4- LES CHARS D'ASSAUT A LA BUTTE DE TAHURE (28 septembre–8 octobre 1918). -
Des pages glorieuses retraceront plus tard les batailles de Champagne. Dans cette contrée, désolée, stérile, surnommée la « Champagne pouilleuse», des batailles se livrèrent à différentes époquei de la campagne, marquant chaque fois une phase nouvelle de la guerre.
L'offensive de septembre 1915, fut une de celles-ci et lorsque, après de longues journées de préparation, l'attaque se déclancha, les troupes de France rivalisèrent avec les tirailleurs, dans un assaut qui restera célèbre.
Il est impossible de décrire l'enthousiasme qui avait gagné jusqu'au plus humble soldat et lorsque, dans la matinée pluvieuse du 25 septembre ces soldats s'élancèrent, une ardeur surhumaine semblait les animer et les pousser contre l'ennemi fortement retranché, mais qui céda.
Après cette bataille, la ligne ennemie était jalonnée par de fortes positions naturelles : Butte de Souain, Mont Muret, Butte de Tahure, Butte du Mesnil, Mont Têtu, Signal de la Justice, qui furent, pendant les longs mois de stabilisation qui suivirent, transformées en véritables forteresses, adaptées constamment aux nouvelles méthodes défensives.
L'arrière était également aménagé en fonction des premières lignes et les positions successives s'étendaient sur plusieurs kilomètres en profondeur. Leur emplacement et leur tracé étudiés à loisir rendaient ce champ de bataille particulièrement redoutable. Tous les systèmes
de défense y étaient appliqués et une mer fie fils de fer couvrait ce vaste terrain parsemé de miniscules bois do pins.
Le 15 juillet 1918, lorsque se déclencha l'offensive allemande qui devait conduire ses divisions à la Marne, celles-ci vinrent simplement se briser contre notre résistance et se fondre dans une bataille qui marque le début des défaites allemandes qui allaient se succéder.
Nos attaques incessantes, qui marquèrent la dernière phase de la guerre, rendaient l'ennemi nerveux, inquiet et, dans la crainte d'être attaqué en Champagne, il multipliait ses reconnaissances, ses coups de main.
Il remaniait hâtivement son dispositif, son échelonnement, se préparant à un choc certain et à une résistance qui fut malgré tout brisée.
Trois ans après l'attaque de 1915, nos troupes devaient renouveler leurs exploits. Cette fois-ci encore, 1 enthousiasme animait les troupes qui s'avancèrent dans la brume du 26 septembre 1918 à l'assaut des formidables organisations ennemies.
Après quelques jours de lutte, ces défenses, ces positions étaient entre nos mains et la poursuite commençait, libérant peu à peu le territoire.
Pendant ces journées, les épisodes et les faits sont nombreux.
C'est aux combats des 28 et 29 septembre et du 8 octobre 1918, qui se déroulèrent au nord de la Butte de Tahure, que les chars d'assaut se distinguèrent.
LA DERNIÈRE OFFENSIVE
Le secteur de la Butte de Tahure faisait partie dugroupement de Perthes et était défendu par la 42e D. 1 allemande, comprenant les 17e, 131e et 138e R. I., dont le dispositif largement échelonné en profondeur s'étayait sur plusieurs lignes de résistances dont deux principales; H. W. L. 1 et Perthes stellung ou H. W. L. 2 ; la ligne avancée n'était constituée que par des petits postes:
(Postenlinie) et la ligne H. W. L. 1, à environ 1.500 mètres, au nord de celle-ci, défendait le mouvement de terrain situé au sud du village de Tahure.
Au nord de ce dernier s'étendait la célèbre buttedont les versants et la crête étaient transformés en véritable forteresse.
La deuxième ligne de résistance (H. W. L. 1) était encore plus au nord et défendait les organisations de l'artillerie ennemie qui venaient ensuite avec ses casemates bétonnées, ses dépôts de munitions, etc.
Cette zone était limitée plus au nord par la voie ferrée Somme-Py-Challerange où des dépôts immenses de matériel étaient constitués.
A cette ligne, les « Ardennes » commençaient, puis venaient les derniers retranchements ennemis.
Pendant la nuit claire du 20 septembre 1918, un spectacle étrange se déroulait sur les routes crayeuses de la Champagne. Des flots humains et des convois interminables s'avançaient vers le nord. On entendait le sourd' bourdonnement produit par cette armée en marche, le ronflement assourdissant des moteurs des chars d'assaut et des tracteurs d'artillerie.
Ce bruit s'apaisait graduellement en allant vers le nord où bientôt un lourd silence pesait sur les tranchées dans lesquelles étaient entassés les fantassins.
Silence émouvant, troublé parfois par le bruit sec d'un coup de fusil ou par l'éclatement sourd d'un obus ennemi. Mais rien dans la nuit ne décelait nes préparatifs. L'artillerie ne répondait pas au harcèlement descanons ennemis.
Mais ce silence allait bientôt faire place à ¡[ne- assourdissante préparation d'artillerie qui commença a 23 heures. A ce moment des milliers de canons crachèrent, marquant l'heure H de la grande offensive Ce spectacle que ne peuvent imaginer ceux qui ne l'ont pas vécu, était à la fois effroyable et magnifique.
Face aux milliers de pièces qui faisaient trembler le sol
nos vagues d'assaut se reformer, puis reprendre la progression déjà sensible.
Devant nous, la butte de Tahure, sur laquelle on apercevait de nombreux ennemis circulant en tous sens, formant des groupes dans lesquels on reconnaissait les officiers gesticulant, poussant devant eux les Feldgrauen apeurés ; tout près, nos vagues s'avançaient méthodiquement et allaient bientôt entrer en action avec les défenseurs du village de Tahure. Le combat qui dura quelques heures se terminait par la prise de cet important point d'appui, la capture de nombreux prisonniers et d'un matériel important de mitrailleuses, minenwerfer, canons, etc.
Au loin, les pièces ennemies tiraient à vue directe. On voyait les servants manœuvrer, le pointeur et la flamme du coup de départ. un., deux., trois., quatre., cinq, l'obus éclatait tout près de la tranchée occupée par les unités de soutien, mais ce tir irrégulier ne causait aucun mal et ces pièces furent contre-battues par un 77 que l'officier de liaison d'artillerie pointait, répondant coup par coup à ses frères. Puis le tir était reporté sur les silhouettes vivantes qui se détachaient sur la Butte où devant l'apparition de nos vagues d'assaut commençait la retraite ennemie.
Les 37 étaient également en batterie et prenaient à partie les mitrailleuses ennemies qui paralysaient l'avance. Chaque coup était réglé avec le binoculaire Goerz.
Le soleil accomplissait sa course. Il était déjà midi.
La notion du temps n'existe guère dans la bataille, où les minutes sont des heures et les heures des siècles.
A cette dernière bataille les heures paraissaient bien courtes.
Tout près de l'observatoire, une silhouette apparaissait et semblait fixer l'horizon. Ses gestes saccadés la.
font reconnaître. Le «vieux brave» venait diriger luimême la prise de la butte sur laquelle on apercevait quelque instants plus tard des patrouilles françaises.
de leurs coups de départ ; face au nord, les éclatements éclairaient d'une lueur fulgurante les tranchées ennemies, produisant une impression diabolique.
Dans nos tranchées, un calme relatif régnait. Les nouveaux arrivants se serraient contre les anciens occupants. Dans les P. C. on mettait la dernière main aux préparatifs. Plus à l'arrière, à quelques centaines demètres, des silhouettes étranges s'alignaient. Les chars d'assaut étaient en place. Plus loin encore, d'autres troupes, qui viendraient le lendemain derrière les vagues d'assaut occuper le terrain conquis. !
Bien rares furent ceux qui dormirent cette nuit. • Dans les premières tranchées, on s'agitait. On se préparait à franchir le parapet.
Là-bas, vers l'est, dans la direction de Verdun, l'aurore s'élevait, éclairant indistinctement les premières lignes ennemies qu'une brume envahissait peu à peu pour les recouvrir bientôt d'un voile épais de brouillard et de fumée.
Le grondement de la préparation qui se continuait aussi obsédant, devenait tout à coup un roulement effroyable, un mélange de détonations parmi lesquelleg il n'était pas possible de reconnaître les coups de départ et les éclatements. C'était le barrage roulant qui venait se fixer sur la première ligne ennemie, alors que l'artillerie lourde écrasait les pièces ennemies, les P. C., les observatoires, etc.
L'heure H de l'infanterie approchait. Anxieux, nous élevions nos têtes au-dessus de la tranchée cherchant à percer la brume qui empêchait d'apercevoir à quelques mètres même. L'anxiété fut grande à ce moment où l'on tâchait d'entendre les crépitements des mitrailleuses, les éclatements de grenades. Le sifflement et les éclatements des obus semblaient couvrir tous les bruits qui auraient pu nous parvenir de là-bas, des entonnoirs de Perthes.les-Hurlus, des mamelles sud et nord.
Près du vieux brave, debout sur la tranchée, faisant face à la bataille, les réserves passaient, les sections en
ligne serrée, afin de ne pas s'égarer, s'avançaient rapidement vers le combat. Plus loin, de longues files de chars d'assaut se mouvaient, dirigées par les officiers, s'orientant, essayant de se repérer dans cet enchevêtrement de tranchées et de réseaux.
La brume de cette matinée fut notre alliée. Car si elle gêna la direction de nos vagues, elle perdit complètement l'ennemi qui fut surpris dans ses premières lignes, n'offrant une réelle résistance qu'à la ligne H. W. L. 1 que nos poilus conquirent de haute lutte.
Les chars d'assaut, appuyés par l'infanterie d'accompagnement, s'avançaient toujours, traversant au prix de difficultés inouïes le terrain bouleversé situé entre les lignes françaises et ennemies, contournant les entonnoirs immenses de Perthes, écrasant les réseaux ennemis.
Cependant l'artillerie ennemie, qui jusque-là n'avait pas réagi, entra en action, faisant dans chaque ravin pouvant être utilisé comme cheminement des barrages d'obus de gros calibre dont plusieurs éclatèrent à proximité des chars. Un 105 éclata sur un des officiers, en tua et blessa plusieurs autres, mais aucun changement ne se produisit et la progression se poursuivit vers l'ennemi qui cédait de tous côtés.
La brume, très dense, gênait les liaisons et des vides se produisaient causant des résistances inopinées de la part de l'ennemi qui tâchait ensuite de prendre nos vagues à revers. Le ravin où étaient engagés les chars fut un de ces vides et lorsque ceux-ci s'approchèrent de la ligne de résistance qui couronnait le mouvement du terrain situé au sud de Tahure, ils furent accueillis par de violents tirs de mitrailleuses qui causèrent surtout des pertes à l'infanterie d'accompagnement. Immédiatement le dispositif de combat était pris par les chars qui s'avancèrent résolument sur les mitrailleuses dont les servants s'enfuirent ou firent « camarades ».
Les premiers rayons de soleil apparaissaient à ce moment, dissipant peu à peu la brume et éclairant cet étrange champ de bataille. De tous côtés l'on pouvait voir
Puis des vagues s'avançant bond par bend et enfin de petites colonnes que leurs mouvements faisaient ressembler à des longs vers se mouvant paresseusement.
La Butte était à nous. Des centaines et des centaines de prisonniers se dessinaient à leur tour sur la crête, descendant ensuite rapidement le versant sud où par un singulier effet d'optique, ils semblaient en se rapprochant de nous devenir de plus en plus petits.
Dans Tahure et à droite, nos chars avaient réussi à traverser la mer de fils de fer, les tranchées, les fossés et les piéges de toutes sortes, construits pour entraver leur marche, passant au travers de barrages de mines qui au moindre choc auraient sautées, fracassant leurs masses d'acier.
Une accalmie se faisait. Un calme étonnant s'étendait sur le champ de bataille, calme précurseur pour nous d'autres bruits, d'autres combats, et pour l'ennemi, calme de la défaite.
Le P. C. du colonel commandant le 131e R. I. allemand, vide maintenant, est encore brillament éclairé. Des lampes à acétylène dans les descentes, les couloirs et toutes les chambres souterraines ; une salle à manger où les chaises, fauteuils, tables, glaces proviennent des pillages est installée à mi-descente. La table encore mise révèle la fin précipitée d'un repas. Les serviettes jetées hâtivement sur les assiettes ; la cuisine répond à la salle à manger et au plafond de succulentes saucisses sont encore pendues.
Au bout de cette interminable descente souterraine un premier bureau avec deux couchettes. Sur l'une git un officier atteint d'une balle à la poitrine. C'est le commandant de la 2e compagnie du 131e. En se repliant, ses camarades l'ont abandonné. Sur le bureau, des plans, des documents, des carnets de chiffres, etc. C'était la chambre de l'officier de renseignements qui communiquait à gauche avec le bureau et la chambre du colonel dans laquelle celui-ci avait laissé ses lettres personnelles, des documents et des revuefi.
Plus loin, les autres bureaux des officiers de l'E. M.,.
puis les locaux des services de liaison dans lesquels on entendait des roucoulements. Dans des paniers spéciaux des pigeons-voyageurs se battaient. Plus loin, un amas d'appareils téléphoniques et télégraphiques, puis encore des documents.
Dehors, la nuit était tombée. Le silence persistait.
troublé seulement vers le village par des bruits de moteurs. Les chars tentaient le passage de la Dormoise, petit ruisselet transformé en marécage par les trous d'obus et les entonnoirs de mines, dans lesquels un premier char s'enlise, nécessitant des efforts surhumains pour le ramener sur un sol plus ferme. Malgré plusieurs tentatives, les chars ne purent en aucun endroit trouver un sol plus ferme et tout le reste de la nuit se passa à la reconstruction d'un passage.
Nos éléments de tête avaient atteint dans la soirée la deuxième ligne de résistance où le reste des défenseurs appartenant au 131e R. I. étaient capturés. La célèbre ligne Perthes stellung où la résistance devait empêcher coûte que coûte l'avance des Français de progresser, était entre nos mains le jour même.
Le mouvement devait reprendre le lendemain et nous porter au-delà de la voie ferrée. Mais déjà au petit jour nos patrouilles avaient pénétré dans les organisations de l'artillerie ennemie et de nouvelles vagues s'avançaient à leur suite, capturant les mortiers de 210 qui depuis de si longs mois nous causaient tant de pertes. A ce terrain bouleversé par nos obus de gros calibre, succédait un bois encore en bon état, dans lequel d'autres batteries lourdes étaient installées et où un matériel considérable était capturé, notamment à la batterie « Bertha » du baron von X. Dans un luxueux abri nous trouvions des chemises de femme.
A la tranchée du « Vaterland ), un groupe important se rendit à l'apparition de nos patrouilles et bientôt la crête dominant la voie ferrée de Somme-Py-Challerange était atteinte.
La réaction ennemie allait commencer. Dès que nos détachements atteignirent les petits bois situés sur - le versant nord de la croupe, ceux-ci furent soumis à un bombardement lent mais continu. Au nord, un vaste panorama se découvrait avec des mouvements de terrain de plus en plus accentués et des bois plus épais. L'artillerie allemande en position dans ces bois commençait ses tir* et partout où étaient signalés nos détachements elle dirigeait son action. Néanmoins nos patrouilles avan çaient toujours et tentaient de franchir le versant nord de la croupe pour atteindre la voie ferrée. Là, elles furent accueillies par de violentes rafales de mitrailleuses provenant des ouvrages situés au nord de la voie ferrée, sur la croupe de la Croix-Muzart. Cet arrosage dura jusqu'à la nuit, mise à profit pour atteindre la tranchée des Uhlans, située au nord de cette voie et en contre-bas de la Croix-Muzart qui devait devenir célèbre par les combats qui s'y livrèrent.
La nuit fut employée à une progression effectuée sous le tir continu de l'artillerie ennemie qui arrosait d'obus à gaz toutes les zones précédemment bombardée par les explosifs et sous les rafales des mitrailleuses ennemies. L'important parc de matériel, « Baden-Baden » où des amas de matériaux de toute nature étaient entassés, tombait entre nos mains, ainsi que des P. C., véritables cottages établis à proximité d'un camp de prisonniers entouré de hauts réseaux de fils barbelés situé dans un infect marécage.
Après des efforts surhumains, nos détachements atteignaient enfin la tranchée qui allait servir de place d'armes pour l'attaque du 28 septembre, destinée à être appuyée par l'A. S.
Vers deux heures du matin, des bruits insolites parvenaient de la voie ferrée, du pont Glosiot où un détachement français était passé quelques instants auparavant. Une explosion formidable suivit et le pont complètement détruit s'affaisa sans causer de pertes. L'ennemi
commençait les destructions bouleversant tout, détruisant systématiquement non pas les ouvrages militaires, mais encore les villages, les fermes, les arbres fruitiers, etc.
Les chars d'assaut avaient enfin réussi à franchir la Dormoise et à contourner la Butte de Tahure, mais ces difficultés n'étaient pas seules, car il restait encore à passer les vastes organisations qui s'étendaient plus au delà, nécessitant des travaux pénibles, afin de créer -des passages.
Les 28 et 29 septembre 1918.
Le dispositif pour l'assaut du lendemain était prêt.
Les troupes, placées dans la tranchée des Uhlans, se reposaient de la longue et pénible progression qu'elles venaient d'effectuer. Les meilleurs grenadiers étaient déjà groupés, les musettes pleines.
Au sud de la voie ferrée, les chars atteignaient le grand bois et continuaient toujours leur marche depuis trois jours et quatre nuits ininterrompus.
La position que nos troupes allaient attaquer recouvrait une vaste croupe dominant un glacis que les chars et l'infanterie devaient parcourir. Cette organisation, dont l'importance tactique ressortait de l'étude des documents recueillis dans le P. C. du colonel commandant le 131* R. I. allemand, faisait partie d'une vaste bretelle établie entre la ligne de résistance H. W. L. 2 et la ligne H. W. L. 3 (tranchée située vers Orfeuil, dans le bois de la Punaise, Croix Gill, et Marvaux). Ces positions défendaient la vallée d'Aure.
Créées de longue date, leur tracé avait été parfaitement étudié et répondait à une utilisation intégrale du terrain. Elles étaient en outre complètement achevées au point de vue organisation (défenses accessoires, abris à l'épreuve, blockhauss pour mitrailleuses). Une tranchée formant courtine établie à contre-pente reliait les ouvrages fermés formant bastions qui étaient situés d'uno
part vers la Croix Muzart, d'autre part, sur la crête des deux buissons. D'importants réseaux doubles défendaient l'approche de ces ouvrages dans lesquels de nombreux abris à l'épreuve abritaient une forte garnison de troupes faîches. La perte de ce point devait avoir comme conséquence pour l'ennemi l'abandon de toutes les croupes situées plus à l'ouest et un repli sur la ligne H. W. L. 3 (dernière tranchée).
On prévoyait donc une forte résistance et l'attaque devait être précédée d'une reconnaissance offensive, utilisant le boyau de la Kaiserin pour attaquer la tranchée du Neckar.
La nuit pluvieuse et froide s'effaçait peu à peu. Dans le bois où les chars progressaient, une grande agitation régnait autour d'eux et en avant pour leur faciliter des passages, car il fallait se hâter avant que l'ennemi puisse observer et déclancher ses tirs.
Malgré cette ardeur, ce n'est qu'au petit jour qu'ils réussirent à sortir du bois, s'engageant sur un vaste glacis en pleine vue de l'ennemi qui déclancha de violents tirs, notamment de pièces tirant à vue directe.
En ligne, la reconnaissance était partie et approchait la tranchée du Neckar, mais au moment où elle tentait de l'aborder, elle fut contre-attaquée violemment par des forces bien supérieures et obligée de se replier sous les feux croisés des bastions. Elle conserva une partie du boyau qu'elle avait utilisé pour son cheminement et faisant face à la contre-attaque, elle obligea celle-ci à stopper momentanément.
Des chars arrivaient franchissant la voie ferrée.
avançant touj ours malgré la rage des tirs ennemis qui atteignirent néanmoins quelques appareils. Près de la position de départ de l'infanterie, ils profitaient d'un mouvement de terrain pour se dissimuler aux vues de l'ennemi Dans la position allemande, une grande activité régnait. Des hommes circulaient à découvert ; de légères vapeurs indiquaient les mitrailleuses en action. Une
contre-attaque d'une plus grande envergure semblait se dessiner déjà sur le terrain, des fractions ennemies tentaient de reprendre leur marche.
Les chars furent lancés dans la bataille, appuyant l'infanterie qui devait briser la contre-attaque et tenter l'abordage des ouvrages. Celle-ci précédait les chars qui marchaient sur deux lignes, prêts à intervenir. Cette progression donnait l'impression d'un élan irrésistible devant lequel d'ailleurs la contre-attaque ennemie fut contrainte à se replier, abandonnant ses mitrailleuses, ses grenades, etc. Mais en se retirant, les fractions ennemies dégagèrent le champ de tir des fortins dont les mitrailleuses entrèrent en action.
Le rôle des chars allait commencer. Trois d'entre eux se dirigèrent sur le fortin de la Croix Muzart, ouvrant le feu sur les nombreuses mitrailleuses. Tout l'armement de celui-ci fit face à ce nouvel objectif et le char du centre, plus fortement pris à partie, s'enflamma à moins de 10 mètres de l'objectif, son réservoir d'essence atteint par une balle de fusil anti-tank ayant explosé.
Les deux autres continuant leur progression, vinrent se heurter contre une organisation bétonnée et revinrent.
leur carapace d'acier trouée par de nombreuses balles spéciales.
Ce premier coup de boutoir allait bientôt être suivi d'un second, qui eût lieu dans l'après-midi. L'infanterie, appuyée par cinq chars, partit d'un seul bond jusqu'au premier réseau de fils de fer où elle fut prise sous les feux croisés des ouvrages et contre lesquels les chars s'avancèrent, manœuvrant admirablement pour faire face aux nombreuses mitrailleuses qui se dévoilaient de tous côtés. Ecrasant le premier réseau, ils vinrent à deux reprises sur l'ouvrage des Deux Buissons, concentrant leur feu sur cet objectif, puis manœuvrant pour prendre à revers les ouvrages, ils mirent en fuite des mitrailleurs ennemis qui s'étaient embusqués dans des trous d'obus.
Ce combat où, dans un dernier soubresaut d'énergior
l'ennemi cherchait à se ressaisir, enfer de feu et d'acier, il semblait impossible à tout être humain de s'y maintenir. De tous côtés, ce n'était que flammes et fumées.
De la mêlée s'élevait un grondement sinistre, troublé parfois de craquements effroyables. Le sol secoué' par les formidables explosions des gros obus, semblait en proie à un cataclysme nouveau. Dans l'air, un vaste bourdonnement se faisait entendre. Des nuées de « cocardes tricolores » semblaient autant d'étoiles filantes allant chez l'ennemi semer le désarroi et la panique. Plus bas, un ronronnement plus distinct faisait découvrir l'avion aux longues ailes, survolant la bataille à quelques centaines de mètres, pour tâcher de découvrir les capotes bleues et les fanions agités dans les trous d'obus.
La lutte se continua, avec la même impétuosité et la nuit couvrit de son voile cette effroyable mêlée où des craquements continuaient à se faire entendre, ressemblant aux derniers hoquets d'un agonisant.
Le 29, l'aurore fut une joie pour ceux qui venaient de vivre cette mémorable nuit. Elle marquait la reprise de la bataille qui devait se dérouler avec la même vigueur que la veille. Les Allemands, en forces, résistaient encore à nos tentatives ; dès que notre artillerie devenait plus active, dans les tranchées ennemies la garnison alertée se tenait prête à semer la mort dans nos rangs. Il fallait agir autrement et l'on décida de surprendre l'adversaire, Dans la soirée, quelques moments avant le crépuscule, quatre chars Renault, en position de départ à 400 mètres au sud-ouest de la Croix-Muzart, derrière un petit bois, s'élançèrent à toute vitesse sur le fortin qu'ils abordèrent de front et de face, mitraillant rageusement les occupants qui tentaient de résister. La surprise fut complète ; les défenseurs de garde rapidement mis hors de combat, ceux qui reposaient dans les abris furent blessés ou tués à leur sortie. Les chars débordant le fortin prenaient d'enfilade les tranchées où l'on dénombrait le lendemain, 60 cadavres. ,
L'infanterie,qui suivait, put aisément venir à bout
des quelques défenseurs qui résistaient encore et quelques instants après, toute la position était prise. Ce haut fait revenait en majeure partie aux chars d'assaut.
La défense ennemie été opiniâtre. Les éléments du 24° régiment bavarois et de la 3e division de la garde se battirent bien, mais nos troupes se battirent mieux encore.
comme en témoigne le résultat, et cette journée fut pour nos vaillants poilus une des plus belles des combats héroïques de la Butte de Tahure.
A l'effroyable grondement de la bataille, un lourd silence avait succédé et là, où quelques heures auparavant un assaut suprême était livré, des formes s'agitaient sur le sol, et dans les tranchées les blessés revenaient à la vie. Plus au nord, dans la tranchée conquise, nos héros devisaient sur les incidents de cette journée.
A la voie ferrée, les formes indistinctes de nos chars se devinaient tout contre le haut parapet dans lequel le personnel avait creusé une tranchée où ils allaient pouvoir enfin se reposer.
Chez l'ennemi, un vague bruit de roulement. la retraite continuait, se précipitant et devenant peu à peu la défaite.
Le 8 octobre.
Chaque jour l'ennemi reculait devant nos impétueux assauts. Chaque fois, nous lui reprenions un peu du soi français, lui capturant de nombreux prisonniers et un matériel considérable. Les derniers retranchements ennemis allaient être bientôt atteints et l'on se préparait à la dernière ruée qui libérerait enfin notre territoire.
L'assaut livré le 8 octobre allait marquer la fin de la guerre de position et le commencement de la poursuite.
L'ennemi, sans cesse repoussé, s'était établi fortement sur la dernière ligne de résistance H. W. L. 3 où il s'accrochait désespérement. Plusieurs tranchées et réseaux de fils de fer nous séparaient encore du terrain libre que l'on découvrait au delà. Une importante gar-
nison ennemie occupait cette position passant sur le versant sud de la crête d'Orfeuil, puis dans les bois du Parc et de la Punaise et, enfin, vers la célèbre CroixGilles.
Nous étions face au bois du Pou, formé de pins et de forts taillis. L'attaque devait avoir lieu le 8 au petit jour et s'exécuter avec l'appui des chars Renault qui devaient arriver sur la position de départ pendant la nuit.
L'ennemi réagissait par de violents bombardements dirigés surtout dans les ravins et sur les cheminements pouvant être utilisés. C'est sous ces barrages que les chars durent passer n'ayant que quelques heures pour parcourir la longue distance qui les séparait encore de la ligne de feu où ils arrivaient quelques moments avant l'assaut.
Une courte mais violente préparation d'artillerie s'effectuait déjà, recouvrant les petits bois de lourds nuages de fumée qui se dissipaient difficilement dans la brume du matin. Des mitrailleuses de tir direct ouvraient leur feu. Les vagues partaient, progressant rapidement puis disparaissant dans le bois épais. Les chars suivaient, entrant résolument dans les taillis, semblables à d'énormes pachydermes écrasant les frêles arbres.
La progression dans les fourrés s'effectuait difficilement, mais la première tranchée ennemie était atteinte déjà. Un ancien camp de prisonniers et d'immenses abris souterrains étaient encerclés et tombaient peu après.
A gauche, vers la corne nord-est du bois, une violente fusillade se faisait entendre. L'ennemi résistait et un combat violent s'engageait. Les chars tout près, étaient appelés. Un de ceux-ci, plus rapide, s'avança sur un layon et fonça résolument sur les mitrailleuses ennemies.
réduisant rapidement ce nid où un grand nombre de prisonniers fut fait en même temps qu'un important matériel tombait entre nos mains. Sortant du bois, ce char se dirigea vers la deuxième ligne ennemie. Mais il stoppa tout à coup. Plusieurs balles de fusils anti-tank venaient de tuer le conducteur et de blesser le mitrailleur. Son sacrifice sublime permettait à l'infanterie d'avancer et
d'occuper ce point important commandant le ravin de la Fontaine des Grands-Etangs situé en arrière de la position ennemie de la Croix-Gille.
Les résultats de la prise de ce point ne devaient pas se faire attendre. Dans la nuit du 9 au 10 octobre, l'ennemi se repliait des positions de la Croix-Gille, abandonnant la dernière tranchée.
La guerre de position était finie et la défaite enne
mie s entrevoyait qui devait ejfacçrnas revers de 1870.
,, Liutenant D.