, Livre du gouvernement des princes).


Cat. 28. Le Sagittaire (AI-Sufi, Livre des étoiles fixes).


Cat. 31. Début du livre d'Amos (Bible de Clément VII).


Cat. 46. Sénèque et Lucilius (Sénèque, Épîtres).


Cat. 63. Arrivée de Marie et Joseph à Bethléem (Bible moralisée napolitaine).


Cat. 77. Scènes de la vie de Joseph, fils de Jacob (Godefroy de Viterbe, Panthéon).


Cat. 71. Pythagore et la Musique (Recueil d'oeuvres latines ayant appartenu à Pétrarque).


Cat. 66. Scènes de la vie marchande à Bologne (Digestum vetus).


Cat. 75. Allégorie de la guerre entre Venise et Padoue (Pétrarque, Compendium).


Cat. 82. Gauvain et les barons renversent l'assaillant du roi Arthur (Rusticien de Pise, Guiron le Courtois).


Cat. 86. Récolte de l'ail (Tacuinum sanitatis).


Cat. 94. Apothéose de Jean-Galéas Visconti (Pietro da Castelleto, Éloge funèbre de Jean-Galéas Visconti).


Cat. 96. Dante et allégorie des arts libéraux (Dante, Inferno).


Cat. 120. Annonce de la naissance d'Isaac ; Mariage de la Vierge ; Annonciation

(Psautier de la famille Gonzague).


Cat. 128. L'empereur Julien l'Apostat et un astrologue (Suétone, Vitae imperatorum).


Cat. 100. Triomphe de la Chasteté (Pétrarque, Triomphes).


Cat. 101. Page initiale avec portrait de Sénèque (Sénèque de Jean de Médicis).


Cat. 122. Enée et ses compagnons ; naufrage d'Enée au large de Carthage (Virgile de Leonardo Sanudo).


Cat. 115. Orphée charmant les animaux (Virgile, OEuvres).


Cat. 146. Saint Grégoire écrivant sous l'inspiration du Saint-Esprit

(Saint Grégoire, Moralia in Job).


De l'Antiquité tardive à l'époque romane (VIe-XIIe siècles)

Les manuscrits présentés dans cette section s'articulent autour de cinq thèmes principaux :

– Survivance de l'illusionnisme antique dans l'enluminure italienne du VIe siècle : nos 1 et 2.

– Enluminure « carolingienne » d'Italie du Nord : 3.

– Le Mont-Cassin et son rayonnement artistique au tournant du XIe siècle : nos 5 et 6.

– Enluminure romane d'Italie centrale : nos 7 à 15.

– Enluminure sicilienne à la fin de l'époque romane : nos 16 et 17.

Deux autres manuscrits (nos 4 et 18) complètent ce tableau, l'un en évoquant la situation artistique au Nord de la péninsule au seuil de l'époque romane, le deuxième, qui n'est autre que la célèbre Chronique de l'abbaye San Clemente a Casauria dans les Abruzzes, en illustrant un mécénat monastique qui s'exerça dans un endroit situé à l'écart des grands courants stylistiques de l'époque (fin du XIIe siècle).

A défaut de manuscrits à peintures aussi prestigieux que le Virgilius Vaticanus (Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 3225), les fragments du livre des Rois de la Deutsche Staatsbibliothek de Berlin (R.D.A. ; Cod. theol. lat. 485, dits couramment l'« Itala de Quedlinburg »), ou encore les Évangiles de saint Augustin du Corpus Christi College à Cambridge (Cod. 286), la grande arcade introduisant les homélies de saint Basile dans le ms. lat. 10593 (n° 1) fournit, du point de vue formel, un témoignage intéressant sur le dessin d'architecture à la fin de l'époque antique, de même qu'elle invite à la réflexion sur le problème de la page de titre, toujours important dans l'archéologie du livre.

La page ornementale (n° 2) qui, selon C. Nordenfalk (1974), pourrait provenir du recueil des modèles de reliures que Cassiodore a fait faire à Vivarium à l'usage de ses relieurs et de leurs clients, soulève plusieurs questions touchant aussi bien à l'histoire des entrelacs méridionaux qu'à celle des carnets de modèles antiques et de leur influence sur l'art du Haut Moyen Age septentrional.

L'époque carolingienne n'est sans doute pas l'âge d'or de l'enluminure italienne. Pourtant dans le Nord, certains scriptoria connaissent vers la fin du VIIIe siècle une recrudescence d'activité. Ainsi par exemple à Vérone, autour de l'évêque Egino (796-799) et, peut-être, à Monza, en relation avec la cour du roi Pépin. De ce

deuxième centre, le ms. lat. 9451, exposé au n° 3, paraît être le chef de file. Dépourvu de toute figuration, ce manuscrit de luxe se distingue par une rare élégance, seules trois matières nobles, la pourpre, l'or et l'argent, étant utilisées pour son embellissement. Un goût très sûr se manifeste dans le traitement de ses initiales entièrement exécutées à l'or sans qu'aucun trait d'encre ou de couleur n'altère la pureté orfévrée du dessin, tandis que le répertoire des motifs permet d'évaluer l'importance du facteur septentrional dans la grammaire ornementale de l'époque.

A partir de la seconde moitié du XIe siècle le Mont-Cassin et Rome s'affirment comme les centres les plus actifs de la production manuscrite de la péninsule.

Au Mont-Cassin, les contacts directs établis avec Constantinople en vue de la décoration de la basilique, reconstruite par l'abbé Didier (1057-1087), ne sont pas sans effets sur l'enluminure de l'abbaye. Les meilleurs exemples de cette production se trouvent aujourd'hui dispersés entre le Mont-Cassin lui-même (par exemple le ms. 99 datant de 1072), la Bibliothèque Vaticane, la British Library de Londres et la Bibliothèque nationale de Naples (ms. VIII-C4). Le plus beau représentant de l'art du scriptorium cassinien conservé en France est le Bréviaire de l'abbé Oderisius, appartenant à la Bibliothèque Mazarine (n° 5). Tout en se situant à la fin de la grande époque du Mont-Cassin, ce manuscrit permet encore d'apprécier l'apport des modèles byzantins dans l'art campanien et leur intégration dans la tradition locale.

L'Exultet de Fondi (n° 6) fournit à son tour un exemple frappant du rayonnement de l'art de l'abbaye au début du XIIe siècle. Il n'est pas sans intérêt de remarquer à ce propos que Fondi, situé aux confins du Latium et de la Campanie, était à cette époque très étroitement lié au Mont-Cassin. L'évêque Benoît mentionné dans notre manuscrit, par exemple, avait été d'abord moine au Mont-Cassin, tandis que le monastère bénédictin Saint-Magne de Fondi relevait directement de la même abbaye. Les relations entre les deux centres étaient donc à la fois personnelles et quotidiennes, et même quelque peu orageuses parfois, ainsi que nous l'apprend la Chronique du Mont-Cassin (IV, 53, cf. Patr. lat., t. 173, col. 877).


Au cours de la deuxième moitié du XIe siècle les enlumineurs d'Italie centrale ont élaboré un style décoratif très particulier. D'une grande simplicité au départ, ce style se développa pendant plus d'un siècle avec une grande régularité et une logique formelle inconnues du reste de l'enluminure romane. Intimement lié, du moins à ses débuts, à la production des manuscrits bibliques qui s'était fortement accrue à cette époque dans la région romaine, sans doute sous l'influence de la réforme grégorienne, ce style semble même en être en quelque sorte un épiphénomène.

En se fondant sur les analyses de E.B. Garrison (1953-1962) et de K. Berg (1968), dont les travaux ont clarifié la question de l'enluminure romane en Italie centrale, on peut discerner dans cette production deux courants stylistiques principaux, subdivisés eux-mêmes en deux grandes phases distinctes. Le premier courant, d'origine romaine ou romano-ombrienne, et allant de la deuxième moitié du XIe au milieu du XIIe siècle, correspond à ce qu'on appelle, d'après la classification de Garrison, le Early geometrical style et le Middle geometrical style. Il est relayé ensuite par un second courant, d'origine toscane, dont le développement se situe entre le second quart et la fin du XIIe siècle, et dont les étapes correspondent au Transitional geometrical style et au Late geometrical style de Garrison.

Le trait le plus frappant du style « géométrique », et qui le met d'emblée aux antipodes aussi bien de l'enluminure romane septentrionale que de la production locale traditionnelle, est son caractère rigoureusement défini et répétitif. Pendant chacune des phases distinguées, on a produit de très nombreux manuscrits qui se ressemblent jusque dans le moindre détail du vocabulaire ornemental et de la palette. Et si l'on songe par exemple que les témoins du Early geometrical style (cf. nos 8 et 9) s'échelonnent apparemment sur plus d'un demi-siècle, on se rend compte que deux, voire trois générations de peintres se sont conformés scrupuleusement aux mêmes modèles. Une telle constance ne peut s'expliquer seulement par

un goût de l'imitation, mais paraît davantage résulter d'une transmission consciente d'un savoir-faire professionnel. L'apparition du style « géométrique » en Italie centrale, auquel la politique réformatrice de l'Église romaine a fourni un terrain de développement particulièrement favorable, doit sans doute être envisagée, ainsi que K. Berg l'a déjà suggéré, comme l'avènement de l'enluminure professionnelle à une échelle importante.

Les manuscrits exposés aux nos 8, 9, 10 et 11 illustrent bien le développement du geometrical style d'obédience romaine pendant les premières décennies du XIIe siècle, de même qu'ils offrent un exemple éloquent de cette « trilogie » monumentale que peuvent former une Bible, un exemplaire des Morales de saint Grégoire et les Enarrationes de saint Augustin. Le ms. lat. 2219 (n° 14) permet à son tour d'apprécier les modalités de la grande production toscane du troisième quart du siècle. Deux manuscrits intermédiaires (nos 12 et 13) complètent le tableau tant sur le plan de l'ornementation que des textes, cependant que le commentaire d'Odon d'Asti (n° 7) et l'homéliaire supposé de Pistoie (n° 15), qui encadrent ce noyau, rappellent que le style « géométrique » n'excluait pas l'existence d'autres expressions artistiques en Italie centrale à l'époque romane.

Les ateliers siciliens, enfin, qui, à la fin de l'époque romane, constituent le troisième grand foyer d'enluminure dans la péninsule, sont bien représentés ici, puisque à 1'« ancêtre » du groupe sicilien qu'est le manuscrit de Majone de Bari (n° 16), on a pu adjoindre un beau Pierre Lombard de la Bibliothèque de l'École des Beaux-Arts à Paris (n° 17). Inédit, ce dernier manuscrit est un témoin particulièrement intéressant de l'activité des scriptoria siciliens autour de l'an 1200, tant par sa décoration, où F. Avril voit la collaboration de deux mains de formation distincte, que par son texte qui est un commentaire scripturaire « moderne » dont la diffusion contribua au rayonnement du Channel style au Nord des Alpes.


1. Saint Basile, Homélies (traduction latine de Rufin d'Aquilée).

Italie, VIe s.

Parchemin, 128 ff., 255 x 180 mm. Latin 10593.

Le volume, écrit en écriture onciale datée par Lowe du VIe siècle, s'ouvre par une grande arcade enfermant la table des matières (f. 1 v). Il faut toutefois noter que le feuillet est ajouté au premier cahier du texte et qu'il est un peu plus petit que le reste du manuscrit. Néanmoins l'écriture de la table des matières est, d'après Lowe, du même type que celle du manuscrit. S'il s'agit d'une récupération, ce qui n'est pas sûr, elle a été faite au moment de la mise en circulation du manuscrit.

Pâli par le temps, ce frontispice exceptionnel est un précieux témoin du style illusionniste de l'Antiquité finissante. Le dessin d'une grande finesse, et qui révèle encore une certaine attention à la perspective, rapide mais parfaitement à l'aise dans le détail, comme le montrent les minuscules putti animant la plinthe de la colonne de gauche, la technique d'un lavis léger, et, enfin, le vocabulaire ornemental, accusent un artiste de qualité, possédant admirablement les moyens d'expression antiques. Et bien qu'elle serve de frontispice à une oeuvre religieuse de haute valeur spirituelle, cette page frappe avant tout par l'allégresse de son esprit profane. Le célèbre Corpus agrimensorum Romanorum (Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 36.23 Aug. Fol.), manuel d'arpentage écrit et enluminé en Italie du Nord au VIe siècle, peut fournir quelques points de comparaison pour notre croquis, sans pour autant élucider définitivement la question de son origine précise. Mais le fait même que cette comparaison se fasse avec une oeuvre profane pourrait être révélateur, à moins qu'il ne soit dû aux caprices du hasard.

Prov. : Suppl. lat. 199.

Bibl. : Zimmermann, 1916, p. 147-148, pl. 3a ; Lowe, 1950, n° 603 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 7, pl. III.

2. Page ornementale.

Italie, VIe ou VIIe s.

Parchemin, feuillet isolé, 290 x 220 mm. Latin 12190 (f. 0).

Du point de vue matériel, la page ornementale ici présentée ne fait pas corps


avec le manuscrit. Celui-ci contient un commentaire de saint Augustin sur les Évangiles (De consensu Ev an gel rum) copié au monastère Saint-Pierre de Corbie pendant la première moitié du VIIIe siècle. Au début du IXe siècle, l'un

des bibliothécaires de Corbie a écrit sur le recto vierge du feuillet le titre de l'oeuvre, ce qui prouve que, déjà à cette époque, la page remplissait sa fonction actuelle de frontispice.

Le verso du feuillet est une « page

tapis » composée de cinq panneaux d'entrelacs, chaque panneau offrant un modèle différent. Les parties courbes sont tracées au compas, les lignes droites à l'aide d'une règle ; l'agencement peu serré des motifs fait largement ressortir le fond des panneaux. Le traitement pictural de la page est particulièrement frappant plusieurs rubans tissant les motifs ne sont peints que sur un côté, d'autres sont bicolores (bleu et jaune pâle, pourpre et vert pâle). Le souci de créer l'illusion du volume par ce jeu de parties sombres et éclairées est évident. La composition de la page est aussi surprenante, et, malgré les apparences, ne présente pas d'analogies véritables avec les pages tapis rehaussant plusieurs manuscrits insulaires du VIIe et du VIIIe siècle. C'est à Carl Nordenfalk qu'est revenu le mérite d'observer et d'admirablement analyser tous ces différents caractères, fondamentalement opposés à ceux des entrelacs septentrionaux du Haut Moyen Age, et du même coup, de retirer cette page du contexte mérovingien pour la replacer dans le milieu méridional et tardoantique.

En réfléchissant sur la destination originelle de cette enluminure, unique dans son genre, l'auteur arrive à la conclusion qu'elle aurait pu faire partie d'un recueil de modèles, tandis que la nature des motifs – les entrelacs – pourrait indiquer un modèle de reliures en cuir. L'exécution particulièrement soignée de la page – fait rare dans le cas des carnets de modèles – a permis au même savant un rapprochement avec le livre de modèles de reliures exécuté à Vivarium et décrit par Cassiodore dans les Institutiones, I, XXX.

Pour séduisante qu'elle soit, l'hypothèse de Nordenfalk n'est pas sans soulever quelques problèmes en ce qui concerne notamment la chronologie de certains motifs. Elle a été remise en question par K. Bierbrauer qui propose de voir dans cette page une oeuvre carolingienne. Il est toutefois difficile de se ranger à cette opinion, puisque rien ne laisse entrevoir, ni à Corbie, ni ailleurs dans l'empire de Charlemagne, une préoccupation formelle analogue à celle dont témoigne cette composition. Qu'elle ait été faite à Vivarium du vivant de Cassiodore, ou un peu plus tard, dans un autre scriptorium, cette page apparaît beaucoup plus comme un produit de l'Antiquité finissante que comme celui de la renoratio carolingienne.


Prov. : Saint-Pierre de Corbie, ; Saint-Germain-des-Prés à Paris.

Bibl. : Zimmermann, 1916, p. 14, 73, 200-201 et pl. 113a ; Lowe, 1950, n° 632 ; Nordenfalk, 1974 ; Bierbrauer, 1979, p. 73 ; Avril, Zaluska, 1980, 6, pl. III.

3. Lectionnaire de la messe.

Italie du Nord, vers 800.

Parchemin pourpre, [II] + 198 + [II] ff., 330 x 225 mm. Écriture onciale et minuscule.

Latin 9451.

Avec son parchemin teinté en pourpre, son texte tracé en écriture argentée et ses titres dorés et, enfin, ses initiales peintes en or, ce manuscrit est un des joyaux de la collection italienne de la Bibliothèque nationale. La précision avec laquelle les fins motifs ornementaux, de type septentrional, se détachent « en filigrane » sur le pourpre du parchemin, fait irrésistiblement penser à un travail d'orfèvrerie, tandis que la richesse de l'oeuvre autorise à chercher ses origines dans le milieu aulique d'Italie du Nord.

Prov. : Charles de Rohan, prince de Soubise ; acquis par la Bibliothèque royale en 1789.

Bibl. : Lowe, 1950, n° 580 ; Amiet, 1959 ; Holter, 1965, p. 93 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 17, pl. IV.

Exp. : Charlemagne, 1965, n° 384.


4. Évangiles.

Italie du Nord, XIe s. (2e moitié).

Parchemin, A + 229 ff., 205 x 135 mm. Latin 325.

Bien qu'il soit loin d'atteindre la somptuosité de certains Évangiles de la même époque, le manuscrit exposé ici n'est pas dépourvu d'intérêt tant du point de vue iconographique que stylistique.

Son illustration, entièrement groupée dans les quatre premiers cahiers qui contiennent les préliminaires du texte sacré, ne se compose plus aujourd'hui que de trois dessins, ff. 14 et 22v, mais comportait sans doute à l'origine deux pleines pages supplémentaires, puisque le f. 30 bis, presque entièrement découpé, montre au recto et au verso, des traces d'encadrement peint, ressemblant aux encadrements des tables des canons (ff. 16v-21v).

Le f. 14 représente saint Jérôme dédiant sa révision du texte des Évangiles au pape Damase. La préface à laquelle l'image fait allusion, est copiée au verso du feuillet (Beato papae Damaso

Novum opus). Les deux autres dessins figurent saint Matthieu et les symboles des trois autres Évangélistes réunis deux par deux et intégrés dans le texte d'une autre préface de saint Jérôme, celle qui commence par les mots Plures fuisse et qui est un large extrait de son introduction au commentaire sur l'Évangile de Matthieu, couramment copié dans les livres des Évangiles. Ce même texte explique, rappelons-le, le sens de l'attribution des Vivants apocalyptiques aux Évangélistes et il a dû, dans le passé, largement contribuer à fixer et à populariser l'iconographie des symboles des Évangélistes. Il est intéressant de noter qu'à une époque où cette iconographie était devenue un lieu commun de l'imagerie chrétienne, on a éprouvé le besoin d'insérer ces dessins dans le texte qui les commente au lieu de les répartir en tête de leur Évangile respectif.

Ni l'écriture ni le décor du manuscrit ne sont homogènes. A première vue, les textes préliminaires semblent bien différents du corps du manuscrit. Pourtant des initiales ornées, aux motifs caractéristiques (noeuds d'entrelacs animés de petites têtes animales, et fines tresses à brins bistrés sur fond d'encre épaisse) et probablement dues à l'illustrateur, apparaissent aussi bien au début des préfaces plus haut mentionnées (ff. 14v et 22)

qu'en tête de l'Évangile de saint Jean (ff. 181 et 182).

Prov. : Glandèves (commune d'Entrevaux dans les Basses-Alpes), ancien évêché, supprimé à la Révolution ; Nicolas-Claude Fabri de Peiresc ; cardinal Mazarin.

Bibl. : Avril, Zaluska, 1980, n° 106, pl. XLIII et XLIV.

5. Bréviaire.

Mont-Cassin, XIe-XIIe s. (1099-1105).

Parchemin, 332 ff., 205 x 135 mm. Écriture bénéventaine.

Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 364.

Le grand renouveau artistique au Mont-Cassin, survenu à l'époque de l'abbé Didier (1057-1087) devenu pape, à la fin de sa vie, sous le nom de Victor III, se caractérise, comme on sait, par une


prise de contact directe avec l'art de Constantinople. Dans le domaine du manuscrit, deux oeuvres de première qualité peuvent être évoquées pour la première période (1070-1080 environ) : le célèbre lectionnaire de la Vaticane (Vat. lat. 1202), qu'une magnifique édition en facsimilé récente a rendu relativement accessible, et le rouleau d'Exultet conservé à Londres (British Library, Add. 30337). L'activité du scriptorium se

poursuit sous le successeur de Didier, Oderisius (mort en 1105), abbé sans doute efficace et cultivé mais quelque peu éclipsé par la renommée de son prédécesseur. C'est à la demande d'Oderisius que Léon d'Ostie, alors bibliothécaire de l'abbaye, a écrit la célèbre Chronique du Mont-Cassin, dont un fragment, provenant d'un exemplaire dépecé, se trouve à la Bibliothèque nationale (n.a.l. 2199, f. 17). Le bréviaire exposé ici

fut sans doute exécuté pour le même abbé et il est l'un des plus brillants témoins de la continuation des traditions du scriptorium autour de 1100.

Huit miniatures illustrant des scènes de la vie du Christ ornent le manuscrit. Elles se groupent entre les ff. 19 et 29v, où elles mettent en valeur des prières à la Vierge, les oraisons composées par saint Pierre Damien pour l'Adoration de la Croix le vendredi saint, et d'autres pièces précédant le psautier.

Malgré un fort cachet byzantin, l'iconographie de ces scènes fait aussi appel, ainsi que l'a démontré H. Toubert, à des schémas occidentaux, locaux ou germaniques. Le style de cette illustration est fort intéressant puisqu'il montre à la fois la continuité du parti byzantin au sein du scriptorium et la variété dans le choix des modèles. Contrairement à ses devanciers, le miniaturiste du bréviaire a opté pour un traitement pictural allégé, que ce soit dans les plis, qu'il indique de préférence seulement par le dessin à la plume, ou dans les visages qu'il laisse en réserve à part quelques touches d'ocre. Tout ceci, comme le souligne Mme Toubert, n'est pas dû à un appauvrissement des moyens picturaux, mais résulte d'un apport de modèles byzantins différents conjugué à une tradition locale déjà bien établie.

Outre ces miniatures, le manuscrit comporte de nombreuses initiales ornées de très belle facture. Ces initiales sont de deux types. Les premières, ornées de rinceaux d'or d'esprit ottonien, remontent, mais indirectement, à la décoration des Évangiles offerts au Mont-Cassin par l'empereur Henri II vers 1023 (Bibliothèque Vaticane, Ottob. lat. 74). Celles du deuxième type, plus nombreuses, représentent, de manière particulièrement éclatante, le style ornemental propre au scriptorium. Elles se distinguent des précédentes à la fois par leur structure massive et imposante et par un vocabulaire ornemental caractérisé notamment par l'utilisation de lévriers. Ces mêmes lévriers qui débordent à l'extérieur du champ des initiales impriment à l'ensemble une silhouette bien spécifique. Élaboré à l'époque de Didier, pendant laquelle il a acquis sa dimension monumentale, ce décor s'oppose de façon saisissante au style humanisé des scènes. Jamais l'exubérance barbare de l'ancien fonds septentrional et le classicisme méditerranéen ne se sont heurtés avec une telle violence et de propos aussi délibéré. L'exemple du scriptorium du Mont-


Cassin à la fin du XIe siècle est donc particulièrement révélateur de la mentalité de l'époque, de même qu'il peut être instructif pour ce qui concerne l'organisation du travail au sein d'un scriptorium et l'apprentissage des artistes.

Prov. : Cardinal Domenico Grimani (XVIe s.) ; donné aux Oratoriens de Paris par le père Berziau, prêtre de l'Oratoire, en 1662.

Bibl. : La Batut, 1933, p. 9-12, pl. III a et b ; Leroquais, 1934, t. II, p. 398-403 ; Toubert, 1971.

Exp. : Livre italien, 1926, n° 139.

6. Exultet. Pl. coul. I.

Fondi (Latium) ?, XIIe s. (1er quart).

Rouleau de parchemin composé de 8 feuillets de longueur inégale, attaché à un ombilic de bois ; longueur 6,12 m, largeur 235 à 245 mm. Écriture bénéventaine.

Nouvelles acquisitions latines 710.

De même que les Évangiles et évangéliaires dans le Saint Empire ou le Commentaire sur l'Apocalypse de Beatus de Liébana en Espagne, les rouleaux liturgiques ont été le support privilégié de l'enluminure en Italie du Sud, de la fin du xe jusqu'en plein XIIIe siècle. La forme exceptionnelle de ces manuscrits paraît s'inspirer des rouleaux liturgiques byzantins, connus aussi dans les établissements grecs d'Italie méridionale, mais le problème des sources iconographiques des scènes est toujours discuté.

L'Exultet est une hymne pascale fort ancienne attribuée tantôt à saint Augustin, tantôt à saint Ambroise, et qui fut connue en tous cas de saint Jérôme. Lié au rite de la bénédiction du cierge pendant les cérémonies du samedi saint, il célèbre le triomphe du Christ ressuscité, symbolisé par le cierge, sur la mort et sur les ténèbres du péché. Il existe deux versions de ce texte. L'une est une variante locale, appelée parfois « Exultet bénéventain » que l'on trouve dans les plus anciens rouleaux peints, l'autre, couramment utilisée dans la liturgie romaine, est connue sous le nom de « Vulgate » ; c'est cette dernière qui est contenue dans notre manuscrit. Les Exultet anciens se singularisent aussi par un long éloge des abeilles chastes, productrices de la cire, symbolisant l'Incarnation.

L'un des traits les plus frappants de plusieurs de ces rouleaux peints est la disposition des images dans le sens opposé du texte. Pendant la cérémonie, le diacre montait à l'ambon et, ainsi que le

montrent plusieurs peintures représentant cette scène, il déroulait le rouleau vers l'extérieur au fur et à mesure de son chant ; les assistants le voyaient donc en sens inverse.

Comme plusieurs autres rouleaux, l'Exultet exposé ici est localisé et daté avec quelque précision grâce à des prières d'intercession dans lesquelles sont généralement mentionnés la communauté pour laquelle le rouleau a été fait, l'évêque du diocèse, le souverain régnant et le pape. Dans notre cas, ces prières indiquent que le rouleau a été exécuté pour l'église Saint-Pierre de Fondi, à l'époque de l'évêque Benoît (1100-1130) et d'un consul Léon (un personnage de ce nom est connu par un acte de 1117).

Il est sans doute possible de voir dans l'image 5-n° 6 une représentation de la communauté de Fondi. Celle-ci est composée

composée moines, de membres du clergé séculier, et de laïques. On peut probablement identifier le haut dignitaire somptueusement vêtu, à gauche, avec Léon et l'évêque figuré au centre, avec Benoît.

Ainsi qu'Émile Bertaux l'a déjà remarqué, le manuscrit se situe, du point de vue stylistique et iconographique, dans la tradition du Mont-Cassin et apparaît comme une variante tardive et provinciale du courant artistique représenté encore par le Bréviaire d'Oderisius n° précédent). Plusieurs comparaisons fort instructives peuvent être faites avec l'Exultet cassinien de Londres (British Library, Add. 30337), datable des années 1070-1080, les similitudes iconographiques facilitant l'appréciation stylistique du manuscrit. Malgré l'ampleur de son cycle iconographique pourtant amputé de sa partie initiale, le rouleau de Fondi est


loin d'atteindre la qualité exquise de son homologue de Londres. Outre une tendance générale à la simplification et à un certain relâchement formel, nous y relevons des maladresses qui dénotent clairement un artiste de moindre envergure. Ceci est particulièrement frappant dans le traitement des motifs communs aux deux manuscrits (par exemple, le personnage du centurion de la Crucifixion, image 2-n° 3 qui reprend la figure équivalente du rouleau londonien).

OEuvre de deux artistes ou plus, notre manuscrit est de qualité inégale. En outre, certaines de ses peintures ont été fortement retouchées. Ces retouches et des reprises sont fréquentes dans les Exultet que leur forme et leur manipulation exposaient particulièrement à l'usure, et elles ne facilitent pas la tâche de l'analyse stylistique. Dans notre manuscrit, la scène du baiser de Judas (image 7-n° 8) dans laquelle Judas et Pierre portent des vêtements aux plis fortement gouachés en blanc, est particulièrement déroutante.

L'illustration du manuscrit se compose aujourd'hui de treize peintures dont voici la liste : allumage du cierge (image 1 – n° 1) ; Crucifixion (2-n° 3) ; Passage de la Mer Rouge et la colonne de feu (3-n° 4) ; Hébreux poursuivis et la colonne de feu (4-n° 5) ; communauté de Fondi (5-n° 6) ; Descente aux Limbes (6-n° 7) ; Baiser de Judas (7-n° 8) ; Adam et Eve (8-n° 9) ; Christ trônant (9-n° 10) ; encensement du cierge (10-n° 11) ; les abeilles (11-n° 12) ; Vierge à l'Enfant (12-n° 13) ; bénédiction du cierge (13-n° 14). La grande initiale « U »(n° 2), au début de la préface, est courante dans les Exultet. Elle aussi est de très nette inspiration cassinienne.

Prov. : Cathédrale de Fondi ; acquis à Paris en 1900.

Bibl. : Latil, 1899, p. 1-4 et pl. 1-15 ; Bertaux, 1904, p. 228-229, 232, 234, 254, 282 (iconographie comparée 11) ; Avery, 1936, p. 23-24, pl. LXXII-LXXX ; Cavallo, 1973, p. 29 et 31 ; Avril, Zaluska, 1980, n° 33, pl. VII et A.

Exp. : Le Livre, 1972, n° 211.

7. Odon d'Asti, Commentaire sur les Psaumes.

Centre (Abbaye de Farfa ?), XIIe s. (1er quart). Parchemin, II + 85 ff., 315 x 200 mm.

Latin 2508.

Le manuscrit est une copie très rapprochée dans le temps de la rédaction de l'oeuvre d'Odon d'Asti ; en effet le com-


mentaire de celui-ci est dédié à un évêque Bruno qui ne peut être que le célèbre Bruno de Segni, abbé du Mont-Cassin de 1107 à 1111, et qui mourut en 1123. Odon déclare d'ailleurs avoir travaillé d'après les notes de l'évêque. Le manuscrit parisien est important du point de vue textuel – il contient certaines parties du texte inconnues ailleurs –, mais aussi artistique, en raison de la richesse et de la qualité de son décor illustré. Celui-ci se compose d'une pleine page placée en frontispice et de scènes marginales se rapportant à dix-neuf psaumes.

Le frontispice (f. IIv) se signale tant par ses qualités plastiques – on retiendra particulièrement la figure du Christ, dont les vêtements sont drapés avec maîtrise – que par la profondeur du message symbolique qu'il exprime. Le programme iconographique élaboré de cette page greffe sur la relation typologique couramment établie entre le Christ en Majesté entouré des symboles des Évangélistes, et David, roi et psalmiste, entouré de ses musiciens, une série de scènes mettant en rapport le sacrifice de l'Ancienne et de la Nouvelle Loi.

Les dessins marginaux qui illustrent les psaumes ne présentent pas moins d'intérêt. Tracés d'une plume légère et fine, souvent rehaussés de jaune pâle et parfois alourdis d'une couche de couleur couvrante (bleu ou rouge), ils valent aussi parfois par leur qualité picturale. A cet égard, la figure du premier musicien du f. 52v (Ps. 80, v. 1) avec son alternance de touches bleues et de parchemin réservé est particulièrement réussie. Par le choix des thèmes et par leur disposition en marge de la page, ces scènes fusionnent heureusement, ainsi que l'a souligné H. Toubert, deux traditions distinctes, byzantine et occidentale, en les enrichissant parfois de motifs tirés du commentaire lui-même, ainsi par exemple au psaume 1 (f. 1), où sont représentés Pierre et Paul assis sur le banc des justes.

Garrison a distingué deux mains dans l'illustration du manuscrit, l'auteur du frontispice étant identifié par lui avec le « Maître de la Bible d'Avila », artiste autour duquel le savant américain a regroupé un nombre important de manuscrits datables pour la plupart du milieu ou du troisième quart du XIIe siècle.

L'importante étude consacrée par H. Toubert à ce manuscrit, dont elle éclaire

les divers aspects iconographiques, a permis en outre de préciser l'origine du volume, qu'elle propose de situer à Farfa, importante abbaye bénédictine de la région romaine. L'argumentation de l'auteur repose pour l'essentiel sur des observations de détails très convaincantes. Ainsi la couronne d'un type très particulier, portée par David au f. IIv, ne se retrouve que dans deux manuscrits écrits à Farfa au cours du premier quart du XIIe siècle : le Regestum Farfense (Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 8487) et le Chronicon Farfense (Rome, Biblioteca Nazionale, Farf. 1). L'écriture et l'ornement, bien que s'inscrivant dans un courant assez largement répandu en Italie centrale, ne peuvent que confirmer cette attribution.

Prov. : Pétrarque ; Francesco Carrara, seigneur de Padoue ; librairie des ducs de Milan à Pavie ; librairie de Blois.

Bibl. : Pellegrin, 1955, A 698, B 172 ; Garrison, 1960-1962, p. 61-67, fig. 16-22 ; Toubert, 1976 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 57, pl. XVII et C.

8. Saint Augustin, Commentaires sur les Psaumes.

Italie centrale, XIIe s. (début).

Parchemin, 228 ff., 600 x 390 mm. Latin 1989 2.

Avec ses grandes lettres compartimentées remplies de motifs compacts et détachées à même le parchemin, ce manuscrit de saint Augustin se classe parmi les témoins du Early geometrical style distingué par Garrison dans la production des scriptoria d'Italie centrale. L'effort des artistes de cette époque se porte avant tout sur le traitement du corps de la lettre. S'ils s'inspirent encore des modèles carolingiens, ils en ont largement simplifié les données. Les lettres, construites au moyen de filets jaunes, sont garnies de motifs peu variés (entrelacs serrés, rosettes, petits rinceaux, feuillages en éventail, palmettes cerclées), exécutés selon une technique, qui consiste essentiellement à recouvrir les compartiments d'une couche de couleur unie (bleu ardoise, vert sombre, rouge) et à dessiner par-dessus les motifs en noir. Pour parfaire l'effet on rehausse le dessin par des lignes, continues ou tracées en pointillé,


blanches sur bleu et rouge, vertes sur jaune.

Adhérant de près aux modèles romano-ombriens, notre manuscrit se signale par une grande fraîcheur de coloris, par l'éventail relativement varié des motifs ornementaux, ainsi que par un large usage d'initiales à rinceaux réservés. Ces dernières, de souche ottonienne, font leur apparition dans les manuscrits à décor « géométrique » dès la fin du XIe siècle. Au cours de leur évolution, parallèle à celle des lettres compartimentées elles acquerront un caractère indubitablement italien et un considérable degré de raffinement, ainsi qu'on le voit au n° 12. Dans notre manuscrit elles sont encore assez proches de leurs modèles primitifs, mais on y voit déjà s'affirmer les caractères propres au style italien.

Pro : Franciscains de Sienne : Pétrarque, à qui le manuscrit fut offert par Boccace en 1355 ; Francesco 1 Carrara. seigneur de Padoue ; librairie des ducs de Milan à Pavie : librairie de Blois.

Bibl. : Garrison, 1953-1954, p. 60, 68 ; Pellegrin, 1955, A 494, B 165 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 62, pl. XXI et XXII.

Ex p. : Boccace en France, 1975, n° 16.

9. Saint Grégoire le Grand, Morales sur Job.

Italie centrale (Rome ?), XIIe s. (1er quart). Parchemin, 261 ff., 540 x 375 mm.

Latin 2207.

Ce manuscrit qui constitue un autre exemple typique de l'« Ancien style géométrique » se distingue du précédent par l'introduction de rinceaux blancs réservés sur fond polychrome dans le champ des lettres compartimentées. Sans être unique, le cas est plutôt rare dans les initiales romaines et dénote généralement une phase avancée du style. Un autre trait nouveau caractérisant certaines initiales est la façon de peindre les compartiments en deux bandes de couleur différente juxtaposées sans aucun trait de séparation. Dans l'organisation du décor, on notera avant tout la page de titre monumentale (f. 1), élément particulièrement caractéristique de l'enluminure romane d'Italie centrale, ainsi que l'importance donnée à la première et, dans une moindre mesure, à la deuxième initiale. L'intention d'établir une correspondance formelle avec le décor habituellement réservé au début des Bibles est ici manifeste (voir n° suivant). On notera

cependant que la deuxième initiale de saint Grégoire, qui est un « I », tout comme l'initiale de la Genèse, n'atteint pas dans le commentaire patristique le même degré d'élaboration.

Le manuscrit a été rapproché par Garrison de la célèbre Bible de Sainte-Cécile, Bibliothèque Vaticane, Barb : lat. 587, que ce savant datait des années 1115-1125, mais dont l'exécution pourrait remonter déjà à la fin du XIe siècle (on trouvera le résumé de la polémique sur la datation de cette Bible, avec bibliographie, dans Berg, 1968, p. 15-16).

Prov. : Attesté au XIIIe siècle à Arles ; J.-B. Colbert.

Bibl. : Garrison, 1957-58, p. 126 (notice) et 166 ; Avril, Zaluska, 1980, 64, pl. XXIV.

10. Bible (tome I).

Italie centrale (Rome ?), XIIe s. (vers 1130-1135).

Parchemin, 1 + A + B + 214 ff., 575 x 385 mm. Latin 50.

Ce manuscrit est la première partie d'une bible géante d'origine romaine ou romano-ombrienne. Dépourvue de toute scène figurée, sa décoration se compose d'initiales compartimentées (initiales « géométriques ») et d'initiales à rinceaux réservés (initiales à « cadre plein »). Avec son décor raffiné et les tonalités claires de sa palette, cette bible est un bon exemple de la transition du Early geometrical style au Middle geometrical style de Garrison.

Le traitement accordé aux premiers feuillets est particulièrement remarquable : une page de titre à encadrement compartimenté (f. Bv), un « F » monumental, introduisant le prologue de la Bible (lettre de saint Jérôme à Paulin commençant par les mots Frater Ambrosius, f. 1), et, enfin, un 1 de la même échelle, marquant le début de la Genèse (f. 4). Le fait, plutôt rare dans la tradition de l'époque (voir pourtant le n° 12), d'utiliser le verso d'un feuillet pour la


page de titre rehausse de façon spectaculaire la monumentalité de l'ensemble, puisque l'encadrement et le grand « F » se trouvent ainsi juxtaposés.

En regardant de près l'imposante composition du « F », on s'aperçoit sans peine du profond changement intervenu dans la façon d'exécuter les motifs. Dans plusieurs panneaux de cette lettre, l'ancienne technique du motif en surcharge sur fond uni a cédé la place à un nouveau procédé, infiniment plus raffiné, qui consiste à dessiner les motifs au moyen d'un interstice réservé séparant les zones de couleur, ou à les faire ressortir par un jeu encore plus complexe de petites touches polychromes et de parchemin réservé. Que notre manuscrit ne se situe qu'au début de cette nouvelle mode, qui est un caractère distinctif du Middle geometrical, le reste de la décoration le montre à l'évidence. Outre le de la Genèse, trois autres initiales seulement utilisent encore la nouvelle technique (ff. 20v, 192 et 214). Encore leur ornementation se limite-t-elle à quelques motifs relativement simples, tels qu'entrelacs réservés sur fond rouge, que l'on observe aussi dans l'encadrement de la page de titre, petites rosettes et festons. Tout en offrant quelques points communs avec la célèbre Bible du Panthéon (Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 12958), où l'on voit poindre la nouvelle mode ornementale, notre manuscrit se rapproche davantage de la Bible, cod. E de la Stiftsbibliothek d'Admont, dont le « F »(f. 1 v) est une réplique presque exacte de celui que nous voyons ici.

Prov. : Abbaye San Stefano del Bosco dans le diocèse de Squillace en Calabre ; librairie des rois aragonais de Naples ; librairie de Blois.

Bibl. : Garrison, 1953-54, p. 26 n. 42, 28, 84, 87-89, 113, fig. 115 et 116 ; Id., 1957-58, p. 130 ; Id., 1960-62, p. 148 ; Berg, 1968, p. 43-44 et n. 72 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 72, pl. XXIX et D ; Ayres, 1983, p. 241, 242.

11. Bible (tome II). Pl. coul. II.

Italie centrale, XIIe s. (vers 1120-1130). Parchemin, [I] + 176 ff., 590 x 390 mm. Latin 104.

Il est probable que ce volume, qui provient de la bibliothèque des rois aragonais de Naples, ait été réuni très anciennement, pour former une Bible complète, au manuscrit précédent, dont la présence

en Italie du Sud est attestée dès le XIIIe siècle. Néanmoins les différences stylistiques indiquent clairement que les deux volumes ne sont pas exactement contemporains et ne sortent pas du même atelier. Il paraît donc préférable de les envisager séparément.

De facture plus grossière que le premier volume, ce manuscrit se signale avant tout par la présence de deux très belles lettres historiées. Celle du f. 13v figure le roi Salomon, trônant dans l'initiale P des Proverbes, tandis que le 0 de l'Ecclésiastique (f. 29v) sert de cadre à la Sagesse personnifiée, triomphalement assise dans sa parure de reine, qui permet de l'identifier avec l'Église, épouse royale du Christ. Nous retrouvons le même couple royal dans une Bible toscane du milieu du siècle (Florence, Bibliothèque Laurentienne, Mugel. 2). L'appartenance de ces deux figures à la tradition artistique romano-ombrienne transparaît dans le traitement du visage en large ovale de la reine ou dans la manière d'interpréter les plis. Elles se distinguent cependant des oeuvres représentant les principaux courants stylistiques issus de la capitale par certains caractères particuliers. Malgré leurs indéniables qualités que révèlent leur dessin bien proportionné et la fermeté du traitement des plis, ces deux images manifestent en outre une tendance à la simplification du modelé, mise en évidence par l'absence de lumières blanches sur les vêtements et l'utilisation timide d'ombres vertes pour rehausser les visages. Dans l'ensemble, les qualités graphiques l'emportent sur les valeurs plastiques, trait qui est plutôt à contre-courant de la peinture romaine de l'époque.

Tout en affirmant le caractère romano-ombrien de ces peintures, par comparaison, par exemple, avec l'oeuvre du « Premier Maître » de la Bible du Panthéon (Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 12958), datable probablement des environs de 1125, Garrison s'avoue dans l'impossibilité de les situer plus précisément. Dernièrement L.M. Ayres a proposé de rapprocher la figure de la Sagesse de celle de Ruth dans la Bible de Sainte-Cécile (Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 587, f. 81v), ce qui aurait pour conséquence de repousser la datation de notre volume vers le début du XIIe siècle (voir notice n° 9).

Dans l'ornementation du manuscrit, appartenant en majeure partie à l'« Ancien style géométrique » mais que dis¬


tingue un coloris bien particulier, on retiendra avant tout deux imposantes lettres zoomorphes, au modelé recherché et aux rinceaux d'aspect « naturaliste » (ff. 143 et 168) ; très différents des élégantes arabesques du volume précédent, ces rinceaux se distinguent notamment par l'emploi d'une large feuille à folioles dentelées qui descend manifestement de l'acanthe antique. Peu prisée, semble-t-il, des enlumineurs romains, elle deviendra, par la suite, l'un des motifs caractéristiques des rinceaux toscans. Pourtant c'est bien à Rome, si l'on songe à la magnifique vigne parcourant l'abside de San Clemente, qu'il faut sans doute en chercher l'origine.

Prov. : Librairie des rois aragonais de Naples librairie de Blois.

Bibl. : Garrison, 1953-54, p. 26 n. 42, 28, 84, 87-89, 113 ; Id.. 1957-58, p. 130 ; Id., 1960-62, p. 148, fig. 113 et 114 ; Berg, 1968, p. 43-44 et n. 72 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 72, pl. XXX et E ; Ayres, 1983, p. 241.

12. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques.

Italie centrale, XIIe s. (2e quart, vers le milieu). Parchemin, 272 + [II] ff., 430 x 330 mm.

Latin 15427.

Avec son grand encadrement compartimenté (f. 3v) et ses élégantes initiales envahies de rinceaux blancs détachant leurs fines arabesques sur un fond mosaïqué de couleurs vives, ce manuscrit se situe dans la lignée stylistique amorcée dans le premier volume de la Bible, ms. lat. 50 (n° 10). Le traitement de l'encadrement, où domine la technique du motif ajouré, l'extrême raffinement du dessin des rinceaux et, enfin, une légère modification de la palette devenue plus brillante et plus saturée, indiquent cependant une date un peu plus récente. En ce qui concerne l'origine du volume, sa parenté avec la Bible exposée ici, ainsi qu'avec d'autres Bibles classées par Garrison dans son Middle geometrical style (par exemple, Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 4217 ou Ross. 617), paraît suggérer une origine romaine ou romano-ombrienne. Il faut néanmoins rappeler que le décor à bianchi girari du XIIe siècle, dont notre manuscrit est l'un des exemples caractéristiques, n'a été, jusqu'ici, que très insuffisamment publié et qu'il attend toujours une étude comparable à celles que E.B. Garrison (1953-54 à


1960-62) et K. Berg (1968) ont consacrées au décor « géométrique » du corps de la lettre.

Prov. : Jacques Tronsard de Bourges ; Jacques Thiboust, seigneur de Quantilly, notaire et secrétaire du roi (xvie s.) ; Monseigneur de Sacy, conseiller du roi et secrétaire de ses finances (xvie s.) ; Jean Lauverjat (2e moitié du XVIe s.) ; Cardinal de Richelieu ; Sorbonne. Bibl. : Avril, Zatuska, 1980, n° 75, pl. XXXI-XXXII.

13. Burchard de Worms, Décret.

Toscane, XIIe s. (2e quart).

Parchemin, 170 ff., 370 x 255 mm.

Latin 3862.

Rédigée au début du XIe siècle, la collection canonique de l'évêque de Worms (mort en 1025) a suscité un vif intérêt en Italie, où elle connaît une tradition manuscrite bien fournie.


Le 7e livre, traitant de problèmes de consanguinité, est suivi, à l'instar du 9e livre des Etymologies d'Isidore de Séville, touchant aux mêmes questions, d'un tableau de parenté. Cette iconographie a reçu en Italie une forme bien caractéristique, le schéma étant maintenu par un personnage placé derrière, généralement vêtu d'une courte tunique, et dont la tête émerge de feuillages s'écartant en forme d'un V.

Notre manuscrit se distingue par un traitement particulièrement raffiné de ce thème conventionnel et par l'élégance de l'ensemble.

Prov. : Collège de Foix à Toulouse ? ; J.-B. Colbert.

Bibl. : Avril, Zaluska, 1980, n° 74, pl. XXXI et F ; Schadt, 1982, p. 115, 120.

14. Saint Grégoire le Grand, Morales sur Job (tome II).

Pl. coul. III.

Toscane (Pise ?), XIIe s. (3e quart).

Parchemin, 232 ff., 535 x 255 mm.

Latin 2219.

Ce très beau manuscrit est un exemple caractéristique de l'enluminure toscane

du troisième quart du XIIe siècle. Tout dans ce manuscrit, depuis le parchemin jusqu'aux superbes lettres ornées marquant le début des livres, dénote une oeuvre de qualité. C'est en le comparant avec son homologue romain du début du siècle (n° 9) que l'on mesure au mieux le chemin parcouru par l'enluminure italienne au cours du XIIe siècle. Bien que les données essentielles soient toujours les mêmes : lettres à corps compartimenté sommé d'un noeud d'entrelacs, motifs végétaux dans le prolongement inférieur des hampes, et rinceaux sagement contenus dans le champ de l'initiale, les effets obtenus sont maintenant fort différents de ceux auxquels arrivaient les artistes qui ont marqué les débuts de l'enluminure romane en Italie centrale. En dehors même des proportions et de la qualité des pigments employés, des changements peuvent être observés dans trois éléments essentiels du décor : les motifs remplissant le corps de l'initiale, les rinceaux et le fond peint. Ainsi on remarquera – que les lourds et compacts panneaux d'entrelacs du manuscrit romain ont fait place ici à de petits motifs rouges et bleus répartis avec maîtrise sur fond de parchemin. Inaugurée, semble-t-il, dans la Bible copiée en 1140 par un certain Corbolinus de Pistoie (Florence, Bibliothèque Laurentienne, Conv. Soppr. 630), cette manière de garnir le corps de la lettre, qui correspond à ce que Garrison appelle le Late geometrical style, a atteint sa plus grande virtuosité dans l'enluminure toscane du troisième quart du siècle, dont elle constitue l'un des traits des plus caractéristiques. Les modifications intervenues dans le traitement des végétaux sont tout aussi frappants. Aux rinceaux plats et plus ou moins abstraits, réservés sur un fond multicolore se sont substituées des formes plus organiques, peintes en dégradés subtils, savamment détachés sur un fond de couleur unie. Le fond lui-même dépasse maintenant le cadre de la lettre et l'enveloppe d'une aire bien définie, encadrée d'un listel d'une autre couleur (dans notre cas, il s'agit pour la plupart d'un encadrement noir particulièrement élégant). Parmi les nombreux manuscrits appartenant à ce courant stylistique, c'est de la fameuse Bible de la Chartreuse de Calci, écrite et enluminée à Pise en 1168, et des manuscrits apparentés, que se rapproche le plus notre volume, sans qu'on puisse toutefois risquer une localisation précise.

Prov. : Pétrarque ; Francesco I Carrara, seigneur de Padoue ; librairie des ducs de Milan à Pavie ; librairie de Blois.

Bibl. : Avril, Zatuska, 1980, n° 86, pl. XXXVI, XXXVII et H ; Ayres, 1983, p. 243.

15. Homéliaire (partie d'hiver).

Toscane, XIIe s. (2e moitié).

Parchemin, 1 + 244 ff., 502 x 340 mm.

Latin 794.

Le manuscrit contient la partie d'hiver d'un homéliaire dont les lectures, qui vont de l'Avent à la Semaine sainte, ne fournissent pas d'indices susceptibles d'éclairer ses origines, aucun saint caractéristique n'y étant commémoré.

Le premier cahier, ff. 1-7, qui contient des homélies liées à la fête de l'Ascension, a visiblement été récupéré d'un homéliaire d'été ; ce dernier devait à l'origine constituer, en raison de son écriture et de son style, le deuxième volume du manuscrit exposé ici.

La décoration, de facture homogène, représente, dans l'ensemble, une variante locale et tardive du style toscan. L'analyse du décor a permis à Garrison de distinguer dans l'ornementation du manuscrit plusieurs traits spécifiques, grâce auxquels le savant américain propose d'attribuer notre homéliaire à la région de Pistoie. Parmi ces particularités, citons, à titre d'exemple, la manière d'évaser et ensuite de rétrécir en pointe la partie inférieure des hastes, celle-ci se terminant à son tour par un motif végétal lui aussi pointu, ou encore l'emploi fréquent de motifs animaliers traités avec beaucoup de naturel.

Mais l'intérêt tout particulier de ce manuscrit réside dans quatre grandes initiales (ff. 8, 29v, 71v, 170) où hommes, bêtes et hybrides s'empilent de façon tout à fait étrangère à l'esprit classique de l'ornementation italienne. On y discerne sans peine des sources transalpines, qui se réflètent jusque dans la façon de traiter les plis, sans qu'il soit toutefois possible d'indiquer un modèle exact. En France on songera avant tout aux manuscrits de l'Ouest et du Sud-Ouest, mais on remarquera aussi que certains manuscrits primitifs de Cîteaux (en particulier le ms. 173 de la Bibliothèque municipale de Dijon) ont fait une large place à un décor d'une veine analogue.

Un autre trait septentrional de notre homéliaire mérite aussi d'être souligné bien qu'il s'agisse d'un détail infime.


Nous pensons au motif à « bourrelets » apparaissant à la naissance et aux ramifications de certains rinceaux (on le voit par exemple aux ff. 8, 29 v ou 71v, mais aussi ailleurs). Cette façon de rendre les gaines végétales, largement répandue dans l'enluminure septentrionale, est inconnue, semble-t-il, des rinceaux typiquement italiens. L'artiste de notre manuscrit a-t-il pris ce motif du modèle dans lequel il a puisé l'idée de ses lettres « synthétiques », ou travaillait-il dans un milieu plus largement réceptif aux apports franco-anglais, la question doit être pour l'instant laissée ouverte.

Prov. : Antonello Petrucci, secrétaire de Ferdinand 1er d'Aragon ; librairie des rois aragonais de Naples ; librairie de Blois.

Bibl. : Lauer, 1927, p. 65, pl. XLI, 1 ; Van Moé, 1943, pl. 54 et 75 ; Garrison, 1960-1962, p. 300-302, 367, fig. 249-256 ; Avril, Zaluska, 1980, n° 89, pl. XXXVII et XXXVIII.

16. Majone di Bari, Exposé sur l'Oraison dominicale.

Sicile (Palerme ?), XIIe s. (1154-1160 ?). Parchemin, 50 ff., 260 x 185 mm.

Nouvelles acquisitions latines 1772.

Haut dignitaire à la cour des rois de Sicile, Majone di Bari atteignit le faîte de sa puissance sous le règne de Guillaume II. Jalousé par la noblesse sicilienne, il devait mourir assassiné en 1160. Ce fut aussi un homme cultivé, intéressé par l'exégèse chrétienne ainsi qu'en témoigne le petit traité sur le « Notre Père » qu'il a dédié à son fils. On peut lire sur la page de titre de notre manuscrit, la dédicace suivante : « Exposé sur l'oraison de Notre Seigneur composé par Majone, grand amiral, pour son fils, l'amiral Étienne ». Depuis sa publication par Buchthal, on s'accorde généralement pour voir dans ce manuscrit, en raison de son caractère luxueux et du soin apporté à la présentation de la dédicace, l'exemplaire même que Majone aurait destiné à son fils. L'exécution du manuscrit se situerait dans ce cas entre 1154, année où Majone reçut le titre de grand amiral, et 1160, année de sa mort, et le traité de Majone constituerait le plus ancien témoignage de l'activité des ateliers siciliens, dont l'apogée se situe néanmoins aux alentours de 1200. Le ms. lat. 245 de la Bibliothèque nationale, autre exemple un peu plus modeste de cette production sicilienne et probablement datable du troisième quart du XIIe siècle, vient, dans


une certaine mesure, à l'appui de la datation admise, tandis que le bénédictionnaire palermitain de 1166-67 conservé à Milan (Bibliothèque Ambrosienne, ms. A 92 Inf.) confirme l'existence d'une enluminure spécifiquement sicilienne à cette même époque.

Outre l'encadrement de la dédicace, qui n'est pas sans évoquer les tables de

canons de certains Évangiles grecs, le manuscrit comporte une série d'initiales ornées. Celles-ci sont de deux types : les plus grandes, se détachant sur fond d'or, s'inspirent assez largement de modèles occidentaux, les autres exécutées en or et en couleur à même le parchemin, dérivent visiblement de lettrines byzantines.

La fusion caractéristique d'éléments

occidentaux et byzantins, dans la conception et dans le vocabulaire ornemental, fait de ce manuscrit une oeuvre très représentative d'une région située à la frange des deux grandes cultures de la Chrétienté.

Prov. : Acheté par la Bibliothèque nationale en 1897 à la vente de la collection du baron Jérôme Pichon.

Bibl. : Buchthal, 1956, p. 78-85, pl. X, XII e-f, XIII a-e, XI V ; Daneu Lattanzi, 1966, p. 21-23, fig. 12 et 14 ; Avril, Zatuska, 1980, n° 39, pl. X et B ; Samaran, Marichal, 1981, p. 207, pl. XXIV.

Exp. : Le Livre, 1972, n° 173.

17. Épîtres de saint Paul,

avec commentaire de Pierre Lombard (fragments).

Sicile, vers 1200.

Parchemin, 16 ff., 390 x 270 mm (pour les feuillets complets).

Paris, École des Beaux-Arts, ms. Masson 69.

Ces fragments provenant d'un manuscrit démembré des Épîtres de saint Paul, ont été rassemblés en 1646 par le prieur de la canonie de Marbach, Pierre Krop-penberg, qui les avait retrouvés dispersés dans divers manuscrits et imprimés de la bibliothèque canoniale.

Malgré cette provenance alsacienne, le style des superbes initiales peintes indique clairement l'origine sicilienne du manuscrit. Groupées deux par deux au début de chaque épître et du commentaire de Pierre Lombard correspondant, ces initiales (il s'agit le plus souvent de lettres « P », initiales de Paulus) présentent en effet une combinaison de motifs décoratifs d'origine diverse, byzantine, arabe et latine, dont la fusion harmonieuse est caractéristique du synchrétisme culturel qui prévalait à la cour des derniers rois normands de Sicile et de leurs successeurs souabes. Malgré l'homogénéité apparente du style, on distingue à l'examen deux conceptions différentes, et partant au moins deux mains dans cet ensemble d'initiales. Un premier groupe d'entre elles se caractérise par leur exécution au pinceau et leur aspect émaillé. Leur technique picturale, d'inspiration byzantine, se conforme à une tradition ancrée dès l'origine dans l'enluminure sicilienne, et il y a tout lieu de penser que ces initiales, groupées pour la plupart dans la seconde moitié du recueil (ff. 5, 7 et 9 à 15), sont le fait d'un artiste autochtone. L'autre série d'initiales,


peinte avec plus de lourdeur sur un dessin certainement très détaillé, dénote une personnalité artistique de formation différente, peut-être septentrionale : tout en reprenant le répertoire ornemental propre aux ateliers siciliens de la fin du XIIe siècle, il interprète les formes dans un style linéaire et analytique, déjà empreint de « naturalisme », qui montre qu'il connaissait les développements récents du Channel style. Très représentative de cet artiste est la décoration du f. 8, début de la seconde épître aux Thessaloniciens.

Dans la séquence des oeuvres d'origine sicilienne reconnues depuis la première publication de Buchthal (1955), le décor de ce manuscrit se situe dans la succession immédiate du missel ms. 52 de la Bibliothèque nationale de Madrid et des Évangiles ms. 227 de la Biblioteca Riccardiana de Florence, dont il reprend le vocabulaire ornemental. L'examen paléographique suggère une datation vers 1200, confirmant ainsi l'hypothèse de V. Pace (1979) sur la survie des scriptoria siciliens après le remplacement de la dynastie normande par celle des Hohenstaufen. Il paraît possible, dans ce contexte, que le manuscrit soit arrivé à Marbach très tôt après son exécution, ce que suggèrent les liens avec la cour impériale de cette importante communauté de chanoines réguliers, où ont été rédigées les Annales Marbacenses, l'une des sources les mieux informées sur les événements politiques qui agitèrent le Saint Empire entre 1180 et 1230.

Prov. : Canonie de Marbach (Haut-Rhin) ; ancienne collection Gelis-Didot (cf. Vente Gelis-Didot, 12-13 avril 1890, n° 4) ; donation Jean Masson à l'École des Beaux-Arts.

Bibl. : F. Avril, Un Nouveau témoin de l'enluminure sicilienne (à paraître).


18. Chronique et cartulaire de l'abbaye San Clemente a Casauria.

San Clemente a Casauria (Abruzzes), XIIe s. (vers 1182 et peu après).

Parchemin, [I] + A + 272 + [II] ff., 402 x 260 mm.

Latin 5411.

Cet ouvrage compilé par Iohannes Berardi, moine de Casaure, à la demande de l'abbé Leonas (1155-1182), juxtapose un cartulaire réunissant les actes concernant l'abbaye depuis sa fondation par l'empereur Louis II au IXe siècle jusqu'à 1182, et une chronique de l'abbaye composée par le moine Jean. Les deux parties sont disposées de manière synoptique, la chronique, plus courte que les documents, occupant généralement la marge intérieure de la page, délimitée par des traits à l'encre rouge, quelquefois à l'encre bleue ou verte. L'ensemble fut achevé après la mort de l'abbé, celle-ci étant racontée à la fin du texte. Jean nous informe encore, avant de terminer sa narration, que le manuscrit fut copié par un certain Maître Rustique (Magister Rusticus). Le manuscrit se termine par une scène de dédicace où nous voyons le frère Jean offrant son livre à saint Clément, patron de l'abbaye.

Il est intéressant de noter que pour transcrire un manuscrit touchant d'aussi près à son histoire et à son patrimoine temporel, l'abbaye s'adressa à un copiste de l'extérieur, sans doute un laïque. Elle disposait pourtant de son propre scriptorium, et l'on sait notamment que le rédacteur du volume, Jean Bérard, fut d'abord employé à transcrire les chartes de l'abbaye pendant les premières années de l'abbatiat de Leonas. L'emploi de professionnels laïques pour la copie des manuscrits destinés à un établissement ecclésiastique, monastique ou non, est un phénomène bien attesté au XIIe siècle, et même avant, en Toscane. L'exemple de San Clemente a Casauria montre qu'il fut répandu aussi ailleurs en Italie.

L'ouvrage est illustré d'une quarantaine de dessins. Certains figurent les abbés de San Clemente, à partir de Beatus, deuxième abbé, jusqu'à Leonas, commanditaire de l'oeuvre, grand restaurateur de l'abbaye ; d'autres montrent le monastère lui-même, ses moines, ses bienfaiteurs ; les ff. 131 et 185v sont consacrés à des scènes de litige. Il est frappant que cette série d'illustrations, qui ne commence qu'au f. 118 avec Charles le Gros remettant une charte au praepositus Celsus, ne représente ni le


fondateur de l'abbaye, Louis II, ni son premier abbé, Romain. Il est fort possible qu'elle n'ait pas été prévue au départ. Telles qu'elles se présentent, ces images constituent une suite logique aux scènes sculptées sur le tympan du portail de l'église abbatiale qui leur est stylistiquement apparenté. Sur ce portail, qui date lui aussi de l'abbatiat de Leonas, se déploie précisément l'histoire de la fondation d'après le récit de Jean (voir L. Feller, La Fondation de San Clemente a Casauria et sa représentation iconographique, dans M.E.F.R.M., 94 (1982-2), p. 711-728).

Deux mains au moins, travaillant

souvent sur une esquisse préparatoire au trait roussâtre, sont responsables de cette partie de la décoration. Celle-ci étonne par l'archaïsme de son style, de caractère presque germanique, et s'éloigne de tout ce qui se fait de l'autre côté des Apennins ou dans le Sud de la péninsule. La page de dédicace, f. 272v, qui est indéniablement postérieure à la mort de Leonas, est encore d'une autre main. D'un dessin beaucoup plus fouillé, elle semble interpréter, dans un langage plastique assez proche des autres illustrations, des modèles d'inspiration différente, plus en accord avec la tradition byzantinisante qui prévalait alors en Italie.

De l'ornementation du volume, on retiendra avant tout les prolongements marginaux de certaines initiales, qui constituent un exemple précoce de ce type de décor. On ne saurait pourtant affirmer que ces ornements soient tous contemporains de l'exécution du manuscrit.

Prov. : Antonello Petrucci, secrétaire de Ferdinand 1er d'Aragon ; librairie des rois aragonais de Naples ; librairie de Blois.

Bibl. : Muratori, éd. 1726 ; Manaresi, 1947 ; Avril, Zaluska, 1980, 42, pl. XI à XIII ; Pratesi, 1982.


Le XIIIe siècle

Le nombre relativement élevé de manuscrits italiens du XIIIe siècle conservés dans les différents fonds de la Bibliothèque nationale, leur diversité d'origine et de contenu permettent, en dépit de quelques lacunes, d'esquisser un raccourci significatif de la production des principaux centres artistiques de la péninsule à cette époque.

Présentés selon un agencement topographique Nord-Sud, évoquant tour à tour la région vénéto-padouane, Gênes, Bologne, la Toscane, l'Ombrie, Rome, enfin le Sud et Naples, ces manuscrits sont classés chronologiquement et par groupes d'affinité au sein de chaque découpage géographique. L'illustration de ces groupes a été complétée par l'apport de quatre oeuvres importantes, dont l'une inédite, provenant de diverses bibliothèques parisiennes (nos 23, 27, 28 et 41).

A deux exceptions près (n° 21, 1re et 2e parties et n° 40), c'est à la seconde moitié du siècle, phase la plus riche en recherches et en expériences dans le domaine pictural, qu'appartiennent les ouvrages ici exposés. Autre phénomène particulier au XIIIe siècle, sur les vingt-six manuscrits choisis, qui représentent un éventail très large de textes : Écriture sainte, apocryphes, liturgie, philosophie, histoire, médecine, astronomie, droit civil, droit canon et littérature profane, neuf sont des Bibles. Cette proportion est tout à fait évocatrice de la place prédominante tenue à cette époque par la Bible, le Livre par excellence, qui connut un regain de diffusion à la suite de la normalisation par l'Université de Paris, vers 1234 ou peu après, des livres bibliques (ordre des livres et division en chapitres). L'usage privé de la Bible entraîna l'adoption du petit format, qu'on voit se répandre en Italie dès le milieu du siècle, sans que disparaissent pour autant les Bibles in folio, qui demeurent nombreuses jusqu'à la veille du Trecento. La présente exposition a permis à ce propos le rapprochement exceptionnel d'une Bible monumentale (n° 26) et d'une Bible de poche (n° 27), contemporaines et issues d'un même atelier bolonais. Dans chacune d'elles, le maître d'oeuvre a réussi à réaliser un programme iconographique identique, et ceci malgré les difficultés soulevées par la différence de dimensions considérable des deux volumes.

Un regard d'ensemble sur les témoins ici réunis fait apparaître deux constantes de l'enluminure italienne du

XIIIe siècle. La première, la plus fondamentale, est la composante byzantine, héritée du siècle précédent. Partout sous-jacente, elle est particulièrement apparente dans les centres où les témoignages de l'art byzantin, principalement les mosaïques, constituent une référence permanente pour les peintres : c'est le cas de la Sicile (n° 40) mais aussi de Rome (n° 37), et surtout de Venise, où le style de certaines mosaïques de la basilique Saint-Marc, exécutées vers les années 1260-1280, a manifestement inspiré l'un des auteurs de la décoration du fragment d'antiphonaire exposé sous le n° 20. A Bologne, dont la production est remarquablement bien illustrée dans les collections de la Bibliothèque nationale, l'évolution de l'enluminure au cours des troisième et quatrième quarts du siècle, dénote une emprise croissante de l'influence byzantine, qui trouve ses meilleurs interprètes dans le maître de la Bible ms. latin 18 (nos 31, 32), et Nerio, signataire d'un superbe exemplaire du Code de Justinien (n° 33). A l'opposé de ce courant byzantinisant, qui a incité les artistes de la péninsule à s'attacher au rendu de la lumière, du relief, et à la finesse du modelé, le style linéaire et plat de l'enluminure gothique septentrionale, dont l'ascendant sur le décor des manuscrits italiens de cette époque est loin d'avoir été mesuré dans toute son ampleur, a constitué un second pôle d'attraction. Perceptible en maints endroits, l'influence de ce style s'est manifestée avec plus de force dans les centres que des circonstances historiques, politiques ou religieuses, mettaient en contact privilégié avec la culture de l'Europe septentrionale. Dans le Sud, les dominations successives de princes normands, souabes puis français, ont, de longue date et pendant tout le XIIIe siècle, favorisé l'apport septentrional, et il n'est pas étonnant de constater l'utilisation, d'ailleurs originale, de formules nordiques dans les oeuvres issues de l'atelier napolitain du maître de la Bible de Manfred (nos 42, 43), de celui du maître de la Bible de Conradin (n° 41), ou même dans les décors élaborés par les artistes travaillant vers les années 1280 pour le roi de Naples Charles 1er d'Anjou (n° 44). A Rome, centre de la chrétienté, la présence de la curie pontificale, qui entraînait la résidence plus ou moins temporaire de prélats étrangers, contribua également à ouvrir le milieu artistique local au style gothique septentrional, comme en témoignent les manuscrits peints par


le maître Nicolaus (n° 36). Si l'influence française est peu sensible dans les oeuvres bolonaises, la Bible de Raulinus (n° 30) atteste cependant la présence passagère de deux enlumineurs parisiens à Bologne, dont l'université jouissait, pour l'enseignement du droit, d'un renom comparable à celui de Paris pour la théologie. Ailleurs, et c'est le cas en partie pour Gênes, il semble que ce soient les ordres mendiants, dans leurs relations incessantes entre maisons-mères et fondations Outre-monts, qui aient favorisé les échanges d'influences. Ainsi, un groupe de Bibles et de manuscrits liturgiques à usage dominicain (nos 22, 23), offre-t-il un exemple d'imitation très poussée du style gothique français, non seulement dans les formes mais aussi dans les couleurs, au point d'avoir trompé certains historiens de l'art sur leur origine. Une autre occasion de rencontre entre Gênes et l'art gothique français se fit peut-être par l'intermédiaire des ateliers francs de Terre sainte, où les Génois possédaient de nombreux comptoirs.

Aussi importantes soient-elles, les deux principales composantes qui conditionnent le style des productions italiennes du XIIIe siècle, ne suffisent pas à elles seules à rendre compte de la diversité de l'enluminure de la péninsule au Duecento. Pour se faire une idée plus exacte de celle-ci, il faut tenir compte également des recherches constantes menées par les miniaturistes italiens pour parvenir à l'illusion de l'espace, de la lumière, et pour améliorer le rendu des volumes, et quelquefois l'expression des personnages. Ce type d'expérience apparaît en Toscane (n° 34), en Ombrie (n° 35), à Rome (n° 39) et surtout à Bologne, dont l'évolution peut être suivie presque pas à pas grâce à l'ampleur du matériel possédé par la Bibliothèque nationale. L'examen détaillé des manuscrits permet de découvrir et d'observer le cheminement de ces recherches, parallèles à celles qui, dans la peinture monumentale, conduiront aux innovations du grand maître toscan, Giotto.


Padoue-Venise

19. Chansonnier provençal.

Padoue-Venise, XIIIe s. (2e moitié).

Parchemin, [II] + 199 + [II] ff., 310 x 220 mm.

Français 854.

Les affinités linguistiques qui liaient la Provence à l'Italie du Nord, ont favorisé le rayonnement de la poésie provençale dans cette région de la péninsule, où elle fit école, comme en témoigne le présent manuscrit. A côté des poèmes dus aux troubadours français figurent ceux de leurs émules italiens, les génois Lanfranc Cigala et Bonifaci Calvo, le mantouan Sordel et le vénitien Bertolome Zorzi.

La décoration du ms. fr. 854 se compose de quatre-vingt-trois initiales historiées représentant les auteurs dont elles marquent le début des oeuvres. L'artiste en s'inspirant du texte des rubriques introduisant chaque personnage, a cherché à évoquer dans ces « portraits » l'état, la qualité des troubadours ou un trait saillant de leur vie. Ainsi, Folquet de Marseille (f. 61), devenu évêque de Toulouse, apparaît en vêtements épiscopaux, Gausbert de Puycibot (f. 80v) en habit monastique, Cadenet (f. 113v) dans le costume des Hospitaliers de Jérusalem, Guillaume IX d'Aquitaine (f. 142v) en armure et à cheval ; armure et à cheval ; Aimeric de Sarlat (f. 123) joue du tambourin, Jordan Bonel (f. 112v) semble déclamer, Peire de Valeira (f. 113) tient à la main une fleur. C'est à la légende que se réfère l'enlumineur à propos de la mort de Jaufre Rudel figurant au bas du f. 112v. Le fait que Jaufre, prince de Blaye, seigneur de Pons et de Bergerac, ne soit pas revenu de la seconde croisade (1147-1149) et qu'il ait écrit quelques vers énigmatiques sur un amour lointain, a suffi à accréditer la légende suivant laquelle le poète s'était épris de la comtesse de Tripoli, Odierne, épouse de Raymond I, sur le grand bien qu'il en avait ouï dire par les pèlerins venant d'Antioche. Désireux de la voir, il se croisa et s'embarqua. Tombé malade durant la traversée, il arriva à Tripoli pour mourir dans les bras d'Odierne qui se fit nonne pour la douleur qu'elle eut de sa mort.

Le style de ces initiales est à rapprocher de celui des lettres de deux chansonniers provençaux d'origine vénéto-padouane. L'un vraisemblablement antérieur

antérieur fr. 854 est le ms. M. 819 de la Pierpont Morgan Library de New York, l'autre, le ms. Vat. lat. 5232 de la Bibliothèque Vaticane lui est contemporain. On retrouve dans le fr. 854 les caractères dominants des productions vénéto-padouanes : structure compartimentée de certaines initiales, forme des motifs qui en rehaussent le corps et les antennes, coloris d'une intense vivacité, au sein duquel le rouge, le vert, le bleu gris et l'ocre clair jouent un rôle essentiel, particulièrement mis ici en relief par le brillant d'une épaisse couche d'or bruni recouvrant les fonds.

Le ms. fr. 854 ainsi que le ms. fr. 12473 de la Bibliothèque nationale, issu du même atelier et qui lui est presque identique, constituent deux exemples d'égale importance dans le domaine de l'enluminure et dans celui de la tradition littéraire provençale.

Prov. : Non repérable dans les inventaires de la Bibliothèque royale avant le XVIIe siècle.

Bibl. : Jeanroy, 1916, p. 8 ; Brunei, 1935, n° 142 ; D'Arco Avalle, 1961 ; Degenhart, Schmitt, 1980, vol. 1, p. 27, 37, fig. 56 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 14, pl. VII.

Exp. : S. Antonio, 1981, n° 254.

20. Antiphonaire de l'office (fragments).

Padoue-Venise, XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, 1 f., 412 x 363 mm et lettres découpées.

Nouvelles acquisitions latines 2557 (ff. 29-30).

Le feuillet et les initiales présentés ici sont extraits d'un antiphonaire de l'office, et ont été rapportés d'Espagne en 1834 par le baron Taylor avec divers fragments de manuscrits espagnols dont le tout constitue un recueil factice, le ms. nouv. acq. lat. 2557 de la Bibliothèque nationale.

Au f. 29 est collé un feuillet entier en haut duquel un superbe « D » historié (le Christ en buste, bénissant et s. Joseph ? en prière) rehausse le début du répons : Domine Rex omnipotens in ditione tua cuncta sunt posita. du cinquième dimanche de septembre. Au f. 30, sont regroupées une figure d'archevêque donnant sa bénédiction et huit initiales historiée : D (miracle des trois enfants ressuscités par l'intercession de s. Nicolas), D (le Christ en buste, bénissant et s. Jean écrivant son Évangile), Q (s. Paul, debout, portant le livre et l'épée), A (le prophète Ezéchiel et deux personnages), P (Dieu parlant à Judas Macchabée), E (Martyr, debout, tenant une palme), B (le Christ en buste, bénissant et le roi David en prière).

D'une qualité d'exécution remarquable, ces fragments inédits enrichissent notre connaissance de l'enluminure vénéto-padouane du troisième quart du XIIIe siècle et confirment la permanence de l'influence byzantine déjà manifeste dès 1259 dans l'Epistolier de Johannes de Gaibana (Padoue, Bibliothèque capitulaire). Fait original et qu'il est important de souligner à propos des deux artistes, auteurs de cette série d'initiales, c'est dans la peinture monumentale que leur ouvrage trouve ses meilleures références. En effet, des comparaisons précises peuvent être établies entre les feuillages aux rehauts blancs multiples utilisés par le premier enlumineur aux ff. 29 et 30 (lettres D, A, S), et les motifs végétaux occupant les arcs et les pendentifs de la cinquième coupole de l'atrium de Saint-Marc de Venise (1260-1280). La figure d'archevêque du f. 30, attribuable à la même main, peut être rapprochée de représentations analogues dans les mosaïques de la façade occidentale de Saint-Marc, au-dessus de la porte San Alippio (vers 1270). Les personnages des initiales D, Q, P, E, B au f. 30, dues au


second artiste, dont le modelé est moins vigoureux mais plus nuancé, offrent des affinités stylistiques avec les fresques de Sopotchani (1252-1276). La structure des lettres à corps compartimenté, l'encadrement épais des aires colorées sur lesquelles celles-ci se détachent, la forme des hastes et des fleurons terminaux sont typiques des productions vénéto-padouanes de même que l'éclat des couleurs mis en valeur par les teintes sombres des fonds.

Prov. : Fragments rapportés d'Espagne par le baron Taylor en 1834 ; collection du comte A. de Bastard d'Estang ; donné par la comtesse de Bastard en 1884 à la Bibliothèque nationale.

Bibl. : Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 11 bis, pl. A, V-VI.

Gênes

21. Caffaro et continuateurs, Annales de Gênes.

Gênes, XIIe s. (2e moitié, après 1166) jusqu'au XIIIe s. (fin, après 1287).

Parchemin, 186 + IV ff., 336 x 240 mm.

Latin 10136.

Mêlé de bonne heure à la vie politique de sa ville, Caffaro fut un chroniqueur doublé d'un homme d'action. Dès sa jeunesse, en 1100, il s'embarqua avec des compatriotes pour la Terre sainte afin de prêter main forte aux premiers Croisés. De 1125 à 1149, il assuma six fois la charge de consul de la république de Gênes et mena contre les Pisans et les Sarrasins plusieurs expéditions au cours desquelles il se révéla excellent stratège.

Sous le titre général d'Annales, son oeuvre, telle qu'il la présenta en 1152 au Conseil de la république, comporte la chronique de Gênes proprement dite (de 1099 à 1152) et deux opuscules, l'un sur la Libération des cités d'Orient, l'autre sur l'Histoire du royaume de Jérusalem. A la demande du Conseil, Caffaro poursuivit son ouvrage mais le manque d'homogénéité du style, pour la période allant de 1152 à 1166 date de la mort de l'auteur, laisse supposer diverses collaborations. Peu après 1166, le Conseil fit exécuter d'après l'original une copie destinée aux archives de la cité. Il s'agit du manuscrit exposé ici. Celui-ci contient, en plus des textes rédigés par Caffaro, le récit jusqu'en 1287 des événements marquants de l'histoire génoise. Cette continuation est l'oeuvre d'une vingtaine de chroniqueurs intervenus au fil des années.

En considérant le style de l'ornementation du lat. 10136, on distingue six étapes dans son élaboration. Les trois premières appartiennent au XIIe siècle (1166-1173 : ff. 1-14, 1173-1196 : ff. 65-88v, après 1196-vers 1200 : ff. 105-114v) et correspondent à une production de type roman comme en témoignent le portrait de Caffaro et de son secrétaire au f. 1 et les scènes marginales, soit dessinées au trait, soit rehaussées de couleurs. Ces illustrations, bien que succinctes, sont souvent très vivantes et suggestives des faits relatés, les unes d'un caractère assez général tels les villes ou les galères en flammes, les machines de guerre, les combattants affrontés, les scènes d'hommages, les autres très précises comme la chute mortelle que fit l'empereur Frédéric 1er dans le fleuve Gôksu en 1190 (f. 109). Il en est de même pour les grandes peintures sur fond d'or, dont la mieux conservée au f. 113 montre Jacobus Manerius, podestat élu en 1195, siégeant parmi les consuls. Des trois autres phases du décor (vers 1230-1240 : ff. 141-145 v, après 1240 : f. 153, après 1287 : ff. 17-63v), la dernière est la plus intéressante. La décoration exécutée après 1287, constituée par quelques initiales ornées et une série de lettres filigranées à l'encre rouge et bleue, est le reflet de l'évolution que connut l'enluminure génoise, au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle, sous l'influence de l'art gothique septentrional.

Prov. : Archives du Conseil de la république de Gênes ; entré à la Bibliothèque nationale au


moment des saisies faites en Italie à l'époque révolutionnaire.

Bibl. : Belgrano, Imperiale di Sant'Angelo. 1890-1901, t. XI, p. XXII-XXXVI ; Samaran. Marichal, 1974, p. 153 ; Avril, Gousset Rabel, 1984, n° 24, pl. XII-XIV.

22. Bible.

Gênes, XIIIe s. (3e-4e quart).

Parchemin, 506 ff., 360 x 245 mm.

Latin 42.

La décoration de style gothique septentrional, exécutée après 1287, dans la dernière partie des Annales de Caffaro (n° 21) constitue un jalon intéressant pour l'histoire de l'enluminure génoise. Elle n'est cependant que le faible écho d'un courant d'influence dont l'importance n'a pas été jusqu'à présent suffisamment dégagée et qui a très profondément marqué certains milieux artistiques génois, tel l'atelier travaillant pour les Frères Prêcheurs du couvent San Domenico, au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle. Ce couvent, qui suivant la tradition aurait été fondé par saint Dominique vers 1214-1220, et eut pour prieur Pierre de Vérone, fut supprimé en 1798. Ses manuscrits furent alors transférés dans une autre fondation dominicaine de Gênes, celle de Santa Maria del Castello.

La comparaison de la présente Bible avec ces manuscrits, en particulier l'antiphonaire E, et d'autres Bibles de la même famille dispersées dans diverses bibliothèques en France et à l'étranger, ne laisse pas de doute sur son appartenance au groupe de San Domenico et sur son attribution en totalité à l'artiste qui fait figure de chef d'atelier et que nous proposons d'appeler le maître du lat. 42.

L'initiale peinte au début du livre de Judith au f. 202 (Judith décapitant Holopherne) montre l'étonnante assimilation du style gothique français dans la schématisation des formes, le manque de relief, la prééminence du dessin au trait noir et les couleurs dont la gamme se réduit à six tonalités : bleu azur, bleu ardoise, vieux rose, rouge orangé, vert amande et blanc. Au-dessus de cette initiale historiée, une lettre filigranée à l'encre rouge et bleue, offre dans sa partie interne des motifs réservés. Ce type de décor, que l'on retrouve assez souvent dans d'autres productions de cet atelier, est fréquent dans les manuscrits d'origine génoise, à commencer par les Annales de Caffaro (ff. 17 à 63v).

A la fin de la Bible, Cod. 5.2. Aug. fol. 2062 de l'Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel, décorée en majeure partie par le maître du lat. 42, une mention d'achat, datée de 1270, témoigne de l'activité

l'activité l'artiste dès les dernières années du troisième quart du siècle.

Prov. : Abbaye du Sauveoir-sous-Laon ; maréchal de Noailles dont les manuscrits ont été acquis en 1740 par la Bibliothèque royale.

Bibl. : Erbach-Fürstenau, 1931, p. 56-57 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 25, pl. B, XV-XVI.

23. Antiphonaire à l'usage dominicain.

Gênes, XIIIe s. (3e-4e quart).

Parchemin, 244 ff., 600 x 400 mm.

Paris, École des Beaux-Arts, collection Masson 126.

Cet imposant livre de choeur, dont l'origine dominicaine est soulignée par la représentation du martyre de saint Pierre de Vérone au f. 220, est le troisième volume d'un antiphonaire qui en comprenait quatre. L'ensemble contenait ainsi la totalité des antiennes chantées tout au long de l'année liturgique. Dans le ms. Masson 126, le temporal va de la Quinquagésime à la Pentecôte, et le sanctoral, de la solennité de la Chaire de saint Pierre à celle de la Couronne d'épines. Trente-deux initiales peintes soit historiées, soit ornées, sont réparties au début de la première antienne de


chaque dimanche et fête, tandis que les articulations des autres pièces sont rehaussées de lettres filigranées tantôt de type français, tantôt de type italien avec emploi fréquent de motifs réservés (cf. n° 22).

L'essentiel de la décoration peinte est l'oeuvre du maître du ms. lat. 42 dont on reconnaît la manière très caractéristique de traiter les visages, la raideur des drapés et le répertoire ornemental. L'utilisation dans ce dernier d'éléments archaïques, tels les noeuds d'entrelacs et les palmettes digitées s'enroulant autour du corps de certaines initiales, trahissent l'interprétation de l'artiste italien. Cette impression est confirmée par la présence de quelques ombres, ébauches de modelé, qui n'ont pas leur équivalent dans l'enluminure française contemporaine. Les

grandes dimensions des initiales ont permis à l'artiste de donner toute sa mesure au travers de compositions souvent sobres à l'aspect monumental comme la très belle scène représentant, au f. 151 v, le Christ devant la Cité sainte de Jérusalem.

Sans vouloir tirer des conclusions trop hâtives sur la complémentarité possible du Masson 126 et de deux autres fragments d'antiphonaire, le ms. E, originaire de San Domenico de Gênes (cf. n° 22) et le ms. W 64 de la Walters Art Gallery de Baltimore où l'on retrouve la main du maître du lat. 42 et de ses collaborateurs, il convient de relever le lien étroit qui existe entre ces trois ouvrages. Ceux-ci, avec les oeuvres qui leur sont apparentées, ouvrent des perspectives nouvelles sur l'ampleur de l'influence

gothique septentrionale à Gênes, influence dont le milieu dominicain semble avoir favorisé la propagation.

Prov. : Donation Jean Masson à l'École des Beaux-Arts (1926).

Bibl. : Corbin, 1974, p. 170 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, p. 23 et n. 9, 24 n. 15, 17.

24. Les Faits des Romains. Empereurs de Rome. Brunetto Latini, Le Trésor. Admonestement d'un père à son fils.

Gênes, XIIIe s. (3e-4e quart).

Parchemin, 199 ff., 315 x 240 mm.

Français 726.

Le présent manuscrit renferme deux textes anonymes à caractère historique : les Faits des Romains, compilation rédigée en 1213-1214, principalement basée sur les ouvrages de Salluste, Suétone et Lucain, et une liste des empereurs de Rome jusqu'à Frédéric II (t 1250), enfin deux oeuvres didactiques, dont le Trésor du florentin Brunetto Latini (t 1294). Cette encyclopédie directement écrite en français entre 1260 et 1266, connut une rapide diffusion dans la péninsule avant même d'être traduite en italien.

La décoration du ms. fr. 726 est le travail de trois enlumineurs, dont le plus intéressant est l'auteur des lettres historiées et ornées des ff. 43, 45v, 49v, 53v, 60, 66v, 75v, 82v, 95 et 108. L'initiale du f. 75v (Sextus Pompée consultant la sorcière Erichto) est typique de sa manière, reconnaissable à la forme simplifiée des figures traitées sans relief, avec emploi simultané de dessin à l'encre à peine coloré et de peinture couvrante. Les extrémités de l'initiale sont également caractéristiques avec leurs antennes à fleurons ou à demi-feuilles accompagnées d'animaux ou de bêtes fantastiques, en particulier un bipède cornu et bossu, au pelage moucheté, que l'on retrouve entre autres dans le ms. Ashburnham 123 de la Bibliothèque Laurentienne, recueil contenant le Roman de Tristan, Guiron le Courtois et le Bestiaire d'amour de Richard de Fournival.

Le style de cet enlumineur a été adopté pour l'illustration d'un ensemble considérable de manuscrits de la fin du XIIIe siècle, dont l'origine, après avoir été localisée en Lombardie par Toesca, a été située en Italie méridionale par B. Degenhart et A. Schmitt, qui voient dans le style de ce groupe et du fr. 726 une dérivation de celui des manuscrits manfrédiens. En fait, divers indices


conduisent à rattacher les manuscrits de ce groupe à la production génoise, où se manifeste, parmi divers courants stylistiques, une tendance à la schématisation des formes.

Bien qu'elle soit l'oeuvre de deux artistes, la décoration filigranée à l'encre rouge et bleue des lettres marquant les débuts de chapitre est très homogène et confirme l'attribution à Gênes. Les éléments de cette ornementation (motifs réservés, enroulements et crochets) se retrouvent en effet dans les manuscrits génois du dernier quart du siècle, ainsi aux ff. 17 à 63v, postérieurs à 1287, des Annales de Caffaro (n° 21). Les lettres filigranées du fr. 726 sont identiques à

celles d'un exemplaire du Bestiaire d'amour de Richard de Fournival, le ms. M. 459 de la Pierpont Morgan Library de New York, ouvrage qu'en dépit de sa nette appartenance au groupe précité, B. Degenhart maintient paradoxalement en Lombardie.

Prov. : Pietro Sacco da Verona connu comme bibliothécaire du duc de Berry dès 1415 puis comme libraire à Paris vers 1421-1423 ; cardinal Mazarin.

Bibl. : Flutre, 1932, p. 65, 88-137 ; Carmody, 1948, p. XXXIII, XXXVII, LII ; Degenhart, Schmitt, 1980, vol. 2, p. 189, 199, 201, fig. 336-339 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 38, pl. XXI-XXIII.

25. Roman de Tristan.

Gênes, XIIIe-XIVe s.

Parchemin, 127 ff., 355 x 260 mm.

Français 760.

Le ms. fr. 760 est un exemplaire incomplet du Roman de Tristan en prose, oeuvre composée entre 1215 et 1230. Il fait partie d'un ensemble important de manuscrits, presque tous consacrés à la littérature courtoise, que B. Degenhart et A. Schmitt attribuent à l'Italie du Sud pour des raisons historiques et stylistiques. Comme dans la majorité des représentants de ce groupe, le parchemin du fr. 760 est épais et de qualité médiocre. L'aspect négligé de l'écriture, l'utilisation de la technique peu onéreuse du dessin rehaussé d'un choix limité de couleurs, l'emploi d'or et d'argent posés sans soin en couche très mince, révèlent une exécution rapide


correspondant à un système de production fait pour répondre à la demande de lecteurs relativement nombreux.

L'illustration abondante qui occupe le bas de la plupart des feuillets, suit assez fidèlement le texte. Au f. 15v on peut voir les chevaliers Guerret et Agravain racontant au roi Arthur comment ils ont été vaincus par Tristan et, sur la page suivante, Tristan se dirigeant en compagnie d'un autre chevalier vers le château de la Joyeuse Garde où l'attend Iseut. Pour servir de points de repère aussi bien à l'artiste qu'au lecteur, les noms des différents héros de chaque scène ont été inscrits à l'encre rouge ; parfois leurs initiales seules ont été indiquées, ainsi au f. 16, où les lettres M.T. désignent monseigneur Tristan. Ces illustrations, de même que les initiales historiées, sont traitées dans le style schématique, qui n'est d'ailleurs pas dénué d'expression, que l'enlumineur principal du ms. fr. 726 de la Bibliothèque nationale (n° 24) a, semble-t-il, inauguré. Les deux manuscrits présentent une palette comparable, dont les coloris de base sont le vert foncé, le rouge, le bleu ciel et le gris virant au mauve ou au rose. L'étroite parenté stylistique qui lie ce Roman de Tristan au ms. Ashburnham 123 de la Bibliothèque Laurentienne de Florence et au fr. 726, permet d'en situer l'origine à Gênes, centre largement ouvert à la culture et aux influences françaises.

Prov. : Mention : Arlenc (Auvergne), seigneurie des Vissac alliés à la famille de Tournon ; cardinal Mazarin.

Bibl. : Loomis, 1938, p. 117, fig. 320 ; Perriccioli Saggese, 1979, n° 5 p. 91, pl. XIX-XX ; Degenhart, Schmitt, 1980, vol. 2, p. 190, 197 sq., 221 sq., cat. n° 671, vol. 3, pl. 103-104 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 46, pl. XXVI-XXVII.

Bologne

26. Bible.

Bologne, XIIIe s. (vers 1267).

Parchemin, 1-11 + 455 ff., 435 x 280 mm.

Latin 22.

Une mention écrite à la suite du livre de l'Apocalypse révèle que deux frères, Cardinale et Rugerino da Forli, ont copié la présente Bible, peu de temps après leur installation à Bologne, pour Frédol de Saint-Bonnet, chanoine de Maguelonne (Hérault). Le nom de ce clerc français, étudiant en droit à la célèbre université, apparaît dans les archives bolonaises avec le premier document relatif à la carrière des deux copistes : un acte d'engagement pour la commande de deux exemplaires des Décrétales, daté de 1267. C'est vers cette date, ou peu avant, qu'il convient de situer l'exécution du ms. lat. 22, l'un des plus précoces témoins de l'épanouissement que le premier style bolonais a connu pendant le troisième quart du XIIIe siècle.

Tous les éléments de sa décoration peinte sont typiques des manuscrits issus du grand centre émilien à cette époque : structure des initiales, prolongements marginaux développés en bas de page, éventail des couleurs, contrastes entre le vert, l'orange vifs et la gamme habituelle des ocres et des bleus. L'originalité de cette Bible par rapport aux oeuvres qui lui sont apparentées, réside dans la qualité de la technique, la souplesse et l'équilibre des formes, la légèreté des compositions, leur rigueur géométrique qui ne nuit en rien à la fantaisie de l'inspiration.

L'ornementation des ff. 406v (Épître de s. Paul à Tite) et 407 (Épître de s. Paul à Philémon, Épître aux Hébreux) illustre ce sens de la mesure et de l'harmonie propre à l'enlumineur du ms. lat. 22.

Prov. : Frédol de Saint-Bonnet ; abbaye d'Eaunes (diocèse de Toulouse) au XVIe siècle ; Charles-Maurice Le Tellier (1642-1710), archevêque de Reims, dont les manuscrits sont entrés à la Bibliothèque royale en 1700.

Bibl : Fallani, 1971, p. 137-140, pl. XI-XII ; Conti, 1981, p. 21, 23, 24, 26, 27, 47, pl. II, fig. 17, 18, 24, 27, 48 ; Gousset, 1982 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 103, pl. C, XLIX-L.


27. Bible.

Bologne, XIIIe s. (3e quart, vers 1270).

Parchemin, 2 vol., vol. 1 1 + 499 + 1 ff., vol. 2 : II + 18 6 III ff., 190 x 130 mm.

Paris, Archives de la Compagnie de Saint-Sulpice, ms. 1972-1973.

Cette petite Bible en deux volumes, intéressante réplique du manuscrit précédent (n° 26), est la première oeuvre qu'il soit possible d'attribuer avec certitude à l'enlumineur du ms. lat. 22 de la Bibliothèque nationale, bien que le texte semble avoir été copié par une main différente de celles des frères Cardinale et Rugerino da Forli.

L'identité de style est vérifiable à tous les niveaux de l'ornementation : figures, initiales ornées, motifs marginaux. Le maître de la Bible de Frédol de Saint-Bonnet a vraisemblablement conçu la totalité de la décoration peinte, se faisant aider pour l'exécution par un collaborateur, bon imitateur, mais reconnaissable à certaines maladresses, telles les ombres pâteuses dont il entache souvent les visages.

L'élément le plus remarquable de ce manuscrit est sans aucun doute l'habileté avec laquelle l'artiste a opéré la transposition du grand au petit format. Pour éviter de trop réduire les sujets, il les a rejetés en bas de page, les intégrant à une composition marginale qui, dans la plupart des cas, reprend les lignes essentielles de son homologue dans le lat. 22. Le f. 89 du vol. 2 (Epître de s. Paul à Tite) est un exemple de cet élégant procédé d'adaptation.

L'initiale de la Genèse au f. 5v du vol. 1 (Création, Crucifixion, Annonciation) peut être considérée comme le reflet de ce que devait être celle du lat. 22 aujourd'hui disparue. La présence d'un franciscain en orant, à droite de l'Annonciation, de même que la représentation de s. François d'Assise recevant les stigmates au f. 77 du vol. 2, indiquent un destinataire franciscain.

Prov. : Antipape Benoît XIII ? ; Compagnie de Saint-Sulpice.

Bibl. : Gousset, 1982.

28. Al-Sufi, Traité des étoiles fixes, traduction latine anonyme. Abu Ma'Shar, Traité de la révolution des années, traduction de Jean de Séville. Pl. coul. VI.

Bologne, XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, 122 ff., 333 x 234 mm.

Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 1036.

Dans son traité sur les étoiles fixes, l'astronome arabe Abd-El-Rahman Al-Sufi (903-986) a repris, en l'enrichissant

d'observations personnelles et en conservant la figuration mythologique des constellations, le passage de l'Almageste que le savant grec, Ptolémée avait consacré au même sujet, huit siècles plus tôt. La traduction latine de l'ouvrage d Al-Sufi, faite au cours du dernier quart du XIIe siècle, par un auteur anonyme, a la demande de Guillaume II, roi de Sicile (1166-1189), a donné naissance à une tradition manuscrite dans laquelle les illustrations ont gardé l'empreinte du modèle


arabe. La fidélité à l'iconographie orientale est particulièrement évidente dans le ms. 1036. Les représentations astrales des ff. 12 (Ophiucus, appelé aussi Serpentaire, Esculape ou Aristée), 16 (Pégase), 20 (le Bélier), 29v (le Sagittaire) en sont de convaincants témoignages.

Bien qu'attribué depuis toujours à l'Italie méridionale, en raison de l'origine sicilienne de son prototype, ce superbe manuscrit est à replacer au sein de la production bolonaise, si l'on tient compte de ses éléments stylistiques. La gamme des

couleurs semblable à celle du ms. latin 22 (n° 26), les figures délicatement modelées en ocre et bleu, les initiales peintes et la décoration filigranée, comme on peut le voir aux ff. 70v-71 (astronome observant le ciel étoilé), relèvent du même style que la Bible, Canon Bibl. Lat. 56 de la Bodleian Library d'Oxford, copiée en 1265 par Lanfranco Pancis da Cremona et confirment cette appartenance au grand centre universitaire émilien où l'enseignement des sciences était également très florissant.

La synthèse entre le premier style bolonais, pur, équilibré, et la schématisation orientale atteint ici une qualité exceptionnelle.

Prov. : Collection du marquis de Paulmy (1722-1787).

Bibl. : Saxl, Meier, 1953, p. XXXII ; Bologna, 1969, p. 47 ; Gousset, à paraître.

Exp. : Staufer, 1977, n° 821 ; Trésors de l'Arsenal, 1980, n° 89.

29. Saint Raymond de Pennafort, Somme sur la pénitence, Somme sur le mariage avec gloses de Guillaume de Rennes.

Bologne, XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, 1 + 19 + 234 ff., 375 x 230 mm.

Latin 3253.

Saint Raymond de Pennafort (1275), éminent canoniste et théologien espagnol, enseigna le droit canonique à Bologne entre 1216 et 1220 avant d'entrer en 1222 dans l'ordre des Frères Prêcheurs dont il fut le maître général de 1238 à 1240. C'est à Barcelone, vers 1222-1229, qu'il écrivit la Somme sur la pénitence dans le but d'aider les confesseurs à résoudre les cas de conscience qui pouvaient leur être soumis. La Somme sur le mariage, complément du précédent ouvrage, a dû être composée vers 1235-1236. Elle est ici accompagnée du commentaire rédigé entre 1241 et 1250 par un autre dominicain, Guillaume de Rennes.

Les illustrations des diverses situations envisagées dans les deux Sommes sont réparties en tête de chaque chapitre dans une centaine d'initiales historiées où de petites scènes empruntées à la vie soit profane, soit religieuse, sont traitées d'une manière très évocatrice par l'excellent enlumineur de la Bible, Vat. lat. 20 de la Bibliothèque Vaticane. Son style

présente par rapport à celui des trois manuscrits bolonais décrits ci-dessus, une évolution certaine, annonciatrice des oeuvres de la fin du siècle. Le changement est surtout sensible dans le modelé qui devient plus naturaliste et moins décoratif, dans l'emploi d'une couche picturale assez épaisse même lorsqu'il s'agit de teintes claires. Les couleurs, si elles ne varient pas, gagnent en vigueur. L'utilisation du vert olive fortement rehaussé de jaune vif apporte une note lumineuse et acide à l'ambiance colorée du manuscrit et semble particulière à cet artiste. La plupart des initiales peintes, comme aux


ff. 63v (archer) et 64 (rapt d'une jeune femme), se prolongent par des baguettes marginales, elles-mêmes terminées par de gros fleurons à fond noir que l'on retrouve dans le ms. Vat. lat. 20. Toutes ces caractéristiques apparaissent également dans le premier cahier du ms. nouv. acq. lat. 3189 de la Bibliothèque nationale (n° 30) qu'il est intéressant de pouvoir rattacher à la même personnalité artistique.

Prov. : Nicolas Gugler Noricus au XVIe siècle ; cardinal Mazarin, dont les manuscrits sont entrés en 1668 à la Bibliothèque royale.

Bibl. : Conti, 1981, p. 16, 24, 28, fig. 34-36 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 119, pl. D, LVII.

30. Bible.

Bologne, XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, A-C + 422 ff., 270 x 178 mm.

Nouvelles acquisitions latines 3189.

A l'instar de Paris, Bologne devint au XIIIe siècle, grâce à la renommée de son université, un centre privilégié d'échanges intellectuels et artistiques. Il n'est pas rare de trouver dans les contrats conservés aux archives de la ville, des noms étrangers aussi bien du côté des commanditaires que du côté des copistes ou des enlumineurs. Le ms. nouv. acq. lat. 3189 est un exemple significatif de l'activité des ateliers dans ce milieu cosmopolite. Son copiste, Raulinus de Fremyngton, un Anglais originaire du Devon, ruiné après deux ans d'études à Paris, s'installa à Bologne, où, partagé entre la débauche et le remord, il exécuta ce travail en l'honneur de la Vierge et en expiation de ses fautes. Ces renseignements nous sont livrés par Raulinus lui-même dans de nombreuses mentions d'inspiration goliardique, écrites entre les livres bibliques, tantôt en latin, tantôt en français ou en italien. Illustré par deux maîtres parisiens séjournant à Bologne, le manuscrit subit, pour des raisons ignorées et peu de temps, semble-t-il, après son achèvement, une importante restauration qui entraîna le remplacement du premier cahier. Celui-ci fut entièrement récrit par un scribe bolonais. La décoration peinte, dont l'initiale de la Genèse au f. Cv (Christ en buste entre deux archanges, Création, Crucifixion et Agneau mystique entourés des quatre symboles des évangélistes, Annonciation) est la pièce essentielle, peut être attribuée avec certi-


tude à l'artiste du ms. Vat. lat. 20 de la Bibliothèque Vaticane et du ms. lat. 3253 (n° 29) de la Bibliothèque nationale. Le filigraneur, chargé de l'ornementation des lettres à l'encre rouge et bleue, s'est appliqué à imiter le style gothique français sans toutefois parvenir à faire une totale abstraction de sa propre tradition artistique.

L'élaboration complexe de cette Bible, destinée à des franciscains, comme le suggèrent les portraits de s. François d'Assise et de s. Antoine de Padoue sur la première page, constitue un témoignage précieux pour l'histoire de l'enluminure en France et en Italie au XIIIe siècle.

Prov. : Petrus Stephanus ; Lorme ; au XVIIe siècle, Soubran, conseiller au tribunal de Rio ; couvent des Carmes Déchaussés de Riom.

Bibl. : Vente, 1933, n° 59, p. 13-22 ; Vente, 1983, n° 7 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984. n° 118 bis, pl. E., LVII.

31. Bible. Pl. coul. VII.

Bologne, XIIIe s. (fin).

Parchemin, III + 464 ff., 455 x 280 mm.

Latin 18.

L'orientation stylistique dont le ms. lat. 3253 (n° 29) de la Bibliothèque nationale marque le prélude, s'affirme au cours du dernier quart du XIIIe siècle. A la veille du Trecento, son aboutissement apporte à l'enluminure bolonaise une dimension nouvelle, manifeste dans le ms. lat. 18 et les oeuvres qui lui sont apparentées. Le caractère magistral de cette Bible, appelée aussi Bible de Clément VII, du nom de son possesseur présumé, a suscité plusieurs essais d'attribution. Après Oderisi da Gubbio et Franco Bolognese, immortalisés par Dante dans la Divine Comédie, au chant XI du Purgatoire, Jacopino da Reggio a été récemment proposé. Cependant les illustrations du ms. Vat. lat. 1375 de la Bibliothèque Vaticane, dans lequel Jacopino est cité comme peintre, ont été exécutées par le maître du lat. 18 en collaboration avec d'autres enlumineurs, et en l'absence de données plus précises, l'identification demeure hypothétique. Même s'il doit rester anonyme, l'auteur de la décoration du ms. lat. 18 n'en est pas moins l'un des plus grands artistes de son époque. Bien que fortement pénétré par l'influence byzantine, son style conserve une connotation profane héritée de l'art antique. De


nombreux thèmes du répertoire gréco-romain sont repris dans l'ornementation marginale ou parfois adaptés aux scènes bibliques. Au f. 342v, en tête de l'Évangile selon s. Matthieu (Généalogie du Christ, Annonciation, Crucifixion, Saintes Femmes au tombeau), les portraits d'ancêtres, représentés dans des médaillons au-dessus de Jessé endormi, rappellent clairement la tradition antique.

La lumière, le mouvement, la suggestion des volumes, l'individualité des personnages à l'aspect souvent monumental, semblent être les préoccupations majeures du maître du lat. 18 qui fait en cela plus figure de peintre que d'enlumineur.

Prov. : Antipape Clément VII (Robert de Genève) ? ; cardinal Louis-Antoine de Noailles, archevêque de Paris (1700-1729) ; maréchal Adrien-Maurice de Noailles dont les manuscrits sont entrés en 1740 à la Bibliothèque royale.

Bibl. : Longhi, janv. 1966, p. 3-17 ; Longhi, mai 1966, p. 3-8 ; Bottari, 1967, p. 53-59 ; Fallani, 1971, p. 137-151, pl. XXI-XXVIII ; Conti, 1981, p. 7, 14, 16, 19, 39, 43-50, fig. 99. 110, 115, 116,, 14 ; ; Jacoff, 1981, p. 165-167 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 124, pl. G, LXI-LXV.

32. Psautier.

Bologne, XIIIe s. (fin).

Parchemin, 227 ff., 135 x 105 mm.

Smith-Lesouëf 21.

L'usage du psautier comme livre de dévotion personnelle a précédé celui du livre d'heures qui n'apparaît qu'au début du XIVe siècle. Le ms. Smith-Lesouëf 21 comporte un calendrier, les cent-cinquante psaumes répartis en huit sections liturgiques suivant les jours de la semaine, les litanies des saints, diverses oraisons empruntées à la Bible, à s. Ambroise et s. Athanase. Entre le calendrier et le psautier proprement dit, douze compositions à pleine page représentent quelques scènes essentielles de la vie du Christ et de la Vierge. Ce cycle a malheureusement été amputé de deux peintures dont l'une est identifiable avec un feuillet isolé autrefois conservé dans la collection Forrer à Strasbourg.

Toute la décoration de ce manuscrit, qui par sa structure et son iconographie rappelle le psautier ms. 346 de la Bibliothèque universitaire de Bologne, est

l'oeuvre du maître du lat. 18 (n° 31) de la Bibliothèque nationale. La comparaison entre les Saintes Femmes au tombeau au f. 342v de cette Bible et au f. 24 du Smith-Lesouëf 21 ne laisse pas de doute sur l'identité de main. Celle-ci est confirmée par le style de l'ornementation végétale reliant les différents éléments du décor au f. 145v (clercs chantant l'office, joueur de vielle), le modelé très nuancé des chairs, les effets de transparence et l'emploi de coloris somptueux comme en témoignent les illustrations des ff. 13v (Nativité de la Vierge), 14 (Baptême du Christ) et 23v (Descente du Christ aux Enfers). On retrouve ici la même mise en valeur des demi-teintes, principalement le gris, le rose, le mauve et le vert jade, la recherche de contrastes subtils entre le gris et l'argent, les bruns et le mordoré, l'or bruni, brillant et le reflet atténué de l'or en poudre.

La nette prédominance de l'influence byzantine, l'expression des personnages moins emphatique que dans le lat. 18 ou la Bible Add. 18720 de la British Library, également attribuée à cet artiste, incitent à situer l'exécution du psautier avant celle des deux autres manuscrits.

La présence au calendrier de saints propres au diocèse de Tournai est un indice pour l'origine du commanditaire ; elle montre une fois de plus la diversité de la clientèle des ateliers bolonais à cette époque.

Prov. : Collection Smith-Lesouëf à Nogent-sur-Marne, léguée en 1913 à la Bibliothèque nationale où elle fut définitivement versée à partir de 1940.

Bibl. : Leroquais, 1940-1941, p. 328 ; Leroquais, 1943, n° 4, p. 9-10, pl. I-VI ; Conti, 1981, p. 45 n. 22 ; Jacoff, 1981, p. 165-167 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 123, pl. F, LIX-LX.


33. Justinien, Code, livres 1 à IX, avec glose d'Accurse.

Bologne, XIVe s. (début, 1er quart).

Parchemin, 285 ff., 445 x 285 mm.

Latin 8941.

Dès son avènement, l'empereur Justinien procéda, avec l'aide d'une commission de dix juristes, à la compilation des recueils de constitutions impériales. Dans le nouveau Code, composé de douze livres, la plus ancienne constitution remontait au temps d'Hadrien, la plus récente datait de 534, année de sa

promulgation. Il fut l'objet de nombreux commentaires parmi lesquels celui d'Accurse (1260), professeur de droit romain à Bologne, connut un si vif succès qu'il reçut l'appellation de Glose ordinaire. Cette glose encadre le texte copié sur deux colonnes dans le présent manuscrit comprenant uniquement les neuf premiers livres.

La décoration peinte du ms. lat. 8941 est l'oeuvre de huit enlumineurs. Nerio, l'artiste principal, auteur des peintures et d'une partie de l'ornementation, a inscrit son nom au f. 4 sur la banderole d'un personnage marginal. Son style, sa palette riche et raffinée en font un continuateur du maître du lat. 18 (n° 31). Il se dégage toutefois de ses compositions une impression de lourdeur, absente chez son prédécesseur. Elle est perceptible, par exemple, au f. 264v (Justinien assisté de ses conseillers rendant la justice) dans l'aspect massif des figures, des drapés ou l'opacité des ombres insuffisamment dégradées sur les visages. Une évolution apparaît dans l'emploi de motifs décoratifs plus stylisés, tels les fleurons insérés dans un quart de cercle et les formes imitant les caractères coufiques. A l'opposé de Nerio, un de ses collaborateurs, dont l'activité est attestée par ailleurs en 1306, fait preuve d'archaïsme en perpétuant un style linéaire défini par le renforcement des contours et l'absence presque totale de modelé. Il est suivi par un seul enlumineur tandis que les cinq autres peuvent être considérés comme des émules plus ou moins fidèles de Nerio. Ainsi, le ms. lat. 8941 apporte-t-il un aperçu révélateur des diverses tendances artistiques qui coexistaient à Bologne au début du xive siècle, parfois au coeur d'un même atelier.

Prov. : Entré à la Bibliothèque royale entre 1735 et 1781.

Bibl. : Conti, 1981, p. 52, 59, 63-65, 68, 72, 73, 83, pl. XVIII, fig. 168-175 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 141, pl. H, LXXI-LXXIV.

Toscane

34. Gilles de Rome, Livre du gouvernement des princes, traduction italienne anonyme. Pl. coul. V.

Toscane, XIIIe s. (fin) ou XIIIe-XIVe s. Parchemin, 1 + 223 ff., 335 x 240 mm. Italien 233.

Gilles Colonna (1247-1316), dit de Rome en raison de son origine, après être entré chez les ermites de saint Augustin, acheva ses études à Paris sous l'égide de saint Thomas d'Aquin. Devenu docteur, il obtint une chaire à l'université. Sa renommée de saint religieux et d'éminent théologien dépassa rapidement les limites de son ordre et retint l'attention du roi de France, Philippe III, qui lui confia l'éducation de son fils. C'est pour le jeune Philippe le Bel que Gilles de Rome rédigea en latin, avant 1285, le Livre du gouvernement des princes. Traduit en plusieurs langues, ce traité de morale et de politique acquit une égale notoriété auprès des princes et de grandes familles comme celle des Pallavicini, dont l'un des membres posséda, au XIVe siècle, le présent manuscrit, bel exemplaire d'une version italienne anonyme.

Le goût de l'enlumineur pour la stylisation, propre à bon nombre de manuscrits arétins des troisième et quatrième quarts du XIIIe siècle, confère aux personnages un aspect particulier, reconnaissable dans la forme des visages à l'ovale plein, la bouche petite, le nez effilé, dans la raideur des drapés et le modelé, conventionnel en dépit de sa délicatesse. Ainsi en est-il des figures représentées au f. 148, au début de la première partie du livre III (un prince siégeant, les villes qu'il gouverne et leurs habitants). L'artiste excelle, en revanche, dans les compositions purement ornementales garnissant le bas des pages initiales de toutes les grandes divisions du texte. Rosaces, noeuds d'entrelacs, têtes de dragons, feuillages prolongés par de fines volutes tracées à l'encre, sont agencés suivant des schémas géométriques dont la structure ressort nettement grâce à l'emploi de fonds noirs ou d'or piqueté. Le chromatisme riche et varié, la perfection de l'exécution font de cet ouvrage l'un des plus prestigieux spécimens de l'enluminure toscane de la fin du siècle.


Prov. : Niccolo Pallavicini ; Jacques-Auguste de Thou ; acquis en 1680 par Jean-Baptiste Colbert (t 1683).

Bibl. : Lajard, 1888, p. 537 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 154, pl. I, LXXXIII-LXXXIV.

Ombrie

35. Bible.

Pérouse, XIIIe s. (fin).

Parchemin, + 458 ff., 370 x 250 mm.

Latin 41.

La miniature ombrienne ne semble pas avoir connu de véritable essor avant le dernier quart du XIIIe siècle. Cette période est marquée par une importante production de manuscrits où prédominent les ouvrages liturgiques : missels, graduels, antiphonaires et livres de choeur.

La Bible, ms. lat. 41, bien que mutilée et privée d'une trentaine d'initiales peintes, apparaît dans le reste de sa décoration comme une oeuvre typique de l'art pérugin de la fin du siècle. Elle offre, en effet, de telles analogies avec le graduel-sanctoral ms. 16 de la Bibliothèque de Pérouse, probablement exécuté pour les chanoines de la cathédrale Saint-Laurent vers 1280-1285, qu'il est possible de l'attribuer au même atelier.

Les initiales, historiée (s. Jean) et ornées du f. 445 du ms. lat. 41 présentent à la fois les points communs à ces deux manuscrits et les principaux éléments permettant de définir le style ombrien des années 1280-90. Le modelé des figures et des vêtements est obtenu par une superposition de touches colorées sur lesquelles les lumières sont rendues à l'aide de fines hachures blanches. Les contours ne sont pas cernés de façon continue ; seuls quelques traits essentiels sont renforcés de noir. Le corps des lettres, presque toujours bordé intérieurement d'une ligne de peinture claire ou de poudre d'or, est bagué de carrés ou de ronds d'or bruni. Le vocabulaire ornemental, peu varié, se compose en majorité de motifs végétaux. On y remarque deux constantes : les folioles cordiformes vues en profil, disposées en rinceaux, et les longues feuilles dentelées dont la nervure médiane est souvent rehaussée

de points blancs. L'emploi du gris, du jaune très pâle et du bleu clair tempère la vivacité des contrastes entre le bleu foncé et le vieux rose, le vert turquoise et le rouge orangé, apportant aux compositions une luminosité douce, particulière aux manuscrits du groupe ombrien.

Prov. : Étienne Baluze dont les manuscrits sont entrés en 1719 à la Bibliothèque royale.

Bibl. : Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 143, pl. I, LXXV-LXXVI.

Rome

36. Boèce, Traduction et commentaire des oeuvres d'Aristote.

Rome, XIIIe s. (milieu-3e quart).

Parchemin, 235 ff., 235 x 165 mm.

Latin 16595.

L'oeuvre philosophique et scientifique d'Aristote (322 av. J.-C.) est une somme des connaissances de son temps. Traduite du grec en latin et commentée au VIe siècle par Boèce (524), lui-même philosophe et homme politique, elle marqua profondément la pensée médiévale.

Le ms. lat. 16595 est un des nombreux exemplaires de cette traduction. Tout l'intérêt du manuscrit réside dans son attribution à l'enlumineur Nicolaus, actif à Rome, qui a inscrit son nom dans le Sacramentaire d'Anagni ms. Chigi, C VI 174 de la Bibliothèque Vaticane et dont le style est une interprétation de l'art parisien du milieu du XIIIe siècle. L'initiale du f. 76 (discussion entre clercs et laïcs) témoigne de cette influence française que révèlent l'absence de perspective, le modelé à peine suggéré, la précision des contours toujours apparents sous la peinture, enfin les couleurs bien harmonisées mais assez ternes avec en dominantes le bleu foncé et le beige ocré tirant parfois sur le vieux rose. La décoration filigranée, exécutée à l'encre rouge et bleue, emprunte ses motifs au répertoire parisien à l'exception de quelques éléments, tels les demi-palmettes ou les petits fleurons filiformes que l'on retrouve dans les initiales peintes. Cette homogénéité du vocabulaire ornemental incite à penser que Nicolaus est peut-être l'auteur de l'ensemble de la décoration,


hypothèse qui semble également probable pour le Sacramentaire d'Anagni.

L'empreinte de l'enluminure gothique septentrionale n'a rien de surprenant dans le contexte romain, Rome étant devenue, à cause de la présence de la curie pontificale, un centre aussi cosmopolite que les grandes universités.

Prov. : Cardinal de Richelieu ; bibliothèque de la Sorbonne.

Bibl. : Lacombe, 1939, n° 695 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 157, pl. J, LXXVI-LXXXVII ; Pace, à paraître.

37. Pseudo-Matthieu, Évangile de l'Enfance du Christ. Pseudo-Abgar, Histoire de l'Image d'Edesse. Anselme de Cantorbéry, Sermon sur la Passion. Saint Léon le Grand, Sermon pour la solennité de la chaire de saint Pierre.

Centre (Rome ?), XIIIe s. (4e quart).

Parchemin, [II] + 132 + [II] ff., 215 x 145 mm.

Latin 2688.

L'essentiel du ms. lat. 2688 est constitué par deux apocryphes : l'Évangile de l'Enfance du Christ du Pseudo-Matthieu


et l'Histoire de l'Image d'Edesse du Pseudo-Abgar. Du premier, qui est une compilation d'apocryphes antérieurs (Protévangile de Jacques, Évangile arabe de l'Enfance, Récit de Thomas le Philosophe) vraisemblablement élaborée vers la fin du VIe siècle, le présent manuscrit ne comporte que les deux dernières parties : la Fuite en Egypte et l'Enfance de Jésus à Nazareth. Le second est une légende qui semble remonter au IIIe siècle ; elle a été inspirée par la conversion d'Abgar IX (179-214), premier roi chrétien d'Osrhoène, conversion que l'on a rapportée par erreur à son homonyme Abgar V, contemporain du Christ. D'après la légende, Abgar, frappé de maladie, échangea une correspondance avec le Christ, qui accéda à la demande du roi en lui faisant remettre l'image de sa Face miraculeusement imprimée sur un linge. L'image, reçue avec honneur et dévotion par les habitants d'Edesse, provoqua la guérison du roi et d'autres malades. Le récit fait suivre cette guérison de l'évangélisation de la ville par l'apôtre Thaddée et de la conversion d'Abgar. A l'intérêt du regroupement de ces deux textes apocryphes, dont la diffusion en Occident fut moins étendue qu'en Orient, s'ajoute celui des cycles d'illustrations qu'ils ont suscités : cinquante et une miniatures accompagnant le texte du Pseudo-Matthieu, vingt-trois l'histoire du Pseudo-Abgar.

Trois artistes se sont partagé l'exécution de ces illustrations qui occupent généralement la moitié ou le tiers de la page et sont insérées dans un encadrement bicolore rehaussé de légers motifs blancs sur les côtés et de pastilles d'or bruni aux angles. L'auteur des miniatures du premier cahier (ff. 1-12v) est incontestablement supérieur à ses collaborateurs. Ses compositions sont vivantes et bien construites ; il sait les affranchir de la rigueur imposée par les encadrements en les faisant déborder sur les marges afin d'obtenir un meilleur rendu de l'espace ou de renforcer l'enchaînement des scènes successives. L'exemple le plus frappant à cet égard est celui des ff. 6v-7. Au bas du f. 6v, la Vierge, saint Joseph et leurs compagnons de route se reposant sous les palmiers, semblent regarder avec une surprise mêlée de crainte et d'émerveillement l'Enfant Jésus, représenté dans le haut de la marge du feuillet opposé, leur désignant d'un geste rassurant les bêtes sauvages qui s'approchent de Lui pour l'adorer. Les coloris frais et

vigoureux mais jamais heurtés environnent les personnages d'une atmosphère limpide et lumineuse. Le modelé très soigné et suggéré au moyen de fines hachures tracées à la peinture blanche, est ici très proche de celui des figures peintes dans le pontifical à l'usage de la curie romaine ms. lat. 960 de la Bibliothèque nationale, probablement exécuté à Rome à la fin du XIIIe siècle. Les illustrations du second cahier sont l'oeuvre d'un enlumineur dont le style paraît plus évolué mais contraste avec celui du précédent par les maladresses évidentes dans l'agencement des scènes et la répartition des couleurs, déséquilibrée par l'utilisation trop exclusive du bleu et du rose violacé. Un troisième artiste a exécuté le reste des miniatures. Fidèle imitateur du premier, il ne parvient cependant pas à traduire le mouvement et les expressions avec la même habileté.

Alors que Pallucchini et Degenhart le considèrent comme une oeuvre vénitienne des années 1320, le lat. 2688, compte tenu du style de ses peintures, des détails de costume, de la structure des architectures, nous semble plutôt être rattaché à la production des ateliers d'Italie centrale, et plus particulièrement romains. La facture des initiales marquant les têtes de chapitre des deux apocryphes et le début des deux sermons qui leur font suite, comparable à celle des lettres peintes d'un groupe de manuscrits sans doute originaires de Rome et conservés à la Bibliothèque nationale (mss. lat. 827, 2790 et 4560) corrobore la localisation ici suggérée à propos de l'un des plus beaux spécimens de l'enluminure italienne du XIIIe siècle.

Prov. : En Italie aux xve et XVIe siècles ; apparaît dans les inventaires de la Bibliothèque royale à partir du XVIIe siècle.

Bibl. : Pallucchini, 1964, p. 88 ; Bertelli, 1968, p. 3 ; Degenhart, Schmitt, 1968, vol. 1, p. 30, 37, 67, 71, fig. 97-99 ; Weitzmann, 1975, p. 77-78, fig. 10a et 10b ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 162, pl. K, LXXXIX-XC ; Ragusa, en préparation.

38. Guillaume de Tyr et continuateurs, Chronique d'Outremer jusqu'en 1274.

Rome, XIIIe s. (1295).

Parchemin, 318 ff., 360 x 240 mm.

Français 9082.

Guillaume (t 1185), attaché à la chancellerie royale de Jérusalem sous le règne d'Amaury Ier, devint archevêque de Tyr

en 1175. Homme d'une érudition considérable, il écrivit une Histoire des Croisades qui s'achève en l'an 1183. Connue sous le nom de Chronique d'Outremer, titre de sa traduction, elle fit l'objet de plusieurs continuations. La version française contenue dans le présent manuscrit s'arrête en 1274. La copie en a été effectuée à Rome et terminée au mois de mai 1295 suivant l'indication donnée par le scribe à la fin du volume.

Deux artistes incarnant des courants d'influences totalement différents se sont partagé la décoration du ms. fr. 9082. La juxtaposition des deux mains aux ff. 146v-147 (funérailles de Baudouin II, couronnement de Foulque Ier) accuse le contraste. Le style linéaire de l'auteur des lettres ornées, se rattache à la tendance archaïsante de l'enluminure bolonaise. Les initiales historiées, dues au second artiste, révèlent sa dépendance vis-à-vis des ateliers ombriens. On y reconnaît la technique, les couleurs et le type d'ornementation de la Bible, lat. 41 (n° 35) de la Bibliothèque nationale et des oeuvres apparentées, exécutées à Pérouse à la fin du siècle. La formation et peut-être l'origine ombriennes de cet enlumineur travaillant à Rome, sont par conséquent fort probables.

Les armoiries du destinataire accompagnant les initiales en tête des livres I, XIV, XV, XVII à XXI, XXVII, figurent également dans un exemplaire des Faits


des Romains ms. 10168-72 de la Bibliothèque royale de Bruxelles, copié à Rome en 1293 et attribuable aux mêmes artistes que le fr. 9082. Ces armoiries ont été considérées à tort comme étant celles de Luca Savelli, neveu du pape Honorius IV, qui, d'après la mention du manuscrit de Bruxelles, n'était que le propriétaire du modèle.

Ces deux ouvrages, explicitement datés et localisés, contribuent de manière intéressante à améliorer la connaissance de la production romaine à cette époque.

Prov. : Maréchal Adrien-Maurice de Noailles dont les manuscrits sont entrés en 1740 à la Bibliothèque royale.

Bibl. : Woledge, Clive, 1964, n° 10 ; Folda, 1976, p. 94 n. 91, 133-138, 140, 146, 156 n. 169, 168, 200-204, n° 20 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 165, pl. L, XCV-XCVI.

39. Dyctis de Crète, Guerre de Troie.

Florus, Abrégé des guerres des Romains.

Tite Live, Décades, I, III, IV.

Rome, XIVe s. (début).

Parchemin, a-b-c + 369 ff., 360 x 255 mm.

Latin 5690.

C'est à l'oeuvre de l'historien latin Tite Live (17) que le présent recueil doit sa célébrité auprès des humanistes, à commencer par Pétrarque qui l'acheta en 1351 à Avignon.

Aux environs de 1300, un membre de la famille romaine des Colonna, Landolfo (1331), chanoine à Notre-Dame de Chartres, découvrit dans la bibliothèque de cette cathédrale un vieil exemplaire de Tite Live contenant un fragment de texte jusque-là ignoré : la 2e partie de la IIIe Décade et la IVe Décade moins le livre XXXIII et la fin du livre XL. Il emprunta le manuscrit afin d'en faire exécuter sur place une transcription qu'il effectua vraisemblablement lui-même. Son exemplaire personnel servit à son tour de modèle à une seconde copie, le lat. 5690, à propos de la datation et de la localisation de laquelle les spécialistes s'affrontent. Ces divergences sont inhérentes d'une part à des considérations historiques et philologiques, d'autre part à la structure même du manuscrit, qui présente deux parties bien distinctes : la première, ff. 1 à 165v, composée des textes de Dyctis, de Florus et de la 1re Décade, a été illustrée par un artiste identifiable avec l'enlumineur du missel romain conservé au musée de la cathédrale de Salerne ; la seconde, ff. 169 à

365v, comprenant les Décades III et IV, a été décorée par trois autres artistes travaillant dans des styles très différents. L'étude méthodique du texte amena G. Billanovich à conclure que Landolfo avait fait exécuter le lat. 5690 par des copistes et des enlumineurs italiens à Avignon où l'érudit s'était fixé depuis mars 1328. F. Bologna, après avoir considéré l'ensemble de l'ouvrage comme étant originaire du Sud de l'Italie et datable de la fin du XIIIe siècle, par comparaison avec le missel de Salerne traditionnellement attribué à cette même

région, modifia son opinion en fonction des données apportées par Billanovich. Ainsi, la première partie serait méridionale et de la fin du XIIIe siècle, la seconde avignonnaise et nettement postérieure.

Les renseignements chronologiques fournis par les registres capitulaires chartrains sur la carrière de Landolfo, et l'analyse stylistique de la décoration permettent d'envisager une troisième solution, celle de l'origine romaine du manuscrit. En effet, le style du maître du missel de Salerne, dont l'activité dans le Sud n'est pas démontrée, révèle de fortes attaches avec la production ombrienne de la dernière décennie du XIIIe siècle, déjà constatées à Rome à propos du ms. fr. 9082 (n° 38). Ces analogies avec le vocabulaire ornemental ombrien apparaissent manifestement dans les initiales ornées et les formes du décor marginal au f. 122 (institution du premier prêteur et du premier édile). Parmi les trois autres artistes intervenus en alternance dans le reste du volume, l'auteur des illustrations des ff. 191, 201, 21 v, 257v, 266v fait preuve d'une culture et de recherches plastiques rejoignant celles de Pietro Cavallini : soins apportés au modelé, au rendu de l'espace et de la lumière, à la représentation de détails archéologiques.

Les petites différences de mise en page entre la première et la seconde partie du lat. 5690 laissent à penser que l'exécution s'est faite en plusieurs étapes, mais qui ne sont pas nécessairement éloignées dans le temps. Les partisans de la localisation en Avignon et de la datation tardive (1328) pour la seconde partie du manuscrit n'ont pas tenu compte du fait que le milieu artistique avignonnais était dominé à cette époque par la personnalité du maître du Codex de saint Georges dont le style est beaucoup plus évolué. Le Tite Live de Landolfo Colonna semble plutôt attester la vitalité des ateliers romains à la veille de l'installation de la papauté à Avignon en 1309.

Prov. : Landolfo Colonna ; Giovanni Colonna, neveu de Landolf ; Bartolomeo Papazurri, dominicain, ami de Giovanni Colonna ; Pétrarque : Tomaso di Campo Fregoso, doge de Gênes, et son fils Niccolo (XVe siècle) ; bibliothèque des rois aragonais de Naples : librairie de Blois.

Bibl. : Billanovich, 1951, p. 151-171 ; Billanovich, 1958, p. 125-137 : Billanovich, 1959, p. 142-156 ; Degenhart, Schmitt, 1968, vol. 1, n° 16, fig. 69-73 : Bologna, 1974, p. 41-116 ; Billanovich, 1981. Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 166, pl. M, XCVII-XCIX.



Sud et Naples

40. Georgius Zothorus Zaparus Fendulus, Livre de l'astrologie.

Sud (Salerne ?) ou Sicile, XIIIe s. (2e quart).

Parchemin, III + 77 ff., 275 x 190 mm.

Latin 7330.

Le ms. lat. 7330 de la Bibliothèque nationale est le plus ancien exemplaire conservé du Livre de l'astrologie de Georgius Zothorus, prêtre et philosophe, traducteur et interprète d'auteurs arabes, en activité au cours de la seconde moitié du XIIe siècle. Son ouvrage s'inspire en grande partie des Flores astrologiae d'Abu Ma'Shar (886), célèbre astrologue de Bagdad, dont l'oeuvre maîtresse bénéficia, au XIIe siècle, de deux traductions latines dues à Jean de Séville et à Herman de Carinthie auxquelles Georgius Zothorus n'hésite pas à faire des emprunts. C'est sans doute d'un prototype méridional que procède le présent manuscrit vraisemblablement élaboré dans l'entourage de la cour impériale de Frédéric II (1250), amateur passionné de manuscrits.

Le Livre de l'astrologie commence par une description des douze signes du zodiaque avec l'interprétation, selon les traditions persane, indienne et grecque, des constellations qui apparaissent dans les trois régions de la voûte céleste, appelées décans, correspondant à chaque signe. L'illustration suit fidèlement le texte : une première pleine page est consacrée à une figure zodiacale, les trois suivantes à celles des groupes d'étoiles visibles dans ses trois décans. Ceci explique l'aspect parfois fragmentaire de certaines images. Pour bien marquer cette alternance, l'artiste a employé deux techniques. Ainsi, au f. 18v, la Vierge est-elle traitée à la peinture épaisse tandis qu'au f. 19, les représentations symboliques des constellations, étagées sur trois registres, suivant une répartition qui concorde en général avec les traditions persane, indienne et grecque, sont dessinées à l'encre et rehaussées de couleurs. La suite de l'ouvrage concerne les planètes et leur mouvement apparent par rapport aux signes du zodiaque. Chaque phase de ce mouvement, qui en comporte quatre, fait l'objet d'une illustration occupant la moitié ou les trois-quarts d'une page.

Le style des dessins aquarellés qui réapparaissent en fin de volume dans diverses scènes basées sur le thème de la roue de la Fortune, rappelle celui d'une oeuvre antérieure, le Liber ad honorem Augusti de Pietro da Eboli, Cod. 120 de la Burgerbibliothek de Berne, exécuté dans le Sud en 1195-1196. Quelques exemples choisis parmi les signes du zodiaque, les portraits d'auteurs ou les personniifcations des planètes, tels les ff. 18 (la Vierge), 31 (le Verseau), 41v (Albumasar : transcription latine d'Abu Ma'Shar), 43 (Saturne), 68v (la Lune) suffisent à montrer la parenté stylistique des peintures avec celles du recueil médical, Cod. 93 de la Bibliothèque nationale de Vienne, originaire du Sud et contemporain du lat. 7330. Ces deux oeuvres sont de superbes témoins de la manière très byzantinisante qui a prévalu dans cette région avant l'introduction du style gothique septentrional.

Prov. : Jean de Châlons (xve siècle) ; Étienne Tabourot (1549-1590) ; entré à la Bibliothèque royale en 1622 avec les manuscrits de Philippe Hurault, évêque de Chartres (1598-1620).

Bibl. : Saxl, Meier, 1953, II, p. LII-LXVIII, fig. 31, 33 ; Platelle, 1978, p. 152, 156, fig. 322 ; Degenhart, Schmitt, 1980, vol. 2, p. 191, 198, 254, fig. 335, 414 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 189, pl. P, CXVI-CXVIII. Exp. : Staufer, 1977, n° 819, fig. 612.

41. Bible.

Sud, XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, 542 ff., 338 x 230 mm.

Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 14.

La présente Bible fait partie de l'ensemble de manuscrits regroupés autour de la Bible dite de Conradin, Bible conservée à la Walters Art Gallery de Baltimore (ms. W 152 et 152 a-e) et ainsi dénommée pour avoir probablement appartenu au jeune prince souabe Conradin, l'adversaire malheureux de Charles 1er d'Anjou, qui le fit décapiter à Naples en 1268. La place importante que tient le ms. 14 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève au sein de ce groupe a été mise en lumière en 1979 par Mme H. Toubert, qui a procédé à une étude approfondie de l'ouvrage, montrant sa relation étroite avec la Bible Bassetti, ms. 2868 de la Bibliothèque communale de Trente et la Bible I.C. 13 de la Bibliothèque nationale de Palerme.

Production d'atelier, la décoration de la Bible 14 n'est pas homogène, et révèle,

à l'examen, des nuances aussi bien dans le style que dans le chromatisme. L'une des initiales attribuables au maître de la Bible de Conradin, le « I » de la Genèse au f. 4v figurant la Création présente tous les caractères propres à cet artiste : contours épais et vigoureux, tendance


archaïsante dans la stature et les gestes des personnages, type fortement byzantin des visages aux formes pleines et aux ombres accentuées, enfin prédominance des couleurs bleue, rouge, mauve et ocre. Ces particularités apparaissent aussi dans le ms. lat. 8114 de la Bibliothèque nationale, exécuté très vraisemblablement à Rome, après 1245, et rapproché par Mme Toubert d'une fresque de l'église des Quatre-Saints-Couronnés, signée par un certain magister Rainaldus. Les rapports stylistiques entre les manuscrits et la fresque sont si frappants que l'identification de Rainaldus avec le maître de la Bible de Conradin, suggérée par Mme Toubert, paraît justifiée.

En dépit de cette période romaine et de séjours possibles dans d'autres cités de la péninsule, l'essentiel de l'activité du maître semble plutôt s'être déroulé en Italie du Sud. Les nombreuses affinités de la production de son atelier avec les manuscrits de l'époque manfrédienne en sont une preuve évidente. Ainsi, l'influence du style gothique septentrional, particulièrement marquée chez le maître de la Bible de Manfred est également perceptible dans le groupe Conradin au niveau des éléments décoratifs ornant le corps des initiales ou composant les énormes fleurons qui terminent les prolongements marginaux. L'origine méridionale du ms. 14 est confirmée par la décoration filigranée dont certains motifs, tels ceux des petites lettres du livre des Psaumes, ont leurs équivalents dans la Bible lat. 10428 (n° 42) de la Bibliothèque nationale, peinte par le maître de Manfred, tandis que les bandes verticales de « 1 » alternativement rouges et bleus, employées dans le reste du manuscrit et empruntées au répertoire français, seront reprises, comme les fleurons des initiales peintes, une trentaine d'années plus tard, à Naples, respectivement par Minardus Theutonicus et Giovanni du Mont-Cassin dans le ms. lat. 69121- 5 copié et décoré pour le roi Charles 1er d'Anjou (n° 44).

Un exemplaire bolonais du Livre des sentences de Pierre Lombard, datant du troisième quart du XIIIe siècle, le ms. lat. 3023 de la Bibliothèque nationale et un livre de choeur de la fin du siècle, conservé au Museo Civico de Pise, publié récemment par A. Caleca, attestent l'influence du maître de la Bible de Conradin bien au-delà de l'Italie du Sud, influence sans doute explicable par la carrière itinérante de l'artiste, mais surtout

surtout sa personnalité marquante, telle qu'elle se révèle dans la Bible 14 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Prov. : Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon ; Bibliothèque Sainte-Geneviève (ex-libris de 1753).

Bibl. : Toubert. 1979.

42. Bible.

Naples. XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, 381 ff., 230 x 160 mm.

Latin 10428.

Le prince Manfred (1232-1266), couronné roi de Sicile en 1258, continua le mécénat de son père, l'empereur Frédéric II, dont il partageait le goût des sciences, des lettres et des arts. Il fut le commanditaire de manuscrits somptueux. L'un des plus importants et des mieux documentés est la Bible dite de Manfred, ms. Vat. lat. 36 de la Bibliothèque Vaticane, copiée vraisemblablement peu après 1250. L'étude de cette Bible et des manuscrits de la même famille a permis de cerner plus précisément la production du maître de la Bible de Manfred et de son atelier. C'est à la main de cet enlumineur qu'est due la décoration peinte de la Bible ms. lat. 10428 de la Bibliothèque nationale, qu'il convient de situer chronologiquement entre le Vat. lat. 36 et la Bible un peu plus tardive, ms. lat. 40 (n° 43).

S'il ne compte que douze initiales historiées, le lat. 10428 comporte de nombreuses lettres ornées. Celles-ci sont remarquables par le dynamisme du trait, la souplesse et la simplicité des formes décoratives où les éléments animaux et végétaux, encore très proches du répertoire roman, tiennent une large place. Son style dérive de celui des manuscrits produits en Angleterre ou dans le Nord de la France à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècles. Les contours renforcés à l'aide d'une épaisse ligne noire, les couleurs mates, plutôt sombres, tels le vert olive, le bleu foncé ou l'ocre tirant sur le brun rosé, la manière artificielle et schématique de traiter les drapés sont autant de références au style gothique septentrional de la première moitié du siècle. Cette influence apparaît avec une particulière netteté au f. 322v dans l'initiale du prologue de l'Épître aux Romains (s. Paul assis, tenant l'épée, instrument de son martyre).

D'un aspect moins riche que la Bible de Manfred, le lat. 10428 diffère, ainsi que plusieurs Bibles de petit format qui lui sont apparentées, des ouvrages de caractère aulique exécutés pour le prince ; elle laisse supposer que le maître et son atelier ont travaillé simultanément pour d'autres destinataires.

Prov. : Collection Monteil ; acquis en 1830 par la Bibliothèque royale.


Bibl. : Toubert, 1977, p. 777-810, fig. 1, 2. 3, 5, 6, 8, 9, 11, 13, 14, 16, 18 ; Toubert, 1980, p. 59-76, fig. 1, 2, 3, 4, 13 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 181, pl. N, CVI-CVIII.

43. Bible. Pl. coul. IV.

Naples, XIIIe s. (3e quart).

Parchemin, 463 ff., 255 x 180 mm.

Latin 40.

Le style de la Bible lat. 40 de la Bibliothèque nationale et le nom de son copiste, Johensis, inscrit au f. 432v, mettent ce manuscrit en liaison étroite avec les deux principales productions de l'atelier de la Bible de Manfred. En effet, ce même scribe a signé deux autres ouvrages commandés par le fils de Frédéric II : la Bible Vat. lat. 36, et un exemplaire, exécuté entre 1258 et 1266, du traité de Pietro da Eboli sur les Bains de Pouzzoles, ms. 1474 de la Biblioteca Angelica à Rome. Ces données sont toutefois insuffisantes pour que l'on soit en mesure de déterminer la personnalité de l'enlumineur responsable de la décoration du lat. 40. Malgré l'intervention probable d'au moins deux aides, l'ensemble de l'oeuvre est si homogène que les collaborateurs sont souvent difficiles à discerner.

C'est à une phase plus évoluée du style manfrédien qu'appartient la présente Bible. Les remarques faites sur l'art imprégné d'influences franco-anglaises du lat. 10428 (n° 42) sont ici également applicables. L'artiste semble toutefois s'éloigner des modèles gothiques septentrionaux en utilisant une palette beaucoup plus étendue où des coloris d'une extrême vivacité voisinent avec les teintes sombres et assourdies qui dominaient dans l'exemple précédent. Il attache une importance particulière aux reflets savamment gradués, depuis l'éclat violent de l'or bruni éclairant le fond des initiales et le mouvement des spirales, ou les touches de lumières blanches habilement posées en dégradé donnant un aspect lisse et brillant aux couleurs, jusqu'aux accents à peine perceptibles de l'or en poudre mêlé aux ocres clairs et au vert bronze.

Les filigranes dessinés à l'encre bleue et rouge qui longent l'entrecolonnement, ou s'étalent en élégants motifs dans les bas de pages, rappellent ceux d'un autre chef-d'oeuvre manfrédien, le célèbre traité de

chasse De arte venandi cum avibus, ms. Pal. lat. 1071 de la Bibliothèque Vaticane.

L'apparence luxueuse du lat. 40, la qualité de son ornementation et le soin apporté à l'illustration des scènes bibliques, dont témoignent les ff. 328v (Aggée écoutant la parole de Dieu puis s'adressant au peuple d'Israël) et 329 (visions du prophète Zacharie : les quatre cornes et l'homme au cordeau) situent cette Bible au même rang que les meilleures commandes princières.

Prov. : Étienne Baluze dont les manuscrits sont entrés en 1719 à la Bibliothèque royale.

Bibl. : Daneu-Lattanzi, 1957 ; Samaran, Marichal, 1962, t. II, p. 525 ; Daneu-Lattanzi, 1964, p. 105-118, fig. 1-8 ; Toubert, 1977, p. 777-810 ; Toubert, 1980, p. 59-76, fig. 11, 15, 17 ; Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 182, pl. 0, CIX-CXI.

Exp. : Staufer, 1977, t. 1, n° 828, t. 11, pl. 620.

44. AI-Razi, Havi seu Continens, traduction de Faraj ben Salim.

Naples, XIIIe s. (1279-1282).

Parchemin, 177 ff., 400 x 260 mm.

Latin 69123.

AI-Razi ou Abu Bakr Muhammad ibn Zakariya (Rhazes en latin), philosophe et alchimiste du IXe siècle, s'est rendu célèbre dans l'exercice de la médecine, principalement à Bagdad dont il contribua à fonder l'hôpital. Dans son ouvrage intitulé Al-Hawi (Havi ou Continens), l'auteur traite des maladies en s'appuyant sur les connaissances des médecins grecs et arabes auxquelles il ajoute ses propres observations.

Comme un bon nombre d'oeuvres arabes diffusées en Occident, c'est en Italie du Sud que le traité d'AI-Razi a été traduit en latin. La tâche fut confiée au médecin juif de l'école de Salerne, Faraj ben Salim par Charles 1er d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, qui portait, comme ses prédécesseurs souabes, un vif intérêt aux sciences et aux manuscrits. La traduction de Faraj achevée le 13 février 1279, fut copiée en deux exemplaires exécutés et décorés presque simultanément. Le premier en date est le lat. 69121- 5 de la Bibliothèque nationale, actuellement relié en cinq volumes dont seul le troisième est présenté ici, l'autre copie étant le ms. Vat. lat. 2398-2399 de la Bibliothèque Vaticane. Peu de manuscrits italiens du XIIIe siècle sont aussi bien documentés que ces deux exemplaires qui bénéficient d'une double source d'information, d'une part les souscriptions des copistes, d'autre part les comptes de la trésorerie de Charles Ier. Parmi les huit scribes cités dans ces comptes pour avoir transcrit les deux manuscrits, un seul, Angelus de Marchia, également connu sous le nom d'Angelus Alberti, a signé le lat. 6912 à la fin du cinquième volume. Des mentions datées des années 1281 et 1282, relatives au paiement des artistes responsables de la décoration, fournissent suffisamment de détails sur le travail de chacun pour permettre des attributions précises. Minardus Theutonicus, pressenti pour


effectuer la totalité de l'ornementation, n'exécuta que les lettres filigranées, dont les bandes de « I » rouges et bleus sont directement inspirées des manuscrits français (cf. f. 92v), et les petites initiales à décor végétal, à personnages ou à hybrides, peintes en ocre, beige et bleu à la manière bolonaise. Un événement inconnu, sa mort peut-être, comme incitent à le croire les documents d'archives, ne permit pas à l'enlumineur de terminer son programme. Il fut mené à bien par le moin Giovanni du Mont-Cassin auquel sont attribuables la scène liminaire (vol. 1, f. 1), illustrant l'histoire de la traduction du traité d'Al-Razi, et les vingt-huit initiales réparties au début de chaque livre. Celle du f. 93 (médecin remettant un pied cassé) est une des plus caractéristiques du style de Giovanni. Le corps de la lettre, de dimensions modestes, est continué par un épais prolongement marginal à l'extrémité duquel s'épanouit une large palmette rappelant dans son aspect les gros fleurons des manuscrits issus de l'atelier du maître de la Bible de Conradin, telle la Bible, ms. 14 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève (n° 41). La gamme des couleurs reste plutôt sombre avec l'emploi de vert olive, bleu azur, gris ocre orangé assez terne, et beige virant au vieux rose.

Considéré très tôt comme un ouvrage de première importance, le lat. 6912 servit de modèle en 1379 à Guillaume Hervé pour la copie d'un exemplaire destiné à Guibert de Celsoy, médecin de Charles V.

Prov. : Librairie des rois angevins de Naples ; librairie de Charles V ; bibliothèque de Jean-Baptiste Colbert.

Bibl. : Daneu-Lattanzi, 1978, p. 149-169, fig. 3, 6, 7 ; Imbault-Huart, Dubief, Merlette, 1983, p. 74-75. Avril, Gousset, Rabel, 1984, n° 186, pl. N, CXIII-CXIV.

Exp. : La Médecine médiévale, 1982, n° 25.



Le siècle de Giotto

De toutes les phases de l'enluminure italienne, celle du XIVe siècle est sans doute la mieux représentée à la Bibliothèque nationale. Ceci tient aux circonstances historiques qui ont présidé à la formation de nos collections. La richesse de ces dernières en manuscrits du Trecento remonte en effet à l'arrivée en 1499 au château de Blois de l'immense bibliothèque des ducs de Milan, que Louis XII avait rapportée dans ses bagages après l'échec de ses tentatives de mainmise sur la Lombardie. La partie la plus ancienne de cet ensemble, admirablement étudié par Mlle Pellegrin, contenait, outre le fonds propre constitué par les Visconti eux-mêmes, riche en manuscrits d'origine lombarde, un grand nombre de volumes entrés dans la « librairie » du château de Pavie soit par voie de confiscation, comme ce fut le cas par exemple avec les manuscrits de Pasquino Capelli, chancelier de Jean-Galéas Visconti disgrâcié et exécuté en 1398, soit encore à titre de butin de guerre : c'est ainsi que le même Jean-Galéas Visconti. vainqueur de Padoue en 1388, s'était emparé, on ignore dans quelles circonstances exactes, des manuscrits de Francesco 1 Carrara, seigneur de cette ville. Parmi ces manuscrits, figurait un grand nombre de volumes amassés au cours de sa vie errante par un illustre protégé des Carrara, Pétrarque, mort en 1374, à Arquà, en territoire padouan.

Depuis cet apport initial, une succession d'acquisitions heureuses a permis d'étoffer ce qui dès l'origine constitua l'un des points forts de nos collections. Au contraire des séries lombardes et padouanes, les manuscrits du XIVe siècle originaires de Bologne, de Toscane et de Naples faisant partie des fonds de la Bibliothèque nationale, y sont entrés de façon dispersée. On n'en trouve pas moins parmi eux des pièces remarquables et représentatives de l'activité et du style de ces différents centres.

Du point de vue du style, l'évolution de l'enluminure de la péninsule durant cette période est commandée par un fait artistique majeur : celui de la transformation radicale de la peinture monumentale sous l'effet du nouveau langage plastique introduit par Giotto et ses émules toscans de Florence et de Sienne. Tous les centres de la péninsule en subiront à plus ou moins brève échéance les répercussions. Le dessin et la couleur se libèrent dès lors peu à peu des conventions byzantines et

du graphisme gothique. l'espace se creuse, les figures et les objets acquièrent un relief et des volumes jusque-là inconnus. La longue quête à la poursuite du réel a commencé.

C'est naturellement en Toscane que le style de la nouvelle peinture monumentale exercera tout d'abord ses effets : différents manuscrits en témoignent, dont un missel florentin qui se situe au début de ce processus (n° 45). Bien qu'ils aient été très vraisemblablement exécutés à Avignon, véritable enclave artistique italienne en terre française, les deux pontificaux dus au maître du Codex de saint Georges exposés ici (nos 47 et 48) peuvent être légitimement rattachés à la production toscane de cette époque : avant d'émigrer en Avignon, cet artiste, l'un des plus exquis enlumineurs de tout le Trecento, fit ses débuts dans la région florentine où il collabora avec un autre peintre de manuscrits, le maître « daddesque », également représenté ici par une oeuvre inédite (n° 46).

L'enluminure siennoise ne peut être évoquée que par quelques pièces isolées et éloignées dans le temps (nos 50 et 58), et surtout par le superbe dessin du Miracle de Notre-Dame-des-Doms (n° 49) que B. Degenhart a proposé, non sans de bons arguments, de rattacher à l'activité avignonnaise de Simone Martini. Le centre pisan, fortement soumis à l'influence de Sienne, nous semble représenté par deux initiales historiées du célèbre Liber de herbis de Manfred de Monte Imperiale (n° 54) dont l'origine est fort discutée.

Hors des limites de la Toscane, le rayonnement du style de Giotto se fait sentir assez tôt dans l'enluminure napolitaine. Deux oeuvres de nos collections illustrent cette influence explicable sans doute en partie par le séjour prolongé, de 1329 à 1333, du grand maître florentin à la cour de Robert d'Anjou : dans les Statuts de l'ordre du Saint-Esprit (n° 61), oeuvre rattachable à l'atelier de Cristoforo Orimina. le style giottesque est interprété et quelque peu édulcoré. Il garde en revanche toute sa vigueur et sa dignité monumentale dans les illustrations évangéliques, d'un raffinement hors pair. qui occupent la partie finale d'une Bible moralisée provenant des collections angevines (n° 63).

A Padoue, longtemps sous la coupe de l'enluminure


bolonaise, c'est encore l'ombre du grand artiste, désormais disparu, qui plane sur les compositions de deux manuscrits du De viris illustribus de Pétrarque exécutés pour Francesco 1 Carrara (nos 73 et 74) : l'une et l'autre représentent le triomphe de la Gloire et sont l'oeuvre d'Altichiero, le peintre véronais qui ranima dans la seconde moitié du XIVe siècle en Italie du Nord-Est le flambeau vacillant de la tradition giottesque. L'iconographie même des scènes refléterait, suivant une étude récente, une fresque disparue peinte par Giotto au château d'Azzo Visconti à Milan.

L'assimilation de la leçon giottesque ne s'est pas faite sans réticence dans un centre aux traditions aussi enracinées que Bologne. Des ateliers de la grande ville universitaire continuent de sortir quantité de manuscrits abondamment illustrés. Une suite de cinq superbes volumes contenant l'oeuvre législative de Justinien et provenant d'un don fait au XVIIe siècle à l'abbaye Saint-Victor par le juriste et collectionneur Henri du Bouchet (nos 64 à 66), illustre de façon exemplaire le passage progressif, dans les années 1320 à 1340, du style très byzantinisant qui s'était imposé à la fin du XIIIe siècle dans le grand centre émilien, au nouveau langage plastique instauré par les Toscans. L'aboutissement de cette évolution est aussi singulier que dans la peinture bolonaise contemporaine, dont les principaux protagonistes. Vitale et « Jacopino », ne se plièrent jamais vraiment aux normes florentines. La même rébellion latente est perceptible chez l'un des meilleurs enlumineurs bolonais de la nouvelle génération, artiste anonyme que R. Longhi a appelé de façon imagée l'Illustratore (n° 66). Grouillantes de vie et d'agitation, ses oeuvres dénotent un tempérament plus épris d'expression et de mouvement que d'harmonie et de monumentalité. Les enlumineurs de la seconde moitié du siècle, à commencer par Niccoló di Giacomo, qu'il annonce et qui a peut-être été formé dans son atelier, ne cesseront de travailler sur cette ligne (nos 69 et 70).

C'est dans l'aire d'influence immédiate de Bologne qu'il convient sans doute de replacer une autre personnalité, jusqu'ici méconnue, de l'enluminure italienne de cette époque. Il s'agit du remarquable illustrateur d'un recueil d'oeuvres latines ayant appartenu à Pétrarque mais non exécuté pour celui-ci (n° 71) : la date probable, vers 1330-1340, de ce manuscrit (et de ceux qui peuvent lui être rattachés) en fait un témoin important et précoce de l'adoption par un atelier qui reste à localiser, du style

d'obédience toscane, filtré à travers le prisme de la peinture bolonaise.

Plus au Nord, la toute jeune école lombarde exprime d'emblée son adhésion au nouveau style avec les scènes bibliques animées et pleines de verve narrative d'un Liber Pantheon copié en 1331 pour Azzo Visconti (n° 78), et dont R. Longhi le premier a mis en évidence les accointances bolonaises. La période faste de l'enluminure milanaise ne remonte cependant qu'à la seconde moitié du siècle : à l'heure où les autres centres de la péninsule sombrent bien souvent dans la routine et les redites, quand ils n'entrent pas franchement en sommeil, comme à Naples, les ateliers lombards stimulés par le mécénat de la cour des Visconti, manifestent leur vitalité créatrice par une succession de chefs-d'oeuvre. Cette période est marquée, au début, par un approfondissement de la leçon giottesque. En témoignent notamment les sublimes illustrations d'un Guiron le Courtois (n° 82) dont les évocations chevaleresques d'un climat intensément poétique se signalent par leurs qualités plastiques tout autant que par la variété et l'originalité des solutions spatiales adoptées dans leur mise en page. C'est encore la vision giottesque, interprétée à travers le regard des premiers fresquistes lombards à s'être convertis aux modes florentins, qui transparaît dans les puissantes compositions de Giovanni di Benedetto da Como, l'illustrateur de deux livres d'heures conservés à Munich et à Modène, dont le style semble survivre dans certaines peintures d'un célèbre missel-livre d'heures franciscain (n° 83). Mais déjà l'interprétation graphique des formes propre à un autre collaborateur de ce même manuscrit, marque le retour en force du courant gothique septentrional. Ce phénomène ira en s'accentuant dans les dix dernières années du siècle et aboutira à l'élaboration d'un art mixte, dont les ingrédients particuliers feront de Milan l'un des foyers les plus originaux du style courtois. La culture internationale raffinée qui prévaut alors dans la capitale lombarde, est symbolisée par les oeuvres de deux personnalités d'exception, Giovanni dei Grassi, qui ne peut être évoqué ici qu'indirectement (nos 88 et 89) et Michelino da Besozzo (n° 94). Un autre aspect de l'enluminure lombarde de cette période nous est fourni par le Tacuinum sanitatis de Verde Visconti (n° 86), véritable chronique de la vie quotidienne, dont les illustrations botaniques rappellent en outre le rôle essentiel des artistes lombards dans la redécouverte de la nature.


Toscane et Avignon

45. Missel à l'usage de Rome.

Florence, vers 1310-1320.

Parchemin, 150 ff., 290 x 195 mm.

Nouvelles acquisitions latines 2666.

Les deux peintures du Canon de la messe de ce missel romain (ff. 65v-66) ont certainement été exécutées dans un atelier florentin à une époque où les répercussions du nouveau style giottesque commençaient à peine à se faire sentir dans l'enluminure de la cité toscane. Caractéristiques des modes décoratifs en usage dans le milieu florentin sont les initiales à feuillages du monogramme « V D » du Vere dignum, surmontées d'un médaillon à l'effigie du Christ, ainsi que le motif de petits losanges argentés et azur semés sur la bande pourpre des deux encadrements. Les figures de la Crucifixion n'ont plus la raideur byzantine qui prévalait encore dans les oeuvres du Duecento, mais le modelé encore discret indique une époque précoce dans le XIVe siècle, de même que l'archaïsme de l'architecture. Il est difficile de proposer une attribution précise étant donné l'état d'usure des deux pages. Celles-ci n'en constituent pas moins un jalon important vers le renouvellement de style qui prendra effet avec les oeuvres des enlumineurs florentins de la génération suivante, Pacino di Bonaguida, le maître du Biadiaiuolo, et le maître « daddesque »(cf. notice suivante).

La présence d'un office en l'honneur de saint Euphrosyn (3 novembre) confirme l'origine toscane du missel, qui était peut-être destiné à une église de la région de Panzano, centre du culte de ce saint.

Prov. : Ex-libris avec armoiries Sutton (Angleterre, XIXIe siècle) ; Rev. Frédéric Fox Bartrop, St. Paul School, Concord, New Hampshire (1934) ; don de M. Henri Schiller.

Bibl. : Ricci, Wilson, 1937, t. II, p. 1154, n° 2.

46. Sénèque, Épîtres à Lucilius (traduction française anonyme), et correspondance apocryphe avec saint Paul.

Pl. coul. VIII.

Florence, vers 1320-1330.

Parchemin, 135 ff., 325 x 235 mm.

Français 12235.

Ce manuscrit est l'une des deux copies italiennes connues de la traduction française des Épîtres à Lucilius de Sénèque, exécutée vers 1300-1310 pour Bartolomeo Siginulfo, comte de Caserte, conseiller et chancelier du roi de Naples Charles II d'Anjou.

Le texte débute par une miniature de forme rectangulaire allongée. La scène se divise en deux parties : à gauche, Sénèque, assis dans une chaire, écrit une lettre, entouré de quatre figures personnifiant les quatre vertus cardinales, Justice, Tempérance, Prudence et Force ; à droite, un messager agenouillé remet la lettre de Sénèque à Lucilius qui siège sur un trône tendu d'une riche draperie. Cette scène se détache sur un fond d'or et est bordée sur deux côtés d'un motif formé d'une succession de petits losanges

dorés posés sur une bande d'un rouge pourpré, elle-même comprise entre deux listels bleus. Un encadrement à tiges végétales où se greffent des éléments de figures grotesques, et où perchent d'étranges volatiles, entoure le texte et la miniature. Cette page, ainsi que les initiales historiées et ornées à encadrement du reste du volume, sont exécutées dans une technique très picturale, où prédominent les tonalités claires et lumineuses. Cette décoration indique clairement l'origine toscane du manuscrit, et constitue une addition intéressante et inédite à l'oeuvre de l'attachant anonyme désigné depuis Mario Salmi, son « inventeur », sous le nom de « maître daddesque ». Cet artiste, l'un des tout premiers adeptes de la leçon giottesque dans l'enluminure florentine, tire son appellation de sa


dépendance supposée par rapport à Bernardo Daddi, auquel il serait redevable des intonations siennoises et gothicisantes de ses oeuvres. Le début de son activité placé généralement vers les années 1335-1340, tend aujourd'hui à être repoussé à une époque assez nettement antérieure depuis la découverte par C. Bertelli d'un antiphonaire daté de 1315, où il collabore avec le maître du Codex de saint Georges (cf. nos 47 et 48), dont il a sans doute subi l'ascendant

avant le départ de celui-ci à la cour d'Avignon.

Prov. : Pierre Roland d'Albi (1535) ; Pierre de la Porte, de Chambéry (1558) ; entré à la Bibliothèque nationale entre 1792 et 1804.

Bibl. : Meyer, 1904, p. 95-98 ; Thomas, 1921, p. 633 ; Eusebi, 1970, p. 1-47.

47. Pontifical romain.

Avignon, vers 1320-1330.

Parchemin, 1 + 317 ff., 320 x 230 mm.

Latin 15619.

Depuis sa publication en 1908 par De Nicola, on s'accorde pour reconnaître dans la décoration du f. 2 de ce pontifical la main de l'un des plus séduisants représentants de l'enluminure toscane du Trecento, le maître du Codex de saint Georges. Cette personnalité anonyme est ainsi désignée d'après son oeuvre majeure, un superbe manuscrit de la vie et de l'office de saint Georges (Bibliothèque Vaticane, Archivio di S. Pietro) composé par le cardinal Jacopo Stefaneschi, dont l'artiste semble avoir été l'enlumineur attitré et qu'il suivit sans doute lors de son installation à Avignon. Connu également comme peintre (on a conservé de lui une série de petits

tableaux de dévotion), le maître du Codex de saint Georges a longtemps été considéré comme issu du milieu siennois en raison de la sensibilité gothique perceptible dans ses oeuvres, et des affinités prétendues de son art avec celui du Simone Martini de la période avignonnaise. On tend plutôt aujourd'hui à voir en lui un artiste autonome et précoce, dont L. Bellosi a souligné récemment les attaches avec la peinture florentine, et plus particulièrement avec le Giotto du polyptyque Stefaneschi. L'initiale du f. 2, qui représente la tonsure d'un clerc par un pape en présence d'un diacre, témoigne bien de cette imprégnation giottesque. L'écureuil et les deux lièvres jouant sur la bordure inférieure dénotent en revanche la familiarité de l'artiste avec les décors français à drôleries marginales. Malgré une certaine usure, l'oeuvre révèle les qualités propres à l'artiste, en particulier son maniement moelleux du pinceau. Le coloris et l'« ornementique » sont également caractéristiques : tons doux et lumineux où dominent le bleu, le rose clair et l'orange avec quelques accents de jaune et un beau vert olive réservé à l'initiale. Le trône marbré du pape est révélateur de l'attention de l'artiste à la texture des matériaux. Les mêmes particularités s'observent dans



certaines des trente-trois autres initiales et des douze médaillons historiés du manuscrit, tous dus à un proche collaborateur du maître, dont il se distingue cependant par un modelé plus dur et des tonalités plus intenses.

Daté anciennement vers 1340, comme le reste de l'oeuvre du maître du Codex de saint Georges, que l'on considérait comme tributaire de Simone Martini dans sa période avignonnaise, le pontifical, que les travaux récents du P. Marc Dykmans et de Mmc Ciardi Dupré dal Poggetto ont permis de rattacher au mécénat du cardinal Jacopo Stefaneschi, a été reporté par le second de ces auteurs aux toutes premières années du XIVe siècle, vers 1300-1304. Cette datation précoce apparaît intenable stylistiquement, de même que la localisation du manuscrit dans le milieu artistique romain. Les détails de mode, qui ne sont guère concevables avant la décennie 1320-1330, et les motifs très évolués présentés par la décoration filigranée du manuscrit, se liguent également contre une datation aussi haute. Cette décoration filigranée plaide d'autre part en faveur d'une vraisemblable exécution du pontifical à la cour d'Avignon, où Stefaneschi résidait de façon presque permanente depuis 1309. Cinq artistes différents ont en effet collaboré à cette partie du décor, dont quatre d'origine italienne, le cinquième, qui n'est intervenu qu'à la fin du volume (ff. 189v-190 et 192v-193) n'étant autre qu'un filigraneur méridional français dont on trouve la main dans trois autres manuscrits du maître du Codex de saint Georges appartenant à la décennie 1320-1330, le Liber visionis Ezechielis d'Henri de Carreto (Bibliothèque nationale, ms. lat. 503) datable au plus tard de 1321-1323, un missel de la Pierpont Morgan Library de New York et le Codex de saint Georges lui-même. Si l'on admet que le manuscrit appartient à la première phase de l'activité du maître du Codex de saint Georges, comme l'ont proposé Howett (1976) et Mme Ciardi Dupré dal Poggetto (1981), une datation vers 1320 paraît inévitable.

Prov. : Cardinal Jacopo Gaetano Stefaneschi ; Pierre du Colombier, cardinal d'Ostie ; Jean de La Porte, chapelain de Pierre du Colombier ; cardinal de Richelieu ; Sorbonne ; entré en 1795-1796 à la Bibliothèque nationale avec les manuscrits de la Sorbonne.

Bibl. : De Nicola, 1908, p. 385 ; Van Marie, 1920, p. 112 ; Van Marie, 1924, p. 278 ; D'Ancona, 1925, p. 41 ; Van Marie, 1931,

p. 8 ; Berenson, 1932, p. 346 ; Leroquais, 1937, II, p. 193-195 ; Ameisenowa, 1939, p. 113 ; Andrieu, 1940, p. 89-104 ; Vollmer, 1950, p. 182-183 ; Carli, 1955, p. 80 ; Salmi, 1956, p. 26-27 ; Rotili, 1969, 11, p. 13 ; Howett, 1976, p. 102 ; Dykmans, 1981, p. 103-104, 212-215 ; Ciardi Dupré dal Poggetto, 1981, p. 36-55,243-251.

Exp. : Il Gotico a Siena, 1982, n° 59 ; L'Art gothique siennois, 1983, n° 37.

48. Pontifical romain.

Avignon, vers 1320-1330.

Parchemin, 165 ff., 375 x 255 mm.

Boulogne-sur-mer, Bibliothèque municipale, ms 86.

Ce n'est qu'en 1939 que la décoration peinte de ce manuscrit a été rattachée par Z. Ameisenowa à l'oeuvre du maître du Codex de saint Georges. L'artiste étant considéré à l'époque comme un épigone de Simone Martini durant sa période avignonnaise, l'oeuvre était assignée aux années 1340-1344, et son exécution située à Avignon. Un aspect négligé par la savante polonaise a pu être mis en lumière grâce aux travaux récents de

Mme Ciardi Dupré dal Poggetto et du P. Dykmans : les deux auteurs s'accordent pour voir dans le manuscrit en s'appuyant sur une série de considérations d'ordre codicologique et liturgique, une commande destinée au cardinal Jacopo Stefaneschi. Du point de vue codicologique, le manuscrit de Boulogne forme en effet un groupe homogène avec le Codex du Vatican, le Missel Morgan et le Pontifical de Paris, tous copiés par le même calligraphe et enluminés par le même artiste, et peut donc être considéré légitimement comme une production du scriptorium personnel du cardinal Stefaneschi. Du point de vue liturgique, le texte de la première partie du manuscrit, très improprement appelé pontifical, est constitué par un ordo décrivant le cérémonial du sacre du pape à Rome. La rédaction de ce texte se conforme à l'ordo de la fin du XIIIe siècle, mais comporte un certain nombre d'interpolations attribuables à Stefaneschi lui-même. Au surplus, ainsi que l'a remarqué Dykmans (p. 181), le cardinal a fait insérer dans les litanies du manuscrit de Boulogne, quatre noms de saints pour lesquels il avait une véné-


ration particulière : Jacques. Jean, Georges et Laurent.

Les cinq initiales historiées qui subsistent dans le manuscrit (les lacunes de celui-ci prouvent qu'elles étaient à l'origine plus nombreuses : cf. Dykmans. p. 181 et n. 66) correspondent aux deux parties du pontifical : les trois premières (f. 2 : un pape agenouillé devant saint Pierre ; f. 7v : l'évêque d'Albano lisant une oraison : f. 8 : l'évêque de Porto lisant une oraison) figurent dans l'ordo du sacre papal, les deux dernières (f. 59 : un pape en prière ; f. 74 : Christ bénissant) illustrant l'ordinaire de la messe. La richesse de la décoration est particulièrement frappante. On remarque notamment dans les encadrements le traitement singulier des feuillages terminaux qui, telles des pièces d'étoffe froissées, déchiquetées et agitées par le vent, se développent dans la marge avec un envol presque baroque (cf. ff. 59 et 87). On retrouve ces particularités sur certaines pages du Codex du Vatican (par exemple au f. 17).

Malgré les tentatives récentes pour établir une chronologie relative des oeuvres du maître (Howett. 1976. Ciardi Dupré, 1981), il paraît difficile de séparer nettement l'exécution de ce volume du missel de New York et du manuscrit du Vatican. Comme ces deux manuscrits, le pontifical de Boulogne doit avoir vu le jour dans la décennie 1320-1330. Si l'artiste s'y révèle encore profondément imprégné par la culture florentine (cf. le visage très giottesque du pape bénissant au f. 59), il introduit déjà dans ses figures aux attitudes déhanchées, cet esprit courtois, d'essence gothique septentrionale, qui l'a fait si longtemps considérer comme un émule du grand Simone Martini.

Prov. : inconnue.

Bibl. : Leroquais, 1937, p. 91, n° 30. pl. XC ; Ameisenowa, 1939. p. 97-125 ; Coletti, 1946, p. LXIV. n. 84 ; Vollmer. 1950. p. 182-183 ; Toesca. 1951. p. 817 Carli, 1955. p. 80 : Salmi. 1956, p. 26-27 ; Rotili. 1969, p. 13 ; Howett. 1976, p. 102 ; Ciardi Dupré dal Poggetto. 1981, p. 65-70. 238-240.

Exp. : Les Fastes du gothique, 1981-1982, n° 258 ; Il Gotico a Siena. 1982. n° 61 ; L'Art gothique siennois, 1983, n° 38.

49. Jacobus Gaetanus de Stefaneschis, De miraculo gloriosae Dei genitricis Virginis Mariae in civitate Avinionensi facto.

Avignon, vers 1336-1338 ou 1340.

Parchemin, 8 ff.. 290 x 210 mm.

Latin 5931 (ff. 95-102).

Publiée pour la première fois par B. Degenhart et attribuée par lui à Simone Martini, l'illustration du f. 95 se rapporte à un miracle advenu le 24 mars 1320 à Avignon. Celui-ci a fait l'objet d'un double récit en hexamètres et en prose, dû au cardinal Jacopo Stefaneschi, récit qui n'est conservé que dans cet unique manuscrit : condamné au bûcher pour sodomie, un jeune garçon est miraculeusement arraché aux flammes par l'intervention de la Vierge. En commémoration du prodige, le pape Jean XXII fit édifier à l'église Notre – Dame-des-Doms une chapelle dont la construction ne fut achevée qu'en 1327. Un court poème également attribué à Stefaneschi dans la rubrique, fait suite au récit du miracle : divisé en sept groupes de trois hexamètres, le texte de ce poème, de composition plus ancienne (dudum factum dit la rubrique) correspond aux tituli accompagnant les mosaïques de Cavallini exécutées à la fin du XIIIe siècle à Sainte-Marie-du-Transtévère pour un frère du cardinal, Bertoldo Stefaneschi (cf. Dykmans. 1981. p. 128-129).

Malgré le mauvais état de conservation de l'oeuvre (le manuscrit a gravement souffert de l'humidité). la qualité du style et la finesse de ce dessin tracé au bistre (médium rarement utilisé par les enlumineurs) et très délicatement modelé d'orange et de violet, rendent séduisante l'attribution proposée par Degenhart, et permettent d'envisager que nous soyons bien là en présence d'une oeuvre autographe, malheureusement très ruinée, du grand peintre siennois. même si celle-ci présente de notables différences sur le plan de l'exécution technique avec l'unique autre enluminure attestée de Simone, illustrant le Virgile de Pétrarque conservé à l'Ambrosienne de Milan. Si l'on admet son attribution à Simone, le dessin du miracle d'Avignon devrait être daté de la fin de la carrière du grand artiste, soit vers 1336-1338. soit vers 1340. années où le maître siennois résida dans la cité des papes, en tout cas avant 1341. année de la mort du cardinal Stefaneschi. sous les yeux duquel l'oeuvre a certainement été exécutée.

Prov. : Entré à la Bibliothèque royale en 1719 avec les manuscrits du collectionneur dijonnais Philibert de la Mare.

Bibl. : Degenhart. 1975. p. 191-203 ; Dykmans. 1981. p. 104-105. 115. 125-12 ; Ciardi Dupré dal Poggetto. 1981. p. 134. 196. fig. 283 : Ragioneri. 1981. p. 5-11 ; Samaran, Marichal. 1981. p. 23. pl. XLV.

Exp. : Il Gotico a Siena, 1982, n° 65 ; L'Art gothique siennois, 1983, n° 41.

50. Meditatione de la Vita di Nostro Signore.

Région siennoise, vers 1330-1340.

Papier. 206 ff.. 302 x 210 mm.

Italien 115.

On ignore le nom de l'auteur et la date de composition des Meditationes Vitae Christi, qui ont été tour à tour attribuées, mais à tort, à saint Bonaventure et au franciscain Johannes de Caulibus. Ce qui est certain, c'est que l'oeuvre a été composée en latin, aux alentours de 1300, en Toscane par un frère mineur fortement imprégné par les conceptions des « spirituels » qui, au sein de l'ordre franciscain, étaient partisans de la pauvreté absolue. Écrit à l'intention d'une Clarisse, ce texte remémore, parfois en les enjolivant de détails pittoresques et vivants, les événements de la vie du Christ depuis l'Enfance jusqu'à la Passion. Son influence sur l'art chrétien de la fin du Moyen Age fut considérable et de nombreuses copies attestent du succès de l'oeuvre, qui fit l'objet de traductions en langue vulgaire, dont la plus ancienne est la traduction italienne contenue dans le présent manuscrit.

Celui-ci, qui est probablement la plus ancienne copie illustrée des Méditations. est particulièrement remarquable par l'ampleur du cycle iconographique prévu pour l'accompagner et qui aurait comporté, s'il avait été achevé. 297 illustrations. Seules 193 d'entre-elles ont été exécutées. Il s'agit de dessins d'abord rehaussés de lavis (jusqu'au f. 74 v). puis simplement tracés à l'encre, sur une esquisse à la mine de plomb encore visible par endroit et parfois fort différente de la composition définitive. Des indications à l'enlumineur, en italien, accompagnent chacune de ces illustrations. y compris celles qui n'ont pas été exécutées.

Ce cycle a été daté et localisé diversement. Pour Millard Meiss, il s'agit



d'une oeuvre pisane du deuxième quart du XIVe siècle. En revanche B. Degenhart et A. Schmitt le rattachent au milieu siennois et le datent des environs de 1370 en le rapprochant du cycle évangélique de « Barna » et de son continuateur Bartolo di Fredi à San Gimignano. Si les liens avec Sienne sont évidents, on ne reconnaît guère chez le délicat narrateur de l'italien 115 la tension dramatique de « Barna ». Le style, les détails de mode et de l'armement, sans parler des filigranes du papier, sont du reste autant d'éléments qui rendent tout à fait improbable une datation de l'italien 115 après le milieu du siècle. Tous concourent au contraire pour situer le manuscrit vers 1330-1340. Le caractère très linéaire et incisif du dessin rend plus difficile tout rapprochement avec des oeuvres peintes et c'est plutôt dans l'orfèvrerie siennoise de la même époque que se trouvent les parallèles les plus satisfaisants. A cet égard, le rapprochement avec le reliquaire de Bolsena d'Ugolino di Vieri proposé par B. Degenhart et A. Schmitt nous paraît tout à fait pertinent.

Prov. : Acquis en 1885 de Benjamin Duprat.

Bibl. : Dalbanne, 1930, p. 51-60 ; Fischer, 1932, p. 185 ; Wentzel, 1942. p. 246-250 ; Ragusa, Green, 1961 (réimp. 1977) ; Meiss, 1967, p. 121, fig. 532 ; Degenhart, Schmitt, 1968, vol. 1, p. 123-125, vol. 3, pl. 88-89.

Exp. : L'Art gothique siennois, 1983, n° 32.


51-53. Tablettes de la Biccherna pour les années 1331,1339 et 1346.

Sienne, 1331, 1339 et 1346.

Peintures sur bois, 390 x 245 mm (Ital. 1668) ; 385 x 250 mm (Ital. 1669) et 400 x 245 mm (Ital. 1670).

Italien 1668, 1669 et 1670.

Les finances communales de Sienne étaient gérées au Moyen Age par deux institutions distinctes, la Biccherna, chargée de comptabiliser les revenus et les dépenses de la ville, et la Gabella, qui percevait les taxes sur les marchandises entrant dans la cité ou aux frontières de l'État. Les comptes de la Biccherna étaient tenus par un camerlingue, généralement recruté dans le couvent des servites de Sienne ou à l'abbaye cistercienne de San Galgano, et quatre provveditori. Les registres de compte de la Biccherna, de même que ceux de la Gabella, étaient protégés à l'aide de planchettes de bois servant de reliure, sur lesquelles on prit l'habitude, à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, d'indiquer le nom de ces fonctionnaires et la durée de leur mandat. Ces indications étaient accompagnées, à la partie supérieure, d'une composition peinte, allégorie, scène religieuse, ou plus souvent, effigie du camerlingue en titre. C'est à cette dernière catégorie qu'appartiennent les différents panneaux présentés ici, dont les dates s'échelonnent entre 1331 et 1346.

Véritables petits tableaux, ces oeuvres étaient confiées en général à des peintres de bon niveau, dont les comptes nous ont quelquefois conservé le nom. Seules quelques-unes d'entre-elles ont pu être attribuées sur la base de critères stylistiques, à des artistes de premier plan, telle la Gabella du premier semestre 1334 (Sienne, Archivio di Stato) où de bons juges reconnaissent la main d'Ambrogio Lorenzetti. Sans lui être comparables, certaines des Biccherne exposées ici se signalent par leurs incontestables qualités


picturales. C'est le cas notamment de la plus ancienne de la série, qui présente l'effigie du cistercien Niccolo di messer Cerretano chonte Armalei, camerlingue de la Biccherna en 1331. Le graphisme incisif et la matière picturale raffinée de cette oeuvre présentent malgré sa date avancée, un accent ducciesque encore assez prononcé.

Également remarquable est l'effigie du servite Chimento sur la Biccherna du second semestre 1339. D'une rare intensité psychologique, cette figure, avec son regard perçant et ses lèvres pincées, n'est pas sans rappeler, de l'avis de Michel Laclotte, le type des personnages de l'énigmatique artiste dont les oeuvres ont été regroupées sous le nom du maître de San Pietro d'Ovile ou encore d'« Ugolino Lorenzetti », appellation forgée par Berenson, pour suggérer la double filiation de ce peintre par rapport à l'émule tardif de Duccio, Ugolino di Nerio, et à Pietro Lorenzetti. Dès 1936, M. Meiss (Rivista d'Arte, t. 18, 1936, p. 113-136) a proposé de reconnaître en cet artiste le peintre Bartolomeo Bulgarini, mentionné de 1337 à 1378, dans les archives siennoises, et auquel il attribuait, sur la foi de documents aujourd'hui perdus, la Biccherna du premier semestre 1353, conservée à l'Archivio di Stato de Sienne (Il Gotico a Siena, p. 251-252, n° 91). Il est intéressant de relever à ce propos, que certains des plus anciens documents relatifs à l'artiste sont des paiements pour les peintures de tablettes de la Biccherna.

Prov. : Faisait partie d'un lot de 32 tablettes provenant de registres de la Biccherna, acheté à Sienne vers 1840 par le peintre J.A.A. Ramboux, de Cologne.

Bibl. : Geffroy, 1882, p. 403-434 : Couderc, 1908, p. 5, pl. XIII.

Exp. : Exposition de portraits, 1907, n° 8 (Italien 1668 seul) : Boccace en France, 1975. n° 4 ; L'Art gothique à Sienne, 1983. nos 68-70.


54. Manfred de Monte Imperiale, De herbis.

Pise ?, vers 1330-1340.

Parchemin, 1 + 249 ff., 345 x 250 mm.

Latin 6823.

Le De herbis de Manfred de Monte Imperiale est un répertoire de plantes illustré, dans la tradition de Dioscoride et de Platearius. L'auteur, originaire de Poggibonsi, appartenait semble-t-il comme Bartolomeo Mini, auteur d'un ouvrage analogue, à un milieu encore mal connu d'herboristes de la région siennoise. L'ouvrage de Manfred n'est connu que par deux copies manuscrites, dont celle-ci est la plus ancienne. Il est suivi dans le présent manuscrit par un traité anonyme sur les oiseaux, par l'Antidotarium de Nicolas de Salerne, et par les Synonyma de Simon de Gênes abrégés par Mondino et complétés par Manfred. Le manuscrit provient de la bibliothèque des ducs de Milan, où sa présence est attestée dès 1426.

La décoration peinte et l'illustration du volume, qui ne sont pas homogènes, comportent trois parties distinctes : les grands dessins à l'encre et au lavis représentant différents médecins de l'Antiquité et du Moyen Age, occupant les ff. 1-2 : B. Degenhart et A. Schmitt ont démontré la relation de ce cycle avec celui d'un herbier provençal conservé à la Bibliothèque nationale de Florence (Med. Pal. 586) ; les deux initiales historiées à bordure végétale des ff. 3 et 185 ; et les illustrations du traité sur les herbes de Manfred de Monte Imperiale. Il existe entre ces divers éléments des différences de qualité et de style évidentes : les représentations des médecins et les deux initiales historiées sont clairement l'oeuvre d'artistes professionnels, ce qui n'est pas le cas des illustrations de l'oeuvre de Manfred, qui malgré leur exactitude sur le plan botanique, et leurs indéniables qualités décoratives, sont dessinées de façon sèche et maladroite par un artiste dont les limites apparaissent lorsqu'il a à représenter la figure humaine. Il n'y a pas à en conclure pour autant à un écart de temps dans l'exécution des diverses parties du décor du manuscrit : suivant une observation pertinente de B. Degenhart et d'A. Schmitt, l'illustrateur du De herbis est également l'auteur des deux représentations de plantes mises dans les mains des personnages du premier des grands


dessins consacrés aux médecins célèbres (f. 1), ce qui implique que cet artiste et le maître des dessins étaient contemporains. Il en est de même du maître des initiales, dont le style offre des affinités avec celui du maître des dessins.

L'origine du manuscrit est très discutée : s'appuyant sur la provenance milanaise du recueil. certains auteurs l'ont rattaché à la production lombarde

(E. Pellegrin, L. Cogliati Arano), tandis qu'à l'opposé, B. Degenhart et A. Schmitt, se fondant sur la nature des textes et sur des comparaisons stylistiques, l'ont attribué tout d'abord à l'Italie du Sud, localisation qu'ils ont précisée par la suite en proposant pour le manuscrit une origine salernitaine.

Dans l'appréciation des données susceptibles de résoudre ce problème

d'origine, il a été fait assez peu de cas jusqu'ici des deux initiales historiées des ff. 3 et 185. Classées un peu hâtivement sous l'étiquette bolonaise et datées du début du xive siècle par R. Cipriani dans le catalogue de l'exposition A rte lombarda dai Visconti agli Sforza de 1958 (n° 78), ces deux initiales présentent pourtant des caractères stylistiques qui permettent de les rattacher à un centre précis, celui de Pise. Il existe en effet un groupe de manuscrits conservés aux archives de Pise (Archivio di Stato, Com. A., N.6, N.15 et N.18) et intéressant le gouvernement de cette ville, dont la décoration offre des similitudes frappantes avec les deux initiales de notre manuscrit. Il semble même possible d'attribuer celles-ci au peintre de l'un de ces manuscrits, le maître du Com. A., N.18 : la confrontation du personnage barbu tenant deux boules d'or et d'argent, représenté au f. 3 du traité de Manfred, et du magistrat vu de face dans l'initiale du f. 49 du manuscrit de Pise est à cet égard décisive. Le groupe des trois manuscrits pisans étant datables des années 1330-1340, datation fournie par l'un d'eux et confirmée par les détails de mode des costumes masculins, c'est vers la même époque qu'il convient de placer les deux initiales du manuscrit parisien. Cette datation est également valable pour les figures de médecins des ff. 1 et 2, et par suite pour les illustrations botaniques, contemporaines, du traité de Manfred. A cette époque, le style de l'enluminure pisane se révèle tributaire de la peinture siennoise aussi bien dans la figuration des personnages, de nette influence lorenzettienne, que dans le vocabulaire ornemental des initiales et des bordures : c'est bien la même composante siennoise que l'on reconnaît dans les deux initiales historiées de notre manuscrit.

Prov. : Bibliothèque des ducs de Milan au château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibi : Wickersheimer. 1936, p. 535 ; Pellegrin, 1955. p. 278-279. A 929 ; Degenhart, Schmitt, 1968, vol. 1, p. 53-55. fig. 83a. 84a, 85a ; Pellegrin, 1969, p. 7, pl. 50 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970. p. 403-404. fig. 128-132 ; Baumann. 1974, p. 102-103, pl. 78 à 79 d ; Opsomer, 1978, p. 38 ; Degenhart, Schmitt, 1980, vol. 2. p. 337-350. fig. 543. 545, 549-555, 557, 559, 562. 564. vol. 3, pl. 167-169 ; Imbault-Huart, Dubief, Merlette, 1983, p. 40-41.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 78 ; La Médecine médiévale, 1982. n° 3.


55. Antiphonaire responsorial à l'usage d'une église de Pise.

Pise, xive s. (3e quart).

Parchemin, 226 pp., 630 x 460 mm.

Paris, École des Beaux-Arts, ms. Masson 127.

Les quatre initiales historiées de cet antiphonaire inédit se rapprochent stylistiquement de celles des antiphonaires B.4 et C.6 de la Bibliothèque capitulaire de Pise, et peuvent être attribuées au même atelier, dont provient également le graduel V du Musée national de Pise. L'exécution assez sèche, le canon étiré et maigre des figures, l'utilisation mécanique des mêmes schémas iconographiques (l'Assomption de la p. 172 est la réplique inversée de celle de l'antiphonaire B.4, le saint Laurent de la p. 130 est le jumeau de celui du graduel V) sont caractéristiques de cette production pisane tardive où l'on ne retrouve plus guère la vigueur créatrice qui s'exprimait avant le milieu du siècle dans le groupe d'antiphonaires mis en relation par M. Meiss avec le peintre Francesco Traini (Pise, Musée national, Corali A, B, D, E).

Prov. : Note sur le contenu au contreplat inférieur, signée : P. Franciscus Maria Pazzi de Pisis, et datée de 1693 ; donation Jean Masson à l'École des Beaux-Arts (1926). Bibl. : Corbin, 1974, p. 170.

56. Boccace, Décameron.

Florence, vers 1370 ?

Parchemin, 215 ff., 350 x 240 mm.

Italien 482.

Ce manuscrit appartient au groupe des trois plus anciens témoins du Décameron, et revêt de ce fait une importance extrême pour la tradition du texte. Il fut transcrit à son propre usage par un marchand florentin, Giovanni di Agnolo Capponi, inscrit sur les registres de l'« Arte della lana » à partir de 1364 et mort en 1392.

Le manuscrit est aussi le plus ancien exemplaire du Décameron comportant des illustrations. Celles-ci, placées en tête des dix journées divisant le recueil, se présentent sous la forme de dessins à l'encre rehaussés de bistre, dont le trait vif et spirituel s'accorde bien au ton léger de l'oeuvre boccacienne. L'un de ces dessins, au f. 4v, de plus grand format que les autres, figure, assis en rond, non loin d'une fontaine dans le jardin d'une villa des environs de Florence, les sept jeunes femmes et les trois jeunes gens


qui, dans le récit de Boccace, racontent a tour de rôle une nouvelle au cours de chaque journée. Ailleurs, l'histoire du fils de Filippo Balducci racontée au début de la quatrième journée, et dont La Fontaine s'est souvenu dans ses « Oies de frère Philippe », a permis à l'artiste d'évoquer divers monuments florentins parmi lesquels on reconnaît le Baptistère et le Palazzo Vecchio. Bien qu'ils ne soient pas l'oeuvre d'un artiste professionnel, ces dessins par leur qualité narrative comptent parmi les meilleures illustrations qu'ait inspirées le Décameron. Tout comme l'oeuvre de Boccace ils sont représentatifs de la culture communale propre à la république marchande qu'était la cité de Florence.

Prov. : Giovanni di Agnolo Capponi ; Louis XI ; librairie de Blois.

Bibl. : Branca, Ricci, 1962 ; Nadin, 1965. p. 41-54 ; Meiss, 1967, p. 57 ; Degenhart. Schmitt, 1968, vol. 1, p. 134-137, vol. 3. pl. 109-112.

Exp. : Boccace en France, 1975. n° 63.

57. Speculum humanae salvationis.

Toscane ?, vers 1370-1380.

Parchemin, 19 ff., 275 x 210 mm.

Latin 9584.

Le Speculum humanae salvationis, comme la Bible des pauvres ou la Bible moralisée (cf. n° 63), est une compilation accompagnée d'illustrations, mettant en parallèle, suivant un procédé typologique cher aux exégètes du Moyen Age, des épisodes de la vie de la Vierge et du Christ et les scènes de l'Ancien Testament qui en sont les préfigures. Considéré longtemps comme l'oeuvre d'un dominicain de la région rhénane (on l'a attribué à Ludolphe de Saxe), ce poème anonyme, divisé en quarante-deux chapitres et illustré à raison de quatre images par chapitre, aurait été conçu en réalité, selon les travaux les plus récents, en Italie, dans le milieu franciscain. Deux manuscrits d'origine italienne, dont celui qui est exposé ici, indiquent l'année 1324 comme date de composition de l'oeuvre. Celle-ci connut un durable succès et fit l'objet de traductions en langues vulgaires, notamment en français, et sa thématique typologique a constitué pour les artistes de la fin du Moyen Age une source d'inspiration inépuisable.


Les intentions didactiques du poème sont bien illustrées dans le présent manuscrit par les scènes représentées aux ff. 10v et 11 : nous y voyons la Salutation angélique, mise subtilement en relation avec trois épisodes bibliques, Moïse devant le buisson ardent, la Toison de Gédéon, et Rébecca abreuvant Eliézer. Le manuscrit dont font partie ces images, ne constitue qu'un fragment d'un Speculum dont l'autre moitié est conservée au Fitzwilliam Museum de Cambridge. Ses soixante illustrations se présentent sous la forme de dessins rehaussés et modelés de couleurs, dont le style élégant et pur indique un artiste toscan, florentin même selon Berenson, qui datait l'oeuvre de l'extrême fin du XIVe siècle. L'origine précise du manuscrit reste cependant problématique, les acanthes végétales de l'encadrement du f. 1, et des lettres ornées, peintes par une autre main, étant d'un caractère très particulier qu'on ne rencontre jamais dans les manuscrits enluminés à Florence et à Sienne.

Prov. : Acquis par la Bibliothèque royale en 1838 du libraire Crozat.

Bibl. : Lutz. Perdrizet, 1907-1908, t. 1, p. XIV, 247, t. II. pl. 97 ; Berenson, 1926. p. 289-320 ; Berenson, Janes, 1926 ; Berenson, 1935. p. 101-121 ; Wormald, Giles, 1966, n° 63 ; Schmitt, 1974, p. 161, 163 ; Conti, 1979, n. 2 p. 19.

58. Dante, Divina Commedia avec le commentaire de Jacopo della Lana.

Pise et Sienne, 1403.

Parchemin, 248 ff., 365 x 255 mm.

Italien 73.

Ce manuscrit de la Divine Comédie a été achevé le 30 octobre 1403 par Paolo di Duccio Tosi de Pise. Ce scribe semble s'être spécialisé dans la transcription de l'oeuvre de Dante, dont on connaît trois autres copies de sa main. Le colophon du f. 248 précise que le volume était destiné à Francesco di Bartolomeo Petrucci de Sienne « nel tempo che gli era honorevile executore della citta di Pisa » : il n'y a donc pas de doute sur le fait que le manuscrit ait été transcrit à Pise même. Sa décoration peinte en revanche semble bien avoir été exécutée dans le milieu artistique siennois. Les initiales historiées, représentant Dante à mi-corps, qui marquent le début des trois parties du poème, offrent en effet d'évidentes affinités stylistiques avec les oeuvres d'un enlumineur que Mme G. Chelazzi Dini a

proposé récemment d'identifier avec le peintre siennois Andrea di Bartolo (cf. catalogue d'exposition II Gotico a Siena, Sienne, 1982, nos 114-116). La conception encore trecentesque des trois « portraits » de notre manuscrit correspond bien au caractère rétrospectif et « passéiste

passéiste de l'art siennois de cette période. Aussi bien dans la typologie des personnages que dans les motifs de ses bordures végétales, l'artiste est encore tributaire de Lippo di Vanni. personnalité la plus marquante de l'enluminure siennoise peu avant le milieu du XIVe siècle.


Prov. : Francesco di Bartolomeo Petrucci, de Sienne ; Philippe Hurault, évêque de Chartres (t 1621).

Bibl. : Colomb de Batines, 1854. t. I, p. 609 et 1846. t. II. p. 242 n. 43 ; Auvray, 1892. p. 54-59 ; Colophons, 1965-79. t. V, n° 15046.

Naples et Italie du Sud

59. Les Faits des Romains.

Naples, entre 1324 et 1331.

Parchemin, 1 + 445 ff. (paginés 1 à 890). 390 x 265 mm.

Français 295.

La présence à Naples d'une dynastie française, fondée par le propre frère de saint Louis, Charles 1er d'Anjou, et les relations continuelles, politiques et matrimoniales, entretenues par les Angevins avec la cour de France, contribuèrent à la formation dans la cité campanienne d'une culture cosmopolite mi-française, mi-italienne, qui atteint son apogée sous le règne de Robert d'Anjou, dit le Sage (1311-1343). De cette période date le présent manuscrit, l'un des plus éclatants témoignages de l'imprégnation française de la culture napolitaine d'alors. Il s'agit d'un exemplaire des Faits des Romains, dont les armoiries peintes au premier feuillet permettent d'identifier le possesseur initial comme étant la propre bru de Robert d'Anjou, Marie de Valois, qui épousa en 1324 Charles de Calabre, fils du roi de Naples, et mourut en 1331.

La décoration du manuscrit se compose de seize miniatures inscrites dans le texte, et d'initiales dont les antennes se prolongent dans les marges et forment un véritable encadrement. Le style très graphique des miniatures, leur absence de modelé, leurs fonds quadrillés, la forme aiguë des antennes, et les multiples grotesques et animaux parsemés dans les marges montrent clairement que nous avons affaire à un artiste septentrional, formé dans un atelier picard ou artésien : c'est en effet dans les provinces du Nord de la France, et aux confins de la Flandre, que l'on trouve à cette époque les oeuvres les plus comparables. Il n'y a aucun doute cependant que l'artiste travaillait à Naples : on reconnaît en effet sa main dans deux manuscrits, un bréviaire franciscain de la

Bibliothèque nationale de cette ville (ms. I.B.24) et une Histoire ancienne jusqu'à César (Londres, British Library, ms. Royal 20 D. I) où il collabore avec des enlumineurs appartenant indiscutablement au milieu artistique napolitain. La manière d'exécuter au pinceau certaines

parties du décor dénote en outre de la part de l'artiste un certain effort d'assimilation de la technique essentiellement picturale des enlumineurs de la péninsule. Deux autres manuscrits encore inédits peuvent être ajoutés à l'oeuvre de notre artiste : il s'agit d'un superbe exem-


plaire des Moralia in Job de saint Grégoire, conservé à la Bibliothèque de Grenoble (ms. 53), et d'un Nouveau Testament latin et français de la Biblioteca Marciana de Venise (ms. lat. Z. 10) dont il n'a exécuté que la peinture de l'Arbre de Jessé.

Prov. : Marie de Valois, épouse de Charles de Calabre ; librairie de Charles V ; Louis d'Harcourt, archevêque de Narbonne ; Hôtel de ville de Rouen ; Jean-Baptiste Colbert.

Bibl. : Flutre, 1932, p. 62-63. 88, 137 ; Avril, 1969, p. 292-300 : Perriccioli Saggese, 1979. p. 50, 53, 104. pl. XXXVIII-XLI.

60. Andalo di Negro, Tractatus spherae, Theorica planetarum, Introductorium ad judicia astrologiae, et autres oeuvres.

Italie du Sud (Naples ?), vers 1325-1330.

Parchemin, 1+173 ff., 300 x 220 mm.

Latin 7272.

Ce manuscrit contient plusieurs oeuvres de l'astronome génois Andalo di Negro, savant réputé que le roi Robert d'Anjou avait attiré à sa cour et dont Boccace, dans sa jeunesse, suivit l'enseignement au studio de Naples. Le manuscrit provient de la bibliothèque des rois aragonais de Naples, et d'après le style de ses illustrations, il y a toutes les chances qu'il ait été exécuté en Italie du Sud, probablement à Naples même, pendant

les années où l'auteur séjourna dans la cité angevine. Les dix-neuf peintures du volume illustrent l' Introductorium ad judicia astrologiae. Elles représentent les constellations zodiacales, du Bélier aux Poissons (ff. 112 à 129) et les planètes, de Saturne à la Lune (ff. 143 à 158), et dérivent sans doute, à travers un ou plusieurs intermédiaires, d'un cycle analogue d'origine orientale, comme semble l'indiquer notamment le Jupiter enturbanné du f. 146. L'une des plus belles figures de la série est le Mercure du f. 155v. Le dieu grec est transformé ici en maître de l'Université, avec son bonnet doublé de vair et son ample manteau rouge, et écrit à sa table de travail. Le traitement très plastique de l'ensemble, le modelé raffiné du visage et du manteau témoignent de la pénétration précoce des formules giottesques dans l'enluminure méridionale. Le goût prononcé de l'ornement, sensible dans le fin réseau quadrillé du fond bleu, s'explique en revanche par l'influence des manuscrits français. Ce type de fonds quadrillés ainsi que les fonds d'or à motifs en pointillés se retrouvent dans un manuscrit exécuté vers 1325 pour l'abbé de Cava dei Tirreni, Filippo de Haya, le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand de la British Library (Ms. Add. 31032), avec lequel le style de notre peintre présente d'évidentes affinités.

Prov. : Librairie des rois aragonais de Naples : rapporté de Naples par Charles VIII.

Bibl. : De Marinis, 1969, t. I, p. 42-44.

Exp. : Boccace en France, 1975, n° 9.

61. Statuts de l'Ordre du Saint-Esprit au droit désir.

Naples, 1353.

Parchemin, II + 11 ff., 360 x 260 mm.

Français 4274.

Fondé par Louis de Tarente, second mari de la reine Jeanne de Naples, sans doute à l'initiative de Niccolô Acciaiuoli, grand sénéchal du royaume, l'ordre du Saint-Esprit au droit désir, ou ordre du Noeud, s'inspirait dans sa conception et dans ses buts de l'ordre de la Noble Maison (ou ordre de l'Étoile) fondé en 1351 par le roi de France Jean le Bon. Très imprégnés d'idéal chevaleresque, les statuts de l'ordre napolitain astreignaient ses membres à un certain nombre d'obligations,

d'obligations, une réunion annuelle au Château de l'OEuf, et prévoyaient leur participation à une éventuelle expédition pour la reconquête des Lieux Saints. C'est en 1353 qu'eut lieu la première réunion solennelle de l'ordre. Celui-ci ne devait guère survivre à la mort de son fondateur en 1362.

Le présent manuscrit est l'original des statuts de l'ordre, divisés en vingt-cinq articles et rédigés en français. Il s'ouvre au f. 2v par une peinture à pleine page figurant, agenouillés aux pieds de la Trinité, Louis de Tarente, vêtu de l'habit blanc réservé aux membres de l'ordre, et la reine Jeanne de Naples, dans une robe d'un rouge éclatant mis en valeur par le fond bleu de la miniature. Petite fille de Robert d'Anjou, et dernière descendante directe de la lignée des rois angevins, la reine Jeanne a été maintes fois évoquée par Boccace, qui a retracé son destin tumultueux au dernier chapitre du De mulieribus claris. Les autres scènes du volume illustrent les différents articles contenus dans les statuts. L'une d'elles, au f. 5, divisée en multiples compartiments, représente le cheminement suivi par les différents membres de l'ordre pour se rendre au Château de l'OEuf à l'occasion de la réunion annuelle prescrite par les statuts. Au f. 6, une peinture en bas de marge, nous montre le chargement de galères et d'une nef arborant les armes des différents souverains de la chrétienté, et de la papauté, et sur le point d'appareiller pour la Croisade. Ces peintures ont été exécutées dans un atelier napolitain fort productif dont les débuts remontent aux années 1340, et sont associés au nom de l'enlumineur Cristoforo Orimina, auteur de la décoration peinte d'une luxueuse Bible destinée semble-t-il à un conseiller du roi Robert, Niccolô d'Alife (anciennement au Grand Séminaire de Malines, aujourd'hui à l'Université de Louvain). L'imprégnation du style monumental de Giotto, encore manifeste dans les oeuvres de cet artiste, s'est quelque peu affadie dans les productions tardives de son atelier, qui séduisent néanmoins par la richesse et l'intensité de leur coloris, et par leurs qualités narratives.

Prov. : Louis de Tarente ; offert en 1574 par la République de Venise à Henri III ; Philippe Hurault de Cheverny, chancelier de France ; Philippe Hurault, évêque de Chartres ; marquis de Maisons ; Nicolas Nicolaï ; Roger de Gaignières ; Gaignat ; duc de La Vallière ; acheté à la vente de celui-ci par la Bibliothèque royale en 1784 ; Musée des souverains.



Bibl. : e Febvre, 1764 Viel-Castel, 185 ; Delisle, 1868. t. I, p. 191-192 ; Couderc, 1908, p. 7-8, pl. XVII ; D'Ancona, 1925, p. 46, pl. XLI ; Toesca, 1951, p. 826-830 ; Léonard, 1954. p. 368 ; Salmi. 1956, p. 38, fig. 48 ; Bologna, 1969. p. 305-307. pl. VII, 41-47 ; Newton, 1980. p. 49-52.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'Italie, 1950, n° 140 ; Boccace en France, 1975. n° 8.

62. Pierre d'Éboli, De balneis Puteolaneis.

Naples, xive s. (milieu).

Parchemin, 24 ff., 275 x 190 mm.

Latin 8161.

Les sources volcaniques de la région de Pouzzoles, au Nord de Naples, étaient réputées depuis l'Antiquité pour leurs vertus curatives, et les Romains y avaient aménagé un grand nombre d'établissements de bains, qui, après avoir été délaissés durant le Haut Moyen Age, connurent un regain de succès du temps des empereurs souabes. Pierre d'Éboli, poète à la cour des Hohenstaufen, les célébra dans un poème, composé entre 1212 et 1221, et qu'il dédia à l'empereur Frédéric II. Dans cette oeuvre, dont on connaît une vingtaine de copies, toutes originaires d'Italie du Sud et s'échelonnant entre le XIIIe et xve siècles, les différents bains et leurs vertus particulières étaient évoqués par une pièce de vers accompagnée, en face, d'une illustration.

Les peintures du présent exemplaire se rapprochent par le style des oeuvres enluminées dans les ateliers napolitains du second quart et du milieu du XIVe siècle. La disposition en hauteur des divers éléments de chaque scène reste cependant archaïque et s'explique par le fait que le manuscrit, comme presque toutes les autres copies connues du poème, dérive plus ou moins directement d'un modèle du siècle précédent. Notre manuscrit a fait lui-même l'objet d'une copie fidèle en 1471 par l'enlumineur Cola di Rapicano (Milan, Bibliothèque Ambrosienne, ms. 1.6. Inf.).

Prov. : Librairie des rois aragonais de Naples rapporté de Naples par Charles VIII et versé dans la bibliothèque du château de Blois.

Bibl. : De Marinis, 1964. p. 47-49 ; Imbault-Huart, Dubief, Merlette, 1983, p. 170-171.

Exp. : Boccace en France, 1975. n° 6 ; La Médecine médiévale, 1982, n° 77.

63. Bible moralisée en français. Images du Nouveau Testament. Pl. coul. IX.

Naples, vers 1350.

Parchemin, 224 ff. (foliotés de 1 à 192).

295 x 205 mm.

Français 9561.

Ce manuscrit est la seule copie italienne connue de la Bible moralisée. Sous cette appellation on désigne un gigantesque recueil d'illustrations où alternent les scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament et leur interprétation moralisée, recueil qui fut conçu à l'intention



de la famille royale de France au cours de la première moitié du XIIIe siècle. L'existence de cette copie italienne de la Bible moralisée, dont tous les autres exemplaires conservés proviennent d'ateliers français, s'explique par son origine : en effet le manuscrit a certainement été exécuté à Naples, probablement pour un membre de la première maison d'Anjou, que des liens étroits rattachaient à la dynastie capétienne.

On distingue deux parties dans le manuscrit. La première est occupée par le cycle, d'ailleurs incomplet, de la Bible moralisée (ff. 1 à 112 : Genèse à Juges III). Dans cette partie, les peintures sont disposées sur deux registres, correspondant l'une à un épisode biblique, l'autre à sa moralisation. La seconde partie est constituée par un cycle néo-testamentaire très développé qui s'étend des feuillets 113 à 189v. Certaines de ces peintures, dans la première partie surtout, se rattachent indubitablement à la production napolitaine des années 1330 à 1370 environ. Dix-sept peintures du cycle évangélique, tranchent sur cet ensemble par leurs exceptionnelles qualités plastiques et chromatiques : il s'agit des scènes des ff. 132v, 134, 135v, 139v, 142v, 144v. 178v, 179, 180v, 181, 182v, 183. 184v, 186, 187v, 188 et 189v. Cette remarquable série est l'oeuvre d'un peintre nettement supérieur à ses collaborateurs, artiste dont la culture picturale et la filiation stylistique complexes ont été envisagées de façon variée. P. Toesca et par la suite B. Degenhart et A. Schmitt ont été surtout sensibles à la composante siennoise de ses oeuvres. F. Bologna en revanche, tout en faisant la part des éléments siennois, discerne avant tout dans ces peintures une nette influence du style de Giotto et de son disciple Maso di Banco, et propose d'identifier leur auteur avec le fresquiste giottesque de la chapelle Pippino à San Pietro a Majella de Naples. Cette analyse rejoint partiellement celle de M. Meiss qui croyait cependant déceler chez l'artiste une connaissance de la peinture florentine d'une génération postérieure (Andrea Bonaiuti, Orcagna) et datait donc le manuscrit des alentours de 1370. Le problème de la situation stylistique et de la chronologie du maître des scènes du Nouveau Testament est encore rendu plus ardu par le rapprochement proposé par M. Meiss entre ses miniatures et trois panneaux peints conservés à Aix-en-Provence et au Metropolitan Museum of

Art. Malgré certains points communs dans la vision de la nature et le traitement de l'espace, le style des deux artistes présente cependant de notables divergences, comme l'a admis Meiss lui-même, ne serait-ce que par l'imprégnation siennoise de dérivation martinienne, si sensible dans les tableaux et totalement absente de la Bible napolitaine. Ces références explicites à l'art de Simone Martini dans sa phase tardive rendent plus séduisante la localisation des panneaux dans le milieu artistique fortement italianisé d'Avignon autour des années 1340. Les inflexions siennoises perceptibles chez le maître des scènes évangéliques sont d'une tout autre origine, et procèdent essentiellement de l'art des Lorenzetti. Mais celles-ci sont largement subordonnées à un sentiment de l'espace et à un traitement monumental

monumental la figure humaine qui témoignent d'une adhésion primordiale aux principes formels élaborés par Giotto et son disciple Maso di Banco.

Prov. : Marguerite d'Autriche ; Marie de Hongrie ; bibliothèque de Bourgogne ; transféré à la Bibliothèque nationale en 1796.

Bibl. : Delisle, 1893. p. 246-253 ; Laborde, 1911-1927. pl. 759-767 et t. V, p. 114-117 : Mâle, 1931. p. 140-142, 177 ; Heimann, 1932. p. 27-28 : Porcher, 1945, p. 4-6 ; Toesca. 1952, p. 826 ; Bologna. 1955, p. 33 ; Meiss. 1956. p. 143-145. fig. 5 et 6 ; Meiss, 1967. p. 27-29. fig. 408, 410-412 : Meiss, 1968. p. 37, fig. 158, 489 ; Degenhart. Schmitt. 1968. vol. 1, p. 56-59. fig. 96-98 : Bologna, 1969. p. 311-319. pl. V-35 et VII-56 à 59 : Haussherr, 1972. p. 366-370. 377 et 379. fig. 85 et 92 ; Haussherr, 1973. p. 13. 23. 25. 27. 29, 31 du texte français.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950, n° 129 ; L'Art gothique siennois, 1983. 73.


Bologne

64. Justinien, Digestum novum cum glossa Accursii.

Bologne, vers 1330.

Parchemin, 326 ff., 445 x 280 mm.

Latin 14341.

Ce manuscrit, ainsi que les deux suivants, fait partie d'une série de cinq volumes (mss. lat. 14339-14343) contenant la quasi totalité de l'immense oeuvre juridique attribuée à l'empereur Justinien.

Compilés entre 528 et 534 sur l'ordre de ce dernier, le Code, le Digeste (ou Pandectes) et les Institutes constituèrent la base de la connaissance du droit romain au Moyen Age, et à ce titre furent copiés, étudiés et commentés dans les universités, principalement à Bologne qui s'était spécialisée dans l'enseignement du droit.

Bien que solidaires, les cinq manuscrits n'ont certainement pas été exécutés à la même époque, comme l'indiquent les différences stylistiques marquées de leur décoration.

Le présent volume ne contient que le Digestum novum, partie finale du Digeste, faisant suite au Digestum vetus et à l'Infortiat. Outre un grand nombre de lettres ornées, sa décoration comporte douze peintures marquant chacune le début d'un livre. Deux de ces peintures, de plus grand format que les autres, illustrent le livre XXXIX (f. 1) et le livre XLV (f. 151). Toutes deux se rapportent au sujet traité dans chacun de ces livres. La première représente la construction d'un édifice à laquelle participent différents corps de métiers. La scène se prolonge dans l'initiale historiée, où apparaît un charpentier travaillant une planche, et dans l'encadrement peint qui sépare le texte principal de la glose : deux lourds charrois chargés de pierres se dirigent vers la porte d'une ville surmontée d'une divinité païenne nue. Deux armoiries non identifiées sont répétées sous diverses formes dans le bandeau peint de la marge inférieure. Une mise en page analogue a été adoptée dans la seconde des grandes peintures, au f. 151. Ici, c'est la théorie des obligations qui est en question, et l'enlumineur a représenté un magistrat assis dans une cathèdre sculptée, assistant à un contrat. Dans l'initiale un personnage, le nez levé,

semble participer à la scène, mais les deux autres figures couchées dans un désert peuplé de bêtes sauvages, du bandeau séparant le texte de la glose, paraissent plutôt faire écho au thème traité dans la marge inférieure où deux hommes d'armes portant les écus du premier feuillet, sont aux prises avec un ours et un lion. L'ensemble de ce décor à l'exception de l'initiale du f. 313, est attribuable à un artiste bolonais dont l'oeuvre a été récemment regroupé par Alessandro Conti sous le nom de « maître de 1328 », d'après la matricule de 1328 des merciers de Bologne, conservée au Museo Civico de cette ville.

Les architectures assez lourdes et très ornées, la massivité des personnages, où l'on perçoit encore des traces de style byzantinisant, relient cette oeuvre à la production bolonaise du premier quart du siècle. La jubilation narrative des compositions, avec leur profusion de

détails anecdotiques, annonce en revanche l'art du conteur par excellence que fut à la génération suivante, l'Illustratore (n° 65).

Prov. : Armoiries primitives non identifiées ; Henri du Bouchet (XVIIe siècle) ; abbaye Saint-Victor.

Bibl. : Dolezalek, 1972, II.

65. Justinien, Institutiones, cum glossis Accursii et Jacobi Columbi.

Bologne, vers 1335-1340.

Parchemin, 302 ff., 460 x 290 mm.

Latin 14343.

Ce manuscrit a été transcrit, au moins en partie, par un certain Geminianus, dont le nom apparaît au f. 78, et qui est très probablement identifiable avec le copiste bolonais Geminiano da Modena qui a signé le Digeste ms. 1 du Musée


communal de Ruremonde, daté de 1340. Trois artistes distincts ont collaboré à la décoration du volume. La première grande peinture (f. 1), qui représente l'empereur Justinien donnant une audience, et recevant les jurisconsultes chargés de compiler le texte des Institutes, est une oeuvre jusqu'ici inédite de l'artiste anonyme qu'on désignait autrefois sous le nom de pseudo-Niccolô di Giacomo, pour le distinguer du grand enlumineur bolonais de la seconde moitié du siècle avec lequel il était

parfois confondu. A cette appellation, on préfère aujourd'hui celle d'« Illustratore », forgée par Roberto Longhi, et qui rend mieux compte de l'originalité de cet intarissable et fervent chroniqueur de la vie quotidienne de la cité émilienne, dont le style tumultueux a profondément rénové l'enluminure bolonaise du second quart du siècle. Le ms. lat. 14340, appartenant à la même série, a été également enluminé par cet artiste et son atelier. Tout aussi avancé que celui-ci, est le bel artiste qui a peint la scène du f. 79 : le

rythme ample et tranquille de cette composition se situe dans le droit fil du maître de 1328 à son apogée, et l'oppose au ton virulent presque fébrile de l'Illustratore, dont le distingue également sa palette aux tonalités harmonieuses et claires. Cette oeuvre d'une personnalité artistique jusqu'ici inconnue, reste isolée dans le contexte bolonais de cette époque. Le troisième collaborateur du manuscrit, auteur des grandes peintures des ff. 147 et 275, ainsi que de l'ensemble des petites peintures, est identifiable avec l'enlumineur du Décret de Gratien nouv. acq. lat. 2508 de la Bibliothèque nationale (n° 67). Il s'agit d'un artiste d'une génération plus ancienne que les deux précédents et dont le style archaïque plonge ses racines dans l'enluminure bolonaise des années 1320. Cet artiste a collaboré avec l'Illustratore dans un Décret de Gratien de la Bibliothèque Vaticane (ms. Vat. lat. 1366) qui doit dater de la même époque.

Prov. : Henri du Bouchet (XVIIe siècle) ; abbaye Saint-Victor.

Bibl. : Dolezalek, 1972, II.


¡ 66. Justinien, Digestum vetus cum glossa Accursii. Pl. coul. XII.

Bologne, vers 1345.

Parchemin, 1 + 328 ff., 475 x 295 mm.

Latin 14339.

Les oeuvres rassemblées autour de l'Illustratore soulèvent de délicats problèmes d'identification en raison des collaborations très poussées qui semblent avoir été de règle au sein de son atelier : ainsi la confrontation de la peinture du f. 1 des Institutes (n° 65) avec celles du Digestum novum (latin 14340) révèle malgré l'identité du style, des différences significatives de facture et de coloris.

L'attribution des illustrations du présent manuscrit est liée à ce problème : ces peintures portent clairement la marque du style de l' Illustratore, mais ont pourtant été exécutées par un artiste distinct qu'il paraît possible d'identifier

avec un enlumineur dont la personnalité a été récemment dégagée par Alessandro Conti, qui l'a baptisé « maître de 1346 ». Celui-ci se distingue de son aîné par un traitement plus souple des formes, et surtout par un coloris plus clair. C'est dans la première des deux grandes peintures du manuscrit (f. 3) que l'artiste affirme le mieux son originalité. La scène représente Justinien, incarnant la Justice, entouré de six autres vertus, où l'on reconnaît de gauche à droite, la Charité, la Tempérance, la Force, la Prudence, la Foi et l'Espérance. Du doigt, l'empereur montre à ses compagnes différents personnages, figurés au premier plan, qui symbolisent les vices opposés. Les acteurs de cette scène n'ont plus grand-chose en commun avec la tension fébrile des figures de l' Illustratore, et font déjà penser à l'art de Niccolô di Giacomo. qui dans un commentaire sur les Décrétales

de la Bibliothèque Ambrosienne daté de 1355, a représenté les Vertus de façon identique. La marque de l' Illustratore est en revanche plus sensible dans la peinture du f. 183 où sont représentées différentes activités commerciales : à gauche, plusieurs acheteurs se pressent autour des barriques d'une marchande de vin ; au centre, un client s'approche du comptoir d'un changeur ; à droite, un bourgeois discute avec un maquignon de la valeur d'un cheval et en examine la dentition. On retrouve dans ce tableau animé les qualités propres à l' Illustratore, témoin attentif des menus faits de la vie quotidienne de son temps, et qui a peint une scène analogue dans un exemplaire du Digeste conservé à la Bibliothèque Vaticane (ms. Vat. lat. 1411, f. 203). Si l'inspiration est bien la sienne, et peut-être même le dessin sous-jacent, l'exécution picturale est en revanche le fait de son collaborateur et disciple, le maître de 1346, bien reconnaissable à son coloris frais et lumineux.

Prov. : Henri du Bouchet (XVIIe siècle) ; abbaye Saint-Victor.

Bibl. : Dolezalek. 1972. II.

67. Gratianus, Decretum cum glossa Bartholomei Brixiensis.

Bologne, vers 1340 ?

Parchemin, 347 ff., 475 x 290 mm.

Nouvelles acquisitions latines 2508.

Cet exemplaire du Décret de Gratien témoigne du degré de perfection que pouvaient atteindre les ateliers bolonais dans la production des manuscrits de droit civil et de droit canon dont ils s'étaient fait une spécialité. Calligraphié avec une régularité sans défaillance par le frère Adigherio di Ugolino da Castagnolo, qui a signé une autre copie du Décret conservée à Genève (ms. lat. 60), et corrigé par un autre scribe bolonais bien connu, Bartolomeo de' Bartoli, ce manuscrit a été exécuté pour un personnage dont les armoiries n'ont malheureusement pas été identifiées jusqu'ici. Ses illustrations et son abondant décor d'initiales ont été peintes de bout en bout par un seul enlumineur, artiste anonyme qu'on retrouve collaborant dans deux autres manuscrits juridiques, le Décret Vatican latin 1366 de la Vaticane et les Institutes lat. 14343 de la Bibliothèque nationale (n° 65), avec l' Illustratore.


Malgré l'archaïsme du style, dont témoigne la pesanteur des personnages et le traitement épuré et presque cubiste des architectures, ses scènes révèlent dans leur verdeur narrative une certaine contamination par l'art de son collaborateur occasionnel, ce qui incite à placer le manuscrit à une époque assez avancée, vers 1340, seule datation qui soit compatible

compatible outre avec la participation dans le volume des scribes Adigherio et Bartolomeo de' Bartoli, ce dernier étant documenté entre les années 1340 et la fin des années 1370. Dans le présent manuscrit, la lourdeur du style contraste avec la vivacité et l'harmonie délicate des coloris, qui rappellent ceux d'un autre chef-d'oeuvre de l'enluminure bolonaise,

le Digeste ms. E.I. de la Bibliothèque nationale de Turin, dû au maître de 1328. La double page marquant le début de l'ouvrage, met en parallèle, comme souvent dans les copies bolonaises du traité de Gratien, le pouvoir de l'Église et le pouvoir temporel. Les deux peintures, divisées en deux registres, représentent à gauche, un pape en consistoire, et, au-


dessous, l'exercice de la justice ecclésiastique, à droite un empereur entouré de clercs et de chevaliers, et l'exercice de la justice séculière.

Prov. : Jean Bouhier, président au Parlement de Dijon ; marquis de Bourbonne ; abbaye de Clairvaux ; collection H. Perkins.

Bibl. : Dorez, 1904, p. 12, pl. II ; Melnikas, 1975, passim ; Arcais, 1979, p. 360-365 ; Conti, 1979, p. 5 ; Conti, 1981, p. 14, 68, 93, 94, 96, fig. 162.

68. Luca Manelli, Compendium moralis philosophiae.

Bologne, vers 1345-1350.

Parchemin, 1 + 52 ff., 380 x 250 mm.

Latin 6467.

Ce manuscrit est l'exemplaire de présentation d'un traité de philosophie morale dédié par le dominicain Luca Manelli à Bruzio Visconti, fils naturel de Luchino Visconti. Lettré et poète à ses heures (il fut en relation avec Pétrarque), ce personnage, qui passa les dernières années de sa vie en exil à Bologne, avait le goût des beaux livres, comme en témoignent plusieurs manuscrits lui ayant appartenu qui sont parvenus jusqu'à nous, dont la superbe Canzone delle virtù e delle scienze du Musée Condé de Chantilly, illustrée par le bolonais Andrea de' Bartoli.

Le présent manuscrit est également d'origine bolonaise comme l'indique sa décoration peinte. Il s'ouvre au premier feuillet par une composition singulière. Le dédicataire en habit seigneurial, et portant un ample manteau rouge doublé de vair, y est figuré par deux fois, recevant l'ouvrage des mains de son auteur dans l'initiale « M » de la préface, puis trônant, une épée et un livre ouvert à la main, foulant aux pieds une personnification de l'Orgueil. Trois sages de l'Antiquité, Valère-Maxime, Sénèque et Aristote, et trois docteurs de l'Eglise, saint Thomas d'Aquin, saint Ambroise et saint Augustin, accompagnent cette deuxième effigie, et soutiennent d'une main le bas de l'encadrement végétal. Les méandres de celui-ci forment une suite de médaillons où sont figurées différentes cités d'Italie du Nord soumises à la domination des Visconti, Milan occupant la place d'honneur à la partie supérieure, entre deux éléments de feuillages s'achevant par la guivre héraldique des Visconti.

Le type des personnages, aux visages caractérisés et finement modelés, est celui bien reconnaissable du collaborateur de l'Illustratore qu'Alessandro Conti

appelle le maître de 1346. Ici l'artiste apparaît presque entièrement dégagé de l'influence de son maître, et affirme son autonomie et son style propre, très


proche de celui qu'allait bientôt développer Niccolô di Giacomo, personnalité dominante de l'enluminure bolonaise de la seconde moitié du siècle.

Prov. : Bruzio Visconti (1356) ; bibliothèque des ducs de Milan au château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII et versé dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Dorez, 1904, p. 17 (fig. III) et 19 ; Kaeppeli, 1948, p. 244-247 ; Pellegrin, 1955, p. 101, A 132 ; Pellegrin, 1969, p. 27, pl. 92 ; Schmidt, 1973, p. 62 ; Cassee, 1980, p. 116 ; Conti, 1981, p. 96.

Exp. : Mostra della pittura bolognese del'300, 1950, n° 178.

69. Lucain, La Pharsale.

Bologne, vers 1370-1380.

Parchemin, 149 ff., 345 x 240 mm.

Latin 8044.

Ce manuscrit de la Pharsale est un témoin supplémentaire à ajouter aux oeuvres déjà nombreuses rassemblées autour du fécond Niccolô di Giacomo. La décoration peinte consiste en une série d'initiales historiées placées au début de chaque livre du poème de Lucain. Celle du premier feuillet représente le fantôme de Rome arrêtant César au moment du passage du Rubicon. Le coloris sourd, l'attitude expressive des personnages et leurs proportions tassées sont caractéristiques de l'enlumineur bolonais, de même que l'encadrement à grosses acanthes s'achevant par des têtes humaines et animales. D'après le style, le manuscrit doit appartenir à la période de la maturité de l'artiste, et être sensiblement contemporain d'un autre exemplaire de la Pharsale encore plus luxueux, le ms. 691 de la Bibliothèque Trivulcienne de Milan, daté de 1373.

Les armoiries peintes dans le médaillon de la marge inférieure, qui ne sont pas d'origine, indiquent que le manuscrit a appartenu à un membre de la famille des Lusignan de Chypre. Le manuscrit est ensuite identifiable dans un inventaire dressé en 1498 de la bibliothèque des ducs de Savoie, où il entra sans doute à l'occasion du mariage de Louis de Savoie avec Anne de Lusignan en 1435.

Prov. ; Armes de Lusignan-Chypre, f. 1 ; librairie des ducs de Savoie (inventaire de 1498, n° 97, éd. S. Edmunds, Scriptorium, 1972, p. 272) ; François 1er (reliure à son chiffre).


70. Végèce, Epitome de re militari.

Bologne, vers 1370-1380.

Parchemin, 70 ff., 285 x 202 mm.

Smith-Lesouëf 13.

Le traité de Végèce consacré à l'organisation des armées romaines connut une diffusion considérable au Moyen Age et fit même l'objet de traductions en français, dont l'une due à Jean de Meung. Le présent exemplaire est une copie de l'original latin, que sa décoration permet de rattacher, comme le manuscrit précédent, à la production de Niccolô di Giacomo, et de dater de la même période de sa carrière. Outre une abondante série d'initiales historiées, le manuscrit a conservé deux peintures placées au début des livres III et IV (ff. 27, 52v) : la première illustre la vie au camp. Au centre, un général et ses lieutenants prennent un repas sous la tente, tandis qu'à gauche des cuisiniers s'activent aux fourneaux et qu'un médecin soigne un soldat malade. A droite, des soldats jouent aux dés, d'autres semblent entamer une rixe sous les yeux d'un palefrenier qui étrille un cheval. Dans cette scène animée, Niccolô di Giacomo a su retrouver la veine narrative de l'Illustra to e (n° 65). Une initiale historiée déploie ses feuillages dans la marge. Les épais rinceaux dorés qui se détachent sur le fond noir de la peinture sont également caractéristiques des oeuvres de Niccoló.

On remarque la présence, sur l'habit du personnage central et sur la tente qui l'abrite, des armoiries aragonaises. Celles-ci semblent ajoutées et indiquent sans doute que le manuscrit appartint un temps aux collections d'un roi d'Aragon. Une note relative à Minorque et à Majorque, dans la marge du f. 8, semble confirmer cette provenance.

Prov. : Collection Ambroise Firmin-Didot ; collection Smith-Lesouëf léguée à la Bibliothèque nationale en 1913.

71. OEuvres de Fulgence, Ausone, Prudence, Cassiodore etc. Pl. coul. XI.

Italie du Nord (Mantoue ?), vers 1330-1340.

Parchemin, II + 107 ff., 370 x 240 mm.

Latin 8500.

Depuis 1889, année où Pierre de Nolhac signala son intérêt artistique, ce manuscrit, bien connu des spécialistes de l'oeuvre philologique de Pétrarque, a été

paradoxalement négligé par les historiens de l'enluminure italienne. Le style remarquablement avancé de ses peintures lui confère cependant une importance considérable dans la période cruciale du second quart du XIVe siècle, période qui correspond à une mutation profonde de l'enluminure de la péninsule. Bien qu'abondamment annoté par Pétrarque, le manuscrit n'a probablement pas été exécuté pour celui-ci, contrairement à ce que croyait Nolhac.

Outre un grand nombre d'initiales historiées et ornées, le manuscrit comporte une série de miniatures, de format variable, aux thèmes iconographiques assez peu communs : ainsi les figures de sages illustrant le Ludus septem sapientium d'Ausone, et surtout les personnifications féminines des Arts libéraux accompagnant les Institutiones de Cassiodore (ff. 31-41v). On notera également la curieuse représentation d'Aristote sur son lit de mort, faisant à ses disciples l'éloge de la pomme (f. 54v).

L'ensemble de cette décoration peinte est le fruit d'une collaboration, le plus remarquable des artistes ayant participé à l'illustration du volume étant l'auteur de la série des Arts libéraux et des initiales historiées correspondantes. Exécutées d'un pinceau fouillé, et finement modelées, les figures féminines symbolisant les sept arts, ainsi que les écrivains ou

savants de l'Antiquité qui sont associés à certaines d'entre elles, semblent être le fait d'un peintre plus que d'un simple enlumineur. Le style et les détails de mode des costumes féminins indiquent une date relativement haute, vers 1330-1340 environ. La culture picturale de l'artiste présente une composante toscane, mais aussi une adhésion marquée à l'expressionisme plastique des Bolonais, qui l'apparente à l'une des personnalités les plus éminentes de la peinture émilienne du Trecento, le présumé Dalmasio. C'est à un second artiste, très proche, mais distinct du maître des Arts libéraux, que sont dues les figures des sept sages peintes aux ff. 14 et 15. L'influence de Bologne sur le style du troisième artiste, auteur des initiales historiées des ff. 1 à 11v, est également assez nette mais tire plutôt sa source de manuscrits enluminés.

Alors que le maître des Arts libéraux reste isolé dans la production de l'époque, on reconnaît la main du troisième enlumineur dans deux autres manuscrits, provenant eux aussi de la bibliothèque de Pétrarque, le ms. Vatican lat. 2193, qui avait déjà été rapproché du manuscrit parisien par Nolhac, et un recueil d'oeuvres cicéroniennes, le ms. 552 de Troyes (ff. 117-360) que l'érudit français attribuait curieusement au Midi de la France. Dans ces deux manuscrits,


que les spécialistes de Pétrarque s'accordent depuis R. Sabbadini, pour dater d'avant 1343, l'artiste collabore avec un enlumineur dont la main n'apparaît pas dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale. La solidarité et la contemporanéité des trois volumes sont encore confirmées par l'examen de la décoration filigranée, l'auteur de cette décoration dans le lat. 8500 ayant participé également à celle des deux autres manuscrits.

De tous les manuscrits de ce groupe, celui de Troyes est le seul à posséder un indice susceptible de nous mettre sur la piste de leur origine. On relève en effet au début de ce manuscrit l'ex-libris d'un certain Pietro Malvezzi, de Mantoue, fils de Gratiadei Malvezzi, et c'est peut-être dans cette ville et pour ce même personnage qu'ont été exécutés les trois manuscrits. L'étude philologique des textes contenus dans les trois manuscrits pourrait confirmer cette localisation : selon le Professeur G. Billanovich (communication écrite), ces textes tireraient leur source de modèles véronais. Une enquête en cours du Professeur Billanovich sur les données biographiques relatives à Pietro Malvezzi et sur ce groupe de manuscrits, dont fait partie également le ms. lat. 5054 (ff. 169-190), permettra sans doute d'élucider le problème de son origine.

Prov. : Pietro Malvezzi ? ; Pétrarque ; Francesco 1 Carrara ; saisi en 1388 par Jean-Galéas Visconti avec l'ensemble des manuscrits Carrara ; transféré en 1499 au château de Blois par Louis XII avec l'ensemble des manuscrits du château de Pavie.

Bibl. : Nolhac, 1889, p. 4-7 ; Dorez, 1904, fig. VI-XI ; Nolhac, 1907, t. I, p. 103, 204-212 ; Nolhac, 1928. p. 3-7 ; Chiovenda, 1933, p. 5, 10, 43-45 ; Pellegrin, 1955, p. 112-113, A 181 ; Pellegrin, 1969, p. 7, pl. 51 ; Petrucci, 1967, p. 128 ; Feo, 1974, p. 132 n. 32 (riche bibliographie).

Venise, Padoue

72. Geoffroy de Villehardoin, La Conquête de Constantinople.

Venise, vers 1328-1330.

Parchemin, 4 + 54 ff., 278 x 205 mm.

Français 4972.

Conseiller influent du comte Thibaud III de Champagne, Geoffroy de Villehardoin joua un rôle essentiel dans l'organisation et la conduite de la quatrième croisade. Sa chronique est un témoignage capital sur les événements qui se soldèrent par le détournement de cette croisade au profit de seuls intérêts vénitiens, et aboutirent en 1204 au sac de Constantinople et à l'installation d'une dynastie franque à la tête de l'empire byzantin.

Le texte de Villehardoin débute par une initiale historiée, malheureusement très usée, figurant la prédication de la croisade par Foulques de Neuilly. Dans la marge inférieure une scène illustre de façon très précise les circonstances du siège de Constantinople : la ville fut prise d'assaut à la suite des attaques conjuguées de la flotte vénitienne, représentée à gauche, et de l'armée des croisés dirigée par le comte de Flandres Baudoin IX et Boniface de Montferrat. Si l'initiale historiée et les antennes végétales qui la prolongent, dérivent manifestement de modèles bolonais, le style, la technique et le coloris de la peinture révèlent en revanche une nette imprégnation byzantine, et permettent d'attribuer


cette page à l'atelier vénitien où ont été exécutées, entre 1315 et 1330, de nombreuses copies d'un traité relatif à la récupération des Lieux saints, les Secreta fidelium Crucis de Marino Sanudo. Il existe à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford une copie de la chronique de Villehardoin exactement contemporaine de celle-ci, enluminée dans le même atelier et présentant la même iconographie (Ms. Laud. Mise. 587).

Prov. : Cardinal Niccolo Ridolfi ; Pierre Strozzi, maréchal de France ; Catherine de Médicis ; prêté du vivant de celle-ci au président Claude Fauchet qui le restitua en 1601 à la Bibliothèque royale.

Bibl. : Paris, 1838, p. I-XVIII, XXIX-XXXI ; Wailly, 1872, p. 1-144 ; Faral, 1938, p. 289-312 ; Degenhart, Schmitt, 1980, vol. 1, p. 30, fig. 44.

73. Pétrarque, De viris illustribus, avec additions de Lombardo della Seta.

Padoue, 1379.

Parchemin, A + 167 ff., 320 x 230 mm.

Latin 6069 F.

Principale oeuvre historique de Pétrarque, le De viris illustribus est une suite de vingt-trois biographies, toutes consacrées, à l'exception de celles d'Alexandre, de Pyrrhus et d'Hannibal, aux héros et aux

hommes de guerre qui contribuèrent à la grandeur de Rome. Conçue dès 1338 et restée inachevée à la mort de Pétrarque en 1374, l'oeuvre fut continuée par un disciple de celui-ci, Lombardo della Seta, sans doute à la demande du dernier protecteur de l'humaniste florentin, Francesco 1 Carrara, seigneur de Padoue. En 1379, Lombardo exécuta à l'intention de celui-ci une copie soignée du De viris illustribus suivie de sa propre continuation c'est le manuscrit présenté ici.

Outre son importance dans la tradition manuscrite du texte de Pétrarque, ce manuscrit tire une valeur singulière de la présence des deux superbes dessins qui lui servent de frontispice. Au f. Av, au-


dessus de la table du contenu, apparaît un remarquable portrait de Pétrarque, représenté en buste, de profil. Sobrement dessiné à l'encre et à la sépia et discrètement colorié dans la carnation du visage, ce portrait, chef-d'oeuvre de pénétration psychologique, est incontestablement l'effigie la plus ancienne et la plus véridique qu'on ait conservée du grand poète disparu à peine cinq ans auparavant, et la critique est aujourd'hui à peu près unanime, à l'exception notable de R. Longhi, pour en attribuer la paternité au véronais Altichiero, figure dominante de la peinture du Nord-Est de l'Italie

durant le dernier quart du XIVe siècle : c'est d'ailleurs en 1379 précisément qu'est attestée pour la première fois à Padoue la présence de l'artiste, dont on connaît trois autres représentations de Pétrarque et qui nous a laissé dans ses fresques maintes autres preuves de son talent de portraitiste.

La moitié supérieure du feuillet opposé est occupée par une composition également dessinée au bistre et figurant la Gloire dans un char, distribuant des couronnes aux grands chefs de guerre. La qualité exceptionnelle de ce dessin d'une remarquable finesse, et ses particularités

de style ne permettent pas de douter là non plus que nous soyons en présence d'une oeuvre autographe du peintre véronais. On a longtemps spéculé sur les sources possibles de cette scène qu'on a cru inspirée tantôt d'une des scènes triomphales peintes, selon Vasari, par Jacopo Avanzi, collaborateur d'Altichiero, au palais des Scaliger à Vérone, tantôt d'une hypothétique fresque du triomphe de la Gloire qu'aurait exécutée Altichiero lui-même au palais des Carrara. Une étude minutieuse de M. Creighton Gilbert semble avoir clarifié définitivement le problème et établi la


filiation du dessin, ainsi que de la grisaille du manuscrit exposé sous le numéro suivant, avec une fresque du palais d'Azzo Visconti, fresque disparue dont le thème similaire aurait été conçu et exécuté par Giotto lors de son séjour à la cour de Milan en 1335. et aurait inspiré à Boccace son évocation du triomphe de la Gloire dans l'Amorosa visione, composée en 1342.

L'initiale et l'encadrement de cette page, ainsi que toute la décoration peinte du manuscrit, sont l'oeuvre d'un enlumineur de formation manifestement bolonaise dont on retrouve la main dans un grand nombre de manuscrits padouans de cette époque, et notamment dans les deux manuscrits suivants.

Prov. : Exécuté en 1379 pour Francesco 1 Carrara seigneur de Padoue ; saisi en 1388 par Jean-Galéas Visconti avec l'ensemble des livres de Francesco 1 Carrara : transféré en 1499 par Louis XII avec l'ensemble de la bibliothèque des ducs de Milan conservée au château de Pavie dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Nolhac. 1891. p. 94-98. 137-147 ; Schlosser, 1895. p. 189-191 ; Nolhac. 1907. t. II. p. 4-6. 250-254 ; Couderc. 1908. p. 17. pl. XXXVIII ; Van Moé. 1933. p. 3-6. pl. II ; Toesca, 1951. p. 849 ; Pellegrin. 1955. p. 109. A 170 : Pellegrin, 1961. p. 375-376 : Mellini, 1965. p. 37-38. fig. 51 ; Pellegrin. 1969. p. 23, pl. 87. fig. 19 ; Mellini. 1974. p. 51-54 : Mardersteig. 1974. p. 251-280 ; Gilbert. 1977, pl. 31-72. fig. 1.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950. n° 96 ; Arte lombarda. 1958. n° 43, pl. XXI ; Da Altichiero a Pisanello, 1958. 14. pl. X a ; Boccace en France, 1975, n° 13.

74. Pétrarque, De viris illustribus.

Padoue. vers 1380.

Parchemin, 1+164 ff., 358 x 250 mm.

Latin 6069 I.

Cet exemplaire du De viris illustribus est précédé de deux préfaces et de douze biographies d'Adam à Hercule, qui manquent dans tous les autres manuscrits de l'oeuvre de Pétrarque. Étroitement apparenté, par l'iconographie et le style, au manuscrit précédent, il a certainement été exécuté, comme celui-ci, pour Francesco 1 Carrara, dont les armoiries et les initiales, bien que grattées, sont encore partiellement lisibles aux ff. 1 et 84.

La scène de la Gloire dans un char distribuant des couronnes de laurier aux hommes de guerre valeureux, malgré les différences d'exécution qu'elle présente

par rapport à la composition équivalente du lat. 6069 F. et les variantes de détail décelables dans l'agencement et les attitudes des cavaliers formant la troupe des héros, relève toutefois de la même inspiration et peut être attribuée là encore à Altichiero, dessinateur magistral et observateur pénétrant, qui a su individualiser ici, avec la même aisance que dans ses oeuvres monumentales, les différents personnages du groupe de la partie inférieure. Techniquement, la scène ne se présente plus comme un dessin sur champ libre : finement tracé au bistre. le groupe des cavaliers, disposé désormais sur un terrain herbu, se détache sur un fond bleu, les personnages étant eux-mêmes rehaussés d'accents de peinture blanche suggérant le relief. Un traitement analogue a été réservé à la figure de la Gloire, inscrite ici dans une mandorle, et aux anges qui l'accompagnent. L'ensemble donne l'impression d'une grisaille. Comme la scène du lat. 6069 F, cette magistrale composition dériverait de la Vana Gloria exécutée par Giotto au palais d'Azzo Visconti à Milan.

L'initiale historiée et l'encadrement à feuillage accompagnant cette scène sont d'une autre main, beaucoup moins raffinée, et présentant la même composante stylistique d'origine bolonaise que la décoration peinte du précédent manuscrit.

Prov. : Francesco Carrara saisi en 1388 par Jean-Galéas Visconti avec l'ensemble des manuscrits de Francesco Carrara ; transféré en 1499 dans la librairie du château de Blois par Louis XII. avec l'ensemble de la bibliothèque du château de Pavie.

Bibl : Nolhac. 1891. p. 99-136. 147-148 ; Schlosser, 1895, p. 190-191 ; Nolhac, 1907. t. II, p. 2, 6, 251 ; Van Moé, 1933. p. 3-6. pl. 1 ; Longhi. 1940. p. 180 ; Toesca. 1951. p. 849 ; Pellegrin, 1955. p. 258-259. A 835 ; Pellegrin. 1961. p. 376 ; Mellini, 1965. p. 36-37, fig. 50 ; Pellegrin, 1969, p. 23 : Mellini, 1974. p. 51-54 ; Gilbert, 1977. p. 31-72, fig. 2.

Exp. : Arte lombarda, 1958, 44, pl. XXI ; Da Altichiero a Pisanello, 1958, n° 14, pl. XI.

75. Pétrarque, Compendium virorum illustrium, avec additions de Lombardo della Seta. Pl. coul. XIII.

Padoue. 1380.

Parchemin. 1 + 29 ff., 235 x 172 mm.

Latin 6069 G.

Cet exemplaire du Compendium virorum illustrium, sorte de « digest » du De

viris illustribus entrepris par Pétrarque à la demande de Francesco 1 Carrara. a été copié à l'intention de ce dernier par Lombardo della Seta en décembre 1380. près de deux ans après le manuscrit latin 6069 F (n° 73). Comme dans ce dernier manuscrit, le disciple de Pétrarque a complété l'oeuvre de son maître, restée


inachevée à sa mort, par une continuation de son cru.

Outre son décor d'initiales traité dans le style d'inspiration bolonaise en usage alors à Padoue, le manuscrit comporte au f. Iv, un remarquable frontispice peint. On y voit un lion rejeté à la mer par un taureau planté sur la terre ferme, les cornes baissées. Derrière le lion, tangue sur des flots agités une nef à la voile gonflée, chargée d'un énorme rocher. Un superbe paysage aquatique est brossé à l'arrière-plan, et rappelle le morceau analogue peint une cinquantaine d'années auparavant par le maître du Codex de saint Georges dans le combat de saint Georges et du dragon du manuscrit éponyme de cet artiste.

L'allégorie de cette scène est transparente : le lion refoulé symbolise évidemment Venise ; de même, la nef au gouvernail rompu et au mât brisé, chargé d'un roc, fait allusion sans doute à la puissance maritime de la République, et à son excessif appétit territorial qui la conduit au naufrage. On notera sur la voile gonflée un curieux motif en forme de croix byzantine, qui semble avoir été le signe distinctif de la flotte vénitienne : il se retrouve identique sur l'un des panneaux de la vie de saint Marc peint en 1345 par Paolo Veneziano pour la Pala d'Oro, panneau qui représente le transfert du corps de ce saint d'Alexandrie à Venise à bord d'un navire vénitien. Le taureau était l'emblème de Francesco Carrara et la scène fait clairement allusion à la guerre dite de Chioggia qui opposait précisément à cette époque Venise et Padoue et qui se termina en 1381 à l'avantage de cette dernière. L'intense poésie qui se dégage de ce tableau, exécuté d'un pinceau large et sûr, ne peut être mise au crédit que d'un très grand artiste, en qui il est permis de reconnaître là encore pour des raisons de style et de chronologie, Altichiero lui-même, auteur des compositions des manuscrits précédents dont l'histoire est indissociablement liée à celle du présent volume. L'oeuvre semble avoir été admirée anciennement et la silhouette du lion a été barbarement piquée à l'aide d'une aiguille sans doute pour être reproduite au poncif.

Prov. : Francesco 1 Carrara ; saisi en 1388 par Jean-Galéas Visconti avec l'ensemble des manuscrits de Francesco Carrara ; transféré en 1499 au château de Blois par Louis XII avec l'ensemble de la bibliothèque des ducs de Milan conservée au château de Pavie.

Bibl. : Nolhac, 1891, p. 76-77 ; Pellegrin, 1955, p. 161, A 389 ; Pellegrin, 1961, p. 374-375 ; Fiocco, 1962, vol. 2, p. 125-132 ; Mellini, 1965, p. 78 ; Pellegrin, 1969, p. 23, pl. 88-89 ; Mellini, 1974, p. 52.

Exp. : Arte lombarda. 1958, n° 45 ; Da Altichiero a Pisanello, 1958, n° 15, pl. X.

76. Dante, Divina Commedia.

Padoue, 1411.

Parchemin, 143 ff., 330 x 235 mm.

Italien 530.

Les modes décoratifs d'inspiration bolonaise en usage durant le troisième quart du XIVe siècle dans les ateliers padouans, persistèrent jusqu'au début du siècle suivant. Un bon exemple de ce conservatisme ornemental nous est fourni par un bel exemplaire de la Divine Comédie que son copiste, dans un colophon, déclare avoir transcrit à

Padoue en 1411. Le manuscrit, qui appartint par la suite à Sigismond Malatesta, dont les armoiries ont été ajoutées au premier feuillet, est doté de trois initiales historiées introduisant les différentes parties du poème dantesque. Les épaisses bordures végétales qui partent de ces initiales et se prolongent dans la marge, se conforment à la tradition décorative instaurée au siècle précédent à Padoue sous l'influence des modèles bolonais, mais sont interprétées avec plus d'exubérance. Les pastilles dorées à pointes acérées qui accompagnent cette bordure sont également traditionnelles. La seule innovation de cette décoration réside dans la manière de peindre dans l'espace exigu des initiales, de petites scènes aux personnages minuscules, exécutées du bout du pinceau. Un Dante de même origine et exactement contemporain, appartenant à la Bibliothèque nationale de Naples (ms. XIII C 2), présente un décor très semblable.


Le décor de notre manuscrit est enrichi par une série de dessins à l'encre brune de fort belle qualité, qui accompagnent les réclames à la fin de chaque cahier. Le volume est ouvert au début du Purgatoire (f. 48) où l'on voit Dante et Virgile traversant un fleuve dans une barque. Sur le feuillet opposé, la réclame en bas de page est inscrite sur une banderole tenue par un lévrier.

Prov. : Sigismond Malatesta ; cardinal Mazarin.

Bibl. : Colomb de Batines, 1854, t. II. p. 243. n° 432 ; Auvray, 1892. p. 29-30.

Lombardie

77. Roman de Tristan.

Milan ?, vers 1320-1330.

Parchemin, 161 ff., 322 x 240 mm.

Français 755.

Ce manuscrit qui provient des collections Visconti, est remarquable par son cycle d'illustrations, le plus riche qui ait jamais été consacré au Roman de Tristan, dont seule la deuxième partie est contenue ici. Les scènes sont disposées dans la marge inférieure des feuillets suivant un parti très en faveur en Italie, et illustrent pas à pas le récit, formant une sorte de film ininterrompu où semble revivre, adaptée au codex, la formule antique du rouleau à illustrations continues. Des légendes à l'encre rouge identifient les principaux personnages de chaque scène. L'exécution, homogène d'un bout à l'autre, n'est pas exempte de monotonie. Les rapprochements parfois allégués avec les fresques lombardes de la « Rocca » d'Angera, d'un style encore très byzantinisant, ne sont guère convaincants et c'est bien plutôt la nette empreinte bolonaise qui frappe dans la facture et le coloris de ces miniatures, dont rien ne garantit absolument qu'elles soient l'oeuvre d'un artiste lombard. Leur origine septentrionale n'en est pas moins rendue probable par leur situation intermédiaire entre le groupe des manuscrits de romans français à illustrations schématiques produits vraisemblablement à Gênes aux alentours de 1300 (n° 25), et les superbes cycles d'images consacrés à la littérature chevaleresque dans l'enluminure lombarde du dernier quart du XIVe siècle (nos 82 et 84).

Prov. : Bibliothèque du château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Pellegrin. 1955, p. 283. A 952 ; Toesca, 1912 (rééd. 1966). p. 78, 79, 164-165. fig. 112 ; Pellegrin, 1969. p. 4 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970, p. 389-399, fig. 91-98.

Ex p. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950. n° 94 ; Arte lombarda, 1958, n° 9, pl. IV.

78. Godefroid de Viterbe, Pantheon.

Pl. coul. X.

Milan, après 1331.

Parchemin, 170 ff., 365 x 255 mm.

Latin 4895.

Copié en 1331 par le notaire milanais Johannes de Nuxigia, probablement pour Azzo Visconti, seigneur de Milan, ce manuscrit est un témoin capital de l'apparition dans l'enluminure lombarde du nouveau style plastique inspiré de la peinture monumentale de Giotto et de ses émules. Le cycle d'illustrations prévu pour accompagner le texte n'a pas été terminé et s'arrête au f. 56. Il s'agit de scènes bibliques, de la Création à Salomon, dont les dernières sont restées à l'état d'esquisses. Sans précédent dans l'enluminure locale, le style novateur de ces illustrations, oeuvres de deux artistes distincts, a été mis en relation par R. Longhi avec le milieu bolonais. Cette


affiliation à l'art de la cité émilienne est indéniable mais n'est pas identique dans les deux cas. Le premier artiste, dont la participation se réduit aux ff. 1 à 7, se relie clairement aux nouveaux courants qui animent l'enluminure bolonaise à partir des années 1320. Il paraît toutefois difficile de l'identifier, comme on l'a proposé, avec le pseudo-Niccolô di Giacomo (dit aussi l'Illustratore), même au début de sa carrière. L'originalité et la verve narrative du second artiste, auteur de la majeure partie des illustrations, ont conduit Longhi à voir en lui une personnalité nourrie dans l'atmosphère non conformiste du milieu pictural bolonais : en témoignent notamment la vitalité expressive du récit, et l'audace des mises en page, les scènes débordant librement du cadre et s'étendant dans les marges sans souci d'équilibre ni de régularité. Cette originalité foncière se retrouve dans le décor végétal et plus encore dans la conception des initiales, où l'artiste renoue avec la vieille formule romane consistant à dessiner la lettre au moyen d'éléments figurés, procédé que les enlumineurs lombards de la fin du siècle, et notamment Giovannino dei Grassi, porteront à sa perfection. Malgré ses liens avec la peinture bolonaise, le maître du Pantheon peut être considéré comme le fondateur de l'enluminure gothique en Lombardie. Trois autres manuscrits qu'on rattache à sa production, dont un saint Augustin aux armes de Bruzio Visconti (ms. latin 2066 de la Bibliothèque nationale), sont en effet d'indiscutable origine milanaise.

Prov. : Azzo Visconti ; librairie du château de Blois.

Bibl. : Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 98-99, 129, fig. 149-152 ; D'Ancona, 1925, p. 20-21 ; Van Schendel, 1938, p. 42-43 ; Longhi, 1950 ; Salmi, 1954, p. 572-574 ; Pellegrin, 1955, p. 41 et 301 ; Pellegrin, 1969, p. 24 et 60 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970, p. 397-398 fig. 83-90 Conti, 1981, p. 87.

Exp. : Mostra della pittura bolognese del '300, 1950, n° 158 ; Arte lombarda, 1958, n° 10 pl. II.

79. Chronique de Milan.

Milan, vers 1350.

Parchemin, IV + 353 ff., 438 x 275 mm.

Latin 4946.

Cette chronique milanaise anonyme, qui provient des Visconti, s'étend de la naissance de Noé, fils de Lamech à l'élec-


tion du pape Félix IV. Les illustrations qui s'intercalent dans le texte à partir du f. 3v, n'ont pas été poursuivies au-delà du f. 7v, et sont restées le plus souvent à l'état de dessins à l'encre, sauf les ff. 3v et 6v, partiellement peints, de façon d'ailleurs malhabile. Au f. Iv, une grande scène inexpliquée occupe toute la page : elle représente un évêque trônant sous une lourde construction de style gothique, entouré de clercs et de laïcs. D'après le style et les détails de mode, l'oeuvre doit se situer vers le milieu du XIVe siècle. L'exécution est assez relâchée, de saveur presque populaire. La mise en page fantaisiste et irrégulière des illustrations a fait penser à une possible filiation avec le maître du Panthéon (n° 78) auquel l'artiste reprend la formule des initiales composées d'éléments figurés.

Prov. : Bibliothèque des ducs de Milan à Pavie ; librairie de Blois.

Bibl. : Pellegrin, 1955. p. 248-249. A 789 ; Pellegrin, 1969. p. 6, pl. 44-45 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970. p. 402-403. fig. 123-127.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 13, pl. VII.

80. Historia Augusta.

Vérone et Milan, 1356.

Parchemin, II + 110 ff., 335 x 235 mm.

Latin 5816.

Ce manuscrit provient de la bibliothèque personnelle de Pétrarque, dont la plus grande partie passa, après sa mort en 1374. entre les mains de Francesco Carrara, seigneur de Padoue, son dernier protecteur. En 1388, Jean-Galéas Visconti à la suite d'une campagne victorieuse contre Padoue, s'empara de la bibliothèque des Carrara et l'intégra à sa propre collection de manuscrits installée au château de Pavie.

Le manuscrit a été copié en 1356 par le scribe Giovanni da Campagnola. Une inscription autographe de Pétrarque, signalée au XVIIe siècle, et réputée disparue, mais récemment dégagée de la reliure, atteste que le poète fit exécuter cette copie à Vérone (Hunc feci scribi Verone 1356), sans doute d'après un ancien exemplaire de l' Historia Augusta conservé à la bibliothèque capitulaire. C'est toutefois à Milan, où il résidait alors, qu'il fit exécuter la décoration peinte du volume. Celle-ci consiste en initiales à motifs végétaux peints dans des tonalités claires et lumineuses, qui

sont l'oeuvre de l'enlumineur d'un missel ambrosien de la Bibliothèque capitulaire de Milan (ms. D. 2. 32). Celui-ci a travaillé à plusieurs reprises à la décoration des manuscrits de Pétrarque (Bibliothèque nationale, mss. latins 1757. 5720 et 78801, Berlin, Staatsbibliothek, ms. Hamilton 493 et Vatican, Vat. lat. 3358), et l'on reconnaît sa main dans deux autres manuscrits provenant de la bibliothèque des ducs de Milan (Bibliothèque nationale, mss. latins 2120 et 6556, f. 1).

Prov. : Pétrarque : Francesco Carrara, seigneur de Padoue ; Jean-Galéas Viscon : saisi en 1499 avec la bibliothèque du château de Pavie par Louis XII ; librairie de Blois.

Bibl. : Nolhac 1907. t. I. p. 103, 117. t. II. p. 47-50 ; Pellegrin, 1955, p. 146, A 333 ; Billanovich, 1960. p. 30-31 ; Samaran, Marichal, 1962. p. 289, pl. ; Pellegrin, 1969, p. 4, 22 pl. 26, 84.

81. Missa in festivitate sancti Bernardi.

Milan, vers 1370-1375.

Parchemin, 1 + 12 ff., 225 x 185 mm.

Latin 1142.

Ce livret liturgique contenant la messe de saint Bernard et qui provient de la bibliothèque des ducs de Milan installée à Pavie, a certainement été exécuté pour le personnage agenouillé devant la Vierge figuré au début de l'office. Cet élégant seigneur à la longue chevelure blonde et bouclée, que les armoiries peintes à la partie inférieure désignent comme un Visconti, a été identifié par Mlle Elisabeth Pellegrin avec Galéas II Visconti (père de Jean-Galéas Visconti) qui mourut en 1378, en raison de sa ressemblance avec une autre effigie de ce personnage, reproduite au XVIe siècle par l'« antiquaire » milanais Paolo Giovio d'après une fresque aujourd'hui perdue. Le coloris atténué et doux, d'aspect presque aquarellé, et le modelé délicat de cette scène évoquent une autre oeuvre lombarde contemporaine, le manuscrit de Guiron le Courtois (n° 82). Au f. 6 est peinte une Crucifixion dont la conception monumentale témoigne de la pénétration dans l'enluminure milanaise du langage plastique, de source giottesque, dans la version qu'en ont donnée les fresquistes lombards de Chiaravalle et de Viboldone.

Prov. : Bibliothèque des ducs de Milan à Pavie ; rapporté en France par Louis XII en 1499 ; librairie de Blois.


Bibl. : Pellegrin, 1954, p. 113-115 ; Pellegrin, 1955, p. 131, A 273 ; Pellegrin, 1969, p. 30.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 67, pl. XLII.

82. Rusticien de Pise, Guiron le Courtois. Pl. coul. XIV.

Milan, vers 1370-1380.

Parchemin, 134 ff., 380 x 275 mm.

Nouvelles acquisitions françaises 5243.

Composé après 1273 à la demande d'Edouard 1er d'Angleterre, le Guiron le Courtois de Rusticien (ou Rustichello) de Pise est une compilation de romans arthuriens en prose, reprenant les données du roman de Palamède et de divers passages du Tristan en prose.

L'oeuvre fut écrite en français, de même que le célèbre récit de voyage que le même auteur rédigea en 1298 sous la dictée de Marco Polo. L'exemplaire exposé ici est d'un siècle postérieur à la rédaction de l'oeuvre dont il ne contient qu'une partie.

Ses admirables illustrations constituent dans leur précision documentaire un témoignage de premier ordre sur les moeurs, la mode et l'armement militaire du temps.

Rejetées du texte, les scènes sont disposées dans la marge inférieure des feuilles, suivant une formule appréciée de longue date en Italie pour l'illustration des textes narratifs en langue vulgaire. Bien que de qualité égale à travers tout le volume, et malgré leur unité de conception, ces illustrations présentent des variations du point de vue du coloris, qui font pressentir l'intervention de plusieurs collaborateurs travaillant sans doute sous le contrôle et suivant les directives d'une personnalité artistique dominante : certaines, à peine coloriées, confinent à la grisaille, d'autres au contraire sont peintes dans des tonalités atténuées et subtiles qui annoncent déjà les raffinements du style gothique international. La richesse de l'invention narrative, la maîtrise des données spatiales et de la perspective, la qualité des représentations animales, qui anticipent l'art d'un Pisanello, concourent également à exalter l'atmosphère poétique de ce cycle, l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de l'enluminure de la fin du Moyen Age.

Depuis l'époque où Pietro Toesca l'a introduit, non sans réserves, dans son panorama de l'enluminure gothique lombarde, la localisation et la datation du manuscrit ont été diversement appréciées. Certains y ont vu l'aboutissement de tout un courant stylistique prenant son point de départ dans le groupe de manuscrits lombards réunis autour du missel franciscain lat. 757 de la Bibliothèque nationale (nos 83-85). D'autres ont préféré situer le manuscrit entre Vérone et Padoue-Venise, soulignant les affinités de ses illustrateurs avec la culture d'Altichiero, le grand rénovateur de la tradition giottesque dans l'Italie du Nord-Est à la fin du xive siècle. Le problème de la datation a reçu un début de solution à la suite de la publication par Ilaria Toesca d'un Valère Maxime de la Bibliothèque universitaire de Bologne (ms. 2463), daté de 1377, dont les illustrations présentent une parenté indé-


niable avec celles du Guiron. Des observations inédites de Miss Kay Sutton confirment cette datation haute et permettent d'ancrer définitivement le manuscrit dans le milieu artistique milanais : deux lettres filigranées du volume (ff. 46v et 71v) comportent en effet la guivre des Visconti, accompagnée dans la première des lettres D.B. qui semblent renvoyer à une émission monétaire de Bemabo Visconti (1354-1385). De plus des groupes entiers de personnages et de cavaliers du Guiron se retrouvent dans un autre manuscrit à illustrations chevaleresques

chevaleresques lombarde assurée, le Lancelot, ms. fr. 343 de la Bibliothèque nationale, dont il y a tout lieu de croire qu'il dérive du Guiron et non l'inverse, comme on l'a soutenu quelquefois (n° 84). Notons pour notre part que le décor filigrané du Guiron offre d'étroites similitudes avec celui de deux manuscrits enluminés pour Pétrarque en 1368 et 1369 (Berlin, Hamilton 493 et Paris, Bibliothèque nationale, lat. 78801), le second certainement à Milan d'après une mention de Pétrarque lui-même. Il n'est pas impossible qu'avec le cycle illustré du

nouv. acq. fr. 5243 nous soyons en présence d'un témoin jusque-là méconnu du mécénat de Bernabo Visconti.

Prov. : Acheté en 1891 par la Bibliothèque nationale.

Bibl. : Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 162-163, fig. 330-334 ; Toesca, 1937, p. 21 ; Loomis, 1938, p. 120, fig. 335-336 ; Van Schendel, 1938, p. 53 ; Toesca, 1951, p. 853 ; Toesca, 1954, p. 23-25 ; Salmi, 1955, p. 874 ; Arslan, 1963, p. 52-54 ; Lathuillière, 1966, p. 77-79 ; Gengaro, Cogliati Arano. 1970, p. 416-417, fig. 295-302 ; Thomas, 1980, pl. I.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 69.


83. Missel-livre d'heures franciscain.

Pavie ou Milan, vers 1385-1390 ?

Parchemin, 1 + 450 + 1 ff., 265 x 207 mm.

Latin 757.

Cet épais manuscrit combine de façon inhabituelle la forme du missel et du livre d'heures. Ses 72 miniatures présentent plusieurs singularités iconographiques, à commencer par les images de la Création illustrant les heures abrégées de la semaine (ff. 24 à 53), et le cycle de la Passion accompagnant les heures de la Vierge (ff. 57v à 91). On relève également la rare scène de la Procession de saint Grégoire au début des litanies, scène qui fut représentée au même emplacement par les Limbourg dans les Très riches Heures de Jean de Berry.

Bien que très homogène au premier abord, l'exécution de ces miniatures est le fait de plusieurs collaborateurs, dont la part respective n'est cependant pas aisée à distinguer. Leur appartenance au milieu artistique lombard du dernier quart du XIVe siècle n'a jamais fait question malgré l'incertitude où l'on était, jusqu'à une époque toute récente, sur le destinataire du volume. Bien que les armoiries de celui-ci aient été presque systématiquement altérées au XVIe siècle par son possesseur d'alors, un certain Annet Regin, protonotaire apostolique et préchantre de la cathédrale de Clermont-Ferrand, quelques éléments héraldiques d'origine ont subsisté dans le manuscrit, qui ont permis à Miss Kay Sutton de proposer une hypothèse séduisante : le destinataire, portraituré à genoux devant la Vierge, au f. 109, et qu'on suggérait auparavant d'identifier avec Bernabo Visconti, oncle de Jean-Galéas Visconti, en raison de la présence des initiales BE accompagnant parfois les armoiries, serait en fait un conseiller influent, qui servit successivement ces deux princes, le parmesan Bertrando de' Rossi, comte de San Secundo (1396). Les mêmes armes et les mêmes emblèmes apparaissent également dans un autre missel-livre d'heures, de format plus réduit, le ms. Smith-Lesouëf 22 (n° 85), ainsi que dans deux manuscrits issus d'ateliers parisiens et datables de la dernière décennie du XIVe siècle (Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 9091 et La Haye, Bibliothèque royale, ms. 71. A. 16). L'existence de ces deux manuscrits paraît confirmer l'hypothèse de Miss Sutton, Bertrando de Rossi ayant accompli à plusieurs reprises des missions diplomatiques

diplomatiques de la cour de France dans les dernières années de sa vie.

Stylistiquement le ms. lat. 757 est le chef de file d'un groupe de manuscrits, pour la plupart d'origine lombarde, et tous conservés à la Bibliothèque nationale : il s'agit du livre d'heures Smith-Lesouëf plus haut cité, et d'un Lancelot provenant du château de Pavie (n° 84). L'un des artistes du lat. 757 a participé

en outre à l'illustration du célèbre Tacuinum sanitatis de Verde Visconti (n° 86). La chronologie relative de ces différents manuscrits n'est pas sans poser des problèmes, même s'il n'est pas douteux que le dernier d'entre eux appartient à la phase d'activité finale de l'atelier. Bien que le ms. Smith-Lesouëf soit considéré par Mme Cogliati Arano comme le plus ancien, il existe cependant


de bons arguments pour placer en premier dans la série le ms. lat. 757, en raison notamment de l'affinité étroite d'une partie de ses peintures avec les oeuvres de l'enlumineur lombard Giovanni di Benedetto de Côme, auteur de deux livres d'heures conservés l'un à Munich (Heures de Blanche de Savoie), l'autre à Modène, le premier antérieur à 1378, le second étant daté de 1383. Les peintures qu'on peut rattacher à cet artiste dans le lat. 757 (par exemple les scènes de la Passion, la Vierge au donateur du f. 109, la Vierge de miséricorde

du f. 256, et la Nativité du f. 283v) se caractérisent par leurs personnages massifs, et marquent une nette progression stylistique par rapport à ses oeuvres antérieures, ce qui autorise à placer le manuscrit de la Bibliothèque nationale dans la période 1385-1390. A cette époque, Giovanni di Benedetto démontre qu'il a su assimiler la leçon des fresquistes giottesques de Chiaravalle et de Viboldone (aux rapprochements déjà établis par Toesca avec la peinture murale lombarde, on peut ajouter la parenté de la Crucifixion du f. 82 avec la

fresque de l'oratoire de Solaro) et il est clair également qu'il a étudié l'art du maître du Guiron (n° 82). A côté de lui ont travaillé dans le manuscrit une équipe d'artistes qui lui sont tous plus ou moins apparentés, et dont le plus indépendant est l'auteur entre autres, des scènes de la Création, et de la Transfiguration du f. 309. Sa manière de peindre plus sèche, ses personnages plus maigres et plus élancés, ses drapés dessinés de façon graphique dénoncent le tempérament plus gothique de cet enlumineur. qu'il paraît possible d'identifier


avec l'artiste principal des Heures Smith-Lesouëf.

Prov. : Bertrando de' Rossi ? ; Annet Regin, protonotaire apostolique et préchantre de la cathédrale de Clermont-Ferrand ; entré à la Bibliothèque royale entre 1682 et 1707.

Bibl. : Couderc, 1908, p. 19, pl. XLV-XLVI ; Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 131-135 ; Leroquais, 1924, t. II, p. 361-363, pl. LXIX-LXXV ; D'Ancona, 1924. p. 21, pl. XVI ; Leroquais, 1927, t. I, p. 1-7, pl. VIII-XIII ; Toesca, 1951, p. 852 ; Salmi, 1955, p. 868 ; Arslan, 1964, p. 33-45, fig. 35-39 ; Cogliati Arano, 1970, p. 37-44 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970, p. 411-412, fig. 195-254 ; Sutton, 1982, p. 88-92.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950, n° 104 ; Arte lombarda, 1958, 71, pl. XLIV.

84. Lancelot du Lac.

Pavie ou Milan, vers 1385-1390.

Parchemin, + 112 ff., 392 x 274 mm.

Français 343.

Fragmentaire comme le manuscrit de Guiron le Courtois (n° 82), ce manuscrit témoigne lui aussi du succès dont a joui la littérature arthurienne auprès des cours princières de la péninsule jusqu'à une époque avancée du XIVe siècle. Le volume est très précisément décrit dans l'inventaire dressé en 1426 de la bibliothèque du château de Pavie, où l'on relève la présence d'un nombre remarquable de romans en français ayant trait à la « matière de Bretagne ». Le texte n'est pas homogène et juxtapose des morceaux de trois oeuvres différentes : la Queste du Saint Graal (ff. 1-60), le Tristan en prose (ff. 61-104) et la Mort le roi Artu (ff. 105-112). Les écus figurés dans l'encadrement du f. 1 n'ayant pas reçu leurs armoiries, on ignore par qui fut commandé le manuscrit, mais il y a de fortes chances que le destinataire en ait été un Visconti, étant donné la présence du volume au château de Pavie.

Les 119 illustrations accompagnant le texte figurent presque toujours dans la marge inférieure des feuillets, comme pour le Guiron le Courtois. D'abord peintes et enluminées, les scènes sont restées, sauf exception, à l'état de dessins à partir du f. 65. Ces illustrations sont l'oeuvre de plusieurs collaborateurs qui présentent avec l'équipe d'enlumineurs du lat. 757 (n° 83) des liens stylistiques évidents : le plus proche à cet égard est incontestablement le peintre qui a exécuté la plus grande partie du premier et du troisième cahier. Non moins frappants sont les rapports de composition du Lancelot avec le Guiron le Courtois : les attitudes de certains personnages, des chevaux, et même de groupes entiers se retrouvent identiques dans les deux manuscrits. Bien qu'on ait parfois affirmé le contraire, il paraît évident que ce sont les illustrations du Guiron qui ont servi de modèle aux enlumineurs du Lancelot qui se sont contentés de les adapter, non sans gaucherie ni lourdeur. La thématique chevaleresque commune aux deux manuscrits se prêtait aisément à ce genre de transposition. Que le maître du Guiron et son atelier soient les créateurs est confirmé encore par la monotonie des scènes du fr. 343, surtout dans sa partie finale, où la répétition mécanique des mêmes schémas a été obtenue

par un report à la pointe sèche dont les traces sont encore visibles au verso de certains feuillets (ainsi au f. 89), et a même abouti à la reprise pure et simple de la même composition au recto et au verso d'un même feuillet (f. 92). Bien que qualitativement inférieur, le cycle du Lancelot a dû être exécuté à une époque assez voisine de celle du missel lat. 757, étant donné la similitude de l'encadrement végétal du f. 1 avec ceux de ce dernier manuscrit.

Prov. : Bibliothèque du château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Pauphilet, 1907, p. 591-609 ; Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 160-162, fig. 321-326, 328-329 ; D'Ancona, 1924, p. 25, pl. XXV ; Toesca, 1937, p. 21, 28 ; Breillat, 1937, p. 274-275, 282-283 ; Loomis, 1938, p. 118-120, fig. 328-334 ; Toesca, 1951, p. 852 ; Salmi, 1955, p. 873 ; Pellegrin, 1955, p. 274, A 908 ; Arslan, 1963, p. 47 ; Bogdanov, 1966, passim et p. 250, 273-274 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970, p. 415-416, fig. 287-294.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950. n° 95 ; Arte lombarda, 1958, n° 72.

85. Missel-livre d'heures à l'usage de Rome.

Pavie ou Milan, vers 1390-1395.

Parchemin, 375 + 3 ff., 160 x 120 mm.

Smith-Lesouëf 22.

Tout lie ce manuscrit au missel-livre d'heures précédent (n° 83) : la décoration peinte tout d'abord, dont le style présente des similitudes évidentes avec le latin 757, et peut être attribuée au même atelier ; l'iconographie peu habituelle de l'office de la Vierge, ensuite, celui-ci étant illustré lui-aussi par les scènes de la Passion ; enfin le manuscrit comporte les mêmes emblèmes, et au f. 15v, les mêmes armoiries que le lat. 757. Son destinataire peut donc être identifié, suivant Kay Sutton, avec Bertrando de' Rossi. Celui-ci est figuré en prière devant la Vierge au f. 15. Même par l'arrangement des textes, le Smith-Lesouëf 22 apparaît comme une sorte de réplique en réduction du missel-livre d'heures franciscain. Différence notable cependant, le calendrier, qui est pourtant d'origine, offre la singularité de contenir un grand nombre de saints du Nord de la France et de la région de Bruges. Cette particularité


pourrait s'expliquer par le format portatif du manuscrit que le conseiller de Jean-Galéas Visconti avait peut-être prévu d'employer dans ses déplacements en France où ses fonctions diplomatiques l'appelaient fréquemment.

Dans son état actuel, la décoration peinte n'est pas homogène, le manuscrit étant resté inachevé et n'ayant été complété qu'au siècle suivant par deux artistes, dont l'un a été identifié par J.J.G. Alexander avec le maître des Heures Birago de l'ancienne collection Abbey (cf. n° 137), le second, auteur des peintures ajoutées aux ff. 44v et 56v, étant probablement Belbello de Pavie à la fin de sa carrière, ou l'un de ses assistants.

La scène de dévotion du f. 15, le cycle de la Passion, l'Annonciation du f. 84 et l'Arrestation du Christ du f. 296 appartiennent à la première campagne d'illustrations, ainsi qu'une partie des initiales historiées et des encadrements. On reconnaît dans ces peintures la facture d'une des personnalités les plus affirmées du lat. 757, le maître des scènes de la Création et de la Transfiguration : même exécution sèche et graphique, d'influence française, mêmes personnages au canon allongé, mêmes vêtements aux plis serrés, même palette aux tonalités douces apparentées à celles de certains manuscrits français.

Les affinités avec l'enluminure d'Outre-monts sont également sensibles dans les encadrements, très différents de ceux du lat. 757, et qui s'inspirent manifestement, avec leur décor de rinceaux à feuilles épineuses, des décors similaires élaborés dans l'enluminure parisienne depuis le second quart du xive siècle. Ainsi que l'a remarqué Kay Sutton, ces encadrements fournissent un indice intéressant pour la datation du livre d'heures Smith-Lesouëf, le nouveau type de bordures à la française ne s'étant diffusé dans les manuscrits lombards qu'à partir de 1390. Une confirmation de cette datation tardive, et par conséquent de l'antériorité du manuscrit lat. 757, est apportée par les encadrements des ff. 49v à 56, où Miss Sutton a reconnu à juste titre la main de l'enlumineur d'un manuscrit de Balde qui ne saurait être antérieur à 1393 (n° 90).

Prov. : Bertrando de' Rossi ; donation Smith-Lesouëf à la Bibliothèque nationale (1913).

Bibi. : Leroquais, 1943, p. 10-13, pl. VII-X ; Alexander, de la Mare, 1969, p. 149 ; Cogliati Arano, 1970, p. 37-44 ; Sutton, 1982, p. 88-92.


86. Tacuinum sanitatis. Pl. coul. XV.

Pavie ou Milan, vers 1390-1400.

Parchemin, 1 + 103 ff., 325 x 245 mm.

Nouvelles acquisitions latines 1673.

Le Tacuinum sanitatis, composé au XIe siècle par un médecin de Bagdad, Ibn Botlân (Albucasis), est un traité d'hygiène décrivant en 280 articles les produits du règne végétal et animal servant à l'alimentation de l'homme, ainsi que les phénomènes météorologiques, les passions et les actes susceptibles d'influer sur sa santé. Une traduction latine composée au XIIIe siècle à la cour du roi Manfred de Sicile assura la diffusion de ce traité en Occident. Il en existe plusieurs copies splendidement illustrées, dont les plus anciennes sont originaires d'Italie du Nord. La première en date, de la fin du XIVe siècle, est exposée ici, trois autres d'entre-elles conservées à Liège, Rome et Vienne, un peu plus tardives, remontant aux alentours de 1400.

Une note du XVe siècle en allemand, en tête du présent volume, indique que celui-ci appartint à l'épouse de l'archiduc Léopold d'Autriche, Verde Visconti, fille de Bernabo Visconti. Le manuscrit passa ensuite en Bohême, puis en Turquie d'où il fut rapporté au xixe siècle.

Outre le portrait de l'auteur du premier feuillet, le manuscrit comporte 205 illustrations correspondant à autant d'articles décrits dans le traité d'Ibn Botlân, chacun de ceux-ci étant accompagné d'indications sur ses vertus médicales, ses inconvénients et la manière d'y remédier. Les représentations botaniques occupent naturellement une place de choix dans ce recueil, où les différentes variétés de plantes sont figurées avec ce mélange de réalisme et de stylisation propre à la période du style gothique international, et servent de prétexte pour évoquer divers aspects de la vie quotidienne, travaux des champs et du jardin, activités commerciales, artisanales, etc. A ce point de vue, les peintures du Tacuinum constituent un véritable « herbier » de la société du temps, faisant défiler sous nos yeux couples élégants de la classe aristocratique, bourgeois, marchands et paysans.

Des trois principaux exemplaires du Tacuinum sanitatis de cette période (Paris, Rome, Vienne), qu'une longue polémique, remontant au début du siècle, attribue tantôt à la région de Vérone, tantôt à la Lombardie, celui-ci est le seul qui puisse être considéré avec certitude

comme d'origine milanaise en raison du style de ses peintures. Celles-ci sont l'oeuvre d'une équipe d'artistes de talent inégal, dont l'un, auteur des ff. 65, 67, 69 et 72, est certainement identifiable avec l'un des enlumineurs du missel-livre d'heures lat. 757 (n° 83), ainsi que l'avait reconnu P. Toesca dès 1912. La facture plus large, moins serrée des peintures dues à cet artiste par rapport aux autres oeuvres du même groupe, suggère

qu'elles appartiennent à la phase la plus tardive de l'activité de l'atelier. Ces quelques peintures sont les seules dont on puisse être sûr qu'elles ont été exécutées entièrement par la même main, tant pour le dessin que pour la peinture. Il n'en va pas de même pour le reste des illustrations du recueil, qui sont l'oeuvre d'une équipe d'artistes travaillant en étroite collaboration, suivant une procédure complexe dont R. Cipriani avait bien


pressenti les modalités. Il semble en effet que dans un premier temps, le dessin des compositions ait été confié par cahiers entiers à un petit nombre d'artistes, et que les feuillets constituant ces cahiers aient été distribués ensuite à plusieurs peintres pour être mis en couleur, d'où l'aspect très différent de l'exécution picturale d'un feuillet à l'autre d'un même cahier, certains de ces feuillets ayant pu être peints par l'auteur du dessin sous-jacent lui-même. Un cas typique à cet égard est offert par les cahiers occupant les ff. 17 à 24, 33 à 40 et 41 à 48, dont les compositions semblent bien avoir été conçues par une seule et même personnalité artistique. Il semble que certaines peintures de ces cahiers (ainsi par exemple cepe, f. 24v ; cucumeres, f. 38v ; siligo, f. 46v ; ordium, f. 47v), celles où la délicatesse subtile du coloris et le maniement aisé du pinceau s'adaptent le mieux au tracé ductile du dessin, soient attribuables entièrement à cet artiste lui-même. Attentif à différencier les âges, les moeurs et les conditions, ce peintre exquis nous a laissé quelques-unes des plus belles scènes de cet album, où il décrit avec sympathie et humour le labeur d'un jardinier au profil bougon et aux yeux fatigués, le geste ample des batteurs de seigle, ou l'élégance affectée et un peu ridicule d'un godelureau dodu apportant des concombres à sa maîtresse. Un autre artiste non moins personnel se distingue dans d'autres cahiers par son style puissamment monumental. S'il est capable lui aussi d'évoquer les raffinements de la mode de son temps, ainsi dans la scène de l'aqua ordei (f. 52), où, sous une architecture flamboyante, une jeune épouse apporte de l'eau d'orgeat à son seigneur et maître, ce peintre est visiblement plus à l'aise dans les scènes de la vie rustique représentant de lourds et massifs paysans accomplissant leur tâche, ainsi dans la peinture du f. 80v. figurant le ramassage de la camomille.

Prov. : Verde Visconti, femme de l'archiduc Léopold d'Autriche (t 1407) ; acheté en 1891 par la Bibliothèque nationale.

Bibl. : Delisle, 1896. p. 518-540 ; Toesca, 1912 (rééd. 1966). p. 155-157, fig. 304-310. 314-315 ; Toesca, 1937 ; Pächt, 1950. p. 36. pl. 12 b et c ; Salmi, 1955. p. 781-782 ; Arslan, 1964, p. 44-54. fig. 32 ; Unterkircher, 1967 ; Pellegrin, 1969. p. 58 ; Gengaro, Cogliati Arano. 1970. p. 418-420. fig. 325-344 ; Cogliati Arano. 1973 ; Witthoft, 1978. p. 55-57. fig. 14-15 ; Thomas, 1979. pl. 2 ;

Imbault-Huart, Dubief. Merlette, 1983, p. 150-151.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950, 91 ; Arte lombarda, 1958, n° 73 ; Le Livre, 1975. n° 132 ; La Médecine médiévale, 1982, n° 68.

87. Petrus de Abano, Commentarius in Problemata Aristotelis.

Milan ou Pavie, vers 1390

Parchemin, III + 275 + 5 ff., 380 x 250 mm.

Latin 6541.

Ce manuscrit a été sans aucun doute exécuté, comme l'a démontré Mlle Pellegrin, pour le chancelier de Jean-Galéas Visconti, Pasquino Capelli. dont les armes parlantes (un des éléments de celles-ci est un chapeau de cardinal) sont peintes sur la tranche ornée du volume, ainsi que dans les initiales des ff. 164v, 191v et 226. Les livres de Capelli furent intégrés à la bibliothèque des Visconti, installée au château de Pavie, après la disgrâce et l'exécution du chancelier en 1398, d'où la présence des armes de Jean-Galéas Visconti en tête du manuscrit.

L'ornementation peinte du volume, d'une exécution sèche et linéaire, où prédominent les formes pointues et effilées, rompt déliberément avec le décor végétal épais et bien modelé en usage dans l'enluminure italienne de l'époque, et dénote une volonté évidente d'imiter le décor à feuilles épineuses des manuscrits français, dont Pasquino Capelli avait acquis de nombreux spécimens lors de son séjour à Paris en 1383. Cette imitation de la décoration française est un phénomène particulier à l'enluminure lombarde des dix dernières années du XIVe siècle et s'explique sans doute, entre autre, par les liens politiques étroits établis par Jean-Galéas Visconti avec la cour de France (le duc de Milan avait épousé en premières noces une fille de Jean le Bon, et avait marié en 1387 sa fille Valentine au frère de Charles VI, Louis, le futur duc d'Orléans).

L'auteur de la décoration du présent manuscrit est identifiable, comme l'a bien vu Mlle Pellegrin, avec l'enlumineur Pierre de Pavie, qui a signé un autre manuscrit destiné également à Pasquino Capelli, le Pline, ms. E. 24 inf. de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, daté de 1389. L'interprétation des décors français par cet artiste est loin d'être servile et fait preuve d'une imagination

décorative toujours renouvelée, absente de ses modèles. On trouve un écho de son répertoire ornemental très varié dans un manuscrit de Boèce de la Bibliothèque de Cesena, considéré comme une oeuvre de jeunesse de Michelino da Besozzo.

Prov. : Pasquino Capelli ; Jean-Galéas Visconti ; versé avec l'ensemble des manuscrits du château de Pavie dans la librairie de Blois en 1499 par Louis XII.

Bibl. : Pellegrin. 1955. p. 111-112, A 179 ; Pellegrin, 1969. p. 15-17. pl. 69-71.


88. Pétrarque, Res memorandae.

Pavie ou Milan, vers 1390

Parchemin, II + 64 ff., 360 x 245 mm.

Latin 6069 T.

Ce manuscrit a été probablement copié par le scribe Armannus de Alemannia pour Pasquino Capelli, ce qui permet de le placer en toute sûreté avant 1398, année où le chancelier de Jean-Galéas Visconti fut exécuté et ses livres confisqués. Sa décoration consiste en une série de lettres historiées et ornées. La première, une lettre « S », contient une superbe effigie de Pétrarque, vu de trois-quarts en buste, où l'artiste a su rendre le caractère énergique du poète florentin. Un portrait similaire apparaît dans un manuscrit contemporain, lui aussi d'origine lombarde (cf. n° 92), conservé à la Bibliothèque Marciana de Venise (Lat. VI. 86). Cinq petits personnages assis, représentant les sages de l'Antiquité évoqués dans l'oeuvre de Pétrarque, sont répartis dans l'encadrement. Les motifs végétaux mis en oeuvre dans celui-ci révèlent l'éclectisme de l'artiste : l'acanthe qui déroule ses méandres dans la partie

partie est propre aux décors italiens de l'époque. Elle est toutefois interprétée ici avec un parti pris graphique et linéaire qui se ressent de l'influence française. Celle-ci est encore plus marquée dans la moitié supérieure de l'encadrement, dont la tige filiforme à feuilles trilobées et pointues s'inspire directement des décors à « vignettes » en usage dans l'enluminure française et plus particulièrement parisienne. Des scènes campagnardes, sans rapport apparent avec le contexte, accompagnent quatre des initiales ornées du volume : un paysan nourrissant des oisillons (f. 10), un vendangeur (f. 24), un paysan buvant du vin (f. 42v) et un pêcheur à la ligne (f. 49v). Il se dégage de ces morceaux délicieusement observés une atmosphère intimiste qui rappelle Giovannino dei Grassi, et une sympathie pour la vie paysanne qui les apparente aux meilleures pages du Tacuinum sanitatis de la Bibliothèque nationale (n° 86). La main de cet artiste relativement méconnu se retrouve dans le manuscrit suivant.

Prov. : Pasquino Capelli ; Jean-Galéas Visconti ; librairie du château de Pavie ; transféré

transféré 1499 par Louis XII dans les collections du château de Blois.

Bibl. : Nolhac, 1901, p. 292-294 ; Nolhac, 1902, p. 446-451 ; Pellegrin, 1955, p. 281-282, A 940 ; Pellegrin, 1961, p. 377-378 ; Pellegrin, 1969, p. 15, 17, 18, 31, pl. 73, 74, 97 ; Mardersteig, 1974, p. 257. 258, 260.


89. Sénèque, Ludus de morte Claudii, Epistolae, Tragoediae.

Pavie ou Milan, vers 1390.

Parchemin, 266 ff., 360 x 260 mm.

Latin 8717 (ff. 51-316).

Ce recueil d'oeuvres authentiques et apocryphes de Sénèque, ainsi qu'un manuscrit des Tragédies du même auteur, qui en est solidaire (Bibliothèque nationale, ms. latin 8055, ff. 179-455), sont deux pièces inédites à ajouter au dossier de l'enluminure lombarde du XIVe siècle finissant. On reconnaît dans le premier de ces volumes la main de l'exquis décorateur du Pétrarque de Pasquino Capelli (n° 88). Les deux initiales à extensions végétales dues à cet artiste (ff. 51 et 57) présentent la même originalité dans l'adaptation des modèles français. La deuxième de ces initiales, qui introduit la correspondance apocryphe de Sénèque et de saint Paul, représente, assis côte à côte, l'apôtre et l'écrivain romain. Un putto ailé dans une nuée de rayons, se tient assis en équilibre instable sur la liane végétale de la partie inférieure. La petite hirondelle voletant au-dessous est

sans doute une réminiscence française : ce volatile apparaît fréquemment dans les marges des manuscrits enluminés sous le règne de Jean le Bon et de Charles V. Le modelé moelleux et le coloris suave des deux personnages de l'initiale tiennent tout autant de l'art de Michelino da Besozzo que de celui de Giovannino dei Grassi. Le reste des initiales ornées est l'oeuvre d'un deuxième

deuxième dont on retrouve la main dans le ms. lat. 8055 : ici l'assimilation du vocabulaire ornemental et même du coloris des manuscrits français est telle qu'il est presque certain que nous avons affaire à un artiste avant reçu sa formation à Paris.

Prov. : Jacques-Auguste de Thou ; Jean-Baptiste Colbert.

Bibl. : Fohlen, 1971. p. 89 n. 1.


90. Baldus de Ubaldis, Commentarius in feudorum usus.

Pavie, 1393.

Parchemin, 1 + 115 ff., 395 x 290 mm.

Latin 11727.

Ce manuscrit est un recueil d'oeuvres du juriste bolonais Baldo de' Ubaldi que Jean-Galéas Visconti avait attiré à l'université

l'université Pavie en 1390, et qui lui dédia en 1393 le premier traité contenu dans le volume. D'après les éléments héraldiques, il y a toutes les chances que celui-ci soit l'exemplaire de présentation remis au duc de Milan : on reconnaît en effet, transformée en motif ornemental, la guivre engoulant l'enfant, propre aux armoiries Visconti, entre les deux colonnes

colonnes texte du premier feuillet, et, dans l'encadrement, l'emblème favori de Jean-Galéas, la colombe dans un soleil stylisé. Ce dernier motif apparaissait sur la reliure orfévrée du manuscrit telle qu'elle est décrite en 1426 dans l'inventaire des livres conservés au château de Pavie. Les armoiries d'or à deux fasces de sable, à la partie inférieure, sont celles de l'auteur.

Le style de la miniature, de l'initiale et de l'encadrement à feuilles trilobées et pointues est révélateur du goût français qui sévissait alors dans l'enluminure lombarde : l'imitation ici est littérale, et l'on pourrait presque se tromper sur l'origine du manuscrit n'étaient le décor héraldique et l'ornementation secondaire. Il n'est pas jusqu'au modelé un peu sec du portrait de l'auteur, et au fond diapré de la miniature qui ne rappellent l'enluminure parisienne contemporaine. Il est possible que les relations entre l'Université de Pavie et celle de Paris, tout autant que le goût personnel de la cour des Visconti, explique ce curieux phénomène. Un manuscrit de Jean de Mandeville daté de 1396 (Milan, Bibliothèque Trivulcienne, ms. 816), considéré à tort comme une oeuvre française, présente un style très voisin.

Prov. : Jean-Galéas Visconti ; chancelier Pierre Séguier ; légué en 1732 par Henri du Cambout, duc de Coislin, évêque de Metz, à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés.

Bibl. : Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 147 n. 1 ; Pellegrin, 1955, p. 252-253, A 805 ; Pellegrin, 1969, p. 32-33, pl. 104 ; Gengaro, Cogliati Arano, 1970, p. 415, fig. 410 ; Sutton, 1972, p. 92 n. 19.

91. Cicéron, De natura deorum.

Pavie ou Milan, vers 1400-1402.

Parchemin, II + 69 + 3 ff., 290 x 210 mm.

Latin 6340.

A ce manuscrit écrit et décoré à Bologne vers 1370-1380, a été ajoutée, certainement au moment de son acquisition par Jean-Galéas Visconti, une superbe peinture héraldique : celle-ci représente une élégante jeune femme vêtue d'une robe à longues manches doublées de vair et à col montant, suivant la mode des alentours de 1400, tenant dans ses mains l'écu à la guivre des ducs de Milan et un heaume dont le cimier est également formé par la guivre des Visconti. Cette composition est nécessairement


antérieure à 1402, année de la mort de Jean-Galéas, qui a fait peindre des armoiries identiques dans plusieurs de ses manuscrits.

Avec son exécution raffinée et son coloris exquis, l'oeuvre apparaît comme une des expressions les plus réussies du style gothique international dans son interprétation lombarde, et peut être attribuée à un artiste contemporain mais distinct de Michelino da Besozzo, dont Millard Meiss a cru retrouver la main dans un polyptyque d'une collection privée. On reconnaît en effet dans cette peinture, certainement plus tardive, le même rythme souple et élégant des plis, lié à une dignité monumentale ignorée de Michelino. Les mêmes caractères se retrouvent à cette époque dans l'enluminure française chez des artistes comme le maître de Boucicaut (le présumé Jacques Coene, qui travaillait au chantier de la cathédrale de Milan), et chez les Limbourg. C'est du maître du De natura deorum, plus que de Michelino da Besozzo, que dépendrait, selon M. Meiss, l'art de Belbello de Pavie.

Prov. : Jean-Galéas Visconti ; librairie du château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII au château de Blois.

Bibl. : Pellegrin, 1955, p. 207, A 604 ; Meiss, 1961, p. 125-131 ; Pellegrin, 1969, p. 31, pl. 98 ; Cadei, 1976, p. 57-65.

Exp. : Arte lombarda, p. 37-38, n° 85, pl. LIII.

92. Sénèque, Tragoediae.

Pavie, 1403.

Parchemin, 1+192 ff., 325 x 230 mm.

Latin 8028.

Les dix scènes illustrant cet exemplaire des Tragédies de Sénèque sont l'oeuvre d'une personnalité mineure de l'enluminure lombarde, qui semble avoir travaillé à Pavie pour une clientèle universitaire fortunée. Le traitement peu modelé et un peu sec des figures et les fonds diaprés sont révélateurs du goût si prononcé dans l'enluminure lombarde de cette époque pour le style français. Le décor d'acanthes végétales des initiales paraît en revanche s'inspirer de modèles bolonais. Le dessin un peu étriqué des personnages et le coloris assez particulier ne paraît pas être le fait d'un artiste italien. On pourrait songer à un enlumineur d'origine française, peut-être avi-


gnonnaise, en raison de certains rapports formels avec un artiste comme le maître du missel ms. 150 de Cambrai. Cet enlumineur a exécuté les initiales ornées d'un autre manuscrit d'origine lombarde, le Valère Maxime, ms. lat. 5840 de la Bibliothèque nationale, ainsi que la plus grande partie du décor d'un Pétrarque de la Biblioteca Marciana de Venise (Cod. lat. VI. 86 [2593]). Le premier de ces volumes provenant de la bibliothèque du château de Pavie, il y a de fortes chances pour que le présent manuscrit ait suivi la même filière.

Le premier possesseur du volume, Augustino Fazardi (dont un autre manuscrit, le ms. lat. 8544, provient également de la bibliothèque des ducs de Milan), a noté avec soin, dans une longue inscription latine, la somme que lui a coûté la décoration, le parchemin, et la transcription du volume : douze livres, neuf sous. Il n'a malheureusement pas indiqué l'identité de l'enlumineur.

Prov. : Augustino Fazardi ; bibliothèque des ducs de Milan à Pavie (inventaire A, n° 899 ?) ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie de Blois.

Bibl. : Samaran, Marichal, 1974, p. 7, pl. CXXXI.

93. Nicolas de Lyre, Postilla in Genesim.

Mantoue ?, entre 1395 et 1402.

Parchemin, 1 + 51 ff., 505 x 345 mm.

Latin 364.

Le franciscain normand Nicolas de Lyre (1349) est l'auteur d'un copieux appareil de gloses sur les livres bibliques, dont on a conservé un nombre relativement important de copies manuscrites principalement d'origine française. Ces copies qui occupent le plus souvent plusieurs volumes de format in folio, sont accompagnées de schémas et de figures destinés à éclairer les passages obscurs du texte, ainsi pour le livre d'Ézéchiel. Leur illustration est en revanche assez réduite. Ce n'est pas le cas du présent exemplaire, contenant le commentaire de Nicolas de Lyre sur la Genèse, et qui est accompagné d'un cycle d'illustrations d'une ampleur exceptionnelle. D'abord enluminées et peintes, ces illustrations sont restées à l'état de dessins à l'encre à partir du f. 11. C'est peut-être dans ces dessins fourmillant de notations sur la vie matérielle de l'époque, que se révèlent le mieux les dons d'observateur et de narrateur de


l'artiste. Tel qu'il nous est parvenu, ce cycle est malheureusement inachevé et s'interrompt au f. 21. Qu'il devait s'étendre à l'ensemble des livres de la Bible est prouvé par une autre copie, exactement contemporaine et due au même artiste, conservée à la Bibliothèque municipale d'Arras (ms. 2), où le cycle se poursuit jusqu'au livre des Juges.

Le manuscrit de la Bibliothèque nationale provient des livres du château de Pavie rapportés en France par Louis XII. Sa provenance lombarde est donc établie. Elle est confirmée par la présence en tête du volume d'un bandeau héraldique où, de part et d'autre d'un aigle impérial, sont répétées les armes et les initiales de Jean-Galéas Visconti et l'emblème favori de ce dernier, le soleil. La même composition, simplement tracée à l'encre, et incomplète des éléments héraldiques de l'écu, apparaît dans le manuscrit d'Arras. Ceci permet de dater les deux volumes de la fin du XIVe siècle, en tous cas d'avant 1402, année de la mort du duc de Milan. Cette datation est confirmée par les détails de mode et d'armement figurant dans les illustrations. Malgré les indices héraldiques, le style de l'artiste cadre mal avec ce que l'on connaît de l'enluminure milanaise à cette époque, et ni les rapprochements proposés par P. Toesca avec Giovannino dei Grassi, ni celui de R. Cipriani avec Anovelo da Imbonate, ne paraissent convaincants. Le décor végétal mis en oeuvre dans l'encadrement du premier feuillet des deux manuscrits, de claire filiation florentine, est attesté en revanche à Mantoue. Il apparaît presque identique dans un commentaire de Benvenuto d'Imola sur la Divine Comédie (Florence, Laurentienne, ms. Strozzi 157-159) enluminé en 1416 pour la marquise de Gonzague, Paola Malatesta par Ramo de Ramedellis, artiste dont on suit l'activité à Mantoue depuis la fin du XIVe siècle. La disposition symétrique des éléments héraldiques dans le bandeau situé à la partie supérieure du premier feuillet rappelle en outre celle de certains manuscrits exécutés pour les Gonzague à la fin du XIVe siècle. Il ne paraît donc pas illégitime de chercher l'origine de ce manuscrit, traditionnellement rattaché à l'enluminure milanaise, ainsi que celle du manuscrit d'Arras, dans le milieu artistique encore trop mal connu de Mantoue, où les deux volumes auraient pu être commandés par Jean-Galéas Visconti. Il est intéressant de noter à ce propos l'existence d'une autre copie contemporaine de l'oeuvre de Nicolas de Lyre, copie

exécutée à Pesaro en 1402 pour un Malatesta et passée par la suite dans les collections Gonzague (Manchester, John Rylands Library, ms. 29-31).

Prov. : Jean-Galéas Visconti. duc de Milan : Louis XII ; librairie de Blois.

Bibl. : Toesca, 1912 (rééd. 1966). p. 147 n. 1. fig. 268-269 : Pellegrin, 1955, p. 392-393 ; Pellegrin, 1969, p. 18, 31, 32, pl. 101-102.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 98.

94. Pietro da Castelleto, Sermo in exsequiis Johannis Galeatii ducis Mediolani. Pl. coul. XVI.

Milan, 1403.

Parchemin, 1 + 1 ff., 375 x 240 mm.

Latin 5888.

Jean-Galéas Visconti mourut en 1402, au moment où il préparait une expédition contre Florence. Cette mort imprévue

imprévue un terme à dix-sept ans de règne et d'activité politique qui avaient permis une expansion territoriale sans précédent du duché de Milan. L'éloge du défunt fut prononcé par un religieux augustin, Pietro da Castelleto. Le présent manuscrit est la luxueuse copie qui fut exécutée en 1403 de cette oraison funèbre, à laquelle fait suite une généalogie de Jean-Galéas composée par le même auteur.

Le manuscrit s'ouvre par une magnifique page enluminée dont l'encadrement est formé par une succession de quadrilobes où de minuscules prophètes en buste, tenant des inscriptions à la gloire du défunt duc, alternent avec des écus aux armes des Visconti. L'emblème favori de Jean-Galéas, la colombe dans un soleil, figure également par deux fois dans cet encadrement dont les divers éléments sont reliés par de fines tiges végétales grâcieusement ployées. Dans la scène peinte à la partie supérieure, le duc


de Milan, agenouillé devant la Vierge, est couronné par l'Enfant Jésus suivant une disposition qui dérive manifestement, comme l'a montré Durrieu, du thème iconographique du Couronnement de la Vierge. Le groupe des douze vertus entourant les trois personnages centraux, fait évidemment allusion, par un jeu de mots flatteur, au fief de Vertus en Champagne, qui avait été concédé à Jean-Galéas à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Valois fille du roi de France Jean le Bon. Les pennons héraldiques tenus par les anges en cuirasse figurés sur les côtés, se rapportent à différentes possessions de Jean-Galéas, ceux de la partie supérieure, écartelés d'Empire et de France évoquant les alliances nouées par le duc de Milan avec l'empereur Venceslas IV d'une part, et Charles VI d'autre part, en 1395. La scène figurée dans l'initiale représente le prédicateur prononçant son homélie au milieu d'une assistance en deuil.

Dès 1910, deux historiens de l'art, dont l'éminent Pietro Toesca, reconnaissaient dans le rythme linéaire enchanteur et le coloris exquis de cette page la marque du plus brillant protagoniste du style gothique international en Lombardie, Michelino da Besozzo, en se fondant sur des comparaisons de style avec la seule peinture signée de cet artiste, le Mariage de sainte Catherine de la Pinacothèque de Sienne. Artiste polyvalent, peintre, fresquiste, enlumineur, mais aussi maître des vitraux de la cathédrale de Milan, Michelino da Besozzo, qu'on suit dans les

documents de 1388 à 1445, et que sa carrière itinérante mena de Pavie à Venise, en passant par Milan, représente dans ses oeuvres baignées d'une atmosphère nostalgique et irréelle, la quintessence du style courtois. Les qualités de portraitiste de l'artiste sont manifestes dans les derniers médaillons de la généalogie de Jean-Galéas Visconti ajoutée par Pierre de Castelleto à son éloge funèbre. Cette généalogie, qui fait remonter les origines du duc de Milan à Vénus et Anchise, débute par une charmante scène figurant le mariage de ces derniers en présence de Jupiter.

Dans l'oeuvre actuellement réuni autour de Michelino da Besozzo, c'est avec le livre d'heures de l'ancienne collection Bodmer, aujourd'hui à la Pierpont Morgan Library, que notre manuscrit présente le plus d'affinités.

Prov. : Bibliothèque des ducs de Milan au château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois. Bibl. : Delisle, 1868, I. p. 126, 131 ; Toesca, 1910, p. 156 ; Zappa, 1910, p. 443-449 ; Durrieu, 1911, p. 377-390 ; Toesca, 1912, p. 439-442 (rééd. 1966, p. 187-188) ; D'Ancona, 1925, p. 50 ; Baroni, Samek Ludovici, 1952, p. 44-45 ; Pellegrin, 1955. p. 49, 281, A 938 ; Salmi, 1955, p. 801-802 ; Longhi, 1958, p. XXVIII ; Castelfranchi Vegas, 1966, p. 23-24 ; Matalon, 1966 ; Sellin, 1966 ; Pellegrin, 1969, p. 33 ; Longhi, 1973, p. 137-138 ; Castelfranchi Vegas, 1975, p. 95, 98, 101 ; Eisler, 1981, p. 11-12.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 157. pl. LXIII-LXIV ; L'Art européen vers 1400, 1962, n° 165.


La Renaissance

Le tableau offert par l'enluminure italienne du Quattrocento est d'une richesse et d'une complexité dont les manuscrits présentés dans cette section ne rendent qu'imparfaitement compte. Plus que jamais, la vie artistique de la péninsule est polycentrique, chaque cité d'une certaine importance politique ou économique, pour peu qu'elle dispose d'un noyau de mécènes actifs, entretenant ses propres ateliers d'enlumineurs et développant son style particulier. Les risques de cloisonnement culturel sont toutefois évités grâce à l'action unificatrice des cercles humanistes, ainsi que par l'extrême mobilité des artistes : ainsi se tissent à travers la péninsule, par delà les antagonismes politiques entre cités rivales, des réseaux, des connivences qui expliquent la surprenante rapidité avec laquelle certains styles et certaines formules décoratives se sont transmis d'une ville à une autre, jusqu'en des points parfois fort éloignés de leur lieu d'origine.

Ce n'est pas sans rencontrer des résistances que les conceptions humanistes de la Renaissance firent sentir leurs effets sur le décor des manuscrits. Pendant presque toute la première moitié du XVe siècle en effet, les enlumineurs de la péninsule restèrent attachés aux modes ornementaux du siècle précédent. L'emprise du style « gothique » du Trecento est particulièrement forte au Nord des Apennins, ainsi à Bologne, centre d'ailleurs en déclin (n° 119), à Mantoue (n° 120) et à Padoue (n° 109). Mais c'est incontestablement Milan qui allait se révéler comme le plus ferme bastion de l'ancien style, dans la version raffinée qu'en avaient donnée autour de 1400 des artistes comme Michelino da Besozzo et le maître du De natura deorum. Deux enlumineurs illustrent cet attachement du milieu lombard aux expressions du style courtois : le maître anonyme dit des Vitae imperatorum, dont l'oeuvre est particulièrement bien représenté dans les collections françaises (nos 128-131) et Belbello de Pavie (n° 129). A la génération suivante, les oeuvres du maître d'Ippolita Sforza (nos 133-136) et du crémonais Frate Nebridio (n° 138) participent encore de ce monde poétique et irréel propre à l'enluminure lombarde du début du siècle. En Toscane, la tradition gothique laissa également des traces à Sienne et à Florence : deux manuscrits attribuables à l'enlumineur Bartolomeo di Fruosino (nos 95-96), émule et contemporain du camaldule Don Lorenzo Monaco, représentent ici ce moment souvent méconnu où les ateliers florentins adhérèrent aux concepts plastiques de l'art gothique international.

Le renouveau devait venir des milieux humanistes, particulièrement actifs à Florence et en Vénétie. Dans la cité toscane, s'élabore un style ornemental particulier dont la mise au point alla de pair avec la propagation d'un nouveau type d'écriture, la littera antiqua, ou écriture humanistique. De même que celle-ci marque un retour à la pureté originelle de la minuscule Caroline, débarassée de ses scories gothiques, de même le décor des initiales florentines s'inspire-t-il désormais, comme l'a fait remarquer Otto Pächt, des conceptions ornementales des enlumineurs romans d'Italie centrale et de Toscane : aux lourds rinceaux végétaux peints au naturel du siècle précédent se substitue dès lors, dans les manuscrits d'auteurs classiques ou de contenu profane, un sobre décor de rinceaux blancs (bianchi girari) de lointaine origine ottonienne, dont les modèles les plus accessibles se trouvaient dans les manuscrits des XIe et XIIe siècles de la région. Bien qu'il apparaisse en germe dès les premières années du XVe siècle, le nouveau style ornemental ne se codifia vraiment dans les ateliers florentins qu'à partir du second quart du siècle, l'un de ses adeptes les plus précoces ayant été l'artiste prolifique que l'on tend à identifier aujourd'hui avec l'enlumineur Bartolomeo Varnucci (n° 99). L'apogée du style à bianchi girari dans la cité des Médicis se situe vers les années 1460-1470, époque où une pléiade d'artistes comme Francesco d'Antonio del Cherico (nos 100, 102), Ricciardo di Ser Nanni (n° 101) et bien d'autres, en donnent des interprétations d'une étonnante virtuosité. Simultanément, sous l'influence des grands rénovateurs de la peinture florentine, tels Masaccio, le style figuratif des enlumineurs florentins évolue peu à peu en direction d'un langage formel plus plastique et plus monumental. A la différence toutefois de ce qui se passe à Padoue, cette influence de la peinture n'a été qu'indirecte, les grands maîtres toscans de l'époque n'ayant semble-t-il que rarement pratiqué l'enluminure : la seule exception notable fut peut-être Fra Angelico, dont on croit reconnaître la main dans certains antiphonaires de San Marco. L'influence de cet artiste semble encore décelable dans les plus anciennes oeuvres de Francesco d'Antonio del Cherico (n° 100), qui lui est sans doute redevable, par l'intermédiaire de Zanobi Strozzi, de sa palette lumineuse et sereine.

Le nouveau décor à bianchi girari fut très vite apprécié et imité dans la plupart des grands centres de l'Italie, en Vénétie (n° 110), à Ferrare, et même dans une ville aussi


attachée aux formes gothiques que Milan (n° 132). Mais ce fut à Rome et à Naples, plus ouverts aux innovations par suite d'une longue interruption de leur activité artistique, que les formules décoratives florentines exercèrent le plus longtemps leur influence (nos 141, 150-154). L'un des agents qui contribua le plus efficacement au renom et au rayonnement de la production florentine fut sans doute le libraire Vespasiano da Bisticci (1422-1498), fournisseur d'une clientèle huppée et exigeante, qui se recrutait non seulement en Italie (Médicis, Aragonais de Naples, et surtout Frédéric de Montefeltre), mais aussi à l'étranger : Louis XI se procura plusieurs manuscrits sortis de son officine par l'intermédiaire du cardinal Jouffroy (n° 102), et, sur le tard, le roi de Hongrie Mathias Corvin fut un de ses plus fidèles clients (n° 104).

Parallèlement au décor à bianchi girari, un tout autre style de décoration se développait au Nord-Est de l'Italie, dans les ateliers de Padoue et de Venise. Comme à Florence, mais avec des résultats très différents, le renouveau de l'enluminure dans ces deux centres fut stimulé à la fois par le mouvement humaniste et par une vie artistique intense à laquelle ne contribuèrent pas peu d'ailleurs une série d'artistes florentins comme Donatello, Andrea del Castagno, Paolo Uccello et Filippo Lippi, dont la présence est attestée à Padoue autour des années 1440-1450. La personnalité dominante du milieu pictural padouan à cette époque est celle de Francesco Squarcione qui dirigea un fort actif atelier où seront formés deux artistes qui jouèrent un rôle important dans la définition d'un style propre aux enlumineurs vénéto-padouans, Andrea Mantegna et Marco Zoppo. Au premier, Millard Meiss a pu attribuer avec de sérieux arguments les quatre admirables peintures d'une Passion de saint Maurice offerte en 1453 à René d'Anjou par le sénateur vénitien Jacopo Antonio Marcello (n° 111). C'est la main de Marco Zoppo qu'a reconnue J.J.G. Alexander dans les trois peintures (dont deux sont exécutées sur parchemin teinté) d'un Virgile vénitien provenant des collections de Pie VI (n° 115). Un autre fleuron de l'enluminure vénitienne renaissante également présenté ici, est le fameux Strabon de la bibliothèque d'Albi offert à René d'Anjou par le fastueux Marcello (n° 112). Là encore, on soupçonne que Mantegna joua un certain rôle, sinon dans les peintures, que Meiss donne au propre beau-frère de l'artiste, le jeune Giovanni Bellini, du moins dans le décor des initiales : c'est à l'admiration de Mantegna pour l'épigraphie latine que l'on devrait en effet l'introduction, pour la première fois dans ce manuscrit, d'un type d'initiales dont les formes prismatiques, simulant le relief, s'inspirent directement des inscriptions lapidaires de la période romaine, que relevaient avec tant de zèle à la même époque deux « antiquaires » très liés avec l'artiste, Felice Feliciano et Giovanni Marcanova (n° 114). Cette forte empreinte archéologique deviendra bientôt la marque distinctive des manuscrits enluminés à

Padoue et à Venise, qui se caractérisent désormais par l'emploi de plus en plus systématique comme élément du décor, de motifs empruntés aux monuments de l'Antiquité classique (n° 116). Le développement de ce nouveau répertoire ornemental entraîna en outre des recherches d'effets tactiles et de trompe-l'oeil d'une complexité croissante, qui ont trouvé leur expression la plus raffinée dans les oeuvres de la période vénitienne de Girolamo da Cremona (n° 117).

Le succès de ce nouveau style de décoration allait être considérable, et il est peu de centre de la péninsule qui, à plus ou moins brève échéance, ait échappé à son emprise. Curieusement, ce fut à Rome, très loin de son lieu d'origine, qu'il rencontra d'emblée le plus d'écho. Dès 1459, la décoration d'un Saint Augustin de la Bibliothèque Sainte-Geneviève (n° 142), oeuvre d'un enlumineur au service de la cour pontificale, le prêtre Nicolas Polanus, porte la marque précoce du style « archéologique » padouan. L'influence de celui-ci ne devait aller qu'en s'accentuant et atteindre son apogée sous les pontificats de Paul II (1461-1471) et de Sixte IV (1471-1484), avec l'afflux à Rome de plusieurs artistes originaires du Nord-Est de l'Italie. L'un d'eux, remarquable par l'imprégnation mantegnesque de ses décors antiquisants, est très probablement identifiable, ainsi que l'a suggéré Mgr. J. Ruysschaert, avec le copiste padouan Bartolomeo San Vito, dont la présence dans la cité pontificale est attestée de 1469 à 1501 (nos 145-146). Un autre de ces artistes transplantés dans le milieu romain est l'enlumineur raffiné d'un Ovide du cardinal Jean d'Aragon (n° 147), qui ne fait vraisemblablement qu'un avec le Gasparo Padovano mentionné dans les comptes de ce prélat. C'est encore du milieu artistique padouan qu'était issu un troisième enlumineur dont l'activité est attestée à Rome à cette époque, et qu'on a proposé d'identifier avec l'artiste dalmate Giorgio Culinovic, dit le Schiavone (n° 148), l'un des nombreux disciples de Squarcione.

De Rome, le style vénéto-padouan se propagea rapidement à Naples, où le cardinal d'Aragon, qui employa tour à tour Bartolomeo San Vito et Gasparo Padovano, contribua sans doute à le faire apprécier. L'influence du premier de ces artistes est très sensible sur les oeuvres de Cristoforo Majorana (n° 155), tandis que le second passe pour avoir formé l'enlumineur napolitain Giovanni Todeschino, très probablement identifiable avec l'enlumineur d'un Pline aux armes aragonaises de la bibliothèque de Valencia (cf. n° 158).

Bien que se situant également pour une part dans la mouvance de Padoue, Ferrare, promue au premier rang de la vie artistique italienne de l'époque grâce au mécénat persévérant et avisé de la famille d'Este, est l'un des rares centres, en dehors de Florence et de Padoue, à avoir su développer un style autonome et original. Profondément marqué à ses débuts par l'art de trois peintres très différents, Pisanello, Piero della Francesca et probablement


Mantegna, le style ferrarais a connu un développement parallèle et cohérent dans la peinture et dans l'enluminure. Rien n'illustre mieux cette homogénéité stylistique que les deux oeuvres pratiquement inconnues de Guglielmo Giraldi exposées ici (nos 122, 123) : avec leur dessin d'une précision métallique, et leur coloris saturé et froid, elles- font écho au monde pétrifié de Cosimo Tura. Daté de 1458, le Virgile de Leonardo Sanudo (n° 122) constitue en outre un hommage significatif et mérité d'un amateur vénitien à l'originalité de la toute jeune enluminure ferraraise. Le rayonnement de celle-ci s'exerça non seulement dans des centres proches comme Bologne et Pesaro (n° 127), mais aussi à Milan (nos 134, 137), et même à Rome, où travailla, sous Paul II puis sous Innocent VIII, un artiste manifestement influencé par Giraldi (nos 144, 148).

L'enluminure italienne de la fin du siècle est caractérisée par une surcharge décorative sans précédent, et se ressent de l'influence croissante de l'orfèvrerie : cela est manifeste à Florence dans les oeuvres de Francesco Rosselli

Rosselli 104, 107) et surtout d'Attavante (n° 104), artiste fécond et facile, qui fit ses débuts dans l'atelier de Francesco d'Antonio del Cherico, mais dont le style pictural semble tributaire de Domenico Ghirlandajo. On retrouve la même perfection un peu froide et la même virtuosité excessive, annonciatrices de décadence, à Milan, dans les compositions, non exemptes d'inventions iconographiques, de Giovan Pietro Birago et de ses émules (nos 139, 140).

Quelques oeuvres issues de centres variés évoquent de façon très partielle les prolongements que connut l'enluminure de la Renaissance au cours du siècle suivant (nos 108, 118, 149, 159), et montrent la vitalité persistante de cet art dans la péninsule : l'une des plus notables est le célèbre Psautier du pape Paul III (n° 149), due paradoxalement à un artiste d'origine française, Vincent Raymond, de Lodève, dont le style, comme celui de son contemporain Giulio Clovio, se réfère aux conceptions monumentales de Michel Ange.


Florence

95. Antiphonaire de Santa Annunziata d'Orbatello de Florence.

Florence, 1417.

Parchemin, 150 + 12 ff., 450 x 300 mm.

Douai, Bibliothèque municipale, ms. 1171.

Une inscription au début du manuscrit nous apprend que ce bel antiphonaire, destiné à l'église Santa Annunziata de l'hôpital d'Orbatello à Florence, a été composé et ordonné en 1417 par Don Paolo, recteur de cette église et abbé du monastère bénédictin de San Martino del Pino.

La décoration peinte du manuscrit, d'excellente qualité, est un témoignage inédit et bien daté, qu'il convient d'ajouter à l'oeuvre regroupé autour de l'enlumineur florentin Bartolomeo di Fruosino. Cette décoration consiste en une série d'initiales historiées de format variable, et le plus souvent à un personnage, dont les plus élaborées sont celles de la Nativité (f. 9) et de l'Annonciation (f. 36v). Inscrite dans une grande lettre « P », initiale de l'introit de Noël, Puer natus est nobis, la scène de la Nativité, à laquelle participent deux bergers, se déroule dans un paysage rocheux dont les plans étagés créent une impression de profondeur, accentuée par la présence de la toiture de la grange vue en perspective empirique. L'artiste a utilisé une composition presque identique dans la Nativité du missel C conservé au Musée de l'oeuvre de la cathédrale de Prato, daté de 1435.

Dans le traitement ornemental et cadencé des draperies de ses personnages, Bartolomeo di Fruosino apparaît clairement comme l'émule le plus doué du peintre et enlumineur Don Lorenzo Monaco. Sans égaler l'admirable virtuosité linéaire du moine camaldule, le style de Bartolomeo, d'une facture plus sèche, est néanmoins représentatif de la production florentine du premier quart du XVe siècle, durant la brève période où les artistes de la cité toscane se laissèrent séduire par l'esthétique du style gothique international.

La partie ornementale de la page est plus traditionnelle et met en oeuvre des éléments décoratifs d'inspiration végétale élaborés dans les ateliers florentins à la fin du siècle précédent. Ce type de décoration, qui sera peu à peu éliminé au



cours du second quart du xve siècle par le décor à bianchi girari (nos 99-102), ne persistera que dans les manuscrits liturgiques, ou de contenu religieux.

Prov. : Église Santa Annunziata de l'hôpital d'Orbatello, à Florence ; légué par M. Foucques à la Bibliothèque de Douai en 1876.

Bibl. : Dehaisnes, 1878, p. 747.

96. Dante, Inferno (avec le commentaire dit Ottimo). Pl. coul. XVII.

Florence, vers 1420-1430.

Parchemin, 103 ff., 365 x 265 mm.

Italien 74.

Cet exemplaire de la Divine Comédie ne contient que la première partie du poème dantesque, l'Inferno, dont chacun des trente-trois chants est introduit par une miniature.

Deux peintures à pleine page précèdent le texte, à commencer par une extraordinaire représentation de l'Enfer (f. 1 v) dont la composition dérive d'une fresque du milieu du XIVe siècle, oeuvre de Nardo di Cione, à la chapelle Strozzi de Santa Maria Novella de Florence. L'influence de cette peinture sur l'illustration de l'oeuvre de Dante est attestée par une autre copie florentine, un peu antérieure au présent manuscrit, conservée à la Bibliothèque Vaticane (Vat. lat. 4776). Une seconde peinture à pleine page (f. 2v), d'une main différente, représente dans un paysage de montagne la rencontre de Virgile et de Dante, et ce dernier fuyant devant les trois bêtes de la montagne.

Le début du poème (f. 3) s'ouvre par une grande initiale historiée figurant l'auteur dans son étude, transcrivant son oeuvre. Un riche encadrement complète cette décoration. Ses éléments végétaux, qui s'inscrivent dans la tradition ornementale héritée du siècle précédent, déterminent une série de sept médaillons où sont associés les Arts libéraux, et divers membres de l'humanité ayant particulièrement excellé dans chacun de ces arts, suivant une disposition dont on trouve déjà des exemples au XIVe siècle (cf. n° 71). Dans le médaillon central de la partie inférieure, apparaît un curieux emblème dont le possesseur n'avait pu être jusqu'ici identifié. Composé de deux fers à cheval entrecroisés, celui-ci se rapporte certainement à Jean Cossa,

grand sénéchal de Provence du temps de René d'Anjou, qui a probablement acquis le manuscrit à Florence où sa présence est attestée en 1458. La décoration du volume a été exécutée une quarantaine d'années avant cette date, et est l'oeuvre de deux artistes distincts, dont l'un, auteur de la vision infernale du f. 1 v et des illustrations des ff. 3 à 9, et 59 à 103, est identifiable, ainsi que l'a montré Millard Meiss, avec Bartolomeo di Fruosino, artiste contemporain et émule de Lorenzo Monaco. D'après son style, le manuscrit semble un peu postérieur à l'antiphonaire de l'hôpital d'Orbatello exposé sous le numéro précédent, et doit remonter à une époque voisine du missel de S. Egidio, daté de 1420-1421, l'une des rares oeuvres bien documentées de l'artiste.

Prov. : Jean Cossa, grand sénéchal de Provenc ; décrit dans les inventaires de la librairie royale à partir de la fin du XVIe siècle.

Bibl. : Auvray, 1892. p. 77-82 ; Brieger, Meiss, Singleton, 1969, I, p. 40, 106, 314-316 et planches (passim) ; Degenhart, Schmitt, 1968. vol. 2, p. 284. fig. 389a.

97. Boccace, Decameron.

Florence, 1427.

Papier, 9 + 312 ff., 370 x 255 mm.

Italien 63.

A côté de la librairie institutionnelle, qui ne prit d'ailleurs véritablement son essor qu'au xve siècle, il existait à Florence un système parallèle de production du livre, certains particuliers ayant pris l'habitude de copier à leur propre usage des textes qu'ils ne pouvaient se procurer par le circuit commercial ordinaire. L'une des oeuvres dont la diffusion fut assurée par ce canal non officiel est le Decameron dont on ne connaît en Italie pratiquement aucun exemplaire présentant les caractères d'un produit de librairie. Cette pratique de la copie à usage privé du chef-d'oeuvre de Boccace est attestée dès le XIVe siècle (n° 56), et se prolongea au siècle suivant, comme en témoigne le présent manuscrit, qui fut transcrit en 1427 par un citoyen florentin, Lodovico di Salvestro Ceffini. Celui-ci a signé et daté au f. 304 cette copie qu'il réservait à son usage personnel (per me proprio).


Avec ses 112 illustrations, ce manuscrit est le plus ancien, et même le seul exemplaire italien du Decameron à présenter un cycle d'images complet se rapportant au prologue, aux dix « journées », aux cent nouvelles et à l'épilogue dont se compose l'oeuvre de Boccace. Chacune des scènes est représentée avec une grande économie de moyens. Il s'agit de dessins à l'encre rehaussés de couleurs légères, qui sont l'oeuvre d'une équipe d'artistes au talent inégal. Ceux-ci se sont réparti la tâche par cahiers, le principal, reconnaissable à son trait ample et sobre et à son coloris aux tonalités atténuées, s'étant réservé à lui seul l'exécution de seize cahiers (ff. 1-24, 61-144, 205-228, 275-292). Il a été secondé par un excellent artiste, auteur des illustrations de quatre cahiers (ff. 145-156, 196-204, 253-264, 293-304). Ce collaborateur se signale par un dessin plus fouillé et un coloris plus vif, marqué par l'utilisation d'un rouge et d'un bleu francs. Le reste de l'illustration est l'oeuvre de deux autres artistes, dont l'un intervient aux ff. 157-192, le dernier étant l'auteur des assez médiocres scènes du cahier formé par les ff. 25 à 36. Dans leur ensemble, ces illustrations exécutées d'un trait rapide, s'adaptent excellement au ton allègre du récit boccacien, évoquant avec bonheur les moments essentiels de chaque nouvelle. Chefs-d'oeuvre du point de vue narratif, ces scènes valent en outre par leur indéniables qualités plastiques qui ne permettent pas de les ranger simplement dans la catégorie des oeuvres « populaires ».

Prov. : Lodovico di Salvestro Ceffini ; bibliothèque des rois aragonais de Naples ; rapporté de Naples par Charles VIII.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. II, p. 31-32 ; Branca, 1950, p. 98-100 ; Branca, 1956, p. 219-223 ; Meiss, 1967, p. 58 ; Degenhart, Schmitt, 1968, vol. 2, p. 302-303, vol. 4, pl. 221-222.

Exp. : Boccace en France, 1975, n° 64 ; VI centenario della morte del Boccaccio, 1975, n° 35.

98. Antonio Roselli, Monarchia, sive tractatus de potestate imperatoris et papae.

Florence, vers 1437.

Parchemin, 348 ff., 300 x 228 mm.

Latin 4237.

Le juriste Antonio Roselli, originaire d'Arezzo, occupa d'importantes fonctions à la curie pontificale sous les papes Martin V (1411-1431) et Eugène IV (1431-1447) et

accomplit sous ce dernier diverses missions diplomatiques auprès de l'empereur Sigismond et de Charles VII. C'est probablement peu avant 1437, année de la mort de Sigismond, que Roselli composa sa Monarchia, dédiée à l'empereur dans le présent manuscrit. L'oeuvre ne lui fut sans doute jamais remise, car tous les autres manuscrits conservés comportent une dédicace au doge Francesco Foscari,


probablement postérieure à 1438, année où Roselli s'installa à Padoue. L'auteur y traite du pouvoir temporel du pape, et de ses rapports avec le concile. La présente copie a certainement été exécutée sous les yeux de Roselli, et pourrait être l'exemplaire de présentation destiné à l'empereur, dont les armes se voient au bas du premier feuillet.

L'ouvrage s'ouvre sur une scène de dédicace dans laquelle Antonio Roselli est représenté remettant son oeuvre à l'empereur Sigismond, trônant au centre dans une pose hiératique et frontale, coiffé de la couronne impériale et tenant les insignes du pouvoir. A ses côtés, deux dignitaires tenant une masse et une épée, assistent à la scène. L'auteur est représenté à nouveau, en buste, dans l'initiale marquant le début du texte. La scène de dédicace est certainement l'une des oeuvres les plus impressionnantes, dans son rythme solennel, d'un artiste florentin du second quart du XVe siècle que les travaux récents (M.G. Ciardi Dupré dal Poggetto, 1971) tendent à identifier avec l'enlumineur Bartolomeo Varnucci. La monumentalité des figures, le modelé accusé des visages se réfèrent manifestement au langage plastique néo-giottesque inauguré dans la peinture florentine par Masaccio et Masolino.

L'encadrement de la page avec ses rinceaux et ses oiseaux stylisés reste en revanche fidèle au vocabulaire traditionnel. On notera cependant la présence de putti, qui deviendront par la suite un des éléments obligés du décor des manuscrits humanistiques. L'artiste a employé un tout autre répertoire décoratif à la même époque, pour l'ornementation des manuscrits d'auteurs classiques (cf. n° 99).

Prov. : Entré à la Bibliothèque royale en 1662 avec la collection Philippe de Béthune.

99. Diogène Laerce, Vitae atque sententiae philosophorum (traduction latine d'Ambrogio Traversari).

Florence, vers 1440-1445.

Parchemin, 169 ff., 340 x 220 mm.

Latin 6069 B.

La décoration de ce manuscrit dont la copie serait due suivant Miss Albinia de la Mare, au scribe florentin Domenico di Cassio da Narni, est attribuable au présumé Bartolomeo Varnucci, l'enlumineur du manuscrit exposé sous le numéro précédent. Ici cependant l'artiste fait usage d'un vocabulaire ornemental tout différent, seul le putto ailé planant sur de petits nuages bleus en forme de losanges, à côté de l'initiale du f. 75v, putto qui ressemble comme un frère à ceux de l'encadrement du manuscrit de Roselli, permettant de reconnaître dans les deux manuscrits la main du même enlumineur.

L'élément principal du décor accompagnant l'initiale est constitué de rinceaux végétaux non plus naturalistes, mais réservés en blanc sur un champ de couleur bleu, vert ou rose. Le Prof. Otto Pächt a montré que ce décor à bianchi girari, qui connut une diffusion extraordinaire au XVe siècle dans toute la péninsule italienne, s'inspirait directement des initiales romanes d'Italie centrale et de Toscane (cf. nos 8 et 12) : de même que les milieux humanistes croyaient renouer avec l'écriture antique en imitant la minuscule de l'époque carolingienne, de même les enlumineurs florentins de la Renaissance, qui furent les premiers à utiliser le style à bianchi girari, imaginaient-ils sans doute imiter des modèles classiques en reprenant le répertoire ornemental de manuscrits produits sur leur propre terroir, et qui ne remontaient en réalité qu'au XIe et au XIIe siècles. Il semble que Varnucci ait été l'un des premiers artistes florentins à comprendre les possibilités du nouveau style et en tirer parti de façon systématique pour l'ornementation des manuscrits d'auteurs classiques.

Une inscription en grande partie grattée, au contreplat inférieur de la reliure, indique que le manuscrit a été exécuté dans l'officine du célèbre libraire florentin Vespasiano da Bisticci. Il s'agit probablement d'un des plus anciens manuscrits témoignant de son activité de libraire, qui se prolongea jusqu'en 1479.

Prov. : Bibliothèque des rois aragonais de Naples ; acheté au roi Frédéric III d'Aragon


par le cardinal d'Amboise ; château de Gaillon ; cardinal Charles de Bourbon-Vendôme.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. I, p. 169, t. II. p. 67, t. III, pl. 53.

100. Pétrarque, Triunfi, Canzoniere. Dante, Sonnetti. Leonardo Bruni, Vita di Dante. Pl. coul. XX.

Florence, 1457.

Parchemin, 243 ff., 270 x 170 mm.

Italien 545.

On ignore qui fut le destinataire de ce luxueux manuscrit, les armoiries du f. 12 ayant été soigneusement grattées. De même plusieurs lignes de l'inscription finale du f. 243v, où devait se trouver l'indication de son nom, ont été effacées. La copie du manuscrit, achevée le 19 février 1457 (1456 ancien style), est certainement l'oeuvre du scribe florentin Gherardo di Giovanni del Ciriago (cf. n° 101).

Avec le manuscrit exposé sous le numéro 103, qui reprend exactement la même séquence de textes, ce manuscrit est un des plus beaux exemplaires des Triomphes de Pétrarque illustrés à Florence et l'un des plus anciens. Chacun des six chants qui constituent le poème y est précédé d'une peinture. Celles-ci illustrent successivement les triomphes de l'Amour (f. de la Chasteté (f. 25v), de la Mort (f. 30v), de la Renommée (f. 40), du Temps (f. 48) et de Dieu (f. 51). Toutes ces scènes, sauf la dernière, se présentent comme une sorte de triomphe à la romaine, chaque personnification victorieuse se tenant debout sur un char tiré par un attelage d'animaux symboliques, entourée de ses victimes ou de ses adeptes. Cette thématique triomphale inconnue des manuscrits de Pétrarque du siècle précédent semble s'être développée dans le milieu florentin au cours du second quart du XVe siècle. Au début des Triomphes (f. 12), des Sonnets (f. 54) et des Sonnets de Dante (f. 191) figure une initiale historiée accompagnée d'un encadrement ou d'une bordure à bianchi girari. Le décor du f. 12 est particulièrement développé : à l'intérieur de l'initiale, Pétrarque est représenté dans son « étude », en train de transcrire son oeuvre. Un médaillon dans la marge droite reprend en réduction la scène du triomphe de l'Amour représentée sur le feuillet opposé. Parmi les entrelacs

entrelacs formés par les bianchi girari, l'artiste a disposé une multitude de putti jouant avec des biches et des volatiles. Un superbe rapace dévorant un lièvre occupe la partie supérieure. En face se déroule le triomphe de l'Amour. Juché en

équilibre instable sur un piédestal, Éros darde ses flèches sur ses victimes. De part et d'autre du char traîné par deux chevaux blancs, figurent les amants évoqués par Pétrarque. L'un des couples, à droite, est identifié par une banderole : il


s'agit de César et Cléopâtre. Au premier plan, on reconnaît étendu sur l'herbe et endormi, Samson tondu par Dalila, à droite Campaspe chevauchant Aristote. Le cortège se prolonge à l'arrière-plan dans un paysage extraordinairement fouillé et minutieux, à la flamande, où se déroule une scène de chasse, et l'histoire de Narcisse et d'Écho.

La décoration de ce manuscrit est certainement due à l'enlumineur florentin Francesco d'Antonio del Cherico, et constitue, après un Tite Live d'Alphonse 1er d'Aragon récemment signalé par F. Ames Lewis (Burlington Magazine, juin 1978, p. 390-391), la plus ancienne oeuvre datée de cet artiste, qu'on suit dans les documents de 1453 à 1484. Les tonalités blondes et claires de son coloris se ressentent encore dans cette oeuvre de l'influence de Fra Angelico, sans doute transmise par un disciple de celui-ci, Zanobi Strozzi, avec lequel on le trouve au moins une fois associé. Son traitement délicatement ombré des draperies n'est pas sans rappeler l'art de Domenico Veneziano. La figure féminine vue de profil et lourdement drapée de la scène du triomphe de la Chasteté pourrait bien être une citation de la fresque d'Andrea del Castagno représentant saint Jérôme et deux saintes à SS. Annunziata de Florence.

Prov. : Offert au pape Clément XI par M. Vidman, gouverneur de Fermo ; collection Albani. Bibl. : Essling, Müntz, 1902, p. 117, 130, 153. 160-161 ; Van Moé, 1931, p. 3-15 ; Pellegrin, 1966, p. 145-147 ; Garzelli, 1977, p. 86, n. 7.

101. Pseudo-Sénèque, Opera varia.

Pl. coul. XXI.

Florence, 1457.

Parchemin, 252 ff.. 360 x 250 mm.

Latin 6376.

Ainsi que nous l'apprend le colophon du f. 252, ce manuscrit calligraphié en écriture humanistique, ou littera antiqua. a été copié en 1457 pour Giovanni di Cosimo de' Medici par le scribe Gherardo di Giovanni del Ciriago. On connaît six autres manuscrits exécutés par le même copiste pour le même destinataire, tous conservés dans les fonds de la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Ciriago fut un copiste prolifique dont on connaît une trentaine de manuscrits signés s'échelonnant entre 1446 et 1472,

sans compter ceux qui peuvent lui être attribués bien que dénués d'indication de copiste (cf. n° 100).

Le magnifique encadrement historié du f. 1 est caractéristique de la décoration des manuscrits humanistiques florentins de l'époque classique, qui exerça une telle influence sur les autres centres de la péninsule : au début du texte, une initiale historiée contient le « portrait » de l'auteur présumé des oeuvres contenues dans le manuscrit, Sénèque. Cette figure et la lettrine dorée sont environnées d'un réseau serré de bianchi girari qui se prolongent dans l'encadrement. Rompant la monotonie de ce motif, des figures variées sont disposées le long de l'encadrement : putti ailés, anges, personnages en buste mais surtout quadrupèdes et volatiles divers qui témoignent d'un remarquable sens de l'observation. Le superbe paon faisant la roue dans la marge droite, emblème de Giovanni di Cosimo, dont la devise était « Regarde moi », est un chef-d'oeuvre d'art animalier. Bien que l'auteur de cette composition dont les figures se distinguent par un modelé vigoureux, soit un des plus brillants enlumineurs de sa génération, son mérite a été longtemps éclipsé par son contemporain Francesco d'Antonio del Cherico (cf. nos 100 et 102). Ce n'est que récemment que sa personnalité est sortie de l'anonymat, et qu'on a pu l'identifier avec l'enlumineur Ricciardo di ser Nanni, prêtre de Castelfiorentino, dont deux oeuvres certaines ont été reconnues : un graduel de SS. Annunziata de Florence (M. Levi d'Ancona, 1962, p. 229-232, pl. 33) et surtout une série d'antiphonaires de la Badia Fiesolana, aujourd'hui à la basilique San Lorenzo, à la décoration desquels l'artiste participa en 1461 et 1462 (E. Landi, Prospettiva, 8, janvier 1977, p. 7-17 et 10. p. 31-39). Deux autres manuscrits destinés à Giovanni di Cosimo de' Medici ont été enluminés par cet artiste, un Flavius Josèphe et un De civitate Dei de saint Augustin (Florence, Bibliothèque Laurentienne, ms. 66.9 et 12. 19).

P : Giovanni di Cosimo de' Medici ; ancien fonds royal.

Bibl. : D'Ancona, 1910, II, n. 745 ; Samaran, Marichal, 1962, p. 337, pl. CL ; Ames Lewis, 1979, p. 132, fig. 37 d.

102. Strabon, Geographica (traduction latine de Guarino de Vérone).

Florence, entre 1462 et 1473.

Parchemin, A-B + 286 ff., 400 x 285 mm.

Latin 4797.

Entreprise par Guarino de Vérone à l'instigation du pape Nicolas V (1447-1455), cette traduction de Strabon, encore inachevée à la mort du pape, put être menée à bien en juillet 1458 grâce à l'appui apporté à Guarino par Jacopo Antonio Marcello, sénateur vénitien, qui en fit aussitôt exécuter à Venise une superbe copie enluminée à l'intention de René d'Anjou (cf. n° 112). Cette traduction est connue également par plusieurs copies florentines, dont deux au moins, celle qui est présentée ici et le manuscrit II 185 de la Bibliothèque de Ferrare, sont sortis des ateliers du célèbre libraire Vespasiano da Bisticci, qui a authentifié le présent exemplaire par une inscription en capitales à l'encre rouge à la fin du volume (VESPASIANUS LIBRARIUS FECIT FIERI FLORENTIE).

Le début du texte s'ouvre par un encadrement à bianchi girari peuplé d'animaux et de putti. A la partie inférieure dans une couronne de lauriers sont peintes les armes royales de France, devant lesquelles deux putti s'agenouillent respectueusement. Les mêmes armes apparaissent sur la page opposée, soutenues cette fois par deux anges, à l'intérieur d'une couronne de laurier ornée de rubans roses et bleus. Au-dessous, sont figurées les armoiries d'un cardinal, accompagnées de l'inscription en lettres d'or : 10. CA. ALBIENSIS. Ces données héraldiques et cette mention permettent d'identifier ce manuscrit comme un de ceux que fit exécuter en Italie le cardinal Jean Jouffroy (1462-1473), évêque d'Albi, à l'intention du roi Louis XI, qui semble avoir eu une prédilection marquée pour les beaux manuscrits italiens.

Bien que très apparentée à celle du manuscrit exposé sous le numéro précédent, la décoration du Strabon est l'oeuvre d'un artiste différent, Francesco d'Antonio del Cherico, l'un des enlumineurs dont on retrouve le plus fréquemment la main dans le décor des manuscrits florentins du troisième quart du XVe siècle et auquel on doit notamment les deux superbes Pétrarque exposés sous les numéros 100 et 103.

Prov. : Commandé à Vespasiano da Bisticci pour Louis XI par le cardinal Jean Jouffroy : librairie de Blois.


Bibl. : Durrieu, 1895, p. 34-35 ; Delisle, 1896, p. 706-707 ; Samaran, Marichal, 1962, p. 239 ; Kristeller, 1971, p. 227-228.

103. Pétrarque, Triunfi, Canzoniere. Dante, Sonnetti. Leonardo Bruni, Vita di Dante.

Florence, 1476.

Parchemin, 248 ff., 258 x 165 mm. Reliure originale de soie rouge ornée de plaquettes et de médaillons émaillés.

Italien 548.

La calligraphie de ce recueil des oeuvres lyriques de Pétrarque et de Dante est due à l'un des plus fameux copistes florentins de l'époque, Antonio Sinibaldi, qui en acheva la transcription en 1476. D'après l'emblème du bâton écoté refleurissant, à la devise Le temps revient, figuré aux angles de la peinture du f. 1 v, le manuscrit a dû être exécuté pour Laurent de Médicis. Il figure en effet parmi les manuscrits inventoriés en 1492, après la mort du Magnifique, et comporte encore la riche reliure d'orfèvrerie à médaillons émaillés (aujourd'hui très usés), décrite dans cet inventaire. Le manuscrit entra dans les collections rovales sous Charles VIII, dont les armes (France moderne, et France ancien écartelé de Jérusalem) ont été peintes au f. 11 par-dessus celles du possesseur primitif. Suivant toute vraisemblance, le volume dut être remis au roi en 1494 lors du séjour prolongé qu'il fit à Florence sur le chemin de Naples qu'il tentait de reconquérir. En 1517, le manuscrit fut montré avec d'autres volumes précieux de la librairie de Blois, au cardinal Aloysio d'Aragon.

Outre une série d'initiales historiées à encadrement, le manuscrit comporte pour l'illustration des Triomphes de Pétrarque le même cycle de peintures que le manuscrit exposé sous le n° 100. Une septième peinture au f. v sert de frontispice au volume : elle représente un navire pris dans une tempête et échoué sur les récifs, d'où s'échappe un jeune homme vêtu de noir qui aborde au rivage en s'accrochant à une branche de laurier. Un riche encadrement végétal entoure la peinture ponctué aux angles de médaillons à l'emblème et à la devise de Laurent de Médicis. Deux autres médaillons représentent en haut un laurier, et en bas un anneau (autre emblème Médicis) dans lequel figure à nouveau le jeune naufragé abrité sous un laurier. L'insistance sur le thème du laurier semble indi-


quer que cette allégorie fait allusion à quelque événement de la vie personnelle de Laurent le Magnifique.

On reconnaît dans ces peintures la main de Francesco d'Antonio del Cherico, dont le style présente le même degré d'évolution que dans une oeuvre presque contemporaine, la célèbre Bible en deux volumes de Frédéric de Montefeltre duc d'Urbin, conservée à la Vaticane : si le coloris reste toujours frais et lumineux, la technique picturale est plus large, presqu'« impressioniste », dans les paysages notamment, qui se ressentent peut-être de l'influence d'un Pollaiuolo. A vingt ans de distance, l'iconographie des Triomphes présente d'autre part quelques modifications significatives, notamment dans la scène du triomphe de la Divinité (f. 51v). Les chars triomphaux qui étaient représentés sous différents angles dans l'exemplaire de 1456, sont vus désormais systématiquement de face, comme pour en souligner l'aspect monumental.

On remarquera d'autre part la disparition des bianchi girari dans les encadrements et les bordures de ce manuscrit. Ici l'élément végétal peint au naturel et disposé en bandeaux symétriques prédomine suivant une évolution qui se dessine dans les manuscrits florentins à partir des années 1470. Ces éléments végétaux sont entrecoupés de vases et de candélabres ciselés qui montrent l'influence croissante de l'orfèvrerie dans l'ornementation. Seuls subsistent, des décors des années 50, les putti et les oiseaux.

Prov. : Laurent de Médicis ; Charles VII ; librairie de Blois.

Bibl. : Essling, Müntz, 1902, p. 85, 159, 160, 161-162, 183 ; Delisle, 1904, p. 450-458 ; D'Ancona, 1914, I, p. 62, II, n° 837 ; Csapodi Gardonyi, 1962, p. 99-106 ; Pellegrin, 1966, p. 150-153 ; Garzelli, 1977, p. 50, 54, 86, n. 5.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950, n° 190.

104. Ptolémée, Cosmographia (traduction latine de Jacopo Angelo).

Florence, vers 1476-1480.

Parchemin, 110 ff., 600 x 440 mm.

Latin 8834.

La première traduction latine de la Cosmographie de Ptolémée fut entreprise par Jacopo Angelo, disciple de l'humaniste grec Manuel Chrysoloras, pour le



pape Alexandre V, auquel elle fut remise vers 1406-1410. Ce n'est guère avant le milieu du siècle cependant que les copies de cette traduction se multiplient. La première édition imprimée publiée à Vicence remonte à 1475. Florence semble avoir joué un rôle important dans la diffusion du texte si l'on en juge d'après le nombre de copies manuscrites qui en sont originaires : la Bibliothèque nationale en détient à elle seule cinq. Trois d'entre elles ont des destinataires illustres, Borso d'Este duc de Ferrare (lat. 4801), Alphonse de Calabre, fils aîné du roi de Naples Ferdinand 1er d'Aragon (lat. 4802), et, pour l'exemplaire présenté ici, le roi de Hongrie Mathias Corvin, l'un des plus grands bibliophiles de la Renaissance.

Comme la plupart des manuscrits commandés pour le souverain hongrois à partir de 1476, année de son mariage avec Béatrice d'Aragon, ce manuscrit a été exécuté à Florence, peut-être dans l'officine de Vespasiano da Bisticci, son fournisseur habituel, et sa décoration, à l'exception du f. 1, est l'oeuvre d'Attavante, l'un des plus féconds enlumineurs florentins de la fin du xve siècle. Disciple de Francesco d'Antonio del Cherico dans l'atelier duquel il est signalé en 1472, Attavante eut une carrière qui se prolongea jusqu'en 1520. Le grand encadrement qui accompagne l'initiale du texte au f. 2 est très caractéristique de son style, avec ses personnages au visage légèrement penché sur le côté et au regard perdu. Des médailles et des camées figurant divers empereurs romains et imités de modèles antiques, y alternent avec des médaillons historiés dont quatre représentent Ptolémée dans ses activités de géographe et d'astronome. Cette décoration qui présente d'étroites affinités avec les pages exécutées par le miniaturiste dans la Bible de Frédéric de Montefeltre achevée en 1478, pourrait remonter aux débuts de son activité indépendante, à une époque où son style est encore fortement imprégné par l'art de Ghirlandajo. D'autres points communs avec la Bible du duc d'Urbin confirment semble-t-il cette datation précoce : le fait que le copiste du lat. 8834 pourrait bien être identifiable avec celui de la Bible, Hugues Comminel, scribe d'origine française, que Vespasiano semble avoir employé pour les manuscrits de très grand format, et qui a signé deux autres exemplaires de Ptolémée ; le fait, d'autre part, que le somptueux encadrement décoratif du f. 1 soit proche de ceux de la

Bible vaticane et soit dû, comme ces derniers, à un autre disciple et émule de Francesco d'Antonio del Cherico, Francesco Rosselli. Les cartes qui occupent la partie finale du volume sont probablement, comme celles du lat. 4802, l'oeuvre du cartographe florentin Pietro del Massaio.

Prov. : Mathias Corvin, roi de Hongrie.

Bibl. : Hevesy, 1923, p. 73 ; Fischer, 1932, p. 218, 375-398 (L. 33) ; Csapodi, Csapodi-Gardonyi, 1969, p. 59, 206, pl. 61.

105. Heures à l'usage de Rome.

Florence, vers 1480.

Parchemin, 215 ff., 140 x 105 mm.

Smith-Lesouëf 33.

Bien que son calendrier indique un destinataire vénitien, ce livre d'heures a certainement été enluminé dans un atelier florentin. Cinq miniatures accompagnées d'encadrements ponctuent les différents offices et les psaumes qui se succèdent dans le manuscrit : l'Annonciation (f. 13), les Trois Morts et les Trois Vifs (f. 100v), la Crucifixion (f. 157v), la Déploration et l'onction du Christ mort (f. 184v), et David décollant Goliath (f. 189v). Ces peintures, et les initiales

historiées correspondantes sont l'oeuvre d'un artiste au pinceau raffiné dont la palette aux tonalités atténuées et presque ternes se distingue du coloris clair et lumineux des enlumineurs florentins de la génération précédente. Ses personnages se meuvent avec aisance et leurs attitudes variées contribuent à renforcer l'impression de profondeur spatiale, ainsi dans la scène des Trois Morts et des Trois Vifs, ou encore dans celle de David décapitant Goliath, où ce dernier est figuré dans un raccourci saisissant. L'inclinaison des visages annonce déjà les oeuvres d'Attavante. Au point de vue du style, l'artiste échappe à l'influence de Francesco d'Antonio del Cherico, pourtant omniprésente dans l'enluminure florentine de la seconde moitié du XVe siècle, et s'apparente plutôt à Ricciardo di ser Nanni (n° 101). Son style n'est pas non plus sans affinités avec celui d'un des collaborateurs de la Bible de Frédéric de Montefeltre, le maître du Mariage d'Osée, artiste que Mme A. Garzelli a proposé récemment d'identifier avec le peintre Biagio d'Antonio.

Prov. : Collections A. Chenest, Bischoffheim, A. Firmin-Didot, Beurnonville ; donation Smith-Lesouëf à la Bibliothèque nationale en 1913.

Bibl. : Leroquais, 1943, p. 25-26, pl. XV.

106. Aristote, Éthique à Nicomaque (traduction latine de Jean Argyropoulos).

Florence, vers 1480.

Parchemin, 126 ff., 332 x 225 mm.

Latin 6309.

Cet exemplaire de la traduction de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote dans la traduction latine composée par l'humaniste grec Jean Argyropoulos pour Cosme de Médicis, fut copié à Florence pour Alphonse de Calabre, fils aîné du roi de Naples Ferdinand 1er d'Aragon. Grand homme de guerre (il s'illustra par la reprise d'Otrante contre les Turcs en 1481), Alphonse de Calabre fut également un ardent collectionneur de manuscrits, qu'il acquérait le plus souvent à Florence, auprès du libraire Vespasiano da Bisticci qu'il avait pris sous sa protection.

Le f. 1 qui comporte le début de la préface du traducteur Jean Argyropoulos, est doté d'un riche encadrement peint. Dans la marge inférieure, dans une sorte de fenêtre vue en perspective, deux putti


flanquent les armes d'Alphonse de Calabre et soutiennent la couronne princière de celui-ci. De part et d'autre, deux molosses et un couple de cerfs s'inscrivent

s'inscrivent un paysage. Dans la partie droite de l'encadrement une série de médaillons fait alterner trois emblèmes aragonais (le livre ouvert, la montagne de

diamant et le trône en feu) et deux figures en buste représentant sans doute Aristote et Nicomaque. Très frappante est l'élimination dans cette composition du décor à blanchi girari cher aux enlumineurs florentins de la génération précédente (ce décor reparaît, il est vrai, à l'intérieur du volume), et le traitement en camaïeu rehaussé d'or de l'initiale principale et des bandeaux décoratifs latéraux. L'introduction en bas de page d'un paysage désertique peuplé d'animaux semble due à une contamination de l'enluminure du Nord-Est de l'Italie, en particulier ferraraise. L'auteur probable de cette décoration est Francesco Rosselli, artiste éclectique, qui tout en étant redevable à Francesco d'Antonio del Cherico, a pu s'initier au style de la région padouane par l'intermédiaire de Girolamo da Cremona qu'il côtoya à Sienne, entre 1470 et 1471, lorsqu'il travaillait à la décoration des livres choraux de la cathédrale de cette ville. On peut attribuer à Rosselli la décoration de plusieurs autres manuscrits exécutés à Florence pour Alphonse de Calabre, et notamment le beau Ptolémée lat. 4802 de la Bibliothèque nationale.

Prov. : Alphonse de Calabre ; acheté par le cardinal Georges d'Amboise à Frédéric III d'Aragon ; château de Gaillon ; cardinal Charles de Bourbon-Vendôme.

Bibl. : De Marinis. 1947-1952. I, p. 101-103. II. p. 14, III. pl. 13.

107. Heures à l'usage de Rome.

Florence, vers 1485-1490.

Parchemin, 223 ff., 136 x 90 mm.

Smith-Lesouëf 27.

Malgré la présence des armoiries Médicis au f. 13, à l'intérieur d'un médaillon formé par la répétition de l'emblème de cette famille, l'anneau enchatonné d'une pointe de diamant, ce livre d'heures ne semble pas avoir été exécuté pour un membre de la célèbre dynastie florentine. Les armes Nerli et Sassetti qu'on voit associées au ff. 186. 217v et 218, indiquent que le manuscrit était plutôt destiné à deux époux appartenant à ces importantes familles florentines, probablement Jacopo di Tanay de' Nerli, et Lisabetta di Francesco Sassetti, dont c'était le second mariage. Ceci est confirmé par l'apparition répétée, dans les encadrements du livre d'heures, de l'emblème de la fronde, qu'avait adopté Francesco Sassetti. père de Lisabetta, ban-


quier dont la fortune fut étroitement liée à celle des Médicis. Cet emblème figure fréquemment dans les manuscrits de ce personnage, humaniste et fin lettré, et notamment dans un Virgile conservé à la Bibliothèque nationale (ms. latin 8456 A) où il a été récemment identifié par Miss Albinia de la Mare.

La décoration du manuscrit est l'oeuvre d'un des nombreux disciples et émules de Francesco d'Antonio del Cherico, Francesco Rosselli, et offre des ressemblances frappantes avec celle de deux autres livres d'heures florentins dus au

même artiste, le célèbre livre d'heures de Laurent de Médicis, à la Bibliothèque Laurentienne (ms. Ashburnham 1874) copié en 1486 par Antonio Sinibaldi, et les heures d'Albert II de Bavière de la Staatsbibliothek de Munich (Clm. 23639). Les trois manuscrits ont pour trait commun des encadrements au décor surchargé et minutieusement exécuté, que caractérise l'emploi abusif de putti et de candélabres orfévrés. En outre, les peintures sont souvent traitées de façon identique dans les trois volumes et sont enchassées dans un cadre d'aspect métallique,

métallique, lui aussi l'orfèvrerie. Bien que tributaire de Francesco d'Antonio del Cherico, dont il a plagié bien souvent les compositions, Rosselli s'en distingue cependant par un coloris acide et froid qui le rapproche des frères Gherardo et Monte di Giovanni, dont il s'inspire également dans les guirlandes et les couronnes chargées de fruits de ses encadrements. Deux autres manuscrits de la Bibliothèque nationale dus à Rosselli et provenant des collections Médicis, présentent le même répertoire ornemental que le présent livre d'heures dont ils sont


probablement contemporains : il s'agit des manuscrits grecs 1394 (que nous a signalé Mlle M.-O. Germain) et 2833.

Prov. : Jacopo de Tanay de' Nerli et Lisabetta di Francesco Sassetti ; collection S. de La Roche Lacarelle ; donation Smith-Lesouëf à la Bibliothèque nationale en 1913.

Bibl. : Leroquais, 1943, p. 18-19.

108. Bréviaire à l'usage de Gran (Esztergom).

Florence, 1522-1524.

Parchemin, 530 ff., 347 x 240 mm.

Latin 8879.

Ce luxueux manuscrit, qui provient de la collection personnelle du pape Pie VI, et a été exécuté entre 1522 et 1524 pour un prélat hongrois, l'archevêque de Gran (Esztergom), Georges Szathmári, est un exemple bien représentatif de la somptuosité un peu lourde de la production florentine tardive. Outre une série d'initiales historiées, le manuscrit comporte au f. 10v, une peinture à pleine page représentant dans un paysage le roi David implorant la clémence de Dieu. Dans l'encadrement décoratif sont figurés aux angles, dans des médaillons, les quatre Évangélistes, un cinquième médaillon au centre de la partie gauche du cadre, représentant saint Georges, patron du destinataire du manuscrit. David jouant du psaltérion figure à nouveau dans l'initiale du feuillet opposé, avec un encadrement similaire. On s'accorde depuis P. D'Ancona, pour attribuer cette décoration à l'enlumineur florentin Giovanni Boccardino. Ceci est confirmé par le fait que l'artiste a utilisé presque sans changement la composition du David pénitent dans deux autres oeuvres bien documentées, un psautier de la basilique Saint-Pierre de Pérouse datable de 1518, et un autre psautier du Musée Saint-Marc de Florence (Inv. 544). Si dans la conception des encadrements, l'artiste est nettement tributaire d'Attavante, le style de la peinture montre qu'il a reçu sa formation dans un autre atelier florentin, celui des frères Monte et Gherardo di Giovanni, comme l'indiquent notamment l'importance du paysage traité à la manière flamande, et son coloris froid et saturé.

Prov. : Georges Szathmári, archevêque de Gran (Esztergom) ; Pie VI.

Bibl. : D'Ancona, 1914, t. II, p. 863-864, notice 1680 ; Leroquais, 1934, t. III, p. 182-185,

pl. XCVIII-XCIX ; Samaran, Marichal, 1974. p. 91.

Exp. : Mathias Corvinus, 1982, n° 600.


Padoue, Venise

109. Pétrarque, Sonnetti, Triunfi.

Venise, XVe s. (1er quart).

Parchemin, 190 ff., 255 x 180 mm.

Italien 549.

Venise et Padoue, comme Bologne, constituent durant le premier tiers du XVe siècle des milieux conservateurs, et les habitudes décoratives du siècle précédent y persistèrent plus longtemps qu'ailleurs. Très représentative de la période intermédiaire entre le style gothique finissant et l'avènement de la Renaissance dans les ateliers de la lagune est la décoration du présent manuscrit. L'initiale du f. 9 figure Pétrarque assis et écrivant dans un paysage sauvage et retiré, tandis qu'un putto ailé symbolisant l'Amour tire vers lui une flèche. Des rinceaux filiformes à

motifs végétaux déroulent dans les marges leurs méandres compliqués. Divers volatiles et un lapin animent ce décor dont le coloris reste dans la tradition des oeuvres vénéto-padouanes du siècle précédent. Au début des Triomphes (f. 157). l'artiste a représenté le Triomphe de l'Amour. Cette scène fourmille de personnages minuscules traités en camaïeu suivant un usage qui semble avoir été assez répandu dans les ateliers padouans. Cette décoration peut être rattachée à l'oeuvre de l'enlumineur vénitien Cristoforo Cortese, actif de 1409 à 1440, dont le style est documenté grâce à une miniature signée conservée au Musée Marmottan (Donation Wildenstein n° 68). On a pu attribuer à cet artiste un grand nombre d'oeuvres dont un Dante de la Bibliothèque nationale (ms. italien 78) dont la décoration n'est qu'en partie de sa main.

Prov. : Cardinal Mazarin.

Bibl. : Pellegrin, 1963. p. 331-333.

110. Pline l'Ancien, Historia naturalis.

Vénétie ou Frioul, 1456.

Parchemin, 428 ff., 420 x 240 mm.

Latin 9325.

Copié en 1456 pour l'humaniste frioulan Guarnerio d'Artegna, fondateur de la Biblioteca Guarneriana de San Daniele


del Friuli, par le scribe Battista Rainaldi da Cingoli, ce manuscrit de Pline est caractéristique de la décoration en usage dans les manuscrits exécutés à Padoue et à Venise et dans leur aire d'influence avant l'apparition du style « épigraphique » qui se répand dans ces deux centres à partir des années 1460.

L'artiste de l'unique page ornée du manuscrit reprend dans l'initiale le décor à bianchi girari que les ateliers florentins avaient adopté depuis le second quart du siècle pour les manuscrits d'auteurs classiques. Les putti qui accompagnent ce décor se distinguent ici par un caractère plus monumental auquel l'observation des monuments antiques n'est sans doute pas étrangère. Les curieux motifs entrelacés du bandeau peint contenant les armes du destinataire, dans la marge inférieure, sont en revanche particuliers à l'aire vénitienne.

Prov. : Guarnerio d'Artegna ; Biblioteca Guarneriana, San Daniele del Friuli.

Bibl. : Samaran, Marichal, 1974, p. 105, pl. CLXII.

Exp. : Mostra di codici, 1978, p. 3, 34, 67.

111. Passio Mauritii et sociorum ejus.

Venise, 1453.

Parchemin, 39 ff., 187 x 130 mm.

Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 940.

En 1450, René d'Anjou avait admis au nombre des chevaliers de son ordre du Croissant, fondé deux ans auparavant, le sénateur vénitien Jacopo Antonio Marcello, qui s'était déclaré en faveur de ses prétentions à la couronne de Naples. Trois ans plus tard, le Vénitien fit exécuter à l'intention de René ce magnifique manuscrit contenant la Passion de saint Maurice, patron de l'ordre du Croissant. Témoignage de reconnaissance à un prince bibliophile qui l'honorait de son amitié, mais également cadeau diplomatique destiné à le mettre en garde contre l'alliance avec Milan, avec laquelle la République était alors en conflit, ce manuscrit est en outre d'une importance capitale pour l'enluminure vénitienne où s'exprime ici pour la première fois les concepts plastiques et esthétiques de la Renaissance.

Outre une série d'illustrations se rapportant à la Passion du saint protecteur de l'ordre, oeuvre d'un médiocre enlumineur lombard, le manuscrit comporte quatre splendides peintures à pleine page


dont l'exécution a été confiée à un artiste de premier plan. Ces peintures représentent successivement une séance de l'ordre du Croissant, la figure de saint Maurice en cuirasse, un éléphant soutenant Venise (allusion probable aux services rendus à la République par Marcello), et le donateur vu de profil en buste. Une inscription en caractères cryptographiques, au-dessous de ce superbe portrait, a pu être déchiffrée par Henry Martin : en termes voilés Marcello y invite Jean Cossa, chancelier de l'ordre et conseiller écouté de René, à prendre le parti de Venise.

L'exceptionnelle qualité de ces peintures a suscité diverses hypothèses à propos de leur auteur. La plus hardie, cautionnée de l'autorité de Millard Meiss, ne tend pas moins qu'à y voir des oeuvres du jeune Mantegna.

Prov. : René d'Anjou ; cathédrale Saint-Maurice d'Angers ; Paul Petau ; Claude Ménard ; Peiresc ; Boucot ; Roger de Gaignières ; Charles-Adrien Picard ; marquis de Paulmy.

Bibl. : Martin, 1900, p. 229-267 ; Meiss, 1957 ; Robertson, 1968, p. 17, 21, 78 ; Mariani Canova, 1969, p. 15-16, 141, pl. coul. 1, fig. 1-3 ; Alexander, 1977, p. 55-59.

Exp. : Trésors de l'Arsenal, 1980, n° 101.

112. Strabon, Geographica (traduction latine de Guarino de Vérone).

Venise, 1458-1459.

Parchemin, 389 ff., 370 x 250 mm.

Albi, Bibliothèque municipale, ms. 77.

C'est en 1458 que l'humaniste Guarino de Vérone acheva de traduire du grec la Géographie de Strabon. Il envoya aussitôt une copie de son oeuvre au sénateur vénitien Jacopo Antonio Marcello, grâce auquel il avait pu mener à bien cette traduction entreprise quelques années auparavant à la demande du pape Nicolas V (1447-1455). Marcello en fit à son tour exécuter un superbe exemplaire, destiné à René d'Anjou, auquel, connaissant son goût des livres, il avait déjà offert plusieurs beaux manuscrits (n° 111).

Deux peintures au début du volume rappellent ces circonstances : au f. 3v, Guarino de Vérone en habit de docteur remet sa traduction à Marcello. La scène à laquelle assistent quatre autres personnages, se passe devant une arcature à fronton vue en perspective et ouvrant sur un paysage. Sur le feuillet opposé, le sénateur vénitien remet à son tour le



manuscrit somptueusement relié qu'il a fait exécuter de la traduction de Guarino à René d'Anjou. Représenté de profil, assis sur un trône sculpté d'un relief dans le goût antique représentant un lièvre tapi devant un lion, accompagné de l'inscription en capitales : CLEMENTIAE AUGUSTAE (allusion à la différence de rang des deux protagonistes de la scène), le roi relève d'un geste amical Marcello agenouillé devant lui. Un superbe palmier constitue l'axe vertical de cette scène à laquelle participent différents personnages (l'un d'eux, près du trône, serait le fils aîné de René, Jean de Calabre). A l'arrière-plan figure un paysage urbain de caractère nettement vénitien. La qualité hors pair de ces deux peintures a permis au connaisseur qu'était Millard Meiss de les attribuer à un peintre appartenant à l'entourage direct d'Andrea Mantegna, alors sur le point de quitter Venise pour la cour de Mantoue. Ce disciple du grand artiste pourrait être, selon Meiss, son propre beau-frère, le jeune Giovanni Bellini.

Un autre aspect novateur de ce manuscrit réside dans le style de ses initiales, qui s'inspirent des capitales épigraphiques romaines et sont traitées en fort

relief, suivant une formule qui, de Padoue et Venise, se répandra peu à peu dans le reste de la péninsule. Là encore Meiss attribue l'introduction de ce type d'initiales à l'influence de Mantegna, grand collectionneur d'antiques, et très lié avec l'humaniste et archéologue Felice Feliciano, qui utilisa lui aussi les capitales antiques pour la décoration de ses manuscrits.

Prov. : Aurait été apporté à Albi par Louis d'Amboise évêque de cette ville à la fin du xve siècle.

Bibl. : Durrieu, 1895, p. 2-5, 19-21 ; Durrieu, 1929, p. 15-20 ; Meiss, 1957 ; Mariani Canova, 1969, p. 18-20, 141-142, fig. 6-9 ; Joost-Gaugier, 1979, p. 48-71.

113. Mariano Taccola, De machinis bellicis.

Venise, 1459 ?

Parchemin, 163 ff., 320 x 232 mm.

Latin 7239.

Bien qu'abusivement revendiquée ici par un certain Paolo Santini, la paternité de ce curieux recueil de machines de guerre revient en réalité à l'ingénieur siennois Mariano Taccola. Celui-ci fait partie de cette pléiade de pionniers de la technique, qui, dans la première moitié du XVe siècle, ont ouvert la voie aux grands ingénieurs que furent Francesco di Giorgio Martini et Léonard de Vinci, qui ont connu et même parfois utilisé certaines de leurs inventions.

De tous les manuscrits de l'oeuvre de Taccola, dont l'original est aujourd'hui à Munich, celui de la Bibliothèque nationale est certainement le plus soigné. On ignore dans quelles circonstances il arriva à Constantinople, où il fut acheté pour le Roi, en 1688, par un ambassadeur de France à la Porte, Monsieur de Girardin. Son origine et surtout sa datation sont très controversées. Malgré la disparition de la préface dédicatoire, soigneusement effacée, ainsi que les armoiries du destinataire, il y a de bonnes raisons de croire qu'il s'agit d'une copie de Taccola exécutée en 1459 par Paolo Santini, qui y a effrontément substitué son nom à celui du véritable auteur. D'après un manuscrit de Venise, qui s'inspire en partie des compositions du manuscrit de la Nationale, cette copie était destinée au célèbre condottiere Bartolomeo Colleone. Divers indices donnent à penser que Santini a réalisé son oeuvre à Venise même, au service de laquelle le Colleone était passé définitivement à partir de 1454 : particulièrement probante à cet égard est la présence, à la suite du traité de Taccola, de superbes dessins à la plume représentant deux des chevaux de Saint-Marc.

L'artiste qui a illustré le manuscrit, a procédé à de significatives modifications par rapport à l'oeuvre de Taccola : reproduisant scrupuleusement la partie technique de l'original, il a cependant fréquemment enrichi ou modifié les éléments du paysage et les architectures, introduisant en outre dans les compositions divers personnages qui n'apparaissaient pas dans son modèle. A deux reprises l'artiste a reproduit les éléments de médailles de Pisanello, celle de Philippe-Marie Visconti (f. 14v) et celle de Francesco Sforza (f. 71). Discrète allusion au fait que le Colleone fit ses premières armes sous les


ordres du condottiere Sforza, et qu'il fut à plusieurs reprises au service de Milan avant de passer définitivement à Venise ?

La culture éclectique de l'illustrateur, dont le style se ressent de l'influence du milieu pictural padouan des élèves de Squarcione, et chez qui on relève des emprunts ponctuels à Pisanello, fait de ce manuscrit un représentant important de

la première Renaissance dans la cité lagunaire. Peut-être n'est-il pas sans signification de relever dans la série de ses initiales, dotées le plus souvent d'un décor à bianchi girari, deux capitales « prismatiques », dont les premiers exemples apparaissent dans le Strabon d'Albi de 1458 (n° 112).

Prov. : Bartolomeo Colleone ? ; acheté en 1688 à Constantinople par M. de Girardin, ambassadeur de Louis XIV.

Bibi. : Gille. 1964 ; Rose, 1968. p. 337-346 ; Scaglia, 1971 ; Degenhart, Schmitt, 1982, vol. 4.

114. Giovanni Marcanova, Antiquitates.

Padoue, vers 1465.

Papier et parchemin, 175 ff. (manquent les ff. VI-VII, XXI-XXXVII et CXLVIII), 360 x 250 mm.

Latin 5825 F.

A l'origine du caractère « épigraphique » de la décoration des manuscrits du Nord-Est de l'Italie, et notamment de ceux qui furent produits dans les centres de Padoue et de Venise, se trouve sans aucun doute l'intérêt ardent porté aux vestiges de la civilisation grecque et romaine par une pléiade d'« antiquaires » comme Ciriaco d'Ancône, Felice Feliciano, et Giovanni Marcanova. Ce dernier, médecin à Padoue puis à Bologne, est l'auteur d'un des plus importants recueils d'inscriptions lapidaires de cette époque, recueil à la constitution duquel il travailla de 1457 à 1465, et qu'il dédia au frère cadet de Sigismond Malatesta, Malatesta Novello, l'année même de la mort de ce dernier, en 1465. Trois copies de ce recueil dans sa version définitive sont aujourd'hui conservées, celle de Modène étant l'original, les deux autres, le présent manuscrit et l'exemplaire de Princeton, étant des mises au net contemporaines. Bien qu'ayant perdu le cycle de dessins à pleine page accompagnant les exemplaires de Modène et de Princeton, le manuscrit de la Bibliothèque nationale présente l'intérêt d'avoir été transcrit par Felice Feliciano, figure originale de l'humanisme véronais et lui-même épigraphiste émérite, qui, dans une lettre célèbre, a relaté l'excursion archéologique qu'il fit en 1464 sur les rives du lac de Garde en compagnie d'Andrea Mantegna et d'un certain Giovanni Antenori, qui pourrait bien être Marcanova lui-même.

Les inscriptions réunies par Marcanova, dont certaines sont sans aucun doute empruntées à des recueils antérieurs du même genre constitués par Ciriaco d'Ancône et Feliciano, sont classées par ville. De place en place, le copiste a reproduit non seulement l'inscription mais le monument sur lequel celle-ci figurait, ainsi au f. 87v qui représente un autel funéraire repéré à Milan près de l'église San Bartolomeo. Copiste fécond, Feliciano (et à sa suite les enlu-


mineurs padouans) s'est inspiré de ce type de monument et les a transformés en éléments de décor dans les pages de titre de ses manuscrits.

Prov. : Jean-Baptiste Colbert.

Bibl. : Van Mater Dennis, 1927, p. 113-126 ; Lawrence, 1927, p. 127-131, pl. 23-48 ; Mitchell, 1961. p. 206-207.

115. Virgile, OEuvres. Pl. coul. XXIII.

Padoue, Venise, vers 1460-1470.

Parchemin, 236 ff., 260 x 155 mm.

Latin 11309.

Trois frontispices dans ce beau manuscrit des oeuvres de Virgile marquent le début – des Églogues, des Géorgiques et de l'Énéide S'il n'est pas directement emprunté aux poèmes virgiliens, leur sujet s'inspire néanmoins de thèmes classiques en relation plus ou moins étroite avec ceux-ci : Orphée charmant les animaux pour les Églogues (f. 4v), le Triomphe de Bacchus et de Cérès pour les Géorgiques (f. 21v) et le Triomphe de Mars, dieu de la guerre pour l'Énéide (f. 64v). Seule la composition des Géorgiques est une véritable peinture, les deux autres étant des dessins rehaussés d'or et d'argent exécutés sur des feuillets de parchemin teintés l'un en jaune, l'autre en pourpre, suivant une technique inspirée des manuscrits de la Basse Antiquité et du Haut Moyen Age.

Le style des peintures, le caractère épigraphique des initiales, des titres et des incipit en capitales, ainsi que les données héraldiques permettent de rattacher sans hésitation cette oeuvre raffinée au milieu artistique vénéto-padouan à son apogée. Particulièrement caractéristique à cet égard est la double page du début des Eglogues. Sur le feuillet de droite, le texte débute par une initiale d'une conception fort originale. Inscrite dans une sorte de fenêtre aveugle, vue en perspective, cette lettre, un « T » ayant la rigueur d'une capitale antique, devient l'élément d'une scène représentant le combat de deux hommes nus armés de massues avec deux dragons dont la queue s'enroule autour de la barre verticale de la lettre. Cette transformation de l'initiale en objet est bien caractéristique des jeux spatiaux et de la recherche illusionniste auxquels donnaient lieu bien souvent les lettres ornées et même le texte écrit dans la décoration des manuscrits vénitiens et padouans de cette période.


En bas de page, deux putti ailés soutenant un écu, se détachent en camaïeu rose sur un contour en dégradé bleu destiné à mettre en relief les figures, suivant un procédé déjà utilisé par le peintre de la Passion de saint Maurice dans le portrait de Jacopo Antonio Marcello (n° 111) et qui sera très imité par la suite dans le reste de l'Italie. Les armoiries de l'écu (d'argent à la bande d'azur) désignent un membre de la famille Sanudo, peut-être Leonardo Sanudo qui, en 1458, transcrivit et fit enluminer à Ferrare un autre manuscrit de Virgile (n° 122).

Sur la page opposée apparaît la scène d'Orphée charmant les animaux. L'exceptionnelle qualité de cette composition et ses particularités stylistiques ont permis à J.J.G. Alexander d'y reconnaître, de même que dans l'ensemble de la décoration du volume, la main du peintre Marco Zoppo, émule et condisciple de Mantegna, lorsque celui-ci fréquentait l'atelier du peintre padouan Squarcione. A cet égard l'oeuvre constitue un nouveau témoignage du rôle essentiel joué par les peintres de chevalet dans l'essor de l'enluminure de l'aire vénitienne à l'époque de la Renaissance.

Il est intéressant de relever également dans ce manuscrit la présence de deux scribes dont la carrière s'est déroulée par la suite à Rome : le calligraphe Antonio Tophio, auteur probable de la transcription du volume suivant Alexander, et le padouan Bartolomeo San Vito, auquel on peut attribuer les incipit et explicit en capitales de couleur qui ponctuent les articulations du texte.

Prov. : Famille Sanudo ; Simeon Difnico, évêque de Feltre (1649-1662) ; Pie VI (1775-1799).

Bibl. : Alexander, 1969, p. 514-517 ; Mariani Canova, 1969, p. 30-32, 107-109, 147-148, fig. 37-38.


116. Antonio Turcheti, Oratio gratulatoria ad Nicolaum Tronum.

Padoue, 1471.

Parchemin, 1 + 11 ff., 230 x 155 mm.

Latin 7852 A.

Cet exemplaire de présentation du discours prononcé par le jurisconsulte padouan Antonio Turcheti à l'occasion de l'élection de Niccoló Tron comme doge de Venise en 1471, offre un exemple caractéristique de ce que l'on pourrait appeler le goût épigraphique des enlumineurs padouans et vénitiens de la Renaissance. Une double composition marque le début de l'ouvrage : à gauche dans un

médaillon au fond marbré, deux anges soutiennent les armoiries du doge nouvellement élu. Ce médaillon semble suspendu à un palmier, planté sur une terrasse où sont éparpillés divers trophées guerriers, symboles sans doute des victoires que l'orateur souhaite au nouveau chef de la république vénitienne de remporter en Orient contre le « très cruel tyran de l'Asie ». J.J.G. Alexander a montré que cette composition au palmier était l'adaptation d'un bas-relief antique de Vérone, dont s'était déjà inspiré Mantegna dans une fresque des Eremitani.

L'autre moitié du diptyque n'est pas moins influencée par les modèles classiques. Ici l'artiste a très heureusement présenté

présenté de l'oeuvre, tracé en capitales dorées, à la façon d'une inscription lapidaire tenu par deux satyres. Une stèle sculptée de motifs à l'antique lui sert de base et contient le début du texte proprement dit, dont les quatre premières lignes sont écrites en capitales à l'encre rose, verte, violette et bleue, suivant une disposition que le calligraphe padouan Bartolomeo San Vito allait mettre par la suite à la mode dans le milieu artistique romain (cf. nos 144 et 145). Le traitement en trompe-l'oeil de la page écrite est un autre procédé très répandu dans l'enluminure vénéto-padouane de cette époque.

Cette décoration de caractère très man-



tegnesque est attribuée par J.J.G. Alexander à l'enlumineur Cristoforo Canozzi.

L'opuscule est conservé dans sa reliure originale dont le très sobre décor d'entrelacs dorés et argentés constitue un exemple achevé de la production des ateliers de relieurs padouans.

Prov. : Raphaël Trichet du Fresne.

Bibl. : Alexander, 1970, p. 274, fig. 402.

117. Plutarque, Vitae virorum illustrium.

Venise, Nicolas Jenson, 1478.

Imprimés, Réserve, Vélins 700.

Loin d'avoir mis fin à l'activité des enlumineurs, l'introduction de l'imprimerie à Venise semble l'avoir au contraire stimulée. Des artistes remarquables comme l'anonyme maître des putti paraissent même s'être spécialisés dans la décoration des premiers livres imprimés sortis des presses vénitiennes. Leur intervention, qui se limitait il est vrai, aux exemplaires de luxe imprimés sur vélin, a donné naissance à des compositions où s'exprime, en des jeux d'une infinie variété, le goût des enlumineurs vénitiens pour le trompe-l'oeil et l'illusion tactile. L'un des artistes les plus inventifs dans ce domaine fut incontestablement celui qu'on désignait autrefois sous le nom de maître de l'Aristote Morgan, d'après une de ses productions les plus achevées, conservée à la Bibliothèque Pierpont Morgan de New York, et qu'on s'accorde à identifier aujourd'hui avec le célèbre enlumineur Girolamo de Crémone. Après une carrière itinérante qui le mena de Mantoue, où il compléta pour les Gonzague un missel laissé inachevé par Belbello de Pavie, à Sienne, où il collabora avec Liberale de Vérone et divers artistes toscans à la décoration des livres de choeur de la cathédrale, et peut-être à Florence, l'artiste semble s'être fixé à partir de 1475 dans la cité lagunaire, où il enlumina tour à tour manuscrits et incunables. Le Plutarque de l'imprimeur Jenson ici présenté est caractéristique de sa technique illusionniste et de son pinceau méticuleux. L'encadrement peint du feuillet initial révèle un certain tisme stylistique. Si l'on reconnaît dans le bas-relief et les divers motifs sculptés de l'architecture encadrant le texte, une évidente contamination par le goût archéologique padouan, le groupe de biches et de lions au pelage soyeux représentés au premier plan témoigne d'un art animalier

qui ne peut s'expliquer que par un contact direct avec la culture ferraraise. C'est probablement à Girolamo en revanche que l'on doit l'introduction dans les manuscrits de cette époque de camées, de perles et de bijoux sertis de pierres précieuses, qui seront repris très vite non seulement à Venise mais aussi à Florence.

Prov. : Ancienne collection MacCarthy (Vente MacCarthy, n° 5368).

Bibl. Van Praet, 1822-1828, t. V, p. 47-49. n° 57 ; Mariani Canova, 1969, p. 64, 121, 154, fig. 95 ; Alexander, 1969, p. 10. fig. 4 ; Bibliothèque nationale, 1981-1983, t. IV, p. 491.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'italie, 1950, n° 230.

118. Capitolario del mestier et arte de la lana, quale si exercita nella inclyta cita de Venetia.

Venise, 1523-1581.

Parchemin, 333 ff., 320 x 228 mm.

Rothschild 2764.

Ce manuscrit rassemble les règlements édictés par la corporation des lainiers de Venise de 1265 à 1581. La partie primitive du recueil a été copiée vers 1523-1526, et a été tenue à jour à partir de cette date jusqu'en 1581. Ces textes montrent les diverses mesures de protection et de contrôle prises par la corporation pour éviter les fraudes et maintenir, en Italie et à l'étranger, la réputation des draps de Venise.

Une belle peinture à pleine page, au début du volume, nous montre une séance du bureau de la corporation : dans une salle spacieuse et baignée d'une douce lumière, les trois représentants en charge, vêtus de noir, siègent derrière un comptoir, et reçoivent un groupe de personnages également vêtus de noir, sans doute d'autres membres de la corporation. Derrière eux est suspendue une tenture à maille fleurs évoquant les tapisseries flamandes, cette tenture étant elle-même surmontée d'un triptyque, dont la partie centrale représente le lion de saint Marc, emblème de Venise, deux saints, dont un évêque, figurant sur les volets latéraux. Dans un cartouche, une inscription en capitales dorées sur fond violet précise la date de cette séance, le 1er juin 1523, le nom du doge en exercice, Leonardo Loredan (le fameux doge portraituré une dizaine d'années auparavant par Giovanni Bellini), et celui des trois représentants en titre de la corporation.

Bernardo Marino, Augustino de Franciscis et Giovanni Victurio. Contrastant avec cette composition où l'on retrouve le goût de la peinture vénitienne de que pour les funzioni solennelles, la scène de la partie inférieure représente les diverses étapes nécessaires à la fabrication de la laine et du drap : à gauche, tonte des moutons, cardage et filage de la laine ; à droite, foulage et décatissage du drap. Cette page a été attribuée dès 1912 par Emile Picot à l'enlumineur Benedetto Bordon, mais a échappé au récent recensement des oeuvres de cet artiste établi par Mme G. Mariani Canova (1968/1969 et 1969). D'origine padouane, Benedetto Bordon, dont on suit l'activité de 1480 environ à sa mort en 1530, était l'exemple type de l'artiste polyvalent de la Renaissance : imprimeur, astrologue, géographe, son activité principale semble bien avoir été cependant l'enluminure, pour laquelle il fut célébré de son temps. Son style se ressent, dans cet art, de l'influence des peintres vénitiens contemporains, et notamment de Cima de Conegliano. Une oeuvre particulièrement bien documentée de Bordon, l'Évangéliaire de Sainte-Justine de Padoue (Dublin, Collection A. Chester Beatty), exécuté par l'artiste entre 1523 et 1526, et donc exactement contemporain de la miniature exposée ici, permet de vérifier le bienfondé de l'attribution de Picot.

Prov. : Baron James de Rothschild ; legs Henri de Rothschild en 1947.

Bibl. : Picot, 1912, t. IV, p. 39-40, n° 2764.



Bologne, Mantoue, Ferrare, Rimini

119. Jacopo da Forli, Quaestiones in tres libros Tegni Galeni.

Bologne, vers 1445-1450.

Papier, VII + 193 ff., 440 x 295 mm.

Latin 6874.

Jusque vers le milieu du xve siècle, les ateliers de Bologne, dont l'activité s'était considérablement ralentie à partir de 1400, restèrent fidèles au répertoire décoratif à base d'acanthes végétales utilisé durant la période glorieuse de l'enluminure bolonaise, au siècle précédent. Le présent manuscrit appartient à cette production tardive. Sa décoration peinte se limite au premier feuillet du texte et se compose d'une initiale historiée représentant à mi-corps l'auteur du traité, en habit de docteur de l'Université. Dans la marge inférieure, les armoiries d'un destinataire non identifié. Le reste de la décoration se compose de motifs végétaux formant fleurons. Sur la tige de l'un d'eux à la partie supérieure, s'éploie un étrange volatile. On trouve le même répertoire ornemental dans d'autres manuscrits bolonais de l'époque, notamment dans un fragment d'antiphonaire du Musée de Cleveland (53-641) sans doute dû au même artiste. Bien que plus légère que celles des manuscrits bolonais du xive siècle, cette décoration, datable, d'après les filigranes du papier, des alentours de 1445-1450, apparaît archaïque au regard de ce qui se faisait dans d'autres centres de la péninsule. Dans la seconde moitié du siècle, l'enluminure bolonaise connaîtra un complet renouvellement grâce à l'arrivée d'artistes ferrarais.

Prov. : Nicolaus Leonicenus ; cardinal Nicolas Ridolfi ; Pierre Strozzi, maréchal de France : Catherine de Médicis.


120. Psautier. Pl. coul. XVIII.

Mantoue, vers 1430.

Parchemin, 197 ff., 260 x 190 mm.

Latin 772.

La décoration de ce psautier qui n'est pas homogène a été exécutée en deux temps. Deux artistes ont collaboré à son exécution au cours du second quart du siècle, l'un se réservant les peintures à pleine page, où se déroulent les scènes de l'Enfance du Christ mises en parallèle avec des épisodes de l'Ancien Testament, le second étant l'auteur des étonnantes initiales et des encadrements qui ponctuent de place en place les différentes sections du psautier. C'est probablement à ce même artiste qu'est due la très riche décoration filigranée, traitée à l'encre bleue, qui rehausse le volume. Un troisième artiste est intervenu à une époque nettement postérieure pour remplir le champ intérieur des grandes initiales laissé en blanc par le second peintre. De facture fort médiocre, ces compléments ont dû être exécutés pour le cardinal François de Gonzague (1467-1483) dont les armes ont été peintes dans l'initiale des ff. 100v et 137v. D'autres armoiries Gonzague dans la décoration primitive (f. 44v) prouvent que le manuscrit était destiné dès l'origine à un membre de cette famille.

Des deux artistes de la partie primitive, le plus « gothique » est l'auteur des initiales, dont le style révèle une double filiation : si sa palette et sa technique picturale le rattachent au milieu bolonais, ses conceptions décoratives en font clairement en revanche un émule du grand enlumineur lombard de la fin du XIVe siècle Giovannino dei Grassi : en témoignent ses initiales constituées souvent par des personnages en camaïeu, ses encadrements qui se déroulent en arabesques capricieuses et abritent dans la marge inférieure des scènes et des édifices minuscules, à la façon des bordures imaginées par Giovannino dans les Heures de Jean-Galéas Visconti. L'origine mantouane du maître des initiales est confirmée par le fait qu'il a également décoré deux autres manuscrits originaires des collections Gonzague, un Cicéron de la Bibliothèque de Trente (ms. 3565), et un Plutarque grec (Florence, Laurentienne, ms. Plut. 69 I), ce dernier daté de 1431.

Tout en se rattachant lui aussi à l'esthétique du style gothique international, l'art du maître des peintures est

nettement plus évolué : ses personnages qui se meuvent avec aisance dans un espace aéré, sa palette plus lumineuse témoignent peut-être d'une rencontre avec la première Renaissance toscane. A tous les égards, ce psautier est, avec le manuscrit hébreu Rossi 555 de la Vaticane, un témoin précieux de l'art courtois

qui régnait à Mantoue dans les années qui précédèrent l'arrivée de Belbello de Pavie et de Pisanello auprès des Gonzague.

Prov. : Ancien fonds royal.

Bibl. : Leroquais, 1940-1941, t. II, p. 55-56, pl. CXIV-CXVII.


121. Titus Livius, Ab Urbe condita, I, III, IV.

Nord-Est (Ferrare, Mantoue, Rimini ?), vers 1450.

Parchemin, 341 ff., 405 x 280 mm.

Latin 14360.

Ce manuscrit pose un intéressant et difficile problème de localisation et de chronologie, et, en l'absence de toute indication explicite sur son destinataire, nous en sommes réduits à interroger son style. Sa décoration se compose de deux petites peintures au début des Décades 1 et III et d'une série d'initiales historiées marquant le début des différents livres divisant les Décades.

Malgré leurs dimensions exiguës, les deux peintures, exécutées avec une incroyable minutie révèlent clairement en leur auteur un artiste avant tout imprégné par l'art nostalgique et courtois de Pisanello : ainsi au f. 1, dans la scène

où Rémus et Romulus ordonnent la construction des remparts de Rome, l'on retrouve la veine animalière du grand médailleur dans le traitement des chevaux. Plusieurs des minuscules figures qui peuplent cette composition constituent en outre des citations pisanelliennes directes, en particulier les nains à cheval coiffés de casques surmontés d'invraisemblables panaches. L'intégration des personnages dans un paysage très fouillé donnant sur une mer opalescente, elle-même barrée d'une étroite bande de ciel bleu, rejoint en revanche les tentatives similaires de Giovanni da Fano, l'illustrateur de Basinio Basini (n° 125) qui a su pareillement transformer ses scènes en microcosmes à la manière eyckienne. On retrouve la même conception narrative et les mêmes références pisanelliennes dans la peinture du f. 124 figurant la rencontre de Scipion l'Africain et d'Hannibal à la tête de leur armée.

Les initiales qui complètent la décoration du volume bien que dues en majorité, à l'auteur des deux peintures, se présentent différemment : dix-neuf d'entre elles contiennent des effigies d'empereurs romains, certainement inspirées de médailles antiques, l'identité de chaque empereur étant indiquée en lettres capitales dans la marge inférieure. Deux autres se rapportent à des personnages plus récents : Francesco Carrara, seigneur de Padoue (f. 207) et Jean VIII Paléolo-


gue (f. 268v). Avec son profil aigu et son curieux couvre-chef, la figure de ce dernier s'inspire, comme d'autres oeuvres de la même époque, de la célèbre médaille modelée par Pisanello à l'occasion de la venue de l'empereur byzantin au concile de Ferrare en 1438.

Bien qu'attribué à Padoue par Roberto Weiss, en raison sans doute de la présence de l'effigie de Francesco Carrara, ce manuscrit paraît plutôt devoir être situé dans l'ambiance des cours princières de Mantoue, de Ferrare ou de Rimini, dont l'activité artistique étroitement imbriquée a été profondément marquée dans les années 1440-1450 par la présence de Pisanello. C'est sans doute à un émule doué de ce dernier qu'est due la décoration du présent manuscrit, artiste apparenté mais plus évolué que l'enlumineur pisanellien distingué par M. Salmi dans le Plutarque de Cesena. Malgré le relatif archaïsme du décor végétal des initiales du maître principal, archaïsme qu'on retrouve également dans le répertoire ornemental d'origine toscane de son collaborateur des ff. 287v, 300, 313, 324v et 332, l'oeuvre semble devoir être datée vers le milieu du siècle, dans la période qui coïncide avec l'apparition d'un style plastique renouvelé dans le milieu ferrarais.

Prov. : Abbaye de Saint-Victor.

Bibl. : Weiss, 1966, p. 26-27, pl. XV, 5.

122. Virgile, OEuvres. Pl. coul. XXII.

Ferrare, 1458.

Parchemin, 228 ff., 260 x 170 mm.

Latin 7939 A.

Ce manuscrit, chef-d'oeuvre capital et pourtant méconnu de l'enluminure ferraraise, a été transcrit en 1458 par Leonardo Sanudo. Malgré la qualité de sa calligraphie, celui-ci n'était pas un copiste professionnel, mais, membre éminent de l'aristocratie vénitienne, représentait alors, comme nous l'apprend le colophon du f. 216v, les intérêts de la République de Venise à la cour de Ferrare (pro inclito Venetorum dominio tunc Ferrarie vicedomini). Il était le père de Marino Sanudo le Jeune, auteur du célèbre Diario qui constitue une source essentielle de l'histoire vénitienne, et mourut à Rome en 1474 comme ambassadeur de Venise auprès du Saint-Siège.

Pour illustrer les oeuvres virgiliennes copiées dans le volume, le « vidame » de


Ferrare, comme Sanudo s'intitule lui-même, a fait appel à deux des plus remarquables représentants de l'encore toute jeune école d'enluminure ferraraise. Comme nous l'a signalé J.J.G. Alexander, le premier de ces artistes n'est autre que l'enlumineur attitré de Borso d'Este, Guglielmo Giraldi, dont on reconnaît le coloris éclatant, basé sur les dominantes rouge, bleu et vert, dans les initiales historiées des Bucoliques, des Géorgiques et d'une partie de l'Énéide Le second artiste n'intervient que dans l'Énéide où il a exécuté les initiales historiées des ff. 60, 72, 85, 96v, 108, 149v, 161 et 188v. Cet artiste est identifiable avec l'un des enlumineurs ayant collaboré entre 1454 et 1461 à la décoration de la Bible de Borso d'Este, enlumineur en qui la critique s'accorde généralement, depuis H.J. Hermann, à reconnaître Giorgio d'Alemagna. Outre les initiales historiées que se sont répartis les deux artistes, le poème de l'Énéide est accompagné d'une remarquable série d'illustrations marginales toutes dues, à une seule exception, celle du f. 161, à la main de Giraldi. Bien que traitées dans une technique dépouillée, qui évoque la grisaille, ces scènes exécutées avec une finesse de pinceau sans égale, révèlent les exceptionnelles qualités plastiques de l'artiste, et font de lui dans le domaine de l'enluminure un équivalent du maître de la peinture ferraraise, Cosimo Tura, son contemporain, dont il partage la vision sculpturale des formes sinon le tempérament tourmenté. D'une facture moins serrée, d'un coloris plus doux et lumineux, les initiales historiées du présumé Giorgio d'Alemagna révèlent de leur côté une assez nette imprégnation mantegnesque.

Prov. : Leonardo Sanudo ; collection Petau.

Bibl. : Silvestre, 1843, vol. III, pl. 123 ; Bibliothèque nationale, 1878, n° 207 ; Facsimilés, 1872-1910, t. III, n° 347 ; Bradley, 1889, t. II, p. 198 ; Hermann, 1900, p. 201 (cité inexactement comme Ovide, sous la cote latin 7939, et attribué à Martino da Modena) ; Samaran, Marichal, 1962, p. 443.

123. Bréviaire de Borso d'Este (fragment).

Ferrare, entre 1454 et 1459.

Parchemin, 1 feuillet, 283 x 196 mm. Latin 9473 (f. 2).

Évidé à l'emplacement des deux colonnes d'écriture pour servir d'encadrement au titre factice apposé au cours du XVIIIe siècle au début des célèbres Heures de Louis de Savoie, ce superbe fragment ne semble pas avoir attiré jusqu'ici l'attention des spécialistes de l'enluminure ferraraise.

Les scènes de la vie de David disposées sur le pourtour de l'encadrement indiquent clairement que le feuillet provient d'un luxueux manuscrit liturgique, bréviaire plutôt que psautier étant donné sa disposition sur deux colonnes. Les emblèmes intercalés entre les médaillons historiés (l'abreuvoir de colombes, rotonde percée d'ouvertures ; le paraduro, barrière dressée sur le Pô, surmontée de la devise Fido ; le liocorno, licorne plongeant sa corne dans l'eau ; le battesimo, cuve baptismale à couvercle relevé) désignent sans équivoque le destinataire du manuscrit dont provient ce feuillet comme étant Borso d'Este, duc de Ferrare (1448-1471). L'exceptionnelle qualité de l'exécution picturale, les particularités du style et de l'ornementation, la palette brillante et froide permettent d'attribuer cette page à Guglielmo Giraldi, l'une des personnalités les plus attachantes de l'enluminure ferraraise de la Renaissance. Cet artiste, qu'on suit dans les documents depuis 1445 jusqu'en 1486, semble avoir été l'enlumineur favori de Borso d'Este, avec Taddeo Crivelli, maître d'oeuvre de la fameuse Bible de Borso aujourd'hui à Modène, et c'est pour ce même prince qu'il exécuta de 1454 à 1459 un luxueux bréviaire considéré comme perdu, mais dont le présent feuillet pourrait bien constituer le seul fragment subsistant. Les comparaisons stylistiques avec la plus ancienne oeuvre datée de l'artiste, l'Aulu-Gelle de la Bibliothèque Ambrosienne, daté de 1448, et surtout avec un autre chef-d'oeuvre du début de la carrière de l'artiste, le Virgile de Leonardo Sanudo, daté de 1458 (n° 122), confirment cette attribution et permettent de voir en ce feuillet un témoin particulièrement précieux et documenté du mécénat de Borso d'Este.

Prov. : « Acquis du citoyen Papillon au

commencement de frimaire de l'an XII de la République ».

Bibl. : Mugnier, 1894, p. 79-102, pl. IX-XVII ; Leroquais, 1927, t. I, p. 295 ; Gardet, 1959 ; Samaran, Marichal, 1974, p. 630.



124. Guillaume Durand, Rationale divinorum officioram.

Ferrare, 1471.

Parchemin, III + 305 ff., 415 x 285 mm.

Latin 723.

La peinture, l'initiale et l'encadrement qui ornent le début de ce manuscrit copié en 1471 par le scribe Johannes Holtzaticus pour un prélat français Geoffroy de Basilhac, évêque de Rieux (1462-1480), et qui appartint par la suite à l'archevêque de Reims, Guillaume Briçonnet (1497-1507), sont très caractéristiques de l'enluminure ferraraise à son apogée. La scène représente un évêque entouré de clercs, chantant devant un lutrin, et se déroule dans un édifice de style Renaissance. A l'extérieur s'étend un paysage minéral et désertique. Les tonalités froides et contrastées des coloris, l'extrême finesse de l'exécution se retrouvent dans l'initiale, formée d'un ruban à motif entrelacé et de palmettes végétales, ainsi que dans la décoration florale géométrisée, très particulière à Ferrare, de l'encadrement. Celui-ci est ponctué de médaillons où sont figurés avec une précision minutieuse un chardonneret, deux cervidés, un lapin, un guépard et un chimpanzé vu de dos. Tout ce répertoire ornemental, qui sera parfois imité dans d'autres centres italiens, à Venise et même à Florence, se retrouve dans un grand nombre de manuscrits ferrarais exécutés du temps de Borso d'Este. Ce décor est probablement l'oeuvre d'un disciple de Guglielmo Giraldi.

Prov. : Geoffroy de Basilhac, évêque de Rieux ; Guillaume Briçonnet, archevêque de Reims.

Bibl. : Catalogue des manuscrits latins, t. I, 1940, p. 251. ;

125. Basinius Parmensis, Hesperidos libri III.

Rimini, vers 1458.

Parchemin, 137 ff., 240 x 230 mm.

Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 630.

Disciple de Vittorino de Feltre et de Guarino de Vérone, Basinio Basini de Parme fut attiré par Sigismond Malatesta à la cour de Rimini en 1449 et rédigea à la gloire de son protecteur le poème épique intitulé Hesperis où il relate la campagne victorieuse du célèbre condottiere contre les armées d'Alphonse d'Aragon. On conserve trois copies contemporaines de cette oeuvre, toutes trois accom-


pagnées d'illustrations dues à Giovanni da Fano, qui a apposé son nom sur la dernière image du cycle dans deux exemplaires du poème, celui du Vatican et le présent manuscrit (f. 126). Les scènes se présentent sous la forme de dessins légèrement rehaussés, et sont généralement contenues dans un cadre marbré. Le caractère topographique de ces images toujours inscrites dans un paysage urbain, rural ou marin vu à distance, et dont les personnages sont réduits à des proportions minuscules, a été mis en évidence par O. Pächt, et se retrouve dans d'autres oeuvres du Nord-Est de l'Italie (n° 121). Particulièrement remarquable est la scène nocturne du siège de Piombino (f. 15), qui évoque le Songe de Constantin de Piero della Francesca à Arezzo, et qui rejoint les effets similaires tentés à la même époque dans l'enluminure française et flamande. On notera également le sujet de la dernière scène du cycle (f. 126) : celle-ci représente la construction du célèbre Tempio Malatestiano de Rimini. Autour de l'édifice en construction s'activent divers artisans sous la surveillance de l'architecte. Au premier plan, un muret porte la signature de l'artiste (Opus Ioannis pictoris Phanestris).

Prov. : Donné en 1499 par Roberto Malatesta à Francesco Capello ; collections Paris de Meyzier, baron d'Heiss et marquis de Paulmy. Bibl. : Ricci, 1928, p. 20-48 ; Pàcht, Campana, 11, 195 1, p.9 1-111.

Exp. : Trésors de l'Arsenal, 1980, n° 102.

126. Roberto Valturio, De re militari.

Rimini, 1463.

Papier, 202 ff., 325 x 225 mm.

Latin 7236.

Roberto Valturio (1413-1489) rédigea vers 1455 pour Sigismond Malatesta, et peut-être sous son inspiration, un traité de technique militaire. Basée sur les traités de Vitruve et de Végèce mais aussi de Taccola (n° 113), cette oeuvre se montre plus originale dans les chapitres consacrés à l'artillerie. Le traité de Valturio, dont on connaît actuellement une vingtaine de manuscrits, fit l'objet de plusieurs éditions imprimées, dont la première, publiée à Vérone en 1472, est le second incunable illustré ayant vu le jour en Italie. Une lettre de Valturio copiée à la fin de certains exemplaires manuscrits, dont celui présenté ici.


indique que Malatesta fit exécuter et envoyer à Constantinople une copie de ce texte à l'intention du sultan Mahomet II, copie qui fut confiée au médailleur Matteo de' Pasti. Ce don n'arriva jamais à destination, l'artiste ayant été arrêté et emprisonné par les Vénitiens qui ne le relâchèrent qu'en 1462.

Le présent manuscrit a été copié en 1463 par un scribe, Sigismondo di Niccolo Alamanni, qui semble s'être spécialisé dans la transcription du traité de Valturio : on connaît en effet de la main de ce copiste trois autres exemplaires datés de 1462, 1466 et 1470, et conservés au Vatican, à Venise et à Milan. De tout ce groupe, certainement exécuté à Rimini, sous la surveillance de l'auteur, le meilleur est sans doute le manuscrit exposé ici, le seul à présenter les armes des Malatesta, et le seul dont les illustrations laissent encore pressentir la qualité des dessins originaux. Si l'intervention de Matteo de' Pasti dans l'exécution des bois gravés de l'édition de 1472 a été définitivement écartée, il est très probable en revanche qu'il a dirigé et inspiré, peut-être en collaboration avec Giovanni da Fano, l'illustration de l'exemplaire de dédicace de l'oeuvre de Valturio, dont le manuscrit de la Nationale est le meilleur reflet : dans leur dépouillement et leur efficacité démonstrative, ces dessins s'apparentent bien à l'art concis du médailleur. L'austère simplicité des architectures, superbement mises en perspective, nous rappelle la part essentielle que prit Matteo de' Pasti, au côté de Leon Battista Alberti, dans la construction du Tempio Malatestiano.

Prov. : Jean-Baptiste Colbert.

Bibl. : Rodakiewicz, 1940, p. 14-82 ; Gille, 1964, p. 78-80.

127. Canzoniere.

Pesaro ?, vers 1460-1470.

Parchemin, 1+128 ff., 265 x 155 mm.

Italien 561.

Ce recueil de poèmes lyriques a été copié pour Alessandro Sforza dont les armes, l'emblème et les devises figurent dans l'encadrement du f. 9. Fils naturel de Muzio Attendolo Sforza, et demi-frère de Francesco Sforza duc de Milan, Alessandro Sforza (1409-1473) fut le fondateur de la branche des seigneurs de Pesaro, principauté des Marches qu'il avait rachetée en 1447 aux Malatesta.


Le décor du manuscrit, probablement exécuté sur place pour son destinataire, reflète les liens politiques tissés entre les cours du Nord et du Nord-Est de l'Italie. La scène du f. 9, qui représente un couple élégant conversant sous un arbre dans un jardin clos évoque dans son atmosphère courtoise, et dans le traitement stylisé des figures et de la végétation, l'enluminure lombarde de la même époque, et particulièrement les oeuvres du maître d'Ippolita Sforza (nos 133-136). A cette orientation fondamentale qu'expliquent sans doute les liens familiaux entre les cours de Milan et de Pesaro, s'ajoutent des éléments de nette origine ferraraise : coloris brillant et froid, plasticité des figures (sensible notamment dans le modelé très travaillé de la robe de la dame) qui montrent que l'enlumineur, pas plus d'ailleurs que le maître d'Ippolita, n'est resté insensible au style novateur qui fleurissait à la cour d'Este.

Comme dans la plupart des manuscrits exécutés pour des familles seigneuriales du Nord et du Nord-Est de l'Italie, les éléments héraldiques se marient heureusement au décor de l'encadrement. Outre deux écus, l'un emblématique, l'autre aux armes Sforza, on relève la présence de deux devises, l'une française (A bone foy) et l'autre latine (Vere et fideliter), de l'emblème personnel d'Alessandro Sforza, l'anneau chatonné d'un rubis et entrelacé d'une fleur d'oeillet, et de deux initiales en caractères gothiques, A et M, correspondant au prénom du destinataire et au nom de famille de sa seconde femme, Sveva da Montefeltro.

Prov. : Alessandro Sforza, seigneur de Pesaro ; Napoléon Orsini ? ; à la Bibliothèque royale depuis la fin du xvie siècle.


Milan et Lombardie

128. Suétone, Vitae imperatorum (traduction italienne). Pl. coul. XIX.

Milan, 1431.

Parchemin, 65 ff., 340 x 240 mm.

Italien 131.

Cette traduction italienne anonyme des Vitae imperatorum de Suétone, à laquelle fait suite une série de biographies d'empereurs romains jusqu'à Valentinien III, a été copiée en 1431 par Angelo Decembrio pour le deuxième fils de Jean-Galéas Visconti, Philippe-Marie, duc de Milan de 1412 à 1446, dont les armes et les emblèmes sont peints dans l'encadrement du premier feuillet. Grand amateur de livres et lecteur assidu, ce prince mit souvent à profit les richesses de la bibliothèque rassemblée par son père au château de Pavie, et en fit dresser en 1426 le premier inventaire : cette bibliothèque comportait alors 988 manuscrits. Il semble avoir particulièrement prisé la lecture des historiens romains, tels Quinte Curce, Tite Live et Suétone, dont il fit copier les oeuvres en traduction italienne.

Le long règne de Philippe-Marie Visconti correspond en outre à un remarquable essor de l'enluminure lombarde que le duc encouragea par son propre mécénat. L'un des principaux artistes travaillant alors pour la cour milanaise fut, à côté de Belbello de Pavie, l'enlumineur anonyme appelé « maître des Vitae imperatorum » d'après le présent manuscrit, sa plus ancienne oeuvre datée. La main de cet artiste prolifique, dont la personnalité a été reconnue pour la première fois en 1912 par Pietro Toesca, se retrouve dans de nombreux manuscrits exécutés pour le duc de Milan et son entourage de 1430 à 1450 environ.

La série d'initiales historiées du présent manuscrit, représentant différents empereurs romains, offre tous les traits caractéristiques du style de l'artiste : stylisation élégante et arrondie des formes qui témoigne de l'emprise profonde des principes esthétiques de l'art gothique international sur un milieu artistique lombard fortement marqué par des personnalités comme Giovannino dei Grassi et Michelino da Besozzo. Plutôt qu'à ces derniers, c'est à des artistes comme Pietro da Pavia et surtout le maître du livre de prières de Modène, que se relie l'art linéaire mais vigoureux du maître des

Vitae imperatorum, dont les conceptions sont particulièrement bien illustrées par l'initiale figurant l'empereur Julien l'Apostat consultant un astrologue. Le dessin serré et d'une précision analytique qui s'exprime dans l'interprétation stylisée de la végétation et le rendu exact des détails de mode, est servi ici par un coloris aux tonalités raffinées mais soutenues. Des antennes végétales aux formes effilées, s'achevant en touffes de feuillages d'inspiration française, sabrent la blancheur des marges et accentuent la saveur encore profondément gothique des initiales.

Prov. : Philippe-Marie Visconti, duc de Milan cardinal Mazarin.

Bibl. : Toesca, 1912 (rééd. 1966). p. 219, fig. 463 ; Pellegrin, 1955, p. 388-389 ; Pellegrin, 1969, p. 34, pl. 109-110.

Exp. : Arte lombarda. 1958. n° 204.

129. Bréviaire de Marie de Savoie.

Milan, vers 1430.

Parchemin, 734 ff., 305 x 230 mm.

Chambéry, Bibliothèque municipale, ms. 4.

Ce bréviaire franciscain aux armes de Marie de Savoie, seconde femme de Philippe-Marie Visconti, qu'elle épousa en 1428, est certainement à classer parmi les oeuvres précoces du maître des Vitae imperatorum, avant même le manuscrit éponyme, daté de 1431, qui sert à désigner cet artiste (n° 128). En témoigne notamment la disposition des personnages dans la scène où la duchesse de Milan est présentée à la Vierge par un cortège de saints : bien que ceux-ci soient disposés sur deux rangs, la scène semble se dérouler comme sur une frise, dans un espace plan et sans profondeur. Les visages des personnages sont d'autre part encore relativement peu caractérisés et modelés par rapport aux oeuvres appartenant à la maturité de l'artiste. Dans l'initiale historiée placée au-dessous de la peinture, apparaît l'apôtre saint Paul. En construisant les éléments verticaux de la lettre à l'aide de structures architecturales de style gothique, le maître des Vitae imperatorum reprend un procédé inauguré par Giovannino dei Grassi, le grand enlumineur de la fin du XIVe siècle, dans


les Heures de Jean-Galéas Visconti de la Bibliothèque nationale de Florence. Dans les bordures de certains feuillets, l'artiste révèle déjà son talent d'animalier, ainsi dans la scène du chien chassant un lièvre du f. 319v et au f. 453, où figurent une fouine et un faisan merveilleusement observés. Là encore l'artiste reprend une tradition proprement lombarde qu'avait déjà illustrée Giovannino dei Grassi. L'esprit résolument gothique de la décoration marginale se retrouve dans les quelques feuillets du bréviaire dus à un autre célèbre enlumineur lombard de la même époque, Belbello de Pavie : celui-ci est l'auteur des initiales historiées des feuillets 436v à 438v. Il est difficile de déterminer si l'intervention de cet artiste dans le Bréviaire de Marie de Savoie est contemporaine du reste de la décoration ou légèrement postérieure. Elle ne saurait en tous cas dater d'après 1434, année où Belbello termina l'enluminure d'une Bible en français pour Lionello d'Este, Bible dont certaines scènes sont apparentées à celles du bréviaire. Au f. 436v, Belbello a visiblement cherché à rivaliser avec le maître des Vitae imperatorum dans la superbe représentation du paon dont la longue queue parcourt toute la marge inférieure. L'artiste reprendra ce motif une vingtaine d'années plus tard dans le missel de Barbara de Brandebourg de la cathédrale de Mantoue. Le fond sombre presque nocturne et le coloris strident de la scène du martyre de saint Anastase, dans l'initiale historiée, sont très caractéristiques de l'artiste.

Prov. : Marie de Savoie, seconde femme de Philippe-Marie Visconti (1428-1469).

Bibl. : Mugnier, 1894, p. 25-76 ; Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 220 ; Leroquais, 1934, t. I, p. 255-260 ; Pellegrin, 1955. p. 357-358 ; Pellegrin, 1969, p. 36, pl. 120-121 ; Cadei, 1976, p. 67, 78, 79, 81, 90, fig. 74-78, 87.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 205, pl. LXXVIII.

130. Dante, Inferno, avec commentaire de Guiniforte Barzizza.

Milan, vers 1440.

Parchemin, 381 ff., 320 x 215 mm.

Italien 2017.

Ce manuscrit de l' Enfer accompagné d'un copieux commentaire dû à l'humaniste milanais Guiniforte Barzizza.



contient l'un des cycles d'illustrations les plus développés qu'ait inspiré au xve siècle l'oeuvre de Dante. Ce cycle qui comportait à l'origine près de 115 images, est malheureusement mutilé et démembré : la plus grande partie en est conservée dans le présent manuscrit, où il ne subsiste plus que 59 miniatures, les autres ayant été découpées. Un fragment d'une vingtaine de feuillets, dont treize enluminés, tiré du même manuscrit, appartient à la bibliothèque d'Imola.

Malgré la disparition du feuillet initial, il est établi que le manuscrit a été exécuté pour Philippe-Marie Visconti, dont les initiales et les emblèmes apparaissent aux ff. 82v et 97. Pour illustrer le poème dantesque, le duc de Milan a fait appel à son enlumineur favori, le maître des Vitae imperatorum, dont on reconnaît le traitement stylisé mais vigoureusement plastique des formes. S'inspirant probablement d'un cycle dantesque à illustration marginale continue remontant au siècle précédent, l'artiste décrit minutieusement les péripéties du voyage aux Enfers de Dante et de Virgile dont la présence répétée assure l'unité de l'ensemble. Le premier, imberbe, est vêtu d'un manteau bleu ciel et coiffé d'une toque rouge, Virgile étant doté d'une barbe blanche et arborant la tenue vestimentaire des maîtres de l'Université, un ample manteau rouge et un chaperon doublé de vair. Pour indiquer que le voyage se déroule dans les profondeurs souterraines, l'artiste a représenté à la partie supérieure de chaque scène un élément de la carapace terrestre. Également remarquable le soin apporté à varier les expressions des deux personnages centraux, et à interpréter avec exactitude les données topographiques et les visions infernales décrites dans le poème. Les scènes n'en donnent pas moins l'impression de se dérouler dans un monde sans espace ni profondeur en raison de l'intensité égale des couleurs. On reconnaît dans la scène du f. 160, représentant un débauché dévoré par les chiens, l'adaptation d'un schéma iconographique remontant au célèbre carnet de modèles de Giovannino dei Grassi, schéma dont ont fait également usage les frères de Limbourg dans la scène de l'hallali des Très riches Heures de Jean de Berry.

Prov. : Philippe-Marie Visconti ; Giovanni Carraccioli, duc de Melfi (1480-1550) ; famille Cardaillac (Quercy) ; Guillaume de Flotte, Marseille ; acquis en 1887 par la Bibliothèque nationale.

Bibl. : Auvray, 1892, p. 115-127, 170-175 ; Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 219-220, fig. 466-468 ; Pellegrin, 1955, p. 392 ; Brieger, Meiss, Singleton, 1969, p. 38-39, 107-108, 318-321, et pl. ; Pellegrin, 1969, p. 36.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 208, pl. LXXIX.

131. Fazio degli Uberti, Il Dittamondo.

Milan, 1447.

Parchemin, 1 + 240 ff., 380 x 270 mm.

Italien 81.

Composé vers 1350-1360 et inachevé, le Dittamondo du poète d'origine florentine Fazio degli Uberti, est le récit d'un voyage imaginaire que l'auteur, sous la conduite du géographe Solin, aurait accompli dans différents pays de l'Europe et en Afrique. La dernière partie de l'oeuvre qui devait être consacrée à l'Asie, n'a jamais été composée. Très influencé dans sa conception par la Divine Comédie de Dante, le poème constitue une somme des connaissances historiques et géographiques du temps, et donne l'occasion à l'auteur de faire étalage de sa connaissance des langues : on y trouve par exemple des dialogues entièrement rédigés en français et en provençal.

Le présent manuscrit a été écrit en 1447 par Andrea Morena da Lodi pour un aubergiste milanais, Cristoforo da Cassano, propriétaire de l'albergo del Pozzo, l'un des plus anciens hôtels de la ville, qui subsista jusqu'en 1918. Comme un autre manuscrit exécuté pour le même personnage, le Liber meditationum de la Bibliothèque Trivulcienne, le Dittamondo a été enluminé par le maître des Vitae imperatorum, dont c'est peut-être l'oeuvre la plus séduisante. Outre une belle représentation de Rome, point de départ du périple de Fazio degli Uberti, le manuscrit comporte un certain nombre de scènes narratives montrant l'auteur et Solin en conversation avec les habitants des divers pays qu'ils visitent. Mais c'est surtout la série d'images des constellations occupant les ff. 170 à 179 qui retient ici l'attention. Directement inspirées du cycle des constellations du Liber introductorius de Michel Scot, ainsi que l'a remarqué Annegrit Schmitt, ces images ne sont pas exemptes de références à l'art de Pisanello selon S. Bandera, et dans leur observation aiguë révèlent en l'artiste un prodigieux dessinateur doublé d'un remarquable animalier.

Prov. : Cristoforo da Cassano ; figure dans les inventaires de la Bibliothèque royale à partir de la fin du xvie siècle.

Bibl. : Toesca, 1912 (rééd. 1966), p. 219, fig. 465 ; Corsi, 1952, vol. II, p. 111-113, 126-127, 135-187, 222-245 ; Pellegrin, 1955, p. 388 ; Schmitt, 1975, p. 58 n. 10.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 209.


132. Cicéron, Epistolae ad familiares.

Milan, 1457.

Parchemin, III + 246 ff., 370 x 255 mm.

Latin 8523.

Les fils et la fille de Francesco Sforza qui avait repris en 1450 l'héritage lombard des Visconti, reçurent une éducation soignée, dont témoigne notamment la série de beaux manuscrits d'auteurs classiques, principalement de Cicéron, qui furent exécutés de 1457 à 1461 pour le fils aîné du duc de Milan, Galéas-Marie Sforza. Celui-ci, après avoir succédé à son père en 1466, les fit déposer en 1469 à la bibliothèque du château de Pavie, avec un grand nombre d'autres volumes.

L'exemplaire des Epistolae ad familiares présenté ici est l'un de ces manuscrits. Copié en 1457 pour Galéas-Marie Sforza, qui n'était âgé que de treize ans, il débute par une belle page ornée dont l'encadrement à bianchi girari est ponctué d'un jeu très complet des emblèmes arborés par la famille ducale à partir de l'arrivée au pouvoir de Francesco Sforza : on reconnaît ainsi en partant du bas de la partie gauche, le lévrier assis sous un pin, le triple anneau, le mors de cheval, la scopetta (sorte de brosse), et le mont à trois plants de joubarbe. Deux autres emblèmes, la couronne à la palme et à la branche de laurier, et la colombe dans le soleil, ont une origine plus ancienne, et remontent à l'époque du premier duc de Milan, Jean-Galéas Visconti. Dans la marge inférieure, de part et d'autre des armoiries ducales de Milan, entourées des initiales G.M., l'artiste a cherché à

évoquer le cheminement d'une lettre de Cicéron. Celui-ci est représenté à gauche sous le portique d'un palais, dictant sa lettre à un secrétaire, en présence d'un messager. Dans la partie droite, est figuré un paysage côtier, où l'on aperçoit le même messager débarquant, puis interrogeant un cavalier sans doute pour lui demander le chemin de la ville qu'on voit à l'arrière-plan. Ce type de paysage panoramique, peu courant dans l'enluminure lombarde de l'époque rappelle dans sa conception certaines oeuvres exécutées dans le Nord-Est de l'Italie, et notamment les illustrations de l'Hesperis de Basinio (cf. n° 125).

Prov. : Galéas-Marie Sforza ; versé en 1469 par celui-ci dans la bibliothèque du château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Pellegrin, 1955, p. 329, C 2 ; Pellegrin, 1969, p. 45, pl. 147.

133. Cicéron, OEuvres.

Milan, 1461.

Parchemin, 1 + 293 ff., 368 x 257 mm.

Latin 7703.

134. Cicéron, Discours.

Milan, 1459.

Parchemin, III + 358 + 2 ff., 368 x 250 mm.

Latin 7779.

Écrits à deux ans d'intervalle, ces deux volumes font partie de la série de manuscrits d'auteurs classiques exécutés pour


l'instruction du jeune Galéas-Marie Sforza. Tous deux comportent au premier feuillet une initiale historiée et un encadrement dus à l'artiste anonyme désigné sous le nom de maître d'Ippolita (cf. n° 136). On retrouve dans les deux pages le goût habituel des ducs de Milan pour le décor héraldique : les armes ducales y figurent à la partie inférieure entourées des initiales G.M. du destinataire, tandis que sur le pourtour de l'encadrement se succèdent les emblèmes familiaux des Sforza et des Visconti. Les deux initiales historiées représentent chacune Cicéron parlant à un auditoire. Le traitement stylisé des figures et l'éclat irréel de la palette aux tonalités précieuses témoignent de la nostalgie persistante de la cour milanaise pour les féeries du style courtois.

Bien que manifestement destinés à former une paire, les deux manuscrits se distinguent par l'ornementation des encadrements : le décor à spirales filiformes dorées et à fleurs stylisées de l'un s'inspire manifestement de modèles ferrarais. C'est de toute évidence l'ornementation à feuilles épineuses, à fleurettes et à fruits des manuscrits français contemporains que le maître d'Ippolita a cherché à imiter dans l'autre volume.

Prov. : Galéas-Marie Sforza ; déposés en 1469 par celui-ci dans la bibliothèque du château de Pavie ; transférés en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Pellegrin, 1955, p. 329, C 1, 349, C 104 ; Pellegrin, 1969, p. 44, 45, pl. 143, 146.

Exp. : Arte lombarda, 1958. n° 270 (lat. 7703).

135. Guglielmo da Pesaro, De practica seu arte tripudii.

Milan, 1463.

Parchemin, 52 ff., 265 x 170 mm.

Italien 973.

L'un des premiers manuels consacrés à la théorie et à la pratique de la danse est celui de Guglielmo da Pesaro, dont le présent exemplaire, dédié au fils aîné de Francesco Sforza, Galéas-Marie, fut transcrit à Milan en 1463 par le scribe Paganus Raudensis. La partie proprement théorique est suivie d'un recueil de basses danses et de ballets composés par Guglielmo da Pesaro et Domenico da Piacenza, l'un des premiers maîtres à danser connus.

Le manuscrit s'ouvre par l'habituel décor héraldique et emblématique cher


aux Sforza. Curieusement, bien que le traité soit dédié à Galéas-Marie Sforza, ce sont les initiales de son père (F.S.) qui encadrent les armes ducales de Milan. Cette décoration est attribuable au maître d'Ippolita, qui a exécuté également l'unique miniature du manuscrit, au f. 21v. Cette scène, qui représente un homme et deux dames dansant de front au son d'une harpe, a tout le charme un peu mièvre des oeuvres de l'artiste, dont on reconnaît l'interprétation stylisée des formes et l'harmonie précieuse des coloris.

Prov. : Galéas-Marie Sforza ; versé en 1469 par celui-ci dans la bibliothèque du château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Malaguzzi Valeri, 1913, p. 538 ; Michel, 1945, t. III, p. 119-124 ; Pellegrin, 1955, p. 340, C 58 ; Pellegrin, 1969, p. 40-41, pl. 124-126.

Exp. : Arte lombarda, 1958, 271 ; Le Livre, 1975, n° 679.

136. Domenico Cavalca, Vite di Santi Padre.

Milan, 1465.

Parchemin, 246 ff., 355 x 235 mm. Italien 1712.

Ce manuscrit est identifiable avec l'un des livres offerts en 1465 par Francesco Sforza et sa femme Bianca Maria Visconti à leur fille Ippolita, à l'occasion du mariage de celle-ci avec l'héritier du trône de Naples, Alphonse de Calabre, fils de Ferdinand 1er d'Aragon. Les armes ducales de Milan sommées de deux cimiers (à gauche Sforza, à droite Visconti) et entourées des lettres HIP. MA., rappellent la filiation de la destinataire du volume, qu'évoquent également les différents emblèmes familiaux et ducaux alternant dans l'encadrement avec de


superbes représentations d'animaux. Un manuscrit de Virgile, aujourd'hui à la Bibliothèque de Valencia, faisait partie du même don et a été enluminé par le même artiste, qu'on appelle pour cette raison le maître d'Ippolita. Celui-ci dut être très en faveur dans les dernières années du règne de Francesco Sforza car l'on reconnaît sa main dans nombre de manuscrits destinés à la famille du duc de Milan, et notamment à son fils aîné Galéas-Marie (cf. nos 133 et 134).

Dans la composition peinte du premier feuillet, le maître d'Ippolita se révèle à bien des égards comme une sorte de continuateur du maître des Vitae imperatorum : même utilisation à des fins décoratives des armoiries et des emblèmes héraldiques, même interprétation stylisée des éléments végétaux, même talent animalier. Comme son prédécesseur également, le maître d'Ippolita reste encore profondément attaché aux concepts esthétiques du style gothique international, dont la tradition était plus fortement enracinée à Milan et en Lombardie que partout ailleurs en Italie. On peut toutefois déceler chez l'artiste une recherche assez nouvelle dans le milieu artistique lombard pour évoquer la profondeur spatiale. Dans l'initiale du premier feuillet par exemple saint Paul ermite est assis dans un paysage qui s'étend dans le lointain, sous un ciel à la lumière étrange passant d'un bleu profond à une blancheur de soleil levant. Il n'est pas impos-sible que l'artiste ait subi dans ce domaine l'influence de l'enluminure ferraraise. Le dessin de l'initiale « N » est ingénieusement formé par un curieux objet qui n'est autre que l'un des emblèmes des Sforza, le mors de cheval. Sur la barre transversale court la devise : Hic verghes nit (je n'oublie pas). Toutes les initiales du manuscrit, de même que celles du Virgile de Valencia, ont été construites de manière semblable, à l'aide d'emblèmes sforzesques, ceux qui reviennent le plus souvent étant le morso et la scopetta (sorte de brosse).

La décoration de ce manuscrit a servi de modèle à celle du manuscrit XIII. C. 76 de la Bibliothèque nationale de Naples, exécuté vers 1480 dans la cité aragonaise.

Prov. : Ippolita Sforza ; bibliothèque Salviati (XVIIIe siècle) ; Pie VI (reliure à ses armes) ; acquis en 1886 par la Bibliothèque nationale. Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. II, p. 177, t. IV. pl. 291 Pellegrin, 1955. p. 391.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 272.


137. Girolamo Mangiaria, Opusculum de impedimentis matrimonii ratione consanguinitatis et affinitatis.

Milan, 1465-1466.

Parchemin, II + 56 ff., 340 x 235 mm.

Latin 4586.

Cette oeuvre du juriste Girolamo Mangiaria, professeur à l'Université de Pavie, est un des nombreux traités consacrés au calcul des degrés de parenté et de consanguinité si important au Moyen Age pour établir la licéité des mariages.

Le traité de Mangiaria, lu en cours public à l'Université de Pavie en 1465, ne dut être transcrit et remis à Galéas-Marie Sforza, dédicataire du manuscrit, qu'après la mort de son père en mars 1466, puisqu'il est intitulé duc de Milan dans la préface et dans l'inscription en capitales dorées tracée au-dessus de la scène de dédicace celle-ci représente le nouveau duc de Milan à qui l'auteur remet son ouvrage. Les deux personnages, aux traits bien caractérisés, sont certainement des portraits. Différents courtisans et un huissier armé d'une épée, assistent à la scène qui se déroule dans un intérieur soigneusement mis en perspective. La variété d'attitudes des personnages, leur densité plastique et leur mise en place dans l'espace, ainsi que le

contrepoint des couleurs semblent être le fait d'un artiste ayant médité la leçon de l'enluminure ferraraise. Comme l'a signalé récemment J.J.G. Alexander, cet artiste novateur est identifiable avec le maître des Heures Birago de l'ancienne collection Abbey, auquel on doit également une partie des miniatures ajoutées dans le livre d'heures lombard ms. 22 de la collection Smith-Lesouëf (n° 85). L'initiale ornée du texte, avec ses rinceaux à feuilles stylisées se détachant sur fond d'or, s'inspire de modèles français. La lettre est dessinée par l'emblème héraldique de Milan, la guivre azur engoulant un enfant peint en rouge. Dans la marge inférieure, apparaît un emblème cher à Galéas-Marie Sforza : le lion assis sur un brasier, casqué d'un heaume à la devise Hic hof (J'espère, en allemand), et tenant un bâton noueux d'où pendent deux seaux. Les initiales du duc (ḠZ̄. M̄Ā) encadrent cette curieuse figure.

Prov. : Galéas-Marie Sforza ; bibliothèque du château de Pavie ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Couderc, 1908, p. 36, pl. LXXXVI ; Malaguzzi Valeri, 1913-1917, t. I, p. 359, t. III, p. 128 ; Pellegrin, 1955, p. 393-394 ; Pellegrin, 1969, p. 44, pl. 142 ; Alexander, de la Mare, 1969, p. 149 n. 6.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 275.


138. Salluste, Bellum Catilinarium, Bellum Jugurthinum.

Milan et Crémone, 1467.

Parchemin, 85 ff., 240 x 165 mm.

Latin 18272.

Ce manuscrit de Salluste copié à Milan en 1467 était certainement destiné à Lodovico Maria Sforza, plus connu sous le nom de Ludovic le More, qui n'était âgé alors que de quinze ans. Les armoiries et les emblèmes de la famille Sforza sont peints dans l'encadrement du f. 1. L'un de ces emblèmes, la scopetta (brosse) réapparaît dans un écu au bas du f. 28, avec la devise Merito et tempore. Dans un médaillon à la partie supérieure du même feuillet sont inscrites les initiales L.S. qui désignent certainement le destinataire, Lodovico Sforza.

Les deux pages enluminées du manuscrit correspondent au début des oeuvres de Salluste contenues dans le volume. L'initiale historiée du f. 1 représente Catilina vêtu d'une cuirasse à la romaine, assis sous une tente avec ses généraux. Au f. 28, c'est Jugurtha qui trône dans l'initiale « F », entouré de soldats. Diverses scènes dans l'encadrement évoquent les épisodes de la guerre entre le roi numide et les Romains. Le style de ces deux pages a permis à Sandrina Bandera de les rattacher à l'oeuvre d'un artiste crémonais, le moine augustin Frate Nebridio. Actif de 1463 à 1503, cet enlumineur dont la personnalité a été reconnue pour la première fois par M. Levi d'Ancona, est un des derniers représentants du courant stylistique de l'art gothique international, dont la persistance à Crémone s'explique par des raisons politico-historiques finement analysées par S. Bandera. Nebridio, dont le style présente d'indéniables affinités avec un autre tenant tardif de l'art courtois, son compatriote Bonifacio Bembo, semble s'être spécialisé dans la décoration de manuscrits liturgiques, et le présent manuscrit est à ce jour le seul manuscrit de contenu profane où l'on ait reconnu sa main. C'est également l'une de ses plus anciennes oeuvres datées avec un bréviaire, également daté de 1467, conservé à la Bibliothèque Casanatense de Rome. Bien que copié à Milan, notre manuscrit a vraisemblablement été enluminé par Nebridio à Crémone même, résidence favorite des Sforza à l'époque, et où le jeune Ludovic Sforza copia la même année un recueil d'exercices latins aujourd'hui

aujourd'hui à la Bibliothèque royale de Turin.

Prov. : Ludovic le More ; acheté par la Bibliothèque royale en 1788 à la vente La Vallière.

Bibl. : Pellegrin, 1955. p. 39 ; Samaran. Marichal. 1974. p. 605, pl. CLXX ; Bandera. 1977, p. 46-72.


139. Antonio Minuti, Vita di Muzio Attendolo Sforza.

Milan, 1491.

Parchemin, 112 ff., 330 x 220 mm.

Italien 372.

Cette copie de la vie de Muzio Attendolo Sforza, père de Francesco Sforza a été transcrite en 1491 par Bartolomeo Gambagnola de Crémone à l'intention de Ludovic le More, sur l'ordre d'un secrétaire de celui-ci, Marchesino Stanga. Le portrait du destinataire apparaît au f. 1 : ce portrait de profil et la légende qui l'entoure (LUDOVICUS MO SF. VICO. DUX. BARI. DUC. GUBERNA.) sont l'exacte réplique d'une médaille frappée en 1488 par le médailleur milanais Cadarosso. Divers emblèmes personnels du More sont peints dans l'initiale et sur les boucliers de la partie droite de l'encadrement. On retrouve deux de ces emblèmes, les deux mains tenant un voile et la hache équarissant un tronc d'arbre dans l'encadrement du f. 5 marquant le début du texte. Un maure de profil, allusion au surnom du destinataire, figure entre ces emblèmes. Au bas de cette même page, quatre putti dans un paysage soutiennent des écus, dont celui du centre fut porté par l'ambitieux oncle de Jean-Galéas Sforza jusqu'en 1494, année où il s'empara du titre de duc de Milan. Un portrait de Muzio Attendolo Sforza en buste apparaît dans l'emplacement réservé à l'initiale. Ce portrait est en quelque sorte « extrait » de l'effigie équestre du glorieux ancêtre des Sforza qui occupe le feuillet opposé. Le groupe sculptural du cheval et de son cavalier, sur cette page, s'inscrit dans une architecture où sont multipliées les références à l'Antiquité : trophées d'armes pendant de l'architecture, bas-reliefs et inscriptions en capitales romaines à la gloire du héros. Le type équestre adopté dans cette peinture correspond à une tradition que l'Italie de la Renaissance a reprise de la sculpture gréco-romaine, et il est probable que l'artiste s'est inspiré ici du Guattamelata de Donatello et du Colleone de Verrocchio. A la même époque, Léonard de Vinci travaillait à un projet de statue équestre de Ludovic le More qui ne fut finalement pas exécuté.

Ces trois pages posent un délicat problème d'attribution. On s'accorde généralement pour y voir l'oeuvre d'un disciple de Giovanni Pietro Birago (cf. n° 140). Le rapprochement avec cet artiste ne paraît cependant valable que pour les



seuls ff. 4v et 5, qui pourraient bien avoir été conçus par Birago lui-même, et exécutés sous sa direction par un assistant qu'il paraît tentant d'identifier, selon nous, avec Francesco Binasco, l'enlumineur présumé des livres de choeur du monastère olivétain de Villanova Sillaro, près de Lodi. Il s'agirait dans ce cas d'une oeuvre de jeunesse de cet artiste, qui dans sa maturité adhérera à un tout autre courant stylistique, celui des disciples milanais de Léonard. L'encadrement du f. 1 d'une facture infiniment plus raffinée, bien que partageant le même répertoire ornemental inspiré de l'orfèvrerie, nous paraît devoir être attribué à un artiste distinct.

Prov. : Ludovic le More ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois. Bibl. : Couderc, 1908, p. 51, pl. CXV, 2 et CXV ; Malaguzzi Valeri, 1913-1917, t. I, p. 478-479, t. II, p. 463, fig. 517, t. III, p. 155, 157, 168-169, fig. 179-180 ; Pellegrin, 1955, p. 389 ; Pellegrin, 1969, p. 48.

Exp. : Arte lombarda, 1958, n° 459.

140. Giovanni Simonetta, La Historia delle cose facte dallo invictissimo duca Francesco Sforza.

Milan, Antonio Zarotto, 1490.

Parchemin, 202 ff., 370 x 260 mm.

Imprimés, Réserve, Vélins 724.

La biographie de Francesco Sforza rédigée en latin par son secrétaire et conseiller Giovanni Simonetta fit l'objet d'une traduction en toscan par Cristoforo Landino, qui fut imprimée à Milan en 1490. Trois exemplaires de cette édition, imprimés sur vélin et superbement enluminés, sont conservés à la British Library, à la Bibliothèque nationale de Varsovie et à la Bibliothèque nationale de Paris. Tous trois ont été dotés d'un frontispice peint dû au même artiste, Giovanni Birago, qui a apposé sa signature dans l'exemplaire de Varsovie, ainsi que sur des fragments de même style appartenant au Cabinet des Dessins du Musée des Offices. La destination des exemplaires de Londres et de Paris est clairement établie : le premier est celui de Ludovico Sforza, dit le More, le second étant celui de son neveu Jean-Galéas Sforza. Le programme iconographique développé par Birago dans ce dernier exemplaire est particulièrement intéressant en raison de ses multiples allusions à la délicate situation politique qui prévalait alors dans le duché de Milan. A la mort de son frère aîné Galéas-Marie Sforza en 1476, Ludovic le More s'était rapidement imposé comme tuteur de son neveu Jean-Galéas, encore mineur, après avoir écarté de la régence la mère de celui-ci, Bonne de Savoie. Le frontispice

peint de l'exemplaire parisien comporte un portrait de profil de Francesco Sforza, qu'on retrouve identique dans les exemplaires de Londres et de Varsovie. Dans la partie supérieure de l'encadrement, entre deux putti, figurent les armes des ducs de Milan. A gauche, derrière le portrait de Francesco Sforza apparaît un des emblèmes adoptés par celui-ci, le lévrier assis sous un pin. Dans la partie droite de l'encadrement, entre deux autres emblèmes de la dynastie milanaise, la colombe et la joubarbe, Jean-Galéas, de profil dans un médaillon, contemple son aïeul. Au-dessous l'artiste a figuré une allégorie transparente à la régence exercée par Ludovic le More : dans un enclos peuplé de lapins, s'élève un mûrier en fleur (en italien moro) dont le tronc s'achève par une tête de More, et à l'abri duquel se développe un jeune arbre symbolisant Jean-Galéas. Deux phrases latines explicitent l'union supposée de l'oncle et du neveu. La scène de la partie inférieure développe le même thème : au premier plan, Ludovic le More et Jean-Galéas agenouillés désignent du doigt l'effigie de leur père et grand-père, dont il convient d'honorer la mémoire et de maintenir l'héritage ; à l'arrière-plan, sur une mer sans ride, flotte un navire, symbole du duché de Milan, à bord duquel se trouvent Jean-Galéas et son oncle (figuré sous les traits d'un maure) qui en tient le gouvernail. Saint Louis de Toulouse bénit la scène. La ville précédée d'une anse à deux tours fait peut-être allusion à Gênes dont Ludovic le More s'était emparé peu auparavant. Un monogramme formé des lettres 10. G (pour Jean-Galéas) et L (pour Ludovico) est répété à divers endroits de l'encadrement.

Cette imagerie politique qui reflète les vues personnelles de Ludovic le More est très différente de celle que l'artiste a mise en oeuvre, avec des intentions satiriques évidentes, dans l'exemplaire de Varsovie. L'exécution méticuleuse et précise est caractéristique de Birago, qui a également fait oeuvre de graveur.

Prov. : Jean-Galéas Sforza ; transféré en 1499 par Louis XII dans la librairie du château de Blois.

Bibl. : Van Praet, 1822-1828, V, p. 79-83, n. 102 ; Warner, 1894, p. XXX-XXXI ; Malaguzzi Valeri, 1913-1917, t. I, p. 584 ; Horodynski, 1956, p. 251-255 ; Pellegrin, 1955, p. 396-397 ; Pellegrin, 1969, p. 49 ; Renaissance painting, 1983-1984, n° 14.

Exp. : Trésors des Bibliothèques d'Italie, 1950, n° 237 ; Arte lombarda, 1958, n° 458.


Rome

141. Pseudo-Anastase le Bibliothécaire,

Liber pontificalis.

Rome, vers 1460-1470.

Parchemin, 269 ff., 315 x 220 mm.

Latin 5144.

Longtemps méconnu le rôle des ateliers d'enlumineurs à Rome est sorti récemment de l'obscurité grâce aux travaux de Mgr. J. Ruysschaert. Comme l'a montré celui-ci, ce n'est qu'à partir du pontificat de Pie II (1458-1464) que l'on peut parler véritablement d'une production « romaine », production dont le caractère d'ailleurs assez peu homogène s'explique par la diversité d'origine des artistes qui travaillaient pour la cour pontificale, et l'absence de toute tradition locale.

Avec son décor à bianchi girari, le manuscrit exposé ici, qui porte en surpeint les armes du cardinal Lodovico Podocataro (1500-1504), recouvrant peut-être celles du curial Angelo Fasolo, dont plusieurs manuscrits passèrent dans la collection de ce cardinal, représente ce que l'on pourrait appeler la composante florentine de l'enluminure romaine. On y reconnaît le style caractéristique de Giuliano Amadei, enlumineur dont on suit l'activité depuis les dernières années du pontificat de Pie II, où il exécuta une série de manuscrits pour un secrétaire de ce pape, Gregorio Lolli Piccolomini, jusqu'en 1472. Bien que florentin d'origine, l'artiste semble avoir été influencé en partie dans ses oeuvres par le style de l'enluminure ferraraise.

Prov. : Cardinal Lodovico Podocataro ; cardinal Niccolo Ridolfi ; Pierre Strozzi, maréchal de France ; Catherine de Médicis.

Bibl. : Ruysschaert, 1968, p. 266.

142. Saint Augustin, De civitate Dei.

Rome, 1459.

Parchemin, 422 ff., 385 x 265 mm.

Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 218.

Ce beau manuscrit de contenu patristique a été transcrit en littera antiqua par un clerc d'origine allemande Jean Gobelin (Johannes Gobellinus) du diocèse de Trèves, pour un familier et confident du pape Pie II, Niccolô Forteguerri, évêque de Teano puis cardinal du titre de Sainte-Cécile.

Sainte-Cécile. en octobre 1459, le manuscrit fut acquis à la mort du cardinal par l'archevêque d'Arles, Philippe de Lévis qui fit peindre ses armes sur celles du possesseur primitif.

Le frontispice peint du manuscrit est à tous égards remarquable, et tout d'abord en raison de la signature que l'artiste a apposée au bas de l'autel à l'antique contenant l'incipit de l'oeuvre : Pres-



byter Nicholaus. Polani. me fecit. Cet enlumineur qui était peut-être d'origine vénitienne, est fréquemment mentionné dans les comptes de la cour pontificale de Pie II et de son successeur, et n'était connu jusqu'ici que par deux oeuvres signées, le présent manuscrit et un « livre des serments » de la chancellerie apostolique récemment publié par Mgr. J. Ruysschaert. Son style fortement marqué par la culture padouane et ferraraise annonce l'influence prépondérante qu'exercera l'enluminure du Nord-Est de l'Italie sur le milieu artistique romain à partir du pontificat de Sixte IV : en témoigne ici l'ingénieuse utilisation d'un autel à la romaine comme support du titre de l'ouvrage. Le petit camée peint dans la bordure, à gauche du portrait de saint Augustin, est un autre signe de ce goût archéologique qui caractérise le milieu padouan où l'artiste a probablement reçu sa formation. Les motifs tressés s'achevant en crosse utilisés sur le fond extérieur de l'initiale et dans l'encadrement sont en outre particuliers à l'aire d'influence vénitienne.

Du point de vue iconographique, on remarquera la manière originale dont l'artiste a évoqué la Jérusalem céleste qui fait l'objet du traité de saint Augustin. Celle-ci est représentée sous l'aspect de la ville de Rome, que l'on reconnaît à plusieurs de ses monuments : la colonne de Marc-Aurèle, la colonne Trajane, le Panthéon, le château Saint-Ange, etc. Dans un petit médaillon figure l'antithèse de la cité de Dieu, la cité terrestre, reconnaissable à ses divinités païennes. Un autre artiste romain, contemporain de Polano, Jacopo da Fabriano, a repris la même iconographie dans un autre manuscrit de la Cité de Dieu.

Prov. : Niccolô Forteguerri, évêque de Teano ; Philippe de Lévis, archevêque d'Arles ; abbaye Sainte-Geneviève.

Bibl. : Geffroy, 1892, p. 361-381 ; Laborde, 1909, p. 354-359, pl. XXXV ; Boinet, 1921, p. 133-138, pl. XLII ; Ruysschaert, 1968, p. 256.

143. Aeneas Silvius Piccolomini (Pie II),

Epistolae seculares.

Rome, avant 1464.

Parchemin, 218 ff., 325 x 220 mm.

Latin 8578.

Le pape Pie II (1458-1464), de la grande famille siennoise des Piccolomini.

et auteur des lettres contenues dans le présent volume, est l'un des plus intéressantes figures d'humaniste de l'Italie de la Renaissance. Au cours d'une carrière itinérante, il fut successivement secrétaire

secrétaire duc de Savoie Amédée VIII élu pape par le concile de Bâle sous le nom de Félix V, puis de l'empereur Frédéric III. Partisan des thèses conciliaires, il se rangea ensuite au côté du pape


Eugène IV, et monté à son tour sur le trône pontifical, tenta vainement de rallier les princes chrétiens à son projet de croisade contre les Turcs. Comme écrivain, il a laissé une oeuvre abondante et variée, dont un roman d'Euryale et Lucrèce, et une importante correspondance.

C'est très certainement sous les yeux du pontife, à Rome même, qu'a été exécuté le présent exemplaire des Epistolae seculares, recueil de lettres rédigées par Pie II du temps où il était secrétaire de l'empereur Frédéric III. L'état inachevé de la décoration ne permet pas de savoir à qui le pape destinait le volume. On ignore également dans quelles conditions celui-ci arriva entre les mains du cardinal Georges d'Amboise dont les armes ont été ajoutées en haut du f. 5. Outre une abondante série d'initiales à bianchi girari, le manuscrit comporte une belle composition peinte marquant le début du texte (f. 5) : une peinture accolée à l'initiale montre le pape vêtu d'un manteau bleu et coiffé de la tiare, dans son cabinet de travail. Un encadrement, en partie inachevé, entoure le texte écrit : à la partie inférieure, dans un paysage de villes, deux anges soutiennent les armoiries Piccolomini surmontées des clefs de saint Pierre et de la tiare pontificale. Ces armes sont répétées dans la partie droite du cadre, au-dessus d'un groupe de putti. Un décor de bianchi girari remplit le reste du cadre. Malgré son inachèvement, on reconnaît dans cette page le style soigné, marqué d'influences ferraraises et padouanes, de Niccolô Polani, artiste dont on ne connaissait jusqu'ici que deux oeuvres documentées (n° 142). Par comparaison avec le décor à bianchi girari de ce nouveau manuscrit, on peut également rattacher à l'oeuvre de Polani un César de la Bibliothèque Vaticane (Reg. lat. 1954) pour lequel Mgr. Ruysschaert avait proposé le nom de Clément d'Urbino.

Prov. : Cardinal Georges d'Amboise ; cardinal Charles de Bourbon-Vendôme ; versé dans la Bibliothèque royale avec les manuscrits du château de Gaillon.

Bibl. : Samaran, Marichal, 1975, p. 71, pl. CLXXIV.


144. Saint Jérôme, Epistolae.

Rome, 1469.

Parchemin, 381 ff., 400 x 285 mm.

Latin 8910.

Copié en 1469 par « Franciscus de Teanis » pour le cardinal Niccolô Forteguerri (1460-1473), dont les armoiries ont été recouvertes par celles du cardinal Giuliano della Rovere (le futur pape Jules II), ce manuscrit a été enluminé par un des représentants les plus originaux du milieu artistique romain sous le pontificat de Paul II, artiste dont les oeuvres ont été regroupées successivement par Mario Salmi et Mgr. J. Ruysschaert.

Le volume s'ouvre par un bel encadrement historié accompagnant une initiale également historiée. Les trois scènes qu'illustrent cet ensemble se rapportent toutes au père de l'Église dont l'oeuvre est contenue dans le manuscrit, saint Jérôme : dans l'initiale « D », bordée à l'extérieur par des têtes de chérubins, le saint est représenté de face, à sa table de travail, transcrivant sur un pupitre incliné l'oeuvre qu'il a rédigée. Dans la partie droite de l'encadrement, dans un médaillon, figure la scène classique de saint Jérôme dans le désert, priant devant le Crucifix en se frappant d'une pierre. En bas, entre les armoiries du cardinal della Rovere, on reconnaît l'épisode si populaire à la fin du Moyen Age où le saint soigne la patte du lion blessé qui avait pénétré dans son monastère de Bethléem. Deux moines assistent effrayés à la scène. Les deux têtes juvéniles au regard dirigé vers saint Jérôme écrivant se retrouvent fréquemment dans les autres manuscrits de l'artiste. Un grand candélabre à l'antique, auquel s'accrochent des putti, et un riche décor végétal peint en couleur sur fond noir piqueté d'or, complètent l'ornementation de l'encadrement. Il est difficile d'établir les sources stylistiques de ce peintre éclectique : si dans le présent manuscrit son style dénote une indéniable expérience florentine (ses figures montrent qu'il a étudié Filippo Lippi), c'est plutôt l'influence ferraraise qui prédomine dans d'autres de ses manuscrits : c'est d'ailleurs à l'école de Ferrare que Salmi avait rattaché les oeuvres de cet artiste identifié par lui avec un prétendu Michele Carara.

Il est intéressant de noter dans le volume complémentaire du présent manuscrit (ms. lat. 8911) l'intervention d'un scribe qui jouera un rôle primordial


dans l'enluminure romaine sous Sixte IV, Bartolomeo San Vito. Celui-ci s'est contenté dans ce manuscrit de tracer en capitales de couleur le titre et l'incipit introduisant le texte.

Prov. : Niccolô Forteguerri, évêque de Teano : Philippe de Lévis, archevêque d'Arles ; cardinal Giuliano della Rovere.

Bibl. : Ruysschaert, 1969, p. 220 ; Samaran, Marichal, 1974, p. 95, pl. CLXXXVII.

145. Suétone, Vitae XII Caesarum.

Rome, vers 1475-1480.

Parchemin, 164 ff., 276 x 180 mm.

Latin 5814.

Ce manuscrit offre un exemple très frappant de l'évolution radicale que connut l'enluminure romaine à partir du pontificat de Sixte IV (1471-1484). On reconnaît dans son élégante calligraphie la main de Bartolomeo San Vito, copiste d'origine padouane qui exerça la plus grande partie de son activité à la cour de Rome où il résida depuis 1469 jusqu'en 1501, et qui joua un rôle essentiel dans la diffusion de l'écriture italique, variante cursive de la littera antiqua. Également caractéristiques de San Vito sont les admirables titres, incipit et explicit en lettres capitales, qui témoignent d'une étude attentive de l'écriture épigraphique latine. Dans ces passages en capitales, le scribe évite la monotonie en faisant alterner l'or et d'autres couleurs, soit par lignes entières, soit à l'intérieur de chaque ligne, en adoptant un rythme binaire.

Non moins évidente est l'imprégnation padouane de la décoration. Celle-ci est l'oeuvre d'un artiste que l'on trouve fréquemment associé avec San Vito et dans lequel il paraît tentant de reconnaître avec Mgr. Ruysschaert, San Vito lui-même. L'ornementation à bianchi girari en usage jusqu'alors à Rome est remplacée ici par des motifs inspirés du décor sculpté des monuments de l'Antiquité romaine. Caractéristique à cet égard est l'encadrement peint de la vie de Jules César (f. 1), où l'artiste a disposé tout un attirail de trophées guerriers, allusion aux triomphes du héros romain. A la base, maintenu entre deux autels cylindriques sculptés, un bas-relief représente le passage du Rubicon. L'effigie de César apparaît sur la médaille argentée tenue par Pégase à la partie supérieure. Quatre putti peints au naturel et se disputant

disputant trophées introduisent une note comique dans ce décor un peu austère traité en camaïeu d'or. On reconnaît dans ce décor une forte influence mantegnesque de même que dans la grande initiale « A » entourée de deux victoires : les formes prismatiques de cette capitale s'inspirent de celles qui furent mises au point dès 1459 dans le Strabon vénitien d'Albi (n° 112). Pour les autres vies d'empereurs, l'artiste a usé d'un autre système décoratif : désormais l'ornement est constitué par des alignements de médailles copiées d'après des émissions monétaires authentiques se rapportant à l'empereur concerné, ainsi au début de la vie de l'empereur Auguste (f. 22v). Ce goût archéologique qui caractérise la plupart des manuscrits transcrits à Rome par Bartolomeo San Vito, se retrouve dans les oeuvres d'un autre artiste de formation vénéto-padouane, Gasparo Padovano, qui travailla, à Rome semble-t-il, pour les Aragonais de Naples (n° 147).

Ce Suétone, dont on ignore le destinataire, a servi de modèle à un manuscrit exécuté au siècle suivant, vraisemblablement à Rome même, pour le cardinal Georges d'Armagnac (Bibliothèque nationale, nouv. acq. lat. 637). Il entra à la Bibliothèque royale avec les collections numismatiques léguées à Louis XIV par un amateur romain, le chevalier Gualdo. Il s'agit très certainement du manuscrit que vit en 1651 à Rome le voyageur anglais Symonds dans le cabinet de ce collectionneur. Ce manuscrit passait alors pour une oeuvre de Giulio Clovio.

Prov. : Entré à la Bibliothèque royale en 1675 avec les collections du chevalier Gualdo.

Bibl. : Alexander, 1977, p. 64, 67, pl. 13-14 ; Cook, 1980, p. 5.

146. Saint Grégoire le Grand, Moralia in Job. Pl. coul. XXIV.

Rome, 1485.

Parchemin, 182 ff., 410 x 275 mm.

Latin 2231

Au cours de son activité romaine, Bartolomeo San Vito loua ses services non seulement au pape Sixte IV, mais à différents membres de la curie romaine, dont le bibliothécaire du saint père, l'humaniste Platina, ainsi qu'à de hauts dignitaires de l'Église comme le cardinal François de Gonzague et le cardinal Jean d'Aragon. Pour ce dernier il exécuta seulement

seulement décor peint d'une série de manuscrits dont la copie avait été confiée à d'autres calligraphes. C'est le cas du présent manuscrit qui fut transcrit en 1485, l'année même de la mort du cardinal, par un scribe attaché à la cour napolitaine, Giovanni Rainaldo Mennio. La participation de San Vito dans ce manuscrit se limite à la peinture et à l'encadrement du f. 25. L'artiste y a représenté le pape saint Grégoire, auteur du commentaire sur le livre de Job contenu dans le volume, composant son oeuvre sous l'inspiration du Saint-Esprit. Cette scène traditionnelle est traitée ici suivant les conceptions propres aux artistes de la Renaissance : le pape, vêtu d'une tunique blanche, est assis à une table de marbre circulaire vue di sotto in su, procédé mis au goût du jour par Andrea Mantegna. Trois arcatures créent une percée supplémentaire à l'arrière-plan de cette scène aérée et habilement mise en perspective. Brochant sur cette composition aux coloris exquis et lumineux, apparaît, dans un médaillon, l'initiale du texte. Un encadrement à motifs architecturaux et sculptés inspirés de l'Antiquité rappelle le goût prononcé de l'artiste pour la culture classique. La présence d'oeuvres de San Vito dans les collections aragonaises a sans aucun doute contribué à stimuler et à renouveler l'enluminure napolitaine. Ce sont d'ailleurs deux artistes napolitains qui furent influencés par le style « archéologique » dont il était, à Rome, l'un des principaux promoteurs, qui ont complété par la suite la décoration du manuscrit : l'un d'eux, auteur de la plu-


part des grandes lettres ornées marquant le début des différents livres du commentaire de saint Grégoire, est le peintre des encadrements des Heures de Frédéric III d'Aragon (n° 158), sans doute Giovanni Todeschino, disciple et imitateur du compatriote de San Vito, Gasparo Padovano (n° 147). Les petites initiales des chapitres sont certainement de la main de Cristoforo Majorana (cf. n° 155).

Prov. : cardinal Jean d'Aragon ; Ferdinand 1er d'Aragon ; cardinal Georges d'Amboise ; cardinal Charles de Bourbon-Vendôme ; entré à la Bibliothèque royale avec les manuscrits de Gaillon.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. I, p. 59. 157, t. II, p. 79 ; Samaran, Marichal, 1962, p. 111, pl. CLXV ; de la Mare, article à paraître.

147. Ovide, Métamorphoses.

Rome, vers 1485.

Parchemin, 17 ff., 320 x 190 mm.

Latin 8016.

Ce très bel exemplaire des Métamorphoses d'Ovide illustre bien la complexité de la situation artistique en Italie centrale et méridionale à partir du dernier quart du xve siècle. Copié en une superbe écriture humanistique par un scribe florentin anonyme qui signe habituellement ses oeuvres par la sentence latine : Omnium rerum vicissitudo est, il a été exécuté, ainsi que l'indiquent les armoiries peintes au bas du premier feuillet, pour un membre de la famille des Aragonais de Naples, qui n'est autre, suivant une observation récente de Miss A.C. de la Mare, que le cardinal Jean d'Aragon, dont le chapeau cardinalice a été remplacé par une couronne royale, sans doute après sa mort en 1485, lorsque le manuscrit passa dans les collections de son père, le roi de Naples Ferdinand Ier.

La décoration peinte est l'oeuvre d'un artiste qui a exécuté vers la même époque plusieurs autres manuscrits destinés au même mécène. Les éléments mis en oeuvre dans cette décoration, et notamment dans l'encadrement du f. 1, révèlent qu'il s'agit d'un enlumineur d'origine padouane ou vénitienne. Ordonnés avec une rigoureuse symétrie et peints en camaïeu d'or, ces motifs sont empruntés au répertoire antiquisant cher aux artistes de l'aire vénitienne : trophées, vases, bucranes, dauphins, sphinges et génies ailés y alternent avec des camées. Un fond bleu en dégradé, que


nous avons déjà rencontré plusieurs fois dans les manuscrits padouans (nos 115 et 116) ainsi que chez l'enlumineur Bartolomeo San Vito (nos 145-146), met en valeur cet encadrement. Une peinture au début du texte représente Ovide attablé composant son oeuvre. Malgré ses dimensions exiguës, il règne dans ce tableautin à la lumière douce et tamisée et d'une finesse de pinceau exceptionnelle, une impression d'espace et d'intimité que devait apprécier la cour aragonaise, où l'on fut de tout temps sensible à la qualité optique et à l'illusion visuelle que procurait la peinture flamande. Comme l'a suggéré L. Armstrong, il se pourrait bien que l'auteur de cette scène ait été influencé par la vision du plus flamand des peintres de la Renaissance italienne, Antonello de Messine, qui termina sa carrière à Venise.

Cet enlumineur a trouvé un imitateur remarquable dans le milieu napolitain (cf. n° 158), ce qui rend vraisemblable son identification avec Gasparo Padovano, qui travailla pour le cardinal Jean d'Aragon, et dont on sait par le témoignage d'un contemporain, Pietro Summonte, qu'il fut le maître de l'artiste napolitain Giovanni Todeschino.

Prov. : Cardinal Jean d'Aragon ; Ferdinand 1er d'Aragon ; Henri II, roi de France.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. II, p. 119, t. IV, pl. 183 ; Alexander, 1969, p. 18 n. 33 ; Armstrong, 1981, p. 40. 41, 42-43, 44, 46, 57-58, 67, 75, 80 n. 34, 87 n. 15, 96 n. 59, 110, 131, 133, fig. 103-107, 115, pl. IV ; de la Mare, article à paraître.

148. Benvenuto d'Imola, Romuleon.

Rome, vers 1485-1490.

Parchemin, 239 ff., 335 x 240 mm.

Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 667.

Attribuée fréquemment à un mythique Roberto da Porta, cette compilation d'histoire romaine a été en réalité composée au XIVe siècle par l'humaniste bolonais Benvenuto Rambaldi d'Imola, auteur d'un célèbre commentaire sur la Divine Comédie de Dante. L'oeuvre a connu un certain succès en France où elle fut traduite en 1466 pour un conseiller de Louis XI, Louis de Laval-Châtillon par le clerc champenois Sébastien Mamerot.

Localisé jusqu'ici en Italie sans plus de précision, le présent exemplaire, dont le destinataire n'a pu être identifié, a été rattaché récemment par J.J.G. Alexander à la production romaine de la fin du

XVe siècle. Deux des quatre enlumineurs ayant participé à l'illustration du manuscrit ont en effet une carrière romaine assurée : l'un d'eux, auteur des peintures des ff. 10, 12, 102 et 118 et de l'initiale historiée du f. 1 v, est identifiable avec le peintre d'un missel, aujourd'hui démembré, exécuté pour le pape Innocent VIII (1484-1492), le second, dont les décors à éléments numismatiques trahissent l'origine padouane, étant le présumé Giorgio Culinovic, dit le Schiavone, auteur de plusieurs manuscrits destinés à Sixte IV. En outre le seul autre manuscrit jusqu'ici repéré où l'on puisse reconnaître la main du copiste du Romuléon est un registre des archives vaticanes copié en 1481 pour ce dernier pape (A.A. Arm. XXXI, 62). Notons enfin l'iconographie romaine marquée des deux premières peintures du volume (f. 3v : Triomphe de Rome, f. 4 : Hommage des nations à Rome).

Il est curieux de constater la diversité d'orientation stylistique, d'ailleurs assez compréhensible dans l'ambiance cosmopolite de la cité pontificale, que manifestent

manifestent quatre artistes appelés à collaborer dans le manuscrit. Le seul représentant du courant padouan, prépondérant sous le pontificat précédent, est le présumé Culinovic, auteur des peintures des ff. 112 et 182, et surtout de la série d'encadrements architecturaux accompagnés de médailles à effigies impériales qui occupent les ff. 172 à 234. Le style du maître du missel d'Innocent VIII n'a. d'antécédent dans l'enluminure romaine que chez le pseudo-Michele Carara comme l'a remarqué J.J.G. Alexander. Les analogies sont même telles entre les manuscrits regroupés sous ces deux appellations qu'il nous paraît certain que ceux-ci sont le fait d'une seule et même personnalité artistique à deux moments différents de sa carrière : mais alors que les influences ferraraises, et notamment celle d'un Guglielmo Giraldi, prédominent encore dans les oeuvres les plus anciennes, l'empreinte de la peinture florentine déjà sensible dans le Saint Jérôme de 1469 (n° 144), s'affirme encore davantage dans les fragments du missel d'Inno-


cent VIII et le Romuléon, ainsi qu'en témoignent par exemple les drapés botticelliens des figures de l'Enlèvement des Sabines dans ce dernier manuscrit (f. 12). Il est probable que la présence du grand peintre florentin à Rome en 1481 ne fut pas étrangère à cette évolution.

C'est un éclectisme différent, combinant références péruginesques dans les figures, et nordiques dans les paysages, que révèlent les miniatures du troisième artiste, auteur notamment des deux scènes triomphales des ff. 3v et 4. La tension dramatique un peu grandiloquente du dernier enlumineur, auquel revient l'exécution des peintures des ff. 24, 80, 120, 155, et 170, s'explique sans doute par son appartenance au milieu de l'enluminure gothique française et fait écho, comme l'a bien vu Alexander, à certaines recherches expressives de Jean Colombe et de son atelier.

Prov. : Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson ; Antoine-René, marquis de Paulmy.

Bibl. : Martin, s.d. ; Alexander, 1980, p. 379-381.

Exp. : Trésors de l'Arsenal, 1980, n°75.

149. Psautier de Paul III.

Rome, 1542.

Parchemin, III + 213 + III ff., 370 x 255 mm.

Latin 8880.

L'art de l'enluminure fut pratiqué à Rome jusqu'à une époque avancée du XVIe siècle. Il connut même un éclat particulièrement vif sous le pontificat de Paul III Farnèse (1534-1549), grâce à deux artistes remarquables, le croate Giulio Clovio, et le français Vincent Raymond, de Lodève. Si le premier ne fit qu'une partie de sa longue carrière à Rome, où il exécuta pour le cardinal Alessandro Farnese, neveu du pape, un livre d'heures aujourd'hui conservé à la Bibliothèque Pierpont Morgan, Vincent Raymond semble pour sa part s'être fixé dans la cité pontificale, où on sait qu'il travailla successivement sous Léon X, Clément VII et Paul III, à la décoration des manuscrits liturgiques de la Chapelle Sixtine. C'est à cet artiste qu'est dû, ainsi que l'a établi L. Dorez, le superbe psautier de Paul III, entré à la Bibliothèque nationale en 1798 avec une partie des manuscrits de Pie VI. Copié en 1542 par le scribe Federico Mario de Pérouse, camérier du pape, le manuscrit a reçu un somptueux décor comportant une peinture

peinture pleine page, trois encadrements et une série d'initiales historiées. Les scènes de ces dernières offrent la particularité de se présenter sous l'aspect de camées aux personnages minuscules. On a souvent reproché à cette oeuvre, tout comme à celles de son rival Clovio, de manquer

d'originalité et d'être trop étroitement dépendante dans son inspiration et son style des compositions de Michel Ange. La dette de l'artiste à l'égard du grand créateur florentin est évidemment patente dans la peinture du f. 182v, qui représente la Création du monde, et où


Vincent Raymond a reproduit fidèlement la puissante figure du Dieu le Père de la Sixtine. Le répertoire ornemental des encadrements s'inspire de tout autres modèles : ici l'artiste a adapté le décor de « grotesques », inspirés de la peinture romaine de l'époque de Néron, mis en oeuvre par Giovanni da Udine et Perino del Vaga aux Loges du Vatican.

Prov. : Paul III ; Pie VI.

Bibl. : Dorez, 1909 ; Leroquais, 1940-41, t. II, p. 91-93, pl. CXL.

Naples

150. Justin, Epitome historiarum philippicarum Pompei Trogi.

Naples, avant 1458.

Parchemin, 155 ff., 360 x 255 mm.

Latin 4956.

Ce manuscrit a été copié pour Alphonse d'Aragon, roi de Naples, par le scribe Jacobus Antonius Curlus, ainsi que nous l'apprend la souscription du f. 155. Mal-' gré l'absence de date il est probable que l'exécution du volume se place dans les dernières années du règne du souverain aragonais, années qui correspondent au nouvel essor de la production du livre dans la cité campanienne après plus d'un demi-siècle de sommeil.

La décoration du f. 9 témoigne de l'originalité que pouvaient atteindre les enlumineurs napolitains de cette époque dans leur adaptation du nouveau style ornemental mis au goût du jour par les ateliers florentins. L'encadrement à bianchi girari et sa population de putti, de cerfs, de paons et de papillons, procède bien de modèles toscans, mais est organisé différemment : les trois bandes à motifs dorés tracés à la plume qui canalisent les rinceaux, sont inconnus à Florence et semblent être une survivance de l'époque gothique. La monotonie des bianchi girari est rompue de place en place par les taches colorées du décor héraldique. Trois écus rappellent les titres royaux d'Alphonse le Magnanime : de haut en bas, on reconnaît les armes d'Aragon-Barcelone, soutenues par un ange à la belle tunique bleue, celles d'Aragon-Sicile, et celles d'Aragon-Naples. Aux angles de l'encadrement, et à gauche de

l'initiale historiée, apparaissent divers emblèmes adoptés par Alphonse d'Aragon et que reprendront ses successeurs : le livre ouvert, le noeud de Salomon, la gerbe de millet, le trône en feu, et la gerbe de lis dans un pot, emblème de l'ordre du lys ou de la jarre fondé par le roi Garcia de Navarre et réformé en 1403 par Ferdinand d'Aragon, père du Magnanime. Dans l'initiale historiée, l'auteur du texte, l'historien- romain Justin, est représenté lisant dans une cathèdre à baldaquin, coiffé d'un chaperon dont le rouge éclatant ravive la composition.

On reconnaît la main de cet attachant artiste dans plusieurs manuscrits provenant de la « librairie » aragonaise, notamment dans un Saint Jean Chrysostome de la Bibliothèque de Valencia.

Prov. : Alphonse d'Aragon, roi de Naples ; acheté en 1501 à Frédéric III d'Aragon par le cardinal Georges d'Amboise ; cardinal Charles de Bourbon-Vendôme.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. 1, p. 9, 13, 14, 139, t. II, p. 89, t. III, pl. 127 ; Samaran, Marichal, 1962, p. 251, pl. CXIX.

151. Cassiodore, Historia tripartita.

Naples, vers 1455-1458.

Parchemin, 241 ff., 340 x 245 mm.

Latin 5088.

Ce manuscrit a certainement été exécuté pour Alphonse d'Aragon, dit le Magnanime (1442-1458), fondateur de la lignée des rois aragonais de Naples comme l'indiquent les armoiries peintes au début du volume. Celui-ci s'ouvre sur une page dont l'encadrement à bianchi girari constitue l'un des premiers essais de décor humanistique dans l'enluminure napolitaine. Dans l'initiale figurent trois personnages, probablement les trois auteurs, Théodoric, Sozomène et Socrate, dont Cassiodore a compilé les oeuvres. Le style singulier de cette initiale et des putti joufflus de l'encadrement, permet d'attribuer cette page à l'un des artistes distingués par A. Putaturo Murano dans les Heures d'Alphonse d'Aragon (Naples, Biblioteca Nazionale, ms. I.B. 55), artiste désigné par cet auteur sous le nom de « maître napolitain catalanisant ». Très caractéristiques de l'artiste sont ses personnages trapus, aux volumes puissamment simplifiés mis en valeur par un modelé contrasté, et peints dans des


tonalités sourdes. Également caractéristique le menu pointillé blanc qui épouse les contours des rinceaux et des tiges dorées de l'encadrement.

Le style des Heures du souverain aragonais a fait l'objet d'analyses divergentes qui reflètent la complexité de la situation artistique napolitaine vers

le milieu du xve siècle : A. Putaturo Murano a discerné dans le style des quatre artistes qu'elle distingue dans le manuscrit une très forte composante catalane, contaminée d'éléments d'origine flamande, alors que F. Bologna est enclin à chercher dans la peinture germanique, et notamment dans l'art de

Conrad Witz, la source des éléments stylistiques nordiques du livre d'heures. Le débat n'est pas clos, et sa solution passera sans doute par une meilleure connaissance de l'enluminure et de la peinture à Valence et à Barcelone, qui furent des relais essentiels des innovations flamandes dans le bassin méditerranéen. Un troisième manuscrit qu'il convient de rattacher aux Heures d'Alphonse d'Aragon, tend à confirmer cette hypothèse : il s'agit du livre d'heures à destination catalane décrit par A. von Eeuw et J. Plotzek dans le tome II du Catalogue de la Collection Ludwig (aujourd'hui à Malibu, Musée Paul Getty, Ms. Ludwig IX, 12).

Prov. : Alphonse d'Aragon, roi de Naples ; acheté en 1501 à Frédéric d'Aragon par le cardinal Georges d'Amboise ; cardinal Charles de Bourbon-Vendôme.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. 1, p. 8, 48, t. II, p. 43, t. III, pl. 54.

152. Sénèque, De quaestionibus naturalibus, De remediis fortuitorum, Liber proverbiorum.

Naples, vers 1455-1460.

Parchemin, 208 ff., 297 x 217 mm.

Latin 17842.

Malgré l'absence d'indication explicite relative à son origine, ce manuscrit est sans aucun doute à rattacher à la production napolitaine, la main de son enlumineur se retrouvant dans plusieurs manuscrits aux armes aragonaises, destinés semble-t-il à Alphonse le Magnanime (Escorial, ms. g. III. 23 ; Oxford, Bibliothèque Bodléienne, ms. lat. class. d. 38). On reconnaît d'ailleurs l'effigie de ce souverain dans l'encadrement du f. 1, et T. De Marinis a proposé d'identifier le scribe qui a transcrit le manuscrit avec le copiste Pietro Ursuleo, qui travailla à plusieurs reprises pour la cour napolitaine. Deux autres manuscrits enluminés par le même artiste, écrits par le même copiste et de format identique (Vienne, Bibliothèque nationale, Cod. 69 et Modène, Biblioteca Estense, ms. a H. 5. 1) formaient avec le présent volume une sorte de corpus des oeuvres de Sénèque.

Les rinceaux à bianchi girari qui se déploient dans l'encadrement en ondulations savamment rythmées révèlent une assimilation heureuse et personnelle des



principes de la décoration florentine. L'initiale historiée représentant Sénèque dans son étude, ne s'explique en revanche que dans le contexte de la peinture napolitaine de l'époque : cette minuscule scène, exécutée d'un pinceau délicat, nous montre l'auteur installé à sa table de travail dans un intérieur vu en perspective, dont la peinture argentée a malheureusement terni. L'atmosphère intime qui règne dans cette scène, l'attention portée aux détails familiers (étagères chargées de livres, chandelier de cuivre, etc.) évoquent la peinture flamande tant prisée des souverains aragonais, et tout d'abord d'Alphonse 1er qui possédait dans ses collections un célèbre tableau au thème analogue, le saint Jérôme de Jan van Eyck. Certains détails de la miniature, telle la lettre attachée au mur, donnent à penser cependant que l'enlumineur s'est plutôt inspiré du tableau sur le même thème du peintre Colantonio, le plus fervent adepte napolitain du style flamand, qu'il connut peut-être à travers Barthélémy d'Eyck, peintre attitré de René d'Anjou.

Restée jusqu'ici dans l'anonymat, la décoration de ce manuscrit et de ceux qui peuvent lui être rapprochés, nous paraît être une oeuvre précoce d'une personnalité bien connue de l'enluminure napolitaine, Matteo Felice, artiste qu'on suit dans les archives napolitaines jusqu'en 1493 et dont la première oeuvre documentée est un Boèce de la Bibliothèque Vaticane (ms. Palat. lat. 1740) exécuté en 1467 pour un citoyen florentin de passage à Naples, Agnolo Manetti.

Prov. : Jean Bouhier, président au parlement de Dijon.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. 1, p. 9, t. II, p. 149, t. IV, pl. 222 ; Samaran, Marichal, 1975, p. 719.

153. Bessarion, Adversus Georgium Trapezuntium calumniatorem Platonis defensionum opus.

Naples, 1476.

Parchemin, 1 + 423 ff., 335 x 230 mm.

Latin 12946.

En 1458 l'humaniste d'origine grecque Georges de Trébizonde, attaché au services des papes depuis Eugène IV, engagea une violente polémique contre Platon et ses adeptes, proclamant ne reconnaître

que l'autorité d'Aristote. Les outrances de ses attaques engagèrent l'un des principaux tenants du courant platonicien, le cardinal Bessarion, lui aussi d'origine grecque et membre éminent du Sacré

Collège, à lui répliquer dans un traité « contre le calomniateur de Platon » rédigé en 1465 et publié en 1469, où il réfute les erreurs de son adversaire et démontre tout ce que la théologie chré-


tienne, à commencer par saint Augustin, doit à la pensée du philosophe grec.

Le présent exemplaire contient la version définitive de ce texte. Il a été transcrit et décoré en 1476, quatre ans après la mort de l'auteur, pour le roi Ferdinand 1er d'Aragon (1458-1494), par le scribe et enlumineur d'origine allemande, Gioacchino de Gigantibus, de Rottenbourg, ainsi que nous l'apprend une inscription en lettres capitales dorées contenue dans un médaillon au dernier feuillet. Gioacchino de Gigantibus est l'un des artistes les plus féconds, sinon le plus original, de la seconde moitié du XVe siècle. Au cours d'une longue carrière itinérante, qui le mena de Rome (où il résida de 1448 à 1460, de 1469 à 1471, et de 1481 à 1485), à Sienne (de 1460 à 1468) et à Naples (de 1471 à 1481), il a décoré un nombre considérable de manuscrits d'une facture assez monotone, reconnaissables à l'agencement en spirales symétriques de leurs bianchi girari qu'animent des putti d'aspect malingre, et des perroquets à la queue effilée. La page ornée marquant le début du texte de Bessarion constitue un exemple caractéristique de son style. Les quelques éléments figurés de cette composition montrent les capacités limitées de l'artiste dans le domaine du portrait. A gauche de l'initiale « I » du texte, apparaît un personnage en buste, de profil, lisant un livre : il s'agit probablement de Platon. Dans la partie droite, une couronne de laurier renferme deux autres personnages de profil, disposés face à face : celui de droite est certainement Bessarion, reconnaissable à son chapeau de cardinal. Son vis-à-vis est probablement le roi de Naples Ferdinand 1er d'Aragon, destinataire du manuscrit, dont nous retrouverons l'effigie dans le manuscrit suivant, et dont les armoiries, et deux emblèmes, l'hermine et le trône périlleux, figurent dans l'encadrement. Sur le feuillet opposé, une autre couronne de laurier ornée de rubans, contient le titre de l'oeuvre en capitales dorées.

Prov. : Ferdinand 1er d'Aragon, roi de Naples ; chancelier Pierre Séguier ; Henri du Cambout, duc de Coislin, évêque de Metz ; abbaye Saint-Germain-des-Prés.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. I, p. 61, 62, 150 ; Samaran, Marichal, 1974, p. 313, pl. CXCVI ; Putaturo Murano, 1973, p. 33 pl. XXI b.

154. Andrea Contrario, Reprehensio sive objurgatio in calumniatorem divini Platonis.

Naples 1471

Parchemin, II + 147 ff., 325 x 225 mm.

Latin 12947.

Comme celui du cardinal Bessarion, le traité de l'humaniste vénitien Andrea Contrario est une réplique aux attaques de Georges de Trébizonde contre la philosophie platonicienne. L'auteur s'en prend vivement aux thèses du polémiste


grec qu'il accable d'invectives. L'oeuvre est dédiée au roi de Naples Ferdinand 1er d'Aragon (1458-1494) auprès duquel Contrario s'était réfugié en 1471, après la mort du pape Paul II.

Deux articles de compte des archives aragonaises se rapportent à la confection du présent volume, qui est l'exemplaire de dédicace : le premier, de juin 1471, concerne le paiement de la transcription du texte par Giovanni Marco Cinico, qui a indiqué son nom à la fin du manuscrit. Un second article, daté du 6 novembre de la même année, nous livre le nom de l'auteur des trois encadrements peints dans le volume : il s'agit de l'enlumineur Cola Rapicano. Bien que cet artiste apparaisse dans les comptes dès 1451, le manuscrit de Contrario est sans doute une de ses plus anciennes oeuvres documentées.

Divers indices donnent à penser que Contrario a joué un rôle dans l'exécution du manuscrit : la présence en tête du volume d'un bifolium teint en violet (ff. 1-2), imitant la technique antique, fort prisée à Venise (cf. n° 115), du parchemin pourpré ; de même l'indication de la dédicace et du titre de l'oeuvre en grec, est une vanité d'helléniste qu'on retrouve dans une médaille à l'effigie de Contrario (Hill, Corpus, n° 503), dont l'avers est lui aussi légendé en grec. Le profil de Contrario dans l'initiale du f. 11 présente d'ailleurs une étroite parenté avec celui de cette médaille.

La personnalité éminente du dédicataire est soulignée par la présence de deux portraits de celui-ci. Ferdinand 1er d'Aragon apparaît une première fois, monté à cheval, sur le fond violet du f. 2 : le type équestre de cette représentation dérive de toute évidence des célèbres fresques d'Uccello et d'Andrea del Castagno à la cathédrale de Florence, ainsi que du Gattamelata de Donatello à Padoue. Le monarque aragonais s'est fait représenter de la même manière, également sur parchemin teinté, dans un Cicéron de la Bibliothèque nationale de Vienne, nettement postérieur.

La seconde effigie de Ferdinand 1er figure dans l'initiale historiée du f. 3. Ici, le monarque est vu en buste, de profil, à la façon d'une médaille. Cette référence à la numismatique est encore plus accentuée dans l'encadrement, où Rapicano a représenté Alphonse 1er d'Aragon. Ce portrait, et plus encore le groupe figurant un aigle défendant le cadavre d'une biche contre d'autres rapaces, dérivent des


médailles frappées en l'honneur du Magnanime par Pisanello. Des profils d'empereurs et d'Hannibal inspirés de camées antiques, les armoiries et divers emblèmes aragonais complètent le décor de cet encadrement, qui se détache sur un tapis de bianchi girari peuplés d'animaux et de putti, dont les attitudes bondissantes et la facture un peu sèche sont caractéristiques de Rapicano.

Prov. : Ferdinand 1er d'Aragon ; acheté en 1501 par le cardinal Georges d'Amboise à Frédéric III d'Aragon ; René de Sanzay ; chancelier Pierre Séguier ; Henri du Cambout, duc de Coislin, évêque de Metz ; Saint-Germain-des-Prés.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. I, p. 48, 146, t. II, p. 53, t. III, pl. 74-7 ; Putaturo Murano, 1973, p. 26, pl. XI c et d.

155. Saint Augustin, Contra Faustum.

Naples, vers 1480-1485.

Parchemin, 194 ff., 395 x 260 mm.

Latin 2082.

La décoration de ce manuscrit est l'oeuvre d'un enlumineur napolitain dont on suit l'activité de 1480 à 1492, Cristoforo Majorana. Le style de cet artiste formé probablement dans l'atelier de Cola Rapicano, dont ses oeuvres les plus anciennes subissent l'influence, a connu une notable évolution au contact des manuscrits enluminés pour les Aragonais par Bartolomeo San Vito qu'il a manifestement admiré et cherché à imiter sans arriver d'ailleurs à l'égaler : dans un Pontano de la Bibliothèque de Valencia, Majorana va même jusqu'à reproduire presque littéralement l'encadrement architectural d'un Flavius Josèphe aux armes d'Alphonse de Calabre, dû au pinceau de l'artiste padouan.

Le présent volume, transcrit par le calligraphe florentin à la devise Omnium rerum vicissitudo est, probablement pour le cardinal Jean d'Aragon suivant Mlle A.C. de la Mare, comporte une petite miniature et un encadrement au premier feuillet. Si la position de la miniature, qui occupe l'emplacement réservé à l'initiale, se conforme aux conceptions décoratives de San Vito, l'influence de ce dernier est beaucoup moins évidente dans le décor de l'encadrement, où Majorana révèle son éclectisme en combinant des motifs en candélabre d'esprit antiquisant avec une bordure à feuillage plus traditionnelle, peuplée de monstres hybrides et de grotesques qui


montrent l'attachement des enlumineurs napolitains à l'héritage gothique de la période angevine.

Prov. : Cardinal Jean d'Aragon : Ferdinand 1er d'Aragon ; Charles VIII : librairie de Blois.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952, t. II. p. 20, t. III, pl. 23.

156. Ptolémée, Cosmographia, traduction latine de Jacopo Angelo.

Naples, 1490.

Parchemin, 1 + 293 3 ff., 267 x 145 mm.

Latin 10764.

Suivant l'exemple de la dynastie aragonaise, la noblesse du royaume de Naples exerça un certain mécénat dans le domaine du livre manuscrit. L'un des plus remarquables de ces seigneurs bibliophiles fut Andrea Matteo III Acquaviva, duc d'Atri et marquis de Bitonto (1458-1529), qui se constitua durant les dernières années du xve siècle et au début du siècle suivant une importante collection de manuscrits, dont les plus belles pièces sont aujourd'hui partagées entre la Bibliothèque nationale de Vienne et celle du couvent des Hiéronymites de Naples. Très en faveur auprès de Ferdinand 1er d'Aragon, les Acquaviva avaient obtenu en 1479 le privilège d'écarteler leurs armes (d'or au lion d'azur) avec celles d'Aragon-Naples, et étaient alliés à la dynastie aragonaise de par le mariage d'Andrea Matteo Acquaviva avec Isabelle Piccolomini, dont la mère était une fille naturelle de Ferdinand Ier.

C'est pour le duc d'Atri. dont les armes figurent à différentes reprises dans le manuscrit, qu'a été exécuté le présent exemplaire de Ptolémée. Une inscription qui apparaît sur l'une des cartes géographiques peintes à la fin du volume indique la date de celui-ci : Ex officina Bernardi Ebolite in anno 1490 (ff. 2 92v-293). Le personnage mentionné dans cette inscription est le cartographe Bernardo Silvano d'Eboli, qui publia en 1511 à Venise une édition imprimée de Ptolémée, elle aussi dédiée à Andrea Matteo Acquaviva.

La décoration peinte du manuscrit n'est pas l'oeuvre de l'enlumineur habituel du duc d'Atri, Reginaldo Piramo de Monopoli, mais de deux artistes, le premier, auteur de la charmante figure symbolisant la Géographie (f. 1 v) et du personnage du f. 2 représentant Ptolémée. étant certainement identifiable avec Cristoforo

Cristoforo (cf. 155), dont on retrouve la main dans plusieurs manuscrits enluminés pour le duc d'Atri, notamment dans un Themistius de la bibliothèque des Hiéronymites de Naples. L'encadrement architectural sous lequel se présente Ptolémée, est l'oeuvre d'un collaborateur qui a peint également des allégories de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique et les cartes qui font suite au texte (ff. 234v-293). L'abus des éléments d'architecture et des motifs décoratifs à l'antique révèlent en lui un artiste imitant lourdement le style padouan de Bartolomeo San Vito, dont il se distingue cependant par un coloris intense et froid. On relève dans une de ses compositions, celle des ff. 236v-237, représentant l'Enlèvement d'Europe, une citation de la célèbre gravure de Mantegna représentant le combat des tritons.

Prov. : Andrea Matteo Acquaviva : François Ier.

Bibl. : De Marinis, 195 ; Samaran. Marichal, 1974, p. 203, pl. CCVII.

157. Giuniano Maio, De Majestate.

Naples, 1492.

Parchemin, 64 ff.. 270 x 210 mm.

Italien 1711.

Cet opuscule à la gloire de Ferdinand 1er d'Aragon est le type de l'oeuvre de courtisan. L'auteur y énumère les vertus du prince idéal et donne pour chacune d'elles un exemple de leur mise en pratique par le roi de Naples. Le texte est divisé en vingt chapitres, qui sont illustrés d'une ou plusieurs petites miniatures de format carré. Le manuscrit

débute par une initiale et un encadrement à blanchi girari au bas duquel sont peintes les armoiries du royal destinataire. La date de 1492 apposée à la fin du texte est confirmée par une série de documents des archives aragonaises se rapportant à l'exécution du volume et fournissant également le nom du copiste, Giovanni Matteo de Russis, et de l'enlumineur, Nardo Rapicano. Ce dernier était certainement apparenté à l'un des principaux enlumineurs napolitains du troisième quart du XVe siècle, Cola Rapicano (cf. n° 154), dont il était peut-être le fils. La filiation stylistique des deux artistes est en tous cas évidente, ne serait-ce que dans les personnages aux têtes arrondies, dessinés et modelés de façon un peu sèche. Dans le présent manuscrit cependant, qui est sa seule oeuvre documentée, Nardo Rapicano se révèle meilleur coloriste que son aîné.

Des trente miniatures que comportait primitivement le volume, seules vingt-sept subsistent aujourd'hui. Certaines de ces scènes présentent un grand intérêt iconographique et documentaire, notamment les évocations de Rhodes (f. 12v) et surtout de Naples (ff. 43 et 52v). L'une des plus raffinées dans l'exécution est celle du f. 10v. figurant un acte de magnanimité de Ferdinand Ier. Devant les tentes d'un camp militaire, celui-ci accorde son pardon à Marino Marzano qui avait tenté de l'assassiner. La partie gauche du tableau est occupée par un paysage fluvial détaillé à la façon flamande, jusque dans la manière d'évoquer les reflets sur l'eau. Dans la marge. le candélabre à l'antique se détachant sur un fond ombré en dégradé rappelle l'emprise du style « archéologique » d'origine padouane sur l'enluminure napolitaine du dernier quart du siècle. Il est probable que Nardo Rapicano, sous ce double aspect, a subi l'ascendant du meilleur enlumineur napolitain de l'époque, Giovanni Todeschino, qui dans une de ses oeuvres les plus caractéristiques, un Horace du Kupferstichkabinett de Berlin, concilie de façon encore supérieure, l'acuité de la vision flamande et la monumentalité d'un décor antiquisant d'inspiration padouane.

Prov. : Ferdinand 1er d'Aragon : acheté en 1886 par la Bibliothèque nationale.

Bibl. : De Marinis, 1947-1952. t. I. p. 68-69. 149. pl. 14-16, t. II. p. 103-104. t. IV. pl. 164-168.

Exp. : Trésors des bibliothèques d'Italie, 1950. n° 202.


158. Heures de Frédéric III d'Aragon.

Naples [et Tours], vers 1496-1501.

Parchemin, 194 ff. (paginés de 1 à 387), 245 x 155 mm.

Latin 10532.

Bien connu des spécialistes de l'enluminure française depuis qu'Emile Mâle, au début de ce siècle, a reconnu dans ses peintures la main de Jean Bourdichon, ce livre d'heures du dernier roi de Naples de la lignée aragonaise, Frédéric III (1496-1501), n'a pratiquement pas retenu l'attention de la critique italienne bien qu'une partie importante de son décor soit l'oeuvre d'une des plus éminentes personnalités de l'enluminure napolitaine de la Renaissance.

Écrit en humanistique par une main italienne, le manuscrit a été enluminé par deux artistes à la culture artistique très différente, le tourangeau Bourdichon, auteur de toutes les peintures du livre d'heures, et un artiste italien auquel a été confiée l'exécution des riches encadrements décoratifs accompagnant celles-ci. Seuls ces encadrements ont été peints directement sur les feuillets du manuscrit, alors que les miniatures de Bourdichon figurent sur des feuillets indépendants qui ont été collés ensuite à leur emplacement prévu dans le volume. On a pensé pouvoir expliquer cette procédure tout à fait inhabituelle, et même extraordinaire, en supposant que les miniatures avaient été rajoutées en Touraine, où Frédéric d'Aragon, évincé du trône de Naples par Louis XII, passa les trois dernières années de sa vie de 1501 à 1504. Certaines observations matérielles s'opposent à cette interprétation et indiquent que le peintre des encadrements n'est intervenu dans le manuscrit qu'en fonction des miniatures de Bourdichon, donc à Naples même, antérieurement à 1501. Ceci est confirmé par l'existence d'un autre manuscrit daté de 1500, où les deux artistes ont collaboré étroitement (Leonardo Corvino, Officia octo, Londres, British Library, ms. Add. 21591). Les oeuvres de Bourdichon semblent avoir été spécialement appréciées à la cour du dernier roi aragonais : un autre livre d'heures dû à cet artiste a appartenu à Ippolita d'Aragon, comtesse de Venafro (Monserrat, ms. 66), et l'un des très rares tableaux qui lui soient attribuables est conservé à Naples, au Musée de Capodimonte. L'hypothèse d'un séjour napolitain de l'artiste n'est pas exclue, et le décor d'un de ses manuscrits, le missel


de Tours, ms. lat. 886 de la Bibliothèque nationale, montre qu'il a connu et imité les ornements antiquisants mis en oeuvre par son collaborateur napolitain dans le livre d'heures de Frédéric d'Aragon.

Malgré le rôle subalterne qui lui a été dévolu dans le manuscrit, le peintre des encadrements a su habilement mettre en valeur les oeuvres de son collaborateur français. Ainsi à la p. 198, il s'est ingénié à susciter l'impression de l'espace : ici la miniature de Bourdichon, qui représente la Descente de Croix, est transformée en tableau d'autel caché par un rideau écarté par deux anges. Au premier plan, une arcade sert de repoussoir et accentue l'impression de profondeur. L'ensemble de la composition est comme vu à travers une fenêtre aménagée dans le feuillet de parchemin, le pourtour de celui-ci paraissant déchiré et percé de trous. Ce dernier détail est un effet de trompe-l'oeil, qu'on retrouve ailleurs dans le manuscrit (p. 332 et 340), et qui indique clairement la filiation vénitienne de l'artiste. Celle-ci est confirmée par le répertoire ornemental antiquisant, le décor de perles et de joyaux et les fonds en dégradé bleu ou violet qu'il utilise le plus souvent, et qui révèlent en lui un disciple du maître padouan-vénitien de l'Ovide du cardinal Jean d'Aragon (n° 147), artiste probablement identifiable avec Gasparo Padovano. Dans leur perfection un peu froide, ces encadrements sont à rapprocher de trois autres manuscrits aragonais, l'Horace de Berlin, le Pline de Valencia et le Flavio Biondo de Munich, oeuvres d'un artiste qu'il y a de bonnes raisons d'identifier avec l'enlumineur napolitain Giovanni Todeschino, disciple et émule de Gasparo Padovano, vanté par Pietro Summonte dans une lettre à Marco Antonio Michiel.

Prov. : Frédéric III d'Aragon ; acheté en 1828 par la Bibliothèque royale à un certain Ferguson.

Bibl. : Delisle, 1868, t. I, p. 224, 1874, t. II, p. 289 ; Mâle, 1902 (rééd. 1968) ; Leroquais, 1927, t. I, p. 328-332, pl. CX-CXIV ; Fiot, 1949, p. 65-80 ; De Marinis, 1947-1952, t. I, p. 158-159, t. II, p. 114, t. IV, pl. 175-179 ; Limousin, 1954, p. 72-74, fig. 52-55, 124-127 ; Samaran, Marichai, 1974, p. 185.

Exp. : Manuscrits à peintures, 1955, n° 350.

159. Heures à l'usage de Rome.

Naples, vers 1505-1510.

Parchemin, XIII + 204 ff., 110 x 70 mm.

Latin 1354.

Ce petit livre d'heures témoigne des inflexions nouvelles qui se manifestèrent dans l'enluminure du royaume de Naples, au moment où celui-ci passa sous la férule des Rois Catholiques, à partir de 1503, après l'éviction du dernier descendant d'Alphonse d'Aragon. L'origine méridionale du manuscrit, déjà probable en raison des particularités liturgiques (le calendrier contient la mention de plusieurs saints honorés dans le diocèse de Naples et l'office de la Vierge se réfère explicitement à l'usage du Mont-Cassin) peut être désormais établi à partir de l'examen stylistique du décor. L'un des deux peintres ayant collaboré dans le manuscrit est identifiable en effet avec le peintre espagnol Pedro de Aponte dont la personnalité artistique et la carrière ont été brillamment reconstituées dans un ouvrage récent du professeur Ferdinando Bologna (Napoli e le rotte mediterranee della pittura da Alfonso il Magnanimo a Ferdinando il Cattolico, Naples, 1977, p. 215-236). L'activité de cet artiste en Italie du Sud est représentée par deux

panneaux de la Nativité et de la Flagellation de la cathédrale d'Atri, dont la commande est attribuable à Andrea Matteo Acquaviva. Bologna a reconnu également la main de l'artiste dans un manuscrit exécuté pour le même personnage, les Épîtres de Pline le Jeune de la bibliothèque des Hiéronymites de Naples, ainsi que dans un somptueux bréviaire-missel de Ferdinand le Catholique, certainement postérieur à 1503, conservé à la Bibliothèque Vaticane. Les oeuvres de Pedro de Aponte révèlent en lui un artiste fortement marqué dans sa conception de l'espace par l'art de Bramante, et dans ses figures par la peinture de Signorelli. Également caractéristiques sont le style ample de ses draperies, et sa palette aux tonalités riches et assourdies. Auteur principal de la décoration du présent livre d'heures, dont il a exécuté huit peintures (ff. 13v, 36v, 42v, 49v, 79v, 118v, 147v), l'artiste est également responsable de la plupart des bordures à fleurs et insectes en trompe-l'oeil, véritables pastiches de la décoration ganto-brugeoise, qui parsèment les marges. Très prisé par les cours d'Espagne et du Portugal, ce type de décor pourrait indiquer que le manuscrit était destiné à quelque représentant de la nouvelle administration espagnole récemment installée dans le royaume de Naples. Le second artiste ayant collaboré dans le manuscrit appartient à un milieu artistique très différent, et son coloris subtil, sa technique picturale d'une extrême finesse permettent de voir en lui un artiste de formation ferraraise dont le style raffiné rappelle celui de Matteo da Milano, le principal enlumineur du bréviaire d'Ercole d'Este. On pourra confronter la différence de style des deux artistes aux ff. 118v-119, où Pedro de Aponte a peint le David pénitent du feuillet de gauche, le feuillet opposé étant l'oeuvre de son collaborateur ferrarais.

Prov. : Ancien fonds royal.

Bibl. : Leroquais, 1927 t. I, p. 161-163.



Quelques médailles de la Renaissance

160. Médaille anonyme à l'effigie de Francesco 1 da Carrara, seigneur de Padoue (vers 1390).

FRANCESCI DE CARRARIA. – Buste drapé de profil à gauche, tête nue.

1390 DIE 19 IUNII RECVPERAVIT PADVAM ET C'. – Le char héraldique de la maison de Carrare, accompagné des lettres F et R, dans une guirlande de lis.

Fonte, bronze, 35 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 1479 a.

Bibl. : J. Guiffrey, Les médailes des Carrare., dans Revue numismatique, 1891, p. 17-25 ; G.F. Hill, A Corpus., n° 2.

Cette médaille est souvent considérée comme la plus ancienne médaille « moderne » parvenue jusqu'à nous. L'exemplaire présenté ici est une fonte surmoulée du XVe siècle.

161. Médaille à l'effigie de Francesco 1 Sforza, par Pisanello (vers 1441).

FRANCISCVS SFORTIA VICECOMES MARCHIO ET COMES AC CREMONE D (ominus). – Buste en armure de profil à gauche, la tête coiffée d'un haut chapeau.

OPVS PISANI PICTORIS. – Buste d'un cheval de profil à gauche ; en dessous une épée ; à gauche, trois livres fermés.

Fonte, bronze, 89 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 53.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 23.

Francesco Sforza est devenu seigneur de Crémone en octobre 1441 par son mariage avec Bianca Maria Visconti. Il ne sera duc de Milan qu'en 1450.

162. Médaille à l'effigie de Sigismondo Pandolfo Malatesta, par Pisanello (1445).

SIGISMVNDVS DE MALATESTIS ARIMINI 7C (etc.) ET ROMANE

ECLLESIE CAPITANEVS GENERALIS. – Buste en armure de profil à droite ; tête nue ; sur l'épaule, la rose-quatrefeuille, badge des Malatesta.

OPVS PISANI PICTORIS. – Sigismondo, à cheval devant une forteresse ; sur les murs de celle-ci la date MCCCCXLV et un écu aux armes des Malatesta surmonté d'une rose.

Fonte, bronze, 106 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 26. Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 34.

163. Médaille à l'effigie de Domenico Novello Malatesta, par Pisanello (vers 1445).

DVX EQVITVM PRAESTANS (puis en deux lignes dans le champ : ) MALATESTA NOVELLVS CESENAE DOMINVS. – Buste de profil à gauche, en robe fourrée.

OPVS PISANI PICTORIS. – Malatesta le Jeune, en armure, agenouillé au pied d'un Christ en croix ; à gauche, un cheval vu de dos.

Fonte, bronze, 88 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 52.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 35.

Par la qualité de sa fonte, par sa patine orange et par son état de conservation, cet exemplaire est généralement considéré comme le meilleur exemplaire pisanellien (toutes médailles confondues) parvenu jusqu'à nous.

164. Médaille à l'effigie du roi Alphonse V d'Aragon, par Pisanello (vers 1448).

DIVVS ALPHONSVS ARAGO SISI(lie) VA(lencie) HIE(rosolyme) HVN(garie) MA(ioricarum) SAR(dinie) COR(sice) REX CO(mes) BA(rcinone) DV(x)

AT(henarum) ET N(eopatrie) C(omes) R(osciglionis) C(eritanie). – Buste de profil à droite, surmontant une couronne royale ouverte.

VENATOR INTREPIDVS. – Un enfant nu, aidé de deux chiens, tue un sanglier qu'il chevauche. A l'exergue : OPVS PISANI PICTORIS.

Fonte, bronze, 107 mm (exemplaire coulé au début du XVIIe siècle).

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 21.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 42.

Un dessin préparatoire à l'exécution de cette médaille porte au-dessus du revers la date de MCCCCXLVIII.

165. Médaille à l'effigie de Bartolomeo Colleone, par Marco Guidizani (vers 1455).

BARTHOL(omeus) CAPVT LEONIS MA(gnus) C(apitaneus) VE(neti) SE-(natus). – Buste (en armure ?) de profil à gauche, la tête coiffée d'un chapeau à rebord.

IVSTIZIA AVGVSTA ET BENIGNITAS PVBLICA. – Un homme nu et lauré, assis sur une cuirasse, actionne un fil à plomb passant au travers d'un anneau ou d'une poulie. Dans le champ, à droite : OPVS M GVIDIZA.

Fonte, bronze, 88 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 126.

Bibl. : G. Roville, Prontuario delle Medaglie.

Lyon, 1553, t. II, p. 199 ; G.F. Hill, A

Corpus..., n° 412.

L'allégorie du revers est probablement une représentation emblématique de la Justice (peut-être associée à la Clémence). Voir une autre médaille portant au revers ce même thème dans G.F. Hill, A Corpus, n° 440. La titulature de l'avers interdit de placer la fonte de cette pièce avant 1454.


166. Plaquette anonyme à l'effigie de Borso d'Este (vers 1472).

Buste de profil à gauche en costume de cour. Sur les quatre côtés, les mots : BOR(sius) EST(ensis marchio) DVX FERR(arie).

Sans revers.

Fonte, bronze, 92 x 59 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 1660. Bibl. : Plaquette inédite.

Plaquette probablement coulée après la mort de Borso d'Este, en 1471, et destinée à prendre place dans une série de médailles et plaquettes à l'effigie de différents personnages appartenant à la maison d'Este.

167. Médaille à l'effigie de Lorenzo de Medici « il Magnifico », par Niccôlô Fiorentino (vers 1490).

MAGNVS LAVRENTIVS MEDICES. – Buste de profil à gauche, tête nue.

TVTELA PATRIE. – Une femme assise de profil à droite, sous un arbre, et tenant trois lis à la main. De part et d'autre, à l'exergue : FLOR/ENTIA.

Fonte, bronze, 87 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 214.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 926.

168. Médaille à l'effigie de Lodovico

Sforza « il Moro », par Cristoforo

Caradosso Foppa (vers 1488).

LVDOVICVS MA(ria) SF(ortia) VI(ce) CO(mes) DVX BARI DVC(atus) GVBER(nator). – Buste en armure de profil à droite ; sur la poitrine, une femme armée tenant lance et trophées.

OPTIMO CONSCILIO SINE ARMIS RESTITVTA. – Un personnage assis sur une tribune portant l'inscription P(ublico) DE/CRETO reçoit une troupe de cavaliers en armes ; au fond, une ville portuaire.

Fonte, bronze, 42 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 422. Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 654.

Le revers évoque peut-être l'acquisition de Gênes par Ludovic en 1488.

169. Médaille à l'effigie d'Alphonse d'Aragon, duc de Calabre, par Andréa Guacialoti (1481 ?).

ALFONSVS FERDI DVX CALABRIE. – Buste de trois quarts face à gauche, en armure, la tête coiffée d'un chapeau à bord et plume.

NEAPOLIS VICTRIX. – Entrée triomphale d'Alphonse dans la ville d'Otrante, avec ses soldats et des prisonniers turcs. – A l'exergue, sur une tablette, l'inscription : OBIT ALIAM AC FI DEM RESTITUTM (?) MCCCCLXXXI. – Signé en dessous : OPVS AND G PRATENS.

Fonte, bronze, 61 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 172.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 745.

170. Médaille à l'effigie du pape Pie II, par Andrea Guacialoti (1480).

PIVS PAPA SECVNDVS. – Buste de profil à gauche, tête nue. – A l'exergue : ENEA SENEN.

MCCCCLXXX PONT ANNO SECVN-DO. – Écu aux armes des Piccolomini (une croix chargée de cinq croissants), timbré de la tiare et brochant sur les deux clefs pontificales.

Fonte, bronze, 57 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV 179.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 748.

L'attribution à Andrea Guacialoti est uniquement fondée sur des critères stylistiques.

171. Médaille à l'effigie du pape Sixte IV, par Andrea Guacialoti (vers 1481).

SIXTVS IIII PON MAX SA CRICVLT' (Pontifex Maximus Sacricultor). – Buste tiaré de profil à gauche.

PARCERE SVBIECTIS ET DEBELLARE SVPERBOS. – La Constance, nue, dressée au milieu du champ ; à ses pieds, trophées et bateaux ; à droite, prisonniers turcs attachés au fût d'une colonne. – Dans le champ l'inscription : MCCCCLXXXI SIXTE POTES. – A l'exergue : CONSTANTIA.

Fonte, bronze, 62 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 178.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 751.

La médaille commémore l'expulsion des Turcs hors de la ville d'Otrante en 1481. La légende du revers est empruntée à Virgile (Enéide, VI, 854). L'attribution à Andrea Guacialoti s'appuie sur des critères stylistiques et chronologiques. Elle n'a jamais été contestée. Voir ci-dessus le numéro 169.

172. Médaille à l'effigie de Guarino da Verona, par Matteo de' Pasti (vers 1440).

GVARINVS VERONENSIS. – Tête nue de profil à gauche.

MATTHEVS DE PASTIS. – Dans une couronne de laurier, une fontaine posée sur un parterre de fleurs et surmontée d'un homme nu appuyé sur une massue.

Fonte, bronze, 89 mm (exemplaire du XVIIe siècle).

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 85.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 158.

173. Médaille à l'effigie de René d'Anjou, par Pietro da Milano (1461).

RENATVS DEI GRACIA IHERVSALEM ET SICILIE REX ET CETERA.

– Buste de profil à droite, la tête couverte d'un bonnet.

Dans un cercle fait de bâtons écôtés, la devise à la masse avec le motto EN/RI/VN. En haut : MCCCCLXI ; à l'exergue : OPVS/PETRVS/DE MEDIOLANO.

Fonte, bronze, 85 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 139.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 51 ; C. de Merindol, Le roi René. Emblématique et histoire de l'art, Paris, 1984 ; M. Pastoureau, La naissance de la médaille : le problème emblématique, dans Revue numismatique, 1982, p. 206-221.

174. Médaille à l'effigie de Louis XI, par Francesco Laurana (vers 1465).

DIVVS LODOVICVS REX FRANCORVM. – Buste de profil à droite, la tête couverte d'un chapeau proéminent.

CONCORDIA AVGVSTA. – La Concorde assise en majesté, de profil à droite, tenant un sceptre fleuronné et une branche de laurier.


Fonte, bronze, 87 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 144.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 65.

Certains exemplaires de cette médaille sont signés à l'exergue : FRANCISCVS LAVRANA FECIT. La fonte doit en être située lors du premier séjour de Laurana en France, entre 1460 et 1466, et bien évidemment après l'avènement du roi (1461).

175. Médaille à l'effigie de

Charles VIII, attribuée à Niccolô

Fiorentino (vers 1494-1495).

KAROLVS OCTAVVS FRANCORVM IERVSALENS ET CICILIE REX. – Buste de profil à gauche ; tête portant barbe et moustache ; au cou, le collier de l'ordre de Saint-Michel.

VIC/TORIAM PAX SEQV/ETVR. – La Victoire, ailée, dans un char tiré par deux chevaux et précédé par la Paix. Sur le char, les armes de France.

Fonte, bronze, 98 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 314.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 945.

Autrefois largement admise, l'attribution à Niccoló Fiorentino (Niccolò di Forzore Spinelli) est aujourd'hui remise en question. La médaille a en tout cas été coulée en Italie, probablement à Florence lors de l'expédition de 1494-1495.

176. Médaille anonyme à l'effigie de Louis XII (1500).

LODOVICVS REX FRANCORVM MCCCCC. – Buste de profil à gauche, la tête coiffée d'un chapeau entouré d'une sorte de couronne à l'antique.

Sans revers.

Fonte, bronze, 61 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 1909.

Bibl. : A. Armand, Les médailleurs italiens., Paris, 1887, t. II, p. 139 ; G. Pollard, Renaissance Medals., Londres, 1967, p. 100, n° 529.

Médaille peut-être due à un orfèvre français, imitant maladroitement une pièce à l'effigie de Charles VIII coulée en Italie par un artiste non identifié vers 1485-1490 (G.F. Hill, A Corpus., n° 1128).

177. Médaille anonyme à l'effigie du roi de Hongrie Mathias Corvin (vers 1480-1490).

MATHIAS REX HVNGARIAE BOHEMIAE DALMAT (iae). – Buste lauré et drapé de profil à droite.

Scène de bataille entre Turcs et Hongrois. A l'arrière-plan, une colonne sommée d'une statue. – A l'exergue : MARTI FAVT ORI.

Fonte, bronze, 53 mm.

Bibl. nat., Médailles, Coll. AV n° 1911.

Bibl. : G.F. Hill, A Corpus., n° 920 ; J. Balogh, Mátyás Király Ikonografiája, dans Mátyás Király Emlékkönyu, Budapest, 1940, p. 463.

Autrefois attribuée à l'artiste florentin Bertoldo di Giovanni, cette médaille n'est plus considérée comme « florentine » par la majorité des chercheurs. Certains vont même jusqu'à lui dénier une origine italienne et y voient un travail « byzantin » ou allemand.


Liste des manuscrits et incunables exposés

N° du catalogue

Albi, Bibliothèque municipale

ms. 77

112

Boulogne-sur-Mer, Bibliothèque municipale

ms. 86.

48

Chambéry, Bibliothèque municipale

ms.

129

Douai, Bibliothèque municipale

ms. 1171

95

Paris, Archives de la Compagnie de Saint-Sulpic

e

ms. 1972-1973.

27

Paris, Bibliothèque de l'Arsenal

ms. 630.

125

ms. 667

148

ms. 940.

111

ms. 1036

28

Paris, Bibliothèque de l'École des Beaux-Arts

Masson 69

17

Masson 126

23

Masson 127

55

Paris, Bibliothèque Mazarine

ms. 364

5

Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève

ms. 14

41

ms. 218.

142

Paris, Bibliothèque nationale

Département des Imprimés, Réserve

Vélins 700

117

Vélins 724

140

Département des Manuscrits

Fr. 295.

59

Fr. 343

84

Fr. 726

24

Fr. 755

77

Fr. 760

25

Fr. 854

19

Fr. 4274

61

Fr. 4972

72

Fr. 9082

38

Fr. 9561

63

Fr. 12235

46

N.a.f. 5243

82

Ital. 63 Ital. 73

Ital. 73

97 97

58

Ital. 74

96

Ital. 81

3 31

Ital. 115

50

Ital. 131

128

Ital. 233

34

N°du catalogue

Ital. 372

139

Ital. 482

56

Ital. 530

76

Ital. 545

100

Ital. 548

103

Ital. 549

109

Ital. 561

127

Ital. 973 13

5

Ital. 1668

51

Ital. 1669

52

Ital. 1670

53

Ital. 1711

157

Ital. 1712

136

Ital. 2017

130

Lat. 18

31

Lat. 22

26

Lat. 40

43

Lat. 41

35

Lat. 42

22

Lat. 50

10

Lat. 104

11

Lat. 325

4

Lat. 364

93

Lat. 723

124

Lat. 757.

83

Lat. 772

120

Lat. 794

15

Lat. 1142

81

Lat. 1354

159

Lat. 19892

8

Lat. 2082

155

Lat. 2207

9

Lat. 2219

14

Lat. 22311

146

Lat. 2508

7

Lat. 2688

37

Lat. 3253

29

Lat. 3862

13

Lat. 4237

98

Lat. 4586

137

Lat. 4797

102

Lat. 4895

78

Lat. 4946

79

Lat. 4956

150

Lat. 5088

151

Lat. 5144

141

Lat. 5411.

18

Lat. 5690

39

Lat. 5814

145

Lat. 5816

80


N° du catalogue

Lat. 5825 F

114

Lat. 5888

94

Lat. 5931 (ff. 95-102)

49

Lat. 6069 B

99

Lat. 6069 F

73

Lat. 6069 G

75

Lat. 60691

74

Lat. 6069 T

88

Lat. 6309

106

Lat. 6340

91

Lat. 6376

101

Lat. 6467

68

Lat. 6541

87

Lat. 6823

54

Lat. 6874

119

Lat. 69123

44

Lat. 7236

126

Lat. 7239

113

Lat. 7272

60

Lat. 7330

40

Lat. 7703

133

Lat. 7779

134

Lat. 7852

116

Lat. 7939

122

Lat. 8016

147

Lat. 8028

92

Lat. 8044

69

Lat. 8161

62

Lat. 8500

71

Lat. 8523

132

Lat. 8578

143

Lat. 8717 (ff. 5 1-316)

89

Lat. 8834

104

Lat. 8879

108

Lat. 8880

149

Lat. 8910

144

Lat. 8941

33

N° du catalogue

Lat. 9325 11

0

Lat. 9451

3

Lat. 9473 (f. 2)

123

Lat. 9584

57

Lat. 10136

21

Lat. 10428

42

Lat. 10532

158

Lat. 10593.

1

Lat. 10764

156

Lat. 11309

115

Lat. 11727

90

Lat. 12190 (f. 0)

2

Lat. 12946

153

Lat. 12947

154

Lat. 14339

66

Lat. 14341

64

Lat. 14343

65

Lat. 14360

121

Lat. 15427

12

Lat. 15 619 .

47

Lat. 16595

36

Lat. 17842

152

Lat. 18272

138

N.a.l. 710

6

N.a.l. 1673

86

N.a.l. 1772

16

N.a.l. 2508

67

N.a.l. 557 (ff. 2 9-30).

20

N.a.l. 2666

45

N.a.l. 3189

30

Rothschild 2764

118

Smith-Lesouëf 13

70

Smith-Lesouëf 21

32

Smith-Lesouëf 22

85

Smith-Lesouëf 27

107

Smith-Lesouëf 33

105


Index des artistes

Altichiero, 73 ; 74 ; 75.

Andrea di Bartolo, 58.

Andrea Mantegna, 111 ; 112.

Attavante, 104.

Bartolomeo Bulgarini, 52.

Bartolomeo di Fruosino, 95 ; 96.

Bartolomeo San Vito, 145 ; 146.

Bartolomeo Varnucci, 98 ; 99.

Belbello de Pavie, 85 ; 129.

Benedetto Bordon, 118.

Birago (Giovanni Pietro), voir Giovanni

Pietro Birago.

Bourdichon (Jean), voir Jean Bourdichon.

Cola Rapicano, 154.

Cristoforo Canozzi, 116.

Cristoforo Cortese, 109.

Cristoforo Majorana, 155 ; 156.

Cristoforo Orimina, 61.

Francesco d'Antonio del Cherico, 100 ; 102 ; 103.

Francesco Binasco, 139.

Francesco Rosselli, 104 ; 106 ; 107.

Franco Bolognese, 31.

Gasparo Padovano, 147.

Gioacchino de Gigantibus, 153.

Giorgio d'Alemagna. 122.

Giorgio Culinovic, dit le Schiavone, 148.

Giovanni Bellini, 112.

Giovanni di Benedetto da Como, 83.

Giovanni Boccardino, 108.

Giovanni da Fano, 125 ; 126.

Giovanni du Mont-Cassin, 44.

Giovanni Pietro Birago, 139 ; 140.

Giovanni Todeschino, 146 ; 158.

Girolamo da Cremona, 117.

Giuliano Amadei, 141.

Guglielmo Giraldi, 122 ; 123.

L'Illustratore, 65 ; 66 ; 68.

Jacopino da Reggio, 31.

Jean Bourdichon, 158.

Maître de l'Aristote Morgan, voir Girolamo da

Cremona.

Maître de la Bible d'Avila, 7.

Maître de la Bible de Conradin, voir Rainaldus (Magister).

Maître de la Bible de Manfred, 42 ; 43.

Maître du Codex de saint Georges, 47 ; 48.

Maître « daddesque », 45 ; 46.

Maître des Heures Birago, 85 ; 137.

Maître d'Ippolita, 133 ; 134 ; 135 ; 136.

Maître du Missel d'Innocent VIII, 148.

Maître des Vitae imperatorum, 128 ; 129 ; 130 ; 131.

Maître de 1328, 64.

Maître de 1346, 66 ; 68.

Mantegna (Andrea), voir Andrea Mantegna.

Marco Zoppo, 115.

Matteo Felice, 152.

Matteo da Milano, 159.

Matteo de'Pasti, 126.

Michele Carara (Pseudo-), 144 ; 148.

Michelino da Besozzo, 94.

Minardus Theutonicus, 44.

Nardo Rapicano, 157.

Nebridio (Frate), 138.

Nerio, 33.

Niccolô di Giacomo, 66 ; 68 ; 69 ; 70.

Niccolô di Giacomo (Pseudo-), voir l'Illustratore.

Niccolô Polani, 142 ; 143.

Nicolaus (Magister), 36.

Oderisi da Gubbio, 31.

Pedro de Aponte, 159.

Pierre de Pavie, 87.

Pietro del Massaio, 104.

Rainaldus (Magister), 41.

Ricciardo di ser Nanni, 101.

Simone Martini, 49.

Vincent Raymond, 149.

Index des copistes

Adigherio di Ugolino da Castagnolo, 67.

Andrea Morena da Lodi, 131.

Angelo Decembrio, 128.

Angelus Alberti, 44.

Angelus de Marchia, voir Angelus Alberti.

Antonio Sinibaldi, 103.

Antonio Tophio, 115.

Armannus de Alemannia, 88.

Bartolomeo de' Bartoli, 67.

Bartolomeo Gambagnola, 139.

Bartolomeo San Vito, 115 ; 144 ; 145.

Battista Rainaldi da Cingoli, 110.

Cardinale da Forli, 26.

Copiste à la devise Omnium rerum., 147 ; 155.

Domenico di Cassio da Narni, 99.

Federico Mario, 149.

Felice Feliciano, 114.

Franciscus de Teanis, 144.

Geminiano da Modena, 65.

Gherardo di Giovanni del Ciriago, 100 ; 101.

Gioacchino de Gigantibus, 153.

Giovanni di Agnolo Capponi, 56.

Giovanni da Campagnola, 80.

Giovanni Marco Cinico, 154.

Giovanni Matteo de Russis, 157.

Giovanni Rainaldo Mennio, 146.

Hugues Comminel, 104.

Jacobus Antonius Curlus, 150.

Jean Gôbelin, 142.

Johannes Holtzaticus, 124.

Johannes de Nuxigia, 78.

Johensis, 43.

Lanfranco Pancis da Cremona, 28.

Leonardo Sanudô, 122.

Lodovico di Salvestro Ceffini, 97.

Lombardo della Seta, 73 ; 75.

Paganus Raudensis, 135.

Paolo di Duccio Tosi, 58.

Paolo Santini, 113.

Pietro Ursuleo, 152.

Raulinus de Fremyngton, 30.

Rugerino da Forli, 26.

Rusticus (Magister), 18.

Sanudô (Leonardo), voir Leonardo Sanudô.

Sigismondo di Niccolô Alamanni, 126.


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Charlemagne. OEuvre, rayonnement et survivances, Aix-la-Chapelle, 1965.

Da Altichiero a Pisanello, Vérone, 1958.

Exposition de portraits peints et dessinés du XIIIe au XVIIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale, 1907.

Les Fastes du Gothique. Le siècle de Charles V, Paris, 1981-1982.

Il Gotico a Siena, Sienne, 1982.

Le Livre, Paris, Bibliothèque nationale, 1972.

Le Livre dans la vie quotidienne, Paris, 1975.

Le Livre italien, Paris, 1926.

Manuscrits à peintures en France du XIIIe au XVIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale, 1955.

Mathias Corvinus und die Renaissance in Ungarn 1458-1541, Schallaburg, 1982.

La Médecine médiévale à travers les manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, Bibliothèque nationale, 1982.

Mostra della pittura bolognese del'300, Bologne, 1950.

Mostra di codici umanistici di biblioteche friulane. Florence, 1978.

Renaissance painting in manuscripts. Treasures from the British Libraries, Malibu, New York, Londres, 1983-1984.

S. Antonio 1231-1981. Il suo tempo, il suo culto e la sua città, Padoue, 1981.

VI Centenario della morte del Boccaccio. Mostra di manoscritti, documenti e edizioni, Firenze., Certaldo, 1975.

Sigismondo Pandolfo Malatesta e il suo tempo, Rimini, 1970.

Trésors de la Bibliothèque de l'Arsenal. Paris, 1980.

Trésors des bibliothèques d'Italie, Paris, Bibliothèque nationale, 1950.

Die Zeit der Staufer, Stuttgart, 1977.

Abréviations des

périodiques :

B.É. Ch. : Bulletin de l'École des Chartes.

I.M.U. : Italia medioevale e umanistica.

J.W.C.I. : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes.

M.É.F.R. : Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École française de Rome. (A partir de 1971, Mélanges de l'École française de Rome. Moyen Age. Temps modernes, abrégé en : M.É.F.R.M.).

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Abbé François Garnier, Orléans (nOS 41 et 142).

Bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer (n° 48).

École nationale des Beaux-Arts (nos 17, 23, 55).

Giraudon (n° 95).



TABLE DES MATIÈRES

Préface par Alain GOURDON. 7

Introduction. 9

De l'Antiquité tardive à l'époque romane 13

Survivance de l'illusionnisme antique 15

Italie du Nord 17

Mont-Cassin et son rayonnement 18

Italie centrale 21

Sicile 28

Abruzzes 31

Le XIIIe siècle 33

Padoue-Venise 35

Gênes 36

Bologne 40

Toscane. 46

Ombrie 47

Rome 47

Sud et Naples 51

Le siècle de Giotto 57

Toscane et Avignon 59

Naples et Italie du Sud 73

Bologne 79

Venise, Padoue. 86

Lombardie 91

La Renaissance 109

Florence 112

Padoue, Venise 126

Bologne, Mantoue, Ferrare, Rimini 138

Milan et Lombardie 148

Rome 161

Naples 170

Quelques médailles de la Renaissance 180

Liste des manuscrits et incunables exposés 184

Index des artistes 186

Index des copistes 186

Bibliographie 187


Imprimerie Alençonnaise

rue Édouard-Belin, 61002 Alençon (France)

Dépôt légal : 1er trimestre 1984

n° d'ordre 99209