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Titre : Phédon : dialogue sur l'immortalité de l'âme / par Platon ; traduction française de F. Thurot, complétée avec celle de Dacier ; et publiée avec le texte grec en regard et un choix de notes par M. Sommer,...

Auteur : Platon (0427?-0348? av. J.-C.). Auteur du texte

Éditeur : L. Hachette et Cie (Paris)

Date d'édition : 1847

Contributeur : Dacier, André (1651-1722). Traducteur

Contributeur : Sommer, Édouard (1822-1866). Éditeur scientifique

Contributeur : Thurot, Jean-François (1768-1832). Traducteur

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb122068938

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31122123h

Type : monographie imprimée

Langue : grec ancien

Format : 1 vol. (159 p.) ; in-16

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Description : [Phédon (français-grec). 1847]

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6218602b

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Z-320 (328)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 13/06/2012

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PHÉDON

DIALOGUE

DE PLATON


DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET A PARIS, RUE DE VAUGIRARD, N° 9


PHÉDON

DIALOGUE

SUR L'IMMORTALITÉ DE FAME PAR PLATON TRADUCTION FRANÇAISE DE F. TIICKOT COMPLÉTÉE AVEC CELLE DE DACIER ET PUBLIÉE

&VEC LE TEXTE GREC EN REGARD ET UN CIIOJX DE NOTES

PAU M. SOMMER Ancien élève de l'École Normale Agrégé des classes supérieures des lettres

L. BACBETTE ET Cie LIBRAIRES DE L'UNIVERSITÉ IOÏALB DE FAUCK

A PARIS RUK PURRE-SARRAZIN , NC 12 (Quartier Je l'École-de-Medecinel

A ALGER RUE op. LA MARINE, .- 117 (Librairie centrale de 1. Mediterranee)

1847

184 fi



ARGUMENT ANALYTIQUE.

Le Phédon, ou dialogue sur F-Ame, a toujours passé avec raison pour l'un des plus beaux ouvrages qu'ait inspirés à Platon le souvenir de Socrate. Platon, comme Xénophon, rapporte ce qu'il a entendu de son maître ; mais il a une manière plus libre et plus élevée; il ne s'attache pas exclusivement au côté pratique et familier de la doctrine de Socrate ; il aborde avec lui les questions les plus hautes de la philosophie: c'est dans Platon qu'il faut étudier la puissante méthode qui terrassa si victorieusement les sophistes. — Que devient l'âme après la mort ? Tel est le sujet du dernier entretien de Socrate avec ses disciples. Platon nous raconte cet entretien, qu'il met, pour ainsi dire, en scène : nous assistons aux moindres événements de cette journée où le maître but la ciguë ; nous voyons ses amis assis en cercle autour de son lit, recueillant avidement ses dernières paroles, jusqu'au moment suprême qui a inspiré à l'un de nos grands peintres l'idée du plus magnifique tableau. Y a-t-il en nous quelque chose qui soit essentiellement distinct de notre corps, et qui lui survive? C'est la première et la plus grande partie du Phédon. Dans la seconde, Socrate rapporte les croyances que se transmettent les hommes sur la vie future de l'âme ; si elles échappent à la rigueur d'une démonstration philosophique, le sage ne saurait cependant leur refuser toute autorité. — C'est ce dialogue que Caton d'Utique lut et médita la nuit où il se donna la mort.

Nous publions le Phédon tel que Platon l'a écrit, et nous avons scrupuleusement rétabli les pages que l'on a supprimées sans raison dans quelques éditions classiques.

La traduction de Thurot s'arrête à la fin du chapitre vm et reprend au chapitre LXIII. Nous avons comblé cette lacune avec la traduction de Dacier corrigée.

I. Échécrate interroge Phédon sur les derniers moments de Socrate. Celui-ci lui explique quelle cause a retardé la mort du philosophe.

II. Échécrate demande à Phédon les noms de ceux qui assistèrent à la mort de Socrate, et le presse de nouveau de lui raconter l'entretien qu'ils eurent avec ce grand homme. Phédon y consent.

III. Les amis de Socrate entrent dans sa prison; dans quel état ils le trouvent. Intime liaison de la douleur et du plaisir.

IV. Quelle raison avait décidé Socrate à mettre en vers les fables d'Ésope.


V. Le philosophe doit désirer la mort. Tel est le sujet d'entretien que Socrate propose.

VI. C'est un crime de se donner la mort.

VII. Objections de Cébès et de Simmias.

VIII. Socrate va expliquer pourquoi il envisage la mort avec fermeté.

IX. La vraie philosophie n'est qu'un apprentissage de la mort. Le philosophe ne recherche pas les plaisirs du corps.

X. Le corps trompe l'âme et souvent lui fait obstacle.

XI. Il est la cause de tous nos maux ; nous ne pouvons être heureux que séparés de lui.

XII. Le philosophe, aspirant à la mort pour toutes ces raisons, ne peut donc pas la craindre.

XIII. Celui qui recule devant la mort aime son corps et non pas la sagesse.

XIV. Cébès demande à Socrate quelles raisons il a de croire que l'âme ne périt pas avec le corps.

XV-XV1I. Toute chose vient de son contraire : la vie naît de la mort comme la mort naît de la vie; l'âme, après la mort, existe donc quelque part d'où elle revient à la vie.

XVIII-XXIV. Apprendre n'est que se ressouvenir, nouvelle preuve que notre âme est immortelle. Idées innées. Nous n'apprenons rien que nous n'ayons su jadis. - Notre âme existait avant notre naissance. Mais existe-elle encore après notre mort ?

XXV-XXVII. Ce qui est composé peut seul se dissoudre. Ce qui est immuable n'est point composé. Or notre corps change sans cesse, notre âme jamais.

XXVIII. Ce qui est divin est seul digne de commander ; or l'âme commande au corps ; donc l'âme est quelque chose de divin.

XXIX. Donc quand le corps meurt et se dissout, l'âme, qui est immatérielle et divine, va se joindre à ce qui lui ressemble dans un lieu divin et immatériel.

XXX, XXXI. Les âmes qui se sont laissé dominer par les passions sont toujours attirées, au contraire, vers le monde matériel, et finissent par rentrer dans des corps d'animaux.

XXXII-XXXIV. C'est pour éviter un tel malheur que le véritable philosophe s'exerce à la force et à la tempérance.

XXXV. Socrate engage ses amis, et en particulier Simmias et Cébès, à exposer leurs objections.

XXXVI. Simmias demande si l'âme, semblable à l'harmonie d'une lyre, n'est pas un mélange des qualités du corps, et ne périt pas la première dans la mort.

XXXVII. Cébès demande à son tour si l'on ne pourrait pas ap-


pliquer à l'âme et au corps ce que l'on dit d'un homme qui meurt après avoir usé plusieurs vêtements, mais toutefois avant que le dernier soit usé. Notre corps ne serait-il pas ce dernier vêtement de l'âme?

XXXVIII. Ces objections causent un sentiment pénible aux amis

de Socrate. Échécrate avoue qu'it te partage.

XXXIX, XL. Il faut chercher la vérité pour elle-même, et ne pas

prendre pour but de faire adopter ses opinions personnelles.

XLI-XLIII. Puisque Simmias admet l'existence antérieure de l'âme, il ne peut la comparer à une harmonie, car l'harmonie est postélieure à la lyre. D'ailleurs il peut y avoir du plus ou du moins dans l'harmonie, tandis qu'une âme ne peut pas être plus ou moins âme qu'une autre âme.

XLIV-XLVIII. Socrate rappelle comment il s'est égaré à la suite des philosophes dans la recherche des causes premières, et a dû se faire une méthode à lui. C'est cette méthode qu'il va exposer.

XLIX-LVI. Toute idée existe en soi ; c'est de la participation que les choses ont avec cette idée qu'elles tirent leur dénomination. Jamais une chose ne peut admettre en elle son contraire et devenir son contraire à elle-même. Ainsi l'âme apporte avec elle la vie ; le contraire de la vie, c'est la mort; l'âme n'admettra donc jamais la mort.

LVII. L'âme étant immortelle, il faut avoir soin de la rendre vertueuse ; car elle emporte dans l'autre vie les habitudes qu'elle a contractées dans celie-ci. Ce qui arrive après la mort de l'âme qui a été impure.

LVIII-LXIII. Description de la terre et des enfers.

LXIV. Criton demande à Socrate comment il faudra l'ensevelir. Réponse de Socrate.

LXV. Socrate prend le bain. On lui apporte ses enfants et on fait entrer les femmes de sa famille. Bientôt le serviteur des Onze vient lui annoncer qu'il est temps de mourir, et ne peut retenir ses larmes.

Socrate refuse les moyens que lui propose Criton pour prolonger sa vie de quelques heures.

LXVI. Recommandation de l'esclave à Socrate. Socrate boit la ciguë. Désespoir de ses amis. Il les console. Ses dernières paroles. Criton lui ferme les yeux.

LXVII. « Telle fut, dit Phédon, la fin du plus sage et du plus juste de tous les hommes.

..Mffl.ffl &;il



PLATON.

PHÉDON, ou

DE L'AME.

PERSONNAGES DU DIALOGUE.

ËCHËCRATE, PHÉDON, APOLLODORE, SOCRATE, CÉBÈS SIMMIAS, CRITON, LE SERVITEUR DES ONZE.

1. ÉCHÉCRATE. Dites-moi, Phédon, si vous étiez vous-même auprès de Socrate le jour qu'il but la ciguë dans sa prison, ou si vous avez entendu raconter à quelque autre personne le détail de sa mort.

PHÉDON. J'y étais moi-même, Échécrate.

ÉCHÉCRATE. Quels furent donc les discours qu'il tint avant de mourir, et comment termina-t-il sa vie? J'aurais un vif désir d'entendre ce récit; car il n'y avait alors à Athènes aucun de nos citoyens de Phlionte, et depuis très-longtemps il n'est venu chez nous aucun Athénien qui pût nous donner des détails sur cet événement. Seulement on nous a dit qu'il fut condamné à boire la ciguë, sans pouvoir nous instruire d'aucune autre particularité.

PHÉDON. Vous n'avez donc rien su des détails du procès, ni comment l'affaire se passa ?

ÉCHÉCRATE. Si : on nous le raconta; et nous étions étonnés de ce qu'on ne fit mourir Socrate qu'assez longtemps après qu'il eut été condamné. Quelle fut donc la cause de ce délai ?

PHÉDON. Ce fut une circonstance singulière : il se trouva que la veille du jugement, on avait couronné la poupe du vaisseau que les Athéniens envoient chaque année à Délos.

ÉCHÉCRATE. Qu'est-ce donc que ce vaisseau ?



PHÉDON. C'est, à ce que prétendent les Athéniens, celui dans lequel partit Thésée, lorsqu'il conduisit en Crète les sept jeunes garçons et les sept jeunes filles qui devaient périr avec lui, et qu'il sauva en se sauvant lui-même. Ils avaient, dit-on, fait vœu à Apollon d'envoyer chaque année à Délos une théorie ou députation s'ils échappaient à la mort, et c'est en mémoire de cet événement que les Athéniens envoient encore tous les ans des offrandes solennelles au dieu.

Lors donc que cette députation est sur le point de partir, il faut que la ville soit pure, et pour cette raison la loi défend de faire mourir aucune personne en vertu d'un jugement public, avant que le vaisseau ne soit arrivé à Délos et revenu ici. Or, ce voyage dure quelquefois assez longtemps, lorsque les vents sont contraires. Au reste cette cérémonie commence au moment où le prêtre d'Apollon a couronné la poupe du vaisseau, et cela se fit, comme je l'ai dit, la veille du jugement de Socrate. 1foil& pourquoi il demeura en prison pendant un Intervalle de temps fort long, qui s'écoula entre sa condamutioD et sa mort.

IL ÉCHËCRATE. Racontez-moi & présent ce qui se passa à sa mort. Que dit-il? que fit-il dans cette circonstance? et quels furent ceux de ses amis qui se réunirent auprès de lui? Est-ce que les magistrats ne leur auraient pas permis d'assister à ses derniers moments, et serait-il mort privé de leur vue? PHÉDON. Point du tout : il y ea eut même un assez grand nombre qui étalaai|»éBents, ÉCHÉCEATE. Prenez donc la peine de nous raconter cet événement dans te plus grand détaB, je vous en conjure, Phédon ; à moins fae vota n'ayez quelque affaire pressante.

PHÉDON. Au contraire, j'en al tout le loisir, et je vais tâcher de vous satisfaire. Aussi bien est-ce pour moi le plus grand des plaisirs que de me rappeler Socrate, soit en en parlant moi-même, soit en écoutant les récits que les autres en font. ÉCHËCRATE. C'est aussi, Phédon, notre sentiment, à nous qui voulons vous entendre ; ainsi tâchez, autant qu'il vous sera possible, de n'omettre aucune des plus petites circonstances.

PHÉDON. Véritablement ce spectacle lit sur moi une impression fort extraordinaire; car je n'éprouvai point cette compassion douloureuse qui aurait dû naturellement me saisir, étant témoin de la mort d'un ami; au contraire, Échécrate, je le trouvais heureux, à en juger par ses discours et par tout son extérieur, tant il montra d'assurance et de fermeté en mourant : au point qu'il me sembla que ce n'était pas .sans la volonté expresse des dieux qu'il allait subir la mort, et je me figurais que du moment où il aurait cessé de vivre, il allait jouir



du plus grand bonheur qu'il soit possible d'imaginer. Voilà pourquoi je n'éprouvais point cette pitié pénible que semblait devoir inspirer une scène si effrayante, ni d'un autre côté, ce plaisir doux et calme qui se mêlait ordinairement dans nos entretiens sur la philosophie ; car ce fut encore là le sujet de notre conversation. Mais c'était un sentiment qui ne laissait pas d'avoir quelque douceur, un mélange confus de plaisir et de tristesse, lorsque je venais à penser que dans peu d'instants il allait cesser de vivre ; et tel était à peu près le sentiment qu'éprouvaient tous ceux qui étaient avec nous. On les voyait tantôt sourire, et tantôt fondre en larmes ; l'un de nous surtout, c'était Apollodore; car vous connaissez sans doute l'homme et la singularité de son caractère?

ÉCHÉCRATE. Qui ne le connaît pas ?

PHÉDON. C'était lui surtout en qui se manifestait le plus cette impression de douleur, et moi-même j'étais profondément ému ainsi que les autres.

ÉCHÉCRATE. Quels étaient donc, Phédon, ceux qui se trouvaient là avec vous ?

PHËDON. D'abord il y avait Apollodore dont nous parlons, Critohule et Criton son père; puis Hermogène, Épigène, Eschine et Antisthène; il y avait aussi Ctésippe du bourg de Péanée, Ménéxène, et encore qiftlques autres citoyens d'Athènes. Pour Platon, je crois qu'il était malade.

ÉCHÉCRATE. Est-ce qu'il s'y trouvait aussi des étrangers?

PHËDON. Sans doute : outre Simmias, Cébès et Phédondès de ",- Ttfèhgp il y avait encore Euclide et Terpsion de Mégare. ÉCHÉCRATE. Comment ! Aristippe et Cléombrote n'y étaient-ils pas? * "* pas ? -

PHÉDON. Non vraiment : on disait qu'ils étaient à Égine.

ÉCHÉCRATE. Ne s'y trouvait-il pas encore quelque autre personne ?

PHÉDON. Voilà, je crois, à peu près tous ceux qui y étaient.

ÉCHÉCRATE. Eh bien ! dites-nous donc quels furent ces discours dont vous nous parliez tout à l'heure. * III. PHÉDON. Je vais tâcher deivous les rapporter tous sans rien omettre. Nous avions coutume, moi et les autres, de nous rendre tous les jours auprès de Socrate, et pour cela nous nous rassemblions de bonne heure dans le tribunal où l'on avait prononcé son jugement, parce que ce lieu était assez près de la prison : là nous attendions,



en nous entretenant ensemble, que la prison fût ouverte ; car elle ne s'ouvrait pas de très-bonne heure. Nous entrions aussitôt auprès de Socrate, et nous y passions la plus grande partie de la journée ; mais ce jour-là entre autres nous nous réunîmes encore de meilleure heure qu'à l'ordinaire ; car nous avions appris la veille, dès que nous fûmes sortis le soir de la prison, que le vaisseau était revenu de Délos. Nous nous recommandâmes donc les uns aux autres de nous rendre le lendemain au lieu accoutumé le plus matin qu'il se pourrait, et nous nous y trouvâmes en effet. Le portier qui avait coutume de nous introduire paraissant aussitôt. nous dit d'attendre et de ne pas entrer avant qu'il vînt nous avertir lui-même : Car, ajoutât-il, les onze magistrats font, en ce moment, ôter les fers à Socrate, et donnent les ordres nécessaires pour qu'on le fasse mourir aujourd'hui. En effet, il revint quelques moments après, et nous dit d'entrer. Nous trouvâmes donc, en entrant, Socrate, qui venait d'être délivré de ses fers, et Xanthippe (vous la connaissez sûrement bien), qui était assise auprès de lui, tenant son petit enfant dans ses bras. A peine nous eut-elle aperçus qu'elle se répandit en lamentations et en discours tels que les femmes en tiennent ordinairement dans ces funestes circonstances: 0 Socrate ! c'est donc aujourd'hui la dernière fois que tes amis vont t'entretenir, et que tu vas leur parler ! Mais lui, attachant ses regards sur Criton : Mon ami, lui dit-il, faites qu'on emmène cette infortunée à la maison ; et aussitôt les esclaves de Criton l'emmenèrent, poussant des cris et se meurtrissant 1^ visage.

Alors Socrate, se mettant sur son séant, plia une de ses jambes, qu'il frotta légèrement avec sa main, et en même temps il nous dit: L'étrange chose, mes amis, que ce que les hommes appellent plaisir! quel rapport étonnant, quelle analogie extraordinaire il a avec la douleur, qu'on croit communément lui être si opposée ; puisque jamais, à la vérité, l'homme ne les voit arriver près de lui tous deux à la fois et au même moment; mais quand on poursuit l'un des deux et qu'on le saisit, on est presque inévitablement forcé de prendre l'autre, comme s'ils étaient unis et attachés tous deux par une seule et même chaîne. Et il me semble, ajouta-t-il, qu'Esope, s'il avait fait cette réflexion, aurait pu en composer une fable, en feignant que la divinité, voulant terminer leurs débats, et n'ayant pas pu y réussir, avait pris le parti de les lier ensemble par leurs extrémités ; et que, pour cette raison, aussitôt que l'on voit arriver l'un des deux, l'autre ne tarde pas à le suivre , comme il me semble que je l'éprouve moi-même en ce moment, puisqu'à la douleur que les fers me faisaient souffrir à cette jambe en la comprimant, il me semble que je sens maintenant succéder le plaisir. »



IV. Vraiment, Socrate, interrompit Cébès, tu fais'bien de m'en faire ressouvenir; car, précisément à propos des poëmes que tu as composés, des fables d'Ésope, et de l'hymne à Apollon que tu as mis envers, plusieurs personnes, et entre autres Evénus, me demandaient dernièrement par quel motif tu t'étais mis à faire des vers depuis que tu étais en prison, toi qui jusque-là n'avais jamais Pensé à t'occuper de poésie. Si donc tu mets quelque intérêt à ce que je puisse répondre à Événus, lorsqu'il me fera encore la même question (car je suis sûr qu'il n'y manquera pas), apprends-moi ce qu'il faut que je lui dise. —Eh bien! mon cher Cébès, reprit Socrate, dis-lui la vérité; dis-lui qu'assurément ce n'est pas pour rivaliser de talent avec lui que j'ai fait des vers, ni dans l'espoir d'atteindre au mérite de ses poésies, car je savais très-bien que cela n'était pas facile, mais pour m'assurer du sens de certains songes que j'avais eus, et pour me garantirdu reproche d'avoir négligé cet avertissement, si par hasard c'était là cette étude des beaux-arts à laquelle ils me prescrivaient de m'adonner. Car voici à peu près ce qui m'est arrivé à ce sujet : cent fois dans le cours de ma vie le même songe s'est présenté à moi, tantôt sous une forme, tantôt sons une antre, mais toujours me prescrivant la même chose : Socrate, me disait-il, adonne-toi aux beaux-arts, cultive-les. D'abord et jusqu'à ces derniers temps, je m'étais imaginé que ce n'était qu'un avertissement et une exhortation à suivre la route dans: laquelle j'étais entre, et à continuer de faire ce que je faisais; et que, comme nous excitons quèlquefois par nos exhortations ceux qui disputent le prix de la course,ainsi ces songes, en m'invitant à m'exercer dans les beaux-arts, m'encourageaient et m'excitaient à poursuivre ce que j'avais commencé, puisque la philosophie est le premier des afts, et que estait précisément cette science qui m'occupait tout entier.

Mais enfin depuis que j'ai été condamné, et que la fête du dieu à forcé de différer l'exécution de ma sentence, il m'a semblé que si par hasard c'était aux beaux-arts dans le sens ordinaire que ces songes m'ordonnaient de m'appliquer, je ne devais pas résister à leur voix, «t qu'en effet il était plus sûr pour moi de ne pas sortir de la vie avant d'avoir fait cet acte de soumission envers la religion, en composant des poèmes, suivant que ce songe me le prescrivait. Ainsi, j'ai commencé par faire des vers en l'honneur du dieu dont on célébrait la tete, et ensuite réfléchissant qu'un poëte, pour être véritablement poste, ne doit pas seulement composer des discours en vers, mais inventer des fictions; et sentant qtte je n'étais guère propre à créer des sujets de pure imagination, cette réflexion m'a déterminé à mettre en vers les fables d'Ésope qui se sont offertes les premières à ma mémoire.

V. Voila, mon cher Cébes, ce que tu diras à Ëvénus; ajoute qo8 je lui souhaite toute sorte de bonheur, et que s'il est sage,



il doit songer à me suivre : car c'est vraisemblablement aujourd'hui que je dois sortir de ce monde, puisque les Athéniens l'ordonnent ainsi. Là-dessus Simmias lui dit: Quel étrange conseil donnes-tu là à Événus, Socrate? Vraiment j'ai déjà eu bien des occasions de me trouver avec lui; mais, autant que j'en puis juger, il aura bien de la peine à se décider à suivre ton avis sur ce point. - Comment ?

reprit Socrate, Événus n'est-il pas philosophe ? - Je le crois, répondit Simmias. — Eh bien donc, non-seulement Événus, mais tout homme qui est digne de porter ce nom, se conformera à mon avis.

Peut-être n'ira-t-il pas jusqu'à attenter à sa vie, car on dit que c'est une action criminelle. En disant ces mots il s'assit sur le bord de son lit, et posa ses pieds à terre; et c'est dans cette attitude qu'il continua de parler pendant tout le reste de l'entretien. Comment 1 entends-tu, Socrate, lui demanda Cébès ? Tu prétends que c'est une action criminelle que d'attenter à sa vie, et tu dis cependant qu'un philosophe désirera de suivre celui qui quitte la vie? — Eh quoi!

Cébès, ni Simmias, ni toi, vous n'avez jamais entendu discuter cette question, vous qui avez vécu dans le commerce de Pliilolaüs ? Jamais d'une manière bien claire, Socrate. — Mais vraiment je n'en Parle moi-même que par ouï-dirc. Quoi qu'il en soit, je ne vous ferai point un mystère des raisonnements que j'ai entendu faire sur ce sujet.

Peut-être d'ailleurs est-il assez convenable que sur le point de partir d'ici je cherche à pénétrer l'obscurité qui accompagne cet important voyage, et que j'examine l'opinion qu'on s'en fait communément. Et qu'aurions-nous de mieux à faire dans l'intervalle de temps qui doit s'écouler d'ici jusqu'au coucher du soleil?

VI. - Sur quelles raisons, Socrate, se fondent-ils donc pour dire qu'il n'est pas permis de se donner la mort? Car il y a déjà longtemps que j'ai ouï dire à Philolaûs, dans le temps qu'il était parmi nous, et à quelques autres encore, que ce n'est pas une chose qu'on doive faire, mais je n'ai jamais entendu aucun d'eux s'exprimer bien nettement sur cette question. - Eh bien ! dit Socrate, il ne faut pas perdre courage, et peut-être parviendras-tu à y comprendre quelque chose.

Au reste, il pourra te sembler étrange que ce sujet soit simple et n'admette aucune distinction : c'est-à-dire que jamais l'homme ne puisse faire ici comme à l'égard du plus grand nombre des autres choses, choisir ce qui lui convient le mieux, même lorsqu'il lui est plus avantageux de mourir que de vivre ; et peut-être te paraîtra-t-il étonnant que dans ce dernier cas, ce soit une impiété que de contribuer soi-même à son propre avantage, et qu'il faille attendre ce bienfait d'une main étrangère. — Dieu le sait, dit Cébès en souriant, et en prononçant ces mots à la manière de son pays. — En effet, reprit Socrate, ce raisonnement a bien l'air d'un paradoxe, mais pourtant Il n'est peut-être pas dépourvu de fondement. Quoi qu'il en soit, cette



maxime que l'on ne manque jamais d'apprendre aux initiés, savoir, que les hommes sont placés ici-bas comme dans un poste qu'il ne leur est pas permis de quitter, et des devoirs duquel il ne leur est jamais permis de s'affranchir, a peut-être un sens trop profond et trop difficile à pénétrer; mais il me semble au moins, Cébès, que c'est avec beaucoup de raison qu'on dit que les dieux prennent de nous un soin particulier, et que nous autres hommes nous appartenons aux dieux, dont nous sommes, en quelque sorte, la propriété. N'es-tu pas aussi de ce sentiment? — Oui, sans doute, répondit Cébès.

Eh bien donc, reprit Socrate, si quelqu'un de tes esclaves (qui sont aussi ta propriété) se donnait la mort sans que tu lui eusses dit ou ^tendre que tu veux qu'il meure, ne serais-tu pas extrêmement Irrtté contre lui, et ne le punirais-tu pas sévèrement, s'il était en ton Pouvoir de lui faire subir quelque peine? — Assurément, répondit-il.

- Eh bien, peut-être qu'en envisageant la chose sous ce point de vue, nous trouverons quelque fondement raisonnable à cette maxime, qu on ne doit pas se donner la mort avant que la diviné ne nous envoie quelque nécessité fatale qui nous oblige à sortir de la vie, comme 11 m arrive présentement.

VII.- Cela paraît en effet assez probable, répondit Cébès; maisd'un autre côté, Socrate, ce que tu disais tout à l'heure, que les philosophes doivent être disposés à quitter la vie sans regret, paraît presque une contradiction, si toutefois on a raison de dire, comme nous en sommes convenus il n'y a qu'un instant, que les dieux veillent sur nos destinées, et que nous sommes, en quelque sorte, leur propriété. Car, dire que les plus sages et les plus prudents des hommes ne sont pas affligés de se soustraire à l'obéissance et à l'autorité des maîtres les plus excellents et les plus parfaits qui puissent exister, c'est manquer de raison; puisqu'en pareil cas celui qui s'affranchirait de cette autorité ne pourrait probablement pas se flatter de se conduire lui-même mieux que ne le conduiraient les maîtres au service desquels il se dérobe. Sans doute il est bien possible qu'un insensé s'imaginât qu'il faut s'affranchir de l'autorité d'un maître ; et il ne réfléchirait pas qu'on ne doit jamais se soustraire à un bon maître, mais au contraire lui rester fidèlement et constamment asservi : et voilà pourquoi en se dérobant il ferait une action imprudente et déraisonnable ; au lieu que l'homme sensé désirerait probablement de rester sans cesse attaché à un être meilleur et plus parfait que lui.

D'où il me semblerait naturel de conclure tout le contraire de ce que tu disais tout à l'heure, Socrate ; c'est-à-dire, que les sages doivent être fort affligés de mourir, au lieu que les insensés doivent en être bien aises. Socrate, en entendant ces paroles, parut prendre plaisir à la subtilité de ce raisonnement: Cébès, dit-il en nous regardant., a toujours l'art de trouver des objections à ce qu'on lui dit, et ne se laisse pas persuader du premier coup aux raisons qu'on lui donne.

- Mais véritablement, Socrate, ditSimmias, moi-même je trouve les objections de Cébès assez bien fondées; car, quel motif pourrait por-



ter des hommes véritablement sages à se soustraire à l'autorité de maîtres infiniment meilleurs et plus parfaits qu'eux, et à les quitter sans regret? Il me semble même que c'est précisément contre toi qu'est dirigé le raisonnement de Cébès, en voyant combien il t'en coûte peu de nous abandonner, nous et ces maîtres excellents qui sont les dieux , comme tu en conviens toi-même. —Vous avez raison , reprit Socrate, car je vois bien que voulez me faire entendre qu'il faut que je fasse ici mon apologie, comme je l'ai faite devant le tribunal.

- C'est cela même, répondit Simmias.

VIII.-Alloils donc, reprit Socrate, je vais tâcher de vous parler d'une manière encore plus persuasive que je ne l'ai fait devant mes juges. Assurément, Simmias et Cébès, continua-t-il, si je n'étais pas persuadé que je vais jouir d'abord du commerce des dieux, modèles de sagesse et de perfection, et ensuite de celui des hommes morts autrefois, et qui furent meilleurs et plus parfaits que ceux qui vivent maintenant, j'aurais tort de ne pas envisager la mort avec peine; mais sachez qu'en ce moment j'ai l'espoir de me trouver bientôt réuni à ces hommes vertueux : cependant je n'affirmerais pas entièrement que cela doive arriver. Mais que je doive me réunir aux dieux, ces maîtres si bons et si parfaits, c'est ce que j'oserais garantir plus que toute autre chose. Voilà ce qui fait que je ne m'afflige pas, et qu'au contraire je suis plein d'espérance dans une destinée réservée aux hommes après leur mort, et qui, comme on l'a dit dans tous les temps, sera infiniment plus heureuse pour les bons que pour les méchants. F Quoi donc, Socrate, dit Simmias, est-ce que tu veux, en quittanrla terre, renfermer en toi-même les motifs de cette opinion?

et refuserais-tu de nous les communiquer ? car c'est, à mon avis, un bien qui doit nous être commun avec toi, et ce sera en même temps te justifier que de nous convaincre de ce que tu dis. — C'est ce que je vais entreprendre, répondit-il; mais d'abord sachons de Criton ce que c'est qu'il semble vouloir me dire depuis assez longtemps.

Hé! que pourrait-ce être autre chose, lui dit Criton, sinon que celui qui doit te donner le poison m'a déjà averti plusieurs fois qu'il fallait que tu prisses le moins de part qu'il serait possible à notre entretien ; car il prétend que l'on s'échauffe en parlant, que c'est ce qu'il y a de plus contraire à l'effet du poison; en sorte que l'on est quelquefois obligé d'en donner jusqu'à deux et même trois fois à ceux qui se laissent ainsi emporter à la chaleur de la conversation.

Laisse-le dire, répondit Socrate; qu'il se mêle seulement de préparer ce qui est nécessaire, comme s'il devait me donner la ciguë deux fois, ou même trois fois s'il le faut. — Hélas! répondit Criton, j'avais presque prévu ta réponse. Mais il insiste et me presse avec instance. — Laisse-le dire, répliqua Socrate ; mais néanmoins, con-



tinua-t-il, je veux, puisque vous êtes mes juges, vous rendre compte des motifs qui me portent à croire que l'homme qui a consacré sa vie à l'étude de la philosophie, doit voir d'un œil calme et ferme approcher le moment de sa mort, et être plein de l'espérance que ce moment lui apportera des biens infinis. Écoutez les preuves que je vais vous donner, Simmias et Cébès.

IX. Les véritables philosophes ne travaillent toute leur vie qu'à apprendre à mourir; cela étant, n'encourent-ils pas le ridicule, si, après avoir pensé à la mort pendant tout le cours de leur existence, ils reculent effrayés lorsqu'elle arrive, elle qu'il sont tant poursuivie?

Sur quoi Simmias se mettant à rire : Par Jupiter! lui dit-il, Socrate, tu m'as fait rire, bien qu'en ce moment j'en eusse peu d'envie ; car je ne doute pas que la plupart des gens qui t'entendraient ne convinssent que tu as bien raison dans ce que tu dis des philosophes. Nos Thébains surtout ne demanderaient pas mieux que tous ces philosophes apprissent si bien à mourir qu'ils mourussent véritablement, et ils te diraient qu'ils savent fort bien que c'est là le sort dont ils sont dignes.

- Vos Thébains diraient vrai, Simmias, reprit Socrate, mais sans le savoir : car il n'est pas vrai qu'ils sachent ni comment les philosophes souhaitent la mort, ni pourquoi ils en sont dignes. Mais laissons-là les Thébains, et parlons ici entre nous. La mort nous paraît-elle quelque chose ? — Oui, sans doute, repartit Simmias. — N'est-ce pas, reprit Socrate, la séparation de l'âme et du corps? N'est-ce pas là ce qu'on appelle la mort? — En effet, dit Simmias. —Dis-moi donc, mon cher Simmias, si tes pensées sont les mêmes que les miennes ; car de cet examen jailliront de grandes lumières propres à nous éclairer dans nos recherches. Te paraît-il qu'un philosophe poursuive ce qu'on appelle les voluptés, celles, par exemple, du boire et du manger?

-Nullement, Socrate. - Et tous les autres plaisirs qui regardent le soin du corps, penses-tu qu'il les recherche, et qu'il fasse grand cas des beaux habits, des beaux souliers et de tous les autres ornements



extérieurs? Crois-tu qu'il les estime ou qu'il les méprise, toutes les fois que la nécessité ne le contraint pas de s'en servir? — II me semble, dit Simmias, qu'un véritable philosophe ne peut que les mépriser.

Il nous paraît donc, ajouta Socrate, que tous les soins et toute l'occupation d'un philosophe n'ont point le corps pour objet, et qu'il ne travaille, au contraire, qu'à s'en séparer, pour ne songer qu'à son âme. — Assurément. — Ainsi, reprit Socrate, il est évident que le philosophe s'efforce plus particulièrement que tous les autres hommes à rendre son âme libre et à la dégager de tout commerce avec le corps.- Sans doute.- Il me semble même, Simmias, que la plupart des hommes s'accordent en ceci : quand ils voient un de leurs semblables ne prendre aucune part à ces sortes de jouissances qui n'en sont Pas pour lui, ils disent qu'il n'est pas digne de vivre, et ils regardent comme bien près de mourir quiconque ne jouit pas des voluptés corporelles. — C'est l'exacte vérité, Socrate.

X. - Mais que dirons-nous de l'acquisition de la sagesse? Le corps est-il un obstacle, ou n'en est-il pas un, lorsqu'on l'associe à cette reçherche? Je vais m'expliquer par un exemple. La vérité peut-elle imaner de l'ouïe et de la vue ? Peut-on leur accorder quelque confiance? Ou bien les poëtes sont-ils fondés à nous dire sans cesse que nous n'entendons ni ne voyons rien véritablement ? car si ces deux sens, la vue et l'ouïe, ne sont pas d'une sûreté incontestable, les autres, qui sont beaucoup plus faibles, seront encore moins fidèles. N'est-ce pas aussi ton avis? — Oui, sans doute, dit Simmias.— Quand et comment l'âme peut-elle donc trouver la vérité, puisque, lors) qu'elle la cherche avec l'aide du corps, il est évident que le corps l'induit en erreur ? — Il la trompe en effet.- N'est-ce pas surtout par le raisonnement que l'âme embrasse les vérités, et dans quelle situation raisonne-t-elle le mieux, si ce n'est quand elle n'est troublée ni :, par la vue, ni par l'ouïe, ni par la douleur, ni par la volupté, et que, repliée en elle-même et tout à fait détachée du corps, du moins dans 11 les limites du possible, elle cherche à agrandir le cercle de ses cont naissances ? — Cela est exact. — C'est donc alors que l'âme du philor sophe méprise le corps et cherche à s'isoler? — Il me le semble.— Que dirons-nous donc, mon cher Simmias, de toutes ces choses qui sont l'objet de l'âme ? Doit-on ou ne doit-on pas considérer la jus-



Uceî— Sans doute. - Et le bon et le beau?— Mon sentiment est le même à cet égard. — Mais les as-tu jamais vus des yeux du corps? - Non, assurément. - Et as-tu jamais, par quelque autre sens, véritablement touché et apprécié la grandeur, la force, en un mot l'essence de toutes les autres choses, ce qu'elles sont en elles-mêmes? Le corps peut-il nous aider à les estimer ? Ou est-il certain que celui d'entre nous qui se mettra en état d'examiner le plus exactement qu'il le pourra, et d'approfondir par la pensée ce qu'il Veut trouver, approchera le plus du but et parviendra le mieux à en •▼oir conscience ? — Cela est incontestable. — Et celui-là le fera le plus simplement et le plus purement, qui sondera chaque chose avec la seule pensée, sans chercher à fortifier sa méditation, par la vue, ni à appeler à l'aide du raisonnement aucun sens corporel, et qui, guidé par la seule pensée, se mettra en quête de l'essence pure et Véritable - choses, sans le ministère des yeux et des oreilles, libre enfin et oegagé de toute la masse du corps, qui ne fait que jeter la perturbation l'âme et l'éloigner de la sagesse et de la vérité, toutes les fois qu'elle entre en commerce avec lui. Si quelqu'un peut jamais parvenir à connaître l'essence des choses, n'est-ce pas celui dont je viens de parler- Tu dis parfaitement vrai, Socrate.

XI. *" En Partant de ce principe, les véritables philosophes sont nécessairement amenés à se dire entre eux : Voilà un chemin qui Pourrait nous égarer avec notre raison dans toutes nos recherches; tant que notre corps dominera notre, âme, nous ne posséderons

point l'objet de nos désirs, c'est-à-dire la vérité; car le corps nous ■«•eiïa maie obstacles et mille traverses par la nécessité où nous Minines d'en prendre soin ; et, avec cela, les maladies qui surviennent •'opposent entièrement à cette recherche. D'ailleurs Il fait naître en nous l'amour, le désir, la crainte, enfin une foule d'imaginations déréglées, qui légitiment le dicton, que le corps ne nous mène JM4M à la sagesse. En effet, quelle est la source des guerres, des



séditions et des combats? le corps et toutes ses cupidités. Toutes les guerres ne naissent que du désir d'amasser des richesses, et c'est le corps qui nous force à en amasser, pour que nous le servions comme des esclaves, et que nous fournissions à ses besoins.

Voilà pourquoi nous n'avons pas le loisir de nous livrer tout entiers à la philosophie; et le plus grand de tous nos maux encore, c'est que lors même qu'il nous laisse quelque loisir, et que nous l'employons à la méditation, il vient tout à coup se jeter en travers de nos recherches : il nous embarrasse, nous trouble et nous étonne au point de nous empêcher de discerner la vérité. Mais nous avons démontré que, pour avoir des perceptions exactes, il faut faire abstraction du corps, et que l'âme seule doit soumettre à son examen les objets qu'elle ireut connaître. C'est alors seulement que nous aurons acquis cette sagesse , tant recherchée, c'est-à-dire après notre mort, et nullement pendant cette vie. La saine raison le veut ainsi; car s'il est impossible d'avoir des notions justes, tant que nous ne sommes pas séparés du corps, Il faut de deux choses l'une : ou que l'on ne connaisse jamais la vérité , ou qu'on la connaisse après la mort, parce qu'alors seulement l'âme, délivrée de ce fardeau, s'appartiendra, et, durant notre existence, nous n'approcherons de la vérité qu'autant que nous nous éloignerons du corps, qvè nous renoncerons à tout commerce avec lui, à moins de nécessité , que nous ne lui permettrons point de nous infecter de sa corruption naturelle, et que nous nous conserverons purs jusqu'à ce que Dieu lui-même vienne nous délivrer. Alors libres et affranchis des passions du corps, nous converserons, comme cela est vraisemblable, avec des hommes qui jouiront de la même indépendance, et nous connaîtrons par nous-mêmes l'essence pure des chartes, laquelle n'est probablement que la vérité; car à quiconque n'est pas pur, il n'est pas permis de toucher ce qui est la pureté ntème. Voilà, selon moi, mon cher Simmias, quels doivent être et les pensées et le langage des véritables philosophes. Ne le crois-tu pas comme moi? — Assurément, Socrate.

XM.—S*n en est ainsi, mon cher Simmias, tout homme qui arrivera où je vais maintenant, a grand sujet d'espérer que là, mieux qu'ailleurs, U possédera ce que noua cherchons dans cette vie avec fM de peines et de soins; de sorte que ce voyage, auquel je suis condamné, me remplit d'une douce et agréable espérance, et il fera fe même effet à tout homme qui sera persuadé que l'âme doit être



purifiée pour connaître la vérité. — Certainement, dit Simmias. — Or, purifier l'âme, n'est-ce pas, comme nous le disions tout à l'heure, l'isoler du corps, et l'accoutumer à se recueillir, à se-replier en elle-même, en renonçant à ce commerce autant qu'il est possible, et en existant seule, soit dans cette vie, soit dans l'autre, dégagée du corps comme de ses liens ? — Évidemment, Socrate. — Et n'est-ce pas la mort que cette séparation de l'âme et du corps? — En effet. — Ceux qui méritent le titre de philosophes ne sont-ils pas les seuls qui travaillent véritablement à la délivrer? Et cette délivrance n'est-elle pas toute leur occupation ? - Il me le semble, Socrate. — Quoi donc alors de plus ridicule qu'un homme qui, après s'être préparé toute sa vie à la mort, et avoir toujours vécu dans cette attente, s'aviserait, à son approche, de la redouter et de reculer? Cela ne vous semblerait-il pas très-honteux ? — Assurément. — Il est donc certain, Simmias, que les véritables philosophes ne travaillent qu'à mourir, et que la mort ne les effraye aucunement, et je vais le prouver : S'ils méprisent et s'ils haïssent leur corps, et qu'ils n'aient en vue que leur âme, n'est-ce pas faire acte d'une très-ridicule inconséquence que de trembler au moment fatal? et n'y a-t-il pas de l'extravagance à ne pas vouloir gagner les lieux où ils pensent obtenir les biens qu'ils ont passé leur vie à désirer? car ils ont désiré d'acquérir la sagesse et de se voir déliyrés de ce corps qui est un fardeau pour eux, de ce corps l'objet de leur haine et de leur mépris.

Eh quoi! la plupart des hommes, pour avoir perdu les objets de leurs affections, leurs femmes ou leurs enfants, se donnent euxmêmes la mort, et descendent volontairement aux enfers, parce qu'ils espèrent y voir ceux qu'ils aiment et vivre avec eux ; et un homme qui se passionne pour la sagesse et qui est convaincu de la posséder aux enfers, sera désolé de mourir et d'aller dans les lieux où il trouvera ce qu'il affectionne? Ah! mon cher Simmias, il ira sans doute de grand cœur, s'il est véritablement philosophe; car il est certain que nulle part, si ce n'est aux enfers, il ne rencontrera cette sagesse pure qu'il poursuit. Cela étant, n'y aurait-il pas, comme je viens de Il dire, de l'extravagance pour un tel homme à craindre la mort?

Il y en aurait une très-grande, repartit Simmias.



XIII. — En conséquence, poursuivit Socrate, toutes les fois que tu verras un homme se désespérer et reculer à ses derniers moments, tu pourras affirmer qu'il n'aime pas la sagesse, mais les honneurs ou les richesses, ou peut-être ces deux choses en même temps. -C'est mon sentiment, Socrate. - Ainsi donc, Simmias, ce qu'on appelle la force ne convient-il pas particulièrement aux philosophes? — Tout à fait, dit-il. —Et la tempérance, cette sorte de sagesse qui consiste à ne pas se laisser vaincre par ses désirs et à vivre avec sobriété et modestie, ne convient-elle pas surtout à ceux qui méprisent leur corps et vouent leur existence à la philosophie? — Assurément, Socrate. — Si tu voulais examiner la force et la tempérance des autres hommes, tu les trouverais très-ridicules. — Comment cela? Socrate. — Tu sais que les autres hommes regardent la mort comme le plus grand des maux? — Je le sais. — Lorsque ces hommes, qu'on appelle forts, supportent la mort avec courage, ils ne le font donc que dans l'appréhension d'un plus grand mal encore? — Il faut en convenir. — Et Par conséquent tous les hommes ne sont forts et vaillants que parce qu'ils ont peur, les philosophes seuls exceptés. Et n'est-ce pas une chose très-ridicule de croire qu'un homme soit brave et vaillent, quand il n'agit que par timidité et par crainte? —Tu as raison, Socrate. — N'en est-il pas de même des hommes tempérants? ils ne le sont que par intempérance ; et quoique cela paraisse d'abord Impossible, c'est chose très-ordinaire, attendu la folie de cette tempérance; car les hommes dits tempérants ne renoncent à une volupté que dans la crainte d'être privés d'autres jouissances qu'ils désirent et auxquelles ils sont assujettis. Le règne des passions, voilà ce qu'ils qualifient d'intempérance devant qui veut les entendre ; mais au moment même où ils vous donnent cette belle définition , ils ne triomphent de certaines voluptés que parce qu'ils sont dominés, maîtrisés par d'autres; et cela ressemble fort, si je ne me trompe, à ce que je disais tout à l'heure , qu'ils sont, en quelque façon, tempérants par intempérance. — Évidemment, Socrate. -Mon cher Simmias, ne nous y trompons point, ce n'est pas suivre le droit chemin qui mène à la vertu que de sacrifier des voluptés à d'autres voluptés, des tristesses à d'autres tristesses, des craintes à d'autres craintes, et d'agir comme les gens qui demandent plusieurs petites pièces de monnaie en échange d'une grosse.

Avec cette pièce, on achète tout, on a tout, force, tempérance,



Justice; en un mot ce signe caractéristique de la vertu, c'est la sagesse, abstraction faite des voluptés, des tristesses, des craintes, de toutes les passions enfin. Quant aux autres vertus dénuées de sagesse et dont on fait un échange continuel , ce ne sont que des ombres de vertus : esclaves du vice, elles n'ont rien de pur. La vé-.

rttable vertu est pure de toute passion. La tempérance, la justice, la force et la sagesse même, sont des purifications; et il est certain que ceux qui ont établi les Initiations n'étaient pas des gens méprisables, mais de grands génies, qui, dès les premiers temps, ont voulu nous faire comprendre, sous ces énigmes, que celui qui arrivera dans les enfers sans y être préparé et sans être purifié, sera couché dans le bourbier; et que celui qui y arrivera complètement purifié sera reçu daM le séjour des dieux ; car, comme disent ceux qui s'occupent de ces initiations : c Il y a beaucoup de * gens qui portent le thyrse, mais peu qui soient possédés par * l'esprit du Dieu. » Et ceux qui sont véritablement possédés ne sont, à mon avis, que ceux qui ont dignement philosophé. Je n'ai rien MBis pour être compté parmi ces derniers; j'ai travaillé toute ma vie dans ce but. Si tous mes efforts n'ont pas été inutiles, si j'ai réussi, c'est ce que j'espère savoir bientôt, s'il plaît à Dieu. Voilà, mon cher Cébès et mon cher Simmias, ce qui doit vous faire comprendre pourquoi je vous quitte, ainsi que les mattres de ce monde, sans tristesse ni regret, certain que je suis de trouver là-bas, comme •ci, de dignes amis et de bons maîtres, et c'est ce que le peuple ne Pourrait s'imaginer. Mais je serai content si j'ai mieux réussi auprès de vous à me défendre, que je ne l'ai fait auprès de mes juges.

XIV. Quand Socrate eut ainsi parlé, Cébès lui dit à son tour : Socrate, tout ce que tu viens de dire me paraît être l'exacte vérité.

n n'y a qu'une seule chose qui trouve les hommes incrédules, c'est ce que tu as dit à l'endroit de l'âme; car ils s'imaginent presque tous qu'elle n'existe pius, une fois sortie du corps, qu'elle meurt avec lui, que, dès lors qu'elle le'quitte, elle s'évanouit comme une vapeur ou se dissipe comme une fumée. En effet, si elle subsistait seule, recueillie, repliée en elle-même et délivrée de tous les maux



dont tu as parlé, on pourrait aisément croire à la réalisation de tout ce que tu as avancé ; mais que l'âme vive, après la mort de l'homme, qu'elle sente, qu'elle agisse et qu'elle pense, il faut des preuves solides pour l'établir. — Tu dis vrai, Cébès, reprit Socrate,

mais comment ferons-nous? Veux-tu que nous examinions, en conversant , si cela est ou non vraisemblable ? — Je prendrai un trèsgrand plaisir à savoir ce que tu penses à cet égard. — Je ne pense pas du moins, repartit Socrate, que si quelqu'un nous entendait, fût-ce un faiseur de comédies, il pût me reprocher de badiner et de ne pas parler de choses qui nous regardent et nous touchent de près. Si tu veux donc que nous approfondissions cette matière, voici, à mon avis, de quelle façon nous devons procéder, pour savoir exactement si les âmes des morts sont ou ne sont pas dans les enfers.

XV. C'est une opinion bien ancienne que les âmes, en quittant ce monde, vont dans les enfers, et que de là elles reviennent ensuite sur terre, et renaissent à l'existence après la mort. S'il en est ainsi, il s'ensuit nécessairement que, pendant l'intervalle de la mort et de la vie, les âmes restent dans les enfers; car elles ne pourraient pas revenir au monde si elles n'existaient plus ; et nous pourrons être certains de ce que nous avançons, s'il est clair pour nous que les vivants naissent des morts; dans le cas contraire, il faut chercher ailleurs d'autres preuves. — En effet, dit Cébès. - Mais pour arriver à la connaissance exacte de cette vérité , il ne faut pas se contenter de l'examiner relativement aux hommes, mais aussi relativement aux animaux, aux plantes et à tout ce qui prend naissance ; car on pourra voir alors que tout naît de la même manière, c'est-à-dire que les choses qui ont leurs contraires, doivent à ces contraires leur origine. Le beau, par exemple, est le contraire du laid; le juste de l'injuste, et ainsi de suite. Examinons donc si c'est une nécessité absolue que les choses qui ont leur contraire ne naissent que de ce contraire; ainsi pour qu'une chose eût pris de l'extension, il fallait qu'elle fût auparavant d'un volume moindre? - Oui. - Et pour qu'elle diminuât, il fallait qu'elle fût d'abord plus considérable? -



Sans doute. -De même, le plus fort est engendré par le plus faible, et le plus agile par le plus lent? — C'est une vérité sensible, dit Cébès. — Eh quoi ! reprit Socrate, une chose qui devient plus mauvaise n'était-elle pas meilleure d'abord, et celle que l'on dit être plus juste, n'était-elle pas auparavant plus injuste ? — Évidemment , Socrate. — Ainsi donc, Cébès, il est suffisamment prouvé que toutes les choses naissent de leurs contraires. — Très-suffisamment, Socrate. — Mais, entre ces deux contraires, n'y a-t-il pas toujours un milieu? Il y a deux naissances, deux progrès de celui-ci à celui-là, et de celui-là à celui-ci. Entre une chose plus grande et une chose Plot petite, lé milieu est l'accroissement et la diminution : nous appelons l'un croltre et Kautre diminuer. — En effet. — Il en est de Btéme de ce qu'on nomme se confondre, se séparer, s'échauffer, se refroidir, et de toutes les autres conditions d'être à l'infini; car quoiqu'il arrive que quelquefois nous manquions de termes pour exprimer tous ces changements et ces milieux, l'expérience nous démontre pourtant que, par une absolue nécessité, les choses naissent les unes des autres et passent de l'une à l'autre, réciproquement, par un milieu. — Sans doute.

tVL - Eh bien, reprit Socrate, la vie n'a-t-elle pas aussi son contraire, comme la veille a le sommeil ? — Oui, certainement. — Quel <M ce contraire? — La mort. -. Ces deux choses ne naissent-elles PIs l'une de l'autre, si ce sont deux contraires, et entre elles n'y at-o pas deux naissances et deux progrès?—Pourquoi non?— Eh bien, repartit Socrate, je t'expliquerai la combinaison dont je viens de parler et la naissance et le progrès de chacune des deux choses qui ta composent. Dis-moi donc l'autre. Ainsi, je dis que du sommeil Mt la veille, que ce qui précède le sommeil, c'est l'assoupissement, et ce qui précède la veille, le réveil. N'est-ce pas clair? — C'est trèsdatr. — Explique-nous donc de ton côté la combinaison de la vie et de la mort. Ne dis-tu pas que l'une est le contraire de l'autre ? — Oui. — Et qu'elles naissent l'une de l'autre? — Oui. — Qu'est-ce donc qui naît de la vie? — La mort. — Et de la mort ? — Lairie, Indubitablement. — Les choses vivantes et les hommes vivants tirent donc leur origine de la mort ? — Il me le semble. —Conséquemment nos âmes sont dans les enfers après le trépas. — Sans doute.

- Mais de ces deux naissances, n'y en a-t-il pas une qui est très-sen-



sible? ainsi la mort n'est-elle pas manifeste? - Assurément.

Comment ferons-nous donc ? n'accorderons-nous pas aussi à la mort la vertu de produire son contraire? et dirons-nous que de ce côté-là la nature est estropiée et boiteuse? ou ne pourrions-nous Pas nous dispenser de reconnaître à la mort cette vertu de produire son contraire? — Cela est d'une nécessité absolue, repartit Cébès.

— Quel est donc le contraire qu'elle enfante ? — Le retour à la vie. — S'il y a un retour à la vie, ce n'est pas autre chose que la renaissance des morts? — Non, certes. — Nous sommes donc amenés à convenir que les vivants naissent des morts, comme les morts des avants; preuve incontestable qu'il est impossible que les âmes ne séjournent pas dans un lieu d'où elles reviennent à l'existence. — Il me semble, dit Cébès, que c'est une conséquence nécessaire des Principes que nous avons admis.

XVII. — Et il me semble, à moi, Cébès, que nous ne les avons pas admis sans raison ; je t'en fais juge : Si tous ces contraires ne tournaient pas dans un cercle de productions et qu'il n'y eût qu'une naissance , qu'une production directe de l'un à l'autre contraire, sans aucun retour de ce dernier contraire au premier qui l'aurait produit, toutes les choses auraient certainement la même forme, seraient affectées de la même manière, et cesseraient enfin de naître. — Comment dis-tu? Socrate. — Ce que je dis est fort intelligible. S'il n'y avait que le sommeil, et qu'il n'y eût point de réveil produit par ce sommeil, la nature finirait par effacer Endymion, qui ne ferait plus grande figure, quand le monde entier serait, comme lui, enseveli dans le sommeil. Si tout était mêlé sans que ce mélange produisît jamais Je séparation, on verrait bientôt arriver ce que disait Anaxagore, la confusion. Partant, mon cher Cébès, si tout ce qui a reçu l'existence venait à mourir, et demeurait dans le même état, une fois mort, sans renaître, n'arriverait-il pas nécessairement que tout aurait une fin et qu'il n'existerait plus rien ? car si des choses mortes il ne naît pas des choses vivantes, et que les choses vivantes viennent à mourir, n'est-il pas absolument impossible que tout ne soit pas enfin absorbé par la mort et entièrement anéanti ? — Cela est impossible,



Socrate, et tout ce que tu viens de dire me paraît incontestable.

Il me semble aussi, Cébès, qu'on ne peut rien opposer à ces vérités, et que nous ne nous sommes pas trompés quand nous les avons admises; car il est certain qu'il y a un retour à la vie, que les vivants naissent des morts , que les âmes des morts existent, et qu'à ce retour à la vie, les bonnes âmes sont placées dans des conditions plus favorables que les méchantes.

XVIII. — Ce que tu dis là, Socrate, dit Cébès en l'interrompant, est encore une conséquence nécessaire d'un autre principe que je t'ai entendu souvent poser, à savoir : que tout ce que nous apprenons est que réminiscence ; car, si ce principe est vrai, il faut de toute nécessité que nous ayons appris dans un autre temps les choses que nous nous rappelons dans celui-ci ; et cela serait impossible dans le cas où notre âme n'aurait pas existé avant de revêtir cette forme humaine. En sorte que l'on peut aussi conclure de là que l'âme est immortelle. — Mais, Cébès, dit à son tour Simmias, quelle démonstration est affectée à ce principe ? fais-m'en ressouvenir, car je n'en ai aucune idée présentement. — La démonstration en est fort claire ; la voici : Tous les hommes répondent d'eux-mêmes à une interrogation bien posée, et c'est ce qu'ils ne pourraient faire s'ils n'étaient en possession de la science et de la droite raison. Ainsi, qu'on les place en face de figures géométriques et d'autres difficultés de cette nature, et l'on reconnaîtra combien ce que je dis est vrai. — Si tu n'es pas encore convaincu, Simmias, reprit Socrate, dis-nous si par cette voie tu ne seras pas amené à partager notre sentiment : peux-tu croire facilement qu'apprendre ce n'est que se ressouvenir ? — Assez facilement ; mais je voudrais bien Tnettre en œuvre cette réminiscence dont tu partes ; d'après ce que Cébès m'en a déjà dit, et la mémoire me revenant à peu près à ce sujet, je suis déjà en partie convaincu ; cependant j'écouterai avec Plaisir les preuves que tu voudras bien me donner à l'appui de ce Principe. — Écoute-les donc, reprit Socrate : nous convenons tous que, pour se ressouvenir, il faut d'abord avoir su. — Assurément.

- Et convenons-nous aussi que, lorsque la science nous vient d'une certaine manière, c'est une réminiscence? Exemple : lorsqu'un



homme , en voyant ou en entendant quelque chose, ou en constatant Par quelque autre de ses sens la présence d'un objet, a connaissance de ce dont il est frappé, et imagine en même temps une autre chose qui ne dépend pas de la même science, mais d'une science tout opposée, ne disons-nous pas avec raison que cet homme-là se ressouvient de la chose qui lui est venue à l'esprit? — Explique-toi, dit Simmias.

- Je dis, par exemple, qu'autre est la science par laquelle on connaît un homme et autre celle qui nous fait connaître une lyre.

Sans doute, dit Simmias. — Eh bien, continua Socrate, ne sais-tu pas ce qui arrive à ceux qui aiment, quand ils ont sous les yeux une yre, un habit ou quelque autre objet dont leurs amis ou leurs maîtresses ont l'habitude de se servir ? il leur arrive ce que j'ai déjà dit : en reconnaissant cette lyre, ils se rappellent les traits de ceux à qui elle a appartenu. Voilà ce que c'est que la réminiscence. Ainsi, il est arrivé souvent qu'un homme, en voyant Simmias, s'est ressouvenu de Cébès. Je pourrais vous citer une foule d'autres exemples.

Cela n'est pas douteux. - La réminiscence, c'est donc surtout le ressouvenir des choses qu'on avait oubliées, soit à cause de l'ancienneté de leur date, soit pour les avoir perdues de vue. — En vérité, dit Simmias. — Mais, ajouta Socrate, en voyant un tableau représentant un cheval ou une lyre, ne peut-on pas se ressouvenir d'un homme ? Et la simple vue du portrait de Simmias ne peut-elle Pas rappeler Cébès ? — Sans doute. — A plus forte raison, en voyant le portrait de Simmias, se ressouviendra-t-on de Simmias lui-même?

- Certainement.

, XIX. — On peut donc conclure de tout cela que la réminiscence s Opère tantôt par des choses semblables et tantôt par des choses contraires. — 11 est vrai. — Mais quand la mémoire est frappée par la ressemblance, n'arrive-t-il pas nécessairement que l'on voit soudain si le portrait ne ressemble pas en tout point à l'original, ou si 'a ressemblance est complète? - Évidemment, dit Simmias. - SuisNol donc bien, pour que je sache si tu partages là-dessus mon avis.

^'appelons-nous pas quelque chose l'égalité? je ne parle pas de égalité qui existe entre un arbre et un arbre, entre une pierre et une autre pierre et entre plusieurs choses semblables ; mais d'une égalité distincte de tous les sujets. Disons-nous que c'est quelque chose ou que ce n'est rien ? — Nous disons assurément que c'est quelque chose, répondit Simmias. — Mais la connaissons-nous, cette égalité ? — Sans doute. — D'où nous vient cette connaissance ?

n'est-ce point des choses dont nous venons de parler? n'est-ce pas en voyant des arbres égaux, des pierres égales et d'autres objets de cette nature, que nous nous sommes formé une idée de cette égalité, qui n'est ni ces arbres, ni ces pierres, mais toute différente et détachée du sujet ? Ne te parait-elle pas en effet distincte ? N'arrive-t-il Pas quelquefois, remarque bien ceci, que les pierres, les arbres, qui



sont souvent les mêmes, nous paraissent inégaux? — Assurément.

— Les objets égaux te semblent-ils inégaux ? et l'égalité une inégalité ? — Jamais, Socrate. — L'égalité et ce qui est égal ne sont donc Pas la même chose ? — Non, certainement. — Cependant c'est de ces choses égales, qui sont différentes de l'égalité, que tu as tiré l'idée et la connaissance de l'égalité même du sujet. — C'est la vérité, Socrate, dit Simmias. — Soit que cette égalité ressemble aux sujets qui t'en ont donné l'idée, soit qu'elle en diffère? - Très-assurément. — Car cela n'importe en rien, puisque, en voyant une chose semblable ou dissemblable, il est de toute nécessité qu'elle produise la réminiscence. — Évidemment.— Mais, reprit Socrate, que dironsnous dans le cas suivant ? Quand nous voyons des arbres égaux ou d'autres choses égales, les trouvons-nous égales comme l'égalité Blême que nous concevons, ou s'éloignent-elles de beaucoup de cette égalité ? — Oui, de beaucoup. — Nous partageons donc cet avis que, lorsque quelqu'un, en apercevant une chose, la regarde, de même que celle que j'aperçois présentement devant moi, comme pouvant être égale à une autre, mais reconnaît qu'il s'en faut de beaucoup Qu'elle le soit réellement, qu'elle ne peut être aussi parfaitement égale que l'égalité dont il a l'idée, et qu'elle est entièrement inférieure, il faut nécessairement que celui qui pense ainsi ait vu et connu auparavant cet être intelligible auquel il prétend que cette chose ressemble, si imparfaite que soit la ressemblance? - Cela est d'une nécessité absolue. - N'avons-iious pas déjà reconnu cette vérité, lorsque nous avons voulu comparer des choses égales avec l'égalité ? — En eflet, Socrate. — Il faut donc de toute nécessité que nous ayons vu cette égalité, même avant l'époque où , en voyant pour la première fois des choses égales, nous nous sommes imaginé qu'elles tendent toutes à devenir l'égalité même sans pouvoir y parvenir. — Certainement. — Mais nous convenons encore que cette pensée ne nous est venue et ne pouvait nous venir que de quelqu'un de nos sens, après avoir vu ou touché, ou enfin senti de quelque autre manière que ce fût ; et je dis qu'il en est de même pour tout. — tl en est de même aussi, Socrate, pour ce que tu veux démontrer. — Il faut donc que ce soient les sens qui fassent naître en nous cette pensée, que tout ce qui dépend d'eux tend à cette égalité intelligible et demeure pourtant audessous. N'est-il pas vrai ? —Oui, sans doute, Socrate. - En effet, Simmias, avant d'avoir commencé à voir, à sentir et à faire usage de nos autres sens, il est indispensable que nous ayons eu connaissance



ùe cette égalité intelligible pour qu'elle nous serve de point de comparaison , ce à quoi nous l'employons, à l'endroit des choses sensibles, et pour que nous remarquions qu'elles tendent toutes à être parfaitement semblables à cette égalité et qu'elles lui sont inférieures.

C'est une conséquence nécessaire de ce qui a été dit, Socrate.— Mais n est-il pas vrai qu'aussitôt après notre naissance, nous avons vu, entendu et eu l'usage de tous nos autres sens? — Très-vrai. — Il faut donc qu'avant cette époque-là nous ayons eu connaissance de l'éga"té? - Sans doute. — Conséquemment, nous devons l'avoir eue avant notre naissance? — Il me le semble.

XX. — S'il en est ainsi, nous connaissons donc, avant de naître, ^t avons connu aussitôt après notre naissance, non-seulement ce qui est égal, ce qui est plus grand, ce qui est plus petit, mais encore toutes les autres choses de cette nature ; car ce que nous disons ici ne s'applique pas plus à l'égalité qu'à la beauté même, la bonté, la Justice, la sainteté, et enfin tout ce qui existe manifestement et n'est Pour nous l'objet d'aucun doute ni dans nos demandes ni dans nos réponses. En sorte qu'il faut nécessairement que nous ayons eu connaissance de toutes ces choses avant de naître. — Certainement.

Et si, après avoir possédé ces sciences, nous ne venions pas à les oublier de jour en jour, non-seulement nous naîtrions avec elles, mais nous les posséderions toute notre vie ; car savoir, ce n'est que conserver la science reçue et ne pas la perdre ; et oublier, n'est-ce pas Perdre la science que l'on a eue ? — Sans doute, Socrate. — Que si, après avoir eu ces sciences en notre possession avant de naître , et les avoir perdues une fois nés, nous venons ensuite à les apprendre de nouveau par le ministère de nos sens, ce que l'on appelle proprement apprendre, n'est-ce pas regagner ce que nous avions et n'auronsnous pas raison de nommer cela se ressouvenir? — Très-grande raison, Socrate. - Car nous avons établi qu'il est très-possible que celui lui a senti une chose, c'est-à-dire qui l'a vue, entendue ou enfin Perçue par un de ses sens, ait, à l'aide de celle-là, connaissance d'une autre chose oubliée, et cela par un simple rapprochement, soit rçu'il y ait ou non ressemblance. En sorte qu'il faut nécessairement Ou que nous naissions avec ces sciences, et que nous les conservions toujours, ou que ceux qui apprennent ensuite ne fassent que se res-



souvenir, et que leur science ne soit que réminiscence. — Nécessairement, Socrate.

XXI. — Laquelle de ces alternatives choisis-tu donc ? Simmias : naissons-nous avec ces sciences, ou nous en ressouvenons-nous après les avoir possédées et perdues? - Je ne sais, en vérité, Socrate, à quoi m'arrêter présentement. — Mais que penseras-tu, et quel sera ton choix, d'après ce que je te vais dire ? Un homme qui sait quelque chose peut-il ou non rendre compte de cette chose ? — Il le peut sans doute, Socrate. — Et tous les hommes te paraissent-ils capables de raisonner sur ce que nous venons de dire? - Je voudrais qu'il en fût ainsi, répondit Simmias ; mais je crains bien que demain nous ne trouvions plus personne capable de l'expliquer. — Il ne te paraît donc pas, Simmias, que tous les hommes possèdent cette science ?

*— Assurément non. — Ils se ressouviennent donc de ce qu'ils ont su? —Il le faut bien.- Quand nos âmes ont-elles appris cette science ?

car ce n'est pas depuis-que nous sommes nés. — Non, certainement.

'— C'est donc auparavant? — Oui. - Conséquemment, Simmias, nos âmes existaient aussi auparavant ; c'est-à-dire qu'avant qu'elles revêtissent cette forme humaine, et tandis qu'elles étaient sans corps, elles pensaient, connaissaient, savaient. — A moins que nous ne disions, Socrate, que nous avons appris toutes ces sciences en naissant ; car c'est la seule époque dont nous n'ayons pas parlé. — Je le veux bien, mon cher Simmias ; mais en quel autre temps les avonsnous perdues? car nous ne sommes pas venus au monde avec elles, comme nous venons d'en convenir. Les avons-nous aussi vite perdues qu'apprises? ou est-il un autre temps que tu puisses fixer? — Non, Socrate, et je ne me suis pas aperçu que je parlais pour ne rien dire.

XXII. — Il faut donc tenir pour établi, Simmias, que, si toutes les choses dont nous avons parlé existent réellement, c'est-à-dire le bon, le juste et toute cette essence à laquelle nous rapportons les objets de nos sens, et qui, datant d'une époque antérieure, se trouve être de même nature que notre propre essence, et nous sert continuellement de point de comparaison, il faut nécessairement, dis-je, que, puisque toutes ces choses existent, notre âme existe aussi et que son origine ait précédé notre naissance ; et si rien de tout cela n'est vrai, toutes nos paroles sont inutiles. N'est-ce pas une conséquence également juste et nécessaire ? Si ces choses-là existent, nos âmes existent aussi avant notre naissance ; et si elles n'existent pas, nos âmes n'existent



Pas non plus. — Assurément c'est une égale nécessité, Socrate, et il résulte de tout ce discours une chose bien belle et glorieuse pour nous, puisqu'il est constant qu'avant notre naissance notre âme existe, de même que cette essence dont tu viens de parler; 6ar moi je ne trouve rien de plus évident et de plus sensible que l'existence de toutes ces choses, du beau, du bon, du juste, etc., ■et tu me l'as suffisamment démontrée. - Et Cébès 1 dit Socrate; car il faut qu'il soit aussi persuadé. - Je pense, répliqua Simmias, qu'il trouve comme moi tes preuves convaincantes, quoiqu'il soit l'homme le plus difficile à persuader et le plus rebelle à la conviction.

Cependant je le crois convaincu que notre âme existait avant notre naissance.

XXIII. Mais qu'elle existe encore après notre mort, cela ne me parait Pas, à moi-même, bien prouvé; car cette opinion du peuple, dont Cébès te parlait tantôt, subsiste encore dans toute sa force, qu'après le trépas de l'homme l'âme se dissipe et cesse d'être. En effet, qu'est-ce qui empêche que l'âme ne naisse, ne sorte de quelque part, n'existe avant de venir animer le corps, et qu'après sa séparation d'avec le corps elle ne cesse d'être avec lui et comme lui t — Tu dis vrai, Simmias, dit Cébès. Il me semble que Socrate n'a prouvé que la moitié de ce qu'il fallait établir; car il a bien démontré que notre âme existait avant notre naissance; mais, pour compléter sa démonstration, il devait prouver aussi qu'après notre mort notre âme existe ainsi qu'avant cette vie. — Mais je vous l'ai démontré à tous deux, Simmias et Cébès, et vous en conviendrez si vous ajoutez cètte dernière preuve à celle déjà admise, que les vivants naissent des morts; car, s'il est vrai que notre âme existe avant notre naissance, il faut nécessairement que, pour venir à la vie, elle sorte, pour ainsi parler, du sein de iajnort. Pourquoi ne faudrait-il pas aussi qu'elle existât après la Mert, puisqu'elle doit revenir à la vie ? Ainsi, ce que nous venons de dite est démontré.

XXIV. Cependant, il me paraît que vous désirez tous deux appro-



fondir davantage cette matière, et que vous craignez, comme les enfants, que les vents n'emportent et ne dissipent l'âme au sortir du corps, surtout quand une mort a lieu en pleine campagne, dans un lieu exposé aux vents. - Sur quoi Cébès, se mettant à rire : Essaye donc, Socrate, dit-il, de guérir nos craintes, ou plutôt de nous persuader comme si nous n'appréhendions rien, quoiqu'il pourrait bien se faire qu'un de nous craignît cela comme un enfant ; faisons donc nos efforts pour lui persuader de ne pas se faire de la mort un épouvantail.

- Alors, reprit Socrate, il faut employer, jusqu'à parfaite guérison, les enchantements et les exorcismcs. — Mais où trouverons-nous, Socrate, cet excellent enchanteur, puisque tu vas nous quitter ? — La Grèce est bien grande, Cébès, et l'on y trouve un grand nombre de gens habiles. D'ailleurs, il y a plusieurs nations barbares qu'il faut visiter pour trouver cet enchanteur, sans épargner ni travail ni dépense ; car le bien consacré à cette recherche sera le mieux employé. Il faut aussi chercher parmi vous, car peut-être ne rencontrerez-vous personne plus capable de faire ces enchantements que vous-mêmes. — Nous nous mettrons en quête, comme tu nous le recommandes, Socrate ; mais, s'il te plaît, reprenons le discours abandonné. — Pourquoi, Cébès, cela ne me plairait-il pas ?

XXV. - A merveille, Socrate, repartit Cébès. — Nous devons nous demander d'abord, reprit Socrate, quelles sont les choses susceptibles de se dissiper, pour quel objet nous devons craindre cet anéantissement, et quelles parties de cet objet le subit. De Plus, nous devons examiner de quelle nature est notre âme, et partant craindre ou espérer pour elle. — Cela est très-juste. — N'estil pas certain que ce n'est qu'aux choses composées, ou de nature à l'être, qu'il convient d'être dissipées par le mode même qui a présidé à l'agrégation de leurs parties, et que, s'il y a des êtres non composés, ils sont les seuls à qui cette condition d'existence ne convienne point, et qu'ils ne sauraient être dissipés naturellement?

— Très-certainement, dit Cébès. — Les choses qui ne changent en rien de manière d'être, n'est-il pas évident qu'elles ne sont pas composées ? Et celles qui, variant toujours, ne sont jamais les mêmes, ne le paraissent-elles pas nécessairement ? — Je suis de ton avis, So-



crate. — Mais retournons à ces choses dont nous parlions. Toutes celles que, dans nos demandes et nos réponses, nous caractérisions en disant qu'elles existent, sont-elles toujours les mêmes? ou changent-elles quelquefois? L'égalité, la beauté, la bonté, c'est-à-dire toutes les choses essentielles, subissent-elles parfois quelque variation, quelque petite qu'elle soit? ou chacune d'elles, étant pure et simple, reste-t-elle toujours de même nature, sans jamais recevoir la moindre altération ni le moindre changement?— Ceci est de toute nécessité, répondit Cébès. — Et toutes ces autres belles choses, reprit Socrate , les hommes, les chevaux, les habits, les meubles et tant d'autres de même nature, sont-elles toujours les mêmes ou entièrement opposées aux premières, de sorte qu'elles ne demeurent jamais dans le même état, ni par rapport à elles-mêmes, ni par rapport aux autres, et qu'elles éprouvent de continuels changements?—EU es varient constamment, répondit Cébès. - Tu peux donc les voir, les toucher ou les percevoir par quelque autre sens; tandis que les premières, celles qui sont immuables, ne peuvent être saisies que par la pensée, immatérielles et invisibles qu'elles sont.- Assurément, Socrate, dit Cébès.

XXVI. — Veux-tu, continua Socrate, que nous les partagions en choses visibles et en choses invisibles ?— Je le veux bien. — Les premières constamment les mêmes et les autres variant toujours ? — Je le veux bien, repartit Cébès. - Eh bien, ne sommes-nous pas composés d'un corps et d'une âme? ou existe-t-il encore quelque autre chose en nous?—Non, sans doute. - A laquelle de ces deux espèces de choses dirons-nous que notre corps est plus conforme et sympathique ? — A l'espèce visible, sans aucun doute. — Et notre âme, mon cher Cébès, est-elle ou non visible ? — Elle est invisible, au moins pour les hommes. — Mais quand nous parlons de choses visibles ou invisibles, nous ne prenons que les hommes en considération.

Crois-tu qu'il en soit ainsi ? - Je le crois. — Que dirons-nous donc de l'âme? peut-on ou ne peut-on pas la voir? — On ne le peut. — Elle est donc immatérielle? — Oui. — En conséquence, notre âme appartient plus que le corps à la nature immatérielle, et celui-ci plus que celle-là à la nature opposée ? — Cela est d'une nécessité absolue.

XXVII. — Ne disions-nous pas tantôt que, lorsque l'âme emploie

le corps pour connaître un objet, soit par la vue, soit par l'ouïe,



soit par tout autre sens ( car ce n'est que par les sens qu'il peut connaître) , elle est alors entraînée par le corps dans la sphère des choses variables? Sur ce terrain, elle s'égare, se trouble, chancelle et éprouve des vertiges, comme dans l'ivresse ; car elle s'est enfoncée dans la matière. — C'est vrai. — Tandis que, lorsqu'elle se laisse aller à des considérations auxquelles le corps n'a point de part, elle s'élève dans une sphère d'éléments purs, éternels, immortels et immuables; et, sa nature ne variant jamais, elle se tient toujours aussi élevée, quand elle s'appartient et autant qu'elle le peut. Alors cessent ses égarements, et elle est toujours la même, parce qu'elle est liée à ce qui ne change Point; cette tendance de l'âme est ce qu'on appelle sagesse ou prudence.—L'explication est très-claire, Socrate, et renferme une grande vérité. — A laquelle de ces deux espèces donc l'âme te semble-t-elle avoir le plus de degrés de ressemblance et de conformité, d'après ce que nous avons déjà dit et tout ce que nous venons de dire î—Il me parait, Socrate, qu'il n'y a point d'homme assez obtus et assez stupide pour qu'il ne soit amené, ta méthode aidant, à convenir que l'âme est plus ressemblante et plus conforme à ce qui ne change pas qu'à ce qui varie constamment. — Et le corps ? — Il ressemble plus à ce qui change.

XXVIII. - Suivons encore une autre voie. Quand l'âme et le corps marchent de compagnie, la nature ordonne à l'un d'obéir en esclave, et à l'autre de dominer et de commander. Lequel des deux, selon toi, ressemble donc à ce qui est divin, et lequel ressemble à ce qui est mortel 1 Ne te parait-il pas que ce qui est divin est seul capable de commander en maître, et que ce qui est mortel doit seul obéir et être en servitude ? — Assurément. — A quoi donc notre âme ressemble-t-elle ? — Évidemment à ce qui est divin, et notre corps à ce qui est mortel. — Examine donc , mon cher Cébès, si de tout ce que nous venons de dire il ne s'ensuit pas nécessairement que notre âme est en très-grande conformité avec ce qui est divin, immortel, intelligible, simple, indissoluble, invariable et toujours identique, et que notre corps ressemble exactement à ce qui est humain, mortel, sensible, composé, dissoluble, toujours mobile et toujours différent.

Que peut-on alléguer pour détruire ces conséquences et en prouver la fausseté ? — Rien, Socrate.

XXIX. - AlorS ne convient-Il pas au corps d'être bientôt dissous et



à l'âme de demeurer constamment indissoluble, ou quelque chose d'à peu près?— C'est une vérité manifeste. — Tu vois tous les jours le corps d'un mort exposé aux yeux, ce que nous appelons le cadavre, et ce qui a seul la propriété de se dissoudre, de s'altérer et de s'anéantir; tu le vois pourtant, d'abord exempt de tous ces accidents, demeurer intact pendant un assez long espace de temps, - et si le mort était beau, il se conserve dans toute sa beauté, même trèslongtemps; les corps embaumés, comme en Égypte, durent presque entiers pendant un nombre infini d'années; et ceux même qui se corrompent conservent toujours des parties, comme les os, les nerfs et d'autres éléments de leur constitution qui semblent devoir être immortels. Cela est-il exact? — Très-exact. - En conséquence, l'âme, cet être Invisible, va dans un autre lieu semblable à elle-même, merveilleux, pur, invisible, c'est-à-dire dans les enfers, et elle retourne véritablement dans le sein d'un Dieu plein de bonté et de sagesse, et c'est où j'espère que la mienne se rendra dans un moment, s'il plaît à Dieu. Eh quoi ! une âme de cette nature, et créée avec tous ces avantages, n'aurait pas plutôt quitté le corps qu'elle serait dissipée et anéantie, comme le croient la plupart des hommes ! Il s'en faut de beaucoup, mon cher Simmias et mon cher Cébès. Voici plutôt ce qui arrive et ce que nous devons croire très-fermement : si l'âme se retire pure, sans conserver aucune souillure du corps, n'ayant eu volontairement avec lui aucun commerce, l'ayant toujours fui, au contraire, et s'étant toujours recueillie en elle-même, absorbée qu'elle était par la méditation et par les principes de cette philosophie sage qui apprend à mourir; car la philosophie est-elle autre chose qu'une préparation à la mort?—Non, certes. —Si l'âme se retire, dis-je, en cet état, elle rejoint un être semblable à elle, un être divin, Immortel et plein de sagesse, et jouit alors d'une merveilleuse félicité, délivrée de ses erreurs, de son ignorance, de ees craintes, de ses amours qui la tyrannisaient, et de tous les autres maux attachés à la sature humaine; et, comme le disent des gens initiés aux saints mystères, elle vit, avec les dieux, d'une vie éternelle. N'est-ce pas là ce que nous devons croire? — Sans aucun doute, Socrate.

XXX. — Mais si l'âme se retire pleine de souillures et d'impuretés, pour avoir été en continuel contact avec le corps, n'avoir pensé qu'à



le servir, à l'aimer, à en faire son idole, et s'être adonnée aux votaptés et aux convoitises, au point de croire qu'il n'y avait rien de réel et de véritable que ce qui est corporel et qu'on peut voir, toucher, boire et manger, ou qui est l'objet des plaisirs charnels, et de balr et fuir tout ce qui est intelligible, les jouissances philosophiques ; Peases-tu qu'une telle âme puisse sortir du corps pure et simple ?— Non, sans doute, Socrate ; cela est impossible. — Elle s'en échappe, an contraire, mélangée des liens de" l'enveloppe matérielle, que le commerce habituel qu'elle a eu avec le corps, leur étroite union, leur constante coexistence et les soins complaisants qu'elle en a pris, toi ont rendue comme essentielle. - Très-certainement. - Ces souilles , mon cher Cébès, sont une masse lourde, pesante, terrestre et Faible ; et cette âme chargée de ce fardeau, et alourdie, est entraînée encore vers ce monde visible, non-seulement par sa pesanteur, mais Msai par l'appréhension qu'elle a de la lumière et d'un lieu invisible ; et elle erre, comme on dit, dans les cimetières, autour des tombeàux, où l'on a souvent vu des fantômes ténébreux et des spectres, tels que sont ces âmes qui n'ont pas abandonné le corps pures et Utopies, mais affectées de -cette matière terrestre et vivante qui les rend aussi visibles.—Cela est très-vraisemblable, Socrate.—Oui, sans doúte, Cébès, et il est vraisemblable aussi que ce ne sont pas les âmes des bons, mais celles des méchants, qui sont condamnées à errer dans ces lieux impurs, où elles portent la peine de leur première vie, qui * été mauvaise, et où elles continuent d'errer jusqu'à ce que, attirées par ramour qu'elles ne cessent d'avoir pour cette masse corporelle , elles rentrent de nouveau dans un corps.

XXXL Là elles se signalent par les mêmes mœurs et les mêmes Passions qui ont fait toute l'occupation de leur existence première.

- Explique-toi, Socrate. — Je dis, par exemple, Cébès, que ceux qui ont fait un dieu de leur ventre, et qui n'ont connu que l'insoteoce et l'impureté, sans avoir jamais fait preuve de pudeur ni de retenue, entrent dans des corps d'ânes ou d'autres animaux; cela ne te paraît-il pas plausible? — Très-plausible. — Et les âmes qui l'ont aimé que l'injustice, la tyrannie et les rapines, vont animer des corps de loups, d'éperviers, de faucons. Pourraient-elles aller ailleurs?— Non, sans doute, Socrate. —Il en est donc de même des



80tm : elles vont toutes dans des corps d'animaux d'espèce différente, selon qu'elles conservent quelque chose de leurs anciennes IXMM — En suivant ces principes, il n'en peut être autrement. — Et ^8 plus heureux de tous ces hommes, ceux dont les âmes se retirent - le lieu le plus agréable, ne sont-ce pas ceux qui ont toujours Professé cette vertu sociale qu'on. appelle tempérance et justice, * laquelle ils se sont pliés par l'habitude seule et par l'exercice, *"M l'aide de la philosophie ni de la réflexion "1 - Comment peuvent- ladoDC être si heureux ?—C'est qu'il est vraisemblable qu'après leur Sort leurs âmes vont habiter des corps d'animaux pacifiques et doux, 4'abeilles, de guêpes, de fourmis, ou qu'elles retournent même dans 3es corps humains, et deviennent des hommes tempérants et sages.

*"' Cela est probable.

XXXII. - Mais ceux-là seuls peuvent. approcher de la nature des dieux, qui ont fait de la philosophie l'occupation exclusive de leur i et dont les âmes ont quitté leur corps avec toute leur pureté. Ce BWaad privilège n'est accordé qu'à ceux qui ont aimé la véritable sa-

Ithe. Voilà pourquoi, mon cher Simmias et mon cher Cébès, les W&b philosophes étouffent tous les désirs du corps, se contiennent et le s'abandonnent point à leurs convoitises; ils n'appréhendent ni la Wm de leurs maisons, ni hi pauvreté, comme le peuple et ceux qui sont attachés aux richesses, et ils ne redoutent ni l'ignominie., ni Opprobre, comme les ambitieux qui n'aiment que les dignités et les tanneurs; en un mot, Ils renoncent à tout et à eux-mêmes. — II ne Serait pas convenable d'agir autrement, répliqua Cébès. - Non, sans doute, continua Socrate; aussi tous ceux qui prennent soin de leur taie et ne vivent pas pour leur corps, rompent avec toutes ses con"*ises et ne suivent pas le mêmecbèmin que ces insensés qui ne savent où ils vont ; mais persuadés qu'il ne faut rien faire de contraire à la philosophie, rien qui empêche ou détruise ses purifications et retarde tetir liberté, ils se mettent sous sa sauvegarde et la suivent partout.

XXIlL-Que dis-tu là ? Socrate. --Je vais te l'expliquer. Les philosepaes, remarquant que leur âme, attachée et soudée à leur corps, est forcée de considérer les objets à l'aide de ce dernier, et non par eue-mème, et qu'elle est toujours ainsi flottante dans un abtme d'iPorance t sentent bien que la force de cette union consiste dans les désirs du eorps, en sorte que celui qui est attaché aide lui-même à



serrer sa chaîne ; ils savent que la philosophie, venant à s'emparer de leur âme ainsi asservie, l'instruit et la console doucement, et travaille à la délivrer, en lui démontrant que la vue du corps est pleine d'illusions et de mensonges, comme tous les autres sens, en l'avertissant de n'en faire usage qu'en cas de nécessité, et en lui conseillant de se concentrer et de se recueillir en elle-même, de ne lui demander aucun secours, quand elle aura bien examiné dans son for intérieur l'essence de chaque chose, abstraction faite de son enveloppe, et d'être bien persuadée que tout ce qu'elle examine par tous ces autres sens, variant constamment, ne renferme rien de vrai. Or, ce qu'elle considère par ses sens corporels, c'est ce qui est sensible et visible ; et ce qu'elle voit par elle-même, sans le ministère du corps, c'est ce qui est invisible et intelligible. L'âme du vrai philosophe, persuadée qu'elle ne doit pas s'opposer au développement de sa liberté, renonce, autant qu'il est possible, aux voluptés, aux convoitises, aux tristesses et aux craintes ; car elle n'ignore pas que, lorsque quelqu'un a goûté de grands plaisirs, éprouvé de grandes craintes et d'extrêmes tristesses, ou s'est livré à ses désirs, il subit par cela lllême non-seulement les maux sensibles et ordinaires, comme les maladies ou la perte de ses biens, mais le plus grand et le dernier de tous les maux, un malheur d'autant plus dangereux et plus terrible qu'il ne se fait pas sentir. — Qu'est-ce donc ? Socrate. — L'âme, forcée de se réjouir ou de s'affliger pour quelque sujet, croit que la source de ce plaisir ou de ce chagrin est seule très-véritable et trèsréelle, quoiqu'elle soit loin de l'être; et telle est la nature de toutes les choses sensibles et visibles qui peuvent la réjouir ou l'affiiger.

Cela est certain, Socrate. — N'est-ce pas surtout dans ces sortes de Passions que l'âme est particulièrement liée et attachée au corps?

Comment cela ? Socrate. — Parce que chaque volupté, chaque tristesse, armée d'un clou très-solide et très-pointu, cloue l'âme au corps à grand renfort de coups, et la rend si matérielle et si corpol'elle, qu'elle pense qu'il n'y a d'objets réels et véritables que ceux dont le corps constate l'existence ; car de ce qu'elle a les mêmes opinions que ce dernier, il s'ensuit qu'elle est amenée à avoir les mêmes Moeurs et les mêmes habitudes; c'est pourquoi elle ne peut arriver Pure aux enfers, mais elle sort toute pleine encore des souillures de Ce corps qu'elle a quitté , rentre bientôt dans un autre, où elle reprend racine, comme si elle y était plantée, et où elle n'a plus aucun commerce avec l'essence pure, simple et divine. — Cela est très-certain, Socrate.



XXXIV. C'est aussi pour tous ces motifs que les véritables pbiloSOphes travaillent à acquérir force et tempérance, et non pour les raisons imaginées par le peuple. Ne le crois-tu pas comme moi ? Cébès.

- Assurément. — C'est ce que pensera toujours l'âme d'un vrai philosophe; car elle ne croira jamais qu'il faut que la philosophie la dé> afin qu'elle s'abandonne librement aux voluptés, aux tristesses, - craintes, qu'elle reprenne ses chaînes et que ce soit toujours à recommencer, comme la toile de Pénélope. Au contraire, demeurant *%agée de toutes les passions et dans une parfaite tranquillité, et Prenant toujours pour guide la raison, sans jamais s'en écarter d'un PIs, elle contemple incessamment ce qui est vrai, divin, immuable et au-dessus de l'opinion; et, nourrie de cette vérité pure, elle est Persuadée qu'elle doit vivre toujours de même tant qu'elle sera unie au corps; puis elle espère qu'après la mort, rendue à cet être immoral » comme à sa source, elle sera délivrée de tous les maux qui affli•®ot la nature humaine. Avec de tels principes, mon cher Simmias ** mon cher Cébès, et après une telle vie, que peut redouter une -e' Craindra-t-elle qu'à sa sortie du corps les vents ne l'emportent et ne la dissipent, et qu'entièrement anéantie elle ne soit plus nulle ..U

, XXXV. Après que Socrate eut ainsi parlé, il se lit un assez long allence; car Socrate paraissait être tout à ce qu'il venait de dire. Nous filions aussi pour la plupart, et Cébès et Simmias s'entre-par.

Ment un peu à l'écart. Enfin, Socrate, les apercevant, les interpella : Que dites-vous? ne manque-t-il pas quelque chose à mes preuves? car & me semble qu'elles donnent lieu à beaucoup de doutes et d'objec, si l'on veut les examiner en détail. Si vous parlez d'autre thoae, je n'ai rien à dire ; mais, pour peu que vous doutiez, ne faites dimculté de me dire franchement s'il est une meilleure démoos^■tion, et associez-moi à vos recherches, si vous me croyez capable .OUS. servir. — Je te dirai la vérité toute pure, Socrate, répondit Stajmias. Depuis longtemps nous avons des doutes, Cébès et moi, et nous nous sommes souvent excités l'un et l'autre à te les proposer, désireux que nous étions de te les voir résoudre ; mais, nous avons craint t'iftiportuner et de te faire des questions désagréables dans le malheureux état où tu te trouves. — Eh ! mon cher Simmias, reprit Sotra., avec un doux sourire, j'aurais grand'peine à persuader aux •stras hommes que je ne regarde pas ma position comme misérable,



Puisque je ne saurais vous en convaincre vous-mêmes. Vous me croyez donc i quant au pressentiment et à la divination, bien inférieur aux cygnes? car les cygnes, quand ils sentent qu'ils vont mourir, chantenè encore mieux que jamais, dans la joie qu'ils éprouvent d'aller trouver le dieu qu'ils servent. Mais les hommes, par la crainte de la mort, calomnient ces cygnes, en disant qu'ils pleurent leur trépas et qu'ils chantent de tristesse, et ils ne réfléchissent pas qu'il n'y a point d'oiseau qui chante quand il a faim ou froid, ou qu'il est triste, pas lllême le rossignol, l'hirondelle ou la hupe, dont on prétend aussi que le chant respire la douleur et n'est qu'un véritable regret. Mais ces oiseaux ne chantent nullement de tristesse, et encore moins les cygnes qui, appartenant à Apollon, sont divins. Et moi je pense que je sers Apollon aussi bien qu'eux , qu'aussi bien qu'eux je suis consacré à ce dieu, que je n'ai pas moins reçu qu'eux de notre commun maltre l'art de la divination, et que je ne suis pas plus qu'eux peiné de sortir de cette vie ; c'est pourquoi, à ce sujet, vous n'avez qu'à Parler tant qu'il vous plaira, et à m'interroger aussi longtemps que les onze magistrats le voudront permettre. — C'est fort bien dit, Socrate, répondit Simmias ; je te proposerai donc mes doutes, et Céhès te soumettra ensuite d'autres difficultés. Sur ce terrain, je pense, comme toi, qu'il est impossible, ou du moins difficile , de connaître la vérité dans cette vie, et je suis convaincu que ne pas examiner suffisamment ce qu'on en dit, et se lasser avant d'avoir fait de grands efforts et sans qu'on ait rencontré des obstacles insurmontables, c'est l'action d'un homme très-indolent et très-lâche ; car il faut de deux choses l'une : ou apprendre des autres ce qu'il en est, ou le trouver Par soi-même. Si ces deux voies sont impraticables, il faut, dans toutes les raisons humaines, choisir la meilleure et la plus forte, et, s abandonnant à elle comme à une nacelle, traverser cette mer orageuse et tâcher d'échapper à ses tempêtes et à ses écueils, à moins que nous ne puissions en trouver une plus sûre et plus ferme, comme quelque promesse ou quelque révélation divine, afin que sur elle, de même que sur un vaisseau qui ne craint aucun danger, nous achetons heureusement le voyage de cette vie. Je ne rougirai donc pas de



te faire des questions, puisque tu le permets, et je ne m'exposerai e* au reproche que je pourrais me faire un jour, de ne t'avoir pas dit Présentement ce que je pense. Quand je réfléchis à ce que tu nous as & Cébès et à moi, je t'avoue, Socrate, que tes preuves ne me Paraissent pas sumsantes.

XXXVI. —Peut-être as-tu raison, mon cher Shnmias; mais en quoi tetemblent-elles insuffisantes?—En ce qu'on pourrait en dire autant de l'harmonie d'une lyre; car ne serait-on pas fondé à prétendre que l'harmonie d'une lyre bien montée et bien accordée, est quelque chose ^invisible, d'immatériel, de très-beau et de divin, et que la lyre et les cordes sont le corps ou la matière, cet être composé, terrestre et mortel? et, la lyre mise en pièces, ou ses cordes coupées ou rompues, lié pourrait-on soutenir avec toi, et par les mêmes raisons, qu'il faut aeéessairement que cette harmonie subsiste encore et toujours? (car Puisqu'onvoit clairement, dirait-on, que la lyre subsiste malgré la tapture des cordes, ou que les cordes toutes mortelles ont survécu à klyre cassée ou démontée, il est impossible que l'harmonie, qui est même nature que l'être immortel et divin, périsse avant ce est mortel et terrestre ;) mais il faut de toute nécessité que l'har®oaie existe quelque part, et que le corps de la lyre et les cordes soient pourris et anéantis, avant qu'elle reçoive la moindre atteinte (car tu t'es sans doute aperçu que nous avons les mêmes idées sur Ftee , et que nous pensons que, notre corps étant un composé de chaud, de froid, de sec et d'humide, notre âme n'est autre chose que l'hamonie qui résulte de ces qualités, quand elles sont bien *Mes. Si dotre âme n'est donc qu'une espèce d'harmonie, il est évi4eat que, lorsque notre coups est trop relâché ou trop tendu par les Maladies, ou par quelque autre accident, il est nécessaire que notre ine, toute divine qu'elle soit, périsse comme les autres harmonies Çtà consistent dans les sons ou qui sont l'effet des instruments, et que les restes de. chaque corps durent encore assez longtemps, jusqu'à ce rçWfls soient brûlés ou corrompus). Vois donc, Socratl, ce que nous



pourrons répondre à ces raisons, si quelqu'un prétend que notre âme, n'étant qu'un assemblage des qualités du corps, périt la pcemière, et s'éteint dans ce que nous appelons la mort.

XXXVII. Socrate, nous regardant tous alors l'un après l'autre, comme il faisait souvent, et se mettant à sourire : Simmias a raison, dit-il, et si quelqu'un de vous a plus de facilité que moi à répondre à ses objections, que ne le fait-il? car il paraît avoir suffisamment compris mes raisons et les difficultés qui les combattent. Mais, avant de lui répondre, il faut entendre les objections de Cébès, afin que, Pendant ce temps, nous pensions à ce que nous devons dire, et que nous nous rendions à ses raisons, si elles nous semblent justes; sinon, que nous gardions et soutenions nos principes de toute notre force. Dis-nous donc, Cébès, ce qui te trouble et t'empêche de te rendre à ce que j'ai établi? — Je vais te le dire, repartit Cébès. Ta démonstration me paraît être imparfaite, et pécher par le même endroit dont nous avons déjà parlé. Que notre âme existe avant de venir animer le corps, je trouve cela admirablement bien dit ; et, si cet aveu ne nous coûtait pas trop, je dirais que c'est suffisamment démontré; mais qu'elle existe aussi après notre mort, voilà ce dont je ne suis pas convaincu. Cependant, je ne m'associe nullement à l'objection de Simmias, qui prétend que notre âme n'est ni plus forte, ni plus durable que le corps, car elle me paraît infiniment supérieure. Et pourquoi donc douter encore ? me dira-t-on. Puisque tu vois de tes yeux qu'à la mort de l'homme, ce qu'il y a de plus faible en lui subsiste encore, ne te paraît-il pas d'une nécessité absolue, que ce qui est moins périssable dure plus longtemps? Vois, je te prie , si je répondrai bien à cette objection ; car, pour me faire comprendre, j'ai besoin d'une image, d'une comparaison, comme Simmias. Ce que tu viens de dire , c'est, à mon avis, comme si quelqu'un disait, après la mort d'un vieux tailleur : ce tailleur n'est pas mort, mais il existe encore quelque part, et la preuve, c'est que voilà l'habit qu'il portait, et qu'il s'était fait lui-même, il n'a pas péri et est encore tout entier ; et si l'on ne cédait pas à ce raisonnement, celui-là ne manquerait pas de demander : lequel est le plus durable, de l'homme ou de l'habit qu'il porte et qu'il use? On répondrait nécessairement que c'est l'homme; et alors ton philosophe prétendrait avoir démontré que, puisque ce que le tailleur avait de moins durable,



c'est-à-dire sonbabit, n'est point anéanti,et subsiste encore, à plus forte raison le tailleur subsiste-t-il encore lui-même. Oh ! il n'en est Pas de même, mon cher Simmias, et écoute, toi aussi, je te prie, quelle réponse je vais faire à cela. Il n'y a personne qui ne sentê d'atord que celui qui élève une pareille objection, fait une chose ridiCQle ; car ce tailleur, après avoir usé plusieurs habits qu'il s'était faits, -mort -e.rúin après eux; mais il est mort avant le dernier habit qn'il n'a pas eu le temps d'user; et, quoique ce dernier habit lui ait survécu, si l'on peut ainsi parler, il n'est pourtant pas vrai de dire que l'homme soit quelque chose de plus faible et de moins durable qu'un habit. Cette image, cette comparaison convient très-bien à l'âme et au corps; car ce que l'homme est par rapport à l'habit, l'âme l'est relativement au corps, et celui qui appliquera au corps et A l'âme ce qui a été dit des deux autres, paraîtra fort sage. En effet, M dira que l'âme est un être durable, tandis que le corps est un être faible et qui résiste moins longtemps. Il ajoutera que chaque âme a plusieurs corps, surtout si elle vit longtemps; car si le corps se consume et périt pendant que l'homme vit encore et que l'âme renouvelle et refasse sans cesse son enveloppe, il faut* nécessairement fàs, quand de vient à mourir, eUe eu soit 4 son dernier habit et .U soit le seul avant lequel elle meure; et, lorsque l'âme est morte, le corps manifeste bientôt la faiblesse de sa nature, car il se corrompt et périt très-promptement. Ainsi, il ne faut pas encore ajouter foi à ta démonstration, au point de tenir pour certain qu'après notre ttort notre âme existe encore ; car si quelqu'un allait plus loin, et qu'on lui accordât non-seulement que notre âme subsiste avant la naissance , mais encore que rien n'empêche, après le trépas, que- Jtee âmes de quelques-uns n'existent et qu'il est très-possible qu'elles re, viennent dans ce monde et qu'elles renaissent plusieurs fois pour mourir ensuite (car voilà en quoi consiste la force de l'âme, et tout l'avantage qu'elle a, c'est qu'elle peut suffire à plusieurs existences et ifetf plusieurs corps l'un après l'autre, comme l'homme use plusieurs tobita). Cela posé, disie, on n'accordera pas qu'elle ne s'affaiblisse tt, ne s'use point dans toutes ces naissances si souvent réitérées ; et on , soutiendra qu'enfin elle s'éteint véritablement dans quelqu'une de ces *or »Ms qu'on ne peut discerner dans laquelle elle s'éteint tout à falt; car c'est ce qu'il est impossible aux hommes de* savoir. S'il en ®àt ainsi, tout homme qui, plein de confiance, ne craint pas la mort, est un insensé, à moins qu'il ne puisse démontrer que l'âme est en-



tièrement immortelle et impérissable ; car autrement il faut que celui qui va mourir craigne pour son âme, appréhendant que le corps qu'elle est près de quitter ne soit le dernier, et qu'elle ne périsse complètement sans aucune espèce de retour.

XXXVIII., Quand nous eûmes entendu faire ces objections, nous fûmes très-fâchés, comme nous l'avouâmes ensuite, de ce qu'après que nous avions été si bien convaincus par les raisons de Socrate, ils venaient ensuite nous troubler par leurs difficultés, et faire naître etl nous l'incrédulité et la défiance, non-seulement par rapport à ce qu'on nous avait dit, mais encore à ce qu'on pourrait nous dire à l'avenir , parce que nous croirions toujours eu que nous ne sommes pas bons juges sur ces matières, ou qu'elles sont d'elles-mêmes trèsincroyables.

ÉCHÉCRATE. En vérité, Phédon , je vous le pardonne bien; car moi-même, en vous entendant, je ne cesse de me dire : Que croirons-nous donc désormais, puisque les raisons de Socrate, qui me paraissaient fort bonnes et péremptoires, deviennent douteuses et Incertaines? En effet, l'objection de Simmias, que notre âme n'est qu'une harmonie, me frappe merveilleusement et m'a toujours frappé ; car elle m'a fait ressouvenir que moi-même j'avais eu cette Pensée autrefois. C'est donc à recommencer pour moi, et j'ai besoin de nouvelles preuves pour être convaincu que l'âme ne meurt pas avec 1& corps. Dites-nous donc, par Jupiter, de quelle manière Socrate continua son discours, et si lui aussi, ainsi que vous le dites de vous autres, parut éprouver quelque peine, ou s'il soutint son opinion avec douceur, et s'il la soutint d'une manière satisfaisante. Raconteznous tout ie plus exactement que vous pourrez.

PHÉDON. Je vous avoue, Échécrate, que toute ma vie j'avais admiré Socrate, et qu'en cette rencontre je l'admirai plus que jamais ; car qu'il eût des réponses constamment prêtes, cela n'était pas surprènant de sa part ; mais ce qui m'étonna le plus, ce fut de voir avec quelle douceur, quelle bonté et quelle patience, il reçut les objections de ces jeunes gens, et ensuite de quelle manière, ayant remarqué l'impression qu'elles avaient faite sur nous, il nous guérit, et, comme des gens défaits et mis en fuite, nous rappela, nous ranima, nous fit retourner la tête et nous ramena à la discussion.



ÊCHÉCRATE. Comment cela ? ., PHËDON. Je vais vous le dire. J'étais assis à sa droite sur un petit sWge, et lui plus haut que moi ; me passant donc sa main sur la tête, ®t prenant mes cheveux, qui flottaient sur mes épaules, comme il avait coutume de le faire, il me dit : Phédon, n'est-il pas vrai que tu feras demain couper tes cheveux ?— Il y a quelque apparence, lui dis-je. Tu n'attendras pas si longtemps, si tu m'en crois, reprit-il.

Pourquoi ? répliquai-je. — C'est, continua-t-il, que je dois faire couper les miens et toi les tiens, s'il est vrai que notre opinion soit morte et que nous ne puissions la ressusciter ; et si j'étais à ta place, et que J'eusse été vaincu, je ferais vcea, comme autrefois les Argiens, de ne Pas porter de cheveux, avant d'avoir taillé en pièces les raisons de Simmias et de Cébès. —Mais, Socrate, lui répondis-je, tu as oublié ce Proverbe, qu'Hercule ne suffit pas contre deux. — Eh ! dit-il, que ne w'appelles-tu à ton aide, comme ton Iolas, tandis qu'il est encore jour? —Je t'y appelle aussi, répliquai-je, non comme Hercule appelle son Iolas, mais comme Iolas appelle son Hercule.

XXJqx. - N'importe, ajouta-t-il; cela est égal. Gardons-nous, avant tout, d'un très-grand défaut. — Quel défaut? lui dis-je. — D'être, continua-t-il, des misologues, qui haïssent les raisons, comme il y a des misanthropes qui haïssent les hommes; car le plus grand de tous les maux, c'est celui de haïr lés raisons, et cette mis&ogie vient de la même source que la misanthropie; car d'où vient la misanthropie ? De ce qu'un homme, après avoir ajouté foi à un autre homme, sans précaution aucune, sans examen aucun, et après l'avoir toujours regardé comme un homme vrai, sûr et fidèle, découvre qu'il est faux, infidèle et trompeur; et, après plusieurs épreuves semblables, voyant qu'il a été joué par ceux qu'il croyait ses meilleurs amis, et las enfin de passer si longtemps pour dupe, il hait tous les hommes également, tous lui paraissent méchants et perfides.

Ne t'es-tu pas aperçu que cette misanthropie s'établit ainsi graduellement ? Assurément, lui dis-jë. — N'est-ce donc pas une chose honteuse et un très-grand défaut que vouloir converser avec les hommes, sans posséder l'art de les examiner et de les connaître ? car si l'on possédait cet art, on verrait tout dans son vrai jour, et on découvrirait que les bons et les méchants sont très-rares, et ceux qui



tiennent le milieu en très-grand nombre. — Comment dis-tu? Socrate. — Je dis , Phédon, qu'il en est de ces hommes comme de ceux qui sont fort grands ou fort petits. N'es-tu pas d'avis qu'il n'y a rien de moins commun qu'un homme fort grand ou qu'un homme fort petit? et il en est de même des chiens, des chevaux et de toutes ies autres choses, comme de tout ce qui est prompt et de ce qui est lent, du beau et du laid, et du blanc et du noir. Ne remarques-tu pas que , dans tout cela , les deux extrêmes sont toujours fort rares et le milieu très-ordinaire?— Je le remarque très-bien, Socrate. — Et, si l'on proposait un combat de méchanceté, n'y en aurait-il pas bien peu qui pussent prétendre au premier prix? - Cela est très-vraisemblable, Socrate. — Oui, sans doute, reprit-il ; mais, à cet égard , il n'en est pas des raisons comme des hommes (car je me suis laissé entraîner à ta suite un peu hors du sujet). La seule ressemblance qu'il y ait entre eux, c'est que, lorsqu'un homme a adopté une raison comme vraie, sans être doué de l'art de l'examen, et qu'ensuite elle lui semble fausse, qu'elle le soit ou non, comme souvent cela lui est arrivé, et comme cela arrive à ceux qui s'amusent à disputer avec ces sophistes qui contredisent toujours, il se croit enfin très-habile et s'imagine être le seul qui ait compris qu'il n'y a rien de vrai, rien de sur dans les choses et dans les raisons, que tout suit un mouvement de flux et de reflux, comme l'Euripe, et que rien ne demeure un seul moment dans le même état. — C'est la pure vérité, Socrate. — N'est-ce donc pas un malheur très-déplorable, mon cher Phédon, qu'il se trouve des gens qui, après avoir laissé échapper des raisons vraies, certaines et claires, en doutent pour avoir entendu de ces disputes frivoles où tout paraît tantôt vrai, tantôt faux? et au lieu de s'attribuer leurs doutes à euxmêmes, ou à leur manque d'art, ils en rejettent enfin la faute sur les raisons mêmes, et, l'esprit aigri, passent leur vie à les haïr et les calomnier, et s'éloignent ainsi de la vérité et de la science. — Cela est très-déplorable assurément, dis-je.

XL. — Prenons donc bien garde, reprit-il, que ce malheur ne nous arrive, et ne nous préoccupons pas de cette pensée, qu'il n'y a rien de sain ni de solide dans toutes les raisons. Persuadons-nous plutôt que c'est nous-mêmes qui n'avons encore rien de sain ni de solide, et ten-

4.



tons courageusement de recouvrer cette santé et cette fermeté. C'est votre devoir, à vous, parce que vous avez encore de longs jours devant vous, et c'est aussi le mien, parce, que je vais mourir ; et je crains bien qu'aujourd'hui, sur cette matière, bien loin d'agir en philosophe véritable, je ne me sois comporté en disputeur opiniâtre, comme font tous ces ignorants qui, lorsqu'ils disputent, ne se soucient nullement de la vérité ; et dont l'unique but est de gagner à leur opinion ceux qui les écoutent. La seule différence qu'il y ait entre eux et moi, c'est que je ne cherche pas uniquement à faire paraître vrai ce que je dirai à ceux qui se trouvent ici; au moins n'est-ce pas là mon but principal, mais d'en reconnaître moi-même la vérité; car écoute mon raisonnement, mon cher Phédon, et tu verras qu'il renferme une grande utilité : Si ce que je dis se trouve être vrai, il est trèsbon de le croire, et si, après ma mort, cela se trouve démenti, j'en aurai toujours tiré cet avantage dans cette vie, que j'aurai été moins sensible aux maux qui l'accompagnent ordinairement; mais je ne serai pas longtemps dans cette ignorance, que je regarderais comme un très-grand mal : elle va heureusement se dissiper. Fort de ces pensées, mon cher Simmias et mon cher Cébès, je vais répondre à vos objections ; et, si vous m'en croyez, vous vous rendrez moins à l'autorité de Socrate qu'à celle de la vérité. Si vous trouvez donc que ce que je vous dirai est vrai, adoptez-le ; sinon combattez-le de tout votre pouvoir., prenant bien garde que je ne me trompe moimême , que je ne vous trompe aussi à force de zèle et de bonne volonté, et que je ne vous quitte comme l'abeille, qui laisse son aiguillon dans la plaie qu'elle a faite.

XLI. Commençons donc; mais voyez d'abord si je me souviens bien de vos objections. Il me semble que Simmias n'est incrédule, que parce qu'il craint que l'âme, quoique plus divine que le corps et supérieure au corps, ne périsse pourtant avec lui, comme n'étant qu'une manière d'harmonie; et Cébès, si je ne me trompe, tout en accordant une plus longue durée à l'âme, prétend qu'on ne peut prouver que, après avoir usé plusieurs corps, elle ne périsse pas en quittant le dernier, et qu'on ne peut savoir si cette mort de l'âme n'est pas la véritable ; car le corps ne cesse pas un seul moment de périr.

Ne sont-ce pas là les deux points à examiner ? mon cher Simmias et



toon cher Cébès. — Après qu'ils en furent tombés d'accord, il continua <tast Rejetez-vous absolument tout ce que j'en ai dit, ou en admettez-vous une partie?—lis répondirent qu'ils ne rejetaient pas tout.

"-Mais que pensez-vous de ce que je vous ai dit qu'apprendre ce n'est .que se ressouvenir, et que conséquemment il faut que notre âme ait existé quelque part avant d'être liée au corps ? — Quant à moi, dit Cébès, j'en ai d'abord reconnu l'évidence, et je ne sache point de principe qui'me paraisse si sùr et si vrai. —Moi de même, dit Simmias, et je serais fort étonné si je changeais jamais de sentiment.-Il faut pourtant bien, mon cher Thébain, que tu en changes, reprit Socrate, si tu persistes dans cette opinion que l'harmonie est quelque chose de composé, et que notre âme n'est qu'une harmonie qui résulte des qualités du corps, bien tendues et unies ; car sans doute tu ne te croirais pas toi-même, si tu disais que l'harmonie existe avant les choses qui la composent. — C'est vrai, Socrate, reprit Simmias. — Ne vois-tu donc pas, ajouta Socrate, que tu n'es pas d'accord avec toi-même, quand tu dis que l'âme existe avant de venir animer le corps, et qu'elle est Pourtant composée de choses qui n'existent pas encore? car ne la compares-tu pas à l'harmonie? Mais il est évident que la lyre, les cordes, les sons même discordants, précèdent l'harmonie qui résulte de toutes ces choses et périt avant elles. Cette dernière partie de ton discours s'accorde-t-elle avec la première ? — Nullement, Socrate, 'dit Simmias. — Cependant, reprit Socrate, si un discours doit jamais être d'accord, c'est celui qui a pour sujet l'harmonie.

Tu as raison, répliqua Simmias. — Le tien ne l'est pourtant pas, continua Socrate. Choisis donc entre ces deux opinions, à savoir : que la science est une réminiscence ou que l'âme est une harmonie.

*— J'opte pour la première, dit Simmias. Car j'ai reçu la seconde sans démonstration, sur la vraisemblance et l'apparence, sources ordinaires des opinions de la plupart des hommes ; mais je suis persuadé, taoi, que toutes ces démonstrations qui ne reposent que sur la vraisemblance sont remplies de vanité et que, si on n'y prend garde, «lies induisent en erreur, en géométrie et en quelque science que



,te Mit, tandis que la doctrine de la réminiscence et de la science est fondés sur un principe solide, le. principe que nous avons avancé Bios haut, que notre âme, avant de venir animer le corps, existe $6 la même manière que son essence ( c'est-à-dire son principe créateur), laquelle n'a d'autre nom que ce qui est. C'est pourquoi je suis convaincu que j'étais parfaitement fondé à me 1WAdM à cette preuve, comme à une preuve très-bonne et trèssuffisante. Par la même raison 41 faut aussi que je ne m'écoute pas BWi-même, non plus que ceux qui me diront que l'âme est une harmonie.

XLII. — En effet, Simmias, reprit Socrate, te semble-t-il qu'il con,"eftrie à l'harmonie ou à quelque autre chose complexe, de différer ffeséléments qui la composent? — Aucunement, Socrate. — De ne lien faire et de ne rien souffrir que ce que souffrent ou que ce que font * mêmes éléments ?— Simmias en tomba d'accord.— fi ne convient donc pas à l'harmonie, dit Socrate, de précéder les choses qui la composent, mais de les Suivre.— Je suis de cet avis.-Il s'en faut donc Menque l'harmonie ait des sons, des mouvements, ou d'autres choses contraires de ses parties. — Assurément, dit Simmias. — Eh quoi!

Continua Socrate, toute harmonie n'est-elle pas harmonie, selon que toutes les parties s'accordent ? - Je ne comprends pas, ajouta SimMas. — Je veux dirp que selon que toutes ses parties sont plus ou JBoins d'accord, l'harmonie est aussi plus ou moins harmonie. N'est8 pas vrai ? — Assurément. — Peut-on dire aussi qu'une petite différence fait qu'une âme est plus ou moins âme qu'une autre? — Non, sans doute, Socrate. — Ne dit-on pas que telle âme, qui a de l'intel%ence et de la vertu, est bonne, et que telle autre,, qui n'est remette que de folie et de fiel, est méchante-? et n'est-ce pas avec raison ?

En effet, dit Simmias. — Mais pour ceux qui regardent l'âme comme une harmonie, que sont ces qualités de l'âme, ce vice et cette vertu? Diront-ils que l'une est une harmonie et l'autre une dissonance ? que l'âme vertueuse et bonne est bien d'accord, et qu'étant harmonie par sa nature , elle renferme encore une autre harmonie?

« que l'âme vicieuse et méchante, étant une dissonance, est complètement dépossédée d'harmonie? Je ne sais, dit Simmias; pourUUt il me semble que les partisans de cette opinion disaient quelque chose d'approchant. — Mais nous sommes demeurés d'accord, ajouta Socrate, qu'une âme n'est pas plus ni moins âme qu'une'autre, c'est-



à-dire que nous avons établi qu'elle n'est pas plus ou moins harmonie qu'une autre harmonie.—Je l'avoue, repartit Simmias.— Et que, n'étant pas plus ou moins harmonie, elle n'est pas plus ou moins d'accord. N'est-ce pas? — Oui, sans doute, Socrate. — Et n'étant Pas plus ou moins d'accord, l'une peut-elle avoir plus d'harmonie que l'autre ? ou faut-il qu'elles en aient également? — Sans contredit.

- Alors, puisqu'une âme ne peut être plus ou moins âme qu'une autre, elle ne peut donc être plus ou moins d'accord qu'une autre.

- Cela est vrai. — Il s'ensuit nécessairement qu'une âme ne saurait avoir ni plus d'harmonie ni plus de dissonance qu'une autre. — J'en conviens. — Conséquemment les âmes étant de cette nature, elles ne Peuvent avoir ni plus de vertu ni plus de vice l'une que l'autre, s'il est vrai que le vice soit une dissonance et la vertu une harmonie?

Cela est constant, dit Simmias. — Ou plutôt la droite raison veut qu'on dise que le vice ne saurait se trouver dans aucune âme, si l'âme est une harmonie; car l'harmonie, tant qu'elle existe, ne saurait S'adjoindre une dissonance? — Évidemment. — De même l'âme, tant qu'elle est parfaitement âme, ne saurait non plus être susceptible de vice. — Comment le pourrait-elle, d'après les principes que nous avons établis? — Et par les mêmes raisons, nous sommes amenés à regarder comme également bonnes les âmes de tous les animaux, Puisqu'elles sont toutes également âmes? - Il me le semble, Socrate, dit Simmias. — Et te semble-t-il que cela soit juste et conforme à la droite raison, si l'on peut adopter cette hypothèse, que l'âme est une harmonie?— Non, sans doute, Socrate.

XLIII. - Mais, je te le demande, Simmias, dans toutes les choses qui composent l'homme, crois-tu qu'il y en ait une autre que l'âme qui commande, surtout quand elle est prudente et sage?— Non.

- Est-ce en lâchant la bride aux passions du corps ou en leur résistant? Ainsi, par exemple, quand le corps a soif pendant le frisson de la fièvre, l'âme ne l'empêche-t-elle pas de boire Pou quand il a faim, ne l'empêchc-t-elle pas de manger, et de même dans mille autres cas qui prouvent la lutte que l'âme soutient contre le corps? IVest-il pas vrai? — Sans doute. — Mais nous sommes tous tombés d'accord plus haut que, si l'âme est une harmonie, elle ne Peut chanter que ce que chantent les forces qui la tendent, la relâchent et l'émeuvent, ni avoir d'autres émotions que celles des parties qui la composent; qu'elle doit nécessairement en dépendre et ne



#Oàds les guider. — C'est vrai ; nous ne pouvions qu'adopter cette ^ptaion.—Mais, dit Socrate, ne nous parait-il pas maintenant que l'âme fait, tout le contraire, qu'elle gouverne et conduit les choses mêmes "tM elle est composée, qu'elle leur résiste, les combat durant prestoute sa vie, et qu'elle les domine de toutes les façons, punissant et réprimant les unes plus durement par les douleurs et les travaux •M» gymnastique et de la médecine, et traitant les autres avec plus de douceur, se contentant de menacer ou de gourmaader les convoies» les colères, les craintes; en un mot, nous voyons que l'âme Stresse au corps comme à quelque chose qui est d'une autre nature fB'elle, et c'est ce qu'Homère a bien compris, lorsque, dans son Odyssée, il dit qu'Ulysse, c se frappant la poitrine, gourmande son elëùr et lui dît : Supporte ceci, mon cœur, tu as supporté des «Choses encore plus dures. » Te paraît-il que ce poète ait dit cela dans » pensée que l'âme est une harmonie qui doit être conduite et gui1-48 par.les passions du corps? et ne crois-tu pas plutôt qu'il a re«tau que l'âme doit les guider et les conduire, et qu'elle est d'une 14iiM plus divine que l'harmonie ? — Oui, je le Jure, Socrate, je *Ab convaincu de ceci. — Conséquemment, mon cher Simmias, reprit Iootate, nous ne pouvons jamais dire, avec la moindre apparence de raison, que l'âme est une harmonie ; car alors nous ne serions jamais record ni avec Homère, ce poète si divin, ni avec nous-mêmes.

T-J'en conviens avec toi.

XLIV. — Il me semble, reprit Socrate, que nous avons assez bètx tempéré et adouci cette harmonie thébaine, et qu'elle ne nous eëa point; mais, Cébès, comment ferons-nous pour calmer ce Cadmus?de quel discours nous servirons-nous, qui soit plein de persuada et de vigueur ? — Tu en viendras bien à bout, Socrate, si tu veux £ ®n donner ia peine, répondit Cébès. Ce que tu as dit au sujet de l'harmonie m'a extrêmement frappé. Je t'avoue que je ne m'y attends point; car, tandis que Simmias te proposait ses doutes, je pensais qu'il serait prodigieux et miraculeux de pouvoir les résoudre, et lait été fort étonné d'abord de voir qu'il n'a pu soutenir ta première Maque; dès lors je ne seràis nullement surpris que Cadmus eut le Hftœe sort. — Mon cher Cébès, reprit Socrate, garde une juste mefSfe, pour que l'envie ne renverse pas ce qui me reste à dire et ne le rende pas inutile et de nul effet ; du reste, cela dépend de Dieu. Quant * Bous, en nous serrant de près, comme dit Homère, éprouvons nos.



'i, -* M. et nos armes. Ce que tu veux savoir se réduit à ceci : Tu tiens à ce qu'on te démontre que l'âme est immortelle et impérissable, afin qu'un philosophe qui va mourir et meurt avec courage, dans l'es.A* d'être plus heureux dans les enfers qu'il ne l'a été dans cette vie, !^t pas une confiance insensée ; car que l'âme soit forte et divine et qu'elle précède notre naissance , cela ne prouve nullement, dis-tu, ^immortalité, et tout ce qu'on en peut inférer, c'est que sa %te est fort longue et qu'avant nous elle a vu des siècles presque *Mab, pendant lesquels elle connaissait et accomplissait plusieurs *Paul sans en être plus immortelle ; an contraire, le premier moPtefit de son entrée dans le corps a été le commencement et le principe de sa mort, comme une maladie; car elle passe cette vie 4$m les angoisses et les langueurs, et est enfin complétement absoret anéantie par ce que nous nommons le trépas. Tu ajoutes qu'il indifférent que l'âme ne descende qu'une fois dans le corps ou pluIfeurs fois, et que cela n'influe en rien sur nos justes sujets de crainte ; â moins qu'un homme ne soit fou, il doit toujours craindre la •ort , tant qu'il ne sera pas certain de l'immortalité de l'âme. C'est là, te'- semble, tout ce que tu dis, Cébès, et je le répète plusieurs fois à dessein, pour que rien ne nous échappe, et que tu puisses encore * Tolonté y ajouter ou en retrancher quelque chose. —Maintenant, fondit Cébès, je n'ai rien à y changer; je maintiens mon dire de Nouveau.

XLV. Socrate, après un assez long silence, recueilli et plongé tais une profonde méditation, reprit enfin la parole en ces termes : vérité, Cébès, tu es fort exigeant; car, pour te donner les explications que tu demandes, il faut remonter au principe de la nais*ft , e et de la corruption. Situ le veux donc,, je te dirai ce qui m'est arrivé à moi-même, à ce propos „ et si ce que je dirai te parait utile, ti, t'en serviras pour appuyer tes sentiments. — Je le désire de tout n coeur, dit CdMs. - Écoute-moi donc, reprit Socrate ; Jeune, j'étais enflammé d'un prodigieux désir de connaître ce qu'on appelle l'histoire de la nature ; car je trouvais grande et divine la science qui enseigne les eausesde chaque chose, te qui lafait naître, ce qui la tilt mourir, ce qui la fait exister; et il n'est point de peine que je l'lie prise, a! de mouvement que je ne me dois donné pour savoir si



les animaux viennent à naître, comme quelques-uns le prétendent, lorsque le chaud et le froid ont conçu quelque espèce de corruption ; si c'est le sang qui fait la pensée, ou si c'est l'air ou le feu, ou si ce n'est aucune de ces choses, mais seulement le cerveau, qui est le moteur de nos sens, de la vue, de l'ouïe, de l'odorat; si de ces sens résultent la mémoire et l'imagination ; et si de la mémoire et de l'imagination, après un temps de repos, naît la science. Je voulais ensuite connaître les causes de leurs corruptions ; je sondais les cieux et les abîmes de la terre, et je voulais remonter à la source de tous les phénomènes que nous voyons. Enfin, après bien des peines, je me trouvai aussi inhabile qu'on peut l'être à mener ces recherches à terme , et je vais t'en donner une preuve bien sensible : Cette belle étude m'a rendu si aveugle à l'endroit des choses mêmes qui m'étaient le plus familières auparavant, ainsi que cela me sem-blait à moi et aux autres, que j'ai oublié parmi plusieurs choses sues celle-ci : D'où vient que l'homme croît? Je pensais qu'il était évident pour tout le monde que l'homme ne croît que parce qu'il boit et qu'il mange ; car, à l'aide de la nourriture, la chair étant ajoutée à la chair, les os aux os, et toutes les autres parties à leurs parties similaires, il s'ensuit que ce qui n'était d'abord qu'un petit volume s'augmente et croît, et que de cette manière, de petit un homme devient grand. Voilà ce que je pensais, et n'avais-je pas raison ? — Assurément, dit Cébès. — Écoute la suite, continua Socrate : Je pensais savoir aussi pourquoi un homme dépassait un autre homme de toute la tête , et un cheval un autre cheval; et, pour parler plus clairement encore , je pensais, par exemple, que dix étaient plus que huit, par l'addition de deux, et que deux coudées étaient plus grandes qu'une de moitié. — Et qu'en penses-tu présentement ? dit Cébès.

— Je suis si éloigné, reprit Socrate, de penser connaître les causes de toutes ces choses, que je ne crois pas même savoir, quand on a ajouté un à un, si c'est un auquel on a ajouté un autre qui devient deux, ou si c'est celui qui est ajouté et celui auquel il est ajouté qui ensemble deviennent deux, par le fait de cette addition de l'un à l'autre ; car ce qui me surprend, c'est que, tant qu'ils étaient séparés, chacun d'eux était un et non deux, et qu'ils sont devenus deux par



leur jonction. Je ne vois pas non plus pourquoi, quand on partage une chose,. ce partage fait que cette chose, qui était une avant la séparation, devient deux aussitôt que celle-ci a lieu. En effet, c'est là .une cause toute contraire à celle qui fait qu'un et un font deux. Là cet un et cet un deviennent deux par leur juxta-position et leur union ; et ici, cette chose qui est une devient deux, par la division qu'elle Subit. De plus, je ne crois pas même savoir d'où vient cet un, et je De saurais trouver par cette méthode (c'est-à-dire par les raisons Physiques), comment la moindre chose naît, périt et existe. Mais je confonds dans ma tête, sans tant de façon, une autre méthode avec celle-là ; car, cette dernière, je ne la comprends nullement.

XLVI. Mais ayant entendu lire un livre d'Anaxagore, lequel dit Que l'intelligence est la cause de tous les êtres, et qu'elle les a disposés et ordonnés, je fus ravi; il me parut qu'il n'y avait rien de plus certain que ce principe, que l'intelligence est la source de tous les êtres; car je pensai, avec raison, qu'ayant disposé et ordonné toutes choses, elle les avait placées dans le lieu et mises dans l'état qui leur était le meilleur et le plus utile et où elles étaient le mieux pour faire et pour souffrir tout ce à quoi cette intelligence les avait destinées, et il me parut qu'il s'ensuivait de ce principe que la seule chose que l'homme doit chercher, c'est ce plus utile et ce meilleur ; car, cela étant trouvé, il connaîtra nécessairement ce qui est le plus Mauvais, une seule science existant pour l'un et pour l'autre. Dans Cette pensée j'avais une extrême joie d'avoir trouvé un maître comme Anaxagore, qui m'expliquerait selon mes désirs la cause de toutes choses, et qui après avoir dit, par exemple, que la terre est aplatie ou arrondie, me ferait connaître l'origine et la nécessité de sa forme, Me prouverait que cette forme est celle qui lui convient le mieux et m'en ferait ressortir les avantages. De même de la place qu'elle occupe : s'il la considérait comme étant au centre du monde, j'espérais qu'il m'expliquerait pourquoi elle se trouve mieux au milieu, et, après avoir reçu de lui tous ces éclaircissements, j'étais tout disposé 4 ne jamais établir pour principe aucune autre sorte de cause. Je me

Préparais à Hi^gjBBger aussi sur le soleil, la lune et les autres astres,



pour connaître les raisons de leurs révolutions et de tous leurs mouvements , et savoir pourquoi ils sont placés dans les meilleures conditions ; car je ne pouvais m'imaginer qu'après avoir dit que l'intelligence les avait disposés et ordonnés, il pùt me donner d'autre cause de leur disposition que celle-ci, que c'est la meilleure possible, et je me flattais qu'après avoir assigné cette cause, au point de vue général et au point de vue particulier, il ferait connaître l'essence du bien -de chaque chose séparément et du bien de toutes en commun; je n'aurais pas donné mes espérances pour tous les trésors du monde.

J'achetai donc ces livres avec un très-grand empressement, et je me mis à les lire le plus tôt possible, pour savoir plus promptement le bon et le mauvais de toutes choses.

XLVII. Mais je me trouvai bientôt déchu de ces merveilleuses espérances; car dès que je fus un peu avancé dans cette lecture, je vis un homme qui ne fit intervenir en rien cette intelligence et qui ne donnait aucune raison de ce bel ordre et de cette belle disposition, mais qui, à la place des causes, substituait l'air, les tourbillons et autres choses aussi absurdes. Il me parut faire absolument ce que ferait un homme qui dirait que Socrate use en tout de l'intelligence, et qui «asuite, voulant rendre raison de ce que je fais, dirait qu'aujourd'hui, Par exemple, je suis assis ici sur mon lit, parce que mon corps est composé d'os et de nerfs, que les os, étant durs et solides, sont séparés par des jointures, et que les nerfs, capables de s'étendre et de se retirer, unissent les os à la chair et à la peau, laquelle les renferme et les embrasse les uns et les autres; que, les os étant libres dans leurs emboitures, les nerfs s'étendant et se repliant à volonté, font que je puis plier les jambes, comme tu vois, et que c'est ce qui fait que je suis assis ici de cette manière, ou qui, pour expliquer la conversation que j'ai avec toi, ne te parlerait que de ces causes secondes, la voix, l'air, l'ouïe et autres choses semblables, et ne dirait pas un seul mot de la véritable cause, à savoir que les Athéniens ont trouvé qu'il était mieux pour eux de me condamner à mort; et que, Par la même raison, j'ai trouvé que le mieux aussi pour moi était d'être assis ici, et le plus juste d'attendre tranquillement la peine qu'ils m'ont imposée ; car je te jure que ces nerfs et ces os seraient depuis longtemps à Mégare ou en Béotie, si je n'avais pas été toujours convaincu qu'il était préférable et plus juste de souffrir le supplice au-



quel la patrie m'a condamné, que de m'enfuir comme un banni ou comme un esclave. Mais de donner de ces raisons-là et de s'en contenter, voilà ce qui me paraît très-ridicule. Dire que, si je n'avais ni os ni nerfs et autres choses semblables, je ne pourrais faire ce que je jugerais à propos, ce serait fort rationnel; mais dire que ces os et ces nerfs sont la cause de ce que je fais, et non ce qu'il y a de préférable, ce serait de la dernière absurdité ; car ce serait ne pas pouvoir comprendre qu'autre chose est la cause et autre chose ce sans quoi la cause n'en serait jamais une ; et c'est pourtant cette chose que le peuple, qui va toujours tâtonnant et voyant avec les yeux d'autrui, comme quelqu'un qui marche dans d'épaisses ténèbres, prend pour la véritable cause. Voilà pourquoi les uns, environnant la terre d'un tourbillon qui tourne toujours, la supposent fixe au centre du monde, et les autres la conçoivent comme une huche plate et large, qui a l'air pour base et pour fondement ; quant à la puissance de celui qui l'a placée et disposée comme elle devait l'être pour le mieux, ils ne s'en occupent point, et ne voient en cela aucune vertu divine; mais ils s'imaginent avoir trouvé un Atlas plus fort, plus immortel et plus capable de tout supporter; et ce bien, ce lien perpétuel qui seul unit et embrasse tout, ils le prennent pour une chimère. Je ne leur ressemble pas et deviendrais bien volontiers le disciple de tout homme qui pourrait m'enseigner cette cause, quelle qu'elle soit ; mais puisque par cette voie je ne pus parvenir à la connaître, ni par moi ni par les autres, veux-tu, Cébès, que je te dise la seconde tentative que je fis pour la trouver ? — Je le veux de tout mon cœur et je t'en prie , dit Cébès.

XLVIII. — Après m'être bien fatigué à examiner toutes choses, je crus que je devais prendre garde qu'il ne m'arrivât ce qui arrive-à ceux qui regardent une éclipse de soleil ; car il y en a qui perdent la vue pour n'avoir pas la précaution de regarder dans l'eau, ou dans quelque autre milieu, l'image de cet astre. Il me vint quelque chose de semblable dans l'esprit, et je craignis de perdre les yeux de l'âme, si je regardais les objets avec les yeux du corps, et si je me servais de chacun de mes sens pour les toucher et les connaître. Je trouvai donc que je devais avoir recours aux raisons et regarder en



elles la vérité de toutes choses. Peut-être l'image dont je me sers pour m'expliquer n'est-elle pas entièrement juste ; car je ne comprends pas moi-même que celui qui regarde les choses dans les raisons, les regarde plutôt dans des milieux, que celui qui les voit dans leurs Opérations. Quoi qu'il en soit, voilà le chemin que je pris, et, depuis ce temps, supposant toujours pour base et pour fondement la raison qui me paraît la meilleure, tout ce qui me semble préférable, je le regarde comme vrai dans les choses comme dans les causes, et le contraire, je le rejette comme faux. Je vais m'expliquer clairement, car je pense que tu ne me comprends pas encore. — Non, je te jure, 'Socrate, je ne te comprends pas fort bien.

XLIX. — Cependant, reprit Socrate, je ne dis rien de nouveau ; je répète ce que j'ai dit en mille occasions et ce que je viens de redire encore dans la dispute précédente ; car je vais tâcher de te démontrer cette espèce de cause que j'ai recherchée avec tant de soin. Je remonte d'abord à ces qualités dont il a été déjà tant parte ; c'est par elles que je vais commencer, en les prenant pour fondement. Je dis donc qu'il y a quelque chose de bon, de beau, de juste, de grand en soi. Si tu ne contestes pas ce principe, j'espère démontrer la cause Par ce procédé, et te convaincre de l'immortalité de l'âme. — Je te l'accorde, dit Cébès; mais achève ta démonstration. — Écoute donc bien ce qui va suivre et vois si tu tombes d'accord avec moi.

Il me semble que, s'il y a quelque chose de beau outre le beau lui-même, il ne peut l'être que parce qu'il participe de ce dernier, et ainsi de toutes les autres choses et de toutes les autres qualités.

Admets-tu cette cause? - Oui, je l'admets. — Je t'avoue, continua Socrate, que je ne comprends pas bien encore, et que je ne saurais bien comprendre toutes ces autres causes si savantes qu'on nous oppose.

Mais si quelqu'un me demande ce qui fait qu'une chose est belle, si c'est la vivacité de ses couleurs ou la juste proportion de ses parties, et d'autres choses semblables, je laisse là toutes ces belles raisons qui ne font que me troubler, et je réponds sans façon et sans art, et peutêtre trop simplement, que rien ne la rend belle, si ce n'est la pré- sence, l'approche ou la communication de ce premier beau, de quelque manière que cette communication ait lieu ; car je ne puis encore fixer cette manière, mais seulement affirmer que tout ce qui affecte le caractère de ce beau est beau. Tant que je serai fidèle à ce principe, je ne crois pas pouvoir me tromper, et je suis persuadé que, sans crainte, je puis répondre en tout et partout, que les choses sont



belles par la présence du beau. Ne te semble-t-il pas aussi ? -' As-1 surément, Socrate. — N'en est-il pas de même des choses grandes ou petites? ne sont-elles pas grandes par le fait de leur extension et petites par une qualité contraire? Et toi-même, si l'on te disait que tel individu est plus grand ou plus petit de la tête qu'un autre, n'estil pas vrai que cette expression ne te semblerait pas rigoureusement exacte, et que tu te contenterais de dire que toutes les choses qui sont plus grandes que d'autres ne le sont que par leur grandeur, qui seule les rend ainsi, et que celles qui sont plus petites ne le sont que par la petitesse? Car si tu disais que tel individu est plus grand ou plus petit que tel autre de toute la tête, tu craindrais, je pense, qu'on ne te chicanât, en te disant d'abord que tu donnes à entendre que c'est par le même point que ce qui est plus grand est ainsi, dé même que ce qui est plus petit; et ensuite que, selon toi, la tête, qui est une faible partie, détermine la grandeur de celui qui est plus grand, ce qui est incompréhensible, car quoi de plus absurde que de dire que quelqu'un est grand par quelque chose de petit? Ne craindrais-tu pas ces objections? - Sans doute, reprit Cébès, en souriant. — Ne craindrais-tu pas, par la même raison, de dire que dix sont plus que huit, et qu'ils les dépassent en cela , c'est-à-dire de deux ? et ne dirais-tu pas plutôt que c'est par la quantité? Quant aux deux coudées, ne dirais-tu pas aussi qu'elles sont plus grandes qu'une coudée, par le fait de leur grandeur, au lieu de dire que c'est de moitié? car il y a là le même sujet de crainte. — Tu as raison.

Mais quand on ajoute un à un ou qu'on coupe une chose par moitié, ne ferais-tu pas difficulté de dire que, dans le premier cas, c'est l'addition qui fait qu'un et un font deux, et que, dans le dernier, c'est la division qui fait encore qu'une seule chose devient double? et ne crierais-tu pas à tue-tête que tu ne connais pas d'autre cause de l'existence des choses que la participation de l'essence propre à chaque objet, et que conséquemment tu ne sais d'autre raison de ce 'qu'un et un font deux que la participation de la duité ; et de ce qu'un est un que la participation de l'unité ? Ne laisserais-tu pas de côté ces additions, ces divisions, et toutes ces belles réponses? Ne les abandonnerais-tu pas à ceux qui sont plus savants que toi? et redoutant, comme on l'a dit, ton ombre ou ton ignorance, ne te cramponnerais-tu pas à ce principe? et si quelqu'un l'attaquait, tu ne daignerab pas riposter, jusqu'à ce que tu en eusses bien examiné les conséquences pour voir si elles sont ou non d'accord? et ensuite, quand tu



serais obligé d'en rendre raison, ne le ferais-tu pas en choisissant une de ces autres hypothèses qui aurait paru la meilleure ? et en montant ainsi d'hypothèses en hypothèses, jusqu'à ce qu'enfin tu fusses arrivé à une conclusion certaine et convaincante qui te satisfit? Tu ne mêlerais non plus ni ne confondrais pas toutes ces choses comme ces disputeurs qui contredisent tout. Et, en parlant de la cause et du principe, tu n'aurais garde d'aller aux effets pour arriver à la vérité.

Il est vrai que ces grands disputeurs s'en soucient et s'en embarrassent peut-être fort peu, et qu'en mêlant et confondant ainsi tout Par un effet de leur profond savoir, ils sont certains de se plaire à eux-mêmes. Mais tu feras ce que je t'ai dit, si tu es véritablement philosophe.—Tu as raison, dirent en même temps Simmias et Cébès.

ÉCHÉCRA TE. En vérité, Phédon, cela ne m'étonne pas; car il m'a paru que Socrate s'expliquait avec une clarté merveilleuse et très-intelligible, même pour les plus obtus.

PHÉDON. Cela parut de même à tous ceux qui étaient présents.

ÉCHËCRATE. Quant à nous, qui n'y étions pas, nous sommes du même avis, d'après le récit que tu nous en fais. Mais que fut-il dit après L. PHÉDON. Il me semble, si j'ai bonne mémoire, que lorsqu'on lui eut accordé et qu'on fut convenu que les espèces subsistent réellement. et que tout ce qui est mêlé à ces espèces tire d'elles sa dénomination, il continua d'interroger ainsi Cébès : Si ton principe est vrai, quand tu dis que Simmias est plus grand que Socrate et plus petit que Phédon, ne donnes-tu pas à entendre qu'en Simmias se trouvent réunies grandeur et petitesse? — Oui, dit Cébès. — Mais ne conviens-tu pas que de dire que Simmias est plus grand que Socrate, ce n'est pas une proposition vraie en soi, comme on l'a dit, c'est-à-dire absolument et indépendamment de toute relation? car il n'est pas vrai que Simmias soit plus grand, parce qu'îi est Simmias ; mais il est plus grand, grâce à sa taille. Il est faux aussi qu'il soit plus grand que Socrate, parce que Socrate est Socrate, mais parce que ce dernier est petit, comparé à Simmias.- C'est vrai.- Simmias n'est pas plus petit non plus que Phédon, parce que Phédon est Phédon; mais parce que celui-ci est grand, comparé à Simmias, qui est petit. — En effet. — Ainsi, continua Socrate, Simmias est appelé grand et petit, parce qu'il est entre les deux; par la grandeur de la-



Vielle il participe, il dépasse Socrate; et par la petitesse de laquelle H participe aussi, il est dépassé par Phédon. Et, dit-il en riant, il me semble que je me suis arrêté trop longtemps à dépeindre ta haute taille, mais enfin j'étais dans le vrai. —Sans doute. — Je ne me suis amusé à ces portraits que pour te mieux convaincre de la vérité de mon principe ; car il me semble que non-seulement la grandeur ne Peut être en même temps grande et petite, mais encore que la grandeur que nous possédons ne peut se trouver réunie à la petitesse ni être surpassée; car il arrive de deux choses l'une, ou que celle-là eenfuit et disparaît, quand elle voit paraître son extrême, ou qu'elle se dissipe entièrement, et que, si elle reçoit la petitesse, elle ne Pourra jamais vouloir pour cela être autre que ce qu'elle était. Comme moi, par exemple, après avoir reçu la petitesse, tant que je ne change Pas, je ne puis être que petit; car ce qui est grand ne tente jamais de se rapetisser; de même, la petitesse qui est en nous n'empiète jamais SUr la grandeur. Enfin nul contraire, tant qu'il ne varie pas, ne s'unit à son contraire, mais ou il disparaît ou il périt, quand l'autre arrive.-J'en conviens, dit Cébès.

LI. Alors quelque autre de la compagnie, je ne sais plus lequel, * adressant à Socrate : Eh ! de par tous les dieux, dit-il, n'as-tu pas déjà dit des choses tout opposées à celles que tu dis? que le plus grand naît du plus petit et le plus petit du plus grand? enfin que les contraires naissent de leurs contraires? et maintenant il me semble que je t'entends dire que cela n'arrive jamais.- Socrate s'était penché <o avant pour entendre : Fort bien, dit-il, tu as raison de nous rapPeler ce que nous avons établi ; mais tu ne vois pas quelle différence il Y a entre ce que nous avons dit là et ce que nous disons ici. Nous avons dit qu'une chose naît toujours de son contraire, et nous disons qu'un contraire n'est jamais autre que lui-même, ni en nous, ni dans la nature ; car plus haut nous parlions des choses qui ont leurs contraires, que nous voulions nommer chacune de leur nom ; et maintenant il est question des choses mêmes qui, par leur présence, donnent leur nom aux objets dans lesquels elles se trouvent; et c'est de ces dernières que nous disons qu'elles ne peuvent jamais recevoir leurs contraires; et, ajouta-t-il en regardant Cébès, ce qu'on vient de nouf objecter,



oe t'a-t-il pas un peu ébranlé? - Nullement, je t'assure, Socrate, répliqua Cébès, et je puis te dire que peu de choses sont présentent capables de m'ébranler. — Nous avons donc bien établi, reprit Socrate, qu'un contraire ne sera jamais opposé à lui-même.

- C'est vrai, dit Cébès.

lii. — Et ceci, en conviendras - tu ? appelles-tu le froid et le t'aud quelque chose? — Assurément. — Comme la neige et le feu?

- Non, sans doute, Socrate. — Tu conviens dont que le chaud est Afférent du feu, et que le froid est différent de la neige? — Sans Acuité, Socrate. — Tu conviendras aussi, je pense, que la neige, qQand elle aura reçu le chaud, comme nous le disions tout à l'heure, le sera plus ce qu'elle était ; mais que, dès que le chaud s'approebera, elle lui cédera la place ou disparaîtra entièrement. — Sans doute. — U en est de même du feu, dès que le froid le gagnera, ii cédera ou s'éteindra; car, après avoir reçu le froid, il ne pourra plus être ce qu'il était, et il ne sera plus feu et froid tout ensemble.— Cela est très-vrai, dit Cébès. - Il y a aussi des contraires dont l'espèce est toujours désignée par son nom, et qui le communique encore à d'autres choses qui sont différentes d'elles-mêmes, et conservent sa figure et sa forme tant qu'elles existent. Ces exemples feront tornprendre ce que je dis : l'impair doit avoir toujours le même nom, n'est-il pas vrai ? — Oui, sans doute. — Est-ce la seule chose qui porte ce nom ? car je te le demande ; ou y a-t-il quelque autre chose qui ne soit pas l'impair, et que cependant il faille désigner du même nom, parce qu'elle est d'une nature à ne jamais exister sans l'impair?

le nombre trois, par exemple, et plusieurs autres nombres. Arrêtons-nous au nombre trois : Ne trouves-tu pas qu'il doit toujours être appelé de son nom, et en même temps être qualifié d'impair, quoique Impair ne soit pas synonyme de trois? Cependant telle est la nature du nombre trois, du nombre cinq et des autres nombres impairs, que tout en n'étant pas ce qu'est l'impair, chacun d'eux est impair. Il en est de même de tous les nombres pairs, comme deux, quatre, huit; quoiqu'ils ne soient pas ce qu'est le pair, chacun d'eux est pourtant toujours pair. N'en demeures-tu pas d'accord ? — Le moyen de s'en



empêcher ? dit Cébès. — Prends bien garde à ce que je veux démontrer ensuivant cette voie; le voici : c'est qu'il me paraît que nonseulement ces contraires, qui ne reçoivent jamais leurs contraires, '.ais encore toutes les autres choses qui n'étant pas opposées entre fites, ont pourtant toujours leurs contraires, ne semblent pas Pouvoir recevoir la forme contraire à celle qu'elles affectent; mais ,cIèa que cette forme paraît, elles s'évanouissent ou périssent. Le Nombre trois, par exemple, ne s'éteindra-t-il pas plutôt que de devoir jamais nombre pair tout en demeurant trois? — Assurément, dit Cébès. — Cependant, dit Socrate, le nombre deux n'est pas contraire au nombre trois ? —Non,sansdoute. - Donc, les espèces contres ne sont pas les seules qui ne reçoivent pas leurs contraires, puisque tu vois qu'il y en a d'autres qui, n'étant pas contraires, ne Peuvent pourtant souffrir l'approche de ce qui a la moindre ombre de contraire. — Cela est certain.

LIlI. - Veux-tu donc que nous les définissions autant qu'il nous sera Possible? — Oui, Socrate, très-volontiers. — Ne faut-il pas que ce soient les choses qui donnent une telle forme à ce qu'elles occupent, qu'elles ne souffrent pas qu'une forme opposée lui soit substituée?

---Comment dis-tu?—Je dis, comme nous disions tout à l'heure, que tout ce où se trouvera l'idée de trois demeurera de toute nécessité toujours trois, mais aussi impair. — Qui en doute? - Et conséquemlDent il est impossible que l'idée, la forme contraire à celle qui le constitue tel, en approche jamais. — Cela est sensible. — Or, ce qui le constitue, n'est-ce pas l'impair ? — Oui. — La forme contraire à l'imPair, n'est-ce pas le pair ?— Oui. —La forme du pair ne se trouve donc jamais dans trois? — Non, certainement. —Trois ne peut donc être Pair? - Sans doute. - Car trois est impair ? — Assurément. - Voilà ce que nous voulons déterminer, qu'il y a de certaines choses qui, n'étant pas opposées à une autre, ne la reçoivent pourtant pas plus que si elle leur était contraire (comme trois qui, bien qu'il ne soit Pas antipathique au nombre pair, ne l'en reçoit pas davantage ; car deux apporte toujours quelque chose d'opposé au nombre impair, comme le feu au froid, et plusieurs autres choses); vois donc si tu approuves ma définition : le contraire ne reçoit pas non-seulement son contraire, mais encore ce qui, ne lui étant pas contraire, affecte pourtant vis-à-vis de lui une manière de contraire, qui, en s'appliRuant à lui, détruit sa forme par cette espèce d'opposition. Penses-y encore, Cébès; car il est bon de l'entendre plusieurs fois. Je dis que cinq ne recevra jamais le pair, comme dix, qui est le double „



ne recevra jamais l'idée de l'impair; et ce double lui-même, quoique 1100 contraire ne soit pas l'impair, ne recevra pourtant pas l'idée de 'impair, de même que les trois quarts d'un tout, le tiers et les autres Pwties, ne recevront jamais la forme, l'idée du tout. Me comprendstlli me suis-tu, et m'approuves-tu? — Je te comprends, je te suis à Merveille et t'approuve.

UV. - Si tu me comprends si bien, dit Socrate, réponds-moi en-f COre, non d'une manière servile, mais en suivant l'exemple que je te vais donner. Je veux dire que, outre la façon de répondre, dont j'ai Iléj6 parlé, et qui est vraie et sûre, j'en vois encore une autre qui naît te celle-là et qui n'est pas moins sûre ; car si tu me demandais, par temple, ce qui, étant dans le corps, fait qu'il est chaud, je ne te répondrais pas de cette façon ignorante, quoique sùre : c'est la chaleur ; mais d'une façon plus précise, d'après ce que nous venons de dire, et Je te dirais que c'est le feu ; et si tu me demandes ce qui rend le COrps malade, je ne te répondrai pas que c'est la maladie, mais, par temple, la fièvre. Si tu me demandes ce qui rend le nombre impair, je ne te répliquerai pas que c'est l'imparité, mais l'unité, et ainsi de Suite. Vois si tu entends suffisamment ce que je veux dire. — Parfaite18ent, Socrate, dit Cébès. — Réponds-moi donc, continua Socrate.

Qu'est-ce qui fait que le corps est vivant? — C'est l'âme. — Toujours?

--Pourquoi non? dit Cébès. — L'âme apporte donc avec elle la vie dans tout corps où elle entre ? — Certainement. — Y a-t-il quelque Chose, ou n'y a-t-il rien de contraire à la vie?— Il y a quelque chose, dit-il.-Quoi?-La mort.- L'âme ne recevra donc jamais ce qui est OPPosé à ce qu'elle apporte toujours avec elle ; cela résulte nécessairement de nos principes.- C'est une conséquence certaine, dit Cébès.

LV. — Mais comment appelons-nous ce qui ne reçoit jamais l'idée, la forme du nombre pair? — L'impair. — Comment appelons-nous ce qui ne reçoit jamais la justice, et ce qui ne reçoit jamais le bien ? — D'une part c'est l'injustice, et de l'autre le mal. — Bien. Et ce qui ne reçoit jamais la mort, comment le nommons-nous ? — Immortel, ditIL - L'âme ne reçoit pas la mort? — Non. — L'âme est donc immortelle ? — Très-certainement. — Dirons-nous que cela est démontré, Ou qu'il manque quelque chose à la démonstration? — Cela est trèssuffisamment prouvé. — Eh bien, si c'était une nécessité que l'impair fat impérissable, le nombre trois ne le serait-il pas aussi ? — Qui en doute? — Si ce qui est sans chaleur était nécessairement impéris-



lIIble, toutes les fois que l'on approcherait la neige du feu, ne se tirait-elle pas de ce danger saine et sauve ? car elle ne périrait point, et l'on aurait beau la mettre au feu, elle ne recevrait jamais la chaleur. — Cela est très-vrai. — De même, si ce qui n'est point susceptible de se refroidir était nécessairement exempt de péril, on jetterait en vain sur le feu toute l'eau d'une rivière, jamais il ne s'éteindrait 1 ne périrait; au contraire, il sortirait de ce combat avec toute sa Gree. — Cela est d'une nécessité absolue, dit Cébès. — Il faut donc néssairement en dire tout autant de ce qui est immortel. Si ce qui a cette qualité ne peut jamais périr, la mort a beau s'approcher de l'âme, il est absolument impossible qu'elle succombe sous ses coups; car, comme nous venons de le dire, l'âme ne recevra jamais la mort et ne mourra jamais ; de même que ni le nombre trois, ni aucun impair, ne peut devenir pair; de même que le feu ne peut Jjjmais être froid, ni la chaleur du feu devenir froidure. On me dira peut-être : Que l'impair ne puisse devenir pair par la survenue du pair, tant qu'il est impair, nous en sommes convenus; mais Pourquoi, l'impair venant à périr, le pair ne prendrait-il pas sa PMce ? A celui qui nous fera cette objection, nous ne pouvons pas répondre que l'impair ne périt point, car l'impair n'est pas impérissable. Si nous l'avions établi tel, nous soutiendrions avec raison que le pair surviendrait en vain, et que le nombre trois et l'impair se tireraient toujours d'affaire et ne périraient nullement, et nous dirions la même chose du feu, du chaud, et ainsi de suite. N'est-il Pas vrai ? — Assurément, dit Cébès. — Et conséquemment, si nous Convenons que tout ce qui est immortel est impérissable, il faut Nécessairement que l'âme soit non-seulement immortelle, mais - exempte de péril ; et si nous n'en convenons pas, il faut chercher d'autres preuves. — Cela n'est pas nécessaire, Socrate, dit Cébès; car qui pourrait éviter la corruption et la mort, si ce qui est immoral et éternel était corruptible et périssable?

LVI. — Que Dieu, reprit Socrate, que la vie même et tout ce qu'il peut y avoir d'immortel, ne périsse point, il n'y a personne qui n'en convienne. — Cela sera accordé au moins par tous les hommes, dit Cébès, et encore plus par tous les dieux. — Or, puisqu'il est vrai que tout ce qui est immortel est impérissable, O'est-ce pas une conséquence nécessaire et sûre que l'âme, qui est immortelle, soit impérissable? — La conséquence est très-nécessaire et très-sûre, Socrate. — Ainsi, continua Socrate, quand la mort frappe l'homme, ce qu'il y a en lui de mortel et de corruptible s'é-r teint, et ce qu'il y a d'immortel se retire sain et incorruptible, cér dant la place à la mort. — Cela est évident et sensible. — S'il y 9



donc quelque chose d'immortel et d'impérissable, mon cher Cébès, Iaotre âme est de cette nature, et conséquemment nos âmes vivront <hos les enfers. — Je n'ai pas d'objection à te faire, Socrate, et ne Puis que me rendre à tes raisons; mais si Simmias ou les autres Out à répliquer, ils feront bien de ne pas se taire. Car quel autre -ps pourront-ils jamais trouver pour s'entretenir et s'éclairer 1Qr ces grands sujets ? — Quant à moi, dit Simmias, je n'ai rien non Ptos à opposer à ce qu'a dit Socrate, et ne puis que l'approuver; bxds je vous avoue que la grandeur du sujet et la faiblesse naturelle à l'homme me jettent dans une sorte de défiance et d'incrédulité.

Non-seulement tu parles sagement, Simmias, répliqua Socrate, liais quelques sûres que nous paraissent nos premières hypothèses, lleat bon encore de les revoir pour les examiner plus longuement, et PDur les rendre plus claires et plus sensibles. Si tu les as suffisamment comprises, tu suivras. sans peine mes vues et mes raisons, aufcat que cela est possible à l'homme, et, une fois convaincu, tu Wauràs pas besoin d'autres preuves. — Cela est fort bien, dit Cébès.

LVII.—Mes amis, il est juste de penser que, si l'âme est immortelle, tRe demande qu'on la cultive. qu'on en prenne soin, non-seulement :i)Our ce temps que nous appelons la vie, mais aussi pour le temps qui la suit, c'est-à-dire l'éternité; car, si vous y réfléchissez bien, vous comprendrez qu'il est dangereux de la négliger. Si la mort était la ttiine et la dissolution de tout, ce serait tout profit pour les méchants d'être, après leur trépas, délivrés tout à la fois de leur corps, de leur âme et de leurs vices; mais, puisque l'âme est immortelle, elle ne peut se délivrer de ses maux et se sauver qu'en devenant trèsbonne et très-sage ; car elle n'emporte avec elle que ses bonnes ou ses Mauvaises actions, ses vertus ob ses vices, qui sont la cause de son bonheur ou de son malheur éternel, lesquels commencent à partir de son arrivée dans les enfers jet l'on dit qu'après le trépas de cha'-, le génie qui a été chargé de lui pendant la vie, le conduit dans «n certain lieu où U faut que tous les morts se réunissent pour être Jugés, afin que de là ils aillent dans les enfers avec le même conducteur auquel il a été ordonné de les conduire d'ici jusque-là, et



qu'après qu'ils ont reçu dans ce lieu les biens ou les maux mérités, Pt qu'ils y ont demeuré tout le temps fixé, un autre guide les ramène dans cette vie, après plusieurs révolutions de siècles; et ce chemin ne ressemble pas à celui dont Télèphe parle dans Eschyle : car il dit que le chemin qui conduit dans l'autre monde est simple; et il me paraît qu'il n'est ni unique ni simple ; s'il l'était, on n'aurait pas besoin de guide ; mais il est rempli de détours et de traverses, comme Je le conjecture d'après ce qui se pratique dans nos sacrifices et dans Vos cérémonies religieuses. Une âme tempérante et sage suit donc Son guide et a conscience de ce qui lui arrive; mais celle qui est clouée au corps par ses cupidités, comme je le disais tantôt, et qui A été longtemps son imlave et comme éprise d'amour pour lui, après une longue existence en ce monde et de nombreuses souffrances, est à la fin entraînée malgré elle par le guide qui lui est assigné ; et quand elle est arrivée à ce rendez-vous fatal de toutes les âmes, si elle a commis quelque impureté, si elle s'est souillée de quelque meurtre, ou de ces autres crimes horribles que des âmes semblables à la sienne peuvent seules avoir commis, le reste des âmes la fuit et l'a en horreur; elle ne trouve ni compagnon ni Suide, et erre dans un misérable abandon, jusqu'à ce que la nécesatté, après un certain temps. l'entraîne dans le séjour dont elle est 4igne ; tandis que celle qui a passé sa vie dans la tempérance et la pureté, s'en va, conduite par les dieux eux-mêmes et avec eux, habiter les lieux de délices qui lui sont préparés.

LVIII. Car, mes amis, il y a plusieurs lieux merveilleux sur la terre, et elle n'est point telle elle-même, que se la représentent ceux qui ont coutume de vous en faire des descriptions; c'est ce que m'a appris quelqu'un qui était bien informé. — Sur ce, Simmias l'interrompit en ces termes : Que dis-tu là ? Sôcrate. J'ai aussi entendu plusieurs fois parler différemment de la terre ; mais jamais ainsi qu'on t'en a parlé ; c'est pourquoi je désirerais beaucoup que tu vouiusses bien nous dire ce que tu sais à ce sujet — Pour te le raconter, mon éfaer Simmias, reprit Socrate, je ne crois pas qu'il soit besoin de l'art de Glaucus. Mais il est plus difficile de t'en démontrer la vérité, et Je ne sais si tout l'art de Glaucus y suffirait. D'abord cette entreprise est au-dessus de mes forces, et, quand même je pourrais la mener à bien, le peu de temps qui me reste à vivre ne nous permet trait pas d'entamer une aussi longue discussion. Tout ce que je puis



faire, c'est de te donner une idée générale de cette terre et des lieux qu'elle renferme. — Cela nous suffira, dit Simmias. — D'abord , répliqua Socrate, je suis persuadé que si la terre est au milieu du ciel et de forme sphérique, elle n'a besoin ni d'air, ni d'aucun autre appui qui l'empêche de tomber , mais que le ciel même, qui l'environne également, et son équilibre suffisent pour la soutenir; car tout ce qui se trouve en équilibre, placé dans un milieu où il est fixé, ne saurait pencher d'aucun côté , et demeure conséquemment immobile ; c'est ce dont je suis convaincu.—Et avec raison, dit Simmias. — Je suis en outre convaincu que la terre est fort grande et fort spacieuse, et que nous n'en habitons que cette partie comprise entre le fleuve du Phare et les colonnes d'Hercule, et sur laquelle nous sommes répandus comme des fourmis logées dans des trous, et comme des grenouilles qui font leur demeure dans quelque marais proche de la mer. Il y a plusieurs autres peuples qui habitent d'autres parties qui nous sont inconnues. Car la terre est toute sillonnée de cavités de toute sorte de grandeur et de figure, saturées d'un air grossier, couvertes d'épais nuages et submergées par des eaux qui y arrivent de toutes parts. Une autre terre pure est en haut, dans ce ciel pur où sont les astres, et que la plupart de ceux qui en parlent appellent l'éther. Celle que nous habitons n'est que comme le sédiment de celle-là et ce qu'elle a de plus grossier, qui afflue constamment dans ces cavités. Sans nous en apercevoir, nous vivons dans ces cavernes et nous croyons habiter les sommités de cette terre pure, à peu près comme quelqu'un qui, se logeant dans les abîmes de l'Océan, s'imaginerait demeurer au-dessus du niveau de la mer ; qui, voyant au travers de l'eau le soleil et les autres astres, prendrait la mer pour le ciel, et qui, à cause de sa pesanteur et de sa faiblesse, ne s'étant jamais élevé au-dessus, et n'ayant jamais seulement avancé sa tête hors de l'eau, n'aurait jamais pu reconnaître combien ce lieu que nous habitons est plus pur et plus beau que celui qu'il habite ,et n'aurait jamais trouvé personne qui pût l'en instruire.

C'est justement notre situation : confinés dans les profondeurs de la terre, nous croyons demeurer à la surface ; nous prenons l'air pour le ciel, et nous croyons que c'est là ce ciel où se meuvent tous les astres ; et la cause de cette erreur, c'est que, trop faibles et trop pe-



Sants, nous ne pouvons nous élever au-dessus de cet air épais et rouble : car si quelqu'un pouvait, avec des ailes, atteindre les hauteurs, il n'aurait pas plutôt mis la tête hors. de cette atmosphère grossière, qu'il verrait ce qui se passe dans cet heureux séjour, comme les poissons, en s'élevant et en sautillant au-dessus de la mer et des rivières, découvrent ce qui se passe dans l'air que nous respirons; et, s'il se trouvait qu'il fût d'une nature essentiellement contemplative, ilreeonnaltrait que c'est le véritable ciel, la véritable tamière, enfin la véritable terre; car cette terre, ces roches, tous les lieux que nous habitons, sont corrompus et calcinés, comme ce qui se trouve dans la mer est creusé par PacretéBes sets ; et dans la mer il ne vient rien de parfait ni detprécieux, il n'y a que des àvernes, du sable et de la vase ; et partout où il y a de la-terre, ce n'est que fange et bourbiers profonds; on n'y trouve rien de comparable à ce que nous voyons ici. Ce qu'on rencontre dans l'autre séjour est encore plus au-dessus de ce que nous voyons dans le nôtre, que ce que nous voyons dans le nôtre n'est au-dessus de ce qu'on trouve dans la mer; et, pour te donner une idée de la beauté de cette terre pure qui est dans le ciel, je te raconterai, si tu veux, une belle fable qui mérite qu'on l'écoute. — Nous t'écouterons avec un très-grand plaisir, Socrate, dit Simmias.

LIX. - D'abord, mon cher Simmias, continua Socrate, on dit que, en regardant cette terre d'un lieu élevé, elle paraît comme un de nos ballons couverts de douze bandes de différentes couleurs; car ene est variée d'autant et d'un plus grand nombre encore de couleurs diverses, dont celles qu'emploient les peintres ne sont que des échantillons ; car les teintes de cette terre sont infiniment plus brillantes et plus pures, et elles l'environnent tout entière. L'une est d'un pourpre merveilleux, l'autre d'une couleur d'or plus éclatante que l'or hri-même; celle-là d'un blanc plus éblouissant que la neige, et ainsi de ses autres couleurs, qui sont toutes d'une beauté dont celles que tous voyons ici n'approchent aucunement. Les cavités de cette terre sont remplies d'eau et d'air qui affectent une infinité de nuances merveilleuses, toujours admirablement diversifiées par cette variété infinie de couleurs. Tout est parfait dans cette terre parfaite, et en rapport avec ses qualités. Les arbres', les fleurs et les fruits y sont admirables, les montagnes d'une beauté charmante; elles produisent toutes sortes de pierres précieuses d'une perfection, d'une netteté et d'un



&lat dont rien n' approche ; celles que nous estimons tant ici, comme fios émeraudes, nos Jaspes, nos saphirs, n'en sont que de minimes parcelles.Il n'y en a pas une seule dans cette heureuse terre qui ne soit infirment plus belle que les nôtres; eUes ne sont ni ébréchées ni gâtées, liDsi que tes nôtres, par l'âcreté des sels et par la corruption des Juments, qui de là descendent dans cette terre basse et infectent de toutes sortes d'ordures et de maux, non-seulement les pierres et la terre, mais aussi les plantes et les animaux. Outre toutes ces beautés dont je viens de parler, cette terre fortunée est ornée d'un or et d'un argent qui, répandus en tous lieux avec prodigalité, jettent de tous eôtés un éclat qui charme la vue; en sorte que le spectacle de cette terre est celui des bienheureux. Elle est habitée par une grande variété d'animaux et par des hommes dont les uns sont répandus dans le centre des terres et les autres autour de l'air, comme nous autour de la mer. 11 y en a aussi qui habitent les Iles que l'air forme auprès du continent; car l'air est là ce que sont ici l'eau et la mer pour notre usage, et ce que l'air est pour nous, pour eux c'est l'éther.

Leurs saisons sont si tempérées, qu'ils vivent beaucoup plus long"nps que nous, toujours exempts de maladies; et quant à la vue, à l'ouie, à tous les autres sens et à l'intelligence même, ils sont autant au-dessus de nous, que l'éther qu'ils respirent surpasse en simplicité et en pureté l'air grossier que nous respirons. Ils ont des bocages sacrés et des temples véritablement habités par les dieux, qui y manifestent leur présence par les oracles, les divinations, les inspirations et autres signes sensibles, et qui conversent avec eux. Ils voient aussi le soleil et la lune sans aucun milieu et tels que ces astres sont eux-mêmes; et tout le reste de leur félicité est dans cette proportion.

- LX. Voilà quelle est la situation de cette terre et l'essence de ce qui l'environne. A l'entour d'elle, dans les cavités, il y a plusieurs abîmes dont les uns sont plus profonds et plus ouverts que le pays que nous habitons, et les autres plus profonds aussi, mais d'une ouverture moins large ; et il y en a qui ont moins de profondeur et plus d'étendue. Tous ces abîmes sont percés par-dessous en plusieurs en-



droits, et il y a des ouvertures qui se communiquent les unes aux autres et par lesquelles coulent des uns dans les autres, comme dans les cavernes du mont Etna, une grande quantité d'eau, des fleuves frès-larges et très-profonds, des sources d'eau froide et d'eau chaude, des fontaines et des fleuves de feu et d'autres fleuves de boue, les uns plus liquides, les autres plus fangeux et plus épais, comme ces torrents de boue et ces torrents de feu qui se précipitent du mont Etna. Ces abîmes se remplissent de ces eaux, selon la direction qu'elles prennent chaque fois en se débordant. Toutes ces masses s'agitent en bas et en haut, comme un balancier placé dans l'intérieur de la terre. Voici à peu près comment ce mouvement s'opère : parmi les ouvertures de la terre, il en est une, la plus grande de toutes, qui Passe tout au travers de la terre; Homère parle de cet abîme, lorsqu'il dit : « Bien loin, dans l'abîme le plus profond qui soit sous la terre. » Homère n'est pas le seul qui appelle ce lieu-là le Tartare. La plupart des poëtes sont en cela d'accord avec lui.

Dans cet abîme se rendent tous ces fleuves, et ils s'en éloignent ensuite. Chacun d'eux tient de la nature des terres au milieu desquelles il coule, et ce qui fait qu'ils ne s'arrêtent point dans ces abîmes, c'est qu'ils n'y rencontrent pas de fond, mais ils roulent leurs eaux et bouillonnent sens dessus dessous. L'air, comme le vent qui les environne, fait de même; car il les suit lorsqu'ils s'élèvent audessus de la terre, et lorsqu'ils descendent à notre niveau * et comme l'on voit, dans les animaux, l'air entrer et sortir incessamment par la respiration, de même l'air, qui se mêle avec les eaux, entre et sort avec elles et fait naître des vents impétueux. Quand donc ces eaux tombent dans cet abîme inférieur, elles se répandent dans tous les lits des sources et des rivières et les remplissent comme lorsqu'on puise avec deux seaux, dont l'un s'emplit à mesure que l'autre se vide ; car ces eaux, s'échappant de là, viennent ici combler touâ nos canaux, d'où, se répandant de tous côtés, elles remplissent no»



mers, nos rivières, nos étangs et nos fontaines. Rites disparaissent ensuite, et, s'enfonçant dans les terres, les unes par de grands détours et les autres par de moindres, elles se rendent dans le Tartarc, où elles rentrent non par où elles sont sorties, mais toutes plus bas.

Les unes y rentrent par le même côté, et les autres par le côté opposé à leur issue; d'autres encore, de toutes parts, après avoir fait une ou plusieurs fois le tour de la terre, comme des- serpents qui se plient et font plusieurs tours de leur corps, descendent le plus bas qu'elles peuvent, et se jettent de nouveau dans le Tartare. Elles peuvent descendre de part et d'autre jusqu'au milieu, mais pas au delà ; car alors elles remonteraient.

LXI. Elles forment plusieurs courants fort grands, fort larges; il y en a quatre principaux, dont le premier est celui qui coule le plus extérieurement tout autour. C'est celui qu'on appelle l'Océan. Celui qui lui est opposé, c'est l'Achéron, qui traverse des déserts et qui, se plongeant dans le sein de la terre, se jette dans un marais appelé de son nom Achérusiade, où se rendent les âmes des hommes au sortir de la vie, et après y avoir demeuré le temps ordinaire, les unes plus, les autres moins, elles sont renvoyées dans ce monde pour y animer des bêtes. Entre l'Achéron et l'Océan coule un troisième fleuve qui, ■ disparaissant près de sa source, tombe dans un endroit fort vaste et rempli de feu; là il forme un marais plus grand que notre mer, où l'on voit bouillonner l'eau mêlée avec la boue, et, s'éloignant ensuite noir et bourbeux, il parcourt la terre et se rend à l'extrémité du marais Achérusiade, sans se confondre avec ses eaux, et, après avoir fait plusieurs tours et détours sous terre, il se jette au-dessous du Tartare ; c'est ce neuve qu'on appelle le Puriphlégéton, dont on voit des rutsseaux jaillir en plusieurs endroits de la terre. A l'opposé de celui-là, le quatrième fleuve tombe d'abord dans un lieu affreux et sauvage, qui est d'une couleur bleuâtre, et on l'appelle Stygien ; là il forme le terrible marais du Styx, et, après avoir pris dans les



eattx de ce marais des vertus horribles, il se plonge dans la terre, ®à il fait plusieurs tours, et, dirigeant son cours vis-à-vis du.

Puriphlégéton, il le rencontre enfin dans le marais de l'Achéta, où il ne confond pas non plus ses eaux avec celles des autres.

fleuves ; mais, après avoir fait le tour de la terre, il se jette comme eux dans le Tartare par l'endroit opposé au Puriphlégéton. Ce quatrième fleuve est appelé, comme le disent les poëtes, le Cocyte.

LXII. La nature ayant ainsi disposé toutes ces choses, lorsque lesttorts ont atteint les lieux où leur démon les conduit, ils sont tous jugés, qu'ils aient menés une vie sainte et juste, ou aient vieilli dans l'injustice et l'impiété. Ceux qui ont vécu. sans être tout à fait criminels, ni tout à fait innocents, sont envoyés dans l'Achéron.

Là, ils s'embarquent sur des bateaux et sont portés jusqu'au marais Achérusiade, qui leur sert de demeure et où ils subissent des peines proportionnées à leurs crimes, jusqu'à ce que, purgés et lavés de leurs péchés, et délivrés ensuite, ils reçoivent la récompense 4e leurs bonnes actions. Ceux qui sont trouvés incurables, vu la grandeur de leurs péchés, leurs sacrilèges et leurs meurtre j, ou d'autres

f crimes semblables, sont précipités par la fatale destinée qui les juge, dans le Tartare, d'où ils ne sortent jamais. Mais ceux qui ont commis des péchés expiables, quelque fort grands, comme des actes de violence à l'endroit de leur père ou de leur mère, ou quelque meurtre, et qui en ont fait pénitence toute leur vie, sont nécessairement dépêchés dans le Tartare ; mais, après un an de demeure, le flot les rejette et renvoie les homicides dans le Cocyte et les parricides dans le Puriphlégéton, qui les entraîne dans le marais Acbérusiade. Là. ils poussent de grands cris et appellent à leur secours ceux qu'ils ont tués et ceux contre lesquels ils ont commis ces violences, et les prient et les conjurent de leur pardonner, de leur permettre de passer le marais et de les recevoir. S'ils les fléchissent, ils Passent le marais et sont délivrés de leurs maux, sinon ils sont précipités dans le Tartare, qui les rejette dans ces fleuves, et cela jusqu'à ee qu'ils aient calmé la colère de ceux qu'ils ont maltraités; car



tel est l'arrêt prononcé contre eux. Mais ceux qui ont passé leur vie dans la sainteté d'une manière toute particulière , sont délivrés de ces lieux terrestres et de ces affreuses prisons, et sont reçus là-haut dans cette terre pure qui leur sert de demeure ; et ceux d'entre eux que la philosophie a suffisamment purifiés, vivent pendant toute l'éternité dégagés de leur corps, et sont accueillis dans ces demeures encore plus admirables et plus délicieuses ; il n'est pas facile de les décrire, et le peu de temps qui nous reste ne me le permettrait pas.

LXIII. Il faut donc, mon cher Simmias, par toutes les raisons que nous venons de voir exposées dans le plus grand détail, faire en sorte d'acquérir de la prudence et des vertus; car c'est une grande et noble espérance que celle qui s'offre à nous, et c'est une magnifique et précieuse récompense que nous attendons. A la vérité il ne conviendrait pas à un homme sensé d'affirmer que les choses sont exactement comme je viens de vous le dire; mais qu'il en soit ainsi, ou à peu près, de nos âmes et des divers états par lesquels elles doivent passer, si, comme il nous le semble, l'âme est en effet une substance immortelle, il me paraît qu'on peut l'assurer convenablement, et que la chose vaut la peine qu'on hasarde d'y croire; car c'est une belle et sublime expérience à tenter, et combien il serait à désirer qu'on pût s'en laisser séduire et comme enchanter ! C'est pour cette raison que je me suis plu à prolonger si longtemps cet entretien. Enfin, ce sont encore ces mêmes motifs qui doivent inspirer sur ta destinée de son âme une pleine et entière confiance à tout homme qui a dédaigné dans le cours de sa vie les voluptés du corps, et tous ses ornements extérieurs, comme étrangers à lui-même; qui, attachant plus d'importance à perfectionner cette autre partie de son être, et aux plaisirs que procurent la science et la vérité, s'est appliqué à orner son âme des qualités qui lui sont propres, et qui conviennent à sa nature, comme la tempérance, le courage, la liberté et la vérité. Celui-là, dis-je, attend le moment de descendre chez Pluton , comme étant déjà tout prêt à faire ce fatal voyage quand la destinée l'y appellera. Pour vous, ajouta-t-il , Simmias et Cébès, et vous tous qui êtes ici, vous y arriverez, chacun à votre tour, dans un temps ou dans un autre : aujourd'hui, c'est moi Qu'appelle du destin l'arrêt irrévocable, dirait un poëte tragique. Mais voici, je crois, le moment d'aller prendre le bain : car il me semble qu'il est plus convenable que je boive la ciguë après m'être baigné , pour ne pas donner aux femmes l'embarras de laver mon corps après ma mort.

LXIY.— Comme il achevait ces mots, Criton lui dit : Eh bien , So-



[ %ate, à la bonne heure ; mais n'as-tu rien de particulier à me reimander, ou à tes autres amis qui sont ici, soit au sujet de tes ! «<ants, soit sur toute autre chose que nous pourrions faire pour te C Pfatire et te rendre service? — Rien de plus que ce que je viens de ) *0»s dire, Criton, répondit-il, et que je n'ai cessé de vous répéter -v K **est que si vous portez sur toute votre vie une attention scrupuleuse, tit ce que vous ferez ne saurait manquer d'être utile et agréable à | *loi, aux miens et à vous-mêmes, lors même que vous ne me feriez en ce moment aucune promesse; mais si vous vous négligez, si vous ne consentez pas à suivre, dans la plus grande rigueur, les maximes que nous venons d'établir, et que nous avions établies longtemps.

pravant, vainement vous me feriez les plus belles promesses, us n'en serions pas plus avancés. — Eh bien donc, répondit Cri141bn, nous nous appliquerons avec zèle à faire ce que tu dis. Mais.

Comment faudra-t-il que nous t'ensevelissions? — Comme vous \ouc drez, dit Socrate; si pourtant vous pouvez me saisir, et si je ne vous échappe pas. Et en même temps, nous regardant avec un sourire Idéux et calme : Mes amis, ajouta-t-il, je ne saurais persuader à Criton que celui qui s'entretient en ce moment avec vous, qui met de l'ordre et de la réflexion dans chacune des choses qu'il dit, c'est tooi, c'est Socrate ; il s'imagine toujours que je suis celui qu'il verra toort dans quelques instants, et voilà pourquoi il demande comment il m'ensevelira. Mais tous les raisonnements que j'ai faits dans ce long, eatretien pour vous faire comprendre qu'aussitôt que j'aurai bu le ;, poison. je cesserai d'être présent parmi vous, et que je m'en irai tabtter le séjour de bonheur qu'habitent les âmes fortunées, ne lui paraissent apparemment que de vains discours par lesquels j'ai tenté : de vous consoler et de me consoler moi-même. Soyez donc mes garants auprès de Criton. mais dans un sens opposé à celui dans lequel il m'a servi de caution auprès de mes juges; car il avait répondu pour moi que je ne m'en irais pas : soyez-lui garants au contraire i que je ne resterai pas, et que je m'en irai d'avec vous aussitôt après Ifta mort: afin que Criton supporte plus facilement ce malheur, et qu'en voyant brûler ou ensevelir mon cadavre, il ne s'afflige pas sur moi outre mesure, comme si véritablement c'était moi qui souffrisse quelque chose d'affreux et de funeste ; et qu'il ne dise pas, au moment de mes funérailles, que c'est Socrate qu'il expose, qu'il fait emporter ou qu'il enterre. En effet, poursuivit-il, sois bien sûr, digne et bon Criton, que ne pas nommer les choses par leur véritable nom, est non-seulement une inconséquence et une inconvenance en Soi, mais même ne saurait manquer de nuire aux âmes sous un certain rapport; il faut donc avoir et montrer de la fermeté, et dire que tu enterres mon corps, et l'enterrer comme il te plaira, mais surtout de la manière qui te paraîtra la plus conforme aux lois.

LXV. Il se leva en disant ces mots, et passa dans une chambre "voisine pour y prendre le bain, et Criton l'y suivit, mais il nous priai



if. l'attendre. Nous l'attendtmes donc, tantôt nous entretenant enle sur tout ce qu'il venait de nous dire, tantôt absorbés dans réflexions. Il y avait des moments où nous ne pouvions nous écher de parler de l'horrible malheur qui allait nous arriver, ^môs regardant véritablement comme des enfants privés de leur père, Pqui désormais allaient vivre orphelins. Cependant, après qu'il se ~M lavé, on lui amena ses enfants ( car il en avait deux encore en bas %e, et un déjà grand), et les femmes de sa famille entrèrent aussi fcprès de lui. Après qu'il se fût entretenu avec elles en présence de ton, et qu'il leur eut recommandé ce qu'il voulait, il leur dit de Ot retirer et d'emmener les enfants, et lui-même rentra dans la Cambre où nous étions. Et déjà le coucher du soleil approchait, car I avait passé un assez long temps dans la chambre voisine. En en t il s'assit sur son lit, et il ne s'entretint plus après cela que ^Niques instants avec nous. Alors le serviteur des Onze parut et, approchant de lui : 0 Socrate, lui dit-il, je ne te ferai pas l'injure te croire capable de ce que je blâme dans les autres condamnés, ..1 s'irritent contre moi et me maudissent lorsque je viens, par tordre des magistrats, leur annoncer qu'il faut boire le poison. Pour 101, je savais d'avance, et j'ai eu lieu de m'en convaincre dans tout cfe temps que tu as passé ici, que tu étais le plus courageux, le plus doux et le meilleur des hommes qui soient jamais venus dans ce sé- et dans ce moment même, je suis sûr que ce n'est pas à moi que tu imputes ton malheur, mais à ceux qui en sont la cause et que Ai connais bien. Maintenant donc, car tu n'ignores pas ce que je viens rannoncer, adieu ! Tâche de supporter avec le plus de résignation | qu'il sera possible un mal nécessaire. En même temps il se détourna Pondant en larmes, et s'éloigna. Et Socrate le regardant : Et toi aussi , dit-il, reçois mes adieux, et sois sûr que je ferai ce que tu dis.

{ ÏHiis se tournant vers nous : Que de bonté et d'humanité dans cet homme! nous dit-il. Tout le temps que j'ai été ici, il venait souvent ! auprès de moi, nous causions quelquefois ensemble, c'était le meil; leur des hommes. Et maintenant comme il pleure de bon cœur ! Mais enfin, Criton, il faut lui obéir ; qu'on apporte donc le poison, s'il est Prêt, ou, s'il ne l'est pas, qu'on s'occupe à l'instant même de le * broyer. — Il me semble pourtant, lui répondit Criton, que la lumière du soleil s'aperçoit encore sur le sommet des montagnes, et qu'il ne ; doit pas être couché. Je sais d'ailleurs que beaucoup d'autres condamnés ne prennent le poison qu'assez longtemps après qu'on les a avertis, qu'ils se livrent au plaisir de boire et de manger avec excès, ou à tous les divertissements qu'ils peuvent désirer ; ainsi donc ne précipite rien, car il nous reste encore du temps. — Sans doute, Cri-



, reprit Socrate, ceux qui font ce que tu viens de dire ont une «rte de raison d'agir ainsi, puisqu'ils croient y gagner quelque «ose ; et moi, de mon côté, j'ai de bonnes raisons pour ne pas faire me eux ; car je suis bien persuadé qu'en retardant de quelques ents, je n'y gagnerais que de me rendre ridicule à mes propres B 6ux, par un attachement excessif à la vie, et par un désir insensé t gner sur ce qui n'est déjà plus. Ainsi va donc, ajouta-t-il, tt e à mes vœux, et fais ce que je te demande.

( LXVI. A ces mots, Criton fit un signe à l'esclave qui était près de H, et l'esclave, étant sorti, demeura assez longtemps dehors; puis revint, amenant avec lui celui qui devait donner la ciguë, qu'il Niait toute broyée dans une coupe : Eh bien! à la bonne heure, n ami, dit Socrate, en voyant cet homme s'approcher ; mais que t-il faire ? (car tu dois être au fait de cela.) — Rien autre chose, t celui-ci, que de vous promener, quand vous aurez bu la coupe, t n'a ce que vous sentiez de la pesanteur dans les jambes, et alors le vous coucher : le poison opérera de lui-même. En même temps H présenta la coupe à Socrate. Et celui-ci l'ayant prise, avec quel e et quelle sérénité, mon cher Ëchécrate ! sans faire paraître aucun trouble, aucune altération dans la couleur ni dans les traits de Ion visage, mais avec un regard ferme et assuré, comme à l'ordiSaire, qu'il portait sur cet homme : Est-il permis, dit-il, de rédre quelques gouttes de ce breuvage pour en faire une libation ?

T- Socrate, lui répondit l'exécuteur, nous n'en broyons que ce e nous jugeons nécessaire et suffisant. — J'entends, répliqua oocrate ; mais il est du moins permis d'adresser ses prières aux eux: on le doit même, afin qu'ils nous rendent heureux et favorable le passage de ce séjour dans celui où nous allons entrer. Voilà que je leur demande, et puissent-ils exaucer mes vœux! En dit ces mots, il porta la coupe à ses lèvres, et but la ciguë avec un calme et une douceur inaltérables. Jusque-là nous avions presque tous fait assez d'effort sur notre douleur pour pouvoir retenir nos larmes; mais, quand nous le vîmes boire la coupe fatale, et après qu'il l'eut bue, cela nous fut impossible. Pour moi, je ne pus m'ember de verser un torrent de larmes, au point que, m'étant enveppé dans mon manteau, je me mis à pleurer en liberté sur moimême; car ce n'était pas son malheur que je déplorais, mais le mien, en songeant de quel ami j'allais être privé. Criton même avant moi Wavait pas été maître de sa douleur ; il sortit pour y donner un libre cours. Mais de la part d'Apollodore, qui dès le premier moment n'avait pas cessé de verser des larmes, ce ne furent plus des cris, mais des hurlements, et il n'y eut personne de ceux qui étaient là qui n'eftt le cœur navré de ses plaintes et de ses gémissements, excepté Socrate, qui ne montrait aucune émotion : 0 mes amis, nous dit-il,



que faites-vous? n'était-ce pas précisément pour éviter ces scènes Peu convenables que j'avais renvoyé les femmes? Car j'ai oui dire qu'il faut, à ses derniers moments, s'entourer de présages heureux : ainsi donc montrez du courage et de la fermeté, et retenez vos cris et vos lamentations. Ces mots nous firent éprouver une sorte de confusion, et nous contînmes notre douleur. Cependant Socrate, qui n'avait cessé de marcher, sentit que ses jambes commençaient à s'appesantir, et il se coucha sur le dos, comme le lui avait recommandé l'homme qui lui avait donné le poison. Celui-ci examina, au bout de quelques instants, ses jambes et ses pieds; puis, lui ayant fortement pressé le pied, il lui demanda s'il sentait quelque chose, Mais il répondit que non. Ensuite il lui pressa encore assez fort les jambes, et, parcourant successivement les parties supérieures, il nous faisait comprendre que le froid de la mort commençait à le gagner, et qu'il devenait roide. Il le toucha encore une autre fois, et nous dit que dès que cela aurait gagné le cœur, Socrate aurait cessé de vivre. Déjà le froid commençait à gagner le bas-ventre ; alors Socrate, se découvrant, car il s'était enveloppé de son manteau: Criton , dit-il, et ce furent ses dernières paroles, nous devons un coq à Esculape : n'oublie pas d'acquitter cette dette. — Je n'y manquerai pas, répondit Cri ton ; mais vois si tu n'as rien de plus à me dire.

Il ne répondit rien à cette question ; mais peu d'instants après il eut un mouvement convulsif, etl'exécuteur le découvrit tout à fait. Ses regards étaient restés fixes et immobiles; mais Criton s'en étant aperçu, lui ferma la bouche et les yeux.

LXVII. Voilà, Échécrate, quelle fut la fin d'un homme qui fut notre ami, et que nous pouvons bien dire avoir été le meilleur, le plus sage et le plus juste de tous les hommes que nous ayons jamais eu occasion de connaître.


NOTES.

Page 4 : 1. Phédon, d'Élis, ville de l'Élide , fut l'un des meill amis de Socrate et de Platon. On dit que dans sa jeunesse il avait I .pris par des pirates, et racheté par Socrate, dont il devint le dis< pie. Après la mort de son maître, il retourna à Ëfis, et y fonda l'éco appelée l'école d'Ëtis ou Érétriaque. — Ëchécrate, était de Phiiont) ville de Sicyonie. Diogène de Laërte le compte au nombre des p goriciens.

— 2. Fischer prétend que la particule Sri répond ici au quaeso ti Latins ; mais cela n'est pas tout à fait exact ; elle répond plutôt a tandem dans les phrases interrogatives, et marque à la vérité, ma avec une nuance un peu différente, le désir ou l'empressement de a voir une chose, ou d'obtenir une réponse. Sur le singulier ~zt, join~ au pluriel &rra, le même Fischer remarque, avec raison, que l'usaf des bons écrivains grecs, est de joindre un adjectif au singulier ave les noms ou pronoms du genre neutre au pluriel, et il en apporte pl sieurs exemples. (Thurot.) — 3. ~'EjuxwpiâÇet xavùv ~'AôifjvaÇe. Nous trouvons ici un verbe tp marque le séjour, joint à une sorte de locution adverbiale qui s'emploie ordinairement qu'après les verbes de mouvement. Il fau donc voir dans le verbe deux actions : la venue qui précède le séjo et le séjour qui suit la venue ; l'une de ces deux actions explique i verbe, et l'autre explique la locution adverbiale. De même, Xén j phon, Anab. 1, JI, 2 : Ilapijffav ett ~làpôei;, « ils séjournèrent à Sar des après y être venus. » On pourrait donc, dans l'un et l'autre de ce deux exemples, sous-entendre un participe qui exprimerait le mouvement, comme è).ôwv, ilbévraç.

— 4. Ta Ttept i-hç ~Sîxyi;. J'ai peine à croire que le génitif 'ri1ç Õi1dl soit ici employé à cause du verbe &jf66e<r6s comme le dit Fischer; mais je soupçonne qu'il y a dans ces deux façons de parler, M ttic SIXYK et ra nspi TÔV OavaTov, une nuance d'expression assez délicate : 7tept, avec le génitif, répond au de des Latins, c sur,» ou, c au sujet de, i Hept, avec l'accusatif, se traduit, en général, par circuM


circa, circiter, et marque les circonstances accessoires et, pour ainsi dire, environnantes d'une action, ou d'un objet. (Thurot.) — 5. fIon0 uaTEpov. Nous savons que ce fut trente jours après sa condamnation, comme nous l'apprend Xénophon, Etitretiens mémorables, IV, vin, 2.

Page 6 : 1. Toùç ot; ETrrot èxeîvouç, c'est-à-dire a ces quatorze jeunes garçons et jeunes filles.» Lorsque l'objet dont il est question est tellement connu qu'il ne peut y avoir aucun doute, aucune ambiguïté à cet égard dans l'esprit de celui qui écoute, les Grecs suppriment le nom même, et se contentent de l'indiquer par le pronom démonstratif; et il est bon de remarquer, en général, que c'est là le fondement de toute espèce d'ellipse, et qu'on ne supprime jamais dans le discours que les mots que l'auditeur peut facilement suppléer, ou du moins, est censé pouvoir facilement suppléer lui-même. Au reste, cette partie de l'histoire de Thésée est assez généralement connue.

On sait que Minos Il, roi de Crète, pour venger la mort d'Androgée, son fils, était venu mettre le siège devant Athènes, et qu'il ne consentit à se retirer que sous la condition que les Athéniens enverraient chaque année en Crète, sept jeunes garçons et autant de jeunes filles, pour y être dévorés par le Minotaure enfermé dans le labyrinthe.

Cette convention fut, dit-on, exécutée pendant deux ans ; mais à la troisième année, Thésée, qui était du nombre des jeunes garçons, tua le Minotaure, et revint sain et sauf à Athènes avec ses compagnons.

Voy. Plutarque, Vie de Thésée. (Tliurot.) — 2. Le nom de théorie était consacré pour désigner ces députations solennelles que les Athéniens envoyaient chaque année à Délos.

— 3. ~'Eîreiôàv ouv ~âp^tovrai Trjç ~Secopîa;. a Lorsqu'ils ont commencé la théorie,» c'est-à-dire, comme nous l'avons vu plus haut, lorsque la poupe du vaisseau a été couronnée.

— 4. "Oxm ~vùyiùaiv ocvepot èmo).or.6Óv't"EC; or.ù't"oúç. Le verbe ~à7ioXajx- ëàvetv se dit des vents contraires qui écartent un vaisseau de sa route ou le retardent dans sa marche. Hérodote l'emploie dans ce sens, ainsi que Philostrate.

— 5. "OçTCp ~léyiù. Cette formule s'emploie fréquemment ainsi, au présent, pour rappeler une chose que l'on vient de dire.

— 6. npoQu[iY)9YiTt. En général upo0u;ji. £ î(70at signifie Il entreprendre ou faire une chose avec courage, avec zèle, avec ardeur, B et en ce sens il est opposé à ~àSupeïv. Ici je crois que 7tpo6vlL1i6'1J't"t ré-


pond à peu près à notre façon de parler : « Prenez la peine, donnezvous la peine. » (Thurot.) — 7. Il me semble que Thurot n'a pas tout à fait saisi la nuance de cette phrase, lorsqu'il traduit : « C'est aussi, Phédon , le sentiment qu'éprouveront tous ceux qui en entendront parler. » Il a été trompé sans doute par l'article placé devant le participe àxou<7otAÉvoyç ; cet emploi est pourtant bien fréquent, même pour désigner les personnes présentes. Le verbe e/Et; devait d'ailleurs empêcher toute erreur. Il faut donc traduire : « Eh bien, Phédon, ce sont aussi nos sentiments, à nous qui voulons t'entendre. »

— 8. Kai Tou Tpouou xai twv Xôywv. Sous-entendez ëvexa, et de même avec le verbe eùôaijAovîÇav, comme dans le Criton: Eùôaifi.6vicrd (as) Toii ~xpÔTtoy. TpÔTto; signifie ici « la manière d'être, la disposition habituelle de l'esprit et du cœur. » (Thurot.) — 9. c'C2;ts (xot 7tor.ptc't"'Xcr6or.t. « en sorte qu'il me semblait, je me figurais que, etc. , llaptoraarôai se dit des idées ou des pensées inattendues ou extraordinaires qui se présentent à l'esprit. Il en est de même du verbe 7tÉpy £ a6at. Lucien ('AXExxp., p. 317, éd. bip.): Ti soi ~ÈTïyjXôe v6[aov 7tor/i<ja<70ai, xpEûiv xvtilLwv ~èffôteiv ; — EÙ Ttpo^Eiv, a que ce serait pour lui un bonheur, un avantage. » (Thurot.) Page 8:1. Parmi les personnages cités ici comme témoins de la mort de Socrate, il y en a plusieurs qui méritent d'être remarqués comme ayant été les fondateurs ou, du moins, les disciples les plus célèbres de quelques écoles de philosophie. Je tirerai ce que j'en dis ici, tant des notes de Fischer que du recueil publié à Berlin, en 17 82, par M. Gedike, sous ce titre : M. Tullii Ciceronis Historia Philosophiœ antiquœ. — Eschine était d'Athènes; Sénèque (de Benef., 1. 1, c. vin) raconte la manière touchante dont il se donna, en quelque sorte, à Socrate. — Antisthène fut le fondateur de la secte des cyniques. Sa vie se trouve dans le recueil de Diogène Laërce, 1. VI, i-xix. Cicéron (de Orat., III, xvn) dit de lui : Ab Antisthene, qui patientiam et duritiam in Socratico sermone maxime adamaverat, cynici primum, deinde stoici manarunt. - Le nom de Ménexène est devenu célèbre par le dialogue de Platon qui porte son nom , et où l'on trouve un si magnifique éloge des Athéniens qui étaient morts en combattant pour leur patrie. - Simmias et Cébès de Thèbes furent aussi parmi les disciples les plus zélés de Socrate.

(Voy. leur vie dans Diog. Laërce, II, 124 et suiv.) On croit que le traité


de morale intitulé lIîvaE, le Tableau, où se trouve une allégorie assez ingénieuse sur la vie humaine, est de Cébès. — Euclide et Terpsion étaient de Mégare ; c'est d'Euclide que la secte des Éristiques, dont Xénophane fut le chef, prit le nom de Mégarique. (Yoy. Cic., A cad., II, XLII, et Diog. Laërce, II, cvi etsuiv.) C'est encore cet Euclide qui, au rapport d'Aulu-Gelle (Noct. Atlic., VI, x), était si avide d'entendre Socrate, qu'il venait souvent vers le soir à Athènes, déguisé en femme, au risque d'être surpris et condamné à mort, en vertu d'un décret que les Athéniens avaient porté contre tout habitant de Mégare qui mettrait le pied dans leur ville. — Aristippe de Cyrène fut le chef de la secte appelée de son nom cyrénaïque. Cicéron dit de lui ( TuscII, vi): Socraticus Aristippus non dubitavit mmmum malum dolorem dicere. Deinde ad hanc enervatam muliebremque sententiam salis docilem se Epicurus prabuit. Et Horace, Epist., I, xvn, v. 23 : Omnis Aristippum decuit color et status et res.

Il fut le premier des disciples de Socrate qui prit de l'argent de ceux qui désiraient s'instruire dans sa conversation, et fut très-décrié par son goût pour la volupté, et sa conduite lâche et souple à la cour de Denys. (Voy. Diog. Laërce, II, LXV-LXXXV, etc., etc.) Ce que Platon dit ici de lui, est regardé comme un trait de satyre lancé à dessein contre Aristippe, parce que la ville d'Ëgine était si près d'Athènes, qu'aucun motif ne pouvait excuser Aristippe d'abandonner ainsi son maître dans une circonstance aussi déplorable. — Cléombrote était d'Ambracie; il partage ici le reproche adressé par Platon à Aristippe. On prétend qu'il y fut si sensible, qu'après avoir lu le Phédé%i, il se précipita dans la mer, d'autres disent d'un endroit trèsetevé. C'est ce que témoigne l'épigramme suivante de Callimaque.

(gpigr. xxiv.)

Page 10:1. "O;7tEp ettoOei ûiraxoij £ iv. Le sens que prend ici le verbe ~•CntaxoOsiv a été omis dans la plupart des dictionnaires. Il ne signifie pas précisément dans ce passage « entendre ou obéir ; » mais on peut voir, en comparant le icr chapitre du Crilon, que c'est le mot habi-


tuellement employé lorsqu'on parle d'un portier qui répond à l'appel de ceux qui frappent à la porte. On traduirait donc bien ici .ÙTraxovEiv, par « ouvrir ou recevoir, s

— 2. ~'AvevcpYipiffé Te, « se répandit en imprécations. » 'AvEVIf'1JtJ.ELV est l'opposé de £ ÙOT)|A £ ÏV, bona verba dicere. (Thurot.) — 3. Kal xpîëwv &lLor., « et en même temps qu'il frottait sa jambe, » ou, comme nous disons en langage familier, « tout en frottant sa jambe. » (Thurot.) — 4. "Qçjiep ex (JITÂÇ xopuçrjç rjji|XÉVW Su' OVTE , « comme étant tous deux attachés au même sommet, » c'est-à-dire dérivant tous deux du même principe. De même, quelques lignes plus bas, crVVijljiEV Ete; TOOITOV AÙIWV TÔCÇ xopuçàç. La métaphore me paraît empruntée de l'effet produu par deux chaînes ou cordes attachées ensemble par leurs extrémités, et qu'on passerait dans une poulie, en sorte que l'on ne pourrait tirer l'une des deux sans tirer en même temps l'autre. Aulu-Gelle, cité par Fischer, rapporte ce passage de Chrysippe: Alterum enim ex altero, sicutv Plato ait, verticibus inter se contrariis deligatum est : sustuleris unum, abstuleris utrumque.

(Thurot. )

Page 12 : 1. 'Evcstvaç TOÙÇ TOÙ AÎO-WTCOU Xoyouç. « Ayant mis en vers les fables d'Ésope. » Il paraît que les-savants ont été en doute de savoir si le mot ~Xo-fo; était plus l'expression propre pour ce genrè d'écrits, que le mot (j.ù0oç. Mais on voit ici que Platon emploie indifféremment l'une et l'autre expression, puisqu'il se sert de ILv60vç un peu plus bas; et Hérodote (1. II, c. cxxxiv) appelle Ésope IO^QIZOIÔÇ.

Au reste, la nuance qui différencie ces deux mots me paraît facile à saisir. Aoyoç paraît se rapporter à la partie rationnelle, si l'on peut s'exprimer ainsi, et morale de l'apologue, et ~(JÂJOO; se rapporte à la partie fabuleuse ou de pure invention. Quant au verbe ~àvuetvsiv, qui signifie proprement tendere, intendere, il exprime plus particulièrement l'effort et, pour ainsi dire, la tension de l'esprit qu'exige la poésie pour enfermer une pensée dans le vers, ou peut-être même l'action de tendre et de monter les cordes de la lyre. On lit aussi dans

~ottito.v, c et l'hymne à Apollon. » - Moeris, cité par Fischer: ~'AnoXXto, ~THXM~' ~'AitoXXwva, 'EXXYIVWCWÇ, Il y a lieu de croire que le mot ~upoot|j.iov ne signifia d'abord que le prélude, ou une introduction à une ode ou chant quelconque d'une certaine étendue. Ensuite ce mot


a été employé pour signifier l'ode, l'hymne, le chant lui-même. Voy.

sur l'acception de ce mot dans l'art oratoire, Quintilien, de Institut. orat., 1. IV, c. i. (Thurot.) — 2. 'AvTÎTspoç est le mot propre dans cette circonstance. On appelait proprement ~àvxixeyvoi les poëtes qui concouraient pour le prix de la tragédie dans les jeux solennels de la Grèce. (Thurot.) — 3. , £ i apa ~izoDÂv.ç ~tooittiv tïjv [ioutrix^v jjwh ÈmttXTTOt mneïv. Le verbe àqwcrioîicrôat signifie « s'affranchir d'un scrupule , s'acquitter d'un devoir religieux, » accomplir par respect pour la religion ce que les dieux prescrivent. Le mot ~p-ovaix-fi s'applique, en général, à tous les genres de doctrines et d'études, au système général des sciences et des beaux-arts. Strabon dit positivement: ~Mouffixyiv èxâAsffev ô ÏIÀaTwv, xott ëzi ~TrpoTepov oE ~nuSayopsioi, tyjv ~çtXocoçiav. (Thurot.) — 4. Iloieïv jaOôouç, œU' ou ~ÀÓyovç. Ceci semble prouver la vérité de ce que j'ai dit plus haut, de la différence des mots ~(lÂiQoç et ÀÓyoç, à quoi se rapportes aussi le passage suivant de Plutarque, de Audiend. poet. c. h, cité par Fischer : "06ev Ó ~SwnpàTYj;, ex twiov

Page 14 : 1. OuS' ~ôtccjçtioDv àv aat sxtbv elvai ~îcstcerai. « Il ne consentira certainement pas volontiers à suivre ton conseil. » 'Exoov slvat, libens, libenter, sponte sua. Expression très-fréquente dans les bons écrivains. C'est encore un des exemples de locutions mal expliquées par les grammairiens, qui regardent le verbe elvat comme superflu, et qui rapportent cette façon de parler à la figure nommée pléonasme, tandis qu'elle appartient à l'ellipse, comme le prouve cet endroit de Platon, qui signifie littéralement : Neque ullo modo tibi lubens esse (ou morem gerere) persuadebitur, où l'on voit que slvai sert en quelque sorte à unir le mot éxwv au pronom croL (Thurot.) — 2. Oùx àv.r\Y.ôa.zB <I>tÀoÀci!J> crV'YYE"{OVÓ't"EÇ, Sous-entendez ti.

« N'avez-vous rien entendu dire sur ce sujet, ou n'avez-vous pas quelquefois entendu discuter cette matière ? a Philolaiis, de Crotone, dont on peut voir la vie dans Diogène Laërce, VIII, LXXXIV, avait été disciple d'Archytas de Tarente, et était, par conséquent, sectateur de Pythagore. Platon même avait eu occasion de s'instruire de sa doctrine en Italie. Or, les pythagoriciens soutenaient qu'il n'est pas


permis de se donner la mort. Philolaus était ensuite venu à Tlièbes, où Sinnnias et Cébès avaient dû l'entendre. (Thurot.)

Maxime (IV, vi, ext. III) parle d'une coutume semblable qui existait chez les Lacédémoniens. (Thurot.) — 4. 'AîtXoùv. Le sens de ce mot est assez délicat. Il faut bien comprendre que, dans les idées de Socrate, la mort est un bien absolument, c'est-à-dire pour tous et toujours, tandis que tous les autres accidents de la vie, comme la maladie, le mariage, etc., sont tantôt un bien, tantôt un mal, et peuvent être, pour certaines personnes, un bien, tandis qu'elles sont un mal pour d'autres. La mort est donc une chose simple (àrcXoùv), c'est-à-dire qu'elle n'a pas cette nature double qui en ferait tantôt un bien, tantôt un mal.

— 5. "ITTW Zeuç. Façon de parler propre aux Béotiens, pour exprimer l'étonnement et le doute, lorsque quelqu'un dit une chose qui paraît étrange et difficile à comprendre. Cette expression correspond assez exactement à notre façon de parler familière : « Dieu le sait, » que nous employons à peu près dans les mêmes circonstances.

(Thurot.) Page 16:1. '0 (xèv ovv sv ~àiToppr)Toi<; où ^aStoç ôiïosïv. On croit que Socrate fait ici allusion aux mystères d'Orphée ; c'est du moins ce que donne à entendre Olympiodore dans son commentaire sur ce

effet, les mots déppYixa et ~àiroppYjTa sont les expressions consacrées pour les doctrines secrètes, que l'on communiquait aux initiés dans les mystères de Cérès et d'Orphée, et qu'il leur était expressément défendu de révéler aux profanes ; d'où l'on appelait aussi àitôppriTa les dogmes secrets de l'école de Pythagore. (Thurot.) — 2. Où ~[lévToi. Sous-entendu OVTWÇ ÈCTtiv ou iZEt. « Cependant il n'en est pas ainsi ; mais peut-être y a-t-il à cela quelque raison, etc. » (Thurot.) — 3. TyJ -roû ~Keër]TO<; ~npayjJiaTEtcf. Quoi qu'en dise Fischer, le mot ~npaY(j.aTeia ne peut signifier ici que ce que nous entendons par" subtilité, finesse de l'esprit, D et non pas l'application, l'attention soutenue que l'on porte à une chose ; c'est le solertia des Latins, qui, comme ~npayticxTeia, s'emploie dans l'un et l'autre sens.

(Thurot.)


Fischer et les éditeurs du Platon imprimé à Deux-Ponts, voient dans cette phrase une irrégularité de construction ~(àvax6Xov»0ov) qui, à mon avis, n'existe nullement; et je ne doute point qu'il ne faille sous-entendre le verbe ÈXmÇw après r,|eiv. L'on ne saurait supposer que l'auteur eût dans l'idée d'ajouter les mots xcd mxpà Qsoûç après les mots TT<xp' ccvSpa; de la phrase précédente, puisque c'est la pensée qu'il avait déjà exprimée deux ou trois lignes plus haut. Il est donc évident que le verbe il7utZÉo sous-entendu dépend de la conjonction oit dans la première incise de cette phrase, comme le verbe 6iïcryuptaat(i.Yiv dépend de la même conjonction répétée au commencement de la seconde incise, et qu'il faut traduire ainsi la phrase entière : « J'ai bien l'espoir de me trouver réuni (après ma mort) .aux hommes vertueux ; cependant je n'affirmerais pas entièrement que cela doive arriver ; mais que je doive me réunir aux dieux, ces maîtres si parfaits et si excellents de notre destinée, c'est ce que j'oserais affirmer, s'il y a quelque chose en ce genre dont on puisse être sûr. » (Thurot.) — 2. Eîvai ti toÎç TExeXEUTïixôffi, « qu'il y a un sort, une destinee quelconque réservée aux hommes après leur mort. » (Thurot.) 3. AOtô; l/wv "';¡'v ~ôiàvoiav TauTïjv. Le mot aÙT'oj est employé ici dans le sens de (jiôvoç, solus, et ne doit pas être traduit par ipse -comme l'a traduit Ficin, car il est opposé à fi ~xâv \].zxzoair\ç, qui vient ensuite. Les écrivains grecs ont employé aùxoç dans ce sens, à l'exemple d'Homère, qui dit (Il., chant XVI, v. 254) : Avtoç tTO), c'est-à-dire, comme l'explique Eustathe, [aovoç èXôétw. Le sens est littéralement : « Prétends-tu emporter avec toi tes idées sur ce sujet, ou si tu consentiras à nous en faire part? i, (Thurot.) — 4.. *0 (jiXXwv. ôwceiv TO ~<pKpjjt.<xxo\ C'estt'appariteur, l'esclave chargé d'exécuter les ordres des onze magistrats,, nommé par Plutarque 6 ~8r)(i6<7toç, et par d'autres, 6 ÔY)f«oç.

— 5. cOc; eXâxi<7Ta 8taÀ £ Y £ ^0a<.. Olympiodore (l'un des commentateurs grecs de Platon) explique ainsi cet endroit : °Iva purj ix T-Ïq Xtv"lÍO'EOOc; 0^p[iav0iiç, xat to xwvetov. Dacier prétend que c'est par intérêt que le geôlier donne cet avis à Socrate, parce que, dit-il, il était obligé de fournir la ciguë à ses frais, et qu'il craignait, par conséquent, d'en donner deux fois, attendu que la livre de ciguë qui, suivant Dacier, entrait dans la potion donnée aux criminels, coûtait douze drachmes, etc.; mais cette observation me paraît un pru sub-


tile et minutieuse. Les anciens regardaient, en effet, tout ce qui tendait à rehausser la chaleur du corps, comme contraire à l'effet de la ciguë, ainsi que nous l'apprend Pline (1. XXV, c. xxxv): Remedio est (cicatœ) priusquam perveniat ad vitalia, vini natura excalfactoria. (Thurot.) — 6. :A)J.IX syEÔov (LÉnot f,(¡'1J. « Je m'en doutais presque, répondit Criton. » En effet, Criton, d'après l'entretien qu'il avait eu avec Socrate (voy. le Criton), avait pu connaître quels étaient les sentiments de son ami sur ce sujet. (Thurot.) Page 20 : t. Ici s'arrêtent la traduction et les remarques de Thurot.

Le savant éditeur n'a pas cru devoir donner en entier le texte du Phétion; il s'est contenté, comme on le voit, du cadre du dialogue, et ne s'est pas occupé des discussions philosophiques. Nous le retrou\erons seulement à partir du chapitre LXIII.

-. — 2. ~'ATTOÔvyiaxeiv xs xat xEÔvàvat. Il faut bien distinguer le sens de ces deux mots : le premier signifie « mourir, » le second veut dire « être déjà mort, » c'est-à-dire vivre comme si l'on était mort ; cette mort philosophique consiste dans la séparation tout idéale de l'âme d'avec le corps. Cicéron, Tusculanes, I, xxx : Tota enim philosophorum vita, ut ait idem (Socrates), commentatio mortis est. Et plus loin, xxxi : Secernere autern a corpore animum nec quidquam est quam emori discere.

— 3. C'est-à-dire les Thébains, les Béotiens. On doit se rappeler, un effet, que Simmias était de Thèbes.

— 4. Devant TOC; ~XWV àçpoSiciwv, sous-entendcz TtEpL — 5. ~'J(j.aTi'wv xrrfîziç, tournure élégante pour le simple, tjjKXTtx.— Aiaçspovxcov, « éclatants, magnifiques. »

Page 22 : 1. 'Eyyú; Tt XEÎVEIV rou ~xeOvâvai, prope ad mortem accedere.

— 2. 01 Tro'.r.-ra:. Olympiodore : Ilotr^à; XÉysi ~Ilapu.svi6r,v, ~'E(jwt £ - Soy.AÉa, 'EmyjxpiJ.civ. Ovxot yàp oùôèv ~àxpteà-, liyouat-v sïôévai XTjv ~aïaOr,ffiv, ~y.aOâTTEp 'Emxapnôç <pY)<Tt < NoÙ; ôpà XKt voûç àxovEi, 6' âXXa Tràvta xwçà xoti »

— 3. 'Eûkra yaipEiv xè ~awjxa, c'est-à-dire, « ne réclamant point le secours du corps, » mot à mot, « le laissant se réjouir, » ou, comme nous dirions familièrement, « l'envoyant se promener. »

Page 24 : 1. Olympiodore : ~«lùuapiav xa).EÏ ô TDâxwv TOXV ~rcepix- xôv, où ILÓVOV Èv ~Àoyotç, àXÀà xoù Èv içyoïç.

Page 26 : 1. ~'Ad/oXiav ayopiev çiXoaocpiaç irépt, c'est-à-dire, a nous


manquons de loisir ou de temps pour nous occuper de la philosophie. » - 2. Aûtti xK9' avxriv, « séparée en elle-même, < c'est-à-dire, comme la ligne suivante le montre clairement, « séparée du corps. »

— 3. Mï) ~xaOaptj) yâp fjir)~6E[J.t't"àv -Y,j, Cette pensée est reproduite par Plutarque et par Synésius.

~4. KxriO-acTÔai, mis pour l'infinitif futur ~xxYiffEffôat. Cette construction est fréquente après les verbes qui ont la signification de « croire, espérer, s'attendre à, etc. » De même Isocrate, Panégyr.

XXXIX: 'Eàtciç ~ètjiiv exepov àicocrtYjvat. Voy. aussi Xénophon, Cyropédie, I, v, 9.

Page 28 : 1. Teuxou, c'est-à-dire rQiù ~xsOvàvai, « la mort. »

— 2. El ôiaêéëXvivxai TM ~dwjjLaxt. Il faut bien distinguer les deux sens différents et même opposés de la voix active et de la voix moyenne.

~AiaêàXXeiv xtvà xivi ou Tupoç xiva, « rendre quelqu'un ennemi d'un autre; » ùicr £ 6jj.eabui nvt ou'rcpâç xt, « devenir ennemi de quelqu'un ou de quelque chose, haïr quelque chose. »

Page 30 : 1. K6crptot est ici à peu près synonyme de ffw<ppovs?.

Page 32 : 1. My) y.a0ap(j.6ç xiç -Y,j. La purification était le premier degré d'initiation aux mystères. Il y avait, selon Théon de Smyrne, binq

— 2. 'Ev popêôpw ~xeterexat. Cette expression est empruntée, au dire des commentateurs, à un chant mystique dont Orphée passait pour être l'auteur.

~Qapxixovç. — Bixyot était sans doute le nom des prêtres des mystères.

~NâpÔY]? est le bâton que l'on portait dans les orgies. — Fischer interprète avec raison : Multi prse se ferunt amorem et studium philoswphix, sed pauci s-unt vere philosophi.

Page 34: 1. "Ocotç. avxo. Remarquez ce changement de construction , du pluriel au singulier. Àùxo est, sans aucun doute, pour «ûxwv exarrov.

Page 38 : 1. Oùô' àôîxwç , « nous avions raison de


reconnaître. » En effet, dans ~Sixauoç ÃÉYEtV, Stxaiwç est synonyme deopôw;, recte.

— 2. ~'Avaxap-itTsiv, faire tourner son char autour de la borne ; xajx7tr|v îrotEÏdôat, parcourir de nouveau le stade en revenant sur ses pas, ce qu'on appelait Spojioç 6 lv ~xapwrîi; c'était la. seconde partie de la course.

— 3. ~TEXsuTôSvTa, le participe au lieu de la locution adverbiale TEXOÇ. tandem.

— 4. Anaxagore, de Clafzomène, pensait que tous les éléments étaient autrefois un mélange confus où l'esprit avait plus tard apporté l'ordre. Il avait écrit, pour défendre cette opinion, un livre dont voici

Page 40 : 1. ~KaxïiyopEï est sans doute employé ici avec le sens d'un impersonnel : « Il est prouvé, il est clair. »

— 2. ~'Amareïv signifie ici « douter, » plutôt que a ne pas croire., » Page 42 : 1.. OÙxovv otaoct ÔTI 01 ~èpaorai. Comparez Maxime de Tyr, Dissert. VIII et XVI.

— 2. TTIO XpÓvov xdt Toù pi STUOWTCEÏV, propter temporis diuturnitatem, et propterea quod, etc.

— 3. EÏTE TI ÉXXSWTST ÈXSTVOV. ~'EXXEITCEIV T( nvoç, aliquo esse in aliqua re inferiorem vel deteriorem.

Page 44: 1. Tou 8 ~ECTTIV 'tO"ov, c'est-à-dire Toù ÔVTWÇ "Lcrov ôvxoç.

Nous verrons plus bas, ch. XLI : 'H oùcrîa ~I/outra ~TTJV E7twvu[j.iav, 't"T¡v toù 3 Éffxi. Pour l'emploi de l'article avant un pronom relatif, voy. Matthiae, 287, 1.

Page 46 : 1. OùSèv ~DÉXX' 9j àva;j.i[j.vr]<rxovTat. Cette tournure s'explique en sous-entendant après oûôèv aklo le verbe ranousi.

Page 48 : 1. Tà. ex TWV AÎCRÂÏJFFEW-V, a la même valeur que plus haut Ta Èv odc<9Y](TECTiv.

— 2. 'AHutç prend ici. la signification du latin frustra.

Page 50 : 1. faire obstacle, embarrasser, » est employé de même dans Démosthène :. 'Eàv èvarii n.

Page 52 : 1. Ta TÛV TIATSEUV, id quod pueri faciunt, à peu près comme plus haut, au chapitre précédent, TO TÛV TOXXÔV.

— 2. Le verbe àva7tEÎ0Eiv ne doit pas se confondre avec le simple •TCEI&ÊIV. Il signifie « faire accepter à quelqu'un une autre opinion que celle qu'il avait; lui en donner une meilleure. » - MàXXov ôi, vel potius, sens-fréquent.


— 3. Et trot ïjôo[i,év(i> ècrw. On dirait de même en latin si tibi volentiou libenti est. Au commencement du Cratyle :E'i uot ~pGu),o|j.sv(p £ <TTÎV.

— 4. Tà Se allor, aÀÀwç. Sous-entendez èxcma.

Page 54 : 1. Te CE xôv ~TIOXXWV xaliôv. On peut ici sous-entendre TC £ pi- Cette construction se trouve encore ailleurs dans Platon. Au.

ch. XVI du livre V de la République, on lit : Tt 8s yîjç TS "1L1]crEwe; Tîj; ~'EXXrivixriç ~VJÛ oîxiwv ÈY.NP-FAMÇ ; Et au commencement du liv. VII : Ti cÈ TWV ~mxpaçepojiivwv ; Voy. Matthias, 342.

— 2. ~ToSemiXai ~eXéyoj/.ev. Voy. ch. x et suivants.

Page 56 : 1. '/O),tp 'ai izctvxi, prorsus, omnino.

Page 58 : 1. 'Aypiwv spwTwv, c'est-à-dire « les désirs violents, les passions sans frein. »

2. ~6.ttiyova'or.. Remarquez la négligence de la construction. Il faudrait ~ôiayoucrfl, comme on a plus haut àTtYiXXay^sv-fi. Ces exemples sont assez fréquents, mais surtout chez Thucydide.

Page 64 : 1. Totroùtov est pris ici avec la valeur d'un diminutif, et ne signifie pas « tant, » mais « si peu. » Les Latins employent quelquefois tantum avec une nuance semblable.

Page 66 : 1. OL Siv-aiwç çnXo(jia0 £ ïç, comme Ot ôpGwç ou wç O;À'1j6w; <ptÀÓcroCPOt.

— 2. 'Ev TOIJTW ne se rapporte pas à TW XOYKÏEUÔ, mais est expliqué par les mots suivants : ~àXï)0éç. 0 £ M|jiv7i, etc.

— 3. Oùôèv OELVQV (L1] 1 non est periculum ne, «il n'y a pas de danger que..» — 4. Après ~Ta ley^évxa., sous-entendez Soxsï.

Page 72 : 1. MÉVTOI est ici affirmatif, comme l'est quelquefois aussi le latin vero.

— 2. Où ~cpaùXto; êoixev àirTO(jivw tov ÀÓyov, non male videtur meam disputationem reprehendere, impugnare.

Page 74 : 1. TVjv çuciv "Vijç àaOevetaç, pour l'expression simple TYJV à«r0év £ tav.

— 2. AÙTO se rapporte à rrçv exprimé plus haut.

à L'esprit d'en dire autant, j'en dirais volontiers autant. »

— 2. ~0au[xao"rwç ytip ~ji.ou. y.al.aEt. Miriftcenunc, utjam semper antea, me capit, ita ut ab altera Ma sententia quasi abstrahar et abducar.

Page 78 : 1. ~'Aîtoxepeî-, detonderi tibi jubebis. Les anciens faisaient, couper leurs theveux en signe de deuil.


mtioni de omnibus in utramque partem disputandi. operam na- vant.

— 2. L'Euripe, détroit entre la Béotie et l'Eubée, éprouvait, diton, le flux et le reflux sept fois par jour.

— 3. ~ETaptsvai êLÇ TI¡v ~u~Y~, « se bien mettre quelque chose dans l'esprit. D Page 84 : 1. ~Toiovkov èttiv, cr ~à7reixàÇeiç. Ellipse, au lieu de: Totoutov èffttv, otov èxsïvo, !jJ àTreixàÇsiç.

Page 86 : 1. Aùxîjç àmv, ad eam pertinet.

— 2. 'Evavrîa a ici le sens de secus ou contra, et doit se joindre aux verbes ~xtv-/i0^vai ri <p9éyi;ac70.ai.

Page 90 : 1. Le régime tocïç 7«0v(natç dépend du verbe àratXoùiTa, et non pas de vov6£'t"Oùcror., qui veut l'accusatif.

— 2. Homère, Odyssée, XX, 17.

— 3. "H xa0' àpjxoviav, quam ut cum harmonia comparari possit. , 4. Tov toû Ka.°lLoV ÀÓyov. Cébès était Thébain, et, par conséquent , descendait de Cadmus.

Page 92 : 1. 4>aùXoç, ne signifie pas ici « vil, de peu de prix ou de peu d'importance, » mais a facile, aisé à expliquer, à résoudre. »

Page 94 : 1. CIQç xiveç sXsyov. C'était l'opinion des philosophes ioniens, et en particulier d'Anaxagore et d'Archélaüs. Diogène Laërce, II, ix, en parlant d'Anaxagore : ( "EXsys)tûa ~yevéerôat it

— 2. Opinion d'Empédocle. Voyez Plutarque, de PlaciL Philos., IV, v, et Cicéron, Tusculanes, Iv ix. — "H ô à^p. C'était l'opinion d'Anaximène, de Diogène d'Apollonie, et de plusieurs autres philosophes. Voy. Plutarque, de Placit. Philos., Ir m et II, IV, et Aristote, de Anim., 1, h. — "H to uûp. Opinion d'Héraclite et de ses disciples.

Yoy. Aristote,. de Anim., I, n.

— 3. £ 2; oOSÈv ypyjfxa, « autant que personne au monde. »


Page 96 : 1. IloTepov •/] yjj 7tXa7 £ Ïà sctiv, etc. Déjà, avant Anaxagore, deux philosophes, Anaximandre et Anaximène, avaient été d'opinions différentes au sujet de la forme de la terre, que l'un croyait plate et l'autre ronde.

— 2. 'Ev (j.s(7w Eivat. C'était l'opinion de l'école ionienne et de celle d'Élée.

Page 98 : 1. ~Aiasuod, sunt ossium commissurœ et quasi incisura', ut loquitur Cicero de Nal. Deorum, II, LV.

— 2. <I>wvàç Ts xKt àépaç, etc. Voy., sur ces opinions ridicules, le traité de Plutarque, de Placit. Philos.

— 3. Les amis de Socrate lui avaient conseillé de fuir à Mégare ou en Béotie.

Page 100 : t. Tov SSUTSPOV ÎTXOÙV. Cette expression s'employait pour désigner une tentative nouvelle, après une première qui n'avait pas eu de succès.

Page 102 : 1. Après Ëxov, sous-entendez èrrzi.

Page 104 : 1. Tépaç s'emploie souvent en philosophie pour exprimer une chose absurde ou impossible.

Page MO : 1. 'ATIXW;, « simplement,t c'est-à-dire, « sans exception possible. »

Page 112: 1. "Eoixe ~ôexojiévoi;. 1) Û7î £ xy_a)po\ma. Remarti changement de construction. Il faudrait régulièrement ïtot th ~(Aévot;, ï] ~uTiex/wpoîiat, dépendant de EOtXE. Platon met le nominaul, comme s'il y avait le verbe çatvexai.

— 2. Trjv Toù àpxîou. Sous-entendez tSéav ou p.opçrjv.

Page 114 : 1. Il faut expliquer comme s'il y avait : To fxèv <XJJ.OV<TOV, Se âStxov.

Page 116 : 1. TOUTOU ye svexa, quantum quidem ad id attinet.

Page 118 : 1. 'Ev 4) xaXoùjxev TO , c'est-à-dire Èv M EVECTT TOÙTO, a ~XAXOÙ[J. £ V ÇYJV.

— 2. Tov TtavToç ~àr.a}lajTi, ab omnibus discessio, non solum a corpore ; car àTraXXayr, est dérivé du moyen ou du passif àiraXXàTTsc6ai ,et non de l'actif ~àiraXXârreiv.

— 3. ~AéysTat Se OUTW;, wç âpa, etc. Voyez des récits du même genre que celui qui suit, à la fin du Gorgias, et au livre X de la République.

Page 120:1. Empédocle avait soutenu aussi cette croyance au retour futur des âmes dans un corps.

— 2. OvX rXaûxou TÉ^VY]. Proverbe que l'on appliquait à tout ce


'qui n'exigeait pas beaucoup de génie ni de perspicacité ; on n'en connaît pas positivement l'origine.

Page 122 : 1. MÉXpt ~'HpaxXsi'wv oty)Xwv Iho "MatSoç, c'est-à-dire-, « les habitants de l'Europe. » On croyait assez généralement que l'Europe était bornée à l'orient par le Phasis, fleuve de la Colchide.

Page 126 : 1. Aî<y9rjffeiçT(3v ôewv, se rapporte sans doute aux visions et aux songes.

Page 128 : 1. "Orcsp "OIL'1jPO'Ç eTTO. Voy. Iliade, VIII, 13.

Page 132 : 1. ~MsTaui^ov OL-JTQXÇ , quum eos pœnituerit.

Page 134 :1. 'H sÊfj.apfj.évï], « la destinée, le destin, à la loi duquel tous les êtres sont soumis." C'est le participe du verbe ~\i.dçw, divido, parfait passif fj.éfji.ap[juxi, et suivant les attiques ~Etfj.apfj.at. Du parfait moyen du même verbe ( ~ILÉILOPCt) se forme aussi le substantif fxoïpa, qui a la même signification à peu près que dlLCtPlLév'1j 1 « la parque, la destinée, la fatalité, » et ~ILÓpoÇ, d'où le latin mors et le français « mort. » Cicéron, de Nat. Deor., I, xx, explique ainsi le sens de ce mot : Hinc nobis exstitit primum illa fatalis necessitas, quam Et~(jLapfxsvTiv dicitis: ut, quidquid accidat, id ex externa veritate causarumque continuatione fluxisse dicatis. (Thurot.) — 2. <PO:(1J âv àvrjp tpay«o;. Je serais porté à croire que Socrate fait ici allusion au passage suivant de l'Alceste d'Euripide, v. 252 et suiv. C'est Alceste qui parle :

On connaît l'imitation que Racine, a faite de ces vers, dans la préface de son Iphigénie en Aulide: Je vois déjà la rame et la barque fatale; J'entends le vieux nocher sur la rive infernale.

Impatient il crie: « On t'attend ici-bas ; Tout est prêt; descends, viens; ne me retarde pas." (Thurot.) Page 136: 1. ~0a7rTOfj.ev Se xîva ce ~xpÔTiov ; Cicéron rapporte tout ce passage du Phédon dans les Tusculanes, 1, xliii : Quum enim de immortalitate anirnorum disputavisset (Socrates) et jam moriendi tempus urgeret, rogatus a Critone quemadmodum sepeliri vellet: il Multam vero, inquit, operam, amici, frustra consumsi: Critoni


'fmÙn nostro non persuasi, me hinc avolaturum, neque quidquam relicturum. Verumtamen, Crito, si me assequi potueris, aut sicubi nactus eris, ut tibi videbitur, sepelito. Sed, mihi crede, nemo me vestrum, quum hinc excessero, conseqùetur. » (Thurot.) Page 138:1. 'Oc; uatzXoç à ~àvOpomoç. 'Acruetoç formé du mot KTTu, qui signifie « ville, » exprime ici une sorte de bienveillance, d'égard .et de_politesse qui caractérise plus particulièrement les habitants des 'villes. Quelquefois aussi il signifie enn, rusé, plaisant, etc.,» en Vertu de la même analogie. De là les mots latins astutus, astutia, et les mots français « astuce, astucieux. » (Thurot.) Page 140: 1. ~OùSà SiaçSsîpaç. TrpoçwTrou. Le verbe SiacpÔeipsiv ne peut être suivi du génitif qu'en vertu d'une ellipse. Cette ellipse est complétée par Plutarque dans la phrase suivante, qui reproduit presque littéralement celle de Platon : '0 Se ÏXewç ~y.ai Ttpâoç,~Tpéaaç,

(Thurot.) Page 142 : 1. II~vjYVUTro. Ce mot exprime l'effet de la ciguë sur le sang, qui s'épaissit et se coagule. Pline le dit expressément, XXV, xin : Semini et foliis refrigeratoria vis: quœ si enecat, incipiunt algere ab extremitatibus corporis. Semine trito expressus (suceus), et sole densatus in pastillos, necat sanguine sp issando.

Hsec altera vis. Et ideo sic necatorum maculée corporibus apparent. (Thurot.) — 2. T0 'A~cy.Àïiutw ÔrpELÀolLEV à~Xewrpviova. On a beaucoup écrit sur ces dernières paroles de Socrate, et on a expliqué de cent manières différentes ce sacrifice d'un coq à Esculape, ce qui prouve que personne n'a jamais su ce qu'il pouvait signifier. Les défenseurs du christianisme, dans les premiers siècles de l'Église, comme Lactance, Tertullien, etc., firent grand bruit de cette prétendue faiblesse de Socrate, et triomphaient de ce que le plus sage des Grecs avait donné, dans ses derniers moments, des preuves de la superstition la plus ridicule ; mais il paraît assez évident qu'ils ignoraient absolument dans quel sens on devait prendre ces mots de Socrate, qui n'étaient peut-être qu'une plaisanterie innocente du philosophe, qui, se voyant délivré par la mort de tous les maux de l'humanité, ordonnait de faire au dieu de la médecine le sacrifice qu'on lui faisait ordinairement. (Thurot.)