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Titre : La Guerre du Mexique de 1862 à 1866, journal de marche du 3e chasseurs d'Afrique, notes intimes écrites au jour le jour ; par Paul Laurent
Auteur : Laurent, Paul Louis M. Auteur du texte
Éditeur : Amyot (Paris)
Date d'édition : 1867
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb340818272
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : In-18
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Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6365823w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LH4-640
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/11/2012
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LA
GUERRE DU MEXIQUE i : *
I*A IMS. — E. 1)1'. SOYE, IMPRIMErii, 2, !'L\<:r: Dr P ANTHÉON
LA
GUERRE DU MEXIQUE
DE 1803 A 1866
JOURNAL DE MARCHE —— -
DU 3e CHASSEURS D'AFRIQUE
INTIMES ÉCRITES AU JOUR LE JOUR
PAR
PAUL LAURENT
PARIS A 31 Y n 1, 8, RUE DE LA PAIX 1 807
nr.oiT? r>F. rRorim.TK kt di. traduction uéservép
A M. LE COMTE DU BARAIL Général, Commandant la Brigade de Cavalerie légère de la Garde Ex-Colonel du 3e Chasseurs d'Afrique.
MON COLONEL,
Laissez-moi vous appeler ainsi; car, malgré moi, je vous vois toujours menant au feu notre beau régiment, * c'est à vous que je dois d'avoir fait la campagne du Mexique, et, par conséquent, d'avoir pu écrire ces quelques lignes.
A vous seul donc revenait de droit leur humble dédicace, que je vous prie d'accepter comme l'expression sincère
de mon respectueux attachement,
PALL LAURENT.
Aùbl'vilI. 20janviu 1867.
LIVRE PREMIER
DE CONSTANTINE A MEXICO
JOURNAL DE MARCHE DU 3e CHASSEURS D'AFRIQUE
NOTES INTIMES ÉCRITES AU JOUR LE JOUR
LIVRE PREMIER
DE CONSTANTINE A MEXICO
1862
Le départ
Fin juin. - Grande nouvelle au régiment. Deux escadrons partent pour le Mexique. — Nous prendrons la voie de terre jusqu'à Alger, où nous devons embarquer sur î Aube. Chacun fait valoir ses titres pour passer dans les escadrons partants.
Beaucoup d'appelés, peu d'élus. — J'ai la chance d'être du départ;
A juillet. — Nous quittons Constantine sur l'air de circonstance :
« Partant pour la Syrie »
que nous joue pour ses adieux la musique du régiment. Au bout d'une heure de marche, on met pied à terre pour la pause.
Le drapeau, la musique et ceux de nos camarades qui ne partent pas se rangent sur un des côtés de la route pour que nous défilions devant eux. On se serre la main, on s'embrasse une dernière fois, on remonte à cheval, et la moitié de la famille militaire s'en va du côté d'Alger, tandis que l'autre rentre à Constantine. Nous tournons la tête pour envoyer de loin un dernier adieu à nos amis et jeter un dernier regard sur le plateau de Sidi Mabrouck et la vallée du Rummel. Quand reverrons-nous ce paysage si connu des chasseurs d'Afrique ?
Au moment où je relis ces lignes, écrites il y a quatre ans, six de ces joyeux officiers qui partaient ce matin-là pour le Mexique ne reverront ni l'Afrique, ni la France. Ils dorment sous ce sol mexicain qu'ils étaient si impatients de connaître.
27 juillet. — Jusqu'à Blidah, route connue, chaleur, poussière et absinthe. — A Blidah, rencontré le 3e hussards, bu avec lui à la con-
quête du Mexique, d'autant plus volontiers que nous sommes en plein mois de juillet. - Arrivés à Alger, on nous fait camper sur le terrain des courses de Mustapha, devant l'établissement des bains de mer de Tivoli ; nous passons là plus de quinze jours à attendre l'embarquement. Beaucoup de dames d'Alger éprouvent immédiatement le besoin de prendre les bains de mer à Tivoli, et leur patriotisme les pousse à embellir les derniers moments que nous passons en Afrique. Mon capitaine, qui a plus d'expérience que moi prétend que l'entrée en campagne de 500 fr. que nous allons toucher, influe beaucoup sur leur manière de voir. Moi, qui ai encore des illusions, je ne veux pas le croire.
Nous avons été passés en revue par le général Yusuf. — Quel homme singulier que cet ancien janissaire du dey d'Alger ! Il avait un harnachement et un uniforme qui rappelaient Murât. Le colonel du Barail lui a présenté le régiment.
Ces deux soldats, dont le brillant passé est écrit à grands coups de sabre dans tous les coins de l'Algérie, m'ont frappé par l'opposition vivement tranchée de deux types magnifiques d'hommes de guerre.
— Le général, c'est le cavalier du désert, fantaisiste et.irrégulier. Notre colonel, c'est, au contraire, le soldat aussi discipliné que brillant. Sa moustache avait l'air scandalisée des excentricités de tenue du général.
Leurs chevaux eux-mêmes semblaient avoir
pris quelque chose du caractère de ceux qui les montaient. L'étalon bai brun du général soufflait en bondissant par saccades nerveuses, les crins épars et couvrant à demi son œil brillant; plié sur les jarrets, il avançait par une série de petits bonds
inquiets; tandis que le cheval syrien du colonel, d'un blanc à reflets argentés, la tête haute, les oreilles en avant, ses nazeaux roses dilatés, son grand œil noir bien ouvert, marchait ce pas calme et léger qui est l'apanage de sa race.
A bord
.8 septembre. — L'embarquement a commencé à cinq heures du matin : à deux heures tout était fini, à quatre heures on est en route pour le Mexique.
UAube a empilé à son bord quatre cents chasseurs d'Afrique et trois cent cinquante chevaux; nous.
sommes un peu serrés, mais espérons que, comme dans les omnibus, ça se tassera par le mouvement.
Nous allons quitter la Méditerranée : c'est une vieille amie pour nous ; ne nous a-t-elle pas portés en Crimée, en Italie, en Syrie? Un de nous fait la remarque qu'il ne nous manquera plus qu'une campagne en Océanie, pour avoir dégaîné dans les cinq parties du monde. Beaucoup de nos chevaux sont
dans le même cas : nés en Afrique, ils ont vu l'Europe dans la guerre d'Italie, l'Asie dans la guerre de Syrie, et viennent de s'embarquer pour l'Amérique. On devrait plutôt nous appeler chasseurs cosmopolites que chasseurs d'Afrique.
Nous passons le détroit de Gibraltar. La vue du pavillon anglais qui flotte sur ces terribles fortifications, nous fait émettre sur le compte de l'Angleterre des réflexions qui certainement auraient trouvé de l'écho dans le cœur de M. le marquis de Boissy.
TTénérim:
16 septembre. - Nous voici en rade de Ténériffe, avec la permission de descendre à terre pour deux jours : nous .en profitons comme des collégiens en vacances. La population nous regarde avec étonnement, les officiers espagnols nous saluent d'un air froid, maispoli; nous cherchons àétudieraveclesjoliesmanolas cette langue castillanne que nous allons parler au Mexique. Les moins avancés remplacent le dialogue par une pantomime éloquente. Aussi tout le monde finit par s'entendre et. s'apprécier.
Nous nous rembarquons, pour ne plus relâcher qu'à la Martinique.
La tempête
3 octobre. — Ce matin, M. Rozier, le commandant de ï Aube, est monté sur le pont plus souvent que de coutume. Il s'entretient souvent à voix basse avec le second et avec l'officier de quart. On fait appeler le colonel, et nous sommes très-surpris de voir jeter à la mer tout le fourrage qui encombrait le pont. On fait descendre une partie des chasseurs d'Afrique aux écuries ; des câbles de renfort sont tendus devant les chevaux. Ces préparatifs sont à peine terminés qu'un sifflement terrible, passant sur nos têtes, fait gémir les cordages et ployer la mâture. L'A ube se couche sur le flanc pour se relever immédiatement ; la tempête a commencé. elle va durer cinq mortels jours.
Le commandant Rozier, sur le pont à toute heure, bravant le ciel et la mer révoltés, se tient froid et impassible à côté des timonniers. Sa figure est impénétrable.
Le soir du troisième jour, les chevaux de tribord brisent leurs stalles et vont rouler sur l'autre bord pêle-mêle dans les jambes des autres chevaux, qui, affolés par la peur, les foulent aux pieds. Ce poids anormal, jeté entièrement sur l'un des côtés du navire, en compromet sérieusement la position:
l'Aube est engagé sur bâbord et ne gouverne plus. Officiers, marins, soldats, tout le monde se met à l'œuvre, et après un quart d'heure d'angoisses, on parvient à remettre les chevaux à leur place. Le navire se relève alors, comme un lutteur un moment terrassé et reprend sa course. Il était temps.
Quels hommes que ces chasseurs d'Afrique!
Ici, l'un retient par les nazeaux un cheval qui, fou de terreur, a déjà passé les jambes de devant par-dessus le bastingage; là, trois d'entre eux, cramponnés à la tête et à l'encolure d'un cheval dont l'arrière - train a déjà disparu par l'écoutille, le soutiennent à la force du poignet, au risque d'être entraînés avec lui.
Au milieu d'un pêle-mêle de chevaux terribles, un chasseur a sauté sur le dos du plus méchant et le contient ainsi; tout cela se fait sans cris, sans' tumulte, naturellement, avec le calme de gens vraiment forts.
L'ordre rétabli, le commandant du bord se retourne vers notre colonel et, se découvrant lentement, lui dit avec une simplicité touchante : « Colonel, je remercie le 3e chasseurs d'Afrique d'avoir aidé l'équipage à sauver le navire. M Après la pluie, le beau temps. Vieille rengaine, mais vraie, agréable surtout aux gens mouillés.
La Martinique
7 octobre. — Nous arrivons dans les eaux tranquilles de Fort-de-France (Martinique), et nous débarquons sur la savane.
Nos pauvres chevaux, encore tout pantelants de cette secousse, vont jouir dun repos réparateur dont ils ont grand besoin.
Martinique, terre enchanteresse! aux mœurs douces et hospitalières ! quels souvenirs charmants tu as laissés au cœur des officiers du 3e chasseurs d'Afrique ! Toi, le port après l'orage ; toi, le dernier endroit où l'on nous aura dit en français : « 0 cher !
je t'aime! » Bonnes et braves filles de Fort-deFrance, nous parlerons souvent de vous le soir au bivouac, dans les plaines de la Sonora ; et vous, nous aurez-vous oubliés?Mais quinze jours sont bientôt passés, surtout quand on s'amuse. — Les avaries de l'Aube sont réparées. — Les chevaux sont refaits, et nous les ramenons au quai pour rentrer avec eux dans notre prison flottante.
Adieu, Zoé, Calypso, maman Titine; adieu, fillettes blanches, mulâtresses, quarteronnes, adieu!
On lève l'ancre et, de la côte où vous -êtes vernies nous reconduire, vous n'apercevrez plus bientôt le bateau qui emporte au Mexique vos chers petits békés (blancs) de France, comme vous nous appeliez.
* '--
L'arrivée 2 novemÓre, - Voilà Vera-Cruz! On aperçoit au loin les fortifications de Saint-Jean d'Ulloa et l'île de Sacrificios. — Le pilote monte à bord, c'est le premier Mexicain que nous voyons.
On arrive. On est arrivé. Vivat I nous ne sommes plus marins, nous revoilà chasseurs d'Afrique. Le voyage est fini, la guerre commence !
4 novembTe, - Le débarquement s'est effectué sans accident, malgré le Norte (vent du nord) qui commençait à s'élever. Nous sellons nos chevaux, et nous traversons Vera-Cruz pour aller camper à un kilomètre en dehors des murs,.
Le bivouac, c'est bien là vraiment notre affaire.
Au diable la navigation ! Les tentes se dressent et s'alignent, les chevaux tendent avec plaisir leur pied à l'entrave accoutumée, qu'ils préfèrent aux sangles et aux courroies qui les suspendaient à bord comme des colis vivants. Ils hennissent joyeusement, les nazeaux dilatés aux effluves de la brise , qui leur arrive chargée des senteurs aromatiques des Terres - Chaudes. Les feux s'allument, les gamelles chantent, et le chasseur d'Afrique, heureux devant son fristick et son café,
n'a pas assez de plaisanteries dans son sac pour établir un parallèle humiliant entre les fayots du maître coq du bord et la cuisine qu'il s'offre à luimême au camp.
Les officiers de peloton visitent l'armement, l'équipement, le harnachement. On passe avec un soin minutieux la revue des chevaux qui ont supporté la traversée mieux qu'on n'aurait osé l'espérer, et chacun s'applaudit de voir que, s'il le faut, le 3e chasseurs d'Afrique est prêt à se porter en avant. Les deux escadrons du 12e chasseurs de France, débarqués quinze jours avant nous, viennent d'avoir une jolie affaire à Plan-delRio.
Or, voyez-vous, sans être jaloux, on n'aime pas plus la concurrence dans le métier militaire que dans les autres.
Le général de Lorencez
2 novembre. — Qu'y a-t-il donc? Tout le monde court sur le bord de la route. Suivons le mouvement. On fait silence. Nos hommes, le phécy à la main, regardent avec respect passer au milieu d'eux un peloton de cavalerie, à la tête duquel
marche d'un air pensif un homme en petite tenue de général français.
C'est le général de Lor'encez qui se retire du Mexique après avoir remis le commandement au général Forey, son successeur, et qui se rend à Vera-Cruz pour rentrer en France.
Personne n'a été prévenu. Aucun ordre n'a été donné. Le général est arrivé par la route de la Tejeria, voyageant pour ainsi dire incognito. Mais dès qu'il fut reconnu, son nom courut dans le camp comme une étincelle électrique. Tous, officiers, soldats, d'un commun accord, par un mouvement spontané, nous accourons pour saluer ce grand courage qui n'a dû un échec immérité qu'à des impossibilités matérielles. Je ne sais si les vivats enthousiastes, si l'ovation bruyante faite à un général vainqueur valent cet élan généreux de sympathie silencieuse, éclos du bon sens sublime qui caractérise nos soldats.
Le général releva sa tête un peu pâlie et fatiguée, promena lentement son regard intelligent sur ce camp accouru tout entier sur son passage, et nous salua profondément en souriant d'un air triste.
Il me semblait lire sur sa figure : « Ah! si j'avais eu cette belle cavalerie à la retraite de Puebla. »
Puis il passa sans parler.
Mais en campagne les émotions, si vives qu'elles soient, ne sont pas de longue durée ; au bout de cinq minutes chacun avait repris le cours de ses
occupations habituelles, et l'on ne pensait plus au général de Lorencez.
Les rires, les chansons recommencèrent. La nuit vint, on sonna la retraite, puis l'appel. Les causeries continuèrent encore quelque temps autour des feux du bivouac, mais peu à peu le silence se fit, la lune monta au ciel, énorme, radieuse, éclatante, éclairant les objets de reflets bleuâtres inconnus en Europe, la mer se brisait doucement sur la plage, les grandes herbes parfumées dans lesquelles nous étions campés - on-
dulaient sous la brise du soir, ma tente était entrouverte, et je jouissais en silence d'une de ces belles nuits des Tropiques dont on parle tant en Europe.Je me surpris en flagrant délit de poésie intime.
Honteux de cette tendance déplorable chez un chasseur d'Afrique, je me gourmandai vigoureusement au troisième vers, et je m'endormis.
Vera-Cl"UZ
Le lendemain, nous allons visiter Vera-Cruz et Saint-Jean d'Ulloa aux fortifications démantelées.
Nous ouvrons de grands yeux dans cette ville étrange, à la physionomie morne et désolée, qu'il-
luminent çà et là de splendides hôtels et d'étincelantes maisons de jeu d'où sortent par bouffées la lumière et le bruissement des pièces d'or.
Vera-Cruz me fait l'effet d'une grande belle fille qui, minée par la fièvre, n'aurait conservé de sa première beauté que deux yeux magnifiques qui flamboient sur son visage ravagé.
Cependant la présence de l'armée française donne un peu d'animation. Les restaurants, les cafés s'ouvrent et s'emplissent, les maisons de jeu surtout regorgent. Je veux tenter la fortune comme les. autres, et, malgré le proverbe qui prétend que l'on gagne toujours la première fois que l'on joue, je vois avec douleur mon once d'or passer de ma poche à la masse du croupier. Ceci me guérit à tout jamais de ma passion naissante pour la roulette. Je descends au café prendre un sangris au madère, puis je vais regarder la sortie des vêpres pour voir' un peu les jeunes Vera-Cruzannaises. J'ai passé ma journée comme Robert le Diable, entre le vin, le jeu, les belles, et j'ai beau répéter avec lui que l'or est une chimère, je regrette vivement mon once perdue.
Pour changer le cours de mes idées, je m'amuse à lire la proclamation du général Forey, en date du 25 septembre, qui dit que de nombreux renforts vont se joindre à la glorieuse armée d'Orizaba : le général flétrit en termes énergiques les tendances du parti juariste qui, pour se soutenir au pouvoir,
ne craint pas de vendre « par lambeaux » le territoire du Mexique. Il fait un appel chaleureux à la concorde du pays, sans distinction de partis. Il proteste contre la pensée prêtée à l'Empereur des Français de vouloir imposer au peuple mexicain un gouvernement qui ne soit pas de son consentement; il termine par ces nobles paroles :
« 11 n'entre pas dans la politique de la France de « se mêler, pour son avantage personnel, des que« relies intestines des nations étrangères ; mais a lorsque, par des raisons légitimes, elle est forcée « d'intervenir, elle le fait toujours dans l'intérêt du « pays où son action s'exerce.
<( Souvenez-vous que partout où flotte son dra« peau, en Amérique comme en Europe, il repré( sente la cause des peuples et de la civilisation. »
Marche sur Puebla
17 novembre. — Notre arrivée coïncide avec la cessation des pluies; les chemins, qui sèchent si vite sous les Tropiques, s'améliorent chaque jour davantage. Les communications entre la VeraCruz et Orizaba n'offrent déjà plus ces difficultés
inouïes qui ont mis à une si grande épreuve l'énergique constance de nos soldats.Tout est prêt et l'ordre est donné : nous voilà en route pour rejoindre le gros de l'armée qui marche sur Puebla. Les deux escadrons se déroulent comme un serpent, marchant par deux sous les grands arbres de la Tejéria, sur la route qui conduit à Puebla. A l'extrême avant-garde, - quelques Mexicains alliés servent de guide. Nous regardons avec curiosité ces cavaliers tout à fait nouveaux pour nous. Leurs lances, leurs laços, leurs vestes de cuir, leur physionomie étrange, aux sourcils charbonnés qui se détachent sous les vastes ailes de leur large sombrero (chapeau) , leurs éperons démesurés et leurs lourdes selles, qui' contrastent avec la petite taille et la maigreur de leurs chevaux à demi-sauvages, excitent la curiosité et les lazzis de nos vieux chasseurs.
Nous sommes en belle humeur; il retourne de pique. On jase et l'on rit en fumant, pendant que les chevaux allongent le pas dans la poussière du chemin. — Ah! que j'étais malade en mer, dit un chasseur à son voisin. — Quelle veine tu avais alors! — Pourquoi cela? - Tiens! pendant ce temps-là, ta santé se reposait et je faisais tes corvées.
Je suis d'extrême arrière-garde aujourd'hui. Je vois défiler tout ce monde devant moi; je marche derrière les voitures régimentaires, que nous som-
mes chargés d'escorter et de défendre au besoin.
Le sable de cette route, aux ornières profondes, me donne de sérieuses inquiétudes sur l'heure probable où j'arriverai au bivouac. Heureusement que le dîner de MM. les officiers est dans mes voitures, et que l'on ne pourra pas m'attendre les pieds sous la table.
Je m'en étais douté, les voitures ne marchent pas. Trop chargées, mal attelées, en moins d'une heure j'ai déjà perdu une lieue sur la colonne. Il faut tirer des plans, comme disent les troupiers.
Un convoi d'arriéras (muletiers) passe à vide.
Je l'arrête, et bon gré, mal gré, nécessité faisant loi, je décharge en partie mes voitures sur les bêtes de somme. J'attèle en flèche deux ou trois chevaux de troupe avec les cordes de bivouac, et j'arrive enfin, à dix heures du soir, au camp, avec les bagages et le diner.
Je suis accueilli avec l'enthousiasme qu'éprouvèrent les naufragés de la Méduse à la vue du brick l'Argus.
Orizaba
Toutes ces journées de marche dans les TerresChaudes à la fin de la saison des pluies, dans des
routes défoncées, se ressemblent à peu près. Chacun de nous fait à son tour l'arrière-garde; seulement l'expérience perfectionne chaque jour les moyens de transport. Après avoir passé le Fortin,.
le<lhiquehuite, Cordova, nous arrivons à Orizaba, où nous rencontrons, pour la première fois depuis Vera-Cruz, une garnison française.
Campés au village d'Ingénio, à trois kilomètres d'Orizaba, nous retrouvons dans cette ville nos camarades, nos prédécesseurs sur cette terre étrangère, et nous leur donnons des nouvelles de France et d'Afrique. Eux, à leur tour, nous disent les émouvants détails de la première expédition, la retraite après l'échec de Puebla, le siège d'Orizaba, l'ennemi, la garnison affamée, et sa merveilleuse délivrance par la folle, la gigantesque attaque du Borrégo par le vaillant Déti ie.
22 novembre. -J'ai visité le Borrégo et je n'ose en croire mes yeux. Cent cinquante grenadiers, sous les ordres du capitaine Détrie, ont, par une nuit 'obscure, enlevé, en passant par des chemins difficiles pour une chèvre, trois mille Mexicains dans une position retranchée qui dominait la ville.
Ce coup de main inexplicable, incroyable, a frappé l'ennemi de stupeur, et toute son armée a levé le' siège, désespérée, renonçant à attaquer à cent contre un cette poignée de vaillants. Ils sont aussi terrifiés par l'attaque de ces étrangers que
leurs ancêtres le furent par celle des cavaliers de Fernand Cortez.
Je viens de voir M. Détrie, il rentre en France,.
nommé chef de bataillon dans un autre régiment. Il y a trois mois, il'était lieutenant. On l'a fait capitaine à l'affaire de la Barranca-Secca, et il n'avait pas encore sur sa tunique les insignes de son nouveau grade, quand il monta enlever à la baïonnette sa grosse épaulette au sommet du Borrégo. C'est beau. Ça fait rêver. Ça vous rendrait chauvin, si on ne l'était pas un peu déjà.
La brigade Berthier a pris la route de Jalapa et à la date du 1er novembre ce général avait occupé Puente-Nacional. Le général Berthier est entré le 8 à Jalapa ; son avant-garde, composée de cent chevaux du 12e chasseurs, commandée par le lieutenant-colonel Margueritte, a rencontré deux cents lanciers rouges, la meilleure cavalerie du pays. Nos chasseurs chargèrent vigoureusement; et après une mêlée de quelques minutes, les lanciers mexicains prirent la fuite, poursuivis, pendant neuf kilomètres, le sabre dans les reins. Ce succès a eu pour effet de jeter la démoralisation dans un corps de trois à quatre mille hommes -de garde civique, réunis sous le commandement de Diaz Miron, gouverneur de l'État de Jalapa.
A cette date, les troupes expédiées de France et d'Algérie sont arrivées et débarquées à la Vera-Cruz.
Mais le général Forey attend avant d'aller plus loin, les moyens de transport nécessaires à l'alimentation et au mouvement de l'armée.
1er décembre. — Bonne nouvelle ! nous sortons enfin de l'inaction. On va se porter en avant. Nos hommes se grisent de joie, et la vieille chanson des chasseurs d'Afrique retentit toute la soirée au bivouac :
Escadrons, marchons !
Escadrons, marchons!
Chasseurs d'Afrique, en avant-garde, Escadrons, marchons !
La France nous regarde, En avant, escadrons !
Nos bras sont forts, et nos lames sont fines, etc.
Cette énergique poésie, qui date de 1833, est trop connue pour la citer ici toute entière. C'est ce
refrain aux lèvres qu'on a chargé à Isly, à Balaclava, à la Tchernaïa, à Pékin, à Solférino.
Nous la redirons demain matin, car les avantpostes de Carbajal sont à trois lieues de nous.
Passage des Cîimbros
2 décembre. — Nous sommes au pied des Cûmbres. — Quelques coups de fusil pétillent. — Nos éclaireurs mexicains reviennent nous annoncer que l'ennemi s'est fortifié dans ce passage difficile pour nous arrêter. — Les chasseurs d'Afrique prennent le galop, et l'on entre à toute bride dans le petit village d'Aculzingo, placé au pied de la montagne. Quelques retardataires sont sabrés dans le village, mais le gros de l'ennemi est retranché au sommet des Cûmbres, et son feu commande la route.
Il faut attendre l'infanterie. — Elle arrive en couronnant les hauteurs. Les Mexicains, se voyant dominés à gauche par les zouaves, à droite par les chasseurs, à pied, se retirent en envoyant une dernière fusillade qui ne fait mal qu'aux arbres du chemin.
3 (lécembre. — Nous arrivons à la Canada. Le village est abandonné, pas un habitant; nous nous installons dans des maisons vides.
Il décembre. — Nous entrons à fond de traiii dans Palmar. Le général de Mirandol s'est lancé avec la cavalerie à toute vitesse, espérant, comme
il dit, pincer quelques cavaliers ennemis. Malgré son âge, ses blessures et ses rhumatismes, ce vieil
enragé (les troupiers l'appellent ainsi) est plus galoppeur qu'aucun de nous.
Malgré cette course au clocher, nous n'attrapons que de la poussière et un bon coup de soleil.
Prise de S an-Aniîi'ès
6 décembre. — Nous recevons de bonnes nouvelles de la colonne commandée par le colonel l'Hériller, qui est partie d'Orizaba le 1er décembre pour s'emparer de la petite ville de San-Andrès.
Je copie le rapport officiel: « Le à décembre, à trois heures du matin, le colonel l'Hériller partait avec ses trois compagnies d'élite et le 6e escadron du 1er chasseurs d'Afrique, capitaine de Montarby. Après six kilomètres de marche, une grand'garde ennemie est surprise et en partie enlevée par les chasseurs, qui prennent huit hommes et huit chevaux. M. de Prud'homme, lieutenant au 99e, officier d'ordonnance du colonel l'Hériller, qui marchait à la tête des chasseurs et dirigeait leur mouvement, a été tué de deux coups de feu.
« Le colonel continua à se diriger sur San-Andrès;
aux portes de laquelle une vive fusillade l'arrêta.
L'ennemi cependant ne tarda pas à se retirer. Le capitaine de Montarby fut envoyé à sa poursuite avec deux pelotons. Au bout d'un kilomètre, il le joignit et le chargea sans hésiter, bien qu'il eût devant lui cinq à six cents hommes, infanterie et cavalerie, sous les ordres du général Alvarez. Les Mexicains, voyant le petit nombre des chasseurs, s'arrêtèrent et cherchèrent à les entourer. La situation du capitaine de Montarby devenait difficile, lorsqu'il fut rejoint par le commandant Jamin avec les deux autres pelotons de l'escadron. Chargés de nouveau, les Mexicains se retirèrent en désordre.
Les chasseurs d'Afrique revinrent à San-Andrès, ramenant neuf prisonniers et douze chevaux. Nous n'avons eu que quelques cavaliers contusionnés ou légèrement blessés; l'ennemi a eu, disent les renseignements, cinquante hommes hors de combat.
A huit heures du matin, le colonel l'Hériller occupait San-Andrès; le reste de sa colonne y arrivait à midi. »
Prise de Tampico
Nous recevons un rapport qui nous fait un double plaisir.
C'est un succès pour l'armée française, et une brillante affaire pour un de nos bons camarades du régiment.
Le 22 novembre, le 81e de ligne a débarqué près de Tampico, après avoir heureusement franchi la barre du fleuve dans les embarcations de la flotte.
La ville a été prise et occupée.
Le but de cette expédition, était principalement de ramener des chevaux de remonte de la province de Tamaulipas, célèbre par ses élevages.
Le 8e chasseurs d'Afrique avait envoyé un détachement de hO hommes, commandés par le souslieutenant Jeantet. -Les chevaux venaient d'être achetés, et notre ami se préparait à nous les ramener, lorsqu'on signala là présence de bandes ennemies autour de la ville. Le colonel de la Canorgue, commandant le 81e, dut conserver quelque temps de plus M. Jeantet, dont les 40 hommes composaient l'unique cavalerie de la colonne française.
On fit une sortie, et les chasseurs d'Afrique, montés sur les chevaux achetés la veille, abordèrent les premiers l'ennemi.
Jeantet tua .de sa propre main le chef de la cavalerie mexicaine, et la déroute fut complète.
C'est le premier du régiment qui a eu les honneurs du feu au Mexique.
Il vient d'être décoré.
A' qui le tour à présent ?
, 1863
Ie* janvier, — Nous nous souhaitons la bonne année sur la terre du Mexique, à l'hacienda de SanPedro, où toute la cavalerie de la division est massée sous les ordres du général de Mirandol ; et nous partons le même jour pour Quecholac.
Marche de la colonne Bn/aine
9 janvier.—^ Je reçois une lettre d'un de mes amis qui marche avec la colonne Bazaine. Cette partie du corps expéditionnaire est venu à Vera-Cruz par la route de Pérote, qui était le chemin stratégique du temps des Espagnols.
Je copie textuellement : « La place de Pérote, jouit dans tout le Mexique d'une réputation qu'elle ne mérite pas. La ville, contrairement à l'opinion générale, n'est pas fortifiée ; mais, à environ cinq kilomètres et dans le Nord-Ouest, se trouve une grande forteresse, située au milieu d'une plaine, et dominée de tous côtés par des hauteurs.
« Cette forteresse, construite vers -1560, est un
parallélogramme allongé. Un vaste fossé l'entoure, mais, quoique en bon état, il est incapable de soutenir un siège. Des batteries, placées sur les points élevés qui l'entourent, la réduiraient en quelques heures.
a Sous la domination espagnole, elle servait de place de dépôt. Les troupes qui se rendaient de la Vera-Cruz à la capitale s'y arrêtaient et y trouvaient des vivres et des approvisionnements de tous genres.
« Les Mexicains l'ont évacuée avant l'arrivée des Français, et la division Bazaine l'a immédiatement occupée.
« La distance qui sépare Jalapa de Pérote est de 32 kilomètres en ligne droite ; mais la route, par suite des circuits qu'elle dé'crit, a près de 70 kilomètres de développement. Elle monte toujours, et on peut juger combien elle est ardue, par ce fait que la place se trouve à 1,860 mètres au-dessus du niveau de la mer, et Pérote à 2,380. Il y a donc entre les deux villes une différence de niveau de plus de 1,000 mètres.
« Ces détails sont importants, parce qu'ils montrent combien sont grandes les difficultés matérielles que nos troupes rencontrent au Mexique.
« Le général Bazaine devait quitter Perote, le • 11 janvier, pour faire sa jonction, à San-Andrés,.
avec le général Douay. La distance entre ces deux points est d'environ 75 kilomètres ; mais cette par-
tie'de la route, passant à travers de vastes plaines, est beaucoup moins pénible que la précédente.
« L'armée, en avançant sur la route de Jalapa, comme sur celle d'Orizaba, a découvert partout de grandes ressources, au point qu'un objet qu'on payait jusqu'à 7 piastres est tombé à 3.
a Elle a trouvé aussi quelque chose de bien précieux : des blés en abondance et des moulins pour les moudre. Les juaristes, en se retirant, avaient cassé les meules ; cependant, comme le pays produit d'excellentes pierres meulières, il a été facile de les rétablir, ce qui a permis d'économiser les farines venant de France ou de New-York. »
1er au 15 février. -— Marches et contre-marches dans toutes les directions, pour aller chercher des ravitaillements. On organise le siège de Puebla.
Quand donc cela commencera-t-il ?
22 février. — Le général Forey se met en marche vers Quecholac et prend ses dispositions pour se diriger sur Puebla.
Combat de Los Llanoe
11 février. — Les deux escadrons font quarante lieues en vingt heures, pour secourir le colonel
,Garnier, du 51e, qui escorte un convoi venant de Pérote, et qui, au dire de nos espions, doit être attaqué par toute la cavalerie de Carbajal. Malgré la fatigue de nos chevaux, le bruit de la fusillade les réveille, et nous traversons au galop la plaine de Los Llanos pour prendre part à la bagarre.
Notre marche a été si prompte, on nous attend si peu que, nous voyant arriver dans la poussière, une compagnie du 51e nous prend pour l'ennemi et nous tire dessus, il n'y a heureusement de blessé que la) giberne d'un chasseur. Les nuées de cavaliers qui harcelaient l'infanterie du convoi se replient précipitamment devant nos escadrons et vont se reformer au fond de la plaine, à une lieue environ au pied de la montagne.
On laisse souffler les chevaux quelques minutes.
On repart en priant Dieu qu'ils veuillent bien enfin nous attendre. Quelle chance ! Ils tiennent ! —
Bravo ! — A mesure que nous approchons, nous distinguons une ligne parfaitement régulière et présentant un front de quatre à cinq cents chevaux. On voit très-bien les petites flammes vertes et rouges de leurs lances.
On se redresse, on se regarde, on se serre la main, on va charger : les trompettes sonnent, on part à toute vitesse, et l'on arrive. sur une ligne de chevaux parfaitement tranquilles, chacun d'eux
ayant à ses côtés la lance de son maître plantée en terre.
Quant aux cavaliers. disparus, évanouis; ils ont gagné au pied dans la montagne, et le bruit lointain de leurs derniers coups de carabine; tirés à des distances impossibles, nous prouvent que ce serait folie de songer à les atteindre. Nous nous contentons de ramener les chevaux enlevés à l'ennemi.
Le colonel Garnier a mal pris notre brusque arrivée. Il marronne, et dit tout haut que nous sommes venus lui enlever sa petite affaire.
Investissement de Puebls*
17 mars. — Le général Forey est à Amozoc, à deux lieues de Puehla. Les approvisionnements sont faits ; les troupes sont montées. On se met enfin en marche avec toute l'armée. Un seul coup de canon tiré par l'ennemi, du fort de Loretto, annonce que le siège a commencé. L'armée française se divise, en arrivant à la Garrita (porte) del Pulque, comme les deux .bras d'un fleuve, et commence à tracer autour de. Puebla de los Angeles ce terrible cercle qui ne s'ouvrira que le jour de la
reddition de la place. Les deux têtes de colonne se relient au mamelon de San-Juan, où le général en chef plante son pavillon de commandement, et chaque troupe s'installe immédiatement au bivouac.
Position de l'armée française. — Première division : général Douay ; première brigade, général l'Hérillier; deuxième brigade, général Neigre. Cette division s'étend de Puente-de-Mexico à la Garritadel-Pulque, surveillant tout le côté Ouest de la ville. A la Garrita-del-Pulque, le général Marquèz, avec les Mexicains, relie la première division à la seconde. ,
Deuxième division : général Bazaine ; première brigade, général Bertier ; deuxième brigade, général de Castagny. La deuxième division donnant la main à Marquèz, à la Garrita-del-Pulque, ferme tout le côté Est de la ville, en reliant sa gauche à la droite de la première à Puente-de-Mexico.
C'est aujourd'hui que la campagne va commencer sérieusement.
18 mars. — L'ardeur et l'impatience des troupes sont grandes. Les corps qui ont fait partie de la première expédition frémissent de colère en repassant par les mêmes sentiers où ils ont soutenu en retraite l'effort de toute la cavalerie, mexicaine qui n'a pu les entamer. En revoyant ces fossés où
l'on achevait lâchement nos blessés, ils brûlent de se venger. Les nouveaux débarqués sont avides de joindre enfin corps à corps cet ennemi insaisissable que nous ne voyons qu'à l'horizon depuis Vera-Cruz. Si l'on écoutait l'armée, l'assaut serait donné immédiatement.
Mais le général Forey a un plan plus profond qu'une attaque de vive force, dont le succès, si brillant qu'il puisse être, n'aurait pour résultat que la prise de la ville, laissant échapper une armée de fuyards qui irait se reformer à Mexico, suscitant de nouveaux embarras.
Des rapports certains ont fait savoir que toutes les forces régulières dont peut disposer le Mexique sont divisées en deux corps d'armée. L'un est à Mexico avec le général Comonfort; l'autre, commandé par le général Ortéga, s'est jeté dans la ville avec l'intention de la défendre jusqu'à la dernière extrémité. On va donc couper toute communication entre Comonfort et Ortéga. L'infanterie et l'artillerie se chargent de serrer les mailles du filet qui va prendre d'un seul coup l'armée d'Ortéga enfermée dans la ville. A nous, cavalerie, la mission de tenir la plaine, pour empêcher l'armée de Comonfort de ravitailler et renforcer celle de Puebla.
(i'Hilardi
Nous trouvons Puebla fortifiée d'une manière remarquable par plusieurs ingénieurs étrangers, sous la direction d'un certain G'Hilardi, conspirateur italien qui a longtemps, suivant son expression, travaillé avec Garibaldi, et qui, après une série d'aventures assez tourmentées au Chili et au Pérou, est venu se mettre au service du Mexique contre la France, pour laquelle il professe une haine traditionnelle.
Depuis deux ans qu'il sert Juarez, il s'est fait un nom dans l'armée mexicaine, autant par sa science réelle d'ingénieur que par sa cruauté et sa fortune rapide, produit de vols impudents.
L'épée, d'ailleurs, s'allie très-bien, dans l'armée mexicaine, avec les idées commerciales, et lorsque, par hasard, un peu de tranquillité empêche les affaires de marcher, le fier hidalgo, attendant le retour de jours meilleurs pour faire des opérations plus larges avec le revolver comme mise de fonds, débite philosophiquement pour un réal de chandelle aux Indiens de son rancho (village), assis derrière son comptoir avec des épaulettes et un uniforme de colonel.
I.e transfuge
19 mars. - Quelques cavaliers ennemis viennent de sortir des murs de Puebla; on les distingue parfaitement dans l'espace vide qui sépare l'assiette de notre camp des remparts de la ville.
Le soleil donne sur leurs armes et sur l'argent dont est couvert le harnachement de leurs chevaux. Ils paradent devant nos avant-postes. Un plus hardi s'avance à portée de la voix et vient nous insulter en mauvais français, Deux ou trois chasseurs à pied embusqués dans des trous à loups, en avant des lignes, interrompent l'orateur par des arguments à balle cylindro-cônique.
Une autre troupe d'une cinquantaine de cavaliers arrive à fond de train, poursuivant un officier bien monté qui se dirige sur notre camp en agitant un mouchoir blanc, Arrivés à portée de nos embuscades, un feu nourri force les cavaliers à se retirer, et le malheureux nous arrive haletant et essoufflé, C'est un officier d'état-major mexicain qui change d'opinion et passe de notre côté, II. donne des renseignements détaillés sur l'état de la ville. Non-seulement les fortifications extérieures sont sérieuses, mais des barricades sont faites dans toutes les rues; les couvents sonttrans-
formés en forts. L'enceinte enlevée, il faudra se battre encore dans chaque rue, dans chaque maison, dans chaque chambre.
Marquez
20 mars. - 'Je viens d'être chargé de conduire notre transfuge aux troupes franco-mexicaines, qui sont campées à la Gcirrita del Pulque sous les ordres de Marquèz.
J'ai donc pu approcher ce général célèbre au Mexique et dont on m"avait tant parlé.
C'est un homme de taille au-dessous de la moyenne : un pied d'enfant, le front élevé et cÎégarni, la barbe noire et très-fournie, l'air froid et contraint ; son regard couvert justifie sa réputation de froide férocité, qui est le seul reproche que l'on ait à lui faire, car ses plus cruels ennemis admirent son désintéressement.
Il m'a reçu avec cette sérieuse courtoisie espagnole qui forme un contraste bien marqué avec notre cordialité un peu bruyante.. Il paraît trèsflatté de me voir lui parler castillan; Il met un Certain amour-propre à me faire visiter son Camp; Ses troupes sont de beaucoup les mieux tenues qfte taie vue au Mexique.
Sombre, sévère, fanatique, Marquèz est impitoyable et a su inspirer à ses soldats une terreur qui n'est pas exempte d'un certain mélange d'affection. Mais un passé, sanglant l'environne; chargé d'un nombre effrayant d'exécutions politiques, il est le bouc émissaire des haines qu'a suscitées le parti clérical, dont il est le bras droit et l'âme damnée.
Il m'a avoué qu'au point de vue militaire, la chose qu'il obtenait le plus difficilement, c'était de faire disparaître de son corps d'armée, les femmes, qui suivent depuis un temps immémorial les troupes mexicaines. Tout ce qu'il a pu obtenir jusqu'à ce jour, c'a été de les reléguer en dehors de son camp dans un bivouac à part. Curieux de les voir de près, j'y suis allé, accompagné d'un officier russe atta, ché comme aide-de-camp à la personne du général Marquèz.
Las ftoldaderas
Je suis enchanté de ma journée. Le camp des soldaderas (féminin de soldat) est une des exhibitions les plus fantastiques que j'aie jamais pu rêver.
Je les avais bien déjà aperçues de loin, marchant à distance sur le flanc des colonnes , leurs pieds nus soulevant la poussière du chemin , risquant un œil hardi et craintif tout à la fois sous les ailes de leur grand chapea u, qui couvre des cheveux
un peu gros, mais fournis et brillants, tombant sur leurs épaules, séparés en deux longues tresses, attachés par un nœud de rubans, tantôt frais, tantôt flétri, indice certain de nouvelles ou anciennes amours ; les unes jeunes, les autres vieilles, mais conservant à distance, sous leurs haillons, une certaine élégance de forme qui ne manquait pas de poésie. De près, quelle différence! Je ne me sens pas assez réaliste pour tlire ce que j'ai vu.
Une armée mexicaine ne peut se passer de ce surcroît de bagage. Le soldat indien, déjà enclin à la désertion , 11e resterait pas dix minutes sous son drapeau si on tranchait ces liens indispensables à sa vie. Il est incapable de suffire à ses besoins matériels comme le soldat français, qui sait se nourrir, se blanchir, et se raccommoder lui-même, d'une façon à humilier la meilleure ménagère : aussi toutes ces exigences de la vie sont remplies dans un camp mexicain par la plus belle moitié du genre humain.
Terribles après le combat, ces mégères se précipitent sur les morts et les blessés, les achèvent, les dépouillent, les déshabillent avec une célérité que n'atteindra jamais le plus pillard des bandits armés qui déshonorent le nom de soldat.
Les femmes des officiers ont un cheval ou une mule, ou un bourricot, suivant que les chances du jeu ou de la guerre ont plus ou moins favorisé leur tendre époux. La femme du soldat marche à pied,
rêvant quelquefos aussi à l'avancement; mais dans cette portion de l'armée c'est rarement à l'ancienneté qu'on l'obtient. Je remonte à cheval et rentre -au camp français, où je n'aperçois, en fait de jupons, que le bas-bien tiré et la basquine de notre cantinière, qui, sans être précisément jolie, au moins se débarbouille.
quelquefois.
Combat de Cholula
22 mars. — Nous montons à cheval à sept heures avec les deux escadrons du 12e chasseurs de France. Nous sommes commandés par le général de Mirandol. Les chasseurs d'Afrique sont sous les ordres du colonel du Barail; les chasseurs de France sous ceux du lieutenant-colonel Margueritte. Nous avons avec ces trois hommes tout bonnement la fine fleur de la cavalerie légère.
On va en reconnaissance à Cholula, petite ville à deux lieues de Puebla.
C'était la ville sainte au temps de Montézuma ; c'est là que se retrouvent encore chaque jour les traces des Aztèques. Assez d'archéologues et dé savants en ont parlé et en parleront sans moi. Du reste, je ne l'ai pas vue en savant, la journée a été trop chaude pour cela. Nous voulions de la beso-
gne, en bien ! nous venons d'en avoir suffisamment.
A onze heures du matin , nous entrons, trompettes en tête, dans Cholula. Les cloches sonnent, les habitants sont sur les portes, les femmes sont en toilette aux fenêtres, tout le monde nous accueille avec enthousiasme. Cholula a toujours été dévouée à l'intervention.
On fraternise beaucoup, on s'embrasse un peu, et pendant que le général, le colonel et les grosses épaulettes échangent des accolades avec les alcades, les juges et toute la municipalité, je profite de la modestie de mon grade pour manifester la sympathie de la France et faire aussi un peu d'intervention ,du côté des mantilles et des éventails.
Cette petite fète de famille devenait fort agréable, lorsqu'elle a été interrompue par une volée de coups de fusils, nous venant d'une hauteur qui domine la ville. Une douzaine de lanciers rQuges, qui caracolent sur le sommet du plateau, nous annoncent l'arrivée de l'ennemi. Les femmes poussent des cris aigus, les boutiques se ferment; nous remontons à .cheval et nous sortons de la ville nous ranger en bataille sous les murs, du côté où l'on voit poindre les libéraux.
Les éclaireurs qui sont venus nous reconnaître dans Cholula se replient, après nous avoir remis leur carte de visite. Nous envoyons à notre tour, au devant de l'ennemi qui s'avance, deux pelotons de tirailleurs, qui se déploient dans un champ
d'orge verdoyant sur lequel se détachent nettement les hommes et les chevaux. C'était vraiment joli à voir, avant que l'on ne soit venu faire un horrible gâchis sur ce champ vert. Au fond du tableau, un moulin avec un pont en élévation, que l'on distinguait parfaitement. De l'autre côté de la rivière, de la poussière d'abord, puis une grande ligne noire qui s'avance. Un groupe nombreux s'en détache et s'engage sur le pont, un soleil magnifique l'éclairé ; on les voit, on les compte ; ils sont six ou sept escadrons. Les uniformes se voient nettemeut : ce sont les lanciers rouges du Nuevo-Lcon y Cohahuila, troupe d'élite envoyée par les provinces du nord du Mexique à la défense de la république. On nous en avait dejàparlé; c'est, dit-on, la fleur des pois de leur cavalerie. Nous allons les reconduire.
La fusillade commence entre les deux troupes de tirailleurs, mais les Mexicains ont engagé deux escadrons contre nos deux pelotons qui ont fort à faire, pendant que notre colonne se glisse silencieusement, masquée par les aloès, dans un chemin creux, qui débouche sur ce joli plateau vert dont l'herbe est déjà rougie par le sang des premiers blessés.
Nos pelotons ont déjà commencé un mouvement de retraite et se replient sur nous. Les lanciers rouges, enivrés de ce premier succès, se jettent à corps perdu, la lance croisée, dans les terrains que
les chasseurs d'Afrique viennent d'abandonner, quand nos escadrons, haut le sabre, débouchent en même temps par l'extrémité opposée.
Les deux cavaleries se mêlent. Cela dura vingtcinq minutes. Nous eûmes une cinquantaine d'hommes hors de combat dans nos deux escadrons, mais aussi pas un seul des lanciers qui étaient entrés dans le champ d'orge n'en est sorti.
Le restant de la ligne ennemie, composée d'infanterie et d'artillerie, se retire en bon ordre, sans avoir pris part à l'action. Nous nous expliquons ce mouvement en entendant battre la marche des zouaves sur la route de Puebla. Le général Forey avait vu du quartier général, placé sur le Cerro San-Juan, le mouvement de l'ennemi et avait envoyé à notre secours.
Nous rentrons à Cholula au milieu des acclamations des habitants qui, du haut des terrasses, ont vu le combat dans tous ses détails. On fait l'appel.
Nous avons perdu du monde, entre autres un brave capitaine, M. Petit, blessé à mort en chargeant en tête de l'escadron, mais aussi nous avons littéralement anéanti trois escadrons de leur meilleure cavalerie, dont nous emmenons prisonnier le lieutenant-colonel, blessé grièvement (1).
(1) Le régiment des lanciers rouges de l'\ucvo-Léon y Cohahuila a été détruit le '22 mars Ú Cholula, par le .'5e chasseurs d'Afrique, et n'a plus jamais été reconstitué clans l'armée de Juarez. Son colonel, don .Manuel Arce,
Sur les cinq heures, un orage épouvantable éclate. Nous mettons six mortelles heures à faire, avec nos blessés et nos prisonniers, par une nuit obscure, par une pluie battante, par des chemins inconnus, les deux lieues qui nous séparent de la lagune de San-Balthazar où sont nos tentes.
Pendant notre mouvement sur Cholula, l'infanterie et le génie ont travaillé. La tranchée est ouverte devant le fort San-Xavier, à six cent cinquante mètres des ouvrages ; le feu a commencé.
Les Mexicains tirent dans tcfutes les directions et sous le moindre prétexte. Nous nous endormons, harassés de cette journée, au bruit incessant du canon.
C'est bien certainement une des faces bizarres du mét ier que cette insouciance militaire à laquelle on arrive insensiblement et sans s'en aper cevoir. Dans ces opérations de siège, nous autres cavaliers, nous n'avons absolument rien à faire pendant la nuit, et ayant fini notre travail de la journée, nous ne nous occupons nullement de la partie du drame où nous ne figurons pas, semblables en cela à l'acteur, qui ne suit guère les scènes de la pièce dans lesquelles il n'a pas à paraître, gardant son énergie et son attention pour le moment de sa réplique.
Le camp de cavalerie est à une certaine distance que j'ai vu depuis à Durango, a fait sa soumission au nouvel ordre de choses, et a complètement quitté le service.
de la ville, et naturellement hors de portée du canon. Placés devant la lagune de San-Balthazar, qui sert d'abreuvoir à nos chevaux, nous voyons devant nous se dresser la ville en amphithéâtre, avec les tranchées françaises au premier plan.
Parfois le soir, en sortant de table, on jette un coup d'œil en passant sur les feux croisés qui sillonnent l'ombre épaisse de la nuit comme un feu d'artifice, et après quelques, tninutes de curiosité distraite, on rentre se coucher sous sa tente, pour dormir avec l'empressement de l'homme qui sait que le lendemain il peut avoir une journée de fatigue.
2h mars. — Hier, une batterie de 2 gros mortiers mexicains que nous avons apportés de VeraCruz, et de 6 obusiers de montagne disposés pour tirer en bombe, a essayé son tir, afin de pouvoir protéger l'ouverture de la tranchée qui devait avoir lieu dans la nuit. La première grosse bombe est tombée dans l'angle, gauche du couvent San-Xavier, qui est notre objectif; la seconde est tombée sur le couvent même, et, au dire d'un canonnier de ce fort, qui a déserté ce matin, elle aurait éclaté dans une pièce occupée par le général Negrette, qui aurait manqué d'être tué. Le tir des petits obusiers était aussi très-bon en sorte que cette batterie était en mesure, avant la nuit, de protéger les travailleurs. Pendant toute la soirée et une partie
de la nuit les batteries de San-Xavier ont tiré sur la nôtre, qui est établie à la garrita de Mexico, mais sans lui faire aucun mal.
A sept heures du soir, nous avons .ouvert la tranchée avec 1,600 travailleurs. Une première parallèle a été tracée sur une étendue de 900 mètres entre les deux faubourgs de San-Iago et San-Mathias. L'ennemi ne s'en est pas même douté, quoique cette parallèle ne soit qu'à 600 mètres de San-Xavier. L'église de San-lago étant minée, le génie a recherché le fil électrique, et, à l'aide du sacristàin (1) de cette église, a pu le trouver et le couper.'Tout le feu de San-Xavier s'étant concentré, sans succès du reste, sur notre batterie de mortiers, le travail de la tranchée s'est fait dans la plus grande sécurité et pas un homme n'a. été touché.
Prise du Pénitencier
29 mars. — Toutes les dispositions étant prises, et notre artillerie ayant éteint le feu des batteries ennemies, Fassaut a été donné avec une vigueur et un entrain admirables au fort de San-Xavier, qui a été enlevé rapidement et est resté entre nos mains, malgré une résistance vigoureuse.
(L) Le sacristain regardait l'église comme sa maison et ne voulait pas qu'on la fît sauter.
Du 30 mars au 1er avril.—Dans la nuit, on s'est rendu maître de l'îlot de maisons dans lequel se trouve le couvent de Guadalupe, et le lendemain, de tous les îlots de maisons situées le long de la promenade jusqu'à l'ouvrage de Morelos, sur la
droite, ainsi que de plusieurs autres au delà du couvent de Guadalupe, dans la direction de la grande place centrale.
Combat dPAtHsco
12 avril. - Le fourrier me communique les ordres du rapport.
« Deux escadrons à cheval demain à six heures ; deux jours de vivres; n'emmener que des chevaux en très-bon état ; laisser au camp les indisponibles et les mulets de bât ; colonne légère ; absence présumée de quatre à cinq jours. Le commandant de Tucé prendra le commandement et ira se mettre à la disposition du colonel deBrincourt, qui va en ravitaillement à Atlisco.
« Le Colonel, signé : DU BARAIL. »
Nous rallions à sept heures, au moulin de SanJosé, la petite colonne du colonel de Brincourt, composée de deux bataillons du 1er zouaves, deux obusiers de montagne et cent cavaliers alliés,
commandés par le colonel mexicain Abraham la Pena del Sûr.
- A deux lieues d'Atlisco, nous faisons grande halte au bord d'un ruisseau pour déjeuner. La ville est, dit-on, occupée par les cavaliers de Carbajal. Quelques coups de feu tirés dans le lointain nous font lever le nez de dessus nos assiettes. — Ce sont les Mexicains de la Pena qui tiraillent avec les éclaireurs ennemis. Nous mettons les morceaux doubles ; tout est prêt, on repart. Les coups de feu continuent toujours à un kilomètre en avant de la colonne, puis ils cessent brusquement : évidemment la Pena qui marche en avant est entré dans la ville.
Effectivement, nous venons à peine de nous former en bataille sur la place, quand il rentre. Il a poursuivi les cavaliers de Carbajal jusqu'au pied de la montagne, et ramène quelques chevaux qu'il leur a enlevés.
Atlisco est une petite ville charmante et coquette.
Au centre, une grande place avec des arbres énormes et une fontaine jaillissante. C'est dans ce petit jardin anglais que la cavalerie campe. Nos chevaux ont l'air enchanté.
Tout le monde vient nous voir et nous accable de questions.
C'est une guerre très-bizarre : on ne nous traite ni en ennemis ni en conquérants. Nous représentons un parti, une opinion, un principe qui se bat contre un autre; et comme au Mexique c'est l'état
de choses habituel depuis à peu près cinquante ans, les gens qui n'ont pas d'opinion, — et il y en a beaucoup, — regardent les deux armées belligérantes avec curiosité, mais sans se passionner pour les uns ou pour les autres. Aussi, quand deux troupes ennemies se rencontrent dans une ville, les habitants ferment philosophiquement leurs boutiques, pour ne pas attraper d'éclaboussures dans la bagarre, et les rouvrent avec la même placidité après l'affaire, quel que soit le vainqueur.
Ils viennent parler avec nous du siège de Puebla, en discutant les chances bonnes ou mauvaises comme une chose qui peut nous intéresser nous ; mais qui pour eux est complètement indifférente.
On nous raconte d'un air détaché qu'il n'y avait à notre venue qu'une cinquantaine de lanciers libéraux, qui se sont retirés à notre approche, mais qu'en partant ils ont annoncé qu'ils reviendraient en force. Puis les principaux négociants traitent avec l'intendant pour les - approvisionnements de l'armée, car cette petite ville regorge de richesses territoriales.
1 h avril. — Je suis de très-mauvaise humeur.
J'avais déèouvert un établissement de bains, il y avait longtemps que cela ne nous était arrivé.
J'en profitais, et mon ordonnance avait emporté , pour la raccommoder, mon unique chemise, nos
bagages étant restés au camp. On sonne à cheval par alerte : me voilà forcé de mettre mon spencer sans chemise, et de partir ainsi. Il paraît que cela presse. Les cavaliers, à mesure qu'ils sont prêts, rejoignent au galop. Le commandant de Tiicé est déjà en avant, à un kilomètre de la ville, avec ce qu'il a trouvé sous sa main.
Heureusement que nos hommes sont lestes et, au bout de vingt minutes, tout le monde est làNous prenons le trot dans un chemin couvert. Une chose me taquine beaucoup : si je suis tué par hasard et que les Mexicains me trouvent sans chemise, je leur laisserai une très-mauvaise idée des officiers de chasseurs d'Afrique.
La route est tellement encaissée que nous ne voyons rien en avant de nous, mais après, avoir trotté un quart d'heure, nous débouchons sur une plaine dont nous sépare un petit ravin, au fond duquel coule un petit ruisseau. La plaine est complètement nue et déserte d'ordinaire, mais aujourd'hui elle est occupée par douze escadrons mexicains formés en échelons. Nous sommes cent vingt-
deux chasseurs d'Afrique, y compris le commandant et le docteur.
La disposition du terrain nous forçait à descendre dans le ravin et à le remonter, un par un, pour nous former à notre tour de l'autre côté.
Là, franchement, j'ai eu peur.Heureusement que l'ermerlli n'a pas eu l'idée de
nous charger avant que notre formation fût. achevée.
J'étais au premier peloton et j'attendais avec impatience le moment où je verrais arriver sur la ligne la tête du dernier cheval de la gauche.
Enfin nous y sommes, tout le monde a passé, et ces maladroits-là se sont contentés de nous opposer un feu de tirailleurs. Quant à nous, on n'use pas de cartouches aux chasseurs d'Afrique ; le commandant de Tucé n'est pas homme à s'amuser à brûler de la poudre. Il nous montre le premier échelon du bout de son sabre et nous dit, avec son air bonhomme : * A fond!. et dans le tas!. nom de D.! »
Nous entrons comme un coin dans ce qu'il appelle le tas. Je vois encore dans la poussière ce premier escadron. C'étaient des dragons ! Ils avaient des casques, les malheureux ! Je ne sais quel pacotilleur européen leur avait fourni cette espèce de ferblanterie mince comme du papier, — de vrais casques de théâtre, — nos hommes s'en donnaient à cœur joie. La poussière abattue, le premier échelon. supprimé: nous voyons les onze autres qui, désirant se conserver pour des temps meilleurs, s'en vont par où ils étaient venus.
Mais ils comptaient sans les zouaves. Le colonel deBrincourt, qui du haut du clocher d'Atlisco découvrait toute la plaine, avait envoyé ses deux obusiers enfiler la seule route qui leur servît de retraite, appuyant leur feu de celui d'un bataillon
• entier, de sorte que les lanceros et les rifleros qui formaient les derniers échelons eurent peu de chose à envier aux dragons du premier.
Nous rentrons à Atlisco, je retrouve ma chemise raccommodée , et j'ai le lendemain tout le temps de prendre mon bain sans être dérangé.
En trois jours, les achats de l'intendance sont achevés. On charge les énormes chariots des arrieros attelés de douze, quinze et quelquefois dix-huit mules ; le troupeau de bœufs est livré et nous repartons pour Puebla. A moitié chemin, nous recevons avis que' le camp de cavalerie est levé, et que nous devons nous diriger sur Cholula, où nous allons être cantonnés.
J'en suis enchanté, parce que, malgré toute la poésie traditionnelle de la tente, je ne suis pas insensible au bien-être d'une maison. Et puis, nous serons bien logés : la ville nous est sympathique, et toute dévouée à l'intervention. Elle nous a vus à l'ouvrage sous ses murs, et ma foi !
il y avait de bien jolies femmes à ses balcons quand nous y sommes passés.
Cholula
Cholula, qui joue un rôle important dans la guerre actuelle, est située à vingt-huit kilomètres de Puebla, entre cette place et Mexico.
t On la considère avec raison comme une des villes les plus intéressantes du pays. Elle était autrefois la cité sainte de l'Anahuac et la capitale d'un État indépendant. A l'époque de Cortez, elle occupait une étendue immense, posédait quarante mille maisons, et autant de temples qu'il y a de jours dans l'année. On voit encore les ruines d'un grand nombre de ses monuments.
Cholula a perdu son ancienne splendeur dej puis la fondation de Puebla, commencée par les Espagnols en 1530. Néanmoins, elle possède encore un grand nombre de beaux établissements et une population d'environ quinze mille habitants, qui, ayant toujours été hostile au gouvernement des présidents, a accueilli les Français avec une sympathie toute particulière.
Ê On a trouvé à Cholula de nombreux approvisionnements qui ont été mis immédiatement à notre disposition. En outre, les habitants, qui ont conservé contre Puebla une hostilité que le temps paraît n'avoir pas diminué, nous ont donné sur cette ville des renseignements précieux et trèsexacts.
I L'occupation de Cholula nous permet de surveiller les deux routes de Mexico pour empêcher des renforts ou des approvisionnements d'arriver à Puebla. C'est un centre d'où notre cavalerie pourra rayonner avec avantage.
Affaire de Caméron
1er mai. — 62 hommes de la Légion étranmai. - 62 hoaimes de la Légion éti-angère, commandés par le capitaine adjudant-major Danjou, ayant sous ses ordres le lieutenant Vélain et le sous-lieutenant Maudet, vont au devant du courrier qu'on attendait à la Soledad.
Arrivée à.Caméron , cette poignée d'hommes est enveloppée d'une nuée de cavaiiers, elle se réfugie dans une maison du village où elle perça des créneaux. Elle y soutint un véritable siège pendant toute la journée. Les munitions s'épuisaient lorsque l'ennemi, désespérant de triompher d'une telle défense, mit le feu à la maison., e-t-œux des braves que la mort n'avait pas atteints ont jété faits prisonniers. Un tambour seul est parvenu à s'échapper.
On estime à 1,000 hommes d'infanterie et 500 de cavalerie les forces mexicaines auxquelles 62 soldats de la légion étrangère ont si héroïquement résisté, en leur mettant deux cent soixante hommes hors de combat, dont cent quarante
tués.
Le capitaine Danjou et le lieutenant Vélain ont été tués. Le sous-lieutenant Maudet a été fait prisonnier. ---- 1
Çombat de San-Pablo
5 mai. — Le deuxième régiment de marche, composé des 1er et 2° chasseurs d'Afrique, vient aussi d'avoir un engagement très-brillant à San-Pablo del Monte. L'armée de Comonfort a voulu, le 5 mai, jour anniversaire de notre malheureux échec de Puebla, tenter un coup de main pour essayer d'introduire dans la place un convoi attendu depuis longtemps. Une nombreuse cavalerie, évaluée à 1,000 chevaux et soutenue en arrière par de l'infanterie et de l'artillerie, s'étant présentée en avant le village de San-Pablo del Monte, le général rHérillier; après l'avoir fait reconnaître, dirige de ce côté un escadron de chasseurs d'Afrique et une section de grenadiers du 998 de ligne.
La tête de la colonne a été vigoureusement "reçue par nos camarades. Les Mexicains ont laissé deux drapeaux entre nos mains, mais la victoire a coûté cher. M. le commandant de Foucault est tué, M. le capitaine de Montarby a le poignet presque séparé du bras par un coup de sabre, et le malheureux sous-lieutenant de James est laissé pour mort avec onze blessures.
-Il en est miraculeusement revenu.
Les bouchers bleus
Tous ces beaux mouvements de cavalerie ont appris aux Mexicains à compter avec les chasseurs d'Afrique. Du reste, chose extraordinaire, ces gens * qui, comme les Arabes, tiraillent galamment toute une journée, ne peuvent attendre le choc de nos charges et fuient devant une lame de sabre. Nos hommes sont pleins d'enthousiasme, on leur ferait faire des tours de force : ils sont àrrivés à un mépris du Mexicain qui permet de tenter avec eux l'impossible.
C'en est même venu à un point incroyable.
Voici un fait que nous racontait, avec stupéfaction, le colonel Garnier, du 51e de ligne. Partait en reconnaissance avec deux compagnies d'élite, il avait avec lui quatre chasseurs d'Afrique d'escorte, pour porter rapidement un ordre dans un moment donné. Il rencontra un parti ennemi de deux cents chevaux, qui se retirait toujours, de mamelon en mamelon devant l'infanterie, en tiraillant, se fiant Sux jambes de ses chevaux, n'ayant affaire qu'à de l'infanterie. Le colonel, furieux de ne pouvoir les atteindre, s'écria: Que n'ai-je un peloton de cavalerie pour les tourner, pendant que je les attaquerais à la baïonnette !
— Mon colonel, lui dit un des chasseurs 'd'escorte, si vous voulez, mes camarades et moi nous irons les tourner, pendant que vous ferez le mouvement avec vos grenadiers. (Historique.) Et cet homme le disait de bonne foi ; il l'eût fait avec conviction, persuadé qu'à eux quatre ils auraient maintenu ces deux cents cavaliers jusqu'à - l'arrivée de l'infanterie.
Le découragement, au contraire, se manifestait dans la colonne ennemie. Ils n'attaquaient plus un convoi où ils apercevaient des chevaux arabes et des vestes bleues. Ils trouvaient « brutale » notre manière de guerroyer, et nous baptisèrent : Los camiceros azules (les bouchers bleus).
Ce surnom inspira à nos chasseurs la chanson suivante, intitulée :
LES BOUCHERS BLEUS
Alerte ! alerte ! prenez garde, Fiers Mexicains, car ce sont eux !
Que votre avançada (poste avancé) regarde : Voici venir les bouchers bleus.
Ils débarquent, et leur trompette sonne, Sur le chemin qui conduit à Puebla, A San-Andrès, cueillant une couronne, Courent signer leurs noms à Cholulà.
On les nommait les vieux chasseurs d'Afrique, Jadis en l'an mil huit cent trente-deux, Mais à présent, sur le sol du Mexique, Vous les nommez les cruels bouchers bleus.
Près d'Atlisco, traversant la rivière, Ils sont cent-vingt contre douze escadrons Chargent à fond, criant dans la poussière, « Les bouchers bleus égorgent les moutons. »
Quand du cinq mai rêvant l'anniversaire, Vous vous heurtez contre ces fiers géants, Un escadron devient propriétaire Des deux drapeaux de vos deux régiments.
Il est trop long de faire l'historique
De cent combats à vous'livrés par eux ; Hs sont six cents débarqués au lexique, Et vous combien ? 0 cavaliers fameux !
Les bouchers bleus n'usent pas de cartouche, Ils disent, eux : « qu'un sabre au bout du bras Du vrai courage est la pierre de touche : Il Pauvresmoutons, ne les rencontrez pas.
S'ils sont connus? — demandez à vos filles, Car en amour comme au combat vainqueurs, De vos balcons ils connaissent les grilles : La Mexicaine a rêvé des chasseurs.
Laissez-les faire, et c'est votre avantage, Ils .donneront du cœnr à vos enfants,Dans votre sang infusant leur courage, La race gagne à ces beaux croisements.
Alerte! alerte ! prenez garde, Pères, maris, car ce sont eux ; Fermez, car la nina regarde : Voici venir les amants bleus!
Les nouvelles du siège nous arrivent tous les matins, et l'on tremble de trouver un nom ami
parmi les listes des morts et des blessés qui sont bien longues.Le Pénitencier et quelques autres points sont déjà à nous, mais Ortéga se .défend avec énergie, pied à pied, maison par maison.
Profils de zouaves
Il vient d'arriver, à une section de zouaves, la - - plus- fantastique histoire que puisse rêver un soldat.
Des barricades impossibles coupent les rues de Puebla. Pour ne pas perdre inutilement du monde, au lieu d'attaquer les ouvrages de front, on prend chaque maison une à une, « mouvement connu, » disaient quelques zouaves qui avaient été dans la mobile en hS. Chaque journée amène son travail, et vers le soir, chaque troupe se fortifie dans la position qu'elle a conquise dans le jour, ou bien se retire suivant les ordres du major de tranchée.
Après un mouvement de retraite des autres troupes, un malentendu avait fait oublier une section de zouaves, commandée par le lieutenant Galland, dans la maison où elle avait pénétré à la baïonnette pendant l'après-midi. Les autres colonnes d'attaque s'étaient repliées, tandis qu'au
milieu de la poussière et de la fumée, nos zouaves continuaient la partie pour leur compte.
Les Mexicains, s'apercevant de la position, en profitent immédiatement, et cernent la maison. On propose aux zouaves de se rendre : naturellement, ils répondent à coups de fusil. Figurez-vous cette petite maison où sont barricadés nos quarante Français, entourée de plusieurs bataillons d'infanterie qui ouvrent un feu roulant sur les murs. De temps en temps s'échappe des fenêtres de la maisonnette une petite fumée grisâtre. C'est la balle cylindro-conique d'une carabine rayée qui va droit au but frapper un officier mexicain.
Les masses mexicaines s'agitent en hurlant comme des démons au pied de cette muraille blanche ; les zouaves silencieux ajustent froidement et manquent rarement les plus avancés. Le flot des assaillants rugit et se recule en frémissant.
Quelques-uns des plus hardis mettent des échelles et grimpent ; aussitôt un sabre-baïonnette brille comme un éclair par-dessus le mur de l'azotéa (terrasse) ; l'imprudent retombe dans les bras de ses Camarades qui n'osent tenter l'assaut. Bref, après une défense de six ou huit heures, on vient parlementer une seconde fois avec le lieutenant Galland, qui a supporté avec quarante hommes l'effort de toute la garnison de Puebla.
Il est forcé de transiger, car il n'a pas de vivres
et ses munitions s'épuisent, mais c'est lui qui dic-
tera les conditions.
Il n'évacuera la maison que si lui et ses zouaves conservent leurs armes. On les nourrira et on les logera - convenablement, — ajoute l'officier, à la place d'armes de Puebla, et ils se garderont euxmêmes.
Gonzalès Ortéga est bien forcé de passer par les conditions de ces héroïques entêtés. Il vient en personne engager sa parole.
La porte de la maison s'ouvre alors, et nos zoua- ves sortent en goguenardant devant les Mexicains, étonnés de n'en voir que quarante. Le fez en arrière, la pipe aux dents, l'arme sur l'épaule droite, les lèvres noires de poudre, ils se rendent, clairons en tête, prendre le poste qui leur est assigné, sur la • place d'armes, avec la même placidité qu'ils iraient relever la garde descendante aux Tuileries.
Pendant huit jours les défenseurs de Puebla eurent l'étrange spectacle d'un poste de zouaves établi au milieu d'eux, ayant à sa porte son propre factionnaire, giberne au dos et baïonnette au canon, parfaitement inoffensif; mais aussi parfaitement respecté.
Messieurs les zouaves recevaient des visites et les rendaient. Ils étaient la coqueluche de la ville, et les vivres les plus frais de cette garnison affamée étaient pour eux.
Au bout de huit jours de cette existence singu-
lière, ils furent échangés contre les prisonniers faits à la prise du Pénitencier.
Gonzalès Ortéga exigea qu'on lui rendît trois officiers ou dix simples soldats contre chacun de ces vaillants. Encore trouvait-il qu'on lui donnait moins qu'il ne cédait ; moi je suis de son avis.
Une aventure bien singuliére aussi est celle de M. Tulpin, lieutenant aux zouaves.
Un côté d'une rue était occupé par les Français et l'autre par l'ennemi. La fusillade allait son train par les fenêtres ; tout à coup les Mexicains cessent leur feu et font des signes incompréhensibles.
Veulent-ils parlementer? veulent-ils se rendre ? On ne sait à quoi s'en tenir.
M. Tulpin dépose son sabre et son revolver, agite un "mouchoir blanc et s'avance sans armes vers les Mexicains dont les signaux redoublent de plus en plus. On lui tend la main, et on le hisse au milieu de la barricade ennemie.
Arrivé là, il demande ce qu'on veut.
— Mais vous-même, que voulez-vous? lui dit dans un français mêlé d'italien un grand monsieur porteur d'un képi de général: - C'était GHilardi.
— Nous avons supposé, d'après vos mouvements, que vous vouliez vous rendre ou tout au moins parlementer, répond l'officier français.
— Allons donc! Vous venez tout simplement observer nos moyens de défense ; vous n'êtes qu'un espion, et vous allez être fusillé, séance tenante, s'écria G'Hilardi.
— Un homme de votre espèce, fusiller un officier de zouaves, vous n'oseriez pas, lui dit M. Tulpin en haussant les épaules.
— Monsieur, hurle G'Hilardi écumant de rage, soyez plus respectueux, voyez à mon képy les insignes de général au service de la république mexicaine.
- Moi, je suis lieutenant de zouaves, répond le Français en lui tournant le dos.
L'Italien, furieux, fait un geste et l'on entraîne notre camarade dans une maison plus éloignée; on place une sentinelle à sa porte et on le laisse seul pendant une heure.
G'Hilardi revient avec du papier et des plumes : « Nous ne sommes pas positivement des sauvages, dit-il en souriant d'un air bassement cruel, voici de quoi écrire à votre famille pour faire vos derniers adieux. »
L'officier, de zouaves achève tranquillement de rouler sa cigarette, l'allume, et lui répond entre deux bouffées : « Je vous remercie beaucoup, mais j'ai déjà écrit par le courrier de ce matin. » (Sic.) G'Hilardi, exaspéré de ce sangfroid dédaigneux, le fait saisir immédiatement par un piquet d'in-
fanterie. On le descend dans la cour, on l'adosse à un mur, et déjà les canons de fusil s'abaissaient vers sa poitrine, quand Gonzalès Ortéga, prévenu à temps, accourt en toute hâte pour empêcher cet assassinat.
Il démonte G'Hilardi de son commandement, invite l'officier français à dîner, le renvoie à nos lignes avec force compliments et lui remet une lettre d'excuses pour le général Forey, contenant un désaveu formel de la conduite de G'Hilardi.
Combat de San'Lorenxo
L'armée de Comonfort s'est massée à quelques lieues de Puebla, au village de San-Lorenzo, et s'y est établie dans un camp retranché. Chaque nuit, Comonfort essaye de jeter dans la place soit des hommes, soit des vivres, soit des munitions. Si grande que soit la vigilance de nos postes, il y parvient quelquefois. Cette armée est en même temps l'appui moral de la garnison assiégée, c'est un point de ralliement pour elle si la place est emportée d'assaut.
7 mai. - Nous montons à cheval à quatre heures du soir et nous venons camper au pied du Cerro San-Juan. Un petit corps d'armée y est déjà
installé : zouaves, turcos, artillerie de la garde. La tente du général Bazaine est au centre. Minuit. — Les capitaines sont appelés chez le colonel. Au retour, ils réveillent sans bruit leurs officiers. Chaque officier de peloton réveille son monde avec les mêmes précautions. Défense de fumer et de causer. On part en silence à une heure du matin. Pour où?. on n'en sait rien. On sait seulement que le général Bazaine dirige le
mouvement. — Cela suffit, on a confiance.
8 mai. — Nous marchons toute la nuit. A cinq heures du matin, on entend aboyer des chiens.
Une lumière brille dans une maison isolée à cent pas sur la gauche. La colonne marche silencieusement dans l'ombre.. En tête, nos chasseurs roulés dans leurs longs manteaux blancs à capuchon, puis les zouaves, puis l'artillerie, enfin les turcos.
La porte de la maison s'ouvre, éclairant un coin de la route. Quelques hommes en sortent, montent à cheval et s'approchent : Quien viva ! (qui vive !) - Libertad y reforma (liberté et réforme), répond la Pena, qui marche en tête avec ses amis les chasseurs d'Afrique.
La vedette ennemie s'arrête indécise et laisse passer; puis, s'apercevant tout à coup de son erreur, pousse un effroyable juron. Le poste avancé nous envoie cinq ou six coups de feu et disparaît au galop.
Les premières lueurs du jour nous trouvent devant le village de San-Lorenzo. Voilà le secret de ce mouvement, si mystérieux. La marche a été admirablement réglée. Arrivés plus tôt, il nous fallait attendre le jour ; plus tard, l'ennemi n'était pas surpris.
La colonne française, présentant son flanc droit à l'ennemi, s'avance en silence, marchant au pas, sans répondre au feu roulant de vingt-six pièces de campagne. — Puis, au moment où la cavalerie a dépassé le village , dès que l'infanterie - est arrivée à hauteur des retranchements, on fait face aux batteries par un mouvement d'ensemble à droite; les tambours battent, les clairons sonnent; on se rue à la baïonnette sur les pièces : — SanLorenzo est à nous.
Pendant ce temps la cavalerie, qui a fait son à droite au galop, est allée couper la retraite du convoi.
Vingt-quatre pièces de canon, soixante voitures pleines de vivres, de munitions, d'argent ; deux cent cinquante mules d'attelage et quinze cents prisonniers sont le résultat de ce coup de main, qui a semé l'épouvante chez .les. défenseurs de Puebla dont on vient de briser le dernier espoir.
L'armée de Comonfort, extrême ressource de Juarez, fuit sans-chefs, sans armes, sans matériel, répandue comme un troupeau dispersé sur tous les chemins qui mènent à Mexico.
La prise de Puebla
15 mai. - Gonzalès Ortéga a demandé au général Forey la permission de faire sortir de la ville les non combattants : la famine commence à sévir cruellement dans cette ville bloquée. Si l'on consultait l'intérêt militaire, on devrait le lui refuser, Car c'est lui donner un moyen de prolonger sa défense. Mais le cœur généreux du général Forey ne peut supporter les souffrances de ces innocentes victimes des malheurs de la guerre.
Les portes se sont ouvertes et l'on a vu sortir lentement par la garrita de Mexico, de longues files de femmes, d'enfants, de vieillards qui viennent se réfugier à Cholula.
Ils ont faim!. leurs vêtements sont en lambeaux. Tout le long des lignes françaises, les visages sont empreints d'émotion en voyant les souffrances écrites sur les traits flétris de ces malheureux, et plus d'une larme furtive coule le long d'une vieille moustache.
Çà, c'est le vilain côté de la guerre ; le beau-,.
'c'est le jour de la poudre, quand on a le sabre à la main et son bon cheval entre les jambes.
Le troupier français s'émeut, il tend son pain de munition sur lequel se jettent avec avidité ces affamés, et plus d'une chemise d'ordonnance quitte le
sac du soldat pour couvrir la nudité des.femmes et des enfants.
Ce nouveau cas de dissipation d'effets de petit équipement n'a pas été prévu par les conseils de guerre.
Les échappés de Puebla sont campés tant bien que mal dans Cholula. Les portiques, les galeries des places, les porches des maisons, et les portails des églises sont les seuls abris qu'on peut mettre à leur disposition.
La nuit, ils allument d« grands feux pour se réchauffer, et pendant le jour ils errent çà et là, mendiant leur pain à nos soldats avec lesquels ils se sont familiarisés, et dont ils connaissent déjà l'exquise bonté cachée sous de rudes dehors.
Plus d'un chasseur d'Afrique détourne la tête avec intention pour ne pas voir la main d'un enfant plongeant furtivement dans le sac de maïs du cheval, pour y prendre la poignée de grains qu'il va, porter à sa mère.
Çà n'est pas gai. Tirons le rideau.
Après avoir battu l'armée extérieure à San-Lorenzo, le général Bazaine revient prendre sa place au siège qui commence à durer.
Son coup dJœil certain a vu depuis longtemps l'endroit faible de la ville. Vingt fois, dans les conseils de guerre, il a insisté pour l'attaque du fort de Totiméhuacan. Sa dernière victoire donne plus de poids à ses paroles : son avis prévaut.
La parallèle est ouverte à 180 mètres du fort de Totiméhuacan, et tout l'effort de l'artillerie porte sur ce point.
La marine a envoyé de Vera-Cruz trois pièces de 30. Nous ne connaissons pas ce calibre dans l'armée de terre, et nous nous arrêtons stupéfaits, en voyant arriver ces énormes engins. Il faut un de ces grands chariots mexicains attelés de vingtquatre mulets pour transporter une seule pièce : leur effet est foudroyant, c'est le mot.
16 mai. — La parallèle est continuée et poussée jusqu'au pied de l'ouvrage. La brèche est faite ; on la voit de loin comme un point noir dans la ligne blanche de la muraille. Elle est suffisante pour donner l'assaut. Voilà l'instant suprême ; voici le jour qu'attend l'armée depuis si longtemps.
Les colonnes d'attaque arrivent, se groupent et se massent. Allons, enfants, un dernier coup de collier, et Puebla est à nous. Là-haut, sur ce rempart où flotte le drapeau mexicain, bientôt vont s'abattre les aigles victorieuses de la France : sonnez clairons, battez tambours, il y aura bien des casquettes par terre dans un moment; mais qu'importe ! le devoir.est là, et la gloire nous montre le chemin.
Il est onze heures, le soleil s'élève sur l'horizon, pourquoi tarde-t-on ? il fera bien assez chaud tout ■ à l'heure. Les violons sont prêts, qu'est-ce qui empêche d'ouvrir le bal?
Un bruit court sur toute la ligne : les Mexicains ont envoyé un parlementaire.
c Ali ben! zut. alors. il n'y a plus de plaisir, dit un vieux zouave en frappant la terre avec violence de la crosse de son fusil, dont il était en train d'essuyer avec amour la baïonnette, c'est moi qui leur-z-en f. des conditions, après nous avoir fait poser comme ça. )) La nouvelle est certaine. Voyez cette petite troupe de cavaliers mexicains qui monte le Cerro San-Juan où le général Forey a planté son pavillon de commandement ; c'est le général Mendoza et son escorte ; il vient traiter de la reddition de la place.
Il demande que les troupes mexicaines sortent de la ville, avec une partie de leur artillerie, pour se diriger sur Mexico.
Le général Forey est de l'avis du zouave dont nous parlions tout à l'heure; il trouve que nous avons assez posé comme ça. Voici ses conditions à lui : Ortéga se rendra purement et simplement à discrétion. Nous sommes maîtres de la position.
C'est à prendre ou à laisser.
Ortéga refuse, ces allées et venues ont pris toute la journée, la nuit - arrive, -il est trop tard pour donner l'assaut; à demain matin le grand coup Pendant la nuit, on entend dans la ville un mouvement extraordinaire et des détonnations inexplicables; les grand'gardes redoublent d'attention.
L'ennemi s'agite beaucoup à l'intérieur, cependant il ne fait aucune démonstration hostile.
Le jour paraît, nous avons l'explication de ce mystère.
Pendant la nuit, Gonzalès Ortéga a prononcé la dissolution de son armée; il a fait briser les armes, enclouerles canons; ces détonnations que nous ne pouvions nous expliquer, c'étaient les magasins à poudre qui sautaient.
17 mai. — Le général Mendoza revient en parlementaire annoncer que la garnison a fini sa défense et qu'elle se rend à discrétion.
Le colonel Manèque, second chef d'état-major du général, vient occuper la place avec le 1er bataillon de chasseurs à pied aux ordres du commandant de Courcy, et l'escadron du 5c hussards, (capitaine Barbut).
Pendant que les Français entrent par la garrita del Pulque, regardant avec curiosité cette ville démantelée, par la garrita de Mexico sortent la tête basse douze mille hommes sans armes, sans uniformes, sans équipement, le tout ayant été brisé et i, jeté dans les rues de la ville. Gonzalès Ortéga marche à leur tête. On les campe dans les terrains vagues ) qui sont autour du Molino ciel Rey (moulin du roi).
On les installe au bivouac, entourés par un corI..don de factionnaires; on leur fait des distributions [régulières de pain, de viande et d'eau-de-vie ; ils
mangent!!! et reprennent une autre physionomie.
Il y a si longtemps qu'ils étaient rationnés.
Deux heures après, des rires et des chansons joyeuses avaient remplacé l'abattement chez les prisonniers. Le soldat mexicain se trouvait plus heureux prisonnier de Napoléon, que soldat de Juarez. Il n'a pas de préjugés sociaux.
En Crimée et en" Italie, j'ai fait également cette remarque sur les Russes et les Autrichiens, Le Français n'est pas de même : le dernier de nos tambours ressent la gloire et la honte avec une délicatesse de sensation égale à celle de son général. Pourquoi cette différence? Vous le savez bien, et moi aussi.
Cependant le grand prévôt de l'armée française est venu occuper le palais désigné pour servir de prison temporaire aux officiers de la garnison de Puebla. 1 Ici la scène change, les physionomies sont altières, insolentes même. Nous leur pardonnons de bon cœur : ils sont vaincus.
18 mai. — Les troupes françaises entrent successivement pour empêcher tout pillage, tout désordre. Les habitants expulsés rentrent derrière nous ; chacun court à sa maison constater les dégâts, supputer les pertes qu'il a pu subir.
Quelques têtes craintives et curieuses paraissent aux fenêtres. On regarde avec étonnement ces
Français, si terribles dans le combat et si rieurs après la bataille.
J'entre avec la cavalerie; nos chevaux arabes grimpent comme des chèvres par-dessus les barricades. Quand je vois les moyens de défense accumulés dans les rues, je me sens pénétré d'admiration pour notre infanterie..
t. Puebla de los Angeles (la ville des Anges) a été bouleversée de fond en comble ; les travaux des assiégés, et le canon des assiégeants ont fait de cette ville coquette un monceau de ruines.
g Les beaux arbres de l'Alaméda sont abattus, et les statues, criblées de balles ou mutilées par les boulets, ont une étrange physionomie. Mais comme les hommes ont toujours la rage de reconstruire après avoir démoli, le génie et l'artillerie, > qui viennent de passer deux mois à détruire, sont ) employés ensuite à remettre tout en ordre pour [l'entrée du général Forey.
1 19 mai. — Onze heures du matin. Les cloches i sonnent à toute volée, les barricades sont abattues, [ les troupes sont sous les armes et le général Forey 1 fait son entrée officielle à Puebla.
Les habitants ont l'air enchanté de voir le siège tfini. Car, pour dire vrai, ils ne sont pas plus pour i"Tuarez que pour l'intervention, et sont très-satisi faits de voir terminer cette discussion entre lui et mous qu'ils ont trouvée un peu longue.
1
20 mai. - Les officiers mexicains prisonniers,, supérieurs ou subalternes, ont quitté ce matin Puebla et sont dirigés les premiers sur Vera-Cruz, à destination de France, les seconds sur Cordova, pour être employés à surveiller les travaux de la route. Les officiers généraux ne partirent que le 22.
Quatre d'entre eux ont réussi à s'enfuir avant le départ. L'un des évadés est le fameux G'Hilardi.
A la date de ce jour, il y a : Aux hôpitaux, 822 hommes ; Aux convalescents, 382 hommes.
Voici le chiffre des pertes éprouvées au siège de Puebla par l'armée française : Tués : 18 officiers, 167 hommes de troupes; Blessés : 79 officiers, 1,039 hommes de troupes.
On a profité de toutes les ressources trouvées dans Puebla pour réorganiser l'armée alliée. On lui a donné des canons, des armes et des effets de toute nature trouvés dans les magasins ,de l'ennemi, mais le tout en très-mauvais état, Ortéga ayant, au moment, de la reddition, cherché à anéantir toutes ces ressources.
On a incorporé dans les troupes de Marquèz tous les prisonniers qui ont accepté d'y servir.
L'effectif du corps de ce général s'est élevé à 7,300 hommes de toutes armes et 1,100 chevaux.
Marche sur Mexico
21 mai. - Excellente affaire! le régiment part avec le général Bazaine qui marche sur Mexico avec une division française. Les autres vont avoir quelques jours de repos, mais je préfère de beaucoup être des premiers entrants à Mexico. C'est toujours plus avantageux sous tous les rapports.
Et puis, somme toute, que va être cette marche?
Y nura-t-il combat? Faudra-t-il recommencer ce siège de Puebla? Les uns disent que Juarez veut se défendre dans Mexico, et inonder les alentours à l'aide des lacs qui entourent la ville. Les autres prétendent qu'il se retirera dans le nord du Mexique àChihahua.
26 mai. — Nous faisons séjour dans la petite ville de San-Martino. Les nouvelles générales sont que , Juarez ne tiendra pas. On nous fait un tableau assez [ pittoresque de la fuite des derrotados (déroutés) > de San-Lorenzo qui ont traversé San-Martino, > courant toujours. Ils n'avaient plus de chapeaux, i nous disait-on, pour témoigner de leur terreur : [ perdre son chapeau, dans ce pays de coups de so-
I leil, c'est presque perdre Ja tête.
Nous n'avons rien de curieux à San-Martino que 1 l'arrestation d'une femme, chef de bande. Son i mari, ancien colonel de cavalerie, lisez chef de vo-
leurs, avait été tué quelques années avant, et depuis, comme la veuve de feu le marchand de moutarde, dont on peut lire encore aujourd'hui au Père-Lachaise l'épitaphe ainsi conçue :
Sa veuve inconsolable continue son commerce.
Cette excellente personne -continuait la suite des affaires de son époux.
Une section de grenadiers du 99e lui fit faire faillite.
1er juin. - Nous avançons avec les précautions prescrites par l'art militaire sur la redoute de Puente-Tezmalucan qui commande le passage ; nous ne trouvons pas l'ombre d'un ennemi dans ces positions formidables. Décidément Juarez abandonne la partie.
2 juin. — On nous écrit de Puebla : « C'est le dimanche 31 mai, vers quatre heures de l'après-midi, que Juarez a quitté Mexico avec son ministère, un certain nombre de membres du congrès et une partie des troupes qui lui restent. Il se dirige, dit-on, non pas sur Morélia, comme il en avait toujours eu le projet, mais sur San-Luis de Potosi, qu'il aurait déclaré capitale provisoire de la République. Pour que Juarez, au lieu de se rendre à Morélia, où léseras dominent, en ce moment,
se soit décidé à se réfugier à San-Luis de Potosi, où, au contraire, le parti conservateur est en immense majorité, il faut qu'il ait eu des motifs très-sérieux. Il a craint sans doute que la nouvelle de sa fuite ne fît tomber Guadalajara entre les mains des conservateurs qui, depuis quelque temps déjà, en occupaient plusieurs faubourgs. D'un autre eÔté; on annonce qu'à la suite de la mort du vieil Alvarez, le chef des Pintos, une insurrection contre - les puros aurait eu lieu. dans l'État de Guerro, limitrophe de celui de Michoacan, dont Morélia est la capitale.
CI Un des derniers actes de Juarez a été l'expulsion des Français habitant Mexico. Une décision, en date du 18 mai, a enjoint à tous les Français résidant dans le district fédéral, de le quitter sous trois jours, après avoir remis toutes leurs armes au gouvernement. Il leur est ordonné de se rendre à Morélia bu à Querétaro, et ils ne peuvent séjourner à moins de quarante lieues de la capitale. Pour donner une idée des dangers auxquels sont exposés les malheureux frappés par le décret d'expulsion, il suffit de dire qu'une diligence, arrivée hier de San-Luis de Potosi, a été volée quatorze fois pendant le trajet de cette ville à Mexico. »
Le même courrier nous apprend l'évasion de six dès généraux mexicains prisonniers. Ce sont les , ., généraux Gonzalès Ortéga, La Llave, Pinson, Paf tonij Garcia et Prieto;
C'est dans la soirée du 27 mai, en arrivant à Orizaba, qu'ils échappèrent à leur escorte, à la faveur de déguisements que leur avaient apportés des gens autorisés à les visiter.
Leur fuite fut d'autant plus facile qu'on leur laissait une liberté assez grande, car ils étaient
PRISONNIERS SUR PAROLE.
Leurs camarades de captivité, et surtout le gé-
néral Mendoza, sollicités par eux de s'enfuir également, refusèrent de trahir leur serment.
3 juin. — Tous les bois et les passages, si faciles à défendre, du Rio Frio, point culminant de la route qui atteint en cet endroit 3,302 mètres aoidessus du niveau de la mer, sont traversés sans un coup de feu. Nous allons entrer à Mexico comme des amis attendus depuis longtemps.
Lorsqu'on a franchi le Rib Frio, on descend le versant Sud-Est des montagnes, et on découvre la vallée de Mexico. Six grands lacs occupent une notable partie de ce vaste plateau. A 12 kilomètres de Mexico, près du village d'Ayotla, commence une chaussée, dite chaussée de l'Est, qu'on suit en venant de Puebla. Elle est construite sur le lac Tezcuco.
La route serpente à travers des, montagnes et des forêts superbes. Partout la végétation est splendide.
Vers le milieu du parcours, on aperçoit les deux
plus belles montagnes du Mexique, l'une est riztaccihual qui a A,785 mètres d'élévation, et l'autre le Popocatepelt dont la hauteur est de 5,410 mètres.
6 juin. - Nous venons d'arriver en reconnaissance au Penon, à trois lieues de Mexico.
Nos pointeurs d'avant-garde ont rencontré, au lieu de l'ennemi, des compatriotes qui accourent au devant de nous. Ce sont les commerçants français résidant à Mexico. Ils nous donnent les dernières nouvelles.
Juarez préfère prolonger la guerre en fuyant devant nous. La capture de Gonzalès Ortéga lui a donné à réfléchir.
Le gouvernement s'est retiré avec toutes les troupes. La garde de la ville est entre les mains des commerçants étrangers, qui se sont formés en garde civique pour maintenir l'ordre et défendre leurs propriétés. Craignant les désordres d'une populace abandonnée à elle-même, ils nous attendent avec impatience, et voudraient nous faire entrer de suite avec eux. Mais les ordres sont précis : Nous devons coucher au Penon, et nous n'irons que demain dans la ville.
Les plus enthousiastes de nos compatriotes ne veulent pas se séparer de nous, ils restent pour passer la nuit avec nous au Penon.
Ils envoient chercher à Mexico toute espèce de
provisions de bouche; le bordeaux et le champagne coulent à flots : on boit il la France, on chante, on rit, on crie, on s'embrasse, pendant que nos braves chevaux mangent leur provende en faisant beaucoup moins de bruit que leurs maîtres plus intelligents qu'eux.
Cette soirée a été vraiment fort curieuse : au milieu des cris, des rires, des chants, des toasts insensés, privilège de ces sortes de réunions, quelques hommes plus calmes et vraiment observateurs nous racontaient des choses très-intéressantes sur ce pays et sur ses habitants.
Ils nous firent un tableau amusant du départ de Juarez. Tout ce gouvernement partit avec armes et bagages, comme on dit au régiment; les bagages surtout furent le point capital.
Les énormes contributions levées les jours précédents sous le prétexte de la défense de Mexico ne furent point oubliées. De longues files de mulets stationnaient devant les maisons des principaux chefs juaristes, et de temps en temps une fausse alerte faisait activer les préparatifs.
On entendait crier tout d'un coup : Ja viencn los Franceses (voilà les Français qui arrivent); alors tout ce monde de domestiques, de soldats et de maîtres courait effaré par les rues.
Pendant ce temps los piïados (les pelés, c'est-àdire la lie du peuple), voyant partir le gouvernement et la force armée commençait à lever la tête.
Les riches magasins des commerçants étrangers leur donnaient le vertige, et tout ce qui n'était pas mexicain dut prendre les armes pour défendre sa propriété. Ces messieurs s'en étonnaient fort. Je me - mordis la langue pour ne pas leur dire que c'était à peu près la même chose en Europe à chaque changement de gouvernement.
Le besoin que l'on avait de nous pour rétablir l'ordre, joint à la joie bien naturelle de revoir des compatriotes,, nous fait accueillir à bras ouverts.
La nuit entière se passa à fraterniser, et le lendemain matin le jour nous vit monter à cheval pour faire enfin notre entrée dans la capitale de Montézuma et de Juarez, deux types assez différents , bien que de même origine.
Entrée à Mexico
7 juin. - A neuf heures du matin, le général Bazaine, commandant l'avant-garde du corps expé-
ditionnaire, fait son entrée à Mexico. Tout ce qui est Européen vient au devant de nous, à pied, à cheval, en voiture.
Pour toutes les raisons décrites ci-dessus, on nous attendait avec impatience, on nous espérait ; en conséquence, nous sommes reçus comme des sauveurs.
Chaque troupe se rend au casernement qui lui est indiqué. L'on s'arrache les uniformes français : chacun veut en avoir au moins un à promener à son bras et à présenter à ses amis et connaissances.
L'enthousiasme des masses pour le soldat est quelquefois immense. J'avais déjà assisté à de pareilles scènes en Italie. Cela dédommage des moments où l'on vous tourne le dos avec le même empressement qu'on a mis à vous tendre les bras.
Nous traversons tout Mexico, car mon régiment est caserné à Tacubaya, le bois de Boulogne de Mexico, situé à une demi-lieue de la ville.
C'est le but obligé des promenades des cavaliers et des voitures de la fashion mexicaine. Tout homme à la mode a forcément sa villa à Tacubaya. D'où il résulte que nous sommes logés dans île petits palais, et des relations charmantes nous dédommagent des ennuis du siège.
10 juin. - - Nous n'étions que l'avant-garde; les troupes arrivant successivement de Puebla se sont massées autour de la ville, et ce matin l'armée franco-mexicaine a fait son entrée solennelle et pacifique dans la capitale.
Je vois avec un profond chagrin que, dans le Nouveau Monde aussi bien que dans l'Ancien, des gens qui ne sont pas militaires éprouvent à un moment donné le besoin de s'emprisonner dans un uniforme, de se mettre une arme au côté, un plumet sur la tête, et de se promener dans les rues au son de la musique avec de vrais soldats derrière eux. Des arcs de triomphe sont dressés, les rues sont jonchées de fleurs. Tout Mexico est aux fenêtres; nous suivons un itinéraire désigné d'avance pour arriver à la cathédrale où l'on chante un Te Deum.
— C'est bien naturel. Dans tous les pays et à toutes les époques, les vainqueurs ont toujours chanté un Te Deum.
Manjuèz, Almonte, la Pena et les autres chefs mexicains alliés, à la tête de leurs troupes, reçoivent comme nous un tribut d'acclamations et de fleurs.
Résumé. de mes impressions : - Musique, cloches, pétards, arcs de triomphe, bouquets, rubans, regards profonds, mantilles, éventails et balcons.
Je suis bien heureux de ne pas être un grand chef pour ne pas avoir à m'occuper d'autre chose que cela.
Je laisse le soin d'expliquer la question politique à la proclamation suivante, du général Forey.
PROCLAMATION DU GÉNÉRAL FOREY AUX MEXICAINS,
11 juin 1863.
Il Mexicains!
« Est-il nécessaire que je vous dise encore dans quel but l'Empereur a envoyé au Mexique une partie de son armée? Les proclamations que je vous ai adressées, malgré la politique ombrageuse du gouvernement déchu, vous sont certainement connues, et vous savez que notre magnanime souverain, ému de votre triste situation, n'a voulu qu'une chose en faisant traverser les mers à ses soldats : vous montrer le noble drapeau de la France qui est le symbole de la civilisation. Il a pensé avec raison, qu'à sa vue ceux qui vous opprimaient au nom de la liberté, ou tomberaient vaincus ou s'enfuiraient honteusement.
« La mission que l'Empereur m'a confiée avait un double but : J'avais à faire sentir aux prétendus vainqueurs du 5 mai 1862 le poids de nos armes et à réduire à sa juste valeur ce fait de guerre, auquel la jactance de quelques chefs militaires avait donné les proportions d'une grande victoire.
- « J'avais ensuite à offrir le concours de la France au Mexique, pour l'aider à se donner un gouvernement qui fût l'expression de son libre choix; un gouvernement pratiquant avant tout la justice, la probité, labnnne foi dans ses relations extérieures,
la liberté à l'intérieur, mais la liberté comme elle doit être entendue, marchant avec l'ordre, le respect de la religion, de la propriété, de la famille.
c( La déroute des troupes ennemies dans toutes les circonstances où elles ont osé affronter nos sabres ou nos baïonnettes, puis le siège de Puebla, ont donné ample satisfaction à notre honneur militaire.
« Arrivés avec de faibles moyens d'attaque devant Puebla, dont le gouvernement déchu avait fait une place de premier ordre et qu'il regardait comme un boulevard où viendraient se briser nos efforts et où, dans sa forfanterie habituelle, il prétendait que nous devions trouver notre tombeau, nous l'avons forcé à se rendre à discrétion ; et chose extraordinaire dans les fastes militaires, une garnison de 20,000 hommes a été obligée de se constituer prisonnière avec tous ses généraux, tous ses officiers, à abandonner en notre pouvoir un im- mense matériel de guerre, et cela lorsqu'elle avait encore de puissantes ressources, ainsi que nous avons pu le constater.
a Après la chute de Puebla. nous allions marcher sur la capitale, qui, disait-on, se préparait à une sérieuse résistance ; nous avions de puissants moyens d'action, et la victoire, fidèle au drapeau de la France, n'était pas douteuse. Mais Dieu n'a pas permis une nouvelle effusion de sang, et le gouvernement, qui savait très-bien qu'il ne pouvait s'appuyer sur le peuple de cette capitale,, n'a pas osé nous attendre derrière ses remparts ; il s'est enfui honteusement, laissant cette grande et belle
cité à elle-même. S'il doutait encore de la réproba- tion générale dont il était l'objet, la journée du 10 juin 1863, qui appartient désormais à l'histoire, doit lui enlever toute illusion et lui faire sentir son impuissance à conserver les débris d'un pouvoir 1 dont il a fait un si déplorable usage.
« La question militaire est donc jugée.
« Reste la question politique.
« La solution, Mexicains, dépend de vous. Soyez unis dans des sentiments de fraternité, de concorde, de véritable patriotisme; que tous les honnêtes gens, les citoyens modérés de toutes les opinions se confondent en un seul parti, celui de l'ordre; n'ayez pas pour but mesquin et-peu digne de vous la victoire d'un parti sur un autre ; voyez les choses de plus haut.
« Abandonnez ces dénominations de libéraux, de réactionnaires, qui ne font qu'engendrer la haine, que perpétuer l'esprit de vengeance, qu'exciter enfin toutes les mauvaises passions du cœur humain. Proposez-vous avant tout d'être Mexicains et de vous constituer en une nation unie, forte, par conséquent grande, parce que vous avez tous les éléments nécessaires pour cela.
« C'est à quoi nous venons vous aider; et nous arriverons ensemble à créer un ordre de choses durable si, comprenant les vrais intérêts de votre pays, vous entrez résolûment dans les intentions de l'Empereur que je suis chargé de vous exposer.
« Ainsi à l'avenir il ne sera plus exigé aucune contribution forcée, ni réquisition de quelque nature et sous quelque prétexte que cc soit ; il ne
sera commis aucune exaction sans que leurs auteurs ne soient punis.
« Les propriétés des citoyens, ainsi que leurs personnes, seront placées sous la sauvegarde des lois et des mandataires du gouvernement.
« Les propriétaires des biens nationaux qui ont été acquis régulièrement et conformément à la loi, ne seront nullement inquiétés et resteront en possession de ces biens; les ventes frauduleuses seules pourront être l'objet d'une révision.
« La presse sera libre, mais réglementée d'après le système des avertissements établi efi France: deux avertissements entraînent la suppression du journal.
Il L'armée sera soumise à une loi de recrutement modéré, qui mettra fin à cette odieuse habitude de prendre'de force et d'arracher à leur famille les Indiens et les laboureurs, cette intéressante elasse de la population, que l'on jette dans les rangs de l'armée la corde au cou, et qui ne peuvent que donner ce triste spectale de soldats sans patriotisme, sans la religion du drapeau, toujours prêts à déserter ou à quitter un chef pour un autre, et cela se conçoit, par cela seul qu'il n'y a point au Mexique d'armée nationale, mais des bandes aux ordres de chefs ambitieux qui se disputent le pouvoir, dont ils ne se servent que pour détruire de fond en comble les ressources du pays, en s'emparant des richesses d'autrui.
a Les impôts seront réglés comme dans les pays civilisés, de manière que les charges pèsent sur tous les citoyens proportionnellement à leur for-
.tune, et l'on recherchera s'il ne convient pas de supprimer certains droits de consommation, plutôt vexatoires qu'utiles, et qui frappent principalement les producteurs les plus pauvres de la campagne.
« Tous les agents qui ont le maniement de la fortune publique seront convenablement rétribués, mais ceux qui n'exerceront pas leur emploi avec la probité et la délicatesse que l'État est en droit d'exiger d'eux seront remplacés, indépendamment des peines qu'ils auront pu encourir pour malversation. « La religion catholique sera protégée, et les évêques seront rappelés dans leurs diocèses. Je crois que l'Empeureur verrait avec plaisir qu'il fût possible au gouvernement de proclamer la liberté des cultes, ce grand principe des sociétés modernes.
« Des mesures énergiques seront prises pour réprimer le brigandage, cette plaie du Mexique qui en fait un pays à part dans le monde et paralyse tout commerce, toute entreprise d'utilité publique et privée qui, pour prospérer, ont besoin de sécurité.
« Les tribunaux seront organisés de manière à ce que la justice soit rendue avec intégrité et qu'elle ne soit plus le prix du plus offrant et dernier enchérisseur.
« Tels sont les principes essentiels sur lesquels s'appuiera le gouvernement à établir; ce sont ceux des peuples deFEuropequisedistinguent entre tous; ce sont ceux que le nouveau gouvernement du Mexi-
que devra s'efforcer de suivre avec persévérance et énergie, s'il veut prendre sa place parmi les nations civilisées.
(1 Cette seconde partie de la tâche qui m'est imposée, je ne pourrai la remplir que si je suis secondé par les bons Mexicains.
« Aussi je ne terminerai pas ce manifesté sans faire appel à la conciliation. J'invoque le concours de toutes les intelligences ; je demande aux partis de désarmer, et d'employer désormais leurs forces, non à détruire, mais à fonder. Je proclame l'oubli du passé, une amnistie complète pour tous ceux qui se rallieront de bonne foi au gouvernement que la nation, librement consultée, se donnera.
« Mais je déclarerai ennemis de leur pays ceux qui ae montreront sourds à ma voix conciliatrice.
et je les poursuivrai partout où ils se réfugieront.
Le Gouvernement Provisoire
Il juin. - On s'est beaucoup amusé hier: on a beaucoup défilé, fait beaucoup de musique, tiré beaucoup de pétards. Mais enfin, ce matin, il faut penser aux choses sérieuses : le troupeau n'a pas de berger. Juarez, par sa fuite, a tacitement reconnu sa déchéance. Il faut donc, avant tout, reconstituer un gouvernement et mettre quelqu'un à la tête de ce peuple abandonné.
23 juin. - En conséquence, le général Forevj convoque les notables et adresse au peuple mexi-j cain une proclamation qui déclare que la junte j supérieure a élu, comme représentants temporaires du pouvoir provisoire, l'archevêque de Mexico et les généraux Almonte et Salas.
Ces trois noms répondent à peu près aux exigences de.tous les partis. «
La proclamation du général Forey est affichée dans toutes les rues, en mexicain et en français.
Voici l'affiche française :
PROCLAMATION DU GÉNÉRAL FOREY AUX MEXICAINS.
13 juin 1863.
« Mexicains !
a La nation a prononcé par la voix de ses représentants, institués par un décret du 16 juin.
« Le général Almonte, le vénérable archevêque de Mexico et le général Salas ont été élus, dans lajournée d'hier, par la junte supérieure, pour être chargée du pouvoir exécutif et diriger les destinées du pays jusqu'à l'établissement d'un pouvoir définitif.
« Les noms que je viens de citer vous sont connus ; ils jouissent de l'estime publique et de la considération qui s'attache aux services rendus et à l'honorabilité du caractère. Vous pouvez donc être tranquilles, comme je le suis moi-même, sur l'avenir
qui va vous être préparé par ce triumvirat, qui prendra les rênes du pouvoir à partir du lh juin.
« Mexicains! en résignant entre les mains de ces trois chefs provisoires de la nation les pouvoirs que les circonstances m'avaient donnés pour les exercer à votre profit, je veux vous remercier encore du concours actif et intelligent que j'ai trouvé en vous. Je conserverai toujours un souvenir précieux de ces relations qui m'ont donné une juste mesure de votre patriotisme et de votre dévouement à l'ordre, et qui vous rendront si dignes de l'intérêt de la France et de l'Em pereur. »
Le bal des officiers français
20 juillet. - (1 Monsieur, les officiers du corps expéditionnaire du Mexique ont l'honneur de vous prier d'honorer de votre présence le bal qu'ils offrent à la ville de Mexico, le 21 juillet, dans la salle du théâtre. »
22 juillet. —Eh bien ! oui, nous venons de donner un bal, — et il était très-brillânt, je vous le jure.
— Le génie avait décoré la salle d'une manière splendide : des arbres entiers transplantés sur la scène, où l'on avait rapporté des terres, la transformaient en un bosquet réel, dans les allées duquel on se promenait quand on cessait de danser. Toute
la ville était là : les dames les plus libérales, après j avoir juré leurs grands dieux de ne pas se com- j promettre avec les envahisseurs, ont fini par se laisser entraîner, ne fût-ce que pour se venger, en les désespérant par leurs rigueurs, de ces Français si présomptueux.
La chronique prétend qu'il y eut des vaincus dans les deux camps.
La saison des pluies
Notre bal nous a ouvert les portes de la société de Mexico. Nous commençons à habler suffisamment le castillan ; profitons donc, insouciants chasseurs d'Afrique, mes chers camarades, de quelques semaines de vacances que nous donnent le général et la saison des pluies. C'est l'entr'acte; le drame recommencera dans quelque temps.
Les zouaves ont organisé un théâtre qui a le plus grand succès. Les Tertulias, les sérénades, les bals, les invitations, les parties de campagne à Chapultepec, à Tacubaya, les bains au Penon, les cavalcades au Paseo, remplissent largement la journée; et la soirée n'est pas sans occupation. Je prévois que, quand nous partirons, el Correo (poste aux lettres), doublera ses recettes. On s'arrache chez
les libraires, les grammaires franco-espagnoles et hispano-françaises, et le Guide de la conversation.
Et puis, vois-tu, hija de mi aima, preciosita de mios ojos (fille de mon âme, perle de mes yeux), la vie est courte, les balles sont promptes ; laisse-moi bien vite t'apprendre le français : qui sait si je pourrai te donner longtemps des leçons?
L'arreëtation de lîuitron
2ft septembre — Je reçois l'ordre de prendre le commandement de la 2me division de l'escadron (3me et hme peloton), ayant avec moi le sous-lieutenant Leclère, et de me tenir prêt à partir le lendemain matin en reconnaissance.
Pour aller où? Je n'en sais rien : le colonel du Barail m'a fait donner l'ordre de passer chez lui cinq minutes avant le départ pour prendre ses instructions. Je suis enchanté de ce petit mystère, cela me prouve qu'il ne s'agit pas d'une chose banale.
25 septembre. — Cinq heures du matin. Mes hommes sont à cheval sur la place de Tacubaya; je me rends chez notre colonel qui, matineux suivant ses habitudes, est déjà au travail depuis une heure avec le capitaine du Vallon.
Penché sur une carte, il relève la tête en me i voyant entrer et me dit : - Connaissez-vous San-Angel?
— Oui, mon colonel.
- Savez-vous par où l'on peut passer pour arriver à cepueblo (village), en traversant le ran- cho de Miscoac?
— Oui, mon colonel.
— Votre mission, mon cher ami, est aujourd'hui plus diplomatique que militaire : vous battrez tout le pays autour de San-Angel ostensiblement, fei- gnant de faire de la topographie et d'étudier l'état des routes. Vous ferez des pauses dans tous les points habi- ; tés, et vous questionnerez adroitement la popula- tion sur la conduite de Buitron.
Vous savez que Buitron s'est rallié à l'intervention avec sa bande et que le gouvernement provisoire l'a accepté ; mais il paraît que l'on a introduit le loup dans la bergerie, et que le drôle vole impunément à présent à l'ombre de notre drapeau. Votre reconnaissance, a pour but exprès de vous informer d'une manière précise de l'état des choses. Gardezvous, quoique vous puissiez voir ou apprendre, de toute démonstration hostile, et rendez-moi un compte exact de ce que vous aurez vu.
Je remonte à cheval et me mets en route pour Miscoac.
A Miscoac, je fais une longue pause. Les hommes
font le café, on donne le maïs aux chevaux, et moi je flâne dans tout le village. J'en apprends - de belles.
Maître Buitron, le bien nommé (en castillan, Buitron veut dire vautour), est tout simplement la terreur d'alentour. La moitié de ses hommes fait la police des grandes routes, escorte les diligences, pendant que l'autre moitié se promène dans les endroits opposés, en arrêtant les convois et pillant les haciendas (fermes).
Nous avions, me dit un des Indiens du village, trois ou quatre voleurs connus dans le Pedragall (la forêt de Bondy de l'endroit), eh bien ! on y était résigné, c'était un tribut fixe : mais à présent que Buitron est à San-Angel pour nous protéger, avec ses trois cent cinquante cavaliers, nous avons trois cent cinquante voleurs de plus à satisfaire.
Les mêmes renseignements se répètent tout le long du chemin, à chaque rancho où je m'arrête, ma conviction se forme de plus en plus, mais pour que ma mission soit complète, il faut que j'aille jusqu'à San-Angel même, dans le nid du vautour, savoir comment il est installé et s'il se doute de cette surveillance. Là est le côté difficile de ma mission. Il s'agit de ne pas l'effaroucher; s'il part avec sa bande, s'il se jette dans le Pedragall, nous ne pourrons jamais. l'arrêter. Rengainons notre grand sabre pour ce matin, et faisons une figure de circonstance.
Quel bizarre métier que celui de soldat en catii- pagne.
Les Pékins se moquent un peu de nous, -- appellent traîneurs de sabre et disent tout bâs que 1 nous sommes des imbéciles ; pourtant il me sembla qu'un bon officier de cavalerie doit avoir bien des aptitudes. Il ne s'agit pas ici de donner ou de reèim voir des coups de fusil : si je ne suis pas plus fin que ce Buitron, ce bandit d'une habileté proverbiale; si mon visage lui laisse deviner la moindre chose, il décampera cette nuit, et les populations.
que je viens protéger auront à craindre des ennemis insaisissables, invisibles, contre lesquels nous ne pourrons rien.
Je crains d'échouer ; mais je serai plus fier de moi si je réussis, que d'un beaucoup de sabre donné dans une charge.
Voici les premières maisons der San-Angel.
J'arrive tranquillement le sabre au fourfeau ?
mon trompette sonne la marche.
Les bandits que Buitron a l'audace d'appeler des soldats se rangent devant la porte de leur caserne.* Le drôle s'est installé dans le palais qui servait de couvent auxmoines. 'Ils nous rendent les honneurs.
Je fais mettre le sabre à la main pour leur rendre leur salut. Mes chasseurs sont furieux, je fais semblant de ne pas m'en apercevoir.
Mon ami Leclère monte jusque sur la place d'armes et met pied à terre avec les hommes. Je
lui recommande de ne laisser personne s'absenter, et suivi de mon trompette, fentre dans le quartier de maître Buitron, qui a l'audace de se faire appeler général.
On court chercher le général de là part de If officier français.
Le général paraît ; ses soldats en guenilles lui présentent les armes, il leur fait un salut à la Castellane. J'ai toutes les peines du monde à ne pas lui rire au nez. Je me contiens ; le colonel du Bârail m'a dit : « Soyez diplomate. »
Si les soldats de Buitron sont mal habillés, en revanche leur chef,est splendide. Ce ne sont que broderies d'or et d'argent, que boutons d'or massif.
Son sombrero (chapeau) est entouré d'une toquilla (cordon) au centre de laquelle brille un gros rubis.
Ses doigts sont chargés de bagues, et une énorme chaîne d'or fait deux ou trois fois le tour de son cou.
Gérard, mon trompette, le regarde du coin de l'œil. S'il l'attrapait dans une charge, quelle ?'azzia!
Le général est un peu souffrant, il se plaint du temps. On lui apporte du bouillon aux herbes ; il frissonne à chaque instant, est-ce conscience, estpressentiment? Il m'interroge sur ma venue. Je lui bâtis une fable sur les reconnaissances, la topographie, et, sous prétexte d'achever un plan, je me fais montrer en détail tout son casernement.
Je n'éprouve aucun scrupule à duper ce mons-
tre, dont le passé est chargé des crimes les plus 7 vils, et dont le nom seul est la terreur du pays.
Il me présente son lieutenant - colonel et ses deux chefs d'escadron. Ils ont des figures si patibulaires que machinalement je mets la main sur mon revolver et cherche de l'œil mon trompette.
Gérard a lié connaissance avec ses collègues, MM. les trompettes du régiment Buitron, qui lui ont offert un petit verre d'aguardienle (eau-de-vie).
Gérard est un beau trompette de chasseurs d'Afrique, toujours ficelé et astiqué; son cheval et ses armes font l'admiration générale : je le crois bien !
il est beaucoup plus beau que les officiers supérieurs de Buitron.
Buitron a une physionomie fine et intelligente.
Ses yeux sont expressifs, mais il ne regarde jamais en face. Il a, en me parlant, une sorte de gêne, qu'il cache sous l'emphase des grands compliments mexicains.
Le lieutenant-colonel a un ventre énorme et des allures qui tiennent le milieu entre le garçon boucher et le bourreau. C'est du reste sa profession.
Il est chargé d'accomplir les ordres du général Buitron, relatifs aux exécutions des prisonniers et aux abattages de bestiaux nécessaires à l'alimentation de la troupe. On dit même qu'il met la main à
la pâte dans les grandes circonstances.
Les deux chefs d'escadron, deux Indiens à cou de taureau, ne disent pas un mot; ils passent tout
le temps à tourner autour d'Ali, mon cheval arabe, qu'ils regardent avec admiration pendant que le
trompette le tient en main, et qu'il hennit en sentant les juments mexicaines.
Quand ils s'approchent de trop près, Gérard les regarde de travers.
J'ai fait complètement la conquête du lieutenant-colonel. C'est bien flatteur pour moi. Il me demande si l'on fait beaucoup de razzias en Afrique et s'il y a beaucoup de part de prises. Il cligne malicieusement de F œil en me regardant; j'en fais autant en frappant sur son énorme ventre, ce qui le fait beaucoup rire.
Nous voilà amis comme deux élèves de saint Antoine.
Cependant j'ai fini mon croquis, je sors de cet antre qui pue le sang, je respire ; sans avoir eu précisément peur, je me sens plus à mon aise quand je rejoins mes hommes.
Je remonte à cheval et je rentre à Tacubaya. Je rends compte de ma mission au colonel du Barail.
— C'est bien, me dit le colonel sans commentaires. Vous connaissez bien la route ?
— Oui, mon colonel.
— A propos, ajouta-t-il en partant, il est inutile de parler de cette reconnaissance à qui que ce soit.
26 septe^^r^ç— Deux heures du matin. Le fourrier ylfeî-A^MLveiller : les deux esca d rons
6
montent à cheval avec deux compagnies de chasseurs à pied ; le colonel me demande.
xi Buitron, me dit-il, a été arrêté hier soir à dix heures dans une maison de jeu de Mexico ; ses hommes ignorent encore son arrestation. Vous allez marcher à côté de moi, puisque vous avez fait la reconnaissance, et m'indiquer les chemins par lesquels nous pouvons cerner la bande de telle façon que pas un ne s'échappe. »
Puis se retournant vers son adjudant-major, le capitaine du Vallon : « Marche de nuit. Défense de parler et de fumer. »
Le crépuscule du matin nous trouve autour de San-Angel. Je dis autour, car, à partir de Miscoac, j'ai indiqué quatre routes différentes qui font arriver par toutes les directions que peuvent prendre les bandits pour s'évader.
Le jour se lève, et nos chasseurs à pied, la baïonnette au canon, cernent les murailles du couvent de San-Angel qui sert de repaire aux hommes de Buitron.
Les chasseurs d'Afrique à cheval, le sabre au poing, occupent tous les sentiers.
Tous les trous du terrier sont bouchés, quand le colonel du Barail se présente avec deux pelotons de cavalerie devant la grand'porte.
Le maître était parti la veille au soir pour Mexico sans se douter qu'il courait à sa perte. La bande, commandée par le lieutenant-colonel, bandit de
second ordre, oublieuse des précautions habituelles que lui imposait d'ordinaire la finesse de Buitron, s'est endormie tard après une nuit d'orgies. La grand'porte verrouillée n'a même pas un factionnaire devant les armes, au moment où la loi, la justice vengeresse, représentée par le drapeau français, vient demander compte à ces monstres de leur p&ssé sanglant.
Deux chasseurs d'Afrique mettent pied à terre et frappept à coups redoublés sur les deux battants de la porte massive du couvent.
Quien viva? qui vive? demande une voix endormie.
, La France ! répond à haute voix le brigadier d'ayant-garde.
Laporte s'entrouvre, un Mexicain passe sa tête effarée et regarde avec ses yeux gros de sommeil, cette troupe de cavaliers français dont les sabres-nus brillent au soleil levant. Avant qu'il ait eu le temps de revenir de son étonnement, le peloton d'avantgarde, commandé par M. Jeantet, s'est précipité sous la voûte et, sautant sur le râtelier d'armes, a désarmé le poste Mexicain qui se réveille prisonnier.
Je m'approche du colonel du Barail : - Si vous voulez me laisser faire, mon colonel, je connais tous les recoins du couvent, je me charge de vous les livrer tous prisonniers, sans qu'il en manque un seul.
Le colonel me regarde, puis après un instant :
- Faites, me dit-il.
Je grimpe l'escalier et cours droit à la chambre de mon gros ami de la veille.
Il avait le sommeil lourd; je. le réveille en le bousculant un peu.
La brute eut un mouvement désagréable, mais en me reconnaissant il sourit.
- Debout, amigo, lui dis-je, il se passe des choses graves, il ne s'agit pas de rire.
— Qu'y a-t-il, compadre. (compère)? car la veille, dans son enthousiame pour moi, il m'avait décerné ce titre amical de compagnonage usité au Mexique.
— Il y a, mon gros père, que Buitron a été arrêté hier à Mexico.
- A ve M'aria purissima, sancta Virgen madre de Bios 1 (il est à noter que les bandits mexicains les plus effrontés prennent à chaque instant la Vierge à témoin). Et pourquoi donc a-t-il été arrêté ?
- Figurez-vous, compadre, que votre général était tout bonnement un filou de première classe.
— Il faut que ce soit vous qui me le disiez pour que je le croie, me dit le gros homme..
— C'est pourtant comme cela.
— Valga me Dios (Dieu me délivre) ! A qui donc se fier? dit-il en se mettant sur son séant, et croisant avec désolation ses mains sur son abdomen majestueux. Qu'a donc fait le général ?
— Il a eu l'audace de demander au général Marquèz de la solde pour un nombre d'hommes
double de celui qu'il avait. On l'a démonté de son commandement, et l'on vient, ce matin, compter les hommes un par un.
— Et moi, que dois-je faire? gémit piteusement cette brute toute désorientée.
— Vous? Il faut rassembler vos hommes de telle façon qu'on puisse vérifier leur nombre et attendre les événements. Qui sait, si en faveur de votre bonne volonté, on ne vous nommera pas à sa place?
Il me toisa d'un air assez incrédule, nos regards se croisèrent, mais la vue des chasseurs à pied qui entraient par toutes les fenêtres du couvent, pendant que les chasseurs d'Afrique s'emparaient des chevaux dans les écuries, le forcèrent à faire contre fortune bon cœur.
Il S ta bueno. » C'est bien, dit-il en se servant de -l'expression habituelle des Mexicains qui, profondément philosophes, savent supporter avec une indifférence feinte ce qu'ils ne peuvent empêcher.
Il-appelle un trompette, lui fait sonner l'appel ; -tous ses hommes viennent, l'oreille basse et sans armes, se mettre au rang. Ainsi, sans avoir brûlé une cartouche, nous tenons prisonniers les trois cent cinquante bandits qui désolaient la vallée de Mexico.
Pendant que l'on groupe les prisonniers et que l'on forme des escortes, le restant de nos hommes „ déménage le couvent. Les richesses de la bande, produit du pillage de longues années sont énormes.
Trois cents magnifiques chevaux, — les bandits ayant le choix, prennent toujours les meilleurs, — tombent entre nos mains avec une quantité considérable d'armes et de munitions ainsi que deux petits canons de campagne.
La colonne des prisonniers défile lentement sous le porche, au milieu de la joie et des acclamations de la population de San-Angel, heureuse d'être délivrée de ses bourreaux.
Les chasseurs à pied sont montés sur les chevaux des voleurs et se donnent toutes les joies du fantassin à cheval. Notre étape est une marche triomphale jusqu'à Mexico.
Tout le monde, femmes, enfants, vieillards, respirant enfin en se voyant délivré de ce fléau, veut jeter un dernier reproche à ces misérables.
Ah! ce n'est pas là une question politique.
Libéraux, réactionnaires, interventionnistes, tous les partis nous font une ovation.
Buitron, le digne chef de la bande: était au Mexique une variété de Cartouche ou de Mandrin, avec cette différence qu'il avait toujours coloré ses brigandages d'une nuance politique. C'est là la plaie de ce malheureux pays.
La cour martiale vient d'instruire son procès, et quand on l'a condamné à mort, il était atteint et convaincu de deux-cent soixante-neuf assassinats (je n'exagère pas), encore disait-on qu'on ne connaissait pas tout. t
15 octobre. — Ce matin, on a fusillé Buitron. Il est mort en lâche, il a fallu le traîner sur le terrain de l'exécution, ses jambes refusaient de le porter.
Digne fin d'une telle vie.
Nomination du maréchal Forey
1er octobre. — Le général Forey vient d'être nommé maréchal de France, par un décret impérial en date du 2 juillet.
Le général Bazaine prend le commandement du corps expéditionnaire.
Le vainqueur de San-Lorenzo et de Totiméhuacan a depuis longtemps la sympathie et la confiance du soldat.
Vienne la fin de la saison des pluies qui nous condamne à une inaction forcée, et nous allons entreprendre sous ses ordres la campagne de l'intérieur.
Le maréchal Forey va nous quitter; l'Empereur et la France le rappellent pour qu'il puisse jouir un peu de ses nombreux succès.
Il laisse en partant deux proclamations adressées l'une à l'armée, et l'autre au peuple mexicain. Je les reproduis ici tout au long, au lieu d'esquisser un portrait de cet homme célèbre, me rappelant que quelqu'un a dit quelque part :
« Le style, c'est l'homme. » Du reste, je ne suis qu'un soldat et nullement1 un diplomate; c'est ce qui me fait choisir cette' manière commode de traiter la question politique. ;
ORDRE GÉNÉRAL ADRESSÉ AUX TROUPES PAR LE MARÉCHAL FOREY
Mexico, le 30 septembre 1863.
«A dater du 1eroctobre, le général Bazaine pren dra le commandement en chef du corps expéditionnaire.
« Soldats !
« L'Empereur m'avait mis à votre tête pour abaisser l'orgueil des prétendus vainqueurs de Guadalupe. en prenant Puebla, et pour rendre le Mexique à lui-même, en chassant de la capitale un gouvernement dont la tyrannie et la cupidité ont rempli depuis trop longtemps ce beau pays de ruines et de misères.
« Puebla ayant succombé sous vos coups et Mexico ayant été délivrée de ses oppresseurs, l'Empereur a pensé que la mission qu'il m'avait confiée
était terminée, et il me rappelle en France.
« Le plaisir que je ressens à la pensée de revoir bientôt notre belle patrie, après avoir rempli un grand devoir, à la satisfaction de notre bien-aimé souverain, n'est pas sans être mêlé de regrets.
Comment, en effet, pourrais-je oublier que c'est à , votre vaillance dans les combats, à votre persévé- -
ance dans-les fatigues et les privations, à votre résignation, dans les moments difficiles, à votre dénouement en toutes circonstances que je dois mon sâton de maréchal, bien plus qu'à mon mérite ?
« Avec des soldats comme vous, quels obstacles ont insurmontables? Quelle victoire est douteuse?
« Mais si je.pars avec le regret de ne plus partalier les travaux qui vous restent à accomplir, j'aime > croire que j'en laisserai quelques souvenirs parmi oous dont je me suis constamment attaché à prévoir jt à satisfaire tous les besoins, à épargner le sang clans les combats, à faire valoir les services, à àécompenser les plus méritants, à exalter les vertus guerrières.
« Ce sont ces vertus qui font la force et la supé)âorité de notre armée, et que vous ne cesserez de pratiquer sous les ordres de votre nouveau chef.
« Je n'ai pas besoin de vous faire son éloge. Vous savez aussi bien que mol tout ce qu'il vaut, et pour sie parler que de ses services au Mexique, souvegiez-vous de San Lorenzo où, à la tête de quelques Goataillons, il a détruit tout un corps d'armée, dont ,!es débris, ne se croyant pas en sûreté derrière les [fortifications de la capitale, se sont enfuisj usqu'aux nrontières des États-Unis d'Amérique.
« Rappelez-vous encore que la.prise du fort de Gian-Xavier a commencé le siége de Puebla, que 9,elle du fort de Totiméhuacan l'a terminé, et que est sous son intelligente et vigoureuse direction Jlue ces deux faits d'armes ont été accomplis.
« Alors vous serez fiers d'avoir un tel chef à votre têête. Si vous avez de nouveaux combats à livrer,
vpus serez certains de la victoire; et votrp agli général en chef applaudira de loin à vos il s'il ne lui est plus donné de les partager ayec « Et puis, lorsque, à votre tQqr t yous revient en France, si les hasards de la guerre vous p çaient de nouveau sous mes ordres, ce serait avi bonheur que j§ me retrouverais à la tête de mi vaillants soldats du Mexique.
« FORE Y. »
A p JEUX DU MARECHAL FOREY AUX MEXICAtMS
« Mexicains, « C'est la dernière fois que je vous adresse parole, et c'est pour vous faire mes adieux.
, « VErnpereur, considérant comme terminée mission qu'il m'avait confiée au Mexique me raj pelle en France.
« Que cette détermination de mon souverain i vous cause aucune crainte sur le résultat final < Tentreprise à laquelle je vais cesser de prend part ; elle n'implique point de changement dans politique de l'Empereur. L'armée vous reste, et sa tête un général en qui vous pouvez avoir tou confiance.
(1 Avant de quitter le commandement du cor] expéditionnaire, j'aurais voulu que tous mes dési fussent satisfaits en voyant les partis opposés réi nis en un seul, le parti de la nation tout entièri Parvenir à constituer ce parti a été mon rêve, -
1 ne s'est pas encore réalisé, c'est que les loyales tléntioiis de l'Empereur ont été méconnues et irfîdement dénaturées par ceux qui, sous le llsque du patriotisme trompent les crédules, et se rTvent de vils instruments pour se cramponner au ijuvoir qui leur échappe.
i « Mais en quittant le Mexique, j'emporte l'espoir 9!e la vérité ne tardera pas à dessiller les yeux des ieins clairvoyants, et que les faux patriotes qui J t couvert ce malheureux pays de ruines, en prei.nt la lilic, le désordre, l'anarchie pour la 5»erté, seront bientôt abandonnés à eux-mêmes.
> « Alors les vrais patriotes, les bons Mexicains, en [imptant ceux qui les ont mis à deux doigts de uir perte, seront étonnés de leur petit nombre.
« Je sais bien que leur audace supplée à leur - iiblesse; que dans leur orgueil, ils traitent avec jîdain, avec mépris même le gouvernement actuel; ) qu'ils se vantent de renverser ce que la nation, 'fil' l'organe de ses meilleurs citoyens a fondé.
inisDieu qui dirige l'épée de la France dans ses asseins ne le permettra pas et confondra leurs rojets fratricides.
« Adieu f Mexicains! Je pars plein de confiance :j;:.s l'avenir de votre beau pays, pour le XDheur duquel je ne cesserai de faire des vœux, l^ureux et fier d'avoir mis la main à la grande IJuvre de sa régénération, que la Providence, par 1-lle de l'Empereur Napoléon, mène à b'onfîe fin.
« Unissez-vous donc dans un même sentiment, lélui delà concorde. C'est la prière que, du navire
qui va me ramener en France, je vous adresserai e jetant un dernier regard sur cette terre du Mexiqu arrosée par le sang de nos meilleurs soldats. Puis t-il la fertiliser et y faire fleurir enfin la paix, l'ot dre et la vraie liberté, après lesquels vous cour depuis si longtemps sans en avoir encore attei que l'ombre. « FOREY. »
Départ du maréchal Forey i
10 octobre. —Le général Bazaine rendcompteaii maréchal ministre de la guerre de sa mise à l'ordrt du jour, à la date du 1er octobre, comme commanJ danten chef le corps expéditionnaire, et du départ d Mexico, le A du même mois, du maréchal Forey, s rendant à Vera-Cruz pour s'embarquer, le 20, suj la frégate le Panama qui doit le ramener en Francei A son passage à Puebla, le maréchal Forey accordé des décorations à des militaires blessés qui se trouvaient encore dans les hôpitaux de cette place. Il a également accordé la croix de la Légior d'honneur à un Indien nommé Medel, chef de ls garde civile de Tépeji, qui a tenu une conduite héroï; que en se défendant avec trente hommes dans cette ville, depuis huit heures du matin jusqu'à la nuitj FIN DU LIVRE PREMIER J
LIVRE Il
LA CAMPAGNE M L'INTÉRIEUR
LIVRE II
LA CAMPAGNE DE L'INTERIEUR
Les adieux
20 octobre. — Nous étions trop heureux, ma chère Incarnacion. — Te rappelles-tu comme tu as ri, le soir où je t'ai appelée Iiitervention ? - Il faut partir, le cruel devoir qui a pris le chapeau du général Bazaine, le commande. Mon cheval est là. Ce pauvre Ali, il connaissait si bien ta porte, lui qui se croit obligé toujours de caracoler quand il passe sous ton balcon.
En route !
25 octobre. — Le général Bazaine se met en route avec douze bataillons de cinq cents hommes, six escadrons de cent chevaux, l'artillerie et le génie nécessaires à cette colonne pour aller attaquer l'armée mexicaine qui se concentre de Querétaro à San-Juan del Rio.
Coup d'mil en arrière
Avant de nous porter en avant, jetons un coup d'œil sur la position que nous laissons derrière nous, c'est-à-dire de Vera-Cruz à Mexico.
Les bandes de guerilleros se réorganisent dans les Terres-Chaudes depuis le retour de la belle saison. Le 2 octobre, une de ces -bandes, partie de Jalapa, avait tenté d'enlever le convoi du chemin de fer entre Vera-Cruz et la Téjéria, mais elle fut repoussée par l'escorte composée de dix - sept hommes. Par une fatalité malheureuse, dans ce convoi se trouvaient comme voyageurs : le commandant Ligier, du régiment étranger, qui a été tué: le lieutenant Sehour, du génie indigène de la Guadeloupe; M. Lyons, directeur du chemin de
fer, et l'abbé Savelli, curé de la Soledad, qui ont été blessés.
Le général en chef, pour pacifier cette contrée et désorganiser les bandes, vient d'ordonner l'occupation immédiate de Jalapa et de Puente Nacional.
L'attaque du 2 octobre n'a diminué en rien la confiance des travailleurs du chemin de fer. Cette lutte opiniâtre, où dix-sept hommes en ont fait reculer deux cents, leur a prouvé au contraire qu'on ne compte pas en vain sur la protection de nos troupes.
Dans leur admiration pour ce combat, ils ont même offert un sabre d'honneur au lieutenant Sehour.
Pour activer les travaux du chemin de fer, le général en chef fait diriger sur la Soledad sept cents prisonniers qui étaient restés à Puebla.
La ligne télégraphique va être rétablie de la Vera-Cruz à la Soledad et de là à Puebla.
(Création de la contre-guérilla
Pendant que le général en chef se porte en avant avec une colonne choisie en hommes et en chevaux, que Puebla et Mexico sont occupées par des garnisons françaises, on organise une nouvelle troupe pour courir le pays et combattre les guérillas mexicaines.
Pour bien comprendre l'idée qui a présidé à la
formation de la contre-guérilla, il faut savoir que depuis la prise de Puebla et l'occupation de Mexico, l'armée régulière de Juarez étant remontée vers le nord, il n'est resté en arrière de nous que des bandes irrégulières de 100 à 150 chevaux chacune, qui battent le pays dans tous les sens, rançonnant les habitants au nom de la liberté et arrêtant les diligences pour s'entretenir la main, Cet essaim de guêpes ne vaut pas la peine qu'on emploie un escadron régulier pour leur courir sus.
Du reste, il y a peu de cavalerie dans le corps expéditionnaire, et il faut la réserver pour les batailles rangées.
Le général Bazaine créa donc la contre-guérilla, et la mit aux ordres du colonel Dupin, qui avait déjà rendu des services analogues en Chine. Cette troupe, composée d'artillerie, d'infanterie et de cavalerie, se recrute ainsi : un certain nombre de volontaires de chaque régiment français, sous le commandement d'officiers de l'armée, forme un noyau autour duquel viennent se grouper .des en- gagés mexicains. j La contre-guérilla organisée à la légère, touche en argent ses vivres et son fourrage, au lieu de les recevoir en nature, ce qui la rend excessivement mobile et susceptible de se porter à la minute dans toutes les directions (1).
(1) Les services qu'a rendus la contre-guérilla, et son 1
10-15 novembre. — En attendant le mouvement général, l'escadron passe par Toluca et Istlahuaca, pour faire une petite tournée du côté de Témascaltepec, dans les pays les plus accidentés que j'aie encore vus. — Voici les premières mines d'argent.
-Nous passons dans des chemins impossibles, et nous ne rencontrons pas l'ombre d'un ennemi.
Nous rejoignons le général de Castagny.
Escarmouche de Maravatio
22 novembre. — En arrivant à Maravatio, le peloton d'avant-garde a bousculé une bande de cavaliers. Le chef s'était porté un peu en avant de la troupe, le revolver au poing, derrière un fossé assez large qui coupait le chemin. Mais il avait compté sans les jarrets des chevaux arabes. Le peloton franchit le fossé, le cheval de l'officiel' français tombe en sautant juste sur le flanc du cheval de l'officier mexicain et; culbute avec lui.
Tout cela tombe ensemble.
organisation ont été décrits, dans la Revue des DeuxMondes, par mon ancien camarade de régiment, M. de Kératry (aidé des notes de M. le colonel Dupin) d'une façon trop remarquable, pour qu'il soit nécessaire d'en reparler ici.
Le Mexicain seul ne se relève pas, le sabre du lieutenant de chasseurs d'Afrique lui était entré dans la poitrine jusqu'à la garde.
Son cheval fut pris et acheté, le lendemain à la vente de la razzia, par uii officier d'infanterie.
Ce malheureux bidet avait été tellement impressionné du choc de l'arabe, que son maître, assez mauvais cavalier, du reste, ne pouvait jamais le faire approcher, pendant la route, du cheval de notre camarade, qu'il reconnaissait parfaitement.
Commencement des opérations
Le général Bazaine, parti de Mexico le 18, nous rejoint à Acambaro et prend le commandement. ;
Voici les dernières nouvelles.
Le général Méjia, notre allié, s'est emparé sans résistance, le 8 octobre, de San-Juan del Rio.
Le 13, cette place a été occupée par le colonel Margueritte, avec un bataillon du 2e zouaves, six pelotons de cavalerie, et deux sections d'artillerie.
Il a été rejoint le 1 h par le général l'Hérillier, avec le 1er bataillon du -2e zouaves, un bataillon de chasseurs à pied, deux sections d'artillerie et un convoi d'administration.
Le 15, le général Douay y est arrivé avec le 99e et les parcs d'artillerie et du génie.
Méjia écrit au général Bazaine, à la date du 13 novembre, que les généraux juaristes Urraga, ElcTieagaray et G'Hilardi ont concentré leurs forces entre Opuseo et Celaya, abandonnant Querétaro.
Le général Douay occupe cette place avec toute sa division sans coup férir, et au milieu d'une réception enthousiaste de la population.
8 décembre.-Occupation de Guanajuato parles troupes françaises sous les ordres des généraux Douay et Méjia ; de Zamora par le général Berthier et la division Marguèz ; de Salamanca et de Léon.
La prise de ces dernières places entraîne nécessairement la chute de Guadalajara, la capitale de l'État de Jalisco, et la seconde ville du Mexique.
Le fait caractéristique de cette campagne, c'est la retraite perpétuelle des troupes juaristes, qui cèdent le terrain à nos soldats sans oser leur disputer aucune position, aucune ville.Les habitants continuent à accueillir l'armée franco-mexicaine avec de grandes démonstrations de joie, et l'on organise sur un grand nombre de points des milices bourgeoises chargées de maintenir l'ordre.
Quinze généraux de division (1) et quatre-vingts
(t) il y a au Mexique plus de généraux et colonels que de commandements.
généraux de brigade, deux cents colonels et de nombreux officiers de tout grade se sont ralliés au nouveau gouvernement.
Décembre et janvier. — Les colonnes rayonnent dans toutes les directions. Nous occupons tout le 1 centre du Mexique, et le général en chef combine avec une précision terrible ses mouvements. Cette rapidité d'opération à laquelle l'ennemi ne s'attendait pas, après les lenteurs sagement calculées du siège de Puebla, a désorganisé complètement, sur tous les points à la fois, la résistance. Depuis Vera-Cruz jusqu'à Guadalajara, Zacatécas et SanLuis, tout le pays est à nous, et toutes les autorités locales sont rétablies par les soins de la France.
Nous changeons de colonel
Le courrier de France nous apporte la nomination du colonel du Barail au grade de général de brigade, et celle de M. Margueritte, lieutenantcolonel du 12e de chasseurs, qui le remplace comme colonel.
Tout le régiment, officiers et soldats, regrette le colonel du Barail. Il avait parfois la main dure (style troupier), et nos hommes l'avaient baptisé la Panthère noire.
Mais quel brillant-soldat! quelle bravoure! et quel fond de bonté généreuse cachée sous cette brusquerie apparente.
Deux choses nous consolent de son départ : Il reste à notre tête comme commandant la cavalerie, et nous mènera encore au feu ; 1 De plus, son successeur, M. Margueritte, a une réputation à la Murât, justifiée par vingt actions d'éclat accomplies au grand jour et à la face de tous.
C'est de lui qu'à la quinzième citation à l'ordre du jour, le maréchal Forey disait : « Le colonel Margueritte, dont on ne sait plus en quels termes faire l'éloge..n Ces deux nominations, qui datent en France du 5 juillet, ne nous sont parvenues qu'aujourd'hui.
Nous avons passé ces deux mois sur les grandes routes, et toujours en courant.
Aussi je ne sais plus où j'en suis : marches de nuit, marches de jour. Je n'ai pas eu le courage de prendre une note. Tout est confus dans ma tête; je ne vois plus que des étapes, longues, longues, et, au bout de la route, des villes où l'on entre en triomphe et d'où l'on repart brusquement la nuit, pour courir après un ennemi qui fuit sans cesse.
Je vais, pour ne pas me tromper, copier littéralement le Moniteur:
RAPPORT OFFICIEL DE LA CAMPAGNE DE L'INTÉRIEUR.
« Le général Bazaine, arrivé le 16 décembre à Lagos, résolut de poursuivre rapidement Doblado qui se dirigeait sur Aguas-Calientes, et organisa une colonne légère avec deux jours de vivres.
Pendant qu'il était en marche, un chef de bande nommé Chavez, qui occupait le pays de Lagos j depuis trois ans, est venu se mettre sous ses ordres avec 500 cavaliers. Le général en chef l'a dirigé à marche forcée sur Ledesma, où cet ancien chef juaristeest arrivé le 18 décembre, à h heures du soir, dépassant ainsi la colonne française, qui est arrivée à 5 heures vers Puerto, à trois lieues et demie en arrière de Ledesma.
« Le général Douay, qui s'était mis à la poursuite d'Uraga depuis l'affaire de Morelia, atteignit son arrière-garde à Zamora ; serré de près, le général mexicain n'a trouvé d'autres moyens d'empêcher son parc de munitions de tomber entre nos mains que de le livrer aux flammes.
« Arrivé à Ledesma dans la nuit du 18 au 19 décembre, le général Bazaine est parti le 20 pour Aguas-Calientes, où il espérait atteindre Doblado ; mais l'ennemi s'était dirigé dans la même journée sur Guadalajara ou sur Zacatécas, avec tout son matériel.
« Du 20 au 23, le général a fait d'inutiles elforts
pour rejoindre l'ennemi. L'armée juariste était en pleine retraite, dispersée et fuyant de tous côtés sans plan arrêté.
« le 5 janvier au matin, il est entré à Guadalajara sans coup férir ; l'ennemi n'a pas défendu les' deux positions de Puente Calderon et de Puente Grande; quelques coups de fusil tirés par nos auxiliaires ont suffi pour mettre en fuite une grandgarde de cavalerie qui a annoncé notre approche aux troupes juaristes ; elles ont immédiatement évacué la place.
« La population est animée de bons sentiments.
Le général Bazaine a procédé à l'organisation administrative du pays avant de rétrograder sur Mexico. L'armée ennemie, dispersée et désunie, éloignée de la capitale d'où elle ne peut plus tirer aucune ressource, s'est jetée dans les sierras (montagnes), ou s'est avancée vers le nord, dans les États les plus pauvres et les moins peuplés. Elle se fondra infailliblement dans un certain temps et ne pourra alors agir que comme guérilla.
« Les populations dépouillées par ces bandes, se sentant appuyées par l'armée française et par les troupes mexicaines bien armées maintenant par nos soins, auront facilement raison des restes de l'armée juariste.
« Le général Bazaine avait reçu, à la date du 30 décembre, des nouvelles du général Douay, qui - s'était mis à la poursuite du général Uraga, dont il
avait atteint l'un des convois. Le général Uraga a perdu, dans cette rencontre, un matériel considérable, destiné au forage des canons, au frappage de la monnaie, des lingots de cuivre, et 1 Zi3 mulets chargés d'avoine et de munitions.
« Le général en chef rend compte au maréchal ministre de la guerre que le général Douay, arrivé le 2 février à Aguas-Calientes, après avoir châtié la < ville de Téocalitche, qui a servi de refuge aux juaristes, en est parti le 3 pour Zacatécas, tandis que le général de Castagny, quittant Réal de los Angelos, prenait la même direction par le chemin de Blancas et de Troncoso.
« Tous les renseignements reçus annonçaient l'évacuation de Zacatécas par l'ennemi. Le 6, la ville fut occupée par les troupes de la première division, et le 7, le général de Castagny fit son entrée à la tête de la cavalerie. On y trouva dans la place quatre pièces de vingt-quatre et deux obusiers de siège.
« Le général repartit pour Frésnillo, où il arriva le 9 février. Dans le voisinage de cette localité se trouvent des mines d'argent dont l'ex- i ploitation avait été interrompue par les événements de la guerre, mais elle va être reprise par > les compagnies qui en sont propriétaires, et le pro- duit en sera expédié sur Zacatécas, où se trouve un hôtel des monnaies.
« D'après les renseignements parvenus, le général
Ortéga était en retraite sur Durango; il ne lui était pas possible de se jeter dans l'Est, où il devait rencontrer le général Méjia. A San-Luis, le colonel Aymard fait connaître que Doblado est arrivé le 8 février à Monterey, avec 1,500 hommes environ, et que Juarez devait y arriver le 10, pour peu de temps seulement, Vidauri, le gouverneur de Nuevo Léon étant animé de dispositions peu favorables à sa cause.
« L'État de San-Luis de Potosi est tranquille et les relations avec Tampico sont rétablies.
« Une force juariste de 8 à 900 cavaliers s'est montrée dans les environs de Guadalajara ; elle a été promptement mise en fuite par une sortie combinée du colonel Garnier, qui commande dans cette place, et du général Miramon. Ce mouvement rapide de nos troupes a donné à la population la mesure de leur entrain, et a produit un excellent.
effet.
« Zamora est occupé par les tirailleurs algériens.
Le général Marquèz, qui commande à Morelia, s'est mis en route sur Pazacarra, où il est arrivé le 17 février. La marche de cette colonne a fait fuir toutes les bandes qui se trouvaient dans cette partie du pays.
a La route de Mexico vers l'intérieur était également inquiétée par des guerilleros ; le général en - chef a envoyé contre eux deux petites colonnes, sous les ordres du capitaine Delloye, commandant
la compagnie de volontaires de Mexico, et du chef de bataillon Franchessin, du 3e zouaves, qui ont parcouru le pays entre Huichapa, Ixmiquilpan, Tula et Tepéji : le lieutenant-colonel Cottret, du 62e, venant de Pachuca, a pris part à cette opération, qui a eu pour résultat de disperser les bandes.
« Les bruits les plus récents annoncent qu'Uraga est en retraite sur Zapothlan et Golima. Des lettres de cet officier général, saisies sur le navire le Francisco par la corvette la Cordelière, donnent des détails intéressants sur sa position; nous en extrayons quelques passages qui révèlent la pénurie des bandes juaristes : « Nous payons, écrit Uraga, la maladresse et la brutalité de nos hommes, qui paraissent s'être proposé de semer des difficultés sur le chemin de la défense de ce pauvre pays; les approvisionnements sont épuisés, l'esprit public perdu. Celui qui n'est pas traître est égoïste, et les populations nous repoussent comme une charge. J'ai besoin d'armes, de couvertures ; j'ai encore 3,000 hommes, mais sans chevaux, et avec un armement mauvais et irrégulier. »
Prise de G'Hilardi
Une dépêche du 17 février, reçue du général de Castagny, qui se trouvait à Colotlan, au sud de l'État de Zacatécas, rend compte d'une opération faite par ses ordres.
Ayant appris qu'Ortéga s'était rabattu au sud sur Jérèz, avec 2,000 hommes et quelques pièces d'artillerie, il le poursuivit avec une colonne légère composée du 20e bataillon de chasseurs, quatre compagnies d'élite du 95e, deux sections de montagnes, le 4e escadron du 3e chasseurs d'Afrique et 80 chevaux de Chavez. A l'hacienda de Mal - Paso , 300 cavaliers mexicains prévenus à temps purent prendre la fuite. Le là, .la colonne trouva Villanueva évacuée ; le 15, le général de Castagny, après une marche dans des chemins difficiles, atteignit, à quatre heures du soir, l'hacienda de Huagasco et y apprit qu'il y avait encore à Colotlan 300 hommes et trois pièces de montagne, sous le commandement du général Fernandez.
Le commandant Lepage de Lonchamps, avec le 20e bataillon de chasseurs à pied, 100 chasseurs d'Afrique, 5 sapeurs du génie et 60 chevaux alliés aux ordres du colonel mexicain Mênas, fut chargé de les poursuivre. Il partit à 10 heures du soir et arriva au point du jour à Colotlan. Signalé par un
avant-poste ennemi; il redoubla de vitesse; sa cavalerie cerna les issues de la ville, et l'infanterie arrivant au pas gymnastique, enleva aux juaristes tout moyen de résistance. En une heure, tout était terminé.. Une partie de la cavalerie ennemie et le général Fernandez sont parvenus à s'échapper.
Nous avons pris six officiers, parmi lesquels le colonel réfugié Gonzalès, commandant en second la ligne nord de l'État de Jalisco ; le général G'Hilardi, Italien garibaldien, qui a combattu contre nous à Rome, celui-là même qui, pendant le siège de Puebla, s'était emparé par trahison de la personne de M. Tulpin ; le lieutenant-colonel Pedro Landoca, chef d'état-major, et deux aides de camp du général Fernandez ; en outre, 70 prisonniers, des armes, deux obusiers, des munitions.
Dans l'est du Michoacan, la soumission du colonel Elisondo a amené celle de toute la portion orientale de l'État.
Les États de Guanajuato, Querétaro, Mexico, Puebla, jouissent d'une tranquillité complète, sauf les déprédations de quelques chefs de bandes, sans importance, dont nos colonnes mobiles, aidées par les gardes municipales et les compagnies auxiliaires du général Marquèz auront bientôt raison.
Dans l'État de Vera-Cruz, du côté de Jalapa et de Pérote, un chef de bande, Marco Héredia, a tenté de réunir les dissidents et les bandits des Terres-Chaudes, sur un point voisin de Huas-
tusco. Le commandant d Ornano, avec deux compagnies du bataillon d'Afrique, les a dispersés en leur faisant éprouver une perte de 100 hommes tués .dont 5 officiers et 200 prisonniers.
Mouvements du général Douay
Une autre série d'opérations avait lieu en même temps dans une autre direction.
Le général Douay, suivant ses instructions, laissait à Zamora son artillerie roulante et ses voitures sous la garde du 18e bataillon de chasseurs à pied, aûn d'alléger sa colonne, et partait, le 27 décembre, avec le 2e zouaves, le 1er bataillon de chasseurs, les tirailleurs algériens, une section du génie, une demi-batterie de montagne, trois escadrons du 2e régiment de marche et quinze jours de vivres. Le lendemain 28, il arrivait à Reyes, à 15 lieues de Zamora, qui avait été évacué le matin même par Uraga. Là, le général Douay apprit qu'Uraga avait fait d'Uruapan un grand dépôt de munitions, qu'il y avait installé ses ateliers de construction et de confection et qu'il avait relié ce point avec les villes principales de l'État par des routes praticables aux transports - du pays et à l'artillerie de campagne. Uraga
avait commencé a diriger tout son matériel sur Coalcomon et s'était placé à Reyes, afin de couvrir cette évacuation et d'activer la marche de ses convois. L'arrivée soudaine des Français jeta beaucoup de désordre dans cette opération.
Le 29, le général Douay se porta à 12 kilomètres de Reyes, et la ligne des convois se trouva ainsi coupée. Sa colonne, composée de trois bataillons d'infanterie sans sacs, de la cavalerie et d'une demibatterie de montagne, rencontra un matériel considérable, un outillage important pour fondre et forer les canons, une machine pour frapper la monnaie, plus de soixante quintaux de cuivre en lingots et en lames, des outils de toute espèce et des munitions de guerre.
Le général Douay, averti qu'un convoi de mulets était parti la veille dans la direction de Tepalcatepec, lança à sa poursuite toute la cavalerie commandée par le colonel Margueritte, qui atteignit le convoi après une marche de neuf lieues, dispersa l'escorte et enleva 1A8 mulets chargés de matériel et de munitions de guerre.
Le 30, le colonel reprit le chemin d'Uruapan, marchant en sens inverse de l'ennemi. A mesure qu'elle avançait, les renseignements sur Uraga devenaient plus précis; à la nouvelle de l'apparition de nos troupes, l'ennemi avait enfoui ou jeté dans les1 ravins tout ce qu'il escortait, pour fuir avec plus de rapidité. Au village de Sirosto, on
sut qu'uné batterie de 9 pièces arrivée la veille avait subitement rétrogradé et que le village de San-Juan de las Colchas était encore occupé par un parti de cavaliers j uaristes. Legénéral Douay fit alors accélérer l'allure à son avant-garde et prit des dispositions pour envelopper San Juan; mais l'ennemi n'attendit pas et s'enfuit en apercevant la tête de la colonne. La cavalerie, lancée à sa poursuite, changea la retraite en une déroute désordonnée, et le lendemain, 1er janvier, à 10 kilomètres d'Uruapan, on trouva dans un champ, au milieu d'un foyer brûlant encore, 9 bouches à feu rayées, des débris d'affûts, de roues et de caissons ; c'était la batterie signalée la veille à Sirosto, que ses conducteurs avaient abandonnée après avoir incendié les affûts.
186A
2 janvier. -La marche sur Uruapan fut reprise ; mais l'ennemi avait fui en désordre par le chemin de Tautan et d'Ario, où la cavalerie put encore ramasser une dizaine de chariots.
h janvier.-Après avoir dirigé sur Zamora, sous la conduite d'un bataillon d'infanterie, les 9 pièces retrouvées, le général Douay prit lui-même cette route. De Zamora il se porta sur la Barca, où il resta jusqu'au 10. Là il reçut du général en
chef l'ordre de prendre la direction générale des opérations dans le Nord et de porter son quartier général à Lagos, où il arriva le 18, ayant avec lui ses escadrons, le 3e de zouaves, la batterie de campagne et à pièces de siège, laissant le bataillon de tirailleurs pour occuper provisoirement Zamora et la Piedad.
Défense de San-Luis de Potosi par' le général Méjia
A San-Luis de Potosi, le général Méjia, attaqué le 27 décembre dernier par Negrete, avec 5,000 hommes et 9 pièces d'artillerie, a remporté un très-brillant succès.
Prévenu à quatre heures du. matin par une reconnaissance, que l'ennemi s'avançait avec des forces supérieures, il fit occuper par son infanterie quelques édifices dont la position permettait de croiser les feux à une grande distance, et il se couvrit à l'aide de barricades rapidement élevées.
Les forces juaristes s'avancèrent en trois colonnes. Une première fois elles furent repoussées après une lutte courte, mais sanglante ; dans une deuxième attaque, elles parvinrent jusqu'à la place d'armes, d'où elles furent bientôt délogées; ce fut leur dernier effort : une charge de cavalerie, four-
nie par différents corps dispersés dans les rues adjacentes, jeta le désordre dans les rangs. Nos alliés franchissant alors les parapets prirent à leur tour l'offensive et la déroute des juaristes devint générale. Ce succès a coûté à l'ennemi 843 prisonniers, dont 29 officiers, 1 drapeau, 6 pièces de h rayées, 2 pièces de 8, 1 obusier, 1,500 fusils, les parcs et les munitions. Il n'a pas été possible , de fixer le nombre des tués et des blessés, mais il est considérable.
Résultats de la campagne de l'Intérieur
Les populations acclament les troupes françaises partout où elles se présentent, et crient en les voyant : Vive l'Empereur, vive l'intervention. ! On ne parle plus de Juarez ni de son gouvernement ambulant; on ne sait plus en ce moment où ils sont* L'armée, sous les ordres de son nouveau général, a parcouru, soumis et organisé politiquement plus de quatre cents lieues de terrain en moins de quatre mois.
Arrivée du marquis de Montliolon ministre de France
Le général en chef est rentré à Mexico. Son retour concorde avec l'arrivée de M. le marquis de Montholon, ministre de France au Mexique; il assiste au Te Deum, chanté à la cathédrale, pour célébrer l'acceptation définitive de Maximilien.
Los Hacenderos
L'escadron est bien loin de ce Mexico, où nous nous sommes tant amusés; nous avons vu d'autres villes. Mexico n'est pas, à vrai dire, une ville mexicaine : la présence et le contact des étrangers y a donné aux habitants une physionomie plus européenne.
Nous avons vu San-Luis, pays des chevaux; Zacatécas, pays des mines; Guadalajara, pays des jolies filles. Nous avons habité ces magnifiques haciendas (fermes) qui sont de petits royaumes, où le propriétaire est maître, après Dieu - et les voleurs.
Les hacenderos (propriétaires) protestent quand on leur dit que leurs péons sont esclaves. En réalité, ce n'est pas précisément l'esclavage de la race
nègre, mais c'est tout à fait le servage de la féodalité. Voici le procédé généralement adopté pour maintenir les péons dans la dépendance, et surtout pour les faire travailler gratis ; le majordome paye bien tous les samedis la raia à ses travailleurs ; mais comme l' hacienda est souvent à vingt lieues de toute communication, le propriétaire tient à son compte une tienda (boutique), le seul endroit où ses Indiens peuvent trouver toutes les choses indispensables à la vie. En ayant soin de ne gagner que trois cents pour cent, l'argent payé le samedi rentre bien vite à la caisse pour les achats du dimanche. Puis, pour attacher le péon à la glèbe, on a recours à l'intervention du padre (chapelain) de l'hacienda. Comme au Mexique, l'Église ne vous laisse jamais naître, mourir et marier qu'à des prix insensés; il en résulte que chacun des péons a une dette flottante avec l'administrateur, qui lui avance pour les frais du culte, dette qu'il ne pourra jamais liquider-seul héritage qu'il laissera à ses enfants.
I-ia saison des pluies
FévrÙw, mars, avril. — Nous passons la saison des pluies à Zacatécas.
Cette époque est tous les ans un repos pour les
deux parties belligérantes. L'état des chemins arrête les grandes opérations.
La saison des pluies, sous les tropiques, commence en mars et finit aux premiers jours de juin.
Elle est en quelque sorte l'hiver de ces pays. A la Martinique et dans les Antilles, elle prend même le nom d'hivernage.
Nous n'aurons que des escarmouches à droite et à gauche, dans un rayon très-restreint. Ce n'est qu'au mois de juillet que vont commencer les grands mouvements.
En un mot, nous sommes jusqu'à nouvel ordre en garnison à Zacatécas. - Les militaires me comprendront.
Néanmoins, pour nous entretenir la main et n'en pas perdre l'habitude, nous rayonnons un peu dans toutes les directions autour de la ville, pour atteindre des partis de cavalerie qui battent la campagne plutôt en maraudeurs qu'en soldats.
Ces petites sorties faites à la légère réussissent presque toutes. Nous prenons successivement une série de chefs de bandes qui étaient la terreur du pays.
Ces chasses aux brigands nous rapportent d'assez jolies parts de prise. Les voleurs sont toujours riches, et nous ne faisons que leur reprendre ce qu'ils ont volé. Le diable en rit.
Prise et exécution du bandit Chiavès
Un peloton- de l'escadron monte à cheval par alerte, pour aller avec une compagnie de chasseurs à pied (capitaine Crainviller) au secours de T hacienda de Mal-Paso, à huit lieues de Zacatécas, que l'on dit attaquée par la bande de Chiavès, l'exgouverneur d'Aguas;Calientes (1).
A l'annonce dé l'arrivée des Français, les voleurs se retirent. Maisi quel tableau ils nous ont laissé !
Les péons de'l'hacienda s'étaient retirés derrière les murs pour se défendre ; une partie des femmes et des enfants, oubliés dans les cases en dehors de l'enceinte, se trouvaient séparés de leurs maris et de leurs pères. Les bourreaux ont eu l'infamie de les mettre devant eux pour s'en servir comme d'un rempart vivant.
Les chasseurs d'Afrique arrivent au galop, les bandits s'enfuient, et nous trouvons sept femmes et trois enfants étendus sur le champ de bataille.
Nos hommes, indignés, avaient soif du sang de ces misérables. Les parents des victimes, guidés par la vengeance, eurent bientôt trouvé la piste de la. bande. Deux heures après, nous. savions qu'ils étaient allés se coucher à Jérèz, petite ville à trois
(1) Ne pas confondre Chiavès avec Chavez, notre allié et ennemi personnel du premier.
lieues de Mal-Paso, et qu'ils y passeraient la nuit en orgies.
Le capitaine Grainviller n'hésite pas. A minuit, il repart; à quatre heures du matin, la bande entière, composée de 130 hommes, est prisonnière avec Chiavès, son digne chef.
La cour martiale vient de juger Chiavès. Cet atroce assassin a une figure vénérable, soixante-dix ans, des cheveux blancs, et un sourire plein de mansuétude. Ses soldats sont condamnés aux travaux publics, mais tout ce qui est gradé, jusqu'aux caporaux inclusivement, subira la peine capitale.
Je viens d'être désigné pour conduire les condamnés à Mal-Paso, car le général en chef a décidé qu'ils seraient fusillés là où leur crime avait été commis. Ils sont trente-cinq. Le fils de Chiavès accompagne son père en pleurant. A voir cette scène de famille et leurs adieux déchirants, ce vieillard à l'air résigné qui se pose en martyr, on serait ému, si l'on n'était à l'endroit même où ce misérable égorgeait les femmes et les enfants.
Roméro et Rojas
Nous recevons une triste nouvelle.
La diligence emportait à Mexico six Français et
deux officiers suédois qui, aprèsavoir servi notre drapeau avec distinction, retournaient en Europe avec l'interprète du général Bazaine. A Arroyo-Zarco, elle est attaquée par Romero à la tête de quatre cents hommes. Le combat a duré six heures ; nos soldats, barricadés dans la voiture comme dans un fort, n'ont cessé leur feu que quand le dernier d'eux est tombé criblé de blessures sur le corps des autres.
La nuit venue, et les bandits retirés, des Indiens s'approchèrent timidement des cadavres dépouillés et trouvèrent l'interprète et un des officiers suédois respirant encore.
Ils vivront.
Pour en finir avec ces bandes, le général en chef forme des compagnies franches qui battent le pays, se portant sur les traces de chaque guérilla, suivant l'inspiration de leur capitaine. On obtient les meilleurs résultats de cette organisation. Tous les principaux chefs ont été arrêtés. Romero, prisonnier, va expier à Mexico ses crimes d'ArroyoZarco. On détruit en même temps la bande du fameux Rojas.
C'était un bonhomme assez réussi que ce Rojas.
Voici quelle était sa manière de procéder : Il envoyait à un tiacendero une réquisition pour une somme quelconque, toujours au nom de la patrie expirante. Si la somme n'était pas complète au jour dity il faisait amener son banquier involontaire, et d'un coup de pouce, lui faisait sauter l'œil droit; au
deuxième refus de payement, c'était l'œil gauche; à la troisième traite protestée, il le pendait.
Le capitaine Berthelin l'atteignit avec sa compagnie et le pendit à son tour pour lui démontrer cet axiome de géométrie : « La réciproque est également vraie. »
Toute cette période de la campagne est presque exclusivement remplie parles compagnies franches.
Les troupes régulières occupent les grands centres, s'installent, se reposent un peu des fatigues de cette guerre, où l'on a franchi sans s'arrêter des distances inouïes jusque-là dans l'art militaire.
Juarez est loin, bien loin, à Chihahua avec son fantôme de gouvernement. Il n'y a près de nous que des bandits qui couvrent la plaine et ravagent le pays en déshonorant le beau nom de liberté. On leur oppose des contre-guérillas et des compagnies de volontaires qui sont organisées suivant la nature du pays qu'elles occupent.
Les zouaves à ululet
La plus curieuse organisation est celle de la compagnie de zouaves d'Arroyo-Zarco.
Arroyo-Zarco est une clef de route. De quatre côtés différents du Mexique, on passe par ce point
pour se rendre à Mexico et à Vera-Cruz. Aussi cet endroit a été le théâtre de maintes attaques contre les voyageurs. Il fallait donc l'occuper avec une force. assez mobile pour pouvoir se porter à vingt lieues à la ronde avec rapidité.
Y mettre de la cavalerie, il n'y fallait pas songer; nous n'en avons pas assez pour les besoins de la grande guerre. L'infanterie, d'un autre côté, ne pouvait jamais atteindre ces guérillas à cheval qui se tenaient toujours à distance de ses baïonnettes.
Le général Bazaine eut bientôt trouvé l'expédient : il créa les zouaves à mulet.
Je viens de passer par Arroyo-Zarco; j'ai vu de mes yeux vu les zouaves et leurs mulets. J'ai tout de suite pensé au régiment des dromadaires que Bonaparte avait organisé en Egypte.
C'est la même idée qui a présidé à cette formation. Il fallait trouver un moyen de faire faire promptement une longue traite à une troupe d'infanterie, tout en la laissant arriver assez fraîche et assez reposée pour pouvoir se jeter à pied dans la montagne et y faire le coup de fusil.
A présent, quand le poste d'Arroyo-Zarco est [prévenu par les habitants d'alentour, qui y ont t tout intérêt, que l'on a vu rôder aux environs un [parti de cavaliers qui, embusqués dans un chemin ) creux, attendent en vrais forbans l'occasion de quel) que riche capture, on sonne le boute-selle comme ) dans un escadron de cavalerie ; les zouaves grim-
pent sur leurs agiles petites mules, et s'en vont d l'amble avec un train de deux lieues à l'heure, sa" au dos et le fusil en bandoulière, tomber sur dfilllli cavaliers qui se croient en sûreté à une journée d.
marche de l'infanterie ordinaire, i A une demi-lieue de l'endroit où la présence de l'ennemi a été signalée, on met pied à terre, unfll section garde les mules et les sacs, pendant que le, restant prend le pas gymnastique pour sonner, à coups de baïonnette, le réveil aux bandits en, dormis.
Nos braves zous-zous s'amusent comme des collégiens de ce nouveau genre de cavalcade et goûtent.
fort cette façon d'aller au feu. Les Parisiens de la* compagnie disent que cela leur rappelle les âneai de Mémorency. On se dispute à qui fera partie de cette infanterie à quatre pattes, comme ils s'intitulent, et les cadres de la compagnie à mulets sony toujours pleins, bien que les balles de l'ennemi jd fassent de nombreuses vacances. On s'inscrit d' vance, et nos zouaves qui ont de la littérature a pellent cela postuler un fauteuil à Académie.
Chacun soigne sa mule avec l'amour classique du cavalier pour sa monture, lui donne un peti nom aimé et la pare de pompons, de verroteries.
de clinquant, avec le goût fantaisiste qui caractérise MM. les zouaves. i C'est un curieux spectacle, je vous'jure, que d voir passer dans la poussière cette bande de joyeu
i diables sur leurs montures aux longues oreilles : 1 Celui-ci, se croyant un cavalier sérieux, se tient L raide et gourmé comme un tambour-major défilant la parade; celui-là est assis de côté comme les femmes; cet autre se juche, les jambes pendantes sur la croupe, comme un ânier arabe. Tout cela marche au feu en riant, en chantant, supputant d'avance le butin qu'ils vont reprendre aux voleurs.
Les mules alertes s'en vont trottinant d'un air mutin, secouant leurs panaches et leurs grelots et se fouettant les flancs de leur queue rasée. Le cliquetis du sabre-baïonnette à fourreau d'acier les excite ; elles couchent en arrière leurs longues oreilles, ou les proj ettent en avant quand elles aperçoivent sur la route quelque chose d'anormal.
Pleines d'émulation, elles s'animent entre elles, et leurs cavaliers assez novices ont beaucoup de peine à leur faire garder l'ordre de bataille réglementaire. Des chutes fréquentes et peu dangereuses égayent la colonne. Quand un zouave pique une tête, la mule s'arrête d'un air étonné et regarde son maître se relever au milieu des quolibets de ses camarades, et secouer en jurant la poussière dont il est couvert.
Cependant la colonne marche toujours un bon pas et, pendant le temps que met notre maladroit à se bisser en selle, les autres mules. ont gagné du terrain. Sa monture s'impatiente, se traverse. A
peine le zouave est-il monté qu'elle repart hua galop frénétique pour rattraper les autres ; non cavalier improvisé rejoint la compagnie raccroc4 aux crins, à la selle, à la queue, partout où il trouve un point d'appui :
« Comme c'est heureux tout de même, disail l'un d'eux, que la nature ait donné des crins à cesl animaux. »
La première moitié de la route n'est qu'un éclai de rire général, et qu'une chanson aux mille couplets interminables ; mais le clairon sonne halte, l'on met pied à terre, on rajuste tout ce qu'a dérangé l'allure irrégulière des mules. Le capitaine fait un signe, les visages deviennent sérieux, les pipes s'éteignent, les mules sont attachées les unes aux autres ; un petit claquement sec annonce qu'on a inis lè terrible sabre-baïonnette au bout du canon. On part à pied cette fois et en silence; peu à peu le pas s'accélère, le clairon sonne la charge.
la compagnie a pris le pas gymnastique, marchant sur trois à quatre colonnes pour tourner la position.
Au bout d'un quart d'heure, la bande de bri— gands est détruite. - On ne ramène pas de prisonniers.
15 mai. - Nous partons en hâte de Zacatécas pour San-Luis de Potosi, afin de rejoindre le colonel Aymrd, chargé d'appuyer le général Méjia attaqué par toute l'armée de Doblado.
[ 1(5 mai. — Nous avons manqué le train.
Le général est déjà parti quand nous arrivons.
La bataille de Matéhuala a été gagnée sans nous.
, « Pends-toi, brave Grillon ! »
: 17 mai. — Nouvelle de la déroute complète de Doblado à Matéhuala. Les forces combinées du olonel Aymard et du général Méjia lui ont fait près d'un millier de prisonniers et enlevé 18 pièces d'artillerie avec tous ses bagages.
; Le reste de l'armée de Doblado, qui se composait de 6,000 hommes, a été mis en déroute complète. La division Méjia et les troupes françaises du colonel Aymard se trouvaient à Cédrat et à Matéhuala; c'est Doblado lui-même qui, à la tête de 6,000 hommes, avait attaqué la division de Méjia à Matéhuala, dans la matinée du 17. Méjia, qui savait les intentions de Doblado, les avait communiquées au colonel Aymard, lequel se transporta à marches doubles de Laguna-Seca où il se trouvait. Il arriva à Matéhuala quelques minutes après que l'affaire s'était engagée par une vigoureuse canonnade. Les soldats français chargèrent avec impétuosité le flanc gauche de Dublado, Les troupes de Méjia, encouragées par cet élan, coururent sur l'ennemi, qui fut mis en complète déroute.
« Les chasseurs d'Afrique et les dragons de Méjia poursuivirent les Juaristcs jusqu'à une distance de quatre lieues.
1
L'opération défensive de Matéhuala fait le plus] grand honneur au général Méjiaet au colonel barorj Aymard. La division mexicaine a eu 32 hommes tués et 92 blessés. On a relevé 39 morts et 35 bles-; sés de l'ennemi, à qui l'on a fait J ,210 prisonniers, entre autres deux généraux et 37 officiers. On lui a pris un drapeau, 36 canons de bronze de 8, onze obusiers de 12 et de 24, et une quantité considérable de munitions de guerre. Les Juaristes réuniront difficilement un matériel aussi considérable que celui qu'ils avaient à Matéhuala. On dit que Dobla- do, avec les débris de son armée, était en fuite par la vallée de la Purissima dans la direction de Saltillo. Il avait fait rétrograder un renfort de 800 hommes et quelques pièces d'artillerie que lu.
amenait Negrette et qu'il a ramenés au Rio-Salado.
Les Juaristes ont été battus dans d'autres rencontres. Les adhésions des différentes villes du Mexique continuent à être nombreuses.
La bataille de Matéhuala a rejeté l'ennemi bien loin de nous. Nous nous reposons quelque temps à San-Luis de Potosi. Franchement je n'en suis pas fâché.
Tout le monde a un peu besoin de ce temps d'arrêt. On réparera les harnachements, les armes, les .vêtements, car tout s'use en guerre.
L'on ne tient pas impunément la campagne : nos chevaux surtout sont bien fatigués. Quelques-una sont complètement usés, il faut absolument les ré-
former. Nous en avons perdu aussi, un certain nDmbre par le feu. Il nous faut en acheter d'autres, et des comités de remonte sont installés partout.
Une remonte au Mexique
A San Luis, pays de chevaux par excellence, un des principaux dépôts est organisé. Je fais partie de la commission, à laquelle il vient d'arriver une aventure bizarre que je rapporte ici, parce qu'elle peint assez 'dans ses détails deux types mexicains différents : le propriétaire qui travaille, et l'homme qui passe sa vie à rançonner le travailleur.
On ne nous présentait plus assez de chevaux à la remonte de San Luis de Potosi, nous avions acheté à peu près tout ce qu'il y avait de possible dans la ville et aux environs ; cependant nous étions loin d'avoir autant d'animaux qu'il nous en fallait pour les besoins de l'armée. Un vieil Espagnol, chez lequel j'étais logé, me tira d'embarras.
«Vous devriez, me dit-il, aller à l'hacienda de Guanamé, à quarante lieues d'ici ; vous y trouverez un magnifique choix de chevaux et vous les [payerez beaucoup moins cher que dans la ville, surtout si vous les achetez broncos, c'est-à-dire ibruts, sans être dressés. »
Pour bien. comprendre cette différence de pri4 il est indispensable de savoir qu'au Mexique la vûq leur d'un cheval n'est pas précisément dans sa n~ ture, mais plutôt dans son dressage. Le cheval na coûte pour ainsi dire rien à faire et à élever dans.
les haciendas où le troupeau de chevaux vivant en.
liberté se reproduit et s'élève sans qu'on s'occupe de lui autrement que pour y prendre les plus beaux produits au fur et à mesure des besoins. Le dressage, au contraire, y est long et coûte fort cher.
Un bon picador (dresseur) ne prend pas moins -de.
dix piastres (cinquante francs) par mois et par cheval.
Si donc nous allions acheter à l}h"acienda les chevaux à l'état sauvage, nous devrions trouverdes différences de prix énormes.
Le projet fut soumis au commandant supérieur qui l'approuva. Le èomité de remonte se mit en route avec un peloton de chasseurs d'Afrique destiné à ramener les nouveaux chevaux — et à nous défendre, au besoin.
ïJhacienda de Guanamé, qui est célèbre dans, tout le Mexique par son élevage de chevaux, doit la supériorité de ses chevaux à quelques étalons arabes et anglais que le père du propriétaire actuel a eu l'intelligence de mettre dans son haras, contrairement aux idées et aux habitudes routinière de son pays. i Ces chevaux, presque tous gris rouanne, ont plu
de taille que la plupart des chevaux mexicains : ils ont surtout une longue et souple encolure, ce qui manque en générât à la race du pays. Ils me rappelèrent nos chevaux de Tarbes.
Nous fûmes reçus avec un raffinement de politesse inconnu en France, et que les Mexicains tiennent de leurs ancêtres, les Castillans. On nous servit un splenditle ambigu, mélange de cuisine mexicaine et de conserves françaises. Nous y trouvâmes avec plaisir deux de nos amis de France, — Saint-Emiliàn cl veuve Clicquot.- que nous n'avions pas vus depuis longtemps.
Nous leur fîmes fête. La conversation, mélangée comme la cuisine de Français et d'Espagnol allait son train; les cigarettes de la Honradez et les puros légitimes de la Havane s'allumèrent : nous sortîmes en entendant venir la cavallada que les vaqueros étaient partis chercher dans la plaine.
Sous vîmes arriver à toute vitesse un troupeau de trois à quatre cents animaux, poursuivi dans un tourbillon de poussière par une vingtaine de péons à cheval, galopant autour de lui comme les chiens de berger autour des moutons.
Des cris, des jurons, des hennissements, des ruades, le sifflement des lacos, le claquement des fouets et une colonne de poussière montant jusqu'au ciel, furent tout ce qui nous frappa de prime abord dans cette masse confuse. Puis cela passa à fond
de train devant nous comme une vision et s'el gouffra dans l'enceinte du corral.
Un corral est une enceinte formée de palissades, où l'on enferme les troupeaux de bœufs, de mulaa et de chevaux, dès qu'on les fait rentrer de lal plaine pour un motif ou un besoin quelconque. H Au bout de cinq ou six minutes, la poussière ; tomba, le calme se fit, les chevaux se tranquilli-sèrent, et l'on put choisir de l'œil ceux qui -agl'ée raient le plus à la commission de remonte. Chaque * animal désigné, immédiatement lacé par "le cou, j arrivait, bon gré, mal gré, se soumettre à l'examen, 1 et s'il était accepté, on le mettait aussitôt dans un i autre corral pour former la nouvelle bande qui de- 1 vait partir avec nous. �
Nous en triâmes ainsi sur le volet une centaine ¡ des plus beaux, avec une moyenne de 80 piastres, c'est-à-dire ltOO fr. par tête. Les mèines J animaux dressés et amenés dans un centre, comme San Luis ou Mexico, auraient valu largement 200 à 250 piastres (de 1;000 à 1,200 f.). L'opération était donc bonne pour nous, et le propriétaire dfe Y hacienda, don José Florès, en paraissait enchanté de son côté. k*« Franchement, seuor, me disait-il, je ne suis pas fâché d'avoir traité avec la remonte française, car je redoutais chaque jour l'arrivée des libéraux, qui se remontent aussi dans ce moment, mai d'une façon plus économique que vous. Or il me sera
plus facile.de serrer vos piastres que de leur cacher nos chevaux dans la plaine.
— Valga me Dios! que voilà donc une parole bien -dite, et qui -fait honneur à votre expérience connue, compadre, interrompit la voix timbrée et harmonieuse d'un beau garçon de vingt-cinq à vingt-six ans qui venait de s'approcher de nous.
Le nouveau venu était magnifique : un teint mat, des dents admirables, de grands yeux noirs, une moustache soyeuse aux pointes retroussées, lui faisaient une tête de vignette sous les ailes de son large sombrero tout galonné d'or ; son cou rond se détachait sur le col rabattu d'une chemise de flanelle gris perle brodée en soie rouge. La veste, le gilet et le pantalon de velours noir étaient soutachés de broderies d'argent et la botonadura (garniture de cent vingt boutons) de son pantalon représentait une .série de petites têtes de mort en argent massif qui pouvait bien valoir 300 piastres (1,500 fr.). Ses calzonetas (jambières) étaient en peau de tigre, et les molettes de ses éperons damasquinés d'or et d'argent sonnaient à chaque pas.
Son mozo (domestique), tout habillé de cuir fauve, monté sur un vigoureux bidet alezan, pro menait en main un cheval d'un noir de jais, aux naseaux rouges et dilatés, qui bondissait par saccades chaque fois que les lourds étriers plaqués de la selle resplendissante d'argent lui battaient les flancs. Une peau de Puma (lion d'Amérique)
formait son vaquerillo (tapis de selle). La tête d lion reposait sur la croupe, la gueule béante tou née vers la queue, et les quatre pattes de la bête armées de griffes d'or flottaient le long des quatrejambes du cheval. « Mais présentez-moi donc à» ces messieurs, compadre 'lliio, dit-il à l'lwcendero, ou plutôt, tenez, je vais me présenter moi-même.
Senores, je vous présente votre serviteur dévou Manuel Torribios, soy todo de ustedès (je suis toutvôtre), et je suis heureux devoir ici ces fameux chasseurs d'Afrique qui ont fait tant parler d'eux au Mexique..
Puis, saluant circulairement le groupe des offi- = ciers de la commission, il offrit des cigarettes à la ronde.
- Qu' vez-vous donc, compadre de mi corazon, ajouta-t-if, en se tournant vers José Florès, est-ce que vous auriez la calentura (fièvre) ?
Nous regardâmes tous Yhacendero, qui, au lieu delà figure réjouie qu'il avait quelques minutes aupal'avant, était livide - son ventre majestueux paraissait inquiet.
- Non. non. en effet.la chaleur. peut-être bien, murmura-t-il en roulant de gros yeux effarés, et s'essuyant avec un large foulard des Indes d'énormes gouttes de sueur.
Il me prit ici une folle envie de rire, car le bonhomme me rappelait tout à fait Basile lorsqu'on veut à toute force l'envoyer se coucher, en lui per.
suadant qu'il a la fièvre. Pour compléter la situation, don Manuel Torribios continuait : - Cher ami, le soleil vous a un peu fatigué, vous allez gagner los frios, venez vous reposer un instant.
Et, lui saisissant le bras sans plus de façons, il l'entraîna, bon gré, mal gré, vers les bâtiments de l'hacienda. -
— fa vuelvo, je reviens, nous fit don Manuel en nous saluant de la main d'un petit air familier et tout à fait amical.
Nous nous regardâmes assez étonnés, nous n'avions plus devant nous que le majordome (premier intendant) Pépè Charco, un Indien au cou de taureau ayec des membres d'athlète, dont la figure bonasse exprimait la terreur la plus grande.
Le capitaine, président de la commission de remonte, ouvrait la bouche pour savoir ce que cela voulait dire.
Plus habitué que lui aux mœurs d'un pays où l'on ne peut jamais trouver la vérité qu'en feignant de ne pas la chercher, je lui fis un signe qu'il comprit. Il se tut, et nous continuâmes notre choix de chevaux sans avoir l'air de nous être aperçu de rien.
L'opération terminée, nous avions choisi cent et quelques chevaux que nous payâmes immédiatement à raison de quatre-vingt piastres en moyenne.
Nous rentrions à l'habitation pour prendre congé
de don José Florès, lorsque nous entendîmes un grand mouvement, des cris, des rires, des jurons; nos hommes couraient dans toutes les directions ; le cheval du maréchal des logis s'était détaché, courait çà et là, et, en sa qualité de cheval entier, voulait aussi faire un peu d'intervention avec les juments mexicaines.
Nous eûmes toutes les peines du monde à le - rattraper, et on l'attacha isolément dans la cour de l'hacienda. Je cherchai le maréchal des logis pour lui reprocher sa négligence ; je ne le trouvai pas.
Nous entrâmes dans le salon pour dire adieu à la famille, don José Florès était plus calme. Torribios paraissait radieux. On nous conduisit au comedor (salle à manger), où un bon refresco (goûter) était préparé.
J'étais assez préoccupé de ce Torribios, qui ne me paraissait pas un gaillard ordinaire. Je cherchais un moyen d'éclaircir certains soupçons qui me venaient — sans cependant manquer aux lois de prudence et d'humanité qui nous ont été prescrites dans toute la campagne -lorsque le maréchal des logis, entrouvrant la porte,.m'appela du geste.Vous voilà ! lui dis-je, où étiez-vous donc tout à l'heure quand votre cheval s'est lâché ?
- Mon lieutenant, j'étais dans le salon avec dona
Carmen, la fille de don José.
- Que diable faisiez-vous?
— J'apprenais la haÓanera, (danse havanaise), mon lieutenant. ,
— Ah!.., enfin. passons. Pourquoi n'êtesvous pas venu quand votre diable de cheval a fait tant de,tapage ?
— J'étais dans le comedor.
— En train de boire, après avoir dansé ?
—"Non, non ; en train d'écouter !
—r Qui ?
- Don Torribios et don José Florès.
- Que disaient-ils ?
- Eh bien, mon lieutenant, le senor Torribios est tout bonnement un colonel libéral qui est venu pour prendre les chevaux de l'hacienda comme réquisition, et qui, les voyant emmener par un peloton de chasseurs d'Afrique, a trouvé plus prudent de se faire donner par don José Florès l'argent de la remonte française en guise de don patriotique pour défendre la liberté !
— Pourquoi ne m'avoir pas prévenu de suite, m'écriai-je?
— Oh ! mon lieutenant, j'aurais compromis la senorita qui s'était enfermée dans le comedor avec moi, me dit le drôle en frisant sa moustache.
Je ne pus m'empêcher de rire. Alors il reprit : — Voyez-vous, mon lieutenant, j'ai pensé qu'il valait mieux attendre qu'il ait reçu l'argent pour - le pincer, et aussi que vous ne seriez pas fâché de prendre part à la bagarre.
Je lui serrai la main. Je l'envoyai chercher quatre hommes, et nous entrâmes brusquement dans le salon.
Torribios était au guet; je ne sais s'il lut mon intention sur ma figure, mais, souple comme un chat, il sauta par la fenêtre en lançant au hasard deux coups de revolver dans la salle.
Le ventre de José Florès s'aplatit jusqu'à terre, et le propriétaire de ce ventre resta immobile, la face au plancher, comme s'il eût reçu la décharge.
Torribios courait comme un cerf; il s'élança "sur ; le cheval du maréchal des logis qui était attaché dans la cour et disparut dans la poussière. Nous partons à sa poursuite, furieux d'être joués et de nous voir enlever un de nos meilleurs chevaux ; nous galopons, le voyant toujours à dis- tance, mais sans pouvoir le joindre.
Le maréchal des logis, qui avait sauté sur le che-l val d'un chasseur, sacrait comme un païen — se voir enlever son cheval par un homme qu'il aurait pu arrêter cinq minutes auparavant !
— Ah! nous ne l'aurons jamais, disait-il en soupirant, je connais trop mon pauvre Vol-au- Vent il n'y a pas quatre chevaux dans l'escadron pour le
suivre.
Effectivement, Torribios s'éloignait de plus en plus; il n'y avait que cinq ou six de mes meilleurs chevaux qui auraient pu soutenir ce galop effréné.
La nuit venait, et quel que fût mon désir de ravoir
Vol-au- Vent et de prendre Torribios, le devoir et la prudence devaient me faire craindre une embuscade.
J'allais donc, à mon grand regret, y renoncer, quand le trompette qui était à côté de moi prend son instrument et sonne le ralliement des tirailleurs.
Le brave Vol-au-Vent dresse l'oreille : il reconnaît la sonnerie, et, en dépit des efforts de Torribios, peu soucieux de la bride, fait un tête à queue et revient à toutes jambes se rallier à son peloton.
Le maréchal des logis était plus préoccupé de son cheval que de Torribios. Au lieu de songer à se servir de ses armes, il saute à terre : saisissant de la main gauche la bride de Vol-au-Vent, il empoigne de la droite la jambe du Mexicain et le désarçonne, s'élançant sur son cheval reconquis sans songer à faire Torribios prisonnier. Heureusement les chasseurs étaient là, et mon gaillard, ficelé comme un saucisson avec les cordes à fourrage, fut attaché en travers de la selle du cheval que montait le maréchal des logis pendant la poursuite.
Oncques ne vis homme aussi penaud que ce Torribios quand il se vit pris par le fait de Vol-au- Vent sur lequel il avait compté pour s'évader.
Il fut pendu haut et court ; le peloton se partagea la botonadura d'argent de son pantalon et la but en trois jours, qui rapportèrent à certains de ma connaissance, quinze autres de salle de police.
Mon maréchal des logis se pavana dans les rues San Luis sur Vol-au- Vent, qui est devenu un cheval historique chez les Mexicains.
Les Plateados
Un énorme convoi d'argent provenant des mines de Zacatécas et de Catorce arrive à San Luis. Nous partons pour l'escorter de San Luis à Quérétaro.
Que d'argent! Soixante et dix voitures, attelées de vingt-quatre mulets chacune, descendent ces richesses jusqu'à la Vera-Cruz où le steamer doit les apporter jusqu'à la vieille Europe. Ce convoi est énorme, parce que depuis longtemps les troubles avaient empêché de faire des conduites d'argent (cela s'appelle ainsi), et puis l'escorte française avait donné confiance à tout le monde.
Que de fois, en pareille occurrence, le chef mexicain avait fait sa fortune, ou bien n'avait pu défendre son convoi contre la bande des Plaieados.
Cette bande est une légende mexicaine. Pour en faire partie, il ne faut jamais voler moins de 4,000 piastres .(5,000 francs) à la fois.
Couverts d'argent ainsi que leurs chevaux, la richesse des vêtements de ces voleurs de grand ton, les a fait nommer Plateados, c'est-à-dire argentés.
Cette bande est du reste bien composée.
Il est même de bon goût pour un homme âgé et arrivé, de laisser supposer, tout en s'en défendant à demi, qu'il en a fait un peu partie dans son jeune temps, et les jeunes filles placent assez volontiers dans leurs rêves la silhouette d'un Plateado aussi galant que hardi.
On nous avait fait une description si brillante de la somptuosité de ces messieurs, que nos soldats, forcés de respecter l'argent des voitures, faisaient des vœux ardents pour être attaqués par des bandits aussi bien couverts. Malheureusement, aussi prudents qu'adroits, las Plateados se rappelèrent l'histoire du bonhomme qui, allant chercher de la laine, revint tondu, et nous laissèrent amener tranquillement notre convoi jusqu'à Quérétaro, où on lui donna une autre escorte pour descendre à Vera-Cruz tandis que nous prîmes garnison dans cette ville.
Les Nouveaux maîtres du Mexique
On lit dans les journaux du Mexique, à la date du 2h mai 186A : Après une longue mais très-heureuse traversée, LL. MM. l'empereur et l'impératrice du Mexique
sont arrivés en rade de Vera-Cruz à bord de laNovara dans la soirée du 28 mai.
Aussitôt après avoir reçu la visite du général Almonte nommé lieutenant général de l'empereur au moment où le conseil de régence a cessé d'exister, et qu'en cette qualité elles ont tenu de recevoir avant tout autre, leurs Majestés ont accueilli le soir même, à bord de la Novara, les fonctionnaires et le conseil municipal de Vera-Cruz.
Le lendemain "29, l'empereur Maxiinilien (i) et l'impératrice Charlotte ont débarqué au milieu d'une foule immense. Après avoir traversé la ville, pavoisée sur tout leur parcours de drapeaux de toute sorte, Leurs Majestés sont montées en chemin de fer pour ne s'arrêter qu'à la Solédad. De là elles ont continué leur-route pour Côrdovaoû elles sont heureusement arrivées au mileu de la nuit.
Le passage forcément rapide des nouveaux souverains du Mexique a laissé à Vera-Cruz une vive impression.
(1) L'archiduc Ferdinand-Joseph-Maximilien est né le 6 juillet 1832 ; il est frère de l'empereur Trançois-7oseph.
Il est vice-amiral, membre du conseil de l'amirauté, commandant de la marine autrichienne, propriétaire du régiment de lanciers autrichiens.n0 8 et chef du régiment prussien des dragons de Newmark n" 3.
Le 27 juillet 1857, l'archiduc Maximilien a épousé l'archiduchesse Marie-Charlotte-Amélie- Auguste-VictoireClémentine-Léopoldine, fille de Léopold Ier, roi des Belges.
Proclamation de Maximillen à son peuple
La-proclamation suivante adressée par l'Empereur Maximilien au peuple mexicain a été affichée et distribuée par ordre de Sa Majesté : « Mexicains !
«Vous m'avez appelé! Votre noble nation, par une majorité spontanée, m'a désigné à veiller dorénavant sur vos destinées! Je me rends avec joie à ce touchant appel.
« Quelque pénible qu'il m'ait été de dire adieu pour toujours à mon pays natal et aux miens, je l'ai fait, persuadé que par vous le Tout-Puissant m'a chargé d'une noble mission : celle de vouer toute ma force et mon cœur à un peuple qui, fatigué de combats et de luttes accablantes, désire sincèrement la paix et le bien-être, à un peuple qui, ayant glorieusement assuré son indépendance, veut aujourd'hui jouir des fruits de la civilisation et du vrai progrès. La confiance dont nous sommes animés, vous et moi, sera couronnée de succès, pourvu que nous restions toujours unis pour défendre courageusement les grands principes, seuls fondements vrais et durables des États modernes : l'administration d'inviolable et d'immuable justice, l'égalité devant la loi ; l'accès de toute carrière et
de toute position sociale ouvert à chacun; la complète liberté individuelle bien comprise, entrainant avec elle la protection de la personne et de la propriété; le plus grand développement possible des richesses nationales, l'amélioration de l'agriculture et'de l'industrie, l'établissement des voies de communications pour un commerce étendu; enfin, un libre essor du savoir dans toutes ses applications à l'intérêt public.
K La bénédiction du Seigneur et par elle le progrès et la liberté ne nous manqueront assurëment pas, si tous les partis, se laissant diriger par un gouvernement fort et honnête, s'unissent pour réaliser le but que je viens d'indiquer, -et si nous continuons à être animés du sentiment religieux par lequel notre belle patrie s'est toujours distinguée même dans les temps les plus malheureux.
« Le drapeau civilisateur de la France, élevé si haut par son noble Empereur à qui vous devez le rétablissement de l'ordre et de la paix, représente les mêmes principes. C'est ce que disait encore, il y a peu de mois, le chef de ses troupes, comme le précurseur d'une nouvelle ère de félicité.
« Tout pays qui a voulu avoir un avenir est devenu grand et fort en suivant cette voie. Unis, loyaux et fermes, Dieu nous donnera la force pour atteindre le degré de prospérité auquel nous aspirons.
« Mexicains! l'avenir de votre beau pays est entre
vos mains : quant à moi, je vous apporte de la bonne volonté, de la loyauté, et la ferme intention de. respecter vos lois, tout en les faisant respecter avec une autorité inébranlable.
« Unissons-nous pour atteindre le but commun, oublions les mauvais jours du passé, ensevelissons les haines des partis, et l'aurore de la paix et d'un bonheur mérité se lèvera radieuse sur le nouvel empire. »*
J'escorte l'Empereur
là août. — Çà! qu'on fourbisse mon sabre, qu'on nettoie mes étriers ; mettons notre spencer à manger le rôti. Je suis de service pour aller à San Juan del Rio, au devant de sa Majesté impériale et royale Maximilien Ier. Je regarde mon peloton. Il est superbe. Maximilien va, du reste, retrouver des figures de connaissance. Nous étions à Solférino.
Le Dîner du I" août
15 août. —L'empereur du Mexique vient d'avoir une idée touchante. Il a reçu à sa table, aujourd'hui
15 août, toutes les troupes françaises placées sur son passage à San Juan del Rio, depuis le général Mangin jusqu'au dernier troupier, disant qu'il savait qu'en France les soldats se réunissaient dans un banquet commun pour fêter la saint Napoléon, et qu'il voulait faire comme eux. — Cette soirée m'a vivement frappé.
SteepleaChease
29 août. — Sportsmen parisiens, saluez ! nous venons de courir un steeple-chease devant l'empereur du Mexique : douze haies, six fossés et une banquette irlandaise! Il y avait course de soldats, de brigadiers et de sous-officiers; enfin celle des officiers.
M. le capitaine Adam, du 3e chasseurs d'Afrique, est arrivé premier sur un cheval arabe de la province de Constantine; M. de Saint-Sauveur, souslieutenant au 3e zouaves, est second, avec un cheval mexicain d'Aguas-Calientes.
L'empereur Maximilien envoie au vainqueur un zarape (manteau mexicain) d'une valeur de 300 piastres ('1,500 fr).
Le Maximilien est un h omi-ne Le nouvel empereur du Mexique est un homme très-séduisant. Une grande simplicité de manières chez lui nkexclut pas la distinction. Affable, bienveillant, il s'entretient familièrement de tout et avec tous. Il possède à un très-haut degré le don des langues : il parle français comme un Parisien, et ne s'adresse aux Mexicains que dans l'espagnol lé plus pur. Croirait-on qu'il a eu le courage d'apprendre assez d'aztèque pour parler aux Indiens, accourus sur son passage, dans leur propre langue qu'ignorent même la plupart des Mexicains. - Il a surtout un tact inouï pour chercher à prendre immédiatement les allures de sa nouvelle patrie. Il ne monte à cheval qu'en uniforme de général ou bien habillé en cavalier mexicain , c'est-à-dire avec le sombrero, la veste brodée, les calzoneras, les éperons énormes et la selle argentée du pays.
Chose rare chez un prince, il est mauvais cavalier.
- On sait qu'en Autriche il servait dans la marine.
Simple histoire
Les officiers du 5e hussards, qui ont escorté l'Empereur depuis Mexico, nous racontent une
assez jolie histoire qui se serait passée le jour de : son entrée dans la capitale. Je la note sous toute réserve ; mais pour qui connaît l'armée mexicaine,
elle est tout à fait vraisemblable.
Sa Majesté arrive au palais impérial. Une garde d'honneur du 3e zouaves l'y attend. L'Empereur préfère pour son installation une garde mexicaine.
La journée se passe en réceptions solennelles; mais, le soir, les rois éprouvent ainsi que les autres mortels le besoin vulgaire de se coucher. Retiré dans ses appartements, il entend comme une vague rumeur. Un peu impressionné dans ce pays tout nouveau pour lui, il entrouvc les rideaux, et regarde avec un peu d'inquiétude sur les terrasses du palais qui font face à ses fenêtres. Une foule respectueuse, mais curieuse, cherche à voir le coucher de Leurs Majestés.
Assez surpris, il s'informe, et apprend que l'officier de garde mexicain a vendu un réal (12 sous) par tête le droit d'entrer au palais pour voir le coucher de l'Empereur.
La garde mexicaine fut immédiatement relevée par les zouaves. Le plus fort, c'est qu'on ne put jamais faire comprendre à cet officier pourquoi il avait déplu à l'Empereur.
LImpératrice Charlotte
L'Impératrice Charlotte n'a pas accompagné l'Empereur dans ce voyage; nous ne la voyons donc pas, mais nos camarades des hussards nous en font un portrait tout à son avantage.
Sympathique, bienveillante, elle est, dit-on, aimable pour tout ce qui l'approche. Elle prend surtout son parti èn brave des mille petits accidents imprévus qui surgissent dans la vie matérielle de ce nouvel empire.
Elle raconte elle-même en riant aux larmes sa première entrevue avec la femme d'un des principaux personnages du gouvernement, qui avait cru témoigner tout son dévouement en donnant à sa souveraine XAbfazo mexicain (1).
Puis, non contente de cette marque de tendresse, elle avait tiré de sa poche un paquet de cigarettes et l'offrit à Sa Majesté avec le classique : Gasta Usted? — Les aimez-vous?
L'Impératrice Charlotte conserva son sérieux et s'excusa de son mieux, en disant que son médecin lui défendait de fumer..
(f) L'Abrazo consiste à prendre dans ses bras la personne à qui on le donne, en lui passant la tête par dessus l'épaule, absolument comme l'on s'embrasse au théâtre français.
Tournée officielle -j
Sa Majesté voyage assez simplement : six voi tures attelées en poste, douze chevaux de. sene composent ses équipages. -Pour escorte, un esca-J dron de cavalerie française et un escadron mexicain du le, régiment de cavalerie de sa garde, qu'il vient de créer. Ce régiment a une tenue analogue à celle des chasseurs d'Afrique, auxquels il ressemble. de loin !
Voici l'ordre de route : Deux pelotons de cavalerie à deux cents pas, en avant-garde.
Un escadron entier autour de la voiture ou du cheval de l'Empereur.
Les voitures de suite. •
Les chevaux de main.
Enfin deux pelotons de cavalerie à l'arrièregarde.
L'escadron qui entoure la personne même de l'Empereur est un. jour mexicain, et le lendemain français.
On marche au grand trot quand l'Empereur ne travaille pas; mais souvent tout d'un coup, s'il lui vient une idée, il veut écrire ; alors toute cette colonne lancée passe brusquement au pas, quelquefois même s'arrête net, pour repartir vivement quand il a achevé de prendre des notes.
Quel charmant voyage ! Nous visitons ainsi tout le Baquillo. Traversant les villes en fête, séjournant dans des haciendas splendides, dont les riches propriétaires rivalisent d'amour-propre pour offrir les divertissements les plus curieux du pays à l'auguste personnage qui les visite.
Chasseurs d'Afrique et Vaqueros
Je n'aurais pas la fibre, chasseur d'Afrique, si je ne mettais pas dans mes notes la journée d'aujourd'hui. Nous avons été visiter l'hacienda de Las Crucès, où l'on donnait à l'Empereur le spectacle d'unemarca (marque) de taureaux. Tous les ans on marque du fer du propriétaire les bestiaux et les chevaux de l'hacienda, qui, lâchés ensuite dans les immenses pâturages d'alentour, vivent abandonnés k eux-mêmes jusqu'à ce que l'on ait besoin d'eux ; alors un vaquero monte à cheval et, prenant au laço l'animal dont a on besoin, le ramène à l'habitation
-La veille du jour où l'on doit marquer le troupeau, ce qui est une fête pour les péons, comme la vendange ou la moisson chez nos paysans, on a cerné le ganado (troupeau) de bœufs ou la cavallada (troupeau de chevaux), et des picadores
armés de leurs lances l'ont enfermé en le chassant devant eux dans un corral (enceinte entourée de palissades) d'où les bœufs ne peuvent sortir qu'un à un.
On entrouvre la porte et on laisse échapper un taureau, qui arrive bondissant au milieu d'une espèce de cirque où sont groupés tous les spectateurs. Deux cavaliers font tournoyer leurs lazos, et l'un, saisissant les jambes de devant, l'autre celles de derrière, ils partent tous deux au galop, abattant le malheureux taureau, qui tombe, comme on dit vulgairement, les quatre fers en l'air. Le marqueur s'approche et le fer rouge, au chiffre du maître, s'imprime profondément dans la cuisse de l'animal immobile.
Plusieurs taureaux ont été successivement abattus et marqués, avec l'ardeur et l'adresse qu'apportent les Mexicains à ces exercices, qu'ils prisent fort, lorsque le majordonne, abordant son maître, vient lui parler tout bas avec animation.
L' hacendero, se tournant vers l'Empereur, lui dit qu'un des soldats français prétend que, dans son village, on fait beaucoup mieux, sans avoir besoin de cheval ni de laço.
On veut qu'il prouve ce qu'il avance, et on ie met au défi. Le chasseur me demande la permission, que je lui accorde, assez inquiet de savoir comment il s'en tirera et craignant surtout un échec devant des Mexicains.
On fait sortir un taureau noir, maigre, ardent, nerveux. L'animal se rue, tête baissée, sur cet homme a pied, qui l'attend tranquillement les jambes écartées. Je ferme les yeux pour ne pas le voir tuer, quand des bravos enthousiastes et les cris : 'Queviva el cazador ! (vive le chasseur !) nie font regarder. Mon homme, saisissant le taureau par Les cornes, l'a renversé d'un tour de main.
Les bras roidis, un genou en terre, la lèvre supérieure légèrement retroussée, il crie par-dessus son épaule au marqueur : a N'aie pas peur, je le tiens. »
-Là, comme au feu, le régiment avait eu un succès.
27 ocfobl'e. - Ce charmant voyage fait en escortant le nouvel empereur du Mexique dure jusqu'à la fin d'octobre. Nous entrons avec lui à Toluca, où nous trouvons l'Impératrice qui, accompagnée du maréchal Bazaine, est allée au devant de son auguste époux.
Déjeuner sur l'herbe
29 octobre. — Il fait très-chaud, il est onze heures du matin, il y a encore une dizaine de lieues d'ici à Mexico. Je trotte à la portière de
Leurs Majestés. C'est très-flatteur. Leurs Majestés daignent m'adresser de temps en temps un sourire bienveillant. Je connais bien des gens qui seraient enchantés à ma place. Eh bien ! franchement, dussé-je passer pour ridicule, j'aimerais bien mieux être arrivé : j'ai une faim terrible, et une soif encore plus grande.
Mon brigadier d'avant-garde fait demi tour et me prévient qu'on aperçoit une troupe de cavaliers qui arrive du village de Santa-Fé.
C'est le maréchal Bazaine qui vient recevoir l'Empereur Maximilien. Quelle bonne idée il a eue : il a fait préparer un splendide déjeuner sous les tentes dressées sur un point culminant, d'où l'on découvre le magnifique panorama de la ville et de la vallée de Mexico.
Je suis forcément du déjeuner, puisque je suis d'escorte. Tout le monde admire le paysage, moi je le connais déjà, et j'ai trop faim pour regarder autre chose que la table.
L'Empereur, touché de cette délicate attention (je suis sûr qu'il avait aussi faim que moi), écrit le lendemain au maréchal Bazaine la lettre suivante :
u Mon cher Maréchal, « C'est encore sous l'impression causée par la charmante hospitalité improvisée par vos soins à Cuajimalpa, que je viens, au nom de l'Impératrice et au mien vous en remercier bien cordialement. ,
((Veuillez, mon'cher Maréchal, en faisant savoir à tout votre beau corps d'officiers présents ce matin à ma rentrée, combien j'ai été sensible à leur chaleureux accueil, recevoir mes salutations amicales.
« Votre affectionné, a MaXIMILIEN. »
L'entrée de Leurs Majestés dans la capitale a eu lieu sans pompe et sans apprêts, conformément au désir exprimé par l'Empereur, qui était seul, sans escorte, dans une calèche découverte avec TImpératrice. Des centaines de cavaliers et d'élégants équipages couvraient dès le matin la route de Toluca : les routes étaient pavoiséës, jonchées de fleurs et encombrées de monde-; mais la réception, toute spontanée de la part de la population, n'avait aucun caractère officiel. C'est au palais seulement que Leurs Majestés ont trouvé le maréchal Bazaine, les ministres et l'archevêque.
Le soir, les édifices publics et les maisons particulières ont été brillamment illuminées,
La Commémoration dec, morts
2 novembre. — Un service funèbre en l'honneur des victimes de l'année française qui ont
succombé au Mexique a été célébré dans la cathédrale. Le maréchal commandant l'armée française mexicaine y assistait avec tout son état major, et M. l'abbé Testory, aumônier en chef de l'armée française, a prononcé une oraison qui a vivement ému l'assemblée.
Il a rappelé les services et les faits d'armes du général Laumières, des colonels Mancel, Labrousse, Marlin, Longueville, de l'intendant Raoul, du médecin en chef Lallemand, des commandants Foucauld, Capitan, Lamy, regrettant de ne pouvoir nommer tous les autres, officiers et soldats, que le brave aumônier pouvait appeler ses camarades, puisqu'il s'était trouvé à leurs côtés en Crimée, en Afrique, en Italie, à Sébastopol comme à Solférino, et qui sont venus cimenter de leur sang les fondements du trône de l'empereur Maximilien.
Coup d'oeil sur la situation
Pendant que l'empereur Maximilien parcourt ses nouveaux États, se fait connaître et apprécier; pendant que l'on organise tous les rouages civils et militaires, Juarez se remue aussi, et les dissidents tentent une dernière partie. Une série de mouvements de nos colonnes les rejettent encore plus loin dans le Nord.
Voici du reste l'exposé de la position militaire de l'armée franco.mexicaine, et le résumé des mouvements qu'elle a exécutés pendant cette période.
A la suite du glorieux combat livré au Cerro de Majoma par le colonel Martin qui achète la victoire au prix de sa vie, les troupes juaristes se sont débandées et révoltées ; les généraux Mascarenas, Alcadi et Sancho Ramon, ont été tués, le fameux Carbajal grièvement blessé, et Juarez lui-même, escorté par une centaine de cavaliers, derniers débris de son armée, était le 27 septembre en pleine fuite sur Chihuahua. A la même date, Patoni, dont les troupes s'étaient dispersées, se trouvait à Nazas, n'ayant plus autour de lui que quelques officiers, et Ortéga avait été abandonné même par son état-major.
Le général de Castagny, qui occupait Monterey avec une partie de sa division, a été remplacé dans ses positions par la brigade Lopez, de la division Méjia, et a concentré ses troupes à Durango où il a dû arriver le 10 novembre. Dans cette ville, la population est animée du meilleur esprit, et les jeunes gens se signalent par leur empressement à s'enrôler dans la garde nationale.
- Tout le Nouveau-Léon et la rive droite du RioBravo, qui sépare le Mexique du Texas, sont occupés par les troupes du général Mejia, qui se trouve de sa personne à Matamoros" et qui a pu en outre,
en faisant remplacer à Bagdad par ses forces les marins débarqués de notre escadre, donner-à ramiral Basse toute facilité de rentrer à la Vera Cruz.
Le commandant en chef se loue beaucoup des services rendus par la marine, dont la présence à Bagdad a puissamment contribué à la prise de Matamoros et conséquemment à la soumission du général Cortina qui l'a suivie; l'occupation trèsprochaine de Piedras Négras va compléter les résultats de cette expédition dans le Nord, qui assure nu trésor mexicain des revenus de douanes considérables.
Rien d'important à signaler dans les provinces de Mexico, de Tampico et de Puebla.
Les opérations militaires au Mexique se concentrent maintenant sur Colima, Mazatlan et l'État de Durango.
Le général Douay s'est emparé le 2 novembre de Coli ma; l'ennemi démoralisé par plusieurs échecs successifs n'a pas cherché à défendre la ville et y a laissé toute son artillerie déposition. L'état sanitaire de notre colonne est excellent.
La marine impériale, partie le 8 novembre de San - Blas, débarque le 10 le bataillon de turcos du commandant Munié devant le port de Mazatlan sur le Pacifique, pendant que le général Lozada, venant de Tepic avec une colonne de 3,000 hommes, appuie le mouvement en suivant le littoral. Dans le Nord, le général de Castagny continue sa
marche vers Durango, venant du Nouveau-Léon.
Cette longue route s'accomplit dam de bonnes conditions.
Ce n'est pas un des moindres titres de gloire, dit le commandant en chef, que l'énergie rare avec laquelle nos troupes ont parcouru l'immense étendue d'un pays sans route et coupé de rivières débordées. La colonne du général de Castagny arrive le 26 octobre à Torillon, sur le Rio de Nazas, dans le Nord-Est de l'État de Durango. La sécurité naît partout où passent nos troupes ; les armes enlevées à l'ennemi servent à l'armement des gardes nationales rurales.
Les bandes isolées qui inquiétaient le pays diminuent chaque jour. Plusieurs chefs de bandes, réfugiés dans la Sierra-Madre, sont en pourparlers pour leur soumission à l'empire et leur retour à Mexico.
Le retour de l'Empereur a été le signal de la reprise des affaires et de la publication de divers décrets prescrivant les mesures les plus importantes. Il faut citer avant tout la création et l'organisation des milices rurales que devront former tous les propriétaires de mines ou de domaines. La milice sera divisée en deux bans : le premier, les hommes les plus jeunes, qui feront le service actif; et le second, ceux destinés à la garde sédentaire.
Ces forces, bien montées et bien commandées et Auxquelles l'incorporation d'un certain nombre
d'étrangers donnera de l'impulsion, .seront spécial lement appliquées à la garde des terres, des vil ges, et à la poursuite des brigands et des pillards Pour amener la destruction des bandes, l'Empereur s'est dessaisi du droit de grâce, et a décid qu'on traduirait devant le conseil de guerre fran çais tous les voleurs et assassins pris les armes à ; la main, la période militaire étant terminée, et les hommes qui violent le respect des personnes et des propriétés pour vivre de rapines méritant d'être mis hors de la loi. De son çôté, le maréchal Bazaine a prescrit à tous les dissidents qui ont fait leur soumission de se présenter aux autorités pour en recevoir un sauf conduit, et justifier qu'ils tiennent fidèlement le serment qu'ils, ont prêté au nouveau gouvernement.
Une chose qu'on ne voudra pas croire en Europe, mais qui peut donner une idée du désordre et de l'anarchie auxquels ce malheureux pays est en proie depuis cinquante ans : aucun Mexicain ne sait exactement son âge. Il n'existe aucun état civil, aucun acte authentique. Les curés seuls ont un simulacre de registres, qu'ils tiennent avec la paresse et la vénalité particulières au clergé mexicain, le plus méprisable du globe.
Afin d'arriver à connaître exactement le chiffre et les mouvements de la population, il vient d'être ordonné de remettre exactement copie des actes de naissance, de mariage et de décès aux autorités
préfectorales, qui arriveront ainsi à former un véritable état civil tel qu'il existe en Europe.
Les- renseignements les plus favorables sont reçus des deux rives du Rio Antigua, d'Abrarado, de Minatitlan, de Carmen et du Yucatan. Les troupes interventionnistes de Morida étaient sous les murs de Campêche; la prise imminente de cette ville devait compléter l'occupation de toute la côte, depuis la pointe de Yucatan jusqu'à Tampico.
La compagnie du chemin de fer a définitivement fait choix d'un directeur muni de pouvoirs qui lui permettent de donner une activité nouvelle aux travaux.
La situation commerciale est dans une prospérité toujours croissante; les convois de marchandises expédiées de la Vera-Çruz sur Mexico ne discontinuent pas.
Les Turcos à cheval
On me racontait l'autre soir un mot que l'on prête au général de Montauban.
L'Empereur discutant avec lui la composition de l'armée partant pour la campagne de Chine, aurait dit :
— Somme toute, général l'infanterie est la teiii des batailles. 4 — Oui, sire, répondit le comte de Palikao, mai c'est une reine bien stérile si la cavalerie ne li féconde pas. 1 Ceci me frappa beaucoup, d'autant plus quej'e avais sens les yeux l'application immédiate. A -Certes, si une arme nous a fait défaut dans lail guerre du Mexique, ça été la cavalerie. Que d'affai.
res manquées! que de succès incomplets.! que dtL; fatigues inutilespour l'infanterie ! Nous avionsbeau, suivant le mot de l'énergique colonel du BarraiJ, remplacer la quantité par la qualité, nous ne pouvions pas être partout.
Deux escadrons de chacun des trois régiments de chasseurs d'Afrique, deux escadrons du 5e hussards et quatre escadrons du 12e chasseurs de France composent toute la cavalerie du corps expéditionnaire.
Ces chiffres sont bien, par rapport aux effectifs des autres troupes, dans la proportion que prescri vent les principes généraux de l'art militaire : mais nous avons affaire au Mexique à un ennemi qui combat d'une façon exceptionnelle, dans un terrain tout particulier.
Chez l'ennemi, au contraire, la cavalerie forme plus des deux tiers de l'armée régulière et tous les partisans irréguliers sont à cheval.
Le cheval mexicain, petit, agile, infatigable,
est admirablement approprié par sa conformation têt par son dressage à la manière de guerroyer de ison maître. Passant partout comme une chèvre, s'arrêtant ocourt étant lancé à fond de train, faisant des vol tes iimpossibles sur les jarrets, il seconde admirablement ison cavalier Celui-ci, armé d'un rifle à huit coups et d'un revolver Colt, arrive au galop dans la poussière, à demi portée, sur les colonnes, fait feu et disparaît.
Il harcelle ainsi toute la journée, sans l'entamer, Lmais en l'inquiétant, une colonne d'infanterie ,d'autant plus facilement qu'elle est plus nombreuse, [partant plus longue, tandis que la présence d'un iseul peloton de cavalerie accompagnant l'infanterie suffit pour assurer la tranquillité de la marche, en rtenant ces moustiques à distance.
Je ne parle pas des coups de main, des marches irapides, nécessaires contre un ennemi dont la tactique est de fuir sans cesse en avant pour revenir sur mos derrières. On n'a pas besoin d'être militaire pour :!Comprendre qu'il faut de la cavalerie pour atteindre jine troupe à cheval, quoique cependant inotre infanterie ait fait sous ce rapport des choses fantastiques pendant cette guerre.
Le maréchal Bazaine, qui sait faire flèche de tout ibois, n'a pas hésité un seul instant.
Il a créé les TURCOS A CHEVAL.
Pour bien comprendre l'esprit de cette formation,
il est indispensable de savoir que le Turcô est uiij être tout à fait différent du spahi. j Le spahi, c'est l'homme de grande tente, c'est 1 fils de famille qui sert la France autant pour donner un gage de la fidélité de son père le caïd, que pou.
voir un jour sur son burnous le ruban rouge et cette étoile dont les scintillements l'éblouissent sur la poitrine du Rourrii (Français) qui le commande; mais il ne faut pas l'emmener dans une guerre lointaine : il est marié, il a des enfants, des che- j vaux,des troupeaux, des biens au soleil ; la nostalgie et le souvenir de la famille l'empêcheraient de servir. j Le Turco, au contraire, l'enfant du hasard et des grands chemins, est resté lié par la pauvreté, dans un état de dépendance qui l'a privé du château en Espagne que bâtit tout Arabe dans ses rêves : avoir des armes et posséder un cheval !
La France lui a donné des armes, mais il marche à pied ; et lorsqu'il voit passer, comme une vision rapide, ces cavaliers brillants sur de fougueux étalons, il redit en soupirant ce verset du Koran : « Le bonheur est dans les bras de la femme et « sur le dos du cheval. »
Donner un cheval au Turco, c'est lui donner ce qu'il veut, c'est réaliser son rêve. Le maréchal Bazaine le savait bien. Les résultats ne se sont pas fait attendre.
Un ordre du jour du quartier général nous an
inonça la transformation des compagnies de tiratllleuis algériens en escadrons.
Cette nouvelle fut reçue avec joie par les officiers > des Turcos aussi bien que par la troupe, et chacun sqpporta dans cette organisation le zèle et l'activité que l'on met d'ordinaire aux choses qui vous plai! gent.Le premier essai fut fait à Guadalajara par les s soins du commandant Munié, (aujourd'hui lieute[ nant-colonel). Deux cents chevaux furent achetés, i dressés et harnachés en quinze jours. Les Turcos i étaient littéralement fous de joie. A la première î sortie qu'ils firent, on eut toutes les peines du monde : à empêcher ces grands enfants de se livrer à une fantasia effrénée.
Un jour les zouaves, pliés sous leur sac énorme, i marchaient dans la poussière le pas élastique et re[ levé qui caractérise cette arme, et les Turcos [ passaient en se redressant sur leurs chevaux le long i du bataillon pour prendre la tête de la colonne, à [ l'avant garde, — place habituelle de la cavalerie dans la guerre du Mexique, — lorsqu'un des fils de Mahomet arrête son cheval et, s'adressant au : zouave qui cheminait près de lui, lui dit dans son [ patois franco-arabe, avec le rire énorme d'un Turoo > en belle humeur : — Didou, moussiou zou-zou, quis qui c'est toi, toi coullioum, coullioum el barda 5 quif-quif el 1 bourricot, à présent moi spahi !
Ce qui veut dire en français : - Dis donc, monsieur zouave, qu'est-ce que c'est que toi, tu portes toujours, toujours le bât comme un bourricot; moi à présent je suis spahi !
Sur ce : il ponctua sa phrase d'un cri sauvage, en faisant faire à son cheval un bond fantastique.
Les zouaves se fâchèrent, et le capitaine des Turcos fit prudemment sonner au trot pour éviter une collision.
Voici l'équipement de cette nouvelle cavalerie qui nous a rendu d'importants services.
Leurs chevaux sont de bonne race mexicaine, trèsdoublés et achetés à l'état sauvage. Mais entre les jambes des Turcos leur dressage n'a pas été long.
Chaque défense du cheval est un amusement de plus pour ces enragés faiseurs de fantasia.
La selle et la bride mexicaine — analogues du reste au harnachement arabe —leur plaît beaucoup. On leur a laissé leur fusil d'infanterie avec la baïon- nette. Ils le portent en bandoulière comme les chas-
seurs d'Afrique. On leur a donné de plus un sabre; de cavalerie, fixé à la selle entre les quartiers et les sangles, suivant le système arabe et mexicain. A cheval, ils ont supprimé le turban et n'ont plus que la chéchia (calotte rouge à long gland).
Leurs clairons ont changé avec bonheur l'embouchure de leur instrument contre une embouchure de trompette et ont appris promptement les sonneries de la cavalerie. La molletière et les guêtres ont dis-
paru pour être remplacées par une longue hotte en cuir fauve et souple, armée du lourd éperon mexicain.
Le ginète (cavalier mexicain) ne se hasarde plus maintenant à venir caracoler sur le flanc des colonnes françaises. Derrière chaque broussaille, à chaque détour du chemin, il voit surgir tout d'un coup devant lui la face noire d'un Turco qui, brandissant une lame brillante, lance à sa poursuite un cheval aussi agile, aussi souple que le sien.
Ces diables noirs vont - viennent — passent repassent—disparaissent et reviennent—voltigeant sans cesse comme un essaim de guêpes autour de nous pendant la route. Je ne me rappelle pas avoir jamais vu un Turco marchant au pas.
Le métier du cheval de fiacre est une sinécure auprès de celui de cheval de Turcfl. Aussi nos braves negros font une prodigieuse consommation d'animaux; mais ils en prennent tant à l'ennemi, que l'on peut bien leur en laisser crever quelques-uns pour se distraire.
La prise d'Acapulco, celle de Matamoros, la première occupation de Mazatlan, la. surveillance entière des Terres Chaudes et une foule de razzias et d'arrestations heureuses, tels sont les services qu'ont rendus les Turcos pour remercier le maréchal Bazaine de les avoir transformés en spahis.
Un billet de logement à Dnrango
8 décembre. — On me donne mon billet de logement en' arrivant à Durango, et l'officier de place chargé de nous loger me prévient que je suis dans une très-belle maison; mais. chez des Juaristes endiablés qui me recevront par force; Il faut faire contre fortune'bon ccéur. Je comprends parfaitement que jè ne dois pas être précisément l'homme de leurs rêves ; mais ce n'est ni pour mon plaisir ni pour le leur que je suis à Durango, moi, né natif de la grande avenue des Champs-Elysées : (je vous donnerais bien le numéro, mais M. Haussmann a démoli mon-berceau.
Après avoir conduit et installé mes hommes et mes chevaux fi. l'ancien quartier « des Lnnceros, je pars avec mes ordonnances, mes chevaux et mon mulet de bagages pour l'endroit indiqué par mon billet de logement. -
Belle maison, écuries superbes ! Mes ordonnances sont enchantés, les chevaux aussi: ils ont de la
litière jusqu'au, ventre, cela ne leur arrive pas tous les jours en campagne ; seulement, c'est le palais de la Belle au Buis Dormant, tout est fermé, excepté le logement destiné à l'officier français.
,raÍ un salon, une chambre à coucher et un cabinet de toilette, le tout meublé avec une recher- che qui sent la femme, et la jolie femme. Il y a
des traces d'habitation récente, un parfum léger remplit la chambre ; mais d'habitants point. Tous les autres appartements de la maison sont fermés avec un soin scrupuleux.
On me traite décidément en paria.
.Comme je suis un paria armé, on me donne un logement confortable, mais on évite ma présence, c'est évidemment l'hospitalité forcée. Du reste, j'étais prévenu, je me résigne. c'est dommage, car cette chambre est pleine justement de parfums que faime; et la musique nouvelle, éparse sur le; piano ouvert, est mêlée avec des numéros de la Vie Parisienne et du Figaro.
J'entre dans ce coquet appartement, où je fais tache avec mes vêtements souillés de la poussière de la route, ma barbe longue, mon sabre traînant et mes bottes crottées.
La glace de Venise qui est devant moi me fait honte et ces apparences de vie civilisée me donnent un accès de nostalgie. 0 Paris, que tu es loin ! et que tu coûtes cher, gloire militaire!.
La journée entière se passe sans que j'aie aperçu âme qui vive. Mes ordonnances vont et viennent dans ce palais désert ; mes chiens courent dans toutes les galeries flairant toutes ces portes fermées, et moi je fume une quantité prodigieuse de cigarettes en pensant à la France et aux gens que j'aimais autrefois. — Imbécile ! comme si un soldat pouvait avoir un cœur.
A six heures, je vais dîner avec mes camarades; je suis très-désagréable et je trouve tout le monde bête. *
C'est, je crois, plutôt moi qui le suis.
Je rentre dans ma maison vide. La lune s'est levée, elle tombe d'aplomb sur le piano ouvert qu'elle éclaire d'une façon provoquante. Je ne sais comment, je me trouve assis sur le tabouret, mes mains sur le clavier et je joue de souvenir une mélodie de Schuber,.
Une porte s'ouvre dans la tapisserie, un rayon de lumière éclaire l'appartement obscur, et je vois venir à moi un grand garçon à figure sympathique qui me tend la main, me disant dans un français assez correct : d Venez, cher Monsieur, quand on joue ainsi du piano on est de tous les pays. »
Il m'emmène et me présente à une femme charmante, une Mexicaine blonde!
«Nous nous sommes déjà vus, me dit-il en souriant, et je vous reconnais parfaitement. Cette cicatrice, ajoute-t-il en me montrant une ligne blanchâtre qui lui zébrait le fi ont, est de votre main, et la balle qui a coupé l'oreille de votre grand cheval gris sortait de mon revolver. Je suis don Manuel Arce, le colonel des Lanciers-Rouges de Cholula(l).
Puis, me tendant la main avec un bon sourire, il
(1) Voit, ci-dessus la note, pag<.' 41.
m'embrassa, tandis que sa femme essuyait une larme !
J'ai passé quinze jours chez lui, je ne les oublierai jamais.
\*L Décembre,—Je regarde la carte du Mexique, et je suis frappé d'étennement en voyant toutle pays que nous avons parcouru et que nous tenons dans la main. Il ne nous reste plus à connaître que cette Sonora aux récits merveilleux, dont le nom magique a presque le tintement d'une pièce d'or, et sur laquelle plane la grande ombre de Raousset Boulbon.
Le général de Castagny est chargé de ce mouvement; nous venons le rejoindre à Durango, où il forme sa colonne expéditionnaire.
Durango est la capitale de la Nouvelle-Biscaye.
Les habitants y ont un type différent des autres Mexicains. Tout cet état est sympathique à l'intervention; aussi nous sommes reçus à bras onverts.
Les bals et les fêtes se succèdent sans interruption, pendant que nos troupes se massent dans cette ville qui va être le point de départ des opérations sur la Sonora.
On en cause beaucoup, et les habitants de Durango ignorent ce pays presqu'autant que nous.
Par conséquent, on nous raconte beaucoup de choses qui me paraissent au moins exagérées. Enfin nous verrons bien.
Les sauvages, les fameux sauvages dout on parle dans les livres, ceux qui ont des plumes, des arcs et des flèches, sont, dit-on, dans les forêts qui séparent Durango de Mazatlan.
Les fillettes au bal vous racontent sur ce sujet, entre deux quadrilles, des histoires qui vous donnent froid dans le dos. Je ne me doutais guère, quand tout enfant je lisais Cooper, que je serais un jour appelé à combattre ces bonshommes tout nus et que je pourrais être scalpé par un vrai PeauRouge.
Décidément la guerre est une chose bizarre.
FIN DU LIVRE SECOND.
LIVRE III
EXPÉDITION DE CINÛLOA ET SONORA
LIVRE III
EXPÉDITION DE CINOLOA ET SONORA
Départ de Durango
Le général de Castagny a mis ses troupes en mouvement dans la dernière quinzaine de décembre 186/i.
Il a confié la première colonne au colonel Garnier. Il commande lui-même la seconde. Le lieutenant-colonel Cotteret ferme la marche.
1 er Janvier. — On amène nos chevaux, à cinq heures du matin, à la porte du bal que nous ont donné comme adieu les habitants de Durango. —
Nous allons changer de pays. Six jours de marche,
et nous allons être dans une terre nouvelle, inconnue, terre chaude qui fait peur aux gens de par ici. Les habitants y sont d'un autre caractère que ceux des hauts plateaux.
On les appelle Jarochas (littéralement gens de l'arc), et ils appellent avec dédain les Mexicains d'en haut Chileros (mangeurs de chile).
Nos petites amies, qui ont dansé toute la nuit avec nous, nous serrent la main avec de grosses larmes dans les yeux et, sans se soucier du qu'en dira-t-on, viennent carrément nous embrasser une dernière fois avant de monter à cheval. Les Mexicaines ont plus d'expansion que les Françaises.
Elles prétendent que nous ne reviendrons pas de Sonora.
Je ne partage pas leur opinion.
Dans la montagne
6 Janvier. - Nos amis de Durango nous avaient bien prévenu que nous aurions froid dans la Sierra-Madre. Nous campons à Las Russias dans une forêt de pins, avec deux pouces de neige. Un vrai bivouac de Russie. C'est dur pour des gens qui sont au Mexique depuis trois ans. Mais nos guides nous rassurent. Dans quelques jours nous serons dans les Terres Chaudes.
Les plateaux de la Sierra sont à plus de 2,000 mètres au-dessus de la mer, et la pente est tellement roide que deux ou trois étapes nous feront descendre J ,500 mètres: de là, ces changements de température.
Quels défilés ! Quelle végétation ! Quels terrains ! C'est beau comme la Suisse. Nous passons en tremblant le Voladero, corniche de six pieds de large, contournant la montagne avec le rocher à gauche, et à droite un précipice de plus de mille mètres de profondeur.
Je suis très-grognon tout le long du chemin, je refuse formellement de m'extasier avec mes camarades sur ces belles horreurs, parce qu'il faut marcher à pied toutle temps en menant son cheval par la figure, et que je suis un triste piéton.
J'ai toujours admiré le courage du petit fantassin qui se battait après une étape de vingt lieues ; quant à moi, à sa place, je serais certainement resté en route.
C'est dans ces terrains tourmentés qui sur un rayon de cinquante lieues à la ronde ne présentent qu'un seul passage possible, que viennent s'embusquer les Apaches et les Comanches, accourant du fond de la Sonora sur cette route forcée pour s'emparer des convois qui montent les marchandises d'Europe, débarquées sur le Pacifique aux ports de San-Blas, de Guaymas et de Mazatlan.
Malgré toute notre curiosité devoir les sauvages,
nous n'en rencontrons pas un, bien que nos guides en aient une peur terrible et prétendent que les Peaux-Rouges nous suivent, couchant chaque nuit à cent pas du camp.
Je traiterais volontiers ces histoires de fables, si nous ne trouvions à chaque instant les crânes et les squelettes des victimes de ces bêtes féroces il deux pattes.
Quant à nous, il paraît qu'ils nous regardent comme un gibier dangereux.
Après avoir traversé des forêts de pins, nous entrons dans- des forêts de chêne. Je retrouve toute la végétation décrite par Cooper, je m'attends à chaque instant i1 voir sortir de derrière un arbre Natly Bumpoo, la longue carabine. Nous ne sommes pas encore dans les Terres Chaudes. C'est tout à fait le climat de la vieille Europe. Les nuits sont fraîches, on allume des feux ; des arbres centenaires tombent sous la hache de nos chasseurs, et à ces bûchers, dignes des héros d'Homère, nous faisons comme eux rôtir des bœufs entiers.
L'ennemi est loin ; c'est en quelque sorte une zone de terrain neutre complétement inoccupé ; on marche tranquillement, forcément à la débandade, puisque le sentier tracé ne laisse passage qu'un par un. D'ailleurs, la colonne Garnier est devant nous, et comme il n'y a qu'un chemin, elle a dû forcément balayer devant elle les éclaireurs ennemis.
Depuis notre départ de Durango, nous montons toujours. Nous voilà au bivouac de Buenavista.
(Belle vuç). Nous campons dans un petit bois chariqant, au pied d'un rocher d'où jaillit un petit ruisseau. Nos guides nous engagent à grimper sur la plate-forme du rocher. Très-paresseux de ma nature, je refuse net, et laisse mes camarades tenter seuls cette ascension ; mais bientôt leurs cris d'enthousiasme piquent ma curiosité, et je me décide à les rejoindre. Je ne regrette pas ce mouvement irréfléchi : c'est un de ces spectacles qu'on n'oublie pas. Au-dessous de soi, aussi loin que la vue peut s'étendre, l'on découvre des masses de verdure changeant de ton à chaque étage, la végétation variant avec la température, et la pente étant tellement roide qu'une lieue de marche nous donne une différence de chaleur appréciable au thermomètre ; puis, à l'extrême horizon, on aperçoit une ligne bleuâtre qui brille ça et là de reflets argentés aux points où porte le soleil, c'est la mer. c'est l'Océan Pacifique.
Nous irons t'y baigner, Ali, mon bon cheval ; tu t'es déjà roulé sur le sable des plages de la Méditerranée et de l'Atlantique, et si tu n'es pas aussi connu que Gladiateur, tu a3 plus voyagé que lui.
A partir du bivouac de Buenavista, nous descendons toujours. Mais de même que nous avons été obligés de mettre pied à terre pour monter, c'est encore sur nos jambes que nous suivons
ces sentiers escarpés. Nos chevaux ne s'en plaignent pas. Quant à moi, c'est bien la partie de la campàgne où j'ai déployé le plus d'héroïsme.
Je conduis Ali par la bride, il vient de temps en temps mordiller mon képy en faisant des petits sauts de chèvre "derrière moi ; il relève sa lèvre supérieure en me montrant ses dents un peu jaunies ; décidément, il se moque de son maître qui s'en va à pied, trébuchant, à chaque pas. J'ai une envie atroce de lui monter dessus, pour voir qui rira le dernier, mais les hommes sont à pied par ordre, ce qui ne les amuse pas plus que moi, or, en ma qualité de supérieur, je leur dois l'exemple : soyons sérieux comme il convient à notre grade,-et cachons nos impressions.
,- La pente devient de plus en plus roide ; on ne descendplus, on déboule. Enfin, nous sommes en bas, au bivouac de Tépalcatès, en pleine Terre Chaude. Ici des orangers en fleurs, des bananiers, de l'acajou, des lianes; au-dessus de nos têtes, des plans couverts de chênes, et tout en haut, les pins de Las Russias, avec leurs cîmes couvertes de neige.
Nous campons au bord du Rio de Mazatlan, qui va se jeter dans l'Océan Pacifique.
Il n'est pas besoin d'être ingénieur pour voir qu'on pourrait aisément canaliser cette rivière et transporter ainsi jusqu'à la mer ces admirables bois de construction qui se perdent depuis des siècle,
Prise de l'Espina dei Diablo
Voici les premiers êtres vivants que nous rencontrons depuis huit jours : c'est une partie du convoi de la colonne Garnier qui s'en revient à vide avec ses mulets de bât ; il apporte des nouvelles : on parle d'un grand combat.
La nouvelle est certaine, officielle même.
Le colonel Garnier, avec le 51e et deux compagnies du 7e bataillon de chasseurs à pied, vient d'enlever l'Espina del Diablo (Epine du Diable) que défendait Corona.
Nous arrivons à notre tour à ce défilé célèbre : je n'ai pas vu les Thermopyles, mais je ne pense pas que le passage en soit plus difficile, La seule route qui conduit à Mazatlan est barrée par une montagne qui prend le nom d'Epine du Diable. Cette étrange configuration de terrain, peut-être unique dans le monde entier, fait de ce passage un des points les plus difficiles, militairement parlant.
Corona avait détruit l'unique sentier qui grimpait le long des flancs de la montagne, et, perché sur la crête de cette montagne à pic, il attendait avec 2,000 hommes d'infanterie l'effort de la colonne française. Il avait accumulé les moyens de défense, et l'art avait doublé les ressources de la
nature. Ainsi, par exemple, indépendamment des barricades formées par des abatis d'arbres, les Indiens avaient fait des espèces de filets en lianes qui, remplis de pierres, étaient suspendus en certains points de la côte. Là, en les cpupant - à un moment donné, on faisait culbuter ces pierres sur les colonnes d'assaut, - Les sapeurs français refirent tranquillement le chemin défait, et, en dépit des pierres, des arbres et du feu roulant de l'ennemi, on franchit l'Espina del Diablo.Les Français, arrivés au haut de la côte - après un combat de trois heures — la scène changea complètement. Nos hommes se lancèrent sur la descente de l'autre côté à la poursuite de l'ennemi débandé.
Ces malheureux, épouvantés de se voir enlever dans une position réputée imprenable, perdirent la tête et se sauvèrent dans toutes les directions, se jetant à corps perdu dans les précipices qui bordaient la route pour éviter la terrible baïonnette.
- Quand nous passâmes, trois jours après, une odeur infecte sortait des ravins, et le vol circulaire des zopilotes (vautours mexicains) au-dessus de l'abîme nous indiquait suffisamment le théâtre de l'action. On estime à 600 hommes les pertes de l'ennemi de l'Espina del Diablo.
C'est un des beaux faits d'armes de la campagne.
Le colonel Garnier a poursuivi sa marche, har-
celé toute la journée par des cavaliers ennemis.
Décidément cette guerre du Cinaloa est assez difficile. La route, étroite et très-accidentée, traverse des forêts vierges aux lianes inextricables.
Çà et là surgissent des veredas (petits sentiers) presqu'invisibles, connus seulement des habitants du pays. Les cavaliers de Corona, par deux, par trois, viennent lâcher sur la colonne française leur coup de fusil, et disparaissent au galop par ces coulisses, comme un diable d'opéra s'échappe par une trappe.
Le colonel Garnier, qui n'a pas de cavalerie pour les poursuivre, invente un moyen assez bizarre. La compagnie d'avant-garde met sac à terre et fait un kilomètre au pas gymnastique pour prendre position, pendant que les autres, sac au dos, marchent le pas lourd et tranquille de l'étape.
La compagnie qui suit, arrivant à la hauteur de la première, exécute le même mouvement pendant que la compagnie de tête, passant en queue, reprend les sacs qu'elle avait laissés.
Cette manœuvre retarde la marche, mais au moins on ne perd presque personne.
Combat de los Veranos
10 janvier. — Le général de Castagny arrive à Los Veranos. Il y reçoit une correspondance du colonel Garnier, qui lui rend compte de son affaire de l'Espina del Diablo et termine par cette-phrase : « L'ennemi est nombreux, hardi, entreprenant. »
Pour qui connaît le courage froid et sérieux du colonel Garnier, ces paroles donnent à réfléchir.
Pendant la nuit, toutes les mules de notre convoi passent à l'ennemi, par une trahison des arrieros.
Il faut cependant continuer à marcher. On met en réquisition un convoi civil et on dépose dans l'église, fortifiée à la hâte par le génie français, les marchandises qu'il transportait jusqu'au retour des animaux empruntés. Une compagnie de chasseurs, à pied, commandée par le lieutenant Chauf- feur, reste pour les garder.
11 janvier. — La colonne du général Castagny, qui a continué sa route, couche à Siquieros. Au réveil, on voit arriver le fourrier de la compagnie Chauffeur.Quelle horrible nouvelle ! quel désastre !
La veille au soir, quinze cents cavaliers, commandés par Corona, abandonnant la colonne Garnier, évitant la colonne Castagny, sont venus tomber sur la compagnie de chasseurs à pied restée -
dans le village. Le lieutenant Chauffeur et son souslieutenant ont traversé trois fois ces masses à la baïonnette, mais ces héros n'ont pu passer tous.
Les débris de cette compagnie sont à quelque distance; ils arrivent blessés, épuisés, après avoir erré toute la nuit pour rallier les Français.
Le lieutenant Chauffeur est portépar ses hommes, il a trois blessures.
Quelques prisonniers sont entre les mains de -Corona; on ignore leur sort.
Mort du commandant de Montarby
On se reporte immédiatement sur Los Veranos pour se venger. En arrivant, point d'ennemis. Les traces d'une lutte terrible ont bouleversé le terrain ; l'église à moitié brûlée prouve qu'on n'a eu raison de ses défenseurs qu'en les incendiant. Pas une âme dans ce village. Tout le monde a fui épouvanté devant la vengeance française qui arrive.
On s'arrête pour chercher les traces de l'ennemi et faire faire le café aux troupes.
On s'installe pour la grande halte. Les chasseurs d'Afrique sont à l'abreuvoir lorsqu'une forte colonne de cavalerie, débouchant des profondeurs d'un bois de bananiers qui était sur la gauche, fait irruption dans le camp, et arrive presque sur le général.
Le commandant de Montarby saute à cheval et s'élance le premier, suivi d'une poignée de chasseurs d'Afrique.
Chacun rentrant successivement de l'abreuvoir, se jette par un, par deux, par trois sur l'ennemi.
Cet élan instinctif a sauvé le camp, Corona est repoussé avec des pertes sérieuses; mais notre pauvre commandant est tué, la tête fracassée d'un coup de revolver.
Peu de chefs seront regrettés comme M. de Montarby.
Occupation de Mazatlan
Pendant ce temps-là, la colonne Garnier a continué sa marche et est entrée dans Mazatlan, déjà occupé par la flotte qui avait débarqué le commandant Munié avec les Turcos à cheval.
Devant les canons de nos vaisseaux, Corona avait évacué la ville. Mais le commndant Munié était trop faible pour songer à faire des sorlies à plus de deux lieues en dehors des murs. L'arrivée de la colonne Castagny l'a littéralement débloqué.
Le général de Castagny entre, trois jours après, à Mazatlan; nous autres, nous revenons sur nos pas pour battre un peu le pays et refouler Corona
jusque dans la montagne, afin de faciliter l'approvisionnement de la ville.
Après une quinzaine de jours de marche et de contre-marche, nous avons fait reculer les avantpostes de l'ennemi ; on peut circuler librement dans un rayon de vingt lieues à la ronde ; il nous est enfin donné à notre tour d'entrer à Mazatlan.
Nos hommes attendent ce moment avec impatience. Ils vont enfin retrouver du vin, et il y a si longtemps que nous ne le connaissons plus, que de nom.
Un ancien ami
19 janvier. — Nous sommes installés à Mazatlan, où nous trouvons l'escadre du Pacifique. Nous campons'au bord de la mer. Les hommes étant au pansage, on voit se détacher de la flotte un canot coquet qu gouverne sur le camp de cavalerie.
Nous allons au devant de nos visiteurs et nous retrouvons la bonne figure de notre vieil ami le commandant Rosier. Il ne commande plus l'Aube, il est capitaine de pavillon de l'amiral. Il est heureux de revoir son 3e chasseurs d'Afrique. Il va caresser les chevaux.
--:- Hé ! hé ! mes dadas, leur dit-il, c'est pourtant moi qui vous ai amenés ici.
Il cause avec nos hommes, et passe plus de deut heures au camp. Nous ne pavions, pas oublié, s'il s'est souvenu de nous,
Muzatlan
Mazatlan, capitale du Cinaloa, ne ressemble eu rien aux autres villes du Mexique. Ce port de mer, sur l'Océan Pacifique vis-à-vis de San-Francisco, est malgré son pavillon mexicain une ville américaine.
On n'y parle espagnol que dans la basse classe.
L'anglais, le français et l'allemand, servent aux relations des négociants étranger, qui constituent la population réelle de Mazatlan.
Les bar-rooms et les coffees-houses y remplacent les fundas Jhôtels) du centre du Mexique ; les bois, sons américaines (gin, sherry-cobleer, pale aie) y dominent. On les sert toujours avec un énorme morceau de glace, apportée chaque semaine par le vapeur de San-Francisco, et le chalumeau de paille, cher aux Yankees.
Les vins de France y abondent, et, venus comme lest à bord des navires, ils ne coûtent guère plus cher qu'en Europe. C'est de ce port, ainsi que de Tampico, qu'ils partent pour se répandre dans tous les hauts plateaux du Mexique, où alors ils attei-
gnent des prix fabuleux, en raison des difficultés du transport. Un port et une rade splendide avec une des plus belles plages du globe, voilà la fortune de cette ville si elle était plus habitée.
Gomme position, comme fertilité du sol, comme mines même, ajouterai-je tout bas, si on savait les exploiter, Mazatlan peut hardiment devenir la rivale de San-Francisco qui lui fait face sur l'Océan Pacifique.
C'est un entrepôt donné par la nature entre le Nouveau Monde etl'/Vncien. Les navires y arrivent de tous les ports de l'Europe chargés de pacotilles
de toute espèce; ils repartent les flancs remplis de cotons, de bois rares (ébène, acajou, etc.), de tabacs et d'argent.
Carlacontrebande despiastres s'y exerce sur une large échelle par les navires anglais. On parle des mines de San-Francisco; mais ceux qui savent la richesse des mines de Cinaloa se taisent, et en profitent sans rien dire.
Le climat n'y est pas malsain, malgré des chaleurs excessives. Les brises salutaires de la mer viennent soir et matin y contrebalancer l'influence énervante du ciel tropical des Terres-Chaudes.
La construction de Mazatlan se ressent nécessairement de la composition de sa population. La ville, bâtie sur une langue de terre sablonneuse qui s'avance dans la mer, se partage en deux parties bien distinctes. Le côté du port est plein d'hôtels ma-
gnifiques, de splendides magasins ; on y trouve tout le luxe et le comfort américain et même européen. Du côté de l'intérieur des terres, les constructions basses et les huttes des Indiens cultivateurs lui donnent une tout autre physionomie.
La promenade du côté du port, sur la plage de las Olas allas (les hautes vagues) est chaque matin et chaque soir remplie de promeneurs élégants.
Des voitures de Paris, attelées de magnifiques trotteurs du Kentucky, vous rappellent les ChampsElysées, et la mode de Paris, arrivée par le dernier navire, y trône comme à Long-Champs.
Chaque semaine, le vapeur de San-Francisco y amène quelque sémillante Américaine en flirtation, et plus d'une aventureuse Parisienne échappée des hauteurs de la place Bréda, en passant par SanFrancisco, vient distraire pendant quelques jours les gros bonnets du commerce de Mazatlan, qui laissent assez facilement couler entre leurs doigts quelques-unes des nombreuses onces (1) d'or qu'ils gagnent si facilement.
Mais, changeants et capricieux, ils se dégoûtent promptement de leur idole, et tous les quinze jours à Mazatlan ce sont nouvelles figures; ces dames font la navette entre San-Francisco, Guaymas et Mazatlan.
Cette classe de passagers aide, dit-on, beaucoup
(I) L'once d'or vaut 85 fr.
Messieurs les officiers du vapeur de la compagnie qui fait ce service à supporter les ennuis de leur monotone navigation.
La position de Mazatlan, au point de vue stratégique, le rend très-facile à défendre par terre. Une seule entrée est possible, puisque la ville est bâtie sur une langue de terre, et cette entrée est commandée par une hauteur qui permet de défendre toute la ville.
L'armée française y a établi une batterie importante. Garder Mazatlan du côté de la mer est chose impossible, si l'on n'a pas soi-même une escadre dans le port. Aussi, à l'arrivée de la flotte française, Corona n'a pas essayé même un simulacre de résistance.
Les Américains
La déroute des Etats du Sud a amené à Mazatlan bon nombre de partisans américains qui, traversant le Texas, sont arrivés à Mazatlan armes et bagages pour coloniser.
Ils se sont, en général, fixés tout autour du Présidio de Mazatlan, petit village situé à deux lieues sur la rivière, et ont commencé d'énormes plantatations de coton.
Il est à souhaiter pour tout le monde qu'ils réussissent.
Ces Américains sont décidément un singulier peuple.
Leur armée est un mélange d'individus de toute espèce, soldats, commerçants, marins, cultivateurs.
Ils nous vendent leurs chevaux.
Je suis curieux d'examiner de près cette armée qui, dit-on, préoccupe tous les esprits en Europe.
Je m'en étais douté : s'ils sont tous pareils à l'échantillon que nous avons là, l'armée des ÉtatsUnis ressemble beaucoup au nommé Croquemitaine, dont on me menaçait quand j'étais petit.
Un de ces grands guerriers, un colonel, ma foi, avec des moustaches terribles, m'a vendu hier son cheval 200 dollars (1,000 francs). Le marché a été conclu devant Bank-Exchange, le Helder.de Mazatlan.
Me tendant d'une main les rênes du cheval, il a saisi avidement les dollars de l'autre, et les engouffrant dans sa vaste poche, il est entré en faisant sonner ses éperons dans la salle du bar-room.
Ce matin, quand je suis repassé, à neuf heures, il lui restait juste six réaux (3 f. 50), et il me poursuivait —avec un hoquet sentimental — pour me vendre ses armes.
Je ne juge ici les Américains sévèrement qu'au point de vue militaire. Ces hommes ont certaine-
ment une grande valeur, en dehors de l'appréciation un peu partiale du soldat régulier.
Ils sont fatigués, du reste, d'une lutte aussi longue. Ces gens, voyant dans le Sud leurs espérances détruites, n'ont plus maintenant qu'un seul but : refaire ce qui vient d'être défait.
L'Américain a décidément la bosse de la constructivité et des entreprises nouvelles. Si l'on vou lait même analyser à fond son caractère, peut-être y trouverait-on une nuance bizarre. La voici : - Les Sudistes qui sont à Mazatlan n'ont pas l'air d'être trop fâchés d'avoir vis-à-vis d'eux-mêmes un prétexte pour faire quelque chose de nouveau.
Mais, tout en admirant cet esprit étonnant d'organisation et de progrès, cette persévérance dans la lutte, et cette audace superbe pour entamer les projets les plus excentriques, je ne leur reconnais aucune qualité militaire, quoi qu'on en dise en Europe.
Dans l'armée américaine, du moins dans ce ■ qu'il m'a été donné d'entrevoir, il n'y a presque pas d'Américains. Comme troupe : elle se compose des recrues mercenaires de tous les États de l'Europe, où le paupérisme et le trop plein de population force à l'émigration; comme officiers : de certains Européens—non sans mérite — ayant fait la guerre un peu dans le monde entier, voilà labase des deux armées (Nord et Sud). Tout cela est relié par des généraux américains, avec un état major national.
L'armée du Sud comptait dans ses rangs plus d'Américains que l'arméedu Nord, presqu'exclusivement composée de mercenaires.
Quant à l'organisation du service de la solde et des vivres, si remarquable dans l'armée française, je n'ose pas en parler, j'aurais trop à dire à ce sujet.
Laissons-là les Américains, et revenons à nous.
L'ennemi nous a laissé passer — un peu malgré lui — et nous installer à Mazatlan ; mais il s'est reformé dans les forêts qui nous entourent. Les communications sont littéralement coupées entre Durango et Mazatlan , et nous sommes obligés de faire passer nos courriers par mer. La correspondance débarque à San-Blas pour aller à Mexico par Guadalajara. Il faut à tout prix sortir de cette position.
Marches en Cinaloa
Février et Jlars. — Des colonnes légères, sous les ordres des colonels Garnier et Cotteret, des commandants Bréard, de Lignièreset Billot, sillonent l'Etat de Cinaloa dans tous les sens, pourchassant les bandes de Corona, détruisant leurs repaires et rétablissant dans tous les pueblos (villages) des autorités honnêtes.
Le soldat n'est pas tendre pendant toute cette partie de la campagne; on vient d'apprendre que les prisonniers de Los Veranos ont été massacrés par Corona. Il les faisait monter sur des ânes, les yeux bandés, et les cavaliers mexicains s'exerçaient à les percer à coups de lance, Ces faits se 'passaient sur la place du village El Verde, et les dignes épouses de ces bandits, assises autour d'eux, applaudissaient comme au cirque des taureaux.
Des détails précis nous sont donnés par le clairon de la compagnie, qui a échappé comme par miracle à ce massacre.
Au moment où arrivait son tour, il a dit à Fhomme qui le gardait, en détachant son petit manteau de chasseurs à pied : — « Tiens, puisque je vais mourir, garde cela en souvenir de moi. » Le Mexicain tend la main pour prendre le manteau, notre clairon le lui jette sur la tête, et, lui passant la jambe, s'enfuit à travers bois.
Il erra pendant trois jours dans la forêt, marchant vers l'Orient, car il se rappelait avoir entendu dire à l'officier du bataillon chargé de la topographie, que Mazatlan était à l'Est. Ce souvenir le sauva; il rencontra la mer, puis le port.
Corona et Rubi
Cette guerre du Cinaloa prend un caractère un peu sauvage, par suite des représailles qu'exercent les habitants qui marchent avec nous; car ici comme là bas tous les gens qui ont quelque chose à perdre se sont ralliés au drapeau de la France, qui leur donne sécurité et protection.' Les bandes de Corona, qui lui-même - n'est pas natif de l'État de Cinaloa, sont des débris de l'armée de Juarez, et nullement des habitants du pays. Le second chef des dissidents est un Indien, nommé Rubi, qui a soulevé les mineurs de Copala et de Panuco, population étrangère au sol, vagabonds de mauvaise nature et qui vivent en dehors des autres habitants.
Avant notre arrivée, ces deux chefs avaient exercé sur les gens honnêtes du pays les exactions habituelles au parti libéral, toujours au nom de la « liberté expirante. » Corona a même été si loin, qu'il a été officiellement désavoué par Juarez.
Corona, le bourreau des prisonniers de Los Veranos, ce tigre à face humaine, est, dit-on, un jeune homme de vingt-trois ans, d'une beauté féminine, blond et complétement imberbe. Vêtu en simple soldat, il marche toujours à côté d'un serviteur fidèle, qui l'a vu naître. Celui-ci, d'une
taille herculéenne, vêtu d'habits splendides, attire l'attention de l'ennemi, et, assumant sur lui les dangers du combat, sert de bouclier à son maître.
Vingt fois surpris et serré de près, soit par les rancheros (paysans), soit par nos troupes, vingt fois Corona, grâce à son déguisement, nous a coulé dans les mains comme un serpent.
Les populations, si longtemps opprimées par e& monstre, usent largement de leur revanche et sont sans pitié pour les bandits qui tombent entre leurs mains, en fuyant nos colonnes.
Le chef d'état major du général de Castagny, M. le colonel Léval — un des officiers supérieurs les plus remarquables de la campagne — a l'heureuse idée d'utiliser cette disposition du pays, en armant les rancheros et en les organisant en contreguérillas.
La Noria
Le point central de nos alliés est à la Noria. J'ai la chance de faire partie de la cavalerie qui occupe ce point, sous les ordres de M. le commandant de Beaulaincourt.
Ici se place un des souvenirs émouvanis pour moi de cette campagne.
Là, j'ai véou intimement avec des Mexicains et avec des hommes, Quelle étude de mœurs, quels caractères ! quelles haines politiques ! Qu'on me
laisse ici décria à fond ce petit coin du grand tableau de la guerre du Mexique.
Don EstepIly le chef militaire de la Noria, a été mon ami.
Le Mexicain est extrême en tout, dans le bien comme dans le mal ; il coule dans ses veines lesang chevaleresque du Cid Campéador, mélangé avec celui de l'infortuné et loyal Montézuma.
Nous arrivons, à la Noria, où nous attend avec impatience toute une population qui vivait depuis quelques temps dans des angoisses journalières La Noria est à douz;e kilomètres de Los Veranos, et à six lieues de San Sébastiep, siège (les opérations de Corona.
Ces habitants paisibles et travailleurs s'étaient cachés dans les bois, abandonnant leurs maisons qu'ils n'étaient pas de force à défendre.
Avant notre arrivée, les cavaliers de Corona passaient chaque jour dans ce village abandonné, brûlant ici une maison, détruisant par là une clôture, s'emparant d'un bœuf égaré qui, s'échappant du troupeau caché dans la montagne, revenait instinctivement aux lieux où il avait été enlevé.
Ces bandits se vengeaient sur les objets inanimés de la colère que leur faisait éprouver la pro-
testation muette de ces gens ralliés à l'intervention, qui s'éloignaient d'eux pour ne pas participer à leurs excès.
Les vieillards, les femmes et les enfants de la Noria, s'étaient retirés au sommet des montagnes dans des retraites inaccessibles, connues d'eux seuls — les soldats de Corona n'étaient pas du pays — emmenant avec eux jusqu'aux animaux domestiques.
Aux alentours de l'endroit où s'étaient cachés les familles, les hommes tenaient la campagne, faisant chaque jour le coup de fusil.
ï Don Esteban, leur chef, nous les amène. Ils fra.
ternisent avec nos chasseurs d'Afrique et le 7e bataillon de chasseurs à pied, aux ordres du commandant Bréard.
„ Pendant ce temps, les femmes courent à leurs maisons et constatent les dégâts commis en leur absence.
Quoique vieux routier, je me suis senti ému en voyant sortir de leur cachette ces malheureux, qui commençaient à respirer à l'ombre du drapeau de de la France.
Le soir, tout le monde était rentré. Le village avait pris une physionomie joyeuse et tranquille.
Nos hommes sont admirablement logés. Les guitares s'accordent, et l'on danse, le soir, autour de grands feux de joie allumés sur la place et qui apprennent de loin aux cavaliers de Corona
que le drapeau tricolore est planté sur la Noria;- et qu'il faut désormais compter avec lui.
Don Esteban passe la soirée avec les officiers français, l'on organise la résistance. Des fortifications passagères sont installées, et dès demain les sorties commenceront, Français et Mexicains réunis.
Quel homme que cet Esteban, quel génie instinctif de la guerre ! Il m'a été donné de faire quelques sorties avec lui et de l'apprécier. Aussi modeste que brave, il prend toujours les ordres de l'officier français qui marche avec lui, bien que nous soyons presque tous bien plus jeunes que lui.
Nous faisons avec lui la guerre comme la décrivent les romans Américains. Cet homme a positivement une science merveilleuse des pistes, qui me jette dans une admiration voisine de l'étonné ment. �
Il marche toujours à l'avant-garde, le premier de tous, l' œil- aux aguets, ne laissànt éèhapper aucun indice.
La nature est pour lui comme un livre ouvert, où il lit les mouvements de l'ennemi.
Il est aussi adroit pour dérouter son adversaire que pour le surveiller;" il sait cacher sa marche avec autant d'adresse lu'il découvre celle des autrès. C'est lui qui m'a appris à mettre des branches d'arbres à la queue des quatre derniers chevaux
de la colonne pour balayer toutes les traces faites par les chevaux de tête.
Dans ces marches, nous abandonnons les sentiers frayés, et quatre de ses rancheros coupent, à grands coups de machete (1), un chemin nouveau et inconnu de l'ennemi à travers les lianes de la forêt. Nous venons, grâce à ce moyen, de tomber sur Corona, qui avait donné un rendez-vous à tous les chefs de bande placés sous ses ordres, dans.un petit village perdu au milieu des bois.
Les avant-postes de Corona couvraient toutes les, routes qui conduisaient à son bivouac, et il se croyait à l'abri de toute surprise.
Don Esteban conduisit une colonne française aux ordres du capitaine de Bonneville du 7e bataillon de chasseurs à pied, par une route que Corona lui-même ignorait par une excellente raison : c'est qu'elle n'existait pas.
Les rancheros d'Esteban la firent littéralement au fur et à mesure, en tête de la colonne.
Corona fut tellement surpris, qu'il était au bain .dans la rivière quand les Français débouchèrent dans le village; ce fut même cette circonstance qui. le sauva, car il s'enfuit .à demi-nu dans la montagne.
On prit 200 chevaux ; son trésorier fut tué et l'on lit trois cents prisonniers, parmi lesquels se
(1) Le machete est une espèce cle couteau de chasse.
trouvaient cinq ou six jeunes femmes, que l'on mit du reste en liberté.
Au nombre des chevaux de prise il y avait le cheval gris de Corona, avec sa selle garnie en peau de tigre. Ce cheval, fameux dans tout le pays, fut donné d'un commun accord à Esteban, qui maintenant se promène chaque jour sur le cheval de Corona. Il est joyeux comme un enfant de ce trophée. Une seule chose, je crois, aurait pu lui faire plus de plaisir, ce serait la tête de Corona lui-même.
Ce petit coup de main a fait réfléchir Corona, il a reculé fort loin ses avant-postes. Nous circulons librement autour de la Noria, qui a repris un air de gaieté et de bien-être auquel ce pauvre village n'était pas habitué depuis longtemps.
La population, qui est d'environ trois mille âmes, descend tout entière — chose extraordinaire .- d'une grande maison d'Espagne, les Ossuna.
Aussi chaque famille a-t-elle le nom d'Ossuna parmi les siens, et toutes les femmes y sont très-blanches.
La grande richesse de la Noria consiste en d'immenses troupeaux qui paissent en liberté la splendide végétation des forêts des Terres-Chaudes.
Indépendamment de la sympathie que ses habitants nous ont témoignée, il était important, au point de vue stratégique, d'occuper la Noria qui est en quelque sorte le poste avancé de Mazatlan. Ce qui nous donne un rayon de cinq ou six lieues autour
de la ville, et permet aux Indiens cultivateurs de venir approvisionner la ville sans être inquiétés.
La chasse au cerf
Ce petit moment de repos n'est pas désagréable ; il fait chaud par ici, car nous ne sommes pas dans les Tert^s-Chaudes pour rien ; mais notre ami Esteban l'infatigable se moque de notre paresse.
11 finit par nous entraîner à la chasse après nous avoir menés à la guerre.
Hier, il vient de nous faire faire une chasse au cerf qui mérite la peine d'être rapportée.
Le matin, nous arrivâmes à cheval auprès de sa maison qui était lè rendez-vous. Il nous attendait tranquillement à pied, avec le sourire narquois qui lui est particulier.
«Vous pouvez renvoyer vos chevaux à l'écurie, nous dit-il, c'est à pied qu'on chasse le cerf dans nos forêts, » Nous obéîmes en silence, et j'attendais avec curiosité la meute qu'en ma qualité de vieux chasstur vendéen je me promettais de juger sévèrement.
Au lieu de chiens, son mozo (domestique) conduisait une vache noire avec son laço roulé autour des cornes.
Je regardai en silence, ne comprenant rien.
Nous le suivîmes ; et à une lieue deà, à peu près, il nous fit faire halte et silence ; puis, se baissant, il démêla la piste du cerf avec plus de promptitude qu'un vieux limier.
Nous repartîmes : cette fois la vache noire marchait devant, debarassée du laço et faisant sonner une clochette suspendue à son cou et dont le bruit couvrait celui de nos-pas.
Don Estebau la chassait devant lui dans l' étmtt.
sentier où l'on ne pOtlvait, marcher que par un.
Tout d'un coup il nous fit de la main gauche signe de nous arrêter et continua de s'avancer en suivant la vache noire, derrière laquelle iLse cachait le corps courbé et Je fusil armé. • Nous le vîmes de loin déboucher dans une clairière où coulait une petite source ; un coup-de feu retentit, don Esteban nous appela etnous'trouvâmes un cerf magnifique qui expirait, le cou traversé d'une balle.
Il nous expliqua alors que les cerfs, habitués à voir chaque jour les bœufs dans la forêt, se laissent approcher sans méfiance par ces animaux auxquels ils sont habitués, et qu'en se masquant avec un peu d'adresse derrière un de ces animaux domestiques, on pouvait tuer Je cerf presqu'à bout portant.
La manœuvre, en effet, est tellement simple, que nous abatîmes ainsi nous-mêmes cinq ou six cerfs dans la même journée.
t Ils avaient, en général, quatre pieds de long sur deux et demi de hauteur, et pesaient en moyenne quarante kilos. Leur bois est plus petit que celui du cerf d'Europe et ne s'élève pas perpendiculairement, mais se projette en avant.
Les mâles, au moment du rut, se chargent vigoureusement les uns les autres, et quelquefois leur buis s'entremêle dans la lutte ; alors ils ne peuvent se débarrasser et ineurent de faim ou sont la proie des animaux carnassiers.
Souvent aussi les Indiens les prennent tout vivants, quand ils les trouvent dans cette position.
Après là chasse, la pêche. Nous prenons d'énormes poissons dans le rio de Mazatlan. et surtout des écrevisses presque aussi grosses que des langoustes. Chose bizarre, elles n'ont qu'une pince.
Elles sont, dit-on, le croisement des langoustes qui remontent de la mer avec l'écrevisse ordinaire d'eau douce.
Les rivières et les lagunes de toute cette partie du Cinaloa sont pleines de caïmans.
, C'est.à peu près le crocodile d'Égypte, mais il n'est pas aussi dangereux ; il suffit de faire caracoler son cheval en passant l'eau, ou de piétiner si l'on est à pied.
On en pêcha deux à Mazatlan, dans la lagune où venaient boire nos chevaux deux fois par jour. Ils avaient cinq à six mètres de longueur et n'avaient fait de mal qu'à des chiens ou à des moutons égarés.
Les Indiens, chargés de la propreté de la ville, les prirent avec d'énormes hameçons cachés dans le ventre d'un chien mort.
Prise de San*Sébastien et de Copala
Nos vacances n:Ont pas été longues.
Corona, abandonnant le côté de Mazatlan où la Noria lui fait, sous les ordres de don Esteban, une sérieuse résistance, s'est transporté sur l'autre rive du rio de Mazatlan. Son quartier général est à SanSébastien.
Une colonne, partie de Mazatlan sous les ordres du lieutenant-colonel Cotteret, se porte sur ce repaire de bandits qui depuis dix ans est la terreur de la contrée, rançonnant les convois, détroussant les voyageurs.
Ce village est l'ennemi né de la Noria. La route de Durango à Mazatlan se bifurque à Los Veranos, et l'on peut à volonté passer par la Noria ou par San-Sébastien.
Les gens de ce dernier village jouissent d'une triste réputation dans tout le Cinaloa ; aussi les convois aiment mieux allonger leur route, pour coucher chez les honnêtes cultivateurs de la Noria.
Il y a même un défilé avec quelques maisons, à
quelques lieues de San-Sébastien, qui prend le nom significatif cl'El-Favar, c'est-à-dire la Faveur, parce qu'il est de tradition, lorsqu'il passe un voyageur, de : Lui demander, chapeau bas, La faveur de quelques ducats.
Il est vrai que si une main tient humblement le chapeau bas, l'autre caresse la crosse d'un revolver.
A notre arrivée à San Sébastien, nous trouvons le village abandonné, à l'exception des maisons habitées par les Espagnols et de celle qu'occupe le cur-é: Nous démolissons pour la forme quelques habitations appartenant à des bandits connus, et nous laissons une petite garnison.
De là, nous nous portons sur Copala, nid d'aigle perché dans la montagne et le plus riche minéral du Cinaloa.
Nous voilà encore une fois dans des routes plutôt faites pour des chèvres que pour des chevaux, ou même pour des hommes raisonnables. Voilà le métier de fantassin qui recommence. Comme c'est amusant pour un chasseur d'Afrique. Enfin , if n'y a pas moyen de faire autrement.
Copala est situé dans un entonnoir , il faut monter la montagne d'abord, et la descendre ensuite.
L'excellent colonel Cotteret, du 62e de ligne, au-
quel je sers d'escorte, se moque impitoyablement, tout le long du chemin, en sa qualité d'officier d'infanterie, de la grimace que fait le cavalier à pied.
Ses plaisanteries augmentent ma mauvaise humeur; s'il n'était pas mon supérieur, je lui répondrais des choses désagréables ; mais je lui revaudrai cela en plaine, quand il voudra venir caracoler avec son gros cheval breton auprès dés chasseurs d'Afrique.
On nous raconte des choses sinistres.
Les espions prétendent que Rubi, le chef des mineurs de Copala, s'est fortifié dans la mine d'une façon formidable, et qu'il veut se servir contre nous, comme moyen de destruction, de tous les produits chimiques qui servent à l'exploitation.
Nous continuons à monter toute la nuit, et à PIED — horreur !
La colonne s'arrête. Merci, mon Dieu.! Je souffle un peu.
Le colonel Cotteret grogne de cc temps d'arrêt et en demande la cause.
L'officier mexicain des troupes alliées de Lozada, qui marche avec nous, arrive tout effaré.
Il nous annonce que le défilé le plus difficile est miné, et que Rubi y a placé les bouteilles en fer, qui servaient dans la mine à contenir le mercure nécessaire à l'exploitation du minerai, et qu'en les
chargeant de poudre jusqu'au goulot, il en a fait des bombes explosibles.
Nous devons tous sauter à l'aide de cette machine infernale d'un nouveau genre.
Le colonel Cotteret hausse les épaules, fait b'ouil. brouh. et recommence à allonger ses grandes jambes.
Je repars en gémissant.
- L'officier de Lozada insiste pour que l'on n'avance pas ; le colonel Cotteret le regarde de travers et lui dit en bon français : S.é poltron. 1 L'officier mexicain ne comprend pas, et me demande la traduction. Je lui réponds que cela veut dire : Mi co~Aso~ mon cœur.
Il a l'air très-étonné, et s'en va murmurant entre ses dents : « Todos esos Franceses son locos. »
b Tous ces Français sont fous. »
Il est cinq heures du matin , le jour se lève ; nous avons passé le défilé sans sauter.
Nous apercevons à deux cents pieds au-dessous de nous la ville de Copala, il faut descendre presqu'àpic.
Les soldats de Rubi, qui ne nous attendaient pas, sortent tout effarés des cases, et se permettent de nous envoyer des coups de fusil, qui n'arrivent pas à moitié chemin.
Le lieutenant d'artillerie Martel riposte par un coup d'obusierde montagne, qui arrive en plein tas.
Pendant ce temps, l'infanterie française, au lieu de descendre les lacets de la côte , s'est laissée littéralement débouler le long de la pente et arrive dans le village. L'ennemi s'enfuit, et il n'y a de blessé que les fonds de culotte de nos hommes.
Quant à moi, j'ai descendu pas à pas avec nos chevaux le long de la route tracée, et j'arrive un gros quart d'heure après la bataille.
C'est la première fois qu'on aura vu des chasseurs d'Afrique en retard!
Lorsque je rejoins, tout le monde est installé !
L'on commence à déjeuner, et le colonel me fait payer bien cher l'absinthe qu'il m'offre, en recommençant ses plaisanteries sur la cavalerie.
Je suis très-humilié, mais, comme j'ai très-soif, je bois tout de même.
Nos hommes ont découvert dans la maison de Rubi des millions. de cigarettes. Le colonel autorise le pillage de cette denrée. On a trouvé aussi beaucoup de bouteilles de liqueurs placés en évidence. Le docteur Chevassu arrête tout le monde, se fait verser un verre, dans lequel il jette quelques gouttes d'une petite fiole; la liqueur change de nuance. Il fait un signe, et les sapeurs cassent toutes les bouteilles à coups de hache.
Il était temps !
Décidément ce llubi est un coquin de la force de son ami Corona.
Du reste, je l'ai déjà dit et je le répète, car c'est la VÉRITÉ : Corona et llubi ne sont pas enfants du Cinaloa ; ils sont venus s'y imposer par la violence, et régnaient avant nous par Ja terreur.
Deux fois déjà, avant notre arrivée, ils avaient imposé de sommes énormes le commerce de iMazatlan et menaçaient cette ville d'un pillage en règle.
San Sébastien et Copala étaient les repaires de ces modernes flibustiers. La prise et la destruction de ces deux cavernes de bandits fut saluée par les acclamations universelles d'une population délivrée de ses bourreaux.
Ce n'était pas une question politique : c'était une question d'humanité qui guidait nos armes.
Tous ces mouvements combinés ont rétabli la paix et la tranquillité dans cette magnifique province. Les convois circulent librement et le commerce renaît.
On plante le coton sans crainte de le voir enlever, une fois la récolte faite.
Nous organisons des petits postes sur tous les points. Quant à moi, je rentre à Mazatlan et je n'en suis pas fâché, mon cheval non plus; nous avons assez de la montagne et des moustiques.
Un remède contre les moustiques
Les moustiques ! voilà encore un de mes désespoirs dans cette sortie; ils m'agaçaient autant que la marche à pied.
J'ai essayé de tous les préservatifs, aussi bien de la fumée de tabac que de toutes les frictions imaginables : le camphre, l'éther, la corne de cerf, l'huile de térébenthine, rien ne m'a réussi.
La seule chose un peu efficace que j'aie trouvée - malheureusement on n'en trouve pas tous les jours — est une espèce d'herbe qui croît au bord de l'eau. C'est une sorte de menthe, qu'on appelle en botanique : Hedeoma palcgioïdes.
On cueille une poignée des plus tendres pousses et, après les avoir écrasées, on s'en frotte les parties nues du cou et du visage.
Est-ce l'odeur aromatique de cette plante qui chasse les moustiques, ou son suc qui brûle leurs pattes, je n'en sais rien ? Toujours est-il que cette opération les met en déroute.
Mais cette application de jus d'herbe n'est pas toutefois sans présenter certains inconvénients : le plus désagréable est la sensation cuisante qu'il produit sur la peau; et dans un climat où le thermomètre marque très-souvent 90° Farenheit, il faut tenir compte de ce désagrément. Souvent le remède ne vaut guère mieux que le mal.
Situation militaire
Nous étions bien loin de toutes relations, et nous ne recevions pas de courriers dans la montagne.
Aussi trouvons-nous, à notre rentrée à Mazatlan, des paquets de lettres et de journaux, soit de l'intérieur du Mexique, soit d'Europe.
Voyons un peu où en est la situation militaire du Mexique. Quant à la politique, je la laisse aux gens dont c'est le métier.
Chihuahua et Monterey sont occupés par le général de Brincourt. Juarez est, dit-on, en Amérique ou caché dans quelque petite ville ignorée du nord du Mexique. Du reste, depuis le commencement dé la campagne, il n'est jamais question de lui que pour mémoire. On rapporte à ce sujet une histoire assez drôle, si elle est vraie, Un peu avant la bataille de Matéhuala, un général mexicain s'était porté sur Chihuahua, sous prétexte de défendre avec ses troupes la personne auguste du président.
Quand il se présenta devant Juarez, il l'assura de son entier dévouement et lui demanda tomme faveur l'autorisation de lui servir de garde.
«( Non, non, senor général, lui aurait répondu le
malicieux Indien (1) ; je saurai toujours bien pourvoir tout seul à ma conservation personnelle ! Je n'ai qu'à monter à cheval avec mes domestiques, quarante-huit heures avant l'arrivée des Français,comme je fais depuis le commencement de la.
la campagne, quant à vous et à vos troupes, utilisez ce beau zèle en allant dans les plaines vaincre ou mourir, à côté de Doblado qui a besoin de renfort. »
Je n'aipas su si le général avait obéi.
Juarez s'est donc retiré devant le général de Brin-- court.
Le général de Castagny va remonjer de Mazatlan à Durango, quand il aura mis en train l'expéadition de Sonora.
En attendant, le colonel SauteroUDupart -s'est porté sur les bords du Rio Florido, jusqu'à Papa&..
cuaro.
Le général Douay occupe tout San Luis et les -pays environnants.Le colonel Dupinetles contre-guérillas tiennent Matamoros, Tuxpam, Tampico et toute la côte du golfe du Mexique, jusqu'à Vera Cruz où sont les Égyptiens.
*
(1) On sait que Juarez est d'origine indienne.
Siége et prise de Oajaca
Nous sommes sur le Pacifique, à Mazatlan, tani dis que les Turcos occupent Acapulco.
Il n'y a plus que Porfirio Diaz, dans l'État de •Oajaca, qui présente une résistance sérieuse. Une colonne française est partie de Mexico pour achever de soumettre le dernier point où il y ait encore un dernier débris régulier de l'armée libérale.
Mais Porfirio Dias est un homme de mérite, et il faut compter avec lui. Seulement il se retire peu à peu devant no& troupes, pour se jeter dans la ville d'Oajaca, capitale de l'État du même nom, qu'il a fortifiée de longue main.
La ville est investie par les troupes françaises ; mais l'on attend le général en chef, qui a voulu faire lui-même le siège.
Les travaux commencent, et l'arrivée du général Bazaine, parti le 9 janvier de Mexico, a doublé l'ardeur des soldats. Il établit son quartier général à Y hacienda Blanca, le 16 janvier, à une lieue de la Ville.
La tranchée est finie, Oajaca est entourée d'un cordon de troupes qui ne laissera échapper personne. C'est démain, 9 février, à cinq heures du matin, que les colonnes d'assaut vont se jeter dans la ville.
Pendant la nuit du 8 au 9, Porfirio Diaz, voyant
la lutte inutile, est venu se rendre prisonnier. Oa, jaca a capitulé. 1 à,000 prisonniers et 60 pièces de canon sont en nos mains. Le génie, l'ascendant moral de notl général en chef a décidé de la prise de cette viy sans coup férir. Ceux de nos camarades qui uu fait cette expédition nous écrivent que c'est fof heureux, car il paraît que la ville était fortifié d'une façon très-intelligente et qu'on aurait eu foi à faire.
J'avoue que je me sens très-fier de faire parti de cette poignée d'hommes qui forment le corjj expéditionnaire du Mexique. Nous ne sommes pa vingt mille combattants, et nous occupons un pag plus grand que l'Europe.
: Devant un pareil état de choses, je ne puis m'em pêcher de hausser les épaules, quand je lis les joui naux français qui s'étonnent de ce que la guerre dj Mexique ne soit pas encore terminée.
Echec de Culliacan
Au milieu de tous nos succès, nous venons d'avoir un léger revers, toujours par suite de cetti insuflisance numérique qui force à tenter les en treprises les plus audacieuses avec une poignée d'hommes.
L'escadre française mouillée en rade de Mazatlan avait, un peu avant notre arrivée, envoyé une petite colonne de débarquement sur Culliacan, ville du Cinaloa, située entre Mazatlan et Guaymas et qu'occupait Rosalès, gouverneur au nom de Juarez.
Le corps de débarquement se composait de deux compagnies de fusiliers marins, d'une compagnie de Turcos - et d'un bataillon de Mexicains alliés. Le tout était sous les ordres d'un capitaine de frégate dont je ne me rappelle plus le nom.
Malheureusement, les renseignements donnés sur l'état du pays étaient inexacts. Cette petite colonne tomba sur un ennemi xlix fois plus nombreux et embusqué derrière des palissades naturelles d'aloèscierges, espèce de roseaux épineux qui forment une muraille presque impénétrable derrière laquelle les Mexicains tiraient à coup sûr.
- Sur une petite hauteur, deux pièces de canon gardées par la cavalerie mexicaine tiraient sur la colonne française. Le capitaine Vérand, qui formait l'avant-garde avec sa compagnie de Turcos, s'élança à la baïonnette et enleva les deux pièces qu'il retourna contre l'ennemi.
A ce moment, la victoire était à nous.
Mais alors, par une fatalité inexplicable, le capitaine de frégate qui commandait l'expédition, peu habitué aux combats de terre, ne se rendant pas compte du succès des Tarcos et trouvant son avant-
garde trop engagée, eut la malheureuse idée d.-.
faire sonner le ralliement. 1 Les Turcos vainqueurs sont arrêtés dans liflfti élan et commencent à se replier sur le gros de l colonne sans y rien comprendre. La cavalerie mexicaine reprend l'offensive en les voyant se reti.
rer.
Le brave capitaine Vérand est tué sur une dea pièces dont il s'était emparé quelques minutes an* paravant, et la victoire se change en déroute.
Les Turcos sont ramenés sur la colonne avec dei.
pertes sérieuses, et les Français battent en retraite.
Devant ce premier échec, les Mexicains alliés t.o..!IiI.
nent casaque et passent du côté de Rosalès.
Cette poignée de Français écrasée parle nombre commence à se retirer en tiraillant, mais les munitions s'épuisent. Ils sont acculés au fond d'un ravin.
Cernés de tous côtés, décimés, recevant des coups de fusil qu'ils ne pouvaient rendre, il fallut céder.
Rosalès a donc entre les mains 80 prisonniers français, dont 6 officiers (1).
On a reçu de leurs nouvelles. Ils ont la vie sauve, : et sont aussi bien traités que possible; mais on ignore en quel endroit du littoral on les a conduits, 1 Rosalès est humain, mais on tremble qu'au mo- j
(1) Le capitaine de frégate ; le lieutenant de Turcos : M. de Saint-Julien; son sous-lieutenant : M. Marquiset; un enseigne de vaisseau ; et deux aspirants de marine. *
meut de sa jonction avec Corona, nos pauvres frères d'armes ne partagent le sgrt des prisonniers de Los Véranos.
Je vois d'ici des gens qui vont dire en France que les Mexicains en fusillant nos prisonniers ne font qu'agir de représailles.
Je proteste énergiquement contre ces idées injustes. Jamais l'armée française n'a fusillé ses prisonniers au Mexique, quand c'étaient des soldats.
Les exécutions qui ont eu lieu n'ont porté que sur des bandits sans foi ni loi, pris après de nombreux brigandages, et n'ont jamais été faites que sur l'arrêt d'une cour martiale composée d'officiers français, c'est-à-dire de gens consciencieux.
Personne au Mexique, même parmi les libéraux, n'a regardé comme soldats, les Buitron, les Rojas, les Carbajal, etc., et tous les gens honnêtes des deux partis ont applaudi au châtiment infligé à ces fléaux de l'humanité.
Je m'arrête, j'aurais l'air de faire de la politique.
Dieu m'en préserve ! Ceci n'est que le récit d'un sol-
dat qui raconte ce qu'il a vu, qui l'exprime comme il l'a ressenti, et qui se garde avant tout de juger les.faits qu'il raconte sans parti pris.
Ce sera l'affaire de celui qui me lira.
Ceci dit, une -fois pour toutes, je reprends mon journal de marche.
i Le Chevalier du Bain 5
Il y a dans le port de Mazatlan une frégate anglaise qui assiste avec le flegme britannique à tous nos mouvements. Les officiers sont rai des et peu communicatifs : nous n'avons avec eux aucune re-lation. Ils vont rarement à terre, et quand onlesrencontre par hasard, on y échange un salut gourmé.
Cependant, comme le drapeau français flotte à Mazatlan, et que le général, de Castagny est gou verneur civil et militaire, le Commodore a été forcée de lui.rendre visite.
A son tour, ce matin, le général français, avec son état major, se transportait à bord du stationnaire qui représente l'Angleterre.
A l'étonnement général de la flotte française et des curieux groupés sur le port, on voit le navire anglais se - pavoiser au moment où le canot du général de Castagny quitte le môle, et tous les matelots anglais, en grande tenue, montent dans les vergues.
Ce sont, nous apprennent nos camarades de la, marine, les plus grands honneurs qu'on puisse rendre à bord, et nous sommes tous très-étonnés de voir cet excès d'amabilité chez les Anglais, qui étaient encore hier si froids, pour ne pas dire si dédaigneux envers nous. Chacun se perd en con-<
jectures, et quand la visite est terminée, nous entourons notre ami de Mascurot, l'officier d'ordonnance du général, pour avoir l'explication de cette démonstration.
En voici la raison : cc Notre bon et brave général « avait été fait Chevalier de l'ordre du Bain pen« dant la campagne de Crimée ; or cette décoration a ne se donne, à ce qu'il paraît, en Angleterre, « qu'aux très-grands personnages. Ce n'était pas « le général français que le Commodore avait voulu « honorer, c'était le Chevalier du Bain. »
Le séjour de Mazatlan nous laissera des souvenirs fort agréables ; c'est une ville gaie et amusante comme tous les ports de mer. Il s'y fait un commerce énorme.
Les ressources culinaires y abondent ; et, ma foi, le soldat en campagne ne dédaigne pas ce détail.
Lès huîtres, le poisson et tous les fruits d'Europe qu'on cultive en Californie, couvrent notre table : enfin nous avons du vin à discrétion.
Il y a si longtemps que nous n'avons bu de ce liquide tout français ! Dans tout le centre du Mexique, on vend à des prix fabuleux des vins aussi frelatés que coûteux ; à Mazatlan, les navires apportent en lest les vins généreux de Bordeaux et du Midi qui, exempts de droits pour l'armée française, nous sont livrés à 35 c. le litre.
On n'apprécie le vin que quand on en a été long-
temps privé, et je ne souhaite pas au lecteur qui
sourira en voyant mon enthousiasme, de faire uaq campagne un peu longue en buvant l'eau claire ffl le plus souvent trouble du ruisseau.
C'est comme les dîners sur l'herbe, je les refus net quand je rentrerai en France ; j'ai assez de parties de campagn(comme cela.
La Sonora
Nous avons donc vu tout le Mexique proprement dit : terres chaudes, terres froides, terres tempérées.
Il ne nous reste plus à voir et à conquérir que la SONO RA : cette terre sur làquelle planent de fantastiques légendes s pays de Cocagn., suivant les uns; désert aride, suivant les autres. Les intaginaa.
tions travaillent : combien de fois ne nous a-t-oh pas écrit de France que le but secret de l'expédition du Mexique était la conquête de la Sonora.
Il y a toujours de malins politiques qui veulent tout expliquer.
En attendant, nous avons la chance d'être désignés pour faire partie de l'expédition.
Ira-t-on par terre à Guaymas ? Ira-t-on par mer?
- C'est décidé, nous irons par mer.
Le général de Gastagny commande lui-même le mouvement.
La colonne expéditionnaire se compose : Du 51e de ligne, colonel Garnier ; D'une batterie d'artillerie; D'une compagnie du génie ; D'une section du T bataillon de chasseurs à pied ; Enfin du 4e escadron du 3e chasseurs d'Afrique.
Trois navires de guerre sont dans le port qui attendent les hommes et les chevaux.
— Allons, pauvres Bidets d'Afrique, encore une fois le pied dans le sdbot, comme disent nos hommes; mais cette fois il n'y a que trois jours de traversée. Les chevaux de la cavalerie et les mulets de l'artillerie arrivent le long du môle; on les embarque dans les chalands qui vont à bord, car les navires sont mouillés à environ une lieue en rade.
L'embarquement S'effectue sans accident, nous avons l'habitude du moilvemefit, et nos chevaux ont le pied marin. A peiiie placés dans leurs stalles, ils hennissent joy eusement pour demander la botte, absolument comme à l'écurie» Nos hommes, que leurs nombreuses traversées ont fait aussi matelots que les marins, sont déjà amarinés et aident à la manœuvre.
Là, vrai; c'est de la belle cavalerie et de fiers troupiers que les Chasseurs d'Afrique.
fttse de Guaymag
Ainsi que nous l'ont annoncé les officiers de marine, le soir du troisième jour on aperçoit la côte de Guaymas. A demain le débarquement.
On braque toute espèce de lunettes : les uns prétendent voir de la cavalerie, les autres de l'artillerie ; je regarde aussi et je ne vois rien du tout ; je crois bien que c'est moi qui ai raison.
J'ai remarqué bien souvent, en campagne, que le souffle de l'imagination trouble le verre des lunettes, et depuis le jour où l'on m'a envoyé charger lin troupeau de bœufs — que tout l'état major du général avait déclaré un régiment de lanciers — je suis comme saint Thomas.
Le jour se lève enfin. Pendant la nuit, les navires se sont rapprochés de la côte; on vient s'embosser à demi-portée de canon du rivage.
Cette fois, il n'est pas besoin de lunettes, on voit à l'œil nu deux escadrons de cavalerie qui se rangent en bataille sur le rivage. On leur envoie un coup de canon qui les fait battre immédiatement en retraite, et le débarquement commence.
La cavalerie mexicaine commandée par Pesquiéra a fait, pour l'acquit de sa conscience, un feu de
peloton en réponse à notre coup de canon, et se retire. On voit Guaymas comme si on était dedans, et les vigies, placées au haut des mâts de la flotte, annoncent l'évacuation complète de la ville par la garnison mexicaine, qui s'en va par la porte du rancho de Guaymas, chemin de l'intérieur des terres.
Il faut donc se décider à débarquer sans coup férir, au grand désespoir de nos camarades de la flotte, qui avaient rêvé toutes les gloires et toutes les récompenses d'un bombardement.
Si ce bombardement eût fait l'affaire des ambitieux, les négociants de la ville ne sont pas du même avis; ils nous attendent à bras ouverts et sont enchantés de la tournure qu'ont pris les événements.
Cela me paraît assez naturel.
Le débarquement s'effectue comme l'embarquement, sans aucun accident : nos chevaux vont s'installer au quartier de cavalerie et mangent philosophiquement la botte laissée dans les rateliers par les lanciers mexicains.
C'est leur habitude depuis le commencement de la campagne, ils ne s'étonnent donc pas trop.
Nous venons d'apprendre une singulière nouvelle.
Les Français faits prisonniers à Culliacan étaient au rancho de Guaymas, petit village situé à une lieue de la ville, au moment même ou nous débarquions.
Si on l'avait su. un temps de galopa et notre escadron avait peut être la chance de les délivrerl Pauvres gens! quelles n'ont pas dû être leurs angoisses et leur inquiétude mêlées d'espérances; quand ils ont entendu le canon de la flotte française.
Quoi qu'il en soit, l'ennemi les a emmenés dans son mouvement de retraite, et ils sont dans l'intérieur des terres. Leur position me préoccupe personnellement beaucoup, car l'un d'eux est un de mes bons amis: M. de Saint-Julien, lieutenant de Turcos.
Nous sommes très-embarrassés pour leur venir en aide. Ils sont prisonniers sur parole, et ne peuvent pas s'évader. Si on marche à leur secours avec une colonne française, l'ennemi les emmènera encore plus avant dans les terres, si même il ne les fusille pas pour s'en débarrasser.
Nous avons de leurs nouvelles par beaucoup de personnes de Guaymas qui les ont Yllfh Ils sont bien traités, Rosàlès est un galant homme. Je suis trèsfier de ce qu'on me dit de mon ami de Saint-Julien ï il paraît qu'il relève le moral de tous ses compagnons d'infortune, et que c'est surtout à sa dignité et à son énergie dans le malheur que l'on doit la bienveillance, je dirai presque la considération que Rosalès témoigne à ses prisonniers.
Le général de Castagny organise le gouvernement au nom deMaximilien. On proclame l'empire.
On installe surtout les douanes comme à Mazat-
lan ; car ces deux ports importants sur le Pacifique sont d'un revenu énorme.
Guaymas a beaucoup d'analogie avec Mazatlan, mais est un peu moins grand, un peu moins riche, 3b lieu moins commerçant.
Mais son port est plus vaste, et surtout plus sûr.
Aussi, pendant la mauvaise saison, tous les navires stationnés à Mazatlan sont obligés de venir se réfu" gier dans la rade de Guaymas.
Ces deux villes et San-Francisco forment un triangle qui est le centre de tout le commerce du Pacifique, et un service régulier de Packets américains relie ces trois ports entre eux chaque semaine, pour passer ensuite par Acapulco, et correspondre avec l'Europe par l'isthme de Panama.
La ville de Guaymas ne se compose, à proprement parler, que d'une grande et longue rue qui est le centre vivant et commerçant de la localité ; des ruelles et des impasses viennent déboucher des deux côtés.
Le commerce, comme celui du Cinaloa, est entre les mains des étrangers.
Ce qui différencie cette ville de Mazatlan, c'est surtout la présence des Indiens Yaquis qui habitent sur les rives d'un petit rio (ruisseau) qui coule à quelques lieues de Guaymas, où ils viennent tous les jours vendre leurs légumes et leurs fruits.
Ils ne reconnaissent pas l'autorité du Mexique,
et yivent indépendants mais inoffensifs, sous le commandement du chef de leur tribu.
Ce sont des Indiens Mansos (c'est-à-dire doux), par opposition aux Indiens Barbaros (Indiens barbares), qui sont les Apaches, les Comanches, et les Pieds-Noirs.
Leslndiens Yaquis,paisibles cultivateurs,sont les jardiniers de Guaymas; on les voit chaque jour dans les rues et au marché de la ville. Plusieurs même d'entre eux'se mettent au service des habitants.
Ils n'ont donc rien de particulier que leur costume, qui est le costume classique des sauvages, avec tatouage, arcs, plumes, flèches, etc. ; mais on n'a rien à redouter d'eux.
Les Apaches et les Comanches, au contraire, invisibles, insaisissables, errants dans les plaines immenses de la Sonora ne donnent signe d'existence que par le vol, le meurtre et l'incendie qu'ils laissent derrière eux comme une traînée sanglante seule trace de leur passage.
Rien qu'à leur nom, tout tremble et tout frémit; des histoires légendaires circulent sur leur compte.
On ne les voit jamais, et ils sont partout : peu de convois se rendent de Guaymas à Urèsou Hermosillo sans avoir quelques méfaits à leur reprocher.
Fidèles du reste à la tactique du sauvage qui-ne s'expose jamais inutilement, ils ne sont dangereux que pour les voyageurs isolés, ou ceux que l'imprudence fait s'écarter de la troupe.
Jusqu'à présent, ils n'avaient guère eu comme armes que leurs flèches et leurs tomahawacks; mais les Américains commencent à leur vendre des fusils et des revolvers. La rage du commerce leur fait faire des livraisons dont ils sont les premières victimes — essayez donc de faire comprendre à un Yankee qu'il. y a des affaires qui ne sont pas faisables.
Le général de Castagny organise la garnison de Guaymas et, voyant que l'ennemi s'est retiré à une cinquantaine de lieues de la ville, il se rembarque pour Mazatlan, point plus central pour le commandement.
Il installe en partant le colonel Garnier comme chef politique et militaire.
Nous ne connaissions le colonel Garnier que comme soldat brillant ; nous voyons un diplomate profond. Il sait se rendre l'idole des tribus Yaquis, Apaches et Comanches. Ces gens se rallient à nous, et s'en vont battant la plaine à notre profit,.
Il arrive à Guaymas des députations de ce monde étrange.
6 mai. — Je viens donc enfin de voir de vrais sauvages, des sauvages tout nus comme ceux des romans de Cooper. J'ai envie de leur demander s'ils ne s'appellent pasUncas, le Grand-Serpent ou le Renard-Subtil.
Les chefs sont reçus par le colonel Garnier qui cause longtemps avec eux.
Les femmes de ces Indiens marchent pêle-mêle avec les guerriers, et comme les deux sexes ont de grands cheveux, on ne peut distinguer danscette horde le mâle de la femelle qu'aux seins plus volumineux. La figure est la même, les Indiens étant imberbes.
En somme, nos nouveaux alliés sont affreux,
8 mai, — La chaleur est tropicale, le thermomètre marque 38 et AO degrés 1 Seigneur, mon Dieu ! faites que l'ennemi ait aussi chaud que nous et nous laisse quelque temps à l'ombre ! Le steamer apporte tous les huit jours la provision de San Francisco : mais dès le quatrième jour, toute la glace est consommée, et il faut, le restant de la semaine, boire l'eau de la ville, qui laisse beaucoup à désirer. Tout n'est pas roses dans notre métier : nous nous rattrapons sur le vin, aussi bon marché ici qu'à Mazatlan.
10 mai. - Hélas,! mes vœux n'ontpas étéexaucés.
L'ennemi, loin de s'endormir comme nous par la chaleur, s'est réveillé, à ce qu'il paraît. On annonce l'arrivée de Pesquiéra avec des renforts considérables. Il est campé au défilé de la Passion, à une dizaine de lieues de nous.
14 mai.—La nouvelle de la présence de Pesquiéra se confirme. L'ennemi est décidément presque sous
les murs de Guaymas. Il a été enhardi par le départ, du général de Castagny et la faiblesse numérique de la petite garnison laissée au colonel Garnier.
En vérité nous sommes bien peu. Deux bataillons du 51a de ligne, une section d'artillerie et une division (deux pelotons) du he escadron du 3e chasseurs d'Afrique, 70 cavaliers commandés par le commandant du Ferron ayant sous ses ordres le capitaine Adam.On sent déjà dans. la ville le voisinage de l'ennemi.
Les figures se refroidissent à notre endroit. Les commerçants étrangers sont inquiets. Beaucoup de jeunes gens qui étaient nos amis disparaissent un à un : leur famille les dit en voyage ; ils sont allés rejoindre Pesquiéra dans la montagne.
Qu'on n'y voie pas la moindre idée politique : le Mexicain change d'opinion avec la plus grande facilité. Si nous sommes vainqueurs, nous aurons raison ; si nous sommes vaincus, tout le monde sera contre nous.
Et puis, l'on sait bien que les Français ne sont pas méchants ; au contraire, il y aurait danger énorme à ne pas faire au moins semblant de marcher avec Pesquiéra, si par hasard il s'empare de la ville; car les Mexicains entre eux professent la fusillade en matière politique sur une grande échelle, et celui qui n'est pas avec eux est contre eux.
On sait encore que nous respectons les propriétés, tandis que les familles qui n'auront pas un de leurs membres dans les rangs des libéraux cou-i rent grand risque d'être pillées, dans le cas où la ville serait prise.
Habitués depuis longtemps à ces fluctuations d'opinions dans la société mexicaine, nous ne voyons là qu'un indice certain de l'arrivée de l'ennemi, et cela ne nous empêche pas de rire et de danser avec une quantité de femmes charmantes, dont le frère ou le mari est parti pour rejoindre nos ennemis.
Le Combat de la Passion
Au lieu d'attendre Pesquiéra, le colonel Garnier préfère marcher à sa rencontre.
16 mai. — Nous sortons à trois heures du matin .par la porte du rancho de Guaymas avec une colonne légère ainsi composée : 1 bataillon du 51me ; 2 pièces de campagnes ; 1 section du génie ; Les ambulances, etc., etc.
'Enfin, 70 chasseurs d'Afrique aux ordres du
commandant du Ferron. La cavalerie marche en avant-garde. C'est l'habitude dans la guerre du Mexique, Excepté dans quelques pays très-accidentés, la configuration générale du sol peu boisé a fait adopter cet ordre de marche. Du reste, les Avançadas (postes avancés) des Mexicains étant toujours formés de cavalerie, il a bien fallu leur opposer de la cavalerie.
A six ou sept lieues de Guaymas, les chasseurs d'Afrique aperçoivent de la poussière dans un petit village indien, à un- kilomètre sur la droite ; on entend. quelques coups de feu, et des Indiens effarés viennent se jeter dans les jambes de nos chevaux.
Ils nous apprennent qu'une centaine de Lanciers mexicains sont dans le pneblo (village) en train d'enlever des bestiaux pour ravitailler le camp de Pesquiéra. Nous partons au trot et nous venons interrompre le cours de leurs opérations.
Les pillards surpris par cette attaque inattendue abandonnent leur butin et se sauvent dans la direction de leur camp.
Une vingtaine de retardataires sont sabrés dans le village, à la grande joie des Indiens qui, sans se mêler à la bagarre, courent après leurs bœufs qu'ils font rentrer ; et machinalement, d'instinct, sans réflexion, nous continuons à galoper après les fuyards.
L'infanterie, qui marchaità environ une lieue der-
rière, ne s'aperçoit pas de suite du mouvement.
seulement au bout de quelque temps le coloig^ Garnier, ne voyant plus son avant garde, prend pas de course avec le restaat de la colonne. 1 Tout en poursuivant nos cavaliers, nous notlll éloignons beaucoup de l'infanterie sans timig- en apercevoir : on atteignait de temps à autre un des moins bien montés, et, tout en le jetant o~r, terre d'un coup de sabre -en passant, on continuait à galoper après le gros des fuyards. C'était peut..
être bien une faute militaire, mais la poursuite a quelque chose d'entraînant, et quand on a le sabre à la main etijabon cheval dans les jambes, onneraU sonne pas comme lorsqu'on est assis au coin du fpjh.
A force de marcher on fait beaucoup de chemin.
Nous voyions avec étonnement l'application de ce proverbe troupier, quand au détour de la route nous.
nous trouvons nez à nez avec le camp de Pesquiéra r effectif 3,000 hommes, et nous sommes 70.
Voici l'aspect des lieux ; Pesquiéra s'était campé dans le canion (ùéfilé) - de la Passion : ses tentes étaient sur les flancs des deux montagnes qui forment ce défilé, son artillerie commandait la route qui traversait le camp et_ sur laquelle nous étions.
Comme nous poursuivons littéralement l'en- nemi l'épée dans les reins, nous arrivons pêle-mêle avec les lanciers libéraux. L'ennemi se trouve aussi surpris que nous.
Nous étions au milieu de la poussière, on ne pouvait guère nous compter, et Pesquiéra ne pouvait jamais supposer que 70 hommes avaient l'audace d'en attaquer 8,000 !
Entre nous soit dit,—et tout bas, — nous n'y serions pas venus non plus si nous avions pensé trouver le camp tout entier.
Quoi qu'il en soit, le vin est tiré, il-faut le boire, d'autant plus que les Mexicains commencent à revenir de leur première surprise et courent à leurs pièces. Si nous hésitons un instant, nous sommes mitraillés dans un chemin creux d'où nous ne sortirons pas.
Le commandant du Ferron et le capitaine Adam se regardent un instant, puis d'un commun accord, sans hésiter, s'élancent les premiers sur l'ennemi.
Nous passons comme la foudre sur le camp en désordre, semant la terreur et l'épouvante sur notre passage. Notre charge a été si rapide, si imprévue, que nous ne perdons presque personne.
L'infanterie mexicaine, placée sur les deux côtés qui dominent le chemin creux, fait un feu roulant sur nous; mais comme les soldats mexicains tirent trop haut, ils s'entretuent de la meilleure foi du monde. Le camp traversé, les hommes ralliés, le commandant du Ferron voit l'infanterie du colonel Garnier quiarriveaupasdecourse; ilselanceàcorps perdu sur le camp et le traverse une seconde fois dans un autre sens.
Cette seconde charge à fond de train augmenta le désordre, et l'ennemi est en pleine déroute quand, la colonne française arrive.
Nos chevaux sont trop fatigués pour continuer la poursuite, c'est l'artillerie qui se charge de conduire à coups de canon les derniers fuyards.
Le colonel Garnier regarde ce camp ravagé par une poignéè d'hommes : « J'avais envie de vous gronder, dit-il au com« mandant du Ferron pour vous être engagé sans « moi, mais je n'en ai plus le courage en voyant la « besogne que vous avez faite. »
On fait l'appel : nous avons perdu 6 hommes; le capitaine Adam est blessé, et mon pauvre ami le sous-lieutenant de Torrebren est mort. Il a dû tomber dans la première charge, car, outre deux balles qu'il a reçues en pleine poitrine, on lui a fra- ç cassé la tête à coups de crosse de fusil.
Au bout d'une heure de repos, nous repartons pour Guaymas : il y a encore dix lieues à faire pour rentrer à la ville. La chaleur est extrême, mais la joie delà victoire nous soutient. L'infanterie, qui n'a pas eu la chance d'être de la fête, tire la guêtre et maronne.
Vers les cinq heures, nous repassons par ce petit rancho où nous avions rencontré les premiers cavaliers ennemis.
Je n'oublierai jamais ce moment-là.
Il y avait des auges destinées à abreuver les bes-
tiaux ; tout le monde s'y rue, bêtes et gens, la tête la première. Les cavaliers mettent pied à terre et boivent à même, le nez dans l'eau, à côté de leurs chevaux.
On ne se doute pas de la soif que l'on éprouve après un combat. Indépendamment de l'action produite sur le gosier par la poussière, la fumée de la poudre, les cris, il y a une sensation terrible qui étreint le cœur et la gorge, et dont l'effet physique est de dessécher les glandes salivaires.
Notre chirurgien a voulu m'expliquer pourquoi.
Comme il est matérialiste, je ne l'ai pas écouté.
IL y a des gens qui prétendent n'éprouver aucune émotion en marchant au feu. J'avoue en toute humilité que je ne suis pas de ceux-là, et je ne suis pas très-convaincu de leur bonne foi.
Pour moi, lorsqu'on annonce l'arrivée de l'ennemi, je ne suis pas enchanté, quoique je fasse bonne contenance autant que possible. Quand les premières balles arrivent, j'ai le cœur serré. Si je vois tomber à côté de moi un camarade, je commence à enrager; dès que l'affaire est en train et que je vois du sang sur ma lame de sabre, je me laisse aller à la colère ; alors je fais comme tout le monde.
Le troupier, qui est un profond philosophe, résume ces impressions successives, en disant : (( Il vaut mieux tuer le diable que le diable vous« tue. »
L'affaire finie, on ressent un bien-être extrême;.
on respire, c'est le mot. Alors s'opère une espèce de réaction : tous les hommes vraiment courageux sont généreux après la victoire.
On a des regrets pour les amis qu'on a perdus ; mais cette sensation est un peu effacée par la joie du succès. Puis, l'égoïsme humain reprenant le dessus, on commence à songer aux avantages que va donner ce nouveau triomphe, - chacun suivant son caractère.
Les grands cœurs pensent à la gloire de leur pays.
Un échelon plus bas, on pense à la sienne propre, à son avancement, aux récompenses.
Au bas de l'échelle, chez certains peuples, on compte avec avidité le butin.
Nous rentrons à Guaymas. La population nous attend sur les portes et nous félicite. Ceux-là même dont l'opinion nous est contraire, aiment mieux au fond du cœur nous voir arriver que les troupes indisciplinées de Pesquiéra.
Les Français respectent les propriétés.
Beaucoup de gens qui avaient disparu ces derniers jours, reparaissent.
Nous venons ce matin d'enterrer notre camarade de Torrebren. Il est couché sous la terre du Mexique à côté de Raousset-Boulbon. Les cinq chasseurs d'Afrique, tués à côté de lui, sont placés autour de sa tombe. De modestes croix indiqueront aux générations futures où gisent ces vaillants.
Leurs noms seront écrits sur un marbre que nous avons commandé à San-Francisco.
Nos rangs s'éclaircissent; quelques-uns déjà de nos joyeux compagnons de l'Aube nous ont quittés, et pour toujours.
L'armée française est si peu nombreuse, que tout le monde s'y connaît; une mort parmi nous, c'est un deuil de famille.
Nous sommes bien peu, et le Mexique est bien grand !
Au diable les idées tristes, le soldat ne doit pas réflexionner!
L'armée de Pesquiéra, dissipée (c'est le mot) par ce coup de main, s'est fondue comme la neige au soleil. C'est le propre des troupes mexicaines, toujours recrutées soit par la crainte, soit par l'argent.
La ville de Guaymas prend un air de fête et de tranquillité que nous ne lui connaissions pas encore.
Le colonel Garnier est l'idole des populations. Il donne un peu de repos aux troupes. Les Indiens Yaquis guerroient pour notre compte dans la Sierra et poursuivent les fuyards du combat de la Passion.
Ce repos momentané des troupes a un but.
Notre chef veut pacifier la Sonora et faire une grande expédition dans quelques semaines jusqu'à Urës et Hermosillo - frontières extrêmes de l'empire de Maximilien,
Délivrance des prisonniers de Culliacan.
18 juillet.— Le fidèle Jean Couvrat, mon ordonnance, se précipite dès l'aurore dans ma chambre et me réveille en sursaut : « Mon lieutenant, mon lieutenant, réveillez-vous. »
— Quoi? qu'est-ce qu'il y a, faut-il encore monter à cheval par alerte? soupirai-je en m'éveillant de mauvaise humeur.
— Non, non, dépêchez-vous ; voilà votre pantalon, vos bottes, ils arrivent.
— Mais qui, animal. l'ennemi?
— Non, mon lieutenant, ce n'est pas du mauvais, c'est du bon, mais dépêchez-vous pour les voir entrer.
— Mais qui donc, à la fin?
— Votre ami de Saint-Julien et les prisonniers de Calliacan.
Le fidèle Couvrat n a plus besoin de me presser, je m'habille au galop avec ce que je trouve sous ma main, et je suis bientôt dans la rue.
Tout le monde était dehors, et j'avais bien fait de me presser, car ils arrivaient.
C'étaient eux, bien eux, escortés d'une bande de sauvages, mais là, des vrais. Cela valait bien toutes les mises en scènes d'un théâtre de Paris.
Oui nos bons, nos braves camarades venaient
d'être délivrés par les Indiens Yaquis qui nous les ramenaient en triomphe.
Qu'on me laisse crier ici du fond du cœur : « Honneur et merci au colonel Garnier ! »
Il était là aussi, les yeux pleins de douces larmes; il nous dit enfin ce secret qu'il gardait. La joie de ses rapides succès en Sonora était troublée par la pensée qu'à soixante lieues de lui, des Français étaient entre les mains de cet ennemi qu'il venait de vaincre. Aucun moyen dA leur porter secours. La moindre démonstration armée en leur faveur eût été un arrêt de mort.
Le colonel Garnier se confia à un chef Yaquis.
Ceci nous explique ses longues conférences avec les sauvages, les allées et venues de ceux-ci dans la ville, la confiance qu'il leur témoignait, et que plusieurs d'entre nous s'étaient empressés de critiquer avec la bienveillance qui caractérise l'esprit français.
J'étais de ceux-là, j'ai donc le droit de faire leur procès.
La première effusion passée, nous leur faisons raconter les détails de leur captivité et de leur délivrance.
Traînés à la suite de l'armée mexicaine que nous avions pourchassée devant nous, ils en avaient partagé les misères. Cependant ils n'avaient jamais été maltraités ni humiliés: on les traitait avec un certain respect; mais ils avaient souffert matériel-
lement, car les troupes de Rosalès ne jouissaient pas elles-mêmes d'un bien-être complet.
Après la déroule de la Passion et la défaite de Pesquiéra, les forces mexicaines s'étaient tout à fait désorganisées et les prisonniers restèrent à la garde d'une petite troupe de cavaliers, dans un village de l'intérieur.
Un matin, un Indien à l'air idiot avait tourné autour des officiers prisonniers et leur avait remis.
un message du colonel Garnier : « Tenez-vous prêts et ne vous étonnez de rien. »
La nuit venue, ils entendirent des coups de feu, une grande bagarre. Les Indiens avaient fait irruption dans le village, Ils enlevèrent les prisonniers, absolument comme ils auraient enlevé un troupeau de bœufs ou de chevaux.
Le chemin ne fut pas encore exempt d'émotions.
Les prisonniers délivrés n'avaient pas d'armes, et plus de soixante lieues les séparaient de nous. Pendant deux jours, une colonne de cavalerie marcha à leur hauteur, à une distance de trois ou quatre lieues dans la plaine, Elle ne les aperçut pas, ou peut-être n'osa pas les attaquer. Bref, ils viennent d'arriver sans encombre, fatigués, maigres, pâles, décharnés, mais sains et saufs.
Sans compter la joie que nous cause le retour de nos frères d'armes, cet évènement a une portée politique très-grande. Leur délivrance augmente lé
prestige de nos armes, et démontre la décompo- sition complète des forces qui marchaient sous le drapeau de Juarez en Sonora.
Les batteurs d'estrade du colonel Garnier lui ont rapporté les nouvelles suivantes: toutes les routes sont libres ; les habitants d'Urès et d'Hermosillo attendent avec impatience l'arrivée des Français pour reconnaître officiellement le gouvernement de Maximilien.
En quittant le territoire de la Sonora, les débris de l'armée mexicaine se sont pris de querelles entre eux. Quand il n'y a "plus de foin au râtelier les chevaux se battent. Rosalès a été tué.
Les prisonniers de Culliacan ont été attristés de cette mort car c'était, à ce qu'il paraît, un honnête homme, et les officiers français tombés momentanément en son pouvoir n'ont eu qu'à se louer de ses procédés à leur égard.
Occupation fTtJrèe et d'IIei'iposîllo
22 juillet.-Le colonel Garnier se met en marche avec trois compagnies d'infanterie et un peloton de cavalerie. Notre route est une véritable promenade militaire ; nous arrivons à Hermosillo le 28 juillet, et à Urès le 15 août, sans tirer un coup de fusil.
v Bien plus, les habitants ont envoyé, à deux jours de distance, mulets et voitures au devant de notre infanterie.
Si nous ne souffrons pas du feu de l'ennemi, celui du bon Dieu, en revanche, ne nous ménage pas ; il fait une chaleur plus que tropicale. Nous avons perdu quatre hommes par suite d'insolation.
Du reste, cette Sonora si vantée des voyageurs, n'est qu'un immense désert qui ne sera jamais cultivable, par suite du manque d'eau.
Urès et Hermosillo surtout sont encore pleines du nom de Raousset-Boulbon.
Ce hardi compagnon vit encore dans le souvenir des populations, et l'on nous reçoit un peu en héros de roman.
Nous en profitons.
Réflexions déplacées
Nous avons donc vu la Sonora tout entière. Les récits merveilleux, les romans pleins de fantaisie qui se sont faits sur cette terre généralement inconnue, même de la grande majorité des Mexicains eux-mêmes, sont faux et mensongers.
La Sonora n'est pour ainsi dire qu'une série de plaines arides dont le sol recèle à la vérité quel-
ques richesses minérales, mais qui ne sont pas assez considérables pour compenser les frais d'extraction. L'émigration, si grande et si énergique qu'on puisse la rêver, n'en tirerait absolument rien, par une raison bien simple à laquelle n'ont pas songé tous les grands faiseurs de projets. IL s'y A PAS D'EAU.
Voilà la vérité sur ce pays légendaire, en dépit des racontars de soi-disant voyageurs qui n' y ont jamais été.
Mais la belle, la riche, la profitable colonie que je souhaiterais à ma patrie, c'est l'état de Cinaloa.
Fortifié naturellement par les cimes imposantes de la Sierra-Madre, dont les contreforts l'entourent de toutes parts comme d'une réelle muraille, ne laissant accès que par deux défilés, l'un venant de Durango, l'autre de Tépic, ce coin de terre se garderait avec une poignée de troupes aidée d'une faible station navale pour commander le port.
Cette séparation tracée par la main de la nature, est tellement sensible, que les habitants du
Cinaloa eux-mêmes se donnent un nom différent du restant du Mexicain. Ils se disent entre eux Jarochos (gens de l'arc) et lancent avec dédain au reste des Mexicains l'appellation de Chilel'os (mangeurs de chile (1).
Tout abonde dans ce petit paradis terrestre,
- (1) Le chile est une sauce au piment, particulière aux gens des hauts plateaux.
dont je suis enthousiaste parce que je le connais à fond, y ayant fait six mois la guerre de partisan.
Des forêts, que la hache n'a jamais entamées, donneraient des bois de construction sans égaux et qui descendraient jusqu'au port, par la rivière du Présidio, très-canalisable.
Les mines de Panuco et de Copala y sont en pleine exploitation ; d'autres filons déjà découverts n'attendent que des bras pour livrer leurs richesses.
En général, tous les pays de mines sont stériles ; le Cinaloa est une heureuse exception sous ce rapport, de même que San Francisco. Car, il faut qu'on le sache bien, en Californie les richesses agricoles ne le cèdent en rien aux richesses minérales , d'où le développement incroyable et rapide de ce point, un des plus beaux fleurons de l'Amérique : San Francisco peut nourrir et payer un grand peuple, et pendant la dernière guerre, envoyait à New-York ses grains et son or.
On pourrait tirer davantage encore du Cinaloa, et le nom de Mazatlan marcherait bientôt de pair avec celui de San Francisco, si.
Le coton , que les Américains réfugiés du Sud y sont venus planter cette année , a dépassé les espérances les plus ambitieuses , en dépit des accidents résultant de la guerre. Que serait-ce avec la tranquillité ! Les tabacs, la canne à sucre, le café, tous les fruits des tropiques, aussi bien
que ceux de 1 Europe, sont en plein rapport dans ee petit coin de terre béni du ciel. On peut y obtenir toutes les cultures , par la raison bien simple que ce sol accidenté présente toutes les altitudes et par conséquent toutes les températures.
Les pins et la neige de las Russias sont, à dix lieues de là, remplacés par les orangers en fleurs de Durasnito. Et de plus. Au fait, tout ceci ne me regarde pas.
Quel besoin ai-je, en effet, moi qui ne suis qu'un soldat — pas laboureur — de me mêler de pareilles questions. Je ne me sens pas capable de traiter de semblables sujets.
Ne sator ultra crepidam.
Je ne sais que raconter ce que j'ai vu, et ne me sens pas de force à le commenter. J'ai du reste d'autres idées en ce moment. Parti d'Afrique pour le Mexique , il y a huit ans que je n'ai vu ni ma famille, ni la France. Les Terres Chaudes m'ont un peu fatigué, on m'accorde un congé de convalescence, j'en profite.
J'apprends que je vais faire partie du grand convoi qui doit ramener les libérables en France, et que nous allons successivement les prendre sur notre passage , chemin faisant, en redescendant du fond de la Sonora au port de la Vera-Cruz.
Je vais donc traverser une seconde fois le
Mexique dans sa longueur ; mais, cette fois, le voyage va se faire — espérons-le — lelsabre dans le fourreau et tranquillement. J'aurai le temps de regarder un peu le paysage; ce sera une vraie promenade de touriste.
FIN DU LIVRE TROISIÈME.
LIVRE IV
LE RETOUR
LIVRE IV
LE RETOUR
Départ pour France
3 septembre. — Je tiens mon congé de convalescence! Ma foi, j'aime bien mon régiment, la gloire a des charmes, cependant le cœur me bat en songeant à la France que je n'ai pas vue depuis si longtemps, et à tous les miens. Mon sentiment est, je crois, partagé par les hommes que j'emmène.
On m'a remis leurs papiers. Je les préviens que, conformément aux ordres du maréchal Ba:zaine, je ne dois les leur donner qu'à bord du tnavire qui les ramènera en France, et que toute
faute grave durant le cours de la route, condui droit à un conseil de discipline qui les retiendra un temps plus ou moins long. Je peux dormir sur les deux oreilles avec cet mesure, mon monde va marcher droit. Ces ge ont comme moi soif du pays , et je crois que 1 Mexicains qui viendraient tenter de nous arrêtei en route, seraient mal reçus.
Nous voilà partis !
Un adieu aux camarades qui restent, et pui nous allons allonger le pas, car il y a un fameux ruban de queue d'Hermosillo à Vera-Cruz: tout bonnement un peu plus de 500 lieues. Nous sommes fixés sur les distances, car c'est u chemin que nous venons de faire le sabre à laq main. Nous revoyons une seconde fois Guaymas, son port, et l'excellent colonel Garnier.
Le bruit court qu'il est enfin nommé général; le troupier, bon juge en pareille matière, dit qu'il ne l'a pas volé. Voici les chalands qui viennent chercher nos chevaux. Nous remontons à bord. Dans trois jour nous serons à Mazatlan. Nous nous retrouvons comme chez nous. C'est encore le d'Assas qui nou transporte, ce sont les mêmes officiers qui noua ont amenés, et nous reprenons des parties de whist inachevées.
Le temps est beau ; nous ne mettons pas les soi
xante-douze heures habituelles de traversée. Voici Mazatlan ; nous sommes en rade, et nous débarquons sur le wharf (jetée en bois).
On nous attend, car il y a ici un escadron du 3me et deux du 1er chasseurs d'Afrique, aux ordres du colonel du Parc.
Les moustaches se frottent les unes contre les autres, car l'accolade est encore très-usitée dans la vie de régiment, et surtout en campagne. On boit un peu : on est si content de se revoir, et il fait si chaud!
Nous racontons à nos amis la campagne de Sonora : eux, àleur tour nous parlent de leurs courses au clocher dans toutes les directions du Cinaloa.
Corona est toujours insaisissable et fait dans la montagne une véritable guerre de partisans.
Du côté de Tépic, il est contenu par la présence de Lozada ; du côté de Durango, par les troupes françaises. Il se tient dans la Sierra, dans l'espace compris entre Culliacan et la Noria. On avait beaucoup compté sur la coopération de Lozada, son ennemi personnel, pour le saisir ; maison ne s'explique pas trop l'inaction de celui-ci.
Lozada est un général mexicain du parti de l'intervention, qui jouit d'une grande célébrité, et surtout d'une influence énorme dans son parti; mais il est essentiellement l'homme du clergé, dont le pouvoir occulte est sans bornes au lexique. Or le clergé est un peu en froid avec Maximilien, au
sujet de la fameuse question des biens de l'Eglise devenus propriété nationale.
Lozada se contente de barrer le passage à Corona, mais ne tente aucun mouvement contre lui.
Nous restons quelques jours à nous reposer à Mazatlan, et l'on nous prévient de nous tenir prêts à partir avec le général Aymard pour Durango.Je dis adieu à mes camarades du 3e chasseurs d'Afrique, et pars chargé de lettres et de commissions pour leurs familles. Si je suis heureux en pensant à la France, j'ai cependant le cœur un peu gros en me séparant de mes compagnons de périls et d'aventures depuis bientôt quatre ans.
La Sierra
Nous remontons cette splendide Sierra, que nous avions descendue en venant à Mazatlan, nous repassons en sens inverse l'Espina del Diablo, et quand nous revoyons en voyageurs ces défilés impossibles, où il faut prendre garde à chaque pas en côtoyant les précipices, nous ne pouvons nous empêcher d'admirer encore le combat magnifique du colonel Garnier, qui a enlevé à la baïonnette cette position imprenable en apparence.
Au-dessus de l'abîme que nous longeons en tremblant, planent des zopilotes (vautours) au vol circulaire; on voit briller au fond, à 2,000 mètres peut-être au-dessous de nous, des armes et des lambeaux d'uniformes: ce sont les restes des Mexicains culbutés par l'héroïque 51e.
Nous voici à Durasnito la limite des Terres Chaudes, et la montagne escarpée se dresse devant nous. Les hommes voyagent en chemise depuis Mazatlan, et les lourds uniformes de drap sont sur la selle des chevaux ; il y a de 38 à AO degrés - de chaleur à l'ombre. Nous bivouaquons sous des pêchers en fleurs. Demain, nous commençons à entrer dans la Sierra ; il nous faut monter pendant quatre étapes.
Le quatrième jour après notre départ de Duras nito (en mexicain, le petit pêcher) nous sommes à las Russias.
L'endroit est bien nommé : il y a un pied de neige, et aujourd'hui le bivouac est établi sous des pins séculaires, une véritable forêt de Pologne.
Les cabans, les criméennes, les couvertures ne sont pas de trop, et des arbres entiers flambent toute la nuit. Tout le monde se chauffe, y compris nos pauvres chevaux qui, les crins hérissés, la queue entre les jambes, des glaçons au bout du nez, regardent piteusement le feu et tendent le cou pour s'en approcher autant que le leur permet leur entrave.
Des loups et des coyotes hurlent toute la nuit autour du bivouac.
Il y a un an que nous campions au même endroit; maisalorsnous allions à la guerre, et nous n'avions pas le temps de faire des réflexions sur le paysage.
Malgré le temps, tout le monde est de bonne humeur. La France est encore bien loin, mais nous marchons vers elle, au lieu de lui tourner le dos.
Ce sentiment est tellement puissant, sans être défini, que l'étape se fait d'un pas alerte. Nous mettons une heure de moins chaque jour pour faire le même chemin que l'année dernière, ce qui prouve un mouvement instinctif et machinal chez chacun ; car pourtant nos étapes sont tracées et nous ne pouvons les doubler.
La route se fait en riant et en chantant, ce qui la raccourcit. Nos hommes, aussi pressés d'arriver que nI/US, font tout avec empressement ; il n'est besoin de s'occuper de rien : c'est le cas de dire que tout marche comme sur des roulettes.
5 novembre. — Du haut de la montagne, nous voyons Durango. Nous y touchons. nous y sommes !
Ici encore, comme à Mazatlan, nous allons avoir un repos d'une huitaine de jours, jusqu'à ce qu'on j organise le convoi avec lequel nous devons repartir. Cette fois, je vais tout droit descendre chez
[mon ami le colonel Arce (1), mon ancien adversaire de Cholula.
Je suis reçu à bras ouverts. Quand une fois les [Mexicains se mettent à vous aimer, ce n'est pas à demi, et ils sont plus sérieusement dévoués que nous.
Je revois à Durango d'anciens amis et de nouvelles figures. Il nous est arrivé de nouveaux officiers d'Afrique et de France, amenant les hommes destinés à remplacer les congédiés qui partent avec moi. Nous autres au Mexique depuis tantôt quatre ans, nous sommes un peu des vieux de la ineille pour ces nouveaux venus, qui nous arrivent pleins d'ardeur.
Hélas ! il en faudrait voir venir beaucoup de nouveaux, car les rangs des anciens s'éclaircissent..
Et les gens qui, du haut d'une tribune, armés d'une éloquence aussi brillante qu'inconséquente, se sont opposés de parti-pris à l'envoi de nouveaux renforts, sont bien coupables s'ils se sont douté du mal qu'ils nous ont fait.
Du reste, je ne sais pas de quoi je vais me mêler là. Je me borne à regretter qu'ils n'aient pas été de la fête, eux aussi, et appelés à mettre comme nous les morceaux doubles.
(t) Voir plus haut, page 184.
1 Situation militaire
Je me renseigne un peu sur l'état général des choses, car au fond de la Sonora, nous n'avions pas beaucoup de nouvelles.
Voici la position de l'armée française.
Le maréchal Bazaine est au centre, à Mexico, d'où il dirige tous les mouvements.
La division du général Douai a son quartier général à San-Luis de Potosi. Il est bien entendu que les points intermédiaires sont occupés par les généraux de brigade Neigre, Aymard., de Brincourt, etc., ou par des colonels commandants supérieurs.
Les Terres-Chaudes jusqu'à Tampico sont gardées par la contre-guérilla du colonel Dupin ; les Égyptiens occupent Vera-Cruz, et les Turcos : Acapulco.
L'armée de Maximilien s'organise peu à peu et se forme.
Juarez ne donne pas signe de vie, sinon par sa querelle avec Gonzalès Ortéga, qui veut être nommé président à son tour, sous prétexte que les cinq années de la présidence de Benito Juarez sont écoulées.
Il a des partisans, comme tout individu qui voudra faire, dans ce malheureux pays, un semblant
d'opposition à l'ordre de choses établi. Le Mexicain adore le désordre : c'est si commode de pêcher en eau trouble !
C'est tellement vrai, que je suis convaincu que si demain, par impossible, la France adoptait Juarez et reniait Maximilien, les bandits qui rançonnent les gens tranquilles au nom de la liberté expirante, en seraient quittes pour changer la couleur des flammes de leurs lances, et battraient le pays, levant des contributions au nom de Maximiiien, en se disant impérialistes.
Je laisse tous les déclamateurs qui ont parlé en France sur la question mexicaine se récrier contre moi tant qu'ils voudront.
J'ai vu le pays de plus près qu'eux, et je n'ai aucune espèce d'intérêt à ne pas dire la vérité.
La vérité, la voici : elle déplaira peut-être, parce qu'elle est toute nue. Ce n'est pas ma faute ; c'est la spécialité de la vérité vraie d'être ainsi.
Il n'y a pas sérieusement DE CONVICTIONS POLITIQUES au Mexique.
Il y a des INTÉRÊTS.
Cela étonnera beaucoup les Français, car c'est tout le contraire en France, n'est-ce pas?
Il est vrai que le caractère mexicain diffère beaucoup du caractère français, et chaque Mexicain entend ses intérêts politiques à sa manière, toujours pour le présent, jamais pour l'avenir ; cela fatiguerait son esprit de penser aussi loin.
Le clergé, cette puissance avec laquelle il faut compter beaucoup au Mexique, sera impérialiste si l'empereur Maximilien lui rend ses biens, que Juarez, président de la république, lui a ôtés. Il serait républicain dans le cas inverse.
Chaque Mexicain raisonne pour lui-même, comme le clergé.
Quant à l'Indien, qui, à mon sens, devrait constituer le vrai peuple mexicain, il n'est même pas consulté. On l'enrôle par force d'un côté ou de l'autre, sous les drapeaux du parti qui passe dans son village. Aussi il se bat - ma foi très-bien mais avec une insouciance complète, pour Je compte de n'importe qui.
Je me rappelle que, le lendemain du combat de San Lorenzo, le colonel du Barail est venu attaquer San Martino avec deux escadrons du 3e chasseurs. d'Afrique , ayant pour toute infanterie deux bataillons mexicains, composés des prisonniers faits la veille à l'armée de Comonfort, et que ces bonnes gens firent admirablement le coup de feu, à côté de nous, sur leurs camarades d'hier.
Ce qui les avait surtout enthousiasmés, c'est que les intendants français les nourrissaient mieux que les intendants mexicains, et que les officiers de Marquèz, surveillés par le contrôle français, leur volaient un peu moins de solde que les officiers libéraux.
La grande plaie de l'armée mexicaine, il faut le
dire, ce sont les officiers. Tout ce qui est officier subalterne fait partie de ce qu'on appelle medio pelo (littéralement, demi-poil). Ces gens qui n'ont reçu qu'une demi-éducation ont pris tous les vices de la classe supérieure, sans en prendre les qualités, y joignant l'ignorance et les bas penchants de la classe inférieure.
La première réforme que Maximilien devrait tenter dans son armée serait la révision de tous les grades militaires; mais que de difficultés, que de mécontents qui se jetteraient alors dans le parti opposé, augmentant le nombre de tous les déclassés du nouvel ordre de choses.
La tâche n'est pas facile.
messieurs les voyageurs pour France, en voiture !
4 décèmbre. — On forme notre convoi. Avec les libérables partent les convalescents, les blessés, les estropiés. Cinquante chariots attelés chacun de douze à quinze mules, viennent avec nous, pour emmener ceux qui ne peuvent marcher. L'escorte est toute trouvée, ce sont nos libérables dont le nombre va s'augmenter dans chaque ville, puisque nous les prendrons au fur et à mesure.
Tout notre monde est armé, tous ont envie de revoir la France : nous ne serons pas faciles à arrêter. Du reste, en ce moment, la route jusqu'à Vera-Cruz est tranquille, sauf quelques bandes de pillards qui battent la campagne, sur les points où il n'y a pas de Français. Ceux-là nous éviteront au lieu de nous barrer le passage.
Nous sommes une douzaine d'officiers, rentrant ensemble en France ; nous voilà compagnons de table, de tente, et de voyage jusqu'à Brest. On projette déjà des parties pour Paris.
On vient de nous donner notre itinéraire. En partant de Durango, nous devons successivement passer par les villes suivantes :
Durango (Départ : le 6 décembre 1866), Sombrerete, Fresnillo, Zacatécas, Aguas-Calientes, Lagos, Salamanca, Léon, Quérétaro, Mexico, Puebla, Orizaba, Cordova, Paso del Macho,
Vera-Cruz (Emba?'quement: le let février), Bresl !!! .., (Arrivée ; quand il plaira à Dieul) Dans la première partie du voyage, j'avais embouché la trompette guerrière, je vais en revenant prendre le crayon du touriste. J'ai le temps, puisque nous voyagerons à petites journées. Commençons par Durango avant de le quitter.
Durango
Durango est la capitale de l'État du même nom, Cette ville est située à 3,482 mètres au-dessus du niveau de la mer. Voilà pourquoi nous avons eu tant de peine à monter en venant du port de Mazatlan. Le pic de las Russias est encore plus haut que Durango, Les femmes de Durango ont une grande réputation de beauté, seulement elles ont les dents gâtées par l'eau de la ville. Les habitants de cet État ont un caractère assez différent de celui des autres Mexicains. Ils sont originaires de la Biscaye. Le fondateur de la ville, Alonzo Pacheco, arriva en 1551 avec sa famille et ses amis, tous Biscayens comme lui, et l'État de Durango s'appelle encore aujourd'hui Nouvelle Biscaye. Le sol est peu fer-
tile en général. Il y a quelques mines, mais la plus grande curiosité de la ville est le Cerro Mercado : on appelle ainsi une colline, à un kilomètre de la ville, qui est littéralement en fer brut. Cette masse de de minerai à fleur terre est inexploitée.
On s'étonnerait à tort de voir dans ce pays une pareille source de richesses inféconde. Il y a au Mexique manque de bras, de confiance, de stabilité dans les entreprises, et surtout ignorance crasse.
Sauf les mines exploitées par les compagnies étrangères, on en est encore, pour les mines d'or et d'argent elles-mêmes, à l'enfance de l'art, et bon nombre sont négligées, parce qu'elles ne rendent pas assez, avec les moyens d'extraction grossiers et primitifs dont se servent encore les Mexicains.
La seconde curiosité de la ville, ce sont les sources d'eau chaude. Il y a un établissement de bains, où, par une particularité bizarre, la source de droite a la température de l'eau des bains chauds ordinaires, tandis que la source de gauche est presque glacée.
Le climat de Durango , à cause de la position élevée de la ville, est plutôt froid que chaud.
Sur les frontières extrêmes de l'État, au point où il touche au Nouveau Mexique et à l'État de Cohahuila, les sauvages Apaches et Comanches, font de fréquentes descentes. Aussi les haciendas de ce côté sont de petites forteresses dont on lève le pont-levis chaque soir, et il court sur les hauts
faits de ces bêtes féroces à face humaine des légendes à faire pâlir l'ombre de Cooper.
Une remonte onéreuse
5 décembre. — Au moment de partir , nous recevons une bien triste nouvelle.
On venait d'envoyer en remonte, au delà du Rio Floridu, un peloton de chasseurs d'Afrique escorté d'une compagnie d'infanterie, dans une hacienda dont le propriétaire avait traité avec l'armée française.
A quelques lieues de l'hacienda, des cavaliers ennemis viennent tirailler contre la colonne. Le peloton de chasseurs d'Afrique les charge et les poursuit le sabre dans le dos jusqu'aux premières maisons d'un petit village.
C'était une embuscade.
Derrière les maisons se cachaient trois cents hommes qui ouvrent un feu roulant sur cette poignée de cavaliers. Six ou huit hommes tombent à la première décharge, et avec eux le sous-lieutenant Godinet et le vétérinaire Hutfer. Le sous-lieutenant Jeantet, quoique ayant l'épaule fracassée d'une balle, rallie ses hommes, et chargeant vigoureusement, se dégage et reste maître de la position.
L'arrivée de la compagnie d'infanterie achève de disperser l'ennemi.
Voilà des chevaux qui coûteront cher. Godinet était un officier d'avenir, j'en appelle à ceux qui l'ont connu et aimé. Le brave Hutfer avait été décoré au combat de la Passion, pour avoir chargé en tête de l'escadron avec son épée de vétérinaire.
Il n'aura pas longtemps porté sa croix !
Les chevaux du Mexique
6 DécernbJ'e.-Le convoi s'est mis en route, nous voilà partis.
La première ville que nous allons rencontrer, c'est Sombrerete, à 5 journées de marche de Durango.
Nous couchons chaque soir dans les haciendas.
- On appelle hacienda un domaine sur lequel est bâtie une maison d'habitation — généralement fortifiée -pour le maître, et autour de laquelle vien nent se grouper les humbles cabanes des péons indiens qui sont les serviteurs.
Le territoire appartient à un très-petit nombre de propriétaires qui se partagent entre eux l'immense étendue du Mexique. Il n'est donc pas rare de voir des haciendas de dix et quinze lieues car-
rées; d'où il résulte que les cinq sixièmes du terrain restent incultes et ne sont occupés que par des troupeaux de bœufs, de moutons et de chevaux qui appartiennent tous au maître et qui s'élèvent, se reproduisent et se nourrissent seuls, sans aucun soin de l'homme, et sans autres frais que la peine que prennent les vaqueros (conducteurs de troupeaux) d'aller de temps à autre prendre au laça l'animal dont on a besoin.
Deux haciendas sur notre route sont curieuses : Rancho-Grande et las Cruces.
L'hacienda de Rancho-Grande est un des rares endroits du Mexique où l'on fait du vin. Elle appartient à la famille Gordoa. Il y a une ménagerie d'animaux féroces ou sauvages : ours, hyènes, chacals, coyotes, pumas (lions d'Amérique) chatstigres, etc.
Nous sommes allés la visiter. Malheureusement, il y a parmi nous des Parisiens qui ont le mauvais goût de préférer le Jardin des plantes de Paris.
L'hacienda de Las Cruces et trois ou quatre autres des environs sont célèbres par les chevaux qu'elles produisent.
Il ne faut pas demander aux Mexicains les soins et l'intelligence qu'apporte l'Anglais ou le Français à la reproduction chevaline.
Il y a là-bas un mode d'élevage d'une simplicité qui ferait dresser les cheveux sur la tête du dernier des éleveurs d'Europe.
Dans chaque hacienda il y a deux, trois, quatre - et même davantage, suivant la richesse du propriétaire - cavalladas (bandes) de juments ou poulains: chacune d'elles a son étalon qui en est le maître et le conducteur.
Les animaux sont lâchés dans les vastes plaines qui entourent l'hacienda, et l'on ne s'occupe d'eux que pour marquer tous les ans les poulains et venir y prendre de temps à autre ceux dont on a besoin.
D'où il résulte que la valeur d'un cheval au Mexique, ne ressort nullement de son prix de provenance et d'alimentation, mais seulement de son dressage.
Les chevaux de trois à quatre ans sont lacés les uns après les autres par les vaqueros de l'hacienda, sellés, montés, et essayés. Les meilleurs sont mis à part pour l'écurie du maître et dressés avec soin, soit que l'amo (maître) les garde pour son usage, soit qu'il veuille les envoyer vendre à la ville. Cette question de dressage est des plus importantes. Un vaquero habile est payé 12 piastres (60 francs) par mois et par cheval. Or le dressage mexicain dure un an ou un an et demi, et comme toute la valeur d'un cheval au Mexique résulte de l'éducation qu'il a reçue; on ne se préoccupe que très-secondairement de sa conformation. Le même cheval peut, suivant son dressage, valoir âO piastres (200 francs), ou 500 piastres (2,500 francs)
Un bon cheval mexicain doit contracter légèrement les mâchoires pour s'appuyer sur le frein, avoir l'arrière-main engagée sous la masse le plus possible, la tête haute, les épaules libres, toujours prêt à partir brusquement, à s'arrêter court, à volter immédiatement sur les jarrets. D'une soumission absolue, il doit n'avoir aucune volonté, se lancer à corps perdu contre un mur, ou dans un précipice. C'est à son maître à l'arrêter net à un pas du danger.
Tant pis pour lui s'il porte bien la queue, ou si, un peu chatouilleux, il la remue au contact des jambes; il est déclaré rabioso (rageur) et ne sera toute sa vie que cheval de domestique, quels que soient ses moyens. Un homme qui se respecte ne peut monter au Mexique qu'un cheval dont la queue entre les jambes atteste une soumission complète de l'arrière-main.
Le même dédain s'attache aux juments qui ne servent qu'à la reproduction, ou ne sont employées que par les serviteurs. Voici deux animaux de qualités identiques, de même âge, de même taille, de mêmes moyens : l'un est un cheval, il vaut cent piastres (500 francs) ;-l'autre est une jument, elle n'est payée que 20 piastres (100 francs).
Les officiers d'infanterie, qui dans le cours de la campagne se sont montés à leurs frais, ont profité de ce préjugé que rien ne justifie. Il faut remonter, pour l'expliquer, aux errements du moyen âge
où la jument était monture déshonorante pour un chevalier. En ceci, comme en beaucoup d'autres choses, les Mexicains ont conservé les traditions espagnoles du temps de la conquête, sans s'en rendre compte. M Le trot est inconnu chez le cheval de luxe. On ne va qu'à l'amble (sobre passo) ou au galop. En galopant, on ne s'inquiète jamais du pied sur lequel on marche ; le cheval mexicain lancé à toute vitesse, devant s'arrêter court, pour repartir au galop dans une nouvelle direction, et savoir se camper des quatre pieds pour résister en sens inverse, dès que son cavalier a lancé son laço sur un animal quelconque.
Pour arriver à ce résultat, le dressage a lieu ainsi : Le vaquero, monté sur un cheval déjà soumis, part dans la plaine à la recherche de la cavallada, et, galopant en cercle autour de ces chevaux effrayés qui se serrent les uns contre les autres, choisit de l'œil celui dont il va commencer l'éducation.
Il fait tournoyer son laço, le nœud coulant part en sifflant, et s'abat sur l'animal choisi, avec une précision terrible, en le saisissant par le cou. < Le bronco (cheval sauvage) est traîné ainsi à demi étranglé dans le picadero (manège). Là, on commence par lui faire accepter la selle, ce qui s'appelle donner une ensillada.
Si le cheval ne se défend pas, il est sellé de suite, sans autre forme de procès ; mais pour les récalcitrants , on s'y prend autrement. Detix hommes lacent le cheval, l'un par les jambes de devant,l'autre par les jambes de derrière, et l'animal tombe alors, comme on dit vulgairement, les quatre fers en l'air. On l'entoure, on le selle, et lorsque délivré de ses liens il se relève furieux, se croyant libre , le vaquero l'a enfourché avant qu'il s'en soit douté.
Tai vu quelques dresseurs fameux qui se suspendaient par les mains, les jambes pendantes et écartées, à la traverse qui forme le haut de la porte dupicadero : au moment où le cheval effaré se lançait à corps perdu pour s'enfuir par cette issue, ils se laissaient tomber sur son dos.
Le jeune cheval n'est pas bridé dans les débuts de son éducation, c'est simplement avec le laço roulé autour de ses naseaux, en guise de caveçon, que le vaquero saura réprimer les bonds les plus furieux, les défenses les plus imprévues. Le cheval va rester six mois en dressage sans connaître le mors. Il faut que son dressage soit complet à toutes ses allures en se servant seulement de la falsa rienda (fausse rêne), qui n'est qu'une espèce de muserolle, avant qu'on ne l'achève avec le mors.
Aussi plus tard quelle finesse ! quelle précision!
quelle obéissance !
Les divers degrés du dressage se classent ainsi :
Caballo bronco : cheval brut, sauvage, qui n'a jamais été monté. Caballo quebrantado : cheval brisé, celui qui a été sellé et monté quelquefois, et qui accepte le cal valier. Caballo de una rienda: cheval d'une rêne ; c'est;!
le cheval que l'on conduit encore avec le bozal ou caveçon, et qui n'est pas encore très-fin, Caballo de dos riendas : cheval de deux rênes ; c'est celui dont le dressage complet ne laisse rien à désirer.
Le picador commence son cheval au pas, cherchant des effets d'ensemble au moyen de petits coups de cravache sur la croupe, pour engager l'arrière-main, élevant la main de bride par petites saccades, pour exhausser la tête, grandir l'encolure et alléger l'avant-main. Peu à peu il fait de brusques départs au galop, arrêtant court au bout de trois ou quatre battues; puis il exige des voltes impossibles sur les jarrets. On croit voir s'écrouler homme et cheval dans ces à coups terribles ; mais rien n'égale la souplesse et les jarrets de ces merveilleux petits animaux. A la descente de cheval, on laisse l'animal sellé pendant plusieurs heures, les rênes passées sur l'encolure, et le bout attaché à une corde mobile qui pend au plafond de l'écurie, afin qu'il prenne complètement l'habitude de lever la tête et l'encolure, le plus possible, dès qu'il est sellé. -
Il conservera toute sa vie ce mode d'attache, et chaque jour, lors même qu'il ne sera pas monté, il restera ainsi sellé et attaché, pendant plusieurs heures de la journée.
Le reste du temps, à l'écurie, il est complètement en liberté.
L'écuyer mexicain porte d'énormes éperons, mais il n'en touche jamais son cheval. Ils lui plaisent surtout pour faire lever la tête des manolas quand il les fait résonner sur les dalles du Patio.
Presque droit sur sa lourde selle à pommeau, il ne se sert pas des jambes; c'est avec la main, et par des déplacements d'assiette, qu'il obtient les mouvements les plus difficiles.
Pour suppléer à cette absence de jambes, afin de pouvoir engager l'arrière-main sous la masse, on charge la croupe, pendant les premiers mois du dressage, d'un énorme caparaçon en cuir, garni de petites boules en fer et de chaînettes bruyantes. Le caparaçon s'appelle armatura, et le cheval, qui a la tête relevée par la main du cavalier, baisse sa croupe le plus qu'il peut par crainte de Xarmatura-, il charge ainsi son arrière-main en dégageant les épaules, ce qui est la position cherchée dans ce dressage, et qui remplace notre l'assemhlé.
Ce petit système équestre nous fait rire et hausser les épaules, nous autres élèves de Baucher, de d'Aure, de Lancosme-Brèves. Cependant le cheval rétif ou même désagréable est complètement in-
connu au Mexique, tandis que nous en avons quelques-uns, je crois, en France et même en Angleterre.
On ne saurait croire quels fabuleux résultats de force, d'agilité, de souplesse, de soumission surtout, peut donner un animal dressé de la sorte, soit qu'on se serve de lui pour la guerre, pour la chasse, pour le voyage, soit enfin pour ce merveilleux exercice du laço, avec lequel on arrête et on ramène soumis le taureau le plus furieux.
Il faut au Mexicain, qui ne voit dans son cheval qu'un moyen de locomotion, qu'un instrument, un animal complètement soumis, et dont la volonté annihilée ne gêne en rien les mouvements de son cavalier.
Ainsi donc le cheval mexicain ne trotte pas, parce que son cavalier,voyageant dans un pays sans routes, sur un sol inégal, ne tient pas le -moins du monde à se fatiguer, et qu'il franchit aisément ses vingt-cinq ou trente lieues par jour, moitié au sobre passo (amble), moitié au petit galop.
Son cheval s'arrête sur les jarrets, et fait les voltes les plus fantastiques, sans s'émouvoir des saccades terribles d'un mors plus dur que le mors arabe, ni des déplacements brusques d'un cavalier qui lance son laço, ou qui s'amuse à cauléar un taureau.
C'est pour vous que j'ai écrit ces lignes, écuyers de toutes nuances, ô mes frères! En vous expliquant
cette équitation qui vous scandalise, il est de mon devoir de vous décrire le harnachement.
La selle se compose de deux arcades en bois recouvertes d'un cuir gaufré qui sert de siège;, un léger renflement de la partie postérieure forme une espèce de troussequith et le devant de la selle est surmonté d'une large palette en bois, en forme de champignon. Cette partie prend le nom de cabessa (tête) et sert à attacher le lazzo.
De larges étriers en bois, recouverts de plaques de métal ayant à peu près la forme d'un sabot carré, sont supportés par des étrivières de quatre à cinq centimètres de largeur.
Le mOl's,de forme analogue à celle du mors arabet est beaucoup plus dur. Les rênes sont en crin ou en fil d'aloès ; le filet est remplacé par un caveçon à rênes qui prend le nom de falsa rienda (fausse rêne)
Une erreur généralement accréditée, et dans laquelle je suis tombé moi-même avant d'avoir vu le Mexique autrement que dans les livres, fait - croire que le laça est terminé à chaque bout par deux balles de plomb, et qu'on le lance sur le but à toute volée. Ceci n'est pas le laça, ce sont les bolas (bçules), et cet instrument n'est en usage que dans l'Amérique du Sud. Le laça mexicain est une corde en crin, en chanvre ou en fil d'aloès, de cinq à six mètres de longueur. Une de ses extrémités forme un œillet ou boucle garnie de cuir,
dans laquelle on fait repasser l'autre bout de la corde de manière à former nœud coulant. Le cavalier, tenant le laço roulé en cercles réguliers dans la main gauche, fait tournoyer au-dessus de sa tête le nœud coulant avec la main droite, ajuste et le lance de manière à envelopper l'animal ou l'homme qu'il veut prendre.
Il met aussitôt son cheval au galop dans une direction inverse, en roulant le bout de la corde autour de la cabessa (pommeau) de la selle.
C'est alors qu'il faut voir ces merveilleux petits chevaux, se cramponnant avec toute l'énergie de leurs quatre membres d'acier pour résister au contre-coup que leur donne un animal souvent bien plus lourd qu'eux, et devenant instinctivement chevaux de trait, pour l'entraîner comme une masse inerte.
Le premier exercice du sport mexicain, et le moins difficile, c'est de cauléar. Les jeunes gens des meilleures familles commencent à s'y exercer dès l'âge de douze ans. Le verbe cauléar est assez difficile à traduire en français : il exprime l'action de saisir, étant à cheval, un taureau par la queue (caula) et de le renverser.
Voici comment s'opère cette petite manœuvre, qui demande une certaine hardiesse et beaucoup d'habitude du cheval.
.Le ganado (troupeau) étant enfermé dans un corral (enceinte entourée de palissades), on laisse
sortir successivement autant d animaux qu'il y a de cavaliers cherchant à cauléar.
Chacun pique droit sur le taureau qu'il veut atteindre et, passant au triple galop en le prolongeant, saisit au passage la queue de l'animal, la fait passer entre sa jambe et la selle, pesant sur la queue de tout le poids du large étrier et tenant Fextrémité dans la main qui repose sur la cuisse.
Précipitant la course de son cheval, on doit ainsi renverser le taureau.
Mais en passant au galop, si on manque la queue ou si elle vous glisse dans la main, un bon coup de corne dans vos jambes ou dans les flancs de votre cheval vient récompenser votre maladresse.
L'exercice du laco demande plus d'acquis et plus d'expérience ; il faut s'être exercé longtemps à lancer le laco à pied sur des objets inanimés, pour se permettre de le lancer à cheval sur un animal ou un homme.
Là, si l'on manque son coup, on est presque certainement désarçonné ; et si l'on ne sait pas enlever son cheval à temps'dans une direction inverse, votre monture s'abat par le contre-coup de la secousse.
Un bon laceur doit à volonté lacer au galop, à droite ou à gauche, l'animal à l'endroit désigné : une patte, une corne, la tête. J'en ai vu qui arrêtaient un cheval au galop en laçant le pied indiqué auparavant.
Ces exercices se renouvellent quotidiennement dans les haciendas, autant par goût que par nécessité. Les troupeaux de bœufs et de chevaux errent en liberté dans les vastes pâturages, et le seul moyen de reprendre l'animal dont on a besoin est le laço.
Le maître et ses enfants, pêle-mêle avec les serviteurs, courent les animaux ; les jeunes filles au balcon applaudissent les plus adroits.
.Je ruis du comlllelce
Toutes ces observations me conduisent à tenter une SPÉCULATION.
J'ai quelques piastres en réserve, destinées à embellir mon séjour en France.
Si je doublais mon CAPITAL! Ma foi, au petit bonheur, ce sera pile ou face.
J'achète vingt chevaux broncos. Je les prête aux cavaliers congédiés de mon détachement qui rentrent en France avec moi. Ils vont les monter chemin faisant. Mes gaillards sont enchantés, car ils sont à pied, et l'étape semble bien longue à faire en fantassin pour celui qui a l'habitude du cheval.
Arrivé à Mexico, je vendrai mes chevaux, qui se seront dressés en voyageant, et si mes calculs sont
justes, j'aurai doublé mes fonds, en faisant des heureux.
Les cavaliers démontés auxquels je confie mes montures sont enchantés. Ils me comblent de bénédictions. En regardant mon caban bleu de ciel - c'estla couleur du régiment, —je me trouve un faux air du Petit Manteau bleu, avec une nuance de Rotschild. — Utile dulci.
En route donc pour Fresnillo. C'est le chemin de la France!!!
Fresnillo
11 décembre. — Nous venons de quitter la zone des grandes haciendas pour arriver dans les villes.
Nous entrons aujourd'hui à Fresnillo. Cette ville fait partie de l'État de Zacatécas; elle est située à quarante lieues nord-ouest de la capitale de l'État. Nous sommes sortis des plaines fertiles où s'élèvent les chevaux et les bestiaux, un sol aride et accidenté remplace les magnifiques cultures que nous admirions ces jours-ci. Il n'est pas moins riche que l'autre, seulement ses produits sont enfouis dans les entrailles de la terre, au lieu de fleurir à la surface. C'est le pays par excellence au Mexique des mines d'or et d'argent.
La nature a placé les métaux précieux dans les terrains les plus ingrats pour le cultivateur. La terre végétale n'existe pas là où il y a des mines.
Que chacun tire de ce fait la morale qu'il voudra suivant la tournure de son esprit.
Zacatécas
13 décembre. - Nous avons couché hier à la Galéra, misérable petit village entre Fresnillo et Zacatécas. C'est la limite extrême des incursions des sauvages ; passé la Galéra, il n'est plus question de ces redoutables rôdeurs.
Nous sommes aujourd'hui à Zacatécas, capitale de l'État du même nom. C'est la ville natale de Gonzalès Ortéga. Elle est pleine des souvenirs de cet avocat devenu général, meilleur diplomate du reste que militaire. Non content de faire les affaires de la république, le licencié Gonzalès Ortéga n'oubliait pas les siennes. Une dizaine de palais de la ville lui appartiennent ou sont du moins sous son nom.
Comme la plupart de ces habitations étaient des couvents appartenant au clergé que le grand homme avait confisqués à son profit pendant qu'il était gouverneur de l'État, les Français les ont
occupés militairement. Un hôtel seul avait été entièrement bâti de ses deniers ; on a respecté la propriété particulière. Un Mexicain le gère pour le compte d'Ortéga absent. On y dîne fort bien, et l'argent qu'y laissent les officiers français va droit dans les poches de notre adversaire, si son intendant est honnête. Cela, du reste, me paraît de toute équité.
Rendons, en passant, cette justice à Gonzalès Ortéga, qu'au milieu des troubles les plus violents qui précédèrent notre arrivée, il soutint toujours énergiquement les Français intallés à Zacatécas, et défendit leurs personnes et leurs propriétés. Les quelques vitres que l'émotion populaire cassa dans -leurs magasins leur furent largement remboursées.
J'aurais de la sympathie et de l'estime pour le caractère de cet homme, s'il n'eût faussé son serment en s'évadant lorsqu'il était prisonnier sur parole, après la capitulation de Puebla.
Zacatécas a une physionomie singulière : bâtie sur le flanc de deux collines, la grande rue est le petit vallon qui les sépare. En conséquence, la ville n'a que deux portes, l'une au nord, l'autre au midi, qui sont chacune à un bout de l'artère principale. De petites rues parallèles à la grande, mais
en élévation, serpentent le long des flancs de la montagne, de sorte que le premier et même le second étage des maisons de la grande rue ont leur façade opposée au rez-de-chaussée sur l'autre rue.
Le commerce français y est assez considérable, et représenté presque tout entier par les Basques, qui forment une grande famille. Ils sont presque tous parents, cousins ou alliés les uns des autres.
Ils arrivent dès l'âge de quatorze ans, et s'implantent à Zacatécas, commençant par être petits commis jusqu'à ce que l'âge arrivant, ils prennent à leur tour la direction du comptoir dont ils ont jadis balayé la porte.
On leur appliqua la loi sur le recrutement, ce qui les étonna fort. Partis de France dès leur bas âge, ils n'avaient pas satisfait à la conscription, et ceux qui tombèrent au sort eurent un moment d'émotion qui nous amusa beaucoup. Ils ne se sentaient pas la vocation militaire. On leur permit de se faire exonérer, et comme plaie d'argent n'est pas mortelle, une fois le quart d'heure de Rabelais passé, ils en rirent avec nous.
Zacatécas est encore plus que Fresnillo un pays de mines. On en découvre réellement chaque jour de nouvelles, et, par une conséquence de l'esprit humain, chacun croit en découvrir - source de déceptions et de ruine pour un bon nombre.
Cette monomanie des citoyens de Zacatécas a créé une véritable Bourse aux mines, dont les actions sont en hausse ou en baisse, absolument comme à Paris les Mobiliers, les Lyon-Méditerranée, les Saraqosse, etc.
Une anecdote, en passant, qui a le mérite d'être vraie.
Un des plus riches négociants basques de Zacatécas était malade depuis longtemps. Tous les médecins de la ville et des alentours y avaient perdu leur latin — si jamais ils l'avaient su , - quand l'armée française arriva.
Le millionnaire en quête de la. santé jugea à propos de faire interventionner un JEsctilape de l'armée française.
L'idée était bonne.
Le médecin militaire Dehous le guérit radicalement. Le sauvé se présenta chez son sauveur un sac de piastres à la main.
Hippocrate refusa les présents d'Artaxercès, en lui disant qu'il était assez payé par le gouvernement français pour soigner gratis ses nationaux.
Le négociant se retira après lui avoir serré la main; mais, quelques jours après, il revenait: — Docteur, lui dit-il, avez-vous quelques économies?
- J'ai, répondit Dehous, quelque deux cents piastres (mille francs), qui sont dans une vieille trousse, au fond de mes cantines.
— Prenez en échange deux actions de la mine découverte il y a huit jours.
- - Mais, mun cher ami - Pas d'observations, docteur, laissez-moi soi-
gner votre bourse comme vous avez soigné ma santé.
Sans laisser réfléchir notre camarade, le Basque lui mit dans la main deux papiers, et emporta les .économies du jeune homme.
Un mois après, il revenait chez le médecin.
— Docteur, il faut vendre.
— Gomment ! Sommes-nous en perte ?
— Pas d'observations, laissez-moi soigner votre bourse comme vous avez soigné ma santé. Donnezmoi vos papiers.
Mon ami Dehous le laissa faire, et le lendemain il touchait quatre mille piastres (vingt mille francs) produit de la vente de ses deux actions.
o fJLuQoÇ Sr/Ào) OTC que l'on ne perd pas son temps à faire le métier de mineur au Mexique.
J'étais logé chez les frères Yriarte, et la porte de ma chambre donnait sur deux vastes salles où l'on empilait, — non, je me trompe, — où l'on entassait à même les piastres sitôt qu'elles étaient faites. Il y avait là une pelle, comme auprès d'un tas de blé, pour remplir les sacs. On n'avait pas, depuis deux ans, à cause des troubles, osé faire une conduite d'argent jusqu'à Vera-Cruz pour envoyer en Europe ces richesses métalliques.
Les frères Yriarte m'ont dit que ces piastres, qui rendues en Franca valaient 5 francs en moyenne,
leur avaient coûté à faire deux réaux et demi, c'està-dire, 1 fr. 50. Il est vrai que cette année la mine était en ganancia, ce qui veut dire qu'on avait trouvé une veine très-riche.
Il existe à Zacatécas une loi qui remonte aux premiers temps de la conquête espagnole et qui est réellement curieuse.
Tout individu qui déclare au gouvernement une mine, a le droit de vous exproprier, si la mine découverte est dans votre maison. Il vous la paye naturellement fort cher, comme à Paris M. Haussmann, quand il veut faire un nouveau boulevard ; mais enfin vous êtes bel et bien forcé de vendre, quand même vous ne le voudriez.
Toute mine commencée peut, non pas seulement si les travaux sont abandonnés, mais simplement suspendus, être revendiquée par le premier venu, à la charge par lui de faire immédiatement recommencer les travaux.
Dans toutes ces lois ou coutumes on sent percer l'idée fixe du législateur espagnol, qui a voulu à tout prix extraire le métal du sol mexicain !
Il résulte de ceci qu'il y a des individus qui n'ont d'autre spécialité que de chercher des mines.
On les appelle gambusinos. Ils vendent à une société qui se forme en commandite, l'indication du terrain qu'ils ont découvert, un prix plus ou moins élevé, suivant la valeur de l'échantillon qu'ils présentent.
Car, dans tout l'État de Zacatécas, le terrain est tellement riche que la moindre poignée de terre recèle une certaine quantité d'or ou d'argent.
Il faut donc l'analyser afin de savoir si le métal domine en quantité. suffisante pour compenser les frais d'extraction.
Tout le secret est là.
Nos amis nous donnent de curieux échantillons de minerai qui augmentent nos bagages. Cela n'a pas grande valeur ici ; mais en France, comme cela sera curieux !
Aguas-Calienteg
Salut à toi ! Aguas-Calientes, la ville des eaux chaudes; aujourd'hui nous allons prendre un de ces bains voluptueux si chers au voyageur fatigué et poudreux.
La ville est entourée de sources thermales d'où jaillissent des eaux à toute température.
Dans le principal établissement il y a une série de piscines dont le degré de chaleur est gradué comme un thermomètre. Chacune d'elles porte le nom d'un saint, d'une sainte ou d'une fête du calendrier. L'eau de San Juan est sensiblement plus chaude que celle de Santa Thérésa. La piscine de la
Conception est à la température ambiante, celle de la Purification est presque bouillante, il faut du courage pour s'y mettre. Est-ce un moine railleur ou un hasard malicieux qui a présidé à ces dénominations ?
Je l'ignore.
Chaque piscine a une douzaine de mètres carrés de superficie, avec une profondeur de quatre à cinq pieds; on peut presque nager. On se baigne seul ou en compagnie, suivant le goût de chacun.
Les eaux sont courantes et vont toutes se déverser dans un grand lac extérieur, où se baignent gratis les pauvres des deux sexes dans le plus primitif des costumes, pêle-mêle avec les chevaux, les mulets et les bourricots.
Transplantez Aguas-Calientes en Europe, dans un pays de communications faciles, et vous aurez la première ville d'eaux du monde.
Marquons en passant un autre bon point à AguasCalientes. C'est un des rares endroits du Mexique où l'on cultive la vigne. On y fait un vin qui rappelle les petits crus de Bourgogne.
Lagos
23 décembre. Nous voici à Lagos (les lacs). Le nom de la ville indique suffisamment sa position.
De grands et beaux lacs entourent Lagos, qui n'a rien d'extraordinaire en dehors de cette situation.
Un rio (rivière) assez important les relie tous. Nous mangeons des poissons excellents.
Lagos est un centre et le siège d'une foire annuelle assez considérable.
Léon
25 décembre. — C'est le jour de Noël (la Natividad). Les cloches sonnent à toute volée et tout le monde est en fête au moment où nous entrons àLéon, ville riche et manufacturière. La grande spécialité de son industrie est la sellerie, objet au Mexique à la fois de luxe et de première nécessité, dans un pays où riches et pauvres montent tous à cheval.
Les fustes (arçons) de Léon sont célèbres dans tout le Mexique ; aussi la ville est pleine de boutiques de talabateros (selliers) ; dans le même magasin on trouve à harnacher complètement son cheval pour dix piastres (50 francs) ; et l'on peut, si l'on veut, y acheter une selle de mille piastres (5,000 francs). Qu'on ne crie pas à l'exagération.
Les selles de cette valeur sont chargées d'ornements d'or ou d'argent ciselé, et les larges étriers du même métal sont des merveilles d'orfèvrerie.
Cette prodigalité est moins ruineuse qu'elle n'en a l'air.
Le Mexicain qui achète ce harnachement un jour de richesse — après une fructueuse partie de cartes, par exemple, — revend au détail, quand il est gêné, tout le métal précieux qui embellit son harnachemeut, et remplace philosophiquement ses merveilleux étriers par de grossiers morceaux de fer, conservant toujours le corps de la selle et son bon cheval, pour les événements futurs.
Nous prenons à Léon les libérables de toutes armes qui nous attendaient au passage ; et notre convoi faisant boule de neige, repart pour Salamanca.
Dolorès-Uidalgo
.29 décembre. — Notre itinéraire est changé par suite des inondations qui ont envahi Salamanca ; nous sommes obligés de faire un crochet par San Miguel Allende et Dolorès-Hidalgo.
Je suis enchanté de cet incident. La petite ville de Dolorès avait pour curé, en 1810, le révérend Hidalgo, qui, jetant le froc aux orties pour prendre Fépée, fut l'âme de la révolution.
Je viens de voir sa maison humble et pauvre, qu'on a laissée telle qu'elle était de son vivant. Un
vieux domestique qui a servi le grand homme en fait les honneurs aux étrangers, qui s'asseyent dans un fauteuil de maroquin vert, bien usé, devant une modeste table en bois blanc, pour écrire sur un registre ad hoc leurs réflexions. Ils sont à la place où l'ardent curé écrivit ses fameuses proclamations qui soulevèrent tout un peuple, et fit toute, sa correspondance politique avec son ami don Manuel Iturriaga, chanoine de Valladolid.
La goutte d'eau qui fit déborder cette âme trop pleine et transforma un paisible curé de campagne en un fougueux tribun , donne une singulière raison au proverbe :
« Petites causes, grands effets. »
La première indignation du prêtre Hidalgo vint de ce que le gouvernement espagnol avait fait arracher une vigne qui formait un berceau à l'ombre duquel il aimait à s'asseoir.
Cette mesure vexatoire, ordonnée sur tout le sol mexicain, émanait de la mère patrie, qui, voulant écouler ses produits vinicoles, avait ordonné la destruction de la vigne dans toute la colonie.
La vigne du prêtre fut replantée : des flots de sang l'arrosèrent ! Elle existe encore ; je viens d'en cueillir un bourgeon.
Parmi les signatures apposées sur le registre d'Hidalgo, on voit en lettres hardies, quoiqu'un peu grêles, celle de Maximilien
La patrie reconnaissante a ajouté au nom du petit village de Dolorès celui d'Hidalgo.
Quérétaro
1 janvier. — C'est le jour de l'an que nous entrons à Quérétaro. Nous devons y séjourner dix jours pour attendre d'autres convois de blessés, de convalescents et de congédiés qui viennent se joindre au nôtre de divers points, pour s'embarquer avec nous à Véra-Cruz.
• Quérétaro est la clef de l'intérieur du Mexique.
On passe forcément par cette ville pour se rendre à Mexico, en venant des différents États du Nord.
Nous sommes arrivés les premiers, il nous faut attendre les autres. J'en suis très-content, parce que cela me permettra de voir la fameuse procession des rois mages, qui a lieu le jour de l'Épiphanie.
C'est un des plus curieux spectacles du Mexique, et il est organisé à Quérétaro avec une mise en scène à faire pâlir M. Hostein.
En attendant ce jour désiré, toute la première semaine de l'année se passe en fêtes, en réjouissances.
Nous ne sommes plus soldats combattants, nous sommes en congé, libres de notre temps ; nous
avons le cœur gai en pensant à la France que nous allons revoir : aussi nous ne manquons pas une partie de plaisir, pas un bal, pas une course de taureaux, pas un combat de coqs ; nous laissons même quelques piastres sur le tapis vert du monte.
Pour me faire pardonner par les gens austères, je vais essayer de leur décrire les plaisirs du Mexique.
Les courses de taureaux, les combats de coqs, et le monte.
Ce qui passionne avant tout les Mexicains, depuis le pelado (pelé, mendiant) jusqu'à Yhacendero (propriétaire) , ce sont les courses de taureaux, les combats de coqs et le jeu.
Chaque dimanche et chaque jeudi, il n'est si petite ville qui n'ait sa funcion de toros (course de taureaux) et sespeleas de gallos (combats de coqs).
Le matin "et dans l'après-midi, toute la quadrilla (troupe de toréadors) parcourt à cheval et en costume, musique en tête, tous les rues de la ville.
Le gracioso (bouffon) fait des annonces à haute voix, et chacun, riche ou pauvre, hommes , femmes ou enfants, se réjouit par avance du plaisir qu'il va prendre à quatre heures du soir.
L'on calcule sa bourse pour aller au cirque. Tout
le petit monde demande au grand de quoi aller aux taureaux : « Para mios toros, Senor, pour mes taureaux, Monsieur, » vous demande la manola avec un sourire agaçant et des yeux pleins de promesses.
Votre domestique vous sert avec un zèle inaccoutumé, comptant bien sur une gratification pour ses taureaux; et le petit mendiant court après vous dans la rue implorer un claco pour ses taureaux, avec les mêmes larmes dans la voix qu'il vous demanderait à Paris un petit sou pour acheter du pain à sa mère. A trois heures du soir, ne cherchez pas la ville dans les maisons ou à la promenade, elle est tout entière à la funcion ; on cite des exemples, dans les troubles des guerres intestines qui déchirèrent le Mexique avant notre arrivée, de villes surprises, envahies et occupées sans coup férir par l'ennemi, entré tranquillement pendant que la garnison était, ainsi que toute la population, au cirque.
J'avoue que je comprends cet enthousiasme ; j'ajouterai même tout bas que je le partage : c'est vraiment un spectacle splendide. Il a été déjà décrit trop de fois, et par des plumes trop remarquables, pour que je raconte ici les courses de taureaux à des gens qui ont lu ce que des maîtres en littérature ont écrit sur les courses d'Espagne. Il y a seulement au Mexique quelques différences.
Les Espagnols, par exemple, ignorent complètement l'exercice du laço ; et ce n'est pas peu de chose pour le coup d'œil que devoir, dans le cirque,
la quadrilla augmentée de quatre ou huit cavaliers qui, montés sur des chevaux superbes, n'ayant pour toute arme que leur terrible nœud coulant, arrêtent à volonté cet animal furieux et l'entraînent lié par les quatre membres.
Si le mÇltador et les, banderilleros, mexicains ne SQnt pas aussi remarquables que les Espagnols, les picadores ici sont bien supérieurs à ceux d'Espagne.
Leur coup de lance est sûr, hardi, prompt jusqu'à la témérité, et presque toujours infaillible. Rarement un picador mexicain laisse blesser son cheval par le taureau, spectacle pénible qui arrive souvent en Espagne : cela vient de ce qu'il est toujours un cavalier consommé4 tandis que l'Espagnol, assez piètre écuyer de sa nature, est incapable de sauver son cheval en l'enlevant par une volte habile.
J'ai vu à Aguas-Calientes un picador fameux qui, au lieu d'attendre le taureau de pied ferme et la lance en arrêt, ainsi que font les autres, le chargeait à fond de train la lance croiséel et presque toujours culbutait l'animal par le choc.
Le Mexicain, beaucoup plus rieur que l'Espagnol, a introduit également un élément de gaieté dans ses courses de taureaux. Los graciosos (bouffons) viennent remplir les intermèdes comme chez nous les clowns. Sur les sept ou huit taureaux que l'on court dans une séance, un est attaqué par la
quadrilla déguisée d'une façon bouffonne : les baijderilleros sont en femmes ou en costumes grotesques, quelques-uns sont montés sur des échasses. — Chose bizarre, le taureau a peur de ceuxlà, et les évite presque toujours; pour se lancer avec furie sur les jupes de ceux qui sont habillés en femmes, — Le matador seul conserve sa gravité et son ravissant costume.
D'autres fois, lorsqu'un taureau n'est pas franc et refuse le combat, à la. demande générale du public, les lacewrs s'en emparent et le renversent.
On le selle comme un cheval ; un des picadores descend tranquillement de sa monture, l'enfourcbe et, malgré sa résistance et ses bonds désespérés, le fait courir dans le cirque, à la grande jubilatiçm des assistants..
Je vis au cirque de Léon un picador qui se servit d'un taureau qu'il avait ainsi monté, pour en combatre un autre. L'animal semblait avoir parfaitement compris la situation, et attaquait luimême le nouveau taureau, qui recevait ainsi à la fois des coups de cornes de son confrère et des coups de lance du picador. La joie du public ce jour-là fut immense.
La funcion se termine toujours par un taureau embola lo (ayant des boules aux cornes) que l'on livro au populaire des gradins. Les gens du métier se retirent, et l'arène est envahie par tous les spectateurs de la basse classe qui viennent courir ce
taureau. Ce n'est pas le moment le moins amusant.
L'animal entouré de deux ou trois cents personnes qui le provoquent, qui lui crient aux oreilles, qui lui jettent des pierres, finit par s'irriter, et charge à corps perdu dans ces masses. Alors on voit de temps en temps sauter en l'air un-pauvre diable, qui retombe pile ou face au milieu des rires de tout. le monde. Le taureau ayant les cornes tamponnées et les Mexicains étant souples comme des chats, il arrive rarement d'accident.
Le cirque des taureaux existe dans les plus petites villes ; c'est un édifice public et de première utilité ; on le bâtit de suite après l'église et Yayu- ■ tamiento (mairie). Il en est de même pour la plaza de gallos (place des coqs).
C'est également un bâtiment de forme circulaire, avec des gradins en amphithéâtre; seulement l'arène est plus petite, les combattants n'étant pas grands. Chacun apporte son coq sous son bras, et le traite avec les plus grands égards, car c'est un capital. Un père de famille qui a des coqs de combat et des enfants, s'occupe bien davantage des premiers que des seconds, aussi bien pour leur santé que pour leur éducation. Voici comment a lieu l'engagement.
On attache par la patte deux coqs à une petite distance, assez près pour qu'ils puissent s'exciter, assez loin pour qu'ils ne puissent s'attaquer. Puis un employé annonce à haute voix la couleur-et le
nom des deux combattants : les paris sont ouverts ; il parcourt les groupes, recueille l'argent engagé, car c'est entre ses mains qu'on dépose les enjeux, moyennant une légère commission. Les paris terminés — et il y a des sommes énormes d'engagées, — chaque propriétaire vient détacher son animal, l'arme d'un éperon fait comme une lame de canif un peu recourbée, lui crache dans le bec — je n'ai jamais pu savoir pourquoi, — lui arrache.deux ou trois plumes de la queue, probablement pour l'exciter, et le lance contre son ennemi.
Le combat commence alors et ne finit que par la mort d'un des deux champions, à moins que le moins brave, saisi de crainte, n'imite le cri de la poule au lieu du chant vaillant du coq, et ne s'enfuie honteusement, sans se soucier des rires du public et des épithètes méprisantes que lui prodigue son maître au désespoir.
Les Mexicains sont très-amis des fêtes ; une fois au moins la semaine, ils saisissent le prétexte de fêter tel et tel saint, pour se donner à eux-mêmes une raison de ne pas travailler et de passer la journée au milieu de leurs plaisirs favoris.
Ce jour-là, les boutiques se ferment, pendant que les maisons de jeu s'ouvrent.
A la sortie de vêpres, tout le monde est là sur la place. Le cirque des taureaux appelle le public au son d'une musique enragée : les combats de coqs
commencent ainsi que les courses de chevaux.
Ces courses ne ressemblent en rien aux nôtres.
La course de fond, ou simplement d'un parcours assez long, y est complètement inconnue. On ne cherche dans la course mexicaine qu'un élan momentané de vitesse que donne le cheval, sur une distance qui varie de 100 à 300 vares (la vare répond à peu près au mètre). Au moment du départ, on place en travers de la piste unetorde qui prend le nom de raici (raie) ; une autre plus loin marque l'arrivée.
Pour le départ, il y a des conditions qui nous semblent extraordinaires : chaque cavalier peut à son gré le déclarer nul, s'il trouve que son cheval n'est pas bien parti. Je ne sais si je me fais bien comprendre. Tous les coureurs partent ensemble à trente mètres environ de la première raie; il suffit qu'il plaise à l'un d'eux de s'arrêter avant d'avoir dépassé- la raie, alors le départ est nul et à recommencer pour tout le monde. Grâce à la puissance de leur mors et à la soumission complète des chevaux mexicains, les cavaliers font quelquefois quinze ou vingt faux départs volontaires avant de partir sérieusement. Là gît tout l'art du jockey mexicain ; aussi n'est-ce pas le meilleur cheval qui gagne, mais le cavalier le plus adroit et le plus rompu à toutes ces ruses.
En effet, la course étant d'un parcours excessivement restreint, elle est tout entière dans un
premier élan : tout dépend de la manière dont le cheval part. Il existe dans les annales du turf mexicain une légende assez amusante sur ce sujet.
A Mexico, dit-on, vivait un noble anglais qui, dédaigneux des petits chevaux mexicains, avait fait venir à grands frais d'Angleterre un pur sang irréprochable. Quelque temps avant les courses, notre fils d'Albion trouvait toujours sur son passage à la promenade un cavalier mexicain qui entraînait un vigoureux cheval gris. Par une série de conversations habilement ménagées — les Mexicains sont les gens les plus fins que je connaisse, — on parvient à piquer l'amourpropre de l'Anglais et à lui faire engager des sommes folles pour son cheval contre un coureur mexicain. Dans l'aveuglement de son orgueil national que l'on excitait habilement, mon Anglais arrive à accepter toutes les conditions de la course mexicaine. C'était là ce qu'attendait son rusé adversaire.
Le cheval anglais, à l'encolure roide, à la bouche un peu ferme, appuyé sur le bridon, partant avec l'énergie de son sang et de sa race, était obligé de recommencer à chaque instant son départ, parce qu'il plaisait au cheval mexicain de s'arrêter souple et léger à un pouce de la raie.
La course, commencée à six heures du matin, durait encore à trois heures de l'après-midi ; le cheval anglais, haletant, furieux, épuisé, avait subi
tous les à coups de la colère et du dépit de son maître. Le Mexicain, calme et narquois, manœuvrait son cheval comme à la promenade; enfin, saisissant le moment, il part à fond, dépasse la raie et bat son adversaire, Le cheval anglais mourut de fatigue quelques jours après, et son maître eut une colère rentrée qui le rendit très-malade. Quant au Mexicain, il empocha les sommes énormes que l'Anglais vaniteux avait engagées sans hésiter.Tous les écuyers mexicains se gaudirent fort de cette histoire et firent beaucoup de gorges chaudes sur les chevaux et les cavaliers de la vieille Europe : nous venons cependant de leur donner la réplique à notre tour avec nos chevaux arabes.
Tout le caractère mexicain se peint en quelque sorte dans leur genre de courses. Ils ne tiennent pas le moins du monde, ces bonnes gens, à faire du sport pour la gloire ; ils tiennent surtout à gagner de l'argent ; il n'est donc sorte de ruse qu'ils n'emploient pour discréditer leur propre cheval, afin <.:e pouvoir, lorsqu'ils sont sûrs de lui, amener les autres à parier contre.
Quand un ginête (jockey mexicain) se lamente et crie que son cheval a baissé, soyez persuadé que l'animal n'a jamais été en meilleur état, et que son maître n'a jamais fondé de plus belles espérances sur lui qu'en ce moment.
Il n'y a pas d'hippodrome comme en Europe.
Les jours de fête, quand tout le monde est réuni, les cavaliers des alentours arrivent pour prendre part à la réunion , et des courses ont lieu çà et là par deux, par quatre groupes particulierschacun pariant et courant pour son compte.
Sans attendre les jours de fête, souvent, quand deux cavaliers se rencontrent sur la route, ils apprécient mutuellement leurs chevaux, et se proposent une course qu'ils font sans témoins ni spectateurs, uniquement pour se gagner l'un à l'autre quelque argent.
Jouer, voilà leur but, voilà leur mobile. Le Mexicain, c'est le joueur incarné; tout est pour lui prétexte à jeu, et cette passion revêt ici toutes les formes.
Au Mexique, toutes les autres cordes qui font vibrer le cœur d'un homme sont muettes quand celle-ci résonne. Liberté, honneur, patrie, jalousie, vengeance, colère, amour, tout cela tombe devant un paquet de cartes.
L'on prétend que Dieu a créé chaque peuple pour un but particulier : le Français pour aimer et se battre — l'Anglais pour boire — l'Allemand pour manger de la choucroûte — le Russe pour recevoir le knout — l'Italien pour chanter, et l'Espagnol pour fumer la cigarette en prenant du chocolat. Quant au Mexicain, je crois qu'il a été créé et mis au monde pour jouer aux cartes.
Rendons-lui, par exemple, cette justice: si c'est
le premier joueur du monde, c'est aussi le plus beau. Je n'oserais pas affirmer qu'il n'y eût pas quelques Mexicains qui auraient pu naitre en Grèce, mais on n'a jamais vu, de mémoire d'homme, un Mexicain qui ne payât pas une dette de jeu. On m'a dit que cela arrivait quelquefois en Europe et même à Paris.. Est-ce vrai ?
On gagne, on perd de chaque côté des sommes insensées, on risque sa fortune sur un six d'espada ou sur un huit de bastons (les cartes mexicaines ou" espagnoles diffèrent des nôtres) sans qu'un muscle de la figure ait remué, sans que la voix ait subi la moindre altération, sans que le coup de cigarette ait été plus violent, et surtout sans qu'une parole s'élève, sans qu'on se soit écarté, même dans la basse classe, de la courtoisie exagérée qui est le cachet de toutes les relations au Mexique, Bon exemple à suivre, n'est-ce pas, pour beaucoup de joueurs de ce côté-ci des mers.
Sans préjudice des parties journalières entre particuliers, huit ou dix fois dans l'année, dans certaines villes attitrées, dans chaque province, on se réunit de vingt lieues à la ronde pour jouer. Ce jour-là, tout le monde joue, riches et pauvres, petits et grands. On met de côté toute pudeur, toute retenue, et les gens qui ont le plus de ménagements à garder peuvent jouer ces jours-là sans se compromettre. C'est reçu.
Alors commencent d-es parties homériques, au-
près desquelles les plus émouvantes histoires des jeux d'Allemagne sont contes de petits enfants.
Tel hacendero vient sur un cheval superbe; couvert d'habits étiucelants, avec des mules littéralement chargées d'or, et repart à pied en haillons, repassant devant l' hacienda héréditaire qui lui appartenait le matin et qu'il a perdue le soir.
Pas une plainte sur ses lèvres ; il a joué; tout est dit. Que l'on s'étonne ensuite de voir de telles gens se jeter dans la montagne, arrêter la diligence, et se faire à coups de revolver une mise de fonds pour une autre partie! Le secret de la démoralisation du Mexique est tout entier dans le jeu.
Deux sortes de jeux captivent ces masses de joueurs : la roulette et le monte.
C'est autour de la table du monte que se groupe la majorité des Mexicains. Le monte n'est qu'une espèce de lansquenet, il ne diffère de ce jeu que par une ou deux conventions insignifiantes qui donnent quelques avantages de plus au banquier et qui permettent à un nombre illimité de joueurs de prendre part au coup. Je n'en ferai pas une description exacte, n'ayant jamais été joueur.
La roulette est la même qu'en Europe, mais en général les Mexicains y jouent peu : c'est le rendezvous des négociants étrangers qui sont eux-mêmes les victimes de la contagion.
Quelques-uns de nos camarades ont fatalement succombé aussi à cet entraînement funeste, et toute
l'armée a applaudi à la sage mesure du maréchal Bazaine, qui défendait énergiquement l'entrée de toute maison de jeu aux uniformes français.Comment, du reste, échapper à ce vertige?
Toutes les classes de la .société sont représentées autour du tapis vert. — A propos, pourquoi, dans les deux mondes, le tapis sur lequel on risque sa fortune, son honneur, souvent sa vie, est-il de couleur verte? Est-ce parce que F œil atone du joueur a besoin de se reposer sur cette nuance favorable à l'optique ? Est-ce parce que les reflets fauves des masses d'or étalées comme appât se marient avec le vert ? Est-ce. Enfin je ne sais pourquoi. — Je reprends : tout le monde, littéralement tout le monde, se coudoie autour de la table du banquier ; lui, calme, impassible comme un général sûr de la victoire, entouré des croupiers ses aides de camp, laisse tomber d'une voix monotone les paroles sacramentelles qu'entraîne le mouvement de la partie.
En Europe, autour des tables de jeu, les conversations particulières se continuent, les joueurs heureux ou malheureux poussent des exclamations dont le sens suit le cours de la veine. Au Mexique, pas un mot inutile, l'assistance silencieuse attend les manifestations de la fortune : le Mexicain joue avec religion.
En rentrant chez lui, le joueur malheureux n'a pas à redouter les émotions de famille, pas d'é-
pouse échevelée qui vienne lui reprocher son inconduite. La femme mexicaine profite largement des gains de son époux, et sait aussi réciproquement supporter avec la même philosophie les mauvaises chances et la perte.
Ceci prouve plus que tout le reste combien le jeu est incarné dans la vie au Mexique. Quand la femme accepte sans murmurer une position, chez tousJes peuples du monde, la chose est tout à fait passée dans les mœurs.
En conséquence, les histoires de jeu font partie de la conversation habituelle ; c'est un texte inépuisable à ajouter aux aventures de guerre, de chasse et d'amour, qui font la base des causeries dans tous les pays.
Plus d'un mariage impossible de part et d'autre par incompatibilité, non pas d'humeur, mais de fortune, est devenu possible par suite d'une carte retournée à propos ; par contre, plus d'un mariage possible est devenu impossible par les mêmes raisons.
Quand on parle d'un joueur hardi et heureux, les yeux des jeunes filles s'allument, l'éventail bat plus vite, on chuchote, et l'on rêve.
Parmi les légendes qui planent sur les maisons de jeu, il faut placer en tête celle du Padre (curé).
Une fois par an, à la funcion de TI alpam, ville de jeu par excellence, le jour de la Saint-Jean, à cinq
heures du soir, on voit arriver — jamais par la même route — un petit homme en habit ecclésiastique, monté sur une bonne mule, suivi d'un domestique qui mène en main un autre mulet porteur de lourdes sacoches.
Le petit curé met pied à terre sans paraître s'aperceVoir qu'il est l'objet de l'attention générale, se dirige sans hésiter sur une des maisons de jeu, entre suivi de la foule qui suspend pour un moment toutes les autres parties, va droit a la table d'où chacun s'écarte pour lui faire place, met sans hésiter les deux sacoches" qui contiennent 10,000 piastres (50,000 fr.) sur une des cartes, gagne, prend son argent et disparaît sans avoir prononcé une parole, comme il est venu.
Voilà, dit-on, dix ans de suite que la même aventure se renouvelle : maintes fois de hardis voleurs se sont embusqués sur toutes les routes pour l'attendre, et personne n'a pu débarrasser le petit Padre de son gain ann-uel et régulier.
L'on croira de cette histoire ce que l'on voudra ; c'est june tradition que mille témoins oculaires vous certifieront comme à moi. Je vous la raconte parce que l'on me l'a racontée.
Autre bizarrerie : les Mexicains ont un tel respect pour le jeu, que jamais, de mémoire d'homme, dans ce pays de coups de main, une bande de voleurs n'est venue troubler les joueurs pendant la partie. C'est un terrain neutre, et plus d'un ban-
dit connu et signalé vient tranquillement à la table de jeu et fait sa mise sans être inquiété. On lui fait fête au contraire, on semble lui être reconnaissant de ce qu'il veut bien venir risquer, à jeu égal, l'argent qu'il tient entre ses griffes et qu'il vous a gagné au jeu inégal des grandes routes.
Tout est prétexte à jeu pour les Mexicains ; je suis sûr qu'il n'y en a pas un seul qui n'ait un jeu de cartes dans sa poche.
Un souvenir bien amusant pour moi est celui d'un convoi que j'escortais de Vera-Cruz à Mexico pendant la saison des pluies. Il y avait, outre ma cavalerie, deux compagnies de turcos* et le mauves état de la route faisait faire aux chariots des pauses interminables; à chaque temps d'arrêt, les turcos, aussi joueurs que les orrieros, s'asseyaient sous les voitures arrêtées et entamaient avec eux une nouvelle partie. L'Arabe est au moins aussi voleur que le Mexicain; c'étaient alors des scènes à mourir de rire, et le cliable devait s'en tenir les côtes.
Un joueur célèbre, José Maria, me racontait avec orgueil une partie de monte du temps de sa jeunesse.
Il cheminait, le gousset garni, sur un beau cheval de l'hacienda de son père, et s'en allait gaiement dans sa riche tenue de cavalier mexicain, en fumant sa cigarette.
Il rencontre un piéton qui, assis à l'ombre de
l'unique arbre que l'on vît à deux lieues à la ronde, déjeunait philosophiquement au bord du ruisseau.
Séduit par l'ombrage, il faisait chaud, notre cavalier met pied à terre, et, après les politesses d'usage, cause avec le piéton. On tire réciproquement des cartes de la poche, la partie s'engage : au bout de quelques instants, le piéton avait gagné au cavalier son argent, son cheval, sa selle et ses habits.
— Je n'avais, me dit José Maria, qu'une ressource pour me rattraper, c'était de me jouer à lui-même, comme domestique pour un temps donné. Mon idée était bonne. Avec cet, enjeu, je repris mon argent, mon cheval, enfin tout ce que j'avais perdu et au delà, puisque je lui gagnai à mon tour deux ans de sa vie à passer à mon service.
- Ce fut la fin de la partie ? lui demandai-je.
- Oui, pour ce jour-là.
- Et que devint le perdant?
- Ma foi! il est toujours mon domestique : je lui ai gagné successivement cinquante ans de sa vie ; mais, afin de pouvoir lui donner sa revanche, je lui ai proposé de le marier, et je lui jouerai l'engagement de l'enfant qu'il aura.
Est-ce assez réussi comme type de joueurs ?
Laissons de côté les choses profanes pour penser un peu aux choses saintes.
C'est samedi 6 janvier que tombe la fête de l'Épiphanie.
Nous allons avoir la procession des rois mages.
On aime beaucoup les processions au Mexique, on en abuse peut-être un peu, et celle du jour des Rois, à Quérétaro, est célèbre entre toutes.
Puisque dans ce moment je ne suis pas soldat militant, mais simple touriste, je me promets de ne pas en perdre un détail.
La procession des rois Mages
6 janvier. — Il est huit heures du soir. Je suis sur le balcon d'un négociant français qui demeure sur la place, en face de la cathédrale. C'est le meilleur endroit pour voir. Une foule compacte, parlant bas comme dans les églises, remplit les rues d'un sourd murmure. Toutes les lumières de la ville sont éteintes, il fait noir comme dans un four.
Attention ! cela va commencer.
Les cloches sonnent à toute volée, et l'on voit dans le lointain se balancer une lanterne à feux changeants.
Ceci vous représente l'étoile qui guide les rois mages. Elle est portée avec respect au bout d'une perche par un grand diable d'Indien qui prend son rôle au sérieux. Tout le populaire se découvre et s'agenouille dévotement sor son passage en marmottant des prières.
A deux cents pas en arrière, voici venir la lumière et le bruit. Une musique enragée ouvre la marche du cortége entouré -de porteurs de torches dont la lueur éclaire d'autant plus vivement la scène que tout le reste de la place est dans l'ombre, excepté le porche ouvert de la cathédrale, qui laisse voir à l'intérieur le clergé au centre d'une brillante illumination.
Après une compagnie d'infanterie mexicaine arrivent les apôtres.
Le Christ et la vierge Marie sont sur un char, non, je me trompe, sur plusieurs chars, car il y a plusieurs vierges Marie et plusieurs Jésus. Tous ces personnages sont représentés par des acteurs vivants, qui prennent admirablement l'immobilité d'une statue. Ce sont de magnifiques tableaux vi vants.
Tous les actes de la vie du Christ sont représentés dans l'ordre chronologique.
Assise dans le premier char, la première vierge Marie tient un petit enfant Jésus sur ses genoux.
Sur la deuxième voiture, un jeune homme représente le Christ chez Madeleine.
La mise en scène de cet épisode pourrait, en Europe, avoir maille à partir avec la censure.
Sur les chars qui suivent on voit les noces de Cana, le jardin des Oliviers, etc. ; enfin tout y passe, jusqu'à la mise en croix ét la résurrection.
Autour des chars gambadent, en poussant des
cris effrayants, des diables qui agitent des chaînes, et pas mal de vierges folles.
A cent pas plus loin arrivent les rois mages, escortés de leurs gardes et suivis d'une centaine de mulets de bât, porteurs de caisses simulant les présents offerts au divin enfant, et pour que l'illusion soit complète, elles sont percées d'un trou qui en fait une tire-lire où tombent, chemin faisant, les aumônes qu'empoche le clergé qui a monté la représentation.
On dit que ces imprésarios d'un nouveau genre, déduction faite des costumes qui sont splendides, réalisent d'assez jolies recettes.
Je me sens fier d'être Français en songeant que le clergé de mon pays ne voudrait jamais, au grand jamais, faire de pareilles choses.
8 janvier. — Le convoi, considérablement augmenté, quitte Quérétaro et reprend la route directe de Mexico, en passant par San Juan del Rio. Nous arriverons dans quatre jours à la capitale de l'empire de l'aximilien. Les routes sont belles, tranquilles, il y a beaucoup de circulation. Nous y sommes passés en sens inverse, voici bientôt deux ans.: il y a décidément progrès.
Tant mieux, mon Dieu, tant mieux !
Mexico
12 janvier. - Nous sommes arrivés ce matin à Mexico, qui présente le curieux spectacle de la capitale d'un empire en train de s'organiser. Les plantons français du maréchal Bazaine (car notre illustre chef a été promu à cette dignité par un décret en date du 5 septembre 1864) courent au palais de Maximilien, en se croisant avec les plantons de l'armée mexicaine qui apportent les communications de l'empereur à l'hôtel du maréchal.
Tout le monde va et vient d'un air effaré. Les officiers d'état- major noircissent du papier et s'ont inabordables. Laissons chacun faire sa besogne, et examinons un peu la ville.
Mexico est une ville agréable comme toutes les capitales. Sa construction ressemble à toutes les villes du Mexique, qui elles-mêmes sont le reflet des villes espagnoles. Les maisons sont basses, n'ayant en général qu'un étage surmonté d'une azotéa (terrasse) ; elles forment des rues à angles droits, retombant toutes sur des places encadrées par des galeries à arcades remplies de petits marchands au détail.
Le centre de la ville est toujours pavé et bien entretenu. C'est là qu'habitent les riches. Plus on s'en éloigne, plus les maisons prennent un aspect
misérable. Dans les barios (faubourgs), le sable a remplacé le pavé dans la rue, et la clôturé de la propriété est en aloès au lieu d'être en brique." A la place des pastellerias et des neverias (boutiques de confiseurs et glaciers qui remplacent les cafés , dans le quartier élégant), on trouve à chaque coin de rue des pulquerias (débits de pulque, boisson du pays tirée de l'aloès). cr Ce sont les cabarets du bas peuple, et l'on s'y enivre comme en Europe, plus même. Alors entre les teperos roulent les coups de couteau , comme les coups de poing entre'nos ouvriers.
Chose bizarre, ces gens, qui se servent entre eux sans hésiter de leur terrible navaja (poignard), n'osent lever les yeux sur un Européen qui les chassera devant lui à coups de canne: S'ils l'assassinent, ce sera par derrière.
On peut aller impunément partout, à la condition de ne laisser personne de suspect marcher derrière soi. Quand un métis chjerche à vous suivre, il faut le faire filer devant à coups de bâton au besoin ; il baissera alors la tête sans oser vous répondre et s'en ira honteux.
On prétend aux Antilles qu'un nègre n'a jamais osé attaquer un blanc qui le regardait en face.
La race indienne aurait-elle, comme la race nègre, cette crainte magnétique du regard de la race blanche ?
Je ne me prononce pas, je raconte ce que j'ai vu.
Trois grandes promenades réunissent la fashion mexicaine. : X Alameda,, jardin ravissant qui rappelle les Tuileries ; le Paseo de la Viga, promet nade le long du canal, et le Paseo de Tacubaya, qui est l'avenue des Champs-Elysées de Mexico , comme Tacubaya en est le Saint-Cloud.
De six à huit heures du matin et de cinq à sept heures du soir, tout le monde va faire sa promenade à cheval ou en voiture sur un de ces trois points. Les calèches sont découvertes et attelées généralement de mules. Le cheval d'odgine mexi caine ne s'attelle- point; les gens très-riehes ont des attelages de chevaux américains du Kentucky qui coûtent de h à 5,000 piastres, (20 ou 25,000 francs)
Avoir sa voiture est le premier rêve de la jeune mariée, et dans la haute société on jeûnera, s'il Je faut, à la maison, mais on aura sa calèche et des diamants aux oreilles et au cou pour monter dedans, Nous avons bien en France dg petites manies analogues.
Les cavaliers passent sur des chevaux aux harnachements étincelants.
Voyez ce grand brun à la moustache en pointe, avec une légère barbiche qui lui fait une tête à Ja Henri HI. IL porte le costume classique du ginete.
Son sombrero aux larges ailes est bordé d'or, ses jambières sont en peau de tigre. La veste, le gilet et le pantalon sont en peau de couleur gris-perle,
qui disparaît presque complètement sous les broderies d'or qui goutachent son vêtement.
La botonadura (garniture de cent vingt boutons placée le long de la couture de chaque jambe de son pantalon) est composée d'onces d'or — L'once est une pièce d'-or qui vaut 85 francs de notre monnaie.
Les manches de sa veste, du coude jusqu'au poignet, ont une garniture de grelots d'or massif qu'on appelle cascabeles (sonnettes) ; ces boutons, retenus par couple à l'aide d'une petite chaînette, sont arrangés de manière à résonner à chaque mouvement.
Son cheval d'un noir de jais fait cliqueter à chaque pas les bossettes d'or qui ornent son frein. Il se grandit, la tête haute, comme fier de son splendide harnachement.
Autour du chapeau du cavalier. s'enroule une toquilki (cordon d'or filé) incrustée de pierres précieuses. Le chapeau d'un bandit fameux, don José Carbajal, était estimé 2,000 piastres (10,000 francs). — Tel cavalier porte souvent sur ses habits et sur son cheval une valeur matérielle de plus de 50,000 francs. Aussi on ne se risque pas à sortir de Mexico dans ce costume trop tentant, dans un pays où, sur dix voyageurs que l'on croise sur la route, il y en a au moins neuf qui ont volé ou voleront.
A côté de cet Almaviva, voici venir, juché sur
une selle anglaise de pacotille, un cavalier en redingote noire, avec un gilet de velours nacarat, un pantalon lilas, et qui porte sur le coin de l'oreille notre affreux chapeau français.
Les Mexicains qui le voient passer, ricanent en l'appelant tout bas afrancesado (francisé). Ils se moquent de lui, et n'ont pas tout à fait tort, car on ne saurait s'imaginer combien sont gauches et disgracieux les caballeros qui ont la malencontreuse idée de s'habiller à l'européenne.
Décidément nos vêtements ne sont pas faciles à porter, et il en faut une certaine habitude.
Il y a chez les hommes, au Mexique, deux types bien différents : le Mexicain grand, nerveux, puissant, et le Mexicain mièvre et délicat. Pas de milieu entre ces deux natures. Cela vient, je suppose, de la prédominance du sang indien dans le type fort, et du sang espagnol dans le type frêle.
Lorsqu'ils sont habillés à l'européenne; les' Mexicains grands ont l'air de maçons endimanchés, et les Mexicains petits ont toutes les allures d'un garçon coiffeur.
Tous sont criblés des bijoux les plus voyants et du plus mauvais goût. Ce bonhomme qui passe là bas, a une chaîne d'or assez grosse pour attacher un cheval.
L'opposition de ces deux natures est en quelque sorte plus marquée chez les gens âgés.
C'est don Quichotte ou Sancho Pança.
Laissons là le sexe fort et voyons un peu le sexe faible. , - - - Chez les femmes les types sont plus mélangés ; mais le profil espagnol, au nez 'aquilin, à la bouche un peu avancée, au teint très-blanc avec des cheveux noirs, y est en majorité.
- Ces petits nez retroussés, avec des lèvres sensuelles, un teint coloré et des formes accusées, des- cendent évidemment des Indiens.
Çà et là des chevelures blondes font involontairement songer aux temps de l'invasion américaine.
Espérons que plus tard on verra des tournures françaises. Trois ou quatre théâtres, dont un français et l'autre italien, aident à passer la soirée, et en sortant du théâtre on fait encore une promenade sur la place de Las Cadenas, qui correspond à nos boulevards.
Mexico, du reste, en dehors de son architecture, qui est celle de toute l'Espagne et de tout le Mexique, n'a rien d'une ville mexicaine. Le grand nombre d'étrangers américains et européens qui y résident, lui donne une physionomie particulière. Ainsi le costume européen y domine, tandis que, dans les autres villes, l'étranger étant en minorité , a subi la veste et le sombrero du - pays.
Les femmes ont "conservé la mantille espagnole et le Tfbozo.
Je ne décris pas la mantille, on en voit à Paris.
Le roibozo est un carré long de soie ou de laine, tissé dans certaines villes du pays, par des ouvriers spéciaux qui s'appellent rebozeros. Il sert de coiffure et de châle, et se drape absolqment comme la plantille. On porte la giantille au bal et au spectacle.
Le rebozo, qui est beaucoup plus chaud, se met pour sortir.
Il résulte de l'usage de ces deux vêtements que le chapeau de femme et le bonnet sont complètement inconnus au Mexique. Depuis l'arrivée cle l'impératrice Charlotte on a porté quelques chapeaux, mais seulement au Paseo, et en calèche découverte. Mais la présence de quelques femmes européennes qui sont venues, depuis l'interveption, retrouver leurs maris, officiers français ou attachés à la. cour de Maximilien, commence à introduire les modes de Paris dans le monde féminin, et le journal l'Estafette a aussi maintenant sa vicomtesse de Rmneville, Tout le monde sait que Mexico est bâti sur des laes qui entourent la ville et permettraient de la défendre d'une façon formidable, mais qui sont l'objet d'un travail incessant, car la crue des eaux donne souvent de sérieuses inquiétudes, et dans la saison des pluies on serait quelquefois tenté de regretter les gondoles de Venise.
Le résumé de mes impressions sur Mexico, c'est qu'au lieu d'être la capitale du Mexique, c'est
upe macédoine de tous les peuples d'Europe et d'Amérique.
Chaque nation y a des représentants de son industrie et vient imposer ses produits à ce peuple ignorant et paresseux qui ne sait rien fabriquer, et qui n'a pour lui que le minerai de ses mines iné-: puisables.
La présence des uniformes français et autrichiens coudoyant les soldats de Méjia, complète la situation de cette nouvelle tour de Babel où l'on est tout ce que l'on veut, excepté Mexicain.
Les mariages au Mexique
Je retrouve à Mexico un certain nombre de nos camarades qui se sont mariés avec des jeunes filles du pays ; car l'amour, ce petit dieu malin — style de M. de Florian, capitaine des dragons du roi, auteur de pas mal de bergeries - lance ses flèches aussi bien au Mexique qu'à Paris.
Nos camarades ont-ils bien ou mal fait ? Je n'en sais rien ; cel i d'ailleurs les regarde et non pas moi.
Tout ce que je puis dire sur ce sujet, c'est que les choses se passent au Mexique, en matière de mariage, tout autrement qu'en France. Quand, on a remarqué une jeune personne, on commence à s'en déclarer le novio.
Novio est un mot assez difficile à traduire litté-
ralement : cela voudrait dire fiancé ; cependant, une jeune personne ici a souvent une moyenne de vingt à vingt-cinq novios, et la polygamie n'est pas plus permise au Mexique qu'en France.
La sennrita, loin d'être compromise par ce grand nombre d'admirateurs déclarés, voit s'accroître par là sa réputation de beauté et d'amabilité. Ce cortége d'enthousiastes et de fanatiques l'entoure de soins, de prévenances, de bouquets, de sérénades et de conversations le soir à travers les grilles de la fenêtre, sans haine, sans rivalité, sans querelles les uns avec les autres, jusqu'au moment où l'un deux passera de la position de novio à celle de querido (aimé) pour devenir enfin sposo (époux).
Du reste, une jeune fille du Mexique peut à bon droit être fière de ses admirateurs, leur hommage est parfaitement désintéressé.
Ici, l'on se marie SANS DOT.
Les coutumes de la vieille Europe sont renversées. On ne prend pas, comme nous le faisons, une jeune fille dans sa famille pour l'amener chez soi avec un gros sac d'écus que vous donue son papa, par-dessus le marché, pour vous payer de le débarrasser de sa progéniture chérie.
C'est au contraire le jeune homme qui entre dans la famille de sa femme : il devient en quelque sorte le fils du beau-père qui, nourrit et entretient le jeune ménage jusqu'au jour où son héritage laisse le mari maître à son tour de la fortune.
Autant la jeune fille est libre et courtisée, autant la femme mariée est tenue et délaissée.
Le Mexicain, amoureux et charmant tant qu'il n'est que novio, devient en général un sposo assez indifférent. La femme garde la maison et élève les enfants, tandis que le mari court les maisons de jeu et autres endroits analogues.
Ces habitudes sont assez bien décrites dans une romance mexicaine intitulée El Cambio (le changement).
Je vais tâcher de traduire les paroles :
Le Changement
Dans les prés verts, courez, Mademoiselle, Chaque cœur bat en vous voyant si belle.
Cueillez des fleurs, chassez les papillons, Suivez l'alouette autour des verts sillons ; Laissez-vous donc à votre âge être heureuse ; Plus tard, plus tard, vous deviendrez sérieuse.
Où vous voulez, allez, charmante enfant, Vous êtes libre, et votre esclave attend.
Voici le bal : dansez, Mademoiselle; Chaque cœur bat, en vous voyant si belle.
A lui la valse, à moi cette polka; Don Juan aura schotisch ou mazurka.
Souriez à tous, à la foule amoureuse ; Plus tard, plus tard, vous deviendrez sérieuse.
A votre gré, dansez, plwoiante enfant, Vous êtes libre, et votre esclave attend.
Lf), messe est dite ; allons-nous-en, Madame Dèg à présent vous êtes bien ma feITIple.
Il faut, ce soir, venir à la maison.
Quoi! vous pleurez. vous n'avez pas raison, Que dites-vous ? Vous êtes malheureuse ?
Il faut, ma chère, il faut être sérieuse; Vous n'êtes plus, Madame, un jeune epfant, Venez ici, car votre maître attend !
Celles qui se sont mariées avec mes camarades verront un peu la différence qu'il y a entre un mari français et un mari mexicain, car on ne voit jamais en France un mari négliger sa femme.
Puebla
15 janvier. - Nous avons quitté Mexico, et nous arrivons à Puebla que nous n'avons pas vue depuis le siège. La ville est réparée. Les maisons sont reconstruites, et tout a repris cette physionomie riante qui avait valu jadis à cette cité coquette le surnom de Puebla de los Angeles (Puebla des Anges).
Le pénitencier seul est resté démantelé ; il porte toujours les traces des assauts ter-riwes qu'il a supportés. Les arbres séculaires de l'Alaméda n'ont pas été replantés, et des arbrisseaux naissants remplacent ces splendides ombrages.
La ville est entièrement occupée par les Autrichiens, il n'y a pas un soldat français.
Les habitants les aiment peu. Chose bizarre, ils préfèrent les Français qui leur ont fait tant de mal.
Les allures gaies et insouciantes de nos troupiers s'accordent mieux avec le fond du caractère mexiGain que la hauteur et le calme de l'Autrichien.
Des rixes assez sérieuses ont déjà eu lieu entre les Poblaniens (citoyens de Puebla) et les soldats de Maximilien.
Ma foi, c'est leur affaire; qu'ils s'arrangent ensemble.
Orizaba
18 janvier. — Mêmes notes et mêmes remarques sur Orizaba que sur Puebla. La garnison est autrichienne également.
Toute cette zone jusqu'aux Terres Chaudes est gardée par les compatriotes de l'empereur du Mexique. Les soldats belges, qui appartiennent à
l'impératrice Charlotte, sont de l'autre côté de Mexico, aux environs d'Acambaro.
Il paraît qu'ils ont eu aussi par là quelques petits désagréments. -
Cordova
20 janvier. — Nous revoilà en Terre Chaude à Cordova. La ville est occupée par un bataillon de turcos à cheval, aux ordres du commandant Testard. Ils gardent toute cette portion jusqu'à Paso del Macho: C'est à ce dernier point que s'arrête la fièvre jaune de Vera-Cruz, et c'est l'embarcadère du chemin de fer.
De Paso del Macho à Vera-Cruz la ligne est gardée par les Égyptiens, dont le tempérament résiste mieux à ce climat meurtrier que celui des Européens.
Il n'y a de Français à Vera-Cruz que le commandant supérieur et les services administratifs ou médicaux.
A Cordova, le climat, quoique chaud, est trèssain. C'est là que nous devons attendre tranquillement le jour fixé pour notre embarquement. Nous partirons la veille pour Paso del Macho, et le soir même nous prendrons le chemin de fer, qui
nous descendra le lendemain matin sur le quai du môle de Vera-Cruz, au pied duquel nous attendront les chaloupes du navire qui doit nous ramener en France.
Nous ne resterons donc pas même une demiheure dans ce port malsain ; il est peu probable; que nous attrapions la fièvre jaune pendant ceé - quelques minutes. Cela pourtant s'est vu quelquefois.
Cette sage précaution du maréchal Bazaine a certainement sauvé la vie à un bon tiers de ceux qui sont rentrés.
Ce serait bien dur, après avoir sauvé sa peaucomme dit le troupier- d'une guerre de quatre ans, si nous venions à mourir bêtement de maladie au moment de partir.
31 janvier. - L'ordre de départ est enfin arrivé.
C'est le transport à vapeur Jura qui va nous emmener. Tout est prêt. Le commandant de place nous remet tous nos papiers; demain matin à pareille heuré nous serons en mer.
Le commandant du Jura, M. Harel, a envoyé ses ordres ; nous sommes dès à présent sous son commandement. Chacun sait déjà quelle est la place qu'il doit occuper à bord, et fait ses petits arrangements en conséquence.
Paso del Macho
Nous arrivons à trois heures à Paso del Macho (1).
QUAnd nous y sommes passés il y a quatre ans, c'était une halte au bord d'un ruisseau, avec deux ou trois (tabanes.
Nous trouvons une petite ville, bâtie en planches à la vérité, mais pleine de mouvement et d'animation. C'est- la tête du chemin de fer. Chaque maison de commerce un peu importante de l'intérieur y a un dépôt de marchandises.
C'est là que les arrieros viennent charger les produits d'Europe sur le dos de lew's mulets ou dans leurs énormes chariots, pour les transporter dans toutes les directions du Mexique.
Il y a une demi-douzaine d'hôtels. Nous choisissons le meilleur pour dîner, et nous fêtons le départ.
Onze heures du soir. -Ma foi, nous sommes tous un peu gais quand nous montons dans le train. Nos hommes ont fait comme nous et chantent à tuetête.
(1) Le Pas du Mulet.
Vpra-Cruz
1er février, ■— Il est six heures du matin quand nous entrons à Véra-Cruz, Rapprochement bizarre : la locomotive passe juste sur le terrain où nous avons bivouaqué il y a quatre ans, en débarquant de l'Aube.
Je mets la tête à la portière ; le jour est levé. Je reconnais jusqu'à un gros arbre à l'ombre duquel j'avais planté ma tente. Les souvenirs me reviennent en foule ; mais je n'ai pas le temps de la réflexion.
La locomotive siffle et s'arrête, nous descendons sur le quai, On fait l'appel ; personne ne manque, je vous le jure.
Nous montons dans les chaloupes, et dix minutes après, nous sommes à bord du Jura.
Ces planches qui nous portent sont françaises ; ce pavillon qui flotte à la corne d'artimon est tricolore. Ce navire, c'est déjà la patrie, c'est la France !Dans trente-cinq ou quarante jours, nous serons à Brest.
0 soldat français, que ton caractère est bizarre !
Tu chantais, il y a quatre ans, en quittant ta pa-
trie pour venir au Mexique, aujourd'hui tu pleures de joie au seul nom de la France !
Nous repassons au'pied de Saint-Jean-d'Ulloa; nous longeons l'île de Sacrificios, et nous voyons peu à peu décroître à nos yeux ce panorama de la côte de Véra-Cruz, que nous avions vu, le jour de notre arrivée, grandir successivement à nos yeux étonnés et curieux. ;
.,
,
- Nous sommes en pleine mer ; on ne voit plus que le ciel et l'eau ; nous regardons machinalement vers l'avant du navire, comme si nous pouvions deviner les côtes de France.
Patience ! c'est une affaire de six semaines.
Brest
21 mars. — Voici les côtes de France! voilà le goulet de la rade de Brest. Il fait gros temps, la mer est mauvaise. N'allons pas faire naufrage au port.
La nuit vient ; on voit tous les feux de la côte.
Après avoir veillé tard — la joie, encore plus que
le chagrin, empêche de dormir, —nous finissons par aller nous coucher. - - - - -- ..;
- - - - -- >
22 mars. — L- Jura a continué sa marche pendant notre sommeil, et quand nous nous réveillons, le navire ne remue plus ; on a jeté l'ancre.
Enfin nous sommes arrivés!
-
Le retour au pays
2h mars. — Toutes les formalités ont été remplies. Le général a passé la revue des convalescents et des congédiés. On nous remet nos papiers.
Nous nous disons adieu les uns aux autres, chacun de nous prenant son vol vers le nid paternel, dans des directions différentes. Je me sens ému en serrant une dernière fois les mains un peu calleuses des soldats de notre régiment qui ont fait cette longue campagne à mes côtés ; mais je n'ai pas le temps de m'attendrir, mon cœur court vers les miens. Je prends le train express pour Paris, et j'accuse la locomotive de paresse.
Pourquoi j'ai treriipé ffittn sabre dans l'encre
25 mm's. - J'arrive. à Paris, que je ne reconnais plus tant il est changé. Je retrouve tout mon monde. Après les parents, ce sont les amis : c'est à qui fêtera le revenant du Mexique. On me fait, malgré moi, raconter mes « batailles. a A force de les écouter, on me pousse tout doucement à les écrire. Je cède. ô vanité!. et voilà pourquoi le lecteur voit aujourd'hui paraître :
La Guerre du Mexique , de 1862 à 1866.
Je suis effrayé en relisant imprimées ces notes griffonnées sous la tente, au jour le jour, sans soin et sans travail. En quittant le sabre pour prendre la plume, on a la main un peu lourde.
Le titre surtout m'épouvante : la Guerre du Mexique. Il n'est pas exact, c'est bien plutôt Journal de marche du 3e chasseurs d Afrique ; car je n'ai voulu tracer que l'historique dé mon régiment, passant forcément sous silence mille faits glorieux accomplis par d'autres.
Car en dépit du proverbe : « A beau mentir qui vient de loin, »
je suis toujours resté au-dessous de la vérité au lieu de chercher à l'embellir ; le seul mérite de ce petit livre est d'être VUAI. J'ai tenu essentiellement à ne raconter que ce que j'avais vu, et seulement les événements :
Quorum pars parva fuit,
Le Capitaine PAUL LAURENT.
FIN DU QUATRIÈME ET DE UNIE H LIVRE
"i t TABLE DES MATIÈRES
LIVRE. ln -
DR COWaTANTTNE A KKXICO
1 !' : Pages Sédépart » 3 Abord.. -.1 6 :::: : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : .: : : : : : : : : : : : : : : : : : : : Mte!Bp6te. 8 La Martinique. , 10 Varrivée Il Le général de LOl'cncez. , 12 Véra-CruE - 14 Jfâtebe sur Puebla 16 <M>aba. 18 Pwnage des Ctmb) cy. 22 Frise de San Andres. 23 ..Prse de Tampico. , , ; : ; • 24 Marche de la colonne Bazaine - 26 Combat de Los LlaiiOI.,.;.;..;.:.,.. -' 28 Investissement de Pnebla ;. 30 G'hiJardl.,., ;.,",. ",' 33 Le transfuge > 34 ..rqu. , , , ; ; , ; 36 Las soldaderas 36 Combat de Choiuln 38 Prise du pénitencier,.,. 44 Combat d'Atllsco ,.,. , , 45 Cholula., .,. ., 50 Aifalre de, Caméron , .,.,.;. 52 CombttdeSttnrab'o.- 63 Les bonebers biens 54
Pagr-s Profils de zouaves 57 Combat de San Lorenzo , 62 La prise de Ptiebla 65 Marche sur Mexico 73 Entrée à Mexico 79 P,'oclamatioll du général Forey au:-; Iex:c lins. , 82 Gouvernement pi-ovisoii-c 87 Seconde proclamation du général Forey aux Mexicains. 88 Le bal des ofliciersîfrançais 89 La saison des pli-iles 90 L'flfrestation de Buitron , , , 91 Nomination du maréchal Forey , ., , , , 108 Prdre général adressé aux troupes par le maréchal Forey. 10.4 Adieux du maréchal Forey aux Texica¡lIs , , , ., ",." 1Q6 Départ du maréchal Forey. , .., ,. , , 108
LIVRE II
Lt CAMPAGNE PE L'intériedu
Les adieux. 111 En route 112 Coup d'oeil en arrière ; 112 Création de la contre guérilla.,. , , 113 Escarmouche de [aravatio. , , , .,.,., 115 Commencement des oprations , , , , , 116 Nous changeons de eolQnel , , , , , , 118 Rapport officiel de la campagne de rintërieur. 120 PnsedeG'hiJaEdi. 125 ijouvemepts du général Douay 127 Qéfense de San Luis de Potosi par le général Mëjia. 130 Résultats de)a campgne de l'Intérieur.,. 131 arrivée du marquis de Montholon, ministre de Frar.c?. 132 La saison des pluies. 133 Prise et exécutiQn du bandit Chiavès ,. ,., .,., 185 RoméroetRojaa. 136
Une remonte au Mexique. ..,.,.,.-.,. o"," ,. 145 Les zouaves à mulet 138 Les Plnteados.. I56 Les nouveaux .n.iaîtr.e^ dii.ilc.Niq.- 157
Pages Proclamation Je Maximilien à son peuple.. , , , 159 J'escorte l'empereur. 161 Le dîner du 15 80ftt.,..,.,.,.,,' 161 Steeple Cliease 162 Maximilien. , , , , , :.. , , , , ,. 163 Simple histoire. , , 163 L'Impératrice Charlotte. , ., 165 Tournée officielle 166 Chasseurs d'Afrique et vaqueros. , , , , , , , , , 167 Déjeuner sur l'herbe., ,.. , , .,.,., 169 L'I. commémoration des morts. , , , , , , , , , 171 Coup d'oeil sur la situation 1. 172 Les Turcos à cheval 1. 177 Un billet de logement U Durango.., 184
LIVRE III
EXPÉDITION DE CINALOA ET fONORA
Départ de Durango 191 Dans la montagne. , , , ,. ", 192 Prise de l'Espina dei Dlablo. , , , , 197 Combat de los Véranos. ,., , , 200 Mort du commandant de Montarby ,. , ,. 201 Occupation de Mazattan. 202 Un ancien aml. , , 203 Mazatlan. 204 Les Américains. 207 Marches en Cinalo:t. : : , : : ; , 210 Corona et Rubi. 212 La Noria 213 La chasse au cerf 219 Prise de San Sébastien ot Copala. 222 Un remède contre les moustiques. 228 Situation militaire 229 Siége et prise d'Oajaca 231 Echec de Culliacan 1 232 Le chevalier du Bain. 236 La seiïora 238 Prise dl, G IIllym[ls. , 240
PJes Combat de la ll~tssioll 248 Délivrance des prisonniers de Citlit~tL~t:; 250 Occupation d'Urfes et d'Hermosillo 259 Réflexions lh:placées , ., , , , , , 2fir
LIVRE IV
J,; KKTOUU
Départ pour Fi-ance 207 La sierra. 270 Situation nii:ii.,ii, 271 Messieuis les voyageurs pour France III '.Oi:¡:IC',. 277 Durango 279 Une remonte onéreuse.,.,. 281 Les chevaux du Iexiquc. 282 Je fais du commerce 29-1 Fl'esnillo. , 295 Zacatécas , , , , , , 290 Aguas Calient~ 302 La gos. , , , 303 Léon. 304 Doloi ès Hidalgo 305 Quérrtaro , , ., 307 Les courses de Uuuaux, 1 s ce:;,bat? de C(,qs t t !e montc. 303 La procession des rois m~gcs 325 Mpieo.,.,. 328 Les mariages au Mexique 335 Le elt:tngement 337 rnpb~ 338 Or;ZMba. 339 Corrlova. .,. 310 Paso del ;¡¡ae:lc',..,.,. 312 Verc-Cr~x. :-.:-,. 213 Brest 344 Le retour au pay-, 3 1-j Pourquoi j'ai trempé mon ';t' dans l'encre 310
fI" ni LA TAnr.r.