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Title : Catalogue méthodique des moulages des oeuvres de sculpture grecque / rédigé par un groupe d'étudiants sous la direction de Pierre Paris ; Université de France. Faculté des lettres de Bordeaux. Musée archéologique
Publisher : impr. de la Vve Cadoret (Bordeaux)
Publication date : 1889
Contributor : Université de Bordeaux. Faculté des lettres et sciences humaines. Éditeur scientifique
Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb42778594w
Type : text
Type : monographie imprimée
Language : french
Language : French
Format : 444 p. ; 26 x 17 cm
Format : Nombre total de vues : 474
Description : Collection numérique : Fonds régional : Aquitaine
Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Rights : Consultable en ligne
Rights : Public domain
Identifier : ark:/12148/bpt6k6460785b
Source : Bibliothèque de l'INHA / coll. J. Doucet, 2012-296498
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Online date : 21/02/2013
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UNIVERSITÉ DE FRANCE
FACULTÉ DES LETTRES DE BORDEAUX
MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE
CATALOGUE
MÉTHODIQUE
DES MOULAGES DES ŒUVRES DE SCULPTURE GRECQUE RÉDIGÉ PAR UN GROUPE D'ÉTUDIANTS
sous la direction de
Pierre PARIS MAiTHE DE CONFÉRENCES (>'A M CH KO LOOIE ET D'INSTITUTIONS H ECO CES
Premier Fascicule.
BORDEAUX IMPRIMERIE V e C A D 0 li E T 17 — rue Montméjan — 17
1 889
CATALOGUE MÉTHODIQUE
DES MOULAGES DES ŒUVRES DE SCULPTURE GRECQUE
UNIVERSITÉ DE FRANCE
FACULTÉ DES LETTRES DE BORDEAUX
MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE
CATALOGUE
MÉTHODIQUE
DES MOULAGES DES ŒUVRES DE SCULPTURE GRECQUE
RÉDIGÉ PAR UN GROUPE D'ÉTUDIANTS
sous la direction de
Pierre PARIS MAÎTRE DE CONFÉRENCES D'ARCHÉOLOGIE ET D'INSTITUTIONS GRECQUES
BORDEAUX IMPRIMERIE Ve CADOllET 17 — rue Montméjan — 17
1889
Commencé d'imprimer en janvia 1880.
Le Musée de moulages de la Faculté des Lettres de Bordeaux a été créé par décret du 21 décembre 1886, sous le ministère de M. Berthelot.
Cette institution, dont Bordeaux a jusqu'ici le privilège, est due à l'initiative et à la générosité de M. Liard, Directeur de l'Enseignement Supérieur, professeur honoraire de la Faculté des Lettres de Bordeaux, secondé par MM. Ouvré, Recteur de l'Académie, et Couat, Doyen de la Faculté des Lettres de Bordeaux.
Les dépenses relatives à l'installation du Musée n'avaient pas été prévues lors de la construction du Palais des Facultés ; mais le Conseil municipal, entraîné par M. Daney, maire, et M. Couat, qui unissait à son autorité de doyen celle d'adjoint délégué à l'Instruction publique, n'a pas hésité à voter des crédits supplémentaires.
Dès le début de l'année classique 1887-88, M. Paris, maître de conférences, chargé du choix des moulages, de leur achat et de leur installation, inaugurait les cours et conférences d'archéologie grecque dans le local, par malheur trop exigu pour tant de richesses, aménagé avec goût par M. l'architecte Durand.
Une allocation annuelle, inscrite depuis 1887 au budget de la Faculté des Lettres, suffit largement à l'entretien et à l'accroissement de la collection, et, à la date du 12 décembre 1888, M. Espinas, Doyen, dont la sollicitude pour le Musée et l'enseignement archéologique n'est pas moins vive que celle de M. Couat son prédécesseur, obtenait de l'autorité supérieure, avec le concours de M. le Recteur Ouvré, l'autorisation de faire imprimer le présent catalogue.
Les rédacteurs prient tous ceux dont les noms cités ici resteront attachés à la fondation du Musée, de vouloir bien accepter l'hommage de leur œuvre collective.
PREMIÈRE PARTIE La Sculpture Archaïque
1. - ŒUVRES DE STYLE ORIENTAL
1. — Statue de Charès.
Cette statue, avec neuf autres de même style, mais de dimensions diverses, bordait l'avenue sacrée qui conduisait du port de Panormos au temple d'Apollon Didyméen, à Milet. Elle a été transportée en 1858 à Londres, au British Muséum, par M. Newton.
C'est un homme plus grand que nature, assis sur un vaste trône ; l'inscription suivante, gravée sur le montant antérieur de droite, Xàpvjç et Ó KÀécnoç, TetxwÓO'"f\ç àpydç. "AyaX^a TO(U) 'A7udXXtovo;.
désigne le personnage comme Charès, fils de Clésis, prince de Teichiousa, et l'œuvre comme un ex-voto consacré à Apollon. Charès est dans une attitude de repos absolu; ses deux pieds sont joints sur la même ligne ; ses deux bras sont appuyés naturellement sur les bras .du trône et sa main droite, qui a disparu, reposait comme sa main gauche sur ses genoux. Il est vêtu d'une longue robe et d'un manteau qui, passant en écharpe autour du buste, laisse l'épaule droite décou- verte et, ramené par dessus l'épaule gauche, tombe en larges plis droits presque jusqu'aux pieds. La tête manque.
Cette statue frappe au premier aspect par la lourdeur et la mollesse de ses formes; les épaules sont larges, les bras et la poitrine ronds, sans modelé; la taille est épaisse sous les draperies, et la robe, bien qu'ajustée assez étroitement aux jambes, n'en laisse pas deviner les contours; les doigts des pieds, qui dépassent le bord inférieur du
vêtement, sont gros et sans précision. Rien dans cette œuvre ne témoigne une connaissance précise, à plus forte raison profonde du corps viril; le corps de Charès est sans vérité anatomique, sans mouvement et sans vie. L'artiste, d'ailleurs, n'est guère plus habile, malgré son effort, à rendre les plis des étoffes; ceux de la robe sont à peine indiqués par quelques traits sur l'épaule droite et par quelques ondulations raides et parallèles au-dessus des pieds; ceux du manteau sont plus variés et un peu plus souples dans leur disposition, mais ils sont trop réguliers et surtout sans relief; ils semblent aplatis au fer, et se recouvrent sans pour cela marquer des saillies différentes. Sur le bord de l'étoffe, aux manches et à la hauteur des genoux, on distingue les traces d'un ornement gravé en forme de méandre. La tête a, par malheur, disparu; mais d'après une autre statue de même provenance, où le relief du visage est pourtant tout à fait fruste, on peut inférer que le style de la tête était le même que le style du corps, lourdeur et immobilité sans expression et sans vie.
On s'accorde à retrouver dans la statue de Charès des traces d'influence orientale. L'aspect général, en effet, rappelle nombre de statues égyptiennes, les colosses de Memnon à Thèbes, par exemple, et aussi des statues Chaldéo-Babyloniennes, comme l'architecte de
Tello (Musée du Louvre) ou mieux encore la statue de Shalmaneser, trouvée à Sergat (British Muséum).
De plus, les formes lourdes, courtes et molles du corps, l'ampleur des draperies, si peu d'accord avec les goûts du génie ionien, font penser au style assyrien.
Peut-être n'est-il pas sans intérêt de rappeler qu'à l'Acropole d'Athènes (Mittheilungen cl. Deut. arch. Instituts in Athen, 1881, taf. VI), on a retrouvé des fragments de statues ayant la même position, dont les vêtements sont traités à peu près de la même manière; de citer l'Athéna d'Endoios (no 13), et surtout d'attirer l'attention sur ce fait qu'un grand nombre de figurines de terre-cuite de style archaïque, trouvées indifféremment dans toutes les nécropoles grecques et que l'on s'accorde à désigner sous le nom de Déméter, divinité éminemment orientale, offrent les plus grandes analogies d'attitude et de technique avec la statue de Charès.
L'inscription, dont nous donnons ci-contre le facsimile, nous autorise par sa rédaction et la forme des
caractères, à attribuer au vic siècle avant Jésus-Christ la statue de Charès; l'étude de l'œuvre elle-même conduit à la même conclusion.
Bibliographie. — Newton, Discoveries at Halicarnassus, Cnidus and Branchidee, Atlas, vol. I, pl. 74, 75, 76. — Mûller-Wieseler, Denkmseler d. a. Kunst, I, no 33.— Archseologische Zeitung, VIII, taf. XIII. — 0. Rayet et Thomas, Milet et le golfe Latmique, tab. 25. — Overbeck, Griechische Plastik\ I, fig. 11. — L. Mitchell, History of ancient sculpture, fig. 84. — Collignon, Manuel d'Archéologie grecque, fig. 31. — Wolters, Gipsabgusse ant. Bildwerke zu Berlin, no 6. — V. Duruy, Histoire des Grecs (illustrée), I, p. 685. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 49. —
Pour l'inscription, voy. en outre Kirchhoff, Studien zur Geschichte der Griechischen AlphabetsS, p. 17. — Rœhl, Inscriptiones Grsecse antiquissimæ, 488.
P. P.
2. - Bas-relief d'Assos.
Fragment d'une frise en granit gris, trouvée en Troade parmi les ruines d'un temple dorique (1838), transportée au Louvre par Raoul Rochette; quelques fragments nouveaux ont été recueillis par une mission américaine en 1881.
Les divers morceaux formaient une frise représentant des sujets variés qui ne semblent pas avoir de rapport entre eux. En effet il est difficile de trouver un lien, une unité entre les bas-reliefs conservés, c'est-à-dire entre un Banquet, des Sphinx, Héraklès et Triton, des Centaures, des combats d'animaux.
Cette frise ornait l'épistyle du temple; on voit encore au bord supérieur des bas-reliefs la place du tailloir et la bande de l'architrave.
Cette disposition, tout à fait exceptionnelle, est déjà une preuve de haute antiquité. Il s'en faut de beaucoup que l'ensemble de la frise nous soit parvenu; il manque par exemple des combats d'animaux.
La plaque où l'on voit des sphinx séparait, sans doute, le tout en deux parties symétriques. Le fragment dont nous possédons le moulage représente un Banquet, où les convives sont couchés à la façon orientale.
Le plus important des autres fragments est la lutte d'Héraklès contre un dieu marin, peut-être un Triton, sujet cher à l'art comme à l'industrie archaïques; de ses mains, le dieu saisit le monstre; sur le dos d'Héraklès est un carquois; le Triton tient sans doute un poisson dans la main gauche. A côté d'Héraklès sont des femmes, peut-être des Néréides qui cherchent à prendre le carquois du dieu; elles sont long vêtues. Un troisième fragment montre les Centaures fuyant devant
les flèches d'Héraklès ; leurs jambes de devant sont des jambes d'hommes.
Tout concourt à prouver la haute antiquité de l'œuvre : l'épistyle du temple décoré de sculptures; la diversité des sujets et la façon dont ils se suivent (ce procédé de composition rappelle la décoration des vases archaïques où l'on voit si souvent des zones d'animaux passants ou affrontés, alternant avec des zones de personnages ou de plantes); la manière de représenter les Centaures; Héraklès sans la peau de lion ; la petitesse des Centaures par rapport aux taureaux et des Néréides par rapport à Héraklès. Cette dernière anomalie s'explique par la règle de l'isocéphalie, que l'on trouve appliquée sur un grand nombre de vases archaïques, dans les frises du Parthénon et sur quelques tombeaux romains de la décadence. On ne se trompera pas beaucoup, croyons-nous, en rapportant ces tableaux au début du vie siècle, date que semble aussi désigner la facture rude et naïve.
L'influence orientale se fait surtout sentir dans les formes lourdes et massive des corps, et dans le goût très particulier pour la représentation d'animaux tels que le lion, les taureaux, et surtout les sphinx.
Bibliographie. — Monumenti ined, dell' Instituto, III, tav. 34. — De Witte, Annali, 1841, p. 317. — Clarac, Musée de sculpture, II, tab. 116, A. B. — Texier, Description de l'Asie mineure, II, tab. 112-114. — Overbeck, Griech. Plastik8, fig. 12.
— Murray, A Ilistory of Greek Sculpture, fig. 26. — L. Mitchell, History of ancient Sculpture, fig. 86. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 8-12. — Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 540. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 67. — Sur les recherches complémentaires des Américains, voy. Clarke, Investigations at Assos, taf. XV, XVI.
G. RANDÉ.
3. - Bas-relief de Samothrace.
Bas-relief de marbre trouvé en 1790, à Samothrace. Il entra d'abord dans la collection du comte de Choiseul-Gouffier, puis passa au Louvre en 1816. Le côté droit qui a beaucoup souffert représentait le cou écailleux et la gueule ouverte d'un serpent cornu. Le corps de cet animal fantastique a disparu; il ne reste plus que sa corne qui s'enroule en volute et forme maintenant à elle seule le côté droit. La partie supérieure du bas-relief est décorée d'un ornement composé de fleurs et de boutons, qu'on voit ordinairement sur le col des vases archaïques de style oriental ; la partie inférieure se termine par une
bordure en forme de tresse, décoration qu'on retrouve fréquemment dans les premiers monuments de l'art grec, étrusque et oriental.
Le bas-relief représente une scène à trois personnages, dont le nom est gravé près de chacun d'eux; le premier, Agamemnon, est assis sur un siège pliant; derrière lui, son héraut Talthybios tient le caducée.
A la suite du héraut est représenté Epéos dont le nom est rongé et dont les trois premières lettres sont seules conservées. Epéos paraît à MM. Müller et Clarac être ici représenté en qualité d'athlète ou comme fabricant du cheval de Troie. Il est plus probable qu'il est ici, comme dans certains passages d'Homère, le compagnon et le serviteur assidu d'Agamemnon.
L'attitude du roi des rois laisse penser que le bas-relief est une scène importante d'une délibération ou d'un jugement royal dont ce fragment seul nous reste. Les trois personnages sont vêtus de même; les deux figures debout, qui, selon l'habitude de l'art archaïque, se reproduisent par l'attitude et le costume, sont élancées; elles ont beaucoup d'affinité avec celles des plus anciens bas-reliefs de l'Attique : la chevelure est semblable à celle de l'Apollon de Ténéa (voy. n° 16).
Les inscriptions, dont nous donnons ici un fac-similé, ne sont pas disposées en ligne droite; elles sont tracées dans différents sens entre les personnages, suivant la disposition que les épigraphistes désignent par le mot GTretpiqSo'v.
L'alphabet employé est l'alphabet ionien archaïque; mais on ne peut tirer des lettres du bas-relief aucun renseignement exact sur
l'époque où elles ont été gravées. Heureusement l'examen attentif du bas-relief supplée à l'obscurité de l'inscription.
On se rend compte tout d'abord de l'inexpérience de l'artiste ; on sent dans l'exécution de ce monument une main inhabile, qui travaille naïvement, sans être encore maîtresse des instruments primitifs qu'elle emploie.
La bordure supérieure, cette sorte d'entrelac de fleurs et de boutons, se retrouve très souvent dans les bas-reliefs assyriens ; cette décoration est évidemment une imitation de l'art Chaldéo-Babylonien.
De plus, si on regarde le marbre par la tranche, on n'aperçoit pas de relief; rien ne dépasse, rien n'est en saillie. L'artiste a obtenu le relief en évidant une plaque polie; il a enlevé une partie du plan autour de lignes dessinées à l'avance. C'est là un des procédés les plus anciens, il a été surtout employé en Egypte où la plupart des tableaux historiques ou funéraires sont gravés de cette sorte au burin plutôt que sculptés en relief.
Les jambes des personnages sont sur le même plan, de sorte qu'il est impossible de distinguer une jambe droite d'une gauche. Il n'y a pas là un manque d'habileté, mais un défaut de conception; de plus, comme dans les bas-reliefs d'Assos (n° 2) on voit observée la règle de' l'isocéphalie; Agamemnon, bien qu'assis, a la tête au même niveau que ses suivants; il paraît ainsi plus grand et plus gros.
Ces diverses considérations nous conduisent à fixer comme époque approximative du bas-relief de Samothrace, le commencement du ve siècle.
Bibliographie. — Millingell, Unediti Monumenti, sér. II, pl. 1. — Clarac, Musée de sculpture, pl. 116. — Millier-Wieseler, Denkmscler der alten Kunst, t. I, taf. XI, no 39. — Overbeck, Griechische Plastik3, t. I, fig. 13. — Murray, History of greek sculpture, t. I, fig. 27. — Collignon, Manuel d'Archéologie, fig. 32. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 160 (art. Agamemnon). — Wolters, Gipsabgtisse zu Berlin, n° 34. — Roscher, Ausfùhr. Lexic. f. Griech. und Rœm. Mythologie, p. 97 (Agamemnon). — Duruy, Histoire des Grecs, (éd. illustr.) I, p. 185. — P. Paris, Sculpture antique, fig. 61. BOSMORIN.
4. - Bas-relief de style oriental.
C'est une plaque de bronze, haute de 0m86, large de 0m35 à la partie supérieure, de Om25 seulement à la base, travaillée au repouss1; elle provient des fouilles allemandes et se trouve au Musée d'Olympie.
Cette plaque est divisée en quatre registres superposés formant chacun un tableau distinct. Dans le premier, on voit trois aigles dans des positions différentes; ceux de droite et de gauche sont presque effacés; seul celui du milieu se détache avec netteté. Le modelé précis, la position naturelle, dénotent un artiste déjà habile ; on a bien souvent remarqué qu'aux temps primitifs de la sculpture grecque, les sculpteurs montrent plus d'expérience à représenter dans leur vérité les corps des animaux qu'à représenter les corps des hommes; c'est là d'ailleurs un des principaux caractères de la plastique orientale, dont l'auteur de la plaque d'Olympie a déjà, sur ce point, ressenti l'influence.
Cette influence est plus apparente encore dans le choix des animaux fabuleux que représente le deuxième tableau, deux griffons affrontés.
Le type même des monstres, l'ingénieuse adaption de la tête d'oiseau au corps de quadrupède, des ailes recoquillées aux pattes, rappelle les plus heureuses combinaisons de l'art égyptien ou assyrien, tandis que l'élégante et souple gracilité des formes révèle les meilleures tendances de l'art hellénique naissant.
Le troisième bas-relief, Héraklès poursuivant un Centaure, est tout à fait grec. Le héros lance une flèche et court. C'est ainsi en effet, le genou presque posé sur le sol, que l'art le plus archaïque, en Grèce, figure les personnages qui courent ou fuient. La course de l'Artémis ailée de Délos (n° 10), la fuite de la Gorgone représentée dans une des métopes de Sélinonte (n° 46) sont exprimées par la même attitude.
Sur une autre plaque archaïque d'Olympie, en bronze découpé (n° 47) on voit Héraklès archer dans la même attitude. Ici, Héraklès est vêtu d'une courte tunique, que l'on a peine à distinguer sur le moulage; elle est serrée à la taille par une ceinture et traversée par le lien d'un carquois; une épée d'airain complète son équipement. Le Centaure que menace Héraklès est du type le plus archaïque ; comme certains Centaures de la frise d'Assos (n° 2) c'est un homme à qui est adapté un arrière-train de cheval. Les fautes grossières d'anatomie du héros et de l'homme-cheval sont celles qui se retrouvent dans toutes les œuvres archaïques : l'œil vu de face dans une tète présentée de profil, la disproportion des membres mal attachés, la poitrine exprimée sans aucun modelé et affectant la forme d'un triangle; le bras gauche, bien qu'au second plan, plus gros et plus long que le bras du premier plan; enfin, détail dont nous avons parlé, l'invraisemblance de l'attitude. Dans le Centaure, cependant, nous trouvons un plus
grand souci du modelé et de l'élégance, en particulier dans la poitrine et dans les jambes.Le registre inférieur de la stèle, beaucoup plus grand que les trois autres, représente une déesse dans laquelle on s'accorde à voir une Artémis Persique. Déesse féconde, présidant à la multiplication des iêtres, protectrice de tout ce qui vit sur la terre, elle tient de chaque main, par une patte de derrière, un lion symbolique; l'autre patte s'appuie contre la hanche d'Artémis; les deux pattes de devant reposent sur le sol, tandis que les lions retournent vers la déesse leur .grosse tête et leur gueule ouverte, plus pleine de caresses que de menaces. Ces animaux n'ont guère l'aspect que nous leur connaissons dans la nature; leur crinière surtout est exprimée de façon toute conventionnelle. Quant à Artémis, elle semble vêtue d'un chîton à manches et d'une seconde tunique, serrée à la taillé, qui descend jusqu'aux pieds, enfermant la partie inférieure du corps comme dans une gaîne; l'aspect général de la figure rappelle le xoanon de Délos (n° 7). Aux omoplates s'adaptent des ailes recourbées à leur extrémité. Les mêmes détails d'attitude, de costume, les mêmes ailes ont été souvent notés dans les représentations orientales ou helléniques de l'Artémis Persique; le type correspond exactement au type qu'a étudié Gerhard (Archæologische Zeitung, 1854, p. 177).
Ces remarques, jointes à celles que nous ont suggérées les trois autres tableaux du bas-relief, montrent clairement que l'auteur s'est inspiré de la religion et de l'art oriental; mais l'œuvre cependant est grecque : outre la représentation d'Héraklès et du Centaure, dont nous avons parlé, l'attitude même de la déesse, dont la tête est de profil sur un corps de face et dont le visage et la coiffure sont de style hellénique, surtout la simplicité de composition des divers tableaux et la sobriété des ornements, suffisent à placer cette œuvre parmi les œuvres archaïques de la Grèce ; mais cet archaïsme., si l'on en juge par de réelles qualités d'invention, d'observation et de technique, commence à se dégager des lourdes naïvetés originelles.
Bibliographie. — Ausgrabungen aus Olympia, III, taf. 23. — E. Curtius, Das Archaïsche Broncerelîef aus Olympia (Abhancllungen der Berliner Akademie, 1879), taf. 1, 2. — Furtwsengler, Die Broncefunde aus Olympia, p. 91. — A. Bœtticher, Olympia, p. 181. — Roscher, Ausfilhrl. Lexicon, p. 564. — L. Mitchell, Histury of ancient sculpture, flg. 83. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 337. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 509. — Daremberg et Saglio, Diction. des Antiquités, flg. 2391.
— P. Paris, La Sculpture antique, fig. 50.
Lucien LESPINE.
5. — Bas-reliefs d'un tombeau de Xanthos (dit dès Harpyes J.
6. — Bas-reliefs d'un tombeau de Xanthos (procession, cavalcade).
Ces deux séries de bas-reliefs portent l'empreinte très accentuée de l'influence asiatique ; mais le goût et le génie des Grecs ioniens y sont plus nettement marqués encore, et l'étude de ces œuvres viendra mieux au chapitre suivant. Voyez nos 39 et 40.
II. - ŒUVRES DE STYLE GREC
7. — Ex-voto de Nicandra.
1
Statue de marbre trouvée à Délos, en avant du temple d'Apollon, par M. Homolle, en 1878. Elle a été transportée au Musée national d'Athènes. Cette œuvre est jusqu'à présent, si l'on en juge par sa forme, la plus ancienne des statues grecques connues. C'est une de ces ébauches primitives que les anciens appelaient ÇÓetvoc ou SatôaAa, (œuvres de Dédale), dont quelques descriptions et quelques peintures de vases, quelques coins de monnaies aussi, nous donnaient une idée assez vague. Voici comment M. Homolle décrit sa précieuse découverte : « Le marbre, depuis la plinthe jusqu'aux épaules, a la forme d'une colonne aplatie ; les côtés sont arrondis à droite et à gauche ; les faces sont deux plans parallèles. La ceinture divise le corps en deux parties inégales; la partie inférieure, qui est la plus haute, va s'amincissant peu à peu depuis les pieds jusqu'aux hanches qui s'arrondissent sous la ceinture; la partie supérieure va s'élargissant en sens inverse. La largeur des épaules est égale à celle de la plinthe. A droite et à gauche sont placés deux montants verticaux, raides, appliqués le long du corps, ce sont les bras. La tête ressemble à une pyramide tronquée dont on aurait adouci et effacé toutes les arêtes. La chevelure, plaquée
sur les tempes, épandue sur les épaules, contribue à lui donner cet aspect. Au-dessus de la plinthe, le marbre est échancré et scié en biseau. Dans la cavité triangulaire sont ménagées deux saillies qui représentent les extrémités des deux pieds; ils sont accolés l'un à l'autre; on ne saurait rien imaginer de plus naïvement grossier. » Le xoanon se termine, au-dessous de la plinthe, par une sorte de tige de marbre qui servait à le fixer dans une base (Homolle, Bulletin de Corresp. Hellénique, 1879, p. 101).
Sur le côté gauche on lit une inscription métrique dont voici le fac-similé et la transcription..
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Bibliographie. — Homolle, Bulletin de Corresp. Hellénique, pl. I, p. 1 sq; 99 sq.
— M. Collignon, Mythologie figurée de la Grèce, p. 15, fig. 3 — Roscher, Ausfiihr-
liches Lexicon der My th., p. 598. — M. Frsenkel, Arch. Zeitung, 1879, p. 85. —
Furtwsengler, Aus Delos, Arch. Zeilung, 1882, p. 321. — L. Mitchell, History of ancient Sculpture, fig. 89. — V. Duruy, Histoire des Grecs, I, p. 201. — Daremberg et Saglio, Diction. des Antiquités, fig. 2359. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 47. — Voir surtout Homolle, De antiquissimis Dianæ simulacris Deliacis (1885).
P. P.
8. — Héra de Samos.
Statue de marbre trouvée vers 1875 à Samos, à l'angle Nord-Est de l'Héraion. Elle a été achetée à M. Léonidas Kydonieus, qui l'avait découverte, par M. Paul Girard et se trouve actuellement à Paris, au Musée du Louvre.
Voici la description qu'en a donnée M. Paul Girard (Bitlletin de Corresp. Hellénique, 1880, p. 484) : « C'est une statue de femme drapée.
Le marbre est blanc, à gros grains, comme le marbre de Paros. La tête a été brisée à la naissance du cou. L'épaule gauche et le sein gauche sont très endommagés. Le bras gauche manque. La main gauche est mutilée. Le reste, à part quelques cassures insignifiantes, est dans un remarquable état de conservation.
» Le costume imaginé par l'artiste est quelque peu compliqué, et il faut une certaine attention pour en démêler les différentes pièces.
Ces pièces sont, croyons-nous, les suivantes : 1° une tunique d'étoffe légère qui enveloppe le corps tout entier et tombe jusqu'à terre ; rayée dans le sens de la longueur par une multitude de petits plis parallèles, cette tunique est serrée autour de la taille par une ganse étroite ; 2° une sorte de châle croisé sur la poitrine et retenu sur les épaules et sur les bras par de nombreuses agrafes ; il est ouvert à droite et à gauche de manière à laisser les bras nus à partir du coude; 3° un manteau fait probablement'd'une étoffe plus épaisse et plus lourde que celle des deux autres vêtements ; il s'attache par devant au cordon qui tient lieu de ceinture, tourne sur la hanche gauche et vient couvrir toute la partie postérieure de la statue; il est entouré d'une bordure large de 0m017 ; 4° une bande d'étoffe tombant de la nuque et décorée, elle aussi, mais seulement en bas et du côté droit, d'une bordure semblable à celle du manteau. Telles sont les diverses parties de ce bizarre accoutrement.
» L'attitude de la statue est facile à saisir. La main droite, qui pend
le long du corps, serre le bord du manteau. La main gauche, ramenée sur la poitrine, est fermée. Elle tenait probablement un attribut : c'est du moins ce que paraît prouver la présence d'un trou du -diamètre de 0m01 environ pratiqué dans le marbre, et destiné à recevoir une tige de bois ou de métal. Nous ne savons comment était la tête ni quels en étaient le mouvement et l'expression. Il est fâcheux qu'elle manque ; la manière dont le corps est traité autorise à croire que la tête, si on l'eût retrouvée, eeil été pour l'histoire de l'art un document d'une grande valeur. On peut conjecturer toutefois qu'elle était voilée : une légère saillie du manteau sur_ l'épaule droite, près c de la cassure, semble l'indiquer. »
Si l'on en juge par l'inscription suivante, gravée sur le bord du
manteau depuis la ceinture jusqu'aux pieds
cette statue serait une Héra. On sait que les Samiens représentèrent d'abord leur déesse sous la forme d'une planche ("Hpx caviç, Euseb., PI'<-t}parat. evang., 111, 8; cf. Clem. Alexandr., Protrept., IV, p. 40); Smilis d'Égine, contemporain du légendaire Dédale, sculpta un çúocvov de bois pour remplacer la première idole. Il n'est donc pas étonnant que l'artiste déjà plus récent (l'inscription semble indiquer le vie siècle) ait tenu à façonner de la déesse une image qui rappelât d'assez près la (javt'ç primitive ou le Çoavov de Smilis.
Le costume et la technique, particulièrement la facture des doigts des pieds, rappellent la statue de Charès (voy. supra, n° 1) ; Samos est assez proche de la côte milésienne pour expliquer ces rapports.
Bibliographie. — Paul Girard, Bulletin de Corresp. hellén., 1880, p. 483, pl. XIII, XIV.— M. Collignon, Manuel d'Arch. grecque, fig. 44. — L. Mitchell, History of ancient sculpture, fig. 96. — V. Duruy, Histoire des Grecs, I, p. 183. P. Paris, La Sculpture antique, fig. 68.
P. P.
9. - Statuette d'Olympie (bronze).
Cette figurine; découverte le 25 février 1878 vers l'angle nord-ouest du temple de Zens (haut. om22), est conservée au Musée d'Olympie.
Elle affecte dans son ensemble la forme d'une colonne; mais on remarque une différence notable de travail entre le torse et la partie inférieure du corps. Des hanches à la base, c'est un véritable cylindre qui s'évase à peine vers le bas et sur lequel un pan de la robe fait
seul saillie. Le haut du corps au contraire représente Vraiment un
torse féminin : la chevelure tombe en large masse sur le dos et les épaules et forme, des deux côtés de la tête, un peu au-dessous des tempes, sur la même ligne que les yeux, deux boucles roulées de saillie assez prononcée. De ces deux boucles, la droite laisse l'oreille libre, tandis que la gauche semble la couvrir. Cette chevelure, entourée d'un bandeau qui se perd derrière la tête, est surmontée d'une sorte de. coussin en forme de couronne. L'aspect de la figure fait naturellement songer à quelque support en forme de cariatide, dont la couronne serait le chapiteau.
La main gauche, ramenée en avant, tient le sein gauche par dessous, et la droite, allongée obliquement, ramène au milieu du corps un pan de la robe qui retombe le long des jambes. Quant au buste, il est couvert d'une draperie strictement aj ustée et collante, qui semble s'arrêter à la naissance du cou, qui forme manche jusqu'au milieu du bras gauche et qui s'étire en plis transversaux au-dessous des seins, en travers de la taille et sur la hanche gauche. Par derrière, la figurine est à peine modelée et l'on ne voit pas d'une façon claire quelle partie de vêtement la main droite saisit et ramène par devant.
Il y a des analogies frappantes de forme, d'attitude et de vêtement entre ce petit bronze et l'Héra de Samos (n°8); chez toutes deux la pointe des pieds dépasse la robe. Le visage aux traits forts et hébêtés, trop large à la hauteur des yeux (l'orbite est creuse et le globe qui y était inserti était sans doute d'argent ou de pierre précieuse), et trop étroit à la hauteur de la bouche, indique une main encore très maladroite et force à donner à l'œuvre une date très ancienne. Cependant on saisit déjà quelque habileté et quelque goût dans la disposition générale, surtout dans le modelé du torse. C'est bien là non pas un vrai £ oavov, mais sûrement un souvenir sinon une imitation réfléchie des £ <tava.
On a voulu voir dans cette figure une Aphrodite, à cause de sa ressemblance avec quelques terres cuites assyriennes, phéniciennes et cypriotes où l'on s'accorde à reconnaître le prototype oriental d'Aphrodite; mais le lieu de la découverte, la ressemblance avec la statue de Samos et le souvenir de l'Héra Kuov (ou colonne) nous disposent à reconnaître ici plutôt une Héra.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, III (1877-78), taf. XXIV, (b. no 5); texte, pag. 15, n° 5. — Furtvsengler, Broncefunde aus Olympia, page 86. —
V. Duruy, Histoire des Grecs, 1, page 432.
Aug. MILAA.
10. — Artémis ailée.
Statue en marbre de Paros, découverte par M. Homolle, en 1879, à Délos; Musée national d'Athènes.
Le pied droit manque et la jambe gauche est conservée jusqu'au genou seulement; en outre la tête est séparée du tronc et les bras ont été brisés aux épaules. Le marbre s'est effrité sous la terre, surtout à la figure dont le nez est presque entièrement rongé.
Au premier abord on est étonné de la posture bizarre donnée au personnage : le torse, en effet, se présente de face et les jambes de profil. La saillie exagérée de la hanche rend plus frappante encore cette faute grossière. Chose très importante à remarquer, deux ailes sont attachées aux épaules; de plus, une saillie assez prononcée, en forme d'aileron recoquillé, se trouve par derrière à la naissance du pied droit et permet de supposer que les pieds .étaient ailés.
Le personnage porte sur la tête un diadème qui a beaucoup souffert.
Car la partie antérieure qui était plus haute est brisée. Il se compose d'un cercle reposant directement sur les cheveux, et seules quelques appliques en métal lui servaient d'ornement, si l'on en juge par les cinq trous symétriquement creusés sur la partie antérieure, dans l'espace qui va d'une oreille à l'autre.
Les cheveux, tout particulièrement soignés, sont divisés sur le front en deux bandeaux à bords ondulés, entre lesquels sont sculptées quatre petites boucles. Derrière la tête ils retombent en masse carrée, formée de papillotes, et descendent jusque vers les ailes; quelques nattes se détachent derrière chaque oreille et courent sur les épaules et sur la gorge.
Le vêtement se compose d'une tunique longue, étroite et sans manches qu'une ceinture serre à la taille. Cette tunique change d'aspect selon qu'on en considère la partie supérieure ou la partie inférieure. En haut, elle se colle au torse, qui paraît entouré d'un corset de bois; il semble qu'une gaine rigide enferme le buste. A ce propos, il faut remarquer la façon sommaire dont le sculpteur a traité cette partie du corps qui est anguleuse et plate, à peine modelée. Aussi il est bien difficile de discerner les bords de la tunique tant elle se confond avec le corps. M. Homolle, remarquant sur l'épaule gauche de la statue une assez forte saillie, s'est demandé si ce n'était pas précisément le bord de la tunique ; mais de lui-même, il a bien vite abandonné cette hypothèse. On voit bien autour du cou une sorte de raie en relief, mais elle représente un collier orné de pendeloques.
Autant la partie supérieure du vêtement est sommairement traitée, autant la partie inférieure témoigne de soin. Le sculpteur s'est appliqué à marquer les plis de l'étoffe par des raies creusées dans le marbre. Mais le soin même qu'il y a mis trahit son ignorance de l'art.
Ces plis, tout raides, parallèles entre eux et aussi peu naturels que possible, sont bien loin de reproduire les plis multiples et brisés que ferait une tunique jetée autour du corps. Ce défaut est d'autant plus accentué que les jambes sont vivement écartées. La tunique tendue par l'effort est relevée sur le genou droit et se colle à la jambe gauche dont elle dessine très nettement les contours.
Que représente cette statue ? Quelle déesse est ici figurée avec des ailes? On a émis à ce sujet diverses opinions. L'attitude de la statue, semblable à celle qui a été donnée aux Gorgones poursuivant Persée après le meurtre de Méduse, a pu tout d'abord faire supposer qu'on se trouvait en présence d'une Gorgone. C'est l'attitude de la course. La jambe gauche,.en effet, pliée au genou, est jetée en arrière; la jambe droite pliée aussi est tendue par l'effort. Le mouvement des bras correspond bien à celui des jambes : le bras gauche tombait et la main s'appuyait à la hanche, comme on le voit d'après un fragment qui y est resté; le bras droit était tendu en avant et légèrement relevé à par.tir du coude, la main ouverte. Le grand écartement des jambes et l'abaissement du genou gauche qui touche presque terre, imitation naïve de la course, les ailes ouvertes contribuent puissamment à montrer que la statue est véritablement représentée dans une attitude de course rapide (cf. nos 4, 47, 35).
Cependant est-ce là une Gorgone ? M. Homolle n'est pas ce cet avis,
et M. Curtius pas davantage car, dit-il, les artistes donnaient cette attitude à un personnage quelconque, dieu, héros, homme même représenté courant. D'ailleurs le visage de la statue n'a rien du visage de monstre qui est donné aux Gorgones.
M. Homolle suppose, non sans raison, qu'il faut voir dans cette statue une Artémis ailée. Gerhard a, il est vrai, constaté que seules les divinités secondaires étaient représentées avec des ailes. Cependant on trouve d'assez nombreux exemples d'Artémis portant des ailes. Telles étaient l'Artémis sculptée sur le coffre de Cypsélos, l'Artémis persique (n° 4), l'Artémis grecque peinte sur un vase qu'a publié M. Frohner, portant un arc avec un carquois et suivie d'une biche; tels sont encore de nombreux exemples signalés par Gerhard lui-même (Arch. Zeitung, 1854, p. 177).
A l'appui de son hypothèse, d'ailleurs, M. Homolle apporte d'autres arguments d'une haute valeur : et d'abord il rappelle le lieu même où a été découverte la statue, c'est-à-dire Délos, entre deux temples dont l'un était consacré à Apollon, l'autre à Artémis. De plus, à côté d'elle on a trouvé plusieurs statues représentant à coup sûr Artémis, œuvres d'époques différentes formant une série ininterrompue depuis le grossier £ docvov(n° 7) jusqu'aux œuvres déjà élégantes de la fin du viesiècle (no 11) et la statue ailée a de nombreux rapports typiques avec elles.
Ces raisons, malgré leur poids, n'ont pas convaincu MM. Furlwængler et Petersen, d'après lesquels nous serions en face d'une Niké. Ils fondent leur opinion sur la ressemblance assez grande, en effet, qu'ils ont remarquée entre la statue découverte par M. Homolle et d'autres statues dans lesquelles ils reconnaissent certainement des Niké. A leur avis, outre l'identité d'attitude avec celle des Niké, la prétendue Artémis ne reposait sur le socle que par le bas de sa tunique, les jambes dépassant ce socle des deux côtés comme cela arrive pour tous les exemples archaïques de Niké qu'ils ont étudiés.En somme il peut y avoir pour l'une ou pour l'autre de ces deux opinions une très grande probabilité, mais aucune n'est d'une certitude absolue. Nous serions plutôt de l'avis de M. Homolle; mais il y a peut-être moyen de concilier les deux opinions. A l'époque encore très primitive où fut sculptée cette statue, les artistes se préoccupaient peu de déterminer nettement les personnages. On' sait, par exemple, que parmi les statues archaïques désignées sous le nom d'Apollons, quelques-unes étaient probablement des statues d'athlètes, sans qu'on puisse les distinguer par d'autres raisons que des raisons
- étrangères au type même ou à la facture des œuvres. De même la statue qui nous occupe aurait pu être une Niké si l'auteur l'avait consacrée à Niké ; à Délos, dans un temple d'Apollon, peut-être même d'Artémis, il est tout naturel d'y voir une Artémis.
C'est là, certainement, une œuvre encore grossière : le torse est très mal dessiné, aplati sur le devant et sur les deux côtés; il y a dans tout le corps une raideur inflexible; la saillie exagérée de la hanche et la singulière position des jambes constituent des défauts graves.
Les plis de la jupe n'ont absolument rien de naturel et l'on ne s'explique pas comment cette jupe se relève sur le genou droit où rien ne -la retient. Ce sont là autant de raisons pour voir dans cette statue une œuvre du VIe siècle avant J.-C. Malgré tout cette Artémis est singulièrement en progrès sur l'Artémis de Nicandra (n. 7). L'art y est encore primitif, mais déjà il y a de l'art. Le soin minutieux donné aux cheveux en est une preuve. 11 faut remarquer aussi l'expression souriante du visage qui provient de l'obliquité des yeux et du relèvement des coins de la bouche. L'auteur de l'Artémis ailée n'est donc pas un artisan maladroit; on sent poindre en lui l'artiste qui, s'il n'a pas les qualités brillantes qui distingueront plus tard les sculpteurs grecs, a déjà, du moins, une certaine sûreté de main et quelque talent d'exécution.
A côté de l'Artémis ailée on a retrouvé un socle avec inscription,
brisé en deux morceaux. Le premier fragment fut découvert en 1881 par M. Homolle, le second en 1882 par M. Reinach. Ce socle est-il celui de la statue? Dans l'état actuel il ne semble pas lui convenir.
Mais la restauration de la partie inférieure du corps laisse supposer le contraire. Le socle se compose d'une sorte de dalle assez lourdement équarrie, avec un évidement dans le milieu de sa face supérieure.
Ce creux servait d'encastrement à la statue qui y était engagée, nous l'avons vu, par le bas de sa tunique.
L'inscription, que nous reproduisons en fac-similé, est très mal conservée et très incomplète.
Ni les mots ni le sens n'en sont encore très clairement établis.
M. Homolle propose l'interprétation suivante : « Mikkiadès et Archermos dédient (ou bien ont fait et dédient) cette statue à Artémis, eux, les Chiotes, pratiquant l'art héréditaire de Mêlas. » Ainsi, la statue, clairement désignée comme une Artémis, serait l'œuvre des deux sculpteurs de Chios souvent mentionnés par les textes anciens, Mikkiadès, fils de Mêlas, et Archermos, son petit-fils. Dans un article récent, M. Six. propose cette restitution :
Si cette hypothèse se justifie, c'est Mikkiadès seul qui serait l'auteur de la statue ailée. Quoi qu'il en soit, peu d'œuvres offrent un intérêt plus grand, et un sujet d'études plus fécond à l'épigraphiste, au mythologue, et à l'historien de l'art grec.
Bibliographie. — Homolle, Bull. de Corr. Hellen., V, p. 393, pl. VI, VII. — L.
Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 93, 94, 95.— Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 200.
— Roscher, Ausfiihrl. lexic. fur Griech. Myth., p. 563. — Daremberg et Saglio, Dict.
des Antiq., fig. 1800 (la tête vue de face et de profil) ; fig. 2349. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 69. - Homolle, Bull. Corr. Hellen., III, p. 254; V, p. 272; De antiquis. Dianee simul. Deliacis, p. 81. - Treu, Arch. Zeit., 1882, p. 178. - Furtwoengler, Deutsch. Litt. Zeit., 1880, p. 340; Arch. Zeit., 1882, p. 324; 1883, p. 91.- E. Lœwy, Inschriften Griech. Bildh. I. u. Zusætze. — Six, Mitth. deut. arch. Inst. Athen., 1888, p. 143.
E. SAUVIER.
11. — Artémis.
Statue en marbre de Paros, trouvée à Délos, en 1879, par M. Homolle.
Musée national d'Athènes.
Cette statue nous est parvenue dans un triste état de dégradation.
La tête a disparu, le bras gauche a été cassé à l'épaule, le bras droit au poignet, les jambes ont été brisées un peu au-dessus du genou.
Quelque graves que soient ces mutilations, la restauration de l'œuvre devient presque facile et même presque certaine, grâce aux indications fournies par le marbre lui-même, grâce surtout aux rapprochements nombreux que l'on peut établir entre cette statue et d'autres de même type.
C'est une femme debout et immobile. Les jambes au lieu d'être réunies sont légèrement séparées, la gauche se porte un peu en avant.
Ce faible mouvement, sans donner à la statue l'attitude de la marche, lui enlève de la raideur, et lui donne un peu de vie. Le bras droit devait tomber naturellement le long du corps et se plier ensuite en avant depuis le coude, la main tendue pour porter un attribut; le bras gauche était pendant; mais il soutenait avec la main la robe relevée par un mouvement gracieux.
Le vêtement se compose de deux parties : d'abord une légère tunique, qui tombait jusqu'aux pieds, et par-dessus, une grande draperie jetée sur les épaules qui couvrait le dos et une partie de la poitrine, le péplos ionien. Ce péplos enroulé à la partie supérieure passe sous le bras gauche pour retomber sur le dos et la poitrine où il s'étale en formant de longs plis symétriques. Tout le long du bras droit l'étoffe était retenue par une série d'agrafes, sortes d'appliques en métal qui servaient aussi d'ornement. Il est peu probable que la partie de la tunique qui couvre la poitrine ne fasse pas une seule pièce avec celle qui couvre les jambes. Ces deux parties offrent, il est vrai, quelques différences, mais on en voit de plus grandes entre les différentes parties du manteau qui est certainement d'une seule pièce.
Quoique la tête de la statue n'existe pas, on se figure aisément ce qu'elle devait être, au moyen de nombreux rapprochements. On a trouvé, en effet, à l'Acropole d'Athènes toute une longue série de statues du même style, ayant la même attitude et les mêmes caractères distinctifs. Toutes font du bras gauche le même geste que la statue de Délos, et portent un costume identique au sien. La res-
semblance est si frappante qu'on y voit les mêmes qualités et les mêmes défauts d'exécution. N'est-il pas très probable que cette ressemblance existait aussi entre les têtes de toutes ces statues? Si l'on admet cette hypothèse, la tête de l'Artémis qui nous occupe devait être coiffée d'un diadème, orné sans doute d'appliques en métal. Les cheveux divisés sur le front, soit en deux bandeaux à bords ondulés, soit en boucles arrondies, retombaient derrière la nuque où ils formaient comme une large pièce carrée. Il en reste d'ailleurs une partie entre les deux épaules. On voit aussi sur la gorge les extrémités des nattes qui se détachaient de la masse des cheveux derrière l'oreille et retombaient au nombre de quatre de chaque côté.
On s'accorde généralement à voir dans la statue qui nous occupe une représentation d'Artémis, quoique elle ne soit désignée par aucun attribut ni aucune inscription. Il faut remarquer d'abord que ce type n'est pas nouveau. On l'a justement rapproché des fragments trouvés à Athènes, d'une Artémis de la collection Gréau, des morceaux signalés par M. Rayet dans les fouilles de l'Asklépiéion, et d'une autre Artémis dessinée dans les planches du voyage archéologique de M. Le Bas, de l'Artémis archaïsante de Pompeï. N'y a-t-il pas là une probabilité pour que la statue en question en soit une autre? Mais il y a d'autres raisons plus probantes encore. D'abord c'est à Délos et dans le voisinage du temple d'Artémis qu'a été trouvée cette statue. En outre, elle rentre dans la série des statues qui ont été trouvées avec elle à Délos et dont l'ensemble nous offre l'histoire du développement du type primitif de l'Artémis.
Cette statue est l'œuvre d'un art déjà avancé et donne du type une idée qui fait présager la perfection à laquelle il ne tardera pas à parvenir. Son immobilité traditionnelle, et sa pose un peu rigide trahissent un archaïsme sincère. La tête devait être surtout remarquable par les soins donnés aux détails de la chevelure. On sent dans ce qui reste de la statue une habileté technique très appréciable, et même un sentiment de la forme assez délicat. Aussi suppose-t-on qu'elle ne , doit pas être de beaucoup antérieure au v° siècle.
Bibliographie. Homolle, Bull. de Côrr. Hellen., 1879, pl. II et ITI. - Homolle, De antiquissimis Dianse simulacris deliacis, pl. VII a, VIIb. — L. Mitchell, Eistory of ancient sculpture, fig. 92 (dos). — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig.
.2360. — Cf.)es statues de même type trouvées à Eleusis, à l'Acropole d'Athènes, etc.
Musées d'Athènes, 1" et 2e fasc. — EcD nv-F-plq œ.px.(XtOÀ°î'°t., 1884, pl. VIII. —
Théoxénbu, Gazette aTchéolog., 1888, p. 28, 82, 89, et pl. X, XI.— Antike Den"kmaeler,
1, taf. 19. — V. Duruy, Rist. des Grecs, II, pl. III (chromolithographie).-- 'Eqnw..
œpXClwÀ. 1887, pl. III. — Mittheil. OEsterreich, Antike Sculpturen aufParos, XI, heft 2, taf. VI. — Gherardini, Bullet. della Commis. arch. munie, di Roma, 1331, p. 106, tab. 5, etc.
E. SAUVIER.
12. — Petit torse de marbre trouvé à l'Acropole d'Athènes (H. 0m 18).
Ce fragment représente un torse de femme dont le double vêtement se compose d'une chemisette à plis fins, sinueux et parallèles et d'un manteau plus ample. La chemisette qui recouvre la poitrine et l'épaule droite est nettement arrêtée au cou. Le manteau dont un pan recouvre le sein gauche s'élargit sur le dos en longs plis réguliers, passe en écharpe sous le bras droit et à quelque distance au-dessous du sein droit, se relève légèrement en plis largement ondulés vers le sein gauche et retombe sur le coude.
Le bras droit, qui a complètement disparu, n'était pas appliqué * contre le corps et relevait sans doute un pan de la robe. Le bras gauche, mutilé entre l'épaule et le coude, est ramené en avant. L'avantbras presque entier fait défaut. La main tenait sans doute un attribut.
Sur le dos et par-dessus le manteau, les cheveux s'étalent en une sorte de chignon plat, de forme rectangulaire, où les différentes mèches sont marquées au moyen d'un quadrillage, rappelant ainsi la coiffure des Apollons d'Orchomène et de Théra, de l'Athéna d'Endoios, etc., etc. Sur chaque sein retombent quatre papillottes d'une facture très particulière : les ondulations et le relief en sont indiqués au moyen de coches et d'entailles qui donnent l'illusion d'une chaînette en métal. Comme détail curieux, on peut signaler une fossette nettement indiquée à la naissance de la gorge.
La statue dont il ne reste que ce fragment se rattache très visiblement à l'Artémis de Délos (Voy., n° 11) et aux statues de même type retrouvées récemment à Éleusis et à l'Acropole d'Athènes. Bien que ce débris n'ait pas en lui-même une grande valeur artistique et ne se distingue des œuvres plus importantes que nous venons de signaler que par quelques détails d'ajustement et par la facture assez fine et précise des plis, il a pourtant de l'intérêt, car il est un des exemplaires les mieux conservés d'une série de statuettes de mêmes dimensions
dont la découverte a précédé celle des grandes statues archaïques du premier Parthénon, sans attirer peut-être, comme elles le méritaient, l'attention des archéologues.
Bibliographie. Ce fragment n'a pas encore été reproduit. Il est marqué dans le Catalogue des moulages de l'atelier Martinelli, à Athènes (rédaction anglaise) sous le n° 42-162, p. 12, et correspond au no 5070 du Catalogue des sculptures d'Athènes de V. Sybel (1881) ; mais la description donnée par le rédacteur du Catalogue Martinelli ne correspond pas exactement à celle que nous venons de faire. Il doit y avoir une erreur. Pour les statuettes de même type signalées plus haut, voy. 'EcpTfijj-eptç cipX\ltOÀoytX, 1883, fasc. 3, pl. 8.
A. LAMBINET.
15. — Athéna d'Endoios.
Statue assise, trouvée au côté nord de l'Acropole. Actuellement au musée de l'Acropole. La déesse est assise, le corps légèrement incliné en arrière; les bras malheureusement cassés ne reposaient pas le long des cuisses; ils étaient soulevés et portaient sans doute des attributs.
On peut même assurer, d'après ce qui en reste, qu'ils n'étaient pas symétriques mais que chacun d'eux avait une direction différente. Les jambes, au lieu d'être collées l'une à l'autre comme celles de Charès (n° 1) sont séparées. La jambe droite est même rejetée en arrière. Le pied, qui est protégé par une semelle et dont le talon ne touche pas terre, repose sur les doigts courbés. On dirait que l'artiste a voulu représenter la déesse au moment où elle va se lever de son siège.
La déesse est vêtue d'une longue chemise plissée qui lui couvre tout le corps. On en voit très distinctement les plis symétriques sur les cuisses et le bras droit. Cette chemise couvre le tronc et les cuisses et retombe entre les jambes en plis épais et lourds comme celle de l'Artémis de Délos (vue de dos, no 11). Elle couvre aussi les jambes, car on en voit nettement les traces jusqu'au talon sur la jambe droite.
De plus, la déesse porte l'Égide. Sur ses bords on remarque des trous dans lesquels on enfonçait probablement des clous d'airain, ou des ornements quelconques comme des franges ou des têtes de serpents (V. Pallas du temple d'Égine ou l'Athéna archaïsante du Musée de Dresde).
On voit au milieu de l'Égide une éminence qui ne représente rien de distinct, mais qui était certainement un gorgoneion, comme celui de l'Athéna de Dresde.
La chevelure très épaisse retombe lourdement sur le dos en tresses réunies et serrées comme celle de l'Artémis de Délos, et quatre tresses retombent symétriquement sur la poitrine de chaque côté.
Cette statue, quoique très imparfaite, présente un progrès considérable sur d'autres statues assises dans la même position.
La statue de Charès par exemple est lourde et massive. Les jambes sont collées l'une à l'autre ainsi que les pieds ; les bras sont attachés aux cuisses; et le corps, emprisonné dans ses vêtements comme dans une gaine, ne laisse deviner aucun mouvement.
Cette œuvre a de nombreux défauts tels que la lourdeur, la maladresse avec laquelle sont traitées les diverses parties, comme les pieds qui sont d'une longueur et d'une épaisseur disproportionnées. Mais les formes du tronc, de la gorge et du ventre sont traitées d'une façon plus exacte que dans la statue de Charès; cette statue a un mouvement, et ce mouvement n'est pas rendu invisible par la rigidité des vêtements. En un mot, elle a un peu de vie; celle de Charès n'en avait pas.
Cette statue est curieuse parce que, appartenant sans aucun doute par sa date, sa conception et sa technique à la série des statues féminines de Délos, de l'Acropole, etc., elle s'en distingue par l'attitude ; la statue de Charès et les statues féminines trouvées comme elle à Milet sont assises; mais nous avons vu (n° 1) que le caractère de ces œuvres est plutôt oriental qu'hellénique ; l'Athéna de l'Acropole est le premier exemple d'une statue assise de pur style attique.
C'est aussi la première fois qu'on peut donner avec certitude à une statue de ce type et de cette école le nom de la divinité qu'elle représente. Les statues archaïques du type féminin représentent-elles Artémis, Athéna ou une autre déesse ? On n'en sait encore rien. La statue qu'on désigne sous le nom d'Artémis de Délos est-elle vraiment une Artémis? Cette opinion et l'opinion contraire ont été soutenues. Et adhuc sub judice lis est. La statue en question est bien une Athéna; l'Egide et le Gorgoneion qu'elle porte ne laissent aucun doute à cet égard. On la désigne le plus souvent sous le nom d'Athéna d'Endoios, parce qu'il est fait mention dans Pausanias d'une statue répondant absolument à la description que nous venons de faire, qui se trouvait à l'Acropole, et dont Endoios, sculpteur assez connu d'Athènes, prétendu
disciple de.Dédale, était l'auteur (Paus., I, 26/4) cf. Athénag. Leg. pro Christ. 14, p. 61 (éd. Dechair).
Bibliographie. — Von Sybel, Catalogue, no 5002. — 0. Iahn, De antiquissimis Minervœ simulacris atticis, p. 5 sq. - Overbeck, Griech. Plastika, fig. 21. — Murray, History of greek sculpture, fig. 35. — L. Mitchell, History of ancient sculpture, ?.iig. 106, — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 140.— Collignon, Manuel.
d'Archéologie, fig. 38. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 70.D. BOSMORIN.
1 A. - Apollon d'Orchomène (Musée central d'Athènes).
La statue dont la découverte, à Orchomène, a été signalée en 1860, est faite de ce marbre gris-brun, veiné de blanc, qui est particulier àla Béotie. Il est à gros grain, assez friable, ce qui explique les nombreuses détériorations qu'il a subies (nez enlevé à moitié, main gauche brisée, épaule gauche endommagée).
La statue est dans une attitude de repos. La jambe gauche est légèrement avancée, mais les hanches bien d'aplomb n'indiquent aucun mouvement. Les bras pendent le long du corps et y sont collés,
excepté à la hauteur de la taille. Les mains sont fermées et le pouce étendu se dirige vers le sol. La main gauche est mutilée, mais on peut
voir cependant que sa position était la même que celle de la main droite.
L'exécution rappelle les procédés de la sculpture du bois. Partout des surfaces plates se réunissent en formant des angles durs. Le , visage a l'aspect d'un carré borné par le front large, la saillie très prononcée des joues et le menton proéminent. Les yeux à peine creusés sont à fleur de tête et très rapprochés l'un de l'autre; ils sont grands-ouverts et sans aucune expression. Le nez très lourd ne devait
pas, même quand le marbre n'était pas effrité, faire une forte saillie sur le visage. La bouche est marquée par une ligne horizontale entre les lèvres qui forment des bourrelets. Les oreilles, inexactement placées au point de vue anatomique, adhèrent à la tête. Les tempes et les joues forment une surface plate qui se réunit brusquement à la partie antérieure du visage. Sur le front et les tempes les cheveuxsont disposés par boucles en spirales; ils retombent derrière le dos en une masse épaisse qui va s'élargissant et qui est divisée en carrés par des lignes horizontales recoupant des lignes verticales. La ban-
delette qui ceint le crâne se croise derrière la tête et les bouts disparaissent sous la chevelure.
La tête repose sur un cou cylindrique absolument sans modelé.
Dans tout le travail du torse on sent que le sculpteur inhabile ne sait pas ménager le passage d'un plan à un autre : les épaules et les pectoraux sont formés par de simples surfaces planes et leur intersection, qui forme une forte saillie, représente les clavicules. Les pectoraux, placés très haut, se terminent par une arête vive qui en cerne le contour. L'anatomie n'est pas plus respectée dans l'exécution des côtes et des muscles du ventre, qui sont simplement indiqués par des.
dépressions horizontales. Les os du bassin sont trop saillants, et dans le passage des hanches aux jambes il n'y a ni souplesse ni souci de la réalité. Quant aux cuisses on peut les comparer à deux troncs d'arbres.
La statue vue de dos ne présente guère d'intérêt ; la ligne des vertèbres et les omoplates sont seules marquées; le reste est indistinct, et du cou jusqu'aux cuisses, la statue ne présente qu'une succession de surfaces plates.
Nous conservons à la statue la dénomination qui lui a été donnée dès l'origine. Mais rien ne prouve que ce soit là vraiment un Apollon; rien ne l'indique, ni le lieu de la découverte, ni même l'attitude, car les statues de ce type étaient indifféremment employées, à l'époque archaïque, pour représenter des dieux, des morts héroïsés ou des athlètes.
L'Apollon d'Orchomène, par la grossièreté de ses formes et la rudesse de sa technique, mérite d'être cité le premier dans cette série de statues viriles archaïques, aujourd'hui très nombreuses, dont les œuvres cataloguées à la suite nous fournissent les principaux exemples.
Bibliographie. — Vischer, Erinnerungen und Eindrùcke aus Griechenland, p. 585. — Conze e Michaelis, Annali dell' Instituto, 1860, p. 79; tav. d'ag. E, 1. —
Overbeck, Griechische Plastik , I, p. 38, fig. 8. — Koerte, Die antiken Sculpturen aus Beotien, dans les Mittheil. Deut. arch.'Inst. in Athen, 111, p. 305. — M. Collignon, Bull. de Corresp. Hellén., 1881, p. 319, pl. IV. — L. Mitchell, A History of ancient sculpture, p: 213. — Murray, History of greeck Sculpt., fig. 16. — Helbig,
das Homerische Epos, p. 163, fig. 35. - Roscher, Ausfiihrl, Lexic. (Apollo), p. 449.
— Overbeck, Kunstmythologie, Apollo, p. 12-13. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 55.
BOSMORIN.
15. — Apollon de Théra.
Le soi-disant Apollon de Théra, qui se trouve actuellement au musée national d'Athènes, est une statue de jeune homme, en marbre, découverte dans l'île de Santorin (l'ancienne Théra) et acquise pour Athènes par L. Ross, en 1836.
L'Apollon de Théra nous est parvenu très mutilé ; les jambes sont cassées au dessus du genou; le cou, le menton et les mains sont fortement endommagés. Toutefois, il n'y a pas de doute sur l'attitude générale de la statue, non plus que sur le type et la technique. Comme l'Apollon d'Orchomène (n° 14), l'Apollon de Théra appartient à la période la plus primitive de l'art archaïque ; il rentre dans la même série et y tient une place non moins importante. Est-il plus ou moins ancien? La question a été tranchée par des critiques dans un sens et dans l'autre ; elle est probablement insoluble, et sûrement oiseuse; on doit dire seulement que les deux sculpteurs, appartenant tous les deux à la même période de l'archaïsme, ont une technique différente.
L'auteur du premier se rappelle la sculpture du bois; l'auteur du second affectionne les formes rondes et molles qui rappellent plutôt le travail de la pierre tendre; cela est aussi sensible dans l'étude de l'ensemble que dans celle des détails : visage, pectoraux, bras, mains et jambes. A côté de ces traits généraux, nous devons noter la tête raide et fixe, au front fuyant, aux yeux gros et obliques, au sourire archaïque; les cheveux disposés en boucles symétriques autour du front, retombant sur les épaules en une nappe carrée, où les stries du peigne sont marquées par un quadrillage ; les oreilles larges et aplaties; la poitrine et le dos très bombés sans le moindre souci de la précision anatomique ; les bras pendant raides le long du corps, les mains fermées; les jambes dont l'une, celle de gauche, dépasse un peu la droite, et montrant cependant bien que les pieds reposaient à plat sur le sol.
L'Apollon de Théra avec ses cheveux bouclés, — évidemment peints, — son sourire bénin, qui marque un effort vers l'expression de la vie, son nez recourbé et ses yeux obliques, est probablement le type que les plus anciens sculpteurs, les Dédalides par exemple, avaient mis en usage, après l'avoir emprunté aux Egyptiens. Nous possédons une série considérable de ces figures, dont les plus anciennes remontent sans doute au Vile siècle avant Jésus-Christ. Plus tard on
fit un nouveau pas vers la vie en donnant aux membres une position moins raide : les bras au lieu d'être collés au corps furent repliés et portés en avant, tenant la plupart du temps quelque attribut; le corps au lieu de se tenir ferme sur les deux pieds s'appuya sur une seule jambe. (Voy. nos 21, 22, etc.).
Le type le plus jeune de cette seconde série, l'Apollon de Ténéa (n° 16), marque admirablement les progrès accomplis. Élancé et svelte, au lieu d'avoir la grossière exubérance de l'Apollon de Théra, il offre une certaine précision anatomique; — les formes en sont plus anguleuses; — il y a plus d'aisance dans la position des membres; la tête est plus vivante et d'expression plus personnelle; on dirait un portrait. On se trouve, cette fois, en face d'une véritable œuvre d'art : l'Apollon de Théra n'est encore qu'une naïve ébauche.
Bibliographie. - L. Ross. Arch. Aufsælzle, I, p. 10; id. Reisen auf griechischen Inseln, I, p. 81. — Schorn, Kunstblatt, 1836, p. 71. — Schœll, Arch. Mittheil. aus Griechenland, taf. 48, p. 23, l..-Reber, Kunstgeschichte, p. 284.— Overbeck, Griech. Plastiks, I, p. 89, fig. 9. — Kékulé, die Bildwerke im Theseion, no 356. — V.
Sybel, Katalog, no 1. — Welcker, Allé Dentmseler, 1, p. 199. — Milchhœfer, Mittheil. deut. arch. Instit. in Alhen, IV, taf. VI, 2 (la tête). — L. Mitchell, History of ancient sculpture, p. 193. — A. Dumont, Monuments grecs, 1878, p. 5. — Wolters, GibsabgÜsse zu Berlin, no 14. — V. Duruy, Histoire des Grecs, I, p. 199. —
Overbeck, Kunsmythologie, Apollo, p. 12, no 4. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 57, 57 bis.
H. BAUD.
16. - Statue archaïque. Apollon de Ténéa.
Statue de marbre trouvée à Ténéa ; actuellement au Musée de Munich.
En descendant de l'Acropole de Corinthe, sur le penchant de la montagne et sur la route de Sophico, on trouve le hameau d'Athiki. C'est là, sur l'emplacement de l'ancienne Ténéa, qu'on a trouvé en 1846 la statue désignée sous le nom d'Apollon de Ténéa. Cette appellation est inexacte, car les recherches récentes ont prouvé que ce prétendu Apollon n'est autre chose que la statue d'un mort heroïsé ; elle surmontait un tombeau, et a été trouvée encore en place. Les bras et les jambes étaient brisés en six fragments. On parvint à retrouver tous les morceaux sauf un, très petit. Les fragments s'adaptèrent parfaitement les uns aux autres, et la statue se trouva complètement reconstituée.
M. le baron Von Prokesch l'acheta et l'envoya à Munich où elle est aujourd'hui.
Le personnage est représenté debout, les bras tombants, dans une attitude raide. La jambe gauche est un peu avancée, le poids du corps repose sur la jambe droite ; la hanche droite devrait donc faire saillie, et se trouver placée un peu plus haut que la gauche; mais le sculpteur n'a pas su indiquer ce mouvement du torse ; les deux hanches sont à la même hauteur, de sorte que la statue semble se dresser pour ne rien perdre de sa taille ; ainsi la jambe avancée est dans une attitude de repos, et non de marche.
Cette statue a beaucoup de ressemblances avec l'Apollon d'Orchomène et celui de Théra (nos 14, 15). Le menton est proéminent et les yeux sont à fleur de tête ; le cou est lourd et carré ; les épaules sont larges et font ressortir la gracilité du torse et l'amincissement des hanches; le bas-ventre a une forme triangulaire très allongée; les bras tombent, se collent aux cuisses ; les mains sont fermées et le pouce est dirigé vers le sol ; sur le tronc, les côtes et les muscles intercostaux ne sont pas même indiqués; enfin le diaphragme et la fin des côtes inférieures sont marqués par des lignes raides et formant une sorte de triangle.
L'auteur de cette statue, comme peut-être l'auteur de l'Apollon de Théra, mais avec plus de netteté et de constance dans toutes les parties du visage et du corps, a employé les procédés de la sculpture du bois. Le devant du visage se réunit brusquement aux joues en formant un angle bien marqué; la partie du visage comprise entre l'œil et le sourcil est plate ainsi que les parties qui avoisinent la bouche; et l'artiste semble avoir séparé les lèvres par un simple coup de ciseau. Le nez se réunit au front brusquement, et les diverses parties de l'oreille sont formées par des surfaces plates qui se réunissent en dessinant des angles cassants. La partie postérieure du torse est absolument sans modelé. Les reins sont raides et sans galbe ; ils s'unissent sans souplesse et sans grâce aux fesses qui, selon la coutume de cet art archaïque, font une saillie très proéminente. Les muscles postérieurs et antérieurs des cuisses sont indiqués par deux plans qui forment une arête vive à leur intersection, et les mollets sont comme aplatis.
Les pointes des seins sont comme deux chevilles ; l'estomac, le ventre et le bas-ventre sont sur le même plan, et leur surface est absolument plate. L'ongle du pouce du pied et de la main droite n'est
pas en relief; l'artiste a fait une coche presque à l'extrémité du doigt et a enlevé à partir de cette marque un peu du doigt lui-même. Ces mêmes procédés se retrouvent encore dans l'exécution de la chevelure. On dirait que les stries en ont été faites avec une lime à bois.
Ont peut la rapprocher pour la disposition et la forme en bourrelets des boucles, de celle du Discobole (n° 30), et des divers personnages du bas-relief de Samothrace (n° 3).
Cependant il y a dans la figure, dans le haut du torse et surtout dans les membres un progrès notable : les pectoraux ne sont plus plats et anguleux à leur partie inférieure, comme ceux de l'Apollon d'Orchomène, mais ils ne ressemblent pourtant pas à des seins de femme comme ceux de l'Apollon de Théra. La clavicule et le sternum sont bien marqués et commencent à prendre du modelé. Les jambes sont plus indépendantes, et les bras sont plus détachés du corps; ils ont unmoùvement plus libre. Les os du bassin, malgré des fautes contre l'anatomie, indiquent du moins un effort vers la représentation de la réalité. Ils sont mieux marqués que sur l'Apollon de Théra et moins disgracieux que ceux de l'Apollon d'Orchomène.
Les muscles du bras (deltoïde, biceps, triceps) sont bien décomposés et bien marqués. Les os et les muscles du poignet sont à peine indiqués, mais les mains sont élégantes et les phalanges et les articulations sont d'un détail anatomique assez soigné.
Il y a dans les cuisses un essai de séparation des principaux muscles ; au lieu que celle des Apollon de Théra et d'Orchomène avaient l'air de deux troncs d'arbre.
Ce soin du détail se remarque surtout dans les jambes, depuis les genoux. Elles ont des formes assez élégantes et souples, et des contours rigoureux et précis. Les muscles sont bien séparés et se sentent sous la peau. Les pieds surtout sont modelés avec naturel ; ils sont élégants; les doigts sont bien distincts et délicatement exécutés. Ils seraient sans reproche, si leur position (ils sont tournés en dedans) ne montrait l'inexpérience de l'artiste.
Enfin un détail qui montre bien que l'auteur a voulu imiter la nature, est le sourire. Chez l'Apollon de Théra et d'Orchomène il avait une expression hébétée. Le sourire de l'Apollon de Ténéa fait relever les lignes de la bouche ainsi que le coin des yeux, et le creux des joues fait saillir les pommettes; il a déjà comme un air intelligent, malgré son aspect de grimace.
Ainsi, malgré des défauts inévitables, nous pouvons constater dans
l'Apollon de Ténéa des progrès réels, qui résultent d'un souci plus grand du détail et de l'observation de la nature.
Bibliographie. — Monumenti dell' Instituto, IV, tav. IV; Annali, 1847, p. 305. —
Brunn, Verzeichnung der Glyptothek5, p. 49, no 41. — Conze, Heroen und Gœttergestalten, taf. 57. — Overbeck, Griech. Plastik' 1, p. 90, fig. 10. — Milchhœfer, Arch. Zeitung, 1881, p. 54; id, ibid., 1882, p. 57.— Heydemann, Zeitschrift für bild.
Kunst, XVIII (1883), 33, 1. — Helbig, Homerische Epos, p. 163, fig. 36.— Collignon, Manuel d'Archéologie, fig, 30. — Lucy Mitchell, History of ancient scupture, p. 204, fig. 99. — Roscher, Ausführl. Lexicon, p. 450. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 199. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, no 49. — Overbeck, Kunstmythologie, Apollo, p. 12, no 8. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 58.
BOSMORIN.
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17. — Torse archaïque d'Actium, au Musée du Louvre.
Ce fragment a été découvert en 1868 par M. Champoiseau, alors consul à Janina, sur l'emplacement du temple d'Apollon qui dominait le promontoire d'Actium, et qui fut brûlé pendant les lultes de l'Étolie et de l'Acarnanie.
Le torse est en marbre à gros grains brillants; la tête manque, et les jambes sont brisées au-dessus des genoux; dans son état actuel, il mesure environ un mètre de hauteur. Son attitude est exactement comparable à celle de l'Apollon d'Orchomène (n° 14) ; le corps est nu, les mains sont fermées et appuyées contre les cuisses, la jambe gauche se porte en avant.
Le travail est dur et énergique ; l'artiste a souci de marquer avec précision la saillie des pectoraux et des clavicules ; deux raies obliques indiquent les contours de la cage thoracique, et nous retrouvons là cette convention des œuvres archaïques que nous avons constatée dans les statues précédentes. Du reste, les fautes de dessin abondent, ainsi que les fautes de modelé. Le ventre, par exemple, est plat, sans aucune vérité anatomique; les cuisses sont trop aplaties sur les côtés, tandis qu'elles font une saillie assez forte par derrière. Cette saillie contraste avec la surface tout à fait unie et sans accident du dos, où seules les clavicules sont indiquées d'une façon absolument conventionnelle et fausse, par de légères excroissances en forme de Y. Le genou est plus soigné (on a remarqué souvent le grand souci de précision qu'avaient les sculpteurs archaïques dans la représentation des
membres inférieurs; voyez par exemple l'Apollon de Ténéa, n° 16).
Les rotules et les muscles qui les entourent sont exprimés avec assez de vérité, et l'on y voit l'effet d'une observation attentive de la nature vivante. La chevelure, répandue sur le dos, consiste en une large masse à bandes parallèles, terminée suivant une ligne horizontale très régulière.
Le mélange de rudesse et d'élégance qui caractérise ce fragment, empêche d'en préciser exactement la date, car la tradition et la routine peuvent, dans certains cas, donner aux œuvres un cachet d'antiquité que l'époque ne comporte pas. D'après M. Dumont, il serait du VIe siècle.
Le lieu de la découverte semble bien indiquer que cette statue était une statue d'Apollon; mais on sait que les figures de ce type peuvent aussi représenter des athlètes vainqueurs ou des morts héroïsés; il faut donc garder la plus grande réserve.
Bibliographie. — A. Dumont, Monuments grecs, 1877-78, p. il. — M. Collignon, Bull. de Corresp. Hellén., 1881, p. 32. — Fartwoengler, Arch. Zeitung, 1882, col. 52.
— Murray, History of greek sculpture, I, p. 107 (Remarque). — M. Collignon, Gazette archéologique, 1886, p. 235, pl. 29. — Overbeck, Kunstmythologie. Apollo, p. 13, no 13.
A. MILAA.
18. — Torse archaïque d'Actium, au Musée du Louvre.
Ce torse a la même origine que le précédent; le marbre en est identique; il lui manque aussi la tête et les jambes, et de plus le bras gauche, qui est brisé depuis le biceps. Les bras étaient moins adhérents au corps que ceux de la première statue; la main qui reste n'est reliée à la cuisse que par un simple tenon. La chevelure offre une disposition nouvelle et plus savante : par derrière les boucles sont réunies par un double lien, assez bas entre les deux épaules, et retombent en s'évasant un peu jusqu'au milieu du dos. La figure est en général plus élancée et les différents plis du ventre sont indiqués, comme à l'Apollon d'Orchomène, par trois saillies horizontales recoupées par une ligne creuse verticale; cette disposition est aussi conventionnelle que la simple flèche du torse précédent, mais est plus proche de la vérité.
Le style est du reste très semblable au style du fragment n° 17, et les deux œuvres sont très probablement contemporaines; les différences proviennent du génie propre de leurs auteurs.
Bibliographie. — Voir la bibliographie du no 17; ces deux fragments ont toujours été signalés ou étudiés ensemble.
A. MILAA.
19. — Statue archaïque du Musée Britannique.
Cette statue de marbre passe pour avoir été trouvée à Athènes. Par son attitude générale elle rappelle beaucoup les Apollons d'Orchomène, de Théra, etc. Les jambes sont brisées, la droite au-dessus du genou, la gauche au-dessous; les bras qui étaient appliqués contre les flancs, sauf à la hauteur de la taille, ont complètement disparu; il ne reste que leur trace en saillie contre le buste et les cuisses; l'épaule gauche est complète tandis que la droite est mutilée; un éclat de marbre a emporté la partie droite du front et presque tout l'œil droit.
Les jambes de cette statue, massives et carrées, ressemblent à des poutres équarries; les hanches sont étroites ; les différentes parties du torse, les clavicules, les pectoraux, le contour inférieur de la cage thoracique sont indiqués par des plans sèchement unis et des lignes d'aspect géométrique. Toute cette construction anatomique classe la figure en question parmi les plus anciennes de la série et la rapproche surtout de l'Apollon d'Orchomène et de celui de Ténéa; mais la tête est d'un style différent. Elle n'est plus molle et ronde comme celle de l'Apollon d'Orchomène ou de Théra; elle n'a pas le cachet personnel de l'Apollon de Ténéa, mais elle est comme un intermédiaire entre les deux premières et la troisième. Le visage est, comme on dit, en lame de couteau. Les yeux très allongés ressemblent à des amandes et sont tout à fait à fleur de tête. De plus, ils sont placés de côté et regardent de travers, de sorte que pour les voir de face il nous faut les regarder de profil. Le coin des lèvres est légèrement relevé. Le menton est petit, carré et cependant très en saillie; le nez ne prolonge pas la ligne du front, mais au contraire se porte très en avant.
Le front est beaucoup trop étroit et mangé par l'arcade sourcilière.
Les oreilles trop grandes sont placées trop haut et trop en arrière ; la chevelure, qui n'est pas bouclée sur le front, tombe en une masse
carrée derrière la tête comme celle de l'Apollon d'Orchomène; les stries du peigne sont représentées au moyen d'un quadrillage sommaire.
Cette statue se rapproche encore de l'Apollon d'Orchomène par la ligne des épaules qui est presque horizontale. La façon dont les côtes sont indiquées et l'expression du visage nous rappellent l'Apollon de Théra, tandis que la rondeur et la mollesse des pectoraux nous font songer à l'Apollon de Ténéa.
Quant au style général de l'œuvre, la technique par moments rappelle la sculpture en bois ; elle se manifeste dans l'exécution du dos, des hanches et des cuisses dont la grossièreté contraste assez singulièrement avec la délicatesse des épaules. Par moments, aussi, elle a quelque chose de gras et de mou — comme dans les pectoraux et les parties charnues du ventre — qui rappelle la technique du calcaire.
On appelle quelquefois cette statue « Apollon wrlMais comme la provenance en est inconnue, il est imprudent de se prononcer. On sait que les-figures de ce type peuvent être indifféremment des Apollons, des statues funéraires ou des statues d'athlètes.
La provenance d'Athènes qui est indiquée par M. Lœschcke est mise en doute par M. Purtweengler qui propose, et avec plus de raison, la Béotie.
Bibliographie. — Murray, History of greek Sculpture, I, p. 107, pl. II. —
Lœschcke, Mitth. deut. arch. Instit. Athen, IV, p. 304 sq. — Furtweengler, Archaïsche Junglings Statue im, British Muséum, dans Arch. Zeitung, 1882, p. 51, tab. IV. — Overbeck, Kunstmythologie, Apollo, p. 13, no 12.
L. BRUGEAS.
20. — Apollon Strangford. Statue de marbre (Musée Britannique).
On ne sait pas avec certitude où fut découverte cette statue, donnée par lord Strangford au Musée Britannique. On la croit originaire d'Anaphé, une des Cyclades, à l'est de Théra. Elle représente un jeune homme imberbe, nu, debout. Les bras presque tout entiers et les jambes au-dessous des genoux ont été perdus. Le reste est assez bien conservé.
L'impression d'ensemble en est meilleure que celle de la plupart des statues archaïques. L'attitude du personnage marque, à elle seule, un
progrès important. Les bras ne tombaient pas avec rigidité ; la forme de l'épaule fait conjecturer qu'ils étaient ramenés légèrement en arrière, puis sans doute fléchis au coude et portés en avant de manière à former un angle droit avec le buste. Les jambes ne sont pas toutes les deux dans le même plan : la jambe gauche est avancée et le corps, reposant sur la jambe droite, se dégage ainsi avec plus d'aisance et de naturel.
Ce qu'il faut surtout remarquer, c'est l'entente de l'anatomie, spécialement du squelette, accusé dans le détail avec un soin et une fidélité à peu près irréprochables. La même vérité se retrouve dans l'union et le jeu des muscles et des os. Mais la représentation des parties molles ne vaut pas celle de l'ossature. Le modelé y sent la naïveté des conventions primitives, ne fût-ce que dans le cou, mal venu, et dans le ventre, plat, trop allongé vers le bas, séparé de la poitrine et des cuisses par des sillons contraires à la nature. Les hanches, qui devraient ressortir, rentrent sous des renflements de chair que forment les flancs. Les cuisses possèdent d'ailleurs à un haut degré, ainsi que les genoux, les qualités d'exécution propres aux parties fermes. La poitrine est trop courte, mais les pectoraux, bien que robustes, n'ont rien d'exagéré. On constate une juste indication et une sérieuse étude des côtes, du sternum et des clavicules.
Le dos, vu de profil, offre comme la poitrine, un contour assez souple, et la chute des reins, d'une cambrure élégante, est particulièrement heureuse. Les omoplates, un peu soulevées, dénoncent très nettement un mouvement en arrière de l'épaule et du bras.
La tête exige un examen plus minutieux. Ici encore la partie osseuse est la mieux traitée; on distingue avec précision la structure de tous les os de la face. Le visage est large et arrondi, quoique les joues se creusent au-dessous des pommettes, et que le menton, peu garni de chair, puisse paraître effilé. La bouche petite et fermée, pincée même, n'esquisse pas le sourire archaïque. Le nez, mutilé, semble avoir été court et peu saillant. Les yeux, très grands ouverts, bien disposés, ne sont plus à fleur de tête, et même leur coin interne est assez enfoncé sous l'arcade sourcilière. Les oreilles ont, dans le dessin et le modelé, une certaine vérité et quelque finesse; mais elles sont placées trop haut et trop obliquement. La chevelure mérite une attention spéciale. Elle forme sur le front deux et sur les tempes trois rangées de petites boucles en spirales coniques. Sur le crâne elle est lisse, rayonnant du sommet en sinuosités parallèles. Par derrière,
elle cache la nuque sous une sorte de bourrelet tressé à double torsade, dont les extrémités paraissent retenues par un bandeau étroit qui ceint toute la coiffure.
Si l'on essaye de déterminer l'époque et l'école auxquelles se rapporte cette statue, on juge tout d'abord, à ses qualités et à ses défauts, qu'on est devant une œuvre de transition appartenant à la fin de la période archaïque. On a prétendu qu'elle devait provenir du fronton ouest du temple d'Égine. Getteliypothèse semble téméraire à quelques critiques, pour qui l'Apollon Strangford n'est même nullement conforme au type éginétique. Il a une supériorité anatomique incontestable, surtout dans la charpente osseuse. De plus toutes les statues de l'ancienne école d'Égine ont conservé cette grimace souriante qui, sous le nom de sourire éginétique, les caractérise. Enfin il y a ici dans les proportions du tronc et dans l'expression des parties molles, des signes évidents de maladresse qui ne se retrouvent pas dans les statues de Munich. Quoi qu'il en soit, l'Apollon Strangford a des points de ressemblance frappants avec quelques-uns des guerriers d'Égine, d'abord par l'anatomie vigoureuse des os et des muscles, et par la vérité du modelé dans toutes les parties dures, avant tout par la raideur et la sécheresse de l'ensemble. De plus, si la bouche ne sourit pas, on doit observer que la physionomie exprime un vague sentiment de plaisir. L'œuvre peut se rattacher à l'école d'Onatas, mais avec des traits bien sensibles d'un archaïsme antérieur à celui des frontons d'Égine.
Lorsque, d'autre part, on considère la forme des yeux et des arcades sourcilières, surtout l'aspect général de la coiffure aux boucles coniques, aux stries dures et massives, on y saisit de curieux rapports avec les procédés de la technique du bronze. Cette analogie se manifeste d'une façon singulière, quand on compare l'Apollon Strangford à une petite statue de bronze que possède le Musée du Louvre et qu'on nomme Apollon de Piombino (n° 21). On y voit appliqués les mêmes principes esthétiques, particulièrement dans le travail de la chevelure.
En outre, les bras et les jambes de la statue de Paris sont bien dans le mouvement indiqué ici par ce qui reste de ces membres. Ces remarques ont permis de supposer que l'Apollon Strangford est la copie d'une statue de bronze, peut-être de l'Apollon de Kanachos.
Le personnage est-il vraiment un Apollon? Comme on l'a dit à propos des œuvres similaires de la série archaïque, ce n'est pas invraisemblable, mais les preuves matérielles font défaut. Le nom d'Apollon
est donc conventionnel; il n'a que la valeur d'un terme générique commode pour la classification. On peut admettre que les bras qui manquent portaient des attributs, sinon rien n'oblige même à reconnaître ici plutôt un dieu qu'un homme.
Bibliographie. — Prachow, Monumenti dell' Instituto, 1872, tav. XLI; Annali, 1872, p. 181. — Overbeck, Griech. Plastik ', I, p. 181, fig. 40. — Rayet et Thomas, Milet et le golfe Latmique, pl. 28. — Newton, Essays on art and m'chéology, p. 81.
— Gonze, Arch. Zeitung, 1864, p. 164. — Brunn, Münchener Sitzungber. 1872, p. 529. — Murray, Hist. of greek Sculpture, I, tab. II. — Wolters, Gibsabgüsse zu Berlin, no 89. — Overbeck, Kunstmythologie, Apollo, p. 32.
POMMERET.
21. — Apollon de Piombino.
Ce buste est la seule partie moulée d'une statue votive àe bronze qui, selon toute probabilité, représente Apollon, et qui, ainsi que le montre l'inscription gravée sur le pied gauche de la statue, 'Aô^vai'a Sexaxàcv, était dédiée à la déesse Athéna. Trouvée dans la mer à Piombino (Toscane) elle est, après quelques péripéties, devenue la propriété du Musée du Louvre.
La figure, encore empreinte d'une certaine rigidité, la disposition presque parallèle des deux bras, l'attitude du corps simple, grave et sévère, sont autant de traits évidents d'archaïsme et font qu'en général on voit dans cette statue une réplique à peu près exacte de l'Apollon Didyméen de Kanachos, le sculpteur de Sicyone dont Cicéron a dit : Canachi rigidiora (signa) quam ut imitentur veritatém.
(Brutus XYIII, 70). Cette œuvre que quelques traits bien caractéristiques dus à la technique spéciale du bronze, comme une certaine gracilité des membres et un peu de sécheresse dans le modelé, ou dus encore au travail original de l'artiste, sembleraient placer bien à part, hors de la série des soi-disants Apollon énumérés plus haut, s'y rattache cependant de toute évidence par l'attitude générale du corps et aussi par l'expression du visage. En effet un reste de sourire archaïque, dû à ce que les coins des lèvres sont légèrement relevés, ne nuit pas à la gravité, et nous pourrions dire presque à l'impassibilité générale des traits. La facture du visage est d'ailleurs tout à fait nouvelle. Les lèvres sont relativement grosses; les sourcils sont indiqués
par une simple ligne en saillie. De même que dans l'Hermès Moschophore (n° 26) les globes des^eux étaient certainement deux pierres enchâssées, de même ici les yeux, dont l'orbite est creuse aujourd'hui, étaient formés de quelque matière brillante; de plus les lèvres et le bout des seins étaient ornés d'une incrustation de cuivre argenté.
Mais ce qu'il y a de particulièrement original dans le buste de
l'Apollon de Piombino, c'est d'abord une délicatesse extrême dans la ligne du front, dans la forme du menton, dans celle du nez et des paupières, et surtout dans l'exécution de la chevelure. La coiffure, serrée sur le haut de la tête par un simple cordon, se compose de mèches ondulées parallèlement qui se terminent au-dessus du front en deux rangs de petites boucles régulièrement formées et ressemblant assez bien à ce que les Grecs appelaient Bocrrpuyot, par compa-
raison" avec les grappes de raisin. Cette façon de rendre la chevelure se retrouve dans l'Apollon Strangford (n° 20), et dans plusieurs bustes archaïques ou archaïsants de Zeus. Mais ce que nous n'avons encore rencontré nulle part, c'est la disposition donnée à la partie postérieure de la chevelure : les cheveux partant du sommet de la tête en lignes ondulées, parallèles et creusées au burin sur le bronze, tombent sur la nuque et se relèvent jusqu'au niveau des oreilles, où les maintient un cordon. Les extrémités des mêches se rabattent alors sur le chignon comme un revers dentelé. Le chignon se termine en bas par une petite rosette à quatre pétales qui est peut-être formée par les cheveux, peut-être aussi n'est qu'un ornement de métal attaché après coup.
Cette disposition gracieuse nous montre bien que, si l'artiste reste encore fidèle aux principes de la vieille école, s'il n'ose encore s'affranchir complètement, il cherche cependant à être original et à ne pas copier servilement les modèles traditionnels.
Doit-on conserver à la statue de Piombino le nom d'Apollon ? Le dernier critique qui a étudié la question, M. Overbeck le nie; il ne retrouve ni dans l'attitude générale, ni dans la position des mains; ni dans l'agencement de la chevelure, la similitude souvent indiquée de ce bronze avec l'Apollon de Kanachos. Il n'admet pas que l'on puisse restituer dans la main droite tendue le petit faon que les monnaies milésiennes et le bronze Payne-Knight montrent placé sur la main du dieu ; nous n'avons pas à nous prononcer ici, sachant d'ailleurs que les statues de ce type ont eu dès l'origine des significations très diverses.
Bibliographie. — Gerhard, Bullet. dell' Instituto, 1832, p. 196. — R. Rochette, Annali, 1833, p. 193 sq. — Letronne, Annali, 1834, p. 198 sq. — 0. Müller, Hall.
allgem. litt. Zeitung, 1856. — Letronne, Mém. de l'Académie des Inscript. et B. Lettres, 1845 (XVI, 2e partie); Rev. archéol., 1845, p. 439; 1848, p. 248. — R. Rochette, Mém. Acad. Inscript., 1846 (XVII, 2e partie). — 0. Müller, Randbuch, 3e édit., § 422, Anm. 7 (Welcker). — Overbeck, Griech. PlastikS, I, fig. 39. — Bursian, Allgem.
Encyclop., sect. I, vol. 82, p. 416. — De Longpérier, Rev. Archéol., XXV, p. 147; Notice des bronzes du Louvre, n° 69. — 0. Rayet, Milet et le golfe Latmique, pl. 29.Murray, Rist. of greek Sculpture, I, p. 109. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 620. —
Overbeck, Kunstmythologie, Apollon, p. 29; cf. Beilage zum len Capitel, p. 78. —
P. Paris, La Sculpture antique, fig. 74.
L. BRUGEAS.
22. — Apollon de Naxos (Bronze) Musée de Berlin.
Quoique laissant à première vue une impression peu agréable.
due à ses formes carrées et trapues, cette statuette, si on la détaille, prend peu à peu une forme assez élancée et assez gracieuse. Le souci qu'a eu le sculpteur de représenter la force musculaire lui a fait multiplier les saillies, qui, par contraste, semblent amincir les contours rentrants et grandir la taille.
L'aspect général nous avertit d'abord qu'il y a un grand pas fait hors du domaine archaïque, sans en sortir pourtant tout à fait.
La statuette forme avec l'Apollon de Piombino (n° 21) un couple de type tout nouveau, soit par l'expression de la physionomie, qui n'a plus ce sourire grimaçant et stupide de l'Apollon de Ténéa, par exemple, soit par la position des membres, des bras surtout, qui ne sont plus collés au corps. Si l'on rapproche l'Apollon de Piombino de celui de Kanachos, au point d'y voir une reproduction, à plus forte raison pouvons-nous en rapprocher l'Apollon de Naxos. Seuls, les attributs sont changés et le faon que l'Apollon Didyméen tenait de la main droite est remplacé ici par une aryballe sans anse. Tous deux ont la main gauche trouée, comme serrant la poignée de l'arc. Pour certains critiques, et principalement pour Overbeck, ce serait précisément cette diversité d'attributs qui empêcherait de rapprocher les deux œuvres.
Quoi qu'il en soit, l'Apollon de Naxos nous offre par lui-même, sans rechercher si c'est une copie, en même temps que bien des traces d'archaïsme, un notable progrès. D'archaïque, nous y voyons encore une raideur générale, l'amincissement des hanches et l'aplatissement des cuisses, la longueur extraordinaire des jambes qui sont d'un modelé fautif surtout au gras des cuisses et à la rotule, détail que les sculpteurs archaïques avaient pourtant l'habitude de soigner.
C'est encore, l'arcade sourcilière trop prononcée, le menton trop étroit et proéminent. Enfin la faute capitale, c'est le manque de proportion de l'ensemble ; le corps a plus de six fois et demi la hauteur de la tête, ce qui vient de la longueur démesurée des jambes.
Le torse, au contraire, est relativement soigné, et il semble que, dans cette statuette, ce soient les parties les plus difficiles, c'est-à"': dire les parties de chair, qui soient le mieux rendues.
La poitrine est assez bombée, et la place des seins, qui se terminent par une proéminence singulière, indique une observation sérieuse : le modelé du ventre, bien qu'un peu. plat encore, est pourtant assez étudié. Mais, ce à quoi les sculpteurs archaïques ne nous avaient pas habitués, les omoplates ne sont plus indiquées conventionnellement, mais rendues par une courbe assez nette et qui ne porte pas trace d'indécision. Quant aux jambes, vues de derrière, elles sont presque difformes, et la grosseur du mollet et du genou ne s'harmonise pas avec celle des cuisses.
Nous voyons en somme que la partie supérieure est de beaucoup la mieux venue; au torse sans grands défauts pour l'époque, il faut ajouter les deux bras qui, se détachant du corps, se ramènent en arrière jusqu'au coude, puis reviennent en avant, l'avant-bras formant un angle obtus avec le bras. Les muscles-biceps sont soigneusement marqués, et l'ensemble n'a rien de choquant, comme aux jambes. Le défaut principal pourtant est la longueur démesurée des doigts, défaut visible surtout à la main droite, celle qui tient le vase, où les phalanges s'allongent étrangement. Quant à la tête, elle a une chevelure comparable à celle de l'Artémis ailée (n° 10) et de l'Athéna d'Endoios (no 13), plus compliquée mais moins élégante que celle de l'Apollon de Piombino (no 21). Ses cheveux, entourés d'un bandeau qui fait le tour de la tête, en laissant comme un bourrelet sur le front, et rayonnant autour du sommet, tombent en masse sur les épaules. Là, une partie descend jusqu'au milieu du dos en forme de trapèze dont la plus petite base serait en bas ; les autres forment de chaque côté du cou trois tresses qui retombent par devant, l'une descendant le long de l'épaule et d'une petite partie du bras, les deux autres de chaque côté du sein. Ce soin dans la disposition de la chevelure confirme ce que nous disions des progrès réalisés surtout dans la facture de la partie supérieure du corps.
Cette statuette est intéressante encore par la plaque sur laquelle elle repose, grâce à une inscription votive qu'on y voit encore à demi effacée :
sur laquelle M. Fraenkel (voir Bibliog.) discute longuement au point de vue linguistique; quoiqu'il ne soit pas toujours juste de voir dans une statue la représentation du dieu à qui elle était dédiée, nous croyons que cette dédicace complète assez les indications déjà fournies par les
ressemblances de la statuette et des Apollon de Kanachos et de Piombino, pour nous permettre d'appeler le bronze du musée de Berlin Apollon de Naxos. Il a donc sa place dans la série et une place très honorable, car, s'il nous retient encore dans l'archaïsme, par certains détails il nous en fait aussi sortir.
Bibliographie. — Fraenkel, Arch. Zeitung, 1879, p. 84, pl. 7. — Overbeck, Griech. Plastik', I, pag. 187, fig. 43, no 2. — Von Sallet, Zeitschrift fur Numismalik, IX, p. 139. — Duruy, Hist. des Grecs, I, 631. — Roscher. Ausfuhrl.
Lexicon, I, col. 452. — Overbeck, Kunslrnythologie, Apollo, p. 35-36, fig. 8.
Cf. pour le type et la signification les petits bronzes suivants : Statuette de Locres (Annali, 1830, p. 12 ; Monumenti, I, pl. 75).— Bronze du Ptoion, ex-voto d'Eu' y F, tT t oc ç (Holleaux. Bull. Corr. Hell., 1886, pl. 9). — Apollon Payne-Knight du Musée Britannique (Overbeck. Apollo, fig. 5, pag. 24). — Deux figurines d'Olympie. (Ausgrabungen, IV, taf. 25, A. 2 et 3). — Bronze du Musée de Berlin (Overbeck, Apollo, fig. 7, pag. 25), etc., etc.
Aug. MILAA.
23. — Torse archaïque et pied d'enfant.
(Trouvés en 1865-1866 à l'Acropole d'Athènes, à l'angle sud-ouest du Parthénon).
Ces fragments, bien conservés, sont en marbre blanc. La statue complète représentait, debout et au repos, un garçon de treize à quinze ans environ. Les bras sont coupés presque à leur naissance et les jambes aux genoux.
Quoiqu'il marque un certain progrès dans l'art achaïque, par l'aspect général de son attitude et par son style, le torse est encore loin de la perfection. Il n'offre, en effet, qu'une anatomie sèche et incorrecte. L'artiste n'a pas su traiter les parties molles, comme le ventre, qu'il a fait trop aplati et où il n'a pas exprimé avec vérité le modelé des muscles abdominaux. Les hanches mal placées et mal dessinées ne rendent pas le mouvement marqué par la jambe portée en avant ; un léger renflement ne suffit pas à reproduire exactement les clavicules et les épaules sont, on ne sait pourquoi, rejetées en arrière.
On trouvera au numéro suivant, à propos d'un autre torse de même provenance, des détails sur quelques questions intéressant celui dont nous venons de parler.
Quant au pied qu'on a trouvé à côté de lui, il doit très probablement lui appartenir. Plat et presque sans modelé, il semble en effet
lui convenir. Ce pied était fixé au socle par un clou de bronze qu'on a conservé. On n'a de ce procédé que deux exemples provenant de statues trouvées dans le Péloponèse.
Bibliographie. — Furtweengler, Mitth. dent. arch. Instit. Athen, 1880, p. 20.
E. SAUVIER.
24. — Tête et torse d'enfant.
(Trouvés à l'Acropole d'Athènes, à l'angle Sud-Ouest du Parthénon, 1865-66).
Ce torse en marbre blanc, très bien conservé, représente comme le précédent un jeune garçon de treize à quinze ans, debout et au repos; il a souffert les mêmes mutilations.
Malgré la ressemblance qu'offrent ces deux torses dans leur attitude générale, ils diffèrent cependant par le style et par l'exécution. Il y a de l'un à l'autre un progrès manifeste qui se traduit par une perfection plus grande. Le torse qui nous occupe ici est, en effet, d'une facture bien supérieure.
Aussi bien doit-il être plus récent. Il faut remarquer surtout avec quelle habileté voisine de la perfection il reproduit la nature : point de saillies exagérées des muscles ou du squelette, mais seulement, comme il convient au corps des enfants, des formes arrondies et légères, à la fois gracieuses et élégantes. L'attitude elle-même, qui est celle des anciens Apollons, mérite des éloges par la façon habile dont elle est exprimée. On doit remarquer, en effet, la façon heureuse dont l'artiste a rendu le mouvement des hanches et celui des épaules.
Ajoutons à ces qualités une science déjà avancée de l'anatomie, qui a permis au sculpteur d'exprimer avec justesse, quoique un peu sommairement, les diverses saillies du torse.
Ce torse est surmonté d'une tête : c'est là une restauration proposée par M. Furtwsengler. Mais la tête et le torse proviennent-ils de la même statue? Les arguments en faveur de la thèse sont, d'un côté, l'identité de la matière et les proportions, d'un autre côté le lieu et l'époque de la découverte. Rien d'absolument concluant jusque là : ces raisons ne suffiraient pas, en effet, à prouver que la tête ne provient pas d'une autre statue, perdue ou détruite. Aussi M. Furtwsengler ajoute-t-il que la tête se rajuste très exactement au torse.
Son avis sur ce point nous paraît contestable. Outre que les deux cassures ne s'accordent pas très bien, la direction des muscles de la partie supérieure du cou ne semble pas pouvoir s'accorder davantage avec celle des muscles qui leur servent de prolongement dans la partie du cou adhérente aux épaules.
Quoi qu'il en soit, cette tête ne laisse pas d'être intéressante pour la façon dont elle est traitée. La chevelure, très sommaire, ressemble à une sorte de calotte qui couvrirait le sommet de la tête. Cela vient de ce qu'elle était peinte, la couleur, rouge pour les cheveux (il en reste des traces), remplaçant alors le détail modelé. Quant à l'aspect rugueux de la chevelure, il s'explique par la nécessité de donner à la couleur une prise qu'elle n'aurait pas sur le marbre poli.
Ces différents détails ont permis à M. Furtwœngler de rapprocher très justement cette tête d'autres œuvres d'art, comme la série des Lapithes des Métopes du Parthénon, les sculptures du temple de Jupiter à Olympie, et celles de Théséion à Athènes.
Tout autour de la tète court un bandeau qui, également peint, ne devait pas être de la même couleur que les cheveux. Plusieurs parties du visage portent aussi des traces de couleur. C'est ainsi que, dans les yeux, l'iris était rouge, avec un contour noir et une pupille également noire.
La grande difficulté que soulève ce torse, ainsi que le précédent, est de savoir qui ils représentent. Apollon peut-être ? Mais la chevelure n'est pas celle qu'on lui donne d'ordinaire. Des héros? Mais aurait-on donné à des héros ces formes juveniles ? On pourrait plutôt y voir des statues d'enfants vainqueurs aux Panathénées. Là encore rien de certain; dans la première moitié du ve siècle ce n'était pas encore l'habitude chez les Athéniens d'ériger sur l'Acropole des statues aux vainqueurs des jeux nationaux. Du moins nous n'en connaissons à cette époque qu'un seul exemple cité par Pausanias : c'est l'Hoplitodrome Epicharinos. Au reste les bases de statues qu'on a retrouvées à l'Acropole portent seulement une formule de consécration et le nom de celui qui a consacré la statue, sans nom de victoire. Ces statues étaient en effet des statues-portraits servant d'ex-voto. Telles sont au ve siècle les statues de Pyrès, d'Hermolykos, et les deux statues de Krésilas. Au ive siècle cela devint une coutume : on offrait sa statue aux dieux, en ex-voto, pour toute sorte de causes : la mort évitée, une fortune subite, une victoire remportée dans les jeux. On le sait par les inscriptions gravées aux bases des statues.
Rien des lors ne nous assure que les deux torses en question, qui sont très certainement des ex-voto, sont des statues de vainqueurs.
Cela est d'autant plus vrai qu'à Athènes les vainqueurs des jeux nationaux n'avaient pas comme à Olympie droit à une statue; sans doute ils pouvaient en dresser une ; mais alors ils l'offraient euxmêmes et d'eux-mêmes à la divinité en souvenir de leur victoire.
Quoique l'on n'ait pas de renseignements sur la date à laquelle ces deux torses ont dû être exécutés, leur style permet de les attribuer à la période qui précède celle de Phidias et qui peut-être même coïncide avec le début de celle-ci. Ils corpptent, en effet, parmi les quelques œuvres de transition dont on peut dire qu'elles sont les dernières productions de l'art archaïque et les premiers préludes de l'art classique.
Bibliographie. — Furtwsengler Mitth. d. arch. Instituts in Athen, 1880, p. 120, tab. I.
E. SAUVIER.
P. S. — En avril 1889, M. Furtwsengler a lu à la Société Archéologique de Berlin une note établissant que la tête primitivement adaptée au torse en question ne lui appartient pas ; la véritable tête a été retrouvée dans les dernières fouilles de l'Acropole ; elle rappelle le style de Kritios et Nésiotès.
25. — Groupe funéraire de Tanagra, dit de Dermys et Kitylos.
Cette stèle fut découverte à Tanagra en 1874. Elle est conservée dans le Musée que la Société archéologique d'Athènes a formé à Skimatari, village situé près de la nécropole.
La matière est une pierre poreuse très tendre, pleine de coquilles, que l'on trouve en abondance dans les plaines de Tanagra. Le monument mesure lm47 de haut sur 52 centimètres de large; la nature même de la matière nous explique le mauvais état dans lequel il nous a été conservé. Les visages surtout sont très endommagés. La stèle de plus a été brisée en deux morceaux, quand on l'a transportée de la nécropole de Tanagra à Skimatari.
Les personnages sont taillés dans un pilier quadrangulaire. Adossés à un pilastre, ils s'appuient sur une base. Une console surmonte le groupe; sur celle-ci est une petite plaque, destinée sans
doute à recevoir les offrandes aux défunts. Deux hommes complètement nus, que des inscriptions latérales désignent, celui de droite sous le nom de Kitylos, celui de gauche sous le nom de Dermys, sont debout, portant en avant, l'un la jambe gauche, l'autre la jambe droite. Dermys a le bras droit pendant et serré près du corps; le bras gauche de Kitylos est dans la même attitude. Dermys a passé son bras gauche autour du cou de Kitylos et Kitylos son bras droit autour du cou de Dermys. Les cheveux se divisent en tresses symétriques, partagées en deux masses, dont l'une tombe sur le dos, l'autre sur la poitrine. Peut-être aussi forment-ils sur le front une sorte de couronne.
On remarquera au premier abord les caractères incertains de la sculpture. Les tresses forment de lourdes masses ; les oreilles sont placées beaucoup trop haut; la rondeur des pectoraux n'est même pas indiquée. Le bras dont chacun des personnages entoure le cou de son camarade semble sortir de la plaque qui surmonte les deux statues. Les muscles et les os des genoux sont indiqués avec une telle exagération, qu'on y croit voir au premier abord un anneau. Dermys avance la jambe gauche, Kitylos la jambe droite avec une singulière raideur. Les cuisses sont mal attachées, ainsi que les bras, qui ne sont point en proportion avec le reste du corps. D'autre part, l'amincissement de la taille, la finesse de la cheville, la petitesse du pied sont des traits d'archaïsme que nous retrouvons, par exemple, dans les deux plus anciennes métopes de Sélinonte (nos 35, 36) et dans les peintures de vases.
La stèle funéraire de Tanagra est d'une conception très originale.
Comme stèles, nous connaissons, en effet, à la période archaïque, les stèles proprement dites, portant seulement l'inscription d'un nom, et les stèles avec sculpture comme la stèle d'Aristion ou la stèle de Naples (nos 31, 32, 33). Mais tandis que dans ces œuvres les personnages sont vêtus et seuls, nous avons ici un groupe de deux hommes nus. Notons en outre les traits de ressemblance qui rattachent ce monument aux Apollons primitifs. Dermys et Kitylos ont la taille amincie de l'Apollon de Théra; le modelé de la poitrine, exprimé naïvement par un plan uni, nous rappelle l'Apollon d'Orchomène. La division de la coiffure en deux tresses qui tombent l'une sur. le dos, l'autre sur la poitrine, se retrouve dans les statues féminines de la même époque et dans le type développé des Apollons primitifs (cf.
Apollon de Kanachos et ses copies, n° 22). Nous ne pouvons donc
rattacher ces personnages à un type unique; c'est l'œuvre locale d'un artiste Tanagréen.
Ce monument se place, dans la chronologie de la sculpture grecque, tout près des plus anciennes métopes de Sélinonte.
Les inscriptions, en caractères archaïques béotiens, sont les suivantes : 1° Sur le champ du bas-relief, le long du mollet du personnage de gauche : KituXoç
20 Sur le champ, le long du mollet du personnage de droite : Aépi;.uç
3° Sur la face verticale antérieure et la face gauche du socle : 'A^cpàXxeç [e](rraff Itti KituAol km UEPfLUt.
'A[J.?nXEÇ était-il l'auteur et le dédicant, ou simplement le dédicant du groupe ? la question ne comporte pas de réponse précise.
Bibliographie. — Dumont, Gazette ATchéologique, 1878, tab. 29, p. 160. —
Koerte, Mit th. deut. a. Inst. in Athen, 1879, taf. XIV et p. 309, no 4 ; Cf. Arch.
Zeitung, 1875, p. 149. — 'AOvjvaiov II, p. 404 (Koumanoudis).- V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 516.
LESPINE.
26. — Hermès Moschophore ou Sacrificateur.
Cette statue qui a été brisée en de nombreux morceaux et dont le fragment principal a été découvert en 1861 sur le versant Est de l'Acropole, est aujourd'hui au Musée d'Athènes. Elle est en.marbre bleu-gris de l'Himette, et représente un homme portant un veau sur ses épaules.
Le personnage, dont les bras ne sont pas dégagés du corps, mais sont symétriquement repliés contre la poitrine, tient dans ses mains les pieds de l'animal. Comme l'artiste n'a pas eu le talent de les séparer, le veau et l'homme ne font pour ainsi dire qu'un seul être, et les
parties des deux corps qui sont en contact, comme le cou de l'homme et le ventre de l'animal, semblent se pénétrer.
L'homme est habillé d'une façon toute spéciale. En effet, si on le regarde à quelque distance, il parait absolument nu. Mais de près on s'aperçoit facilement que certaines parties sont recouvertes d'un vêtement rigide, qui s'applique nettement au corps, forme des plis parallèles sur le ventre, tombe sur les cuisses, et laisse les avant-bras complètement nus. C'est la présence de ce vêtement qui nous explique l'aspect grossier du dos. Au contraire, les parties découvertes, c'està-dire l'avant-bras et le ventre, nous offrent une exécution très supérieure. Et cependant ici encore il y a bien des défauts. Le ventre est modelé d'une façon un peu conventionnelle au moyen de lignes horizontales coupées par des lignes verticales. A côté de la convention signalons aussi d'autres défauts dus à l'archaïsme. Le cou est informe, long et épais ; la tête doit à sa forme longue et aplatie, à l'écartement de ses yeux ronds, à la largeur de sa bouche trop rapprochée du nez, à un essai de sourire qui se tourne en grimace, à la saillie plate de sa barbe, une expression de niaiserie et d'hébétement.
Au point de vue de la technique il faut remarquer que les yeux sont creusés à la place de la pupille qui était rapportée en quelque matière brillante. Les oreilles sont grandes et mal placées. Les cheveux, contenus par une étroite bandelette, entourent le front en une triple rangée de boucles qui ressemblent vaguement à des boules aplaties ; sur chaque épaule tombent, de derrière les oreilles, deux papillottes formées de boules semblables, comme enfilées à la suite les unes des autres. On voit la même disposition à la chevelure des Kerkopes sur une des métopes archaïques de Sélinonte (n° 36). Le plan supérieur du crâne est travaillé tout à fait comme la barbe, c'est-à-dire que le détail des cheveux n'est pas indiqué sur le marbre. Le crâne était sans doute revêtu d'une calotte de métal (XÚV"f¡) pour l'assujettissement de laquelle un trou était percé dans la partie postérieure de la tête, à moins toutefois que dans ce trou ne s'appliquât simplement une tige terminée par une plaq-ue de métal destinée à protéger la statue contre le mauvais temps.
Le travail grossier des cheveux et de la barbe nous permet de croire que la statue était peinte. On sait du reste que ce procédé était très souvent employé. (Voyez par exemple la statue de l'Acropole n° 24).
Enfin la draperie si mal figurée aurait bien pu emprunter à la peinture une apparence de liberté et de dégagement.
Il faut remarquer que le corps de l'animal est bien mieux sculpté que celui de l'homme. Sans doute la tête du veau semble liée à celle du personnage, et ses pattes sont grossièrement ramenées en avant en une seule masse. Mais par contre nous trouvons un modelé très délicat et très naturel dans le dos et la cuisse où l'artiste, précisément parce qu'il copiait simplement sans souci d'originalité, s'est le plus rapproché de la vérité.
Le style et la technique de cette statue nous présentent l'auteur comme un artiste qui cherche à s'affranchir des routines traditionnelles et à unir aux procédés anciens des procédés nouveaux ; par là son œuvre est une œuvre de transition.
En un mot, avec bien des défauts d'archaïsme, nous devons noter ici un progrès vers la vie, une tendance vers l'expression naturelle, un effort spécial pour particulariser le sujet. L'artiste reste à la fois engagé dans la tradition ancienne par les défauts de la statue et fait un pas en avant par les qualités des parties où, suivant son inspiration, il ne craint pas d'être novateur.
Nous n'avons point encore dit quel personnage représente la statue.
Est-ce un homme? Est-ce un dieu? Et si c'est un dieu, est-ce un Hermès ou bien un Apollon? On admet en général que c'est un Hermès. Hermès en effet avait été berger et avait gardé des troupeaux.
Aussi le voyons-nous très souvent représenté portant un mouton sur ses épaules (Hermès Criophore). D'autre part Apollon était adoré sous le nom de Nomios. Mais il faut avouer qu'il n'y a point d'œuvre où il nous apparaisse portant un veau sur ses épaules.
Pour nous, il nous semble bien plus naturel de voir dans le personnage un simple sacrificateur portant sur les épaules le veau qu'il va égorger. Nous voyons en effet dans les frises du Parthénon un grand nombre de prêtres entraînant des animaux au sacrifice. Il est donc bien juste d'ôter à cette statue le nom d'Hermès Moschophore pour lui donner plus simplement celui de Sacrificateur.
N.-B. On a découvert en 1888, sur l'Acropole, un bloc de marbre de 0m44 de haut sur om90 de largeur, qui servait probablement de base à la statue du sacrificateur. En effet le marbre qui compose ce bloc est bleu gris comme celui de la statue; et de plus l'un et l'autre ont été trouvés à la même place.
La face antérieure du bloc est occupée par une inscription en caractères attiques de la première moitié du vie siècle. A droite, à l'endroit où la pierre est cassée, aussi bien qu'à gauche, il y avait place pour
deux lettres qui ont disparu et qui étaient selon toute probabilité K et Y. De sorte que l'inscription entière serait :
K]<$jJt.6oç • àvéOexev : Fo llD\o[ u.
On ne sait si Kombos, fils de Palos, est un sculpteur, auteur du groupe, ou simplement celui qui consacra l'ex-voto.
Bibliographie. — Conze, Arch. Zeitung, 1864, tab. 187 ; p. 169. — Overbeck, Griech. Plastik', I, p. 148. — Murray, History of greek sculpture, I, p. 188, fig. 31.
— V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 162. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 71. —
Wolters, Gibsabgûsse zu Berlin, nO 109. — Winter, Mitth. deut. a. Inst. in Athen, XIII (1888), p. 113. — Brunn, Denkmœler Griech. und Rœm. Sculpt. (herg. von Brukmann), nO 6.
L. BRUGEAS.
27. — Sphinx de Spata.
Cette œuvre, en marbre, découverte à Spata (Attique), se trouve maintenant à Athènes. Peu de mutilations à relever : seules les extrémités des ailes et les pattes ont été brisées, ainsi que quelques parties de la queue.
C'est au VIe siècle av. J.-C. qu'il faut faire remonter cette représentation d'un monstre fabuleux : tête de femme, corps de félin auquel sont adaptées des ailes. On peut indiquer à l'appui de cette opinion une foule de détails archaïques. Et d'abord la curieuse position du Sphinx dont le corps est vu de côté tandis que la tête est vue de face; à ce sujet un rapprochement est tout indiqué avec l'Artémis ailée de Délos (n° 10), dont le buste vu de face est posé sur le reste du corps vu de côté. Il y a d'ailleurs d'autres rapports entre ces deux œuvres.
Sans parler des défauts dans l'exécution, notons l'expression du visage, moins grossièrement sculpté toutefois dans le Sphinx, l'arrangement des cheveux sur le front, en bandeaux ondulés, et la façon dont sont sculptés les yeux, par exemple, larges et à fleur de tête avec des paupières à peine indiquées par un léger trait saillant.
Comme l'Artémis, le Sphinx porte un diadème; ce diadème, aplati à sa partie supérieure comme si la statue avait dû servir de cariatide, était orné en outre à sa partie antérieure de trois rosettes peintes. Le monstre est couvert d'écaillés sur le poitrail et sur une partie du flanc
qui se trouve du côté du visage. L'autre flanc en effet et la partie postérieure de la tète n'étaient pas destinés à être vus : aussi ne distingue-t-on de ce côté aucun détail de plumes, ni d'écaillés, ni de chevelure. Cette œuvre était faite sans doute pour être placée dans un endroit élevé et très probablement elle se trouvait sur le couronnement d'un monument funéraire.
Comme un grand nombre d'œuvres archaïques celle-ci était peinte; elle porte au visage des traces de couleur; les ailes étaient rouges et gris-brun, la chevelure brune; nous avons signalé les rosettes coloriées du diadème.
Quant à la technique de ce sphinx, il y a peu de remarques à faire, si ce n'est la façon assez heureuse dont l'artiste a exprimé le corps même du monstre qui manque cependant de détail anatomique ; ce n'est pas le seul exemple où l'on puisse noter plus d'adresse à représenter les formes animales que les formes humaines.
Bibliographie.— Mitth. deut. a. Inst. Athen, IV, pl. 5, p. 68 (Milchhoefer) ; cf. VI, p. 179. — Lucy Mitchell, A history of anc. sculpture, p. 215. - Wolters, Gibsabg.
zu Berlin, nO 103.
E. SAUVIER.
28. — Guerrier (Petit bronze archaïque trouve à Olympie).
Au sortir de la série des Apollons archaïques que caractérise surtout la raideur de l'attitude, l'impression que laisse cette statuette • est toute nouvelle. La jambe droite, résolûment jetée en avant, le jarret tendu, les positions différentes des deux bras, donnent l'idée du mouvement naturel au type que l'artiste a représenté : un guerrier combattant.
Des deux bras, franchement séparés du corps, le droit, mutilé à la hauteur du poignet, est projeté en avant et forme au coude un angle légèrement aigu. La main devait tenir une arme. Le bras gauche ne porte aucun attribut; développé et intact dans toute sa longueur, il oblique sensiblement à partir du coude et la main semble prête à s'appuyer sur la cuisse. Tous deux sont assez étudiés et le biceps y fait hardiment saillie : cette saillie est peut-être exagérée à gauche, car la position sinon naturelle, du moins peu gênée du bras n'exige pas un effort susceptible d'entraîner un tel renflement. Comme dans
l'Apollon de Naxos (n° 22), nous pouvons remarquer ici un allongement excessif des phalanges, qui rend la main trop grande. Les jambes, coupées toutes deux à la cheville, n'ont pas ce défaut ; et même, vues par derrière, elles témoignent d'un examen assez approfondi de la tension des muscles. Le jarret est fermement arqué, les cuisses ont, à la hauteur du fémur, une courbe assez pure ; et, si l'on ajoute que selon la tradition archaïque les rotules sont étudiées avec grand soin, on constatera que l'artiste est déjà maître de lui et n'a plus, dans le dessin et le modelé des membres, l'hésitation de ses devanciers.
Le torse est recouvert d'une cuirasse, dont le col effleure la naissance du menton et se continue derrière la tête, et qui, à la hauteur du nombril, s'évase tout autour du corps; les lignes de l'armure sont assez soignées, les jointures du métal sont très visibles sur les épaules.
Mais, dans cette statuette comme dans bien d'autres, la démarcation n'est pas bien nette entre le vêtement et le nu. Alors que la cuirasse semble d'une seule pièce du ventre au cou, on est tout étonné de voir, et bien clairement, les seins très nettement marqués et la ligne des côtes indiquée — toute trace d'archaïsme n'a pas encore disparu par une sorte d'accent circonflexe assez aigu. Quoi qu'il en soit la poitrine est bien bombée et les omoplates sont d'une netteté peu hésitante. Peut-être le ventre est-il un peu creux et les fesses sont-elles trop saillantes; là apparaissent les restes des défauts archaïques.
Il semble que l'artiste se soit plutôt préoccupé de l'équipement que de la musculature, bien que celle-ci soit assez soignée aux bras. Le casque, comme celui de quelques-uns des guerriers d'Egine, emprisonne complètement la tête et ne nous laisse voir que les yeux, le nez et la bouche, avec une partie du menton. C'en est assez pour nous faire constater que ce visage ne dénote pas de grands progrès; le nez trop long et trop aigu; les yeux aux paupières très larges et aux sourcils très arqués, le menton pointu rappellent bien des hésitations de l'archaïsme. Le casque, surmonté d'un énorme cimier, laisse échapper un flot de cheveux, qui, par six rangées de boucles de moins en moins larges, descendent au milieu du dos. Les diverses pièces de ce casque sont bien vues et soigneusement séparées. Les jambes, depuis les genoux, sont couvertes de cnémides semblables à celles de quelques statues du temple d'Egine; les cuisses sont absolument nues.
C'est l'équipement des guerriers homériques (voy. Helbig, Homerische Epos, XXI, XXII).
C'est donc surtout dans l'armement qu'éclate l'originalité de l'artiste, ce qu'on ne saurait lui reprocher puisqu'il voulait représenter un guerrier. Sans être très en progrès, le nu est soigneusement traité et l'auteur a réussi à donner l'impression d'un soldat prêt à agir. Il a le mérite d'être sorti des types généraux et d'avoir cherché du nouveau, en spécialisant.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, V. taf. 274 ; p. 17. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 341. — Wolters, Gibsabgusse zu Berlin, no 360. - cf. Julius, Zwei peloponnesische Bronzen, dans Mitih. dent. arch. Inst. Alhen, 1878, p. 14, tab. I, (bronze de Selinus en Laconie).
Aug. MILAA.
29. - Zeus.
Figurine archaïque en bronze trouvée à Olympie.
Le dieu se reconnaît à sa longue barbe, à ses moustaches, à son abondante chevelure répandue sur le dos et serrée sur le crâne par un cercle en bourrelet; il est de plus vêtu, ce qui sert le plus souvent, dans l'art archaïque, à le distinguer des divinités plus jeunes ou moins graves, comme Apollon ou Hermès.
Il semble être en marche, puisqu'il avance le pied gauche ; ses deux bras sont pliés au coude et portés en avant; le droit est plus écarté du corps et plus relevé que le gauche; les mains sont fermées, et dans la gauche il reste encore un fragment d'attribut, peut-être de foudre. Le vêtement se compose simplement d'un grand manteau qui passe en écharpe de gauche à droite, laissant nus l'épaule, le sein et le bras droits; il couvre tout le côté gauche et le bras gauche jusqu'au poignet, est rejeté par derrière et se termine en pointe sur les reins et la cuisse gauche; il tombe en bas jusqu'au mollet. L'étoffe sans être collante, est assez tendue par places, surtout sur la jambe droite, pour dessiner nettement les formes.
Le style de la figurine est nettement archaïque, l'attitude est celle que nous ont déjà fait connaître l'Apollon de Kanachos et ses répliques (n° 21, 22); la chevelure est traitée dans le goût des plus anciens Apollons; la barbe a la forme que nous avons notée par exemple dans les figures du bas-relief de Samothrace (n° 3). Le visage n'a pas ici de sourire archaïque, mais il est large, les traits en sont épais et mal dessinés; les yeux, en particulier; sont taillés en amandes, gros et à fleur
de tête ; les oreilles sont trop grandes et placées trop haut; les lèvres sont trop épaisses.
La surface du bronze est couverte de scories, et l'on juge avec peine l'anatomie du nu; on voit cependant qu'il y a là des erreurs (avant bras trop longs, mains et pieds démesurés, allongement exagéré des jambes par rapport au torse), et cependant il y a quelqu'élégance dans les rondeurs de la poitrine, dans l'amincissement de la taille, et la ligne enveloppante du corps à droite. Ces qualités, jointes aux défauts précédents et à d'autres, tels que l'aspect raide et sec de l'ensemble, la rigidité des plis tous plats et sans ondulations, quelquefois même strictement parallèles, comme au-dessous du bras gauche, tout cela donne à la statuette l'intérêt qui s'attache aux œuvres de transition dont l'on ne sait encore si elles sont plus proches de l'archaïsme ou de l'art classique.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, taf. 28. — Bœtticher, Olympia, p. 234. — Furtwaengler, Die Broncefunde aus Olympia, p. 90. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 340; cf. p. 504.
LESPINE.
30. - Fragment de stèle funéraire représentant un Discobole (Musée de l'Acropole d'Athènes).
Ce bas-relief a été trouvé dans les ruines du mur de Thémistocles, à l'Acropole d'Athènes, en 1873.
Le cercle sur lequel se détache la tête du personnage est certainement un disque, comme le prouvent les restes de la main gauche qui le tenait. Il est disposé comme les auréoles autour de la tête des saints du catholicisme. Si l'on en juge par la forme du fragment, il provient d'une de ces stèles oblongues dont les trois monuments qui suivent sont les exemples les plus connus. Le Discobole devait être debout, la jambe gauche un peu en avant de la jambe droite, le bras droit pendant le long du corps, et le poing fermé appuyé contre la cuisse (Cf. nos 31 et une stèle attique du Laurion, Mith. d. a. Instit. in Athen, 1887, pl. X). L'athlète était sans aucun doute nu, puisqu'il est représenté en action, dans la palestre ou quelque concours public.
Ce fragment marque un grand progrès sur les tâtonnements des
premiers sculpteurs en relief qui se contentaient à l'origine de cerner par une ligne creuse les figures dessinées sur une pierre ou un marbre aplani; qui, plus tard, par le ravalement de la surface extérieure au dessin, avaient mis les figures en saillie. Les stèles de Mycènes sont des exemples de la première manière, et le bas-relief de Samothrace (n° 3) est traité suivant la seconde. Le bas-relief ne prit son caractère distinctif que du jour où les figures placées en saillie furent traitées comme les œuvres de ronde-bosse ; la stèle du Discobole en est, dans l'art Grec, un des plus antiques spécimens.
Le style est encore très primitif ; tandis que la figure est vue de face, l'œil est montré de profil ; il est dessiné en amande, un peu oblique, et très rapproché du nez. Le front fuyant, le nez assez fort et pointu, les lèvres qui esquissent un vague sourire, le menton saillant, et jusqu'à la chevelure tombant sur la nuque en une masse que serrent, à intervalles réguliers et dans le sens horizontal, d'invisibles liens parallèles, tout rappelle de très près l'Apollon de Ténéa (n° 16); notons pourtant ce détail différent, que l'extrémité des cheveux, à la naissance de l'épaule, est resserrée en forme de catogan par plusieurs tours de lacet apparent. Comme dans la tête de l'Apollon de Ténéa, la charpente osseuse du visage est traitée en vigueur et fait fortement saillie, par exemple la pommette de la joue et l'os maxillaire, tandis que les parties molles, comme la joue, sont plates et faiblement modelées.
La stèle du Discobole nous semble contemporaine de l'Apollon de Ténéa. Si le personnage n'a pas l'attilude raide et conventionnelle de l'Apollon, s'il fait un geste caractéristique, et se livre vraiment à une action — exprimée, il faut en convenir, avec beaucoup de naïveté et de maladresse — et s'il semble y avoir là manifestation d'un art plus avancé, il faut l'attribuer aux conditions mêmes du bas-relief, qui permet à des artistes même très peu hardis de représenter les membres, bras ou jambes, détachés du corps, et se mouvant, sans crainte de les briser.
Le mur de Thémistocles a été construit en 478; Thucydide nous apprend (1, 93) qu'on y employa nombre d'antiques stèles funéraires.
Cette indication est utile, car elle montre que la stèle du Discobole, déjà considérée comme antique en 418, est d'une époque encore plus reculée ; cette déduction concorde bien avec la donnée et le style du bas-relief, et donne de la force au rapprochement que nous avons fait.
En même temps que cette tête, on a trouvé un fragment de jambe
en relief que l'on prélend quelquefois avoir fait partie de la même stèle ; mais le style paraît plus ancien encore, et l'épaisseur de la plaque est moindre ; il semble donc qu'on doive renoncer à rapprocher les deux fragments.
Bibliographie. — Kirchhoff u. E. Curtius, Abhandlungen der Berlin. Akadem., 1873, p. 153. — 'Ecp?||JL £ pi.'ç (nouv. série), II, tab. 72. — Overbeck, Griech. PlastiP, I, fig. 27. — Murray, History of Greek Sculpture, I, fig. 36. — L. Mitchell, Ilist. of anc. Sculpture, fig. 108. - Rayet, Monuments antiques, I, 6, p. 7. — Daremberg et Saglio, Diction. des antiquités, fig. 1799. — M. Collignon, Arche'ol. grecque, fig. 40.
— Catalogue of Casts in Gypsum de l'atelier Martinelli (Athènes, 1881, frontispice).P. Paris, La Sculpture antique, fig. 59. — Wolters, Gibsabgiisse zu Berlin, nos 99 et 100 (ce dernier numéro concerne le fragment faussement rapporté à la stèle du Discobole).
E. DELAGE.
31. - Stèle funéraire d'Aristion.
Cette stèle, conservée au Musée central d'Athènes, a été découverte en 1838 près de Vélanideza, sur la côte orientale de l'Attique. Elle est l'œuvre du sculpteur Aristoclès, peut-être le fils d'Aristoclès le Cydoniate, l'un des maîtres de l'école de Sicyone ; elle représente un guerrier du nom d'Aristion. Ces deux renseignements sont fournis par une inscription en caractères archaïques, qui n'est pas reproduite sur notre moulage, et dont voici la disposition :
Ce bas-relief est, comme le précédent, un des plus anciens de l'école Attique. L'inexpérience du sculpteur s'y manifeste par de grosses et nombreuses fautes d'anatomie ; l'œil est présenté de face dans une tête
sculptée en profil ; l'oreille est mal placée. La main gauche est déplorable ; le sculpteur n'a pas vu que dans une main à demi fermée le revers et les différents doigts doivent occuper des plans différents ; il y a là un manque absolu de perspective. On retrouve ce défaut dans la jambe gauche qui devrait être au second plan, mais semble être au premier par la tension des muscles et par la précision du modelé.
Mais il serait injuste de ne voir que des défauts dans la stèle d'Aristion. Elle a sinon de la grâce, du moins une souplesse qui la distingue des œuvres en ronde-bosse de la même époque, comme les plus anciennes statues de la série des Apollons. Il y a une recherche assez heureuse dans le rendu des cheveux et de la barbe, dont les frisures marquent peut-être un reste d'influence étrangère (cf. la tête d'athlète de la collection Rampin). L'attitude est encore raide, mais non plus banale et de convention comme celle des Apollons ; si le bras droit est d'une anatomie un peu sèche et lourde, les genoux et les pieds, dont les doigts sont d'une finesse remarquable, sont travaillés avec art.
Le torse du guerrier est couvert d'une cuirasse rigide, qui depuis la taille acquiert de la souplesse au moyen d'une dentelure ; à la naissance du bras on voit sortir de sous la cuirasse une courte manche de chemise finement plissée ; la même chemise s'échappe aussi de la cuirasse, depuis la taille, et tombe en plis réguliers et secs jusqu'au milieu des cuisses ; les genoux et les mollets sont protégés par des cnémides à la mode homérique ; la tête était coiffée d'un casque dont le cimier a disparu avec le fragment supérieur de la stèle. C'est en somme l'équipement du petit soldat de bronze d'Olympie (n° 28) et de l'Héraklès archer du temple d'Égine (voy. Yindex).
Le guerrier tient de la main gauche, relevée à la hauteur dlrmenton, une lance dont l'extrémité repose sur le sol, près de son pied gauche.
Lorsque la stèle a été découverte, elle était peinte de couleurs très nettes, aujourd'hui presqu'effacées, et qui ajoutaient beaucoup d'intérêt au monument. Les parties nues avaient une coloration imitant celle de la nature ; les cheveux et la barbe étaient bruns ; le casque et la cuirasse étaient peints en bleu ; la cuirasse était de plus rehaussée d'ornements en rouge vif; c'étaient sur l'épaule une étoile, sur le sein une tète de lion, au-dessous des pectoraux une grecque formant ceinture, une double grecque autour de la taille ; le fond était peint en rouge.
Notons comme détails techniques que certaines parties, comme la pointe de la barbe, étaient rapportées ; on voit les trous où s'engageaient les goujons de raccord.
Les caractères typiques de ce bas-relief, d'accord avec la forme des lettres et la rédaction de l'inscription, permettent de fixer à la seconde moitié du VIe siècle la date de la stèle. C'est donc à tort qu'on la désigna d'abord sous le nom de « Soldat de Marathon ».
Bibliographie. — Revue Archéologique, 1844, pl. I. — Brunn, Bullettino, 1859, p. 195. — Laborde, Le Parthénon, tab. 7.— Museo Espanol, II, p. 174. — Overbeck, Griech. Plastik3, I, fig. 26. — Murray, History of greek Sculpture, I, fig. 33.— L. Mitchell, Hist. ofanc. Sculpture, fig. 109. — M. Collignon, Archéol. grecque, fig. 41.— V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 18. — Brunn u. Brukmann, Monuments, no 41. —
P. Paris, La Sculpture antique, fig. 60. — Wolters, Gibsabgilsse zu Berlin, no 101.
L. LESPINE.
52. — Stèle d'Alxénor de Naxos.
C'est une stèle funéraire en marbre grisâtre, trouvée à Orchomène et conservée à Athènes, Une inscription la désigne comme l'œuvre du sculpteur Alxénor de Naxos. Elle représente un homme debout, appuyé sur son bâton; de la main droite il tient par les ailes une grosse sauterelle qu'il présente à son chien; celui-ci essaye d'attraper l'insecte.
Le sujet, tout banal qu'il paraisse, a beaucoup d'intérêt; en effet, il ne peut être question de chercher ici quelqu'interprétation mythique; ni le personnage, ni le chien, ni la sauterelle n'ont aucun sens religieux ou funéraire. Le mort, car c'est bien un mort, est représenté dans une attitude familière, dans un acte insignifiant de sa vie rustique; à peine la nudité de l'épaule droite rappelle-t-elle peut-être que ce berger est héroïsé. Il y a là une inspiration qui, pour s'éloigner de celle qui a donné naissance au soi-disant Apollon de Ténéa, cette statue funéraire de type tout à fait idéal et conventionnel, n'en est pas moins habituelle aux Grecs ; les motifs familiers et réalistes, comme celui du monument d'Orchomène, se retrouvent maintes fois sur les stèles funéraires, dans toute l'étendue de la Grèce (voy. parmi beaucoup d'exemples, nOS 31,33,38,39 et Bull, de Corresp. helléll., 1888, pl. VI, XVI).
Ce bas-relief nous montre l'archaïsme grec sous un nouveau jour.
Les défauts sont bien les mêmes : raideur générale dans l'attitude, gêne dans les mouvements, erreurs d'anatomie et de perspective, naïveté maladroite dans l'exécution; notons ici que la tête s'incline durement et comme avec effort, que le chien se redresse et se retourne avec une gaucherie qui fait sourire ; le bras droit est mal attaché à l'épaule, l'avant-bras est trop long, le poignet incorrect et la main mal tournée; les deux pieds, qui passent l'un sur l'autre, sont mal agencés.; sans son bâton, l'homme tomberait; le pied droit, vu de face est d'un dessin, d'un modelé, d'une perspective inexplicables. La tète, quoique mutilée, a du caractère; les cheveux ont une disposition simple qui convient bien au personnage; le profil n'est pas vulgaire, et l'on ne s'afflige pas trop de voir que l'œil se présente de face; mais ce profil est trop nettement découpé ; il a trop d'épaisseur et fait sur le fond une saillie sèche et dure, comme une planche appliquée. Voici d'ailleurs bien des qualités : il y a, dans l'agencement du tableau, un sentiment déjà vif de la simplicité et de l'élégance, un goût déjà juste du naturel qui n'exclut pas le pittoresque, une observation trèsjranche des actions et des gestes de la vie journalière, tout cela joint à une certaine hardiesse qui, dans un sujet auquel la destination seule du monument donne un sens religieux, rompt avec les traditions et les conventions. Le groupe que forment ce berger et son chien est vivant; c'est la première fois qu'une œuvre grecque mérite sincèrement cet éloge.
L'inscription placée au-dessous du bas-relief est la suivante :
« Alxénor le Naxien m'a fait; regardez-moi. »
La forme des caractères aussi bien que le style du bas-relief permettent de rapporter le monument au commencement du ve siècle avant notre ère.
Bibliographie.- Conze u. Michaëlis, Annali, 1861, p. 81.— Conze, Beitrsege sur Gesch. der griech. Plastik, p. 31, tab. Xl. — Mitth. deut. arch. Inst. Athen., III, p. 315, no 3. — Overbeck, Griech. Plastik3, I, fig. 34. — L. Mitchell, Hist. of anc.
Sculpt. fig. 91. — M. Collignon, Archéol. Grecque, fig. 67. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 619.— Brunn u. Brukmann, Monuments, no 41. - P. Paris, La Sculpture antique, fig. 62. — Wolters, Gibsabgüsse zu Berlin, no 20. - Pour l'inscription, voy.
Kirchhoff, Studien% 73; Rœhl, Inscript, græc. antiquiss., 410.
P. P.
33. — Stèle funéraire du Musée de Naples.
Ce bas-relief, que sa forme et la palmette qui le surmonte désignent assez clairement pour une stèle funéraire, faisait partie de la collection Borgia. Il provient certainement de Grèce, mais on ne sait ni d'où ni quand il passa en Italie.
Le sujet est identique à celui de la stèle d'Orchomène (n° 32), seulement l'homme tient suspendu à la main gauche un petit objet de forme ronde qui peut être soit une grenade, soit plutôt un petit vase du genre des aryballes. La main droite est brisée et l'objet qu'elle portait à disparu. Raoul Rochette et Welcker ont cru que le sculpteur avait représenté le retour d'Ulysse à Ithaque, prétendant que le costume et le visage sont d'un héros, que d'ailleurs Ulysse est le seul personnage de la fable qui joue avec un chien; que l'objet attaché à la main gauche est bien une grenade, et ce fruit est souvent un symbole funéraire ; d'ailleurs la mort étant un retour à la vie, la représentation d'Ulysse s'explique d'elle-même sur un tombeau. Cela est beaucoup trop compliqué : comme sur la stèle d'Orchomène, il n'y a ici qu'un homme jouant avec son chien, sujet choisi par l'artiste à cause de sa familiarité même, et parce qu'il prête à un tableau simple, gracieux et touchant à la fois. Quant à la grenade il n'en est pas question ; c'est un vase à parfum comme en portaient souvent les Grecs, comme on leur en voit tenir sur de nombreuses peintures de vases.
Si, dans l'ensemble, il y a ici beaucoup de rapports avec la stèle d'Alxénor de Naxos, bien des détails diffèrent : le personnage n'a qu'un manteau court, qui laisse presque tout le torse nu (il est simplement retenu sous l'épaule gauche par l'extrémité du bâton) et ne tombe qu'à mi-cuisses. Le chien se retourne vers son maître, comme dans la stèle d'Alxénor, mais ses quatre pattes reposent sur le sol, à côté des pieds de son maître. Les fautes d'anatomie sont peut-être plus graves ici que dans le précédent bas-relief. Tout le torse et les deux épaules sont très mal dessinés, sans aucun sentiment du jeu des muscles ni de la perspective; le sculpteur n'a pas su prendre de parti, et le personnage n'est placé correctement ni de face, ni de profil, ni de trois quarts. Les bras sont particulièrement mauvais; les muscles biceps y font des saillies exagérées, sans proportion ni avec la longueur, ni avec la grosseur des avant-bras; la main droite est encore plus mal attachée
au poignet que dans le bas-relief d'Orchomène. La cuisse gauche est aussi trop développée, si on la compare à la cuisse droite et aux deux mollets; la jambe droite se présente de face, et est assez bien modelée, mais le pied, sans qu'on s'explique le mouvement de la cheville, s'est retourné brusquement, et il se présente de profil. Enfin la tête du lévrier est beaucoup trop petite pour son corps, et comme le mouvement du cou est tout à fait contre nature, il faut quelqu'attention pour l'analyser et s'en rendre compte.
L'œuvre, dans son ensemble, nous paraît donc inférieure à la précédente; les défauts ne sont pas des défauts purement archaïques; ils sont dus surtout à la maladresse du sculpteur. Cependant il y a un certain charme dans la composition; quelques morceaux, comme la jambe gauche, sont assez élégamment traités; la tête exprime une bonhomie naïve, et le bas-relief, quelles que soient son origine et son époque, œuvre originale d'un artiste naïf ou copie d'un imitateur maladroit, mérite l'attention que lui ont accordée quelques archéologues autorisés, par exemple M. Olivier Rayet.
Bibliographie. - Museo Borbonico, XIV, t. X. — Raoul Rochette, Monum.
ined. tab. 63, 1.— Annali, 1829, p. 138 ; 1861, p. 81. — Conze, Beitræge, tab. II, p. 34.— Rayet, Monuments de l'art antique, I, tab. 19. — Wolters, Gibsabgüsse zu Berlin, n° 21.
GAULLIEUR.
34. — Bas-relief archaïque d'Éphèse (Musée Britannique).
Ce fragment provient des ruines du temple d'Éphèse; mais tout porte à croire qu'il est bien antérieur à la construction du temple ionique qui fut terminé seulement vers 416 et que brûla Érostrate; c'est une œuvre du plus pur archaïsme.
Il reste trop peu du personnage pour que l'on puisse tenter une restitution; mais l'attitude du bras gauche pendant le long du corps, la façon dont le poing est à demi fermé, le pouce dirigé vers le sol, rappellent si nettement les statues des soi-disants Apollons, et quelques figures en bas-relief, comme le guerrier de la stèle de Marathon (n° 31), qu'on imagine volontiers le personnage planté avec raideur sur ses jambes à demi écartées, le bras gauche pendant comme le droit, ou tout au plus soulevant un objet jusqu'à la hauteur de la
taille. Le premier intérêt du bas-relief est donc de nous montrer une fois de plus la diffusion du type viril devenu conventionnel dans l'art archaïque.
Le personnage est vêtu; on distingue avec quelque peine une tunique collante à manches courtes, et fendue sur la cuisse qu'il laisse nue, un peu en arrière et au-dessus du poignet, puis d'une draperie, d'un himation si l'on veut, qui tombe très bas par devant en larges plis, moins bas par derrière en une pointe étroite. Ces plis, très plats et se recouvrant les uns les autres, sont obtenus par le même procédé artificiel que ceux de la statue de Charès (no 1) ; pour mettre en saillie une épaisseur d'étoffe le sculpteur se contente de ravaler le marbre tout le long d'un contour indiquant la forme du pli.
Le bras et la main, la chute des reins indiquent seuls quelque souci du modelé ; par devant, la figure est plate, sans qu'on puisse distinguer le passage de là poitrine et de l'estomac au ventre ; les fesses ne paraissent modelées que si on les regarde de profil ; il y a donc dans ce fragment une grande inexpérience et beaucoup de naïveté. Mais ce qui frappe surtout, c'est que la plaque sur laquelle se détache le personnage n'a pas partout la même épaisseur et que, par suite, le relief .du personnage lui-même n'est pas partout le même ; par devant il est moins engagé dans le bloc que par derrière. Cela prouve tout d'abord que le fragment ne provient pas d'une stèle funéraire ni d'une stèle votive, mais qu'il faisait partie de quelque décoration architecturale, et se trouvait placé de telle sorte qu'on devait le voir tantôt d'en face, tantôt de côté; or, pour produire de l'effet dans le premier cas il fallait que la saillie fût très prononcée ; on se rendra bien compte de cette nécessité si l'on regarde par la tranche un bas-relief très peu saillant comme la frise des Panathénées, par exemple. En somme, le sculpteur du fragment d'Éphèse a dû être conduit par les mêmes raisons que les sculpteurs des fameux taureaux ailés, gardiens des palais de Khorsabad, qui vus par côté étaient des bas-reliefs appliqués contre des murs, vus en face étaient de véritables statues en rondebosse, appuyées contre les portes monumentales. Du reste, un souvenir de l'art assyrien n'a rien de surprenant, à Éphèse, à la date reculée où nous ramène ce fragment.
Bibliographie. — Murray, Hist. of greek sculpture, fig. 20.
C. CLOLOGE.
35-36. — Métopes archaïques de Sélinonte.
Ces deux bas-reliefs en tuf, conservés au Musée de Palerme, ont été découverts en 1822 dans les ruines d'un temple dorien de Sélinonte, par les architectes anglais William Harris et Samuel Angell.
Il n'est pas douteux que ce sont des métopes.
Le temple d'où elles proviennent, sans doute consacré à Apollon, était l'un des plus anciens de la ville ; il remontait probablement à l'époque même de la fondation de Sélinonte, la fin du Vile siècle; telle est donc la date approximative des métopes; c'est elle aussi qu'indique le style de ces bas-reliefs.
Le premier, qui a été trouvé brisé en trente-deux morceaux, représente Persée coupant la tête de Méduse en présence d'Athéna. La déesse est debout, à gauche des spectateurs, le visage et le torse bien en face, les jambes tournées de profil; elle est vêtue d'une longue tunique talaire serrée à la taille, qui laisse seulement à nu le mollet et le pied droits, et d'un manteau dont deux pans tombent à plis réguliers sur la cuisse droite ; Persée, comme Athéna, présente le visage et le torse de face, et les jambes de profil; sa tète est couverte d'une sorte de béret plat à rebord, d'où s'échappent les cheveux ondulés autour du front et des tempes; il semble que le torse soit nu, mais la taille est serrée par une ceinture, et une chemise plissée tombe sur le haut des cuisses; il est chaussé de brodequins où s'adaptent par devant des ailerons ; son bras gauche est tendu, et sa main fermée est posée sur la tête de la Gorgone, comme s'il venait d'y enfoncer un poignard ou comme s'il avait saisi une touffe de cheveux; de la main droite il plonge une épée dans le cou du monstre qui, la tête hideuse, face large et bestiale, bouche énorme, dents en crocs et langue pendante, s'enfuit en serrant dans ses bras le cheval ailé Pégase. Le corps de la Gorgone, comme les deux autres, est vu mi de face, mi de profil ; la rapidité de sa course, comme celle de la statue de Délos (n° 10), est naïvement exprimée par l'attitude agenouillée. Il reste de nombreuses traces de couleurs : l'égide d'Athéna était peinte en brun rouge, ainsi qu'une bande en forme de méandre qui tombait du milieu de la ceinture; les yeux de la déesse étaient noirs, ceux de Méduse rouge ; l'aile de Pégase avait aussi reçu une couleur, maintenant indistincte, et tout le champ du bas-relief était de nuance rougeâtre.
La seconde métope (elle était brisée en quarante-huit morceaux) représente Héraklès vainqueur des Kerkopes, une sorte de génies, ou pour mieux dire de lutins malfaisants qui le tourmentaient. Le héros, nu, un large poignard attaché derrière lui par un baudrier, marche vivement vers la droite; il a attaché les genoux et les pieds des deux Kerkopes prisonniers, a serré leurs bras contre leur poitrine, et ainsi ligotés, il les a suspendus la tête en bas aux deux extrémités d'une branche. Il les enlève alors sur l'épaule, comme les porteurs d'eau transportent leurs seaux. Ici encore, les trois torses sont vus de face, les jambes de profil. Héraklès a les cheveux courts, les Kerkopes ont de chaque côté du visage trois tresses formées de boules, semblables à des chapelets, qui retombent par suite du renversement des têtes.
Le fond de la métope était rouge ; rouges aussi le baudrier et la ceinture d'Héraklès et les liens des Kerkopes.
L'un et l'autre bas-reliefs ont les mêmes défauts criants, une lourdeur et une grossièreté, une naïveté et une maladresse tout à fait rares même dans le plus primitif archaïsme. Toutes les faces sont larges, massives, hébétées; tous les corps sont mal construits : torses courts et trapus, bras gros, ronds et mous; cuisses énormes, genoux difformes, mollets et chevilles minces sans aucune proportion avec les cuisses — c'est un détail qui se retrouve sur un grand nombre de peintures de vases archaïques. — En particulier, la disproportion des deux jambes de la Gorgone est vraiment risible; nous avons déjà signalé ce parti-pris du sculpteur qui joint toujours un torse de face à des jambes de profil. La composition de la métope d'Héraklès est assez ingénieuse et pittoresque ; mais que le supplice de Méduse est naïvement disposé ! Cette déesse qui, présidant à l'action, regarde les spectateurs, ce héros dont les regards suivent ceux de la déesse, et qui semble étranger à l'acte qu'accomplissent ses mains, le monstre à genoux, qui, avant même que son sang ait coulé, tient dans ses bras le cheval auquel la tradition veut que ce sang ait donné naissance, tout cela amuse et fait sourire. Mais l'art est absent, comme il est absent de l'anatomie, du dessin et du modelé des formes.
Ce qui frappe encore plus que les fautes, c'est la nature même de ces fautes. Même dans les œuvres les plus grossières du plus lointain archaïsme, dans les statues de Théra (n° 15) ou d'Orchomène (n° 14) — on peut en parler ici, car les personnages de nos métopes sont presque des figures de ronde-bosse — on remarque un sentiment assez net de la vérité des formes, et, avec une observation attentive
de la nature, un effort certain pour l'exprimer, on est porté à croire que les sculpteurs cherchaient à copier des modèles. Ici, au contraire, l'artiste — car les deux œuvres semblent dues au même ciseau — semble laisser aller sa main à l'aventure; il taille à grands coups dans la mollesse du tuf des formes à peu près humaines, sans souci de l'exactitude anatomique, mais avec un assez curieux instinct du pittoresque; et l'on ne peut pas dire pourtant qu'il n'ait pas su observer : la façon dont Héraklès a lié et suspendu les Kerkopes, les cheveux des deux génies retombant vers le sol, sont des traits d'observation dont l'expression seule est naïve.
Nous sommes donc en présence d'œuvres particulièrement originales; cette originalité s'explique peut-être par ce fait que Sélinonte est une colonie; les métopes sont bien sorties de la main d'un Grec, mais ce Grec sans doute, loin de la mère-patrie, s'est quelque peu dégagé des traditions et des influences qu'il eût subies en Grèce même. On reconnaît pourtant les tendances du génie dorien dans ce goût pour les formes courtes et trapues qui est si évident ici ; l'on peut même rapprocher ces métopes, la première surtout, d'un basrelief assez connu de Sparte (n° 44); quelques traits, comme la disproportion des mollets et des pieds avec les cuisses, se retrouvent sur maints bas-reliefs doriens, par exemple une plaque de bronze repoussé et découpé, trouvée à Olympie, et représentant Héraklès archer (no 48).
Bibliographie. — Angeil and Harris, The sculptured Metopes of the ancient city of Selinus, pl. 6, 8. — Serradifalco, Antichità della Sicilia, II, tav. 25, 26. —
Müller-Wieseler, Denkm. der alten Kunst, 1, tab. IV, 24 et V, 25. — Benndorf, Metopen von Selinunt, tab. 1-2. — Overbeck, Griech. Plastik', 1, fig. 5. — Murray, IIist. of greek sculpture, fig. 14. — L. Mitchell, Hist. of anc. sculpture, fig. 110, 111.
— M. Collignon, Arche'ol. grecque, fig. 29. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 500, 605. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 73. — Wolters, Gibsabgiisse zu Berlin, nos 149, 150. DELAGE.
37. — Bas-relief athénien connu sous le nom de : « La Déesse en char. »
Ce n'est ici qu'un fragment d'un grand bas-relief dont on a retrouvé plusieurs morceaux en diverses places de l'Acropole, entr'autres le haut du corps d'un homme barbu, avec un grand chapeau, et l'arrière-train des chevaux traînant le char sur lequel monte la femme dont nous possédons le moulage.
Nous devrions dire le personnage, car les uns le tiennent pour un homme, les autres pour une femme. Mais cette dernière opinion est pour nous la seule soutenable, car la longue tunique talaire et le vaste manteau flottant nous rappellent le vêtement ordinaire des femmes ioniennes dans l'art archaïque, statues et bas-reliefs, et la coiffure en chignon deux fois relevé et noué sur la nuque est exclusivement féminine ; les monstres figurés sur la face nord du monument des Harpyes, par exemple, sont coiffés ainsi (no 41). Mais est-ce là une mortelle ou une déesse ? Une seule raison peut faire songer à une déesse, c'est qu'il était peu dans les mœurs grecques que les femmes montassent en char ; au contraire, nous savons que quelques divinités féminines, comme Artémis, se faisaient parfois traîner par des chevaux, et que très souvent la Victoire, Nikè, est représentée conduisant le char des héros ou des vainqueurs aux grands jeux helléniques.
Peu importe d'ailleurs : l'intérêt est dans la technique et le style du bas-relief. L'archaïsme s'y montre franchement dans la disposition des cheveux, dans l'aj ustement symétrique du péplos et la minutieuse régularité de ses plis ; mais il n'y a presque plus de raideur dans le mouvement du corps penché en avant et qui se hausse, dans l'attitude des mains tendues pour tenir les guides fermes. De plus, l'élégance du corps élancé et svelte, la finesse des bras et des poignets presque grêles, un soin curieux du détail et du fini, un sentiment déjà vif de la grâce plus encore que de la beauté féminine, sont bien les qualités qui caractérisent l'école atlique, même à ses origines lointaines du vi* siècle.
Le bas-relief de la femme en char, étant si mutilé, a perdu quelque peu de son importance depuis que les œuvres de même style se sont retrouvées en assez grand nombre ; il garde pourtant un bon rang parmi les œuvres archaïques de l'Acropole (1).
Bibliographie. —Schœll, Arch. Mitth. aus Griechenland, tab. 2, 4, p. 25, 11.
— Le Bas, Voy. Archéolog., tab. I. - Fellows, Discoveries in Lycia, p. 170. —
Overbeck, Griech. Plastik3, I, fig. 28. - Murray, Hist. of Greck Sculpture, I, fig. 34.
— L. Mitchell, Rist. of anc. Sculpture, fig. 136. — M. Collignon, Archéol. Grecque, fig. 43. - Bayet, Précis d'hist. de lai-t, fig. 9. — Brunn u. Brukmann, Monuments etc., no 21. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 63. — Wolters, Gibsabgüsse zu Berlin, nos 96, 97. — (Pour le premier fragment (Thésée ou Hermès) voy. Conze, Mémorie, II, tab. 13, p. 408). P. P.
(1) On a prétendu quelquefois que ce bas-relief provenait de la frise de l'ancien Parthénon, détruit par Xerxès. Cela n'est pas soutenable.
38. — Fragment de stèle funéraire attique (Musée national d'Athènes).
Ce bas-relief, tout incomplet et mutilé qu'il soit, occupe une place de choix parmi les œuvres de l'école attique archaïque, dont il reflète avec une extrême vérité les qualités et les défauts.
Le sujet n'est pas difficile à reconstituer; la stèle représentait une femme assise, et devant elle une femme debout, occupées l'une et l'autre à se montrer des objets qui ont disparu.
M. Rayet admet que c'est là une scène d'offrande, « une mortelle ou une déesse d'ordre inférieur adressant ses hommages à l'une des grandes divinités de l'Olympe, Déméter, Koré, Héra ou Aphrodite. »
Mais l'interprétation s'appuie sur cette remarque que « l'attitude de la jeune fille debout exprime non point la tendresse ni la douleur, mais un profond respect », et sur cette hypothèse que « de la main droite levée elle entr'ouvre son voile, de la main gauche elle saisit et relève le bord de son himation. C'est ainsi qu'une femme salue une divinité. » Mais, selon nous, la main droite n'entr'ouvrait pas le voile, elle portait un objet, comme nous le voyons sur la stèle de Pharsale (n° 39), et quant à l'attitude générale, elle nous rappelle tout simplement une attitude conventionnelle des femmes dans la sculpture archaïque, telle que nous la montrent parmi tant d'autres exemples, les statues de Délos, d'Éleusis et de l'Acropole (voy. n° U).
Nous sommes donc, contre M. Rayet, de l'avis de M. Schœne, qui croit à une représentation funéraire. C'est là un épisode familier, une scène fort simple de la vie féminine, comme les stèles trouvées dans tous les pays helléniques, en Thessalie comme en Attique, en fournissent de nombreux modèles. Ce fait que la femme debout est beaucoup plus petite que l'autre ne peut donner lieu à une objection ; si maintes fois les sculpteurs primitifs, en Grèce comme en Egypte ou en Assyrie, ont voulu distinguer les dieux des mortels par une simple différence de taille, procédé naïf, mais expressif, rappelons-nous aussi que l'isocéphalie est un principe qu'ont souvent appliqué les archaïques (voy. par ex. nos 2, 3), que Phidias lui-même, dans la frise des Panathées, a accepté et franchement appliqué, et qui consiste à varier la taille des personnages d'un même bas-relief, de telle façon que toutes leurs têtes soient à la même hauteur.
Quoi qu'il en soit, M. Rayet a très bien jugé la valeur artistique du fragment; il parle du « charme délicat » du bas-relief, et ajoute : « Si mutilé qu'il soit, ce marbre est un des plus précieux témoignages de l'habileté et des tendances de l'école de sculpture attique de la fin du vie siècle. Le peu de saillie du relief, l'élégance du dessin poussée jusqu'à la gracilité, le soin minutieux mis à reproduire les moindres détails et jusqu'à l'imperceptible plissé d'une fine tunique de lin, l'amincissement des poignets et la longueur des doigts sont autant de traits caractéristiques de cette école. On retrouve cette même préoccupation de la grâce et ce même goût du fini, dans la stèle de Xénophantos au Varvakéion, dans le bas-relief de la déesse montant sur son char, à l'Acropole (no 37) (ajoutons : dans la plupart des statues découvertes à l'Acropole depuis 1885, et que M. Rayet n'a pas connues). N'est-il pas d'un vif intérêt de noter dès cette époque chez les artistes athéniens ces mêmes qualités particulières qui, deux longues générations après, distingueront Alcamène de Pseonios, et plus tard encore, Praxitèle de Scopas » ?
Bibliographie. - TrendelenburgBullettino, 1872, p. 98. — Schœne, Griechische Reliefs, pl. XXIX, no 122. — 0. Rayet, Bull, de Corresp. Hellén., 1880, p. 550, pl. VI. — Brunn u. Brukmann, Monuments etc., pl. 17. —Wolters, Gibsabgüsse zu Berlin, no 102.
LAMBINET.
39. — Stèle de Pharsale (Musée du Louvre).
Ce fragment a été découvert en 1861 par M. Heuzey, dans l'église du Palio-Loutro, à Pharsale.
Deux femmes, vêtues absolument de la même manière, d'un simple diploïdion attaché sur l'épaule par une agrafe et laissant les bras nus, sont debout l'une en face de l'autre. L'une, à droite du spectateur, élève dans sa main droite, à la hauteur de son front incliné, une grosse fleura la corolle étalée et aux pétales recourbés; sa main gauche, que la cassure a malheureusement mutilé", tient contre la taille un objet indistinct; l'autre, la tête penchée de même, présente de la main gauche à sa compagne une sorte de bourse oblongue, et de la main droite élève une fleur sembable à la première. La scène est complète et ne souffre pour nous aucune difficulté d'interprétation : les deux femmes, les deux jeunes filles plutôt, se font l'une à l'autre
des présents, témoignages de leur amitié, et le fragment provient d'une stèle funéraire; c'est là un de ces épisodes familiers de la vie que les Grecs, comme nous l'avons déjà vu par plus d'un exemple (nos 32, 33, 38), aimaient à représenter sur leurs tombeaux.
L'intérêt du bas-relief n'est donc pas, comme on l'a soutenu, dans la représentation d'un sujet symbolique; il réside avant tout dans la composition et le style. Les deux jeunes filles se ressemblent d'une manière frappante, comme deux sœurs ; leur coiffure est la même, c'est-à-dire que leurs cheveux, formant un chignon arrondi sur la nuque, sont enveloppés dans une étoffe plusieurs fois enroulée, dont une pointe retombe sur la joue ; leur vêtement, nous l'avons dit, est le même; l'attitude du corps légèrement rejeté en arrière et de la tête penchée se répète de l'une à l'autre. Les mains sont habilement rapprochées et agencées pour remplir le vide laissé entre les deux visages. Tout cela forme un ensemble élégant et gracieux qui contraste heureusement avec des traits évidents d'archaïsme, comme la forme des yeux dessinés de face dans une figure vue de profil, comme la raideur des plis tombants de l'épaule, et le modelé peu savant des bras nus, sans parler du sourire.
Ce mélange de maladresse dans l'exécution, d'habileté dans le groupement des figures et de goût dans le choix du sujet, marque bien l'époque du bas-relief, que l'on s'accorde à rapporter au commencement du ve siècle. La stèle de Pharsale restera longtemps, malgré des découvertes récentes, un des plus précieux monuments de la sculpture archaïque dans la Grèce du Nord.
Bibliographie. — Heuzey et Daumet, Mission archéologique de Macédoine, tab. 23, p. 415. Cf. Heuzey, Journal des Savants, 1868, p. 380. — Kekulé, Das Akademische Kunstmuseum zu Bonn, tab. 3. p. 9, 37. — Overbeck, Griech. Plastikl, I. fig. 29. —
Murray, Hist. of greek sculpture, I, fig. 57. — L. Mitchell, Hist. of anc. sculpture, fig. 131. — Rayet, Monuments antiques, Liv. IV, tab. 7. - V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 534. — P. Paris, La Sculpture antique, fig., 122. — Cf. Bull. Corresp. hellén., 1888, pl. XVI. — Wolters, Gibsabgûsse zu Berlin, no 41. BRUGEAS.
AO. — Stèle de Philis (Musée du Louvre).
Cette stèle funéraire, en marbre de Paros, a été trouvée par M. Miller, en 1864, dans l'île de Thasos.
Une jeune femme, Philis, fille de Kleomèdes, comme le dit une inscription gravée sur la bordure supérieure du bas relief (<I>tÀlç
KÀeoÕeo[]), est assise sur un tabouret, les pieds posés sur un escabeau à pattes de lion. La tête légèrement penchée sur la poitrine, avec une douce expression de mélancolie, Philis soutient de sa main gauche une cassette a demi ouverte d'où elle retire un petit rouleau d'étoffe ou de papyrus. Sur maints bas-reliefs funèbres où sont représentées des femmes occupées, comme ici, à quelque distraction familière, on les voit tenir une corbeille à laines, un fuseau, un miroir, une clef ; mais le rouleau de Philis est un exemple unique ; aussi a-t-on pu supposer qu'il symbolisait les goûts de cette femme pour les travaux de l'esprit, qu'il la désignait peut-être comme une poétesse. Pour nous, nous préférons voir dans cet objet une simple bandelette destinée à un usage de toilette. Son vêtement consiste en une robe talaire à longues manches par dessus laquelle est drapé un manteau qui enveloppe les jambes, et remonte, par derrière, jusqu'à la hauteur des épaules où il est retenu de manière à former une sorte de capuchon. Les cheveux sont enroulés dans un élégant bonnet qui s'arrondit sur la nuque, mais les laisse s'échapper sur le front en une double rangée de grosses boucles, tandis qu'en arrière ils sortent par une ouverture et retombent en forme de gland.
La technique du bas-relief est fort intéressante ; la saillie que forme le personnage est très basse ; elle est partout obtenue par un ravalement du fond, comme-par exemple dans le bas-relief de Samothrace (nO 3) ; mais le procédé est ici moins naïf, car en creusant plus ou moins profondément la plaque unie et planée du marbre, le sculpteur a obtenu des différences de relief qu'on ne remarque pas dans le fragment de Samothrace (cf. fragment de stèle attique, no 38). La couleur venait du reste en aide au ciseau ; il subsiste quelques traces de peinture sur les chairs, qui sont d'une teinte rosée; quelques détails, comme les courroies des sandales, n'étaient exprimés que par une coloration.
Quant au style, il est franchement archaïque, comme le montrent bien des défauts ; les proportions du corps, en général, sont mal observées ; l'oreille est placée trop haut et un peu de travers ; le profil de l'œil est irrégulier, les lèvres sont grosses et le menton trop épais.
La main et le pied droits sont incorrectement dessinés, et les plis des draperies, quoiqu'abondants et variés, paraissent secs et plats. Malgré tout, ce bas-relief a un charme tout particulier, qu'il doit à la finesse de certains détails, à la simplicité noble de la composition, et surtout à cette tristesse sans emphase peinte sur le visage de Philis. Ce n'est
pas une des œuvres les plus complètes de l'archaïsme ionien, c'est une des plus vivantes, et la seule où paraisse déjà, à l'époque archaïque, l'expression heureuse d'un sentiment intime.
Bibliographie. — Miller, Revue archéol., VIII (1865). — Prachov, Annali, 1872, tab. 4, p. 185. — Frœhner, Musées de France, tab. 39, p. 76. — L. Mitchell, Selections from ancient sculpture, taf. 21. — Brunn, Milnchener Sitzungsberichte, 1871, I, p. 333. - Wolters, Gibsabgüsse zu Berlin, no 36.
D. BOSMORIN.
41. - Monument des Harpyes (Musée Britannique).
Le tombeau connu sous le nom de monument des Harpyes a été trouvé en 1838 à Xanthos, principale ville de la Lycie, par l'anglais Charles Fellows. Les bas-reliefs qui l'ornaient se trouvent aujourd'hui au British Muséum.
La ville de Xanthos, distante de la mer de huit kilomètres, est située sur le versant occidental d'un des contreforts projetés vers le midi par le massif du Massicytos. Ses habitants se rendirent célèbres dans l'antiquité par les deux sièges héroïques qu'ils soutinrent, l'un en 540 contre le satrape Harpagos, lieutenant de Cyrus, l'autre en 43 contre Brutus qui voulait y lever des contributions de guerre. La ville ne se releva point de cette dernière défaite ; elle fut laissée dans un demi-abandon, ce qui explique pourquoi tant de monuments anciens y ont été trouvés.
Celui dont nous avons à nous occuper ici a la forme singulière d'un tronc de pyramide ; sa hauteur est de plus de neuf mètres. Il est formé d'abord par un soubassement monolithe de plus de six mètres, puis par une chambre funéraire décorée sur ses quatre faces de dalles de marbre sculptées; on a accès à l'intérieur par un trou rectangulaire juste assez grand pour-qu'un homme puisse y passer. Au-dessus se trouvent une corniche formée de trois assises en encorbellement et enfin un bloc rectangulaire qui peut-être était destiné à fixer par un poids l'énorme corniche, et peut-être aussi servait de base à quelque groupe sculpté qui couronnait l'édifice.
On trouve d'ailleurs en Asie Mineure plusieurs tombeaux de ce genre. M. Rayet l'a comparé au tombeau de Cyrus à Pasargades, tel que nous le décrit Strabon (XV, ni, 7). « C'est une tour pas très
grande, dont la partie inférieure est massive et dont le haut, surmonté d'une toiture, renferme une chambre dont l'entrée est tout à fait étroite ». Arrien (Anabase, VI, 29) dit de même que «l'entrée de la chambre était si étroite qu'à peine si un homme pouvait y passer ».
Décrivons successivement les quatre bas-reliefs. On n'y voit plus aujourd'hui trace de couleur; il est probable pourtant que le fond était peint.
Le côté ouest était celui par où l'on entrait dans la chambre funéraire. Aux deux extrémités, deux femmes assises sur des trônes se font face. Le trône de gauche est un siège de Chios aux pieds de métal; les bras sont supportés par un sphinx, animal qui figure sur les monnaies et les poids de Chios. Le trône de droite est un trône milésien aux pieds en bois, semblable aux trônes des statues des Branchides (no 1); des têtes de béliers décorent les extrémités des bras; les montants se terminent en cous de cygnes. Les deux femmes sont assises dans une attitude rigide, les pieds appuyés sur un tabouret. Elles portent le même costume, une longue robe à petits plis ondulés et un manteau d'étoffe plus épaisse. Elles diffèrent par l'âge et la physionomie. Celle de gauche est plus vieille ; son visage est plus grave, ses formes plus pleines. L'arrangement des cheveux. est d'une simplicité sévère. Sur sa tête est une couronne; de sa main droite étendue elle tient une phiale, le vase des libations ; son bras gauche est levé, mais la main est malheureusement brisée. L'autre femme est plus jeune et d'allure plus dégagée ; ses cheveux serrés par un diadème sont ondulés sur le front et forment sur la nuque un chignon frisé. De sa main droite elle tient une fleur qu'elle approche de ses narines ; dans sa main gauche est une grenade ou une tête de pavot. Vers elles s'avancent trois jeunes filles, la tête ceinte d'une stéphané, comme les femmes assises.
La première entr'ouvre son voile comme pour adresser un salut; la deuxième tient une tête de pavot et une fleur et la troisième un œuf.
La tête de pavot, la grenade et l'œuf, germe non développé, étaient les offrandes réservées aux dieux chtoniens. Selon certains critiques, ce bas-relief représenterait Déméter, Coré et les trois Heures. Auprès de la femme de gauche se trouve la petite porte surmontée d'une vache allaitant son veau; c'est là un symbole oriental indiquant la fécondité de la nature (Longpérier, Notice des antiquités assyriennes du musée du Louvre, 3e éd., 1854, n° 390).
Le marbre du côté est se trouve fort détérioré ; il faut en attribuer la cause aux vents froids soufflant du Massicytos. Sur un trône dont
les bras sont supportés par des tritons est assis, tourné vers la droite, un homme barbu dont la main gauche est appuyée sur un sceptre et dont la droite élève une fleur. Derrière lui sont debout deux personnes dont l'une porte une tête de pavot ; vers lui s'avancent un enfant qui présente un coq et un jeune homme que son chien accompagne et qui fait de la main droite le geste de la prière. Dans l'homme qui est assis on a parfois voulu voir le dieu Asklépios, derrière qui se tiendraient ses filles Hygie et Panacée, à supposer, comme on l'a prétendu, que ce soit là deux femmes. Ce n'est pas notre avis.
Il nous reste à parler des bas-reliefs nord et sud ; ils présentent un groupe central de deux personnages encadré entre des figures placées systématiquement à droite et à gauche et qui ne semblent pas mêlées à la même action. Dans le groupe central du nord, un homme assis sur un trône reçoit un casque que lui tend un jeune guerrier debout devant lui. Ce guerrier est armé à la grecque comme le prétendu Soldat de Marathon (n° 31), et porte au côté un grand couteau à un seul tranchant. Sous le trône est un animal dont il est difficile de distinguer l'espèce : selon Wolters, ce serait un ours, selon Rayet, un chien; mais ne serait-ce pas plutôt un cochon? Dans le groupe central du sud, on voit un homme imberbe assis, le sceptre appuyé sur l'épaule, une grenade et un fruit rond dans la main; vers lui s'avance une femme qui a la main droite ouverte, pour lui adresser une prière ou l'adorer, et qui de la main gauche tient par les ailes un gros oiseau.
Les extrémités des faces nord et sud sont occupées par des êtres étranges. Ce sont des oiseaux à la tête, à la poitrine et aux bras de femmes, au corps en forme d'œuf; on y a reconnu tout d'abord des Harpyes, qui ont donné leur nom à l'ensemble du monument; ils s'envolent en emportant entre leurs mains et leurs serres de petites figures humaines; dans le bas-relief du nord, à droite, on voit à terre une de ces figures qui semble assise; elle appuie son visage sur ses mains, et lève les yeux comme pour contempler le monstre qui s'envole.
L'interprétation de ces quatre bas-reliefs a donné lieu à bien des systèmes. Ainsi, Braun trouve que le personnage assis du bas-relief de l'est est Poséidon, ceux des bas-reliefs du nord et du sud étant Hadès et Zeus ; Curtius voit partout une continuelle allégorie de la vie et de la mort et prête au sculpteur inconnu de Xanthos les rêveries d'un philosophe allemand du xixe siècle.
M. Rayet garde un silence prudent; malgré son exemple, peut-être
bien sage, et sans nier d'autre part que peut-être l'influence de l'Orient,
qui est ici très évidente, a pu compliquer et rendre un peu obscures les conceptions du décorateur hellène, il nous semble que nous pouvons proposer, avec MM. Milchhœfer et Wolters, une explication très simple. Toutes les scènes reproduites sont, à n'en pas douter, des scènes d'offrandes; les personnages assis des faces est, sud et nord, n'ont ni dans leur attitude, ni dans leurs attributs, ni dans leur taille — s'ils sont plus grands que les autres, c'est qu'ils sont assis et que le sculpteur applique le procédé de l'isocéphalie - rien qui les désigne comme des immortels; nous n'y voyons que des morts héroïsés; de même les femmes assises du bas-relief ouest ne sont pas forcément des déesses; ni les objets qu'elles portent, ni leur costume, ni même leur diadème ne sont des insignes divins; nous n'avons pas plus le droit de les nommer Déméter et Coré que d'appeler les Heures les femmes debout entre elles, car les unes et les autres nous rappellent les nombreuses statues de Délos, d'Éleusis, de l'Acropole d'Athènes, sans que rien les distingue de ces figures où nous avons reconnu un type féminin archaïque devenu conventionnel au même titre que le type viril des prétendus Apollons. Tous ces personnages portent et s'offrent des fruits et des fleurs sans plus de souci de pensées symboliques que n'en ont les deux jeunes filles représentées sur la stèle de Pharsale, ou les personnages des stèles funéraires laconiennes (nos 44, 45 et 46).
Quant aux monstres qui occupent les angles des bas-reliefs nord et sud, ces oiseaux fantastiques sont-ils bien réellement des Harpyes, ces divinités bizarres dont il est souvent question dans les auteurs - anciens? Comme on Le voit dans Homère (Odyssée, XX, 66) et comme l'indiquent leurs noms (Aello, Ocythée, Ocypété, Nicothoé, etc.), elles étaient d'abord la personnification des vents; on en fit des puissances divines indisciplinées, filles de Thaumas, la mer tempétueuse, et de l'Océanide Electre, la mer calme et brillante, quelquefois divinités bienfaisantes, soit que sous forme de cavales, elles fussent fécondées par le vent, soit qu'elles ravissent les thons pour leurs adorateurs de Cyzique, mais le plus souvent divinités malfaisantes et infernales.
(Odyssée, I, 241; XIV, 371; XX, 66). Mais alors à quel titre paraîtraient-elles ici? Serions-nous, comme on y a pensé, en présence de quelqu'enlèvement semblable à celui des filles de Pandareus (Od. XX) ravies malgré les dieux pour être livrées comme servantes aux Harpyes? Devons-nous songer que les Harpyes paraissent ici
comme des monstres mangeurs d'enfants, destinés à montrer la cruauté des morts prématurées? Nous sommes plutôt porté avoir dans les soi-disantes Harpyes de simples Sirènes, comme celles qui décoraient tant de monuments funéraires attiques, comme on en peut voir dans les musées d'Athènes et représentées comme ici sous la forme d'un oiseau à tête de femme. L'air doux et bon de leurs visages semble confirmer notre pensée; elles semblent d'ailleurs plutôt embrasser tendrement et protéger les petits personnages qu'elles emportent que s'apprêter à les déchirer de leurs griffes et les manger.
Ces petites figures, d'autre part, nous semblent non pas des enfants, mais bien des eïBcoXa, symboles de l'âme du mort, tels qu'on en voit souvent peints, par exemple, sur les lécythes blancs de l'Attique (Pottier, les Lécythes blancs attiques) 1884).
M. Wolters a voulu faire de ce monument le type d'un prétendu art lycien. On a déjà pu comprendre, par les descriptions précédentes, que tel n'est pas notre avis : nous sommes en présence d'un monument de l'art attique, ou si l'on préfère, ionien. Il l'est par la conception des sujets, par le groupement et le vêtement des personnages, des femmes en particulier, surtout par le style dont les qualités d'élégance, de finesse et de précision sont celles des meilleurs basreliefs archaïques d'origine athénienne. Mais un Attique est-il venu en Lycie sculpter les parois du tombeau ; un sculpteur de Xanthos s'est-il inspiré d'une œuvre attique, ou bien encore le bas-relief de l'ouest, plus remarquablement sculpté que les autres, serait-il l'œuvre d'un maître grec, les trois autres étant celle de quelque élève indigène? Autant de suppositions entre lesquelles il est malaisé de choisir.
Dans tous les cas, on peut affirmer que le tombeau de Xanthos est peut-être le plus beau produit de l'art archaïque ionien ; pour trouver une sculpture de valeur égale, il faut lui comparer soit le bas-relief de Thasos (n° 43), soit le bas-relief de la villa Albani connu sous le nom de Leucothoé, sans parler d'œuvres moins considérables mais de même style, comme le bas-relief de la déesse en char (nO 37), ou le fragment de stèle funéraire n° 38.
Ne manquons pas enfin de signaler des traces non équivoques d'influence orientale : tel est le symbole assyrien de la vache allaitant son veau; telles sont les longues barbes et les amples robes flottantes des personnages assis : barbes et vêtements sont traités dans le style grec, mais sont des modes que n'adopta jamais la Grèce et qui viennent du bord de l'Euphrate ; les souliers recourbés à la poulaine que por-
tent une femme, à gauche du bas-relief ouest, et un homme (bas-relief sud) n'ont, eux non plus, rien d'hellénique; mais on les retrouve encore en Anatolie et en Syrie. Notons enfin que quelques figures, les figures viriles surtout, ont un style lourd et des formes pleines qui contrastent avec la technique deleurs vêtements et la grâce svelte des figures féminines ; cette lourdeur est un des graves défauts de la sculpture asiatique. Par suite l'œuvre a dû être faite à une époque où les influences grecques et orientales se confondaient en Lycie — ces dernières cédant du reste le pas — un peu avant la première guerre médique, sans doute quelques années après 540, date de la prise de Xanthos par l'armée persane.
Bibliographie. — Fellows, Journal written during an excursion in Asia Minor, p. 244 ; Discoveries in Lycia, p. 110; Monumenti, IV, tab. 2, 3. — Braun, Gesch.
der Kunst, II, p. 188; Annali, 1844, p. 133; Rhein. Mus., N. F. III, 1845, p. 481. —
Welcker, AUe Denkm., p. 240. — Panofka, Arch. Zeit., 1843, p. 49; cf. 1845, p. 69.
(Gerhard); 1855, p. 1; 1869, p. 10, 110 (Curtius); 1869, p. 78 (Conze). - Brunn, Mûnchener Sitzungber., 1872, p. 523. - Overbeck, Griech. Plastikl, I, fig. 36 (ensemble du monument), 37 (bas-reliefs); Atlas der Kunstmythologie, ire liv. tab. 1 a, 1 b, 1 c. — Murray, Hist. of greek sculpture,l, pl. III, fig. 22, 23, 24,25. — L.Mitchell, Ilist. of anc. sculpture, fig. 81, 88. - V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 547.— P. Paris, La sculpture antique, fig. 65.- Voy. surtout O. Rayet, Monuments antiques, IV, tab.
13-16. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, nos 127-130. — Sur les Harpyes, voy. Milchhœfer, Anfœnge der Kunst, 1883, p. 57. — Cerquand, Rev. archéol., 1860, t. II. —
Sur les Sirènes : Schrader, die Sirenen, 1868.- Axon, The myth. of the Sirens, 1881.
— Postgate, Journal of Philol., i880. - Cerquand, Les Sirènes, 1873, etc., etc.
DE CLKRCQ.
42, A, B, C, D. — Fragments archaïques de Xanthos, en Lycie (Musée Britannique).
Ces bas-reliefs en pierre calcaire ont été découverts, comme le monument des Harpyes (n° 41), par Ch. Fellows.
On a toujours mis quelque hésitation à croire que ces cinq plaques proviennent d'un même monument; mais seul Prachow a dit formellement qu'elles ne sont pas les restes d'une seule et même frise. Cette opinion est confirmée maintenant d'une façon définitive par une étude de M. P. Wolters. Il y a entre les divers groupes une unité de provenance et de style qui nous engage à les étudier ensemble, mais nous devons les distinguer en les décrivant.
A. — Personnage debout, de profil, tourné vers la droite; à en juger par sa coiffure, ce ne peut être qu'un homme; il est vêtu d'une longue robe assez ample qui fait à peine quelques grands plis par devant; une manche tombe jusqu'au coude; il lève la main droite jusqu'à la hauteur de son visage, portant sans doute un attribut qui a disparu.
B. — Un homme, que sa tunique courte serrée à la taille, ses jambes et ses bras nus et ses cheveux coupés à la naissance du cou désignent comme un serviteur, est placé derrière un autre personnage vêtu d'une robe finement plissée et d'un manteau passant en écharpe de l'épaule gauche à la taille, et coiffé d'une sorte de calotte d'où s'échappe par derrière une étroite mèche flottante. Tous les deux sont tournés de profil vers la droite; le serviteur porte de la main gauche un linge et devant lui est une sorte d'escabeau; l'autre a perdu les mains, et l'on ne sait à quoi il les employait. Entre les deux hommes apparaît un fragment de lit funéraire sur lequel était placé un cadavre dont on voit encore les pieds dressés les doigts en haut.
C. — Derrière un cavalier marchent six personnages vêtus, eux aussi, d'un manteau jeté en écharpe par-dessus une robe talaire de fine étoffe plissée. Du premier à gauche il ne reste qu'un fragment; le second, de profil, tenait un bâton sur l'épaule droite et de la main gauche un objet disparu; le troisième, également de profil, porte sur l'épaule gauche un bâton et dans la main droite une sorte de sceptre court à bout recourbé; le quatrième se présente de trois quarts et
retourne la tête qui paraît de profil; il tient aussi de la main droite un long bâton appuyé sur l'épaule et de la gauche le même sceptre courbe à son extrémité; le cinquième et le sixième sont de profil, ils portent les mêmes attributs, mais ce dernier est fort endommagé.
Toutes les têtes ont beaucoup souffert et sont indistinctes; seul le quatrième personnage semble barbu. Quant au cavalier, vêtu comme les piétons, il a les bras nus depuis le coude, ainsi que les jambes depuis le milieu de la cuisse ; il est assis très en arrière sur un cheval très gros et lourd, dont les deux sabots de devant sont placés plus bas que les sabots de derrière, comme s'il descendait un degré. Entre les deux oreilles, la crinière de l'animal, coupée en brosse le long du cou, a été nouée et se relève en forme d'aigrette; en guise de selle il porte une couverture que maintient une sangle sous le ventre, une autre en travers du poitrail.
D. — Cortège de deux chars séparés par un cheval de main que
conduit un palefrenier. Dans le premier char à gauche est assis un vieillard à longue barbe qui semble porter une fleur; à côté de lui, au second plan, est un jeune cocher imberbe. Le char est attelé de deux chevaux marchant d'un pas relevé; celui du second plan n'est indiqué que par un contour parallèle au contour du premier. Pour tout harnais, ils ont un collier assez étroit; pour tout ornement, une houppe en aigrette comme celle du cheval précédent; les crins de leurs queues sont serrés à leur extrémité. Le char qui chemine en avant a été fort mutilé ; une partie a disparu et l'on ne voit plus que la partie antérieure, très vague, du cocher. Les deux chevaux sont équipés comme les premiers. Le groupe central est beaucoup mieux conservé.
Le cheval est au premier plan, la queue et la crinière troussées comme nous avons vu celles des autres chevaux; il est couvert d'une chabraque retenue comme celle du bas-relief G. Derrière lui marche le palefrenier; on voit entre les pattes du cheval le bas de sa tunique et ses jambes nues; il porte, comme le serviteur du bas-relief B, les cheveux coupés courts sur le front et la nuque ; il a passé le bras et la main droite sur le dos du cheval et tient les rênes courtes, ce qui force l'animal à arrondir le cou et à porter les naseaux en arrière.
Que ces quatre tableaux doivent être groupés en un seul, que les deux derniers, C et D, proviennent d'un même monument, comme nous sommes portés à le croire, et les deux premiers, A et B, d'un ou de deux autres, peu importe : il semble bien évident qu'ils ont fait partie, les uns et les autres, de frises destinées à décorer de- riches tombeaux. Le bas-relief A se rapporte certainement à une scène d'exposition funèbre ; les autres deux peuvent, sans aucune difficulté, avoir fait partie d'une procession, et ce qui rend cette opinion très vraisemblable, c'estleur ressemblance signalée depuis longtemps avec les sculptures d'un célèbre sarcophage cypriote.
L'influence orientale est, surtout en C et en D, très manifeste.
M. Murray a noté que les housses des chevaux sont identiques à celles que l'on voit sur certains bas-reliefs de Persépolis au Musée Britannique, et il convient de rappeler à ce sujet que la Lycie fut longtemps une province de la Perse, Mais il faut surtout remarquer que nombre de monuments assyriens représentent des chars de la même forme que ceux du bas-relief de Xanthos et que les chevaux qui les traînent ont le plus souvent la queue et la crinière attachées comme en C et D ; les formes mêmes des chevaux de Xanthos, petits, trapus, avec des
jambes fines, le- cou trop court et la tête menue, se retrouvent en Babylonie, avec la même allure, et si l'on peut dire la même physionomie. Nous citerons, par exemple, dans Perrot et Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité, un bas-relief du palais d'Assourbanipal, à Kouioundjik (t. II, fig. 115) et le char de Senn.achcrib (fig. 211, cf.
fig. 221 et pl. X). On peut aussi rapprocher, avec les bas-reliefs des sarcophages d'Amathonte (ibid. III, fig. 415, 416, 420,421), les ciselures de la coupe cypriote trouvée à Préneste et conservée au musée Kircher, à Rome (ibid. III, fig. 543; cf. Patère de Dali, au Musée du Louvre, fig. 548). Quant aux piétons de la plaque C, on retrouve leurs longs bâtons et leurs sceptres recourbés au moins entre les mains d'un personnage assyrien dans le bas-relief de Kouioundjik (Mus. Brit.) où l'on voit Assourbanipal offrant une libation aux dieux après sa victoire sur le taureau sauvage (ibid. II, fig. 205).
Malgré tous ces rapprochements, le style des bas-reliefs est grec et nous ramène au temps de la sculpture archaïque. Les chevaux, équipés à l'assyrienne, sont grecs pourtant par la pureté des formes et la sobriété des ornements ; ceux d'Assyrie sont surchargés de nattes et de harnais brodés qui ont ici disparu; il y a du reste moins d'uniformité dans leur attitude que dans celle des chevaux assyriens, et par exemple, le cheval monté qui semble descendre un degré est dessiné dans une posture naïve qui dénote, avec bien de la maladresse, une curieuse observation de la nature. C'est là un trait purement hellénique. De plus, il est probable que bien des détails, comme les traits et les guides, étaient indiqués au moyen d'une coloration qui est dans le goût grec plutôt que dans le goût oriental. Si l'on en juge par les indications très vagues d'ailleurs que donne ce qui reste des visages, ils étaient de type grec archaïque; c'est aussi le style des vêtements simples et drapés avec élégance, suivant les plus anciennes modes.
La disposition des personnages en B et en C n'est pas maladroite. Il y a un effort assez heureux pour varier les attitudes de ces gens en procession et leur donner de la vie: c'est ainsi qu'entre deux groupes de deux hommes de profil se trouve un homme presque de troisquarts qui retourne la tête en arrière; que les uns tiennent leur sceptre de la main droite, les autres, alternativement, de la main gauche; ajoutons que les uns sont barbus, les autres sans barbe; que les serviteurs se distinguent des maîtres par la coiffure et le vêtement, etc.
En somme, il ne peut y avoir de discussion sur le style ni sur
l'époque de ces divers fragments; ils appartiennent à l'art grec archaïque et ne rappellent l'art oriental que par l'inspiration d'ensemble et quelques détails; il rentrent dans la même série que les basreliefs du monument des Harpyes, mais sont d'époque un peu postérieure, car les personnages ont plus de mouvement et de souplesse ; ils sont dus au ciseau d'un artiste moins enchaîné par les traditions et les conventions primitives.
Bibliographie. — Fellows, A Journal writen during an excursion in Asia Minor, p. 233 ] Discoveries in Lycia, p. 172, 176. - Prachow, Antiquiss. Monum.
Xanlhiaca, tab. 1,2, 3, 6b, h. — Cesnola, Cyprus, tab. 16.— Murray, Hist. of greek Sculpture, pl. IV, V, VI. — Benndorf und Niemann, Reisen in Lykien und Karien, p. 86. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, nos 131-135. — Wolters, Mitth, aus dem British Museum, § III (Archaïsche Reliefs aus Xanthos), dans lahrbuch des kais. deut. arch. Instituts, 1 (1886), p. 82.
P. P.
43. — Bas-reliefs de Thasos. —Apollon et les Nymphes, Hermès et les Kharites (Musée du Louvre).
Ces bas-reliefs ont été trouvés en 1864 par M. Miller à Panaghia, dans l'île de Thasos. Ils sont au nombre de trois et diffèrent par leur longueur, mais tous ont même hauteur, 0m93, et même épaisseur, 0m26.
Le bas-relief le plus long représente Apollon et un cortège de Nymphes; il a 2m09. Au centre se trouve une porte carrée dont le chambranle a un relief très accentué, surtout à sa partie supérieure.
A gauche de cette porte on voit deux personnages : Apollon, vêtu d'une tunique et d'un manteau ( èmojji/ç) plié en deux, agrafé sur l'épaule droite, et laissant l'épaule gauche dégagée. Le dieu tient dans sa main gauche une lyre dont les cordes étaient en métal ; dans sa main droite pendante était un plectre. Une femme se dirige vers lui, les deux bras levés pour le couronner. Dans la partie droite du marbre, trois femmes font face au groupe précédent, et semblent se diriger vers la porte ; toutes les trois avaient autour de la tête des couronnes de perles, de grains ou de fleurs, et il reste encore de petits clous en bronze qui les avaient fixées. Le costume de ces trois femmes est différent. La première a, par dessus sa tunique, un long diploïdion ; la deuxième est vêtue du péplos dorien; la troisième a une
tunique, et sur les épaules une yXaviç très échancrée dont le bord inférieur forme par devant deux pointes. Ces femmes tiennent dans leurs mains divers objets, ceintures, bandelettes et fleurs. Leur taille n'est pas proportionnée à la porte où elles semblent vouloir entrer.
Cette porte, dont le fond est nu, était probablement une niche destinée à recevoir la statue d'une divinité. Sur le linteau est l'inscription suivante :
(Nú¡J.rpr¡at\l xixTïdXXam vu[xcpY|Y £ TY| G^Xu xoù apasv a[j. pdX-1 TcpoaépSev* otv où ôéfxiç oùoi yoîpov. Où 'TC\t.tw\I{e;'t"\t.t. — Aux Nymphes et à Apollon Nymphégète sacrifie les victimes que tu veux, mâles ou femelles. La brebis et le porc sont interdits. On ne chante pas de péan).
Cette inscription montre bien que les femmes qui accompagnent Apollon ne sont pas les Muses, comme l'avaient cru d'abord quelques archéologues. Une inscription de très basse époque, gravée sur la traverse supérieure de la porte,
prouve que ces bas-reliefs ont servi, après la destruction du monument primitif, à la décoration d'un tombeau.
Les deux autres bas-reliefs, plus courts, représentent Hermès et les Kharites. Le premier des deux a 0m92 de long; on y voit trois femmes se dirigeant vers la droite. La première de ces femmes est vêtue d'une tunique double et d'un long manteau (tf/i-riov) ; elle élève la main gauche, et dans la main droite baissée tient un objet de forme indistincte, peut-être un fruit. La deuxième porte la tunique et l'épomis, dans sa main gauche est une guirlande. La troisième est vêtue d'une tunique à petits plis et d'un long ampéchonion;
dans sa main droite abaissée elle a une guirlande et elle élève la main gauche dans laquelle est un fruit, ou, suivant M. Rayet, un œuf.
Ces trois femmes avaient sur la tète des couronnes semblables à celles du bas-relief principal.
Le dernier de ces bas-reliefs n'a que 0m83 de longueur. Deux personnages y sont en présence; le premier est Hermès, barbu comme on l'a représenté jusqu'au milieu du VU siècle, la tête coiffée du irïXoç conique, vêtu de la chlamyde, les pieds chaussés de sandales sans ailettes. Il étend le bras droit en avant et tient dans sa main gauche un caducée dont les serpents entrelacés étaient en métal. Derrière lui s'avance une femme qui tient dans ses mains une guirlande ou une ceinture; on voit encore distinctement la couronne qu'elle a sur la tête. Au-dessous des pieds d'Hermès, sur la plinthe, on lit l'inscription suivante :
Xaptsiv alya où ôéjjuç oùBà Zetpov. Il n'est pas permis de sacrifier aux Kharites une chèvre ni un porc.
Les Kharites dont il est parlé ici ne nous sont point parvenues ; on ne peut, en effet, les reconnaître dans les trois femmes du deuxième marbre, car celles-ci ne peuvent, vu leur position, suivre Hermès, comme c'est la règle. Aussi, suppose-t-on, et avec raison, que ces trois basreliefs ne se suivaient pas et que les plaques intermédiaires sont perdues. Au-dessus du bras d'Hermès est une inscription fort difficile à lire ; M. Bergmann prétend qu'il y a 'AiroXXwv et que ce mot était précédé de yjxipt; M. Rayet a cru y voir les lettres MHS, finales du nom de Hermès. Les traces sont peu nettes et on ne peut se prononcer (1).
Ces trois bas-reliefs appartenaient, pense-t-on, à un grand autel élevé sur une place publique.
Ils n'intéressent pas moins la religion par les prescriptions de rituel que nous ont conservées les deux textes épigraphiques, que par les
(1) Un examen attentif du marbre original, au Louvre, ne nous a même pas permis de retrouver une seule de ces lettres. Ou toute trace de l'inscription a maintenant disparu, ou tous ceux qui ont cru l'apercevoir ont été trompés par un jeu de lumière. De pareilles erreurs sont faciles et assez fréquentes. P. P.
caractères particuliers du style. L'œuvre est archaïque, mais d'un archaïsme qui déjà se transforme et sent la transition, car on y remarque des inégalités frappantes; toutes les femmes, sauf celle qui couronne Apollon, sont bien telles que nous sommes accoutumés à les voir, élégamment drapées dans de longues robes et d'amples voiles, dont les plissés et les plis ont de la sécheresse malgré leur grand nombre; leurs gestes sont les mêmes gestes conventionnels que nous connaissons par les statues de Délos et de l'Acropole, par les basreliefs tels que ceux du monument des Harpyes; cependant il y a quelqu'effort pour introduire un peu de variété dans leur accoutrement et deux d'entre elles semblent avoir laissé la mode ionienne pour la dorienne. Hermès est déjà plus dégagé dans sa marche, son geste a plus de liberté ; le dieu est nettement désigné par son bonnet et son caducée, mais il est encore raide et anguleux. Apollon au contraire n'a plus d'archaïque que la symétrie maladroite et peu naturelle des plis de son manteau; par une heureuse innovation du sculpteur, qui rompt avec la routine, il se présente de face et le poids de son corps ne porte plus que sur la jambe droite, tandis que la gauche est légèrement infléchie au genou. Nous ne pouvons pas exactement nous rendre compte de la composition d'ensemble de cette frise; mais nous saisissons cependant un progrès dans la succession alternative des personnages virils et des femmes en procession, et cette recherche de la variété dans l'ensemble s'accorde bien avec l'effort vers la variété de détail, si bien que, sous tous ses aspects, le monument de Thasos nous ramène par ses défauts et par ses qualités à la fin du vie siècle, ou plutôt aux premières années du ve, M. Rayet précise, et dit : entre 480 et 450.
Bibliographie. — Perrot, Mémoire sur l'ile de Thasos, dans les Archives des Missions scientifiques et littéraires, 28 série, I, 1864. — Miller, Rev. archéol., 1865, II, pl. 25, 26, p. 438; Comptes-rendus de l'Acad. des Inscriptions, 1865, p. 381,405; 1866, p. 150. — Duvaux, Y Illustration, 1866, p. 37. — Adert, Comptes-rendus de l'Acad. des Inscrip., 1866, p. 146 •, Rev. archéol., 1866, I, 420. — Philologus, 23, 719. — R. Bergmann, Bullettino Romano, 1866, p. 14. — Conze, Reise auf den Inseln des Thrakischen Meeres. - l\Iichaëlis, Arch. Zeitung, 1867, p. I, pl. 217. —
Frœhner, Notice de la Sculpt. antique du Louvre, nos 9, 10, 11. — O. Rayet, Monuments de l'Art antique, lre livraison. — Overbeck, Griech. Plastik', I, p. 117, fig. 35. — Murray, Hist. of greek Sculpture, I, fig. 58. — L. Mitchell, Ilist. of anc. Sculpture, fig. 117. — M. Collignon, lIlythol. figurée, fig. 45. — V. Duruy, Rist. des Grecs, II, p. 126, 127. — Roscher, Ausfùhrl. Lexicon, p. 879-80 (art.
Charites). — P, Paris, La Sculpture antique, fig. 66.
G. ROQUES.
44. — Autel spartiate de Magoala.
Ce monument, d'un marbre gris-bleu, découvert dans les environs de Sparte, se trouve aujourd'hui au musée de cette ville : il affecte la forme d'une pyramide tronquée et servait sans doute d'autel. L'intérêt en est tout entier dans les représentations des deux faces antérieure et postérieure ; sur les faces latérales sont sculptés deux serpents qui se dressent sur leur queue recourbée. La présence du serpent, symbole de la mort, nous indique que ce monument, comme les stèles nos 45, 46 et 47, avait une destination funéraire.
Les scènes représentées sur les deux côtés principaux ont été interprétées de diverses façons. Certains critiques voient sur la face antérieure (a), celle vers laquelle sont tournées les têtes des deux serpents, la rencontre d'Oreste et d'Electre, et sur l'autre (b) Oreste tuant sa mère Clytemnestre. D'autres y reconnaissent (a) Polynice corrompant Ériphile et lui offrant un collier, et (b) Ériphile mise à mort par son fils Alcméon, vengeur de son père Amphiaraos. M. Lœschke et d'après lui M. Wolters proposent une troisième solution, peut-être trop subtile : le côté (a) représenterait sous les traits d'Amphitryon Zeus visitant Alcmène, le côté (b) Ménélas voulant tuer après la prise de Troie son épouse infidèle, mais se laissant circonvenir par sa beauté et l'épargnant. Bien qu'il soit difficile de se ranger à l'une ou l'autre de ces interprétations, la première nous semble la plus vraisemblable. Si l'artiste eût voulu représenter Ériphile dans les deux scènes, il lui aurait sans doute conservé la même chevelure, le même vêtement et il n'aurait pas senti le besoin de mettre ici une variété qu'il n'apporte ni dans le groupement des personnages, ni dans l'expression des visages.
Les deux personnages de la face antérieure sont debout. Oreste, qui se présente de profil dans l'attitude de la marche, porte le pied gauche en avant. Il enserre de son bras gauche le cou d'Électre; le bras droit brisé en partie tombe le long de la poitrine, légèrement portée en avant. Electre, les cheveux tombant en boucles sur les épaules, est vêtue d'une longue robe rigide. Elle entoure de son bras droit le cou d'Oreste. Le bras gauche, un peu rejeté en arrière, se replie sur la poitrine et soutient un ornement, sans doute une couronne. L'attitude et la technique des personnages du second groupe,
Oreste et Clytemnestre, sont identiques à celles d'Oreste et d'Électre.
Ici Oreste a de la barbe, sa chevelure est divisée en boucles qui retombent sur le dos et sur l'épaule. Sa main droite tient une épée qu'il enfonce dans la gorge de Clytemnestre. Celle-ci ne diffère d'Électre que par la chevelure et le vêtement; elle porte une longue tunique que recouvre une sorte de chiton passant sur le sommet de la tète comme un voile et retombant sur les bras.
La stèle de Sparte nous présente tous les caractères de l'archaïsme le moins développé. Mais ici il nous faut remarquer de plus dans la conception des mouvements et dans l'exécution des différents personnages une lourdeur particulière qui peut être imputée à l'origine dorienne du monument.
Les défauts, qui tiennent à une observation superficielle de l'anatomie ou à l'inexpérience de l'artiste, sont en très grand nombre. Dans le groupe d'Oreste et d'Électre, bien que les traits du visage endommagé par le temps se distinguent à peine, l'œil fendu en amande et mal placé, la chevelure tombant en nattes rigides grossièrement ondulées, nous rappellent les Apollons primitifs. De plus, Oreste semble ne pas avoir de cou ; sa poitrine est très grossièrement modelée, trop épaisse et trop courte; elle est vue de face, tandis que la tête et les jambes du personnage apparaissent de profil. La partie inférieure du corps est trop longue; il ne faut chercher non plus ni souplesse dans les attaches des membres, ni galbe dans leur modelé. Le bras gauche d'Oreste est beaucoup trop long ; le soin particulier donné aux mollets, l'amincissement des chevilles sont encore des traits d'archaïsme bien souvent observés. La jambe gauche est sur le même plan que la jambe droite. Le personnage d'Électre est d'une aussi grossière exécution : le bras droit en particulier, trop long, ne se détache pas de l'épaule; la robe tombe lourdement, raide et sans plis; nous y retrouvons, ainsi que dans plusieurs autres parties de ces basreliefs, les procédés de la sculpture sur bois usant des plans unis et sans rondeur.
Le groupe d'Oreste et Clytemnestre appartient à la même conception et offre dans son exécution les caractères d'une même inexpérience.
Les vêtements, les boucles de la chevelure et les bandeaux qui la retiennent, empruntaient ainsi que les parties plates du visage un peu de relief et de vie à la coloration. Les vêtements étaient garnis d'ornements peints analogues à ceux que nous voyons sur les vêtements des stèles assyriennes ou des vases grecs.
Bibliographie. — Conze u. Michaelis, Annqli) 1861, tab. d'agg.C, p. 34; Conze, Annali, 1870, p. 272; Philologus, XIX (1863), p. 113, tab. II. -- Heydemann, Arch. Zeitung, 1870, p. 21. — Lœschke, de basi quadam prope Spartam reperta. —
Dressell u. Milchhœfer, Mitth. deut. arch. Inst. Alhen, II, p. 301, no 6. — Overbeck, Griech. Plastik3, I, flg. 6. — Helbig, Home¡', Epos, fig. 24. — V. Duruy, Eist. des Grecs, I, p. 298. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, n° 55.
L. LESPINE.
45. — Bas-relief de Chrysapha.
Ce bas-relief en marbre gris bleu, trouvé à Chrysapha près de Sparte, appartient à toute une série de bas-reliefs offrant à peu près la même apparence et découverts séparément à Sparte ou dans les environs. Il a fait partie de la collection Sabouroff et se trouve actuellement au Musée de Berlin.
Un homme et une femme sont assis sur un trône dont les pieds sont sculptés en forme de pattes de lion, et dont le dossier est surmonté d'une palmette. Dressé derrière le siège on voit un serpent fantastique dans le genre de celui que l'on voit sur le bas-relief de Samothrace (no 3), ou sur la stèle funéraire en forme d'autel, trouvée à Sparte (n" 44). L'homme tient de la main droite un vase de la forme appelée cantharos. Sa main gauche restée libre est tendue en avant. Représenté de profil comme tous les personnages de cette stèle, celui-ci s'en distingue cependant par son visage qu'on voit de face.
Ses cheveux, lisses sur le sommet de la tête où ils devaient être peints, et serrés par un bandeau, forment sur le front une rangée de boucles qui va d'une oreille à l'autre. En outre, deux papillottes formées de petites boules juxtaposées sur un seul rang tombent symétriquement sur chaque épaule.
Quant au vêtement, il rappelle assez celui de la statue de Charès (no 1) par sa disposition et par la façon maladroite dont on a exprimé les plis. Il se compose d'un ample manteau enroulé autour du corps et dont l'extrémité rejetée sur l'épaule gauche retombe par derrière où elle figure comme une petite aile. L'épaule et le bras droit restent nus; au contraire tout le bras gauche est comme recouvert d'une longue manche.
La femme est vue complètement de profil; sa main droite posée sur ses genoux tient une grenade (?) ; de la main gauche tendue en avant elle écarte son voile. Sa coiffure diffère un peu de celle de son
compagnon : les boucles sont remplacées sur le front par un bandeau où les mèches de cheveux sont indiquées par des stries parallèles.
Une petite tresse s'en détache à la tempe et s'arrête à la naissance du cou, encadrant l'oreille.
Il reste à mentionner deux petites figures qui semblent être des adorateurs placés l'un derrière l'autre ; le premier, un homme, porte comme offrande un coq et un œuf; l'autre, une femme, porte une grenade et une fleur en forme de palmette; leurs têtes ne sont pas tout à fait à la hauteur des genoux des personnages assis.
On peut juger au premier coup d'œil de l'imperfection de cette œuvre : des formes anguleuses et dures, toujours incorrectes, des plans qui se coupent à arêtes vives, de choquants défauts de proportions dans le corps des personnages, une absence complète de modelé, aucune grâce enfin, voilà ce qu'on y remarque. L'œil de la femme assise, vu de profil et représenté de face, les oreilles largement étalées à plat contre le champ du bas-relief, témoignent encore de la maladresse de l'auteur, comme l'expression béatement stupide des visages prouve la naïveté de son imagination primitive.
Ces frappantes imperfections suffiraient presque à démontrer l'antiquité de cette œuvre qu'on s'accorde généralement à rapporter au vie siècle avant J.-C.; mais il y a d'autres indices encore. Et d'abord l'évidente influence de la sculpture sur bois qu'exerçaient primitivement les Lacédémoniens, si tant est que Skyllis et Dipoinos furent les premiers maîtres de leurs sculpteurs. Les arêtes vives qui limitent chaque forme, les reliefs à plans coupés dont nous avons parlé plus haut sont les traces les plus frappantes qu'on puisse relever.
Il faut aussi faire la part de l'influence orientale qui s'est exercée aux premiers débuts de l'art grec : les souliers relevés à la poulaine que porte l'un des personnages assis, les amples manteaux dont ceux-ci sont enveloppés et le geste d'adoration de leurs mains portées en avant à la mode égyptienne et asiatique; enfin le sujet même, la scène d'offrande représentée sur cette stèle qui se rapproche par là du monument des Harpyes.
On ne s'est pas toujours accordé sur le sens que l'on doit attribuer à la représentation de cette stèle. On a voulu d'abord, à cause du canlhare, y reconnaître Apollon et Ariane recevant les offrandes de deux adorateurs. D'autres, M. Milchhœfer, par exemple, ont vu ici une représentation des dieux infernaux dont le culte était plus particulièrement en faveur dans cette partie de la Grèce : Klymédos (Hadès)
et Chthonia (Perséphone). Cette supposition peu vraisemblable a fait place aujourd'hui à une explication beaucoup plus simple et généralement adoptée, d'après laquelle nous nous trouverions en présence d'une stèle funéraire où l'image des morts héroïsés est représentée dans une scène d'offrande. On est d'autant plus porté à se ranger à cette opinion qui est celle de M. Furtweengler que, sans compter les nombreuses stèles semblables à celles-ci, on trouve vers la même époque des scènes d'offrande analogues représentées sur d'autres bas-reliefs funéraires : nous avons déjà cité le monument des Harpyes.
La stèle de Chrysapha et les autres stèles de Sparte, sorte d'ex-voto consacrés à des morts, auraient donc servi à orner des tombeaux.
Cette opinion est d'autant plus vraisemblable que ces bas-reliefs ont en effet été trouvés séparément sur des tertres pierreux qui devaient être des sépultures.
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Bibliographie. — Dressel u. Milchhœfer, Mitth. deut. arch. Instit. Athen, II, p; 303, 443 sq., pl.XX-XXI. — Furtwgengler, Collection Sabouroff,ta.b. I. - Overbeck, Griech. Plastika, I, fig. 7 a. — L. Mitchell, Iiist. of anc. sculpture, fig. 100. — V.
Duruy, IIist. des Grecs, I, p. 257. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 72. — P, Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 58.
E. SAUVIER.
46. — Stèle funéraire de Laconie.
Stèle de marbre gris bleu trouvée à Sparte. Elle ne diffère de la précédente que par quelques détails de peu d'importance : la queue du serpent est enroulée derrière le trône et non par dessous, parce que l'un des montants du siège est formé par un animal assis qui envahit tout l'espace, et la disposition des deux adorateurs qui se trouvent presque de front. Cette stèle ne nous est pas arrivée intacte : non seulement elle a été brisée sur les bords, mais encore la figure et l'épaule du personnage assis ont été enlevées.
(Pour l'interprétation de cette stèle, voir la stèle no 45).
Bibliographie. — Dressel u. MHchhœfer, Mith. deut. arch. Inst. Athen, II, p. 307, pl. XXII. — Cf. Hirschfeld, Ballet., 1873, p. 166. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 59,
47. — Stèle funéraire de Sparte.
Trouvée à Sparte même, cette stèle est faite de même marbre que les précédentes et représente le même sujet avec des variantes intéressantes.
Au lieu de regarder la droite, les deux personnages sont tournés vers la gauche; mais ils sont du reste groupés de la même manière, l'homme au premier plan, vu de profil, mais la tête de face, la femme en arrière, complètement de profil. L'homme est entièrement vêtu d'une robe à longues et larges manches flottantes; il tient le canthare élevé de la main droite; sa main gauche, appuyée sur le bras du trône, porte une grenade. C'est aussi une grenade que porte la femme dans sa main gauche; l'autre main écartait sans doute le voile, mais le relief très indécis défend de l'affirmer. Le trône lui-même diffère de ceux des stèles précédentes, car le bras est terminé par une grosse tête de bélier. Mais ce qui est plus important, c'est que l'on ne retrouve pas ici les deux petites figures des adorateurs apportant aux morts leur offrande, et que le serpent, au lieu d'être derrière le trône, est en avant des deux personnages; son corps se dresse en zig-zag au-dessous du canthare.
Le bas de la stèle est brisé, et toute la surface du marbre est tellement usée qu'il faut quelque attention pour reconnaître tous les détails de la sculpture; quant au style, il serait téméraire de l'apprécier. Il semble pourtant moins sec et moins dur que celui des deux stèles précédentes et même, par exemple dans le visage de l'homme, vraiment rond et mou; mais cette impression est peut-être due simplement à l'usure des saillies.
Bibliographie. — Dressel u. Milchhœfer, Milth. deut. arch. Inst. Athen, II, p. 309, no 10, pl. XXIII; cf. IV, p. 127, 5. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 61.
E. SAUVIER.
48. — Stèle d'Olympie.
Plaque de forme, carrée, en bronze repoussé et découpé, conservée au Musée d'Olympie.
Il faut noter d'abord le mauvais état dans lequel le monument nous est parvenu : le cadre est brisé en plusieurs endroits, la
tête et le cou sont très endommagés; de plus, comme il arrive souvent, un dépôt s'est formé sur le bronze dont la surface n'est plus polie. Nous y voyons Héraklès accomplissant un de ses nombreux travaux. Le héros plie le genou et tire de l'arc ; à son côté est suspendu un grand carquois. Il est vêtu d'une tunique courte; ce n'est que plus tard que l'art lit de la peau du lion un de ses attributs.
L'attitude du personnage est conforme à celle de l'Héraklès que nous avons vu dans la stèle de bronze n° 4.
L'art est ici tout à fait primitif : si l'attitude du héros est assez naturelle, son corps est très grossièrement sculpté. La tête est si endommagée qu'on n'y peut distinguer aucune expression ; peut-être y verrions-nous la trace d'un sourire archaïque. La poitrine est faite sans aucun soin ; c'est un bloc à peu près quadrangulaire. Les membres sont mal attachés et fort peu proportionnés avec le reste du corps. On ne peut se rendre compte de la position du bras droit; le bras gauche trop grêle s'attache très mal à l'épaule. Nous pouvons remarquer dans le modelé des jambes beaucoup trop longues (surtout celle de gauche) la grosseur de la cuisse et l'amincissement de la cheville, caractère qui se retrouve dans un grand nombre d'œuvres archaïques, surtout chez les personnages des peintures de vases. La plaque d'Olympie est une œuvre du VIe siècle.
Bibliographie. — Ausgrabungen aus Olympia, IV, tab. 20, a. — Funde aus Olympia, tab. 27, a, p. 17. —Furtwaengler, Die B ronce funde aus Olympia, p. 99. Wolters, GÍpsabgüsse zu Berlin, n& 338.
LESPINE.
49. — Fronton du Trésor des Mégariéns à Olympie.
Les fouilles allemandes ont retrouvé l'emplacement et lessubstructions d'un monument de l'Altis que Pausanias (YI, 19, 42) décrit sous le nom de Trésor des Mégariens. C'était un petit édifice in antis surmonté d'un fronton triangulaire que décorait un bas-relief représentant la lutte des dieux et des géants. Les fragments réunis sous ce numéro sont les restes de ce fronton systématiquement brisé pour fournir à la construction de murs byzantins ou barbares. La matière est un calcaire friable qui se trouve en Élide.
Voici, selon M. G. Treu, comment les figures étaient disposées dans
le tympan. « Le champ du fronton, large de 5m50 et haut de Om73, était rempli par des couples de combattants et deux figures d'angle, en tout douze personnages. Au milieu étaient Zeus et un géant blessé tombé sur le genou. Adroite suivent, tournés vers l'angle, Héraklès avec un géant abattu et Arès agenouillé, également avec un ennemi étendu à terre devant lui; l'angle comprenait un géant tombé, dont la tête casquée remplissait le sommet. A gauche, dans une étroite symétrie, se trouvaient aussi deux couples de combattants : près de Zeus, Athéna sans doute et son adversaire, puis Poseidon et un géant abattu ; de l'angle du fronton un monstre marin venait au secours du dieu. » (Arch. Zeitllllg, 1880, p. 450).
Il y a dans cette restitution, à côté d'évidentes incertitudes, par exemple en ce qui concerne les deux figures d'angle, assez de réalité pour permettre de juger les intentions du sculpteur. La composition du tableau n'a d'autre unité que celle du sujet même; sauf aux angles, où la forme de l'espace à remplir ne laissait de place que pour un seul corps allongé, les combattants sont disposés par groupes de deux et chaque groupe représente un combat singulier où un dieu n'a qu'un seul géant pour adversaire ; il n'y a pas de mêlée, comme par exemple dans la bataille des Centaures et des Lapithes, au fronton ouest du temple voisin de Zeus ; au centre se trouvait non une figure unique comme dans les deux frontons de ce même temple, du temple d'Egine et d'autres encore, mais un groupe distinct auquel les groupes adjacents tournaient le dos. La composition nous paraît donc maladroite, sans unité, soumise aux lois d'une symétrie trop sévère ; nous sommes loin de l'imagination et de l'art que nous révèlent les antiques frontons de pierre calcaire récemment retrouvés et reconstitués à l'Acropole d'Athènes, bas-reliefs contemporains sinon antérieurs, où les personnages sont ingénieusement assemblés de façon qu'ils concourent à une action commune.
Par contre le style de la sculpture, tout archaïque qu'il soit, ne nous paraît pas médiocre. Un seul personnage nous est parvenu assez complet pour motiver un jugement, c'est le géant que Zeus avait pour adversaire au centre même du fronton. Le dieu, dont on voit seulement un fragment de jambe et un pied solidement planté sur le sol, l'a percé au flanc droit d'un fer dont il reste l'attache un peu au-dessus de la taille ; son bras gauche soutient encore son bouclier, tandis que du bras droit — brisé presque à l'épaule — il. essaie de repousser son vainqueur. Sa tête s'incline sur sa poitrine. Il y a dans ce mouvement
et dans cette attitude une observation sincère, et déjà du sentiment; le visage a comme une expression douloureuse, et tout le corps légèrement incliné en arrière, déjà presque incapable de se soutenir, semble s'abandonner au moment de la chute suprême. Il y a là, si nous ne cédons pas à une illusion que favorise l'état de délabrement du calcaire, un sentiment qui donne à cette figure une place à part dans les œuvres de la période archaïque. Nous ne pouvons par malheur savoir si les autres personnages avaient le même intérêt, car pas un ne peut être entièrement reconstitué, et les moins informes même des fragments méritent à peine d'être décrits. Nous retrouvons du moins partout les mêmes caractères nettement archaïques que nous constatons dans le géant : son armure est l'armure homérique ; il avait un casque à grand panache comme le petit guerrier de bronze trouvé aussi à Olympie (n° 28), une cuirasse serrée à la taille par dessus une fine tunique dont les plis tombent jusqu'à mi-cuisses, et des cnémides; son bouclier est un grand bouclier rond, au centre duquel se trouvait un umbo rapporté en forme d'applique qui a malheureusement disparu. Sa barbe largement étalée sur sa poitrine est arrondie par le bas, suivant une mode que reproduisent bien des peintures de vases et que nous voyons a Olympie même dans le petit Zeus de bronze (n° 29), et dans les deux petites têtes de bronze et de terre-cuite n03 58 et 59 (têtes de Zeus, Olympie) ; les pointes de sa longue et fine moustache retombent à la gauloise à droite et à gauche de-sa bouche. En somme l'aspect général du personnage est celui du guerrier de la stèle de Marathon (n° 31) ou du monument des Harpyes (n° 41), sans parler de ceux d'Égine. D'ailleurs, malgré l'abandon et la mollesse de l'attitude, chaque membre, chaque partie du corps, aussi bien que chaque pli de la tunique est modelé avec une raideur et une sécheresse qui fait malheureusement contraste. Il faut ajouter que l'archaïsme se montre aussi dans l'emploi très large des couleurs. Le fond du bas-relief était bleu ; il reste des traces de rouge sur la barbe et les cheveux ainsi que sur le bouclier et le cimier du casque.
On a comparé ce fronton à quelques métopes de Sélinonte (celles du temple F), et aussi aux statues des frontons d'Égine,. Ce ne sont là que des rapprochements bien superficiels ; il y a aussi loin de l'archaïsme assoupli de notre géant, tout ensemble bien posé et gauchement sculpté, aux naïvetés et aux incorrections des bas-reliefs de Sélinonte, qu'à l'anatomie savante et au modelé précis des guerriers d'Égine. Ces différences d'ailleurs nous semblent plutôt dues au génie
propre des artistes qu'à la date de leurs travaux. Pausanias raconte que les Mégariens construisirent leur Trésor avec le fruit des dépouilles des Corinthiens qu'ils avaient vaincus avec l'aide des Argiens, à l'époque où Phorbas était archonte d'Athènes. Il est impossible de préciser la date ainsi désignée par Pausanias; mais en dépit de l'inscription gravée sur la façade du monument et que l'on a retrouvée en partie (MEr[A]PEQN), inscription qui fut sans aucun doute (la forme des caractères le montre) ajoutée longtemps après la construction, tout concourt à établir que le Trésor fut consacré au vime siècle. Il renfermait une série de statues en cèdre doré, que Pausanias attribue à Drontas, disciple de Dipoinos et Skyllis; Bœtticher prétend que les reliefs du fronton sont de la même main. Cette affirmation nous semble d'autant plus contestable que rien ici ne rappelle la technique des sculpteurs de cette école qui travaillaient le bois.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, IV, tab. 18, 19. — G. Treu, Arch. Zeitung, 1880, p. 150. — Bœtticher, Olympia' tab. V, p. 214 sq. — Roscher, Ausführ. Lexicon, p. 1663-64 (art. Giganten). — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 294, 295. Pour l'inscription, voy. Arch. Zeitung, 1819, p. 211, no 333 (Dittemberger). P. P.
50. — Tête virile archaïque (Musée Britannique).
Cette tête, dont la provenance est inconnue, a été rapportée à Londres par lord Elgin; quelquefois signalée, elle n'a jamais été publiée à notre connaissance. Cependant elle mérite l'attention, car elle montre le mélange des deux types de l'Apollon d'Orchomène (n° 14) et de l'Apollon de Ténéa (no 16).
Le visage, avec quelque chose d'un peu moins grossier, dû peutêtre à ce que la surface du marbre a moins souffert (le nez seul est complètement rongé), ressemble d'une manière frappante à celui de l'Apollon d'Orchomène, sauf que le sourire archaïque y est un peu plus accentué. La construction est la même : les joues et les tempes sont formées à droite et à gauche d'un seul plan sans modelé, et ces plans sont parallèles comme les faces d'une figure géométrique; le détail des traits est identique : les yeux sont gros et à fleur de tête, très grands et obliques, rapprochés du nez qui est large à sa naissance ; la bouche, aux lèvres épaisses, est fendue jusqu'au milieu des joues;
l'oreille est très grande, plate, à peine creusée, placée trop haut et en arrière; le-menton est très carré, comme les joues et les pommettes; le front est plat et fuyant. A l'Apollon de Ténéa, la tête Elgin a pris, sans y rien changer, sa coiffure; qui a décrit l'une a décrit l'autre; rien n'y manque, pas même l'étroite bandelette qui entoure le crâne, si serrée qu'elle semble pénétrer dans la masse molle de la chevelure.
Ces emprunts faits à deux statues que l'on a bien soin de distinguer jusque dans les moindres détails pour les rattacher à deux écoles très nettement tranchées, nous semblent devoir rendre la critique prudente ; notre avis est que le type des Apollons archaïques s'est répandu dans tout le monde hellénique comme un type purement conventionnel et que les différences qui existent d'une statue à une autre, quelle que soit leur origine respective, proviennent de circonstances purement fortuites et du libre arbitre des sculpteurs. La tête ci-dessus décrite fournit un précieux argument à cette thèse.
Bibliographie. — Vaux, Handbook to the ant. in the Brit. Museum, p. 119, no 251. — Welcker, Alte Denkmseler, I, p. 399. — Overbeck, Griech. PlastikI, p. 229, note 33, ne 8. — Overbeck, Apollo (Kunstmythologie), p. 13, no 15.
P. P.
51. — Tête archaïque de Milo.
Trouvée à Milo en 1865, cette tête de marbre appartient au Musée central d'Athènes. Elle est manifestement archaïque et provient d'une statue du type des soi-disants Apollon (1). Elle n'a pas subi de graves mutilations, mais le marbre a été tellement usé par le séjour sous terre ou le frottement que le modelé a presque partout disparu; l'on a quelque peine à distinguer les traits.
Le visage est très allongé, mais la courbe en est délicate; deux dépressions figurent les yeux sous les sourcils assez saillants; le nez est mince, et, vu de profil, légèrement aquilin ; indiquée par un mince trait, la bouche a le sourire archaïque; le menton relevé est proéminent. Les joues sont maigres, en harmonie pourtant avec l'ovale un peu long du visage ; le front est large, un peu fuyant, entouré d'une bandelette qui retient la chevelure. Comme dans les plus anciennes statues du type d'Apollon, les cheveux retombent en s'évasant de
(1) M. Milchhœfer, avec doute il est vrai, la signale comme une tête féminine.
chaque côté de la nuque ; on voit encore la trace des stries qui en marquaient les ondulations.
En somme, ce fragment, malgré tout ce qu'il a souffert, a de l'intérêt, car il prouve d'abord la diffusion du type, et de plus montre que les sculpteurs, tout en restant enchaînés à la tradition et répétant sans cesse le même motif devenu conventionnel, s'efforçaient d'introduire de la variété par le détail.
Il faut signaler au sommet de la tête une tige de métal destinée sans doute à supporter un abri protecteur de la statue. Ce n'est pas un exemple unique.
Bibiliographie. — V. Sybel, Katalog, no 1248. — Mitth. deut. arch. Instit.
Athen, IV, p. 71, b. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 19.
J. SEGRESTAA.
52. - Tête archaïque de Héra (Musée dOlympie).
Cette tête, dont il ne nous est parvenu que la partie antérieure, est en pierre calcaire blanche. Elle a été brisée de façon à ne laisser paraître des cheveux, outre ceux qui sont disposés en boucles sur le front, qu'une masse placée derrière l'oreille gauche ; l'oreille droite a également disparu ainsi que le nez. Enfin elle a été séparée du corps à la naissance du cou.
Il est probable, à en juger par l'endroit où elle a été trouvée et le polos dont elle est couronnée, que cette tête provient d'une statue colossale d'Héra placée dans l'Héraion d'Olympie. Elle offre tous les caractères d'une haute antiquité, et nous pouvons la rapprocher par exemple des têtes de l'Artémis ailée de Délos (n° 10) et du Sphinx de Spata (n° 27).
Ce qui nous frappe d'abord c'est la dureté générale des traits, que l'auteur n'est pas parvenu à corriger en mettant un sourire sur les lèvres trop grosses et trop nettement taillées ; le visage est en effet large et aplati : deux plans sans modelé, réunis franchement par une surface courbe forment les joues ; le front très vaste est absolument plat ; le menton fortement endommagé fait une saillie très dure. Les yeux se présentent comme un plan oblique s'enfonçant dans la joue et faisant saillir la pommette. Ils étaient peints, suivant l'ancien usage, ainsi que l'indiquent deux petits cercles concentriques qui sem-
blent dessiner la prunelle. La paupière supérieure est très saillante ; l'inférieure au contraire n'est indiquée que par un mince filet ; les sourcils sont vaguement dessinés.
Quant au nez, il est facile de voir qu'il a été coupé à dessein, comme le faisaient les sculpteurs archaïques quand la matière leur manquait.
L'extrémité rapportée avait été fixée par un tenon dont on peut nettement apercevoir la trace.Les cheveux entourés de bandelettes et surmontés d'un diadème (polos) sont symétriquement disposés en deux bandeaux qui, partant du milieu du front, s'éloignent en ondulations régulières, passent par les tempes et descendent derrière l'oreille qui est elle-même large et aplatie.
Nous avons rapproché cette tête de celle de l'Artémis ailée et du Sphinx de Spata ; il y a en effet une parenté évidente entre ces trois œuvres et l'on y retrouve les mêmes traits d'archaïsme : obliquité des yeux, disposition des cheveux, du diadème ; mais à côté de ces traits communs, notons la facture toute spéciale des yeux, la construction carrée et plate du visage, la proportion colossale de l'ensemble, la matière de l'œuvre (pierre calcaire), détails qui dans leur ensemble donnent une valeur particulière et originale au fragment et semblent désigner l'œuvre d'un artiste local.
Bibliographie. — Ausgrabungen aus Olympia, IV, pl. 16, 17. — Bœtticher, Olympiafig. 54. — L. Mitchell, Hist. of. anc. sculpture, fig. 103. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, n° 307. BAUD.
53. Tête archaïque de femme.
Découverte à Délos en 1878 par M. Homolle, cette tête est malheureusement très dégradée. Comme l'original a été brisé en deux morceaux qui ne se rajustent pas exactement, on voit qu'une partie du crâne est restée creuse. Il y a une cassure au menton, le nez est presque entièrement rongé, la partie droite du diadème est écornée, enfin toutes les parties saillantes, les lèvres, les joues, le front, les sourcils et les cheveux sont aplaties par le frottement. Le visage tout entier offre un aspect rugueux qu'il doit sans doute à l'action de l'eau sur le marbre.
Les yeux allongés et obliques sont à fleur de tête; les coins de la
bouche un peu écartés rendent les lèvres tendues; les joues sont un peu relevées.
La chevelure a été spécialement soignée, semble-t-il. Sur le front elle forme deux bandeaux composés de mèches frisées, et retombe par derrière élégamment ondulée. Les oreilles étaient ornées de pendants en métal (1).
Cette tète qui devait être d'un grand style présente, comme l'a fait remarquer M. Homolle, de notables rapports avec celle de l'Artémis d'Herculanum. Elle témoigne d'une habileté véritable alliée à une science solide de la structure de la tête. Le visage se distingue par sa belle coupe et son modelé très ferme quoique un peu sec.
Bibliographie. — Homolle, Bull. de Corr. Hellén., 1879, pl. VIII ; pour le texte, 1880, p. 36; De Dianse simul. deliacis, pl. V, 1.
E. SAUVIER.
54. — Tête féminine d'Éphèse (Musée Britannique).
Cette tête a été trouvée par M. Wood dans les fouilles du temple d'Éphèse; comme le fragment n° 34, celui-ci vient certainement de l'un des édifices antérieurs à celui de l'époque d'Alexandre. Malgré la très forte saillie qui donne l'illusion d'une œuvre en ronde-bosse, c'est ici un bas-relief; un fragment du fond est encore attaché à la joue gauche.
Le style est franchement archaïque : les yeux, qui ne sont pas assez enfoncés sous l'arcade sourcilière, rappellent par leur position comme par leur dessin ceux des Apollons archaïques, mais avec cette différence que le contour n'en est pas cerné par un trait net et sec; l'oreille est grande et mal située, - ornée d'une boucle d'oreille en forme de grosse pastille ronde et plate, comme dans un grand nombre de têtes féminines d'Éleusis, de l'Acropole d'Athènes et du temple d'Apollon Ptoos; les lèvres sont épaisses et serrées l'une contre l'autre; bien que la bouche ait été fort endommagée en même temps que le menton et la joue droite, on voit très bien que la lèvre supérieure est trop rapprochée du nez et que le sourire archaïque, très nettement indiqué, manque absolument d'esprit et de grâce. Le front
(1) Au sommet du crâne se voit encore un trou avec un fragment de tige en métal, comme dans la tête de Milo (nO 51),
est fuyant comme celui d3 l'Apollon de Théra ou de Ténéa; bien que les joues soient pleines et charnues et l'ovale du visage assez arrondi, les pommettes et le menton sont encore très saillants. De plus, la coiffure dans son ensemble est bien celle que nous avons maintes fois décrite : bandeaux ondulés sur le front et les tempes et maintenus par une couronne plate relevée par devant en forme de diadème, longues mèches couvrant tout le crâne, la nuque, le cou et les épaules ; ces mèches sont assez larges et les ondulations comme les séparations en sont marquées par des rainures assez profondes. La couleur, du reste, venait relever tous ces détails; bien que le marbre, de grain très ténu, soit poli comme de l'ivoire, on remarque encore des traces de rouge sur le fond, les yeux et la chevelure.
Malgré tous ces rapports avec la plupart des têtes archaïques, celle-ci ne manque pas absolument d'originalité. La couleur accentuait sans doute quelques traits un peu mollement tracés, comme le contour des yeux, et dissimulait quelques négligences de détails, de la chevelure par exemple. Mais cette mollesse et cette indécision que l'on ne peut s'empêcher de noter par endroits sert d'autre part à donner à la tête une sorte de liberté et de souplesse à laquelle ne nous ont pas habitués les œuvres archaïques; il y a aussi une heureuse recherche d'élégance dans les lignes pures et symétriques des sourcils ; ces quelques caractères bien personnels donnent à l'œuvre son intérêt, auquel vient se joindre celui du lieu de la découverte, et de la hauteur tout à fait rare du relief.
Bibliographie. — Murra7, Rist. of greek sculpture, I. p. 113, fig. 18.
L. LESPINE.
55. — Tête virile archaïque de Délos.
Ce fragment a été trouvé par M. Homolle, près de l'angle sud-ouest de l'agora de Délos. Il ne reste plus de la tête, avec une petite partie de la joue gauche, couverte d'une barbe très courte, que la partie postérieure.Comme dans la plupart des œuvres archaïques, la chevelure est très soignée et fort intéressante. Très abondante, elle se répand en ondulations surtout le crâne, et des stries qui, partant du sommet de le tête rayonnent en serpentant dans tous les sens, séparent nettement de pètites mèches. Un galon fortement serré et deux fois enroulé
marque la fin de cette disposition à la naissance de la nuque et audessus des oreilles; les cheveux s'en échappent en boucles sur le front, sur le cou en longues papillotes étroitement rapprochées l'une contre l'autre. Un peu au-dessus du double lien se voit un ruban plat, plus large, faisant le tour de l'occiput et s'arrêtant de chaque côté un peu plus haut que l'oreille. Là il était fixé au crâne par des clous dont on voit la trace ; puis il se replie sur lui-même, et les deux extrémités devenues plus étroites, vont se croiser, peut-être se nouer sur le cou, dessinant un triangle. M. Homolle croit voir dans ce ruban le lien qui aurait maintenu au-dessus du front un bandeau ou un diadème de métal. Quant à la barbe coupée tout au ras de la joue, comme celle de la tête célèbre de la collection Rampin (Dumont, Monuments Grecs, f878, pl. 1. - Collignon, Manuel d'archéol. fig. 39. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 78), elle était terminée en pointe ; cette pointe a été retrouvée.
Les longues boucles en tire-bouchons que nous venons de signaler sont très bien conservées. La technique, comme celle de la barbe, comme aussi celle des mèches ondulées, rappelle très évidemment les procédés du travail du bronze. Aussi M. Homolle a-t-il pu avancer que cette tête n'est pas une imitation directe de la nature. L'œuvre malgré cela marque une assez grande habileté. Sans parler de l'élégante disposition de la chevelure, on doit noter que l'oreille est très étudiée, sans être, comme le dit M. Homolle, fort belle, et d'après l'oreille, il est permis d'inférer que les traits du visage, si malheureusement perdus, avaient de sérieuses qualités de dessin et de modelé.
M. Homolle, comparant ce fragment à la tête d'athlète de la collection Rampin, l'une des plus libres et des plus originales de l'archaïsme attique, voit ici comme là, malgré la facture conventionnelle des cheveux, des caractères très personnels d'observation, d'exactitude, en même temps que de liberté et de souplesse qui font songer à un portrait. Aussi mentionnons seulement pour mémoire que la barbe du personnage empêche d'y voir un Apollon, et que si l'on cherche à reconnaître une divinité, il faut songer à un Hermès, un Zeus ou un Dionysos.
L'œuvre, selon M. Homolle, n'est pas antérieure de beaucoup au ve siècle, si même elle n'est pas du début de ce siècle.
Bibliographie. — Homolle, Bull. de Corresp. Hellén., 1881, p. 509, pl. X. Daremberg et Saglio, Diction, des Antiquités, fig. 1802 (art. Coma).
E, SAUVIER.
56. — Tête d'Apollon en marbre (Musée Britannique).
Dès que l'art hellénique sort de l'enfance, on le voit chercher à former un type de beauté où la force prime d'abord; toute la série des statues que l'on est convenu d'appeler les Apollons archaïques ne fait que marquer les diverses étapes vers la réalisation de cette idée.
Avec la nouvelle école attique, Apollon, qui personnifie le type viril, a l'apparence d'un adolescent qui arrive à peine à son complet développement : c'est plutôt la force naissante et qui se laisse deviner.
Entre ces deux conceptions, qui dans la pratique sont loin d'être aussi nettement tranchées, on ne pourrait trouver comme transition une œuvre meilleure que cette tète de marbre du Musée Britannique.
A première vue, l'on se croirait en présence d'un moulage d'une œuvre de bronze; les traits sont si réguliers, si fortement accentués, si symétriques, les boucles de la chevelure si raides, que l'ensemble revêt un caractère de rudesse inhérent aux œuvres de métal. Mais cette impassibilité caractéristique, loin d'avoir son origine dans la matière employée, vient plutôt, croyons-nous, d'un effort de l'artiste vers l'originalité, vers la réalisation d'un type divin qu'il avait conçu.
Le visage respire une force sereine, même remplie de fierté; l'impression qu'il laisse est bien celle que l'artiste a voulu : celle d'un regard ni hostile, ni favorable, mais puissant.
Ce progrès dans la conception s'ajoute naturellement aux progrès de facture, ici particulièrement visibles. Assurément, l'ensemble ne laisse pas l'impression de finesse et même d'élégance de l'Apollon de Piombino. Et s'il est vrai que c'est par le détail que vaut une œuvre, peu intéressante serait cette tête. Elle a l'air faite au compas : les sourcils bien égaux, bien marqués, trop marqués même, les ailes du nez aux lignes insuffisamment éteintes, les lèvres très grosses, ainsi que le menton, la largeur des joues qui les fait trop massives, le tout sur un cou peu délié, nous rappellent la technique spéciale du bronze et nous retiennent dans l'archaïsme. Mais tout cela concourt aussi à donner à la tête une attitude grave et sévère qui suffirait à mettre à part la personnalité du sculpteur. De plus, après avoir vu défiler toutes les statues précédentes, c'est presque un soulagement de ne plus rencontrer ce sourire inintelligent et ce menton pointu qui n'avait rien de gracieux. Au lieu d'une ébauche, nous avons ici une œuvre
dont l'aspect fait réfléchir parce que l'on sent, à première vue, qu'elle signifie quelque chose. L'artiste ne s'est pas même permis le moindre ornement dans la chevelure : entourée d'un bandeau et, sur le front, divisée en boucles dont chacune prise à part est d'une forme assez fouillée, elle retombe sur le dos en un chignon compact, régulièrement ondulé; ce chignon laisse de chaque côté deux sortes de rouleaux qui s'arrêtent brusquement à la hauteur du lobe de l'oreille. Cette symétrie jusque dans les cheveux qui en exigent le moins, est une preuve de plus de ce que voulait l'artiste : réaliser un type jeune et viril, calme et puissant, et ne pas distraire par les détails la gravité de l'ensemble.
On est tout disposé, par les défauts comme par les mérites de l'œuvre, par les relations étroites qu'elle garde avec l'archaïsme des Apollons comme par ses caractères nouveaux de conception et de facture, à y reconnaître une image d'Apollon. De là à supposer que cette tête rappelle avec une certaine exactitude l'Apollon de Kanachos, il n'y a qu'un pas et quelques critiques n'ont pas hésité à le franchir.
Mais l'œuvre du maître de Sicyone nous est connue par des documents trop vagues pour qu'il soit permis de sortir de la plus prudente réserve.
Bibliographie. — Müller-Wieseler, Denkmœler der alten Kunst, I, tab. IV, n° 22. — Spécimens of ancient sculpture, pl. 5. — Ancient marbles, 111, tab. IV. —
Ellis, Townley Gallery, I, 5, 321. — Overbeck, Griech. PlastikI, p. 109. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 228.
Aug. MILAA.
57. — Tête archaïque de bronze (Musée de Berlin).
Cette tête, trouvée à Cythère, publiée et étudiée par Brunn dans un important mémoire, est au premier rang parmi les œuvres de transition.
Elle est archaïque par l'expression générale, encore dure et froide, par la forme de quelques traits du visage, les yeux et la bouche en particulier, par la disposition de la coiffure; mais tout cela est tempéré par un air d'intelligence et même de finesse répandu sur tout le visage, par une construction savante sans exagération des os et du crâne, par un modelé précis et vrai des chairs. Vu de profil, le nez paraît légère-
ment recourbé, mais c'est probablement à la suite d'un choc du bronze; le menton est rond et saillant au-dessous de la bouche assez épaisse, dont le sourire archaïque a cessé d'être une grimace ; l'œil est bien en place dans l'arcade sourcilière dont la courbe n'est pas trop accentuée, et le front n'a plus cette ligne plate et fuyante des statues les plus primitives. Vu de face, l'ovale de la figure est élégant, bien qu'assez large; la bouche parait un peu grande et les coins en sont relevés, pour le sourire, avec un peu trop de symétrie, mais tout le reste du visage est plus souple et plus vivant ; le globe des yeux était rapporté dans le bronze, en métal plus brillant ou en pierre précieuse; la physionomie, que le trou d'enchâssement rend aujourd'hui un peu sèche, devait en être heureusement adoucie et éclairée.
La coiffure est particulièrement intéressante, bien qu'elle ne diffère pas beaucoup de celle de telle ou telle statue déjà étudiée et décrite : sur le front une double rangée de boucles qui tombent assez bas sur les yeux et se continuent sur les tempes jusqu'aux oreilles; un cercle de métal, rond comme une cordelette, les contient (cf. nos 58, 59, 60); rien n'indique les stries des cheveux étalés sur le sommet du crâne, rien non plus les stries d'une sorte de catogan qui descend par derrière jusqu'à la naissance du dos : c'est un chignon plat, replié par deux fois sur lui-même en forme d'S, et serré étroitement par un lien à la hauteur de la nuque, quelque chose comme la coiffure de l'Apollon de Piombino (n° 21) et de la tête de Zeus n° 58. Mais ce qu'il y a de curieux, c'est que toute cette coiffure, et en particulier les boucles du front, est traitée comme une véritable perruque ; sur la tempe droite quelques-unes des boucles ont disparu et ont laissé à nu le front, modelé de telle sorte que les boucles n'ont jamais fait corps avec lui; ce sont donc de véritables appliques, ajoutées après coup, correspondant sans aucun doute, dans la nature, à des ornements que l'on pouvait mettre et quitter à sa guise. Nous ne serions pas étonné qu'il y eût là un souvenir des modes asiatiques; les barbes et les cheveux des Assyriens, si savamment et si correctement peignés, tressés et frisés, exigeaient l'usage des postiches. Quoi qu'il en soit, la tète de Cythère nous révèle de curieux procédés de la technique du bronze.
Cela suffirait, en dehors de toute valeur artistique — ce qui n'est point le cas — à marquer à cette œuvre sa place dans les musées de moulages.
M. Brunn voit dans cette tête une tête d'athlète plutôt qu'une tête d'Apollon. Peu nous importe; mais de toute façon c'est une tète virile,
et Mss L. Mitchell se trompe lorsqu'elle veut y reconnaître une tête d'Aphrodite.
Bibliographie. — Brunn, Arch. Zeitung, 1876, p. 20, pl. 3 et 4. — L. Mitchell, Hist. of anc. sculpture, fig 102.
A. MILAA.
58. — Tête en bronze de Zeus (Musée d'Olympie).
Cette tête, trouvée dans les fouilles d'Olympie, est de demi-grandeur naturelle ; elle représente le type si connu de Zeus et rend bien, grâce à l'exécution toute particulière de la barbe taillée en pointe et ramenée en avant et à la sombre et sereine expression du visage, la majesté du roi des dieux.
Par ses qualités comme par ses défauts, cette œuvre rentre bien dans la série des œuvres archaïques déjà dégagées de la barbarie primitive. Les cheveux ramenés sur le front en deux rangées de boucles forment comme un diadème ; ils sont encerclés assez haut sur le crâne d'une cordelette ou d'un anneau de métal; une bandelette large d'un centimètre les enserre sur la nuque, un peu au-dessous des oreilles. De là s'échappent à droite et à gauche trois mèches de cheveux ondulées et de longueur inégale. De plus les cheveux viennent se réunir sur le cou en une sorte de rouleau horizontal retenu par un ruban et terminé par cinq mèches peignées avec soin et formant sur le nœud lui-même comme une troisième couche de cheveux. Le front est, comme on le note si souvent dans les têtes archaïques, extrêmement étroit. Les yeux sont très petits et regardent de travers; tout le globe était formé sans doute d'une pierre brillante qui a disparu ne laissant à sa place qu'une cavité profonde; la ligne du nez prolonge celle du front et, autre trace d'archaïsme, la barbe n'est d'abord différenciée des joues que par un simple évidement, par une ligne en creux. Mais à côté de cela notons de sérieuses qualités et une réelle recherche d'originalité. Les poils de la moustache et de la barbe sont rendus avec élégance par de petites lignes ondulées. Les lèvres sont minces et n'ont plus le sourire archaïque ; les oreilles sont fines et soignées. Enfin dans le modelé du crâne et de la face, on sent bien que l'artiste a une connaissance assez précise de la structure osseuse.
Nous voyons ici l'art hellénique, encore en plein archaïsme, se livrant
à une étude consciencieuse de l'anatomie avant de conquérir sa pleine liberté.
La tête était réunie au corps par une tige de fer.
Bibliographie. — Ausgrabungen aua Olympia, III, tab. 22. — Funde von Olympia, tab. 24. — Furtwsengler, Broncefunde aus Olympia, p. 90. — Bœtticher, Olympia5, tab. VII (au bas, à gauche). — L. Mitchell, Hist. of anc. sculpture, fig. 104.
— V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 358. - P. Paris, La sculpture antique, fig. 105. —
Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, n° 311.
L. BRUGBAS.
59. — Tête de Zeus (terre-cuite). (Musée d'Olympie.) De la tête précédente il convient de rapprocher une tête en terrecuite, qui est à peu près de la même grandeur et présente avec elle de frappants rapports. Notons d'abord que ce buste est assez mutilé, à droite, sur la partie antérieure de la tête, sur le front et sur l'œil, et enfin à la base du nez, et que de plus sur la surface se sont accumulés des dépôts calcaires qui ôtent au modelé toute sa finesse. Ici comme plus haut le front est très étroit; il est presque tout entier recouvert non plus par une double mais par une triple rangée de boucles qui viennent s'arrêter à la hauteur des oreilles. De plus une large cordelette ronde entoure le sommet du crâne. Mais, notable différence, les cheveux ne sont plus relevés sur la nuque et retenus par un nœud.
Ils sont courts et ramassés en une masse étroite. De plus, la raideur générale du type est atténuée aussi bien dans la manière dont sont traitées les formes, déjà plus pleines et plus douces, que dans le profil des yeux et l'exécution de la barbe dont la pointe est moins raide et plus arrondie. Enfin les lèvres, autant que nous en pouvons juger, ont une vive expression de douceur majestueuse et nous rapprochent beaucoup plus de la vie et de la réalité. En somme si entre ces deux têtes il y a beaucoup de caractères communs dus à la ressemblance des sujets, il y a aussi beaucoup de différences. A quoi tiennent-elles? Sans doute à la dureté du bronze et à la souplesse de la terre-cuite, peut-être aussi à une différence d'époque, si l'on admet que le type sévère et même un peu sec du Zeus de bronze s'est en quelques années légèrement amolli dans la conception d'un idéal non moins majestueux mais plus doux et comme plus humain.
Il reste sur l'original des traces d'un vernis noir qui voulait peutêtre donner à la terre-cuite la fausse apparence du bronze.
Bibliographie. — Ausgrabungen aus Olympia, IV, tab. 26 B. — Bœtticher, Olympia s, tab. VII (au bas, à droite). — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 794. —
Wolters, Gipsabgïtsse zu Berlin, no 312.
L. BRUGEAS.
60. — Tête archaïque des Propylées (Athènes).
Ce fragment d'une tête de marbre, plus grande que nature, est resté longtemps exposé dans le musée provisoire des Propylées, à l'Acropole d'Athènes. Une amorce de la poitrine, qui reste encore attachée au cou, par devant, prouve que la tête provient d'une statue brisée.
La tempe gauche a été emportée ainsi que la moitié de l'œil gauche, tout le nez, toute la joue gauche, presque toute la bouche et tout le menton avec la plus grande partie de la barbe ; à droite, il manque toute la partie postérieure du cou et les cheveux qui le recouvraient.
Malgré tout, il est facile de reconstituer le type représenté : c'est un homme dans la force de l'âge, ayant toute sa barbe très longue et très touffue, sans doute terminée carrément ou à peine arrondie, et les pointes de la moustache pendantes, coiffé à la mode archaïque, les cheveux massés sur le front et les tempes en une quadruple rangée de boucles superposées, serrés autour du crâne par un cercle de métal, tombant sur le dos en une large nappe ondulée.
Ce type nous est déjà connu, c'est celui de Zeus, et le premier rapprochement qui s'impose est celui du célèbre Zeus Trophonios, (voy. l'index) au Musée du Louvre, ce curieux spécimen de l'art archaïsant. Mais le Zeus des Propylées est franchement archaïque; les cheveux disposés sur le front rappellent ceux de l'Apollon Strangford (n° 20), de l'Apollon de Piombino (n° 21), de l'Hermès Moscophore (n° 26), des deux petites têtes de Zeus du Musée d'Olympie (nos 58, 59). Il y a là une imitation franche et précise de la technique du bronze, qui se retrouve d'ailleurs dans la manière dont sont indiquées les ondulations et les séparations des mèches sur le crâne et sur la nuque. Il est plus difficile d'apprécier le style des parties nues, mais l'archaïsme s'y révèle avec la même netteté que dans la
chevelure : les yeux sont gros et assez écartés du nez; le globe en est saillant et presque à fleur de tête; la joue, dans la partie que ne cache pas la barbe, est un peu mollement modelée; l'oreille, profondément abritée entre les cheveux épais qui couvrent la tempe et l'amorce d'une mèche qui devait tomber sur la poitrine, est dessinée et sculptée avec plus de précision que d'élégance.
L'expression du visage devait être celle d'une gravité et d'une majesté bienveillantes, comme il convient à Zeus et comme les artistes grecs, même avant Phidias, semblent l'avoir conçue et ont essayé de la rendre. La tête, nous ne pouvons trop comprendre pourquoi, puisque le corps du dieu est perdu, était légèrement inclinée sur l'épaule gauche.
Nous ne connaissons pas de reproduction de ce fragment qui mérite pourtant l'attention.
P. P.
61. — Gargouille d'Olympie.
Ce fragment en pierre calcaire représente un lion couché, la tête allongée sur ses pattes de devant. Par malheur toute la partie antérieure de la tête est brisée au-dessous des yeux; il manque aussi un grand morceau des pattes de derrière repliées sous le corps.
Tout est conventionnel dans cette sculpture : le lion a ces formes élancées et cet amincissement de la taille qui par son exagération fait songer au chien lévrier; cette tendance acceptée par l'art grec nous semble provenir de l'Egypte et de l'Orient asiatique. Tout le corps est lisse, excepté les épaules qui sont couvertes d'écaillés en guise de crinière; on a déjà vu cette représentation conventionnelle dans le Sphinx de Spata (n° 27). Trois grosses rides en bourrelets parallèles entourent les yeux, gros, ronds et saillants, ainsi que les coins de la gueule ouverte; cela suffit à indiquer naïvement mais avec énergie le grondement et le rictus de la bête fauve.
En somme, malgré la raideur et la simplicité de l'art archaïque, il y a dans la position du lion un sentiment assez juste du pittoresque et une heureuse observation de la nature ; il y a dans les formes du corps une recherche de l'élégance qui, pour n'être pas encore suivie d'un grand succès, montre une fois de plus que les primitifs étaient plus heureux
dans la représentation des animaux que dans celle des hommes. Le fait est bien évident si l'on compare cette gargouille à la tête d'Héra (nO 52) qui est sans doute de la même époque.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, III, tab. 3, 4, p. 16 XXV. —
Wolters, Gipsabgûsse zu Berlin, no 306.
P. P.
SECONDE PARTIE La Sculpture Classique
I. - ŒUVRES DE TRANSITION
62, 63, 64. - Statues des frontons du temple d'Égine.
Les statues qui nous ont été conservées des frontons d'Égine furent découvertes en 1811 par un groupe d'archéologues allemands et anglais dans les ruines d'un temple consacré à Athéna. Restaurées par Thorwaldsen, elles figurent actuellement au musée de Munich.
Les deux frontons ouest et est du temple représentaient tous deux un sujet bien connu des poètes grecs, un combat entre Grecs et Asiatiques autour d'un guerrier mourant. Dans les deux frontons Athéna présidait à la lutte; de part et d'autre se groupaient des combattants armés de la lance ou de l'arc, et dans les angles étaient étendus des guerriers blessés. Les divergences qui se sont produites entre les archéologues relativement à la façon dont les statues étaient groupées dans chaque fronton ne portent que sur des détails.
La statue de la déesse qui figure au musée (n° 62) est celle qui occupait le milieu du fronton ouest. Athéna est représentée de face, tenant sa lance de la main droite et le bouclier attaché au bras gauche. Elle est coiffée du casque et vêtue d'une longue robe aux plis nombreux que cache en partie l'égide. On s'est demandé souvent quel rôle peut bien jouer la déesse dans le combat. M. Wolters, après Friederichs, a soutenu, en s'en rapportant à l'attitude générale d'Athéna, qu'elle ne saurait, dans cette imposante immobilité, se mêler activement à la lutte. Son avis est qu'elle se contente d'y présider. Cependant, comme nous la voyons dans le fronton est se décider ouvertement en faveur
des Grecs et que d'ailleurs la symétrie est parfaite entre les deux frontons, ne serait-il pas naturel de supposer qu'ici également la déesse protège les Grecs et seconde leurs efforts? De plus, si Athéna est représentée immobile et de face, la position de ses jambes, qui sont de profil, ne vient-elle pas corroborer, dans une certaine mesure, cette supposition ?
La statue de la déesse était primitivement peinte et les traces de couleurs qu'on a retrouvées sur le marbre ne laissent aucun doute à cet égard. L'artiste avait coloré le casque en bleu, sans doute pour imiter les reflets du métal poli; de plus il y avait pratiqué de nombreux trous qui devaient servir à recevoir des ornements métalliques. Quant aux trous qu'on aperçoit dans le nu sous le casque, ils étaient probablement destinés à soutenir ces boucles de cheveux en bronze que les Grecs ajoutaient parfois aux boucles de marbre. L'égide était représentée par la peinture comme recouverte d'écailles et le bouclier, dont le bord était teint de rouge, était orné d'un motif qui ne pouvait être que le gorgonium. Les yeux étaient bleus, les lèvres rose vif, les plinthes de la statue rose pâle; les lanières des sandales, qui ne sont pas marquées par le ciseau du sculpteur, devaient être également peintes sur le pied même. Toute cette ornementation, dont nous ne pouvons nous faire aucune idée, donnait sans doute à la statue un peu de mouvement et de vie, caractères qui lui manquent aujourd'hui totalement.
Le fronton est était, comme nous l'avons dit, la reproduction symétrique du fronton ouest. Le sujet était absolument le même, et les différences qui distinguent les deux compositions se réduisent à peu de chose. Cependant nous voyons apparaître dans ce second fronton un personnage auquel il est facile de donner un nom; c'est Héraclès, que le sculpteur a représenté tirant de l'arc (no 63). Dans le fronton ouest, en effet, il y a bien parmi les combattants deux archers, l'un troyen, l'autre grec, mais ces archers ne se distinguent par aucun trait caractéristique; ici l'archer grec est manifestement Héraclès, et la peau de lion qui recouvre sa tête en est une preuve évidente.
Le dieu est représenté un genou en terre et vient de décocher une de ses flèches. Il est vêtu d'une tunique de cuir comme l'archer troyen du fronton ouest et, malgré l'état de mutilation dans lequel fut retrouvée la statue, il est facile de voir qu'il portait sur l'épaule gauche un carquois qui a disparu. L'avant-bras droit, les deux mains et la jambe gauche jusqu'au genou ont été restaurés.
Héraclès occupait certainement dans le fronton la troisième place à partir de la déesse et la seconde, à partir de l'angle droit. Il est facile de s'en rendre compte quand on sait que les archers ne combattaient généralement que derrière les guerriers armés de la lance, parce que, n'ayant pas de cuirasse, ils avaient besoin d'être protégés contre les coups de l'ennemi par les soldats combattant en première ligne. Héraclès, d'ailleurs, ne peut matériellement avoir occupé que cette place, et nos doutes cessent complètement à cet égard, si nous comparons la hauteur de cette statue à celle des autres guerriers.
Des statues du fronton est qui ont été découvertes, Héraclès est la seule qui appartienne au côté droit : néanmoins, on peut comparer cette statue aux figures du côté gauche qui étaient évidemment de la même grandeur que celles de droite. Or, le guerrier couché qui occupait l'angle du fronton est de 15 centimètres moins haut qu'Héraclès, tandis que le guerrier qui combattait en tête de la troupe est de 65 centimètres plus élevé que le héros. Il est donc certain qu'il y avait entre Héraclès et le protagoniste des Grecs un autre guerrier.
La seconde statue du même fronton qui figure au Musée est celle du guerrier mourant autour duquel se livre le combat (n° 64). Il essaie de se relever en s'appuyant du bras gauche sur son bouclier, tandis que, de la main droite, il brandit l'épée avec laquelle il cherche à se défendre. Dans le fronton, il était couché aux pieds de la déesse et se trouvait entre elle et le premier des Troyens. - Cette figure, d'ailleurs, est tout à fait remarquable par le rendu des détails et par la connaissance profonde de l'anatomie qui s'y manifeste.
Quand on examine les reconstitutions qui ont été faites des deux frontons d'Egine, ce qui frappe tout d'abord, c'est cette symétrie absolue et puérile qui existe entre le côté ouest du temple et le côté est. Ce procédé de composition, tout à fait enfantin, nous montre bien quernous ne sommes pas encore sortis de la période archaïque.
Rien de moins artistique, rien de plus monotone, rien qui nous décèle mieux la pauvreté d'imagination des sculpteurs que ce parallélisme absolu dont le temple d'Égine offre peut-être l'exemple le plus frappant dans l'histoire de l'art grec.
On a bien essayé d'expliquer ou d'excuser cette naïveté dans la composition. On a prétendu, par exemple, que l'artiste avait voulu retracer deux épisodes distincts de la guerre de Troie, mais présentant entre eux quelque analogie. Dans le fronton est, on a cru voir le combat d'Ajax contre les Troyens, et dans le fronton ouest, celui
de son père, l'Éginète Télamon; mais rien n'est plus problématique.
Cette supposition hasardée s'explique par le désir qu'ont eu les archéologues de trouver quelque rapport entre les luttes représentées sur ces frontons et l'histoire particulière d'Égine; mais ne trouve-t-on pas dans la décoration d'autres temples la représentation de sujets qui n'ont aucun rapport avec l'histoire du pays? Il vaut mieux constater une insuffisance d'imagination et l'attribuer à l'époque encore archaïque où furent composés ces frontons.
Ce n'est du reste pas là la seule preuve d'archaïsme qu'on puisse relever dans les frontons d'Egine. Si nous constatons, en effet, un effort sérieux pour caractériser d'une façon précise le personnage d'Héraclès, qui est certainement plus fort, plus musclé que les autres guerriers, hâtons-nous de dire que dans Athéna nous observons au contraire des traces d'archaïsme manifestes. La statue de la déesse est notoirement d'un art inférieur non seulement à celle d'Héraclès, mais à toutes les autres des frontons. Chez elle, ni vie, ni mouvement : on songe involontairement, en la contemplant, aux antiques ïjôxva.
Ce caractère archaïque de la statue d'Athéna peut d'ailleurs s'expliquer très aisément par la persistance, chez les Grecs, des formes consacrées que les premiers sculpteurs avaient données aux idoles primitives. Il est probable que, Athéna ayant été déjà souvent représentée par les artistes archaïques, l'auteur de la statue éginétique ne voulut rien innover dans l'attitude et l'aspect de la déesse.
Le mouvement apparaît déjà dans les statues d'Egine, mais il conserve quelque chose de raide et de compassé qui manque de naturel.
Quant à l'expression, il ne faut pas l'y rechercher et les visages des guerriers ont tous le même sourire conventionnel. Ce qu'il y a de particulièrement curieux dans la composition de ces figures, c'est le contraste complet qui existe entre la tête et le corps des personnages.
Tandis que l'anatomie du corps est rendue avec la précision la plus parfaite, tandis que les veines et les muscles sont admirablement placés et modelés, même du côté où les statues n'étaient pas visibles, la tête est encore tout archaïque, le menton est énorme, et les traits du visage grossiers. Ce qui prouve que les artistes grecs ont attaché de l'importance à la bonne proportion du corps avant d'en attacher au rendu de la physionomie, marche absolument contraire à celle de l'art moderne.
Si le visage était mal dessiné, les cheveux au contraire étaient
sculptés avec une application telle qu'on les croirait en bronze, ce qui est encore une marque d'archaïsme. Plus tard seulement les cheveux seront rendus avec moins de soin et avec plus d'art.
Quoique la même perfection et le même scrupule à rendre soigneusement tous les détails se remarquent dans toutes les figures des deux frontons, il est évident qu'elles ne sont pas toutes de la main du même artiste. Leur quantité s'oppose à une telle supposition; et d'ailleurs, si l'on examine les deux groupes, on trouvera dans les statues du côté est un art plus consommé, une plus grande sûreté de main que dans celles du fronton ouest. Mais, pour expliquer cette différence, il n'est pas nécessaire de supposer, comme l'ont fait certains critiques, l'existence de plusieurs artistes ayant travaillé au même temple à des époques différentes. Des sculpteurs d'un talent inégal peuvent très bien avoir exécuté à la même époque les figures des deux frontons.
Cette époque n'est pas difficile à préciser. C'est évidemment le moment des guerres médiques. Si, en effet, on compare les sculptures d'Égine avec les œuvres attiques de la même période, on remarquera qu'elles ne sont guère inférieures par exemple aux statues d'Harmodios et d'Aristogiton (n° 65) et qu'elles sont supérieures à la stèle d'Aristion (no 31), ce qui en place la date présumée au temps même des guerres médiques; et en tous cas si cette date n'est pas tout à fait exacte, il est certain qu'elles ont été exécutées peu d'années avant ou après ces guerres.
On sait, d'après le témoignage des anciens, qu'il y avait à cette époque une école renommée de sculpture à Égine, dont les œuvres étaient reconnaissables à certains caractères particuliers. Si l'on s'en rapporte aux frontons du temple de Pallas, on peut désigner comme traits caractéristiques de la sculpture éginétique la raideur dans le modelé des chairs, la maigreur du corps et une perfection dans le rendu des os, des muscles et des veines qui témoigne une connaissance profonde de l'anatomie.
En résumé, si nous voulons exprimer d'un mot l'impression produite par les statues des frontons d'Égine, nous dirons qu'on est frappé, en jetant les yeux sur ces monuments, de la contradiction flagrante qui se manifeste entre la naïveté, la puérilité de la composition et la perfection, le fini de l'exécution. Par la composition, les frontons d'Egine se rattachent encore à l'époque archaïque; par l'exécution, ils marquent un progrès trôs sérieux de l'art hellénique.
Bibliographie. - Cockerell, Journal of the science andthe arts, 1819, VI, p. 327; VII, p. 229. — M. Wagner, Bericht ûber die segin. Bildwerke. — Hittorf et Cockerell, Revue Archéol., XI, 1 (1854), p. 357. — Expédition de Morée, tab. 58-70. — 0. Müller, Handhuch d. Archéol., § 10. — Clarac, Musée de sculpture, V, pl. 815-820. — Müller-Wieseler, Denkm. d. alto Kunst, I, tab. 6-8. — Brunn, Beschreibung der Glyptothek1, pp. 82, 54 et s. — Burckhardt, Uber die seginet. Giebelgruppen. — Hirt, ap.
F.-A. Wolf's, Litterar. Ananalekten, II, p. 194. — 0. Müller, Kleine Schriften, II, p. 677.— Thiersch, Amallhea, I, p. 07. - Welcker, Alle Denkm., I, p. 30. - Brunn, Gesch. d. griech. Kunstler, I, p. 108 (sur le style éginétique); cf. Friederichs, Nalionum grœcarum diversitates eliam ad artis statuariœ et sculptures discrimina valuisse.
- Overbeck, Zeilschrifi für die Alterthumswissenschaft, XII (1856), p. 404 (sur la date des frontons d'Égine); cf. Brunn, Münchener Sitzungsberichte, 1867, p. 405. —
Overbeck, Griech. Plastik', 1, fig. 19. — Murray, Hist. of Greek scidpt., 1, pl. VII.L. Mitchell, fig. 118 (fronton ouest). — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, pp. 492, 493, 494. — Baumeister, Denkmasler, pp. 349-50. — Wolters, Gipsabgûsse zu Berlin, nos 69 à 85. — L'Athéna est spécialement reproduite dans : Roscher, Ansfuhrl.
Lexicon, p. 692 (art. Athéna). — P. Paris, La sculpture antique, fig. 80; Brunn et Brükmann, Monuments etc., n° 23. — L'Héraklès, dans O. Rayet, Monuments de l'art antique, I, pl. 25. — Max. Collignon, Manuel d'archéol., fig. 37. — Bayet, Précis de l'histoire de l'art, fig. 8. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 82, etc., etc.
A. SIMON.
65. — Les Tyrannicides.
Statues de marbre, provenant de l'ancienne collection Farnèse et placées au musée de Naples en 1790.
Ce groupe représente les meurtriers d'Hipparque, Harmodios et Aristogiton. Les Athéniens, après l'expulsion des Pisistratides, voulant honorer les deux amis comme les fondateurs de la liberté, commandèrent leurs statues, en bronze, à Anténor (Pans., I, 8, 5; Plin., H. N. XXXIV, 70; Arrian., Anab.) 111, 16, 7; VII, 19, 2; Valer.
Maxim., II, 10). Lors de la deuxième guerre médique, Xerxès enleva ce groupe pour complaire à Hippias, son hôte, et le fit porter dans sa patrie; les Athéniens le remplacèrent par un nouveau groupe, dû aux sculpteurs Critios et Nesiotès, et plus tard Alexandre ou l'un des Séleucides ayant rendu aux Athéniens les statues primitives, les deux œuvres se dressèrent côte à côte au Céramique, en face du Métrôon.
Le groupe des Tyrannicides était certainement très vénéré des Athéniens; on le trouve plusieurs fois reproduit sur des tessères de plomb, sur des tétradrachmes attiques, et en bas-relief sur un siège de marbre trouvé à Athènes. Il est dès lors facile de se rendre compte
de l'attitude et du mouvement des deux héros, et ces divers documents ont permis de reconnaître que les statues dont nous possédons tes moulages sont des copies assez fidèles des statues originales.
Les statues n'ont pas été trouvées intactes, et elles étaient déjà restaurées comme elles le sont aujourd'hui lors de leur entrée au musée de Naples. La restitution est juste en général, mais il faudrait corriger quelques détails; ainsi Aristogiton devrait tenir dans sa main droite une épée et dans la main gauche le fourreau. De plus, la tête n'est pas du tout celle qui convient au personnage; en effet, il avait une tête barbue et de style archaïque, et celle qu'on a adaptée à son corps ne ressemble en rien à celle d'Harmodios qui est authentique. Elle est certainement d'un art très postérieur, sans doute de l'époque de Praxilèle. Le musée de Madrid possède une tête barbue archaïque, désiguée sous le nom de Phérékydès; quelques archéologues ont pensé que c'était la tête d'Aristogiton, et, au musée de moulages de Berlin, on a opéré la substitution. Cependant, malgré son style archaïque et une certaine analogie, la tête de Phérékydès nous semble trop petite pour convenir à Aristogiton; tout au plus peut-on la signaler à titre d'indication. Dans la deuxième statue, nommée Harmodios, les bras sont restaurés, ainsi que la jambe droite depuis la hanche, et la jambe gauche à partir du genou. Sur les monuments dont nous avons déjà parlé, Harmodios a une plus longue épée dans la main droite, et dans la gauche il tient le fourreau. Le bras droit était beaucoup plus levé, presque vertical.
Les Tyrannicides sont les premières statues honorifiques élevées en Grèce, et c'est là une première source d'intérêt. Jusqu'ici, nous n'avons eu à étudier que des statues de divinités, des ex-voto et des stèles funéraires; nous avons maintenant un groupe érigé à deux héros dans un lieu public, par la reconnaissance de leurs concitoyens. Il est curieux de voir que le sculpteur archaïque a représenté les deux personnages nus, et pour ainsi dire divinisés, faisant déjà dans son œuvre, malgré son caractère historique et réel, une part à l'idéal; ce ne sont point vraiment Harmodios et Aristogiton qui se jettent au devant du tyran Hipparque, mais deux héros symbolisant le courage civique, les libérateurs de la patrie et les restaurateurs de la liberté opprimée.
On a beaucoup discuté sur la manière dont les personnages étaient placés. Les uns ont soutenu qu'Harmodios, étant le plus jeune, devait être aussi le plus ardent et devancer son compagnon qui accourait
pour le protéger. D'autres ont prétendu qu'Aristogiton devait, au contraire, s'avancer le premier, car Harmodios était retardé par le mouvement violent qu'il fait pour tirer son épée. Ces subtilités n'ont pas grande importance. L'artiste avait probablement placé son groupe de manière à faire valoir les mérites respectifs des deux statues ; il ne leur avait pas donné l'allure raide et peu artistique de soldats marchant au pas, car elle convient peu à l'ardeur qui les anime. En se tournant à demi le dos, en avançant l'un le pied droit et l'autre le pied gauche, comme nous les voyons ici, leur attitude est plus dégagée et plus conforme à la pensée de l'artiste. D'ailleurs, le socle d'Aristogiton n'est pas celui qui convient à cette statue; le groupe doit être sur un seul socle plat, comme celui d'Harmodios.
Ces statues présentent de fortes traces d'archaïsme; la tête d'Harmodios, notamment, nous rappelle, entre autres exemples, l'Apollon Strangford (n° 20) et la Minerve du fronton d'Egine (n° 62). Le nez est droit et gros, les yeux sont fendus en amande et presque à fleur de tête, la chevelure bouclée rappelle la technique du bronze; le menton est trop carré. Cette tête est sans expression, on n'y voit pas la passion qui doit animer le personnage; la bouche est entr'ouverte, comme après une longue course, mais là s'est borné tout l'effort personnel du sculpteur. Dans le corps, au contraire, on sent le mouvement et la vie; le bas-ventre est encore un peu trop en pointe, et de forme conventionnelle, mais la poitrine est bien faite, et l'artiste a surtout bien rendu le mouvement violent du bras droit d'Harmodios qui fait saillir les muscles et les côtes. En somme, l'archaïsme est ici fort atténué; il réside surtout dans les formes et le style de la tête; le groupe des Tyrannicides est bien supérieur aux statues que nous avons décrites jusqu'à présent, même aux statues d'Egine, auxquelles on l'a souvent comparé.
Reste à savoir si le groupe de Naples reproduit l'œuvre d'Anténor ou celle de Critios et Nésiotès. Cette question a soulevé de nombreuses théories; Critios et Nesiotès sont des contemporains de Phidias, et l'œuvre est certainement d'un style plus ancien; mais on comprend très bien qu'ayant à remplacer le groupe d'Anténor, ces deux artistes aient imité le style du vieux maître; on sait que les Grecs respectaient les types anciens de dieux et de héros que tout le monde connaissait et auxquels on rendait une sorte de culte. D'autre part, s'il est vrai que nous possédions maintenant, parmi les statues féminines récemment découvertes à l'Acropole, une œuvre authentique d'Anténor, le sculp-
teur s'y révèle encore bien enchaîné dans les traditions; malgré sa recherche d'originale élégance, et nous avons peine à croire qu'il eût été capable de modeler les corps agissants et vivants d'Harmodios et et d'Aristogiton. Les rapports qu'un archéologue a récemment voulu établir entre la tête d'Harmodios et celle de la statue féminine d'Anténor ne nous semblent pas aussi frappants qu'à lui-même. En résumé, il nous paraît que le groupe de Naples doit être une copie du groupe de Critios et Nesiotés, mais que ces deux artistes avaient fait effort pour reproduire, en atténuant l'archaïsme, surtout dans les mouvements et les formes du corps, le style de leur devancier.
Bibliographie. — Winckelmann, Kunstgesch. IX, 2, § 31. — Museo Borbonico, VIII, tab. 7, 8. — Clarac, Musée de Sculpture, V, pl. 869 (2202) ; 870 (7202 A). —
Friederichs, Arch. Zeit., 1859, p. 65. — Bursian, ds Ersch u. Gruber, Allgem, Encyclop., 1e Section, LXXXII, p. 419. — Curtius, Hermès, XV, p; 147; cf. p. 475. —
Annali, 1874, tab. G. — Overbeck, Griech. PlaslikS, I, fig. 16, 17, 18, — Murray, Hist. of Greek Sculpl., l, fig, 29, 30. — L. Mitchell, Ilist. of anc. sculpture, fig. 135.
— V. Duruy, Hist. des Grecs, I. p. 452. — Baumeister, Denkm. fig. 357, 358. —
P. Paris, La sculpture anlique, fig. 83. — Studniczka, Iahrb. d. Kais. Instit., 1887.
- Wolters, Gipsabg. zu Berlin, ns 121. 124.- Pour les tessères, la tétradrachme attique et le bas-relief d'Athènes où est représenté le groupe, voy. Overbeck, Griech. Plastika, I, p. 118 et s., fig. 15, a et b, et les notes. Pour d'autres groupes présumés des Tyrannicides, voy. Annali, 1867, p. 304; Arch. Zeit., 1869, p. 106; 1874, p. 163, etc.
La tête de Phérékydês est reproduite dans Overbeck, Griech. Plastik3, I, fig. 42.
G. ROQUES.
60. - Apollon de Choiseul-Gouffler.
Le comte de Choiseul-Gouffier avait fait l'acquisition de cette statue à Gonstantinople; en 1818, elle passa au Musée Britannique.Le marbre a subi d'assez graves mutilations, puisque l'avant-bras droit est brisé un peu au-dessus du coude, le bras gauche un peu audessus du poignet; trois fractures, heureusement réparées, se voient encore à la cuisse gauche, au milieu de la cuisse droite et au-dessous du genou droit; la pointe du nez a été refaite.
Le personnage représenté est nu, debout, la jambe gauche un peu écartée de la droite et un peu infléchie au genou; les bras tombent naturellement et s'éloignent très peu du corps, la tête se tourne légèrement vers l'épaule droite. Contre la jambe droite se dresse un tronc d'arbre, Qoueux servant de support,
L'Apollon de Choiseul-Gouffier est une des plus intéressantes statues de la période de transition qui suit l'âge des archaïques et précède l'époque classique. On peut dire que ce grand jeune homme, dre3sé dans l'attitude la plus simple, est le dernier numéro de cette série d'« Apollons archaïques » qui commence par l'Apollon d'Orchomène ou de Théra, se continue par l'Apollon de Ténéa, l'Apollon Strangford et les deux torses de l'Acropole; chez lui, non plus, pas de gestes violents, pas d'attitude contournée, pas de mouvement d'exception; tout le corps s'abandonne sans que le sculpteur ait fait le moindre effort d'imagination pour singulariser son sujet; de plus, nous retrouvons ici, comme chez les primitifs, la largeur des épaules carrées, a saillie très prononcée des fesses, qui contraste avec l'aplatissement du ventre et l'étroitesse des hanches; ajoutons que les jambes sont longues, ce qui donne au personnage un air trop élancé, que les pieds sont trop grands et que la tête, portée sur un cou puissant, a les formes lourdes, l'ovale du visage la rondeur écrasée et molle qui caractérise les Apollons du type le plus ancien.
Mais, d'autre part, les progrès sont grands et des plus heureux. Si la position du personnage, dans ses grandes lignes, rappelle l'attitude des Apollons archaïques, nous voyons ici que l'artiste a su presque complètement oublier la raideur traditionelle. Comme le poids du corps se porte sur la jambe droite solidement posée sur le sol, l'effort a fait ressortir, avec beaucoup de vérité, les muscles de la cuisse, du genou et du mollet; au contraire, comme le genou gauche s'infléchit légèrement, les muscles de cette jambe, mollet, genou et cuisse, sont comme détendus; le pied s'appuie à terre avec légèreté et la pointe est, comme il convient, portée franchement en dehors.
La position du buste correspond à celle des jambes : dans le mouvement que fait l'Apollon pour s'appuyer sur la jambe droite, ses reins se cambrent, sa hanche droite ressort et s'élève tandis que la gauche s'abaisse et rentre; la poitrine vient en saillie et la peau se tend sur les côtes qu'elle dessine. Le mouvement est libre et naturel; le jeu des muscles et des articulations est bien observé; l'ensemble est harmonieux et tout contribue à donner à la statue un juste aplomb.
L'anatomie est encore un peu simple et conventionnelle, par exemple dans le modelé du ventre, mais elle est correcte, le plus souvent, et le même souci du sculpteur s'y révèle, la recherche de la souplesse et déjà même de l'élégance; les formes du personnage ont une certaine grâce dans leur ampleur et dans leur force. Mais le visage et
plus encore peut-être la chevelure sont à cet égard instructifs. On ne peut pas dire que ce soit là le type grec dans toute sa pureté, mais nous sommes bien loin des laideurs archaïques : le front et le nez sont sur la même ligne, l'ovale est allongé, la bouche est bien dessinée, les lèvres sont charnues, plus de trace du sourire éginétique qui faisait grimacer les bouches, les joues et les yeux. Le menton et les pommettes ne sont plus saillants; les yeux ne sont plus à fleur de tête, l'arcade sourcilière est plus allongée, moins haute, et le développement donné à la paupière supérieure donne au regard plus de douceur.
L'expression du visage est calme et grave comme dans les statues de l'époque classique. Les chevelures des Apollons archaïques, de ceux du moins qui sont le plus récents dans la série, ont l'air de perruques frisées au petit fer; les boucles régulières encadrent le front avec une symétrie rigoureuse : ici les boucles tordues en escargots sont remplacées par des mèches qui retombent avec souplesse; la symétrie est détruite à dessein, et ce n'est pas exactement au milieu du front que les cheveux se séparent en deux masses recouvrant les tempes; la bandelette qui serre les crânes archaïques a fait place à une tresse deux fois enroulée; tout cet ajustement est traité avec une liberté et conçu avec une grâce dont nous avait déshabitués l'archaïsme.
Ce style tout nouveau, et déjà personnel malgré l'influence persistante de la tradition, fait que les archéologues se donnent carrière au sujet de l'Apollon de Choiseul-Gouffier.
Et d'abord cette désignation, que nous avons conservée parce qu'elle est pour ainsi dire officielle, est-elle bien la véritable? Les mains ont disparu, et avec elles les attributs, s'il y en avait, qui nous eussent permis de reconnaître le dieu avec certitude. On remarque pourtant sur la partie externe du tronc d'arbre une saillie longue qui pourrait être la trace d'un arc que le dieu portait dans sa main droite. Si l'on admettait que la statue n° 67 mérite bien le nom d'Apollon à l'omphalos, comme il n'est pas douteux qu'elle est absolument semblable à la statue de Choiseul-Goufuer, la question serait tranchée sans conteste; mais nous verrons que l'attribution de la statue athénienne n'est rien moins que certaine. Il ne reste donc plus, en faveur de cette première hypothèse, que la tradition qui désigne sous le nom d'Apollons toutes.
ou presque toutes les statues archaïques d'hommes jeunes, imberbes, nus, debout dans une attitude tranquille, d'autres disent hiératique.
Pour M. Waldstein tout atteste que nous avons affaire à un athlète : c'est d'abord la coiffure où M, Waldstein croit reconnaître celle des
statues d'athlètes avant l'époque de Myron, c'est encore le développement musculaire et la position du personnage qui serait l'Ephédros ou troisième lutteur combattant avec celui qui était sorti vainqueur d'une première lutte. L'attitude de l'Ephédros tel qu'il est représenté sur les vases peints rappellerait celle de l'Apollon de Choiseul-Goufïier.
M. Waldstein précise encore; pour lui cette statue serait celle d'un vainqueur au pancrace, car il croit voir retomber le long du tronc d'arbre une des lanières servant à attacher le ceste qui armait la main droite du pancratiaste; cette lanière était enroulée autour du bras.
L'archéologue anglais propose un essai de restauration : il ornerait du ceste la main droite de l'athlète et dans sa main gauche il placerait une palme venant s'appuyer sur la jambe gauche, près du genou, à l'endroit où se voit la trace laissée par un attribut disparu. La palme était, comme on le sait, la principale récompense accordée aux vainqueurs dans les exercices du pentathlon.
Mais il nous semble qu'il y a dans cette statue quelque chose de contraire à la conception d'un portrait de pancratiaste ; on possède plusieurs tètes représentant des athlètes : elles ont en général de gros traits, un caractère bestial, et les oreilles sont déformées par les coups de ceste ; ici au contraire tout prouve que l'artiste a cherché à rendre le type d'une beauté idéale. Ce grand et vigoureux jeune homme, large d'épaules et bien en chair, sera bien un athlète, si l'on veut, mais il est imprudent de vouloir dire quelle était sa spécialité; M. Waldstein à songé à un pancratiaste ; qui nous empêcherait de voir dans les formes élancées et souples du personnage les signes de race du coureur?
Les mêmes incertitudes se produisent si l'on veut attribuer la statue à un sculpteur déterminé. Un fait est certain : nous avons ici la copie en marbre d'un bronze particulièrement célèbre, puisqu'il en existe un certain nombre de répliques, la statue d'Athènes (n° 67), une statue conservée à Ventnor (île de Wight), une statue maladroitement restaurée, au Musée du capitole, une autre, dont la tête seule a été retrouvée à Cyrène (n°68). L'original était-il l'Apollon Alexikakos de Kalamis qui se trouvait au Céramique, à Athènes, comme le prétendent MM. Conze et Murray? La recherche de l'élégance et de la grâce qui est évidente n'est peut-être pas un argument sans réplique, si l'on songe aux nombreux traits d'archaïsme que nous avons notés.
Nous accepterions plus facilement, avec M. Waldstein, le nom de Pythagoras de Rhégion. Ce sculpteur, contemporain de Myron, élève
de Cléarchos, était célèbre entre la 70e et la 80e Olympiade. Pausanias cite avec éloge deux de ses œuvres, deux statues d'athlètes. 11 n'appartenait ni à l'École dorienne ni à l'École attique, et s'était fait, selon Pline (H.-N. XXXIV, 59), une réputation par la manière dont il traitait les chevelures et dont il exprimait les nerfs et les veines.
Or ce trait frappant de l'art de Pythagoras se retrouve dans la statue de Choiselil-Gouffier; sur les bras, les jambes, les pieds, on voit courir en saillie sous la peau les veines et les artères. Nous avons déjà remarqué le soin tout nouveau avec lequel les cheveux sont disposés et sculptés. Il y a là, tout au moins, en faveur de l'hypothèse des coïncidences curieuses.
Bibliographie. — Spécimens of ancient Sculpture, II, tab. 5. — Ancient marbles, XI, taf. 32. — Clarac, Musée de Sculpture, III, pl. 482 B, 931 A. — Waldstein, Journal of hellenic studies, 1880, p. 178, tab. IV. — Murray, Hist. of gl'eek sculpture, I, p. 189, pl. VIII. — Liyry Mitchell, A Hist. of. anc. Sculpt., fig. 273. —
P. Paris, La Sculpture antique, fig. 85. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, n° 221.
P. MONTAIGUE.
67. — Apollon du théâtre de Dionysos.
Cette statue de marbre pentélique a été trouvée en 1862 au théâtre de Dionysos, à Athènes; elle est conservée au Musée central de cette ville.
L'œuvre a beaucoup souffert. Le nez a disparu; les bras sont cassés, le droit au-dessous, le gauche au-dessus du coude. On constate de larges écorchures au haut de la cuisse gauche, extérieurement, et au-dessus du genou droit ; le long du mollet il reste, d'un attribut ou d'un tronc d'arbre, un point d'attache; les pieds, brisés au-dessus de la cheville, sont perdus.
Le personnage représenté a de telles ressemblances avec le soidisant Apollon de Choiseul-Gouffier (n° 66), qu'il faut y voir évidemment une réplique d'un même original. C'est la même altitude, la même technique, le même style, avec quelque chose de moins achevé qui dénote peut-être la main d'un copiste moins habile.
Les mêmes questions, relatives à l'attribution de la statue et au nom de son auteur, que nous avons étudiées à propos de la statue de Choiseul-Gouffier, se posent ici de nouveau, mais il s'en ajoute une nouvelle.
Non loin de la statue on a retrouvé un bloc de marbre affectant la forme classique qui est donnée sur tous les monuments, monnaies et peintures de vases, à l'Omphalos de Delphes, c'est-à-dire celle d'un roc irrégulièrement arrondi et "recouvert d'un filet à larges mailles.
Sur l'omphalos sont les restes de deux pieds nus qui prouvent qu'il a servi de piédestal.
On a longtemps accepté comme certain que la statue en question était celle que supportait l'omphalos. La conclusion toute naturelle était que le personnage représenté est un Apollon. Mais M. Waldstein ne croit pas que l'on doive réunir (comme nous l'avons fait ici à titre de renseignement) la statue et le piédestal.
D'abord, l'omphalos a été trouvé hors de l'orchestre, entre les murs parallèles de la parodos ouest, et les morceaux de la statue derrière les fauteuils du centre.
De plus, les empreintes des pieds qui se voient sur l'omphalos ne correspondent pas à la position des jambes de l'Apollon : il avance la jambe gauche, tandis que la jambe droite est un peu en arrière. Or, sur l'omphalos c'est le contraire qui apparaît : le pied gauche de la statue était plus près du centre que le pied droit. Il n'y a donc pas concordance entre la position de la statue et les traces qui sont restées sur l'omphalos.
Enfin, si Conze, par exemple, veut voir dans le point d'attache que nous avons signalé le long de la jambe droite les vestiges d'un arc, la similitude avec l'Apollon de Choiseul-Gouffier permet plus justement de dire qu'ils proviennent d'un tronc d'arbre et l'on ne retrouve pas la moindre trace de ce support sur l'omphalos.
Si l'on admet ce système, il est évident que rien ne prouve plus que cette statue soit un Apollon et cette conséquence intéresse la statue de Choiseul-Gouffier.
Signalons comme simple renseignement l'opinion de Bursian : il concilie les deux théories en admettant que sur l'omphalos se dressait la statue d'Oreste, aujourd'hui perdue, et que la statue que nous possédons représentait Apollon debout auprès d'Oreste.
Bibliographie. — Conze, Beilrsege zur Gesch. der. griech. Plastik, tab. 3-5, p. 3.
— Kekulé, Die Gruppe der Kunstler Menelaos, p. 41. — Schwabe, Observationes archeologicœ, II, p. 8. — Furtwaengler, Mitth. deut. arch. Inst. Alhen, v. p. 39. —
Waldstein, Joumal of hellen. Studies. 1880, tab 5, p. 179. — Murray, Rist. of greek sculpture, I, pl. VIII. — Brunn et Brukmann, Monuments etc., pl. 42. —
Wolters, Gipsabg. zu Berlin, no 219.
P. MONTAIGUE.
68. — Tête en marbre, trouvée à Cyrène (Musée Britannique).
On voit immédiatement que celle tête reproduit exactement la tête de la statue de Choiseul-Gouffier et celle de la statue du théâtre d'Athènes. Malgré son état de mutilation (le menton a disparu, les lèvres sont usées et écorchées, l'aile gauche du nez est brisée, les oreilles, les cheveux, etc., ont gravement souffert), elle a beaucoup d'intérêt, parce qu'elle a été trouvée à Cyrène où Apollon avait un sanctuaire. D'autre part, selon Pausanias (VI, 18, 1), Pythagoras de Rhégion, auquel on songe à attribuer l'original de la statue, était l'auteur d'un char de bronze sur lequel étaient montés la Victoire et le Cyrénéen Cralisthèncs. Ces deux renseignements peuvent permettre plus d'une hypothèse. »
Dans tous les cas, il est curieux de voir que ce type, type de dieu ou d'athlète, s'est ainsi répandu dans les différentes parties du monde hellénique.
Bibliographie. — Murray, Hist. of greek sculpture, fig. 32.
P. MONTAIGUE.
69. — Autel athénien orné de bas-reliefs.
Ce monument a la forme d'une base quadrangulaire qui présente à sa partie supérieure une cavité. Deux des faces en sont ornées de basreliefs : sans doute, ces deux faces étaient seules visibles; toutefois, on pourrait supposer qu'il y a eu aussi des sculptures sur un troisième côté, parce qu'on distingue, bien que fortement endommagée, la même bordure qui fait saillie sur les deux faces sculptées. On considère en général cette sorte de table comme un autel, la cavité supérieure étant disposée pour recevoir les offrandes. Peut-être était-ce un piédestal où venait s'encastrer la plinthe même qui supportait la statue.
D'un côté, nous voyons un personnage viril tourné vers la droite ; l'autre côté nous présente une femme qui marche dans le même sens que l'homme, mais se retourne pour le regarder. Cet homme porte un bélier sur ses épaules et nous trouvons à droite un attribut, un
bâton que l'on reconnaît pour un caducée aux vestiges de serpents enroulés. Le personnage représenté est donc un Hermès Kriophore.
On peut penser que cet Hermès n'a aucun rapport avec le personnage représenté sur l'autre face, et que l'artiste a sculpté deux basreliefs indépendants; mais il est possible aussi que les deux figures se rapportent à un sujet unique, parce que les deux personnages se regardent et que nous avons d'autres exemples d'un dieu accompagné d'un cortège de femmes.
Hermès est nu et porte sur le bras gauche une draperie à plis fins.
Il y a des traces évidentes d'archaïsme dans la facture de la tête. Les cheveux du dieu, ceints d'une bandelette, sont deux fois repliés par derrière; ils retombent sur le front en petites boucles et une longue mèche, passant derrière l'oreille, descend sur sa poitrine. Sa barbe est taillée en pointe; ses yeux ne sont pas complètement de profil, ne s'accordant pas ainsi avec la direction de son corps entier. Enfin, l'archaïsme se manifeste encore dans les plis menus et symétriques de l'étoffe où nous reconnaissons le style consacré des draperies archaïques.
Mais un autre caractère, aussi nettement marqué, contraste avec ces souvenirs de l'art primitif et indique une période nouvelle de la sculpture grecque où les allures de l'artiste sont plus franches : c'est le charme qui réside dans la position du personnage et dans la sveltesse de ses formes. Le torse harmonieusement cambré, le bras gauche ramené en arrière sans raideur et la tète penchée en avant avec naturel donnent aux lignes du corps une élégante légèreté. L'anatomie est scrupuleusement observée et il y a beaucoup de vérité dans les muscles du ventre et dans les sillons qui creusent la poitrine, sans que cette précision apporte à l'œuvre aucune sécheresse. Les chairs sont bien vivantes, traitées d'un ciseau ferme et aisé; le dieu se montre à nous dans l'épanouissement de sa beauté robuste et juvénile.
Si l'on rapproche cet Hermès Kriophore du Moschophore découvert aussi à Athènes (no 26), on est frappé du progrès accompli. Au lieu de la masse assez lourde figurant un veau que portait le Moschophore et qui se confondait presque avec le dieu mal dégrossi, nous distinguons clairement le bélier dont les pattes sont rassemblées entre les mains d'Hermès, sa tête et sa queue se détachent nettes et il y a lieu d'apprécier le rendu de la toison.
La figure de la femme est mutilée. Cependant, elle devait être coiffée suivant la mode archaïque classique, des boucles tombant sur ses
épaules. Elle est voilée, écartant son voile de la main, et entièrement vêtue. Tout émoussé que soit le relief, on retrouve ici des qualités analogues à celles de l'Hermès : la grâce dans le mouvement de la tête qui se retourne, l'inflexion douce du cou et la souplesse du buste, comme le geste de la main qui relève le voile et l'élégante disposition des draperies.
On s'est demandé s'il n'était pas possible d'attribuer ce monument à une école spéciale, ou même de désigner l'artiste qui l'a sculpté.
M. Wolters, s'autorisant du mélange d'archaïsme et d'aisance que présente l'autel qui nous occupe, dit qu'on a an'aire à une œuvre archaïsante. Mais les œuvres de cette classe ont forcément un caractère factice et arLificiel, et ce n'est point un sentiment de convention et de contrainte que nous éprouvons ici : aussi repoussons-nous absolument cette hypothèse.
Pour M. Overbeck, l'artiste aurait voulu reproduire sur l'autel deux statues célèbres de Kalamis, l'Hermès Kriophore de Tanagra et la Sosandra de l'Acropole. Les anciens reconnaissaient dans les œuvres du statuaire attique les vestiges de la tradition archaïque et le louaient d'avoir su donner à ses personnages la grâce jusqu'alors inconnue.
Or, c'est précisément cette qualité nouvelle qui caractérise, avec les traces de la technique primitive, l'Hermès Kriophore de l'autel athénien, et qui caractérisait aussi sans doute la figure de femme. On sait de plus que la Sosandra de Kalamis avait la tête recouverte d'un voile.
Un sculpteur attique, épris du charme particulier de Kalamis, aurait donc reproduit sur un même monument deux chefs-d'œuvre du maître.
La supposition est ingénieuse et peut séduire au premier abord, mais ce serait là prêter un goût trop moderne de vulgarisation artistique à un artiste grec de la période de transition où nous ramènent ces basreliefs. Nous pouvons dire seulement que cette œuvre d'une touche délicate peut, parmi toutes celles qui nous sont parvenues de l'antiquité, nous donner l'idée la plus heureuse de la manière de Kalamis.
-Bibliographie. — Conze, Allnali, 1838, p. 347. — Lülzow, Annali, 1869, tab. 1 K, p. 253. — Overbeck, Griech. Plaslik8, I, fig. 53; cf. Arch. Zeit., 1853, p. 46; 1864, p.209, 144.—Baumeister, Denkmseler, pp. 825-826. - P. Paris, La sculpture antique, fig. 84. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, nos 418, 419.
Gustave SOULlEII.
II. — MYRON — POLYCLÈTE — PHIDIAS
70. — Discobole.
Nous ne connaissons pas l'original du chef-d'œuvre de Myron, mais seulement quelques répliques dont les plus belles se trouvent au Vatican et au palais Massimi aile Colonne, à Rome. C'est la première dont nous avons ici le moulage.
Lucien a décrit cette statue fameuse avec une élégante précision : c'est un athlète qui se penche et prend élan pour jeter un disque le plus loin possible; sa tête se tourne vers la main droite projetée en arrière (1) qui tient le disque, et tout le corps suit, pour ainsi dire, le mouvement de la tête. La jambe droite solidement campée sur le sol, se plie au genou pour établir l'équilibre, et la jambe gauche, complètement infléchie, touche la terre de l'extrémité du pied, sans appuyer.
Myron passait aux yeux des anciens pour un hardi novateur ; l'examen du Discobole est bien fait pour justifier ce jugement. Jusqu'à Myron, les sculpteurs, cédant peut-être aux nécessités d'une technique encore jeune, peut-être poussés par un sentiment intime des conditions les plus générales de la statuaire, fixaient d'ordinaire leurs personnages dans une attitude de repos, ou tout au moins choisissaient des positions que l'ensemble du corps et chacun des membres semblassent pouvoir conserver longtemps sans efforts ni fatigue. Les attitudes d'exception, les mouvements violents qui ne peuvent durer, ne tentaient ni leur imagination ni leur main, comme restant en dehors des limites propres ou des ressources de leur art. Au contraire Myron a pétrifié, pour ainsi dire, l'athlète discobole à l'instant précis où le disque va s'échapper de la main qui le lance, minute, ou plutôt seconde fugitive où s'est concentrée toute la vigueur et toute la souplesse des membres, et que va suivre, sans que l'œil puisse aisément saisir la transition, une détente générale des muscles dans l'immobilité du corps redressé.
(1) On remarquera que notre moulage diffère en ce point de la statue originale.
M. Overbeck (Griech. Plastik3, I, fîg. 51), a publié un dessin où la position de la tête est rétablie d'après l'indication de Lucien.
Mais s'il est évident que le Discobole, supposé vivant, en chair et en os, ne pourrait qu'un instant supporter sans fatigue la tension de sa jambe et de son bras droits, et la flexion de sa jambe gauche à peine soutenue par l'extrémité des orteils, nous devons admirer sans réserves la sincérité d'observation et la sûreté de main que Myron a su mettre au service de son audacieuse conception. Le mouvement du Discobole était d'autant plus difficile à saisir qu'il a dans la nature moins de durée; il fallait pour le voir un coup d'œil net et prompt, pour le choisir une décision hardie, pour le reproduire une science rare du jeu des muscles et des lois de l'équilibre. C'est l'honneur de Myron, et le plus bel éloge du Discobole, que tout, en ce chef-d'œuvre, la position générale du corps aussi bien que le détail anatomique, est conforme à la nature. L'exactitude, par endroits, est poussée très loin, comme le montrent le mouvement de la main gauche pendante et la disposition si vraie, si naturelle, des doigts tombants, et en ce sens Myron est réaliste; mais d'autres parties, au contraire, sont traitées avec une parfaite liberté. La tête, à ce titre, est surtout intéressante.
Pline, après avoir dit que Myron poussa très loin l'amour de la vérité (mltltiplicasse veritatem) ajoute qu'il se souciait surtout des formes du corps et n'exprima pas les sentiments (corporum tenus curiosus animi sensas non expressisse (videlur) (N. H. XXXIV, 57). La tête du Discobole justifie jusqu'à un certain point ces paroles; le visage est calme; pas un muscle ne s'y contracte, comme il serait juste sous l'effet d'un pareil effort ; rien ne dénote l'athlète à qui les exercices de la palestre donnent des traits rudes, parfois bestiaux, jamais éclairés par ce reflet d'intelligence sans lequel il n'est pas de beauté matérielle; à plus forte raison Myron s'est-il gardé d'imprimer au bronze les blessures qui déformaient les nez, les oreilles ou les bouches; il se faisait certainement un idéal de la beauté du visage tel que toute altération des lignes lui paraissait grimace, et il s'est réservé sur ce point pleine liberté vis-à-vis de la nature. Enfin Pline reproche à Myron d'avoir traité les cheveux avec la même naïveté que les archaïques « capillum qunque et pubem non emendalius fecisse quam radis anliquitas instituisset ». La chevelure du Discobole a du moins fait exception ; les mèches sont courtes, serrées, largement massées, sans abus de parallélisme ni de symétrie, traitées avec une simplicité et une liberté qui laissent bien loin la recherche des perruques frisées et l'élégance maniérée des boucles archaïques.
Si nous avions à critiquer le Discobole, notre critique irait plus loin :
« Quelle œuvre plus contournée, plus élaborée que le fameux Discobole de Myron ? » a dit Quintilien; et de fait, en l'atténuant, ce reproche est juste; si l'on apercevait brusquement le Discobole au bout d'une galerie réservée aux statues d'époque antérieure, d'attitudes simples, disons monotones, pourrait-on se défendre de reprocher un peu de violence à son mouvement, et de juger que le génie du maître d'Eleuthères aimait un peu la recherche et l'effort?
Bibliographie (1). — Bouillon, Musée des Antiques, II, pl. 18. — Piroli, Musée Napoléon, IV, pl. 26. — Pistolesi, Il Valicano descritto, VI, tab. 9, 2. — Welcker, Alle Denkmæler, p. 423. — Visconti, Opere varie, IV, p. 343. — Muller-Wieseler, Denkrn. d. alt. Kunst, I, XXII, 139 b. - Overbeck, Griech. Plastik *, I, fig. 51, p. 213 (voy. p. 241, la note no 171, où sont énumérées quelques répliques du Discobole). —
Murray, A Iiist. of greek sculpture, fig. 45. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 139. — Duruy, Hist. des Grecs, 1, fig. 794. — M. Collignon, Manuel d'archéologie, fig. 45. — Baumeister, Denkmxler, fig. 1211. — P. Paris, La sculpture grecque, fig. 86 (2). — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 451 ; Cf. nos 452-453.
P. P.
71. — Marsyas.
Statue de marbre du Musée du Latran, trouvée à Home en 1823, sur le mont Esquilin, par le Commandeur Vescovali.
Cette statue était en bon état, sauf les bras qui avaient été brisés.
Le personnage est un satyre, facilement reconnaissable à ses oreilles pointues, à sa barbe inculte et grossière, à sa face bestiale, à la petite queue de cheval qu'il porte au bas des reins. Ce satyre a une attitude singulière : il avance la jambe droite tendue, et rejette le corps en arrière sur la jambe gauche. Le sculpteur chargé de la restitution vit là un satyre dansant, opinion assez naturelle, et lui mit dans les mains des castagnettes. Mais, plus tard, Brunn avança que cette statue était une reproduction du Marsyas de Myron, que l'on voyait à l'Acropole d'Athènes, et cet avis, généralement adopté, exige une restitution différente.
(1) Nous énumérons indistinctement les reproductions de la statue du Palais Massimi et de la statue du Vatican, et les travaux des archéologues relatifs à ces deux répliques si semblables.
(2) Nous avons emprunté à ce volume le texte presqu'intégral de la présente notice.
Pline nous rapporte, en effet (Nat. Hist. XXXIV, 57), que Myron avait sculpté un Marsyas « admirantem tibias et Minervam ». L'artiste s'était inspiré d'une légende très populaire en Grèce : Athèna avait inventé la flûte en utilisant les roseaux du lac Tritonis, en Béotie. Mais, lorsqu'elle joua dans l'Olympe de cet instrument nouveau, Héra et Aphrodite se moquèrent d'elles; la déesse vit dans une source ses joues bouffies, ses traits déformés, elle jeta l'instrument avec colère en menaçant celui qui le ramasserait. Le satyre phrygien Marsyas, ayant trouvé les flûtes, voulut les ramasser et fut frappé par la déesse. Plus tard, Marsyas provoqua Apollon, le dieu de la lyre, fuL vaincu et écorché vif par son vainqueur. Cette légende symbolisait la victoire de la musique grecque sur la musique asiatique.
Le passage de Pline a été fort commenté. Myron avait-il sculpté un groupe de Marsyas et de Minerve, ou une statue du satyre étonné à la vue des flûtes et de la déesse ? Il nous Semble hors de doute que c'était un groupe qu'avait sculpté Myron. On trouve, en effet, des reproductions de cette œuvre célèbre sur une monnaie attique, portant au droit la tête casquée de la déesse, et au revers un groupe d'Athéna et de Marsyas (voy. Overbeck, Griech. PlastickI, fig. 50, d.); sur un cratère de marbre, trouvé à Athènes (n° 72); enfin, sur une œnochée à figures rouges, trouvée à Vari, en Attique, et transportée au musée de Berlin (Overbeck, ibid.).
Notre statue n'est pas une œuvre originale, mais la reproduction d'une œuvre en bronze, comme le prouve le tronc d'arbre placé derrière le satyre; or, on sait que les statues de Myron étaient en bronze.
De plus, l'attitude du personnage, le mouvement presque fugitif qu'a représenté l'artiste, le talent avec lequel ce mouvement est rendu, tout indique une œuvre de Myron. Nous dirons donc, avec Brunn et 0. Müller, que nous avons une reproduction de l'un des personnages du groupe célèbre sculpté par Myron.
On retrouve dans le Marsyas du Latran les caractères qui distinguaient les œuvres de Myron, sa prédilection pour les mouvements d'exception : le satyre, qui s'élançait, se rejette vivement en arrière pour éviter le coup dont le menace Athèna; sa science de l'anatomie précise et naturelle, et ses qualités d'observation pénétrante et sûre.
Notons pourtant quelques défaillances, dues sans doute à la maladresse du copiste : la poitrine est bien modelée, mais les côtes sont mal rendues et les hanches mal attachées. Les cuisses sont assez bien faites, mais l'indication des muscles est trop sommaire; la rotule est man-
quée, le mollet trop haut placé, le cou-de-pied trop haut. Malgré ces défauts, la statue de Marsyas est une œuvre de grande valeur; elle a plus que l'importance d'un document et, presque au même titre que les copies du Discobole, nous permet de reconnaître et d'étudier le style du maître qui fut pour les anciens, comme il est encore pour les critiques modernes, un des premiers de l'École attique, le plus grand sans doute après Phidias.
Bibliographie. - Vonutnenti, VI, tab. 23. — Garucci, Monumenti del museo lateranense, tab. 24, 1, p. 26. — Clarac, Musée de sculpture, tab. 730, 1755. —
0. Rayet, Monuments de l'art antique, 1, pl. 33. — Overbeck, Griech. Plaslik 3, I.
p. 208, a. — Murray, Hist. of greek sculpture, fig. 41. — L. Mitchell, Hist. ofancient sculpture, fig. 138. — Brunn, Annali, 1858, p. 374. — Stephani, Compte-rendu de la Commis. arch. de Saint-Pétersbourg, 1852, p.,88. — Petersen, Arch. Zeit., 1865, p. 86, et 1880, p. 25. — Hirschfelù, Athena und Marsyas. — Von Sybel, Atliena und Marsyas (Gratulationschrift der Univ. Marburg, I, 1819. — Cf. Mitth. deut arch.
Jnst. Athen, 1880, p. 342. — Von Pulzky, Arch. Zeit., 1879, p. 91. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 88.— Wolters, Gipsabgasse zu Berlin, n° 454. — Cf. pour des statues ou statuettes analogues : Murray, Gazette archéol., 1879, p). 34, 35, p. 241.
Fougères, Bulletin de Corresp. hellénique, 1 »S88, pl. 1, etc.
G. ROQCES.
72. - Vase de marbre.
On avait de ce vase une gravure très infidèle donnée par Stuart et Revett (Antiquities of Alhen, II, ch. 3, p. 27), lorsque, en 1873, M. Heydemann reconnut l'original dans un vase de marbre conservé à Athènes, dans le jardin de M. Finlay.
Ce vase est orné d'un bas-relief incomplet et fort mutilé, sur lequel on distingue à peine deux personnages : Alhèna s'éloigne après avoir jeté les flûtes, mais elle se retourne et voyant Marsyas qui s'approche pour les ramasser, elle va le frapper. Le satyre, effrayé, s'arrête, rejette le corps en arrière et lève le bras gauche pour parer le coup, tandis que le bras droit tendu, et la main grande ouverte indiquent son effroi. L'altitude de Marsyas est la même que celle de la statue n° 71 et l'on voit généralement dms ce bas-relief une reproduction du groupe que Myron sculpta pour l'Acropole d'Athènes. Ce vase a donc un grand intérêt documentaire; l'intérêt artistique en est, du reste, médiocre.
Bibliographie : Stuart and Revett, Antiquities of Athen, II, ch. 3, p. 27. —
Kékulé, Arch. Zeit., 1874, Taf. 8, p. 93. — Overbeck, Griech. Plastik 3, I, p. 208.
— 0. Rayet, Monuments de l'art antique, I, p. 5. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 456.
G. ROQUES.
75. — Athlète.
Cette statue a été trouvée à Rome et figure aujourd'hui au Musée de Munich. Le bras droit et la main gauche ont disparu.
Cet état de mutilation dans lequel fut retrouvée la statue est particulièrement regrettable, car le sujet de la composition, qui serait parfaitement clair si la statue était complète, est devenu par cela même plus difficile à saisir. Deux opinions ont été émises à ce sujet.
Pour les uns, l'artiste a voulu représenter un jeune Grec élevant une cruche de la main droite et versant le liquide qu'elle contient dans un vase qu'il tiendrait de la main gauche. Pour les autres, nous sommes en présence d'un athlète qui répand de l'huile sur sa poitrine et se sert de la main gauche pour se frotter le corps du liquide assouplissant. On voit du reste qu'il y a entre ces deux actes une grande analogie.
Quelle que soit la solution adoptée, l'attitude que le sculpteur a donnée au personnage, le mouvement qu'il a choisi, nous rappellent ces altitudes d'exception et ces mouvements rapides, peu durables, que Myron aimait surtout à étudier et à rendre. C'est là un premier trait qui autorise à rapprocher la statue de Munich du Discobole ou du Marsyas et à la rattacher à l'école de Myron.
Cette hypothèse prend de la force si l'on remarque comme l'artiste a su observer et reproduire dans tout son naturel et sa vérité cette disposition passagère du corps, ce geste rapide au moment le plus fugitif de son évolution. Le jeune homme, tout attentif à ce qu'il fait, se tient solidement sur ses jambes, les genoux légèrement arqués, la tète penchée naturellement pour laisser libre passage au liquide, les yeux baissés vers la terre. La position du corps est admirable de naturel et de souplesse, et l'artiste a très heureusement évité l'écueil qui se présente toujours dans la représentation d'une scène aussi simple, d'une occupation aussi journalière; il a su dégager les mouvements d.; son personnage de toute raideur, comme de toute vulgarité, et nous ne sentons aucun effort dans l'attitude du jeune athlète.
Remarquons aussi avec quel souci de l'harmonie et des lois de l'équilibre l'artiste a su représenter ce mouvement compliqué. Comme il est facile de le voir, le personnage, soit pour ne point tomber en avant, s'il verse de l'eau dans une coupe, soit pour répandre l'huile exactement sur sa poitrine, si c'est un jeune athlète se préparant au combat, est obligé de rejeter en arrière le bras droit et par suite d'effacer l'épaule droite; cela, de toute nécessité, imprime au buste un mouvement tournant très difficile à rendre si l'on veut conserver au corps toute sa souplesse. L'artiste a sans peine surmonté cette difficulté en inclinant, par une gradation insensible et progressive, le buste à droite et en' faisant concourir harmonieusement toutes les parties du corps à ce mouvement.
D'autres détails sont vraiment myroniens, surtout la petitesse de la tête, la manière libre et ferme dont sont traités les cheveux drus, séparés en courtes mèches, sans symétrie, où l'air circule; la forme du front, bombé à la base du nez, les lèvres fines, les joues sèches et nerveuses, et même la placidité grave, presque sans pensée, du visage.
Par malheur, la statue ne mérite pas que des éloges; on n'y trouve ni les bonnes proportions des membres, ni le modelé savant d'une exacte anatomie qui révèlent le génie du maître d'Éleuthères. Les jambes sont manifestement trop longues; les cuisses sont trop épaisses pour les mollets trop grêles; le ventre s'affaisse avec une platitude molle. Même dans le mouvement général de l'athlète, dont nous avons loué la justesse, il y a quelque chose d'un peu indécis, et, dans la disposition des bras et des jambes, un agencement parfois trop simple de lignes parallèles qui dénote la main d'un disciple moins habile que son maître. Ce n'est pourtant pas peu de chose que d'attirer la comparaison avec un des plus grands noms de la statuaire grecque, et à ce titre le marbre de Munich tient une place de choix dans l'histoire de la sculpture au ve siècle. L'original était d'ailleurs célèbre dans l'antiquité puisqu'il en existe d'autres répliques, une entre autres qui de la collection Chigi est passée au Musée de Dresde (Wolters, Gipsabg. zu Berlin, n° 463) et une autre qui se trouve à Turin (ibid., tio 464).
Bibliographie. — Monumenti, XI, tab. vn. — Brunn, Annali, tab. 5, t. I, 11, p. 201. — Clai'ac, Musée de sculpture, V, pl. 857, 2174. — Brunn, Beschreibung der Glyplolhek" p. 213, 165. — L. Mitchell, Hist. of anc. sculpture, fig. 140. — Duruy, Hist. des Grecs, 111, fig. 12. - Wollerp, Gifisabjùsse zu Berlin, no 467.
A. SIMON.
74. — Doryphore de Polyclète.
f Statue de marbre du Musée de Naples, trouvée suivant les uns a Herculanum, suivant les autres à Pompéi en 1797.
Cette stalue représente un homme jeune et vigoureux qui s'avance en tenant dans la main gauche une lance qu'il appuie sur son épaule, d'où le nom de doryphore. D'après l'examen attentif fait par MM. Knapp, Milchhœrel', Furtwaengler et Kieseritzky, la statue nous est parvenue en très bon état : la tête n'a pas été séparée du tronc; les jambes, quoique rompues en plusieurs endroits, sont antiques en totalité; les seules parties restaurées sont la main droite et l'extrémité des doigts de la main gauche. La lance a été brisée, et il n'en reste qu'un morceau dans la main du personnage; aussi, lorsqu'en 1863 Friederichs avança que cette statue représentait un doryphore, son opinion fut vivement combattue; mais, en 1868, il produisit une intaille de l'Antiquarium de Berlin, représentant un jeune homme nu, debout, dans la position de la statue de Naples, et portant une lance.
De plus, un bas-relief (n° 77) trouvé et conservé à Argos nous offre une représentation du même sujet : un jeune homme nu marche lentement à côté de son cheval; il porte une longue lance; la pose, le mouvement un peu traînant de la jambe gauche sont les mêmes que dans notre statue.
On sait que Polyclète avait sculpté un doryphore que toute l'antiquité admirait; on s'accorde à voir dans la statue du Musée de Naples, une reproduction de l'œuvre du maître argien, surtout si l'on considère le grand nombre de répliques du même type qui nous sont parvenues. Outre l'intaille du Musée de Berlin et le bas-relief d'Argos, il existe au Vatican une statue de doryphore, à laquelle on a restauré une partie de la tête, les deux avant-bras et une partie de la jambe; deux autres statues assez mutilées sont aux Offices, à Florence; deux torses, l'un à Cassel, l'autre dans la Galerie Pourtalès, à Berlin, enfin une tète du Musée de Naples sont aussi des copies de l'œuvre de Polyclète.
Le doryphore est souvent désigné par les anciens sous le nom de Canon. En effet, le maître Argien avait prétendu, en sculptant cette statue, créer un modèle tel que les proportions en pussent servir de règles pour toutes les statues à venir. Il avait même écrit un traité
sous ce même titre de Canon, où il expliquait et justifiait les règles qu'il avait appliquées en créant le doryphore.
La statue de Naples a donc pour les modernes une très grande valeur, elle est un document certain qui permet d'apprécier le style de Polyclète et de juger ses théories esthétiques.
Pline nous apprend (H. N. XXXIV, 55) que Polyclète avait représenté son doryphore viriliter puerum, c'est-à-dire qu'il lui avait donné les formes d'un jeune homme vigoureux comme un homme fait.
Quintilien nous dit d'autre part (lust. Orat. V. 12, 21) que le doryphore était aplani vel militiæ vel palestl'æ, c'est-à-dire qu'il avait le corps solide d'un soldat ou d'un athlète. Le marbre dont nous avons ici le moulage est bien d'accord avec ces renseignements. Le personnage est en effet d'une structure robuste; ses formes, qui ont la fermeté et la pureté de l'adolescence, ont la vigueur ample de l'âge mûr; le modèle, s'il eût existé vraiment, en chair et en os, eût été un énergique soldat ou un redoutable athlète. Ces qualités de force sont d'autant plus frappantes que le doryphore est dans une attitude plus simple; si ses muscles sont aussi gros, larges et nettement détachés, c'est qu'ils sont bien nourris et sainement développés; leurs saillies franches et vigoureuses sont naturelles et indépendantes de tout mouvement et de tout effort, puisque le doryphore est campé seulement debout, en plein repos; nous sommes loin des personnages de Myron. On comprend que Polyclète s'est préoccupé seulement de modeler un corps viril conforme à un type idéal qu'il avait conçu, et que l'attitude et l'action de ce modèle d'atelier n'avaient pas d'importance.
Est-ce à dire que cet idéal de Polyclète soit le plus parfait possible et que le Canon mérite de s'imposer aux générations successives d'artistes, comme l'avait rêvé le maître d'Argos? Pline rapporte quelque part (H. N. XXXIV, 56) que Varron reprochait aux œuvres de Polyclète d'être carrées, quadvata. Le reproche est mérité, si l'on en juge d'après le doryphore de Naples, qui, on peut même le dire, est dépourvu d'élégance. Le personnage est trop large pour la hauteur de son corps, il est non seulement carré, trapu, comme nous dirions de préférence, mais presque massif. L'exécution a même quelque chose de la conception: le modelé de la poitrine par exemple et des cuisses, les pieds et les mains ont quelque chose de lourd et de rude qui nous choque lorsque nous pensons à la délicatesse des maîtres contemporains, Myron ou Phidias. La tète en particulier,
posée sur un cou large, puissant et court, nous semble trop grosse ; les traits, sans intelligence, nous paraissent d'un style peu personnel et d'une exécution sans finesse. On peut admettre, il est vrai, que ces défauts sont le fait non de Polyclète, mais de l'obscur sculpteur à qui nous devons la copie du Musée de Naples. Le torse dit doryphore Pourtalès (n° 75) ou la tête du Musée de Naples (n° 76) n'ont pas, aussi accentués du moins, ces caractères fâcheux. Mais comme, d'une façon générale, toutes les copies qui nous sont parvenues des différentes œuvres de Polyclète s'accordent sur ce point qu'elles montrent une certaine lourdeur, il faut bien reconnaître que Polyclète n'avait pas dû échapper complètement à ce défaut; et il en résulte que, dans son imperfection même, la statue du Musée de Naples nous donne une impression assez juste du style de Polyclète.
Nous permet-elle aussi de retrouver cette règle des proportions, ce Canon dont Polyclète était l'inventeur, qu'il a voulu appliquer dans la statue du doryphore? Nous ne le croyons pas. On sait combien les renseignements donnés sur ce Canon par les anciens sont vagues et même contradictoires. Ce n'est pas une copie telle que la statue de Naples, copie que nous jugeons assez médiocre, qui permet de trancher un problème aussi obscur. Par malheur, ni les textes ne peuvent s'éclairer de l'étude de la statue, ni la statue recevoir de lumière de l'examen approfondi des textes.
Bibliographie. — 0. Rayet, Monuments de l'art antique, I, 29. — Museo Borbonico, VII, 42. —Friederichs, Der Doryphoros des Polyklets; cf. Areli. Zeit., 1864, p. 149.
- Overbeck, Griech. PlastikI, fig. 84. — Murray, Hist. of greek Sculpture, I, pl. XI. — L. Mitchell, Hist. of anc. Sculpture, fig. 175. - Bayet, Précis de l'hist. de l'art, fig. 17. — Y. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. iio. - Baumeister, Denkmxler, p. 1491. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 132. — P. Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 503.
G. ROQUES.
75. — Torse de doryphore.
Ce torse provient de la collection Pourtalès, et se trouve au Musée de Berlin.
Un simple rapprochement de ce torse avec le doryphore de Naples prouve que nous avons ici une nouvelle copie du doryphore de Polyclète. Il est très fâcheux que la statue ne nous soit pas parvenue
intacte, car elle est d'une exécution bien supérieure à celle de Naples, et nous donne une idée plus avantageuse du modèle. M. Wolters a fait remarquer que toutes les formes, dans ce torse, sont plus souples et modelées avec plus de soin, comme le montre, en particulier, la comparaison des ventres; on voit sur le marbre de Berlin des veines qui ne sont pas exprimées sur le marbre de Naples; le genou droit est ici mieux rendu, et le dos, surtout, est constamment d'un dessin et d'un modelé plus justes et plus purs. Si l'on en juge d'après ce fragment, Polyclète aurait soigné le détail plus que ne le laisse supposer le doryphore de Naples; mais il ne reste pas moins établi que le style du doryphore était un peu lourd.
Bibliographie. — 0. Rayet, Monuments de l'art antique, 1 (doryphore de Polyclète), p. 2. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 507.
G. ROQUES.
76. — Tête de doryphore.
Cette tète, qui porte la signature d'Apollonios, fils d'Archias, athénien, est en bronze; elle est conservée au Musée de Naples et a été découverte à Herculanum. De même que le doryphore Pourtalès (u° 75) est supérieur au torse du doryphore de Naples, la tète en question est traitée avec bien plus de soin, de souplesse et de fini que la tête de la même statue. La forme du buste et les deux tenons plantés à droite et à gauche prouvent que nous avons affaire à une étude de détail; la copie, a dû être particulièrement soignée, et par suite c'est là un document de première importance pour l'étude du style et la technique de Polyclète.
M. Wolters juge d'après la forme des lettres de la signature que l'auteur de la copie était contemporain d'Auguste.
Bibliographie. — Antichita di Ercolano, Bronzi, I, p. 161-163. — Comparetti e di Petra, La Villa Ercolanese, tab. 8, 3. - Wolters, Gipsabgilsse zu Berlin, no 505.
G. ROQUES.
77. Doryphore d'Argos.
Ce bas-relief a été trouvé à Argos et déposé au petit Musée de la ville.
Il est évident que ce jeune homme, qui marche vers la droite, à côté de son cheval, et porte une lance sur l'épaule gauche, a été inspiré par le Doryphore de Polyclète. Cela n'a rien de bien étonnant, puisque l'œuvre est originaire de la patrie même de Polyclète. L'intérêt et l'importance n'en sont pas médiocres, puisque probablement le sculpteur a eu sous les yeux l'original lui-même, ce qui n'est pas absolument certain pour les répliques que nous avons signalées ou étudiées jusqu'à présent. De plus, nous voyons que Polyclète ne s'était pas trompé en espérant que son doryphore servjrait véritablement de canon, puisque nous le voyons transporté ici, sans modification aucune de mouvement et d'attitude et servant à idéaliser la figure d'un jeune guerrier mort. Le bas-relief est très probablement un bas-relief funéraire. Par malheur et malgré quelques qualités heureuses de simplicité et de souplesse, le bas-relief est d'un style médiocre et il y a même quelques défauts choquants ; la jambe gauche du doryphore, par exemple, depuis la hanche jusqu'au genou, est hors de proportions avec la jambe droite; on ne peut donc rien inférer du style de cette sculpture au style véritable du canon de Polyclète.
Bibliographie. — Furtwsengler, Mitth. deut. arch, Inst. Athen, III, p. 287, pl. XIII; IV, p. 153, 502 (Milchhœfer). - Annali, 1879, p. 219 (Brunn). — L. Mitchell, A hist. of anc. sculpture, fig. 176. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 508. —
Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 504.
P. P.
78. — Diadumène de Vaison.
Cette statue fut trouvée à Vaison, petite ville du département de Vaucluse, située sur l'emplacement de l'antique Vasio, que Pomponius Mela mentionne comme une des plus riches cités de la Narbonnaise.
En 1862, un habitant de Vaison fit des fouilles très fructueuses sur l'emplacement du théâtre; il en retira plusieurs marbres que le Musée d'Avignon possède aujourd'hui. La statue dont il s'agit ici passa en 1868 entre les mains de M. Eugène Raspail, et comme le Musée du
Louvre, pour des motifs qui ont été justement critiqués, refusait d'en faire l'acquisition, M. Raspail la céda au Britisli Muséum pour la somme de 20,000 fr. C'est donc à Londres que la statue est aujourd'hui conservée.
Elle représente un athlète qui de ses deux bras levés ceint son front et sa tête d'un bandeau ; c'est un diadumène. On sait, au rapport des anciens, que trois grands sculpteurs avaient traité ce même sujet.
Pausanias nomme Phidias (VI, 4, 5), Pline l'Ancien Polyclète (II. N.
XXXIV, 55) et Callicrate Praxitèle (Stat. 11). Quand on considère avec attention la statue de Vaison, on ne peut songer un moment à l'art de Phidias, si simple, si fin et si élégant, au génie qui animait le marbre d'une vie presque divine; on ne pense pas davantage à Praxitèle, à la grâce aimable mais un peu mièvre de son style. Tout, au contraire, rappelle Polyclète : l'attitude sans recherche, l'anatomie vigoureuse du corps et une impression indiscutable de lourdeur. Il semble que le diadumène de Vaison et le doryphore de Naples soient sortis de la même main et tout engage à croire que la première statue, comme la seconde, est la copie de l'œuvre célèbre du maître argien, de cet athlète que Pline appelle « molliter juvenem » et qui, nous dit-il encore, fut estimé cent talents.
Du reste, comme le doryphore de Naples, cette copie, toute précieuse qu'elle est pour nous, ne nous donne pas sans doute une idée absolument sûre de l'œuvre de Polyclète; on y remarque des défauts sérieux qu'il est difficile de mettre au compte du grand sculpteur. La tête a beaucoup souffert, puisque le nez est mutilé, que l'oreille et la joue gauches ont été usées et aplaties par on ne sait quel accident; mais on voit pourtant qu'elle était sculptée avec beaucoup de maladresse : la boîte crânienne est large, le front étroit et trop développé dans le sens horizontal, les joues sont plates, les mâchoires amples et carrées, l'ensemble du visage lourd, comme celui du doryphore, sans aucun reflet de vie intérieure. Le cou est trop court, porté sur des épaules dont le développement est exagéré; la poitrine est saillante, disposée par larges masses et par plans rectangulaires unis par un modelé trop rapide; la jointure de l'abdomen et des cuisses est marquée par un sillon profond et les hanches font une trop épaisse saillie, indiquée d'une manière trop conventionnelle. Il semble enfin que, comme les pieds et les bras du doryphore, ceux du diadumène soient trop grands et trop gros; l'œuvre, dans le détail, dénote peu de soin et peu d'unité dans l'ensemble.
C'est pourtant, parmi les nombreuses répliques du diadumène de Polyclète que nous connaissons, en marbre et en bronze, celle qui par ses dimensions et son style, est pour nous le document le plus complet et le plus intéressant.
Bibliographie. — 0. Rayet, Monuments de l'art antique, I, pl. 30. — Monumenti, X, tab. 49. — Overbeck, Griech. Plastik', I, fig. 85. — Murray, Rist. of greek sculpture, I, pl. X. — Sidney Colvin, Journal of hellenic studies, II, p. 352. —
V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 56. — Baumeister, Denkmseler, fig. 1498. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 133. — Wolters, GifJSabg. zu Berlin, no 508.
J. SEGRESTAA.
79. — Diadumène Farnèse.
Lorsque le Musée Britannique fil l'acquisition du diadumène de Vaison, il possédait déjà depuis 1864 une statue de sujet identique qui provenait de l'ancienne collection Farnèse. Ce dernier marbre, de proportions plus réduites, passait alors pour la plus importante réplique du diadumène de Polyclète. Elle est maintenant passée au second rang.
Les défauts du diadumène de Vaison sont très grands, et il ne nous permet de nous faire qu'une idée assez lointaine du chef-d'œuvre de Polyclète: les défauts du diadumène Farnèse sont encore plus nombreux et plus graves. C'est une statue dépourvue absolument d'élégance, où les tendances à la lourdeur que nous avons reprochées à
Polyclète ont été fort exagérées. Le copiste n'a eu qu'un sentiment bien vague du modèle qu'il voulait reproduire, et nous nous refusons à:retrouvel' autre chose que l'attitude de l'original dans cet homme disgracieux et mal bâti, aux jambes trop longues, aux mollets trop gros, aux pieds trop grands, à la tête trop petite, dont les chairs tantôt molles, tantôt dures, n'ont rien de cette souplesse dans la force qui donnait son prix au diadumène de Polyclète.
Il est d'ailleurs très possible que ce ne soit pas là une réplique du diadumène de Polyclète; si on compare la statue Farnèse à la statue de Vaison, on voit qu'il y a des différences notables non pas seulement dans le style, mais dans l'attitude et le mouvement; les jambes ne
sont pas disposées de même, non plus que les bras. Le diadumène de Vaison ne s'appuie que sur la jambe droite, tandis que celui-ci pose les deux pieds à plat sur le sol, bien que le genou gauche soit infléchi ;
c'est là même une position qui ne peut être reproduite dans la nature; le bras droit du diadumène Farnèse, le seul qui subsiste, est plus rapproché du corps, dans un mouvement moins libre et moins dégagé.
On peut donc se demander si les deux copistes ont eu sous les yeux le même original; le diadumène était un thème si courant, traité si souvent par les artistes qui avaient à immortaliser les athlètes vainqueurs, qu'on peut faire à ce sujet toutes les suppositions. On a remarqué finement que la chevelure du diadumène Farnèse est traitée d'un style plus libre que les chevelures de l'école argienne et que le visage est plutôt de type attique. « Il y a dans toute la figure, dit M. P. Wollers, quelque chose de mou, presque de sentimental, qui semble avoir été étranger aux œuvres de Polyclète, mais qui se trouve au contraire en général dans les œuvres attiques des plus anciennes époques, et par suite nous pouvons tenir ce diadumène pour une œuvre attique ». Nous rappelons cette théorie, sans la discuter, simplement pour montrer que malgré ses défauts extrêmes, le diadumène Farnèse, même à côté du diadumène de Vaison, ne manque ni d'intérêt ni d'importance.
Bibliographie. — Annali, 1878, tab. A, p. 20; cf. 1883, p. 153 (Michaelis). —
Gerhard, Antike Bildwerke, taf. 69. — Millier - Wieseler, Denkm. der alten Kunst, 1, XXXI, 136. — Clarac, Musée de scul/ lure, V, pl. 358 C.; 2189 A. — A Murray, Ilist. of greek sculpture, I, pl. IX. — L. Mitchell, Hist. of atic. sculpture, fig. 177.
— Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, n" 509.
G. SOULIER.
80 — Amazone de Polyclète.
Cette statue fut trouvée à Rome en 1868 et acquise bientôt par le Musée de Berlin, où elle se trouve aujourd'hui. Il lui manquait, lors de sa découverte, le bras droit et le pied droit jusqu'à la cheville, ainsi que le pied gauche; le nez était brisé. La reconstitution qui en a été faite doit être tenue pour exacte, car elle s'accorde parfaitement avec les indications que donnaient encore les cassures. L'amazone fatiguée s'appuie légèrement de l'avant-bras gauche sur une colonne, ramenant mollement son bras droit au-dessus de la tête, dans une pose de lassitude pleine de naturel. Le torse s'incline doucement en arrière, en portant plutôt sur le côté gauche; des deux jambes, la droite,
assez cambrée, soutient le corps de son côté, et, libre entre ces deux appuis du bras gauche et de la jambe droite, la jambe gauche s'infléchit sans effort. La tête, penchée légèrement à droite, a un air de douleur résignée, et, si l'on suit le regard, on s'arrête avec lui au côté d roit, sur une blessure marquée près d u sein. M. Wolters prétend qu'avec une telle blessure le mouvement du bras n'est pas naturel et que la douleur ressentie par l'Amazone défend cette posture : on pourrait lui répondre que l'impression première laissée par la statue est une impression de lassitude, que la fatigue endort le mal, que c'est plutôt le repos que la souffrance qui assoupit les membres de l'héroïne.
Nous ne sommes pas ici en présence d'une œuvre de Myron, s'efforçant comme dans le Discobole ou le Marsyas de saisir un mouvement fugitif : l'artiste voulait représenter le repos et dans la blessure la cause de ce repos. L'Amazone se repose. Pourquoi? Parce qu'elle est blessée. Et ce n'est pas là une invention de copiste : il faut pour arrêter l'ardeur belliqueuse de celte âme masculine dans un corps de femmeune cause importante ; elle réside dansla blessure, qui du reste estnécessaire, car sans elle, ou si elle était à gauche par exemple, l'unité de l'oeuvre serait rompue. L'Amazone s'appuierait-elle sur le côté blessé, et n'est-il pas plus naturel, ce mouvement qui laisse bien dégagée la partie malade, qui porte le corps à gauche, épargnant tout effort aux chairs blessées?
A propos du support, sur lequel porte l'avant-bras gauche de la statue, Michaelis et Wolters ont ouvert une longue discussion, intéressante il est vrai, puisqu'il s'agit de savoir si l'Amazone était dans une pose plus libre que ne le montre la restitution: ils concluent que l'original étant en bronze, l'appui ne devrait pas exister. Et pourtant, bien que des œuvres antérieures comme le Discobole puissent leur donner raison, en montrant que le sculpteur ancien n'admettait pas d'appui même pour un corps en état d'équilibre instable, nous pourrons remarquer que soit le Discobole, soit le Marsyas reproduisent des mouvements violents, que l'énergie entière de tout le corps est en activité, et l'on comprend fort bien l'absence de support, puisque l'action n'est que passagère. Mais devant la faiblesse de l'Amazone blessée, et surtout devant la liberté de la jambe gauche qui effleure à peine le sol du bout du pied, il est permis d'avancer que le sculpteur avait donné à son héroïne de quoi appuyer son bras. Ce n'est pas dire que le vrai support soit celui que nous avons ici, mais assurément la pose de lassitude s'affirme trop pour que l'on puisse se figurer pendant sans appui cette main gauche qui s'allonge languis-
samment, car toute la force est concentrée dans l'avant-bras qui supporte le corps.
Le type de l'Amazone avait tenté nombre de sculpteurs grecs, et parmi les plus célèbres, Pline (H. N. XXXIV, 19) a rapporté la curieuse légende suivant laquelle un concours aurait eu lieu entre Polyclète, Phidias, Ctésilas, Phradmon et Cydon, pour l'exécution d'une statue d'Amazone destinée au temple d'Ephèse, où dit le mythe, Dionysos avait obligé les guerrières à venir un jour en suppliantes. Chaque artiste, appelé à donner son avis sur les statues exposées, après avoir donné naturellement la première place à son œuvre, donnait la seconde à l'œuvre de Polyclète, d'où il résultait que Polyclète était réellement le vainqueur du concours. C'est là, sans aucun doute, un récit forgé à plaisir, puisque les artistes cités par Pline n'étaient pas tous contemporains; mais il n'en reste pas moins établi que Phidias et Polyclète, pour ne parler que des plus grands, se sont exercés sur ce sujet, une Amazone, et que nous devons nous demander si nous ne sommes pas ici en présence d'une réplique de l'un ou l'autre de ces chefs-d'œuvre.
Ecartons tout de suite le premier nom; aucun rapprochement n'est possible entre ce corps de femme, si beau que nous le jugions, mais d'une beauté vraiment humaine, et les divinités sublimes des frontons du Parthénon, Déméter et Coré, les Charités, où d'un commun accord tous reconnaissent le génie de Phidias. Mais il se pourrait bien que l'original du marbre de Berlin fût l'Amazone de Polyclète.
Si nous avons pu trouver dans le Doryphore comme le type d'une certaine beauté virile que Polyclète avait conçue, et qu'il prétendait imposer comme modèle à tous ses émules, l'Amazone de Berlin se présente de même à nous comme une œuvre qui personnifie pour sa part la beauté jointe à la force dans le sexe féminin. On connaît le reproche que fait Quintilien au maître d'Argos, d'avoir idéalisé le corps humain, de lui avoir donné trop de beauté, mais d'avoir au contraire rapetissé les dieux et de leur avoir ôté quelque chose de leur majesté olympienne; il semble bien, à considérer l'Amazone, qu'elle réponde absolument à l'appréciation du rhéteur; celui qui a conçu et exécuté cette statue d'une mortelle avait dans l'esprit un idéal qui passe l'humanité. Cet idéal; d'ailleurs, nous paraît vraiment avoir plus d'une affinité avec l'idéal que Polyclète, à juger d'après les répliques du Doryphore, se faisait du corps viril. Ici comme là, c'est la même structure solide, volontairement un peu massive et un peu
lourde, le même type de la vigueur au repos; comme l'athlète, la guerrière trouve la beauté dans la force, dans le développement riche et nourri, plutôt qu'élégant, des formes pleines, dans l'épanouissement de la maturité saine et robuste. Mais la sévérité avec laquelle on peut juger l'exécution du Doryphore doit se taire, ou du moins s'adoucir devant le corps large, puissant, sans faiblesse de l'Amazone; et pourtant si c'est une impression de vigueur courageuse que nous en retirons, d'une vigueur qu'arrête pour un instant la douleur cuisante de la blessure, que de grâce et de légèreté de touche dans l'expression fièrement résignée du visage, où le regard semble perdu! La poitrine, à peine cachée par le vêtement qui fait écharpe, respire une vie intense ; le côté gauche, plein de laisser-aller, nous laisse voir des rondeurs de chairs délicatement traitées, et à droite la tunique laisse deviner une hanche solide, aux lignes pures et savantes. Les articulations et les attaches fines, nerveuses et fortes à la fois, la chevelure sans recherche ni raideur, enfin les deux seins dont la nudité magnifique rayonne, tout concourt à faire de cette statue une œuvre du va siècle, et l'œuvre d'un artiste savant et inspiré, tel que nous apparaît Polyclète.
Du reste, si toutes les qualités de son talent se montrent à leur apogée dans cette Amazone, il faut bien reconnaître que nous avons ici un ovale encore très surbaissé et un grossissement de traits qui étonne, bien qu'il soit peut-être voulu, et que la même conception ait dû guider Polyclète sculptant le Doryphore et sculptant l'Amazone « viriliter virgo ».
Le vêtement de l'Amazone, ce chitôn si gracieux dans sa simplicité, nous révèle une nouvelle face du talent de Polyclète. Tombant à plis flottants jusqu'aux genoux, à peine serré à la taille par une ceinture à boucles et formant autour du corps à la hauteur des hanches comme une seconde draperie, il s'amincit en une étroite bandelette qui passe sur l'épaule droite ; partout les plis flottants et chauds d'une riche étoffe, qui s'harmonise parfaitement avec la splendeur du corps de femme qu'elle revêt. Il n'y a rien de plus gracieux que cette tunique qui s'étire peu à peu vers l'épaule et a comme peur de voiler la poitrine. Sans nul doute, Polyclète mit tous ses soins à cette draperie dont l'ajustement devint classique et remplaça les longues tuniques bigarrées à l'orientale que les sculpteurs, sans doute, comme les décorateurs de vases, donnaient jusqu'alors exclusivement aux Amazones.
En somme et malgré les défauts que nous avons pu y trouver,
l'Amazone de Berlin est une des plus belles œuvres que nous ait laissées l'antiquité; elle reste le chef-d'œuvre de Polyclète, car, dans la représentation de son héroïne blessée, il a su, tout en nous la montrant brisée de fatigue, nous faire pressentir toute la virile ardeur qui animait ce corps de femme, corps qui n'éveille aucune idée de volupté et dont les nudités superbes ne donnent l'impression que d'une chasteté pleine d'orgueil.
Bibliographie — Monumenti, IX, tab. 12.- Overbeck, Griech. Plastik3, 1, 393.— Murray, A history of greek sculpture, I, fig. 54. — Lucy M. Mitchell, A history of ancient sculpture, fig. 73 — Michaelis, Ancient marbles, 462, 83. — Baumeister, Denkmseler, p. 1500. - Roscher, Ausfùhrliches Lexicon, p. 208 (Art. Amazone). —
Jarbuch des Archœologischen Instituts, 1886. (Texte et reproduction; p. 30, Tête à part, Pl. 3, no 1 ). — P. Paris, La sculpture antique, fig. 134. —
Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 513.
AUG. MILAA.
81. — Amazone Mattei.
Cette statue, jadis placée, ainsi que l'indique l'inscription qui se trouve à la base (Translata de schola medicorum), dans une école de médecins, appartint d'abord à la villa Mattei, et fait partie, depuis Clément XVI, des collections du Vatican. Sculptée dans ce marbre grec tout particulier, d'une blancheur laiteuse, que les Italiens appellent Greccheto, elle porte encore la trace de peintures primitives, qui devaient, l'animer davantage ; elle a subi du reste des restaurations nombreuses, qui n'ont fait qu'agrandir le champ de la discussion, car les archéologues qui se sont occupés de cette statue sont loin d'être d'accord sur la signification qu'il faut lui donner et sur le nom de son auteur.
Et pourtant, bien qu'il ait été nécessaire d'adapter une tête (celle que l'on a choisie, presque semblable à celle de l'Amazone de Berlin, est du reste antique), de reconstituer lajambe droite du talon au genou, de restaurer le nez, le menton et la lèvre inférieure, et de refaire entièrement les deux bras, il ne faut pas douter pour cela de l'exactitude de la restitution. On peut, à vrai dire, hésiter sur la position véritable du bras droit, qui s'arrondit au-dessus de la tète, mais la façon de se présenter des épaules et la direction encore visible des aisselles justifient absolument l'allongement du bras gauche et le
relèvement du droit. Quant à la jambe droite, le fait que le talon appuie directement et vigoureusement sur le sol confirme la raideur des muscles du mollet sur lequel appuie tout le corps. Nous entrevoyons dès lors l'attitude générale de l'Amazone ; mais il est plus difficile de spécifier quel acte elle accomplissait et quel est l'objet qu'elle tenait dans ses deux mains.
Il n'y a pas de doute que nous ayons réellement devant les yeux une Amazone court vêtue, à la tunique légère, les seins nus, le carquois au côté et le bouclier suspendu à un tronc d'arbre, une de ces gerrières du Pont, à la stature d'une grâce assez vigoureuse et dont les membres ont une délicatesse où court la tève — gracilitas succulenta, comme dit 0. Müller; sur ce point nous ne pouvons qu'être de son avis. Il est aussi juste de le suivre quand il discute et combat certaines des théories émises sur la signification de la statue : l'on a dit qu'une fois les flèches lancées, l'Amazone se servait de son arc comme d'une massue pour combattre de pied ferme ; outre que jamais un sculpteur n'a usé de cette représentation, 0. Müller a raison de nier que l'Amazone ait l'air d'avoir en face un ennemi, et qu'elle soit prête à se défendre : si cela était, elle aurait dû chercher à dissimuler son corps et non le présenter ainsi de face et à découvert.
On a pensé aussi que la guerrière faisait quelque mouvement d'exercice militaire; elle n'aurait pas dans ce cas le reste de son armement à terre ; du reste, l'opinion manque de précision : 0. Millier la rejette et nous la rejetons avec lui.
Mais lorsqu'à son tour, il donne son explication personnelle, il devient lui aussi trop hardi. Rapprochant la statue d'une pierre gravée où l'Amazone, ayant son arc en bandoulière et le carquois pendu à gauche, tient de ses mains un long bâton pour sauter, il conclut que nous aussi avons affaire à une femme prête à s'élancer. Le rapprochement est assurément ingénieux, et plus ingénieuse encore la façon dont 0. Muller soutient son dire et essaie de forcer l'assentiment.
L'attitude de la statue, prétend-il, s'accorde avec cette hypothèse ; elle a mis à terre le bouclier, la hache, le casque et n'a gardé que le carquois plein de flèches légères ; elle a relevé sa tunique pour plus de commodité ; elle a défait l'agrafe qui retenait le chilôn sur l'épaule gauche. Elle est prête à sauter.
Mais si l'on admet, et il l'a admis, que la restauration est exacte, l'Amazone ne peut s'élancer, car pour ce faire, la position serait défectueuse ; le bras droit, sur le même plan que le corps tout entier,
entraverait l'élan du personnage. Et du reste, le pied droit adhère trop intimement au sol, pour que l'Amazone soit représentée en passe d'un mouvement aussi léger qu'un saut en avant. Véritablement, elle tient dans ses mains son arme habituelle, un arc qu'elle est en train de tendre ou de détendre ; il est visible qu'elle a entre les deux bras un objet qui possède en lui-même une force de résistance, car le corps se raidit et le côté droit tout entier se d'éploie largement comme sollicité par une force extérieure, tandis que le côté gauche est beaucoup plus courbé et plus contracté. Une autre hypothèse a une grande valeur : l'Amazone serait blessée, bien qu'on ne voie pas sa blessure comme celle ûê l'Amazone de Berlin, sans doute à la jambe gauche, et pour sou tenir son corps affaibli et défaillant, elle s'appuierait sur son arc ou sur sa lance.
Quoi qu'il en soit, la statue reproduit sans aucun doute une œuvre célèbre.
Visconti, et tout récemment M. Wolters veulent voir dans l'Amazone du Vatican une imitation de l'Amazone de Polyclète. Mais si l'on admet que l'Amazone de Berlin, et c'est notre opinion, porte plus franchement que toute autre statue d'Amazone l'empreinte du génie de Polyclète, et si l'on considère les formes sveltes et un peu grêles de l'Amazone du Vatican, si peu d'accord avec le style du maître argien, on a quelque peine à se ranger à cette opinion. Suivant 0. Millier, cette figure serait la copie de celle qui, dans le concours d'Ephèse, valut la deuxième place à Phidias. Bien que dans cette œuvre la tendresse féminine s'accentue à certains endroits d'une mâle vigueur, elle est en vérité un peu mièvre, quand on la rapproche du Doryphore et de l'Amazone de Berlin; elle n'en a pas la masse solide; sa structure élancée, mais sans force, son attitude élégante, mais un peu précieuse, sont des qualités qui doivent paraître comme celles d'une école plus récente et cette hypothèse, non plus que la précédente, ne nous satisfait pas; nous répugnons surtout à la hardiesse du grand archéologue, qui veut que, comme pour le Jupiter Olympien, Phidias se soit inspiré d'une description d'Homère : nous aurions là l'image de Myrina ■Ko\uyJ.p[j.oç c'est-à-dire bondissante.
Quoi qu'il en soit, copie d'une statue de Polyclète ou de Phidias, ou
copie d'une des statues nombreuses que dut inspirer le génie de ces maîtres, l'Amazone Mattei forme avec l'Amazone de Berlin, tout en lui étant sensiblement intérieure, un groupe des plus intéressants; car nous avons ainsi deux conceptions d'un même type, et nous suivons
les routes différentes que faisaient prendre aux sculpteurs grecs le désir du vrai et le sentiment du beau.
Bibliographie. — Visconti, Maseo Pio Clementino, II, p. 164, pl. XXXVIII. —
Bouillon, Musée des Antiques, II, pl. X.- Ottf. Muller, De Myrina Amazone, dans les Comment. Soc. Gotting, VII, p. 59 et planches. — Miiller-Wieseler, Denk. der alt.
Kunst, I, pl. XXXI, 138 a. — Overbeck, Griech. PlastikS, I, fig. 86 d. — Gerhard, Bullet. de l'Inst., 1830, p. 30. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, p. 222, fig. 249. — Baumeister, Denkmæler, p. 1502. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 416. — Wolters, GipsaÓgüsse zu Berlin, no 516.
AUG. MILAA.
82. — Héra Farnèse.
Ce buste de marbre, représentant Héra, comme l'indique le bandeau qui entoure la tête, était d'abord au palais Farnèse, à Rome; depuis 1790 il est à Naples. La pointe du nez et une partie du buste ont été restaurées. Tout le reste est antique.
Bien différente de l'Héra de Ludovisi, dans laquelle on voit dès le premier abord une certaine recherche du luxe et même de la grâce, l'Héra Farnèse n'exprime que la force et l'énergie. La tête est droite.
Le bandeau qui indique sa royauté dans l'Olympe est simple, sans aucun ornement. Il enserre les cheveux qui descendentenstriesrégulières depuis le sommet de la tête jusqu'au bandeau, puis, passant par dessous, sont ramenés en arrière en tresses parallèles et sont unis par un lien à leur extrémité. Le front haut et sévère est divisé en deux parties; la partie supérieure est plate, tandis que la partie inférieure, légèrement bombée, contribue à donner à la physionomie de la rudesse et de la sévérité. les yeux grands nous rappellent l'épithète de (3OÛ7UÇ donnée par Homère à la reine des Dieux. Ils sont surtout très larges et les paupières font une saillie très prononcée au dessus de la surface de l'œil. Le nez est droit et grand. Les joues plates semblent taillées d'un seul coup de ciseau et comme d'un seul éclat. Les lèvres sont très épaisses et légèrement entrouvertes. Les oreilles, trop grandes peut-être, sont bien placées, Le menton carré et très saillant achève de donner à la figure un air sévère et rude.
Car c'est là l'impression générale qui résulte de l'étude de ce buste. Le sculpteur n'a pas voulu représenter une déesse souriante et aimable : la tradition s'y opposait. Depuis Homère, Héra était
regardée comme une déesse rude, un peu sauvage, acariâtre, méchante même, au point que Jupiter était souvent obligé de la rappeler à ses devoirs par des traitements fort sévères. Il ne semble pas cependant que le sculpteur ait voulu représenter absolument ce type. Il lui a conservé cette sévérité générale qui était de tradition, mais ce qu'il a voulu faire surtout c'est une déesse mère, une de ces déesses courotrophes, comme les appelaient les Grecs, dont les types les plus remarquables sont Demèter et Coré.
Quelques critiques ont voulu voir dans ce buste de nombreuses traces d'archaïsme. Nous ne croyons pas qu'il en soit ainsi; dans la raideur et la symétrie de la chevelure nous voyons plutôt la technique du bronze. Quant au front élevé, au nez droit, aux lèvres épaisses et au menton carré, loin d'être des traces d'archaïsme, ils semblent la réalisation exacte du type grec, tel qu'on se le figure généralement, type que n'offre aucune statue antérieure, si ce n'est l'Amazone blessée de Polyclète. Qu'on regarde attentivement le profil de l'Héra Farnèse, et on reconnaîtra que c'est bien là une sorte d'idéal, un type que l'on est convenu d'appeler classique.
On a souvent dit que cette tête était une reproduction de la tête d'une statue célèbre de Polyclète, l'Héra chryséléphantine qu'il sculpta pour le temple d'Argos. Certes la reproduction ne serait pas absolument exacte, car Pausanias nous dit (II, 17, 4) que l'Héra de Polyclète « porte un diadème où sont sculptées les Grâces et les Heures ». Or l'Héra Farnèse a un diadème entièrement plat, et si peu élevé qu'il est plutôt un simple ruban qu'un véritable diadème. Mais pourtant le style général de l'œuvre est bien celui de Polyclète. C'est bien là ce coup de ciseau, manquant un peu de souplesse, un peu raide, plus propre à rendre la force et la vérité anatomique que la grâce. —
L'Amazone blessée a, il est vrai, un peu moins de raideur, et moins de sévérité dans le visage. Mais il faut se rappeler qu'Héra était avant tout pour les Grecs une déesse rude et sévère. D'ailleurs la façon dont les cheveux sont sculptés est bien la même pour l'Héra Farnèse que pour l'Amazone. Enfin la figure entière, les joues plates, le nez droit, les yeux larges et tous les autres détails, rappellent le style de l'œuvre capitale de Polyclète, le Doryphore. Comme pour les autres œuvres de ce sculpteur, on sent que l'artiste a voulu produire une impression de force, de vigueur: qu'il a voulu créer un type, le type de l'Héra, comme dans le Doryphore il a voulu représenter le type du jeune athlète fort et bien proportionné. L'Héra Farnèse
est un canon presque au même titre que le Doryphore. C'est bien là, sinon le coup de ciseau de Polyclète lui-même, du moins celui d'un de ses élèves ou de ses imitateurs, qui a même accentué les caractères du maître, et on peut soutenir avec beaucoup de vraisemblance, que si ce buste n'est pas une reproduction textuelle de l'Héra chryséléphantine de Polyclète, elle en est du moins une imitation fort ressemblante.
Bibliographie. — Museo Borbonico, V, tab. 9, 2.- Monumenti, VIII, tab. I.— Brunn, Bullelino, 1846, p. 122; Annali, 1864, p. 297.- Overbeck, Kunstmythologie, taf. IX, 1, 2. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, no 500.
G. DANSAC.
m
85. — Héra d'Agrigente.
Cette tête de marbre, plus grande que nature, a été trouvée à Girgenti (Agrigente); elle appartient au Musée Britannique.
Comme l'Héra Farnèse, avec laquelle elle a plus d'un rapport, l'Héra d'Agrigente tient une place importante parmi les représentations figurées de la déesse. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire ce qu'en a dit M. Murray, un des historiens de la sculpture grecque qui a le mieux reconnu toute la valeur du fragment.
« Cette tête a été publiée par Helbig dans les Monuments de l'Institut (IX, pl. I), et étudiée dans les Annales (1869, p. 144); il la regarde comme tenant une place intermédiaire entre l'Héra Farnèse précédemment identifiée (Anllali, 1864, p. 297) par Brunn avec le type de poiï>TUÇ 7roxv'.3C "Hp-r¡ et la Junon Lodivisi, où Brunn voit une Ttôrvia <'Hp-r¡ sans le caractère exprimé par le mot [ÎOWTT'.Ç. Overbeck (KUllSlmythologie, III, p. 81) considère que l'Héra du Musée Britannique exprime mieux que l'Héra Farnèse la plénitude de l'idée d'Héra, non pas la sérieuse et sévère reine des dieux, mais plutôt l'épouse aimante et aimée de Zeus. Helbig voit quelque chose du caractère de potoTTtç dans les yeux, mais on peut douter qu'il ait raison sur ce point.
Il faut bien remarquer que cette tête a considérablement souffert; d'abord les lèvres ont été comme polies ; non seulement elles ont perdu leurs contours délicats et précis, mais elles semblent presque bàiller; de plus le diadème (stephallos) a été rogné des deux côtés, en arrière.
Cette diminution du diadème, et en particulier l'absence d'ornements
à sa surface, tend à exagérer la gravité de l'expression, tandis que l'usure des lèvres donne à la partie inférieure du visage une lourdeur qui va mal avec le caractère de fiancée (i). Il se peut d'ailleurs que quelque chose du type matronal ait été introduit dans le visage par les anciens copistes. Toutefois, si l'on regarde de trois quarts, les mutilations et les défauts sont moins appréciables, et le visage a un charme de beauté naturelle, non pas libre et joyeuse dans son amabilité, mais tempérée par une réserve sévère, unissant en réalité la grâce plus qu'humaine de Polyclète, au pouvoir incomparable qu'avait cet artiste de tirer d'observations profondes un type caractéristique, toutefois avec un goût constant pour la gravité dans l'expression du visage ».
Bibliographie. — Monurnenti, IX, taf. T. — Helbig, Annali, 1869, p. 144. —
Overbeck, Kunstmythologie, III, p. 81, tab. IX, 4, 5. — Murray, A Hist. of greek Sculpture, I, p. 268 et suiv. ; fig. 52. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 501.
P.P.
Les sculptures du Parthénon.
La gloire d'avoir construit le Parthénon, le plus beau des monuments d'Athènes et de l'antiquité tout entière, revient à l'architecte Ictinos; à Phidias revient la gloire des merveilleuses sculptures qui décoraient le Parthénon, les statues des deux frontons, les bas-reliefs des métopes et de la frise qui couronnait à l'extérieur le mur de la cella. Sans vouloir en aucune façon amoindrir le génie ni rien enlever au prestige du nom de Phidias, nous devons noter, avant de décrire en détail cet ensemble prodigieux, que Phidias dans l'accomplissement de cette œuvre immense a eu des collaborateurs, plus ou moins nombreux, car il est impossible que le ciseau d'un seul artiste ait mené à bonne fin une entreprise aussi vaste ; et nous devons avouer encore que dans l'état de nos connaissances, il est impossible de préciser quelles statues des frontons, quelles métopes ou quelles parties de la frise sont parties de la main même du maître. Ce sont des raisons d'instinct et de sentiment, plutôt que de science, qui dictent snr ce point l'appréciation de chacun, et les jugements ainsi
- (lj M. Murray est d'avis que tel était le type de l'Héra de Polyclète, dont c'est ici, comme l'Héra Farnèse, une imitation évidente.
motivés ne sont pas infaillibles. Aussi nous contentons-nous, une fois pour toutes, de dire ici que nous adoptons l'opinion moyenne, aujourd'hui très en faveur, qui attribue à Phidias la conception générale de la décoration sculpturale du temple, l'invention et la disposition des sujets, le dessin des cartons des métopes et de la frise, l'exécution de quelques figures des frontons, celles devant qui l'admiration s'exalte comme devant les plus parfaites que la sculpture d'aucun pays ni d'aucun temps nous ait léguées.
L'histoire des marbres du Parthénon a été souvent racontée ; on sait commént une bombe vénitienne, en 1687, éventra le temple transformé depuis deux cents ans en mosquée ; comment les Vénitiens brisèrent des statues pour compléter le ravage de leurs bombes; comment le vandalisme de lord Elgin mutila les métopes en les arrachant de leurs coulisses, enleva, non sans dommage, deux cents pieds de la frise et les statues des frontons que le temps ou la guerre avaient épargnés. Tous les fragments de la décoration sculpturale du Parthénon se trouvent ainsi partagés en deux groupes principaux: celui de Londres et celui d'Athènes; quelques-uns se trouvent au Musée du Louvre ou dans différentes collections d'Europe.
84-92. — Le Fronton Oriental.
Pausianas (I, 24,5) indique en une seule ligne le sujet de la scène représentée au fronton oriental du Parthénon : c'est la naissance d'Athéna. Par malheur, toute la partie centrale a sauté; les figures qui l'occupaient sont perdues; il ne nous reste que cinq statues de l'angle droit, et cinq de l'angle gauche (1), dont le groupement nous est connu par un dessin de Carrey exécuté en 1674. Nous sommes réduits à des hypothèses pour la reconstitution du reste de la scène.
On connaît le mythe de la naissance d'Athéna : Zeus, souffrant d'un violent mal de tête, Héphaïstos lui fendit le crâne d'un coup de hache, et la déesse en jaillit armée de pied en cap. Les décorateurs de vases, qui ont souvent traité le sujet, représentent tout naïvement cette scène; on voit Zeus assis au milieu de l'Olympe assemblé, Héphaïstos vient de lui ouvrir la tête, et une petite image d'Athéna se trouve
(1) Nous entendons par droite et gauche la droite et la gauche du spectateur.
suspendue au-dessus de son père. Il est difficile d'admettre que Phidias ait conçu le tableau de la sorte : Athéna voltigeant, pour ainsi dire, au-dessus de la tète de Zeus, réduite à des proportions exiguës, ne convenait guère aux conditions de la sculpture, surtout à la décoration d'un fronton où elle devait apparaître comme le personnage principal.
Zeus assis ne se serait guère expliqué non plus au centre du fronton, où les figures doivent remplir tout l'espace laissé libre entre la plinthe horizontale et les lignes rampantes. Il faut donc croire qu'Athéna était debout, de grandeur naturelle, entre Zeus et Héphaïstos, mais il nous est impossible de préciser davantage.
La scène se passant au milieu de l'Olympe, on a voulu voir dans les différentes figures des angles du fronton, qui nous ont été conservées, des images des différentes divinités, sans pouvoir, du reste, s'accorder sur le nom à donner à chacune d'elles.
Il est possible qu'entre le groupe central et la première figure que nous trouvons en avançant vers la gauche, il y ait eu quelque figure aujourd'hui perdue. Celle que nous possédons (n° 88) est d'ordinaire considérée comme Iris ou une Victoire; debout, s'avançant d'une marche légère et rapide, les robes flottantes par derrière, et par devant comme plaquées au corps, cette femme aux formes encore grêles de vierge a bien le type et l'allure d'une messagère céleste ou d'une de ces Victoires qui faisaient cortège à l'Athéna. guerrière; il est à remarquer que, contrairement à la tradition, Phidias a remplacé les ailes par une écharpe gonflée au vent.
A côté d'Iris (ou de la Victoire) sont assises deux femmes :la première légèrement tournée vers la droite, semble montrer du bras gauche la déesse qui vient de naître; l'autre, bien en face, dans une attitude de calme parfait, appuie son bras gauche sur l'épaule de la première; on les regarde, entre autres identifications, comme Déméter et Coré, ou comme les Heures. Leurs mains sont brisées et leurs têtes manquent (n08 86, 87).
Vient ensuite un personnage viril, absolument nu, assis ou plutôt à demi couché sur un rocher recouvert d'une draperie. Il regarde vers la gauche, tournant par conséquent le dos au groupe féminin ; il s'appuie du coude gauche sur le rocher, et du bras droit fait un geste simple et familier; on a longtemps appelé ce dieu Héraklès; une théorie récente y voit Olympos, la personnification de l'Olympe (n° 85).
Devant lui, occupant l'angle extrême du fronton, on voit des têtes de chevaux, et les épaules et les bras d'une figure virile émergeant
de l'eau représentée par une plaque de marbre mollement ondulée; on s'accorde à y voir Hypérion et son char (n° 84). Par malheur, la tète du dieu a disparu.
De l'aile droite du fronton, il ne reste d'abord qu'une tête de cheval (nO 92), à l'angle extrême, faisant saillie, et un torse féminin; une ingénieuse interprétation, toute récente (M. Cecil Smith), voit dans ce groupe Séléné assise en amazone sur son cheval, et se plongeant dans les flots. Derrière Séléné étaient placées les trois statues fémir nines que l'on a désignées longtemps sous le nom de Parques, puis sous le nom de Charités, Auxô, Thallô et Carpô, où l'on est porté à voir maintenant d'autres déesses, comme la Terre, la Mer, etc. C'est le groupe le plus fameux des frontons, celui dont la merveilleuse beauté appelle avant tous les autres le nom de Phidias (nos 89, 90, 91). La première, à gauche est assise, le corps tourné vers la droite; sa tête manque, mais le dessin de Carrey montre qu'elle dirigeait ses regards vers la scène centrale; la seconde est assise aussi, tournant presque le dos à la première, et sur ses genoux elle soutient la troisième voluptueusement étendue, qui, d'après le dessin de Carrey (car la tête est aujourd'hui perdue) regardait du côté de Séléné.
Il est fort difficile, sinon impossible de préciser le nombre et le sens des figures qui se trouvaient disposées entre ce groupe et le groupe central Zeus, Athéna et Héphaïstos.
Malgré toutes ces lacunes et la perte d'importantes figures, la composition du fronton oriental est assez bien connue pour que l'on en puisse admirer la belle ordonnance et le singulier mérite. L'artiste a rompu une fois pour toutes avec les traditions des archaïques : les statues des frontons d'Egine, étaient rangées à droite et à gauche d'une. statue centrale avec une symétrie rigoureuse; à un personnage debout correspondait un personnage debout; à un archer agenouillé un autre archer dans la même attitude ; et, sous les lignes rampantes des angles extrêmes à un héros blessé, tombé par terre et étendu, faisait équilibre un autre héros blessé et étendu. Tous les acteurs de la scène — sauf les blessés des angles — sont tournés vers la déesse debout au centre, et présidant au combat. Au Parthénon, cette composition naïve et monotone a disparu, la liberté la plus hardie, et l'ingéniosité la plus savante ont pris la place de la routine. D'abord, les personnages ne sont plus posés à côté les uns des autres, mais ils sont groupés véritablement, et plusieurs se trouvent étroitement unis dans une pensée, sinon dans une action commune. Si de plus, malgré
tout son génie, le sculpteur devait s'astreindre à quelques-unes des nécessités que lui imposait la forme architecturale du fronton ; s'il a dû forcément faire aller en décroissant la hauteur des personnages et conserver la symétrie des figures d'abord assises, puis couchées, il est arrivé du moins à dissimuler ce parallélisme fâcheux en principe, en diversifiant les attitudes comme la direction des corps. Et si, par exemple, on aperçoit que la prétendue figure d'Héraklès tourne absolument le dos au groupe central, on remarque que les statues intermédiaires ménagent pour ainsi dire une transition, car la figure d'Iris (n° 88) se présente presque de face, la première des deux figures assises (n°87) se tourne un peu vers elle, tandis que la seconde (no 86), bien qu'associée à la première et formant avec elle un couple intime, se porte d'un léger mouvement du côté du dieu couché.
Il en est de même pour l'angle de droite, où les trois divinités féminines sont assemblées avec tant de délicatesse qu'on remarque à peine comment l'une (n° 91) tourne le dos à l'autre (nO 89) bien qu'elles forment en réalité le groupe le plus étroit. Enfin, on ne saurait trop vanter la hardiesse des figures d'angle, d'Hypérion, de Séléné et de leurs chevaux, dont les corps et les têtes sont pour ainsi dire coupés, et brusquement séparés par la ligne rigide de la plinthe, et la diversité de ces deux groupes, qu'un sculpteur médiocre aurait été si facilement tenté de faire absolument semblables et symétriques : nous avons dit qu'Hypérion sortant de l'onde était sur son char, tandis que Séléné chevauchait simplement l'animal dont la tête nerveuse émerge encore des flots.
L'admiration n'a plus de termes pour célébrer dignement le style des statues du Parthénon. La nudité jeune, forte et souple du dieu couché dans une attitude noblement familière, est d'une anatomie d'où la science n'exclut pas la simplicité. Sous les chairs bien nourries, vivantes et palpitantes, se retrouve et se sent l'ossature vigoureusement charpentée; enfin si la justesse et la proportion impeccable des formes nous montre l'artiste observateur scrupuleux et pénétrant de la nature, à la vue large pourtant, et oublieuse quand il faut du menu détail inutile, on ne sait quoi d'ample, de grave, de majestueux, disons de divin, révèle en ce jeune immortel, qu'on le nomme Héraklès ou Olympos, la conception d'un sublime idéal.
Les mêmes qualités géniales éclatent dans les deux groupes féminins; là, comme dans l'Héraklès, le naturel s'unit à l'idéal, le familier au grand et au noble; quand par endroits apparaît dans sa nudité
chaste de matrone ou de vierge le corps des immortelles, quand se devinent sous les draperies les rondeurs savoureuses des torses mollement enchevêtrés, ou le galbe pur des corps assis ou allongés dans une familière nonchalance, on oublie la richesse merveilleuse des étofl'es de laine étroitement appliquées ou tombant en mille plis; mais si le regard s'arrête sur ces robes souples et légères qui s'étirent, se ployent, s'enveloppent en ondulations sinueuses sans rien dissimuler des corps superbes qu'elles recouvrent comme un voile transparent, il semble, par un juste retour, que là soit le triomphe du ciseau de Phidias. Car, nous l'avons dit, devant ces chefs-d'œuvre, le nom des illustres collaborateurs du maître s'oublie; on ne songe ni à Alcamènes, ni à Agoracritos de Paros, Crésilas ou Colotès; un sentiment invincible plus fort que toutes les raisons de science, s'il y en avait, entraîne à prononcer le nom du maître.
Cependant, nous devons exprimer un doute; il. est certain que toutes les statues du fronton ne sont pas de la même main. L'Iris, par exemple, de formes plus jeunes et presque grêles, de taille peut-être plus petite, dont les draperies sont plus sèches, et traitées d'un style moins élégant, fait un contraste frappant avec Déméter et Coré, avec les Charités. Nous ne disons pas qu'elle est moins belle; son allure volante est superbe d'élan; ses robes et ses voiles, qu'ils flottent, se plissent ou s'appliquent au corps, ont de l'ampleur et de la fermeté; le corps jeune est à la fois vigoureux et virginal; elle tient, comme il convient, sa place à la tête de cette noble série, où prennent rang la Victoire de Paionios, les statues du monument des Néréides et la Victoire de Samothrace. Elle est digne, en un mot de Phidias ; mais si nous l'attribuons au maître, il est difficile d'admettre qu'il est aussi l'auteur des autres statues; le problème posé en sens inverse conduit à la même solution.
P. P.
93-96. Fronton Occidental.
Il ne reste du fronton occidental qu'un très petit nombre de figures fort mutilées. Les deux frontons n'avaient que peu souffert de l'explosion de 1687. Mais le fronton ouest ne devait pas échapper aussi heureusement à l'avidité maladroite de Morosini. Séduit tout particulièrement par la beauté de deux chevaux attelés à un char (due bellis-
simi cavalli, écrivait-il au doge) il se mit en tête de les rapporter à Venise ainsi que les autres statues du fronton. Pour comble de malheur il confia l'entreprise à des ouvriers inexpérimentés qui laissèrent tomber sur le sol où « elles s'émiettèrent en poussière », dit un témoin, presque toutes les statues du fronton.
Notre curiosité n'est plus satisfaite que par le dessin de l'anonyme de Nointel et surtout celui de Carrey (1674). Quant aux dessins de Cyriaque d'Ancône (1447), de Wheler et de Spon (1676) et d'Otières (1686), ce ne sont que des croquis d'une inexactitude qui les rend presque inutiles.
Le sujet du fronton occidental, nous le savons par Pausanias, était la dispute d'Athéna et de Poseidon pour la possession du sol de l'Attique.
On connaît la légende : Athéna frappant la terre de sa lance et en faisant surgir l'olivier, richesse du pauvre sol attique; - Poseidon faisant, d'un coup de son trident, jaillir de terre, suivant la tradition attique, une source d'eau salée, un cheval d'après la version thessalienne. Quelle des deux traditions a choisie le décorateur du fronton?
Il semble plus naturel que ce soit la légende attique. On l'a cependant contesté, et à l'appui on a rapproché du groupe central du fronton un vase grec trouvé à Kertsch, sur lequel est modelé en relief un groupe qui n'est pas en effet sans quelque analogie avec le groupe central tel que nous le montre le dessin de Carrey, et où l'on voit Poseidon tenant par la bride, à sa gauche, un cheval qui piaffe. Mais outre que la posture du dieu est là tout autre que dans le dessin de Carrey, on ne voit pas, toujours d'après Je même document, qu'à la gauche du Poseidon du Parthénon il y ait eu place pour le cheval de la légende thessalienne; et d'ailleurs il est si peu certain que sur ce vase de Kertsch soit reproduite la scène centrale du fronton ouest, que M. Gardner, après avoir réuni tous les documents, en est arrivé à conclure que ce vase reproduisait, non la scène du fronton, mais un
groupe isolé, et différent d'exécution, qui d'après Pausanias (r, 2i, 3) se trouvait sur l'Acropole. Il nous semble donc que l'on doive écarter l'hypothèse de la légende thessalienne.- Mais comment était figurée la source de la légende attique? Etait-elle personnifiée ou représentée naturellement, par des flots ondulés? Etait-elle même représentée? Ne peut-on pas supposer que seul était figuré l'olivier créé par la déesse en l'honneur de qui ce temple était édifié, l'olivier, s'élevant au milieu du fronton, gage et monument de la victoire, concentrant sur lui
seul et absorbant tous les regards, ce qui permettait au sculpteur de négliger comme non avenue la création avortée du dieu vaincu?
Quoi qu'il en soit, il paraît certain que l'olivier s'élevait au centre du fronton au sommet duquel sa frondaison se déployait, au-dessus des deux personnages principaux. Ceux-ci, Athéna à gauche, vêtue de sa longue tunique double et reconnaissable à l'égide, Poséidon, nu, à droite, étaient opposés l'un à l'autre nettement, tous deux debout, le corps vu de face, rejeté de côté par un mouvement identique chez l'un et chez l'autre. Athéna vient de faire surgir de terre l'olivier, et c'est à la vue du prodige que Poséidon, se sentant vaincu, se rejette en alTière, étonné. Seule la tète, à cause du regard fixé sur l'olivier, n'avait pas suivi le mouvement du corps, ce qui la faisait paraître inclinée vers l'épaule droite. Ces deux personnages commandent l'ensemble du fronton, et la symétrie curieusement exacte avec laquelle ils sont opposés détermine la symétrie non moins exacte des autres figures. La légende choisie pour sujet, mettant en présence deux personnages, a conduit le décorateur à partager résolument le fronton en deux parties opposées l'une à l'autre et à rompre avec la coutume qui faisait disposer les figures de part et d'autre d'une seule figure centrale, formant, pour ainsi dire, la hauteur du triangle isocèle. A l'époque de Carrey manquaient déjà les bras des deux personnages, la tête et la jambe gauche d'Athéna depuis le genou, et les pieds de Poséidon.
Ces deux personnages sont les seuls que l'on puisse positivement reconnaître; l'identification des autres est le plus souvent très difficile, pour ne pas dire impossible. Chaque archéologue propose son système, souvent opposé du Tout au tout aux systèmes de ses prédécesseurs. Aussi nous contentons-nous de rapporter sans lui attribuer aucune importance décisive, celui qui a semblé préférable à M. Max.
Collignon, dans son livre récent sur Phidias.
Du côté d'Athéna se voyaient Niké, tournée vers la scène centrale, conduisant le char de la déesse attelé de deux chevaux cabrés (les due bellissimi cavalli de Morosini); à côté du char, au second plan, Hermès, nu comme l'étaient, au moins en partie, les personnages virils du fronton, se portant vivement vers la scène centrale, la tête tournée vers Niké.
Puis venait un groupe de trois personnages : une femme debout, retenant par le bras un jeune enfant nu qui, comme effrayé, se rejetait en arrière sur le sein d'une autre femme assise. C'étaient deux
des filles de Cécrops (Aglaure, Pandrose ou Hersé) et le petit Erysichthon. Plus loin vers l'angle du fronton, le premier roi légendaire de l'Attique regardait la scène, couché sur sa cuisse gauche recouverte d'un manteau, et soutenant de son bras gauche, étendu et appuyé à terre sur la paume de la main ouverte, son buste complètement redressé, contre lequel, craintivement blottie, se tenait sa troisième fille à genoux, lui étreignant les épaules de son bras droit, avec sa tunique ouverte laissant voir son épaule gauche et son sein nus.
Entre ce groupe et la figure placée à l'angle du fronton, le dessin de Carrey montre une lacune. Il faut sans doute, par analogie avec le groupe final de l'aile droite du fronton, y restituer la divinité d'une source, la fontaine Clepsydre par exemple.
Enfin à l'angle du fronton, dans une posture analogue à celle de Cécrops, mais le buste beaucoup plus incliné et portant sur le bras gauche légèrement recourbé, le fleuve Céphise était étendu, nu et calme, comme les lents cours d'eaux aux rives arides de l'Attique, son manteau rejeté en arrière ne couvrant que la partie supérieure du bras gauche.
A l'aile droite du fronton, l'attribution des figures est plus douteuse.
A la gauche de Poseidon il faut d'abord de toute évidence restituer les chevaux de son char faisant pendant à celui d'Athéna. Ce char était conduit par Amphitrite, qu'on voyait de profil, assise, la jambe gauche allongée et nue, dégagée, par un caprice original de l'artiste, de la tunique qui flotte au vent. Sous son pied droit on voit un dauphin. Près du char, au second plan, répondant à l'Hermès de l'aile gauche, Iris se portait vivement vers les personnages du milieu.
Derrière Amphitrite venait un groupe assez obscur : une femme assise, tenant sur son bras droit un enfant, et, de la main gauche en tendant un autre à un personnage presque nu, que M. Lœschcke a démontré être un personnage viril, assis sur les genoux d'une femme à demi couchée et vue de profil, derrière laquelle, un peu isolée, mais que M. CoUignon juge faire partie du groupe, était assise, vue de face, une autre femme. M. Collignon adopte pour ces personnages l'attribution, très ingénieuse assurément et très féconde pour interpréter l'ensemble du fronton, proposée par M. Lœschcke. Le personnage viril aurait été, dit-il « Héraclès jeune, assis sur les genoux de la nymphe Mélité, l'éponyme d'un des anciens quartiers d'Athènes ; la déesse tenant les enfants serait Déméter Courotrophos, ayant auprès d'elle des fils d'Héraclès et de Mélité ; et ainsi, au groupe de la famille
de Cécrops répondrait celui de la famille d'Héraclès. Phidias aurait donc représenté, par des figures symboliques, la région entre le Céphise et l'Ilissus au temps où Cécrops régnait et où Athéna n'était pas encore maîtresse d'Athènes ». Nous remarquons seulement que le dernier personnage féminin, que M. Collignon croit devoir rattacher à ce groupe, ne rentre pas dans l'explication qu'il en donne d'après Lœschcke. Avant celui-ci on voyait le plus généralement dans les personnages : Latone tenant dans ses bras Apollon et Diane; Aphrodite sur les genoux de Thalassa ; Thétis, ou une Néréide.
Ici, il y a une lacune sur le dessin de Carrey. Mais nous ne croyons pas qu'il faille en tenir compte. Elle n'existe pas sur le dessin de l'anonyme de Nointel, et elle nous paraît s'expliquer facilejnent. En effet, la lacune que les deux dessins nous montrent après Poséidon, et où il faut de toute évidence restituer les chevaux du char de Poséidon, est beaucoup plus petite sur le dessin de Carrey que sur celui de Nointel, et trop petite pour cette restitution nécessaire. Partant de cette remarque, si l'on songe avec quelle rapidité et dans quelles conditions défavorables Carrey dut exécuter ses dessins, on admettra volontiers que, gêné, pour s'être trompé sur les proportions de la première lacune, il a dû espacer arbitrairement les dernières figures, pour garnir, tant bien que mal, l'angle du fronton. Cette seconde lacune ne serait donc qu'un supplément de la première.
A l'angle du fronton deux divinités fluviales : un personnage viril, a genoux et accroupi, l'Ilissus ; et enfin, à demi-couchée sur le côté droit, la source Callirhoé.
Tel se présente à nous le fronton occidental du Parthénon, dans le dessin de Carrey. De tout cela, il ne reste malheureusement que bien peu de choses, et dans un triste état : D'Athéna un fragment de la poitrine recouverte de l'égide (Londres).
Le fragment de tête brisé à la hauteur du nez ne saurait être rapporté avec certitude à la déesse.
De Poseidon il reste le torse, puissant, superbe, où l'on reconnaît bien le Poseidon homérique, « Poseidon à la large poitrine ». Malheureusement ce torse est en deux fragments, dont l'un est à Londres et l'autre à Athènes. Le fragment conservé à Athènes est un large et assez mince éclat: le relief de la poitrine; à Londres sont les épaules et le reste du bloc (1).
(1) Notre musée ne possède que les moulages du fragment de Poseidon conservé à Londres (n° 93); du Céphise (no 94) ; du torse d'Iris (n° 95); du fragment de femme assise conservé à Londres (Déméter ?) (n° 96).
Le torse d'Hermès, conservé à Londres, est très endommagé.
On a rapporté à Nikè une tête de femme trouvée, qui est passée de la collection de Laborde à la Bibliothèque nationale. Cette tête est belle assurément; mais ni le style, ni les dimensions ne nous paraissent autoriser l'hypothèse qui en fait un fragment du fronton ouest et une œuvre de Phidias (1).
Le groupe de Cécrops et une des Cécropides (Athènes) est malheureusement très rongé à la surface. De plus les têtes manquent, ainsi que les bras, sauf le bras gauche de Cécrops appuyé en terre; la jambe droite de Cécrops est brisée. On peut encore admirer toutefois la belle ligne de la pose de Cécrops, la grâce pudique et virginale du mouvement de sa fille et le charme capricieux des draperies dont elle est vêtue.
Le Musée Britannique possède le Céphise. Cette œuvre admirable, digne pendant de l'Héraclès du fronton oriental, est une des moins mutilées du fronton ouest. Et cependant la tète manque, les bras et les jambes sont brisés en partie et la poitrine est striée de longues éraflures. Mais telle qu'elle est on peut encore admirer dans cette statue un des chefs-d'œuvres de l'art grec et plus particulièrement un des morceaux de maîtrise de ce monument incomparable qui fut le Parthénon. La ligne est d'une pureté exquise et d'une courbe charmante, les cuisses ont un galbe merveilleux, et le modelé du ventre fait l'étonnement et l'admiration des artistes. Enfin on reçoit, à la vue de ce corps étendu, une impression de tranquillité, de souplesse alanguie, l'abandon semble-t-il, du corps plongé dans l'eau, n'y sentant plus son poids ni rien qui comprime le mol épanouissement des chairs.
Des personnages formant le cortège de Poséidon, il nous reste le torse d'Iris, longtemps attribué au fronton est, mais que M. Brunn a montré appartenir au fronton occidental. Il ressemble en effet d'une manière frappante au personnage du dessin de Carrey, et la place qu'on lui attribuait dans le fronton est ne saurait évidemment lui convenir : il y ferait, par son style délicat, un contraste par trop choquant avec la facture énergique de la Victoire dont on voulait en faire le pendant; enfin et surtout, on ne peut admettre dans le même fronton ces deux personnages se portant d'un même mouvement si caractérisé dans la même direction, ce qui eût été d'un effet franchement déplorable. Ce torse (Musée Britannique) d'Iris s'élançant en
(1) Voy. infra et l'Index : Tête de Laborde.
avant est d'un élan superbe en même temps que d'une grâce charmante, et l'art est admirable avec lequel est traitée la draperie régulière et calme sur la poitrine jusqu'à la ceinture, et au-dessous agitée, désordonnée, envolée auvent, qui la plaque violemment sur le ventre et sur la cuisse portée en avant.
Restent encore le torse d'Amphitrite, un fragment important de - Déméter Courotrophos (Londres) et enfin, à Athènes, l'Ilissus.
D'autres fragments subsistent encore, assez nombreux mais peu importants, et qu'il est le plus souvent impossible de restituer.
A. LAMBINET.
97-113. —Les Métopes.
Les métopes, dont la hauteur atteignait lm34, étaient au nombre de 92; on en comptait 14 sur chaque façade et 32 sur chacune des faces latérales. Mais comme les statues des frontons les métopes n'ont guère été épargnées.
Déjà, en 1687, après l'expédition des Vénitiens, il ne restait plus que 13 métopes au nord et 18 au sud. Plus tard, les Turcs martelèrent les métopes des façades est et ouest à un tel point que, pour restituer les sujets, on est souvent réduit à des hypothèses. Voici l'état actuel des métopes : celles des façades est et ouest sont encore en place ; des 32 métopes du nord, 9 sont au Parthénon et deux au Musée de l'Acropole. Au sud une seule métope est en place, une autre a été retrouvée en 1823, une troisième a été rapportée au Louvre par Choiseul-Gouffier, et 15 autres enfin sont au Musée Britannique.
Pour la description et l'étude des métopes non conservées, l'on doit s'aider de quelques dessins : les croquis de San Gallo (1465), les études du dessinateur Carrey amené à Constantinople par M. de Nointel, ambassadeur de France, les dessins exécutés par les officiers de la mission Gravier d'Otières (1686), ceux du cabinet des estampes provenant du fonds Beringhem acquis en 1731, et enfin ceux de Pars, de Stuart, de Robert, de Vernier et de Laborde.
Ce qui nous frappe tout d'abord dans les métopes c'est la très forte saillie du relief. Les personnages semblent être des statues en rondebosse appuyées simplement contre un fond de marbre, plutôt que des figures en bas-relief. Cela tenait sans doute à la place même qu'occu-
paient les métopes en dehors du temple, en plein air et au soleil. Aussi bien, ce qui accentuait encore le relief, les métopes étaient peintes. On a pu observer sur une métope des traces de couleur rouge appliquée sur le fond, tandis que les draperies de l'une des figures étaient vertes; Paccard observa également des traces de rouge. Mais malgré ^es précieux indices il est impossible de tenter une restauration peinte de l'ensemble.
Nous remarquons ensuite, lorsque nous examinons les métopes, non seulement la variété des sujets mais encore la différence d'exécution des diverses parties. La métope XXXI du côté sud par exemple (Michaelis, Pl. 4) accuse une influence archaïque très sensible : la tête du Centaure est aussi grimaçante qu'une tête d'Apollon archaïque et il y a évidemment de la raideur dans le modelé de la chevelure. Il est facile aussi de remarquer de la maladresse et de l'inexpérience dans la métope XXIX du côté sud (Mich. pl. 4) dans la métope XXV du côté nord. Aiileurs, au contraire, dans la tète du Lapitbe conservée au Louvre ou dans la métope XXVII du côté nord (Mich. pl. IV), la forme est élégante, aisée et même un peu maniérée.
Il ressort bien clairement de là, que les métopes doivent être attribuées non pas à Phidias seul, mais à plusieurs artistes. Les métopes qui, nous le savons, dans les temples d'ordre dorique occupent l'espace situé entre les triglyphes, n'étaient pas indispensables dans la décoration du temple. Aussi Phidias put-il tout naturellement céder à d'autres l'exécution des métopes, réservant pour lui-mème des parties plus importantes, et si les métopes offrent des caractères si divers, c'est que l'époque de Phidias est une époque de libre initiative. Certains artistes sont comme Alcamènes épris de grâce et d'élégance ; d'autres, comme Myron, sont plus réalistes et recherchent les attitudes violentes. C'est à des collaborateurs plutôt encore qu'à des disciples que Phidias confie l'exécution des métopes; et ceux-ci, tout en se conformant à un plan d'ensemble arrêté par le maître, gardent pour le détail toute leur liberté.
Il est assez difficile, étant donné le mauvais état des métopes, de présenter une explication certaine de tous les sujets. Avec assez de vraisemblance, M. Robert a reconnu sur les métopes de l'est les principaux dieux ou héros qui se présentent aussi sur la frise orientale. Ainsi la métope II nous présente peut-être Héraclès et lolaos luttant contre l'Hydre, la métope XII Athéna châtiant Marsyas, un Titan ou Héphaïstos; dans la métope XIV la divinité qui paraît sur un char est peut-être Thétis.
A l'ouest, les métopes présentent alternativement un engagement entre un piéton et un cavalier, et une lutte entre deux personnages à pied. M. Michaelis y reconnaît le combat des Athéniens et des Amazones (Der Parthenon, p. 248).
Dans les métopes du nord, les sujets sont peut-être tirés de la guerre de Troie; ici (métope I) nous voyons un personnage conduisant deux chevaux, dont la tête et les jambes de devant ont aujourd'hui complètement disparu ; ailleurs (métopes II, XXIV, Mich. pl. IV) nous assistons à une lutte entre deux piétons, ailleurs enfin ce sont des cavaliers ou des centaures (frag. A. B. C. E. et métope XXIX) : une métope enfin est vraiment digne d'admiration : c'est celle qui porte le numéro XXXII (Mich. pl. IV) et qui représente un personnage aux vêtements riches et élégants, se tenant debout en face d'un personnage assis qui, lui aussi, a dans sa tenue quelque chose de somptueux et de noble (n° H3).
Quant aux métopes du sud, comme elles sont de beaucoup les mieux conservées et par là les plus intéressantes, nous allons les étudier en détail, en marquant d'un numéro spécial celles dont notre Musée possède les moulages (1). On verra que le sujet n'est pas un; si les combats entre Centaures et Lapithes sont en plus grand nombre, du moins voit-on que ces tableaux étaient séparés par d'autres représentations toutes différentes, qui servaient à rompre une monotonie autrement inévitable.
I. (Parthénon) Combat de Lapithe et de Centaure. — Le Centaure a de son bras gauche enserré la tête du Lapithe et se prépare à le frapper de sa main droite qui tient encore le fragment d'une arme.
Le Lapithe dont le corps est en partie couvert par une chalmyde s'efforce vainement de repousser son adversaire avec le genou gauche, et de délivrer son cou avec le bras gauche. Le bras droit est tendu et tient une épée.
II. (Londres) Même sujet. - Le Lapithe a saisi le Centaure par derrière et appuie sa jambe gauche repliée sur le milieu du corps de son adversaire. Le pied droit repose à terre. Le dessin de Carrey nous montre la tête du Lapithe un peu inclinée en avant. Il est probable que son bras droit se préparait à porter un coup. Le bras gauche du Centaure était soulevé. Sa main droite se cache
(1) Disons une fois pour toutes que l'auteur de la notice a toujours suivi de très près, et quelquefois traduit les descriptions de Michaelis, Der Parthenon, p. 131 et s. P. P.
derrière les épaules du vainqueur. Des quatre jambes du Centaure, il n'en reste plus que deux mais toutes ont été vues en bon état par Carrey et Stuart (n° 97).
III. (Londres) Même sujet. — Ici encore le Lapithe a saisi son adversaire par derrière, et avec le genou droit il pèse sur sa croupe, tandis que de la main droite il le saisit aux épaules. Il a non seulement une chlamyde, mais encore des chaussures en forme de bottes.
Le Centaure retournait la tète vers l'ennemi auquel il résistait en vain avec son bras enveloppé d'une peau à l'endroit même où s'ajuste le bouclier. Le bras droit était soulevé et tenait probablement un objet en métal, qu'indiquent deux trous sur le sein droit (n° 98).
IV. (Londres, Copenhague) Même slljet.- Par une heureuse diversité que nous pourrions noter à chaque pas dans l'étude des métopes, le tableau est ici tout différent. Le Centaure victorieux soulève avec les deux bras une cruche qu'il tient par les deux anses (c'est une allusion au festin pendant lequel commença la lutte). De cette cruche, le Centaure menace son adversaire qu'il a jeté à terre et sur le ventre duquel il a posé le pied gauche de devant, tandis qu'il a mis le pied droit sur son épaule. Le Lapithe renversé s'appuie à terre du bras droit et étend la jambe droite, tandis qu'il soulève en vain son bouclier pour se défendre. Un large bandeau entoure sa tête. Une couronne devait probablement se fixer sur la tête par une tige dont la place est encore marquée sur le front.
Au temps de Carrey, la métope était presque dans un état parfait de conservation. La tête du Lapithe, celle du Centaure, son bras droit ainsi qu'un morceau de la jambe gauche de derrière sont maintenant à Copenhague (n° 99).
V. (Londres) Même sujet. — Aujourd'hui le Centaure existe seul ; il se cabre en bondissant vers la droite. Son cou et ses épaules sont recouverts d'une peau étendue comme un manteau. Carrey put voir les deux jambes droites du Centaure dont l'une, celle de devant, a complètement disparu et dont l'autre, celle de derrière, est fortement mutilée. Le bras droit du Lapithe avait une attitude défensive; le Lapithe cherche à se soustraire aux coups d'un adversaire qui commence à prendre le dessus (n° 100).
VI. (Londres) Même sujet. — Le Centaure étend en avant sa jambe droite antérieure et recule un peu pour éviter le coup que va lui porter le Lapithe avec son bras droit. Mais en même temps le Centaure saisit le Lapithe à l'épaule avec son bras gauche. Les plis du manteau
nous disent sans peine quel était le mouvement du Lapithe. Carrey a pu .voir quelques parties qui manquent aujourd'hui; la tête du Centaure, celle du Lapithe, une partie de son bras gauche relevé et replié et ses deux jambes (n° 101).
VII. (Londres) Même sujet. — Le Lapithe s'avance malgré la résistance du Centaure. Le mouvement qu'il fait est nettement indiqué par les plis du manteau. Il saisit à la gorge le Centaure qui se débat en vain. Nous sentons que bientôt le Centaure sera vaincu. Ce n'est plus une peau mais un manteau qui couvre le dos du Centaure. Du temps de Carrey, il ne manquait que la main droite du Lapithe; aujourd'hui, la moitié de la jambe gauche de derrière du Centaure a disparu ainsi que sa tête et une partie de chacune des deux jambes.
La tête du Lapithe a été retrouvée; elle appartient au Musée du Louvre (n° 102).
VIII. (Londres) lWême sujet. — La situation est semblable à celle de la métope IV. Le Lapithe est tombé à terre mais il se tient encore sur un genou et lève ses deux bras contre l'adversaire vers lequel, ainsi que le montre le dessin de Carrey, il tournait la tête. Le Centaure pose son pied droit de derrière sur un bloc de pierre, et avec la jambe gauche de devant empèche son adversaire de se relever, tandis que pour le frapper il allonge le bras droit (dessin de Carrey) (n° 103).
IX. (Londres) Même sujet. — Le Centaure dont le manteau flotte au vent bondit sur le Lapithe qu'il a renversé déjà sur une grosse cruche.
Avec sa main gauche aujourd'hui disparue il saisit la jambe gauche du Lapithe et le fait rouler avec le vase. En vain le Lapithe étend le bras vers la terre qu'il ne peut toucher (dessin de Carrey), en vain saisit-il avec sa main gauche la barbe de l'adversaire, il est absolument au pouvoir du Centaure qui lève le bras droit pour le frapper. Au temps de Carrey, la tète des deux personnages et le bras droit du Lapithe existaient encore. Pars a reproduit la métope telle qu'elle est aujourd'hui (no 104).
X. (Paris) Même sujet. — Un Centaure chauve (Carrey) essaye de saisir avec sa jambe gauche de devant une femme dont il serre la taille avec le bras gauche. Elle étend la main pour le repousser; et le Centaure de sa main droite saisit au poignet le bras droit de sa victime (Carrey). Dans la précipitation de la fuite le vêtement a glissé de l'épaule gauche de la femme, de sorte que la poitrine est en grande partie découverte. La jambe gauche absolument nue (Carrey) sort des
plis larges et finement arrangés d'un chiton dorien. Carrey a vu la métope conservée presque complètement (1). Il ne manquait que la tète de la femme et les doigts de sa main droite. D'après Dubois la métope a été recueillie au pied du Parthénon par Fauvel; en 1803 elle tomba avec une partie de la collection Choiseul aux mains des Anglais; rendue à son possesseur légitime, elle fut vendue au Louvre pour 26,400 fr. (n° 105).
XI (Dessin de Carrey) Même sujet. — Cette métope n'est connue que par le dessin de Carrey. Le Centaure se redresse et se dispose à frapper l'adversaire dont il saisit le bouclier avec la main gauche. Le Lapithe lève son bouclier et regarde fixement son ennemi, dans le ventre duquel, à ce qu'il semble du moins, il enfonce une épée. Par un mouvement rapide, son manteau a glissé de ses épaules.
XII (Athènes) Même sujet. — Un Centaure, dont Carrey put encore voir la tête, embrasse une femme comme le Centaure de la métope X.
De sa main droite la femme s'efforce de retenir son vêtement aux plis variés qui laisse déjà son épaule droite et ses seins découverts. Le Centaure lui tient le bras gauche et, s'appuyant solidement sur sa jambe gauche de devant, il s'efforce d'entourer avec son autre jambe la jambe gauche de la femme. Ainsi que le remarque Michaelis, l'idée principale de la scène n'est point heureuse ni heureusement rendue, surtout en ce qui concerne la position de la femme.
XIII (Dessin de Carrey). — Cette métope est connue par le dessin de Carrey. Une grande femme, tout à fait habillée, soulève le bras droit dans un mouvement qui exprime soit la menace, soit la stupeur.
Elle se tourne vers un petit personnage courbé dont la poitrine est bien celle d'un homme. Peut-être le fragment K (Michaelis, p. IV), appartient-t-il à cette métope qui, d'après Brôndsted, représente Déméter enseignant à Triptolème l'art de semer le blé.
XIV. (Dessin de Carrey, Londres). — Un jeune homme s'enfuit épouvanté. De ses deux mains il tient un large manteau qui enveloppe complètement son bras gauche. 11 s'éloigne d'une femme vêtue d'un chiton dorien. Dans son bras gauche elle porte une corbeille plate ou quelque vase de forme analogue. De sa main droite baissée elle tient un objet rond qu'on ne peut reconnaître et qui est peut-être un coussinet destiné à porter les fardeaux sur la tête. Le torse du jeune'
(1) C'est d'après le dessin de Carrey qu'ont été faites les restaurations reproduites par notre moulage.
homme est conservé seul. D'après Brôndsted, la métope représente Pandore et Epiméthée, au moment où la femme après avoir ouvert la cassette fatale reste terrifiée.
XV. (Dessin de Carrey). — Une femme vêtue d'une large robe (ou peut-être un cocher revêtu d'un chiton) se dresse sur un char attelé de deux chevaux, sortant probablement de la mer ainsi que le prouvent les ondulations représentées sous les pieds du conducteur qui, d'après Brôndsted, est le cocher Erichthonios.
XVI. (Dessin de Carrey, Londres). — Un homme est jeté à terre; il s'appuie sur le bras droit. Un autre homme, celui qui l'a renversé, s'éloigne de lui. Les deux hommes portent des manteaux. D'après Brôndsted le vainqueur est Erechthée et le vaincu est Eumolpos.
XVII. (Dessin de Carrey). — Un homme nu, dont l'épaule gauche recouverte d'un manteau est fortement soulevée; suit une femme richement vêtue d'un manteau. De la main droite elle porte une corbeille carrée, un diptychon ou quelque chose de semblable, et lève la main gauche. D'après Brôndsted cette femme serait peut être la première prêtresse d'Athéna. qui vient de recevoir un stylobate rond pour y ériger le £ ôxvov d'Erichtbonios. Peut-être aussi est-ce une Canéphore à qui le héros vient de donner la corbeille sacrée.
XVIII. (Dessin de Carrey). — Deux femmes richement habillées semblent courir. L'une détourne probablement la tête vers la droite.
Derrière elles est une figure plus petite, une statue peut-être. Elle tient les bras repliés sur la poitrine et dirige son regard vers la gauche. Brôndsted voit ici la représentation des trois Olles de Cécrops, Agraulos, Hersé et Pandrosos.
XIX. (Dessin de Carrey). — Une femme majestueuse, vêtue du cbiton, et ayant le derrière de la tète voilé, la tète appuyée sur le bras gauche replié, est absorbée dans sa méditation. Devant elle, et un peu tournée vers la gauche, se tient une femme vêtue d'un chiton et d'un manteau; elle a le bras gauche un peu recourbé et le bras droit abaissé. Elle semble expliquer quelque chose à l'autre femme. (Brôndsted voit ici la prêtresse divinisée d'Athéna, Pandrosos, conversant avec Thémis et recevant d'elle la consécration de ses hautes fonctions).
XX. (Dessin de Carrey). — Deux femmes se tournent le dos. Celle de gauche déplie un rouleau qu'elle vient de prendre sur une table placée près d'elle. Celle de droite, richement habillée, s'éloigne avec un rouleau dans la main droite : le bras gauche est coupé.
XXI (Dessin de Carrey). — Au milieu du bas-relief s'élève sur une base ronde une statue de femme, de forme très antique, dont les mains pendent le long du corps. Les pieds ne sont pas visibles dans la reproduction qu'en donne Carrey. Une femme complètement vêtue se tient auprès de la statue, tandis que de l'autre côté une deuxième femme pose la main sur la tête de la déesse. Ce geste (Cf. métope nord n° 25), la tête inclinée de la femme, le chiton qui est suspendu à l'épaule gauche et laisse à découvert une grande partie de la poitrine (Cf. X, XII, XXII, XXIX), enfin la proximité des Centaures font croire que la femme, pour échapper à ceux-ci, demande à la déesse sa protection. Il faudrait alors reconnaître dans l'autre femme la prêtresse de la déesse. F. Lenormant possédait une tête acquise en 1841 par son père Ch. Lenormant, et qui, suivant l'opinion de ce dernier, appartenait à cette métope. Mais on a pu avec plus de vraisemblance attribuer cette tête au fronton ouest (Cf. Beulé, l'Acropole d'Athènes, II, 124).
XXII. (Dessin de Carrey).- Un Centaure saisit lascivement une femme et l'attire à lui, pendant qu'il saisit de la main droite le bras qu'elle étend pour se défendre; elle pose sa main droite sur sa poitrine qui, comme dans la métope XXI, est en grande partie laissée à découvert par le chiton.
XXIII. (Dessin de Carrey). — Si la mutilation des bras nous permet d'en juger encore avec quelque vraisemblance, un Centaure et un Lapithe sont aux prises dans un combat indécis; le deuxième met le pied sur un grand vase gisant à terre. Peut-être le fragment P (Michaelis, pl. 9) appartient-il à cette métope. Mais en ce cas le mouvement du Lapithe était beaucoup plus énergique et beaucoup plus sûrement victorieux que Carrey ne l'a représenté. Le fragment Q appartient peut-être lui aussi à cette métope.
XXIV. (Dessin de Carrey — Musée d'Athènes) Combat de Lapithe et de Centaure. — Le Lapithe vainqueur tient sa jambe gauche appuyée sur la croupe renversée du Centaure qu'il a saisi par la chevelure.
Le Centaure cherche à se dégager avec la main gauche et tend la main droite vers le Lapithe, soit pour l'implorer, soit pour se défendre. Le torse seul du Lapithe s'est très bien conservé et se trouve au Musée d'Athènes.
XXV. (Dessin de Carrey). — Un Centaure qui se cabre étreint une femme complètement habillée. De la main gauche, celle-ci ramène à elle son large manteau; mais il serait imprudent de dire avec certi-
tude quel mouvement faisait la main droite. Peut-être ce mouvement était -il le même que celui que nous remarquons dans les métopes X et XXI. La main droite est étendue pour repousser le Centaure.
XXVI. (Londres) Combat de Lapithe et de Centaure. — Le Lapithe, un jeune homme à la taille svelte et vigoureuse, repousse énergiquement le Centaure avec son pied gauche et son bras gauche, tandis que de sa main droite abaissée il tient une arme. Le Cenlaure de ses deux bras brandit contre lui un objet pesant aujourd'hui perdu. Deux ouvertures pratiquées au bras gauche du Centaure tout près des épaules et un trou semblable à la cuisse gauche servaient sans doute à fixer des ornements en métal. Le relief du manteau que porte le Lapithe est extrêmement faible (n° 106). # XXVII (Londres) Même sujet.— Un jeune homme d'une beauté idéale et d'une grandeur peu commune porte un large manteau qui partant des deux bras est attaché derrière le dos en plis somptueux. Il appuie fortement le pied gauche à terre, ce qui lui permet de maîtriser avec plus de vigueur et de sûreté le Centaure qu'il tient par les cheveux. Il va lui porter le coup fatal de sa main droite étendue (Carrey). Son arme était probablement une lance dont la pointe était encore peutêtre fixée au dos de l'adversaire. Le Centaure se cabre de douleur et porte la main à sa blessure pendant que, comme le montre le dessin de Carrey, il porte le bras gauche en avant. Carrey aussi bien que d'Otières ont vu la jambe droite du Lapithe intacte. Carrey a vu de plus les deux têtes intactes ; celle du Centaure paraît extrêmement jeune (n° 107).
XXVIII. (Londres) Même sujet.— Un Centaure barbu, vêtu d'une peau de lion flottante qui lui couvre le bras gauche en guise de bouclier, se cabre en agitant la queue et en levant violemment [la main droite au-dessus du corps de son adversaire blessé et jeté à terre. La tête du Lapithe retombe sur son épaule; le bras gauche et la jambe gauche sont étendus ; le genou droit qui est saillant et le bras droit qui est recourbé rappellent seuls la lutte suprême. Le contraste entre les deux adversaires est frappant. Tous deux offrent une beauté remarquable des lignes et une exécution pleine de vie, et d'Otières n'a réussi qu'à nous en donner la caricature (n° 108).
XXIX. (Londres). — Un Centaure à tète chauve, aux oreilles de fauve —c'est le seul parmi les Centaures que nous connaissons qui ait ce signe distinctif des Centaures habitants des montagnes — entraîne avec violence, mais sans que l'effort qu'il fait se trahisse sur sa
physionomie, une femme qu'il tient étroitement embrassée et dont il a saisi le bras droit avec sa main droite (cf. les dessins de Carrey et de Pars). La tête de la femme est inclinée comme le montre le dessin de Carrey. son vêtement est un peu déchiré sur l'épaule gauche. Elle agite les jambes d'une façon violente et peu gracieuse et par ce moyen cherche à se débarrasser de l'étreinte du Centaure. Du temps de Carrey la métope était encore intacte jusqu'à la main droite de la femme. Pars n'a plus retrouvé la tête de la femme et la queue du cheval. D'Otières, suivant son habitude, s'est mépris sur le sujet; et, déplus, il a mis une cuirasse à la place de la femme (n° 109).
XXX. (LondreS!) Centaure et Lapithe. — Un Centaure au visage noble et'expressif, vêtu d'un manteau flottant derrière ses épaules est aux prises avec un Lapithe tombé sur le genou gauche; il lui met la main sur la tête pour le renverser plutôt que pour le saisir par les cheveux. De sa main gauche le Lapithe s'efforce de saisir une pierre; de sa main droite crispée il repousse le Centaure. La métope n'a pas souffert depuis Carrey (n° 110).
XXXI. (Londres) Même sujet. — Un vieux Centaure, dont la chevelure longue est en désordre, livre à un Lapilhe un combat encore indécis. La victoire paraît cependant incliner vers lui, car il a saisi son adversaire à la gorge, en même temps qu'il lui donne un croc en jambe; après bien des efforts, le Lapithe réussit à saisir le Centaure par la tête et à paralyser tous ses mouvements. Le bras droit du Centaure et la moitié de celui du Lapithe étaient déjà perdus à l'époque de Carrey. Il a modifié maladroitement la position disgracieuse des bras. D'Olières, selon son habitude, n'a pu approcher de la vérité (no 111).
XXXII. (Londres). — Le sujet ressemble fort à celui de la métope précédente. Le Centaure, qui a ici encore une longue chevelure, lève la main droite (cf. le dessin de Pars, de Carrey) pour frapper le Lapithe qui ne marche vers lui qu'avec mollesse (cf. le dessin de Féodor) et qu'il saisit à la tète avec sa main gauche (n° 112).
113. — Cette métope appartient au côté nord du temple ; elle porte le no XXXII dans Michaelis (Atlas, pl. 4), et se trouve encore en place au Parthénon. Les deux femmes qui sont en train de converser ensemble, l'une assise sur un rocher, l'autre debout devant elle, sont parmi les plus belles figures de la frise des métopes tout entière.
L'ampleur et la richesse des draperies, la noblesse simple des attitudes, la facture à la fois hardie, savante et délicate, permettent de comparer ce chef-d'œuvre aux plus belles figures du fronton oriental.
Si l'on pouvait admettre que Phidias a sculpté quelques-unes des métopes, c'est ici surtout que l'on serait porté à prononcer son nom.
BRUGEAS.
114-136. - Frise des Panathénées.
Longue suite de bas-reliefs, entourant le mur de la cella, au Parthénon. La frise avait un mètre de hauteur et se développait sur 160 mètres de long; la plupart des plaques conservées sont au British Muséum; quelques fragments se trouvent à Athènes, et le Louvre en possède un, assez mutilé (1).
On sait que les Panathénées étaient de grandes fêtes célébrées tous les ans à Athènes en l'honneur d'Athéna. Tous les quatre ans, ces fêtes prenaient un éclat plus grand et rivalisaient avec les jeux olympiques; on y faisait des concours de toute espèce, courses à pied, courses de chars et de chevaux, luttes gymniques, récitations poétiques, concours musicaux, lampadophories. Le dernier jour de la fète des grandes Panathénées, le 28 d'hékatombéon (juillet), on faisait une grande procession. Cette cérémonie avait pour but de porter au temple d'Alhéna un péplos neuf dont on revètait un vieux ÇÓiXVOV de la déesse. Tous les habitants d'Athènes assistaient à la procession et défilaient devant les étrangers accourus de tous les pays de la Grèce et même des contrées habitées par les Barbares.
La frise du Parthénon représente les préparatifs de cette grande cérémonie. En effet si en certains endroits le cortège est déjà formé, en d'autres on voit des personnages arrêtés, causant familièrement entre eux; certains même ne sont pas encore prèts et achèvent leur toilette. On ne voit pas le vaisseau sacré au mât duquel on attachait le péplos d'Athéna pour le montrer par toute la ville; c'est pourtant un détail trop important pour avoir été omis si nous étions réellement en présence de la procession en marche.
Le décorateur n'a pas voulu non plus rappeler tous les détails des
(1) Nous ne possédons que Les moulages de vingt-deux fragments parmi les mieux conservés.
fêtes. Loin de vouloir que son œuvre pût servir pour ainsi dire de document officiel, il a fait un choix de ce qui convenait le mieux à à son ciseau, des traits les plus saillants, « indiquant sommairement les uns, accusant fortement les autres, en un mot faisant œuvre d'artiste et non d'historien ».
M. Collignon a bien marqué la disposition de la frise : au lieu de faire tourner la procession autour du temple, sans commencement ni fin, Phidias a donné au cortège un point de départ et un point d'arrivée. La procession part de l'angle sud-ouest du temple et se divise en deux files parallèles, suivant chacune l'un des côtés de l'édifice; le point d'arrivée est le groupe central de la façade orientale. « Il semble ainsi qu'on puisse supprimer par l'imagination toute la largeur du Parthénon qui sépare les deux rangs dédoublés de la procession ».
A l'ouest, commence le défilé de la cavalerie, qui se continue sur les côtés nord et sud de la frise; malgré le nombre des jeunes hommes à cheval, il y a une grande variété; tantôt le cavalier est complètement équipé, il porte la cuirasse et le casque; tantôt il est presque nu, couvert seulement d'un léger manteau qui flotte sur ses épaules; ceux-ci sont couverts d'une tunique et coiffés du pétase thessalien; ceux-là tiennent leurs chevaux par la bride et se disposent à les monter. Des personnages à pied, hérauts, ordonnateurs de la fête ou esclaves, coupent de temps à autre ce long défilé. Tantôt les chevaux marchent tranquillement, tantôt ils se cabrent et refusent obéissance à leurs cavaliers; on en voit même un qui, tandis que son maître parle avec un piéton, chasse d'un mouvement de tête gracieux les mouches qui l'importunent. Les cavaliers ne sont pas immobiles sur leurs chevaux; ils se tournent souvent pour parler à ceux qui les suivent. Tout cela donne du mouvement à cette vaste composition et en rompt heureusement la monotonie inévitable.
On peut être étonné de la grande place faite par Phidias aux cavaliers athéniens. Il faut se rappeler que la cavalerie était un corps recruté exclusivement parmi les jeunes gens riches et de grandes familles; on trouve sur un grand nombre de vases athéniens du ve siècle les noms de ces chevaliers et on les appelle toujours beaux.
« Dans ces admirables cavaliers, dit M. Collignon, maniant avec une suprême aisance leurs chevaux pleins de feu, qui se cabrent sous leur main et les emportent au rythme régulier du galop de parade, l'Athènes de Périclès reconnaissait avec orgueil les plus beaux et les plus brillants de ses enfants ».
Les côtés sud et nord de la frise nous montrent aussi, outre les cavaliers, des chars de guerre à deux ou quatre chevaux, conduits par une femme, personnage symbolique représentant peut-être un dême de l'Attique, et montés par des guerriers armés. On y remarque aussi les bœufs envoyés par les colonies et les bourgs athéniens pour le sacrifice offert à la déesse, le groupe des thallophores, vieillards choisis parmi les plus beaux des Athéniens et tenant en main des rameaux d'olivier, des joueurs de flûte et de cithare, des porteurs d'amphores et de vases sacrés.
Le côté est est le plus intéressant. En effet, outre les ascophores, les canéphores et les magistrats, l'artiste y a représenté des divinités.
De chaque côté de la porte d'entrée de la cella est un groupe de,sept personnages assis, des dieux reconnaissables à leur haute stature.
Nous ne parlerons pas des nombreux systèmes inventés pour donner un nom à ces divinités; on peut admettre celui que l'on voudra, car les preuves manquent également pour tous. Les dieux ont le torse nu et le bas du corps enveloppé d'une draperie ; les déesses sont complètement vêtues. Ils regardent les préparatifs de la fête et semblent s'être pour ainsi dire, humanisés. Deux d'entre eux sont familièrement appuyés l'un sur l'autre; d'autres se tournent vers ceux qui sont derrière eux, comme pour leur parler. Les dieux ne sont pas alignés comme une file de soldats; leur attitude est des plus variées ; l'un est tourné de profil ; celui-ci est de face, celui-là de trois-quarts ; l'un d'eux même tient son genou droit entre ses mains. Entre les deux groupes de divinités, et situé au-dessus de la porte, se trouve un groupe de cinq personnages : une femme reçoit deux jeunes filles portant des corbeilles : on y a vu avec raison la prêtesse d'Athéna et les ascophores.
Un homme remet à un jeune garçon un manteau; l'interprétation la plus simple voit dans ces personnages le grand prêtre ôtant son manteau avant de procéder au sacrifice. Si l'on se rappelle que les détails même tout à fait secondaires des cérémonies religieuses avaient une grande importance pour les anciens, on ne sera pas étonné du choix de cette scène centrale.
On a insisté souvent sur la place importante qui est faite à la convention dans la frise des Panathénées, à côté de la copie directe de la nature.
Tout d'abord, on remarque la présence des dieux au milieu des hommes; ces divinités ne sont pas les terribles Olympiens qui ébranlent la terre en fronçant les sourcils. Ils ont dépouillé leur majesté et s'abandonnent dans des poses familières et pleines de bonhomie. Rien
ne les distinguerait de l'homme qui passe sa tunique ou de tout autre assistant, sans leur haute taille et leurs sièges. Des dieux, passons aux hommes : tantôt nous voyons des cavaliers ou des apobates complètement équipés; ils portent le casque, la cuirasse, les cnémides et le bouclier; c'était bien là le costume du guerrier et la réalité a inspiré l'artiste. D'autres cavaliers ont revêtu, comme nous dirions, leur costume de ville : ils sont couverts d'un grand manteau tombant en plis gracieux, et coiffés du pétase thessalien à larges bords ou du bonnet en peau de renard; ils ont au pied des bottes à retroussis flottants. Mais il y a aussi d'autres cavaliers entièrement nus, ou vêtus seulement de chlamydes, qui laissent à découvert leurs corps élégants et souples; or dans une aussi grande cérémonie, ce costume était insuffisant. L'artiste n'a cherché que la variété sans se préoccuper de la réalité.
Il faut remarquer aussi, dans la frise, l'observation de l'isocéphalie.
Les personnages à pied sont aussi hauts que les cavaliers; en examinant ceux-ci, on voit qu'ils ont le milieu du corps légèrement plié et que ce mouvement diminue leur taille. Quant aux chevaux, ils sont de très petite race; et cependant les chevaux thessaliens ne sont point d'une taille aussi exiguë ; mais ils sont si bien proportionnés, si bien en harmonie avec l'ensemble que ce détail ne surprend personne. Ces conventions là, Phidias les a acceptées, car il fallait que toute la frise fut décorée à peu près également; s'il y avait eu des trous, des vides trop considérables, cela aurait paru choquant à ses contemporains.
Quel est l'auteur de cette vaste composition? Elle révèle une telle unité qu'on ne saurait nier qu'un grand artiste seul a pu la concevoir; cet artiste, c'est Phidias. Il a dessiné le plan, il a fait les cartons, et a mis dans des attitudes aussi variées que possible trois cent cinquantesept personnages; c'est lui qui au lieu de composer des petits groupes a fait un vaste ensemble, donnant un mouvement continu à tout le défilé, indiquant le point de départ et le point d'arrivée au lieu de faire tourner ses personnages dans un cercle sans issue; en un mot Phidias c'est l'esprit. A-t il été le bras? Cela est impossible. Pas plus que les métopes, Phidias n'a pu sculpter toute la frise. La grande statue chryséléphantine d'Athéna, les statues des frontons étaient un travail trop considérable pour qu'il ait pu faire autre chose pour le reste que les plans. Les bas-reliefs du Parthénon sont l'œuvre des élèves de Phidias; on y voit son influence. D'ailleurs, ces élèves étaient
de force inégale ; certaines parties de la frise dénotent un faire timide et sec, qui contraste avec le style libre et aisé que l'on trouve dans la plupart des autres bas-reliefs. Mais partout on sent l'influence du maître.
Nous avons déjà dit quelle grande variété d'attitudes offre la frise du Parlhénon, et comment l'artiste a évité la monotonie. Si nous considérons les personnages en particulier, nous resterons émerveillés de la souplesse et de l'élégance de tous ces corps jeunes et beaux.
Partout le nu est traité d'un style qui montre une grande connaissance de l'anatomie humaine; on peut aussi admirer la plupart de ces petits chevaux thessaliens, dont nous retrouvons les modèles dans ceux des frontons. Mais c'est surtout dans les draperies que se révèle un art supérieur. Nous n'avons plus ces plis symétriques et parallèles, ces étoffes qui paraissaient empesées et qui entouraient le corps comme d'une gaine, emprisonnant le mouvement et la vie. On peut prendre n'importe quel personnage habillé, homme ou femme, dieu ou mortel, et l'on ne pourra assez admirer la richesse et la variété des plis, le naturel et la vérité de ces draperies qui laissent voir les membres jeunes et fermes, qui couvrent les corps sans les cacher. On serait tenté de croire que nul autre sculpteur que Phidias n'a fait ces plis merveilleux et ces corps admirables ; et nous admettons volontiers que tous ces détails avaient été indiqués par le grand artiste dans ses cartons. Nous n'entreprendrons pas une description à laquelle un volume ne suffirait pas; on ne trouverait d'ailleurs qu'un seul mot pour chacun de ces petits chefs-d'œuvre : admirable.
Avant Phidias, les artistes athéniens s'étaient souvent exercés dans l'art du bas-relief. Mais nous sommes ici en présence d'une conception et d'un style tout nouveaux. Tout d'abord, nous devons remarquer le peu de relief donné aux personnages. On raconte que Phidias était peintre en même temps que sculpteur; la frise des Panathénées ne dément pas cette opinion. Afin de pouvoir placer ses figures sur plusieurs plans, principalement dans la cavalcade, Phidias a dû réduire autant que possible le relief; mais d'autre part, la hauteur à laquelle était placée la frise, le demi-jour où elle se trouvait sous le péristyle, ont obligé l'artiste à lui laisser une saillie assez prononcée. Et cette pénombre où elle se trouvait devait ajouter à l'œuvre un charme que nous apprécions difficilement aujourd'hui.
Avec un relief peu accentué, Phidias a donné à la frise la vie et le mouvement. « Un jeu savant d'ombres et de lumières, dit M. Col-
lignon, rend toutes les nuances de la forme; une touche grasse et sobre à la fois en exprime toutes les délicatesses. Ainsi conçu, le basrelief a un charme et une saveur qui ne s'analysent pas ».
La frise du Parthénon fut toujours considérée comme le chef-d'œuvre de la sculpture en bas-relief, aussi son influence fut-elle considérable.
En Grèce, plus que partout ailleurs, l'art industriel s'inspirait des chefs-d'œuvre des maîtres, et l'influence, la popularité d'un sculpteur se reconnaissent aux imitations plus ou moins nombreuses qu'ont faites de son style les artistes ou plutôt les ouvriers qui décoraient les stèles des décrets officiels ou les bas-reliefs funéraires. Les fouilles du Céramique nous ont révélé de véritables chefs-d'œuvre en ce genre dus à l'influence de Phidias. Nous verrons bientôt des stèles funéraires représentant le citoyen d'Athènes tel que Phidias en avait fixé le type dans les thallophores de la frise. Les peintres de vases eux-mêmes n'ont pas échappé à l'influence du génie de Phidias. Aussi est-ce à bon droit que l'on loue cette œuvre admirable, et nous pouvons dire que c'est le chef-d'œuvre de l'antiquité.
G. ROQUES.
Bibliographie. — Michaelis, der Parthenon (1871). — 0. Müller, de Phidias vita et operibus (1827). — Beulé, l'Acropole d'Athènes (1854). — L. de Ronchaud, Phidias, sa vie et ses œuvres (1861).- De Laborde, le Parthénon, documents pour servir à une restauration. — Petersen, Die Kunst des Phidias am Parthenon und zu Olympia (1873). - Bi-utiti, die Bildwerke des Parthenon, Bericht der bayer. Akad. der Wissenschaften (1874). — Newton, The sculptures of the Parthenon. — Waldstein, Essays on the art of Pheidias (1885). — Collignon, Phidias (1886). — Lœschcke, Vermutungen zur griech. Kunstgeschichte und zur Topographie Athens (1884). —
Collignon, la Sculpture antique au British Muséum (Gaz. des Beaux-Arts, 1887). —
Rayet, Monuments de l'art antique, liv.I, no 32. - Overbeck, Griech. Plastik", I, p. 218 et s. — L. Mitchell, A history of ancient sculpture, ch. XVII. — Murray, IIist. of greelc sculpture, II, p. 98 et s. — Baumeister, Denkmœler etc., art. Parthenon. —
A. Gardner, Athene in the West Pediment of the Parthenon (Joumal of hellenic studies, 1882). — H. Bliimner, Zum westlichen Giebelfelde des Parthenon (Gesammelte Studien zur Kunstgeschichte, 1885). — Schneider, Die Geburt der Athena, 1880. — C. Robert, Ostmetopen des Parthenon ap. Arch. Zeitung, 1884. — Rosbach, Sur les métopes du Parthénon n'appartenant pas à la Centauromachie (Arclt. Zeit., 1884). — Petersen, Feste der Pallas Athene und der Fries des Parthenon (1855). —
K. Bœtticher, Der Zophorus am Parthenon. — Flash, Zum Parthenonfries (1877).
— VonDuhn,dte Gœtterversammlung zum Ostfries am Parthenon [Arch. Zeit., 1885), etc. — Wolters, Gipsabgriisse zu Berlin, non 534-722.
137. — Statuette d'Athéna dite Lenormant.
La statuette d'Athéna trouvée en 1859 par Ch. Lenormant, dans un coin obscur du temple de Thésée, a été jusqu'à la découverte de la statue du Varvakeion (n° 127) la reproduction la plus précieuse qu'on possédât de l'Athéna chryséléphantine de Phidias.
Cette statue colossale du Parthénon qui a été considérée par l'antiquité comme le chef-d'œuvre de Phidias est complètement perdue et, avant la découverte de Ch. Lenormant, elle ne nous était connue que par de nombreuses monnaies, quelques bas-reliefs et une grande quantité de textes, dont le plus important est celui de Pausanias, l, 24. Perte d'autant plus déplorable qu'il ne nous est resté aucun spécimen de cette sculpture chryséléphantine dont les Grecs ont fait un usage si fréquent et si heureux, d'après le témoignage des critiques anciens. Quoi qu'il en soit, nous savons par les différents textes qui se rapportent à l'Athéna Parthénos de Phidias que la déesse était représentée debout et coiffée d'un casque orné de griffons et de sphinx.
Sur son égide était sculpté le Gorgoneion tandis que sur le bouclier qui reposait à terre et qu'elle soutenait de la main gauche on pouvait voir un combat d'Amazones. Sa main droite, qu'elle tenait largement ouverte, supportait une Victoire ailée. Enfin, un serpent se dressait à côté de la déesse, et sur la base de la statue on admirait un bas-relief retraçant la naissance de Pandore en présence de vingt divinités.
Les témoignages des anciens nous renseignent sur la distribution de l'or et de l'ivoire dans la statue. Les parties nues, c'est-à-dire le visage, les bras, les pieds étaient en ivoire ainsi que le Gorgoneion de l'égide. Le reste, c'est-à-dire le chiton, l'égide, les lanières des sandales, le casque, le bouclier, le serpent étaient d'or. Dans la Niké, l'or et l'ivoire étaient distribués de la même façon que dans la déesse. Quant aux ailes, elles étaient d'or.
Ajoutons que Pausanias fait mention d'une lance qu'Athéna tenait, nous dit-il, de la main gauche et qu'on ne retrouve généralement pas dans les reproductions qui nous sont parvenues de la statue.
La hauteur de l'œuvre entière était d'environ douze mètres y compris la base, qui avait deux mètres de haut.
La quantité d'or employé peut être évaluée, d'après Pausanias, à 44 talents (quatre millions).
Il nous est difficile de nous rendre compte de l'impression que devait produire une telle statue. Si l'on s'en rapporte aux restitutions qui ont été tentées par quelques-uns de nos plus grands architectes, l'enthousiasme des anciens pour ce genre de sculpture nous paraîtra bien exagéré et nous ne pouvons guère admirer le bizarre assemblage de ces deux matières si différentes d'éclat et de couleur, l'or et l'ivoire. Mais n'oublions pas que F Athéna Parthénos était bien plus grande que toutes les restitutions qui en ont été faites et que l'impression produite devait beaucoup différer de celle que nous éprouvons, par exemple, devant la belle reconstitution de Simart. De plus la statue était placée au centre d'une cella sans doute assez obscure et la lumière venant d'en haut pouvait jouer d'une manière intéressante sur le poli de l'ivoire ou sur l'éclat de l'or.
La statuette de Lenormant s'accorde parfaitement avec les textes anciens. Malheureusement ce n'est là qu'une simple ébauche : derrière la statue notamment et dans la jambe gauche, c'est à peine si le bloc de marbre est dégrossi. La base est très irrégulière, les plis du vêtement sont mous et négligemment modelés.
Le visage seul, peut-être, présente les caractères d'une œuvre travaillée : mais il affecte des formes rondes et douces qui sont en désaccord complet avec la physionomie ordinairement donnée à cette déesse par les sculpteurs grecs. Un casque fort bas couvre la tête d'Athéna et se termine sur le front par une sorte de diadème d'où s'échappent de nombreuses boucles de cheveux. L'égide s'entrouvre juste au milieu de la poitrine et de chaque côté de cette ouverture la symétrie est parfaite. Le mouvement de la jambe droite qui s'avance légèrement en avant fait faire au vêtement qui la couvre un grand nombre de plis réguliers et raides; la jambe gauche, doucement arquée est un peu en arrière. De la main gauche, la déesse soutient avec grâce le bord d'un bouclier rond couvert de sculptures, tandis qu'entre elle et ce bouclier se dresse un serpent qui allonge la tête.
Les bas-reliefs qui ornent la face extérieure du bouclier ainsi que la base de la statue sont grossièrement traités et fort difficiles à distinguer. Néanmoins, on a cru reconnaître sur la base un groupe de divinités siégeant entre le char du soleil qui s'avance et celui de Séléné qui disparaît. Sur le bouclier sont représentés plusieurs guerriers, les uns debout, les autres couchés. On y a cherché le portrait de Phidias lui-même. Le sculpteur, d'après la légende, s'était représenté de telle façon que si l'on tentait d'enlever son image, la
statue tombait en morceaux. Il ne faut pas ajouter foi à cette légende plus qu'à celle d'après laquelle Phidias aurait détourné une partie de l'or qui lui avait été confié.
Bibliographie. — Conze, Annali, 1861, tab. 0 P, p. 334. — Id. Die Athenastatue des Phidias, ds Arch. Zeitung, 1865, taf. 196. — E. Lenormant, Gazette des Beaux-Arts, VIII, p. 133. — Michaelis, Der Parthenon, taf. 15, 1. — Overbeck, Gl'iech. Plastik8, 1, fig. 54 - Collignon, Phidias, p. 25. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 224. — Baumeister, Denkmseler etc., p. 1455 (art. Phidias). — Brunn et Brükmann, Monuments etc., pl. 38. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 466.
A. SrnON.
158. - L'Athéna du Varvakeion.
La statue trouvée en 1880, à Athènes, près du Varvakeion, rappelle, comme la statue de Lenormant, l'Athéna chryséléphantine de Phidias sous une forme encore défectueuse, mais plus parfaite cependant. Ce sont évidemment deux reproductions du même original : nous retrouvons, en effet, dans cette nouvelle statue, les mêmes mouvements, les mêmes attributs; mais, tandis que la statuette de Lenormant n'est qu'une ébauche, celle-ci, plus haute d'ailleurs, est une œuvre soignée et complète.
La statue a été retrouvée presque entière : les parties qui manquaient lors de la première découverte ont été retrouvées ensuite et recollées; ce sont : quelques morceaux du casque, l'avant-bras droit, la main qui porte la Victoire, la Victoire elle-même, sauf la tête qui manque encore aujourd'hui. La hauteur de la statue est d'environ 1 m. 05, y compris le piédestal. La déesse est représentée debout, revêtue du chiton, et les bras nus. Elle a la jambe droite solidement posée sur le sol, le casque en tête, la poitrine couverte de l'égide. Sa main gauche est appuyée sur le bord d'un bouclier, comme dans l'Athéna de Lenormant : la main droite qui soutient une Niké repose - sur le chapiteau d'une petite colonne.
Le casque; étroit et bas, serre la tête, la nuque et les côtés du cou de la déesse. Il porte au sommet un sphinx dont le corps est conservé, sauf l'aile droite. La tête, finement sculptée, a gardé dans l'original des traces de couleur jaune sur les cheveux, rouge et bleue dans les yeux. Sur elle se dresse le cimier qui décrit une courbe en forme
de panache et retombe au-dessous du cou sur une tresse de cheveux.
En arrière et au-dessous du sphinx, deux griffons se font pendant.
Chacun d'eux portait une aigrette qui a disparu. A droite et à gauche des griffons deux garde-joues s'élèvent et sont rattachés aux griffons par des tenons.
Cette description, comme on le voit, s'accorde de tous points avec le texte de Pausanias, mais on a maintes fois discuté la question de savoir si Pausanias n'avait pas omis certains détails. Lenormant, notamment, a soutenu que dans la statue de Phidias huit chevaux étaient sculptés sur la partie antérieure du casque et semblaient s'élancer en avant. La statue du Varvakeion ne permet pas de résoudre ce problème; le sculpteur qui a fait cette reproduction a pu fort bien, à cause des dimensions restreintes de son œuvre, négliger ces détails.
Le visage de la déesse est sculpté avec beaucoup de soin, mais il s'en dégage une impression de gravité et de raideur : le menton et les joues sont d'un modelé fort dur; le nez prolonge la ligne du front, les lèvres sont minces et rigides. Le cou, un peu fort, est gracieusement encadré de boucles nombreuses qui s'échappent du casque. Dans l'original trouvé au Varvakeion, les cheveux étaient recouverts d'une teinte jaune; les yeux, larges et profonds, étaient peints en bleu; les sourcils et les cils, ainsi que la prunelle, étaient marqués par de légers traits rouges.
L'égide, garnie d'écailles, recouvre toute la poitrine; elle est bordée de onze petits serpents et, au milieu, se trouve le Gorgoneion.
Le costume est le même dans cette statue que dans la statuette de Lenormant; il est formé d'une tunique talaire que recouvre l'ampéchonium : la deuxième tunique, retenue à la taille par une ceinture de serpents, retombe en plis symétriques et raides; les pieds sont chaussés de sandales, mais les semelles de ces sandales ne sont pas ornées de bas-reliefs, comme l'affirme Pausanias de la statue de Phidias.
Les bras sont sculptés avec un grand talent; il y a notamment beaucoup de grâce dans le mouvement du bras gauche qui s'appuie sur le bouclier. Ce bouclier n'est pas, comme dans l'Athéna de Lenormant, orné de bas-reliefs : seul, le Gorgoneion, sculpté avec plus de soin que sur l'égide, apparaît au milieu de la partie convexe. On ne remarque non plus aucune trace de sculpture sur la base.
A propos de la petite Niké et de lacolonnette sur laquelle repose la
main droite de la déesse, il s'est élevé de nombreuses discussions. Sur la question de savoir si la colonne existait dans l'œuvre originale de Phidias, on n'était encore arrivé à aucune solution, mais la statuette du Varvakeion ne laisse plus aucun doute à cet égard. — On a cherché aussi à savoir si la Niké, dans l'Athéna Parthénos, s'élançait les ailes déployées en faisant face à la déesse, ou si elle était tournée vers le spectateur de la statue. Ici, elle est tournée de trots-quarts vers le spectateur, les ailes tombantes. Mais certains critiques ont soutenu que cette reproduction ne pouvait pas être exacte et, pour affirmer que la Victoire avait les ailes ouvertes, ils ont cité un passage deDémosthène et un autre d'Ulpien où est employé le mot àxpoT-qpioc.
Sans discuter la question, remarquons que si les ailes sont représentées déployées dans un bas-relief d'Athènes, elles sont représentées au repos dans un grand nombre de monnaies. De même si la Niké se tourne vers Athéaia dans plusieurs médailles, elle est tournée vers le spectateur dans beaucoup d'autres.
Dans la statue du Yarvakeion, la Niké étend le bras droit en présentant un objet brisé ; les fragments qui en ont été retrouvés permettent d'affirmer que c'est une guirlande.
Si l'on essaye de juger d'après cette reproduction la statue colossale de Phidias, on se trouve assez embarrassé. Si en effet on remarque dans cette œuvre un certain caractère de majesté et de puissance, on ne peut s'empêcher de reconnaître la lourdeur des formes et la raideur du mouvement. De plus la multitude d'ornements qui surcharge cette statue est loin de produire un effet agréable. Il ne faudrait pourtant pas juger, d'après ces seules indications, l'œuvre de Phidias. D'abord, parce que l'auteur de la réplique a fort bien pu changer le caractère de la statue; en second lieu, parce qu'une statue de petites dimensions ne produit jamais la même impression qu'une statue de proportions colossales; enfin parce que la technique du marbre n'est pas la même que celle de l'or et de l'ivoire. Cette lourdeur de formes était nécessaire dans une œuvre qui dépassait 12 mètres de hauteur : cette multitude de détails qui ressemblent à des travaux d'orfèvrerie, pouvait produire une excellente impression dans une statue d'or ciselé et d'ivoire.
Bibliographie. — Lange, Mitth. deut. arch. Instit. zu Athen, VI, taf. 1, 2. —
Hauvette-Besnault, Bull. de Corr. hellén., 1881, p. 54; id. Rev. archéolog. N. S.
XLI, tab. 4. — 0. Rayet, Gaz. des Beaux-Arts, 1881, t. XXIII, p. 258-263. —
Collignon, Phidias, p. 27. — L. Mitchell, A hist. of anc. sculpture, fig. 144. —
Baumeister, Denkmseler etc., p. 1458 (art. Phidias). — Brunn et Brukmann, Monuments etc., pl. 39-40. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin) no 467.
A. SIMON.
139. — Zeus Blacas.
Les prêtres de Zeus, à Olympie, désireux de consacrer dans la cella de leur temple une œuvre égale à celle qui faisait la gloire du Parthénon, firent appel à Phidias et lui commandèrent une statue de leur dieu. Phidias arriva, accompagné de son frère, le peintre Panainos, et de son élève Kolotès, toreulicien renommé.
La statue de Zeus, comme celle d'Athéna, était colossale et chryséléphantine. On a souvent discuté sur sa hauteur : suivant les calculs les plus vraisemblables, elle atteignait environ 13 mètres. L'image de Zeus était donc à peu près de même taille que celle de la déesse, mais les dimensions du personnage étaient plus considérables, puisqu'il était assis et non debout comme la Parthénos.
Le colosse de Phidias a péri, mais une description précieuse de Pausanias (V, 11, 2-8) nous donne une juste idée de cette statue, que les anciens comptaient parmi les merveilles du monde. Zeus était assis sur un trône où s'unissaient l'ivoire, l'or, l'ébène et les pierres précieuses. Le visage du dieu était encadré d'une barbe abondante et d'une riche chevelure ceinte d'olivier. Sa main droite supportait une Niké chryséléphantine, ornée aussi d'une couronne et tenant une bandelette, tandis qu'il appuyait le bras gauche sur un sceptre de métaux divers que surmontait un aigle. Les chaussures étaient d'or, de même que le vêtement divin rehaussé de figures et de fleurs de lis. Pausanias nous donne ensuite une liste minutieuse des motifs qui décoraient le tabouret placé sous les pieds de Zeus, la base du colosse, et surtout le trône, précieux travail de marqueterie enrichi de sculptures en ronde bosse, de reliefs, de ciselures, de peintures et d'incrustations. Mais l'historien ne nous parle pas de l'impression que produisait le dieu, du type réalisé par Phidias et digne de mériter une renommée aussi prodigieuse.
Nous devons, pour nous représenter l'attitude de l'Olympien et le caractère de son visage, comparer des monnaies d'Elide, conservées aux cabinets de Florence et de Paris, qui nous donnent du Zeus une
image réduite. Nous pouvons aussi considérer des peintures qui reproduisent sensiblement la disposition de l'œuvre de Phidias, et de nombreuses statues de Zeus postérieures à celle d'Olympie, car pendant les huit siècles que cette dernière a subsisté les sculpteurs en ont subi l'influence et répété le type sans se lasser.
On a cherché à savoir si le dieu était complètement vêtu, ou si le manteau laissait à découvert une partie du corps. En général les monnaies d'Elide laissent nue la poitrine de Zeus, et nous remarquons le même agencement de manteau dans une peinture récemment trouvée à Éleusis, où l'himation, drapé sur les jambes, retombe sur l'épaule gauche, découvrant amplement le torse. Ainsi, l'ivoire avait ici une part plus importante que dans l'image d'Athéna, puisqu'il offrait par devant une large surface.
La tête de Zeus qui se rapproche le plus de la création de Phidias est, à notre avis, la tête en marbre, trouvée à Milo en 1828, qui est connue sous le nom de Zeus Blacas, aujourd'hui conservée au British Muséum.
Cette tête est composée de trois morceaux ajustés par des tenons de fer ; par derrière se distinguent des trous destinés à assujettir une couronne travaillée à part.
La barbe est épaisse; les cheveux retombent en mèches opulentes; les yeux sont grands et enfoncés dans l'ombre de l'arcade sourcilière, le nez est régulier; les lèvres entr'ouvertes sont fortes et élégantes. Le front, qu'aucune douleur humaine n'a ridé, est vaste, comme doit l'être celui du Maître des hommes et des dieux, que hantent les sublimes pensées.
Le visage entier est empreint d'une dignité auguste; c'est vraiment une tête divine, exécutée sans défaillance de ciseau. La main de l'artiste ne s'émeut pas à modeler l'image de l'Être qui demeure, qu'aucune maladie ne peut meurtrir dans sa chair et dont aucun souci ne peut troubler la sérénité.
Il y a là, nous semble-t-il, dans l'antiquité grecque, une idéalisation nouvelle du souverain de l'Olympe; ce n'est plus le Zeus d'Homère, brutal envers sa femme, le dieu irascible qui se mêle à toutes les luttes des hommes; c'est une divinité bien plus hautaine, dans sa majestueuse impassibilité, bien plus éloignée de la terre, élevée bien au-dessus des agitations éphémères.
Peut-être le Zeus Blacas ne nous rend-il pas sur ce point l'expression même du dieu de Phidias. Dion Chrysostôme nous parle, en
effet, d'un dieu « pacifique et bienveillant., protecteur de tous les mortels », et la tète qui nous occupe ne manifeste guère cette bonté miséricordieuse du dieu qui accueille du haut de son trône les vœux des suppliants.
Telle qu'elle est, cependant, la magnifique tête du Zeus Blacas peut nous faire entrevoir ce que devait être pour les adorateurs grecs cette apparition de l'œuvre immortelle, aperçue tout au fond de la cella, dans la pénombre du sanctuaire, sous son vêtement d'or, avec l'éclat blanc-rosé de l'ivoire qui rappelait celui de la chair. Le chefd'œuvre perdu a malheureusement emporté avec lui le secret des harmonies de la forme et de la couleur.
Bibliographie. — Max. Collignon, dans les Monuments de l'art antique d'O.
Rayet, VIe livr. — Expéd. de Morée, 111, tab. 29, 1. — Overbeck, Kunstmythologie, tab. II, n° 11, 12. —Beaumeister, Denkmœler etc., I, fig. 147. — Roscher, Ausfiihrliches Lexicon, p. 637. — V. Duruy, IIist, des Grecs, I, p. 232. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 106. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 1283.
A. SOULIER.
III. - ÉPOQUE DE PHIDIAS. SCULPTURE MONUMENTALE
Les sculptures du Théseion d'Athènes.
Ce temple, dont le nom n'est pas absolument certain, où l'on a voulu voir tour à tour un temple d'Arès, d'Apollon Patroos, d'Héphaistos, d'IIéraklès, est très bien conservé. La décoration sculpturale, comme il était naturel, a plus souffert que l'architecture; les statues des frontons ont disparu, et les métopes ainsi que les frises qui subsistent ont beaucoup souffert.
140-141. - Les Métopes.
Le Théseion n'était pas entièrement entouré de métopes. Il y en avait seulement dix sur la façade principale, à l'est, et quatre en retour de chaque côté. Les dix métopes de la façade principale représentent les exploits d'Heraklès ; le sculpteur a choisi librement ceux de ces travaux
qui lui plaisaient le plus, car il n'en a représenté que neuf, l'un d'eux,
occupant deux métopes. Ce sont : le lion de Némée, l'Hydre de Lerne, la biche aux pieds d'airain, le sanglier le d'Érymanthe, les chevaux de Diomède, Cerbère, la défaite d'Hippolyte reine des Amazones, la mort de Géryon (en deux tableaux), les pommes d'or du jardin des Hespérides. Le sculpteur a laissé de côté les écuries d'Augias, le taureau de Crète et les oiseaux du lac Stymphale. Les métopes de la façade est sont très endommagées ; les autres sont en meilleur état. Elles représentent les exploits de Thésée.
Les quatre métopes du côté sud représentent : 1. Thésée et le Minotaure. Le héros, fortement arc-bouté sur sa jambe gauche, la droite s'appuyant probablement contre le coin de la plaque, a saisi le monstre par les cornes, mais celui-ci le repousse du pied et des mains. Le mouvement est très hardi; nous n'avions pas encore vu représenter des mouvements aussi violents, surtout dans une œuvre de petites dimensions. Ce groupe est très vivant. Le Minotaure est représenté d'une manière assez heureuse. Les personnages sont nus, sans aucune draperie.
2. Le taureau de Marathon. Cette métope ressemble à celle d'Olympie, représentant le même sujet (147); mais ici le mouvement est encore plus violent. Le taureau frappe l'air de ses pattes de devant; Thésée lui a saisi les cornes, un pied appuyé sur un rocher, le genou contre la bête. Ici encore l'exécution est bonne. Thésée a une draperie qui l'enveloppe par derrière et revient sur le bras, mais les plis en sont archaïques, trop lourds et trop raides.
* 3. Cette métope est mutilée; elle représente Thésée terrassant le brigand Sinnis : celui-ci s'appuie sur ses deux jambes et essaye de se débarrasser des liens avec lesquels Thésée l'attache; malheureusement le corps du héros a été martelé, et nous ne pouvons voir ce qu'il faisait.
4. Procuste jeté à terre résiste encore vigoureusement, car aux mouvements de Thésée, il semble que lui-même se débat comme s'il avait été saisi par la chevelure.
Les métopes du côté nord continuent la série des exploits du héros athénien ; ce sont : 1. Thésée et Périphétès. Thésée a saisi son ennemi qui résiste encore; c'est un épisode de lutte, comme le sculpteur pouvait en voir dans les palestres. Remarquons que, ici comme dans les métopes du
Parthénon, pour varier la monotonie du sujet l'artiste représente les différentes phases du combat.
2. Thésée et Kerkion. La lutte est très ardente; Thésée, fortement musclé, a saisi son adversaire à bras-le-corps et le renverse : celui-ci, bien que perdu, se défend de son mieux (140).
3. Skiron était un monstre établi sur les roches skironiennes, entre Éleusis et Mégare, dans le golfe de Salamine; il précipitait dans la mer les gens qui passaient. Thésée arrive quand il est assis sur son rocher et lui fait subir le même traitement qu'il infligeait à ses victimes (141).
4. La truie de Chromion, comme le sanglier d'Erymanthe, était un animal terrible qui tuait et dévorait ceux qui osaient l'attaquer.
Thésée a un manteau; comme au côté sud, les draperies sont mal traitées. Dans cette métope, la scène est moins bien conçue ; la lutte n'est pas très vive.
Le caractère propre de ces métopes, c'est la recherche de l'action à outrance. Le sculpteur représente la lutte dans ce qu'elle a de plus violent ; nous voyons un héros qui lutte contre ses ennemis par des moyens humains, tel qu'on les enseignait dans la palestre. Le nu est assez bien traité, mais l'artiste a la main moins heureuse pour les draperies. Ces qualités et ces défauts nous rappellent Myron ; on a songé à attribuer cette œuvre à son école. On y trouve une observation juste de la nature et la recherche des mouvements rapides et fugitifs. Si l'on compare ces métopes à celles du Parthénon, on pourra les trouver inférieures, car elles sont d'un style moins large ; les héros et les êtres mythologiques y sont réduits à des proportions plus humaines ; rien ne révèle en eux une essence divine. Au contraire, l'art est ici bien supérieur à celui des métopes du temple de Zeus à Olympie où, nous le verrons, la conception est souvent naïve et maladroite, et l'exécution trop entachée d'archaïsme et de rudesse.
La frise de la Cella.
La frise, non plus que les métopes, n'était pas absolument nécessaire; aussi les architectes et les sculpteurs en ont-ils pris à leur aise avec elle, comme avec les métopes. Au Théseion, la frise ne se développe que sur les façades est et ouest, et encore, sur cette dernière, elle n'occupe pas toute la longueur.
142. — Frise est.
D'après Otfr. Mùller, dont l'opinion est généralement adoptée, le sujet traité sur le côté est représente le combat de Thésée contre les Pallantides. C'étaient des monstres, à moitié dieux, à moitié hommes, des espèces de géants; le grand fait politique de Thésée, c'est de les avoir chassés de l'Attique. Il faut remarquer la belle ordonnance de cette frise; elle est divisée en trois parties d'inégale longueur : 10 cinq personnages entourent un prisonnier à genoux; deux l'enchaînent de liens, tandis que les autres le contiennent; 2° trois divinités, Athéna, Héra, Zeus, sont assises et devant elles trois personnages se battent ; 3° cinq guerriers dressent un trophée. Cette division est ingénieuse; en effet, les dieux sont au-dessus de la porte et occupent le centre de la scène; de part et d'autre on voit la lutte dans toute son ardeur; enfin, aux extrémités on voit les résultats du combat.
143. — Frise ouest.
De ce côté est représenté le combat des Centaures et des Lapithes.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est la ressemblance de ces groupes avec les métopes du Parthénon; ainsi, le premier groupe est dans la même disposition que la quatrième métope du sud, seulement le personnage a un manteau au lieu d'un bouclier, et le Centaure a saisi une amphore et non une pierre. Le groupe 8 peut être mis à côté de la métope XI (dessin de Carrey dans l'Atlas annexé au Parthénon de Michaelis). Le groupe 6 rappelle la métope n° VII; le groupe 7 représente, comme les métopes IV et XXX, un Lapithe vaincu qu'un Centaure foule aux pieds. Dans le groupe 3, ainsi que dans la métope V, le centaure se cabre ; le groupe 5 rappelle le dessin que Carrey nous a laissé de la métope XXIII; le groupe 2 peut se rapprocher de la métope XXIV, etc. Sauf quelques variantes, il y a un très grand rapport pour le style, et on trouve même dans la frise du Théseion quelque chose de plus développé ; les scènes sont plus animées, les personnages expriment par leurs attitudes et l'expression de leur visage la passion ou la douleur qu'ils ressentent. Ceci d'ailleurs peut s'expliquer facilement; les métopes ne formaient pas, comme la frise,
un grand ensemble, mais constituaient chacune un tableau; les sujets ne comportaient donc pas un grand nombre de personnages, ni une scène étendue. Néanmoins.la composition de la frise du Théseion n'est pas savante ; il y a un groupe central : Cénée, roi des Lapithes, qui était invulnérable, est écrasé par ses ennemis sous des rochers ; puis le reste s'égrène de chaque côté ; il n'y a pas de groupes ni de mêlée, comme aux frontons d'Olympie ou à la frise de Phigalie.
Quand on a, comme il est juste, décrit et loué le style et l'exécution de ces bas-reliefs, il reste à décider ce point fort obscur, si l'œuvre est antérieure ou postérieure aux métopes du Parthénon, auquel des deux artistes, le décorateur du Théseion ou le décorateur du Parthénon revient l'honneur d'avoir fourni des modèles à l'autre et d'avoir exercé sur lui son influence. Les avis sont partagés. La construction du temple de Thésée est peut-être, comme l'indiquent certains détails, antérieure à celle du temple d'Athéna, mais ce n'est là qu'une vraisemblance, et d'ailleurs la décoration sculpturale du premier a pu n'être exécutée qu'alors que celle du second était déjà terminée. Pour nous d'ailleurs, à défaut de preuves matérielles, nous admettrons volontiers les raisons de sentiment, et celles-ci s'accordent toutes, croyons-nous, à montrer que des deux artistes, l'imitateur est celui qui orna le Théseion. Il ne semble pas facilement admissible que le temple qui passait à juste titre pour le plus beau qu'aient construit les Grecs ait pu devoir quelque chose au modeste édifice qu'est le temple de Thésée, et que Phidias, le maître incomparable, ait servilement imité, presque copié l'œuvre d'un devancier ou d'un contemporain obscur; l'influence va, comme il sied, du grand au petit, et du maître de génie à l'artiste de talent. De plus, nous avons eu soin de noter que dans la frise du Théseion on retrouve des groupes séparés et juxtaposés; c'est là une maladresse de composition qu'explique mieux que toute autre cause l'imitation des groupes des métopes; et nous avons aussi remarqué que les Centaures et les Lapithes de la frise ont quelque chose de plus personnel et, pour tout dire, de plus passionné que les personnages correspondants des métopes. Or, c'est là une différence qui constitue un véritable progrès, et un progrès du genre de ceux que le temps seul amène, un progrès, ou si l'on préfère un pas en avant, un développement que les critiques s'accordent à attribuer à l'école attique qui suivit immédiatement Phidias en subissant son influence.
Cela seul, à notre avis, suffirait à donner aux métopes la priorité dans le temps, nous ne disons pas la supériorité.artistique.
Bibliographie. — Ross, das Theseion (1852). — Wachsmuth, die Stadt Athen in Alterthum, I, p. 351. — Gurlitt, Das Alter der Bildwerke des sogenannten Theseion, (1875). - Monuinenti, 1878, pl. XLIII, XLIV, LVIII, LIX. — Antiquities of Alhen, III, pl. 6, 13, 14. — Ancient marbles, IX, pl. XII à XXI. — Muller-Wieseler, Denkm. d.
alt. Kunst, I, XX (105, 106, 101, 108); XXI. — W. Miiller, die Theseus Melopen vom Theseion zu Alhen. — Overbeck, Gtiech. Plaslik', I, fig. 94, 95. — Murray, Rist.
ofgreek Sculpture, fig. 48, 49. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 1863, 1875 (art.
Theseion). — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 126, 127, — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 526.
G. ROQUES.
Temple de Zeus à Olympie.
D'abord simple sanctuaire fédéral des bourgades de l'Élide, puis capitale du Péloponèse, Olympie devint bien vite le centre religieux de toutes les races helléniques. Elle affirma rapidement son rôle politique par l'influence qu'elle mit en œuvre pour réunir en un jour sur les bords de l'Alphée, dans l'enceinte sacrée de l'Allis, toutes les villes de la Grèce, si jalouses de leur autonomie et de leur vie indépendante; c'est à ces fêtes que se formait l'idée d'une nationalité hellénique, là que tous les Grecs pouvaient se sentir unis et rapporter dans leur patrie une confiance pleine d'espoir. Le développement du culte appelle celui des arts. Aussi, dès le VIlle siècle, cette bourgade s'embellit-elle peu à peu; ce sont d'abord des autels à Jupiter et à Héra, des monuments funéraires élevés aux mânes des héros indigènes, autour desquels s'entassent des offrandes de toutes sortes. Au vie siècle, c'est la construction d'un palais destiné au Sénat olympique. Enfin, au ve siècle, c'est la construction et la décoration d'un temple magnifique à Zeus. La puissance et la cohésion de la nationalité hellénique venaient d'avoir raison, à Salamine, des audaces des Barbares, et peut-être fut-ce en lui donnant un séjour plus digne de lui que les Grecs crurent le mieux reconnaître la protection que leur avait accordée le roi des dieux.
Ce fut un architecte nommé Libon que l'on chargea d'élever l'édifice. Commencé en 470, le temple fut terminé, en treize ans, en 457.
Comme au Parthénon, comme au temple de Thésée, la décoration sculpturale tint ici une place considérable, les frontons se couvrirent de statues, le mur de la cella d'une frise de métopes; les fouilles allemandes, de 1875 à 1881, ont remis au jour la plus grande partie de ces marbres précieux.
144. —Fronton oriental.
Avant la construction du nouveau temple, Pausanias (V, 13) nous dit que l'on voyait à Olympie, entr'autres monuments, un autel consacré par les Achéens de Pise à Pélops, leur héros national. C'est encore une légende de ces mêmes Achéens que l'artiste a choisie pour orner le fronton oriental du temple : un oracle avait appris à OEnomaos, prince d'Élide, qu'il périrait de la main de l'homme qui épouserait sa fille Hippodamie (Pausanias, VI, 21, 10).
Comme elle était recherchée par de nombreux prétendants, OEnomaos déclara qu'il ne la donnerait qu'à celui qui serait son vainqueur dans une course de chars. L'espace à parcourir s'étendait de l'autel de Zeus à Olympie jusqu'à celui de Poseidon à l'Isthme de Corinthe. Déjà douze prétendants vaincus étaient tombés sous la lance d'OEnomaos, quand Pélops vint à son tour se mettre en ligne.
Grâce à son attelage fourni par Poseidon et à une perfidie d'Hippodamie, qui soudoie Mirtylos, le cocher de son père, pour enlever une clavette à la roue du char royal, Pélops est vainqueur et OEnomaos meurt dans la carrière même.
Ce n'est ni la course elle-même, ni le dénouement que nous voyons représentés sur le fronton oriental, mais bien les préparatifs de la lutte, fait qui nous rappelle la conception de la frise des Panathénées, et n'est pas une exception dans la sculpture antique, mais qui s'explique du reste fort bien quand on songe que le point de départ du trajet à fournir était précisément au pied du temple de Zeus à Olympie.
La description de ce fronton semble assez claire chez Pausanias, et pourtant depuis que ces sculptures ont été mises au jour, les archéologues sont loin d'être d'accord sur la disposition de la scène.
D'après Pausanias, Zeus se tenait debout au milieu du fronton; un fragment important du dieu a été retrouvé : le buste nu, le bas du corps enveloppé dans une draperie qui s'enroule autour du bras gauche, dont la main est armée d'un sceptre; c'est avec une hautaine impartialité dans le visage, légèrement incliné à droite, qu'il sépare les deux rivaux debout à ses côtés. A droite, dans une attitude à qui la position du bras droit donne un certain air provocant, est placé OEnomaos, barbu, le casque en tête et la chlamyde sur les épaules, le bras gauche relevé et appuyé sur sa lance; à côté de lui Stéropé,
sa femme, qui laisse tomber le bras droit le long du corps et relève le bras gauche à la hauteur de l'oreille ; elle est vêtue d'une tunique assez ample, sous laquelle la saillie délicate des seins et du genou montre un soin tout particulier de l'artiste. Devant les quatre chevaux qui sont à sa droite et que l'on voit de profil, se tient accroupi le cocher d'OEnomaos, qui joue dans la légende un rôle important; derrière l'attelage est assis un personnage d'âge mûr, quelque officier de la suite du prince; son genou droit est relevé, sa tête fait face aux spectateurs, et il semble contempler la scène.
Non loin de lui est agenouillée une jeune femme, qui appuie ses deux bras sur le genou droit qu'elle a relevé, et qui s'offre aussi à nous dans une attitude de méditation. Elle regarde le fleuve Alphée, représenté par un homme qui occupe l'angle extérieur du fronton : il est étendu de toute la longueur de son corps, le bras droit allongé sur sa jambe droite, le gauche servant d'appui à sa tête barbue qui regarde la jeune fille.
A la gauche de Zeus se présente, dans l'ensemble, la même scène ; elle ne varie que dans quelques détails : c'est d'abord l'adversaire d'OEnomaos, Pélops, jeune homme imberbe, coiffé du casque et vêtu de la chlamyde, qui s'appuie de son bras droit relevé sur une lance, et a le bras gauche passé dans la courroie d'un bouclier. A ses côtés, absorbée sans doute dans ses réflexions — qui s'expliquent bien si l'on songe au rôle que lui prête la légende- se tient la jeune Hippodamie, vêtue comme sa mère d'une tunique talaire, mais laissant peut-être moins deviner les formes de la femme; son bras droit replié sur la poitrine soutient le coude et le bras gauche sur lequel vient s'appuyer le menton, ce qui finit de donner à l'attitude un caractère très marqué de rêverie mélancolique. Devant un nouvel attelage de quatre chevaux, qui est celui de Pélops, se tient probablement son cocher, qui fait pendant à Mirtylos : c'est un homme encore jeune, à la structure fortement accusée, un genou à terre, qui retient l'attelage avec une bride passée à son bras droit. Nous voyons derrière ces chevaux un personnage qui est peut-être le plus intéressant du fronton par l'effort que nous devinons chez l'artiste pour rendre son travail bien vivant : c'est un vieillard chauve, assis par terre, les jambes à demi étendues et enveloppées d'une draperie; sur sa poi- trine large et nue les muscles s'accusent fortement; de la main droite il soutient sa tête pensive, appuyant le coude sur le genou droit, tandis que le corps s'arc-boute sur le bras gauche, dont les muscles
se raidissent au-dessus de la main posée à plat. Enfin un jeune homme imberbe, accroupi, le bras droit pendant, le genou gauche relevé, a le corps tourné vers le Cladéos, que représente un autre jeune homme au fin profil, couché dans l'angle du fronton, le buste nu, les deux bras accoudés au sol et les jambes perdues dans une draperie.
Telle est, respectée dans son ensemble, la description qui ressort du texte de Pausanias; elle semble d'autant plus nette et d'autant plus vraie que, pour certains des personnages, elle s'impose absolument. L'inclinaison des lignes rampantes du fronton nécessite en effet que les figures debout soient au centre, que les figures étendues occupent les angles du fronton, et qu'enfin les chevaux forment leur groupe là où il se trouve. Mais la discussion s'est ouverte lorsqu'il s'est agi de déterminer la place des personnages accroupis; la recherche d'une exactitude suprême a suscité de nombreuses restitutions, entr'autres celles de E. Curtius, R. Kekulé et G. Treu, qui, malgré de hardies modifications dans le détail, ne détruisent pas la conception générale de l'ensemble. Plus audacieuse est la restitution de Six ; il a tout d'abord supposé l'existence d'un char en bronze (l'emploi de ce métal expliquerait sa disparition complète) auquel seraient attelés trois des chevaux du groupe, pendant que le premier qui se présente à nous, plus soigné dans ses formes, serait tenu en main par le personnage accroupi derrière lui ; certains fragments lui ont fait en outre placer au centre un autel, qui a été nécessaire à un sacrifice antérieur, ou qui est un autel sur lequel se trouve la statue de Zeus; ce ne serait pas alors le dieu lui-même, mais son image : jusque-là il ne semblait pas aller trop loin dans la nouveauté ; mais, outre cela, il a interverti l'ordre habituel des cinq personnages du centre, ceux qui sont debout. Il a mis les deux femmes aux côtés mêmes de Zeus, entre le dieu et chacun des deux héros. Les têtes s'étagent alors d'une façon peu harmonieuse et peu conforme à tout ce qui est apparu jusqu'à ce moment dans la disposition de statues d'un fronton.
M. G. Treu ne pouvait que s'élever contre cette restauration de l'archéologue anglais, restauration que rend impossible la diminution successive des hauteurs, réglée par les rampants du fronton. — De tous ces essais il résulte qu'aucune solution, quelle qu'elle soit, ne satisfera jamais tout le monde.
Du reste, en admettant même que nous la connaissions parfaitement, aurions-nous des éléments plus précieux et plus catégoriques pour
apprécier la conception de l'ensemble? Quelque position que l'on donne aux statues, la scène ne peut varier ni de signification, ni d'impression.
Observé dans son ensemble, ce fronton étonne tout d'abord par la symétrie exagérée de ses lignes et l'absence complète de recherche savante : comme dans les frontons d'Égine, ce sont les lignes du triangle qui semblent déterminer la composition du tableau. Mais il faut remarquer que si cette composition est des plus élémentaires, c'est celle qui en somme correspond le mieux à la conception de l'architecture dorique, et qui s'adapte le mieux au caractère du momument.
Quant aux statues elles-mêmes, elles sont encore loin de l'élégante originalité du Parthénon, et nous serions en droit de nous croire loin du ve siècle : la facture a peu de liberté et de souplesse, et, dans les attitudes, il y a une certaine familiarité qui confine souvent à la vulgarité. Pourtant, il y a dans la mise en place des personnages d'ingénieux contrastes : c'est avec intention, sans doute, que l'artiste a placé au milieu des figures jeunes qui sont à la gauche de Pélops ce vieillard chauve, dont le corps solidement bâti et arrivé à son complet développement fait ressortir la tendresse juvénile de ceux qui l'entourent; et la jeune fille qui, à droite de Zeus, regarde mélancoliquement l'Alphée jette au contraire tout à l'entour comme un rayon de jeunesse. Quant aux chevaux, ils ménagent habilement la transition entre les figures debout et les figures assises ou accroupies. Donc, composition sommaire d'une conception habile et assez variée, etexécution inégale, ainsi peut se résumer le caractère général d'une œuvre en somme de valeur moyenne.
Quant à savoir le nom de l'auteur, c'est une question dont il nous est impossible, sinon de donner, du moins de contrôler la réponse : une tradition dont Pausanias s'est fait l'écho attribuait cette œuvre à Paionios de Mendé : et pourtant dans la Niké, la seule statue certaine qui nous reste de lui, .nous sommes loin de trouver les caractères du fronton d'Olympie.
Comme nous ne connaissons du reste que très imparfaitement la génération de sculpteurs attiques qui précéda Phidias, aucune opinion précise ne peut être émise à ce sujet, et sûrement il vaut mieux se résigner à l'ignorance.
A. MILAA.
145. — Fronton ouest.
Le fronton ouest représente le combat des Centaures et des Lapithes. Tout en constatant la fréquence de ce motif, nous ne devons pas nous étonner outre mesure de le voir si souvent représenté. Il s'agit en effet d'une des légendes les plus célèbres de l'Attique, d'une tradition qui remonte aux origines mêmes du peuple hellène. D'ailleurs, si abandonnant les considérations religieuses nous nous bornons à des raisons d'art, nous trouvons de nombreuses causes qui expliquent la répétition d'un pareil sujet. Le combat de ces êtres moitié hommes, moitié chevaux contre des adversaires de race humaine présentait des groupements plus hardis et plus nouveaux que n'eût fait une lutte entre des guerriers de même nature. Le but de la bataille, qui était l'enlèvement et le viol des Lapilhine, offrait l'avantage d'introduire dans les groupes des femmes résistant à leurs ravisseurs ou se serrant éperdues sur le corps de leurs maris pour chercher une défense.
Enfin, les circonstances de la lutte, qui se passe au milieu d'un festin, permettaient de représenter un décor original; soit qu'on aperçût les apprêts du repas dans le fond du tableau, soit que les combattants se fussent armés, comme dans les métopes du Parthénon, de cruches et d'amphores pour terrasser leurs adversaires. Il y avait là un élément pittoresque qui devait séduire les artistes grecs, aussi croyons-nous que le choix du sujet vient moins du culte de Zeus ou de la légende d'Olympie que de pures raisons artistiques.
Pausanias, qui nous apprend le sujet de ce fronton, décrit ensuite la scène représentée. Mais si nous ne possédions que son récit, nous nous trouverions aussi embarrassés pour la reconstituer que nous l'avons été en étudiant le fronton est. Heureusement que nous avons d'autres données qui nous permettent d'établir à peu près sûrement l'ordre des personnages. Remarquons en effet que nous n'avons pas ici comme dans le fronton précédent des statues isolées qui peuvent être placées un peu partout, mais des groupes dont la grandeur, la direction déterminent le plus souvent la position d'une façon nécessaire. Aussi l'ordre général n'est-il pas contesté : Apollon que l'on reconnaît à son arc, à son type, à son air majestueux, ne pouvait être placé qu'au milieu du fronton, d'où il observait toute la scène. Ce qui prouve bien cette opinion, d'ailleurs admise par tous les archéologues, c'est que ce dieu a justement les mêmes dimensions que le
Zeus qui est placé au milieu de l'autre fronton. De chaque côté du dieu était d'abord un groupe d'un Lapithe, d'un Centaure et d'une Lapithine, puis un second groupe de deux personnages : un Centaure et un Lapithe aux prises; un troisième groupe analogue au premier : une Lapithine, un Centaure et un Lapithe. Après ce troisième groupe, et pour garnir l'angle extrême du fronton, se trouvaient deux personnages isolés : une vieille appuyée sur un socle et une femme soulevée sur ses coudes.
La symétrie d'ailleurs était parfaite : à chaque personnage correspondait un personnage identique de l'autre côté du dieu. Signalons toutefois une petite différence : dans le troisième groupe, celui qui représente une Lapithine tenue par un Centaure tombé et secourue par un Lapithe, le Centaure a saisi la jeune fille dans le groupe de droite par la taille, dans le groupe de gauche par la chevelure.
Le second groupe est semblable des deux côtés; il représente la lutte d'un Centaure et d'un Lapithe.
Le premier est dans le même cas : un Centaure debout tient dans ses bras une jeune fille qui résiste et un Lapithe vient à son aide, armé d'une hache, Voilà donc la place des groupes établie, mais ce n'est pas sur ce point que portent les discussions des archéologues ; où les avis diffèrent, c'est quand il s'agit de déterminer la place de chaque personnage dans le groupe dont il fait partie. De là, plusieurs théories : nous nous bornerons à citer la restitution commune et celle de M. Treu.
Le tableau suivant où chaque personnage est représenté par son initiale et où L' désigne la femme Lapithe fera comprendre la différence qui existe entre ces deux opinions.
Restitution commune :
Restitution de M. Treu :
La restitution de M. Treu diffère de l'autre en ce qu'elle intervertit l'ordre des personnages dans les groupes 1 et 2. Dans les groupes 2, 2' .- nous ne voyons pas qu'elle présente d'avantages sérieux sur la thèse
ordinaire ni qu'elle lui soit inférieure par des inconvénients graves.
Comme le Centaure et le Lapithe sont de même taille, il n'y a pas d'objection matérielle à faire à l'une ou à l'autre de ces théories, entre lesquelles nous nous abstiendrons de choisir. Il n'en est pas de même des groupes 1, 1' où la correction de M. Treu nous semble très heureuse, et nous soutiendrons sonavis envertudes mêmes raisonsquinous ont fait combattre son projet de restitution du fronton est. En effet, dans le groupement ordinaire LCL'AL'CL, on remarque une faute grave contre les lois de l'art et de la symétrie : supposons une ligne partant de la tête d'Apollon et réunissant toutes celles des statues du groupe, nous voyons qu'elle formera une espèce d'escalier s'abaissant au-dessus de la Lapithine et du Centaure pour se relever au-dessus du Lapithe et se rabaisser encore en arrivant aux personnages courbés ou agenouillés. Le groupement proposé par M. Treu, L'CLALCL', fait disparaître cet escalier, donne une plus fière attitude au dieu placé entre ces deux hommes qui lui tournent le dos pour combattre, et présente un ensemble plus élégant et plus artistique.
La description que nous avons faite montre qu'il y a entre ce fronton et celui de l'est une très grande différence de composition : au lieu de personnages séparés, nous avons des groupes; au lieu d'une préparation à l'action sans ensemble, nous avons un combat assez compliqué.
Nous notons donc ici de la part du sculpteur un effort pour mêler les personnages en vue d'une action commune et nous devons constater un progrès, mais il ne faut pas exagérer ce progrès outre mesure, car la symétrie est peut-être plus rigoureusement observée que dans l'autre fronton, la composition est peut-être plus fixe et plus arrêtée, et, somme toute, malgré sa complication, cette œuvre est aussi naïve que l'autre.
Si la composition marque - une certaine inexpérience, l'exécution dénote un talent singulièrement vigoureux et hardi. Comme dans le fronton est, nous remarquons la recherche de la simplicité : de même que Pélops, OEnomaos, Zeus ont un air majestueux, de même Apollon donne l'impression du divin, de même les Lapithesqui l'entourent ont un air noble et mâle. Les deux figures de nymphes qui sont dans les angles ont aussi l'apparence calme et simple des fleuves Alphée et Cladée. Comme dans l'autre fronton nous voyons aussi le mélange de l'idéal et du réalisme : les combattants, tout entiers à la lutte, se saisissent avec brutalité ; un Centaure à face bestiale mord le bras d'un Lapithe qui lui serre le cou avec ses bras pour l'étouffer, une femme rejette la tête d'un Centaure en arrière avec son coude.
Ce sont là de grandes qualités que ne fait pas disparaître la naïveté de l'exécution : l'artiste cherchait à faire quelque chose de simple et de vrai. On peut dire qu'il a en grande partie réussi. Mais quel est cet artiste? Pausanias nous cite Alcamène comme l'auteur de ce fronton : il n'y a pas à cela de difficulté provenant de la chronologie, car c'est bien du ve siècle que date cette œuvre qui est contemporaine du Parthénon. Toutefois, nous avons de sérieuses, raisons pour douter du témoignage de Pausanias. Nous avons vu que pour l'autre fronton il nous semble être dans l'erreur en l'attribuant à Paionios de Mendé et être assez mal informé sur la question. De plus, nous savons qu'Alcamène recherchait le genre de Kalamis, qu'il se distinguait parla grâce et valait par le détail. Il ne nous apparaît pas comme auteur de groupes, mais de statues isolées, entre autres d'une Aphrodite dont on louait l'air gracieux comme chez la Sosandra de Kalamis. Or, ce sont justement ces qualités qui se trouvent éxclues du fronton. Pourtant, il y a certes là des qualités d'atticisme. Des têtes de marbre ou de bronze trouvées à l'Acropole rappellent de très près la tête d'Apollon, par exemple. Mais cet atticisme, que nous reconnaissons, était-il celui d'Alcamène ? Nous réservons notre avis sur une question si délicate, en nous contentant de remarquer que le témoignage de Pausanias est loin d'être concluant.
Ducos DE LAHAILLE.
146-149. — Les Métopes.
Peu de temples doriques avaient, comme le Parthénon, toutes leurs métopes sculptées. A l'époque archaïque, le temple d'Assos, par exemple, n'avait même pas de métopes; elles étaient remplacées par une frise décorée de bas-reliefs, analogue à la frise ionique ; à l'époque classique, il pouvait se faire que les métopes situées au-dessus du péristyle fussent lisses, mais que le mur de la cella, au lieu d'être couronné d'une frise ionique, fût orné de véritables métopes sculptées, encadrées de triglyphes.
C'était le cas du temple de Zeus à Olympie. Pausanias nous a rapporté qu'elles étaient au nombre de 12, situées les unes au-dessus de la porte du pronaos, les autres au-dessus de la porte de l'opisthodome.
Elles faisaient partie intégrante des murs et durent être sculptées par conséquent dès les premières années de la construction de l'édifice.
Elles représentaient, d'après le témoignage du periégète, les 12 travaux d'Héraklès. Sur la façade orientale étaient représentées les luttes du héros contre le lion de Némée, l'hydre deLerne, les oiseaux du lac Stymphale, le taureau de Crète, la biche aux pieds d'airain et Hippolyte, reine des Amazones. Sur la façade occidentale on voyait Héraklès luttant avec le sanglier d'Érymanthe, les chev aux de Diomède etGéryon, soutenant le monde sur ses épaules, nettoyant les écuries d'Augias, et enfin domptant Cerbère. Des fragments plus ou moins importants de tous ces bas-reliefs ont été retrouvés au cours des fouilles allemandes.
La première de ces métopes nous montre Héraklès vainqueur du lion de Némée. Bien qu'elle soit très endommagée, le sujet en peut être facilement reconstitué. Sur le cadavre étendu du monstre terrassé le héros a posé son pied triomphant; mais, épuisé par la lutte, il s'appuie du coude sur son genou et laisse sur sa main droite reposer sa tête lourde de fatigue. Une femme, une déesse, Athéna, que nous retrouverons dans d'autres métopes, assiste le héros. Le Louvre possède le lion, d'un archaïsme très fantaisiste (la crinière particulièrement et les barbes sont d'une régularité inattendue), qui fut trouvé en assez bon état de conservation par l'expédition française de 1829.
Il reste d'Héraklès la partie inférieure de la jambe droite, un fragment de chacun des bras, la tête et la main droite qui la soutient; d'Athéna la tête et une partie du bras droit. Les chevelures, dans cette métope et dans les autres, ne sont pas sculptées. Elles étaient peintes à la mode archaïque.
La deuxième métope représente la lutte d'Héraklès contre l'hydre de Lerne. Elle est trop endommagée pour qu'il soit possible d'en apprécier la facture ni même la composition. Le héros, vu de profil, paraît engagé dans le fouillis des tentacules du monstre, dont la masse occupait le côté droit de la métope. Le compagnon que la légende donne à Héraklès dans sa lutte contre l'hydre, Iolaos, était-il représenté? On ne saurait l'affirmer, aucune trace n'en restant, mais la chose est possible et paraît probable.
Les deux métopes qui suivent et qui figurent les triomphes d'Héraklès sur les oiseaux stymphaliens (146) et sur le taureau de Crète (147) sont, grâce à leur assez bon état de conservation et par les qualités de conception on de facture qu'elles révèlent, dignes d'une étude plus détaillée. La première nous montre Héraklès et Athéna assise sur un rocher. Malheureusement la main droite du héros
manque, et l'on ne peut savoir avec certitude s'il venait de recevoir d'Athéna la crécelle que la légende nous dit qu'Athéna lui donna, ou si, comme le suppose M. Bœtticher, Héraklès apporte à la déesse le trophée de la victoire qu'il lui doit. Quoi qu'il en soit, et malgré cette incertitude, cette métope est très intéressante. L'attitude d'Héraklès est simple mais non sans grâce ni noblesse. On l'apprécierait mieux encore si nous possédions le moulage des deux fragments importants des jambes retrouvés plus récemment. On pourrait souhaiter une expression moins vague à sa physionomie, mais on ne peut que louer le modelé savant quoique discret du corps dont la robustesse n'exclut pas l'élégance. Quant à Athéna, elle est sans doute en bien des points assez gauchement représentée, et l'on voit du premier coup-d'œil ce qu'il y a de maladresse disgracieuse dans la pose des jambes et surtout dans l'agencement des draperies qui les couvrent. Mais ce que le sculpteur n'a pas réussi à faire, il a du moins l'honneur de l'avoir entrepris. Cette pose contournée de la déesse assise sur un rocher et obligée de se retourner pour tendre sa main droite à Héraklès tandis qu'elle s'appuie sur la gauche, n'était pas aisée à exécuter, et si l'on remarque quelle facilité le sculpteur aurait eue à poser sa figure d'autre sorte, faisant face à Héraklès, ce qui simplifiait le mouvement et en rendait l'exécution banale, on reconnaîtra que cette contorsion, à demi malheureuse, était cherchée, et qu'il y a là un effort qui par lui-même est estimable. Le torse de la déesse et les bras sont d'ailleurs beaucoup plus habilement traités que les jambes; la tète, légèrement inclinée, n'est pas sans grâce, et en somme il y a dans l'attitude générale de cette femme assise et qui, pour se retourner et se pencher, s'appuie sur son bras, une certaine familiarité aimable, qui, tout en étant voulue, produit une impression heureuse de naïveté.
D'un tout autre genre est la métope^ qui représente Héraklès et le taureau de Crète. Ici la scène est violente et c'est la lutte même qui est représentée. Au fragment dont nous possédons un moulage, fragment qui fut rapporté au Louvre par l'expédition de 1829, il faut en joindre un autre, occupant la partie inférieure de la métope. Le relief n'en subsiste pas, mais on voit avec une parfaite netteté le tracé des pattes de derrière du taureau. On a retrouvé aussi le relief de la tête du taureau dont le dessin est suffisamment visible sur notre moulage.
Par malheur manquent presque totalement les bras et les jambes d'Héraklès, et n'étaient des traces non équivoques du bras gauche sur
le flanc du taureau, on risquerait de s'égarer en de fausses hypothèses. La position de la tête du monstre violemment tournée de côté et en arrière, l'attitude d'Héraklès rejeté également en arrière sur la croupe du taureau, tout suggérait cette idée très naturelle que le héros a entouré d'une corde le cou de l'animal ou le saisit par les naseaux.
Il n'en est rien, et comme le prouve la jambe droite de devant très repliée, c'est par la jambe que le taureau était pris. Héraklès, de la main droite, brandissait-il sa massue? Il ne semble pas qu'il y ait de la place pour un pareil mouvement. — Mais ce sont là des détails secondaires. Il suffit que cette scène d'une lutte violente est vivement et simplement conçue. Il reste surtout que l'exécution en est, sauf quelques détails, très heureuse et en certains points vraiment admirable. C'est ainsi que le torse d'Héraklès pourrait rivaliser de beauté avec des œuvres plus célèbres. Ce torse est ployé selon une ligne heureuse, l'anatomie en est d'une exactitude irréprochable et la vigueur sans exagération avec laquelle les muscles sont mis en saillie est digne de toute louange. La tête, bien posée, est fortement attachée et n'est pas sans expression. On ne peut critiquer que le corps du taureau. En effet, outre que le relief en est insuffisant et inégal, on est choqué de la disparate que l'on remarque dès l'abord entre la violence du mouvement du cou et du poitrail et l'immobilité de la croupe et des jambes de derrière qui semblent marcher tranquillement. On souhaiterait également de voir le cou replié de plus heureuse façon. — Mais, telle qu'elle est, cette métope a des mérites très divers et très marqués, et nous révèle chez l'artiste qui l'a sculptée des qualités éminentes : la hardiesse et la franchise dans la conception et dans l'exécution, la science du corps humain et une sûreté de main assurément peu commune.
De la métope représentant la lutte d'Héraklès et de la biche aux pieds d'airain il ne reste que quelques fragments peu considérables : la tête, la main droite, une partie de la jambe gauche et le genou droit d'Héraklès, et un bloc faisant certainement partie du corps de la biche. Héraklès était représenté au moment où, ayant atteint l'animal, il le terrasse en le saisissant par les cornes et en lui appuyant le genou sur la croupe. Nous retrouverons exactement la même scène et une pose identique dans mainte peinture de vase, et dans un groupe bien connu du Musée de Palerme (voir l'index). On pourrait rapprocher également plusieurs métopes du Parthénon qui montrent des personnages s'arc-boutant ainsi du genou, par un mouvement d'un effet très sculptural.
Il ne reste de la métope des Amazones qu'une tête de femme extrêmement endommagée. On voit seulement qu'elle était saisie aux cheveux par Héraklès.
Il n'a guère subsisté de la métope du sanglier d'Érymanthe qu'un seul fragment. Mais ce fragment est assez considérable et suffit à la reconstitution de la scène traitée suivant les données de la légende.
Ce fragment nous montre un tonneau ou cuve d'où sort le buste d'un personnage dont la tête est ceinte d'un bandeau, et dont les bras étaient élevés dans une attitude de défense ou de prière. Ce personnage est Eurysthée, qui s'était, par poltronnerie, dit la légende, caché dans une citerne et qu'Héraklès s'amusa à effrayer en le menaçant de l'écraser sous le lourd cadavre du sanglier.
Il semble d'après les fragments épars qui nous restent de la métope des chevaux de Diomède, que l'on y voyait Héraklès saisissant et retenant par les naseaux un de ces chevaux. Il est difficile et peutêtre serait-il vain d'en vouloir dire davantage.
Que dire également de la métope représentant la lutte d'Héraklès contre Géryon, le géant aux trois têtes? On voit seulement que Géryon avait un genou en terre et qu'Héraklès, lui appuyant le pied sur la cuisse, brandissait sa massue pour l'assommer.
Les trois métopes qui restent sont plus complètes. La première représente Héraklès soutenant le ciel (148). Trois personnages ont trouvé place sur cette métope : au milieu est Héraklès, dont les jambes sont brisées au genou. Il est vu de profil et tourné vers la droite du spectateur, et soutient de ses épaules son fardeau posé sur un coussin replié en deux. Derrière lui se tient une des Hespérides, debout, vue de face et la tête tournée vers le héros, vêtue d'une longue tunique très simple, le bras gauche levé à la hauteur de la tête, comme pour venir en aide au héros; devant Héraklès et lui faisant face, Atlas dont les jambes manquent en partie, présente des oranges au héros. Ce qui frappe dès l'abord de cette métope, c'est l'immobilité complète des personnages, le manque absolu de grâce, d'harmonie et de variété dans la composition, et aussi des fautes grossières : l'épaule droite d'Atlas, par exemple, paraît déviée, et les mains d'Héraklès et de l'Hespéride sont traitées d'une façon bien rudimentaire. La technique enfin des deux personnages virils est d'une sobriété excessive.
Tout autre est la métope représentant Héraklès nettoyant les écuries d'Augias (149). Il est infiniment regrettable que cette métope ne nous soit pas parvenue intacte et que le temps n'ait pas respecté le corps
du héros comme il a fait celui d'Athéna, qui l'assiste dans son labeur.
C'est dans cette métope, nous semble-t-il, que nous aurions le mieux pu saisir sur le vif l'admirable franchise d'inspiration et de facture du sculpteur. Telle qu'elle est elle nous montre Athéna, vue de face, vêtue et posée de la même façon que l'Hespéride de la métope précédente, appuyant son bras gauche sur son bouclier et tournant sa tête coiffée du casque vers Héraklès, qui, armé d'un vulgaire balai, nous apparaît sur la partie gauche de la métope en train d'accomplir sa triviale et rude besogne. Il ne reste de lui que le buste et les bras, la jambe gauche et la partie inférieure de la jambe droite. Mais ces fragments suffisent à se représenter ce personnage tel qu'il devait être et nous permettent d'admirer avec quelle justesse était saisi son mouvement et avec quelle vivacité il était rendu.
Enfin la douzième et dernière métope représentait Héraklès domptant Cerbère. Il ne manque absolument au héros que la cuisse droite et une partie du bras droit. Mais les autres fragments sont si malheureusement endommagés qu'on ne peut guère que se faire une idée générale de la scène représentée. Il ne reste d'ailleurs de Cerbère qu'une de ses têtes. Héraklès était représenté tirant à lui le monstre endormi. On peut supposer que derrière Cerbère, qui semble n'avoir occupé que la partie inférieure du côté gauche de la métope, se tenait un personnage, soit Athéna, soit Hermès.
A bien des points de vue les métopes que nous venons de décrire et d'étudier sommairement sont intéressantes. Elles témoignent d'un art, sinon tout à fait indépendant, du moins déjà maître de lui. La conception est d'une originalité hardie. Les poses des personnages ne sont plus les poses naïves et élémentaires consacrées par la timidité inhabile des anciens sculpteurs. La main de l'artiste sait obéir désormais à son imagination. Ainsi nous avons noté dans ces métopes des attitudes familières (Athéna assise sur un rocher dans la métope des oiseaux stymphaliens; Héraklès vainqueur du lion de Némée appuyant sur son coude la lassitude de son front); des attitudes triviales (Héraklès balayant les écuries d'Augias) ; voire enfin des attitudes grotesques (Eurysthée dans son tonneau). Sans doute on trouve encore des traces d'archaïsme et des fautes grossières que nous avons signalées au passage, et le style général de ces métopes, avec leur technique très sobre et quelques détails qui datent, tels que les barbes et les chevelures non sculptées, est bien archaïque. Mais combien ces maladresses non encore corrigées et ces derniers souvenirs de la routine sont
racheté par des libertés hardies pour l'époque et singulièrement heureuses, cette variété facile, ce mouvement violent et juste aussi, en un mot par la vie qui anime ces métopes !
A. LAMBINET.
Bibliographie. — Expédition de Morée, I, pl. 74-78. — Ausgrabungen zu Olympia. — V. Laloux et P. Monceaux, Restauration d'Olympie. — Bœtticher, Olympia. Overbeck, Griech. Plastik *, I, p. 420-448; fig. 90, 91, 92, 93. — Murray, A History of greek Sculpture, II, tab. 12, 13. - Baumeister, Denkmseler etc., fig. 1270, 1273 .et SUIV, 1285, 1286 (art. Olympia). — V. Duruy, Histoire des Grecs, I, p. 85, 84. —
0. Rayet, Monuments de l'art antique, I, pl. 28 (métope d'Héraklès domptant le taureau). — Id. Étude sur le fronton ouest d'Olympie (Gazette des Beaux-Arts, 1880, XXI, p. 408). — G. Treu, Arch. Zeitung, 1882, p. 215. — E. Curtius, Funde von Olympia, p. 11. — R. Forster, Alkamenes und die Giebelcompositionen des Zeus Tempels in Olympia (Rhein. Mus., 1883, p. 421). — E. Curtius, Studien ûber die Tempelgiebel von Olympia, 1884. — G. Lœschcke, Die westliche Giebelgruppe am Zeus Tempel zu Olympia, Progr. de l'Université de Dorpat, 1887; cf Rev. Critique, 1886, p. 408, et 1888, p. 382. — G. Treu, Zum olymp. Ostgiebel, ds. Mitth. d.
deut. arch. Inst. Athen., 1889, p. 297. — B. Sauer, Pausanias und der Westgiebel von Olympia (Jahrbuch d. Kais. Instit., IV, 1889, p. 160). — J. Six, On the composition of the eastern pediment of the Zeus Tempel at Olympia and Alcamenes the Lemnian (Journal of hellen. Studies, 1889, octobre, p. 98, pl. VI). — F. Studniczka, Zur Westgiebelgruppe des olympischen Zeustempels (Jahrbuch d. Kais, Instit., 1889, p. 166). — P. Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 2i5-282.
150-155. — Temple de la Victoire Aptère.
Le petit temple de la Victoire Aptère était situé sur l'Acropole et n'aurait pu être construit si les Propylées avaient été exécutées tout entières, suivant le plan de Mnésiklès. Il est donc postérieur aux Propylées, achevées très peu d'années après la 'guerre du Péloponèse, et date à peu près de cette époque. Il était encore debout au milieu du XVIe siècle, lorsque les Turcs eurent l'idée de bâtir un bastion avec ses pierres. Les matériaux en étant ainsi conservés, on put plus tard reconstituer le temple presque complet.
Ce temple était de style ionien et ne présentait pas de colonnes sur les côtés; le fronton n'a pas été retrouvé. Au-dessus de l'architrave se trouvait sur trois côtés une frise sculptée; le côté ouest, suspendu sur le précipice, était dépourvu de frise. Cette frise était de très petites dimensions, et se divisait en trois parties, suivant les faces qu'elle
décorait. La première partie représentait une assemblée des dieux; les uns ont soutenu que c'était Athéna paraissant pour la première fois au milieu des immortels; les autres que c'était un conseil tenu par les dieux pour décider, à l'occasion d'une guerre, à quel parti resterait la victoire.
D'un côté était figuré un combat des Perses et des Grecs : les scènes en étaient traitées avec beaucoup de vigueur. On reconnaît les Perses à leurs bonnets pointus et à leurs robes flottantes; les Grecs sont nus et portent des draperies qui ne sont ici que de purs ornements. De l'autre côté, un nouveau combat, probablement entre Grecs, car on n'observe pas de différences de costume.
Une balustrade de marbre bordait la terrasse du temple des trois côtés où elle était coupée en précipice; elle était surmontée d'une grille; les pierres en étaient réunies par des tenons de bronze. Cette balustrade était à l'intérieur décorée de Nikés sculptées en basrelief, et chacune des faces interprétait le même thème par des variations diverses : un groupe de Nikés s'empressant autour d'Athéna.
Nous possédons les moulages des principaux fragments des frises et de la balustrade.
1° FRAGMENTS DES FRISES
150. - Combat des Perses et des Grecs (fragment).
Un Grec est représenté luttant contre un Perse. Le corps du Grec a beaucoup souffert; il est placé presque de face et tout le côté gauche a été emporté avec la tête. Dans le flanc gauche, qui s'abrite derrière un large bouclier rond, on peut cependant observer le modelé d'une musculature puissante. Le jarret gauche se tend violemment en avant, tandis que la jambe droite était sans doute rejetée en arrière. Un manteau léger s'envole dans le dos du personnage. Le Perse s'appuie fortement contre le bouclier de son adversaire; il est coiffé d'un bonnet pointu, qui est très dégradé ainsi que la figure, et vêtu d'une longue tunique qui laisse vivement ressortir le relief du dos, et s'applique sur la jambe droite en dégageant le mollet gauche.
151. — Assemblée des dieux (fragment).
Deux déesses sont vêtues de longues robes harmonieusement drapées. Celle de gauche est de profil, tournée vers la droite; l'autre a la jambe gauche repliée et le pied posé sur une pierre. Elle semble avoir eu, dans une pose méditative, le coude appuyé sur le genou et la tête sur lamain. Entre les deux déesses apparaissent des vestiges d'un troisième personnage. Malgré les nombreuses cassures qu'à subies le relief, on peut discerner dans l'exécution des deux femmes des qualités de finesse et de légèreté, en particulier dans l'arrangement délicat des draperies.
2° FRAGMENT DE LA BALUSTRADE
152. — Niké attachant sa sandale.
La Niké a été privée de sa tête ; les ailes attachées à ses épaules ont été endommagées, mais il nous semble que cette dernière perte n'est pas à regretter : ces ailes ajoutaient quelque chose de factice à ce beau corps de femme, d'une réalité vivante. La Niké est encore bien mutilée en d'autres parties, mais telle que nous l'a laissée sa longue traversée des siècles, elle garde la grâce divine de la jeunesse et de la beauté, dont les contours sont sortis plus purs et plus fermes de l'adolescence.
La Niké, le genou droit replié en avant, renoue sa sandale de la main droite, et le torse s'infléchit doucement, dans une attitude pleine de charme, revêtu de mousselines diaphanes qui se drapent sur le bras gauche. Et voilà qu'en rattachant la chaussure, la robe a glissé de l'épaule dont la ligne délicate se révèle sans voile, avec la naissance du bras et de la gorge, dans son dessin d'une pureté merveilleuse; le vêtement est retenu par l'ampleur des seins et il se moule étroitement sur la poitrine, le genou droit, la jambe gauche, laissant suivre au regard l'harmonie de ces formes impeccables.
Mais la sûreté de la facture n'enlève rien à l'œuvre créée de la palpitation de la vie; bien au contraire, par un insaisissable artifice de grand maître, le marbre, sous la caresse du ciseau, semble avoir reçu la souplesse et le frisson même de la chair.
Ges Nikés nous mettent en présence, avec la frise des Panathénées., de ce qu'il y a de plus parfait dans l'histoire du bas-relief grec.
Et s'il nous est permis de l'avouer, nous donnons encore la préférence aux Victoires du petit temple de l'Acropole, dont le modelé, d'une élégance sobre et robuste, est aussi éloigné de la sécheresse que de l'alanguissement.
153. — Niké couronnant un trophée.
Cette Niké, comme la précédente, n'a plus de tête, mais, comme pour la première encore, ce qui nous en reste nous dédommage de bien des regrets. Des deux bras tendus en avant pour couronner un trophée il ne subsiste que le commencement du bras droit, qui est d'une rondeur délicate.
La Niké se présente de profil, tournée vers la gauche, dans une attitude charmante de naturel qui met bien en valeur la sveltesse du corps et la souplesse du buste, légèrement cambré. La gaze transparente, ramenée en plis sur la hanche, se modèle intimement sur la jambe tout entière, qui se plie sans effort dans un mouvement de démarche lente. Et la fine courbure des reins fait jaillir la gorge, doucement pressée par la draperie. Les chairs sont pleines, éclatantes de jeunesse et de santé, et ce beau corps de vierge se découvre sans impudeur; sous l'étreinte molle de l'étoffe se devinent tous les contours de cette taille flexible, le flanc s'étale hardiment, et le voile ne nous dérobe rien des sinuosités exquises de la ligne enveloppante, mais la pose dans sa liberté conserve une chasteté auguste. Taillée en plein marbre, l'œuvre surgit dans un relief puissant, de formes très affirmées, mais empreintes d'une aisance parfaite.
154. — Groupe de deux Nikés conduisant un taureau.
Les Nikés mènent la victime au sacrifice. Celle de droite tire l'animal et marche d'un pas rapide ; celle de gauche s'appuie contre un rocher et retient le taureau. La tête des déesses manque, aussi bien que celle du taureau. Il semble que ce fragment soit de mérite quelque peu inférieur aux précédents; il y a moins de naturel dans les poses, moins de franchise et de simplicité dans l'exécution. Mais on ne saurait trop louer la hardiesse et la vigueur du mouvement et
la richesse des draperies. L'étoffe agitée par la marche se gonfle et se plisse avec souplesse et abondance; il y a ici moins d'élégance et moins de transparence que dans les robes flottantes de la Niké rattachant sa sandale, le ciseau de l'artiste est moins sobre et moins délicat, mais l'esprit qui l'a guidé avait un sens bien rare de la beauté décorative.
155. — Torse de Niké.
Deux bandelettes, rejoignant la ceinture, se croisent sur la poitrine. L'épaule gauche sort nue de la tunique et le bras paraît retenir un pan de vêtement. L'étoffe assez chargée de plis, se conforme bien cependant aux rondeurs du buste.
Bibliographie. — Kekule, die Balustrade der Athena Nikê. — Brunn et Bruckmann, Monuments etc., pl. 34, 35. - Baumeistei,, Denkmseler etc., fig. 1241, 1242, 1243. — Max Collignon, Manuel d'Archéologie grecque, fig. 54. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 312, 580, 615. — Overbeck, Griech. Plastik*, I, fig. 81, 82. —
P. Paris, La sculpture antique, fig. 116, 117. —Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nois 747-804.
G. SOULIER.
156-157. — Cariatides de l'Erechtheion.
Le temple d'Érechthée est d'ordre ionique ; il se rapproche du temple de la Victoire Aptère en ce qu'il n'a pas de colonnes sur les côtés. Les deux façades sont ornées d'un portique de cinq colonnes.
En outre, au côté nord est annexé un autre portique, et de l'autre côté se trouve le portique des Cariatides. Le portique à colonnades est une annexe purement architecturale, tandis qu'à l'intérieur du portique des Cariatides il y a une petite salle qui ne communique pas avec le temple.
Sur un soubassement reposent'six statues de femmes qui soutiennent l'entablement; l'une d'elles était tombée et s'était brisée : on a pu la reconstituer; deux autres, emportées au British Muséum, ont été remplacées à l'Érechtheion par des moulages, et de ces deux Cariatides notre musée possède des reproductions.
On a prétendu que ces Cariatides n'étaient pas toutes de la même main ; c'est là une hypothèse qui n'a rien d'invraisemblable, mais il faut reconnaître dans leur conception une unité de pensée frappante.
La difficulté pour l'artiste en sculptant ces corps de jeunes filles était de leur conserver leur caractère architectural de supports.
Toutefois, il ne fallait pas non plus qu'une trop grande raideur détruisît toute impression de charme et de légèreté. L'artiste a atteint son but, avec un très juste sentiment des proportions et de la mesure. Pour rappeler jusqu'à un certain point la colonne, les lignes verticales devaient dominer; aussi les bras restent-ils le long du corps, et à partir de la taille les vêtements tombent à plis presque droits qui font songer aux cannelures de la colonne. L'architecte a diminué la largeur de l'entablement ionique, car le poids soulevé aurait paru en désaccord avec les forces restreintes des Cariatides.
De plus, une sorte de coussinet posé sur la tête de la femme rappelle le chapiteau.
Il fallait donner un aspect moins rigide aux statues; l'artiste y est parvenu par une légère inflexion du genou. Mais une inclination identique chez toutes les Cariatides aurait détruit l'équilibre des lignes; le sculpteur l'a compris, et tandis que les Cariatides de droite ont la jambe gauche infléchie, celles de gauche plient la jambe droite.
Les deux Cariatides du Musée Britannique portent une chevelure épaisse, ondulée sur le front et tombant en lourde natte par derrière; deux tresses sont ramenées sur les épaules, élargissant ainsi la surface de la tête et évitant l'impression de maigreur causée par le cou. Elles sont vêtues d'une double tunique descendant jusqu'aux pieds qui se plisse sur le buste, laissant paraître le modelé ferme des seins, et dégage largement les épaules et le cou. L'une de ces Cariatides infléchit le genou droit l'autre le genou gauche.
L'impression dominante est une impression de vigueur; les formes sont pleines et larges, sans exclure toute grâce, ni toute élégance; le visage est calme et sévère, sans froideur ni dureté, et peu d'œuvres, par l'intelligence profonde des qualités qu'elles exigeaient, par l'accord parfait des moyens à la fin, nous donnent une idée plus haute de la maturité de génie et de l'habileté technique des sculpteurs contemporains de Phidias.
Bibliographie. — Antiquities of Alhens, II, pl. 19, 30, 33. — 0. Rayet, Monuments, I, Pl. 40. — Forschammer, das Erechtheion (Kiel), 1879. — MüllerWieseler, Denkm. d. alt. Kunst, I, pl. XX, 101. — Baumeister, Denkmseler etc, fig.
535. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 338. - Overbeck, Griech. Plastikl, I, fig. 79, 80.— P. Paris, la Scuplture antique, fig. 114, 115. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 818-820.
G. SOULIER.
158-164. — Frise du temple d'Apollon Epicurios à Phigalie (Arcadie).
Le temple d'Apollon à Phigalie est depuis longtemps connu ; les ruines en ont été admirablement étudiées, décrites et dessinées dans le second volume de l'Expédition de Morée (atlas) ; quelques détails de construction lui donnent un intérêt particulier, sans compter que le plan est sorti de la main d'Ictinos, le célèbre architecte du Parthénon.
Autour de la cella, mais à l'intérieur, régnait une frise sculptée, qui, retrouvée presque complète en 1812, a été achetée en 1814 par, les Anglais pour la somme de 60,000 piastres, et forme maintenant l'un des trésors les plus précieux du Musée Britannique. Notre collection possède les moulages de sept bas-reliefs choisis parmi les plus intéressants.
On peut croire que la frise n'a pas été sculptée sur place; mais les blocs de marbre, préparés séparément dans l'atelier du sculpteur, ont été ensuite juxtaposés dans l'ordre établi d'avance, reliés entre eux par des tenons de métal, et fixés en leur lieu par des clous dont on voit encore Jes traces. Il résulte de là que chaque bas-relief est complet en lui-même; aucun personnage n'empiète d'une plaque sur l'autre; les joints tombent toujours entre les deux figures, et par suite il devient presqu'impossible de retrouver l'ordre réel dans lequel se succédaient les groupes représentés.
Le sujet d'ailleurs est bien simple : deux des principaux exploits de Thésée, sa lutte contre les Amazones et sa lutte contre les Centaures se partagent la scène, à laquelle président Apollon et Artémis. Le héros attique se reconnaît une première fois, sans doute possible, à sa massue, à sa peau de lion, dans l'un des épisodes du combat contre les Amazones, et très probablement encore dans un épisode de la
centauromachie; ce serait le personnage derrière lequel est un arbre supportant une peau de lion. Il n'est pas facile de dire pourquoi le sculpteur a choisi des légendes qui intéressaient surtout l'Attique; la raison est peut-être, tout simplement, qu'il était venu d'Athènes avec l'architecte Ictinos et qu'il crut ne pouvoir mieux faire que de représenter des scènes éminemment décoratives, dont il avait pu voir l'heureux effet en mainte place, au Parthénon, par exemple, et surtout au Théseion. Pour faire accepter son idée des Phigaliens, il lui a suffi d'introduire au milieu des combattants étrangers les divinités locales, Apollon tirant de l'arc, et Artémis sur un char attelé de deux cerfs.
On a souvent admiré, et à juste titre, l'imagination riche et brillante de l'artiste inconnu qui conçut cette longue suite de bas-reliefs.
Le sujet était banal, les modèles nombreux, et quelquefois d'une telle valeur qu'il était difficile de rester indépendant et original. Pourtant, la conception est ici toute nouvelle ; un groupe, celui de Gaenée écrasé par deux Centaures et s'enfonçant sous terre est directement imité) sinon copié de la frise occidentale du Théseion; mais c'est là une exception; nulle part encore nous n'avons eu à noter, dans les sujets analogues, l'introduction des enfants, que les femmes des Lapithes portent dans leurs bras et défendent, eux aussi, contre la brutalité des Centaures ; c'est là un élément pittoresque et pathétique dont la valeur est grande (n° 159 et plaque n° 7 de la frise ouest, d'après Overbeck, Griech. Plastik3, I, fig. 94). La lutte est violente, acharnée, sans pitié, dans la centauromachie comme dans le combat des Amazones ; mais ce ne sont pas seulement les coups donnés et reçus qui ont sollicité l'imagination du sculpteur; il nous montre des épisodes qui font ressortir plus encore que la mêlée furieuse l'horreur de ces batailles : ici, deux femmes éplorées embrassent une idole de forme archaïque ; l'une d'elles pourtant, agenouillée, demi-nue, serait la proie d'un Centaure sans le secours de Thésée (Overbeck, fig. 95, nord, i2); là un Grec vigoureux, d'un geste rapide, insouciant du sacrilège, arrache une Amazone réfugiée près d'un autel (Overbeck, fig. 95, sud, 23) ; là encore une Amazone écarte du champ de bataille une de ses compagnes blessée (ibid., Dg. 94, est, 15), un Grec protège de son bouclier un autre Grec frappé à mort (n° 164). Mais la scène la plus nouvelle et la plus intéressante est celle où l'on voit à gauche une Amazone emportant sur ses épaules un ennemi tué, et à droite deux autres de ces guerrières soutenant avec une tendresse toute féminine, lui prêtant l'appui le plus attentif et le plus délicat, et
réparant ainsi le mal qu'ont fait leurs propres armes, un Grec à demimort (Overbeck, fig. 94, est, 14). Phidias et les sculpteurs des métopes du Parthénon, le décorateur du Théseion, sont des génies impassibles aussi bien qu'impeccables ; ils semblent inaccessibles à la pitié ; les combats qu'ils imaginent sont comme des luttes d'athlètes ou de gladiateurs, dont il semble que les blessures sont méprisables parce qu'elles sont rarement mortelles ; l'artiste de Phigalie s'émeut, il veut nous émouvoir à la vue comme à la pensée des souffrances et des douleurs morales de ses héros, vainqueurs et vaincus. Ces sentiments, il essaie d'ailleurs de les exprimer matériellement par les attitudes mêmes et les physionomies des personnages ; ses bas-reliefs, nous l'avons déjà dit, sont pathétiques, et ce pathétique en fait vraiment le charme et l'originalité.
Par malheur, l'exécution est rarement à la hauteur de la conception ; si les scènes que nous avons louées comme elles méritent de l'être dénotaient, avec le sens si vif du pittoresque et du dramatique, une connaissance plus sérieuse de l'anatomie, et une plus grande habileté technique, l'œuvre serait digne d'être appelée chef-d'œuvre.
Mais il n'en est pas ainsi ; tous les personnages sont petits, gros et courts, trop larges pour leur hauteur ; leurs membres, quand ils sont nus, sont d'une rondeur molle, sans vérité, sans précision dans le modelé des muscles; quand ils sont vêtus, les draperies, dont les plis s'arrondissent en courbes trop conventionnelles, couvrent des corps vagues et mal proportionnés. Il arrive même que les corps sont absolument bâtis contre nature, que les gestes et les mouvements sont faux et irréalisables ; voyez par exemple le Centaure renversé de la plaque 161, ou l'Amazone enlevée de son cheval abattu (Overbeck fig. 95, sud, 22). On pourrait croire, en constatant ces défauts singuliers, qui font un contraste si étonnant avec les qualités d'ordre supérieur que nous avons mises en évidence, que l'œuvre est due à la collaboration de deux artistes, l'un, un maître, un attique, dont il est à jamais regrettable que le nom soit perdu, qui dessina les cartons de la frise; l'autre, quelque maladroit praticien de province, qui fut chargé de traduire la conception du premier, et ne réussit trop souvent qu'à la trahir.
Quoi qu'il en soit, la frise de Phigalie est précieuse ; pour en bien comprendre la portée, nous aimons à contempler pendant quelques instants la suite des métopes du Parthénon, et aussitôt après, sans transition, les bas-reliefs que nous venons d'étudier. Là, nous
assistons à une série de combats singuliers qui nous semblent des duels de dieux ou de héros semblables aux dieux : gravité, noblesse, majesté, impassibilité; rien de brusque, de heurté, de violent; les ad versaires, comme des athlètes dans la palestre, surveillent leurs mouvements et leurs gestes, s'attaquent et se défendent suivant les lois d'une lutte bien réglée par le maître, où il s'agit de montrer la force de ses muscles et l'harmonie des lignes de son corps. Ici, au contraire, nous voyons des hommes passionnés et violents, imparfaits dans leur chair, dans leurs os, dans leurs formes, comme sont tous les hommes, occupés de frapper, de blesser, de tuer, ou d'éviter les blessures et la mort, sans aucun souci d'esthétique. L'art est ici, où il y en a, plus terre à terre, et pour tout dire plus humain; la réalité s'y mêle hardiment à l'idéal; il y a plus de vie active et palpitante; pourtant l'œuvre, dans son ensemble reste médiocre.
Le sculpteur avait de l'ardeur et de la flamme; mais Phidias avait du génie.
Bibliographie. — Ancient marbles, IV, pl. 24. - Expédition de Morée, II, pl. 419, 24-30. -Stackelberg, der Apollotempel zu Bass--. - Ivati off, Annali, 1856, t. IV. —
Cockerell, The temple of Jupiter Panhellenius at Mgina and Apollo EpicuHus at Bassse (1880). — Muller-Wieseler, Denkm. d. alt. KUllst, 1, tab. XXVIII, XXIX. —
Baumeister, Denkmseler etc., fig. 1666-75. - V. Duruy, Hist. des Grecs, III, fig. 33. —
Overbeck, Griech. Plastik", I, fig. 94, 95. - Wolters, Gipsabgilsse zu Berlin, nos 880905.
P. P.
165-167. — Monument des Néreides.
Ce monument a été découvert en 1838 à Xanthos, ville de Lycie, par l'Anglais Fellows; ce qu'il en reste a été transporté au British Muséum. La forme est celle d'un temple, entouré de colonnes ioniques, bâti sur un soubassement très élevé. Le soubassement est orné sur toutes ses faces de deux frises, l'une, la plus grande, vers la partie inférieure, à peu près à hauteur d'homme : l'autre au-dessous de l'entablement qui couronnait le soubassement lui-même. Deux petites frises entouraient l'édifice proprement dit; l'une régnait sur l'entablement au-dessus du péristyle, l'autre à la partie supérieure du mur de la cella. Entre les colonnes étaient douze statues de femmes, des Néreides sans doute, qui ont donné leur nom au monu-
ment. On a retrouvé aussi des fragments des deux frontons et de quatre lions qui se trouvaient aux quatre coins de l'édifice. Les parties les mieux conservées sont les frises, bien qu'en certains endroits des plaques se soient brisées.
Les frises sont d'une valeur artistique très inégale. La première, la frise A, qui est à la partie inférieure du soubassement, mesure om 96 de large et représente une bataille. Nous allons revenir sur cette frise.
La deuxième, B, située à la partie supérieure du stylobate, a Om 62 de hauteur et représente l'assaut d'une ville, avec combat sous les murs, attaque d'une porte et prise de la forteresse. Quelques archéologues ont pensé que le sujet de ces bas-reliefs était la prise de Telmissos, ce qui placerait le monument à une date postérieure à 370. Les deux petites frises de l'entablement ionique et de la cella ont 0m45 et 0m43 de largeur ; la première, frise C, représente une offrande de dons ou la remise d'un tribut et des scènes de chasse et de combats; l'autre, la frise D, représente un banquet. Ces deux petites frises sont d'un art très médiocre et offrent peu d'intérêt.
La frise qui a le plus de valeur, et dont nous nous occuperons uniquement, est la frise A, car d'elle seule nous possédons des fragments au nombre de trois.
Le sujet, dans son ensemble, représente une bataille à la manière homérique, c'est-à-dire une suite de combats singuliers, de duels.
Cette frise n'est pas entièrement conservée et l'ordre des bas-reliefs subsistant n'est pas encore fixé d'une manière définitive. On remarque dans ces bas-reliefs une grande variété ; à côté de fantassins, on voit des cavaliers qui sont peut-être des chefs ; les uns ont l'armure complète, d'autres ne sont vêtus que d'une tunique et d'un bonnet ; quelques-uns enfin sont entièrement nus. Ainsi, à côté de l'exactitude réaliste de certains détails, on voit l'idéal, ou, pour mieux dire, la convention prendre place. On remarque surtout les longues robes asiatiques et les bonnets phrygiens; ce sont là des détails qui font reconnaître dans les personnages des Perses et des Grecs d'Asie Mineure et qui ne manquent pas d'originalité. Les attitudes sont aussi très variées, et on reconnaît l'influence exercée par la frise du Parthénon ; ces personnages sont vivants, ils agissent, et ils expriment par leurs mouvements et leur physionomie les impressions et les sentiments de leur âme. Ainsi le personnage à genou qui est terrassé par un ennemi exprime fort bien sa douleur et son effroi ; son visage n'a pas l'impassible sérénité des figures du Parthénon ; il est pathé-
tique, et c'est la première fois que nous trouvons à cette époque cette qualité si nette et si frappante ; elle est ici plus marquée et plus évidente encore que dans la frise du Théseion et même que dans les bas-reliefs de Phigalie.
Malheureusement il n'y a pas que des éloges à faire à cette frise ; il y a aussi de nombreuses critiques. Ce qui frappe d'abord les yeux, c'est la maladresse du sculpteur. Ainsi, le personnage blessé ou mort qui est sur un cheval, est vu de face, et l'on peut se demander par quel tour de force il est maintenu dans une position aussi bizarre. Le même reproche pourrait s'adresser au guerrier mort qui est sous les pieds du cheval. Celui dont nous avons loué le geste et l'expression pathétique a lui aussi une position extraordinaire; les genoux sont trop écartés, le corps ne tient pas debout. C'est une mauvaise copie d'un des personnages les mieux conçus et les mieux dessinés de la frise de Phigalie (n° 158). En un mot, ce qui manque à l'auteur de cette frise, ce n'est pas l'imagination, c'est la science.
Nous n'entrerons pas dans de grands détails pour savoir ce qu'était le Monument des Néreides ; tous les archéologues sont d'accord aujourd'hui pour y voir le tombeau d'un guerrier illustre, mais on repousse l'hypothèse qui en faisait le monument d'Harpage, lieutenant de Cyrus. Tout ce que l'on peut dire, c'est que l'auteur de ce monument était un Lycien qui avait connu et admiré à Athènes les chefsd'œuvre de la sculpture classique, et qui vivait vers la fin du cinquième siècle.
Bibliographie. — Monumenti, X, pl. 11, 18; Annali, 1874, p. 216 ; 1815, p. 68 (Michaelis). — Overbeck, Griech. Plastik', II, p. 148 et s., fig. 123. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 1217, tab. XXIV (t. II).— V. Duruy, Hist. des Grecs, 111, p. 191.
— Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 913-990.
G. ROQUES.
168 - Monument de Gjœlbaschi.
Ce monument funéraire, élevé à Gjœlbaschi (Lycie), fut découvert en 1842 par J.-A. Schônborn, qui en fit une courte description.
Il resta oublié jusqu'en 1881, époque où une expédition autrichienne sous la direction de M. Benndorf se mit à sa recherche et rapporta l'année suivante à Vienne les bas-reliefs qui l'ornaient.
Il se compose d'une grande cour carrée entourée d'un mur très
épais. Au milieu sont encore les restes d'un sarcophage. A l'intérieur et à l'extérieur, du côté de l'entrée sud, la muraille était décorée d'une double rangée de bas-reliefs. Ce sont ces bas-reliefs qui ont été rapportés à Vienne. La matière dont ils sont faits est une sorte de calcaire qui renfermait un grand nombre de coquillages. Ce calcaire a mal résisté au temps, et les coquillages en se détachant y ont laissé de nombreux trous plus ou moins larges et profonds; aussi les détails les plus délicats ont-ils disparu.
Les bas-reliefs extérieurs représentent : à gauche un combat de Centaures et au-dessus une lutte de piétons et de cavaliers; à droite et en haut le combat des Sept contre Thèbes et au-dessous un roi oriental qui, assis sur son trône au milieu de ses fidèles, semble recevoir un message important.
A l'intérieur, les piliers de la porte sont ornés de deux jeunes gens dansant. Au-dessus de la porte sont de petits personnages qui font de la musique, et une déesse orientale, Besa.
A gauche de la porte on voit Bellérophon luttant avec la Chimère, puis un guerrier enlevant une jeune fille, et un char attelé de quatre chevaux et portant deux guerriers. Après un espace sans bas-reliefs, on voit représenté un banquet; entre les convives circulent les serviteurs et le festin est égayé par des danseuses et des danseurs. La partie est de la cour était ornée par les exploits de Thésée.
A droite de la porte les bas-reliefs sont bien plus importants. Pour faire pendant au banquet de la partie gauche, l'artiste a représenté dans la bande supérieure un autre banquet, mais historique : c'est le meurtre des prétendants décrit dans l'Odyssée (lre partie du liv. XXII). Ulysse armé de son arc et secouru par Télémaque a déjà blessé à mort plusieurs des prétendants; les autres implorent leur grâce ou cherchent à se protéger avec les tables du festin. Dans l'ouverture de la porte on voit un jeune serviteur, c'est peut-être l'infidèle Mélanthios, qui (XXII, 99-182), trahissant Ulysse, va chercher des armes pour les prétendants. Des colonnes doriques supportent le toit de la maison. Mais elles sont là surtout pour cacher le rebord en relief que l'artiste a laissé autour de chaque carré de pierre. A gauche de cette scène est représentée la scène décrite dans la seconde partie du livre XXII de l'Odyssée : Pénélope chasse les servantes infidèles et accueille les servantes fidèles. A gauche on voit Ulysse qui avec une épée et un flambeau va purifier la salle du festin. La bande inférieure de l'est représente la chasse du sanglier
de Calydon. Au centre le monstre est attaqué par Thésée et Méléagre, tandis qu'aux extrémités des chasseurs sont occupés à soigner leurs camarades blessés.
L'ornementation du mur ouest est divisée en deux parties; dans la première on voit un combat de fantassins; un seul guerrier est monté sur un char attelé de quatre chevaux. Ce combat ressemble beaucoup à celui qui est représenté sur la frise du temple de la Victoire Aptère.
A droite est représenté le siège d'une ville. C'est cette partie de la frise que possède, en moulages, le musée de Bordeaux. Ce qui frappe au premier aspect de ces bas-reliefs, c'est que l'artiste a utilisé les deux bandes de la frise réunies en une seule surface pour y disposer le sujet qu'il avait choisi. C'est ce qui lui a permis de représenter dans toute leur hauteur les murailles de la ville, dans la partie inférieure les assiégeants, et dans la supérieure les assiégés. Il existe de cette façon des espaces blancs assez considérables ; mais, vu les dimensions restreintes de la frise, ce défaut n'est pas trop choquant, et l'artiste a pu obtenir beaucoup plus de clarté et de naturel que n'a fait celui qui a sculpté le monument des Néréides. Les tours et les murs de la ville sont couronnés de créneaux de forme ogivale, autour desquels on aperçoit les assiégés. Deux portes également de forme ogivale donnent accès dans la ville, qui déjà doit être en partie occupée par les assiégeants, car nous voyons plusieurs d'entre eux pénétrer par les portes sans effort apparent. D'autres assiégeants se couvrant de leurs boucliers cherchent à attirer l'ennemi sur d'autres points du mur, tandis que sur eux pleuvent les pierres et les traits lancés par les assiégeants. Au milieu du tableau, au-dessus du mur, trône le vieux roi de la ville, son sceptre à la main ; à sa gauche se tient debout un satellite appuyé sur sa lance ; à sa droite, un serviteur à demi-assis garde une bête fauve, sans doute apprivoisée, couchée sous le trône royal. Vers la droite (du spectateur), se tient, ombragée par le parasol que porte une servante, une femme assise, la reine sans doute. De ses côtés et s'élançant vers la droite partent des guerriers armés de cimeterres. Des deux côtés des guerriers se rassemblent en troupes serrées. De l'autre côté du roi est un guerrier debout, qui, les bras levés, semble implorer le secours des dieux.
A ses pieds est agenouillé un jeune homme qui, le bras droit levé, ou joint ses prières à celles du guerrier, ou s'apprête à frapper le bélier qu'il maintient de sa main gauche entre ses genoux, et dont il offre le sacrifice aux dieux. Comme le fait remarquer M. Wolters,
cette scène au milieu du combat a quelque chose de saisissant. Mais les habitants ont perdu l'espoir et on les voit quitter la ville en toute hâte, à l'extrémité droite de la frise. En haut un âne chargé est emmené par un homme et par une femme qui porte elle-même sur sa tête une grande corbeille. En bas une femme fuit montée sur un cheval et suivie par un homme. Les fugitifs sont escortés par un guerrier et passent à côté du cadavre d'un autre guerrier étendu sur le sol.
Un des faits les plus remarquables que nous permet de constater cette frise, c'est l'effort qu'a fait le sculpteur pour obtenir la perspective. Ici cet effort se manifeste dans la façon dont sont représentés les guerriers en rangs serrés : plus ils sont supposés éloignés du mur, plus ils sont bas et petits, ce qui donne assez bien l'idée de l'éloignement. On voit aussi qu'à l'extrémité droite le sculpteur a voulu montrer que la ville tournait et a assez bien réussi à l'indiquer.
Notons aussi dans la bande inférieure la correspondance qui existe entre les scènes représentées. A droite et à gauche sont deux scènes : des guerriers entrant par une porte dans la ville, et d'autres assiégeants se couvrant de leurs boucliers; des deux côtés les scènes sont presque entièrement identiques.
Immédiatement à droite est représenté un combat d'Amazones à cheval et à pied.
Le mur est divisé en deux parties : la partie droite assez endommagée montre sur la bande inférieure un combat de Centaures ; sur la bande supérieure une chasse au lion et au sanglier. Les deux bandes de la partie gauche servent à la représentation de l'enlèvement des Leucippides par les Dioscures. Castor et Pollux ont enlevé les filles de Leucippos, Phœbé et Hilœira, au moment même où elles allaient épouser les fils d'Apbareus, Lyncé et Idas. On se lance à leur poursuite, tandis qu'à droite les compagnes des Leucippides s'enfuient effrayées, abandonnant le temple où l'on peut voir encore tous les préparatifs du sacrifice.
Tel est le monument de Gjœlbaschi. Le relief est obtenu dans les frises en creusant les plaques de calcaire qu'on a laissées encadrées d'une bande en saillie dans la frise que possède le Musée de Bordeaux. Les murs de la ville sont dans le même plan que ces bandes d'encadrement, celles-ci sont dissimulées tantôt par des colonnes, comme dans le meurtre des prétendants, tantôt par des trophées, des arbres. Dans le siège de la ville, les séparations sont
dissimulées dans les murailles. Nous avons déjà signalé l'effort du sculpteur pour atteindre la perspective. Aux exemples cités, il faut ajouter le temple représenté dans la dernière frise décrite, l'enlèvement des Leucippides.
On a souvent fait remarquer la parenté de ces frises avec les œuvres attiques. Sans aller jusqu'à affirmer avec M. Wolters que des attiques ou des maîtres ayant appris à l'école attique ont évidemment sculpté ces bas-reliefs, on peut dire que l'influence de l'atticisme est ici évidente, et que le fini des détails, la justesse de l'anatomie dans le nu, la légèreté avec laquelle sont représentés les vêtements flottants au vent et plaquant sur le corps qu'ils laissent deviner, font voir clairement toute l'importance de l'art attique à cette époque puisqu'il étendait son influence jusque dans les villes de l'Asie Mineure.
Bibliographie. — 0. Benndorf, Berichl, dans Arch. epigraph. Mitteil aus OEsterreich, VI, p. 151. - Murray, A history of greek sculpture, II, p. 218. — L. Mitchell, A Rist. of ancient sculpture, p. 146. — Benndorf und Niemann, Reisen in Lykien und Karien, t. II. Planches. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 993-999.
G. DANSÀC.
IV. - ÉPOQUE ET ÉCOLE DE PHIDIAS.
A. STATUAIRE.
169. — Discobole du Vatican.
Statue de marbre trouvée en 17.92, à huit ou neuf milles de Rome, dans une vieille construction de la Voie Appienne, parle peintre écossais Gavin Hamilton. La statue était légèrement mutilée, le nez et les doigts manquaient ; mais la restauration est exacte.
C'est un discobole tenant son disque de la main gauche, mais on a discuté sur l'attitude du personnage. A ne considérer que ses jambes, il semble qu'il soit prêt à lancer son disque : il a en effet une assiette solide, et ses pieds, qui appuient fortement, ont pris possession du sol. Mais comment expliquer avec ce mouvement du bas du corps le mouvement de la main droite, et ce fait que le disque est tenu de la main gauche? Friederichs et M. Wolters semblent accepter cette idée; ils ont prétendu que le discobole fait des mouvements involontaires, et qu'étant absorbé tout entier par le désir de bien accomplir son action, il laisse aller instinctivement sa main droite. Selon eux, le mouvement du personnage aurait eu l'intention de traduire une pensée.
On a dit aussi que le discobole est occupé à compter sur ses doigts la distance que le disque doit parcourir ; cette opinion singulière est inadmissible, attendu que le discobole regarde plutôt à ses pieds qu'au loin devant lui. Pour M. Overbeck, la main droite exprimerait une sorte de gesticulation ; le discobole se préparerait à lancer son disque et agiterait ses doigts pour les délier fit leur donner de l'élasticité.
Quoi qu'il en soit, il est plus intéressant encore de se demander à quelle école, et plus particulièrement à quel artiste il convient d'attribuer la statue originale. Car le discobole du Vatican n'est, à vrai dire, qu'une reproduction d'un modèle plus ancien dont on a encore d'autres répliques au Louvre et en Angleterre.
Avons-nous affaire à une œuvre originale de l'époque romaine ?
Cette conjecture doit être immédiatement écartée ; il suffit en effet de rapprocher ce discobole du Germanicus du Louvre, dont le type est
bien romain, pour voir combien notre personnage en diffère et nous convaincre que nous avons devant nous un Grec et non un Romain.
Au reste, le bandeau qui ceint la tête du discobole ne peut que nous confirmer dans cette opinion.
Qui donc en Grèce a sculpté des discoboles ? On nomme Myron, dont le discobole est si différent de celui du Vatican, et Naukydès d'Argos. Aurions-nous la reproduction d'une œuvre de Naukydès ou de son école? Cette hypothèse doit être également repoussée. Nous savons1 en effet que Naukydès s'inspirait des œuvres de Polyclète dont Argos était la patrie. Or, il est de toute évidence que notre discobole n'est pas la réplique de l'œuvre d'un disciple de Polyclète. Il n'y a pour s'en assurer qu'à comparer telle œuvre du maître argien, le Doryphore, par exemple, avec l'œuvre que nous étudions. La tête du Doryphore est grosse, le cou est fort, le corps est bien en chair, large et trapu ; c'est surtout un modèle d'atelier à qui fait à peu près défaut toute expression de physionomie, et qui peut-être, à cause même de la juste proportion de ses formes, manque d'élégance et a une certaine lourdeur. Le discobole au contraire a de la grâce; sa tête est fine, plutôt dans le style attique de Myron que dans celui de Polyclète ; le cou n'est pas massif, et l'artiste a fait ses efforts pour donner de l'expression au visage. Il ne faut donc pas voir dans ce discobole la réplique d'une œuvre de l'école argienne.
L'école que l'on oppose d'ordinaire à celle de Polyclète est celle de Lysippe qui a voulu instituer un canon — l'Apoxyomènos — en face du canon de son prédécesseur. Notre statue n'a pas non plus de rapports avec l'Apoxyomènos de Lysippe qui est élancé, qui a les jambes et les bras longs, le corps grêle, quoiqu'à notre avis elle ait encore moins de différences avec cette œuvre qu'avec le canon de Polyclète.
M. Kékulé et d'autres archéologues attribuent notre discobole à Alkamène, en s'appuyant sur un passage de Pline l'Ancien (Rist.
Nat., 34, 72) où il est dit qu'Alkamène avait sculpté un 7rÉvTa6Xoç ÈvX?WÓp.EVOÇ. On sait que le mot ^svxaOXoç désignait l'athlète qui disputait le prix du TrévraGÀov; le ^évxaOXov était un concours entre les athlètes, où figuraient cinq différentes espèces de jeux : le saut, la lutte, la course, le jet du javelot et le jet du disque. Il était assez difficile au sculpteur de représenter un TtévxaOXo;; il devait nécessairement choisir pour sujet de son œuvre l'un de ces cinq jeux, et alors il pouvait, à l'aide d'une inscription, rappeler qu'il s'agissait d'un athlète ayant pris part non pas seulement au seul jeu figuré, mais
aussi aux quatre autres. D'ordinaire c'était le saut que les sculpteurs choisissaient pour caractériser le 7r £ VTot0Aoç, peut-être parce qu'il y a dans l'expression de ce mouvement une certaine difficulté qui tentait les artistes; mais il ne paraît pas que le disque ait été la caractéristique du 7tévT<x0Xoç. Malgré cela, les archéologues dont il a été question plus haut croient que notre discobole est une réplique du uévxaôXoç £ vxpivdp.evo; dont parle Pline. D'après eux le mot èvXptvÓP.EVOC; signifie « celui qui a été bien jugé, le vainqueur » et la bandelette qui ceint la chevelure de notre personnage ne serait autre chose que le signe de la victoire. Au reste quelques-uns interprètent différemment ce mot Ivxptvojxevoç ; ils en font une expression de critique artistique : pour eux 6 7tiVTOCOXOÇ èVXptVÓP.EVOC; signifie « cette statue du ttévtoiôAoç approuvée par tous les maîtres, ce modèle », et le mot £ vxpivo<j. £ voç aurait alors le sens même du mot canon. Pour nous, nous ne pensons pas qu'il soit d'une logique rigoureuse de conclure de ce passage de Pline l'Ancien que le discobole représente une statue d'Alkamène, et l'on doit jusqu'à plus ample informé laisser la question dans l'incertitude où elle se trouve.
Ce qui nous paraît toutefois certain et hors de contestation, c'est que par la connaissance de l'anatomie, par la souplesse de la taille et des mouvements, par la recherche de l'expression du visage, il y a des rapports frappants à établir entre l'école attique et l'école à laquelle appartient cette statue. Bien que le personnage ait un peu d'indécision dans l'attitude, on reconnaît en lui tous les caractères de l'école de Phidias. Notre conclusion qui est forcément un peu vague, et que nous ne pouvons préciser davantage, sera donc que le discobole du Vatican est une réplique très heureuse d'une œuvre originale de l'école attique, contemporaine de Phidias ou postérieure à lui de quelques années.
Bibliographie. — Visconti, Museo Pio Clémentino, III, tab. 26. — Bouillon, Musée des Antiques, II, tab. 17. — Piroli, Musée Napoléon, IV, tab. 25. — Pistolesi, Il Vaticano descritto, VI, tab. 9. — Kékulé, Arch. Zeitlmg, 1866, p. 169, tab. 209, 1 et 2. — Brunn, Annali, 1819, p. 207. — Overbeck, Griech. Plastik, I, p. 275, fig. 58. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 505. — Klein, der Enkrinomenos des Alkamenes, ds. Arch. epigr. Mitth. aus QEsterreich, XIV, p. 6 - 9. — P. Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 465.
Louis GASTON.
170. — Aphrodite de Fréjus
Cette statue, en marbre de Paros, a été trouvée, assure-t-on, à Fréjus, en 1650 (Millin, Voyage dans les départements du Midi, II, p. 491); elle est restée longtemps dans les jardins du Palais de Versailles, et se trouve maintenant au Musée du Louvre. Elle a subi quelques restaurations : la main gauche avec la pomme, la droite avec le pan du manteau qu'elle relève, et le bout du pied droit.
M. Frœhner dit que la tête est une tête antique rapportée; mais la comparaison avec d'autres répliques du même original prouve que la tête actuelle est bien celle de la statue.
Il est impossible de ne pas reconnaître Aphrodite dans cette jeune femme debout, légèrement appuyée sur la jambe droite, la tête inclinée vers la gauche, qui d'une main porte la pomme, symbole d'amour et de fécondité, de l'autre ramène son manteau par dessus son épaule sur son sein nu, et dont tout le corps est à peine voilé de fines étoffes transparentes. Mais il est moins aisé de se mettre d'accord sur le nom du maître qui créa ce type devenu célèbre.
Visconti, tout d'abord, et nombre d'archéologues autorisés avec lui, rapprochant la statue de Fréjus de celle que reproduit un denier bien connu de l'impératrice Sabine, où est inscrite la légende VENERI GENETRICI, voulut y reconnaître une copie de la statue qu'Arcésilaos sculpta, à la demande de César, pour orner, en 46, le temple de Vénus à Rome (Plin., H. N., XXXV, 155); de là le nom de Vénus Genitrix sous lequel on la désigne couramment. Mais, sans insister sur ce fait que le nom de Vénus Génitrix est fréquent sur les monnaies romaines et s'applique à des images de type et de style très différents, il suffit à réfuter cette opinion d'affirmer que le style de notre statue est assurément grec, et que même il y a dans la tête, par exemple, et dans quelques plis des draperies, des traces manifestes d'archaïsme.
Aussi s'est-on bientôt appliqué à remonter jusqu'à des modèles plus anciens. 0. Miiller songeait déjà que l'Aphrodite de Fréjus pouvait être antérieure à Praxitèle; Clarac parlait de l'époque où furent sculptés Niobé et les Niobides. Mais des pas plus décisifs ont été faits tout récemment. On sait que Praxitèle avait sculpté deux statues d'Aphrodite, l'une toute nue — qui fut celle de Cnide — et l'autre drapée, que les habitants de l'île de Cos achetèrent de préférence
comme plus chaste ; Gerhard, Brizio, Ernest Curtius, M. de Witte sont d'avis que la statue du Louvre est une réplique de l'Aphrodite de Cos.
Ce qui donne un certain poids à cette opinion, c'est surtout que parmi les très nombreux monuments dont la liste a plusieurs fois été dressée et complétée, qui reproduisent exactement ou avec de légères variantes le type de la déesse, il se trouve au premier rang plusieurs figurines de terre cuite; or, on a pu établir avec toute certitude que les coroplastes se sont surtout appliqués, lorsqu'ils se sont inspirés de la grande statuaire, à reproduire ou à imiter les œuvres du IVe siècle ; l'école de Praxitèle et de Scopas semble avoir eu surtout leur faveur.
Il y a du reste assez de grâce dans l'attitude de la déesse, assez d'élégance dans ses formes, assez de virtuosité dans la facture pour que le nom de Praxitèle soit ici fort acceptable.
Cependant, frappés surtout par la note archaïque que nous avons signalée dans le type de la tête et quelques plis des draperies, des archéologues, M. Furtwsengler en particulier et Mme Lucy Mitchell, sont remontés plus haut que Praxitèle ; l'original de la statue du Louvre est pour eux le chef-d'œuvre d'Alcamène, l'Aphrodite dans les jardins (Iv jajTcoiç, Pline, N. H., XXXVI, 16; Paus., 1, 19, 2; Lucien, Imag., 4) à qui Lucien veut emprunter pour Panthea, la beauté idéale, ses joues et tout son visage, et de plus ses mains si souples avec leurs doigts effilés et minces (Lucien, Imag., 6). Malheureusement les expressions qui s'appliquent au visage (xct (jLïjXa 8e xocl oaa vTjç Õswç àvTa)7ra) sont très vagues, et les mains, qui d'ailleurs dans une copie peuvent facilement trahir l'original, les mains de notre statue sont modernes.
Enfin, M. Salomon Reinach a essayé de concilier les trois opinions, et voici comment il a résumé son ingénieuse théorie éclectique. « On sait que le scrupule du plagiat était étranger aux artistes anciens; les plus illustres n'ont pas hésité à reprendre d'anciens motifs pour les transformer et les rajeunir pour l'exécution. Or, il existe entre Alcamène et Praxitèle, entre l'Aphrodite dans les Jardins du premier et les Aphrodites du second, une relation que les textes anciens permettent de saisir. Pausanias dit que Praxitèle a fleuri dans la troisième génération après Alcamène, ce qui a fait penser que Céphisodote, le père de Praxitèle, était l'élève de Phidias (Paus., VIII, 9, 1). Dans Lucien, l'Aphrodite d'Alcamène et celle de Praxitèle sont rapprochées en deux passages (Lucien, Imag., 4 et 6). Enfin, l'on pourrait supposer, avec Gerhard, que le type de l'Aphrodite drapée de Praxitèle servit de modèle à la Vénus genitrix d'Arcésilas, précisément à une époque où
la mode des draperies transparentes s'introduisait dans le monde romain malgré les protestations des philosophes. Nous serions donc en présence d'un type, évidemment fort en faveur dans l'antiquité, qui, créé par Alcamène, aurait été repris par Praxitèle d'abord, puis, à trois siècles de distance, par Arcésilas. L'air archaïque de la tête rappelle Alcamène, la grâce de l'attitude et de la draperie font penser à Praxitèle. Ce que le sculpteur romain a pu ajouter à ce motif, c'est ce qu'il nous est impossible de reconnaître. » (La nécropole de Myrina, description des planches, p. 315).
Chacun de ces systèmes est séduisant, sans doute, mais nous ne croyons pas qu'il soit très prudent ni très scientifique de marcher avec la moindre assurance sur un terrain si peu solide. En somme, nous en sommes réduits, pour étudier l'Aphrodite du Louvre, à elle seule, et aux statues ou statuettes analogues. Il ne nous est parvenu aucune description ni aucune image de l'Aphrodite iv oiç, rien de l'Aphrodite drapée de Cos, non plus que de la Vénus d'Arcésilas, et aucun trait du type, aucun caractère de la technique ne permet de reconnaître ici l'imagination ou la main d'Alcamène ou de Praxitèle.
Ils n'ont certainement pas été les seuls, pendant cinq siècles, à créer des images nouvelles et personnelles de la déesse, et c'est peut-être faire tort à quelque maître digne d'eux que de vouloir songer à eux seuls. On doit, croyons-nous, se réduire à supposer que l'original de l'Aphrodite à la pomme datait probablement du plus beau temps de la statuaire classique, qu'elle n'est pas antérieure à Phidias, mais qu'elle peut fort bien en être contemporaine, et c'est pour cela que nous lui assignons ici sa place dans notre catalogue.
Ajoutons que cet original était célèbre, puisqu'il en existe tant de répliques. L'œuvre, du reste, est digne de sa vogue. L'Aphrodite de Fréjus sera toujours une des perles du Louvre, et l'on admirera sans cesse l'élégance souveraine de cette attitude, la beauté calme et troublante à la fois de ce visage où glisse comme un mystérieux sourire, le charme grave et doux de cette demi-nudité pudique, enfin l'art ingénieux avec lequel la robe ici transparente s'applique aux contours jeunes et fermes du corps, là épaisse et néanmoins légère se masse en plis larges et sobres.
Bibliographie. — Visconti, Museo Pio Clementino, III, tab. 8, p. 44; IV, p. 233. — 0. MÜller, Handbuch, § 376, 3. — Brunn, Geschichte der Künstler, I, p. 101. - O. lalin, Berichte der sœchsischen Gesellschaft, 1861, p. 113. - Bernouilli, Aphrodite, p. 96. — Clarac, Musée, IV, p. 140, no 1449. — Gerhard, Akad. Abkand-
lungen, I, p. 260. - Brizio, Bullettino dell' Insliluto, 1812, p. 104. — E. Curtius, Arch. Gesellschaft zu Berlin (Phil. Wochenschrift, 1882, p. 668). — Frœhner, Notice de la sculpture antique du Louvre, p. 166, no 135. — De Witte, Bull. de la Soc. des antiquaires, 22 avr. 1885; Gaz. Archéologique, 1885, p. 91. — Furtwsengler, art.
Aphrodite, ds. Rocher, Ausfuhrl. Lexicon der Mythologie, p. 412. — Lucy Mitchell, Hist. of ancient Sculpture, p. 320. — Mliller-Wieseler, Denkmseler d. alten Kunst, 3me édit., p. 381. — Kékulé, Arch. epigr. Mitth. aus OEstelnich, 1879, p. 20. —
Baumeister, Denkmseler etc., I, p. 92, fig. 98. — Salomon Reinach, Gaz. Archéol., 1887, p. 250, pl. 30, La Vénus drapée du Louvre. — Pottier et Reinach, La nécropole de Myrina (descript. de la pl. VIII), p. 309 et s. — P. Wolters, Gipsahg. zu Berlin, nO 1208. P. P.
171. — Victoire de Pseonios.
Cette statue a pour nous un très grand intérêt; elle est non plus une réplique, mais une œuvre authentique d'un sculpteur connu.
Pausanias (V, 26, 1) nous fournit des renseignements précieux pour l'étude même de la statue : « Les Doriens de Messénie, dit-il, qui occupèrent autrefois Naupacte après en avoir chassé les Athéniens, ont consacré à Olympie une statue de Niké placée sur une colonne. C'est l'œuvre de Pseonios de Mendée, faite avec l'argent pris aux ennemis lorsque ils combattirent contre les OEniades et les Acarnaniens (01. 874); c'est du moins mon avis. Mais les Messéniens prétendent que cet ex-voto a été consacré à la suite de l'affaire de l'île de Sphactérie (01. 884), et que l'on n'inscrivit pas sur le socle le nom des ennemis de peur des Macédoniens, car si les vaincus eussent été les Acarnaniens ou les OEniades, on n'aurait pas craint d'inscrire leur nom o. Ainsi Pausanias nous donne dans ce passage quelques détails précis sur l'œuvre et le sculpteur, mais il laisse en discussion la date de la consécration de la statue.
Le 21 décembre 1875 on découvrit à Olympie la Niké de Paeonios ; le piédestal triangulaire que l'on retrouva aussi était surchargé d'inscriptions parmi lesquelles on put lire celle que firent graver les Messéniens et à laquelle Pausanias a fait allusion : « Les Messéniens et les Naupactiens ont consacré à Zeus la dîme du butin; œuvre de Pasonios de Mendée, qui a remporté la victoire en sculptant les acrotères du temple ». Cette statue a donc été érigée après que Pseonios eut sculpté les acrotères; elle est par conséquent postérieure à 460, époque à laquelle fut achevé le temple d'Olympie, et elle a été consa-
crée en 420 ou en 424, selon que l'on se rallie à l'opinion de Pausanias ou à celle des Messéniens.
Pour apprécier la valeur artistique de cette œuvre, il est nécessaire d'en essayer une restitution, car elle ne nous est parvenue que très mutilée ; la tête, séparée du corps, n'est plus qu'un fragment presqu'informe; les bras et le bout du pied gauche ont aussi disparu. Nous pouvons aisément nous figurer l'ensemble de la statue, grâce aux nombreuses représentations de la Victoire qui nous ont été conservées sur des monuments ou sur des monnaies ; le type le plus fréquent est celui d'une divinité ailée, ayant à la main une couronne ou une bandelette; c'est bien à ce modèle général q'ue se rattache la statue d'Olympie; mais lorsqu'il s'agit de restituer l'œuvre, les archéologues ne sont plus d'accord. Pour les uns, la Victoire est une messagère olympienne, et Paeonios l'a représentée au moment où elle quitte l'Olympe pour s'élancer vers la terre. Le sculpteur a indiqué ceci par l'attitude générale de la statue qui semble presque tomber; il a placé sous les pieds de la déesse un oiseau qui représente l'aigle, et la forme vague et indéfinie qu'il a donnée à la plinthe exprime les nuages qui vont emporter la Victoire. Cette opinion paraît contredite par la façon dont l'auteur a drapé sa statue; la robe et les voiles flottants rejetés en arrière, indiquent le plein vol, plutôt qu'un simple élan pour s'envoler. Pour d'autres, la déesse ne quitte pas l'Olympe, elle arrive vers la terre; sous ses pieds on remarque des aspérités qui figurent le sol rocheux de l'île de Sphactérie ; l'oiseau, dont la tête a été mutilée, devait avoir un bec crochu et représentait un goéland, une mouette ou quelque autre oiseau de mer. Cette interprétation de la statue est subtile et intéressante ; elle a le tort de ne pouvoir se justifier que si l'on admet que la Victoire de Pæonios fut élevée en souvenir de la prise de Sphactérie ; de plus, ce qui a paru être un rocher ne nous parait être qu'un tenon destiné à maintenir la statue; enfin, le corps de l'oiseau, si l'on en juge par les proportions générales de la statue, est bien celui d'un aigle. L'opinion qui nous paraît la plus probable est celle d'après laquelle la déesse est représentée dans son vol ; les draperies, sous l'action du vent, se sont collées sur le devant du corps et flottent librement par derrière; l'attitude penchée de la statue indique que la Victoire va porter une couronne aux Messéniens vainqueurs. Enfin, la statue avait des ailes dont on voit encore les attaches. Cette restitution est à peu près celle qu'a tentée le sculpteur Gruttuer.
Si nous examinons cette statue de profil, nous sommés frappés du contraste qui existe entre le devant et le derrière du corps. Cette femme, qui n'a par-devant qu'un mince vêtement, très étroitement collé au corps, est chargée derrière par une ample draperie, dont les plis lourds et trop nombreux dénotent une grande exagération. On ne peut expliquer ce défaut qu'en pensant que Pseonios a dû, par cet artifice, équilibrer sa statue, dont l'attitude est très penchée; enfin, l'impression générale que nous laisse cet examen est que la Victoire tombe bien plutôt qu'elle ne vole. Vue de face, la statue est très belle, les défauts disparaissent, l'attitude penchée semble moins exagérée; nous remarquons la hardiesse et la grâce du mouvement, l'art très délicat avec lequel les draperies viennent se coller au corps; nous sommes donc ici en présence d'une œuvre intéressante, originale, pleine d'audace et qui nous frappe surtout par sa nouveauté. Pseonios nous apparait comme un disciple quelque peu infidèle des grands maîtres de l'époque classique, qui a de l'art une conception moins élevée, mais plus audacieuse peut-être, et déjà plus raffinée; il leur est inférieur, mais il nous plaît presque par ses imperfections ; si son goût est moins sévère, il ne manque pas d'imagination; son effort est hardi et bien personnel. De plus, à comparer sa Victoire à l'Iris du Parthénon de Phidias, par exemple, nous verrons que celui-ci néglige les accessoires, représentant simplement Iris sous les traits d'une jeune femme, et n'indique le vol qu'en rejetant par derrière les flots de la draperie et en donnant à la statue une allure rapide ; les plis sont simples, traités par grandes masses, et s'harmonisant avec sobriété. Pseonios a un sentiment très vif du réel; il veut rendre tout ce qui peut être rendu de cette adhérence des vêtements; il y met de la recherche, un soin excessif et jusqu'à de la subtilité ; son œuvre n'est plus la conception si régulière, si pleine de grandeur et de majesté que Phidias a réalisée dans l'Iris.
Pseonios n'appartient pas à l'école de Myron qui, malgré sa recherche des mouvements exceptionnels, sut allier une grande simplicité à la traduction du vrai et donna à ses statues une légèreté qui manque au maître de Mendée. Il n'est pas non plus un élève de Polyclète, dont les statues massives, carrées, ne manquaient pas de grâce et de sobriété.Pseonios se range donc parmi les successeurs de Phidias qui, désespérant d'atteindre le grand style du maître, tentèrent des voies nouvelles. Portant jusqu'à l'exagération la délicatesse de Phidias, ils
ne laissèrent pas cependant de produire des œuvres pleines d'intérêt et dignes d'admiration. Leur art, parfois subtil, a néanmoins la beauté des œuvres vraiment classiques.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, 1875-76, pl. III-IV, 1876-77, pl. XXXIV. — Bœtticher, Olympia, tab. IX. - Overbeck, Griech. Plastik, I, 414. Murray, A History of greek Sculpture, II, tab. 19, 2. — Lucy Mitchell, Hist. of ancient Sculpture, fig. 182. — Baumeister, Denkmscler etc., fig. 1287. - V. Duruy, Ilist. des Grecs, II, p. 499. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 107. — Laloux et Monceaux, Restauration d'Olympie, p. 67. — P. Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, nOS 496-497. — Pour l'inscription de la base, voyez surtout Schubring, Arch.
Zeitung, 1877, p. 59. CLOLOGE.
172. — Tête dite Victoire de Laborde.
Ce fragment de haut intérêt, qui faisait autrefois partie de la collection de Laborde, appartient depuis 1846 à la Bibliothèque Nationale.
On a longtemps admis que c'était là une tête de Victoire provenant du fronton ouest du Parthénon, et cette opinion a encore été adoptée par M. Max. Collignon dans son livre récent sur Phidias (1886). On s'est appuyé, pour soutenir cette idée, d'abord sur le style de l'œuvre, puis sur quelques détails, comme la dimension du fragment, plus grand que nature, et qui s'accorde très bien avec la mesure des personnages des frontons, comme le travail très peu poussé du revers de la tête qui devait être approchée d'une paroi. Il est certain que la tête de Laborde est d'un grand style et rappelle par son air de majesté grave, par la simplicité vigoureuse de la forme et du modelé, l'inspiration et l'art de Phidias. Nous n'hésitons pas à y retrouver l'influence directe du maître et à la rapporter au ve siècle.
C'est assez dire que nous ne cédons pas aux arguments de ceux qui veulent reconnaître ici une œuvre du IVe siècle, de l'école de Praxitèle ou de Scopas; nous ne voyons pas que la coiffure, ondulée simplement, relevée sur la nuque et serrée de liens, ne puisse pas avoir été sculptée au temps de Phidias, et ce fait que les prunelles des yeux sont indiquées par une ligne creuse n'a, pour dater l'œuvre, qu'une valeur bien secondaire.
On a voulu voir dans cette tête une tête d'Apollon; le nom de Victoire peut être douteux, mais du moins nous semble-t-il impossible de voir ici autre chose qu'une tête de femme. Il paraît aussi bien
improbable, comme elle est plus grande que nature, de croire cette tête détachée d'un monument funéraire.
Bibliographie.-De Laborde, Athènes aux XVe, XVI. et XVIIe siècles, I, p. 151.
- Revue archéol., 111, 1846, pp. 336, 460. — Lenormant, Gaz. Archéol., I, tab. 1.— Michaëlis, Der Parthenon, p. 202 B*. — Benndorf, Annali, 1880, p. 204. — Max.
Collignon, Phidias, p. 54. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 371. -- Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, no 1280.
P. P.
V. EPOQUE DE PHIDIAS.
B. BAS-RELIRFS.
175. — Orphée et Eurydice.
Dans ce marbre célèbre, qui se trouve à la villa Albani, on a restauré — la restauration était facile grâce aux autres répliques du même original qui nous sont parvenues — les deux pieds du personnage de droite, le pied droit de la femme, le mollet droit et l'avantbras du personnage de gauche.
Deux copies qui se trouvent l'une à Paris et l'autre à Naples, donnent aux personnages groupés les noms d'Antiope, Amphion et Zéthos.
Mais, outre qu'on s'explique assez difficilement quelle scène se passerait ici entre la mère et ses deux fils, on s'accorde aujourd'hui à reconnaître que les inscriptions sont modernes et par conséquent sans valeur.
Zoégsf est le premier qui ait donné la véritable explication de ce bas-relief. Le sculpteur a représenté la légende d'Orphée, et, dans cette légende, il a choisi le moment le plus important : Orphée vient de perdre par son imprudence celle qu'il avait eu tant de peine à reconquérir. Il a oublié la promesse faite à Hadès : l'Enfer reprend son bien. Hermès, le conducteur des âmes dans les royaumes infernaux, va ramener Eurydice dans le séjour des ombres. Ici, l'artiste a altéré la légende et supposé un court adieu avant la fatale séparation.
Son œuvre est remplie d'une douce mais douloureuse tendresse.
Eurydice se penche vers Orphée dans un mouvement plein d'un triste abandon; elle a, comme incapable de se séparer de lui, posé la main sur l'épaule de son amant. Orphée ne lui témoigne pas moins de tendresse : il attache sur elle un regard humide que l'on sent plein d'une
muette et profonde douleur, et il va délicatement poser sa main sur la sienne.
Cette douleur, bien naturelle à ces deux êtres qui s'aiment et vont se perdre pour toujours, se retrouve même chez le troisième personnage; et cela ne contribue pas peu à donner à cette scène touchante cette plénitude de douce tristesse qui nous charme si agréablement et dont se sent pénétré comme d'instinct même le moins attentif des observateurs. Hermès doit ramener Eurydice aux enfers : son devoir l'y oblige, et déjà il l'a saisie par la main; cependant il lui est pénible de séparer ce couple malheureux; la pitié se lit sur son visage et sa main droite se ferme comme dans une douloureuse agitation; son cœur résiste à son devoir.
Quelques détails dans le costume des personnages ont leur intérêt : Orphée porte un casque étranger. Mais, ce casque, nous le connaissons; on le trouve souvent dans le costume des Amazones. Et Orphée n'est-il pas-lui même un étranger? Il porte les bottes des Thraces avec un revers qui n'est figuré que par un contour entaillé dans le marbre, sans doute parce qu'ici la peinture venait au secours de la sculpture. Quant à Hermès, il est facilement reconnaissable, bien qu'aucun attribut ne le désigne expressément. Il porte un court manteau, agrafé sur l'épaule droite et rejeté sur l'épaule et le bras gauches, et il est vêtu d'une tunique courte serrée à la taille; il a la tête découverte et les cheveux bouclés. Braun suppose qu'il portait le caducée; cela n'est pas probable; d'ailleurs il n'en reste aucune trace.
Derrière son dos est attaché un grand chapeau, comme en emploient souvent les jeunes hommes sur les monuments figurés.
Il est assez vraisemblable que ce bas-relief était destiné à orner le tombeau de deux époux ; mais il ne faudrait pas voir dans les personnages les morts eux-mêmes. Ce sont bien Orphée, Eurydice et Hermès, dont la représentation est un symbole de la séparation terrestre, peut-être aussi d'une résurrection ou d'une réunion espérée dans un autre monde. Les coutumes romaines se prêtent du moins à cette hypothèse, et nombre de sarcophages montrent combien on aimait à exprimer par des images analogues les rapports du mort et des vivants.
Enfin, si l'on a pu signaler dans ce bas-relief quelques légères imperfections, imputables au copiste, comme le mollet gauche d'Hermès qui est mal dessiné, et le pouce droit d'Eurydice qui est trop court, il faut surtout louer hautement les beautés de premier ordre qui s'y
trouvent. C'est un des plus beaux exemples qui nous montrent cette qualité distinctive del'art attique de s'attacher au gracieux et àl'harmonieux, d'éviter la passion outrée et d'adoucir ce qui est trop violent.
Avec quel bonheur et quelle délicatesse est exprimée ici la grande douleur ! et cela, par de doux gestes muets auquel s'ajoute je ne sais quoi de tendre que l'artiste a répandu sur son œuvre, et que nous sentons bien vivement.
Cette atténuation, ce mesuré, ce voilé appartiennent en propre à l'art attique de la plus belle époque. Aussi, ne serons-nous pas de l'avis de Zoéga qui croit ce bas-relief antérieur à Phidias. En effet, Hermès, par exemple, a beaucoup de rapports avec les jeunes gens de la frise du Parthénon. C'est la même coupe de tête avec les oreilles petites et trop haut placées: c'est aussi le même costume : enfin, les autres figures portent incontestablement dans leur costume et dans la tendre expression de leur visage la marque de l'art attique le plus pur. Ce bas-relief ne peut pas être venu longtemps après la frise du Parthénon ; il appartient à la fin du va siècle.
Bibliographie. - Zoéga, Bassirilievi, tab. 42, p.. 193. — 0. Iahn, Arch. Zeitung, 1853, p. 84. — Morcelli, Fea et Visconti, Description de la villa Albani, p.
150, 1031. — Pervanoglu, Arch. Zeitung, 1869, p. 16. — E. Curtiug, Arch. Zeitung, 1869, p. 74. — E. Braun, Ruinen und Museen Roms, III, 2, p. 531. — Kekulé, Das - akad. kunstmuseum zn Bonn, p. 38, 169. — Conze, Vorlegeblsetter, Ser. 4, tab. 12, I, a, b, c. — Roscher, Ausfuhrl. Lexicon der Mythologie, art. Hermès, p. 2407-9. —
V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 212. — Wolters, Gipsabgïïsse zu Berlin, 1198.
EDG. BONDON.
174. - Déméter, Coré et Triptolème.
Ce bas-relief en marbre du Pentélique a été trouvé en 1859 à Éleusis, près de la chapelle de Saint-Zacharie. Il a été signalé pour la première fois à l'attention des archéologues par une étude de François Lenormant dans la Gazette des Beaux-Arts de 1860. Il se trouve aujourd'hui à Athènes.
Ce monument nous est parvenu dans un état de conservation presque parfaite. Notons cependant qu'il était brisé en quatre fragments, lorsqu'il a été découvert, et qu'après la juxtaposition des parties des vides ont subsisté que l'on a dû combler avec du plâtre. Remarquons en toure pour le personnage de gauche qu'une partie de la main
droite manque, que le nez et l'index gauche ont souffert de quelques éraflures. La main droite et la figure du jeune homme sont endommagées. La main droite de la femme placée à droite est très mutilée; le nez, une partie du vêtement et de la torche ont souffert également. Mais, malgré ces accidents sur les parties les plus saillantes des visages, malgré ces cassures, il nous est facile de suivre et de rétablir les lignes interrompues.
Un bandeau supérieur et un bandeau inférieur font saillie sur la plaque. Le groupe se compose de trois personnages : celui de gauche a lm 98; celui du milieu, 111, 60; celui de droite, 1® 98. A gauche se dresse une femme; le poids du corps repose en grande partie sur la jambe droite qui se tient ferme sur le sol, pendant que le pied gauche est un peu avancé ; la tête est baissée. Elle est vêtue d'une longue robe dont les plis réguliers tombent jusqu'à terre. De la main gauche élevée, elle s'appuie sur un long sceptre, dont la partie supérieure est sculptée en forme de fleur. Le bras droit est recourbé et se porte en avant. Le personnage central est un éphèbe nu, la tête un peu relevée. Il se tient ferme sur la jambe gauche; la jambe droite est repliée et légèrement avancée. Sa main droite est tendue vers la main droite de la femme qui se tient devant lui. Le bras gauche retombe librement en arrière, et la main retient une longue draperie qui couvre l'épaule droite pour retomber à grands plis derrière le personnage, laissant complètement libre la partie antérieure du corps.
A droite, se tient une femme vêtue, posée fermement sur la jambe droite ; le pied gauche est porté en arrière; il s'appuie légèrement sur le sol, de telle sorte que le personnage semble marcher. La tête est penchée en avant. La main gauche, abaissée, s'étend nonchalamment sur une grande torche enflammée qui s'appuie contre l'épaule gauche et repose sur le sol. La main droite, à demi-ouverte, repose doucement sur la tête de l'éphèbe. La partie inférieure du corps est enveloppée dans un manteau, et la poitrine est couverte d'une tunique d'étoffe transparente qui laisse apercevoir toutes les formes.
Quels noms faut-il donner à ces trois personnages, et comment interpréter cette scène? Il est évident que le sujet du bas-relief est tiré des mythes d'Éleusis : les archéologues ont été unanimes à le reconnaître, bien que tous ne s'accordent pas lorsqu'il s'agit d'expliquer la scène et de nommer les personnages. Pour nous, qui admettons l'opinion la plus répandue, nous croyons que le personnage de gauche montre de sa main ouverte un objet de petite di-
mension et que l'éphèbe tend sa main droite pour recevoir cet objet.
- Nous voyons, dès lors, dans cette stèle Déméter, la grande déesse d'leusis, assistée de sa fille Coré, remettant au jeune Triptolème, fils de son hôte Céleus, le grain de blé qui doit féconder les champs Rhariens. Pour nous, Coré est le personnage de droite et Déméter le personnage de gauche, parce que c'est à Déméter seule qu'il convient de remettre le grain de blé. Mais il faut dire que beaucoup d'archéologues voient au contraire Déméter à droite et Coré à gauche; ils appuient leur opinion sur certains monuments où Déméter est représentée avec le flambeau (ce qui est bien naturel, puisqu'elle cherche sa fille), et Coré avec le sceptre à l'extrémité en forme de fleur.
Il faut signaler à part une interprétation originaLe que Welcker a faite du sujet de cette stèle. Selon lui, il faut voir dans le personnage central Iakchos, qui est la troisième divinité de la triade éleusinienne. Nous n'adoptons pas cette explication, parce qu'avec elle il nous impossible de comprendre pourquoi ce personnage est plus petit que les autres et, de plus, nous ne voyons pas bien que ce prétendu lakchos et le personnage qui est devant lui veuillent se serrer la main, comme le prétend Welcker.
Si nous admettons, comme Fr. Lenormant, que le personnage de droite est Coré, nous ne pensons pas comme lui que Coré pose sa main droite sur la tête de Triptolème « en signe de protection ». Il vaut mieux dire, avec MM. Kékulé et Wolters, qu'elle place sur la tête de l'enfant une couronne de métal et que la main est prête à se rele- ver. On peut, en effet, fournir deux raisons en faveur de cette interprétation : 1° sur la partie antérieure du front de Triptolème se trouve un trou qui doit avoir servi à fixer la couronne; 2° les cheveux de Triptolème, où ils étaient cachés par la couronne, ont été fravaillés avec moins de soin que sur le reste de la tête.
Selon Fr. Lenormant, l'intention de l'artiste était de représenter en Déméter une imposante matrone, aux formes un peu lourdes, et de l'opposer comme un contraste à Coré, personnage jeune et gracieux.
Nous pensons que cette interprétation est forcée comme celles qui ont été données pour la stèle de Pharsale (n° 39), au sujet de laquelle on a discuté longuement pour savoir quelle des deux femmes est la plus âgée. Nous croyons avec M. Overbeck que cette intention de contraste n'a pas été dans l'esprit de l'artiste, et qu'il s'agit beaucoup moins d'une distinction nette de la mère et de la fille que d'une représentation claire du groupe des deux déesses, étroitement unies, comme les 1
Dioscures, par exemple, et qu'on nommait toujours ensemble rw 6EW.
Cette parité des deux déesses, nous l'acceptons d'une façon complète.
Les cheveux de Déméter retombent sur son cou en longues boucles exactement comme ceux de Triptolème : comment expliquer cette coiffure virile chez Déméter? Nous ne verrons nullement là, comme le fait Lenormant, une question d'hermaphroditisme. Nous ne tenterons pas non plus d'expliquer cette coiffure en rappelant l'expression poétique (Homère, Od., 5, 125) : eÛTtXrfxa^oç AT^nrip, l'épithète d'eÙ7tX<5xatu.oç n'ayant pas été exclusivement réservée à cette déesse, mais bien appliquée à toute une série de déesses et de mortelles. Nous donnerons une raison purement artistique de cette particularité frappante et dirons que l'artiste a voulu par là mettre de la variété dans son œuvre.
A propos de Déméter, il faut dire enfin que M. Overbeck constate la ressemblance et la parenté de ce personnage avec toute une série de représentations de la même déesse, particulièrement avec la Déméter qui se trouve au Musée du Capitole. Il en conclut que pour toute cette série de statues apparentées les artistes ont dû s'inspirer d'un même type primitif qui vraisemblablement était une image de la déesse que l'on vénérait dans le culte. C'est aussi l'opinion de Welcker dans les Annali.
La valeur artistique de ce bas-relief est très grande. On ne peut qu'admirer la délicatesse du modelé, la souplesse et la grâce des mouvements, la richesse et l'élégance des draperies, la vérité et la justesse de la nudité de Triptolème. Mais l'on ne trouve pas seulement dans ce bas-relief les qualités de l'art attique le plus pur; quelques détails donnent à cette sculpture un caractère assez marqué de vétusté. Il y a dans la position de la déesse Déméter une certaine raideur qui rappelle un peu l'archaïsme; de plus, les plis de sa robe, simples, droits, réguliers ressemblent aux draperies de l'art primitif.
Coré est d'un faire absolument différent; sa position est plus libre et moins rigide, les plis de sa robe sont plus riches et plus pressés. Cet archaïsme, que nous notons à côté d'un art consommé et supérieur, est évidemment volontaire et intentionnel : le sculpteur qui travaillait pour Éleusis où régnaient des traditions étroites, a dû être naturellement amené à imiter par endroits le style des anciens artistes.
N'oublions pas de remarquer que la composition est d'une grande simplicité religieuse. (11 n'y a peut-être pas dans tout l'art grec une autre œuvre d'un caractère aussi religieux.
Ce qui a été dit suffit déjà pour que l'on reconnaisse dans cette
stèle, en même temps que des souvenirs d'archaïsme, l'influence de Phidias. L'on peut signaler d'une façon précise certains points de ressemblance entre notre stèle et l'œuvre du maître. En premier lieu, le relief qui est en réalité très bas et qui paraît très accentué. De plus, les formes des seins sont dans le goût de Phidias; au Parthénon les formes des femmes sont opulentes comme dans notre stèle; l'on n'a qu'à comparer avec ces divinités éleusiniennes les jeunes filles des Panathénées et les cariatides de l'Érechthéion. Nous retrouvons enfin l'aspect digne et grave de Déméter et de Coré dans les dieux de la frise du Parthénon. Notons cependant avec M. Wolters que les déesses d'Eleusis ont un caractère encore plus religieux et plus idéal que les dieux de Phidias; ce qui s'explique parfaitement, puisque dans notre bas-relief il s'agit d'une scène où les dieux eux-mêmes sont acteurs, tandis que dans la frise les dieux assistent seulement à une solennité du culte populaire.
Pour tous ces motifs, à cause de cet art si pur et si parfait, à cause de cette imitation de Phidias, et malgré cette figure un peu archaïque de Déméter, nous conclurons que ce beau bas-relief doit être placé à une époque de peu postérieure à Phidias.
Pausanias parle d'un temple de Triptolème à Éleusis. Les Dilettant: ont voulu en reconnaître, au commencement de ce siècle, l'emplacement au lieu où s'élève aujourd'hui la chapelle de Saint-Zacharie.
Notre bas-relief, découvert à côté de cette chapelle, pourrait servir à confirmer cette conjecture. François Lenormant a donc pu dire avec vraisemblance que notre bas-relief appartenait à ce temple. Cependant M. Blavette, dans sa belle restauration d'Eleusis, assigne au bas-relief une place sur le piédestal qui soutenait, au milieu de la salle d'initiation, un important motif central dont les fouilles récentes ont rendu les traces visibles.
Bibliographie. — F. Lenormant, Gazette des Beaux-Arts, VI, p. 69. — Monumenti, VI, pl. 45. — Welcker, Annali, 1860, p. 434; Arch. Zeitung, 1861, p. 165*.
— Overbeck, Kunstmythologie, III, p. 426, 565; Atlas, pl. XIV, 8. — Revue arche'olog., 1860, p. 401. — L. Vitet, Revue des Deux-Mondes, mars 1861, p. 211, 226. —
Bréton, Athènes, p. 370. — Pervanoglu, tfriXfarwp, 1861, p. 71. - Stéphani, Compterendu, 1859, p. 106, 2. - Brunn-Bruckmann, Monuments, pl. 7. — Baumeister, Denkmœler etc., fig. 454. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 419. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 1316. — M. Collignon, Manuel d'archéol. grecque, fig. 47. - P. Paris, La Sculpture antique, fig. 128.— Wolters, Gipsalgilsse zu Bedin, Ï*0 1182. Louis GASTON.
175. — Chœur Cyclique.
Ce bas-relief a été découvert par Beulé, dans ses fouilles à l'Acropole d'Athènes, en 1852. Il représente sept choreutes et un choryphée.
Les choreutes sont tous vêtus de la même manière, d'un grand manteau qu'ils serrent contre leur corps avec leur bras droit bien enveloppé, et font tous le même mouvement, avec la même attitude. Ces détails, plus encore que la facture habile et facile du relief, donnent de l'intérêt à ce fragment qui nous instruit sur le costume et la marche du chœur cyclique.
Cette frise décorait quelque monument choragique consacré, ainsi que nous l'apprend l'inscription gravée sur un bandeau au-dessus des personnages, par un certain Atarbos, sous l'archontat de Céphisodoros, en 366 avant J.-C. Il y eut un autre archonte de ce nom en 323, mais le style de la sculpture, où se sent l'influence de Phidias, nous fait préférer la première date.
Bibliographie. — Beulé, L'Acropole d'Athènes, II, pl. IV, p. 315. — Rhangabé, Antiquités helléniques, II, pl. 21. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 380. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 2257. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, nos 13301331.
P. P.
176. Chœur de danseurs Pyrrhiquistes.
Ce bas-relief, trouvé avec le précédent, provient du même monument. Il représente deux groupes de quatre danseurs armés, le corps nu, coiffés d'un grand casque à aigrette, et portant à la main droite un bouclier. A gauche, devant eux, se tient un homme drapé dans un manteau, comme les choreutes de l'autre fragment, et dans lequel il faut reconnaître probablement le maître de chœur. Comme dans les acteurs du chœur cyclique, il faut ici remarquer la similitude complète des attitudes des danseurs. Le style du bas-relief est d'ailleurs de qualité un peu supérieure; le mouvement des guerriers est plein d'une élégance légère, et le nu, malgré les proportions restreintes des corps, est habilement modelé.
Voici comment l'on peut reconstituer l'inscription des deux fragments : r
Bibliographie. — Voyez le numéro précédent.
P. P.
177. — Course d'Apobate.
Bas-relief trouvé en 1880 par Bohn; il était encastré dans le mur construit au bas des Propylées, à côté de la porte de Beulé. « On sait, dit M. Collignon, que la course des apobates (â7roëàTat) trouvait place parmi les jeux hippiques célébrés aux Panathénées; les catalogues agonistiques la désignent sous la rubrique 'I-KKOIV TTCOAIXW Çeuyei. Grâce au témoignage des textes, nous sommes exactement renseignés sur la nature de cette course. Le char, attelé de quatre chevaux, était conduit par un cocher habitué aux manœuvres que comportait ce genre d'exercice (owroêaTuibç. v{ox.oç). Près de lui se tenait l'apobate, dont le rôle consistait à sauter à bas du char et à y remonter pendant le trajet. Cette course avait une origine légendaire : on en attribuait l'institution à Érichthonios ».
Tout s'accorde donc à faire reconnaître dans le bas-relief de l'Acropole une course d'apobate. Le cocher, debout sur le char, tend les deux mains, comme pour rendre les rênes à son attelage, tandis que l'apobate, un guerrier nu, casqué, armé d'un grand bouclier rond, remonte sur le char ou en descend, car le mouvement n'est pas très net. Il semblerait cependant que la première hypothèse soit préférable, si l'on note ce détail que le pied gauche du guerrier est posé à l'intérieur de la jante de la roue, comme si le mouvement tournant de cette roue devait le soulever et faciliter son ascension; on sait d'ailleurs que l'apobate se servait de la roue pour remonter sur le char.
On a tout naturellement rapproché ce bas-relief d'un bas-relief analogue depuis longtemps connu, et trouvé à Oropos (Welcker, Alte Denkmaeler, tab. IX, 15), et d'un fragment de la frise du Parthénon (Michaëlis, dér Parthénon, Atlas, pl. 12, XVII, fig. 56-57; cf. XXII, fig. 64-65), où la même scène est figurée avec de très légères variantes.
M. Collignon s'est même demandé si l'auteur du bas-relief de l'Acropole ne s'est pas inspiré directement du modèle qu'il trouvait au Par-
thénon. Il est certain du moins que, sil'on tient compte de l'importance des deux sculptures, et si l'on maintient la distance naturelle entre le maître qui sculpta la frise des Panathénées et l'humble auteur du petit bas-relief trouvé par Bohn, on reconnaîtra que les chevaux de ce dernier rappellent heureusement ceux de la frise, que la composition du groupe et le dessin des personnages se sentent de l'influence directe de Phidias. Aussi trouvons-nous la date proposée par M. Collignon - la fin du ive siècle — un peu trop récente; nous remonterions volontiers jusqu'à une date plus rapprochée des sculptures du Parthénon.
Quant à la destination du bas-relief, elle ne parait pas douteuse, dit M. Collignon; il décorait sans doute la base d'un monument votif élevé par deux vainqueurs qui avaient remporté en commun le prix au concours désigné par les mots iWouv 7tooXixtp EÚYEt.
Bibliographie. — Bohn, die Propylaeen, III. — Max. Collignon, Bull. de Corresp.
hellén., 1883, p. 458, et pl. XVII. — Id., Phidias, p. 94. — Daremberg et Saglio, Diction. des Antiquités, fig. 2332. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1836.
P. P.
178. — Trière attique.
On peut supposer avec quelque vraisemblance que ce fragment, trouvé à l'Acropole d'Athènes en 1852, provenait d'un monument qui consacrait le souvenir d'une glorieuse triérarchie. Il n'a guère de valeur que parce qu'il est un des plus importants parmi les documents qui servent à reconstruire la trière athénienne, et en particulier à indiquer la superposition et l'agencement des bancs de rameurs.
Bibliographie. — Annali, 1861, tab. M. 2. — Cartault, La trière athénienne, pl. III. — Revue archéologique, 3e série, I, pl. 8 (Raoul Lemaître, Disposition des rameurs sur la trière attique, p. 89, 133). — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 1689.
— Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 66. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 1194.
P. P.
179. — Traité d'alliance entre Athènes et Corcyre.
Ce joli petit bas-relief a été trouvé en 1876, au sud de l'Acropole d'Athènes, au cours des fouilles exécutées par la Société Archéologique. Le décret qu'il surmonte est relatif à une alliance conclue entre Athènes et Corcyre, en 375, alors qu'Hippodamas était archonte éponyme.
Les trois personnages, groupés dans une petite sedicule, sont très bien conservés; à gauche est assis un homme âgé, le torse nu, les jambes enveloppées dans une riche draperie; son bras droit repose sur ses genoux, son bras gauche pend naturellement le long de son siège; devant lui une femme est debout, dans une pose gracieuse, la main gauche posée sur la hanche, la main droite relevée pour écarter le voile qui couvre sa tête et flotte librement autour de ses épaules; enfin, derrière ce groupe, on voit Athèna, reconnaissable à son casque; elle penche la tête, comme très attentive à la scène qui se passe devant elle; sa main droite est baissée, et s'appuyait sans doute sur son bouclier, qui était peint et non sculpté; sa main gauche, relevée à hauteur de l'épaule, tenait la lance, qui était aussi figurée par la peinture.
Il y a quelque hésitation sur le personnage viril, où les uns veulent voir le Õi¡¡;.oç d'Athènes personnifié, d'autres Zeus Orkios, dieu témoin et protecteur des serments. Dans le premier cas, Athèna jouerait le rôle qu'on attribue à Zeus dans le second. Dans le second, Athèna personnifierait Athènes; dans les deux cas, la femme voilée représente la cité de Corcyre.
Quoi qu'il en soit, ce petit bas-relief a une réelle valeur artistique, ce qui assez rare dans les œuvres de cette catégorie; le sculpteur a du goût, sa main est sûre et légère; il s'est formé à la bonne école de la frise des Panathénées. Notons l'attitude pensive, d'autres diraient mélancolique, d'Athèna; il ne serait pas impossible que ce type de la déesse, assez fréquent dans les œuvres de ce genre, fût emprunté à quelque statue célèbre du ve siècle.
Bibliographie. — Von Duhn, Arch. Zeitung, 1877, p. 170, no 101, et pl. XV. — A.
Dllmont,Bull. de Corresp. hellén., 1878, p. 559 et pl. XII. - V. Duruy, IIist. des Grecs, 111, p. 22. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 2304. — Wolters, GipsabgÜsse zu Berlin, no 1161. — Pour l'inscription, vov. C. I. A., II, p. 393, 49 b.
M. MILLET.
180. — Traité d'alliance entre Athènes et la ville de Kios.
Ce petit bas-relief a été trouvé près des Propylées de l'Acropole.
Il représente la déesse Athèna serrant la main d'un homme plus petit qu'elle, qui est désigné par le nom propre KIOS, gravé au-dessus de sa tête. Il est probable, selon la coutume des monuments analogues, dont plusieurs sont reproduits dans le volume de Schœne (Griech. Reliefs), que cet homme personnifie le héros éponyme de la ville de Kios, en Bithynie, ou le peuple de cette cité. Dans tous les cas, l'attitude, comme la taille du personnage, défendent d'y reconnaître un dieu tel que Zeus Orkios.
L'inscription que surmonte le bas-relief mentionne l'archonte Callias, qu'on s'accorde à reconnaître comme l'éponyme de l'an 377. Du reste, le style du bas-relief, où se retrouve l'habileté simple et sobre des bons ouvriers de la fin du v° siècle ou du commencement du iv", alors que l'influence de Phidias se faisait sentir dans les plus humbles ateliers de marbriers, ce style élégant et plein de goût est bien celui qui caractérise l'art industriel au siècle de Périclès.
Bibliographie. — Le Bas, Voy. archéolog., Monuments ifgurés, pl. 35, 2. —
R. Schœne, Griech. Reliefs, pl. 9, 53. — Wolters, Gipsabgùsse zu'Berlin, n° 1160.
M. MILLET.
181. — Décret en l'honneur des fils de Leucon.
Ce bas-relief a été trouvé au Pirée; il est daté par le nom de l'archonte Themistoclès, qui fut éponyme en 347. L'inscription nous apprend que les Athéniens, en cette année 347, renouvelèrent avec Spartocos, Parisiadès et Apollonios l'alliance conclue précédemment avec leur père Leucon, souverain du Bosphore Cimmérien, et leur confirmèrent les honneurs et les privilèges paternels.
Deux des trois frères, Spartocos et Parisiadès, sont mentionnés par Diodore de Sicile; Apollonios était inconnu. On veut le reconnaître dans le personnage debout, à qui son attitude même assigne un rang inférieur, et de fait il n'est pas probable qu'il ait pris part au pouvoir : « Sur le bas-relief, dit le Bulletin de Correspondance hellénique,
les deux personnages Spartocos et Parisiadès ont la même attitude et le même costume. Ils sont assis, l'un et l'autre, sur un siège se terminant par des griffes de lion ; les pieds reposent sur un degré. Ils sont drapés et coiffés de même. Le vêtement couvre les deux épaules, .laisse la poitrine à découvert, et enveloppe la partie inférieure du corps depuis la ceinture jusqu'aux pieds. Les cheveux retombent sur les deux épaules en grosses masses. Les visages sont brisés; on voit seulement que les princes portaient toute la barbe.
» L'exécution est médiocre; toutefois, le groupement et la pose des figures, ainsi que l'arrangement des draperies, montrent la facilité et l'habileté de composition que l'on trouve communément à cette époque dans les ateliers attiques ».
Bibliographie. — Bulletin de Correspondance hellénique, 1881, p. 194, pl. V (anonyme). - YVolters, GipsabgiZsse zu Berlin, no 1165.
M. MILLET.
182. — Stèle de Dexiléos.
Cette stèle de marbre a été trouvée à Athènes, en 1863, à la Porte Dipyle, devant l'église d'Haghia-Trias. C'est encore là qu'on la voit aujourd'hui, car elle était encore en place lors de la découverte, et on l'a respectée. Elle se compose de trois parties, le fronton, le bas-relief et la base.
Le fronton n'a aucun ornement, il est surmonté de trois antéfixes.
Le bas-relief représente un groupe de deux guerriers. L'un est à cheval, vêtu d'une chlamyde serrée à la taille par une ceinture, et d'un manteau qui flotte au vent. Les trous que l'on remarque autour de sa tête indiquent qu'elle était ceinte d'une couronne en métal ; la lance qui s'appuyait sur sa cuisse, la bride et le mors du cheval devaient être aussi en bronze, ainsi que l'attestent les trous que l'on voit sur le cavalier et sur sa monture. Les jambes du cavalier et celles du cheval ont été en parties brisées. Le second personnage s'appuie sur le genou gauche et sur son bouclier; il lève le bras droit qui tenait probablement une épée, et cherche, quoique vaincu et terrassé, à se défendre encore.
La base est en marbre blanc du Pentélique, tandis que le bas-relief a une teinte bleuâtre qui rappelle le marbre d'Eleusis. Sur cette base
est une inscription qui fait connaître bien vaguement le jeune guerrier dont le tombeau était surmonté de la stèle. Cette inscription est ainsi conçue : -
Dexiléos, fils de Lysanios, de Thoricos, naquit sous l'archonte Tisandre, mourut sous Eubulide,.
à Corinthe; il fut un des cinq cavaliers.
Ce jeune homme s'appelait Dexiléos; il mourut à 20 ans, probablement dans la guerre que soutint Sparte contre Athènes, Argos, Corinthe et Thèbes réunies, en 394. On ne peut guère préciser à quel combat il fut tué, l'inscription ne donnant pas, pour cela, des détails suffisants. b Nous sommes donc ici en présence d'une œuvre dont le caractère est tout spécial et relève de l'industrie plutôt que de l'art, en présence d'un bas-relief funéraire. C'est ce qui explique les défauts que l'on remarque dans ce groupe; car, si l'ensemble est harmonieux, il y a des fautes de détail, notamment dans le modelé des corps, dans la position peu naturelle du cavalier qui est trop de face. Mais ce qui frappe tout d'abord, c'est la ressemblance de ce bas-relief avec telle ou telle des métopes du Parthénon (n° 108); il y a une imitation évidente qui se traduit par la hauteur égale du relief et l'attitude presque identique du personnage abattu et blessé ; nous pouvons aussi noter l'influence de la frise des Panathénées : ce cheval qui se cabre avec un mouvement gracieux, ce cavalier si bien assis sur sa monture sont évidemment inspirés par la vue de ces éphèbes qui défilent dans la procession du Parthénon. Le sculpteur a d'ailleurs des mérites personnels; on doit critiquer le détail, mais on ne peut s'empêcher de trouver que l'auteur a su grouper ses personnages et combiner ses lignes d'une manière tout à fait heureuse. Ce n'est pas de la grande sculpture, et cependant il y a un goût et un sentiment artistique qui révèlent un admirateur passionné et un imitateur habile de Phidias.
Bibliographie. — Salinas, Monumenti sepolcrali, tab. 2. — Wescher, Revue archéol. (nouv. sér.), VIII, pl. XV. — F. Lenormant, La voie sacrée éleusinienne, p. 75. — Murray, A Hist. of greek Sculpture, II, pl. 30, 2. — V. Duruy, Ilist. des Grecs, II, p. 710. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 124. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 1105.
G. ROQUES.
183. — Bas relief funéraire. Scène d'adieux.
Ce monument provient de la Porte Dipyle, à Athènes ; il a été trouvé brisé en quatre morceaux, en 1861. C'est pour cela sans doute que souvent décrit, il a été reproduit une seule fois, croyons-nous, dans notre volume La Sculpture antique.
Le cadre du tableau était formé par deux pilastres surmontés d'un fronton, et sur une plate-bande placée immédiatement au-dessous du fronton est gravée une inscription qui doit se lire ainsi :
Le bas-relief ne comporte que trois personnages, et l'inscription en signale quatre; c'est que le nom de Procleidès, fils de Pamphilos, (col. 2) a été ajouté après coup.
Fr. Lenormant, signalant et décrivant ce bas-relief, s'est contenté de dire que le travail n'en est pas très fin, mais que dans l'ensemble, dans le rendu des draperies, dans le mouvement et la disposition des figures, il révèle la main d'un artiste habile de la bonne époque. Nous dirons quelque chose de plus, et nous répéterons ce que nous avons écrit ailleurs de ce monument, dont la valeur nous semble jusqu'ici avoir été méconnue. Devant Procléidès, fils de .atos, vieillard à longue barbe, à longs cheveux, le torse nu, assis sur une chaise dans une attitude familière, son fils Proclès est debout lui tendant la main.
C'est un soldat revêtu de sa cuirasse, et tenant le fourreau de son épée; son corps est robuste et bien musclé, sa tête énergique et belle dans la sobriété de ses lignes, dans la simplicité de ses cheveux et de sa barbe; il abaisse un regard tranquille vers son père, tandis que par derrière, Archippé, fille de Mégaclès, femme et mère des deux héros, d'une maturité un peu lourde, mais très digne de matrone, écartant d'une main son voile, ramenant de l'autre son manteau contre sa taille, complète ce reposant tableau d'une famille unie dans la mort comme elle le fut sans doute dans la vie. Il est difficile, par malheur, d'exprimer la profondeur du sentiment religieux qui anime ce groupe, donnant aux trois visages une sérénité majestueuse. Sans doute on peut relever dans cette œuvre bien des défaillances du ciseau, quel-
ques fautes contre l'anatomie, comme à la main de Proclès, et des mollesses, comme à la poitrine de Procleidès et au bras d'Archippé; mais que sont:ces faiblesses, rachetées et bien au-delà par l'inspiration et l'impression profonde d'idéal?
Bibliographie. — Fr. Lenormant, Monographie de la voie sacrée éleusinienne, p. 119. —Pervanoglu, Bullettino dell"Instituto, 1861, p. 140. - Kekulé, die Bildverke im Theseion, no 401. — P. Paris, La Sulpture antique, p. 246, fig. 127. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 1050. — Pour l'inscription, voy. C. I. G., no, 560.
P. P.
184. — Fragment de vase funéraire. Scène d'adieux.
Ce vase à une seule anse (lécythe), qui se trouve au Musée national d'Athènes, provient du Pirée où il a été trouvé en 1837.
On sait que les Attiques ont souvent donné aux stèles funéraires la forme d'un vase, coutume qui s'explique par ce fait que les amphores servaient dans les cérémonies funèbres; on fut ainsi conduit à les dessiner d'abord sur les stèles, sans aucune adjonction, puis à dresser sur la tombe de véritables" amphores de marbre. Il est dès lors arrivé fréquemment qu'un bas-relief, comme c'est ici le cas, fût sculpté sur la panse.
Nous reconnaissons ici une touchante scène d'adieux. Une femme, que l'artiste a placée de telle manière qu'elle pût parler à la fois à tous les assistants, est assise sur une chaise élevée; elle s'appuie du bras gauche sur le dossier, et se retourne à demi pour converser avec un grand jeune homme, debout derrière elle, tandis qu'elle serre la main d'un vieillard qui semble de la main gauche faire un geste de prière ou d'adoration. Le groupe est complété à gauche par un quatrième personnage, dont le torse est à demi-nu, et qui a posé sa main droite sur sa hanche, tandis qu'il gesticule de la main gauche.
La scène est vive et bien composée; la femme assise est surtout librement posée et dessinée; le bas-relief a un certain mérite de groupement et de style qui tranche sur la médiocrité des monuments funéraires de cette époque.
Bibliograhie. — Kekulé, die Bildwsrhe im Thesion, no 51. - Wolters, Gipsalgüsse zu Berlin, no 1083.
P. P.
185. — Vase funéraire de Myrrhine.
Ce vase de marbre massif, en forme de lécythe, dont la panse est décorée d'un bas-relief, a été trouvé, vers 1875, à Athènes, et appartenait à cette époque à M. Piat, architecte français, établi dans cette ville.
Le bas-relief représente quatre personnages. A droite, Myrrhine, une jeune femme vêtue de la chiton et de l'himation formant voile sur la tête. Elle marche vers la gauche, la tête baissée, retenant à la taille les plis de son manteau avec sa main droite, et donnant la main gauche à un personnage qui l'entraîne. C'est Hermès, reconnaissable à ses talons ailés ; ce dieu porte la chlamyde attachée sur l'épaule droite ; c'est son seul vêtement. Il s'avance à grands pas, se retournant à demi pour regarder Myrrhine; sa main droite pend, légèrement écartée de son corps; elle tenait le caducée. A gauche, est un groupe de trois personnes, d'abord un vieillard barbu qui regarde Myrrhine et semble lui parler en faisant un geste de la main droite, puis un jeune homme qui s'appuie du coude gauche sur un pilier, enfin, par derrière, une jeune femme, sans doute, dont on ne voit que la tête.
On a discuté sur le sens de ce tableau. M. Ravaisson veut y voir une scène de réunion. « Myrrhine, dit-il, est une jeune femme que le dieu qui avait la fonction de conduire les âmes aux enfers y mène joindre ses proches dans un séjour de bonheur ». Il propose de donner à ce tableau, et aux tableaux du même genre, le nom de Scène de réunion dans l'Elysée, ou, si l'on veut, Scène élyséenne de famille. D'autres, M. P. Wolters, par exemple, ne voient là qu'une scène d'adieux.
C'est à cette opinion que nous nous rangeons de préférence. Seulement, nous devons bien noter ici la présence d'Hermès Psychopompe ; l'intervention de ce dieu semble prouver que le sculpteur du vase de Myrrhine, comme les auteurs des bas-reliefs nos 191 ou 193, a voulu réunir deux scènes funéraires qui, d'ordinaire, étaient représentées séparément, et dont une seule suffisait à une stèle, l'adieu, et le départ du mort sous la conduite d'Hermès. On pourrait aussi dire, plus simplement, que le sculpteur a introduit Hermès dans ce tableau par une simple convention, afin de rendre la séparation plus touchante en en montrant, par un symbole vivant, la rigueur et l'éternité.
Quoi qu'il en soit, le vase de Myrrhine a une haute valeur artistique.
Il y a certes bien des défauts dans l'exécution qui est rapide et un peu
lâchée; les corps sont dessinés et modelés avec mollesse; les visages ont trop souvent les traits obtus et sans caractère. Mais ces taches, qu'il ne faut pas dissimuler, sont bien largement compensées par les mérites de l'ensemble. Il y a de la vie et du mouvement dans le groupe, surtout dans les figures d'Hermès et de Myrrhine; il y a surtout répandu sur l'ensemble un sentiment bien profond et bien juste de mélancolie douloureuse. Ou songe, à la vue de ce petit tableau, au bas-relief si touchant et si poétique d'Orphée, Eurydice et Hermès (n° 173); celui-ci soutient presque la comparaison, et c'est là un éloge qui a beaucoup de prix.
Bibliographie. — F. Ravaisson, Vase funéraire attique, Gazette archéol., 1875, p. 21-25, 41-61, pl. VII. — L. Mitchell, Hist. of Ancient Sculpture, flg. 190. - V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 259. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, no 1081.
P. P.
186. Stèle de Diphilos.
L'inscription métrique gravée au bas de la stèle nous apprend que ce bas-relief décorait le tombeau d'un certain Diphilos : 2<5p.oc p.v £ V0ocS X.Et cov, Ai'cpiÀe, '(och 0CCV6VTOÇ, Mv':¡¡fJ.oc Se 57] Ç £ Àl7T £ Ç 7T0C51 8lXat05UV7]Ç.
Il faut donc reconnaître Diphilos dans le personnage debout à gauche et dont le corps a été perdu jusqu'à la taille. Diphilos donne la main à une femme, sans doute sa femme, qui est assise devant lui sur un escabeau. Derrière ce groupe se tient un veillard, dans une attitude de douleur, le menton appuyé sur sa main; il nous semble que l'on doit, de toute nécessité, admettre qu'il soutenait sur un bâton — figuré en couleur — son corps dont l'équilibre ne peut être rétabli que de cette manière. On sait que les représentations d'hommes penchés sur une longue canne dont l'extrémité supérieure est engagée sous l'aisselle sont assez fréquentes.
Le principal intérêt de la stèle de Diphilos est de nous montrer que sur les stèles funéraires, alors qu'est représenté un personnage assis, celui-là n'est pas toujours le défunt. La scène est bien connue ; c'est la scène des adieux.
Du reste, la valeur artistique du fragment est plus que médiocre,
malgré l'expression assez juste de tristesse que produisent l'attitude et le visage des personnages.
Le marbre a été trouvé au Pirée, en 1837, et appartient au Musée national d'Athènes.
Bibliographie. — Le Bas, Voy. archéol., Monuments figurés, pl. 63. — Kekulé, die Bildwerke im Theseion, no 224. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, nO 1036.
P. P.
187. Stèle d'Euthydéa, fille de Diogénès.
La scène que représente ce petit bas-relief du Musée du Louvre est encore la scène des adieux. Comme la précédente, elle comporte trois personnages groupés dans une sedicule. A gauche, c'est une femme debout, écartant de sa tête, par un geste gracieux, les plis de son himation, et donnant la main, en signe d'adieu, à une autre jeune femme assise sur un escabeau. Derrière la chaise, et faisant un geste amical à Euthydéa — si c'est bien elle qu'il faut reconnaître à gau- che — se tient debout, peut-être appuyé sur un bâton, un grand vieillard étroitement enveloppé dans son ample manteau.
Le style n'a rien de remarquable ni en bien ni en mal; la stèle a cette demi-élégance banale qui caractérise les ateliers attiques du IVe siècle.
188.— Stèle d'Hégéso, fille de Proxénos ( tH ')'"1jO'cb IIpoSjÉvou).
Cet important bas-relief funéraire est encore à la place où on l'avait érigé, sur une base en pierre poreuse, et où on l'a découvert en 1870, au cimetière de la Porte Dipyle.
Hégéso, fille de Proxénos, est assise sur une légère chaise milésienne, dans une sedicule à forme de temple ; vêtue de fines draperies qui se moulent aux contours de son corps jeune et gracieux, élégamment coiffée de bandelettes et d'une étoffe qui enserre ses cheveux sur la nuque, parée d'un voile subtil qui pend sur son épaule droite, elle tient de la main droite et contemple un objet qu'elle a retiré d'un coffret posé sur ses genoux. Devant elle, debout et tenant encore de la t -
main droite le coffret qu'elle vient d'apporter, se tient une jeune fille que son costume désigne comme une esclave. Ses cheveux sont entièrement emprisonnés dans un bonnet ; elle porte une longue robe à manches et sans ceinture, et ses pieds disparaissent dans de grossiers chaussons. Ces vêtements, plus que modestes, font ressortir la richesse et l'élégance d'Hégéso ; mais plus intéressante encore que la beauté des draperies, est l'expression de la jeune femme, dont le visage grave et doux semble illuminé d'un rayon d'outre-tombe. Hégéso n'est pas représentée, comme on pourrait songer à le soutenir, sous l'apparence d'une morte héroïsée ; la scène se passe non pas aux enfers, mais sur la terre; c'est un simple tableau de la vie familière, une scène de toilette où les personnages sont des vivants; mais le sculpteur a su néanmoins nous faire songer à la béatitude des Champs-Elysées. Ce caractère donne une valeur singulière à la stèle d'Hégéso; si l'on ajoute que, malgré des fautes parfois assez grossières de dessin et de modelé — notons la main droite qui se retourne dans un mouvement trop brusque et se brise — l'exécution vaut la composition; que les plis de l'himation et de la chiton nous rappellent la frise des Panathénées ou les fragments du temple de la Victoire Aptère, on comprendra que la stèle d'Hégéso mérite une place de choix dans la série des bas-reliefs funéraires attiques du commencement du ive siècle.
Bibliographie. — Arch. Zeitung, 1871, pl. 3, p. 19. — Gazette des Beaux-Arts, 2e pér., XI, p. 420. — L. Mitchell, History of greek Sculpture, fig. 212. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 126. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, n° 1030.
P. P.
189. — Stèle d'Ameinocléia, fille d'Androménès.
Le bas-relief a été trouvé en 1836 au Pirée, mais il appartient au Musée national d'Athènes; l'inscription gravée sur une plate-bande de l'sedicule en forme de temple où sont groupés les personnages, indique que le monument a été érigé en souvenir d'Ameinocléia, fille d'Androménès.
La jeune femme est occupée à sa toilette. Debout à droite, vêtue d'une longue tunique talaire sans manches et d'un ample manteau qui remonte jusque sur sa tête et forme voile, elle avance son pied gauche
pour qu'une jeune esclave, agenouillée devant elle, noue les liens de la sandale. Au second plan, en face d'Ameinocléia, se tient une autre jeune femme qui porte une cassette. Cette dernière est probablement une parente d'Ameinocléia, si l'on en juge par son riche costume, semblable à celui du personnage principal, sauf que l'himation n'a pas été ramené sur sa tête. La jeune esclave, comme celle du bas-relief d'Hégéso, est vêtue d'une longue robe à manches, serrée à la taille; ses cheveux sont enfermés dans un bonnet, ses pieds perdus dans d'informes chaussons.
La composition du tableau est charmante de noblesse simple et de grâce familière. Ameinocléia, le visage penché vers son humble servante, et la main posée sur sa tête avec un geste caressant, la jeune esclave à genoux, occupée sans être triviale à son devoir vulgaire, forment un groupe où se révèle dans toute sa pureté le goût impeccable des Attiques. Mais ce qu'il faut surtout admirer, c'est l'expression des trois personnages, et l'harmonie parfaite des lignes des corps et des attitudes avec les sentiments empreints sur les visages. Ameinocléia, sous ses voiles, et malgré la mutilation de son nez, semble idéalisée par la mort prochaine, et s'attendrit, croirait-on, à la vue de son esclave préférée qu'elle va perdre ; celle-ci prend, à la pensée de la mort de sa maîtresse, une gravité qui relève sa condition médiocre, et la jeune femme au coffret est l'image de la douleur profonde et grave, dont l'espoir cependant vient tempérer la rigueur. Qu'importent, dès lors, certains défauts de facture, quelque mollesse indécise dans les contours des corps un peu empâtés, quelques lourdeurs dans les draperies, dont les plis sont d'ailleurs abondants et riches, fouillés avec un soin très sobre? Il est cependant une faute que nous devons signaler, car elle est grossière et vraiment bizarre : la jambe de la jeune femme debout à gauche, par une négligence impardonnable, ou n'existe pas depuis le genou, ou pénètre dans le dos de la petite esclave; sans doute le sculpteur, qui n'a pas su donner au personnage d'arrière-plan l'épaisseur de relief convenable, a eu recours à ce procédé malheureux pour n'être pas forcé de donner à l'esclave une saillie qui l'eût projetée, pour ainsi dire, hors de la stèle.
Bibliographie. - Le Bas, Voyage archéologique, Monuments figurés, pl. 65.
— Kekulé, die Bildwerke im Theseion, no 149. — L. Mitchell, Hist. of ancient Sculpture, fig. 211. — Wolters, Gipsabgüsse zu Bedin, no f032.
P. P.
190. — Stèle d'Eutamia (Musée d'Athènes).
Cette petite stèle, qui représente une scène de toilette et au-dessus un chien, malgré ses petites dimensions et le prix modique qu'elle a dû coûter aux parents d'Eutamia, a de vrais mérites d'exécution rapide et élégante; c'est une œuvre modeste, mais qui donne une idée bien juste du goût qu'avait développé chez les plus humbles marbriers d'Athènes l'influence de Phidias et des grands sculpteurs classiques.
Eutamia, assise sur une chaise, parée de ces amples et sévères draperies dont les Attiques, au ive siècle, ont aimé à vêtir les mortes idéalisées, se prépare à recevoir quelque objet de toilette des mains d'une petite fille habillée comme une esclave, qui devant elle porte un coffret. C'est là une représentation banale que relève seulement la valeur du relief. Mais ce qui est exceptionnel, c'est l'image du chien qui court au-dessus de la tête d'Eutamia, dans une partie réservée de la stèle. Ce chien symbolise peut-être la fidélité conjugale d'Eutamia, ou son dévouement maternel ; peut-être traduit-il ingénieusement le sens du mot Eutamia, sage et prudente ménagère.
Bibliographie. - Le Bas, Voy. Archéol., Monuments figurés, pl. 73. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1029.
P. P.
191. — Stèle de Selinô, Nikô et Mynnaké.
« Une femme majestueuse, vêtue d'une tunique talaire et d'un himation, la tête couverte d'un voile, est assise sur une chaise et pose les pieds sur un tabouret; de la main droite elle prend la main d'une autre femme debout devant elle, de la main gauche elle tient un miroir dans lequel elle se contemple. La femme debout porte également une tunique talaire et par dessus un himalion, et tient sur le bras gauche un enfant. La technique est assez libre, surtout dans les plis des vêtements. Au-dessus des figures sont inscrits les noms EÀtVw, Ntxw, MuvvaxiQ ».
La stèle, trouvée près d'Athènes, a fait partie de la collection réunie autrefois au Lycée du Varvakeion.
Bibliographie. — Nous avons traduit ces lignes d'un catalogue grec de M. Myltmas, Bull. de Corresp. hellén., III, p. 356, no 8. — Cf. Wolters, Gipsabgilsse su Berlin, no i033. P. P.
192. - Bas-relief funéraire dit La mort de Socrate.
- Par les mérites de la composition et de la facture, cette stèle est l'une des plus précieuses que nous ait livrées l'art industriel de l'Attique, à l'époque où il subissait l'influence de Phidias. Elle a été découverte au Pirée en 1838 et se trouve au Musée national d'Athènes.
Un homme barbu, le torse nu, est à-demi couché sur un lit; il s'appuie du coude gauche sur des coussins; de sa main droite étendue il tient une patère. Devant lui, sur une chaise à pieds tournés, une femme vêtue d'amples draperies est assise, les pieds posés sur un tabouret; .elle étend les. deux mains vers le personnage couché.
Derrière elle est debout, se présentant de face, un jeune esclave absolument nu qui se dispose à plonger une œnochoé dans un vaste cratère placé à sa droite. Enfin, au chevet du lit se tient un homme de taille médiocre, plié dans son himation, et sous le lit, un chien familier, le cou ceint d'un collier, est allongé, la tête posée sur ses pattes de devant, dans l'attitude bien connue d'un chien qui ronge un os.
La scène est très nettement indiquée, mais l'interprétation n'en est pas pour cela très facile. On songe d'abord à un repas funèbre; mais la chose est difficile à admettre, car à ce repas il manquerait avant 'tout la table et les mets. D'ailleurs, si, dans les représentations très nombreuses de repas funèbres, le mort apparaît d'ordinaire dans une demi-nudité conventionnelle, les assistants, représentés comme des vivants, sont vêtus, tandis que dans notre bas-relief le jeune esclave est absolument nu. Il semble alors plus naturel de voir dans ce tableau une scène d'offrande ; le mort est figuré comme un homme héroïsé, tel que la croyance populaire se le représentait vivant aux enfers; et sa femme avec un parent, peut-être son fils, lui offrent le vin qu'il recevra dans sa patère et dont il fera une libation. Mais nous ne nous dissimulons pas que cette interprétation prête à la critique, et nous serions alors tout simplement d'avis que nous avons ici un banquet funèbre simplifié. Pour rendre son sujet moins compliqué et se permettre d'y déployer un goût plus délicat et plus pur, le sculpteur a réduit le banquet à n'être plus qu'une libation funèbre; il a résumé et symbolisé le repas en un court et significatif épisode. La présence du chien familier couché sous le lit de parade peut donner du poids à cette hypothèse.
Du reste, si l'auteur de ce bas-relief a fait ce calcul, il a fait preuve
d'intelligence, et le succès a couronné son effort. On s'en rendra facilement compte si l'on compare la stèle du Pirée aux stèles cataloguées sous les numéros suivants, et qui n'ont plus qu'une valeur archéologique. Ici, l'on a vraiment le droit de parler d'art, puisque la composition a un grand mérite de simplicité et de goût, puisque les parties nues, sans étalage de science inutile, sont traitées avec précision et vérité, puisque les draperies s'étoffent en plis harmonieux et riches.
Nous ignorons pour quelle cause on a quelquefois donné à ce basrelief le nom de La mort de Socrate.
Bibliographie. — Le Bas, Voyage archéologique, Monuments figurés, pl. 52. —
L. Mitchell, History of ancient Sculpture, fig. 214. — V. Duruy, Rist. des Grecs, II, p. 668. — Roscher, Ausfûhrl. Lexicon der Mythol., p. 2574 (art. Héros). — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 123. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1052.
P. P.
193. — Repas funèbre et scène d'offrande.
Ce petit bas-relief provient du Pirée où il a été trouvé en 1830. (Conservé aujourd'hui au Musée national d'Athènes).
Malgré les petites dimensions du marbre, onze personnages et trois animaux sont représentés. On peut séparer le tableau en deux parties : à droite, sur un lit de parade, deux hommes sont couchés, le torse nu, et une femme, vêtue de la tunique talaire et du grand manteau, est assise. Le personnage du milieu, à demi-relevé sur le coude gauche, soutient d'une main un vase creux en forme de bol, de l'autre élève un rhyton à tête de bélier; son compagnon et sa compagne prennent des mets parmi ceux que supporte — ils sont assez indistincts — une table placée devant eux. Sous la table s'enroule un serpent qui dresse la tête. A gauche de ce groupe est un petit autel derrière lequel se tient un serviteur, le corps nu, la main droite levée, et vers l'autel s'avance une famille composée de quatre personnes, - probablement deux hommes et deux femmes voilées, et trois enfants dont l'un, de taille un peu plus élevée que les autres, conduit un porc vers l'autel.
Enfin, au-dessus de ce groupe d'adorants s'ouvre une fenêtre dans le champ de laquelle se découpe le profil d'une tête de cheval.
Cette scène compliquée peut donner lieu à plus d'une interprétation. En général on veut y voir un sacrifice et des offrandes à une famille de morts héroïsés, sacrifice d'un porc, offrande de mets sym-
boliques, cônes et pyramides par exemple. Mais nous pensons plutôt .que, comme dans le bas-relief n° 194, il y a ici juxtaposition de deux scènes que les sculpteurs populaires aimaient à retracer sur les stèles sépulcrales, mais dont l'une, d'ordinaire, leur paraissait suffisante : le banquet et le sacrifice funèbre. Le fait que l'un des personnages représentés est en train de boire, et que les deux autres sont en train de manger ne s'accorde guère, croyons-nous, avec l'idée d'une offrande de vin et de nourriture, car, dans ce cas, il serait beaucoup plus naturel de représenter les coupes et les mets aux mains des offrants. Nulle part la convention ne pouvait trouver une place plus légitime que sur les stèles funéraires, et nous sommes d'avis que le sculpteur s'en est ici servi avec pleine licence. Il a joint sans scrupule les morts demi-nus et leur serviteur nu, dans cette liberté de costume qui convient aux héros dans le séjour idéal des enfers, à côté de cette famille que son costume, son attitude et son action désignent comme une famille bien vivante, car il n'avait d'autre intention que de représenter des scènes funéraires; il a, dans le même espace restreint, sculpté le serpent, emblème de la terre qui reçoit les défunts en son sein, symbole des antiques divinités chthoniennes, le serpent, compagnon naturel des morts héroïsés, et le cheval, cet ami, ce serviteur fidèle des humains dans leur vie terrestre; et ces alliances, ce voisijiage de représentations distinctes, étrangères même l'une à l'autre, ne lui ont point semblé bizarres.
Mais nous devons noter que cet effort n'a pas été heureux; si le groupe de droite est assez habilement disposé, si les personnages sont assez hien dessinés et construits et sont vivants, ceux de gauche, petits, entassés, presqu'informes, dénotent une main malhabile, un esprit qui a voulu trop embrasser et a mal étreint.
Bibliographie. — Le Bas, Voyage archéologique, Monuments figurés, pl. 55. —
Cf. Stéphani, Der ausruhende Herakles, pl. 3, 1. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 121. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1058.
P. P.
194. - Repas funèbre et scène d'offrande.
Dans une sedicule, un homme demi-nu est à demi-couché sur un lit que recouvrent d'amples étoffes ; il élève un rhyton de la main droite et tient une coupe de la main gauche, tandis qu'un jeune esclave nu, que
l'on voit de dos, va lui verser à boire; il a à cet effet rempli, dans un cratère posé par terre à sa gauche, une œnochoé qu'il élève en l'air.
Ce personnage fait saillie sur le pilastre même de l'aedicule. Au pied du lit est assise une femme vêtue de la tunique talaire et de l'himation; elle tient à la main gauche un objet cubique, sans doute quelque mets pris sur la table qui est dressée devant le lit et où sont placés des gâteaux de diverses formes. Toute la partie gauche du tableau est occupée par un groupe de sept personnes : d'abord un homme barbu qui porte avec un geste d'offrande un fruit de forme ronde (?); puis deux femmes, la première un peu plus grande que l'autre et voilée; derrière elles marche un homme (?) qui porte sur la tête une corbeille et, par conséquent, doit être de condition servile; enfin, devant les trois derniers personnages, sont sculptés trois petits enfants étroitement serrés dans de grands manteaux. Au-dessus de ce groupe on aperçoit, par une fenêtre, une tête de cheval.
Il nous paraît évident que cette scène est la même que celle qui est représentée sur la stèle précédente; c'est la réunion de deux épisodes distincts, le banquet funèbre et l'offrande des vivants aux morts héroïsés. Seulement le sculpteur a été ici plus simple : il a supprimé l'autel et le porc qui devait servir de victime, ainsi que le serpent symbolique. Notons que le personnage principal, le héros couché, a la tête parée du modius, cette sorte de couronne que les sculpteurs donnent souvent à Zeus ou à Pluton. Il serait possible que le défunt fût représenté, par une convention facile à expliquer, sous les traits ordinaires du dieu infernal.
L'exécution de ce bas-relief est extrêmement mauvaise ; les personnages sont maladroitement dessinés et modelés; l'œuvre est d'une très humble catégorie, mais elle a son importance à titre de document.
La stèle a été trouvée au Pirée. (Musée national d'Athènes.) Bibliographie. - Le Bas, Voy. archéol., Monuments figurés, pl. 54. — Stéphani, Der ausruhende Herakles, pl. 3, 1. — Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, no 1059.
P. P.
195. — Bas-relief funéraire. La barque de Charon.
En 1863, on trouva ce monument encore en place, dans les fouilles duDipylon.
L'interprétation de ce bas-relief est embarrassante pour les archéologues. On y voit deux hommes barbus couchés, dont l'un tient à la main gauche une coupe et donne à l'autre la main droite; ce dernier s'appuie sur le coude gauche en regardant son compagnon. Devant eux est .une table basse, assez mal dessinée d'ailleurs, et d'une perspective douteuse, sur laquelle s'entassent des cônes et des pyramides, mets symboliques souvent figurés dans les banquets funèbres, et parmi lesquels on croit distinguer une grappe de raisin. Enfin, à droite et à gauche des deux personnages sont deux femmes : l'une, de sa main droite élevée, écartait sans doute son voile, tandis que sa main gauche repose sur ses genoux; l'autre presse de la main droite le bras de l'homme placé près d'elle et, de la main gauche, lui caresse l'épaule. C'est là une représentation de repas funéraire qui n'est point rare et n'a rien d'exceptionnel. Mais la scène se complique, à gauche, d'un cinquième personnage, un homme barbu, vêtu d'une tunique et d'un manteau court, qui est assis dans une barque et s'est avancé, sur un fleuve dont les ondes sont clairement sculptées, jusqu'aux pieds-des personnages couchés; sa main droite repose sur son genou, sa main gauche se lève avec un geste familier.
La présence de cette barque et de son rameur sont - ici assez bizarres. On songe tout naturellement à Charon, le nocher infernal, qui est si souvent représenté, par exemple, sur les lécythes blancs attiques à représentations funéraires. Mais à quel titre le faire intervenir au milieu du banquet, scène qui, dans la série des images funèbres, est bien antérieure au passage du Styx et n'a aucun rapport avec ce dernier? La difficulté a paru assez grave pour que l'on ait tenté de reconnaître, dans l'homme de la barque, un membre de la famille des défunts groupés autour de la table, un parent qui aurait exercé le métier de marin ou de rameur. Cela est ingénieux, mais inadmissible, étant donné que les autres personnages sont représentés d'une façon toute conventionnelle, sans la moindre allusion à leur métier terrestre.
';Nous croyons, avec de fortes autorités, qu'il faut tout simplement admettre que le sculpteur a voulu grouper, pour frapper plus forte-
ment l'esprit du spectateur, deux scènes allégoriques dont une seule eeit d'ailleurs suffi pour préciser le sens et la valeur du bas-relief.
C'est une simple juxtaposition conventionnelle de deux symboles bien distincts et de deux tableaux entre lesquels on choisissait d'ordinaire.
C'est, du reste, le seul intérêt de ce grand bas-relief; malgré sa date — les circonstances de sa découverte le font contemporain des stèles de Déxiléos ou d'Hégéso — il est d'un art très grossier, massif, informe. Les personnages sont comme soufflés ou appesantis de graisse lourde ; on peut à peine distinguer les hommes des femmes, et ils sont tous réunis, ou plutôt entassés dans un espace où ils étouffent.
Bibliographie. — Salinas, Monumenti sepolcrali, tab. I, L ; IV, B. — Rusopulos, Bullettino dell' Institulo, 1863, p. 170, 9. — F. Lenormant, La voie sacrée éleusi- nienne, p. 98 et s. — Carl Curtius, Arch. Zeitung, 1871, p. 18. — Pottier, Les Lécythes blancs à représentations funéraires, p. 48, note 1. — P. Wolters, Gipsabgilsse su Berlin, no 1057. p. P.
*
196. — Stèle funéraire dite : Le petit cavalier du Vatican.
Ce petit bas-relief est très intéressant, et par son style, et par l'enseignement archéologique qu'il comporte.
Nous y voyons un jeune cavalier qui fait cabrer son cheval au-dessus d'un petit autel derrière lequel se tient un personnage drapé, un jeune homme dans l'attitude de l'adoration. La scène est donc bien nette : nous assistons aux dévotions d'un vivant en l'honneur d'un mort héroïsé, et ce héros est ici représenté sous la figure la plus noble et la plus poétiqne, car dompter un cheval fougueux était une des plus chères et des plus brillantes occupations des jeunes Athéniens. On sait combien de fois les morts apparaissent, par exemple dans les peintures de vases, accompagnés de leur cheval.
Mais le bas-relief a surtout de la valeur parce que le cheval et le cavalier sont copiés, on peut le dire, sur la frise des Panathénées. Le jeune homme a le même costume, chlamyde flottante, pétase, bottes à revers, et la même attitude que les cavaliers de la procession de Phidias; le cheval a la même forme et la même allure que les chevaux du Parthénon.
Le sculpteur a su d'ailleurs rendre quelques-unes des qualités de l'original, ce qui n'est pas un mince mérite, et a donné au cavalier comme à la monture de la souplesse, de l'élégance et de la vie.
P. P.
197. — Stèle de Lisas.
Cette stèle a été trouvée vers 1875 dans la propriété du Roi de Grèce, à Tatoï, sur l'emplacement de l'ancienne Décélie.
L'inscription, gravée en fort beaux caractères sur le fronton orné d'acrotères qui surmonte le bas-relief, indique que le personnage représenté est un certain Lisas, originaire de Tegée (Afoa; TeysdtTYiç). « Le mouvement de la figure, dit M. Pottier qui a publié la stèle, est plein de vivacité et de naturel. Un guerrier barbu, coiffé d'un bonnet conique, vêtu d'une courte tunique qui laisse à nu l'épaule droite et le torse, est tourné, vers la droite, dans l'attitude de l'attaque. Si l'on restaure par le dessin le bas de la stèle qui est brisée, on voit que le pied droit est placé à un niveau inférieur à celui du pied gauche qui est peut-être placé sur une pierre ou sur une petite élévation.
Le personnage est solidement posé sur les deux jambes écartées, le corps penché en avant, le bras gauche passé dans la courroie d'un bouclier ovale, le bras droit replié à la hauteur du sein, et l'index de la main allongé. L'exécution est excellente dans les parties hautes de la figure; les traits sont fins sans manquer d'énergie; toute la physionomie marque une attention soutenue qui se porte sur un point éloigné ; le torse nu et le bras droit sont modelés avec un soin qui rachète les imperfections visibles dans les parties inférieures, notamment dans la jambe et le pied gauche ».
Malgré l'heureuse conservation de ce bas-relief, on ne se rend pas très nettement compte du geste de Lisas. On peut songer à lui mettre à la main droite une épée ou une fronde; mais M. Pottier combat et repousse ces deux hypothèses, et bien qu'aucun texte d'auteur ni aucun monument figuré n'attribue aux archers le bouclier comme arme défensive, il est d'avis que le guerrier tégéate est bien un archer.
Dans cette hypothèse seulement l'attitude et le geste du personnage sont naturels ; l'arc, d'ailleurs, était figuré par la peinture.
Avec M. Wolters, nous nous rallions volontiers à cette interprétation, ajoutant que le bouclier était sans doute un détail caractéristique de l'armure des archers tégéates.
M. Pottier attribue la stèle à la fin du IVe siècle; il nous semble qu'on doive en reculer la date; la forme des lettres de l'inscription ne s'y oppose pas, et nous croyons retrouver dans la liberté et l'élégance du dessin, comme dans la sobriété du modelé, les qualités de l'art indus-
triel attique alors qu'il subissait, peut-être sans en avoir bien conscience, l'influence de Phidias et des sculptures du Parthénon.
Bibliographie. — E. Pottier, Bull, de Corresp. hellén., 1880, p. 408 (Un guerrier tégéate), pl. vu. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 18. — Wolters, Gipsabgüsse zn Berlin, no 1007.
P. P.
198. — Stèle de Sosinos de Gortyne (Musée du Louvre).
Sosinos, originaire de Gortyne en Crète, était, comme le dit l'inscription gravée sur le fronton de l'aedicule où il est représenté, fondeur en métaux, yaXxo'7rTY)ç. Il est assis sur une chaise milésienne, le torse demi-nu, la main gauche appuyée sur un bâton. Son bras droit tombe naturellement le long de sa chaise, et soutient un objet rond et épais, où il faut reconnaître l'image de quelqu'objet de bronze, un disque ou un bouclier.
Sosinos, ayant le torse nu, est représenté comme un héros, et il faut noter le mélange de convention et de vérité de cette image. Le bas-relief a du reste de vrais mérites artistiques; l'épaule droite, la poitrine, le flanc sont modelés sobrement, avec force et justesse; les draperies sont riches dans leur simplicité. La tête, dont l'impression triste ne va pas sans noblesse, témoigne, par sa position qui permet de la voir de trois quarts, une recherche et un effort qui donnent une bonne idée du goût et du talent du sculpteur. La stèle de Sosinos sort de la banalité courante; on peut la rapprocher, en ce sens, de la stèle de Lisas (n° 197).
Une inscription métrique, gravée sur une plate-bande au-dessous du fronton de l'ædicule, rappelle les mérites du défunt : Mv^-CC 8tXGUO(7UV7]Ç G(OCppOCiUV7)Ç àp £ T7]Ç T £ Scoai.'vo(u) £ <7T7}<TaV 7TCa8 £ Ç à7T0Cp 6t[J. £ V0 (u).
Bibliographie. — Frœhner, Musées de France, pl. 9. — Pour l'inscription, voy.
Corp. Insc. Grxc., no 837.
P. P.
V. — PRAXITÈLE, SCOPAS, LYSIPPE.
199. — Hermès de Praxitèle.
Statue en marbre de Paros, trouvée le 8 mai 1877 dans les ruines du temple. d'Héra, à Olympie, au pied même du socle qui la portait.
Cette statue est assez mutilée; la partie inférieure des jambes et le bras droit manquent, et n'ont pu être retrouvés; l'enfant que le dieu porte sur ses bras n'a guère conservé d'intact que la tête. Cependant, tel qu'il est, ce groupe nous apparaît comme un chef-d'œuvre de premier ordre. Hermès, dieu jeune et vigoureux, porte aux Nymphes chargées de l'élever le petit Dionysos qui vient de naître ; il s'est arrêté en route, et déposant son manteau sur un tronc d'arbre, il y appuie son bras - qui porte l'enfant, tandis que, pour l'amuser ou l'apaiser sans doute, il lève de la main droite un objet que le jeune dieu paraît désirer bien vivement. Telle est l'interprétation la plus naturelle de ce groupe.
Avant la découverte de l'Hermès, on ne connaissait les œuvres de Praxitèle que par des copies plus ou moins exactes et d'exécution plus ou moins parfaite ; aussi certains archéologues avaient-ils conçu du génie de cet artiste une idée peu favorable, lui reprochant la mièvrerie, et Beulé, par exemple, l'accusait presque de n'avoir point su sculpter de satues viriles. Mais l'œuvre que nous avons sous les yeux, et dont l'authenticité est incontestable, infirme absolument cette opinion. En effet, malgré les mutilations que nous avons signalées, ce qui nous reste de la statue est parfaitement bien conservé, comme si un bon génie avait veillé sur ce précieux reste pour attester après plus de deux mille ans la gloire de Praxitèle. En l'étudiant en détail nous verrons ce qu'il y a d'original dans le génie de l'artiste.
Au lieu de planter le dieu droit sur ses jambes, comme l'eût fait Polyclète, Praxitèle lui donne une attitude pleine de grâce qui rompt la monotonie des lignes droites et parallèles qu'on peut remarquer dans le Doryphore; Hermès s'appuie sur le bras gauche; son corps ondule, offrant une ligne d'un galbe merveilleux. Ce n'est point un jeune homme efféminé que nous voyons, mais un adolescent dans la force de l'âge, robuste, vigoureux, qui s'exerce encore dans la pales-
tre, et s'est acquis ainsi ces belles proportions, cette harmonie de toutes les parties du corps. Le torse d'Hermès, admirablement modelé, a autant de force et de vigueur que le torse du Doryphore, mais il a de plus une élégance et une finesse qui le rendent supérieur.
Praxitèle n'a pas voulu sculpter un athlète, un lutteur, mais un beau jeune homme élégant autant que fort.
On a remarqué que le dos d'Hermès n'était pas terminé ; on y voit des stries, et le modelé est loin d'égaler celui de la poitrine. On a expliqué cette imperfection en disant que cette statue, qui n'était pas comptée par les anciens au nombre des plus célèbres de Praxitèle, destinée sans doute à s'appuyer contre une muraille, n'avait pas besoin d'être finie par derrière; de plus, l'œuvre immense du maître nous explique qu'il n'ait pas donné tous ses soins à parfaire de tous points les statues qu'il considérait comme de second ordre.
Par une fatalité fort regrettable, de toutes les statues de Phidias qui nous sont parvenues, aucune n'a de tête; d'autre part, comme nous n'avons pas de statue de Polyclète ni de Myron, du moins de statue authentique, nous sommes réduits à ne juger que par à peu près le type que ces maîtres avaient créé; mais nous sommes plus heureux avec Praxitèle, caria tête d'Hermès est entière et admirablement conservée, et il suffit de la regarder pour en saisir toute la perfection et l'originalité. On a maintes fois étudié et décrit le front court et bombé, les yeux grands et bien fendus, le sourire gracieux des lèvres minces, la fossette du menton, les mèches courtes et bouclées de la chevelure ; on a montré comment ce type nouveau, malgré tout ce qu'il a de particuler et de conventionnel, a séduit les contemporains et les successeurs de Praxitèle, qui ont aimé à l'adopter.
Nous ne voulons pas maintenant nous attarder à discuter si le dieu levait dans la main droite une grappe de raisin ou des crotales, si de la main gauche il tenait son caducée; ces deux opinions sont vraisemblables, mais rien de plus. Cependant il est une question d'un intérêt tout artistique : que regarde Hermès? En effet, si l'on suit la ligne de ses yeux, on voit que le dieu ne regarde point son jeune frère, mais il semble plutôt que son attention soit distraite, et que son regard erre vaguement et sans se fixer. On a cherché à ce fait des explications plus ou moins érudites ou bizarres; notre avis est tout simplement que si Hermès avait regardé Dionysos il aurait dû baisser la tête par un mouvement très accentué qui aurait détruit l'harmonie des lignes et produit un effet désagréable; en inclinant seulement la
tête, il nous donne l'illusion de regarder Dionysos et cette illusion suffit.
Quant au petit Dionysos lui-même, il est trop mutilé pour que nous puissions le juger en pleine connaissance de cause, et voir si Praxitèle savait mieux que ses compatriotes sculpter ces petits corps de nourrissons, encore trop peu formés, ces chairs tendres et potelées que le ciseau rend difficilement. Du moins la tête du petit dieu, éclairée de malice et de gourmandise, est finement jolie, et le torse qui se tend et se dresse dans un gracieux mouvement de désir, trop précis peutêtre dans ses lignes, est d'un charmant effet.
Les draperies sont traitées avec beaucoup de soin et de science; elles tombent naturellement en plis harmonieux. Elles n'ont d'égales ou peut-être de supérieures que les draperies de Phidias ou celles des INikés du temple de la Victoire Aptère.
L'Hermès est donc, de l'avis commun, un chef-d'œuvre merveilleux; on ne peut lui comparer que le célèbre torse de l'Ilissus, et il nous semble qu'entre les deux il est difficile de donner la préférence. Aussi, quand on voit Pausanias se contenter de citer en passant la statue d'Olympie comme une œuvre indifférente (V, 17, 3), on regrette vivement la perte de ces chefs-d'œuvre dont l'antiquité ne nous a laissé que le nom ou des copies douteuses, le Satyre de la rue des Trépieds, l'Éros, ou l'Aphrodite de Cnide.
Bibliographie. — Ausgrabungen zu Olympia, III, pl. 6-9; V, pl. 7-10. —
A. Bœtticher, Olympia, pl. X. — Laloux et Monceaux, La Restauration d'Olympie, pl. hors texte, p. 107. — Overbeck, Griech. Plastik, 1 (planche hors texte, avant le titre). - Murray, Ilist. of greek Sculpture, II, pl. 20. — L. Mitchell, Hist. of ancient Sculpture, fig. 192 et fig. 193 (restitution de Schaper). — Grtittner, Neue Aufstellung des Hernies von Praxiteles. — H. Brunn, der Hermes von Praxiteles (s. 1. n. d.). —
V. Duruy, Ilist. des Grecs, III, p. 71, 73. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 1291, 1292, 1293. -P. Paris, La Sculpture antique, fig. 144, 145. - Kekulé, Ueber den Kopf des Praxitelischen Hermes. S. Reinach, Rev. Archéol., 1888, p. 1, pl. I. — Wolters, Gipsabgilsse zu Berlin, no 1212. ROQUES.
200. — Apollon Sauroctone.
Statue en marbre de Paros, du Musée du Louvre. On la voyait auparavant à Rome, dans la villa des princes Borghèse, mais l'on ignore absolument la date de son entrée dans cette villa. Pour bien l'étudier, il est indispensable de rapprocher d'elle deux autres statues
qui représentent le même sujet, un petit bronze de la villa Albani et un marbre grec du Vatican. La statuette de la villa Albani n'a qu'un pied de haut; elle provient des fouilles que fit faire le cardinal Alessandro Albani dans une de ses vignes sise sur l'Aventin. La statue du Vatican est plus petite que la statue Borghèse du Louvre; elle a été trouvée seulement en 1777, sur le Mont Palatin, par le peintre écossais Gavin Hamilton.
Il n'est pas une de ces statues qui n'ait été restaurée. Pour notre marbre du Louvre, la tête est d'une conservation parfaite, mais l'on a dû restaurer la partie antérieure du bras droit, le bras gauche tout entier, et la tête du lézard. La comparaison de cette statue avec les deux autres qui lui sont apparentées nous prouve que le restaurateur de la villa Borghèse s'est trompé en refaisant le bras droit. En effet, dans le bronze Albani et le marbre du Vatican, cette partie du corps est antique, et l'on voit que l'avant-bras n'y est pas relevé comme dans la statue du Louvre, mais, au contraire, a une position horizontale.
Au reste, ces trois œuvres ne sont pas les seules répétitions d'un même type : il existe un très grand nombre de statues similaires en Angleterre, à Berlin, à Dresde, à Florence, à Rome. La même représentation se trouve aussi sur des pierres gravées. Cette abondance d'œuvres de tout genre, traitant le même sujet, ne peut que nous amener à conclure à l'existence d'un original très célèbre dont ces œuvres sont les copies.
Deux textes classiques significatifs, l'un de Pline l'Ancien, l'autre de Martial, nous font connaître cet original. Pline l'Ancien, parlant de Praxitèle, dit, dans son Histoire Naturelle (XXXIV, 19, 20) : « Fecit et » puberem Apollinem subrepenti Icicertae cominus sagitta insidian» tem, quem Salltoctonon vocant ». Cet Apollon qui, la flèche à la main, guette de près un lézard qui rampe vers lui, c'est bien exactement, à n'en pas douter, le sujet même des trois principales statues que nous avons rapprochées; et, d'une façon évidente, l'on peut affirmer que ces trois statues sont trois reproductions, plus ou moins bonnes, du chef-d'œuvre de Praxitèle appelé l'Apollon Sauroctone. Le texte de Martial est moins important que celui de Pline : au livre XIV, 170, nous lisons cette épigramme :
Sauroctonos Corinthius.
Ad te reptanli, puer insidiose, lacertae Paree; cupit digitis ilia perire tuis.
Ce quatorzième livre a pour titre àiro<pop7iT<*. On appelait ainsi les bibe lots qu'il était d'usage d'offrir aux amis à certaines fêtes ou à certains anniversaires. Il est probable que le distique de Martial accompagna un cadeau de ce genre ; c'était sans doute une statuette en bronze corinthien, copie du Sauroctone de Praxitèle. C'est seulement en 1760 que Winckelmann s'est servi du texte de Pline pour l'étude du marbre Borghèse et du bronze Albani, et sept ans plus tard il a songé à l'épigramme de Martial. Avant lui, aucun savant n'avait cité ces deux textes si précieux.
Quelle est la signification du sujet traité par Praxitèle? Bon nombre de solutions ont été proposées pour cette question assez difficile.
Certains archéologues sont d'avis que Praxitèle a sculpté un sujet appartenant à la légende religieuse, à la mythologie; d'autres ne veulent voir dans l'œuvre qu'un motif gracieux, une simple fantaisie -d'artiste, autrement dit un sujet de genre. Parmi les premières interprétations, nous citerons celles de Feuerbach, Émeric David, Frœhner et Rayet; parmi les secondes, celle de Friederichs.
L'explication de Feuerbach, qui a été reprise et développée par Welcker, est la suivante. Pour les anciens, le lézard possédait une -partie de la science divinatrice attribuée à la terre; il prévoyait l'avenir et le faisait connaître aux hommes. C'est ainsi qu'à Olympie on avait représenté un lézard comme symbole de l'inspiration prophétique sur l'épaule de la statue, du devin Thrasyboulos. D'autre part, d'après une légende sicilienne, Galéos, le lézard, était fils d'Apollon et de Thémisto, la fille du roi des Hyperboréens; il avait émigré en Sicile, et de lui descendait la famille des TaXeGmci qui résidait aHybla, et qui était consacrée au culte d'Apollon et adonnée à la divination.
Suivant Feuerbach et. Welcker, la statue de Praxitèle a sa raison d'être dans cette légende et dans ce caractère mythique du lézard. Ils proposent plusieurs interprétations qui se touchent de très près. Le lézard, disent-ils, est peut-être auprès d'Apollon comme une allusion à la puissance divinatrice du dieu. Peut-être Praxitèle a-t-il voulu plutôt figurer la transmission par Apollon du pouvoir propliétiqne à la race des raXeôkai, représentée par Galéos lui-même, l'ancêtre, fondateur de la famille. Peut-être enfin les devins d'Hybla lisaient-ils l'avenir dans certaines particularités ou certains mouvements du lézard, et Praxitèle a-t-il eu l'intention de mettre en scène, sous le personnage d'Apollon, les procédés de divination qu'employaient les raXewTat. Cette interprétation est ingénieuse, elle l'est même trop
pour être vraie, et on se refuse à l'adopter parce qu'elle n'est pas assez simple et naturelle. Praxitèle employant son grand art à immortaliser une légende locale qui n'avait pas une bien grande notoriété hors de Sicile, voilà ce que nous n'admettons pas facilement. Quant à l'opinion fantaisiste de Feuerbach et Welcker, qui voudraient même que l'Apollon Sauroctone ait été fait pour les devins d'Hybla, voilà ce qu'il faut rejeter absolument.
M. 0. Rayet a cherché, pour expliquer cette statue, des monuments figurés analogues chez les peuples qui ont eu des rapports avec les Grecs. Il fait remarquer qu'avant l'époque de Praxitèle la lutte du soleil contre les eaux avait impressionné vivement l'imagination de certains peuples, et que l'on pouvait alors trouver hors de la Grèce un certain nombre d'allégories représentant cette lutte, sous une forme sensible. Dans ces allégories le soleil était représenté par un dieu jeune, fort et bon, et les eaux par un animal aquatique. Du temps de Praxitèle, une légende symbolique de ce genre existait notamment dans la mythologie égyptienne. Suivant un mythe de ce pays, le soleil couchant, Osiris était vaincu par le dieu des ténèbres, Set; mais le fils d'Osiris, Horus, le soleil levant, vengeait son père en poursuivant Set et en le mettant à mort. Les monuments figurés qui rapportaient ce mythe représentaient Set sous la forme d'un crocodile que perçait Horus armé d'une lance. M. Rayet pense que ce mythe égyptien passa la mer et vint en Grèce, grâce aux communications et aux rapports qui étaient, au ive siècle, très fréquents entre les Égyptiens et les Grecs. Ce fut, d'après lui, ce mythe égyptien de la lutte du roisoleil contre un saurien que Praxitèle dut représenter, en y apportant quelques modifications. Ainsi le lézard a pris la place du crocodile inconnu des Grecs, et la lance d'Horus est devenue une flèche, parce que l'Apollon grec n'était pas armé de la lance, mais de l'arc.
L'interprétation de M. Rayet est, comme on le voit, plus naturelle que celle de Feuerbach; elle n'a cependant pas le mérite d'une grande simplicité; elle est laborieuse et compliquée.
L'interprétation de Frœhner n'est pas ridicule, comme le pense M. Rayet. Apollon est une des divinités qui président à la médecine; d'autre part, le lézard était, chez les anciens, employé très souvent dans les préparations pharmaceutiques. D'après Frœhner, le sujet qu'à traité Praxitèle serait Apollon, dieu sanitaire, et le sculpteur aurait mis le lézard à côté du dieu pour qu'il ne fût pas possible de voir dans son Apollon autre chose qu'une divinité de la médecine.
Cette interprétation ne méritait certes pas la plaisanterie facile que M. Rayet lui a octroyée si bénévolement.
Émeric David fait observer qu'Apollon a toujours été considéré comme la personnification du soleil; l'Apollon jeune de Praxitèle, c'est le soleil jeune, le soleil de l'équinoxe du printemps. Le lézard est de son côté l'un des premiers animaux que la chaleur renaissante fasse sortir de son engourdissement hibernal. Dans l'œuvre de Praxitèle, Apollon ne tue pas cet animal, ami du soleil, mais au contraire le réveille, « le rappelle aux plaisirs du printemps en lui faisant sentir les atteintes de son dard ». Cette interprétation est très vraisemblable et assez simple. M. Rayet prétend qu'elle ne rend pas compte du mot Sauroctonos, mais il est certain qu'il ne faut pas attacher trop d'importance à ce mot : l'on sait en effet comment prennent naissance ces sobriquets de statues qui sont très souvent de véritables contre-sens.
M. Rayet combat trop violemment l'interprétation de Friederichs, le seul archéologue qui pense que, loin d'être un sujet de mythologie, c'est un simple jeu que Praxitèle a mis en scène. Selon Friederichs, Praxitèle a voulu représenter simplement un Apollon qui s'amuse à piquer un lézard d'une flèche. Cette interprétation est parfaitement soutenable : Praxitèle en effet avait une prédilection marquée pour les gracieux sujets de genre ; de plus, il était à une époque où la foi avait décliné avec les progrès du scepticisme, et il pouvait en prendre à son aise avec la tradition mythologique.
Après toutes ces explications diverses, on pourrait peut-être en pré.
senter une nouvelle qui serait éclectique et qui verrait dans l'Apollon Sauroctone en même temps un sujet de mythologie et un sujet de genre. On pourrait peut-être dire qu'au ive siècle des relations existaient à plus d'un titre entre Apollon et le lézard. Praxitèle, sans connaître d'une façon précise ces relations, en avait une vague idée. Il est en effet bien certain que le travail de critique qui démêle les détails des légendes, n'est fait que par la postérité. Dans ces relations du dieu et du lézard, Praxitèle trouva sans doute le sujet d'une statue qu'il s'empressa aussitôt de traiter. Mais il est loin d'avoir voulu représenter tel ou tel mythe particulier : il est parti, il est vrai, d'une indication fournie par la légende, mais ensuite, laissant de côté la mythologie, il s'est entièrement abandonné à son génie.
L'on doit louer dans ce chef-d'œuvre l'habileté avec laquelle le sculpteur a su rendre la souplesse de la vie et la grâce de la jeunesse :
« Pour rendre la flexibilité d'un corps juvénile, dit M. Rayet, Praxitèle met ses figures hors d'aplomb, les pose sur un seul pied et les oblige, pour se tenir, à s'appuyer sur un tronc d'arbre. Grâce à cette posture nonchalante, il rompt les lignes verticales de la tête, du tronc et des jambes, imprime à tout le corps une ondulation gracieuse, diversifie l'aspect des membres symétriques. Pour arriver à plus de grâce et de souplesse, il emprunte à la nature de tout côté des détails qu'il asservit à l'ensemble conçu. Ainsi, il a emprunté à la jeune fille l'ovale allongé du visage pour peindre cet adolescent de seize à dixsept ans ». On peut dire aussi que la coiffure de cet Apollon est une coiffure de jeune fille.
En somme, bien que nous n'ayons que des copies imparfaites de l'Apollon Sauroctone, nous sentons que l'original devait être une œuvre admirable de grâce, de délicatesse et d'élégance, digne en tout point de la main qui a sculpté l'Hermès.
Des trois importantes copies de l'Apollon, le bronze Albani est assurément la meilleure; notre statue du Louvre par ordre de valeur ne vient qu'ensuite : elle vaut beaucoup pour la tête et les jambes qui sont excellentes, mais la poitrine n'est pas modelée avec assez de fermeté.
Bibliographie. — Winckelmann, Monumenti inediii, n° 40. — Clarac, Musée de Sculpture, III, pl. 486, A, 905, E. — Émeric David, Hist. de la Sculpture ancienne, p. 235 et s. — Muller-Wieseler, Denkmseler d. alten Kunst, I, pl. XXXVI, 147, A. —
Overbeck, Griech. Plaslik, II, fig. 101. — L. Mitchell, IIist. of ancient Sculpture, fig. 194. — Frœhner, Notice de la Sculpture antique du Louvre, n° 70. — Baumeister, Denkmaeler etc., fig. 1550. — V. Duruy, Rist. des Grecs, III, p. 67. — Roscher, Ausfùhrl. Lexicon der Mythologie, p. 471. — Rayet, Monuments de l'Art antique, liv. II. — Wolters, Gipsabgilsse zu Berlin, no 1214.
Louis GASTON.
201. — Torse de Satyre (Musée du Louvre).
Ce fragment, en beau marbre de Paros, a été découvert dans les fouilles entreprises aux frais de Napoléon III à Rome, dans les ruines du mont Palatin..
Ce torse, très bien conservé, est admirablement beau, et si nous devons juger la statue à laquelle il appartenait d'après ce reste magnifique, nous pouvons dire qu'elle était un chef-d'œuvre. L'original
qu'elle reproduit a d'ailleurs joui d'une très grande célébrité, les innombrables copies que l'on en trouve dans tous les musées en sont la preuve. Grâce à ces copies, il nous est facile de compléter le torse du Louvre. Le personnage est debout, commodément appuyé sur le coude droit, lequel repose sur un tronc d'arbre ; la main gauche est légèrement rejetée en arrière et s'appuie sur le côté. Le corps repose sur la jambe gauche; la jambe droite, un peu repliée, ne supporte en rien le poids du corps, et le pied est un peu retiré en arrière. Transversalement sur la poitrine, et simplement jetée autour du corps, est une peau de panthère. Enfin, à la main droite, le personnage tenait un objet qui était peut-être un chalumeau. Cela est d'ailleurs conforme à l'idée qu'il faut nous faire de ce personnage : c'est un satyre; il est facilement reconnaissable aux oreilles pointues que nous présentent les copies où la tête est conservée. Sans doute, ce n'est pas un satyre comme celui de Myron, avec uue barbe inculte et grossière, une face bestiale et une petite queue de cheval au bas des reins; l'artiste, avant tout, a voulu représenter une divinité aimable et gracieuse; aussi n'a-t-il conservé, pour caractériser son personnage, que les oreilles petites et pointues des satyres. Quant au reste, tout est noble et gracieux; dans l'attitude, dans la conformation de ce jeune dieu, nous trouvons une sorte de mollesse voluptueuse et efféminée, associée dans la noblesse des formes à une certaine vigueur naturelle.
De cet heureux mélange résulte un ensemble charmant, exprimant avec un rare bonheur la grâce, la jeunesse et l'amour. Nonchalamment appuyé sur le coude, notre satyre, heureux de son agréable oisiveté, semble plongé dans une douce rêverie ; il caresse probablement quelque voluptueux dessein, ou évoque quelque souvenir de bonheur, ce qui provoque en lui cette douce joie qui se traduit sur son visage en un sourire imperceptible, plein de grâce naïve et charmante.
Le corps, aux formes gracieuses, mais un peu efféminées, exprime bien aussi la nature volupteuse de ces divinités ennemies de toute fatigue et amoureuses du plaisir. On sent cependant dans ce corps une certaine vigueur, et l'on s'aperçoit que l'artiste a voulu représenter un de ces jeunes fils de la nature qui se développent librement, sans qu'aucune influence vienne modifier ses formes ou ses proportions. De là ce mélange gracieux de mollesse et de force dans ce beau corps d'adolescent à la fois efféminé et vigoureux.
Le torse du Musée du Louvre, dont nous voyons ici le moulage, est
bien supérieur, pour la beauté des formes et la finesse du modelé, à toutes les autres copies de la même statue ; aussi a-t-on voulu y voir un original; et, comme on a remarqué bien vite dans cette statue tous les caractères de l'école de Praxitèle, on a, malgré le manque absolu de toute tradition écrite à ce sujet, attribué cette œuvre à Praxitèle luimême, et on l'a identifiée avec le célèbre satyre de ce maître, qui était connu sous le nom de oç (fameux). La très grande célébrité qu'a eue notre statue semblait autoriser ce rapprochement; mais nous savons que le satyre connu sous le nom de 7reptêoYiToç faisait partie d'un groupe avec Dionysos et Méthé, personnification de l'ivresse.
Or, étant donnée l'attitude de notre satyre, il n'est pas possible qu'il ait jamais appartenu à un groupe, et surtout à un tel groupe. D'ailleurs, cela est encore prouvé par l'endroit où notre torse a été trouvé : c'était une sorte de vestibule de forme octogonale ayant quatre portes et quatre niches à moitié rondes; c'est dans une de ces niches qu'avait été placée la statue. Rien ne nous autorise non plus à identifier cette statue avec d'autres œuvres célèbres de Praxitèle, comme le satyre qui se trouvait dans la rue des Trépieds, à Athènes, ou celui qui était dans le Temple de Dionysos, à Mégare; d'ailleurs, nous ne connaissons ces œuvres que de nom.
Mais si les renseignements nous manquent pour pouvoir affirmer que le torse du Louvre a été sculpté par Praxitèle lui-même, ou même qu'il est une copie exceptionnellement heureuse d'un original du maître, il n'est certainement pas trop hardi de reconnaître tout ce que le fragment doit à l'influence, disons plus, à l'inspiration de Praxitèle, et d'y voir la reproduction d'une œuvre contemporaine. Une comparaison avec l'Hermès et l'Apollon Sauroctone semble prouver péremptoirement cette opinion. Dans ces trois statues, en effet, nous trouvons la même pose : le corps supporté par un seul pied, et un tronc d'arbre servant de point d'appui, ce qui permet à l'artiste de donner au corps cette courbe gracieusement ondulée qui rompt la rigidité sévère et monotone des lignes verticales. La tête est inclinée en sens inverse du corps dans un mouvement plein de délicieuse mollesse, mais jamais abandonné. Toujours nous trouvons cette même élégance des formes, ce même travail fin et délicat, ce même moelleux de la chair qui caractérise la manière de Praxitèle, enfin ce même souci de rajeunir et d'adoucir par la forme, l'attitude et l'action le type sévère et quelquefois raide des antiques divinités.
Bibliographie. — Brjnn, Deutsche Rundschau, VIII (1882), p. 200. — V. Duruy, Rist. des Grecs, III, p. 10. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 1549. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 1216.
EDG. BONDON.
202. — Jeune Satyre de Dresde.
Ce marbre précieux a été découvert, à ce que l'on croit, à CastelGandolfo, près de Rome, et, de la collection Chigi, il est passé au Musée de Dresde. Il y a peu de restaurations; le pied droit et la main gauche sont seuls modernes; la tète a subi quelques retouches.
Le sujet est bien clair : c'est un jeune satyre qui se verse à boire; sa main droite élevait une œnochoé, dont le vin était censé tomber dans la coupe qu'il soutenait de la main gauche; le mouvement rappelle de très près celui de la statue n° 73 (Athlète de Munich).
Peu d'oeuvres de la sculpture grecque se laissent aussi facilement dater et rattacher à une école. Il est évident que l'auteur du jeune satyre a subi très directement l'influence de Praxitèle. D'abord, bien que le personnage soit, à n'en pas douter, un satyre, comme le montrent ses oreilles pointues, ses cheveux touffus divisés en mèches rudes, où s'entremêlent des fruits de lierre, et le bandeau dionysiaque qui les enserre, ce satyre n'a plus rien de son caractère ni de sa forme primitive et brutale; on ne le dirait pas de la même famille que le satyre de Myron, par exemple (n° 71), et il a complètement oublié ses origines, sa vie dure et sauvage dans les forêts, sa laideur d'homme-bête, hirsute et lascif. Mais il a subi la même transformation que le Faune de Praxitèle, que l'Apollon Sauroctone; c'est un satyre rajeuni et adouci, sous la forme délicate, élégante et raffinée d'un adolescent qui se plaît à des jeux innocents; l'être mythologique a disparu; nous voyons à sa place une aimable figure, création d'un génie sceptique, plus épris des formes jolies, des corps aux fins contours idéalisés, que des conceptions surannées d'un art plus naïf, plus sincère et plus religieux. Le satyre de Dresde, on le voit clairement à ce caractère, a bien été conçu à l'école de Praxitèle. Il doit encore à l'influence du maître la grâce souple de son attitude et la fleur de jeunesse de sa chair, ajoutons l'élégance de ses formes un peu rondes et molles, disons le mot, un peu féminines, qui le rapprochent singulièrement de l'Apollon Sauroctone. Il va sans dire que cette analyse des caractères plastiques de la statue comporte quelque reproche ; le
sculpteur n'a pas su complètement éviter le blâme de la mièvrerie, parce qu'il a exagéré la recherche de la souplesse, de la mollesse tendre et de la grâce. De plus, malgré cet effort vers l'élégance, il y a quelque lourdeur dans le torse de l'éphèbe et un peu de disproportion entre la largeur des épaules et la longueur des jambes. Peut-être d'ailleurs faut-il rendre responsable de ces défauts le copiste maladroit, car nous n'avons sous les yeux que la réplique — il en existe d'autres, une en particulier au musée de Berlin — d'un original célèbre.
Cet original, quelques critiques ont voulu l'identifier avec un des deux satyres qu'à notre connaissance sculpta Praxitèle lui-même, et dont l'un, dit Pausanias, présentait une coupe (Paus., 1, 20, 1, Sfôucriv ex7ra)p.a). Mais outre que l'expression dont se sert Pausanias et le geste qu'il prête à ce satyre ne correspondent pas à la description que nous avons donnée du satyre de Dresde, outre que le texte est obscur, et peut-être ne désigne pas une œuvre de Praxitèle (voyez Overbeck, Schriftquellen, p. 236), nous ne croyons pas qu'une simple mention aussi courte et peu significative permette d'établir une identification; ici, l'on ne peut même pas dire qu'il y ait une probabilité.
On s'est demandé si le satyre de Dresde n'aurait pas été groupé avec un autre personnage, un Dionysos, par exemple; mais il nous semble que la question est oiseuse ; la statue s'explique assez bien par elle-même et se suffit.
Bibliographie. — Muller-Wieseler, Denkm. d. alten Kunst, II, pl. 39, no 459. —
Clarac, Musée de sculpture, IV, pl. 712, n° 1695. — Stéphani, Mélanges grécoromains, III. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1217.
P. P.
205. — Hermès d'Andros.
Cette statue, qui se trouve au Musée national d'Athènes, a été trouvée en 1833 dans l'île d'Andros. Les deux jambes, des genoux à la cheville, sont modernes.
Le type est bien connu; c'est celui du célèbre Antinoüs, ou, pour mieux dire, car on a renoncé à l'appellation usuelle, de l'Hermès du Belvédère (Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, n° 1218); c'est celui d'une statue trouvée à Milo (Ibid., 1219), et d'une autre trouvée plus récemment à Atalanti (Gazette archéologique, 1876, pl. 22). Il est certain qu'il faut, si l'on veut restituer la statue d'Andros, placer dans sa
main gauche le caducée et appuyer sa main droite sur sa hanche; une réplique de l'Hermès du Vatican, conservée au Musée Britannique, à Londres, ne laisse aucun doute à cet égard.
Mais ce qui fait l'intérêt de l'Hermès d'Andros, c'est qu'au lieu de s'appuyer contre un simple tronc d'arbre, il s'appuie contre une souche autour de laquelle s'enroule un serpent. Si l'on ajoute à ce détail que la statue a été trouvée dans une chambre sépulcrale avec une statue féminine (le même fait, pour une statue de type à peu près semblable, s'est reproduit à Ægion (Mittheil., Athen. Abth., III, pl. V), et si l'on remarque que la tête, malgré certains traits conventionnels, .doit être un portrait, on n'hésitera pas à reconnaître ici la statue d'un mort héroïsé, dans l'attitude et avec les attributs d'Hermès. Il était naturel que le dieu Psychopompe, familier avec le monde infernal, s'accommodât ainsi à la fantaisie des sculpteurs funéraires.
La statue, si l'on en juge d'après notre médiocre moulage, n'a pas une très grande valeur. Mais elle est intéressante au même titre que l'Hermès du Belvédère, parce qu'elle se rattache très nettement à l'école de Praxitèle. L'imitation de l'Hermès d'Olympie est ici évidente ; le mouvement des hanches est celui qu'affectionnait le maître attique, et qui se retrouve non seulement chez l'Hermès, mais chez le Satyre et chez l'Apollon Sauroctone; le peu de draperies, enroulées sur le bras et l'épaule, et faisant contraste avec la complète nudité du corps, semble aussi une invention de Praxitèle; les formes à la fois robustes et élancées, rappellent le type d'Hermès-; l'inclinaison de la tête et l'expression de pensée errante se retrouventici; enfin, la manière dont est dessiné le front, le nez et le menton, la disposition de la chevelure en mèches courtes et libres, contribuent à montrer l'imitation directe.
Bibliographie. — Tricoupis, Bullettino dell'Instituto, 1833, p. 90. — Kekulé, die Bildwerke im Theseion, no 368. - Koerte, Milth. d. k. arch. Instituts (ath. Abtheilung), III, p. 95. — Brunn-Bruckmann, Monuments etc., no 18. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlih, n" 1220.
P. P.
204. - Colonne sculptée du temple d'Artémis à Éphèse.
Lorsqu'en 356 le temple d'Artémis à Éphèse, temple embelli par la générosité de Grésus, eut été brûlé par le fou Hérostrate, les Éphésiens se hâtèrent de le reconstruire plus somptueux encore; l'édifice fut terminé en 323.
M. Wood en a retrouvé et déblayé les ruines de 1863 à 1874, et parmi les trouvailles les plus précieuses de ces fouilles, il faut placer le bas-relief dont nous avons un moulage, et qui a été transporté au Musée Britannique.
Pline (Hist. nat., XXXVI, 14, 95) nous a livré ce détail que parmi les colonnes du temple trente-six étaient sculptées, et que parmi ces trente-six, une était l'œuvre de Scopas (ex his XXXVI cælatæ, una e Scapa). L'architecte du second temple, en introduisant des colonnes sculptées, semble d'ailleurs n'avoir fait que suivre l'exemple de l'architecte qui avait élevé le premier, si l'on en juge par des fragments de bas-reliefs archaïques trouvés parmi les fondations, et qui, se détachant sur des surfaces courbes, ne peuvent provenir que de colonnes. On a discuté sur la disposition des colonnes sculptées, et attribué diverses places aux tambours ornés de bas-reliefs ; ce n'est pas ici le lieu de discuter la question ni de trancher la difficulté. Il nous suffit de dire que le bas-relief qui nous occupe formait un tambour d'une des colonnes signalées par Pline, et sans doute était placé, comme le montre l'évasement de la moulure inférieure, immédiatement au-dessus de la base ionique de cette colonne. L'emplacement où a été trouvé le bas-relief prouve de plus que la colonne faisait partie de la colonnade postérieure du temple.
Le tambour, par malheur, ne nous est pas parvenu complet, ni, pour ce qu'il en reste, en très bon état; il manque environ un tiers de la surface, et plusieurs des personnages sont'très mutilés, surtout à la partie supérieure de leurs corps.
On voit en tout cinq personnages. D'abord, en commençant à droite, un personnage assis, dont tout le torse a été détruit ; le pied gauche un peu avancé, tandis que le pied droit est ramené sous son siège, il est enveloppé dans une riche draperie qui se tend sur les genoux et sur les jambes, et retombe par derrière à larges plis. C'est un homme, si l'on en croit le témoignage des sandales lacées, peut-être un dieu.
Puis vient une femme debout, vêtue d'une longue tunique qui tombe jusqu'à ses pieds, et d'un himation. La tunique a des manches, et les pieds reposent sur d'épaisses semelles de sandales. Les mains sont assez mal conservées, et il est bien difficile de reconnaître l'objet qu'elles tenaient chacune par une extrémité. La tête a disparu par malheur, avec le cou et une partie de l'épaule gauche. Au centre de ce qui nous reste de la composition, tournant le dos aux deux personnages précédents, est une figure d'Hermès. Il n'y a aucun doute sur ce
point, car le caducée est à la main droite du dieu; celui-ci s'avance, nu, ayant seulement son grand chapeau pendu derrière son dos, et le bras gauche enveloppé dans une draperie retombante ; la main gauche est posée sur la hanche, tandis que la droite, celle qui tient le caducée, pend naturellement le long du corps, d'où cependant l'avant-bras s'éloigne un peu. Hermès lève la tête, comme pour regarder dans l'espace. Devant lui, une autre femme est debout — dont la tête a aussi été emportée par un éclat. — Elle est vêtue aussi d'une longue robe talaire, mais l'himation est remplacé par un ample manteau que de la main droite elle ramène contre sa taille. Elle levait le bras gauche nu vers Hermès; mais ce bras a été brisé un peu avant le coude. Enfin, le cinquième personnage, qui se présente de face, est un jeune homme entièrement nu, sauf qu'un baudrier, supportant une épée large et courte, fait écharpe en travers de sa poitrine; à ses épaules sont adaptées deux grandes ailes. Un grand éclat de marbre a enlevé toute une partie de son corps, à droite, depuis l'épaule jusqu'à la cuisse, de sorte qu'il est malaisé de connaître exactement le mouvement du bras et l'objet que portait la main, si elle en portait un; le bras gauche se relève, depuis le coude, en un geste de conversation. Derrière ce jeune homme ailé on distingue des restes de vêtements qui appartenaient à une sixième figure. On suppose que sur le tiers de la surface qui a disparu il y avait encore place pour deux corps, pour trois au plus.
M. E. Curtius a voulu reconnaître dans le personnage ailé le génie des combats, ou plutôt des concours, personnifié par les Grecs sous le nom d'Agon, et, dès lors, la scène représenterait Hermès amenant à Apollon (le personnage assis à droite), le chœur des Muses, avant une joute musicale. « Agon, dit M. 0. Rayet, est, en effet, représenté sous des traits presque féminins et avec de grandes ailes; sur le siège d'honneur du prêtre de Dionysos Éleuthéreus, au théâtre d'Athènes, et sur un beau miroir grec du musée de Lyon il tient entre ses mains un coq, l'animal batailleur par excellence. Mais parfois aussi on lui met entre les mains des armes, soit un bouclier, soit une lance. Mais, outre que le nombre des Muses représentées serait bien restreint, cinq tout au plus, l'attitude des figures conservées ne convient guère à une scène de ce genre : le sujet semble beaucoup plutôt être le départ d'une femme qui, accompagnée par Hermès et saluée par la figure ailée, s'éloigne des deux personnages placés à la droite de la scène.
L'identification du personnage ailé avec Agon soulève elle-même de nombreuses difficultés. L'épée est une arme bien cruelle pour cette
personnification de luttes qui n'ont rien de sanglant, l'expression si triste du regard, le désordre de la chevelure contrastent aussi d'une manière complète avec la physionomie sereine et joyeuse qui lui est toujours donnée ». Pour ces raisons, M. 0. Rayet préfère l'interprétation donnée par M. C. Robert. Pour lui, le génie ailé est le génie de la mort, Thanatos, tel qu'il est souvent représenté sur les vases peints.
Dès lors, surtout si on la rapproche d'un texte d'Euripide (Alceste, v. 74) la scène tout entière se rapporte à la légende d'Alceste. « On sait qu'Apollon avait obtenu de Zeus que le roi de Phères, Admète, pût vivre une nouvelle vie, si, au moment où il serait près de rendre l'âme, une autre personne s'offrait à mourir à sa place. La femme du roi, Alceslis, se dévoua. Deux traditions existent sur la manière dont elle fut sauvée. Suivant celle qu'Euripide a adoptée, Héraklès, venu à Phères le lendemain des funérailles, livra un combat, sur le tombeau même, à Thanatos qui le gardait, le vainquit et le força à rendre sa proie. Le récit de Platon est moins dramatique : ce furent les dieux eux-mêmes qui, touchés de l'héroïsme de la jeune femme, intercédèrent auprès d'Hadès et obtinrent de lui qu'elle fût rendue à la lumière. C'est cette seconde version qu'a suivie le sculpteur. La scène se passe dans le monde infernal. Le dieu assis, dont on ne voit que les jambes, est Hadès, et la divinité debout devant lui ne peut être que Perséphoné.
Alceste se drape dans son himation pour remonter vers la terre sous la conduite d'Hermès Psychopompos, dont la tête levée fait allusion au but du voyage. Thanatos, voyant à contre-cœur sa victime lui échapper, semble lui dire : « Au revoir! » De l'autre côté de la stèle devait se trouver Admète ayant auprès de lui l'un de ses deux protecteurs, Héraklès ou Apollon » (0. Rayet).
Nous avouons que cette seconde interprétation ne nous semble pas aussi certaine qu'à M. Rayet, et nous préférons le doute à une affirmation si catégorique.
Quant au style de cette œuvre important il ne nous semble pas qu'on puisse le juger de deux manières. Dire que M. Wood a eu la main assez heureuse pour mettre justement la main sur la colonne ciselée par Scopas, serait bien téméraire. D'ailleurs, nous croyons que si le bas-relief, par sa date, se rapproche de Praxitèle et de Scopas, par ses caractères esthétiques il appartient plutôt au vB siècle.
L'influence de Phidias et surtout celle de Polyclète s'y fait d'abord sentir. Ces femmes aux formes pleines et opulentes et drapées dans de simples étoffes largement et sobrement ajustées, aux gestes graves
et simples, ces jeunes gens aux corps robustes, fortement charpentés et musclés, modelés avec ampleur, rappellent, d'une part, lesfigures de la frise des Panathénées, d'autre part, le Doryphore et l'Amazone de Polyclète. Mais il faut bien ajouter qu'Hermès, par exemple, a quelque chose de plus, ou du moins quelque chose de nouveau, qu'il doit aux maîtres du iv" siècle, c'est l'expression de l'attitude et du visage; la pensée se reflète dans ses traits, la pensée dont les sculpteurs du ve siècle faisaient en général moins de cas, et le mouvement du corps est en harmonie avec cette pensée. Nous ne pouvons mieux faire que de citer encore ici M. 0. Rayet: « L'exécution de la sculpture est excellente, et il est curieux de la comparer à une œuvre contemporaine et également asiatique, les frises du Mausolée. Tandis que dans ces bas-reliefs les figures sont d'une saillie excessive et d'une sécheresse toute métallique, l'artiste éphésien a conservé intactes les grandes traditions de l'art attique du v° siècle. Au lieu de sortir brusquement de la surface du marbre, ses personnages s'y relient par des dégradations de plans soigneusement ménagées. Le modelé est large et sobre, et, en contemplant Perséphoné, par exemple, ou l'Hermès, dans lequel l'artiste, soutenu par la.beauté du modèle qu'il imitait, s'est surpassé lui-même, on oublie que près d'un siècle sépare cette base de colonne des frises du Parthénon ».
Bibliographie. — Wood, Discoveries at Ephesus, Frontispice et p. 188. —
E. Curtius, Die Saulenreliefs von Ephesos (Arch. Zeit., 1872, p. 72, pl. 65-66). —
C. Robert, Thanatos, p. 37.— Overbeck, Griech. Plaslik3, II, 97, fig. H5. - L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, p. 535. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig.
1770 (art. Columna). — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 281. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. HO. — Surtout 0. Rayet, Monuments de l'art antique, liv. VI, et BruniiBruckmann, Monuments etc., pl. 52. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1242.
P. P.
205-206. — Deux fragments de la frise du Mausolée d'Halicarnasse.
On sait que la reine Artémisia, voulant rendre éternelle la mémoire de son époux Mausole, roi de Carie, mort la deuxième année de la 107e Olympiade (353), lui fit construire à Halicarnasse un tombeau tellement superbe et somptueux que les anciens le comptaient parmi les sept merveilles du monde. C'était, suivant la description de
Pline l'ancien (N. H., XXXVI, 30), un édifice rectangulaire dont les grands côtés mesuraient 163 pieds et le périmètre total 480 pieds (ce qui donne 77 pieds pour chaque petit côté). La forme, en élévation, en était originale; il se composait d'un vaste soubassement en marbre, supportant une sorte de temple entouré de 36 colonnes ioniques, et sur cette salle et ces colonnes, en guise de toit, d'une pyramide à 24 degrés couronnée par un quadrige de marbre. La hauteur totale du monument était de 140 pieds. Artémise avait fait venir, pour décorer ce tombeau, quatre sculpteurs, Scopas, Bryaxis, Timothée (Vitruve, VII, prsef., 12, nomme Praxitèle), et Léocharès; chacun d'eux s'était chargé d'embellir une face de l'édifice; Scopas travaillait à l'orient, Bryaxis au nord, Timothée au midi, Léocharès à l'occident; un cinquième artiste, Pythès, fut chargé de sculpter le quadrige de marbre.
Pline nous raconte que la reine étant morte avant que l'œuvre collective des artistes fût terminée, ceux-ci se firent un point d'honneur de ne point abandonner l'entreprise.
Le Mausolée résista longuement au temps et à la barbarie. Au xile siècle un tremblement de terre le démolit en partie, et les chevaliers de Saint-Jean, qui s'établirent à Halicarnasse en 1402, employèrent les matériaux des ruines à construire le château-fort de Boudroun.
En 1846, Sir Stratford de Redcliff, ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, fit enlever aux murs du château un certain nombre de bas-reliefs qui y étaient encastrés, et les fit transporter au Musée Britannique. C'était là le prélude des recherches que le gouvernement anglais fit entreprendre, en 1857, par M. Newton. Les fouilles de M. Newton, qui comptent parmi les plus importantes de ce siècle, lui ont fait retrouver l'emplacement exact du Mausolée, avec un très grand nombre de fragments d'architecture et de sculpture qui permettent de se figurer le tombeau restauré avec sa riche décoration de statues et de bas-reliefs.
Parmi les statues, citons celle de Mausole et celle d'Artémise, qui, brisées en un grand nombre de morceaux, ont pu être presqu'entièrement reconstituées, un beau fragment de cavalier, et un lion. La place de ces diverses œuvres dans le Mausolée a donné lieu à des discussions. Il semble que les statues du roi et de la reine n'aient pu être dressées qu'à l'intérieur du tombeau et non au faîte du monument, sur le char de Pythès, et que le lion, peut-être aussi le cavalier, aient servi à décorer l'entrecolonnement du péristyle, comme les statues du monument des Néréides (nos 165-167).
Mais, plus intéressants que les fragments de statues sont tes fragments assez nombreux d'une frise qui sont réunis au Musée Britannique; il faut noter que deux de ces fragments, dont l'un est des plus beaux (n° 205) ont été retrouvés par un heureux hasard à Gènes, où les avait sans doute portés quelque navire, en guise de lest. Sur ces fragments, qui ne forment pas une suite complète, sont représentés des épisodes d'un combat des Grecs contre les Amazones.
La place de cette frise n'est pas très nettement déterminée; sans doute elle régnait autour du soubassement du Mausolée, suivant une mode que semblent avoir aimée les architectes de l'Asie.
Il y avait, du reste, plusieurs autres bandeaux sculptés situés en divers lieux; on a pu en signaler jusqu'à trois, dont il nous est parvenu des débris, et que les sujets traités, comme les dimensions, obligent à distinguer.
La frise des Amazones est sculptée dans un marbre assez gros et brillant; elle a 90 centimètres de hauteur; les personnages se détachent en assez haut relief, et posent les pieds sur une corniche épaisse de 11 centimètres. Le champ était peint en bleu sombre; les corps s'y détachaient en brun rouge ; les vêtements étaient rehaussés d'écarlate et d'autres couleurs; des trous creusés dans le marbre prouvent que quelques accessoires, comme les mors des chevaux, étaient rapportés en bronze.
Il est assez difficile, puisque les plaques conservées-ne s'accordent pas, et qu'il y a des lacunes importantes, de bien juger la composition d'ensemble de cette frise. Cependant, il ne semble pas que le sculpteur ait conçu ce combat comme une mêlée générale; c'est plutôt une série d'engagements particuliers juxtaposés, où les adversaires se groupent par deux ou trois. Cet arrangement est un peu artificiel et devait donner quelque monotonie d'aspect à l'œuvre entière; mais il ne faut pas oublier que, grâce à ce procédé, le sculpteur pouvait porter un soin plus attentif et plus curieux à chacune des figures ou à chacun des groupes, et qu'il n'était pas indispensable de donner une forte unité à une bande sculptée que l'œil du spectateur ne pouvait pas embrasser d'un seul regard. Mais, étant donnée la dissémination voulue et peut-être nécessaire de l'intérêt, chaque groupe, pris à part, est heureusement composé, et les épisodes sont habilement variés.
L'artiste a bien su montrer les Amazones tour à tour victorieuses ou vaincues, les Grecs, ici près de succomber, là près d'abattre leurs ennemies, et, de ci de là, le résultat indécis de la lutte; surtout il
a, dans chaque tableau, réussi à donner aux combattants une vie et une énergie singulières. Car c'est là le caractère dominant de cette série de bas-reliefs : partout, la vie et le mouvement nous saisissent et nous font admirer. Ce n'est pas une bataille un peu froide et pour ainsi dire académique — comme par exemple celle du Centaure et du Lapithe sur quelques métopes du Parthénon - mais un combat acharné, où des deux parts les coups sont portés avec violence, une série de duels sans merci et sans pitié, où chaque ennemi donne toute sa force et tout son courage. Les bras s'élèvent et s'abaissent de toute leur longueur et frappent de tout leur poids ; les corps se penchent ou se redressent, les jambes s'écartent et se plient en des efforts passionnés, que rien n'arrête; les draperies s'étalent au vent ou claquent secouées; les chevaux qui, par endroits, viennent mêler leurs formes fines, pour varier les épisodes, se cabrent et bondissent en de fougueux élans : partout, l'emportement et la furie. Nul morceau ne montre mieux ces mérites que celui dont nous avons une reproduction (n° 205). A gauche, une Amazone se précipite pour assommer un guerrier déjà abattu et tombé sur le genou gauche ; mais ce guerrier lutte encore, se retourne contre son ennemie et la regarde bien en face; derrière lui, une autre Amazone s'éloigne à pleine course, soit qu'elle fuie, soit qu'elle vole au secours d'une compagne menacée, car, devant elle, un héros de grande stature, taillé en hercule, a jeté une Amazone sur les genoux; il va lui porter un coup mortel, pour lequel il déploie toute la force de son bras droit armé de l'épée, tandis que de la main gauche il a saisi la malheureuse aux cheveux et la maintient contre le sol; la vaincue, désarmée, le supplie en vain de faire grâce : nulle part les mouvements ne sont plus justes ni plus beaux dans leur véhémence ; nulle part, la lutte ne prend un caractère plus tragique; nulle part, enfin, les manteaux flottants ne s'envolent avec plus de brio.
Il va de soi que l'excès de ces qualités a quelquefois entraîné des défauts; sur une plaque dont nous n'avons pas le moulage (Overbeck, Griech. Plastik, II, fige fH, m), si nous ne pouvons qu'admirer le corps du héros si hardiment rejeté en arrière, pour échapper au coup qu'une Amazone lui lance à toute volée, que dire de cette écuyère, qui par un tour bien audacieux de voltige, chevauche à l'envers son cheval cabré, sans paraître le moins du monde gênée dans cette position si bizarre?
Rappelons-nous que la frise de Phigalie (no" 158-164) nous a donné des exemples des mêmes fautes de goût provenant d'un même abus de
l'action et du mouvement. C'est du reste le seul point de comparaison que l'on puisse établir entre deux œuvres dont la plus récente est si manifestement supérieure.
On a Joué d'autres mérites dans la frise du Mausolée, surtout le pathétique et le naturel. Contrairement aux combattants de Pbigalie, ceux d'Halicarnasse portent exprimés sur leur visage — trop peu de têtes sont malheureusement intactes — les sentiments de leur âme, la fureur de la lutte, la joie de la victoire, la crainte et l'humiliation de la défaite. Mais un trait surtout donne une haute valeur à ces basreliefs : comme on l'a justement remarqué, malgré leur courage et leur ardeur, malgré leur emportement et leur audace virile, les Amazones restent femmes ; une fois désarmées ou abattues, elles reprennent conscience de leur faiblesse ; elles fuient ou elles supplient, les bras tendus et les yeux pleins de larmes; la faiblesse de leur sexe retrouve ses droits, et ces quelques figures de blessées et de vaincues tempèrent l'impression trop violente que nous éprouvons à la vue des viragos voisines. Et les hommes eux-mêmes ne sont pas implacables : l'un deux vient en aide à son ennemie vaincue et la soutient pour l'entraîner hors du champ de bataille.
Du reste, tout est original dans cette frise superbe; nous ne signalons que d'un mot la convention qui nous montre les Grecs toujours nus ou presque nus, n'ayant que rarement attachée à l'épaule une chlamyde flottante, tandis que les Amazones sont toujours vêtues. Il est vrai que d'ordinaire leur robe, de forme inconnue jusqu'alors dans l'art grec, fendue sur le côté dans toute sa longueur, laisse voir le plus possible de leur corps. Mais nous insisterons davantage sur la forme des corps et le style de l'exécution. Le type des hommes, comme celui des femmes, est nouveau; éloigné de celui qu'avait créé Phidias ou Polyclète, de celui qu'avait adopté Praxitèle, il fait songer à celui qu'imagina Lysippe; tous les personnages sont grands et élancés, la vue nous en laisse une impression d'agilité et de souplesse plutôt que de force, et l'agitation de leur attitude vient encore préciser cette impression. Cependant, bien qu'élancées, les formes sont pleines; les hommes ne sont pas maigres, mais bien en muscles et bien en chair ; les femmes ne sont ni trop sveltes, ni sèches ; elles ont, malgré leur haute taille, les rondeurs fermes et savoureuses de la maturité qui commence. Le ciseau de l'artiste est du reste assez habile pour exprimer heureusement les conceptions de son esprit; il se joue à modeler les corps violemment excités, à agencer les mus-
cles tendus ou gonflés sous l'effort, à plaquer ces étoffes contre les torses ou les cuisses comme à les faire flotter sur le champ du basrelief. Il y a dans l'exécution des détails une véritable maîtrise ; mais il est difficile pourtant de ne pas constater un peu de monotonie, venant de l'abus des mêmes procédés; que l'on examine, si l'on veut, les draperies, et l'on verra que les mêmes plissements, les mêmes courbures de plis se répètent trop souvent, que l'effet cherché est souvent le même, et souvent produit de la même manière, de sorte que le style de la frise, sous une apparente variété, malgré le mouvement et la vie des personnages, est un peu froid; nous cherchons, dans un ciel où sont amoncelés des nuages uniformes, soit un morceau de bleu, soit un éclair qui nous occupe et nous distraise.
Cette impression d'ensemble est d'autant plus curieuse que très probablement tous les fragments de cette frise ne sont pas de la même main. Outre que ces bas-reliefs se déroulaient sans doute autour de l'édifice entier, et que par conséquent chacun des quatre sculpteurs mandés par Artémise doit, a priori, en avoir sculpté une partie, d'autre part un examen attentif peut faire saisir des différences qui révèlent des mains distinctes. Dans tous les cas il nous semble impossible que l'on puisse jamais arriver à démêler, comme a voulu le faire Brunn, la part de chacun des collaborateurs dans ce qui nous est parvenu de leur œuvre.
Reste une question qui est pour nous bien secondaire. Quelle était la signification du combat des Grecs et des Amazones sur les parois du Mausolée? Y a-t-il là quelque allusion à une victoire de Mausole ?
Faut-il tout simplement y voir une fantaisie des artistes? Nous penchons vers cet avis; ce sujet était cher aux sculpteurs attiques, comme à tous les sculpteurs grecs le combat des Centaures et des Lapithes, parce qu'il se prêtait à des développements pittoresques et variés, et qu'il était particulièrement décoratif. Du reste, le combat a pris ici la forme la plus générale ; sauf Héraclès, reconnaissable à la massue dont il assomme une Amazone, et peut-être Thésée, que nous reconnaissons volontiers dans le Grec barbu, sans casque, armé de l'épée, et plus grand que les autres personnages du bas-relief 205, il est impossible de nommer aucun des héros ni des Amazones.
Bibliographie. — Newton, Discoveries at Halicarnassus, Cnidus and Branchidse, I, pl. 9, 10. — Monumsnti, V, pl. 18-21. — Brunn, Münchener Sitzungsberichte, 1882, II, p. 114. — Overbeck, Griech. Plastik3, flg. III. — Murray, Hist. of greek sculpture, II, pl. 26, 25. — L. Mitchell, A history of ancient sculpture, p. 470. —
Baumeister, Denkmœler etc., fig. 973-974. — V. Duruy, Hist. des Grecs, III, p. 77. —
P. Paris, La Sculpture antique, fig. 136. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 1221-1239.
P. P.
207. — Ilioneus de Munich.
Cette statue, en marbre de Paros, a été trouvée à Rome au milieu du xvi* siècle ; avant d'appartenir à la Glyptothèque de Munich, à qui la donna le roi Louis de Bavière, elle avait séjourné d'abord à Prague, probablement entre les mains de l'empereur Rodolphe II, puis à Vienne, où un marbrier la conserva quelque temps comme un bloc sans valeur ; enfin le Dr Barth l'acheta, et c'est lui qui la céda au roi Louis.
Nous conservons à cet admirable fragment le nom d'Ilioneus qu'on lui donna à cause de sa ressemblance avec une figure de Niobide sculptée sur un sarcophage du Vatican, nom que l'habitude a consacré. Ilioneus est un fils de Niobé et d'Amphion, le plus jeune de tous, dont Apollon eut pitié, et qu'il voulut épargner, mais trop tard. Ovide nou,s a dit son histoire (Metam., VI, 263) :
Ultimus Ilioneus non profectura precando Brachia sustulerat : « Dique o! » communiter omnes Dixerat, ignarus non omnes esse rogandos, « Parcite! » Motus erat, quum jam revocabile telum Non fait, Arcitenens; minimo tamen occidit ille Vulnere, non alte percusso corde sagitta.
Cette identification acceptée, on a tout naturellement admis que l'Ilioneus avait fait partie du fameux groupe de Niobé et des Niobides qui se trouve aux Offices de Florence. Mais, après M. Overbeck, les critiques s'accordent aujourd'hui à reconnaître le mal fondé de cette hypothèse. D'abord, le style de la statue de Munich est très supérieur à celui des statues de Florence; puis aucun des Niobides de Florence n'est représenté absolument nu; enfin les Niobides sont toujours frappés par des flèches lancées de loin, tandis que le geste de l'enfant de Munich, qui se restitue avec toute évidence, indique plutôt la terreur d'un coup très proche, comme d'une épée ou d'une massue prête à s'abattre sur sa tête.
M. Overbeck voudrait, au lieu d'Ilioneus, reconnaître ici Troïlos, le jeune fils de Priam et d'Hécube, qui tomba sous la main d'Achille. On
sait que le héros grec saisit le jeune homme qui l'avait imprudemment provoqué et le jeta à bas de son cheval ; ainsi s'expliquerait bien l'attitude du vaincu tombé à genoux et défendant sa tête contre le guerrier debout devant lui. Il sera toujours difficile d'établir une identification de ce genre.
A son tour, M. E. Curtius a émis une autre hypothèse : le prétendu Ilioneus serait Ganymède, que l'aigle de Jupiter serait sur le point d'enlever, et dont l'attitude indiquerait la frayeur ou le trouble à l'approche du dieu. M. Curtius est amené à cette opinion par l'étude d'une statue de la collection Castellani (auparavant de la collection Giustiniani); mais, outre que la statue Castellani n'est pas certainement un Ganymède, M. Overbeck a cru pouvoir affirmer, d'après une communication de M. Schneider, que le prétendu Ganymède n'est qu'un pastiche.
Laissant donc la question ouverte, nous nous contenterons d'admirer l'œuvre en elle-même. La date n'en est pas douteuse; les caractères du iv* siècle y sont imprimés clairement; l'influence de Praxitèle s'y fait sentir avec toute certitude. L'élégance jeune et souple de ces formes fines et un peu féminines, rappelle les meilleures copies des chefs-d'œuvres du maître, l'Apollon Sauroctone ou le Satyre, et mieux que dans ces copies, nous saisissons ici la grâce et l'harmonie des lignes et de l'attitude, la précision et la vérité des mouvements avec la palpitation et le frisson de la vie. Il faut remonter à Phidias, et contempler le corps merveilleux de l'Ilissus du Parthénon, pour retrouver ici un point de comparaison ; seul le jeune fleuve couché du Parthénon, parce qu'il a plus de majesté simple, de grandeur et de sobriété, peut être mis au-dessus de la statue de Munich.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, pl. 590, no 1280, et t. IV, p. 66.
— Müller-Wieseler, Denkmaeler d. alten Kunst, I, pl. XXXIV E.- Overbeck, Griech.
Plastik, II, p. 170, note 87; cf. Berichte d. k. saechs. Gesell. d. Wissenschaften, 1863, p. 2 et s. — E. Curtius, Arch. Zeitung, 1868, p. 45. — Brunn, Beschreibung der Glyptothek, p. 172-142. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1263.
P. P.
208. - Apoxyoménos de Lysippe.
Pline l'ancien (N. H., XXXIV, 62) a raconté que parmi les œuvres de Lysippe se trouvait une statue d'athlète en train de se frotter avec le strygile. Marcus Agrippa l'avait érigée devant ses Thermes. L'em-
pereur Tibère, qui la trouvait admirable, ne put résister au désir de la posséder pour lui seul; il la fit porter dans sa chambre, et mit une copie à la place. Mais le peuple réclama avec tant d'acharnement, en plein théâtre, que Tibère, malgré son goût très vif pour l'œuvre de Lysippe, la rendit à sa première destination.
On s'accorde à reconnaître dans la statue dont nous avons le moulage la copie de Y Apoxyoménos (onroijudjjievoç) de Lysippe. Ce marbre a été découvert en septembre 1849, à Rome, au Vicolo delle Palme (région du Trastevere) par l'architecte Canina ; elle est exposée au Vatican, dans la galerie du Braccio Nuovo.
La restauration de la main droite, qui seule manquait à l'œuvre parfaitement conservée, est fautive; cette faute est le résultat d'une curieuse méprise. De même que Lysippe, Polyclète avait sculpté un athlète se raclant avec le strygile ; Pline, qui nous a rapporté ce détail, s'exprime ainsi : « Fecit (Polycletus) et destringentem se et nudum talo incessentem » (H. N., XXXIV, 55). On voit qu'il est dans ce texte question de deux statues distinctes, celle d'un apoxyome'nos, et celle d'un apopternizon (à7ro7rrepvtfja>v), c'est-à-dire d'un athlète prêt à renverser son adversaire à coups de talon. Canina crut que la statue du Vicolo delle Palme était une copie de l'apoxyoménos de Polyclète, et que cette statue et celle de l'apopternizon n'en faisaient qu'une; il fit de plus un contre-sens sur les mots talo incessentem, qu'il traduisit par : s'avançant un dé à la main. C'est pour cela que le sculpteur Tenerani, chargé de restaurer la main droite, a placé entre le pouce et l'index un petit cube de marbre.
Mais l'erreur fut vite reconnue; Braun, en 1850, dans les Annali (1850, p. 223), n'eut pas de peine à la démontrer, et à prouver que la statue était une copie de l'œuvre de Lysippe, et non de l'œuvre de Polyclète. La restauration de Tenerani n'en a pas moins été conservée; c'est un document curieux.
D'attribuer l'original de cette copie à Lysippe à reconnaître dans cette même copie la statue même que Tibère substitua au bronze devant les Thermes d'Agrippa, il n'y a qu'un pas à faire, et il a été fait. La preuve sur ce point sera toujours impossible à donner, d'autant que l'apoxyoménos a été souvent reproduit (voyez par exemple un torse publié par M. Kœhler dans Mitth. d. k. arch. Instituts, athen. Abth., 1877, pl. IV). Toujours est-il que cette réplique a beaucoup de valeur. On aurait pu la prendre pour un original, si certains détails ne révélaient. évidemment la copie d'un bronze. Notons d'abord
le tronc d'arbre contre lequel s'appuie la jambe gauche, puis surtout le tenon de marbre, réduit aujourd'hui à deux attaches, qui allait du poignet droit à la cuisse, et servait à soutenir le bras et à le garantir d'une rupture.
Mais, aussi clairement peut-être que le bronze original, le marbre du Vatican permet de contrôler et de comprendre le jugement que les anciens portaient du style du maître.
Pline l'Ancien dit textuellement : On dit que Lysippe fit faire de très grands progrès à la statuaire en rendant mieux la chevelure, en faisant les têtes plus petites que n'avaient coutume les anciens, en modelant les corps plus grêles et plus secs, si bien que la taille de ses statues paraissait plus grande ; la langue latine n'a pas de mot pour exprimer la symmetria à laquelle il s'attacha avec un soin extrême, changeant, par une méthode nouvelle et originale, la structure carrée des statues anciennes, et il aimait à dire que les autres avaient fait les hommes tels qu'ils étaient, que lui les faisait tels qu'ils paraissaient être; ce qui semble aussi lui appartenir en propre, c'est la précision observée jusque dans les moindres détails des statues (H. N., XXXIV, 65). Plus loin (XXXIV, 66), Pline nous dit encore : que le fils de Lysippe, Euthycralès, imitant l'harmonie (constantia n'est-il pas ici le mot que cherchait Pline pour traduire symmetl'ia?) de son père plutôt que son élégance, aima mieux plaire dans un genre grave que dans un genre agréable. Enfin, Properce (III, 7,9) dit que la gloire de Lysippe est de façonner des statues vivantes : Gloria Lysippi est animosa fingere signa.
Ce dernier éloge convient sans doute à l'apoxyoménos, dans un sens assez général, comme à toute statue qui donne l'illusion de la vie et du mouvement, mais il s'appliquerait plus heureusement sans doute à quelqu'une de ces œuvres comme la joueuse de flûte ivre (Plin., N.
H., XXXIV, 63), les travaux d'Héraklès (Strab., X, p. 459), ou le groupe d'Alexandre et de ses amis (Plin., N. H., XXXIV, 64; Arrian., Anab., I, 16, 17; Plut., Alexand. Magnus, 16, etc).
Mais, pour suivre l'ordre même un peu confus qu'indique Pline, si nous comparons l'apoxyoménos aux statues de l'école de Polyclète par exemple, nous constatons bien le souci de traiter les cheveux plus librement, d'y faire circuler l'air au milieu des mèches moins plates et moins régulières. Praxitèle, avant Lysippe, avait déjà fait un progrès dans le même sens, mais avec cette différence qu'il travaillait de pré-
férence le marbre, tandis que Lysippe préférait le bronze, et la technique dubronze par ses traditions et aussi parles nécessités du coulage, était plus réfractaire à ce nouveau style. Quant aux dimensions de la tête, aux proportions plus grêles et plus sèches du corps, c'est justement à ces caractères, très apparents dans la statue du Vatican, que l'on a reconnu la copie de l'œuvré que l'on peut à bon droit appeler le canon de Lysippe. La tète de l'apoxyoménos, bien que portée par un cou puissant, est très petite, vu la taille svelte et élancée du personnage; on a calculé que la hauteur totale du corps est égale à huit fois la hauteur de la tête, tandis que dans le canon de Polyclète elle n'est égale qu'à sept fois la même mesure. Lysippe a obtenu cet effet, d'abord en diminuant les dimensions de la tête, puis en allongeant celles des jambes et du torse. C'est probablement ce rapport entre les différentes parties du corps, rapport que Lysippe chercha à rendre le plus harmonieux possible, que Pline appelle tour à tour symmetrict et constantia. Cette symétrie d'ailleurs, à laquelle il s'attacha avec un soin extrême, l'apoxyoménos nous prouve bien qu'elle avait pour résultat de changer la structure carrée, chère aux anciens (quadratas veterum structuras), en particulier à Polyclète. Mais pourquoi le sculpteur créa-t-il ce type nouveau en face du type classique créé au ve siècle?
Pline nous le fait entendre en rapportant cette parole familière du maître, que les autres avaient fait les hommes tels qu'ils étaient, tandis que lui les faisait tels qu'ils paraissaient être. Cela signifiait que Polyclète, par exemple, s'était avant tout efforcé de façonner un modèle oii la convention sans doute, c'est-à-dire le génie original de l'artiste avait sa part, mais qui s'inspirait surtout de la vérité de la nature, et la reproduisait avec un souci fidèle d'exactitude; Lysippe fait plus de place à la libre inspiration du sculpteur; observateur de la nature, et observateur scrupuleux, cela va sans dire - il prétendait n'avoir eu d'autre maître que la foule — il s'abandonnait cependant à la recher4
che de l'idéal, et c'est son idéal particulier de la forme humaine qu'il s'est avant tout efforcé de rendre ; ses statues, ses athlètes, ce sont des hommes tels qu'ils lui paraissent être, ou devoir être. Or, s'il s'est plu à se représenter l'homme grand, svelte, élégant et robuste cependant, c'est là un goût tout personnel qu'il est difficile autant qu'oiseux de discuter. Cependant, si l'on en cherchait bien la cause, on pourrait peut-être la trouver dans ce fait que Lysippe a beaucoup étudié — il l'avouait lui-même — le Doryphore de Polyclète (Cie., Brut.) 86, 296); tourmenté sans doute du désir de faire aussi bien, sinon mieux que
Polyclète, il a compris qu'il ne réussirait qu'à la condition de faire autrement ; en face du canon du vieux maître, il a cherché à en instituer un nouveau, qui pût lui être substitué, et il y est arrivé en prenant, si l'on peut dire, le contre-pied de son prédécesseur. Il faut bien avouer que, s'il a façonné ainsi un type très original et très nouveau, les caractères qu'il adoptait, justement parce qu'ils étaient ainsi singuliers et hors de la conception courante, ne devaient plaire que pendant quelque temps, et à un petit nombre d'artistes amoureux comme lui de changements. Nous savons cependant que la sculpture grecque, et surtout gréco-romaine, conserva volontiers le rapport choisi par Lysippe entre la tête et le corps, et que les têtes de nombre des statues paraissent, à partir de cette date, volontairement réduites à de petites dimensions.
Mais Lysippe, semble avoir mieux réussi et exercé une influence plus durable par cette précision qu'il observa jusque dans les moindres détails. Il est certain, que l'apoxyoménos, par exemple, même jugé d'après notre copie, se distinguait par un soin extrême du modelé précis ; le torse, les hanches, les genoux sont d'une netteté de contours et de formes qui révèle une connaissance très exacte de l'anatomie, charpente osseuse et musculature, et cette netteté va bien avec la structure un peu étroite et trop svelte du corps; il y a là véritablement harmonie. Cependant cette netteté, cette précision, cette exactitude entrainent un défaut assez sensible, la sécheresse. Peut-être faut-il n'accuser ici que le copiste, et dire que le bronze original, avec ses reflets et ses luisants, donnait l'illusion de chairs mieux nourries et de formes plus pleines, mais il ne faut pas oublier cependant que les statues de bronze paraissent au contraire, et assez facilement, plus sèches et plus légères qu'elles ne le sont en réalité.
Reste enfin à expliquer comment Pline a pu dire qu'Euthycratès, tout en adoptant le canon de son père Lysippe, aima mieux plaire dans un genre plus grave (austero maluit genere quam.jucundo placercj.
Il ne peut être question, en présence de l'apoxyoménos, de genre agréable; aussi faut-il rapporter ce jugement à d'autres œuvres de Lysippe, malheureusement perdues, comme la fameuse statue allégorique de l'Occasion.
Nous croyons, par cette analyse, avoir bien montré l'importance de la statue du Vatican; elle est un commentaire précieux des textes de Pline, qui sans elle resteraient légèrement obscurs ; elle nous révèle les mérites et les défauts d'un des plus grands et des plus originaux
génies du IVe siècle, et nous permet de comprendre la valeur et la portée de la réforme qu'il a voulu faire.
Bibliographie. — Bullettino dell'Instituto, 1849, p. 161 et s. — Braun, Annali, 1850, p. 223; Monumenti, 1850, pl. XIII. — Clarac, Musée de sculpture, pl. 848, B; 2168, A. — Overbeck, Griech. Plastik3, fig. 119. — Murray, Hist. of greek sculpture, II, pl. 31. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 219. — V. Duruy, Hist.
des Grecs, III, p. 79. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 963. — Bayet, Précis d'Hist.
de l'art, fig. 22. -P. Paris. La Sculpture antique,fig. 150. — Voyez surtout 0. Rayet, Monuments de l'art antique (art. de M. Collignon). — Kuppers, der Apoxyomenos des Lyiippus, Berlin, 1874. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1264.
P. P.
209.,- Victoire de Samothrace (Musée du Louvre).
Cette statue, en beau marbre de Paros, a été trouvée en 1863 dans « une ehambre creusée à ciel ouvert dans une colline, derrière les ruines d'un grand temple dorique, à quelque distance de la ville de Paléopoli (l'antique Samothrace), c'est-à-dire au nord-ouest de l'île, sur la côte qui regarde la Thrace » (Frœhner, Sculpture antique du Louvre, p. 434). L'honneur de cette découverte revient à M. Champoiseau, alors consul de France à Andrinople. En même temps que la statue, on mit à nu des blocs de formes bizarres que l'on regarda comme ayant appartenu au piédestal, mais dont on ne comprit pas la disposition. Enfin, MM. Conze et Benndorf, après deux campagnes de fouilles, et M. Champoiseau, après de longues et minutieuses recherches, trouvèrent simultanément la solution en 1879. Le piédestal avait la forme d'une proue de galère. C'était là une découverte très importante, car elle révélait une analogie complète entre la Victoire de Samothrace et celle qui est représentée au revers des tétradrachmes de Démétrios Poliorcète; et l'on était naturellement amené à supposer que le consécrateur de la statue était précisément Démétrios.
Cette hypothèse est vérifiée par les faits : en 306, devant Salamine de Gypre, Démétrios remporta sur Ptolémée une grande victoire navale. Nous savons aussi que les princes macédoniens avaient toujours eu une dévotion particulière pour les grands dieux de Samothrace, les Cabires; aussi, n'est-il pas étonnant qu'après sa victoire,
Démétrios, qui, d'ailleurs, était peut-être maître de Samothrace à cette époque, ait fait élever près de leur sanctuaire cette statue qui, évi-
demment, a été érigée en mémoire d'une victoire navale. De plus, on ne saurait regarder comme fortuite la ressemblance complète qui existe entre la Victoire de Samothrace et la Victoire des monnaies de Démétrios. Aussi, comme tous les numismates reconnaissent que le monnayage de Démétrios au type de la Victoire fait allusion à la grande bataille de 306, et a dû commencer peu après, on admet très généralement aujourd'hui que le revers de ces monnaies porte la copie de la Victoire de Samothrace, et que Démétrios consacra cette statue vers 306 ou 305.
Debout sur l'avant de la trière, la Victoire a un mouvement de marche rapide vers la gauche, « ses ailes sont déployées; la brise de la mer fouette ses draperies, et, tantôt les colle contre le corps, tantôt les soulève et s'engouffre dans leurs plis ». Les pieds, la tête et les bras, qui étaient sans doute sculptés à part et appliqués, sont aujourd'hui perdus. Mais le soulèvement de la poitrine indique que la tête était dressée fièrement, et ce qui reste des épaules permet de retrouver à peu près la direction des bras. Nous sommes d'ailleurs guidés dans cette restauration par la Victoire des monnaies de Démétrios.
Le bras droit relevé et porté en avant soutenait une trompette; le gauche, rejeté en arrière et baissé, portait, suivant les uns, une de ces croix en bois qui formaient l'armature intérieure des trophées, et, suivant d'autres, s'appuyait simplement sur la cuisse gauche.
La déesse est vêtue d'une tunique fine et presque transparente; autour d'elle s'enroule négligemment un manteau dont une des extrémités tombe en avant de la jambe droite, tandis que l'autre flotte en arrière et enveloppe toute la statue dans l'extraordinaire richesse de ses plis. Les ailes de la statue sont brisées; mais, grâce aux nombreux fragments qui ont été retrouvés, il a été facile de les rétablir. Aussi, bien que cette Victoire soit trop petite pour l'énorme piédestal sur lequel elle repose, si on se la représente s'élançant en avant, avec ses grandes ailes déployées, la tête élevée, le bras tendu et tenant la trompette, elle produit une grande impression.
Et alors, cette statue nous paraît bien être de l'époque à laquelle nous l'avons placée, c'est-à-dire de la fin du ive siècle.
Cette élégance, cette souplesse, cet envolement léger et gracieux des draperies, cette vivacité des mouvements nous rappellent les draperies des personnages de la frise des Amazones du Mausolée, œuvre inspirée et dirigée par Scopas, sinon née sous son ciseau.
Nous ne sommes plus au temps où Phidias sculptait l'Iris du fron-
ton du Parthénon. Une comparaison avec cette statue s'impose ici, car elle ressemble beaucoup à notre Victoire. L'attitude du corps est la môme : l'Iris court vers la gauche, comme la Victoire, et le vent soulève aussi son péplos; « mais Phidias ne s'est pas départi de la • simplicité sévère de l'art primitif; il a sacrifié le détail à l'ensemble, car son œuvre devait être vue de loin ». Sa statue a plus d'épaisseur et de lourdeur, tandis que le sculpteur de la Victoire a apporté dans son œuvre les goûts raffinés de son temps. « Nous ne sommes plus à l'époque où les femmes se contentaient de lourds vêtements de laine, et où les sculpteurs copiaient avec une conscience scrupuleuse les plis épais et simples. Les contemporaines d'Alexandre ont de fins tissus, et l'art de la fin du IVe siècle est plus ambitieux et plus délicat que son aîné ».
De plus, le sculpteur a dû se préoccuper « des exigences plus grandes de l'œil d'un spectateur placé à petite distance ». De là, une plus grande recherche du détail; de là, ces petits plis sculptés avec un soin minutieux; de là, enfin, ce fini délicat du travail, qui ne va pourtant pas jusqu'à l'excès, et dont nous aurions tort de nous plaindre.
Il y a une autre Victoire qui ressemble beaucoup à la nôtre : c'est la Nikè de Pseonios. Elle -est projetée en avant dans un mouvement même plus audacieux que n'est celui de la Victoire de Samothrace; elle a aussi des draperies que le vent colle par devant sur le corps et soulève par derrière. Mais quelle différence dans la disposition de ces draperies! Dans la Nikè de Pseonios, le corps est par endroits brutalement mis à nu ; et, là où il est couvert, on sent la recherche et l'artifice dans la disposition de la draperie par petits plis réguliers et symétriques; ce n'est point ainsi que le vent eût plaqué cette étoffe.
Et comment expliquer cette masse de draperies lourdes qui retombent par derrière, quand, par devant, nous n'avons qu'une gaze légère et transparente? Sans doute, cette masse était nécessaire à l'artiste pour l'équilibre de sa statue; mais cela manque de naturel et même de grâce.
Enfin, cette Nikè, tout audacieuse qu'elle est, nous paraît manquer de vie, ou du moins, avoir une vie moins intense que la Victoire de Samothrace : elle est trop sévère et trop calme; elle n'a pas cette vivacité d'attitude, cette ampleur de mouvement, cette grandeur, cette vie, enfin, qui anime le beau corps que nous sentons ici palpiter sous la draperie.
Il est curieux de rapprocher notre Victoire des Nikès du temple de la Victoire Aptère. Évidemment, l'artiste qui sculpta les draperies de
la Victoire de Samothrace connaissait bien les statues du petit temple de l'Acropole : il leur a emprunté la hardiesse, la vigueur, la richesse et l'élégance des draperies s'envolant avec souplesse et abondance, ou se modelant intimement et sans effort sur le corps dont elles nous laissent deviner les formes exquises. On n'en peut douter, cet artiste s'était pénétré de l'art attique du ve siècle.
Mais cet artiste, quel est-il? Nous ne le connaissons pas, et nous ne pouvons affirmer qu'une seule chose, c'est que c'était un sculpteur de premier ordre. M. Benndorf veut en faire un élève de l'école de Lysippe. Cependant, nous ne trouvons pas dans la Victoire de Samothrace la précision un peu sèche qui caractérise la manière de Lysippe. Assurément, il y a ici recherche des détails qu'aimait Lysippe, la vie qu'il donnait à ses statues; mais il y a aussi une abondance, une richesse, un modelé large et puissant que ne semble pas avoir connu ce maître.
M. Rayet, qui a consacré à la Victoire de Samothrace une très savante étude, à laquelle nous avons beaucoup emprunté pour cette notice, s'accorde avec M. Newton pour reconnaître dans cette statue toutes les qualités que les écrivains anciens attribuent à Scopas.
Aussi, il la regarderait comme une œuvre de Scopas lui-même, s'il n'en était empêché par la date de la statue; mais il y voit l'œuvre d'un de ses meilleurs élèves.
Nous ne partageons pas cette opinion. La Victoire de Samothrace n'a pas été sculptée par un disciple de telle ou telle école particulière. Elle a été créée à une époque où Praxitèle, Scopas et Lysippe avaient donné leurs modèles, et l'artiste qui la produisit avait une connaissance profonde de l'art de ces maîtres. On ne saurait, en effet, nier l'influence de Praxitèle, en voyant cette grâce large, cette élégance robuste, ce modelé si plein et si parfait qui nous fait songer à l'Hermès; pas plus que l'on ne saurait nier l'influence de Lysippe en voyant ce mouvement, ces formes élancées, cette énergie, cette vie enfin, qui nous rappelle la manière du sculpteur d'Alexandre. Quant à l'influence de Scopas, ce créateur de la sculpture expressive, n'éclate-t-elle pas dans cette audace des mouvements, cette souplesse exquise, cette expression extraordinaire répandue dans toute cette statue qui, même sans tète et sans bras, produit un si saisissant effet?
Il est bien pénible de déclarer que nous ne connaissons pas le grand artiste qui sculpta cette statue si imposante et sut réunir en
une œuvre si majestueuse les qualités particulières des grands maitres du iv" siècle, après avoir tiré profft des modèles laissés par le v°.
Sans doute ne le connaîtrons-nous jamais; mais son œuvre fera toujours l'admiration des hommes de goût et sera à jamais regardée comme un des plus beaux chefs-d'œuvre de la sculpture antique.
On ne peut vraiment s'expliquer comment MM. Coquart et Deville, qui, en 1866, avaient visité Samothrace, ont pu dire l'un que le monument est sans intérêt, l'autre que la Victoire n'est qu'une médiocre figure décorative, qui parait être d'une basse époque.
Bibliographie. -. G. Deville et Coquart, Rapport sur une mission dans l'ile de Samothrace (Arch. des Miss. scient., 2e sér., 1867, t. IV, pp. 261, 277). — Conze, Hauser und Benndorf, Unters. auf Samothrake, II, pl. 64, p. 55. — Rayet, Monuments de l'art antique. — Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 137. — Murray, Hist. of greek Sculpture, II, pl. 35. — Rayet, Précis d'Hist. de l'art, fig. 18. — Baumeister, Denkmaeler etc., fig. 1232-1233. — V.Duruy, Hist. des Grecs, III, p. 384-85. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 147. - Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 1358-59.
E. BONDON.
2 t 0. Vénus de Milo.
Cette statue est en marbre. La déesse est debout, nue jusqu'à la ceinture; le reste du corps est couvert par une draperie que soutient le genou gauche légèrement relevé.
Elle se présente de face, mais avec un mouvement de la tête et du buste vers la gauche. La partie supérieure du corps est penchée à droite, l'épaule gauche plus haute marquant un mouvement du bras en l'air. Le bras et le pied gauches sont perdus ainsi qu'une partie du bras droit; ce qui reste de ce bras est serré contre la poitrine, indiquant un mouvement assez violent.
Ainsi mutilée, cette statue passe encore pour le chef-d'œuvre de l'art grec.
Elle fut découverte dans l'île de Milo (Mélos). Achetée après bien des pourparlers par M. de Marcellus, portée en France (1820) par M. de Rivière, ambassadeur à Constantinople, après avoir voyagé pendant plusieurs mois à travers la Méditerranée, elle est maintenant au Louvre. Elle était en deux tronçons, le buste nu d'une part et la partie drapée de l'autre. A côté d'elle, furent trouvés son chignon, un morceau de bras et une main tenant une pomme, trois hermès et un morceau de plinthe avec une inscription aujourd'hui perdue.
On l'a restaurée en partie; on lui a recollé le chignon, refait le bout du nez, une partie du sein gauche et un morceau de la draperie.
Pour les bras, on se trouve en présence de trois hypothèses entre lesquelles il est difficile de décider.
D'a près la première, la main retrouvée appartient à la statue ; Vénus élevait donc la pomme de la main gauche, tandis que la droite retenait la draperie, comme on représente la Vénus Victrix après le jugement de Paris. Mais cette main est d'un travail bien inférieur comparée au reste de la statue; de plus, si le bras droit ne fait que soutenir une légère draperie, pourquoi ce mouvement violent? A cela on peut répondre que la main a été détériorée, et que le bras ne soutient pas seulement la draperie, mais la retient et l'arrête dans sa chute.
Cependant si la statue ne tient qu'une pomme, le corps est bien penché pour contre-balancer un poids si léger; le mouvement est exagéré.
D'après la seconde hypothèse, le sujet de la statue serait la Vénus victorieuse de Mars, comme la Vénus du Capitole, ou Vénus se mirant dans le bouclier d'Arès, telle que l'a décrile Apollonius de Rhodes. Le pied gauche serait posé sur un casque et le genou ainsi relevé soutiendrait le bouclier dont le poids expliquerait bien la position du bras droit. Le mouvement tournant du buste empêcherait le bouclier de masquer une partie de la statue. Cette hypothèse est aussi vraisemblable que la première. On peut bien dire que la déesse a le regard trop élevé pour se mirer dans le bouclier, que ses formes sont trop belles et trop nobles pour une scène de coquetterie, mais on peut répondre que le sculpteur n'a pas tant voulu nous montrer une scène de toilette que la victoire de la déesse de l'amour sur le dieu de la guerre.
Enfin d'autres croient que Vénus était groupée avec Mars, sujet souvent traité aussi et devenu banal. Vénus aurait le bras droit sur l'épaule du guerrier, et se tournant vers lui, elle le flatterait de la main droite. M. Ravaisson a même reconstitué le groupe en adjoignant à la Vénus de Milo le Mars Borghèse dont il fait un Thésée. C'est là une restauration fantaisiste. Le principe du moins peut s'autoriser de la découverte d'un fragment de plinthe à côté de la statue, plinthe qui devait supporter le second élément du groupe. Mais, sans compter que Clarac a essayé de raccorder ce débris avec la plinthe de la statue, sans pouvoir expliquer une différence de niveau très notable, Agésandros, dont l'inscription de la plinthe porte la signature, vivait au
1er siècle av. ou ap. J.-C. Il est peu probable que la statue date de cette époque. Le trou rectangulaire qu'on voyait aussi sur le fragment en question a dû servir plutôt à recevoir soit l'un des hermès, soit une stèle sur laquelle s'appuyait la statue, comme dans de nombreuses terres cuites. Mais cette hypothèse n'expliquerait pas la position de la déesse. Donc sans repousser complètement l'idée d'un groupe, on peut voir qu'elle n'a pour elle aucun argument bien probant.
Telle qu'elle est cependant, la Vénus de Milo fait encore l'admiration de tous. En présence de ce chef-d'œuvre, une question se pose : d'abord est-ce là une copie de la nature ou bien une œuvre de convention et d'idéal?
A certain réalisme, à certaines minuties de détail, on croit reconnaître une copie fidèle de la nature. Ces plis de chair à la naissance du cou, l'accentuation de la taille, sont des détails qu'un artiste purement idéaliste aurait peut-être négligés. Il y aussi des imperfections pour ainsi dire, des manques de symétrie, dans la bouche, par exemple. L'ampleur du corps, sa noblesse de forme, donnent une idée de maturité qui est contraire au type ordinaire d'Aphrodite. Tout cela semble indiquer que le sculpteur a eu devant lui un modèle vivant qu'il a copié avec une exactitude scrupuleuse.
Mais si on étudie l'ensemble de la statue, on voit qu'il s'en dégage une expression de noblesse et de gravité triste qui n'est pas de la nature. La tête surtout exprime une sorte de mélancolie rêveuse que l'artiste a certainement tirée de lui-même. Cette maturité du corps viendrait de ce que le sculpteur a voulu représenter non plus la Vénus voluptueuse, déesse du plaisir, mais une Vénus plus grave, la déesse de la maternité. Cette maturité même a du reste quelque chose d'idéal; les seins par exemple, si beaux, si fermes, si jeunes malgré leur opulence, n'ont aucun souvenir de la maternité ni de l'allaitement.
Les deux opinions ont donc du vrai : l'artiste avait un modèle, mais il l'a idéalisé.
Étudions maintenant la statue en elle-même : ce qui en fait la beauté, c'est cette expression de vie et de vérité qui n'est nulle part portée à un si haut degré. Sous cette peau on devine une charpente solide, mais bien couverte par les muscles, de manière à cacher toute apparence de maigreur. Le cou, la hanche se dessinent avec fermeté.
Les seins, l'estomac, le bras, tout produit l'impression d'un corps vivant où tout est bien proportionné. Mais ce qu'il y a de plus vivant,
c'est le ventre; on sent sous cette peau palpiter des entrailles, et cela est rendu sans le réalisme et l'exagération qu'on trouve ailleurs.
La tête est bien en harmonie avec le corps; le menton, le nez, toute la partie osseuse est fortement marquée, mais avec proportion et sans maigreur. L'expression même de la figure cadre bien avec la noblesse et la gravité de l'ensemble.
La draperie, pleine de simplicité et d'ampleur, ne détruit pas l'impression que produit la nudité. Elle voile les parties inférieures sans les effacer complètement. On peut suivre les lignes du corps à travers les plis de l'étoffe. La ceinture seule est un peu marquée pour dissimuler le mouvement du genou qui produirait un effet disgracieux.
Il ne reste plus qu'à déterminer l'époque de ce chef-d'œuvre. Trois opinions se présentent : Si on examine les caractères de perfection, de simplicité et d'ampleur de la statue, on la rapportera sans hésiter à l'époque classique, à l'école de Phidias, dont l'œuvre se distingue par toutes ces qualités. C'est l'opinion de M. Ravaisson, qui y voit l'original ou un dérivé de la fameuse Aphrodite des jardins d'Alcamène et de Phidias. Mais c'est sur le seul sentiment de la perfection de l'œuvre que se fonde cette opinion, sans autre argument à l'appui.
Ceux qui pensent que la plinthe trouvée avec la statue lui appartient, s'appuyant sur l'étude de l'inscription, placent la statue au 1er siècle de notre ère ou au Ier ou au ne avant Jésus-Christ. C'est l'opinion d'Overbeck, qui rattache cette œuvre à l'école de Pergame. Pour lui, l'inscription est un argument certain que les partisans d'une autre époque auraient fait disparaître parce qu'il les gênait. C'est possible, mais ce n'est pas une raison pour rattacher la Vénus de Milo à l'école de Pergame, dont le trait caractéristique est l'exagération et l'abus de l'effet; quoi qu'en dise Overbeck, rien de cette école ne se rapproche de la statue que nous étudions.
Peut-être la solution est-elle dans l'opinion suivante : à l'époque classique jusqu'à Phidias, la sculpture était intimément liée au culte; les dieux y gardaient les caractères de grandeur et de noblesse convenables à des idoles; Aphrodite était la déesse majestueuse et sévère des générations dont le culte venait d'Orient. Dès le IVe siècle, au contraire, les dieux perdent leur caractère de gravité olympienne pour devenir plus humains dans leurs formes et leurs attitudes. Cette transformation se fit avec Praxitèle. Or il est facile ici de remarquer
le mélange des deux caractères, car si le corps est beau et noble, le sujet de la statue, qu'elle tienne la pomme ou les armes d'Arès, ou qu'elle fasse un groupe avec celui-ci, est un sujet de genre plus gracieux que majestueux.
Il semble donc que nous soyons en face d'une œuvre de l'école de Praxitèle. Nous retrouvons d'ailleurs ici l'expression douce et mélancolique qui caractérise la tête du jeune Hermès, la seule œuvre authentique et originale de Praxitèle. La différence de la Vénus de Milo çivec la Vénus de Cnide s'explique facilement par une conception différente, l'une étant la déesse de la maternité, l'autre la déesse de l'amour voluptueux. On a remarqué d'autre part que le corps avait juste huit fois la mesure de la tête, comme l'Apoxyoménos de Lysippe, et que le sculpteur a visiblement voulu donner à la déesse la taille noble et élancée qui caractérise les statues du maître de Sicyone. Il résulte de ces rapprochements et aussi d'un sentiment difficile à analyser, d'une impression instinctive qui s'impose aux connaisseurs, que la Vénus de Milo a été sculptée vers la fin du ive siècle. Par une fatalité dont il y a bien peu d'exemples, un des chefs-d'œuvre les moins discutables de l'art grec est un chef-d'œuvre anonyme.
Bibliographie. — La bibliographie de la Vénus de Milo exigerait denombreuses pages; on en trouvera les principaux éléments dans Frœhner, Notice de la sculpture antique du Louvre, no 1.36, p. 178; dans Gœler v. Ravensburg, die Venus von Milo, Heidelb., 1879, et Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 1450.
P. de SUAREZ.
211. - Déméter de Cnide.
Cette statue, l'une des plus précieuses du Musée Britannique, a été signalée pour la première fois par W. Gell, qui l'avait vue en 1812. Le corps et la tête gisaient séparément à fleur de sol, dans les ruines de Cnide, et le voyageur en avait compris la beauté. Mais c'est M. Newton, en 1858, qui eut l'honneur de relever la statue, de retrouver la tête déjà cachée par la terre, et de transporter le monument à Londres.
Depuis lors on n'a pas cessé de l'admirer comme il le mérite.
Quand bien même le marbre de Cnide n'aurait pas été retrouvé dans les ruines d'un temple consacré à Déméter, Coré et Pluton Epimachos, il n'y aurait pas à hésiter surlenom qu'on lui donne; cette femme assise, vêtue d'amples draperies et la tête voilée, dont l'attitude et surtout le
t
visage triste expriment une douleur profonde et implacable, ne peut être que la mère éplorée de Perséphone, Déméter ; nous l'affirmons sans l'ombre d'un doute, bien que la statue nous soit parvenue très incomplète, et privée des attributs, sceptre fleuronné ou longue torche, que portaient certainement les bras aujourd'hui disparus.
Mais cette image de la déesse est pourtant d'une conception bien particulière et bien originale; elle diffère essentiellement de toutes les représentations de Déméter que l'art, jusqu'à cette époque, pourrait nous faire connaitre. A l'origine la Déesse-Mère, importée d'Orient, se plaît aux attitudes hiératiques; ici (nous parlons surtout des masques estampés en terre cuite) elle presse de ses mains sa poitrine, pour en faire jaillir le lait nourricier, comme l'Astarté phénicienne; là elle est simplement assise sur un trône, les mains sur les genoux, attendant les hommages, ou porte gravement ses attributs mystiques, la torche ou le jeune porc; elle est presque semblable à sa fille Coré, avec qui nous pouvons la confondre; là encore, comme sur la stèle d'Eleusis (n° 174), avec Coré, debout et resplendissante de jeunesse, elle donne à Triptolème le grain de blé; sur les vases sont peints les divers épisodes de ses malheurs mystiques, l'enlèvement de Coré, la recherche errante de la mère à travers le monde; mais les traits de la déesse varient à chaque monument, n'ayant de commun qu'un plus ou moins vague souvenir d'archaïsme. Ici tout change.
« Enfin, s'écriait Brunn à la vue de la statue de Cnide, j'ai trouvé ce que j'avais cherché à travers toute l'Europe, la conception purement grecque de la déesse Déméter, telle que la sculpture peut lui donner un corps ». Et de fait, il semble que pour la première fois ait pris un corps cette conception poétique autant que religieuse, qui a fait de la mère de Coré une sorte de Mater dolorosa païenne. Déméter de Cnide, c'est'le symbole de la maternité souffrante ; le sculpteur a voulu et su évoquer « la maternité pleine d'amour dans laquelle se » résume toute sa vie, tempérer sur son visage l'ennui de la solitude » présente par l'espoir de la réunion future, et en même temps » évoquer dans l'âme du spectateur lui-même, pour illuminer sa tris» tesse de misérable mortel, la pensée rayonnante de la vie bienheu»> reuse qui commencera pour lui demain ; telles étaient les nécessités » que la religion déjà tout imprégnée de philosophie de la fin du ive siècle » imposait à l'artiste chargé de faire une image de Déméter qui dût » être l'objet d'un culte. Les formes, larges et étoffées, l'attitude un » peu alourdie, indiquent d'abord la maternité. La tête, sculptée dans
» un marbre de Paros, dont la transparence presque égale à celle de » l'albâtre, donne l'illusion de la vie, est celle d'une femme qui a » dépassé la jeunesse, et sur laquelle la vieillesse ne s'est pas encore » appesantie » (0. Rayet). La douleur y est si vivement empreinte, sans exagération théâtrale, le voile de deuil encadre si gravement ce visage où réside une angoisse muette, les draperies amples et richement plissées enveloppent avec tant de majesté ce corps épanoui de mère, que l'on est tenté de croire avec des critiques, que, transportée dans une église chrétienne, Déméter recevrait des dévots trompés les hommages et les adorations dus aux madones.
On l'a vu, M. Rayet rapporte Déméter de Cnide à la fin du ive siècle, et il n'est pas un critique qui puisse songer à une autre époque. Sans parler de la maîtrise incomparable du ciseau, habile à rendre avec tout son raffinement une pensée subtile, et possédant tous les secrets du métier, il est certain que cette représentation de Déméter n'a pu être conçue qu'au moment où se sont fixés dans leur forme classique les types des divinités grecques. Ce que Praxitèle, par exemple, a fait pour Aphrodite, pour Apollon, pour Hermès, pour le Faune, le maître inconnu qui sculpta la statue de Cnide l'a fait pour Déméter, ou du moins passera chez les modernes pour l'avoir fait, tant qu'une découverte nouvelle ne fera pas passer cette gloire sur quelqu'un de ses contemporains ou de ses prédécesseurs immédiats.
On le voit, notre admiration pour la Déméter du Musée Britannique est très grande; elle ne va pas jusqu'à nous aveugler sur quelques défauts. Si l'on doit louer sans réserves l'attitude du corps et de la tête légèrement penchée, l'ampleur majestueuse des formes, la richesse sobre des draperies et des voiles, surtout l'expression du front, des yeux et de la bouche émus d'une douleur vraiment divine, nous ne devons pas oublier qu'il y a un peu de lourdeur dans l'écrasement du torse sur le vaste trône, et quelque disproportion dans la longueur et l'épaisseur des jambes, quelqu'embarras aussi dans la complication de la robe et du manteau. Dans son désir de donner au corps toute l'ampleur, toute la plénitude des formes maternelles, le sculpteur est allé un/peu trop loin; par bonheur la tête, cette tête qu'il a sculptée à part comme pour l'avoir plus près de lui, et la mieux caresser d'un ciseau amoureux, la tête mérite vraiment les deux épithètes de parfaite et de divine.
Bibliographie. — W. Gell, Antiqaities of Ionia, III, p-. 22. — Newton, Discoveries at Halicarnassus, Cnidus and Branchidæ, II, p. 375; pl. LUI. — Brunn, The
Demeter of Knidus (Transact. of the r. society of litteratur, 2me sér., XI, p. 80). —
Overbeck, Kunstmythologie, III, p. 441 et 456 ; atlas, pl. XIV, nos 14 et 19. — Murray, Hist. of greek sculpture, II, pl. 23. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, p. 552, pl. IV. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 146. — Daremberg et Saglio, Diction. des antiquités, flg. 1305. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 1562. — Brunn-Bruckmann, Monuments etc., pl. 65. — Voy. surtout 0. Rayet, Monuments de l'art antique, et Wolters, Gipsabaiisse zu Berlin, no 1275.
P. P.
212. — Aphrodite de Vienne au Louvre.
Ce marbre précieux, trouvé à Vienne, en Dauphiné, est entré au Louvre en 1879. On y a fait une restauration essentielle, celle des pieds, afin que la statue pût être dressée sur un socle; mais on s'est gardé de restituer la tête ni les bras; on n'a pas non plus réparé l'éclat de marbre qui a sauté du genou gauche.
Le type de la statue du Louvre est bien connu; il est même banal, tant les répliques en sont fréquentes dans tous les musées. C'est le type de la Vénus au bain, ou Vénus accroupie. On sait d'ailleurs, que les variantes de détail permettent de classer les Vénus accroupies en deux groupes. Dans l'un prennent part tous les monuments où l'on voit la déesse, la main gauche reposant sur la cuisse, et le bras droit se portant vers l'épaule gauche, faire simplement un geste pudique, ou se ramassant sur elle-même dans l'attente frileuse de l'eau qui va l'inonder; dans le second se rangent les images où la déesse est plutôt occupée de sa toilette; elle place sa main gauche sous son aisselle droite, et relève son bras droit qui s'arrondit en arrière, c'est-à-dire qu'elle se verse de l'huile d'une main et se frotte de l'autre. L'Aphrodite de Vienne pourrait se rapporter au premier type, mais ce qui l'en distingue bien nettement, ainsi que d'autres statues similaires, c'est qu'elle est une figure détachée d'un groupe.
En effet, sur le dos de la déesse, on voit appliquée une petite main d'enfant; derrière Aphrodite se tenait donc Éros; la brisure du cou indique que sa mère se tournait vers lui ; des traces sur les deux cuisses montrent clairement que le bras gauche, sans doute au-dessous du coude, s'appuyait sur la cuisse gauche, tandis que l'extrémité des doigts pendants effleurait la cuisse droite. Mais on peut discuter sur la position exacte du bras droit, et aussi sur la position d'Eros.
M. J. Martha imagine que l'enfant se penchait à droite — c'est sa main
gauche qui repose sur le dos d'Aphrodite — pour écouter quelque recommandation, et qu'en même temps il frottait d'huile sa mère.
Quant à la déesse, « son bras droit se détournait vers la gauche en arrondissant l'épaule, sans doute pour retenir les boucles de sa chevelure en partie dénouée ». Si l'on n'admet pas cette hypothèse, il faut penser qu'Éros versait de l'eau sur Aphrodite, l'eau d'un flacon qu'il élevait dans sa main droite; un reste de tenon qui se voit à la surface de la jambe droite, semblerait indiquer la présence d'un accessoire, une cruche par exemple.
L'époque où fut créé le type de l'Aphrodite accroupie n'est pas nettement déterminée. Pline l'Ancien (N. H., XXXVI, 35), dit que l'on voyait à Rome, dans le temple de Jupiter situé dans le portique d'Octavie, une statue de Vénus au bain, œuvre du sculpteur Dédale, mais on hésite à reconnaître dans ce Dédale l'artiste, originaire de Sicyone, qui vécut à la fin du ve siècle, et que l'on place parmi les disciples ou les successeurs de Polyclète, ou le sculpteur bithynien du même nom qui travailla au m0 siècle (Overbeck, Schriftquellen, no 2045). Rien ne prouve, dans tous les cas, que l'un ou l'autre ait conçu le modèle original qu'ont imité tant de sculpteurs. Il suffit de dire que l'idée de représenter Aphrodite au bain est assez ancienne, comme en font foi plusieurs monuments antérieurs peut-être à Dédale de Sicyone. Mais il est probable que l'on doit au IVC siècle d'avoir donné à une image de ce genre son caractère tout nouveau de décence coquette; le geste plein de pudeur raffinée des Aphrodites accroupies nous semble avoir une parenté frappante avec le geste que Praxitèle imagina de donner à la merveilleuse statue de Cnide; c'est à l'école de Praxitèle que les artistes apprirent à chercher et à exprimer ces formes, ces mouvements d'une élégance et d'un esprit raffinés, qui réduisirent quelques-uns des dieux au rang de simples mortels, et transformèrent définitivement les anciennes statues religieuses en véritables statues de genre.
Quoi qu'il en soit, si le motif du groupe de Vienne n'est pas original, l'œuvre a néanmoins des mérites qu'aucune autre statue similaire n'a de communs avec elle. Ces mérites résident surtout dans le choix du modèle qu'a reproduit le sculpteur, et la précision d'une très franche réalité avec laquelle il en a rendu les formes très particulières. Aphrodite n'est pas ici une jeune fille légère et mièvre, d'une élégance un peu fade et banale, comme tant d'autres, mais une femme épanouie dans la pleine maturité de sa chair, le sein ample et robuste, la taille
forte, les jambes rondes et bien nourries. Son attitude même, si propre à faire valoir la souplesse, à faire saillir les rondeurs harmonieuses du corps féminin, insiste sur le caractère de sa beauté plantureuse. Il y a plus : le sculpteur a voulu que tous les traits de son modèle vivant se retrouvassent dans la statue, et il a copié jusqu'aux plus personnels, avec une précision que nous pourrions appeler naturaliste; c'est ainsi que la forme des seins rappelle sans artifice l'allaitement de la nourrice, les plis de chairs qui se gonflent sur le ventre les dures épreuves de la maternité. C'est là que réside vraiment l'intérêt et la valeur de la statue de Vienne ; mais il est juste de dire que l'artiste a su allier à cette franchise d'observation et d'expression le goût le plus élevé du beau. Ainsi l'on peut dire que la ligne du dos, si simple, si pure et si grasse, révèle chez celui qui l'a tracée, avec une justesse parfaite de vision, un sentiment très vif d'idéal.
Bibliographie. — Ravaisson, Gazette des Beaux-Arts, 1879, t. XIX, p. 401. —
J. Martha dans 0. Rayet, Monuments de l'art antique. — Cf. pour le type de la statue : Stark, Unedierte Venusstatuen, p. 18. — Bernouilli, Aphrodite, p. 234. —
Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 571. - Roscher, Ausführl. Lexicon der Mythologie, art. Aphrodite.— E. Pottier, S. Reinach et A.Veyries, LaNécropole de Myrina, pl. III, p. 261, 269-71, etc.
P. p
213. — Vénus d'Arles, au Louvre.
Cette statue a été découverte en 1651 dans les ruines du théâtre romain d'Arles en Provence; la ville d'Arles, en 1683, en fit hommage à Louis XIV. Quelques restaurations sans importance, comme l'extrémité du nez, un des bouts de la bandelette, un grand nombre de morceaux de la draperie, le pouce du pied droit, etc., d'autres essentielles, le bras droit, l'avant-bras gauche, les deux mains, ont été exécutées en 1684 par Girardon.
Les Arlésiens crurent longtemps que c'était là une statue de Diane, parce que le théâtre d'Arles passait pour un temple de Diane, mais l'erreur est manifeste ; c'est bien Aphrodite qui est représentée, et Girardon a eu raison de la restaurer en conséquence ; il lui fit tenir de la main droite élevée une pomme, et de la main gauche un miroir qui a depuis été supprimé. Il n'est pas certain d'ailleurs que cette restitution soit la véritable. M. Frœhner prétend que la main droite relevée
était occupée à arranger la chevelure, tandis que la gauche portait un flacon ou un miroir, vers lequel s'inclinait le regard ; dans tous les cas, et à supposer que la statue complète ait différé par quelque détail de la restitution proposée, le principe en est certainement juste. Bernouilli a insisté avec raison sur le type de la déesse, qui ne peut convenir qu'à une Aphrodite à sa toilette, et a montré l'erreur des critiques, par exemple Waagen, 0. Muller, Overbeck, qui veulent faire de la déesse d'Arles une Vénus Victrix tenant d'une main un casque, et s'appuyant de l'autre sur une lance.
On a souvent rapproché la Vénus d'Arles de la Vénus de Milo, mais Bernouilli a fait justement remarquer que le type des deux statues est tout différent; d'abord, elle repose sur la jambe gauche, au lieu de reposer sur la jambe droite; c'est le bras droit qui est élevé au lieu du bras gauche, et la tête est de même penchée vers la gauche au lieu de l'être vers la droite. De plus, la draperie remonte un peu plus haut sur la hanche de la Vénus d'Arles, et se replie en se relevant sur le bras gauche.
La statue entière est d'une grande beauté; c'est très probablement l'œuvre d'un sculpteur de l'époque romaine, si l'on en juge par certains détails de style, par la technique de la draperie et la forme des seins, qui sont un peu mollement arrondis ; mais elle ne peut qu'être la copie d'un original grec assez célèbre, car il en existe au moins une autre réplique (découverte en 1776, à Ostie, par le peintre écossais Gavin Hamilton, aujourd'hui au Musée Britannique), et de plus cette copie est due à un artiste qui avait bien prononcé le sentiment de la beauté classique. La tête est particulièrement belle ; on peut la rapprocher de la tête de la Vénus de Milo pour la majesté grave et douce des traits ; mais il y a ici quelque chose de plus élégant, de plus féminin et de moins divin dans l'expression plus simple du visage, dans l'élégance plus coquette de la chevelure où s'enroule et d'où se déploie avec grâce une large bandelette.
Toutes ces remarques permettent de penser, sans crainte d'erreur grave, que l'Aphrodite d'Arles peut remonter jusqu'à l'époque de Praxitèle; le sujet familier ne conviendrait pas à la déesse plus sévère du siècle précédent, et l'exécution de la statue comme son style ne permettent pas d'en faire la sœur des Vénus maniérées et banales qui pullulent à l'époque romaine.
Quant à la présence de cette Aphrodite dans les ruines d'Arles, il suffit, pour l'expliquer, de rappeler l'importance du culte de la déesse
dans les villes de Provence, Antibes, Marseille, Port-Vendres, et que la ville d'Arles elle-même s'appelait Colonia Iulia Arelatensis.
Bibliographie. — M. Frœhner, Notice de la sculpture antique du Louvre, no 137, p. 181, a donné une longue liste des travaux relatifs à la Vénus d'Arles. Ajoutons Clarac, Musée de sculpture, où sont données la restauration de Girardon (Vénus à sa toilette) et la restauration en Vénus Victrix, pl. 342, nO 1307. — Müller-Wieseler, Denkm. der alt. Kunst, II, pl. XXV, no 271. — Bernouilli, Aphrodite, p. 75.
P. P.
214. — Pallas de Vellétri, au Louvre.
Cette statue, en marbre de Paros, tire le nom sous lequel elle est universellement connue de la petite ville de Velitrse (aujourd'hui Vellétri), située non loin de Home, où on l'a découverte en 1797, dans les ruines d'une villa. Après des péripéties assez curieuses, elle finit par rester en possession de la France qui la disputait à l'Italie; elle a fait le sujet de l'article 8 du traité de Florence (28 mars 1801).
Il n'a jamais pu y avoir le moindre doute sur le sujet de la statue.
Cette déesse plus grande que nature, coiffée du casque corinthien (auquel il faudrait adjoindre un vaste panache), vêtue d'une longue robe sans manches par dessus laquelle s'étalent ou se croisent les plis d'un ample manteau, chaussée d'épaisses sandales tyrrhéniennes ; cette déesse dont la poitrine est ornée du gorgonium à chevelure de serpents, ne peut être qu'Athéna. Mais il y a des hésitations sur les attributs qu'il faut placer entre ses mains, car, par malheur, les deux mains ont été brisées. Pour la main droite, la restitution semble s'imposer; des statues analogues arment Athéna de la lance, c'est bien une longue lance qu'il faut placer ici; mais, pour la main gauche, on peut choisir entre une petite Victoire, une patère, un casque ou un hibou.
Pour notre part, nous opterions assez volontiers pour cette dernière hypothèse, car tout, dans la Pallas de Vellétri, nous fait songer à la déesse pacifique plutôt qu'à la guerrière : l'attitude si calme et si majestueuse, la richesse et l'ampleur des draperies mal disposées pour la bataille, surtout l'expression de pensée profonde qui rayonne du visage incliné.
Ce dernier caractère est celui qui nous intéresse le plus; si l'on se rappelle le type des Athénas archaïques, par exemple de l'Athéna de
Munich, on le trouve en tout semblable au type de toutes les mortelles comme de toutes les déesses sculptées un peu avant les guerres médiques ; si l'on se rappelle les Athénas de Phidias, en particulier les diverses copies de la Parthénos, on voit qu'il ne semble pas avoir voulu donner à la grande divinité de l'Acropole une expression qui la distinguât des autres olympiens; tout au plus a-t-il conçu cette forme carrée et un peu lourde de la face qui paraît bien avoir caractérisé la fameuse statue chryséléphantine. Ici, pour la première fois, nous reconnaissons la déesse des travaux pacifiques, de la civilisation, des arts, de la pensée. L'ovale du visage s'allonge dans une courbe fine sans sécheresse; les yeux grands et un peu tristes semblent regarder au loin sans bien voir, comme les yeux d'une personne absorbée dans la méditation; la bouche petite et mince, sans maigreur, s'abaisse un peu aux angles, comme il convient à la rêverie mélancolique; et l'ombre projetée par la visière du casque sur le front penché précise encore le sentiment pensif de cette tête admirable.
Cette conception a fait fortune; les Athénas du même type pullulent dans les musées; mais aucun n'a les mérites exceptionnels de la statue du Louvre, car le mouvement général du corps, dans son élégante et souple majesté, s'accorde admirablement avec l'expression du visage, et, comme une idole destinée à recevoir les hommages dévots, la Pallas de Vellétri produit une impression profondément religieuse. Il faut ajouter que l'exécution est à la hauteur de la conception ; elle est simple et sobre aux parties nues du corps, singulièrement hardie et libre dans la facture des plis et des draperies comme des ornements accessoires.
Aussi faut-il admettre que si le marbre du Louvre date peut-être de l'époque romaine, l'original était bien plus ancien. Friederichs-Wolters pensent qu'on peut le faire remonter au IVe siècle, et tel est aussi notre avis. Ils croient en outre que cet original était en bronze, si l'on en juge par la forme un peu dure et sèche de la statue — pour nous, ces caractères ne nous frappent point — et surtout par la technique des plis.
Citons, en terminant, ces détails curieux empruntés à M. Frœhner : « Le marbre se compose de six morceaux : le torse drapé avec la plinthe; la tête avec le cou et la gorge; le bras gauche; le bras droit avec les serpents placés sur le bord de l'épaule; enfin la partie antérieure des deux pieds. Tous ces morceaux sont terminés par des cônes,
enchâssés dans le torse au moyen de crampons. La pointe de la visière
et les mains avaient été fracturées anciennement déjà et recollées par des attaches de fer». M. Frœhner nous apprend en outre que les yeux et la bouche portent des traces de couleur rouge, passée au violet foncé.
Bibliographie. — Millin, Monuments antiques inédits, II, pl. 23. — Piroli, Musée Napoléon, I, pl. 7. — Clarac, Musée de Sculpture, III, pl. 320, no 851. — Müller-Wieseler, Denkm. d. ait. Kunst, II, pl. XIX, no 204. — Frœhner, Notice de la sculpture antique du Louvre, no 114, p. 144. — Roscher, Aurfùhrl. Lexicon der Mythologie, I, p. 702 (art. Athena). — Baumeister, Denkmœler etc., fig. 167. — V. Duruy, Hist.
des Romains, III, p. 435. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1434; cf. no 1433.
P. P.
215. — Diane de Gabies, au Louvre.
Avec la Vénus de Milo, la Diane de Versailles et l'Apollon du Belvédère, la Diane de Gabies est certainement la statue antique qui est la plus universellement connue en France. Les reproductions et réductions en bronze, marbre ou terre cuite sont tellement répandues que l'œuvre elle-même en a souffert, et peut paraître à plus d'un banale.
Mais cette popularité n'est qu'un témoignage de plus de la beauté de ce marbre précieux.
Découvert en 1792, dans les ruines de l'ancienne Gabies, le marbre est passé au Louvre avec la collection Borghèse. Il faut signaler quelques restaurations : le nez, un morceau de l'oreille gauche, le poignet et la main droite, le coude du bras gauche, la main gauche avec le pan du manteau qu'elle tient; le pied gauche avec la moitié de la jambe, enfin la partie antérieure du pied droit.
Panofka (Atalante et Atlas, Berlin, 1851) a cherché à démontrer que la statue représente Atalante se préparant à la course; mais cette théorie n'a pas été acceptée; on continue à reconnaître Artémis, occupée à rattacher sa tunique sur l'épaule gauche au moyen d'une fibule.
Tous les détails conviennent bien à la jeune déesse de la chasse, la sveltesse du corps agile, la légèreté de la draperie et de la chaussure, l'élégance simple des cheveux relevés en chignon et cerclés d'une bandelette solide, enfin la grâce virginale de l'attitude et du visage.
M. Frœhner a bien analysé le charme de cette œuvre si pure : « Vêtue, dit-il, d'un chiton de chasse à manches courtes et relevé jusqu'au dessus du genou, Artémis attache les deux bouts de son manteau avec
une fibule sur l'épaule droite. Sa chevelure frisée est entourée d'une bandelette, ses pieds sont chaussés de riches sandales. Rien de plus gracieux que cette pose simple et facile, cette attitude toute virginale d'une jeune déesse qui achève sa toilette. La tête, tournée vers la droite, est d'une élégance inimitable; les lèvres, fines et demi-closes, rappellent les éloges que les anciens ont prodigués aux Dianes de Praxitèle. L'artiste, avec un sentiment exquis, a su animer le marbre par les contrastes les plus heureux. D'un côté, on voit les contours arrondis du bras levé, l'épaule couverte, les lignes droites du chiton plissé, la jambe sur laquelle repose le corps; de l'autre côté, une épaule découverte jusqu'à la naissance du sein, le bras appuyé contre la poitrine, les surfaces planes du manteau qui retombe sur le genou, et la jambe gauche retirée en arrière. Ces nuances de pose et de mouvement, réunies à la beauté du style et à la perfection de l'exécution font un ensemble ravissant et digne, à tous les points de vue, de l'époque d'Alexandre le Grand ».
Nous ne croyons pas possible de fixer plus exactement la date où fut sculptée, non pas la Diane de Gabies elle-même, qui est sans doute une copie de l'époque romaine, mais l'original qu'elle reproduit, et dont plusieurs répliques trouvées en Italie montrent la célébrité. Nous devons seulement dire que la création du type classique de Diane chasseresse est postérieure aux guerres médiques; le sculpteur Strongylion a peut-être exécuté le premier pour Mégare une statue de la déesse ainsi court-vêtue; plus tard, Praxitèle sculpta une Artémis chasseresse pour le temple d'Anticyra. On voudrait pouvoir dire que la Diane de Gabies nous a gardé le souvenir du maître athénien.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, III, pl. 285, no 1208. — MüllerWieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. XVI, no 179.— Frœhner, Notice de la sculpture antique au Louvre, no 95, p. 119. — V. Duruy, Hist. des Romains, V, p. 458.
P. P.
216. — Mars Borghèse (Thésée?).
La statue connue d'abord sous le nom d'Achille, puis de Mars Borghèse, car elle est passée au Louvre, en 1808, avec la collection Borghèse, représente un jeune guerrier à la figure fine et imberbe, des boucles de cheveux échappées du casque qui le coiffe, le corps complètement nu, dans une pose gracieuse de force et d'abandon à la
fois. Le bras gauche, qui se replie, soutenait un bouclier, tandis que la main droite, que l'on a restaurée, devait tenir une arme offensive — l'épée probablement. Détail caractéristique et assez surprenant, la cheville de la jambe droite est cerclée d'un anneau mystérieux que l'on a différemment interprété et qui reste encore une énigme.
L'ensemble de la statue n'est pas sans quelque ressemblance avec le Doryphore de Polyclète : même port de bras, même inclinaison de tête et même disposition des jambes; seulement le style en est tout différent, et, se rapprochant plutôt des formes sveltes et nerveuses des œuvres de Lysippe, dénote déjà une nouvelle influence et se modèle sur un nouveau canon. Ce qui dans cette statue nous frappe le plus, c'est l'expression vivante de la physionomie : en effet, une pensée se réflète sur ce visage, une douceur souriante flotte légèrement sur les traits animés du guerrier. Que nous sommes loin ici de la tête inintelligente et ronde du Doryphore, dont le visage est irrémissiblement fermé à tout sentiment, et qui semble endormi dans l'orgueil impassible de ses muscles et de ses formes carrées ! Une nouvelle école est donc survenue : Phidias, Polyclète et Myron donnaient uniformément à toutes leurs statues la même physionomie sereine et impénétrable ; Scopas, nous le savons, est le premier qui ait levé ce masque et animé le marbre. Avant lui, le port de la statue traduisait seul vaguement la pensée de l'artiste. Scopas mit la vie sous le regard, et c'est alors que commença vraiment la sculpture expressive : c'est cette influence que nous retrouvons dans l'exécution de la tête de notre statue. En effet, la physionomie du personnage a le frisson de la vie et traduit un sentiment, tandis que le reste du corps au contraire reste insensible et froid dans sa parfaite harmonie de lignes. Aussi sera-ce à quelque grand artiste de l'époque de Scopas que nous attribuerons l'original dont le marbre Borghèse ne nous offre sans doute qu'une reproduction. Cette œuvre est assurément une des plus belles et des plus charmantes surtout que nous ait léguées l'antiquité, et nous paraît digne de figurer honorablement à côté de l'Apoxyoménos de Lysippe, voire peut-être de la Vénus de Milo.
Si le nom du sculpteur est pour nous un mystère, nous ne sommes pas plus avancés pour assigner sûrement le nom du héros ou du dieu que cette œuvre représente. Bien des conjectures ont été émises; nous les passerons en revue et nous nous rattacherons à la plus simple.
On possède une statue qui offre les plus grandes ressemblances
avec la statue Borghèse et qui porte sur son piédestal l'inscription romaine significative « Marti »; aussi en a-t-on conclu un peu légèrement que la statue qui nous occupe est un Arès. La première objection que l'on puisse faire, c'est que l'on pouvait fort bien offrir à Mars pour l'honorer, non seulement sa propre image, mais encore la reproduction de quelque héros fameux et dont les exploits rappelaient ceux du dieu de la guerre; c'était ainsi reconnaître que tout cédait à sa vaillance, et que les plus forts se mettaient sous sa protection et lui étaient soumis.
En second lieu, comment se pourrait-il que ce guerrier imberbe, dont la physionomie, comme nous l'avons déjà remarqué, a une expression de douceur plutôt que d'audace, dont la tête penche doucement sur l'épaule, et dont le corps a une pose tranquille, représentât le dieu terrible qu'Homère nous montre se ruant dans la mêlée noire et effrayant les bataillons du seul bruit de sa voix? Arès est un dieu brutal, fort, barbu et fougueux : or le prétendu Arès Borghèse n'a pas de barbe, à peine de courts favoris naissants, et une fine chevelure ondoyante, quand on s'attend à des cheveux embroussaillés, touffus et hirsutes. Il est pourtant juste de reconnaître que depuis Phidias le type austère des Dieux s'était fort humanisé : l'Arès Ludovisi en est une preuve ; nous n'avons plus sous les yeux qu'un beau jeune homme assis, les mains négligemment croisées sur son épée au fourreau, et avec, entre ses pieds, un petit amour qui le lutine; seulement l'Arès Ludovisi est puissamment musclé, autrement que l'Arès Borghèse.
L'hypothèse donc de l'identification avec Arès est rejetée. D'autres ont voulu y voir un Achille, et l'anneau de la jambe gauche ne serait alors qu'un débris de la cnémide fracassée et perdue. De telles suppositions sont trop ingénieuses, et leur fantaisie suffit à les faire condamner.
Le héros que quelques archéologues ont cru reconnaître dans l'Arès Borghèse est Thésée. Thésée, nous le savons, est avec Héraclès un des héros les plus populaires de la Grèce, et il n'est pas étonnant que les artistes se soient exercés à le représenter. Le vainqueur du taureau attique, des Amazones et du monstre crétois devait être, dans l'imagination du peuple, un sauveur légendaire que l'on confondait vaguement avec les dieux eux-mêmes. Le guerrier Borghèse nous semble, d'autre part, convenir admirablement au type de Thésée, et la douceur souriante de l'adolescent nous rappelle très bien le visage tout virginal du fils d'Aethra et de Poseidon, arrivant à Athènes sous
des habits de fille, dans une robe flottante dont se moquaient les ouvriers qui travaillaient alors au temple d'Apollon Delphinien.
Beauté, jeunesse et séduction, n'est-ce pas là ce qui doit personnifier ce beau jeune homme dont s'éprendront les vierges de Crète et pour qui Ariadne souffrira à Naxos? On a voulu expliquer l'anneau du pied gauche en en faisant un symbole un peu mesquin de l'esclavage volontaire que le héros dut subir dans le labyrinthe. Nous croyons que c'est là prêter arbitrairement une subtilité assez bizarre à l'esprit droit et simple des sculpteurs grecs. Ne vaut-il pas mieux penser que le héros, qui était allé jusqu'en Asie combattre les Amazones, en avait rapporté le luxe oriental, et s'était plu à se cercler les chevilles d'anneaux d'or? Les dernières découvertes qui nous ont révélé l'art et la civilisation des Achéens n'ont-elles pas d'ailleurs prouvé, par de nombreux exemples, que la mode des anneaux sonnant sur les chevilles était familière aux guerriers des temps héroïques?
En étudiant la Vénus de Milo, on a eu l'occasion de parler de l'ingénieux essai de restitution tenté par M. Ravaisson, aussi ne nous y arrêterons-nous pas. Nous remarquerons simplement que lui-même, pour le besoin de son groupement, a dû allonger les jambes de l'Arès — qu'il avoue d'un autre style que la Vénus. D'après lui ce groupe représenterait Vénus-Proserpine et Mars-Thésée; c'était le grand symbole de l'amour qui désarme la guerre, la grande victoire de la femme sur l'homme. Cette restitution est très ingénieuse et pourra sembler à plus d'un critique assez vraisemblable. Mais elle risque de n'avoir jamais que la valeur d'une hypothèse, surtout si l'on a soin de remarquer que M. Ravaisson veut grouper la statue du Louvre — ou du moins une statue absolument similaire - avec la Vénus de Milo.
Bibliographie. — Clarac, Musée de Sculpture, III, pl. 263, nO 2073. — Roscher, Ausfuhrl. Lexicon der Mythol., p. 489 (art. Arès). — Daremberg et Saglio, Dict. des antiq. grecques et rom., p. 52 (art. Achille). — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 47.
— Wolters, Gipsabgïïsse zu Berlin, no 1298.
J. LARRIBIU.
217. — Le prétendu Inopos.
Le fragment de statue que l'on a coutume de désigner sous le nom d'Inopos est en marbre de Paros et provient de l'île de Délos. Apporté à Marseille au commencement du siècle par un navire de commerce,
il fut acquis par un artiste français, Antoine Gibelin, qui le céda au Musée du Louvre où il est encore.
Il n'a pas été restauré; on a seulement refait le nez et une partie des joues et des lèvres qui étaient effritées.
Que représente ce buste?
La première hypothèse, longtemps admise, a été donnée par Visconti, qui a vu dans le fragment du Louvre la représentation d'une divinité fluviale; nous aurions donc le portrait du fleuve Inopos qui coulait à Délos, et sur les bords duquel Apollon et Artémis virent le jour. Cette opinion a été adoptée par Clarac, 0. Muller, Frœhner, Liibke, qui, prétendant que la statue était à demi-couchée et placée à l'angle d'un fronton, l'ont comparée aux marbres du fronton du Parthénon, et en ont attribué l'exécution à une date très voisine des sculptures de Phidias.
M. Wolters est le premier qui ait réfuté cette hypothèse. Il déclare qu'on n'a pas de preuves pour voir dans ce buste le portrait d'un dieu fluvial; que la statue n'est pas de l'époque de Phidias, et qu'elle ne peut pas être antérieure à Alexandre.
Bien que ses assertions manquent d'appui, cependant elles paraissent justes. En effet, sur quoi se fonde-t-on pour dire que ce buste représente une divinité fluviale? C'est une hypothèse qui n'est soutenue d'aucune preuve. Clarac prétend que « les dieux des petites rivières étaient figurés sans barbe » ; mais n'y a-t-il que ces personnages qui soient ainsi figurés? La statue était à demi-couchée, dit-on. Qui le prouve? Ce n'est là qu'une supposition faite pour créer une ressemblance factice avec les marbres du Parthénon. Elle était placée au frontispice d'un temple, affirme-t-on, car « le dos est plat », et les cheveux sont seulement ébauchés. Mais les statues du Parthénon ellesmêmes ne sont-elles pas modelées avec soin sur les deux faces? Et de plus, il est impossible que cette statue ait été placée au fronton d'un temple, car le fragment que nous possédons a une hauteur de 0m95, ce qui suppose pour la statue entière environ 2m 30; or, d'après les dernières découvertes, il n'y avait à Délos aucun temple dont le fronton fût assez élevé pour abriter une statue de cette taille. De plus, la comparaison avec les marbres du Parthénon ne peut être soutenue.
En effet, Lübke et Wolters l'ont remarqué, dans les marbres du Parthénon le traitement du corps et surtout des parties nues a beaucoup moins de mollesse que dans le buste du Louvre ; celui-ci a les cheveux longs et rejetés négligemment en arrière, tandis que dans les mar-
bres en question ils sont courts et quelquefois même indiqués seulement par une couche de peinture.
Quant à la date, sur quelles preuves s'appuie Frœhner pour dire que la statue est peu postérieure au siècle de Phidias? Jusqu'à ce que son hypothèse soit démontrée, nous pouvons douter qu'elle soit vraie.
On doit donc rejeter l'hypothèse de Visconti. Une autre solution a été donnée par M. Ch. Ravaisson qui a vu, dans le buste du L'ouvre, un portrait d'Alexandre le Grand. Cette opinion a été soutenue par M. S. Reinach. Mais il semble qu'elle ne puisse être adoptée. En effet, d'après les renseignements des anciens, nous devons nous représenter Alexandre avec la tête légèrement penchée sur l'épaule gauche, le regard dirigé vers le ciel, les yeux humides, à l'éclat voilé, la chevelure rejetée en arrière, la bouche petite, la figure carrée, la physionomie virile et léonine. Aucun de ces caractères ne se retrouve dans le buste du Louvre, à l'exception du port de la chevelure. La tête y est penchée à droite; le regard est ouvert, dirigé vers la terre; la figure est calme, d'un ovale allongé ; la bouche grande, avec de fortes lèvres.
Mais nous savons qu'Alexandre avait fait de Lysippe son sculpteur officiel, peut-être parce que, seul, Lysippe avait su allier l'expression léonine de son visage avec l'éclat voilé de ses yeux. Nous savons aussi que les portraits d'Alexandre faits par Lysippe furent imités par des artistes plus ou moins habiles, et enfin que, pendant un certain temps, ce fut une mode parmi les successeurs d'Alexandre d'imiter son port de chevelure, de chercher à acquérir son regard voilé en conservant son allure virile.
On peut donc faire, à propos du buste du Louvre, deux hypothèses : ou bien c'est l'œuvre d'un artiste qui a cherché à imiter les portraits d'Alexandre exécutés par Lysippe, et qui a gardé, dans son faire, une certaine indépendance; ou bien c'est le portrait d'un des successeurs efféminés d'Alexandre, de l'un de ceux qui cherchaient à l'imiter en tout, jusque dans l'attitude penchée de sa tête.
Entre ces deux solutions, il est assez difficile de se prononcer. Ce qu'il y a de certain, c'est que nous avons affaire à une œuvre médiocre, postérieure à Lysippe qui l'a inspirée, appartenant sans doute à l'époque que l'on est convenu d'appeler macédonienne.
Bibliographie. — Clarac, Musée de Sculpture, IV, pl. 750, n° 1820 ; VI, pl. 1086.
no 1820. — Welcker, Alte Denkmseler, I, p. 14. — Frœhner, Notice de la Sculpture antique au Louvre, nO 448. — S. Reinach, Gazette archéol., 1887, p. 35, pl. 19. —
Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, no 1601. M. AUDOIN.
218. — Sophocle du Latran.
Cette statue en marbre a été découverte à Terracine (Italie) parmi les ruines d'une maison particulière, où elle se trouvait cachée dans un mur, la face contre terre. En 1829, elle fut donnée au pape Grégoire XVI, qui la fit placer au musée du Latran qu'il venait de fonder.
Tenerani a restauré les pieds, la main gauche, et la base de la statue avec l'écrin. La tête, à part le nez qui est un peu éraflé, se trouve intacte.
On a bien vite reconnu l'importance de ce marbre; on connaissait la physionomie de Sophocle par différents bustes portant une inscription antique; l'erreur n'était donc pas possible, et l'on a donné, sans hésiter, son vrai nom au personnage.
Sophocle est représenté debout, dans une attitude à la fois naturelle et conventionnelle. Ses traits sont bien ceux que les anciens lui attribuent, mais la convention apparaît dans le costume, dans les draperies arrangées avec art, et dans la nudité des jambes et des pieds. La tête elle-même n'a pas une attitude bien naturelle. Sophocle lève les yeux au ciel comme pour chercher l'inspiration. On voit que le sculpteur a voulu représenter le poète, mais le poète idéalisé.
Cette intention apparaît dans la technique même de l'œuvre : la barbe par exemple n'est pas traitée d'une façon simple; on ne trouve pas d'homme chez qui les mèches soient divisées ainsi par masses et pareillement frisées. Cependant la ressemblance n'y perd rien.
La convention apparaît encore dans l'âge donné au poète. C'est une tradition chez les sculpteurs grecs de représenter les hommes de génie dans un âge assez avancé; ici, au contraire, Sophocle paraît relativement jeune : chez lui, le génie a atteint sa maturité avant la vieillesse.
Son attitude d'ailleurs ne siérait guère à un vieillard. Il y a là un effort original à noter en faveur de l'artiste.
Les mérites esthétiques de l'œuvre sont grands. La pose, quoique un peu théâtrale, est naturelle. La statue a une vigueur jeune, et il se dégage d'elle un sentiment de noblesse qui convient parfaitement à un poète tel que Sophocle.
Avons-nous là une œuvre originale? Ce n'est pas probable. La statue première de Sophocle était en bronze, et de plus, dans la facture de l'œuvre, on trouve certains caractères qui semblent rappeler une époque où les copistes altèrent l'original. Il y a une exagération de
détail qui ferait croire à la reproduction par un Romain de l'œuvre originale, œuvre qu'il aurait trop interprétée. Mais quel est cet original? Nous savons que le fils de Sophocle, Iophon, fit élever une statue à son père et la plaça sur son tombeau ; de plus, quarante ans plus tard, d'après le témoignage de Plutarque, l'orateur Lycurgue fit faire en bronze la statue des trois grands tragiques pour en orner le théâtre de Dionysos. On a prétendu que c'est sur cette statue de Sophocle, due aux soins de Lycurgue, que serait copiée la statue qui nous occupe. Cela est possible, mais on ne saurait le démontrer, car si l'on a retrouvé les bases des statues de Lycurgue, on n'a pu réunir aucun des fragments des portraits eux-mêmes.
Quelques archéologues ont insisté sur un point. Si l'on considère la tête de la statue, on voit qu'elle a les cheveux pressés par une sorte de lien. Welcker prétend que ce lien est le signe de la victoire; Sophocle serait représenté ici comme vainqueur des autres tragiques. Il aurait ce lien autour de la tête parce que les Athéniens, et en particulier le sculpteur, voulaient consacrer ainsi ce caractère du poète presque toujours victorieux. Cela est possible, mais nous ne croyons pas que cela soit vrai. D'abord, on n'a pas à vraiment parler une bandelette (rama), mais plutôt un lien arrondi, un simple cordon. L'explication nous semble plus simple : ce lien n'est qu'un ornement, comme on en trouve beaucoup sur les peintures de vases ; il n'a aucune signification particulière; c'est un procédé du sculpteur pour mettre un peu de variété dans la masse des cheveux.
Bibliographie. - Monumenti dell' Instituto, IV, pl. 27. — Welcker, Alte Denkmæler, I, p. 455, et Atlas, pl. 5. — Clarac, Mus. de sculpture, V, pl. 840 C, nO 2098 E.
— Benndorf u. Schœne, Die ant. Bildw. des lateranischen Museums, pl. 24. — L.
Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 205. — Krûger, Arch. Zeitung, 1871, p. 64.
— Baumeister, Denkmœler etc., fig. 1707. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 267, et Hist. des Romains, IV, p. 559. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nO 1307.
M. AUDOIN.
219. — Démosthène du Vatican.
Cette statue de marbre se trouve au musée du Vatican. Elle est dans un état de conservation presque parfait. Il n'y a de moderne que les mains et la moitié des avant-bras.
D'après un certain nombre de portraits de Démosthène, qui repro-
duisent tous presque identiquement les mêmes traits de visage, on peut se faire une idée nette de ce qu'était la physionomie du grand orateur. L'œuvre que nous avons ici la retrace dans toute sa pureté.
La statue renferme, dans sa facture, une part de convention : c'est la demi-nudité du personnage. De plus, le sculpteur a voulu montrer chez Démosthène l'effort de la pensée, qui est un de ses traits caractéristiques. La restitution des bras, la position des mains concordent très bien avec l'expression de la tête. Démosthène n'est pas à la tribune ; ce n'est pas l'orateur en action : il prépare un dicours ou lit un ouvrage. Tous les bustes de Démosthène ont ce caractère de méditation profonde. La figure est grave avec quelque chose d'austère, de mélancolique, qu'on rencontre peu souvent dans la sculpture grecque.
Très souvent l'artiste représente la douleur; mais le caractère mélancolique est rarement rendu, et il fallait qu'il fût bien accentué chez Démosthène pour que l'auteur de la statue l'ait exprimé avec tant de force. La figure n'a rien de beau : les traits sont accentués, la bouche est un peu grande, le front saillant, il y a dans l'ovale de la face quelque chose d'écourté que dissimule mal la barbe; mais l'expression de la pensée sauve tout et rend la tête intéressante.
Avons-nous affaire à une œuvre de pur style grec? Peut-être; mais il est plus probable que nous sommes en présence de la copie romaine d'un original grec datant du me siècle avant notre ère. Nous savons que les Athéniens avaient commandé au sculpteur Polyeuktos une statue de Démosthène, qui fut érigée vers 280 av. J.-C.; cette statue avait les deux mains réunies. On s'est alors demandé s'il ne fallait pas restaurer autrement les deux mains. Nous aurions alors une reproduction de la statue de Polyeuktos placée à l'Acropole, près du temple des douze dieux. Mais cette conjecture ne peut être démontrée.
Bibliographie.—Clarac, Mwsée de sculpture, Y, pl. 842, no 2099 C.-Nibby, Museo Chiaramonti, II, pl. 24. — Pistolesi, Il Vaticano descritto, IV, pl. 19, 2. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 465. - V. Duruy, Hist. des Grecs, III, p. 190. - Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1312.
M. AUDOIN.
220. — Eschine de Naples.
Cette statue, découverte à Herculanum, se trouve maintenant au musée de Naples.
On crut longtemps qu'elle représentait Aristide, mais après l'avoir
comparée avec un buste du Vatican, portant l'inscription Atax.{v'll¡;, on s'aperçut que l'on se trouvait en présence d'une statue d'Eschine.
On ne sait pas à quel sculpteur il faut attribuer cette statue. Dans tous les cas, ce n'est pas l'œuvre d'un grand artiste, ce n'est là qu'une réplique, un peu modifiée, de la statue de Sophocle qui se trouve au Vatican (n° 218).
Eschine réfléchit, la tête baissée. Son visage austère, aux sourcils froncés, au front profondément plissé, porte bien l'empreinte de la méditation. Voilà ce qui distingue cette statue de la statue de Sophocle, dont la figure épanouie et sereine est tournée triomphante vers les dieux témoins de ses nombreux succès.
Par contre, les deux corps sont posés de la même façon, appuyés surtout sur la jambe gauche raidie, et un peu sur la jambe droite portée en avant; Eschine et Sophocle sont enveloppés de l'tp.a:nov, le bras gauche rejeté en arrière, le bras droit replié sur la poitrine ; leur chaussure est la sandale.
Ce qu'il y a de curieux, c'est que les deux statues, posées pareillement, mais l'une toute théâtrale, et l'autre plus près de la réalité, représentant un homme qui pense, sont pourtant toutes deux harmonieuses. Dans la statue d'Eschine toutes les parties s'accordent à montrer un homme qui médite, dans la statue de Sophocle à représenter un homme enflé de gloire.
La statue d'Eschine n'est, nous l'avons dit en passant, qu'une imitation de celle de Sophocle. Ce qui porte à le croire, c'est que cette dernière est plus simple que l'autre; le manteau d'Eschine fait une grande quantité de plis, dont la multiplicité même enlève à la statue de sa majesté, ce que nous ne trouvons pas dans la statue de Sophocle. Enfin nous remarquons dans la statue de Sophocle une vigueur et une force qui ont disparu dans celle d'Eschine pour faire place à quelque chose d'un peu mou et d'un peu flottant.
En somme cette statue d'Eschine n'a d'autre valeur que de nous montrer comment les anciens se servaient d'un modèle et le modifiaient pour créer une œuvre nouvelle.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, V, pl. 843, no 2122. - Comparetti e de Petra, La villa Ercolanese, pl. 18, 2. — Bullettino dell' Instituto, 1832, p. 204. —
Baumeister, Denkmseler etc., fig. 35. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nO 1316.
M. MILLET.
221. — Enfant à l'oie (Musée de Munich).
Pline (N. H., XXXIV, 84) attribue au sculpteur Boéthos de Carthage, qui fut surtout célèbre comme toreuticien, un groupe de bronze représentant un enfant qui étrangle une oie. On s'accorde à reconnaître des copies de cette œuvre célèbre dans les nombreux groupes (à Rome, par exemple, et au musée du Louvre) analogues à celui que nous avons à décrire ici, et sans pouvoir appuyer cette opinion sur des arguments formels, on fait vivre Boéthos à la fin de l'époque alexandrine.
Quoi qu'il en soit, l'Enfant à l'Oie est une des plus gracieuses productions de cette école spirituelle et rompue à toutes les difficultés d'exécution, qui, à l'imitation de Lysippe, s'est complu aux sujets de genre. C'est une figure bien amusante que ce bambin en lutte avec un oiseau aussi gros et aussi fort que lui ; l'animal résiste des pattes et des ailes, mais son adversaire l'a saisi au cou et le serre si vivement que le bec s'ouvre, et l'on croit entendre la clameur de détresse qui s'en échappe; l'oie est posée lourdement et a vraiment l'air stupide qui caractérise sa race. L'enfant, au contraire, fort embarrassé sans doute de la proie qu'il a capturée et veut entraîner, n'en est pas moins fièrement campé sur ses petites jambes, et sa figure souriante montre qu'il a bien conscience de sa supériorité. C'est du reste un vigoureux petit homme, dont le corps tout potelé n'a aucune mollesse, dont on sent les muscles sous la peau jeune et laiteuse; il a toute la grâce de l'enfance, mais d'une enfance qui promet une jeunesse robuste. La tête est particulièrement charmante avec ses boucles soyeuses et sa huppe pittoresque, avec ses joues joliment rebondies, sa bouche mutine et ses yeux espiègles, et nous ne savons qu'apprécier davantage, l'imagination ingénieuse et la fantaisie plaisante du sculpteur, ou bien la virtuosité de son ciseau à donner une expression si personnelle à ces formes enfantines, son génie spirituel ou son goût qui révèle l'étude des meilleurs maîtres.
On sait que le quatrième siècle a vu fleurir, dans l'art secondaire de la terre cuite, une inépuisable collection de jolis petits Éros, d'enfants, pour mieux dire, occupés aux mille amusements de leur âge; parmi eux, un grand nombre jouent avec un chien familier, avec un jeune porc lourdaud, avec un coq gourmand qui veut leur happer quelque friandise. L'Enfant à l'Oie de Boéthos est bien leur digne frère;
mais combien il y a loin de la véritable beauté, de la réelle valeur artistique du groupe du Louvre à la banalité molle et à la convention routinière des figurines analogues dues aux coroplastes; la comparaison peut être utile pour réduire à ses justes proportions l'admiration, parfois exagérée, qu'excitent ces dernières.
Bibliographie. — Lützow, Milnchener Anliken, pl. 20. — Clarac, Musée de Sculpture, V, pl. 815, n° 2232. — Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 123. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 247. — Baumeister, Denkmzler etc., I, fig. 372.— Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, n° 1586.
P. P.
222. — Le Spinario (Rome, Palais des Conservateurs, au Gapitole).
Le Spinario ou Tireur d'épine est une statue en bronze fort bien conservée : il ne lui manque en effet que les globes des yeux, qui primitivement devaient être en émail ou en argent, et qui se trouvaient encastrés dans l'orbite.
La statue représente un jeune homme, ou plutôt un enfant occupé à retirer une épine de son pied. Le personnage, assis sur un tronc d'arbre, a placé le pied gauche sur la cuisse droite ; la main gauche tient le pied blessé, et l'autre essaie d'enlever l'épine. De cette position procède le mouvement général : la tète se porte en avant et s'incline vers la droite pour voir le dessous du pied, qui naturellement n'est pas posé tout-à-fait à plat; l'épaule gauche s'avance aussi et s'élève plus haut que l'autre; la courbure du dos présente à droite des raccourcis et se développe complètement au contraire du côté opposé.
Si nous passons au détail, nous remarquons que le visage est régulier, délicat, mais sans grande expression : on n'y sent ni la douleur, ni la colère, ni l'impatience, ni même une émotion quelconque. La chevelure est formée par des sillons à angles vifs rayonnant autour d'un point central au sommet de la tête, et s'enroulant en bas de manière à figurer des boucles recoquillées. La bouche et les yeux, à cause de l'inclinaison de la tête, se présentent sur un plan presque horizontal. Les sourcils sont formés par un arc très ouvert, d'une correction géométrique; le nez est long et bien fait; les lèvres sont légèrement avancées, le menton est plein et un peu gros. Les bras du
Spinario sont grêles et fins, et pourtant malgré cette maigreur on ne sent pas le muscle sous la peau : ce sont les chairs un peu molles d'un enfant qui semble maladif. Les poignets sont peu soignés : celui de gauche surtout est lourd et grossier. Les doigts aussi sont négligés ; ceux de la main gauche ressemblent à des fuseaux, les phalanges sont à peine indiquées, et au lieu de serrer, d'étreindre le pied, ils restent allongés en le soutenant avec mollesse. Les jambes ont le même défaut, la gracilité, que les bras; les genoux aussi ont été rapidement traités. Le torse, quoique frêle, est meilleur, le modelé en est plus ferme; la saillie des pectoraux, le creux de l'estomac, les replis du ventre sont bien observés et bien rendus. Il y a, dans le raccourci du côté droit, des lignes ondoyantes de l'effet le plus gracieux.
L'impression que l'on ressent à la vue de cette statue est assez complexe : on ne la trouve point belle, et pourtant elle plaît. C'est que si d'une part elle est un peu indécise et comme énervée, elle respire aussi une élégance naïve et délicate.
Nous ne savons rien de précis sur l'histoire de cette œuvre : elle ne porte aucune inscription, aucune signature, elle n'est désignée dans aucun texte ancien, on ignore même l'endroit où elle a été trouvée, et l'on n'est pas d'accord sur le sujet qu'elle représente. C'est dire qu'elle a provoqué de nombreuses discussions entre les archéologues, et qu'une multitude de théories ont été émises pour fixer la date où elle a été faite et l'école qui l'a produite.
Cette statue faisait d'abord partie du musée du Capitole, fondé par Sixte IV, et le premier écrivain qui en fasse mention est Andrea Fulvio dans son poème latin intitulé Antiquaria Urbis (1513). Il est possible que la découverte du Spinario soit plus ancienne, mais, outre que la question est sans grande importance, il est difficile de la juger; en effet, tandis que d'une part M. Müntz, d'après Cicognara, place la découverte de la statue avant 1402, parce qu'il croit voir dans une figure de Brunellesco datant de cette époque une imitation du Tireur d'épine, M. de Liphart conteste la ressemblance, et du coup détruit l'argumentation qui reposait entièrement sur elle.
Il est bien plus important de savoir à quel siècle et à quelle école appartient la statue. Une tradition populaire, que M. Rayet rapporte et réfute, veut que le Spinario représente un jeune berger qui, durant les luttes de Rome contre les seigneurs pillards de la campagne, aurait été envoyé en éclaireur et se serait blessé pendant sa mission.
De là le nom de « Fedele » qu'on donne aussi au Spinario. Cette
légende ne saurait se soutenir, car mille détails, principalement la technique des cheveux, la facture des jambes et des bras, le procédé qui consiste à enchâsser dans le bronze des yeux faits d'une autre matière, sont des signes évidents d'antiquité.
Le Spinario n'est donc pas une œuvre de la Renaissance : tout le monde semble maintenant d'accord à ce sujet. Mais quelle en est la date? Ici, il y a presque autant d'avis que d'archéologues.
Welcker, Brunn, Overbeck, comparant le Spinario à la statue de Boéthos représentant un enfant qui serre une oie dans ses bras (n°221), le rattachent à l'école de Pergame, soit à peu près à la fin du ne siècle avant J.-C. Tout d'abord, on peut objecter que l'analogie du sujet est plus que lointaine; puis, si l'on examine ces deux statues en les plaçant l'une à côté de l'autre, on s'aperçoit qu'il n'y a aucune ressemblance entre la technique des deux œuvres, bien plus, que les procédés des deux auteurs sont presque opposés. Le Spinario est maigre et un peu sec. L'enfant de Boéthos est gros et potelé, la graisse forme des replis sur les bras, sur les cuisses, sur le ventre ; de plus, il est vivant, il s'amuse, tandis que l'autre semble de caractère sérieux, comme de visage.
Friederichs voit dans le bronze du Capitole une statue antérieure à Lysippe. Il ne dit pas de combien, mais MM. Brizio et Furtwaengler, qui se rangent à son avis, la placent dans la première moitié du ve siècle, le premier y reconnaissant la grâce de Kalamis, le second y voyant l'originalité de Myron. Mais on remarquera que le Spinario a moins de grâce que de fragilité, et répond donc assez peu à l'idée que nous avons de la manière de Kalamis. Quant à l'opinion de M. Furtwaengler, elle a perdu l'argument sur lequel elle reposait puisqu'on a découvert que le Spinario 'n'était qu'une réplique d'une statue plus ancienne.
M. Kékulé présente une thèse contraire : il croit que le Spinario est du temps de César et de Pompée, de l'école de Pasitélès, de l'époque où la sculpture, rompant avec le présent, se met à imiter les vieux modèles. M. Robert et M. Rayet soutiennent cette opinion, et ce dernier apporte un nouvel argument en affirmant que le type du Spinario n'est pas grec mais bien italien. Cette thèse ne nous semble pas juste : l'école de Pasitélès était archaïsante, c'est-à-dire que sa sculpture était artificielle et conventionnelle, et ce qui frappe fortement dans le Spinario c'est la naïveté et la franchise. L'auteur n'a pas l'excellence du goût et la perfection du talent, mais on sent qu'il est sincère. D'ail-
leurs le type du Spinario est un type grec : sa tête ressemble à celle de l'Apollon de Choiseul-Gouffier pour les traits et même pour la coiffure, qui est celle de beaucoup de tètes archaïques d'enfants ou d'éphèbes, par exemple du Triptolème de la célèbre stèle d'Éleusis (n° 174).
Pour nous donc la thèse de M. Kékulé, pas plus que les autres, ne saurait être admise, et s'il fallait désigner l'école de l'artiste qui a sculpté le Spinario, nous serions disposé à croire que c'est plutôt celle de Scopas. Ce sont en effet les disciples de ce sculpteur qui ont suivi les leçons des modèles antiques en y ajoutant de l'élégance, de l'esprit, mais en affaiblissant aussi toutes leurs qualités de force et de grandeur; ce sont eux qui, en voulant rendre tout gracieux, ont tout atténué ou tout gâté, eux enfin qui ont fait ces statues sans sexe, comme l'Apollon jouant de la lyre du Vatican, gracieuses peut-être, mais d'une grâce affadie. Le Spinario a bien ce caractère d'indétermination : est-ce un enfant, un adolescent, un jeune homme? On ne sait; c'est un être vague qui semble saisi dans un âge de transition, au moment de la croissance.
Il est facile d'ailleurs, en considérant les autres répliques que nous avons du Tireur d'épine, de se rendre compte que dans le Spinario le sculpteur a voulu idéaliser un motif qui à l'origine était prosaïque et matériel. Outre le bronze du Capitole, nous avons deux autres statues représentant le même sujet : l'une en marbre, trouvée à Rome il y a une quinzaine d'années, puis acquise par M. Castellani, est actuellement au British Museum; l'autre est un bronze trouvé à Sparte qui fait aujourd'hui partie du cabinet de M. Edmond de Rothschild. Dans ces deux copies d'un original antique, on voit le caractère primitif de l'œuvre : le personnage était vigoureux, trapu, carré d'épaules, plus courbé sur son pied que le Spinal'io, qui ne songe, dirait-on, qu'à prendre une pose élégante. C'était probablement un coureur qui s'était blessé en chemin et qui n'en avait pas moins remporté la palme ; le sculpteur, généralement embarrassé pour représenter les coureurs, qu'aucun attribut ne distingue, avait sans doute dû saisir avec joie cette occasion de donner à la statue une pose originale. Le type était devenu populaire ; on avait copié la pose pour représenter d'autres alhlèles ou même la statue tout entière pour faire des études : c'est vraisemblablement ainsi qu'ont été faits le bronze de Sparte et le marbre Castellani ; puis l'école de Scopas est arrivée, qui copiait les antiques en les affadissant, et elle a produit le Spinario.
Quant à déterminer l'école du prototype d'une façon précise, c'est
assurément impossible : il faut se contenter d'hypothèses plus ou moins probables. M. Rayet flotte entre trois ou quatre opinions, et il est bien difficile de voir celle qu'il préfère; on croit cependant comprendre qu'il penche vers l'école de Polyclète, mais l'auteur du Canon a trop de simplicité d'imagination, trop d'amour de la beauté simple et nue, pour avoir cherché, trouvé et osé reproduire une pareille attitude. La donnée du Tireur d'épine est plutôt dans la manière de l'auteur du Discobole. On a objecté qu'à son époque le sujet de genre n'existait pas, et M. Robert s'appuie sur cet argument pour affirmer que le premier type de notre statue est postérieur à Lysippe. Mais pour soutenir une pareille affirmation, il faut laisser de côté une partie importante de la sculpture grecque : la statuaire funéraire.
Qu'est-ce en effet que la stèle de Naples représentant un berger et son chien, que la stèle de Philis, sinon des sujets de genre? Le Marsyas d'ailleurs en est un, le Discobole en est un autre, plus hardi qu'eux tous.
Quoi d'étonnant que le Tireur d'épine soit leur contemporain, que le bronze du Capitole soit l'interprétation, due à un disciple de Scopas, d'un prototype se rattachant l'école de Myron?
Bibliographie. — Piroli, Musée Napoléon, IV, pl. 24. — Brizio, Annali dell' Instituto, 1814, p. 63, tab. d'ag. M; Monumenti, X, pl. II. — Robert, Annali, 1816, p. 124 et s. — 0. Rayet, Monuments de l'Art antique. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 248. — Furtwsengler, der Dornauszieher und der Knabe mit der Ganz. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 215.
Ducos DE LAHAILLE.
225. — Frise du monument de Lysicrate.
L'une des ruines antiques d'Athènes les plus connues et les plus dignes de l'être est certainement le monument choragique de Lysicrate, que l'on se plaît souvent à désigner de ce nom populaire, la Lanterne de Démosthène, car une tradition raconte que Démosthène s'y serait enfermé pour travailler et méditer dans la solitude.
Ce petit édifice, qui est situé non loin du pied de l'Acropole, à l'est, sur le bord de l'ancienne rue des Trépieds, fut édifié par le chorège Lysicrate en souvenir de la victoire qu'il remporta en 335/4 avant Jésus-Christ, sous l'archontat d'Euainetos. C'était la coutume des chorèges vainqueurs de consacrer un trépied commémoratif; mais rarement, sans doute, ce trépied s'élevait sur un piédestal aussi pré-
cieux que celui de Lysicrate.La simple colonne traditionnelle - deux sont encore debout contre le rempart de l'Acropole — a fait place ici à une sorte de petit temple rond dressé sur un haut soubassement de marbre, et surmonté d'un riche fleuron sculpté sur lequel était posé le trépied. Le corps du monument se compose d'une légère colonnade corinthienne qui supporte une architrave divisée en trois faces, une frise ornée de bas-reliefs, des denticules et un larmier que borde une couronne d'antéfixes; le toit est formé d'une riche imbrication de marbre et décoré de trois consoles qui se rattachent au fleuron servant de base et de support au trépied. Les colonnes sont engagées dans un mur circulaire qui se termine au sommet par une frise où se détachent en relief des trépieds.
On a maintes fois vanté la grâce et l'élégance de l'ensemble et la richesse du détail; nous n'avons à nous occuper ici que de la frise sculptée de l'entablement; malgré ses petites dimensions — elle a seulement vingt centimètres de hauteur — c'est une d'œuvre d'art et des plus précieuses.
Lysicrate fut sans doute vainqueur, avec le chœur d'enfants qu'il avait équipé et fait instruire au nom de la tribu Acamantide, dans une fêle consacrée à Dionysos, car c'est un exploit de ce dieu que représentent nos bas-reliefs. La légende rapportait qu'un jour Dionysos, sous la figure d'un bel et brillant jeune homme, se promenait sur le rivage, quand des pirates Tyrrhéniens se précipitèrent sur lui pour l'enlever ; mais Dionysos les changea en dauphins. Voilà le thème sur lequel les poètes et les artistes ont brodé. On connaît l'hymne soi-disant homérique : Dionysos, enchaîné et jeté dans le navire des pirates, fait tomber ses liens et s'assied à l'écart; le pilote reconnaît un dieu puissant et demande qu'on le ramène au rivage; mais le chef veut poursuivre sa route pour vendre son captif en Égypte ou à Cypre; alors les prodiges éclatent aux yeux de tous : « D'abord, un vin délicieux, parfumé, coule en murmurant à travers le sombre navire; une odeur divine s'élève. A cet aspect, la stupeur s'empare de tous les matelots. En même temps une vigne, projetant çà et là ses rameaux, s'étendit jusqu'au haut de la voile, et de nombreuses grappes y étaient suspendues, tandis qu'autour du mât grimpait un lierre couvert de fleurs, étalant de gracieux fruits; toutes les chevilles des rameurs avaient des couronnes. Cependant, le dieu devint dans le navire un lion terrible, et vers la proue il se mit à rugir avec force; puis, au milieu, il créa une ourse au cou velu, qui se dressa
furieuse; le lion, de son côté, à l'extrémité du pont, lançait des regards effroyables. Les matelots, éperdus, s'enfuirent à la poupe, autour du sage pilote; alors, le lion bondit et saisit le chef; les autres, évitant le destin fatal, sautèrent tous à la fois dans la mer divine et ils devinrent dauphins. Dionysos eut pitié du pilote, il le sauva et le rendit heureux » (Hymn. ad Dion., v. 35-54). Le sculpteur a choisi parmi tous ces détails et ces épisodes, et il a interprété le motif choisi à sa manière; il nous a montré simplement la défaite des pirates et leur métamorphose en dauphins, et au lieu d'adopter le pont du navire pour théâtre de la scène, il s'est contenté du rivage de la mer.
Au centre de la composition, Dionysos, tenant de la main gauche une patère et caressant de la main droite une panthère familière, est assis ou plutôt à demi-couché sur un rocher où s'étale une draperie ; e dieu est très jeune; son visage est imberbe, et tout son corps est nu. Devant et derrière lui sont assis sur des rocs, dans des attitudes simples et gracieusement naturelles, deux jeunes satyres du cortège du dieu; on les reconnaît, le premier au thyrse qu'il appuie contre son épaule, le second à sa queue de cheval; de part et d'autre de ce groupe central on voit un autre satyre, debout, celui-là, et se préparant à plonger dans un vaste cratère l'œnochoé qu'il porte à la main droite; comme les deux premiers, ces deux satyres sont tout jeunes et imberbes; ils sont aussi absolument nus. Ainsi, le motif principal est séparé des motifs secondaires, et la composition est très nette.
A droite de cette scène, les satyres sont aux prises avec les pirates.
D'abord trois satyres; le premier, barbu et d'un certain âge, le côté gauche couvert par une nébride pendante, élève de la main droite une coupe; le second, portant aussi la nébride, brandit une branche d'arbre en guise de massue; il est jeune et sans barbe; le troisième, jeune aussi, la nébride enroulée autour du bras gauche, prend son élan pour assommer à coups de massue un pirate tombé à la renverse devant lui dans une attitude assez piteuse.
Puis vient un groupe vigoureusement dessiné : un vieux satyre a jeté un pirate à genoux sur le roc, et lui fait mordre la poussière; il lui ramène brutalement les bras en arrière, et le maintient contre le sol à la force de son genou gauche; derrière ces lutteurs, un satyre barbu courbe la branche d'un arbre pour la briser et s'en faire une arme. Cet arbre qui sert, avec le cratère dont nous avons parlé, à enfermer, pour ainsi dire, et séparer les sept personnages que nous
venons de décrire, correspond à un arbre symétrique à gauche du tableau central; revenons donc au grand cratère de gauche. Devant lui, et lui tournant le dos, un vieux satyre barbu a placé sa nébride sur une souche, et il s'appuie du bras gauche sur ce support improvisé; son thyrse contre l'épaule, il contemple les scènes de bataille, et médite; il est précédé d'un de ses compagnons, nu et barbu, qui, présentant comme une lance une torche enflammée, court à l'aide d'un ami plus jeune. Celui-ci, cependant, n'est pas en mauvaise posture : il a terrassé son adversaire qui des mains et des genoux a touché le sol ; il le maintient du bras et du genou gauche et va l'assommer d'un coup de massue; la nébride secouée flotte au vent. Derrière eux, un autre groupe : un pirate est à genoux, les mains liées derrière le dos, regardant avec terreur un des compagnons de Dionysos, solide vieillard qui le menace avec son thyrse. En avant du pirate se trouve l'arbre; ce troisième tableau n'a donc que six personnages.
Restent deux tableaux, séparés aussi par un arbre; c'est là que nous rencontrons enfin la métamorphose des Tyrrhéniens. Tandis qu'un satyre est occupé à arracher une branche du premier arbre à gauche de la scène centrale, et s'y emploie avec la même vigueur que celui dont nous avons parlé plus haut, derrière lui un monstre à jambes et à torse d'homme, mais à tête de dauphin, se précipite dans la mer, dont les flots sont dessinés au-dessous de lui ; un second groupe est formé par un jeune pirate nu qui fuit à toutes jambes devant un vieux satyre armé d'une torche. La dernière scène comprend huit personnages; ce sont, en reprenant à droite, depuis le premier arbre que nous avons signalé, d'abord un monstre, moitié homme, moitié dauphin, qui plonge dans les flots, puis un groupe formé d'un pirate assis, les mains liées derrière le dos, la tête violemment ramenée en alTière, qu'un satyre barbu s'apprête à frapper d'un coup de branche d'arbre ; vient ensuite un vieux satyre courant à toutes jambes vers la droite, et qui va brûler avec une torche un pirate assis sur une éminence rocheuse. Cette figure est particulièrement curieuse, non seulement parce que le pirate semble avoir les cheveux hérissés sur la tête, mais parce qu'il a l'épaule mordue par un énorme serpent, fils de la terre venu au secours du dieu.
Il ne reste plus à signaler qu'un groupe très amusant : un satyre barbu qui saisit à deux mains, par le pied, un pirate tombé à la renverse, et prend élan pour le faire tournoyer et le lancer à la mer, et enfin un dernier pirate, déjà à demi-transformé, qui s'allonge au-dessus des flots où il va s'abîmer.
On le voit, cette succession de tableaux a le grand mérite d'être simple; la frise très étroite n'est pas inutilement surchargée; les scènes se suivent et se déroulent sans confusion. Il est à remarquer que le sculpteur a isolé le dieu lui-même, avec quelques compagnons privilégiés. Surpris au milieu d'un festin, les Satyres ou sont restés calmes devant l'attaque des pirates, ou se sont élancés au combat; Dionysos ne s'est pas ému, comme il convient, devant une agression si peu redoutable, et n'a pas cessé de caresser sa panthère favorite.
On ne peut même pas dire qu'il y ait lutte; les pirates sont vaincus et domptés sans bataille; ceux qui ne sont pas assommés, se sauvent, ou, changés en bêtes, sautent dans la mer; c'est une honteuse déroute de brigands sacrilèges devant quelques vieillards armés en hâte de branches d'arbres; rien ne pouvait mieux montrer la puissance souveraine du dieu.
La frise a par malheur beaucoup souffert; la surface des corps est presque toujours rongée ou émoussée; on peut cependant se faire une idée de la correction du dessin toujours ferme, de l'élégance toujours pure des attitudes; il y a dans les scènes de combat de la vigueur sans excès, et des groupements de corps tels que devait en voir la palestre aux plus beaux jours de lutte; on peut cependant reprocher à l'artiste quelques répétitions, d'où naît une certaine monotonie.
Enfin, les monstres à demi-marins, à demi-terrestres, sont ingénieusement, même spirituellement imaginés et modelés, et le sculpteur a très joliment agencé des éléments qui semblaient inconciliables; le torse et les jambes, souplement allongés, ont, malgré leurs formes humaines, on ne sait quelle fluidité de queue de poisson; on n'est ni étonné, ni choqué de voir ces phénomènes se hâter vers l'onde amère comme vers leur élément naturel.
Quant à la date de ces bas-reliefs, si elle n'était pas indiquée par le nom de l'archonte Euainetos, elle le serait clairement par le style de la sculpture. Ce dieu, que sa panthère seule sert à faire reconnaître pour Dionysos, ces Satyres jeunes ou vieux, barbus ou imberbes, dont le thyrse, la nébride ou la queue de cheval, réduite à de très faibles dimensions, révèlent seuls la nature, ne peuvent appartenir qu'à la descendance des dieux rajeunis par l'esprit et le ciseau de Praxitèle; cette composition spirituelle, amusante parfois, mais fort peu religieuse, cette succession de tableaux de genre, ne pouvait avoir été conçue, ni exécutée avec cette légèreté de ciseau, qu'au milieu du IVe siècle.
Bibliographie. - Müller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, I, pl. XXXVII, no 130.
— Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 113, 114. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 203, 204. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 925. — Wolters, Gipsabgilsse zu Berlin, n° 1328.- L'inscription du monument de Lysicrate est la suivante (C. I. G., 221 ; C. I. A., II (3), no 1242) :
P. P.
224. — Poseidon d'Herculanum.
On a découvert, le f8 avril 1753, à Résina, dans la villa des Papyrus, un magnifique buste de bronze, qui se trouve aujourd'hui au Musée de Naples.
On a cru d'abord y reconnaître le portrait d'un philosophe. La pose inclinée de la tête, l'expression du visage qui pouvait dénoter le recueillement d'une méditation profonde, rappellèrent les vers connus de Perse : Esse. quod Arcesilas œrumnosique Solones, Obstipo capite, et figentes lumine terram ; Murmura cum secum et rabiosa silentia rodunt.
Sat. III, v. 78, 79, 80.
Une érudition plus ou moins complaisante rapprocha de ce monument les marbres et les pierres gravées où l'on pensait retrouver les traits de Platon, et tel est le nom qui fut attribué à ce buste.
Cette opinion n'a pas tardé à être abandonnée, et c'est dans le cycle des personnages divins qu'on a cherché un nom pour le buste d'Herculanum.
Dans la galerie des moulages de Berlin il est désigné comme un Dionysos. Le dieu serait représenté dans la force de l'âge, barbu' suivant l'ancien type du Dionysos Pogonitès que reproduisent souvent les vases à figures noires. Le caractère de langueur et d'indolence ferait ici place à une expression d'accablement; seule la disposition de la chevelure, peignée avec soin et retenue par une bandelette, rappellerait la parure efféminée qui distingue le dieu.
Friederichs au contraire croit reconnaître un Dionysos buvant. Et il appuie son hypothèse sur deux faits, d'abord que le buste n'est qu'un
fragment de statue, et non une œuvre complète par elle-même, ensuite qu'un relief en terre cuile du Musée de Berlin, où se reconnaît le fils de Sémélé appuyé sur son thyrse et tenant un canthare, semble fournir les lignes générales, ou tout au moins l'attitude de la statue. Le dieu tiendrait son canthare dans la main droite, le regard fixé sur lui, et la tristesse peinte sur son visage serait alors la tristesse qui précède l'ivresse.
M. Collignon met en doute les conclusions de Friederichs et semble pencher vers une autre hypothèse : « Grâce, dit-il, à un curieux rap» prochement, dont l'honneur revient à M. François Lenormant, il est » permis de substituer au nom de Dionysos celui de Poséidon, et il » semble en outre qu'on puisse déterminer sûrement les lignes du » groupe auquel appartenait le buste du Musée de Naples. M. Lenor» mant a été frappé de la ressemblance que présente notre monument » pour le type du visage et la pose de la tête avec une représentation » de Poséidon, figuré sur un statère d'or de Tarente. Le dieu, assis, » incline la tête pour regarder son fils Taras ; le héros fondateur de » Tarente, né des amours de Poseidon avec une nymphe, est encore » enfant, et tend les bras vers son père qui paraît le contempler avec » tendresse ».
L'hypothèse de M. Collignon peut très bien se soutenir et semble s'appuyer sur des raisons sérieuses. La position de la tête n'est pas celle de la nonchalance ou de l'abattement, mais elle est motivée par la direction du regard. Les lignes du buste s'accordent fort bien avec le mouvement supposé; l'épaule gauche se relève grâce à l'appui du trident qui soutient le bras, tandis que la droite, un peu affaissée, laisse deviner le bras qui s'abandonne et la main qui repose sur les genoux. De plus, les monuments fournissent des rapprochements décisifs. La chevelure longue, serrée par une bandelette et réunie en masse sur la nuque, est portée par Poseidon sur un grand nombre de vases à peintures noires et sur un bas-relief de style hiératique décorant une base de candelabre. Enfin, ce qui semble encore plus concluant, c'est l'aspect de force et de vigueur que l'artiste s'est efforcé de traduire. Cette puissante encolure qui suppose de larges épaules, une poitrine bien développée, fait songer aux épithètes attribuées par la poésie au maître de la mer; c'est le dieu à la large poitrine (Eùpúanpvoç), le dieu robuste (eùpuffôevrjç).
La seule objection qu'on pourrait faire à M. Collignon, c'est que le Poseidon de la monnaie tarentine a le torse nu, alors que, dans le
buste de Naples, le haut du corps est couvert par les plis d'une longue tunique.
Si l'on a pu hésiter sur le nom, il n'y a qu'une voix pour proclamer le mérite esthétique de cet admirable morceau. L'art ancien nous a laissé peu de spécimens plus accomplis de l'art du bronze.
Est-ce un original? Tout porte à le croire. Les copies anciennes étaient faites très librement; si scrupuleux qu'on suppose l'artiste chargé de cette reproduction, aurait-il apporté à son travail ce soin exquis, cette coquetterie de perfection qui donnent au bronze d'Herculanum toute la saveur d'un original?
On sait que ce buste n'est qu'un fragment, le bronze a été retaillé, comme si l'on avait voulu conserver un débris de statue mutilée. On n'aurait sans doute pas fait cet honneur à une simple copie.
Est-il possible de déterminer la date de ce chef-d'œuvre? Friederichs, frappé surtout par le caractère pathétique qu'il a cru reconnaître, y retrouve l'influence de Scopas et de Praxitèle, et propose d'attribuer ce buste au milieu du IVa siècle. D'autre part, M. Lenormant admet la date du va siècle. Évidemment l'agencement de la chevelure se ressent encore des habitudes archaïques; les papillotes de la barbe portent aussi une légère nuance d'archaïsme. Cependant une exécution aussi habile, qui traite le détail avec un art si raffiné, ne rappelle en rien la sincérité laborieuse de l'archaïsme, ni le modelé plus large du ve siècle. Cette alliance de la tradition des vieilles écoles avec une merveilleuse souplesse de main nous fait saisir sur le vif la façon dont s'y prenaient les artistes pour modifier librement un type ancien, tout en conservant certains détails caractéristiques; en tous cas, les qualités techniques nous autorisent à placer notre buste vers le milieu du IVe siècle, c'est-à-dire à un moment où l'art du bronze, en pleine possession de ses procédés, se joue avec aisance de toutes les difficultés.
Bibliographie. — Müller-Wieseler, Denkm. d. ali. Kunst, II, pl. XXXI, no 342.
— Comparetti e de Petra, La villa Ercolanese, pl. VII, 2. — Friederichs, Areh. Zeitung, 1862, p. 229. - F. Lenormant, La Grande Grèce, I, p. 91. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 482. — V. Duruy, Hist. des Grecs, II, p. 319. — V. Duruy, Ilisl.
des Romains, II, p. 209. — Voy. surtout M. Collignon dans 0. Rayet, Monuments de l'art antique, et Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 1285 (Dionysos).
A. SALGUES.
225 et 226. — Deux têtes d'athlètes Olympionices (Musée d'Olympie).
Voici deux têtes trouvées à Olympie dans le bois sacré de l'Altis.
L'une, la plus petite, est en marbre, l'autre en bronze. Il est bien évident que nous sommes en présence de deux tètes d'alhlètes. Ce qui le prouve, c'est d'abord le bandeau de la victoire qui ceint leur chevelure, c'est ensuite le type lui-même : les oreilles tuméfiées, les chairs bouffies par les coups, la chevelure drue et hirsute, le visage aux traits rudes, presque bestiaux, que n'éclaire pas le reflet de l'intelligence; tous ces caractères nous indiquent que nous avons affaire à deux têtes de pugilistes.
On sait qu'il y avait une grande quantité de statues d'athlètes dans le bois de l'Altis. On en a trouvé de très anciennes qui remontent certainement à l'époque préclassique; on en a trouvé également qui sont de la basse époque, de l'époque de la décadence. Ce qu'il y a d'intéressant dans les deux têtes qui nous occupent, c'est qu'elles peuvent être datées d'une façon à peu près certaine.
Que remarque-t-on en effet dans les tètes d'athlètes sculptées à l'époque archaïque? On remarque qu'elles n'ont aucun caractère particulier; ce sont des têtes régulières qui pourraient appartenir tout aussi bien à un autre personnage qu'à un athlète.
Si nous passons à l'époque classique, nous voyons que les sculpteurs, lorsqu'ils ont à représenter le type de l'athlète, se sont efforcés de nous le faire saisir, non pas en lui donnant une tète d'un type spécial, mais en établissant son corps dans une position qui fait que sans hésiter on le reconnaît pour tel. Ainsi la tête du Discobole de Myron, détachée du corps, pourrait être très bien la tète d'un Hermès ou d'un Apollon ; mais lorsque nous voyons la statue entière, c'est bien un athlète que nous avons sous les yeux, prenant son élan pour envoyer le disque. Jusqu'à cette époque la sculpture grecque a adopté pour l'athlète un type de tête tout à fait conventionnel, idéal même; on a voulu représenter l'athlète en général.
Les deux têtes que nous avons ici n'appartiennent pas à cette école.
Ce qui les caractérise, c'est que ce sont des portraits, et des portraits d'un réalisme saisissant. Dans la petite tête en marbre on remarque du premier regard les joues bouffies, les yeux enfoncés, les oreilles boursoufflées, tous les traits déformés par les coups reçus. Voyez
encore ce cou large et court, indice de la force. C'est la copie exacte de la nature. La tête de bronze est encore plus expressive : les oreilles informes, la trace des coups sur le front et sur le nez, les lèvres proéminentes, la chevelure et la barbe incultes, tout nous révèle l'homme uniquement préoccupé de sa force matérielle et brutale. Cette figure est empreinte d'un tel caractère de bestialité, si ordinaire à cette catégorie de gens, qu'aujourd'hui un sculpteur voulant représenter le type de l'athlète ne saurait mieux choisir comme modèle que la tête de bronze trouvée à Olympie. Il est facile de trouver là l'influence de Scopas et de Lysippe, de ce dernier surtout, « qui se vantait de ne devoir rien à l'influence de personne, et d'être le disciple de la nature ».
Donc ces deux têtes ne sont pas de l'époque archaïque; la forme des traits n'est nullement archaïque. Elles ne sont pas non plus de l'époque classique, car l'époque classique fut l'époque de l'idéal, et nous avons ici du réalisme. C'est donc à l'école de Scopas et de Lysippe, qui conçoivent une nouvelle manière de représenter les hommes, qu'il faut attribuer ces deux têtes, et si l'on considère leur exécution, la vigueur avec laquelle elles sont traitées, on se convaincra que l'art de fouiller le marbre et de couler le bronze est arrivé à sa perfection, et que c'est au ive siècle qu'elles appartiennent.
Bibliographie. - Ausgrabungen zu Olympia, V, pl. 20, 21, 22. — Bœtticher, Olympia, pl. II, 1 et 2. — Murray, IIist. of greek sculpture, II, p. 283. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, p. 554. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 1292, a et b. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 696 et 794. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 87. — Laloux et Monceaux, La restauration d'Olympie, p. 85. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 322 et 323.
A. SALGUES.
VI. — ECOLE DE PERGAME
227-231. - Ex-voto d'Attale, roi de Pergame, à l'Acropole d'Athènes.
Près du mur méridional de l'Acropole d'Athènes étaient, raconte Pausanias (1, 25, 2), quatre grands groupes : le combat des Dieux avec les Géants, le combat des Athéniens contre les Amazones, la bataille de Marathon, et la défaite des Gaulois en Mysie. Ces groupes
étaient de dimensions réduites, ils n'avaient que deux coudées, c'està-dire la moitié de la grandeur naturelle, et avaient été consacrés par Attale Ier, roi de Pergame, en souvenir de sa victoire sur les Gaulois. C'était là un présent considérable, car l'œuvre devait comprendre un grand nombre de personnages. On s'accorde à rattacher à ce monument célèbre un certain nombre de statues qui ont été découvertes à Rome, aux environs des Thermes de Septime Sévère, au commencement du XVIe siècle, et qui sont maintenant dispersées dans plusieurs musées d'Europe, à Venise, Naples, Rome, Paris et Aix en Provence.
Nous possédons les moulages de cinq d'entre elles : La première (n° 227), qui se trouve à Naples, où elle a été transportée avec la collection Farnèse, représente un guerrier blessé; il est assis sur le sol, les jambes allongées; il essaie de se soutenir encore et de s'appuyer sur sa main gauche, mais son bras droit pend languissamment et sa tête s'affaisse; de la blessure faite à son flanc gauche le sang coule à gros bouillons. Il est très probable, le guerrier étant nu, qu'il est de race Galate; mais la tête, qui est du reste antique, n'étant pas la tète originale, elle n'est ici d'aucun secours, et n'aide pas à fixer le type. Cependant elle a été bien choisie par le restaurateur, et malgré que le casque soit d'un type assez classique, qui ne révèle pas un étranger, la figure, avec ses favoris naissants, est bien celle d'un de ces envahisseurs venus des pays lointains, que les Grecs appelaient Barbares.
Le second personnage (n° 228) devait appartenir aussi au groupe des Gaulois. Il a été transporté de Rome à Venise dès le xvi° siècle, avec deux autres statues de même provenancç, par un certain cardinal Grimani. Blessé, le barbare est tombé sur le genou gauche; mais dans cette position il continue encore à combattre; son corps est rejeté en arrière et s'appuie sur la main gauche posée elle-même sur une proéminence du sol; de la main droite, qui était brisée, mais a été restaurée dans le mouvement juste, il serre fiévreusement la poignée de son épée. Le caractère du barbare est évident dans ce personnage : ses cheveux sont hérissés, sa barbe est en broussaille; son léger manteau rattaché sur l'épaule ne ressemble en rien au vêtement grec; enfin son visage, où l'arcade sourcilière est très prononcée, a une expression frappante de douleur et d'énergie.
Du groupe de la bataille des Perses, nous avons un personnage (n° 229) dont l'original est à Naples. Le guerrier est mort; sa tête,
couverte d'une espèce de bonnet phrygien, est courbée sur l'épaule; il porte une sorte de caleçon collant, des souliers, et un manteau qui laisse une épaule à nu; à côté de lui est une épée recourbée, caractéristique des peuples d'Orient. Cette statue est intéressante parce qu'elle nous montre encore avec quel soin l'artiste s'est attaché à donner à ses barbares leurs caractères particuliers.
Mais il nous est parvenu de cette même bataille des Perses un autre personnage bien plus intéressant encore : c'est le Galate agenouillé (n° 230) du Musée du Vatican. Le barbare, qui a le même costume que le précédent, semble se défendre contre un ennemi qui le menace d'en haut. Les sourcils contractés, la mine farouche et bestiale, ce barbare nerveux, « pelotonné sur lui-même » et une main posée à terre, « prêt à bondir comme un fauve », a une force et une intensité de vie qui nous font la plus vive impression.
Du quatrième groupe, nous avons une Amazone (n° 231), dont l'original se trouve au Musée de Naples. Couchée sur l'épieu qui l'a tuée, la main droite rejetée naturellement en arrière, tandis que le bras gauche est allongé près du corps, elle est étendue de tout son long sur le dos, gisant telle qu'elle est tombée, sa lance brisée à côté d'elle. Tout dans le personnage, le vêtement comme le corps, est traité avec une grande sobriété de détails, une grâce simple qui n'est pas exempte de force, et un naturel vraiment remarquable. C'est cette grâce, cette simplicité et ce naturel, alliés à la noblesse et à la pureté des formes, qui font le charme et la valeur de cette statue si justement admirée.
Nous ne savons pas si l'ex-voto d'Attale était en bronze ou en marbre, s'il était sculpté en relief ou en ronde-bosse. Cependant, pour des statues en ronde-bosse, les dimensions, deux coudées, nous paraissent bien fâcheuses, tandis que pour des figures en bas-relief elles nous semblent plus acceptables ; elles n'offrent rien de choquant, pas plus que celles des bas-reliefs de la frise du Mausolée ou du temple de Phigalie, qui sont pourtant plus restreintes encore.
En outre, Plutarque (Ant., 60) raconte que le Dionysos qui faisait partie de la Gigantomachie fut emporté par un coup de vent ; or, qu'une statue en ronde-bosse et en marbre soit enlevée par le vent, cela nous paraît bien un peu difficile. On se l'explique mieux s'il s'agit, non plus d'une statue, mais d'un bas-relief, c'est-à-dire d'une plaque, et bien mieux encore si l'on admet que ce bas-relief était non pas en marbre, mais en bronze.
D'autre part, ce fait que Dionysos, qui n'est qu'une divinité secon-
daire, était représenté dans la Gigantomachie, laisse supposer que bien d'autres dieux, supérieurs à lui, y figuraient aussi. Nous pouvons donc admettre au moins dix dieux dans ce groupe ; de leur côté, les Géants devaient bien être au moins une vingtaine, ce qui porte à trente, au minimum, le nombre des personnages. Si maintenant on considère que les quatre groupes étaient à peu près d'égale importance, on obtient pour l'ensemble le total considérable de 120 personnages. Il nous semble bien difficile d'admettre une pareille quantité de statues en ronde-bosse, tandis que sur un bas-relief, on comprend aisément que se soit groupé ce grand nombre de personnages. Quoi qu'il en soit, on a préféré jusqu'à présent, sans avoir de preuves d'ailleurs, admettre que c'étaient des statues en ronde-bosse. Pour nous, sans prendre absolument parti dans le débat, nous avons exposé les raisons qui nous porteraient à y voir plutôt des bas-reliefs.
Nous ne connaissons pas le nom de l'artiste qui a sculpté ce monument ; et certains archéologues, frappés de la beauté de quelques-unes de nos statues, se sont plu à y reconnaître les originaux mêmes qui ont orné l'Acropole. Nous ne partageons pas cette opinion; nous sommes disposés, on l'a vu, à admettre que l'ex-voto d'Attale était en bronze; d'autres raisons nous confirment dans cette opinion, et nous font regarder comme des copies les statues dont nous nous occupons.
D'abord, elles sont en marbre; or, certains détails, comme par exemple les cheveux et la barbe du guerrier qui est tombé sur un genou et tient encore à la main la poignée de son épée (nO 228), sont évidemment traités comme dans des œuvres en bronze. De plus, elles représentent toutes des vaincus de ces combats légendaires ou historiques, et nous ne trouvons pas une seule représentation d'un vainqueur quelconque; cela est bien étrange. On se l'expliquerait en admettant que l'original se trouvait à Pergame, en bronze et en grandes dimensions; qu'Attale en envoya à Athènes une copie réduite, et qu'enfin un amateur curieux fit copier en marbre un certain nombre des figures, qu'il choisit parmi les figures des vaincus ; et ce seraient ces copies qui nous seraient parvenues. De cette façon on se rend compte aisément, et du fait que raconte Plutarque, et des traces que nous trouvons d'un original en bronze, et enfin du manque de statues représentant des vainqueurs. C'eût été une dépense énorme pour un particulier de faire copier en marbre toute cette multitude de personnages dont se composait l'ex-voto; aussi a-t-il fait un choix parmi eux : il n'a pris que des types de vaincus. D'ailleurs, les comparaisons que l'on peut
faire avec les autres statues que nous reconnaissons comme se rapportant à ce monument, entre autres le Gaulois mourant du Musée du Capitole, et le Gaulois qui vient de tuer sa femme et se tue luimême ensuite (villa Ludovisi), toutes deux œuvres de grandeur naturelle, semblent encore confirmer notre hypothèse.
Pour assigner une date à ces statues, il suffit de dire qu'elles appartiennent à l'école de Pergame. Il n'est pas nécessaire d'un bien long examen pour apercevoir la ressemblance qu'il y a entre ces corps de vaincus que torture la souffrance, ces figures de barbares exprimant la douleur et la rage, et les corps tourmentés des Géants de l'autel de Pergame : c'est la même exagération, la même recherche du pathétique. Plus marqué encore dans l'œuvre capitale de l'école de Rhodes, le Laocoon, ce pathos est allié ici à une exécution tout à fait libre et réaliste. Si le sculpteur a voulu faire exprimer à ses personnages leurs souffrances ou leurs passions, il a voulu aussi qu'ils fussent vrais. C'est cette union du pathétique avec le naturel qui nous paraît être la caractéristique saisissante de son œuvre. Jusque là, l'Éthiopien, le Nègre, est le seul qui ait été caricaturé; jamais un ennemi, même vaincu, n'a été tourné en ridicule, ni même représenté avec les traits caractéristiques de sa race ; ici le souci de l'exactitude amène seulement le sculpteur à ne rien atténuer; ces vaincus seront figurés tels qu'ils sont : le Gaulois sera nu, il aura la chevelure luxuriante et la longue moustache; les Perses auront leur costume particulier, avec le bonnet phrygien et l'épée recourbée des peuples d'Orient; chez ces barbares, l'arcade sourcilière sera très prononcée, ce qui contribuera à leur donner encore un air de sauvagerie. On le voit, il y a là un parti pris évident de représenter les personnages avec leurs caractères particuliers; on commence à individualiser, c'est une part de l'ancien idéal grec qui disparaît.
En terminant, regrettons que ces statues soient de dimensions un peu trop petites : sur des figures ainsi réduites, l'expression de douleur que nous avons notée devient grimace. On est choqué aussi de la disproportion, ou plutôt du contraste qu'il y a entre ces petites mains mignonnes, aux doigts fins et délicats, et les gestes violents, les attitudes tourmentées de ces corps torturés, et l'expression brutale et sauvage de ces figures bestiales; seule l'Amazone échappe à ce reproche.
Bibliographie. — Brunn, Annali, 1870, p. 292; Monumenti, IX, pl. XIX-XXI. —
Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 124 (IV, 9; IV, 1 ; 111, 3; III, 4; II, 2); fig, 125. —
Benndorf, Mitth. d. a. Inst. (Ath. Abth.), I, p. 167, pl. VII. — Michaelis, Ibid., II, p. 5. — Fœrster, Arch. Zeitung, 1874, p. 101. — Klügmann, Ibid., 1876, p. 35. —
V. Duruy, Hist. des Romains, II, p. 56, p. 656; III, p. 777; IV, p. 46t.-Baumeister, Benkmxler etc., fig. 1412-1417. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 156, 157. —
Kœpp, de Gigantomachise in poeseos artisque monumentis, p. 5. - Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nos 1403-1411. — Sal. Reinach, Les Gaulois dans l'art antique (Rev.
archéol., 1888, II, p. 273 et s.; 1889, I, p. 23 et s.) Cf. Bull. de corresp. hellén., 1889, p. 113 et s.
E. BONDON.
232. Combat de Zeus et des Géants. — Fragment de la frise de la « Gigantomachie » du grand autel de Zeus, à Pergame.
Parmi les royaumes asiatiques entre lesquels fut divisé l'empire d'Alexandre, l'un des plus florissants fut celui de Pergame. Les arts et les lettres trouvèrent de généreux protecteurs parmi les Attalides, et l'on sait que les écoles de Pergame étaient les dignes rivales de celles d'Alexandrie. Un des rois de ce pays, Attale Ier, qui régna de 241 à 197, acquit une grande gloire en repoussant définitivement les Galales, tribus venues de la Gaule, qui répandaient la terreur dans toute l'Asie Occidentale. Pour célébrer ses victoires, Attale fit élever de nombreux monuments; l'un d'eux, construit sur l'Acropole de Pergame, était tout particulièrement destiné à rappeler la défaite des Galates. On sait comment les ruines de ce monument ont été retrouvées et déblayées aux frais du gouvernement allemand , sous la direction de MM. Humann et Conze, de 1869 à 1878. C'était un immense autel, de forme rectangulaire, dont le soubassement avait 13 mètres de haut, 37 de long, et34 de large ; sur un des côtés on avait ménagé un large escalier, et en haut de cette plate-forme il y avait un portique d'ordre ionique, qui bordait trois côtés, laissant libre celui de l'escalier. Au milieu de la plate-forme était l'autel des sacrifices.
Un mur fermait le portique vers l'extérieur, et sur ce mur des artistes avaient sculpté une frise représentant le mythe de Téléphos, le héros national de Pergame. Sur la plate-forme, des statues colossales ajoutaient à la majesté de l'ensemble et donnaient un air plus grandiose au monument.
Mais on n'avait pas laissé tout nu ce grand mur de 13 mètres de haut qui formait le soubassement de l'autel. Une frise gigantesque s'y dérou-
lait, haute de 2m30, longue de 144 mètres, qui se continuait jusque sur les deux côtés de l'escalier, c'était la Gigantomachie, ou la lutte de Zeus et des divinités olympiennes contre les Titans révoltés. Plus de trois mille fragments de cette frise ont été retrouvés par M. Humann, et sont allés enrichir le musée de Berlin. Le sujet était très populaire, et les artistes s'en étaient souvent inspirés; sur des métopes de Sélinonte, sur quelques métopes du Parthénon, à l'Héraion d'Argos, au temple de Delphes, enfin sur des vases peints de toutes les époques, on trouve des épisodes de cette grande lutte. Les artistes de l'école de Pergame lui donnèrent un développement considérable, et y apportèrent des procédés techniques tout nouveaux.
D'après M. Rayet il y a très peu de morceaux d'une grande valeur dans ces bas-reliefs. Ceux qui méritent surtout d'attirer l'attention sont le combat d'Athéna et celui de Zeus; c'est ce dernier fragment dont notre musée possède un moulage. Le dieu se présente de face, une draperie aux vastes plis couvrant ses épaules et le bas de son corps, mais laissant à nu son torse puissant; de sa main droite il brandit ses foudres pour terrasser un des rebelles. Derrière lui, un de ses ennemis, terrassé, est assis, le corps affaissé, la cuisse traversée par l'arme terrible du maître des dieux et des hommes. Devant Zeus, un géant, tombé sur les genoux, nous donne l'illusion de l'agonie.
Enfin un quatrième Titan vu de dos, la tête de profil, lutte encore contre l'aigle divin ; sa tête, la seule qui soit conservée dans ce groupe, a une expression farouche et terrible; l'artiste a puissamment rendu son idée; cette tête est vivante, et les yeux enfoncés dans leur orbite, la manière dont sont rendus les cheveux et la barbe, le front bombé, tout dans cette tête a une importance très grande. Il faut aussi admirer le dos de ce géant, avec la science anatomique qu'a déployée le sculpteur, et surtout la poitrine de Zeus, qui est une des plus belles œuvres de la sculpture antique.
Le fragment qui représente le combat d'Athéna contre un géant donne lieu aux mêmes éloges : science de l'anatomie humaine, habileté et sûreté de main tout à fait remarquable, mise en scène et disposition des personnages. On s'étonnera donc à bon droit que, à côté de ces qualités de premier ordre, on doive signaler des défauts choquants, et qu'il y ait des fragments où l'on ne trouve aucune de ces beautés qui nous ont fait admirer le groupe de Zeus.
La réponse est facile : comme pour la frise du Parthénon, la concep.
tion du sujet est d'un seul artiste, mais l'exécution a été confiée à plu-
sieurs, dont le talent et l'habileté n'étaient pas égaux. Il est certain qu'un seul sculpteur n'aurait pu venir à bout de cet immense travail; mais cette réponse ne satisfait pas à tout : comment se fait-il que dans les plus beaux morceaux de la frise il y ait des fautes énormes?
Ainsi, dans le groupe de Zeus, la jambe gauche du géant qui est derrière le dieu est à peine indiquée d'une façon grossière, archaïque; et, même en admettant que la frise fût faite pour être haut placée, ces fautes sont trop considérables pour ne pas attirer l'attention.
C'est que, il faut bien le dire, la frise de l'autel de Pergame est la dernière œuvre du véritable art grec, ou plutôt c'est la première œuvre de sa décadence.
Sans doute, il semble téméraire de parler de décadence quand on voit, dans cette œuvre, des morceaux véritablement beaux; mais, si l'on regarde de près, on voit que les artistes pergaméniens ont les défauts qui vont amener promptement la pauvreté de l'art grec. On est blasé sur les impeccables sculptures des Phidias et des Praxitèle; on ne veut plus de ces beautés idéales qu'on accuse de ne pas vivre; on veut du nouveau, du réel, ou plutôt ce que l'on prend pour du réel; car, ne nous y trompons pas, tout n'est pas réalisme dans ces figures; l'artiste a voulu, par la puissance et l'ampleur des formes, nous donner une idée de ces dieux et de l'âpreté de leur lutte ; ce n'est pas dans la nature qu'on trouve des corps comme celui de Zeus ou du géant debout; l'artiste a fait plus qu'observer la nature, il a consulté surtout son imagination, et aussi ses souvenirs d'école.
Il semble admis que les sculpteurs de l'école de Pergame ne doivent rien à leurs devanciers. Cependant, il n'en est rien. Nous avons déjà vu que le sujet de la Gigantomachie avait été plusieurs fois traité, et la disposition des personnages, sur des monuments antérieurs, était la même que sur la frise de Pergame, si nous en croyons certains vases peints. Le Zeus et les Géants sont loin des statues.de Phidias et de Praxitèle ; mais les attitudes des combattants nous rappellent plus d'une métope du Parthénon, et il n'est pas jusqu'au relief excessif, qui est presque de la ronde-bosse, qu'on ne retrouve dans les chefs-d'œuvre des maîtres classiques. Nous n'avons pas parlé jusqu'à présent des draperies si savamment disposées, aux plis creusés profondément, et mettant en relief la beauté des corps; ces draperies ont été admirées de tout le monde, et elles sont belles, mais elles ne feront pas oublier le vaste péplos flottant de la Nikè de Samothrace,
où l'artiste a trouvé son inspiration. Bien plus, les draperies qui couvrent Zeus sont loin de la beauté simple et véritablement divine de celles que l'on voit sur la frise des Panathénées ou sur celle du temple de la Victoire Aptère. Et "si nous voulions pousser à fond cette critique, il serait aisé de montrer que Lysippe et son école ont donné l'idée de ces corps monstrueux, dont tous les muscles font saillie, et on pourrait trouver dans l'Hercule de Glycon le premier type, bien inférieur, il est vrai, de Zeus et du géant (1). Il n'est pas jusqu'à la tête si remarquable de ce dernier qui ne nous fasse songer à la tête du vieil athlète d'un réalisme si vrai et si vivant (n° 226). Mais alors que restera-il aux artistes de Pergame? L'habileté technique. Ce sont de merveilleux ouvriers, possédant toutes les ressources de leur art, faisant avec leur ciseau tout ce qu'ils veulent, mais c'est tout. Quoi qu'en puissent penser les Allemands, la Gigantomachie ne peut faire oublier les marbres du Parthénon; il est même maladroit de vouloir faire un rapprochement, car la comparaison serait trop désavantageuse pour les bas-reliefs de Pergame. C'est pourquoi nous maintenons ce que nous avons déjà dit : cette œuvre considérable marque la fin du véritable art grec ; elle a en elle tous les germes de la décadence, et malgré de réelles beautés, dues aux souvenirs des chefsd'œuvre antérieurs, elle n'est que la dernière lueur du génie grec qui va s'éteindre.
A qui sont dus les bas-reliefs de Pergame? Plusieurs artistes y ont collaboré; on a mis en avant les noms d'Isigonos, Phyromachos, Antigonos, Stratonicos de Cyzique ; mais on n'a que des probabilités, et aucune des preuves fournies jusqu'à présent ne permet de juger convenablement la question.
Bibliographie. — A. Conze, C. Humann, R. Bohn, etc., die Ergebenisse der Ausgrabungen zu Pergamon (Berlin, 1880). Die Sculpturen des AUarbaues (Conze), pl. III.
— A. Conze, Beschreibung der pergam. Bildwerke 3 (1881). — Overbeck, Griech.
Plastik, II, fig. 132 a. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 236. — P. Paris, La Sculpture grecque, fig. 154. - 0. Rayet, Études d'archéologie et d'art, p. 248.— 0. Rayet, Monuments de l'art antique. — Baumeister, Denkmæler etc., fig. 1420. —
Roscher, Ausfûhrliches Lexicon der Mythologie, p. 1667-68 (art. Giganten), etc., etc.
ROQUES.
(1) L'auteur de cette notice admet que l'Hercule Farnèse est la copie d'une œuvre de Lysippe. On verra dans la notice concernant cette statue (no 237) que tel n'est pas notre avis personnel. — P. P.
Supplice de Marsyas.
255. — Le Rémouleur (Musée des Offices à Florence).
254. — Marsyas pendu (lMd).
234 bis. —Marsyas pendu (Torse du Musée de Berlin).
Tout le monde connaît la légende de Marsyas. Ce satyre eut la présomption de provoquer Apollon dans un concours musical. Le dieu vainqueur fit attacher à un arbre son concurrent malheureux, et le livra à un Scythe qui le coupa en morceaux. La sculpture antique s'est emparée de cette légende et les représentations du supplice de Marsyas (vases peints, bas-reliefs, groupes) sont très nombreuses.
On a voulu reconnaître dans le Rémouleur de Florence (n* 233) le barbare chargé par Apollon de procéder au supplice du satyre. Cette statue, en marbre, trouvée à Rome au XVIe siècle, représentant le barbare accroupi, qui, le regard sauvage dirigé sur sa victime, aiguise le couteau avec lequel doit être consommé le châtiment, ferait partie d'un groupe auquel appartiendraient un Marsyas suspendu et peut-être aussi un Apollon.
Pour se conformer au mythe, l'artiste a confié l'exécution du châtiment à un barbare. Il se conformait également à l'usage d'Athènes qui confiait à des esclaves étrangers l'emploi de bourreau, fonction peu compatible avec la délicatesse raffinée d'un Grec libre. Le personnage du bourreau demande une nature vulgaire, cruelle et barbare : cette nature, l'artiste a su parfaitement l'exprimer et d'une façon caractéristique, dans chaque trait du personnage, dans la position, dans le vêtement fruste négligemment jeté sur les épaules, dans la poitrine étroite, dans la forme du crâne, qui, d'après Blumenbach, est analogue à celle des crânes cosaques, dans la barbe et la chevelure en désordre.
Enfin les plis de la peau au-dessus des muscles et des veines ressortent d'une façon accentuée, qui dénote bien la nature sauvage d'un barbare.
Cette œuvre peut être datée. Elle a une grande parenté avec les œuvres de l'école de Pergame. N'y a-t-il pas en effet quelque analogie entre cette statue et le Galate agenouillé du musée du Vatican? Puis les défauts de la sculpture pergaménienne ne se retrouvent-ils pas dans le Rémouleur de Florence ? Nous n'avons plus la sobriété simple des sculptures décoratives del'Attique, la simplicité anatomique des dieux ou des héros de Phidias. L'expression réaliste, un des traits caracté-
ristiques de l'école de Pergame, apparaît encore ici. Les qualités de cette époque, la liberté d'allure, la recherche de l'originalité dans le rare et le nouveau, se manifestent dans l'œuvre qui nous occupe, et permettent de la rattacher d'une façon à peu près certaine à la sculpture de Pergame.
Du bourreau passons à la victime. Le corps de Marsyas est pendu, le dos contre un arbre, les bras assujettis au-dessus de la tête, qui est baissée, et regarde tristement le sol (n° 234). Cette statue en marbre se trouve à Florence, au Musée des Offices.
On peut se demander à quelle espèce d'arbre est pendu le satyre?
Les uns ont voulu y voir un platane, les autres un pin. Nous penchons pour cette dernière hypothèse.
Ce qui n'est pas discutable, c'est que nous sommes en présence d'une œuvre de valeur. Le corps amaigri, nerveux de Marsyas est représenté avec le plus grand art. Le jeu des muscles et des veines, dans l'attitude violemment raidie du supplice, est parfaitement étudié, et cependant la physionomie générale du corps est éloignée de toute dureté; toutes les parties s'harmonisent dans de délicates nuances, et le tout cause une impression d'élégance et de grâce. Le caractère satyresque du personnage est rappelé seulement par la forme et la croissance des cheveux et de la barbe, les poils sous les bras, sur la poitrine et le bas-ventre, et l'appendice caudal commun à tous les satyres.
Un rapprochement tout naturel s'impose. On peut supposer que l'artiste s'est inspiré pour la forme du corps du Marsyas de Myron.
Cette supposition n'a rien de hasardé, et on pourrait à la rigueur trouver des traits' de ressemblance entre l'œuvre qui nous occupe et celle de Myron. La statue a encore de la parenté avec le prétendu Gladiateur Borghèse. Elle est fille d'une école artistique pour laquelle le simple et le naturel ne sont plus assez piquants, et qui, dans la conscience de sa virtuosité, cherche des thèmes difficiles et les exécute brillamment.
Par conséquent on est porté à placer cette statue à l'époque grécoromaine, époque d'imitation où se retrouvent mélangées, quelquefois dans la même œuvre, les influences de plusieurs écoles. Ici, l'attitude forcée, extraordinaire de Marsyas nous fait songer à l'auteur du Discobole, et l'expression de douleur peinte sur le visage, le caractère réaliste de l'œuvre, la rapprochent de l'école de Pergame.
Comment se fait-il que deux statues, appartenant à un même groupe, aient des caractères si divers, et se rapportent à des époques diffé.,
rentes? Prouver que ces deux statues appartiennent au même groupe présente une grosse difficulté. Sans doute il faut restaurer le Rémouleur de Florence par l'adjonction d'un Marsyas : les bas-reliefs, les peintures de vases le prouvent suffisamment; mais nous ne pensons pas que les deux statues dont nous nous occupons fassent partie d'un même groupe. La raison, la voici : le Rémouleur, pour le style, concorde si parfaitement avec les œuvres de l'ancienne école de Pergame que nous devons le lui rapporter. Le Marsyas nous montre au contraire un travail et un art tout différents. A la place de l'art clair, précis, des œuvres de Pergame, qui possède à la vérité et montre une connaissance notable de la structure du corps humain, mais qui quelquefois la manifeste schématiquement, et souvent avec dureté, nous nous trouvons au contraire ici en présence d'une imitation du corps vivant avec toute la plénitude des formes qui mettent en relief les muscles et les tendons fortement agités. Le schématisme a disparu et a fait place à la grâce, à l'élégance. Donc ces deux œuvres ne sont pas sorties des mains d'un même sculpteur.
Pour résoudre le problème, on peut admettre qu'il y a eu deux groupes. Le plus ancien aurait été mis au jour à l'époque pergaménienne, le Rémouleur serait l'original ou une copie exacte de l'un des personnages. Plus tard, à l'époque romaine, ce groupe aurait été retouché et en quelque sorte remis à neuf, et nous aurions la copie de cette retouche dans le Marsyas suspendu. Ce qui donne assez de force à cette hypothèse, c'est que parmi les nombreuses répliques, statues ou fragments, du Marsyas, il est un torse remarquable, trouvé en 1844 sur le Palatin, par Vescovali, aujourd'hui au Musée de Berlin (n° 234 bis), que ses caractères réalistes, les poils fortement accentués, les muscles violemment contractés par la douleur, permettent de rattacher d'une façon à peu près certaine à l'école de Pergame.
Donc le Rémouleur et le torse mutilé que nous avons ici auraient appartenu au premier groupe, et le Marsyas ne serait qu'une retouche du principal personnage faite à l'époque romaine.
Bibliographie. — 233. Clarac, Mus. de Sculpture, III, pl. 543, na 1141. —
JMiiller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. XIV, 154 a. — Baumeister, Denkinxler etc., fig. 969. — Overbeck, IÙmstmythologie (Apollo), Atlas, pl. XXVI, 23. —
V. Duruy, Ilist. des Romains, I, p. 49. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nO 1414.
234. — Clarac, Musée de Sculpture, III, pl. 541, n° 1137. — Müller-Wieseler, Denkm. d. ait. Kunst, II, pl. XIV, 154. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 963. —
Overbeck, Kunstmythologie (Apollo), p. 477, nO 4, et note a.
234 bis. — Bullettino dell'Instituto, 1851, p. 17. — Michaelis, Annali, 1858, p. 321.
— Overbeck, Kunstmythologie (Apollo), p. 477, no 8. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1415.
SALGUES.
235. — Les Lutteurs de Florence.
Ce groupe a été trouvé à Rome en 1583, en même temps que les restes du fameux groupe des Niobides et au même endroit, non loin de la basilique du Latran. D'abord placé à la Villa Médicis, il fut transporté à Florence en 1677, et on le voit dans le salon de la Tribune, au Musée des Offices.
Il y a quelques restaurations : une partie des jambes et le bras droit du vainqueur, la main gauche du vaincu. Les têtes sont des têtes antiques, mais provenant d'autres statues; ce sont probablement des têtes de Niobides, car on crut tout d'abord que ces lutteurs avaient fait partie du groupe de Niobé et de ses enfants abattus par les flèches d'Apollon et d'Artémis. Mais cette opinion est maintenant abandonnée; on se demande ce que viendrait faire cet épisode, dont la légende, bien connue dans ses moindres détails, ne parle pas.
D'ailleurs, le style des Lutteurs de Florence est bien différent de celui des statues des Niobides; l'auteur de ces dernières a voulu surtout nous émouvoir par les attitudes passionnées et les souffrances de tous ces jeunes corps d'éphèbes et de vierges épouvantés et blessés, par le désespoir de leur mère et de leurs serviteurs; les formes du corps ne servent là qu'à exprimer les sentiments de l'âme. Au contraire, l'artiste qui a sculpté les Lutteurs n'a eu qu'un désir, celui de nous montrer l'enlacement de deux corps souples et robustes; c'est ici un simple sujet de genre, destiné, comme on l'a bien vu en général, à faire valoir avant tout l'ingéniosité d'imagination du sculpteur et la virtuosité de son ciseau. Il est certain que nous avons sous les yeux un véritable morceau de maîtrise : on ne peut qu'admirer l'ardeur des deux combattants à la bataille ; le vainqueur probable - dont la main droite a été mal restaurée, et devrait être ouverte pour saisir, et non fermée pour frapper, ce qui disqualifie un lutteur — le vainqueur veut, dans un dernier effort, assurer son succès, et maintient, de toute la force de ses muscles tendus et de ses jambes accrochées au sol, l'adversaire qu'il jette à genoux; celui-ci ne s'avoue pas abattu, et se retourne d'un mouvement souple et vigoureux pour ressaisir son
ennemi et chercher à se remettre debout d'un coup de reins. Tout cela est justement vu et pittoresquement exprimé; on sent bien l'effort que font les lutteurs, et qui paraît dans le gonflement de leurs muscles vraiment doués de vie et d'élasticité; le sculpteur a été particulièrement heureux à rendre au naturel l'effet des chairs heurtées et restées l'une à l'autre attachées, et cette illusion si difficile à produire dénote chez lui une connaissance juste autant que profonde de la nature; l'anatomie humaine et le jeu des muscles n'ont pour lui aucun secret. C'est l'ensemble de ces caractères qui a décidé la plupart des critiques à rattacher le groupe des Lutteurs de Florence à l'école de Pergame, si habile à modeler dans toute leur beauté vigoureuse les corps fougueusement emportés aux actions violentes, aux mouvements qui gonflent et font saillir les chairs.
Nous ne signalons que pour mémoire l'opinion qui veut reconnaître dans les Lutteurs de Florence la reproduction d'un groupe dû à Céphisodotos, fils de Praxitèle; on a depuis longtemps objecté que ce groupe, appelé par Pline (N. H., XXXVI, 24) symplegma, était un groupe amoureux.
Bibliographie. — Clarac, Musée de Sculpture, V, pl. 858 A, no 2176. — Müller.
Wieseler, Denkm. d. ait. Kunst, I, pl. XXXVI, no 149. — Stark, Niobe und die Nobiden, p. 259. — 0. lahn, Zeitschrift fur die Altertumswissenschaft, 1841, p. 154. Wolf, Arch. Zeitung, 1864, p. 206*. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1426.
M. AUDOIN.
TROISIÈME PARTIE La Sculpture Gréco-Romaine.
256. — Torse du Belvédère.
Ce fragment, l'un des plus célèbres qui nous soient parvenus de l'antiquité, porte couramment le nom de Torse de Michel-Ange, parce que le grand sculpteur avait pour lui une admiration très particulière, qu'il l'étudia dans le détail, et qu'il semble en avoir ressenti l'influence très directe. Le torse, trouvé sous le pontificat de Jules II au Campo di Fiori, près du théâtre de Pompée, fut immédiatement placé au Vatican, d'où il n'est plus sorti.
Par une exception assez rare à cette époque, la statue est restée dans le même état de mutilation où elle a été découverte. C'est peutêtre que, si le nom à donner au personnage n'est pas douteux, — la peau de lion sur laquelle il est assis désigne clairement Héraklèsla restitution de l'attitude et de l'action n'est pas des plus simples.
D'après Visconti, l'Héraklès du Belvédère aurait fait partie d'un groupe : assis à la table des dieux, il tendrait sa coupe à Hébé, pour recevoir le nectar; cette opinion, que Visconti appuie sur la comparaison du fragment avec l'image d'une pierre gravée, a été acceptée par 0. Müller, Welker et Raoul Rochette. Il faudrait alors imaginer que le héros divinisé, s'inclinant sur la droite, relevait la tête pour mieux voir, et admirer la jeune immortelle. Mais, sans compter que le mouvement d'Héraklès serait bien forcé pour une action aussi simple, les recherches faites par des artistes (Flaxman, 1793, Jerichau, 1845) pour arriver à reproduire le groupe d'une manière vraiment belle et artistique, n'ont pas réussi; il est impossible d'arriver, avec le modèle vivant, à un agencement harmonieux de lignes.
Winckelmann avait songé plus simplement, et dans le même ordre d'idées, à voir ici Héraklès immortalisé, assis dans l'Olympe au milieu des dieux, mais représenté seul; de nombreux archéologues, en particulier Friederichs, ont admis cette hypothèse. Mais on y peut faire une objection capitale, c'est qu'Héraklès est assis sur un rocher recouvert de la peau du lion de Némée, et ce détail indique nettement que le personnage est bien sur la terre. Quant à l'argument principal de Winckelmann, à savoir que l'on reconnaît les dieux et les héros divinisés de la sculpture grecque à ce que les artistes n'ont pas représenté les veines à la surface de leur corps, ce qui est le cas du torse du Belvédère, il n'a pas de valeur, parce que le fait est démenti par l'observation journalière.
M. Petersen a émis l'hypothèse qu'Héraklès jouait de la lyre : « La main gauche, dit-il, tenait l'une des cornes d'une grande lyre placée sur la cuisse gauche, à l'endroit où est ramené un pan de la peau de lion, ou bien reposait sur la traverse de cette lyre; la main droite saisissait les cordes, et la tête était penchée de manière que le chant de la bouche, à l'unisson des notes de l'instrument, s'élevât dans l'air. Contre la cuisse gauche s'appuyait sans doute la massue ».
M. Petersen est conduit à cette idée par quelque rapport entre le mouvement du torse et le mouvement de certaines statues de dieux ou de poètes jouant de la lyre; mais aucun argument bien frappant ne soutient cette restitution, qui souffre d'ailleurs force difficultés de plus d'un genre.
Stéphani, assez hardiment, et non sans vraisemblance, remplace la massue, que tous les autres archéologues s'accordent à placer contre la cuisse gauche du héros, par un long bâton; à l'extrémité de ce bâton serait appuyé l'avant-bras, ou la main gauche d'Héraklès, et cela expliquerait le mouvement de l'épaule relevée; alors la main droite viendrait à son tour saisir le bâton quelque part au dessous de la main gauche.
Rien n'est moins sûr que cette restitution; mais dans tous les cas nous croyons que c'est bien dans cet ordre d'idées qu'il faut chercher la véritable; l'Héraklès du Belvédère n'a pu être qu'un Héraklès au repos. Dès un âge assez reculé, les artistes grecs ont aimé à représenter le héros lassé par quelqu'un de ses rudes exploits; il suffit de rappeler la métope du temple de Zeus à Olympie, où l'on voit le dompteur du lion de Némée, debout et le pied posé sur le monstre, mais fatigué et abattu par l'effort de sa victoire, et surtout l'Héraklès assis
que Lysippe sculpta pour la ville de Tarente (Overbeck, Schriftquellen, 1468-1472), et YHéraklès Epitrapezios dont plusieurs épigrammes grecques ou romaines nous ont donné la description (Ibid14741476).
Le torse du Belvédère porte, gravée sur le roc qui sert de siège, la signature d'Apollonios, fils de Nestor, Athénien. Cet artiste, dont il reste encore deux autres signatures, est probablement le même qui façonna une statue d'or et d'ivoire de Jupiter Capitolin, à l'époque de Sylla. Le torse du Belvédère peut donc être daté d'une façon certaine; c'est l'œuvre d'un sculpteur de la décadence; mais nous indiquons simplement par ces mots une époque, et non une critique, car le torse a de grandes beautés que les archéologues ont mises depuis longtemps en lumière. Nous ne connaissons pas de statue antique où le corps d'Héraklès, cet idéal de la force musculaire, soit plus puissant et plus robuste, sans exagération de saillies violentes ou de mouvements tourmentés; comme l'artiste possède à fond l'anatomie virile, et s'applique à interpréter largement la nature qu'il a observée d'un regard très juste et très pénétrant; comme il est passé maître dans l'art de manier le ciseau, et qu'il a profité de l'expérience de toutes les générations précédentes; comme il a, par une exception déjà rare à cette époque, l'imagination assez simple et assez franche, il a sculpté une statue vraiment idéale, c'est-à-dire où la convention ne tient que sa juste place, et surtout une statue très vivante, où la chair semble palpiter, comme aux chefs-d'œuvre du Parthénon ; c'est avec raison que Danneker a pu dire que le torse du Belvédère est de la chair, le Laocoon du marbre.
Est-ce à dire que nous devions attribuer à Apollonios seul la gloire de son œuvre? Il y a longtemps qu'on a voulu le réduire au rang de simple copiste; il n'aurait fait que reproduire un bronze de Lysippe, l'Héraklès Epitrapezios, que nous avons mentionné tout à l'heure. II est certain qu'il y a des rapports entre les deux statues; Martial (IX, 44), nous dit que le héros du maître de Sicyone était assis sur un rocher couvert de la peau de lion, qu'il regardait le ciel, et tenait de la main droite sa massue, de la gauche une coupe, et Stace (Silv., IV, 6) confirme ces détails. Mais il faut bien remarquer que l'Héraklès d'Apollonios tenait la massue de la main gauche, et non de la droite, et la coupe (si coupe il y avait), de la main droite et non de la gauche; de plus, les proportions de Y Epitrapezios étaient très restreintes, puisque Martial a dit :
Hoc spatio tam magna brevi mendacia formæ !
Quis modus in dextra, quanta experentia docti Artificis cruris, pariter gestamina mensa Fingere, et ingentes animo versare colossos. (V. 43 et s.)
Nous avons peine à croire que le sculpteur du ier siècle avant notre ère ait voulu copier ce petit bronze en changeant ainsi les proportions. D'ailleurs, il faut, pensons-nous, beaucoup de bonne volonté pour retrouver le faire savant et précis, mais un peu sec, de Lysippe dans l'œuvre plutôt forte et exubérante d'Apollonios. Nous voulons bien que le type choisi par ce dernier n'ait pas été créé par lui, mais bien plutôt par Lysippe ou l'un de ses contemporains ou de ses disciples, mais nous sommes convaincu que là se borne l'emprunt du sculpteur athénien; ce type, il a su le rendre sien, et le créer à nouveau, en l'exprimant avec un style qui est bien à lui. Que si l'on tient à le rattacher à une école, c'est bien plutôt à celle de Pergame ou à celle de Rhodes, à une école dont le mérite principal soit la verve et le pathétique; n'a-t-on pas soutenu que l'artiste a su exprimer dans ce torse, d'une façon indiscutable, « l'abattement, l'épuisement et l'affaissement (Abspannung, Ermattung, Erschlaffung) ». Ce sont là les propres mots d'Overbeck (Griech. Plastik, II, p. 377); ils nous semblent singulièrement exagérés, mais le fait seul qu'ils ont pu être écrits est un argument en faveur de notre idée.
Bibliographie. — E. Q. Visconti, Museo Pio-Clementino, II, pl. X; Opere varie in Plastiche, II, p. 226, 232. — Clarac, Mus. de sculpture, V, pl. 803, no 2017, — Petersen, Arch. Zeitung, 1867, p. 126. — Stephani, Der ausruhende Herakles, p. 149. —
Miiller-Wieseler, Denkm. d. ait. Kunst, I, pl. X, no 75. — Brunn, Geschichte der Griech. Kûnstler, I, p. 542 et 563. — Overbeck, Griech. Plastik, 11, p. 375, fig. 141. —
Baumeister, Denkmseler etc., I, fig. 114. — 0. Rayet, Monuments de l'art antique. —
P. Paris, La Sculpture antique, fig. 152. - Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, nO 1431.
P. P.
237. — Héraklès Farnèse.
Statue colossale de marbre, trouvée en 1510 à Rome dans les Thermes de Caracalla, et passée en 1790 au Musée de Naples ; il y a quelques réparations peu importantes au nez, au bras gauche ; il faut surtout noter que, selon toute probabilité, la main droite n'est pas antique.
Il est évident que le personnage est Héraklès. Le dieu, fatigué par
quelqu'un de ses durs travaux — peut-être la conquête des pommes des Hespérides — s'est arrêté près d'un rocher; sur le rocher il a dressé sa massue, par-dessus sa massue il a jeté la peau du lion de Némée, et c'est sur cet appui improvisé qu'il se repose. L'extrémité de la massue est engagée sous son aisselle gauche, et tout le poids du corps porte de ce côté; la jambe gauche est un peu avancée, le bras gauche pend mollement, le bras droit est replié derrière le dos, la tête s'incline doucement vers la gauche. Toute cette attitude, aussi bien que l'expression triste du visage, montre l'accablement du héros qui fait un triste retour en arrière sur ses épreuves passées, et songe peut-être à celles qui l'attendent encore.
Une réplique, d'ailleurs plus que médiocre, de l'Héraklès Farnèse porte le nom de Lysippe; aussi a-t-on bien souvent voulu faire remonter l'original de la statue de Naples, qui est signée Glycon (L'Athènes, jusqu'au maître de Sicyone. Mais, sans compter que l'inscription qui fait le principal argument de celle thèse est très certainement moderne, il nous semble bien difficile de reconnaître ici le style de Lysippe; s'il a, comme le disent formellement des textes, représenté plus d'une fois Héraklès au repos, il est trop clair que jamais il n'a donné au héros ces formes tellement exagérées qu'elles en sont monstrueuses; nous sommes trop loin ici de cette précision élégante qu'ont louée les anciens pour que le nom de Lysippe soit à sa place. Nous n'avons aucune raison pour songer à la statue de bronze qui se dressait sur l'agora de Sicyone (Paus., Il, 9, 8), et sur laquelle nous n'avons absolument aucun détail, non plus qu'à l'un de ces travaux d'Héraklès que Lysippe avait représentés dans un sanctuaire du héros, à Alysia, en Acarnanie; M. Overbeck (Griech. Plastik, II, p. 110), nous semble trop hardi lorsqu'il s'appuie, pour confirmer cette dernière hypothèse, sur la ressemblance de la statue de Naples avec un mauvais bas-relief que M. Heuzey a découvert à Alyzia.
D'ailleurs, l'exploit d'Héraklès auquel se rapporterait la statue Farnèse ne pourrait être dans ce cas que la conquête des pommes d'or du jardin des Hespérides, et nous avons dit que probablement la main droite de l'Héraklès Farnèse est une restauration; ajoutons, avec M. Wolters, que ce serait une idée au moins bizarre que de cacher ainsi derrière le dos du héros cet attribut essentiel.
M. Weizssecker a émis récemment une hypothèse ingénieuse; il prétend que l'Héraklès faisait partie d'un groupe; il faut restituer à ses pieds le jeune Téléphos occupé à téter la chèvre que la légende
lui donne pour nourrice, et près de lui l'aigle de Zeus. On voit en effet ce groupe sur quelques monuments, en particulier dans une fresque de Pompéi. M. Weizssecker va plus loin, et retrouve l'original de cette composition dans une œuvre qui existait à Pergame. Son exposé ne nous parait pas concluant, parce que les monuments qu'il invoque, sauf celui de Pergame que personne ne connaît que par ouï-dire, sont tous d'époque très récente, et nous sommes portés à croire que loin d'être inspiré par ces œuvres, l'Héraklès Farnèse, ou au moins l'original de l'Héraklès Farnèse, les a inspirées; c'est parce qu'il est devenu très célèbre et très banal qu'on l'a employé à tort et à travers.
Ainsi, nous ne prétendons pas retrouver le nom du maître qui a conçu et exécuté l'original de l'Héraklès Farnèse, mais il nous semble que, dans tous les cas, cet original était bien différent de l'œuvre de Glycon. Cet artiste, qui vécut au plus tôt dans les dernières années de l'ère antique, comme le prouve la forme des lettres de sa signature, a été préoccupé, croyons-nous, de donner l'image d'un Héraklès jusqu'alors inconnu; pour cela, incapable de créer une attitude ou une expression pathétique, il n'a su trouver du nouveau que dans une exagération des formes musculaires qui va jusqu'à la boursouflure et la difformité; au lieu de nous représenter un idéal de force et de courage, il a modelé un monstre ; peu d'oeuvres antiques révèlent un artiste d'un goût plus médiocre ; nous ne disons pas un goût plus banal, car l'Héraklès ne l'est pas, non plus que l'effort qui l'a produit; le défaut qui nous choque est en partie racheté par l'habileté de l'exécution, partout libre et savante; nous devons même louer tout particulièrement le sculpteur d'avoir su donner à ces chairs si puissantes comme un sentiment de fatigue et d'affaissement; le contraste entre la force d'Héraklès et son abattement est assez vif.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, V, pl. 789, no 1978. — Müller-Wieseler, Denkm. d. ait. Kunst, I, pl. XXXVIII, no 152. - Brunn, Geschichte der griech.
Kiinstlet-, 1, p. 549.- Stephani, Der ausruhende Herakles,p. 161.— Weizssecker, Arch.
Zeilung, 1882, p. 255. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 639. - Overbeck, Griech.
Plastik, II, p. 110, p. 390, fig. 143. — Murray, Hist. of greek sculpture, II, p. 351.
— L. Mitchell, Hist. of anc. sculpture, fig. 270. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 153. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1265. P. P.
258. — Guerrier d'Agasias.
Cette statue a été trouvée à Antium, petit port du Latium, au commencement du XVIe siècle, et a fait partie de la collection Borghèse.
Elle est au Louvre depuis 1808. Le bras droit et le tronçon d'épée sont restaurés.
On a fréquemment désigné cette statue sous le nom de Gladiateur Borghèse; mais en Grèce il n'y avait pas de gladiateurs, et à Rome ils étaient toujours lourdement armés, de sorte qu'il faut renoncer à cette appellation maladroite.
Mais quel est alors le personnage représenté? On a mis en avant beaucoup d'hypothèses. Stosch y a vu un discobole en train de courir, Gibelin a prétendu que c'était un joueur de ballon, Lessing y reconnaît l'Athénien Chabrias, Winckelmann prétend que c'est un chef montant à l'assaut, Fea reconnaît Ajax sous les murs de Troie. Toutes ces hypothèses semblent inadmissibles.
Quatremère de Quincy en a donné une autre plus plausible, quand il a vu dans le personnage un athlète courant, un hoplitodrome. Les hoplitodromes étaient d'abord lourdement armés, comme les hoplites auxquels ils devaient leur nom; mais plus tard, ils n'avaient plus que le casque, les cnémides, le bouclier et l'épée. L'opinion de Quatremère de Quincy a été reprise et soutenue par M. Rayet, qui trouve dans le personnage l'allure très élancée qui convient à un coureur.
Pourtant nous n'admettons pas cette hypothèse. En effet, si l'on remarque les pieds de la statue, on voit que l'un d'eux est tourné en dehors, et que tous les deux ne sont pas sur une ligne parallèle ; que, de plus, l'un est solidement fixé au sol. Or, quand on court, on ne tourne point le pied, et surtout on ne l'appuie pas à plat sur la terre : pour courir vite, on appuie sur la pointe des pieds. D'autre part le mouvement du bras droit est trop rapide pour accompagner un mouvement de course, et la tête qui se retourne a une expression particulière : elle regarde très nettement vers un but déterminé, elle semble considérer attentivement quelqu'un. La bouche ouverte, la contraction des traits indiquent une préoccupation qui fait défaut chez un coureur. Il faut donc rejeter l'hypothèse d'un hoplitodrome.
C'est Visconti qui a proposé la solution la plus probable. Il a vu dans ce personnage un guerrier qui se défend contre un ennemi. Or, d'après l'attitude de la tête, on voit que cet ennemi doit être plus élevé que le
guerrier représenté ici. C'est donc un cavalier qui menace le guerrier. Celui-ci tend, du bras gauche, son bouclier, et du bras droit fait un mouvement d'attaque. Sa main droite tient une arme quelconque, lance ou épée.
Avons-nous là le fragment d'un groupe, et le cavalier a-t-il existé, ou bien est-il seulement supposé? On a fait valoir contre son existence un argument assez juste. Le guerrier s'appuie contre un tronc d'arbre sur lequel se trouve une inscription : « Agasias, fils de Dosithée, d'Éphèse, a fait la statue », et si Agasias avait composé un groupe, il serait étonnant que la signature fût placée sur le tronc d'arbre, cachée par le corps du combattant.
Donc nous avons ici un sujet de genre. La statue ne représente aucun personnage déterminé : ce n'est pas un héros mythique, mais un guerrier combattant contre un cavalier.
Avons-nous là une œuvre originale? Non, c'est une copie. En effet, une des raisons sur lesquelles on s'appuie d'ordinaire pour admettre qu'on a affaire à une copie, c'est l'existence de ce tronc d'arbre que nous voyons ici, et que nous retrouvons par exemple dans le Discobole et dans l'Apoxyoménos, deux œuvres considérées comme des copies.
De plus, M. Rayet remarque qu'il y a dans notre statue une certaine sécheresse, une raideur qui rappelle le travail du métal. Or, l'adversaire dont nous ne trouvons pas la trace ici pourrait avoir existé dans l'œuvre originale qui était en bronze : Agasias n'aurait reproduit que le personnage qui lui convenait; d'ailleurs cet exemple n'est pas le seul qu'on puisse citer.
La statue a des caractères de style qui rappellent l'influence de Lysippe : la tête est petite, la forme du corps élancée, les détails soignés; la chevelure du guerrier est traitée de la même façon que celle de l'athlète de Lysippe. Les bosses au front sont un souvenir de Praxitèle et de Myron. L'œuvre remonte donc plus haut que la signature. En effet, en examinant les lettres dont se compose cette signature, on voit qu'elle ne peut être antérieure au ne siècle. De plus, nous savons que le fils d'Agasias, Ménophilos, était dans tout son talent vers 140, et que le fils de celui-ci, Agasias, vivait vers 110; en mettant entre le premier Agasias et son fils l'intervalle d'une génération, on arrive ainsi à la date de 170, qui est l'époque où la statue a dû être sculptée.
Mais à quelle époque remonte l'original? Pour le déterminer, il faut avoir recours à des œuvres du même genre, et tout naturellement
on songe au Discobole de Myron. En effet, de chaque côté nous avons un sujet de genre; de plus, dans l'une et l'autre statues, le moment choisi par le sculpteur est fugitif, le mouvement ne dure qu'une seconde. La différence, c'est que l'œuvre de Myron est exécutée avec une grande simplicité de moyens, tandis que celle d'Agasias est élaborée avec soin; il y a une recherche évidente de la part de l'artiste; tous les muscles sont tendus de manière à occuper le plus de surface possible. Il y a une certaine ingéniosité, mais non de la simplicité.
De plus, tandis que pour Myron les détails ne concourent qu'à l'ensemble et à l'impression générale, pour Agasias, le détail anatomique est tout; ce qu'il veut montrer, c'est sa connaissance du corps humain.
Aussi cette statue est-elle beaucoup plus admirée des artistes, qui y trouvent un modèle parfait pour les muscles du corps, que des critiques véritables. La tête peut nous faire reculer la date de la statue jusqu'à l'époque de Lysippe. Ce n'est pas une tête idéale; elle est observée sur la nature; le type est celui des athlètes; c'est ce qu'on peut appeler une tête commune. Donc nous admettrons que l'original était soit contemporain de l'époque de Lysippe, soit un peu postérieur.
La copie a une très grande valeur, et si Agasias a un peu exagéré la précision du détail anatomique, du moins a-t-il conservé au personnage sa beauté générale.
Bibliographie. — Miiller-Wieseler, Denk. d. ait. Kunst, I, pl. XLVIII, no 216. Brunn, Gesch. der griech. Künstler, I, p. 577. — Overbeck, Griech. Plastik, II, p. 398, fig. 147. - L. Mitchell, Hist. of ancient Sculpture, p. 667, fig. 275. — V. Duruy, Histoire des Romains, If, p. 289. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 164. — 0. Rayet, Monuments de l'art antique. - Brunn-Brükmann, Monuments etc., pl. 75. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1425.
M. AUDOIN.
239. — Vénus de Capoue.
Cette statue a été trouvée vers le milieu du XVIIIe siècle dans l'amphithéâtre de Capoue ; elle fut quelque temps conservée à Caserte, revint à Capoue, puis passa à Naples où elle est encore. Elle était très mutilée : les deux bras manquaient, une partie du nez et des pans de draperie étaient endommagés, enfin la plinthe brisée ne permettait pas de décider si l'Aphrodite avait ou non fait partie d'un groupe. Brunelli la restaura; il lui mit une lance à la main gauche, tandis que le bras
droit était tendu vers un petit Éros armé du carquois et des flèches.
Il voulait ainsi montrer Aphrodite venant de désarmer Arès : le jeune Éros se félicite de cette victoire. Le casque qui se trouve sous le pied de la déesse justifie le sens de cette restauration. La Vénus de Capoue resta longtemps ainsi, mais, après la découverte d'un certain nombre de monnaies où l'on voit la déesse tenant un bouclier dans lequel elle se mire, les critiques pensèrent qu'il fallait remplacer la lance par le bouclier; une incision visible dans la draperie semblait même montrer l'endroit où aurait été le point d'appui. La statue pouvait dès lors se suffire à elle-même, et l'on jugea inutile de conserver l'Éros.
La statue ainsi restituée, il n'y a plus à se demander ce que fait Aphrodite : elle vient de désarmer Arès, comme l'avait pensé Brunelli, et elle se mire dans le bouclier du dieu. L'artiste n'a pas voulu montrer la déesse telle qu'on l'adorait dans les temples, mais il s'est proposé de représenter une scène de coquetterie. Ce n'est pas la première fois que se manifeste la tendance qui consiste à remplacer les types consacrés des divinités par des sujets de genre : l'Aphrodite de Cnide en est le point de départ. La statue de Praxitèle était bien encore une véritable déesse, mais ce nouveau type d'Aphrodite se cachant d'une main par un mouvement sobrement indiqué, tandis que l'autre main se tendait vers la draperie dont elle allait se couvrir, paraissait sans doute bien téméraire, puisque les habitants de Cos, qui l'avaient commandé, refusèrent d'accepter le chef-d'œuvre incomparable du maître.
La Vénus de Capoue offre bien des analogies avec la Vénus de Milo, mais on sent que c'est une œuvre d'une époque moins sincère, et l'examen du détail confirme la première impression qui la place à une basse époque. Le diadème en forme de croissant, par exemple, qui orne le front de la Vénus de Capoue était réservé à Héra, pendant l'époque classique. Dans l'ensemble, on ne retrouve plus la technique savante de la grande époque. La tête, si on la compare à celle de la Vénus de Milo, n'a aucun caractère, sans avoir cependant ce vague et cette absence d'expression qui rendent si reconnaissables les œuvres de la sculpture archaïque. La gorge, les épaules, les seins et la poitrine, au lieu de la sincérité, de la fermeté de modelé, du réalisme même qu'on admire dans la Vénus de Milo, sont mous et banals; la ligne du dos et de la hanche, si belle dans la statue du Louvre, est ici vague et flottante ; toute l'œuvre manque d'une véritable inspiration.
La Vénus de Capoue a tous les caractères des copies de l'époque
romaine. Sans doute le sculpteur a fait preuve d'une certaine habileté de facture, mais il n'a donné qu'une réplique banale et de convention, qui est seulement intéressante par le problème de son attitude et par les rapprochements qu'elle suscite avec la Vénus de Milo. On ne saurait la dater exactement, par suite de sa banalité même et de son manque de caractère ; elle ne peut cependant remonter plus haut que la première moitié du 1er siècle avant J.-C., ni descendre plus bas que le Il' siècle de notre ère.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, IV, pl. 598, n° 1310. — Müller.
Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. XXV, nO 268. — Bernouilli, Aphrodite, p. 160.
— V. Duruy, Hist. des Romains, I, p. 593.— Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 1452.
G. DELAGARDE.
240. — Vénus du Capitole.
Ce marbre a été trouvé à Rome, entre le Quirinal et le Viminal. Il faut croire qu'il passait pour bien précieux dans l'antiquité, car son possesseur, comme celui de la Vénus de Milo, l'avait caché dans une sorte de fosse ; il nous est parvenu, grâce à cette circonstance, dans un parfait état de conservation; il ne lui manquait qu'un ou deux doigts. Le pape Benoît XIV le fit entrer au Capitole.
On a d'abord voulu reconnaître dans cette statue la reproduction la plus directe de l'Aphrodite de Cnide, mais depuis une vingtaine d'années on a renoncé à cette opinion. Il résulte, en effet, de l'examen de certaines monnaies de Cnide que ce marbre est bien plus loin de l'œuvre de Praxitèle qu'on ne le pensait autrefois. Ce sont deux Aphrodites, dont l'une est au Vatican et l'autre à Munich, qui s'en rapprochent le plus. Tandis que la statue de Praxitèle, au moment de se couvrir d'une draperie, esquissait comme par hasard un geste de pudeur, la Vénus du Capitole, au contraire, est sculptée à dessein pour montrer et développer ce geste. En effet, indépendamment du mouvement de la main gauche, la main droite fait semblant de cacher les seins, que d'ailleurs elle laisse complètement découverts. L'Aphrodite de Cnide parait suivre du regard sa main gauche, et ne s'occuper que de la draperie dont elle va se vêtir; celle du Capitole, au contraire, porte ses regards devant elle sans rien regarder, et ne semble songer qu'à se faire admirer. La recherche de coquetterie qui domine toute l'œuvre est
particulièrement sensible dans la façon dont est traitée la chevelure ; le grand soin avec lequel elle est peignée achève de caractériser l'Aphrodite. Elle est faite pour représenter une femme coquette, et tout tend à attirer l'attention sur son geste de fausse pudeur. On voit que nous sommes bien loin ici de l'Aphrodite de Cnide; sans doute la Vénus du Capitole se rattache au même type, mais elle offre le complet développement d'une idée que Praxitèle n'avait fait qu'indiquer.
L'examen détaillé de ce marbre y fait découvrir les défauts de la Vénus de Capoue encore exagérés. Les hanches sont étroites, les formes féminines sont comme atténuées, les deux jambes pressées l'une contre l'autre font perdre encore à la statue quelque chose du développement qu'on s'attendrait à y rencontrer. La figure est alanguie, la bouche mièvre, les seins sont très mal modelés; le sein droit, en particulier, a une rondeur qui manque de fermeté et de naturel. Les épaules tombantes, les deux bras, leur attache, tout est mou et sans caractère; le bras uniformément poli, le coude, la main grassouillette, n'ont ni muscles ni énergie ; il n'y a aucun accent dans le modelé. Le marbre est très beau, et le sculpteur lui a donné ce poli à outrance qui caractérise les œuvres de l'époque romaine.
L'œuvre en elle-même, si elle n'a rien d'intéressant, n'est pourtant pas essentiellement mauvaise ; la mollesse, la mièvrerie et le mauvais goût n'y sont pas poussés à l'extrême, comme ils le sont dans un si grand nombre de statues du même type.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, pl. IV, 621, no 1384. — Müller- Wieseler, Denk. d. alt. Kunst, II, pl. XXVI, no 278. — Bernouilli, Aphrodite, p. 223. —
Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, fiO 1459.
C. DELAGARDE.
241. — Vénus de Médicis.
L'histoire de la découverte de cette charmante statue, si justement célèbre, est très obscure ; on ne sait exactement si elle fut trouvée dans les ruines du portique octavien à Rome, dans les jardins de Néron, ou dans la villa d'Hadrien à Tivoli. Au commencement du xvie siècle elle ornait la villa des Médicis, à qui la famille della Valle l'avait cédée. En 1678 elle passa de Rome à Florence, mais le transport lui fut fatal, car elle se brisa en onze morceaux. Habilement restaurée,
elle est aujourd'hui, entourée de chefs-d'œuvre, au centre de la salle du musée de Florence que l'on appelle la Tribune.
Tout le bras droit est moderne, ainsi que le gauche depuis le coude; toute la partie antérieure de la plinthe, avec l'inscription, est aussi l'œuvre du restaurateur. Ces deux points ont, comme nous le verrons, beaucoup d'importance. Ajoutons que la surface du marbre a été partout repolie.
On a mainte et mainte fois décrit la Vénus de Médicis, cette gracieuse divinité qui, d'un geste plutôt de coquetterie que de pudeur, cache si mal sa nudité qu'elle y attire les regards; aussi nous abstenons-nous de la décrire à nouveau. Essayons plutôt de la juger, sans parti pris d'admiration ni de critique.
Avant tout, il faut montrer la distance qui sépare la statue de la Tribune de l'Aphrodite de Cnide. Il est certain que nous avons ici le développement du geste qu'avait inventé Praxitèle; mais, comme pour la Vénus du Capitole, ce geste, qui était accessoire et accidentel dans le chef-d'œuvre du maître attique, est devenu essentiel; c'est pour l'exprimer que la statue a été sculptée. Il n'est plus ici question du bain, que rappelaient dans la statue de Cnide, et même dans celle du Capitole, le vase et la draperie; Aphrodite est simplement désignée comme la déesse née au sein des flots par le dauphin qui se drese à côté d'elle, et comme la déesse de l'amour par les petits Éros qui chevauchent si gentiment le dauphin, et qui, pour le dire en passant, sont dessinés et modelés de façon bien médiocre.
Mais comme le dauphin et les Éros tiennent dans l'œuvre totale une place tout à fait secondaire, Aphrodite ne mérite pas même ici le surnom de marine; il faut bien plutôt l'appeler pudique, et voir en elle la plus intéressante et la plus belle des statues, si répandues dans tous les musées, qui ont reproduit ce type devenu banal.
On a critiqué la manière dont les bras ont été restaurés; le bras droit est trop rapproché du corps, a-t-on dit, et le bras gauche en est trop éloigné. Nous pensons au contraire que ces deux mouvements sont très justes, et que l'artiste moderne a très bien compris les intentions du maître ancien. Le coude droit s'écarte de la poitrine, si bien que le sein droit, que la déesse a la prétention de cacher, est bien plutôt découvert et comme encadré ; la main au contraire, ou pour mieux dire l'extrémité du doigt du milieu touche presque le sein gauche, et c'est là une manière bien spirituelle de le montrer en feignant de le cacher. De même, si le bras gauche, moderne depuis le
coude, nous l'avons dit, est un peu éloigné du corps, c'est sans doute pour que le spectateur puisse apercevoir les charmes les plus secrets d'Aphrodite, que dans sa fausse pudeur la coquette veut montrer sans y paraître. Ces mouvements des bras et des mains sont d'une ingéniosité bien piquante, et l'attitude de tout le corps est avec eux en parfaite harmonie, l'attitude des épaules tombantes comme du buste légèrement incliné, comme des hanches frémissantes, des jambes et des pieds serrés l'un contre l'autre, comme enfin de la tête tournée de manière à faire valoir l'attache délicate du cou un peu long et souple, l'élégance des cheveux coiffés avec art.
Ainsi l'Aphrodite de Médicis est avant tout coquette et spirituelle; si même on veut la qualifier avec toute franchise, elle paraît voluptueuse et sensuelle; elle a ce je ne sais quoi de provoquant dans la naïveté qui fait, par exemple, le charme de la célèbre jeune fille à la cruche cassée de Greuze. On voit, dès lors, que nous sommes bien loin de Praxitèle et de son chef-d'œuvre. Si nous continuons à nommer la statue de Florence Aphrodite, à cause de ses attributs, nous comprenons cependant que ce n'est plus ici la déesse dont nous avons admiré tant de fois, au bel âge de la sculpture grecque, la beauté idéalement pure et chaste, mais bien plutôt la déesse banale des Romains avec son cortège de Cupidons badins, la mère de cette nombreuse progéniture que nous retrouverons en France au XVIIIO siècle ; Praxitèle n'eût point osé, malgré son audace de novateur, aller si loin dans la transformation d'un type fixé par les œuvres d'un Phidias, dans la modification du caractère d'une déesse qui, malgré le scepticisme de l'époque, avait encore de la majesté et conservait les hommages de plus d'un dévot.
Il appartenait à l'époque romaine d'en user aussi librement avec les créations de l'esprit et de l'art classique; alors seulement on peut admettre qu'Aphrodite soit devenue tout simplement une mortelle très jolie, très coquette et un peu lascive; que sa beauté puisse servir de prétexte à la création d'un simple sujet de genre, des plus légers.
Ces remarques n'enlèvent rien à la valeur de l'œuvre ; elle est, pour son temps, remarquablement gracieuse et pure de formes; rarement, à la date à laquelle nous sommes parvenus, un sculpteur a su rendre avec autant d'habileté souple la conception spirituelle et raffinée de son esprit. Le corps d'Aphrodite mérite bien de rester comme le modèle idéal de la femme jeune, à la chair fraîche et douce, délicatement replète, au visage souriant, égayé d'une aimable mutinerie. Il
est fâcheux que la recherche d'une attitude si compliquée, et qui veut dire tant de choses, ait fait tomber l'artiste dans l'afféterie et la mièvrerie.
Si l'on en croyait l'inscription, cet artiste serait Cléomènes, fils d'Apollonios, d'Athènes; mais Michaëlis a prouvé jusqu'à l'évidence que cette signature est moderne.
Bibliographie. - Clarac, Musée de sculpture, IV, pl. 612, no 1357. - MüllerWieseler, Denkm. d. ait. Kunst, I, pl. L, no 224. — Overbeck, Griech. Plastik, II, p. 379. — L. Mitchell, Hist. of ancient sculpture, fig. 268. — Michaëlis, Arch. Zeit., 1880, p. 13. — Bernouilli, Aphrodite, p. 224. — Baumeister, Denkmœler etc., fig.
845. — Roscher, Ausfùhrl. Lexicon d. Mythologie, 1, p. 417 (art. Aphrodite). —
P. Paris, La Sculpture antique, fig. 160. - Wollers, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1460.
P. P.
242. — Aphrodite pudique (Musée de Munich).
Statue en marbre de Paros; elle provient du palais Bevilacqua, à Vérone ; elle fut achetée par Pacetti, à Rome, pour la Glyptothèque de Munich.
Les restaurations sont nombreuses et importantes; ce sont la tête, la main droite, le bas des jambes et le dauphin, quelques doigts de la main gauche. Malgré tout, l'œuvre a de l'intérêt; non qu'elle soit particulièrement belle : nous trouvons ici ces formes mollement élégantes et d'une convention banale qui sont communes, à l'époque romaine, à tant de statues d'Aphrodite. Il y a de plus ici des défauts choquants, qui sont peut-être imputables au seul restaurateur : ainsi toute la figure est hors d'aplomb; elle a perdu l'équilibre, et le modèle vivant, mis dans cette position exacte, tomberait fatalement à gauche.
Mais ce qui distingue cette Aphrodite de toutes celles qui se rattachent à l'Aphrodite de Cnide ou à l'Aphrodite de Florence, c'est qu'elle fait un geste qu'aucune autre ne reproduit : tandis que de la main gauche elle cache sa nudité, suivant la formule devenue si banale, sa main droite ne songe pas à couvrir les seins, mais elle s'écarte du corps et s'élève comme si elle tenait un objet que la tête s'incline pour mieux voir. Y a-t-il là un simple geste, ou bien faut-il, comme l'a pensé Brunn en se souvenant de quelques figurines de bronze, restituer entre les doigts de la déesse un miroir? Peu importe.
Nous voulions simplement noter — et c'est ce qui nous a fait acquérir
ce moulage — que même à l'époque romaine, à une date que nous jugeons assez récente, les sculpteurs ont parfois senti la nécessité de modifier par quelque détail un motif fort apprécié sans doute du public, et de défaite facile, mais qu'ils se fatiguaient pourtant de reproduire comme machinalement.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, IV, pl. 615, no 1875. — Brunn, Beschreib. der Glyptothek, no 104. — Bernouilli, Aphrodite, p. 216.
P. P.
243. - Éros de Centocelle.
C'est sous le nom d'Éros de Praxitèle que l'on désigne ordinairement cette statue qui se trouve au Vatican ; cette dénomination soulève immédiatement deux questions.
Sommes-nous réellement en présence d'un Éros, et l'œuvre est-elle de Praxitèle?
Habituellement, Éros est représenté avec tous ses attributs : c'est l'enfant badin qui, fier de sa puissance, joue avec l'arc, accompagne Vénus, ou se roule en riant aux pieds d'Arès. Deux ailes battent à ses épaules, car son vol est rapide comme la pensée.
La statue que nous avons sous les yeux diffère profondément de ce type conventionnel, et voilà pourquoi elle nous paraît intéressante, même malgré son peu de valeur artistique. En effet, c'est là une nouvelle conception de l'amour, conception plus vraie et plus humaine, car l'amour n'est pas sans tristesse. Or, cet adolescent est triste. Ce n'est plus l'enfant inconscient, aux cheveux bouclés, qui prend son arc pour un hochet; une longue chevelure lui descend aux épaules, et sa tête s'incline légèrement à droite; il a conscience de sa fatalité inexorable; ses bras tombent le long de son corps, et l'attitude générale est bien celle du rêve ou de la mélancolie. L'Éros est ainsi à peine reconnaissable à la trace des ailes, encore visible sur le dos.
Cependant, n'est-ce pas prêter un peu trop arbitrairement à un sculpteur ancien des idées si modernes sur l'amour, que de vouloir reconnaître obstinément un Éros dans la statue qui nous occupe?
Nous ne le croyons pas; mais ajoutons que ce n'est point là un Éros ordinaire, destiné à orner un jardin ou un temple, mais bien un Éros funéraire, que l'on devait dresser sur un tombeau. Pour dire le néant
des choses, rien n'était d'un plus haut symbole que la statue en deuil de l'Amour, personnification synthétique des douleurs et des joies de la vie humaine. Le flambeau renversé, dont on a tant abusé depuis, était l'image expressive d'une destinée accomplie. Notre Éros, qui ne nous est parvenu que les deux bras brisés, devait tenir ce flambeau en sa main droite.
Il y a une autre interprétation que l'on peut donner de ce flambeau aux mains d'Éros : ce flambeau renversé n'est pas encore éteint, et l'on peut croire que c'est là le « vitai lampas » que transmet de générations en générations, à travers la mort elle-même, l'immortel Amour.
En résumé, il n'est pas douteux que nous soyons en présence d'un Éros funéraire : les ailes dont on retrouve la trace sur le dos, la grâce un peu efféminée du corps, tout le dénote.
Il nous reste à élucider le second point de la question. L'œuvre estelle de Praxitèle? Nous savons que le grand artiste grec avait exécuté plusieurs Éros, un entre autres d'une grande beauté qu'il avait donné à la courtisane Aspasie. Aussitôt a-t-on fait de Praxitèle l'auteur de cette statue.
La connaissance que nous avons, par plusieurs chefs-d'œuvre, de la manière originale et si personnelle du maître ne nous permet pas d'être de cet avis. Car il faut bien l'avouer, le corps de l'Éros est honnêtement modelé, mais c'est tout. Dans ces lignes fuyantes et molles d'un buste où s'accuse simplement une habitude du métier, on aurait peine à reconnaître la main puissante qui sculpta l'admirable torse de Satyre du Musée du Louvre, et nous a donné l'Hermès et le Sauroctone.
Éros pourtant a de vagues rapports avec l'attitude que prête généralement Praxitèle à ses statues. Pour rompre la monotonie des lignes verticales, trop sévères, le sculpteur a l'habitude de reposer ses personnages sur un seul pied, et de les incliner légèrement; c'est ce que nous remarquons dans l'Éros.
Il est donc à croire que Praxitèle a dû composer un Éros, dont le nôtre ne serait qu'une très libre copie datant de l'époque gréco-latine.
Rajeunissant le type des vieilles divinités, Praxitèle aura fait de l'austère divinité des vieux âges un grave adolescent au front lourd de rêve ; le copiste, à qui l'on avait commandé peut-être un Éros funéraire, aura repris un type connu, en accentuant sa tristesse et en la féminisant : la chevelure de Praxitèle, aux boucles vivantes et
lumineuses, s'aplatira en longues mèches inhabiles qui descendront sur les épaules. Chaque détail sera ainsi transformé, et ainsi le copiste, conduit par son mauvais goût, en arrivera à nous donner une œuvre différente du modèle, mais plus banale encore qu'une simple reproduction.
Le fragment a été trouvé par le peintre romain Gavin-Hamilton, à Centoc-elle, non loin de Rome, sur la Via Labicana.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de Sculpture, III, pl. 649, no 1494. — MüllerWieseler, Denkm. d. alt. Kunst, I, pl. xxxv, no 144. — V. Duruy, Hist. des Romains, II, p. 108. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1578.
LARRIBAU.
244. — Psyché de Capoue.
La statue qui- est devant nous, et que l'on désigne communément sous le nom de Psyché, a été trouvée dans le même amphithéâtre que la Vénus de Capoue. Elle est aujourd'hui au musée de Naples.Cette œuvre a longtemps passé pour un des plus beaux chefs-d'œuvre que nous ait légués l'antiquité.
Elle nous est parvenue mutilée. Nous n'avons que le torse; les deux bras manquent, et dans la tête, deux sections perpendiculaires ont enlevé l'une la partie supérieure, l'autre la partie postérieure de la boîte crânienne. 11 était difficile de restaurer une œuvre qui avait autant souffert.
On a voulu y voir une Psyché attachée à un arbre par l'Amour.
Cette hypothèse ne nous paraît pas admissible pour plusieurs motifs.
D'abord, la position des épaules n'indique nullement que les bras prenaient une direction qui leur permît d'exécuter un mouvement en arrière, mouvement nécessaire cependant chez une personne attachée à un arbre. En second lieu, Psyché n'est jamais représentée sans ailes.
Or, le buste de Capoue n'en avait pas; ce qui le prouve, c'est la draperie qui recouvre l'épaule gauche, au point précis ou l'une des ailes aurait dû s'y attacher. Enfin, Psyché est toujours représentée sous des formes enfantines, et ici nous voyons un type féminin très caractérisé.
D'autres archéologues ont pensé trouver une Vénus dans le fragment de Capoue. Rien ne s'oppose à une semblable hypothèse. Cependant, nous avouons que ce serait là un type de Vénus à part; l'expression sérieuse et triste de la figure semble peu convenir à la mère de
l'Amour. Dans cet ordre d'idées il faut surtout noter l'opinion de Stark; il a prétendu que le torse de Capoue pourrait bien être le torse d'une Aphrodite rattachant sa sandale. Cette ingénieuse restauration s'appuie sur un certain nombre de marbres, de terres-cuites et de petits bronzes qui nous représentent en effet Aphrodite exécutant ce gracieux mouvement. Nous penchons pour cette hypothèse, car l'inclination de la tête, la position plus basse de l'épaule droite, concordent parfaitement avec le mouvement en question.
Au point de vue technique, il est facile de se convaincre que le fragment a été retouché, et retouché à plusieurs reprises. La chevelure, le visage, ont été frottés à la pierre ponce, si bien que les lignes de la figure ont quelque chose de vague et d'indécis. Le ventre, le sein gauche, qui a presque disparu, la draperie ont également subi la même opération.
Il nous semble qu'on a eu tort de mettre une œuvre ainsi frottée, ainsi raclée, au rang des plus beaux chefs-d'œuvre. Ce qu'il y a de remarquable dans ce fragment, c'est l'expression de la figure, où luit un reflet de l'âme humaine. On pourrait en effet y voir la personnification de l'âme en ce qu'elle a de douloureux. Voilà, à nos yeux, ce qui fait le mérite de cette œuvre. Mais nous ne pensons pas qu'au point de vue purement technique elle doive réellement être classée parmi les plus admirables.
Quant à l'époque à laquelle appartient cette statue, il est assez difficile de la déterminer, mais on peut affirmer avec une quasi-certitude que c'est à l'époque impériale qu'elle a été retouchée.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, IV, pl. 649, no 1494. - Kekulé, Annali, 1864, p. 1.44. - E. Wolf, Bulleltino, 1833, p. 132. — Bernouilli, Aphrodite, p. 282. — V. Duruy, Hist. des Grecs, III, p. 85. Cf. Hist. des Romains, II, p. 551. —
Wolters, Gipiabgiisse zu Berlin, no 1471.
A. SALGUES.
245. — Athéna Giustiniani.
Il y a quelque hésitation sur le lieu où fut découverte cette magnifique statue d'Athéna; la plupart des historiens désignent l'église de Santa-Maria sopra Minerva, à Rome; mais il est aussi question du temple de Minerva medica, qui se trouvait près de la Porte Majeure.
le marbre, au commencement du xvn* siècle, appartenait à la famille
Giustiniani dont elle a gardé le nom; plus tard, elle passa entre les mains de Lucien Bonaparte, qui la vendit au pape Pie VII pour le Vatican. Elle y est conservée dans la galerie du Braccio-Nuovo.
L'Athéna Giustiniani nous est parvenue en très bon état; on n'a dû lui faire subir que quelques réparations sans importance (presque tout le sphinx du casque, la main et le poignet droits, quelques doigts de la main gauche, la lance, la tête du serpent); par malheur, la surface du marbre a été presque partout retouchée et repolie.
La déesse (il est utile de bien décrire toute la statue, puisque nous ne possédons ici que le moulage du buste) est debout, chaussée de sandales, casquée d'un casque grec, vêtue d'une longue robe sans manches sur laquelle se drape un vaste manteau plusieurs fois replié autour du corps et surtout du bras gauche, mais qui laisse à découvert toute l'épaule droite, afin de bien laisser paraître l'égide écailleuse ornée du Gorgonion. Athéna s'appuie du bras droit sur une longue lance dont l'extrémité repose près d'elle sur le sol, et tient son bras gauche replié contre sa taille. A côté d'elle, à droite, un serpent s'enroule et se dresse comme pour la contempler ; la queue du reptile passe derrière la déesse, et vient finir en avant de son pied gauche.
Ainsi disposée, cette statue a trouvé de grands admirateurs et des critiques non moins absolus. On a loué sans réserves la gravité majestueuse de l'attitude, et l'expression vraiment frappante de pensée profonde et un peu mélancolique gravée sur le visage incliné. Forschhammer est allé jusqu'à dire que l'Athéna Giustiniani est la plus belle statue d'Athéna qui nous ait été conservée, et a voulu même y reconnaître une excellente copie de la fameuse Athéna Lemnia de Phidias; c'est là une hypothèse ambitieuse et qu'aucun argument sérieux ne peut, jusqu'à nouvel ordre, soutenir. D'autre part, il est injuste de déprécier systématiquement l'œuvre, comme a fait Zoëga, et de lui refuser tout mérite. Il nous semble que le sculpteur, que nous faisons sans hésiter vivre à l'époque romaine, ne manquait pas de talent, puisqu'il a su donner à la déesse un visage plein de noblesse et de pensée, aussi beau, malgré quelque chose de plus ténu et de mesquin, que le visage de l'Athéna de Vellétri (nO 214); mais il n'a pas pu se dégager du défaut, surtout inhérent à son époque, d'une banalité désespérante dans la reproduction du type conventionnel de son personnage. Nous trouvons ici des réminiscences de la Parthénos de Phidias, dans le sphinx qui surmonte le casque, l'égide et le serpent; une routine sans aucune trace d'originalité dans la dispo-
sition des draperies, la forme et la décoration du casque et le choix des attributs.
Aussi nous expliquons-nous difficilement l'effort des archéologues qui ont voulu donner à la déesse un surnom bien spécial et caractéristique. Pour nous, malgré la présence du serpent et le lieu possible de la découverte, nous nous refusons à reconnaître dans la statue Giustiniani une Minevva meâica ; malgré l'ornement des têtes de moutons qui décorent la visière du casque, nous hésitons à voir ici l'Athéna guerrière ; malgré le sphinx de ce casque, et malgré l'air pensif et triste de la déesse, nous ne reconnaissons pas en elle, tout spécialement, la protectrice des arts et des lettres; malgré l'importance des légendes attiques, nous avons peine à donner au serpent le nom d'Érichthonios, et à voir dans notre idole la déesse souveraine de l'Acropole d'Athènes. Nous donnerons à la divinité, tout simplement, le nom d'Athéna, sans épithète, comme il convient à une œuvre qui n'eut, nous en sommes convaincus, que des prétentions artistiques et non des prétentions religieuses ou mythologiques.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, III, pl. 465, no 873. — MiillerWieseler, Denkm. d. alt. Kunst, H, pl. xix, no 205. — Zoëga, ap. Welcker, Akad.
Kllnstmllseum, p. 68 et s. - Forselihammer, Aî-ch. Zeilung, 1871, p. 132. - Wolter's, Gipsabyiisse zu Bedin, no 1436.
P. P.
246. — Apollon du Belvédère.
Cette statue fut trouvée vers la fin du xve siècle près d'Antium. où les empereurs et les riches Romains possédaient des villas ornées de toutes sortes d'œuvres d'art. Elle était en assez bon état, mais la main droite et les doigts de la main gauche ne furent pas retrouvés. Jules II, alors cardinal, la fit transporter au Vatican, où elle fut admirée de Michel-Ange qui la fit restaurer par un de ses élèves, Montorsoli; celui-ci restitua un arc à la main droite.
Cette restauration était à peu près acceptée de tout le monde, lorsqu'en 1860 l'archéologue russe Stéphani la combattit, et ouvrit à ce sujet une discussion sans fin. Il rapprocha l'Apollon du Belvédère d'une autre statue, en bronze, connue sous le nom d'Apollon Stroganoff. Cette statue, fort mutilée du reste, représente le dieu à peu près dans la même position que le marbre du Vatican, et sa main droite
étendue tient un morceau de peau ou d'étoffe dans lequel Stéphani a reconnu le reste de l'égide. Il propose donc de restituer dans la main gauche de l'Apollon du Belvédère une égide, et pense que l'artiste s'est inspiré d'Homère (Il., XV, 306), qui nous représente le dieu remplissant de crainte par sa seule présence les Grecs victorieux qu'il met en fuite. Mais Preller trouve, et avec raison sans doute, qu'un Grec n'a pu sculpter le dieu au moment où il met en fuite des Grecs, et il se rappelle fort à propos deux légendes qui avaient cours en Grèce, d'après lesquelles le temple de Delphes aurait été sauvé deux fois par l'apparition subite d'Apollon, une première fois, lors de l'invasion des Perses, et la seconde fois pendant celle des Gaulois, en 278.
Mais cette opinion a eu beaucoup de contradicteurs. Le fragment que tient l'Apollon Stroganoff a été pris par Wieseler (1861) pour la peau de Marsyas ; Bœtticher, en a fait, d'après une légende relative aux mystères d'Éleusis, le Atog xwBiov, ou peau de bête sacrifiée qui jouait un rôle dans une expiation ; Geskel Saloman y a vu une sorte de mouchoir qui servait pendant les courses des hippodromes pour saluer le vainqueur; enfin Furtwaengler en fait un pan de la chlamyde du dieu.
Mais il suffit de regarder l'Apollon du Belvédère pour repousser toutes ces hypothèses : son attitude est trop noble pour qu'on puisse mettre dans cette main, qui attire principalement le regard et l'attention, soit la peau du satyre, soit un simple pli de chlamyde. Quant à la légende du ¡l{oç xWOtOV, c'est Zeus, et non Apollon, qui y jouait un rôle; enfin l'usage du mouchoir dans les hippodromes ne remonte qu'à l'époque byzantine.
La restauration primitive a eu aussi ses défenseurs : nous aurions ici le dieu solaire, Apollon archer, qu'on peut rapprocher de la Diane de Versailles. Le dieu viendrait même de lancer une flèche, et, le bras encore tendu en avant, il suivrait de l'œil le trait qui ne manque jamais le but. Ce qui rend cette hypothèse vraisemblable, c'est le carquois qui est derrière le dos de la statue. Mais ce carquois, objecte-t-on, est un accessoire presque indispensable et ne prouve rien. J. Hübner, appuyant cette opinion, prétend avec quelque apparence de raison qu'une égide en marbre serait trop lourde pour ce bras étendu, et qu'elle romprait l'équilibre et la bonne harmonie des parties par son volume. Mais l'égide n'a pas besoin d'être représentée tout entière et peut être seulement indiquée, comme cela se fait souvent. Dailleurs il est probable que nous avons ici une copie d'une œuvre en bronze.
Enfin Bœtticher, abandonnant sa première - opinion, et tout en
acceptant l'Apollon archer, reconnaît aussi le dieu des oracles au serpent qu'on voit sur le tronc d'arbre, et aux bandelettes dont il croit trouver la trace sur l'écorce. Mais ce tronc d'arbre n'est qu'un accessoire ordinaire à beaucoup de statues de marbre reproduisant des statues de bronze, et qui n'existait pas dans les originaux.
De toutes ces hypothèses nous préférons la première, qui paraît le mieux convenir à notre statue. C'est bien avec cette noble attitude que nous nous figurons, marchant à la tête des armées, le dieu porteur de cette égide dont l'aspect seul remplit d'effroi les plus braves, et dont la vue suffit pour donner la mort. On sent bien ici, malgré ce que dit Preller, l'inspiration directe d'Homère, quoique l'occasion de la statue ait pu être l'invasion des Barbares. On peut ainsi, avec Overbeck, concilier les deux opinions, mais c'est sur ce point seulement que nous pouvons être d'accord avec lui; il est plus difficile de le suivre lorsqu'il veut prouver que l'Apollon du Belvédère, groupé avec l'Artémis à la biche de Versailles et une Athéna du Capitole, était placé dans le temple de Delphes.
Il est probable, comme nous l'avons dit plus haut, que nous avons ici la copie d'un original en bronze. Tout semble le prouver : le tronc d'arbre qui soutient la statue, ce poli exagéré du marbre qui sert à lui donner plus de ressemblance avec le métal, enfin la manière dont sont traitées certaines parties, comme les cheveux. Il est impossible de trouver la date du prototype qui a inspiré à la fois notre statue et l'Apollon Stroganoff, mais on peut dire avec certitude que la réplique que nous en avons date de l'époque gréco-romaine, car si elle a la noblesse et la majesté d'une œuvre classique, elle n'en a pas la simplicité. S'il est difficile de ne pas être frappé, comme l'ont été tous les critiques, par la conception noble et poétique du sculpteur, par l'élégance et la beauté correcte du corps jeune et brillant du dieu qui s'élauce et semble glisser à la surface du sol, on peut cependant se défendre d'un enthousiasme exagéré comme celui qui transportait Winckelmann. L'Apollon du fronton occidental du temple de Zeus à Olympie est aussi majestueux, aussi divin ; son geste a la même ampleur, la même autorité souveraine ; mais combien l'artiste qui l'a conçu et exécuté était plus sincère, comme ses moyens et ses procédés étaient plus simples et plus sobres ! La statue du Belvédère mérite, même après les découvertes et les études de notre siècle, de rester un modèle idéal d'atelier, et de garder l'épithète de classique, parce qu'il nous donne l'exemple d'un corps admirablement construit, dessiné et
modelé ; mais nous ne devons pas cependant oublier de signaler ce qu'il y a dans cette œuvre célèbre de trop étudié, de trop apprêté, de trop composé, pour ne dire compassé, et de trop peu sincère.
Bibliographie. — Miiller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. xi, no 124. —
Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 138; Kunstmythologie, Apollo, p. 248 et s.; Atlas, pl. XXIII, no 29, et xxi, no 6. — Feuerbach, der Vaticanische Apollo. — G. Saloman, die Statue des Belvederischen oder Vaticanischen Apollo. — Stéphani, Apollo Boedromios. — Arch. Zeitung, 1861, p. 213* (Kekulé); 1882, p. 247 (Furtwængler); 1883, p. 27 (Kieseritzky, der Apollo Stroganoff); 1869, p. 108 (HÜbner). — Baumeister, Benkmxler etc., fig. 111, 112. - V. Duruy, Hist. des Romains, IV, p. 91. — Roscher, Ausfùhr. Lexicon der Mythologie, art. Apollo. — Daremberg et Saglio, Diction. des Antiquités, fig. 321. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 162. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 1523.
P. DE SUAREZ.
247. — Artémis de Versailles.
L'Artémis de Versailles, non moins célèbre que l'Apollon du Belvédère, dont ses admirateurs l'ont si souvent rapprochée, fut achetée à Rome pour le compte de François I01'; Henri IV la plaça au Louvre, Louis XIV la fit transporter à Versailles, pour orner les jardins de son palais, et c'est de là que vient le nom qui sert ordinairement à la désigner. Enfin, en l'an VI de la République, elle fut rapportée et replacée au Louvre, où elle se trouve actuellement.
Au xvie siècle Barthélemy Prieur, et Lange en 1809 exécutèrènl quelques restaurations : le nez, les oreilles, l'avant-bras droit, presque tout le bras gauche et le pied droit de la déesse, plusieurs parties de la biche.
Le sujet semble bien clair, et le nom vulgaire qu'on donne à la statue, la Diane à la biche, parait l'expliquer tout naturellement.
Néanmoins cette question est sujette à controverse. Les uns veulent reconnaître ici tout simplement Artémis chasseresse, accompagnée de sa biche familière : la déesse a entendu près d'elle, dans un taillis, un bruit furtif de gibier; elle se retourne sans s'arrêter, et porte la main à son carquois pour saisir une flèche; dans ce cas, il faut restituer un arc dans sa main gauche; pour d'autres, Artémis est sous cette forme non pas l'ennemie, mais la protectrice du gibier; la biche qui la suit en bondissant auprès d'elle est la biche aux cornes d'or, fameuse dans la légende d'Héraklès : Artémis va défendre sa compagne favorite
contre un danger soudain qui la menace. Les partisans de cette solution tirent un argument spécieux de ce fait que la biche a des cornes, ce qui est tout à fait anormal, et ne convient qu'à un animal fabuleux.
0. Jahn, à son tour, a prétendu que la déesse est bien ici la chasseresse; mais au lieu de voir dans la biche une bête familière et particulièrement aimée, il y reconnaît la victime, la proie d'Artémis, que la fille de Latone est en train de dompter. Ce système est fort peu vraisemblable, d'abord parce que la restitution qui met la main gauche d'Artémis sur la tête et entre les cornes de la biche n'est certainement pas acceptable, ensuite et surtout parce que la déesse, faisant un effort, si léger qu'il fut, pour contenir et dompter la biche bondissante, ne tournerait pas la tête d'un autre côté, et ne porterait pas la main à son carquois. Enfin, 0. Millier a songé que la statue du Louvre pourrait bien représenter Artémis volant au secours d'un sanctuaire menacé, et il est juste de noter tout ce que cette idée a d'ingénieux. M. Overbeck s'en est emparé, et il a imaginé que l'on doit reconstituer un groupe composé de l'Apollon du Belvédère, de l'Artémis de Versailles, et d'une Athéna du musée du Capitole, trois œuvres de proportions, de mouvement, de style et de facture identiques; ce groupe aurait été consacré à Delphes en souvenir du secours providentiel que l'apparition soudaine de ces dieux porta, dit la légende, au temple menacé par l'attaque des Gaulois.
Pour nous, nous estimons que des recherches et des restitutions de ce genre risquent fort de ne jamais conduire à des résultats vraiment scientifiques ; aussi exposons-nous ces avis divers sans prendre parti dans le débat. Contentons-nous de noter tout ce qu'il y a d'intéressant et de juste dans le rapprochement fait entre l'Apollon du Belvédère et l'Artémis de Versailles. Les deux statues sont vraiment sœurs, comme Apollon et Artémis sont frère et sœur dans la mythologie, et l'on dirait que les deux œuvres sont parties de la même main. On trouve ici et là le même goût des formes jeunes et élancées, des attitudes nobles et poétiques, le même soin du détail et des accessoires; les cheveux, les draperies, les sandales, sont traités avec la même minutie élégante; l'impression qui se dégage des deux statues placées l'une à côté de l'autre, c'est qu'elles semblent destinées à se faire pendant, comme on dit. De même que l'Apollon du Belvédère donne aux artistes le modèle parfaitement correct d'un corps d'homme idéal, l'Artémis du Louvre, non moins pure de formes et de lignes, d'une anatomie non moins impeccable, mérite d'être étudiée, dessinée, copiée, comme le
type idéal de la femme jeune, grande et belle, élégante et svelte.
Mais aussi, comme l'Apollon, on ne peut s'empêcher de la juger un peu froide et compassée; elle n'est pas assez émue, et ne nous émeut pas ; nous l'admirons sans enthousiasme ; notre goût, formé par la vue et l'étude d'œuvres que ne connaissaient pas les siècles précédents, nous porte plus volontiers vers un art moins noble, mais plus sincère.
Bibliographie. — Piroli, Musée Napoléon, I, pl. 51. - Müller-Wieseler, Denkm.
d. alt. Kunst, II, pl. xv, no 157. — Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 138. — Frœhner, La sculpture antique au Louvre, no 98. — V. Duruy, Hist. des Romains, I, p. 121. —
Baumeister, Denkmseler etc., fig. 140. — Roscher, Ausfilhrl. Lexicon der Mythologie, p. 603 (Artemis). — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 2377 (Diana). —
— Wolters, Gipsabgûsse zu Berlin, no 1531. P. P.
248. — Portrait d'un Romain (Prétendu Germanicus).
On ne sait pas l'histoire de cette statue, connue sous le nom de Germanicus. Il n'en est fait aucune mention avant la fin du xvie siècle ; à cette époque, elle ornait les jardins de Sixte-Quint sur l'Esquilin.
Louvois l'acheta en 1685 et la fit porter à Versailles, et, de là, elle passa au Louvre.
Elle est à peu près intacte; il ne lui manquait que le pouce et l'index de la main gauche. La restauration du crâne date de l'antiquité.
Le personnage représenté est debout, nu, dans l'attitude d'un orateur parlant devant le peuple ; le bras droit levé avec un geste démonstratif semble accompagner un argument.
Le long du bras gauche glisse une chlamyde qui se prolonge jusqu'à terre et va s'appuyer sur une tortue sur laquelle est inscrit le nom de Cléomènes. Il n'est pas difficile de reconnaître un Homain dans ce personnage : le geste sobre et sec, l'expression du visage et la disposition de la chevelure suffisent à le désigner.
Il était assez d'habitude à Rome, sous l'Empire, lorsqu'on voulait représenter un personnage important, de le figurer dans l'attitude d'un dieu ou d'une statue bien connue, soit par flatterie, soit par défaut d'invention de la part du sculpteur. Il ne serait donc pas étonnant, comme le veut M. Rayet, que cette statue ait été inspirée par un prototype célèbre représentant Hermès, dont nous aurions encore
deux répliques, l'une en marbre à la villa Ludovisi, et l'autre en bronze au palais Colonna. La tortue est en effet un attribut d'Hermès, et de plus il se peut que notre statue ait tenu un caducée de la main gauche.
L'attitude générale de l'Hermès Logios de la villa Ludovisi est d'ailleurs la même que celle du personnage romain ; mais là s'arrête la ressemblance, et il est évident que l'artiste s'est inspiré ici de son modèle plutôt que d'une autre statue.
Quoi qu'il en soit, nous avons ici l'œuvre d'un artiste très habile et qui a fait preuve d'une grande science anatomique. Plusieurs parties de la statue, entre autres le bras droit, sont citées comme des morceaux de maîtrise. Nous connaissons heureusement le nom et la date approximative du sculpteur. L'inscription placée sur la carapace de la tortue nous apprend que c'est l'Athénien Cléomènes, fils de Cléomènes.
On peut, d'après les caractères de l'inscription, le placer à la fin du il" siècle ou au commencement du 1er avant notre ère.
Quel est donc le Romain dont nous avons le portrait? On a cherché' son nom avec raison dans l'histoire du commencement du premier siècle, et l'on a songé à tous les personnages qui avaient joué un rôle à cette époque : Sylla, Pompée, Lucullus, Hortensius, Cicéron. Mais nous avons de presque tous ces personnages des portraits authentiques qui n'ont pas de rapport avec la statue de Cléomènes. Clarac veut y voir un inspecteur des monnaies, Gratidianus, qui rendit un grand service au commerce romain par ses mesures contre les faux monnayeurf. Son seul argument est l'objet que tient la statue entre le pouce et l'index de la main droite; de ce qui n'est qu'un simple tenon, il veut faire un flan de métal qui rappellerait le service rendu au commerce.
Pour M. Rayet, le Romain serait peut-être César. Nous avons, il est vrai, de Jules César des portraits authentiques qui contredisent cette opinion; mais ils le représentent tous de 52 à 56 ans, alors qu'il était vieilli et fatigué par ses guerres et par les luttes politiques qu'il eut à soutenir. De César plus jeune nous n'avons rien, si ce n'est un portrait tracé par Suétone en termes qui conviennent assez bien à notre statue, mais pas assez précis pour nous permettre de rien affirmer : « Fuisse traditur excelsa statura, colore candido, teretibus membris, ore paulo pleniore, nigris vegetisque oculis, valetudine prospéra ».
Nous restons donc dans l'incertitude et c'est fort regrettable, car il serait intéressant de pouvoir mettre un nom sous ce portrait qui doit être d'une ressemblance parfaite.
Bibliographie. — Muller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, I, pl. L, nu 225. —
Frœhner, La sculpture antique au Louvre, no 184. — Overbeck, Griech. Plastik, II, p. 685. — V. Duruy, lIist. des Romains, II, p. 229. - P. Paris, La Sculpture antique, fig. 169. — Baumeister, Denkmseler etc., fig. 825-826. — 0. Rayet, Monuments de l'art antique. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 1630.
P. DE SUAREZ.
249. — Vénus de l'Esquilin.
Cette œuvre curieuse fut découverte en 1874 à Rome, dans les travaux de la place Victor-Emmanuel, sur l'ancien emplacement des jardins d'^Elius Lamia, devenus ensuite jardins des empereurs.
Cette statue, qui mesure lm60, représente une fraîche jeune fille entièrement nue. Son vêtement est déposé sur un vase richement orné. Elle est simplement chaussée de sandales; la main droite, dont la position est difficile à retrouver exactement, dénouait sans doute le ruban qui retient les cheveux ; la main gauche est posée sur le haut de la tête qui est légèrement inclinée à droite; le corps se penche aussi et se cambre en dehors. Cette jeune fille, ainsi posée, se prépare à entrer au bain ou vient d'en sortir. C'est ce moment précis que le sculpteur a voulu nous représenter.
La statue ne fut pas retrouvée intacte : la tête était séparée du corps, la jambe droite brisée au-dessus du genou, la jambe gauche rompue en deux endroits, au-dessus du genou et au-dessus de la cheville; les bras manquent.
Au moment même de sa découverte, cette statue fut vantée au delà de son mérite. Elle aurait été destinée à venir se placer à côté des plus belles représentations plastiques de Vénus que nous possédons déjà et que tout le monde connaît. Mais une fois le marbre exposé au Capitole, l'on commença à rabattre beaucoup de ce premier enthousiasme, et la critique devint presque aussi outrée que la louange. L'on reprocha à l'artiste « une imitation trop servile et mal entendue du modèle vivant », la forme disgracieuse et bombée de la poitrine, la largeur des épaules, et une ligne creuse très nette qui, des seins au nombril, partage le corps en deux parties. Enfin, l'on trouva la chair comme boursouflée, la pose raide, la tête trop petite et trop maniérée avec sa bouche pincée et ses oreilles si ténues; les accessoires, en outre, étaient traités avec minutie et avec lourdeur.
Nous accordons bien que les accessoires n'aient pas été heureuse-
ment choisis ni exécutés, surtout la draperie, qui retombe en plis lourds et raides, comme empesée. La tête manque de fini, et les pieds sont bien grands. Mais, cela admis, nous ne pouvons pas adresser au sculpteur le reproche d'avoir imité « trop servilement son modèle vivant ». C'est là, au contraire, que nous placerons tout son mérite.
Il ne s'en est point tenu à ces types consacrés que tous les artistes avaient dans les yeux et dans la main; lassé, sans doute, de ces éternelles reproductions d'un idéal démodé, il a voulu chercher une autre voie, et a reproduit tel quel le joli corps vivant qu'il avait rencontré; il a fait œuvre réaliste, et c'est là qu'est son originalité et sa gloire.
Cette chair grasse el comme boursouflée qu'on lui reproche, disons tout d'abord qu'elle n'a rien que de très naturel ; le modèle n'était point une jeune fille musclée, sèche, mais au contraire bien potelée, assez dodue; aussi n'est-il point étonnant que le sculpteur n'ait pas fait saillir à la surface des muscles naturellement recouverts de graisse. En outre, ces muscles, chez une jeune fille aux formes si rondes, ne devaient pas être très développés. La ligne qui partage le ventre est encore une preuve de réalisme, et l'effet n'en est nullement déplaisant. Quant aux épaules, elles ne nous semblent point si larges qu'on a bien voulu le dire.
Cette statue avant tout nous plait : il se dégage d'elle une mièvrerie séduisante qui nous attire, et une grâce apprêtée qui n'est pas sans charme.
Que représente cette stalue? Avons-nous là une Vénus?
M. C. L. Visconti prétend que c'est cette déesse qui nous est représentée, et il va même jusqu'à dire que nous sommes en présence d'une Vénus de Scopas. Mais de nombreuses objections se dressent contre cette hypothèse. Tout d'abord c'est le réalisme que nous avons déjà noté, et qui se montre aussi bien dans la tête que dans tout le reste du corps; la figure est pour ainsi dire moulée sur une face vivante; aucun idéal, aucun sentiment du divin n'est exprimé par la physionomie. Or nous savons que les statues de Scopas avaient un air de noblesse et de majesté divine. En même temps nous relevons dans notre aimable « esquiline » une certaine affectation d'archaïsme dans la raideur de la che\elure et dans le travail trop minutieux des mèches, ce qui n'est point le propre de Scopas. En outre, jamais Scopas n'aurait eu l'idée de sculpter sur le vase, en guise d'ornement, un uvaeus, un serpent égyptien!
Faut-il, avec F. Lenormant, rapprocher notre statue du Diadumènc
de Polyclète, et en faire une sorte de sujet de genre de l'époque classique? Disons d'abord que ce rapprochement est assez forcé. Nous ne trouvons aucun rapport ni dans les lignes, ni dans le style; ici encore manque cet idéal que Polyclète visait toujours quand il sculptait quelque statue. Le seul rapport se trouve dans la manière dont sont posées les deux œuvres, le poids du corps ne reposant que sur une jambe, et dans le mouvement des bras en l'air. Mais à ce compte combien d'œuvres très différentes ne pourrait-on pas comparer entre elles?
Lenormant va encore plus loin et veut donner un nom à notre statue. Il reconnaît d'abord l'absence de l'idéal divin, si fort empreint sur toutes les statues des dieux. Selon lui, nous ne pouvons pas avoir une représentation de Vénus, car l'expression du visage est trop profane pour cela. Cependant nous ne pouvons pas nier qu'il n'existe une certaine gravité répandue sur la physionomie; ce n'est donc pas une femme quelconque qui est sous nos yeux, c'est une personne qui tient le milieu entre la femme et la déesse.
Qui est-ce alors? Ici les accessoires interviennent à propos. Que remarquons-nous sur le vase? Un « uraeus » et (ce dont il est difficile de se rendre compte, car ces fleurs ressemblent plutôt, selon nous, à des marguerites) des roses. Mais alors, c'est un personnage égyptien, l'uraeus le dit assez; et quel personnage? Rhodopis, une courtisane épousée par un roi, à demi divinisée. Voilà la gravité expliquée. Nous avons donc une Rhodopis, on n'en peut douter. Seulement, il nous semble difficile de vouloir dénommer une statue en ne s'attachant qu'aux accessoires, dont l'un, les roses, est tel qu'il est presqu'impossible de savoir au juste si ce sont vraiment des roses.
Nous ne recevons d'ailleurs aucune impression de chasteté, mais bien plutôt de séduction; le choix du modèle, sa position le prouvent assez; en outre, le resserrement des jambes l'une contre l'autre, dans un geste de demi-pudeur, produit juste l'effet inverse de celui qui était cherché. Nous ne pouvons donc voir dans cette statue que la représentation d'une femme; nous ne notons que le désir de l'artiste de reproduire un joli modèle vivant, sans aucune autre intention.
Nous pouvons juger par là de quelle époque est à peu près cette statue. Cette nouvelle manière, toute réaliste, de représenter la nature humaine ne peut pas appartenir à l'époque classique, elle ne se rencontre qu'assez tard, environ vers le premier siècle de notre ère.
Les accessoires vont nous permettre de préciser davantage. Nous savons, en effet, que l'empereur Hadrien, grand voyageur, aimait particulièrement l'Egypte, qu'il avait fait construire, dans sa villa de Tivoli, des monuments égyptiens, même des quartiers tout entiers dans le style de ce pays. Il n'est donc pas étonnant que le sculpteur, subissant l'influence de la mode imposée par l'empereur, ait placé à côté de sa statue des accessoires rappelant l'Égypte. Nous devons donc être en présence d'un sujet de genre du 11e siècle de notre ère.
Bibliographie. — C. L. Visconti, Bull, della Commiss. munie, di Roma, 1875, p. 16. — Revue archéol., 1875, p. 194, p. 264. — V. Duruy, Hist, des Romains, II, p. 576. — Fr. Lenormallt, La Vénus de l'Esquilin et le Diadumène de Polyclète (Gaz. archéol" 1877, p. 138 et s., pl. 23).
M. MILLET.
250. — Apollon Citharède (Musée du Vatican).
Cette statue en marbre d'Italie, qui fut découverte avec les statues .des Muses dans la villa de Cassius, à Tivoli, représente Apollon jouant de la cithare. Le dieu est debout ; un long et épais vêtement à manches courtes le couvre tout entier; un peu au-dessous de la poitrine, une ceinture resserre cette ample tunique qui descend jusqu'aux pieds, enveloppant le corps dans, ses plis abondants. Un vaste manteau, retenu sur les épaules par des agrafes, retombe par derrière. Le dieu semble marcher d'un pas rapide ; le vent plaque par devant sur ses jambes sa tunique flottante, dont les plis légèrement gonflés s'enfuient en arrière, accentuant ainsi le mouvement du corps. Le manteau, largement ouvert, semble former le cadre au milieu duquel se détache pleinement la statue. Ces draperies lui donnent une belle ampleur, et certainement la tête, qui est fine et délicate, eût été trop petite si l'artiste n'avait pris soin de la grossir en gonflant habilement l'abondante chevelure du dieu, et en la chargeant encore d'une grande couronne de laurier.
Une lourde cithare, ornée d'une représentation de Marsyas pendu, - ornement bien propre à faire reconnaître le vainqueur du satyre,— est suspendue au flanc gauche. De la main gauche, le dieu tient les cordes de la cithare, et de la droite, il en approche le plectron. Avec son allure rapide, sa tête dressée, ses yeux levés et sa figure expressive: où se peint sa pensée, il a bien l'air du poète inspiré, qui,
« carmina sonans », accompagne son chant des sons de la cithare, et peut-être sa marche n'est-elle qu'un pas de danse. Dans son ensemble cette statue, avec sa fière allure, sa noble prestance, ses longues draperies flottantes, ne manque pas d'une certaine majesté; et nous devons regretter beaucoup la perte de l'original. Il était certainement très célèbre, car nous en pourrions signaler un assez grand nombre de reproductions. Nous le trouvons même sur de vieilles monnaies de Thessalie et de Thessalonique ; et, à défaut d'autres, ce serait là une preuve de son origine grecque et de son antique célébrité.
Certains archéologues ont voulu reconnaître dans notre statue une copie de l'Apollon de Scopas, qu'Auguste avait consacré après la bataille d'Actium dans le temple du Palatin. Beaucoup de monnaies témoignent de ce fait, mais aucune d'elles ne représente Apollon jouant de la cithare; l'identification n'est pas possible. D'autres monnaies, frappées sous Néron, représentent un type bien plus voisin de notre Apollon. Néron, nous le savons, se fit représenter avec les attributs du poète lyrique, et il ne nous paraîtrait pas absurde d'admettre que l'artiste a précisément choisi, pour le donner à l'empereur dilettante, le type très célèbre d'Apollon jouant de la cithare. C'était flatter agréablement la manie d'un prince dont il valait mieux être l'ami que l'ennemi, que de le représenter ainsi comme une nouvelle incarnation du dieu de la musique et des vers. Ces monnaies pourraient donc vraiment nous montrer des images de l'original antique.
D'autre part Pline (H. N., xxxvi, 34) raconte que, dans le temple d'Apollon, une statue représentait le dieu vêtu d'une longue tunique, et à côté se dressaient les images de Latone, d'Artémis et des Muses.
Une autre statue du dieu, nue celle-ci, avait été sculptée par Philiscos de Rhodes. Enfin Timarchidès, d'Athènes, avait sculpté, pour le même temple, un autre Apollon jouant de la cithare. C'est cette dernière statue que'Visconti et Braun ont regardée comme l'original de notre Citharède. Cependant, comme Pline ne dit pas que l'Apollon de Timarchidès était vêtu, l'hypothèse de Braun et de Visconti ne nous parait pas fondée. Pourquoi ne pas admettre que l'Apollon Citharède fut sculpté par le même artiste qui fit les statues de Latone, d'Artémis et des Muses, avec lesquelles d'ailleurs il a été trouvé? Nous aurions ainsi un groupe qui se conçoit assez bien. Mais ce n'est là qu'une simple hypothèse.
Si nous ne connaissons pas l'original de cette statue, nous pouvons
cependant en affirmer l'origine grecque : son caractère, même à défaut des médailles et des bas-reliefs antiques que nous connaissons, nous permettrait de l'établir. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ce dieu aimable et gracieux un proche parent de l'Apollon Sauroctone.
Évidemment le type d'Apollon musicien a été créé à cette époque où Praxitèle et son école s'attachaient à représenter des divinités, non plus sévères et redoutables, mais jeunes et gracieuses, avec des corps d'un modelé large, ferme quoique un peu amolli; déjà Lysippe avait introduit la sveltesse dans les corps, Scopas, l'expression dans la physionomie. Tous ces caractères, nous les trouvons réunis dans ce jeune dieu, au corps élancé, au port majestueux, à la tête fine et expressive.
Malheureusement de graves défauts déparent cette statue. Nous n'insistons pas sur ce fait que le dos n'est pas du tout travaillé : c'est qu'évidemment la statue ne devait pas être vue de ce côté; mais nous n'excusons pas la négligence que l'on voit dans ces plis du vêtement, tous parallèles et réguliers, sculptés toujours d'après le même procédé; une robe que le vent soulève ne conserve point une pareille symétrie dans ses plis. L'artiste n'a pas voulu, ou n'a pas pu varier sa manière; c'est un manque de goût ou de talent.
Cette cithare énorme produit le plus fâcheux effet, pendue àce corps souple et élancé ; elle est trop lourde, trop massive; on dirait que le corps s'incline sous son poids.
Enfin, s'il faut louer la finesse de la tête et la majesté de l'ensemble, il faut reconnaître aussi l'affectation et la fadeur qui se dégagent de toute cette statue. Tout y est poli à l'excès; ces bras ronds n'ont rien de naturel; l'anatomie y est nulle, ils sont sans force, comme le corps est sans vie. La figure elle-même n'échappe pas à ce reproche ; sans doute elle est fine et expressive, mais qui ne voit combien cette expression est peu naturelle? qui ne sent combien cela est fade et recherché?
C'est bien là une production de cette époque romaine qui a vu paraître ces œuvres élégantes jusqu'à la mièvrerie, gracieuses jusqu'à la préciosité, qui s'appellent la Vénus de Médicis et l'Apollon du Belvédère.
On a signalé quelques restaurations : le bras droit, avec un fragment de la manche, la main gauche et un peu de l'avant-bras, les deux bouts des pieds avec quelques éclats de draperie attenante, enfin les deux cornes de la cithare.
Bibliographie. — Clarae, Mus. de sculpture, 111, pl. 496, no 967. — lüllerWieseler, Denkm. d. ait. Kunst, I, XXXII, nO 141 c. — Overbeck, Kunslmythologie, Apollo, p. 186 et s., Atlas, pl. xxi, no 32. — V. Duruy, Hist. des Romains, 1, p. 627; Hist. des Grecs, I, p. 745. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 104. — Roscher, Ausfuhrl. Lexicon der Mythologie, p. 463 (Apollo). — Daremberg et Saglio, Diction. des Antiq., fig. 379 (Apollo).
E. BONDON.
251. - Hermès au repos d'Herculanum.
Ce bronze, qui appartient au Musée de Naples. a été trouvé en août 1758, dans la célèbre villa des Papyrus, à Herculanum. L'identification s'imposa tout d'abord : la statue, ayant les talonnières, ne pouvait être qu'un Hermès.
Le dieu est au repos; sa main droite s'appuie sur un rocher; il tient de la gauche un fragment de caducée. On a dit que ce fragment aurait pu appartenir à une bourse, mais l'examen du bronze montre que c'est une tige; de plus, la main n'aurait pas eu la position qu'on lui voit si elle avait tenu une bourse, et l'on verrait des traces de celle-ci sur la jambe du dieu; enfin une pierre gravée, signalée en 1859, où Hermès, dans une position analogue à celle de notre statue, tient le caducée, achève de prouver que c'est bien cet attribut que l'artiste avait placé dans la main gauche de l'Hermès au repos.
Que fait le messager de Zeus? On a dit qu'il attendait un ordre du père des dieux, mais il semble bien peu attentif, et d'ailleurs il devrait, s'il écoutait Zeus, lever la tête dans sa direction. Müller - Wieseler pensent plutôt qu'il s'est arrêté dans sa course, et qu'il se repose, prêt à reprendre son vol. Winckelmann est d'avis que les rosettes plates, par lesquelles sont réunies sous le pied les courroies des talonnières, sont destinées à montrer que le dieu vole et ne court pas. Cette interprétation semble par trop symbolique.
Il est inutile d'insister sur l'hypothèse de M. Rathgeber qui regardait le bronze d'Herculanum comme une représentation d'Hermès pêchant à la ligne.
Pour nous, cette statue n'est pas une image d'Hermès considéré comme un dieu qu'on adore dans un temple; elle n'est pas destinée à représenter le dieu lui-même : c'est une adaptation.
Ce corps viril est élégant, et l'on sent dans ces membres, qui d'abord semblent grêles, la vigueur jointe à la souplesse et à l'agilité
des éphèbes qui fréquentaienl la palestre. Ces caractères, que l'on ne s'étonne pas de rencontrer chez l'adolescent qui les présente, ne sont pas pour offrir une idée exacte et spéciale de la divinité. C'est que l'artiste n'a pas eu l'intention de rien donner d'olympien à son bronze.
Le personnage n'a pas les formes d'un dieu, et la divinité n'est point empreinte sur son visage, au contraire si naturel et si humain.
Cette manière dont le sculpteur a traité son œuvre n'a rien qui doive surprendre; on sait, en effet, que l'on donnait souvent les attributs d'Hermès à des représentations de personnages réels, particulièrement sur les tombeaux. Comme ce sont surtout des personnages debout, nous ne pouvons pas dire que notre statue ait eu une telle destination. Si l'on n'était pas en présence d'un tout jeune homme, l'on pourrait voir dans notre bronze le portrait d'un athlète vainqueur : les jambes effilées et les pieds gros confirmeraient l'hypothèse d'un coureur, par exemple.
Cette œuvre, croyons-nous, n'est autre chose qu'un sujet de genre.
L'artiste a copié un modèle vivant dans une position fortuite ou prise à dessein, et c'est seulement l'œuvre une fois terminée qu'il a songé à la caractériser pour pouvoir lui donner un nom. La présence des attributs d'Hermès n'a pas besoin d'autre explication. On peut remarquer que l'artiste a négligé de coiffer sa statue du pétase ailé, tant il attachait peu d'importance à cette partie de son travail.
Hermès, puisque l'auteur de cette étude de nu a voulu qu'elle portât ce nom, est représenté comme un dieu auquel on ne croit plus. Ce n'est plus le dieu grave auquel on donnait un corps robuste et viril, c'est un jeune homme gracieux chez qui il n'y a rien de divin.
Les traits si personnels qu'on trouve dans notre bronze confirment bien l'hypothèse d'un portrait. La tête a une forme très particulière; la forme et la place des oreilles, la bouche, la mâchoire, la physionomie, le pli du ventre si accentué, qui est certainement causé par l'usage d'une ceinture, le dos rond, tout tend à prouver que l'artiste avait sous les yeux un modèle vivant.
C'est à l'époque gréco-romaine que l'on fait ainsi des statues d'après nature, en leur conservant la plus scrupuleuse ressemblance. Celle-ci, qu'elle soit un original ou une copie — on ne peut se prononcer avec certitude, surtout lorsqu'il s'agit d'une œuvre en bronze — doit être rattachée à l'époque romaine et non, comme on l'a dit, à l'école de Lysippc. En effet, outre que la statue, par ses formes mêmes, semble n'avoir pas subi l'influence de cette école (le torse large et les bras
trop gros pour les jambes n'ont rien de l'Apoxyoménos), le maître de Sicyone interprétait les modèles vivants dont il faisait des dieux, il ne les copiait pas ; il les retirait en quelque sorte de la réalité terrestre pour les placer dans l'Olympe : notre bronze, au contraire, offre tous les caractères du plus sincère réalisme.
Bibliographie. — MiUler-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, XXVIII, n° 309. —
Michaëlis, Arch. Zeitung, 1859, p. 84*. — Wolf, Bullellino, 1838, p. 133. — Baumeister, Denkmwler etc., fig. 738. - M. Collignon, ap. 0. Rayet, Monuments de l'art antique.
Gaston DRLAGAIWE.
252. - Satyre d'Herculanum.
Bronze trouvé, en 1764, à Herculanum, dans la villa des Papyrus.
Aujourd'hui au Musée de Naples.
Le personnage représenté est un satyre; ce qui le prouve, ce sont les deux petites cornes pointues qu'on voit sur son front, et les deux glandes qui se trouvent de chaque côté du cou et qui rappellent celles qu'on voit à la gorge des boucs. Le Satyre est dans une attitude gracieuse qui fait valoir les formes de son corps. Il est assis sur un rocher, le bras droit replié au-dessus de sa tête, le bras gauche pendant; le pied gauche s'appuie sur une saillie du rocher, la jambe droite ne repose sur rien. Quant à la tête, c'est celle d'un dormeur; les paupières sont baissées, tous les muscles du visage sont détendus, et la bouche entr'ouverte semble laisser passer l'haleine d'un homme endormi. Cependant, nous ne croyons pas que le satyre ici representé soit en plein sommeil. En effet, si l'on examine la position du bras droit et la façon dont il est replié autour de la tête du satyre, on est forcé d'avouer que ce n'est pas là une attitude naturelle ni bien favorable au repos. De plus, le personnage ne s'appuie sur rien; il se tient dans une position d'équilibre que n'ont point les satyres représentés dormant. Enfin, le bras gauche, au lieu de tomber tout près du corps, abandonné à lui-même, forme avec lui un angle assez sensible. Pour ces motifs, nous croyons donc que le satyre n'est pas endormi, mais qu'il a sommeil, et qu'avant de dormir il s'étire, en fermant les yeux.
Au point de vue technique, la statue a certaines qualités : le corps de notre Satyre est celui d'un jeune homme bien musclé, quoique assez élégant de formes ; les cuisses sont fermes et pleines, les pecto-
raux bien placés et assez saillants, et surtout le bas-ventre est modelé avec habileté. D'ailleurs, le sculpteur a fait preuve d'une dextérité remarquable en donnant à son personnage une pareille attitude; les lignes du corps sont savamment contrariées, et tout concourt à donner à la statue un caractère d'élégance bien défini.
Cependant, on peut lui reprocher certains défauts : tout d'abord, la position peu naturelle du personnage, qui ne saurait conserver longtemps une telle attitude; de plus, le visage est traité assez sommairement, les oreilles sont mal faites et les traits assez rudes. Il semble que le sculpteur ait travaillé d'après un modèle vivant; que lui trouvant des formes remarquables, il les ait reproduites, et que, ne sachant ensuite quel personnage faire de sa statue, il l'ait simplement caractérisé au moyen des cornes et des glandes. C'est une œuvre entreprise sans idée dominante et directrice, qui ne doit son caractère qu'au caprice de l'artiste. Enlevez à la statue sa tête, vous aurez simplement un corps de jeune homme, un morceau de sculpture académique sans caractère spécial. L'auteur de la statue n'a pas su imprimer à son œuvre un cachet personnel ; il a eu plus de bonne volonté que de talent.
Quant à l'époque à laquelle on doit reporter la statue de notre satyre, nous devons pour la déterminer dire quelques mots des satyres et de leurs représentations.
Primitivement, les satyres, compagnons de Dionysos, étaient représentés par les sculpteurs et les écrivains sous une forme assez grossière. Ils avaient pour caractéristique un corps solidement bâti, une face mal faite avec un nez camus et des oreilles de bouc droites et pointues, avec des glandes, comme celles de notre statue. Chez les vieillards, on remarque de plus la calvitie du front et quelquefois une courte queue de bouc ou de cheval, comme celle du Marsyas. Ils sont représentés dans toutes les attitudes. Si l'on consulte les planches de l'atlas de Clarac, on voit des satyres jouant de la flûte, des cymbalistes, des danseurs, des chasseurs, d'autres qui sont couchés ou ivres, d'autres, enfin, groupés avec des bacchantes ou des hermaphrodites. Mais le caractère général subsiste : les traits sont grossiers, le corps rude, la face bestiale; ce sont plutôt des caricatures que des portraits. De plus, l'âge ne varie guère : ce sont ou des hommes mûrs ou des vieillards; c'est seulement à partir de Praxitèle qu'on vit apparaître le satyre jeune, de formes élégantes, sans mièvrerie. D'ailleurs ce maUre réduit le plus possible le caractère saty-
resque de ses personnages; il conserve les oreilles droites et pointues et les glandes, avec la nébride et la flûte, mais la transformation porte principalement sur le corps, qui n'est plus celui d'un vieillard, ni d'un homme mûr, mais celui d'un éphèbe svelte et fort.
Attribuerons-nous notre statue à un artiste contemporain de Praxitèle ou qui lui soit un peu postérieur? Non, et pour plusieurs raisons.
D'abord les attributs, quoique réduits chez Praxitèle, subsistent cependant en partie; ici, à vrai dire, nous avons bien les cornes et les glandes, mais nous ne retrouvons plus la nébride et la houlette; les accessoires caractéristiques du satyre ont disparu. De plus, la tête elle-même n'a pas de ressemblance avec celle du Satyre de Praxitèle.
Chez ce dernier, en effet, on trouve un visage aimable, gracieux, joli même; la tête suit la transformation du corps, elle se rajeunit et s'embellit en même temps. Ici, au contraire, nous avons un visage aux traits grossiers, d'un modelé sommaire, avec quelque chose de sauvage et de rustique. L'artiste semble n'avoir accepté qu'une partie des innovations de Praxitèle. Il a réagi contre elles, et la date de cette réaction doit être, non pas le m0 siècle comme on l'a prétendu, alors que l'influence de Praxitèle était encore toute-puissante, mais plutôt l'époque gréco-romaine, où l'on a perdu l'habitude de suivre la belle tradition classique.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, IV, pl. 720, no 1724. — Max. Collignon, dans 0. Rayet, Monuments de l'art antique.
M. AUDOIN.
255. — Faune à l'Enfant.
Nous laissons à cette œuvre célèbre, l'un des plus beaux ornements de notre Louvre, son nom populaire de Faune à l'Enfant, mais il ne peut faire doute pour personne que cette appellation est erronée; il faudrait dire : Silène portant Dionysos enfant. Tel est, en effet, le sujet du groupe.
On fait remonter à Praxitèle l'idée d'avoir ainsi mis aux bras de quelque divinité occupée à le distraire le fils nouveau-né de Sémélé; il est certain que l'Hermès d'Olympie, œuvre authentique du maître, peut donner quelque poids à l'hypothèse; mais il nous semble qu'il est bien téméraire d'affirmer positivement un fait que rien ne prouve.
Il est plus audacieux encore de rattacher le Silène du Louvre à l'école de Praxitèle, et nous repoussons cette théorie. Praxitèle a conçu et figuré les dieux jeunes et beaux, ou forts et solidement construits comme l'Hermès, ou plus volontiers délicatement élégants avec on ne sait quoi de féminin, comme l'Apollon Sauroctone ou le satyre qui joue de la flûte. Il leur a donné de préférence — l'Hermès étant à bon droit regardé comme une œuvre de jeunesse — des corps mollement arrondis dans leur petite taille, ramenés aux proportions de l'humanité; mais il a eu soin d'imprimer aux visages un sentiment assez profond pour que celui qui les contemple y retrouve quelque chose de divin. C'est ainsi qu'Hermès, jouant avec Dionysos, laisse errer son regard avec sa pensée bien loin du nourrisson divin, et que le Sauroctone ne se laisse guère absorber à la poursuite de la bestiole innocente qui se chauffe au soleil; cette chasse n'occupe que sa main ; le sourire du dieu prouve que son âme est ailleurs ; c'est ainsi que le jeune satyre joue machinalement de sa syrinx et semble suivre vaguement des yeux quelque spectacle que nous ne voyons pas. Aucun de ces traits typiques, croyons-nous, ne se retrouve dans le groupe du Louvre : Silène y est figuré comme un grand vieillard, encore vert et bien musclé, sculpté non pas d'après une convention d'idéal rêvé par un génie novateur, mais d'après la nature même, avec quelques préoccupations de vérité réaliste. Si même il fallait le rattacher à une école, nous songerions plus volontiers à Lysippe, le créateur des formes sveltes et élancées, qui ne dédaignait pas, de ci, de là, un peu de sécheresse, et se plaisait à détacher nettement et à soigner les détails. De plus, le vieux Silène, malgré sa queue de bouc, malgré le lierre emmêlé dans ses abondants cheveux, n'a rien qui rappelle sa nature divine, et sans autre souci que d'être un joyeux père nourricier, il joue très franchement avec le petit Dionysos. Faire rire le bambin et se montrer complaisant à sa mutinerie, voilà sa seule préoccupation. Pour cela, il l'élève le plus possible à hauteur de son visage, comme s'il voulait le caresser des pointes de sa longue barbe, et se penche sur lui, tout souriant et tout paterne, pour lui livrer en proie tous les ornements de sa chevelure.
Il nous semble que nous sommes déjà bien loin de Praxitèle. Pour nous, le Faune à l'enfant est un simple sujet de genre; le sculpteur a voulu simplement nous montrer le contraste de deux corps, un bébé tendre et potelé dans toute la fleur de sa chair rose et lactée, et un vieillard sec et nerveux, puis nous amuser et nous charmer au
spectacle de « ce couchant qui caresse cette aurore H. Le succès a bien répondu à son effort. On ne se lasse pas d'admirer la position si souple, si naturelle, et à la fois si gracieuse de Silène, et le très heureux mouvement de ses jambes à demi-croisées; on est ravi de voir comme ce vieillard a su délicatement prendre et soutenir, sans gêner ses ébats, le petit corps tendre de Dionysos, et comme il le soulève aimablement jusqu'à sa bouche, sans le froisser ni lui faire peur; ses vieilles mains ont des adresses de nourrice, et son visage ridé, ses yeux, sa bouche, son sourire ont des tendresses de grand'père; l'enfant, à son tour, a fait bon marché de sa dignité de fils de Zeus, que rappellent seulement les feuilles et les fruits de sa jolie tête mutine, et se trouve tout heureux et tout familier aux bras de cet ami si bon et si adroit à le distraire.
Voilà pour quelles qualités le Faune à l'enfant a tant d'admirateurs parmi les visiteurs du Louvre; la science consommée de l'artiste à modeler ses personnages, surtout l'incomparable maîtrise avec laquelle sont exécutées les jambes, lui ont valu depuis longtemps le suffrage des connaisseurs. Cependant nous n'avons affaire qu'à un copiste, car les répliques du groupe sont nombreuses; mais ce copiste, ce qui n'était point rare, avait du goût et du talent, et son modèle était sans doute si beau qu'il l'a bien inspiré; c'était d'ailleurs un de ces praticiens qui savaient à l'occasion interpréter les œuvres des maîtres, et les faire leurs par quelques modifications de type ou d'attitude; la comparaison avec les autres répliques (une au Vatican, une autre à Munich), comparaison tout à l'avantage du groupe de Paris, montre clairement que notre sculpteur en a pris à son aise avec le groupe original.
Le Faune à l'enfant a été trouvé au XVIC siècle, à Rome, près des Jardins de Salluste. Voici, selon M. Frœhner, les restaurations qu'il a subies : « La tête de Silène est rapportée. Parties modernes : l'extrémité du nez, quelques mèches de cheveux, les mains, les poignets et trois doigts du pied droit de Silène. La jambe droite a été repolie.
Lésion à l'épaule et sur l'abdomen. Le nez, le menton, les bras et les jambes, une partie de la hanche gauche et le bas des reins de l'enfant. Plusieurs morceaux de la nébride et la plus grande partie du tronc d'arbre ».
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, III, pl. 333, no 1556. - MüllcrWieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. xxxv, no 406. — Panofka, Arch. Zeitung, 1851, no 343. — Frœhner, Sculpt. antique du Louvre, nO 250. — V. Duruy, Hist. des
Romains, 1, p. 276. — Roscher, Ausfuhrl. Lexicon der Mythologie (art. Dionysos), I, p. 1125, fig. 11. — Brunn-Briikmann, Monuments etc., pl. 64. - Wollel', Gipsabaiisse zu Berlin, n° 1430.
P. P.
254. — Ariane endormie.
On sait seulement de cette statue célèbre qu'elle entra dans les collections du Vatican sous le pape Jules II. Elle est remarquablement conservée, et l'on ne signale que de très légères restaurations, le nez, la lèvre supérieure, quelques doigts de la main gauche, et la main droite. Parmi d'assez nombreuses répliques indiquons seulement celle qui, du Musée Odescalchi, à Rome, est passée à Madrid (Wolters, Gipsabgusse, n° 1573. Clarac, Mus. de sculpture, IV, pl. 726 E, no 1622 A).
Si l'on s'en tient à un regard sommaire, on voit simplement dans cette statue une jeune femme endormie; mais un examen approfondi montre que ce sommeil n'est pas un sommeil banal, et que la jeune femme ne peut avoir qu'un nom, celui d'Ariane. Accablée par l'abandon de Thésée, épuisée par ses pleurs et par ses invectives, la malheureuse s'est laissé tomber sur un rocher de Naxos, ignorante des consolations qu'un dieu va lui porter, et elle cherche l'oubli dans un repos inquiet, plein de pensers douloureux. Ainsi seulement peut s'expliquer cette surface inégale et raboteuse du roc où s'est étendue la dormeuse, et cette attitude tourmentée du corps, ce mouvement recherché des bras, qui excluent toute idée de sommeil profond et tranquille, charmé de rêves. Cependant, si l'on ne peut hésiter sur le nom d'Ariane, il faut avouer que le sculpteur ne nous a donné qu'une image bien pâle et bien molle de l'ardente héroïne. Que nous sommes loin de l'amante passionnée, si tendre à la fois et si violente, aux soupirs voluptueux et aux cris sauvages, que les vers brûlants de Catulle ont rendue immortelle! L'Ariane du Vatican nous fait auprès d'elle l'effet d'une de ces élégantes et coquettes courtisanes qu'aimaient d'un amour léger et capricieux comme elles les Ovide et les Tibulle.
Belle d'une beauté correcte et sans vigueur, grande, souple, les bras ronds et charnus, le sein opulent, le visage régulièrement dessiné, mais sans aucun reflet d'une âme profondément troublée et malheureuse, elle nous charme quand nous voudrions être émus, et nous l'accusons, non sans dépit, de la trouver si noble dans ses longues
draperies, parfois indiscrètes, si occupée peut-être, dans sa douleur, des plis élégants de ses robes, de la délicatesse de son ample chevelure, et de l'effet de son bracelet splendide sur la nudité de son bras blanc. Aussi comprenons-nous facilement la méprise de ceux qui voulaient reconnaître tout bonnement une nymphe dans la statue du Vatican.
Notre critique dit assez quelle doit être notre opinion sur la date où fut sculptée l'Ariane; elle n'a pu naître qu'à l'époque romaine, lorsque les types les plus originaux créés par l'imagination et l'art des Grecs furent amollis et affaiblis par des sculpteurs de décadence, plus soucieux de faire vite et de plaire par un talent banal que de retrouver la simplicité sévère de conception, l'exécution serrée qui caractérisent les chefs-d'œuvre de l'âge classique. L'Ariane n'est probablement — puisqu'il existe d'autres répliques — qu'une copie d'un original apprécié, dont sans doute elle n'a pas su reproduire les qualités ; mais cet original, il nous est difficile de le faire remonter bien haut, car il devait lui-même se distinguer par les caractères typiques que nous avons reconnus à la copie. Ajoutons que, s'il est des défauts imputables au seul copiste, comme le manque de symétrie des deux moitiés du visage, qui est de travers, il en est d'autres qu'il a simplement reproduits, par exemple l'arrangement tout à fait inacceptable des plis de robe autour des genoux.
Le marbre du Vatican a soulevé quelques problèmes que nous signalons en passant. On s'est demandé si l'original n'aurait pas fait partie d'un groupe où l'on aurait vu Dionysos s'approchant de la jeune femme endormie; mais on conçoit que la réponse soit bien difficile à faire; l'affirmative du moins ne peut se soutenir par des raisons scientifiques. On a prétendu, d'autre part, que cette statue avait une destination funéraire, et qu'elle avait été sculptée pour décorer un tombeau de jeune femme. Il est certain que sur nombre de sarcophages romains on représentait des épisodes de l'histoire d'Ariane; mais il est difficile, comme on l'a dit, de comprendre comment l'image de cette infortunée, dormant un si douloureux sommeil, aurait pu convenir pour symboliser le bonheur dans le repos élysien, surtout si l'on ne suppose pas qu'à côté d'elle se montrait — comme sur les sarcophages — le dieu dont l'apparition devait la consoler. La statue n'est pas non plus le portrait d'une mortelle représentée en Ariane, comme telle ou telle statue d'Hermès; le visage ici n'a aucun caractère de .portrait; il est de] pure convention avec des visées à l'idéal.
Nous rappelons seulement pour mémoire qu'avant Winckelinann, lorsqu'on cherchait à donner à toutes les œuvres de la statuaire antique des noms tirés de l'histoire romaine, on a voulu reconnaître dans la statue du Vatican une Cléopâtre, à cause du serpent dont est formé son bracelet.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de Sculpture, IV, pl. 689, ne 1622. — MüllerWieseler, Denkm. d. ait. Kunst, II, pl. xxv, no 418. — 0. lahn, Arch. Beib'æ,qe, p. 297. — Furtwoengler, Annali, 1878, p. 97. — Roscher, Ausfùhrl. Lexicon der Mythologie, I, p. 545. — Baumeister, Denkmsler etc., fig. 125. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 161. — Wolters, Gipsabgilsse zu Berlin, no 1572.
P. P.
255. — Joueuse d'osselets (Musée de Berlin).
L'original de cette aimable statue avait chez les anciens une certaine célébrité, car les répliques en sont fréquentes. Celle que possède le Louvre a été mal restaurée en Aphrodite tenant une coquille; celle dont nous avons le moulage se trouve au musée de Berlin (n° 494).
Il y a dans l'exécution de l'œuvre plus d'un trait qui révèle la main d'un artiste vivant à l'époque romaine; les formes sont un peu molles et rondes; le modelé manque d'accent et d'originalité; c'est le faire d'un copiste peu soucieux d'interpréter l'œuvre d'un maître, et de marquer son originalité par quelques traits personnels. Cependant il semble qu'il ait été préoccupé de donner à la fillette la figure et le type d'une jeune Romaine, car la forme des yeux, de la bouche et du menton, la disposition des cheveux sur le front, et quelques menus détails ne nous paraissent pas de caractère purement hellénique.
Il s'ensuit de là que nous devons essayer surtout de retrouver le modèle grec à travers la copie romaine. Cet original, selon nous, n'est pas très ancien; nous le comparons volontiers à un grand nombre de terres-cuites trouvées dans les nécropoles et dans les temples de Grèce ou d'Asie-Mineure, et qui représentent tout un monde de jeunes enfants, filles ou garçons, occupés à des jeux de leur âge; il ne serait pas impossible même de reconnaître des joueuses d'osselets — sans oublier que ce sujet même se rencontre fréquemment — dans ces jeunes filles accroupies auxquelles on donne trop facilement le nom de cueilleuses de fleurs. Il va sans dire que nous nous refusons à
voir dans ces enfants des personnages se rattachant au culte des divinités de la terre, des suivantes de Déméter ou des compagnes de Coré; ce sont de simples figures de genre qui n'ont aucun rapport avec le culte des morts, aucune signification religieuse, et que les sculpteurs ont conçues simplement comme des motifs plaisants et gracieux, où pouvait se montrer l'ingéniosité de leur imagination et l'adresse de leur ébauchoir. Mais on est à peu près d'accord sur l'époque où ces sujets de genre furent introduits dans l'art grec, et où l'industrie des coroplastes leur donna une vogue exceptionnelle; c'est proprement l'époque alexandrine. La petite joueuse d'osselets est pour nous contemporaine de l'enfant à l'oie de Boéthos, et l'intérêt en est le même. L'une et l'autre statues nous donnent un exemple de ces œuvres d'importance secondaire et de mérite médiocre, qui valaient seulement par l'esprit de la conception, l'élégance naïve de l'attitude et du mouvement, la simplicité adroite, bien que très banale, de l'exécution; de ces œuvres qui faisaient rapidement fortune, et que les arts industriels s'empressaient d'adopter et de reproduire à l'infini. Celleci est tout aimable; la tête de la petite fille n'est pas, nous l'avons dit, sans originalité; la chair de l'épaule nue est vraiment jeune et savoureuse, la longue et fine chemise qui tombe paresseusement sur le bras gauche fait, sur le dos, sur le ventre, sur les jambes, des plis transparents d'une indiscrétion très chaste ; la position du corps, tout replié et incliné dans un mouvement plein de grâce et de jeunesse, est très naturelle et très souple. L'œuvre, dans son ensemble, est charmante, d'autant plus qu'elle est moins ambitieuse.
P. P.
256. - Héraklès domptant un cerf.
Ce groupe précieux, en bronze, a été trouvé en 1797, à Torte del Greco. Nous ne savons pour quelle raison il a été transporté à Palerme, où est aussi conservé un groupe très analogue (Clarac, Mus. de Sculpture, V, pl. 802 G, n° 2006 bis).
L'intérêt artistique de l'œuvre n'est pas médiocre ; si la position d'Héraklès — du reste traditionnelle, et qui se retrouve sur maints monuments - n'est pas des plus heureuses; si le cerf se débat ici dans une attitude quelque peu invraisemblable, nous ne pouvons que louer le. type fortement charpenté et très vigoureux, sans nulle exa-
gération de muscles, du dieu jeune, le modelé très juste et très ferme dans sa simplicité du torse, des jambes et des bras raidis; le cerf aussi est d'un dessin juste et sobre. Mais ces qualités, qui sont incontestables, restent sans grand attrait et sont banales, car elles sont du nombre de celles que tout sculpteur doit posséder pour mériter vraiment ce nom; elles se résument dans une correction sans originalité. Nous aurions préféré quelques fautes dans la plastique des formes, rachetées par une conception plus personnelle de ce combat, par un effort pour nous présenter un Héraklès que nous ne connussions pas déjà par cent images et plus; mais l'artiste s'est contenté de reproduire cet exploit du dieu tel que l'avaient déjà représenté tant de ses prédécesseurs, depuis l'auteur de la métope du temple de Zeus à Olympie (voyez supra, p. 204), et pour le type de son héros, il l'a choisi le plus éloigné possible de la raideur et de la sécheresse archaïques comme des boursouflures de l'Héraklès Farnèse; c'est là une sagesse dont nous ne lui sommes qu'à demi reconnaissant. Quant à la victime du demi-dieu, l'auteur du groupe l'a transformée; la biche est devenue un cerf, sans doute parce qu'il lui a semblé étrange de représenter, suivant la tradition, une biche portant des cornes sur la tête.
Cela dit, rappelons que le groupe de Palerme, non seulement décorait une fontaine, mais faisait partie intégrante de cette fontaine; un tuyau traversait le corps du cerf, et l'on voit entre les lèvres de l'animal l'extrémité de ce tuyau qui servait de déversoir; le cerf rejetait l'eau par la bouche. Ce détail prouve évidemment que le groupe de Palerme était tout simplement un objet d'art industriel, et nous donne une idée du haut degré de perfection auquel cet art s'était élevé à l'époque romaine. Les fouilles de Pompéi nous ont livré un assez grand nombre de figurines isolées et de groupes en bronze qui ont été employés au même usage; quelques-uns ont été publiés.
L'examen nous en a suggéré cette remarque que toujours l'auteur s'est efforcé - d'expliquer comment l'eau a pu jaillir par quelque endroit de son sujet; si c'est un animal qui la crache, par exemple, le corps de cet animal subit une compression quelconque qui rend nécessaire l'expulsion du liquide ; le bronze de Palerme n'échappe pas à cette observation, et nous comprenons comment le décorateur de la fontaine a été conduit à utiliser le groupe d'Héraklès et du cerf.
Il se pourrait, d'ailleurs, que l'original de ce groupe remontât assez loin dans l'histoire de l'art grec et fût particulièrement célèbre ; mais nous croyons qu'il serait imprudent de chercher à l'identifier.
Bibliographie. — Annali, 1844, p. 175 (H. Keil). — Monumenti, V, pl. 6, 7. —
Clarac, Mus. de Sculpture, V, pl. 794, no 2006 A; cf. pl. 802 G, no 2006 bis. —
Bullettino, 1830, p. 67. — Baumeister, Denkmaeler etc., fig. 728. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 1540. — Pour les groupes surmontant des fontaines, voy.
Arch. Zeitung, 1879, p. 19.
257. — Caryatide (Villa Albani).
L'intérêt de cette statue consiste surtout dans la comparaison qu'elle suscite avec les caryatides de l'Érechthéion d'Athènes.
On sait que, par un sentiment admirable des nécessités architecturales, le sculpteur attique a su merveilleusement adapter la forme et l'attitude de ses figures au rôle de supports qu'il leur destinait. Nous avons eu l'occasion de décrire (nos 156-157) ces femmes d'une immobilité impassible, droites, sans raideur, les bras tombants, la tête haute et forte sous la masse élégante du chapiteau, la robe épaisse et simple à la fois, dont les plis rappellent sans imitation forcée les cannelures des colonnes. Il suffit d'évoquer l'image de ces chefsd'œuvre pour que l'on comprenne quelle triste figure fait auprès d'eux la statue de la Villa Albani. On ne peut pas dire qu'elle soit en elle-même et précisément mauvaise ; il y a bien de l'adresse et de l'ingéniosité dans la facture et la disposition des draperies; l'étoffe en est légère, et cependant elle se tient; les plis en sont harmonieux et sobres, et font valoir les formes du corps qui se dessinent nettement par dessous ; ce corps lui-même est ample et vigoureux, comme il convient à une femme qui doit porter une architrave; le cou est suffisamment fort, les cheveux élargissent suffisamment la tête sous la corbeille du chapiteau; l'ensemble, très élégant, ne manque pourtant pas de solidité. Mais on ne peut se défendre, cependant, de trouver que l'élégance, qui domine ici, n'est pas la qualité que nous recherchons et que nous louons de préférence dans une caryatide; celle-ci nous rappelle trop qu'elle est une femme, pas assez qu'elle remplace une colonne. La corbeille, si joliment et si richement décorée de palmettes et de rosaces, qui surmonte sa tête, ne nous fait que très vaguement songer au chapiteau corinthien, où l'acanthe s'applique à un robuste dé de marbre. Les cheveux semblent imiter les cheveux des caryatides de l'Érechthéion, mais les ondulations sont ici tellement nombreuses, si fines et si correctement symétriques qu'elles
éveillent une idée trop nette de coquetterie ; le visage est trop rond et trop mou; il est trop le visage d'une femme délicate, peu propre aux durs travaux. Les colliers qui ornent le cou, la richesse et l'ampleur des vêtements confirment cette impression de faiblesse, que développent encore l'étroitesse des épaules, l'amincissement de la taille, la maigreur de la cuisse et du mollet droits dont les contours s'affinent sous la robe et le manteau plaqués. Enfin, la disposition des mains, surtout la saillie du coude droit qu'élargissent encore les plis du manteau tendu, donnent à la silhouette de notre caryatide quelque chose de flexible et d'ondoyant, de souple et de varié, qui sans doute ôte toute place à la monotonie, mais nous semble ici un véritable contre-sens; il n'est pas admissible que des colonnes présentent à gauche et à droite ce profil indécis, ces lignes serpentantes qui détruiraient l'équilibre d'un édifice. Voilà un défaut capital, où ne serait jamais tombé le sculpteur du temple d'Érechthée; s'il a légèrement marqué, dans ses statues, la proéminence de la jambe qu'il faisait se ployer et se porter un peu en dehors, il a bien eu soin de corriger cet effet, comme nous l'avons noté, en donnant ce mouvement tantôt à la jambe droite, tantôt à la jambe gauche de ses six caryatides. Du reste notre critique s'adresse à toutes les caryatides — sauf une qui se trouve au Vatican — qui nous sont parvenues de l'anliquité. Les sculpteurs, voulant à tout prix faire du nouveau, en sont arrivés à oublier les règles essentielles de l'œuvre qu'ils entreprenaient; ils se sont efforcés d'être surtout ingénieux, et n'ont que bien rarement songé aux conditions nécessaires de ce genre de figures, à la fois statues et supports architecturaux.
P. P.
259. — Apothéose d'Homère (Musée Britannique).
Ce bas-relief provient de l'ancienne Bovillne, sur la voie Appienne, à 17 kilomètres et demi au Sud-Est de Rome; il a été trouvé au même endroit que la célèbre Table iliaque publiée en 1671 par Kircher; conservé jusqu'en 1819 au Palais Colonna, à Rome, il est passé à cette date dans les collections du Musée Britannique.
L'œuvre, pour le dire tout de suite, n'a aucune valeur artistique.
Nous n'ignorons pas que le moulage est mauvais, sortant d'une forme usée où tous les contours sont émoussés, toutes les surfaces amollies,
de nombreux détails oblitérés; mais l'original est lui-même d'une facture lâche et indécise, et, défaut non moins grave, toutes les figures sont banales et déjà vues; le sculpteur ne s'est pas mis en peine de faire une œuvre personnelle, et nous ne trouverons ni dans la conception générale du tableau, ni dans l'agencement des personnages, ni dans leur attitude, ni dans leur costume, rien qui nous autorise à mettre hors de pair Archélaos, fils d'Apollonios, de Priène, le sculpteur qui a signé le bas-relief. Son apothéose d'Homère — car le sujet ne peut recevoir un autre nom — n'est pas autre chose qu'une œuvre industrielle, destinée sans doute à décorer quelque salle d'école, et les questions esthétiques n'ont rien à voir dans un pareil monument.
Le bas-relief soulève cependant quelques problèmes que nous signalerons en le décrivant.
A première vue, le tableau apparaît divisé en quatre registres superposés, mais ces quatre groupes ne forment que deux scènes.
L'une d'elles occupe seulement la première bande inférieure : c'est là qu'est proprement sculptée la glorification du poète. Homère, représenté comme un homme encore jeune, contrairement à l'habitude courante, est assis à gauche sur un haut siège sans dossier, les pieds appuyés sur un tabouret; il est vêtu simplement d'une longue robe flottante à manches courtes, son bras droit repose le long de ses genoux, et de la main droite il tient un volumen; son bras gauche, fièrement relevé, est soutenu par un sceptre fleuronné. L'Iliade, sous la figure d'une enfant tenant une trompette guerrière, est agenouillée à droite d'Homère; à gauche on aperçoit la tête de l'Odyssée et Vaplustre qu'elle portait; du reste, pour éviter toute confusion, le sculpteur a eu soin de graver sur une plate-bande ménagée au dessous des figures le nom de chacune d'elles. Aussi nous est-il facile de reconnaître debout derrière Homère la Terre (O¡xou:ÛV"f¡) qui lui pose une couronne sur la tête, et le Temps (Xpovoç). La Terre est coiffée du polos, le Temps a de grandes ailes et tient à chaque main un volumen, sans doute les deux poèmes dont il a consacré la gloire. Contre le tabouret qui soutient les pieds d'Homère on distingue avec quelque bonne volonté un rat et une grenouille, symbolisant la Batrachomyomachie. Devant le poète, sous la figure d'un enfanta costume d'hiérodule, prêt à faire une libation sur un autel embrasé, se tient le Mythe (MOÔoç), et de l'autre côté de l'autel, la main étendue pour laisser tomber des grains d'encens dans la flamme, l'Histoire ('laropta); derrière l'autel est la victime préparée, non pas un bœuf, comme on s'y atten-
drait, mais un buffle, au garot très proéminent, comme Archélaos en voyait souvent dans sa patrie. Puis viennent la Poésie (Iïo^aiç), sans doute la Poésie épique, qui élève deux torches, la Tragédie (TpaycoSta), très grande, enveloppée de larges voiles, portant le masque théâtral; elle tend la main droite vers le poète, en signe d'adoration; derrière elle la Comédie (KW¡J.q.¡OtCl) répète ce geste. Enfin, si étroitement unies qu'il est difficile de distinguer chacun des personnages, la Vertu ('ApETT)), la Mémoire (VP."(l), la Confiance (ritcrxtç), et la Sagesse (Eocpfo) ; n'oublions pas de mentionner, entre la Comédie et ce dernier groupe, un petit personnage nommé la Nature ($ù<7iç). On peut facilement expliquer la présence de tous ces personnages, abstractions plus ou moins simples et naturelles, autour du grand poète qui passait chez les anciens pour la source de tous les arts, de toutes les sciences, aussi bien que de toute sagesse. Quant à l'aspect général de la scène, elle rappelle très nettement celui de tous les bas-reliefs votifs, religieux et funéraires, dans lesquels un dieu ou un mort héroïsé reçoit les hommages et les sacrifices de ses dévots ou de ses parents. Il faut seulement noter ici que le lieu de l'adoration est clairement indiqué : c'est l'intérieur d'un temple où l'on a suspendu aux colonnes une draperie.
Au-dessus de l'apothéose d'Homère est représenté d'abord l'Olympe, où Zeus est nonchalamment couché à demi sur un rocher, le torse nu, la main droite appuyée sur son sceptre, ayant auprès de lui son aigle; puis le Parnasse, et en particulier l'antre delphique, où apparaissent Apollon et son cortège de muses. On a émis diverses hypothèses sur les noms à donner à quelques-uns des personnages, car si l'on doit identifier sans hésitation Clio, prête à écrire sur un diptyque quelque haut fait historique, Euterpe, qui élève de la main droite sa double flûte, Terpsichore, assise à l'extrémité gauche du second registre et jouant de la cithare, Uranie, que désigne sa sphère, Polymnie, accoudée sur une stèle dans l'attitude que la statue du Louvre a rendue populaire, il y a doute pour les autres muses, Thalie, Calliope, Érato et Melpomène. On a donné ce dernier nom à la femme de taille plus grande, fièrement campée la main sur la hanche, et qui tient une place à part entre le premier registre et le second; mais M. Salomon Reinach a récemment prouvé que Melpomène est probablement la petite muse qui se trouve dans la grotte, à droite d'Apollon, dans laquelle on voulait jusque là, sans motifs, reconnaître la Pythie, et que la prétendue Melpomène doit prendre le
nom de Mnémosyne, la mère des Muses. On a voulu reconnaître pour Thalie, la muse de la Comédie, celle qui descend en courant ou en dansant la pente de l'Olympe, relevant ses robes de la main droite, et levant la main gauche au ciel, mais les raisons qu'on a fait valoir nous paraissent bien peu convaincantes; il n'y a là qu'une possibilité.
Reste un dernier personnage, cet homme debout sur un socle, et derrière lequel est dessiné un trépied. C'est évidemment un poète, mais nous hésitons à le prendre, comme on l'a voulu, pour le vainqueur de quelque concours poétique, qui aurait fait sculpter le basrelief en question en l'honneur de sa victoire. Nous avons dit que l'apothéose d'Homère est, selon nous, un ornement d'école, le complément naturel de ces tableaux instructifs connus sous le nom de Tables iliaques. D'ailleurs c'est certainement une statue de poète qui est ici représentée, et il est assez simple d'y voir non pas la statue d'Homère, qui s'expliquerait mal, mais une statue idéale, récompense promise aux poètes qui se mettront à l'école d'Homère.
Toute cette partie supérieure du tableau n'est rattachée à la partie inférieure que par un lien assez lâche, mais qui suffit toutefois. L'apothéose est plus complète si Apollon et les Muses y assistent et la consacrent, ainsi que tous les dieux de l'Olympe, représentés par leur père, qui est le plus grand de tous.
La signature d'Archélaos de Pirène est inscrite dans un cartouche, au dessous de l'image de Zeus. L'époque à laquelle vécut cet artiste nous est inconnue; les critiques la font varier entre le début du premier siècle avant notre ère, et le règne de Tibère. Peu nous importe; l'œuvre qui seule nous le fait connaître est sans conteste de la période gréco-romaine, et une approximation plus grande est inutile lorsqu'il s'agit d'une production aussi médiocre.
Notons, pour finir, que le bas-relief est brisé au sommet, à droite et à gauche, et que la plupart des petites têtes des muses sont des restaurations.
Bibliographie. — Müller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. LVllI, no 742.
- Overbeck, Griech. Plastik, 11, fig. 148. - L. Mitchell, Hist. of anc. Sculpture, p. 668. - Baumeister, Denkmaeler etc., I, fig. 118.— Kortigarn, De tabula Archelai, Bonn, 1862. — Brunn-Bruckmann, Monuments etc., pl. 50. — V. Duruy, Hist. des Grecs, I, p. 445.—Wolters, Gipsabgùsse su Berlin, no 1629. - Sal. Reinach, Gasetle archéologique, 1887, p. 132, pl. 18. (L'héliogravure, exécutée d'après une excellente photographie de l'original, donne une idée bien plus juste de l'Apothéose d'Homère que ne le font les très médiocres moulages).
P. P.
259. — Dionysos de Pompéi (prétendu Narcisse).
Ce joli bronze est peut-être le plus célèbre de ceux qui ont été trouvés à Pompéi et qui font l'ornement du musée de Naples. Il mérite, du reste, sa réputation, car aucun n'est plus charmant ; il y a chez ce jeune homme, debout dans une attitude si gracieuse et si souple, une élégance et une pureté de formes bien rares, et la patine d'un beau vert bleuté par places que les cendres du Vésuve ont imprimée au métal donne à l'œuvre une originalité toute spéciale.
Il est curieux qu'elle ait été trouvée dans l'humble boutique d'un foulon.
Le personnage a excité, en même temps que l'admiration des connaisseurs, la curiosité des archéologues. On l'a tout d'abord dénommé Narcisse, et cette appellation lui est restée. C'est qu'on a cru reconnaître dans le geste et l'attitude l'attention d'un homme qui écoute un bruit lointain et, de son doigt allongé, commande autour de lui le silence, et l'on a cru que ce geste convenait à Narcisse écoutant Écho.
Mais on avait oublié que Narcisse n'entendait qu'avec peine la voix de la nymphe qui l'aimait et qu'il n'aimait pas, et qu'il fuyait dans la campagne. Il serait plus naturel de songer au dieu Pan ; lui, du moins, était amoureux d'Écho, et la poursuivait de son amour; les feuilles et les fruits de lierre entrelacés dans sa chevelure, attributs dionysiaques, conviennent bien à ce personnage, qui, d'autre part, pouvait être représenté, exceptionnellement, il est vrai, sous les traits et avec le corps d'un jeune homme.
Tout cela serait fort bien si vraiment notre personnage était aux écoutes. Mais, M. J. Martha a fort justement combattu cette hypothèse. L'attitude du prétendu Narcisse n'est pas celle que nous prenons comme d'instinct pour tendre l'oreille vers une voix lointaine qui nous charme, ou pour apaiser autour de nous les bruits qui pourraient éteindre cette voix; dans ce cas, non seulement la tête, mais le corps s'incline tout entier, se pliant à la taille ; une main, si l'on veut, se porte à la hauteur de l'oreille, l'autre s'étend à plat et fait un geste d'apaisement. Mais, au contraire, supposons que devant notre jeune homme rampe un animal familier auquel il parle et donne un ordre : l'inclinaison de la tête, la menace du doigt tendu, tout s'explique sans peine; le nom même du personnage n'est plus douteux, c'est le dieu Dionysos lui-même jouant avec sa panthère. Cette interprétation
si simple nous plaît par sa simplicité même, et nous semble irréfutable. Peu importe, en effet, que la panthère n'ait pas été représentée par le sculpteur, car, de fait, il n'en reste nulle trace sur le socle très bien conservé, et la place même est trop restreinte pour qu'on l'y puisse restituer. Très probablement nous n'avons ici qu'une réduction d'une statue célèbre de grandeur naturelle, et cette réduction, obtenue peut-être par quelque procédé mécanique, qui date de l'époque gréco-romaine, n'ayant pas les prétentions d'une œuvre originale, a pu ne s'appliquer qu'à l'une des deux figures du groupe.
Peut-être même, comme l'a supposé M. Martha, le copiste a-t-il voulu, en supprimant l'animal, permettre de mieux voir et de mieux apprécier l'ingénieux agencement des lignes des jambes et leur élégant modelé.
S'il fallait oublier le petit bronze pour remonter jusqu'à l'œuvre qu'il nous rappelle, nous songerions à une statue de l'école de Lysippe, car nous retrouvons le style du maître de Sicyone dans la sveltesse des formes, l'allongement des jambes, la petitesse de la tête et le soin minutieux des détails. Il faut, du reste, noter quelques légers défauts, qui ne nuisent en rien à l'impression produite par ce petit chef-d'œuvre, le manque d'équilibre du corps, par exemple, et la longueur excessive du doigt tendu.
Bibliographie. — J. Martha, dans 0. Rayet, Monuments de l'art antique.
A. SALGUK8.
260. — Silène dansant (Musée de Naples).
Ce bronze, souvent désigné à tort sous le nom de Faune, a été trouvé à Pompéi dans une belle maison qui s'appelle depuis Casa del fauno.
Il se trouve actuellement au Musée de Naples. C'est un des plus grands, et aussi des plus intéressants de ces nombreux bronzes qui proviennent de Pompéi, non pas que ce sujet de Silène dansant soit original — il est au contraire des plus répandus — mais on ne trouve dans aucun autre le mouvement de la danse aussi accentué que dans celui-ci. Notre Silène n'exécute pas une sorte d'exercice, d'évolution se rapprochant beaucoup de la marche, comme les prétendues danseuses du Musée de Naples par exemple, mais il se livre à un exercice bien moins calme et posé : il exécute une danse sautée. Il repose en effet
sur la pointe des pieds, et tout son corps semble prendre part au mouvement qui le soulève du sol ; la tête est levée et regarde le ciel, le bras gauche se lève aussi presque verticalement, le droit est baissé jusqu'au coude, mais l'avant-bras se relève dans la même direction que le bras gauche.
L'habileté avec laquelle est traitée cette œuvre et l'élégance que l'artiste a gu lui donner sont très remarquables. Elle est parfaitement équilibrée : la partie gauche du corps est mise en évidence sans que l'ensemble cesse d'être d'aplomb; les deux bras qui s'écartent, non sans une certaine ampleur, rendent l'œuvre plus large et corrigent ce qu'elle pourrait avoir de trop allongé.
Si nous cherchons à comparer ce Silène avec des statues analogues, il est un rapprochement qui s'impose, c'est celui du Silène à l'enfant du Musée du Louvre (nO 253). Tous deux sont du même âge, c'est-àdire qu'ils ne sont plus tout jeunes sans être encore des vieillards. De plus, on trouve dans les deux œuvres une recherche excessive des détails anatomiques; notre petit Silène a, lui aussi, une queue de cheval; enfin, c'est surtout dans la tête que l'on peut trouver la plus grande ressemblance : tous deux ont les oreilles caprines, des fleurs et des ornements divers dans les cheveux, qui sont incultes de même que la barbe. Le Silène dansant a de plus deux cornes, qui, avec l'étroitesse du front, le rapprochent davantage du type primitif.
Quant à la date de la statuette, les membres allongés du personnage, la ressemblance qui existe entre lui et les silènes du petit monument de Lysicrate, enfin cette sécheresse qui résulte de la fidélité avec laquelle sont scrupuleusement rendus les détails anatomiques, nous font songer tout de suite à l'école de Lysippe. Pline dit en effet que le maître de Sicyone poussait à l'extrême l'étude de ces détails. Nous pensons donc que ce petit bronze, qui est d'ailleurs une œuvre industrielle, reproduit une statue déjà réduite, due à quelque sculpteur de l'école de Lysippe. Il appartient à la période gréco-romaine.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, IV, pl. 717, no 1715, A. — V.
Duruy, llist. des Romains, III, p. 488. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, n° 1504.
G. DELAGARDE.
261. — Silène porte-lampe (Musée de Naples).
Ce petit bronze, provenant de Pompéi, est intéressant à plusieurs titres; c'est d'abord une adaptation d'un sujet amusant à un usage industriel, et de plus le type de Silène lui-même est très remarquable.
Silène est représenté au moment où il va broyer sur le sol un serpent qu'il tient de la main gauche au-dessus de sa tête. On avait fait du corps du serpent un support pour une lampe ou un vase; le large anneau dont se détachent trois lames minces qui entourent l'animal ne laisse aucun doute sur ce point.
Le choix de ce sujet n'a rien d'original, mais le type particulier du Silène mérite d'être signalé. Silène dérive de la représentation égyptopbénicienne du dieu Bès. Ce dieu était une sorte de caricature populaire et d'épouvantail à effrayer les enfants; il avait aussi quelque attache avec le culte d'Astarté, de même que Silène n'était pas étranger à celui d'Aphrodite; enfin, il est si vrai que ces deux dieux avaient une origine commune, que l'on hésite souvent entre Bès et Silène pour identifier des statues analogues à celle que nous étudions. Mais, c'est moins Silène proprement dit qu'un type connu sous le nom de Papposilène qui diffère si peu du dieu Bès. Papposilène, c'est Silène très vieux, Silène aïeul. D'après M. L. Heuzey (Bulletin de corr. hellén., 1884, Papposilène et le dieu Bès), il est grondeur, renfrogné et plus voisin de la bêle que Silène. '0 ■KÎ-KTZOÇ l:EtÀ"fjVOÇ TTJV ISÉXV lcrTl 6-r,puoôianpoç, di t-on dans un drame satyrique (Pollux, Onomasticon, IV, 192).
C'est Papposilène qui est représenté dans les orgies de Dionysos.
Notre petit bronze en offre tous les caractères distinctifs : la tète est chargée d'attributs divers, fleurs et feuilles, comme celle du Silène dansant (n° 260), il a une longue barbe inculte, et dont les longues mèches lui tombent sur la poitrine, d'épais sourcils, le nez écrasé comme celui du Marsyas, la poitrine gonflée; une draperie entoure ses cuisses, laissant à nu le ventre rebondi.
Ce qui est surtout plaisant dans le Silène porte-lampe, c'est l'effort qu'il fait pour briser le serpent contre terre, et l'amusant contraste qu'il y a entre ce petit corps si épais et la longueur du serpent. Cette œuvre est traitée avec beaucoup de goût, malgré ce que les formes peuvent avoir de peu gracieux. La poitrine et le ventre sont très remarquables; l'idée d'effort qui se dégage de toute l'œuvre est admirablement rendue par la vigueur avec laquelle le Silène s'arc-boute sur
ses jambes massives, et par la position du bras droit qui retombe inerte, toute la force étant concentrée dans le gauche.
Cet intéressant petit bronze, qui était une œuvre industrielle, est une réduction d'époque gréco-romaine.
Bibliographie. — V. Duruy, Hist. des Romains, V, p. 699. — Baumeister, Denkmæler etc., fig. 895.
GASTON DELAGARDE.
2G2. — Athéna (Bronze de Turin).
Le vicomte de Clarac, qui seul, à notre connaissance, a publié ce joli bronze du Musée de Turin, en fait une Minerve étrusque. C'est là une erreur manifeste. L'œuvre est grecque, ou du moins grécoromaine. Elle n'a rien de la raideur et de la naïveté archaïques des bronzes étrusques; elle a au contraire toute la richesse et toute l'élégance que les artistes grecs donnaient aux plus soignées de leurs œuvres.
Athéna est bien reconnaissable à son casque, à son égide, à sa longue robe serrée à la ceinture, comme la robe de l'Athéna de Phidias, ail geste de sa main droite tendue pour soutenir un attribut, par exemple une petite image de Niké. La déesse a, malgré les petites dimensions du bronze, la majesté souveraine des idoles de l'époque classique et il se peut que l'original, dont nous avons ici la reproduction réduite, soit sorti de la main d'un maître. Nous ne pouvons noter ici que cette impression générale, et la forme exceptionnelle du casque qu'ornent sans le charger de hautes plaques métalliques habilement contournées et de superbes aigrettes.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de Sculpture, III, pl. 462 E, no 848 A.
P. P.
265. — Portrait de poète (Buste en bronze, au Musée de Naples).
Ce buste a été découvert à Herculanum, dans la riche Villa des Papyrus, en 1759.
« L'antiquité, dit M. Max. Collignon, nous a laissé peu de portraits
où l'expression individuelle soit rendue avec plus d'énergie que dans cette tête au caractère étrange. Ce visage aux traits tourmentés, au front creusé de rides profondes, semble trahir la fatigue d'un esprit sans cesse au travail. Les lèvres minces sont entr'ouvertes; le regard a une fixité vague ; la physionomie est celle d'un penseur, et non d'un homme d'action. A en juger par la maigreur du visage, par la saillie des pommettes, par l'aspect décharné du cou, dont la peau retombe en plis vides et flasques, le personnage qui a servi de modèle était un homme d'âge, d'une complexion débile, affaiblie encore par l'excès de l'effort intellectuel. A ces traits si nettement marqués vient s'ajouter le désordre d'une chevelure négligée, tombant en mèches raides et incultes sur un front proéminent, d'un dessin accentué; les joues sont couvertes d'une barbe peu fournie. Tout cela compose une physionomie expressive, traduite par l'artiste avec un singulier accent de vérité ».
On ne peut donner une description plus juste, ni une idée plus frappante de ce chef-d'œuvre, admiré dès le jour de sa découverte, et il est maintenant inutile d'en analyser plus précisément la beauté.
Mais s'il y a accord sur la valeur artistique du buste, on ne s'entend guère sur l'identification du personnage. Il faut repousser sans hésitation le nom de Sénèque, car le portrait du philosophe est désormais bien connu, et l'on sait à quoi s'en tenir sur la maigreur et la faible santé dont il aimait à se plaindre; il en parlait un peu comme du mépris des richesses. « L'écrivain romain, dit M. Collignon à propos de bustes authentiques, est représenté sous les traits d'un vieillard replet et encore vert : il a le cou épais et court, le visage plein avec les chairs un peu tombantes; la bouche est petite; les lèvres sont grosses, et d'un dessin très franc. Il est facile de se convaincre que l'original du buste d'Herculanum n'a rien de commun avec Sénèque ».
M. Comparetti a voulu démontrer que cette image est celle de L. Calpurinus Piso Cæsoninus, beau-frère de César, dont les descendants auraient possédé la villa des Papyrus. Nous ne faisons que signaler cette hypothèse plus spécieuse que solide.
M. Brizio, avec plus de vraisemblance, à propos d'un buste de marbre représentant le même personnage (les répliques sont assez fréquentes), avec un détail de plus, une couronne de lierre, « doctarum hederœ praemia frontium », M. Brizio a essayé de démontrer qu'il s'agissait de l'Alexandrin Philètas de Cos, poète élégiaque, grammai-
rien, philosophe, bibliothécaire du Musée d'Alexandrie, qui mourut épuisé de travail. M. Dilthey va plus loin, et. M. Collignon est disposé à admettre ses conclusions; il songe à Callimaque, le plus illustre des poètes alexandrins, et de fait il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que le buste de cet écrivain si goûté se fût rencontré chez l'amateur éclairé qui posséda la villa des Papyrus à côté des bustes d'Épicure, de Zenon, de Démosthènes, d'Héraclite, de Démocrite, d'Architas de Tarente.
Cependant, comme la prudence est ici de rigueur, nous laissons la question indécise, et nous nous contentons d'affirmer que ce portrait est celui d'un poète et qu'il est une réplique particulièrement heureuse de quelque célèbre statue de l'époque alexandrine.
Bibliographie. — Comparetti, La villa de Pisoni in Ercolano etc., dans Pompei e la regione sotterrata dal Vesuvio, p. 168. — Brizio, Annali, 1873, p. 98-106, tav.
d'ag. L. — P. Paris, La sculpture antique, fig. 174. — Max. Collignon, dans 0. Rayet, Monuments de l'art antique.
E. BONDON.
264. — Zeus d'Otricoli.
Ce buste, qui se trouve au Vatican, y est entré à la fin du siècle dernier, à la suite des fouilles que le pape Pie VI fit faire à Otricoli.
Il est en marbre de Carrare et a subi quelques accidents; le bout du nez, par exemple, est moderne.
Il est impossible d'hésiter à reconnaître ici une image de Zeus, et l'on est porté d'instinct à lui attribuer l'épithète d'olympien. Il est évident que le sculpteur s'est conformé à une tradition depuis longtemps établie et qu'il s'est inspiré de son mieux du Zeus olympien de Phidias; on ne peut refuser au Père des dieux une expression assez vive de grandeur et de majesté souveraine; le front haut et vaste, les sourcils épais, les yeux profonds, le nez fin et la bouche pensive, l'opulente chevelure qui ombrage la face, la barbe touffue, tous les détails contribuent à donner à cette tête on ne sait quoi de gravement religieux et de divin; l'œuvre rappelle tout ce que les anciens ont admiré dans la tête du dieu qu'avait créé Phidias.
Mais, il faut bien l'avouer, nous n'éprouvons pas cependant pour le Zeus d'Otricoli l'admiration qu'ont presque unanimement exprimée les critiques. Le modèle dont s'est inspiré le sculpteur était tellement
beau et d'une conception si élevée que quelque chose en est passé dans l'imitation. Mais ce reflet nous semble bien pâle; le buste est d'une facture molle et banale qui sent l'atelier; aucune vigueur, aucun accent personnel; c'est l'œuvre d'un praticien dont le ciseau n'a rien d'original et qui travaille sans conviction à une commande sans intérêt.
Aussi croyons-nous que c'est faire beaucoup d'honneur au Zeus d'Otricoli que de rechercher en lui les caractères d'une école, et de le rattacher, par exemple, à celle de Lysippe, sous prétexte que les cheveux ne sont pas traités — ce qui est d'ailleurs contestable — dans le style de Phidias. Le marbre de Carrare prouve que le buste a été sculpté en Italie; il date certainement de l'époque impériale, et a tous les caractères, nous ne disons pas les qualités, de l'art banal et de convention qui régnait alors.
Bibliographie. — Muller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, III, pl. I, 1. — L. Mitchell, Hist. of anc. Sculpture, fig. 143.— Overbeck, Kunslmythologie, II, p. 74 ; Atlas, pl. II, 1, 2. — Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, fig. 786 [Barba). — V.
Duruy, Rist. des Grecs, II, p. 383; Hist. des Romains, I, p. CXXIV. — Baumeister, Denkmxler etc., fig. 1461. — Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 1511.
Gustave SOULIER.
265. — Buste d'Homère (Musée du Louvre).
Il existe d'assez nombreuses répliques de ce buste, qui mérite bien les éloges qu'on lui a prodigués.
Qu'Homère ait ou non existé, les images qui veulent nous faire connaître les traits du poète sont toutes de convention. Aucune d'elles, on l'a maintes fois remarqué, ne répond mieux à l'idéal que nous nous faisons du vieux rhapsode errant et aveugle. La vieillesse a imprimé sur ce visage, que ses rides mêmes embellissent, toute sa noblesse et toute sa grandeur, la cécité toute sa tristesse douloureusement résignée, et l'inspiration, que le poète semble avoir ravie au ciel où il lève ses prunelles éteintes, illumine ses traits de son rayonnement intérieur. Homère est bien à la fois le chantre immortel, l'ancêtre, le père de toute poésie et de toute sagesse, dont les anciens avaient fait véritablement un dieu.
Nous ne savons pas à quel artiste assurément inspiré nous devons l'original de ce chef-d'œuvre. La réplique du Louvre est une des
meilleures, et elle est bien digne du modèle qu'elle a voulu reproduire.
Voici les renseignements curieux que donne Clarac sur ce buste : « Hermès en marbre pentélique dIt Musée du Louvre, et qui provient du Musée du Capitole. Employée autrefois en guise de pierre, dans les murs du jardin Caetani, près de Sainte-Marie-Majeure, cette tête, la plus belle que l'on connaisse d'Homère, fut brisée par les maçons, jetée dans les gravois, et achetée par hasard par l'antiquaire Ficoroni. La preuve que ce buste appartient à Homère est tirée de l'inscription et deA épigrammcs grecques écrites sur la gaine d'un Hermès qui, avec une tête pareille à celle-ci, était conservé dans la collection Farnèse ».
Bibliograhie. - Clai-ac, Mus. de sculpture, VI, pl. 1085, no 2904 C. — V. Duruy, Hist. des Grecs, III, p. 91. — Cf. Wotters, Gipsabgusse zu Berlin, no 1128 (buste de Sans-Souci). P. p.
266. — Buste de Ptolémée (Musée du Louvre).
Ce marbre a été découvert en 1843 à Cherchell, l'ancienne Césarée, capitale de la Mauritanie. Le personnage a été facilement reconnu pour Ptolémée, roi de ce pays, qui régna de l'an 22 à l'an 40 après Jésus-Christ; la ressemblance avec les portraits de Ptolémée qui se trouvent sur les monnaies ne laisse aucun doute.
Il est intéressant de voir comme le sculpteur a su rendre simplement, mais avec netteté et force, la physionomie de son modèle. C'est là un bon portrait, sincère et de ressemblance sans doute frappante, sans aucune recherche d'idéal, et même sans souci d'embellissement. Il est probable que l'artiste a fait poser devant lui le roi dont il voulait reproduire les traits, et que nous sommes en présence d'un buste original. Il n'est pas étonnant d'ailleurs que l'œuvre ait les qualités que nous avons notées; on peut, sans trop de hardiesse y retrouver la main et le ciseau d'un Grec, car on n'ignore pas que Césarée était un centre artistique très important; la découverte de belles statues de pur style grec, qui composaient là un véritable musée, autorise une semblable supposition.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de Sculpture, VI, pl. 1093, n° 3487 F. — Renier, lievue Archéologique, XIV, p. 406. — Walters, Gipsabgusse zu Berlin, nO 1645.
P. P.
267. — Buste de Vitellius (marbre du Musée du Louvre).
C'est là un des portraits les plus célèbres d'empereur romain qui nous soient parvenus. Il est peu nécessaire d'insister sur la valeur documentaire de ce buste, qui nous donne une idée si juste et si pittoresque du personnage obèse et glouton qu'il représente. Le sculpteur a rendu la chair grasse et flasque, la physionomie lâche et sournoise de Vitellius, avec une franchise tellement audaeieuse qu'on serait tenté, si cela était possible, de l'accuser d'avoir voulu faire une caricature.
Visconti, sans raison valable, a contesté l'antiquité de ce buste.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, VI, pl. 1106, no 3280 A.
P. P.
268. — Buste de Caracalla (Musée du Louvre).
Les portraits de Caracalla sont très nombreux; ils se divisent en deux classes, les bustes civils et les bustes militaires. Celui dont nous avons le moulage appartient au premier groupe et il est de beaucoup celui qui a le plus de valeur.
L'empereur, dont le type vigoureux et presque brutal est reproduit avec une franchise très artistique, penche la tète vers la gauche, d'un mouvement qui lui était sans doute très familier et que les sculpteurs ont rarement oublié de noter. Cela donne au buste un cachet tout particulier de vie et de vérité, et mérite d'être surtout loué. L'auteur, du reste, se révèle vraiment artiste par la simplicité et la sobriété déjà rares à cette époque qu'il a apportées à la facture des cheveux et de la barbe; on y sent la bonne tradition hellénique.
Bibliographie.- Clarac, Mus. de sculpture, VI, pl. 1075, n° 3319 A; cf. pl. 107o, no 3319 D (buste de la Villa Albani).
P. P.
269. — Vase orné de masques (Musée du Louvre).
Nous ne pouvions mieux faire, voulant posséder un exemplaire de la sculpture décorative à l'époque romaine, que de nous procurer le moulage de ce cratère de marbre, qui provient de la collection Borghèse.
Tandis que la partie inférieure de la panse (le pied est moderne) est décorée de godrons, la partie qui forme gorge sous le bord lisse très évasé est décorée de quatre masques groupés deux à deux, et d'attributs bachiques. Les masques sont accolés par le derrière de la tête, formant ainsi une sorte d'Hermès double, ou de Janus à deux fronts. D'un côté on voit la tête d'un jeune satyre imberbe grimaçant un sourire; ses oreilles sont pointues, son nez maigre et camard, ses pommettes saillantes, son menton fortement avancé, et sur son front se dresse un toupet de cheveux; la tête qui lui est accolée est aussi celle d'un jeune satyre, mais celui-ci est barbu, avec les traits plus gros et plus forts, les cheveux plus touffus, et surtout le visage plus sérieux, presque sévère, malgré l'hiatus de la bouche. Le second groupe est formé d'une tête assez semblable à cette dernière, mais plus âgée, avec les traits encore plus vigoureux, plus tourmentés et plus saillants, et d'une tête de Silène chauve; à la place de cheveux, celui-ci a une couronne de feuilles et de fruits de lierre, qui vient exagérer encore la saillie énorme du front; les yeux petits et percés en vrille sont profondément abrités sous des sourcils dessinés en S; sous les bosses du front, le nez se retrousse, petit et difforme, flanqué de deux énormes moustaches tombantes; la bouche est béante, comme celle des masques de théâtre. Entre ces deux couples sont posées une massue d'une part, et des castagnettes de l'autre; le champ laissé libre entre les figures sculptées en haut-relief est décoré de nébrides suspendues à des thyrses dressés en X; la saillie de ces accessoires est beaucoup moindre que celle des masques.
Tout cela forme un ensemble très heureux et très original; le galbe du vase qui, par exception, n'a pas d'anses, est très pur, et les ornements ne réussissent pas à l'alourdir ; les têtes sont traitées avec une verve et une fantaisie qui ne nuisent chez le décorateur ni au bon goût ni à la sobriété.
Bibliographie. - Clarac, Mus. de Sculpture, pl. 249, no 129 his. — Frœhner, Notice de la Sculpture antique au Luuore, no 317, p. 306. P. P.
Sculpture Archaïsante.
270. — Artémis de Pompéi (Musée de Naples).
Cette statue en marbre, plus petite que nature, a été trouvée le 19 juillet 1760 dans une maison de Pompéi; elle ornait une sorte de petit monument en forme de temple, où il faut reconnaître une chapelle consacrée à Artémis. Il n'est pas douteux, en effet, que nous n'ayons là une image d'Artémis, que l'on doive, du reste, restituer à sa main gauche un arc ou des torches. Le carquois qui est posé sur le dos de la statue rend la première hypothèse plus vraisemblable.
Le marbre, a peu souffert du temps et de l'éruption du Vésuve, et la cendre de Pompéi a protégé quelque peu la polychromie.
M. Franz Studniczka, dans un article assez récent, a tenté de réformer le jugement unanime de la critique qui a vu dans l'Artémis de Pompéi une œuvre archaïsante, c'est-à-dire une imitation de statue archaïque. Nous ne pouvons pas accepter ses conclusions. Sans doute, si l'on analyse en détail, comme il l'a fait avec beaucoup de précision, l'attitude, la forme, le vêtement, la parure, la polychromie du marbre de Naples, on y retrouve tous les éléments et tous les caractères des statues archaïques de femmes antérieures aux guerres Médiques, qui ont été trouvées depuis quinze ans à Délos, à Éleusis, à l'Acropole d'Athènes, ou dans les différents musées de Grèce et d'Europe. Mais aussitôt que nous groupons tous ces détails et tous ces éléments archaïques, nous nous sentons invinciblement entraînés bien loin des œuvres auxquelles nous songions tout à l'heure; ce n'est plus le même esprit qui a guidé le ciseau du sculpteur, et la facture non plus n'a pas les caractères de l'archaïsme ionien. Chaque détail est emprunté à l'art primitif du vie siècle; mais l'ensemble est beaucoup plus moderne; il a pour nous tous les traits distinctifs de l'art arcluùsant; les découvertes récentes ne modifient pas, sur ce point, l'impression que les critiques avaient ressentie avant de les connaître.
L'auteur de l'Artémis de Pompéi, ou du moins de la statue qui lui a servi de modèle, soit qu'il voulût sculpter une idole qui rappelât uno antique idole tombée de vétusté, soit qu'il flil ramené par ses goûts — cela se voit souvent aux époques de décadence ou simplement de
culture très raffinée — à l'imitation des primitifs pleins de grâce naïve, l'auteur s'est inspiré de quelque chef-d'œuvre d'un vieux maître. Il s'est efforcé de donner à sa déesse l'attitude élégamment maladroite, le vêtement à plis lourds et symétriques, la chevelure frisée, ondulée, bouclée et tuyautée, le visage où s'ébauche un sourire mystérieux, enfin toute la décoration de couleurs pâles ou vives, de fleurs, de fleurons et de palmettes qui font le charme des femmes ou des déesses de l'Acropole. Mais son imitation, malgré lui peut-être, n'est pas allée jusqu'à la copie; il n'a pas pu faire absolument abstraction de luimême, oublier son temps, ses maîtres directs, toute l'éducation raffinée de son esprit et de son ciseau, et la statue qu'il a produite, comme toutes les tentatives du même genre, est d'un style hybride, composite, qui ne peut tromper un observateur sans parti pris.
M. F. Studniczka est allé plus loin ; il a voulu établir que l'Artémis de Pompéi était la reproduction d'une statue que Pausanias a signalée pour l'avoir vue à l'Acropole de Patras. C'était l'image de la déesse surnommée Laphria, image qu'Auguste enleva à Calydon et donna aux habitants de Patras. Voici comment il la décrit : « To ,jàv <~~ TOU OCYOCÀ(J.OCTOÇ QTjpeuouaà èaTtv J ÈÀÉrpOCVTOÇ at xocl xpuaou 7teiroi7)Tai, NOCUTOXXTIOI 81 MÉVOCLXp.OÇ xocl SofSaç elpydccavxo. L'attitude de la statue est celle d'une chasseresse; elle est en ivoire et en 01', et les auteurs en sont les Naupactiens Ménaichmos et Soïdas ». Ces deux sculpteurs étaient, ajoute Pausanias, un peu postérieurs à Kanachos de Sicyone et à KalIon d'Égine. Nous admettrons volontiers l'identification ingénieuse de M. Studniczka, qui, elle, nous semble appuyée sur des arguments et des rapprochements ingénieux ; mais nous ne voyons pas que cette hypothèse, même si elle devient une certitude, doive en rien changer notre appréciation du style de la statue. Le sculpteur chargé de reproduire l'Artémis Laphria l'aura tout simplement, et bien qu'il en eût, rajeunie par une atténuation très sensible dans l'ensemble, moins peutêtre dans le détail, des caractères archaïques, et par une facture plus souple, plus libre et moins naïve.
C'est peut-être même son honneur d'avoir fait de l'œuvre de Ménaichmos et Soïdas une œuvre encore originale et à lui personnelle; l'Artémis de Pompéi a plus de valeur, si elle est une statue archaïsante, que si elle était simplement une imitation fidèle de quelque vieille idole chryséléphantine. Dans tous les cas, elle a pour les archéologues comme pour les artistes un intérêt bien plus vif et plus particulier.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de Sculpture, IV, pl. 565, no 1200. — MüllerWieseler, Denkm. d. alt. Kunst, I, pl. x, n° 38. — Raoul Rochette, Peintures antiques inédites, pl. 7. — Overbeck, Griech. Plastik, I, tig. 45. — Baumeister, Denkmseler etc., I, fig. 369. — Roscher, Ansfùhrl. Lexicon der Mythologie, I, p. 598. —
Collignon, Mythol. figurée, p. 104. — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 177. —
Wolters, Gipsabgiisse zu Berlin, no 442. — F. Studniczka, Die archaïsche Artemisstatuette aus Pompeii (Mittheil., Rœm. Abtheil., 1888, p. 276, pl. X).
P. P.
271. — Athéna (Musée de Dresde).
Ce fragment, qui a d'abord fait partie de la collection Chigi, est passé en 1728 au musée de Dresde.
L'imitation d'archaïsme est ici très nettement marquée dans la raideur voulue de l'attitude et des formes du corps, dans la symétrie tout apprêtée des draperies, et aussi dans la série de petits bas-reliefs qui ornent le devant de la tunique, et qui sont sans aucun doute destinés à représenter les bordures peintes des étoffes archaïques. Mais l'impression d'ensemble nous fait songer à un sculpteur qui cherche, sans y réussir complètement, à retrouver la naïveté, la sécheresse élégante, même les fautes et les maladresses involontaires des maîtres primitifs, mais qui ne peut oublier les leçons de ses professeurs ni les habitudes de son ciseau.
La statue est facile à restituer complètement d'après d'autres reproductions; elle représentait Athéna, attaquant ou repoussant des ennemis, la lance à la main droite, le bouclier à la main gauche. On a voulu y reconnaître une copie, ou du moins une imitation de l'Athéna Polias qui se trouvait à l'Acropole d'Athènes, dans l'Érechthéion, parce que tous les ans on lui offrait un péplos sur lequel était peint ou brodé le combat des dieux et des géants, et que justement cet épisode de la mythologie fait le sujet, à ce que l'on pense, des petits bas-reliefs sculptés sur la tunique de l'Athéna de Dresde. Mais c'est là une hypothèse que rien jusqu'ici ne semble pouvoir transformer en certitude.
L'intérêt du fragment de Dresde n'est donc pas là; il réside en ce que nulle autre œuvre ne possède peut-être au même degré, sans discussion possible, les caractères qui servent à distinguer la sculpture purement archaïque de celle qui en a les apparences supcrfi-
cielles, mais s'en sépare absolument par quelque chose de plus fini, de plus poli, de moins personnel et surtout de moins sincère.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, III, pl. 460, n° 855. — Muller-Wieseler, Denkm. d. ait. Kunst, T, pl. x, n° 36. — Overbeck, Griech. Plastik, I, fig. 46.
— Pyl, Arch. Zeitung, 1851, pl. 61. — Roscher, Ausfuhrl. Lexicon der Mythologie, p. 694 (Athéna). - Daremberg et Saglio, Dict. des antiquités, fig. 143. — Baumeister, Denkmœler etc., fig. 370.
P. P.
272. — Athéna (Musée de Naples).
Statue de marbre découverte à Herculanum. On a élevé des doutes sur l'authenticité de la tête, mais sans réussir à faire admettre qu'elle soit une tête moderne ou une tête antique rapportée. Il faut sans doute restituer à la main droite une lance de bois ou de métal; il y a des traces de dorure sur les cheveux, de polychromie et de dorure sur les draperies.
La déesse Athéna, qu'il est impossible de ne pas reconnaître ici, est en pleine bataille, elle va frapper un ennemi de sa lance; pour toute défense, elle étend son bras gauche revêtu de l'égide qu'elle emploie ici comme un bouclier. Elle est vêtue d'une longue tunique à manches larges qui tombe jusqu'à terre en plis arrondis sur les jambes, droits et régulièrement disposés entre les jambes, et d'un manteau qui s'étend en nappe sur son dos, ses reins et ses cuisses, se fend à droite et à gauche sur les flancs et se sépare devant en deux pointes, l'une sur la jambe gauche, l'autre sur la droite; ce manteau forme des plis de forme rigoureusement archaïque. L'égide est très ample ; couverte de plumes, bordée de serpents, ornée de la tête de Gorgone, elle s'étend sur tout le dos et forme sous le bras gauche étendu comme un vaste pan d'étoffe. La déesse est coiffée d'un casque lourd, muni d'une haute aigrette ; la coiffe du casque est décorée de griffons en relief, l'aigrette, sur les côtés, de sphinx ailés. Les cheveux s'échappent sur la nuque en fines mèches parallèles, et sur le front en boucles régulières.
La statue a au plus haut degré tous les caractères de l'art archaïstique. Le sculpteur a donné à la déesse une position qui est fréquente dans les œuvres archaïques : les jambes se présentent à peu près de face, tandis que le torse se tourne de trois quarts et que la tête se montre de profil; il résulte de ce mouvement peu naturel une raideur
et une dureté qui rappellent par exemple la statue de Délos due à Mikkiadès et Archermos, ou l'Athéna d'Égine (1) (nos 10 et 62). Les draperies, cela saute aux yeux, sont imitées avec la plus grande précision des draperies archaïques, et le style des plis ne tromperait pas l'œil le moins exercé. Mais à côté de ces caractères, il en est d'autres non moins sensibles qui décèlent la main d'un artiste tout à fait moderne. D'abord le visage n'a pas l'expression niaisement souriante des statues archaïques, et si les boucles posées sur le front rappellent les chevelures du vie siècle et du commencement du ve, les mèches qui sortent du casque et s'épandent sur le cou sont de style beaucoup plus libre et plus récent; le casque, ni par sa forme, ni par ses ornements, n'a rien non plus d'archaïque; si le bras gauche est modelé avec affectation de la simplicité et de la rondeur que l'on peut remarquer aux statues de l'Acropole, par exemple, il n'a pas cependant la sécheresse qu'adoptaient les maîtres primitifs, et les pieds, dans tous les cas, si élégants et si bien ornés, sont dans une manière très différente des vieilles traditions. Enfin, même dans les parties purement archaïques, comme les plis d'étoffes, il y a plus de symétrie rigoureuse, plus de sécheresse inflexible que dans les plus anciennes des statues archaïques, et l'excès même accuse ici les intentions du sculpteur.
On voit combien l'Athéna d'Herculanum est intéressante et quelle place elle tient dans la série des statues archaïsantes. Ce n'est pas ici le lieu de rechercher quelles raisons ont guidé l'esprit et le ciseau de l'auteur, s'il a voulu créer une œuvre originale qui rappelât le charme naïf des idoles primitives, ou s'il a voulu simplement copier, en la rajeunissant quelque peu, une image célèbre d'Athéna.
Bibliographie. — Millingen, Anc. unedit, Monuments, II, 7. — Müller-Wieseler, Denkm. der alt. Kunst, I, pl. x, no 37. — Friederichs, Bausteine etc., no 58. — Overbeck, Griech. Plastik, I, p. 196. — Daremberg et Saglio, Diction. des Antiquités, fig. 143 (Ægis).
G. ROQUES.
(1) Nous ne parlons, bien entendu que de l'impression produite, puisque la figure de Délos et l'Athéna de Munich se présentent le torse de face et les jambes de profil.
273. — Prétendue Danseuse d'Herculanum.
Cette statue a été découverte au siècle dernier à Herculanum, dans la fameuse villa des Papyrus. Elle est aujourd'hui au musée de Naples.
Ce bronze n'a pas été trouvé seul : il était enfoui avec cinq autres statues, également en bronze, qui représentent toutes des femmes debout, les unes arrêtées, les autres s'avançant avec un léger balancement.
L'œuvre qui nous occupe représente une jeune femme au repos.
Elle se lient debout : la jambe droite légèrement portée en avantdonne au corps une assiette plus solide, en même temps que cette position sert à rompre d'une manière presque insensible, il est vrai, les plis verticaux de la robe qui s'abaissent lourds et profonds, et lui donnent un peu plus de largeur. Les deux bras levés, la jeune fille est occupée à ajuster son péplos. Le vêtement est déjà fixé sur l'épaule gauche ; elle l'a passé sous le bras, et, le remontant à l'épaule, elle l'a fermé par une broche que l'on distingue parfaitement. Elle s'apprête maintenant à l'agrafer sur l'épaule droite : de la main droite elle a saisi et tient le bord postérieur qu'elle ramène en avant, de la main gauche elle tient le bord opposé qu'elle va glisser sous l'autre; puis d'une main elle retiendra sur son épaule les deux bords, et de l'autre elle prendra l'agrafe qui doit les fixer. Le péplos alors fermé des deux côtés, elle le rejettera sans doute légèrement en arrière pour avoir la libre disposition de ses deux bras, ces bras qui, sans être grêles, n'ont pas atteint leur plein développement, et dont les lignes très nettement arrêtées font ressortir la grâce de l'attitude. Remarquons qne l'on découvre l'épaule et le sein droits, que le péplos aura bientôt cachés.
Le visage calme est rendu plus grave encore par le regard de ses grands yeux ouverts. On dirait que le sourire ne saurait se fixer sur cette aimable figure admirablement encadrée par une abondante chevelure aux boucles régulières dans lesquelles brille un bandeau.
Si nous considérons maintenant l'ensemble de l'œuvre, nous serons frappés de ce faisceau de lignes droites formé par les plis du vêtement qui sont profonds et presque réguliers comme des cannelures. La jambe droite légèrement portée en avant donne une base plus large à cet ensemble de lignes verticales qui va en se rétrécissant insensiblement, si bien que la statue en bloc aurait l'apparence d'un cône allongé. Cette régularité rigoureuse, voulue sans doute par le
sculpteur, peut choquer l'œil, mais contribue puissamment à l'impression de gravité que laisse l'œuvre tout entière.
Que représente cette statue? On la désigne communément sous le nom de danseuse d'Herculanum. On a le droit d'être étonné de voir cette grave jeune fille paraître avec le titre de danseuse. Sans doute il y avait dans l'antiquité un genre de danse aux mouvements modérés et au rythme sévère, qui dans les sacrifices accompagnait le chant des hymnes, c'était l'Èp.pÛ\{C't., ou bien encore la /eipovojjua, ainsi appelée parce que les mains y prenaient plus de part que les pieds, et qu'elle consistait surtout en une suite de gestes et de poses. Néanmoins il est malaisé de croire que nous ayons dans la statue qui nous occupe la représentation d'une danse de cette sorte. Les vases et les figures en terre cuite nous font connaître des danseuses au visage plus joyeux, au vêtement surtout plus léger et plus souple, appartenant à un monde plus bruyant et plus gai, où cette jeune fille à l'aspect si calme serait certainement déplacée. Si l'on veut absolument voir une danseuse dans cette jeune fille, ce sera alors une danseuse de profession, mais qui au, moment où le sculpteur l'a représentée, n'accomplissait pas les fonctions de son état. C'est une danseuse, soit, mais une danseuse qui ne danse pas encore, ou ne danse plus.
Pour notre part nous serions plutôt tenté de ranger cette œuvre dans la série des statues de femmes à leur toilette, adovnantes se feminas, et nous verrions volontiers dans ce bronze un sujet de genre, comme on aimait à en traiter à l'époque gréco-romaine.
A quelle époque en effet appartient cette statue, de quel pays provient-elle? M. 0. Rayet prétend que le style de cette œuvre est celui des œuvres grecques de la fin du ve siècle ou des premières années du ive, et veut reconnaître dans la raideur de l'attitude, dans la solidité massive du corps, dans la sobriété du modelé et l'aspect architectural des lignes, les caractères distinctifs de l'art péloponésien. De plus il croit avec M. Haussoullier que nous avons affaire à une œuvre personnelle et originale et non à une copie. Il ne reconnaît dans ce bronze ni les procédés techniques d'exécution usités à l'époque gréco-romaine, ni l'aspect du métal employé alors, ni surtout les indécisions et la mollesse qui trahissent toujours la copie, voire même le surmoulage exécuté par les moyens imparfaits que connaissent les anciens. Il conclut en conséquence que cette statue, de même les cinq autres trouvées avec elle, est un original enlevé de quelque ville de la Grèce et transporté à Herculanum.
Les raisons de M. 0. Rayet ne nous paraissent pas absolument probantes. Tous les sculpteurs de l'époque gréco-romaine ont pu ne pas avoir les mêmes procédés techniques. Il n'est pas prouvé qu'à l'époque romaine il n'y eût qu'une seule espèce de bronze. Nous allons plus loin. Si l'on compare cette œuvre avec les œuvres du va siècle ou du commencement du IV., époque que lui assigne M. 0. Rayet, on se convaincra qu'il est très difficile de la faire remonter à une époque aussi ancienne. Que l'on considère, en examinant les œuvres du ve et du ive siècle, de quelle manière les sculpteurs disposaient la chevelure, comment ils comprenaient l'expression du visage, l'arrangement des draperies, et l'on verra que la statue qui nous occupe ne peut pas appartenir à cette époque. On peut la classer d'une façon à peu près certaine dans la catégorie des œuvres archaïsantes. On entend par sculpture archaïsante une sculpture qui, refusant de s'inspirer des œuvres classiques, remonte jusqu'à l'art primitif, tout en conservant à sa disposition les procédés de technique et d'exécution acquis par l'expérience et le progrès. Cette sculpture a deux caractères principaux : d'abord ses œuvres ont une certaine raideur; en second lieu elles sont chargées d'ornements et affectent l'élégance qui doit sans doute tempérer leur raideur et leur gravité. Or, ces caractères se trouvent précisément dans le bronze d'Herculanum. Nous avons noté cette raideur dans l'attitude, cette dignité, cette impression de gravité que laisse l'œuvre, impression rendue plus forte encore par la régularité rigoureuse avec laquelle sont disposés les plis de la draperie.
Que l'on remarque aussi que l'œuvre n'a pas l'épaisseur suffisante et qu'elle se rapproche en cela des œuvres archaïques, dont le type primitif est le ïjôavov. Nous retrouvons au contraire, dans la manière dont est traitée la chevelure, avec ces boucles si bien peignées, la préoccupation de racheter par des ornements ce que la raideur de l'attitude pouvait avoir de blessant pour la vue.
Cette œuvre porte donc tous les caractères d'une œuvre archaïsante. La technique nous prouve que l'art de couler le bronze est arrivé à son apogée. IL nous est donc permis de voir dans cette statue une œuvre absolument personnelle d'un sculpteur archaïsant dont nous pouvons fixer la date approximativement; puisque Herculanum a été ensevelie en 79 après J.-C., l'œuvre ne peut remonter au delà de cette date. La sculpture archaïsante a brillé de son plus vif éclat sous Hadrien, il est vrai, mais déjà, avant Auguste, Pasitélès était célèbre pour ses essais de retour à l'art archaïque ; cette tendance
vers l'archaïsme se retrouve d'ailleurs à toutes les époques de la sculpture grecque, et il n'y a aucune témérité à supposer qu'au 1er siècle avant notre ère, il y ait eu un sculpteur de talent qui ait suivi cette tendance et qui soit l'auteur des six statues de bronze trouvées ensemble dans la villa des Papyrus.
Bibliographie. — M. Collignon et B. Haussoullier, ds. 0. Rayet, Monuments de l'art antique.
A. SALGUES.
274. — Oreste et Électre (Musée de Naples).
Il existe à la villa Albani une statue très importante qui porte la signature de Stéphanos, disciple de Pasitélès. Elle représente un jeune homme debout, nu, la tête légèrement inclinée vers la gauche, le bras droit pendant naturellement le long du corps, le bras gauche replié au coude et la main (qui est du reste une restitution moderne) faisant un geste de démonstration très simple et très sobre.. Pasitélès vivait au temps du grand Pompée; on voit dès lors à quelle époque peut être placée l'œuvre de Stéphanos.
Cette œuvre n'est pas originale ; il existe plusieurs répliques de cette statue, à laquelle on a donné le nom d'Oreste, les unes isolées comme celle de Stéphanos, les autres groupées avec un second personnage, tantôt un homme, tantôt une femme. Nous avons ici le moulage du plus célèbre, comme du plus important de ces groupes, celui d'Oreste et d'Électre, qui se trouve au Musée de Naples.
Tandis qu'Oreste parle, et explique sans doute à sa sœur ses plans de vengeance, celle-ci l'écoute, ayant familièrement passé son bras droit sur l'épaule de son frère, et appuyant sa main gauche sur sa hanche. Oreste est nu; une simple bandelette retient son abondante chevelure qui forme sur le front une double rangée de boucles roulées; Électre est vêtue d'une longue et fine robe qui glisse élégamment le long de son bras gauche, et d'un manteau qui s'étale seulement par derrière, et dont une pointe revient sur l'épaule droite, une autre sur le poignet gauche; la robe est serrée très bas sous la taille par une ceinture; ses cheveux entourent son front, roulés autour d'un lien, et retombent sur les tempes et sur la nuque.
Le groupe est dans son ensemble harmonieusement et simplement
agencé; les lignes en sont pures, franches et élégantes; les deux frères, dont le visage est empreint de gravité mélancolique, sont unis, enlacés même, sans aucune affectation, sans aucune mièvrerie; il y a accord parfait entre le sentiment qui se peint dans leurs yeux et sur leur bouche, comme entre les formes de leurs corps — celui d'Électre transparait sous la draperie légère et diaphane — également jeunes, beaux et forts. Mais si l'expression douloureuse des deux têtes dénote un art savant qui s'efforce d'atteindre au pathétique et y réussit, il y a dans le style de l'œuvre une recherche d'archaïsme qui n'a échappé à aucun critique. La chevelure d'Oreste et le galbe lourd de ses joues et de son menton, la largeur de ses épaules franchement remontées, le peu d'ampleur de ses hanches, le modelé volontairement simplifié de son torse, on ne sait quoi de raide dans une attitude vivante pourtant et naturelle, nous font songer aux statues d'Harmodios et d'Aristogiton (no 65) et plus précisément à l'Apollon de ChoiseulGouffier (n° 66). Tout cela nous ramène, sans doute possible, à l'archaïsme, mais non plus, comme l'Artémis de Pompéi par exemple, à l'archaïsme que nous ont si bien fait connaître les découvertes de Délos, d'Olympie ou de l'Acropole; nous descendons à une époque artistique déjà plus libre, où l'on sent l'approche des chefs-d'œuvre classiques.
Les mêmes remarques, les mêmes jugements s'appliquent à la statue d'Electre. La jeune femme est d'un mouvement trop souple et trop vivant pour qu'on puisse songer à y reconnaitre une œuvre purement archaïque; le sculpteur capable de donner à une figure féminine, avec l'expression pathétique que nous avons notée, tant de charme et tant d'élégance, n'appartient pas à une époque d'art primitif, embarrassé dans la gêne des traditions et des conventions routinières. Mais il n'en est pas moins vrai que cet artiste aimait les productions de l'art qui fit la transition entre les œuvres d'Anténor ou de Kanachos, et celles de Myron et de Phidias; il a emprunté aux vieux maîtres, pour Électre comme pour Oreste, les formes un peu massives des membres et du torse, surtout l'agencement compliqué et sévèrement symétrique des cheveux, et, par instants, la facture un peu raide et souvent monotone des draperies. Le mélange des styles est, du reste, si ingénieux et fait avec tant de goût, que nous y trouvons un charme assez vif; le groupe du musée de Naples nous permet d'embrasser d'un coup d'œil les mérites de l'art archaïque et ceux de l'art classique; et cette union factice, ce qui s'attendrait peu, est bien loin de nous déplaire.
Le groupe de Naples et les répliques de la figure masculine ont un autre intérêt et soulèvent d'autres questions que nous signalons simplement, sans chercher à les résoudre. Stéphanos est-il le créateur du type d'Oreste? Ce type et cette attitude ont-ils été conçus pour une statue isolée ou pour une statue faisant partie d'un groupe?
Jusqu'à quel point est-il permis, d'après la statue signée, de porter un jugement sur Pasitélès, le maître déclaré de Stéphanos, et sur les tendances de son génie? Ce dernier problème est d'autant plus important que Pasitélès passe pour le représentant le plus autorisé et le plus illustre de l'école archaïsante, si l'on peut dire que ce soit là une école.
Bibliographie. — Kekulé, die Gruppe des Künsllel's Menelaos in villa Ludovisi
(Leipzig, 1870), p. 25. — Flasch, Vorbilder einer rœmischen Kunstschule, dans Arch.
Zeitung, 1878, p. 119 et s. — Overbeck, Griech. Plastik, II, fig. 151. — Baumeister, Denkmœler etc., fig. 1392. — Cf. Wolters, GipsabgÜsse zu Berlin, nO 225 (Sogenannter Oreste von Stéphanos).
275. - Apollon, Artémis, Léto et Niké (Bas-relief du Musée du Louvre).
Ce marbre appartient à une catégorie de monuments que l'on désigne quelquefois sous le nom de Bas-reliefs choragiques, et qui étaient consacrés à Apollon par les vainqueurs aux jeux Pythiques.
Il en existe d'assez nombreuses répliques, quelques-unes avec des variantes assez importantes. Un bas-relief identique à celui dont nous avons le moulage a été cédé par le Louvre au Musée de Berlin (Wolters, Gipsabgùsse zu Berlin, n° 429).
Le lieu de la scène est nettement déterminé par la décoration architecturale : derrière un mur on aperçoit la partie supérieure d'un temple corinthien, un temple de Delphes certainement. Le monument est mis assez maladroitement en perspective; il est vu de trois quarts; sur l'architrave court une frise décorée d'une course de chars en basrelief; le fronton a au centre une tête de Gorgone flanquée de deux Tritons ailés. A droite et à gauche, en avant du mur et sur les bords de la plaque de marbre, se trouvent deux piliers : celui de gauche supporte un trépied ; sur celui de droite se dressait une idole archaïque, nue, d'Apollon (elle subsiste sur d'autres exemplaires, ainsi qu'un
arbre, le laurier delphique peut-être, que l'on voyait par-dessus le mur, dans l'angle de gauche).
Quant à la scène elle-même, qui se déroule au-devant du temple, elle comporte quatre personnages. Le principal est Apollon qui, vêtu d'une ample robe dans le genre de celle que porte l'Apollon cilharède du Vatican, s'avance vers la droite; de la main gauche il pince les cordes de la vaste cithare suspendue à son côté; de la main droite il tend une patère vers une figure ailée qui lui verse le contenu d'une gracieuse œnochoé. C'est Niké, la Victoire, un peu plus petite qu'ApolIon, comme il convient à une divinité inférieure; elle marche à pas légers et son bras s'élève, inclinant l'œnochoé, d'un mouvement plein d'élégance; la déesse est aussi vêtue d'amples draperies. A côté d'elle est un autel rond sur lequel sont sculptées trois femmes drapées qui marchent ou qui dansent en se dirigeant vers la droite ; on y reconnaît des Bacchantes, ou les trois Heures, peut-être tout simplement des Nymphes. Derrière Apollon est Artémis, distinguée par l'arc et le carquois pendus à ses épaules; elle porte une torche allumée d'une main et de l'autre tient un pan du manteau de son frère. Enfin Léto, la mère d'Apollon et d'Artémis, clôt la marche; d'une main, elle tient son attribut ordinaire, un long sceptre, de l'autre, elle rajuste son péplos sur son épaule.
La disposition de ces quatre figures est d'une extrême simplicité, mais d'une simplicité on ne peut plus élégante et gracieuse; tous les mouvements sont justes autant que sobres, et bien que nous n'ayons sous les yeux qu'une copie sans prétention, on peut juger d'après elle les qualités charmantes de l'original. Quant au style, il n'est pas douteux qu'il est archaïsant. Si les mouvements sont plus souples, si les visages sont plus vivants et plus naturels, si les draperies sont plus amples et plus riches qu'il n'est de règle à l'âge archaïque, il y a dans l'ensemble une sorte de monotonie voulue, un sentiment religieux expressément cherché, qui nous fait remonter aux âges de foi naïve et de simplicité artistique; il y a, dans les détails des chevelures et des vêtements, une régularité, une symétrie, une facture à la fois raffinée et conventionnelle, un peu uniforme aussi, qui nous ramène à l'époque des guerres médiques, avant l'art classique. Ce mélange d'éléments et de styles bien distincts, lorsqu'il est, comme ici, le résultat d'un effort voulu et d'une recherche, est ce qui caractérise proprement l'art archaïstique.
Bibliographie. — Clarac, Musée de sculpture, If, pl. 120, no 39. — Frœhner, Notice de la seul] ture antique au Louvre, no 12. — V. Duruy, IIist. des Grecs, I, p. 728.
P. P.
276. - Apollon, Artémis et Léto (Bas-relief au Musée du Louvre).
Ce monument, qui provient de la villa Albani, est en marbre pentélique; il a subi quelques restaurations. 11 appartient à la même série que le bas-relief précédent, mais il est plus simple. Niké a disparu, et Apollon seul y apparaît accompagné d'Artémis et de Léto. Il n'est plus occupé à recevoir dans une coupe le vin de la libation que lui versait tout à l'heure là déesse de la victoire, mais il rend les honneurs de la cithare à l'idole dressée devant lui sur un pilastre. Il pince les cordes de son instrument à l'aide du pecten. Du reste il est absolument vêtu et coiffé comme l'Apollon du bas-relief nO 275; Artémis suit son frère en le tenant par un pan de son manteau, et porte de même une torche enflammée; elle a non seulement la même attitude, mais le même costume que l'Artémis du marbre précédent, et Léto est aussi absolument identique à la Léto que nous avons décrite plus haut. Notons qu'ici toute la décoration architecturale a disparu ; le lieu de la scène n'est nullement marqué par la figuration du temple delphique.
Quant au style, nous n'avons rien à en dire de particulier; il est absolument le même que celui du bas-relief que nous avons étudié au n° 275. Bien que le monument soit ici moins important et moins soigné, on retrouve la même inspiration, la même recherche d'élégance archaïque.
Bibliographie. — Clarac, Mus. de sculpture, II, pl. 122, no 38. — Müller-Wieseler, Denk. d. ait. Kunst, I, pl. XIII, no 46. — Wolters, Gipsabgüsse zu Berlin, no 431.
— Frœhner, Notice de la sculpt. ant. au Louvre, no 16.
P. P.
277. — Apollon et Héraklès se disputant le trépied delphique (Musée du Louvre).
« Dans un accès de démence, dit M. Frœhner, Hercule avait tué son hôte Iphitos en le précipitant du haut des murailles de Tirynthe. Une grave maladie vint le punir de ce méfait, et, ne sachant quel remède employer, le héros partit pour Delphes. La Pythie refusa de répondre à un assassin : alors Hercule irrité força l'entrée du temple et emporta le trépied d'or pour fonder ailleurs un oracle plus complaisant. Mais Apollon le rejoignit et lui disputa son bien jusqu'à ce que Jupiter mit fin à la lutte de ses deux fils en lançant la foudre entre les combattants ».
Notre bas-relief représente la lutte d'Héraklès et d'Apollon. C'est du reste un sujet très fréquemment traité par les artistes grecs. Ici, le lieu de la scène est indiqué par le laurier sacré sculpté, à gauche, autour duquel s'enroule le serpent, symbole de la divination; peutêtre même, comme sur d'autres monuments analogues, y avait-il au pied du laurier l'omphalos delphique, que le restaurateur a négligé de restituer. Apollon est nu, sauf qu'une chlamyde tlotte sur ses bras ; il a de longues boucles de cheveux tombant sur la poitrine et les épaules, et une couronne de laurier ; il a saisi par une oreille, de la main droite, le trépied qu'emporte Héraklès en fuyant. Celui-ci est vêtu simplement de la peau du lion dont la tête couvre la sienne; de la même main qui retient le trépied il porte son arc ; de l'autre il brandit sa massue. Son carquois est suspendu à sa taille par une courroie. Le héros se retourne, pour se défendre, tout en fuyant à grands pas.
Le style de ce bas-relief, autant qu'on en peut juger par le peu de parties qui sont vraiment antiques (les trois cinquièmes de l'arbre, la moitié inférieure d'Héraklès et les jambes d'Apollon sont modernes, d'après M. Frœhner), le style est nettement archaïstique. La tête d'Apollon est imitée des idoles archaïques, du moins en ce qui concerne la chevelure et la chlamyde, et le torse du dieu, aussi bien que celui du héros, montrent une affectation évidente des formes un peu raides et sommairement modelées qui caractérisent les œuvres des primitifs grecs. Mais à côté de cette recherche on note une habileté de ciseau, un goût des attitudes mouvementées et vivantes qui nous font descendre beaucoup plus bas dans l'histoire de la sculpture grecque.
Le monument provient de la villa Albani.
Bibliographie. — Clarac, Mus, de sculpture, II, pl. f.19, 49. - Welcker, Alle Denkmæler, II, p. 298. — Wolters, Gipsabgiïsse zu Berlin, no 436. — Frœhner, Notice de la sculpture antique au Louvre, no 83, p. 102.
G. ROQUES.
278. — Vase de Sosibios d'Athènes (Musée du Louvre).
Ce vase, en marbre de Paros, provient de la villa Borghèse. La base est moderne, mais tout le reste est antique et assez bien conservé.
Il a la forme d'un cratère; le bas de la panse est orné de godrons, le milieu d'une série de figures en bas-relief; la gorge et le col sont décorés d'une bande d'entrelacs et d'une frise de feuillage au-dessus du bas-relief, puis d'une guirlande de lierre. Les anses sont formées par des cous de cygnes, dont les têtes sont gracieusement repliées de part et d'autre sur la panse.
Le centre de composition du bas-relief est un petit autel où brûlent des flammes, et sur le flanc duquel est gravé le nom du sculpteur Sosibios d'Athènes (EcoacSfoç 'AO"fjvlxtoç &7rof[ et]), du reste tout à fait inconnu.
A droite de l'autel s'avance sur la pointe des pieds le dieu Hermès, élevant dans la main droite son caducée; Artémis lui fait face tenant à la main gauche son arc, et tirant de la main droite, par une patte de devant, un jeune faon dressé qui retourne la tête en arrière. Voilà les deux personnages principaux ; entre eux et derrière eux est une ménade qui court en agitant une courte épée, et portant à la main gauche la moitié d'un animal sacrifié, ou destiné peut-être à une scène d'omophagie ; puis viennent un Curète nu, casqué, armé du bouclier et de l'épée, qui danse la danse classique des Curètes; deux autres bacchantes qui dansent, l'une portant un tambourin, l'autre une simple férule ; un jeune satyre, vêtu seulement d'une peau de panthère, et jouant de la double flûte tandis qu'il s'avance sur la pointe des pieds; enfin une femme amplement drapée, qui joue de la cithare (notons que cette figure est vraiment féminine, bien que quelques critiques aient voulu y reconnaître un Apollon).
Tous ces personnages n'ont pas le même caractère : Hermès est franchement et tout entier archaïque; son altitude raide et guindée, et la manière dont il tient le caducée, surtout sa tête couverte de cheveux rayonnant avec régularité de l'occiput vers le front, les
tempes et la nuque, et tombant en boucles sur la poitrine, son visage à la barbe bien peignée, enfin sa chlamyde dont une pointe, volant en arrière, est bordée de plis absolument réguliers, tous ces détails nous montrent en lui une copie de quelque figure du ve siècle au moins.
Artémis, elle aussi, vêtue d'une longue et fine tunique talaire et d'un manteau archaïque, comme les statues féminines de Délos, d'Eleusis ou de l'Acropole, Artémis qui s'avance à petits pas, tenant son arc de la main tendue, le bras durement relevé depuis le coude plié à angle droit, et tirant sa bête familière par la patte, Artémis est de style archaïque, bien que sa tête soit d'un type et d'une facture assez modernes. Mais toutes les autres figures sont traitées avec une grande liberté, et, sans avoir rien de très original, se rattachent à un art absolument classique; on peut les dire, comme inspiration et comme facture, contemporaines des œuvres de Scopas.
C'est ce mélange de deux styles qui fait surtout l'intérêt du vase de Sosibios. Cet artiste, dans une œuvre surtout industrielle, n'a pas hésité à mettre côte à côle des figures de dieux rappelant les idoles vénérées, et des figures de personnages dionysiaques tels que le type en avait été fixé par Praxitèle, ses contemporains et ses successeurs.
Un problème mériterait notre attention : quel est le sens de la scène représentée, et comment s'explique le groupement de figures qu'on s'attendait peu à voir ainsi réunies? Mais les solutions proposées jusqu'ici ne nous satisfont point, et nous préférons, jusqu'à plus ample informé, croire à une simple fantaisie de Sosibios.
Bibliographie. - Clarac, Musée de sculpture, II, pl. 126, 130, nos 117, 118. —
Miiller-Wieseler, Denkm. d. alt. Kunst, II, pl. XXXXVIII, 602. — Overbeck, Griech.
Plastik, 11, fig. 145. - Lucy, Nlitcheil, Ilist. of anc. Sculpture, p. 662. — Brunn-Brückmann, Monuments etc., pl. 60. — Baumeist.., Denkmxler etc., fig. 1149. — Wolters, Gipsabgiisse zu Bulin, n° 2114. — Frœhner, Notice de la sculpt. antique au Louvre, nO 19, p. 50 (avec un fac-similé de la signature de Sosibios, laquelle n'est pas visible sur notre moulage).
P. P.
279. — Tête de Zeus, dite Zeus Talleyrand (Musée du Louvre).
Cette tête, en marbre de Paros, a appartenu d'abord au prince de Talleyrand, et on la désigne souvent sous le nom de son premier possesseur.
Le personnage qu'on lui a fait représenter a varié; ç'a été tantôt Trophonios, tantôt Dionysos, tantôt Hermès. Mais il est à peu près certain, aujourd'hui que les types des divinités archaïques sont mieux connus, qu'il faut reconnaître ici Zeus. Le rapprochement avec quelques têtes de ce dieu, par exemple celles qui ont été trouvées à Olympie (nos 45 et 46), s'impose, et plus d'une image de Zeus est parée d'un diadème que décorent de semblables palmettes imitant les fleurs du lys. Quoi qu'il en soit du reste de ce problème purement archéologique, l'intention du sculpteur n'est pas douteuse; il a voulu imiter le style archaïque, et il y a admirablement réussi dans tous les détails de la chevelure si régulière, si finement divisée sur le crâne en mèches parallèles, de la barbe si bien peignée, qui se sépare nettement en ondulations symétriques, d'une ordonnance irréprochable, et rappelant l'élaboration patiente des postiches assyriens, où la moustache retombante et la mouche sèchement dessinée se détachent avec un contour et un relief trop précis. On peut même dire qu'il y a là une exagération choquante des élégances et des minuties archaïques. Mais avec ces caractères, empruntés par le sculpteur à une époque et à un art disparus, contrastent vivement le type et l'expression du visage, où il ne reste rien de primitif. Ici l'auteur n'a point cherché à faire œuvre d'érudit, ni même à empreindre d'unité la tête qu'il modelait.
Aussi le Zeus Talleyrand est-il une des œuvres antiques qui nous font le mieux comprendre cet art éclectique, fruit d'une époque érudite et blasée sur toutes les formes du beau, qui cherchait à se retremper aux sources naïves où buvaient les primitifs, cet art que désigne si bien l'épithète d'archaïsant.
Bibliographie. — Arch. Zeilung, 1843, pl. 1 ; 1874, pl. ix. — Clarac, Mus. de Sculpture, VI, pl. 1086, n° 2722. — De Luynes, Nouvelles annales, I, p. 391. —
Baumeister, Denkmseler etc., I, fig. 241. — Daremberg et Saglio, Dict. des antiquités, fig. 785 (Barba). — P. Paris, La Sculpture antique, fig. 178. — Wolters, Gipsabgusse zu Berlin, no 449. P. p
280. Prétendu Thésée (Musée du Capitole).
Nous ne savons pour quelles raisons on donne à ce buste de marbre, en forme d'Hermès, le nom de Thésée.
Quel que soit le personnage que le sculpteur ait voulu représenter, il est évident qu'il a essayé de lui donner le type et l'aspect archaïques, peut-être en effet parce qu'il s'agissait de quelque héros mythique.
Les cheveux très réguliers et très soignés, qui retombent sur les tempes, au devant des oreilles, et se roulent en boucles sur le front pour l'encadrer, sont dans le goût de la chevelure de plus d'une statue antérieure aux guerres médiques ou contemporaine; le visage carré, aux traits forts et un peu durs, à l'expression légèrement souriante, rappelle, par exemple, celui du jeune Harmodios dans le groupe napolitain des Tyrannicides (no 65). Et malgré tout, on ne retrouve pas ici la sincérité de l'art archaïque; ce n'est qu'un effort pour faire revivre une conception et une technique qui caractérisaient un autre âge.
P. P.
INDEX
I. — LISTE MÉTHODIQUE DES MONUMENTS DÉCRITS
PREMIÈRE PARTIE. — LA SCULPTURE ARCHAÏQUE.
1. Œuvres d9 style oriental.
Pages.
1. Statue de Charès.,. 7 2. Bas-relief d'Assos .,.,.,. 9 3. Bas-relief de Samothrace.,..,.,..,. 10 4. Bas-relief de style oriental. 12 5-6. Bas-reliefs d'un tombeau de Xanthos. 15
Il. Œuvres de style grec.
7. Ex-voto de Nicandra. 15 8. Héra de Samos.,.,. 17 9. Statuette d'Olympie (bronze) 19 10. Artémis aitee. 20 11. Artémis de Délos.,. 25 12. Petit torse de marbre trouvé à l'Acropole d'Athènes. 21 13. Athèna d'Endoios.,.,. 28 14. Apollon d'Orchomène, .,., ., 30 15. Apollon de Théra.,. 32 16. Apollon de Ténéa. 33 17. Torse archaïque d'Actium, au Musée du Louvre 36 18. Torse archaïque d'Actium, au Musée du Louvre 37 19. Statue archaïque du Musée Britannique ",,,,,,,,,' 38 20. Apollon StI'angford. 39 21. Apollon de Piombino 42 22. Apollon de Naxos (bronze) 45 2:1. Torse archaïque et pied d'enfant.,. 47 24. Tête et torse d'enfant.,. 48 25. Groupe funéraire de Tanagra, stèle de Dermys et Kitylos 50 26. Hermès moschophore, ou Sacrificateur. 52 27. Sphinx de Spata. 55 28. Guerrier (petit bronze archaïque trouvé à Olympie) 56 29. Zeus (ngurineen bronze). 58 30. Fragment de stèle funéraire représentant un Discobole. 59
rages.
31. Stèle funéraire d'Aristion 61 32. Stèle d'Alxénor de Naxos.,., .,.. 63 33. Stèle funéraire du Musée de Naples 65 34. Bas-relief archaïque d'Éphèse. 66 35-36. Métopes archaïques de Sélinonte 68 37. La Déesse en char (bas-relief athénieu). 10 38. Fragment de stèle funéraire attique. 72 , 39. Stèle de Pharsale.,. 13 40. Stèle de Philis.,.,. 74 41. Monument des Harpyes.,. 76 42. Fragments archaïques de Xanthos, en Lycie. 81 43. Bas-relief de Thasos. Apollon et les Nymphes, Hermès et les Kharites. 85 44. Autel spartiate de :Magoula .,.. ",. 89 45. Bas-relief de Chrysapha .,.,. 91 46. Stèle funéraire de Laconie. 93 47. Stèle funéraire de Sparte.,. 94 48. Stèle d'Olympie.,.,. 94 49. Fronton du Trésor des Mégariens à Olympie.,.,. 95 50. Tête virile archaïque 98 51. Tète archaïque de Mito. 99 52. Tête archaïque de Héra 100 53. Tète archaïque de femme 101 54. Tête féminine d'Éphèse 102 55. Tète virile archaïque de Délos 103 56. Tête d'Apollon en marbre 105 57. Tête archaïque de bronze 106 58. Tête en bronze de Zeus. 108 59. Tête de Zeus en terre cuite., 109 60. Tête archaïque des Propylées. 110 61. Gargouille d'Olympie.,.,. ,., 111
SECONDE PARTIE. — LA SCULPTURE CLASSIQUE.
1. Œuvres de transition.
62, 63, 64. Statues des frontons du temple d'Égine 113 65. Les Tyrannicides 118 66. Apollon de Choiseul-Gouffier 121 67. Apollon du théâtre de Dionysos 125 68. Tête en marbre trouvée à Cyrène. 127 69. Autel athénien orné de bas-reliefs.,.,.,.,., 127
II. Myron, Polyclète, Phidias.
70. Discobole.,.,.,. ,.,.,., 130 71. Marsyas 132 12. Vase de marbre (Athèna et Marsyas). 134
Pages "3. Athlète 135 74. Doryphore de Polyclète ,.,. 131 75. Torse de Doryphore 139 76. Tête de Doryphore. 140 77. Doryphore d'Argos 141 18. Diadumène de Vaison .,. 141 19. Diadumène Farnèse. 143 80. Amazone de Polyclète. 144 81. Amazone l\Iattei.,. 148 82. Hé ra Fa rnèse , , , ,.. , , , , , , 151 83. Héra d'Agrigente. 153 Les sculptures du ParthénolJ. 154 84-92. Le Fronton orienta). 155 93-96. Le Fronton occidental.,.,.,., 159 97-113. Les Métopes 165 114-136. Frise des Panathénées.,. 175 137. Statuette d'Athèna, dite de Lenormant.,.,. 181 138. Athèna du Varvakeion.,.,. 183 139. Zeus Blacas.,.,. 186
III. Époque de Phidias. Sculpture monumentale.
Les sculptures du Théseion d'Athènes.,. 188 140-141. Les Métopes 188 La frise de la cella 190 142. Frise orientale .,.,.,. 191 143. Frise occidentale.,. ',.,. 191 Temple de Zeus à Olympie. 193 144. Fronton ol'iental.,.,.,.,.,..,. 194 145. Fronton occidental.,.,. 198 146-149. Les Métopes 201 Temple de la Victoire Aptère. 207 150. Combat des Perses et des Grecs (fragment de frise)., 208 151. Assemblée des dieux (fragment de frise) 209 152. Niké attachant sa sandale .,.,., 209 153. Niké couronnant un trophée. 210 154. Groupe de deux Nikés conduisant un taureau.,. 210 155. Torse de Niké. 211 156-157. Cariatides de l'Érechtheion r 211 158-164. Frise du Temple d'Apollon Épicurios à Phigalie (Arcadie). 213 165-167. Monument des Néréides., 216 168. Monument de Gjoelbaschi "",,,,,,,,,,,,,," 218 IV. Époque et École de Phidias.
A. Statuaire.
169. Discobole du Vatican 223 170. Aphrodite de Fréjus. 226
Pages.
171. Victoire de Pæonios 229 172. Tête dite Victoire de Laborde,;.,. 232
B. Bas-reliefs.
173. Orphée et Eurydice .;.,. 233 174. Déméter, Coré et Triptolème (Grand bas-relief d'Éleusis). 235 175. Chœur cyctique. 240 176. Chœur de danseurs Pyrrhiquistes 240 177. Char d'Apobate 241 178. Trière attique.,.,.,..,.,. 242 179. Traité d'alliance entre Athènes et Corcyre. 243 180. Traité d'alliance entre Athènes et la ville de Kios. 244 181. Décret en l'honneur des fils de Leucon. 244 182. Stèle de Dexiléos.,.,.,.,.,.,. 245 183. Bas-relief funérail'e. Scène d'adieux. , 247 184. Fragment de vase funéraire. Scène d'adieux. 248 185. Vase funéraire de Myrrhine. 249 186. Stèle de Diphilos.,. 250 187. Stèle d'Euthydéa, fille de Diogénës. 251 188. Stèle d'Hégésô, fille de Proxénos. 251 189. Stèle d'Ameinocléia, fille d'Androménès. 252 190. Stèle d'Eutamia. 254 191. Stèle de Selinô, Nikô et Mynnakê 254 192. Bas-re[ieffunéraire,dit:La.mortdeSocrate. 255 193. Repas funèbre et scène d'offrande. 256 194. Repas funèbre et scène ù'offl'ande. 257 195. Bas-relief funéraire, dit : La barque de Charon 259 196. Stèle funéraire, dite : Le petit cavalier du Vatican.,. 260 197. Stèle de Lisas.,. 261 198. Stèle de Sosinos de Gortyne. 262
V. Praxitèle, Scopas, Lysippe.
199. Hermès de Praxitèle. 263 200. Apollon Sauroctone.,. 265 201. Torse de satyre. 270 202. Jeune satyre de Dresde 271 203. Hermès d 'Andros.,.,.,.,.,. 274 204. Colonne sculptée du temple d'Artémis à Éphèse 275 205-206. Deux fragments de la frise du Mausolée d'Halicarnasse. 279 207. Ilioneus de Munich. 285 208. Apoxyoménos de Lysippe. 286 209. Victoire de Samothrace .,.,.,..,.. 291 210. Vénus de Milo.,.,.,. 295 211. Déméter de Cnide.,.,.,.,.,. 299 212. Aphrodite de Vienne, au Louvre 302 213. Vénus d'Arles, au Louvre 304
fages.
214. Pallas de Vellétri, au Louvre 306 215. Diane de Gabies, au Louvre 308 216. MarsBorghëse (Thésée?). 309 217. Le prétendu Inopos 312 218. Sophocle du Latran .,.,.,.,. 315 219. Démosthène du Vatican 316 220. Eschine de Naples ,.,.,',. 317 221. Enfant à l'oie 319 222. Le Spinario 320 223. Frise du monument de Lysicrale (Lanterne de Diogène). 324 224. Poseidon d'Herculanum 328 225-226. Deux têtes d'athlètes olympionices 332
VI. École de Pergame.
227-231. Ex-voto d'Attale, roi de Pergame, à l'Acropole d'Athènes. 333 232. Combat de Zeus et des Géants. Fragment de la frise de la ( Gigantoniachie » du grand autel de Zeus à Pergame 338 233-234. Supplice de Marsyas ., 342 233. Le Rémouleur (Musée des Offices de Florence). 1 234. Marsyas pendu (ibid). f 342 234 bis. Marsyas pendu (Torse du musée de Berlin). ]
235. Les Lutteurs de Florence. 345
TROISIÈME PARTIE. — LA SCULPTURE GRÉCO-ROMAINE.
236. Torse du Belvédère. 347 237. Héraklès Farnèse. ", 350 238. Guerrier d'Agasias. 353 239. Vénus de Capoue.,.,.,. 355 240. Vénus du Capitote. 357 241. Vénus de Médicis 358 242. Aphrodite pudique. 361 243. Éros de Centocelle 362 244. Psyché de Capoue. 364 245. Athèna Giustiniilni.,.,. 365 246. Apollon du Belvédère. 367 247. Artémis de Versailles 370 248. Portrait d'un Romain (prétendu Germanicus)., 372 249. Vénus de l'Esquilin.,. 374 250. Apollon Citharède.,..,.,.:. 377 251. Hermès au repos d'Herculanum.,.,.,. 380 252. Satyre d'Herculanum 382 253. Faune à l'Enfant.,. 384 254. Ariane endorrnie.,.,. ,.,. ,. 387 255. Joueuse d'osselets (Musée de Berlin) 389
Pages.
256. Héraklès domptant un cerf.,. 390 257. Cariatide (villa Albani).,. 392 258. Apothéose d'Homère 393 259. Dionysos de Pompéi (prétendu Narcisse).,.,. 397 260. Silène dansant 398 261. Silène porte-lampe. 400 262. Athèna (bronze de Turin). 401 263. Portrait de poète (buste en bronze au Musée de Naples). 401 264. Zeus d'Otricoli 403 265. Buste d'Homère 404 266. Buste de Ptolémée. 405 267. Buste de Vitelllus. u 406 268. Buste de Caracalla. 406 269. Vase orné de masques. ,u. .,. 407 Sculpture archaïsante.
210. Artémis de Pompéi. 408 271. Athèna (Musée de Dresde) 410 272. Athèna (Musée de Naples). 411 273. Prétendue danseuse d'Herculanum. 413 274. Oreste et Électre 416 275. Apollon, Artémis, Léto et Niké (bas-relief choragique).,. 418 276. Apollon, Artémis et Léto (bas-relief choragique).,. 420 277. Apollon et Héraklès se disputant le trépied delphique. 421 278. Vase de Sosibios d'Athènes. 422 279. Tête de Zeus, dite Zeus Talleyrand. 424 280. Prétendu Thésée.,. 425
II. -.- LISTE ALPHABÉTIQUE DES MONUMENTS DÉCRITS.
A
Alxénor de Naxos (stèle d') ,.,.,.,.,. 63 Amazone de Polyclète,.,.,.,.,.,.,. 144 Amazone Mattei .,.,.,.,., 148 Amazones (Fragment de la Frise du Mausolée d'Halicarnasse).,.. 281 Ameinocléia (stèle d') .,. ',. 252 Aphrodite de Fréj us.,., 226 Aphrodite de Vienne.-.-"-"-" 302 Aphrodite pudique ., .,., 361 Apollon (tête archaïque en marbre).-.—.-"" 105
rages.
Apollon, Artémis Léto et Niké (bas-relief archaïsant).,. 418 Apollon, Artémis et Léto (bas-relief archaïsant).,. 420 Apollon du Belvédère.,.,.,..,.,.,. 367 Apollon de Choiseul-Gouffier .,. ",., ,. 121 Apollon Citharède. 377 Apollon Épicurios (son temple à Phigalie, en Arcadie) 213 Apollon et Héraklès se disputant le trépied delphique..,. 421 Apollon de Naxos ",,,,,,,,,,,,,,,,,,,' .,.. 45 Apollon et les Nymphes (bas-relief de Thasos)..,. 85 Apollon d'Orchomène. 30 Apollon de P iom bino ., ., , , , , .., , , - , .., , 42 Apollon Sauroctone.,.,.,..,. 265 Apollon Strangford., .,.,.,.,. 39 Apollon de Ténéa ., .,., .,.,.,.,.,.,. 33 Apollon du Théâtre de Dionysos à Athènes. 125 Apollon de Théra.,. 32 Apothéose d'Homère 393 Apoxyomenos de Lysippe.,.,.,.,.,.,.:.,..,.,..,.,.,.,.,..,.,. 286 Ariane endormie..,. -.,.,.,.,.,..,.. -",.,.,.,.,..,.,. 381 Aristion (stèle d') 61 Aristogiton (du groupe des Tyrannicides). 118 Artémis ailée.,.,.,.,.,..,.,.,.,.,.,.. 20 Artémis de Délos 25 Artémis portant des lions (Artémis orientale). 14 Artémis de Nicandra ', 16 Artémis de Pompéi 408 Artémis de Versailles. ",,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,," 310 Assemblée des dieux (frise du temple de la Victoire Aptère) .,. 209 Assos (bas-relief du temple d') 9 Athèna (fronton du temple d'Égine) ,. -",,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,' 113 Athèna archaïsante de Dresde. ,.,..,.,.., 410 Athèna archaïsante d'Herculanum 411 Athèna d'Endoios 28 Athèna Giustiniani.,.,.. "oo. ,., - 365 Athèna dite de Lenormant. 181 Athèna de Turin. 401 Athèna du Varvakeion.,. 183 Athlète (École de Myron). 135 Athlètes Olympionices (têtes d'). 332 Autel athénien avec bas- reliefs.,.,.. ,. , 127 Autel spartiate de Magoula .,.,.. 89
B
Balustrade du temple de la Victoire Aptère. 209 Barque de Charon (bas-relief funéraire) 259 Bas-relief archaïque d'Éphèse..,.,. ,.,.,.,.,.,.,,' 66
Pages.
Bas-relief d'Assos .,.,.,.,.,. 9 Bas-relief de Chrysapha 91 Bas-relief de Samothrace 10 Bas-relief de Thasos. 85 Bas-relief de Xanthos ., .,..,.,.,.,. 15 Bronze archaïque d'Olynlpie. ., .,.,.,., .,.. 19 Buste de Caracalla.,..,.,.,.,.,.,.,.,.,.,. 406 Buste d'Homère 404 Buste de Ptolémée 405 Buste de Vi tell i us , ., , , 406
C
Caracalla (buste de). 406 Cariatides de l'Érechtheion .,..,. ""0" 211 Cariatide de la villa Albani 392 Cavalier du Vatican (stèle funél'aire). 260 Charès (statue de). 1 Chœur cyclique (bas-relief) 240 Chœur de danseurs pyrrhiquistes (bas-relief) 240 Chrysapha (bas-relief de)., 91 Colonne sculptée du temple d'Artémis à Éphèse..,.,. 275 Combat de Perses et de Grecs (fragment de la frise du temple de la Victoire Aptère). 208 Course d'Apobate (bas-relief) 241
D
Danseuse d'Herculanum.,.,. 0" 413 Décret en l'honneur des fils de Leucon (bas-relief) 244 Déesse en char (bas-relief) 10 Déméter, Coré et Triptolème (bas-relief,. 235 Déméter de Cnide.,.,.,.,. 299 Démosthène du Vatican.,.,.,..,.,.,. 316 Dermys et Kitylos (groupe funéraire de Tanagra) 50 Dexiléos (stèle de).,.,.,.,.,.,..,.,. 245 Diadumène Farnèse.,.,.,.,.,.,',. 1i3 Diadumène de Vaison.,.,. 14f Diane de Gabies. 3UR Dionysos de Pompéi
Diphilos (stèle de) 2o0 Discobole (stèle du) .,. 5!J Discobole de Myron.-.-..------"" 130 Discobole du Vatican .,. .o. 22:3 Doryphore d'Argos (bas-relief) 1(1 Doryphore de Polyclète.,.,.,. 131 Doryphore (tête) 140 Doryphore (torse) 139
rages.
E Égine (temple archaïque) H3 Enfant à l'oie.,.,.,.,..,.,.,.,.. 319 Éphèse (Temple d'Artémis)",. 275 Érechtheion (frise de )'). 211 Éros de Centocelle (dit de Praxitèle) .:. 362 Eschine de Naples 317 Eutamia (stèle d') 254 Euthydéa (stèle d") .,.,.,. 251 Ex-voto d'Attale à !'Acropole d'Athènes..,.,.,. 333 Ex-voto de Nicandra à Délos ..,.,.,.,. .,. 13
F
Faune à l'Enfant 384 Fragments archaïques de Xanthos (bas-reliefs) 81 Frise du Mausolée d'Halicarnasse 279 Frise du monument choragique de Lysicrate.,. 324 Frise des Panathénées.,. 175 Frise du Temple de Phigalie .,o. ',. 213 Frise du Temple de la Victoil'e Aptèl'e. 208 Frise du Théseion 190 Fronton occidental du Parthénon. 159
Fronton occidental du Temple de Zeus à Olympie .:. 198 Fronton oriental du Parthénon 155 Fronton oriental du Temple de Zeus à Olympie. 194 Fronton du Temple d'Égine 113 Fronton du trésor des Mégariens à Olympie 95 Fronton G 95 Gargouille d'Ol ynl pie.,.,.,.,.,.. 111 Germanicus (prétendu) 372 Gigantomachie (frise du grand autel de Zeus à Pergame). 338 Gjœlbasehi (frise du monument dp). 218 Groupe funéraire de Tanagra 50 Guerrier (fronton du Temple dÉginc). 115 Guerrier archaïque 56 Guerrier d 'Agasias.,.,..,.,.,.,.,.:.,. 353
H
Harmodios (du groupe des T;)'rannicidps). H8 Harpyes (monument des) 15,76 Hégésô (stèle d') 251 Héra (tête archaïque) 100 Héra d'Agrigente.,.,.,., .,. 153 Héra Farnëse. 151
rages, Héra de Samos .,..,.,. 17 Héraklès (fronton du temple d'Égine). 114 Héraklès du Belvédère 347 Héraklès domptant un cerf. 390 Héraklès Farnèse ",. 350 Héraklès et les Kerkopes (métope de Sélinonte) ., 69 Héraklès poursuivant un centaure (bas-relief archaïque) 13 Hermès d'Andros 274 Hermès d'Hercutanum. 380 Hermès et les Kharites (bas-relief de Thaso). 85 Hermès Kriophore .,. 128 Hermès Moschophore. 52 Hermès de Praxi tèle. , , , , 263 Homère (Apothéose d') 393 Homère (buste d') .,. 404
1
Ilioneus de Munich .,.,.,.,.,., 285 Inopos (prétendu) 312
J
Joueuse d'osselets 389
L
Laconie (stèle funéraire de) 93 Lanterne de Diogène.,.,.,.,., 324 Leucon (décret en faveur des fils de). 244 Lisas (s tèle de)., , , , , , 261 Lutteurs de Florence .,.,.,. ",. 345 Lysicrate (frise du monument choragique de) 324
M
Mars Borghèse. ',.,.,.,.. 309 Marsyas et Athèna (vase de mal'lJl'e).,. 134 Marsyas de Myron. 132 Marsyas pendu. 342 Mausolée d'Halicarnasse 219 Métopes archaïques de Sélinonte. 68 Métopes du Parthénon.,.,..,.,..,.,..,.,.,. 165 Métopes du Théseion.,..,.,.,.,.,.,.,. 188 Métopes du Temple de Zeus à Olympie. 201 Monument choragique de Lysicrate 324 Monument des Harpyes.,.,.,.,. 15,76 Mort de Socrate (bas-relief funéraire). 255 Myrrhiue (vase funéraire de). 249
Pages.
N
Narcisse (prétendu) 397 Néréides (monument des).,.,.,.,.,. 216 Nicandra (ex-voto de).,.,.,.,.,.,.,. 15 Niké attachant sa sandale.,.,.,.,..,.,.,.,.,.,. 209 Niké conduisant un taureau. 210 Niké couronnant un trophée.,.,.,. 210 Niké (torse de). 211
0
Olympie (stèle archaïque d') .,,,,,,,,,,,, "",,,",.,.. 94 Olympie (gargouille archaïque d') .,.,.., 111 Olympie (Temple de Zeus à). 193 Oreste et Électre (groupe archaïsant).,. 416 Orphée et Eurydice (bas-relief) 233
P Pallas de Vellétri 306 Panathénées (frise des) 175 Parthénon. 154 Persée et Méduse (bas-relief archaïque de Sélinonte). 68 Pharsale (stèle de), ,. 73 Phigalie (Temple d'Apollon Épicurios à).,. 213 Philis (Stèle de). 74 Portrait de poète 401 Poséidon d'Herculanum 329 Proklès, Prokleidès et Archippé (bas-relief funéraire). 247 Psyché de Capoue. 364 Ptolémée (buste de). 405 Pyrrhiquistes (chœur de danseurs, bas-relief) 240
R
Rémouleur de Florence.,. ., 342 Repas funèbre? 256-257
S
Samothrace (bas-relief de) .,.,.,..,.,. ",. 10 Satyre (torse - dit de Praxitèle).,. 270 Satyre de Dresde. 273 Satyre d'Herculanum 382 Scène d'adieux (bas-relief funéraire). 247 Scène d'adieux (fragment de vase funéraire). 248 Sélinonte (Temple archaïque de). 68 Silène dansant 398 Silène porte-lampe.,.,.,.,.,.,.,.,.,.,..,..,.,.,.,. 400
Pages.
Sophocle du Latran. 315 Sphinx de Spata. 55 Spinario.,.,..,.,.",.,.,.,.,.,.,..,. 320 Statue archaïque du Musée Dritallnique. 38 Stèle d'AIxénor de Naxos 63 Stèle d'Ameinocleia.,.,.,.,.,.,.,.,. 252 Stèle funéraire archaïque attique. 72 Stèle funéraire d 'Aristion.,., .,.,. 61 Stèle de Dexiléos 245 Stèle de Di ph il 0 s. , , ., , , , , , , , , , , , , , , , , 250 Stèle du Discobole.,. 59 Stèle d'Eutamia 254 Stèle d'Euthydeia 251 Stèle funéraire de Laconie.,.,. 93 Stèle funéraire du Musée de Naple. 65 Stèle funéraire de Sparte.,.,.,.,.,.. 94 Stèle d'Hégésô., ., .,.,., .,., ,., ., ., 251 Stèle de Lisas. 261 Stèle d'Olympie 94 Stèle d e Ph a r s al e. , , , , , , , , , , , , 73 Stèle de Philis 14 Stèle de Sélinô, Nikô, Minnaké. 254 Stèle de Sosinos de Gortyne.,.,.,.,.,. 262 Supplice de Marsyas. 342
T Temple d'Apollon Épicurios à Phigalie. 213 Temple d'Artémis à Ephèse.,. 275 Temple de la Victoire Aptère. 207 Temple de Zeus à Olympie. 193 Tête virile archaïque 98 Tête archaïque de Milo. 99 Tête archaïque de femme 101 Tête féminine d'Éphèse,. 102 Tête virile archaïque de Délos. 103 Tête archaïque d'Apollon 105 Tête archaïque en bronze 106 Tête de Zeus (bronze) 108 Tête de Zeus (terre-cuite) 109 Tête archaïque des Propylées.,., .,. 110 Tête en marbre, de Cyrène.:. ,' 127 Tête de Doryphore. 140 Tètes d'Athlètes olympionices 332 Thasos (bas-reliefs d'un autel à). 85 Thésée (prétendu) du Capitole. 425 Théseion 188 Torsede)'Acropo!e. 27
Pages.
Torses archaïques d 'Actiu m 36 Torse du Belvédère. 247 Torse de Doryphore 139 Torse d'enfant. 47 Torse et tête d'enfant. 48 Torse de Niké 211 Torse de Satyre (Satyre de Praxitèle). 270 Traité d'alliance entre Athènes et Corcyre. 243 Traité d'alliance entre Athènes et Kios. 244 Trésor des Mégariens à Olympie (fronton archaïque). 195 Trière attique (bas-relief) 242 Tyrannicides (groupedes). 118
V
Vase de marbre (Marsyas et Athèna). 134 Vase orné de masques. 407 Vase de Sosibios d'Athènes. 422 Vénus d'Arles. 304 Vénus du Capitole. 357 Vénus de Capoue. 355 Vénus de l'Esquilin. 374 Vénus de Médicis ,,,,,,,,,,,,,,,," 358 Vénus de Milo. "," 295 Victoire Aptère (Temple de la). 207 Victoire de Laborde (tête) ; 232 Victoire de Pseonios. 229 Victoire de Samothrace. 291 Vitellius (buste de).:. 406
X
Xanthos (bas-reliefs d'un tombeau).,. 15 Xanthos (fragments archaïques de). 81
Z
Zeus archaïque d'Olympie 58 Zeus, tête - archaïque en bron ze. 108 Zeus, tête archaïque, terre cuite. 109 Zeus (son temple à Olynipie) 193 Zeus Blacas 186 Zeus d'OtricoU. 403 Zeus Talleyrand. 424
III. - DISTRIBUTION DES MONUMENTS ENTRE LES DIVERSES COLLECTIONS D'EUROPE.
Bibliothèque nationale, à Paris. — Tête de victoire, no 172.
Cimetière du Dipylon, à Athènes. — Stèle de Dexiléos, n° 182. — Stèle d'Hégésô, 188.
Monument de Lysicrate. — Frise, no 213.
Musées : ARGOS. Bas-relief représentant un Doryphore, no 77.
ATHÈNES.
Acropole. Petit torse, no 12. — Athèna d'Endoios, 13. — Déesse en char, 37. —
Tête archaïque des Propylées, 60. — Bas-reliefs de la balustrade du temple de la Victoire Aptère, 152, 153, 154, 555. — Chœur cyclique, 175. — Chœur de Pyrrhiquistes, 176. — Char d'Apobate, 177. — Trière attique, 178.
Musée National. — Ex-voto de Nicandra, no 7. — Artémis ailée de Délos, 10. —
Artémis de Délos, 11. — Apollon d'Orchomène, 14. - Apollon de Thèra, 15. —
Torse archaïque et pied d'enfant, 23. —Tête et torse d'enfant, 24. - Hermès Moscophore, 26. - Sphinx de Spata, 27. - Stèle du Discobole, 30. - Stèle d'Aristion, 31. — Stèle d'Alxénor de Naxos, 32. —Fragment de stèle funéraire attique, 38. —
Tête archaïque de Milo, 51. — Apollon du théâtre de Dionysos, 67. — Autel athénien, 69. - Vase de marbre (Marsyas et Athèna), 12. -AthènaLenormant, 137. —
Athèna du Varvakeion, 138. — Bas-relief d'Éleusis (Déméter, Coré, Triptolème), 174. —Alliance entre Athènes et Corcyre, 179. - Alliance entre Athènes et Kios, 180. — Décret en l'honneur des fils de Leucon, 181. — Scène d'adieux, 183. —
Fragment d'urne funéraire (adieux), 184. — Stèle de Diphilos, 186. — Stèle d'Ameinocleia, 189. - Stèle d'Eutamia, 190. — Stèle de Sélinô, Nikô etMinnaké, 191.— La mort de Socrate, 192. — Repas funéraire, 193. — Repas funéraire, 194. — La barque de Charon, 195. — Stèle de Lisas, 197. — Hermès d'Andros, 203.
BERLIN. Apollon de Naxos, no 22. — Bas-relief de Chrysapha, 45. — Tête archaïque de bronze, 57. — Torse de Doryphore, 75. — Amazone de Polyclète, 80. — Combat
de Zeus et des Géants (grand autel de Pergame), 232. — Marsyas pendu, 234 bis.
— Joueuse d'osselets, 255.
DÉLOS (Myconos). Tête archaïque de femme, no 53. - Tête virile archaïque, 55.
DHESDE. Jeune Satyre, no 202. — Athèna archaïsante, 271.
FLORENCE (Offices). Le Rémouleur, no 233. — Marsyas pendu, 234. — Groupe des Lutteurs, 235. — Vénus de Médicis, 241.
LONDRES (Musée Britannique). Statue de Charès, n° 1. — Bas-relief d'un tombeau de Xanthos, 5 et 6. - Apollon archaïque, 19. — Apollon Strangford, 20. - Bas-relief archaïque d'Éphèse, 34. — Monument desHarpyes, 41. - Fragments archaïques de Xanthos, 42. - Tête virile archaïque, 50. - Tête féminine d'Éphèse, 54. —Tête d'Apollon (marbre), 56. -Apollon de Choiseul-Gouffier, 66. - Tête en marbre de Cyrène, 68. — Diadumène de Vaison, 78. — Diadumène Farnèse, 19. — Héra d'Agrigente, 83. — Figures du fronton oriental du Parthénon, 84-92. - Figures
du fronton occidental du Parthénon, 93-96. —Métopes du Parthénon, 97,98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 106, 107, 108, 109, 110,11-1, 112. - Fragm ents de la frise des Panathénées, 114,136. — Zeus Blacas, 139. -Cariatides de l'Érecthéion, 156, 157. — Frise du temple d'Apollon à Phigalie, 158-164. — Monument des Néréides, 165-167. — Colonne sculptée du temple d'Éphèse, 204. - Frise du Mausolée, 205206. — Déméter de Cnide, 211. — Apothéose d'Homère, 25S.
MUNICH. Apollon de Ténéa, no 16. — Statues des frontons d'Égine, 62, 63, 64. —
Athlète, 73. — Ilioneus, 207. — L'enfant à l'oie, 221. — Aphrodite pudique, 242.
NÀPLES. Stèle funéraire, no 33. — Les Tyrannicides, 65. — Doryphore de Polyclète, 74. — Tête de Doryphore (bronze), 76. — Héra Farnèse, 82. — Eschine, 220. —
Poseidon d'Herculanum, 224. — Galate blessé, 227. - Perse blessé, 229. — Amazone morte, 231. - Héraklès Farnèse, 237. — Vénus de Capoue, 239. — Psyché de Capoue, 244. - Hermès au repos d'Herculanum, 251. — Satyre d'Herculanum, 252. — Dionysos (Narcisse) de Pompéi, 2o9. - Silètie dansant de Pompéi, 260. —
Silène porte-lampe de Pompéi, 261. — Portrait de poète, 263. —Artémis archaïsante de Pompéi, 210. - Athèna archaïsante, 272. - Danseuse, 273. — Oreste et Électre, 274.
OLYMPIE. Bas-relief de style oriental, no 4. — Statuette de bronze, 9. — Guerrier (petit bronze), 28. — Zeus (petit bronze), 29. - Stèle d'Héraklès archer, 48. —
Fronton du Trésor des Mégariens, 49. — Tête archaïque d'Héra, 52. — Zeus, tête en bronze, 58. — Tête de Zeus en terre-cuite, 59.— Gargouille archaïque, 61.
— Frontons du temple de Zeus, 144, 145. — Métopes du temple de Zeus, 146, 148. - Victoire de Pseonios, 171. — Hermès de Praxitèle, 199. — Tètes d'athlètes, 225, 226.
PALERME. Métopes archaïques de Sélinonte, nos 35, 36. — Iléraklès domptant un cerf, 256.
PARIS (Louvre). Bas-relief d'Assos, n° 2. — Bas-relief de Samothrace, 3. — Héra de Samos, 8. — Torses archaïques d'Actium, 17, 18. — Apollon de Piombino, 21.
— Stèle de Pharsale, 39. — Stèle de Philis, 40. — Bas-relief de Thasos, 43. —
Métopes du Parthénon, 105. — Métopes du temple de Zeus à Olympie, 147, 149.
- Aphrodite de Fréjus, 170. — Vase funéraire de Myrrhine, 185. — Stèle d'Euthydéa, 187. — Stèle de Sosinos de Gortyne, 198. — Apollon Sauroctone, 200.
— Torse de Satyre, 201. — Victoire de Samothrace, 209. — Vénus de Milo, 210.
- Aphrodite devienne, 212. — Vénus d'Arles, 213. — Pallas de Vellétri, 214. —
Diane de Gabies, 215. — Mars Borghèse, 216. — Inopos, 217. — Guerrier d'Agasias, 238. — Artémis de Versailles, 247. — Prétendu Germanicus, 248. — Faune à l'enfant, 253. — Zeus d'Otricoli, 264. — Buste d'Homère, 265. — Buste de Ptolémée, 266. — Buste de Vitellius, 267. — Buste de Caracalla, 268. — Vase orné de masques, 269. — Apollon, Artémis, Léto et Niké, bas-relief archaïsant, 275.
— Apollon, Artémis et Léto, 216. - Apollon eL Héraklès se disputant le trépied, 277. — Vase de Sosibios, 278. — Tête de Zeus Talleyrand, 279.
ROME.
Musée du Capilole. Vénus du Capitole, no 240. — Vénus de l'Esquilin, 249. —
Musée des Conservateurs au Capitole. Le Spinario, n" 222. — Prétendu Thésée, 280.
Musée du Latmn. Marsyas de Myron, no 71. — Sophocle, 218.
Musée du Vatican. Discobole de Myron, no 70. — Amazone Mattei, 81. — Discobole, 169. — Le petit cavalier, 196. — Apoxyoménos de Lysippe, 208. -Démosthène, 219. — Galate agenouillé, 230. — Torse du Belvédère, 236. — Éros de Centocelle, 243. — Athèna Giustiniani, 245. — Apollon du Belvédère, 246. Apollon Citharède, 250. — Ariane endormie, 254.
Villa Albani. — Orphée et Eurydice (bas-relief), 173. — Cariatide, 257.
SPARTE. Stèles funéraires, nop 46, 47. — Autel de Magoula, 44.
TANAGRA. Groupe de Dermys et Kitylos, n° 25.
TURIN. Athèna, statuette de bronze, no 262.
VENISE. Gaulois blessé, no 228.
VIENNE. Frise du monument de Gjœlbaschi, n° 168.
Temples : PARTHÉNON. Métope, no 113.
THÉSEION. Métopes, 140, 141. — Frises, 142, 143.
LA VICrOIRE APTÈRE. Frise, nos 150, 151.
IV. - PART DE CHAQUE COLLABORATEUR DANS LA RÉDACTION DES NOTICES.
MM.
AUDOIN. Le prétendu Inopos, no 217. — Sophocle du Latran, 218. — Démosthène du Vatican, 219. — Les Lutteurs de Florence, 235. — Guerriers d'Agasias, 238. —
1 Satyre d'Herculanum, 252.
BAUD. Apollon de Théra, no 15. — Tête archaïque d'Héra, 52.
BONDON. Orphée et Eurydice, bas-relief, no 173. — Torse de Satyre, 201. — Victoire de Samothrace, 209. — Ex-voto d'Attale à l'Acropole, 227, 231. — Apollon Citharède, 250. — Buste de poète, 263.
BOSMORIN. Bas-relief de Samothrace, n° 3. — Athèna d'Endoios, 13. — Apollon d'Orchomène, 14. -¡ Apollon de Ténéa, 16. — Stèle de Philis, 40.
BRUGEAS. Apollon archaïque, no 19. — Apollon de Piombino, 21. — Hermès Moscophore, 26. — Stèle de Pharsale, 39. — Tête de Zeus (bronze), 58. — Tête de Zeus (terre-cuite), 59. — Les métopes du Parthénon, 97-113.
DE CLERCQ. Monument des Harpyes, n° 41.
CLOLOGE. Bas-relief archaïque d'Éphèse, no 34. — Victoire de Pæonios, 171.
DANSAC. Héra Farnèse, no 82. — Monument de Gjælbaschi, 168.
DELAGARDE. Vénus de Capoue, no 239. — Vénus du Capitole, 240. — Hermès au repos d'Herculanum, 251. — Silène dansant de Pompéi, 260.
DELAGE. Stèle du Discobole, no 30. — Métopes de Sélinonte, 35, 36.
Ducos DE LAHAILLE. Fronton occidental du temple de Zeus à Olympie, no 145. — Le Spinario, 222.
GASTON. Discobole du Vatican, no 169. — Bas-relief d'Éleusis, 174. - Apollon Sauroctone, 200.
GAULLIEUR. Stèle funéraire de Naples, no 33.
LAMBINET. Petit torse de l'Acropole, no 12. — Stèle funéraire attique, 38. — Fronton occidental du Parthénon, 93-96. — Les métopes du temple de Zeus à Olympie, 146-149.
LARRlBAu. Mars Borghèse, no 216. — Éros de Centocelle, 243.
LESPINE. Bas-relief de style oriental, no 4. — Groupe de Dermys et Kitylos, 25. — Zeus (figurine de bronze) d'Olympie, 29. — Stèle d'Aristion, 31. — Autel de Magoula, 44. — Stèle d'Olympie, 48. — Tête d'Éphèse, 54.
MILAA. Bronze d'Olympie, no 9. — Torses d'Actium, 17, 18. — Apollon de Naxos, 22.
— Guerrier d'Olympie (petit bronze), 28. — Tête d'Apollon, 56. — Tête archaïque de bronze, 57. — Amazone de Polyclète, 80. — Amazone Mattei, 81. — Fronton oriental du temple de Zeus à Olympie, 144.
MILLET. Traité entre Athènes et Corcyre, no 179. — Traité entre Athènes et Kios, 180.
— Décret en l'honneur des fils de Leucon, 181. — Eschine de Naples, 220. — Vénus de l'Esquilin, 249.
MONTAIGUE. Apollon de Choiseul-Gouffier, no 66. — Apollon du théâtre de Dionysos, 67. — Tête trouvée à Cyrène, 68.
P. P(ARIS). Statue de Charès, no 1. — Ex-voto de Nicandra, 7. — Héra de Samos, 8.
— Stèle d'Alxénor de Naxos, 32. — La Déesse en char, 37. — Fragments de Xanthos, 42. — Fronton du trésor des Mégariens à Olympie, 49. — Tête virile archaïque, 50. — Tête archaïque des Propylées, 60. — Gargouille d'Olympie, 61. —
Discobole, 70. — Doryphore d'Argos (bas-relief), 77. — Héra d'Agrigente, 83. —
Fronton oriental du Parthénon, 84-92. — Frise du temple de Phigalie, 158-164.
— Aphrodite de Fréjus, 170. — Victoire de Laborde, 172. — Chœur cyclique, 175.
— Chœur de Pyrrhiquistes, 176. — Char d'Apobate, 177. — Trière attique, 178. —
Bas-reliefs funéraires. Scènes d'adieux, 183,184. — Vase de Myrrhine, 185. — Stèle de Diphilos, 186. — Stèle d'Euthydéa, 187. — Stèle d'Hégésô, 188. — Stèle d'Ameinocleia, 189. — Stèle d'Eutamia, 190. — Stèle de Sélinô, Nikô et Minnaké, 191. —
La mort de Socrate, 192. — Repas funèbres, 193, 194. — La barque de Charon, 195. — Le petit cavalier du Vatican, 196. — Stèle de Lisas, 197. — Stèle de Sosinos de Gortyne, 198. — Satyre de Dresde, 202. — Hermès d'Andros, 203. — Colonne sculptée d'Éphèse, 204. — Frise du Mausolée, 205, 206. — Ilioneus de Munich, 207.
— Apoxyoménos de Lysippe, 208. - Déméter de Cnide, 211. - Aphrodite de Vienne au Louvre, 212. - Vénus d'Arles, 213. - Pallas de VelLétri, 214. - Diane de Gabies, 215. — Enfant à l'oie, 221. — Frise du monument de Lysicrate, 223. — Torse du Belvédère, 236. — Héraklès Farnèse, 237. — Vénus de Médicis, 241. — Aphrodite pudique de Munich, 242. — Athèna Giustiniani, 245. — Artémis de Versailles, 247.
Faune à l'enfant, 253. — Ariane endormie, 254. — Joueuse d'osselets, 255. — Héraklès dompteur de cerf, 256. — Cariatide de la villa Albani, 257. — Apothéose d'Homère, 258. — Narcisse de Pompéi (prétendu), 259. — Athèna de Turin (bronze), 262. — Buste d'Homère, 265. — Buste de Ptolémée, 266. — Buste de Vitellius, 267.
— Buste de Caracalla, 268. — Vase aux masques, 269. — Artémis de Pompéi, 270.
— Athèna de Dresde, 271. — Oreste et Électre, groupe de Naples, 274. — Basreliefs choragiques, 275, 216. — Vase de Sosibios, 278. — Zeus Talleyrand, 279. —
Prétendu Thésée, 280.
POMMERET. Apollon Strangford, no 20.
RANDÉ. Bas-relief d'Assos, no 2.
ROQUES. Bas-relief de Thasos, no 43. — Les Tyrannicides, 65. — Marsyas, 71. — Vase de marbre, représentant Marsyas, 72. — Doryphore de Polyclète, 74. — Torse de Doryphore, 75. — Tête de Doryphore, 76. — Frise des Panathénées au Parthénon, 114-136. — Sculptures du Théseion, 140 143. — Monument des Néréides, 165-167.
— Stèle de Déxiléos, 182. — Hermès de Praxitèle, 199. — Combat de Zeus et des Géants (autel de Pergame), 232. — Alhèna de Naples, 272. — Apollon et Héraklès se disputant le trépied, 277. — Rédaction de l'Index.
SALGUES. Poséidon d'Herculanum, no 224. — Têtes d'Olympionices, 225, 226. — Le Rémouleur de Florence, 233. — Marsyas pendu de Florence, 234. — Marsyas pendu, torse de Berlin, 234 bis. — Psyché de Capoue, 244. — Silène porte-lampe de Pompéi, 261.
SAUVIER. Artémis ailée, n° 10. — Artémis de Délos, 11. — Torse archaïque et pied d'enfant, 23. — Tête et torse d'enfant, 24. — Sphinx de Spata, 27. — Bas-relief de Chrysapha, 45. — Stèles funéraires laconiennes, 46, 47. — Tête archaïque de femme, 53. — Tête archaïque de Délos, 55.
SEGRESTAA. Tête archaïque de Milo, 51. — Diadumène de Vaison, 78.
SIMON. Statues des frontons d'Égine, nos 62, 63, 64. — Athlète, 73. — Athèna Lenormant, 137. — Athèna du Varvakeion, 138.
SOULIER. — Autel athénien, no 69. — Diadumène Farnèse, 79. — Zeus Blacas, 139. —
Sculptures du temple de la Victoire Aptère, 150-155. — Cariatides de l'Érectheion, 156, 157. — Zeus d'Otricoli, 264.
DE SUAREZ. Vénus de Milo, no 210. — Apollon du Belvédère, 246. — Portrait d'un Romain (prétendu Germanicus), 248.
G. naVrEs.
UNIVERSITÉ DE FRANCE
FACULTÉ DES LETTRES DE BORDEAUX
MUSEE ARCHÉOLOGIQUE
CATALOGUE méthodique;
DES MOULAGES DES ŒUVRES DE SCULPTURE GRECQUE
RÉDIGÉ PAR UN GROUPE D'ÉTUDIANTS
sous la direction de
Pierre PARIS MAÎTRE DE CONFÉRENCES D'AHCIIÉOLOGIE ET DESTITUTIONS GRECQUES
Deuxième Fascicule.
BORDEAUX IMPRIMERIE Ve CADORET 17 — rue Montméjan — 11
1890
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FACULTE - DES - LETTRES DE BORDEAUX
MUSÉE: - ARCHÉOLOGIQUE
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DES MOULAGES - DES ŒUVRES DE - SCÚLPTURE GRECQUE RÉDIGÉ l'AR UN GROUPE" MJ'ÉTU D'I À N T S
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