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Titre : Discours de guerre (Nouvelle édition revue et complétée) / Georges Clemenceau ; publiés par la Société des amis de Georges Clemenceau

Auteur : Clemenceau, Georges (1841-1929). Auteur du texte

Éditeur : Presses universitaires de France (Paris)

Date d'édition : 1968

Contributeur : Société des amis de Georges Clemenceau. Éditeur scientifique

Sujet : Clemenceau, Georges (1841-1929) -- Discours (art oratoire)

Sujet : Guerre mondiale (1914-1918) -- France

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb329522306

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (VIII-274 p.) : fac-sim. ; 21 cm

Format : Nombre total de vues : 279

Description : [Discours. français. 1914-1918]

Description : Contient une table des matières

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6484m

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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GEORGES CLEMENCEAU

DISCOURS DE

GUERRE

RECUEILLIS ET PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ DES AMIS DE GEORGES CLEMENCEAU

PRESSES UNIVERSITAIRES BE FRANCE



DISCOURS DE GUERRE


OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Librairie Pion

Grandeurs et misères d'une victoire, 1 vol. in-8°.

Au soir de la pensée, 2 vol. in-8".

Claude Monet, 1 vol. (coll. Nobles vies. Grandes œuvres »)•

Démosthène, 1 vol. (coll. Nobles vies. Grandes œuvres D)

Edition de luxe de Démosthène, 1 vol. in-4° raisin, illustré par Antoine BOURDELLE. Figures de Vendée, 1 vol. in-16.

Bibliothèque Charpentier, Fasquelle

La mêlée sociale.

Le grand Pan.

Les plus forts (roman).

Au fil des jours.

Aux embuscades de la vie.

Le voile du bonheur (pièce en 1 acte).

Stock, édit.

Au pied du Sinai.

L'iniquité.

Vers la réparation.

Contre la justice.

Des juges.

Justice militaire.

Injustice militaire.

La honte.

L'Eglise, la République et la Liberté.

Payot, édit.

Dans les champs du pouvoir.

La France devant l'Allemagne.

Le cas Hartman (de soldaf ministre) (Cornély, édit.).

Au pied du Sinai (Crès, édit.).

Notes de vogage, Argentine, Uruguay, Brésil (Hachette, édit.).


GEORGES CLEMENCEAU

DISCOURS

DE GUERRE publiés par

la Société des Amis de Georges Clemenceau NOUVELLE ÉDITION REVUE ET COMPLÉTÉE

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD Saint-Germain, PARIS

1968


DÉPOT LÉGAL

Nouvelle édition revue et complétée 1" trimestre 1968 TOUS DROITS

de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays

1968, Presses Universitaires de France


AYANT-PROPOS

Recueillis, publiés et commentés en 1934 par mes soins sous l'égide de la Société des Amis de Georges Clemenceau, les Discours de guerre ont eu grand retentissement. Leur volume, dont l'édition a été vite épuisée, n'a pu être réédité jusqu'à présent pour des raisons diverses. La célébration du cinquantenaire de l'accès au gouvernement de Georges Clemenceau en novembre 1917 est une occasion qui ne pouvait être passée. Nous présentons ce livre aux lecteurs moins comme un rappel historique que comme une leçon permanente de vigilance et d'énergie.

L'ancienne préface s'adressait à Clemenceau lui-même. Nous en reproduisons un passage

« Votre objet fut constant à préserver la patrie des violences étrangères et de ses faiblesses propres. Vous représentiez « dans leur esprit et dans leur geste » ces vieux républicains dont Charles Péguy disait « Hommes admirables durs pour eux-mêmes au courage aisé, gai, infatigable. Ce sont des hommes qui n'écoutent pas volontiers leurs propres désillusions ils ont connu des temps heureux où les mots républicains vêtaient des réalités républicaines et le reflet de cet ancien bonheur, les illuminant encore aujourd'hui, leur maintient une perpétuelle jeunesse » » (1). Oui Clemenceau a 76 ans lorsqu'il est fait appel à lui au moment où tout s'écroule et en moins de douze mois il sauve la France, il lui rend la liberté, il lui restitue l'Alsace et la Lorraine contre l'abandon desquelles il avait été des 107 protestataires à l'Assemblée Nationale de Bordeaux le ler mars 1871.

Le présent recueil se distingue de celui de 1934 par quelques adjonctions le fameux discours Messieurs les Anglais, nous vous attendons le communiqué du Conseil supérieur de guerre, le (1) Cahiers de la quinzaine, deuxième cahier de la cinquième série (15 mars 1904), p. 135.


discours prononcé, la paix signée, pour indiquer au pays ses devoirs futurs (1), quelques extraits de correspondance, l'historique des deux harangues les plus significatives et les plus belles qu'il ait prononcées après l'airain de la déclaration ministérielle. Leur brouillon est reproduit en fac-similé. Enfin j'ai cru bon de faire précéder ces textes immortels d'une courte étude sur l'éloquence de Georges Clemenceau.

Georges Wormser,

Président

de la Société des Amis de Clemenceau.

(1) Il figure dans les Discours de paix que notre Société a publiés en 1938. Mais autant qu'un appel, c'est une conclusion qui trouve meilleure place ici.


INTRODUCTION

CLEMENCEAU

MAITRE DE LA HARANGUE

Dans une notice très brève, mais suggestive, qu'il consacre à l'éloquence de Clemenceau, Anatole de Monzie, témoin compétent (1), rappelle, pour le réfuter, le jugement d'Alexandre Ribot « C'était moins un orateur qu'un escrimeur de premier ordre. » II est vrai qu'à la tribune comme sur le pré Clemenceau eut pour tactique habituelle l'attaque ou la contre-attaque, que ses réparties, vives et acérées, faisaient mouche, qu'il fonçait sur l'adversaire. Mais le succès, répété pendant près d'un demi-siècle, de ses ripostes étincelantes a laissé dans l'ombre les qualités plus solides de la parole de Clemenceau. C'est la vigueur ramassée de la démonstration, la haute couleur des images, le mouvement pressé, les arguments directs, le pathétique enfin, qui, en dépit de moyens physiques réduits (voix faible, souvent rauque, gestes étriqués ou monotones) subjuguaient l'auditoire et le maintenaient palpitant jusqu'à ce qu'en jaillissent les cris de rage impuissante ou d'enthousiasme émerveillé.

« Un homme parle (écrit de Monzie), et c'est Clemenceau, pour convaincre ou commander. Le commandement est sa vocation. Il était fait pour tenir le langage de chef au pouvoir. » Précisant encore sa pensée, l'ancien ministre dit « Les communiqués de Clemenceau quand il prend le pouvoir en 1917 et quand il annonce la victoire en 1918 ne se comparent qu'aux proclamations de Bonaparte éloquence de bougres » En fait la puissance oratoire de Clemenceau s'exerça en des (1) Mémoires de la tribune, Paris, Corréa, 1943, p. 234 et 235.


circonstances bien diverses. Dans le prétoire à deux reprises (procès Norton, procès Zola), en réunions publiques, à Medrano ou à Salernes, au Parlement, interpellateur ou interpellé, lors de banquets (notamment celui qui fat offert en 1895 aux Goncourt) ou pour des inaugurations, que ce soit celle du monument de Gambetta à Nice (26 avril 1909), de la statue de Scheurer-Kestner à Paris (11 février 1908), ou de la sienne à Sainte-Hermine (2 octobre 1921), sur des scènes de théâtre en Argentine avant la guerre, aux États-Unis après la paix, à la Sorbonne ou portes closes, lors des délibérations des Quatre, Clemenceau tint toujours le langage vigoureux qui convenait à son dessein, sans phrases inutiles, mais aussi sans recherche d'une sobriété qui eût nui à son besoin d'éviter toute équivoque, sans grandiloquence, mais sans négligence de l'effet nécessaire. Il ne lui déplaisait pas de hausser le débat jusqu'aux explications historiques et philosophiques parfois il se laissait aller à des généralisations un peu sommaires ou à des abstractions un peu creuses, défaut qui provenait non d'une pensée superficielle ou d'un savoir inégal, mais qui était la conséquence de convictions idéologiques immuables, l'assurance d'un homme tout d'une pièce dont le credo politique est si fortement senti qu'il lui dicte presque toujours les mêmes phrases à travers les temps. Ce qu'il a écrit un jour de Démosthène peut s'appliquer, mot pour mot, à lui-même, qu'il y ait ou non songé « Athénien, orateur, Démosthène met tout son espoir dans la puissance de sa parole, parce que sa parole, c'est lui. Il n'est pas né, comme Eschine, avec une supériorité de dons oratoires. Il a peut-être une technique. Il ne le laisse pas voir. La force qui l'emporte de haute lutte sur toutes les autres est dans l'inébranlable résolution d'une conscience qui veut et fait parce qu'elle croit n (1). Quel que soit l'auditoire et quel que soit le moment il a toujours su d'emblée ce qu'il fallait dire et il a toujours su comment le dire. Ses jugements sur ses adversaires s'énonçaient aussi nettement que ses propres idées. Sa mémoire était suffisante et son esprit toujours assez prompt pour que les hommes ou les événements ne le prissent jamais au dépourvu. Il improvisait sans peine, ses reparties étaient fulgurantes. Car il avait le don de la formule sarcastique ou sévère et aucune considé(1) Georges CtEMENCBiLtr, Démosthène, Paris, Plon, 1926, p. 44.


ration de personne à ménager ou de prudence à observer ne l'eût empêché de s'en servir, il dominait l'assemblée par l'évidence de ses résolutions, il lui communiquait le feu de sa propre ardeur. C'est une grande force que d'aller droit devant soi, de ne jamais ruser, de négliger les embûches et d'être aussi insensible aux critiques qu'aux compliments. Ce qui seul lui importait c'était le résultat qu'il voulait obtenir.

L'humeur, il est vrai, joue quelque rôle chez qui a tant de sang. Mal disposé il sera outrancier dans l'invective, ses phrases seront hachées, son débit trop rapide. En pleine santé, confiant en lui-même, il sera débonnaire, il fera rire sans trop écorcher, il se laissera aller aux souvenirs et aux anecdotes, il inclinera, même parlant en public, à une sorte de causerie familière. C'est pourquoi il se sentait tellement à l'aise dans l'atmosphère du Sénat.

Le grand discours (dans la dernière période de sa vie surtout) était moins son affaire. Il le préparait de trop longtemps, utilisant et fatiguant ses secrétaires par beaucoup de recherches préliminaires, lui qui généralement ne s'en rapportait qu'à lui-même il s'encombrait de notes dont il eût pu tirer beaucoup s'il en avait fait rédaction, mais qu'il emportait telles quelles à la tribune il avait souvent mal à les lire, il les mélangeait, il en alourdissait son raisonnement. Ses exposés qu'il désirait vraiment démonstratifs étaient longs. Dès 1880 il avait affirmé ce principe « Il ne faut rien abréger, rien omettre, voilà mon sentiment formel. Il n'en changea pas. Malgré ses réponses gouailleuses aux interrupteurs, il lassait parfois l'auditeur, il se lassait lui-même. Ce fut le cas lors de son discours du 22 juillet 1917 contre Malvy et aussi lors de son intervention minutieuse dans la discussion du traité de paix à la Chambre des Députés. Lorsqu'il s'agissait de questions capitales, Clemenceau tenait en effet à bien insister, même trop. Heureusement il savait illuminer ses longueurs de traits qui ranimaient l'attention, entraînaient les applaudissements puis suscitaient les commentaires. L'écho de ces grandes manifestations ne tardait pas à s'étendre hors de l'enceinte où elles s'étaient produites.

Les interventions courantes étaient d'une préparation toute personnelle. Une heure de méditation dans la solitude, quelques notes griffonnées sur un feuillet, quelques phrases mâchonnées à l'avance et Clemenceau était prêt au combat. Tout discours,


d'après lui, devait avoir son thème et son rythme. C'est ce rythme qu'il imaginait et qu'il répétait. Le reste viendrait tout seul. Le coup de fouet de la séance aidant, il se montrerait luimême, en pleine action. Ainsi fut-il du fameux discours Je fais la guerre. La formule vint d'une réflexion préalable sur le sens de la riposte à faire aux assauts qu'allaient lui livrer les députés socialistes. En dehors d'elle tout fut pure improvisation. De même lorsqu'en juin 1918 il défendit les généraux après l'affaire du Chemin des Dames, moment difficile pour lui entre tous parce que dans l'intérêt supérieur du pays il lui fallait parler contre son propre sentiment, il n'était arrivé à la Chambre et n'était monté à la tribune qu'avec une idée, celle de couvrir les chefs de l'armée parce qu'ils se trouvaient en plein combat.

Restent les allocutions, déclarations et harangues complètement et soigneusement écrites à l'avance. Ce sont presque des proclamations où tout est à peser. Clemenceau ne demande pas alors, comme tant d'autres hommes politiques, qu'un projet lui soit préparé sur lequel il travaillera. Ce n'est pas qu'il dédaigne ce procédé commode et rapide. Souvent il l'emploie pour sa correspondance officielle, préférant que les observations des services soient immédiatement mises en forme de réponse plutôt qu'exposées dans une note à son seul usage. Mais ses déclarations à l'adresse du pays, de ses alliés ou de l'ennemi sont chose trop importante pour ne pas être entièrement de sa pensée et de sa main. Sa déclaration ministérielle et son discours électoral de Strasbourg, explosions initiale et final de son œuvre de guerre et de paix au gouvernement, surgirent d'une concentration personnelle où, dans un complet isolement sévèrement défendu, il s'interrogea et s'affirma. C'est la méthode même qu'il avait constamment appliquée pour ses articles de journaux toujours rédigés la nuit ou au petit matin dans sa chambre à coucher.

N'en retenant que les formules extraordinaires qui s'imprimèrent immédiatement dans leur mémoire, les contemporains pris par l'événement n'eurent guère loisir de relire et d'examiner ces déclarations comme elles le méritaient. Après la guerre, honteux de leur abandon, ils l'évitèrent. Ainsi s'explique qu'on ne se soit guère rendu compte dans l'histoire de l'éloquence française de la place éminente qu'y a tenue Clemenceau.


La harangue constitue un genre particulier parce que sujet, moment, lieu, démonstration, tout y est au choix de l'orateur. C'est en quelque sorte un soliloque, tandis que le discours parlementaire est péripétie d'un débat général. Elle se prête à une préparation libre de toute nécessité autre que celle de son objet. Celui qui la prononce ne dépend ni de mouvements de séance ni de la thèse exposée par d'autres. Il n'y a pas de vote à conquérir.

Que l'on songe au développement que la radiodiffusion a donné à ce genre de discours libre elle est devenue l'instrument idéal d'un appel ou d'une explication, puisqu'elle étend l'audition au pays tout entier. D'où la fréquence, lorsqu'il faut qu'un contact s'établisse entre dirigeants et dirigés, des causeries au coin du feu, des exposés de chefs de gouvernement, des allocutions de chefs d'État. Clemenceau ne disposait pas de cet instrument mais son audience fut énorme. Prestige d'une personnalité plus forte qu'aucune autre de la IIIE République, à la seule exception de Léon Gambetta dont Clemenceau a dit qu'il était « l'orateur attitré des générations nouvelles ». Cet hommage figure dans le grand discours où il a retracé l'œuvre nationale du grand homme d'État qu'il a tant admiré et aimé (1) malgré l'opposition de leurs méthodes et parfois de leurs idées. Écoutons-le

« La harangue est un moment de la créature vivante, changeante, qui se propage d'âme en âme par de mystérieuses communications émotives. Ainsi Gambetta se donnait pour prendre, c'est-à-dire pour que l'auditoire se donnât à son tour. Que peut-il rester de cela ? D'ailleurs il n'en avait cure. Sa parole était de l'action. »

Ce jugement n'est-il pas également vrai de lui-même ?

Les deux harangues sur lesquelles nous nous étendrons dans cet ouvrage, celle du 17 septembre 1918 Allez enfants de la Patrie 1, dernier appel au combat, et celle du 30 juin 1919 qui accompagne (1) Il a eu toute sa vie près de lui son masque mortuaire dans son appartement de la rue Franklin.


le dépôt du Traité de paix sur le bureau de la Chambre des Députés, premier appel au pays pour sa résurrection, constituent des déclarations solennelles prononcées en des moments décisifs. Elles ont nécessité une élaboration particulièrement soignée. Chaque mot y est pesé, parce que chaque mot y compte. C'est à l'ennemi, c'est aux soldats, c'est à tous ceux qui vont faire renaître le pays que Clemenceau s'adresse par-delà les sénateurs ou les députés. Pour toucher les coeurs, de telles allocutions nécessitent mouvement, souffle, concision; pour déterminer les volontés, elles impliquent une argumentation. Sans cette intime union de la raison et du pathétique, qui fait sa résonance et son efficacité, la harangue ne serait qu'exercice de style. L'art de Clemenceau (que l'on reconnaît aux touches successives apposées sur le tableau) (1), y est bien différent de sa verve journalistique. Tout y est ramassé, concentré, gravé profondément. Quelque trace de rhétorique s'y aperçoit peutêtre, il est si difficile à un orateur de s'en complètement dépouiller Mais elles sont exemptes de ces amples périodes, de ces longues incidentes où Clemenceau se plaît trop souvent. Des phrases pressées, une pensée limpide, exprimée sans recherche du brillant, excellant dans la précision des termes et l'ordonnance logique du raisonnement. L'idéologie reste sousjacente, elle s'est effacée devant l'impérieuse actualité.

Ces harangues sont d'une valeur rare. Les « hommes de feu et de sang » nous les avons revus. Cette « frontière de la liberté », il a fallu la reconquérir. « Tout nous fut demandé de nous-mêmes. Nous avons tout donné. » Ce fut la résistance. La paix du dedans n'exige pas moins des citoyens que la guerre. « Il y faut l'héroïsme obscur d'une contrainte volontaire, les sacrifices mutuels issus d'une compréhension meilleure. » Ce patriotisme tendu, cette aspiration au vrai socialisme, cette humilité et cette abnégation restent des mots d'ordre.

Il n'est que de rappeler, pour en fournir la preuve, ce serment prononcé par le chef des Français libres à la radio de Londres le 11 novembre 1941

« Père la Victoire Le soir du grand 11 novembre, quand la foule, ivre de joie, s'épuisait à vous acclamer, vous avez crié les seuls mots qu'il fallait dire. Vous avez crié « Vive la France! » (1) Voir l'annexe ir.


Eh bien vous n'avez pas crié pour rien La France vivra, et, au nom des Français, jevous jure qu'elle vivra victorieusement. » Ce rappel émouvant de ce que fit Clemenceau fait écho, à vingt-trois ans de distance, au rappel qu'il fit lui-même le 5 novembre 1918, lorsque la défection de l'Autriche fit apparaître prochaine la cessation des combats, de ce qu'avaient fait « ceux qui ont été les initiateurs et les metteurs en œuvre de l'immense tâche nationale qui s'achève, Gambetta, ScheurerKestner, Küss, maire de Strasbourg succombant à la peine ». Et Clemenceau d'ajouter

« Je veux que notre pensée se retourne vers eux et que, lorsque les terribles portes de fer que l'Allemagne a refermées sur nous vont s'ouvrir, nous leur disions « Passez les premiers, vous avez montré le chemin. » »

G. W.



DISCO U.RS

DE GUERRE



1

LA GUERRE VIENT

POUR LA DÉFENSE NATIONALE

Le gouvernement allemand vient de faire à la Conférence de Berne (1) la réponse qu'on pouvait attendre de son ordinaire brutalité. Cent cinquante parlementaires français sont allés chercher quarante parlementaires allemands pour rédiger une déclaration qui ne serait que bruit au vent s'ils n'avaient trouvé moyen d'y mêler fâcheusement l'Alsace-Lorraine. Cette démarche, honorable d'intentions mais insuffisamment réfléchie, aboutit à réveiller les animosités entre les deux peuples par une injustifiable aggravation du régime de prussification à outrance auquel sont soumises, de l'autre côté des Vosges, les provinces arrachées de la mère Patrie.

En dehors des socialistes, les partis de gouvernement au Reichstag progressiste et centre catholique représentés à Berne par une dizaine de députés, approuvent les mesures de brutale domination contre les Français des pays conquis, et nous pouvons ainsi apprécier à leur juste valeur les paroles de pacification que buvait à longs traits M. d'Estournelles de Constant (2). Cependant, le général Keim et sa ligue militaire organisent à Leipzig une grande manifestation où, après avoir envoyé des télégrammes de félicitation à l'empereur et au kronprinz pour les remercier de s'être rangés aux vues de la ligue en faisant voter la loi actuelle sur l'accroissement des effectifs, ils réclament dès à présent une nouvelle augmentation de l'armée allemande.

(1) Le 11 mai 1913, des députés et des sénateurs s'étaient rencontrés à Berne avec des membres du Reichstag pour étudier les moyens de maintenir la paix entre il fut un apôtre du pacifisme.


Ce que trop de gens encore ne veulent pas comprendre chez nous, c'est que l'Allemagne, organisée tout entière pour la violence, ne pourrait échapper, si elle le voulait et elle ne paraît certainement pas le vouloir à la fatalité des nouveaux développements de violence.

Toute l'Europe sait que nous sommes à son égard sur la défensive et l'Allemagne elle-même ne peut avoir aucun doute là-dessus. Sous prétexte de se garantir contre notre agression, elle n'en continuera pas moins ses entreprises de surarmement jusqu'au jour qu'elle croira propice pour en finir avec nous. Car il faut être volontairement aveugle pour ne pas voir que sa fureur d'hégémonie, dont l'explosion ébranlera tout le continent européen quelque jour, la voue contre la France à une politique d'extermination.

Si la catastrophe est inévitable, il faut donc que nous nous préparions à l'affronter de tout notre effort. Voilà pourquoi je suis disposé, d'une façon générale, à ne rien refuser au gouvernement, quel qu'il soit, des moyens de défense qu'il sollicite des Chambres. Ceux qui ont vu 1870-1871 ne peuvent plus laisser échapper une chance, si minime fût-elle, de ne pas revoir les effroyables jours dont l'horreur ne pourrait qu'être centuplée. Au moins, si la destinée m'inflige encore, en l'avivant, ce supplice sans nom, dont le souvenir me hante, ai-je bien résolu de ne jamais mettre à mon compte la plus petite part de responsabilité dans tout ce qui peut affaiblir mon pays livrant le suprême combat pour l'existence. Je voudrais tous les députés imprégnés de ce sentiment qui faisait dire l'autre jour à un homme illustre dont le rôle fut éminent dans la guerre de 1870 (1) et que je ne crois pas enthousiaste du service de trois ans

« Le service de cinq ans serait absurde. Cependant, je le voterais si le gouvernement me le demandait, parce que je ne veux pas me reprocher à mon lit de mort d'avoir contribué pour une part à une catastrophe dont la France ne se relèverait pas. »

Je n'ai cessé de dire que j'étais partisan du service de trois ans. Non que je tienne ce régime pour un dogme tombé du ciel, (1) Charles de Freycinet, adjoint de Léon Gambetta à la Défense nationale, quatre fois président du Conseil, sénateur de la Seine de 1876 à 1920.


comme paraissent le croire des gens surexcités qui, non contents de faire leurs articles ou à peu près, ont la prétention de me dicter les miens, mais parce que je considère que c'est le seul moyen d'aller au plus pressé étant bien entendu que toute augmentation d'effectifs n'est qu'un leurre si elle ne s'accompagne pas de réformes immédiates sans lesquelles notre armée, malgré de si belles forces en puissance, pourrait demeurer au-dessous de l'effort qui lui sera demandé.

Je ne veux plus donner des hommes quelle que soit la durée du service pour qu'on les envoie au Maroc comme on a fait des chasseurs alpins qui manquent à notre couverture. Je ne veux plus donner des hommes pour une instruction militaire insuffisante quelquefois dérisoire comme je le prouverai quand il faudra. Si je consens à imposer au pays l'énorme surcharge que le gouvernement propose, je'veux que ce soit utilement. Dans cette vue je demande que la majorité républicaine accepte le service de trois ans, pour imposer au gouvernement des réformes militaires qui sont le complément indispensable d'une augmentation d'effectifs. Beaucoup de républicains sont autrement disposés. Chacun présente son projet sauveur, comme du temps de la représentation proportionnelle. J'ai donné la parole à M. Paul Boncour et je la donnerai à M. Laval, comme je l'ai promis. Mais que ces messieurs me permettent de leur faire observer qu'il est bien hasardeux de prendre la tête de la manœuvre en pareille matière sans avoir un gouvernement tout prêt pour l'exécution.

C'est probablement ce qui fait que M. Caillaux lui-même, qui est pourtant un homme de ressources, n'a pas pu nous fournir de précision sur sa « rallonge » du service militaire. Un manque de conclusion est une assez grave lacune quand il s'agit précisément de réunir dans une action commune tous les représentants du pays Il était présent lorsque je dis à un haut personnage (que cela fit sourire) « L'union des républicains aussi est une des forces de la défense nationale. » Moi, j'en suis toujours là, ainsi que lui-même, je suppose et, au risque de me faire conspuer par les graves personnages qui virent d'abord dans la prolongation du service militaire une occasion d'installer (je devrais dire de maintenir) la droite au gouvernement, je ne cesserai d'inciter les républicains à se rallier au projet gouvernemental, si l'on peut découvrir quel il est d'une façon


précise, pour mettre le ministre de la Guerre en demeure de faire l'oeuvre de réorganisation qui sera le salut tandis que la routine des bureaux et le laisser-faire des grands chefs nous conduiraient à des désastres nouveaux. Autrement, je crains bien que nous n'aboutissions qu'à empirer le gâchis.

Hélas Voici maintenant les soldats eux-mêmes qui prennent l'affaire en main (1). Il ne nous manquait plus que ce malheur. A Reuilly, à Toul, à Belfort, on signale des actes de mutinerie, qu'il ne faut pas exagérer, car les plus turbulents seraient peut-être les plus ardents en temps de guerre, mais qui font à l'étranger (lisez les commentaires de la presse allemande) et en France même la plus déplorable impression. Il est fort aisé de comprendre que nos jeunes soldats, qui ont pu se croire hier à la veille de rentrer dans leur famille pour reprendre leur travail et fonder peut-être eux-mêmes une famille nouvelle, se montrent fâcheusement affectés d'une aussi grave déception. Qu'ils aient murmuré, « grogné même, à la façon de leurs anciens, on peut ne pas s'en étonner. Je crois, en vérité, qu'ils n'ont pas voulu faire davantage. Ils ont commis la faute de se laisser entraîner fort loin au-delà des propos sur lesquels les chefs eussent pu fermer les yeux. La répression immédiate doit s'ensuivre. Mais je crois que tout le monde sera d'accord pour dire qu'il faut garder la juste mesure en accompagnant la fermeté de quelque indulgence. Le général Pau, que le ministre de la Guerre a envoyé sur les lieux, est des mieux qualifiés pour cette œuvre (2). Ces soldats n'avaient certainement pas pensé qu'ils allaient mettre leur pays en fâcheuse posture aux yeux de l'étranger. Quand on le leur aura fait comprendre, ils ne demanderont plus qu'à réparer le mal involontaire. Heureuse faute si la leçon qui s'en dégage devait faire entre nous l'accord pour la patrie.

(Homme libre, 21 mai 1913.)

(1) Le cabinet Barthou, voyant se prolonger, en Commission, la discussion du projet de loi de trois ans, déclara qu'il maintiendrait sous les drapeaux la classe libérable en octobre. Il obtint sur ce point, le 15 mai 1913, un vote de confiance de la Chambre. Ce ne fit pas l'affaire des soldats dont la durée de service se trouvait inopinément prolongée. Certains manifestèrent leur mécontentement.

(2) Glorieux blessé de 1870 il jouissait d'un grand prestige. Il avait refusé deux ans auparavant de devenir le généralissime désigné et avait indiqué le général Joffre.


VOULOIR OU MOURIR

Si les honteux soubresauts, je ne dirai pas de sédition, pour ne rien grossir, mais d'indiscipline militaire n'étaient pas arrêtés net, la France aurait vécu. Dévergondage d'anarchie ou de réaction, ce serait tout un, puisque le mal viendrait du pays lui-même, incapable de s'organiser pour un ordre de vie nationale sous les différentes formes de gouvernement qu'il a, depuis un siècle, successivement essayées.

L'autocratie ne se rencontre plus guère que dans les tribus africaines. Sur ce point, la Russie, la Chine ont dû capituler. La théocratie elle-même, au Thibet, a vu son Pape-Dieu appréhendé au corps. Si la théocratie romaine pouvait jamais triompher en France, il lui serait impossible de gouverner selon ses vues sans déchaîner une révolution auprès de laquelle 1793 et la Commune ne seraient que des bergeries.

Je ne crois point du tout que Pie X en vienne jamais à tenir M. Poincaré (1) prisonnier dans quelque ville de la campagne romaine pour renouveler au rebours les conversations de Pie VII et de Napoléon à Fontainebleau. Mais je conçois très bien que l'Église romaine, masquée d'un gouvernement de mensonge ou simplement d'irréductible lâcheté, puisse achever de désorganiser, de dissocier notre malheureux pays. Nous vivons sous cette menace constante, surtout depuis que la droite, en des votes historiques, a pris possession d'hommes tenus d'acquitter leur dette électorale à nos dépens (2).

Il y a d'autres dangers encore. Chez un peuple qui venait de subir sans broncher vingt ans d'avilissante tyrannie, nous avons entrepris de fonder une démocratie vivante et agissante dans le plein développement de la liberté. Le problème était d'autant plus ardu que nous venions d'être envahis, écrasés, démembrés. Cependant, chose étrange, le labeur énorme de la réfection de notre force armée a paru s'accommoder d'une diminution des charges militaires équitablement réparties sur chaque Français. Ainsi la nation, par malheur, s'orienta vers la (1) Président de la République depuis le 17 février 1913.

(2) C'est une allusion au vote de la « proportionnelle » prônée par Charles Benoist de tendance monarchiste.


recherche du moindre effort à l'heure même où l'accumulation de toutes les fautes du passé exigeait d'elle un plus grand développement de volonté pour réagir. Ajoutons que la bonne utilisation du temps passé sous les drapeaux fat, et est encore, fort contestable, et n'oublions pas que le contraste est grand entre la rigoureuse discipline militaire et notre régime de pleine liberté en réaction de l'Empire qui, faute d'un libre contrôle, nous avait conduits à l'abîme. Tout compte fait, notre peuple supporte bien l'épreuve, résistant sans trop de peine aux dévergondages de l'anarchie et de l'internationalisme révolutionnaire. Mais, si l'on ne peut plus rien fonder de durable en Europe en dehors de la liberté, la puissance d'un dessein continu ne se peut affirmer que par le moyen d'hommes capables de se modérer, de se régler, de se gouverner eux-mêmes, et surtout de vouloir.

En ce point, le défaut de la cuirasse. La première génération de nos gouvernants, sans être aussi merveilleuse que certains le racontent, fut, de toute évidence, à la hauteur de sa tâche. Seulement les difficultés venant à s'accroître dans une proportion formidable et les hommes qui suivirent n'ayant pu maintenir la nécessaire tension de volonté au dangereux contact du pouvoir on se trouva d'accord pour honnir ceux qui couraient aux responsabilités comme au devoir et pour porter aux nues la secte mirifique des endormeurs dont nous pouvons apprécier le beau travail en ce moment.

On a pris des attitudes, on a parlé sans réussir à jamais déguiser que le principe fondamental de cette politique (favorisée par la droite, qui y voyait la dislocation du parti républicain) était de reculer devant l'action. Or, dans l'ordre social comme dans l'ordre physique, à toute force qui fléchit s'oppose une force qui monte. Le malheur a voulu que les hommes présentement portés au faîte de la puissance publique (dont je ne suspecte ni les intentions ni l'intelligence) (1) se trouvent précisément être l'incarnation de toutes les faiblesses qui nous ont conduits au bord de l'abîme. Aux jours tranquilles de développement heureux, ils feraient très belle figure, et pour des distributions de prix avec des envolées d'académie, je les vois spécialement qualifiés. Mais pour regarder en face le simple et (1) Raymond Poincaré et Louis Barthou.


terrible dilemme vouloir ou mourir, et se jeter au danger quand tant de cérémonies les appellent pour une pluie de fleurs, je le dis de toute ma conviction, cela est au-dessus de leurs moyens.

Maintenant, qu'est-ce donc que ces fils de vaincus, qui, trouvant leur pays démembré, vont, à deux pas de la frontière, sous les insultes de la presse pangermaniste, ajouter l'outrage de leur révolte aux blessures de la patrie mutilée, comme pour mieux frayer le chemin à l'exécution des menaces ennemies ? Leurs pères, tombés sur les champs de bataille pour sauvegarder la terre des aïeux, ne purent empêcher que les Français fussent arrachés de la France au tranchant du fer victorieux. Tout un peuple cria vers le ciel que la France se retrouverait un jour. Heureux les morts de ne s'être pas vus renier par ceux-là mêmes qui leur devaient, devant l'histoire, la réparation du droit outragé

Qu'est-il donc arrivé ? On vous a dit, pauvres fous, que tous les hommes étaient frères et qu'il n'y a pas de frontière dans la nature. C'est la vérité. Mais depuis Caïn et Abel, les passions mauvaises le lot commun de tous ont armé frères contre frères, et quand mon frère vient à moi le couteau levé, j'entends protéger contre Caïn la terre où les miens ont vécu, où les miens vivront après moi. S'il n'y a point de frontières dans la nature, il n'y a point, non plus, de villes, de monuments, de ces productions d'art et de science où se glorifie la civilisation, avec tout le brillant cortège d'histoire dont la plus noble culture a fait un miracle d'humanité. Tout cela est, cependant, et tout cela a le droit et la volonté d'être sous le soleil de tous. Mais la cupidité s'allume proche ou lointaine à la vue du trésor, et des murailles s'élèvent, et des bastions et des créneaux se dressent pour la légitime défense. Et les sentinelles veillent aux remparts afin de protéger le fruit du bon labeur. Et comme tu veilles aujourd'hui pour toi-même et pour d'autres, d'autres veilleront demain pour toi. Honte à toi si tu allais livrer à la dévastation irréparable le suprême asile de toute grandeur et de toute beauté. Tu te crois une pensée, malheureux. Tu n'es qu'une faiblesse désorbitée.

Il faut bien que quelqu'un commence, dis-tu ? Non pas. Il faut être au moins deux pour commencer. Tandis que tu désarmes, entends-tu le fracas des canons de l'autre côté des


Vosges ? Prends garde. Tu pleurerais tout le sang de ton cœur sans pouvoir expier ton crime. Athènes, Rome «™ les plus grandes choses du passé =•» furent balayées de la terre le jour où la sentinelle faillit, comme tu as commencé de faire. Et toi, ta France, ton Paris, ton village, ton champ, ton chemin, ton ruisseau, tout ce tumulte d'histoire dont tu sors puisque c'est l'oeuvre de tes anciens, tout cela n'est-il donc rien pour toi et vas-tu sans émoi livrer l'âme dont est pétrie ton âme à la fixreur de l'étranger ? Oui Dis donc que c'est cela que tu veux, ose le dire, afin d'être maudit de ceux qui t'ont fait homme et d'être déshonoré pour jamais.

Tu t'arrêtes, tu n'avais pas compris, tu ne savais pas. On a requis de toi un sacrifice plus lourd que tu n'avais pensé Il est vrai. C'est un surcroît d'effort qui te fut demandé à toi comme à bien d'autres qui se seraient crus indignes de la France s'ils avaient murmuré. Eh bien souviens-toi que ce n'est pas encore assez pour la patrie. Un jour, au plus beau du moment où fleurit l'espérance, tu quitteras tes parents, ta femme, tes enfants, tout ce que tu chéris, tout ce qui tient ton cœur et l'enserre, et tu t'en iras, chantant comme hier, mais une tout autre chanson, avec des frères avec des vrais frères, ceuxlà au-devant de la mort affreuse qui fauchera des vies humaines en un effroyable ouragan de fer. Et voilà qu'à ce moment suprême tu reverras dans un éclair tout ce qui se peut rassembler en ce mot si doux le pays, et ta cause te paraîtra si belle, tu seras si fier de tout donner pour elle que, blessé ou frappé à mort, tu tomberas content.

Et ton nom sera honoré et ton fils portera haut son regard, car, plus heureux que toi, il aura compris, dès l'enfance, la beauté du sacrifice pour la noblesse du foyer, et son cœur battra plus fort à ton souvenir et tu auras vécu, et, mort, tu continueras de vivre dans les tiens.

Ne dis rien. Je vois que tu as compris maintenant. Va payer ta faute et reviens-nous meilleur, afin de retrouver avec joie, parmi nous, la place à laquelle tu pourras réclamer ton droit désormais.

(Homme libre, 24 mai 1913.)


LES CRÉDITS MILITAIRES

(SÉANCE DU SÉNAT DU 13 JUIWiET 1914)

SOMMAIRE

Discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des Députés, adopté avec modifications par le Sénat, modifié par la Chambre des Députés, autorisant les ministres de la Guerre et de la Marine à engager des dépenses non renouvelables en vue de pourvoir aux besoins de la Défense nationale et déterminant les règles financières applicables aux dites dépenses.

Discussion générale MM. Charles Humbert, rapporteur de la Commission de l'Armée Messimy, ministre de la Guerre Clemenceau, René Viviani, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères.

Renvoi de la suite de la discussion au lendemain.

Suspension de la séance.

M. LE RAPPORTEUR. -Or, à l'heure où je parle, dans une seule de nos grandes places, 80 000 projectiles sont logés sous deux hangars contigus couverts en tuile, et il suffirait, en cas de guerre, qu'un projectile éclatât sur l'un de ces hangars pour que la plus grande partie de l'approvisionnement de la place, et en même temps l'arsenal avec tout ce qu'il contient, fussent réduits à néant. (Mouvement.) J'ai signalé cette folle imprudence au ministre de la Guerre, d'abord verbalement, puis par lettres en juin 1913. Et actuellement, en juillet 1914, on creuse des fondations pour quatre magasins, alors que les vingt qui sont nécessaires devraient être depuis longtemps terminés. Si on continue à cette allure, il faudra quatre ou cinq ans pour que ces 80 000 obus soient à l'abri

M. Aimond. Ces obus sont-ils chargés ?

M. LE RAPPORTEUR. Naturellement, sans quoi, il n'y aurait aucun danger.

M. CLEMENCEAU, Nous ne nous en irons pas en vacances sans avoir discuté cette question. TI n'y a pas de vacances possibles dans ces conditions (Applaudissements à gauche.) M. LE RAPPORTEUR. Bien que le nombre de canons de campagne ait été accru, de plus d'un tiers depuis cette époque, bien que les expériences du camp de Mailly et des dernières guerres aient démontré la nécessité absolue d'augmenter, non seulement notre stock d'approvisionnement, mais aussi, et considérablement, notre fabrication journalière en temps de guerre, le chiffre arrêté depuis sept ans n'a pas varié. (exclamations aur cliver, bancs,) M. CLEMENCEAU. Il y a plus de canons et moins de munitions,

M. me Ministre. Messieurs, l'honorable M, Charles Humbert a exposé de nombreux faits et développé toute une série de critiques, et il a par la suite été amené à présenter sous des couleurs très sombres, non pas l'orga-


nisation même de notre défense, mais la situation toujours défectueuse de l'outillage indispensable à cette défense dans une nation militaire moderne telle que la nôtre.

Je ne m'attarderai pas à reprendre une à une. (Protestations. Bruit.) M. CLEMENCEAU. Ce serait pourtant bien utile.

M. LE MINISTRE. Pour le faire, Monsieur le Sénateur, il faudrait que j'eusse les documents sous les yeux.

M. CLEMENCEAU. Vous pouvez très bien demander vingt-quatre heures ou quelques jours au Sénat. Nous vous ferons crédit. (Vive approbation sur un grand nombre de bancs.) M. LE MINISTRE. Vous comprenez très bien que je ne puisse pas répondre en ce moment.

M. Clemenceau. Votre personnalité, Monsieurle Ministre, est absolument hors de cause.

Mais des paroles d'une gravité suprême ont été prononcées devant le pays, et nous ne pouvons pas laisser l'armée et la France dans l'inquiétude de savoir si les milliards qui ont été dépensés ont été gaspillés sans résultat ou ont vraiment bien été dépensés pour la Défense nationale.

Vous pensez bien que je n'ai aucune qualité pour me prononcer sur les différents faits qui ont été exposés par M. Humbert, mais nous avons le droit de vous demander de venir, à un jour prochain, répondre point par point aux questions qui ont été posées. (Très bien très bien !)

M. LE PRÉSIDENT. M. Clemenceau fait-il une proposition ?

M. BOUDENOOT. -Écoutons d'abord le mïnistre (Yoix nombreuses. Parlez Parlez !)

M. Gaudin DE Villajne. A demain

M. LE Ministre. Je ne peux pas d'ici à demain vous apporter des renseignements sur tous ces faits.

M. GAUDIN DE VlLLAINE. Nous n'avons eu qu'nne heure pour lire le rapport

M. LE Ministre. La plupart des faits qu'a signalés M. Charles Humbert, dans son discours, n'étaient pas inclus dans son rapport, sans quoi j'aurais pu vous apporter mes réponses.

M. CLEMENCEAU. C'est ce que nous demandons puisque vous pouvez le faire, nous vous demandons que vous vouliez bien le faire.

M. LE Ministre. Je suis convaincu que la plupart des faits pris isolément, pris dans le détail, sont exacts, sinon dans la manière dont ils vous ont été présentés, mais sous la réserve d'être considérés comme des exceptions et comme des faits particuliers (Exclamations sur un grand nombre de bancs.)


M. CLEMENCEAU. Alors, il n'y a que des exceptions Acceptez donc le renvoi, Monsieur le Ministre

M. LE MINISTRE. Les Chambres vont entrer en vacances. (Nouvelles exclamations.)

M. CLEMENCEAU. Alors la France ne sera pas défendue parce qu'il plaira au gouvernement de nous mettre en vacances Dans ce cas, nous ne voterons pas les crédits.

Les sénateurs qui voteront ces crédits seront déshonorés s'ils ne demandent pas des explications

Il n'y aura pas un Sénat, pas une Chambre pour accepter cela

Acceptez donc le renvoi de la discussion. Nous vous faisons plein crédit.

M. Dominique DelahaïE. C'est dommage, Monsieur Clemenceau, que vous n'ayez pas dit cela quand vous étiez au pouvoir

M. LE Ministre. J'accepte très volontiers le renvoi à la rentrée, si vous le voulez. Certes, il serait d'une meilleure pratique financière d'avoir des crédits réguliers, mais, devant l'émotion provoquée par le discours de l'honorable M. Humbert, je serais mal venu, sous réserve, bien entendu, de continuer les travaux en cours, à refuser le renvoi du vote proprement dit à la rentrée prochaine. (Mouvements divers.)

M. CLEMENCEAU. Pourquoi à la rentrée prochaine ? (Bruit.)

M. LE MINISTRE. Je causais hier avec un officier général qui a longtemps occupé au ministère de la Guerre une très haute situation et, lui adressant le reproche que j'avais trouvé dans le rapport de M. Charles Humbert, je lui disais cc Comment, pendant dix ans, n'avez-vous pas réclamé pour l'outillage puisque seul l'outillage est en cause des crédits plus importants ? Il me répondait « Je les ai demandés, je les ai réclamés, mais mon « métier de soldat est d'obéir et je ne pouvais réclamer avec véhémence « contre l'ordre formel qui m'était donné de réduire de 50, de 60, de 80 « pour 100 la dotation de la troisième section. » »

M. Clemenceau. L'ordre de qui ?

'M. LE MINISTRE. Du chef du département. (Bruit.) Oh je ne fais pas de critique

M. CLEMENCEAU. Alors, nous pouvons être battus conseiencieusement

M. LE Ministre. N'incriminez pas, je vous prie, les services de la Guerre.

M. Clemenceau. Comment Personne n'est responsable ? M. zE Ministre. Sans doute, jamais les Commissions parlementaires n'ont rien refusé à un gouvernement, mais lorsque le ministre de la Guerre


s'adresse au ministre des Finances. (Exclamations sur divers bunes.) Je suis obligé de constater les faits, il reçoit de lui l'ordre impératif de comprimer les dépenses (Bruit.)

M. Rmo'r. En pareille matière, il ne peut être question d'ordre.

M. CLEMENCEAU. De qui reçoit-il cet ordre ? Est-ce qu'il n'y a pas un président du Conseil auquel le ministre de la Guerre peut toujours en appeler ?

M. LE MINISTRE. Je suis obligé de dire ce qui est.

M. CLEMENCEAU. La vérité, c'est que nous ne sommes ni défendus, ni gouvernés (Trés bien! gauche.)

M. iz MINISTRE. Mais le facteur outillage a certainement une répercussion sur le moral des troupes personne n'ignore que l'infériorité de notre artillerie en 1870 a eu un effet considérable sur le moral de notre armée. (Interruptions.)

M. CLEMENCEAU. Pas seulement sur le moral.

M. LE MarIS2nE. Pendant six siècles nous avons en le même explosif, la vieille poudre à canon, découverte au commencement du xme siècle. M. CLEMENCEAU. Continuez, achetez des arbalètes.

M. LE MINISTRE. M. Charles Humbert a dit dans un journal hier matin, il a répété tout à l'heure, affirmant en cela une vérité d'évidence, que l'instabilité ministérielle est la cause principale de la difficulté qu'on éprouve à réaliser un programme.

M. CLEMENCEAU. Tout dépend du ministre que l'on a. M. CLEMENCEAU. Messieurs, il y a des heures où chacun doit prendre ses responsabilités. (Très bien.) Depuis 1870, je n'ai pas assisté à une séance du Parlement aussi émouvante, aussi angoissante, aussi douloureuse que celle d'aujourd'hui. (Nambreuses marques d'assentiment.)

M. le Ministre nous a dit Si M. Charles Humbert m'avait fait connaître ses critiques, j'y aurais répondu. »

II faut répondre, Monsieur le Ministre, c'est absolument nécessaire.

A gauche. C'est iadispensable 1

M. Clemenceau. Et pour l'armée et pour le pays, et pour le Parlement lui-même qui porte la responsabilité des faits que M. Charles Humbert vient de nous révéler. (Applrtudissements.)

Ah les choses ne peuvent pas se passer avec le laisser-aller qui semble parfois de la tradition du Parlement et de nos


administrations. (Approbation.) Il y a des moments où il faut s'arrêter.

Aujourd'hui, nous nous arrêtons. (Nouveaux applaudissements.)

Il est bien entendu que je ne fais pas le procès du gouvernement. M. le Président du Conseil et M. le Ministre de la Guerre ne peuvent en rien être responsables de la situation qui nous a été exposée. Je n'en suis que plus à l'aise, les questions de personnes étant indifférentes en pareille matière, pour demander nous avons besoin de le savoir si oui ou non les faits rapportés par M. Charles Humbert avec la promesse d'en faire la preuve quand cela serait nécessaire, si, dis-je, ces faits sont exacts ou si M. Charles Humbert se trompe.

Vous avez dit, Monsieur le Ministre.

M. GAuDiN DE Villahœ. Certains de Ces faits ont été révélés il y a deux ans.

M. CLEMENCEAU. Vous avez dit, Monsieur le Ministre, que vous étiez sûr du dévouement et du zèle de vos collaborateurs.

M. LE MINISTRE. Oui

M. CLEMENCEAU. Je n'en veux pas douter, et personne n'en doute ici en aucune façon mais plus ils sont dévoués, plus ils sont zélés, plus ils travaillent avec ardeur, plus les résultats auxquels ils arrivent sont inquiétants. (Mouvements divers.) Il faut en finir. Nous vous demandons de prendre jour avec nous pour répondre point par point aux arguments de M. Humbert. Je crois pouvoir dire que le Sénat ne votera pas les crédits. En tout cas, nous sommes un très grand nombre qui refuserons de les voter; nous ne le ferons pas par hostilité envers le gouvernement, mais parce que le moment est arrivé pour le Parlement même de prendre toutes ses responsabilités. Les administrations ont fait défaut, les gouvernements ont fait défaut il y a encore un Parlement. Qu'il se lève, qu'il parle, qu'il agisse Notre action aujourd'hui est très simple; elle consiste à vous dire ceci. (M. le Ministre échange â son banc quelques paroles avec l'un de MM. les Commissaires du gouvernement.) Je vous demande pardon, Monsieur le Ministre, mais comme c'est à vous particulièrement que je m'adresse, je suis obligé d'attendre que vous vouliez bien me faire l'honneur de m'écouter.


Ce qui complique la situation, c'est que le Parlement n'est plus maître de ses sessions, que nous sommes dans la dépendance du gouvernement. Personne ici n'ignore que le président de la République va faire un voyage en Russie (1) et que pendant ce temps le Parlement sera obligé de suspendre ses séances.Nous ne nous en plaignons du tout seulement nous demandons que, dès que le gouvernement pourra fonctionner normalement en France, le Sénat, convoqué, se réunisse pour entendre alors, Monsieur le Ministre, vos explications.

Ces explications, vous nous les devez sans plus attendre. A partir de demain, quand le pays connaîtra le réquisitoire de M. Humbert, il n'est pas un Français qui n'ait besoin de savoir, d'une façon catégorique, si ce que M. Humbert a dit est vrai ou si c'est inexact.

Il faut que vous nous répondiez nous n'allons pas rester quatre mois, vous et nous, sous le coup de pareilles accusations. (Très bien! très bien!) C'est impossible.

Puisque j'ai la bonne fortune de voir devant moi M. le Président du Conseil (2), je lui demande s'il ne peut pas prendre l'engagement de convoquer le Parlement, par exemple, dans huit ou dix jours, au moment qui lui paraîtra convenable, de manière que nous puissions reprendre la discussion qui vient d'être soulevée. Si le gouvernement s'engage à convoquer le Parlement dans quelques jours, nous serons tous d'accord, nous vous écouterons avec la bienveillance que votre zèle patriotique et votre intelligence remarquable méritent.

Nous vous ferons confiance, nous vous ferons crédit, mais nous voulons savoir la vérité il est temps de la connaître. On a demandé au pays des milliards il les a donnés sans compter.

J'entendais dire tout à l'heure que quelquefois des crédits ont été refusés. Comment ne l'auraient-ils pas été ? Est-on venu ici dire voici la situation relative au point de vue des armements de l'Allemagne et de la France, et voilà l'effort que nous demandons à la France ? Est-ce que, à aucun moment, on nous a mis en présence d'une pareille question? Jamais. Mais on vient nous demander 140 millions sur tel (1) Le Président de la République doit s'embarquer le 16 juillet 1914 pour se rendre à la Cour Impériale.

(2) M. René Viviani.


chapitre, 80 millions sur tel autre, et il nous faut nous prononcer.

Ce n'est pas ainsi que les questions doivent être posées.

Nous attendrons, Monsieur le Ministre de la Guerre, que vous nous fassiez l'exposé de la situation de l'armée, que vous nous disiez quel effort sera nécessaire pour remettre les choses en ordre.

S'il est vrai que nous soyons, au regard de l'Allemagne, dans l'état d'infériorité dénoncé par M. Humbert, nous vous demanderons non pas des considérations générales comme celles que vous nous avez apportées et que vous aviez préparées avant de connaître le discours de M. Humbert (sourires d'approbation) mais le remède.

M. LE Ministre. Je ne pouvais répondre avant de le connaître.

M. Clemenceau. Je ne vous en fais pas de reproche.

N'ajournez pas votre réponse à quatre mois nous sommes pressés de connaître la vérité le pays l'est également. On nous a demandé notre argent, nos enfants, et je suis un de ceux qui se sont prononcés le plus haut, le plus fermement, le plus nettement pour le service de trois ans. (Applaudissements à gauche.) J

Je vous donne notre contingent pendant une troisième année, mais je ne vous permets pas de venir dire que la question de l'armement est une question secondaire. Sans doute, vous nous avez dit il y a le moral et le moral de l'armée française est excellent Mais qu'est-ce que peut devenir le moral d'une armée qui voit que les canons de l'ennemi l'atteignent, alors que les siens ne peuvent pas atteindre l'armée ennemie ? (Approbation.)

Que devient, je le répète, le moral dans cette situation ? Je l'ai vu, moi, en 1870. Nous sommes mieux fixés qu'alors à cet égard. Le facteur moyens, le facteur normal d'offensive et de défensive, détermine le facteur moral. Vous, vous avez renversé le problème. Pour vous, c'est le facteur moral qui déterminerait le facteur offensive. Cela ne peut pas durer ainsi. Faites un signe, Monsieur le Président du Conseil. Dites que vous convoquerez le Parlement dans quelques jours, et, alors, nous serons unanimes à discuter, d'une façon sérieuse et profitable, les crédits qui nous seront demandés. (Vifs applaudissements.)


SÉNAT

(sÉANCE DU 14 JtJÏLLËT 1914)

SOMMAIRE

Suite de la discussion du projet de loi adopté par la Chambre des Députés, adopté avec modifications par le Sénat, modifié par la Chambre des Députés, autorisant les ministres de la Guerre et de la Marine à engager des dépenses non renouvelables, en vue de pourvoir aux besoins de la défense nationale et déterminant les règles financières applicables aux dites dépenses

Discussion générale MM. Charles Humbert, rapportenr Messimy, ministre de la Guerre Boudenoot, vice-président de la Commission de l'Armée Clemenceau, René Yiviani, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères Henry Chéron, Dominique Delahaye. Motion de M. Boudenoot. Adoption.

M. CLEMENCEAU. Je demande la parole.

M. EB Président. La parole est à M. Clemenceau.

M. CLEMENCEAU. Messieurs, il ne me semble pas qu'il s'agisse de savoir si nous allons passer ou si nous n'allons pas passer au vote. Il est bien certain que la demande de crédits qui a été déposée sur le bureau du Sénat par le ministre de la Guerre obtiendra le vote unanime du Sénat. Là n'est pas la question. M. Charles Humbert, rapporteur de la Commission de l'Armée, nous a présenté un rapport et a prononcé hier à cette tribune un discours qui a vivement ému l'Assemblée. Il nous a fait des révélations sur l'état de nos armements qui a jeté dans cette Assemblée un étonnement, une stupéfaction le mot à été dit infiniment douloureux.

M. LE COMTE d'Edvà. C'est vrai

M. Clemenceau. La situation n'a pas changé. J'ai dit et je répète qu'à aucun moment le ministre de la Guerre actuel, ni le président du Conseil actuel, ni le cabinet actuel, ne pouvaient être mis en cause. Nous n'avons pas l'intention de relever même aucune sorte de responsabilité individuelle. La question est infiniment plus haute. On est venu affirmer à cette tribune, avec une autorité confirmée par le récent discours du ministre de la Guerre, que l'état de notre armement était déplorable Messieurs, il faut s'expliquer là-dessus.


On a demandé une augmentation des effectifs. Vous avez voulu plus d'hommes, nous vous les avons donnés.

Il y a, dans ce ministère, des hommes M. le Ministre de la Guerre au premier rang qui ont cru que cette augmentation d'effectifs n'était pas nécessaire. C'était donc affirmer qu'ils faisaient confiance à la supériorité de notre armement. Et, au moment où nous croyons que cet armement supérieur va nous donner, avec l'augmentation des effectifs, une puissance qui nous permettra de nous mesurer avec nos adversaires éventuels, nous apprenons encore qu'il y a un gros effort à faire pour amener la réduction des effectifs et que notre armement est infiniment inférieur à ce que nous avons pensé.

Messieurs, si je faisais le procès du gouvernement, vous comprenez que je chercherais à profiter de cet avantage contre le cabinet mais il ne peut être question de faire rien de pareil. Cependant ce qui a été demeure, le pays l'a entendu, il vous demandera des comptes il vous dira « On vous a révélé telle et telle situation, qu'est-ce que vous avez fait ? »

On est venu nous parler de crédits ce n'est pas pour des raisons d'argent qu'il y a des réservoirs de grande capacité pleins d'essence ou de pétrole à Metz et qu'il n'y en a pas à Verdun et à Toul. Ce ne sont pas les crédits qui font que tout ce qu'on est venu nous dire n'est pas exact.

Vous avez toujours dit que M. Humbert avait raison, que vous étiez d'accord avec lui là-dessus mais songez à l'effroi d'un pays qui ignore que M. Humbert et M. le Ministre de la Guerre sont d'accord pour déclarer que l'état des choses révélé à la tribune a reçu la sanction des pouvoirs officiels.

M. ÛAUDIN DE Villaine. Ils sauront enfin la vérité.

M. Clemenceau. Nous ne pouvons pas en rester là. Je ne veux causer aucun ennui au gouvernement. Mais le Parlement a été saisi, et, s'il pouvait y avoir des ministres qui s'abandonnent, je n'admettrai pas que le Parlement s'abandonnât, ou, s'il s'abandonnait, il y aurait au moins un parlementaire qui ne s'abandonnerait pas. (Très bien 1)

M. Dominique Delaha.'ye. Il y a déjà longtemps que M. Gauditi de Villaine a dit aela mais vous ne l'écoutiez pas

M. CLEMENCEAU. Je vous demande une chose très simple. La discussion qui a été portée à cette tribune tout à l'heure


par M. Messimy ne peut pas avoir l'ampleur qui serait nécessaire. Nous allons nous séparer dans quelques heures. Il ne dépend pas du gouvernement qu'il en soit autrement. Nous sommes obligés de subir une situation que nous n'avons pas faite. Néanmoins, cette discussion est singulièrement écourtée, et tout ne peut pas se borner à un dialogue entre M. Charles Humbert et M. Messimy. Il faut que le Parlement intervienne d'une façon efficace.

Je demande, m'associant à la motion votée par la Commission de l'Armée, que celle-ci soit invitée, par un acte du Parlement, par la volonté du Parlement, à poursuivre l'enquête sur les faits qui ont été signalés par M. Charles Humbert et à nous apporter son rapport et ses conclusions dès la rentrée. Je demande qu'un vote du Parlement donne ce pouvoir à la Commission de l'Armée. Je pense que ma demande ne peut pas être mal accueillie par le gouvernement. Il n'y a, de ma part, aucune suspicion envers M. le Ministre de la Guerre, pas plus qu'envers le cabinet. Mais il est des moments où il faut que le Parlement intervienne. Nous ne pouvons pas faire moins de demander à notre Commission de l'Armée qu'en notre nom elle poursuive l'enquête nécessaire et qu'elle nous apporte ses conclusions à la rentrée. (Applaudissements sur divers bancs.) M. LE PxÉSmErrr DU Conseil. M. le Ministre de la Guerre tiendra d'autant mieux sa parole qu'il a commencé à la tenir, qu'il a donné à ses services les ordres nécessaires pour que les documents soient réunis, pour qu'il puisse avoir en main les éléments qui lui permettront de travailler. Nous pourrons alors, au mois d'octobre, plus tranquillement, ayant en face de nous des documents, des conclusions certaines, prendre les mesures nécessaires. (Applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. CLEMENCEAU. Je demande que lecture nous soit donnée des deux textes proposés, afin qu'on puisse se rendre compte des différences qui existent entre ma proposition et celle que M. le Président du Conseil vient d'attribuer à M. Boudenoot.

M. LE Président. Je donne lecture de la motion présentée par M. Clemenceau. « Le Sénat donne mandat à la Commission de l'Armée de faire une enquête sur les faits révélés dans le rapport de M. Charles Humbert et dans ses discours des séances des 13 et 14 juillet, avec mission d'apporter, à l'Assemblée, un rapport à l'ouverture de la prochaine session. »

M. LE Président DU CONSEIL. Je demande la parole.

M. LE Président. La parole est à M. le Président du Conseil.


M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. L'honorable M. Clemenceau vient de demander quelle différence il y avait entre son texte et celui que M. Boudenoot a apporté à la tribune. Cette différence est essentielle, elle est même grave pour le gouvernement dont on dit cependant qu'il n'est pas en cause. Avec le texte de M. Clemenceau, c'est le ministre de la Guerre, innocent on l'a dit qui est enquêté. Dans le texte de M. Boudenoot, il s'agit d'une collaboration intime et loyale qui s'établisse entre la Commission et le gouvernement.

Le gouvernement demande le rejet de la proposition de M. Clemenceau et l'adoption de la proposition de M. Boudenoot. ( Très bien sur divers bancs.) M. GAUDIN DE VniAiNE. M. le Président du Conseil a parfaitement raison.

M. Clemenceau. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Clemenceau.

M. CLEMENCEAU. Messieurs, je remercie M. le Président du Conseil d'avoir au moins posé la question d'une façon très claire. En effet je demande l'intervention directe et formelle du Parlement, M. le Président du Conseil désire que le Parlement subordonne son action à M. le Ministre de la Guerre. (Dénégations sur divers bancs.)

Vous me répondrez Je ne suis pas ici pour engager mes collègues je suis ici pour m'engager moi personnellement. J'ai ma responsabilité vous avez la vôtre. Je viens à la tribune pour expliquer les sentiments qui m'inspirent et les conclusions que j'en tire.

Vous me jugerez et vous jugerez M. le Président du Conseil. Mais il y a des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas différer. Ce que je demande, moi, c'est un acte du Parlement, tandis que M. le Président du Conseil veut que nous nous en rapportions à la collaboration de la Commission de l'Armée et du ministre de la Guerre sans intervenir directement.

Je ne veux pas faire de discours à cette heure et me lancer dans des considérations générales. Je pourrais trop facilement me laisser entraîner si je voulais juger la question d'ensemble. Cependant, hier, on vous a révélé des faits qui vous ont causé la plus grande stupéfaction. Or, aujourd'hui, ces faits ont été confirmés c'est le résultat de la séance par M. le Ministre de la Guerre, car il a répété à plusieurs reprises qu'il était d'accord avec M. Charles Humbert il nous a seulement promis promesse que j'ai enregistrée que, dans un avenir plus ou moins prochain, les grandes fautes qui ont été signalées


seraient réparées. Dans ces conditions, pouvons-nous persister dans le système qui nous a conduits à l'état qu'on nous a signalé hier, ou faut-il que le Parlement accomplisse un acte de réacetion je ne dis pas d'hostilité car je n'en nourris aucune à l'êgard de M. le Président du Conseil mais de réaction pour manifester, devant le pays qui l'écoute et l'entend, sa particulière énergie ?

Je ne saurais, quant à moi, prendre mon parti de me subordonner, par l'intermédiaire de M. le Ministre de la Guerre, aux hommes qui nous ont conduits où nous sommes aujourd'hui. Plusieurs sénateurs à droite. Ils sont morts 1

M. Clemenceau. Ils sont morts, dites-vous ? J'ai vu M. Thiers hué par une assemblée de patriotes qui étaient en train de nous conduire à Sedan, parce qu'ils obéissaient à des motifs personnels.

Eh bien, je ne peux pas accepter, les yeux fermés, la propoesition que nous fait M. le Président du Conseil, je ne veux pas voir se renouveler l'Histoire. (Protestations.)

Vous pouvez me contredire, ce sont des faits. Il ne s'agit ici d'aucune question de personnes je ne propose aucun acte de défiance à l'égard du gouvernement mais je demande que le Sénat charge officiellement sa Commission de faire l'enquête qui est absolument nécessaire. Si vous ne la faites pas, vous aurez cédé une fois de plus, comme il arrive souvent aux Chambres, au désir du gouvernement mais je le comprendrais d'autant moins qu'il n'y a, ni dans ma pensée, ni dans mes paroles, aucune récrimination personnelle. M. le Président du Conseil le sait mieux que personne je ne m'inspire que de l'intérêt général. Nous voulons seulement obliger les bureaux de la Guerre à sortir de leur torpeur. Il est bien simple, en vérité, de venir nous dire, en citant ces chiffres dont on tire au besoin un argument excellent pour sa démonstration future de telle époque à telle époque on n'a rien fait.

M. Paul Dotjmer. Ce sont les gouvernements qui n'ont rien fait. M. Clemenceau. Nous voulons savoir pourquoi. Vous nous avez apporté ici des chiffres pour établir qu'il y avait eu des conflits d'ordre inférieur entre M. le Ministre des Finances et M. le Ministre de la Guerre.

J'ai connu, quand j'étais au pouvoir, un de ces conflits.


M. Paul Doumer. Il y en a eu plusieurs. Votre ministre de la Guerre, le général Picqaart, comme les autres ministres précédents, se plaignait à. nous.

M. CLEMENCEAU. Et à moi.

M. Paul Doumer. dans des conversations privées de ce qu'il était souvent brimé par le ministre des Finances.

M. Clemenceau. C'est la vérité. Mais j'ai fait venir M. le Ministre des Finances et M. le Ministre de la Guerre dans mon cabinet, j'ai arbitré le différend, et mon arbitrage a été ratifié par le Conseil des Ministres. Pourquoi cette autorité du président du Conseil ne se manifeste-t-elle pas aujourd'hui ? Je vais vous le dire c'est parce qu'il y a dans ce pays un universel laisser-faire, un universel laisser-aller. (Très bien! Trés bien !)

Nous avons un déficit qui n'est pas loin d'un milliard. Personne n'en parle. Que dis-je ? Non seulement personne n'en parle, mais on fait des dégrèvements d'impôts

Et l'on vient nous dire Nous n'avons pas assez de canons, nous en avons qui ne portent pas assez loin, nous n'avons ni dépôts d'essence, ni parcs à munitions, nos projectiles ne sont pas ce qu'ils devraient être. Là-dessus, pendant douze ou vingtquatre heures, nous sommes tout chauds il ne faut pas tolérer pareille chose, je renverserai celui-ci, je renverserai celui-là, il faut une commission d'enquête.

Et puis c'est fini Et le lendemain nous sourions, nous sommes toute amabilité « Le président du Conseil l'a demandé, nous aurions mauvaise grâce à lui refuser ce qu'il demande » (Très bien Très bien et applaudissements.)

Ce n'est pas une politique.

Nous sommes dans une situation d'ordre général, dont le moins que je puisse dire, c'est qu'elle n'est pas du tout ce qu'elle devrait être, soit au point de vue financier, soit au point de vue militaire, soit au point de vue économique. Il y aurait à dire des choses qui devraient être dites à cette tribune aujourd'hui, et qui n'y seront pas dites, parce qu'une situation plus forte que nous, que nous subissons, ne nous permet pas de continuer cette discussion.

Messieurs, j'ai dit assez pour que vous me compreniez. Il vous appartient de prendre la décision que vous jugerez convenable suivant votre responsabilité.


En ce qui me concerne, je veux tout seul, sans faire d'opposition au gouvernement, sans prononcer aucune parole violente, vis-à-vis de qui que ce soit, prendre mes responsabilités. Je veux pouvoir, me retournant vers le pays, lui dire qu'il y a quarante ans la même situation s'est produite, peut-être plus grave assurément. A cette époque les Chambres n'ont pas voulu entendre la vérité. Aujourd'hui, grâce au régime démocratique, vous avez un Parlement. Vous avez nommé des sénateurs, vous avez nommé des députés qui sont libres d'agir, libres de critiquer, libres de prononcer. Eh bien le moment est venu pour eux de faire un acte personnel qui ne saurait être une offense pour le ministre de la Guerie, qui ne peut être un motif d'inquiétude pour le président du Conseil, un acte d'autorité personnelle le Parlement revendiquant l'autorité qui lui appartient.

Nous ne demandons pas de donner à M. Boudenoot ou à M. Messimy un contrôle. Il s'agit d'un contrôle que nous voulons exercer, et j'accepte même qu'il soit exercé par la Commission de l'Armée. Mais je n'accepte pas qu'il le soit par le ministre de la Guerre, parce, que ce serait le renversement du régime parlementaire. (Vifs applaudissements.)

M. LE PRÉSIDENT DE LA. COMMISSION DE L'ARMÉE. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président de la Commission. M. LE PxÉSmErrr DE LA COMMISSION DE L'ARMÉE. Il me semble dès lors qu'il est possible de donner satisfaction aux vues qu'a exposées à cette tribune M. Clemenceau en demandant au Sénat de voter un texte qui compléterait la motion votée par la Commission de l'Armée et que je remets à M. le Président.

M. LE Président. La motion de M. le Président de la Commission de l'Armée est ainsi conçue

« Le Sénat donne mandat à sa Commission de l'Armée de faire un rapport sur le document qui lui sera fourni à la rentrée des Chambres par M. le Ministre de la Guerre. »

M. LE PRÉSIDENiT DE LA COMMISSION DE L'ARMÉE. Ce rapport, nous l'apporterons à cette tribune, et alors pourra s'instituer la discussion à laquelle M. Clemenceau nous a conviés (Très bien 1)

M. CLEMENCEAU. En d'autres termes, Messieurs, vous avez été envoyés ici par le peuple français pour exercer votre contrôle sur les gouvernements, et tout cela a abouti à faire qu'on propose aujourd'hui au ministre de la Guerre de se contrôler lui-même Que le Sénat choisisse. Qu'il prenne garde


de détruire ce qui reste du régime parlementaire en France dans un intérêt de personnes.

Je ne demande aucun pouvoir supplémentaire. Si le mot « enquête » doit faire peur à M. le Président du Conseil, je suis tout prêt à le changer mais j'exige l'idée, sinon la pratique. Je demande que nous ne votions pas une résolution monstrueuse par laquelle le Parlement, contrôleur suprême, invite le ministre de la Guerre, dont les prédécesseurs nous ont conduits au résultat que vous savez, à se contrôler lui-même. C'est impossible.

Je demande qu'on mette ma proposition aux voix (1). NI DÉFENDUS, NI GOUVERNÉS

A l'heure matinale où j'écris ces lignes, les petits troupiers sont en marche vers Longchamp, où les entraîne l'accent joyeux du clairon. Une foule en liesse les suit ou les précède, qui, tout à l'heure, les saluera de ses acclamations dans sa joie de la patrie vivante en force de volonté, le canon tonnera, président de la République et ministre de la Guerre, attentifs et raidis, parcourront les rangs, saluant le drapeau qui s'inclinera devant l'image, plus ou moins fidèle, du pouvoir souverain, et, d'un pas bien scandé, qui fait un seul organisme de vie d'une troupe d'humanité en marche vers quelque chose de plus qu'humain, les fantassins alertes, qui fixent le sort des combats, les cavaliers retentissants, en torrent de métal, les noirs artilleurs suivis de leurs serpents d'acier défileront, tête haute, abaissant de glorieux étendards devant l'homme drapeau et voici qu'une monstrueuse charge accourt de l'horizon, apportant le souvenir, cruel ou joyeux, mais toujours fier, de l'action suprême des grandes journées, soudain arrêtée court, dans l'attente de l'ordre, qui peut l'envoyer à la frontière pour dire à l'ennemi Nous voilà

Spectacle de sublime grandeur pour qui y cherche l'achèvement national d'une force de noblesse au service de l'idée. L'idée, c'est la patrie, dont la figure se dresse dans sa puissance (1) L'ordre du jour de M. Boudenoot, retouché pour donner quelque satisfaction à Clemenceau, fut voté à l'unanimité.


de vivre pour des fins de beauté, tandis que passe dans l'air l'héroïque guerrière de Rude qui appelle les hommes à mourir afin que d'autres puissent vivre dans le glorieux enchaînement de ceux qui ont été et de ceux qui seront. Mais, lorsqu'on s'est enivré de ce rêve vertigineux de la force, maîtresse du monde, domptant, pour faire triompher le droit, toutes les résistances de sauvage brutalité, l'heure vient de réfléchir et de se demander au prix de quels efforts, de quels sacrifices de tous les jours, cette conjonction de la force et du droit, que la vieille barbarie proclame chimérique, peut entrer dans l'ordre des réalités vécues, par le concours des énergies civilisées.

Première loi des peuples il faut défendre l'héritage de l'histoire, et, pour cela, constituer une force qui impose d'utiles réflexions à l'envahisseur d'hier, que la fatalité pousse aux recommencements de demain une force capable d'opposer une résistance invincible à toute agression du dehors. Nous sommes des vaincus, des vaincus qui voulons vivre, non dans l'abdication d'un asservissement au vainqueur, mais dans l'honneur d'une indépendance de pensée et d'action dont nos aïeux firent l'histoire de France. C'est sur la force efficace de la nation armée que se fonde l'espoir précurseur de notre volonté. Si nous sommes incapables de réaliser cette organisation d'énergie, protectrice de toute valeur de vie, alors, de ce que nous pouvons en dire, ou faire, tout n'est qu'apparence, tout n'est que vanité. La patrie demande des hommes nous ne lui aurions donné que des parleurs.

Quoi, nous applaudissons .aux musiques guerrières de Longchamp, nous nous découvrons, recueillis, lorsque éclate La M'arseillaise, et nous ne nous demanderions pas de quelle énorme collaboration de tout instant surgit cette totale armée française, dont nous venons de saluer au passage quelques bataillons. Au champ, à l'atelier, dans la rue même, comme dans le salon le plus raffiné, nous allons prendre tous ces hommes, unis par des mots qu'ils répètent, sans les comprendre toujours, si souvent séparés par des énergies d'égoïsme en fureur. Et voici qu'à travers toutes ces diversités, toutes ces contradictions, nous arrivons, pour un temps, à faire surgir, en tous ces hommes, une âme commune qui les meut simultanément aux plus hautes impulsions de notre infimité. Chacun d'eux est bien petit la cause les fait grands par-dessus toutes choses,


et, pour si peu qu'ils aient vécu, le moment ineffable où il leur est donné de le sentir, ils en garderont le frémissement jusqu'à la mort. On les prend, on les dresse en machines vivantes, on leur met en main des instruments de puissance meurtrière qui centuplent la vigueur de la tête et des bras. Des chefs s'épuisent (tout au moins, le dit-on) en des recherches infinies sur l'art d'employer au mieux toutes ces unités de combat où le dernier soldat apporte, comme enjeu, sur les champs de bataille, son corps, son âme, son cœur, pour le sacrifice de tout ce qu'il espère, de tout ce qu'il aime, de tout ce qu'il veut. Cela, Messieurs du gouvernement, c'est de la théorie, de la théorie sur laquelle il est toujours facile d'élever des édifices de phrases, moyennant quoi tant de gens peuvent sans grand effort s'élever au-dessus de la vulgarité des jours, et de donner l'illusion d'une passagère grandeur. Mais il arrive une heure où la théorie se dresse du sol en réalité effarante, pour l'épreuve décisive de la somme vraie de patriotisme désintéressé qui se dépense, en temps de paix, sous le couvert de phrases sonores dont s'ébahissent les badauds. Oui le moment est venu où va pouvoir se juger justement, d'après le résultat acquis, la haute virilité des âmes inflexiblement tendues vers la préparation de cette journée. Qu'ont fait, pendant un demi-siècle de paix, tous ces grands patriotes à qui fut remis le pouvoir d'une organisation supérieure de notre force armée ? La France a donné tous ses hommes. De quels moyens d'action ont-ils été pourvus ? Et si le matériel de combat qu'ils vont mettre en œuvre est inférieur sans excuse possible puisque la nation a prodigué son or sans compter à celui qui leur est opposé, vous entendez déjà le cri de 1870 « Nous sommes trahis. » Il m'est toujours présent l'effrayant désespoir de ces héros qui ne pouvaient fournir que leur vaillance, et qui tombaient fauchés par une mitraille impitoyable, sans pouvoir même essayer de rendre coup pour coup.

Et voici que M. Charles Humbert, rapporteur de la Commission sénatoriale de l'Armée, est monté hier à la tribune, pour nous apprendre que, dans la course à l'emploi scientifique de l'armement moderne, nous nous étions si bien laissé distancer par l'.Allemagne que notre sitaation, au regard de notre adversaire éventuel, avait trop de ressemblance avec celle de 1870. Oui, c'est ce qu'on nous a, non pas seulement dit, mais démontré,


puis-je dire, puisque M. le Ministre de la Guerre a laissé tomber cet aveu que la plupart des faits allégués par M. Humbert sont probablement exacts. M. Humbert n'annonçait-il pas qu'il est en mesure d'apporter toutes pièces officielles à l'appui ? Alors, que dit le ministre ? Ceci, tout simplement que la force morale prime toutes les autres, et qu'avec de mauvaises armes on peut accomplir des exploits étonnants. Achetez donc des arbalètes, lui ai-je crié de mon banc. Il a défendu les bureaux de la Guerre qui ne sont ni plus ni moins zélés que n'étaient les bureaux de 1870, mais dont nous pouvons juger l'esprit quand des fabricateurs d'obus et de canons en sont réduits à nous recommander la force morale pour faire taire une artillerie à laquelle certains de nos engins de guerre ne nous permettraient même pas de riposter. Je lui ai fait observer que la force morale résultait, pour une très grande part, de la confiance dans les chefs dont le premier devoir est de mettre les hommes en état d'affronter l'ennemi. Que devient cette force morale quand, au premier coup de canon, la troupe se voit jetée dans une lutte qui ne peut aboutir qu'à son écrasement ? Les armes, pour cela, ne tombèrent point des mains de ceux de 1870. Ils se firent tuer, montrant qu'ils étaient dignes d'une autre destinée. Mais nous, cramponnés à ce qui nous reste de France, nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas subir la même épreuve une seconde fois. Il ne suffit pas d'être des héros. Nous voulons être des vainqueurs.

Pour essayer de se défendre, les gens dont l'incurie (que j'ai cent fois dénoncée) nous a mis si arrogamment en route vers l'effondrement allèguent que nous avons dépensé moins d'argent que l'Allemagne. Quand j'examinerai, une à une, les différentes questions soulevées par M. Humbert, nous verrons ce que vaut cet argument. Pour aujourd'hui je pose une seule question Comment se fait-il que ce soit un simple parlementaire qui nous révèle cette situation désastreuse au lieu des détenteurs de portefeuille qui se sont succédé rue Saint-Dominique ? Quelle tristesse de voir le ministre actuel, au lieu de se dresser et de s'écrier « C'est fini », chercher pitoyablement des excuses aux plus inexcusables négligences, quand il nous apporte des. demandes de crédits où il n'est précisément pas tenu compte des desiderata de M. Humbert.

Comment ce tableau comparatif des dépenses militaires


des deux côtés des Vosges, aucun ministre compétent n'est-il venu nous le présenter en nous demandant, d'après une étude d'ensemble, le minimum de l'effort nécessaire pour n'être pas défaits avant d'avoir combattu ? La victoire est le résultat d'une confrontation de rapports. Pourquoi ne nous en a-t-on jamais mis le tableau sous les yeux ? Que fait-on donc au ministère de la Guerre ? Il ne suffit pas de s'isoler en de petites chapelles où des sous-diacres en manches de lustrine se livrent les batailles de Lutrin.

Je me suis permis de dire que nous ne sommes « ni défendus, ni gouvernés ». Je ne pouvais viser aucune personnalité particulière. Il est assez clair, d'ailleurs, que le gouvernement, installé d'hier (1), se trouve hors de débat. Nous n'en sommes que plus à l'aise pour dire que nous voulons être défendus et gouvernés. Ce n'est pas une question de régime, comme certains ont feint de le croire, c'est une question d'homme. Nous demandons des volontés, des volontés d'action, au lieu des nolontés d'inertie parlante, sous le poids desquelles nous sommes menacés de mourir. On nous a signalé ces querelles de ministre à ministre qui empêchaient le dépôt de crédits. Où était la fonction d'arbitrage du président du Conseil ? Et puis ce n'est pas tant de voter des crédits. Comment les a-t-on dépensés ? L'autocratie nous a fait, il y a plus de quarante ans, une situation identique à celle où nous conduit notre prétendu régime parlementaire, par la continuité de l'omnipotente impuissance des bureaux. Nous avons conquis, pour le Parlement, le droit de contrôle. Il ne reste plus qu'à savoir s'il est capable de l'exercer. (Homme libre, 15 juillet 1914.)

(1) Le cabinet Viviani date du 13 juin 1914.


A LA VEILLE DE L'ACTION

L'heure est venue de résolutions graves. En effet, il s'agit, pour la France, de la vie et de la mort.

Nous avons été vaincus, démembrés, écrasés en 1871, saignés jusqu'aux dernières gouttes, nous avons essayé de revivre, et depuis quarante ans, tantôt bien, tantôt mal, nous avons vécu. Mais cette vie même est notre crime, aux yeux de vainqueurs qui croyaient en avoir fini pour jamais avec nous. Moins de quatre ans après la paix de Francfort, l'homme qui se croyait le maître de l'Europe (1) tentait de nous achever. Il l'aurait fait de sang-froid, comme son successeur fait exécuter les Serbes, aujourd'hui (2), si la Russie, si l'Angleterre n'étaient intervenues. Le monde civilisé nous doit ce témoignage que, pendant ces quarante années, nous avons été, sur le continent européen, un instrument de paix. Nous avons travaillé, d'une bonne volonté inlassable, parmi les erreurs et les fautes qui sont de l'homme en tous pays, à organiser, à implanter solidement chez nous un régime de démocratie qui pût faire l'ordre, dans la patrie, par la liberté, avec l'espérance qu'un labeur obstiné nous maintiendrait parmi les peuples la place à laquelle notre histoire nous dit que nous avons droit.

Sur cette œuvre même, il faut écarter, en ce moment, l'appréciation des partis. Quels que soient nos affreux déchirements du passé, le péril est trop grand, en cette heure décisive, pour que, d'un même élan tous les Français d'où qu'ils viennent, où qu'ils aillent, ne se présentent pas aux frontières, fondus de cœur et d'âme, en une seule volonté de suprême énergie. Là, là seulement est la force morale qui peut nous faire supérieurs à tout. Quand le pays, par nous, aura retrouvé la libre possession de lui-même, nous reprendrons nos luttes qui sont l'honneur de la pensée française, puisqu'elles attestent notre recherche passionnée d'un idéal d'ennoblissement humain. Mais en quelles conditions changées, lorsque le sacrifice total de nous-mêmes et des nôtres aura si bien martelé, forgé le (1) Le prince de Bismarck chancelier de l'Empire allemand.

(2) M. de Bethmann-Hollweg succéda en 1909 au prince de Bûlow à la chancellerie.


métal de l'âme française que nous ne voudrons plus, que nous ne pourrons plus nous diviser qu'en amie. Cela, c'est demain. Il faut affronter aujourd'hui.

Aujourd'hui, il ne peut pas y avoir deux Français qui se haïssent. Il est temps que nous connaissions la joie de nous aimer. De nous aimer par ce qu'il y a de plus grand en nous, le devoir de témoigner devant les hommes que nous n'avons pas dégénéré de nos pères, et que nos enfants n'auront pas à baisser les yeux quand on leur parlera de nous. Nos fautes mêmes, dont la vaine répartition appartient à l'histoire, ne peuvent plus nous mettre au cœur qu'un farouche désir de les couronner d'une telle vertu civique et militaire qu'on y découvre encore un élément de grandeur. Ni récriminations, ni phrases grandiloquentes, ni promesses de mourir. Assez de paroles. Des actes, des actes réfléchis de prudence ordonnée, et d'action sans retour.

A cinq reprises différentes depuis que nous avons vu les soldats allemands dans Paris, l'ordre de l'Europe a été délibérément troublé par la menace de l'épée germanique, sans que la plus légère provocation de notre part ait pu l'excuser. Nous sommes demeurés maîtres de nous-mêmes, et quand l'honneur nous a commandé la résistance, nous avons accompli ce devoir avec la simplicité d'hommes dont le sang d'une grande race fait battre le cœur. Aujourd'hui, que nous veut-on ? Nous vivions en paix. Attentifs à l'organisation de notre défense, rien n'est venu de nous d'où se pût induire une pensée d'offensive. Et que de fois, pourtant, avons-nous dû, raidis dans une impassibilité de commande, rester sans parole, ni geste, quand passait par-dessus les Vosges la voix de la patrie torturée Là-bas, de l'autre côté du Rhin, une nation grande et forte qui a le droit de vivre, mais qui n'a pas le droit de détruire, en Europe, toute vie indépendante, pousse le délire de grandeur jusqu'à ne plus tolérer que la France ose lever la tête lorsqu'elle a parlé.

Affolé d'hégémonie, l'empereur allemand qui entraîne ses peuples, les yeux fermés, à des aventures dont personne ne peut calculer l'étendue, porte inexcusablement, comme sous la hantise des invasions barbares, le coup le plus cruel à tout ce qui fait l'orgueil des peuples civilisés. Il veut en finir avec la France, l'Angleterre, la Russie, ignorant qu'on n'en finit pas avec des


peuples qu'on ne peut ni anéantir, ni. assimiler. Appuyé sur l'incohérent assemblage de races ennemies que le sceptre de Vienne n'arrive pas à maintenir dans l'obéissance, le Kaiser prétend choquer les deux moitiés de l'Europe pour hisser son trône sanglant sur les plus hautes ruines que le malheur humain aura jamais contemplées.

Il a choisi son heure et lancé l'allié obéissant sur un petit peuple slave sans défense, à travers lequel on a voulu atteindre la Russie au plus vif de sa dignité de race et de ses traditions de solidarité slave. Qu'elle repousse la main tendue de la Serbie, son autorité, ses traditions d'histoire, ses espérances les plus profondément ancrées au cœur du plus grand et du plus petit, tout s'effondre en un jour, et les nations balkaniques, d'Orient et d'Occident mêlées, qui font le pont de l'Europe à l'Asie tombent dans le giron de l'empereur allemand, prompt à retourner contre les vieilles civilisations, dont sa force même est issue, de jeunes peuples qui avaient mis dans la patrie de la Révolution française leurs espérances d'avenir.

La Serbie, brutalement sommée de se rendre, a tout livré d'elle-même jusqu'à s'en remettre à l'arbitrage de son droit d'exister, et cela même n'a pas désarmé l'insatiable dominateur. Parce qu'une vague invocation au droit se faisait encore entendre, le Germain, qui voulait le Slave prosterné sans mouvement, a répondu par un appel à la force des armes. Et cependant, Guillaume II nous faisait dire que si nous osions nous permettre un appel de justice, son sabre était levé sur nous. Plus tard, Londres et Pétersbourg ont reçu le même avertissement. Soit. Une telle machination de combinaisons agressives n'a point de précédent.

Mais que sert-il de s'exclamer ? Dans un espace de temps incroyablement court, nous sommes mis en demeure de prendre, sous la pression de nécessités auxquelles nous ne pouvons nous soustraire, une résolution qui, par oui et par non, va livrer l'existence même de notre pays à des chances inconnues. La Russie a le choix entre le suicide et la résistance. Notre cas n'est pas différent. Un échelonnement de dates tout au plus. L'Autriche et la France successivement vaincues l'Autriche vaincue deux fois, car la pire défaite est de s'asservir l'Allemagne est condamnée, par l'inflexible loi qui perdit Napoléon, à vouloir toujours grandir. Le tour de la Russie est arrivé et si


la Russie seule devait être refoulée, l'achèvement de la France ne serait plus qu'une question d'heure à choisir. Enfin viendrait l'échéance de l'Angleterre qui, n'ayant pas d'armée continentale, se verrait réduite à subir de l'empereur allemand ce qu'elle n'accepta pas de Napoléon.

L'instant, qu'on ne nous accusera pas d'avoir cherché, est donc décisif pour toute l'Europe. Car la même question est posée à tous les peuples, même à ceux qui luttent contre euxmêmes en nous combattant la soumission ou l'indépendance. Ce n'est pas assez de se lamenter. Si nous sommes vraiment les hommes que nous prétendons être, c'est l'heure de le montrer. La lutte est-elle égale ? La Serbie ne se l'est pas demandé quand elle a bravement réservé son droit ultime à la dignité de la vie. Nous avons, dans la délibération, plus de liberté. Nous disposons aussi d'un rassemblement de forces et d'impulsions combatives avec lequel il me semble que l'infatuation de l'adversaire n'a pas suffisamment compté. En dépit de négligences, dont l'Angleterre et la Russie n'ont pas donné beaucoup moins d'exemples que nous-mêmes, nous apportons sur le champ de bataille une assez belle accumulation d'énergies. L'Allemagne a la supériorité d'une méthode qu'aucune déconvenue ne peut rebuter. Tout ce que peut faire la persévérance dans les préparations, elle en détient sur nous l'avantage. Mais si nous lui avons montré en 1870 ce que nous pouvions faire quand nous étions pris à la gorge, dénués de tous moyens de défense, nous pourrons lui faire voir, cette fois, ce dont nous sommes capables lorsque la fortune ne nous a pas préalablement désarmés. C'est justice que notre pensée se retourne vers Gambetta. Il vit, il fit des jours où la victoire fut tout près d'hésiter, quand l'affreux dénuement de nos armées semblait les livrer à l'ennemi. Cela, ces vainqueurs l'ont oublié, pour ne se souvenir que des coups de théâtre de Sedan et de Metz, qui ne se reverront pas parce que le malheur nous a refait, non pas une autre âme, mais d'autres forces de volonté. Regardez ce peuple souriant et doux, dans nos rues, dans nos champs, à peine dérangé de sa routine de labeur pour la préoccupation d'assurer, en partant (1), la vie du foyer familial dont la France va recevoir la charge. Il pousse sa tâche d'une (1) L'affiche de mobilisation a été apposée sur tous les murs le 1" août à 3 heures après midi.


énergie nouvelle, prêt à donner tout de lui-même pour le legs glorieux d'un sacrifice suprême à ceux qui apprendront de lui qu'il est, au plus profond de l'âme humaine, des biens plus précieux que la vie. Un garçon de ferme, que je croisais l'autre jour, m'a dit en passant « Il faut se dépêcher, les femmes finiront la moisson », et il riait à l'idée du spectacle. Ce fut tout. Dans Paris, pas un cri, pas un mouvement de foule. Rien que la gravité d'une résolution.

Hier (1), un misérable fou assassinait Jaurès, au moment où il rendait, d'une magnifique énergie, un double service à son pays, en cherchant obstinément à assurer le maintien de la paix, et en appelant tout le prolétariat français à la défense de la patrie.

Quelque opinion que l'on puisse avoir sur ses doctrines, personne ne voudra contester, à cette heure où toute dissension doit demeurer silencieuse, qu'il a honoré son pays par son talent, mis au service d'un haut idéal, et par la noble éléi vation de ses vues. M. le Président du Conseil, mû d'une inspiration généreuse, dont tous les bons citoyens lui sauront gré, a voulu rendre hommage, au nom de la France elle-même, à la haute figure qui disparaît.

Le sort de Jaurès fut de prêcher la fraternité des peuples et d'avoir une si ferme foi en cette grande idée qu'elle ne pût pas même être découragée par l'évidence brutale des faits. Il tombe à l'heure même où son idéalisme dut descendre des hauteurs sereines de la pensée, pour appeler tous ses amis au combat pour la patrie qui se trouve être, en même temps, le combat pour l'idée. Une grande force nous est enlevée, au moment où elle se disposait pour de suprêmes efforts, dont la cause française eût efficacement recueilli les effets. Serrons les rangs, nous, de tous les partis, et si la paix doit jamais ramener l'heure des comptes, ne manquons pas de payer en justice sociale le dévouement de ceux qui se sont donné pour but sublime la grande réconciliation de l'humanité.

Un rêve dont le canon de Guillaume, tout à l'heure, va nous réveiller.

(Homme libre, 2 août 1914.)

(1) Dans la soirée du 31 juillet. L'article de Clemenceau est écrit le 1°' août, mais ne paraît que le 2.


II

LA GUERRE ÉCLATE

Quelques extraits de correspondance montrent sur le vif les sentiments de Clemenceau.

Nous les donnons dans leur ordre chronologique ce qui permet de suivre l'expression de ses espoirs ainsi que ses réactions aux événements.

Paris, 7 août 1914.

A Lady Milner.

Votre lettre m'a été bonne. Nous traversons un dur moment, mais je crois que nous en sortirons bien. Le pays est admirable. Pas un cri, pas un chant. Rien que la tranquillité des résolutions. Ce que font les Allemands en Belgique soulèvera l'indignation du monde entier. Dites donc à Kitchener (1) que s'il n'envoyait que trois hommes, avec un drapeau, sur le continent, cela ferait bon effet.

L'annonce d'une levée de 500 000 hommes a produit ici une grande joie. MAIS IL FAUT FAIRE venir LES JAPONAIS. Il paraît impossible que nous ne soyons pas refoulés sur quelques points au premier choc, parce que nous avons retardé notre mobilisation afin que Lord Morley ne puisse pas nous accuser d'agression. (2).

Paris, 11 août 1914.

A Claude Monet.

Je vis très tendu, mais j'ai la conviction que si tout le monde s'y met de bon coeur et c'est ce que je vois partout autour de moi nous ferons très bien. Seulement il faut le temps.

(1) Général britannique le plus fameux nommé ministre de la Guerre.

(2) L'opinion anglaise avait été plus divisée que la nôtre sur la nécessité d'entrer en guerre. C'est la violation de la neutralité belge par l'armée allemande qui emporta la décision.


Bordeaux, 19 septembre 1914.

A Albert Clemenceau.

(Son plus jeune frère tendrement aimé.)

Je viens de recevoir ta lettre de Troyes, 15 septembre, qui te montre en bonne forme et en bonne humeur. Je n'aurais jamais pensé qu'on fut si bien dans un wagon à bestiaux pour dormir. Je tiens mon remède en cas d'insomnie. Ici nous attendons la victoire de Joffre en lui donnant de bon cœur tout le temps qu'il croira nécessaire. Les nouvelles militaires que j'ai de Paris sont bonnes. C'est un grand point. Gallieni a bien travaillé (1). Naturellement, je ne puis deviner ce qui va se passer de ton côté. Si les ambulances fonctionnent mal sur le front, les hôpitaux militaires ici ne sont pas mieux organisés. Je veux croire que cela finira par s'arranger.

Bordeaux, 23 septembre 1914.

A Albert Clemenceau.

Merci de ta très bonne lettre arrivée hier soir qui te montre sous ton vrai jour de guerrier. J'ai vécu un moment de ta vie, avec le seul regret de ne pas être à côté de toi. Bonne chance. Je ne peux pas dire autre chose. La lenteur de Joffre sur l'Aisne me paraît une garantie de succès. Les Allemands continuent de battre en retraite. Je les crois perdus. Ce n'est pas trop tôt. La honteuse destruction de la cathédrale de Reims est l'acte de gens qui pressentent le malheur. Cela leur a fait un mal énorme dans le monde entier. J'ai tout un dossier de leurs atrocités. C'est effrayant. Que penses-tu de l'idée de couper le poignet à 70 enfants ? Il faut en finir avec ces gens-là.

Le Temps quitte Bordeaux pour retourner à Paris. Du point de vue militaire, c'est un bon signe. Je pense que notre gouvernement le suivra dès qu'il pourra. Millerand (2) a proposé au Conseil de supprimer un Homme trop libre pour lui. Son avis a été rejeté. Que tu es heureux d'être là-bas

(1) Chargé de la mise en défense du camp retranché de Paris, le général Gallieni avait témoigné d'emblée d'une énergie peu commune et de vues stratégiques dont la victoire de la Marne sera le résultat.

(2) Ministre de la Guerre depuis le 26 août 1914.


Bordeaux, 26 septembre 1914.

A Albert Clemenceau.

Tu te plains de n'avoir pas de nouvelles. Ingrat Il n'y a, dans ce temps, qu'une sorte de nouvelles et si ce n'est pas exactement toi qui les fais, au moins contribues-tu à les faire. C'est beaucoup. J'attends avec une grande anxiété le résultat de la bataille de l'Aisne qui est très dure, l'ennemi s'étant renforcé du même côté que nous, c'est-à-dire à son aile droite qui est notre gauche. Si nous avons l'avantage, je crois que la bonne chance sera définitivement déclenchée. Sinon, on recommencera.

On m'avait dépêché à Toulouse un rédacteur de L'.Écho de Paris pour me censurer. J'ai fait de timides observations et on m'a donné un socialiste du Petit Provençal. En enfourchant solidement la monture de la bêtise on peut aller loin. Il y a d'ailleurs des gens qui y arrivent du premier coup.

Ce que je ne peux pas venir à bout de me représenter, c'est l'état d'esprit de gens qui s'occupent de pareilles niaiseries, tandis que les Allemands sont à Reims.

Bordeaux, ler octobre 1914.

A Albert Clemenceau.

J'ai eu hier ta lettre du 27 où je trouve d'intéressantes choses sur ce qui se passe là-bas. Nos nouvelles d'aujourd'hui sont que le mouvement tournant de notre extrême gauche (1) n'a pas réussi, et que si nous ne pouvons pas être enfoncés, la situation des Allemands n'est pas très différente. Si bien qu'il est probable que nous serons accrochés là quelque temps. On me dit aujourd'hui qu'on se bat dans les faubourgs de Reims. Les Allemands étaient, disait-on, à 40 kilomètres de là il y a quelque temps.

La prodigalité des munitions pour les Allemands s'explique par ce fait que 55 000 ouvriers de Krupp n'ont pas été mobilisés, tandis que chez nous 14 000 ouvriers du Creusot sur 25 000 sont à l'armée d'où l'on cherche maintenant à les faire revenir.

(1) Ce qui fut appelé la course à la mer.


Bordeaux, 8 octobre 1914.

A Albert Clemenceau.

Ta lettre est très intéressante parce que tu m'y fais vivre de ta vie. Tu m'as écrit au moment où tout semblait marcher à souhait. Il y a eu du ralentissement depuis. On m'affirme que nous avons plus d'hommes que les Allemands. S'il est vrai qu'ils aient des masses considérables en Prusse orientale, je ne comprends pas qu'ils puissent nous tenir en échec chez nous. Bordeaux, 16 octobre 1914.

A Albert Clemenceau.

Ta lettre du 11 était plutôt pessimiste parce que tu te trouvais encore sous le coup de la chute d'Anvers. Moi j'étais autrement disposé. On nous a parlé hier d'une grande bataille engagée du côté de Béthune, dont on ne nous dit rien ce matin. Mais nous avançons à peu près partout, et je n'en demande pas davantage pour le moment. Ce qui m'ennuie le plus, ce sont les renforts qui vont venir aux Allemands d'Anvers. Pau qui a passé huit jours ici est maintenant en Belgique avec le corps expéditionnaire franco-anglais. C'est lui qui a conduit l'évacuation d'Anvers qui paraît s'être faite assez bien. J'espère qu'il leur donnera de l'occupation.

Les Russes subissent des chances diverses, mais ils retiennent du monde. C'est le principal pour le moment. Les Allemands paraissent être aux portes de Varsovie, mais cela ne les mène nulle part, tandis que si les Russes prennent Cracovie, la route de Vienne est ouverte. En outre, ils ont franchi les Karpathes et ont la voie libre jusqu'à Buda-Pest. Tout cela n'est pas mauvais. Seulement nos soldats ont froid, et on ne leur donne ni couvertures, ni gants, ni tricots, ni caleçons. Là, comme pour les blessés, c'est le désordre absolu. Heureusement la censure veille. Hier je parlais des fonctionnaires plus ou moins galonnés. On m'a supprimé ces quatre mots qui mettaient sans doute en péril la victoire de Joffre. Quels idiots Une bonne nouvelle c'est ce que tu me dis de la disparition du ravitaillement allemand. Leurs soldats crèvent de faim. Heureusement les-nôtres sont bien nourris. Il ne faudrait plus que les vêtir et les soigner quand ils tombent au feu.


Bordeaux, 27 octobre 1914.

A Albert Clemenceau.

Les Allemands ont passé l'Yser ce qui est mauvais parce que la voie est ouverte jusqu'à Dunkerque, du moment où nous ne faisons pas les fameuses tranchées imprenables où ils savent si bien nous défier. On dit maintenant que la rivière n'a été franchie que par des forces isolées. Je le veux bien. Alors, pourquoi ne pouvons-nous pas les déloger ? Tu sais sans doute qu'on attribue aux Allemands l'idée de bombarder les bateaux anglais de Calais, tandis, affirme-t-on, qu'une troupe de Zeppelins irait répandre l'effroi dans Londres. Les Anglais paraissent s'y attendre. Il me semble que nous devrions être capables d'empêcher les Allemands d'arriver même à Dunkerque. On va voir.

Bordeaux, 6 novembre 1914.

A Albert Clemenceau.

Eh bien tu dois être content des Russes. Tu vois avec quelle promptitude ils ont répondu à ton appel. Ils ont très proprement refoulé les Allemands en marche sur Varsovie et les ont même reconduits vivement jusqu'à la frontière. Aujourd'hui la nouvelle nous arrive qu'ils ont remporté une grande victoire en Galicie. Comme je te l'écrivais, ce sont des gens qui ont besoin de temps pour rassembler leur monde, mais quand l'irrésistible masse est formée, ils doivent tout écrabouiller. Nous sommes en guerre avec la Turquie, mais cela ne compte pas. En Belgique la grande attaque des Allemands sur l'Yser s'est terminée pour eux par un désastre. Ils ont perdu beaucoup de monde. C'est l'affaire de leurs formations serrées qui ne correspondent décidément pas aux conditions de la guerre moderne. Nous avons un peu fléchi sur Soissona il ne semble pas (bien que cela soit très rapproché de Paris) qu'on y attache de l'importance.

Croirais-tu que l'autre jour sont arrivés à Bordeaux, venant de Tarbes, 150 prisonniers allemands dont la moitié habillés en troupiers français, avec un P.G. au képi (Prisonnier de Guerre). J'ai fait un article pour demander qu'on respectât l'uniforme français. La censure l'a mis en blanc.


Bordeaux, 13 novembre 1914.

A Albert Clemenceau.

Nous avons été surpris à Dixmude pendant qu'on faisait la relève des tranchées. Fertes 17 mitrailleuses, 2 500 prisonniers. Ne le dis pas autour de toi. Joffre déclare que cela n'a aucune importance. Je ne demande pas mieux. En même temps il s'oppose formellement (et il a bien raison) au retour du gouvernement à Paris. Donc on nous convoquera à Paris pour 2 jours à la Noël pour voter le budget. Je reviendrai ici. Le 9 janvier nous nous réunirons automatiquement. Le gouvernement souhaiterait sans doute que nous nous en allions. Cependant, il y aura, alors, des choses qu'on pourra discuter. Briand qui travaille à fond contre le gouvernement espère prendre sa place à ce moment. Une belle nature Les Allemands ont franchi l'Yser à Dixmude, mais ils ne possèdent plus que 2 ou 300 mètres de terrain sur la rive droite. Ils ne peuvent pas s'y développer. Bordeaux, 16 novembre 1914.

A Albert Clemenceau.

P. (1) fait toujours ses canons. Il paraît qu'on a découvert dans un tiroir 2 000 canons de Bauge qui peuvent faire d'excellente artillerie lourde. J'aime à croire qu'on va s'occuper des munitions. On me dit que ministres et président (2) gênent Joffre et les généraux sur le front. Je le crois sans peine. Tout ce monde ne rêve que parade et réclame. Dis-moi donc si les soldats ont froid. La répartition de ce qu'on appelle les lainages (il y a des tricots de fil et de coton)-a été faite, personne ne peut dire comment. Il semble que Français et Allemands soient arrivés à une sorte de point mort d'où ils ne peuvent gagner ni perdre de terrain. Les Anglais font des efforts énormes. Ils commencent à parler de la conscription. Les Russes ont l'air de tout chasser devant eux. En Galicie c'est la pleine déroute autrichienne, et l'invasion en Prusse va recommencer. Ce qui gêne les Russes c'est que leurs voies ferrées ne peuvent pas se raccorder avec les voies allemandes. C'était une précaution contre l'envahisseur (1) Paul, l'autre irére de Clemenceau, ingénieur de son métier.

(2) De la République, Raymond Poincaré.


éventuel. C'est une gêne pour eux lorsque les rôles sont intervertis. En somme il me semble que dans deux ou trois semaines nous devrions être prêts pour l'offensive.

Bordeaux, 17 novembre 1914.

A Albert Clemenceau.

Les Russes sont toujours en très bonne voie. Je vois que dans une seule ville d'Allemagne il y a 15 000 réfugiés de la Prusse orientale. On comprend ce que cela veut dire. Ils nous en ont assez fait pour que je ne les plaigne pas. Quant aux Anglais, ils se préparent à lever 2 ou 3 millions d'hommes s'il est nécessaire. Ils nous en passeront un million au printemps. Comme les enrôlements, malgré tout, ne marchent pas très bien, ils parlent déjà de la conscription. Ils y viendront car il n'y a guère que l'aristocratie qui donne spontanément dans le collier. La vérité c'est que tout cela sera affreusement long. Il faut en prendre son parti.

Bordeaux, 6 décembre 1914.

A Claude Monet.

Tout ce que je puis vous dire de la guerre, c'est que Kitchener, interrogé l'autre jour, a répondu

« Elle durera bien six mois, à moins que ce ne soit trois ans. » Faites donc une provision de patience.

Paris, 31 janvier 1915.

A Albert Clemenceau.

On va s'occuper dès demain de l'offensive. Comment ? Je ne veux pas le prévoir. Peut-être fera-t-on mieux qu'on n'a su faire jusqu'à présent. Du côté de la politique étrangère des solutions se préparent peut-être dont nous pourrons nous féliciter. La Russie pourrait faire marcher la Bulgarie, mais elle préfère employer la France à faire bulgariser des territoires grecs et serbes aux dépens de nos amis, et Delcassé (1) se fait l'agent de cette politique. C'est ce qui arrête tout dans les Balkans où quelque chose finira pourtant par se déclencher. (1) Ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Viviani depuis le 26 août 1914.

D1SCOUU

4


Quant à l'opération japonaise, ce même Delcassé s'en désin' téresse par gloriole russe et craignant d'embêter les Anglais pour qui c'est une question à considérer quand il ne sera plus temps. Il paraît que cela dépend uniquement de Kitchener. Nous verrons. On me dit que les 4 millions de soldats allemands de Repington (1) ont fortement besoin d'être révisés. Nous avons devant nous des compagnies de 60 hommes qu'on est en train de porter à 250. Ce n'est pas le signe d'une telle affluence. Il paraît qu'ils ont trois corps d'armée de réserve. Nous n'en avons pas moins. Mais tout cela n'est pas l'offensive.

Paris, 22 février 1915.

A Lady Milner.

Joffre a commencé une offensive. Nous attendons avec impatience les résultats qu'elle pourra donner. J'espère que votre amiral Gordon' n'épargnera rien pour entrer à Constantinople. Lord Milner ne m'a pas écrit. D'ailleurs je suis renseigné. J'ai passé hier trois heures et demie avec Delcassé sur le dossier du Japon. Notre diplomatie a fait tout ce qu'elle pouvait faire. Il n'y a aucun reproche à lui adresser. La vôtre n'a pas été « allante ». Elle n'a, cependant, pas fait d'opposition. En revanche, le Japon n'a été, à aucun moment, en disposition de venir. Il veut profiter de nos ennuis pour s'installer en Chine, et paraît animé de médiocres intentions à votre égard. Pour réussir (encore n'est-ce pas sûr), il aurait fallu à Londres des hommes très décidés.

Paris, 10 juin 1915.

A Albert Clemenceau.

Tout ce que tu me dis est fort bien pensé, mais cela n'avance pas nos affaires. Le fond du mal est que nous n'avons pas d'artillerie lourde, parce que, depuis dix mois, non seulement on n'en a pas commandé, mais surtout parce qu'on n'a pas mis en service celle que nous avons. Nous venons d'obtenir à la Commission de l'Armée le renvoi de Baquet et de SainteClaire Deville (2), deux malfaiteurs à qui le gouvernement aban(1) Chroniqueur militaire anglais.

(2) Les deux chefs, le premier général, le second civil, du service des armements et munitions.


donnait la décision. On nous a fait toutes les promesses que nous avons voulu. Il ne reste plus qu'à les tenir. Le danger est que les Boches, après avoir foudroyé les Russes avec leur grosse artillerie, n'arrivent sur nous qui n'aurions pas de pièces équivalentes à leur opposer. C'est ce que nous voudrions tâcher d'empêcher. On me dit que Pétain a passé trois heures à Lens, mais que n'étant soutenu à aucune de ses ailes, il a dû se retirer, après avoir fait 3 000 prisonniers. Je n'ai pu vérifier, mais cela concorde assez bien avec ce que tu me dis. Si je ne te l'affirmais tu ne voudrais pas croire que Joffre s'est fait expédier 40 000 obus éprouvés 400 kilos au lieu de 1400, et non améliorés ». Textuel. Nos hommes sauteront. Les Prussiens auront du bon temps. Et l'on me supprime ce matin un passage de mon article où j'ose soutenir que le pays peut avoir droit à des « explications ». Cela me rend féroce. Je ne trouve pas de mots pour qualifier ces gens.

Paris, 9 janvier 1917.

A Léon Martin.

(Son secrétaire pendant les mois de Bordeaux et son ami.)

Merci, mon bien cher ami, de votre bon petit mot. Je l'ai trouvé au retour d'une visite au front qui m'a procuré le plaisir d'aller coucher une nuit au fort de Douaumont. C'est un voyage dans la boue glacée. J'ai vu là de pauvres bougres qui sont des êtres sublimes. Quelle tristesse de revenir à l'arrière. Je vous envie de tout mon coeur (1).

(1) Léon Martin est au front, depuis 1915, dans un régiment d'infanterie.


III

LA GUERRE SE POURSUIT

L'action de Clemenceau pendant la guerre fut de tous les jours. Ses articles commentèrent pas à pas les événements, frémissant avec la nation d'espoir ou de colère.

Au Sénat, la vigilance de Clemenceau, la Commission de V Armée comme à celle des Affaires étrangères, s'exerça sur un plan plus technique. Il coordonna les travaux de ses collègues, aussi zélés que compétents, suscita beaucoup de leurs études, ,fit un constant effort pour que les conclusions de leurs rapports fussent utilisées. De là, son interpellation de décembre 1916 « sur la situation des armements et des fabrications de l'artillerie, la production des matières premières et des forces motrices, le ravitaillement, et sur l'organisation et la conduite de la guerre ».

La discussion eut lieu en comité secret. En juillet déjà Clemenceau avait pris la parole dans les mêmes conditions. Au vote il n'avait été suivi que de cinq sénateurs.

La haute Assemblée n'a pas encore consenti à la divulgation des séances secrètes. Pour en tenir lieu, il paraît intéressant de reproduire deux préfaces, où se trouve développé l'ensemble des idées de Clemenceau sur le conflit, ses origines et son évolution.


PRÉFACE

a L'ÉDITION FRANÇAISE DE « NOTRE avenir

PAR LE GÉNÉRAL VON BERNHARDI

(Louis Conrad, édit., Paris, 1915)

E. von Bernhardi, c'est l'élève de Treischke (1) qui exprime la pensée du maître. C'est le pangermanisme, dont l'esprit a lancé les Allemands sur le monde, qui nous fournit ses titres à l'universelle domination.

L'éditeur L. Conrad a eu l'heureuse idée de publier la retentissante brochure intitulée Notre avenir où le général von Bernhardi a résumé, avec autant de force que de clarté, l'effort de cogitation prophétique qui jeta tout un peuple, en fléau dévorant, dans un délire de fer et de feu destructeur de l'œuvre de civilisation tenue pour la propriété intangible de l'élite humaine.

Comme à Delphes, autrefois, vainqueurs et vaincus élevaient côte à côte leurs monuments contradictoires, que toute l'Hellade enveloppait d'un respect où chacun fournissait l'apport d'une conception d'humanité supérieure à ces querelles d'un jour comme à Chéronée même où succomba le génie ailé de la Grèce sous la brutalité, encore hésitante, du Macédonien, Philippe s'honora en laissant son trophée s'affronter du trophée d'Athènes vaincue ainsi il avait été tacitement convenu entre tous les hommes civilisés des temps modernes que certaines formules de droit, certaines règles non écrites de nos constructions sociales (rappelez-vous de quelle fierté l'Antigone de Sophocle les oppose au bernhardisme de Créon), certaines œuvres où s'attestait, au plus haut, l'âme de ceux qui ont été, constituaient un patrimoine exempt de toute atteinte, charte glorieuse de la plus belle humanité.

Lorsque le christianisme s'empara du monde occidental, méconnaissant, dans sa haine asiatique de l'image, l'antique noblesse des aïeux, il reprit l'œuvre de Xerxès sur l'Acropole, (1) Doctrinaire allemand né à Dresde en 1834, mort à Berlin en 1896, auteur d'une Histoire de t'Allemagne qui eut du retentissement par son nationalisme outrancier.


à la veille de Salamine, et s'acharna dans la destruction des marbres où un fanatisme imbécile voyait autant de démons. Encore aujourd'hui un plafond du Vatican nous demeure en témoignage glorificateur de cet ouragan de dévastation dont les derniers souffles parurent s'éteindre sous l'atavique manteau de notre Révolution. Pourtant, il restait une Europe, quelque chose comme une amphictyonie supérieure, asile suprême, à la façon du tabernacle où repose la Thora juive, d'un précieux héritage d'historiques grandeurs. Napoléon fut un terrible conquérant. Sauf le jour où il brûla le Bucentaure, je ne vois pas qu'il a été dévastateur.

Nous en étions à ce stage obscur d'ombres et de lumières se disputant nos âmes, lorsque, il n'y a pas encore quarante semaines, la Germanie en armes se rua sur la Belgique et sur la France, pour entreprendre la plus grande dévastation systématique de l'histoire, qui devait, après une éducation de servitude convenable, nous faciliter l'accès de la culture allemande. C'est sur ce phénomène d'une intellécttialité nationale, réagissant sur le monde entier par les manifestations de brutalités Collectives, que le général von Bernhardi nous invite aujourd'hui à nous arrêter. Non qu'il nous apporté rien où nous puissions voir figure de nouveauté. C'est assez qu'il dépense toutes les énergies d'une intelligence puissamment armée à présenter sous une forme acceptable, pour notre ignorance, les formules prophétiques, aujourd'hui douloureuses pour nous, mais dont notre esprit de résignation doit s'accommoder, puisque c'est par elles que le monde doit être sauvé.

J'écoute et je médite sur cette affirmation nationale où se répand l'orgueilleuse puérilité de la Germanie et j'avoue qu'a priori, avant même de savoir ce que la dégénérescence d'un Guillaume II en peut tirer, je ne puis me défendre d'une obstinée défiance de tous les sauveurs. Sans doute, nous avons besoin d'être sauvés, tous les jours, mais je suis profondément ancré dans cette idée qu'il ne peut nous venir de salut que de nous-mêmes. Que ce soit Moïse, le Bôuddha, Jésus ou Mahomet qui prenne l'entreprise à son compte ou de simples Jules César exerçait leur pouvoir dans les ordinaires domaines de l'humanité raisonnante, nous savons où les plus beaux efforts de pensée ont conduit des hommes incapables de mettre, sous des mots, une volonté tendue de réaliser. N'est-ce pas le Christ,'tout amour,


qui a, de ses mains, construit le bûcher de Jeanne d'Arc et tant d'autres ? Suprême faillite d'une magnifique entreprise d'affranchissement humain, commencée dans la liberté de l'esprit et achevée dans une implacable discipline de salut imposé. Peut-être cela nous donne-t-il le droit de penser qu'il ne peut y avoir de régénération profonde que celle dont nous forgeons nous-mêmes, péniblement, la fragile armature. Œuvre profonde et sans récompense d'honneurs, qui paraît dépasser nos forces et probablement les dépasse, mais dont la seule tentative donne un noble but à la vie puisqu'il suffit de pouvoir réformer quelque chose de soi pour apporter en même temps réconfort et aide à autrui.

Mais voici que nous vient une doctrine nouvelle, non pas par le principe, qui demeure, d'une réforme imposée du dehors, mais par l'instrument d'exécution remis aux mains de tout un peuple sauveur. Moïse, Bouddha, Jésus, Mahomet se seraient, de nos jours, démocratiquement fragmentés pour se résoudre en un miraculeux conglomérat de nationalité surhumaine. L'esprit du prophétisme est demeuré vivant. Mais le prophète, maintenant, sera foulé, selon la tradition (en ce temps-là vaine) du peuple d'Israël élu de Dieu, recueillie par l'Islam qui, jusque dans son ultime décadence, ne peut s'en détacher. La foule aura ses chefs, comme partout et toujours, mais tout homme né dans une certaine région de la terre se trouve miraculeusement animé d'un esprit régénérateur qui le marque d'un ineffaçable sceau de domination sur le reste de l'humanité. Médiocre effort d'intellectualité de l'homme primitif, qu'un renouveau d'antiques aspirations aux âges où l'homme se trouvait incapable de mesurer ses ambitions rudimentaires au mètre de ses facultés.

Discuter Bernhardi ? quel enfantillage Les propos où le malheureux épuise le plus beau de son labeur ne sont rien qu'un affreux plat cuit, recuit et déplorablement réchauffé de l'antique cuisine dont la millénaire saveur fut douce au palais des premiers humains qui abordèrent, sous l'expérience des choses, les problèmes initiaux des sociétés. En ces temps-là l'erreur eut sa beauté avec ses provisoires avantages pour l'évolution sociale jusqu'au jour où, ayant épuisé toutes ses vertus d'action, elle se heurta aux prétentions similaires venues de l'autre côté du fleuve ou de la montagne.


C'est ce qui est arrivé précisément à ce malheureux Bernhardi, tout doublé qu'il soit du savant Hœckel, si puissant observateur de l'univers, qui se trouve seulement hors d'état de s'observer lui-même. Lisons-le pour pénétrer au fond d'une âme toute en surface, mais à quoi bon prendre la peine de lui répondre, quand il suffit, comme au coléoptère arrêté par la vitre, de le laisser simplement se heurter ?

Se heurter aux Français, aux Russes, aux Anglais sur les rives de la Seine, du Niémen ou de l'Euphrate, ce ne sont là que des contingences. Ce qui domine tout, c'est la fatalité de la défaite où vient nécessairement aboutir toute entreprise hors des conditions terrestres de la nature humaine, qui ne comporte ni homme ni peuple divinisé. Si la combinaison actuelle de résistance, par la Triple-Entente, ne s'était pas produite, l'heure serait venue où d'autres n'auraient pas manqué de surgir. L'attitude actuelle des États-Unis, comme de tous les pays neutres sans exception, en témoigne assez hautement.

Car ce n'est pas vrai, cela ne correspond à aucune des réalités de la Terre, ces Contes de ma Mère l'Oye, qui font succéder à la faillite des providentiels sauveurs la fable ridicule d'un peuple, de grossière vulgarité, qui se propose tragicomiquement de régénérer le monde au son de ses gutturales rauques, et de détruire la violence par l'excès de la barbarie qui deviendra sans emploi, dès que la terre lui aura manqué. Ou plutôt, oui. Je conçois une réponse. Une réponse qui, pour moi, sera celle de l'histoire. Ce qui fait que le monde n'est pas entièrement livré aux caprices de la force, c'est qu'il se produit inévitablement des coalitions d'énergies contre toute concentration surabondante de violence. Ainsi, le fer finit par se trouver tenu en échec par le fer même, au profit d'un établissement de droit toujours trop lent à s'installer. Et de là, il arrive que, pour le bien de notre titubante espèce, le plus sûr moyen, pour un peuple, de croître, est dans la libre paix du labeur par le développement d'une justice sociale, bien inutile à proclamer quand les esprits ne sont pas capables d'en pratiquer les devoirs.

Il y avait un danger allemand, un danger plus redoutable, dans la paix, que dans la guerre, pour les libertés du dehors. Par la haute valeur d'un prodigieux effort de travail méthodique, dans une savante organisation de machinerie humaine,


ces gens étaient en train de conquérir le monde. Nulle part sur la terre une place ne se trouvait disponible sans qu'ils y arrivassent. Ils avaient refoulé le commerce et l'industrie de l'Angleterre. La France était submergée de germanisme. En Russie, ils tenaient des avenues de pouvoir, jetant partout des racines d'une puissance économique indéfinie. Dans les deux Amériques, en tous lieux s'affirmait leur influence. Encore un demi-siècle de paix, et le monde était à eux, dans le recul universel de toutes les forces initiatrices de civilisation sur tous les continents de la terre.

Mais le Destin veillait, ce destin omniprésent que le Prométhée d'Eschyle nous montre tenant Zeus lui-même sous sa loi. Et des faibles d'esprit comme Guillaume II, Treitschke, Bernhardi et toute leur bande, furent suscités pour sauver l'Europe, d'abord de la submersion germanique en nous précipitant dans une affreuse convulsion d'où notre salut va sortir. Et ceux-là précisément qui rêvèrent d'une universelle domination allemande se trouvent nous en avoir sauvés. Car la coalition s'est faite d'elle-même, qui va mettre à néant, dans la guerre, les excès des conquêtes germaniques dans la paix, et si cette coalition avait pu être vaincue, ne voit-on pas que d'autres groupements de résistance déjà sont en voie de préparation ?

En cette forme de logique, la destinée des hommes suit son cours immuable, et si le peuple allemand se trouve, un jour, en état d'apporter au genre humain le concours d'une conscience libérée, il pourra demander des comptes à ceux de ces maîtres qui l'auront jeté, de son plein assentiment, dans une aventure sans honneur, dont la justice de l'histoire veut qu'il subisse l'expiation. Hélas il n'aura pas même la consolation d'avoir sauvé l'honneur, c'est-à-dire le semblant d'une idée, puisque sa défaite sur le champ de bataille sera la preuve irréfutable, selon le principe même de la domination de la force, qu'il n'est pas le peuple prédestiné.


PRÉFACE

A « L'EFFORT BRITANNIQUE

CONTRIBUTION DÉ L'ANGLETERRE A LA GUERRE EUROPÉENNE (AOUT 1914-FÉVRIËR 1916) »

PAR JULES DESTRÉE

(Bruxelles et Paris, 1916, G. V'an Oest & Co., édit.)

Cette guerre ne Se poursuit point pour la possession d'une ville, d'une province, d'une colonie. Nous combattons pour la liberté, pour l'existence de notre race. Il n'est plus d'autre question que de savoir qui, des deux groupements ennemis, survivra et, à travers les siècles, continuera son histoire. Épouvantable lutte à mort où chaque peuple apporte la dernière once de son or, la dernière goutte de son sang.

Milliards sur milliards s'engloutissent. Quand, au bas du traité de paix, on posera le dernier paraphe, que restera-t-il de la vieille Europe ? Que de ruinès Que de tombeaux Qu'importe à nos soldats ? Après nos fils, que la guerre prenne les fils de nos fils. Nous ne les refuserons pas. Nous donnerons nos biens, notre chair. Toutes les richesses de notre sol, toutes les ressources de notre volonté, nous les jetterons au creuset. Nous ne voulons pas mourir.

Dans ce total don de soi-même, chacun de nous commet, à de certains moments, l'inévitable demi-crime de ne voir que sa propre volonté de vaincre et d'oublier l'élan de ses Alliés. Nous nous haussons aux suprêmes sacrifices. Par-delà les mers, par-delà les monts, est-il possible qu'eux aussi, nos camarades de lutte, combattent du même effort, d'une âme à ce point résolue ?

Heure terrible, que celle où de semblables questions se peuvent poser. Quand le rameur peut craindre que son compagnon d'équipe ne soit exposé à faiblir, il n'est pas loin de sentir le poids de l'aviron tout entier.

Aussi est-il bon que, de temps en temps, une voix s'élève pour montrer où en est chacun de nous dans l'accomplissement du devoir.

M. Destrée, dans le livre que voici, nous dit de l'Angleterre,


de son effort naval et militaire, de la résolution qui l'inspire, les choses les plus belles et les plus réconfortantes.

L'Angleterre n'a pas voulu la guerre il faut le répéter à sa louange et ajouter hélas à sa confusion, qu'elle ne l'avait point prévue. N'eût été la violation de la neutralité belge, nul ne peut dire quand elle eût tiré le glaive.

La voilà dans la mêlée. Lentement, mais avec une opiniâtreté que rien ne rebute ni ne trouble, la grande Albion s'est faite puissance militaire. Elle a accumulé canons, obus, bataillons. Elle s'est hérissée de quatre millions de baïonnettes. Partout où, sur le vaste globe, il y avait de l'ortie boche à arracher, les tommies ont relevé leurs manches et nettoyé le champ.

On rend grâce à la flotte anglaise de ce qu'elle a su, sans bouger, sans tirer un coup de canon, annihiler la menace allemande, bloquer l'ennemi, assurer le ravitaillement de nos armées. C'est vrai silencieuse, cette veillée n'en a pas moins de grandeur. Mais le miracle anglais n'est pas là. Le miracle anglais ne s'est pas produit sur mer. Dreadnoughts, croiseurs, torpilles, cela, ce n'est que la tradition anglaise. Ce qui fait que la vieille île septentrionale a grandi dans l'estime et dans l'admiration des hommes, c'est qu'elle a, pour la première fois de son histoire millénaire, cessé d'être une île, cessé de vouloir n'être qu'une île. Elle s'est incorporée au continent, par ses grands beaux hommes qui font héroïquement tête dans les tranchées flamandes, leurs courtes pipes aux dents, par ses canons, ses convois, et, surtout, la haute sérénité avec laquelle elle a accepté, de notre antique sol, le destin de douleur et de lutte éperdue.

Cela, c'est beau, parce que ce n'est point l'œuvre d'une heure, parce que c'est l'inévitable conclusion d'une histoire de dix siècles.

D'autres nations ont, sur les champs épiques de l'Europe, versé plus de sang que l'Angleterre. D'autres ont subi des assauts plus violents, ont eu à déployer plus de farouche héroïsme devant la ruée des Barbares. Aucune ne s'est résolue avec plus de méthode et de décision à aller jusqu'au bout de la tâche. Aucune ne s'est sentie métamorphosée aussi complètement, dans ses mœurs, dans l'exercice de ses droits et ses revendications d'indépendance.

M. Destrée qui est, au sens du mot qu'on appliquait à Gambetta, un des plus ardents « commis voyageurs n de la


pensée et de l'entente latine, et qui ne cesse d'expliquer l'Italie aux Français, que pour raconter l'Angleterre aux Italiens, a dit ces choses et bien d'autres, excellemment.

Nul mieux que lui n'était qualifié pour parler de ce grand soubresaut des races que l'horrible guerre a définitivement réveillées des vieilles illusions.

Il disait dernièrement

« Je ne connais plus, quant à moi, de camarades et de frères allemands. Je ne prendrai pas leur main, il y a dessus trop de sang de mes véritables frères et camarades, de tous ces ouvriers de nos régions industrielles qui ont trop bénévolement cru à la puissance et à la sincérité de la social-démocratie. Je ne ferai pas de traité avec eux, car ils ont laissé dire que les traités n'étaient que des chiffons de papier et qu'on pouvait les violer quand il y avait intérêt.

« A cela, je ne consentirai ni maintenant, ni plus tard. Mais maintenant, c'est-à-dire pendant que les travailleurs de Belgique sont contraints, par une terrorisation sans exemple, à subir les volontés des conquérants allemands, et aussi longtemps que notre territoire sera occupé, il me paraît et me paraîtra particulièrement inadmissible de discuter avec l'envahisseur même masqué du masque socialiste.

« Discuter quoi, d'ailleurs ? Une conciliation de quoi ? Avons-nous, avant la guerre, demandé quelque chose à l'Allemagne ? Avons-nous, depuis la guerre, à demander autre chose que notre indépendance et notre liberté, et la réparation du mal injuste qu'on nous a fait ? Quelle conciliation peut-on imaginer à propos de ces questions ?

« Et s'il s'agit de plus vastes sujets, si l'on espère se servir de la Belgique pour faire passer sournoisement la paix germanique, nous ne pouvons répondre à ses émissaires que ce que nous avons répondu aux soldats On ne passe pas. »

Mâles paroles qui se peuvent appliquer à l'ardente volonté de vaincre de l'Angleterre, de la Russie, de l'Italie, de la France. Ce livre affermira la confiance de nos bons combattants et de ceux qui, à l'arrière, les soutiennent de leur énergie. Il servira également à persuader aux retardataires des dernières neutralités, que l'Entente doit vaincre et qu'elle vaincra. Cela, parce qu'elle a le droit pour elle, d'abord.

Mais aussi parce qu'elle a la force.


AUX ANGLAIS

(21 février 1916)

M. Clemenceau, président de la section française du Comité franco-britannique qui s'est réuni à Paris, a accueilli en ces termes Lord Bryce, président de la section britannique et ses collègues.

MESSIEURS LES MEMBRES DU COMITÉ BRITANNIQUE,

Est-ce donc autre chose que l'expression fortuite d'un coup de fortune incroyable, cette rencontre imprévue de longs siècles d'histoire qui amène ici, aux portes de notre palais législatif, des parlementaires du Royaume-Uni, pour conférer d'un achèvement de confiance avec des parlementaires français, fiers de leur offrir un accueil fraternel, heureux d'échanger avec eux salut content de cœurs amis ?

Messieurs, soyez les bienvenus, et permettez à l'homme qui doit à son âge l'honneur de vous adresser la parole, au nom de ses collègues du Comité parlementaire français, de vous dire que, dans les plus mauvais jours, il n'a jamais désespéré d'une réalisation d'entente qui lui paraissait inévitable, mais qu'il n'avait pas l'espoir de contempler.

Oui, Messieurs, je vous attendais depuis des siècles sans fin, et les historiens, trop souvent étrangers aux passions profondes qui animent tour à tour les peuples à l'amour et à la haine, s'étonneront peut-être qu'il nous ait fallu, à tous deux, une si longue durée de temps pour franchir un si bref espace de mer, dont tant d'aventures de guerre semblaient avoir fait une barrière infranchissable, et où, nous, nous ne voulons plus voir qu'un grand chemin ouvert à tous ceux qui sont dignes de comprendre et de pratiquer la véritable fraternité internationale de l'avenir, fondée sur la conscience du droit égal de tous et le respect heureux du droit de chacun.

Oui oui je vous attendais, depuis Hastings, depuis les jours du Prince Noir. Vous voyez que je ne suis pas homme à me lasser. Je vous attendais et vous êtes venus, et vous voilà ici, représentants du peuple anglais, spontanément accourus non pas pour conclure de ces accords politiques que nos gouvernements sauront faire, pas plus que pour porter des jugements d'action militaire qui échappent nécessairement à notre assem-


blée. Votre visite est comme le couronnement anticipé de toutes ces tâches. Nous nous rencontrons pour nous voir, pour nous comprendre, pour nous trouver enfin capables de nous aimer. Les temps veulent de l'action, et, civils et militaires, des deux côtés du Détroit, sont à l'action. Ils y resteront même quoi qu'il puisse arriver -*̃ jusqu'au bout. Jusqu'au bout, vous entendez bien. Avec l'autorité qui lui appartient, Lord Desart, hier, a prononcé cette parole définitive. C'est délibéré, c'est voulu, c'est juré. Nous donnons nos enfants, nous donnerons nos biens, tout, tout, et la cause magnifique de l'indépendance des peuples et de la dignité de l'homme porte en elle-même une telle récompense qu'en dépit des plus douloureux sacrifices nous ne nous plaindrons jamais qu'il ait fallu trop donner.

Voilà le grand secret public qui vous a fait franchir la mer, pour arriver jusqu'à nous. Vous avez pensé que, s'il était vain de discourir, en des heures où l'élite de l'humanité civilisée prodigue le plus beau sang, pour arrêter le flot odieux de la plus répugnante barbarie, il était bon, aussi, qu'une démarche d'initiative individuelle, et cependant représentative, vienne mettre comme le sceau symbolique à l'entente infrangible de deux peuples qui contribuèrent si largement à faire une Europe de guerre, et qui veulent, d'un esprit résolu, voir dans l'accomplissement de ce jour la préparation d'une Europe de paix. Je vous regarde, et je cherche, et je trouve en vos yeux l'éclair de confiance dans l'œuvre de justice et de droit dont vous nous apportez le témoignage. Messieurs, ne nous faites pas l'injure de croire que vous soyez, parmi nous, des inconnus. Nous savons la place prépondérante que vous avez prise dans les conseils de votre grand pays. Et nous n'avons besoin que de rencontrer le regard interrogateur de votre éminent président pour savoir que vos pensées vont bien au-delà d'un intérêt égoïste, froidement entendu. Les beaux travaux de Lord Bryce, le critique démocrate de la démocratie vivante, attestent suffisamment que les plus ardus problèmes de l'avenir humain hantent les grands esprits de vos îles, comme de notre continent. N'est-ce pas ce qui me donne le droit, dans cette journée mémorable où s'accomplit l'événement le plus inattendu pour nos pères, de souhaiter que cette modeste rencontre d'hommes, porteurs du plus haut moment de conscience, puisse jeter aux


grands sillons de l'espoir la semence féconde d'une humanité meilleure et plus belle ?

Il est vrai, c'est à une œuvre de guerre qu'est échu le miracle d'un accord profond qui ne pourrait plus se rompre sans qu'il en résultât une catastrophe de civilisation. Nous n'avons pas voulu la guerre ni les uns ni les autres, et nous la voulons tous les deux, maintenant, comme nos bons alliés, et nous la voulons bien, et nous la voudrons aussi longtemps qu'il sera nécessaire pour qu'une victoire totale totale, vous entendez nous paye, et paye nos généreux fils, de flots de sang tels qu'aucune terre de l'histoire n'en avait jamais bu.

Allez les voir, les plaines ravagées de notre frontière orientale. Elles vous diront ce qu'a pu y accomplir une monstruosité de sauvagerie. La foi des accords internationaux outrageusement violés, que dis-je ? les droits élémentaires de l'humanité foulés aux pieds par des créatures à face humaine, avec l'approbation éhontée d'une science qui n'est pas la science, et d'une philosophie qui n'est pas la philosophie. Elles vous diront qu'une si prodigieuse convulsion de barbarie n'appelle pas moins qu'une révolution d'humanité, pour une guérison définitive, par un développement de force supérieur capable d'imposer, non plus la domination du fer pour le fer, qui n'est qu'une atrocité déshonorante, mais par le fer au service du droit, la souveraineté du droit, qui est la civilisation.

C'est la tâche sublime qui a soudainement réveillé nos peuples d'un sommeil agité de trop de cauchemars, ils ont ouvert les yeux à la lumière d'évidences, devant lesquelles tant de choses du passé ont pâli. Et nos hommes se sont offerts à mourir pour une cause si grande qu'elle se trouve la plus haute justification de la vie. Ils sont à l'ennemi, ils sont au plus grand honneur que puisse conférer le plus grand devoir silencieusement accompli. Nous les saluons du même élan d'un même cœur, nous les saluons d'une même volonté irréductible telle que la mort n'en marque pas le terme nous les saluons de toute la beauté d'une espérance dont ils vont faire, demain, un triomphe de réalité.

Je suis allé voir vos tommies en leurs tranchées, où m'a conduit un de vos généraux les plus représentatifs dont le noble père, ami bien cher des anciens jours, osa plaider en 1871 dans Londres sourd la cause de la France démembrée. Dans la


forêt de Villers-Cotterêts, son petit-fils, George Cecil, est glorieusement tombé, à 18 ans, pour son pays et pour le nôtre. A lui comme à ses frères d'armes, va le salut du peuple français. Aux étroits couloirs de leurs tranchées j'ai vu vos durs soldats d'impassibilité narquoise, attendant, tout placides, la ruée de l'ennemi. C'est une visite qu'il vous appartient de nous rendre. Allez voir nos poilus. Allez, je vous en prie. Quel réconfort vous trouverez dans la simplicité de leur sourire Ils vous parleront de leurs Boches, sujet intarissable de gaieté militaire. Il faut que vous les voyiez rire de leurs blessures, que vous les voyiez tomber avec ces mots <c Je suis content. » Croyez-moi, votre mission ne serait pas complète si vous n'emportiez à ceux qui seraient encore hésitants, je ne sais où, quelque chose d'une vision de grandeur que rien ne dépassera. Alors seulement vous pourrez dire à l'Angleterre «Nous avons vu. » Et puis, au retour, vous traverserez encore nos places publiques, où de grands bronzes, comme à vos squares, disent une histoire que nous voulons annoblir encore mais dont, ni les uns ni les autres, nous n'avons rien à renier. Et puis, arrêtezvous au pied du monument où toute d'or, sur son cheval d'or, marche au combat la petite paysanne de France, qui fut on ne sait comment, à elle seule une armée que dis-je ? toutes les armées de la France à la fois. Parlez-lui, amis de ce jour et de toujours, si nous sommes dignes de notre destin. Parlez-lui. Elle vous entendra, Messieurs, au rebours de l'homme de pierre de la légende, elle vous fera le signe de tête qui sera le gage supérieur de toute la réconciliation. A cette heure, votre noble pèlerinage sera véritablement achevé, et vous aurez eu de nous tout ce que vous êtes venus chercher.

Cœur à cœur, comme nos soldats côte à côte, nous vivrons le grand pacte d'Union qu'aucun délire d'inimitié ne pourra plus déchirer, et vous aurez, et nous aurons avec vous, accompli quelque chose que des esprits à courte vue jugeront peut-être médiocre, puisque toute pompe en est absente, mais qui marquera, tout de même, une étape d'humanité.

Je vous ai dit assez dans quel sentiment la visite dont vous nous honorez vous sera rendue. A Fontenoy nos pères disaient aux vôtres <c Messieurs les Ariglazs, tirez les premiers. » Cette fois, vous êtes venus les premiers, la main tendue. Messieurs les Anglais, cela ne sera pas oublié.


A l'occasion d'une interpellation de M. Debierre sur l'offensive du 16 avril 1917, Clemenceau monta à la tribune qu'il tint plusieurs heures. Il voulait qu'on fît de l'ordre dans le pays, qu'on soutînt le moral des combattants, qu'on mît un terme à V <c antipatriotisme (1) de certains milieux de l'arrière. De ce jour Clemenceau s'impose comme chef à l'opinion publique. Elle comprend que par lui la patrie sera virilement défendue et elle va demander, presque unanime, sa direction.

DISCOURS AU SÉNAT

(22 juillet 1917)

M. LE Pb^ident. La parole est à M. Clemenceau.

M. CLF1UENCEAU. Messieurs, sans aucun préambule, je prends la suite des nobles et belles paroles que vous venez d'entendr •>. M. le Ministre de la Guerre (2) s'est trouvé au cœur même de mon sujet.

Les derniers mois, les dernières semaines de la guerre, a-t-il dit, seront probablement les plus durs. Voilà une parole à méditer pour nous préparer à soutenir l'épreuve qu'il nous annonce. Les Japonais disent que le vainqueur est celui qui peut croire un quart d'heure plus longtemps que fautre qu'il sera vainqueur. Eh bien il faut que nous parcourions ces derniers mois, ces dernières semaines dans les mêmes conditions que les premiers mois de la guerre.

Pour cela M. le Ministre de la Guerre l'a fort bien dit il faut faire l'ordre dans le pays.

M. Charles Riou. Très bien 1

(1) C'est sous ce titre L'anfipatriotisme devant le Sénat que le discours fut aussitôt édité en brochure.

(2) Paul Painlevé.


M. CLEMENCEAU. Ah oui, il faut prononcer les mots difficiles et, quand on les a prononcés, avoir le courage de les réaliser (très bien!) il faut que la France ne soit qu'une, avez-vous ajouté, que l'armée soit réunie en un bloc. Sans les interruptions, vous auriez ajouté encore « le front, et l'arrière et toute la France o.

M. KÉveul&ud. Il faut que le Parlement, lui aussi, fasse bloc avec la nation.

M. CLEMENCEATT. Je supplie qu'on me laisse parler sans interruption. Ma tâche est difficile parce que nous sommes tous d'accord, à commencer par le ministre que j'interpelle. (Rires.) Parfaitement. Je citerai le moins de documents possible, mais je pourrai vous lire les instructions qu'il donne et qui sont conformes à tout ce que je peux demander, à tout ce que vous pouvez souhaiter.

Si je suis à cette tribune pour le contredire, c'est apparemment qu'il y a une faille quelque part et, cette faille, il n'est pas facile de la découvrir lorsque tous les pouvoirs des ministères se combinent pour vous en empêcher. Je supplie donc mes collègues, qu'ils m'approuvent ou me désapprouvent, de vouloir bien me laisser suivre ma pensée.

Je le ferai eu évitant toute personnalité. Je ne poursuis aucun but politique et n'en veux poursuivre aucu i. Je vais voter l'ordre du jour de confiance au gouverneme.it si l'on m'en donne les moyens j'ai applaudi à l'excellent discours de M. Painbvé et j'applaudirai aux déclarations certainement excellentes que fera M. le Président du Conseil (1), si j'en juge par ce qu'il a dit à la Chambre. Il me permettra de l'approuver dans ses discourus à la Chambre et je ne crois pas l'offenser en le lui disant.

Mais si,, cependant, il y a des points celui dont vous venez de parler sans le vouloir, Monsieur le Ministre de la Guerre des organisations d'administration, de gouvernement et de guerre» où il y a eu des frictions, des organes qui marchent mal, des coincements, des cris, des douleurs, des révoltes, des mouvements qui peuvent nous inquiéter, nous tous, Français qui sommes ici, nous ne devons les passer sous silence. Hier, Kerensley a eu le courage de dire ce qui s'était passé sur le (1) Alexandre Ribot.


front russe. « Il y a eu des mutineries, a-t-il dit, des régiments ont passé à l'ennemi, drapeaux en tête, et le front russe a reculé. » Ce n'est rien la Russie s'est reprise elle a à sa tête un homme de gouvernement.

J'arrive donc tout de suite au cœur de mon sujet.

Cette discussion n'est que le prolongement d'un débat qui a eu lieu entre M. le Ministre de l'Intérieur (1) et moi lors d'un de nos derniers comités secrets. Je suis monté à cette tribune, j'ai apporté trois documents d'abord une instruction de M. le Ministre de l'Intérieur ordonnant à ses préfets de poursuivre avec la dernière rigueur tous ceux qui feraient de la propagande, je ne veux pas dire pacifiste, ce n'est pas le mot, mais de la propagande antipatriotique en France. Cette circulaire était excellente. Je l'ai complètement approuvée. J'ai, en même temps, apporté deux autres documents le premier était un rapport d'un préfet qui demandait à poursuivre un acte de propagande déterminé, l'autre une note de M. le Ministre de l'Intérieur qui lui en refusait le droit.

J'ai demandé à M. le Ministre comment il pouvait concilier des ordres de poursuivre avec des interdictions de poursuivre et, malgré toute sa subtilité, il n'a pas pu concilier ces deux choses. (Rires.) Voilà sept ou huit mois qu'il ne les concilie pas davantage, pour ne rien dire de plus.

Que m'a-t-il donc répondu ? Il m'a répondu « Je ne veux pas porter la main sur les organisations ouvrières. » C'est bien là votre réponse, Monsieur le Ministre ? (M. le Ministre de l'Intérieur fait un signe d'assentiment.) Nous avons répliqué « Comment pouvez-vous faire insulte aux organisations ouvrières dont les vrais représentants sont dans la tranchée (très bien très bien!) en les confondant avec des misérables qui écrivent des choses dont je vais donner lecture tout à l'heure, et qui feront facilement l'unanimité parmi nous, et prétendre que vous ne pouvez pas toucher à ces hommes parce que ce sont des représentants de la classe ouvrière ? »

M. le Ministre de l'Intérieur dans sa parfaite franchise nous a dit « J'ai interdit de faire des perquisitions dans les bourses du travail », et j'ai répondu

« Comment voulez-vous jamais mettre fin à la propagande (1) Louis Malvy.


antipatriotique s'il y a, comme pour les églises, au Moyen Age, des lieux d'asile où la propagande antipatriotique puisse s'instituer avec certitude de n'être jamais poursuivie. » (Très bien! au centre.)

Notre conversation en est restée là. C'est celle qui va être poursuivie.

M. le Ministre m'a xépliqué je ne parle pas de la réplique de tribune. M. le Ministre a mis quelques mois à me faire connaître ces répliques. Il y en a eu trois une, qu'on essaiera peut-être d'apporter à cette tribune. Je commence par la repousser et j'avertis M. le Ministre que je ne le suivrai pas sur ce terrain.

Nous avons tous reçu un journal où je suis personnellement vilipendé sur la manière dont j'ai compris le respect de la République dans certaines opérations de grève. Vous pensez bien que je ne viens pas me défendre. Ce n'est pas moi qui suis interpellé, ce n'est pas moi qui suis au gouvernement.

J'ai fait ce que j'ai cru devoir faire, et je crois que ce n'était pas si mal, puisque, quand je suis venu dans la Chambre, j'ai eu le plaisir d'avoir votre voix. que je ne vous avais pas demandée. (Rires.)

Je n'insiste pas. Je ne suis rien du tout. Je suis un vieillard qui est à la fin de sa vie politique et qui a cette chance extraordinaire, au moment où il n'a plus rien à espérer, à attendre, ni presque à regretter, d'avoir combattu bien ou mal, poursuivant son idéal, essayant toujours de se limiter et à droite et à gauche, en se garant de la timidité et de la surenchère. (Applaudissements.)

Je me suis trompé. C'est possible c'est même probable c'est même sûr.

M. Félix Chatpeemes. C'est très vrai. (Sourires.)

M. Clemenceau. Nous sommes tous faillibles. Ce n'est pas la question.

Je savais que cette guerre viendrait. Je l'ai annoncée mille fois. J'ai averti tous mes concitoyens. Je ne croyais pas la voir, et je m'en allais content de ne pas la voir.

Elle est venue comme vous tous, j'ai passé là trois années les plus poignantes de ma vie. Croyez-vous que je fais de la politique pour le plaisir d'être à mon banc, et de prononcer


des discours à cette tribune ? Cela, je n'ai jamais commencé à le faire, et, dans tous les cas, ce serait fini maintenant. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit de ce qu'a dit M. le Ministre de la Guerre je me cramponne à vous, Monsieur le Ministre je vous tiens et ne vous lâcherai pas. Vous me servirez d'arme contre vos collègues du cabinet.

La question, vous l'avez posée de la seule manière possible. Nous sommes en guerre mais il ne s'agit pas des anciennes guerres, pas même des guerres modernes. Le monde entier se bat. Les neutres espionnent, trahissent. Les combattants se font tuer d'une façon prodigieuse, comme cela ne s'est jamais fait.

Il y a quelque part, près de Verdun, un immense trou d'obus, grand comme la moitié de cette salle, dans lequel deux hommes sont enterrés, enfoncés l'un dans l'autre, le Français les dents sur le Boche ils sont là dans leur trou comme le symbole de cette guerre. Derrière eux il y a le monde civilisé qui est là. La vie du monde entier se joue tout ce que l'homme a voulu, tout ce qu'il a espéré, tout ce qu'il a essayé d'atteindre va lui être arraché. (Vifs applaudissements.)

C'est le plus grand événement de la vie du monde. Nous en avons les joies, nous en avons les douleurs. Quand la guerre a commencé, j'ai cru que l'union pouvait se faire sans récrimination entre les Français. Je l'ai dit j'ai dit que je n'avais plus d'adversaire, j'ai dit que je n'avais plus d'ennemi.

A quelques mois de là je récriminais, je protestais, j'étais de l'opposition. Pourquoi ? Au moins accordez-moi la faveur que dans mon désintéressement je n'avais pas grand mérite. Un mouvement d'idéalisme me faisait croire que, peut-être, dans un temps assez rapproché, toute la France pouvait se jeter sur l'Allemagne, avec l'Angleterre, et remporter une victoire immortelle qui aurait dépassé tout ce que les fastes de l'histoire ont enregistré de plus beau. Cela ne nous a pas été donné. Les Allemands étaient trop préparés et nous ne l'étions pas assez. (Très bien!)

Une organisation de tous les moyens sans l'honneur l'honneur, tout l'honneur, sans organisation suffisante des moyens, voilà la vérité (Nouveaux applaudissements.)

Tous les peuples sont venus, et l'Amérique arrive, longue à venir, mais elle viendra. Elle viendra non pas avec des armées


préparées, avec ces vieilles armées de l'histoire qui ouvraient des tranchées au son du violon et qui, sous les balles, sous les boulets, donnaient des sauteries, des danses.

Non, non Ce sont des peuples qui se jettent les uns sur les autres pour en finir avec la barbarie, pour en finir avec la sauvagerie! (Très bien Très bien!)

On fera le gouvernement qu'on voudra, les hommes se gouverneront comme ils l'entendront, ils se tromperont, ils commettront encore des crimes, c'est la fatalité de l'humanité mais, au moins, il y aura un cadre de droit, de liberté, de justice, d'honneur, de respect de soi-même, de respect de l'humanité qui fera que l'humanité deviendra telle (vifs applaudissements) qu'on ne sera pas tous les jours au moment où l'homme qui travaille paisiblement à son foyer, pour faire vivre sa femme et ses enfants, apprend tout à coup qu'une dépêche vient de traverser les airs et lui dit « C'est la guerre, prends ton fusil, va te faire tuer. » C'est horrible (Nouveaux applaudissements.) Ah ils sont pacifistes, ces messieurs. Pacifistes, oui, avec des bombes on vous lira tout à l'heure le dossier de ces pacifistes que M. Malvy reçoit dans son cabinet il a ce dossier, je l'ai aussi. Ils ont été parfaitement condamnés pour fabrication d'explosifs. Non, ce n'est pas cette paix qu'il nous faut nous voulons la paix intérieure et la paix au dehors, nous voulons toute la paix. (Très bien! Très bien! Vifs applaudissements.) Eh bien, qu'est-ce que M. Malvy m'a répondu ? Je laisse les journaux qu'il fait distribuer parmi nous, je n'y réponds point. Il a dit à ses amis car cela m'est revenu de tous les côtés immédiatement « Ah Ah moi je n'ai pas voulu appliquer le carnet B Clemenceau m'a conseillé de l'appliquer. » Je vous dirai tout à l'heure ce que c'est que le carnet B. « Si j'avais écouté Clemenceau, j'aurais arrêté les anarchistes, et la mobilisation, qui a été un grand succès, se serait passée dans les coups de fusil. » Il ne m'a pas fait cette réponse directement. Puisqu'il était venu me consulter, il aurait pu me faire l'honneur de me rendre visite pour me dire pourquoi il n'avait pas suivi le conseil que je lui avais donné.

Il a fait une autre réponse. Il a amplifié devant la Chambre la réponse qu'il avait faite au Sénat, il a déclaré que toutes les grèves qui s'étaient passées depuis le commencement de la guerre étaient d'ordre purement économique. Je vous mon-


trerai, tout à l'heure, ce qu'il en est. Il ajoutait, enfin, qu'il fallait respecter la classe ouvrière dans ses formations syndicales et, bien qu'il ne l'ait pas dit, il fallait nous attendre à ce que les formations syndicales puissent être un asile impénétrable à la justice française, puisqu'elle devait s'arrêter à leur seuil.

Je commence par le carnet B, sur quoi je suis en défense, parce que, contrairement à ce qui devait arriver, c'est moi qui suis l'interpellé. C'est moi que M. Malvy visait, lorsqu'il a fait à son ami Almereyda, du Bonnet rouge (rires), la confidence que je viens de vous rapporter, car ce M. Almereyda est un de ceux de qui je la tiens, par l'intermédiaire de son journal. Je n'ai pas l'honneur de le connaître autrement. (Nouveaux rires.)

Quant à l'autre question, dans la dernière séance de la Chambre, j'ai peut-être été légèrement interpellé.

Un des principaux orateurs a même fait un petit article pour me demander si j'avais entendu parler du carnet B. Je ne l'ai jamais vu, mais je sais qu'il y a un carnet B, et souvent, quand j'étais au ministère de la place Bauveau, le directeur de la Sûreté m'en a parlé, il y a un carnet sur lequel on inscrit les noms des hommes qui pourraient être dangereux, non seulement au jour de la mobilisation, comme M. Ribot a eu l'air de le croire, mais pendant toute la durée de la guerre. Ils sont dangereux, l'événement ne l'a que trop montré, au moment de la mobilisation, mais s'ils ne réussissent pas à faire, au moment de la mobilisation, le mal qu'ils projetaient de faire, ils sont à temps pour le faire un peu plus tard, voilà de quoi M. Malvy ne s'est pas avisé.

Pour vous montrer d'un coup où peuvent nous mener les résolutions à prendre à l'égard de cette catégorie d'individus, je veux me borner à cette constatation qu'il y a en France une catégorie d'individus qui se disent antipatriotes.

Etant donné le cabotinage qui n'est pas exclusif à la politique, quoi qu'on en dise (rires) étant donné le cabotinage de certains milieux, on pourrait croire que c'est une espèce de cocarde, de plume au chapeau que ces gens se mettent pour se faire distinguer, comme il est arrivé à l'un d'eux (1), qui, en (1) Gustave Hervé.


un tour de main, après avoir fait la pire propagande antipatriotique, a prétendu défendre la patrie contre nous-mêmes. Messieurs, il faut que vous sachiez quelle sorte de position ces gens prétendaient occuper, ce qu'ils ont dit, ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont projeté.

Ceci remonte loin je ne veux pas vous faire un cours d'histoire, je ne vous ferai des citations que dans la plus faible mesure possible, mais il m'est nécessaire d'en faire pour faire comprendre exactement où nous en sommes et comment cette question se pose.

Vous avez entendu parler du Sou du soldat, de cette organisation qui, sous prétexte de distraire les soldats à la caserne, les emmenait dans des réunions où on leur prêchait l'antipatriotisme.

Vous avez entendu parler du :Manuel du soldat de M. Yvetot, tiré à 181 000 exemplaires, poursuivi devant les assises de la Seine car en ce temps-là on poursuivait et acquitté le 30 décembre 1903. Il contenait des passages comme celui-ci « Tant que cette religion imbécile de la patrie continuera à nous être imposée, nous serons ses esclaves. La patrie n'est qu'un mot l'armée n'est pas seulement l'école du crime, c'est l'école du vice, de la fourberie, de la paresse et de la lâcheté » M. Charles Riou. Il a été acquitté, naturellement ?

M. CLEMENCEAU. On l'a poursuivi en ce temps-là, et savezvous qui, à cette époque (1), poursuivait le plus sévèrement ? C'était le ministre de l'Intérieur actuel, M. Malvy. Il était, alors, sous-secrétaire d'État au ministère de l'Intérieur, dans le cabinet Caillaux.

Le 6 juillet 1911, le gouvernement, en vertu des lois de 1894, dites les lois scélérates (2), ordonnait des perquisitions au siège de la Chambre syndicale de la maçonnerie. M. Malvy n'avait pas, alors, les scrupules, qui lui sont venus depuis, sur les organisations syndicales. Il perquisitionnait très bien. Des poursuites furent intentées contre les trois dirigeants de cette organisation, etc., je passe.

(1) Cette expression ne peut être prise au pied de la lettre Malvy ne fut d'un gouvernement qu'à dater du 2 mars 1911.

(2) Il s'agit des mesures de répression contre la propagande anarchiste ou révolutionnaire votées après l'assassinat du président Carnot malgré les protestations de la gauche avancée. Elle leur appliqua ce qualificatif, qui demeura dans l'histoire, parce qu'elles étaient exorbitantes du droit commun.


Je fais observer à M. Malvy que je suis plus libéral que lui, car si j'ai fait condamner son ami Almereyda à deux ans de prison et Hervé à presque autant, j'ai donné pour ordre, en arrivant au ministère, de ne pas poursuivre au nom des lois de 1894, pour la raison que le gouvernement se trouvait suffisamment armé et n'avait pas besoin de lois d'exception. Je l'ai prouvé en mettant ces gens-là en prison. Et je vois que M. Malvy partageait mon sentiment. Mais, alors qu'il pouvait poursuivre en vertu des lois de droit commun, il n'a pas hésité à s'adresser aux lois scélérates. Cela atténue un peu les principes de libéralisme et de générosité, à l'égard de ces individus, dont il fait preuve aujourd'hui.

J'ai nommé M. Almereyda. J'ai ici le dossier de la Sûreté. Je pense que M. Ribot ne le connaît pas ? S'il a jamais envie de le connaître, je mets mon exemplaire à sa disposition. (Hilarité.)

Il est plus sûr que celui du ministère de l'Intérieur, où il y a souvent des feuilles arrachées. (Nouveaux rires.)

Messieurs, comme je vais être obligé de revenir sur M. Almereyda, à propos du carnet B, je ne vous lirai pas ce dossier, où figurent des condamnations d'une très grande étendue et pour des raisons très variées. (Sourires.) Il est évident que M. Almereyda n'a pas eu une vie ordinaire et il continue mais lui aussi a des principes. Il pose la question d'une manière très nette, qui ne permet pas un moment d'hésitation. Voici ses principes

Daté de 1907 11 mai. Dans une conférence antimilitariste à Reims sur le sujet Patrie et caserne, voici ce que disait M. Almereyda

« Actuellement, notre propagande doit se traduire par des actes sérieux. En cas de guerre, il faut prendre l'engagement de ne pas marcher. Les prolétaires ne doivent pas se borner à dire « Nous ne marchons pas. » Ils doivent faire en sorte de jeter la perturbation. Les femmes, les enfants, les vieillards, les adultes doivent se rendre dans les gares pour empêcher le départ des conscrits et conseilleront aux réservistes de ne pas rejoindre.

« Tout citoyen doit être antipatriote Il doit lui être indifférent d'être Allemand ou Français. » (Rumeurs.)

Cela est clair et pourra me dispenser de beaucoup de citations.


Comment l'auteur de ces paroles a-t-il pu trouver accès amical dans tous les départements du ministère de l'Intérieur ? Ce qui est certain, c'est qu'il y a été constamment reçu, et je puis vous donner cette information, connue une demi-heure après, qu'avant-hier matin il était dans le cabinet de la Sûreté, à une heure que je pourrais préciser, si je perdais mon temps à chercher dans ma poche. (Rires.)

Vous allez voir revenir M. Almercyda dans l'affaire du carnet B car, lorsque M. Malvy me faisait l'honneur de venir me voir, j'ai bien appris par la suite que c'était un peu dans l'intention de semer et, au besoin, de faire fleurir quelquesunes de ses responsabilités sur le paillasson de mon escalier. (Rire général.)

Il y avait cependant, chez lui, une très grande part de sincérité. Je dois rendre cet hommage à ses hésitations, à son trouble, et je suis évidemment sûr qu'à ce moment aucune décision n'était prise, pas plus avant qu'il vînt me voir qu'après sa visite, ainsi que je le disais tout à l'heure.

Mon attention a été appelée c'est un hasard qui avait mis cet article du Bonnet rouge dans ma main, parce que je n'y suis pas abonné (rires) sur un article intitulé « Vive le Cabinet » Il a piqué ma curiosité. M. Almereyda célébrait le cabinet, parce que M. Malvy y était entré, et il se vantait même de l'y avoir fait entrer

Il avait fait un article où il déclarait que M. Malvy était indispensable au gouvernement de la France, à son point de vue (nouveaux rires), et qu'un cabinet ne pouvait être formé sans M. Malvy.

Bref, M. Malvy est ministre, M. Almereyda s'empresse d'écrire que tout va bien marcher. Il n'ose pas dire absolument que c'est à lui qu'on le doit, mais il ne s'en faut pas de beaucoup. (Sourires.) On comprend donc qu'aussitôt après, il se soit hâté d'aller voir M. Malvy pour lui parler du carnet B. Voilà un sujet de conversation tout trouvé. (Rires.)

Je ne vous ai pas dit ma réponse à M. Malvy. Je vous avoue qu'elle n'est pas inscrite en lettres d'airain dans ma mémoire. (Sourires.) Mais M. Malvy me rectifiera si je me trompe, et la position que je vais prendre à l'égard du carnet B vous montrera que cela n'a aucune importance quant au récit que je vais faire. Je me souviens qu'au moment où M. Malvy partait, il


m'a dit « Vous pensez probablement qu'il faut faire fonctionner le carnet B ? »

A-t-il dit « faire fonctionner » ou « arrêter » ? Cela n'a pas d'importance. Il m'a dit cela sous la forme d'une interrogation, au moment où il s'en allait. J'étais debout, j'en suis sûr, je me levais de ma chaise. Je lui ai presque sûrement répondu « Je ne crois pas qu'on puisse faire autrement. »

Quand on se trouve en face de gaillards qui écrivent ce que j'ai montré tout à l'heure, il faut garder tous les ponts, tous les points stratégiques, les gares, les frontières, les endroits déterminés d'avance, car il suffit d'un de ces messieurs qui n'ont pas de patrie et ne veulent pas qu'on aille se battre, pour troubler toute la mobilisation. (Très bien!)

Les gouvernements sont donc excusables, et M. Malvy le reconnaît certainement, puisqu'il a agi comme j'ai agi moimême, quand j'étais ministre, je veux dire qu'il a inscrit au carnet B les noms des gens susceptibles de se livrer à ces actes répréhensibles, pour aviser, une fois l'état de siège proclamé, selon ce que les événements pourraient commander. Si M. Malvy a cru, comme Almereyda, je demande pardon de cette familiarité, mais c'est plus commode (rires) si M. Malvy a cru que l'on était obligé d'arrêter tous ceux qui sont inscrits dans le carnet B, par principe, sans rime ni raison, il s'est trompé. Il ne s'est jamais agi de cela.

Tous ces gens étaient inscrits afin que l'on revisât leurs dossiers au jour le jour il fallait savoir ceux qui s'étaient amendés, ceux qui s'étaient remis au travail, ceux qui étaient rentrés dans l'ordre et ceux qui, au contraire, persévéraient. Dans ce carnet, on entre et on sort comme dans un ministère. (Hilarité générale.)

Le plus curieux, c'est que M. Malvy a fait fonctionner ce carnet sans le savoir. Comme il sait rarement ce qui se passe dans son ministère, ce n'est pas étonnant. (Sourires.)

Mes principes sur le carnet B, je ne veux pas les dire à M. le Ministre de l'Tntérieur mais l'homme du plus médiocre bon sens sait qu'il faut y ajouter et en retrancher, car il y a tout un ensemble à surveiller. Je ne suis pas ministre. Je me tiens bien tranquille dans ma chambre. Je vois arriver M. Malvy; je lui donne une poignée de main, et alors il me demande ce que je ferais. Ensuite il s'en va, et je serais responsable ?


Dans ce carnet figurent 6 000 individus. Il faudrait peutêtre en retirer 1 500. Mon sentiment est que, si l'on arrêtait et si l'on poursuivait légalement une quinzaine d'individus, pas davantage, tout le reste pourrait être en paix. C'est devant ces individus que le gouvernement recule. (Mouvements divers.)

Ah je le prouverai qu'on ne me fasse pas de dénégations, qu'on ne m'oblige pas à dire plus que je n'ai résolu de dire à cette tribune, sinon je demanderai un nouveau comité secret! Je ne monte pas à cette tribune pour mon plaisir. A mon âge, on a peur d'être écrasé par sa cause. (Non! non 1) Si l'on n'obtient pas le résultat qu'on cherche, on craint de rentrer chez soi désolé, en se dïsant « Je ne suis plus bon à rien, je ne puis plus rendre aucun service à la patrie, il faut que je m'en aille. (Vives dénégations.)

J'ai cherché à situer les questions et les hommes. Il ne s'est jamais agi de coffrer, sans rime ni raison, 1 500 ou 2 000 individus sans savoir pourquoi, ni d'en faire un bloc sans choisir. La police est la police elle a ses dossiers, ses informations elle doit se guider là-dessus.

Mais, tandis que nous avions cette conversation, fort agréable d'ailleurs pour moi, et dont vous voyez que j'ai gardé un bon souvenir (sourires), il y a quelqu'un qui s'en occupait aussi c'était Almereyda. Je n'ai jamais vu le carnet B, mais ce serait à désespérer de Dieu et des hommes, si M. Almereyda n'était pas sur le carnet B. Il y était, et il le savait bien il savait aussi que l'homme qui détenait le carnet B était celui dont il venait de célébrer l'arrivée au ministère. Alors, vient un long compte rendu. Je ne peux pas vous lire tout l'article, c'est dommage Si vous pouvez vous procurer ce numéro, je vous engage à l'acheter, cela vous fera passer un bon moment. (Lisez lisez!) C'est le numéro du Bonnet rouge du 31 octobre 1915 je vais vous en lire deux ou trois passages.

M. Almereyda, lui aussi, comme M. Malvy a ses opinions sur le carnet B il espère bien qu'elles vont se trouver conformes à celles de M. Malvy. Voici ce qu'il écrit

« J'allai voir Malvy. II dit « Malvy (Rires.) « Je lui dis cc Que faites-vous avec le carnet B ? Et Malvy me dit « Ah je suis bien content que vous me parliez de cela n (Nouveaux rires.)


Ma foi, il n'y avait pas de quoi être si content de parler à un inscrit du carnet B à propos du carnet B.

« C'est ma préoccupation la plus vive. »

« Je lui dis. » ce je », c'est Almereyda « il ne faut arrêter personne ». C'est le mot d'ordre, il a été obéi.

« Si vous arrêtez les militants de la classe ouvrière. » Voilà, Messieurs, l'argument de M. Malvy les anarchistes, ces gens qui vous disent qu'ils n'ont pas de patrie, qu'il faut empêcher les soldats de partir pour la frontière, qu'il faut que le non-patriotisme entre en action, sont les mêmes qui se déclarent les militants de la classe ouvrière.

Vous pourrez chercher dans le dossier de M. Almereyda il n'a jamais été ouvrier de sa vie. On croit qu'il a été, pendant une semaine ou deux, apprenti photographe. (Rires.) Cela ne suffit pas pour faire un ouvrier.

« Les militants de la classe ouvrière » Alors je compris, moi innocent, pourquoi ici, à cette tribune, M. Malvy m'a dit « Vous allez porter la main sur la classe ouvrière. »

C'est la théorie des anarchistes, et cela pour une raison bien facile à comprendre. Si les antipatriotes faisaient une organisation d'antipatriotisme, il n'y viendrait personne. Alors que font-ils ? Ils entrent, sous couleur d'intérêt corporatif, ayant un métier plus ou moins vague, dans une organisation ouvrière. (C'est vrai!)

Et, lorsque nous voulons les poursuivre, on dit « Vous attaquez les corporations ouvrières. » Moi je réponds « Je veux les défendre » Ils se font des corporations ouvrières un bouclier (très bien!), mais un bouclier pour ceux qui ne veulent pas regarder au-delà, et je suis de ceux qui, surtout dans la situation où nous sommes aujourd'hui, prétendent qu'il faut regarder au-delà. De cela, les preuves abondent, j'en ai partout. Alors, nous enregistrons au passage cette bonne réponse de M. Almereyda

« Si vous arrêtez les militants de la classe ouvrière, c'est l'obligation pour notre presse de vous attaquer. »

Ah, ah cela devient grave, on attaquera Malvy (on rit) s'il ne défend pas les intérêts de la classe ouvrière.

« C'est le groupe parlementaire socialiste contre vous. » C'est une calomnie. « C'est la France coupée en deux. » Pour m'expliquer tout de suite, à propos des organisations


ouvrières, du groupe socialiste et des antipatriotes, je viens de vous les montrer entrant dans des corporations pour s'en faire un bouclier et partout à Faction, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure mais en rendre les corporations responsables, ce serait une folie la corporation ouvrière n'en est pas plus coupable que la Chambre ne peut l'être des exclamations de tel député, malgré les excentricités duquel nous demeurons enfaveur du régime parlementaire, de même que, malgré la présence d'antipatriotes dans les organisations ouvrières, nous demeurons les plus fermes soutiens de ces organisations. (Très bien !) M. Chéron (1) me rappelait l'autre jour que je suis le premier à avoir déposé un projet de loi sur les syndicats professionnels. J'avoue que je l'avais oublié je m'en vante d'ailleurs, mais je me vante surtout de pouvoir affirmer que jamais je ne songerai à porter atteinte à la patrie je la mets au-dessus de tout. Ce point écarté, je ne crois pas faire beaucoup de concessions à mes adversaires en disant qu'il ne faut toucher en rien aux libertés des syndicats ouvriers. (Très bien! très bien!) C'est la raison d'être de la démocratie. La démocratie, c'est le gouvernement du peuple par lui-même. Il faut bien dire que lorsque nous décrétions la démocratie, en la créant sur du papier, nous ne lui donnions pas la vie.

Il faut que l'éducation des hommes se fasse elle n'est possible que par la pratique. Nous avons le devoir de leur assurer la liberté contre les envahissements du pouvoir, mais aussi contre ceux de l'anarchie. (Applaudissements.)

Tout cela est superflu. Je suis attristé qu'on nous oblige à protester contre les intentions qu'on nous prête à l'égard de la liberté des syndicats ouvriers. Qui est-ce qui a jamais parlé de cela ?

M. Malvy est allé dire à la Chambre cc Nous ne mettrons pas des troupes dans les rues. »

Qui a réclamé cela ? On a pu croire que cette demande avait été faite au comité secret, qui venait justement d'avoir lieu. Or, on n'en a pas parlé, on n'en a pas dit un mot. Jamais nous ne permettrions pareille chose.

Vous voyez, Messieurs, que, chemin faisant, nous recueillons (1) Député du Calvados de 1906 à 1913, sénateur de 1913 à sa mort en 1936, il avait débuté au gouvernement comme sous-secrétaire d'Etat à la Guerre dans le cabinet Clemenceau du 25 octobre 1906.


cependant un certain nombre d'indications assez intéressantes sur la façon dont le carnet B a été mis de côté. Nous en verrons les résultats tout à l'heure.

Je vous assure, Messieurs, qu'en entrant dans ces détails, je n'ai d'autre pensée que celle de rendre service à mon pays. (Très bien l très bien !)

Je ne proposerai pas de vote contre le gouvernement. Je vous dirai comment je conçois l'issue de mon discours, mais je ne viens faire en aucune façon un acte politique. Je l'ai dit à M. Ribot avant-hier dans les couloirs « Vous êtes de tous les gouvernements, depuis le commencement de la guerre, celui qui m'inspire le plus de sympathie. » Je l'ai dit, je l'ai écrit, je suis prêt à le redire. (Applaudissements.)

Nous avons été pendant très longtemps à penser de façon très différente.

Permettez-moi de vous féliciter, Monsieur le Président du Conseil, d'avoir fait quelques pas vers nous il est possible que conscient ou inconscient j'en aie fait quelques-uns vers vous. L'homme absurde est celui qui ne change jamais. Ce n'est pas de façon ironique que je parle en ce moment, c'est dans la sincérité de mon âme.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je le crois.

M. CLEMENCEAU. Voulez-vous que je vous dise ce que je voudrais ? Ce jour serait le plus beau de ma vie si, en descendant de cette tribune, j'entendais M. Malvy, qui n'a pas à se plaindre de la République, venir ici nous dire « Messieurs, je me suis trompé, j'ai commis des erreurs, mais dans les conditions actuelles, je crois que je ne puis plus continuer ma tâche. » (Rire» et applaudissements sur un grand nombre de bancs.) Il n'y aurait là rien que d'honorable pour lui. (Nouveaux applaudissements.)

Je ne prétends pas que l'attitude contraire ne soit pas aussi honorable, M. Malvy a droit à sa liberté, mais je vous dis mon ambition.

Je reprends ma lecture

« Vous avez raison, me dit M. Malvy, mais si je n'arrête personne, si je fais confiance à tous ces enfants terribles de la démocratie et que, demain, j'aie une bombe ici, des sabotages ailleurs, quelle responsabilité! On n'a plus qu'à me coller au mur. »


M. Almereyda réplique, comme vous le pensez bien. « Un seul milieu échappe le directeur de la Sûreté est intervenu à l'acüon de M. Almereyda. » Vous voyez qu'il s'est présenté comme porte-parole de toutes ces organisations « et de ses amis dit M. Richard le milieu des anarchistes individualistes » c'est une espèce particulière d'anarchistes. « Non, pas d'exception, réplique M. Almereyda. Accordez-moi vingt-quatre heures et je vais voir ce milieu. Si dans les vingtquatre heures, je dis « Rien à craindre », promettez-moi de faire confiance à tout le monde. »

M. Malvy dit « C'est promis. »

Je comprends très bien qu'on n'applique pas le carnet B c'est une politique.

M. Ribot a dit qu'il la trouvait hasardeuse, je la trouve imprudente. Bien que ne connaissant pas les conditions particulières du carnet B au commencement de la guerre, j'aurais peut-être fait arrêter certains anarchistes. L'aurais-je fait ? je ne puis le dire. Il est trop facile de déplacer les responsabilités. J'aurais compris que M. Malvy en référât à des hommes politiques importants, les consultât et prît les décisions après entente avec ses collègues. Mais il en est tout autrement. Cela se passe entre lui et M. Almereyda.

M. Malvy donne vingt-quatre heures à M. Almereyda et l'investit de la qualité d'ambassadeur. M. Almereyda va trouver les anarchistes et leur dit « Voulez-vous que M. Malvy vous enferme demain ou préférez-vous qu'il vous laisse en liberté ? » (Rires.)

On devine la réponse. Voici le récit des négociations cc Je passai les vingt-quatre heures accordées, aidé de quelques amis, à sonder la conscience des individualistes. » Il fallait une sonde

« Après avoir obtenu de ceux qui étaient comme les directeurs de conscience de ce milieu, non seulement l'engagement d'honneur qu'ils ne se livreraient à aucun acte, délictueux ou hostile, mais encore qu'ils prenaient la responsabilité de leurs troupes, je revins à l'Intérieur et je dis à M. Malvy « C'est fait, « tout va bien. Je sais la gravité de ce que je vous demande. « Mais je n'hésite pas N'arrêtez personne. » M. Malvy répondit: « C'est bien, vous avez ma parole, je prends cela sur moi. » Que Ton ait appliqué ou non le carnet B, que M. Clemenceau


soit couvert ou non du sang de ses concitoyens, que l'on soit un grand homme d'État, à la condition de laisser ses mains dans ses poches et que l'on ait obtenu le succès dont a parlé M. Ribot, je l'accorderai, mais ce que je ne peux accorder, c'est qu'un gouvernement puisse prendre des décisions de cette importance avec une pareille procédure. Le Sénat, j'en suis sûr, sera de mon avis.

D'ailleurs, les relations se continuent et, dans un article, à quelque temps de là, je vois cette jolie scène. C'est un article intitulé « Notre guerre. »

« Hier soir, dit M. Almereyda, à six heures, je suis allé me mettre à la disposition du gouvernement. Dans l'impossibilité de joindre M. le Président du Conseil, j'ai dit à M. Malvy, ministre de l'Intérieur « Où faut-il s'enrôler ? »

Il suffisait de consulter un sergent de ville il n'y avait pas besoin de voir le ministre de l'Intérieur. Mais il avait des raisons pour le choisir.

« M. Malvy m'a dit « Pour le moment, des hommes comme « vous sont plus utiles à Paris qu'à la frontière je vous prie de « rester. » Je reste. A la minute où on me dira « Partez « pour où que ce soit », je répondrai « Présent. » »

J'ai là d'autres documents qui accentuent un peu cette situation, mais je n'insiste pas cela me paraît assez superflu. Pour aller jusqu'au bout dans cet ordre d'idées, après avoir signalé ces formations d'anarchistes, je suis obligé de rappeler qu'elles ont toujours existé en France et ailleurs.

Elles ont été tenues et organisées sous le gouvernement moral si j'ose me servir de ce mot des intellectuels de l'anarchie qui ne sont pas sur la carte B. Car certains appartiennent à des classes assez élevées, mais n'en sont pas moins redoutables, surtout quand ils adressent des manifestes aux tranchées pour recommander la formation de comités d'ouvriers et de soldats, comme en Russie.

Nous voici maintenant à l'action. Nous arrivons à ce mouvement, lancé au commencement de la guerre. Je ne suis pas prêt à condamner M. Malvy pour n'avoir pas mis le carnet B en fonction je prétends seulement qu'il ne faut pas, lorsqu'on s'est décidé à ne pas le faire fonctionner, le mettre dans un tiroir dont on jettera la clef dans la Seine. J'estime, au contraire, qu'il faut surveiller ces hommes de très près, et si l'un d'entre


eux revient, malgré la parole donnée à Almereyda., leur digne ambassadeur, s'il oublie et s'il recommence ses anciennes pratiques, alors l'amnistie ne doit plus jouer, et le moment est arrivé de lui mettre la main au collet.

Ceci, M. Malvy ne paraît pas l'avoir fait. J'ajoute, connaissant la question pour l'avoir suivie, que j'en ai parlé tout à fait à l'improviste à M. Malvy au comité secret. Je venais de recevoir, de gens que je ne connaissais d'ailleurs pas, les trois documents dont j'ai fait état. Mais, depuis lors, comme il arrive toujours après les comités secrets, j'ai reçu une affluence énorme de documents. M. Malvy a bien voulu me redemander ceux que je lui avais promis à la tribune et, pour tenir ma promesse, je lui ai restitué les trois dont je m'étais servi. Je na lui ai pas remis un grand rapport que j'avais apporté à la tribune, que je lui ai montré, sur la propagande pacifiste, lui faisant observer que j'aurais peut-être à m'en servir dans un intérêt national, Dans ma lettre, j'avais souligné le mot « national ». Le moment est venu; c'est ce que je fais aujourd'hui. (Très bien!) J'ai d'ailleurs un motif pour ne pas lui rendre ce rapport secret je connais au moins trois personnes qui le possèdent il y en a certainement d'autres. Par conséquent, malgré la petite leçon qu'a bien voulu me donner M. Malvy, comme homme de gouvernement, en me disant <c Vous ne pouvez vous approprier ces documents », je n'ai pas jugé utile de soutenir une conversation avec lui sur le rôle du gouvernement. Si je l'avais fait, je lui aurais rappelé qu'en février 1911, il a contribué renverser M. Briand avec un document qui lui avait été fourni par la police.

M. LE Ministre DE L'INTERIEUR. Je ne me suis servi que de documents qui m'avaient été fournis en ma qualité de rapporteur du budget au ministère de l'Intérieur.

M. Clemenceau. Moi, je m'en souviens très bien. Pour réveiller vos souvenirs, je vous engage à vous procurer le Journal officiel (1).

Nous arrivons à l'affaire des documents. Nous voilà devant la Commission de l'Armée. MM. Ribot et Malvy sont là. Naturellement, je ne demande pas la suite des rapports de la Sûreté, (1) n s'agit des lois relatives aux congrégations et de leur application quelque peu erratique. Aristide Briand, président du Conseil, est alors ministre de l'Inté-


puisque nous les avions, mais je demande les rapports mensuels des six derniers mois sur la propagande antipatriotique. M. Ribot nous l'accorde. J'avoue que, dès qu'il nous a dit « oui », je l'ai vu partir en me disant cc Demain, ce sera noxt, » (On rit.) C'est ce qui est arrive, Le lendemain, M. Ribot nous a écrit qu'il avait vu les rapports, mais qu'il ne pouvait pas nous les fournir parce que des noms étaient prononcés, que l'on ne pouvait pas jeter dans le public. J'ai été très surpris de cette réponse, parce que le ministre de la Guerre nous fournit, tous les jours, des documents d'une gravité infiniment plus haute, et dont le secret n'a jamais franchi les portes de la Commission de l'Armée.

M. Henry BÉRENGER. Très bxen

M. Clemenceau, J'avais une autre raison c'est que, comme tous les documents précédents, j'en ai été possesseur. (Sourires.) Je m'en suis donc servi, et ce qu'il y a d'admirable, c'est que, de ces documents secrets qu'on ne peut pas livrer à une commission, il n'y a rien à dire. Les noms qui sont prononcés là, ce sont ceux de tous les anarchistes, qui courent partout, que vous lisez dans tous les journaux les discours qu'on met dans leur bouche, ce sont ceux qu'ils y mettent tous les jours. Si j'avais voulu, j'aurais apporté des piles de papier et pu vous faire une lecture qui durerait des heures. Voilà tout le secret, il n'y en a pas d'autre Pourquoi ne veut-on pas nous les donner ? C'est qu'on constate des faits, des réunions, des actes, des discours, des excitations à la trahison, etc., et que la première question qui vient aux lèvres est celle-ci « Eh bien pourquoi n'a-t-on pas poursuivi ? »

C'est là la question douloureuse.

J'étais un enfant, moi, avec mes deux documents, et M. Malvy a bien dû rire en rentrant chez lui. quoiqu'on m'ait dit qu'il était fort en colère (pn rit.)

Mes deux documents Il y en avait des centaines et des milliers, et qui disaient tous la même chose Et la raison pour laquelle on nous les refuse, c'est simplement qu'il y a là une série de faits qui, en s'alignant, deviennent très éloquents et portent à demander « Pourquoi donc refuse-t-on de poursuivre des gens qui sont si visiblement en révolte contre les loie ? »


Messieurs, je vous ai lu les passages les plus importants. Mais c'était du passé. Si vous voulez, je vous ferai encore quelques brèves lectures (oui! oui!) parce qu'il faut que vous soyez bien convaincus de l'étendue de la plaie.

Nous ne nous occupons pas en ce moment des théories, comme on en voit dans les livres anarchistes, et où certains intellectuels peuvent trouver satisfaction il s'agit de l'action de cette propagande à l'intérieur et à l'avant, il faut donc en voir le point de départ. (Très bien!)

Je ne nommerai personne. J'ai nommé Almereyda il ne m'était pas facile de faire autrement, car c'était lui qui m'avait pris à partie. Si, sans le nommer, je vous avais lu tout l'article, vous auriez vu, en effet, qu'une partie de cet article se retournait contre moi. Almereyda me reprochait ma violence et ma brutalité je le comprends, je l'avais fait condamner à deux années de prison (Sourires.)

Rappelez-vous ce que je vous disais tout à l'heure Pas de carnet B Tous ces braves gens qui avaient dit « Surtout, n'appliquez pas le carnet B » qui avaient envoyé Almereyda négocier avec M. Malvy la suppression de ce carnet, se sont terrés. Ce fut l'un des bons résultats de l'opération de M. Malvy. S'il s'était agi simplement de faire une bonne mobilisation, c'était fini, mais la question n'était pas là. Il ne s'agissait pas seulement de faire une bonne mobilisation, mais encore de faire une bonne mobilisation pour avoir une bonne victoire. Or, pendant trois ans l'opération allait se prolonger et ces hommes, qui avaient reçu l'assurance qu'on ne les poursuivrait pas ces assurances furent répétées ont commencé, comme les rats de la fable, à mettre le museau hors du trou, puis, quand ils ont vu qu'ils pouvaient faire leurs petites manifestations, reprendre leurs groupements sans qu'on les poursuivît, naturellement, ils se sont enhardis.

La première trace de ce retour à l'offensive est du 22 novembre 1914. Je répète que j'ai résolu de ne donner aucun nom. « X. Parler de paix est le devoir qui incombe aux organisations ouvrières conscientes de leur rôle. »

Vous voyez la théorie. Ce sont les organisations ouvrières qui vont parler; mais nous, nous n'acceptons pas la thèse. Quand on nous dit « Il ne faut pas toucher aux militants de la classe ouvrière », nous répondons que les vrais représentants


de la classe ouvrière, ce sont ceux qui sont à l'atelier qui font leur devoir de travailleur, qui élèvent leurs enfants, et sortent du travail pour se rendre dans les réunions corporatives, publiques, politiques, où ils apportent l'opinion qui est la leur, et où ils exercent librement l'influence et l'autorité auxquelles les lois leur donnent droit. Ce sont ceux-là et non les autres. (Très bien! très bien!)

« La responsabilité des gouvernements français, anglais et russe n'est pas légère. Encore n'est-il pas établi que le gouvernement français ait tout fait pour sauvegarder la paix dans les derniers jours de juillet. » (Exclamations.)

M. Guilloteaux. L'abominable mensonge

M. Clemenceau. Vous voyez la tendance de ces hommes. Les voilà qui, d'abord, se tiennent près du gouvernement, dont M. Malvy fait partie puis, dès novembre 1914, ils commencent à lui dire « II n'est pas bien sûr que ce n'est pas vous qui avez provoqué la guerre » (Vives interruptions.)

M. Guilloteaux. Ce sont des Boches

M. CLEMENCEAU. c 4 janvier 1915. X. écrit à la confédération italienne pour la dissuader d'envoyer en France des ouvriers destinés à travailler dans les usines de guerre.

« X. ce jour-là, est à Lyon; il déclare que cette guerre ignoble et monstrueuse a été voulue et préparée par l'Angleterre depuis 1904. Les soldats français commettent autant d'atrocités que les soldats allemands. » (Vives exclamations.)

Vous entendez ? Voilà les gens

M. Hàlgân. Il faut leur couper le cou

M. Clemenceau. Je ne vais pas si loin.

Notre ami Debierre faisait tout à l'heure allusion à la Convention, et beaucoup de mes amis, autour de moi, semblaient prêts à faire tout ce qu'a fait la Convention je me suis réservé, parce que je n'ai pas pensé que ce fût absolument nécessaire. (Sourires.)

(t Les soldats français commettent autant d'atrocités que les soldats allemands. (Exclamations.) Le peuple allemand mérite la première place dans le monde pour ses qualités au point de vue social, économique et hygiénique. » (Nouvelles exclamations sur tous les bancs.)


Voilà ce qu'on écrit, en pleine guerre, quand nos soldats meurent dans les tranchées

M. Guigloteatjx. Qu'on l'exécute!

M. comté n'ELVA. II faut donner son nom!

M. CLEMENCEAU. Non, je ne donnerai pas son nom, car je ferais de la peine au ministre, que je ne nomme pas, et qui le reçoit encore aujourd'hui. (Mouvements divers.)

Un autre « On crie à bas la guerre que la République crève s'il le faut nous voulons la paix

M. MAI.VY, MINISTRE DE ii'lNXÉïŒmî. Voulez-vous me permettre un mot ?

M. CLEMENCEAU. Volontiers.

M. 1E Ministre. Vous venez de me dire qne je recevais la personne qui a tenu ces propos.

M. Clemenceau. Je n'ai pas dit cela et n'ai point parlé de vous. J'ai dit seulement que je ferais de la peine au ministre qui le reçoit aujourd'hui. Vous n'êtes pas seul ministre. C'est un argument de plus, vous le comprenez. (Sourires.)

Je vais vous dire pourquoi je ne nomme pas ce ministre. C'est certainement un excellent patriote, un homme qui rend les plus grands services aujourd'hui dans l'oeuvre de guerre (1). Seulement je voudrais bien son patriotisme n'en souffrirait pas qu'il se gardât de certaines intelligences, et je lui porte ce petit avis en passant. M. Malvy doit comprendre que, lorsque je l'ai mis en face d'Almereyda, je l'ài nommé, et que, lorsque je parlais d'un autre ministre, ce n'était pas à lui que je faisais allusion.

« Tout Français aurait dû répondre à l'ordre de mobilisation par la grève générale et l'insurrection. »

Vous voyez, Monsieur Ribot, que la grève générale et l'insurrection ont quelque chose à faire avec l'organisation de l'antipatriotisme.

Il aurait été tout à fait surprenant que ces gens, qui se sont constitués pour exploiter le mouvement ouvrier, restassent indifférents devant les grèves et qu'ils n'y prissent pas part. M. Malvy l'a dit et vous l'avez répété. Je lui montrerai (1) Allusion évidente à Albert Thomas, ministre de l'Armement et des Fabrications de guerre.


tout à l'heure qu'il s'est trompé de la manière la moins par- donnable pour un ministre de l'Intérieur j'en apporterai des preuves telles qu'il n'y aura pas de discussion possible.

16 juillet. Voici une autre déclaration aux ouvriers du bâtiment réunis à la bourse de X.

« Ils aimeraient mieux saigner un patron ou tous les gardiens de la paix français que de tuer un prolétaire allemand. » (Exclamations.)

M. LE COMTE D'ELVA. Ce sont des bandits, ces gens-Ià

M. Clemenceau. Voilà les gens avec lesquels on traite pour savoir si on fera ou non fonctionner le carnet B. Et pourquoi ne poursuit-on pas ?.

M. Malvy condamne ces paroles comme nous tous, il n'y a pas à ce sujet de discussion possible entre nous mais il ne poursuit pas, et voilà pourquoi je suis à cette tribune. (Très bien très bien!)

Voici une autre citation

« Je n'ai pas de patrie, et vivre sous la botte prussienne ou sous la botte française m'est indifférent. »

Le 5 novembre, à la Fédération, un douanier dont le préfet des Bouches-du-Rhône a demandé le déplacement au ministre de l'Intérieur, qui ne le lui a pas accordé n'a pas hésité à combattre le retour à la France de l'Alsace et de la Lorraine et à préconiser la paix immédiate.

Ainsi, voilà un fonctionnaire qui prononce ces abominables paroles le préfet demande simplement son déplacement, il ne demande pas sa révocation moi je l'aurais demandée et même plus encore et le ministre de l'Intérieur la refuse Il en va de même pour plusieurs autres fonctionnaires. J'ai ici les noms et je les donnerai si cela devient nécessaire. Voilà, par exemple, un instituteur d'un département de l'Ouest contre lequel le préfet a demandé en vain une sanction disciplinaire. Naturellement, il y a des fonctionnaires mêlés à cette affaire.

Je passe toutes ces citations c'est tout ce que j'ai trouvé dans ces fameux rapports dont on nous a refusé communication, vous voyez maintenant pourquoi.

Ces faits, je tiens à les porter à la tribune. Si l'on m'avait obligé à parler en comité secret, j'aurais préféré garder le


silence je suis ici, non seulement pour parler au Sénat, mais pour parler au pays. (Applaudissements.)

On aurait voulu nous mettre en conflit avec la Chambre dans cette affaire les événements ne l'ont pas permis, parce que ceux qui avaient acclamé M. Malvy ont été conduits à ne pas lui donner leur voix.

De la sorte, il. n'y a pas de danger d'arriver à un conflit avec la Chambre que je suis d'ailleurs bien loin de chercher. Je reconnais très nettement sa suprématie constitutionnelle sur le Sénat.

M. Henry BÉRENGFN. Très bien

M. CLEMENCEAU. La démocratie ne serait rien sans le régime parlementaire.

Le parlementarisme, avec tous ses défauts et ils sont innombrables a de grandes qualités. Il est perfectible, plus que la royauté. Je crois que le Parlement est le plus grand organisme qu'on ait inventé encore pour commettre des erreurs politiques (on rit), mais elles ont l'avantage supérieur d'être réparables, et ce, dès que le pays en a la volonté. (Très bien!J Nous nous trompons tous hommes politiques, fonctionnaires, médecins, avocats, journalistes. Nous sommes tous dans l'erreur. Cela ne signifie rien, car il y a un moyen de redresser l'erreur dès qu'elle est perçue et le pays peut être conduit sans secousse à ses justes destinées. Or, quand il s'agit du peuple français, celui qui prononce les infâmes paroles que j'ai rapportées tout à l'heure commet un crime, non seulement contre sa patrie, qu'il n'est pas même digne de comprendre, mais contre l'humanité elle-même (Vifs applaudissements.) Je voudrais abréger. (Parlexl parlez!) Ce discours est un peu décousu, mais vous reconstruirez le tableau d'ensemble. Je vois dans mes papiers un nom que je ne veux pas citer celui d'un de ceux qui ont prononcé ces paroles abominables. Cet homme a récemment publié une brochure qu'il a signée, avec son adresse. Vous pensez peut-être qu'il a été poursuivi ? Pas du tout. Pourquoi ? On ne peut pas le dire

Un jour, j'ai demandé une répression contre une feuille ignoble. On a répondu « Nous ne pouvons pas saisir cette feuille, nous ne savons pas où la prendre. »

Je suis allé à mon journal et j'ai dit au garçon de bureau


a Allez, à telle adresse, chercher la feuille. » Il me l'a rapportée immédiatement. Donc, cette feuille que M. Malvy ne peut pas saisir, moi, pour un sou et par l'entremise de mon garçon de bureau, je me la suis procurée sans difficulté (Rires.)

Ce sont de petits faits, mais quand ils vont s'être suffisamment accumulés, quand vous aurez vu où cela nous conduit, je pense que vous serez obligés de partager mon opinion. En tout cas, si vous ne la partagez pas, j'aurai, du meilleur de mon cœur, fait tout ce que j'aurai pu pour obtenir ce résultat. Voici une citation que je veux vous faire parce que c'est certainement une des plus ignobles. Elle est toujours du visiteur de mon ami le ministre. Il parle du régime imposé aux populations par l'occupation française, anglaise et allemande, à propos du maire de Roubaix, et il dit

« C'est encore le régime allemand qui est le meilleur. En ce moment peut-être, il devient dur par suite des privations causées par le blocus, mais en général tout ce qu'on raconte est exagéré. D'après certaines conversations avec des évacués d'Allemagne, ce ne sont pas les Allemands qui rendent la vie dure aux prisonniers, mais les propres officiers et sous-officiers de ces derniers. » (Exclamations.)

Si l'on veut obtenir le résultat que nous proposait tout à l'heure M. Painlevé, si l'on veut faire de l'ordre dans ce pays, non pas à la manière des anciennes monarchies, mais un ordre consenti, individuel, que chacun s'impose à lui-même, il faut prendre le soin de laisser en toutes les têtes les idées échelonnées à la place où elles doivent être. Il ne faut pas permettre que des malheureux je ne peux pas les appeler. autrement ils ne sont même pas dignes du nom de criminels que des malheureux viennent porter de tels ravages dans l'esprit d'hommes qui offrent leur vie pour sauver leur pays, leur foyer, cette chose dont nous sommes encore porteurs la grande histoire de France.

Il ne s'agit pas de se faire massacrer. Ce n'est pas cela. Il faut vaincre et ne pas être vaincus. (Applaudissements.) Or, savez-vous ce que c'est que le courage ? Ce n'est pas de s'en aller tout seul, les mains dans les poches, devant une foule qui a des fusils. J'ai vu cela dans mes mauvais jours le courage, c'est, assis dans son bureau, avec une plume et du papier, de se poser continuellement la question du devoir à remplir, de ce


qu'on doit faire; c'est, non de consulter celui-ci ou celui-là, ou tel intérêt particulier de groupe ou de circonstance, d'écouter telle ou telle voix, mais d'aller tout droit devant soi. On doit en souffrir, on sera haï, détesté, méprisé, on recevra de la boue, on n'aura pas d'applaudissements. Mais il faut savoir choisir entre les applaudissements d'aujourd'hui, qui sont d'un certain prix; et ceux qu'on se donne à soi-même quand, avant de rentrer dans le néant, on peut se dire Jrai donné à mon pays tout ce que je pouvais. )1 (Nouveaux applaudissements.) Et maintenant nous voici dans les grèves.

De même que c'était M. Malvy qui avait créé l'affaire du carnet B, c'est M. Malvy qui a évoqué à la tribune la question des grèves pour se donner la gloire de dure « .Ah ce pauvre Lloyd George, il a beaucoup de peine avec les grèves, tandis que moi Malvy, d'accord avec mon ami Almereyda, en supprimant le carnet B, j'ai obtenu des résultats admirables.

Avec une sérénité ingénue, à laquelle je rends hommage, il é, donné des chiffres qui n'ont aucune autorité. Personne ne sait où il les a pris et lui non plus ils n'ont d'ailleurs aucun intérêt, car nous sommes ici pour nous occuper de nous-mêmes les Anglais feront leur devoir par leurs moyens, suivant leurs coutumes, leurs préjugés, leurs préventions, leurs habitudes. Quant à nous, nous devons agir avec tout ce qui entre dans le monde des réflexes et des actes conscients, en mettant en oeuvre notre grand devoir envers la patrie.

Dans les grèves, disait M. Ribot, il n'y a pas de mouvement révolutionnaire. Je vais faire le contraire de ce que font les avocats je vais commencer par donner la preuve finale. Ce n'est pas logique, mais cela répond mieux à la forme de ma pensée en ce moment.

Je déclare qu'à la Commission de l'Armée, M. le Ministre de la Guerre a prononcé des paroles que je ne veux pas rêprôduire, que je ne reproduirais même pas en comité secret, mais il a établi sans contestation possible qu'il y a la plus irréfutable corrélation entre les grèves et l'action purement militaire. Personne ne peut me démentir, pas un membre de la Commission de l'Armée, M. le Ministre de la Guerre pas davantage. C'est un accès de franchise dont, pour ma part, je lui sais gré. Il a bien fait, nous ne sommes pas des gens à en abuser mais ce que nous ne voulons pas, c'est que M. le Président du


Conseil vienne dite. (M. le Ministre de la Guerre fait un geste de dénégation.)

Comment, vous n'avez pas dit aela

Vous êtes comme moi, vous avez la mémoire courte c'est un effet des ans. Ah vous ne l'avez pas dit J'avais tout prévu excepté cela (Sourires.)

C'est ennuyeux parce que vous allez me faire perdre du temps si, pendant que je continue, un de mes amis voulait avoir la complaisance de rechercher dans le Journal officiel le passage du discours de M. Ribot, il est marqué.

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Vous avez dit ce A la Commission de l'Armée.

M. Clemenceau. Non, non, c'est à la Chambre

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Ah bien.

M. Clemenceau. La langue m'a fourché. Au reste vous auriez pu c'est assez naturel dire à la Commission de l'Armée la même chose que vous avez dite à la Chambre. Même chez un président du Conseil ce serait excusable. (Rires.) M. LE Président DU CONSEIL. Je n'ai rien à retirer de ce que j'ai dit. M. CLEMENCE:AU. Si M. Ribot estime qu'il n'y a pas de corrélation entre la révolution et les grèves, M. Gustave Hervé, dans ce bel article intitulé « Vivent les Marocains », publié au moment de l'expédition de Casablanca, écrivait

« Quant à nous, les sans-patrie de France, puisque nous sommes encore impuissants à provoquer dans les ports de France et d'Algérie une grève des dockers, des inscrits maritimes pour vous empêcher de vous rendre sur le théâtre de vos exploits puisque nous ne pouvons encore obtenir de la classe ouvrière française qu'elle proclame la grève générale pour protester contre vos brigandages, il ne nous reste qu'à vous souhaiter d'être reçus là-bas comme vos congénères italiens furent reçus, il y a dix ans, dans les montagnes d'Abyssinie par les troupes du Négus ou de crever par milliers sur les routes du Maroc comme crevèrent naguère vos aînés sur les routes de Madagascar. »

M. Charles Riou. Quelle date ?

M. Clemenceau. Le 13 août 1907, au moment de l'expédition marocaine.


Tenez, Monsieur le Président du Conseil, je retrouve votre déclaration devant la Chambre

« Il n'y a pas d'élément révolutionnaire dans les grèves, disiez-vous, c'est une chose remarquable que tous ces conflits du travail n'ont été provoqués que par le besoin d'ajuster les salaires aux nécessités de la vie et n'ont pas été suscités par des pensées de révolution et d'insurrection sociale. »

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Eh bien Oui.

M. Clemenceau. Comment pouvez-vous dire « Eh bien oui », alors qu'il suffirait de produire un certain événement dans un endroit donné pour que des grèves se produisent sur une grande étendue, il faut faire attention que le ministre de la Guerre et le président du Conseil ne sont pas tenus de prononcer des paroles incohérentes, il faut qu'elles s'accordent. En tout cas, la thèse que vous souteniez ne se justifie pas par les faits. Quant à celle du ministre de la Guerre elle est malheureusement trop justifiée par eux.

Vous les avez connus, ces mouvements de grève vous avez eu là-dessus les notes de vos préfets. Voici des notes qui sont prises sur quelques documents convenablement expurgés que M. le Ministre de l'Intérieur a consenti, avec tant de difficultés, à confier à la Commission de l'Armée.

L'un d'eux a pour titre « Réponse à la circulaire du ministre de l'Intérieur du 10 juin 1917 demandant un rapport circonstancié sur la situation de chaque département au double point de vue de l'état d'esprit de la population et du mouvement social. »

Messieurs, naturellement, la manière de. comment dirais-je pour ne froisser personne ?. la manière de côtoyer la vérité en se gardant de s'en tenir trop proche (sourires), c'est de prendre un fait particulier et de lui donner une extension générale.

Est-ce que j'ai nié qu'il y avait des mouvements économiques dans les grèves ?

Vous parlez de la cherté de la vie pour expliquer les grèves» M. Malvy a exercé une influence conciliante excellente, à laquelle je rends un sincère hommage il a fait, dans cette partie de son département, son devoir, je m'empresse de le reconnaître.


Mais ces difficultés de la vie chère, dès que vous les avez vues venir, n'auriez-vous pas dû les prévenir, n'auriez-vous pas dû prendre l'initiative des accords qui ont été passés Vous ne l'avez pas fait.

A côté de ce reproche léger, il y en a d'autres que j'ai à vous adresser.

Dans les usines, à côté des ouvriers, il y a des soldats qui ont quitté leur fusil et qui travaillent. Si la loi était strictement respectée, vous savez quel serait leur salaire et vous savez quel il est. Je ne vous fais de cela aucun reproche, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Seulement vous ne pouvez pas empêcher que j'aie recueilli dans les tranchées, lorsque j'y, ai passé, des paroles redoutables qui feront sentir leur influence plus tard. Tâchons d'éviter que ces divisions ne s'agrandissent, préparons la conciliation de tous quand le moment sera venu et, pour cela, ne favorisons pas les entrepreneurs d'anarchie qui commencent par semer l'indiscipline parmi des hommes qui sont des soldats, soumis théoriquement à la discipline militaire et qui se laissent parfois entraîner à aller dans des réunions à la porte des ateliers, dans les établissements de l'État pour y entendre les paroles d'un de ceux dont j'ai parlé.

Il n'y avait, direz-vous, que vingt-cinq mobilisés dans cette réunion. C'était encore trop.

Ah Messieurs, j'aurais voulu que vous entendiez M. le Ministre de l'Intérieur, à la Commission de l'Armée, parler de cette réunion. L'anarchiste qui se rendait à Z. pour y prendre la parole était suivi par la police. C'était une chance, peut-être la seule. Seulement, vous ne devineriez pas ce qu'a fait la police elle a conduit cet homme jusqu'à la gare où il devait s'embarquer, puis elle lui a donné un coup de chapeau. (Sourires.) Et M. Malvy de dire « L'agent ne pouvait pas deviner où il allait. »

N'était-ce pas pour savoir où il allait qu'on l'avait mis aux trousses de cet anarchiste ?

L'homme a fait la réunion dans un établissement de l'État des mobilisés y ont entendu les pires propos aucune poursuite, rien L'agent de police avait lâché son anarchiste et le ministre de l'Intérieur lâchait son agent de police (Rires.) Ce n'est pas une manière de gouverner.

Il y a une autre partie du problème ce sont les usines qui


travaillent pour l'état. Les hommes qui travaillent pour l'État sont soumis, comme nous tous, à des obligations morales. Il est évident qu'il faut largement leur assurer la rémunération qui leur est due. Jamais vous ne m'arracherez une autre parole. Mais, en même temps, ils doivent penser que leur temps est précieux ils doivent donner une pensée à ceux qui sont au combat il doit y avoir pour eux une discipline morale et je vous le répète, Monsieur le Ministre de la Guerre, cette discipline morale ne résultera que du fait que l'ordre sera spontanément maintenu dans toutes les parties de la population française.

Pour cela, vous devez donner l'exemple du courage. Beaucoup de ces gens se sont laissé entraîner. H y a des malheureux, dont je ne veux pas dire l'affreuse histoire, qui ont payé de leur vie le crime des autres il y a des hommes qui ont souffert, et quand j'entends dire cc Notre politique de paix n'a pas fait couler de sang », je réponds « Elle en a fait couler plus que n'aurait fait l'autre. » Si vous me le demandez, j'apporterai ici les cadavres, en séance secrète, bien entendu. La liste en est au ministère de la Guerre,,»

M. LE MINISTRE DE la GUERRE. Oui, la liste est au ministère de la Guerre, mais; heureusement, elle est courte (1).

M. CLEMENCEAU. Que voulez-vous me faire dire à moi, dont vous connaissez les opinions ?

Qu'il ne fallait pas sévir ? Croyez-vous que ce soit là ma thèse vous savez bien le contraire. Seulement, je dis qu'il y a des hommes qui, subissant leurs peines, ont déclaré qu'ils avaient été les victimes d'une abominable propagande. Il y a quelques-uns de ces hommes qu'il fallait frapper, qui trouvaient moyen de mourir encore dans la grandeur, pour leur pays. (Applaudissements.)

Il n'y a pas d'éléments révolutionnaires dans les usines ? Nous allons le voir.

Le préfet de l'Oise dit qu'à. (je ne dis pas où) on lui a fait connaître que tel homme (il le nomme) a fait savoir aux ouvriers mobilisés qu'il avait la promesse formelle du contrôle qu'aucun mobilisé ne serait envoyé au front pour fait de grève ou action (1) Il s'agit des mutins condamnés par des cours martiales et fusillés en


syndicale et que les fautes graves entraîneraient simplement un changement d'usine.

Yoilà c'est comme cela que vous voulez mettre l'ordre dans les usines.

Et voici un autre exemple

Le contrôle a éloigné, en avril, d'un syndicat métallurgiste l'ouvrier X. qui en était l'âme et qui résistait avec succès aux éléments les plus violents.

Quand un homme trouve dans son cœur, dans sa générosité native, le courage de résister à ces excitations, on le frappe, on le punit, on l'envoie dans une autre usine.

J'aurais pu lire le rapport de M. Lallemand (1). (Lisez! Usez !)

Je me borne à lire celui de M. Rault, le préfet de Lyon « Je vous avais prévenu que sous certaines influences que je vous avais signalées, une désagrégation lente s'opérait et, dans mon rapport du 18 mai, adressé sous le timbre du cabinet, je vous disais comme conclusion

« Si je suis obligé d'insister, c'est que j'ai l'impression très nette qu'une agitation couve sourdement dans certains milieux de la ville et de la banlieue, que nous pourrions être à la veille d'incidents sérieux et que j'ai le devoir de dégager vis-à-vis du gouvernement ma responsabilité.

« Les mouvements de grèves qui se sont produits à Paris ont précipité les événements. L'union des syndicats, groupement dissident de la C.G.T., dont l'anarchiste X. est le secrétaire, secondé par X. etc., a profité des incidents de Paris pour déclencher le mouvement gréviste. Voyez le rapport entre le mouvement gréviste et le mouvement révolutionnaire c'est la même chose Dès la première heure, il m'est apparu qu'il ne s'agissait pas seulement de revendications ouvrières, mais que les directeurs du mouvement espéraient profiter des circonstances pour créer un courant d'opinion pacifiste. » Est-ce clair ? Comment peut-on dire qu'il n'y avait pas de concordance entre le mouvement pacifiste et certaines grèves ? Je ne condamne pas les grèves en elles-mêmes je ne condamne pas celles qui ont eu lieu je n'entre dans l'examen d'aucune ce n'est pas mon affaire. Le droit de grève doit rester intact, (1) Préfet de la Loire.


mais le droit de grève n'est pas le droit à l'internationalisme sans patrie 1

Je vous demande pardon de m'étendre sur ces pointe mais, sans juger les grèves en soi, on peut dire que la plupart avaient leur raison d'être. Ce que je ne puis admettre, par contre, c'est qu'il s'y soit introduit des éléments anarchistes, antipatriotiques. Les rapports des préfets le proclament. La preuve étant suffisamment faite sur ce point, il me paraît inutile d'insister.

J'arrive à la question des brochures.

M. LE MINISTRE DE LA Guerre. Me permettrez-vous de dire un mot ? Vous avez fait allusion à des paroles que j'aurais prononcées à la Commission de l'Armée et sur lesquelles, disiez-vous, vous préfériez ne pas vous étendre, ni en séance publique, ni en comité secret.

J'aurais affirmé que des incidents militaires qu'il est inutile de préciser avaient été en partie provoqués par le caractère révolutionnaire de certaines grèves.

J'ai cherché, en rappelant mes souvenirs, quelles paroles prononcées par moi pouvaient justifier votre interprétation.

Je ne trouve qu'un incident auquel vous puissiez faire allusion. Permettez-moi d'ailleurs d'observer que les quelques mots que j'ai prononcés à ce sujet ne conduisent pas à la conclusion que vous en avez tirée. Il s'agissait de mesures dont la sévérité s'expliquait par la nature même de certains incidents. J'ai voulu en atténuer la rigueur. Pourquoi ? d'abord, parce que longtemps retardées, elles ne pouvaient plus avoir le caractère d'exemplarité qui aurait pu les rendre nécessaires.

D'autre part, elles coincidaient avec une période d'agitation très sérieuse des milieux ouvriers dans une certaine région de la France, agitation provoquée, du reste, par des causes purement économiques.

La meilleure preuve c'est que, d'accord avec le Service de l'Armement et le ministre de l'Intérieur, je suis parvenu à la calmer par des mesures purement économiques. Mais à ce moment, cette agitation était extrême, et si les mesures sévères dont j'ai parlé avaient été prises et connues, ce n'est pas l'apaisement que nous aurions obtenu, mais la révolte.

Voilà exactement de quoi il a été question. J'ai tenu à préciser pour qu'il n'y eût aucun malentendu entre M. Clemenceau et moi-même. (Très bien: !)

M. Clemenceau. Monsieur le Ministre de la Guerre, il y a un malentendu parce que.

M. LE Ministre DE LA GUERRE. Est-ce bien à cet incident que vous faites allusion ?

M. CLEMENCEAU. Oui, mais il y a un malentendu, parce que vous ne nous avez pas dit un mot de tout cela. (Mouvements divers.) Je sais très bien ce que je dis vous nous avez dit de la


façon la plus nette qu'il y avait une relation je ne veux pas citer la phrase, je la citerai s'il le faut en comité secret entre la décision que vous avez prise et le mouvement gréviste, dans un endroit déterminé. Vous n'êtes pas entré du tout dans les considérations que vous venez d'exposer c'est une interprétation que vous donnez à quinze jours d'intervalle et c'est votre droit mais je ne sais pas si elle était dans votre pensée à ce moment-là. Ce que j'affirme, c'est que, dans une phrase qui a trois lignes, vous avez établi la connexion la plus directe entre l'abandon d'un châtiment et des éléments de grèves, et si le mot de M. Ribot avait été exact, votre parole n'aurait pas eu de sens.

Ne m'obligez donc pas à insister.

Je vois que M. Bérenger a la phrase. On peut la montrer. M. LE MINISTRE DE LA GUERRE. Monsieur le Président, permettezmoi. (Parlez parlez!)

Plusieurs sénateurs. Vous êtes d'accord.

M. LE Ministre. Nous sommes d'accord au fond.

M. CLEMENCEAU. Si nous sommes d'accord au fond, moi je ne m'en suis pas aperçu.

En tout cas, je maintiens chaque mot que j'ai prononcé, avec chaque virgule et chaque iota, rien de plus et rien de moins. z De ces abominables brochures qu'on laisse envoyer aux tranchées, qui arrivent par ballots, que les officiers ne peuvent pas arrêter, je ne veux vous citer qu'un seul passage, car il est permis de les juger et nous sommes en droit de dire à M. le Ministre de l'Intérieur « Pourquoi n'arrêtez-vous pas cette propagande ? »

On nous a promis une loi sur des contraventions en matière d'imprimerie. Vous dites qu'avec cette loi vous pourrez agir parce que vous serez armés. Mais avec le Code pénal et l'état de siège, vous êtes déjà plus armés qu'il n'est nécessaire. M. René VmANl, garde des sceaux, ministre de la Justice. Je suis de votre avis, mais le projet vise autre chose.

M. Clemenceau. Ah si vous êtes de mon avis.

M. LE GARDE DES SCEAUX. Permettez-moi de dire puisque vous me mettez en cause, que je suis tout à fait de votre avis. Toutes les fois qu'un tract tombe sous l'application de la loi du 4 août 1914, il m'importe fort peu que l'imprimeur ait signé ou donné un nom faux, car je considère qu'aux termes de l'article 59 du Code pénal, celui qui prête aide et assistance est co-auteur.


M. CLEMENCEAU. C'est la condamnation de M. Malvy. M. IE GARDE DES ScEAUx. C'est le cas de l'imprimeur qui prête ses presses. Et sans vouloir violenter la volonté des juges, je considère que de l'imprimeur qui a prêté ses presses sans donner son nom, et de l'homme qui a distribué le tract, l'imprimeur est plus coupable, parce qu'il se cache, que celui qui a distribué. Le projet de loi que nous avons déposé prévoit l'absence du nom de l'imprimeur pour des tracts qui ne tomberaient pas exactement sous la loi du 5 août ou qui n'en seraient pas moins dangereux, qui font allusion à des propagandes sur lesquelles je me suis expliqué devant la Commission de la Législation civile. C'est précisément parce que sur ce point la loi du 5 août ne suffit pas que j'ai demandé à la Chambre et demanderai au Sénat des armes.

M. CLEMENCEAU. Il n'y a aucun intérêt, quand un homme commet un crime passible de la peine de mort, à le poursuivre pour une contravention de 15 francs. La peine peut même descendre plus bas, car il y a un article qui dit qu'on ne descendra pas au-dessous de la dernière peine de simple police, qui est, je crois, de 1 franc.

M. LE GARDE DES Sceaux. La loi prévoit qu'on peut condamner à deux ans de prison.

M. CLEMENCEAU. Il y a la loi Bérenger.

M. LE Garde DES ScEAUx. et les circonstances atténuantes sont prévues, même pour le parricide et la trahison.

M. CLEMENCEAU. Ne me faites pas dire le contraire de ce que j'ai dit. Il semblerait que j'ai demandé la peine de mort. Je demande l'application des lois. Nous sommes en l'an de grâce 1917. Les gouvernements précédents ont réprimé l'anarchie, vous ne l'avez pas fait je vous en demande compte aujourd'hui. (Très bien! très bien!)

Nous sommes en temps de guerre, les Allemands sont à Saint-Quentin, le moral de certaines parties de la population a été ébranlé, et vous venez nous raconter des histoires de 15 francs à 300 francs d'amende (Vifs et nombreux applaudissements.)

Je continue. Voici un passage de ces brochures

« Les soldats de tous les pays en guerre doivent suivre le conseil que leur a donné Liebknecht (1) lorsqu'il leur proposa de retourner leurs armes contre leur propre gouvernement. » (1) Socialiste allemand, ami de Karl Marx, il avait protesté contre l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. Député au Reichstag depuis 1874, Il y témoigna d'une violente opposition à la société capitaliste.


Voilà ce que nos soldats reçoivent dans les tranchées « Les ouvriers doivent, les armes à la main, briser la puissance de l'état bureaucratique et militariste, renverser leurs gouvernements. Après avoir arrêté les membres des Pouvoirs publics, ils devront former un gouvernement composé des représentants du prolétariat. ces gouvernements ouvriers devront s'emparer de toutes les banques, de toutes les entreprises de quelque importance et instaurer, avec une énergie égale à celle que déploient les capitalistes à l'heure actuelle, la « mobili« sation prolétarienne o. Ce n'est pas en vain que dans tous les pays, les crimes apprennent à manier les armes. Si, en 1912 (1), des paysans serbes et bulgares, des agriculteurs ont pu hâter la fin de la guerre en fusillant les officiers, les ouvriers français, allemands, anglais, etc., qui certainement sont mille fois plus conscients que ces paysans, pourront le faire aussi. » (Vives exclamations.)

Voilà ce qu'on laisse distribuer Je crois que, même quand il n'y a pas de nom d'imprimeur, on peut atteindre les militants. Tout à l'heure, je vous montrerai, par un seul fait récent il remonte à quatre jours ce qu'on fait lorsqu'on connaît le domicile d'un délinquant, d'un des plus connus, et qu'on s'arrange de manière à lui donner le temps de s'échapper. (Mouvement.)

Je ne le dirais pas si je n'étais pas en état de le prouver. Et alors, on me demande quelles sont les répercussions sur le front ? J'ai honte de répondre à cette question.

Comment le front et l'arrière sont en relations tous les jours par les trains de permissionnaires qui vont et qui viennent. Les permissionnaires circulent, causent avec tout le monde, prennent part à la vie commune, et il y aurait une barrière que personne ne pourrait franchir, et on nous a dit sérieusement que cette propagande était sans effet ?

Ah Messieurs, ce n'est pas l'avis de tout le monde. Ce n'est pas l'avis des généraux. Ils ne m'ont pas chargé de parler en leur nom, je n'ai aucun droit à cet égard. Ce n'est pas non plus l'avis des soldats. Je vais sur le front, quelquefois j'essaie de causer avec tout le monde, mais je ne donne de leçon de stratégie à personne je ne donne pas de conseils j'écoute. (1) Lors de la guerre des Etats balkaniques contre l'Empire ottoman.


Je regarde bien les yeux dans les yeux les hommes que je rencontre. Dernièrement, cela a été un réconfort pour moi, je suis allé à Reims. J'ai passé dans un village qui s'appelle Ville-enTardenois. Comme j'aime bien à regarder les soldats, à voir comment ils vivent, comment ils se comportent, j'ai regardé de très près ce village comme s'il avait un intérêt il n'en avait pas. Le lendemain, à Paris, j'ai appris que ces mêmes hommes, que j'avais vus rieurs, jouant entre eux, camarades avec leurs officiers, trimant sur les routes ou bien se reposant, étaient des enfants qui avaient eu un fâcheux mouvement d'impatience, la veille (1). Je ne veux donc pas essayer d'attacher plus d'importance qu'il ne faut à ces événements, mais il faut bien se garder de ne pas leur en donner assez.

En Russie, les antipatriotes sont allés jusqu'au bout de leur métier ils ont provoqué à l'insurrection et ils ont réussi ils seront châtiés.

Le gouvernement russe, en la personne de son chef, que vous ne trouverez peut-être pas libéral (2), fera tout son devoir. Il a publié une proclamation dans laquelle il a déclaré qu'il appréhenderait et saisirait au corps tous ceux qui pousseraient au mépris des lois. (Vifs applaudissements.)

Celui-là, nous savons qu'il fera son devoir, nous en sommes sûrs il ne l'aurait pas écrit sur les murs, que nous aurions encore confiance. (Très bien très bien!)

Si nous ne faisions pas notre devoir nous-mêmes, si quelqu'un s'oubliait jusqu'à dire « Il y a eu un mouvement d'impatience c'est fini, maintenant n'en parlons plus », il commettrait la plus grande faute. C'est une leçon que nous avons reçue. Il ne faut permettre à aucun prix qu'elle soit perdue (très bien très bien!), et c'est l'unique pensée qui m'a décidé à monter à cette tribune et à me mettre en opposition avec M. le Ministre de l'Intérieur.

A cet égard, les paroles de M. le Ministre de la Guerre, comme celles de M. le Président du Conseil, à la Chambre, m'ont donné pleine satisfaction. J'en demande pardon à M. Malvy, mais les déclarations analogues qu'il me fera ne me (1) Ils avalent chahuté leur colonel trop strict sur la tenue de ses hommes au cantonnement.

(2) L'orateur veut dire que le prince Lvoff, connu comme libéral, se verra contraint à des mesures autoritaires.


satisferont pas. Pourquoi ? Parce qu'il y a trois ans d'expérience. Le cas est différent.

Vous avez, Monsieur le Ministre, parmi vos collègues, des gens qui ont été plus ou moins mes amis (1), et que je crois susceptibles de reconnaître leurs erreurs et de les réparer. C'est une affaire entendue. Je ne sais pas si vous reconnaîtrez vos erreurs et si vous essaierez de les réparer, mais trois ans d'expérience m'ont montré que, si vous le vouliez, vous n'êtes pas en état de le faire. Voilà pourquoi je suis à la tribune.

En somme, qu'est-il arrivé ? Il est arrivé du désordre dans les gares, dans les trains de permissionnaires.

Il y a ici des collègues qui me disent « Cette propagande n'a pas eu de résultats sur le front. » N'ont-ils donc pas vu ces trains de permissionnaires, n'ont-ils pas entendu ces cris qui ont jailli des portières, simplement pour nous dire la chose la plus désagréable qu'on pût nous dire, ces cris qui sont les mêmes que ceux qu'on retrouve dans les brochures ?

Pourquoi nous disaient-ils « A Stockholm » (2), sans rien savoir des affaires de Stockholm ? Ils voulaient dire au gouvernement, aux députés « Faites la paix. »

Messieurs, si les circonstances eussent été telles qu'on eût pu parler de paix et se promettre que, une fois la paix signée, nous eussions pu nous regarder d'une façon honorable en disant « La France est sauvée », nous la ferions. (Très bien, très bien!)

Si le gouvernement que j'approuve cent fois, mille fois, a répondu très noblement, au nom du pays, c'est que nous savons, nous et ils le sauraient, eux, s'ils le voulaient qu'il était impossible d'aller à Stockholm, parce que c'était un piège qu'on nous tendait. (Vifs applaudissements.)

Messieurs, comme les choses générales sont souvent illustrées par les incidents particuliers, je vais maintenant vous citer un fait qui m'est arrivé, il y a quelques jours. J'étais à mon journal, un soldat s'annonce. Je ne veux pas vous dire comment, mais je puis dire qu'il s'est fait annoncer de la façon la plus révoltante au point de vue patriotique. Je l'ai fait entrer. J'ai (1) Alexandre Ribot, Léon Bourgeois, Paul Painlevé.

(2) Lieu d'une conférence socialiste internationale en vue d'une paix sans annexions. Le gouvernement français refuse de donner les passeports nécessaires aux délégués de notre pays.


vu un jeune garçon blond, un homme du Nord, pas alcoolique du tout, le regard très clair et de bonne humeur. Je lui ai demandé ce qu'il faisait. Il m'a répondu qu'il était jardinier près de Sceaux.

Je lui ai dit « Qu'est-ce que vous me voulez ? » Il m'a répondu « Je veux faire la révolution » (Sourires.)

Je lui ai déclaré « Je l'ai faite, moi aussi, dans ma jeunesse. (Rires.) Contez-moi votre révolution. »

« Il faut tuer, m'a-t-il dit, tous les membres du gouvernement et de la Chambre. » (Hilarité générale.) J'ai répliqué Ce n'est pas poli pour le Sénat (Nouveaux rires et applaudissements.)

J'ai continué Les voilà tous par terre, je le concède que faites-vous ensuite ? Je me tournerai contre les Boches, car je ne suis pas Boche J'ai repris « Mais, malheureux, pendant que vous serez occupé à cette besogne, les Boches entreront chez vous Ah jamais je ne le veux pas s'est-il écrié. Et voilà un homme qui s'enflamme

Je lui ai dit <c Écoutez-moi. Vous allez me parler je vais prendre un moyen pour recueillir ce que vous me direz. » J'ai donc noté les griefs qu'il m'a indiqués. Ils n'étaient pas déraisonnables. J'ai même transmis l'un d'eux à l'honorable M. Doumer (1) mais la réalisation de la demande rencontrerait, paraît- il, beaucoup de difficultés.

Il y avait aussi une plainte assez curieuse « Je suis, disait-il, depuis trois mois dans la tranchée j'ai trois blessures, et je n'ai même pas la croix de guerre Or, un de mes camarades l'a obtenue pour avoir donné un poulet et une bouteille de vin à son capitaine. » (Hilarité.)

Il ne faut pas rire, car cela veut dire quelque chose. Je suis sûr que M. le Ministre de la Guerre le comprendra. (M. le Ministre de la Guerre fait un signe d'assentiment.)

Je n'ai pas essayé de chapitrer cet homme. Quand je lui ai parlé des Boches qui pourraient entrer chez nous si l'on suivait son plan, il m'a dit « Pour qui nie prenez-vous ? » Bref, je ne lui ai rien donné, et il ne m'a rien demandé. Il m'a seulement prié de lui écrire. J'ai répondu à ses lettres et je lui ai procuré deux marraines pour deux de ses amis.

(1) Alors membre très actif de la Commission de l'armée du Sénat,


Voilà une histoire. En voulez-vous une autre ? Je suis peut-être un peu long. (Parlez! parlez!)

En voici une autre, très honorable pour l'homme qui en est l'objet.

Lors d'une visite à Verdun, j'ai été abordé violemment par un soldat qui était très en colère, si violemment, que le général qui était près de moi a voulu s'interposer. J'ai écarté l'honorable général.

J'ai demandé à l'homme ce qu'il voulait. Il était tout en pleurs et m'a dit « Je suis ici depuis le commencement de la guerre, et, pendant ce temps, on me ruine. J'ai un petit établissement à Paris. Le gouvernement me ruine. Ma femme est une bonne ouvrière. Je suis un bon ouvrier. Vous pouvez prendre des renseignements sur moi. »

Je lui ai répondu « J'irai voir votre femme. » Je ne suis pas allé la voir, mais j'ai envoyé chez elle une dame de mes amies, et voici les renseignements qu'elle a recueillis. Cet homme est menuisier ses patrons en font le plus grand éloge et n'ont que du bien à dire de lui. Sa femme est matelassière. Ils tenaient un petit hôtel garni, on a mis des réfugiés chez eux, ceux-ci ne payent pas et détruisent tout. C'est la ruine. L'homme est aux tranchées. On a trouvé la femme au travail.

L'homme m'a dit « Je crois bien que vous êtes puissant, mais vous ne l'êtes pas assez pour changer cela il n'y a rien à faire. » Cette femme est au travail tous les jours, elle ne demande rien. Quant au mari, savez-vous ce qu'il a fait ? A la suite de cet accès d'exaspération, il m'a écrit une lettre d'excuses.

Cet homme ruiné, qui souffre par tous les pores de son âme, m'a écrit « Je vous ai parlé d'une façon un peu vive je tiens à vous demander pardon. » (Mouvement.) Voilà ces mutins ce sont les plus grands soldats du monde (Vifs applaudissements.)

Permettez-moi une troisième histoire ce sera la dernière, je le jure.

J'ai vu entrer chez moi, l'autre jour, un homme de soixantequatre ans, ancien gouverneur des colonies, qui s'est engagé. Il est artilleur depuis le commencement de la guerre. Je l'avais vu une fois. Il est arrivé chez moi il n'avait rien à me dire sinon ceci « Monsieur, défendez nos hommes, on peut leur


demander tout ils feront tout ce qu'on voudra, il faut les comprendre. Et il est parti. »

Il y a un enseignement dans tout cela.

M. LE Président DU CONSEIL. Mais oui

M. CLEMENCEAU. Il y a un enseignement pour nous tous. Je suis si heureux de voir que vous m'avez compris Toutes les phrases que nous prononçons ici vont s'aplatir sur des feuilles de papier qu'on lit en tramway d'une façon distraite. Elles ont pour intérêt essentiel de toucher nos camarades de là-bas, qui périssent et souffrent.

Quand pour la première fois je suis entré dans un trou de boue, j'ai descendu une douzaine de marches et j'ai trouvé sous des capotes ruisselantes, dans une atmosphère infecte, des hommes qui dormaient comme s'ils avaient été couchés dans le meilleur Iit à quatre heures du matin, sur un simple geste du caporal, j'ai vu les soldats, sans un mot, se lever, puis partir, sous les obus qui tombaient de tous les côtés.

Ces hommes sont grands dans leur vie, ils sont grands dans leur âme, ils veulent de nobles choses, ils ne se jugent pas touj ours comme il faudrait, mais ils donnent leur vie, on ne p eut leur demander rien de plus. Faisons-leur des conditions de vie aussi bonnes qu'il nous est permis de le faire. (Applaudissements.) Je connais M. le Président du Conseil et M. Painlevé. Jet crois que mes paroles ne seront pas prononcées en vain, s'il en pouvait résulter pour eux non seulement la conviction ils l'avaient déjà mais le désir de faire que l'autorité militaire, que je ne tiens pas pour indemne, comme on a voulu me le faire dire, s'approchât un peu plus de nos soldats. (Très bien très bien et applaudissements.)

Il y a certes une grande différence avec ce qui se passait au commencement de la guerre.

Il est des généraux, dit-on, qui sont dans des châteaux. J'en connais beaucoup qui sont dans les tranchées. (Très bien!) J'en connais beaucoup qui aiment leurs hommes, et que leurs hommes aiment. (Très bien très bien et applaudissements.) J'en connais dont le cœur a saigné plus encore que celui de leurs soldats, dans les circonstances terribles que nous avons traversées (1). (Très bien!)

(1) Il s'agit des mutineries.


Seulement, nous avons le devoir, quand les généraux nous crient au secours, de ne pas ergoter pour savoir s'il y a dans les grèves des éléments révolutionnaires ou non, si l'on touchera ou non à la classe ouvrière, en poursuivant les malandrins que je viens de dénoncer tout à l'heure. (Très bien! très bien! et vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

Ce n'est pas de cela qu'il s'agit il s'agit de la France qui meurt, si nous ne faisons pas notre devoir. (Nouveaux applaudissements.)

Messieurs, je dis qu'il faut faire l'ordre à l'intérieur. Pour cela, il faut la loi il n'y a pas de liberté sans loi et sans sanctions pour ceux qui transgressent le droit des autres. Le gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas (très bien! très bien!) et que les hésitants, que ceux qui ne savent pas, trouvent un point d'appui dans la loi et dans le gouvernement.

Eh bien les militaires se sont plaints. J'ai là le rapport de M. Bérenger (1). On vous a donné lecture du réquisitoire terrible du général Nivelle il a été suivi d'un réquisitoire analogue du général Pétain. Savez-vous ce que M. Malvy a répondu au général Nivelle ? Voici « Mais tout ce que vous me dites là je le connais c'est moi-même qui vous en ai informé. »

Quant aux promesses de sanctions, de poursuites rien Il a même essayé, dans la réponse que j'ai là, de se décharger sur un de ses collègues du soin de maintenir l'ordre dans des endroits déterminés, et cela a été tout

Un sénateur à gauche. Ce n'est pas assez.

M. CLEMENCEAU. Non. La Sûreté générale s'est mise en bataille contre le grand quartier général, auquel elle avait l'habitude d'envoyer tous les mois un rapport. Depuis ces événements, on a mis le grand quartier général au pain sec, il n'a plus d'informations. (Rires.) Il y avait pourtant un intérêt à le renseigner puisque toutes les répercussions de ces mouvements devaient aboutir au front, où elles ont produit les résultats que vous savez.

Si vous connaissez ces faits, Monsieur le Ministre de la (1) Sénateur de la Guadeloupe depuis 1912, membre influent de la Commission de l'armée et de la Commission de l'organisation économique.


Guerre et vous ne pouvez pas ne pas les connaître comment les tolérez-vous ?

Comment, surtout, avez-vous accepté cette circulaire de M. Malvy que je vais vous lire, que vous ne connaissez peut-être pas. Au moins cette séance aura l'avantage de vous l'avoir révélée. (Rires.)

« République française » cela s'appelle ainsi. (Nouveaux rires.) « Le ministre de l'Intérieur à MM. les Préfets. » Sur divers bancs. A quelle date ?

M. Clemenceau. 5 juillet 1917. (Mouvement d'attention.) J C'est une circulaire de M. le Chef de la Sûreté générale. Elle est assez embrouillée il a dû prendre des leçons dans les Provinciales. (Rires.)

M. Henry Bérenger. C'est le nouveau ?

M. Clemenceau. C'est le nouveau, ouî le Raspoutine de la maison. (Exclamations et rires.) (1)

Cette circulaire a pour but d'empêcher le quartier général de recevoir aucune information sur la propagande antipatriotique. (Exclamations sur divers bancs. Lisez lisez !)

Vous ne connaissez pas cette circulaire ?. (M. le Ministre de la Guerre fait un signe de dénégation.) Quel drôle de gouvernement (Rires.)

Ces instructions ont un autre objet celui d'empêcher les commissaires de police d'adresser aucun rapport sur la propagande pacifiste aux généraux de région. Voilà le but on ne le dit pas, mais l'idée y est. Vous comprenez que lorsque le général de région est avisé que des faits regrettables se produisent, il agit et avertit le grand quartier général de prendre des dispositions immédiates. Dans le système qu'on essaie d'introduire et qui ne peut être maintenu, car, s'il l'était, nous renverserions le gouvernement (applaudissements) on empêche les généraux commandants de région d'être avertis, puisque le G.Q.G. et les généraux de région ne recevront pas de nouvelles de la propagande antipatriotique. Pour eux, il n'y en aura pas. Je lis les deux passages intéressants

« Les instructions (§ 3) ont un autre objet supprimer, sauf les exceptions prévues ci-après, l'envoi direct de leurs rapports (1) M. Hudelo, chef de la Sûreté, a été remplacé en juin par M. Leymarie chef de cabinet de Malvy.


par les agents de police et de sûreté, donner à l'administration préfectorale sous sa responsabilité et sous réserve d'en aviser l'administration centrale, la faculté de transmettre ces rapports à l'autorité militaire ou maritime de région la plus qualifiée et de lui faire toutes communications qu'elle croira utiles enfin, réserver au ministre de l'Intérieur seul le soin de saisir ses collègues des autres ministères des rapports et communications dont il s'agit. »

Nous arrivons aux commissaires de police.

« La même recommandation sera faite par vos soins aux commissaires spéciaux de police, pour la zone de l'intérieur. Pour ceux-ci, j'ai indiqué, dans ma circulaire précitée du 19 juin dernier, qu'ils ne pourraient plus désormais correspondre directement avec les autorités militaires des régions, sauf dans le cas où leur concours aurait été directement demandé. il ne manquerait plus que cela par ces autorités ou si les renseignements recueillis par eux sont exclusivement d'ordre militaire. Il va de soi que, dans ce cas, rentrent les affaires de contre-espionnage, la surveillance des étrangers et celle des usines. »

De la propagande pacifiste, pas un mot, c'est la suppression de tous rapports entre les commissaires généraux et les généraux de région sur la propagande pacifiste.

Interrogé sur ce point, quelqu'un d'important du ministère de l'Intérieur a répondu « Désormais c'est moi qui signalerai directement au C,.Q.C,. les faits particuliers qui seront de nature à l'intéresser. »

La vérité, c'est que le G.Q.G. et les généraux de régions doivent connaître la propagande pacifiste. Je ne vois pas quel intérêt a le ministère de l'Intérieur ou plutôt je crains de le voir à supprimer la connaissance directe des événements à l'autorité qui a pour mission de les réprimer dans le plus bref délai possible.

Je vais vous montrer la nécessité de cette rapidité d'opération.

Le 17 juillet 1917, le préfet de police écrivait à M. Malvy pour lui dire qu'il avait trouvé l'adresse du déserteur syndicaliste antipatriote Cochon, défendu par M. Almereyda dans le Bonnet rouge. Il demandait des instructions au sujet de l'arrestation.


Trois jours après, le préfet de police écrivait à M. Malvy que les instructions n'étaient pas arrivées à temps et que Cochon s'était sauvé.

M. LE MINISTRE. Sur l'heure, j'ai donné au préfet de police l'ordre d'accomplir son devoir, e'est-à-dire d'arrêter un déserteur.

M. CLEMENCEAU. Vous ne l'avez pas donné à temps. M. LE MINISTRE. Je lui ai donné cet ordre sur-le-champ.

M. CLEMENCEAU. Pas à temps puisque l'homme de qui je tiens le renseignement a vu les deux lettres dont je fais mention ici.

M. LE MINISTRE. Ah non

M. CLEMENCEAU. M. Cochon a été averti, il n'y a aucun doute.

M. Cochon est l'ignoble syndicaliste, antipropriétaire, antipatriote que vous connaissez. (Très bien!)

M. Guilloteatjx. C'est un être méprisable.

M. CLEMENCEAU. Il a été averti. On peut toujours le nier. (Mauvements divers.)

M. LE Ministre. Je vous donne ma parole d'honneur

M. CLEMENCEAU. Comment acceptez-vous que dans un pays en guerre depuis trois ans, dans un pays envahi, il faille demander des instructions au ministre de l'Intérieur pour arrêter un déserteur (Vifs applaudissements.) Expliquez-moi cela vous avez la parole.

M. LE MINISTRE. Mais, Monsieur Clemenceau, j'ai été en effet avisé par le préfet de police que l'on croyait avoir découvert la demeure de Cochon. M. Henry Bérenger. Qui l'a embusqué au 29e territorial ?

M. Paul Dotjmer. D'abord

M. Jeanneney. De ce tapissier on avait fait un métallurgiste ?

M. LE MINISTRE. M. le Préfet de Police m'ayant fait savoir que l'on croyait avoir trouvé la demeure de Cochon, je lui ai donné immédiatement l'ordre de l'arrêter.

M. Clemenceau. Vous ne répondez pas à ma question. Je vous demande comment vous expliquez que dans un pays en guerre depuis trois ans, dans un pays envahi, il soit nécessaire de demander l'autorisation au ministre de l'Intérieur pour arrêter un déserteur (Vifs applaudissements.)

Je ne peux pas l'expliquer !-Et alors je conclus.

Plusieurs sénateurs. Répondez.


M. Clemenceau. La question n'a pas reçu de réponse (Interruptions.)

M. HERVEY. Cela peut se reproduire demain

M. CLEMENCEAU. Si cela peut se reproduire Je connais un permissionnaire qu'un agent de désertion a abordé à la gare du Nord en lui promettant de lui procurer une place sur-lechamp. Il l'a emmené dans une usine où, en costume militaire, sans qu'on lui ait demandé de papiers, il s'est mis tranquillement à faire des obus. C'est dans un voyage sur le front que j'appris cela Tout le monde savait où était ce déserteur et personne ne le cherchait.

Mais il faut en finir et je sabre. Je ne peux pas cependant ne pas dire un mot de la façon dont sont surveillés les étrangers. Tout se tient en effet la question de l'antipatriotisme, celle de l'espionnage, celle enfin des sursis d'appel, dont on est assez généreux au ministère de l'Intérieur.

Parmi les gens qui publient ces articles contre moi pour défendre M. Malvy, il y a un beau monsieur, en sursis d'appel, d'ailleurs un très bon patriote sur le carnet B on trouve aussi des patriotes, et c'est un habitant du carnet B il a obtenu un sursis d'appel et, comme c'est un cœur chaud et reconnaissant, il s'en sert pour défendre M. Malvy en m'attaquant.

Il me semble que, soit dit en passant, la place d'un bon patriote, quand il a l'âge voulu pour cela, est sur le front, plutôt qu'à l'arrière, à faire du journalisme ministériel. (Rires.) M. Malvy a son carnet B très large pour les étrangers. Il est très libéral à cet égard, trop même. Un de mes amis, le Dr Baratoux, spécialiste de Paris, très connu, très estimé, très distingué, se promenait à Dinard, le 20 septembre 1914, huit semaines après la déclaration de guerre. Il voit une automobile arrêtée, une foule en émoi il entend des cris « A bas les Allemands A bas les Boches » Il s'approche, et comme les automobilistes s'apprêtent à fuir, il menace de crever un pneu. Il fait dès lors descendre de la voiture deux hommes, deux Allemands, M. Polack et M. Braun, qui voyageaient avec un permis du ministère de l'Intérieur.

Un peu ému, il rencontre un membre de la municipalité auquel il parle de ce fait. On lui répond que le maire vient de


faire appel à la population pour l'engager à respecter les étrangers et à ne pas les troubler.

Ce maire ne fait pas de distinction entre les étrangers, en quoi il a grand tort.

Il en fait si peu que le Dr Baratoux, outré, placarda aux vitres de sa maison l'amené où le maire invitait les habitants à se montrer gracieux envers les étrangers, et, à côté, un petit article d'un journal de Paris, racontant qu'à Munich, pour 10 pfennigs, on montrait les prisonniers français dans un jardin public.

Il n'y ajoute rien, il colle ces deux papiers l'un à côté de l'autre et s'en va.

Le lendemain, le maire, furieux, proteste ainsi dans le journal La Guerre, publié sous le contrôle de la municipalité de Dinard

« Je dédie ces lignes aux quelques brutes anonymes qui, par lettres ou par affiches, ont reproché au maire de Dinard comme un manque de patriotisme d'avoir fait son possible pour empêcher un certain nombre d'agités de molester les quelques Allemands et Autrichiens restés à Dinard après la mobilisation. » (Exclamations.)

M. GtrcLLOTEAUX. Il fallait le révoquer

M. BARBIER. Va-t-il été ?

M. Clemenceatt. Ce n'est là qu'un incident, vous voyez le tableau d'ensemble, l'état de la France sept semaines après la déclaration de guerre.

Je ne sais pas quelle a été l'idée du ministre de l'Intérieur il ne semble pas s'être préoccupé de leur expulsion, il leur a donné des cartes pour se promener en automobile à Dinard. Comment des Allemands et des Autrichiens peuvent-ils ainsi obtenir l'autorisation de rester ? Qui est responsable ? Trois cas de sursis d'appel et j'en aurai fini.

« Affaire Fridiger. M. Henri Fridiger, Autrichien, âgé de vingt-huit ans, alors à La Haye, a demandé en décembre 1914, à venir à Paris. Il se déclarait Polonais. Il disait avoir habité 10, rue La Fayette, à Paris.

« Un refus lui a été opposé le 25 décembre par les Affaires, étrangères. »

Dans toutes ces affaires, vous trouverez les Affaires étran.


gères et le ministère de l'Intérieur toujours en conflit. Il y a une grande unité dans l'administration de M. Malvy Pour ce qui est de ménager les antipatriotes, de les garantir contre l'application des lois, et pour sa générosité et sa complaisance envers les Allemands et les Autrichiens, je crois qu'il n'aura pas de longtemps son pareil (Sourires.)

« 1er mars 1915. Il était signalé de Berne comme ayant résidé à Lausanne depuis quelques mois. » Tout ceci est extrait du dossier des Affaires étrangères aucun doute ne peut donc être élevé sur les faits que je signale.

« Il s'y était vanté de pouvoir revenir à Paris quand il le voudrait et, de fait, il venait d'y revenir et de s'y installer avec sa famille Ses sentiments germanophiles étaient connus. Le ministère de l'Intérieur aussitôt prévenu (2 mars) découvrit, en juin, Fridiger, 103, rue La Fayette à Paris. Les Affaires étrangères réclamèrent son internement ou son expulsion (1er juillet). Le 24 juillet 1915 le ministère de l'Intérieur annonça aux Affaires étrangères que Fridiger et sa famille allaient être conduits en Suisse. La mesure ne fut pas exécutée. »

Si c'est comme cela que vous nous protégez contre les étrangers

« Les Affaires étrangères, constatant que rien n'avait été fait, saisirent la Guerre le 27 août 1916 (état-major, 7e bureau) les bureaux de la Guerre renvoient I'affaire à l'Intérieur qui écrivit, le 14 octobre 1916, aux Affaires étrangères que le dossier Fridiger était en instance devant la Commission des Étrangers qui devait statuer, dans sa prochaine séance, sur la requête tendant à l'obtention du permis de séjour définitif. » En résumé, en décembre 1914, Fridiger veut rentrer à Paris, les Affaires étrangères refusent. En mars, il rentre cependant à Paris, l'ambassadeur de Berne le signale on ne le retrouve qu'en juin 1915 et depuis il est resté à Paris.

M. Guillo'eeaxix. C'est de la trahison

M. us Ministre DE L'INTÉRIEUR. Vous auriez pu cependant, Monsieur Clemenceau.

M. CLEMENCEAU. Laissez-moi terminer soyez indulgent pour moi bien que je n'en aie pas l'apparence, j'ai été indulgent pour vous. (Sourires.)

Affaire Kovacz

Cette affaire a donné lieu ici à une interpellation de notre


honorable collègue, M. Jénouvrier. Elle n'a pas abouti parce que M. Jénouvrier n'avait pas les documents que je possède. M. Malvy déclare « Au mois de septembre 1915, je recevais de Mlle Kovacz une demande de permis de séjour les services de la Sûreté générale lui accordèrent, à la date du 15 octobre, un permis de séjour jusqu'à production et vérification des pièces. cc Il est parfaitement exact qu'à cette date le gouvernement militaire de Paris faisait connaître au préfet de police que la présence de cette personne était une cause de trouble et que sa moralité était douteuse. »

M. Malvy ne dit pas que Mlle Kovacz était dans un camp de concentration quand elle s'est adressée directement à lui. Quel régime que celui des camps de concentration Il suffit d'écrire directement au ministre de l'Intérieur pour en être immédiatement extrait. Reconnaissez que ce sont là des prisons merveilleusement mal tenues

M. Malvy ne dit pas non plus qu'avant même que le.permis de séjour fût accordé, il écrivait au préfet de police pour l'informer qu'il autorisait Mlle Kovacz à rentrer à Paris.

Je lirai les deux lettres tout à l'heure.

M. Malvy déclare qu'il est parfaitement exact qu'à cette date le gouvernement militaire de Paris faisait connaître au préfet de police que la présence de cette personne était une cause de trouble et que sa moralité était douteuse.

Elle était une sorte de dame de compagnie d'une SudAméricaine ultramillionnaire.

« Après m'être assuré que sa présence à Paris n'avait soulevé aucun trouble, j'invitai M. le Préfet de Police à répondre au gouvernement militaire de Paris qu'il avait reçu de moi l'ordre d'accorder momentanément un permis de séjour. »

M. Malvy ajoute avoir délivré un permis de séjour momentané, mais n'avoue pas avoir délivré un permis de séjour définitif.

C'est pourtant ce qui résulte de la lettre du préfet de police du 4 novembre 1915 au gouverneur militaire de Paris « J'ai reçu du ministère de l'Intérieur l'ordre formel de donner à Mlle K. un permis de séjour définitif. »

M. Malvy déclare

« A cette époque, je nommai une commission spéciale chargée de la vérification et de la révision des permis de séjour.


Elle fut saisie tout de suite du cas de Mlle Kovacz. Après examen du dossier, elle estime que cette étrangère ne se trouvait pas dans les conditions requises pour l'obtention d'un permis de séjour. Dès cet avis exprimé, je priai le lendemain même M. le Préfet de Police de faire reconduire cette personne à la frontière espagnole. »

Mais M. Malvy n'explique pas pourquoi, par faveur spéciale, il a fait conduire Mlle Kovacz en Espagne, au lieu de la faire retourner dans son camp de concentration. Il n'en est pas moins vrai que, dès le 14 octobre 1914, par lettre du général GalIieni au préfet de police, son attention avait été attirée sur le danger de la présence à Paris de Mlle Kovacz. Il a pourtant fallu plus de quatre mois pour la faire sortir de France.

J'arrive enfin à la dernière affaire, la plus grave de toutes l'affaire Margulies.

J'ai écrit à M. Malvy pour m'informer de ce qu'il avait à dire au sujet de cette affaire et j'ai obtenu des Affaires étrangères d'examiner le dossier, ce qui m'a permis de réduire à néant les affirmations de M. Malvy « Dès que je fus saisi par mon collègue des Affaires étrangères, le 29 avril dernier, j'ai donné des instructions au préfet de police pour que M. Margulies, dont la présence m'avait été signalée à Paris, fût mis en demeure de justifier sans retard de sa nationalité. »

Or, il est inexact de dire que M. Malvy n'a été saisi que le 29 avril 1917. A force d'expurger les dossiers d'autrui, vous expurgez les vôtres et vous n'êtes pas renseigné vous-même. Le 12 juillet 1915, les Affaires étrangères invitent l'Intérieur à mettre en surveillance Margulies. C'est, là encore, un millionnaire qui mène grand train dans Paris et ailleurs. Il est aujourd'hui aux eaux de Vichy. Si vous voulez aller au Majestic Hôtel, vous pourrez faire sa connaissance il n'en sera pas fâché parce qu'il est très ami de tout le monde, notamment des préfets. C'était l'ami particulier du préfet M. de Joly, qui a été destitué. Pour vous montrer que les sentiments de M. Margulies à l'égard des bâtiments préfectoraux ne changent pas, je vous dirai que le nouveau préfet, M. Armand Bernard, s'étant rendu à Nice pour examiner les locaux avant de s'y installer, a trouvé sur sa table la carte de Margulies, qui l'invitait à venir prendre le thé avec lui et le général X.

Margulies a donc de belles connaissances


Il a donné 400 000 F au préfet pour ses bonnes oeuvres je n'ai pas besoin de dire que cela n'a pas mal disposé le préfet, pas plus que son commissaire de police M. Orsatti. Je vous montrerai à ce propos le résultat des perquisitions. Une perquisition a été ordonnée au bout de deux ans elle eut lieu, avec l'autorisation de M. Margulies on lui demanda s'il n'avait pas quelque papier qui serait de nature à caractériser sa nationalité. On n'a rien trouvé, ce n'est pas très étonnant

M. Margulies est un homme qui se fait des dossiers. Il se dit Belge, mais il est Belge comme vous et moi. Il donne comme argument qu'il a fait son service militaire en Belgique. C'est un mensonge.

La vérité, c'est qu'il a appartenu à la garde civique. Or, ce fut toute une affaire d'apprendre à M. Malvy qu'on n'est pas Belge parce qu'on a fait son service militaire dans la garde civique puisque, aux termes de la loi belge, tous les résidants étrangers en Belgique sont astreints à ce service.

Bien plus, vous verrez plus tard M. Malvy sortir un beau certificat d'un consul autrichien qui déclare, dans toutes les formes, que Margulies est Autrichien. Il n'y a pas de doute à cet égard, mais Margulies est toujours en France.

Ce grand ami de M. de Joly avait l'habitude de résider à Nice, à Thonon, à Évian et, en automobile, il fait volontiers le voyage de Lausanne. Je ne voudrais pas, quant à moi, m'absenter de France pour quoi que ce soit en ce moment mais si un Français a besoin d'aller une ou deux fois en Suisse, à la rigueur cela se comprend. M. Margulies a besoin, lui, d'y aller tout le temps. Il y a mieux. Quand il y va, il est suivi par la police, mais la police le lâche à la frontière. (Rires.) M. Margulies se fait donc des dossiers. Il a, pour montrer qu'il est Belge, une lettre du secrétaire du roi des Belges lui disant « Sa Majesté me charge de vous remercier des 3 000 F que vous lui avez fait parven,i.r, »

Il est Belge pour ces 3 000 F comme il est Français pour les 400 000 F remis à M. de Joly Nous n'avons pas besoin de cet argent-là, nous soutiendrons nos blessés, nos femmes et nos enfants, avec l'argent français, (Vifs applaudissements.) Le 25 mai 1915, survient l'incident de la lettre de M. Davignon. Margulies avait rencontré à lç,vïan M. Davignon, ancien ministre des Affaires étrangères de Belgique, vieillard fort


respectable, mais malade, bien aise de trouver un supposé compatriote Margulies s'était présenté à lui comme Belge pour faire la conversation sur la promenade. De là à obtenir de M. Davignon une recommandation pour avoir un passeport belge, il n'y avait qu'un pas. C'est ce qu'il a fait. Seulement, ce qu'il ne pouvait pas deviner, c'est que le 14 juillet, la Sûreté belge le dénonçait à la police française en disant « C'est un homme suspect, c'est un espion. »

Ainsi la lettre qu'il exhibe, signée de M. Davignon ne prouve rien, puisqu'elle est antérieure au reste, le passeport belge pour la Suisse est inutile, il ne sert de rien quand on vient de France, il faut un passeport français.

Margulies est allé le prendre à Thonon où il n'habitait pas. C'est le sous-préfet qui le lui a donné. Il est établi, d'après les Affaires étrangères, que le sous-préfet n'avait pas, aux termes des conventions internationales, le droit de donner des passeports à des Belges ou à des Anglais. N'importe Il obtient ce passeport et le voilà parti pour la Suisse où il va faire des choses que la police française ne veut pas savoir

Voici le texte du certificat autrichien qui confirme la nationalité de Margulies

« En vertu d'un document du commissaire impérial et royal d'Autriche-Hongrie auprès du gouvernement général de l'Empire d'Allemagne en Belgique, etc., le nommé Berthold Moritz Margulies, né en 1870, ressortissant de Brody, est citoyen autrichien. D'après le § 28 du Code civil autrichien, les enfants d'un citoyen autrichien ont qualité de citoyens de cet État, de par leur naissance, sans qu'il soit tenu compte du lieu de naissance. Par la naturalisation en pays étranger, la nationalité d'Autrichien ne se perd pas aussi longtemps que la personne n'a pas été formellement déliée de la qualité d'Autrichien. » Ainsi, même s'il s'est fait naturaliser en Belgique, il y a toujours cette pièce. Et quand on a cette pièce, qu'est-ce qu'on attend ? Pourquoi aujourd'hui M. Margulies est-il à Vichy au Majestic ? Qui peut nous l'expliquer ? C'est un homme qui mène grand train il sème l'argent de tous les côtés, soit mais nos concitoyens n'ont pas besoin de s'enrichir de cette façon, et personne ne le demande à M. le Ministre de l'Intérieur. L'Intérieur retourna ce certificat aux Affaires étrangères, qui le lui avait renvoyé, parce que vous pensez bien qu'il


n'aurait jamais trouvé cela et il pria alors les Affaires étrangères de demander au gouvernement belge s'il est vrai ou faux que cet homme soit Belge.

Ce n'est pas le gouvernement belge, que je sache, qui a la charge de faire la police du territoire français et d'entreprendre des recherches pour savoir si un homme est Belge ou demi-Belge. Voilà un homme qui jette l'argent à pleines mains, qui fait des voyages en Suisse, qu'on laisse en France. Cet état de choses n'est pas tolérable. Il vous a été dénoncé, non seulement par les Affaires étrangères, mais par le gouvernement belge. Il est très riche, il fréquente le préfet de Nice. Le général, voyant cet homme aller chez le préfet, n'a aucune raison pour le suspecter, et il l'accueille. Vous avez laissé cet homme voyager en France et en Suisse. Vous avez manqué à tous vos devoirs.

Messieurs, j'ai trop abusé de votre patience. (Non! non!) M. Painlevé nous demande en termes éloquents de souffrir, de souffrir autant qu'il sera nécessaire pour permettre à nos chers soldats de verser leur sang utilement et de nous donner la victoire. Eh bien, nous souffrirons, nous ferons tout ce qu'on voudra.

S'il y avait un gouvernement qui fût vraiment dans le collier de l'action, vous me demanderiez de renoncer au contrôle parlementaire pendant un temps plus ou moins long que je le ferais, si j'étais sûr d'être ainsi utile à la patrie. S'il le fallait même, s'il était possible d'oublier deux ans, je voudrais pouvoir dire à M. Malvy J'oublie tout. Mais M. Malvy résistera, il voudra nous prouver que ce qu'il a fait l'a été pour le mieux. Je suis prêt à voter la confiance, je l'ai dit, mais je ne puis aller jusqu'à étendre cette confiance au ministre de l'Intérieur, non à cause de considérations spéciales pour sa personne, mais à cause d'une expérience de deux ans dans laquelle il s'est montré mettons tout au mieux trop insuffisant au point de vue de la surveillance des étrangers, de la tolérance des entreprises d'une bande d'antipatriotes qui ont mis la France en danger, qui ont fait plus que d'écrire, qui ont agi, qui ont profité du désarroi causé par les événements auxquels M. le Ministre de la Guerre a refusé d'attacher l'importance qu'ils méritaient, et qui, avec un flair merveilleux, ont mis à profit un mouvement de vacillation chez les hommes et ont porté tout leur effort de ce côté.


Ce qui est arrivé, vous le savez. Je suis monté à la tribune, ce sera mon dernier mot, pour faire que cela ne puisse pas recommencer. (Vifs applaudissements. L'orateur, de retour à son banc, reçoit les félicitations de ses collègues.)

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Ministre de l'Intérieur.

M. Malvy, ministre de l'Intérieur. Messieurs, le discours de M. Clemenceau et l'accueil que lui a fait le Sénat prouvent que dans le grand débat institué aujourd'hui, nous sommes d'accord à la fois sur les principes d'une politique de confiance et d'union nationale et sur les faits qu'il faut réprimer. Nous verrons tout à l'heure les méthodes.

Il n'est jamais venu à mon esprit que le Sénat pût vouloir une politique de répression contre la classe ouvrière et je ne doute pas que la haute Assemblée qui ne voit qu'une chose, l'intérêt de la France, n'approuve une politique qui a eu pour but et pour résultat l'union de tous les Français.

M. Clemenceau a apporté à la tribune des documents de deux sortes des documents officiels, émanant de représentants du gouvernement, de préfets, sur lesquels je m'expliquerai et puis des notes de police, dont, comme pour toutes les notes de police, l'authenticité, la teneur et l'exactitude sont contestables, qui ne sont que des éléments d'information pour les préfets, pour un directeur de Sûreté générale et pour un ministre.

Il est facile, en isolant quelques faits de l'ensemble de la réalité, en les groupant en un faisceau habilement arrangé, de leur donner souvent une importance qu'ils n'ont pas. Je vous demande de ne pas subir l'illusion de ce mirage et de les ramener à leur véritable proportion; quant à moi, je suis obligé de ne pas isoler ces faits sur lesquels je m'expliquerai tout à l'heure, mais de les relier à la politique que j'ai suivie pendant ces trois années de guerre, d'autant que c'est cette politique que M. Clemenceau a condamnée.

Je ne viens pas, Monsieur Clemenceau, exprimer ici des regrets, je ne viens pas ici en accusé vous dire a J'ai eu tort de faire ce que j'ai fait, j'aurai une autre attitude à l'avenir. Non, je considère que j'ai agi dans l'intérêt de mon pays, je considère que la politique que j'ai pratiquée depuis trois ans est la bonne, est la seule possible pour nous conduire jusqu'à la victoire et, quoi qu'il arrive, je n'en changerai pas. (Très bien à gauche.) Cette politique se résume en un mot la confiance. J'ai voulu faire confiance à la nation, à tous les éléments de l'opinion, de l'extrême droite à l'extrême gauche j'ai pensé et je pense encore, en effet, que, si nous voulons maintenir la paix intérieure, si indispensable pour mener la guerre jusqu'au bout, il faut pratiquer l'union sacrée dans toute sa plénitude. M. Hekvey. Hors de la nation, il y a des misérables Cela ne compte pas?

M. LE MINISTRE. Nous nous expliquerons, et je suis persuadé que la haute Assemblée voudra bien me suivre dans cette voie.

M. Clemenceau a parlé de la propagande pacifiste. Dès les premiers jours de la guerre, j'y ai été attentif, je n'ai pas oublié que la confiance ne doit pas dégénérer en faiblesse, et que mon attention devait être d'autant plus en éveil, que le danger pouvait revêtir les formes les plus variées. C'est


vous dire que je ne me suis pas borné à réprouver de toutes mes forées les menées criminelles susceptibles d'arrêter l'élan patriotique de la nation et de corrompre l'âme française.

Il y a eu, d'abord, peu à faire contre la propagande pacifiste parce que, dans le magnifique mouvement d'enthousiasme qui a soulevé la France entière, une telle propagande n'aurait jamais trouvé une oreille complaisante. Mais il ne m'a pas échappé que les deuils, les souffrances et les privations de toutes sortes pouvaient être, pour certains, l'occasion d'entreprendre une campagne funeste. Aussi, dès le début, ai-je donné des instructions auxquelles M. Clemenceau a bien voulu rendre hommage, mais qu'il a dit n'avoir pas reçu d'exécution.

A cette heure, je ne veux pas fatiguer le Sénat par des lectures, j'ai donné connaissance à la Chambre d'un grand nombre de circulaires notamment, à la date du mois de janvier 1915, j'insistais auprès des préfets sur la propagande qui s'exerçait en vue de la paix, les invitant à surveiller la circulation des tracts, circulaires et papillons et à arrêter cette circulation par tous les moyens.

J'appelais leur attention sur les cartes postales qui étaient distribuées et je leur demandais de procéder d'urgence à la saisie de des cartes et, dans le cas ou ces opérations feraient découvrir des propagandes plus graves et plus caractérisées, de sévir avec la dernière rigueur. Toutes les instructions sont dans cette note et je signalais en même temps aux préfets certains des propagandistes pacifistes auxquels M. Clemenceau faisait allusion. Je les invitais aussi à porter leur attention sur la propagande qui tendait à empêcher le versement de l'or ou la souscription à l'emprunt. Je passe sur ces instructions très rapidement, parce qu'on ne les a pas mises en doute. Messieurs, je ne vous parle pas de toutes les perquisitions qui ont été faites au domicile des personnes que M. Clemenceau a indiquées ou avait en vue. Je veux simplement donner quelques indications qui vous montreront qu'à toute époque, depuis le commencement de la guerre, les services de police ont agi, et que des condamnations sont intervenues. En voici qui sont du 11 mars 1915

Les nommés Gros et Donadieu ont été arrêtés pour avoir fait imprimer et distribuer des tracts. Ils Ont été condamnés à trois ans de prison, 1 000 F d'amende, sept mois de prison.

Pour le tract (c Imposons la paix», qui émane de Louis Lecoin et PierreJules Contant, les auteurs ont été condamnés à un an de prison, 1 000 F d'amende, six mois de prison, 500 F d'amende.

Autre tract « Du charbon ou la paix », de René Baril, Alfred Jeriot, Chaumart, Oplet quatre mois, trois mois, quatre mois, trois mois de prison.

Pour un autre, intitulé « Au peuple de Paris. La paix sans annexions, sans conquêtes, sans indemnités », Cartier est condamné à deux mois de prison.

Les petits papillons Lei femmes veulent là paix et le droit. Assez de tnés donc la paix» trois mois de prison, 500 F d'amende.

M. Clemenceau. A quelle date ?

M. LE MiïrcSTKE ME L'iNïÊRŒtJH. Les dernières sont du 28 avril 1917


M. Clemenceau. Ce sont des poursuites faites pour obtenir des arguments de tribune.

M. LE MINISTRE DE L'INTERIEUR. Il y a des condamnations remontant au 11 octobre 1915.

M. Clemenceau. Je parle de toutes les poursuites exercées pendant ces derniers temps.

M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR. Il y a des condamnations de 1916 et de 1915. On ne les a pas obtenues pour vous répondre aujourd'hui, Monsieur Clemenceau. Vous connaissez aussi les arrestations opérées au groupe des amis des libertaires Bertheau dit Lepetit, Gross, Millant, Peters, Clauss et Le Meillour, qui sont en ce moment à l'instruction.

M. CLEMENCEAU. A quelle date ?

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Le 26 juin 1917.

M. René Viviani, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J'ai connu le fait le 26 juin 1917.

M. LE MINISTRE DE L'INTERIEUR. De même les arrestations faites à Poissy pour distribution de ces tracts.

Je ne comprends pas, Monsieur Clemenceau, que lorsque je cite des condamnations remontant à 1915, vous disiez qu'elles ont été obtenues pour servir d'arguments de tribune.

M. Clemenceau. Aussi ce n'est pas de celles-là que je parle. C'est des dernières. Tous ces gens seraient encore en liberté si un mouvement ne s'était produit et si vous n'aviez pas craint qu'on vous attaquât.

M. LE GARDE DES SCEAUX. Voulez-vous rappeler, Monsieur le Ministre de l'Intérieur, qu'il a été prononcé 121 condamnations en vertu de la loi du 5 août ?

M. CLEMENCEATJ. C'est insignifiant Pour combattre un mouvement comme celui-là qui met la France en danger et toute l'armée, vous avez une centaine de condamnations (Bruit.)

Je demande que l'observation de M. le Garde des Sceaux soit au Journal officiel.

M. LE GARDE DES ScEAUx. J'espère qu'elle y figurera et la vôtre aussi. M. LE MINISTRE. II paraît que le chiffre de 121 condamnations ne suffit pas à M. Clemenceau, il en demande d'autres.

M. Clemenceau. Je demande qu'on fasse son devoir, qu'on arrête les déserteurs et qu'on ne les laisse pas partir. M. LE Ministre. Monsieur Clemenceau, je ne vous ai pas interrompu. Je vous prie de me laisser continuer.

Vous allez peut-être me dire que nous sommes d'accord sur les principes vous l'avez dit tout à l'heure mais que vous discutez les faits.


Pour passer des principes aux faits il y a la méthode, et c'est sur-cette méthode que nous sommes en désaccord. (Interruptions et bruit.)

C'est qu'il s'agit de deux politiques nettement opposées, et c'est par là que le débat dépasse votre haute personnalité, comme il dépasse la mienne. Si le gouvernement, ni moi-même n'avons pris toutes les sanctions que vous demandez, toutes les mesures répressives que vous eussiez souhaitées, ce n'est pas, Monsieur Clemenceau, qu'elles nous aient paru au-dessus de nos moyens. Il est facile de réprimer, il est facile d'interdire.

M. CLEMENcEAU. C'est très difficile il faut en avoir le coeur

M. LE Ministre. Il est facile de perquisitionner et d'arrêter. Si quelqu'un était tenté de nous accuser de faiblesse ou de paresse, je lui répondrais qu'il est beaucoup plus laborieux et plus méritoire peut-être de prévenir que de châtier que la persuasion demande plus de temps et plus de peine que la répression, et que, pour ma part, si je n'avais écouté que mon désir de résoudre plus vite, tant bien que mal, plutôt mal que bien, les difficultés sans cesse renaissantes auxquelles je me suis heurté, je n'aurais eu qu'à donner des ordres brefs à mes agents, au lieu de passer de longues heures à négocier avec les représentants des ouvriers et des patrons.

Vous m'avez demandé des actes, de l'énergie. Je vous réponds qu'une patience obstinée et vigilante, un effort constant de mesure, de justice, les appels pressants à la raison aux heures de crise ne sont peut-être pas moins efficaces (très bien très bien gauche) qu'une politique résolument tournée vers les sanctions et les répressions.

Vous m'avez reproché de ne pas vous apporter assez de têtes je vous apporte des résultats, et c'est sur ces résultats que je demande à la haute Assemblée de me juger.

M. CLEMENcEaU. Je vous reproche d'avoir trahi l'intérêt de la France.

M. LE Ministre. Je suis au-dessus d'un pareil outrage nous nous expliquerons tout à l'heure.

Vous avez parlé, Monsieur Clemenceau, du carnet B. Vous avez voulu faire de l'esprit.

M. CLEMENCEAU. Ma foi, non.

M. LE MINISTRE. Vous avez voulu attacher mon nom à celui de M. Almereyda.

M. Clemenceau. Ils sont en effet attachés l'un à l'autre. M. LE MINISTRE. Je vous dirai tout à l'heure ce qui est attaché à votre nom mais, en attendant, expliquons-nous.

Je dois vous dire tout de suite que les récits faits par M. Ahnereyda sont tout à fait inexacts.

M. Charles Riou. Ce n'est pas son nom.

M. LE Ministre. J'ai connu M. Almereyda au moment où il menait dans son journal une campagne patriotique. Lorsque ce journal a pris une autre attitude, je n'ai plus connu cet homme. La preuve, la voici le


28 août 1916, j'ai demandé à tous les commissaires spéciaux de la frontière de suivre très attentivement M. Almereyda et deux de ses camarades. Je leur ai dit qu'au cas où l'un des trois se rendrait en Suisse, il faudrait immédiatement le prendre en filature, de manière à connaître exactement ses agissements. Je pourrais donner lecture de ce télégramme. En tout cas, il est certain que c'est grâce à l'action de la Sûreté générale que l'opération que vous connaissez a été faite.

M. CLEMENCEAU. Laquelle ?

M. LE Ministre DE l'Intérieur. Je parle de l'arrestation à la frontière de M. Duval (1).

Vous avez parlé tout à l'heure du carnet B vous l'avez tourné en dérision, Monsieur Clemenceau. Sur ce carnet, il y avait près de 4 000 personnes. Vous m'avez dit qu'il fallait faire un choix. Eh bien, Messieurs, expliquonsnous une fois pour toutes. J'ai dit à la Chambre que le jour où en plein accord avec le gouvernement, avec mon président du Conseil et ami M. Viviani, j'avais donné l'ordre de n'arrêter aucun Français inscrit sur une liste de suspects, j'accomplissais ainsi un acte qui engageait la politique d'union et d'unité nationale. J'entends bien que tout le monde loue aujourd'hui la décision prise, et que personne ne voudrait s'associer à une politique de répression contre la classe ouvrière.

M. CLEMENCEAU. Vous n'avez pas le droit de dire cela. M. le MINISTRE. J'entends bien que certains se bornent à dire qu'il faut séparer l'ivraie du bon grain. Or, à cette heure c'était l'ivraie qui était sur le carnet B. Ah combien angoissantes furent les heures que j'ai vécues à ce moment.

Nous sommes au 31 juillet 1914. M. Messimy, ministre de la Guerre, me présente, signé de sa main, l'ordre d'arrestation.

C'est la mesure qui doit précéder la mobilisation de nos forces et M. le Ministre de la Guerre veut par là-et personne ne saurait le blâmer de ses inquiétudes que la mobilisation de nos troupes s'effectue sans entrave et à l'abri de toute atteinte.

Avant d'apposer ma signature à côté de celle du ministre de la Guerre, j'ai songé, le cœur serré « Où est mon devoir ? Si je signe, c'est l'exaspération que vont causer dans les milieux ouvriers ces arrestations en masse. M. Clemenceau. Pourquoi ? Cela leur est égal, aux vrais ouvriers cela intéresse les faux ouvriers, Almereyda et les autres.

M. le MINISTRE. Comment, cela leur était égal de voir arrêter 4 000 personnes ?

M. Clemenceau. Personne n'a demandé cela

M. Lu Ministre. Messieurs, avec l'application du carnet B, c'est un sentiment de solidarité qui va gagner toute la classe ouvrière, quand elle va voir tous ses chefs de file arrêtés comme de mauvais Français. (Rumeurs (1) Il était porteur d'un important chèque de provenance allemande.


au centre et à dtoite. Trés bien à gauche.) C'est une partie du peuple mise hors la loi et hors la patrie. (Mouvetnents divers.)

M. CLEMENCEAU. Vous laissez dire cela, Monsieur le Président du Conseil, que de mettre la main sur Almereyda, c'est mettre une partie du peuple hors la patrie ?

M. LE Président DU CONSEIL. Nous avons supprimé le Bonnet rouge, il y a huit jours.

M. Clemenceau. Vous l'avez supprimé, parce que vous ne pouviez pas faire autrement.

M. LE Président DU Conseil. Je vous demande pardon.

M. LE MINISTRE. Il est trop facile, maintenant, de lier le sort de M. Ahnereyda au sort de tous ceux qui étaient inscrits sur le fameux carnet. Car, sur le carnet B, il y avait des ouvriers appartenant à toutes les organisations syndicales. J'ajoute que si j'avais suivi votre conseil.

M. CLEMENCEAU. Je ne vous ai pas conseillé cela

M. tE Ministre. Nous allons le voir.

Beaucoup sont morts au champ d'honneur.

M. LE GARDE DES SCEAUX. Un de ceux qui étaient les plus mal notés a la croix de guerre.

M. CLEMENCEAU,. Je l'ai dit, j'ai dit qu'il y avait de très braves gens, des patriotes que, parmi ceux qu'on a fusillés, il y avait des héros. Ce n'est pas une raison pour les laisser pousser au crime par les gens que vous n'avez pas arrêtés C'est fini, cette politique, elle ne pourra pas durer Le peuple français ne la tolérera pas, parce qu'il ne veut pas mourir M. LE Garde DES SCEAUX. Nous sommes tout à fait d'accord; le peuple français ne veut pas mourir

M. LE MINISTRE. En quittant le conseil où j'avais demandé à mes collègues quelques heures de réflexion, je priai M. Clemenceau, qui m'hono·rait alors de son amitié, de me recevoir.

Je le trouvai à L'Homme libre.

M. Clemenceau. L'Homme Zibre, dont vous avez fait L'Homme enchainé

M. LE Ministre. vers trois heures après midi. 1 lui exposai mes troubles de conscience. M. Clemenceau me laissa parler sans m'interrompre. Quand j'eus fini je le vois dans son fauteuil et me regardant bien en face il laissa simplement tomber ces mots de sa bouche a Mon ami, Vous seriez le dernier des criminels si vous ne sortiez à l'instant de mon bureau pour signer l'ordre d'arrestation. »

M. CLEMENCEAU. Ce n'est pas ma phrase c'était ma pensée, mais je n'ai pas dit cela.


M. z.r MINISTRE. J'afdrme sur l'honneur que ces propos ont été tenus. Profondément ému par ces paroles, je considérai encore avec anxiété la voie qui s'ouvrait devant moi. Mais, quelle que fût la gravité de l'acte que j'allais accomplir et qui me perdait à tout jamais, s'il avait les conséquences que je redoutais, je ne pouvais détacher mon esprit de la nécessité d'une France unie devant l'agression. Je savais que l'ennemi, connaissant les projets de nos antimilitaristes, pensait avoir facilement raison d'une France divisée, en proie à la guerre intestine, prête, d'après lui, à l'asservissement.

Mais j'avais l'impression que cet acte de confiance, de clémence qui n'excluait pas des mesures de prudence remettrait tous ces Français dans le droit ehemin que les plus exaltés reconnaîtraient que la France avait fait à la paix tous les sacrifices, excepté celui de son honneur que, pris brutalement à la gorge, nous ne luttions pas dans un but de conquête, mais pour éviter la plus terrible des servitudes qu'aucun ne pourrait échapper à la contagion patriotique et à la justice de notre cause, lorsque la patrie lui aurait ouvert ses bras. (Très bien gauche.)

Nous avons fait confiance. Les jours qui suivirent, que j'avais vécus dans une intense émotion, prouvèrent que j'ai vu juste aucun fait de sabotage, aucun fait contre la France ne s'est produit tous ses enfants se groupant autour de son drapeau. (Très bien très bien sur les mêmes bancs.) Voilà l'acte qui a commandé toute ma politique.

C'est l'acte contraire, c'est-à-dire l'ordre d'arrestation, qui aurait commandé la politique de M. Clemenceau.

Je vous laisse le soin de suivre ces deux actes, ces deux politiques, ces deux méthodes l'une dans la réalité vécue, l'autre dans les conséquences qu'elle aurait nécessairement entraînées.

M. CLEMENCEAU. Pour aboutir aux derniers événements M. LE MINISTRE. Mais il ne faudrait pas croire que la politique de confiance dans laquelle je me suis résolument engagé m'ait empêché de prendre les mesures nécessaires de sécurité publique et de sévir chaque fois qu'il le fallait. Mais j'ai couru le risque de paraître désarmé ou d'être taxé de faiblesse chaque fois que la force, n'étant pas nécessaire, n'apparaîtrait pas, c'est-à-dire que je prêtais le flanc aux critiques dans la mesure même où je réussissais.

A cela vous répondez, Monsieur Clemenceau, que cette méthode de persuasion, cet appel à la raison et à la volonté sont excellents peut-être, mais qu'ils n'excluent pas les défaillances dont vous me dites coupable. J'en viens alors à ces rapports de préfets, à ces notes de police dont vous vous êtes servi contre moi.

J'estime que si le devoir d'un chef est de consulter ses subordonnés, il n'est pas de suivre aveuglément leurs suggestions, surtout quand elles pourraient entrainer certaines conséquences que vous allez voir.

Certains de ces rapports mettaient en cause de nombreuses organisation. politiques et ouvrières. Qu'il y ait dans chacun de ces milieux des homme¡ dont l'esprit est plus ou moins tendu vers la paix, c'est exact qu'il faille les prévenir et les réprimer autant que possible, c'est exact encore mais j» pense aussi qu'il fallait agir avec infiniment de mesure et ne pas se laisser


aller à des suspicions téméraires et à des généralisations excessives, pour éviter de jeter le trouble et la défiance dans tous les cœurs. Fallait-il, comme le demandaient certains de mes agents, s'acheminer vers la suppression de la liberté de parole et de réunion ? (Exclamations.)

M. CLEMENCEAU. Je n'ai jamais parlé de cela. C'est trop facile cette manière de raisonner

M. LE MINISTRE. Je vous parle en ce moment de rapports de préfets, de notes d'agents de police.

Or je dis que ces personnes qui ne voient qu'un seul côté de la question sont amenées souvent à faire au ministre des propositions qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses qu'ils n'aperçoivent peut-être pas.

M. Henry Bérenger. Ce n'est pas eux qui ont demandé la suppression du Parlement pendant six mois, jusqu'au mois de janvier 1915.

M. Clemenceau. Vous ne répondez pas. La suppression du Parlement pendant six mois, cela fait partie de la politique libérale ?

M. LE MINISTRE. J'en arrive à un point particulièrement délicat que je ne traiterai pas à fond.

Vous avez déclaré que, si certains incidents se sont produits vous y avez fait allusion très discrètement, j'imiterai votre réserve ils seraient dus à cette propagande coupable. Sans insister, je voudrais simplement dire que s'il y a eu un fléchissement quelconque, minime et très passager, ce n'est pas de l'arrière à l'avant que s'est produit le courant. (Mouvements divers.)

M. CLEMENCEAU. Alors, c'est la faute des soldats ? Ce sont eux que vous incriminez ?

M. Paul Doumer. C'est l'armée qui contamine le pays ? Expliquezvous sur ce point

M. LE MINISTRE. M. Clemenceau a été très discret sur ce qui s'est passé dans ce domaine. Je ferai de même. Je dirai simplement que, parmi les causes d'une certaine lassitude causes expliquées tout au long au cours du comité secret à la Chambre, et unanimement reconnues il n'y a pas la propagande à laquelle on a fait allusion. Quand je vous parlais du courant de l'avant à l'arnère, je pensais à quelques permissionnaires qui avaient pu exercer une certaine influence. Je n'insiste pas.

Ni le gouvernement, ni moi-même n'avons la prétention d'être infaillibles. Malgré un travail compliqué et acharné, des erreurs de détail ont pu être commises mais je défie qu'il soit possible de me reprocher un fait de complaisance coupable ou une faveur qui aurait pu compromettre les grands intérêts généraux du pays. Et j'aflïrme, parce qu'il ne s'agit pas ici de ma personne, mais de principes qui me sont chers, que la politique que j'ai suivie est la seule digne d'une grande démocratie, qu'elle a été la meilleure, je dirais presque la seule possible.

Je demande que la politique intérieure du gouvernement soit jugée sur


ses résultats. Jamais la tenue de la France n'a été plus belle et plus haute qu'au cours de ces trois ans de guerre. A l'heure actuelle elle n'a pas fléchi, elle ne fléchira pas la France tient et tiendra jusqu'au bout. Le moral de l'arrière et de l'avant, nous en avons eu la perception tangible au 14 juillet, en voyant défiler ces troupes héroïques qui étaient comme l'avant-garde de la victoire française. (Très bien! très bien! et applaudissements.) Nous nous disions « Voilà la France après trois ans de guerre, de souffrances et de deuils » Et c'est pourquoi j'attends avec confiance le verdict de la haute Assemblée. Vous savez que je réprouve de toutes mes forces les menées criminelles que vous flétrissez, que j'ai pris et que je continuerai à prendre toutes les mesures de précaution, de surveillance, de répression, toutes les fois que ce sera nécessaire mais vous savez aussi les raisons impérieuses quim'ont poussé et qui me pousseront plus que jamais, en plein accord avec vous, à faire confiance au pays. Vous connaissez les résultats de cette politique, où j'ai mis tout ce que je puis avoir de cœur, de clairvoyance, de force et d'amour filial pour notre grande patrie je ne crois pas avoir à redouter le jugement d'une Assemblée qui, à toutes les minutes de cette guerre, a eu la claire vision de l'intérêt national. (Vifs applaudissements.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. LE Président DU CONSEIL. Messieurs, j'espère que ce débat pourra se terminer par un vote d'unanimité patriotique. (Très bien très bien !) Je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit M. le Ministre de la Guerre. Toutes les convictions sont faites. Il s'agit, en ce moment, de traduire, par une formule que vous pourrez tous accepter, le sentiment du Sénat. (Nouvelles marques d'approbation.)

« Messieurs, j'accepterai tous les votes qui viendront au gouvernement. L'honorable M. Clemenceau nous a offert le sien, en disant qu'il avait confiance dans le cabinet, qu'il fallait maintenir l'union.

Oui, il faut la maintenir Au lendemain de la déclaration de guerre, comme vous l'avez dit éloquemment, nous avons oublié tout ce qui nous séparait. Nous étions bien loin l'un de l'antre nous avons supprimé la distance. (Très bien 1)

J'ai fait une partie du chemin, vous avez fait l'autre. C'est honorable pour vous, c'est honorable pour moi. Nous avons agi uniquement dans l'intérêt du pays. (Applaudissements.)

Je me suis trouvé dans le cabinet, au lendemain de la retraite de Charleroi, à côté d'hommes que j'avais combattus toute ma vie et dont je ne pouvais prévoir que j'aurais à serrer la main dans ces circonstances terribles. Je parle de Guesde, de Sembat, d'Albert Thomas, qui ont été de si bons ouvriers de la défense nationale. (Très bien et vifs applaudissements.) Us ont été des patriotes, comme vous, Clemenceau, vous êtes un vrai patriote. (Nouveaux applaudissements.) Je me rappelle l'émotion que produisaient dans le pays, en des jours tragiques, les articles admirables que vous écriviez pour la défense nationale. Je n'admire pas tous vos articles. (Sourires.) Vous êtes entraîné aujourd'hui par des ardeurs de polémique qui risquent à chaque instant de compromettre cette union que vous déclarez vousmême nécessaire.


M. CLEMENCEAU. C'est pour la sauver.

M. LE PRÉSIDENT pu CONSEIL. Vous offrez votre voix au gouvernement, il l'accepte. Mais permettez-moi de le dire en toute conscience, vous avez été injuste, tout à l'heure, cruellement injuste pour un de mes collaborateurs. J'ai demandé le concours de M. Malvy dans cette pensée d'union si haute qui nous réunit tous, parce que, pendant trois ans, j'ai été le témoin de ce qu'il a fait. On m'a reproché ce que j'ai dit de 1ui il serait indigne de moi de ne pas répéter ce que j'ai dit, ce que je sens.

M. Malvy a pratiqué une politique que l'on peut contester mais qu'il faut, comme il le disait lui-même, juger par les résultats (très bien très bien !), une politique de confiance dans les associations ouvrières. M. Clemenceau, Il n'est pas question des associations ouvrières.

M. DE Lamahzelle. Vous nous forcerez à nous abstenir.

M. Clemenceau. Ne couvrez pas l'antipatriotisme dans un intérêt de portefeuille.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Monsieur Clemenceau, je vous en prie, ne me prêtez pas des pensées qui ne sont pas les miennes.

Il faut distinguer entre les scélérats qui peuvent se glisser dans ces associations.

M. Milliard. Alors, arrêtez-les

M. DE Lamabzelle. Ne les confondez pas avec les autres, alors (Protestations.)

M. us PRÉSIDENT DU CONSEIL. II ne faut pas passionner ce débat. Je dis une chose très simple que vous pouvez tous accepter.

M. DE Lamarzelle. Je dis non.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Pourquoi non ?

M. DE LAMARZELLE. Parce que vous vous solidarisez avec le ministre de l'Intérieur. Personnellement je ne pourrai donc voter pour vous. M. LE HÉRISSÉ. Ce ne sera pas la première fois.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. J'ai l'habitude de prendre mes responsabilités. Après avoir demandé le concours d'un collaborateur, l'abandonner parce qu'on l'attaque serait une lâcheté. Je ne la commettrai pas. (Applaudisserrcents à gauche.)

M. Clemenceau. Il ne s'agit pas de l'attaquer, il s'agit de savoir s'il a fait tout ce qu'il devait. (Mouvements divers.) M. LE PRÉSIDENT Du Conseil. Vous ne m'empêcherez pas de dire ce que j'ai à dire au Sénat.

H faut distinguer, et vous le faites tous, les associations ouvrières ces groupements qui paraissaient redoutables à beaucoup d'entre nous à la veille de la guerre, lorsqu'on se demandait quelle attitude ils prendraientdes éléments criminels.

M. Henry BÉrenger, Nous n'avons jamais douté des associations ouvrières.

M. Clemenceau. Personne n'en a douté.


M. Paul Doumer. A aucune époque.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je ne comprends pas cette interruption, quand je dis que tous nous distinguons, vous comme moi, les associations ouvrières des éléments criminels dangereux qui peuvent vouloir s'y introduire et les mener à des catastrophes. (Très bien très bien !) Ce que je constate, et j'ai bien le droit de le constater, c'est que, pendant ces trois ans, on a évité ces funestes malentendus qui auraient pu tout compromettre et mettre la défense nationale même en danger. Cela, c'est un résultat.

M. Clemenceau. Ce n'est pas un résultat, puisqu'il n'y a pas de danger

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Pas de danger ?

M. Clemenceau. Puisque vous le dites

M. LE Président DU Conseil. Vous avez été ministre de l'Intérieur. M. CLEMENCEAU. Je l'ai été assez longtemps et j'ai fait mon devoir.

M. LE PRÉSIDENT Du Conseil. Je dis que c'est un résultat admirable, dont je reporte l'honneur au pays tout entier, que nous ayons pu traverser trois ans de guerre sans aucun trouble, sans aucune rupture au point de vue social.

M. Clemenceau. Et vous croyez que cela est dû à M. Malvy ? (Mouvements divers.)

M. LE Président DU CONSEIL. Je dis que c'est un résultat dont nous avons tout lieu de nous réjouir et qui fait honneur au pays, qu'il n'y ait pas eu un seul trouble pendant ces trois ans.

M. Henry BÊRENGER. C'est l'honneur du pays, de la Fxance M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. D'autres pays ne pourraient pas en dire autant.

M. Clemenceau a fait allusion aux paroles que j'ai prononcées à la Chambre. J'ai dit que les grèves n'ont pas pris un caractère révolutionnaire. Non que des efforts n'aient été faits pour entraîner les grévistes dans le tourbillon révolutionnaire nous avons des rapports qui les constatent mais tous ces efforts ont été vains. Les grèves ont été purement des conflits économiques elles étaient la plainte des travailleurs en présence du renchérissement de la vie. (Mouvements divers.) Ces conflits se sont réglés par un accord entre patrons et ouvriers c'est à l'honneur du pays et ce n'est pas un mince mérite d'avoir ainsi pu maintenir la paix sociale.

Je répéterai devant le Sénat ce que j'ai dit à la Chambre.

Il faut qu'actuellement la police redouble de vigilance. (Approbation.) Nous sommes maintenant en présence d'une campagne, dont il ne faut pas exagérer l'importance, mais dont il ne faut pas méconnaître la perfidie et la violence. (Très bien très bien !)

L'Allemagne a besoin de la paix. Elle la veut par tous les moyens. Elle dissimule son ardent désir dans les discours officiels, où l'on reprend nos formules en les dénaturant, où l'on a l'audace de dire que l'on fera tous les


efforts possibles pour régler les conflits par les décisions de tribunaux internationaux, alors qu'à la veille de cette guerre on nous a refusé l'arbitrage que nous demandions (vifs applaudissements) on prétend vouloir une paix durable, comme celle que nous demandons seulement, on veut la fonder non sur l'abandon des rêves de domination universelle, du militarisme, qui serait une menace perpétuelle pour nous et nos enfants, mais sur le rétablissement de la liberté des relations économiques. On marque ainsi l'inquiétude que l'on éprouve, car on sent bien que le monde tout entier est soulevé on sent qu'au lendemain de cette guerre, si l'Allemagne n'est pas vraiment désarmée, si la menace qui pèse si cruellement sur l'humanité n'a pas disparu, la ligue qui s'est formée ne se dissoudra pas.

Il faut que l'Allemagne le comprenne définitivement il faut qu'elle sente que, pour être admise dans la société universelle, elle devra abandonner ses pensées de domination. Le jour où elle l'aura compris, la paix sera facile mais elle ne veut pas renoncer à son rêve.

Voilà pourquoi l'Allemagne essaie par tous les moyens d'obtenir une paix que nous ne pouvons lui donner, car après tant d'existences sacrifiées, nous retrouverions la même menace suspendue sur nous nous serions ruinés, pis que ruinés, déshonorés. (Nouveaux applaudissements.) Voilà pourquoi l'Allemagne essaie de dissocier tous les éléments de notre force morale, dans le pays comme dans l'armée.

Derrière cette propagande, je l'ai dit à la tribune de la Chambre, je le répète ici, il y a l'Allemagne (nouveaux applaudissements) qui pourvoit à ces distributions de tracts, de papillons, qui lance ces fausses nouvelles que l'on surprend chaque jour, ces formules équivoques de paix sans indemnité, sans annexion, que l'on espère faire adopter par une réunion internationale. Ces manœuvres, je l'espère bien, ne tromperont plus personne parmi nous. C'est une question de vie ou de mort. Si ce pays cédait à une pareille illusion, s'il se laissait aller aujourd'hui à vouloir la paix par fatigue ou par lassitude, il ne serait plus digne d'être la France.

M. Henry Bérenger. Qui y songe ?

M. iiE PRÉSIDENT DU Conseil. il ne serait pas digne de tous les morts héroïques qui ont versé leur sang pour lui.

Il faut faire rentrer sous terre cette propagande immonde, il faut achever de nettoyer nos gares, de protéger nos soldats qui retournent au front. (Vive approbation.) Cela est fait ou presque fait à l'heure qu'il est. Ceux qui ont vu nos gares, il y a quelque temps, et qui les voient aujourd'hui, constatent le travail effectué par le préfet de police nommé récemment (1), qui y consacre tout son dévouement, toute son énergie. Le gouvernement a confiance en lui, et vous ne lui ferez pas l'injure de penser que s'il peut mettre la main sur les distributeurs de ces papiers, il ne se fera pas faute de le faire. Le gouvernement lui en a donné l'ordre, et il le soutiendra jusqu'au bout dans cette lutte.

Sur les ressources suspectes dont vous avez parlé, je n'ai pas le droit de m'expliquer aujourd'hui; une instruction judiciaire est en cours. Je dirai néanmoins, puisque vous avez prononcé un nom qui ne peut l'être qu'avec dégoût (applaudissements), qu'il est permis au ministre de l'Intérieur de (1) M. Hudelo.


connaître les gens qui, dans certains milieux, soutiennent certaines idées. Or, l'homme dont vous avez parlé, jusqu'à une date qui coïncide avec l'apport de ressources sur lesquelles il a à s'expliquer, avait soutenu la thèse patriotique. Il a changé depuis. Je ne veux pas en dire davantage. M. Clemenceau. C'est une apologie.

M. LE PxÉSmEHx DU Conseil. Non, ce n'est pas une apologie. Et je dis que l'instruction ira jusqu'au bout, qu'elle doit aller jusqu'au bout. (Très bien 1) Si elle n'était pas menée avec la vigueur nécessaire, c'est le président du Conseil qui aviserait.

M. Clemenceau. Je voudrais savoir si vous continuerez à suivre ce régime qui fait que, pour arrêter un déserteur, il faut la permission de M. le Ministre de l'Intérieur ?

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Mais non, il ne faut pas la permission de M. Malvy

M. CLEMENCEAU. Comment, il ne faut pas sa permission M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Si un homme est inscrit sur la liste des déserteurs, tout agent de la force publique a le devoir de l'arrêter. M. Clemenceau. Le préfet de police a écrit à M. Malvy pour lui demander la permission d'arrêter Cochon, et quand la réponse a été faite, Cochon était parti. (Mouvements divers.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je ne peux pas m'expliquer sur des faits dont je n'ai pas connaissance.

Il faut veiller, il faut être sévère, mais il ne faut pas s'alarmer outre mesure.

Vous avez vu le lendemain de cette offensive sur laquelle on a tant discuté, trop discuté peut-être.

M. Clemenceau. Pas assez

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Nous avons autre chose à faire pour la défense nationale que de relever toujours les fautes commises.

M. CLEMENCEAU. Mais il ne faut pas les recommencer.


DÉCLARATION MINISTÉRIELLE

ET DISCUSSION DES INTERPELLATIONS

À. LA. CHAMBRE DES DÉPUTÉS

(20 novembre 1917)

M. tE Président. –» La parole est à M. le Président du Conseil pour une déclaration du gouvernement (1).

M. CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Messieurs, nous avons accepte d'être au gouvernement pour conduire la guerre avec un redoublement d'efforts en vue du meilleur rendement de toutes les énergies. (Très bien très bien !) Nous nous présentons devant vous dans l'uniqne pensée d'une guerre intégrale. Nous voudrions que la confiance dont nous vous demandons le témoignage fût un acte de confiance en vous-mêmes, un appel aux vertus historiques qui nous ont faits Français. (Vifs applaudissements.) Jamais la France ne sentit si clairement le besoin de vivre et de grandir dans l'idéal d'une force mise au service de la conscience humaine (très bien très bien!), dans la résolution de fixer toujours plus de droit entre les citoyens, comme entre les peuples capables de se libérer. (Applaudissements.) Vaincre pour être justes, voilà le mot d'ordre de tous nos gouvernements depuis le début de la guerre. Ce programme à ciel ouvert, nous le maintiendrons. (Vifs applaudissements.)

(1) Sur les circonstances de l'arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau nous renvoyons à l'annexe I.


Nous avons de grands soldats d'une grande histoire, sous des chefs trempés dans les épreuves, animés aux suprêmes dévouements qui firent le beau renom de leurs aînés. (Très bien très bien !) Par eux, par nous tous, l'immortelle patrie des hommes, maîtresse de l'orgueil des victoires, poursuivra dans les plus nobles ambitions de la paix le cours de ses destinées. Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous. (Applaudissements prolongés.) Ils veulent qu'aucune de nos pensées ne se détourne d'eux, qu'aucun de nos actes ne leur soit étranger. Nous leur devons tout, sans aucune réserve. Tout pour la France saignante dans sa gloire, tout pour l'apothéose du droit triomphant. (Applaudissements.) Un seul devoir, et simple demeurer avec le soldat, vivre, souffrir, combattre avec lui. Abdiquer tout ce qui n'est pas de la patrie. L'heure nous est venue d'être uniquement Français, avec la fierté de nous dire que cela suffit. (Vifs applaudissements.)

Droits du front et devoirs de l'arrière, qu'aujourd'hui tout soit donc confondu. Que toute zone soit de l'armée. S'il doit y avoir des hommes pour retrouver dans leurs âmes de vieilles semences de haines, écartons-les.

Toutes les nations civilisées sont engagées dans la même bataille contre les formations modernes des vieilles barbaries. Avec tous nos bons alliés, nous sommes le roc inébranlable d'une barrière qui ne sera pas franchie. Au front de l'Alliance, à toute heure et partout, rien que la solidarité fraternelle, le plus sûr fondement du monde à venir. (Applaudissements.) Champ clos des idéals, notre France a souffert pour tout ce qui est de l'homme. Ferme dans les espérances puisées aux sources de l'humanité la plus pure, elle accepte de souffrir, encore, pour la défense du sol des grands ancêtres, avec l'espoir d'ouvrir, toujours plus grandes, aux hommes comme aux peuples, toutes les portes de la vie. La force de l'âme française est là. C'est ce qui meut notre peuple au travail comme à l'action de guerre. Ces silencieux soldats de l'usine, sourds aux suggestions mauvaises (applaudissements), ces vieux paysans courbés sur leurs terres, ces robustes femmes au labour, ces enfants qui leur apportent l'aide d'une faiblesse grave voilà de nos poilus. (Nouveaux applaudissements.) De nos poilus qui, plus tard, songeant à la grande œuvre, pourront dire,


comme ceux des tranchées J'en étais. Avec ceux-là aussi, nous devons demeurer, faire que, pour la patrie, dépouillant nos misères, un jour, nous nous soyons aimés.

S'aimer, ce n'est pas se le dire, c'est se le prouver. (Vifs applaudissements.) Cette preuve, nous voulons essayer de la faire. Pour cette preuve, nous vous demandons de nous aider. Peut-il être un plus beau programme de gouvernement ? Il y a eu des fautes. N'y songeons plus que pour les réparer. Hélas il y a eu aussi des crimes, des crimes contre la France, qui appellent un prompt châtiment. (Vifs applaudissements.) Nous prenons devant vous, devant le pays qui demande justice, l'engagement que justice sera faite selon la rigueur des lois. (Très bien! très bien!) Ni considérations de personnes, ni entraînements de passions politiques (vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite. Interruptions sur les bancs du parti socialiste) ne nous détourneront du devoir ni ne nous le feront dépasser. (Très bien très bien!) Trop d'attentats se sont déjà soldés, sur notre front de bataille, par un surplus de sang français. Faiblesse serait complicité. Nous serons sans faiblesse, comme sans violence. Tous les inculpés en conseil de guerre. Le soldat au prétoire, solidaire du soldat au combat. Plus de campagnes pacifistes, plus de menées allemandes. Ni trahison, ni demi-trahison la guerre. (Applaudissements.) Rien que la guerre. Nos armées ne seront pas prises entre deux feux. La justice passe. Le pays connaîtra qu'il est défendu. (Nouveaux applaudissements.)

Et cela, dans la France libre, toujours. Nous avons payé nos libertés d'un trop grand prix pour en céder quelque chose au-delà du soin de prévenir les divulgations, les excitations dont pourrait profiter l'ennemi. Une censure sera maintenue des informations diplomatiques et militaires, aussi bien que de celles qui seraient susceptibles de troubler la paix civile. (Mouvements divers sur les bancs du parti socialiste. Applaudissements à gauche, au centre et à droite.) Cela jusqu'aux limites du respect des opinions. Un bureau de presse fournira des avis rien que des avis à qui les sollicitera. En temps de guerre, comme en temps de paix, la liberté s'exerce sous la responsabilité personnelle de l'écrivain. En dehors de cette règle, il n'y a qu'arbitraire, anarchie. (Applaudissements.) Messieurs, pour marquer le caractère de ce gouvernement,


dans les circonstances présentes, il ne nous a pas paru nécessaire d'en dire davantage. Les jours suivront les jours. Les problèmes succéderont aux problèmes. Nous marcherons du même pas, avec vous, aux réalisations dont la nécessité s'impose. Nous sommes sous votre contrôle. La question de confiance sera toujours posée. (Très bien! très bien!)

Nous allons entrer dans la voie des restrictions alimentaires, à la suite de l'Angleterre, de l'Italie, de l'Amérique elle-même, admirable d'élan. Nous demanderons à chaque citoyen de prendre toute sa part de la défense commune, de donner plus et de consentir à recevoir moins. L'abnégation est aux armées. Que l'abnégation soit dans tout le pays. (Applaudissements.) Nous ne forgerons pas une plus grande France sans y mettre de notre vie.

Et voici qu'à la même heure quelque chose de notre épargne, par surcroît, nous est demandé. Si le vote qui conclura cette séance nous est favorable, nous en attendons la consécration par le succès complet de notre emprunt de guerre, suprême attestation de la confiance que la France se doit à elle-même, quand on lui demande pour la victoire, après l'aide du sang, l'aide pécuniaire dont la victoire sera la garantie. (Applaudissements.)

Messieurs, cette victoire, qu'il nous soit permis, à cette heure, de la vivre, par avance, dans la communion de nos cœurs à mesure que nous y puisons plus et plus d'un désintéressement inépuisable qui doit s'achever dans le sublime essor de l'âme française au plus haut de ses plus hauts espoirs.

Un jour, de Paris au plus humble village, des rafales d'acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. (Applaudissements.) Ce jour, le plus beau de notre race, après tant d'autres, il est en notre pouvoir de le faire. Pour les résolutions sans retour, nous vous demandons, Messieurs, le sceau de votre volonté. (Vifs applaudissements répétés et prolongés à gauche, au centre et à droite.) DEMANDES D'INTERPELLATIONS

M. LE PRÉSIDENT. J'ai reçu les demandes d'interpellations suivantes 1° De M. Baudry d'Asson, sur la politique générale du gouvernement 2° De M. Henri Cosiler, sur la question des vieilles classes et des spécialistes de l'agriculture et sur les mesures que le gouvernement compte prendre


pour intensifier notre production agricole et pour assurer la. reprise de la vie économique de la nation;

3° De M. Mayéras, sur la conduite et les buts de la guerre

4° De M. Bokanowski, sur l'utilisation que le gouvernement compte faire de l'arme économique dans la lutte contre l'Allemagne

5° De M. Compère-Morel, sur la nature des mesures que compte prendre le gouvernement pour assurer, dans le présent et dans l'avenir, le ravitaillement du pays

6° De M. Jean Hennessy, sur l'unité de direction interalliée

7° De M. Pierre Forgeot, sur la composition du nouveau ministère et la politique générale qu'il entend suivre, notamment au point de vue des scandales, de la conduite de la guerre et de la préparation de la paix 8° De M. Jean Ossola, sur la politique de guerre du gouvernement 9° De M. Alexandre Varenne, sur la politique générale du gouvernement 10° De M. Émile Favre, sur les mesures que le gouvernement compte prendre 1° Pour empêcher les accapareurs de continuer leur œuvre néfaste menaçante pour la santé publique 2° Pour assurer le ravitaillement de choses de première nécessité

11° De M. Espivent de La Villesboisnet sur la politique générale du gouvernement.

Quel jour le gouvernement propose-t-il pour la discussion de ces interpellations ?

M. Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre. Le gouvernement est aux ordres de la Chambre. Voix nombreuses. Tout de suite

M. LE PRÉSIDENT. Il n'y a pas d'opposition à la discussion immédiate ?.

Elle est ordonnée.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je demande la parole. M. LE Président. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de Za Guerre. Messieurs, j'ai écouté avec la plus grande attention et un vif désir de m'instruire les honorables orateurs qui sont montés à cette tribune, pour critiquer, comme c'était leur droit et leur devoir, un gouvernement dont ils ne partagent pas toutes les idées. On ne s'attendra pas à ce que je discute des questions de personnes. Ce n'est pas pour cela que je prend? la parole. Cependant, j'en ai entendu assez pour comprendre qu'il s'agissait principalement de m'inspirer le sentiment d'une juste modestie. Le but a été atteint je suis contrit des fautes que j'ai pu commettre et même, si vous voulez, d'avance, de celles que je suis exposé à commettre encore. Je ne crois pas qu'on


puisse me reprocher d'avoir cherché le pouvoir. Je n'ai pas courtisé les puissances. (Applaudissements),

M. Raffin-Dugens. Mais les puissances vous ont courtisé

M. LE Président DU CONSEIL. On ne m'a pas rencontré dans les antichambres on ne m'a même pas vu à la Chambre, où j'aurais aimé à venir très souvent, mais où je craignais qu'on ne me reprochât d'intriguer (interruptions sur les bancs du parti socialiste). Je vous en prie Je n'ai pas interrompu les orateurs, qui m'ont quelquefois dit des choses pénibles, et je vous serais très obligé si, au lieu de me critiquer, vous vouliez bien me laisser la parole, sauf à m'interpeller ensuite, comme c'est votre droit. (Très bien très bien !)

Je suis au pouvoir; je voudrais bien que ce ne fût pas un malheur pour ma patrie. (Très bien! très bien!) Vous me dites que j'ai commis des fautes. Vous ne connaissez peut-être pas les plus grandes. Qui n'en a commis ? Si vous étiez mes juges, si je devais un jour me présenter au tribunal d'Eaque, de Rhadamante et de Minos et vous rendre compte de toute ma vie, peut-être m'accableriez-vous de votre dédain. Mais ce n'est pas la question. Je suis ce que je suis j'ai fait tout ce que j'ai fait je n'ai pas cherché le pouvoir. Et me voilà ici. Pourquoi ? Parce qu'il y a des heures terribles où ceux qui, dans les épreuves, se trouvent avoir au coeur une profondeur d'amour pour leur patrie qu'ils ne soupçonnaient peut-être pas eux-mêmes sentent le devoir, coûte que coûte, quoi qu'il doive arriver, de parler au pays, de montrer les fautes qui peuvent être commises et les signaler, à leurs risques et périls. Et, bien qu'en cours de route on ne manque pas de critiquer ces hommes, à leur tour ils voient arriver le moment où l'on est obligé de leur donner raison.

Alors, si vous voulez que je vous dise le fond de ma pensée, je n'ai rien tant regretté que le mouvement d'opinion irrésistible qui m'a poussé ici malgré moi et malgré ceux qui m'y ont envoyé. J'en ai peur. On me demande trop. On attend de moi plus que je ne peux faire. (Très bien! très bien!)

On m'a reproché ce que j'ai dit, on m'a reproché ce que je n'ai pas dit. Je suis ministre depuis trois jours. Je n'ai pas pu examiner une seule question méthodiquement, consciencieuxsement, sur un dossier bien et dûment établi. J'en ai vu assez


cependant pour perdre toute envie de vous apporter ici un bilan sérieux d'une situation générale ou de certaines situations particulières. Si vous ne me faites pas confiance sur ce point, dites-le, je descends de la tribune et je vous en remercierai. Je vous ai dit que je voulais faire la guerre. Certainement C'est ma seule raison d'être ici. Est-ce que vous croyez qu'à mon âge je me suis jeté dans la lutte des partis pour des idées que le temps a pu atténuer ? J'ai pu faire des progrès vers certaines idées ou modifier mon sentiment sur certaines questions peu importe, ma vie est finie. Je viens vous donner les quelques derniers jours qui me restent. Si vous ne les voulez pas, dites-le il vous est facile d'émettre un vote de défiance.

Je ne ferai pas de promesses vaines. On m'a parlé des vieilles classes.

Croyez-vous que je ne comprenne pas l'intérêt qu'il y a à ramener les vieilles classes du front pour cultiver le sol ? Certes Et pourtant, si vous me demandez de les renvoyer à l'arrière, je réponds (c Non. » (Applaudissements sur divers bancs.) Est-ce que cela m'empêche de faire dès aujourd'hui le travail nécessaire pour préparer ce retour, de m'occuper de l'industrialisation des travaux du front ? Est-ce que cela m'empêche de rechercher des concours de main-d'œuvre à l'étranger, dans nos colonies et auprès de nos alliés ? Non, pas un moment mais je ne veux pas vous promettre plus que je ne puis faire. On m'a demandé la caractéristique de mon gouvernement, la voilà

Je ne vous promettrai rien et je tâcherai d'agir. (Applaudissements.)

M. Henri GAI.1,1. Nous en avons assez de promesses qu'on ne tient pas

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, MINISTRE DE LA GUERRE. Oh je ne vous retiendrai pas longtemps, parce que j'ai pris la résolution de ne pas venir devant vous pour vous faire des discours. (Très bien très bien!)

Vous avez le droit de me poser toutes les questions et j'ai le devoir de répondre à toutes les questions que vous me poserez. Je n'y manquerai pas, je le ferai brièvement, je le ferai sincèrement. Vous m'accuserez peut-être d'être un petit esprit, d'avoir été un frondeur impitoyable dans l'opposition et d'être


incapable d'action, d'être incohérent. Vous pourrez me faire beaucoup de reproches mais il y en a un que vous ne me ferez pas, c'est de vous avoir trompés, de vous avoir menti. (Nouveaux applaudissements.)

Ce court préambule établi, je vais essayer de répondre à quelques-unes des questions qui m'ont été posées.

On m'a dit « Expliquez-vous sur les buts de guerre et sur la Société des Nations. »

Eh bien je croyais avoir répondu d'avance dans la déclaration du gouvernement. Je vous ai dit qu'il fallait vaincre pour être justes. N'est-ce pas un programme, cela ? J'ai ajouté qu'il fallait toujours plus de droit et plus de justice entre les individus comme entre les peuples capables de se libérer. N'est-ce pas clair pour qui se donne la peine de comprendre ?

Ah je le sais, nous vivons dans un temps où le verbe a une grande puissance. Il y a beaucoup de grands esprits même qui croient que le mot, que la parole, que le verbe a le don de libérer. Non Les mêmes mots sont discutés par l'humanité depuis qu'elle existe. Le mot « droit », le mot « justice », le mot « liberté », ce sont des mots aussi vieux que l'homme.

M. BEDOUCE. Il faut le définir

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous ne pouvez rien dire qui n'ait été dit. Vous pouvez tout au plus me demander des actes c'est pour cela que je suis ici.

Vous croyez que la formule de la Société des Nations peut tout résoudre. Il faut savoir ce que cela veut dire.

Il y a, au Quai d'Orsay, où réside M. Pichon, une Commission qui a été nommée, je crois, par M. Ribot, pour préparer l'organisation de la Société des Nations, et qui est composée des hommes les plus compétents, les maîtres du droit international MM. Bourgeois, Renault, Lavisse, et autres esprits éminents dont nul ne peut contester la haute valeur.

Eh bien, ils préparent la Société des Nations. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite. Mouvements divers sur les bancs du parti socialiste.)

M. Marins Moutet. Qui est-ce qui vous a compris ?. Eux ou nous ? M. LE Président DU CONSEIL. Et je prends un engagement c'est que si je suis encore ministre ce qui n'est pas probable lorsque leur travail sera terminé et leur rapport


présenté, ce rapport sera déposé par moi sur le bureau de la Chambre et nous le discuterons. Je pense que les conclusions d'hommes comme MM. Léon Bourgeois, Lavisse, Louis Renault ne sont pas pour être dédaignées. (Très bien! très bien!) M. Varenne, que je croyais plus au courant des vulgaires faits de la politique ordinaire,,m'a reproché de m'être montré défavorable à l'arbitrage. Monsieur Varenne, qu'avez-vous dit là ?. C'est moi qui ai envoyé à La Haye M. Léon Bourgeois comme délégué de la France à la seconde conférence. Cette conférence a résolu une foule de questions de droit international que l'Allemagne est occupée à violer en ce moment. Par conséquent, on ne peut vraiment pas me reprocher d'avoir refusé l'arbitrage. (Applaudissements.)

C'est moi qui, à propos de l'affaire de Casablanca, ai accepté et même offert l'arbitrage. (Très bien! très bien!) C'est nous qui avons vu l'Autriche et l'Allemagne refuser l'arbitrage au commencement de la guerre. Comment un de vos collègues a-t-il pu dire que si l'arbitrage avait été proposé, la guerre n'aurait pas eu lieu ?

M. Alexandre VARENNE. Si la volonté des peuples ennemis l'avait imposé aux gouvernements.

M. LE PRÉSIDENT Du CONSEIL. La vérité, c'est que beaucoup de penseurs, de philosophes, de députés, de sénateurs, d'hommes politiques et de Français sont convaincus qu'il va arriver tout d'un coup un miracle qui réalisera la Société des Nations. (Protestations sur les bancs du parti socialiste.) Si vous m'interrompez à chaque phrase, je ne pourrai pas poursuivre mes idées, et je tiendrais à honneur d'arriver, en quelques paroles encore, au bout de mes observations. Je raisonne sérieusement, je discute sérieusement des idées sérieuses. Votre idéalisme, c'est le mien. Je ne m'abuse pas sur la réalité des choses, je ne crois pas aux mots, je vais aux faits. Je les regarde en face. (Très bien! très bien!)

Je ne crois pas que la Société des Nations soit la conclusion nécessaire de la guerre actuelle. Je vais vous dire une de mes raisons, c'est que si demain vous me proposiez de faire entrer l'Allemagne dans cette Société des Nations, je n'y consentirais pas. (Vifs applaudissements.)

M. Raefin-Dugens. II faut alors cultiver les germes de haine et préparer les guerres futures ? (Bruit.)


M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Et quelle garantie pourriez-vous m'offrir ? Vous m'offririez la garantie d'une signature ? Allez donc demander aux Belges ce qu'ils pensent de la signature de l'Allemagne Pour fonder la Société des Nations, il faut des peuples, comme je l'ai dit dans la déclaration, capables de se libérer. (Très bien très bien !) C'est pourquoi vous êtes toujours obligés, dans toutes vos hypothèses, de commencer par dire « L'Allemagne elle-même brisera le militarisme prussien. » Seulement, voilà le terrible de l'affaire, c'est qu'elle ne le brise pas (très bien! très bien!) et qu'elle s'en fait l'instrument. Alors, parce que vous entrevoyez devant vous la réalisation d'une hypothèse qui est toujours à l'état d'hypothèse, vous prétendez nous engager, nous, alors que nous ne pouvons pas nous engager sans porter dommage à l'état moral qui nous permet de continuer la guerre. (Très bien très bien !)

C'est là-dessus que je veux répondre à M. Forgeot, dont j'ai beaucoup admiré le talent, que j'ai eu grand plaisir à écouter, bien que j'aie été très surpris d'entendre, par ses dernières phrases, qu'il s'apprêtait à voter pour le gouvernement et à le soutenir de toute son énergie. (Mouuements divers.)

Je réponds à M. Forgeot parce que sa thèse vaut une réponse.

M. Forgeot veut, certes, faire la guerre aussi sincèrement, aussi profondément que moi ou que tout autre dans cette Assemblée.

Seulement, il veut que, pendant que nous faisons la guerre, nous parlions de la paix. C'est là-dessus que nous ne sommes pas d'accord. (Mouvements divers.)

J'aborde la question qui nous sépare.

Eh bien, moi, je crois d'abord que quand on est engagé dans une action, il faut parler le moins possible. Mais enfin, quand on parle.

M. Mayêras. Ou quand on écrit ?

M. Brackb. Un article par jour.

M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. Quand on écrit on n'est pas dans l'action.

M. Materas. Et quand on parle

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. On n'y est pas davantage. On prépare l'action par l'écrit, par la parole. Mais nous sommes


ici pour agir. Tant que nous ne faisons que causer, nous n'aboutissons pas. (Applaudissements.)

M. Bracke. Alors, à bas le Parlement (Exclamations.)

M. LE PRÉSIDENT. Le Parlement est libre.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. J'étais déjà un vieux parlementaire quand vous n'étiez pas au monde. (Bruit sur les bancs du parti socialiste.)

M. TE PRÉSIDENT. Je vous demande de respecter la liberté de la tribune.

M. LE Président DU CONSEIL. Messieurs, voilà ce qui me sépare de M. Forgeot. Son raisonnement, comme raisonnement, me paraît impeccable, si cela se place dans l'abstrait. Mais quand cela se passe dans la réalité, on se trouve en présence d'une humanité vivante avec ses qualités et ses défauts, ses tentations mauvaises ou bonnes, auxquelles elle peut céder dans des conditions que nous ne connaissons pas. Et ces hommes qui sont aux tranchées, à l'usine, ces femmes, ces enfants dont on parlait tout à l'heure, vous croyez qu'ils ne songent pas à la paix ? Ils y pensent et nous y pensons avec eux, mais c'est pour l'obtenir, c'est pour nous assurer une dignité de vie individuelle et nationale qu'ils se battent et qu'ils se battront jusqu'au bout. (Applaudissements.)

Et alors, quand vous me demandez mes buts de guerre, je vous réponds mon but, c'est d'être vainqueur. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs. Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

M. Pabvy. Les Allemands ont le même but que vous.

M. LE Président DU CONSEIL. Laissez-moi donc parler. Ne voyez-vous pas que j e fais des efforts pour vous comprendre ? M. LE Président. Laissez parler M. le Président du Conseil. Certains ne veulent jamais écouter une pensée qui n'est pas la leur

M. le Président DU CONSEIL. J'entre dans votre esprit, je comprends vos préoccupations, en une certaine mesure je les partage. Je trouve même qu'il y a quelque chose de noble en vous, comme en nous tous, de penser à ce qui suivra cette guerre et d'émettre l'espoir que, dans la paix qui viendra, nous introduisions le plus de justice possible. Je comprends votre état d'esprit, et là-dessus laissez-moi bâtir mon raisonnement. Vous méconnaissez la réalité des choses. Tous ces gens qui


se battent veulent la paix dans des conditions déterminées, et, pendant qu'ils se battent, pendant qu'ils se font tuer, on dira dans les tranchées que des délégués de telles et telles nations, de tels ou tels partis, se sont rencontrés, discutant des conditions de paix, qu'il va y avoir des transactions hier, nous étions au bord de la paix, demain il se produit un recul, on va encore être condamné à patauger dans le sang et dans la boue pendant un nombre de mois que nous ne connaissons pas. Cela, c'est l'art de désarmer un peuple. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. Marins MouTET. Les peuples se désarment sans cela, Monsieur le Président.

M. Jean LONGUET. Le temps, c'est du sang

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Voilà pourquoi je ne suis pas partisan de ces conférences où des citoyens de différents pays en guerre iraient parler d'une paix que les gouvernements seuls sont en état de déterminer. (Nouveaux applaudissements.) Un membre sur les bancs du parti socialiste. Jusqu'à la défaite (Yives réclamations. Bruit.)

M. Simyan. Nous n'avons pas le droit de supposer ce malheur-là. (Très bien très bien!)

M. LE PRÉSIDENT. Il est inutile de relever une telle parole.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Si le gouvernement avait la tentation d'abuser de la force est-ce que vous ne seriez pas là ? Est-ce que vous ne pouvez pas, à tout moment, à toute heure, intervenir dans sa politique et lui demander des comptes ? Je vous fais ici une promesse il ne sera pas fait de diplomatie secrète tant que je serai au pouvoir. J'écouterai ce qu'on me dira, si on parle. Je répondrai, si je crois devoir répondre. Mais, par un procédé qu'il m'appartient de déterminer, je ne garderai pas le secret pour mon compte il sera remis entre les mains de dépositaires qui vous représenteront.

Je veux faire la guerre. Je veux la faire complète. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, momentanément, nous devons faire taire toutes les divisions de parti. Y a-t-il un homme qui ait été plus homme de parti que moi ? Non. Je l'ai été beaucoup trop, je le vois bien aujourd'hui (Très bien! très bien!) Oui, je vous ferai toutes les confessions qu'il vous plaira. Croyez-moi insultez-moi, pilez-moi dans un mortier, cela changera-t-il quelque chose à la situation présente ?


Je ne suis rien du tout qu'un homme qui se lève et vous dit « Vous avez commis des fautes. Je vous en avais préven'u on n'a pas voulu m'écouter. Si, avant qu'il soit trop tard, nous faisions ce qu'il faut pour les réparer ? »

Voilà tout mon programme de gouvernement je n'en ai pas d'autre. C'est un programme militaire, un programme économique.

M. Compère-Morel me reprochait de ne pas avoir parlé des questions économiques. Qui peut penser un instant poursuivre la guerre sans s'occuper des questions économiques d'abord Il y a un ensemble de questions formidable, et une chose à laquelle nous n'avons pas songé c'est que nous avons des alliés, envers lesquels nous avons un devoir de fidélité et de loyauté qui doit primer tout autre. (Applaudissements.) M. Forgeot, avec beaucoup de finesse, a dit « Nous sommes contents de les avoir»; ils sont contents de nous avoir aussi. (Très bien! très bien

C'est cela qui est la grande garantie pour vous. Croyez-vous vraiment que l'Amérique, qui va nous aider puissamment à surmonter les difficultés de l'heure, nous permettrait, après que nous lui aurions fait verser le sang de ses enfants sur nos champs de bataille, de commettre quelque attentat international ? C'est impossible La République américaine ne le souffrirait pas.

Voilà donc des garanties. (Applaudissements.)

Et puis, nous n'en sommes pas à la victoire. Nous sommes au plus cruel moment de la guerre. L'heure des privations va venir. Nous sentirons la guerre dans nos entrailles tous les jours, par les nouvelles que nous recevrons de nos enfants qui sont au front, par les souffrances de ceux que nous aimons et qui nous entourent. C'est à ce moment-là qu'il faudra se raidir le cœur et l'âme et prendre des résolutions suprêmes. Dans l'état d'esprit où nous serons, n'allez donc pas parler de paix. (Applaudissements.)

La paix, nous la voulons, nous nous sacrifierons tous pour l'obtenir dans des conditions de justice et de beauté qui soient dignes de notre pays. Je suis sûr qu'ici vous êtes unanimes pour la vouloir, mais il faut que vous soyez unanimes pour la réaliser.

Il faut abdiquer les anciennes passions qui nous ont jetés


les uns contre les autres et, pour un instant, pour une heure, faire front commun contre l'ennemi. Après la victoire, avant même que nous la tenions, quand on l'apercevra bien clairement devant soi, j'en prends l'engagement, je descendrai de cette tribune et vous dirai « Messieurs, au plaisir de vous revoir. » Laissons donc de côté toutes ces questions.

Il y en a une dont il faut que je parle, puisqu'on l'a portée à la tribune. On a parlé des scandales. Comme M. Forgeot l'a très bien dit, ces innombrables scandales se réduisent à trois ou quatre affaires, qu'on fait repasser indéfiniment dans les journaux comme le cycliste du cirque. Oui, il y a eu des scandales. Vous croyiez donc que vous alliez faire la guerre pendant trois ans avec l'Allemagne sans qu'elle tentât d'espionner chez nous

Il fallait s'y attendre. Je me suis plaint que la surveillance n'était pas suffisante. Les événements m'ont vraiment trop donné raison.

Lorsque j'ai institué un débat politique à ce sujet, j'étais bien loin de prévoir quelles devaient être les conséquences de ma discussion. Je croyais qu'il y avait eu des négligences plus ou moins accentuées. Je ne m'attendais nullement aux révélations qui se sont produites.

Aujourd'hui, une partie du voile est déchiré. M. Forgeot vous a dit « Donnez-nous la vérité », et la Chambre a été unanime à l'applaudir. C'est pour cela que je suis ici. Voilà un autre engagement que je prends devant vous « La vérité, vous l'aurez » Seulement il faut distinguer. Il y a eu des crimes, des inculpations. Tout ne s'est pas découvert d'un seul coup. Au fil de l'instruction, des faits nouveaux se révèlent qui produisent leurs conséquences dans le cabinet du juge d'instruction. Comment voulez-vous que je jette des noms dans cette Chambre et que je vous révèle des parcelles de vérité ?

C'est impossible. Il y a des gens qui se sont plus ou moins rendus coupables d'indiscrétions, de légèretés, de faiblesses, qui n'ont peut-être pas réfléchi aux conséquences des actes qu'ils commettaient, peut-être leur responsabilité est-elle plus gravement engagée que nous le pensons ?

C'est possible, mais ce n'est pas à moi qu'il appartient de le dire c'est au juge. (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)


M. Adrien Pressemane. Quand on a écrit ce que vous avez écrit dans L'Homme enclxaîné, vous pourriez parler plus clairement à la tribune. (Applaudissements sur les bancs du parti socialiste. Bruit.)

M. BEDoucE. Du banc de la tribune de la presse vous avez jeté des noms au pays

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Que nous demandezvous de plus ? La vérité ? Vous l'aurez. Je ne peux pas vous dire sous quelle forme en partie par le moyen de la publicité des débats et puis, s'il y a des révélations d'ordre politique à faire, il y a un tribunal politique dans ce pays-ci qui pourra juger. De même que la justice civile doit suivre son cours en temps de guerre, la justice politique doit le suivre aussi. Ce n'est pas mon affaire.

M. Bakthe. Et Caillaux ? (Mouvements divers.)

M. LE Président DU CONSEIL. Je n'ai prononcé aucun nom. Un journaliste est libre de sa discussion, sous sa responsabilité personnelle, devant les personnes dont il parle et devant les tribunaux de son pays. Un chef de gouvernement a une mission totalement différente. Je suis ici, je l'ai dit, pour mettre en action les lois. Elles seront mises en action. Si au cours des débats, vous voyez que j'essaie de ralentir le cours de la justice, comme cela est peut-être arrivé déjà. (Mouvements diuers.)Je dis « peut-être », je n'en voudrais pas fournir, en ce moment, la preuve, mais je sais qu'il y a des dossiers qui ont mis très longtemps pour arriver à un endroit déterminé. Peu importe. Les lois seront appliquées et s'il y a un certain nombre de faits politiques qui relèvent d'une autre justice, ils seront d'abord soumis, ce qui est très naturel, à l'opinion publique, portés à cette tribune ou dans la presse, suivant l'importance qu'ils pourront avoir. Vous jugerez vous-mêmes le genre de justice qui sera appliqué. Que pouvez-vous me demander de plus ? Est-ce que j'ai à m'occuper de l'inculpation de tel ou tel personnage ? Ce n'est pas mon affaire. Si je le faisais, je serais indigne d'être à cette tribune, à quelque titre que ce fût. Eh bien vraiment, quand je vous ai fait ces réponses, qui ne sont pas, je le reconnais, sans un certain décousu, je pense que j'ai répondu suffisamment aux principales questions qui m'ont été posées. (Exclamdtions sur les bancs du parti socialiste.) M. Barthe. Vous n'êtes pas tigre vous êtes autruche (Mouvements divers.)


M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Le seul avantage qu'on a de vieillir, c'est qu'on devient sourd. (Très bien très bien !) J'en ai fini avec ces courtes explications. J'étais venu ici dans l'espérance qu'il ne me serait pas nécessaire de prononcer les quelques paroles que j'ai prononcées devant vous.

Il me semblait que dans sa généralité la déclaration pouvait réunir l'assentiment commun.

La déclaration contient la bonne doctrine pure et saine de la Société des Nations. Elle contient ce mot dont vous auriez pu me tenir compte, que nous voulons vaincre pour être justes. Mais il faut réfléchir que, pour vaincre, il faut d'abord ne pas avoir donné trop de chances à ses adversaires contre soi. Quand votre gouvernement vous dit que nous saurons maîtriser l'orgueil de la victoire, ce n'est pas une phrase, cela veut dire quelque chose. C'est que nous savons que la victoire a des dangers.

Elle a des dangers pour celui qui la remporte et qui peut être tenté d'abuser de sa force. Eh bien moi, je ne suis pas de cette école-là, je m'en tiens au droit voilà un point sur lequel je n'ai jamais modifié mes idées. Nous voulons le droit et nous voulons la consécration par la force parce que nous avons été obligés de le faire.

Voilà notre programme, nous n'en avons pas d'autre. Nous voulons la justice comme œuvre d'apaisement je vous prie de retenir ce mot nous la voulons parce que, si dure qu'elle puisse être à certaines heures, il n'en résulte pas moins, dans la conscience de l'homme, une satisfaction du châtiment sur le criminel. Et quand le crime a été commis contre la patrie, alors il faut que la rigueur des lois suive son cours et je n'admets pas que la grâce, à aucun moment, puisse intervenir. (Applaudissements.)

Telles sont les paroles qui m'ont paru nécessaires pour me justifier des critiques, je dirai bienveillantes, qui m'ont été adressées. Je pourrais en dire beaucoup plus long contre moimême mais enfin, tout en vous remerciant de l'indulgence que vous m'avez témoignée, je tiens à vous dire ceci Vous avez un gouvernement qui sera un gouvernement, au sens très rigoureux il est dans ma pensée mais je dirai aussi au sens noble, au sens idéaliste du mot. Tout ce qui est dans vos esprits, je le connais il y a même beaucoup de vos préjugés que je


partage, mais où je me sépare de vous c'est lorsque vous voulez mettre des vues de l'esprit dans la pratique, au moment où nous sommes en guerre avec l'Allemagne. Cela, c'est impossible. En temps de paix, on fait des expériences, on se trompe, on fait une mauvaise loi, cela s'est vu (sourires), puis on la corrige quelquefois avec une autre loi qui ne vaut pas beaucoup mieux. C'est le temps de paix. Ce sont les luttes qui aident à faire la lumière dans les esprits, qui font que les réformes que vous instituez pourront s'infiltrer peu à peu dans l'ensemble du pays pour produire cette chose à laquelle vous ne pensez pas assez changer les mœurs, la seule chose qu'il soit nécessaire de réformer et qui est si difficile à réformer.

M. Kapfin-Dtjgens. Réformez la presse, d'abord.

M. LE PRÉSIDENT Du Conseil. Vous pourrez, pour bien éclairer la question, écrire un article là-dessus et me l'envoyer je le lirai avec le plus grand plaisir. (Sourires.)

M. Raitin-Dugens. Cela arrivera et nous verrons jusqu'à quel point vous pousserez l'impartialité

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Nous essaierons de gouverner honnêtement, républicainement, et si vous me permettez de l'ajouter dans un esprit de justice sociale.

Plusieurs membres sur les bancs du parti socialiste. Il y aura quelque chose de changé.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Nous essaierons. Vous n'êtes pas obligés de croire que nous réussirons, je n'en sais rien moi-même. D'une seule chose je suis sûr, c'est que mes collègues et moi bien que j'aie eu le regret d'apprendre aujourd'hui qu'ils avaient été fort mal choisis nous ferons de notre mieux. Si nous nous trompons, d'autres l'ont fait avant nous, d'autres le feront après.

Sur les bancs du parti socialiste. Trop tard.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Si nous sommes sincères, si nous consacrons tous nos jours et quelquefois toutes nos nuits aux travaux de la guerre, si nous tâchons enfin de faire que ce peuple arrive au moment, si impatiemment attendu par tous les hommes et toutes les femmes de France, qui assurera la victoire du droit par la volonté du soldat français si nous obtenons ce


résultat, je voudrais, pour la beauté de l'événement, que vous m'infligiez un vote de blâme, et je partirai content. (Exclamations sur les bancs du parti socialiste.)

Je sais que vous ne le ferez pas mais permettez-moi de vous dire que j'ai le droit d'en parler, puisque vous me l'avez infligé avant de connaître mon programme de gouvernement.

Sur les bancs du parti socialiste. Allons donc

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. « Allons donc ditesvous, mais cela ne veut rien dire. Je vous apporte des pensées, répondez-moi par des pensées.

Je me suis expliqué avec une parfaite sincérité. Je vous défie de venir ici nous dire qu'à un moment quelconque nous aurons fait effort pour vous tromper. Nous ne le ferons pas. S'il y a de mauvaises nouvelles à vous apprendre, nous souffrirons, nous saignerons, mais c'est ici que je voudrai les apporter. Ce jour-là, vous nous jugerez. (Très bien! très bien 1)

Réfléchissez, je vous prie, que nous acceptons un bilan qui est un peu chargé, que nous sommes ici depuis un très petit nombre de jours, et que, lorsque nous vous indiquons les principales directives, nous faisons tout ce qui nous est possible de faire. Nous vous apportons tous, je crois, la garantie d'une vie républicaine, toujours républicaine. Vous pouvez juger notre action politique comme il vous plaira. Il ne sera pas dit qu'à aucun moment nous ayons été, comme vous l'avez dit, une menace pour une classe particulière de la France ou, comme vous avez été jusqu'à le dire, un danger pour la défense nationale.

Si nous sommes un danger pour la défense nationale, venez ici en faire la démonstration. Si vous la faites, je ne remonterai pas à cette tribune, je quitterai cette enceinte. Si, au contraire, vous croyez que nous avons le mérite qu'on aurait pu demander à d'autres, de vouloir fortement, à travers tout, le salut de la France, donnez-nous votre confiance et nous tâcherons d'en être dignes. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs.)


CONFÉRENCE INTERALLIÉE

ALLOCUTION DE BIENVENUE AUX REPRÉSENTANTS

DES PUISSANCES

(29 novembre 1917)

MESSIEURS,

Au nom de la République française, l'honneur m'échoit de vous souhaiter la bienvenue.

Dans la plus grande guerre, c'est le sentiment d'une suprême solidarité des peuples qui nous réunit à cette heure pour conquérir sur les champs de bataille le droit à une paix qui soit vraiment d'humanité.

A ce titre, nous sommes tous ici une magnifique rencontre d'espérances, de devoirs, de volontés, en accord pour tous les sacrifices que commande une alliance dont aucune intrigue, aucune défaillance ne pourra jamais rien entamer.

Les hautes passions qui nous animent, il s'agit de les traduire en actes. Notre ordre du jour est de travailler. Travaillons. DISCOURS DE CLOTURE

(4 décembre 1917)

Puisqu'il est de mon devoir de prononcer la clôture de cette conférence, permettez-moi d'ajouter quelques paroles à celles que vous venez d'entendre. J'étais venu ici avec l'intention formelle de garder le silence afin de vous laisser sous l'impression des belles paroles que vient de prononcer mon ami l'éminent colonel House, qui représente si dignement le noble peuple américain.

En l'écoutant, je n'ai pu me défendre de penser que s'il y a une leçon à tirer des amitiés historiques qui réunissent aujourd'hui dans un glorieux passé les nations française et américaine, il n'y a pas un moindre enseignement dans l'abolition totale des vieilles inimitiés.

Dans le passé, nous avons été amis de l'Amérique, et ennemis de l'Angleterre. Français et Anglais ont lutté bravement et loyalement les uns contre les autres aussi bien sur terre que sur mer. Les deux peuples aujourd'hui sont tout à l'action de solidarité, d'amitié. Il n'y a plus ici de grandes et de petites nations.


Tous les peuples sont grands qui luttent pour le même idéal de justice et de liberté, et sauront l'obtenir à force de sacrifices bientôt magnifiquement récompensés.

Si j'en crois les journaux, une lourde voix se serait fait entendre de l'autre côté des tranchées pour railler cette conférence. Il n'y a pas ici matière à raillerie. Nos ennemis, qui ne voient rien au-delà de la force brutale, ne peuvent nous comprendre.

Nous sommes tous au combat sous les ordres de la conscience humaine. Nous voulons la même réalisation du droit, de la justice et de la liberté. Et nous sommes rassemblés pour faire que le droit, toujours promis, devienne réalité.

Même si de l'autre côté du Rhin on ne veut pas comprendre, le monde attend notre victoire. Il l'aura. Tous les peuples ici représentés s'entraident pour le succès de la plus grande cause. Nous travaillons pour conquérir par la force le droit à la paix.


DEUX INTERVIEWS

Il ne suffit pas de terminer la guerre

il faut garantir la paix, la paix du droit.

Dans une interview donnée au correspondant de Daily Express, M. Clemenceau vient de faire les déclarations suivantes

Je suis un vieil ami de votre nation. J'ai toujours aimé en elle la rectitude du jugement, la franchise dans l'action. C'est vous dire que je savais à l'avance dans quel esprit nous travaillerions à la conférence.

Vous verrez parles résultats que notre besogne a été féconde. J'estime que lord Landsdowne fait erreur (1) s'il avait été possible de résoudre les problèmes nationaux par la conciliation internationale, la guerre n'aurait pas éclaté.

Il serait néfaste de faire fi des réparations sous prétexte qu'il n'y a pas de compensation possible.

« Terminer honorablement » cette guerre n'est rien ce que je veux, c'est garantir la paix.

(4 décembre 1917.)

Le New York World publie l'interview suivante de M. Clemenceau Je suis d'accord avec lord Landsdowne sur ses prémisses « Sans une paix durable, nous sentons tous que la tâche que nous nous sommes fixée restera inaccomplie. »

Mais quelle paix sera durable ?

Une paix nette, une paix qui ne laisse place ni aux revendications des peuples opprimés ni aux dangers d'agression en un mot la paix du droit.

Hors de cela, il n'y a pas de salut. C'est être bons citoyens du monde, autant que patriotes, que de persévérer dans nos efforts aussi longtemps qu'il le faudra pour qu'une paix de justice soit obtenue.

Impérialisme d'un côté démocratie de l'autre côté entre les deux un abîme que rien, quoi qu'en puisse croire lord Landsdowne, ne peut combler.

(13 décembre 1917.)

(1) Cet ancien ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne venait de prendre publiquement position en faveur de tentatives de paix.


TOUS LES CITOYENS

SONT SOUMIS A LA JUSTICE ET AUX LOIS,

SANS CELA, PAS D'ESPRIT PUBLIC

Déclaration à la Commission de poursuites

à propos de l'affaire Caillaux (21 décembre 1917)

M. Laurent vient de prononcer un mot qui ne me fait pas peur il a parlé de responsabilité. Je suis ici pour prendre mes responsabilités, et si la loi ne me faisait pas un devoir d'abriter ma responsabilité derrière la vôtre, je l'aurais prise tout seul. Je vous prie de considérer ma situation. Pendant trois ans, tous les jours j'ai critiqué la conduite de la guerre à travers tous les gouvernements. Je l'ai critiquée au point de vue de l'esprit qu'on faisait à nos populations, en leur cachant une partie de la vérité, et au point de vue des craintes dans lesquelles on les faisait vivre alors que la guerre se prolongeait. Je l'ai critiquée au point de vue de la conduite même des opérations militaires. Vous m'accorderez bien que je n'ai pas sollicité un portefeuille de M. Poincaré. Le jour où il m'a fait appeler, j'étais déshonoré si j'avais refusé de prendre le pouvoir. Cependant, la situation était grave, peut-être plus grave que vous ne pensez, mon cher collègue. J'ai accepté, pour faire tardivement ce qu'on n'avait pas fait antérieurement. J'essaie, voilà tout, j'essaie de conduire la guerre dans des conditions qui vont nous préparer des mois très difficiles, auxquels nous ferons face néanmoins, et je m'efforce de maintenir l'excellent état moral des populations de l'arrière et de l'avant.

Vous avez dit que le public était avec moi. Ce n'est pas cela qui nous fait marcher, et même je l'ai dit à la tribune, c'est ce qui me fait peur. Cela ne m'empêche pas de prendre mes responsabilités. II le faut. Si, pendant trois ans, on n'a eu personne pour prendre des responsabilités graves le fait est là, heureux ou malheureux je viens ici pour les prendre.

Croyez-vous que ce soit un bon état d'esprit pour les poilus, connaissant les choses vaguement, mais les sentant tout de même, de penser que, pendant qu'ils se battent, il y a derrière eux des gens qui les trahissent ? Tout, excepté cela Je pourrais vous citer des exemples à l'infini d'hommes que j'ai vus,


que je ne connaissais pas, qui sortaient de leurs tranchées pour me dire ces choses et même pour me dire des choses si violentes que je ne veux pas les répéter ici. Il faut songer que l'état moral du soldat n'a jamais été meilleur, dans les circonstances les plus graves, et vous voulez lui enlever la certitude de savoir qu'il est défendu Je l'ai dit dans ma déclaration il saura qu'il est défendu mais on le défend non par des discours, mais par des actes, et le premier de tous, puisqu'il y a des lois et une justice, c'est de soumettre tous les citoyens, y compris les sénateurs et les députés, à la justice et aux lois. Voilà mon principe, je m'y tiens

DISCUSSION A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

DU PROJET DE LOI RELATIF A L'APPEL DE LA CLASSE 1919 (28 décembre 1917)

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Je n'ai que de très courtes explications à soumettre à la Chambre. Je ne connais rien de supérieur à la nécessité des faits. L'honorable M. Deguise a exprimé à cette tribune des sentiments qui sont-les miens il a parlé des pères et des fils qui sont au front. Je le prie de croire que l'émotion qu'il a si simplement et si sincèrement exprimée est la mienne quand je lui réponds.

Nous nous battons depuis trois ans et nous voulons terminer la guerre par la victoire française. C'est bien hier que la Chambre, à l'unanimité.

M. Mayébas. Moins cent voix (Mouvements divers. Interruptions.) M. Camille Blaisot. Ce n'est pas la peine de revendiquer ces abstentions.

M. LE PRÉSIDENT. Mais non pas moins cent voix. Il y a un malentendu. On parle de la victoire française, il ne peut y avoir cent voix de moins. (Applaudissements.) La Chambre est unanime à la désirer. (Très bien trés bien !) Pourquoi interrompre ? (Mouvements divers sur les bancs du parti socialiste.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Comme le dit fort bien M. le Président, quand on parle de vaincre, il ne peut zr avoir


cent voix d'abstention ou cent voix d'opposition. Il y a l'unanimité. (Applaudissements.)

M. MATERAS. Ce n'est pas cela qu'il y avait dans l'ordre du jour. M. LE PnÉSmEriT. C'est ce que dit l'orateur et vous l'interrompez dans une méprise cruelle à tous les Français. (Applaudissements.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Tout au moins ne me contredirez-vous pas quand je dis que la Chambre a approuvé le langage de M. le Ministre des Affaires étrangères. L'ordre du jour a été adopté par 393 voix contre 0 (1).

Cette politique est la politique du gouvernement et la conclusion de la déclaration de M. le Ministre des Affaires étrangères c'est qu'il faut continuer la bataille, je demande à la Chambre de m'en fournir les moyens. (Très bien très bien 1) M. LAUCHE. Cela, nous pouvons le discuter.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Il n'y a pas d'autre discussion.

Permettez-moi de vous dire que vous m'avez un peu surpris. Vous nous avez démontré qu'il fallait, autant que possible, ne pas enlever d'agriculteurs à la terre pour les porter vers les tranchées ou les réfections de chemins à l'avant puis vous vous êtes plaints que nous prenions des auxiliaires.

Mais enfin, s'il me faut un personnel, il faut bien que je le prenne quelque part.

M. DEGUISE. II ne fallait pas faire tuer tant de monde avant. (Exclamations et bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous me répondrez. Je ne dis rien qui puisse passionner le débat. Vous m'avez précédé à cette tribune, laissez-moi m'expliquer.

Je ne puis vous suivre dans ce raisonnement. Lorsque je me suis trouvé en face du chiffre X demandé par le commandant en chef, j'ai cherché comment je pourrais répondre aux besoins dont il me manifestait l'existence. J'ai songé aux vieilles classes. Mais, il faut être franc, j'y songe encore et j'y songerai s'il est nécessaire.

Je vous ai dit, le jour où je suis monté à cette tribune comme chef du gouvernement, la première fois, que nous pourrions différer d'avis, mais que jamais vous ne me prendriez en flagrant (1) M. Steplien Pichon avait été très ferme. « Son discours a été admirablement accueilli w, écrit Poincaré dans ses Souvenirs, t. IX, p. 441.


délit de mensonge; vous ne m'y prendrez pas plus aujourd'hui qu'un autre jour. Je dis ce qui est.

Pour deux mois de travail, en janvier et février, il pourrait être nécessaire de faire appel, sinon aux soldats de la classe 1889, je ne le crois pas, du moins à un certain nombre des classes 1890 et 1891, voilà le pire. J'espère que nous n'aurons pas besoin d'y recourir, mais je vous demande la liberté de le faire en votre nom et au nom de la France si l'intérêt de la France l'exige. J'ai pensé aux prisonniers de guerre. La situation aurait pu presque être résolue si nous n'avions pas, vis-à-vis de l'Allemagne, un engagement que nous prétendons tenir, parce que nous sommes obligés de réduire à un chiffre assez faible le nombre d'hommes que nous pouvons employer hors de la portée du canon, c'est-à-dire à 30 kilomètres, comme il a été convenu.

Je songe aux Russes qui ne se battent pas, mais qui sont prêts, dans l'exercice de leur pleine liberté, à accepter ce travail. Rien de plus naturel.

Je songe aux auxiliaires. On me dit Ces auxiliaires sont des hommes fatigués, habitués à faire un métier de rond-de-cuir, il ne faut pas leur faire manier la pelle et la pioche.

D'une manière générale, cette opinion peut avoir sa valeur, mais ils ne sont pas tous dans ce cas (très bien! très bien!) et si vous voulez bien songer que nous avons 124 000 auxiliaires disponibles, si j'en prends 30 ou 35 000, voire 40 000,. vous m'accorderez bien que je puis envoyer au travail de la terre les hommes en état de l'accomplir. (Très bien! très bien!)

M. Botjvjehi. Ils seront mieux là que sur la paille humide des casernes. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.. C'est très bien, nous voici d'accord.

M. LAucim. A condition que ces hommes soient bien examinés et que les cantonnements soient en bon état.

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. M. Loucheur vous a dit qu'il avait envoyé des entrepreneurs pour refaire les cantonnements.

Vous voyez qu'en dépit des préventions qui peuvent exister de part et d'autre nous ne serons pas éloignés de nous entendre.

Sur les bancs du parti socialiste. Non Non


M. LE PRÉSIDENT du CONSEIL. Alors laissez-moi profiter de mon avantage de n'être pas de votre avis pour dire mes raisons. (Très bien! très bien!)

Il est une autre ressource de main-d'œuvre je vous demande la permission de n'en parler qu'avec discrétion il s'agit de la main-d'œuvre qui nous sera prêtée par quelques-uns de nos Alliés. (Très bien très bien!)

M. LA.UCHE. Pressez.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Ne dites pas de presser. Je ne puis pas entrer dans le détail des négociations qui sont en bonne voie.

Il y a enfin, je le dis tout net si je ne trouve pas ainsi la quantité de main-d'œuvre dont j'ai besoin pour pourvoir aux demandes de M. le Général en chef il y a le recours aux agriculteurs qui, pendant les mois de janvier et février ne sont pas retenus à la terre par des travaux indispensables et à qui je demanderai, pendant six semaines ou pendant huit semaines, d'abandonner leurs champs.

M. Louis Gtjichabd. Chez nous on plante les pommes de terre du 15 février au début de mars.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je vous le dis très net, si vous entendez que je ne fasse pas ce travail, vous n'avez qu'à me le signifier, je descends de la tribune, la discussion est close et vous n'avez plus de gouvernement. S'il y a d'autres ressources, dites-moi où elles sont, je les prendrai. Si vous ne m'en offrez pas d'autres, je me trouve en face d'une nécessité à laquelle je ne peux me soustraire.

Messieurs, vous avez vos responsabilités, moi j'ai les miennes et le gouvernement a les siennes. Nous vous apportons ici l'exposé de la situation. Vous avez très bien dit « La France combattait, ses hommes tombaient quand nos Alliés n'étaient pas encore en état d'arriver à notre secours. Combien sont morts, dont la vie aurait été sauvée, non seulement pour les combats d'aujourd'hui, mais pour les combats de la paix à venir si nos Alliés avaient pu intervenir à temps. »

Ils ne l'ont pas pu qu'ai-je pu changer à cette situation ?

Les faits se déroulent, d'une nécessité inéluctable je les prends tels qu'ils me sont offerts par les événements d'aujour-


d'hui. C'est la question d'aujourd'hui que j'ai à résoudre, je n'ai pas de théorie à faire. (Applaudissements.)'

Je ne suis pas chargé de dire si les Alliés ont eu tort à telle ou telle heure de prendre telle ou telle résolution, j'ai à pourvoir à la nécessité d'aujourd'hui. Vous me dites « Attendez que les Alliés aient fait la part équitable entre tous les membres de la coalition. » Je n'ai pas le temps d'attendre. La Russie, le peuple russe et l'armée russe ont momentanément déserté leurs devoirs envers l'alliance je n'en suis pas comptable, mais il me faut pourvoir aux nécessités qui résultent de ce fait, qui m'annonce peut-être l'arrivée de masses allemandes sur notre front, et c'est à ce moment que vous me chicaneriez pour quelques centaines d'hommes dont j'ai besoin pour faire des travaux à la terre ? Ce n'est pas possible (Applaudissements.) Je crois m'être posé le problème honnêtement, et l'avoir posé à mes collaborateurs dans mon cabinet, dans les conditions que l'expérience actuelle, puis-je dire, imposait à notre attention, et qui nous dictait même, comme une absolue nécessité, certaines solutions. J'en ai pris mon parti, j'ai déclaré dès le premier jour J'irai à la Chambre et je dirai que j'ai besoin d'un certain nombre d'agriculteurs pour aller au front.

Nous avons discuté quelles étaient les autres ressources nous sommes arrivés à cette conclusion, que nous pourrions peut-être j'irais même un peu plus loin si je ne voulais pas que vous puissiez me reprocher, un jour, d'avoir escamoté un vote nous passer du concours des classes agricoles.

J'en serais heureux, car je vous prie de croire que, moi aussi, je sais ce que c'est que les agriculteurs. J'ai été élevé à la campagne, j'ai vécu au milieu des paysans. Je connais leur vie, je connais leur dévouement. Je sais quelle grande âme est la leur. Ils sont partis pour le front, sans rien demander, et ont donné leur vie gaiement. (Applaudissements.)

Passant dans mon pays de Vendée, j'y ai vu des paysans qui me disaient qu'ils avaient quatre de leurs fils tués, le cinquième prisonnier et le sixième sur le front. En pleurant, ils me disaient « Pouvez-vous nous promettre que cela finira bien ? » Je répondais « Oui, cela finira bien. Alors, je donne tout à mon pays », ajoutaient-ils. (Applaudissements.) Et vous croyez que ces hommes seraient gens à marchander les six semaines de travail de terre que nous leur demanderions ?


Non, ce serait leur faire injure que de le supposer. Pour une fois, laissez-moi vous dire qu'il n'est pas possible que nous ne soyons pas tous du même avis, et je crois que nous le sommes, en effet, parce que nous voulons la même chose. (Applaudissements.)

Sur quelques bancs du parti socialiste. Non non (Mouvements divers.)

M. Raffin-Dugens. Il s'agit de savoir utiliser les hommes.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. En tout cas, si vous ne m'approuvez pas, vous me fournirez d'autres ressources de main-d'œuvre que je m'empresserai d'accepter. Vous ne pouvez pas ne pas vouloir que les travaux, reconnus indispensables par le grand quartier général, ne soient pas accomplis.

La responsabilité à prendre serait si grande que je ne puis pas croire qu'il n'y ait pas, comme hier même, un vote unanime dans la Chambre. (Applaudissements.)

Voilà tout ce que j'ai à vous dire. La question est extrêmement simple. La politique en est absente. Les récriminations ne peuvent pas y trouver matière à se développer. Nous n'avons rien à reprocher à personne. Personne n'a rien à nous reprocher, puisque nous avons accompli notre devoir élémentaire.

Mais je profiterai de l'occasion pour aller jusqu'au bout de ma pensée. Comment il y a 1 200 000 mobilisés à l'arrière, parmi lesquels il y a des hommes de jeunes classes. Vous me direz qu'ils sont au front à leur manière, que le paysan qui laboure son champ, l'ouvrier de l'usine qui tourne l'obus, ne font pas moins œuvre de guerre, et aussi vaillamment, que le soldat qui est au front. Mais à l'arrière, il y a la manœuvre des effectifs tout comme à l'avant. Il y a des heures, quand le travail presse dans une partie de l'atelier, où tous les ouvriers y courent. Si le front a besoin de l'arrière, il faudra que ceux de l'arrière et ils seront les premiers à le demander en reprennent le chemin. J'ai dit (Tlifs applaudissements.) (1) (1) A la suite de cette intervention le Président de la République écrit à Clemenceau pour le féliciter de son discours « si nerveux et si péremptoire ». A la date du 30 décembre il consigne dans ses notes « Clemenceau vient me voir. Comme il ne parle pas de ma lettre, je lui renouvelle mes compliments. Il me répond « Cela « a été tout seul. Il n'y a qu'à parler net. Il n'y a rien qui vous rende si fort que de o ne pas tenir à rester au pouvoir.


INTERVIEW

DONNÉE A UN RÉDACTEUR AU « PETIT PARISIEN »

(5 janvier 1918)

Je lui ai dérobé, hier, quelques instants.

« Eh bien ? Que voulez-vous que je vous dise puisqu'il est bien entendu que je ne peux pas vous donner d'interview ? Je vous souhaite une bonne année. »

Il s'arrêta

« Et à moi aussi.

« Mon programme ? La guerre naturellement L'intensification de la guerre. Et soutenir nos soldats, faire tout pour eux, tout Lutter Et vaincre Yoilà Mes projets ?. Vaincre Mais faut-il annoncer à l'avance tout ce que l'on doit faire ?. Non On fait ce que l'on doit faire. Et quand c'est fait, on le dit. Je suis très content de vous avoir vu. Au revoir. COMMUNIQUÉ DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE GUERRE (Ce texte est presque entièrement de la plume de M. Clemenceau)

Lundi 4 février 1918.

Du 30 janvier au 2 février, le Conseil supérieur de Guerre, sous la présidence de M. Clemenceau, a tenu sept séances plénières à Versailles.

Étaient présents

Pour les États-Unis d'Amérique général Bliss, général Pershing.

Pour la France M. Clemenceau, M. Pichon, général Foch, général Pétain, général Weygand.

Pour la Grande-Bretagne M. Lloyd George, Lord Milner, général sir W. Robertson, field-inarshal sir D. Haig, général sir H. Wilson.

Pour l'Italie M. Orlando, baron Sonnino, général Alfieri, général Cadorna.


Réponse aux Empires centraux

Le Conseil supérieur de Guerre a examiné avec le plus grand soin les déclarations récentes du chancelier allemand et du ministre des Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie. Il lui a été impossible d'y trouver rien qui se rapproche des conditions modérées formulées par tous les gouvernements alliés. Cette conviction n'a pu être que fortifiée par l'impression que produit le contraste entre les fins prétendues idéalistes en vue desquelles les puissances centrales ont entamé les négociations de BrestLitowsk (1) et les plans de conquête et de spoliation aujourd'hui mis à jour.

Dans ces conditions, le Conseil supérieur de Guerre a jugé que son seul devoir immédiat était d'assurer la continuation, avec la dernière énergie et par la coopération la plus étroite et la plus efficace, de l'effort militaire des Alliés. Cet effort devra se poursuivre jusqu'à ce qu'il ait amené chez les gouvernements et chez les peuples ennemis un changement de dispositions propres à donner l'espoir d'une paix conclue sur des bases n'impliquant pas l'abandon devant un militarisme agressif et impénitent de tous les principes que les Alliés sont résolus à faire triompher principes de liberté, de justice et de respect pour le droit des nations.

Unité de politique et d'action

Les résolutions prises par le Conseil supérieur de Guerre, pour faire suite à cette conclusion, ont embrassé non seulement la conduite générale des affaires militaires des Alliés sur les différents théâtres de la guerre, mais plus particulièrement la coordination plus étroite et plus efficace sous le contrôle du Conseil de tous les efforts des puissances unies dans la lutte contre les Empires centraux. Les attributions du Conseil luimême ont été étendues et les principes d'unité de politique et d'action, posés à Rapallo, au mois de novembre, se sont développés sous une forme concrète et pratique. Sur toutes ces questions une commune entente s'est réalisée, après la discussion la plus approfondie de la politique à suivre et des mesures d'exécution.

(1) L'arrêt des hostilités entre Russes et Allemands est intervenu le 15 décembre 1917. Les négociations du traité de paix se sont immédiatement ouvertes.


Accord complet

L'accord complet s'est ainsi établi aussi bien entre les gouvernements qu'entre les chefs militaires dans toutes les directions nécessaires pour que les résolutions concordantes puissent recevoir leur plein effet.

De là, pour tous, un tranquille sentiment de force indéfectible par la ferme confiance dans l'unanime accord non seulement sur les dispositions, sur les moyens, mais d'abord sur les vues.

Une coalition au grand jour de consciences et de volontés, qui ne poursuit d'autres desseins que la défense des peuples civilisés contre la plus brutale entreprise d'oppression mondiale, oppose aux violences de l'ennemi la tranquille maîtrise des plus hautes énergies incessamment renouvelées.

Les grands soldats de nos démocraties ont marqué leur place dans l'histoire par l'éclat d'héroïques vertus pour lesquelles il n'est plus de mesure, tandis que la noble endurance des populations civiles dans les terribles épreuves de chaque jour n'atteste pas moins haut que le magnifique élan de nos armées quelle victoire morale, la victoire militaire de l'Entente libératrice aura la gloire de consacrer.

LETTRE

A M. Ferdinand BUISSON

La liberté des journaux sur le front

M. Ferdinand Buisson, président de la Ligue des Droits de l'Homme, a reçu de M. Clemenceau la lettre suivante

ce En vue de mettre fin aux abus que vous avez bien voulu me signaler, j'ai rappelé au général en chef les questions suivantes

Aux armées et à moins qu'ils n'aient fait l'objet d'une interdiction légale, dont il devra toujours m'être rendu compte, conformément au décret du 8 avril 1917, la vente des journaux ne peut être entravée de quelque manière que ce soit.

Dans les mêmes conditions, leur lecture devra y être entièrement libre à quelque opinion qu'ils appartiennent.


Il ne sera jamais perdu de vue qu'en cette matière comme en toutes autres, la liberté d'opinion politique ou religieuse doit être aux armées, comme ailleurs, scrupuleusement garantie. » Vendredi 8 février 1918.

DISCOURS A LA SORBONNE

(ler mars 1918)

LE COMITÉ ct L'EFFORT DE LA FRANCE ET DE SES ALLIÉS »

COMMÉMORE L'INVIOLABLE SERMENT DE PROTESTATION

DE L'ALSACE ET DE LA LORRAINE DU ler MARS 1871

MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE,

MESDAMES, MESSIEURS,

Je suis trop honoré que vous vouliez m'entendre (1). Mais je n'ai pas osé réclamer l'honneur de parler aujourd'hui. Vous avez eu toutes les satisfactions de la parole. Moi, ma fonction est de faire, j'agis. Je veux rendre vivantes les paroles que vous avez entendues. Et je comprends bien que vous ne m'appelez ici que pour avoir la confirmation de l'action qui m'incombe, ce que je ne saurais vous refuser.

M. le Président du Sénat, M. le Président de la Chambre, M. le Ministre des Affaires étrangères ont prononcé des paroles qui sont l'histoire d'hier, l'histoire d'aujourd'hui et ne seront jamais oubliées.

Ce n'est pas pour nous, ce n'est pas pour vous qu'elles avaient besoin de se faire entendre. Ce n'est pas même pour toutes les oreilles du dehors qui les recueilleront et en garderont le souvenir impérissable. C'est pour les peuples qui se sont rués à l'assaut du monde civilisé et qui ont besoin d'apprendre qu'ils se heurteront jusqu'au bout à des consciences d'honneur, à des âmes de dignité humaine qui sont et resteront sans défaillance. Car les paroles que vous avez applaudies, il faut maintenant les faire vivre dans l'action de combat contre les pires ennemis de l'humanité.

(1) C'est une improvisation. Plusieurs ovations, écrit Poincaré, en l'honneur de Clemenceau qui est assis à côté de moi. A la fin de la séance le public le force à parler. s


J'étais il y a quelques jours au front. Je vous apporte, de nos grands Soldats, la parole qui court sur toutes les lèvres, qui fait bondir tous les cours « Ils ne passeront pas. »

Cela dit, que pourrais-je ajouter ?

Nous sommes fiers d'être un peuple de haut idéalisme, mais les plus nobles sensations de l'homme, les plus beaux sentiments qui font sa grandeur se paient chèrement, au rude contact des peuples ennemis, par des douleurs, par des sacrifices qui sont pour nous l'épreuve de ce jour et qui porteront pour nos fils les plus belles récompenses de l'histoire.

L'épreuve commença pour moi dans cette assemblée de Bordeaux dont On parlait tout à l'heure, quand je vis mes meilleurs amis d'Alsacè arrachés du Parlement français et que bientôt cette terrible tragédie, demeurée vivante en moi depuis cette douloureuse journée, vit son souvenir s'abîmer dans la cruelle indifférence des peuples de la terre, pressés de s'acéommoder à toutes choses, ignorant l'inévitable fatalité des revanches dé la justice et de là liberté.

Eh bien, cette revanché est Venue en dépit de nous-mêmes. C'est notre ennemi qui nous l'a imposée. Tous les peuples sont debout pour là plus grande idée qui soit l'établissement d'une justice meilleure parmi les hommes. Et chacun doit comprendre que la première condition en est dans l'indépendancé des nations qui sont venues à la vie de l'histoire avec des aspirations de vie supérieure pour toute l'humanité. C'est le plus grand devoir qui nous ait été implosé depuis que la France a conquis dans le monde un renom de générosité qui fait qu'en combattant pour elle-même, elle se fait gloire de lutter pour tous les peuples épris de justice, pour un avenir meilleur dès sociétés humainès. C'est l'œuvre que nous sommes tous ièi, vous et nous, en train d'aècomplil'. Ce que vous voulez bien saluer en moi, c'est l'espérance, c'est la volonté d'une réalisation prochainé. Confiance, l'heure vient. Je ne suis qu'un humble soldat qui passé. Vous êtes ici des représentants spontanés de la Frangée. Ce que la France veut, on vous l'a dit aujourd'hui, vous le répéterez demain jusqu'à la victoire qui sera votre œuvre à vous pour une assez belle part, l'œuvre de tous les Français.


JE FAIS LA GUERRE »

Réponse à une interpellation de M. Émile Constant, député, « sur les responsabilités gouvernementales et les compromissions révélées par les débats du procès Bolo », appuyée par M. Renaudel, au nom du parti socialiste (8 mars 1918).

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. J'aurais voulu pouvoir m'associer pleinement aux paroles de M. Renaudel, et je l'aurais fait s'il n'avait cru devoir me mettre personnellement en cause pour m'accuser de crimes politiques déterminés c'est ce sur quoi je tiens à m'expliquer.

D'abord je n'ai pas à répondre de faits qui ne sont pas de mon administration; et je m'étonne que M. Renaudel, qui est déjà un vieux parlementaire, puisse sérieusement-me demander de monter à la tribune pour justifier des actes dont je n'ai pas eu connaissance et dont je ne suis pas responsable.

Je ne puis pas l'admettre. Je suis à la tribune pour discuter un point seulement, à savoir qu'on m'accuse de laisser faire des campagnes et qu'on m'en rend responsable. J'en suis bien fâché, vous êtes de grands libertaires mais, pendant trois ans, vous avez vraiment pris un peu trop facilement l'habitude d'être protégés par la censure, tandis que vos adversaires ne l'étaient pas. (Applaudissements sur divers bancs. Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

J'ai connu un temps où ce même M. Léon Daudet, dont vous parlez aujourd'hui, me mettait en vedette d'ignominie et de honte, chaque jour, en tête de chaque numéro de son journal. Non seulement la censure laissait faire, mais c'est moi qui étais blanchi par cette même censure. J'ai connu un temps où il ne m'était pas permis de rappeler, sans être immédiatement échoppé, qu'avant la guerre et quelques jours même avant la guerre, vous votiez contre ks crédits militaires. (Très bien Très bien â gauclte et au centre.) Je suis bien obligé de rappeler oela, puisque vous me forcez à m'expliquer. Je ne suis monté à la tribune, ni pour engager des querelles, ni pour polémiquer, mais enfin, puisque je suis perpétuellement attaqué à propos


de faits que je n'ai pas connus et que je n'ai pas commis, il me sera bien permis de m'expliquer sur la doctrine du gouvernement. C'est pour exposer cette doctrine que j'ai demandé la parole, afin qu'il soit bien entendu, dans le vote que vous émettrez tout à l'heure et qui sera un vote sur la confiance que les républicains continuent d'avoir dans les libertés.

On fait des campagnes contre tel ou tel d'entre vous et vous vous étonnez. Messieurs, voilà cinquante ans qu'on en fait contre moi. (Mouvements divers.)

Quand m'a-t-on entendu m'en plaindre en quelque manière que ce soit ? Il m'est arrivé de répondre, il m'est arrivé de dédaigner et de ne pas lire. Soyez sûrs que c'est encore le meilleur remède.

Aujourd'hui vous me demandez sérieusement d'arrêter les campagnes contre telle ou telle personnalité.

Sur divers bancs du parti socialiste. Mais non.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous ne l'avez pas demandé ? Alors vous parlez pour ne rien dire. (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

M. Mayéras. N'affectez pas de ne pas comprendre ? (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL,. Laissez-moi parler, sinon je descends de la tribune.

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, vous avez plusieurs orateurs inscrits ils parleront à leur tour mais veuillez écouter M. le Président du Conseil, sans l'interrompre.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. A plusieurs reprises vos orateurs et récemment M. Renaudel m'ont accusé de faire des campagnes.

M. Pierre RENAUDEL. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Il y en a au moins un d'entre vous qui le reconnaît. Je vous ai avertis le premier jour. Je vous ai dit que j'allais supprimer la censure politique; je l'ai fait vous y avez applaudi, et si les événements nous séparent, vous avez bien attendu pour reculer.

Je n'arrêterai pas les campagnes. Si vous voulez les arrêter, nommez-en un autre à nia place, renversez-moi tout à l'heure. Alors vous pourrez avoir une censure qui arrêtera les campagnes contre les personnes.

M. Renaudel se plaignait tout à l'heure que je laissasse


donner la plus grande publicité aux affaires judiciaires. Mais quelle idée se fait-il de moi ? Comment Il y aurait des poursuites et je ne les laisserais pas arriver jusqu'aux oreilles du public Mais de quoi m'accuserait-on ? Les mêmes hommes qui me reprochent de permettre une publicité excessive me reprocheraient de cacher des faits de trahison ou tout au moins des affaires de trahison dont est saisie la justice.

M. Eugène Laurent. Voyez l'affaire Margaine, notamment.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous parlez de ce que vous ne savez pas. J'en suis bien fâché pour vous. (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

Je ne suis monté à la tribune que pour poser une question de gouvernement. Elle sera posée, malgré vous, contre vous ou avec vous, suivant ce que vous déciderez, mais elle sera posée, et elle sera suivie d'un vote de la Chambre. (Très bien! très bien !)

Je dis que les républicains ne doivent pas avoir peur de la liberté de la presse. (Applaudissements. Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

N'avoir pas peur de la liberté de la presse, c'est savoir qu'elle comporte des excès, c'est pour cela qu'il y a des lois contre la diffamation dans tous les pays de liberté, des lois qui protègent les citoyens contre les excès de cette liberté.

Je ne vous empêche pas d'en user. Il y a mieux il y a des lois de liberté (interruptions sur les bancs du parti socialiste) dont vous pouvez user comme vos adversaires rien ne s'y oppose les voies de la liberté vous sont ouvertes vous pouvez écrire, d'autres ont la liberté de cette tribune ils peuvent y monter comme vient de le faire l'honorable M. Painlevé. De quoi vous plaignez-vous ? Il faut savoir supporter les campagnes il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés. (Applaudissements au centre et à droite. Exclamations et bruit sur les bancs du parti socialiste.)

Parlez, discutez, prouvez aux adversaires qu'ils ont tort et ainsi maintenez et gardez avec vous la majorité du pays qui vous est acquise depuis le 4 septembre.

Voilà la première doctrine que j'ai à établir quant à la seconde, elle ne sera pas moins clairement exposée.


J'ai écouté cette longue discussion et je ne puis blâmer l'honorable M. Painlevé d'avoir éprouvé le besoin de se défendre; loin de là, mais vraiment, à l'heure où nous sommes, quand les événements que vous savez se préparent, si un jour un historien prend la plume pour dire de quoi, par la faute de quelques-uns, délibéraient les Chambres françaises à cette époque. (Applgu* dissements sur divers bancs à gauche, au centre et à droite. Réclamations sur les bancs du paru socialiste.)

M. Paul Paineevé. Ce n'est pas moi qui en suis cause.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Ce n'est pas vous que j'ai mis en cause. J'ai pris la peine de le dire très clairement en commençant, je regrette que vous ne l'ayez pas entendu. Je ne mets personne en cause. Je n'ai à juger personne. Je suis, pour un temps qui sera plus ou moins long, le chef du gouvernement républicain et j'ai à ce titre, des doctrines à défendre à cette tribune. Si la Chambre devait me donner tort, j'aurais le devoir de remettre ma démission à M. le Président de la République.

La première de ces doctrines, c'est le principe de la liberté que j'ai posé. La seconde, dans les circonstances actuelles, c'est que nous sommes en guerre, c'est qu'il faut faire la guerre, ne penser qu'à la guerre, c'est qu'il faut avoir notre pensée tournée vers la guerre et tout sacrifier aux règles qui nous mettraient d'accord dans l'avenir si nous pouvons réussir à assurer le triomphe de la France.

Je comprends très bien, comme on l'a dit, que, malgré cette situation, on vienne ici traiter des affaires de trahison parce que c'est une partie de la guerre. Un jour, M, Renaudel disait que le cri « Nous sommes trahis », était un cri de lâcheté, Peut-être

La Révolution remportait la victoire au cri de « Nous sommes trahis » Dans ce temps-là, il y avait sur la place de la Concorde. (Bruit et interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

M. LE PRÉSIDENT. II y a une première liberté, celle de la tribune. Je vous prie, mes chers collègues, de la respecter. (Très bien Très bien !) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Dans ce temps-là il y avait sur la place de la Concorde un instrument de concorde. (Très bien Très bien.)


Aujourd'hui, notre devoir est de faire la guerre en maintenant les droits du citoyen, en sauvegardant non pas la liberté, mais toutes les libertés. Eh bien, faisons la guerre. Interrogeznous sur les procès de trahison. Dites que nous avons mal agi, dites que les administrations qui m'ont précédé ont mal administré la justice. C'est votre affaire. Vous trouverez toujours quelqu'un pour vous répondre.

Je suis aujourd'hui en face d'événements qui se préparent et que vous connaissez tous, auxquels je dois faire front, sur lesquels il faut absolument que ma pensée soit courbée, je pourrais dire chaque heure du jour et de la nuit. Aidez-moi vous-mêmes, mes adversaires (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

Sur les bancs du parti socialiste. Nous n'avons pas le même but Vive l'homme enchainé

M. LE PRÉSIDEPTT DU CONSEIL. Alors, vous l'avez dit « Nous n'avons pas le même but. » Je n'aurais pas voulu le croire. Il m'est arrivé un grand malheur à la naissance de mon ministère. J'ai été frappé d'exclusive par M. Renaudel et ses amis, avant qu'ils sachent ce que je pensais dire ou faire. Ils ont décidé, en vertu d'une noble science dogmatique, que j'étais un danger pour la classe ouvrière et pour la Défense nationale.

M. CHAUSSAT. Oui Et Draveil ? (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je le répéterai parce qu'il faut que cela figure au Journal officiel, ils m'ont décrété. quelques-uns d'entre eux sont venus me dire dans mon cabinet ce qu'ils pensaient de ce vote. (Mouvements divers.)

MM. ELLEN-PRÉVOST et Mayébas. Lesquels ? Les noms ?

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Ils ont décrété que j'étais un danger pour la classe ouvrière et pour la Défense nationale. Un membre sur les bancs du parti socialiste. Et vous l'avez confirmé, M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. La classe ouvrière n'est pas votre propriété, Messieurs, (Vifs applaudissements 4 gauche et au centre. Interruptions sur les bancs du parti socialiste.) M. CLAUSSAT. Elle a été votre victime 1

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Les mains de M. Renaudel et de M. Albert Thomas ne sont pas plus calleuses que les


miennes. J'en suis fâché pour eux, mais ils sont des bourgeois, tout comme moi. (Applaudissements.)

M. GISAY. C'est une plaisanterie ?

M. André LEBEY. Nous revenons aux méthodes d'avant guerre, ce n'est pas digne de vous, Monsieur le Président du Conseil.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Ceux que vous appelez la classe ouvrière me renient, j'en conviens et je le regrette, mais, malgré tout, je continuerai à travailler pour eux, malgré eux et pour tous. (Très bien Très bien!)

Mais vous ne pouvez pas oublier qu'ils vous renient de même.

J'ai dans ma poche un papier où M. Renaudel est plus que violemment attaqué et où on va jusqu'à le qualifier d'aide du citoyen Clemenceau. Je vous demande pardon, on va même jusqu'à l'appeler Monsieur Renaudel, ce qui est la pire injure. (Mouvements divers.)

Pour ce qui est de la Défense nationale, j'estime que pour prononcer qu'un gouvernement est un danger pour la Défense nationale, il serait nécessaire d'apporter des faits au lieu d'une opinion dogmatique qui n'est pas justifiée par les événements. M. Dkiyet. Vous l'avez dit de vos prédécessenrs

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Qu'ai-je dit ?

M. DRIVET. La même chose de vos prédécesseurs.

M. LE PRÉSIDENT. Veuillez, je vous prie, ne pas troubler inutilement la discussion par des interruptions. Vous répondrez.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Sans ces interruptions, j'aurais déjà fini.

Sur les bancs du parti socialiste. Parlez Parlez

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je ne suis pas un danger pour la Défense nationale parce que je ne puis avoir aucune ambition en ce monde, rien autre ne m'est permis que le désir ardent d'aider, dans la mesure de mes forces, mon pays à sortir de la situation où il se trouve. (Applaudissements.)

M. Louis DESHAYES. Comme tous ici!

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Je n'ai rien dit contre vous. Quand j'ai dit tout à l'heure que nous avions le même but, vous avez protesté. But ne veut pas dire moyen d'action. M. Louis Deshayes. Il y a la manière.


M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Eh bien je n'ai pas votre manière, et laissez-moi vous dire que j'en suis heureux. (Applaudissements sur divers bancs.)

Il faut justifier cet anathème prononcé le jour de naissance du ministère et pour cela tout est bon on interpelle sur tout. Comment avez-vous laissé faire plus ou moins bien cette enquête sur le ministère Painlevé ou sur telle affaire ? Pourquoi laissez-vous poursuivre des campagnes ? Pourquoi laissez-vous publier des documents judiciaires ? Et vous nous condamneriez si nous cherchions à les étouffer.

Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage. Eh bien, je ne suis pas enragé (très bien! très bien!). je suis un homme modéré, je suis un homme calme et prudent, un homme que le danger de son pays a rendu sage et attentif. (Applaudissements sur divers bancs.)

Croyez-vous que ce soit pour le plaisir de subir vos malédictions, vos injures et vos outrages, écrits ou parlés, que je suis à cette tribune en ce moment ? Si vous le croyez, je vous plains, je ne suis pas cet homme.

Et je vais vous dire toute ma pensée après, vous me combattrez comme vous voudrez.

A mesure que la guerre s'avance, vous voyez se développer la crise morale qui est à la terminaison de toutes les guerres. L'épreuve matérielle des forces armées, les brutalités, les violences, les rapines, les meurtres, les massacres en tas, c'est la crise morale à laquelle aboutit l'une ou l'autre partie. Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur. Et le grand peuple d'Orient qui a subi historiquement, pendant des siècles, l'épreuve de la guerre, a formulé cette pensée en un mot « Le vainqueur, c'est celui qui peut un quart d'heure de plus que l'adversaire croire qu'il n'est pas vaincu. » Voilà ma maxime de guerre. Je n'en ai pas d'autre. (Très bien, très bien !) Au fond de toutes les lois de la nature humaine, il y a une formule très simple à laquelle il faut toujours finir par se rallier. Je suis entré au gouvernement avec cette idée qu'il faut maintenir le moral du pays.

Un membre sur les bancs du parti socialiste. Vous avez réussi

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Le moral est excellent. Vous n'êtes pas détenteurs d'une recette de morale qui vous


soit particulière c'est le grand malheur des églises car vous n'êtes qu'une église. (Très bien Très bien \)

M. Charles Bebnabd. Une petite église

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Messieurs, toute ma politique tend à ce seul but maintenir le moral du peuple français à travers une crise qui est la pire de toute son histoire. Nos hommes sont tombés par millions Qui a jamais connu pareille chose ? Les sacrifices de toutes les classes possédantes dépassent tout ce qu'on a pu rêver, à ce point que quand on parle de riches, on est obligé de les qualifier de « nouveaux riches ». (Très bien Très bien sur divers bancs.)

Les pères ont donné leurs fils les malheureux habitants des départements envahis ont été soumis à des tortures telles qu'il n'y en a pas d'exemple dans l'histoire, et le grand aviateur Garros, qui me rendit visite avant-hier, dépeignait la situation de nos prisonniers quand, d'un mot, il disait « Si un homme ne recevait pas des paquets de la France, il serait obligé de mourir de faim. »

Voilà à quel régime sont soumis nos frères, nos parents, nos enfants, tous ceux que nous aimons, tous ceux vers qui nous tendons les bras. (Très bien! Très bien!) Cela, c'est pire que la bataille encore. Penser que l'homme qui est au combat, son arme en main, est obligé de reporter sa pensée vers sa femme qui peut-être est en pays envahi, vers ses vieux parents dont il n'a pas de nouvelles, vers son compagnon d'armes, son ami qui est à mourir de faim dans les abominables geôles allemandes 1 Et c'est de questions de personnes que vous venez me parler, dans ces conditions-là ? Je ne les connais pas. (Applaudissements droite, au centre et sur divers bancs à gauche.)

J'ai annoncé que je ne ferai rien contre vous (le parti socialiste). Je n'ai rien fait contre vous.

M. CLAussAT. Qu'auriez-vous fait ? (Bruit.)

M. LE Président, Monsieur Gaussât, veuillez garder le silence. M. Émile Laurent. M. le Président du Conseil n'a pas le droit de dire qu'il n'a pas pris de mesure contre nous. Il n'y en a pas à prendre, (Applaudissements sur les bancs du parti socialiste. Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. J'en suis bien heureux. Mais alors comment expliquez-vous que toutes les fois que je fais un acte, vous montez à la tribune pour me montrer qu'il #st dirigé contre la classe ouvrière ?


La vérité, c'est que vous ne trouvez pas à mordre sur ce gouvernement vous ouvrez la mâchoire et vous en êtes réduits à refermer les dents sans avoir pu l'entamer, (Mouvements divers.) Nous ne sommes pas au pouvoir pour faire triompher un parti, nous avons des ambitions plus hautes. (Bruit.)

M. André LEBEY. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Parmi nos actes, quels qu'ils soient, je vous défie d'en trouver un qui ne soit inspiré de cette unique pensée sauvegarder l'intégrité de l'héroïque moral du peuple français. Cela nous le voulons, cela nous le faisons, cela nous continuerons à le faire. Ce moral a été admirable, quoi que vous en disiez.

M. Bbenier. Nous en sommes convaincus,

M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL, Il n'en est pas moins vrai qu'il y a eu des heures où on n'aurait pas pu monter à cette tribune pour tenir le langage que je tiens. Je n'incrimine personne, ce n'était pas la faute des hommes, mais d'une situation générale sur laquelle je n'ai rien à dire. Mais aujourd'hui, c'est une chose énorme pour le pays de pouvoir penser et lever la tête, regarder les amis et les ennemis les yeux dans les yeux et de se dire « Je suis le fils d'une vieille histoire qui sera continuée. Mon peuple a écrit, mon peuple a pensé, mon peuple a fait ce qu'il a écrit, ce qu'il a pensé, ce qu'il a fait. nos neveux l'écriront, nos neveux le penseront, nos neveux le feront. (Applaudissements.)

Voilà pourquoi je suis au gouvernement et pas pour autre chose. Le moral de nos soldats fait l'admiration de leurs officiers, comme de tous ceux qui vont les voir. Pas d'excitation, une sérénité d'âme au-dessus de l'étonnement, des propos tranquilles et gais, un bon sourire de confiance, et quand on parle de l'ennemi, un geste auquel s'ajoute quelquefois une parole qui fait comprendre que tous ses efforts viendront s'épuiser devant le front français. (Applaudissements.)

Et les parents de ces hommes, les pères, les mères, nous les connaissons stoïques eux aussi. Pas de plaintes, pas de récriminations. Que la paix publique ait pu être maintenue comme elle l'a été pendant quatre ans, c'est à l'éloge, je le dis, des gouvernements précédents (très bien! très bien!) et aussi du peuple français lui-même. (Applaudissements.) Cela, il


faut le continuer, mais il y a peut-être des milieux où cela est devenu plus difficile qu'autrefois. Il y a l'excuse de la fatigue, des mauvaises paroles, il y a l'excuse des propos semés par des agents de l'ennemi il y a l'excuse de la propagande allemande. Mais, malgré tout cela, le moral du Français est immuable. Les civils ne sont pas au-dessous des poilus. (Applaudissements.)

Eh bien, Messieurs, voilà quatre mois que nous sommes au pouvoir. Je ne veux pas m'attribuer tous les mérites de ce xésultat je n'en ai pas un instant la pensée, mais nous avons peut-être concouru à le maintenir, à l'aider, en tout cas. Moi et mes collègues, j'en suis bien sûr, nous nous y sommes tous uniquement consacrés. Je ne viens pas vous demander des éloges, je n'aurais même pas voulu demander l'ordre du jour de confiance je ne le ferai que parce que vous m'y obligez. Aujourd'hui, je serais resté à mon banc si vous ne m'aviez pas provoqué je ne serais pas monté à cette tribune j'y monte. Mais, au moins, ne vous prononcez pas contre moi parce qu'il y a je ne sais quelle histoire de dossier égaré dans tel ou tel tiroir, dans tel ou tel bureau. Ayez le courage de votre opinion, dites pourquoi vous votez contre moi. Vous votez contre moi parce que vous voulez la guerre sans doute, mais pas par les procédés qui sont les miens.

J'aurai le courage d'aborder ce point avant de finir. On dit « Nous ne voulons pas la guerre, mais il nous faut la paix le plus tôt possible. »

Ah moi aussi j'ai le désir de la paix le plus tôt possible et tout le monde la désire, il serait un grand criminel celui qui aurait une autre pensée, mais il faut savoir ce qu'on veut. Ce n'est pas en bêlant la paix qu'on fait taire le militarisme prussien. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.) Tout à l'heure M. Constant me lançait une petite pointe sur mon silence en matière de politique étrangère. Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c'est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre politique extérieure, je fais toujours la guerre. Je fais toujours la guerre. (Applaudissements sur les mêmes bancs. Mouvements divers.)

M. Pierre Kenattdei,. C'est simple

M. Charles BENOIST. Oui, mais il fallait y penser.

M. Paul PONcET. Le képi rouge pour les officiers (Bruit.)


M. LE PRÉSIDENT Dû CONSEIL. Je cherche à me maintenir en confiance avec nos Alliés. La Russie nous trahit, je continue de faire la guerre. La malheureuse Roumanie est obligée de capituler je continue de faire la guerre, et je continuerai jusqu'au dernier quart d'heure. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite. Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

M. André LEBEY. Tout le monde le pense.

M. LE Président DU CONSEIL. Tout le monde le pense, dites-vous ?

M. André LEBEY. Oui.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je vous demande pardon j'ai lu dans les journaux un dialogue entre M. Renaudel et M. Longuet, et j'ai constaté que tous les deux ne pensaient pas, sur la paix, de la même façon.

M. Jean LONGUET. Et alors ?

M. LE Président DU CONSEIL. Alors, ne me dites pas que tout le monde est d'accord puisque, moi, je vous prouve que vous n'êtes pas d'accord. (Très bien, très bien!)

M. Jean LONGUET. Sur quels points ?

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je vous répondrai, Monsieur Longuet je ne peux pas dire tout à la fois.

M. Jean LONGUET. Ici personne n'est pour la paix à tout prix (Bruit.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Enfin, puisque vous m'y contraignez, je vais vous poser une question ce sera la dernière et elle sera bien claire.

De quoi s'agissait-il entre vous au Congrès national ? De savoir si vous voteriez les crédits de la guerre. (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

Si vous voulez, au nom de la liberté, m'interdire de parler, je vais descendre de la tribune. (Exclamations sur les bancs du parti socialiste.)

M. LE Président. Messieurs, il faut que cela finisse vous ne voudrez pas qu'on puisse dire que vous avez étouffé la discussion. (Très bien Très bien 1)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, De quoi s'agissait-il dans ce Congrès ? De savoir si demain vous voteriez ou non les crédits de guerre.


th bien La responsabilité de chacun de vous dans cette enceinte est celle-ci chaque homme doit toujours voter comme s'il dépendait de lui de faire la majorité. (Très bien! Très bien !) Et, s'il y a ici des hommes qui s'apprêtent demain, comme on l'affirme déjà, comme ils le proclament eux-mêmes, à voter contre les crédits de là guerre, c'est qu'ils désirent que l'unanimité de la Chambre vote contre les crédits de la guerre. (Très bien Très bien au centre et à droite.)

M. Pakvy, s'adressant à la droite. Est-ce que vous voulez la guerre éternelle, vous ? (Exclamations droite et au centre. Bruit.)

M. de Gaujb^kd-BanceIi. Nous avons payé assez cher pour qu'elle ne se termine pas par une défaite. (Très bien Très bien !)

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Qu'avant la guerre quelques-uns d'entre vous, super-idéalistes, aient pu noblement espérer qu'en refusant les crédits de la guerre, cet exemple serait suivi de l'autre côté du Rhin, et qu'ainsi ils pourraient procurer le désarmement universel, je le comprends.

Je n'étais pas des vôtres, mais on ne peut pas toujours faire la part de l'idéalisme, et je comprends que certains d'entre vous se soient résolus à ce suprême sacrifice dans l'espoir de la contagion d'une formule qui amènerait la cessation de la guerre dans l'humanité. Mais aujourd'hui où est votre excuse ? Vous avez fait l'expérience de la portée contagieuse de votre idéalisme. Vous savez comment il vous a été répondu de l'autre côté du Rhin. Pendant que quelques-uns d'entre vous obtenaient, je ne vous en blâme pas, qu'au début de la guerre on reculât la ligne de nos soldats pour retarder l'heure du conflit, afin qu'il fût bien établi que ce n'était pas nous qui avions la responsabilité de la guerre.

M. René Viviani. Voulez-vous me permettre de vous interrompre, Monsieur le Président du Conseil ?

Sur divers banc. ̃– Parlez Parlez

M. René Viviani. Je tiens à le dire et je suis heureux que, sur ce point, je n'aie à répondre qu'à vous, que jamais le parti socialiste n'a fait auprès de moi la moindre démarche. C'est dans son indépendance et sous sa pleine responsabilité que le gouvernement, dont j'étais le chef, il pria le 11 juillet, cette décision dont je prends, s'il est nécessaire, toute la fèSpùfi' sabilité. (Vifs applaudissements sur les bancs du parti socialiste.) M. tS Président Dt1 Conëëïl. J'enregistre avec grand plaisir les paroles de M. Viviani qui lui font le plus grand honneur. Il me permettra, cependant, de dire qu'à l'époque,


les journaux socialistes ne se sont pas fait faute de dire, il peut se rappeler, qu'ils l'avaient conseillée. (Bruit.)

M. Pierre RënaudëL. Des phrases extrêmement importantes sont prononcées, nous voudrions bien les entendre.

M. LE PRÉSIDENT. Il est en effet très regrettable que le bruit courte parfois la parole de l'orateur.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. J'ai dit que je félicitais M. Viviani de la mesure qu'il avait prise. Je l'avais déjà fait entrevoir auparavant et il le reconnaît. Je lui rappelle, cependant, qu'à cette époque tous les journaux socialistes avaient recommandé cette mesure.

M. Jean LONGUET. Non pas ce recommandé ?, approuvé.

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. « Approuvé », si vous voulez. Il n'y avait rien dans mon esprit qui fût de nature à diminuer l'acte excellent de son autorité.

M. Pierre RENAUDEL. voulez-vous me permettre de préciser sur ce point ?. (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Soyez tranquille, j'aurai bientôt fini.

Je comprends, dis-je, que vous ayez pu espérer du désintéressement héroïque, je veux bien le dire, de votre idéalisme, l'exemple d'une contagion qui ne s'est pas produite. La faute serait aujourd'hui de vouloir reprendre une tentative qui est si cruellement démentie par l'évidence des faits. (Très bien! Très bien !)

Mais votre programme, le programme des minoritaires et des majoritaires. Je ne sais pas ce qu'on entend par minoritaire ou majoritaire dans un parti unifié. (Exclamations sur les bancs du parti socialiste. Très bien Très bien !)

La tentative de paix démocratique par l'effet de la persuasion sur les révolutionnaires allemands, eh bien elle a été faite; elle a été faite par la Russie. (Très bien Très bien!) Ce sont vos amis qui l'ont tentée, je ne les ai pas combattus quand ils étaient au pouvoir, je les ai même encouragés. Qu'est-ce qu'ils ont donné à ce moment-là ? Kerensky voulait faire la guerre et prononçait des discours de guerre. Aujourd'hui Kerensky a disparu. Depuis longtemps Trotsky et Lénine ont abordé au grand quartier général allemand avec ces mots « Nous voulons faire une paix démocratique. ri Et on


a vu s'asseoir à la même table un prince régent de Bavière, ou un prince quelconque, deux révolutionnaires et une femme révolutionnaire, qui sortait de prison condamnée pour avoir tué un colonel. On a voulu faire une paix démocratique, tout le monde était d'accord. Vous savez ce qu'elle est devenue. Et quand vous continuez, par habitude, à nous demander nos buts de guerre, alors que nous les avons ressassés à l'infini, alors que des discours de MM. Pichon, Lloyd George et du président Wilson sont identiques sur tous les points, demandez donc aux Allemands quels sont leurs buts de guerre (Applaudissentents.)

Ils ne vous les diront pas. Ils n'ont pas besoin de vous les dire, les faits parlent assez haut l'Ukraine, l'Esthonie, la Courlande, la Livonie, la Lithuanie, la Finlande, la Russie en morceaux, sous le talon du vainqueur, alors qu'on cherche le peuple russe en quelque manifestation d'indépendance, de résistance à l'envahisseur. On se dit qu'il doit y avoir cependant, dans ce pays, des citoyens ayant le sentiment de la patrie, le dernier refuge de l'idéalisme humain, et quand nous attendons anxieusement ce cri de patriotisme, rien ne répond que le silence.

Sur les bancs du parti socialiste. L'Ukraine, Monsieur le Président du Conseil.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Voilà l'objet de la tentative que l'on espère provoquer ici en refusant les crédits militaires. Voilà une question digne de la Chambre on ne s'étonnera pas qu'elle soit aujourd'hui posée elle l'est par moi. (Applaudissements.)

Pour ce qui me concerne, je n'en connais pas d'autre. Si je fais des procès, je l'ai dit, dès le premier jour, j'ai déclaré que la justice passerait. Elle passe aujourd'hui.

M. Marcel MouTET. Nous verrons si c'est la justice.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Oui, nous verrons. Vous devez commencer à la voir et nous irons jusqu'au bout. M. Paul PorrcET. Votre tour viendra.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Dans cette tâche presque aussi dure que celle que nos braves soldats sont en train d'accomplir, nous irons jusqu'au bout, dans la répression de la trahison, jusqu'au bout dans la voie de l'action militaire.


Rien ne nous arrêtera ni ne nous fera fléchir. Quant à votre programme, si sept ou huit hommes se levaient ici pour dire je refuse les crédits militaires, voilà qui serait une belle question à discuter. Je demande à ceux qui ont l'intention de voter contre les crédits militaires de se compter sur un ordre du jour. (Réclamations sur les bancs du parti socialiste. Vifs applaudissements répétés à gauche, au centre et à droite, et le président du Conseil, de retour à son banc, reçoit les félicitations de ses collègues.) TÉLÉGRAMME

AU CHEF DU GOUVERNEMENT BRITANNIQUE

Le front anglais a été défoncé. M. Clemenceau, toujours résolu, envoie au chef du gouvernement anglais le télégramme suivant

27 mars 1918 (1).

M. Lloyd George,

Premier Ministre de la Grande-Bretagne.

Jamais nous n'eûmes plus d'admiration pour la vaillance des soldats britanniques ni plus de confiance dans leur grand chef. Nous sommes tranquilles, forts et sûrs du lendemain. Georges CLEMENCEAU.

(1) C'est le lendemain de la conférence de Doullens où, en présence de la menace allemande sur Amiens et du risque imminent d'une dislocation des armées anglaises et françaises en retraite, une mission de coordination et de commandement unique a été confiée, sur l'initiative de Clemenceau, au général Foch dont la détermination d'attaquer a frappé tous les assistants.


L'INCIDENT CZERNIN

(avril 1918)

Le comte Czernin, ministre des Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie, recevant une délégation du Conseil communal de Vienne, avait fait la déclaration suivante

J'en atteste Dieu, nous avons fait tout ce qui était possible pour éviter une nouvelle offensive. L'Entente n'a pas voulu.

M. Clemenceau, quelque temps avant le commencement de l'offensive sur le front occidental, me fit demander si j'étais prêt à entrer en négociations et sur quelles bases. Je répondis immédiatement, d'accord avec Berlin, que j'étais prêt à ces négociations, que je ne voyais aucun obstacle à la paix avec la France, si ce n'étaient les aspirations françaises relatives à l'AlsaceLorraine. On répondit de Paris qu'il n'était pas possible de négocier sur cette base.

Dès lors il n'y avait plus de choix. La lutte formidable à l'Ouest est déjà déchaînée. Les troupes austro-hongroises et allemandes combattent côte à côte comme elles combattirent la Russie, la Serbie, la Roumanie et l'Italie. Nous combattons ensemble pour la défense de l'Autriche-Hongrie et de l'Allemagne. Nos armées prouveront à l'Entente que les aspirations françaises et italiennes sur nos territoires sont des utopies appelant une vengeance terrible.

La réplique fut immédiate

C'est au front, où il a passé la journée d'hier, que le président du Conseil a eu connaissance des déclarations du ministre des Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie. A la lecture de la dépêche ci-dessus, M. Clemenceau a fait cette simple réponse « Le comte Czernin a menti. »

(Havas, 4 avril 1918.)

Le cabinet de Vienne riposta par un communiqué officiel Il est répondu ce qui suit à M. Clemenceau

Sur l'ordre du ministre autrichien des Affaires étrangères, le conseiller de légation comte Nicolas Revertera a eu, en Suisse, plusieurs entrevues avec le commandant Armand, attaché au ministère de la Guerre français, homme de confiance de M. Clemenceau.

Au cours d'un entretien à Fribourg, en Suisse, le 2 février de l'année courante, ces deux messieurs ont discuté la question de savoir si, et sur quelles bases, une discussion pouvant amener la paix générale serait possible entre les ministres des Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie et de France, ou entre des représentants officiels de ces ministres.

Le comte Revertera, suivant les instructions du ministre autrichien des Affaires étrangères et selon l'ordre de ce dernier, a déclaré alors au commandant Armand, dans les derniers jours de février, en le chargeant d'en informer


M. Clemenceau, que le comte Czernin était prêt à conférer avec un représentant de la France, et qu'il considérait qu'une telle entrevue pourrait avoir du succès dès l'instant où la France renoncerait à ses intentions sur l'Alsace-Lorraine.

Il fut -alors répondu au comte Revertera, au nom de M. Clemenceau, que ce dernier n'était pas en état d'accepter la renonciation proposée à cette annexion de la part de la France, de sorte qu'une entrevue de délégués serait actuellement, suivant le point de vue des deux parties, sans utilité. (5 avril 1918.)

La réponse française

La note suivante a été communiquée par la présidence du Conseil, dans la soirée

En arrivant au pouvoir, M. Clemenceau a trouvé des conversations engagées en Suisse, sur l'initiative de l'Autriche, entre le comte Revertera, ami personnel de l'empereur, et le commandant Armand du deuxième bureau de l'état-major, désigné à cet effet par le ministre de l'époque. M. Clemenceau ne crut pas devoir prendre la responsabilité d'interrompre des pourparlers qui n'avaient donné aucun résultat, mais qui pouvaient fournir d'utiles sources d'informations. M. le commandant Armand put donc continuer de se rendre en Suisse sur la demande de M. le comte Revertera. L'instruction qui lui fut donnée, en présence de son chef, par M. Clemenceau, fut celle-ci ce Écouter et ne rien dire. »

Lorsque le comte Revertera fut enfin convaincu que sa tentative d'amorçage pour une paix allemande demeurait sans succès, il prit la peine, afin de bien caractériser sa mission, de remettre, le 25 février dernier, à M. le commandant Armand, une note de sa main, dont la première phrase est ainsi conçue

cc Au mois d'août 1917 des pourparlers avaient été engagés dans le but d'obtenir du gouvernement français, en vue de la paix future, des propositions faites à l'adresse de l'Autriche-Hongrie, qui seraient de nature à être appuyées par celle-ci auprès du gouvernement de Berlin. »

Le comte Revertera, solliciteur et non sollicité, avoue donc en ces termes, qu'il s'agissait « d'obtenir du gouvernement français » des propositions de paix sous le couvert de l'Autriche à destination de Berlin. Et voilà le fait établi par un document authentique que M. le comte Czernin ose transposer en ces termes « M. Clemenceau, quelque temps avant le commencement de l'offensive sur le front occidental, me fit demander si j'étais prêt à entrer en négociations et sur quelles bases. » Non seulement, en parlant ainsi, il n'a pas dit la vérité, mais encore il a dit le contraire de la vérité. En France c'est ce que nous appelons « mentir».

Il est trop naturel que M. Clemenceau n'ait pu retenir son indignation quand il vit M. le comte Czernin, justement inquiet des conséquences finales de l'offensive, renverser si audacieusement les rôles et représenter le gouvernement français comme mendiant la paix à l'heure même où nous nous préparions, avec nos Alliés, à infliger la suprême défaite aux empires centraux.


Il serait trop aisé de rappeler à quel point l'Autriche a fatigué Rome, Washington et Londres, de ses sollicitations de prétendue paix séparée, qui n'avaient d'autre but que de nous faire glisser sous le joug dont elle fait profession de s'accommoder. Qui ne connaît l'histoire de la récente rencontre (en Suisse toujours) d'un ancien ambassadeur d'Autriche avec une haute personnalité de l'Entente ? La conférence ne dura pas plus de quelques minutes. Cette fois encore, ce n'était pas notre allié qui avait sollicité l'entrevue, c'était le gouvernement autrichien.

M. le comte Czernin ne pouvait-il pas retrouver dans sa mémoire le souvenir d'une autre tentative du même ordre faite à Paris et à Londres, deux mois seulement avant l'entreprise Revertera, par un personnage d'un rang fort au-dessus du sien ? Là encore il subsiste, comme dans le cas précédent, une preuve authentique, mais beaucoup plus significative. (6 avril 1918.)

Explications autrichiennes

On mande de Vienne en réponse à la note de la présidence du Conseil français, au sujet des conversations du comte Revertera et du commandant Armand publiées par l'agence Havas, et des déclarations de M. Painlevé dans L'Humanité, une note officielle déclare

En opposition avec la première et courte déclaration de M. Clemenceau qui reprochait au comte Czernin d'avoir menti, on voit avec satisfaction dans le communiqué français -de la présidence du Conseil, du 6 avril, l'aveu que les conversations entre les deux hommes de confiance des gouvernements d'Autriche-Hongrie et de France sur la question de la paix ont eu lieu, mais l'exposé fait par M. Clemenceau sur le commencement et le cours de ces négociations, de même que les déclarations de M. Painlevé dans L'Humanité sur le même sujet, diffèrent sur des points nombreux et essentiels de la réalité, en sorte qu'une rectification détaillée du communiqué français paraît nécessaire.

En juillet 1917, le comte Revertera fut invité par l'intermédiaire d'un neutre, au nom du gouvernement français, à faire savoir s'il serait en mesure de prendre connaissance d'ouvertures de ce gouvernement à celui d'AutricheHongrie. Lorsque le comte Revertera, après avoir eu l'autorisation, eut répondu affirmativement, en juillet 1917, le comte Armand, son parent éloigné, arriva le 7 août 1917 chez lui», à Fribourg.

Au nom du président du Conseil d'alors, M. Ribot, le comte Armand demanda alors au comte Revertera si des conversations seraient possibles entre la France et l'Autriche-Hongrie.

L'initiative de cette prise de contact vient donc du côté français.

Le comte Revertera fit au ministère des Affaires étrangères austrohongrois un rapport sur cette question posée sur l'ordre du gouvernement français. Le ministère lui demanda d'entrer en conversation avec l'homme de confiance français et de constater, au courant de ses conversations, si, par là, on ne pourrait pas créer des bases pour amener une paix générale.


Le comte Revertera entra ensuite, le 22 et le 23 août 1917, avec le commandant Armand, en pourparlers qui cependant, comme M. Clemenceau le dit justement, ne donnèrent aucun résultat les négociations cessèrent là. Quand M. Clemenceau prétend que les négociations du comte Revertera et du comte Armand étaient en cours lors de son entrée en fonctions, cela est inexact. Ce n'est qu'en janvier 1918 que le commandant Armand, cette fois sur l'ordre de M. Clemenceau, prit de nouveau contact avec le comte Revertera. Le fil rompu en août 1917 fut donc repris par M. Clemenceau en janvier 1918.

De ce nouveau contact sortirent les négociations connues par le communiqué officiel du 4 avril 1918. Il est exact que le comte Revertera remit à cette occasion au commandant Armand l'annotation dont M. Clemenceau cite seulement la première phrase et qui confirme que le comte Revertera, dans les pourparlers qui eurent lieu en août 1917 avec le commandant Armand, avait eu ordre de constater si on pouvait obtenir du gouvernement français des propositions qui, adressées à l'Autriche-Hongrie, offriraient des bases pour une paix générale et que l'Autriche-Hongrie pourrait faire connaître à ses alliés.

Les déclarations du comte Czernin, dans son discours du 2 avril, répondent donc entièrement à la réalité quand il dit

« M. Clemenceau, quelque temps avant le commencement de l'offensive de l'Ouest, s'informa auprès de moi si j'étais prêt à des négociations et sur quelles bases.

Le reproche de mensonge fait par M. Clemenceau au comte Czernin ne peut, par suite, pas être maintenu, même avec cette restriction faite par le communiqué du gouvernement français.

Le gouvernement austro-hongrois ne connaît rien de ces sollicitations pour« une prétendue paix séparée», dont l'Autriche-Hongrie aurait fatigué les gouvernements de Rome, de Paris, de Washington et de Londres. Par contre, il est vrai qu'en Suisse eut lieu, entre l'ambassadeur comte Mensdorff et le général Smuts, un entretien avoué par le gouvernement anglais à la Chambre des Communes l'entretien, cependant, ne dura pas seulement quelques minutes, mais quelques heures en plusieurs reprises. Si M. Clemenceau demande au ministre austro-hongrois des Affaires étrangères si celui-ci se rappelle qu'avant la tentative du comte Revertera, donc il y a environ un an, une tentative du même genre fut faite par une personnalité d'un rang bien au-dessus, le comte Czernin n'hésite pas à répondre par l'affirmative, mais il faut ajouter, pour être complet et exact, que cette tentative n'aboutit également à aucun résultat.

Voilà quels sont les faits.

Au reste qu'il soit remarqué que le comte Czernin, de son côté, ne verrait aucun motif de nier les faits si, dans ce cas ou dans un autre cas semblable, il avait pris l'initiative, car contrairement à M. Clemenceau, il croit qu'on ne peut faire à un gouvernement aucun reproche d'avoir essayé une tentative pour amener une paix honorable, délivrant tous les peuples des horreurs de la guerre actuelle.

La controverse soulevée par M. Clemenceau détourna d'ailleurs l'attention du point vraiment essentiel des déclarations du comte Czernin. L'important en l'espèce n'est pas tant de savoir qui prit l'initiative des conversations


avant le commencement de l'offensive dans l'Ouest, mais qui les fit échouer mais M. Clemenceau, jusqu'ici, ne nia pas qu'il refusa d'entrer en négociations sur la base de la renonciation au retour de l'Alsace-Lorraine à la France.

(9 avril 1918.)

Réplique de M. Clemenceau

Le mensonge délayé demeure le mensonge.

Le mensonge de M. le comte Czernin est d'avoir dit que, quelque temps avant l'offensive, M. Clemenceau lui avait fait demander s'il était prêt à entrer en négociations et sur quelles bases.

M. Clemenceau a opposé à cette allégation le passage de la note manus,crite du comte Revertera où il est dit qu'il s'agissait pour l'Autriche-Hongrie d'obtenir de la France des propositions de paix. Le texte du solliciteur est authentique. M. le comte Czernin n'a pas osé le contester.

Pour masquer sa confusion, il essaie de soutenir que c'est sur la demande de M. Clemenceau que l'entretien a été repris. Il y a, malheureusement pour lui, un point de fait qui suffit à mettre son allégation à néant C'est que M. Clemenceau a été saisi de l'affaire le 18 novembre 1917 (c'est-à-dire le lendemain de sa prise de possession du ministère de la Guerre) par une communication de l'intermédiaire datée du 10 novembre, et par conséquent destinée à son prédécesseur.

Pour que M. le comte Czernin eût dit la vérité, il aurait fallu que M. Clemenceau eût pris l'initiative en question avant d'être président du Conseil.

Après un démenti personnel, M, le comte Czexnin se voit ainsi infliger le démenti catégorique des faits.

Il en est réduit à soutenir que le commandant Armand était l'homme de confiance de M. Clemenceau. Or, jusqu'à cet incident, M. Clemenceau n'avait vu cet officier du bureau de renseignements qu'une fois, au manège Fillis, pendant cinq minutes, il y a quinze ou vingt ans,

Enfin, M. le comte Czernin a pour dernière ressource de dire que la démarche qu'il impute à M. Clemenceau est sans importance.

L'important en l'espèce, affirme-t-il, n'est pas tant de savoir qui prit l'initiative des conversations avant le commencement de l'offensive sur le front occidental, mais qui les fit échouer. Alors, pourquoi tout ce bruit ? Pour constater que tous les gouvernements français, comme la France elle- même, sont irréductibles sur la question d' Alsace-Lorraine ?

Qui dont aurait cru qu'il fût besoin de M. le comte Revertera pour élucider dans l'esprit du comte Czernin une question sur laquelle l'empereur d'Autriche avait lui-même prononcé le dernier mot ?

Car c'est bien l'empereur Charles qui, dans une lettre du mois de mars 1917 a, de sa main, consigné son adhésion aux cc justes revendications françaises relatives à l'Alsace-Lorraine ».

Une seconde lettre impériale constate que l'empereur était d'accord avec son ministre ».

Il ne restait plus à M. le comte Czernin qu'à recevoir son propre démenti.


Le dsbat s'étend

Un communiqué officiel de Vienne dit (11 avril)

M. Clemenceau, continuant à dénaturer les faits, cherche à se tirer de la situation pénible où il s'est mis en niant les constatations contenues dans le discours du comte Czernin du 2 avril.

Nous jugeons inutile de prouver l'inexactitude de chacune de ses assertions particulières, car nous ne ferions ainsi que de seconder son effort manifeste pour détourner, par une discussion sur les événements qui précédèrent l'entrevue de Fribourg, l'attention de ces deux faits qui seuls sont importants à savoir

Que M. Clemenceau, dans ses efforts, a cherché à détourner l'attention de ces deux points, en jetant dans la discussion des prétendus propos politiques que l'empereur Charles aurait tenus dans une lettre en disant, à ce que M. Clemenceau prétend « qu'il adhère aux justes désirs de la France sur la réacquisition de l'Alsace-Lorraine », et, ensuite, que son ministre des Affaires étrangères pense exactement comme lui.

L'absurdité de cette assertion est évidente. Elle est en contradiction la plus éclatante avec tous les discours publiés que le ministre des Affaires étrangères responsable a toujours prononcés et qui sont également connus en France. En particulier, le fait que M. Clemenceau ne peut pas nier que les troupes austro-hongroises combattent pour l'Alsace-Lorraine sur le front occidental prouve, plus que tous les arguments, les sentiments indiscutables de fidélité à l'alliance de notre monarchie.

Au surplus, cependant, il faut constater que les données de M. Clemenceau sur les propos que l'empereur Charles aurait tenus dans une lettre sont mensongères d'un bout à l'autre. Ce qui ressort clairement de tous les propos de M. Clemenceau, ce n'est que le fait, reconnu franchement par lui, que la guerre sur le front occidental continue parce que la France veut conquérir l'Alsace-Lorraine. M. Clemenceau n'aurait pu donner au monde une meilleure preuve que les puissances centrales combattent pour la défense de leurs possessions.

Riposte française

Il n'y a point d'arrêt dans l'engrenage des mensonges. L'empereur Charles, sous l'oeil de Berlin, prenant à son compte les démentis mensongers du comte Czernin, met ainsi le gouvernement français dans l'obligation de fournir la preuve. Voici le texte de la lettre autographe communiquée le 31 mars 1917 par le prince Sixte de Bourbon, beau-frère de l'empereur d'Autriche, à M. Poincaré, président de la République française, et communiquée immédiatement, avec l'assentiment du prince, au président du Conseil français

MON CHER SIXTE,

La fin de la troisième année de cette guerre, qui a apporté tant de deuils et douleurs dans le monde, approche. Tous les peuples de mon Empire sont


unis plus étroitement que jamais dans la volonté commune de sauvegarder l'intégrité de la monarchie au prix même des plus lourds sacrifices. Grâce à leur union, au concours généreux de toutes les nationalités de mon Empire, la monarchie a pu résister depuis bientôt trois ans aux plus graves assauts. Personne ne pourra contester les avantages militaires remportés par mes troupes, en particulier sur le théâtre de guerre balkanique.

La France a montré, de son côté, une force de résistance et un élan magnifiques. Nous admirons tous sans réserve l'admirable bravoure traditionnelle de son armée et l'esprit de sacrifice de tout le peuple français.

Aussi m'est-il particulièrement agréable de voir que, bien que momentanément adversaires, aucune véritable divergence de vues ou d'aspirations ne sépare mon Empire de la France et que je suis en droit de pouvoir espérer que mes vives sympathies pour la France, jointes à celles qui règnent dans toute la monarchie, éviteront à tout jamais le retour d'un état de guerre pour lequel aucune responsabilité ne peut m'incomber.

A cet effet, et pour manifester d'une façon précise la réalité de ces sentiments, je te prie de transmettre secrètement et inofficiellement à M. Poincaré, président de la République française, que j'appuierai par tous les moyens et en usant de toute mon influence personnelle auprès de mes Alliés les justes revendications françaises relatives à l'Alsace-Lorraine.

Quant à la Belgique, elle doit être rétablie entièrement dans sa souveraineté, en gardant l'ensemble de ses possessions africaines sans préjudice des dédommagements qu'elle pourra recevoir pour les pertes qu'elle a subies. Quant à la Serbie, elle sera rétablie dans sa souveraineté et, en gage de notre bonne volonté, nous sommes disposés à lui assurer un accès équitable et naturel à la mer Adriatique ainsi que de larges concessions économiques.

De son côté, l'Autriche-Hongrie demandera comme condition primordiale et absolue que le royaume de Serbie cesse à l'avenir toute relation et qu'il supprime toute société ou groupement dont le but politique tend vers une désagrégation de la monarchie, en particulier la Narodna Obrana, qu'il empêche loyalement et par tous les moyens en son pouvoir toute sorte d'agitation politique soit en Serbie, soit en dehors de ses frontières, dans ce sens, et qu'il en donne l'assurance sous la garantie des puissances de l'Entente.

Les événements qui se sont produits en Russie m'obligent de réserver mes idées à ce sujet jusqu'au jour où un gouvernement loyal et définitif y sera établi.

Après t'avoir ainsi exposé mes idées, je te demanderai de m'exposer à ton tour, après en avoir référé avec ces deux puissances, l'opinion tout d'abord de la France et l'Angleterre, à l'effet de préparer ainsi un.terrain d'entente sur la base duquel des pourparlers officiels pourraient être engagés et aboutir à la satisfaction de tous.

Espérant qu'ainsi nous pourrons bientôt de part et d'autre mettre un terme aux souffrances de tant de millions d'hommes et de tant de familles qui sont dans la tristesse et dans l'anxiété,

Je te prie de croire à ma très vive et fraternelle affection.

CHARLES.


M. le comte Czernin ayant reconnu, par sa note du 8 avril, l'existence de cette négociation, due à l'initiative d'une personnalité « d'un rang bien au-dessus du sien », le gouvernement autrichien est maintenant mis en demeure de s'expliquer sur la « tentative avouée par lui et sur les détails des entretiens de son délégué ».

Dimanche 14 avril. On mande de Vienne

« On communique officiellement que la lettre de Sa Majesté publiée par la présidence du Conseil des Ministres français dans son communiqué du 12 avril est faussée.

Il faut déclarer avant tout que par« une personnalité occupant un rang beaucoup au-dessus du ministre des Affaires étrangères», laquelle, comme il a été admis dans le communiqué officiel du 7 avril, a entrepris au printemps de 1917 des efforts en vue de la paix, devait être entendu et fut entendu non pas Sa Majesté» mais ce le prince Sixte de Bourbon », parce que le prince Sixte de Bourbon s'était occupé au printemps 1917 à amener un rapprochement entre les États belligérants.

Sur l'ordre de l'empereur-roi, le ministre des Affaires étrangères déclare, au sujet du texte de la lettre publiée par M. Clemenceau, que Sa Majesté écrivit au printemps de 1917 à son beau-frère le prince Sixte de Bourbon une lettre privée purement personnelle qui ne contenait aucun ordre au prince d'entamer une médiation auprès du président de la République française ou de transmettre les communications qui lui avaient été faites ainsi que de provoquer ou de recevoir des contre-déclarations.

Cette lettre ne mentionnait pas du tout la question belge et contenait au sujet de l'Alsace-Lorraine, le passage suivant

« J'aurais fait valoir toute mon influence personnelle en faveur des prétentions et revendications françaises concernant l'Alsace-Lorraine si ces prétentions étaient justes, mais elles ne le sont pas. »

Il est significatif que le communiqué français ne fait pas mention d'une autre lettre de l'empereur mentionnée dans le communiqué de la présidence du Conseil des Ministres français du 9 avril et dans laquelle Sa Majesté aurait déclaré « qu'elle est d'accord avec le ministre

Dernière réplique française

Il y a des consciences pourries.

Dans l'impossibilité de trouver un moyen de sauver la face, l'empereur Charles tombe en des balbutiements d'homme confondu.

Le voilà réduit à accuser son beau-frère de faux, en fabriquant de sa propre main un texte de mensonge

Le document original, dont le texte a été publié par le gouvernement français a été communiqué en présence de M. Jules Cambon, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et délégué par le ministre à M. le Président de la République, qui, avec l'autorisation du prince, en a transmis la copie à M. le Président du Conseil.


Avec M. Ribot lui-même, le prince s'en est entretenu en des termies qui n'auraient pas eu de sens si le texte n'avait pas été celui publié pax le gouvernement français. N'est-il pas d'évidence qu'aucune conversation n7aurait pn s'engager et que M. le Président de la République n'aurait même pas reçu le prince une seconde fois, si celui-ci, d'initiative de l'Autriche, avait été porteur d'une pièce qui contestait nos droits au lieu de les affirmer ? Telle que nous l'avons citée, la lettre de l'empereur Charles a été montrée par le prince Sixte lui-même à des chefs d'État.

D'ailleurs deux amis du prince peuvent en attester l'authenticité, en particulier celui qui l'a reçue du prince pour la copier.

Bâle, 15 avril. On mande officiellement de Berlin l'empereur Charles a envoyé à l'empereur d'Allemagne le télégramme suivant

Sc Les accusations dirigées contre moi par M. Clemenceau sont si basses que je suis décidé à ne pas discuter plus longtemps cette question avec la France,

cc Notre réponse sera donnée par mes canons dans l'Ouest. »


APRÈS LE CHEMIN DES DAMES

(4 juin 1918)

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Messieurs, j'ai été saisi de plusieurs demandes d'interpellation sur la situation militaire (1). Si j'avais cédé à mon premier mouvement, je me serais présenté tout de suite à cette tribune pour y répondre.

Je sais que ces interpellations ne sont pas dictées par un sentiment d'opposition, qu'elles sont purement inspirées par un désir patriotique d'assurer le meilleur emploi de nos forces contre l'ennemi. (Applaudissements.)

C'est parce que ma conviction est telle que j'éprouve un véritable regret de ne pouvoir répondre comme j'aurais voulu le faire aux interpellateurs.

Il y a plusieurs manières de saisir la Chambre des questions en cours. Il y a l'interpellation directe, qui, dans le cas présent, me paraît présenter les inconvénients que je vais vous dire. Il y a l'instruction par les Commissions parlementaires. Je me suis présenté hier devant la Commission de l'Armée j'ai répondu à toutes les questions qui m'ont été posées j'ai donné à mes explications tout le développement nécessaire, sans rien dissimuler, en priant mes auditeurs de vouloir bien garder le secret sur les renseignements d'ordre militaire qu'ils avaient reçus. En cette matière, la Commission de l'Armée me paraît se livrer à une sorte d'instruction préalable.

Je dois constater qu'après m'avoir entendu, la Commission n'a pas voté de demande d'information supplémentaire ou d'enquête, bien qu'un certain nombre de critiques eussent été annoncées et d'autres présentées à ce moment, et qu'elle n'a pas cru devoir saisir la Chambre de la question.

Eh bien, je suis obligé de le dire, je vois les plus grands inconvénients à engager un débat au sujet de la situation militaire en cours d'opérations.

(1) L'attaque allemande déclenchée le 27 mai a dépassé l'Aisne et la Vesle. Elle a atteint la Marne le 30. Reims est en danger.


On me dira que des interpellations en comité secret ont été faites à propos de Verdun. Oui, quatre mois après.

On me dira que, récemment, à la Chambre des Communes, M. Lloyd George s'est expliqué sur l'offensive allemande contre l'armée anglaise. Oui encore, mais si vous vous souvenez de ce que furent ces débats, des conséquences qu'ils produisirent et du fâcheux retentissement qu'ils eurent dans une partie du pays, je ne crois pas qu'il y ait lieu de s'inspirer de cet exemple. M. DEGUISE. Il ne vous appartient pas de juger le sentiment public en Angleterre. (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je ne prétends pas que cela me regarde absolument, mais comme le sort de l'Angleterre et le nôtre sont liés (très bien! très bien!), le succès ou l'échec de l'Angleterre me paraît être un point capital dont je vous demande la permission de garder le souci. (Applaudissements.) M. LOUCHE. Nous ne sommes pas à Londres, nous sommes à Paris. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je n'ai que peu de choses à dire. Je ne suis pas monté à la tribune pour faire un discours. M. DEGUISE. Vous n'en faites jamais (Exclamations et bruit.) M. LE PRÉSIDENT. N'interrompez pas. Ce débat doit se poursuivre dans le plus grand calme. Tout le monde doit le comprendre. (Très bien très bien !)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je ne pourrais pas davantage admettre le comité secret. Le comité secret a eu beaucoup de faveur au commencement de la guerre. Je crois pouvoir dire qu'il en a perdu la meilleure partie.

D'abord, il n'y a pas de contrôle. Toutes les affirmations peuvent se produire hors de la publicité. Puis, elles sont le plus souvent infidèlement rapportées dans la presse nationale et dans la presse étrangère. Des contradictions s'ensuivent, et des affirmations mensongères qui ne peuvent pas être démenties. De plus, je prétends que, dans la situation actuelle, la Chambre étant saisie par l'entremise de sa Commission de l'Armée, il ne doit pas se produire à cette tribune.

M. CAzAssus. Nous ne savons rien, nous. (Applaudissements sur divers bancs du parti socialiste.)

M. LE PRÉSIDENT. Encore une fois, je-demande à mes collègues de vouloir bien écouter en silence.

M. CLAUSSAT. D'être la Chambre enchaînée.

M. RAFFIN-DUGENS. Nous n'avons rien dit.


M. LE PRÉSIDENT. Je demande à tous nos collègues de s'abstenir d'interrompre.

M. Marcel Cachin. Je demande la parole.

M. DEGuisE. Je la demande également.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je prétends que le pays, aujourd'hui, a le droit de savoir tout ce qui se dit à la Chambre. (Très bien très bien

La Chambre contrôle le gouvernement et le pays contrôle la Chambre. (Applaudissements.)

Le comité secret a le grand défaut de soustraire à la connaissance du pays des faits qui demeurent l'apanage d'une petite élite et dont celle-ci pourrait éventuellement se servir pour tel ou tel dessein politique que je n'ai pas à juger. (Vives protestations sur les bancs du parti socialiste.)

M. Prosper JossE. C'est très exact.

M. André LEBEY. Personne ne pense à la politique, en ce moment. M. DEGUisE. Nous dirons malgré vous la vérité. (Bruit.)

M. LAUCHE. Il n'y a pas que le pays qui nous intéresse.

M. LE PRÉSIDENT. Voulez-vous, oui ou non, Messieurs, que ce débat puisse continuer ?

M. BEDOUCE. C'est l'époque de Langson que vous faites revivre M. LE PRÉSIDENT DU Conseil. Qui peut vous faire croire que je voulais parler de vous ? (Nouvelles interruptions sur les bancs du parti socialiste. Bruit.)

Sur les bancs du parti socialiste. De qui alors ?

M. l'amiral BlENAlMÉ. Vous vous êtes reconnus, voilà tout.

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, poursuivons, je vous en prie.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je n'ai rien à retirer de ce que j'ai dit, je n'ai visé personne et j'ai commencé par dire qu'il ne s'agissait pas d'une question de parti. (Bruit.)

M. LAUCHE. Ne recommencez pas (Mouvements divers.)

M. LE PRÉSIDENT. Vous allez m'obliger à vous rappeler à l'ordre. Je vous prie instamment de garder le silence.

(M le Président du Conseil quitte la tribune et retourne à son banc. Exclamations sur les bancs du parti socialiste. Applaudissements sur d'autres bancs.)

M. LE PRÉSIDENT. J'ai reçu les demandes d'interpellation suivantes La première, de M. Aristide Jobert, sur la situation militaire

La deuxième, de M. Marcel Cachin, sur la situation générale

La troisième, de M. Frédéric Brunet 1° Sur les conditions dans lesquelles s'est produit le recul de l'Aisne 2° Sur les sanctions prises contre les généraux responsables


La quatrième, de M. Deguise, sur la situation politique générale et militaire depuis le 20 mars, et les responsabilités du gouvernement.

M. LAuCHE. Je demande la parole.

M. LE PRÉSmENT. La parole est d'abord à M. Aristide Jobert sur la date de la discussion de son interpellation.

M. Aristide JOBERT. Messieurs, je serai très bref. J'aurais voulu ne pas demander à la Chambre la discussion immédiate de mon interpellation. Mais après les trop courtes déclarations que vient de faire M. le Président du Conseil il est nécessaire que le débat s'ouvre. Il faut que le Parlement soit renseigné.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je les aurais faites beaucoup plus longues si je n'avais pas été interrompu. (Exclamations et bruit sur les bancs du parti socialiste.)

M. Marcel CACHIN. Et maintenant, Monsieur Clemenceau, m'inspirant des idées de sagesse qui guident notre démarche près de vous, permettezmoi de m'élever contre certaines des formules dont vous vous êtes servi avant de quitter brusquement cette tribune. Après avoir reconnu notre entière bonne foi et la pureté de nos intentions, vous avez, dans la suite, parlé de je ne sais quelles intrigues auxquelles auraient obéi les interpellateurs de ce jour.

Or, je veux le rappeler ici avec toute la force dont je suis capable, ni mes amis ni moi ne saurions avoir, en cet instant tragique, d'autres préoccupations que le salut de notre patrie menacée. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

Sa défense exclusive absorbe notre pensée. (Applaudissements.) Sur tous les bancs de cette Chambre, vous ne trouverez que des hommes décidés à participer de bonne foi, sans aucune arrière-pensée, au salut du pays. Et notre question n'a qu'un but nous voulons tout savoir afin que le concours que nous voulons donner à la défense de la nation soit plus total et plus décisif. (Applaudissements sur les bancs du parti socialiste et sur plusieurs bancs gauche.)

M. SUE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Messieurs, je suis descendu de cette tribune parce que la multitude des interruptions ne me permettait pas d'y rester plus longtemps. Mais je vous prends tous à témoin tous sans exception que j'ai commencé par constater que l'interpellation était inspirée de l'esprit du plus pur patriotisme et qu'aucune pensée d'opposition politique ne s'y mêlait. Je ne comprends donc pas pourquoi on m'a fait de ce côté de la Chambre une opposition que ni mes paroles, ni mes gestes, ni mon attitude ne méritaient. J'oublie cet incident fâcheux et je vais reprendre la suite de ce que j'étais occupé à dire lorsque M. Cachin est monté à la


tribune. Aussi bien, le discours de M. Cachin se trouve-t-il de tous points d'accord avec les idées que j'avais l'intention d'exprimer à cette tribune.

J'ai commencé par vous dire que je rendais pleine justice aux sentiments dont s'inspiraient les interpellateurs. Je l'ai dit à l'un d'eux, M. Brunet, qui m'a fait l'honneur de venir me voir, et il peut attester que je n'ai pas, un moment, mis en doute que son interpellation, comme celle de ses collègues, fût inspirée par le plus pur sentiment patriotique. (Très bien! trés bien!) M. Cachin m'a dit « Ne tardez pas plus longtemps à nous donner les explications que nous attendons sur la situation militaire. » Si vous entendez parler des opérations militaires en elles-mêmes, je ne peux vraiment pas, au bout de six jours, vous donner les explications auxquelles vous avez droit.

La Commission de l'Armée m'est témoin que j'ai commencé des enquêtes sur certaines actions qui m'ont été signalées. J'ai produit des documents que j'ai offert de lui remettre, quand le moment sera venu. Mais je ne veux pas pousser plus loin l'affaire.

D'abord, je le dis hautement, aucun fait ne s'est produit à ma connaissance, après les brèves, mais à mon sens décisives, enquêtes que j'ai menées, qui permît d'exercer une sanction contre qui que ce soit. (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

M. DEGUISE. Vive la Françe

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. S'il faut, pour obtenir l'approbation de certaines personnes qui jugent hâtivement, abandonner les chefs qui ont bien mérité de la patrie (applaudissements), c'est une lâcheté dont je suis incapable. N'attendez pas de moi que je la commette. (Applaudissements.)

M. Marius Moutet. Et Sarrail 1

M. LE PRÉSIDENT du CONSEIL. Si je n'ai aucune déclaration à faire à la tribune sur les opérations militaires, après avoir dit à la Commission de l'Armée tout ce que je pouvais dire et après avoir répondu, je le répète, à toutes les questions qui m'ont été posées, s'il s'agit simplement des traits généraux de la situation politique, si vous me demandez d'exposer comment je les conçois et comment la situation actuelle peut se déterminer, c'est une autre affaire.


Là-dessus je suis tout prêt à m'expliquer et si, pendant que je suis à la tribune, vous avez vous-mêmes des questions à me poser, c'est mon devoir d'y répondre. J'y suis tout prêt. D'abord, Messieurs, vous pouvez me faire l'honneur de croire que, lorsque j'ai accepté la présidence du Conseil, que m'offrait M. le Président de la République, je ne pouvais pas ignorer que nous étions au moment le plus critique de la guerre. Lorsque je suis monté à cette tribune, je me souviens très bien je n'ai pas le Journal officiel sous les yeux, je n'en ai pas besoin de vous avoir dit que nous traverserions ensemble des moments difficiles et durs je me souviens d'avoir parlé d' « heures cruelles ». Eh bien ces heures cruelles, elles devaient venir. Personne n'a protesté quand j'ai annoncé qu'elles viendraient. Elles viennent. Toute la question est de savoir si nous sommes de taille à les supporter. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. DEGUISE. Elles viennent de votre faute (Exclamations et bruit.) M. LE PRÉSIDENT. Monsieur Deguise, je vous prie de reprendre votre place et de ne pas troubler plus longtemps l'Assemblée.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Messieurs, quand s'est produite la défaillance de la Russie.

M. Déguise. Vous en joue? (Vives réclamations sur un grand nombre de bancs.)

M. LE Président. Je vous rappelle à l'ordre. L'Assemblée ne peut être à la merci d'un seul de ces membres. (Très bien très bien !)

M. Charles Bernard. Nous demandons que l'on écoute M. le Président du Conseil. (Très bien très bien 1)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je n'ai rien à dire contre personne, je n'ai pas à récriminer, je n'attaque aucun parti, la situation est assez grave, ainsi que l'a fort bien fait observer l'honorable M. Marcel Cachin, pour qu'on écoute au moins dans le silence ce que j'ai à dire. (Très bien! très bien!) Lorsque s'est produite la défaillance de la Russie, lorsque des hommes qui croyaient qu'il suffisait de vouloir une paix démocratique pour l'obtenir de Guillaume II ont livré, inconsciemment, je veux le croire, leur pays aux armées de l'envahisseur, quelqu'un de vous, ici, a-t-il pu croire que le million de soldats qui allaient se trouver libérés ne se tournerait pas vers l'Occident ? (Très bien! très bien!)

Le fait s'est produit. Que pouvions-nous changer à l'évé-


nement ? Attendiez-vous de ce million d'hommes, qui revenait du front oriental au front occidental, autre chose que la canonnade, que le coup de massue, le formidable coup de tête de bélier qui est donné en ce moment contre nos lignes ? Certainement non. Et c'est à cela que je songeais quand je parlais d' « heures cruelles » à traverser. Et c'est à cela que vous songiez vous-mêmes quand vous souligniez mes paroles par des applaudissements.

Il y a plus. Pendant quatre ans, nos effectifs s'étaient affaiblis. Notre front était gardé par une ligne de soldats qui devenait de plus en plus mince, avec des Alliés qui avaient euxmêmes subi des pertes énormes. Et, à ce moment, vous voyez arriver contre vous une masse nouvelle de divisions allemandes à plein effectif, quand vous étiez bien loin d'en avoir autant. (Mouvements divers.)

M. Marius MouTET. Il faut le savoir.

M. LE PRÉSIDENT. S'il faut le savoir, écoutez.

M. Marius MOUTET. Je n'ai pas ce pessimisme.

M. LE PRÉSIDENT. Ce n'est pas vous qu'on interpelle, Monsieur Moutet.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Est-il quelqu'un de vous qui n'ait pas compris que, sous le choc de cette masse énorme, nos lignes dussent en quelque point fléchir ? Certainement non, car, dans toutes les conversations que j'ai eues avec des membres de cette Assemblée, la question qu'on m'a posée était celle de savoir quelle sorte de fléchissement nous serait imposée. Eh bien, le fléchissement est venu, douloureux pour l'armée anglaise, qui a subi des pertes élevées. Il est venu redoutable et dangereux, pour l'armée française. J'ai dit dangereux, grave, mais je n'ai rien dit de plus, je ne veux rien dire qui soit de nature à troubler la confiance que nous devons avoir dans nos soldats. (Vifs applaudissements.)

M. Frédéric BRUNET. Tout le monde a confiance dans nos soldats. Sur divers bancs du parti socialiste. Voilà du défaitisme. (Bruit.) M. RAFFIN-DuGENS. C'est un propos défaitiste. Allez dire cela dans une cave et vous verrez

M. LE PRÉSIDENT. Monsieur Raffin-Dugens vous allez m'obliger à vous rappeler à l'ordre.

Veuillez ne pas interrompre.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Sur les incidents de ce fléchissement, je n'ai rien à dire, car les paroles que je pro-


noncerais ou celles même que prononceraient les interpellateurs seraient de nature à troubler l'état d'esprit aussi bien de l'arrière que de l'avant.

Il est facile de porter ici des accusations un peu au hasard, permettez-moi de le dire, à propos d'un incident qui est insuffisamment connu. Cet incident, quel qu'il soit, relève de votre contrôle, qui pourra jouer en son temps.

M. Marcel Cachin a bien voulu dire qu'il s'en remettait à moi du soin de fixer l'époque de la discussion, si je l'ai bien compris.

M. Marcel CACHIN. En vous demandant qu'elle soit le plus proche possible.

M. LE Président DU CONSEIL. Alors, Monsieur Cachin, nous voilà tout de suite d'accord.

En ce qui me concerne, j'ai dit à la Commission de l'Armée « Je suis prêt à prouver que, sur certains incidents militaires, qui ne sont pas connus de la Chambre, j'ai pris sur moi d'exercer les pouvoirs dont je disposais pour faire faire directement des enquêtes par mon cabinet. » Ce n'est pas lorsque j'ai ainsi agi au sujet de moindres incidents, que je refuserais à la Chambre, à ses commissions, à ses membres et aux nécessités de la discussion publique, des enquêtes, qui sont non seulement dans le droit de la Chambre, mais dans son devoir. Parce que nous n'avons qu'un but, qu'un moyen essayer d'obtenir la meilleure utilisation de nos forces militaires. (Très bien très bien!)

Nous sommes d'accord, nous devions l'être depuis le commencement et j'avais raison de dire que je comptais sur votre patriotisme et que votre interpellation ne reposait en aucune façon sur un esprit d'opposition.

Nous devons nous entendre. Vous comprenez bien qu'il me serait facile de répéter mot à mot ce que j'ai dit à la Commission de l'Armée et vous auriez ainsi quelques-unes des explications que vous pouvez demander. Mais nous savons tous comment ces explications seraient transformées par les mensonges des journaux allemands, nous savons comment on essayerait d'en tirer contre nous des arguments qui seraient de nature à troubler l'admirable état moral du peuple français. Qu'est-ce que nous vous demandons ? Nous vous demandons un crédit, nous vous demandons d'attendre que les événements


me permettent de vous donner certaines précisions, car, lorsque je vous les aurai données, il pourrait arriver que quelques-unes de vos inquiétudes disparaissent et que vous me félicitiez d'avoir, par certaines enquêtes, éclairci des points qui, aujourd'hui, sont douteux.

Qu'aurions-nous gagné à un débat immédiat ? De jeter le doute dans les esprits, d'ajouter d'autres inquiétudes à celles qui sont légitimes.

Je ne puis pas m*y prêter. Si nous devions susciter dans l'esprit des soldats des doutes sur certains de leurs chefs, et peut-être des meilleurs, ce serait un crime dont je ne prendrais pas la responsabilité. (Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche.)

Voyez-vous, Monsieur Cachin, les éclaircissements que vous demandez, vous y avez droit. Vous les demandez légitimement et mon devoir est de vous les donner. Je vous les fournirai aussitôt que les événements, suivant accord entre vous et moi car nous devons tomber d'accord là-dessus permettront de le faire sans danger à la tribune. (Très bien! très bien!) Nos hommes sont engagés dans la bataille, une bataille terrible. Ils se sont battus un contre cinq, sans dormir, pendant trois et quatre jours. (Applaudissements vifs et prolongés sur tous les bancs. MM. les députés de la gauche, du centre et de la droite se lèvent. Cris de Vive l'armée !)

M. LE PRÉSIDEPiT. La Chambre est unanime à saluer l'héroisme de nos soldats. (Nouveaux applaudissements.)

M. Renaudel. Les soldats ont d'autant plus de mérite qu'ils ont quelquefois manqué de munitions. (Mouvements divers. Bruit.)

M. LE Président. Je prie la Chambre de permettre à l'orateur de continuer.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je ne comprends pas comment des paroles aussi simples peuvent soulever un tel tumulte.

Ces soldats, ces grands soldats ont des chefs, de bons chefs, de grands chefs, des chefs dignes d'eux en tous points. (Applaudissements au centre et à droite. Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

Je dis que ces soldats, ces grands soldats ont de grands chefs.

M. BARTHE. Pas tous. (Exclamations et bruit.)


M. LE PRÉSIDENT. Voulez-vous laisser parler M. le Président du Conseil ?

M. Lauche. M. Clemenceau en a dit bien d'autres après Verdun. (Applaudissements sur les bancs du parti socialiste. Yives protestations au centre et droite.)

M. LE PRÉSIDENT. Voulez-vous qu'il soit dit que dans un pareil moment le gouvernement, interrogé, n'a pas pu répondre ? Cela est intolérable. Je fais appel à votre sagesse et à votre patriotisme. Il est impossible que vous n'écoutiez pas. (Très bien très bien !)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Il m'est impossible de comprendre ces protestations. Je ne dis pas un mot qui soit de nature à les justifier.

Je dis et je maintiens, parce que c'est mon devoir à cette tribune, en ce moment surtout, que ces bons soldats. (Bruit sur les bancs du parti socialiste.)

M. LE PRÉSIDENT. Le débat va devenir impossible et vous aurez la responsabilité de l'avoir empêché.

M. DEGUISE. Nous la prenons. (Exclamations.)

M. LE PRÉSIDENT. Comment faut-il donc parler ?

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je le répéterai aussi longtemps qu'il le faudra pour me faire entendre, parce que c'est mon devoir, parce que j'ai vu ces chefs à l'oeuvre et que quelques-uns d'entre eux, contre lesquels je n'ai pas à cacher que j'étais prévenu, m'ont frappé d'admiration. (Applaudissements.)

Est-ce à dire qu'il n'y ait de fautes nulle part ? Je suis incapable de le soutenir. Je le sais très bien, mon office est de trouver ces fautes et de les corriger. C'est à quoi je m'applique. En cela je suis soutenu par deux grands soldats qui s'appellent le général Foch et le général Pétain. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Le général Foch a à ce point la confiance de nos Alliés que, hier, à la conférence de Versailles (1), ils ont voulu que, dans le communiqué qui sera donné à la presse, il fût fait témoignage de la confiance qu'ils ont en lui. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. DEGUISE. C'est vous qui l'avez dicté (Protestations à droite et au centre.)

(1) Elle avait été nécessaire parce que le commandant en chef britannique avait fait appel à son gouvernement en application de l'accord sur le commandement unique complété à Beauvais le 3 avril. Il y avait mésentente entre Foch et lui sur l'emplacement des divisions de réserve anglaises. Lors de la réunion interalliée le commandant en chef expliqua et atténua ses exigences.


M. LE PRÉSIDENT. Monsieur Déguise, je vais être obligé de vous rappeler à l'ordre avec inscription au procès-verbal.

A droite. Et c'est un député des régions envahies qui parle ainsi M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Ces hommes livrent en ce moment la bataille la plus dure de la guerre et ils la livrent avec un héroïsme pour lequel je ne trouve pas d'expression digne de la qualifier. (Très bien très bien !) Et c'est nous qui, pour une faute qui se sera produite dans telle ou telle partie, ou même qui ne se sera pas produite, avant de savoir, demanderons des explications, exigerons, au cours de la bataille, d'un homme épuisé de fatigue et dont la tête tombe sur sa carte, comme je l'ai vu, à des heures terribles, c'est à cet homme que nous viendrions demander des explications pour savoir si, à tel ou tel jour, il a fait telle ou telle chose

Chassez-moi de la tribune, si c'est cela que vous demandez, car je ne le ferai pas. (Vifs applaudissements.)

Et ce n'est d'ailleurs pas ce qu'a demandé M. Cachin, je me hâte de le dire.

M. Marcel Cachin. Sûrement.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Alors pourquoi toutes ces interruptions, si je suis d'accord avec vous ?

Plusieurs membres du parti socialiste. Elles ne viennent pas de nous. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous me rendez ma tâche, je ne dis pas seulement difficile, mais impossible.

M. Jules Delahaye. Cela vous grandit.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je suis venu et je reste à cette tribune dans le désir de trouver des paroles simples, brèves, mesurées, qui puissent exprimer le sentiment général du peuple français, de l'avant aussi bien que de l'arrière, pour manifester aux yeux du monde un état d'âme qu'on ne peut pas analyser, mais qui fait, à l'heure où je parle, l'admiration de tous les peuples civilisés. (Applaudissements.)

Je ne fais le procès de personne. Je suis le chef de ces hommes et j'ai le droit de les frapper, si je juge qu'il est de l'intérêt général de le faire, mais j'ai aussi le droit supérieur de les couvrir, s'ils sont injustement attaqués. (Applaudissements à gauche, au centre et h droite.)

Vous aurez toutes les enquêtes que vous voudrez toutes les archives du ministère de la Guerre sont à votre disposition.


Je l'ai dit à la Commission de l'Armée j'ai montré que je m'étais déjà inquiété de faire des enquêtes. Je l'ai fait plus ou moins bien, mais on comprendra que je n'aie pas voulu me promener d'état-major en état-major uniquement pour faire des enquêtes. J'ai obtenu des renseignements je les ai soumis à la Commission de l'Armée.

M. Melin. Voilà comment être dans.l'opposition ou être au gouvernement sont deux choses différentes. (Mouvements divers et bruit.) M. LE PRÉSIDENT. Encore Vous rendez la discussion ïmpossible M. CLAussAT. Notre collègue n'interrompt pas souvent.

M. LE PRÉSIDENT. Ne l'excusez pas. Aidez-moi plutôt à obtenir le silence.

Je vous prie, Messieurs, de regagner vos places.

M. Marcel Sembat. Faites asseoir tous nos collègues.

M. LE Président. C'est ce que je leur demande.

Monsieur Déguise, voulez-vous regagner votre place ?

M. DEGUISE. Je n'ai rien dit.

M. LE Président. Vous avez interrompu à plusieurs reprises.

M. MÉLIN. Je n'ai voulu faire qu'une simple constatation.

M. LE PRÉSIDENT. Vous n'avez pas la parole en ce moment. Veuillez garder le silence.

N'attachons pas, Messieurs, plus d'importance qu'il ne convient à ces incidents. (Très bien! très bien!)

M. DEGUISE. N'ai-je pas le droit de me tenir dans l'hémicycle ? (Protestations et bruit.)

M. LE PRÉSIDENT. Et pendant ce temps-là, nos soldats versent leur sang (Vifs applaudissements à gauche, au centre et droite. M le Président du Conseil se tourne vers M. le Président et joint ses applaudissements à ceux de la Chambre. Interruptions et bruit sur les bancs du parti socialiste.) M. Jean LONGUET. Mais, Monsieur le Président, nous ne pensons qu'à eux M. Deguise aussi. (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT. Je le sais bien, ce n'est pas à vous que je m'adresse. Je proteste avec vous contre l'attitude d'un député son insistance est d'autant moins concevable qu'il est inscrit pour prendre la parole. M. Pierre Renaudel. Vous pourriez faire votre protestation sur un ton moins haut

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, en voilà assez. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Messieurs, la démonstration n'est-elle pas trop clairement faite de ce que nous ne sommes pas dans l'état d'esprit de calme et de sang-froid nécessaire pour discuter une pareille question ? (Très bien! très bien!) Elle veut du sang-froid, de l'impartialité, de l'objectivité et ces qualités, en ce moment, paraissent nous faire défaut. (Très bien! très bien!)


Je disais que l'armée est au-dessus de ce que nous pouvions attendre d'elle (vifs applaudissements), et quand je dis « l'armée », j'entends les hommes de tous rangs et de tous grades qui sont au feu. (Très bien très bien !) Là est l'un des éléments de notre confiance, l'élément principal. En effet, la foi dans la cause est une admirable chose mais cela ne donne pas la victoire il faut que des hommes meurent pour leur foi pour que la victoire soit assurée et les nôtres sont occupés à mourir.

Nous avons une armée faite de nos enfants, de nos frères, de tous les nôtres. Que pourrions-nous avoir à dire contre elle ? Les chefs aussi sont sortis d'entre nous, ce sont nos parents eux aussi, ce sont de bons soldats, eux aussi ils reviennent couverts de blessures, quand ils ne restent pas sur le champ de bataille. Qu'avez-vous à dire contre eux ? (Très bien! très bien Bruit sur plusieurs bancs du parti socialiste.)

Messieurs, cette discussion n'est pas digne de nous à l'heure qu'il est. (Vifs applaudissements prolongés.)

M. Pierre Melust. Qu'est-ce que nous faisons ici, alors ? (Mouvements divers.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Quant à moi, qui les couvre, qui viens vous dire que votre contrôle parlementaire s'exercera librement en toute facilité, en tous moments, en tous lieux, que pouvez-vous me demander de plus ?

Je ne sais pas si vous me faites confiance. Vous le direz tout à l'heure. (Très bien très bien!) Mais moi, je fais confiance à la démocratie française, à la forme du gouvernement que nous défendons, aux institutions qui sont les nôtres et à la Chambre devant laquelle j'ai l'honneur de parler. (Applaudissements.) En dehors de la Chambre, je ne ferai rien. Je ne ferai rien que par elle, avec sa volonté et sous son contrôle. Le jour où elle pensera que j'ai manqué à mon devoir, elle n'aura qu'un signe à me faire. Je ne m'attarderai pas dans les couloirs. Que pouvez-vous me demander de plus ? Nous avons cédé du terrain plus que vous et moi ne l'aurions voulu. Il y a des hommes sans nombre qui ont payé cela de leur vie, et sans récrimination.

Je connais le fait d'un groupement d'hommes perdus, de Bretons, attardés dans un bois, qui ont été cernés toute une


journée. Le lendemain, résistant encore, ils ont envoyé un pigeon voyageur à leur corps pour dire « Nous sommes là. Nous avons promis de ne pas céder. Nous nous battrons jusqu'à la fin. Si vous pouvez venir nous chercher, venez. Nous pouvons encore tenir une demi-journée. » (Vifs applaudissements.) Ces hommes-là, ils vous font, ils vous continuent la patrie française, dont vous êtes fiers, en dehors de laquelle aucune de vos réformes ne pourrait s'accomplir. (Très bien! très bien!) Ils meurent pour le plus grand idéal, le plus beau, pour la continuation d'une histoire qui sera la première entre les histoires des peuples civilisés. (Très bien! très bien!)

Eh bien, Messieurs, qu'avons-nous à dire, en ce moment, à ce propos ? Ah notre devoir est bien simple, bien terne. Nous ne courons aucun danger nous sommes à nos bancs, moi dans mon cabinet, vous, ici à nos postes pourtant, à des postes qui, s'ils ne sont pas dangereux à la manière de ceux du soldat, sont cependant des postes où se décident les intérêts capitaux de la patrie.

Suivant que vous serez calmes, confiants en vous-mêmes, résolus à aller jusqu'au bout dans cette dure bataille (vifs applaudissements), la victoire est à vous. Elle est à vous parce que nos ennemis, qui ne sont pas aussi intelligents qu'on le dit, ont pour méthode de guerre de se jeter à corps perdu dans une aventure et d'y risquer tout.

Ils l'ont essayé à Verdun, comme sur l'Yser ils l'ont essayé aussi longtemps qu'ils l'ont pu, ils l'ont essayé l'autre jour sur les mines, sur Dunkerque, sur Calais. Ils ont été mis en échec par qui ? par les Anglais d'abord, par les Français ensuite. Ils sont arrivés, après cela, dans la Champagne.

Ils ont avancé. Croyez-vous possible de faire une guerre dans laquelle on ne doive jamais reculer ? Il n'y a qu'une chose qui importe c'est l'issue victorieuse, c'est le succès final. (Très bien très bien !)

Nos hommes ne peuvent que donner leur vie mais vous, par votre attitude patiente, ferme, résolue, vous pouvez leur donner ce qu'ils méritent d'avoir la victoire. (Vifs applaudissements.)

Vous avez devant vous un gouvernement qui il vous l'a dit le premier jour n'envisagera jamais, dans aucun cas, l'éventualité de traiter sans la victoire. (Vifs applaudissements.)


Vous savez ce que vous faites. Vous pouvez nous garder au pouvoir ou nous renvoyer mais aussi longtemps que vous nous garderez, quoi qu'il arrive, vous pouvez être sûrs que la patrie sera défendue à outrance et qu'aucune force ne sera épargnée pour vous donner le succès. (Nouveaux applaudissements.) Nous ne consentirons qu'à une paix de victoire. Voilà le mot d'ordre de votre gouvernement. Nous ne céderons à aucun moment. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite. Interruptions sur plusieurs bancs du parti socialiste et sur divers autres bancs.)

Les Allemands, une fois de plus dans cette guerre, jouent leur va-tout. Mais il faut qu'ils réussissent et c'est la question le « coup » qu'ils tentent consiste à vous terroriser, à vous faire peur, pour vous faire abandonner la lutte. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite. Interruptions sur plusieurs bancs du parti socialiste.)

C'est incontestable, et il faut ne pas connaître la tactique allemande pour en douter pourquoi, à un moment, ont-ils jeté toutes leurs forces sur l'Yser ? C'était pour gagner Calais, pour nous séparer des Anglais et nous obliger à capituler. Pourquoi la marche foudroyante sur Paris ? Pour prendre Paris et, par la terreur, nous obliger à capituler. Pourquoi recommencentils aujourd'hui ? Afin de produire sur nous cet effet de terreur qu'ils n'obtiendront pas.

Eh bien la décision est entre vos mains. Elle est entre vos mains par une raison claire c'est qu'il ne s'agit pas d'un simple raisonnement, mais d'une question de faits. Les Américains viennent. Les effectifs anglais et les effectifs français s'épuisent, en même temps que ceux de nos ennemis mais nous avons, nous, des alliés qui viennent. (Interruptions sur les bancs du parti socialiste.)

M. LE PRÉSIDENT. Je réclame encore une fois le silence.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Pendant que les effectifs allemands s'épuisent comme les nôtres, les Américains arrivent pour la partie décisive.

Cela, je vous l'ai dit le premier jour ce n'est pas une improvisation d'aujourd'hui pour soutenir une thèse. Le premier jour, je vous ai dit et j'ai répété à la Commission de l'Armée « Le concours américain décidera de l'issue de la guerre


M. Claussat. Les Allemands n'attendront pas. (Interruptions à Vexlrême gauche. Mouvements divers.)

M. le PRÉSIDENT. Vous êtes témoins qu'à chaque phrase, l'orateur est interrompu.

M. Charles MEUNIER. Les Allemands n'attendront pas, dites-vous. Nous les forcerons à attendre.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Messieurs, il est vraiment cruel, quand on se présente à cette tribune, chargé de toutes les responsabilités que l'on a acceptées.

M. Charles Bernard. Et à cette heure

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Il est vraiment cruel de ne pouvoir dire des choses simples et vraies.

M. Georges Bonneeous. Parce qu'il y a des intrigues C'est toujours la même chose. (Applaudissements au centre et à droite.)

Sur les bancs du parti socialiste. Cela n'est pas exact. (Mouvements divers.)

M. LE PRÉSIDENT. Je vous demande de vous calmer et de garder pour vous vos réflexions.

M. André Lebey. Celle-là n'est pas très heureuse parce qu'elle est fausse.

M. Pierre Renaudel. Précisez, Monsieur Bonnefous.

M. LE PRÉSIDENT. Je demande à tous nos collègues de permettre que cette discussion se poursuive librement. (Très bien! très bien!) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. J'avais presque achevé avant de commencer.

Je comprends très bien que tel ou tel député, tel ou tel groupe ait une opinion différente de la mienne et le dise dans la forme qui lui convient. Mais quand il s'agit, dans un pareil sujet, de savoir si nous devons sombrer dans l'angoisse ou si nous devons résister avec une énergie qui nous assurera la victoire, je ne comprends pas.

M. Franklin-Bouillon. Tout le monde est d'accord.

M. LE PRÉSIDENT DU CorrsEIL. Il ne peut y avoir de dissentiment que sur les moyens.

M. Ernest LAFONT. C'est cela même.

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. A quoi bon ces objurgations quand il serait si facile de s'entendre ?

Les moyens, je les ai pris tels que je les ai trouvés, je les ai mis en oeuvre suivant mes conceptions. Ces conceptions peuvent être mauvaises je peux m'être trompé je peux avoir commis


des fautes il est bien probable que j'en ai commis plus que je me l'imagine, mais vous êtes ici pour me les signaler.

M. Claussat. A condition d'avoir les éléments.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous les aurez, ces éléments.

Je ne vous propose pas de les donner aujourd'hui, puisque le peu que vous en connaissez paraît porter certains d'entre vous à des manifestations qui ne peuvent être d'aucun secours pour nos soldats. (Très bien très bien !)

M. Pierre RENAUDEL. Ce sont les munitions qui sont le secours pour les soldats.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. La question est celle-ei les événements de Russie ont permis à un million d'hommes de se reporter sur le front franco-britannique, nous avons des alliés que nous n'avions pas dans la guerre de 1870, où nous avons succombé parce que nous étions seuls nous avons des Alliés qui représentent les premières nations du monde. Nous avons des Alliés qui se sont engagés avec nous à pousser la guerre jusqu'au bout, jusqu'au succès que nous tenons, que nous sommes à la veille de tenir (applaudissements) si nous avons l'obstination nécessaire. Je sais bien que la majorité de cette Chambre aura l'obstination qu'il faut. Mais j'aurais voulu que ce fût l'unanimité. (Applaudissements.)

J'affirme et il faut que ce soit ma dernière parole que la victoire dépend de nous. à condition que les pouvoirs civils s'élèvent à la hauteur de leur devoir, parce qu'il n'y a pas besoin de faire cette recommandation aux soldats. (Applaudissements.)

Renvoyez-moi d'ici si j'ai été un mauvais serviteur chassezmoi, condamnez-moi, mais prenez pour cela la peine de formuler au moins des critiques. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Quant à moi, je prétends que le peuple français jusqu'ici a fait dans toutes ses parties le plein de son devoir. Ceux qui sont tombés ne sont pas tombés en vain puisqu'ils ont trouvé moyen de grandir l'histoire française.

Il reste aux vivants à parachever l'œuvre magnifique des morts. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite. De retour à son banc l'orateur reçoit les félicitations de ses collègues.)


DÉCLARATION AU SÉNAT

A L'OCCASION DE LA LOI D'APPEL DE LA CLASSE 1920

(2 août 1918)

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre. Messieurs, je ne peux pas laisser se terminer cette discussion qui est pour moi particulièrement émouvante, en raison des paroles qui m'ont été adressées par plusieurs orateurs, sans vous dire que vous avez raison de compter sur le sentiment du devoir qui nous anime.

Nous envoyons des hommes sur le champ de bataille il ne dépend pas de nous de les remplacer dans la vie économique du pays. Nous avons fait des sacrifices énormes, nous ferons tous ceux qui sont nécessaires pour remporter la victoire que nous devons non seulement à notre pays, mais aux grandes idées qu'il représente. (Très bien très bien 1)

Nous sommes décidés à tous les sacrifices, mais il est de notre devoir de faire qu'il ne soit demandé au pays que les sacrifices absolument indispensables. C'est à cela que nous nous attachons. (Nouvelles marques d'approbation.)

On a dit « Cherchez une meilleure organisation. » D'accord, mon cher collègue. Mais nous ne sommes pas partis pour la guerre avec l'idée que nous allions créer l'organisation la meilleure moi, en particulier, qui suis arrivé au pouvoir au bout de trois ans de guerre, j'ai cherché à tirer parti empiriquement des forces qui m'étaient remises avec cette idée maîtresse qu'à tout prix la bataille devait continuer dans les conditions les meilleures.

Que puis-je faire, quand les généraux Foch et Pétain me demandent de recenser la classe 1920, non pas en vue d'un appel immédiat ils en ont témoigné dans les documents qui ont été lus tout à l'heure à la Commission de l'Armée mais pour le cas où les circonstances rendraient cet appel nécessaire ? Je ne pouvais pas hésiter et, quelques reproches que certains eussent pu m'adresser, j'ai pensé qu'il fallait mettre à son tour la représentation nationale en face de son devoir. Ce devoir, la Chambre des Députés l'a compris, et je


vois, par les paroles que je viens d'entendre, que le Sénat n'a pas attendu la Chambre pour que son opinion fût définitivement fixée. (Très bien!J Je l'en remercie, non pas pour moi, qui ne suis rien dans cette affaire, mais au nom du pays, qui attend tout de son Parlement.

On a dit beaucoup de mal du régime parlementaire c'est la toute-puissance aujourd'hui, avec ses avantages, avec ses inconvénients. Mais, ce qui doit dominer tout, c'est l'intérêt supérieur de la France, en dehors de toutes les idées, en dehors de tous les partis. Sauvons la France d'abord. Nous savons qu'elle poursuivra glorieusement le cours de ses destinées. (Applaudissements .)

Je tiens surtout à remercier notre honorable collègue M. Flaissières (1) des paroles qu'il m'a adressées. J'en suis particulièrement touché, parce que je l'ai vu remplissant son devoir sur le champ de bataille de Souain, où il ramassait les blessés sous les obus. Je lui rends cette justice, sans me soucier de savoir si nous appartenons au même parti. Cela n'importe plus il n'y a aujourd'hui qu'un parti, celui de la France c'est celui que nous voulons tous tenir à honneur de servir. (Vifs applaudissements.)

QUELQUES LETTRES

Réponse aux félicitations du Conseil municipal

de Mouilleron-en-Pareds

« Je suis plus profondément touché que je ne saurais le dire de l'adresse si simple, si noble, que je reçois de mon village natal, toujours vivant en moi.

« C'est un encouragement, mes amis, un vrai, un chaud encouragement qui m'arrive des rochers de mon enfance, dans la terrible crise de vie ou de mort qu'une sombre fatalité a déchaînée sur nous c'est ma terre, notre terre héroïque de Vendée, qui appelle tous ses enfants au suprême combat pour la défense de la plus belle patrie de l'humanité.

« Combien de nos fils ont répondu déjà, sur le champ de (1) Sénateur socialiste des Bouches-du-Rhône de 1906 à 1930.


bataille tel que l'histoire n'en connaissait pas encore. D'autres tourments les appellent ils sont prêts au devoir et nous, les vieux, vous, dans vos bocages vendéens, où vous êtes aux prises avec la rude terre de qui vous attendez la vie, et moi, aux derniers jours de ma carrière, porté par les hasards de la destinée au poste redoutable dont je tâche de n'être point indigne, voici que nous échangeons le noble salut des frères d'armes, dans l'inflexible résolution qu'aucun sacrifice ne soit épargné pour que la France continue le bienfait de son histoire dans l'avenir, comme dans le passé.

« C'est là, mes chers amis, ce que je dégage des sentiments qui vous ont dicté votre message d'amitié. La belle victoire qui va venir, nous l'aurons faite ensemble. Merci de me l'avoir rappelé.

« A vous de tout cœur. »

(28 avril 1918.)

Réponse au cardinal Luçon, archevêque de Reims

qui avait écrit au président de la République

pour demander des prières publiques

« 27 juin 1918.

« MONSIE UR LE CARDINAL,

« M. le Président de la République m'ayant transmis la lettre par laquelle vous lui demandez de prendre l'initiative de prières officielles publiques pour la France, c'est à moi que revient l'honneur de vous répondre officiellement.

« J'ai d'abord le devoir de constater que pleine satisfaction de droit vous est donnée d'avance, puisque tous les citoyens sont libres de se réunir dans leurs églises en vue des cérémonies publiques que vous réclamez.

« Sans doute vous souhaitez la participation officielle du gouvernement civil à ces actes cultuels. Mais vous avez vousmême prévu la réponse que je suis obligé de vous faire, en constatant que nous trouvons devant nous l'obstacle décisif de la loi. Le pouvoir que le gouvernement détient vient uniquement de la loi. Vous comprendrez qu'il ne m'est donc pas possible d'en envisager la subversion.

« Je n'en apprécie pas moins l'élévation des sentiments qui vous ont inspiré votre démarche. Surtout, je vous prie de croire


que les sympathies du gouvernement, comme celles de tous les Français, sont complètement acquises à tous ceux d'entre nous qui, dans quelque direction que ce soit, font effort pour contribuer de leurs vœux et de leurs actes au triomphe de notre grande patrie. En ce sens sera réalisée cette unanimité des âmes où nous aspirons tous du même élan.

« Veuillez agréer, Monsieur le Cardinal, l'assurance de ma haute considération.

« Georges CLEMENCEAU. »

Réponse à la manifestation de confiance

des Conseils généraux

« Paris, le 24 août 1918.

« MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

« Le gouvernement est hautement honoré de la haute marque d'estime et de confiance que les Conseils généraux de la République française viennent de lui accorder. Ces libres témoignages d'active sympathie nous sont particulièrement précieux, venant d'assemblées qui sont en contact permanent avec la population et suivent d'un cœur attentif les héroïques efforts de nos grands soldats dans une longue suite de rencontres déjà légendaires.

« Les assemblées départementales ont tenu à affirmer leur désir de nous voir poursuivre toujours plus vigoureusement notre activité de défense nationale. Elles peuvent compter sur le gouvernement comme sur le maréchal Foch, secondé par une magnifique élite de chefs militaires, aussi bien alliés que français, pour tirer de jour en jour, jusqu'à l'effondrement de l'ennemi, le bénéfice décisif de succès qui n'ont étonné que les faibles cœurs.

« Les belles victoires de ces dernières semaines où nos Alliés ont si noblement rivalisé d'élan avec nous ont fixé définitivement la fortune de la guerre, à la stupéfaction d'un ennemi qui, s'étant grossièrement trompé sur lui-même, découvre tout à coup qu'il nous a méconnus. Ce ne sont encore que les premières gerbes d'une moisson d'indicibles récompenses dont la plus haute sera d'avoir définitivement délivré le monde d'une oppression d'implacable brutalité et libéré d'un coup,


pour un merveilleux développement de grandeur historique, tous les foyers permanents de civilisation humanitaire.

« Saluons cette éblouissante aurore dont les premiers rayons illuminèrent les fronts victorieux des fondateurs de la République américaine et de nos pères de la Révolution. Dans l'abîme d'une défaite irréparable, le militarisme prussien emportera la honte de la plus grande tentative de mal qu'un peuple de barbarie ait pu rêver. Le suprême obstacle à l'installation du droit parmi les hommes va disparaître dans les clameurs d'une victoire dont nous aurons le devoir de faire un triomphe d'humanité.

« Pour cela, continuons à être nous-mêmes. Que s'accomplissent les derniers sacrifices exigés par les convulsions suprêmes de la sauvagerie. Encore des volontés d'abnégation. Encore des volontés et des actes. Le triomphe est en nous. La collaboration de tous à la rénovation mondiale des peuples achèvera l'oeuvre d'idéalisme vers laquelle tant de générations se sont glorieusement efforcées et que l'histoire nous aura réservé l'inexprimable joie de réaliser. Notre peuple, qui a tant donné de toutes ses énergies pour toutes les causes humaines, ne compte pas ses blessures. Il a longtemps vécu au-delà de l'espérance. Il avait droit au jour si longtemps attendu qui se lève, et réclame pour toute récompense le droit de collaborer avec tous les peuples de juste conscience aux problèmes de haute équité sociale qui seront le fruit généreux de la plus belle victoire de tous les temps.

« Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, et de bien vouloir faire agréer à vos collègues, l'assurance de ma haute considération.

« Georges Clemenceau. ))

Lettre à M. Margaine, député de la Marne

« 5 octobre 1918.

« MONSIEUR LE DÉPUTÉ ET CHER COLLÈGUE,

« Il est bien exact que le ler octobre, à 23 h 30, un avion allemand a survolé Châlons et qu'il a bombardé l'un des principaux hôpitaux de cette ville.

« Un des projectiles est tombé sur un bâtiment où des malades venaient d'être réunis avant leur évacuation.


« Cinquante-quatre d'entre eux ont été tués quarante ont été blessés. L'avion a lancé, sans résultats, quatre autres bombes sur notre formation sanitaire.

« Ce n'est pas, du reste, la première fois que l'ennemi, violant lâchement les conventions respectées jusqu'alors par les nations civilisées, vient apporter le meurtre au milieu de nos formations hospitalières.

« Sur le front, au cours de toute la guerre, on a vu ses soldats prendre comme cible, sur le champ de bataille, nos médecins, nos brancardiers, occupés à leur mission sacrée ses canons diriger leur tir sur des emplacements où le drapeau de la CroixRouge indiquait la présence d'ambulances et d'hôpitaux ses avions enfin bombarder de jour et de nuit, en toute connaissance de cause, les formations où nos blessés recevaient les premiers soins avant d'être évacués vers l'intérieur.

« C'est aussi dans les villes éloignées des opérations que la barbarie allemande a exercé ses ravages sur les établissements où ceux qui souffrent semblent avoir droit à la sécurité et au repos. Là encore, les canons à longue portée, les avions ont envoyé leurs obus et leurs bombes sur des cités, sur des faubourgs où l'ennemi savait fort bien que des malades et des blessés étaient soignés en grand nombre.

« Ce n'est pas, d'ailleurs, seulement sur terre, dans la zone des armées ou à l'intérieur, que l'ennemi a violé les engagements signés par lui, mais également sur mer. Il a incité les commandants de ses sous-marins à torpiller, sans avertissement, les navires-hôpitaux, assassinant lâchement des blessés, des malades, des médecins et des infirmières.

« Ainsi, toutes les conventions internationales, qui avaient maintenu, dans les conflits armés, des traditions de loyauté et de noblesse et qui y avaient introduit quelque pitié, l'Allemagne les a piétinées une à une, avec cynisme, quand elle s'est crue la plus forte, avec une hypocrisie larmoyante, quand elle a senti le frisson de la défaite.

« Sa rage de destruction ne s'attaque pas seulement aux êtres humains. Elle s'acharne sur nos cités, sur nos foyers, sur les monuments sacrés de notre art et de notre histoire, sur les arbres mêmes de nos vergers.

« Le drame de Châlons n'est qu'un épisode de cette longue suite de crimes.


« Par ce meurtre sans excuse, l'ennemi manifeste une fois de plus sa rage et sa sauvagerie. Pris à la gorge et rudement rejeté vers son repaire, il cherche encore à assouvir sa haine sur le pays que nos soldats lui arrachent pied à pied.

« Mais le sang, les ruines et l'incendie qu'il laisse derrière lui ouvrent une créance dont il sentira bientôt tout le poids. « L'Allemagne a contracté de ce fait, envers nous, depuis cinquante mois, une dette écrasante. J'ai dit qu'elle sera payée. « Nous avons saisi les divers gouvernements alliés de cette question qui aura sa juste place au jour du règlement de comptes.

« Je vous prie d'agréer, etc.

« Georges CLEMENCEAU. )y


VI

LA GUERRE EST GAGNÉE

LA VICTOIRE S'AFFIRME

MAIS IL FAUT L'ACHEVER (1)

M. Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre. Messieurs, les ardentes paroles de votre président renforcées de vos applaudissements unanimes sont déjà pour notre glorieuse armée les heureuses prémisses des hautes récompenses qui ne manquent jamais au devoir accompli. (Très bien très bien!)

En même temps, nos bons, nos vaillants Alliés y trouveront le juste tribut d'une amicale gratitude qui ne leur sera jamais marchandée, ni par nous, leurs compagnons d'armes, ni par les enfants à qui nous léguerons ce permanent souvenir. (Applaudissements.)

Nos soldats, nos grands soldats, les soldats de la civilisation, pour les appeler de leur vrai nom (applaudissements) sont en train de refouler, de bousculer victorieusement les hordes de la barbarie. (Vifs applaudissements.) Cette tâche sera continuée jusqu'au complet achèvement que nous devons à la grande cause pour qui le plus beau, le meilleur du sang français a magnifiquement été prodigué.

(1) Harangue à la Chambre des Députés (5 septembre). Le Président de la Chambre Paul Deschanel vient de saluer éloquemment les chefs et les soldats qui ont repris depuis le 18 juillet une série d'offensives victorieuses.


Nos soldats nous donneront ce grand jour qui nous est dû depuis longtemps, le jour des libérations triomphantes, où nous verrons tomber les vieilles chaînes des plus criantes oppressions du passé pour de nouvelles installations de justice, pour des développements nouveaux de liberté. (Appldudissements.)

M. Pierre RENAUDEL. -Et la Société des Nations (Mouvements divers.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. -A l'heure où nous prenons acte d'événements qui seront bientôt les plus grands de la plus grande histoire, il est juste que le gouvernement se retourne vers les Assemblées parlementaires d'où lui est venue sa force, sa puissance d'agir avec les moyens de pousser la victoire jusqu'au point où le fruit glorieux de tant de sacrifices doit nous être assuré. (Applaudissements.) Il faut que nous rendions ce témoignage aux Assemblées de la République, que dans les plus sombres jours elles n'ont jamais fléchi, elles n'ont jamais douté. (Applaudissements.)

Par leur ferme constance dans les plus hautes aspirations du devoir patriotique, elles nous ont procuré les moyens matériels et moraux de vaincre, elles ont préparé, elles ont fait la victoire. La reconnaissance du pays leur est due.

Tous, nous voulons que cette victoire soit, par la volonté de la France et de tous les peuples de l'Entente, une victoire d'humanité. (Vifs applaudissements.)

La tâche est assez belle.

Aux hommes qui viendront, la suite du labeur. (Applaudissements vifs et prolongés sur tous les bancs.)


« ALLEZ, ENFANTS DE LA PATRIE »

LE DERNIER APPEL AU COMBAT

(Sénat 17 septembre 1918)

Une dépêche de l'Agence Havas datée d'Amsterdam, 11 septembre 1918, apporte une nouvelle inattendue « Selon un télégramme de Vienne, le discours prononcé par le comte Burian, ministre des Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie, au cours d'un dîner offert aux représentants de la presse allemande par les journalistes viennois, constitue un appel plus ou moins déguisé aux pays de l'Entente. La dépêche analyse assez longuement les déclarations de l'homme d'État. Le passage essentiel en est ainsi conçu ce C'est peut-être une tâche ingrate que de vouloir communiquer son point de vue à l'ennemi. Le groupe ennemi peut, s'il le veut, se rendre compte qu'il ne rencontrera pas opposition de notre part sur toutes les questions d'humanité, de justice et des relations internationales futures mais il nous trouvera en même temps fermement déterminés à défendre notre bon droit. cc Nos adversaires n'ont qu'à nous fournir l'opportunité d'un calme échange de vues, qui ne serait pas, à proprement parler, des négociations de paix, pour discuter et peser toutes les choses qui divisent aujourd'hui les belligérants. Et peut-être de nouveaux combats pourront-ils être superflus pour les rapprocher davantage. »

II serait difficile de concevoir en période de guerre une approche plus directe ou plus nette. Émanant du chef responsable de la politique extérieure de la double monarchie, cette tentative ne peut être passée sous silence. Position doit être prise immédiatement. Aussi le gouvernement français fait-il précéder la publication de cette dépêche, dans Le Petit Parisien du jeudi 12 septembre, d'une note bien composée, de rédaction élégante et ramassée qu'il suffit de lire pour comprendre qu'elle émane, suivant la formule ordinaire, de source autorisée, c'est-à-dire du Quai d'Orsay, ignorerait-on même le caractère officieux du quotidien où elle paraît. Cet exposé anonyme rappelle les multiples « offensives de paix » austro-hongroises article de Czernin, déclarations de Karolyi, conversations d'Hussarek avec les chefs de parti. Un coup est porté à Burian « ministre dont on ne sait jamais s'il reste ou s'il s'en va et au gouvernement austro-hongrois qui K eût gagné à s'inspirer en 1914 des considérations philosophiques et humanitaires qu'il développe maintenant. » La réponse vient ensuite qu'offre Burian ? « Comme Czernin avant lui, un échange de vues entre deux combinaisons en lutte et nous retombons ainsi dans les propositions qui sont venues à maintes reprises de Berlin et de Vienne.» Il faut davantage, la conclusion l'affirme cc Le président Wilson, en énumérant ses quatorze clauses, a porté le débat sur son véritable terrain. Burian est-il prêt à l'y suivre ? Il n'y a pas d'autre question. »

La riposte est habile. Elle n'a pas été dictée par Clemenceau mais il l'a inspirée, elle répond exactement à ses vues le ministre des Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie est placé sans brutalité au pied du mur. II doit


se déclarer prêt à accepter les principes posés au nom des Alliés ou poursuivre la guerre. Le gouvernement austro-hongrois adopte alors non sans astuce une attitude susceptible de mettre les chefs de la coalition adverse en posture délicate à l'égard de leur opinion publique. Il transforme les déclarations officieuses de son représentant en une proposition officielle, directement adressée aux belligérants. Cette note, fort développée, paraît in extenso dans Le Petit Pdrisien du 16 septembre 1918. Elle se termine par une suggestion formelle :cc Selon notre conviction, tous les belligérants doivent à l'humanité d'examiner en commun s'il ne serait pas possible, après tant d'années d'une lutte qui, malgré tous les sacrifices, est restée indécise et dont le cours paraît imposer un compromis, de mettre un terme à cette terrible guerre. « Le gouvernement impérial et royal propose aux gouvernants de tous les États belligérants d'envoyer prochainement dans un pays neutre, après s'être accordés sur la date et l'endroit, des délégués pour entamerune conversation d'un caractère confidentiel et-non obligatoire sur les principes fondamentaux d'une paix à conclure: »

Clemenceau agissant en homme fort, sûr de lui-même et sûr de son peuple, publie aussitôt les propositions qui lui sont parvenues. Il prend ainsi position personnelle sur un point qu'avait déjà souligné le commentaire officieux français du 12 septembre il faut renoncer aux vieilles pratiques désormais périmées de la politique secrète de chancellerie ». Le pays qui supporte le poids terrible d'une longue guerre a droit de savoir ce qu'on veut faire de lui, de manifester ses aspirations. Le développement du mémorandum austro-hongrois sur le mal de la publicité qui« dépouille les discussions de la possibilité d'un progrès fructueux » trouve ainsi réplique immédiate, d'autant plus que Clemenceau s'est senti visé par un certain passage de la note où était dénoncée une forme d'éloquence qui compte sur l'effet à grande distance et l'effet sur les masses», qui consciemment ou inconsciemment accroît ainsi la distance qui sépare la conception des adversaires». Ni l'empereur, ni la chancellerie de Vienne n'avaient oublié, on le voit, le soufflet qui leur avait été infligé « Le comte Czernin a menti. Il y a des consciences pourries. » Il y a dans la note autrichienne d'autres allusions assez aigres au rôle de Clemenceau. Peut-il n'être pas irrité quand il lit une phrase de ce genre « On peut assurément conclure ceci des déclarations des hommes d'État responsables que ce désir d'arriver à une entente et non de décider la guerre par la force des armes exclusivement commence aussi à pénétrer graduellement dans les États alliés sauf quelques exceptions d'agitateurs de guerre aveugles, que l'on ne doit cependant pas estimer à la légère » ?

La note tente de le montrer en opposition avec l'opinion publique. « Pour l'observateur impartial, il ne peut y avoir de doute que, dans tous les États belligérants sans exception (c'est nous qui soulignons), le désir d'une paix amiable s'est énormément accru, que la conviction se répand de façon croissante que toute continuation de la lutte sanglante doit transformer l'Europe en ruines et la réduire à un état d'épuisement qui entravera son développement pendant des dizaines d'années àvenir et ce, sans la garantie d'apporter, de la sorte, cette décision par les armes qu'on a vainement, de part et d'autre, poursuivie au cours de quatre années de sacrifices énormes, de souffrances et d'efforts. » Ainsi la France serait désireuse de paix, même


négociée, même blanche et ce serait lui, dictateur cruel, qui l'obligerait à combattre encore

La note autrichienne a aussi essayé avec quelque lourdeur de dissocier les Alliés. Elle cite et interprète à sa façon les déclarations anciennes ou récentes de Balfour, de Lloyd George, du Président Wilson. Mais ce calcul a été aussitôt déjoué par une déclaration fort sèche, M. Lansing, secrétaire d'État aux Affaires étrangères des États-Unis, a rejeté la proposition autrichienne. Arthur Balfour, chef du Foreign Office, l'a, de sa manière précise et assez incisive, analysée et critiquée dans un discours qu'il a prononcé en présence des délégués de la presse de l'Empire britannique.

Au tour de la France de faire entendre sa voix. Clemenceau n'a pas d'hésitation sur la réponse à faire le refus doit être catégorique. Il se reproche même de n'avoir pas demandé qu'il y eût plus de vigueur dans le commentaire du 12 septembre. Le mieux, s'il n'écoutait que sa propre tendance, serait de traiter par le mépris cette tentative qu'il juge aussi sotte que perfide et de ne pas répondre du tout. C'est sur le champ de bataille qu'on connaîtra le point de vue de la France elle entend lutter jusqu'à la victoire. Le fracas des canons sera mieux compris que tout autre riposte. Telle est le 16 septembre la réaction du président du Conseil. Stephen Pichon, son ministre des Affaires étrangères, son vieil ami, lui fait alors valoir que ce serait contraire à tous les usages diplomatiques (ce qui lui serait peu sensible) mais aussi à l'usage tout court, ce qui l'impressionne davantage, car la politesse est chez lui un besoin. Enfin comment la France ne s'exprimerait-elle pas quand ses Alliés ou associés l'ont déjà fait ? Son silence les choquerait. Il faut donc répondre, mais de quelle manière ?

Il ne peut être question d'une note de chancellerie à chancellerie, même par intermédiaire ce serait une conversation avec l'ennemi. On ne s'entretient pas de tranchée à tranchée. Un communiqué dans la presse ? Ce fut la méthode, de plein effet, lors de l'incident Czernin, en avril précédent. Mais il n'est pas indiqué de recommencer, s'agissant du même pays et du même empereur. Une interview ? Des déclarations à tous les journalistes spécialement convoqués ? Le président du Conseil réfléchira au meilleur moyen. Telle est sa réponse à la question du ministre des Affaires étrangères. Le lendemain quand Clemenceau revient rue Saint-Dominique, il apporte sa solution. Il fera une déclaration au Parlement et c'est le numéro de l'Officiel la reproduisant qui sera sa réponse. Le ministre des Affaires étrangères le fera parvenir par le moyen qu'il choisira à celui d'Autriche-Hongrie. Ainsi la réponse ne sera pas donnée directement, mais il en sera donné une, l'usage sera sauf. Elle empêchera toute discussion ultérieure, elle sera celle du gouvernement responsable, mais par l'accueil que lui auront réservé les représentants de la nation, elle sera aussi, à n'en pas douter, celle de la France.

Ce mardi 17 septembre est précisément marqué par la séance de rentrée du Sénat. Son président, Antonin Dubost, doit, comme le président de la Chambre des Députés quelques jours auparavant, s'y faire l'interprète de tous ses collègues pour adresser à nos soldats victorieux l'expression de la reconnaissance du pays. Et comme au Palais-Bourbon, le président du Conseil se propose d'associer le gouvernement de la République à ce solennel hommage. Pendant la nuit le président a médité et décidé d'élargir son inter-


r 1 DROIT

LA

LIBERTE

DISCOURS

DE M. GEORGES CLEMENCEAU, MÉS1DKRT DU CONSEIL, HUISTKK IIS LA CUERIB.

mots peuvent le faire, l'immense gratitude des peuples barbarie.

Pendant un demï-siècle, pas un jour ne s'est écoulé sans que la France 'pacifique, en quête de réalisations toujours plua hautes, n'eût a subir quelque indigne blessure d'un ennemi qui ne pardonnait pas à notre défaile passagère d'avoir sauvé du naufrage la de droit. les revendications imprescriptibles de rindépenduncc dans la

Vaincus, mais survivants, d'une vie supérieure aux décisions de la. force brutale, la de Germain, dans le faste bruyant de Kea fuuiKus victoires, -était du redressement historique qui nom était d0. Pas un jour uns une menace de guerre. Pas un jour san* quelque savante brutalité de tyrannie. Le gantelet de fer., · la poudra stclic-, ̃ l'cpéc aiguisée. Turent le thème de U paix devaient élahtir, parmi les hommes, l'implacable hégémonie. Nous avons vécu cea heures affreusement lentes parmi les pires hjpoeriue nous proposant de joug volontaire qnt, Noua avons tout subi, dana l'attente silencieuse du jour inévitable.

Et le moment vint où, faute d'avoir pu nous réduire par lu terreur, le prétendu maître du monde, croyant l'heure venue des suprêmes défaillances, prit la résolution dt-n finir avec la lrunquille fierté des peuples qui osaient refuser de servir. Ce fut l'énorme méprise du dominateur trop prompt a conclure de l'avilissement traditionnel de aon troupeau la l'impuissance des révoltes de noblesse chez les peuples qui avaient, jusque-là, sauvé leur droit à la vie ïndi'jtendanti*.

Et sans cause avoualilr, sans d'un prétexte, sans s'arriver même aux des immuouges, 1 ugivswnr lraiiilîoniH-1 des antiques ruées se jeln «ur noln- |>onr le »aliil du foyer. Ce qu'ils furent, «s «/tU «ont, «̃•̃ qu'il* ont d'iivauri*. C'est depuis liîer, seulement, que l'Allemn^i»! efiiiiée. a comprendre quels hommes ne sont dressé* devant Imljérilenlenl, elle avait cru <jue la Yicloire amnistierait tous crimes en des howmna* de feu et de «ang. Nos camjiagnc*

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Eh bien! non, il n'y aurnit pas eu de rictoiro pour amnistier tant de forfait», pour taire oublier plus d'horrfurw que les peuplades primitive» n'en avaient pu accumuler. Et puis la victoire annoncée n'est pas vennr, et le plus terrible compte do peuple à Car,'a»rÙB quatre ans d'une gluirc ingrate, voici qu'un renverxcmcnt de fortune inattendu non pour nous amhnc aprs le grand reniement germanique de la civilisation universelle, le grand recul des armées du Kaiser devant, les peuples de conscience affranchie. Qui, le jour annoncé depuis plus d'un siècle piu' notre t'fcuvre immense commencée par les pères. La France n est plus à & juslilier les urmes, suirnnt la parole de notre grand pen- Qui donc pourrait rêver d'avoir vécu, mdme dans le sang et les larmes, une plu» belle histoire de l'homme pour une plus Civils et Soldat», Gouvernements et de Tous dignes de la victoire, pareo qu'il» sauront l'honorera République, neus nous manquerions à nous-mêmes si nous pouvions oublier que fhommago-suprlmo de la plus pure gloûv va a nos comhattnnls, h ce» magniliques poilus qui verront confirmer par l'Histoire l"s lettres de noblesse qu'ils se sont eux-meme* données. Héros au stoïcisme souriant qui, h cette heure même, l'ennemi rumprentlr» qu'il n'y a plus de tramuicituil posxihu* vntn» le et Il' droit. N»n» «erioiM indigne* du grand tfivlin qui cachent i-ncnrc kdiik tes dernitira iiieiiminges df lu barttarie. JVnlciiiK (lin* que In paît m* peul *lre amenée par une décin'est pas ce qu'il itiiniiiiÇKit hier encore, quand ses orateurs, w« çant cher nous et réalisant en lluarïo les démembrements qui devaient fuirr l'Impiiîwiance du monde anus ta loi du fi:r. />

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1T>SEPTEMBB^ §



vention en expliquant pourquoi le combat doit continuer. Cette allocution, qui par-dessus le Sénat et au-delà de la zone de bataille, doit atteindre l'adversaire et retentir dans le monde entier, ne peut être laissée à la fortune de l'improvisation, comme ce fut le cas dans l'autre enceinte parlementaire. Il faut qu'elle soit écrite et lue.

La malchance veut que Clemenceau dispose de peu de temps. La séance du Sénat est à trois heures de l'après-midi. Le matin il y a Conseil des Ministres il 9 h 30 et une heure plus tard, le président doit aller à la gare de Lyon recevoir, à sa descente de train, le chef du gouvernement italien, M. Orlando. Dicter avant le Conseil il n'y faut pas songer compte rendu de la presse, lecture de la correspondance importante, rapport militaire, entretien avec le ministre des Affaires étrangères, tout cela doit avoir lieu comme chaque matin et bien que dès 8 heures Clemenceau soit à son cabinet, il n'aura pas un instant disponible avant son départ pour l'Élysée. Pour comble de disgrâce le train est en retard de près d'une heure. C'est sur le quai même, assis sur une caisse, que Clemenceau prépare dans sa tête les principales phrases de sa réponse au comte Burian. Il ne revient qu'à 11 h 45 rue Saint-Dominique. Aussitôt, sans vouloir voir personne de son entourage, il appelle un sténographe et lui dicte d'un trait sa harangue. Il me demande de corriger au fur et à mesure qu'elle s'effectue la dactylographie de son texte qu'il est très pressé de revoir. Il procède rapidement à son examen, les ratures ou additions ne sont pas trop nombreuses. Il désire cependant relire une fois encore son texte avant de partir chez lui. Pour aller au plus vite, je lui apporte les feuilles une à une. Il s'impatiente et il faut lui remettre des demi-pages, puis des quarts de page. L'heure tourne, le président s'énerve, tandis que je cours de son cabinet à la machine à écrire, que je dicte à mon tour et que Jean Martet et Georges Mandel aident à la correction. Enfin la troisième mouture ne comporte plus que quelques changements de mots. Le président s'en satisfait et peut enfin s'en aller, me laissant le soin de veiller à la copie définitive qu'il passera chercher avant de se rendre au Sénat.

La lecture y fut faite d'une voix ferme et claire, les principaux passages martelés d'une voix forte. Après le travail de révision attentive auquel il s'était livré, Clemenceau connaissait sa harangue à peu près par coeur. Le morceau ne perdit rien de sa flamme à être lu des applaudissements vifs et répétés l'interrompirent fréquemment. Les sénateurs se levèrent et acclamèrent le président du Conseil au moment où il descendit de la tribune. De différents côtés de l'hémicycle de nombreux sénateurs demandèrent l'affichage qui fut voté à l'unanimité.

Le gouvernement austro-hongrois avait sa réponse il ne put lui échapper que Clemenceau, fidèle malgré tout à sa tactique de mépris, n'avait fait aucune référence directe ni à la proposition faite ni au comte Burian ni à la double monarchie. Il n'est question dans sa harangue que du Germain, de barbarie, de l'Allemagne. Pour l'orateur tous les peuples adverses, jusqu'à la reddition, se confondent en une seule entité l'ennemi. Une seule allusion à la démarche austro-hongroise :,cc J'entends dire que la paix ne peut être amenée par une décision militaire. La décision militaire, l'Allemagne l'a voulue. Qu'il en soit donc comme l'Allemagne a voulu, comme l'Allemagne a fait. » Autrement dit, n'attendez pas que nous tombions dans vos


pièges, si prêts que vous soyez à traiter parce que le vent de la guerre tourne, ne comptez pas plus sur notre pitié que sur nos défaillances, ne vous en prenez qu'à vous-mêmes ou à vos Alliés de vos malheurs. « Le plus terrible compte de peuple à peuple s'est ouvert. Il sera payé. »

Le retentissement de ces pages magnifiques fut énorme. Le monde entier avait entendu sonner le clairon de la volonté. Au front, à l'intérieur, dans les capitales étrangères il y eut, à la grande voix de la France, un sursaut d'énergie. Ce fut l'appel pour la bataille décisive.

Le 20 septembre la presse publie le communiqué suivant

« En accusant réception au ministre de Suisse à Paris de la communication faite par lui de la note austro-hongroise, M. Pichon a joint à sa lettre le numéro du Journal officiel qui contient le discours prononcé par M. Clemenceau au Sénat, comme constituant la réponse du gouvernement de la République à la note du cabinet de Vienne. »

Un télégramme de Berlin fit connaître l'aigreur ressentie par le gouvernement allemand

« M. Clemenceau a réussi à dépasser encore la brusquerie du refus opposé par le président Wilson à la note autrichienne et le refus hautain de M. Balfour. En insultant l'Allemagne, cet homme, qui ne connaît aucune mesure, se surpasse lui-même jusqu'à l'impudence.

« Cette indignité est accrue encore du fait que le Sénat, rassemblé, a accordé des applaudissements à ces honteuses calomnies. »

Un télégramme de Rome indique que ce discours doit être affiché et distribué dans toute l'Italie, car il est considéré comme« la plus noble réponse à la dernière manoeuvre pacifiste ennemie et a suscité un enthousiasme général en Italie».

Le grand écrivain anglais, Edmund Gosse, en fit la traduction qui parut, sous le titre Europe's Liberation en une plaquette éditée par VAnglo-french Society. Le maître-imprimeur Pichon procéda à un tirage restreint en beaux caractères Bernard Naudin encadra, en une affiche d'art (1), de dessins à grande allure ce message superbement imprimé. M. CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Messieurs, après les présidents des deux Assemblées, le gouvernement de la République réclame, à son tour, l'honneur d'exprimer, dans la mesure où les mots peuvent le faire, l'immense gratitude des peuples dignes de ce nom envers les merveilleux soldats de l'Entente, par qui les peuples de la terre vont se trouver enfin libérés des angoisses dans la suprême tourmente des lames de fond de la barbarie. (Applaudissements.)

(1) Elle est reproduite pages 216 et 217.


Pendant un demi-siècle, pas un jour ne s'est écoulé sans que la France pacifique, en quête de réalisations toujours plus hautes, n'eût à subir quelque indigne blessure d'un ennemi qui ne pardonnait pas à notre défaite passagère d'avoir sauvé du naufrage la conscience du droit, les revendications imprescriptibles de l'indépendance dans la liberté. (Nouveaux applaudissements.)

Vaincus, mais survivants, d'une vie inaccessible à la puissance des armes, la terreur du Germain, dans le faste bruyant de ses fausses victoires, était du redressement historique qui nous était dû.

Pas un jour sans une menace de guerre. Pas un jour sans quelque savante brutalité de tyrannie. « Le gantelet de fer o, « la poudre sèche », « l'épée aiguisée » furent le thème de la paix germanique, sous la perpétuelle menace des catastrophes qui devaient établir, parmi les hommes, l'implacable hégémonie. Nous avons vécu ces heures affreusement lentes parmi les pires outrages et les avanies, plus humiliantes encore, d'une basse hypocrisie nous proposant l'acceptation du joug volontaire qui, seul, devait nous soustraire au cataclysme universel. Nous avons tout subi, dans l'attente silencieuse du jour inévitable qui nous était dû. (Très bien! très bien!)

Et le moment vint où, faute d'avoir pu nous réduire par la terreur, le prétendu maître du monde, croyant l'heure venue des suprêmes défaillances, prit la résolution d'en finir avec la tranquille fierté des peuples qui osaient refuser de servir. Ce fut l'énorme méprise du dominateur trop prompt à conclure de l'avilissement traditionnel de son troupeau à l'impuissance des révoltes de noblesse chez les peuples qui avaient, jusque-là, sauvé leur droit à la vie indépendante. (Vive approbation.) Et sans cause avouable, sans l'apparence d'un prétexte, sans s'arrêter même aux invraisemblances des mensonges, l'agresseur traditionnel des antiques ruées se jeta sur notre territoire pour reprendre le cours des grandes déprédations. Sans une parole vaine, nos soldats partirent pour le sacrifice total que demandait le salut du foyer. Ce qu.'ils furent, ce qu'ils sont, ce qu'ils ont fait, l'Histoire le dira. Nous le savons, nous, nous le savions d'avance c'est depuis hier, seulement, que l'Allemagne effarée commence à comprendre quels hommes se sont dressés devant elle et à quels coups du sort sa folie de


meurtre et de dévastation l'a condamnée. ( Très bien très bien !)

Imbécilement, elle avait cru que la victoire amnistierait tout en des hosannas de feu et de sang. Nos campagnes dévastées, nos villes, nos villages effondrés par la mine et par l'incendie, par les pillages méthodiques, les sévices raffinés jusque sur les modestes vergers du paysan français, toutes les violences du passé revivant pour les hideuses joies de la brute avinée, hommes, femmes, enfants emmenés en esclavage, voilà ce que le monde a vu, voilà ce qu'il n'oubliera pas. (Vifs applaudissements.) Eh bien non, il n'y aurait pas eu de victoire pour amnistier tant de crimes, pour faire oublier plus d'horreurs que les peuplades primitives n'en avaient pu accumuler. Et puis la victoire annoncée n'est pas venue et le plus terrible compte de peuple à peuple s'est ouvert. Il sera payé. (Applaudissements répétés.) Car, après quatre ans d'une gloire ingrate, voici qu'un renversement de fortune inattendu non pour nous amène, après le grand reniement germanique de la civilisation universelle, le grand recul des armées du Kaiser devant les peuples de conscience affranchie. Oui, le jour annoncé depuis plus d'un siècle par notre hymne national est vraiment arrivé les fils sont en train d'achever l'œuvre immense commencée par les pères. La France n'est plus seule à justifier les armes, suivant la parole de notre grand penseur. C'est tous les peuples frères, dans une communion du droit humain comme il ne s'en vit jamais, qui vont achever la suprême victoire de la plus haute humanité. (Applaudissements.)

Qui donc pourrait rêver d'avoir vécu, même dans le sang et les larmes, une plus belle histoire de l'homme pour une plus belle destinée ?

Civils et soldats, gouvernements et assemblées de l'Entente, tous furent au devoir. Ils y resteront jusqu'au devoir accompli. Tous dignes de la victoire parce qu'ils sauront l'honorer. Et cependant dans cette enceinte où siègent les anciens de la République, nous nous manquerions à nous-mêmes si nous pouvions oublier que l'hommage suprême de la plus pure gloire va à nos combattants, à ces magnifiques poilus qui verront confirmer par l'histoire les lettres de noblesse qu'ils se sont euxmêmes données. Héros au stoïcisme souriant qui, à cette heure même, ne nous demandent rien que le droit d'achever l'oeuvre


grandiose qui les sacre pourl'immortalité (Nouveaux applaudissements.)

Que veulent-ils ? Que voulons-nous nous-mêmes ? Combattre, combattre, victorieusement encore et toujours jusqu'à l'heure où l'ennemi comprendra qu'il n'y a plus de transaction possible entre le crime et le droit. (Applaudissements.) Nous serions indignes du grand destin qui nous est échu si nous pouvions sacrifier quelque peuple petit ou grand aux appétits, aux rages de domination implacable qui se cachent encore sous les derniers mensonges de la barbarie. (Approbation.)

J'entends dire que la paix ne peut être amenée par une décision militaire. Ce n'est pas ce que disait l'.Allemand quand il a déchaîné dans la paix de l'Europe les horreurs de la guerre. Ce n'est pas ce qu'il annonçait hier encore quand ses orateurs, ses chefs se partageaient les peuples comme bétail enchaîné, annonçant chez nous et réalisant en Russie les démembrements qui devaient faire l'impuissance du monde sous la loi du fer. La décision militaire, l'Allemagne l'a voulue et nous a condamnés à la poursuivre. Nos morts ont donné leur sang en témoignage de l'acceptation du plus grand défi aux lois de l'homme civilisé. Qu'il en soit donc comme l'Allemagne a voulu, comme l'Allemagne a fait. Nous ne chercherons que la paix et nous voulons la faire juste, solide, pour que ceux à venir soient sauvés des abominations du passé. (Très bien très bien 1). Allez donc, enfants de la patrie, allez achever de libérer les peuples des dernières fureurs de la force immonde Allez à la victoire sans tache Toute la France, toute l'humanité pensante sont avec vous. (Applaudissements vifs et prolongés. Les sénateurs se lèvent et acclament M. le Président du Conseil au moment où il descend de la tribune.)


LES RÉGIONS OCCUPÉES SONT DÉLIVRÉES

ALLOCUTIONS DU PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE

ET DU PRÉSIDENT DU CONSEIL

(18 octobre 1918)

M. LE PRÉSIDENT. La délivrance de Lille (vifs applaudissements), de Douai (vifs applaudissements), d'Ostende et de Bruges (vifs applaudissements. MM. les Députés se lèvent), après celle de nos autres villes, remplit nos âmes d'enthousiasme et de fierté. Bientôt le dernier soldat allemand aura quitté la France. (Applaudissements prolongés.) Bientôt le dernier soldat allemand aura quitté la Belgique. (Applaudissements prolongés.) Bientôt le dernier soldat allemand aura quitté l'Alsace et la Lorraine. (Applaudissements prolongés.) L'agression impie sera châtiée Gloire à vous, soldats, dont la force d'âme défie toutes les épreuves et toutes les attaques à vous qui avez sauvé, en même temps que la France, tout le trésor de la civilisation et de la conscience humaines. (Applaudissements répétés.)

Gloire à vous, chers et nobles Alliés, compagnons de nos luttes héroïques, pour qui la gratitude et l'affection de la France dureront autant qu'ellemême (Applaudissements prolongés.)

Gloire à vous, Albert Ier, vainqueur de la bataille des Flandres (applaudissements vifs et prolongés), personnification de l'honneur devant les générations

Et vous, populations de nos départements envahis, qui avez tant souffert, qui, depuis plus de quatre ans, êtes restées debout dans votre martyre indompté (vifs applaudissements), vous qui pleurez vos villes anéanties, vos champs ravagés, vos femmes, vos fils, vos filles réduits en esclavage, comme il y a vingt siècles (vifs applaudissements), la France vous reprend avec ivresse et vous serre sur son cœur avec des larmes de joie (Vifs applaudissements.)

Et vous enfin, morts sacrés, levez-vous, voici l'aube Votre sang a rajeuni la terre par vous, la justice se lève (Vives acclamations unanimes et prolongées.)

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Messieurs, que pourrai-je dire après M. le Président de la Chambre ? Je n'ai qu'un sentiment dans mon cœur, l'immense joie de toute la patrie retrouvée (vifs applaudissements) et la gratitude à nos grands soldats, à leurs grands chefs, à nos nobles Alliés. (Vifs applaudissements.)


La bataille continue. M. le Président vous a dit Ostende, Douai, Lille, Bruges. Au moment où j'entrais en séance, je recevais la dépêche qui m'annonçait que Tourcoing et Roubaix sont délivrées. (MM. les Députés se lèvent. Applaudissements unanimes et prolongés.)

Avec la victoire, l'espérance, la plus grande espérance ouvre ses ailes. Notre devoir à nous ici est de faire que cette espérance, pour laquelle le meilleur sang français fut versé devienne par notre gouvernement, par notre Parlement, par le peuple français, une réalité. (Applaudissements.)

Nous avons combattu, nous combattrons encore pour notre droit nous voulons notre droit tout entier, avec les garanties nécessaires contre les retours offensifs de la barbarie. (Vifs applaudissements.)

De ce droit, nous n'entendons pas faire, à notre tour, une revanche d'agressions sur les agressions qui ont ensanglanté le monde. (Applaudissements prolongés.)

C'est toute la liberté, tout le droit du monde moderne qui vient, en la personne de nos soldats, d'abattre toutes les puissances de la tyrannie du passé. (Vifs applaudissements.)

Ce que nous ferons de la plénitude de notre droit reconquis, un seul mot peut le dire. La continuation de notre grande histoire toute d'affranchissement, toute d'esprit humanitaire, d'abord, la pleine reconstitution de nos forces nationales dans tous les domaines de la vie française et puis, la succession de généreux efforts pour que la libération de la France soit, avec l'aide des peuples frères, un bon outil de libération pour l'humanité. (Applaudissements unanimes et prolongés.)

Voix nombreuses. Nous demandons l'affichage des deux discours.


VISITE AUX RÉGIONS DU NORD

RÉCEMMENT LIBÉRÉES

(19 octobre 1918)

ALLOCUTION A ROUBAIX

Je ne viens pas vous apporter des félicitations banales, mais seulement constater que vous avez fait votre devoir, tout comme les soldats qui luttent dans les tranchées. Merci, au nom de la patrie, qui vous en sera éternellement reconnaissante. Nous savons tout ce que vous avez souffert, c'est une grande page que vous avez écrite dans l'histoire de la France, avec les humiliations, les tracasseries, les vexations que vous avez subies, pendant quatre ans.

Désormais, il nous faut plus que jamais rester unis devant l'ennemi, d'abord pour parachever l'œuvre de guerre et ensuite pour nous atteler à l'œuvre aussi ardue de la paix.

Les Républiques anciennes se sont perdues à cause de leurs discussions intestines nous avons failli subir le même sort. Que cette terrible guerre, qui laisse loin derrière elle tout ce que nous avons vu dans notre histoire, même les guerres de la Révolution, nous serve de leçon. Sentons-nous les coudes ayons chacun nos préférences, mais respectons l'opinion d'autrui qu'il n'y ait plus que des Français, tous frères, communiant dans le même amour de la patrie.

DISCOURS A TOURCOING

Monsieur le Maire, permettez-moi de vous donner ce titre qui vous appartient bien (1) je suis profondément touché des fortes et belles paroles que vous venez de prononcer elles resteront dans mon cœur, comme le souvenir de votre histoire. Nous savons la vaillance, la bravoure de cette population flamande une autre race que celle de vos envahisseurs qui, de tout temps, ont inspiré le respect de ses ennemis. Vous (1) C'est l'adjoint au maire qui avait pris la parole, le maire, M. Gustave Dron, sénateur du Nord, étant retenu en captivité.


êtes honnêtes, forts, résolus, et vous l'avez bien montré dans les épreuves que vous venez de traverser.

En ce jour, mon premier devoir est de rendre hommage au grand citoyen Dron, avec qui j'ai marché la main dans la main, il a bien défendu sa cité.

Depuis cinq mois, il est dans les geôles allemandes. Nous ne l'oublierons pas et dans les conditions qui seront posées il y aura la libération de tous les citoyens emprisonnés. Il a fait honneur à sa ville et à la France sa ville et la France lui feront honneur à leur tour. Il convient que son nom soit ici prononcé et glorifié.

Mais ne nous arrêtons pas aux personnes ne nous arrêtons même pas aux grandes villes dont les populations, après tant de souffrances, voient enfin flotter le drapeau tricolore sur les édifices principaux.

Vous avez dit, Monsieur le Maire, les crimes monstrueux commis par nos ennemis, vous en avez fait ressortir l'hoxreur et vous en avez réclamé le châtiment. Le châtiment viendra, j'en prends l'engagement au nom du gouvernement français. Oui, il y aura châtiment, non pas un châtiment de sauvages, mais châtiment d'hommes civilisés, châtiment tout de même. Vous avez bien mené la bataille l'histoire de nos luttes serait incomplète si elle ne le signalait pas. Vous avez souffert, vos villes ont été détruites, mais vous vous êtes montrés forts. Et maintenant, finissons la guerre, mais d'une façon implacable Nous entrerons en ennemis en territoire ennemi (1). Songeons aussi à la France, nous n'avons pas toujours été des modèles de sagesse.

Il faut réaliser l'union de tous les citoyens, mais ne demandons à personne d'abdiquer ses convictions. Mettons réellement en pratique la devise Liberté, Égalité, Fraternité, gravée sur nos monuments. Et ainsi s'achèvera l'oeuvre de paix, dès que sera assuré le châtiment des Boches.

(1) S'il n'en fut pas ainsi c'est que la reddition intervint auparavant et que le maréchal Focli estima (et Clemenceau l'approuva) que la victoire obtenue, le sang français tant prodigué devait cesser de couler.


LE PARLEMENT ACCLAME LA FRANCE VICTORIEUSE ET CLEMENCEAU, SON SAUVEUR

(11 novembre 1918)

Les paroles de Clemenceau furent les mêmes à la Chambre qu'au Sénat lecture des conditions d'armistice sans commentaires un salut grave, ému à l'Alsace et à la Lorraine retrouvées et aux morts. Jamais on ne vit au Parlement enthousiasme pareil. Tous les députés, debout, entonnent La Marseillaise, avec la même foi.

Voici la séance du Sénat

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil.

(L'Assemblée se lève et quaid M. le Président du Conseil se dirige vers la tribune, elle le salue de ses applaudissements répétés et unanimes.)

M. Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre (après lecture des conditions d'armistice). -Messieurs, de pareils documents sont des actes. Il n'y a rien à y ajouter. A la Chambre, j'ai simplement voulu prononcer une parole que je suis heureux d'avoir l'occasion de répéter ici.

J'ai dit, au nom du peuple français, au nom du Parlement, au nom du gouvernement de la République française, de la France une et indivisible, comme disaient nos pères « Salut à l'Alsace et à la Lorraine enfin retrouvées. » (Applaudissements vifs et répétés.) J'ai dit que c'était l'œuvre de nos grands morts qui nous ont fait cette admirable journée. (Vouveaux applaudissements.) Grâces leur soient rendues ni eux, ni leurs familles ne seront oubliés (viue approbation) et, si cela est en mon pouvoir, il faudra qu'un jour de commémoration soit institué en leur honneur dans la République française. (Très bien très bien! et vive approbation.) (1)

Quant aux vivants, j'ai dit que nous les attendions pour les regarder passer dans les cris, les larmes, les applaudissements enthousiastes sous l'arc triomphal (2) (bravos et longs applaudissements) et, enfin, j'ai ajouté que, par eux, la France retrouverait sa place dans le monde pour poursuivre sa course magni(1) Ce vœu a été exaucé. Le 11 novembre est fête nationale, le Président de la République vient s'incliner devant la tombe du Soldat inconnu, sous l'Arc de Triomphe et ensuite devant la statue de Clemenceau aux Champs-Elysées. (2) Le défilé de la Victoire eut lieu, de la porte Maillot à la place de la Concorde, en passant sous l'Arc le 14 juillet 1919. Clemenceau avait tenu sa promesse et en ressentit grande joie.


fique dans l'infini du progrès humain, autrefois soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de l'humanité, toujours soldat de l'idéal. (Applaudissements vifs et prolongés.)

A droite. Toujours soldat de Dieu et pour cela soldat de l'humanité MOTION

M. LE Président. Messieurs, j'ai reçu de MM. Ratier, Jonnard, Méline, Murât, Menier, Peyronnet, Servant, Gautier, Pérès, Saint-Germain, Bersez, Dupont, la motion suivante

Le Sénat décide que le buste de Georges Clemenceau sera placé au Sénat à côté des bustes des grands Français qui ont illustré la haute Assemblée. (Vifs applaudissements.)

M. Dominique Delahaye. Il mérite plus que cela. Il faudrait une statue pour lui et une autre pour le maréchal Foch.

M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT. Le Sénat voudra s'associer tout entier à la motion dont j'ai donné lecture. (vive adhésion.)

Voix nombreuses. Adopté à l'unanimité.

M. LE PRÉSIDENT. En conséquence, le bureau prendra les dispositions nécessaires à cet effet. (Applaudissements.)


VII

1918 EFFACE 1871

L'ALSACE ET LA LORRAINE

RÉINTÉGRÉES AU SEIN DE LA PATRIE

ALLOCUTIONS DU PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE

ET DU PRÉSIDENT DU CONSEIL

APRÈS LA VISITE DES REPRÉSENTANTS DE LA FRANCE

AUX PROVINCES RECOUVRÉES

(11 décembre 1918)

M. LE PRÉSIDENT. Mes chers collègues, les représentants de la France qui reviennent de Metz, de Strasbourg, de Colmar et de Mulhouse y ont vécu les plus grandes heures que les hommes aient jamais vécues. (Vifs applaudissements.) Événement unique dans l'histoire il ne s'agit pas seulement ici, comme dans les solennités de la Grèce antique, comme dans les triomphes militaires de Rome ou dans les fêtes de notre Révolution, de célébrer la gloire d'une incomparable patrie il s'agit aujourd'hui d'autre chose encore l'inébranlable fidélité de tout un peuple, chaque jour plus fervente à mesure que le conquérant paraissait plus sûr de sa proie cette âme alsacienne et cette âme lorraine, d'une sensibilité si fine, si délicate et si profonde, plus meurtrie chaque jour par un joug dont le temps aggravait le poids puis, tout à coup, nos héros brisant le sépulcre, la lumière soudaine après la longue nuit désespérée, une explosion de reconnaissance éperdue, un transport sublime de piété filiale, une sorte d'ivresse sacrée de liberté et d'amour. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Dites, mes collègues, ce qui vous a le plus émus Fabert, Kléber, Desaix, Kellermann, Rapp voyant défiler sous leurs yeux leurs illustres émules, ce soldat français qui, après quatre ans et demi de guerre, jamais ne fut plus beau (applaudissements prolongés), et les derniers venus dans la famille, mais non les moins chers, ces troupes d'Afrique, ces Marocains irrésistibles, qui portent, eux aussi, en leurs yeux, la victoire, fiers de combattre pour cette France, dont l'âme généreuse et humaine allume partout la flamme des suprêmes sacrifices (vifs applaudissements) ces mausolées de 1870, que


de pieuses mains de femmes ont entretenus pendant un demi-siècle, comme les autels de l'espérance cette communion de toutes les croyances, de toutes les confessions religieuses dans la liberté et dans le respect (vifs applaudissements) les vétérans, les combattants de l'autre guerre, retrouvant leur jeunesse en retrouvant la France les enfants qui, en dépit de l'interdiction de la langue française dans les écoles, la parlent comme nous et ont remué nos coeurs et nos consciences par ces chants patriotiques que nous avions désappris, tant nous craignions de troubler la paix, et qu'ils vont rapprendre à nos fils ces gracieuses théories de jeunes filles, aux costumes pittoresques et exquis, encore embellies par l'allégresse de la délivrance ces mères en deuil dont parfois un fils a péri dans l'armée française et un autre dans l'armée allemande, et que nous avons vues à genoux devant la France qui passait (vifs applaudissements et acclamations prolongées) à Mulhouse, parmi les émouvants souvenirs des Kestner et des Scheurer, notre cher doyen, Jules Siegfried (applaudissements prolongés), porté dans les bras de ses concitoyens, lui dont la vie droite et pure et le deuil glorieux ont bien mérité cette récompense (nouveaux applaudissements) à Colmar enfin, la fille de Preiss, décorée de la croix de guerre grâce à une noble inspiration du gouvernement de la République (vifs applaudissements), Preiss qui, en 1897, au Reichstag, avait poussé son cri de révolte après Teustch, Dupont des Loges, Winterer, Guerber, Simonis, gablé, Antoine, pour ne parler que des morts Preiss, martyrisé et tué par les Allemands, auxquels l'héroïque jeune fille, sur le cercueil de son père, cria a Il sera vengé » (Applaudissements prolongés.)

M. le Président de la République, M. le Maire de Strasbourg ont dit, aux acclamations enthousiastes des foules accourues de toute l'Alsace et de toute la Lorraine « Le plébiscite, le voilà Le plébiscite est fait » (Vifs applaudissements et acclamations prolongées.) Oui Nous n'aurions rien à redouter, certes, d'une consultation populaire mais nous la repoussons comme une reconnaissance indirecte du traité de Francfort issu du faux criminel de Bismarck. (Applaudissements répétés.)

Ces jours divins, s'ils sont l'épanouissement suprême du génie de la France, sont en même temps la condamnation et la banqueroute de tout un système politique et militaire. Les ambassadeurs et les ministres des nations amies et alliées, que nous étions heureux de sentir auprès de nous en ces heures de joie comme nous les avions sentis près de nous aux heures d'angoisse, ont constaté la tendresse toujours plus passionnée des Alsaciens et des Lorrains pour la France et l'horreur toujours plus vive que leur inspirait la domination étrangère. (Vifs applaudissements.)

Depuis quarante-sept ans, comme en ces derniers jours où tant de grâce et de goût s'unirent à tant de grandeur, où tout fut beauté, mesure et har» monie, les Alsaciens et les Lorrains nous ont donné les plus forts, les plus hauts, les plus salutaires exemples. Nous ne cesserons pas de les écouter. Que leur constance soit bénie Nous sommes à eux comme ils sont à nous, tout entiers, à jamais Et pour cela, nous sommes résolus à faire tout ce qu'il faudra. (Vifs applaudissements et acclamations prolongées.)

Voix nombreuses. L'affichage

M. Narcisse BôBLaNGEh. L'afâchaga en Alsace et en Lorraine, aussi et surtout


M. LE PRÉSIDENT. J'entends demander l'aihchage des paroles que la Chambre vient d'entendre.

Je consulte la Chambre.

(La Chambre consultée, ordonne l'affichage du discours de M. le Président.)

M. LE PfiÊsroENî. La parole est à M. le Président du Conseil.

M. Georges CLEMENCEAU, président du Conseil, ministre de la Guerre. Messieurs, sous l'étreinte des émotions que vient de dire éloquemment M. le Président de la Chambre, je demeure sans voix.

Le silence seul aurait pu convenir en une telle rencontre, si M. le Président de la Chambre, que j'en remercie, n'avait senti avec grande raison qu'il devait parler à la France. (Très bien très bien 1)

La représentation nationale était là. Le gouvernement, dès le premier jour, avait compris que la place des représentants du peuple était marquée dans la plus auguste cérémonie des annales françaises. (Très bien très bien!)

Ce qui s'est accompli en ces jours dépasse tout ce que l'histoire, en ses plus formidables aventures, a jamais pu enregistrer de grandeur. (Vifs applaudissements.)

Pour moi, une vie, qu'à certaines heures j'ai misérablement trouvée longue, m'a permis de parcourir la longue et dure étape du crime qui fut consommé à Bordeaux jusqu'à la réparation de Metz, de Strasbourg, de Colmar, de Mulhouse. (Vifs applaudissements et acclamations prolongées.)

Une jeune fille de Strasbourg, à qui je parlais de sa joie, me répondait « Nous pouvons rire, Monsieur, nous avons bien pleuré. » (Nouveaux applaudissements.)

Il faudra dire un jour cette effroyable histoire d'héroïques sacrifices qui durèrent cinquante années. Il faudra qu'on entre au foyer de l'Alsacien, quand la langue française était proscrite, pour voir comment la religion du souvenir, la religion de la patrie française furent entretenues dans le sanctuaire de la famille.

Que de misères, que de persécutions, que d'attentats contre l'humanité Il fallait voir le fils partir sous un uniforme odieux pour aller combattre les frères de Franee

Ce fut la pire torture pour ces malheureux, après tant de misères, et moi, passant parmi eux dans les rues de Strasbourg, de Mulhouse, de Colmar, de Metz, sous les fleurs qui jaillissaient


des fenêtres, je me disais Je ne savais pas qu'ils fussent si grands Je les croyais des héros, je savais qu'ils n'avaient pas cessé d'aimer la France mais qu'un jour, après quarantehuit ans de martyre, à l'heure où les gazettes allemandes leur annonçaient chaque jour que la France était perdue, que l'Alsace allait être irrévocablement écrasée, tout d'un coup, avoir vu surgir la victoire inespérée et s'être trouvés, du premier bond, à la hauteur du plus grand triomphe du droit, de la justice entre les peuples, de cette liberté française si longtemps appelée, si longue à venir. (Vifs applaudissements.)

Les reliquaires où se conservaient pieusement les derniers débris des choses de France soudainement livrèrent leurs trésors et la France reparut plus aimée, et l'Alsace plus belle encore. C'est tout un peuple qui ressuscitait dans un miracle d'apothéose, et ces enfants, à qui le français était interdit, soudain parlèrent français (vifs applaudissements) et ceux qui ne savaient pas parler français savent chanter La Marseillaise pour acclamer la patrie retrouvée. (Nouveaux et vifs applaudissements. Acclamations.)

Et les vieux et les vieilles, qui n'avaient plus qu'un souffle, je les voyais lever leurs mains tremblantes, crier « La France la France la France Et le reste s'étranglait dans un sanglot. (Applaudissements prolongés.)

Voilà ce que nous avons vu. C'est la plus belle récompense qu'aient méritée les grands sacrifices de nos familles qui ne concevaient pas plus la France sans l'Alsace-Lorraine que l'Alsace-Lorraine n'acceptait d'être arrachée du sol français. Oui, je me suis demandé, voyant tout ce peuple sublime, tant français par les plus hautes vertus de notre sang, si nous l'avions assez aimé pendant son demi-siècle de tortures et si nous l'avions vraiment pressenti aussi grand qu'il s'est montré. Alors, comment se faisait-il que nous ayons pu, pendant plus de quarante ans, attendre sans éclater de rage ce jour de guerre, c'est que nous ne l'avons pas cherché, vous en êtes témoins nous n'avons pas voulu la guerre (applaudissements prolongés) qui nous fut imposée par l'abominable tortionnaire assez insensé pour croire que la barbarie allemande pourrait s'exercer impunément sur tout le monde civilisé. Oui, la guerre nous fut imposée, mais le jour était venu où les consciences nationales commençaient à s'éveiller. Les peuples de conscience,


les peuples de cœur, menacés dans leur dignité, dans leur existence, les peuples d'âme humaine se sont levés contre la brutalité sauvage des barbares et ont fait cause commune avec la France, avec l'Alsace-Lorraine. Et puis après quatre cruelles années, la victoire est venue et, après avoir célébré l'Alsace et la Lorraine comme on doit le faire, comme on ne le fera jamais assez, n'est-il pas temps, mes chers collègues, de nous retourner vers nous-mêmes (très bien trés bien !), de nous juger, de nous objectiver, de juger ce que nous avons fait, de nous critiquer pour nous faire encore meilleurs, plus dignes encore de ceux qui nous aiment et à qui toute notre affection fut donnée. Cela, nous le devons à l'Alsace, nous le devons à la France. (Vifs applaudissements.)

La République, issue de la défaite, a organisé, voulu, réalisé la victoire, la victoire de tout ce qui est grand, contre tout ce qui disparaîtra d'un passé de brutalité primitive.

Cette merveilleuse page d'histoire, nous avons mérité de l'écrire, comme l'Alsace elle-même, et il ne faut pas qu'un jour, elle soit déchirée par quelques monstrueux revers comme il arrive à la honteuse victoire allemande d'il y a cinquante ans, abolie maintenant par nos grands soldats. Il faut que notre victoire de ce jour demeure. Il faut que cette victoire soit de l'histoire acquise, qui développe ses conséquences pour les générations qui viendront non seulement de la France ellemême, mais de toute l'humanité. (Vifs applaudissements.) Pour cela, c'est à nous de nous comprendre nous-mêmes et nous juger moins sur nos paroles que sur nos œuvres. Le spectacle de l'Alsace-Lorraine en ce jour nous y aide merveilleusement.

La plus haute leçon se dégage de ces prodigieuses journées une leçon d'union (vifs applaudissements), d'union si facile à réaliser dès qu'on se montre résolu à sérier les problèmes, à subordonner ce qui est secondaire à tout ce qui se doit mettre au premier rang.

J'ai vu, dans un petit village, au milieu d'un groupe de vieillards et d'enfants, une vieille bonne sœur, baissant les yeux sous sa coiffe, qui chantait La Marseillaise comme elle l'aurait fait d'un hymne, comme elle aurait dit une prière, admirable ferveur d'union (Vifs applaudissements.)

Une leçon de sagesse, de prudence dirai-je le mot


une leçon de modération, pour coordonner l'action politique et la conduire au but principal sans se laisser détourner par les incidents de valeur accessoire. (Vifs applaudissements.) Une leçon de maîtrise de soi, une leçon de discipline de cette discipline que les hommes d'action doivent être capables de s'imposer à eux-mêmes, car il n'y a que celle-là qui soit efficace et féconde pour les résultats coordonnés d'une grande action nationale. (Nouveaux applaudissements.) Enfin, une leçon d'énergie, une leçon de volonté qui rende les hommes capables de sacrifier les plus grands biens de la vie, les plus grands biens de l'espérance, encore plus belle que la vie, pour réaliser quelque chose de cet idéal par lequel s'ennoblit la conscience de l'homme, la conscience du civil aussi bien que du soldat lui-même pour des réalisations de grandeur. (Vifs applaudissements.) Messieurs, voilà la leçon qui m'a paru se dégager de ces grands jours. Nous sommes et nous demeurerons un grand peuple. Les Alsaciens ont trouvé leurs vertus dans la noblesse de leur sang, si près du nôtre, dans les plus belles traditions d'une commune histoire née d'un complet accord de consciences désintéressées.

Messieurs, il n'y a pas de nos Alsaciens qu'en Alsace il y a ceux des Flandres, Ceux de Normandie, ceux de Bretagne, ceux de Vendée, ceux de Bourgogne, ceux de Gascogne, des Pyrénées, d'Auvergne, de la Provence. Tous différents, tous les mêmes, ils sont sur tout le territoire, toute la France enfin reconstituée. (Vifs applaudissements.)

L' Alsace-Lorraine s'est montrée digne de la plus haute France. Avec elle nous serons dignes de nous-mêmes.

L'union de toutes ces âmes dans la grande aspiration Commune qui les porte à réaliser la plus haute vie de noblesse nationale va permettre à notre cher grand pays de poursuivre glorieusement ses magnifiques destinées. (MM. les Députés se lèvent et applaudissent longuement.)

Voix nombreuses. L'affichage

M. ME Président. Je consulte la Chambre sur I'affichage du. discours qu'elle vient d'applaudir.

(La Chambre, consultée, ordonne l'affichage.)


DÉPOT DU TRAITÉ DE PAIX

SUR LE BUREAU DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS LE PREMIER APPEL A LA RÉSURRECTION DU PAYS

(30 juin 1919)

La guerre avait souvent été angoissante pour Clemenceau. Jamais cependant, si préoccupé qu'il fût, il n'en laissa rien paraître. Le caractère le plus noble de sa direction des affaires fut son calme. Appelé en 1917 au pouvoir, peut-être trop tard, en tout cas à la dernière minute, sous la pression de l'opinion publique, pour laquelle il incarnait l'énergie du désespoir, Clemenceau y serait-il 1'(c « étourneau malfaisant» (1) que dénonçaient ses ennemis ? Vite il avait rassuré, il avait témoigné de réflexion sans faiblesse, de continuité dans l'effort, de prévision et de prudence. Aux moments même où le front anglais percé, puis nos armées bousculées au Chemin des Dames il préparait l'évacuation de Paris qu'il quitterait le dernier, il n'y eut de nervosité ni chez lui ni autour de lui. S'il se sentait impatient ou ébranlé, une visite au front, l'étreinte des combattants, le fracas de la bataille le ramenaient rue Saint-Dominique plus maître de soi et de la destinée française que jamais.

Relisons ses confidences émouvantes

« Aux jours de suprême péril, il faut être partout à la fois, de jour et de nuit, au front, au conseil, à la tribune, aux postes de commandement où doivent se prendre les décisions les plus graves de leur forme d'immédiate exécution, cependant que des Alliés, qui sont demeurés des rivaux vaguement inquiets d'euxmêmes et de nous, se tiennent à mi-chemin de la défensive et de l'offensive.

« C'est au croisement de toutes ces divergences qu'il faut se (1) Joseph Cah.la.ux, Mèmoirtt, p. 299.


reconnaître pour improviser des solutions hâtives dont l'issue décidera de la journée.

« J'ai égrené silencieusement ces heures, confiant dans l'avenir, souvent effrayé, tantôt de mon impuissance, tantôt de l'audace des résolutions qui paraissaient s'imposer. J'ai vu, du plafond, tous les dangers concurrents de la puissance et de l'impuissance humaines, et j'ai survécu, je ne sais comment » (1). Les discussions du traité de paix l'ébranlèrent davantage. Les résistances annoncées ou sournoises des Alliés, les revendications véhémentes autant que contradictoires des petites nations anciennes ou à former, les criailleries du Parlement, les intrigues des ambitieux écartés d'une table à laquelle ils croyaient avoir autorité pour s'asseoir, l'attitude ouverte d'opposition du commandant en chef interallié, oubliant qu'il était avant tout un général français, celle plus sourde mais incessante du Président de la République, vis-à-vis de qui pourtant il voulait agir avec loyauté, les longues séances sans solution, les revendications ouvrières et les incidents de la rue, tout mettait à rude épreuve sa sérénité. Les voyages aux régions récupérées ne constituaient pas une détente on y entendait, à côté de paroles résolues et dont le patriotisme faisait du bien, trop de réclamations justifiées. Il en ramenait encore plus de travail alors que celui de tous les jours était déjà accablant. Il fallait cependant conserver toutes ses forces pour ne rien céder d'essentiel, pour suivre la ligne tracée sans se laisser attirer hors d'elle soit par l'humanitarisme qui était de son être soit sous la pression de certains hauts personnages désireux de retrouver des frontières, historiques sans doute, mais qui engloberaient des protestataires éventuels dans le pays français.

Vint enfin, au prix de quels incessants efforts, une solution des problèmes difficiles de la paix. La France recevait le fruit de sa victoire, l'équilibre serait assuré par l'union des Alliés. La ténacité du chef du gouvernement français avait abattu les principaux obstacles, elle connut son achèvement dans cette galerie de Versailles, témoin de la grandeur et de l'humiliation françaises où il présida à la signature du traité. Aucun mot de triomphe ne sortit alors de ses lèvres, mais il eut conscience que sa vie avait eu son vrai sens.

Encore une réunion interalliée au palais même, la dernière le Président Wilson partait le soir, Lloyd George le lendemain qui était un dimanche. Nous pensions que Clemenceau irait se reposer à la campagne. Il en avait bien besoin mais il n'en fit rien. Il nous dit pourquoi il lui fallait travailler à une adresse destinée aux représentants et au peuple de France, il désirait leur expliquer son oeuvre. C'est la harangue du 30 juin 1919 prononcée à la Chambre des Députés, préparée avec d'autant plus de soin que son importance était capitale il s'agissait sans attendre de fixer au pays ses devoirs d'avenir.

Il y eut, en cette circonstance encore, trois révisions du premier texte et même quelques légères modifications finales. Nous donnons photocopie (1) Grandeurs et misères d'une vicloire, p. 152 et 153.


d'une partie de l'original dicté à son domicile, rue Franklin. Clemenceau y mit un soin exceptionnel il voulut y livrer toutes ses idées et exalter toutes ses aspirations.

Cette déclaration eut grand retentissement. Les députés lui firent un accueil d'une extrême chaleur, de la gauche à la droite. Ils la saluèrent, presque à chaque paragraphe, de vifs applaudissements. Ils se levèrent à deux reprises et acclamèrent le président à sa descente de la tribune. Ce fut le sceau de toute une œuvre et de toute une vie.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le Président du Conseil pour le dépôt de projets de loi. (Vifs applaudissements à droite, au centre et à gauche. MM. les députés se lèvent.)

M. Clemenceau. Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre 1° En mon nom et au nom de MM. Pichon, ministre des Affaires étrangères Nail, garde des Sceaux, ministre de la Justice Leygues, ministre de la Marine Klotz, ministre des Finances Henry Simon, ministre des Colonies Claveille, ministre des Travaux publics Clémentel, ministre du Commerce Loucheur, ministre de la Reconstitution industrielle Colliard, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale V. Boret, ministre de l'Agriculture Pams, ministre de l'Intérieur Lebrun, ministre des Régions libérées Lafferre, ministre de l'Instruction publique et des BeauxArts, un projet de loi portant approbation du traité de paix conclu à Versailles, le 28 juin 1919, entre la France, les ÉtatsUnis d'Amérique, l'Empire britannique, l'Italie et le Japon, principales puissances alliées et associées, la Belgique, la Bolivie, le Brésil, la Chine, Cuba, l'Equateur, la Grèce, le Guatemala, Haïti, l'Hedj az, le Honduras, le Libéria, le Nicaragua, le Panama, le Pérou, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, l'État serbocroate-slovène, le Siam, l'État tchéco-slovaque et l'Uruguay d'une part et l'Allemagne, d'autre part, ainsi que les actes qui le complètent, savoir le protocole signé le même jour par lesdites puissances l'arrangement de même date, entre la France, les États-Unis d'Amérique, la Belgique, l'Empire britannique et l'Allemagne concernant l'occupation des pays rhénans, et le traité entre la France, les États-Unis d'Amérique, l'Empire britannique, l'Italie, le Japon et la Pologne en mon nom et au nom de MM. S. Pichon, ministre des Affaires étrangères, et Georges Leygues, ministre de la Marine, un projet de loi portant approbation des traités conclus à Versailles,


le 28 juin 1919, entre la France et les États-Unis d'Amérique et entre la France etlaGrande-Bretagne, à l'effet de concentrer l'aide à donner à la France en cas d'agression allemande non justifiée. M. Jean Bort. Ce devrait être un message du Président de la République, aux termes de l'article 8 de la Constitution.

M. LE PRÉSIDENT. On n'interrompt pas une lecture comme celle-là M. CLEMENCEAU. Pour les conditions du traité lui-même et l'esprit qui l'inspira, je n'ai garde de devancer la discussion qui doit ici s'établir. A l'heure, cependant, où va se clore le plus grand drame de l'histoire, quand nous sommes encore frémissants des suprêmes devoirs magnifiquement accomplis, le premier élan de nos âmes doit être d'espérance française autant qu'humanitaire. Idéal de France, idéal d'humanité même, nous pouvons, nous devons publiquement attester la commune pensée sous le regard des grands ancêtres dont notre fierté est de continuer la patrie. (Longs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Quelle joie sans limite quand du haut de cette tribune peut enfin tomber cette parole définitive par la France et par ses Alliés, l'oeuvre de salut qui mit le monde en péril de mort est désormais accomplie. (Applaudissements prolongés.) A la seule condition que nous demeurions présents au devoir, le vieil esprit de domination guerrière peut être à jamais terrassé le jour est venu où la force et le droit, redoutablement séparés, doivent se rejoindre pour la paix des peuples au labeur. Que l'humanité se lève pour vivre toute sa vie (Nouveaux applaudissements.) Cette paix nous voulons l'achever, comme nous avons voulu poursuivre la guerre, d'une volonté que rien ne doit faire fléchir. Cette paix, nous la ferons comme nous avons fait la guerre, sans faiblesse comme sans orgueil théâtral, avec la résolution infrangible de rester dignes des grands morts qui ont voulu le prolongement de la France en ses vertus historiques toujours plus loin, toujours plus haut.

Il le faut, puisque c'est bien contre la France d'abord, frontière même de la liberté, que fut dirigé l'effort abominable d'oppression universelle qui vient d'être anéanti. Pour écraser le droit des peuples libres à la plénitude de la vie, la France de la Révolution, avant tout, devait être abattue. Tout nous fut demandé de nous-mêmes. Nous avons tout donné. Et voici que le droit triomphant est debout, intangible. Et voici que la


paix du droit, avec tous les espoirs que ce grand mot suggère, va commencer son cours.

Cette paix de la France, cette paix de grandeur humaine dont nous n'avons encore que les signes précurseurs, c'est à nous d'en donner l'exemple encore, de la vivre dans l'accomplissement de tous les grands devoirs, si nous voulons que l'accroissement d'honneur auquel notre peuple a droit lui demeure acquis d'un consentement unanime.

Seulement, cette paix, il est bon de le dire ici même en cette heure précise, ne peut pas être d'une façon exclusive la paix avec les peuples amis aussi bien qu'avec ceux à qui, après les sanctions de justice, nous voulons en imposer le devoir. La paix générale, en effet, ne serait que le fallacieux mirage d'un jour, si nous n'étions pas capables de vivre d'abord en paix avec nous-mêmes, c'est-à-dire de donner comme fondement de la paix extérieure la paix intérieure à notre propre pays. (Longs applaudissements. MM. les Députés se lèvent.) Pour cela, sans doute, il faut l'apaisement des anciens conflits mais l'apaisement de part et d'autre, car si l'esprit de guerre persistait en quelque point que ce fût, ce serait la paix civile trahie au moment même où nous voulons l'assurer. La paix du dehors se peut conquérir, en un moment sublime, par le sacrifice de tout ce qui fait le prix et la beauté de la vie. La paix du dedans ne s'obtient que par l'effort continu, dans un esprit d'équité supérieure, des équitables compositions successives d'impulsions, de volontés, de croyances, de pensées, d'intérêts traditionnellement opposés, parfois même contradictoires.

Il y faut l'héroïsme obscur d'une contrainte volontaire, souvent douloureuse, pour l'obstinée conservation d'un ordre rationnel (vifs applaudissements) qui, s'il ne satisfait pas immédiatement à toutes les espérances, n'en doit pas moins permettre à ces espérances mêmes de se réaliser progressivement à mesure que nous nous montrons capables de faire passer dans l'acte les parties d'idéalisme si promptes à s'offrir, si lentes à s'installer dans la réalité vécue. (Longs applaudissements.)

N'est-ce pas tout le programme de la République, depuis le jour où elle apparut sanglante, dans les premières heures de l'embrasement révolutionnaire ? N'est-ce pas le programme de


la France elle-même qui se trouve ainsi tracé ? Pour que notre victoire de la guerre soit notre victoire de la paix, au moins savons-nous déjà quelles victoires sur nous-mêmes nous devons préalablement remporter.

A Bordeaux, à Versailles, en 1871, j'eus la douleur d'apporter le témoignage de mes yeux et de mon cœur brisé à l'atroce déchirement dont la cicatrice ne fut jamais fermée. (Applaudissements prolongés.) Revanche militaire et revanche morale devaient alors se conjuguer. La première est venue. Dans la défaite même, nous avons commencé l'autre. Dans la victoire nous voulons l'achever.

Assez et trop longtemps, nous avons pu disperser nos forces dans des conflits politiques et sociaux, fatalité de tous les peuples et de tous les temps, mais qui, même féconds, se traduisent, en compte final, en pertes d'énergie. C'est la commune histoire des hommes. Aucune grande conquête qui n'ait coûté des tumultes d'efforts. L'aboutissement, c'est la victoire au sens le plus noble du mot, la victoire du fait en même temps que de l'Idée, la victoire non des personnes, mais de la France, de la République elle-même, la victoire de tous nos parlements qui se sont succédé dans la commune volonté de refaire la France pour la mettre à sa juste place dans le monde, la victoire de tous nos gouvernements qui, depuis le démembrement de la patrie, se sont transmis le périlleux honneur d'affronter le dilemme du sphinx allemand la victoire ou la mort. Nous avons choisi. L'énigme est résolue. (Applaudissements prolongés.)

L'homme qui avait organisé, dès le lendemain de 1871, la grande ruée fin.ale de la sauvagerie pour l'universelle servitude avait cru pouvoir stupidement se vanter de tolérer, que dis-je ? d'encourager notre République renaissante comme une organisation de faiblesse, de discorde, de dissolution nationale. C'est tout ce qu'il avait compris de la liberté. (Applaudissements.)

Eh bien l'expérience qu'il a voulue a pu se développer librement pendant un demi-siècle. Son peuple, enchaîné au char du seigneur de la guerre et qui s'installait sous le joug par une conquête d'abaissement humain, peut maintenant constater le plein résultat de l'épreuve. L'histoire a clairement parlé. (Vifs applaudissements.)


Il est vrai, nos champs sont ravagés, nos villes sont rasées, l'élite de notre jeunesse repose au sol sacré dans un linceul de gloire, notre plus précieux trésor (vive émotion). Tous les biens ont été prodigués sans mesure, le plus beau sang a coulé par tous les pores, les larmes ont sillonné tous les visages, tous les cœurs ont frémi d'une indicible horreur, mais les larmes des suppliciés et le sang des blessures nous ont laissés meilleurs, plus hauts, plus grands, plus complètement Français. La France est debout, vivante et forte, forte de ses volontés de justice comme des vertus militaires de ses grands soldats dont la plupart vont bientôt civiquement revenir, sans que sommeille notre vigilance, aux travaux de la paix. (Applaudissements répétés.)

Et maintenant, tous à l'oeuvre pour l'accomplissement, avant tout, des réparations nécessaires. Non moins indispensable dans la paix que dans la guerre, l'union sociale demeure le fondement même de la patrie que nous n'aurons pas sauvée des barbares pour la déchirer de nos propres mains parricides. (Longs applaudissements.)

A l'un de se plier, dans l'organisation du labeur moderne, aux méthodes légitimes de juste coopération, nées des généralisations du droit à l'autre d'apprendre à se modérer, à se gouverner lui-même, à se défaire de flatteurs détestables qui lui disent, comme ils faisaient jadis à l'ancien maître, que sa puissance est absolue, qu'il peut tout faire impunément (vifs applaudissements) sans s'exposer aux responsabilités où aboutit fatalement l'inévitable solidarité des intérêts de tous. Sacrifices mutuels issus d'une compréhension meilleure. Commençons. Tous, il faut nous hâter.

Au gouvernement, l'exemple. Il essayera, selon ses forces, de faire succéder progressivement un ordre rationnel de paix à l'empirisme subsistant des pratiques du temps de guerre. Qu'on ne nous demande pas des coups de théâtre. Un peuple ne saurait passer subitement sans transitions des bouleversements d'une défense éperdue à la vie ordonnée qui est dans les vœux de tous. (Vifs applaudissements.)

Messieurs, vous êtes la représentation nationale. Nul doute que vous ne vous inspiriez de votre seul devoir. En accord avec vous, nous avons accompli l'œuvre pour laquelle votre concours ne nous fit jamais défaut. Cette œuvre s'achèvera


dans la mesure que vous saurez fixer. Vous prononcerez en toute indépendance. La loi des démocraties veut que le pays juge en dernier ressort. (Longues acclamations, Applaudis' sements prolongés. MM. les Députés se lèvent sur la plupart des bancs et acclament M. le Président du Conseils au moment où il descend de la tribune.)

Voix nombreuses. L'affichage


ANNEXES

1

LES CIRCONSTANCES DE L'ARRIVÉE AU POUVOIR

DE GEORGES CLEMENCEAU

Elles ont été retracées le 24 novembre I96Y par le Président de la Société de ses Amis lors d'une cérémonie qui eut tieu au Musée Clemenceau. A la demande des assistants cette allocution est publiée ici.

Nous sommes réunis pour le 50e anniversaire de la venue au pouvoir de Clemenceau en 1917, moment décisif dans l'histoire de la grande guerre. La Société de ses Amis ne pouvait faire moins que de célébrer ce grand fait en rééditant et en vous faisant réentendre l'immortelle déclaration ministérielle que Clemenceau rédigea ici même dans la nuit du 18 au 19 novembre. Pour l'apprécier pleinement il convient de rappeler les circonstances trop oubliées de l'époque. C'est ce que je vais faire certain que vous tous qui êtes ici, et que je remercie d'être venus, vous aurez, comme moi, la satisfaction d'accomplir ainsi en toute simplicité un devoir de reconnaissance non seulement envers lui mais envers tous ceux qui tombèrent pour que la France demeure et qui ne peuvent être séparés de lui dans notre cœur.

Sans la guerre, Clemenceau ne serait jamais revenu au pouvoir. Cette affirmation de Georges Mandel, mieux placé que quiconque pour en juger, correspond bien à la réalité. C'est l'opinion publique et les récriminations des soldats transmises par certains de leurs chefs qui ont obligé le Président de la République, Raymond Poincaré, à lever enfin l'ostracisme qu'à l'instar de Jules Grévy et d'Emile Loubet, ses lointains prédécesseurs, il exerçait à l'égard de Clemenceau de trop forte personnalité à ses yeux


comme aux leurs. Le nouveau chef du gouvernement en a fait lui-même la constatation lorsqu'il s'est écrié en se présentant à la Chambre des Députés a Je n'ai jamais tant regretté que le mouvement d'opinion irrésistible qui m'a poussé ici malgré moi et malgré ceux qui m'y ont envoyé. » L'allusion est directe et bien dans sa manière. Jamais il n'oublie. Et comment pourrait-il pardonner à Poincaré puisqu'il est convaincu, de cœur et d'esprit, que cette longue exclusive, basée sur des sentiments personnels ou sur des prétextes, a coûté cher au pays en vies humaines et en temps sinistrement perdu ? L'initiative du Président de la République a été précédée des consultations d'usage. Le Président du Sénat, Antonin Dubost, s'est affirmé fortement en faveur de Clemenceau, tandis que le Président de la Chambre, Paul Deschanel, sans être aussi net, ne s'est pas opposé à ce choix. Des douze autres personnalités qui ont été appelées à donner leur avis, deux seulement furent hostiles, Steeg et Franklin Bouillon, tandis qu'Aristide Briand et Albert Thomas exprimèrent quelques réserves plutôt timides d'ailleurs et d'ordre personnel plus que politique. La voie était libre, le Parlement à l'exemple du pays désirait que l'action fût en mains vigoureuses. Ajoutons pour la petite histoire que Raymond Poincaré avait déjà été retourné par les démarches faites auprès de lui l'insu de Clemenceau, je le souligne, par deux de ses confrères de l'Académie française Alfred Capus et Maurice Barrès, ce même Barrès qui l'avait autrefois si cruellement diffamé dans son pamphlet cc Leurs figures ».

Certes, de son côté, Clemenceau n'avait pas facilité les choses Ses critiques avaient été incessantes et très dures tant dans son journal qu'au sein des commissions sénatoriales qu'il présidait. « Je ne crois pas qu'on puisse me reprocher d'avoir cherché le pouvoir. Je n'ai pas courtisé les puissances » s'écrie-t-il au cours de cette même séance de la Chambre. C'est le moins qu'il puisse dire. Il lui est arrivé bien souvent déjà dans sa vie d'être par sa fougue son propre ennemi. Le 22 juillet 1917 il avait prononcé au Sénat un implacable discours, bourré de reproches surtout à l'égard du ministre de l'Intérieur qui fut obligé de démissionner quelques jours après. Et pour saisir le pays juge en dernier ressort», selon son expression même, il avait publié cette longue diatribe en une brochure à bon marché largement répandue. C'était son habitude d'user de ce vieux procédé républicain pour s'adresser au peuple.

Si donc il est appelé à la tête du gouvernement c'est parce que la situation militaire est grave et la situation intérieure préoccupante. Elles nécessitent un chef. Qui le serait alors sauf celui qui représente éminemment ceux des Français qui sont décidés à ne jamais abandonner les armes ? « C'est, lance-t-il, ma seule raison d'être ici. Ma vie est finie Je veux vous donner les quelques jours qui me restent. (Quelqu'un d'autre fit à la France un même don de sa personne, mais à des fins opposées, la comparaison est écrasante. Je m'excuse de cette digression que je n'ai pu écarter.) Quand vous me demandez, poursuit Clemenceau, mes buts de guerre, je vous


réponds mon but c'est d'être vainqueur. Je veux faire la guerre. Je veux la faire complète. Il avait écrit dans son journal « J'ai une idée qui me pousse comme un boulet. Je ne veux pas voir la perte de mon pays. » Et aussi « Depuis trois longues années nous en sommes à fêter l'arrivée de nos grands poilus à huit kilomètres de Laon Boutons l'étranger hors de France. » Surtout il s'était posé comme l'adversaire de toute paix prématurée et insuffisante « Ce n'est pas par des promenades en Suisse ou en Espagne que se terminera la guerre. C'est à coups de canon. »

Quelle est l'atmosphère du Palais-Bourbon ce 20 novembre 1917 ? Le nouveau Président du Conseil ne connaît qu'un fort petit nombre de députés puisqu'il n'est plus des leurs depuis 1893 et que son premier cabinet a pris fin en 1909 huit ans auparavant. Les élections législatives de mai 1914 ont marqué un tel rajeunissement de l'assemblée que beaucoup d'élus à leur tour ne le connaissent que par ses articles. Ils sont serrés sur leurs bancs, leur attention tendue, presque oppressée. J'étais là dans le couloir de gauche donnant accès à l'hémicycle, voisin des socialistes qui montrent quelque agitation et sont les seuls à s'exclamer ou à interrompre. Dès qu'il est monté à la tribune, lentement et d'un pas pesant, qu'après avoir ajusté son vieux lorgnon il a lu son texte d'une voix monocorde, mais claire et ferme sans excès, Clemenceau a passionné l'assistance. Ses bras s'ouvrent pour accueillir. Il ne sollicite pas, il explique, il affirme, il surpasse, il domine presque du premier instant.

Réchauffé lui-même, en sensible qu'il est, par l'approbation quasi générale qui se manifeste, le vieillard se penche vers ces députés dont beaucoup pourraient être ses enfants (le contraste est saisissant) et il leur fait, parce qu'il aime les jeunes, une confidence surprenante

« Je suis au pouvoir; je voudrais bien que ce ne fût pas un malheur pour mon pays. J'ai peur de ce mouvement qui m'a poussé. On me demande trop. On attend de moi plus que je ne puis faire. »

Cette appréhension, si franchement avouée, est vraiment insolite même pour nous, ses intimes, chez cet homme intrépide, qui a connu souvent l'adversité, qui l'a toujours surmontée, solitaire qui toujours puise en luimême courage, calme et détermination. Les dangers l'ont constamment attiré, il aime le vent et la tempête. Et à pied d'oeuvre il douterait de lui C'est que jamais tâche de sursaut national ne se présenta aussi mal sauf peut être pour Gambetta en une même triste saison de 1870. Ce souvenir le hante, j'en puis témoigner. Les risques à affronter sont immenses comme alors. a Nous approchons de la crise décisive », c'était son expression dans un article du 9 novembre 1917 sur la révolution d'octobre. Cinq jours après il avait expliqué pourquoi ce Nous sommes peut-être au plus obscur de la mêlée avec la nouvelle inondation des barbares dans les plaines d'Italie,


avec la révolution russe. L'ennemi s'épuise en furieux efforts de corruption civile et d'offensive militaire pour dénoncer son état d'âme en d'obliques demandes de paix dans l'espoir d'obtenir de nous des marques de faiblesse. Tout est dit dans ces cinq lignes. En effet le plateau de la balance ne penche pas de notre côté, qui ne le sait ? Il n'y a qu'un élément positif mais il est à terme. « L'Amérique, écrit-il le 14 novembre, est en vue. Guillaume commence à savoir ce que cela veut dire. Un Waterloo où, au lieu de Blucher, Grouchy serait accouru. » A la Toussaint il était allé aux armées voir les soldats au sortir de leur combat victorieux de la Malmaison. ce Une minute auprès d'eux vaut des années », écrit-il à son retour. Il dit avoir trouvé chez eux ce le grand silence de tous les courages ». La formule est magnifique. Lui aussi, quelle que soit sa souffrance, se taira pendant les neuf dernières années de sa vie à leur instar.

C'est pour eux, c'est pour la nation, dont il a grand-pitié, parce qu'il la sent épuisée, qu'il a désiré être au gouvernement. Il a caressé le rêve d'associer à son effort, qu'il voit ultime, l'ensemble des partis. A cet effet il a fait au parti socialiste des offres fort étendues. Elles ont été déclinées, ce que Léon Blum estimera plus tard avoir été la plus grosse faute que ses amis aient jamais commise. Ils en commettront une autre en votant pour Deschanel à la présidence de la République. Ils ne peuvent empêcher le 20 novembre 1917 celui qu'ils continuent d'appeler, bien à tort, l'ennemi de la classe ouvrière d'obtenir une importante majorité de voix 418 contre 65. Fort de ce vote massif de confiance Clemenceau va pouvoir se livrer tout entier à la bataille. Mais n'est-ce pas trop tard ? Il n'est pas le seul à se poser cette question. En tout cas il n'entend pas qu'elle risque d'entraver la promptitude de son action qui sera d'acier.

Le 11 novembre 1917 il avait écrit dans son Homme enchaîné, un an jour pour jour avant l'armistice cc Ou combattre ou se rendre. Qui veut la guerre veut les moyens de la guerre » et le lendemain ee En finir avec les gaspillages d'énergie. Vieille chanson pour mes lecteurs, inutile refrain pour nos gouvernants. Le ministère Painlevé est renversé le 13. Clemenceau donne à l'article qui commente cette chute un titre significatif ce On demande un gouvernement.» Il invoque, je cite, ce les grands j ours de Valmy, lumineux dans l'histoire, mais d'un terrible passage ».

C'est le dernier éditorial qu'il écrira de sa vie après en avoir tant et tant rédigé. A lui maintenant, et cela seul compte, de préparer un second Valmy. Le 18 novembre 1917 l'Homme enchaîné reprend le titre qu'il avait du abandonner à la fin d'août 1914. Il redevient l'Homme -libre. « C'est là, peut-on lire aux États-Unis dans le New York Times, une indication suffisante que le vieux Tigre est bien réellement déchaîné. D Oui, ce mot est à comprendre dans ses deux sens délivrance et acharnement.

Au scepticisme, n la lassitude, aux hésitations succède une volonté qui va en susciter d'autres. Le brouillard se dissipe, au front, chez les officiers comme chez les soldats, dans les colloques du Parlement comme dans les


salles de rédaction. Les embusqués, les profiteurs et les intrigants commencent à trembler. Une conférence interalliée, où assiste le représentant américain, se tient au début de décembre. Clemenceau qui la préside en tire la conclusion en une simple phrase qui dit tout « Nous travaillons pour conquérir par la force le droit à la paix. »

Mais celle-ci est encore loin, très loin. Les nuées du pessimisme, si soudainement écartées, vont se reformer et se répandre à nouveau lorsque les armées britanniques seront percées sur la Somme en mars 1918, les armées françaises en mai sur le chemin des Dames. En ces deux formidables épreuves, Clemenceau prend toutes ses responsabilités, la défaite l'incite à montrer encore plus d'initiative. Lors de la première il obtient que soit institué le commandement unique auquel depuis longtemps il aspire pour Foch, lors de la seconde il provoquera lui-même sur place le redressement.

C'est à cette époque qu'il dit au Pr Gosset, son chirurgien et son ami, venu aux nouvelles, au moment où celui-ci le quitte « Embrassez -moi. Peut-être dans quelques jours apprendrez-vous ma mort en première ligne. » Romantisme aux yeux de beaucoup. Pour nous qui étions à ses côtés, c'est pleine lucidité, refus total de céder. Les Allemands ont pris nos tranchées et bousculé nos troupes, les réserves sont mal placées, Paris est menacé, la voie ferrée indispensable est coupée. Il va tout à l'avant et il ne quittera pas les armées de trois jours le 28 mai au matin il arrive à Belleu, le général Duchesne qu'il vient y voir s'est replié, il le rejoint à Oulchy-le-Château. Le soir même il se rend à Provins pour rencontrer le commandant en chef. Le 29 il évite de peu les Allemands à Fère-en-Tardenois, il cherche de nouveau Duchesne pour réconforter ce général en déroute, il va trouver ensuite les généraux de Maud'huy et Chrétien. Il a aussitôt après une longue conférence avec Foch et Pétain. Il les trouve moins confiants que lui dans l'issue des combats, impressionnés qu'ils sont par la perte des ponts sur la Marne et sur l'Aisne. Ils sentent aussi qu'il serait en droit de reprocher au premier ses imprévisions, au second le choix malheureux de certains chefs. Il s'en garde bien et tout au contraire leur insuffle son imperturbable conviction d'un renversement de situation dans les jours à venir. Le 30 il assiste au colmatage et court d'un général à l'autre. Il fait plus en dépit de la sévérité de son jugement qu'il ne nous révélera que plusieurs années plus tard, il soutiendra les grands chefs de toutes ses forces le 4 juin devant une Chambre hostile. Il les tiendra ce par la peau du cou».

Il était donc allé en première ligne comme il l'avait annoncé. Que s'y fut-il passé sans la présence constante de sa farouche volonté ?

Les résolutions sans retour annoncées pour conclure cette déclaration ministérielle que nous allons relire ont scellé le destin de la France. Ce fut le premier soulagement, le premier pas vers la victoire.


Telle est, Mesdames et Messieurs, la signification de ce cinquantenaire. La Nation reçut de Clemenceau une âme nouvelle par un regain d'espérance. Comme Emile Zola avait été, en un temps tragique, ce un moment de la conscience humaine », il fut la Patrie, la Patrie inébranlée malgré les occupants et malgré les conspirateurs. Il fut aussi contre les intérêts et contre les bassesses la Liberté, la Liberté compagne de la Justice.

Amis, regardez-le (1) ce visage est celui de la France obstinée, de la France révolutionnaire, celle de l'idée et du progrès, de la France mise généreusement de tout temps au service de tous les hommes t

(1) Un buste de Clemenceau placé entre les deux fenêtres de sa salle à manger dominait la cour de la rue Franklin où se tenait la réunion.


II

ÉTUDE

DES CORRECTIONS APPORTÉES AUX DEUX HARANGUES du 17 septembre 1918 et du 30 juin 1919

Je m'acquitterais d'un jeu bien vain d'indiquer les variantes si le cheminement de la pensée et le choix de l'expression ne faisaient surgir dans sa pleine vérité l'homme au sein même de sa lutte et au cœur de son ambition. Certes les thèmes sont simples, la pensée sans nouveauté. Ce qui est passionnant, c'est de saisir sur le vif, au vu de l'écriture même, cette sévérité pour lui-même, cette recherche de précision des idées et d'exaltation des âmes par où se distingue Georges Clemenceau.

Nous le voyons raturer, accentuer le trait, harmoniser la phrase, serrer le poing et élever ses bras, nous l'entendons maudire, objurguer, invoquer et prédire. Ce n'est pas d'un analyste et ce n'est pas d'un prophète. La manière est unique, c'est celle du convaincu qui veut convaincre, de l'entraîneur qui veut entraîner, du philosophe politique sans illusion, de l'homme d'action qui entend aboutir et créer. La parole est alors plus qu'un instrument de cette action, c'est un engagement.

Pages suivantes fac-similés du deuxième état de

la harangue a Allez enfants de la Patrie


MINISTÉRE

DE LA GUERRE

RÉPÙBLIQUE FRANÇAISE

Messieurs,

Après les Présidents des deux Assemblées, le Gouver-

nement de la République racisme à son tour l'honneur d'exprimer

dans la mesure où les mots peuvent le faire, l'immense gratita-

de des peuples dignes de ce nom envers les merveilleux' soldats

de l'Entente par qui

des suprêmes angoisses

de fond de la barbarie.

pendant un demi-siècle pas un jour ne s'est iooulé

sans que la France paoifique en quête éternellement de

*ione toujours plus hautjeut L subir quelque indigne 'b&essure

d'un ennemi qui ne pardonnait pas débite passagère 'avoir saavé;ia du droit les revendications impreaori. tiblea de l'indépendanoa dans la liberté.

Talnous mais survivants, d'un? vie innaoessible h ÉtiaptiG

J^h^seaoo des armas la terreur du germain dans le faste bruyant

de ses fausses victoires^ «tait du redressement historique qui

nous était dû par

là fut le crime impardonnable que nous ne pouvions racheter

aux yeux des hommes qui prétendaient achever la servi allemande

par l'organisation dans le monde de la servitude universelle.

dans 1

Pas un_jour sans une menaoe de guerre. Pas un jour sans

quelque savante brutalité-de tyrannie le gantelet de fer,

la poudre sèohe lUépeeaiguisée étaient 'a^Paix')

Catastrophes qui devaient établir parmi lea hommes Ilipplao4ble

J«~avo s véous^p^Tles pires outrages et les avances qplus

humiliantes encore d'une 'basse hypocriaienous proposant l'aoMp


ceptation du joug volontaire qui seul devait noua soustraire au cataclysme universel.

Nous avons tout subi dans Il attente

du jour inévitable qui nous dtait dû

Et l'heure vint où d'avoir .PU nous réduire par la.

terreur le prétendu mattre du monde mes prit la d'en finir avec la tranquille fierté des peuples qui osaient refuser de servir. Ce fut l'énorme méprise les des germaine l'impuissance des révoltes de avaient jusque là sauvé leur droit vie indépandanteoi Et sans cause avouable sans l'apparence d'un prétexte,

sans s'arrêter même aux invraisemblances des mensonges des antiques rudes se jeta sur notre Sans une parole vaine, nos soldait partirent pour le grand sacrifice.que demandait le salut,du foyer. Ce qu'ils furent ce qu'ile' sont, oe qu'ils l'histoire le dira.

Noua le nous, nous le savions d'avance, c'est depuis hier seulement que l'Allemagne effarée commence à comprendre se sont dressé, devant elleet quels coups sa folie de meurtre et de dévastation l'a oondamnée.

elle avait cru que la victoire

campagnes dévastées nos villes nos villages rasés par la mine et par l'incendie par les pillages les qui n'ont pas màme épargné les modestes vergers du. paysan les violences du passé revivant pour joies de la brute femme enfants

esclavage voilà ce que le monde a vu.voila ce qu'il n'oubliera pas bien non 11 n'y attrait pas eu de victoire pour tant de crime s pour faire oublier plus d'horreurs que le peuplades primitives n'en avaient pu accumuler Et puie


la victoire annoncée n'est pas venue et le plus terrible

compte de peuple à peuple s'est ouvert .^t-ama-royww

sera paye?.

d'une

Car après quatre ans im gloire ingrate de »•*•«̃ ot <ia an

efc* voici qu'un renversement de fortune innsSÊndu non pour

nous amène après le grand reniement germ nique de la

civilisation universelle, le grand recul des armées du Kaiser

devant les peuples de conscience affranchie. Oui, le grand

jour annoncé depuis plus d'un siècle par notre hymne national

est vraiment arrivé les fils sont entrain d^aehever l'oeuvre

immense commencée par les pères .'̃̃* ̃ ̃t*Wlll I IjlII pX»i » t»t la

EHAHCEXSWHPC n'est plus seule justifier les armes suivant

la parole de notre grand penseur C'est tous les peuples frèrear dans une 'communion du droit humain comme il ne s'eon vit jamais, qui vont achever la suprême viotore de la plus haute humanité ( Qui donc pourrait réver d'avoir vécu, même dans le sang

et dans les larmes une plus belle histoire de l'homme pour

une plus belle destinée.

Civils et soldats gouvernements et assemblées de la tous furent au devoir et y resteront jusqu au devoir ««f»nmpi^a +T»irnTo g- nplï jntmln ?t lu Fjuueu

A– ^.̃*amply de geg^granda dignes de la victoire

•taos^parcagu'ils s saurentt l'honorer

Efcepsndant dans cette enceinte où siège la s anciens

de la République nous nous manquerio s à nous-mêmes sin nous

pouvions oubliergue l 'boiartHu^suprêma nt_1 ''û^anili'l^lolTa

à ces magnifiques poilus "Wstoire^^Ha^leB lettres de noblesse qU'ils ne o«*«*si8-«SŒés eux-mêmes'^Ba* ca^ti*» au stoïcisme «sirmig Je^fc-st qui oette heure» même ne nous demandent rien que le droit d'achever l'oeuvre -grandiose qui les sacre peur

^imortalitê^e^SEat/roœaià allait n devan du Gênerai

jour dans(un élan e gratitude


la soldats de l'-Sntante sa verront du

trlompîfe par un Sénat

combattre, combattre victorieusement encore et toujours jusîus'à l'heure où l'ennemi comprendra, j^ 7 imi aa qu'il a Sait il n'y a plus de tflansaôtionj possible, gguo no ponvana Sir

Taleufr:-

a 'une t1i>ii1iii lin Jr-1A

Noua serions indignes du grand destin qui aous est échu si

nos pouvions saorifier quelque peuple petit ou grand aux

a?f* appétits aux rages de domination*

encore sous les derniers mensonges de la "barbarie, ijna ait-»]? e ^,t yrJauyA'liui y- Que la Paix ne peut être amenée A, une décision TTniti.it» militaire Ce n'est pas se a

déohainé dans la 7aii de l'Europe les horreurs de la Guerre

Ce n'est pas ce qu'elle annonçait hier encore quandjSes orateur

se partagaient les peuples

nous et Russie les démembren&nts

qui lrimpuissanoe du monde sous

le fer allemand

La décision militaire -«lieasUacnncle et nous a

oomdamné à la poursuivrelTos morts ont donné leur sang en

témoignage de l'aoe8ptationdu plus grand défi^sux lois de

l'homme civilisé, Qu'il en soit donc comme l' allema^fc dit oom

me l'allema^a fait ,Nous ne cherchons'que la Paix îeV nota

voulons la fairataonne juste et solide pour ceux %«i. rent

que noue voulons sauver Mes abominations du passe

Allez donc, enfants de la. Patrie achevas de libérer le peuples

d la force brutale, ha .hIoïïvtut de

Inm Allez à la viotoi

re sans taohe.Toute la FRANCE toute l'humanité pensante est

avec vous Ceux qui viendront ne doivent plus revifwrles

jours terribles que nous avons vécus

ff da 1 '-ttr-sge- dea a>rnlferaa^n±repri


CORRECTIONS DE L'ALLOCUTION

ALLEZ, ENFANTS DE LA PATRIE

2e brouillon

jre page

1er paragraphe suprêmes est remplacé par dures

2e éternellement est supprimé

4e supprimé en entier

5e le gantelet de fer au lieu de les gantelets

6e l's de vécus est biffé

ces heures lentes remplacent ces jours.

2e page

2e paragraphe le moment au lieu de l'heure

Je ses sujets au lieu des Germains

3e grandes déprédations au lieu de grandes invasions

le sacrifice total au lieu de le grand sacrifice

4e nos villages effondrés au lieu de rasés

les sévices raffinés jusque sur les modestes vergers au

lieu de les sévices qui n'onf pas même épargné.

3e page

jet paragraphe suppression de Et dans la phrase Et il sera payé 2e suppression de grand dans: Oui, le grand jour annoncé 3e suppression de dans les larmes

4e suppression de et Ils y resteront.

4e page

1er paragraphe- nous disait l'Allemand au lieu de nous dit

sous la loi de fer au lieu de sous le fer allemand

2e comme l'Allemagne a voulu au lieu de l'a dit

pour que ceux à venir soient sauvés au lieu de que nous

voulons sauver

à la fin Allez est ajouté devant Allez donc, enfants de la Patrie suppression de tout ce qui suivait l'humanité pensante

est avec nous.


3e brouillon

Pe page

4e paragraphe le gantelet de fer, la poudre sèche, 1'épée aiguisée, sont mis entre guillemets

étaient notre thème de paix devient furent le thème de

la paix germaniqus

heures affreusement lentes au lieu de heures lentes.

2<> page

2e paragraphe avilissement traditionnel de son troupeau au lieu de ses sujets.

3e page

4e paragraphe L'hommage suprême de la plus pure gloire au lieu de l'hommage suprëme et la plus pure gloire.

4e page

2e paragraphe bétail enchaîné au lieu de bétail en troupeaux

à la fin force immonde au lieu de force brutale.

Toutes ces corrections, sauf l'une d'elles qui rectifie une erreur, ne sont que de forme. Elles ont pour but non seulement d'éviter des répétitions de mots ou de pensées, mais de donner à la phrase plus d'harmonie (Clemenceau se relit à haute voix) et surtout d'accentuer la signification du texte, en lui donnant tantôt plus de raccourci et tantôt plus de vigueur.


1 tri mp de tous le Le r

c'e e euple nta poi voulu urir t lui

qui a voulu et dans 1 liberté de ses

Rt maintenant tous à l'o uvre l'accomplissement des

de demain succédant aux devo rs d'hier et d'aujourd'hui moins la que dans la Se

se modérer se gouverner lui dee

disent.que

peut faire

intésera

Jusqu'au bout dont l'aoheveaent est mainte-

nant en vue le gouvernement actuel essayera selon ses forces

de faire

des pratiques du temps de guerre

ne noud demande pas des coups de peuple ne

subitement- et quelle fois


hasardeuses_ dty boulevesseaenij de»-&Hï«4tï8s «lu. jué OUBies ordoa-

Jil vuiui ajjjjmtJ.ciml'nri-yTU'i pr"w"g?gr •maH?^dr''v'ffllg Stes la

devoir. Fn accord avec vous nous avons a.-oonrpli* notre oeuvre,

cette oeuvre sara vôtre d'une définitive dans la mesure

prononcerez en toute

indépendance, %e. loi des démocratie g&qjie le

Fac-similé du troisième brouillon du texte du

30 juin 1919, dont les divers états sont reproduits

pages suivantes.


LES DIVERS ÉTATS DU DISCOUR a la CHAMBRE DES DÉPUTÉS

A L'OCCASION. du 'dépôt DU PROJET DE I,O PORTANT RATIFICATION DU TRAITÉ DE PAIX (30 juii 1919)

Ires CORRECTIONS 2es CORRECTIONS CORRECTIONS TEXTE DÉFINITIF

TEXTE DICTE SUR M TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE ARRETE (les additions sont en italique) Messieurs, MESSIEURS, Chambre le projet de traité conclu le 28 juin à projet de traité qui a re bureau de la Chambre le projet qui, Versailles qui a reçu la signature des plénipo- la signature des gouvernements allié loi portant ratification du traité qui, tentiaires de l'Empire allemand et des gouver- et associés de l'Entente et des plen* de l'Entente le 28 juin à Versailles, a reçu la signanements alliés et associés de l'Entente. potentiaires de l'Empire allemand après celle des plénipo- ture des Gouvernements alliés et assoallemand. J'y ajoute les potentiaires de'l'Empire allemand.

conventions anglo-fran- J'y ajoute les conventions anglo-

çaise et franco-améri- française et franco-américaine.

caine.

A l'heure où va se clore le plus grand drame de Sur les conditions du Pour les conditions du traité luil'histoire dans la haute conscience des suprêmes histoire, quand nous traité lui-même et l'es- même et l'esprit qui discussion n'ai devoirs noblement accomplis tout sentiment doit magnifiquement sommes encore frémis- prit qui l'inspire, je n'ai garde de devancer la discussion qui être banni de nos cœurs qui ne serait pas pure- sants des suprêmes de- garde de devancer la ttoit ici s ment d'espérance française autant qu'humani- autant que de pro voirs magnifiquement discussion qui doit ici où va se clore le plus grand drame de taire. Idéal de la France, idéal de l'humanité grès humanitaires. accomplis, le premier s'établir. Cependant, à l'histoire, quand nous sommes encore même, nous pouvons, nous devons publiquement élan de nos âmes doit 1 heure frémissants accomplis, devoirs mal'attester sous le regard des grands ancêtres dont attester la commune pensée être d'espérance gnifiquement accomplis, le premier notre fierté est de continuer vivement la tactique. d'avoir dignement continu de continuer la élan de nos âmes doit être d'espérance la patrie. de France, idéal d'humanité même,

nous pouvons, nous devons publique-

ment attester la commune pensée

sous le regard des grands ancêtres

dont notre fierté est de continuer la

Patrie.


lies CORRECTIONS 2es CORRECTIONS COBRECTIONS TEXTE DÉFINITIF

TEXTE dicté SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE ARRETE (les additions sont en ttalique) and du haut de la du haut de Quelle joie sans limites quand du tribune française pent tomber cette parole qui ber cette parole saisis- définitive ber cette parole définitive Par la mit le monde en péril de mort est désormais sante France et par ses Alliés, l'œuvre de accomplie. Que l'humanité se lève pour désormais se lève pour vivre sa vie salut qui mit le monde en péril de droit, son droit à tous les droits des hommes libres (suppression de tous les mots jusqu a mort est désormais accomplie. A la pour' la juste cause des hommes dans tous les « le jour est venu») seule condition que nous demeurions champs de labeur. Car le jour est venu où la force 1 doivent se domination guerrière peut être à jaen une puissance que nous voulons définitive. A joindre pour la paix des mais terrassé. Le jour est venu où la la seule condition que nous demeurions présents peuples au labeur. f force et le droit, redoutablement sépaau seule condition esprit de domination guerrière (La phrase suivante rés, doivent se rejoindre pour la paix doit être le vieil esprit de domination jour de la peut est placée devant et le des peuples au labeur. Que l'humafe^^TeïlÏÏ^tlVret; jamais terrassé. (suppression paragraphe' se termine nité se lève pour vivre toute sa vie. se lève pour vivre toute

Cette la guerre, d'une volonté que rien ne doit comme nous avons voulu poursuivre faire fléchir. Cette paix nous la ferons, comme nous la guerre, fléchir. Cette paix, nous la avons fait la guerre, sans faiblesse comme sans vain ferons, comme nous avons nous la dignes des grands morts qui ont voulu le rester orgueil de théâtre théâtral guerre, sans faiblesse comme sans orgement de la France en ses vertus historiques, ° gugil théâtral, avec la résolution intoujours plus France en ses plus loin. tonjonrs plus haut frangible de rester dignes des grands toujours plus loin, toujours plus loin. morts qui ont voulu le prolongement

de la France en ses vertus historiques,

toujours plus loin, toujours plus haut.

d'abord, frontière même de la contre selon la la France d'abord, frontière même de parole frontière même de la liberté, selon la la liberté, que fut dirigé l'effort abol'effort abominable d'oppression universelle dirigé totale qui vient de succomber. universelle minable d'oppression universelle qui tie par nous au prix du plus grand sacrifice de (les mots « anéantie demandé » vient d'être anéanti. Pour écraser le sang qui fut jamais demandé. Pour écraser le sont supprimes) droit des peuples libres à la plénitude la France de la Révolution d'abord devait être avant tout « avant tout » (entre avant tout, devait être abattue. Tout lement accepté. d'honneur fut demandé de nous- accepté. » (supprimé) Nous avons tout donné. Et voici que mêmes pour ce que tout ce qui vaut parmi les « pour le droit triomphant est debout, droit,hommes la peine de vivre put être transmis intact gible. Et voici que la paix de droit, aux générations alliées. Nous avons tout donne suggère, les espoirs que ce grand mot et ceux qui rêvaient la conquête du monde pour. suggère, va commencer son cours. l'asservissement des peuples se voient vaincus retour » (supprime)

sans retour. Le droit triomphant est debout, intan- Et voici que le droit

gible. La Paix de justice avec les espoirs infinis Et voici que la paix

que ce grand mot suggère va pour les peuples avec tous les espoirs. bataille» peuples

petits et grands fermes aux postes de bataille (supprimé) bataille»


Ires CORRECTIONS 2es CORRECTIONS CORRECTIONS TEXTE DÉFINITIF

TEXTE DICTE SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR :LE TEXTE ARRÊTÉ (les additions sont en italique) Cette paix de la France, cette paix de grandeur Cette paix de la France, cette Paix humaine, c'est à nous de donner l'exemple, de la humaine dont l'aurore apparaît, dont nous n'avons de grandeur humaine dont nous n'aréaliser, de la vivre dans l'accomplissement de tous à nous d'en donner l'exemple encore, encore que les signes pré- vons encore que les signes précurles grands devoirs où nous voulons que l'accrois- de la vivre curseurs, seurs, c'est à nous d'en donner l'exemd'honneur auquel notre peuple a droit

lui demeure acquis d'un consentement

unanime.

Cette Paix, il est bon de le dire ici même en Seulement, cette Paix, il est bon de « merveilleuse France » .précise. le dire ici même en cette heure précise, ne peut pas être seulement la paix avec les peuples (supprimé, remplacé par de pro- ne peut pas être d'une façon exclusive ennemis aussi bien qu'avec ceux à qui, après les la paix avec les peuples amis aussi devoir. La Paix générale, en sanctions de justice, nous voulons en serait que le fallacieux mensonge d'un jour si la fallacieuse illusion le fallacieux mi- effet imposer le devoir. La Paix générale, paix avec nous-mêmes, c'est-à-dire de donner rage d'un jour, si nous n'étions pas comme fondement de la paix extérieure la paix capables de vivre en paix d'abord Additif: Pour cela,l'apaisement sans Pour cela sans doute Pour cela sans doute

doute, mais l'apaisement de tous car l'apaisement des an- il faut. si l'esprit de rieure la paix intérieure à notre propre

si l'état de guerre persistait quelque ciens conflits, l'apaise- guerre persistait où que pays. Pour cela, sans doute, il faut

part, ce serait la paix civile trahie au ment de part et d'au- ce soit, l'apaisement des anciens conflits,

moment même où nous voulons l'as- tre l'esprit de mais l'apaisement de part et d'autre,

surer. guerre car si l'esprit de guerre persistait en

quelque point que ce fût, ce serait la

paix civile trahie au moment même

où nous voulons l'assurer.

Oui, c'est aujourd'hui qu'une telle parole doit prononcée (sup- La paix du dehors se peut conquérir sublime, sacrifice total » (sup- fice de tout ce qui fait le prix et la par le sacrifice de tout ce qui fait le prix et la primé) beauté de la vie. La paix du dedans acquérir que par l'effort continu d'accomplir sur obtenir ne s'obtient d'accomplir.. dans un esprit d'équité supérieure des nous-mêmes dans un esprit d'équité supérieure K sur (supprimé) justes (seconde correction équitables) le sacrifice d'impulsions ancestrales aussi bien nous-mêmes » (supprimé), 1 compositions successives d'impulsions, que de volonté réfléchie en opposition quoti- « le sacrifice» (remplacé par « des « dans l'opposi- de volontés, de croyances, de pensées, dienne parmi nous des croyances, des pensées, des compositions nécessaires ») tion quotidienne parmi d'intérêts traditionnellement opposés, intérêts, des efforts « ancestrales de» (supprimé) nous » (supprimé) parfois même contradictoires. Il y fant l'héroïsme obscur d'une contrainte inlassable, (supprimé) l'héroïsme obscur d'une contrainte vos'il ne satis- croyances, de pensées, d'intérêts tra- l'obstinée conservation d'un ordre rafait pas immédiatement à toutes les espérances ditionnellement opposés, sinon contra- parfois même con- tionnel qui, s'il ne satisfait pas immén'en doit pas moins perme tre à ces espérances dictoires, réfléchis et souvent diatement à toutes les espérances n'en


lies CORRECTIONS 2ee CORRECTIONS CORRECTIONS TEXTE DÉFINITIF

TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE ARRÊTÉ (les additions sont en italique) de se réaliser progressivement suivant les méthodes (c de nous-mêmes » (supprimé) (opprimé) « » rances mêmes de se réaliser progresside la paix à mesure que nous nous montrons d'un ordre subsistant d'un ordre ^th, d'un ordre rances à mesure que nous nous moucapables de faire passer dans l'effet les parties « selon paix » (supprimé) -^y^ d'un ordre métho- d'un ordre ration- vement, à mesure de faire passer danslentes à s'installer dans la réalité mêmes. tes à s'ofCrir, si lentes à s'installer

Cela, les plus beaux élans de vaillance seraient (Tont le paragraphe est

insuffisants pour le réaliser. Il y faut la puissance a le réaliser. supprimé.)

continue, la volonté tranquille mais sûre d'elle-

même, la patience obstinée qu'exige l'évolution

commune des esprits et des cœurs pour la trans-

formation d'un ordre de droit partiel en un ordre ordre de droit ancien en un

de droit supérieur qui est la condition même des ordre de droit nouveau, ce qui est

progrès de l'humanité. Œuvre toujours nouvelle

qui veut un renouvellement de pensées, de senti-

ments, de passions dominée par la maîtrise de soi une maîtrise de soi

sans laquelle la plus belle parole n'aboutira jamais

à une vertu d'action.

Messieurs, je puis le dire devant qui que ce soit sans blesser qui « Messieurs, as- N'est-ce pas tout le programme de dans cette assemblée, dire devant qui que le pro- sans blesser qui semblée B (supprimé) la République, depuis le jour où elle gramme de la République elle-même depuis où ce elle-même » (sup- apparut sanglante, dans les premières elle a paru sanglante dans les premières heures apparut de l'embrasement prImé) heures de l'embrasement révolutiondes révolutionnaires, n'est-ce pas le premier révolutionnaire, naire ? N'est-ce pas qui se trouve programme que je viens de tracer ? • « remier (supprime; trouve ainsi la France elle-même qui se trouve programme de la France elle-même? tracé ? Pour que notre de la guerre soit notre victoire de la

victoire de la guerre paix, aumoins savons-nous déjà quelles

soit la victoire de la paix victoires sur nous-mêmes nous devons

au moins savons-nous préalablement remporter.

quelles victoires sur

nous-mêmes nous devons

d'abord (remplacé par

et préalablement ») rem-

porter.

En quelques paroles j'ai tenté de faire pressentir (Paragraphe supprimé.)

la tâche. Dès demain il sera temps que le problème

dans ses détails comme dans son ensemble soit

abordé de près. Aujourd'hui il suffit de s'arrêter

à la constatation de la victoire qui n'est encore

que dans les protocoles en vous demandant d'en

faire une réalité.

A Bordeaux, à Versailles en 1871, j'eus la dou- A Bordeaux, d'apporter en 1871,de d'apporter le à l'atroce déchirement dont la gnage de mes yeux et de mon cœur


1res CORRECTIONS CORRECTIONS CORRECTIONS TEXTE DÉFINITIF TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE ARRÊTÉ (les additions sont en italique) cicatrice ne fut jamais fermée. La guerre civile « La guerre civile brisé à l'atroce déchirement dont la allait sévir annonçant, semblait-il, à nos ennemis honneur. » (supprimé, cicatrice ne fut jamais fermée. Rejoyeux, la fin d'un grand passé sans suite d'avenir sans reprise d'avenir remplacé par « Re- vanche militaire et revanche morale et de tout ce chaos la République a fait la paix vanche militaire et re- devaient alors se conjuguer. La predans un régime de liberté sans précédent sur notre vanche morale devaient mière est venue. Dans la défaite même territoire, dans un effort de relèvement où se alors se conjuguer. La nous avons commence 1 autre. Dans comptent de belles étapes d'honneur. L'Alsace et Notre Alsace, première est venue. Il «NotreAlsace la victoire nous voulons l'achever. la Lorraine sont enfin retrouvées pour reprendre notre Lorraine reste l'autre (remplacé retrouvées » (supprimé)

bientôt officiellement au foyer la place qui les. pour attendait» (supprimé) par « dans la défaite

attendait. Sans doute pendant longtemps nous. Au travail maintenant pour le même nous avons com- Assez trop longtemps nous avons avons pu disperser nos forces en des conflits poli- plus' beau renouvellement. Assez et mencé l'autre »). Nous pn disperser nos forces en des conflits tiques et sociaux qui bien qu'étant de tous les trop longtemps devons l'achever (cor- politiques et sociaux, fatalité de tons temps et de tous les peuples se sont traduits au qui sont de tous les peuples rigé « nous voulons ») les peuples et de tous les temps, mais compte final en des pertes d'énergie, cela est et de tous les temps, mais qui, tout fé- et devant vient es peuples féconds, se traduisent au de l'histoire commune. Aucune grande conquête conds qu'ils puissent être, se traduisent dans la victoire») conds, se traduisent compte final, en pertes d'énergie. de l'homme qui n'ait coûté de tels efforts. au compte final, en pertes d'énergie. compte en, en histoire des homNous avons mis en oeuvre toutes les initiatives C'est la commune histoire des hommes. « Nons avons Aucune grande conquête qui individuelles dans le domaine des libertés publi- « de l'homme » (supprimé) libertés publi- coûté des tumultes d'efforts. crues L'aboutissement est sous vos yeux. Nous avons libéré » (supprimé) « L aboutissement la victoire au nos yeux. est sous nos yeux. » sens le plus noble du mot, la victoire

(supprime) du fait en même temps que de l'idée,

L'aboutissement c'est la victoire au sens le plns la victoire non des personnes, mais de noble du mot, la victoire du fait en même temps la France, de la République elle-même, de la France elle-même, la victoire de tous les de la France, de la Républiqne elle- se sont succédé dans la commune vaParlements qui se sont succédé dans le commun même, lonté de refaire la France le monde lajuste place dans le monde, la victoire de tous les volonté de refaire la France pour la victoire de tous nos gouvernements gouvernements qui depuis les premiers jours de mettre qui, depuis le démembrement de la la République se sont transmis la lourde tâche. le périlleux honneur le périlleux honneur Patrie, se sont transmis le périlleux d'une réponse décisive à l'énigme du d'affronterledilemmedu honneur d'affronter le dilemme du

sphinx allemand la victoire ou sphinx allemand: la vic- sphinx allemand la victoire ou la

la mort. Le monde nous est témoin toire ou la mort. L'énig- mort. Nous avons choisi. L'énigme est

que cette fois nous avons rénpodu. me est résolue. résolue.

Quelle pensée plus naturelle, plus nécessaire « Quelle pensée

à l'heure même où votre gouvernement vient.

prendre acte devant vous de ce grand fait d'his-

toire, que la République a sauvé la France avec.

la civilisation des suprêmes périls d'une force.

brutale acculée ? acculée?» (supprime)

L'homme qui avait organisé dès le lendemain L'homme qui avait organisé dès le de 1871 cette ruée finale de la sauvagerie pour la grande ruée lendemain de 1871, la grande ruée selle servitude, avait cru pouvoir stncomme une organisation de faiblesse, de discorde, ger pidement se vanter de tolérer, que


TEXTE DICTÉ Ires CORRECTIONS 2- CORRECTIONS CORRECTIONS TEXTE DÉFINITIF SUR LE TFJGTE DICTE SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE TEXTE ARRETE (les additions sont en italique)

de dissolution nationale. C'est tout ce qu'il avait dis-je ? d'encourager notre Répucompris de la liberté. Eh bien l'expérience qu'il blique renaissante comme une orgaa voulue a pu se développer librement pendant nisation de faiblesse, de discorde, de un demi-siècle. Son peuple qu'il enchaîna au char enchaînait dissolution nationale. C'est tout ce du seigneur de la guerre et qui s'installa dans ses s'installait Seigneur qu'il avait compris de la liberté. chaînes pour une conquête d'abaissement humain s'installait sous Eh bien l'expérience qu'il a voulue peut maintenant constater le plein résultat de le joug a pu se développer librement pendant l'épreuve. épreuve. L'histoire a clairement un demi-siècle. Son peuple qu'il enjjarlé. chaînait au char du Seigneur et qui

s'installa sous le joug pour une con-

quête d'abaissement humain, peut

maintenant constater le plein résultat

de l'épreuve. L'histoire a clairement

parlé.

Il est vrai, nos champs sont ravagés, nos villages, Il est vrai, nos champs sont ravagés, nos villes sont rasés, l'élire de notre jeunesse dort jeunesse repose nos villages, nos villes sont rasés, sous le sol sacré dans un linceul de gloire immor- au sol l'élite de notre jeunesse repose au sol telle, mais la France est debout plus belle, plus gloire, notre sacré dans un linceul de gloire, notre grande, plus aimante, plus aimée, plus fraternelle plus précieux trésor. plus précieux trésor. Tous les biens que jamais, la France de la République, la Répu- fraternelle, plus heureuse ont été prodigués sans mesure, le blique de la France. parce que plus française que jamais plus beau sang a coulé par tous les « la France de la France. » pores, les larmes ont sillonné tous les

(supprimé) visages, tous les cœurs ont frémi d'une

indicible horreur, mais les larmes des

Cela nous a coûté cher des richesses ont été « Cela nous richesses » (suppri- supplices et le sang des blessures nous prodiguées sans mesure, le sang a coulé par tous mé) ont laissés meilleurs, plus hauts, plus les pores en d'effroyables supplices, les larmes ont Tous les biens ont été prodigués, a en d'effroyables grands, plus complètement Français. sillonné toutes les joues; tous les cœurs ont frémi le plus beau sang supplices» (supprimé) La France est debout, vivante et d'une même horreur, mais les larmes des snpplices tous les visages forte, forte de ses volontés de justice et le sang des batailles nous ont faits meilleurs, plus d'une indicible horreur comme des vertus militaires de ses hauts, plus grands, plus complètement français nous ont laissés. grands soldats dont la plupart vont Nous avons le droit de le dire en ce moment, « Nous avons le droit La France est debout, bientôt civiquement revenir, sans que d'abord parce que c'est vrai et puis parce que, vivante et forte, forte de sommeille notre vigilance aux travaux si nous pouvions l'ignorer, toute la terre l'a vu, ses volontés de justice de la paix. nous trouvons notre plus belle récompense. de ces grands soldats

Cela a coûté cher dans la guerre, cela coûtera •• • • • qui parole pour revenir

cher dans la Paix. Paix. » (supprime) (corrigé par « qui vont

bientôt revenir ») sans

̃* que sommeille notre vi-

gilance aux œuvres de la

paix.

Et maintenant tous à l'œuvre pour l'accomplis- Et maintenant, tous à l'œuvre pour sement des devoirs de demain succédant aux de- l'accomplissement des devoirs de devoirs d'hier et d'aujourd'hui. Non moins néces- demeure d'aujourd'hui, pour main succédant aux devoirs d'hier et saire dans la paix que dans la guerre l'union sociale le' fondement même de l'accomplissement avant d'aujourd'hui,pourl'accomplissement,


TEXTE DICTÉ lres CORRECTIONS 2" CORRECTIONS CORRECTIONS TEXTE DÉFINITIF TEXTE DICTE SUR LE TEXTE DICTÉ SUR LE texte DICTÉ SUR LE TEXTE ARRETE (les additions sont en italique) doit être une réalité vécue, l'un doit apprendre à s'impose comme une nécessité pour la patrie que nous n'au- tout des réparations né- avant tout, des réparations nécessaires. se plier aux méthodes nouvelles réclamées dans tous. A l'un de se plier dans l'or- rons pas sauvée des bar- cessaires. Non moins Non-moins indispensable dans la paix un esprit de justice pour le labeur organisé des ganisation du labeur moderne aux bares pour la déchirer indispensable dans la que dans la guerre, 1 union sociale masses, l'autre doit apprendre à se modérer, à méthodes nouvelles de juste coopéra- de nos mains homicides, paix demeure le fondement même de la se gouverner lui-même, à se défaire des mauvais tion, nées des générations du droit, à défaire des pro- méthodes légitimes Patrie que nous n aurons pas sauvée conseillers qui lui disent que sa puissance est l'autre d'apprendre blèmes détestables de juste coopération des barbares pour la détruire de nos absolue et qu'il peut tout faire impunément qui lui disent, comme ils faisaient s'exposer aux mains parricides. A 1 un de se plier, comme les anciens maîtres, sans aboutir aux res- à l'ancien maître responsabilités on dans 1 organisation du labeur moderne, ponsabilités que le seul enchaînement des intérêts «,comme les anciens maîtres » (sup- aboutit fatalement aux méthodes légitimes, de juste coocommuns ferait tôt ou tard retomber sur ceux primp) pération, nées des générations du qui auront méconnu la loi de l'universelle soli- res- droit. A l'autre d'apprendre à se modédarité. Cela sera quelque jour. Le monde recom- ponsabilités où s'affirme fatalement l'inévitable soli- rer, à se gouverner lui-même, à se mence, pour vivre. Unissons nos efforts. Nous la solidarité des intérêts de tous. Ce darité. Le temps achève- de tous. Sacrifices défaire des flatteurs détestables qui devons commencer dès aujourd'hui. sera l'oeuvre du temps. Ce temps, il ra cette œuvre. Mais ce mutuels issus d'une com- lui disent, comme ils faisaient jadis faut l'abréger. (le reste supprimé). temps, il faut l'abréger, préhension meilleure. à l'ancien maître, que sa puissance

Commençons. Hâtons- Commençons. Tous, il est absolue, qu'il peut tout faire

nous. faut nous hâter. impunément, sans s exposer aux res-

ponsabilités où aboutit fatalement

l'inévitable solidarité des intérêts de

tous. Sacrifices mutuels issus d'une

compréhension meilleure. Commen-

çons. Tous, il faut nous hâter.

Jusqu'au bout d'une page dont l'achèvement tâche « Jusqu'au bout Au Gouvernement l'exemple. Il esest maintenant en vue, le gouvernement actuel vue » (supprimé) saiera, selon ses forces, de faire succeessaiera selon ses forces de faire succéder un ordre succéder progrès- Au gouvernement der progressivement un ordre rationrationnel de paix à l'empirisme encore subsistant sivement l'exemple. Il essaiera nel de paix à 1 empirisme subsistant des pratiques du temps de guerre. Qu'on ne nous des pratiques du temps de guerre. demande pas des coups de théâtre. Un peuple ne ne ne nous demande pas des peut passer subitement et sans transitions quel- saurait sans des transitions sans transitions coups de théâtre. Un peuple ne sauquefois hasardeuses, des bouleversements, des d'une « quelquefois hasar- rait passer subitement sans transitions batailles aux méthodes ordonnées de la Paix. défense éperdue à la vie ordonnée deuses » (supprimé) des bouleversements d une défense Sur la conduite de cette démobilisation générale qui est dans les vœux de tous. éperdue à la vie ordonnée qui est des services publics à ramener dans l'ordre des « Sur dans les vœux de tous. corps nécessaires il vous appartiendra de vous finalement. » (supprimé)

prononcer finalement. Vous êtes la représentation Messieurs, vous êtes Messie nationale, vous vous inspirerez de votre seul devoir. Nul ne doute que vous inspi- que vous ne vous Messieurs, vous êtes la représenEn accord avec vous nous avons accompli notre riez inspiriez ne doute que œuvre, cette œuvre sera vôtre d'une façon défi- « Cette- oeuvre vous ne vous inspiriez de votre nitive dans la mesure qu'il vous appartiendra de que vous saurez fixer. d'une façon définitive seul devoir. En accord avec vous, fixer. Vous prononcerez en toute indépendance. (supprimé) nous avons accompli 1 œuvre pour La loi des démocraties est que le pays juge en la veut « par laquelle votre concours ne nous fit dernier ressort. juge par lui-même » (supprimé) jamais défaut. Cette œuvre s'achélui-même. vera dans la mesure que vous saurez

fixer. Nous prononcerez en toute

indépendance. La loi des démocraties

veut que le pays juge en dernier

i ressort.



TABLE DES MATIÈRES

PAGES

AVANT-PROPOS VII INTRODUCTION. Clemenceau de la harangue,

par Georges 1 DISCOURS DE GUERRE

I. La guerre vient Il Pour la défense nationale (Homme libre, 21 mai 1913) 11

Vouloir ou mourir (Homme libre, 24 mai 1913) 15

Les crédits militaires (Sénat, 13-14 juillet 1914). 19

Ni défendus, ni gouvernés (Homme libre. 15 juillet 1914) 33

A la veille de l'action (Homme libre, 2 août 1914) 38

II. La guerre éclate 43 Extraits de correspondance. 43

III. La guerre se poursuit 52 Préface à l'édition française de Notre avenir du général

von Bernhardi (1915) 53

Préface à l'Effort britannique de Jules Destrée (1916) 58

Aux Anglais (21 février 1916) 61

IV. Le défaitisme 65 Discours au Sénat (22 juillet 1917) 65

V. Au gouvernement. La lutte suprême. 130 Déclaration ministérielle et discussion des interpella-

tions à la Chambre des Députés (20 novembre 1917) 130

Allocution d'ouverture et discours de clôture de la

Conférence interalliée (29 novembre/4 décem-

bre 1917) 148

Deux interviews (décembre 1917) 150

Tous les citoyens sont soumis à la justice et aux lois

(21 décembre 151

Appel de la classe 1919 (28 décembre 1917). 152

Interview (5 janvier 1918) 158

Communiqué du Conseil supérieur de Guerre (4 fé-

vrier 1918) 158


PAGES

Lettre à M. Ferdinand Buisson (8 février 1918) 160

Anniversaire de la protestation de l'Alsace et de la Lor-

raine (ler mars 1918) 161

« Je fais la guerre » (8 mars 1918) 163

Télégramme au chef du gouvernement britannique

(27 mars 1918) 177

L'incident Czernin (avril 1918) 178

Après le Chemin des Dames (4 juin 1918) 187

Appel de la classe 1920, déclaration au Sénat

(2 août 1918) 204

Quelques lettres de 1918 205

VI. La guerre est gagnée. 211 La victoire s'affirme, mais il faut l'achever (Chambre

des Députés, 5 septembre 1918) 211

Harangue au Sénat ce Allez, enfants de la Patrie »

(17 septembre 1918). Commentaire explicatif et texte 213

Les régions occupées sont délivrées (18 octobre 1918) 223

Allocutions à Roubaix et à Tourcoing (19 octobre 1918) 225

L'armistice est signé (11 novembre 1918) 227

VII. 1918 efface 1871 229 Allocution au retour de la visite des représentants de

la France aux provinces recouvrées (11 décem-

bre 1918) 229

VIII. Le traité de paix est signé 235 Dépôt sur le bureau de la Chambre et appel à la

résurrection du pays (30 juin 1919). 235

ANNEXES

I. Les circonstances de l'arrivée au pouvoir de Georges

Clemenceau. 243 II. Étude des corrections apportées aux deux harangues du 17 septembre 1918 et du 30 juin 1919 249


1968-1.-Imprimerie des Presses Universitaires de France. Vendôme (France) ÉDIT. N° 29 914 tmtotmiS en FRANCE IMP. N° 20 615




PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

GEORGES WORMSER

LA RÉPUBLIQUE DE CLEMENCEAU

Un volume 14 X 22,5 cm de 532 pages 16 F. 0

Pierre RENOUVIN

LA CRISE EUROPÉENNE

ET LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE Un volume 14 X 22,g cm de 780 pages, relié 44 F. LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Un volume 11,5 X 17,6 cm de 128 pages Que sais-je? 3 F.

108, boulevard Saint-Germain PARIS (6e)

Clémenceau, Georges

Discours de guerre

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29 914. B