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Notice complète:

Titre : S. Baudile et son culte / par l'abbé Azaïs,...

Auteur : Azaïs, Pierre (1812-1889). Auteur du texte

Éditeur : (Nîmes)

Date d'édition : 1872

Sujet : Baudile (02.. ?-02.. ? ; saint)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30043195q

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (X-213 p.) ; in-18

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Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6377949c

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LN27-26373

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 10/12/2012

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SON CULTE

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NIMES IMPRIMERIE LAFARE ET Ve ATTENOUX PLACE DE LA COURONNE

1872



r_. \,¡.v ,,- :'-- ONSEIGNEUR iN:i PLANTIER .rliJ,;\QUE DE NIMES

MONSEIGNEUR ,

Un prêtre vénéré, dont la mémoire reste entourée d'une auréole de [sainteté et de charité, M. l'abbé Mathon, après avoir consacré douze années du plus fructueux ministère à raviver au sein de sa paroisse le culte de S. Baudile, voulut offrir à ses ouailles l'histoire du saint martyr. L'infatigable pasteur avait en quelque sorte écrit cette vie, par son zèle et ses travaux, au cœur de ses paroissiens : il voulut l'écrire, vers la fin de ses jours, sur un monument plus durable, et il présenta à son ancien troupeau l'histoire du martyre de S. Baudile comme le

*


testament de sa sollicitude pastorale. Pour donner à'son céuvre une sorte de consécration, il la dédia au vénérable évêque que l'Eglise de Nimes avait alors à sa tête.

Mgr de Chaffoy remercia M. l'abbé Mathon du précieux travail qu'il avait entrepris pour faire connaître le saint patron de Nimes.

Grâce à cet éminent patronage, l'histoire de S. Baudile continua dans les âmes l'œuvre d'édification qu'avait commencée la pieuse administration du pasteur, et le culte du saint martyr redevint populaire.

Voilà, Monseigneur, le modèle que je me suis efforcé de suivre en publiant une nouvelle histoire de S. Baudile. J'ai entrepris ce travail à la voix d'un pasteur bien-aimé, M. l'abbé Guiméty, curé de Saint-Charles, à qui l'honneur de l'apôtre de Nimes est cher et qui-vient de restaurer l'oratoire des Trois-Fontaines. J'ai pu recueillir quelques nouveaux documents et ajouter quelques


faits de plus à ceux qu'a racontés le pieux biographe de S. Baudile. Cette nouvelle étude, malgré ses imperfections, pourra offrir quelque intérêt aux catholiques de Nimes, si vous daignez me permettre de la faire paraître sous vos auspices.

L'hommage de ce travail vous appartient, Monseigneur, à plus d'un titre. Destinées à raconter l'apostolat d'un martyr dont le sang a fondé l'Eglise de Nimes, ces pages sollicitent d'une manière toute spéciale la bénédiction de Féminent et bien-aimé évêque qui gouverne cette Eglise. Elles racontent l'histoire de l'établissement, des progrès et des vicissitudes, dans notre cité, de cette foi catholique que vous défendez tous les jours de votre plume courageuse et de votre parole éloquente, et, à ce titre, elles appellent sur elles votre bienveillant patronage.

Je tiens à y imprimer, comme une marque d'honneur , avec tout mon dévouement pour l'Eglise, le rceaii de mon profond attachement


et de ma tendre vénération pour celui qui représente, à la tête de la famille sacerdotale, l'autorité religieuse, la science, la bonté paternelle, le courage et l'éloquence.

J'aime à me rappeler, Monseigneur, le. saint enthousiasme que vous fîtes éclater dans l'admirable Lettre pastorale que vous publiâtes, en 1867, sur la découverte du tombeau de S.

Gilles. C'était un écho saisissant des accents de foi de S. Ambroise, saluant avec transport l'invention des reliques de S. Gervais et de S.

Protais. La cité de Saint-Gilles répondit à ," votre généreux appel, et la vieille basilique retrouva les pompes triomphales de ses anciens jours.

Or, Nimes avait aussi autrefois un tombeau célèbre, celui de S. Baudile. Les pèlerins venaient en foule le vénérer, et les feuilles du laurier miraculeux qui l'ombrageaient, allaient jusqu'au fond de l'Orient, raconte S. Gré-


goire de Tours, opérer des merveilles. Or, qu'est devenu ce tombeau ? Où sont les saintes reliques qu'il renfermait et qui, pendant plusieurs siècles, ont été comme le palladium de la cité niinoise ? A-t-il été détruit, pendant nos funestes guerres de religion? A-t-il été caché, par la piété des fidèles, dans quelque abri tutélaire?

Noue l'ignorons, et depuis trois siècles l'incertitude plane sur la destinée de ce dépôt sacré.

Or, ne nous est-il pas permis d'espérer qu'il vien.

dra un jour où le ciel nous le rendra ? Ah ! Monseigneur , si y nouvel Ambroise, vous sentiez votre âme d'évêque envahie par l'ardeur d'un présage prophétique : veluti cujusdam ardor prœsagii si des fouilles heureuses pouvaient arracher son secret à la Valsainte et reprendre à la terre le trésor mystérieux qu'elle garde ! si elles venaient ajouter, à la découverte du tombeau de S. Gilles, l'invention des reliques de S. Baudile, quelle joie pour l'Eglise de Nimes !


C'est la nouvelle gloire que je souhaite à votre épiscopat, comme le digne couronnement de toutes vos saintes œuvres et de tous vos tra-

vaux.

Daignez agréer, Monseigneur, a,-,ec cet humble hommage, l'expression sincère des sentiments de respect, de dévoûment et d'affection filiale avec lesquels * J'ai l'honneur d'être, de Votre Grandeur, Lo très humble serviteur et fils, L'abbé AZAIS, chanoine honoraire, aumônier du Lycée.


ÉVÊCHÉ DE NIMES.

Nimes, le 22 novembre 1871.

J'accepte volontiers, très cher abbé, la dédicace de votre travail sur S. Baudile. En ce temps où le rationalisme des gouvernements, des politiques et des lettrés a tant abaissé les âmes, il est bon de les relever par les grands souvenirs de ces hommes héroïques qui furent les apôtres de nos contrées et les fondateurs de nos églises.

Comme vous, je fais des vœux pour que le tombeau de celui dont vous retracez la vie nous soit enfin rendu. Puisse ce désir être exaucé par le Dieu qui se plaît à glorifier les ossements et le sépulcre de ses saints !

Si à l'étude que vous publiez aujourd'hui vous pouvez ajouter plus tard des recherches sur S. Saturnin, et démontrer qu'il fut, comme je le crois, notre premier évêque, je vous en serais bien reconnaissant.

Tout à vous en N. S.

F HENRI, évêque de Nimes,



UDILE ,\\,. - rJ 1 ,- /.;., le l } ETf Spftt CULTE 1

1

Il y a un pieux intérêt à remonter au berceau de la foi dans notre cité et à suivre les traces des premiers ouvriers apostoliques qui ont évangélisé notre contrée. L'archéologie étudie avec amour nos anciens monuments et recueille avec un soin religieux tous les vestiges de la domination romaine dans notre ville. Or, un sentiment d'un ordre plus élevé s'attache à l'étude de nos origines chrétiennes. Nous voyons passer devant nous les saintes figures de nos premiers apôtres, de nos généreux martyrs. Ce sont nos pieux ancêtres , nos pères dans la foi, et ils ont droit au culte de notre piété filiale.


L'Eglise de Nimes a conservé, avec une reconnaissance que les siècles n'ont pas affaiblie, les souvenirs de S. Baudile : elle le salue comme un de ses martyrs ; elle montre le lieu qui fut consacré par l'effusion de son sang, et jusque vers la fin du XVIe siècle, son tombeau a reçu les hommages d'une vénération profonde.

Ce sont ces précieux souvenirs que nous voulons faire revivre dans cette notice. Un saint prêtre, dont la mémoire n'est pas oubliée à Nimes, le chanoine Mathon, ancien curé de la paroisse Saint-Baudile, a

publié, en 1837, une intéressante monographie de S. Baudile. Ce travail, fruit de patientes recherches, écrit avec un grand esprit de foi, nous fait connaître le martyre du Saint et son culte à travers les siècles.

C'est un recueil de documents pieux, en même temps qu'un récit édifiant, bien propre à inspirer la piété, et nous n'hésiterons pas à y faire plus d'un emprunt.

Parmi les documents anciens qui établis-


sent le martyre de S. Baudile, nous devons signaler d'abord un manuscrit que notre savant historien Ménard a publié dans son Histoire de la ville de Nimes (1), et qu'il fait remonter au VIle siècle. L'auteur de ce document affirme qu'il n'a écrit que sur le témoignage des prêtres et des religieux : Per servos Dei et venerabiles sacerdotes. Pouvons-nous exiger un témoignage plus éclairé et plus digne de foi ?

Le deuxième document se trouve dans la grande collection des Actes des Saints., par les Bollandistes (2). Ce n'est qu'une amplification du premier, et nous y rencontrons les principaux détails et parfois même les expressions du manuscrit publié par Ménard.

Un troisième document, c'est la version d'Orléans sur le martyre du Saint. Postérieur aux deux premiers, il a été combattu

(1) Ménard, Histoire de Nimes, tom. 1. — Preuves.

(2) Acta SS., 20 mai.


par Ménard et par l'auteur de Y Histoire de VEglise de Nimes, M. Germain, comme ne présentant point tous les caractères d'une véritable authenticité. Tout en rendant justice au rare mérite de ces deux éminents historiens, nous ne nous associerons point à toutes les sévérités de leur critique., et nous essaierons de concilier, dans ses parties principales, cette version avec les deux premières.

Le père de l'Histoire de France, S. Grégoire de Tours, dans son livre de la Gloire des martyrs (1), raconte que le Seigneur se plaisait à faire éclater sa puissance sur le tombeau de S. Baudile, et il rapporte plusieurs miracles qui s'y opéraient de son temps.

Le savant historien de Nimes, Ménard, qui raconte l'histoire religieuse de la cité avec non moins de soin que son histoire civile et politique a consacré à notre Saint des

(1) De glorià martyrum. Cap. LXXVIII.


pages pleines d'intérêt, qui s'appuient sur des documents authentiques ; et c'est à cette source féconde qu'il faut recourir pour suivre, à travers les siècles, l'histoire du monastère de Saint-Baudile.

De nos jours, un savant antiquaire, dont le nom est resè f cher à la ville de Nimes, M. Auguste Pelet, a composé sur S. Baudile une intéressante notice, qui a été comme son testament de membre de l'Académie du Gard (1). « L'humble vallon de SaintBaudila, dit-il, ce petit coin de terre natale,

a toujours eu le privilège d'attirer au plus haut degré notre attention. »

« La légende de S. Baudile, continue-til, est liée trop intimement à notre histoire locale pour que je ne saisisse pas l'occasion de la rappeler ici sommairement. Je serai aussi exact que possible ; je n'en parlerai qu'avec le respect qui est dû à un antique et pieux souvenir. »

(t) Mémoires de l'Académie du Gard. Novembre 1863.


( Le tombeau du Saint est l'anneau merveilleux qui nous attache aux premiers disciples du Chrisft; c'est sa mort glorieuse qui a inauguré le christianisme dans .nos contrées méridionales. Nous sommes tous, sans exception, les héritiers de son martyre. »

J'aime à citer ces belles paroles qui honorent la mémoire de M. Pelet. Cet infatigable antiquaire, qui avait remué toutes les pierres antiques de notre cité pour y lire l'histoire de la ville romaine, s'était arrêté avec respect devant les ruines de nos anciens monuments chrétiens, et il les avait saluées comme les muets témoins de notre foi.

Je ne saurais oublier les travaux et les recherches d'un prêtre laborieux et zélé, qui a consacré vingt-huit ans de sa vie à interroger les traditions de plus de quatre cents Eglises de France, d'Espagne et de Portugal, placées sous le vocable deSaintBaudile. Il a bien voulu me communiquer


le fruit de ses longues- recherches ; c'est à lui que je dois de connaître les nombreux sanctuaires qui portent le nom du saint martyr et d'avoir pu suivre jusqu'aux, régions les plus éloignées l'itinéraire de ses reliques et les traces de son culte. Que M.

l'abbé Lereuil, ancien curé de l'église SaintBaudile de Plombières-lez-Dijon, dans la Côte-d'Or, pèlerin de Saint-Baudile à Nimes, infatigable investigateur de tout ce qui se rattache au culte de notre Saint, veuille bien recevoir ici l'expression de ma recon- naissance pour le précieux concours qu'il apporte à une œuvre qui devient ainsi la sienne. Dans ces derniers temps, le culte de S.

Baudile semble s'être ravivé dans notre cité.

On a vu tout d'un coup notre population s'ébranler au souvenir du saint martyr., et - les fidèles se presser lésion g du sentier, depuis longtemps solitaire, qui conduit au lieu de son supplice. Le clergé s'est associé à ce réveil de la dévotion populaire pour S. Bau-


dile. M. l'abbé G-uiméty, curé de SaintCharles, dont le nom se retrouve dans toutes les bonnes œuvres , a pieusement restauré, avec le concours de quelques familles chrétiennes, l'ancien oratoire des Trois-Fontaines. Le sanctuaire primitif a été agrandi; des embellissements , faits d'une manière intelligente, ont répandu un peu de verdure et de vie sur ces rochers arides, et bientôt une large promenade, courant sur la cime des collines et reliant le Mont-Duplan à la TourMagne, rendra plus facile l'accès de ce pèlerinage devenu cher à la piété nimoise.

Ce travail de restauration en appelle un autre qui doit lui servir de couronnement.

Non loin de l'oratoire des Trois-Fontaines, on voit, au fond de la vallée, les ruines de l'ancien monastère de Saint-Baudile. C'est là qu'a reposé si longtemps et que repose peut-être encore son corps. Là existait ce pèlerinage célèbre, si cher à la foi de nos pères et visité par tant de générations de fidèles. Or, ne verrons-nous pas se relever


l'antique sanctuaire qui gardait la dépouille du saint martyr, et les pèlerins ne reprendront-ils pas le chemin oublié du célèbre tombeau?. C'est le vœu des catholiques deNimes ; c'estaussi, nous le savons, le vœu bien ardent du curé de la paroisse de SaintBaudile, et notre amitié ne saurait souhaiter à son zèle une plus noble tâche et un plus beau succès. En écrivant cette monographie, nous venons apporter notre humble pierre à ce premier monument.

Nous offrons "ces pages aux pieux restaurateurs du pèlerinage des Trois-Fontaines, comme un témoignage de notre reconnaissance, et nous les déposons aux pieds de l'autel de S. Baudile comme l'ex-voto de notre profonde vénération pour sa mémoire, et qu'il nous soit permis d'ajouter, comme l'espérance que son tombeau recouvrera son ancienne gloire.


II

La cité de Nimes a dû recevoir, dès le premier siècle, en même temps que les principales villes des Gaules, la bonne nouvelle de l'Evangile. Les premiers ouvriers apostoliques qui sillonnèrent la Gaule Narbonnaise firent une halte dans nos murs et prêchèrent le Dieu du Calvaire en face des temples des idoles. L'opinion qui, sur un texte fautif de S. Grégoire de Tours, fixait au règne de Dèce la mission de nos premiérs apôtres, après avoir prévalu en France pendant ces derniers temps, s'est enfin évanouie devant les travaux plus consciencieux de la critique moderne. La vérité est maintenant connue sur nos origines chrétiennes, et la tradition véritable, qui fait remonter au premier siècle la prédication de la foi dans nos Gaules, reçoit tous les jours de nouvelles confirmations et sort triomphante de toutes


les recherches de la science. Entrons à ce sujet dans quelques détails.

L'évangélisation des Gaules, dit M. l'abbé Corblet (1), au temps des Apôtres, n'est pas une de ces théories historiques qu'on puisse accuser d'innovation : ce fut, jusqu'au XVIIe siècle, la tradition perpétuelle et immémoriale des Eglises de France. Tous les documents historiques des temps précédents et les monuments de la liturgie s'accordent à nous montrer le christianisme introduit dans les Gaules, dès le premier siècle, par trois groupes de missionnaires et par un certain nombre de prédications individuelles.

S. Lazare, S. Maximin, Ste Marie-Madeleine et Ste Marthe, sortis de la Judée, apportèrent en Provence les lumières de l'Evangile (2). Vers la même époque, sept mission-

(t) Orijines de la foi chrétienne dans les Gaules et spécialement dans le diocèse d'Amiens, par M. l'abbé Corblet. Revue de l'art chrétien, XllIe année.

(2) Se Marie-Madeleine et la Sainte-Baume, chez Adrien Le Clére.


naires, envoyés par S. Pierre, évangélisèrent plusieurs de.nos provinces : S. Trophime s'arrêta à Arles, S. Paul àNarbonne, S. Saturnin à Toulouse, S. Martial à Limoges, S. Austremoine à Clermont, S. Gatien à Tours, S. Valère à Trêves. Plus tard, S. Denis, envoyé par le pape S. Clément, vint de Rome à Lutèce, tandis que ses compagnons et ses disciples fondèrent d'autres Eglises.

En dehors de ces trois groupes principaux, nous voyons apparaître, à des époques diverses, mais avant le troisième siècle : S. Crescent à Vienne, S. Bénigne à Dijon, S. Front à

Périgueux, S. Eutrope à Saintes. S. Pothin et S. Irénée à Lyon. Il peut y avoir quelques divergences d'opinions sur quelquesuns de ces personnages ; mais, avant le xvne siècle, la croyance était uniforme sur ce fait capital : l'introduction du christianisme dans les Gaules au premier siècle. C'est ce qu'attestent plusieurs écrivains des six premiers siècles de l'Eglise, depuis S. Irénée jusqu'à S. Isidore de Séville. C'est ce que conllr-


ment les traditions des plus anciennes Eglises de France; traditions imposantes, qui revendiquent pour elles l'antiquité, la perpétuité , l'universalité. Ce qui ajoute une nouvelle autorité à ces témoignages., c'est que ces traditions sont passées dans les antiques liturgies, qui les ont élevées en quelque sorte à un rang officiel et leur ont ainsi imprimé une vraie consécration religieuse. Bossuet se faisait l'écho fidèle de cette croyance unanime, lorsqu'il disait, dans son Discours sur l'Histoire universelle: « L'Eglise naissante remplissait toute la terre, et non-seulement l'Orient, mais encore l'Occident, outre l'Italie, les provinces d'Espagne , les diverses nations des Gaules, la Germanie, la Grande-Bretagne ».

Il s'exprimait avec non moins d'énergie lorsqu'il s'écriait, dans son Discours sur V Unité de lEg lise : « A la suite de Rome, et par elle, tout l'Occident est venu à JésusChrist, et nous y sommes venus des premiers. C'est vous, Seigneur, qui excitâtes


Pierre et ses successeurs à nous envoyer, dès les premiers temps, les évêques qui ont fondé nos Eglises ».

Dix-sept siècles avaient établi cette croyance, lorsqu'un esprit téméraire et paradoxal, Launoy, vint ébranler cette tranquille possession consacrée par le temps et par des témoignages si imposants. Des érudits de premier ordre, nous l'avouons, entrèrent dans cette voie, et le sentiment de réaction aveugle contre le moyen-âge, qui dominait alors, favorisa le succès de cette funeste in-

novation, qui fut trop facilement adoptée par les réformateurs de nos bréviaires.

De nos jours, hâtons-nous de le dire, il s'est fait dans les esprits un consolant retour vers les traditions anciennes. La science contemporaine s'est empressée de reviser le procès que leur avait intenté Launoy.

Des écrivains de mérite, sortis des rangs du clergé, ont démontré l'antiquité de nos origines chrétiennes par une foule de preuves que l'on a pu contester, mais non pas réfu-


ter. Tous ceux qui se sont occupés., dans ces derniers temps, des origines historiques de nos diocèses, de l'hagiographie locale, de l'histoire de l'Eglise, ont puissamment contribué à cette importante restauration.

Des savants eux-mêmes, dans les rangs des laïcs, se sont associés à ce mouvement religieux. e Je crois que vous avez pleinement raison, écrivait M. Augustin Thierry à l'auteur d'un savant travail sur l'apostolat de S.Martial, et qu'en ce point la tradition locale prévaut réellement contre l'histoire. » M. Paulin Pâris est plus explicite encore : « Nous avouons avoir professé longtemps le sentiment de Tillemont sur les origines asiatiques du christianisme ; mais les nouveaux arguments présentés par les soutiens de l'opinion contraire nous ont complètement amené à une conviction différente. Rome, où le christianisme faisait chaque jour de nouveaux progrès depuis le règne de Néron ; Rome, qui avait déjà fait subir de grandes persécutions aux


chrétiens ; Rome avait des rapports trop immédiats, trop continuels avec la Gaule pour.

gué les prêtres et les confesseurs n'eussent pas fréquemment passé dans cette pépinière de rhéteurs, de philosophes, de grammairiens, qui ne cessaient d'aller et devenir de Rome à Lyon, Arles, Marseille, Toulouse, Nimes, Narbonne. Non, cela nous paraît aujourd'hui matériellement impossible, car nos grandes cités vivaient de la vie, des sentiments , des mœurs de la Rome impériale. Et supposer que le christianisme, qui avait déjà envahi la Germanie et l'Espagne,

n'eût pas assez de retentissement pour que le bruit en arrivât à la Gaule, c'est aller contre Sénèque, Pline et Tacite; c'est fermer les yeux à la lumière de l'histoire (1). » Déjà Chateaubriand avait dit, dans ses Etudes historiques : « Pierre envoya des missionnaires en Suisse, en Italie, dans les Gaules et sur les côtes de l'Afrique. »

(1) Histoire littéraire de la France, tome I.


En vain les adversaires de ces traditions nous opposent-ils les passages des deux historiens, S. Sulpice Sévère et S. Grégoire de Tours. Ces passages ont été expliqués par la critique. Les assertions de ces deux écrivains sont loin d'être incontestables ; on s'accorde à reconnaître qu'ils sont tombés dans de nombreuses erreurs, que leur autorité est peu sûre et que le texte qu'on nous oppose est démenti par des témoignages beaucoup plus nombreux, plus anciens, plus précis, plus importants et plus dignes de foi.

Au premier rang de ce groupe de missionnaires envoyés par S. Pierre, nous voyons S. Trophime, dont parle S. Paul dans sa 11e épître à Timothée, qui prêcha l'Evangile à Arles, dit S. Adon de Vienne.

C'est de cette source, comme l'écrit le bienheureux pape Zozime, que les ruisseaux de la foi se répandirent pour arroser toutes les Gaules » (1) : Ex cujus fonte totœ galliœ

(t) Martyroloje de S. Adon, de Vienne.


fidei rivulos acceperunt. Or, la cité de Nimes, voisine de celle d'Arles, a dû recevoir d'une source si rapprochée ces eaux bienfaisantes de l'Evangile, et la bonne nouvelle annoncée par S. Trophime a dû rencontrer un écho dans son sein.

Le second disciple envoyé par S. Pierre, Sergius Paulus, l'ancien proconsul de l'île de Chypre, fonda l'Eglise de Narbonne. Les voies romaines étaient alors les voies de l'Evangile. Nimes était situé sur la grande route qui conduisait, de Rome en Espagne, les armées et les missionnaires. Sergius Paulus suivit l'antique voie Dmnitia qui traversait nos murs, et il dût, en passant, jeter parmi nous la première semence de la foi.

Mais le véritable apôtre de notre contrée, celui qui a laissé l'empreinte la plus profonde de son passage, ce fut Saturnin, le fondateur et le premier martyr de l'Eglise de Toulouse.

S. Grégoire de Tours, après avoir reculé jusqu'au milieu du me siècle l'apostolat de


S. Saturnin, rejette lui-même, dans son livre de la Gloire des Martyrs, une date aussi invraisemblable, en disant que « ce Saint avait été ordonné par les disciples des apôtres, comme on le supposait alors. » Un exemplaire des véritables Actes de S. Saturnin, qui a été retrouvé, à la fin du siècle dernier, à Florence, fixe d'une manière précise l'époque delà mission de S. Saturnin. ( Sous le règne de Claude, successeur de Caïus (Caligula), dit le manuscrit, la ville de Toulouse eut pour premier pasteur S. Saturnin. » Tel est ce manuscrit primitif dont S. Grégoire de Tours n'avait lu qu'une copie défigurée qui l'avait induit en erreur.

Maintenant que nous connaissons, par un document authentique, la date de l'apostolat de S. Saturnin, suivons les traces de son passage dans nos contrées. Nous n'avons jusqu'ici que le témoignage de là tradition ; mais il ne faut pas oublier que la tradition est un des éléments de la science historique. On peut la discuter, mais on ne


saurait lui opposer purement et simplement une fin de non-recevoir. Lorsqu'on rencontre des traditions qui remontent à la plus haute antiquité, qui concordent entre elles malgré les distances, qui sont en harmonie avec l'enseignement général de l'histoire et avec les monuments des contrées où elles existent et qui sont consignées dans la liturgie, on ne peut les rejeter sans renverser les lois de la critique et sans supprimer l'une

des sources de la vérité.

Or , que nous dit la tradition sur les courses apostoliques de. S. Saturnin? Elle raconte que le Saint, après avoir suivi jusqu'à Arles, avec les compagnons de sonapostolat , la voie Aurélia, qui était la grande voie de communication entre les Gaules et Rome , avait remonté le long du Rhône par un de ces nombreux embranchements qui, d'Arles, rayonnaient dans toutes les provinces. Il franchit le fleuve pour annoncer l'Evangile aux populations qui étaient sur la rive opposée, et il fit son enb


trée sur notre sol par cette ville assise sur les bords du Rhône, qui prit de lui le nom de Saint-Saturnin-du-Port, Sanctus-Saturninus dePortu, qu'elle échangea, au commencement du XIVe siècle, contre celui de Pont-Saint-Esprit. C'était une station romaine où passait la voie qui conduisait de Nimes au pays des Helviens, Alba Helviorum. Ce fut la première halte apostolique de S. Saturnin. Cette population de pêcheurs, qui jetait ses filets dans le fleuve et qui vivait du fruit de sa pêche, dut accueillir l'homme de Dieu comme ces pécheurs de la mer de Tibériade qui s'attachaient aux pas du divin Sauveur.

Poursuivant sa marche, il dirigea ses pas vers la puissante cité de Nimes, où il voulait annoncer la bonne nouvelle de l'Evangile. Il suivit la voie romaine qui, du territoire des Helviens, descendait vers la cité nimoise, et il fit entendre sa voix aux populations qui se trouvaient sur son passage. Nous ne doutons point que les deux


anciennes églises dédiées à S. Saturnin, qui existaient autrefois à Gaujac et à Sainte-Anastasie, où passait la voie romaine, ne soient un souvenir de la prédication du saint et n'indiquent quelque étape de son apostolat.

L'ancienne capitale des Volces Arécomiques, devenue la cité d'Auguste, offrait un vaste théâtre à son apostolat ; comme S.

Paul à Athènes, il dut ressentir dans son âme toutes les ardeurs d'un zèle généreux en voyant cette population nombreuse plongée dans l'idolâtrie. Sa parole ne fut pas infructueuse. Les Actes des Saints nous disent qu'il convertit S. Honeste, qui fut, à son tour, l'apôtre de la Navarre, et qui baptisa S. Firmin, le fils d'un sénateur, lequel devint le premier évêque d'Amiens (1).

On le voit, le témoignage de l'histoire vient confirmer celui de la tradition. Ce sont les Bollandistes qui nous font connaître la

(1) Acta sanctorum, 15 février.


prédication de S. Saturnin à Nimes et la conversion de S. Honeste, qu'il baptisa de ses mains, dont il fit son disciple, et qu'il éleva au sacerdoce.

Ce nom est le seul souvenir que nous ait conservé l'histoire de l'apostolat de S. Saturnin dans nos murs. Mais co ne fut pas sa seule conquête. 11 nous est permis de penser que la cité païenne s'ébranla à sa voix et vit plusieurs de ses enfants passer, à l'exemple de S. Honeste, du culte' des idoles à la foi du Christ. La semence évangélique qu'il répandit dans Nimes devint comme le germe caché que devait faire fructifier plus tard le sang de S. Baudile.

'Nous pouvons suivre S. Saturnin sur la voie Domitia, qui conduisait de Nimes à Narbonne. Nous y rencontrons de nouvelles stations de son apostolat : elles nous sont indiquées par les églises qui portent son nom.

Ce sont : Saint-Saturnin de Milhaud et SaintSaturnin-des-Nodels, près d'Aimargues. Sur la voie de Nimes à Sumédrium (Sommières),


nous rencontrons Saint-Saturnin de Nages, où se trouvait alors une agglomération considérable dans l'oppidum celtique, dont la vaste enceinte subsiste encore, et Saint-Saturnin de Calyisson ; nous aimons à considérer tous ces lieux, situés le long des voies romaines , comme autant d'étapes du saint apôtre.

Il existe encore plusieurs églises dédiées à S. Saturnin, sur les divers points du diocèse ; elles sont autant de monuments qui nous attestent combien le souvenir du saint missionnaire est désormais vivant dans nos contrées. Il a sillonné toute notre région en y semant la doctrine évangélique, et tous les échos du diocèse redisent son nom.

Le christianisme, qui, dès le milieu du premier siècle, a compté des disciples dans notre cité, y eut bientôt des martyrs, et les persécutions qui sévirent sur plusieurs points de la Gaule, eurent leur contre-coup à Nimes. Nos arènes, qui avaient été témoins des combats des gladiateurs, furent rougies du sang des martyrs.


Ine inscription romaine qu'on voit incrustée dans le mur d'une ancienne maison, et qui remonte au le siècle ou au commencement du 111e, nous montre, à côté du nom d'une femme d'origine grecque, Attia Exoché, deux palmes et une couronne, symbole évident du martyre (1). Peut-être alors le petit troupeau de l'Eglise naissante de Nimes avait-il déjà son pasteur, et un antique bas-relief, trouvé sur notre sol, qui représente le bon pasteur portant labrebis sur ses épaules , peut avoir appartenu au tombeau d'un évêque de ces temps primitifs (2).

Cependant la ville conservait encore sa physionomie païenne. Les temples des idoles étaient toujours debout; la foule conti-

(1) Nimaires de lagadémie du Gard, 1868 et 1869.

Gelte inscription est incrustée dans le mur extérieur de la maison Laune, rue des Jardins.

(2) Le cénotaphe où est sculpté ce bas-relief se trouve à l'évêché. Voir les Mémoires de l'Académie du Gard, 1869.

*


nuait à se presser autour des autels des faux dieux, et le christianisme proscrit recueillait furtivement ses disciples dans quelque retraite obscure, loin du regard des persécuteurs. Il n'osait encore, vers la fin du 111e siècle, se produire au grand jour.

Le vieux polythéisme, quoique mourant, lui disputait l'empire de la cité.

C'est à cette époque qu'un généreux chrétien, obéissant à une inspiration divine, quitta sa ville natale pour aller évangéliser les contrées qui étaient plongées dans l'erreur. Il s'appelait Baudile ; il était engagé dans les liens du mariage, et son épouse s'était associée à son pieux dessein. Il apprit dans ses courses apostoliques que l'ancienne capitale des Volces, la ville d'Auguste et d'Antonin, la cité de Nimes, non moins importante, disent les Actes des Saints, par son commerce et ses grandes richesses que par sa population, civium frequentia

et inhabitatione nimium populosa et mercimoniis divitiarum undique ad-


vectis copiosa (1), était encore presque toute païenne, et il résolut de tenter un effort suprême pour l'arracher aux idoles.

Les actes du martyre du Sahit nous disent que la plus grande partie de la population était encore esclave des erreurs de l'idolâ-

trie: Adhuc maxima pars hominum gentilis supe:rs'itionis destinebatur er-

rore (2). Ces mèmes actes nous en signalent la cause: c'est que les habitants étaient privés de l'enseignement des prêtres, et qu'ils languissaient comme des brebis errantes, loin des soins vigilants des pasteurs : Deerat

namque eis venerabilium sacerdotum ecclesiasticce institutionis doctrina, et idcirco errantes sicut oves languebant absque pervigili postorum curd (3).

Le nouvel apôtre arriva à Nimes le jour même où l'on célébrait, dans un bois sacré,

(1) Acla santtorum, 20 mai.

e) Actes de S. Baudile. Ménard, Histoire de Nimet.

- Preuves.

(3j Acia tanctorum, 20 mai.


aux portes de la ville, un sacrifice public. Le polythéisme avait déployé toutes ses pompes pour attirer la foule. C'était sur une des collines qui dominent la ville, non loin de cette antique Tourmagne qui est encore debout. Les prêtres des idoles conduisaient les victimes destinées au sacrifice. La multitude frémissante se pressait autour de l'autel.

Tout à coup apparaît un étranger qui élève la voix au milieu de la foule. Il attaque avec une indignation généreuse ces dieux impuissants auxquels on offre un encens criminel ; ces dieux de marbre et de pierre, qui ont des yeux et qui ne voient pas, qui ont des oreilles et qui n'entendent pas, impies et vains simulacres, qui doivent être brisés et foulés aux pieds. Il annonce ce Dieu inconnu qui a fait le ciel et la terre et qui seul a droit aux adorations des mortels.

Il montre cette croix du Sauveur, scandale et folie pour les Gentils, devenu l'instrument glorieux de la rédemption du genre humain. A ces accents inconnus, la multitude


s'ariéte étonnée : elle éooute avec une étrange surprise ce langage nouveau pour elle. Peut-être quelques hommes du peuple, quelques pauvres esclaves se sentent émus en entendant parler de ce Dieu rédempteur, qui a voulu prendre sur lui le fardeau de nos misères, qui s'est fait pauvre et qui a revêtu la forme de l'esclave pour racheter les hommes. Peut-être aussi, quelques philosophes, qui reconnaissent le vide profond des doctrines païennes, auraient voulu qu'on laissât cet étranger exposer librement la doctrine dont il s'est fait l'apôtre. Mais les prêtres des idoles, n'écoutant que la passion de l'intérêt, s'écrient qu'un tel langage est une insulte à leurs dieux, que cet homme est un impie, un blasphémateur, un sectateur obstiné de cette superstition nouvelle qui attaque les anciennes divinités, et que son crime ne doit pas rester impuni. La foule mobile et légère passe soudainement.

de la surprise à la colère et fait entendre des cris de mort contre le contempteur de

Ho


ces dieux. On l'entoure, on le saisit, on étouffe sa voix, et les sacrificateurs demandent qu'il soit immolé là même où il a osé attaquer le culte de la cité. Le saint apôtre, calme et résigné au milieu de ce déchaînement des fureurs populaires, s'offre au ciel comme une victime. Il demande au Seigneur que son sang devienne une semence féconde qui fasse germer une Eglise florissante sur cette terre infidèle, et il consomme son généreux sacrifice.

Lorsque la foule s'est dispersée, l'épouse du saint martyr et les serviteurs qui l'accompagnaient recueillent furtivement ses restes et les ensevelissent au fond de la vallée voisine. « Par cette mort glorieuse, disent les Actes des Saints, cet illustre martyr, naguère étranger dans Nimes, y a conquis le droit de cité et en est devenu le protecteur immortel (1) ».

Tels sont les traits principaux que la tra-

(1) Acta sanctorum, 20 mai.


dition nous a conservés de la mission et du martyre de S. Baudile.

Les Bollandistes ne font qu'amplifier, en la confirmant, cette première version, sans y ajouter de nouveaux détails. Ils disent que la ville de Nimes renfermait une population npmbreuse, qu'elle était le centre d'un commerce florissant et qu'elle était entourée d'une ceinture de fortes murailles flanquées de hautes tours. Ils ajoutent que la plus grande partie des habitants était plongée dans ridolâtrie, parce qu'ils n'avaient pas de prêtres pour leur faire connaîtrela vérité (1).

Il existe un troisième document provenant de l'Eglise d'Orléans, qui ne présente pas dans toutes ses parties les mêmes caractères d'authenticité que les deux précédents. Le

(1) Acta sanctorum, 20 mai. Il existe à la bibliothèque de Troyes, dans l'Aube, un manuscrit du XIIe siècle,

grand in-folio, sur parchemin, d'une très-belle exécution, à deux colonnes, avec initiales en couleur. C'est le texte original des Bollandistes. Il est intitulé : Passio sancti.

Baudilii et il provient de l'abbaye de Clairvaux.


merveilleux y joue un trop grand rôle, et on regrette d'y trouver des anachronismes.

Ainsi ces Actes se trompent évidemment en plaçant dans la dernière moitié du IVe siècle le martyre de S. Baudile. Ils sont également dans l'erreur quand ils. nous disent que la ville de Nimes était alors soumise à la domination des Goths. Nous ne les rejetons pas en entier, mais nous ne pouvons en accepter que les principaux traits, en faisant la part de l'histoire et de la légende. Nous y trouvons une indication précieuse que nous devons recueillir.

Les Actes de la passion de S. Baudile et le récit des Bollandistes nous laissent ignorer le lieu d'où venait le saint martyr.

Ils se bornent à nous dire qu'il arrivait d'une autre contrée : Ex aliis regionibus adventavit. Mais la version d'Orléans est plus explicite. Elle complète les deux précédentes en nous faisant connaître le lieu d'origine de S. Baudile. Il était né à Orléans, et il devient pour nous comme un lien qui nous


rattache à cette cité. Cette Eglise a bien droit à notre reconnaissance ; car, après Rome, d'où sont venus nos premiers apôtres, elle est pour nous comme une seconde mère qui, par le sang d'un de ses fils les plus généreux, nous a enfantés à la foi.

Cette version ajoute une circonstance qui semble contredire les premiers monuments que nous avons cités. Nous avons déjà vu par ceux-ci que S. Baudile était marié et que son épouse l'accompagnait dans son voyage. Mais, d'un autre côté, la version d'Orléans nous affirme qu'il était sous-diacre. Orvy a-t-il une opposition réelle entre ces deux assertions? Nullement. Rien ne s'oppose à ce qu'on admette que S. Baudile, déjà marié, ait voulu s'engager dans les ordres sacrés. L'histoire de l'Eglise nous en présente plus d'un exemple. L'épouse alors ne fut plus qu'une sœur, et le sous-diacre en" fit la compagne de son apostolat, l'associée et la collaboratrice de son ministère.

Ainsi, S. Baudile se montre fidèle à cette


grande loi de l'Eglise, le célibat, source féconde du dévoûment apostolique.

Un manuscrit fort ancien, mentionné par Ménard, fait de S. Baudile un homme de guerre. Comme S. Martin le légionnaire, il avait embrassé la carrière des armes avant de se livrer à l'apostolat de l'Evangile. Nouveau Polyeucte, après avoir combattu les ennemis de l'empire, il se fait le soldat du Christ et va attaquer les idoles. Comme les soldats de la légion Thébaine, comme S. Victor, à Marseille, S. Baudile livra le généreux combat de la foi et remporta la victoire.

Nous devons mentionner une tradition populaire qui raconte que le saint apôtre, avant de venir attaquer les superstitions païennes dans Nimes, évangélisa les populations voisines. Le souvenir de cette prédication s'est perpétué dans la paroisse de Bouillargues, et c'est pour cela sans doute que cette Eglise choisit S. Baudile avec S. Félix, évêque de Nimes, comme ses patrons, voulant ainsi honorer la mémoire de son premier apôtre.


A quelle époque pouvons-nous fixer le martyre de S, Baudile? Nous le plaçons, avec l'historien Ménard, vers la fin du Ille siècle. C'est vers ce temps, l'an 295, que Maximien Hercule, prince ignoble et cruel, que Dioclétien venait d'associer à l'empire, parcourait la Gaule, proscrivant partout les chrétiens. Après avoir fait massacrer sous ses yeux, à Agaune, la légion Thébaine, qui avait refusé de sacrifier aux idoles, il fit trancher la tête, à Marseille, au tribun Victor, qui n'avait point voulu offrir de l'encens aux faux dieux. A Arles, Genès, greffier du tribunal proconsulaire, n'ayant pu se résoudre à transcrire les injustes sentences portées contre les chrétiens, avait payé de sa tête cet acte de courageuse résistance. Chacun des pas du féroce césar dans les Gaules était marqué par de nouvelles victimes, depuis Sainte-Foi, près d'Agde, jusqu'aux deux nobles frères, S. Rogatien et S. Donatien, à Nantes.

Or, c'est à cette époque de proscription


générale , qui fit un si grand nombre de martyrs dans nos provinces, que S. Baudile versa son sang pour Jésus-Christ. Il appartient à cette grande légion de témoins qui, sur tous les points de la Gaule, donna à l'Evangile, vers la fin du 111e siècle, le plus éclatant des témoignages, celui du sang.

Les Actes de l'Eglise d'Orléans , il est vrai, placent son martyre à une époque postérieure. Ils nous le montrent venant prêcher la foi dans le midi de la Gaule, vers l'an 360, sous l'épiscopal de S. Euverte. Maisnous ne pouvons accepter cette date qui retarderait jusqu'au milieu du IVe siècle la conversion de Nimes à l'Evangile, quand toutes les villes voisines étaient depuis longtemps devenues chrétiennes et avaient des évêques.

Comment expliquer d'ailleurs, qu'après le règne de Constantin, lorsque le christianisme était triomphant, le paganisme ait pu être persécuteur et qu'il y ait eu encore des martyrs ? Il est évident que ce ne peut être que vers la fin du 111e siècle, dans ce suprême


effort du polythéisme expirant, que S. Baudile a reçu la palme du martyre.

Les anciens martyrologes fixent au 20 mai le martyre de S. Baudile. Nous proposons, avec un savant épigraphiste, M. Le Blant, une correction à cette date. Une inscription chrétienne, que nous nous proposons de faire connaître plus loin, et qui remonte au VIle siècle et peut-être au vie, place au 21 mai la passion de S. Baudile. Cette date, fait remarquer un ingénieux antiquaire, M. GermerDurand, s'accorde bien mieux avec une circonstance du martyre du Saint : il eut lieu., dit la tradition, dans un bois voisin de la ville, le jour même où les habitants célébraient une fête et offraient un sacrifice à leurs dieux. Or, le calendrier de Rome païenne n'a aucune fête au 20 mai, tandis que, le lendemain 21, c'était la fête des Agonales, célébrée en l'honneur de Vejovis ou Jupiter enfant (1). C'est donc au 21 mai qu'il convient de reporter le martyre de S. Baudile.

(1) Mémoiresde l'Académie du Gard, 186b et 1866.


Le sang des martyrs a été toujours fécond, Celui de notre Saint dissipa peu à peu dans Nimes les ténèbres du paganisme et fit triompher le culte du vrai Dieu. Le christianisme, victorieux, prit bientôt possession de notre cité. Les temples des idoles purifiés servirent à la célébration des mystères chrétiens. Le temple de Diane et la Maison-Carrée revêtirent les insignes de la foi nouvelle, et notre vieille cathédrale s'éleva sur les ruines d'un temple d'Auguste.

Le nom du saint martyr ne fut pas oublié, et un sanctuaire fut bâti sur le lieu où son corps avait été déposé. S. Grégoire de Tours, au vie siècle, dans son Traité de la gloire des martyrs, raconte que Dieu se plaisait à glorifier le tombeau du Saint par de nombreux miracles et que son culte était répandu dans les diverses parties du monde chrétien. « On voit, dit-il, auprès de Nimes, le tombeau glorieux de S. Baudile, où s'opèrent souvent d'éclatants prodiges. De cette tombe est sorti, à travers les fentes des murs, un lau-


rier, qui a grandi comme un arbre et qui déploie son feuillage salutaire. Les habitants ont souvent éprouvé son efficacité merveilleuse qui rend la santé aux malades. En souvenir de sa vertu bienfaisante, ils dépouillaient l'arbre de ses feuilles, même de son écorce, et le laurier a peu à peu perdu sa vigueur et s'est desséché (1) ». Ce laurier miraculeux, symbole de la victoire du saint martyr, a reverdi, après avoir eu sa tige desséchée. Il continue à pousser de vigoureux rejetons près du lieu où était le tombeau du Saint. Avant les rigueurs du dernier hiver, il s'élevait au-dessus des autres arbres de la vallée et attirait de loin les regards par son vert feuillage. Il poussera de son tronc rajeuni de nouvelles tiges et il restera comme le gardien fidèle de ces ruines.

Le même historien nous raconte un autre prodige qui atteste la puissance de S. Baudile. Un seigneur Yisigoth, nommé Aram,

(1) S. Grégoire de Tours. De glotice occlesiw, lib. i.


qui gouvernait la Septimanie et la Provence au nom du roi Théodoric, irrité contre un archiprêtre de Nimes, dont il avait à se plaindre, envoya des gardes pour le saisir et le conduire à Arles, résidence des gouverneurs. Les soldats se méprirent : au lieu de l'archiprêtre, ils amenèrent l'archidiacre de Nimes, nommé Jean. Mais, la nuit suivante, Aram fut mystérieusement averti, pendant son sommeil, de son erreur, et il se hâta de renvoyer le prisonnier chargé de présents. S. Grégoire ajoute que ce fut S. Baudile, pour qui l'archidiacre avait une dévotion particulière, qui lui procura, par ce songe merveilleux, sa délivrance. Le gouverneur Aram conçut aussi une grande piété pour ce Saint, et dans plusieurs circonstances , il se montra favorable à la ville de Nimes, à cause du tombeau de S. Baudile (1).

Il est probable que l'archidiacre Jean, qui devint, en 526, évêque de Nimes , voulant

(1) S. Grégoire de Tours. DB yloriæ murtyrum.


donner à son protecteur un témoignage de sa reconnaissance, jeta les fondements du monastère de Saint-Baudile. L'histoire se tait sur les commencements de cette fondation, destinée à honorer la mémoire du saint martyr, et nous ignorons les noms des premiers abhés qui furent placés à la tête de cette famille monastique.

Déjà, au ve siècle, si nous en croyons les Actes de l'Eglise d'Qrléans, les reliques do S. Baudile avient fait éclater leur vertu merveilleuse en faveur de la ville qui avait donné le jour au Saint. S. Agnan Ier, évêque d'Orléans, voyant cette cité menacée par les hordes du féroce Attila, n'hésita pas, malgré son grand âge, à entreprendre un long et périlleux voyage pour aller implorer le secours du général Aétius, qui gouvernait la Gaule, au nom de l'empereur Valentinien III, et qui avait fixé sa résidence à Arles. Arrivé dans cette ville, il se souvint qu'un sous-diacre de sa ville épiscopale avait versé son sang pour la foi dans la cité voi-


sine de Nimes, et il alla prier devant son tombeau. Une pieuse inspiration s'empara de lui devant cette tombe. Il se dit que s'il pouvait emporter avec lui quelques reliques de ce glorieux enfant d'Orléans, elles seraient un gage de protection puissante pour cette ville. Dans ces siècles de foi, les cités, mal défendues par leurs murailles contre les attaques de l'ennemi, se confiaient beaucoup plus dans les reliques des saints que dans la valeur des armées, qui avaient oublié la victoire. Il obtint de l'évêque de Nimes quelques parcelles du corps du saint martyr, et il reprit joyeux le chemin de sa ville épiscopale. Les populations s'ébranlèrent sur son passage pour saluer le précieux dépôt qui lui avait été confié. La tradition a conservé le souvenir de quelques unes de ses stations. Il s'arrêta près de Valence, au village de Saint-Bardoux. Une colonie de religieux, envoyée par le monastère d'Ainay, à Lyon, s'était établie sur ce coteau, et c'est sous leur toit que S. Agnan dut recevoir


l'hospitalité. Il existait, au siècle dernier, en ce lieu, une chapelle dédiée à S. Baudile, qui remontait à une haute antiquité. 'Elle dévait être un souvenir du passage des'reliques du Saint.

L'histoire nous parle d'une autre station du saint évêque. Ce fut à Vienne, là même où il avait reçu le jour. Il obtint, par ses prières et par la vertu'des reliques de S. Baudile, la guérison d'un malade, qui devint plus tard évêque de cette ville. Ce fut S. Mamert, le pieux instituteur des prières des Rogations.

Enfin, l'ancien monastère d'Arnac, dans le diocèse de Limoges, posséda le saint voyageur avec son précieux dépôt et fut témoin d'une autre guérison miraculeuse. Le supérieur de cette communauté de religieux était depuis longtemps privé de la vue. Le saint pria pour lui; il invoqua S. Baudile, et, comme un autre Tobie, le père abbé recouvra la vue.

La cité d'Orléans accueillit avec de grands


transports de joie les reliques de S. Baudile.

On les promena en triomphe, avec celles de plusieurs autres saints, autour des remparts. Le Fléau de Dieu vit son armée repoussée et la ville fut sauvée.

Le corps de S. Agnan fut transporté , l'an 1029, dans une nouvelle église d'une grande magnificence, bâtie par les soins du pieux roi Robert. Les reliques de S. Baudile suivirent celles du saint évêque et firent partie du trésor de la même église. Elles ont disparu dans les troubles du XVIe siècle, avec tant d'autres saintes reliques, dans la

funeste dévastation que subit l'église de Saint-Agnan (1).

Ce n'était pas assez pour la piété des fidèles de visiter le tombeau de S. Baudile et de l'invoquer : les villes voisines lui dédiaient des oratoires. S. Firmin, évêque d'Uzès, entendant raconter les nombreux miracles opérés par son intercession, voulut le placer au

(I) Vie de S. Agnan, évêque d'Orléans, par M. l'abbé Cauvard. -


nombre des protecteurs de sa ville épiscopale et bâtit une église en son honneur. C'est dans ce sanctuaire qu'il fut enseveli lui-même, eh 553, après un trop court mais glorieux épiscopat (1). Il voulut reposer à l'ombre de l'autel dusaintmartyr. Une inscription lapidaire du ie siècle, qui existe encore à Uzès, mentionne cette antique église comme placée sous le double vocable de Saint-Baudile

et deSaint-Firmin : Ecclesiam Beati Baudilii et sancti Firmini. La piété populaire

avait voulu réunir ces deux noms dans un même sentiment de vénération et leur avait dédié le même sanctuaire. Cette église se trouvait hors des murs de la ville, dans l'ancien quartier de Saint-Firmin. Elle a disparu au xvie siècle. Une colonne de marbre, surmontée d'une croix, indique l'emplacement qu'elle occupait. Cette colonne passe pour être un vestige de l'ancienne église.

C'est une des stations choisies pour les processions des Rogatiocs.

(ly Gallia christiana. Diœces. Uceti.

*


L'Eglise voisine d'Uzès s etait ainsi associée, depuis plus de douze siècles, à l'Eglise de Nimes, pour honorer la mémoire du saint martyr et lui dresser des autels.

L'épigraphie chrétienne nous a conservé un monument précieux, qui atteste, avec quelle confiance on invoquait au loin l'intercession du martyr nimois. Un marbre provenant du prieuré de Saint-Maurice, près Vénasque, et déposé au musée lapidaire de Carpentras , nous montre une pieuse chrétienne, nommée Cypriana, qui fait élever pour elle et pour son époux un tombeau et qui y fait graver une inscription dans laquelle elle invoque pour elle et pour son mari la protection de S. Baudile. Veuve d'un époux tendrement aimé, nommé Pétrus.

elle a passé plus de sept années au sein de la pénitence. Mère de trois enfants, elle les a élevés, dit l'inscription, sous la seule discipline de la pénitence et de la chasteté.

« Fais, ô mon Dieu, continue cette épitaphe, que les âmes de ceux dont tu as réuni


les corps dans cette honorable sépulture jouissent un jour de la faveur de te contempler. C'est le xii des calendes de juin — 21 mai — que Pétrus a disparu dans la gueule de l'Averne ; mais le martyr Baudile, en ce jour de sa passion, recommande au Seigneur son disciple bien- aimé » :

Sie jiraita Deus ut quorum sepulcra juncxisti fu[nere tanto Hen-um faciæs animas aspectus tui libertate gaudere XlI kaleoo. Juntas tenarices intravit Petrus fauces [Averni Sed marter Baudeliusper passioms die Dno dulce-m.

[suum commenàat aUmnurn (i).

Les incorrections de cette inscription métrique, et l'orthographe de quelques mots ont l'avantage de nous permettre de fixer l'époque de cette épitaphe et de la faire remonter au vie siècle, Nous voyons donc, à cette époque reculée, le nom de S. Baudile répandu au loin avec son culte. On lui re-

(1) Mémoires de l'Académie du Gard. 1865 et 1866.


commande ceux qui ont quitté cette vie et on invoque son intercession auprès de Dieu.

C'est un témoignage précieux en faveur de l'invocation des saints et de la prière pour les morts. Peut-être cette vertueuse chrétienne qui, affligée de l'absence de son époux , le recommanda pendant sept ans avec larmes à Dieu,'entreprit un pèlerinage au sanctuaire de S. Baudile, répandit sur son tombeau sa douleur d'épouse et le supplia de lui rendre celui qu'elle pleurait. L'invocation adressée à ce Saint, que mentionne cette épitaphe, nous semble autoriser cette interprétation.

Si le vandalisme moderne n'avait pas dispersé les pierres de cette église, nous pourrions retrouver dans les murs ou sur les dalles du sanctuaire des inscriptions semblables, témoignage irrécusable de la foi des pèlerins qui venaient visiter ce saint lieu.


IV

Lê tombeau, de S. Baudile, comme celui de S. Gilles , dans notre voisinage, de Ste Marthe, à Tarascon, de Ste Marie-Madeleine, enJProvence, étaient les plus célèbres de notre Midi et avaient le privilége d'attirer un nombreux concours de chrétiens. Ils auront bientôt leurs jours de deuil et de désolation.

Ters l'an 719, les Arabes, franchissant les Pyrénées, se répandirent comme un torrent sur le sol de la France. Ils envahirent la Septimanie et se rendirent maîtres de Narbonne, de Béziers, d'Agde et de Maguelonne. Ces farouches ennemis du nom chrétien déchaînaient surtout leur fureur contre les églises et. les monastères : les moines étaient maltraités et parfois égorgés, les monuments religieux pillés et livrés aux flammes. A leur approche., les prêtres et les religieux se hâtaient partout de cacher les


trésors sacrés des abbayes et des églises.

Ainsi les religieux Cassianites, à SaintMaximin, enfouirent, sous un vaste amas de terre, le tombeau où reposait le corps de Ste Madeleine, afin de le soustraire à la profanation qui le menaçait. Les fidèles deTarascon prirent les mêmes précautions pour les reliques de Ste Marthe.

Les religieux de Saint-Baudile tremblaient pour le précieux dépôt qu'ils possédaient. Déjà le monastère de Psalmodi avait été saccagé par les bandes ennemies. Les religieux de Saint-Gilles et le saint fondateur de l'abbaye, qui vivait encore , avaient cherché un refuge auprès de Charles Martel, le futur sauveur de la France (1). L'armée sarrasine s'avançait vers Nimes, qui allait lui ouvrir ses portes et subir son joug odieux.

Le monastère de Saint-Baudile avait alors à sa tête un pieux abbé, S. Romule, qui y

(I) S. Gilles, son monastère, son culte, parM. l'abbé Teissonnier.


faisait fleurir, par l'autorité de sa parole et de ses exemples, les plus pures vertus monastiques. Quatre-vingts religieux, sous la conduite du saint abbé, embaumaient cette paisible vallée du parfum de leur piétés S. Romule ne voulut pas les abandonner au glaive de l'ennemi. Son premier soin fut de dérober les reliques de S. Baudile aux outrages des hordes musulmanes. Il les enferma dans un cercueil en plomb et il les fit enfouir profondément en terre, sous un des murs de l'église.

Après avoir mis en sûreté ce précieux trésor, S. Romule partit, à la tête de-sa communauté, pour aller chercher un asile dans une contrée lointaine. Remontant le long da-Rhône et de la Saône, la colonie fugitive fit de nombreuses haltes dans sa migration, et c'est ainsi que le culte de S. Baudile se propagea en divers endroits. Les religieux emportaient avec eux quelques parcelles du corps du saint martyr et ils les distribuaient, sur leur passage, aux populations qui les


accueillaient avec bienveillance. Ils s'arrêtèrent pendant quelque temps à Beaune, en Bourgogne, et ils payèrent l'hospitalité qu'ils reçurent par le don d'une relique de S. Baudile. Ce legs précieux a été fidèlement conservé, jusqu'à la fin du siècle dernier, dans une église qui était placée sous le vocable du Saint, et il a disparu dans la tourmente révolutionnaire.

Après un long séjour à Beaune. les reli- gieux poursuivirent leur marche: Ils firent une station à Plombières-lez-Dijon, dans la" Côte-d'Or, où le -culte de S. Baudile s'est perpétué jusqu'à ce jour, et probablement à Parigny-la-Rose, dans l'Auxerrois, qui, -en mémoire de cette halte, honore S. Baudile comme son patron.

Ils arrivèrent enfin à Saissi-Ies-Bois, au diocèse d'Auxerre. Ce lieu qui, comme l'indique son nom, était couvert de bois, convenait parfaitement à une fondation monastique. Il y avait déjà, dans ce vallon, arrosé par un cours d'eau., un monastère fondé par


les évêques d'Auxerre (1). Il portait le nom de Monasterium saxiense, à cause des pierres qui couvrent le sol, et cette appellation se retrouve, altérée, dans le nom moderne de Saissy. Les moines de Saint-Germain, qui le possédaient, le cédèrent à cette colonie errante qui fuyait devant l'invasion sarrasine. L'établissement grandit sous la protection des rois Francs, qui lui accordèrent de nombreux privilèges, et les forêts voisines furent défrichées par les patients travaux des moines. Une église fut construite et .elle fut dédiée à S. Baudile, en mémoire du saint martyr, dont le corps reposait à Nimes. C'était à la fois un hommage à ce saint protecteur et un souvenir de la patrie absente. S. Romule mourut avant d'avoir achevé l'église dont il avait jeté les fondements ; ce furent ses deux successeurs, Odon et Walaus, qui y mirent la dernière main.

(1) Hagiologie nivernaise, par Mgr Crosnier;


Le monastère de Saint-Baudile, à Nimes, subit le même sort que ceux de Psalmodi, de Saint-Gilles et de Saint-André sur le Rhône, dont les moines avaient eu à peine le temps de s'enfuir en emportait les reliques des saints, « En ce temps-là, dit un vieux chroniqueur cité par les Bollandistes., les églises furent détruites , les monastères démolis, les villes ravagées, les maisons livrées au pillage, les châteaux rasés : c'était partout d'horribles massacres et la terre était inondée de sang humain (1). Nimes ne put échapper à ces maux. La domination des Sarrasins dans la cité amena l'oppression des catholiques. La liste interrompue de nos évêques à cette époque ne permet pas de douter que les prêtres n'aient été persécutés et le culte proscrit. Les églises furent pillées et le monastère de Saint-Baudile, délaissé par, ses hôtes, après avoir été dévasté, n'offrit bientôt plus qu'un amas de ruines.

(1) Acta sanctorum. Septembre:


-Ce ne fut qu'en 732, après douze ans d'oppression, que la ville de Nimes fut affranchie, par Charles Martel, du joug des infidèles. La chronique du monastère d'Aniane raconte que ce terrible vainqueur des Sarrasins, après avoir détruit de fond en comble la ville et le port de Maguelonne, où l'ennemi avait trouvé un refuge, ordonna de mettre le feu à l'amphithéâtre de Nimes, qui avait servi de forteresse à l'invasion, et les murs noircis portent encore aujourd'hui l'empreinte visible de l'incendie à l'aide duquel - fut tentée sa démolition (1).

La ville de Nimes, ayant recouvré son indépendance, répara peu à peu les ravages causés par l'invasion. Son antique cathédrale vit se renouer la chaîne brisée de ses pontifes et devint l'objet des libéralités de Charlemagne, qui, l'année 808, la prit sous sa protection, ainsi qu'il venait de le faire pour le monastère voisin de Saint-Benoît

(1) Chronic. Anian.


• d'Aniane, bâti avec les marbres et les colonnes arrachés aux monuments de Nimes (i).

Notre cathédrale était alors placée sous l'invocation de Notre-Dame et de S. Baudile.

Le premier martyr de Nimes partageait avec la sainte Vierge le glorieux patronage de la cité.

y

Cependant, au milieu de ce grand mouvement de restauration religieuse qui signalée règne de Charlemagne, le monastère de Saint-Baudile semblait oublié. Les moines fugitifs n'étaient pas revenus, comme -à Saint-Gilles et à Psalmodi, reprendre possession de leur demeure. Le cloître était désert et le sanctuaire dévasté restait sans culte et sans prière.

Cependant le souvenir n'en était pas com-

(1) Chrome. Anian.


plètement effacé de la mémoire de la colonie qui avait fondé le couvent de Saissi-lezBois.

I/an 878, l'église de Saint-Romule, qui sans doute avait été construite avec trop de rapidité, s'écroulait. L'abbé Trudgaud, qui gouvernait alors le monastère, se vit obligé de reconstruire l'édifice sacré d'une manière plus solide et sur une plus grande échelle.

Il fut heureux dans son entreprise, et S. Baudile protégea les travailleurs d'une manière visible ; car, dans le cours des travaux, plusieurs d'entre eux tombèrent du faîte de l'édifice sans éprouver le moindre mal dans leur chute.

Quand l'église fut terminée, on venait de loin en admirer les gracieuses proportions.

Parmi les personnages illustres qui vinrent visiter le monastère de Saissi, on cite le trop fameux Bernard, prince de Gothie ; il était accompagné de Gausselin, son oncle, alors abbé de Saint-Germain-des-Prés, et qui plus tard fut évêque de Paris.


L'histoire ne dit pas si le comte Bernard n'avait été entraîné au monastère que pour un motif de curiosité. Nous sommes portés à croire qu'il cherchait à calmer les remords de sa conscience par quelque pèlerinage. Il ne savait pas maîtriser ses passions et il avait bien des crimes à expier : c'est pour cela qu'il avait été excommunié en 878, au concile de Troyes.

Quoi qu'il en soit, pendant le séjour qu'il fit au monastère de Saissy, on n'eut pas à se plaindre de ses procédés. Avant de quitter l'abbaye, il demanda aux moines s'ils n'auraient pas quelque supplique à lui adresser.

Les religieux répondirent qu'ils n'avaient qu'un désir, celui de posséder des reliques de S. Baudile, dont le corps se trouvait dans ses états.

Le prince, étonné d'une aussi modeste demande, promit de la satisfaire. Il proposa même à l'abbé Trudgaud d'emmener avec lui deux de ses moines auxquels cette mission serait confiée. L'abbé choisit deux reli-


gieux honorés du sacerdoce, afin qu'il eussent plus d'autorité (1).

Nous avons, sur cet événement qui contribua si puissamment à réveiller le culte de S. Baudile, le récitd'un auteur contemporain dontle texte est reproduit par notre historien Ménard (2). C'est une sorte de procès-verbal rédigé d'après les dépositions des témoins oculaires, et qui offre par conséquent toutes les garanties d'authenticité.

Bernard étant arrivé à Narbonne où était sa résidence ordinaire, présenta les deux moines à Ségebod, qui occupait le siège métropolitain de cette ville, et lui fit connaître le but de leur mission. Le vertueux prélat apprit avec joie le motif de leur voyage et il résolut de les accompagner à Nimes. Mais une maladie l'ayant retenu dans sa ville, il envoya à sa place son archidiacre, Tliéodard, qui devait être son successeur, et il fit aux moines des

(1) Hagiologie nivernaise, par Mgr Crosnier.

(2) Ménard. Histoire de Nimes, t. 1. — Preuves,


présents d'un prix merveilleux ; c'étaient des reliques de S. Paul, premier évêque deNarbonne, et de S. Amant. Honorés d'une si insigne faveur, les religieux, après avoir reçu la bénédiction et la mission du pontife, se hâtèrent de prendre la route de Nimes avec l'archidiacre et le seigneur Ursus, qu'on présume être le vicomte de Nimes, que Bernard députa à sa place.

Le mécontentement de la ville fut grand dès qu'on apprit le motif de leur message, et le peuple commença à s'ameuter et à prendre les armes pour défendre le corps de son martyr. C'était là peut-être, remarque le pieux chroniqueur, une ruse de l'antique ennemi des hommes, pour empêcher qu'on ne découvrît le corps d'un si grand saint, ou que sa présence ne mît les démons en fuite.

On calma la foule et on commença les fouilles pour découvrir les reliques. « Là, se trouvait Gilbert, évêque de la cité ; Walefrid , évêque d'Uzès, et plusieurs autres prélats avec un grand nombre d'abbés. En


présence de l'archidiacre, du vicomte Ursus, sous les auspices et par le secours de la volonté divine, on exhuma le précieux tombeau, profondément enfoui sous les murs du temple sacré; ce tombeau glorieux, longuement célébré par S. Grégoire de Tours, le fameux historien des miracles. Comme les évêques commençaient à ouvrir le cercueil de plomb du saint martyr., il en sortit une odeur si suave, que tous les parfums réunis ne l'auraient pu surpasser. A la découverte de ce trésor, jusqu'alors caché, ils entonnèrent à haute voix l'hymne de Te Deurn laudamus. Le chœur des prêtres et des clercs, qui étaient accourus au nombre de cinq cents, s'éleva si fort, qu'on aurait dit qu'il fendait le ciel et en faisait descendre la rosée d'une plus abondante bénédiction. Les airs retentissent de mille cantiques, des larmes de componction s'échappent de tous les yeux; on proclame le mérite des saints : la rémission des péchés est accordée par rintercession de S. Baudile; un immense concours de


peuple assiége le tombeau du bienheureux martyr du Christ, et le pays reçoit une multitude de grâces. L'année même delà découverte du corps de S. Baudile, tous les dangers qui planaient sur la contrée furent détournés, et les habitants, délivrés des infidèles., enrichis des dons d'une terre fertile, se montrèrent animés d'une pieuse ferveur. Le comte Bernard parut plus doux et plus modéré. L'invention de ce glorieux tomb3au eut lieu le 14 avril de l'année 878.

Au comble de leurs vœux, en possession d'une notable partie du corps du saint martyr et de la bénédiction divine transmise par lesévêques, les moines n'avaient plus qu'un désir, celui de s'en retourner avec leur précieux fardeau. Escortés par les prélats etles clercs, sous les auspices de Dieu, ils quittèrent la Gothié etprirentlaroute de la Bourgogne » Le pieux chroniqueur se plaît à nous raconter les nombreux miracles que le Seigneur opéra sur le passage des saintes reliques. e Si le récit que je vais vous en faire, dit Mé-


nard (1), révolte d'un côté les esprits forts de nos jours qui font gloire d'incrédulité ou d'irréligion, il ne peut manquer, de l'autre côté, de consoler et d'édifier les personnes pieuses à qui une foi vive fait reconnaître la grandeur et la toute-puissance de Dieu dans ses saints. »

Les religieux suivirent, à leur retour, le cours du Rhône ; et après avoir reçu un accueil plein de cordialité de Racbert, évêque de Valence, ils entrèrent dans le Nivernais et s'arrêtèrent au village de Guépi.' A peine les châsses furent-elles placées dans l'église, qu'un homme, nommé Bernoard, atteint depuis longtemps d'une fièvre cruelle, s'étant approché et ayant allumé un cierge, fut soudainement guéri. Le bruit de cette guérison fut bientôt répandu dans tout le voisinage : il y eut aussitôt un grand concours de peuple, et l'on compta jusqu'à quarante croix de diverses paroisses. La foule accompagna les

(1) Histoire de la ville de Nimes. Tome i.


reliques au-delà du diocèse de Nevers. On s'arrêta à Champ-Lemi, à l'entrée du diocèse d'Auxerre, et une femme, qui était atteinte de cécité depuis dix ans, recouvra la vue aux pieds de la châsse. Au Val-deBargis, deux autres femmes, l'une aveugle, l'autre percluse, furent aussi miraculeusement guéries. Les populations se pressaient sur le passage du pieux cortège ; les champs étaient foulés sous les pieds et cependant ils se couvraient d'abondantes moissons. Une nouvelle guérison miraculeuse eut lieu, un peu avant que le cortége entrât dans le pré de Saint-Germain; et pour satisfaire la dévotion de la foule qui croissait à chaque instant, les religieux firent une halte dans ce pré. On ne cessa pendant ce temps de chanter les louanges de Dieu et d'annoncer la parole sainte au peuple.

« Cependant, l'abbé de Saissi-lez-Bois et tous les vénérables personnages accourus auprès de lui, avaient fixé la réception des dépouilles du martyr au dimanche dans


l'octave de l'Ascension, qui était le 4 mai.

Ce jour, qui devait éclairer une nouvelle allégresse et être consacré à célébrer la résidence du Christ dans les cieux, attira, des cités voisines et lointaines, bien des fidèles, avides d'enrichir leur âme par ce divin spectacle. Tous voulaient assister à l'arrivée de S. Baudile et le voir placé dans le temple destiné à le recevoir. « Pour raconter en entier cette scène, ajoute dans son enthousiasme le vieux chroniqueur, les forces manqueraient à Démosthène et à Homère. » Les moines, aussi bien que la foule, s'acheminaient vers le cloître, revêtus, comme le voulait un si beau jour, de la robe blanche de la grâce et ravis d'une joie angélique. Tout un peuple marchait' en procession avec des croix, des bannières, des encensoirs, desflambeaux. On aurait cru voir la multitude qui se nourrissait jadis de la parole du Christ, allant à sa rencontre pour l'introduire en triomphe dans une autre Jérusalem.

»Derrière se traînaient des aveugles, sûrs


de recouvrer bientôt l'usage de la vue ; puis des boiteux, que les mérites de S. Baudile devaient redresser ; puis des énergumènes qui allaient, au commandement de Jésus, vomir le malin esprit. Tous chantaient, comme ils pouvaient, les louanges de Dieu, et lançaient vers le ciel des prières et des gémissements. La tête du pieux cortége envahissait le monastère, cherchant à éviter la presse; toutes les clôtures étaient envahies, l'église encombrée.. L'affluence était si prodigieuse, que quelques uns couraient sur la tête des autres, ou étaient portés par le tourbillon ; les bâtons des bannières se bri- saient, les portes craquaient, et pourtant personne n'eut le moindre mal : ceux même qui étaient venus blessés s'en retournaient guéris. Les châsses qui renfermaient les précieuses reliques furent élevées sur les bras des prêtres ; car il était impossible de se frayer un passage à travers la foule ; et chacun se plaisait à toucher de la main le bois sacré d'où émanait une salutaire vertu.


Lorsqu'elles entrèrent, les voûtes du temple retentirent d'un concert universel de voix et du chant des cloches, Il sembla aux fidèles que le Christ se promenait de nouveau sur la terre et l'éclairait de ses miracles (1) ».

Ce pieux itinéraire des reliques de S. Baudile, à travers les populations émues; ces habitants des villes et des campagnes, qui s'ébranlent à leur approche et accourent, précédés des croix et des bannières; ces infirmes, qui viennent demander la guérison de leurs maux ; ces cantiques qui retentissent de toutes parts; ces transports qui éclatent: n'est-ce pas un magnifique témoignage de la foi de ces temps primitifs, où l'on attachait plus de prix à la possession des reliques des saints qu'à tous les trésors de la terre?

Le monastère de Saissy eut beaucoup à souffrir des invasions des Normands. Vers

(I) Histoire de l'Eglise de Nimes, t. i. Traduction de M. Germain.


912, ils pillèrent et incendièrent l'église bâtie par S. Romule et dédiée à S. Baudile.

Déjà ils s'en retournaient chargés du butin, quand S, Géran, évêque d'Auxerre, qui joignait à la piété d'un homme de Dieu toute la bravoure d'un soldat, leva des troupes et se mit à leur poursuite, avec Richardle-Justicier, duc de Bourgogne. Il prit les devants par des chemins détournés, pour leur couper le passage. Sa seule vue suffit pour les mettre en déroute et pour délivrer les captifs qu'ils emmenaient.

Huit ans plus tard,. Gaudry, successeur de S. Géran, releva les ruines du monastère de Saissy et fit à son église de riches présents en vases sacrés et en ornements. Il donna une châsse en argent. doré pour renfermer les reliques de S. Baudile qui avaient été soustraites au pillage des Normands.

Le monastère de Saint-Baudile, à Saissy, devint plus tard un simple prieuré. Il comptait encore huit religieux au xve siècle. Il fut entièrement détruit, en 1569, par les


protestants, comme celui de Nimes, et les reliques de S. Baudile, conservées jusqu'alors, eurent le sort de toutes celles qui tombèrent entre les mainsdes calvinistes (1). Les noms mêmes de S. Baudile et de S. Romulesont aujourd'hui oubliés à Saissy.

VI

L'ébranlement des populations, qui saluaient avec de si grands transports de foi le passage des saintes reliques, ne semble pas s'être communiqué aux habitants de Nimes, et nous ne voyons pas que la ville, qui n'avait consenti qu'à regret à se laisser dépouiller d'une partie de son trésor, ait cherché à rendre au sanctuaire de SaintBaudile son premier éclat. Elle se borna d'abord à l'entretien de l'église qu'elle avait relevée et elle en confia le service religieux aux chanoines de la cathédrale. Le chapitre

(1) Hagiologie nivernaise, par Mgr Crosnier.


délégua un de ses membres qui prit le titre d'abbé de Saint-Baudile. Il est probable que Pierre, qui est désigné dans un acte du XIe siècle, comme abbé de Saint-Baudile, Petrus abbas sancti Bauclilii n'était qu'un délégué du chapitre, et qu'il n'avait point de religieux sous sa dépendance (1).

Le monastère resta longtemps dans un état de triste décadence. Vers la fin du onzième siècle, la noblesse du pays, affligée de cette situation déplorable , chercha à lui rendre sa vie première. Raymond de SaintGilles, comte de Rouergue, qui faisait alors son principal séjour aux environs de Nimes, et Ermengarde, vicomtesse de cette ville, de concert avec les notables de la cité, prièrent l'évêque Ermengaud de céder le monastère de Saint-Baudile à Séguin, abbé de la ChaiseDieu, l'une des plus célèbres abbayes de l'ordre de Saint-Benoît. L'évêque se rendit volontiers à leur prière, et, conjointement

(1) MénarJ. Histoire de Nimes, t - i -


avec les membres de son chapitre, il fit donation de cette église et de ses dépendances à l'abbé Séguin et à ses successeurs, à la charge d'y entretenir le service divin. Cette union se fit dans une assemblée solennelle à laquelle assistèrent, avec l'évêque et les chanoines, le comte Raymond de Saint" Gilles, la vicomtesse Ermengarde et les habitants les plus. distingués de la ville. Cet acte de cession, porte la date du 28 décembre de l'année 1084. Le couvent de Saint-Sau-.

veur-de-la-Font, établi auprès de l'ancien temple de Diane, fut soumis, comme celui de Saijit-Baudile, à la Chaise-Dieu (1).

Plusieurs églises de Nimes et des environs furent l'objet d'une cession semblable.

Les deux églises qui s'élevaient dans l'enceinte des Arènes : Saint-Martin, dont on distingue encore les baies romanes à l'étage supérieur des arcades du vieux monument romain, et Saint-Pierre., dont on ne retrouve

(1) Mènard, Histoire de Nimes, t. 1.


plus les vestiges ; Saint-Vincent, qui était situé près du Cours-Neuf; Saint-Etienne-duCapitole, près de la Maison-Carrée ; SaintThomas,[sur les remparts, dans la rue de ce nom, près du Palais de Justice; Saint-Pierre d'Uchaud et Saint-Julien de Langlade, suivirent le sort du prieuré de Saint-Baudile et.

furent cédés à la Chaise-Dieu (1).

Le monastère de la Chaise-Dieu, casa Dei" c'est-à-dire Maison de Dieu, justifiait un si beau nom par la sainteté de ses religieux.

Fondé l'an 1052 en Auvergne, par S. Robert, il devint très florissant en peu de temps et compta jusqu'à trois cents moines. Sa réputation s'étendit au loin, et c'est ce qui explique ces affiliations nombreuses qui avaient pour objet de relever les monastères atteints par la décadence, en les rattachant à une abbaye qui avait conservé sa vitalité

(i) Voir les Notes si intéressantes d'histoire et de statistique sur les paroisses du diocèse de Nimes, par M. l'abbé Ggiffon.


première. Le prieuré ae Saint-Baudile allait se rajeunir en quelque sorte par son union à la Chaise-Dieu et y puiser une vie nouvelle.

Les nouveaux titulaires s'appliquèrent à faire refleurir le culte du saint martyr. Le monastère sortit peu à peu de ses ruines ; une nouvelle communauté en prit possession et vint continuer autour du vénéré tombeau les louanges depuis longtemps interrompues de S. Baudile. La nouvelle famille grandit sous la protection du Saint et elle compta bientôt quarante-cinq religieux qui rappelèrent par leur ferveur les beaux jours de l'abbaye, lorsqu'elle avait S. Romule à sa tête. Les pèlerins reprirent le chemin du sanctuaire rendu à la dévotion publique-; et la tradition raconte que les anciens miracles, qui avaient rendu ce tombeau si glorieux furent renouvelés.

Un pieux écrivain du xive siècle., Besjiard Guido, de l'ordre de Saint-Dominique, qui devint ensuite évêque de Lodève, a signalé


en ce lieu l'existence d'un prieuré de Bénédictins, et il assure que le tombeau du Saint, élevé au-dessus du sol et pieusement décoré, attirait un grand concours de peuple et devenait de nouveau célèbre par d'éclatants prodiges.

Ubi est prior alus monachorum ordinis S. Benedicti, ubi etian virtutibus claret et a fideli populo veneratur in tumulo valde pulcro super terram venerabiliter ac docentissime collocato(l)

Ce concours de fidèles était si considérable le jour de la fête de S. Baudile, raconte Ménard, que, pour prévenir le trouble et le désordre qui pouvaient naître au milieu de * cette foule confuse d'étrangers, on établissait des gardes auprès du sanctuaire et on plaçait des sentinelles aux portes de la ville, afin d'empêcher toute tentative hostile et toute surprise.

L'église qui possédait ce tombeau avait été

(1) Tillemont, t. iv.


reconstruite au Xlle siècle, par les soins de l'abbé de la Chaise-Dieu, comme l'atteste

une lettre de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui mentionne les grandes dépenses faites par l'abbaye pour la restauration de l'église et du couvent de Saint-Baudile.

Ce monument appartenait par son architecture à la période romane qui a laissé de si nombreux monuments religieux dans nos contrées. Si nous en jugeons d'après un plan deNimes, qui remonte au xve siècle, elle était surmontée d'une tour carrée, percée de plusieurs rangs de baies à plein cintre. Tout -autour s'élevait la paisible demeure des religieux avec son cloître. Ce monastère, entouré de jardins où l'on voyait toujours, au milieu des oliviers, le laurier traditionnel.

ombrageant le chevet du sanctuaire, se détachait du fond de la vallée comme le saint asile de la prière.Ce fat sans doute vers ce temps que la piété populaire donna à la vallée de SaintBaudile le nom de Valsainte, voulant hono-


rer par cette appellation pieuse le souvenir des miracles dont ces lieux avaient été le théâtre (1). Il y avait un cimetière qui recevait non seulement les dépouilles des religieux, mais encore celles d'un grand nombre de fidèles qui ambitionnaient comme une faveur suprême d'aller reposer, après leur mort, dans cette terre sainte, à côté de la tombe du saint martyr.

En 1207, Etienne de Saint-Baudile, pelletier, consigne cette disposition dans son testament : « Je désire que mon corps soit enseveli dans le cimetière de Saint-Baudile, et je donne aux religieux deux champs que je possède sur les sablières de Saint-Baudilé, à la charge, pour le sacristain de cette église, de faire dire deux messes pour le repos de mon âme (2). » Telle était la piété de cette époque et la dévotion des fidèles pour S. Baudile : ils voulaient reposer à l'ombre de son

(1) M. Germer-Dtirand, Dictionnaire topographique.

(2) Archives départementales. — Pièces de S. Baudile.


église; ils lui recommandaient leurs âmes et ils demandaient que le saint-sacrifice fût offert pour eux, après leur mort, sur le tombeau du Saint. D'autres faisaient des legs pieux au monastère. L'an 1170, Guillaume de Cuire imposa à ses héritiers une redevance annuelle de douze setiers de froment en faveur des religieux, pour le rachat de son âme, et l'acte fut signé par Armand Grégoire, moine du couvent (1).

C'est à cette époque que remonte une ancienne institution de Nimes qu'on a cherché à faire revivre de nos jours Le nombreux concours de pèlerins qui affluaient de toutes parts au tombeau du Saint, le jour de sa fête, inspira la pensée d'établir en ce jour une foire. Les intérêts temporels vinrent prendre place à côté des intérêts religieux, et le pèlerinage du Saint donna naissance à un marché. Telle est, au reste, l'origine de la plupart de nos foires. Elles ont commencé

(1) Archives départementales. — Pièces de S. BauJile.


sous le patronage d'un saint, et la réunion qui avait lieu pour célébrer sa fête est devenue plus tard un rendez-vous pour le commerce et pour l'industrie. Nous ne nous plaindrions pas de cette part faite aux intérèts matériels si elle ne tournait pas trop souvent au détriment de la religion. Les fêtes chrétiennes s'en vont; il ne reste plus que les fêtes profanes et les foires. Or, si les premières moralisent, nous ne savons

que trop combien les autres corrompent.

Le prieur percevait certains droits sur la vente des marchandises durant la foire de Saint-Baudile, qui se tenait dans un pré voisin du monastère.

A cette époque, les juifs étaient nombreux à Nimes et ils y possédaient depuis plusieurs siècles une synagogue. Ils avaient un cimetière particulier, situé sur une des collines qui entourent la ville, du côté du Nord, à laquelle ils donnèrent leur nom : in podio judaïco, le Puy-Jusieu. Or, ce coteau, aujourd'hui Mont-Duplan, appartenait au mo-


nastère de Saint-Baudile, qui était dans le voisinage. Le prieur concéda aux juifs cet emplacement à la condition qu'ils payeraient tous les ans, au couvent, dix sols tournois ou unelivredepoivre(l).Desfouilles récentes ont mis à découvert un grand nombre de tombes sur le versant septentrional de cette colline qui domine le vallon de Saint-Baudile; ce sont les tombes de l'ancien cimetière Juif ; elles étaient formées de dalles grossières, et toutes renfermaient des ossements.

L'église de Nimes avait alors à sa tête un pieux évêque, d'une grande sainteté, nommé

Jean : Joannes episcopus, vir magnæ sanetitatis" dit une ancienne chronique.

La sage administration du zélé prélat ne fut pas sans influence sur le prieuré de SaintBaudile, et pendant près d'un demi-siècle, les religieux vécurent paisiblement dans la pratique des vertus monastiques.

(1) Archivet départementales, manuscrit de SaintBaudile.


Mais, vers le milieu du xiie siècle, cette paix fut troublée, et les évêques de Nimes, soutenus par 'les vicomtes qui gouvernaient la cité, élevèrent des contestations au sujet des droits que s'attribuait le monastère de la Chaise-Dieu sur celui de Saint-Baudile.

L'affaire fut portée devant le pape Eugène III, qui se trouvait en France, et qui, après avoir visité Clairvaux, assistait au chapitre général de Citeaux. Nous voyons paraître dans ce débat une des grandes figures de cette époque, Pierre le Vénérable, le célèbre abbé de Cluny, qui soutint les droits de l'abbaye de la Chaise-Dieu.

Un accord, survenu en 1148, confirma l'abbé de la Chaise-Dieu dans la paisible possession du prieuré de Saint-Baudile et lui accorda l'église voisine de Saint-Julien, tandis que l'évêque reprit tous ses droits sur le monastère de Saint-Sauveur et sur les églises de Saint-Martin des Arènes et de Saint-Vincent, qui avaient été cédées auparavant à l'abbaye de la Chaise-Dieu.


C'est vers cette époque qu'on peut faire remwnter l'érection en paroisse du prieuré de Saiit-Bamdile. Le titre paroissial fut attaché à l'église de Saint-Julien attenante au couvent. Elle fut soumise à la juridiction de rétêque, qui eut droit de visite, et les sacrememts y furent administrés. Cette église, bâtie sous les murs de la cité, quœ estjuxta muî-os civitatis" dit une charte de 1149, remonte à une haute antiquité. Elle existait déjà au nie siècle, puisqu'un évêque de Nimes, Rémessaire, y fut enseveli en 640 (1).

Contemporaine du monastère de Saint-Baudile, elle en subit les vicissitudes, et il n'en reste plus aujourd'hui qu'un pan de mur qui porte, dans la langue populaire, le nom de Tourmagnette.

Les tristes bouleversements qu'entraîna dans notre Midi la guerre des Albigeois, eurent leur contre-coup dans le prieuré de Saint-Baudile. La paix du cloître fut trou-

(1) Ménard. 1er vol.


blée par le bruit des armes ; le nombre des religieux diminua et se trouva réduit à six.

L'histoire mentionne à cette époque des prêtres oblats qui vivaient dans le monastère.

Ils avaient été, dès leurs jeunes années, consacrés au Seigneur, avaient été élevés dans le couvent et partageaient la vie et les travaux des moines. En 1214, c'était un prêtre oblat du prieuré de Saint-Baudile, Gairaud de Larouvière, qui avait été placé par Pons Fasian, prieur de Saint-Baudile, à la tête de l'église de Saint-Julien de Langlade (1).

Aucun événement important relatif au prieuré ne signale la fin du Xille siècle. Sous le règne de S. Louis, le monastère subit l'influence de ce mouvement de rénovation religieuse que ce saint roi imprime à toute la France, et le nombre de ses religieux s'éleva jusqu'à dix-huit.

Une institution pieuse de cette époque nous atteste la ferveur du sentiment chré-

(I) Mcnard. — Preuves XLI.


tien des habitants de Nimes et leur grande vénération pour S. Baudile. C'était le temps où, à côté de ces ordres religieux qui répandaient les enseignements de la foi dans les masses, on voyait surgir de toute part de nombreuses confréries composées de personnes choisies qui, sous le patronage d'un saint, s'associaient pour la prière et pour les exercices du culte chrétien. A Nimes, elles étaient à cette époque au nombre de six : celles de la Sainte-Trinité, du Saint-Sacrement, de la Croix, de la Sainte-Vierge, de Saint-Jacques et de Saint-Baudile. Elles avaient chacune un recteur qui en était le chef et elles assistaient à toutes les processions qui se faisaient dans la ville. Le 29 mai 1337, le prévôt du chapitre, les consuls de la cité et les recteurs de chaque confrérie .s'assemblèrent dans le cloître de la cathédrale et réglèrent la question des préséances. Il fut statué que la confrérie de Saint-Baudile marcherait la première après la bannière des corps des métiers. Elle eut pour recteur maître


Pierre de Barri, notaire, et elle continua, par sa ferveur, à honorer la mémoire du saint martyr. La bannière de S. Baudile, entourée des membres de la confrérie, eut ainsi une place d'honneur dans les solennités religieuses.

Nous voyons, à cette époque, à la tète du prieuré de Saint-Baudile, deux personnages distingués qui ont occupé un rang éminent dans l'Eglise. Le premier est Imbert de Gui, originaire de Montpellier, créé cardinal par le pape Jean XXII, en 1327. Il posséda ce prieuré en commende, et, malgré les tristes abus que devait engendrer cette faveur qui accordait à des ecclésiastiques séculiers la possession des bénéfices réguliers , l'abbé commendataire laissa les souvenirs d'une administration pleine de sagesse et déploya beaucoup de zèle pour la conservation des biens du monastère. Il échangea ce titre contre celui de prévôt de l'église de Presbourg en Hongrie, et plus tard contre la cure de Frontignan, au diocèse de Maguelonne. Il fit


un pieux usage des revenus de ses bénéfices, et il fonda à Montpellier une collégiale, sous le titre de Saint-Sauveur, pour douze chanoines (1).

Il eut pour successeur Pierre Roger, originaire du Limousin, religieux de la ChaiseDieu, prieur de Saint-Baudile, archevêque de Sens, cardinal en 1338 et pape en 1342, sous le nom de Clément VI. L'unique faveur que les moines de Saint-Baudile solli-' citèrent de leur ancien prieur élevé sur la Chaire de S. Pierre., ce fut une indulgence de quarante jours pour leur église, aux principales fêtes de l'année. Un tel fait atteste leur humble désintéressement et leur grande ferveur. Ils n'hésitèrent pas à préférer une modeste faveur spirituelle à des priviléges temporels qui auraient pu jeter un certain éclat sur leur monastère, mais qui n'avaient aucun prix devant Dieu.

(1) Ménard. Histoire de Nirnes, t. II.


VII

Nous voudrions essayer d'indiquer ici les traits principaux de la physionomie de ce monastère, qui avait eu lagloire d'avoirpour prieurs quelques-uns des premiers dignitaires de l'Eglise. Un document de la fin du XIVe siècle nous apprend que la communauté de Saint-Baudile était composée d'un prieur, d'un sous-prieur, d'un cellérier, d'un sacristain et de deux religieux claustraux.

Le prieur, nommé par élection avant que le prieuré fût tombé en commende, était le premier dignitaire du couvent. Le sousprieur, comme l'indique son nom, n'avait d'autres fonctions que de suppléer le prieur, en cas d'absence, et de l'aider dans l'accomplissement des devoirs de sa charge. Le cellérier était chargé, sous l'autorité du prieur, de l'administration financière du couvent.

C'est lui qui présidait à la distribution de la nourriture faite à chaque religieux et qui


surveillait les exploitations agricoles du couvent. Le sacristain était préposé à tout ce qui concernait le culte. Il ouvrait et fermait les portes de l'église, veillait à la propreté du saint lieu, faisait les hosties et prenait soin des vases sacrés confiés à sa garde. Les religieux claustraux devaient chanter les offices et partageaient leur temps entre la prière et le travail.

Il n'est point fait mention dans ce document des frères convers. Mais comme le monastère de Saint-Baudile suivait la règle de S. Benoît et avait adopté la grande réforme de S. Benoit d'Aniane, il devait y avoir, à côté des moines claustraux, des frères convers.

L'ordre Bénédictin priait et travaillait tout entier. Aucun de ses membres n'était dispensé ni de l'un ni de l'autre de ces exercices. C'était la tâche commune , mais à divers degrés. Le moine travaillait sans doute, mais surtout il priait, c'était là son premier devoir : il consacrait plusieurs heures du jour et de la nuit à chanter, avec


les frères, les louanges du Seigneur. Le frère convers, tout en restant fidèle au précepte de la prière, se vouait au travail des mains. Il sortait dès l'aurore pour labourer la terre, pour conduire les troupeaux aux pâturages. Dans la maison, il se livrait aux occupations manuelles. Mais, dans tous ces travaux, le recueillement, le silence, la méditation, la prière ne l'abandonnaient pas.

Ce laboureur, ce prêtre, cet artisan, c'était toujours un religieux. Si le moine au chœur était comme l'organe et la voix de la famille monastique, le frère convers en était le bras. Or, ce sont de tels auxiliaires que le prieuré de Saint-Baudile devait avoir pour cultiver ses vignobles, labourer ses champs et conduire un troupeau dans les garrigues voisines. A cette époque, chaque couvent avait une exploitation agricole, et c'était surtout le frère convers qui défrichait le sol et le fécondait de ses sueurs. Ses mains endurcies au travail ont cultivé les oliviers et les vignes de nos coteaux.


.A côté de ces moines laborieux, qui défrichait le sol pierreux de nos collines, il y avait aussi des moines livrés à l'étude, qui défrichaient le sol non moins aride de la science. Le monastère de Saint-Baudile dut avoir son école, ses. maîtres, sa bibliothèque et Les autres institutions qui font partie des couvents de cette époque. Il y avait une de ces écoles inférieures, minores -scholæ, où l'on enseignait aux jeunes oblats que les parents confiaient au monastère, avec les éléments de la foi chrétienne, la psalmodie, le calcul et la grammaire. A côté de cette école primaire, il devait exister une école supérieure, où quelque frère instruit initiait les autres religieux à la connaissance des sciences sacrées et profanes. Les diverses branches de cet enseignement devaient comprendre les sept arts libéraux qu'on enseignait dans les monastères.

L'école suppose la bibliothèque. « Un cloîtr&sans livres, dit un vieil adage monastique, est une forteresse sans armes. » Les religieux


de Saint-Baudile les copiaient manuscrits que leur communiquaient les monastères voisins, et ce furent ces copies qui formèrent les principaux éléments de la bibliothèque du monastère. La bibliothèque de la cathédrale de Nimes, déjà riche à cette époque, dut fournir aux copistes du couvent quelques uns des précieux manuscrits qu'elle possédait. Un inventaire, qui remonte au-commencement du XIIIe siècle, et qui fut. dressé par le chanoine sacristain, nous apprend que cette bibliothèque possédait quelques ouvrages des Saints-Pères, de nombreux com- mentaires sur l'Ecriture sainte et quelques livres d'histoire. Des copies de ces ouvragés, faites par les moines de Saint-Baudile, durent enrichir la bibliothèque de leur couvent et servir à l'instruction des religieux. La bibliothèque portait dans la langue monastique le nom d'armarium, armoire, parce que les manuscrits étaient soignement enfermés dans une armoire, afin de les protéger contre toute tentative de soustraction. Nous ne con-


naissons le nom d'aucun de ces maîtres qui ont enseigné dans l'école de Saint-Baudile.

Us restent ignorés comme ces saints religieux qui ont embaumé cette vallée du parfum de leurs vertus.

Le monastère avait tous les jours une distribution de pain faite à chaque pauvre qui se présentait à la porte. Ainsi, la charité, comme la prière, le travail et l'étude, avaient un asile au cloître, et on y trouvait des secours pour les besoins de l'âme et du corps.

A cette époque, la vie monastique à Nimes était très florissante. La cité possédait plusieurs couvents qui étaient autant de foyers de vertu et de science. Le plus ancien était celui des -Frères-Mineurs, fondé en 1222, du vivant même du saint patriarche de la grande famillefranciscaine. Les Dominicains s'étaient établis en 1263. Ils possédaient, au XIVe siècle, une école monastique qui avait à sa tête un lecteur ou professeur de philosophie et deux lecteurs en théologie. Le couvent des Carmes, fondé vers la même époque,


n'eut pas moins d'éclat. Au chapitre général de cet ordre tenu à Nimes, en 1333, on vit deux grands personnages de cet institut, le florentin André Corsini., que son mérite éleva à l'épiscopat et la pureté de sa vie au rang des saints; et l'anglais Jean Bacon, une des gloires de l'Université de Paris, non moins éminent par sa piété que par sa science. Les Carmes cultivaient à Nimes, avec autant de zèle que les Dominicains, les études sacrées, et ils comptaient dans leur sein deux lecteurs ou professeurs de théologie. Les Augustins, dont la fondation remonte vers le milieu du xiv" siècle, avaient leur couvent hors des murs de la ville, au dessous de l'Esplanade. Il y fut tenu un chapitre général en 1363, et leur église avait droit d'asile (1).

Tels étaient les puissants éléments de vie religieuse que possédait la ville de Nimes.

Tandis que la communauté de Saint-Baudile

(1) Mcnard. Histoire de Nimes, t. n et lii.


vivait silencieuse et recueillie dans sa paisible vallée, et semblait faire sentinelle aux portes de la cité et la protéger :par la double vertu de ses prières et du tombeau dont elle avait la garde, les autres communautés accomplissaient, à l'intérieur de Nimes, un ministère non moins utile et non moins efficace. A l'esprit de prière et de pauvreté, elles ajoutaient l'apostolat de la prédication et du zèle pour .le salut des âmes, et toutes, se donnant la main comme autant de sœurs et obéissant à la même inspiration, concouraient, par des voies diverses, à cette œuvre commune, le bien de la cité et la gloire de Dieu. A cette époque où Nimes n'avait qu'une paroisse, le clergé séculier ne pouvait suffire aux besoins spirituels de la ville.

Il lui fallait des auxiliaires, et les religieux étaient là pour faire arriver jusqu'à l'âme du peuple les enseignements de la foi, pour instruire l'enfance, pour consoler la misère et faire pénétrer dans tous les rangs du' corps social l'influence chrétienne. C'est de ce côté


que venait la lumière, le dévoûment; et c'est par eux que la vie rayonnait sur la société de cette époque : ils versaient à l'envi sur la cité l'éclat de la plus haute doctrine et l'exemple des plus pures vertus.

Le testament d'un magistrat de ce temps, non moins fervent chrétien qu'habile légiste, de Geoffroi Paumier, avocat du roi en la sénéchaussée de Beaucaire et de Nimes, nous montre en quelle estime il avait les communautés religieuses de cette ville, et surtout celle de Saint-Baudile. Après divers legs faits à l'église de Notre-Dame, aux Frères-Prêcheurs, Mineurs, Augustins et Carmes, aux sœurs de Sainte-Claire et aux religieuses de la Fontaine, il ajoute : « Je lègue en l'honneur de Dieu, de la bienheureuse et glorieuse Vierge, sa mère, et du martyr S. Baudile, pour le salut de mon âme, de mes parents, de mes fils et bienfaiteurs, audit S. Baudile et à l'église, prieuré et couvent de Saint-Baudile, près de Nimes, à perpétuité, la maison que j'habite à Nimes, dans


la rue Caguensol, hospitium meum in gun rnorcem traho, situm in carreria

vocata Caguensol, à condition que le prieur et les religieux du dit prieuré seront tenus de faire célébrer, à perpétuité, chaque semaine, trois messes pour mon âme et celle de mes parents, fils et bienfaiteurs, et qu'un religieux, prêtre du même couvent dira, tous les jours, une messe des morts à la même intention, à moins que la solennité du jour n'empêche de dire cette messe des morts ; on dira alors la messe de la fête, mais toujours pour le salut de mon âme et pour tous les

miens, pro remedio animæ mece (1) ».

Au nombre des exécuteurs testamentaires de Geoffroi Paumier, nous voyons Blanqui de Riane, licencié en droit, moine et prieur du monastère de Saint-Baudile. Il devait être originaire de Nimes, car il possédait une maison dans la même rue que son pieux amLPaumier. C'était un homme instruit et

(1) Ménard, Hialaire de Nimes, t, IU.


un orateur distingué. Il fut chargé de prononcer, à la cathédrale, en présence des consuls, l'oraison funèbre du roi Charles V.

VIII

Si les grands personnages de cette époque témoignaient par leurs dispositions testamentaires combien était grande leur vénération pour S. Baudile, le peuple ne montrait pas moins de confiance pour ce saint protecteur. Fidèle à la tradition de tous les siècles, c'était à lui qu'il s'empressait d'avoir recours dans les calamités publiques. En 1362, une sécheresse extrême désolait les campagnes et semblait détruire tout espoir de récolte. La population affligée se tourna vers S. Baudile. Le 12 avril, il y eut une procession solennelle pour demander lapluie.

La ville entière s'ébranla avec ses confréries et ses corporations. Les huit consuls y assistèrent portant chacun un flambeau à la main. C'était alors l'usage qu'il y eût, dans


toutes les fêtes publiques, des joueurs d'instruments de musique. On vit donc à la tête du pieux cortége deux ménétriers qui jouaient de la cornemuse. La procession sortant de la ville se déploya' sur les flancs des collines et se rendit aux Trois-Fontaines, pour demander à Dieu, par l'intercession de S. Baudile, une pluie bienfaisante. C'était le lieu où, suivant l'antique tradition, le Saint avait subi son martyre, et on allait l'invoquer là même où il avait donné son sang pour la foi.

Huit jours après, le 19 dumème mois,une nouvelle procession eut lieu pour le même objet. Mais cette fois elle se dirigea vers le couvent et l'église de Saint-Baudile. Elle était également précédée du ménétrier et d'un homme sonnant de la trompette. Les huit

consuls portaient^ ^p^Tl^tfl^beaiix chargés d'écussons a u'x,afm es de e là, i e et la foule suivait invoquant;ayed ^fervçuï S. Baudile.

La ville entière, unife dans tmJmême sentiment religieii^ p^lamaft^ar cette mani"-,,' l.,! 1 ¡ ; *


festation solennelle, sa foi dans la protection du saint martyr (1).

Un pieux usage de cette époque nous fait connaître les sentiments chrétiens qui animaient les consuls. Ces magistrats faisaient célébrer, chaque dimanche et aux principales fêtes de l'année, une messe à laquelle ils assistaient en corps. Cette messe était célébrée alternativement dans les différentes églises de Nimes. Aux fêtes de la sainte Vierge, elle se disait dans l'église cathédrale, placée sous l'invocation 4e NotreDame, et le 20 mai, jour de la fête de S.

Baudile, on la célébrait dans l'église de ce nom, hors des murs de la ville. Les consuls donnaient ainsi un noble exemple à la cité, et les habitants, en les voyant paraître successivement dans chaque église, apprenaient d'eux à honorer la religion et à être fidèle à ses lois.

Une autre coutume de ces temps atteste

(f) Ménard, Histoire de Nimes. — Tome iv.


avec non moins d'éclat la dévotion des consuls de Nimes pour S. Baudile. Le jour même de leur entrée en charge, ils devaient se rendre à l'église du monastère et faire publiquement hommage au saint martyr de la dignité dont l'élection populaire venait de les revêtir. A leur arrivée, le prieur s'avançait au devant d'eux, à la tête de ses religieux, et leur présentait l'eau bénite. De là, il les conduisait au pied du maître-autel, où ils se prosternaient et faisaient une prière. Ils prêtaient ensuite serment sur le livre des Evangiles, entre les mains du prieur, qui leur adressait une courte exhortation. De l'église, ils entraient dans le monastère, où les religieux s'empressaient de rendre honneur «^eur dignité.

Le dimanche suivant, les consuls se rendaient de nouveau à la même église, accompagnés des anciens ou conseillers de la cité; ils y entendaient la messe et faisaient des offrandes et des aumônes en l'honneur du saint martyr, Enfin, le 20 mai, jour de la


fête de S. Baudile, comme le concours des fidèles dans cette église était très nombreux, ils envoyaient des gardes pour empêcher tout désordre. (1) Il existait, depuis longtemps, une chapelle aux Trois-Fontaines, pour honorer le lieu où S. Baudile reçut la palme du martyre, et nous avons déjà vu que, lorsque quelque fléau s'abattait sur la ville, la population s'empressait d'aller implorer "en ce lieu la protection du saint martyr. Cet oratoire fut réparé par les soins des consuls, et on construisit à côté un ermitage pour ser-

vir d'asile à l'ermite à qui fut confié le soin de la chapelle. Pieux gardien de ce sanctuaire, il continuait en ce lieu les prières que les moines du couvent faitlient au pied du tombeau u Saint, et le nom de S. Baudile, qui retentissait depuis tant de siècles sous les voûtes du monastère, trouvait ainsi un écho sur la colline qui fut arrosée de son sang.

(1) Ménard, Histoire de Nimes. — Tome IV.


En 1494, la ville de Nimes fut visitée par la peste. Le fléau sévit avec une effrayante intensité et causa de funestes ravages.. Le peuple consterné n'oublia pas le saint martyr, qu'il avait coutume d'invoquer danssesjours de détresse. Il y eut une procession solennelle à l'église de SaintBaudile. On alla prendre les reliques du Saint qui y étaient conservées : on les promena, au chant des cantiques sacrés, à trayers les rues de la ville décimée par la contagion, et on les reporta au monastère (1).

Nous voyons, par ce fait, que les religieux possédaient une relique du saint martyr et qu'elle était exposée à la vénération des fidèles.

Après tous ces témoignages de dévotion séculaire donnés à S. Baudile par les consuls et par la cité, voici un témoignage non moins éclatant qui vient du clergé. En 1499, l'administration diocésaine travailla , de

(t) Ménard, t. iv. — Preuves. Archives de l'hôtel de ville de Nimes.

*


concert avec le chapitre, à la rédaction des livres liturgiques à l'usage de l'Eglise de Nimes. C'était sous l'épiscopat du cardinal Guillaume de Briçonnet, évêque 'non résidant , qui vécut toujours éloigné de son troupeau. C'est dans ces livres que nous trouvons consignés les origines, les traditions, les croyances du diocèse. Or, que voyons-nous dans ce monument de la foi de nos pères, au xve siècle? Le culte de S. Baudile et les Actes de son martyre y occupent une place d'honneur. La légende du bréviaire lui donne la ville d'Orléans pour berceau et place parmi nous le théâtre de son apostolat. Deux fêtes sont établies en son honneur : l'une le 13 avril, pour célébrer la translation d'un partie de ses reliques, faite vers le milieu du ve siècle, par S. Agnan,.à Orléans; l'autre, le 20 mai, pour honorer le jour de son martyre. Cette légende du bréviaire nimois ne fait que reproduire le lec- tionnaire qui fut dresse, en 1140, par Aldebert, évêque de Nimes, sur S. Baudile, Le


Actionnaire de l'évêque Aldebert s'appuie sur les actes beaucoup plus anciens du saint martyr. Comment ne pas reconnaître qu'une telle tradition qui repose surwla foi des siècles, qui, depuis si longtemps, a pris place dans la prière publique, qui est en quelque sorte gravée sur la pierre des autels par la croyance de tout un peuple, s'impose à l'esprit avec tous les caractères d'une autorité incontestable. Ce souffle profane, qui devait plus tard altérer nos traditions religieuses, obscurcir nos origines chrétiennes et affaiblir l'empire de la foi dans les âmes, n'était pas encore passé sur le sanctuaire. Les « dénicheurs de saints » n'avaient pas encore paru au seuil de nos antiques églises et nos pères vivaient en paix dans cette croyance des siècles passés, respirée avec l'air natal et sucée en quelque sorte avec le lait.

IX

Le culte de S. Baudile, déjà si fervent et si populaire à cette époque, sembla puiser


une nouvelle ardeur dans l'élévation de ses reliques. Cette exaltation eut lieu en 1517.

Il semble qu'au moment même où la réforme poussait son premier cri de révolte sur la place de Wittemberg, où elle allait proscrire le culte des saints et jeter aux vents leurs cendres sacrées, la ville de Nimes voulait reconnaître le précieux trésor qu'elle possédait en paix depuis plus de dix siècles, le contempler une fois encore d'un regard d'amour avant les temps orageux qu'elle allait traverser, et protester, par un redoublement de vénération, contre les profanations douloureuses dont ses sanctuaires devaient être bientôt le théâtre.

Déjà, il y avait eu une élévation-solennelle lorsque, en 878, l'évêque de Nimes, cédant aux instances de Bernard, comte de Gothie, accorda aux moines de Saissy-lezBois une partie notable du corps de S. Baudile. Ce n'était pas la première. En 440, S. Agnan, évêque d'Orléans, s'étant rendu à Arles, pour implorer le secours d'Aetius


contre les hordes d'Attila qui menaçaient sa ville épiscopale, voulut visiter, à son passage, le tombeau du saint martyr, à Nimes, et obtint une relique notable qu'il emporta comme un gage de protection pour la cité d'Orléans.

Cette nouvelle ouverture du tombeau de S. Baudile fut accompagnée d'un grand appareil religieux et laissa une impression profonde au cœur de la cité. Il y avait plus de six siècles que la terre gardait le dépôt qui lui avait été confié, sans que, pendant ce long espace de temps, aucun regard humain eût pu le contempler. On s'adressa à l'abbé delà Chaise-Dieu, de qui dépendait le prieuré de Nimes, pour obtenir son consentement. Le père abbé délégua son vicaire pour assister à cette exaltation, et le conseil de ville prit à sa charge, par délibération, tous les frais de cette entreprise. Les fouilles commencèrent et le corps de S. Baudile fut retrouvé, avec d'autres reliques, sous le grand autel de l'église. Le peuple, à


cette heureuse nouvelle, fit éclater sa joie et se porta avec un pieux empressement vers la tombe retrouvée de son glorieux protecteur. Le conseil de ville se réunit en session extraordinaire, sous la présidence du juge royal ordinaire, et il fut décidé que le corps resterait à la même place qu'il occupait sous l'autel, qu'on l'enfermerait dans un cercueil de plomb pour le préserver de toute altération, qu'on établirait quelques marches pour rendre l'accès du tombeau plus facile et qu'on le garderait, nuit et jour, jusqu'à ce que les travaux projetés fussent exécutés.

Quand les préparatifs furent achevés, on fit, au milieu des pieux transports de la foule, l'exaltation des saintes reliques. Elles furent placées dans une châsse en bois de cyprès, et une grille en fer, placée tout autour, contint le flot des pèlerins. Il y eut des fêtes solennelles comme l'Eglise savait, dans ces temps, en donner aux foules chrétiennes; on chanta avec élan les louanges du Saint. Un lettré de cette époque, le capiscol


ou maître des écoles, faisant appel à sa muse, voulut offrir à S. Baudile le tribut de son talent poétique. L'inspiration religieuse le favorisa. Il composa une pièce en vers qui excita une vive admiration, et les consuls, se faisant les interprètes de la reconnaissance publique, lui offrirent la modeste somme de deux livres tournois (1). Il fut décrété qu'on bâtirait deux chapelles à côté du tombeau, avec des degrés pour y descendre. On creusa une crypte ou confession, sous l'autel principal, autour des saintes reliques, et c'est dans l'évasement de cette crypte que devaient se trouver les deux chapelles ou plutôt les deux autels. La générosité du conseil ne se borna pas à ces travaux dispendieux. Il vota un buste ou chef en argent représentant S. Baudile, destiné à être porté aux processions solennelles.

La ville affirmait ainsi hautement sa vé-

(1) Ménard. Histoire de Nimes, t. iv.


nération pour S. Baudile, presque à la veille du jour où les bandes de la réforme allaient frapper à ses portes. C'était le dernier hommage de sa foi et comme son adieu suprême ; le tombeau oublié allait rester longtemps sans honneur et sans culte.

Déjà on entendait dans le lointain les premières rumeurs de la lutte religieuse qui venait diviser nos contrées. On voyait se former à Nimes, à Uzès, à Anduze, et dans les Cévennes, ces assemblées secrètes où des prédicants génevois annonçaient la religion nouvelle. Le jour même de la fête de S.

Baudile, tandis que les populations du voisinage étaient accourues au tombeau du saint martyr, les novateurs, mêlés à la foule, tinrent une assemblée auprès du monastère et cherchèrent à recruter des partisans dans les rangs des fidèles.

La hardiesse des religionnaires ne fit que s'accroître. Nimes devint le principal théâtre de leurs efforts. Un ministre fougueux, prédicateur et tribun, Viret, agita la cité


de sa parole ardente et passionnée. Ce furent ses prédications violentes qui ameutèrent la foule contre la cathédrale. L'édifice sacré fut envahi par les émeutiers, et, après avoir subi d'odieuses profanations, fut ravi aux catholiques pour servir au culte protestant.

D'autres églises subirent de semblabes outrages, et le vandalisme promena ses ravages sur les sanctuaires et les cloîtres, ne laissant partout que des ruines.

Le monastère des religieux de Saint-Sauveur., à la Fontaine, fut démoli en 1563. Celui de Saint-Baudile subit le même sort. Les souvenirs religieux qui s'y rattachaient, les hommages qui entouraient le tombeau du saint martyr, le désignaient à la haine et au marteau destructeur des religionnaires. Les moines durent chercher leur salut dans une prompte fuite. L'habitation des religieux, l'église, tout s'écroula sous les coups des insurgés ; et de l'antique prieuré il ne resta bientôt plus qu'un amas de ruines informes.

Que devint, au milieu de cette dévasta-


tion, le corps de S. Baudile? Fut-il arraché du tombeau où il était enfermé et ses cendres sacrées furent-elles j etées au vent ? ou bien fut-il sauvé par quelque catholique dévoué? L'histoire se tait, et la croyance des habitants de Nimes c'est que les religieux parvinrent à soustraire les saintes reliques à cette profanation, en les enfouissant, comme au temps de l'invasion des Sarrasins, dans quelque retraite cachée. Peut-être la châsse qui les renferme est-elle ensevelie dans les entrailles du sol, non loin de l'ancien sanctuaire, attendant le jour glorieux de son exaltation.

Cependant, la, fête du Saint, malgré la destruction du monastère, continua à être fidèlement observée. Nous lisons dans un tableau des fêtes commandées dans le diocèse de Nimes, en 1572, quelques années après que le prieuré fut pillé et saccagé : « 20 mai, S. Bausille, patron de la présente ville de Nismes, pour cesser de toute œuvre manuelle, sauf de déployer toutes marchandises pour raison de la foire ».


L'antique monastère resta dans un triste état d'abandon. Un registre, qui porte le relevé des ventes des biens ecclésiastiques faites par les religionnaires à Anduze, mentionne la vente des ruines de l'église SaintBaudile, avec les champs qui en dépendaient, à Pierre Baudon; pour 800 livres. Le lieu où avait reposé le corps du saint martyr subissait ainsi une dernière profanation et était vendu comme un héritage vulgaire.

« Seigneur, les Gentils avaient envahi votre héritage; ils avaient souillé votre sanctuaire, et ce lieu saint était vendu comme le champ du mercenaire (1) ! »

Le tombeau du patron de la cité semblait oublié, et il s'écoula près d'un siècle avant qu'une main pieuse essayât de relever ces ruines. Ce ne fut qu'en 1658 que quelques chrétiens, restés fidèles au souvenir de S.

Baudile , construisirent un petit oratoire dans l'enceinte de l'ancien sanctuaire. Un

(1) Psaume VIi.


grand évêque, Denis Cohon, devint l'infatigable restaurateur des ruines du diocèse. Ce Néhémie de l'Eglise de Nimes, dont le généreux dévoûment releva les églises abattues, rouvrit aux religieux et aux religieuses les asiles d'où la persécution les avait chassés, effaça au front de notre cité, devenue un moment une sœur de Genève, son empreinte protestante , pour lui rendre son antique physionomie catholique, ne pouvait oublier le tombeau de notre glorieux martyr. Il voulut visiter la vallée où s'élevait autrefois le monastère de Saint-Baudile. Voici l'ordonnance épiscopale qu'il rendit, après cette visite. « Comme nous désirons que toutes lés esglises de nostre diocèse, dontlapluspart ont été desmolies par les hérétiques pendant les troubles, soient rebasties, et que le service s'y fasse avec l'honneur et la décence requise ; ayant été advertis que l'esglise de Sainct-Baudile, située hors de cette ville, aurait été ruinée depuis longtemps par ceux de la R. P. R., et que despuis peu on y a basti


une petite chapelle qui est sans ornement et sans service, quoique les revenus du prieur soient considérables, nous aurions deslibéré d'y faire nostre visite pour y pourvoir. A ces fins, du XXIII mars 1659, nous nous serions transporté sur le lieu, et aurions. trouvé toutes choses en un estat déplorable; c'est-à dire, l'esglise desmolie et profanée, sans qu'il y reste que quelques pièces de murailles maistresses, et une petite chapelle qu'on a bastie au dedans ; la quelle nous aurions trouvée sans ornemens et sans aucun prestre pour la servir. De plus, nous aurions considéré que la chapelle est située dans un lieu désert et fort esloigné de la ville et des fauxbourg, sans aucune maison, ni métairie aux environs, et ainsi hors de tout commerce. Et nous ayant esté représenté par des catholiques de considération qui estaient à nostre suite, qu'il serait beaucoup plus utile à la gloire de Dieu et au bien public de transférer le service divin aus fauxbourgs dict des Prescheurs, de cette ville, qui est


rempli de catholiques et qui se trouvent sans esglise et sans aucune consolation spirituelle. voulant avoir égard à la nécessité d'un peuple dont le salut .nous a été commis, avons ordonné et ordonnons que le prieur de Saint-Baudile sera tenu de faire bastir une chapelle au fauxbourg desdicts Prescheurs et d'y entretenir un prestre pour faire le sérvice divin et administrer les sacremens, moyennant quoy il sera valablement deschargé du service deu à son esglise, qui, pour se trouver trop écartée, est de nul usage au public (1) ».

Cette importante mesure, qui atteste le zèle de l'évêque pour le rétablissement du culte , transféra le service religieux du prieuré au faubourg des Prêcheurs , aujourd'hui paroisse Saint-Charles, et le confia aux RR. PP. Augustins, « à la charge, porte l'ordonnance, qu'ils diront une messe haute en la chapelle de Saint-Baudile, le jour du

(1) Archives de l'évêché et de l'Eglise de Nimes. Ménard.


patron, et qu'ils tiendront ladicte chapelle en estât, pour y recevoir chasque année, le troisiesme jour des Rogations, la procession générale et accoutusmée (1) ».

Cependant, les catholiques qui habitaient ce quartier et qui conservaient toujours une vénération profonde pour le saint apôtre de Nimes, voyaient avec douleur que l'ancienne église du monastère, où leurs pères avaient prié, était toujours délabrée, que le service religieux était interrompu, et que le prieur, qui ne résidait point, consacrait à d'autres usages les revenus de cet important bénéfice. Ils exprimèrent leurs doléances à ce sujet dans une réquisition qui fut présentée., le 17 novembre 1672, aux consuls de Nimes.

C'est avec un vif intérêt que nous lisons dans cet acte les noms de ces généreux catholiques. Ils appartiennent tous aux classes ouvrières et si religieuses de cette époque. Ce sont des laboureurs, des cadissiers, des car-

(1) Archives de l'évêché. MénarJ.


deurs, des sargiers, des tailleurs d'habits.

On sent que ces hommes du peuple ont une âme profondément catholique. Ce sont les dignes aïeux de la génération actuelle de la paroisse Saint-Charles. C'est la même ardeur dans les croyances, c'est la même fidélité à l'Eglise. Ils exposent « tant en leur nom qu'au nom des autres habitants catholiques dudict fauxbourgqui sont au nombre de plus de huit cents communiants, que le bienheuheux S. Baudile, dans sa mission en la présente ville de Nimes, pour lors la capitale de ce pays, où il vint annoncer le mystère de notre rédemption et montra la voie du salut éternel, y souffrit le martyre et versa son sang pour la querelle de Dieu., hors des murs de cette ville, du costé où les exposants sont domiciliés, appelé quant à présent le fauxbourg de la Porte des Frères Prêcheurs.

Après quoi, la plus grande partie du peuple, par les miracles qui se faisaient ordinairement au sépulcre de ce Saint, ayant embrassé la religion chrestienne et rejeté le


culte abominable des faux dieux, on auroit basti et consacré à Dieu une esglise et un monastère soubs le titre de Saint-Baudile, au même endroit où il avait souffert le martyre ; la quelle esglise et monastère furent dotés de bons revenus, mesme d'une partie des dismes de cette ville de Nismes ; et estoit ledict couvent habité par le prieur dudict Saint-Baudile, assisté de nombre de religieux qui faisoient le divin service en la dicte esglise ; et les habitants dudict fauxbourg, comme plus proches, et plusieurs autres de la ville suivant leur dévotion, alloient assister et faire leurs prières, ce qui a duré jusques en l'année 1563, que la dicte esglise et le couvent furent desmoslis et abattus par ceux de la R. P. R, et les dicts religieux chassés, n'y restant que quelques murailles de la dicte église, et les marques dudict couvent. Depuis lequel temps iedict prieuré est tenu en commende par des séculiers qui n'y ont fait et n'y font aucun service , au grand regret des exposants et


- autres catholiques de la ville, qui souhaitent depuis longtemps de voir restablir le culte divin en ce lieu consacré si 'autentiquament à Jésus-Christ par le sang que le - martyr S. Baudile, le véritable apôtre de Nimes, y versa; et le dict prieur de Saint- Baudile, depuis longtemps, ne réside pas en cette ville, ayant seulement, depuis quelques années , fait ouvrir une partie de'la dicte esglise et fait dresser un autel, auquel on-dit une fois l'année tant seulement la sainte messe, que messieurs du chapitre de la -cathédrale font dire lors de la procession des Rogations (1) ».

Poursuivant leurs doléances si légitimes, ils se plaignent d'être privés des consolations religieuses que leurs Pàres allaientpuiseren ce lieu. Ils rappellent que le Père abbé de la .Chaise-Dieu, d'où dépendait le prieuré de. Saint-Baudile, avait envoyé un - de ses religieux pour rétablir le service di-

(j) Archives çje l'hôtel dp vilk. Méuard^t. vi.


vin dans l'ancien monastère et qu'il en avait été empêché par l'opposition du prieur. En conséquence, ils supplient les consuls de convoquer l'assemblée des catholiques pour délibérer sur ce sujet, afin de supplier le roi qu'il soit le bon plaisir de Sa Majesté d'ordonner que l'église et les lieux réguliers de Saint-Baudile soient restaurés et que le service. religieux soit confié à six moines de l'ordre de Saint-Benoît.

Telles furent les doléances si justes et si nobles des catholiques du faubourg des Frères-Prêcheurs. Elles respirent la foi vive qui les animait. On voit combien le culte de S. Baudile leur était cher et combien leur âme était affligée par le triste spectacle des ruines de son église.

Leurs plaintes furent enfin écoutées. En 1674, le monastère de la Chaise-Dieu désigna trois de ses religieux pour le service de Saint-Baudile. Le prieur titulaire fut condamné à payer à chacun une pension de deux cents livres pour son entretien et à re-


lever l'église et l'habitation claustrale. Mais comme cette reconstruction aurait entraîné des dépenses trop considérables, comme il était plus commode et surtout beaucoup plus sûr pour les habitants de Nimes de voir le service religieux de Saint-Baudile établi dans l'intérieur de la ville, plutôt que dans un lieu isolé et exposé aux attaques des bandes ennemies, on jeta les yeux sur une maison située à l'angle de la place Bellecroix, qui avait servi de résidence épiscopale depuis les derniers troubles. L'évêque Séguier, qui l'habitait, la céda pour aller prendre possession de l'ancien palais épiscopal contigu à la cathédrale, dont on venait d'achever la reconstruction. Les trois religieux de Saint-Baudile prirent la place de l'évêque et le service conventuel fut ainsi installé dans l'enceinte de Nimes. Mais le titre paroissial, attaché à l'ancien prieuré, ne suivit pas les religieux dans leur nouvelle demeure. Il resta attaché à l'église du faubourg des Frères-Prêcheurs jusqu'au jour


où furent établies de nouvelles circonscriptions paroissiales. Si la paroisse de SaintCharles n'a pas gardé le nom du saint martyr, elle en a, du moins, conservé la foi et le dévoûment.

X

La translation des religieux de S. Baudile à l'intérieur de la ville ne fit qu'ajouter à la désolation des ruines de l'antique prieuré.

Les. chemins qui conduisaient à ce pèlerinage restèrent déserts, et c'est à peine si, une fois l'an, au jour de la fête du Saint, les fidèles vinrent s'agenouiller au milieu des débris du sanctuaire pour assister à la messe.

Le nouveau couvent établi à la place Belle-Croix ne possédait plus la tombe de Saint-Baudile. Il avait déjà perdu, dans la dévastation de 1563, l'ancienne relique du Saint, qu'on portait en procession dans les circonstances solennelles, et il regrettait de


n'avoir en sa possession aucun objet pieux qui rappelât le souvenir du saint martyr.

Ses regrets allaient bientôt cesser.

Le nouveau prieur du couvent de Nimes, Dom Louis Tardi, avait été auparavant supérieur du monastère bénédictin d'Aniane, dans le diocèse de Montpellier. Il était encore à la tête de ce couvent lorsque, en 1682, les habitants de Puéchabon, paroisse voisine, dépendante du monastère, voulant réparer leur église dédiée à S. Sylvestre, trouvèrent, sous la table du maître-autel, une urne en pierre dans laquelle étaient renfermées deux boîtes en bois de cyprès, recouvertes d'une plaque de plomb. Sur une de ces plaqués

étaient graves ces mots : Linteamen istud

est iniinctum sanguine sancti Baudaii, martyris Nemausensis. On vit dans l'in-

térieur de la boîte un linge teint du sang du saint martyr de Nimes. L'autre plaque por-

tait cette inscription : Et illa fragmentas sunt de crania ejusdem martyr is. La

boîte contenait, en effet, des fragments du


crâne de S. Baudile. On lisait sur une des boîtes le millésime MCCCCXlIII.

Comment ces reliques si précieuses de notre saint martyr se trouvaient-elles dans une paroisse étrangère au diocèse de Nimes, et qui n'avait pu avoir aucune relation avec le prieuré de Saint-Baudile ? Il est vraisemblable que les moines Bénédictins d'Aniane les avaient obtenues du couvent de Nimes, qui faisait aussi partie de là famille bénédictine, et que lorsque le maître-autel de l'église paroissiale de Puéchabon fut consacré, le supérieur d'Aniane y plaça, selon les règles liturgiques, cette importante relique.

Dom Louis Tardi , se souvenant de cette découverte faite autrefois sous ses yeux, et désirant enrichir son couvent de Nimes d'un trésor si précieux, écrivit à Etienne Richome, archi-prêtre et vicaire perpétuel de Saint-Pierre-de-Puécliabon, et, avec les plus vives instances, le supplia de lui donner une part des reliques qu'il possédait. Celui-ci répondit en. ces termes à cette requête :


« La demande que vous nous avez faite pour obtenir quelque petite particule du linge teint du sang du saint martyr, déclare assez que vous estes animé pour S. Baudile, martyr et patron titulaire de votre maison, de ce zèle de piété qui convient à de saints moynes. Nous avons fait nos diligences à louer ce zèle et avons cru devoir admettre cette demande comme étant fort juste. C'est pourquoi, ayant tiré et coupé, avec la vénération qu'il faut, ce linge, teint du sang de S. Baudile, nous vous l'envoyons avec quelques particules du crasnedu mesme martyr.

Ce sera une chose à la vérité au-dessous de vos mérites, si vous regardez la matière ; mais elle égalera vos désirs, si vous considérez la vertu de la sainteté; car, comme dit S. Grégoire-de-Nazianze , les corps des saints ont le mesme pouvoir que leurs âmes, et les gouttes de leur sang, comme aussi les moindres vestiges de leur passion, ont autant de vertu que leurs corps : ce que nous souhaitons fort de pouvoir expérimenter par l'in-


tercession de S. Baudile et par le secours et charité de votre sainte communauté. Le linge fut trouvé, avec plusieurs autres reliques de saints et avec leur nom gravé sur le plomb, dans le grand autel de notre ancienne paroisse, dédiée à S. Sylvestre, pape (1). »

Avec cette lettre, il lui envoya, le 18 octobre 1698, quelques fragments du crâne de S. Baudile et une partie du linge qui était teint de son sang. Ces reliques étaient renfermées dans une urne de verre dont l'ouverture était scellée. Il y joignit une attestation authentique, également scellée, et portant, avec la signature du curé, celle d'un de ses confrères, Guillaume Fabrègue.

Le généreux curé n'avait négligé aucune précaution pour constater l'authenticité de son précieux envoi.

Dom Tardi, ayant reçu les reliques, s'empressa de les soumettre à l'approbation de

(t) Archives départementales. Manuscrits de S. Baudile.


Fléchier, qui les vérifia et permit de les exposer à la vénération des fidèles. Il fit confectionner un riche reliquaire en argent, sur lequel il fit graver cette inscription : Par-

ticulce cranii sancti BaudiliL martyris Nemausensis, cum linteo intincto san-

guine ejusdem. La relique fut exposée le 20 mai, fête de S. Baudile (1).

Cette fête fut célébrée avec une pompe extraordinaire. Le Pape Innocent XII accorda, à cette occasion, une indulgence pléniëre.

La messe fut solennellement chantée, raconte l'historiographe de cette fête, et il y eut une prédication éloquente qui fut prononcée par M. l'abbé d'Aiglun, un des grands vicaires de l'évêque de Nimes, docteur en Sorbonne et chanoine de l'église cathédrale de cette ville. Il y eut un grand concours de fidèles, et, en voyant cette affiuence nombreuse qui se pressait dans le lieu saint, on aurait dit le retour de ces siècles de foi où

(1) Ménard. Histoire de Nimes, t. vi.


des flots de pèlerins allaient visiter le tombeau du saint martyr.

Comme à l'époque de la dernière invention du corps de S. Baudile, il y eut encore un poète qui voulut célébrer les louanges du Saint ; car alors la poésie s'associait à toutes les fêtes de la religion.

Dam François Gueymeu, religieux du monastère , composa, en hexamètres et en pentamètres, deux pièces de vers latins qui attestent, sinon un vrai poète, du moins un versificateur habile et fécond.

La première est un petit poème de près de mille vers, où il raconte, en suivant la légende, la prédication et la mort de S. Baudile. Il nous fait connaître son culte, et il nous montre Pépin et Charlemagne , après avoir repoussé les Sarrasins , et S. Louis, avant de s'embarquer pour la croisade, venant se prosterner devant son tombeau. C'est une suite de tableaux historiques où se déroulent tous les événements qui se rattachent au monastère et aux reliques de S, Baudile.


La seconde pièce, qui n'a que cinq cents vers, reproduit, sous une autre forme, les mêmes pensées et n'est qu'un abrégé de la première. Les vers sont faciles, coulants et ne manquent pas d'une certaine élégance.

Mais le souffle poétique est faible, et on voit que l'art remplace l'inspiration (1).

C'est ainsi que la poésie , par la plume d'un Bénédictin du monastère de SaintBaudile, rendait hommage au saint martyr.

Les Bénédictins restèrent près d'un siècle sur la place Belle-Croix, à l'ombre du signe religieux qui avait donné, au siècle précédent, son nom à cette place. En 1777, ils échangèrent cette demeure contre une habitation plus vaste et plus commode, située sur la place de la Bouquerie. Ils trouvèrent là, en dehors de l'enceinte de la ville, plus d'air et de lumière, avec un jardin agréable et une retraite éloignée des bruits de la foule. Leur

(J) Archives départementales. Manuscrits du prieuré de S. Baudile.


demeure est-devenue de nos jours celle des sœurs du Refuge. Elle est toujours l'asile du recueillement et de la prière.

Cependant les ruines de l'ancien prieuré de Valsainte attendaient vainement une pieuse restauration. L'indifférence et l'oubli semblaient planer sur elles, et c'est à peine sit une fois l'an, au jour de la fête, une procession solennelle venait faire retentir en ce lieu les louanges de S. Baudile.

Une dernière désolation lui semblait réservée : c'était de devenir un sujet de luttes et de discordes. On se disputa le titre curial attaché à ce monastère. Il y eut de longs démêlés entre les parties opposées. L'intervention de l'évêque, Mgr de Bec-de-Lièvre, parvint à faire cesser ces tristes débats. Son appel à la conciliation fut entendu, et il eut la joie, en 1773, après avoir placé, sous le patronage de S. Charles, l'église du faubourg des Prêcheurs, desservie par les doctrinaires, de conférer à l'église des Carmes. le titre paroissial de Saint-Baudile. La non-


velle paroisse devenait ainsi l'héritière de l'ancien prieuré et faisait revivre son nom.

Elle comprenait dans sa circonscription toute l'étendue du territoire qui dépendait du monastère et elle continuait ainsi les anciennes traditions.

La Révolution étendit sa main spoliatrice sur l'église de Saint-Baudile. Elle profana le sanctuaire, dépouillé de ses ornements, et renversa les autels. Mais lorsque la tempête fut passée, les fidèles se hâtèrent de purifier le temple et de rendre à Saint-Baudile son autel et son culte.

Cette paroisse perpétue aujourd'hui, avec le même nom, les mêmes souvenirs. Gardienne fidèle de la mémoire de S. Baudile, elle acquitte, au nom de la cité, le tribut d'honneur et de reconnaissance que Nimes doit à son apôtre. C'est un de ses pasteurs, dont le nom vénéré rappelle le zèle et la charité, qui a eu la joie de retrouver, après de longues recherches, la relique précieuse qu'avaient possédée les Bénédictins, et qui


avait disparu dans la tourmente révolutionnaire. C'est le cœur du même pasteur qui a écrit, d'une plume diserte et pieuse, l'ouvrage attachant qui porte le titre de : Martyre de S. Baudile, et qui a été pour moi un guide précieux.

C'est un de ses pasteurs encore, un digne héritier du zèle et de l'amour de ses prédécesseurs pour S. Baudile, qui a eu la joie de poser la première pierre du temple magnifique qui doit proclamer au loin le nom et la gloire du saint patron de Nimes. L'église ogivale élevait rapidement ses murs et ses tours, et, charmait déjà les regards par les lignes harmonieuses de son élégante architecture, lorsque les douloureuses épreuves que vient de traverser la France ont soudainement arrêté son essor. Espérons que l'oeuvre, interrompue par le malheur des temps, sera bientôt reprise, que les tours recevront leur couronnement et les nefs leurs gracieux ornements du ciseau du sculpteur, et que la nouvelle église, donnant la main à ses deux


sœurs aînées, les églises Saint-Paul et Sainte-Perpétue, perpétuera, d'une manière éclatante, aux yeux de la postérité, la vénération et la reconnaissance de Nimes pour son illustre martyr.

II reste encore au pasteur de cette paroisse une tâche glorieuse à remplir. Elle n'est pas au-dessus de son zèle et de son dévoûment : c'est de relever les ruines du sanctuaire de : Saint-Baudile et de restaurer son antique pèlerinage. Notre siècle, qui a vu tomber tant de choses saintes et vénérables, doit être une époque de grande restauration, et partout où passe le prêtre, il faut qu'il relève ce qui est à terre, qu'il affermisse ce qui est ébranlé et qu'il souffle la vie partout où la mort est passée.

XI

Maintenant que nous avons raconté le martyre et le culte de S. Baudile, allons visiter une dernière fois, avec le cortége de


souvenirs que nous avons recueillis à travers les siècles, les lieux qu'il arrosa de son sang et qui gardèrent sa tombe. Suivons cette avenue spacieuse, aux pentes adoucies, qui conduit à l'oratoire des Trois-Fontaines.

Nous remarquons sur la droite quelques vestiges de l'ancien rempart romain qui couronnait ces collines et allait se rattacher à la, Tourmagne. 11 était debout, quand S. Baudile vint attaquer le culte des idoles.

Une dépression du sol indique le lieu qui fut témoin du martyre du Saint. Ces collines, envahies par la culture de la vigne, étaient autrefois couvertes d'un bois de chênes. Ce site, dominé par les hauteurs voisines, était propice pour les sacrifices du paganisme. Représentons-nous la foule, groupée sur les flancs de la colline et le long des murailles , contemplant d'un regard avide cette fête païenne. L'autel s'élevait au centre de ce cirque formé par la nature. C'est là que les prêtres des idoles conduisaient les victimes qu'ils allaient immoler. C'était la fête des

*


Agonales, célébrée en l'honneur de Vejovis, ou Jupiter enfant, le 12 des calendes de juin — 21 mai. — On voit tout à coup apparaître un étranger qui, d'une voix indignée, reproche à la foule assemblée sa superstition et veut renverser l'idole à laquelle on destine ce sacrifice. On comprend le frémissement de la multitude païenne en entendant cet étrange langage. Elle répond par un cri de mort à cette insulte faite à ses dieux, et à la place des victimes préparées, c'est la tête du saint martyr qui tombe sous la hache des sacrificateurs. D'après une tradition populaire, elle rebondit trois fois sur le sol, et chacun de ses bonds fit jaillir une source.

Cette circonstance miraculeuse ne doit pas trop nous surprendre. Nous en retrouvons de semblables dans l'histoire des martyrs.

Dieu se plait ainsi quelquefois à glorifier le sacrifice de ceux qui donnent généreusement leur vie pour Lui, et il communique à leur sang une vertu merveilleuse pour toucher les cœurs des infidèles. Un semblable prodige


avaitdéjà signalé le martyre de S. Paul, dans la campagne romaine, non loin de la basilique Saint-Paul hors des murs. On voit encore aujourd'hui aux Eaux salviennes, dans l'église qui porte le nom de San-Paolo alle tre Fontana, auprès de la colonne de marbre blanc sur laquelle le Saint fut décapité, trois sources distinctes qui ont jailli miraculeusement au contact de sa tête. C'était comme une prédication muette, mais puissante, de la foi nouvelle.

Les trois fontaines que fit jaillir le sang de S. Baudile, nous sont restées comme les témoins de son glorieux martyre. Elles furent alors comme la source bénie d'où coulèrent, sur la cité encore païenne, les eaux vivifiantes de l'Evangile. Elles sont devenues pour le peuple chrétien la source de bien des grâces, et c'est de là que découlent ce dévoûment ardent, ces convictions généreuses, cette fidélité inébranlable qui animent les catholiques de Nimes.

Singulier rapprochement! La fontaine


qui coule au pied de la Tourmagne avait vu, pour ainsi dire, sortir de ses eaux la cité païenne, avec ses temples, sa maison-carrée, son théâtre et ses arènes. Les trois fontaines donnèrent naissance à la ville chrétienne, avec ses églises, ses monastères et ses pieuses institutions. Ce ne fut plus la brillante ville d'Auguste se mirant, avec ses somptueux monuments, dans les eaux de sa source, plus transparente que la lumière du jour, ditAusone:

Vitreå non luci Nemausus Purior. (i)

Ce fut la cité de S. Baudile, recevant en quelque sorte le baptême à la fontaine miraculeuse du saint martyr. De la source de Nemausus découlaient les erreurs et les passions du paganisme. De l'humble fontaine de S. Baudile ont jailli, avec la foi nouvelle, toutes les vertus des sociétés chrétiennes.

(1) Ausone. De clariss-urb.


Le sang du martyr fut pieusement recueilli par quelques chrétiens courageux.

Ainsi qu'ils avaient coutume de le faire partout où était immolé quelqu'un de leurs frères, ils trempèrent des linges dans le sang qui rougissait le sol et les conservèrent fidèlement comme un précieux souvenir.

C'est un fragment d'un de ces linges, teints du sang du martyr, que possède aujourd'hui la paroisse de Saint-Baudile.

Ce lieu resta toujours cher à la piété des habitants de Nimes. Ils ne séparèrent point dans leur ferveur la colline consacrée par le martyr du Saint de la vallée qui gardait sa dépouille. En allant visiter son tombeau, ils faisaient une station au lieu de son supplice, et ils les associèrent tous les deux dans une égale vénération.

Le célèbre historien de Nimes, Ménard, combat, il est vrai, cette tradition. Reproduisant une opinion qui se trouve exprimée dans quelques documents du XV6 et du xvie siècles, il soutient que les Trois-Fontai-


nes ne furent pas le théâtre du martyre de S. Baudile ; mais que ce fut dans la vallée, à l'endroit même où s'éleva son tombeau, qu'il fut mis à mort.

Nous opposons à ce sentiment de Ménard le texte même des Actes du martyre de S. Baudile, tel que nous le lisons dans les Bollandistes. Que nous dit ce texte? Il nous montre les compagnons du Saint, enlevant furtivement son corps, l'enveloppant d'un suaire et allant l'ensevelir au lieu qu'il leur avait marqué pendant sa vie, en dehors des

murs de la ville. Cujus sacrum corpus hi qui cum eo venerant, furtive asportantes et mundis illud linteaminibus involventes, condigne sepeliunt mausoleo, in codem scilicet quo ipse vivens loco, infrd, mcenia urbis posito (1).

D'après ce texte, le lieu ou le Saint a subi son martyre n'est pas le même que celui ou il a été enseveli, et son corps a dû être

(1) Bollandistes — 20 mai. —


transporté secrètement, furtive assortantes, d'un endroit à l'autre.

Ce fut la croyance de tous les siècles, jusqu'au temps de l'historien Ménard qui, malgré son esprit profondément chrétien, subit un peu l'atteinte des préjugés de son époque, et repoussa trop facilement les traditions anciennes de l'Eglise de Nimes. Ainsi, nous avons vu que, en 1362, à l'époque d'une grande sécheresse, les habitants de Nimes

allaient en procession aux Trois-Fontaines pour demander à Dieu, par l'intercession de S. Baudile, le bienfait de la pluie. Ce n'était point une innovation : on se conformait ainsi à la coutume des siècles passés., Si on n'avait pas toujours considéré ce lieu comme témoin du martyre de S. Baudile, en auraiton fait l'objet de cette manifestation religieuse?

Nous avons raconté qu'à la même époque les consuls de Nimes, avant d'entrer en charge, avaient la pieuse coutume de se rendre à l'église où était le tombeau de S. Bau-


dile, de lui faire hommage de la dignité dont ils venaient d'être revêtus et d'implorer sa protection pour remplir dignement les devoirs de leur charge. Or, leur visite ne se bornait pas au tombeau du saint patron de Nimes. Ils se rendaient aussi aux Trois-Fontaines pour offrir au Saint le même hommage et lui adresser la même prière. Après s'être agenouillés sur ce sol que le martyr avait arrosé de son sang, ils puisaient de l'eau à la source miraculeuse et approchaient avec respect la coupe de leurs lèvres, comme pour communiquer à leur âme, par ce breuvage, quelque chose de la vertu du saint martyr. Les Trois-Fontaines étaient donc l'objet du même culte que le tombeau du Saint.

Il existait, aux Trois-Fontaines, nous l'avons vu, un oratoire qui fut réparé, aux frais de la ville, par ordre des consuls.

L'histoire ne fait pas connaître à quelle époque remonte sa construction ; mais quelques pierres antiques, trouvées récemment dans


les fouilles qui ont été faites pour agrandir l'ancienne chapelle, peuvent appartenir à l'oratoire primitif et permettent de lui assigner une haute antiquité.

N'en doutons pas, la dévotion dont les Trois-Fontaines sont l'objet a pour elle la consécration des siècles. De tout temps, les fidèles ont vénéré ce lieu et attribué à la source de Saint-Baudile une vertu miraculeuse. Ce mouvement pieux qui, de nos jours, attire les fidèles sur cette colline, les âges passés l'ont connu. Il a pu être ralenti et même interrompu, au milieu de nos discordes civiles et religieuses. Mais en le reprenant aujourd'hui, on ne fait que. renouer la chaîne du passé et suivre le sentier qu'ont foulé nos pères. Ce petit bassin, creusé dans le roc, a été dans tous les siècles une piscine salutaire où les. fidèles ont retrempé leur âme et où les malades ont quelquefois trouvé la guéri son de leurs maux.

C'est donc une pensée éminemment pieuse que celle qui a porté de nos jours, quelques


chrétiens dévoués à restaurer et à agrandir l'antique oratoire des Trois-Fontaines, et nous ne saurions trop remercier cette famille chrétienne si dévouée au culte de S. Baudile, l'honorable famille Sabran, qui, de concert avec M. le curé de Saint-Charles, a pris l'initiative de cette généreuse entreprise. En voyant cette chapelle enfoncée et comme cachée sous le sol, on dirait un souvenir des catacombes. La source coule au pied de l'autel, et, comme à la prison Mamertime de Rome, on peut puiser en ce lieu l'eau destinée au sacrifice. On ne voit plus aujourd'hui trois sources distinctes comme à Saint-PaulTrois-Fontaines, dans la plaine de Rome.

Les travaux qu'on a dû faire pour niveler la roche et asseoir les fondements de la chapelle, ont dû bouleverser le sol et changer la direction des trois sources qui se réunissent aujourd'hui par des filtrations souterraines dans le même bassin.

On voyait aux Trois-Fontaines, avant la construction actuelle, trois absidiolesjuxta-


posées, abritant chacune une des trois sources. Il est à regretter qu'on n'ait pas conservé dans le monument actuel cette disposition primitive, qui permettait de voir les trois fontaines séparées.

I Nous devons signaler un monument bien précieux qui orne cette chapelle. C'est un sarcophage de marbre blanc qui doit remonter au IVe siècle et qui est évidemment un des plus anciens monuments chrétiens de Nimes. C'est la même forme, ce sont les mêmes sculptures qu'on remarque dans les sarcophages qu'on voit au Musée d'Arles et à l'église Sainte-Marthe, à Tarascon.

1 L'étude des sujets qu'a reproduits le ciseau du sculpteur, sur la partie antérieure de ce tombeau, offre le plus vif intérêt. On distingue cinq compartiments, séparés par des colonnettes torses, supportant des arcades ornées. Les sculptures du compartiment I central ont été mutilées. Mais les vestiges qui restent permettent de rétablir le sujet tel qu'il était sorti des mains de l'artiste. C'é-


tait une croix triomphale, surmontée du chrisma, ou monogramme du Christ, entouré d'une couronne et soutenu par un aigle aux ailes déployées. Au pied de la croix se trouvent deux gardes appuyés sur leur lance et leur bouclier. C'est la partie qui a été la plus maltraitée par le marteau du vandalisme. Le premier groupe à droite représente Jésus-Christ conduit chez Caïphe.

Le groupe suivant nous montre Pilate se lavant les mains. Dans les deux groupes correspondants qui sont à gauche, nous remarquons le lavement des pieds de Pierre par le Sauveur, et le Prince des Apôtres conduit en prison par ordre d'Hérode-Agrippa. Chacun de ces groupes est composé de trois personnages, dont les têtes ont été odieusement mutilées. Au-dessus des arcades, on voit alternativement des génies et des colombes becquetant des raisins. Le couvercle de ce sarcophage n'existe plus. Sur le côté droit est sculptée une imbrication, et sur le côté gauche, un superbe griffon.


Ce monument présente, dans ses divers motifs, un enseignement symbolique. Ce sont d'abord les deux grands mystères de la Passion et de la Résurrection de Jésus-Christ, qui apparaissent dans les bas-reliefs du centre et du côté droit. Les deux bas-reliefs du côté gauche, qui se rapportent à S. Pierre, nous semblent destinés à mettre en évidence la primauté du Prince des Apôtres. Les colombes, becquetant des raisins, sont le symbole bien connu de l'Eucharistie. Le griffon, sculpté sur la partie latérale qui est à gauche, est l'emblème de la vigilance de JésusChrist, gardien de nos âmes.

L'exécution de ces bas-reliefs est bien supérieure à celle des sculptures du VIe et même du ve siècle. Le style en est correct, les draperies sont bien traitées et les personnages ne manquent pas de caractère. Sans doute, ce n'est pas la pureté de l'art païen ; on voit les premiers essais de l'art chrétien, mais on sent l'influence des modèles antiques. Ce sarcophage présente des analogies si frappantes


avec ceux de Narbonne, d'Arles, de Carpentras, de Vaison, que nous pouvons en con-

clure que l'Eglise, qui ne laisse rien au hasard ni au caprice des hommes, avait fixé primitivement les principaux types d'après lesquels devaient être exécutés ces monuments funéraires. On peut croire que des artistes, formés au foyer même de l'Eglise catholique, rayonnaient de là, à la suite des

apôtres envoyés par le pontife romain, dans les différentes contrées évangélisées, et y portaient les règles hiératiques qui, d'après le système doctrinal adopté, étaient appelées à présider à la décoration des tombeaux comme à celle des églises. C'est ainsi que s'expliquent les ressemblances qui existent entre les sarcophages du midi de la Gaule et de Rome (1).

Ce monument doit nous être cher. Il était évidemment destiné à quelque grand personnage de l'Eglise de Nimes, et il a dû servir

(1) Dictionnaire des antiquités chrétiennes, par l'abbé Martigny.


à la sépulture d'un de nos premiers évêques.

On ne saurait l'attribuer à l'évêque Rémessaire, dont l'histoire mentionne la sépulture, vers le. milieu du VIle siècle, dans la vallée de Saint-Baudile. Le style des bas-reliefs indique une époque bien antérieure et nous devons le faire remonter au moins au temps de S. Félix.

Ménard nous dit, dans son Histoire de Nimes, qu'au xvir siècle ce sarcophage se trouvait sous le vestibule de l'église des Augustins, là où est aujourd'hui le péristyle de la Maison-Carrée. Il disparut pendant la Révolution, lorsque les églises furent livrées au pillage. On en avait perdu la trace lorsque, il y a trois ans, sa présence fut signalée dans une maison du chemin de Sauve à quelques membres de l'Académie du Gard.

Ils s'empressèrent d'aller le visiter, et ils ne purent se défendre d'une impression pénible, en voyant un marbre aussi précieux servir - d'auge auprès d'un puits. Un de nos vicaires-généraux, M. l'abbé de Cabrières,


informé de cette découverte, comprit tout ce qu'elle avait d'important pour l'histoire chrétienne de Nimes, et, de concert avec un autre ecclésiastique qui s'associait à sa pensée, il se hâta de faire l'acquisition de ce monument. Il le fit transporter au nouvel oratoire des Trois-Fontaines. C'est bien là sa place. Il est là dans le sanctuaire de notre illustre martyr, comme un des plus vieux témoins de notre foi, comme une des premières pages de notre histoire religieuse. Je voudrais que l'antique inscription chrétienne que j'ai déjà signalée, à la rue des Jardins, incrustée dans le mur de l'ancienne maison Rochemaure, et qui s'efface tous les jours sous les coups de pierre auxquels elle sert de but, vînt prendre place à côté de ce tombeau. L'un et l'autre rendraient témoignage de l'antiquité de nos origines chrétiennes, et, à défaut de l'histoire, cette pierre et ce marbre, mêlant leur voix à celle du sanctuaire de Saint-Baudile, nous rediraient notre passé religieux.


XII.

La vallée de Saint-Baudile, appelée à si juste titre Valsainte, dans la langue chrétienne de nos pères, possédait plusieurs constructions religieuses, qui formaientcomme une garde d'honneur autour du tombeau du glorieux martyr et qui lui durent leur origine. C'était d'abord l'église dédiée à S. Baudîle. Ce fut, dans le principe, un humble oratoire abritant la dépouille du Saint. Peu à peu, l'étroite chapelle dilata ses murs, élargit son enceinte pour recevoir les nombreux pèlerins qu'attirait cette tombe devenue.célèbre. Elle fit place à une égliseplus vaste et plus somptueuse, grâce aux offrandes -des pèlerins. Abattue par l'invasion sarrasine, relevée par la piété des chrétiens et plusieurs fois restaurée, elle revêtit successivement les divers caractères de l'architecture carlovingienne, romane et ogivale. Chaque époque y laissa son empreinte avec le témoignage de sa foi.


A côté de l'église s'élevait le monastère, qui subit les mêmes destinées. Renversé comme elle, il se releva de ses ruines et fut -agrandi par des constructions nouvelles. Florissant aux époques de ferveur chrétienne, il vit décroître le nombre de ses moines, lorsque le sentiment religieux commença às'affaiblir.

Il eut à subir le contre-coup île toutes les secousses qui ébranlèrent la cité nimoise, et toutes les vicissitudes politiques et religieuses que traversèrent nos pères arrivèrent jusqu'à lui. Mêlé à l'histoire de Nimes pendant de longs siècles, il en partagea la bonne et la mauvaise fortune et sembla vivre en quelque sorte de sa vie. Attirés par la renommée de ce lieu aimé du ciel et par le bruit des merveilles dont le Seigneur glorifiait.

la mémoire de son serviteur, des flots de pèlerins passaient et repassaient dans le cloître saint, réveillant de leurs pas retentissants et de leurs cantiques de joie l'écho des voûtes silencieuses. Dans les jours de détresse et de calamité, le peuple chrétien


venait avec ses prêtres implorer le secours de S. Baudile, le patron de la cité. Si la sécheresse désolait la campagne, si un fléau s'abattait sur la population affligée, on la voyait aussitôt s'acheminer en longue procession vers le tombeau du Saint. C'est là que les consuls de Nimes, avant d'entrer en charge, venaient s'agenouiller. Heureux temps où l'on voyait les pouvoirs publics se prosterner humblement devant l'autel d'un saint martyr , déposer à ses pieds l'hommage de leur nouvelle dignité et placer sous sa protection et leurs personnes et les habitants de la cité !

A quelques pas du monastère, s'élevait une autre église, sœur en quelque sorte de la première, qui remontait comme elle à une haute antiquité, et qui partagait avec elle le privilège d'être choisie comme un lieu de sépulture par les fidèles : c'était l'église Saint-Julien. C'est là que fut enseveli, en 640, l'évêque Rémessaire, originaire de Nimes, un des plus généreux bienfaiteurs de la


cathédrale, à laquelle il donna la terre de.

Garons, qui a fait partie, jusqu'à la révolution, de la mense épiscopale.

C'est dans cette même église que fut déposée , en 1420 , la dépouille de Pierre Guy Quotin (Cotin), dont on voit encore l'épitaphe métrique sur une pierre incrustée dans une maison de la rue Baclialas :

Anno milleno centeno quater bis qoque ieno, Augusti mense, Guidonis corpus opertum Pulvis suscepit : debitum reddit naturale.

Mcrrens incolam luget Occitania fruge.

Cartarum regis custos fuit atque poeta.

Artista fulxit. Cui gaudia det Deus. Amen.

Pater t;J:. Ave Ma.

L'an mille quatre cent vingt, au mois d'août, la terre a reçu et recouvert le corps de Gui. Il a payé sa dette à la nature. L'Occitanie affligée pleure un citoyen vertueux.

Il fut garde des archives du roi et poète ; il brilla comme maître ès-arts. Que Dieu lui donne les joies du Paradis ! Ainsi soit-il.

Notre Père. - Je vous salue, Marie.


Cette famille, après avoir donné à notre ville des archivistes, des poètes et des peintres, alla s'établir à Paris, vers la fin du ivie siècle, et s'y éteignit dans la personne du trop fameux abbé Cotin, poète, orateur et critique distingué, dont l'impitoyable Boileau a trop rabaissé le mérite réel (1).

Cette intéressante inscription tumulaire, qti nous fait connaître le nom d'un homme de lettres qui fut archiviste et poète, est la seule qui ait échappé à la destruction de l'église Saint-Julien. La tombe du pieux évêque Remessaire a complètement disparu, et de cette antique chapelle qui avait servi de paroisse, il ne reste plus aujourd'hui qu'un pan de mur, en moyen appareil, dans lequel on voit incrusté un fragment d'ancienne frise romaine en marbre.

Tous ces monuments si précieux de la vallée de Saint-Baudile se sont écroulés

(1) Mémoires de l'Académie du Gard, 1869. Leclure de M. Germer-Durand.


sous le marteau du vandalisme du XVIe siècle, qui n'a pas été moins funeste à l'art qu'à la religion, et qui a fait parmi nous tant de ruines. Voici, d'après un document de 1691, l'aspect que présentaient ces lieux au XVIIe siècle. Le monastère avait été saccagé, et il ne restait de l'église de Saint-Baudite que quatre murs qui s'élevaient à peine à hauteur d'homme. Les murailles latérales étaient formées de larges assises taillées,

quadratis etspis-sissimis lapidibus cons-

tructi, dit le manuscrit, et montraient avec quelle solidité l'édifice avait été construit.

Derrière le chevet, il y avait un vaste amas de pierres confusément entassées, débris informes de l'ancienne construction. Tout était détruit, et on voyait éparses de toutes parts les pierres des deux églises et du monastère (1). On se rappelait le spectacle de désolation que présentèrent aux regards attristés de Judas Macchabée et des siens les

(4) Archives départementales. Manuscrits du prieuré de Saint-Baudile.


ruines de la montagne de Sion, et on ne pouvait se défendre d'une impression de profonde douleur en contemplant le lieu saint désert, l'autel profané, les portes brûlées, le parvis envahi par les ronces et les arbrisseaux, comme on en voit dans un bois et sur les montagnes, les cellules et le cloître

renversés. Et viderunt sanctificationem descrtam, et altare profanatum, et portas exustas, et in atriis virgulta nata sicut in saltu vel in montibus, et pasto-

phoria diruta (1). Hélas! les dévastations de l'impiété sont les mêmes dans tous les siècles, et partout où elle passe, elle ne sait faire que des ruines.

Si nous flétrissons avec une indignation qui n'est que trop légitime les vandales qui ont profané et détruit les deux sanctuaires et le prieuré de Saint-Baudile, nous ne saurions excuser les religieux qui, au lieu de s'imposer les plus grands sacrifices pour re-

(1) 1er Livre des Macchabées, ch. iv, v. 38.


lever l'antique demeure de leurs pères, préférèrent déserter ce poste sacré et s tablir plus commodément dans une maison étrangère. Il pouvait y avoir plus de sécurité, je l'avoue, à 'se réfugier dans l'intérieur de la ville ; mais il y avait moins d'honneur. -Les pierres et les souvenirs de Saint-Baudile les réclamaient, et ils n'auraient pas dû hésiter à aller de nouveau planter leur tenté là où se trouvait le tombeau du saint martyr.

Mais à-cette époque de décadence, il faut l'avouer, on ne comprenait plus la beauté des anciennes résidences monastiques. On les trouvait trop sombres et trop peu commodes. Les longues galeries, avec leurs ogives, les cloîtres dallés en pierres tumulaires, les baies étroites qui ne laissaient pénétrer qu'un jour mystérieux, les cellules pauvres et nues, tout cela avait un aspect trop austère et ne pouvait plus convenir aux enfants dégénérés de S. Benoît. C'est ainsi que les riches bénédictins de Montmajour, près d'Arles,. abattaient les anciennes cel-


Iules où avaient vécu de nombreuses générations de moines, et élevaient à grands frais; à leur place, sur les plans de Mansard, un palais somptueux, qu'on pouvait décorer avec luxe, mais qui perdait sa plus belle parure, celle de la simplicité, de la pauvreté monastique. Aussi ces murs immenses, bâtis d'hier, se sont vite écroulés, au souffle de la révolution, tandis que le vieux cloître abandonné et la vieille église sont encore debout et appellent de nouveaux hôtes.

L'indifférence des hommes et l'action du temps ont peu à peu achevé la destruction complète de tout ce qui restait de l'ancien prieuré et des deux églises. Les ruines ellesmêmes ont disparu.

Etiam periere ruinse.

Pendant longtemps ces murs, à moitié écroulés, devinrent comme une vaste carrière où tous les voisins venaient chercher des pierres pour former des murs de clôture ou bâtir des constructions nouvelles. Aujourd'hui , il ne reste pas une seule pierre


debout de l'église de Saint-Baudile. Le soc de la charrue est passé sur son emplacement et a défoncé le sol pour le livrer à la culture. Deux maisons de campagne occupent l'emplacement de l'ancien enclos et du prieuré. Leurs possesseurs (1) conservent fidèlement tout ce qui rappelle le souvenir du passé et acccueillent avec cordialité l'étranger qui vient visiter ces lieux..

On ne peut se défendre d'un sentiment de vive tristesse en parcourant cette vallée où plane toujours le souvenir de S. Baudile, mais où chaque pierre accuse la barbarie ou l'indifférence des hommes. Il ne reste plus que quelques faibles vestiges de ces précieux monuments bâtis par la foi des siècles passés. «Quel ignominieux contraste, dit, avec une éloquente indignation,. M. de Montalembert;, entre ces races anciennes qui ne pensaient qu'à édifier, à enrichir, à conserver , et ces générations nouvelles qui ne savent que renverser, détruire, et confis-

(1) M. Maïstrc et M. Dumas.


quer(l). » Nous allons signaler avec une sorte de piété religieuse de trop rares débris de l'ancien prieuré. S'il ne nous est pas donné de les relever, nous voulons du moins appeler sur eux l'attention respectueuse et l'intérêt des visiteurs chrétiens que le souvenir de S. Baudile conduira en ce lieu.

Lorsqu'on promène ses regards le long du mur qui sépare les deux propriétés qui occupent la place de l'ancien enclos de SaintBaudile, on distingue facilement les pierres antiques des moellons ordinaires qui sont entrés dans la construction de ce mur. Quelques unes de ces pierres attirent l'attention de l'archéologue. Elles sont pointillées, et ce signe lapidaire rappelle le xe siècle, comme l'affirme un juge compétent dont je me plais àinvoquer l'autorité, M. Révoil, avec qui j'ai visité ces ruines. On remarque d'épaisses briques, connues dans nos contrées sousle nom de briques sarrasines, qui sont mêlées à la

(1) Les Moines d'Occident. Introduction.


pierre. De loin en loin, quelque fragment de marbre blanc, débris d'un ancien monument, est engagé dans la muraille. Voici une inscription mutilée, relevée par M. Révoil, qui appartient à l'époque carlovingienne, comme l'indique la forme des lettres. Les quelques caractères qui restent ne permettent pas de lui assigner un sens. Mais peut-être une heureuse découverte restituera la partie qui manque et permettra un jour de rétablir le texte.

Arrêtons-nous devant ce mur qui, sur une longueur de plusieurs mètres, a conservé sa forme antique. De grands blocs, arrachés à quelque monument romain, alternent avec l'appareil roman du XIIe siècle. Ce mur faisait évidemment partie des anciennes constructions du monastère. D'autres assises régulières, que la main de l'homme n'a pas ébranlées, ont la même origine. Plus loin un autel votif, profondément engagé dans la muraille, ne présente qu'un de ses côtés.

Des fouilles intelligentes, exécutées sur ce


point, pourraient mettre sur la.voie de quelque heureuse découverte. Ce sol peut receler encore quelque inscription précieuse, quelque débris de sculpture.

Déjà, à une époque antérieure, on avait recueilli en ce lieu bien des objets qui ont disparu et dont on ne retrouve plus la trace.

C'est de là que provient un curieux chapiteau romain qu'on voit au musée du grand séminaire. Il est historié. Sur une de ses faces, on voit Hérode avec les insignes de la royauté, et sur la partie opposée, l'avertissement céleste donné aux mages pendant leur sommeil. Les autres deux faces correspondantes présentent la décollation de S. Jean-Baptiste et le massacre des SS. Innocents.

Un des propriétaires, M. Dumas, conserve avec soin tous les objets qu'il a pu recueillir dans son enclos. Ce sont quelques colonnettes qui appartenaient au cloître et deux grandes colonnes de marbre, placées probablement à la porte principale de l'é-


glise pour supporter la retombée des arcades qui encadraient le tympan. Il y a de nombreux débris de tombeaux en pierre, sans aucune trace de sculpture ni d'inscription. Ils ne remontent pas au-delà du xue siècle. C'était l'époque où les fidèles aimaient à choisir leur sépulture auprès du tombeau de Saint-Baudile. On voit, dans l'intérieur de l'habitation, quelques sculptures d'un travail délicat. C'est un élégant petit chapiteau du XIIIe siècle, adhérent à un fragment de colonnette ; une statuette en marbre de la sainte Vierge, tenant l'enfant Jésus dans ses bras, charmant ouvrage du XIVe siècle, malheureusement mutilé. Ce sont d'autres sculptures, non moins bien exécutées, et enfin un petit chandelier du xue siècle, reposant sur trois pieds finement ciselés et dont la base est en émail cloisonné. C'est un précieux spécimen de l'orfèvrerie de cette époque. L'admiration qu'on éprouve en le voyant ne fait qu'ajouter aux regrets que doit nous causer la perte de tant d'autres


objets d'art qui ont disparu avec l'église de Saint-Baudile.

Ces fragments de sculpture, cette inscription mutilée, quelques moulures, ces grands blocs superposés que la main de l'homme n'a pu renverser, ces assises, à appareil similaire, qu'on rencontre de loin en loin, le long de la muraille, ce vieux pan de mur qui semble avoir appartenu au chevet de l'église de Saint-Julien : voilà tout ce qui reste des monuments religieux qui faisaient la gloire de la Valsainte. Ce sont là comme les rares épaves de ce naufrage à jamais funeste qui a fait parmi nous tant de ravages.

Il y avait là des trésors d'art lentement amassés par la foi de nos pères ; il y avait des produits remarquables de la statuaire et de l'orfèvrerie du moyen-âge. Les deux églises et le cloître rappelaient la belle époque de l'architecture romane : la bibliothèque possédait des manuscrits précieux, que les moines avaient copiés pendant leurs veilles laborieuses. Il y avait surtout dans


cette enceinte douze siècles de prières, de vertus austères, de travail et de charité, qui rendaient cette terre à jamais sainte; et de toutes ces grandes choses, il ne reste plus aujourd'hui qu'un souvenir. Seul, le laurier traditionnel est resté fidèle à ce sol, comme l'antique témoin de la sainteté de ce lieu et des merveilles des premiers âges. Desséché par les rigueurs de l'hiver, mutilé par la main de l'homme, il renaît toujours de ses racines qui conservent leur sève féconde et il pousse de nouveaux rejetons, comme pour proclamer l'impérissable gloire du Saint.

Ah ! si le sanctuaire si longtemps vénéré pouvait, lui aussi, comme le laurier, renaître de ses ruines ! Si le célèbre pèlerinage pouvait revivre et attirer encore des flots de pèlerins ! Si les ossements du saint martyr pouvaient, selon la belle parole de nos livres saints, germer et refleurir dans sa tombe glorifiée (1)! C'est le vœu, c'est la prière de

(1) Ecclés., JLVI, v. H.


tout cœur catholique ; c'est la pieuse 'restauration qu'appellent tous nos désirs. Nous .sera-t-il permis d'exprimer un regret? Il s'est établi, de nos jours, dans notre cité, plusieurs communautés religieuses. Pourquoi jusqu'ici n'y en a-t-il eu aucune qui ait eu la généreuse inspiration de planter sa tente sur ce sol sacré, de rendre la vie à ces ruines et d'y ramener la prière et la charité?

Le souvenir de S. Baudile aurait été une bénédiction pour elle.

Poursuivons notre pèlerinage d'archéologue chrétien dans cette vallée et interrogeons toutes ses pierres antiques. On ren-

contre des dalles et des cippes funéraires qui portent des inscriptions romaines. On y lit les noms latins : Cruso Cœlœdo, Lucretio.

Q. Cœcilio primo (1). Quelques unes de ces pierres sont incrustées dans les murs ; d'autres gisent sur le sol ; plusieurs ont été enlevées. Or, comment expliquer la présence

(1) Mémoires de l'Académie du Gard, 1&63. Lecture de M. A. Pelet.


en ce lieu de ces pierres tumulaires ? En voici la raison.

Le christianisme, après Constantin, voulut symboliser son triomphe sur l'idolâtrie, tantôt en transformant en églises les temples des idoles et en faisant servir à son culte les objets qui avaient appartenu au paganisme, tantôt en faisant entrer dans la construction de ses sanctuaires les pierres et les sculptures arrachées aux monuments païens. Là où se trouvaient des dalles funéraires, des stèles avec la dédicace aux Dieux Mânes, des autels votifs, des colonnes milliaires, les chrétiens les encastraient dans les murs de l'église qu'ils bâtissaient comme un témoignage de la victoire du Christ sur les idoles. Or c'est là ce qui nous explique la présence de tant de pierres romaines dans la vallée de Saint-Baudile. Elles avaient été placées dans les anciennes constructions religieuses comme autant de trophées enlevés au paganisme pour servir au triomphe du vrai Dieu.


Il est temps maintenant de répondre à cette question : Qu'est devenu le tombeau de S. Baudile? Que sont devenues les reliques saint martyr? Ont-elles disparu dans le pillage du monastère, ou bien ont-elles été.

cachées dans quelque retraite ignorée ? L'histoire garde le silence sur ce point, et ce silence a paru un motif suffisant à quelques esprits pour croire que la tombe du Saint avait été profanée et ses restes sacrés jetés aux vents. Nous ne pouvons partager un tel sentiment ; nous sommes convaincu au contraire que les reliques ont été courageusement soustraites à la dévastation que subit le monastère et nous conservons l'espoir qu'il sera donné un jour aux catholiques de Nimes de les retrouver et de les rendre à notre vénération. Voici les motifs sur lesquels repose un tel pressentiment.

C'est d'abord sur la croyance traditionnelle des habitants de Nimes qui sont persuadés que les reliques ne sont pas à tout jamais perdues. Cette tradition, il est vrai,


offre quelque chose de vague et d'indéterminé, sans forme précise et nettement -arrêtée ; mais elle est générale, elle est persistante, et notre savant antiquaire, M. A. Pe-* let, s'en est fait l'écho dans ce passage de sa notice sur S. Baudile. « Là, dit-il, vivent de grands et pieux souvenirs ; là sont encore debout les restes d'un monastère vénérable, dont la fondation touche au berceau même du christianisme; là enfin, repose peut-être — tout nous porte à croire qu'il en est ainsi — la dépouille mortelle d'un illustre martyr, du bienheureux patron de notre vieille cité (1). » A cette tradition locale ajoutons cette considération historique. Nous avons vu que lorsque les Sarrasins., au VIlle siècle, envahirent nos contrées, les religieux de, Saint-Baudile s'empressèrent d'ensevelir profondément dans le sol le corps du saint martyr, afin de le mettre à l'abri de toute profanation, et c'est là que le clergé de Ni-

(1) Mémoires de l'Académie du Gard, 1865. — Notice sur la légende de S. Baudile, par M. A. Pelet.


mes eut la joie de le retrouver un siècle et demi après. Or, ne sommes-nous pas autorisé à penser que les religieux du XVIe siècle, à l'approche des bandes protestantes qui pillaient les églises et brûlaient les monastères, imitèrent la conduite de leurs prédécesseurs et confièrent à quelque retraite, cachée le corps de S. Baudile C'est en 1663 que le couvent fut saccagé. Or, les moines avaient déjà vu se former l'orage qui les menaçait.

Ils avaient été. témoins des profanations de la cathédrale, des meurtres, des pillages dont Nimes et plusieurs autres villes avaient été le théâtre. Ces signes précurseurs leur firent comprendre qu'un semblabl e sort pouvait bien tôt les atteindre, et dans cette prévision douloureuse, ils durent prendre les mesures que conseillait la prudence pour mettre les saintes reliques hors des atteintes des ennemis.

Les catholiques de Saint-Gilles avaient envoyé à Toulouse les reliques de l'illustre solitaire pour les dérober au péril d'une destruction complète. Les religieux de Saint-

*


Baudile, tremblant pour leur cher dépôt, s'empressèrent aussi de le soustraire à un semblable danger. Ils durent creuser dans un endroit ignoré de la vallée une tombe profonde et secrète et y enfouir mystérieusement leur précieux trésor. Ils n'avaient pas oublié la cpnduite des religieux du VIne siècle, et ils ne firent que suivre leur exemple.

D'ailleurs si les saintes reliques étaient tombées entre les mains des protestants et avaient été livrées aux flammes, ce fait ne serait pas resté ignoré. Le cri d'indignation qu'aurait soulevé un tel attentat serait arrivé jusqu'à nous et nous en trouverions un écho dans les récits qui retracent les tristes scènes de ces temps lamentables. Or, nous n'en voyons aucune mention, aucune trace dans les relations historiques de cette époque.

D'un autre côté, si les religieux de SaintBaudile ont caché le corps du Saint, on comprend qu'ils aient gardé le plus profond silence sur ce point. Une indiscrétion aurait


pu révéler ce fait aux spoliateurs du monastère et exposer les saintes reliques àleurs outrages. Les ennemis répandirent longtemps la terreur dans nos contrées. Les moines dispersés gardèrent fidèlement le secret sur le lieu où avait été caché le précieux dépôt, et, ne voyant pas luire encore des jours meilleurs, ils l'emportèrent avec eux dans la tombe.

Nous pouvons donc conclure — l'exemple des chanoines de Saint-Gilles et le silence de l'histoire nous autorisent à le croire — que la dépouille de S. Baudile gît ignorée dans quelque retraite mystérieuse, au fond de la vallée sainte, attendant le jour de son exaltation.

Nous avons vu, de nos jours, le tombeau de Saint-Gilles, après être resté, pendant trois siècles, enseveli sous les décombres de la crypte, découvert par les soins du pasteur de cette paroisse. Un mystérieux instinct l'avait poussé à entreprendre des fouilles dans l'église souterraine et ses pressentiments tmt été admirablement réalisés. La


vieille basilique de Saint-Gilles possède maintenant la tombe de l'illustre solitaire dont elle porte le nom (1). Il y a quelques mois, le corps de S. Ambroise a été retrouvé par le clergé de Milan, dans l'autel de l'antique basilique ambrosienne. Serait-ce former un vœu téméraire que d'espérer que des fouilles, entreprises pour rechercher le corps de S. Baudile, nous donneront des résultats aussi heureux? Nous n'hésitons, pas à l'avouer; nous ne pouvons nous défendre d'un secret pressentiment que le saint martyr se lèvera un jour de la tombe où l'ont caché nos pères et qu'il sera rendu à notre vénération et à notre amour. Le Seigneur nous le rendra pour ranimer dans les âmes la foi qui sommeille. C'est comme un puissant enseignement que le ciel nous prépare : il arrivera à son heure, et, dans un temps où la science se vante d'avoir supprimé le miracle, d'a-

(1) Lettre pastomle de Mjr l'Evèque de Nimes sur la découverts dutombemu de S. Gilles, 1867.


voir supprimé jusqu'à la possibilité de l'ordre surnaturel, les ossements retrouvés de S. Baudile confondront le naturalisme moderne et feront germer avec la foi les vertus du monde surnaturel.

Qu'il nous soit permis de reproduire ici ces belles paroles du grand archevêque de Milan, après l'invention des corps des deux glorieux martyrs, S. Gervais et S. Protais.

« Je vous rends grâces, Seigneur Jésus, de ce que vous avez daigné réveiller l'esprit et le souffle de ces deux martyrs, en ces temps où l'Eglise a besoin de plus puissants auxiliaires. Que tous le sachent, je cherche des protecteurs capables de nous défendre et s'abstenant d'attaquer. Voici précisément que je viens de t'en donner, ô mon peuple, qui seront utiles à tous, sans jamais nuire àpersonne. Ce sont là les appuis que j'ambitionne; ce sont les soldats que j'aime, non point soldats du siècle, mais soldats de Jésus-Christ (1). )

(1) S. Ambroise, lettre XXII. Extrait de la Lettre pastorale de Mgr l'Evêque de Nimes.

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L'invention du corps de S. Baudile ferait tressaillir le cœur de notre Evêque du même bonheur que celui de S. Ambroise, et nous pouvons appliquer à notre saint martyr les belles paroles que faisait entendre, à l'occasion delà découverte du tombeau de S. Gilles, Monseigneur Plantier. « A nous aussi, dit l'éloquent prélat, notre Eglise demande aujourd'hui des secours plus puissants que jamais. Placée entre les sectes réformées qui la divisent et le scepticisme sans cesse plus audacieux qui travaille à l'envahir, elle ne saurait trouyer en nous seul une barrière as-

sez ferme pour la soustraire à tant de périls contre des dangers plus redoutables ; il faut des remparts plus assurés. Dieu les élève de sa main par l'exaltation des reliques de saints» (1).

Après S. - Gilles qui vient de se lever de sa tombe , nous aurons S. Baudile; entre Ste Casarie, dont on vient de re-

(1) Lettre pastorale de Mgr Plantier sur la découverte du tombeau de S. Gilles.


trouver l'inscription funéraire (1) , et le liieiheureux Réginald, un glorieux enfait ie Saint-Gilles, un disciple de S. Dominique, dont les vertus réclament notre culte (2). « Ce sont là, répèterons-nous avec Amliroise, les gardiens que nous désirons ; ce sont les soldats qu'il faut à nos combats et à notre sécurité. Lui s'applaudissait des siens, parce qu'il comptait sur eux pour l'abriter contre l'arianisme des premiers temps. Nous nous félicitons à notre tour des nôtres comme d'un bouclier nouveau contre l'arianisme moderne. Comme les martyrs de Milan, ils n'attaqueront pas cet ennemi par l'épée, mais ils nous en défendront par la prière. Ils apporteront de la sorte à notre faiblesse le glorieux supplément de leur force, et si l'on s'étonne désormais de nous voir redescendre dans la lutte avec une ardeur renouvelée, nous dirons encore avec le docteur que nous

(1) Mémoires de l'Académie du Gard, 1869.

(2) Vie du bienheureux Réginald, de Saint-Gilles, par le R. P. Emmanuel Ceslas.


nous plaisons tant à citer : « Vonez et voyez la noble charité qui m'environne ; j'avoue que je me sens enhardi par l'armure dont elle me couvre (1). »

Ecoutons encore, sans nous lasser, notre évêque et S. Ambroise. « Ce n'est pas sans à-propos, dit l'illustre archevêque de Milan, qu'on appelle l'invention des martyrs une résurrection. Ils sont ressuscités pour nous.

Vous avez appris, vous avez même constaté par vos propres yeux qu'ils ont délivré des démons un certain nombre de possédés; plusieurs infirmes également, aussitôt après avoir touché de la main le vêtement dont les saints étaient couverts, ont été guéris des maux qui les travaillaient. On a vu se reproduire les miracles des temps primitifs, alors que l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ répandait une grâce plus abondante dans le monde, c'est-à-dire qu'en notre présence l'ombre des corps saints a suffi

(I) Lettre pastorale de Mgr Plantier sur la découverte du tombeau de Saint-Gilles.


pour rétablir instantanément les malades.

Que de linges, que de manteaux jetés sur ces reliques sacrées ont puisé dans ce contact la vertu de guérir ! On est heureux de pouvoir toucher même la simple extrémité du linceul qui les enveloppe, et quiconque la touche, celui-là est guéri (1). »

Telles sont les guérisons miraculeuses opérées par les reliques des deux saints martyrs de Milan, qui venaient d'être retrouvées et dont fut témoin S. Ambroise. Or, le tombeau de S. Baudile fut autrefois le théâtre de semblables merveilles. 11 fut longtemps le centre et le but d'un pèlerinage très fréquenté. On venait de toutes parts se prosterner devant lui. En ces temps glorieux, il laissait échapper une vertu toute puissante, comme plus tard celui de S. Gilles. « Là aussi les démons désertaient en rugissant les malheureux qu'ils obsédaient. Là aussi les aveugles retrouvaient tout d'un coup l'usage de la vue. Là aussi les malades

(1) S. Ambroise. Lettre 5.


recouvraient, après une prière, la liberté de leurs mouvements et la plénitude de leur santé. C'était comme une source de résurrection et de vie qui jaillissait de cette tombe sur laquelle planait l'ombre du saint martyr, et ceux qu'il avait réjouis par des prodiges s'en retournaient dans leur patrie par tous les chemins du globe, chantant les louanges du Saint (1). »

Or, ne verrons-nous pas se renouveler quelques unes des merveilles des anciens jours? «Aujourd'hui, comme autrefois, les aveugles abondent dans nos contrées ; le rationalisme a plongé et plonge encore chaque jour dans les ténèbres une foule d'esprits ; et la tombe de S. Baudile peut leur rendre la vraie lumière, la lumière de la foi. Que d'infortunés, même sur cette terre fécondée de son sang, sont livrés au démon qui les possède ! Les uns sont en proie au démon de la cupidité; les'autres au démon du liberti-

(f) Lettre pastorale de Mgr l'Evêque de Nimes.


nage ; ceux-ci au démon de l'intempérance ; ceux-là au démon du servilisme et du respect humain. Qu'ils puissent au pied de cette tombe s'affranchir des divers démons dont ils sont les esclaves (1), » et que le sépulcre du saint martyr, rendu à notre culte, rede, vienne glorieux.

XIII

Notre Sauveur, qui a dit àses Apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations, » seplaît à leur faire continuer, après leur mort, cette mission qu'il leur avait confiée pendant leur vie. Il se sert de cet apostolat d'outre-tombe, dit Ull. éminent évêque (2), pour porter le bienfait de la foi à d'autres peuples qui n'avaient pas entendu leur parole. Ils poursuivent ainsi leur marche apostolique à travers les nations, répandant en tout lieu les lumières de l'Evangile. Quoique arrivés au terme

(1) Lettre pastorale. — Passim.

(2) OEuvres de Mgr l'Evêque de Poitiers.


de leur pèlerinage, ils se résignent encore à être pèlerins ; ils passent d'une contrée à une autre, laissant partout d'abondants fruits du salut.

Les saints de tous les siècles ont participé comme les Apôtres à cet apostolat posthùme et ont poursuivi après leur mort cette oeuvre de sanctification. Du fond de leur tombeau, ils ont continué à éclairer les âmes, à toucher les coeurs, et leurs restes précieux ont encore évangélisé les nations.De là les pérégrinations mystérieuses, les courses réitérées des plus illustres saints de la Gaule.,

dont les cités se disputaient les dépouilles et les grâces que le ciel s'est plu à attacher à ces étranges déplacements.

Ecoutons sur ce sujet la belle doctrine de S. Paulin de Noie : « Il ne suffit pas au Seigneur, dit-il, que ses plus glorieux martyrs et confesseurs illustrent de leur nom et de leurs faveurs les lieux qu'ils ont habités. Il est des contrées moins avantagées qui n'ont jamais été foulées par les pas d'aucun apô-


tre vivant : c'est pour les dédommager, je pense, que le Christ ordonne à ses saints d'aller y prendre un tardif domicile, et d'y signaler par mille bienfaits leur nouvelle ha► bitation. Là où son œil divin découvre une nuit plus ténébreuse, une foi plus chancelante, des âmes plus exposées aux séductions des sens, aux pompes dangereuses du monde, là il transporte le sépulcre miraculeux de ses serviteurs; là il destine leurs saintes reliques, source intarissable de lumière, de gràces et de remèdes (1). »

Or, cette doctrine du saint docteur de Noie nous explique d'une manière admirable la merveilleuse diffusion des reliques et du culte de S. Baudile. Nous comprenons pourquoi ce saint martyr, se relevant de la couche funèbre où l'avaient déposé les fidèles, au fond de la Val sainte, a repris ses courses apostoliques et a visité tant de lieux.

Il s'en est allé, dans ses pérégrinations posthumes, de ville en ville, de province en

(1) S. Paulin, poèmes.

G


province, vers le centre et le nord de la Gaule, vers les contrées du Midi et jusqu'au sein de l'Espagne. Il est allé dans ces pays lointains pour y faire de nouvelles conquêtes, pour y produire des fruits de salut.

Comme cette poussière des plantes emportée sur l'aile des vents dans de lointains climats, qui, sous d'autres cieux, fait germer des fleurs nouvelles, ainsi les reliques de S. Baudile, dispersées sous le souffle de la Providence en tant de lieux divers, y ont enfanté d'admirables vertus.

Essayons de suivre, soit en France, soit en Espagne, la trace des reliques et du culte de S. Baudile.

Il y a trois pieux itinéraires qui ont contribué à propager dans la Gaule le culte du saint martyr et à répandre ses reliques. Le premier est celui de S. Agnan, l'illustre évêque d'Orléans, venant, au milieu du ve siècle, réclamer une parcelle du corps de S.

Baudile, afin de la rapporter dans sa ville épiscopale comme un gage de protection coji-


tre les attaques des hordes du farouche Àttila. Le saint évêque vit sa demande favorablement accueillie et reprit, plein de confiance, le chemin d'Orléans, emportant avec joie la précieuse relique qui devait délivrer la cité. Partout où il s'arrêta, à Saint-Bardoux, piès de Valence, à Vienne, sa ville natale, il laissa le souvenir et le culte de S. Baudile.

De Vienne, au lieu de remonter le cours du Rhône et de la Saône et d'aller rejoindre la partie supérieure de la Loire, craignant derencontrerles bandes d'Attila, il se tourna vers la gauche, se dirigea vers Limoges, séjourna avec son glorieux fardeau au monastère d'Arnac, dans le Limousin, et rentra par cette voie, plus longue mais beaucoup plus sûre, dans sa ville épiscopale. Ce voyage de S. Agnan, à travers le centre de la Gaule, depuis le lieu de la sépulture jusqu'au berceau de S. Baudile, a commencé à faire connaître le nom du saint martyr.

Voilà la première source de son culte.

Voici la seconde : ce fut l'itinéraire que


suivirent les quatre-vingts religieux du monastère de Saint-Baudile, sous la conduite de leur abbé, S. Romule, fuyant devant l'invasion sarrasine, au commencement du huitième siècle, et allant chercher un refuge à Saissy-les-Bois, dans l'ancien diocèse d'Auxerre. A défaut des documents qui nous indiquent la marche, les haltes, les divers séjours de la colonie fugitive, nous interrogeons les traditions des paroisses, leur position topographique, les églises où S. Baudile est honoré ; et c'est en réunissant ces divers indices que nous allons chercher à jeter quelque jour sur les origines du culte de notre Saint. Nous sommes heureux d'avoir pour guide, dans ces recherches, M. l'abbé Lereuil, ancien curé d'une paroisse du diocèse de Dijon, autrefois placée sous le patronage de S. Baudile; grâce à son précieux concours, nous espérons retrouver l'itinéraire de S. Romule et de ses religieux.

Les fugitifs eurent soin d'éviter les grandes routes qui, dans ces temps d'inva-


sion, n'offraient aucune sécurité. Ils durent suivre les grands cours d'eau, ces chemins qui marchent et qui deviennent des guides naturels à travers des contrées inconnues.

Partout où nous rencontrons une église placée sous le vocable de S. Baudile, nous pouvons conclure qu'il y a là un souvenir de leur passage. Or, nous en trouvons plusieurs dans le diocèse de Nimes, deux dans le diocèse de Viviers, qui est voisin, trois dans celui de Valence, trois également dans celui de Grenoble, une au diocèse de Belley, une autre dans celui d'Autun ; deux dans celui de Dijon, et enfin deux aussi dans celui de Nevers.

Ces divers points échelonnés sur une ligne oblique et irrégulière, mais qui avance graduellement du midi au nord. fait remarquer .avec juste raison M. l'abbé Lereuil, sont comme autant de jalons placés le long de la voie suivie dans ce même voyage. La régularité des distances qui les séparent n'est pas moins significative. Ici vingt kilomètres,


là quarante, plus loin quatre-vingts, ailleurs cent vingt, nous indiquent une, deux, quatre, six journées de marche, en assignant au parcours de chaque jour, par des chemins difficiles, la longueur d'une vingtaine de kilomètres.

Sans doute, fait encore observer notrejudicieux guide, il est impossible de démontrer que ces paroisses, ces églises, aient toutes adopté le nom de S. Baudile, à l'époque du passage de S. Romule. Mais toutes remontent à une haute antiquité, et leur vocable n'a d'autre origine que le souvenir de ce passage. Remarquons encore que, partout ailleurs, les églises dédiées à S. Baudile sont disséminées confusément et sans ordre, comme une semence jetée au hasard, tandis que, dans la direction du midi au nord, elles sont disposées avec une régularité presque symétrique. Ajoutons aussi que tous ces lieux sont situés près des rivières, parce que, comme nous l'avons déjà indiqué, les cours d'eau étaient les guides naturels que


-suivaient les religieux dans leur migration.

Marchons maintenant à la suite des moines de S. Baudile qui fuient devant le flot de l'invasion. Sur les bords du Gardon, nous trouvons l'antique paroisse de Barron, castrvûn de Barrano, au commencement du xine siècle, dédiée autrefois à S. Baudile. Ce dut être la première halte des compagnons de S. Romule.

Nous ne connaissons pas les stations des trois jours suivants. Ce n'est qu'à Entraigues-sur-Volane, dans le diocèse de Viviers, que nous retrouvons une église consacrée au saint martyr, et par conséquent une trace du passage de la pieuse colonie. Vingt kilomètres plus haut, le village de SaintBaudile, non loin de l'Ouvaise, rappelle un semblable souvenir, et les protestants qui l'habitent n'ont pu changer son nom, quoiqu'ils aient répudié le cul\e de leurs ancêtres.

Sur la rive opposée du Rhône, deux anciens


prieurés, qui dépendaient des paroisses d'Allex et d'Upic, sur les bords de la Drôme, avaient pour patron S. Baudile. Une distance de vingt kilomètres sépare ce point du hameau de Saint-Baudile et Pipet, dans le diocèse de Grenoble, sur un des affluents de l'Isère. Une égale distance nous sépare du village de Saint-Bueil, près Saint-Geoire, sur les bords du Guiers. Cette rivière conduisit les voyageurs au Rhône. Ils remontèrent ce fleuve, et le village de SaintBaudile, dans le canton de Crémieux, nous marque la halte qu'ils firent sur la rive gauche du grand fleuve. Peut-être SaintBoys, dans le diocèse de Belley, indique la station suivante.

Ici nous avons plusieurs lacunes et il faut remonter jusqu'à la paroisse Saint-Boil, dans le diocèse d'Autun, pour retrouver la trace des moines émigrants. Nous avons raconté ailleurs le séjour qu'ils firent à Beaune, où ils bâtirent un oratoire en l'honneur de S. Baudile et où ils laissèrent une partie des


reliques du Saint. Ils ne purent pas jouir longtemps de l'hospitalité que leur offrit cette ville. Le flot de l'invasion s'avançait toujours menaçant, sans qu'aucun effort pût arrêter sa marche envahissante, et les populations fuyaient éperdues et affolées de terreur.

Ces terreurs n'étaient pas chimériques. La ville de Beaune fut prise par les bandes sarrasines qui se répandaient sur la France comme un torrent ; ses maisons furent saccagées et son église principale détruite.

Les religieux, pressentant ce malheur, s'étaient déjà éloignés. Le monastère de Saint-Bénigne, à Dijon , les accueillit dans ses cloîtres, et les enfants de S. Romule durent oublier dans cet asile hospitalier les fatigues de la route et les terreurs qui les poursuivaient. Plombières-lez-Dijon eut aussi leur visite; et avec notre aimable guide, ancien pasteur de cette paroisse, dédiée à S. Baudile, nous aimons à rattacher cette église comme un anneau de plus à cette lon-

*


gue chaîne dont tant de débris épars viennent d'être réunis.

Le voyage se prolongea jusque dans le Nivernais, à travers une contrée accidentée et d'un accès si difficile que les bandes mahométanes n'osèrent y pénétrer. Les environs d'Auxerre échappèrent à leurs dévastations.

De Plombières à Saissy-les-Bois, terme de leur long et pénible voyage, il ne reste, sur une distance d'environ cent vingt kilomètres, qu'une seule trace du passage des religieux : c'est à Parigny-la-Rose. Cette 'paroisse, la seule de l'ancien diocèse d'Auxerre où S. Baudile soit honoré, est placée sur la ligne directe de Plombières à Saissy-lesBois et marque la dernière étape de cette longue migration.

Sur ce vaste espace que nous venons de parcourir avec l'honorable compagnon de route qui a bien voulu nous servir de guide, nous avons rencontré, de distance en distance, le souvenir de S. Baudile ; les églises lui sont consacrées ; les villages portent son


nom ; les enfants le reçoivent à leur baptême et son culte devient populaire. N'estce pas un témoignage sensible du passage en ces lieux de S. Romule et de ses religieux?

Nous nous bornons à indiquer la troisième source du culte de S. Baudile. C'est encore un itinéraire. celui qui eut lieu vers la fin du ne siècle, pour la translation des reliques du Saint, données par l'évêque de Nimes, à la sollicitation du comte de Narbonne, aux religieux de Saissy-les-Bois. Les moines, chargés du précieux dépôt, suivirent, à leur retour, la vallée du Rhône et propagèrent, au milieu des populations qui venaient saluer leur passage, le culte du saint martyr.

Le diocèse d'Avignon subit l'heureuse inlfuence de la translation des saintes reliques, et il nous semble la retrouver dans la ville de Malaucène, qui avait donné à un de ses quartiers le nom de Saint-Baudile, et dans la paroisse de Maubec, qui honore ce Saint comme son patron. Les populations des diocèses de Viviers et de Valence, qui n'avaient


pas oublié le passage de S. Romule, durent tressaillir en voyant passer au milieu d'elles les religieux avec le trésor si envié qu'ils portaient.

Les nouveaux voyageurs suivirent une voie plus directe que leurs prédécesseurs.

Ils firent connaître le saint martyr dans les contrées où son nom était ignoré et ils ravivèrent son souvenir partout où s'étaient arrêtés.. un siècle et demi auparavant, les compagnons de S. Romule.

Du monastère de Saissy, le culte de S.

Baudile rayonna au loin, dans le centre et au nord de la France. Nous empruntons à la Semaine du Berry les lignes suivantes qu'a reproduites la Semaine religieuse de Nimes: « Dans la bréviaire de La Rochefoucaud — 1734 — on faisait, en ce jour — 20 mai — mémoire de S. Baudèle ou Baudile, martyr à Nimes, dans le me ou IVe siècle. Ce Saint, dont S. Grégoire de Tours fait l'éloge au chapitre LXXVIIIC de son livre : De Gloria martyrum, était très célèbre en


France ; il est mentionné dans les plus anciens martyrologes, et plusieurs églises, soit en France, soit en Espagne, sont dédiées sous son invocation. »

« Il ya, ajoute cette Semaine, dans le diocèse, une église et une paroisse du doyenné de Lignières qui porte le nom de Saint-Baudel ; en outre, on voyait autrefois, à Bourges, vis-à-vis de l'église de Saint-Outrilledu-Château, une chapelle dédiée au même Saint, et dont la fondation remontait au ixe siècle : c'était le lieu de la sépulture des comtes de Bourges ; il n'en reste plus aujourd'hui aucun vestige. Catherinot, dans son opuscule intitulé : Eglise de Bourges, dit que les colonnes de marbre dont elle était ornée ont été vendues vers 1670. Les tombeaux trouvés dans les fouilles nécessitées pour la construction du couvent des RR.

PP. Franciscains, font croire que la chapelle du saint martyr était située en cet endroit (1). »

(1) Semaine religieuse de la ville et du diocèse de Ni.

mes? 24 juin 1871.


Dans le diocèse d'Orléans, patrie de S.

Baudile, nous ne rencontrons que deux églises placées sous son patronage, celle de Lombreuil, près de Montargis, et celle de Meungsur-Loire. L'église de Saint-Baudile, dans la Mayenne, est la dernière limite de l'ouest de la France où soit parvenu le culte de notre Saint. Dans le diocèse de Versailles, une seule paroisse l'honore, c'est celle de Neuillysur-Marne. A Paris, il existait autrefois, au faubourg Saint-Antoine, une place qui portait le nom de S. Baudile, et l'église Sainte-Geneviève, d'après le témoignage des Bollandistes, possédait, au XVlle siècle, parmi ses reliques, une partie du crâne du Saint.

Dans le diocèse de Meaux, nous rencontrons deux paroisses qui honorent S. Baudile : celle de Forges, près Montereau, et celle de Chelles, près Lagny. Enfin la paroisse de Thury-Saint-Baudier, dans le diocèse de Metz, est la dernière limite où s'est arrêtée vers l'Est la diffusion du culte de S. Baudile, qui porte dans cette contrée le nom de S. Baudier.


Si nous descendons maintenant vers le centre de la France, nous y verrons encore de nombreux témoignages du culte du saint martyr. Dans le diocèse de Clermont, qu'administrait au cinquième siècle un évêque lettré, Sidoine Apollinaire, qui a visité notre cité et décrit les rives du Gardon (1), la paroisse de Beauzire, dans le canton d'Ennezat, nous rappelle le nom du généreux apôtre de Nimes. C'est encore le même nom que nous avons dans la paroisse de S. Bauzille, près de la Roche-Canillac, dans le diocèse de Tulle. Nous le trouvons encore dans celle de Beauzire, au diocèse du Puy. Ces églises sont peut-être un souvenir du passage de S. Agnan, qui, de Vienne, se rendit à Limoges, en traversant les diocèses du Puy, de Clermont et de Tulle, et qui fit connaître à ces populations le nom de S. Baudile dont il emportait la dépouille sacrée.

Dans le diocèse de Saint-Flour, deux pa-

(1) Apollinaris Sidonii épistolœ. Libe II. Epist. îx.


roisses, celles de Neuvéglise et de Prizac, ont choisi notre Saint pour patron. A mesure que nous descendons dans le Midi, nous voyons se lever toujours devant nous cette sainte figure, et la voie que nous suivons continue à être jalonnée par des paroisses qui lui sont dédiées. AMende, c'est Saint-Bauzîle ; dans l'Aveyron, c'est Saint-Baulize, près de Cornus, et Saint-Bauzèli ; dans le Tarn, SaintBauzile, près Montmirail, et Saint-Baudèle à Mazamet. Le diocèse de Montauban possédait autrefois une église sous le vocable de Saint-Bauzel ; et jusqu'à la révolution de 93, la paroisse d'Aigues, dans le diocèse de Toulouse, honorait S. Baudile comme son patron.

Au diocèse de Carcassonne, l'église dé Montmaur, près de Saint-Papoul, lui rendait le même hommage, et les deux paroisses de Seguer et de Saint-Bauziel, dans rAriège, forment la limite extrême de son culte dans le Midi.

Rentrons maintenant dans le diocèse de Nimes, au foyer même du culte de notre


Saint. 11 existait autrefois à Sommières une antique chapelle de Saint-Baudile, mentionnée, en 1119, dans le bullaire de l'abbaye de Saint-Gilles : Ecclesia Sancti-Baudilii de Somerio (1). A Villevieille, au dessus de Sommières, il y avait le prieuré de Saint-Bauzély. Dans l'ancien diocèse d'Uzès, le village de Saillt-Bauzély, en Malgoirès, locus de

Sancto-Baudilio de Medio-Goto, en 1384,

porte le nom du saint martyr. Blauzac, dans le même diocèse, a une semblable origine, et c'est de S. Baudile, son premier patron, qu'il tire son nom. En 1437 , le village de Tornac était connu sous le nom de paroisse de Saint-Baudile, parrochia Sancti-Baudilii de Tornaco (2), et l'ancien prieuré de Barron avait le même patron.

L'église de Blandas, dans le canton d'Alzon, dédiée à S. Baudile, est mentionnée dès

le xe siècle: Ecclesia quœs est fundata

(1) Dictionnaire topoyraphiqtie du Gard, par M. Germer-Durand. — (2) Dictionnaire topographique.


in honore Sancto-Baudilio, in Arisiense,

porte le cartulaire de N.-D. de Nimes, en 921.

Mentionnons encore Saint-Bauzile de Cruviers, dans le canton de Vézénobres, Sanctus-Baudilius de Cravertis , en 1488; le prieuré de Saint-Baudile de Massanes, canton de Lédignan ; celui de Seynes, près Vézénobres, et la terre de Saint-Bauzile ou Costille, près de Bouillargues.

C'est de Nimes que le culte du saint apôtre a rayonné dans les églises voisines. Nous le voyons à Noves, dans le diocèse d'Aix, où on l'invoque pour la guérison des maladies contagieuses. D'après la tradition, Marseille possédait autrefois un oratoire dédié à S.

Baudile, et nous aimons à croire que l'antique cité Phocéenne, évangélisée par S. Lazare, avait voulu placer, à côté de son glorieux martyr, S. Victor, le martyr de Nimes, qui avait répandu son sang dans la même persécution.

Mais c'est surtout dans le diocèse de Mont-


pellier que le culte de notre Saint s'est épanoui dans tout l'éclat de sa floraison. Nulle part S. Baudile n'a reçu autant d'honneurs et possédé un aussi grand nombre de sanctuaires. Nous comptons près de quinze églises qui lui ont été consacrées, et son nom est au rang des saints les plus populaires de ce diocèse. On dirait en quelque sorte le patron du diocèse de Montpellier plutôt que de la ville de Nimes. C'est là sa vraie patriè d'adoption, et cette Eglise peut le revendiquer comme un de ses protecteurs de prédilection.

Voici d'abord, sur les frontières du diocèse de Nimes, au canton de Ganges, le village de Saint-Bauzille-de-Putois, podium Sancti-Baudilii , dont l'église, dédiée à S.

Baudile, est mentionnée au ixe siècle (1). Plus loin , au canton des Matellés, c'est SaintBauzille-de-Montmel, Ecclesia Sancti-

(1) Dictionnaire topographique de l' Herattlt, par M. Thomas.


Baudilii de Monteceno prope Montem-

laurum; S. Bauzille-de-la-Silve, indiqué au commencement du xne siècle, dans les cartulaires des monastères de Gellone et d'Aniane: Soumont, Sanctus-Baudiliusde Somonte, ainsi nommé en 1194 : Vacquières, canton de Claret, Castrum de Vacqueriis, en 1182, d'après le cartulaire de Maguelone, qui avait pour patron S. Baudile ; SaintBauzille , près de Saint-Brès, Ecclesia

Soncti-Baudilii, quae est Juxta villam

Sancti-Brixii, 1123, d'après le cartulaire du monastère d'Aniane.

Au xlie siècle, il existait près d'Agde une église de Saint-Baudile. Le même nom est encore attaché à une ferme, près de Béziers.

Dans la paroisse de Fougères, il y avait un ancien prieuré connu sous le nom de SaintBauzille-de-Fourches, Sanctus-Baudilius de Furchis, en 1323, d'aprèsles archives de l'église de Béziers. La paroisse de LieuranCabrières, Aureliagum villa, en 918, d'après le cartulaire de la cathédrale de Bé-


ziers, avait choisi, dès la plus haute antiquité, pour patron S. Baudile. Il en était de même de Maureilhan-et-Romejan, dans le canton de Capestang, que le cartulaire du monastère de Gellqne désigne, en 804, sous le nom de Maurellanum.

Le culte de S. Baudile avait pénétré dans l'ancien diocèse de Saint-Pons. Dès le xe siècle, Montouliers, près de Saint-Chinian, avait une église dédiée à S. Baudile : Ecclesia Sancti-Baudelii de Monte-Olerio, an 940, d'après les archives de Saint-Ponsde-Tomières. Dans l'ancien Minervois, près de la, Livinière, les mêmes archives mentionnant , en 1103, une église de SaintBaudile(l), et de nos jours la paroisse de Siran, canton d'Olonzac, honore le martyr de Nimes comme son patron.

Comment expliquer cette prodigieuse expansion du culte de S. Baudile dans les cinq

(1) Dictionnaire typographique da. l'Hérault, par M. Thomas. -


anciens diocèses de l'Hérault, et quelles causes lui assigner ? Il en est deux principales que nous pouvons signaler. C'est d'abord le grand concours de pèlerins qui, pendant plusieurs siècles, n'ont cessé de visiter le tombeau du Saint. On venait de loin s'agenouiller dans son sanctuaire, invoquer sa protection. On se sentait redevable à son assistance d'une faveur qu'on avait obtenue ; on publiait avec reconnaissance son nom, et les populations, émues par les récits merveilleux des pèlerins, élevaient un autel au Saint dont on proclamait la puissance , et quelquefois lui dédiaient une église. Voilà une des premières causes qui a dû faire connaître le nom de S. Baudile et propager son culte dans plusieurs diocèses.

Nous pouvons en indiquer une autre qui a dû avoir une grande influence dans les anciens diocèses de l'Hérault. Nous la trouvons dans les relations qu'entretenaient les monastères d'Aniane, de Gellone, de SaintThibéry, de Saint-Pons-de-Tomières, avec


le monastère deSaint-Baudile àNimes. Nous lisons dans la chronique d'Aniane que S.

Benoît obtint de Charlemagne l'autorisation d'enlever aux monuments romains de Nimes les marbres et les colonnes qui devaient orner l'église et le cloître. Or, le pieux fondateur d'Aniane ne dut pas se borner à dépouiller nos monuments ; il emprunta aussi à Nimes le culte de S. Baudile., et ce fut ainsi que le nom du saint martyr pénétra dans les monastères de la Septimanie qui embrassèrent la réforme de S. Benoît. Peu à peu il franchit l'enceinte des cloîtres et se propagea dans les diverses églises où il a été honoré. La relique de S. Baudile, trouvée dans l'autel de l'église de Saint-Sylvestre, à Puéchabon, n'a pas d'autre origine. Elle avait été donnée, à une époque inconnue, par les moines bénédictins de Nimes à leurs frères d'Aniane, et ceux-ci l'avaient cédée, en 1413, à cette paroisse voisine.

Il y a quelque chose de merveilleux dans cette grande diffusion du culte de S. Baudile.


Nous ne connaissons de sa vie que son généreux martyre. Il tombe obscurément sous les coups d'une multitude encore païenne, et cependant son tombeau devient glorieux.

Voilà que ceux qui l'ont persécuté deviennent les enfants de sa mort. Ses ossements prophétisent ; ils continuent son apostolat et ils répandent au loin la bonne odeur de Jésus-Christ. Les pèlerins accourent et se pressent en foule dans son sanctuaire. Du midi au nord de la France, on lui dresse des autels, et son nom, redit en tant de lieux, devient populaire, presque à l'égal de celui de S. Martin, le grand thaumaturge des Gaules, et autant que celui de Saint-Gilles.

C'est ainsi que le Seigneur se plaît à glorifier ses saints.

Mais ce n'est pas assez des hommages de plus de soixante églises de France. S. Baudile aura encore les hommages d'une grande nation catholique. Il franchira, dans son pèlerinage d'outre-tombe, les frontières qui nous séparent de l'Espagne, et pour lui non


plus il n'y aura pas de Pyrénées. Dioclétien, qui avait répandu à flots le sang des chrétiens dans toutes les provinces de l'empire, avait fait frapper une médaille avec cette inscription : Beleto nomine christiano.

Il se flattait d'avoir anéanti le nom chrétien : et voilà que sur cette terre d'Espagne, où cette médaille a été découverte, un des martyrs, dont il avait fait trancher la tête, vient donner un démenti à l'orgueilleux persécuteur et attester que le sang versé pour la foi est une semence féconde qui fait germer d'innouhrables chrétiens.

Le culte de S. Baudile, propagé, soit par les pèlerins qui venaient de visiter son tombeau, soit par les religieux qui avaient des relations avec le monastère de Nimes, gagna de proche en proche les diocèses d'Agde, de Béziers, de Carcassonne, de Toulouse et de Pamiers, et de là, comme un arbre vigoureux, poussa des rejetons au-delà des Pyrénées.Je viens me placer de nouveau sous la di-

Of


rection de mon excellent compagnon de voyage, M. l'abbé Lereuil, qui a poursuivi en Espagne ses laborieuses investigations sur le culte de S. Baudile, et c'est lui qui va nous conduire aux diverses églises de ce royaume où notre Saint est honoré.

Dans la province la plus voisine de France, la Catalogne, nous trouvons des vestiges de culte du saint martyr à Roses, diocèse de Girone ; à Figuières, à San-Boy, à SaintBaudile de Llasanes, diocèse de Barcelone, connu sous ce nom dès le xure siècle ; à Manarese , que devait plus tard rendre célèbre le souvenir de S. Ignace ; à Barcelone et à San-Boy de Llobrègat qui, en 809, honorait déjà S. Baudile comme son patron.

Les pèlerins, qui, de France, se rendaient au célèbre pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, en Galice, laissèrent, comme souvenir de leur passage, le culte du saint martyr à Pampelune.. dans la Navarre, et à Oviedo, dans les Asturies.

La Vieille-Castille possède plusieurs pa-


roisses qui l'ont choisi pour leur patron : Cigudcsa et Muro-de-Ambos Aguas, dans le diocèse de Calahorra; Nod'alo, appartenant à l'évêcbe d'Osifra ; San-Boal, Saint-Bandile de Ségovie, et Blascha-Sancho d'kviht.

Nous avons, dans la Nouvelfe-Castille, Berlangua, Ciduela et Dou-ero, qui dépendent de l'évêché de Siguanza, et Tolède, capitale de- te province et patrie- dé-S'. Ildèfonze.

Enfin, dans le royaume de Lébn, deux villes importantes, Zamora et Salamanque, honorent le saint martyr de Nimes. Cette ancienne cité célèbre, le 20 mai, sa fête avec une grande pompe. Le chapitre de la cathédrale et la chapelle royale de S. Marc, précédés des croix-de toutes les paroisses, se rendent à l'église de Saint-Boal, où la-messe est cfiantée solennellement et accompagnéedu panégyrique du Saint (1).

(1) Ces divers documents sur le culte de S. Baudile en Espagne ont été fournis à M. l'abbé Lereuii par M. l'abue Villambrosio, chanoine de Sarragosse, etparMvPrimitivoJ


On le voit, l'Espagne donne la main à la France et s'unit à elle dans un même sentiment de foi pour glorifier S. Baudile. Des deux côtés des Pyrénées, la fête a lieu le 20 mai, et les vingt paroisses qui lui sont consacrées dans la catholique nation de Pélage et d'Alphonse le Grand , font écho aux louanges qu'il reçoit dans les soixante églises de sa patrie. Ce nom, que l'Espagne invoquait déjà au commencement du ixe siècle, a été témoin des efforts héroïques de cette nation luttant, sous l'étendard de la croix, contre l'invasion sarrasine, s'affranchissant du joug ennemi et recouvrant peu à peu son indépendance. Car, dans ces siècles de foi, le courage des armées avait toujours pour auxiliaire l'invocation des saints.

Le culte de S. Baudile étant répandu en tant de contrées, il ne faut pas être surpris que son nom ait subi diverses altérations, selon les provinces où il était honoré. On

Fircnles, de Madrid, auteur des Actes des Martyrs dit christianisme.


l'appelle Baudile, Baudèle, Bauzille, Bauzély, Bauzel, dans le Midi; Bauzile, Baulize, Bàuzire dans le Vivarais et l'Auver.:.

gne ; Baudelle, Baudiëre, Baudel, Bueil, Boys-, Boil, Baudier, au Nord et dans l'Est ; Boeilho, Baudelio, Boal, Boy, en Espagne.

Ces altérations peuvent modifier la physionomie du nom, mais elles ne la changent pas, et sous ces diverses désinences on retrouvé

toujours l'apôtre de Nimes, Les églises qui l'invoquent sous ses appellations variées reconnaissent en lui le Saint, originaire d'Orléans, qui a répandu son sang dans notre cité, et dont le tombeau a été célébré par S. Grégoire de Tours. A Orléans, comme à Nimes, on honore le même apôtre et le même martyr.

Catholiques de Nimes, souvenez-vous de vos premiers pères dans la foi, qui vous ont apporté la parole de Dieu. C'est l'appel que nous adresse l'apôtre S. Paul : Mementote prœpositorum vestrorum qui voMs locuti sunt nerbum Dei (1). N'oubliez pas

(1) Epitreaux Hébreux, chap. xm, v. 7.

*


qu'ils vous ont transmis une vie plus haute et plus divine que celle de la nature : la vie de la foi, la vie de la grâce. Autant l'âme est au-dessus du corps et l'éternité au-dessus du temps, autant cette seconde vie l'emporte sur la première. Or, l'auteur de cette vie spirituelle dans notre cité, c'est S. Baudile. C'est lui qui nous a apporté la parole de salut et qui nous a engendrés à la vie de la foi. Si ceux-là nous sont chers qui nous ont appris à balbutier les premiers mots de la langue humaine que nous parlons, que ne devons-nous pas à ceux qui, les premiers, nous ont enseigné à parler la langue de Dieu et qui nous ont communiqué la vie de la grâce et de l'éternité? Or, c'est à la prédication du généreux martyr que nous sommes redevables de ce bienfait inestimable. Il a été un des premiers prédicateurs de l'Evangile, un des premiers ministres de la grâce de Notre-Seigneur dans nos contrées ; son apostolat et son martyr l'unissent à nos âmes par les liens d'une paternité sacrée. Il peut nous


* dire, avec S. Paul : « Lors même que vous auriez dix mille autres précepteurs de la vie chrétienne, vous n'avez pas pour cela plusieurs pères. Car c'est moi qui vous ai enfantés, par l'Evangile, à Jésus-Christ (1). »

Oui, c'est notre père, le fondateur de l'Eglise de Nimes, et c'est par lui que la parole du salut nous est arrivée. C'est le protecteur, c'est l'ami de ceux qui sont devenus ses frè-

res : hie est fratrum amator. Il prie avec ardeur pour ce peuple qui est le sien et pour cette ville qui s'est placée sous son patro-

nage : Qui multum orat pro populo et universa civitate (2). Intercesseur infati-

gable, il s'interpose entre la justice divine et nos fautes : du haut des cieux, spectateur de nos combats, témoin de nos luttes, attentif à nos besoins, il compatit à nos maux et sollicite les secours que réclame notre faiblesse.

Que nos cœurs se tournent vers lui avec

(1) lre Epître aux Corintli. chap. iv, v. 15.

(2) 1 Macchab., ch. xv, v. 14.


un vif sentiment de confiance, et qu'il y ait dans chaque famille un souvenir, une invocation pour le gardien de nos foyers et de notre cité. Que son culte se ravive au fond de nos âmes; qu'il devienne, de nos jours, comme une protestation solennelle contre ces doctrines désolantes qui dégradent l'homme, qui le font descendre au niveau de la brute et qui ne lui promettent d'autre destinée que le néant ; une protestation contre ce paganisme révolutionnaire qui tente d'arracher la France des bras du Christ pour la faire tomber dans toutes les hontes du sensualisme le plus abject ; une protestation contre ces systèmes impies qui ne voient en Dieu qu'un homme et font de l'homme un Dieu ; contre ces tentatives sacriléges qui voudraient bannir Dieu de nos écoles comme de nos institutions, le chasser du foyer de la famille, l'écarter du berceau et de la tombe, et faire de cette nation de Clovis, de Charlemagne et de S. Louis, qui est la lîlle aînée de l'Eglise, un peuple d'athées.


Que le nom de S. Baudile devienne parmi un cri de ralliement pour lutter, avec une persévérante énergie, contre l'arméidu mal, pour rester unis dans la même foi comme une famille de frères, abritée sous la croix et toujours fidèle à Jésus - Christ et à son Eglise! Que l'âme du saint martyr passe dans nos âmes et excite en nous des ardeurs généreuses ; que sa sainte image plane sur la cité comme un gage de protection, et si nous ne pouvons encore lui élever, au lieu où fut son tombeau, un sanctuaire qui rappelle la gloire des anciens jours, qu'il trouve, au fond de nos cœurs, un sanctuaire vivant où brille un reflet de sa foi et de sa charité !


CORRECTIONS*

Page 6; au lieu dg : quatre cents ; lisez: cent.

Pagtf 58, air comhiôticenaeîit de là page 9 lisez : Ht.

Page 39, au lieu- de : Dé Gloriw E-oolesiœ;. lisez : Da Gloriâ Martyrum.

Page il, au lieu de : tenariœs ; lisez : tenarias.

ADDITIONS.

Dans la Nièvre, Saint-Baudière, chipeJ^^irt^ç'oirjnî^ie de Marsy, fief de la Chatellonie de Néconnu 1 9~ sous le titre de Saint-Baudelins. "t } - 1 /-

Dans l'Yonne, Saint-Baudèle, anqênne thtpe 'F J

(1) Dictionnaires topographiques de l~evjieiet-d~i~f 11


TABLE DES MATIÈRES

Pages I. — Introduction.

II. — Martyre de S. Baudile. 10 III. — Tombeau de S. Baudile. 58 IV. — S. Romule et ses compagnons. 49 V. — Translation des reliques de S. Baudile. 56 YL— Affiliation du monastère de Saint-Baudile à l'abbaye de la Chtise-Dieu 69 VIl. •— Etat du prieuré de Saint-Baudile au xive siècle. 86 VIII. — Dévotion de la ville de Nimes pour S. Baudile 96 IX. — Destruction du monastère et e de Saint-Baudile 103 X. — Nouveau couvent de sar.' t.di[e.;,;! 1 XI. — Les trois fontaines et jPçraloiife de ajrit- s: 1 BaudUe. t "'-"" j ..t..}.. 333 Xll.- La Valsainte et le tomb u dèle. BaudiW,, 1 XIII.— Culte et reliques de S. Bah^À^l'&A■ VYjXl '9

NmM, Lalare tt Yve Attenom