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Titre : Philippe d'Orléans-Égalité : monographie / par Auguste Ducoin,...

Auteur : Ducoin, Auguste (1815-1894). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1845

Sujet : Orléans, Louis Philippe Joseph d' (1747-1793)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30365782f

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (356 p.) ; in-8

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Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6213620q

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LB41-894 (A)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 09/04/2012

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ÉTUDES RÉVOLUTIONNAIRES.

PHILIPPE D'ORLÉANS-ÉGALITÉ

MONOGRAPHIE

PAR

M. AUGUSTE DUCOIN.

Un volume in-8, de 356 pages.

L'histoire de PHILIPPE D'ORLÉANS ËGAUTÉ, par M. Auguste Ducoin, est certainement l'une des Études les plus intéressantes et les plus curieuses qui aient été publiées sur l'époque révolutionnaire. C'est ce que les journaux de toutes les opinions, qui ont rendu compte de ce livre, ont été unanimes à reconnaître, comme le prouvent les extraits suivants, qui feront juger du mérite de l'ouvrage bien mieux que tout ce qu'on en pourrait dire ici.

L'histoire a le droit d'être sévère envers Philippe d'Orléans-Égalité. Un nouvel historien se présente : il retrace avec impartialité et une indignation souvent contenue cette vie qui, commencée dans la débauche, enfante l'anarchie et expire sur l'échafaud. L'ouvrage de M. Auguste Ducoin est grave, profond ; il produira une grande sensation parce qu'il ne s'écarte pas de la vérité.

(M. LCBIS, France du 2 juin 1845.)

M. Auguste Ducoin est un des publicistes distingué du parti légitimiste.

Nous lui devons déjà une curieuse histoire de la Conspiration de 1816.


Cette étude sur Ph. d'Orléans se recommande par des qualités véritables : elle est écrite avec calme et de nombreux documents viennent l'appuyer.

Le style ne manque ni de fermeté ni d'élégance. Nous reconnaissons dans le talent de M. Ducom deux qualités très-rares : une certaine aisance pleine de naturel, unie à une sobriété sans sécheresse.

(Revue indépendante du 25 janvier 1846.) Ce volume est plein de faits curieux, de renseignements inédits'ou trèspeu connus. L'ensemble de cette vie crapuleuse, qui débute au sein des orgies et s'achève sous le couteau ne change guère d'aspect, alors même qu'on la voit fouillée dans ses plus intimes profondeurs par le burin acharné de l'histoire. Mais ce travail ne manque cependant ni d'un sombre intérêt, ni d'une haute moralité.

(Old Nick, (M. FOUGUES), National du 25 septembre 1845.) L'auteur de ce livre n'est pas un de ces écrivains qui spéculent sur le scandale et recherchent dans un sujet moins l'intérêt qu'il présente que le but qu'il peut produire. C'est un esprit naturellement modeste, laborieux, recueilli, et dirigeant ses études vers quelques points de l'histoire contemporaine. Ce qui distingue les travaux de M. Auguste Ducoin, ce sont des recherches consciencieuses et un travail préliminaire sur les sujets qu'il traite. Il ne s'en tient pas aux documents qui sont à la portée de tout le monde et qui suffiraient [à défrayer une compilation ordinaire ; il se met en quête de matériaux nouveaux, remonte aux sources et souvent fait des rencontres heureuses. Ainsi dans toute la partie de son livre qui se rattache à la captivité du duc d'Orléans, et à son séjour dans les prisons de Marseille, il fournit des détails inédits et des particularités que l'on chercherait vainement ailleurs.

(M. Louis REYBAUD, Charivari du 7 août 1845.)

Cette monographie a été écrite avec la gravité de l'historien et non avec la passion du pamphlétaire. Elle a été inspirée par un sentiment de réaction contre d'absurdes tentatives de réhabilitation d'une renommée déjà flétrie par l'histoire ; du reste, cette réaction n'emporte pas l'auteur audelà des bornes de la justice et de la vérité. M. Ducoin ne déguise aucune des turpitudes de cet homme qui ne trouva que la honte et le supplice au bout du chemin de fange par où il espérait arriver au trône. Il résulte de la nécessité même de ce sujet des tableaux dont la plume la plus chaste ne pouvait voiler entièrement la dégoutante nudité. La monographie de Philippe Égalité ne peut pas plus être mise dans toutes les mains que


les biographies de Caligula, de Néron et d'HéliogabaIe ; mais il faut bien pourtant que les hommes graves, arrivés à la maturité de l'âge, soient initiés à tous les faits de l'histoire, même à ceux qui étonnent la pudeur et révoltent la morale la moins austère. Il y a aussi d'utiles enseignements dans la peinture du vice. C'est ainsi que Tacite et Juvénal ont voulu agir sur leur siècle dégénéré, et qu'ils ont mérité leur renommée d'écrivains probes et austères.

Le style de M. Ducoin est simple, rapide et vigoureux. Son livre restera comme un précieux document dans le procès historique dont on a maladroitement demandé la révision.

(M. Charles Lenormant, Correspondant du 25 août 1845.)

Le livre de M. Auguste Ducoin restera. Il n'est pas seulement rempli d'intérêt, il est souverainement instructif. Il serait à désirer que la vie des hommes dont l'histoire peut servir d'exemple à notre génération fût dévoilée avec le même courage. Ainsi seraient rectifiés les jugements publics sur la grande époque révolutionnaire. Le malheur des peuples dont le caractère est mobile est d'être livré aux impressions des partis lorsqu'ils ont à juger le passé. Le crime a des apothéoses et la vertu a des flétrissures ; alors la conscience se trouble et l'admiration s'égare. C'est à l'histoire à redresser ces erreurs. Par elle la justice est éclairée, la gloire cesse d'être douteuse, l'infamie éclate, les noms purs sont honorés, l'innocence est vengée. Tacite éclairait et consolait le monde, en punissant par ses récits les tyrans qui avaient, disait-il, pensé abolir la conscience du genre humain.

(Quotidienne, du 16 juin 1845.)



ÉTUDES

RÉVOLUTIONNAIRES.

PHILIPPE D'ORLEANS - EGALITE.



r ÉTUDES RÉVOLUTIONNAIRES.

PHILIPPE DMLEM8 - EliALITË.

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:. ': PAR AUGUSTE DUCOm, j-~ ~ul Didier, histoire de /o cc'M~-a/n t8]6.

OVVRAGE CONTENANT DES DOCUMENS INÉDITS SUR PHILIPPE D'ORLÉANS.

ORNE D'UN FAC-SIMILE.

part*,Oo

G.-A. DENTU, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, RUE DE IHJSSJ, ? ïy ; et Palais-Royal, galerie vitrée, n° 13.

1845.



I.

Louise-Henriette de Bourbon-Conti a laissé dans les Mémoires du siècle dernier un détestable renom de cynisme et d'impudicité. Ce que, dans son vers immortel, Juvénal raconte des nocturnes promenades de Messaline, rapportant au matin dans la couche nuptiale l'odeur du lupanar, lupanaris odorem, les contemporains l'ont dit de Louise de Bourbon.

Lorsque cette princesse mourut, on trouva sous le chevet de son lit une cassette remplie de chansons dans lesquelles l'honneur conjugal était odieusement outragé : après avoir partagé ses caresses entre tous les libertins de la cour, Louise de Bourbon avait voulu donner au due d'Orléans, son mari, d'irrécusables preuves des souillures de sa vie.

Le duc fut le premier à rire de ce testament, et quelque temps après il épousa une de ses maîtresses, Mme de Montesson.


Cette union fut célébrée dans un noël du temps, attribué à Camille Desmoulins : Pesant quatre cents Livres, Monseigneur d'Orléans Parut, quoiqu'il fut ivre , Avec ses courtisans.

Il comptait ses chagrins Au prélat de Toulouse: « Voyez, disait-il, nos destins, « Mon fils vit avec des catins, « Et moi je les épouse ! M

Ce n'est pas que pour cela le duc d'Orléans eût dit adieu à l'épicuréisme, aux folles nuitées et aux débauches d'esprit. Dans la seconde moitié de sa vie il s'était passionné pour le théâtre. Collé l'amphigouriste, qu'il avait fait son lecteur, rimait pour lui des pièces grivoises dont les sujets étaient empruntés aux plus graveleux contes de la Fontaine. C'était à Bagnolet, où le duc d'Orléans avait un théâtre, qu'on jouait ces parades, devant des prélats, des femmes de la cour, et quelques courtisanes qui s'y laissaient voir en loge grillée. Puis, toujours insouciante et rieuse, cette société si diversement mêlée allait à Pantin revoir les mêmes pièces, chez la Guimard, que Marmontel appelait la belle damnée; là seulement c'étaient aux prélats et aux femmes de cour qu'étaient réservées les loges grillées ; les courtisanes et les danseuses de l'Opéra se voyaient dans la salle, avec les jeunes seigneurs muguétant autour d'elles.

C'est à cette époque que naquit, au palais de


Saint-Cloud, le 13 avril 1747, Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. Ce prince reçut le nom de duc de Chartres, titre accordé par Louis XIV au fils du régent, et transmissible, par ordre de primogéniture, sur la tête des enfans mâles de la branche cadette des Bourbons. La légitimité de Louis-Philippe fut contestée, dit-on, le jour de sa naissance même, par son aïeul, qui ne voulut pas reconnaître le sang du régent dans l'enfant de Louise de Bourbon. Les désordres de la duchesse d'Orléans autorisaient cet outrageux soupçon, qui a gardé jusqu'à nos jours une certaine apparence de vérité.

Voici le portrait qu'un contemporain, l'historien Montjoie, a tracé du duc de Chartres : « Louis-Philippe-Joseph était bel homme, dans « toute l'étendue du sens que l'on peut donner à « cette expression. Sa taille, au-dessus de la mé« diocre, avait des contours gracieux, et nul défaut.

« On ne saurait être mieux fait qu'il l'était dans la « partie inférieure du corps, à partir de la ceinture.

« Le reste de sa taille s'était un peu épaissi dans les « dernières années de sa vie, mais cet embonpoint « ne lui donnait pas mauvaise grâce. Il portait fort « bien la tête, et savait, quand il le voulait, donner à « sa contenance de la dignité. Tous les traits de sa « physionomie étaient dessinés avec régularité, mais « sans vigueur; ils présentaient plutôt l'image d'une « âme efféminée que d'un cœur mâle. Ses yeux bleus, « ni trop grands ni trop petits, avaient plus de lan« gueur que de vivacité. Son front s'était de bonne


« heure dégarni de cheveux ; ce défaut n'avait rien de « trop désagréable, et dépouillait son regard de cet air « de dureté que donne toujours un front rétréci par « une chevelure épaisse. Je dirai, en passant, qu'il « fut un temps où l'engouement pour ce prince alla « au point que les jeunes gens se faisaient épiler le <( front pour avoir au moins un trait de ressemblance « avec le duc de Chartres. Il avait d'ailleurs les « dents assez belles, la peau d'une blancheur et « d'une finesse peu communes.

« Lorsqu'il parlait, le sourire était presque tou« jours sur ses lèvres. Il dansait avec grâce, nageait « fort bien, et excellait dans l'art de l'escrime ; en « général, il se tirait avec adresse de tous les exer« cices du corps, qu'il préféra toujours à ceux de « l'esprit (1).» Aucun homme, dans le siècle dont nous parlons, n'était né sous une plus heureuse étoile que le duc de Chartres, car il avait pour lui le rang, les richesses, et ces inappréciables trésors de la nature, la force et la beauté. Il eût pu donner beaucoup aux plaisirs, aux passions, et rester encore le modèle de la statuaire, aux formes nerveuses et puissantes, pleines de sève et de vie; mais deux choses manquaient à cet homme, le cœur et l'âme : aussi perdit-il bientôt cet éclat de grâce et de fraîcheur qu'on admirait en lui. Sa figure se couvrit de boutons et d'efflorescences, honteux indice d'un sang vicié et

(I ) Histoire de lu conjuration du dur. d'Orléans, t. 1, p. >8.


appauvri ; ses traits se flétrirent, l'élégance de son corps s'altéra ; et bien qu'il sût retrouver, quand il le voulait, une certaine dignité de maintien et les bonnes manières d'un grand seigneur, ses allures étaient souvent grossières, sa bouche pleine de jurons, et sa physionomie sans autre reflet que l'hébétement ou les faux jours de l'hypocrisie.

L'éducation de Philippe s'acheva au lit d'une courtisane, la Duthé, que dans sa paternelle sollicitude le duc d'Orléans lui donna pour maîtresse, espérant le préserver ainsi des vices funestes, et des dangereuses contagions. C'était là toute la morale du temps. Dès ce jour, la Duthé gagna une grande vogue parmi les libertins de la cour. On se disputa ses caresses; le comte de Genlis se ruina pour elle, et milord d'Aigremont s'estima heureux de ne payer que deux mille pistoles une de ses nuits.

C'est ainsi que commençaient les premières années du duc de Chartres. Bientôt écoutant au-dedans de lui ces hennissemens des cœurs lascifs dont parle Bossuet, aiguillonné par la dépravation de son époque, cédant au scandale par la facilité même qu'il avait à le satisfaire, le duc de Chartres passa du lihertinage itla débauche, et de la débauche aux crapuleuses orgies. Vers 1767, âgé de vingt ans à peine, Louis-Philippe était déjà le patron et le héros des roués de son temps. Comme il prenait soin de divulguer lui-même ses turpitudes, il avait acquis un renom d'impureté que n'égalaient pas les traditions des plus fameuses nuits de la régence, et que sur-


passaient seulement les souvenirs de la bestialité de Claude et des orgies de l'île de Caprée.

Ce que les Mémoires de l'époque ont raconté des divertissemens de ce prince ne saurait se redire.

Tantôt c'étaient des filles ramassées dans les plus immondes quartiers de Paris, et qu'on jetait nues, ivres de vins et de luxure, dans le parc de Mousseau; alors recommençaient entre ces bacchantes les mystères de la bonne déesse dont parle Juvénal : ici, c'était un souper de filles et de jeunes seigneurs avec des incidens de tenue et de libertinage impossibles à rendre en aucun langage honnête; ailleurs, une obscène comédie, semblable aux spinctries de Néron, lorsqu'il épousa aux yeux de Rome étonnée, Sporus, son affranchi.

Ces choses, qui se passaient dans le silence des nuits, au Palais-Royal ou à Mousseau, étaient racontées le lendemain par les héros de la fête ; et pour que personne n'ignorât des désordres du duc de Chartres, ce prince avait soin d'initier, autant que possible, le public aux secrets de sa vie. S'il se montrait au théâtre, ce n'était jamais sans rendre visite à quelques courtisanes fameuses; à Long-Champs, on le voyait galopper à la portière du carosse d'une fille entretenue; partout c'était une affectation de dérèglement et de scandale. Les vices qu'il n'affichait pas, il voulait qu'on les lui supposât; et comme il croyait perdus les jours qu'il passait sans débauches, il affectait de paraître s'adonner à d'éternelles orgies > lors même qu'en réalité il ne s'y livrait pas.


Un jour il trouva plaisant de faire prendre pour des filles de joie sa femme, sa tante, la princesse de Lamballe et les dames de leur suite : idée originale à laquelle les héroïnes de la fête se prêtèrent d'assez bonne grâce ; et cet étrange épisode de la fanfaronnade du duc de Chartres, il est raconté dans un écrit apologétique de ce prince, curieux ouvrage dont nous expliquerons plus tard la destinée : « Le jardin de Mousseau, à Paris, était désigné pour « la célébration des orgies. Le duc de Chartres vou« lant se donner l'air de les multiplier, imagina d'y « mener un jour sa femme, sa tante la princesse de « Conti, à laquelle certainement on ne prête pas de « ces manières, la princesse de Lamballe et les dames « de la suite des premières. Après le repas, pour don« ner plus d'éclat à cette partie, et plus facilement « le change sur les acteurs, le duc de Chartres, alors « en deuil et en habit de visite, monte en postillon « à la tête de huit chevaux, la princesse de Lamballe « se place en cocher sur le siège, la duchesse de « Chartres dans la voiture, la comtesse d'Hunolstein « derrière en laquais, parcourent ventre à terre tout « le faubourg Saint-Honoré, remontent de même vers «la barrière de Chaillot, et rentrent à Mousseau « après avoir persuadé, par une marche aussi extra« ordinaire, que le duc de Chartres était en partie de « filles. La ville et la cour en murmurèrent; le duc « de Chartres, fier de l'erreur, s'en glorifia (1). »

( 1) Explication de l'énigme du roman de DJontjoie. lrc part., p. 28.


Après cela , faut-il s'étonner du renom que le duc de Chartres a gardé dans la mémoire de ses contemporains? A cette manie de déconsidération personnelle qu'affectait si impudemment ce prince, il est aisé de voir que tout sentiment moral était effacé chez lui. Pour rester grand et généreux, l'homme doit souffrir et se priver. Le luxe, les richesses, les faciles plaisirs, les continuelles satisfactions énervent et dessèchent le cœur; l'âme s'abrutit aux voluptés sans amour, et les bons instincts disparaissent dans le naufrage de la pudeur, de l'estime de soi et de la dignité.

Dans l'abjection où le duc de Chartres était tombé, tous les goûts un peu nobles avaient disparu ; ses plus innocens plaisirs étaient la chasse, les chiens, les chevaux, les traîneaux, les voitures, les fanfares et le bruit. Incapable de fixer son attention sur les choses sérieuses, et d'attacher son esprit aux grandes pensées, il détestait l'étude et la lecture : un livre, fût-il même un roman, lui faisait peur. En revanche, il fut le premier homme de distinction qui conduisit lui-même son carrosse : c'était une innovation importée de l'Angleterre, où il faisait de fréquens voyages. Aussi rien n'égala l'étonnement de Paris lorsque, aux fêtes de Saint-Cloud de l'année 1776, on vit le duc de Chartres tenant en main les rênes de son attelage, diriger avec beaucoup de dextérité, au milieu de la foule, la voiture de sa femme, la duchesse de Chartres.

Cette habileté dans l'art que Néron avait illustré,


a ttira sur le duc de Chartres les quolibets et les railleries : on reparla de Louise de Bourbon, de ses indignes amours, de Lefranc le cocher, et les doutes sur la légitimité du prince Automédon se réveillèrent avec plus de malignité que jamais.

C'est à l'Angleterre que le duc de Chartres emprunta aussi les courses de chevaux et les paris ruineux. Hors de l'hippodrome même, il pariait à tout propos ; mais ses paris avaient souvent quelque chose de suspect. On eût dit que, habile à amener ses contradicteurs sur la question dont il voulait faire l'objet d'un doute, il en connaissait d'avance la solution.

Sa délicatesse au jeu fut également soupçonnée; il avait pris des leçons du célèbre prestidigitateur Cornus, et son adresse à filer la carte lui suscita plus d'une sérieuse querelle à Versailles et à Londres.

Ainsi que le régent, le duc de Chartres était curieux des choses surnaturelles, et aimait à consulter l'avenir. Amoureux de la nouveauté, comme tous les esprits faibles et irrésolus, il n'était pas d'invention qu'il n'encourageât ou dont il ne se fît le propagateur. Cette vanité d'initiative, il la poussa si loin que la plupart des charlatans de son époque se sont glorifiés de son patronage. En 1770, un médecin nommé Guilbert de Préval annonçait la découverte d'un spécifique pour se garantir de la contagion vénérienne; au grand scandale de la Faculté de médecine de Paris, Guilbert fit sur lui-même l'essai de son prétendu remède, et ce fut en présence du duc de Chartres qu'eut lieu cette honteuse épreuve.


Vingt-trois ans après, les tanneries de peaux humaines arrachées aux cadavres des suppliciés faisaient partie des moyens extraordinaires proposés à la Convention pour la défense du pays : à cette occasion, on cita Louis-Philippe comme s'approvisionnant de culottes de chasse à cette horrible fabrique (i). Entre ces deux extrêmes, il est facile de graduer une échelle de sottes inventions et de folles rêveries écloses sous l'inquiète pensée de Philippe d'Orléans.

Le duc de Chartres fut un des premiers à renoncer à la poudre, à porter des pantalons et à mettre les bottes à la mode pour costume de ville; il fut l'introducteur en France de toutes les habitudes anglaises qui désolaient Louis XVI, ennemi déclaré des mœurs et des idées de Londres.

Ce n'est pas que cette manie de nouveauté n'ait eu quelquefois d'heureux résultats. Le duc de Chartres affectait d'aimer le commerce et les arts industriels ; il encouragea même plusieurs expérimentations et découvertes utiles. C'est à lui qu'on doit l'art de polir l'acier, procédé dont l'Angleterre s'était jusqu'alors réservé le monopole; ce fut sous ses auspices que le chimiste Darcet fonda à SaintDenis une fabrique de soude factice, la première qui ait été exploitée en France. Il est vrai que cela se passait au 14 juillet 1789, et que souvent on voit

( i ) Rapport de la commission des moyens extraordinaires pour la défense du pays, août 1793.


percer sous les dehors patriotiques de Philippe d'Orléans, une arrière pensée de spéculation, de lucre ou de popularité.

N'était-ce pas dans ce but et pour attirer à soi les dispensateurs de la renommée, plutôt que par amour des belles-lettres , que , fidèle continuateur des traditions du régent, Louis-Philippe accueillit les écrivains et les encyclopédistes de son temps? Si Mesmer et Cagliostro furent admis dans sa maison, Grimm, Laharpe, Marmontel, Palissot, d'Alembert, Diderot, Condorcet, Volney, Buffon, Collé, la Condamine et Ségur s'y rencontrèrent aussi; c'était alors la belle époque du Palais-Royal. A la veille de mourir, Voltaire le visita, appuyé sur le bras du marquis de Villette; et courtisan jusqu'au bout, il trouva que le jeune duc de Valois (aujourd'hui LouisPhilippe) ressemblait au régent. Trois années après, les œuvres de Voltaire se vendaient secrètement dans le palais de Philippe, pendant que la maréchale de Luxembourg colportait sous le pan de sa robe ducale Y Emile, cette œuvre immortelle d'un autre démolisseur du siècle dernier.

Les mêmes grands seigneurs qui réchauffaient à leurs foyers la redoutable armée des encyclopédistes, se pressaient aux loges maçoniques, car la francmaçonnerie était encore l'un des passe-temps de ce siècle. Le due de Chartres avait été nommé grandmaître; il voulut que sa femme fut franc-maçonne; et le 28 février 1770, l'affiliation de cette princesse se fit en grande pompe à la loge de la Folie-Titon,


au milieu d'une prodigieuse affluence de personna ges les plus éminens.

Cette jeune femme, que, suivant l'expression d'un écrivain moderne (1), le duc de Chartres « avait forcée de paraître tremblante et chrétienne dans une profane assemblée de francs - maçons, » était Mlle de Penthièvre, sœur du prince de Lamballe, et petite-fille du comte de Toulouse, enfant naturel de Louis XIV. C'était sur la tombe du prince de Lamballe que le mariage du duc de Chartres avait été conclu; car pour songer à Mlle de Penthièvre, Louis-Philippe avait attendu que le frère de cette princesse eût ressenti les premières atteintes du mal qui le devait tuer. Alors, la perspective de pouvoir recueillir le plus beau patrimoine de France, arracha Louis-Philippe à ses plaisirs, et changea subitement les dispositions du duc d'Orléans. Déterminé à demander Mlle de Penthièvre en mariage pour son fils, le duc chargea M. de Choiseul de cette négociation.

Mais comme la famille d'Orléans ne voulait de Mlle de Penthièvre qu'autant que le prince de Lamballe viendrait à mourir, l'affaire, entamé par M. de Choiseul, eut des alternatives de rupture et de raccommodement, selon que l'espérance ou le désespoir

(1.) M. Jules Janin, Barnave.


apparaissait au chevet du malade. On peut lire dans les Mémoires du baron de Bezenval, un ami de la famille d'Orléans, le récit des préliminaires de cette union deux fois rompue et deux fois reprise. Il est curieux de voir mis à nu la cynique indélicatesse de la maison d'Orléans, l'indignité des moyens employés pour se rapprocher de Mlle de Penthièvre, ou pour l'abandonner, et tous les incidens de cette affaire d'argent, soumise aux chances aléatoires de la longue agonie du prince de Lamballe.

Le nom du duc de Chartres est effacé dans le récit du baron de Bezenval ; il ne l'est pas de même dans tous les Mémoires du temps. On soupçonna que, pour réunir l'héritage des Pcnthièvre sur la tête d'une fille unique, le duc de Chartres, qui riait de la mort de ses compagnons de débauche, avait hàté la fin prématurée du prince de Lamballe, par d'impures provocations. Cette accusation est monstrueuse : l'histoire, dit M. Laurentie, hésite à la répéter, si ce n'est qu'elle peint la renommée du prince : ainsi, le mensonge même a de l'autorité (1).

Le mariage du duc de Chartres avec Mllc de Penthièvre fut célébré àVersailles, au mois de mai 1769.

Dix ans après, la duchesse d'Orléans avait eu six enfans, dont il reste aujourd'hui Mlle Adélaïde et le roi Louis-Philippe.

(t Histoire des durs d'Or/ra/is, tome IV, p. 15.


La page la moins indigne de la jeunesse du duc de Chartres est précisément l'épisode qui a été le plus vivement attaqué : nous voulons parler de la campagne navale de 1778, et du combat d'Ouessant. Les rapports officiels et les documens historiques offrent la preuve que ce prince se conduisit honorablement dans cette journée célèbre, si toutefois il faut rejeter sur un malentendu la faute qu'on lui a reprochée de n'avoir pas, dans un moment critique, exécuté les signaux du vaisseau amiral. Mais le puéril empressement avec lequel le duc de Chartres se hâta, à peine descendu à terre, de courir à Paris pour se montrer à l'Opéra et s'y laisser couronner de lauriers, fut la première cause des chansons et des épigrammes lancées contre lui. Puis, par une conséquence d'exagération toute naturelle, les fautes du combat — il en avait été commis -lui furent attribuées; quelques courtisans ne voyant pas sans un secret sentiment de jalousie un prince du sang conquérir la popularité, attisèrent le feu; et le public, après s'être moqué de l'ostentation de Louis-Philippe à faire parade de ses exploits, finit par croire qu'il s'était caché à fond de cale pendant le combat. Il est vrai de dire que, par la déconsidération de sa vie, le duc de Chartres était lui-même le premier artisan des calomnies qu'il ne fit qu'accréditer encore en demandant, peu de temps après, comme une récompense de ses campagnes navales, le grade inconnu de colonel-général des hussards et troupes légères.

Entré dans la marine en 1772, avec l'espoir d'ob-


tenir la survivance de ia charge du duc de Penthièvre, grand-amiral de France, ce n'était pas au bout de six années de service effectif ou supposé, après avoir été chef d'escadre et vice-amiral, que le duc de Chartres devait subitement rompre cette carrière, au moment où sa bravoure à la mer était véhémentement soupçonnée. Une lettre du duc de Chartres semblerait indiquer que le seul motif de cette démarche fut le désir de prouver au duc de Penthièvre qu'il ne cherchait pas à le dépouiller de sa charge, ainsi qu'il était accusé de le vouloir faire. Il resterait alors à expliquer cet esprit de versatilité par lequel Louis-Philippe n'abordait jamais une affaire sérieuse ou futile, qu'à la condition de l'abandonner, souvent avec autant d'inopportunité qu'il l'avait entreprise.

Il faut donc laisser pour ce qu'elles valent les épigrammes sur la journée d'Ouessant, si caustiques soient-elles. D'ailleurs, Paris et Versailles n'avaient pas attendu jusqu'à ce moment pour blâmer la lâcheté du duc de Chartres.

Le mercredi des cendres de la même année 1778, il n'était bruit que d'une aventure survenue la nuit précédente au bal de l'Opéra. Pour servir la rancune d'une femme, le comte d'Artois, dans un accès d'inexcusable colère, avait brisé sur la figure de la duchesse de Bourbon le masque qui la couvrait. La maison de Condé avait demandé au roi satisfaction d'une si grave insulte, le duc de Bourbon déclarant qu'il regarderait le refus de l'accorder comme une autorisation de l'exiger lui-même. On s'attendait à


voir le duc de Chartres prendre parti pour sa sœur la duchesse de Bourbon. Au lieu de cela, il continua à partager ses plaisirs avec le comte d'Artois, disant stoïquement pour sa justification, que la duchesse n'étant ni sa femme ni sa fille, avait assez d'un mari pour la protéger. Les Condés indignés, firent défendre la porte de leur hôtel au duc de Chartres, et la réparation demandée ne fut que plus vivement poursuivie. Enfin le comte d'Artois s'étant décidé à faire des excuses à la duchesse de Bourbon, en présence de toute la cour, le lendemain une rencontre eut lieu au bois de Boulogne entre ce prince et le duc de Bourbon; mais après quelques minutes de combat les deux champions s'embrassèrent.

Au moment où le duc de Bourbon vengeait ainsi l'outrage fait à la duchesse sa femme, le duc de Chartres était occupé à tracer dans la plaine des Sablons un emplacement pour une course de chevaux, et le duc d'Orléans faisait à Paris une répétition de comédie avec Mme de Montesson.Tous ces détails colportés avec avidité, animèrent tellement le public contre le duc de Chartres, que de plusieurs jours il n'osa se montrer au théâtre, où d'habitude il se rendait chaque soir, craignant d'y être hué, pendant que la duchesse de Bourbon, accueillie par les applaudissemens de toute la salle, y versait des larmes d'attendrissement et d'émotion.

Bientôt la dégradation morale de Philippe devint telle que ses amis eux-mêmes, affligés du peu de soin qu'il prenait de sa réputation, s'inquiétaient de son


cynisme à braver les moqueries de la foule. Un événement nouveau d'une grande portée dans les destinées de la maison d'Orléans, devait donner un dernier coup au duc de Chartres, et réveiller contre lui l'indignation publique et les mépris de la cour.

Depuis long-temps les dépenses, le luxe de table, les filles de joie et les chevaux avaient épuisé les ressources ordinaires de la fortune de Philippe. Vers 1781 on parlait déjà de sa position gênée, des réformes qu'il projetait, et des expédiens auxquels il avait recours pour remplir ses coffres. Son trésorier lui ayant exposé le bilan de sa situation financière, Louis-Philippe avait appris que ses revenus ne suffisaient plus aux dépenses de sa maison. Pour battre monnaie, jusqu'alors le duc de Chartres avait eu recours à un mode d'opération réprouvé par quelques moralistes trop sévères peut-être, l'emprunt à rente viagère : il trouvait dans cette façon d'acquérir une jouissance d'autant plus vive qu'elle aiguillonnait du même coup deux sentimens assez marqués chez lui, le mépris de la vie humaine et l'amour du jeu. Le jour où il connut l'inexorable chiffre de sa position, le duc de Chartres spéculait sur une somme si considérable à payer en rentes viagères, qu'elle égalait ses revenus. La position était critique : emprunter, le prince ne le pouvait plus, son trésorier avait épuisé les ressources de tous les capitalistes; solliciter la générosité du vieux duc d'Orléans, c'eût été courir au-devant d'un refus provoqué peut-être par Mme de Montesson elle-même: faire banqueroute, attendre


les évènemens, voilà ce qui aurait piqué davantage l'insouciance et la malignité naturelles du prince, si par ce moyen il eût été possible, non d'éteindre les dettes anciennes, mais d'en contracter de nouvelles.

Le duc de Chartres eut recours aux expédiens et aux combinaisons. Les conseils ne lui manquèrent pas; mais rien ne semblait pouvoir faire face aux exigences d'une situation qui chaque jour devenait plus équivoque et plus embarrassée. Il fallait un remède énergique, et le prince en était encore à rêver d'emprunts usuraires et de palliatifs impuissans, lorsqu'une femme de sa société intime, Mme de Genlis, et son frère, le marquis Ducrest, lui proposèrent un plan complet de révolution financière ; plan habile, audacieux, mais plus digne d'un César du Bas-Empire ou d'un Juif de la vieille Allemagne, que d'un petit-neveu de Henri IV.

Pour réaliser ce projet adopté avec enthousiasme par le duc de Chartres, la donation du Palais-Royal en avancement d'hoirie était indispensable. Il s'agissait de l'obtenir, et de vaincre la résistance de Mme de Montesson. Les négociations préliminaires furent ouvertes sur ce point difficile avec tant de bonheur, on sut si habilement intéresser la favorite au succès de l'affaire, que, après une première entrevue du marquis Ducrest avec le duc d'Orléans, l'acte de donation fut dressé au Rincy par le notaire du duc de Chartres : le prévoyant Ducrest l'avait amené avec lui.

Par reconnaissance du senice qu'on lui rendait,


une année après le duc de Chartres actionna son père devant les tribunaux, en restitution d'une somme que, à tout prendre, le duc d'Orléans ne lui devait pas, et Mme de Montesson se vit obligée de donner en gage à Philippe les diamans quelle portait, jusqu'à ce que le duc d'Orléans eût satisfait aux cupides exigences de son fils.

Aussitôt que le duc de Chartres fut maître absolu du Palais-Royal, les banquiers ouvrirent leurs coffres, Ducrest et l'architecte Louis se mirent à l'œuvre, et la plus belle partie du jardin planté par le cardinal de Richelieu, de ce jardin si cher aux promeneurs et aux désœuvrés parisiens, fut transformé en un vaste bâtiment quadrilatère avec portiques, péristiles et galeries destinés à abriter les merveilles de l'industrie, les produits du luxe et les tentations du vice. C'est ainsi que d'embarras pécuniaires naquit ce trop fameux Palais-Royal, fatale réalisation d'un vieil instinct de famille : l'amour du lucre et la soif de l'or.

Ce fut dans ces pensées de gain, dans cet espoir de mercantiles spéculations que le duc de Chartres trouva le stoïcisme nécessaire pour supporter les procès qu'on lui suscita, et braver la clameur publique.

Les propriétaires des rues de Richelieu, de Montpensier et de Beaujolais dont les maisons se trouvaient masquées par le nouvel édifice, réclamèrentauprince le prix du dommage que leur causaient les embellissemens de son palais; mais le Parlement de Paris ne


put s'empêcher de reconnaître qu'en agissant ainsi, le duc de Chartres usait de son droit, droit rigoureux, il est vrai, et que la loi romaine regarde comme équivalent à une puissante injure. Les chansons et les épigrammes apprirent à Philippe que le public pensait comme la loi romaine.

Chaque jour c'était contre le prince-marchand quelque satire, quelque caricature nouvelle. Comme un infaillible moyen de s'enrichir, on alla jusqu'à lui proposer de mettre une sébile à la porte de son palais, en invitant tous ceux qui le mépriseraient à y jeter chacun un petit écu. A Versailles, le comte d'Artois fut un des plus réservés dans sa raillerie, en annonçant un soir, au jeu de la reine, que son cousin de Chartres s'étant fait boutiquier, ne paraîtrait plus que le dimanche à la cour. « Toute l'opinion publique ne vaut pas un écu dans mon coffre, » répondait le prince sans s'émouvoir ; oubliant que peut-être il donnait ainsi lui-même le tarif et la mesure de sa propre valeur. « J'ai besoin d'argent, il me faut de l'argent ; il n'y a rien à objecter à un homme qui manque d'argent, » disait-il encore aux délégués des propriétaires de la rue Richelieu, le comte de Yaudreuil, le marquis de Talaru et M. de Voyer, qu'il avait reçus enrobe de chambre, sans culotte et sans bas, et après s'être long-temps fait attendre.

Comme on lui faisait observer qu'il se laissait entrainer à d'énormes dépenses, et qu'il n'acheverait pas les constructions commencées, — « rien ne me sera plus facile, répliqua-t-il, car tout le monde me


jette la pierre. » Quelques gazetiers de l'époque trouvèrent le mot heureux, et le prince se crut quitte avec Paris et la cour.

Si loin qu'eussent été les combinaisons industrielles du duc de Chartres, le succès dépassa toute espérance. Les entrepreneurs de spectacle et de maison de jeu se pressaient pour payer au poids de l'or une étroite place dans ce palais de nouvelle espèce. Les locations s'élevèrent à des prix exorbitans ; mais le prince avide fut seul à profiter de cet engouement, car par de ruineuses enchères les imprévoyans spéculateurs n'avaient fait que hâter l'instant de leur inévitable banqueroute.

L'inauguration du Palais-Royal fut faite par les charlatans, les agioteurs et les filles de joie : ceux-là s'emparèrent des cafés, qui peu d'années après servirent aussi de lieu de rendez-vous aux aboyeurs de la révolution ; celles-ci marchaient par couples sous les portiques et dans les galeries. A voir le nombre et les allures de ces vassales de la maison d'Orléans, on eût dit que le Palais-Royal était leur domaine, que ce lieu avait été créé pour elles, que seules elles pouvaient lui donner la richesse et la vie. Un demisiècle plus tard, le signal de leur retraite fut en effet le commencement de la décadence de cette luxurieuse Capoue.

Sans doute le duc de Chartres n'inventa pas la prostitution, ni la sacrilège profanation de l'enfance, ni ces tripots dont les joueurs du monde entier ont été pendant de longues années les damnés tribu-


taires, ni tous les vices par l'étalage desquels il achalanda son palais : mais déjà n'était-ce pas un crime que d'attirer à soi la débauche et le jeu, que de spéculer à de hautes enchères sur la dégradation humaine, et de donner droit de bourgeoisie à l'immoralité publique (1)?

En créant dans Paris un centre où toutes les passions de l'homme pouvaient être satisfaites aussitôt que conçues ; en faisant appel à tous les genres de luxe, en provoquant sous mille aspects divers les tentations du désir et les fièvres de la jouissance, en élevant un temple à la richesse et des boudoirs pour les rêves de la débauche, le duc de Chartres avait résolu un problême facile au milieu d'une immense population toujours affamée de plaisirs et de nouveautés ; mais en même temps ce prince inoculait au cœur de la France le germe fatal du matérialisme et de la sensualité, et le Palais-Royal était ainsi la rationnelle expérimentation de l'épicuréisme de Voltaire et du baron d'Holbach.

La glorification de l'argent, le culte des idées sensuelles, voilà donc quelle était la pensée qui présida

(1) Un écrivain du siècle dernier, Mercier, raconte que, «au Palais-Royal, le libertinage était éternel; qu'à chaque heure du jour et de la nuit son temple était ouvert, et à toutes sortes de prix, et que jamais femme honnête ne se fût hasardée après onze heures du matin à traverser ces impures galeries. — Ce quartier, ajoute l'écrivain, occupe la police, avec ses dépendances, presqu'autant que le reste de la ville. » ( Tableau de Paris, t. x. )


à l'élévation du Palais-Royal. Dans la réalisation de cette idée aussi vieille que le régent, le duc de Chartres trouvait encore le chemin d'une popularité facile. Ce prince voulait que son nom fut répété : peu lui importait que ce fussent les échos des lupanar et des maisons de jeu qui l'apprissent à l'univers.

Nouvelle Caprée, au sein de laquelle l'homme qui avait de l'or étlit roi, maître et dieu, le Palais-Royal s'est montré fidèle à son origine ; seulement d'étranges vicissitudes ont marqué l'accomplissement de sa destinée. Il fut un moment où l'on vit sous les mêmes portiques la révolte en habit de prince et l'émeute en haillons donner la main aux agioteurs et aux filles de joie. C'est du Palais-Royal qu'a soufflé le premier vent de la révolution, et c'est à lui que se rattachent les plus tristes souvenirs de nos dissentions politiques. C'est là que le marquis de SaintHuruges énivrait la populace de ses catilinaires homicides : c'est là, sous les fenêtres ducales, que fut planté la pique au bout de laquelle était hissée la tête de la princesse de Lamballe; enfin, et pour relier ensemble le meurtre et la débauche, ces deux raisons d'être du Palais-Royal, c'est encore là que le marquis de Sade trouva un libraire pour y étaler le fruit de ses monstrueuses rêveries, le roman de Juliette.

Après avoir eu la royauté du luxe, la royauté du vice, la royauté du crime, un jour le Palais-Royal reçut d'une révolution la couronne de France : ce jour fut le terme de ses grandeurs. Déjà Ronapartc


avait ordonné la fermeture de ses théâtres; plus tard les prostituées avaient été chassées ; de tous ses anciens monopoles, seules les maisons de jeu lui restaient: elles n'existent pas aujourd'hui, une loi a supprimé ces tapis verts trop fameux.

Ainsi déshérité, le Palais-Royal n'est plus que l'ombre de lui-même ; on y retrouve encore quelques traces des passions qui l'ont habité, mais la vie manque à ce corps de pierre, et le temps qui donne aux grandes ruines un aspect de majesté, n'imprimera au front de celle-ci que le signe d'une indéfinissable tristesse.


II.

Une année avait passé sur l'animosité publique, qu'on aiguisait encore les chansons et les pamphlets contre le Palais-Royal. Entre Paris et le duc de Chartres c'était comme une lutte de fanfaronnade et de mépris. Le prince se raillait de l'opinion, et le soir au théâtre le peuple insultait au prince en le huant.

Malgré cela, Philippe affectait une certaine vanité à exciter ainsi les sarcasmes et les moqueries : plus le moment était mal choisi pour affronter les regards de la multitude, plus il s'étudiait à provoquer l'attention par l'étrangeté de ses goûts, et par l'inconvenance de ses allures. Quand les philippiques commencèrent à se taire, le duc de Chartres trouva piquant de les raviver ; il nomma gouverneur de ses enfans la comtesse de Genlis, dame d'honneur de la duchesse de Chartres. Jamais pareille folie ne s'était encore vue.


Avant d'épouser le comte de Genlis, capitaine des gardes du duc de Chartres, Stéphanie Ducrest avait débuté dans le monde sous l'équivoque protection d'un financier ; l'intimité du duc de Chartres n'était pas faite pour rendre à sa vertu le lustre que la méchanceté publique en avait effacé. Ajoutez que Mme de Genlis était fort jolie, femme d'esprit, disait-on, harpiste renommée , et vous comprendrez quelle inépuisable veine de sarcasmes les rieurs de la cour et les conteurs de nouvelles trouvaient dans cet assemblage de tous les élémens les plus propres à aiguilonner la malignité humaine.

Quant au peuple, il avait toujours, comme nous l'avons dit, une occasion toute prête de manifester sa pensée. La première fois que Mme de Genlis, entourée de ses élèves, fut aperçue au théâtre dans la loge du duc de Chartres, on donnait par un singulier hasard, les Femmes savantes. Pendant toute la durée de la comédie, le parterre, tourné vers la loge du prince, ne cessa de marquer par d'ironiques applaudissemens les piquantes allusions auxquelles prêtait si bien le rôle de Philaminte, débité devant une femme dont la vie fut un amalgame de galanterie, de pédantisme, de littéraires vanités et d'affectations religieuses..

Le peintre Myris, attaché à l'éducation des enfans d'Orléans, a raconté que visitant le château d'Anet avec ses élèves, Mme de Genlis s'arrêta près du monument de Diane de Poitiers, et s'écria en regardant d'une manière assez significative l'aîné des enfans.


du prince, « qu'elle est heureuse d'avoir été la maîtresse du père et du fils ! »

On possède une lettre autographe dans laquelle Mirabeau se vante d'avoir imposé à Mme de Genlis sa brutale tendresse : un fiacre aurait été le boudoir où, sans trop de préliminaires ni trop de résistance, triompha l'heureux Mirabeau.

Les Mémoires de Mme de Genlis sont muets sur cette aventure, et les Leçons d'une gouvernante à ses élèves se taisent aussi sur le système d'éducation pratique dont le peintre Myris fut témoin au château d'Anet. Nous avons cité ces deux faits entre plusieurs, pour prouver que dans les satires de son temps, Mme de Genlis eut plutôt à redouter la mé disance qu'à se plaindre de la calomnie.

Au reste, en confiant l'éducation de ses enfans à une femme de cette sorte, le duc de Chartres commettait quelque chose de plus grave qu'une fanfaronnade ridicule et qu'un oubli des convenances.

Plus tard, on verra quelles furent les conséquences de l'astucieuse domination de Mme de Genlis, et comment la fille du duc de Penthièvre dut un jour fuir une demeure où elle était insultée dans son titre d'épouse, et dépouillée de ses droits de mère.

En 1784, la France était attentive aux expériences de Montgolfier, qui venait de trouver le moyen de planer dans l'atmosphère, suspendu à un tissu léger


formant une enveloppe, dans laquelle l'air était raréfié par le feu. Les frères Robert avaient perfectionné cette immortelle découverte en substituant à l'air raréfié le gaz hydrogène, alors appelé air inflammable.

De tous côtés il n'était question que de montgolfières et d'aérostats. Pilastre des Rosiers et les frères Robert faisaient à Paris de périlleuses ascensions, pendant que Blanchard traversait la Manche aux yeux de l'Angleterre et de la France étonnées. Déjà plusieurs personnes avaient voulu partager les dangers et la gloire des intrépides aéronautes; à Paris, on citait le marquis d'Arlandes et un moine qui, épris d'un noble enthousiasme, s'était échappé de son couvent ; à Lyon, le fils du prince de Ligne, le comte de Laurencin et le comte de Dampierre.

Amateur de toute nouveauté, le duc de Chartres ne pouvait rester en arrière de la curiosité et de l'exaltation générales ; jamais plus belle occasion ne s'était offerte de satisfaire ses goûts aventureux.

Déjà, peu d'années auparavant, il avait promis quatre cents louis à Blanchard s'il inventait une machine pour voler à la manière des oiseaux ; et nouvel Icare, Blanchard avait vu ses ailes se briser aussitôt qu'il eut quitté la terre. L'heureuse découverte de Montgolfier semblait résoudre la plus difficile moitié du problême de Blanchard; car l'homme une fois lancé dans l'atmosphère, il ne restait plus qu'à diriger la machine qui le portait ; mais Blanchard et les expérimentateurs de l'époque oubliaient l'histoire d'Ar-


chimède, qui n'avait prétendu soulever la terre qu'en ayant hors du globe un point de résistance pour y placer un levier.

Le duc de Chartres voulut résumer les perfectionnemens et les problèmes encore incertains de la science aérostatique (1) : il fit construire un ballon de forme sphéroïdale ; le gaz hydrogène fut substitué à l'air raréfié, et la machine pourvue de rames, d'un gouvernail et de tout ce qu'on supposait nécessaire pour la diriger.

Piqué d'honneur par l'exemple de ses devanciers, sachant qu'il avait à conquérir une réputation de courage, le duc de Chartres fit annoncer qu'il monterait dans l'aérostat. Rien ne devait manquer à cette fête , ni le luxe de la machine, qui avait coûté plus de cinquante mille livres, ni l'intérêt scientifique, ni le charme de la nouveauté.

Le 15 juillet 1784, un peuple immense était accouru à Saint-Cloud pour être témoin du spectacle auquel le rôle qu'y devait jouer le prince donnait un

(i) Dans un souper qui réunissait les comparses obligés de ses fêtes priapiques. le duc de Chartres avait déjà fait une expérience sur la nouvelle invention : entreprise beaucoup moins périlleuse à entreprendre qu'à raconter. Au moment où ils s'asseyaient à table, les convives, en dépliant leur serviette, donnèrent la volée à une foule de petits aérostats semblables aux amulettes que certaines femmes de Rome portaient au cou, lesquels se mirent à voltiger au plafond, à la grande risée des spectateurs de cette obscénité.


incroyable attrait de maligne curiosité. La foule était si considérable, que les rangs les plus rapprochés de l'estrade qui supportait l'appareil aérostatique, se mirent à genoux pour laisser le champ de vue plus libre aux spectateurs des derniers rangs.

Bientôt, dégagé des liens qui le retiennent au sol, l'aérostat s'élève aux acclamations de la foule ; une nacelle suspendue portait le duc de Chartres et les frères Robert. L'ascension fut rapide : en un clind'œil le ballon se trouva hors de portée de la vue ; mais aussitôt on le revit descendre avec une effrayante rapidité et tomber dans une marre. On apprit que, épouvanté de la hauteur à laquelle il se trouvait, le duc de Chartres avait demandé à regagner la terre, et avait aussitôt donné passage au gaz, en ouvrant la soupape, ou en déchirant avec son épée l'enveloppe du ballon.

Naturellement habitué à affronter les dangers et à faire bon marché de sa vie, le peuple préfère souvent à des velléités de courage une couardise évidente et humblement avouée : celle-ci n'excite que sa pitié, celles-là provoquent son implacable ironie.

Bien que le mouvement de terreur ou de prudence auquel avait cédé le duc de Chartres n'eùt rien que de très-naturel en soi, des circonstances antérieures couvraient cet évènement d'un ridicule impossible à combattre.

Les épigrammes du combat d'Ouessant étaient encore présentes à tous les souvenirs; et nonobstant cela, le duc de Chartres avait donné en d'autres oc-


casions assez de preuves de poltronnerie pour que l'ascension manquée du 15 juillet mît le sceau à la réputation qu'il a gardée dans l'histoire.

Espérant éviter les quolibets, le duc de Chartres se rendit à Londres; mais une scène cruelle l'attendait à son retour. Il assistait à une représentation de Zémire et Azor; lorsque l'acteur fut arrivé à cette ariette : Plus de voyage qui me tente ; Je veux mourir vieux, si je puis; Je ne serai plus qu'une plante, Et je prends racine où je suis.

Passe encore pour aller sur terre; C'est un plaisir quand il fait beau; Passe encore pour aller sur l'eau, Quoique je ne m'y plaise guère; Mais voyager sur les nuages, Et voir là-bas, là-bas, là-bas, La terre sous ses pas, Cela dégoûte des voyages; La tète tourne J'y penser, Je ne veux plus recommencer.

la salle entière se mit à battre des mains en criant his! Le duc de Chartres essaya d'abord de faire bonne contenance; mais les clameurs redoublant, il ne put y tenir, il quitta la place et disparut.

Versailles n'était pas mieux disposé que Paris en faveur du duc de Chartres. Cette cour, où vivaient encore les traditions galantes du règne précédent, avait conservé, au plus fort de son épicuréisme, une


certaine décence dont s'accommodait mal le dévergondage d'allures de la société intime de Louis-Philippe.

Les gentilshommes faisaient au duc de Chartres un crime de ses goûts mercantiles, et les femmes ne lui pardonnaient pas la crapule de sa vie ; son nom était craint et redouté (1). Il faut aj outer à cela les

(1) Un écrivain moderne a bien caractérisé dans un roman connu certains côtés du caractère de Louis-Philippe, et la terreur que le nom de ce prince inspirait à Versailles : « Au plus fort de ce silence, nous entendîmes le bruit d'une porte qui s'ouvrait à deux battans. Un homme entra en s'annonçant dès l'antichambre par des imprécations contre les valets. «Voilà, dit Mirabeau, une voix qui parle ici plus haut qu'à la tribune; on voit bien qu'il n'y a rien à dire ici. » A cette voix qui leur était connue, quelques femmes devinrent pâles et tremblantes. « Ne craignez rien, dit Mirabeau, ce n'est pas ici comme dans le souterrain du Rincy. Que vient donc chercher ici le premier prince du sang? Je l'aurais cru en Angleterre, ou couché dans un des mauvais lieux de son palais. » En relevant les yeux, le regard de Mirabeau tomba sur le nouveau venu. C'était Un homme de la taille la plus élégante, à la figure incertaine, au regard douteux et méchant. Il entendit Mirabeau, et ne rougit pas : seulement ses deux sourcils se contractèrent; il chercha de côtés et d'autres assez de soutiens et d'amis pour se mettre en colère ; mais comme il n'en trouva pas, il se contenta de dire : « Vous savez bien, Mirabeau, que ces titres d'altesse et de prince ne me conviennent pas, que je les ai reniés depuis long-temps; je ne rougis plus de Montfort le cocher (*). » A ces mots, un sombre mur-

(*) C'est Lefranc et non Montfort que M. Jules Janin aurait dû dire.


rivalités de castes, les jalousies de cour, les haines de famille, pour comprendre l'aversion qu'inspirait à Versailles le nom de Louis-Philippe duc de Chartres, duc d'Orléans depuis le 18 novembre 1785, jour de la mort de son père.

Lorsque Marie-Antoinette, dauphine adorée avant d'être reine malheureuse, parut à la cour de France, Louis-Philippe fut un des seigneurs les plus assidus auprès de cette princesse, à qui chacun faisait fête ; mais, femme au noble cœur, Marie-Antoinette eut bientôt compris que le duc d'Orléans était de ces hommes dont il faut accepter l'amour ou ne pas redouter la haine.

Les femmes heureusement douées se trompent difficilement sur le compte de ceux dont l'approche leur sera funeste ; ce pressentiment est un de leurs plus merveilleux instincts. Marie-Antoinette préféra

mure parcourut et agita l'assemblée. Mirabeau regarda le prince de la tête aux pieds, avec le sourire du plus profond mépris. « Messieurs et mesdames, ne le croyez pas. s'écriat-il, il en a menti! Montfort arrive ici comme un quartier supplémenlaire ; Montfort n'est ici qu'une prétention de plus. Il est élrange que cet homme se croie le droit de changer de nom, quand ce nom, il l'a plus souillé que son père. Il est étrange qu'il vienne ici changer de père comme on change de livrée, déshonorer un honnncte cocher qui ne lui a rien fait, et insulter sa mère, parmi nous, comme il a insulté sa femme. » (M. Jules Janin, Barnabe.)

Cette erreur, au reste, est commune à la plupart .dus historiens. Mont.

fort était un jeune seigneur, amant aussi de la duchesse d'Orle'ans.


donc la haine de Philippe d'Orléans aux dangers de son intimité, et dès ce jour la vie de cette princesse fut livrée aux lâches hostilités du Palais-Royal.

La vengeance fut terrible, longue et douloureuse ; elle commença par des calomnies de libertins, de venimeux libelles et d'obscènes gravures. La suite de cette histoire fera connaître comment finit cette lutte de la corruption et du vice contre la vertu fière et indignée.

A Versailles, personne ne se gênait pour témoigner à Louis-Philippe le mépris qu'il inspirait. On connaît le mot de la marquise de Fleury, que le duc de Chartres avait inscrite sur ses tablettes, à la cinquième colonne d'une liste de femmes classées en belles, jolies, passables, laides et affreuses : « Monseigneur, vous ne vous connaissez pas mieux en signalemens qu'en signaux. » Mme de Talaru fut l'héroïne d'une autre aventure qui amusa beaucoup aussi la cour, et dont aucun historien n'a consigné le souvenir. C'était au commencement de la révolution; une quête fut faite par la marquise de Talaru dans la chapelle de Versailles, devant le roi; la marquise était jeune alors; elle arrive brillante avec une toilette dans laquelle on remarque du bleu, du rouge et du blanc, tout juste les couleurs de la maison d'Orléans. On suppose dans cette parure une intention de flatterie. La marquise, réveillée par une sorte de demi-murmure, devine tout sur le champ; elle continue sa quête; et au moment où passant devant le duc, qui tenait à la main son offrande, celui-ci


s'apprête à la laisser tomber dans la bourse, la bourse se relève et passe comme un trait avec la quêteuse.

Cette impertinence répara le fâcheux effet qu'avait d'abord produit la toilette.

Une autre fois, le comte d'Artois avait invité le célèbre prestidigitateur Cornus à venir assister au jeu a Versailles; on fit jouer Cornus contre le duc d'Orléans : celui - ci gagna d'abord cinquante on soixante mille livres, mais bientôt Cornus prit sa revanche, et Philippe perdit jusqu'au Palais-Royal, qu'il engagea sur parole. Après chaque coup, Philippe prenait le jeu de cartes et le jetait au feu; enfin, ne voulant pas tenter plus long-temps le sort, il se retira en maugréant. Comme on n'avait que voulu jouir de son désespoir d'avare, le lendemain le comte d'Artois lui écrivit pour lui rendre sa parole et les sommes qu'il avait perdues; mais afin de faire durer le plus long-temps possible les angoisses du duc d'Orléans, le page chargé de porter la missive au Palais-Royal mit une journée à faire le trajet de Versailles à Paris. A son retour, le page fut consigné aux arrêts, punition bien légère qui n'empêcha pas le corps de ces jeunes et charmans étourdis de rire du tour joué par leur camarade à un prince détesté.

Nous pourrions multiplier à l'infini les récits de ces représailles, mais à quoi bon? Ces piqûres ne suffisaient-elles pas pour exciter la vengeance du duc de Chartres? Les évèneniens qui sauvent ou perdent les peuples ont souvent de plus futiles causes que ce lles-là.


III.

A cette heure, nous touchons au prologue du grand drame de l'histoire moderne. La monarchie de Louis XVI, inaugurée sous d'heureux auspices, marche à sa ruine entre des ministres incapables ou corrompus. La France est arrivée à l'un de ces momens de transition qui marquent, à de longs intervalles, les inévitables transformations des sociétés.

Un pouvoir intelligent et ferme eût certainement pu se rendre maître des vagues nécessités et des exigences de l'époque : faible, imprévoyante, divisée par l'égoïsme des siens, la royauté ne sut que périr dans le douloureux enfantement des destinées nouvelles.

Cette histoire n'est point faite pour exposer les causes de la révolution ni pour redire les luttes de la vieille monarchie aux prises avec le génie des réformes nationales et les instincts populaires de la révolte et du mouvement. Nous n'emprunterons donc


aux évènemens que les faits nécessaires à la marche de notre récit, et nous passerons sous silence les incidens, si graves soient-ils, que ne dominera pas l'influence de notre personnage.

Ce fut dans le Parlement que se manifestèrent les premiers symptômes d'opposition à l'autorité royale.

Le Parlement réclamait la convocation des États-Généraux ; à ce prix seulement il promettait d'enregistrer les édits bursaux demandés pour combler le déficit des finances. Le ministère voulait que ces édits fussent acceptés sans conteste, et cette façon de trancher la question en paraissant la vouloir maîtriser, n'avait fait qu'activer davantage l'opposition parlementaire.

On espéra mettre un terme à la lutte en forçant le roi à venir demander lui-même, en séance royale, l'enregistrement des édits, et en mettant dans sa bouche des paroles absolutistes qui contrastaient singulièrement avec le relâchement de toute autorité.

Comme Louis XVI croyait encore a la suprématie de son pouvoir, il avait permis qu'on opinât à haute voix devant lui, au jour indiqué de la solennelle séance. Il s'attendait à recevoir de respectueux conseils, il n'entendit que les maximes d'un droit politique encore non défini, mais que le Parlement avait jusqu'alors capricieusement exercé. Le gouvernement avait-il le droit d'imposer les peuples suivant la volonté des ministres et sous le bon plaisir de l'arbitraire royal ? Le Parlement, gardien des franchises nationales, en refusant d'enregistrer l'impôt, pouvait-


il annihiler l'exercice de l'autorité suprême et élever ainsi contre la couronne les droits d'une autre souveraineté? Voilà quelle était toute la question.

En présence de Louis XVI, le Parlement se livra à des remontrances, à des supplications, à des menaces. La séance présenta un aspect d'animation et de luttes depuis long-temps oublié dans les fastes les plus orageux des discussions parlementaires.

Robert de Saint-Vincent, Sabathier, Freteau, Duval d'Espremenil, principaux champions des droits et des rancunes de leur compagnie, conquirent en ce jour une grande popularité. Pour terminer cette longue et violente délibération, Louis XVI avait ordonné l'enregistrement des édits, et le garde-dessceaux dictait au greffier en chef la formule consacrée en pareille occasion, lorsque le duc d'Orléans, qui était placé près du roi, se tourna vers lui, et par un effort de courage auquel il s'était préparé, dit-on, en se gorgeant de vin, il demanda si la séance était un lit de justice ou une séance royale. — « Une séance royale, répondit Louis XVI. « Elle est illégale, répli« qua le duc d'Orléans; je demande qu'il soit men« tionné que l'enregistrement est fait du très-exprès « commandement de Sa Majesté. »

Étourdi par cette insolite provocation, Louis XVI ne put que balbutier ces mots : « Cela m'est égal.

« vous êtes bien le maître. Si, c'est légal, parce « que je le veux (1). »

(1) Sallicr, Annales françaises, p. n3, 128.


Les édits furent enregistrés ; mais lancée sur une pareille voie, l'opposision ne devait pas s'arrêter à ce début. On demanda au duc d'Orléans de répéter ses paroles, qu'on voulait consigner sur le registre des délibérations. Le duc était assez embarrassé pour assembler ses phrases ; quelques parlementaires, l'abbé Sabathier entre autres, vinrent à son aide, et la protestation fut transcrite en ces termes : « Sire, je supplie Votre Majesté de permettre que « je dépose à vos pieds et dans le sein de la Cour, « la déclaration que je regarde cet enregistrement « comme illégal, et qu'il serait nécessaire,!pour la « décharge de ceux qui sont censés y avoir délibéré, « d'y ajouter que c'est par l'exprès commandement « de Votre Majesté. »

Le lendemain le Parlement compléta par l'arrêté suivant la déclaration de guerre dont le duc d'Orléans venait de donner le signal : « La Cour, considérant l'illégalité de ce qui vient « de se passer à la séance du roi, où les voix n'ont * point été comptées et réduites en la manière pres* crite par les ordonnances, de sorte que la délibé« ration n'a point été complète, déclare qu'elle « n'entend prendre aucune part à la transcription « ordonnée être faite sur les registres, de l'édit por« tant établissement d'emprunts graduels etprogres« sifs pour les années 1788, 1789, 1790, 1791, « 1792. »

Voilà comment fut engagée la lutte contre la royauté.


Dans ces préliminaires, le duc d'Orléans avait eu le premier rôle. Dès lors le palais de ce prince devint le rendez-vous des mécontens et le foyer d'une conjuration permanente. Méprisé à Versailles, méprisé à Paris, le duc d'Orléans venait d'entrevoir le moyen de se venger de la cour et de reconquérir les bonnes grâces du peuple.

Une ère nouvelle ouvrait à ce prince le chemin des intrigues et de l'ambition. Comment ne se seraitil pas laissé aller à une pente si naturelle aux instincts de son âme, et d'ailleurs si conforme à ses goûts de changemens, de bruit et de nouveauté ?

L'affront fait à Louis XVI par le duc d'Orléans, fut ressenti à Versailles avec une profonde douleur.

Marie-Antoinette surtout, plus cruellement blessée dans sa fierté de reine et dans ses souvenirs de femme, sembla deviner, par une prévoyance instinctive, les maux que lui présageait la vindicative insolence du premier prince du sang. Elle se joignit aux ministres pour solliciter la sévérité du roi contre ce qu'elle croyait être un acte d'ambition et de méchanceté, plutôt que l'exercice d'un droit constitutionnel.

La grande députation du Parlement fut mandée à Versailles. Le roi biffa l'arrêté, défendit sur le même objet toute nouvelle délibération, et exila le duc d'Orléans à Villers-Cotterets, et deux conseillers de la grand' -chambre, Freteau et Sabathier, l'un au


château de Ham, l'autre au Mont-Saint-Michel.

Sans doute, en l'état des choses, la protestation du duc d'Orléans ne pouvait rester impunie ; mais il eût été plus politique d'obtenir de ce prince une ré tractation facile à arracher à la pusillanimité de son caractère, et qui l'aurait compromis aux yeux de ses partisans. Le rendre, au lieu de cela, martyr d'une manifestation dont la forme était plus inconvenante que le fond peut-être , c'était naturellement le donner pour chef à cette opposition que frappait l'arbitraire royal, c'était éveiller autour de lui les sympathies populaires, si faciles à s'attachera toutes les victimes des rigueurs ou de la justice du pouvoir.

Le duc d'Orléans, dont Paris tout entier connaissait le cynisme et la luxure, devint subitement le héros des jansénistes et des puritains de toutes les cours du royaume. Des supplications et des remontrances furent adressées au roi par le Parlement de Paris, en faveur du prince exilé. Tous les parlemens de province imitèrent cet exemple : le vertige était tel, qu'on faisait du rappel du duc d'Orléans une question de monarchie, d'honneur national et de liberté publique; mais en réalité le nom du duc d'Orléans ne paraissait là que pour servir de prétexte à de grandes préoccupations politiques.

Pendant que ces choses se passaient, Louis-Philippe était arrivé à Villers-Cotterets. Dès le premier jour de son exil, il s'était livré à des accès de rage, brisant les meubles, jurant, blasphémant, s'empor-


tant en imprécations et en menaces contre le roi, contre la reine surtout, s'en prenant à tout le monde de cette apparence d'adversité, à ses amis, à ses serviteurs, au Parlement et à lui-même. Puis revenu à son sang-froid naturel, il avait songé à utiliser les loisirs forcés de son exil au profit des intrigues qu'on ourdissait pour lui. Il se mit à parcourir les campagnes, affectant la bienveillance et cherchant à gagner les esprits par l'affabilité de ses manières et par des actes de générosité. Un jour même on lui fournit l'occasion de montrer du courage et de l'humanité. Comme il était habile nageur, on fit tomber à l'eau un de ses jockeys, et il l'en tira en le prenant par les cheveux (1). C'était une contre-partie à l'héroïque dévouement du duc de Brunswick, qui peu de temps auparavant avait immortalisé sa mort, en se précipitant dans l'Oder pour sauver deux malheureux qui se noyaient.

« Voilà un prince qui revient Sllr l'eau, » dirent les Parisiens, en voyant les planches où était buriné ce trait de courage de Philippe d'Orléans. En effet, peu à peu, dit Sallier, le peuple oublia les débauches, l'avarice et les escroqueries du duc d'Orléans, pour ne voir plus en lui qu'une illustre victime de l'arbitraire royal. On était fatigué de l'impéritie des ministres, et l'on se tourna vers le prince, comme vers

(1) Il est à remarquer que celte aventure, citée par tous les journaux de l'époque, est formellement niée par Mmf de (ienlis dans ses Mémoires.


le seul homme capable de protéger tous les droits.

Malgré tous les témoignages de popularité qu'on lui donnait, le duc d'Orléans ne sut pas se faire à son rôle ni supporter noblement sa disgrâce; il lui fallait la vie de Paris, les luxueuses habitudes du Palais-Royal, le bruit et les plaisirs de la grande cité.

Le courage dans la mauvaise fortune ne convenait pas mieux aux faiblesses de son caractère que dans le bonheur la générosité n'allait à son esprit. Au lieu de cette auréole de considération qu'aurait pu lui donner une fermeté patiente et résignée , il se laissa aller au désespoir et aux humbles supplications.

Après avoir juré à Louis XVI et à Marie-Antoinette une éternelle haine, il s'abaissa jusqu'à la prière, et jusqu'à souscrire d'avance à tout ce qu'on exigerait de lui en échange de son retour à Paris.

Pour parvenir à ce but, il n'est aucun moyen que Philippe n'ait mis en œuvre, aucun personnage qu'il n'ait fait mouvoir. Mme de Lamballe, Mme de Montesson, à qui il avait donné tant de griefs contre lui, M. de Ségur et M. de Bezenval, furent tour à tour employés à négocier avec Marie-Antoinette, Louis XVI et ses ministres (1).

(i) M. de Bezenval a raconté, dans ses Mémoires, les démarches du duc d'Orléans pour obtenir son rappel de Villers-Cotterets. Voici quelques passages du récit de cet historien : «.Prive du séjour de Paris, séjour qui est pour ce prince un besoin, et auquel il a sacrifié en plus d'une occasion jusqu'à sa gloire et sa réputation, M. le duc d'Or-


Le roi ne put résister à tant de prières et d'obsessions; la politique céda à la générosité. Il fut permis léans, plus amoureux qu'on ne l'est à quinze ans, de Mme de Buffon, que cette intrigue avait brouillée avec sa famille, m'envoya le vicomte de Ségur, qu'il venait de nommer son premier gentilhomme de la chambre, en survivance du chevalier de Durfort, pour me peindre le désespoir où le réduisait son séjour à Villers-Cotterets, me demandant de l'en tirer de quelque manière que ce fût, et me donnant carte blanche sur les moyens.

«. Intime ami, pendant vingt-cinq ans de ma vie, du feu duc d'Orléans, si digne d'être aimé, j'avais vu naitre celui-ci, je m'y étais attaché au point que, malgré la différence de nos âges, j'avais vécu avec lui jusqu'à ce qu'arrivé à l'époque où le physique et le moral exigent un autre genre de vie, je m'étais retiré de sa société, dont la gaîté m'étourdissait, mais où je serais peut-être demeuré plus longtemps, si je n'avais reconnu qu'il était impossible de faire aucun fond sur ce prince, ni de le mener à jouer le rôle que sa position et ses richesses lui rendaient si facile..,..

« Je dis au vicomte de Ségur qu'il me paraissait déplacé que M. le duc d'Orléans mit un tiers entre lui et le roi; qu'en conséquence, mon avis était qu'il lui écrivit une lettre pour lui représenter que n'ayant plus de chancelier, obligé de gouverner lui-même ses affaires, il en était trop éloigné par son exil à Villers- Cotterets ; qu'en conséquence il le suppliait de lui permettre de s'en rapprocher, et de venir au Rincy; je fis même un projet de lettre que je donnai au vicomte : il m'apprit que M. le duc d'Orléans l'avait chargé de voir aussi Mme de Montesson, et de la prier d'agir pour lui.

« Mme de Montesson, voulant montrer à son fils un intérêt d'autant plus généreux qu'elle avait à se plaindre de lui,


au duc d'Orléans de venir au Rincy ; mais auparavant on exigea de lui une preuve de déférence plus grande sûre d'ailleurs du crédit que son esprit lui donnait sur l'archevêque de Toulouse, s'empara de la négociation, que j'abandonnai de grand cœur. Comme elle était sérieusement malade, elle envoya M. de Valence, son neveu, à l'archevêque.

« En sortant de chez lui, M. de Valence partit pour Villers-Cotterets, où j'ignore ce qu'il dit; mais peu de jours après, il arriva une lettre de M. le duc d'Orléans au roi, qui demeura sans réponse. Il se répandit que l'archevêque de Toulouse disait que la démarche était trop prématurée, ce qui m'étonna d'autant plus que, d'après le voyage de M. de Valence, je la croyais convenue.

« M. le duc d'Orléans, qui désirait tout au moins son rapprochement de Paris d'une manière indécente, ne manqua pas, d'après son inconséquence ordinaire, de faire ce qu'il fallait pour en éloigner l'instant, en choquant le roi par un de ces choix dont la bizarrerie se rapportait si bien à son caractère. Il prit pour remplacer M. Ducrest, et pour son chancelier, M. de Latouche, capitaine de vaisseau, homme dont le maréchal de Castries avait su distinguer le mérite et les lalens, en l'appelant auprès de lui pendant son ministère, et lui donnant sa confiance pour tous les détails qui regardaient la marine, dans lesquels M. de Latouche était aussi consommé, que novice dans ce qui concerne les affaires conlenlieuses et l'administration de biens, surtout aussi étendus que ceux de M. le duc d'Orléans.

« Le roi vit avec peine la perte qu'il faisait de M. de Latouche; mais n'étant pas d'humeur à lui accorder le traitement que lui faisait M. le duc d Orléans, lequel allait à cent mille francs par an, il le céda à ce prince, qui aug-


que toutes les marques de soumission qu'il avait prodiguées déjà : on voulut qu'il écrivît à la reine.

« Cette lettre l'embarrassa tellement, dit M. de Rezenval, que le vicomte de Ségur l'écrivit pour lui. »

Quelque temps après y débarrassé de l'hypocrisie de ses protestations, le duc d'Orléans revint au Palais-Royal préparer les élémens de la fortune nouvelle qu'il demandait à la révolution.

menta par-là les sujets de mécontentement qu'on avait contre lui.

« Mme la princesse de Lamballe. bellè-sœur de M. le duc d'Orléans, venait d'arriver de Villers-Cotterets, où elle était allée joindre son beau-frère au moment de son exil.

Mme de Lamballe n'eut rien de plus pressé que de m'entretenir du désir qu'elle avait de travailler à son rapprochement de Paris, quoique M. le duc d'Orléans lui eût témoigné peu de désir qu'elle se chargeât de ses affaires.

cr- J'approuvais fort le dessein qu'elle avait de solliciter de nouveau la reine, qui l'avait reçue assez froidement lorsqu'elle avait essayé de lui parler en faveur de son beaufrère. Enfin elle fit tant, et l'on sollicita si fort l'archevêque de Toulouse, que le duc d'Orléans eut la permission de venir au Rincy, à condition de ne pas approcher de Paris de plus de deux lieues, et de ne recevoir que les gens auxquels on avait permis d'aller à Villers-Cotterets. »

( Mémoires, t. JI, p. 292.)


IT.

C'est dans l'espace de temps compris entre l'exil de Villers-Cotterets et le mois d'octobre 1789 que se retrouvent les traces d'une conjuration faite pour substituer sur le trône de France la branche d'Orléans à la branche aînée des Bourbons, tout au moins pour usurper le pouvoir au moyen d'une régence ou d'une lieutenance-générale du royaume.

Se faire citoyen au lieu de rester prince, accueillir toute théorie nouvelle, propager toute idée révolutionnaire, fronder la cour et la faire attaquer par des journaux et par des pamphlets, organiser le trouble, soudoyer la rébellion et l'émeute, ouvrir au Palais-Royal un asile à tous les hommes ostensiblement déclarés contre le roi, ou qui cherchaient dans les vicissitudes d'un avenir nouveau quelque chance à leur ambition, quelque prétexte à leur rancune, se créer par l'intrigue el par la corruption


un parti dans l'Assemblée nationale, gagner le ministère , voilà quel était le plan des conspirateurs pour atteindre le but que nous venons de signaler.

On vit dès lors le duc d'Orléans, renommé pour sa sordide avarice, étaler tout à coup, au milieu d'un rigoureux hiver, une charité de factieux avec un appareil d'ostentation qui sied mal à la vraie bienfaisance. Ce prince, qui naguère affichait pour l'opinion publique le plus insolent mépris, semblait se plier aux exigences du devoir, et mendier la popularité avec autant d'affectation qu'il en avait mis autrefois à la renier.

Il est vrai que ces nouveaux dehors n'étaient pas si bien gardés qu'on ne vît de temps à autre percer l'hypocrisie sous l'écorce de la générosité.

Les Mémoires du temps fournissent plus d'une preuve que les actes de bienfaisance du duc d'Orléans, proclamés avec affectation dans toutes les feuilles du jour, étaient faux ou exagérés, soit dans leur importance, soit dans leur durée, et que le dépit et l'avarice du prince finissaient toujours par l'emporter sur les calculs de l'ambition.

Les États-Généraux étant convoqués, le duc d'Orléans fit rédiger, pour ses représentans aux bailliages, des instructions, résumé de toutes les exigences du moment. La liberté individuelle , la liberté de la presse, l'inviolabilité du secret des lettres, le droit de propriété, le consentement et le vote de l'impôt par les contribuables, le retour périodique des ÉtatsGénéraux, la responsabilité des ministres, une égale


répartition de l'impôt, la consolidation de la dette publique, la réforme de la législation civile et criminelle , et le divorce, voilà quel était le code politique proposé par le duc d'Orléans pour la rédaction des cahiers de ses bailliages. On trouve dans ce Manifeste les élémens d'une monarchie constitutionnelle plutôt que les germes d'une république, comme l'ont prétendu plusieurs historiens; mais à coup sûr, si le duc d'Orléans n'eût attaché son nom qu'à des tentatives révolutionnaires de ce genre, le divorce excepté, ce nom fût resté digne de souvenir.

Les royalistes pensaient autrement, eux qui dans les actes du duc d'Orléans ne cherchaient que l'intention et ne voyaient que le but; mais au lieu de lutter de patriotisme avec ce prince, qui gagnait le peuple par la flatterie, la noblesse par l'intrigue, et la nation par son amour des réformes et de la liberté , ils restèrent dans l'inaction, impassibles spectateurs de leur ruine, fatalement cloués à un passé qui croulait de toute part.

On crut avoir raison par des épigrammes et par d'innocentes combinaisons des maux qu'on prévoyait sans les bien définir toutefois. Pendant que les courtisans riaient des populacières allures du duc d'Orléans, les plus habiles pensaient maîtriser l'avenir en rapprochant ce prince de Louis XVI par le mariage de Mlle d'Orléans avec le duc d'Angoulême, fils du comte d'Artois. La fierté de Marie-Antoinette fit échouer ce projet, et Louis-Philippe revint au Palais-Royal ayant au cœur une haine de plus.


Plusieurs sortes de personnages se partageaient le conseil et dirigeaient les projets du duc d'Orléans : c'était, en première ligne, cette portion de la noblesse française hostile à la cour par suite d'intrigues qui remontaient en grande partie au règne des favorites de Louis XV. Le duc d'Aiguillon, le duc de Liancourt étaient de ce nombre; Lauzun, duc de Biron, et quelques autres seigneurs, complétaient ce groupe de mécontens et de séditieux ; mais peutêtre ceux-là n'étaient-ils pas dans les plus intimes secrets du duc d'Orléans.

C'est à Choderlos de Laclos, secrétaire de ses commandemens, que Philippe avait réservé cet honneur.

Choderlos était connu du monde libertin par son livre des Liaisons dangereuses, roman fameux dans lequel l'écrivain a fait preuve d'une désolante connaissance des plus noirs replis du cœur humain. Taciturne et rêveur, d'un caractère hypocondriaque, Choderlos n'était pas fait pour la bruyante société de Philippe d'Orléans, si d'autres pensées plus secrètes, plus amies de l'ombre et de l'isolement, ne l'eussent attaché à la fortune de ce prince.

Tous les historiens de l'époque, Mme de Genlis la première, témoignent de la fatale influence que cet homme exerça sur l'esprit du duc d'Orléans.

Après Laclos venaient Sillery, comte de Genlis, vieux sybarite, proxenète du prince; Valence, gendre


de Sillery, fils du duc d'Orléans et de M,nè de Montesson, personnage que son ineptie même rendait dangereux; Mirabeau et Sieyès, que Robespierre appelait la taupe de la révolution.

A leur suite se pressaient la phalange des encyclopédistes et des philosophes, les pamphlétaires, les journalistes, la plupart vendus ou à vendre; Duport, conseiller au Parlement, Camille Desmoulins, tête ardente, spirituel écrivain et tribun de carrefour; Brissot, homme de corruption; puis enfin des agitateurs de tout rang et de tout pays : c'était le marquis de Saint-Huruges, à la face de taureau, au regard hébété, qui ameutait la populace avec une voix de Stentor, et qu'une canne levée faisait plier et se taire; un comédien nommé Grammont; Fournier, un américain; Rotondo, un professeur de langue italienne. Tous ces hommes tenaient par quelque lien au Palais-Royal ; ceux qui n'arrivaient pas jusques aux salons attendaient sous les portiques ; ceux qui ne péroraient pas dans les secrets conciliabules ameutaient le peuple dans le jardin, organisaient l'émeute, brûlaient des mannequins, celui de Brienne, par exemple, ou de La Fayette, comme on avait brûlé déjà celui de l'amiral Keppel après le combat d'Ouessant. Chacun avait son rôle dans le drame, les hommes de conseil comme les hommes d'intrigue, les écrivains comme les hommes d'action.

C'est ainsi que la conspiration du Palais-Royal étendait de tous côtés ses ramifications d'autant plus puissantes qu'elle s'appuyait sur les instincts popu-


laires, sur les généreuses passions du moment et sur les espérances de toute une nation.

Ce dut être pour la famille royale un cruel outrage, et pour le peuple une heureuse flatterie, que le jour où le duc d'Orléans, député de Crépy-enValois, se sépara du cortége royal à la solennelle séance d'ouverture des États-Généraux, pour prendre place parmi les députés nobles du bailliage qui l'avait nommé (1).

(i) C'est à J'aide d'une supercherie que le due d'Orléans avait été nommé député. Au moment des élections, le comte de Limon s'était rendu à Crépy comme pour visiler les bâtimens du prince, mais en réalité pour combattre la résistance des électeurs de la noblesse, qui ne voulaient pas se mettre en opposition avec la cour en nommant le duc d'Orléans. Le comte de Limon s'y prit si adroitement qu'il fit élire le duc d'Orléans, en persuadant aux électeurs que ce prince n'accepterait pas. Mais, peu de temps après, on vit avec beaucoup d'étonnement Louis-Philippe venir luimême à Crépy remercier el prêter serment.

Le duc fut aussi nommé député par la noblesse de Paris, mais il opta pour la modeste élection du bailliage de Crépy.

C'était un mérite populaire de plus.

Louis XVI avait désiré que les princes de sa famille ne se fissent pas élire aux Etats - Généraux. C'était une faute, car l'assemblée se trouvait ainsi sous la main du duc d'Orléans et de Necker, lequel, écartant de cette manière toutes les hautes influences, restait seul au milieu des partis pour s'en servir contre le roi.


Les clameurs sympathiques qui accueillirent cette démarche redoublèrent encore lorsque peu de jours après, dans les malheureuses dissidences qui précédèrent la réunion des trois ordres, le duc d'Orléans se montra un des premiers à entraîner la noblesse vers le tiers-état. Toutefois, il faut dire que si elle n'avait eu que l'autorité de la parole et du courage du duc d'Orléans pour sacrifier sa préséance, la noblesse fût restée dans sa chambre, et eût attendu le tiers au lieu d'aller à lui.

Pendant que les trois ordres délibéraient, chacun de son côté, le clergé attendant qu'il y eût un vainqueur pour se faire un allié (1), on avait préparé au duc d'Orléans un discours pour demander la réunion de la noblesse au tiers-état.

La chambre était pleine, et le duc d'Orléans se mit à faire sa harangue. A peine eut-il prononcé quelques phrases, que le marquis deMontrevel, trouvant qu'il faisait chaud, s'écria : « Ouvrez les fenêtres! » A cette soudaine exclamation , Philippe crut qu'on s'apprêtait à le jeter par la fenêtre; il pâlit et se trouva mal. En le déshabillant, on le trouva plastronné de plusieurs gilets, dont un en peau de renne : —c'était le 17 juin.

Malgré cet incident, qui réveilla les épigrammes d'Ouessant et de l'ascension aérostatique, le duc d'Orléans, après la réunion des trois ordres, fut nommé président de l'Assemblée nationale. Comme

f 0 Paroles de M. de Lally-Toliemlal.


on savait d'avance qu'il n'accepterait pas, ce n'était qu'un prétexte arrangé pour sa modestie.

« Si je croyais, dit-il à l'Assemblée, pouvoir rem« plir la place à laquelle vous m'avez nommé, je la « prendrais avec transport; mais, messieurs, je se« rais indigne de vos bontés si je l'acceptais, sachant « combien j'y suis peu propre. Trouvez donc bon, « messieurs, que je la refuse, et ne voyez dans ce « refus que la preuve indubitable que je sacrifierai « toujours mon intérêt personnel au bien de l'État.»

Ici finit le rôle d'apparat joué par le duc d'Orléans au sein de l'Assemblée nationale, et commencent dans Paris les révoltes ensanglantées que dominera le nom de ce prince.

Déjà l'histoire veut que, au milieu du rigoureux hiver pendant lequel il étalait ses fastueuses aumônes, le duc d'Orléans ait cherché dans une infernale spéculation les moyens de compenser ses sacrifices, de s'enrichir outre mesure, et de soudoyer en même temps des artisans de révolution. A cette époque, les environs de Paris avaient été ravagés par la grêle au temps de la moisson ; la récolte était mauvaise dans le reste du royaume. Alors, à la faveur d'un édit d'exportation obtenu du Parlement, les blés accaparés dans toute la France furent transportés en Angleterre, d'où ils ne revenaient que selon les progrès de la disette, ou les vues secrètes des accapareurs. Un banquier nommé Pinct était à


la tête de cette entreprise. Mais les Mémoires du temps ne sont pas d'accord sur le nom de ses complices. Les uns ne voient dans Pinet qu'un agent des monopoleurs, fermiers-généraux, ministres et financiers qui, depuis 1730, avaient formé une association pour l'approvisionnement des blés sur les marchés de France, association long-temps tenue secrète, qu'on appela pacte de famine, et dont la révélation avait coûté vingt-cinq années de captivité t à son auteur, le Prevot de Beaumont; d'autres af firment au contraire que Pinet n'a été qu'un ins trument de la cupidité et des machiavéliques combinaisons du duc d'Orléans.

Le 29 juillet 1789, Pinet fut assassiné. Les circonstances de sa mort sont mystérieuses comme l'avaient été les entreprises des dernières années de sa vie. Au milieu des troubles de juillet, Pinet effrayé, c'est Bertrand de Molleville qui raconte ces détails, avait confié au duc d'Orléans son portefeuille, contenant quarante millions de valeurs. Ce portefeuille avait été mis en sûreté au Rincy, où Pinet vint le chercher peu de temps après, non sans en avoir déjà plusieurs fois sollicité la- restitution. Le duc d'Orléans donna à Pinet une voiture à sa livrée pour le ramener à Paris. Arrivé dans un petit bois appelé le Vesinet, la voiture fut cernée par des hommes embusqués dans le bois, Pinet fut frappé à mort, dé, pouillé et laissé baigné dans son sang. Le lendemain on trouva ce malheureux qui avait encore un souffle de vîè ; il ne proféra plus qu'un mot : « Mon porte-


feuille., mon porte-feuille » et il expira (1).

D'autres scènes avaient préludé au meurtre de Pi-

(1) Bertrand de Molleville, t. iv, p. 100. — Cet historien ajoute à ce récit les particularités suivantes : « Cette catastrophe, qui dérangea la fortune d'un trèsgrand nombre de personnes, fut mise sur le compte du duc d'Orléans; mais on n'avait pas de preuves, et on tenta inutilement pendant deux ans tous les moyens possibles de s'en procurer. A la fin, quelques-uns des principaux créanciers découvrirent, au mois d'octobre ou de novembre 179T, un valet-de-chambre que le duc d'Orléans avait congédié, et qui était à son service à l'époque de la mort de Pinet; ils s'adressèrent à lui, et lui offrirent de grandes récompenses s'il voulait leur procurer les renseignemens dont ils avaient besoin. Après bien des négociations, ils conclurent leur marché avec lui, et en obtinrent des confidences qu'ils payèrent fort cher; mais, pour qu'elles pussent leur être utiles, il fallait qu'il consentit à en déposer en justice, et il y répugnait infiniment par la crainte, disait-il, que Je duc d'Orléans ne le fît assassiner ou empoisonner. On espérait cependant l'y déterminer à prix d'argent; mais cet homme disparut tout-à-coup, et ne laissa aucune trace de sa fuite.

Les créanciers présumèrent qu'il avait vendu son silence au duc d'Orléans, qui avait sans doute exigé qu'il sortit du royaume. Je fus instruit de ces détails dans les premiers jours du mois de mars 1792, par un des créanciers, qui vint me demander si, en qualité de ministre de la marine, je ne pourrais pas leur procurer les moyens de faire chercher ce valet-de-chambre en Angleterre, et de l'y faire arrêter. Je lui répondis que tout ce que je pouvais faire était de charger le consul de France à Londres de s'informer si cet homme y était arrivé; mais qu'avant tout il fallait qu'ils me donnassent son nom, son signalement exact, et la date


net. Quelques jours avant l'ouverture des États-Généraux, la populace avait pillé les magasins de Réveillon et d'Henriot, manufacturiers du faubourg Saint-Antoine. Parmi les figures patibulaires mêlées au peuple dans cette journée, la première de la révolution où le sang ait été répandu, la police signala plusieurs paysans de Villers-Cotterets. Le duc d'Orléans s'était montré avec sa famille sur le théâtre de l'émeute, et l'air avait retenti de vivat (1). Ces deux circonstances accréditèrent contre le duc d'Orléans de nouvelles accusations, qui furent répétées jusque dans la chambre de la noblesse. A cette occasion, un député, le marquis de Laqueille menaça de dénoncer aux États-Généraux les fauteurs des désordres et de les faire punir. — « Punir ! et comment ? » demanda le duc d'Orléans. — « Par la honte, monseigneur, » répondit le marquis de Laqueille. A ces mots, d'Orléans sortit de la salle (2).

Ce fut pour adresser aux journaux sa justification.

« La vérité, écrivit-il, ne tardera pas à être con« nue; je sais qui sont les véritables auteurs de l'é« meute dont on veut me rendre coupable ; je les « connais, je réclamerai contre eux la justice du roi, « je les dénoncerai, je les traduirai aux États-Géné-

précise de sa disparution. Je quittai le ministère peu de jours après, sans avoir revu ce créancier, et je n'ai plus entendu parler de celte affaire. »

(i) Prudhomme, Histoire générale et impartiale des erreurs et des crimes commis pendant la résolution.

(2) Procédure criminelle instruite au Ghàlelet de Paris.


« raux pour qu'ils y soient jugés; je solliciterai pour « eux la plus rigoureuse justice; enfin, je prends « l'engagement solennel d'imprimer, de rendre pu« blique ma dénonciation. »

Malgré la solennité de cet engagement, le duc ne dénonça personne, et la procédure commencée contre les émeutiers du faubourg Saint-Antoine fut ensevelie dans le mystère. Ce n'est pas la première fois qu'on verra ce prince se livrer à de vaines jactances, et afficher publiquement une indignation dont il riait ensuite avec ses amis.

L'histoire hésite à admettre des accusations si graves et si nombreuses. Que serait-ce donc, s'il nous fallait montrer le duc d'Orléans cloué au poteau des meurtriers vulgaires et des voleurs de grand chemin, entre deux sicaires subalternes, Coffiné et Poupart de Beaubourg, comme nous le représentent quelques chroniqueurs de l'époque? Les rumeurs de la foule constituent-elles toujours la calomnie historique, surtout lorsqu'elles sont transmises sous l'autorité des auteurs contemporains, témoins des mouvemens et de l'impression des masses? Si large qu'on puisse faire la part de l'innocence et de l'apologie, n'existe-t-il pas dans ces accusations un certain fond de vérité dont les mystérieuses traces, d'abord incomplètes ou perdues, se retrouvent ensuite? S'il n'est pas de réputation historique à l'abri de la calomnie, on trouve difficilement une exception à cette règle des révélations posthumes et des secrètes corrélations de l'erreur avec la vérité.


Et d'ailleurs, comment les plus sinistres croyances ne se seraient-elles pas accréditées contre Philippe d'Orléans, quand on savait à quels hommes le PalaisRoyal donnait droit de bourgeoisie, et de quelles agitations ce lieu était le théâtre?

Le 14 juillet la Bastille fut prise; Mme de Genlis conduisit ses élèves sur les décombres de ce monument féodal, et le soir venu, elle se mêla, avec eux, aux frénétiques farandoles des femmes du peuple dans le jardin du Palais-Royal. C'est de ce lieu qu'étaient partis les démolisseurs, excités par l'éloquence de Camille Desmoulins. En même temps, le buste de Necker, ministre que le roi venait de remercier, et le buste du duc d'Orléans, sortis comme par enchantement des groupes populaires, avaient été portés en triomphe dans les rues de Paris, et salués par une foule en délire. — Ce jour-là, le duc d'Orléans eût été roi s'il l'eût voulu. Il n'osa pas : c'est en révolution surtout que l'occasion perdue ne se retrouve jamais.

Bonaparte et Mirabeau avaient le secret de cette maxime: Bonaparte fit le 18 brumaire, et Mirabeau voyant arriver Louis XVI à Paris au milieu du bouillonnement révolutionnaire qui suivit la prise de la Bastille, s'écria : « Celui qui a conseillé cette dé« marche au roi est un hardi mortel, sans cela Paris « était perdu pour lui. » — Je n'attribue ces paroles, , ajoute l'historien qui les cite, qu'à la « singulière sa« gacité de Mirabeau ; il connaissait le parti du duc « d'Orléans, et pouvait penser qu'il aurait profité de


« la circonstance pour s'emparer de la capitale. Si « le parti du duc d'Orléans était capable de former « ce plan, il fut déconcerté par la visite soudaine du « roi, qui réchauffa toute l'affection du peuple (1). »

Il n'eût tenu qu'au duc d'Orléans que le roi arrivât trop tard à Paris ; mais ce prince n'entrevit les avantages de sa position que pour regretter plus tard de n'en pas avoir profité.

Dans les conciliabules de Passy et de Montrouge, où se réunissaient les membres du conseil secret du duc d'Orléans, Choderlos de Laclos, Valence, Sillery-Genlis, Sieyès et Mirabeau, un plan habile avait été préparé; il s'agissait de faire des troubles de Paris un prétexte d'intervention pour le duc d'Orléans. Ce prince devait se présenter au roi, l'avertir du danger de la situation, s'offrir pour intermédiaire entre la nation et l'autorité, et réclamer en retour le poste de lieutenant - général du royaume.

Philippe d'Orléans accepta le rôle qu'on lui faisait, mais le cœur lui faillit lorsqu'il fallut payer de sa personne. Dans la matinée du 15 juillet, le duc se présenta effectivement à Versailles, et s'informa du baron de Breteuil s'il était possible de parler au roi. Le ministre répondit que Sa Majesté ne voulait voir personne, mais que le prince pouvait lui écrire, ou, s'il aimait mieux, lui adresser sa lettre à lui,

(i) Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont de Genève, p. II 5.


baron de Breteuil, qui la mettrait sous les yeux de Louis XVI. Le duc préféra ce dernier parti; mais au lieu de réclamer la lieutenance-générale du royaume, et de réciter le thème qu'on lui avaitappris, il se contenta de prier le baron de Breteuil de solliciter pour lui la permission de passer en Angleterre, où il avait l'intention de se rendre, disait-il, si les affaires prenaient une tournure fâcheuse (1).

Une fois encore le fantôme de la peur était apparu au duc d'Orléans; et cependant, s'il se fût montré, il eût trouvé le peuple paré des couleurs de sa maison : le bleu, le rouge et le blanc avaient remplacé la cocarde nationale; c'était là toute une révolution. On avait déjà l'étendard, on n'attendait plus que le chef, mais le chef avait disparu. Le peuple garda les couleurs pour de plus glorieuses destinées ; les émeutiers allèrent aux meurtres, et l'Assemblée nationale à la révolution.

Le duc d'Orléans ne parut pas dans l'explosion des grandes fureurs populaires dont le Palais-Royal et la place de Grève étaient le théâtre, mais on le retrouve dans la nuit du 4 août, au sein de l'Assemblée nationale, excitant à l'abolition des titres de famille et des droits seigneuriaux. Les souvenirs de cette nuit ont été placés sous une invocation patriotique; le désintéressement anima, il est vrai, quelques généreux sacrifices, mais les regrets de

(i) Bertrand de Molleville, Mémoires. — Procédure criminelle instruite au Chatelet de Paris.


l'abbé Sieyès, perdant la dîme de ses abbayes, le dépit que montrèrent plusieurs complices de cette démolition féodale, ont laissé percer quelques soupçons sur les secrets motifs de cette ferveur d'égalité, préparée dans un souper par le duc de Liancourt, le duc d'Aiguillon et Philippe d'Orléans.

Ame ardente, caractère facile, homme de plaisirs et de volupté, Mirabeau s'était donné à la révolution moins par haine d'un régime dont il avait subi les rigueurs que par amour de la popularité, du mouvement et du bruit. Ce n'était pas le renversement de la monarchie qu'il demandait, c'était une tribune pour sa fougueuse éloquence, dont il n'avait que faire dans le calme de l'État.

Il fallait des tempêtes à Mirabeau : pour les produire , le choix des élémens lui était assez indifférent , car il méprisait également les hommes de tous les partis; mais quand il eut vu la révolution marcher et grandir à sa voix, lorsqu'il eut compris l'hésitation et la débonnaireté du pouvoir, qu'il eut fait sur l'Assemblée souveraine l'essai de sa puissance et de son autorité, il prit en pitié cette monarchie qui ne savait pas se défendre. Examinés de près, les rouages du gouvernement lui parurent si fragiles, si usés, qu'il prit idée de les briser et de les remplacer par un système nouveau. Pour l'aider à cet œuvre, un homme se trouvait dans les conditions voulues : c'était le due d'Orléans; Mirabeau se rap-


prochadelui. Philippe d'Orléans réalisait assez bien pour le bon peuple, dont Mirabeau se moquait, le nouvel ordre de choses rêvé par le tribun.

Ce prince tenait à l'avenir par la révolution, dont il avait accepté toutes les idées, au passé par les liens qui l'attachaient à la famille des Bourbons. Le duc d'Orléans une fois maître ou roi par l'intervention du tribun, c'était le tribun qui réellement eût possédé le pouvoir. Il fallait tout le prestige de cette raison pour engager Mirabeau à poursuivre les tentatives que la pusillanimité du prince avait déjà fait échouer, d'autant que Mirabeau connaissait la nullité de Philippe, la faiblesse de son caractère et l'abjection de sa vie. Il disait de lui qu'au moral on ne devait rien lui imputer, parce qu'il avait perdu le goût et qu'il ne sentait plus la différence du bien et du mal (1).

Sous la puissante pensée de Mirabeau, la conjuration s'était agrandie : une activité nouvelle avait animé les conciliabules de Montrouge et du PalaisRoyal , pendant que dans l'Assemblée nationale on concentrait les oppositions et qu'on cherchait à gagner les esprits.

Ce fut, dit Rivarol, vers le milieu du mois de septembre, pendant la délibération sur l'hérédité du trône, que la faction orléaniste démasqua sa pensée. A peine la succession par ordre de primogéniture était-elle prononcée, que le député Rewbell

(i) Souvenirs sur Mirabeau, par Ittienne Duiriout.


fit observer que ce décret appelait au trône la branche espagnole au préjudice de la maison d'Orléans.

Mirabeau et quelques membres de la minorité de la noblesse se joignirent à Rewbell pour demander que la question fut nettement tranchée contre les Bourbons d'Espagne; et Sillery, qui par hasard avait dans sa poche le traité d'Utrecht, se mit à lire à haute voix l'article de la renonciation de la branche espagnole, et déposa le traité sur le bureau. La discussion fut longue, orageuse; elle dura quatre jours. Jamais au congrès d'Utrecht les ennemis de Louis XIV n'avaient mis plus de barrières entre les couronnes de France et d'Espagne; jamais la jalousie de l'Angleterre et celle de l'Empereur ne s'exprimèrent comme la faction d'Orléans.

A voir l'ardeur des débats, on comprenait bien que l'Assemblée nationale résistait de bonne foi, et que la faction d'Orléans était embarrassée de l'Escurial plus que de Versailles ; mais enfin le sentiment des défiances l'emporta sur les intrigues de l'ambition. L'Assemblée décréta l'hérédité du trône, sans rien préjuger sur l'effet des renonciations (1).

Au milieu des louanges dont on s'efforçait de relever le patriotisme et les vertus du duc d'Orléans, un député fit remarquer avec quelle délicatesse ce prince s'abstenait de paraître à l'Assemblée depuis qu'on y agitait ses intérêts : sur quoi un autre député supplia très-plaisamment d'observer que le roi d'Espagne avait la même délicatesse (2).

(i) Mémoires (le Rfaarol, p. aa3 et sniv. (2) Idem.


Ce fut après cet échec , le premier que Philippe d'Orléans eût subi dans l'Assemblée nationale, qué le Palais-Royal revint aux projets si tristement avortés deux mois auparavant. Déjà l'indiscret et l'impatient Mirabeau avait laissé percer, en présence de ses collègues, les plans d'usurpation concertés pour le duc d'Orléans ; il en avait parlé à Bergasse, à La Fayette et à Mounier, président de l'Assemblée.

Comme ce dernier paraissait épouvanté de ces révélations : « Bonhomme que vous êtes, répondit le tribun, je suis aussi attaché que vous à la royauté; mais qu'importe que nous ayons Louis XVII au lieu de Louis XVI? et qu'avons-nous besoin d'un bambin pour nous gouverner (1) ? »

Peu de jours auparavant, c'était encore à Mounier, à Bergasse et à Duport, que Mirabeau avait en passant jeté quelques paroles de séduction. « Messieurs, leur disait-il, j'ai rencontré hier soir M. le duc d'Orléans, à qui j'ai dit : Monseigneur, vous ne pouvez pas nier que nous puissions avoir bientôt Louis XVII, et si cela n'était pas ainsi, vous seriez au moins lieutenant-général du royaume. Le duc d'Orléans m'a répondu, messieurs, des choses fort aimables. » Pendant que Mirabeau allait sondant les dispositions de l'Assemblée nationale, et quêtant des voix pour le duc d'Orléans, on préparait, d'un autre côté, les signes et les emblèmes d'une royauté nouvelle,

(i) Procédure criminelle instruite au Châtelei de Paris.


on promettait de l'or au nom de ce prince, on envoyait aux soldats des prostituées, pour les gagner à sa cause.

Mais les profondeurs où se tissait la trame de ces complots n'étaient pas si bien fermées que la lumière ne se fit par quelque ouverture. Un de ces misérables payés pour les meurtres qu'on méditait s'était écrié, dans un état d'ivresse, qu'il égorgerait la reine; puis revenu à lui, il avait raconté comment il s'était en gagé à commettre ce crime (1). Un soldat du régiment des Trois-Évêchés avait voulu se tuer, dans un moment de désespoir, en maudissant Philippe d'Orléans (2). Une autre fois, c'étaient des députés qui, se rendant à l'Assemblée, avaient entendu de sinistres propos. Enfin, de tous côtés se révélaient les indices d'une vaste conspiration, et le nom de Philippe d'Orléans semblait invisiblement présider à une vaste organisation de révolte et de meurtre.

Dès le mois de septembre ces complots étaient connus de la cour et du ministère. De toutes parts les avis arrivaient aux défenseurs du roi, mais la fatalité semblait avoir frappé la monarchie d'impuissance et de faiblesse.

La Fayette, commandant la milice parisienne, n'avait pas été le dernier à pénétrer le secret de ces criminelles intrigues. Vers les derniers jours de sep-

( i) Prorédlll r nÙninelle instruite au Châtclet. de Paris.

(2) Moniteur, n° (H).—Pnn rturr (¡.;,nille//(' ¡n'fmi/,' nu ( hâte le f de Paris.


tembre, il écrivait à M. de Saint-Priest qu'on avait excité les grenadiers à marcher sur Versailles, mais que cette velléité était détruite par quelques mots qu'il leur avait dits, et qu'il ne lui était resté de la connaissance de ce projet que l'idée des inépuisables ressources des caba leurs (1). n Dans le vertige qui emportait tous les esprits vers des extrémités opposées, à l'inertie du pouvoir ou à l'agression révolutionnaire, on ne songea même pas à s'enquérir des cabaleurs ni à s'emparer de ces inépuisables ressources qu'avait devinées La Fayette ; aussi Mirabeau promenait-il tranquillement son in-

souciance de désorganiteur, préparé d'avance aux complots dont il connaissait les secrets, riant de tout, de la royauté qu'attendaient les gémonies, des héros que saluait la foule, et de lui -même, digne représentant, disait-il, de la canaille qui l'avait élu.

C'est ainsi qu'on arrive à ce drame qui a gardé dans l'histoire le nom de journées des 5 et 6 octobre.

Pour donner au duc d'Orléans le pouvoir qu'on lui destinait, il était nécessaire de forcer le roi à un acte qui l'eût compromis aux yeux du peuple, ou mis dans la nécessité de fuir devant la révolte. Que le roi quittant Versailles se fût retiré dans une place forte du royaume, à Metz, par exemple, et l'on eût profité de cette occasion pour déclarer la patrie en

(i) Procédure criminelle instruite au Châtclet (le Paris.


danger, et pour investir le due d'Orléans de l'autorité royale.

Il est impossible que Louis XVI ne comprît pas cela. Quelque triste que fùt la partie qui se jouait à Versailles et à Paris, l'abandonner, c'était la perdre; aller planter la tente royale sur la frontière de France, c'était couper le royaume en deux et organiser la guerre civile, la guerre de Paris contre une province.

Paris sans roi eût pris un chef au Palais-Royal, d'autant que rien n'est facile à tromper comme le peuple en révolution : les audacieux le mènent, les intrigans le dupent. Si les conseillers de la couronne avaient réellement formé le projet de transporter à Metz le siège du gouvernement, c'était une grande faute. Vrai ou supposé, secret espoir de la cour ou machiavélique invention, ce projet n'était pas moins au Palais-Royal le principal texte des Catilinaires et le moteur le plus puissant de l'exaltation générale, parce qu'une semblable pensée blessait le sentiment national des hommes qui ne demandaient à la révolution que de constitutionnelles réformes, et qu'elle servait en même temps de prétexte à ceux qui voulaient détrôner le roi.

Bientôt tout favorisa les manœuvres des conspirateurs. A la fin de septembre, le pain manquait à Paris, et la famine devenait ainsi un puissant auxiliaire aux excitations et aux alarmes qui chaque jour allaient croissant; le roi refusait ou faisait attendre sa sanction à plusieurs articles constitutionnels pro-


muigués par l'Assemblée; enlln, un repas que les gardes dû-corps donnèrent à Versailles le premier octobre, fête où la famille royale vint exciter par sa présence l'enthousiasme et la fidélité monarchiques, fut dénoncé au peuple de Paris comme un attentat à la liberté.

Pour venger cette insulte, une armée de femmes, d'hommes en jupons et d'hommes armés de haches, de fusils, de sabres et de piques, se dirigea sur Versailles. Un nommé Maillard, et la Liégeoise Théroigne de Méricourt, en habit d'amazone et la plume au chapeau, commandaient cette cohue.

L'épopée de Versailles a été trop souvent écrite, pour que nous fassions un nouveau récit de ces sanglantes journées. Des tentatives de meurtre contre la famille royale ; de hideuses femmes demandant à manger le cœur de Marie-Antoinette ; une lutte désespérée à la porte de la chambre de cette reine infortunée, entre quelques gardes-du-corps baignés de sang et la sanguinaire populace; des gardes massacrés, puis décapités par un bourreau à longue barbe, qui demandait du tabac aux passans, en homme qui fait son métier de coupe-tète avec une grande tranquillité d'àme ; des tètes promenées au bout d'une pique; des femmes à la coiffe parée de chairs mutilées; la royauté, les pieds dans le sang des siens, marchant vivante encore, mais vaincue et humiliée, au lugubre convoi de ses funérailles, voilà quels souvenirs ces deux jours ont laissés dans l'histoire.

Ce qui nous appartient ici, c'est le nom de Phi-


lippe d'Orléans dominant ces scènes de carnage et de désolation. Dès son arrivée à Versailles, la populace.

au milieu de ses menaces d'extermination, invoquait le due d'Orléans comme un sauveur. — « C'est le duc d'Orléans que nous voulons pour roi! — Notre père c'est le duc d'Orléans! — Vive le duc d'Orléans! - Vive le roi d'Orléans (1)! C'est ainsi que parlait le peuple, pendant que les cannibales voulaient manger de la reine, et que, les mains rouges de sang, Nicolas, l'homme à la longue barbe, demandait. du tabac aux passans.

Le 5 octobre, le duc d'Orléans avait été vu à Versailles , en proie à une agitation extrême ; tantôt courant à cheval vers Paris avec trois de ses gens, tantôt retournant en toute hâte sur ses pas ; ici, confondu avec une troupe armée de piques, de lances, de pistolets et de bâtons ; là, au bois de Boulogne, s'arrêtant inquiet, irrésolu, et reprenant enfin, au plus grand galop de son cheval, le chemin de la Révolte (2), ce chemin sur les pierres duquel un demisiècle plus tard son petit-fils devait trouver la mort.

Le 6 octobre au matin, à l'heure des meurtres, le duc d'Orléans était au château parmi la populace.

— « Notre père est avec nous, et marchons ! criaient les bandits. — Quel est votre père ? dit M. de Lasserre, un des témoins de la procédure. - Eh! f.

( 1) Procédure rrintiue/l>: instruite au Chàtelcl (le Paris.

(2) Procédure cri'miuelle instruite au Clultelrt de Pans.

Mounier, Appel au tribunal de l'opinion publique.


est-ce que vous ne le connaissez pas! c'est le duc d'Orléans. Ne le voyez-vous pas là-haut. » M. de Lasserre se leva sur la pointe des pieds, et vit le duc d'Orléans sur le second pallier de l'escalier, à la tête du peuple, faisant du bras un geste qui indiquait la salle des gardes-du-corps de la reine (1).

Un seul témoin a parlé de cet incident dont l'histoire voudrait douter, mais d'autres témoignages ont tristement attesté que Philippe d'Orléans se trouvait dans le château au moment des massacres. On le vit dans les salles, dans les cours, parlant à des hommes armés de sabres et de piques, et quelque fois déguisés en femme. Sa figure était riante au milieu de cette scène de terreur ; il avait une badine à la main, et portait à son chapeau une grosse cocarde (2).

Lorsque la trop tardive intervention de la garde nationale eut mis fin à ces massacres, et que le roi cédant aux clameurs de la foule, eut consenti à se rendre à Paris, on avait vu le duc d'Orléans triste, frapper du pied en apprenant ce départ. Puis devançant le cortège, il s'était rendu sur la terrasse de Passy, avec ses enfans et Mme de Genlis. Lorsque passa devant lui la sanglante cohue, les cris et les vivats avaient recommencé : la populace saluait son roi; mais honteux et troublé, le duc d'Orléans s'était dérobé à cette ovation nouvelle : il faisait grand jour, et le roi allait passer.

( i ) Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris.

fa) Idem.


Est-ce de Versailles ou de Passy que le due d'Orléans écrivit à l'une de ses fidèles créatures ce laconique billet, daté du 6 octobre 1789 : « Courez vile, mon cher, chez le banquier. ; qu'il ne délivre pas la somme. ; l'argent n'est point gagné; le MARMOT vit encore! » C'est le comte Réal, ministre de la police sous l'empire, qui le premier a révélé cette étrange missive, dans une note d'un ouvrage commandé au conven tionnel Barrère , par Napoléon. Le comte Réal avait eu en main cette lettre, bien connue dans Paris, ajoute-t-il (1).

Voilà donc le secret des meurtres du 6 octobre tout entier révélé ! On a massacré des gardes-ducorps, on a souillé de sang et d'horribles profanations le palais de Versailles ; mais ni le roi ni le dauphin n'ont été tués ; on n'a point mangé le cœur de la reine; le coup est manqué, le marmot vit encore! — Ne délivrez pas l'argent !

C'est ici que l'historien s'arrête épouvanté. A voir l'énormité des crimes, il semble qu'aucune créature humaine n'en ait pu concevoir la pensée ; et l'on se demande si ce n'est pas un rêve du temps passé ou quelque hallucination fatale. Puis il faut bien admettre que toute une époque n'a pu se tromper ainsi dans ses accusations, que plusieurs hommes témoins de ces journées homicides ont répété devant Dieu,

( 1) Conduite des princes de la maison de llvurbon durant la

révolution, l'émigration et le ton:u/at.


sous la foi du serment : J'étais à Versailles, j'ai vu les choses dont je vous parle; que Philippe d'Orléans a laisse de sa complicité d'irrécusables traces écrites de sa main, signées de sa main : alors il ne reste plus qu'à maudire cet homme, et qu'à jeter un regard de douleur sur cette monarchie si impuissante et si faible, qu'elle n'avait même pas le courage de faire payer cher au duc d'Orléans la vie qu'il lui arrachait.

Mirabeau se montra peu dans ces sanglantes journées. Le 5 octobre, il avait été vu dans la foule, avec un grand sabre sous le bras, affectant de paraître se tenir en garde contre des dangers qui ne pouvaient l'atteindre ; le lendemain, quelqu'un le reconnut qui se cachait au milieu du régiment de Flandre. Du reste, il n'avait rien perdu de sa tranquillité d'àme ni de son ironie habituelle. Que la populace hurlât ses cris de bête fauve, ou que la royauté demandât merci aux bourreaux, le cynique tribun se jouait de tout, du malheur comme du crime. Après avoir sanctionné à la tribune les excès populaires par sa fougueuse éloquence et ses semblans d'enthousiasme, il se plaisait à montrer dans l'intimité le revers de sa morale politique. « Le peuple a besoin qu'on lui fasse faire de temps en temps le saut du tremplain. — Au lieu d'un verre dV;ui-dc-\ i<\ on en a donné une houleille , » disait-


il au Genevois Dumont, le soir du 6 octobre (1).

C'est en ces termes que Mirabeau révélait, en les excusant, le complot et les désordres de la journée.

(i) Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont.


TI.

La tragédie de Versailles produisit à Paris une profonde impression de crainte et de douleur, à laquelle plusieurs membres de l'Assemblée nationale ne purent résister. Ils n'avaient demandé à l'ère nouvelle que de sages réformes; mais quand ils virent que les factions et les meurtres étaient aussi de la révolution, ils quittèrent Paris.

Un des plus notables fugitifs, Lally-Tollendal, expliqua sa retraite par ces paroles : « Il a été au-dessus de mes forces de supporter « plus long-temps l'horreur que me causaient mes « fonctions. Ce sang, ces têtes, cette reine presque (< égorgée, ce roi emmené en triomphe à Paris, au « milieu des assassins, et précédé des têtes de ses « malheureux gardes-du-corps ; ces perfides janis« saires, ces femmes cannibales, ces cris de tous les « cvèt/ucs à la lanterne ! dans Je moment où le roi est


« entré dans sa capitale , avec deux archevêques de « son conseil dans sa voiture de suite; un coup de « fusil que j'ai vu tirer dans une des voitures de la « reine (t); M. Bailly appelant cela un beau jour; « l'Assemblée ayant déclaré froidement le matin « qu'il n'était pas de sa dignité d'aller toute entière « environner le roi ; M. le comte de Mirabeau, disant « impunément dans cette Assemblée nationale, que « le vaisseau de l'État, loin d'être arrêté dans sa « marche, s'élançait avec plus de rapidité que jamais « vers la régénération ; M. Barnave, riant avec lui, « quand des flots de sang coulaient autour de nous ; « le vertueux Mounier échappant par miracle à dix« neuf assassins qui voulaient faire de sa tête un « trophée de plus ; voilà ce qui m'a fait jurer de ne « plus mettre les pieds dans cette caverne d'antro« pophages. Tous les honnêtes gens et moi avons vu « que le dernier effort à faire pour le bien était d'en

(i) « A l'endroit le plus élevé des Champs-Elysées, dit le républicain Prudhomme, une mère, à côté de sa fille, tomba morte d'un coup de feu. On remarqua que ce fut au moment où la voiture du roi passa devant cette femme. Les assistans virent bien que le coup n'était point adressé à cette infortunée. On en voulait à un autre personnage plus important dans l'ordre politique. La majorité des spectateurs pencha à croire qu'une main orléaniste avait mal ajusté son arme. Sur la place de la Révolution, il fut tiré encore deux ou trois coups de fusil ; ils furent attribués à la même cause. » ( Histoire générale et impartiale des aimps d des erreurs commis pendant la Révolution. )


« sortir. On brave une seule mort, on en brave plu« sieurs quand elles peuvent être utiles ; mais au« cune puissance sous le ciel, mais aucune opinion « publique ou privée n'a le droit de me condamner à « souffrir mille supplices par minute, et à périr de dé« sespoir et de rage au milieu des triomphes du crime.

« Ils me proscriront, ils confisqueront mon bien; je « labourerai la terre, et je ne les verrai pas. »

Mounier fit de même; il quitta la présidence de l'Assemblée nationale pour aller chercher à Grenoble un repos qu'il n'y trouva pas. Il rédigea, comme Lally - Tollendal, un Exposé de condiiite; mais, plus explicite que lui, il dénonça le duc d'Orléans.

Cet écrit fut une des premières et des plus importantes accusations contre la faction du Palais-Royal.

L'enthousiasme de Mounier à accepter la révolution, sa probité, ses lumières, le poste éminent auquel il avait été appelé, tout rendait imposant un pareil témoignage.

D'autres rumeurs avaient devancé la redoutable parole de Mounier. Depuis le 6 octobre, le nom du duc d'Orléans était si fatalement mêlé aux plus tristes^ récits, que les agitateurs comprirent qu'il serait prudent d'aller au-devant de la colère et des dénonciations, et qu'il fallait imposer silence aux accusateurs, tout au moins commander le doute dans les esprits incertains. C'est alors que, entre La Fayette et Mirabeau, se passa un étrange conflit.

Aine indécise, amoureux de popularité, n'ayant de courage ni pour faire respecter la monarchie ni pour


l'attaquer, parlementaire d'émeute et discoureur de légalité, La Fayette voulait se débarrasser du duc d'Orléans, soit pour éviter de se compromettre en réprimant les attentats que le nom de ce prince pouvait couvrir encore, soit pour échapper aux soupçons de complicité qu'avaient fait naître l'ambiguité de sa conduite et l'irrésolution de son caractère.

Au contraire, Mirabeau, dont le nom était lié aux mêmes souvenirs sinon tout-à-fait aux mêmes crimes que le duc d'Orléans, comprenait que, si ce prince quittait la partie dans ce moment, il s'avouait coupable, allait au-devant de la flétrissure en se soumettant à une peine arbitraire, et le laissait, lui Mirabeau, sous le poids des accusations dont une désertion pareille légitimerait la vraisemblance.

Mirabeau, qui savait le prestige et l'entraînement de sa voix de tonnerre, voulait à la tribune une explication sur les journées d'octobre, sorte de dénonciation dont il eùt fait une apologie. Moins audacieux, La Fayette cherchait à soustraire le duc d'Orléans au grand jour et aux éclats de la protection de Mirabeau.

Entre ces deux extrêmes, le duc d'Orléans flottait irrésolu : il redoutait la voix de Mirabeau; mais il craignait aussi La Fayette, et le roi n'avait pas encore perdu toute autorité. Après avoir promis de rester, Philippe s'engagea à fuir. Ce qu'apprenant Mirabeau : cM. le duc d'Orléans, dit-il au duc « de Biron, va quitter, sans un jugement préalable, « le poste que lui ont confié ses commettans. S'il


* obéit, je dénonce son départ et je m'y oppose; s'il « fait connaître la main invisible qui l'éloigné, je « dénonce l'autorité qui veut prendre la place de la « loi. Qu'il choisisse entre cette alternative. »

Et d'Orléans de retomber dans ses perplexités.

Choderlos de Laclos, Sillery, Latouche, Biron, Liancourt parvinrent à le ramener à la volonté de Mirabeau , et le forcèrent à prendre jour pour la dénonciation, que le tribun avait juré de faire avec solennité; mais alors ce fut au tour de La Fayette. Il fit appeler le duc d'Orléans dans le cabinet du ministre Montmorin : là, il l'accusa avec énergie des crimes qu'il avait commis ; le duc se défendit avec lâcheté ; et La Fayette se laissant emporter à un mouvement de colère et d'indignation, bien naturel dans cette circonstance, lança à d'Orléans un regard de mépris accompagné d'un geste insultant. Philippe d'Orléans perdit contenance, pâlit, et se trouva mal ; un valet de chambre du comte de Montmorin fut obligé de lui donner un verre d'eau, pour le remettre de l'émotion que lui avait causée cet outrage.

Au moment où Mirabeau apprêtait ses scènes de tribune, il reçut ce billet : « J'ai changé de dessein, ne faites rien; nous nous verrons ce soir. » Mirabeau se tourna vers un député de ses amis : « Tenez, lisez, il est lâche comme un laquais, lui dit-il ; c'est iiiii.

qui ne mérite pas la peine qu'on s'est donnée pour lui. » Puis il ajouta dans son cynique langage : « Rihaldaccio! rizza sempre la scelcralczza, senza mai ejacularda ! »


On a rendu en langue étrangère l'exclamation de Mirabeau, l'honnêteté française se refusant à traduire de semblables obscénités. Cette métaphore de mauvais lieu peint admirablement le génie du tribun et l'infamie de Philippe d'Orléans.

D'Orléans avait souscrit à tout ce que La Fayette exigeait de lui. Sous le poids des plus terribles soupçons, exécré des royalistes, souffleté par La Fayette, conspué par Mirabeau, ce prince quitta la France dix jours après la journée du 6 octobre.

Seulement il eût été facile de donner à son absence tous les semblans d'un exil; le trop débonnaire Louis XVI aima mieux lui laisser les dehors d'une récompense.

Montmorin informa l'Assemblée nationale que le roi venait de confier une mission au duc d'Orléans, et lui-même demanda ses passeports comme député, après avoir adressé à Louis XVI une lettre d'hypocrite soumission. Les partisans et les complices de Philippe voyant sa couardise, le laissèrent partir.

Mirabeau garda le silence, non sans revenir à ses expressions favorites toutes les fois qu'il était question du duc d'Orléans. « Bien loin d'avoir jamais demandé Philippe pour roi, disait-il, je ne voudrais pas même de lui pour mon laquais. — Ne me parlez plus de cet homme, il a l'âme d'un laquais. » C'est en citant ces paroles qu'un écrivain moderne a pu dire, non sans quelque raison, que Mirabeau insultait les laquais et flattait le duc d'Orléans.

Philippe partit comme à la dérobée, seulement


accompagné de Laclos et de Clarke, secrétaires de ses commandemens. A Boulogne-sur-Mer, un émissaire, qui avait suivi sa voiture, ameuta le peuple en criant : « Ne laissez pas partir le prince, tout est pei,dit » Philippe fut arrêté. On députa des commissaires à l'Assemblée nationale, pour s'assurer si son passeport était en règle ; il fallut que le président attestât, par une lettre, que l'Assemblée avait consenti à ce départ.

C'était là une dernière tentative pour défendre le duc d'Orléans contre les terreurs de son âme, une sorte de comédie dans laquelle le baron de Menou essaya de jeter quelques flatteries populaires, en demandant que, député de Crépy, le duc d'Orléans ne fût pas privé du droit de représentant, dont il devait compte à la nation.

Ici se termine, en réalité, le rôle de conspirateur joué par le duc d'Orléans; c'est à Boulogne, sur la grève de l'Océan, que viennent expirer les rêves d'ambition de ce prince. Dès ce moment, rendu à sa pusillanimité, à son étroit égoïsme, Philippe va rentrer dans la vie matérielle, et revenir tout entier aux grossiers instincts de sa nature dépravée.

Seulement, comme les fluctuations de son âme sont infinies, et que les ambitions se renouvellent sans cesse autour de lui, on le verra se hasarder encore au milieu des tortueuses voies de l'intrigue, toujours plus redoutable à sa faction que le pouvoir lui-même; toujours tenté de se jeter aux genoux du


roi, tant que le roi gardera quelque semblant d'autorité; toujours prêt à livrer ses complices pour racheter sa vie; toujours un pied dans la couardise et un autre dans l'hypocrisie.

Le 21 octobre, un ingénieux écrit sorti de la plume de Peltier, l'un des rédacteurs du journal royaliste les Actes des apôtres, révéla publiquement ce que depuis quinze jours chacun répétait tout bas.

Mirabeau, Choderlos de Laclos et Agnès de Buffon jouaient le principal rôle dans cette brochure, trop véridique pour n'être qu'un pamphlet, et qui avait nom Domine salvum fac regem! Le duc d'Orléans y était tour à tour appelé un Bourbeux-Bourbon, Philippe-le-Rouge, ou, par antiphrase, Philippe-le-Bon.

Après avoir raconté les secrets de la trame ourdie par le Palais-Royal, le spirituel libelliste ajoutait : « Je ne crains pas de le dire : ils avaient désiré « la mort physique ou politique du roi. Vous sentez « que, dans un tel état de choses, la pharmacie du « nouveau club eût aisément travaillé Monsieur.

« Proscrit avec sa race, le comte d'Artois ne les in« quiétait plus ; la régence formée, on n'eût pas « manqué de Mathans pour nous délivrer du jeune « Eliacin : le pis-aller, au surplus, était de ramener « au Palais-Royal les beaux jours de la Fillon et du « cardinal Dubois. Nous avions précisément, dans la « vertueuse association de Duroveray, de Clavières.

« de Brissot, de Laborde, de banquiers étrangers.


« tout ce qu'il nous fallait pour nous ensevelir dans « les chiffons de Law. La fin du dix-huitième siècle « eût égalé son commencement ; et les débris de cette « nation légère, de bourreaux transformés en zé« phirs, allaient une seconde fois expirer sur un lit « de roses.

« Mais quand le peuple de Paris vit le roi « des Tuileries, au diable le roi des halles ! »

L'écrit de Peltier eut un prodigieux succès, et ne fit que concentrer davantage sur le duc d'Orléans les récens et tristes souvenirs des journées d'octobre.

Une enquête était inévitable; on parut s'y résigner, et ce fut au Châtelet de Paris que le comité des recherches de l'Hôtel-de-Ville confia le soin d'informer sur les attentats de la matinée du mardi 6 octobre.

L'enquête commença donc : elle fut longue, active; de minutieuses investigations jetèrent une terrible lumière sur certains côtés des évènemens accomplis depuis les premiers jours de la révolution. C'est dans cette procédure judiciaire que sont révélées les ténébreuses excitations à la révolte, les manœuvres employées pour porter le duc d'Orléans à la lieutenance-générale du royaume, à l'époque de la prise de la Bastille; les espérances du Palais - Royal, les indiscrètes confidences de Mirabeau, la trame des journées d'octobre, et la présence du duc d'Orléans au palais de Versailles à l'heure du massacre des gardes-du-corps. Tous ces témoignages, réunis dans un groupe de soixante dépositions environ, forment un faisceau de preuves d'autant plus redoutables.


qu'ils sont faits sous la foi du serment, et que, on supposant même certaines dépositions empreintes d'animosité ou d'exaltation politique, il ne faut pas oublier que, s'il se rencontre souvent dans une instruction judiciaire assez de condescendance et de faiblesse pour innocenter un accusé, il est rare de trouver des témoins qui ne reculent pas devant u e inculpation affirmative : les personnes qui ont l'habitude des affaires criminelles n'ignorent point cela.

Lorsqu'un témoin, placé dans toutes les conditions requises pour confesser la vérité, dit : « J'ai vu, j'ai entendu, j'étais là, » souvent plusieurs témoignages négatifs ne détruisent pas la valeur de cette assertion (1).

(1 ) Voici les noms des témoins qui ont déposé contre le duc d'Orléans dans la procédure instruite au Châtelet de Paris : Le marquis de Laqueuille, maréchal-de-camp et député; Guillaume Curtius, peintre et sculpteur; Marie-Joseph Régnier, bourgeois de Paris; Charles-Nicolas de Villelongue, commissaire au comité militaire de la ville de Paris; LouisJoseph Girin de la Morte, capitaine d'infanterie; LouisDuval de Grandmaison. avocat au Parlement de Paris; Nicolas Bergasse, membre de l'Assemblée nationale; Claude de la Fisse, docteur régent de la Faculté de médecine dé Paris; Joseph de la Chèze, lieutenant-général de la sénéchaussée de Marte), et membre de l'Assemblée; François-Henri de Virieu, colonel du régiment d'infanterie de Limousin, et membre de l'Assemblée ; Tailhardal de la Maisonneuve, conseiller, procureur du roi à Hiom, et membre de l'Assemblée; Louis- Henri de Longuève, avo-


Fn réfléchissant d'ailleurs aux circonstances qui dominaient l'instruction de cette procédure, on voit

cat du roi au Châtelet d'Orléans, et membre de l'Assemblée; Lefrançois de Pxosnet; Jean-Charles Rousseau, maître fondeur à Paris; Jean-Henri Simon, graveur du roi et du duc d'Orléans; Charles Turpin, lieutenanl-criminel au présidial de Blois; Anne-Marguerite Andelle, veuve Ravet, ouvrière en linge; Lambert de Frondeville, président à inorlier au Parlement de Normandie, et membre de l'Assemblée; marquis de Foucauld- Lardimalie, membre de l'Assemblée; Georges - Antoine Eudrion de la Corbière, commissaire-général des Suisses et Grisons: Pierre Loustaut, domestique de 1"1. la Corbière; Jean-Baptiste Cosnier, docteur en médecine à Paris; Antoine Flamion, avocat au Parlement; Jeanne Martin, garde-malades; Jean Diot, prêtre du diocèse d'Amiens et membre de l'Assemblée; marquis de Raigecourt, capitaine au régiment des dragons d'Angoulême et député suppléant de Nancy; Léon de Bouthilier. colonel du régiment de Picardie, et membre de l'Assemblée; marquis de Digoine, membre de l'Assemblée; Jean-Louis Boisse, garde-du-corps; vicomte de Mirabeau; César de Quillermy, procureur du roi à Castelnaudary, et membre de l'Assemblée; Charles de Laville ; Georges Burkoffet, maître de harpe; Maret Daubancourl, garde-du-corps du comte d'Artois; vicomte de la Châtre; membre de l'Assemblée; François-Jacques Gueniffrey et Antoine Eudeline, domestiques du vicomte de la Châtre; André Quence, cocher ; Jean-Jobert, domestique ; Jeanne Besson, femme Tillet, traiteur à Versailles; Gabriel Morlet, sculpteur à Paris; Alexandre Brayer, tapissier à Versailles ; Jean Duval de Namply. capitaine au régiment de Flandre; chevalier de la Serre, brigadier des armées et chevalier de Saint-Louis; Germain-Rorh Galland, commis au bureau de


qu'il est impossible de rencontrer un milieu plus défavorable pour une accusation. Les meurtres dont la révolution s'était souillée, depuis sa naissance, avaient jeté dans les esprits la terreur et la crainte; accuser la révolution en révélant les excès qu'elle avait commis, les attentats qu'elle semblait protéger, c'était donc volontairement s'exposer à d'inévitables proscriptions. A ce moment aussi, le nom du duc d'Orléans était plus que jamais redouté, car on croyait ce prince capable de tous les crimes, et

la marine; Georges Duprez, prêtre du diocèse de Besançon; Brujas de Maison-Blanche, aumônier de la maison du roi; Come-Beanpoil, comte de Saint-Aulaire, lieutenantcommandant d'escadron des gardes-du-corps; Nicolas Gueroult du Berville, garde-du-corps; Marie-Louise Pierret.

gouvernante; Jeanne Mongier, femme Cailleaux, concierge; Joseph Pommier, prêtre du diocèse de Saint-Flour; Joseph de Miomandre de Chateauneuf, officier au régiment de Turenne; Charles de Rebourceaux, garde-du-corps; Garnier Dwal, secrétaire du prince Edouard; Charles Laimant, inspecteur de la ménagerie du roi; Pierre Bouché, domestique de Charles Laimant.

Les dépositions de ces témoins sont recueillies dans la procédure, sous les nOS 232, 95, 5, 79, 4-8, 49, 3, 55, i45, i4o, 17, 126, i55, 211, 180, 207, 162, 236, 186, 54, 177, II9, 267, 271, 29O, 237, 82, I IO, 2o4-, l6l, l68, 2l4, 1^6, 149, 157, 376, 338, 127, 132, 133, 136, 254, 256, 365.

382, 217, 88, 226, 272, 36, 47, i58, i28, 344i 358, 46, 38i, 362, 317, 35i, 352.

La procédure instruite au Chàlelet de Paris, fut imprimée chez Baudouin, par ordre de l'Assemblée nationale.


même de soudoyer des sicaires pour la satisfaction de ses vengeances particulières. Ajoutez à cela que l'or, les promesses, les menaces, les intrigues, tout était mis en œuvre pour séduire les témoins, pour les épouvanter, et empêcher que la vérité ne vînt éclairer de si lamentables souvenirs. On tentait la corruption jusque dans le sein du tribunal même.

L'historien Montjoie cite à ce propos une lettre écrite d'Angleterre par Choderlos de Laclos au comte de Latouche, lettre digne de l'auteur des Liaisons dan(jereuses, et qu'on voudrait croire apocryphe, bien que Montjoie certifie l'avoir littéralement copiée sur l'original (1).

Les orléanistes ont parlé de l'audace du Châtelet à instruire cette procédure: il se faut étonner au contraire que, dans un semblable moment, le Châtelet ait eu le courage d'élever à la vérité un monument judiciaire aussi imposant, et que, sous l'empire des préoccupations que nous venons de dire, il se soit rencontré des témoins assez courageux pour accuser Philippe, duc d'Orléans.

L'instruction du Châtelet dura huit mois. Trois cent quatre-vingt-dix-huit dépositions sont rassemblées dans cette immense procédure, à laquelle manqua cependant un important témoignage, celui de la reine. Le Châtelet avait envoyé des commissaires aux Tuileries pour recevoir sa déposition; elle ré-

1

(i) Ilistoit-e fie fa <(mjuration de Louis-Philippe (V Orléans, t. II.


pondit ces immortelles et trop magnanimes paroles : « J'ai tout vu, j'ai tout entendu, j'ai tout oublié. » En dénonçant au Châtelet les crimes du 6 octobre, le comité des recherches, où dominaient Voidel et d'autres amis du duc d'Orléans, avait conservé l'espoir que cette procédure ne serait qu'une affaire de forme, et que le Châtelet, auquel les élémens d'instruction n'arrivaient que difficilement, rendrait une ordonnance de non-lieu, ou bien ferait tomber les rigueurs de la justice sur quelque obscur et misérable accusé ; mais ce tribunal avait autrement la conscience de ses devoirs. Il le montra bien par sa fermeté à braver les entraves de toute nature qu'on jetait à travers l'instruction criminelle; peut-être servait-il aussi de cette manière les exigences de la cour et les secrètes pensées des contre-révolutionnaires.

Comme on ne put réussir à intimider les juges ni à les corrompre, onles voulut contraindre au silence, tout en essayant de quelque moyen pour faire ajourner la conclusion de la procédure. Le jour où le Châtelet s'assembla pour entendre, toutes les chambres réunies, la lecture de l'instruction judiciaire, Voidel, vice-président du comité des recherches, manda à l'Hôtel-de-Ville le procureur du roi et le rapporteur de l'affaire. Par ce moyen, on espérait interrompre la délibération; mais le Châtelet se déclara en permanence, et les juges prirent l'engagement de ne pas se séparer sans avoir rendu une sentence.

À l'Hôtel-de-Ville, les prières et les menaces re-


commencèrent lorsque les magistrats eurent fait connaître que l'enquête touchait à sa fin, et que la conclusion en allait être soumise à l'Assemblée nationale. D'abord on voulut représenter aux juges l'inopportunité d'une pareille résolution dans un moment où les passions étaient allumées encore ; puis, voyant l'inutilité de ses prières, le comité des recherches finit par évoquer les populaires vengeances sur la tète des juges, en rendant le Chàtelet responsable des attentats qui pourraient le frapper.

Rien ne put ébranler la conscience des magistrats : ils avaient comme un pressentiment que la dernière heure de l'antique magistrature était venue, qu'il fallait attendre la mort sur les sièges fleurdelisés, tout au moins laisser un souvenir de leur courage et de leur impartialité. Les juges se retirèrent, abandonnant le comité à sa stupeur, et s'en furent achever, avec leurs collègues, la lecture du rapport sur les affaires d'octobre.

Il ne restait plus au Palais-Royal qu'une dernière ressource, celle de chercher l'impunité du crime dans le crime lui-même.


VII.

Le séjour du duc d'Orléans à Londres a laissé peu de traces dans l'histoire. Des courses de chevaux, des orgies, du scandale et du bruit, voilà quelle fut sa vie dans la vieille cité comme au Palais-Royal.

La correspondance diplomatique du due d'Orléans, pendant sa mission en Angleterre, a été publiée au commencement de ce siècle. Dans les instructions du cabinet des Tuileries, qui sont jointes à ce recueil , on retrouve le patriotisme, l'esprit de dignité, l'instinct national qui distinguaient alors les traditions de la monarchie. Il serait difficile de rencontrer aujourd'hui un peu de cette noblesse et de cette fierté que montrait Louis XVI au cabinet de SaintJames; un exemple fera connaître la différence des deux époques. En 1789, les provinces belges étaient en révolution comme elles l'ont été en 1830; alors Louis XVI voulait mettre un prince Français à la tète du gouvernement batave; et pour diriger vers


un but louable l'ambition du duc d'Orléans, il faisait espérer à ce prince que cette couronne serait la sienne. En 1830, appelé à négocier, dans une circonstance plus favorable, le cabinet des Tuileries, qui dans ce moment eût dominé le monde s'il l'eût voulu, repoussa la Belgique qui se donnait à nous, et laissa l'Angleterre introniser à Bruxelles un roi de sa façon.

En 1789, déjà Philippe d'Orléans rêvait de soumettre la France aux destinées britanniques : c'était là comme un instinct de famille, un souvenir du passé, un pressentiment de l'avenir. Quand il lui fallait répondre aux instructions du ministre Montmorin, d'Orléans ne voyait rien de préférable à une étroite alliance de la France avec l'Angleterre; le secret penchant de ce prince pour l'Angleterre ressort à chaque page de sa correspondance. Par un esprit de mesquine rivalité, le cabinet de Saint-James avait accepté, fomenté la révolution; le duc d'Orléans n'avait donc garde de traiter en ennemi un si puissant auxiliaire, aux mains duquel pouvaient être un jour les destinées de sa famille ; aussi, bien loin d'entrer dans la voie tracée par ses instructions officielles, Philippe louvoyait, ne faisait que des réponses évasives, ou renvoyait le ministre à se renseigner - auprès de l'ambassadeur en titre, M. de la Luzerne.

Dans la correspondance de Philippe d'Orléans se trouvent encore quelques pièces étrangères aux notes diplomatiques : on y voit deux lettres adressées l'une à Louis XVI, l'autre a Marie-Antoinette, a l'occasion


du premier jour de l'an. Véritable monument de fidélité et de respectueux amour, c'est entre les journées d'octobre, dont le souvenir était vivant encore, et le 21 janvier 1793, que ces deux lettres ont été écrites.

A Londres, le duc d'Orléans publia un Exposé de conduite depuis la révolution, et surtout pendant les journées d'octobre. Il y avait quatre mois au moins que la presse de France et d'Angleterre accusait le duc d'Orléans avec une égale persistance; c'était, par conséquent, se justifier un peu tard, d'autant que l'exposé était dépourvu de toute énergie, de toute apparence de conviction, et qu'il était difficile d'y trouver autre chose que de vagues paroles et de vulgaires protestations. Aussi Mrae de Genlis, qui prétendait avoir le monopole des louanges à donner au duc d'Orléans, ne put-elle s'empêcher de lui écrire, dans une lettre pleine d'une équivoque familiarité : « A.h! si vous m'eussiez chargée de faire la brochure qui précéda voire retour d'Angleterre!. elle aurait eu un bien grand succès!

— Comme cet écrit était maladroit et manqué (1)! »

A mesure que la révolution gagne du terrain sur la royauté, d'Orléans, d'abord humble et soumis, relève peu à peu la tête. Il avait commencé par montrer une certaine déférence envers M. de Montmorin, il finit par ne plus lui témoigner qu'une considéra-

(i) Cotrespondu net: de Louis - Phi/ippr-, losrph d'Orléans.


tion banale. En lisant la correspondance du duc d'Orléans, il est facile d'y reconnaître le travail de rébellion qui se fait dans la pensée de ce prince.

De leur côté, les hommes qu'il avait laissés à Paris ne cessaient de lui faire un crime de son absence, et de lui reprocher sa pusillanimité. On n'attendait qu'une occasion favorable pour le forcer au retour.

Cette occasion se présenta naturellement, lorsque la France fut conviée à venir prononcer le serment civique sur l'autel de la fédération.

Le 6 juillet, le comte de Latouche, désigné au Moniteur sous le nom de M. le Vassor, monta à la tribune, et prononça ces paroles : « J'ai à vous soumettre des faits qui concernent M. Louis-Joseph-Philippe de France (ci-devant duc d'Orléans). La lettre que je vais lire les contient, et c'est avec confiance dans la justice de l'Assemblée nationale que j'attends sa décision. »

Londres, ") juillet 1790.

Je vous prie, monsieur, de mettre le plus lot possible, et en mon nom, sous les yeux de l'Assemblée nationale, les faits dont l'exposé est ci-dessous : Le 25 du mois dernier, j'ai eu l'honneur d'écrire au roi pour prévenir Sa Majesté que je me disposais à me rendre incessamment à Paris. Ma lettre a dû arriver à M. de Montmorin le 29 du même mois. J'avais depuis pris en conséquence congé du roi d' Angleterre, et fixé mon départ à aujourd'hui, 3 juillet, après midi. Mais ce matin, M. l'ambassadeur de France est venu chez moi, et m'a présenté un monsieur qu'il m'a dit être M. Hoiriville, aide-de camp de


M. de La Fayette, envoyé de Paris par son général, le mardi 29, pour une mission auprès de moi. Alors iVI. de lioinville m'a dit, en présence de M. l'ambassadeur, que M. de La Fayette me conjurait de ne pas me rendre à Paris ; et parmi plusieurs motifs qui n'auraient pu fixer mon attention, il m'en a présenté un plus important, celui des troubles qu'exciteraient des gens malintentionnés, qui ne manqueraient pas de se servir de mon nom. Le résumé de ce message et de cette conversation est certifié par M. l'ambassadeur de France, dans un écrit dont j'ai l'original entre les mains, et dont copie, signée de moi, est ci- jointe. Sans doute je n'ai pas dû compromettre légèrement la tranquillité publique, et j'ai pris le parti de suspendre toute démarche ultérieure ; mais ce n'a pu être que dans l'espoir que l'Assemblée nationale voudrait bien, en celle occasion, régler la conduite que j'ai à tenir; et voici les raisons sur lesquelles j'appuie cette demande : A l'époque de mon départ pour l'Angleterre, ce fut M. de La Fayette qui me fit le premier, au nom du roi, la proposition de me charger de la mission que Sa Majesté désirait me confier. Le récit de la conversation qu'il eut avec moi à ce sujet, est consigné dans un exposé que je me proposais de rendre public seulement après mon retour à Paris, mais que, d'après ce nouvel incident, je prends le parti de faire publier aussitôt, comme aussi d'en déposer l'original sur le bureau de l'Assemblée. On verra que parmi les motifs que M. de La Fayette me présenta pour accepter cette mission.

un des principaux fut déjà que, mon départ ôtant tout pré-texte aux malintentionnés de se servir de mon nom pour exciter des mouvemens tumultueux, lui, M. de La Fayette, en aurait plus de facilité pour maintenir la tranquillité dans la capitale, et cette considération fut une de celles qui me déterminèrent. Cependant j'ai rempli cette mission, et la capitale n'a pas été tranquille: et si, en effet, les fauteurs de


ces tumultes n'ont pas pu se servir de mon nom pour es exécuter, ils n'ont pourtant pas craint d'en abuser dans vingt libelles, pour tâcher de fixer les soupçons sur moi.

Il est enfin temps de savoir quels sont ces gens malintentionnés dont toujours on connaît les projets sans cependant pouvoir jamais avoir aucun indice qui mette sur leurs traces, soit pour les punir soit pour les réprimer. Il est temps de savoir pourquoi mon nom servirait plutôt que tout autre de prétexte à des mouvemens populaires. Il est temps enfin qu'on ne me présente plus ce fantôme sans me donner aucun indice de sa réalité.

En attendant, je déclare que, depuis le 25 du mois dernier, mon opinion est que mon séjour en Angleterre n'est plus dans le cas d'être utile aux intérêts de la nation et au service du roi ; qu'en conséquence, je regarde comme un devoir d'aller reprendre mes fonctions de député à l'Assemblée nationale ; que mon vœu personnel m'y porte ; que l'époque du 14 juillet, d'après les décrets de l'Assemblée, semble m'y rappeler plus impérieusement encore, et que, à moins que l'Assemblée ne décide d'une façon contraire et ne me fasse connaître sa décision, je persisterai dans ma résolution première. J'ajoute que si, contre mon attente, l'Assemblée jugeait que il n'y a lieu à délibérer sur ma demande, je croirai en devoir conclure qu'elle juge que tout ce qui m'a été dit par le sieur Boinville doit être considéré comme non avenu, et que rien ne s'oppose à ce que j'aille rejoindre l'Assemblée dont j'ai l'honneur d'être membre.

Je vous prie, Monsieur, après avoir fait connaître ces faits à l'Assemblée nationale, d'en déposer sur le bureau le présent détail signé de moi, et de solliciter la délibération de l'Assemblée à ce sujet.

J'envoie copie de la présente lettre à Sa Majesté paF M. de Montmorin, et à M. de La Fayette (*).

(*) Moniteur.


La Fayette n'eut pas le courage de manifester devant l'Assemblée l'esprit d'opposition et de résistance dont la lettre du duc d'Orléans faisait preuve.

Après quelques paroles ambiguës, il se contenta de dire que la fête de la fédération ne serait point troublée, et que tout semblait faire présager l'ordre et la sécurité.

Après lui, M. de Biron parla avec hauteur ; il demanda que le duc d'Orléans vînt prendre part à la fête nationale qui s'apprêtait; personne ne se leva pour dire que Louis-Philippe, envoyé à Londres par ordre du roi, n'en pouvait revenir sans le consentement de Sa Majesté; et l'Assemblée, sur la proposition de Duquesnoy, passa à l'ordre du jour, comme le voulait le duc d'Orléans.

Louis-Philippe était donc rendu au Palais-Royal.

Le Moniteur du 15 juillet annonça son retour en ces termes :

« Après la publication de l'exposé de M. Louis-JoscphPhilippe de France, beaucoup de gens ont pensé que ce député ne tarderait pas à arri ver ; il est arrivé en effet le n, à trois heures du matin, et le même jour il s'est rendu chez le roi, ensuite chez la reine et à l'Assemblée nationale. Ainsi se sont terminées les vaines alarmes qu'on avait affecté de répandre sur les suites de son retour.

« La veille du jour que les ateliers civiques du Champ-doMars ont été fermés pour laisser aux ouvriers la liberté de niveler le terrain, les enfans de M. Louis-Joseph-Philippe de France ont été travailler avec les autres citoyens au remuement des terres. »

Le prudent Moniteur ne dit pas de quelle manière


le duc d'Orléans fut reçu aux Tuileries. Les protestations de dévouement et de fidélité sûrement prodiguées par Philippe à Louis XVI, n'ont eu de témoins que les murs du cabinet du roi, mais une autre scène a laissé dans les souvenirs quelque retentissement.

Lorsque le duc d'Orléans se présenta devant la reine, celle-ci était à sa toilette : le due lui fit trois profonds saluts, que Marie-Antoinette n'eut pas l'air de remarquer. Alors le duc se retira ; mais en traversant les appartemens, il rencontra un officier, le chevalier de Goguelat. — « Ah! te voilà, j. f..! comment osestu paraître ici! » lui dit le chevalier ; en même temps il prit le duc par les épaules et le poussa à la porte.

Philippe d'Orléans dévora ce nouvel outrage en silence, et même il n'est pas certain que débarrassé des mains de M. de Goguelat, il ait fait demander satisfaction ; toujours est-il que l'affaire n'eut pas d'autre suite (1).

(i) Cette scène, comme on le peut croire, fit grand bruit dans les journaux ; nous citons au hasard l'un des mille articles auxquels elle donna lieu: » Le sieur Bunbury vient de publier une nouvelle caricature de sa composition ; elle est pleine d'humour, ainsi que toutes ses autres productions. Elle représente l'aventure arrivée à un grand seigneur étranger, nommé Gallucin, qui fut exilé, comme chacun sait, par le général Fayetow, pour avoir soulevé le peuple contre l'impératrice. Ce grand seigneur s'étant échappé de l'île où on l'avait relégué, vint à Paris, et eut audience du roi, le II juillet 1789.

Sur le premier~ite, on voit le prince GaHocIn ,raversant les a~)e~Js'de.s Tuileries. Un jeune militaire 1 i


M. de Goguelat n'est pas le dernier dont le duc d'Orléans ait eu à endurer les insultes ; mais ce serait là, si nous voulions l'entreprendre, une monotone attriste nomenclature.

La scène des Tuileries, spécieusement arrangée pour les colonnes historiques du Moniteur, n'empêcha pas le duc d'Orléans de se présenter à l'Assemblée nationale, affectant toujours le patriotisme, à défaut du courage qu'il n'avait pas. Voici les paroles qu'il prononça : - « Tandis que d'après la permission que l'Assemblée m'avait donnée, et conformément au vœu du roi, je m'étais absenté pour aller remplir en Angleterre une mission dont Sa Majesté m'avait chargé auprès de cette cour, vous avez décrété que chacun des représentans de la nation prêterait individuellement le serment civique dont vous avez réglé la formule ; je me suis empressé alors, messieurs, de vous envoyer mon adhésion à ce serment (*) : je m'empresse aujourd'hui de le renouveler au milieu de vous. Le jour approche où la France entière va se réunir solennellement pour le même objet, et où toutes les voix ne feront entendre que des sentimens d'amour pour la patrie et pour le roi; pour la patrie, si chère à des citoyens qui ont recouvré leur

nommé le chevalier Goguenard, lui lâche une ruade en lui disant: Va-t-en vilain traître, et que ta conscience te donne du coeur, si c'est possible! Le prince lui répond: En vérité, monsieur, cela ne m'arrivera plus. Le factionnaire de garde tire à demi son sabre, et dit à part lui : Si je ne craignais de quitter mon poste,j'abatti-ais cetie horrible tête, elc. (Actes des Apôtres?

tom. xv, p. 200 de l'édition in-18.)

(*) Il ayait envoyé ce serment de Londres, le i3 février.


liberté; pour le roi, si digne par ses vertus de régner sur un peuple libre, et d'attacher son nom à la plus grande comme à la plus heureuse époque de la monarchie française. Ce jour, au moins je l'espère ainsi, verra disparaître pour jamais toutes les différences d'opinions et d'intérêts, désormais réunis et confondus dans l'intérêt public. Pour moi, messieurs, qui n'ai jamais fait de vœu que pour la liberté, je ne puis que désirer ou solliciter de vous le plus scrupuleux examen de mes principes et de ma conduite dans tous les temps. Je ne puis avoir le mérite d'aucun sacrifice, puisque mes vœux particuliers ont toujours prévenu ou suivi vos décrets; et depuis long-temps, je puis le dire, je portais dans mon cœur ce serment que ma bouche va prononcer dans le moment : « Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi (*). »

Lorsque, le 7 août 1790, Boucher-d'Argis, lieutenant-criminel au Châtelet, déposa sur le bureau de l'Assemblée nationale la procédure des journées d'octobre, on savait depuis long-temps que Philippe d'Orléans et Mirabeau étaient incriminés dans l'enquête judiciaire. L'Exposé de la conduite, rédigé à Londres, une lettre datée de Newmarket, adressée par le duc à M. de Latouche, et publiée quelque temps auparavant, n'avaient eu d'autre but que de réfuter l'instruction criminelle, et de ruiner d'a-

(*) illonilei.,r.


vance les inductions accusatrices qu'on pouvait tirer de la déposition des témoins entendus dans l'enquête.

Après un exorde emphatique, Boucher-d'Argis déclara que, en raison des charges qui pesaient sur eux, le duc d'Orléans et le comte de Mirabeau avaient paru au Châtelet dans le cas d'être décrétés d'accusation; mais, pour poursuivre un député, l'autorisation de l'Assemblée était nécessaire, l'inviolabilité des représentans ayant été déclarée au début des Etats-Généraux. Il s'agissait donc de savoir si l'Assemblée nationale livrerait au Châtelet les deux députés incriminés par ce tribunal. Dans les circonstances où l'on se trouvait, il est évident que l'inviolabilité même devenait un motif d'accusation contre ceux qui en voulaient invoquer le privilège. Tout accusé sùr de sa conscience, serait allé au-devant de la publicité des débats. Le duc d'Orléans et Mirabeau préférèrent ne pas se soumettre aux chances d'un jugement, et rester protégés par l'inviolabilité dont ils étaient revêtus. En cela, Mirabeau était bien moins coupable que le duc d'Orléans, les charges qui s'élevaient contre lui n'offrant pas la gravité des inculpations dont avait à se défendre le prince accusé comme lui.

Une autre circonstance favorisait encore Mirabeau.

Au moment où la procédure du Châtelet fut soumise à l'Assemblée nationale, le tribun était en négociation avec la cour, à laquelle il devait se vendre quelques mois plus tard. Croyant voir dans cette dénonciation judiciaire, inconciliable avec les secrètes


propositions qu'on lui faisait, une preuve de la versatilité du roi et des intrigues royalistes, il voulut rendre hostilité pour hostilité. Il invoqua donc son inviolabilité, et soutint que l'Assemblée ne devait s'occuper que de savoir s'il y avait motif d'accuser les députés désignés par le Châtelet. Ces raisons, les royalistes les avaient, peu de temps auparavant, invoquées en faveur de M. de Lautrec, poursuivi par la municipalité de Toulouse. Liés par ce précédent, ils ne pouvaient combattre avec avantage la proposition de Mirabeau; M. de Cazalès et l'abbé Maury tentèrent cependant la discussion; mais leurs efforts furent impuissans. Après de longs et violens débats , l'Assemblée décréta que son comité lui rendrait compte des investigations judiciaires du Châtelet, et qu'elle prononcerait ensuite sur la validité de l'accusation.

Dès ce moment il fut facile de prévoir l'issue du procès. Le reste n'était plus qu'une affaire de formalité. Le rapport, confié à Chabroud, député de Vienne, tout entier à d'Orléans, fut prêt au bout d'un mois, espace de temps bien borné, si l'on songe à l'immensité de ce travail. Ce fut le 30 septembre que Chabroud donna lecture de son rapport, et que recommença la discussion. Toujours dominé par la pensée des hostilités qui dans l'ombre contrariaient ses projets d'union avec la cour, Mirabeau se défendit néanmoins des accusations dont il était l'objet. Son discours fut éloquent, passionné, audacieux, mêlé de sarcasmes et d'ironie; mais enfin,


par sa contexture même, par une sérieuse discussion de la procédure du Chàtelet, ce discours était un acte de déférence envers l'opinion publique, un hommage au sentiment de la dignité personnelle.

Telle ne fut pas la conduite du duc d'Orléans ; il eut peur. Il recula devant une discussion à laquelle il n'était pas préparé. Au lieu de se présenter hardiment comme Mirabeau, et de venir lui-même discuter son procès, il envoya M. de Biron à la tribune avec les phrases que voici :

« M. d'Orléans a été un des premiers sectateurs de la liberté; il la professe hautement; ses instructions , envoyées dans les provinces, ont peut-être le mérite d'avoir contribué à la révolution dont nous devons attendre le bonheur. La conduite de M. d'Orléans, j'ose le dire, s'est soutenue depuis; car après avoir donné ses instructions, il a marqué la modération qui devait être l'apanage de l'homme qui, le premier de sa famille, avait eu une si auguste idée lors des troubles du i3 juillet.

« Lorsqu'on promenait si criminellement le buste du duc d'Orléans, puisque c'était lui qui, disait - on, le faisait promener, M. d'Orléans ne voulut point se montrer au peuple.

Il n'avait point de désagrément à en attendre; il en eût été bien reçu, mais il se cacha : il eut quelque mérite à se cacher, car il ne voulait point passer pour le chef d'une insurrection qui pût inquiéter le roi.

« Lorsque le roi donna à l'Assemblée la marque respectable de confiance de la venir consulter, de venir mettre entre ses mains le destin de son empire ; lorsqu'une dépulation de l'Assemblée fut annoncer à la capitale la résolution généreuse du roi, M. d'Orléans ne voulut pas venir à Paris; M. d'Orléans ne s'exposa pas à cette popularité qu'on lui


reproche d'avoir sans cesse recherchée, et à laquelle il n'a jamais permis la moindre publicité : car j'avoue qu'un de ses torts est de l'avoir trop souvent négligée. Il est beau d'être aimé d'un grand peuple ; il est peut-être blâmable de se refuser toujours à ses empressemens. Si j'osais parler de moi, je dirais que ce même jour je fus indiqué , par quelques-uns de mes camarades des gardes - françaises, pour les commander; je n'ose pas prendre pour moi ces vœux honorables, je les attribue tous à un nom qui leur fut fort cher, au nom d'un homme qui les commanda pendant quarante ans, et qui quarante ans leur servit de père ; mais je résistai à cet empressement, et je ne crus pas devoir, sans la permission du roi, sans son ordre, accepter le commandement d'un corps encore destiné à sa garde. Les larmes aux yeux, je remerciai mes camarades, et jamais il n'en fut plus parlé.

« Permettez - moi, messieurs, d'ajouter que vous jugerez facilement cette importante question, si vous vous rappelez quelle a été la conduite modérée de M. d'Orléans. Quelles sont les dépositions contre lui? Quels sont les assignés? Y voit-on le nom d'un seul défenseur de la liberté, et peut-on supposer que tous gardassent le silence, si quelqu'un d'entre eux l'avait cru coupable? Mais je m'engage, au nom du duc d'Orléans, à ce qu'il vous donne des éclaircissemens qui ne laisseront aucun doute ni sur sa pureté ni sur les motifs des calomnies dont il a été l'objet. »

Autant ces explications étaient astucieuses et hypocrites, autant était habile la tactique qui les avait inspirées. Car si, pleine de confiance dans l'engagement que prenait M. de Biron au nom du duc d'Orléans, l'Assemblée rendait un décret d'absolution, celui-ci pouvait prononcer telles paroles


qu'il lui plairait, et partager ainsi le bénéfice de la défense de Mirabeau.

C'est ce qui arriva. Chabroud avait proposé de décréter qu'il n'y avait pas motif d'accuser Mirabeau ni le duc d'Orléans, et l'Assemblée adopta les conclusions du rapporteur, après une assez longue discussion dans laquelle l'abbé Maury abandonna Mirabeau, pour ne prendre à partie que le duc d'Orléans.

Le lendemain, après la sentence qui l'absolvait, le duc d'Orléans se présenta à l'Assemblée pour y lire ce discours :

« Compromis dans la procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris, sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre, désigné par ce tribunal comme étant dans le cas d'être décrété, soumis au jugement que vous aviez à porter pour savoir s'il y avait ou n'avait pas lieu à accusation contre moi, j'ai cru devoir m'abstenir de paraître au milieu de vous dans les différentes séances où vous vous êtes occupés de cette affaire. Plein de confiance dans votre justice, j'ai cru, et mon attente n'a pas été trompée, que la procédure seule suffirait pour vous prouver mon innocence.

« M. Biron a pris hier en mon nom l'engagement que je ne vous laisserais aucun doute, que je porterais la lumière jusque dans les moindres détails de cette ténébreuse affaire.

Je n'ai demandé la parole aujourd'hui que pour ratifier cette obligation. Il me reste en effet de grands devoir à remplir; vous avez déclaré que je n'étais pas dans le cas d'être accusé, il me reste à prouver que je n'étais pas même dans le cas d'être soupçonné. Il me reste à détruire ces indices menteurs, ces présomptions incertaines répandues avec tant de


calomnie el recueillies avec tant d'avidilé par la malveillance. Mais ces éclaircissemens nécessaires devaient être donnés en présence de tous ceux qui auront intérêt de les contredire, et devant ceux qui auront droit d'en connaître.

« Telles sont les obligations que je viens contracter en ce moment; je me dois de les remplir, je le dois à cette Assemblée dont j'ai l'honneur d'être membre, je le dois à la nation entière. Il est temps de prouver que ceux qui ont soutenu la cause du peuple et de la liberté; que ceux qui se sont élevés contre tous les abus ; que ceux qui ont concouru de tout leur pouvoir à la régénération de la France; il est temps de prouver que ceux-là ont été dirigés parle sentiment de la justice, et non par les motifs odieux et vils de l'ambition et de la vengeance.

« Ce peu de mots que j'ai mis par écrit, je vais les déposer sur le bureau pour y donner toute l'authenticité qui dépend de moi. »

Le décret de l'Assemblée nationale n'était pas une sentence d'absolution, mais simplement un acte politique qui ne pouvait détruire l'intégrité de la procédure du Châtelet; car il est de droit rigoureux que des preuves judiciairement acquises ne puissent être combattues que par des preuves de même nature.

On a beaucoup accusé la condescendance de l'Assemblée nationale dans cette occasion; mais il ne faut pas oublier que toutes les circonstances semblaient commander un pareil dénouement. La cour, on ne l'ignorait pas, avait manifesté son contentement de la procédure du Châtelet, et quelques historiens prétendent même que l'instruction criminelle ne fut soumise à l'Assemblée nationale que


pour paralyser l'effet de certaines investigations judiciaires funestes au parti royaliste. Dès que la procédure sur les journées d'octobre eut été terminée, le bruit que le Cliàtelet n'était qu'un instrument des rancunes de la cour prit de la consistance dans le public, et bientôt on ne douta plus de la réalité de cette supposition. Les orléanistes et les journaux du mouvement ne cessaient de répéter que le Châtelet faisait le procès à la révolution, et que, les deux députés une fois mis en jugement, les vengeances de la cour n'auraient plus de terme. Si le Châtelet était réellement animé par l'esprit hostile de la cour, il eût été plus adroit, aux termes où on en était avec Mirabeau, de ne pas incriminer ce député, d'accuser le duc d'Orléans seul, et de lui laisser tout le fardeau d'une justification dont Mirabeau eût été le premier à faire comprendre l'absolue nécessité. Agir autrement était une maladresse que comprit bien l'abbé Maury, puisqu'il effaça le nom de Mirabeau de sa discussion.

De son côté, le comité des recherches de la commune déclarait que jamais il n'avait prétendu dénoncer d'autres faits que ceux qui s'étaient passés à Versailles dans la matinée du 6 octobre, et que, en réunissant les deux journées dans son instruction criminelle, le Châtelet faisait à dessein une confusion anti-révolutionnaire qui ne pouvait que tourner au profit de la cour. En fallait-il davantage pour exciter une grande partie de l'Assemblée à déjouer des intentions et des projets si vivement suspectés?


Un autre motif ne fut pas sans influence sur la détermination de l'Assemblée. Livrer les accusés au Châtelet, c'était fournir au duc d'Orléans le prétexte de tenter de nouvelles séditions, pour se soustraire aux conséquences d'une poursuite criminelle ; c'était placer la cour faible et ruinée en lutte ouverte avec un prince dont personne n'ignorait les ténébreuses ressources. Il fallait donc fermer les yeux sur les crimes passés, afin d'empêcher les troubles à venir : pour quelques-uns cette raison fut décisive.

Au reste, le décret de l'Assemblée ne changeait rien à la face des choses. S'il eût voulu détruire les graves inculpations de l'enquête, le duc d'Orléans n'avait qu'à se soumettre résolument aux chances d'un débat contradictoire. Or, il tenta tout, excepté cela.

Il se fit rédiger par trois avocats des plus inconnus du barreau de Paris, Bonhomme Comeyras, Hom et Rozier, une consultation, c'est-à-dire un acte que le premier venu peut obtenir de tout avocat sur contestation quelconque. Déjà, à la suite de son rapport, Chabroud avait mentionné une déclaration faite par cinq gardes nationaux du Gros-Caillou, attestant que le duc d'Orléans avait été vu à la hauteur de l'église d'Auteuil, près le Point-du-Jour, au moment où les témoins de la procédure affirmaient l'avoir reconnu sur l'escalier du château de Versailles. Dans la consultation de Bonhomme Comeyras comme dans VExposé de la conduite, le duc d'Orléans excipait donc d'un alibi, non seulement le 6 octobre, avant dix heures du matin, mais encore pendant la journée


du 5; il se mettait ainsi en contradiction formelle avec un grand nombre de témoins. Mais eût-il produit au jour toutes les consultations et tous les certificats imaginables, cela ne changeait rien à des documens judiciaires recueillis sous la foi du serment, et qu'une contradiction judiciaire pouvait seule infirmer et détruire.

Il est vrai encore que le duc d'Orléans prit à partie le procureur du roi au Châtelet, Flandre de Brunville , et qu'il porta plainte en faux témoignage contre quelques-uns des témoins entendus dans l'enquête ; mais quand même il serait vrai que l'un de ces témoins n'ait pas voulu courir la chance de rester exposé aux poursuites du duc d'Orléans, l'histoire demande où sont les résultats de ces actions judiciaires, si tant est qu'elles aient été sérieusement tentées.

Le décret de l'Assemblée nationale trouva dans le public d'énergiques désapprobateurs. Les chansons et les pamphlets s'attaquèrent au duc d'Orléans et au député Chabroud ; celui-ci même gagna dans la mêlée le sobriquet populaire de blanchisseur du duc d'Orléans. Il y eut aussi d'éclatantes protestations : Malouet jeta dans le public son Mémoire à consulter chez les nations étrangères, pages brûlantes qui furent lues, pendant que la consultation de Bonhomme Comeyras ne l'était pas ; Mounier, l'une des gloires de Grenoble, rédigea de Genève son Appel au tribunal de l'opinion publique, habile réfutation du


rapport de Chabroud , document indispensable à connaître, si l'on veut se rendre compte de la secrète trame des journées d'octobre et des révélations recueillies par le Châtelet, dont ce livre complète et coordonne la procédure.

De tout côté retentissaient les échos de la réprobation publique. Mais Philippe d'Orléans avait eu l'adresse de faire sienne la cause de la révolution ; aussi la révolution couvrait-elle d'un coin de son manteau l'infirmité de ce prince. Les apologies furent rares cependant : c'est à peine si on peut citer quelques pages de l'Orateur du peuple, feuille rédigée par Fréron, le même qui a laissé une mémoire souillée des massacres du Midi ; quelques sarcasmes de Camille Desmoulins, à qui devait échoir le privilége d'attaquer et de défendre tour à tour le duc d'Orléans avec la même verve ; une farce du comédien Collot-d'Herbois, intitulée le Procès de Socrate, et jouée à Paris sur le théâtre de la foire SaintGermain. C'était l'histoire du jour sous des noms antiques : le, Châtelet, Boucher-d'Argis, Flandre de Brunville, Jupiter, Junon, l'oiseau de Junon, et Philippe d'Orléans sous les traits de Socrate, étaient les personnages de cette pièce. Il n'y avait que Collot-d'Herbois au monde pour oser de pareilles allégories (1); quelques journalistes malins se chargèrent de continuer dans leurs feuilles le parallèle

(1) Collot d'Herbois était déjà connu par la Famille patriote, à-propos pour la fédération du 14 juillet.


entre le sage d'Athènes et le héros du PalaisRoyal.

« L'absolution de l'Assemblée nationale n'est pas celle de l'histoire)), a dit un écrivain non suspect, Etienne Dumont, l'ami de Mirabeau. L'histoire a sanctionné la rigueur de cet arrêt. Aussi le souvenir de la journée du 6 octobre restera-t-il sur la mémoire de Philippe d'Orléans, ineffaçable comme cette tache de sang que, dans ses rêves, lady Macbeth, après le meurtre de Duncan, croyait voir sans cesse renaître sur sa main.

Dans cette histoire de la première époque révolutionnaire , bien des évènemens ont été passés sous silence, soit que la mystérieuse action du duc d'Orléans ne nous y ait pas paru évidente, soit que le mouvement ait eu lieu en dehors de la redoutable.

influence du Palais-Royal. D'autres historiens, nous le savons, ont agrandi le rôle de Philippe d'Orléans; mais s'il est vrai que le nom de ce prince se présente naturellement à chaque nouvel épisode du grand drame révolutionnaire, c'est plutôt parce que Philippe d'Orléans s'est tellement identifié avec la révolution, qu'il fait corps avec elle.

Au moment où nous sommes arrivés, l'influence du duc d'Orléans est ruinée, perdue à jamais; il ne reste pas même à ce prince la ressource des mouvemens populaires achetés à prix d'argent, car l'ar-


gent lui manque : la grande fortune des d'Orléans s'étant fondue dans de ténébreuses manipulations.

Cependant, comme nous l'avons déjà dit, de lointaines pensées d'ambition apparaissent encore de temps à autre au Palais-Royal, mais c'est seulement par intermittence, et sans dessein évident de conduire la révolution vers un but marqué d'avance.

Ici, d'Orléans disparaît dans les évènemens sous le poids de sa nullité. Là, il se montre dans les sociétés populaires, au club des jacobins, avec son fils le duc de Chartres; ailleurs, il pousse Pétion à la mairie de Paris, et Santerre au commandement de la garde nationale; de tout côté il se cherche des alfidés, des soutiens, mais toujours dépourvu de caractère, hypocrite et méchant, il ne fait que se traîner à la suite du mouvement révolutionnaire qui s'accomplit autour de lui.

*


VIII.

Le nom du duc d'Orléans était effacé des discussions de l'Assemblée nationale, lorsqu'une question d'argent vint livrer ce nom à de nouveaux débats.

Le 11 janvier, le député Camus, plus cauteleux d'ordinaire quand il s'agissait de la liquidation des dettes de l'Etat, proposa de décréter que la créance de 4,158,850 livres, montant de la dot de Mlle de Montpensier, fille du régent, dot liquidée par lettres-patentes du 11 janvier 1725, serait payée à Philippe d'Orléans, de mois en mois, en quatre paiemens égaux, à compter du 1er janvier 1791.

C'était à l'ouverture de la séance que Camus avait présenté son rapport. Le moment était heureusement choisi pour éviter toute discussion ; car aucune affaire importante n'étant à l'ordre du jour, l'Assemblée ne comptait encore sur ses bancs que les


moins renommés et les plus assidus de ses membres. Mais à peine Camus eut-il quitté la tribune que de timides objections s'échappèrent des extrémités de la salle dégarnie. Celui-ci s'écria que le régent était un habile homme, qui dotait ainsi ses filles aux dépens de la nation; celui-là, que l'État n'avait rien à voir dans les libéralités faites par Louis XV à Philippe d'Orléans.

Il n'en fallut pas davantage pour ruiner les prétentions pécuniaires du duc d'Orléans; sans aller plus avant, l'Assemblée renvoya le projet au bureau de liquidation, en ajournant le rapport de Camus.

L'affaire ne revint à l'ordre du jour que cinq mois après : pendant cet intervalle, la discussion s'engagea dans la presse, et la question se trouva moralement résolue avant d'être soumise une seconde fois aux délibérations de l'Assemblée. Voici les souvenirs que ces débats rappelèrent à la France.

En 1721, le régent avait marié MIle de Montpensier, sa fille, avec le prince des Asturies, pendant que Philippe V accordait au jeune roi de France la main de l'infante d'Espagne. Cette double alliance terminait entre le régent et Philippe V les hostilités nées de la violation du testament de Louis XIV, et dont la conspiration de Cellamare forme l'un des incidens.

Du milieu de la Bidassoa, où Élisabeth d'Orléans et l'infante d'Espagne avaient été échangées, elles étaient parties, l'une pour l'Escurial, l'autre pour le Louvre. Trois années après, le régent et Dubois


son ministre étant morts, leur œuvre avait été brisée, et la princesse Victoire quittait la France pour revenir à Madrid, infante d'Espagne comme au jour de son départ; son extrême jeunesse était la cause ou peut-être seulement le prétexte de cet injurieux renvoi. A la même époque, Élisabeth d'Orléans regagnait la France, veuve du prince des Asturies, qui venait de mourir sur le trône d'Espagne, après un règne de six mois.

L'histoire politique de ces évènemens appartient à d'autres récits.

En mariant Mlle de Montpensier, le régent avait assuré à cette princesse, au nom de Louis XV, une dot de 500,000 écus d'or sur le trésor public; ainsi pourvue , la fille du régent renonçait à toute succession paternelle et maternelle, au profit de son frère, Louis duc de Chartres, plus tard duc d'Orléans, Ingénieuse combinaison ! La famille d'Orléans trouvait le moyen de faire acquitter par l'État une part d'héritage dont elle se devait partager les profits et la valeur! En d'autres termes, Philippe puisait dans le trésor public, comme régent du royaume, les 500,000 écus d'or qu'il versait dans ses coffres particuliers, comme père de famille. On verra par quels prétextes politiques le régent prétendait justifier cette munificence.

Après la mort de Philippe d'Orléans, la dot qu'il avait constituée à sa fille, devenue reine douairière d'Espagne, fut liquidée par lettres-patentes u 4,158,850 livres, valeur représentative des


500,000 écus d'or. Les mêmes le ttres - patentes fixèrent à 207,942 livres l'intérêt annuel de cette somme, dont le roi se réservait la faculté de déterminer plus tard le mode de paiement.

Quelques années après, la reine douairière d'Espagne abandonna à son frère, le duc d'Orléans, cette créance de 4,158,850 livres, à condition qu'elle continuerait à se prévaloir, jusqu'à sa mort, de l'usufruit de cette somme, dont elle aliénait la propriété seulement. De son côté, le duc d'Orléans s'engageait à éteindre, dans l'espace de six années, à compter du 1er janvier 1744, les dettes contractées par la reine d'Espagne, depuis son retour en France, et qui s'élevaient à 810,000 livres; ensuite à payer à sa sœur une rente viagère de 69,314 livres, rente dont la première annuité fut fixée au mois de janvier 1749 : enfin à acquitter après la mort de cette princesse, 45,000 livres de pensions viagères léguées par elle aux officiers et aux domestiques de sa maison.

Cinquante jours après cette cession, qui n'était point onéreuse pour le duc d'Orléans, la reine douairière d'Espagne mourut; moyennant une apparente dette de 810,000 livres et de 45,000 livres de pensions viagères, ce prince devint donc possesseur des 500,000 écus d'or si magnifiquement octroyés vingt années auparavant par le régent de France.

Les 207,942 livres, intérêts du capital transmis par la reine d'Espagne, furent régulièrement versées entre les mains de l'intendant du Palais-Royal, de-


puis le 16 juin 1742, jour de la mort de cette princesse, jusqu'en 1790; à cette époque, le duc d'Orléans , plus exigeant ou plus obéré que ses ancêtres, ne se contenta pas de la rente seulement, il voulut encore se faire rembourser le capital, et réclama du trésor public cette part d'un patrimoine légué par son aïeul; c'était une créance qu'il avait cédée, disait-il, à MM. Boyd et Greffulhe, deux de ses créanciers.

Voilà quels étaient les préliminaires de la de-* mande à laquelle Camus, le sévère investigateur des munificences du livre rouge, avait prêté de trop complaisantes mains.

Des faits que nous venons de rapporter, le duc d'Orléans et ses adversaires- ils étaient nombreux — déduisaient des conséquences bien opposées.

Pour épouser sa cousine germaine, disaient ceuxci, Louis XV n'avait pas besoin de doter Mlle de Montpensier - aucune princesse, en Europe, n'eût imposé la moindre condition à l'honneur de partager là couronne de France. Ce n'était pas la nation française , c'était le régent seul qui cherchait à se réconcilier avec le roi d'Espagne, son ennemi - personnel , et dans la conclusion de cette double alliance, on sait que le régent fit la loi au lieu de la subir.

Si le mariage de MIlè de Montpensier avec le prince des Asturies fut une spéculation de famille plus qu'une affaire d'Etat, pourquoi l'État récompenserait-il un acte dont le but était peut-être d'entrete-


nir quelques années encore, dans l'immorale société du Palais-Royal, la secrète espérance de voir le régent arriver au trône de Louis XIV? Cette union eût-elle même été le résultat d'une heureuse pensée politique, pourquoi faire payer par la France, d'ailleurs si libérale pour la famille du régent, les accords de ces épousailles?

Puisque, en s'alliant à une cour étrangère, les princesses d'Orléans cédaient à leur famille leur part d'héritage, n'était il pas juste que la dot de ces princesses fut prise sur les biens qu'elles abandonnaient? Quelle est donc cette manière d'enrichir sa postérité en lui léguant, avec des biens obtenus par renonciation, l'éventuelle espérance d'hériter d'une dot qu'on fait donner par l'État?

Le contrat de mariage de Louise Élisabeth d'Orléans garde le silence sur l'héréditaire transmission d'une dot que le régent ne payait point; ce silence ne semble-t-il pas indiquer que, en traitant avec le roi d'Espagne, Philippe aurait rougi de frustrer le roi de France de la reversion de son bienfait, si Louise d'Orléans mourait sans postérité? Dernier reste d'un sentiment de pudeur hypocrite, cette hésitation du régent était douteuse, ambiguë; car si on n'eût osé directement hériter de la reine d'Espagne, du moins ne voulait-on pas s'interdire l'éventualité de voir retomber un jour dans les coffres de la famille les 500,000 écus d'or donnés par le régent de France à la fille du duc d'Orléans. Pour arriver à ce résultat, il avait fallu imaginer une sorte


de contrat à titre onéreux, testament déguisé dont l'effet devait être le même que celui d'une succession régulière ; et de cette manière le fils du régent avait pu recueillir, pour les transmettre à ses enfans, les magnifiques et cependant peu coûteuses libéralités de son père.

Ceux qui, moins scrupuleux, mettaient de côté ces questions de convenance et de dignité, toutes choses dont la famille d'Orléans avait toujours paru fort peu préoccupée lorsqu'il s'était agi d'agrandir son patrimoine, soutenaient qu'un récent décret de l'Assemblée nationale ayant aboli toutes les assurances de dot et de douaire dont le trésor public était grevé, il était injuste, illégal de créer une exception à cette loi en faveur d'un prince qui, après s'être élevé de son autorité et de son exemple contre les prodigalités du livre rouge, oubliait toutà-coup que, depuis un siècle, sa famille s'était enrichie de la munificence royale, et aux dépens de l'État, pour réclamer les profits usuraires d'une des plus équivoques libéralités de cette monarchie, contre laquelle chaque jour il portait la coignée.

A cela le duc d'Orléans répondait que le mariage de la fille du régent avec l'héritier présomptif de là couronne d'Espagne avait été un acte de haute importance politique, puisque Philippe V, à peine affermi sur le trône, aspirait à en descendre, et que si le prince des Asturies eût épousé une princesse élevée dans des sentimens contraires a la France, l'alliance de l'Espagne, cette alliance, que de ré-


centes dissentions avaient rendue si nécessaire, était peut-être à jamais perdue pour nous; qu'il était d'usage que les princesses de la famille royale fussent dotées par le roi; que Louis XIII avait ainsi doté Mme Élisabeth, fille de Henri IV, mariée au prince d'Espagne ; Louis XIV, la fille de Gaston d'Orléans, mariée à Cosme de Médicis, prince de Toscane; Marie Louise, fille de Monsieur, épouse de Carlos II, roi d'Espagne ; Anne d'Orléans, mariée à Victor-Amédée, duc de Savoie; et d'autres princesses de la ligne collatérale ; Que la quotité des dots varie suivant les conventions faites entre les différentes maisons souveraines : qu'un usage immémorial fixait à 500,000 écus d'or les dots réciproques des princesses françaises mariées en Espagne, et des princesses espagnoles mariées en France ; Que la renonciation de Mlle d'Orléans à toute succession paternelle et maternelle n'était ni une grâce faite à son frère, ni une disposition particulière à son contrat de mariage, mais une précaution d'usage établie sur un principe politique très sage, sur la crainte que des souverains étrangers, en acquérant par des mariages de vastes domaines en France, n'y devinssent trop puissans et n'y troublassent la tranquillité publique ; Que la donation faite par le contrat de mariage d'Élisabeth d'Orléans avait été ratifiée par Louis XV, majeur; Que la reine douairière d'Espagne avait eu le


droit de céder ou de léguer une créance dont la possession lui était assurée par des actes authentiques; Que par un contrat régulier, le duc d'Orléans était devenu le légitime propriétaire de la dot de sa sœur, et qu'un hasard fatal, contraire à toutes les probabilités de la vie humaine, avait seul pu donner à cet acte onéreux une chance avantageuse.

Toutes ces raisons n'étaient pas sans une sorte de valeur légale; en regard des munificences de la monarchie, ces prétextes n'étaient point trop spécieux; mais une question de haute convenance dominait tout cela. Aussi, après la séance du 11 et le rapport de Camus, royalistes et patriotes, tous, jusqu'à ses amis, se tournèrent contre Philippe d'Orléans.

« Quoi de plus ridicule, s'écria Camille Desmou« lins, que de voir la maison d'Orléans ressusciter « aujourd'hui cette constitution de dot septuagénaire « pour intenter une action à laquelle Mlle de Mont« pensier seule avait intérêt? Quoi de plus ridicule, « parce que pendant soixante et dix ans on n'a volé à « la nation que la rente, de venir se plaindre que la a. nation retient le capital? 0 art merveilleux de « M. Camus! ô chef-d'œuvre de la science du palais !

« de substituer ainsi le débiteur à la place du créan« cier ! La maison d'Orléans, qui a recueilli la totalité « de la succession du régent, totalité que la nation « a rachetée pour elle de ses propres deniers, non ,( contente d'avoir la chose rachetée, veut encore le


u prix du rachat. ?S"est-ce pas, comme on dit, rete« nir le drap et l'argent? Les sentimens que je pro« fesse pour Louis-Philippe-Joseph d'Orléans et pour « toute cette maison sont connus; elle a eu la part « la plus efficace a la révolution, et les acclamations « du peuple français au Cliamp-de-Mars auraient du, « le 14 juillet, payer ce prince de son patriotisme et « des sacrifices immenses au-devant desquels il est «allé si généreusement. Si la nation voulait lui acte corder une autre sorte de récompense, moins vaine « que les honneurs éphémères du triomphe, je serais « loin de m'opposer à une munificence bien placée.

« Que le peuple français soit libéral et qu'il accorde « aycc grandeur; mais qu'on lui demande avec di(< gnité, et sans employer ces voies basses pour dé« tourner l'argent des citoyens et saigner le trésor « public dans les souterrains d'un comité (1). » Desmoulins disait vrai ; d'Orléans ne savait rien faire dignement. Il y avait une certaine impudeur dans cette façon de réclamer le paiement d'une dette d'origine équivoque , après avoir aboli toutes les libéralités de même nature, ou qui provenaient de causes moins ténébreuses peut-être. Desmoulins, cependant, ménage le duc, tout en frondant la demande qu'il a faite; c'est a Camus qu'il reproche de n'avoir gardé du livre rouge qu'un seul feuillet, espèce de lettre de change, tirée depuis un demi-siècle par d'Orléans sur les fonds de l'État, tandis que c'est

(i ) Révolution> t!r France et tir Brahant, n' Vf, pag. 3S2.


an prince lui-même que ce reproche devrait être adressé.

Brissot ne fut pas moins énergique que Camille Desmoulins; mais, comme lui, c'est à Camus qu'il porte les coups destinés au duc d'Orléans. « Com« ment M. Camus n'a-t-il pas réfléchi, dit-il en ren« dant compte de cette affaire, que le régent n'avait « doté sa fille, reste impur de ses débauches, qu'aux « dépens de l'État.

« Non, il est impossible de reconnaître M. Camus « dans cet abandon de principes ; il les a violés en « présentant cette misérable créance sans qu'elle eût « été liquidée par le commissaire du roi ; il les a violés « encore en fixant à un si bref délai le rembourse« ment d'une somme aussi énorme, tandis qu'il a « traité avec tant de sévérité d'autres individus dont « les créances ont une source plus pure, tandis que « tant de malheureux qui ne vivent que de petites u pensions gémissent en en attendant le paiement.

« A quel danger n'a-t-il pas exposé l'Assemblée na« tionale en couvrant de son nom respecté une li« quidation aussi monstrueuse ; heureusement on a «oublié son nom, on n'a vu que les faits (1). »

Ces extraits des deux plus influens organes de la presse révolutionnaire de l'époque, montrent assez par quelles paroles pleines de colère fut accueillie l'insolite et quasi-féodale réclamation du prince-citoyen.

( i ) Puiriof'- fnii/ç ,/v, ;in î)x XII.


Telle était alors la puissance des journaux, que Camus, si rudement tancé, se liàta de faire amende honorable au rédacteur du Patriote français : « Vous m'avez réprimandé, monsieur, dans votre « feuille d'hier, écrit-il à Brissot, et vous avez très« bien fait dès que vous me jugiez en faute; vous « m'avez réprimandé un peu vertement, et vous avez « bien fait encore dès que vous avez pensé que la « faute le méritait. Les réflexions de M. Martineau « sur l'affaire de M. d'Orléans méritent considéra« tion, etc. (1). »

Le prince laissa Camus aux genoux de Brissot, et poursuivit le cours de sa demande.

Cependant il fallait rendre à Philippe d'Orléans sa bonne odeur de patriotisme, et réparer, autant que possible, l'affront que ce nom venait d'essuyer.

Un jour donc les Révolutions de France et de Brabant, si virulentes d'ordinaire, se firent flagorneuses. Camille Desmoulins avait blâmé le duc d'Orléans, son apreté au gain, il se prit à louer les talens phlébolomiques du duc de Chartres. Au n° L YI des Révolutions, une gravure représente le duc de Chartres administrant une saignée à un malade de l'Hôtel-Dieu ; au bas on lit cette inscription : « Ceux qui « ri avaient que desoccupatiolls et des titres frivoles, de« viennent respectables par les lumières et les connais« sances qu'ils acquièrent, en avouant que le premier « devoir de l'homme est de secourir son semblable. »

(i) Patriote français, n" DXXVI.


Les verges vont mieux aux mains de Camille Desmoulins que l'encensoir. Si cette flatterie pouvait satisfaire l'amour-propre du jeune prince, c'était, en revanche, une assez pauvre compensation des outrages adressés au duc d'Orléans.

Toutefois, celui-ci ne s'en émut point. En dépit des clameurs il continua à entretenir le public de la dot de son arrière-grand' -tante par des mémoires où les contrôleurs de ses finances firent parade de toutes les libéralités accordées par les rois de France à la famille d'Orléans. C'était pitié de voir le duc découvrir lui-même les antiques monumens de son ingratitude, afin de retirer des décombres d'une monarchie qu'il avait ruinée les écus d'or jetés par cette monarchie dans les coffres du PalaisRoyal.

Le 13 juin, Cochard, député de la Haute-Saône, présenta, au nom du comité de liquidation, le rapport demandé par le décret du 11 janvier.

Après une discussion fort approfondie des diverses questions que soulevait cette affaire, Cochard conclut au paiement intégral de la créance réclamée par le prince; mais à peine le rapporteur eutil quitté la tribune qu'un grand tumulte se fit dans la salle.

Une partie de l'Assemblée demandait l'ajournement de la discussion à la législature prochaine, d'autres le renvoi au lendemain ou la fixation à jour déterminé.

Le président mot aux voix la question de l'ajour-


nement. L'Assemblée se divise en deux camps égaux : soutenue par le centre et la gauche, cette proposition avait contre elle l'extrême gauche et le côté droit ; l'épreuve était douteuse.

Alors recommencèrent le bruit et les altercations ; mais l'Assemblée, consultée une seconde fois, décréta l'ajournement à la législature prochaine.

Ce résultat, produit par des manœuvres et des sentimcns contraires, était plus favorable au duc d'Orléans qu'on ne le croirait d'abord, car il sauvait à ce prince la honte d'une défaite ; si l'on eut passé à la discussion immédiate, comme le demandaient la droite et l'extrême gauche, c'en était fait de la réclamation du due d'Orléans. Ce furent les partisans de ce prince qui, frappés de la résistance de l'Assemblée, demandèrent l'ajournement, espérant, par cette combinaison, donner aux esprits irrités le temps de se calmer, laisser à la question la chance de rencontrer des juges plus favorables, et éviter au prince un décret dont les sifflets de l'opposition faisaient déjà pressentir l'humiliante hostilité.

Mais le duc d'Orléans n'osa pas affronter une troisième fois le mauvais vouloir de l'Assemblée. Le 1 er octobre, une législature nouvelle avait commencé : c'était la transition de la Constituante à la Convention. Pendant les onze mois que dura cette session parlementaire, le duc d'Orléans garda le plus profond silence sur la demande dont il avait, à deux reprises, assourdi l'Assemblée nationale. Pour la première fois de sa vie peut-être il se rendait justice.


I z.

Nous arrivons à l'un des plus tristes épisodes de la révolution , l'événement de Varennes. La fuite de la famille royale, au moment où le roi avait juré la fidèle observance de la Constitution, était une faute d'autant plus grande que, cette tentative eût-elle réussi, la royauté n'eût fait que déplacer la question sans la résoudre, et rendre plus hostiles, plus énergiques encore, en les comprimant, des passions que rien ne pouvait éteindre.

Si, au lieu de déserter la France pour aller solliciter par-delà nos frontières des secours tardifs et inefficaces, la noblesse se fût généreusement serrée autour du trône , pendant que Louis XVI eût continué les indispensables et sages réformes qu'il avait été le premier à introduire dans le code national, peut-être que dégagée de tout esprit de représailles, de toute crainte d'invasion territoriale, la révolution


eut accompli sa marche sans trop de sang et de désordres.

Le départ du roi, sa déclaration à l'Assemblée nationale , manifeste d'une victoire changée en une retraite humiliante, jetèrent les partis dans des espérances, dans des craintes imprévues. Les royalistes étaient altérés; les constitutionnels, arrivés à un terme qu'ils n'avaient pas pressenti, regardèrent en arrière, et voulurent faire halte pour enrayer la royauté; mais la royauté s'était perdue. Déjà les partis extrêmes commençaient à demander la déchéance. L'Assemblée nationale était dépassée : c'est dans les sociétés populaires, aux Jacobins, aux Cordeliers surtout, que se rencontrent les tumultueux élémens de la révolution, qui ne s'est arrêtée dans l'enceinte législative que pour prendre son essor ailleurs.

De son côté la presse, toujours ardente et primesautière, discutait hardiment les conséquences de la fuite et de l'arrestation du roi, ainsi que les mesures à prendre pour prévenir le retour d'un acte semblable.

Un journal prononça le mot de régence et le nom du duc d'Orléans ; aussitôt ce prince publia la déclaration suivante, qu'enregistrèrent toutes les feuilles de l'époque, et que, dans ses Mémoires, Mme de Genlis déclare avoir rédigée sous l'inspiration du prince.

Cette manière de confier à un tiers l'exécution d'un acte aussi important, ne semble-t-elle pas témoigner de l'indifférence du duc d'Orléans pour le fait même dont il paraît si vivement préoccupé?


C'était avec la plume d'une faiseuse de romans que ce prince jouait au patriotisme.

Au réducteur du Journal /'Assemblée nationale.

« Ayant lu dans votre journal votre opinion sur les mesures à prendre après le retour du roi, et tout ce que vous a dicté sur mon compte votre justice et votre impartialité, je dois vous répéter que j'ai déclaré publiquement, dès le 21 et le 22 de ce mois, à plusieurs membres de l'Assemblée nationale, que je suis prêt à servir ma patrie sur terre, sur mer, dans la carrière diplomatique, en un mot dans tous les postes qui n'exigeront que du zèle et un dévouement sans bornes au bien public, mais que s'il est question de régence, je renonce dans ce moment et pour toujours au droit que la Constitution m'y donne. J'oserai dire qu'après avoir fait tant de sacrifices à l'intérêt du peuple et à la cause de la liberté, il ne m'est pas permis de sortir de la classe de simple citoyen.

où je ne me suis placé qu'avec la ferme résolution d'y rester toujours, et que l'ambition serait en moi une inconséquence inexcusable. Ce n'est point pour imposer silence à mes détracteurs que je fais cette déclaration. Je sais trop que mon zèle pour la liberté nationale , pour l'égalité qui en est le fondement, alimentera toujours leur haine contre moi ; je dédaigne leurs calomnies; ma conduite en prouvera constamment la noirceur et l'absurdité; mais j'ai dû déclarer dans cette occasion mes sentimens et mes résolutions irrévocables, afin que l'opinion publique ne s'appuie pas sur une fausse base dans ses calculs et ses combinaisons relativement aux nouvelles mesures que l'on pourrait être forcé de prendre.

« Signé Louis-Philippe d'ORLÉANS. »

Que Philippe fût sincère ou non dans ses paroles,


les partisans de ce prince agissaient autrement (pie lui. La première pétition qui demanda la déchéance de Louis XYI fut rédigée par Brissot, dont tous les contemporains attestent les allures orléanistes, et par Choderlos de Laclos. Cette pétition, écrite pendant la nuit , après une orageuse séance des jacobins, que les cordeliers étaient venus relancer jusque dans la salle de leur réunion, fut déposée le 16 juillet au Champ-de-Mars, sur l'autel de la patrie, où elle devint la cause de scènes sanglantes et d'une répression plus sanglante encore.

Un paragraphe de cette adresse à l'Assemblée nationale émettait le vœu de voir la nation pourvoir au remplacement de Louis XVI par tous les moyens constitutionnels. C'était, comme l'a dit Mme Rolland dans ses Mémoires, réserver la couronne ou la régence au moins au duc d'Orléans, le seul prince qui, après le départ des frères du roi, se trouvât remplir les conditions exigées par la Constitution.

Ainsi donc, à ce moment encore, Philippe ne sut ni oser ni empêcher : il ne voulait pas le pouvoir, disait-il, mais il laissait ses amis se compromettre à le demander pour lui. Il n'avait ni la hardiesse de l'ambition ni la franchise du désintéressement.

A peine le club des cordeliers eut-il connaissance de la pétition des jacobins, qu'il la rejeta comme étant entachée d'arrières pensées orléanistes. Hébert, Fréron, Chaumette, Legendre, membres actifs de ce club, qui représentait alors le parti de l'extrême mouvement, rédigèrent une nouvelle


adresse dans laquelle étaient développés les germes de la démocratie future.

De modernes apologistes de Philippe — il n'en eut point de son vivant - ont écrit qu'après l'arrestation de Louis XVI à Varennes, le duc d'Orléans n'avait qu'un mot à dire pour être roi, et que ce mot il ne le prononça pas. On ignore quelle attitude eût prise l'Assemblée nationale, si, au lieu de paraître renoncer ostensiblement au pouvoir, Philippe se fut montré prêt à l'accepter. Ce qu'on sait seulement, c'est que la déclaration de ce prince, cette protestation si précise sous la plume de Mme de Genlis, n'éveilla que d'injurieuses défiances.

Avant de se séparer et de mettre la dernière main à la Constitution, des rapprochemens inespérés s'étaient faits au bruit des sourdes rumeurs du dehors.

L'Assemblée nationale voulait sauver la'monarchie; qu'avait-elle besoin du duc d'Orléans? En prétextant de quelques sollicitations isolées pour refuser un pouvoir qu'on ne lui offrait pas, repoussé par la Constitution, nié par la république future, Philippe n'avait donc fait que parer adroitement à • un échec assuré.

Au reste, celui dont personne ne voulait comme prince, cherchait depuis long-temps à se faire ac cepter comme simple citoyen; et si une seule fois il avait paru se souvenir de son origine, ce n'avait été que pour réclamer la dot usuraire d'une reine, son aïeule.

Descendre du premier rang dans les profondeurs


de la foule, fut souvent l'effet d'une généreuse inspiration; mais, à travers ses transformations diverses, Philippe ne savait pas - descendre; il savait s'abaisser seulement.

Le 24 août, l'Assemblée nationale délibérait sur l'ensemble de la Constitution : il s'agissait des droits de la royauté et des priviléges de la famille royale.

Thouret, au nom des comités réunis, proposa de déclarer princes français les membres de cette famille, en les privant toutefois de l'exercice des droits de citoyen actif.

C'était une outrageuse exclusion dirigée contre le duc d'Orléans seul. Il le comprit, il le savait déjà; et montant à la tribune :

« Je n'ai qu'un mot à dire sur la seconde partie de l'article qui vous est proposé, dit-il, c'est que vous l'avez rejeté directement il y a peu de jours.

« Quant à la qualité de citoyen actif, je demande si c'est ou non pour l'avantage des parens du roi qu'on vous propose de les en priver. Si c'est pour leur avantage, un article de votre Constitution s'y oppose formellement; et cet article , le voici : Il n'y a plus, pour aucune partie.de la nation ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français. Si ce n'est pas pour l'avantage des parens du roi qu'on vous propose de les rayer de la liste des citoyens actifs, je soutiens que vous n'avez pas le droit de prononcer cette radiation. Vous avez déclaré citoyens français ceux qui sont nés en France d'un père français : orj c'est en France et de pères français que sont nés les individus dont il s'agit dans le projet de vos comités.


« Vous avez voulu qu'au moyen dc coudiLions faciles à remplir, tout homme dans le monde pût devenir citoyen français : or, je demande si les parens du roi sont des hommes.

« Vous avez dit que la qualité de citoyen français ne pouvait se perdre que par une renonciation volontaire ou par des condamnations qui supposent un crime. Si donc ce n'est pas un crime pour moi d'être né parent du monarque, je ne puis perdre la qualité de citoyen français que par un acte libre de ma volonté.

« Et qu'on ne me dise pas que je serai citoyen français, mais que je ne pourrai être citoyen actif; car, avant d'employer ce misérable subterfuge, il faudrait expliquer comment celui-là peut être citoyen qui, dans aucun cas ni à aucune condition, ne peut en exercer les droits.

« Il faudrait expliquer aussi par quelle bizarrerie le suppléant le plus éloigné du monarque ne pourrait pas être membre du Corps législatif, tandis que le suppléant le plus immédiat d'un membre du Corps législatif peut, sous le titre de ministre, exercer toute l'autorité du monarque.

« Au surplus, je ne crois pas que vos comités entendent priver aucun parent du roi de la faculté d'opter entre la qualité de citoyen français et l'expectative, soit prochaine soit éloignée, du trône.

« Je conclus donc à ce que vous rejetiez purement et simplement l'article de vos comités; mais, dans le cas où vous l'adopteriez, je déclare que je déposerai sur le bureau ma renonciation formelle aux droits de membre de la dynastie régnante, pour m'en tenir à ceux de citoyen français. »

Ici le Moniteur mentionne la bruyante approbation dont furent accueillies ces paroles.

«Les républicains, et surtout les citoyens actifs « dont les tribunes étaient remplies, dit Bertrand


« de Molleville (1), flattés de voir un prince du sang « royal préférer à l'honneur de son rang celui de « devenir leur camarade, prodiguaient leurs applau« dissemens à la dégradation civique et à la pureté « de patriotisme du duc d'Orléans, tandis que son « ignominie excitait dans le reste de l'Assemblée les « murmures de l'indignation ou les huées du mé« pris. »

Dupont ayant objecté qu'il avait été décidé que l'Assemblée ne préjugeait rien sur l'effet des renonciations dans la dynastie régnante, et que par conséquent la déclaration de M. d'Orléans ne devait aucunement influer sur la délibération à prendre, le duc répondit qu'une renonciation personnelle était toujours bonne.

Un député demanda à discuter la valeur de cette abdication; mais l'Assemblée passa à l'ordre du jour, non sans avoir ri d'une plaisanterie de M. d'André, qui se rangeait à l'avis de Dupont; car le duc d'Orléans, disait-il, n'avait pas le droit de renoncer au trône ni pour lui, ni pour ses enfans, ni pour ses créanciers.

Depuis les beaux jours de l'ouverture des ÉtatsGénéraux, jamais le duc d'Orléans n'avait eu si heureuse occasion de caresser les instincts populaires.

Le thème était bien choisi ; Sillery se chargea de le varier en poétiques broderies. Sa phrase patriotique devait couronner l'œuvre entreprise par le duc d'Orléans.

(i) Mémoires, loin, v, {>,13. ig3.


C'est dans le discours de Sillery que se trouve le germe de l'intime pensée du Palais-Royal : celle de roi-citoyen ou de citoyen-roi. On n'a jamais relevé ces paroles, dont un demi-voile couvre à peine les prophétiques espérances : « Jetez vos regards sur l'un des rejetons de cette race que l'on vous propose d'avilir. A peine au sortir de l'enfance, il a déjà eu le bonheur de sauver la vie à trois citoyens, au péril de la sienne; la ville de Vendôme lui a décerné une couronne civique (*). Malheureux enfant! sera - ce la première et la dernière que ta race obtiendra de la nation? (On applaudit.) « }. Vous avez sagement fait d'accorder à l'héritier présomptif des prérogatives particulières ; mais les autres membres de la famille royale, jusqu'à l'époque où par leur naissance ils peuvent monter sur le trône, ne peuvent être que de simples citoyens. Ah! combien il serait heureux, pour celui qui serait appelé à ce poste redoutable, d'avoir connu et rempli les devoirs de citoyen, et d'avoir eu l'honneur de défendre ses compatriotes contre les usurpations du pouvoir qu'il est à l'instant d'exercer! tandis que, au contraire , si ce décret passait, la nation ne pourrait attendre pour l'avenir, de cette famille dégradée et proscrite civilement, que des régens ambitieux, des rois imbéciJles et des tyrans."

Trois fois l'Assemblée applaudit à ces déclamations théâtrales. L'enthousiasme se gagnait. On vota l'impression du discours de Sillery.

Le lendemain la discussion continua. Malgré son

(*) Pour avoir sauvé deux prêtres que le peuple conduisait :t -ta mort.


ovation récente, le duc d'Orléans n'était pas moins la cause secrète des exclusions proposées contre la famille royale. Desmeuniers demandait que les membres de cette famille fussent déchus de tout droit politique; et ce fut par des motifs d'actualité et par des raisons personnelles, que la plupart des députés opinèrent en faveur du projet dont Thouret et Desmeuniers étaient les rapporteurs. Robespierre fut le seul qui, se rattachant aux principes de la politique constitutionnelle, voulut qu'on ne fit pas de la famille royale une caste à part placée au-dessus de la classe des citoyens. Si ces raisons ne prévalurent pas, c'est que, sans qu'ils fussent évoqués, les souvenirs des intrigues du Palais-Royal pesaient dans la balance de la discussion. Le nom du duc d'Orléans n'était pas jeté au milieu des débats, la déclaration de la veille commandait temporairement au moins les formes parlementaires; mais ce nom laissait au fond des esprits comme une arrière pensée de doute, de crainte et de terreur.

Les décrets qui mirent fin à ce débat accordèrent aux membres de la famille royale le titre de prince français, l'exercice du droit de citoyen, la faculté d'être nommé aux fonctions à la disposition du roi, sauf l'assentiment de l'Assemblée dans deux cas seulement, et les privèrent en même temps de l'éligibilité aux places à la nomination du peuple.

C'était la un acte de défiance contre Philippe d'Orléans, de tous les princes le seul qui, n'ayant rien h


attendre du roi, sollicitàt quelque faveur des suffrages du peuple.

Si par cette exclusion ajoutée au code politique, l'Assemblée nationale semblait prouver qu'elle n'avait pas ajouté foi aux déclarations du duc d'Orléans, c'est qu'elle avait gardé souvenance du mot de Mirabeau, et qu'elle connaissait la valeur morale de ce prince, l'astucieuse faiblesse de son caractère , et les ténébreuses trames qui s'ourdissaient autour de lui.

Il ne restait plus à Philippe qu'à se démettre de ses fonctions de député du bailliage de Crépy, et à renoncer aux droits de membre de la dynastie régnante, ainsi qu'il avait déclaré le vouloir faire. Un acte aussi solennel aurait compromis les secrètes intentions du duc d'Orléans. Il voulait bien protester de son désintéressement politique, mais non se fermer toutes les chances que pouvait lui réserver l'avenir. D'ailleurs, l'Assemblée nationale accordait au duc d'Orléans ce qu'il avait demandé, le titre de citoyen, tout en lui refusant l'exercice d'une partie des droits attachés à ce nom. Cette dérisoire satisfaction était pour Philippe un suffisant prétexte de ne pas donner suite au défi qu'il avait porté.

Sous le règne de son fils, on a dit du duc d'Orléans que, par une magnanimité dont l'histoire n'offre pas d'exemple peut-être, il déposa sur le bureau sa renonciation formelle à tous les droits attachés au titre de membre de la dynastie régnante, pour s'en tenir à ceux de simple citoyen. Où est la trace d'une


déclaration pareille? Quelles archives l'ont reçue, quels journaux l'ont enregistrée? Cette renonciation, bien qu'il eût juré de la faire, d'Orléans ne l'accomplit jamais dans les formes qui l'eussent revêtue d'une irrévocable sanction. C'est un fait important à constater, et dont plus tard on trouvera la preuve lorsque, exposé aux terribles défiances de la république, d'Orléans cherchera tous les moyens possibles de conjurer l'ostracisme dont il sera menacé.


z.

Pendant que Philippe d'Orléans tâchait d'accommoder aux circonstances les lambeaux révolutionnaires dont il avait couvert sa triste médiocrité, l'intérieur du Palais-Royal ne voyait que tristesse, deuil et désunion.

Ce n'était pas assez d'avoir détourné vers une femme aux équivoques allures l'amour que les enfans de la duchesse d'Orléans devaient avoir pour leur mère, Philippe voulut encore installer l'adultère sous le toit conjugal. Une femme avait accepté le titre de maîtresse du duc d'Orléans ; c'était Agnès de Buffon, dont nous avons déjà prononcé le nom au commencement de ce récit.

Femme du colonel de Buffon, fils de l'illustre (écrivain, Agnès était petite, maigre, d'une figure et d'une taille mignonnes. On la disait capricieuse et méchante; les aveux de la duchesse d'Orléans semble-


raient témoigner, au contraire, de la douceur de son caractère et de l'affectueuse tendresse de son cœur.

C'est donc entre Mill" de Genlis et JIm!' de Buffon que la duchesse d'Orléans devait aller chercher le prince son mari. Après cela, ce que n'avaient pu réfréner ni la sainteté, ni les devoirs du mariage, les charmes de l'adultère étaient impuissans à l'empêcher. Malgré sa femme, malgré sa maîtresse, le duc d'Orléans avait donc continué les soupers et les orgies, et toutes les priapées de sa jeunesse. En supposant même qu'aucun bruit de cette luxure, de ces libations prolongées, ne fut venu jusqu'aux oreilles de la duchesse, le spectacle qu'elle avait sous les yeux ne suffisait-il pas pour exciter cruellement du même coup la jalousie (le l'épouse et l'inquiète sollicitude de la mère? Chose admirable! et qui témoigne de la noble nature de cette femme, c'est la tendresse maternelle qui fut le plus cruellement déchirée : les larmes de l'épouse outragée ne vinrent qu'après; la mère se plaignit avant la femme.

On aura la preuve de cela dans une lettre adressée par la duchesse au prince son mari, lettre qui renferme, au milieu de détails intimes, le secret et les causes d'incessantes douleurs.

Aux griefs de l'épouse et de la mère offensée se joignirent, avec la révolution, des différences de sentimens et de pensées politiques. Pendant que le duc d'Orléans ouvrait son palais aux ennemis de la


cour, et ses jardins aux désordres de la populace, la duchesse d'Orléans s'efforçait de marquer autant qu'elle le pouvait son improbation de la conduite de son mari, en faisant cause commune avec le duc de Penthièvre, son père, et en s'associant aux pensées de la famille royale.

En fallait-il davantage pour amener entre les deux époux une rupture, que chaque jour rendait plus inévitable? Long-temps avant la révolution, la bonne harmonie n'était plus qu'apparente au Palais-Royal.

Après les journées d'octobre, la position s'aggrava de nouveau ; et le duc partit pour Londres sans emmener la duchesse, soit qu'il eût redouté dans la vieille cité cet importun témoin de sa conduite, soit que la princesse se fùt refusée à le suivre dans son exil.

Ainsi lafille du duc de Penthièvre n'était plus cette duchesse de Chartres qu'on avait vu se montrer insouciante et joyeuse aux fééries de Versailles; s'ingéniant à sacrifier à la mode nouvelle, en plaçant dans les touffes de sa coiffure élevée, l'image des choses qu'elle aimait le plus; un perroquet, un négrillon , une femme tenant sur ses genoux son nourrisson, le petit duc de Valois, et les cheveux du duc de Chartres, son mari. En 1790, la cour ne songeait guère aux incroyables et ruineuses fantaisies des premières années du jeune règne, alors que, commandant à tous les caprices de la mode, Marie-Antoinette savait en même temps inspirer à la France l'amour et la joie. Le temps avait mois-


sonné en peu d'années l'affection de Paris pour sa reine adorée, et changé en larmes amères les espérances de la duchesse de Chartres.

Les chagrins dont elle était depuis long-temps abreuvée, un jour la duchesse d'Orléans les déposa dans une lettre retrouvée après la mort du prince, son mari, auquel elle adressait une dernière et affectueuse prière.

« Vous avez bien raison, mon cher ami, il vaut mieux nous écrire. Quand on discute avec quelqu'un que l'on aime un objet intéressant, on est bien disposé à s'échauffer, et je sens que c'est cela qu'il faut éviter entre nous; car il échappe des choses qui font du mal dans le moment, et qui en font encore après. Je serai bien aise de terminer pour ce qui regarde Mme de Sillery, et vous ne montrez pas moins d'impatience : ainsi parlons-en, mon cher ami, pour n'y plus revenir, car j'ai besoin non seulement de repos, mais de jouir des bienfaits que je vous dois. Vous avez déjà fait pour mon bonheur, en m'accordant mes enfans un certain nombre de fois par semaine; ce seront desmomens heureux que je vous devrai, et qui répandront une grande douceur sur mes jours. Je ne veux plus revenir sur le passé , ainsi que je vous l'ai déjà dit. Les torts que je reproche à M",e de Sillery existent, et ne peuvent être détruits ni par son journal ni par tout ce qu'elle voudra dire ; c'est moi qui ai vu et entendu tout ce qui m'a déplu. Ce n'est donc que l'avenir qui peut me faire revenir sur le compte de Mme de Sillery: elle ne peut pas se justifier, mais elle peut réparer; et si je vois que sa manière d'être et celle de ses enfans est telle que j'ai le droit de l'attendre et de l'exiger, je suis juste, et je serai bien aise d'oublier les sujets de plainte qu'elle m'a


donnés. Voilà, mon cher ami, ce qui est dans mon cœur, et ce que j'ai déjà commencé à éprouver.

u Mme de Sillery a eu dernièrement de l'humeur, je l'ai supporte ; mais le lendemain elle a eu une attention pour moi; elle m'a écrit un billet honnête , je l'ai fait remercier par ma fille, et je lui ai répondu d'une manière dont vous avez été aussi content qu'elle : enfin, ce sera sur sa conduite que je réglerai la mienne. Que pouvez-vous désirer de mieux, cher ami? Je ne dis pas que je rendrai à Mme de Sillery mon amitié, ma confiance, quand elles ont été blessées à diverses reprises. Il est impossible de croire que l'on puisse se rapprocher à un certain point; mais Mme de Sillery peut compter sur tous les égards, les marques d'attention possibles; je serai bien aise de pouvoir témoigner de la considération à la personne qui élève mes enfans: ainsi, ce ne sera pas ma faute si cela n'est pas. Vous devez être content de moi, je l'attends de votre justice; mais encore une fois, mon cher ami, ne discutons pas sur la manière de juger Mme de Sillery; je le puis moins à présent qu'autrefois, car antérieurement, lorsque je m'éloignai d'elle, vous n'essayâtes pas de la justiner ; vous me dites seulement que vous aviez des raisons essentielles qui vous faisaient tenir à elle : je jouissais du moins de l'idée de vous faire un sacrifice que vous sentiez.

« Mais actuellement vous me dites que - Mrae de Sillery fait votre bonheur, qu'elle m'aime ; je vous avoue que, quand vous me dites ces choses-là, elles me tuent. Eloignons bien, mon ami, tout ce qui pourrait troubler notre union, et soyons, comme toujours, sans gêne, sans embarras l'un pour l'autre. Vous savez trop bien que vous ne pouvez avoir de meilleure amie que moi, pour que je vous le répète; mais j'espère que vous l'avez toujours pensé, et que personne ne pourrait jamais détruire la confiance que j'attends de votre part. J'ose dire que je l'ai toujours méritée, et je


serais bien affectée de penser que vous auriez pu soupçonner le moindre instant que je pouvais être changée. Ceux qui vous ont mandé cette nouvelle avaient certainement des raisons pour accréditer une chose démentie par toute ma conduite, car assurément il ne s'est pas passé an seul jour, pendant votre absence, où je n'aie prouvé mon atlachement pour vous; mais, comme vous me l'avez dit vous-même, on avait peut-être le projet de nous désunir. Ce que je puis vous dire avec vérité, c'est que personne n'a jamais essayé de m'éloigner de vous. Je ne sais pas comment pensent tous mes amis pour vous ; ce qui est bien sûr, c'est que, vis-àvis de moi, ils sont comme je puis le désirer; ils me sont attachés; ils savent qu'ils m'aflfigeraient sans remplir d'autre objet; iis savent d'ailleurs que je trouverais très-mauvais qu'ils me parlassent de vous avec légèreté : ainsi, soit qu'ils vous approuvent ou qu'ils ne vous approuvent pas, leur conduite est uniforme et on ne peut pas plus placée. On vous a mandé que je m'éloignais des gens qui vous appartenaient, que je les renvoyais : vous savez que vous avez été le premier instruit des changemens que je projetais, et que je ne les aurais pas faits si vous les aviez désapprouvés. Sauvau était beaucoup trop cher pour mon objet, et il me fallait un officier qui remplît la place des quatre qu'il avait sous lui ; tous ces gens étaient accoutumés à trop de gaspillage pour pouvoir me convenir. Obligée de porter l'économie sur les plus petits objets, j'ai réformé la petite Dutilleul, mais c'est après vous avoir écrit cinq ou six fois que c'était mon intention ; que cependant je la garderais si vous le désiriez, mais que, dans la nécessité de faire des changemens, celui-là se ferait moins apercevoir que les autres, parce que j'avais des femmes de reste : et en dernier lieu je vous mandais que, si vous ne me répondiez pas sur cet objet, je regarderais votre silence comme un acquiescement; j'étais donc bien fondée à croire que c'était une chose qui vous était absolument in-


différente. Comme je désire si vivement qu'il n'y ait plus le moindre nuage, et que vous soyez parfaitement à votre aise, j'entre dans les plus petits détails.

(1 Il me reste encore à vous parler sur un objet bien intéressant, et sur lequel je désire que vous sachiez ma façon de penser; vous devinez que c'est de Mrae de Buffon dont il est question. Je vous avoue que dans le principe de votre liaison avec elle, j'ai été au désespoir : accoutumée à vous voir des fantaisies, j'ai été effrayée et profondement affectée, lorsque je vous ai vu former un lien qui pouvait m'ôter votre amitié, votre confiance. La conduite de Mme de Buffon depuis que vous tenez à elle, m'a fait revenir sur les préjugés que l'on m'avait donnés contre elle. Je lui ai reconnu un attachement si vrai pour vous, un désintéressement si grand, et je sais qu'elle est si parfaite pour moi, que je ne puis pas ne pas m'intéresser à elle. Il est impossible que quelqu'un qui vous aime véritablement n'ait des droits sur moi, aussi en a-t-elle de véritables, et vous pouvez sur ce point être sans gêne avec moi. Je vous le répète, mon cher ami, ce que je désirerais, ce qui ferait vraiment mon bonheur, c'est que vous fussiez parfaitement à votre aise avec moi, et que vous trouvassiez dans votre femme une société douce qui vous attirât et contribuât à votre agrément. Vous m'avez dit que vous alliez venir plus souvent chez moi ; je vous le rappelle, parce que je suis intéressée à ce que vous n'oubliez pas voire promesse, que d'ailleurs je veux vous répéter encore que vous aurez toujours la société qui vous conviendra, qu'en me prévenant la veille, vous aurez celle qui pourra vous être la plus agréable, et qu'en me le disant le malin, si je ne puis pas vous la procurer, vous serez du moins sûr de n'avoir personne qui puisse vous déplaire.

« Très-cher ami, il faut que je vous dise aussi que dimanche, Montpensier m'a prié de permettre que César vînt dîner; j'y ai consenti, mais je vous avoue que je serais fâchée


que cela fîlplanche. De temps en temps j'y consens; mais je trouve très-inutile que ce petit garçon soit de toutes les parties que fait ma fille. Je craindrais d'ailleurs qu'elle ne me demandât aussi d'amener ses compagnes, ce que je refuserais très-certainement. Ainsi, cher ami, il vaudrait mieux éviter que cela fût, et vous le pouvez facilement.

a Puisque nous traitons tous les sujets essentiels et indifférens, je vous dirai que Sauvau s'est mis en tête de me faire payer le blanchissage de mes meubles, etc., enfin, toutes les dépenses qui sont du garde-meuble : je ne crois pas que ce soit par votre ordre; mais j'ai pris les mémoires et je n'ai rien dit, me réservant de vous en parler.

« D'après ce que vous m'avez dit, mon cher ami, au sujet de l'observation que j'ai faite à mon fils, je crois que je ferais peut- être bien de lui dire que s'il m'avait fait connaître votre intention, je me serais arrêtée au premier mot. Ce n'est pas que j'aie changé de manière de voir ; mais si nos enfans peuvent nous croire des opinions différentes, je désire que cela n'influe pas sur leur conduite ; Cela les mettrait trop mal à leur aise ; et sur ce point, pour ce qui a rapport à eux, certainement je leur donnerai l'exemple de la soumission.

et La petite note précédente, et que je comptais toujours vous remettre avec toutes les autres, comme vous voyez, vous prouvera, cher ami, que pour les choses qui ne portent pas essentiellement sur l'existence future de mon fils, je cède et céderai toujours. Mais la démarche qu'il veut faire est d'un genre trop sérieux pour que je ne fasse pas écrire des représentations à ce sujet. C'est un devoir vis-à-vis de vous et vis-à-vis de lui. Je vous répète qu'il m'a causé hier une peine mortelle, et je vous avoue que j'espérais être consultée pource qui a rapport à mon fils ; si cela n'est pas, je suis destinée à jouer un rôle passif (ayant trop d'honneur et d'attachement pour vous, pour marquer à cet enfant que je désap-


prouve ce que vous conseillez, ou ce à quoi vous avez consenti), et il pourrait en résulter des choses fâcheuses, ou pour l'un ou pour l'autre, et même peut-être pour l'un et l'autre.

« Cette nullité ne le frapperait peut-être pas d'abord ; mais lorsqu'il réfléchira, ou il me croirait nulle par caractère, et n'aurait ni confiance ni déférence pour moi ; ou il verrait que mes droits m'ont été ôtés, que cette nullité était forcée.

« Chercher dans ce cas-là à le rapprocher de moi, à l'éclairer, serait peut-être alors en quelque sorte l'éloigner un peu de vous. Il faudrait donc lui fermer mon cœur, ou courir ce risque. Cette réflexion m'est affreuse, m'est bien pénible ; car l'un ou l'autre de ces inconvéniens m'affligerait bien profondément. Je vous dis ceci en général, sur tout ce qui peut avoir rapport à ma conduite ; car quant à cet objet-ci, il ne pourra pas ignorer mon opinion. Je suis très-sûre que mon père dira, et aura soin même de faire dire que je suis trèsfâchée que mon fils aille aux Jacobins, et peut-être exigerat-il que je lui dise mon opinion à lui-même, afin qu'il- ne puisse pas me reprocher un jour de ne pas l'avoir averti.

Vous êtes convenu vous-même, mon cher ami, qu'il y a de grands inconvéniens; examinons-les nous-mêmes, et voyons, mon cher ami, si les avantages peuvent les balancer. Encore une fois, si les jacobins étaient composés de députés seulement, ils seraient moins dangereux, parce qu'ils seraient connus par leur conduite à l'Assemblée, et que l'on pourrait prévenir mon fils ; mais comment le mettre sur ses gardes vis-à-vis d'un tas de gens qui y ont la majorité, et qui sont bien propres à égarer les principes d'un jeune homme de dix-sept ans? Si mon fils en avait vingt-cinq, comme je vous lrai dit, je ne serais pas tourmentée, parce qu'il pourrait distinguer par soi-même ; mais à dix-sept ans, jeté dans une société de ce genre, en vérité, mon cher mari, cela n'a pas de raison ; et que ce soient nous, que ce soient ses parens qui, pour finir son éducation, l'envoient aux Jacobins,


me paraît et paraîtra sûrement à tout le monde une chose inconcevable, et me ferait en vérité regreter qu'il fût sorti des mains de Mme de Sillery. C'est pour qu'il apprenne à parler que vous voulez passer par- dessus tous les dangers que vous ne pouvez pas ne pas envisager pour lui ; et vous me dites, mon cher ami, pour me faire voir ces avantages comme vous, qu'un fameux orateur anglais ne le serait pas, s'il n'avait appris à parler de bonne heure. Je vous répondrai à cela, que c'est sûrement en assistant aux séances du Parlement, aux assises, aux plaidoyers qu'il a appris cet art, et que mon fils aura les mêmes facilités sans aller aux Jacobins ; qu'il sui ve l'Assemblée nationale et les séances des nouveaux tribunaux quand ils seront établis ; et pour peu qu'il y ait des dispositions, il y apprendra à parler, tout comme on apprend en Angleterre.

« D'ailleurs, mon cher ami, pourquoi n'attendrions-nous pas la nouvelle législature, ce n'est différer que de quelques mois , et peut-être à cette seconde législature, épurera-t-on les Jacobins, comme il en a déjà été question. »

On n'a point conservé la date précise de cette lettre ; toutefois, elle paraît avoir été écrite quelque temps après le retour d'Angleterre, vers la fin de 1790. Comment le duc d'Orléans reçut-il cette timide expression de la douleur d'une mère et des plaintes d'une épouse? On l'ignore, ou plutôt il n'est que trop facile de le deviner. Le 5 avril 1791 , jour anniversaire de son mariage, la duchesse d'Orléans quitta le Palais-Royal pour se retirer au château d'Eu, chez le duc de Penthièvre, son père. Cette résolution extrême témoignait assez de l'impuissance des efforts que la princesse avait tentés pour dispu-


1er ses enfans à la domination de M111» de Genlis, et son mari aux caresses d'Agnès de Buffon. Une pareille démarche devait satisfaire le duc d'Orléans, puisqu'elle le débarrassait d'un importun et cependant trop généreux témoin des scandales de sa vie.

Mais comme il était certain de la persistante détermination de la duchesse à ne jamais se rapprocher de lui, il envoya un huissier au château d'Eu pour signifier à la fille du duc de Penthièvre qu'elle eut à revenir au Palais-Royal, où elle trouverait, disait le duc, égards et protection. Il y avait tout à la fois, dans cet acte, insulte et hypocrisie : insulte, puisqu'il était dérisoire de rappeler une femme dans un lieu d'où l'avaient chassée des scènes qui désolaient sa vie ; hypocrisie, car malgré ses apparentes protestations, le duc d'Orléans avait suffisamment prouvé par sa conduite passée, que depuis long-temps il n'y avait au Palais-Royal qu'une femme de trop, la femme légitime.

Au reste, l'extra-judiciaire sommation du duc d'Orléans n'était qu'un acte d'apparat, une occasion d'exploiter nationalement les douleurs d'une femme, et de faire du patriotisme par ministère d'huissier.

Si le duc d'Orléans eût voulu solliciter l'oubli de ses torts, ce n'est point de cette façon qu'il eût répondu à la lettre de la duchesse sa femme ; en se servant d'un moyen si insolite, Philippe se donnait l'air de désirer le rétablissement de la bonne harmonie conjugale par un acte qu'il savait devoir la détruire à jamais.


En fuyant le Palais-Royal, la fille du due (Je Penthièvre avait dit à son mari un dernier adieu.

Il lui restait à sauver les débris de sa dot du naufrage dans lequel allait s'engloutir la fortune séculaire des d'Orléans. Une amiable séparation de biens fut proposée par le duc de Penthièvre à son gendre ; mais le prince se montra sourd à tout arrangement , et se roidissant contre de trop justes prétentions, il commença une interminable série de chicanes et de mauvais procédés.

La duchesse demandait à connaître le chiffre des engagemens solidaires qu'elle avait contractés avec le prince son mari. Afin de déjouer les calculs de la duchesse et d'éteindre ses soupçons, le duc communiquait des bilans mensongers qu'il faisait certifier sincères par l'archiviste du Palais-Royal. De cette manière il fut impossible à la duchesse d'obtenir un précis exact de sa situation financière; pendant ce temps, les créanciers du duc d'Orléans englobaient dans les saisies immobilières le patrimoine dotal de la fille du duc de Penthièvre.

Forcé de faire connaître ses intentions, et d'expliquer enfin les obstacles qu'il soulevait contre la séparation de biens demandée, le duc d'Orléans voulut exiger que sa femme assurât à chacun de ses enfans une pension annuelle de cent mille livres.

dont ils profiteraient seuls et en toute liberté. La princesse répondit qu'elle était dans l'impossibilité matérielle de satisfaire à une si exorbitante prétention , que le jeune âge de ses enfans et l'étrange


manière dont ils étaient élevés , lui faisaient un devoir de repousser. Cependant, pour éviter le fâcheux éclat d'une séparation judiciaire, la princesse offrit de se charger de l'éducation de Mademoiselle et du comte de Baujolais, de subvenir à toutes leurs dépenses, d'assurer leur avenir, à condition que ces deux enfans seraient immédiatement rendus à ses soins.

Philippe rejeta cette proposition. Il poussa jusqu'au bout son indigne tactique : au moment même où la duchesse d'Orléans tentait un dernier effort pour arracher ses enfans à Mme de Genlis, celle-ci y sollicitée par le duc, partait pour l'Angleterre, emmenant MIle d'Orléans et Paméla Seymours (devenue lady Fitz Gérald), jeune orpheline anglaise accueillie par le duc d'Orléans, s'il faut en croire Mme de Genlis, ou plutôt fille naturelle de ce prince, si les révélations de l'époque ne sont pas menteuses.

Après- six mois d'infructueuses démarches et de vaines sollicitations, la duchesse d'Orléans s'adressa au tribunal de Paris pour obtenir sa séparation de biens. Dans la requête présentée à cet effet il était dit : Qu'après avoir reçu une dot de six millions cent mille livres et une rente perpétuelle de cinquante mille livres, la duchesse d'Orléans s'était vue forcée d'engager toute sa fortune pour cautionner son mari, qui ne lui faisait remettre que mille.

livres par mois. On apprit encore par cette requête que l'actif du duc d'Orléans, évalué à 66,698,066 livres, était absorbé par un passif de 75,234,648 livres, réparti entre trois mille créanciers.


Louis-Philippe ne répondit pas à des accusations si positives, basées sur des chiffres qu'il ne contesta jamais; seulement il épuisa toutes les ressources des débiteurs aux abois et sans loyauté : refus de comparaître, de choisir des arbitres, défaut, opposition sur défaut, appel, opposition nouvelle, rien ne fut oublié. Cependant la séparation de biens avait été prononcée par le tribunal de famille, avec l'intégrale restitution de la dot, et la décharge en trois mois de tous les engagemens solidaires contractés par la princesse. Cette décision ne fut définitive que le 8 octobre 1793, après le rejet du pourvoi formé au tribunal de cassation. Depuis long-temps commencée, la ruine du duc d'Orléans était complète en ce moment ; trois mille créanciers disputaient à la confiscation décrétée par la république, les richesses perdues de la maison d'Orléans.

Ainsi se termina cette affaire, qui mit en relief tous les côtés de la déloyale conduite du duc d'Orléans envers sa femme. Malheureuse princesse! qui n'eut même pas la consolation de pouvoir accuser l'aveugle destin de ses longues infortunes. Une main qu'elle connaissait trop bien en avait préparé la trame.

Tous les contemporains .ont attribué la ruine du duc d'Orléans aux largesses employées par ce prince a fomenter la révolution. Il n'est pas de journal, pas d'historien ni de painphletaire qui n'aient reproché à Philippe l'or que, en vue de coupables des-


seins ou pour conquérir une popularité facile, il avait répandu pendant les premières années de nos dissentions politiques; la tribune nationale ellemême a retenti de révélations pareilles. Ces accusations ont leur valeur ; car il est impossible, comme nous l'avons dit, que toute une époque se trompe sur un fait, surtout lorsque ce fait est reconnu par ceux-mêmes qui seraient intéressés à en nier l'existence ou à en différencier les causes.

On a dit, il est vrai, que l'abolition des droits et des priviléges féodaux, et que la révocation des apanages, jointes à des habitudes de luxe inhérentes au PalaisRoyal, avaient fortement ébranlé un patrimoine déjà grevé de rentes viagères et de charges considérables, bien avant que Philippe d'Orléans en eût hérité ; mais quelqu'élevées que fussent ces dettes, quelque lourdes que fussent ces charges, comment croire qu'elles aient pu atteindre le chiffre énorme que donne la requête de la duchesse d'Orléans?

En aidant à la révolution qui devait perdre la royauté et la noblesse, deux choses auxquelles tenait le nom du duc d'Orléans, ce prince se faisait lui-même l'artisan de sa propre ruine. C'est un enseignement qu'on ne doit point oublier, surtout lorsque, arrivé au terme de ce récit, on verra quelle fut pour Louis-Philippe l'inutilité du rôle qu'il avait si tristement accepté.


XI.

Après le verdict du 2 octobre 1790, le duc d'Orléans avait sollicité un commandement maritime auquel lui donnaient droit son grade et ses services ; mais soit qu'il ne fût pas redouté à Paris, soit qu'il fût jugé incapable ou indigne d'exercer une autorité quelconque, le ministère rejeta sa demande. Alors le duc se souvint que, après le combat d'Ouessant, il avait demandé pour récompense de ses exploits maritimes le grade de colonel-général des hussards et troupes légères, et que ce grade, inconnu jusqu'à cette époque, avait été créé pour lui. Éconduit par le ministre de la marine, il s'adressa au ministre de la guerre; et le 18 décembre 1790 une feuille à sa dévotion, le Courrier français, annonçait ainsi cette nouvelle démarche : « Le duc d'Orléans, jaloux de se rendre de plus «en plus utile à sa patrie, alla dimanche dernier


« chez M. Duportail pour lui demander du service « en qualité de lieutenant-général. Il lui fit observer «qu'il était plus ancien lieutenant-général que « MM. de Bouillé et Rochambeau, et que cependant « il se ferait un devoir de servir sous leurs ordres « dans le département qui lui serait assigné. Il « ajouta qu'il ne trouverait pas mauvais non plus « qu'ils obtinssent avant lui le bâton de maréchal « de France, et que son seul objet, en demandant « du service, était de se rendre utile à la chose pu« blique. Le ministre a répondu qu'il en parlerait au « roi. »

Quelque désir, comme le disaient ses prôneurs, qu'il eût d'être utile à la chose publique, Philippe d'Orléans ne fut pas plus heureux auprès du ministre Duportail qu'il ne l'avait été avec le ministre de Fleurieu ; car peu de jours après la nouvelle qu'il avait donnée des sollicitations du prince, le Courrier français faisait savoir que le roi n'avait encore rien statué sur la demande du duc d'Orléans.

Repoussé par tous les ministères, le duc en était réduit à aller protester de son patriotisme au sein de l'Assemblée nationale, triste et banale ressource dont il avait tant abusé déjà, lorsqu'une circonstance imprévue vint éveiller chez lui de nouvelles espérances. Un décret du 15 mai 1791 ayant prescrit la réorganisation de la marine, le ministre Thévenard signala son passage aux affaires par une promotion générale, en tête de laquelle figuraient, avec le grade d'amiral, emploi de création nouvelle, le


comte Duchaffault, le comte d'Estaing et le duc d'Orléans. Au premier bruit de cette faveur, et avant qu'il en eût été officiellement informé, Louis-Philippe se rendit au ministère de la marine. Les ministres, à cette époque, se succédaient à de courts intervalles; Bertrand de Molleville avait remplacé Thévenard. Bertrand de Molleville a raconté dans ses curieux Mémoires quelles paroles apportait le duc, et quelle étrange scène fut la conclusion de cette visite : « Après m'avoir entretenu de différentes choses, « le duc d'Orléans m'assura qu'il attachait le plus « grand prix à la faveur que le roi lui accordait, « parce qu'elle lui donnerait les moyens de faire conte naître à Sa Majesté à quel point ses sentimens « avaient été calomniés. Il me fit cette déclaration « avec le ton de la franchise et de la sincérité, et il « l'accompagna de protestations de loyauté faites avec « la plus grande chaleur. Je suis bien malheureux, « dit-il, sans l'avoir mérité. On m'a mis sur le corps « mille atrocités dont je suis absolument innocent; « on m'en a supposé coupable, uniquement parce « que j'ai dédaigné de descendre à me justifier de « crimes dont j'ai la plus profonde horreur. Vous êtes le premier ministre auquel j'en ai dit autant, « parce que vous êtes le seul dont le caractère m'ait « toujours inspiré de la confiance. Vous aurez bien« tôt une occasion favorable de juger si ma conduite « dément en rien mes paroles.

« II prononça ces mots avec l'accent d'un homme


« qui les croyait une réponse nécessaire à l'air d'in« crédulité avec lequel je l'écoutais. — Je lui ré« pondis : Je crains tellement d'affaiblir la force de « vos expressions en les rapportant au roi, comme « vous le désirez, que je vous invite à exprimer vous« même vos sentimens à Sa Majesté. — C'est préci« sément ce que je désire, répliqua-t-il; et si je « pouvais me flatter que le roi voulût me recevoir, « j'irais demain lui faire ma cour.

« Le même soir, au conseil, je rendis compte au « roi de la visite que le duc d'Orléans m'avait faite, « et de tout ce qui s'était passé entre nous. J'ajoutai « qu'il m'était impossible de me défendre de la con« vietion de la sincérité de ses protestations. Le roi « résolut de le recevoir, et le lendemain il eut avec « lui une conversation de plus d'une demi-heure, « dont il parut très-satisfait.

« — Je suis de votre opinion, me dit-il, il revient « à nous sincèrement, et il fera tout ce qui dépen« dra de lui pour réparer le mal fait en son nom, « et auquel il est possible qu'il n'ait pas eu autant « de part que nous l'avions cru.

« Le dimanche suivant, le duc d'Orléans vint au « lever du roi; les courtisans, ignorant ce qui s'était « passé, et les royalistes, qui venaient ce jour-là faire « leur cour à la famille royale, lui firent la plus « mortifiante réception. Ils se pressèrent autour de « lui en affectant de lui marcher sur les pieds et en « le poussant vers la porte. Lorsqu'il se rendit à K l'appartement de la reine, le couvert était déjà


« mis; dès qu'ils l'aperçurent, ils s'écrièrent tous : « Ne laissez approcher personne des plats!. insi« nuant par-là qu'il pourrait y jeter du poison.

« Les murmures insultans excités par sa pré« sence, le forcèrent à se retirer sans avoir vu per« sonne de la famille royale. J'étais à la cour ce « jour-là (1er janvier 1792), et j'ai été témoin ocu« laire de la scène que je viens de raconter (1). »

Là ne s'arrêtèrent pas les outrages : à peine le duc d'Orléans, la figure blêmie par le ressentiment de tant d'humiliations, avait-il descendu les premières marches de l'escalier du palais, que les courtisans qui l'accompagnaient de leurs injures et de leurs insultantes rumeurs, crachèrent sur lui.

Le duc d'Orléans souffrit, sans même se retourner, cet opprobre; et c'est ainsi que fut saluée la dernière visite de ce prince au palais des Tuileries.

Sur ces entrefaites, il s'accomplit en France un évènement que la majeure partie des révolutionnaires appelaient de tous leurs vœux, pendant que d'autres en repoussaient aussi loin que possible la réalisation : c'était la déclaration de guerre à l'empereur d'Autriche. On sait comment cet acte, qui eut sur toutes les destinées les plus incalculables conséquences, fut arraché par Dumouriez à la faiblesse du roi, et validé par l'Assemblée nationale,

(1) Mémoires, t. T, p. 278.


après une discussion de quelques heures seule ment.

Le manifeste de guerre fut proclamé le 20 avril, aux acclamations du parti d'où sortit plus tard la Gironde , et malgré les sages prédictions de Robespierre et de ses partisans. A peine ce décret, qui faisait triompher Dumouriez et Brissot, eut-il été rendu, que le duc d'Orléans écrivit de nouveau au ministre de la marine.

« Paris, 2 > avril 1792.

« L'objet principal de cette lettre est, monsieur, de vous demander de vouloir bien me proposer au roi pour être employé dans les armemens maritimes que les circonstances pourront nécessiter. Je réclame avec confiance votre justice à ce sujet, et j'ose espérer que vous voudrez bien avoir égard à ma demande aussitôt qu'il y aura lieu.

« Dans le cas où les armemens que je prévois devraient éprouver quelque retard, le zèle que vous me connaissez pour le maintien et la défense de notre Constitution, ainsi que le désir de concourir autant qu'il est en moi au succès de la cause la plus grande comme la plus juste, ne me permettent pas de rester dans une inactivité vraiment pénible pour tout bon citoyen. Je vous prie de vouloir bien me faire obtenir un congé, dont l'époque finira toujours au premier moment où vous m'aurez donné une destination. J'aurai soin à cet effet de vous informer toujours très-exactement du lieu où vous pourrez m'adresser les ordres du roi: j'espère que vous ne doutez pas de mon empressement à m'y conformer. »

Tout en reconnaissant ce qu'il appelait une nouvelle preuve de zèle et de dévouement pour le service de la patrie, Lacoste, ministre de la marine,


laissa pressentir un refus dans sa réponse au duc d'Orléans.

Ce fut alors que sur de nouvelles instances, Louis XVI répondit au ministre : « Qu'il aille où il « voudra!» — Philippe s'en fut à l'armée du Nord, où il se fit recevoir soldat volontaire dans la division commandée par M. de Biron, sous les ordres duquel se trouvaient déjà le duc de Chartres et le duc de Montpensier. On se sent ému de quelque pitié en voyant un prince demander ainsi de tout côté l'aumône d'un grade ou d'un commandement, et ne recevoir jamais que des réponses dilatoires et dédaigneuses. Peut-être accuserait-on aussi ce système d'exclusion, si l'on ne savait que Philippe ne fut pas seulement en butte aux défiances de la royauté, mais qu'il fut encore repoussé par l'Assemblée constituante, par la Législative et par la Convention.

Etre prince du sang , amiral de France, avoir vu son buste promené triomphalement aux grands jours de la révolution, et se sentir réduit au rôle de simple volontaire du régiment de Flandre, voilà ce qui pouvait être d'une abnégation fort exemplaire, mais ce dont se fut difficilement accommodé tout personnage, même exempt des faiblesses et des vanités du duc d'Orléans. Celui-ci n'attendit donc qu'une circonstance favorable pour sortir de la position humiliante que lui avaient faite ses patriotiques bravades.

Cette circonstance se présenta bientôt; mais avant de la faire connaître , il faut revenir à d'autres évènomens.


On sait que, au moment où la duchesse d'Orléans sollicitait de son mari l'éducation de deux de ses enfans, Mme de Genlis était partie pour l'Angleterre avec Voidel et Pétion, et avait emmené Mademoiselle, que la malheureuse duchesse voyait ainsi ravie à sa sollicitude maternelle.

Quel était le but de ce voyage? Qu'allaient faire à Londres Voidel et Pétion? on ne sait; mais cette équipée fut souvent reprochée à Pétion par Marat, par Robespierre et même par Camille Desmoulins.

S'il en faut croire Mme de Genlis, Pétion n'était point si coupable: ce voyage, tout a-fait imprévu, n'aurait eu pour lui qu'un vulgaire intérêt.

S'il y eut des intrigues dans ces allées et ces venues, l'histoire ne les a point démêlées. Ce qui paraît certain, c'est que Londres était depuis long-temps une ville familière au duc d'Orléans ; il y faisait de fréquens séjours. C'était de Londres qu'il tirait ses jockeys, ses domestiques, ses chevaux, et qu'il avait importé au Palais-Royal toutes les habitudes d'outreManche, dont s'offensa le rigorisme de la presse républicaine de Paris : c'était à Londres enfin que Mme de Genlis rédigeait un journal dans lequel elle célébrait avec succès, disait-elle, la gloire et les vertus privées du duc d'Orléans (1).

(t) Je suis charmée, dear friend, qu'on vous ai dit du bien de mon journal. J'étais bien sûre de cet effet, parce que l'exacte vérité exprimée avec bienséance et appuyée de preuves irrécusables, ne peut manquer d'être bien accueillie.


Si l'anglomanie de Louis-Philippe était fort mal accueillie en France, comme le prouvent les journaux de l'époque, les Anglais semblaient payer d'ingratitude les nombreux témoignages de sympathië qu £ leur donnait ce prince ; malgré tous les artifices de sa rhétorique, Mme de Genlis n'avait pu parvenir à jeter sur lui quelqu'apparence de valeur et de

j'ai évité avec soin dans cet ouvrage d'avoir l'air d'entreprendre votre apologie, ou le dessein de vous louer ; vous n'y paraissez jamais que lorsqu'il semble indispensable de vous citer pour l'explication des faits ; mais on vous y voit toujours sous les traits les plus aimables de la bonté, de la douceur et de l'indulgence ; enfin constamment le meilleur des pères, et depuis deux ans le plus patient des maris. Aussi ai-je eu le plaisir d'entendre dire à tous ceux qui l'ont lu, que rien au monde ne pouvait vous louer mieux que ces faits contés avec tant de simplicité. Ah! si vous m'eussiez chargée de faire la brochure qui précéda votre retour d' Angleterre!..; Elle aurait eu aussi un bien grand succès. Comme cet écrit était maladroit et manqué! Je suis confirmée dans l'opinion que mon journal a fait une grande impression dans le lieu qu'habite Mme d'Orléans. J'imagine que M. de Penthièvre aura déterminé cette opinion. Mademoiselle vient encore de recevoir une lettre d'elle, dans laquelle elle mande qu'elle apprend son départ; mais pas un reproche, pas un mot amer, de la tristesse et de la tendresse, et la lettre n'est point dictée.

Nous n'avons pas besoin de prêtre particulier ; il y a ici une chapelle romaine.

Adieu, my dear friend, que j'aime et que j'embrasse de toute mon âme. (Correspondance de Louis-Philippe-Joseph Orléans).


considération; le due d'Orléans était méprisé h Londres comme à Paris.

Dans ses Souvenirs sur Mirabeau, Étienne Dumont a révélé une circonstance qui ne peut laisser aucun doute à ce sujet. Racontant l'injurieuse manière dont fut accueillie à Londres l'ambassade française nommée par Dumouriez : « Je me souviens , dit Étienne Dumont, que dans « la belle saison, peu de temps après l'arrivée de « l'ambassade à Londres, lorsque les soirées du « Ranelagh étaient à la mode et les plus fréquentées, « un jour que j'avais dîné chez Chauvelin, on pro« posa d'aller finir la journée dans ce rendez-vous « général. C'est une grande salle ronde, avec des « cabinets ouverts comme des loges de théâtre dans « tout le contour, et l'orchestre est établi dans le « centre. On se promène en tournant sans cesse ou « en s'arrêtant dans les cabinets pour demander des « rafraîchissemens. A notre arrivée, nous enten« dîmes bientôt un bourdonnement de voix qui ré« pétaient : Voilà l'ambassade française. Les regards « curieux, mais d'une curiosité qui n'était pas de la « bienveillance, se dirigeaient de toute part sur notre « bataillon; car nous étions huit ou dix : bientôt nons « pûmes sentir que nous aurions la carrière libre « pour nous promener ; car on se retirait à droite « et à gauche à notre approche, comme si on eût « craint de se trouver dans l'atmosphère de la con« tagion. Le bataillon devint d'autant plus remar« quable, qu'il se trouvait dans le vide et le formait


« en avançant. Une ou deux personnes courageuses « vinrent saluer M. de Chauvelin ou M. de Talley« rand. Un moment après, nous vîmes errer tout« à-fait solitaire un homme qui était repoussé à d'au« tres titres : c'était le duc d'Orléans, que l'on fuyait « avec un soin tout particulier. Enfin, ennuyé d'être « les objets de cette attention désagréable, nous « nous séparâmes un moment. Je me jetai dans la « foule, où j'entendis plusieurs personnes donner à « leur manière des détails de cette ambassade fran« çaise, et nous nous retirâmes bientôt après, ob« servant que M. de Talleyrand n'était en aucune « manière affecté ou déconcerté, et que M. de Chau« velin l'était beaucoup (1). » Dumont n'a pas fait connaître la date de cette apparition du duc d'Orléans au Ranelagh de Londres ; mais c'est évidemment entre les derniers jours de mai et le commencement de juillet qu'il faut placer la scène dont il parle, au temps où, après avoir infructueusement négocié pour obtenir du service, le duc d'Orléans était allé, en désespoir de cause , s'enrôler au régiment de Flandre.

Ce fut à la même époque, au milieu des dénonciations éternelles dont l'Assemblée était le théâtre, que le député Ribes signala Philippe d'Orléans, Dumouriez et Bonnecarère, un ami de ce général, comme étant les seuls instigateurs des maux de la France, et les vrais membres du comité autrichien,

(1) Souvent! s sur Mirabeau, p. 4:b.


l'objet alors de toutes les récriminations. Le député Gossuin déclara à deux reprises que Ribes était fou ; l'Assemblée passa à l'ordre du jour; mais il n'est pas moins vrai que, huit mois après, les trois personnages que Ribes avait signalés furent précisément ceux qu'accusa la Convention (1).

La dénonciation de Ribes donna lieu, le soir même, à une discussion au club des jacobins. Dans une longue apologie du duc d'Orléans, Sillery rappela la conduite de ce prince, depuis son exil de Villers-Cotterets jusqu'au moment où il avait pris les armes pour la défense de la liberté. Quelques affidés demandèrent l'impression de ce discours, dans lequel, par suite d'une tactique habituelle à Philippe, depuis son retour d'Angleterre, La Fayette était signalé aux vengeances populaires. Mais un membre ayant fait observer qu'il était indécent de s'occuper d'un individu pendant que la patrie était en danger, une discussion fort vive s'éleva sur cette interruption, et l'impression sollicitée ne fut pas votée.

Peu de temps après arriva le 20 juin. Le nom du ducd'Orléans ne se trouve pas mêlé au récit de cette journée; mais telle était la destinée de ce prince, que les plus outrageux soupçons devaient l'atteindre, qu'il fût au Palais-Royal, en Angleterre ou sur la frontière de France.

Il faut que l'histoire soit sévère pour ces sortes

'i Moniteur, 0 juin i ]()Ï.


d'accusations, aussi ne répéterons-nous pas avec Montjoie, que si le duc d'Orléans avait quitté Paris, ce n'était que pour fuir les attentats qu'il allait faire commettre.

Lorsque nous voyons Philippe honni par tout le monde , nous croyons difficilement à ce rôle de grand organisateur révolutionnaire qu'on lui veut faire jouer. Ce nom de d'Orléans, dont quelques écrivains ont fait la cheville ouvrière de la révolution, le duc, bien loin de vouloir l'imposer, avait déjà grand'peine à le porter lui-même.

A la première nouvelle des revers éprouvés par l'armée française, l'Assemblée nationale avait déclaré la patrie en danger, et ordonné à tous les fonctionnaires civils et militaires de se rendre à leur poste. Saisissant cette occasion de sortir de l'impasse dans laquelle il s'était fourvoyé, le duc offrit de nouveau ses services à la patrie. La lettre que, dans cette intention, il adressa au ministre de la marine, était datée de Valenciennes, 14 juillet, an iv de la liberté ; mais avant que le ministre eût répondu à sa demande, il avait quitté cette ville, et était venu à Paris même attendre le résultat de ses démarches. Pendant ce temps, le ministère fut renouvelé; Dubouchage remplaça Lacoste à la marine. Sans doute le duc d'Orléans n'espéra rien de ce changement, puisque ce fut à l'Assemblée nationale qu'il adressa ses plaintes et ses sollicitations, mettant ainsi une affectation bien marquée à fai re


parade de son dévouement, dont chacun suspectait la sincérité.

Voici la lettre par laquelle le duc d'Orléans instruisait l'Assemblée nationale des perplexités de sa position :

« Je crois qu'il est à la fois de mon intérêt et de mon devoir de soumettre à l'Assemblée nationale quelques observations relatives à ma situation personnelle comme fonctionnaire public, en ma qualité d'officier-général de la marine.

« Aussitôt après la déclaration de guerre, j'ai demande auministre de la marine à être employé dans mon grade, et il m'a répondu, en date du 27 avril 1792, que Sa Majesté observant que les circonstances actuelles ne semblaient pas exiger un développement considérable de forces navales, avait pensé qu'il n'y avait pas lieu à m'employer convenablement au grade que j'occupe dans la marine, etc.

« D'après cette réponse, et désirant de ne pas rester dans une oisiveté pénible, tandis que tous les citoyens volaient à la défense de la patrie, je récrivis au même ministre pour lui demander de m'obtenir l'autorisation du roi de me rendre à l'armée du Nord ; le ministre m'envoya en. effet cette autorisation par sa lettre du 3 mai, conçue ainsi qu'il suit: u — Monsieur , j'ai mis sous les yeux du roi la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Sa Majesté n'a rien vu que de louable et de naturel dans l'intention dont vous avez bien voulu me faire part, d'aller joindre la division commandée par M. Biron, où servent vos enfans.

Elle approuve donc que vous vous y rendiez, et si les circonstances exigeaient qu'elleme chargeât de vous faire passer ses ordres, j'aurais l'honneur de vous les y adresser.

« A l'égard des passeports que vous désirez, monsieur , le roi a pensé qu'ils vous étaient inutiles, attendu que si Je


corps que vous allez joindre et qui se trouve actuellement en France, se portait hors des frontières, vous ne seriez pas, en le suivant, dans le cas d'avoir personnellement plus besoin de passeport que tous les officiers qui y sont employés.

— J'ai l'honneur etc. Signé LACOSTE. » « Sur la communication que je donnai de cette lettre à M. le maréchal de Luckner, celui-ci m'autorisa en effet à servir dans son armée, par une permission dont voici copie : cc — M. d'Orléans m'ayant communiqué la lettre du ministre qui l'autorise, de la part du roi, à servir comme volontaire à l'armée du Nord , je donne avec grand plaisir mon consentement à une démarche de si bon exemple. — Valenciennes, le 5 juin. Signé LUCKNER. »

« Pendant mon séjour à l'armée, l'Assemblée nationale a déclaré la patrie en danger, et l'acte du Corps législatif ordonne que tous les fonctionnaires publics soient à leur poste. J'ai en conséquence écrit de nouveau au ministre pour lui demander de m'indiquer mon poste, afin que je pusse m'y rendre. Dans ces circonstances, l'armée s'étant mise en marche par l'intérieur du royaume pour changer de destination, j'ai profité de cet intervalle pour venir à Paris, presser et attendre la réponse que j'avais demandée. Voici celle que j'ai reçue : « — Monsieur, je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Valenciennes, et je m'empresse 4'y répondre, après l'avoir mise sous les yeux du roi.

« Sa Majesté y a vu une nouvelle preuve de votre zèle pour le service de l'État, et. de votre empressement à donner l'exemple de votre obéissance aux lois.

« L'acte du Corps législatif qui déclare la patrie en dan ger, n'a pas paru à Sa Majesté vous imposer de nouvelles obligations. Vous savez en effet, monsieur, que les officiers-généraux de la marine n'étant pas tenus à résidence,


n'ont un poste déterminé qu'autant qu'ils sont employés, « Je suis, etc.. Signé LACOSTE. »

« Je me préparais donc à rejoindre l'armée, lorsque j'ai reçu de mon fils Louis-Philippe une lettre en date du 27 juillet, portant : — M. le maréchal Luckner me chaFge de vous dire que le roi lui a défendu de laisser suivre l'armée d'aucun volontaire qui n'en aurait pas reçu de lui la permission, par écrit, et signée de lui-même ; il m'a chargé de vous témoigner tous ses regrets.

« La même nouvelle m'a été donnée par M. Biron, qui me mande : « Je dois vous rendre compte, sans perdre de temps, que M. le maréchal Luckner m'a défendu de vous recevoir à l'armée du Rhin, sans une lettre du roi, etc. »

« Cette défense du roi entraîne la révocation de l'agrément que le ministre de la marine m'avait donné au nom de Sa Majesté; je la respecte et m'y conforme. Mais privé de l'espoir de concourir de cette manière à la défense de la patrie.

je désire que l'emploi que j'occupe dans la marine puisse m'en fournir quelqu'autre moyen. Il me parait impossible que l'intention de l'Assemblée nationale soit qu'il existe des fonctionnaires publics sans fonctions et surtout sans poste.

Je demande donc qu'elle veuille bien décréter que le ministre assigne à tous les officiers de ce port, les postes où ils doivent se rendre, puisque l'acte du Corps législatif ordonne à tous les fonctionnaires publics de se rendre chacun à son poste.

« Signé l'amiral L. P. JOSEPH.

« Paris, le 2 août 1792, l'an IV de la liberté.

L'Assemblée nationale, sans vouloir s'en occuper autrement, renvoya cette réclamation au comité de la marine, où elle resta oubliée. Tout le monde se réunissait donc pour repousser le duc d'Orléans, le roi, le ministère et l'Assemblée,


Il est vrai que si, comme il se plaisait à le répéter, Louis-Philippe eût été vivement ému du désir de servir son pays, il fut retourné à l'armée du Rhin, ayant commis la maladresse de s'y présenter une première fois. Il ne lui fallait pour cela que la signature du roi; c'est une permission qu'il eût été adroit de demander et de se faire refuser.

C'était le moment de payer de sa personne. La condition de simple volontaire aurait dit plaire a ce prince, en apparence si épris de l'égalité, que plus tard il en devait emprunter le nom; si désireux de servir son pays, qu'aucune expression n'était, dans sa bouche, assez forte pour exprimer son dévouement à la France.

Si le duc d'Orléans se conduisit différemment, c'est qu'il voulait avoir les profits, mais non les inconvéniens du patriotisme ; l'armée française avait éprouvé des revers dont s'accommodait difficilement le vaniteux esprit de ce prince; et rebuté par chacun, il se lassa de solliciter pour n'obtenir jamais que d'injurieux dédains; peut-être entrevoyait-il aussi dans un avenir rapproché un terme aux outrages dont il était abreuvé, et quelqu'aliment à de nouvelles vengeances.


ZII.

Philippe d'Orléans lava ses blessures dans le sang.

Le 10 août, des fenêtres du Palais-Royal il put voir la fin de la monarchie et de l'Assemblée législative.

Nous n'avons point à retracer cette page de la révolution, triste récit dans lequel se perd le nom du duc d'Orléans ; cependant, entre toutes les victimes que fit cette journée, une surtout dut être agréable à ce prince : le journaliste Suleau avait été frappé à mort, à la voix d'une femme dont les intimes relations avec le Palais-Royal étaient connues de tous.

Dès les premiers jours de la révolution, Suleau s'était déclaré l'impitoyable adversaire du duc d'Orléans. Il l'avait outragé, menacé, défié de toute manière, devant les tribunaux et la justice des hommes, en champ-clos et au jugement de Dieu; et comme un jour le duc d'Orléans, harcelé par tant d'affronts, chargea de Latouche, son chancelier, de répondre


aux provocations de Suleau, celui-ci nomma chancelier un de ses laquais, afin de pouvoir traiter d'égal à égal avec l'envoyé du prince.

Ces insultes étaient d'autant plus vives, qu'elles venaient d'un homme honoré, plein de courage, d'un esprit chevaleresque, et qui ne cherchait pas autant à combattre les erreurs révolutionnaires qu'à démasquer les fripons et les traîtres. Le duc d'Orléans et Mirabeau étaient les deux personnages que Suleau poursuivait de ses pamphlets; mais si quelquefois il ne put se défendre d'admiration pour les talens et les qualités de Mirabeau, il fut toujours sans pitié pour Philippe d'Orléans : à lui seul il n'accorda jamais ni trêve ni pardon.

Un jour — c'était à l'époque de ses plus violentes philippiques — Suleau fut averti, par un avis anonyme, qu'un meurtre se tramait contre lui; Suleau répondit qu'il y avait loin du poignard d'un scélérat à la poitrine d'un honnête homme. Il se trompait; car aux premiers bruits de l'insurrection du 10 août, le malheureux fut assassiné au poste des Feuillans, par une poignée de sicaires, à la tête desquels se trouvait la Théroigne de Méricourt. Les causes de cet assassinat n'ont jamais été bien connues. Les uns, et c'est le plus grand nombre, prétendent que Théroigne ne fit que se venger des épigramrnes que Suleau ne lui avait point épargnées; d'autres, rencontrant le nom du duc d'Orléans à travers les dissipations et les révolutionnaires orgies de l'héroïne du ô octobre , veulent, chose peu croyable , que la


mort de Suleau ait été commandée par le PalaisRoyal. Quoi qu'il en soit, une fin si tragique témoigna de la fatidique vérité des paroles, que, dans une autre occasion, Suleau avait adressées au duc d'Orléans : « Il y a des familles où la soif héréditaire de l'or est tellement inextinguible, que les aecidens les plus déplorables et les plus imprévus arrivent toujours à propos pour les enrichir. » —Les inexplicables accidens qui étaient survenus pour enrichir Philippe d'Orléans , s'accomplissaient aussi pour satisfaire ses vengeances.

Nous avançons à grands pas dans la période révolutionnaire; les évènemens touchent à tous les extrêmes, et les extrêmes se précipitent à des dénouemens désespérés. Au-dehors, la coalition armée couvre les frontières, s'empare de Verdun, et s'avance sur Paris; au-dedans, l'esprit révolutionnaire se fait ardent, implacable. La persécution des royalistes commence : on traque les hommes après avoir fait la chasse aux idées; l'instinct des représailles semble animer les révolutionnaires et les coalisés d'un même sentiment de vengeance. Les royalistes se défendent comme ils peuvent contre la révolution, et la révolution attaque la monarchie. C'est un combat à mort dans lequel les champions se heurtent sans s'expliquer. Au 20 juin succède le 10 août ; après le 10 août viennent les massacres de septembre, longues journées de sang et de deuil, qu'on a cru excuser au nom de la France, qu'il s'agissait de pré-


server de l'envahissement des armées étrangères.

La royauté venait d'expirer dans une agonie que rendirent plus longue et plus terrible encore ceux qui voulaient défendre le trône. Combien furent fatales cette impuissance, ce défaut de prévision, ces tentatives avortées t Vouloir s'imposer par la force des armes à la France, dont une partie réclamait d'imprescriptibles droits, c'était là une impardonnable faute ; envahir le territoire français, c'était un crime contre ceux qui n'avaient pas déserté leurs foyers, et qui, supportant la solidarité des tentatives des vaincus, restaient ainsi livrés à la discrétion des vainqueurs (1). Plus grands furent encore les crimes de la révolution, qui voulut s'imposer par le sang et par l'échafaud; mais dans l'ordre des faits humains et des enseignemens de l'histoire, il est hors de doute que si, pour comprimer la révolution, Louis XVI eût placé le levier dans la révolution elle-même, au lieu de le placer au-dehors, il eût conservé pendant de longues années un pouvoir incontesté.

Des femmes de la cour de Louis XVI, une surtout fut en butte aux immondes accusations des pamphlétaires de son temps : c'est la princesse de Lamballe, Marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan.

(0 Voir, dans la correspondance récemment publiée de Marie-Antoinette avec son frère Léopold 11, les paroles désolées de cette malheureuse reine contre l'émigration, qu'elle appelle une lâcheté. (Revue rétrospective, t. J, P.473.)


De l'étroite et sainte amitié qui liait cette princesse à Marie-Antoinette, on avait fait une impure liaison.

Ce n'était pas assez d'avoir prêté des amans à Marie-Antoinette, on voulut encore que, ressuscitant Rome païenne, elle eût rouvert furtivement l'alcove de Messaline, et ajouté un dernier et honteux chapitre au mystérieux roman des amours de Laufelb.

Quand on relit aujourd'hui, après un demi-siècle, ces pages de pamphlets usées et jaunies, on frissonne de dégoût au souvenir du délire de cette époque, surtout en songeant que, avant d'être traînées dans la boue, ces satires coururent d'abord les salons et les ruelles de Versailles, colportées par d'indignes courtisans, vieux débris de la régence, et par l'entourage du duc d'Orléans. Ce furent quelques libertins de Versailles et les roués du PalaisRoyal qui apprirent au peuple à déshonorer la reine et les femmes de son palais.

Tant d'impures pensées auraient dû s'éteindre lorsque, aux joies de la cour, succédèrent les persécutions, que la prison du Temple remplaça le palais des Tuileries, et que des évènemens aussi cruels qu'imprévus eurent fortifié encore l'amitié de la reine pour la princesse de Lamballe. Il n'en fut rien cependant : on voulut accommoder le libertinage au malheur, et les larmes à la fièvre des sens.

Quand la famille royale fut enfermée au Temple, Mrae de Lamballe, Mmes de Tourzel et de Saint-Rrice, prévenues d'intelligence avec les ennemis, furent


écrouées dans les prisons de la Force; mais aucune charge ne justifiant l'accusation portée contre Mmes de Tourzel et de Saint-Brice , le 3 septembre elles furent rendues à la liberté. Seule, Mme de Lamballe resta prisonnière ; le même jour on la transféra de la Petite-Force à la Grande-Force.

Le lendemain, une proclamation de la commune fit connaître les premiers succès de l'armée austroprussienne et le siège de Verdun. Le tocsin sonnait dans Paris; de quart-d'heure en quart-d'heure tonnait le canon d'alarme. Les citoyens se précipitaient aux sections; au Champ-de-Mars on s'arrachait les armes pour marcher à la frontière. La veille, du haut de son échafaud, un condamné avait jeté au peuple d'étranges paroles : c'était la révélation d'un prétendu complot qui aurait existé dans les prisons de Paris, pour profiter des succès du duc de Brunswick.

— On courut aux prisons, et alors commencèrent les massacres de septembre.

La princesse de Lamballe fut une des victimes de ces épouvantables journées, où le crime eut des apparences de justice et d'indicibles raffinemens de barbarie. Lorsqu'elle fut amenée devant le tribunal improvisé dans sa prison : « — Qui êtes-vous? lui demanda le juge.

« -' Marie- Louise, princesse de Savoie.

« — Avez-vous connaissance des complots de la cour au 10 août?

« — Je ne sais s'il y avait des complots au 10 août, mais je sais que je n'en avais aucune connaissance.


« — Jurez la liberté, l'égalité, la haine du roi, de la reine et de la royauté.

« — Je jurerai facilement les deux premiers; je ne puis jurer le dernier, il n'est pas dans mon cœur. »

(Ici un assistant lui dit tout bas : Jurez donc; si vous ne jurez pas, vous êtes morte.) La princesse ne répondit rien , et fit un pas vers le guichet.

« Le juge : Qu'on élargisse madame (1). »

Alors on ouvrit le guichet : elle fut frappée, mise à mort, et son corps fut livré à d'horribles profanations. Ces égorgeurs, qui avaient les pieds dans le sang, se firent une infernale fête de sentir frissonner sous leurs mains une femme encore dans toute sa beauté, et que, partout ailleurs, un monde eût séparé de leurs attouchemens. Dans cette cour de la Grande-Force, jonchée de cadavres, il y eut alors des souvenirs d'infâmes accusations : on voulut purifier par le fer un corps qu'avait sali la crapuleuse imagination des roués et des libellistes du temps. Les bourreaux trouvaient à cela vengeance et volupté. Peut-être même, avant de pleurer sur sa mort, cette noble femme eut-elle encore à pleurer sur sa pudeur outrageusement immolée.

(i) C'était la formule consacrée pour donner le signal du meurtre. Les deux hommes qui tenaient la princesse sous les bras lui recommandèrent, dit-on, de crier vive la nation !

mais en paraissant dans la cour, elle laissa échapper ces mots : Oh l'horreur! ou Je suis perdue!


Puis on coupa la tête du cadavre, on la mit au bout d'une pique qu'on s'en fut planter au Palais-Royal, sous les fenêtres de l'appartement du duc d'Orléans. C'était le moment où le duc allait dîner avec Agnès de Buffon et quelques Anglais. En apercevant le sanglant trophée, Agnès tomba dans un fauteuil, se voila la figure de ses mains en s'écriant : Ah! mon Dieu, voilà comme ma tête sera portée un jour! Quant au duc d'Orléans, il se mit tranquillement à table avec ses Anglais.

L'histoire n'a dit ni les paroles ni l'attitude de cette populace qui venait offrir, comme un tribut consacré, la dîme du meurtre au duc d'Orléans, ni les mystérieux rapports qui pouvaient exister entre ceux qui faisaient l'offrande et celui qui la recevait ; mais ce que les Mémoires de l'époque et les historiens ont répété, c'est que le meurtre de Mme de Lamballe fut commandé par le duc d'Orléans, LouisPhilippe gagnant à la mort de cette princesse l'extinction d'un douaire de cent mille écus qu'il était obligé de lui payer; c'est que de vives inimitiés existaient depuis long-temps entre le duc et la princesse de Lamballe , et que le meurtre de cette femme fut à la fois une vengeance et une spéculation; c'est que, pour sauver Mme de Lamballe, Manuel, procureur-syndic de la commune de Paris, avait reçu 150,000 livres, et que, loyal dans sa corruption, il s'était demandé quelle puissance plus forte que la sienne avait osé faire périr celle qu'il avait promis de rendre à la liberté. Voilà quelle est la renommée


(lue le duc d'Orléans a gardée dans l'histoire (1).

Tant d'accusations paraissent être peu vraisemblables, malgré la presqu'unanimité des témoignages contemporains, si l'on songe aux circonstances qui ont marqué la fin de Mme de Lamballe. Des assertions que nous avons citées, la plus répétée de toutes n'est pas la plus exacte : ainsi, le douaire évalué à cent mille écus, n'était réellement que de trente mille livres; en outre, l'extinction de ce douaire devait peu profiter au duc d'Orléans, puisque déjà la séparation de biens avait été prononcée par le tribunal de famille entre la duchesse et lui, et que, malgré l'appel dont il avait frappé cette sentence, il ne pouvait ignorer qu'il n'avait plus rien à prétendre dans la fortune de la maison de Penthièvre. L'imputation d'initiative et de complicité directe du duc d'Orléans dans le meurtre de la princesse de Lamballe, n'est donc fortifiée par aucune preuve, autres que celles résultant des rumeurs de l'époque et de l'unanimité des contemporains à flageller de cette accusation la mémoire de Philippe d'Orléans (2).

(1) Mémoires de Bertrand de Molleville. — Mémoires de Ferrières. — Histoire particulière (les évènemens de juin, juillet, août et septemhre 1792, par Maton-de-la-Varenne. — Dernier tableau de Paris, par Peltier. - Histoire de la conjuration du duc d'Orléans, par Montjoie, etc., etc.

( 2) L'Italien Rotondo fut un de ceux qui aidèrent au meurtre de la princesse de Lamballe; il se vanta même de ce fait, à table, dans un hôtel de Londres. Tous les contemporains ont parlé des relations de ce misérable avec Philippe d'Or-


Dans un temps où toute supposition était admissible , pourvu qu'elle fût inspirée par le génie de l'adultère et du libertinage, la princesse de Lamballe avait été soupçonnée de coupables faiblesses pour le duc d'Orléans. Cette assertion, venue des salons de Versailles aux oreilles du peuple, fut pour les hommes de septembre un puissant motif d'organiser le sanglant trophée du Palais-Royal; car on connaissait la cynique insensibilité du duc d'Orléans, son mépris de la vie humaine, et les meurtrières voluptés auxquelles, plus d'une fois, il avait sacrifié ses maîtresses.

Lorsque Philippe ne songeait pas encore à jouet au patriotisme et à la révolution, une femme, bien connue des débauchés de son temps, fut emportée par une maladie qui, cependant, lui laissa jusqu'au dernier instant tous les charmes de la jeunesse. La veille de sa mort, trois jeunes seigneurs étaient réunis dans une chambre voisine de celle où déjà cette femme était en proie aux douleurs de l'agonie : c'étaient le duc d'Orléans et deux compagnons de ses plaisirs, avec lesquels la moribonde avait vécu dans une intimité commune. Ce que faisaient le duc et ses deux amis, le voici : ils jouaient aux dés pour savoir lequel des trois, mêlant au râle de l'agonie les fébriles transports des passions terrestres, irait, par une étreinte sacrilége,

léans, relations que Rotondo a cependant niées, dans une lettre adressée à un journal de l'époque.


envoyer la moribonde devant Dieu, avec une tache dernière et presqu'ineffaçable des voluptés qui avaient souillé sa vie.

Les anecdotes de ce genre étaient alors dans toutes les bouches ; elles sont oubliées aujourd'hui ; pour les recueillir ou pour les redire, aucun historien n'ayant eu le courage de Suétone ou de Juvénal.

Entre les hommes qui avaient livré le corps de Mme de Lamballe à d'indignes outrages, et le prince qui recherchait dans la mort d'une femme de pareils raffinemens de volupté, il existait donc une pensée commune, mystérieuse sympathie qui liait la cruauté des uns à l'insensibilité de l'autre.

Pendant que le duc d'Orléans était encore à dîner avec ses Anglais, la tête de la princesse de Lamballe, portée dans Paris jusque sous les murs de la prison du Temple, fut enfin recueillie par de pieuses mains.

Un homme du peuple, Jacques Pointel, se présenta, dans la soirée du 3 septembre, au comité permanent de la section des Quinze-Vingts, district des Enfans-Trouvés, et demanda l'inhumation de la tête de Mme de Lamballe, dont il était venu à bout, ditil, de s'emparer. Desesquelles, officier municipal de cette section, se transporta aussitôt avec Jacques Pointel au cimetière des Enfans-Trouvés, où fut faite l'inhumation de ce débris humain, le seul que n'eût pas anéanti la rage des meurtriers (1).

( 1) lievue rétrospective, t. Ilï, p. 1^2.


Ainsi devaient retourner au peuple, pour qu'ils y trouvassent une sainte pensée, les restes de cette infortunée princesse que le peuple avait tuée.


ZIII.

Si bas qu'il se fût placé, Philippe avait compris que le nom d'Orléans devait mal résonner aux oreilles de la république, qui s'élevait menaçante sur les ruines de la royauté et de l'aristocratie française. Les Bourbons n'avaient plus de faveurs, plus d'apanages à donner à la branche d'Orléans ; il fallait renier le sang des Bourbons : la noblesse était persécutée, proscrite; il fallait laisser la noblesse à ses fatales destinées : le vent tournait au peuple; il fallait devenir peuple.

Depuis la chute du trône, d'Orléans rêvait donc à changer de nom, croyant acheter à ce prix une entière sécurité dans la république nouvelle ; espérant que les inquisiteurs et les Diogènes de la révolution, lorsqu'ils chercheraient un prince, un noble à proscrire, passeraient, sans s'y arrêter, devant le Palais-Royal, n'y trouvant plus ni nobles, ni princes,


ni d'Orléans, ni Bourbon. Qu'importait à Philippe le ridicule et la honte, pourvu qu'il pût vivre à Paris et assister égoïste et impassible au terrible spectacle des bouleversemens politiques? Le sens moral et la conscience de la dignité personnelle étaient pour Philippe d'Orléans des choses vides de sens : les appétits sensuels, l'instinct de la conservation résumaient toute sa vie.

Philippe allait donc répétant dans les clubs, au Palais-Royal, aux Jacobins, aux assemblées électorales, que le nom de d'Orléans ne lui convenait plus, entaché qu'était ce nom d'aristocratie et de féodalité.

Le député Gorsas, à qui Philippe avait fait part de ces dispositions, lui conseilla de s'adresser à Manuel, procureur-syndic de la commune de Paris.

« Il sera piquant, lui dit Gorsas, de vous trouver « baptisé par un homme qui en débaptise tant d'au« très, et qui voudrait chasser tous les saints du Pa« radis. » Philippe s'empressa de mettre à exécution le conseil de Gorsas. Il écrivit à Manuel, pour lui faire connaître son intention de changer contre un nom populaire le nom de d'Orléans, auquel il renonçait. Ce fut Gorsas lui-même qui ajouta à cette lettre l'adresse de Manuel, que Philippe ignorait apparemment, et qui, par recommandation particulière, invita le procureur-syndic à tenir sur les fonts l'enfant perdu qu'il lui envoyait (1).

(i) C'est Corsas qui raconte ces détails dans le Courrier des départemens du ig décembre 1792.


Voilà pourquoi, le 15 septembre 1792, Philippe d'Orléans se présenta à la commune de Paris, pour assister à la modification de son état civil. Manuel était homme d'esprit, plutôt courtisan que révolutionnaire, et tout juste assez sincère dans ses opinions pour savoir ce que valait le patriotisme affecté de Philippe d'Orléans. En voyant un prince s'abaisser au point de renier ses ancêtres, et de demander à changer de nom avec autant d'insistance qu'un autre en eût mis à faire connaître le sien, Manuel comprit qu'il fallait stygmatiser en caractères ineffaçables la dégradation volontaire de cet homme ; il se tourna vers la statue de l'Égalité, et proposa cette divinité républicaine pour marraine à Philippe d'Orléans. — Philippe remercia Manuel d'une si burlesque inspiration, et la commune de Paris consigna dans les termes suivans ce nouvel acte de bassesse de Philippe d'Orléans :

COMMUNE DE PARTS.

Sur la demande de Louis-Philippe-J oseph, prince français, Le conseil-général arrête : io Louis-Philippe-Joseph et sa postérité porteront désormais pour nom de famille Egalité.

2° Le jardin connu sous le nom de Palais-Royal s'appellera désormais Jardin de la Révolution.

3° Louis-Philippe-Joseph Egalité est autorisé à faire faire, soit sur les registres publics, soit sur les actes notariés, mention du présent arrêté.

Le présent arrêté sera imprimé et affiché (t).

Signé, etc.

(i) Moniteur du -17 septembre 1792.


Arrière donc, maintenant, le duc d'Orléans, le premier prince du sang, le descendant du régent, le petit-neveu de Louis XIV! — C'est a Philippe Égalité que nous avons affaire.

Afin que personne ne pût se méprendre sur ses intentions, voulant d'ailleurs rendre aussi solennelle que possible la honteuse transformation qu'il venait de subir, Philippe Égalité fit savoir que de tous les noms qu'on pouvait lui donner, aucun ne lui était plus agréable que celui qu'il avait reçu; il écrivit à la Commune :

« Citoyens, « J'accepte avec une reconnaissance extrême le nom que la commune de Paris vient de me donner; elle ne pouvait en choisir un plus conforme à mes scntimens et à mes opinions. Je vous jure, citoyens, que je me rappelerai sans cesse les devoirs que ce nom m'impose, et que je ne m'en écarterai jamais.

« Je suis votre concitoyen, « L.-P. Joseph ÉGALITÉ. »

Ici l'histoire se trouve en face d'une autre version qu'il faut expliquer. Un contemporain de Philippe Égalité, le conventionnel Sergent, officier municipal et administrateur de la police en 1792, a raconté comme il suit l'épisode de la commune de Paris : « J'ai vu le duc d'Orléans hausser les épaules en « recevant le nom d'Égalité, qui lui fut donné par < le procureur de la Commune de Paris, Manuel. Il


« m'en parla avec une pitié ironique, lorsque sor« tant ensemble de l'Hôtel-de-Ville, où je me trou« vais en ce moment, je lui dis en riant : Comme « cela vous va bien, le nom d'une nymphe, à vous « colonel de hussards, et avec des moustaches « noires ! — Il me répondit : — Vous me rendrez la « justice que je ne suis pas venu à la commune pour « changer mes noms, et qu'on m'a imposé celui-là.

« Vous avez entendu les tribunes applaudir ce lourd « Manuel : que pouvais-je dire et faire? Je venais « solliciter pour ma fille, qui va être déclarée émi« grée (1), et j'ai dû sacrifier à ce puissant intérêt « ma répugnance à prendre ce nom burlesque pour « moi (2). »

Dans ce récit publié après 1830, il est certain que Sergent affecte de taire les circonstances qui précédèrent la démarche de Philippe d'Orléans, circonstances que Gorsas a racontées à l'époque même où l'événement venait td'avoir lieu. Supposé que Sergent eût oublié les souvenirs de son temps, il aurait pu acquérir la preuve, en recourant au texte du Moniteur, que l'arrêté de la commune de Paris n'avait été rendu que sur la demande de Louis-Philippe d'Orléans (3).

(1) Mlle d'Orléans ne fut inquiélée, pour son séjour en Angleterre, qu'au mois de novembre suivant, comme on Je verra plus lard.

(2) Revue rétrospective, IIe série, t. III, p. 33o.

(3) Voici une note qu'on trouve sur Sergent, dans le Jour-


Au reste, il ne faudrait point s'imaginer que les paroles mises par Sergent dans la bouche de Phi-

nal des Révolutions de Paris, par Prudhomme (n° CXXXV ) : « Ne vient-on pas de passer l'écharpe municipale à un artiste qui, il n'y a pas bien long-temps, publia une estampe représentant Louis XII, Henri IV et Louis XVI, avec ce calcul gravé au bas de ces trois bustes rangés en triangle : XII et IV font XVI, c'est-à-dire Louis XVI à lui tout seul, enferme Louis XII et Henri IV. Quand le prince royal en sera à l'arithmétique, c'est sur cette image ingénieuse qu'on lui apprendra la règle de l'addition. »

Après la prise du château, au 10 août, la plupart des bijoux et des objets précieux appartenant à la famille royale furent confiés à la commune de Paris. Il paraît que ces dépôts ne furent pas tous fidèlement rendus, Câfles reproches d'improbité contre quelques membres de la commune sont fort nombreux dans les feuilles de l'époque ; il y eut même à ce sujet d'assez vives discussions à l'Hotel-de-Ville, où siégeait le conseil-général de la commune. C'est dans l'une de ces délibérations que, le 8 novembre 1792, Panis prit la parole au nom du comité de surveillance, et rendit compte de l'état des dépôts confiés à ses soins.

« Le rapporteur, disent les Révolutions de Paris t 11 déclaré à la commune que dans le nombre des objets précieux qui se trouvent manquer, tels que bijoux, argenterie, louis, on comptait trois montres d'or, une agathe montée en bague x et autres bij oux, lesquels effets, a dit le rapporteur, son en-; tre les mains de Sergent, député de Paris à la Convention, et alors présent. Sergent est convenu du fait, à l'exception d'une montre qu'il a dit ne pas avoir, et a déclaré que son intention était de payer lesdits effets au prix auquel ils auraient été portés. Ce disant on a remarqué qu'il avait au


lippe Égalité sont apocryphes. Après la lettre de remercîmens qu'il adressa à la Commune de Paris, les haussemens d'épaule et l'ironique pitié de Philippe, seraient tout au plus une nouvelle preuve de son habileté à jouer tous les rôles (1).

Les Mémoires de l'époque veulent encore que Philippe d'Orléans ait pris plaisir à se donner une généalogie conforme à la renonciation qu'il venait de faire. Il s'excusait d'avoir été Bourbon jusqu'à ce moment, et protestait qu'il n'était pas le fils du dernier duc d'Orléans, justifiant ainsi ses dénégations par la prostitution de sa mère. Les roués de sa cour complétaient sa pensée, en répétant dans les clubs et les groupes populaires, que Philippe était le fils d'un cocher, et qu'on le devait regarder comme un vrai sans-culotte (2).

On se refuserait à admettre de pareilles monstruosités, si l'on ne savait déjà que, avant d'être avilie par son fils, la duchesse d'Orléans avait ellemême proclamé sa honte et couvert de souillures

doigt l'agathe réclamée. » (Réool. de Paris, nO CLXXVII.) C'est de là que Sergent reçut le sobriquet de SergentAgathe.

(i) N'était le récit de Sergent, nous inclinerions fortement à penser que Philippe d'Orléans ne se présenta pas à la Commune, et que tout seborna à la lettre qu'il adressa à Manuel, d'abord, et à celle qu'il envoya à la Commune ensuite.

(2) Voyez les Mémoires du temps, et. surtout Y Histoire de la révolution, par Bertrand de Molleville, t. x.


le nom qu'elle portait. Rien n'est héréditaire et réciproque comme la secrète infamie des couches nuptiales. Si les récits du temps sont vrais, c'était donc par sa propre turpitude que Philippe d'Orléans devait témoigner du déshonneur de sa mère.


ZIV.

La république était proclamée, et la seconde Assemblée nationale avait cédé ses pouvoirs à une législature nouvelle, élue sous l'impression de la victoire du 10 août, au bruit des massacres de septembre : cette législature était la Convention.

La Convention ne fut certainement pas la représentation de la majorité de la France ; sous la terreur qui dominait le pays, les royalistes, les constitutionnels, les indifférens et les égoïstes de tous les partis ne se présentèrent pas au scrutin électoral, dont restèrent maîtres les plus audacieux et les plus exaltés révolutionnaires. Cela est si vrai, que dans toutes les sections de Paris, le nombre des électeurs votans fut de beaucoup inférieur au chiffre des électeurs inscrits : on vit des nominations faites par cinq cents électeurs à peine, quand plus de deux mille électeurs appelés ne se présentaient pas. En


révolution, ce n'est pas ordinairement la majorité consultée qui fait la loi, elle la subit au contraire de la minorité active; s'il en était autrement, jamais les révolutions ne se feraient.

La députation de Paris était donc acquise d'avance à tous ceux qui avaient imprimé à l'ère nouvelle ses plus énergiques mouvemens. Maximilien Robespière, Danton, Collot-d'Herbois, Manuel, Billaud-Varennes, Camille Desmoulins, Marat, Lavicomterie, Legcndre, Fréron, Fabre-d'Eglantinc, Raffron, Panis, Sergent, Robert, Dussault, Beauvais, Osselin, Augustin Robespierre, David, Boucher, Laignelot et Thomas, voilà quels étaient les hommes à qui la ville de Paris confia le mandat de la représenter, et qui deux années durant firent à eux seuls les destinées de la France.

Philippe-Égalité sollicita une place dans les rangs de cette députation ; il avait même engagé ses deux fils à se présenter aussi ; mais leur jeune âge fut pour eux une cause d'incapacité légale qui les priva de l'honneur que leur destinait leur père.

C'est du 2 au 19 septembre qu'eurent lieu les élections de Paris, c'est le 17 que Philippe d'Orléans s'était présenté à la commune pour y abjurer le nom de sa famille ; il n'était alors que candidat, et non pas député : on peut donc croire que l'un des motifs qui le poussèrent à cet acte, fut le désir de frapper les républicaines sympathies des électeurs dont il sollicitait les suffrages, par le prestige d'une si singulière transformation. Le 19 septem-


bre, un député restait à nommer, le dernier de la députation de Paris : deux candidats se disputaient le scrutin, Lhuillier et Philippe Égalité, celui-là présenté par Robespierre, celui-ci soutenu par Danton, Camille Desmoulins, Sergent et Robert.

C'est en ce moment que commence à se montrer contre Philippe Égalité une volonté forte et puissante , inexorable comme le destin et fatale comme lui. Le jour où Philippe s'était trouvé en face de Robespierre, il avait rencontré son plus implacable ennemi dans cet homme au teint bilieux, au sarcastique sourire. Au sein du gouvernement nouveau qu'il prétendait fortifier par la simplicité républicaine, par l'anéantissement des factions et le nivellement des inégalités sociales, Robespierre ne voulait pas laisser une place, si petite fùt-elle, à Philippe d'Orléans. La corruption, le luxe, les ténébreuses allures du Palais-Royal, répugnaient à l'austérité politique du morose tribun. La trempe de son caractère était froide et forte, mais les défiances de [son caractère étaient infinies. Toujours soupçonneux, toujours en garde contre les célébrités révolutionnaires de son époque, Robespierre n'avait que de la haine et du mépris pour les comédies patriotiques et les usurpateurs de popularité. Quel autre que Philippe eut été capable d'inspirer à Robespierre une répulsion plus énergique, de plus ombrageuses susceptibilités ?

Aussi, lorsqu'aux abords de la république naissante , il rencontra cet homme qui avait changé de


nom, Robespierre voulut que les portes de la Convention nationale lui fussent à jamais fermées, et qu'on préférât à Philippe Égalité Lhuillier, un homme obscur, un singulier compétiteur même, s'il en faut croire Brissot (1).

Une étrange fatalité fit échouer les efforts de Robespierre au corps électoral; Philippe Égalité l'emporta sur son concurrent; il fut élu le dernier de la députation de Paris, ainsi que l'avait voulu Danton, qui prétendait que la nomination d'un prince du sang rendrait la Convention plus imposante aux yeux des rois de l'Europe, surtout si ce prince était nommé le dernier de la députation (2).

(i) « Lhuillier à été cordonnier établi rue du Petit-Lion.

Sa qualité ne serait pas à considérer, mais elle indique l'habitude du travail des mains, et l'éloignement de celui d'esprit. Il est sans éducation, il n'a fait aucune étude, il est ignorant, vindicatif, violent, emporté à l'excès. Après des égaremens de jeunesse, il s'est fait homme de loi en 1789.

Dans les mois de juillet et d'août, il s'est donné de grands mouvemens dans la section de Bonconseil; il a été nommé accusateur public d'une section du tribunal du 17 août. Il suffit de l'entendre parler pour juger de son ignorance ; il parait s'abandonner au vin. » [Patriotefrançais, n°MCXCVi!.)

(2) Des vingt-quatre députés de Paris, deux seulement, Marat et Philippe Egalité, virent leur nomination attaquée, le premier par la section qui l'avait élu, l'autre par la section de Bondi. Après avoir fait connaître qu'elle approuvait l'élection de vingt-trois des membres nommés par le collége électoral de Paris, la section de Bondi déclara en même temps qu'elle rejetait le duc d'Orléans, et qu'elle réclamait


Robespierre ne pardonna pas cette victoire à Danton, l'homme de la corruption et des vénales intrigues. Lorsque, deux années plus tard, Danton fut cité à ce tribunal révolutionnaire qu'il avait créé lui-même, Robespierre, par la bouche de Saint-Just, lui rappela ces souvenirs accusateurs, et lui dit : « C'est toi qui me répondais que l'opinion publij « que était une catin, et la postérité une sottise.

« C'est toi qui fis nommer Fabre et d'Orléans à l'as« semblée électorale. Chabot vota pour d'Orléans; « je lui témoignai tout bas ma surprise et ma dou« leur, il me répondit tout haut que son opinion « était libre (1). »

Sait-on quel était le nombre des votans au scrutin électoral du 19 septembre 1792, et le chiffre de la majorité ? Le procès-verbal de cette journée est curieux à consulter ; le voici, avec toute la fatale éloquence de ses chiffres :

contre le nom d'Égalité, usurpé par ce prince, parce que ce nom était une propriété nationale. (Annales Patriotiques, n° CCLXX.)

(i) Le canevas du rapport de Saint-Just contre Fabre d'Églantine, Danton, Philippeaux et Camille Desmoulins, avait été fourni par Robespierre, ainsi que le prouve la rétente découverte du manuscrit de ce célèbre conventionnel.

C'est dans ce canevas que sont tracées les lignes que nous venons de citer, et que Saint-Just a repYoduites dans son rapport au tribunal révolutionnaire. (Projet rédigé par Robespierre du rapport de Saint Just, 184- * 0


Nombre des votans. 5^2 Majorité absolue. 297 Philippe-Égalité 297 Lhuillier. 171 Voix perdues sur plusieurs candidats. 124.

Qu'on dise après cela que les évènemens s'enchaînent les uns dans les autres par des causes nécessaires, grandes comme eux, comme eux puissantes et inévitables ! Que l'élection n'eût pas été validée, comme cela aurait pu se faire, le bureau n'étant pas d'accord sur le chiffre réel du dépouillement des votes, et le lendemain peut-être la chance électorale eût tournée contre Philippe Égalité.

Le philosophe aime à suivre les évènemens dans leur bizarre coïncidence ; il compare l'immensité des effets à l'infinie petitesse des causes. L'historien accepte les faits, quelle que soit la main qui les lui donne, qu'ils viennent du hasard ou qu'ils soient imposés par la nécessité.

Une fois membre de la Convention nationale, Philippe ne songea plus qu'à tirer de sa fortune nouvelle le meilleur parti possible. Au récent souvenir des massacres de septembre, deux partis dessinaient déjà dans l'assemblée souveraine les lignes de démarcation de leur terrible rivalité. D'un côté c'étaient les débris constitutionnels de l'Assemblée législative, les hommes de temporisation, les metteurs en œuvre de la détestable philosophie de leur siècle, les intrigans sans foi et les roués politiques:


Brissot représentait plus particulièrement ceux-ci, pendant que la députation de la Gironde comptait les premiers au nombre de ses plus éloquens orateurs. De l'autre côté, c'était la députation de Paris, ardente de patriotisme, gangrenée aussi dans quelques-uns de ses membres, moins féconde en talens oratoires que la Gironde, mais offrant une plus complète homogénéité politique. L'esprit de domination absolue, l'inflexibilité de principe, l'unité gouvernementale furent son système, la terreur ses moyens. La députation de la Gironde siégeait au côté droit de la Convention : le parti qu'elle représentait garda le nom de la Gironde; la députation de Paris dominait l'amphithéâtre législatif; on l'appela la Montagne. Entre ces deux extrémités croupissaient les hommes des votes secrets et des silencieuses lâchetés, toujours à la dévotion du parti le plus fort, et au service de tous les pouvoirs. On appelait le Marais la place que ces eunuques occupaient à la Convention, on l'appelle le centre dans nos assemblées modernes.

La Montagne représentait la révolution dans sa marche, dans son inexorable fatalité ; la Gironde, dans son atonie, dans son impuissance et ses regrets.

Philippe Égalité marqua sa place sur les bancs de la Montagne. En marchant avec le torrent, il espérait ne pas être emporté par lui, le diriger peutêtre. Mais calculateur toujours habile, il sut se garder dans les deux camps rivaux de profitables in-


telligences. A la Montagne, il fréquenta de préférence les personnages les plus suspects, pendant que, d'un autre côté, Brissot et les girondins douteux lui étaient dévoués. Le soir, il allait chez Robert faire lui-même le punch, que venaient boire Danton, Vimphen, Fabre d'Églantine, et tous les montagnards qu'il voulait gagner ou compromettre. Le jour, c'étaient Petion, Gensonné, Guadct, Carra, Gorsas, Brissot et Sillery qu'il recevait au Palais-Royal. En réalité, Philippe n'était donc pas plus montagnard que girondin, girondin que montagnard. Peu lui importaient les principes unitaires de ceux-ci ou les fédéralistes tempéramens de ceux-là. Seulement il cherchait à réunir tous les élémens corrompus de l'Assemblée. Il se faisait des défenseurs pour les jours mauvais ; à tout événement, il se préparait des apologistes et des partisans. Il tenait à tous les partis, et il n'appartenait à aucun réellement. Ce calcul était adroit; mais en voyant Philippe voter avec la Montagne, la portion de la Gironde qui n'était pas gagnée pouvait, par de vigoureuses attaques, annihiler en quelque sorte les manœuvres des girondins dévoués à Philippe. De même les montagnards étrangers aux affiliations du Palais-Royal, apprenant les alliances de Philippe avec une notable partie du camp opposé, étaient en droit d'accuser les sympathies orléanistes de la Gironde. De telle sorte que, dans un moment décisif et au grand jour de la discussion, toutes les influences secrètement alliées, mais ostensiblement ennemies, devaient se neulra-


liserles unes les autres, et par un subit mouvement de retraite, laisser Philippe à découvert, en hutte à tous les déchaînemens, et sans défense contre des accusations d'autant plus vives que ses officieux apologistes auraient été condamnés au silence.

Dans ses rapports avec les membres de la Convention et les hommes du régime nouveau, Philippe Egalité se composait un maintien simple et tout-àfait en harmonie avec la fraternité républicaine. Ses allures étaient populaires, et son langage toujours marqué au coin de la rhétorique égalitaire de l'époque; mais tout cela n'était qu'extérieur, apparent : au fond, c'était toujours un prince qu'on retrouvait avec l'aristocratique morgue des grands seigneurs d'autrefois.

Peu de temps après qu'il eut changé de nom, une personne qu'il avait mandée pour affaire l'alla voir au Palais-Royal (1). On introduit cette personne dans la demeure de Philippe Egalité; partout sur sa route se fait remarquer la rigide simplicité républicaine. Parvenue à l'appartement où était l'homme qu'elle venait voir, ce n'est plus cela du tout, mais des valets en grande livrée, l'étiquette ancienne, des altesse à chaque mot, et ce prince lui-même frisé, poudré, vêtu comme à Versailles. — « L'esprit d'hypocrisie est là, » dit le visiteur en quittant le PalaisRoyal.

(i) C'est d'ette-mcmc que nous tenons ces détails.


zv.

Depuis son entrée à la Convention nationale, Philippe avait gardé le silence que lui commandait l'ambiguïté de sa position, lorsque se présenta pour lui l'occasion d'un éphémère triomphe. Dumouriez avait repoussé la coalition étrangère jusque sur le territoire belge, et reconquis, par la bataille de Jemmapes, les avantages perdus par les Français dans leurs premiers revers. En annonçant cette victoire au ministre de la guerre, Dumouriez attribuait en grande partie l'honneur de la journée à la valeur froide avec laquelle le lieutenant-général EgaliLé avait rallié les colonnes du centre et forcé le village de Jemmapes. C'était une lettre-de-change tirée par Dumouriez sur la modestie de Philippe Egalité. Il y fut fait honneur. Après qu'on eut lu dans l'Assemblée les dépèches de Dumouriez, Philippe demanda la parole. « Citoyens, dit-il, je dois vous apprendre


« ce que la modestie du général lui a fait taire dans « son récit; c'est que, après avoir rallié sa droite, « il a marché lui-même à la tête des corps, qui ont em« porté successivement toutes les redoutes, la baïon« nette au bout du fusil.»

De nombreux applaudissemens accueillirent cette comédie.

C'étaient les derniers bruits de popularité que Philippe devait entendre, car la proscription le menaçait déjà : la Convention venait de déclarer tous les émigrés bannis à perpétuité de la république; la mort était la peine de ceux qui tenteraient de rentrer en France.

Parmi les personnes que pouvaient atteindre les rigueurs de ce décret, se trouvaient Mlle Egalité et sa gouvernante, Mmede Genlis. Ces deux dames résidaient en Angleterre depuis une année environ ; elles furent inscrites par la commune sur la liste des émigrés. Philippe Egalité voulut obtenir leur radiation; mais ses démarches restèrent sans succès. Espérant mieux s'il faisait immédiatement rentrer les deux proscrites en France, il dépêcha à Londres Maret, qui fut plus tard duc de Bassano, avec la mission expresse de ramener sa fille au Palais-Royal, où cette jeune personne et Mme de Genlis arrivèrent effectivement le 21 novembre. Aussitôt Philippe Egalité monta à la tribune de la Convention, et y prononça ces paroles : « Citoyens, vous avez rendu un décretconlre les lâches qui


ont fui leur pairie dans le moment du danger, .contre les conspirateurs qui se sont armés pour la détruire. Vous avez généralisé cette loi autant qu'il a été possible, afin que des exceptions multipliées ne la rendissent pas illusoire , et qu'une foule de coupables n'échappassent pas à sa sévérité; mais la circonstance que j'ai à vous exposer est tellement part iculière, qu'elle est, je crois, la seule de ce genre. Ma fille, âgée de i5 ans, est passée en Angleterre au mois d'octobre 1791, avec la citoyenne Brularl- Silîerv, son institutrice, et deux de ses compagnes d'étude élevées avec elle depuis leur enfance par la citoyenne Sillery, et dont l'une est la citoyenne Henrielte Sercey sa nièce, et (l'autre la citoyenne Pamela Seymours, naturalisée Française depuis plusieurs années. La citoyenne Brulart-Sillery a fait l'éducation de mes enfans, et la manière dont ils se conduisent prouve qu'elle les a formés de bonne heure à la liberté et aux vertus républicaines. La langue anglaise est entrée dans l'éducation qu'elle a donnée à ma fille, et un des motifs de ce voyage a été de la forcer dans l'étude et surtout dans la prononciation de cette langue. Un autre motif a été la santé faible de cette enfant, qui avait besoin de dissipation et de prendre les eaux, qui lui étaient indiquées comme très-salutaires. Un autre motif enfin, et ce n'était pas le moins puissant, a été de la soustraire à l'influence des principes d'une femme trèsestimable sans doute, mais dont les opinions sur les affaires présentes n'ont pas été toujours conformes aux miennes.

Lorsque des raisons aussi puissantes retenaient ma fille en Angleterre, ses frères étaient dans les armées. Je n'ai cessé d'être avec eux ou au milieu de vous, et je puis dire que moi, que mes enfans ne sont pas les citoyens qui auraient couru le moins de danger si la cause de la liberté n'eût pas triomphé.

Il est impossible, il est absurde sous tous les rapports, d'envisager le voyage de ma fille comme une émigration ; il est impossible, il est absurde de lui supposer l'intention la plus


tcgerc, même la pensée d'émigrer. Je sens que la loi se trouve ici sans aucune application ; mais le plus léger doute suffit pour tourmenter un père. Je vous prie donc, citoyens, de calmer mes inquiétudes ; si par impossible , je ne puis le croire, mais si enfin vous frappiez ma fille de la rigueur de la loi, quelque cruel que fût ce décret pour moi, les sentimeus de la nature n'étoufferaient pas les devoirs du citoyen; et en éloignant ma fille. de sa patrie pour obéir à la loi, je prouverais de nouveau tout le prix que j'attache à ce titre que je préfère à tout. »

Philippe ne savait rien faire sans se dégrader.

Tout en plaidant la cause de sa fille, il trouvait moyen de signaler aux haines révolutionnaires les sympathies religieuses et politiques de la duchesse d'Orléans, et d'insulter gratuitement à cette aristocratie dont naguère il était le plus oisif et le plus inutile membre.

Le lendemain, sur l'avis de Saladin, rapporteur du comité de législation, l'Assemblée excepta de la loi contre les émigrés les enfans sortis de France pour commencer ou perfectionner leur éducation; mais ce décret ne fut pas exécuté, car des exceptions analogues ayant été demandées, la Convention décida qu'une loi spéciale serait faite à ce sujet, et qu'elle renfermerait tous les genres d'exception.

C'est alors que, en présence de la municipalité de Paris, Philippe fit renouveler par sa fille la renonciation qu'il avait faite au nom d'Orléans pour celui d'Egalité. Par cette démarche, Philippe espérait que sa fille serait comprise dans les exceptions de la loi


projetée; mais, revenant à sa pensée première, la Commune intima à Mlle Egalité l'ordre de sortir de Paris sons vingt-quatre heures, et d'aller attendre les décrets de la Convention hors du territoire de la république.

Le fille d'Egalité et sa gouvernante quittèrent donc le Palais-Royal, ou, s'il faut l'en croire, Mme de Genlis était venue apporter des conseils de prévoyance et de modération.

Ce fut à Tournay, sur la frontière de Belgique, que se retirèrent ces dames. L'arrêt de la commune qui les forçait à cet exil, semblait faire craindre des dangers pour Philippe Égalité. Depuis l'établissement de la république en France, chaque jour on s'excitait davantage a la haine de la monarchie, des prêtres, des nobles, des princes et des rois. Dans le reinou de cette révolution, il se produisait à la surface de la société de violentes menaces de proscription et de vengeance. Aux cris de mort que les journaux, les clubs et la tribune de la Convention faisaient entendre contre les prisonniers du Temple, se mêlaient donc des motions d'ostracisme, non pas autant contre les inoffensifs restes des Bourbons — on verra les marques d'affection et de dévoùment données par le peuple aux habitansdu château d'Anet— que contre Philippe Egalité, qui semblait réunir sur sa tête la haine et le mépris de tous. L'injure eùt été moins vive et l'affront moins sanglant, si l'on n'eût voulu chasser qu'un duc d'Orléans - Philippe i'ùl alors paye le malheur d'être issu d'un sang bour-


bonnien;—mais que la révolution demandât l'exil de l'homme qui, pour lui complaire, avait répudié le nom de ses aïeux, voilà ce qui aurait été vraiment inexplicable, si Philippe n'avait pris soin de justifier d'avance toutes les accusations dont il était accablé.

On lui conseilla de quitter la Convention et de rentrer dans la vie privée. C'eût été se résoudre à une démarche humiliante, et reconnaître l'ingratitude de la révolution, oublieuse des sacrifices que Philippe lui avait faits ; aussi se laissa-t-il aller à d'autres sollicitations. On attendit les évènemens : pour les rendre favorables, peut-être même prépara-t-on des intrigues. La déclaration suivante fut rendue publique par tous les journaux : L. P. Joseph Égalité à ses concitoyens.

« Plusieurs journaux affectent de publier que j'ai des desseins ambitieux et contraires à la liberté de mon pays ; que dans le cas où Louis XVI ne serait plus, je suis placé derrière le rideau pour mettre mon fils ou moi à la tête du gouvernement. Je ne prendrais pas la peine de me défendre de pareilles imputations, si elles ne tendaient pas à jeter la division et la discorde, à faire naître des partis, et à empêcher que le système d'égalité qui doit faire le bonheur des Français et la base de la république ne s'établisse.

« Voici donc ma profession de foi à cet égard ; elle est là même que dans l'année 1791. Dans les derniers temps de l'Assemblée constituante, voici ce que je prononçai à la tribune : « Je ne crois pas, messieurs, que vos comités entendent priver aucun parent du roi de la faculté d'opter entre la qualité de citoyen français , et l'expectative soit prochaine soit


éloignée du trône. Je conclus donc à ce que vous rejetiez purement et simplement l'article proposé par vos comités (relativement aux princes français); mais dans le cas où vous l'adopteriez, je déclare que je déposerai sur le bureau ma renonciation formelle aux droits de membre de la dynastie régnante, pour m'en tenir à ceux de citoyen français.

« Mes enfans sont prêts à signer de leur sang qu'ils sont dans les mêmes sentimens que moi.

« Signé, L.-P.-J. EGALITÉ. »

Cette déclaration, si précise fût-elle, ne trouva pas dans le public plus favorable accueil que toutes les protestations qui l'avaient précédée. Peu de jours après,. la Convention ayant décrété la peine de mort contre quiconque tenterait de rompre l'unité de la république française, Buzot, que Marat a souvent accusé d'être payé par d'Orléans, monta à la tribune , et demanda que Philippe et ses fils allassent porter ailleurs que dans la république le malheur d'avoir un nom qui pouvait servir de ralliement aux factions ou aux émissaires des puissances voisines, et dont l'oreille d'un homme libre ne devait point être blessée. Invoquant les souvenirs de Brutus et de Tarquin, Louvet appuya la motion que venait de formuler Buzot.

Alors il se fit dans l'Assemblée un épouvantable tumulte : Lanjuinais, Genissieux, Moreau, Barrère joignirent leurs voix à celle de Buzot et de Louvet pour demander le bannissement, que Chabot, SaintAndré, Saint-Just et Talien voulaient ajourner jusqu'après le jugement de Louis XVI. En vain Duhem


et Rewbel soutenaient-ils qu'on ne pouvait expulser de la Convention un représentant du peuple. « En « 1788, j'ai entendu parler d'une faction d'Orléans, « répondaitMerlin (de Thionville), en 89, 90, 91, en« core d'une faction d'Orléans; aujourd'hui le nom « d'Orléans est un ferment de troubles au milieu de « nous. D'Orléans, partez dès aujourd'hui, mais que « les dissentions qui nous tourmentent disparaissent #. enfin! » Par une adroite manûeuvre, Albitte et Duliem demandent aussitôt que Roland et le ministère soient compris dans le même ostracisme que Philippe Égalité. Manuel et Barrère formulent chacun un amendement à ce sujet. Tous les membres de l'extrémité gauche réclament l'ajournement de la discussion, mais l'ajournement est écarté. Les plus violentes interpellations accueillent ce résultat, le tumulte est au comble ; le président se couvre, lorsqu'enfin Delbret fait adopter la motion que l'Assemblée ne se séparera pas sans avoir pris une délibération.

Alors, revenant à la proposition de Louvet, Barrère chercha à démontrer que, en chassant Philippe, l'Assemblée ne faisait pas un acte d'ostracisme, mais un acte constitutionnel, une loi de sùreté générale, et qu'il fallait distinguer les représentans du peuple selon qu'ils étaient dans la loi commune ou dans les exclusions.

Si la motion faite par Buzot n'était qu'un acte de compérage, comme le disaient Robespierre, Marat et Camille Desmoulins, les colères qui, par l'organe


de Louvet, accueillirent cette motion, n'étaient ni factices ni jouées. Pendant huit heures elles éclatèrent dans l'Assemblée avec une violence dont la Convention n'avait pas encore offert d'exemple, et prouvèrent assez que, aux yeux de la Convention, Philippe Égalité serait toujours, comme il l'avait été pour l'Assemblée constituante et pour la Législative, un objet de suspicion et de mépris.

Il y eut encore d'autres rumeurs contre lui, jusqu'au moment où, sur la proposition de Choudieu, la Convention ajourna à deux jours la question relative à Philippe Égalité, indéfiniment celle qui regardait le ministère, et prononça le bannissement sous huit jours de tous les Bourbons autres que les prisonniers du Temple.

A part Chabot et Camille Desmoulins, les principaux membres de la Montagne ne s'étaient pas mêlés à cette discussion. Ils étaient absens ; mais on les retrouvera au club des jacobins, d'où relevaient souvent les décrets de la Convention, et où fut portée, le soir même, la question soulevée par Buzot. Ce fut Desmoulins qui ouvrit la séance ; Robespierre et Marat le suivirent à la tribune.

Les paroles du triumvirat montagnard sont précieuses à recueillir : elles font connaître la motion de Buzot et de Louvet, comme le résultat d'une intrigue dont Camille Desmoulins et Robespierre prétendent révéler le double but. Plus tard, on verra que les évènemens sembleront confirmer la vérité de ces allégations.


Camille Desmoulins s'exprima ainsi : « Buzot est monté à la tribune pour faire une motion d'ordre. Il a tiré de sa poche un discours écrit, et il a bien fallu l'entendre. Sa motion était que, pour assurer la tranquillité publique, on exilât à perpétuité tous les membres de la famille des Bourbons. C'était, comme vous le voyez, demander le bannissement d'Egalité, qui a tant contribué à la révolution. Demander le bannissement de cet ami sincère de la liberté, c'est demander qu'il soit assassiné à Coblentz.

Voilà quel était le but des brissotins. Ils se sont dit : les patriotes ne voudront pas abandonner Egalité, et nous ferons regarder la montagne comme une faction. Nous croyons très impolitique d'exiler les fils d'Egalité, ainsi que leur frère d'armes Valence, qui se trouve leneveu de Sillery, et qui voudra les accompagner dans leur exil. C'est le moyen de désorganiser l'armée. D'ailleurs, la motion impolitique de Merlin, au sujet de la royauté,rendait notre conduite difficile ; c'était le comble de l'art de nous faire passer pour royalistes en nous forçant de défendre Egalité.

« Louvet a appuyé la motion de Buzot. Ce n'est pas moi que vous allez entendre, a-t-il dit, c'est Brutus lui-même, lorsqu'il demanda le bannissement de Collatin neveu de Tarquin. Vous jugez quelle joie pour les prisonniers du Temple, d'apprendre que l'on veut exiler Egalité! Je voulais faire observer que la motion de Brutus, était aussi la motion de Brutus-Louvet, de Brutus-Gauthier et de Brutus-Suleau, qui n'ont cessé de déclamer contre Égalité; mais il m'a été impossible d'obtenir la parole. Leur but a été de nous placer dans la triste alternative d'être injustes ou de nous montrer royalistes. Leur second projet est de se populariser en exagérant les principes du républicanisme. Leur troisième projet est de forcer Égalité à faire un appel au peuple, et alors le peuple assemblé pourrait élire d'autres députés


qu'on aurait soin de lui désigner, et peut-être ont-ils lè projet de sauver Louis XVI, car les assemblées primaires une fois convoquées, pourraient délibérer sur le jugement du roi, et il serait possible que par ce moyen les intrigans parvinssent à le sauver. Voilà le résultat de la séance de la Convention. J'invite la société à délibérer sur cette nouvelle manœuvre des brissotins. »

ROBESPIERRE. « Il m'a été impossible de me trouver à la Convention aujourd'hui ; mais je déclare que, si je m'y étais trouvé, j'aurais voté pour la motion de Buzot et de Louvet. Elle est conforme au principe, et la conduite de Brutus est applicable à notre position actuelle. J'avoue que la maison d'Orléans a montré beaucoup de patriotisme; je ne m'oppose aucunement à la reconnaissance que l'on doit à cette famille; mais quels que soient les membres de la ci-devant famille royale, ils doivent être sacrifiés à la vérité des principes. La nation peut-elle s'assurer que tous les membres de cette famille seront invariablement attachés aux principes ? Je suis loin d'accuser ceux de ses membres qui semblent ce matin avoir été accusés par le parti aristocratique; je ne les crois d'aucune faction , mais nous devons tenir aux principes. Or, tels sont les nuages répandus sur les caractères, que nous ne pouvons pas connaître le but direct de la maison d'Orléans. Les patriotes ont paru défendre le citoyen d'Orléans, parce qu'ils ont cru la cause des principes attachée à sa cause. Une chose bien certaine, c'est que les patriotes n'ont jamais eu de liaison avec la maison d'Orléans, et que ceux qui ont provoqué ce décret ont les plus grandes liaisons avec cette maison. Comment se fait-il que Pétion, qui est de la faction brissotine, évidemment l'ami de d'Orléans, se soit déclaré contre lui?

Voilà matière à réflexion. Comment se fait-il que Sillery > confident de la maison d'Orléans , n'abandonne pas la société de Brissot et de Pétion? Comment se fait-il que les


patriotes qui ont défendu-d'Orléans, n'ont jamais eu aucune liaison avec cette maison? Comment se fait-il que d'Orléans ait été nommé député à la Convention par ceux qui ont des liaisons avec Brissot? Comment se fait-il que Louvet ait cherché à accréditer le brait que nous voulions élever d'Orléans à la royauté? Comment se fait-il qutf Louvet, qui sait fort bien que, dans l'assemblée-électorale f j'ai voté contre d'Orléans, ait répandu <ians ses libelles contre moi que je veux donner la couronne à ce même d'Orléans?

« Voici les conséquences que je tire de tout cela : c'est que la motion faite ce matin n'a été qu'une cômédie comme beaucoup d'autres ; c'est que cette motion cache un piège où l'on voulait entrainer les patriotes. Le but de cette faction est de se donner un air républicain; et pour arriver à ce but, elle veut nous imputer tous les projets qu'elle médite elle-même ; le but de cette faction est de jeter, dans les eSJ prits un peu crédules, les alarmes que répandent quelques mots dont elle se sert. On a parlé de dictature, mais on a vu que cette calomnie ne faisait pas fortune; en conséquence, on veut faire mouvoir un autre ressort : on veut nous appeler la faction orléaniste. Le but des brissotins est d'ameuter le peuple, en faisant alliance avec un tyran, quel qu'il soit.

Cette observation peut répandre quelques lumières.

« Quant à moi, j'avais depuis long-temps le projet de demander l'exil de d'Orléans et de tous les Bourbons, et cette demande n'est point inhumaine, comme on vous l'a dit; car ils peuvent se réfugier à Londres, et la nation peut pourvoir d'une manière honorable à la subsistance de la famille exilée. Ils n'ont point démérité de la patrie : leur exclusion n'est point une peine, mais une mesure de sûreté ; et si les membres de cette famille aiment les véritables principes, ils s'honoreront de cet exil ; car il est toujours honorable de servir la cause de la liberté ; car l'exil de cette


famille ne durerait sûrement que pendant les dangers de la patrie, et elle serait rappelée lorsque la liberté serait raffermie.

« J'invite donc mes collègues à voter pour le projet de décret présenté par Buzot ; je les invite en même temps à s'opposer aux conséquences que les brissotins veulent en tirer contre les meilleurs amis du peuple. »

MARAT. « Robespierre a paru élever des doutes sur les projets de la faction brissotine ; il a paru en même temps ne pas s'opposer à l'exil d'Egalité. Je suis loin d'approuver Robespierre : il faut qu'Egalité reste (applaudissemcns répétés de l'Assemblée et des tribunes); car il est le représentant du peuple. Aujourd'hui la faction criminelle qui veut attaquer les droits du peuple dans Egalité , voudrait exiler tous les amis du peuple , et vous-même, Robespierre , vous seriez à la tête. Qu'Egalité reste donc parmi nous; que les patriotes n'abandonnent pas le champ de bataille ; si nous l'abandonnons, la liberté est perdue sans retour. » (Applaudissemens. )

Nous n'avons rien omis des paroles de Robesbierre au club des Jacobins, parce qu'elles renferment toute la pensée de l'illustre conventionnel sur Philippe Égalité. Depuis le jour où il s'étonnait que l'on présentât Philippe aux assemblées électorales, jusqu'au moment où il tiendra la destinée de cet homme entre ses mains, Robespierre ne se départira jamais de son système d'exclusion contre lui. C'est là un fait grave que la plupart des historiens de la révolution et des biographes de Philippe Égalité ont dénaturé, sans songer que pour expliquer ensuite d'autres évènernens où Phi-


lippe et Robespierre se trouvaient en présence, ils rendaient celui-ci coupable d'inconséquences vraiment inexplicables.

Il est à remarquer que, par un sentiment des convenances que Philippe avait outragées, Robespierre affecte de n'employer jamais que le nom d'Orléans pour désigner Philippe. Cette caractéristique nuance d'expression laisse clairement entrevoir, à travers des paroles toujours décentes et mesurées , le dédaigneux sourire de Robespierre, songeant à la récente transformation de d'Orléans en Égalité. Ce sont là des finesses de touche inconnues à Marat : il accepte Philippe avec le nom que Philippe s'est donné, et s'il proteste contre Buzot, c'est pour défendre un principe qu'il croit utile à la minorité dont il fait partie. En butte à de perpétuelles accusations, sans cesse sur le penchant de l'exclusion ou de l'ostracisme, Marat se garde bien de laisser détruire une inviolabilité dont, plus que personne, il aura besoin. Quant à Camille Desmoulins, il est facile de reconnaitre dans ses paroles le tribun et le courtisan du Palais-Royal, l'homme des sarcasmes et de l'ironie ; mais c'est en vain qu'on cherche, en l'écoutant, cet esprit de profonde conviction dont semblent être animés Robespierre et Marat.

On sent que plus d'une fois encore il aura à se faire pardonner par celui-ci sa capricieuse insouciance, ses sceptiques boutades, et par celui-là ses débauches de table avec tous les impurs de l'époque.

La discussion ne se borna pas aux paroles que


nous avons citées. Réal fit observer qu'il n'y avait aucune comparaison à faire entre le nom de Tarquiu que Brutus fit chasser, et Philippe Égalité, dont Buzot demandait l'exil; entre la situation de Rome, après le bannissement des Tarquins, et l'état de la France après la conquête de la liberté. Il ajouta que Collatin avait un grand crédit dans Rome, des richesses immenses, de nombreux partisans, et que cela seul suffisait pour prouver qu'il y avait loin de Collatin à Philippe Égalité.

Ces souvenirs d'Athènes et de Rome étaient alors dans tous les esprits. On a vu que Louvet et Robespierre les ont évoqués déjà. Il est peu de discours des orateurs de l'ère républicaine qui ne contiennent quelques-unes de ces comparaisons empruntées aux belles époques de Rome, de Sparte et d'Athènes.

A Réal succéda un individu dont le journal des séances du club des Jacobins n'a pas gardé le nom, mais qui parut être un lieutenant-colonel. De la tribune que, peu d'instans auparavant, il avait violemment disputée à Marat, il fit un pompeux éloge du patriotisme et des vertus d'Égalité, qu'il réprésenta comme le père et le principal héros de la révolution. Ce portrait d'Egalité, dit le journal que nous citons, fut fort applaudi par les tribunes.

« Où veut-on, s'écria l'orateur, que se réfugie cet a ardent défenseur de la liberté? En horreur à tous « les rois, il sera proscrit par eux, ils lui refuseront t un asile. Je dis plus, je dis qu'Egalité a un parti,


« et que tous ses amis vont se rallier à lui pour le « défendre. Je vous répète que ce parti existe, et « qu'il n'abandonnera pas Egalité. »

De nouveaux applaudissemens accueillent ces paroles; les tribunes semblent en vouloir caractériser la signification.

Thuriot s'efforce de prouver que d'Orléans n'a point de parti, et que le but des intrigues et des factions est de remettre Louis sur le trône. « Mais on n'y parviendra pas! s'écrie-t-il, car je suis disposé à lui brûler la cervelle! » Puis, jusqu'au jour où la Convention aura décidé du sort du roi, Thuriot demande que la société des jacobins s'occupe continuellement du genre de supplice qu'on lui infligera. Cette étrange motion, adoptée au milieu des bravos et des trépignemens de l'Assemblée, termine la séance.

C'est ainsi que, pour certains hommes, tout devenait motif à représailles, prétexte au régicide ; on s'excitait les uns les autres à un but que semblaient hâter les évènemens les plus étrangers, et les plus indifférentes causes.

Chaque fois qu'il a été question de Philippe à l'Assemblée nationale, on a pu remarquer que le jour même retentissaient dans l'enceinte des Jacobins quelques apologétiques échos du Palais-Royal.

Un citoyen, souvent inconnu, montait à la tribune, et jurait par la haine des rois que Philippe d'Orléans était un héros de patriotisme et de désintéressement ; puis l'orateur parlait des sacrifices que Philippe


avait faits à la cause de la liberté, de l'or qu'il avait répandu en pluie fécondante sur le champ de la révolution; du Palais-Royal, asile toujours ouvert à l'insurrection ; des enfans de Philippe, élevés dans l'austérité républicaine et dans l'éloignement du trône et des honneurs. Les galeries, composées de créatures salariées, applaudissaient à ce panégyrique, et c'est ainsi que Philippe recevait de temps à autre quelques reflets d'une popularité dont chacun connaissait le secret et la valeur.

Cette comédie fut renouvelée, comme on vient de le voir , à propos de la motion de Buzot. Mais là ne s'arrêta pas l'intrigue : les déclamations comminatoires du club des jacobins, semblaient faire présager quelque manifestation en faveur de Philippe Egalité. On vit, en effet, des attroupemens dans Paris : les sections s'assemblèrent; une adresse fut colportée et signée; des brochures apologétiques furent distribuées aux portes de la Convention et criées dans les rues ; un des rédacteurs habituels du Patriote français, connu de tout Paris pour ses goûts socratiques, Charles Yillette, composa une épître dans laquelle il demandait poétiquement, avec Camille Desmoulins et le panégyriste inconnu du club des jacobins, dans quel lieu d'Orléans pourrait reposer sa tête s'il était banni de France. En un mot, rien ne fut oublié pour détourner l'orage, et pour donner à Philippe quelques semblans de sympathies populaires.

C'est à ce moment que fut reprise à l'Assemblée


la proposition du bannissement de Philippe. Buzot renouvela la motion qu'il avait faite, en laissant toutefois la Convention juge de l'époque où le décret serait exécuté ; Fayau répéta la pensée de Marat sur l'inviolabilité des représentans du peuple, et fit l'éloge d'Égalité; mais comme il redoutait apparemment les raisons qu'on pouvait avoir de suspecter son impartialité, il s'empressa de déclarer théâtralement qu'il ne connaissait Philippe qu'autant qu'il fallait le connaître pour être son assassin s'il cessait d'être le même.

Cette rodomontade fut le signal d'un nouvel et sérieux épisode de la comédie dont jusqu'à présent on n'a vu que le prologue encore.

Une adresse demandant l'annulation du décret de bannissement, avait été rédigée par les commissaires des sections de Paris, et présentée au conseilgénéral de la Commune, qui l'avait approuvée, et s'était mis en marche à la tête des commissaires pour la porter à la Convention (1). En peu d'instans, les

(i) Voici quelle était la teneur de cette adresse : « Mandataires du souverain , nous avons aboli la royauté ; mais ce n'est pas pour laisser les secrètes facultés de s'en disputer les débris. Nous avons anéanti les rois, mais nous ne l'avons fait que pour conserver les droits sacrés de l'homme.

« Vous avez adopté l'ostracisme; mais est-il sanctionné par le peuple Vous voulez imiter les peuples de l'antiquité : à Athènes, l'ostracisme était établi; mais Athènes n'était qu'une petite république. La France forme une ré-


avenues de l'Assemblée avaient été couvertes de monde. Des pourparlers s'étaient établis entre quel-

publique qui, pour être immense, n'en veut pas moins l'unité du gouvernement. A Athènes, le peuple gouvernait , en quelque sorte par lui-même ; en France, il gouverne par des représentans. Athènes craignait la prépondérance d'un individu; on lui donnait, en l'exilant, plus de poids encore qu'il n'en avait. Athènes voulait, par cette loi, conserver la liberté çt l'égalité; cette loi, admise en France, renverserait les droits de l'homme et détruirait l'égalité.

« Nous ne savions pas qu'il existât encore parmi nous des Bourbons autres que ceux qui sont au Temple ; votre décret vient de nous l'apprendre.

« Vous n'avez encore rien fait pour la Constitution, cette Constitution qui doit assurer parmi nous la liberté, l'égalité , et déjà vous paraissez préjuger la chute d'un édifice dont la première pierre n'est pas encore posée.

« Si vous avez décrété que le peuple , dans les assemblées primaires, sanctionnerait la Constitution qu'il vous a chargés de lui présenter, pourquoi donc prenez-vous des mesures provisoires qui, dans le principe, ne peuvent et ne doivent être que constitutionnelles?

« Que va dire l'Europe? que va dire la postérité, quand dans une seule séance , au milieu des orages amoncelés de toutes parts, vous portez un pareil décret?

« Craindriez-vous les restes d'une famille ?

« Croyez-vous qu'ils n'aient plus à craindre, à présent que nous sommes plus forts et de nos droits et de nos principes ?

« Nous ne vous parlerons pas des dangers qui s'accumuleraient sur la tête des proscrits. Nous n'avons plus qu'un piot : l'ostracisme chez nous serait une peine; toute peine


ques députés et les pétitionnaires qui encombraient les couloirs de la salle, lorsque Nicolas Chambon, maire de Paris, fit savoir qu'il attendait, avec les commissaires des sections, les ordres de l'Assemblée. — Cet incident fut d'un médiocre effet : la Convention repoussa par l'ordre du jour la demande du maire et des députés des sections de Paris. Ce n'est point là ce que voulaient les tribunes; aussi les rumeurs et les trépignemens commencèrent-ils.

Robespierre demanda si la proposition de Buzot n'avait pas été faite pour amener l'étrange manifestation dont l'Assemblée était témoin ; les cris d'une partie de la salle , les huées des tribunes , si complaisantes d'ordinaire à la voix de Robespierre, interrompirent l'orateur. « Qu'on veuille bien m'entendre, ou qu'on m'égorge! » s'écria Robespierre; mais ses paroles et ses protestations se perdirent dans le bruit.

Tallien vint au secours de Robespierre, en disant que la démarche du maire de Paris avait été faite malgré des observations et des avis contraires. Saisissant ce prétexte de démasquer l'intrigue, la Convention ordonna la comparution du maire à sa barre ; puis tout-à-coup les débats prirent une direction étrangère à l'ordre du jour de la séance, comme si les membres du bureau eussent redouté de voir ap

suppose un délit. Législateurs, où est donc le délit i' Nous vous demandons le rapport, du décret du i6 décembre (*).

(,*) Jorip-nal de Paris, HO cccxxxvi.


profondir l'enquête provoquée par les explications de Tallien. On se livra à d'oiseuses discussions sur les rapports de la France avec l'Angleterre ; on donna lecture de correspondances ministérielles, lorsque, interrompant tout ce parlage administratif, Thuriot aborda la question principale, et demanda la révocation du décret de bannissement proposé contre Philippe Égalité. Lequinio et Sillery se levèrent pour appuyer cette motion, pendant que, persistant dans leur système d'ostracisme, Rewbel, Henri Larivière et Lanjuinais ne recueillaient comme Robespierre que des sifflets et des huées. Il est vrai que, regardant fixement la place où siégeait ordinairement Philippe Égalité, Rewbel parla de ceux qui allaient dans certains quartiers de Paris exciter la révolte et organiser les tumultueux rassemblemens dont ils entouraient l'enceinte législative ; il est vrai que, en réponse à de banales apologies, Lanjuinais déclarait qu'il n'examinait pas si, en servant la cause de la révolution, Philippe Égalité n'avait pas cédé plutôt à l'instinct de l'ambition, aux sollicitations de la vengeance, et qu'il fallait dans la république nouvelle interdire le feu et l'eau à cet homme qu'environnait une tourbe d'intrigans. Ces injurieuses protestations n'étaient point faites, on le conçoit, pour plaire aux citoyens que les créatures de Philippe avaient ramassés dans Paris, comme le disait Rewbel ; aussi faisaient-ils entendre de si indécentes clameurs, que l'Assemblée, habituée cependant aux bruyantes allures des tribunes, fut


deux fois obligée de rappeler les hurleurs à l'ordre.

Enfin, sur la proposition de Pétion et de Kersaint, la Convention décida que l'exécution du décret de bannissement rendu contre les Bourbons, et sollicité contre Philippe, serait ajournée jusqu'au jugement de Louis XVI.

Restait à vider l'incident relatif au maire de Paris. Nicolas Chambon parut à la barre : de ses explications il résulta qu'il n'avait fait qu'obéir aux ordres de la Commune, et que les exigences de sa place lui faisaient un devoir d'accompagner à la Convention les députés des sections, lorsqu'il en était requis. Nicolas Chambon fut admis aux honneurs de la séance; les tribunes applaudirent une dernière fois, et les commissaires retournèrent à leur section.

Sérieuse ou non, ainsi fut résolue la proposition de Buzot. Que ce député n'ait été que le compère d'une adroite manœuvre destinée à prévenir, en les devançant, des hostilités de jour en jour plus imminentes ; qu'on n'ait demandé le bannissement de tous les Bourbons qu'afin de faire répudier comme inutile une proposition dirigée contre des femmes et des enfans, personnages inoffensifs et quasi ignorés ; qu'on ait cherché à sauver Philippe Égalité, par l'excès même des mesures sollicitées contre lui et les siens ; ou bien que la Gironde ait voulu placer la Montagne dans la perplexe position de défendre Philippe ou de demander son exil aussi : qu'im-


porte ? Il n'en est pas moins vrai que, en donnant de la solennité à ces débats, la Convention montra que les défiances attachées au nom d'Orléans survivaient à la renonciation que Philippe avait faite de ce nom, et qu'Égalité était renié, repoussé par la Convention, plus ardemment que jamais d'Orléans ne l'avait été par l'Assemblée nationale.

Sous le spécieux prétexte de laisser toute liberté à la discussion, Philippe affecta, comme d'habitude, de ne pas se montrer à l'Assemblée pendant ces orageux débats ; cependant, c'était le moment de payer de sa personne, et d'aborder franchement une explication décisive. Il est vrai que la manière dont avaient été reçues ses déclarations passées, devait le tenir en garde sur l'accueil réservé à des protestations nouvelles. Impuissant à convaincre par l'autorité de ses paroles, par l'irrésistible influence d'un débat personnel, Philippe espérait davantage du prestige de son absence ; il en était réduit à no pouvoir plus même s'engager dans des affectations de sentimens auxquels personne n'ajoutait foi.

En ajournant à une époque rapprochée son décret de bannissement, il était évident que la Convention voulait surveiller les démarches de Philippe, et laisser l'éternelle menace d'une proscription suspendue sur sa tête. Mais était-ce un moyen de s'assurer de son vote dans le procès de Louis XVI? Rien ne l'indique; tout, au contraire, semble faire croire que cette pensée fut étrangère à l'arrêt de la Convention.


L'élite de la presse révolutionnaire, le Journal de la République, le Courrier des Départemens, le Patriote français, le Journal des Révolutions de Pa.

ris, discutèrent la proposition de Buzot, et les événement qui en furent la suite. Un très-petit nombre de ces journaux prit en main la cause de Philippe Égalité, et encore, comme Marat, défendirent-ils plutôt l'inviolabilité des représentans du peuple que Philippe même. Il était évident que chacun avait dans le cœur une commune pensée, dont certaines circonstances variaient la forme et l'expression ; c'est ce qu'explique parfaitement un article de Prudhomme dans le Journal des Révolutions de Paris, feuille qui s'était placée entre la Montagne et la Gironde , avec la prétention de représenter le républicanisme dégagé de tout esprit d'intrigue et de coterie. Cet article complétera d'ailleurs le récit des incidens auxquels donna lieu le décret du 16 décembre 1792.

« L'assemblée n'a pas tardé à reconnaître son erreur ; elle a suspendu son décret jusqu'après le jugement de Louis le dernier, et elle a fait sagement; alors, s'il y a quelque motif de crainte raisonnable, elle pourra laisser à cette mesure son plein effet, et jusque-là la république sera trop tranquille pour donner lieu à une pareille proscription. Mais il est triste de voir une assemblée dans les mains de qui reposent les destinées de la France, se mouvoir avec cette turbulente précipitation, n'avoir aucune assiette: tantôt courir au-delà du but, tantôt rester en arrière, obligée ainsi de revenir sur ses pas, d'avouer à tout l'univers le peu d'ordre


de ses délibérations, l'incohérence de ses idées. Ce n'est pas avec ce peu de dignité que doivent marcher des législateurs.

Ces reculades affaiblissent le respect dont ils devraient être entourés, relâchent dans leurs mains le ressort de l'autorité, et les dépouillent insensiblement de la confiance publique, qui fait toute leur force. On ne saurait trop répéter à nos représentai actuels cette maxime du sage: « Hâtez-vous lentement. »

« Nous n'avons point considéré leur décret dans ses rapports avec Philippe Égalité. On a dit avec raison que Collatin avait trouvé Lavinium pour asile, et qu'il eut pu même se retirer par-tout ailleurs, tandis qu'Egalité n'aurait pas un lieu pour reposer sa tête, si ce n'est en passant les mers et en allant dans les Etats- Unis. Cette condition s'effacerait entièrement devant l'intérêt public , s'il exigeait son départ; mais elle reprend sa force, puisqu'il n'y a ni nécessité ni urgence.

« Egalité est représentant du peuple. La Convention, qui a décrété il y a peu de jours que nul corps administratif et judiciaire n'avait le droit de rejeter de son sein un mandataire du peuple, devait sentir qu'elle se liait également les mains en reconnaissant ce principe, qui émane de la souveraineté de la nation. Ceux qui avaient proposé ce décret voulaient néanmoins passer outre ; heureusement la Convention ne partagea pas leur seconde erreur ; Philippe Egalité fut excepté du décret, et cette question, qui pourtant n'en est pas une, après beaucoup de débats et de tumulte, fut enfin ajournée et l'est encore.

« Comme il faut rendre à chacun ce qui lui est dû, nous avouerons que le peuple, tout en condamnant avec raison le décret de la Convention nationale, a eu autant de torts qu'elle. Sur une pétition de la section des gardes françaises, les sections de Paris se sont assemblées, ou plutôt convoquées à la hâte, se sont réunies à la hâte à l'hôtel commun,


ont rédigé à la hâle une pétition, sont parties à la hâte avec le maire à-leur tête pour se rendre à l'Assemblée. Pressés, entassés dans les couloirs, les pétitionnaires n'ont voulu entendre aucune invitation amicale de la part de divers députés, qui leur représentaient que ce n'était point là un jour destiné aux pétitions. Il fallut un refus formel de la part de la Convention, et encore continuèrent-ils à insister quelque temps par l'organe du maire. Tout cela est montrer aussi trop d'enthousiasmé dans un sens contraire. Nous verrons bientôt si ceux qui en sont l'objet en valent tant la peine; mais si l'on n'eût voulu défendre que les principes, à coup sur on l'eût fait avec plus de dignité, de calme et de sangfroid.

« Des citoyens ont démonté là voilurè de voyage de lai ci-devant duchesse de Bourbon, ont braqué des canons devant sa porte pour l'empêcher de partir. Les habitans d'Anet ont juré qu'on les hacherait plutôt que de leur enlever l'exduc de Penthièvre.

« On se rappelle qu'ils l'ont déjà arrêté une fois, lorsqu'il partait vraisembablemênt pour émigrer.

« S'il est une manière de nous prouver que le décret était bon et utile, c'est celle-là: ces faits coïncident bien avec ce que disait Buzot, que la popularité et le patriotisme même le plus pur. rendaient de tels hommes excessivement dangereux. Il est vrai qu'Egalité, qui a marché le plus dans le sens de la révolution, n'a donné lieu à aucun évènemeni particulier, et a démenti en quelque sorte les reproches que l'on faisait à sa réputation.

« Ce qu'il y à de gût4, c'est que le passé sèmblait promettre autre chose. Nous ne pàrlerons pas de son buste promené dans Paris aux premiers jours de la révolution ; nous dirons encore moins que ce furent là des marques de prétention à la royauté, puisque Necker les eût partagées aussi bien que lui ; mais nous dirons que quelques personnes ont pu crain-


dre qu'il ne se formât une coalition en faveur d'Orléans dans la Convention même. On voyait quelques députés lui faire en quelque sorte la cour, lui donner à dîner, vanter son patriotisme et sa sensibilité , s'extasier sur une larme qu'ils avaient vu couler de ses yeux à la lecture des exploits de son fils; ces particularités nous étaient connues; mais tout en blâmant la conduite de ces patriotes si peu éloignés de l'ancien régime, nous n'en avons tiré aucune conséquence qui pût nous effrayer.

« Nous nous sommes dit dès ces temps-là : Comment Philippe Egalité pourrait-il être dangereux ? Qui ne connaît les détails de sa vie privée ? Il porte ses mœurs sur sa figure. Comment des Français pourraient- ils aimer un homme qui ne parut jamais aimer que des Anglais, qui se plaisait plus chez eux que parmi nous , qui ne s'entourait que d'Anglais? Comment les Parisiens pourraient-ils aimer un homme qui a ruiné par son Palais Royal et les marchands qui y logent et ceux qui n'y logent pas ? qui en a fait l'asile des tripots et des filles publiques ? Comment un parti pourrait-il s'élever autour d'un homme blasé qui n'a ni talens ni caractère ?

« Il a servi la révolution , nous en convenons avec plaisir; mais était-ce par amour de la liberté? N'était- cc pas plutôt pour se venger d'une cour qui le haïssait autant qu'elle le méprisait? N'était-ce pas même une spéculation adroite? Il a spéculé sur la révolution comme sur ses jockeis. Il a vu qu'en s'opposant au torrent, il aurait le sort de ses parens émigrés , que ses biens pourraient être confisqués comme les leurs; il a choisi le parti le plus sage, c'est-àdire le plus convenable à ses intérêts.

« D'Orléans ne nous a point paru dangereux et ne doit point l'être. Il est vrai que ses fils peuvent joindre des talens à des qualités morales , et que l'aîné promet déjà l'un et l'autre; mais ayant un frère et une sœur, il sera moins


riche que son père. Si tout homme qui a quelques vertus et quelques talens était par cela même dangereux, s'il était accusé d'aspirer à la tyrannie , il faudrait donc chasser des républiques tous les talens et toutes les vertus, ce qui serait chasser la liberté. Malheur à nous si nous ne nous croyons pas même assez forts pour résister à l'ascendant de la vertu : en vain chasserons- nous les Bourbons; dans la famille la plus obscure, la plus ignorée, nous devrions craindre de voir croître pour nous un maîlre. Non, le Français n'est pas assez vil ; et si la génération actuelle, dont les lumières luttent souvent avec les habitudes, trébuche quelquefois, il n'en sera pas de même de nos enfans. Moins corrompus que nous, ils voudront que l'ex-duc de Chartres remplisse tous les devoirs attachés à son nouveau nom, qu'il reste l'égal de tous, ou que sa tête tombe à leurs pieds (i). »

L'opinion du républicain Prudhomme sur Philippe Égalité, paraît avoir été celle de la portion la plus modérée, sinon la plus indifférente, du public à cette époque. Ainsi donc, ceux qui ne regardaient pas Philippe comme un instrument de désordre, lui refusaient esprit, caractère, conscience, loyauté; on ne voulait même pas qu'il pût être dangereux, quand tous étaient d'accord pour reconnaître les turpitudes de sa vie privée, et pour suspecter les motifs de sa conduite pendant la révolution.

Dans le Journal de la République française, Marat développa l'opinion qu'il avait émise au club des Jacobins. Ce fut par les lignes suivantes qu'il ouvrit la discussion :

(t ; Journal tirs Résolutions de Paris, n° CLX.


LE POT AUX ROSES DÉCOUVEBT.

Philippe d'Orléans, dit EGAUTÉ, était intimement lié avec Mirabeau et son ami Lamarcq, chef de la bande qui Voulait le faire roi de Brabant.

, Philippe est lié aujourd'hui avec la faction Roland, Péuon, Brissot, qui feint de vouloir l'expulser de la république pour pouvoir calomnier le parti patriotique, en l'accusant de soutenir un Capet, d'en vouloir faire le mattre de l'État, et de se donner elle-méine un vernis républicain. Philippe fréquente la femme Boulogne, et il a assisté au tnatriage de sa fille avec Chauvelin1, or, la Boulogne est lourde ce Valekiers (i), l'âme de la cabale qui veut asservir le Brabant.

Cette cabale a pour chef le duc d'Ursel, le duc d'Arehiberg, Vorrek, etc., et elle est fortement soutenue par Dumouriez et son état-major ; ainsi, ce sont les armées françaises, envoyées pour rompre les fers des peuples, qui, sons nos dignes généraux, rétablissent le despotisme. 'Dumouriez, l'ambitieux Dumouriez, le rétablira dans lié Brabaat pour son compte, si les Brabançons ont la lâcheté de le souffrir. Nous voilà à la veillé de voir nos armées détruites dans la Belgique , grâce à la perfidie du conseil Roland, de la clique de Dumouriez et de l'incurie de la Convention.

Paiivre peuple! dans quelles mains tu. as remis tès destinées (a) !

Le lendemain, Marat revint sur le même sujet)

(i) Valekiers venait d'être nommé maire de Bruxelles.

- (Note de MaraU")

(a) Journal de la République , nO LXX IX.


dans un article intitulé les Renards rolandins et les Dindons patriotes. C'est une paraphrase ampoulée et sans aucune indication nouvelle. Avant de citer la dernière page que Marat ait consacrée à cette affaire, il nous faut rapporter quelques lignes de Gorsas, dans le Courrier des départemens. On y trouvera l'explication d'une circonstance souvent mal interprétée, et sur laquelle Marat a constamment gardé le silence : « Notre impartialité nous oblige à citer un fait qui nous est personnel, et que nous aurions désiré pouvoir exprimer. Membre du corps électoral, nous avons examiné avec beaucoup d'attention tous les ressorts de l'intrigue ; il est vrai que, en apparence au moins, la cabale maratiste et de Robespierre semblait écarter Louis-Philippe d'Orléans; mais, pour l'histoire, il ne faut pas oublier un fait que des milliers de placards attestent. Marat avait demandé i5,ooo livres à Roland pour faire imprimer, disait-il, des ouvrages lumineux, et qui devaient éclairer la prochaine Convention. Le ministre ne daigna pas avoir égard à la demande du prétendu ami du peuple ; il se borna à faire dire à Marat qu'il envoyât ses écrits lumineux, qu'il les soumettrait au conseil, et qu'on les ferait imprimer s'il y avait lieu. On se doute bien que Marat voulut être cru sur parole.

« Ce soi-disant ami du peuple s'adressa à Louis-Philippe, et ne se contenta pas d'une simple lettre confidentielle ; il fit afficher, dans tous les coins de Paris, un placard dans lequel il se plaignait du refus qu'il avait éprouvé du ministre , et il demandait à d'Orléans de réparer certe injustice Alors Marat faisait aussi afficher des listes indicatives de ceux qu'il voulait nommer ou proserire. Nous ignorons si le citoyen d'Orléans a eu la faiblesse de donner


ces i5,ooo livres; au moins cela paraîtrait-il vraisemblable, d'après la protection que lui a constamment accordée Marat, et c'est sans doute l'une des choses qui ont fait le plus de tort à notre collègue dans l'esprit d'une infinité de gens honnêtes qui avaient pour lui amitié et estime (i). »

Voici quelle fut la réponse de Marat : Profession de foi de LAMI DU PEUPLE sur Philippe d'Orléans , dit Z'ECAUTÉ , servant de réponse aux impostures de la faction Roland.

« Je commence par relever une erreur de fait publiée dans mon n° 80, page 4 : il y est dit que le décret de bannissement contre la race du tyran passa sans opposition ; il fallait dire malgré l'opposition, car les patriotes ne voulaient point de loi d'ostracisme.

« Ils se fondaient sans doute sur l'abus que les inlrigans en feraient contre les meilleurs citoyens, qu'ils exileraient bientôt de l'Etat à la faveur de cette loi.

« A l'égard de l'application que la faction Roland semblait en faire à d'Orléans et à sa famille, elle leur paraissait souverainement injuste , ses fils , loin d'avoir donné des griefs contre eux, ayant très-bien servi la patrie, et le père ayant toujours paru dans le sens de la révolution. D'ailleurs, en sa qualité de représentant de la nation , d'Orléans ne peut, en aucune manière, être frappé d'un pareil décret, car la Convention n'a pas le droit de dépouiller un citoyen de sa qualité de député , et elle ne pourrait le faire sans attenter à la souveraineté nationale , sans usurper le pouvoir absolu, sans se rendre indépendante de la nation elle même.

« Telle est mon opinion sur l'application du décret à

(t) Courrta des départernens, nO XIX, décembre 1792.


d'Orléans, dit l\Égalité, considéré comme représentant du peuple; considéré comme membre de la dynastie déchue , c'est autre chose. Je dois ici ma profession de fol,- puisque les suppôts de la faction Roland répandent dans tous les départemens que le parti de Marat et de Robespierre, qui n'exista jamais, n'a pour but, en demandant la punition du despote détrôné, que de mettre la couronne sur la tête d'Orléans.

« Je déclare donc que j'ai toujours regardé d'Orléans comme un indigne favori de la fortune, sans vertu, sans âme, sans entrailles, n'ayant pour tout mérite que le jargon des ruelles.

« Je déclare aussi que je n'ai jamais cru à son civisme (i) ; que les marques qu'il en a données me paraissaient tenir à des projets ambitieux qu'il n'a eu ni l'esprit ni le courage de conduire au succès , malgré les nombreux partisans que lui faisaient sa naissance, sa fortune et ses immenses prodigalités. -. -' -.

« Je déclare encore que je le regarde comme un intrigant caché , cajolant les patriotes avec lesquels il est faufilé, et secrètement lié avec les meneurs de la faction Roland , qui machinent pour lui tout en paraissant le poursuivre.

« Enfin, je déclare que si les énormes dilapidations des agens du nouveau régime, les perfidies alarmantes des traîres qui commandent les armées de la république , l'excès

cla misère du peuple, et les désordres de l'affreuse anarchie portés à leur comble, forçaient jamais la nation à renoncer à la monarchie pour se donner un chef, comme je crois la chose inévitable si la Convention ne s'élève à la hauteur de ses importantes fonctions , d'Orléans me paraît le dernier des hommes (après les conspirateurs et les traîtres) sur lequel il conviendrait de jeter les yeux; et si je

(*) « Un prince patriote est un être aussi chimérique à mes yeux qu'un vertueux scélérat. » 1 1 ( Note de Marat. )


suis alors ilu nombre des vivans , je souffrirai plutôt le marlyre que de lui donner ma voix (i). »

Cet article, d'une touchejferme et vigoureuse, est sans contredit l'un des meilleurs du Journal de la République ; mais, quoi qu'en dise Gorsas, probablement Marat n'a point reçu les 15,000 livres qu'il demandait à Philippe. Il est fàclieux que ce fait laisse planer des doutes sur l'impartialité de ces virulentes colères, dont il serait difficile cependant de suspecter la sincérité.

Ainsi s'amoindrissait de jour en jour la position de Philippe Égalité au milieu de la révolution. En descendant tous les degrés de l'abaissement, il avait cru étendre autour de lui le cercle des possibilités, il n'avait fait qu'agrandir celui des exclusions. Depuis long-temps maudit par les royalistes, il se tourne du côté de la révolution, et c'est pour n'y rencontrer que haines, suspicions et mépris ; on refuse de prendre au sérieux la burlesque appellation pour laquelle il a répudié le nom de sa famille ; on ne veut pas plus croire à son nom nouveau qu'à ses protestations passées; les plus indifférens même semblent éviter son contact, comme autrefois les filles de joie du Palais-Royal se détournaient en le voyant passer.

C'est alors qu'il dut comprendre son isolement, et

(*) Journal de la République française, N" LXXXIV.


combien était fragile et peu durable la base sur la, quelle il avait édifié sa fortune révolutionnaire.

Alors aussi durent germer dans son âme les premières pensées qui devaient l'inviter à reconquérir dans un dernier enjeu tout ce qu'il avait perdu.

Déjà, à la valeur du gage qu'il s'apprête à donner, il espère qu'on mesurera la sincérité de ses déclarations, l'immensité de son dévouement à la chose publique, et que par un violent effet de rétroactivité, tout son passé se trouvera rehaussé par l'éclat d'une nouvelle infamie.


ZVI.

Cependant la Convention nationale instruisait le procès du roi.

Dans les péripéties des derniers instans de son règne aux derniers jours de sa vie, ce qui dut le plus douloureusement impressionner Louis XVI, ce n'est pas la grande voix de la révolution ni les bruits de la foule, c'est la longue suite de trahisons qui élargissaient pour lui le chemin de l'échafaud.

Effacez ces crimes du cœur d'un petit nombre d'hommes, comparses nécessaires du drame, et vous aurez changé la fortune de Louis XVI.

On se sent frappé de cette pensée surtout en songeant à certains épisodes de la fuite du roi, et de son arrestation à Varennes, à la manière dont furent révélés les secrets de l'armoire de fer, et à tant d'autres circonstances décisives, tils imperceptibles auxquels étaient attachés de grands évènemens et de hautes destinées.


Mme Campan raconte dans ses Mémoires quelquesunes des trahisons qui poursuivirent Louis XVI jusqu'au chevet de son lit. Les révélations de Bertrand de Molleville et d'autres historiens de l'époque, complètent ces récits de douleurs privées. Il est curieux, mais triste, d'étudier ces annales, où sont mis à nu les effets de l'exaltation politique, et les secrets ressorts de la perfidie humaine.

Les lâchetés furent grandes aussi. Il en est une que Marat a signalée lui-même. Louis XVI avait demandé à l'avocat Target de le défendre, mais l'ancien membre de l'Assemblée constituante avait repoussé la prière du royal accusée Le vieux Malesherbes s'offrit alors à remplir cette noble mission, qu'il partagea avec de Seze et Tronchet. Un ancien prisonnier de la Bastille, Le Prevôt de Beaumont, écrivit à Marat que Malesherbes était aussi coupable que le tyran dont il était devenu l'avocat, après en avoir été le ministre. Voici la réponse que Marat fit à cette dénonciation :

« Malesherbes a montré du caractère en s'offrant pour défendre le despote détrôné , et il est moins méprisable à mes yeux que le pusillanime Target, qui a l'audace de s'appeler républicain, et qui abandonne lâchement son maître après avoir si long-temps rampé à ses pieds et s'être enrichi de ses profusions. J'aime le courage même dans un malfaiteur, et je préfère cent fois l'audacieux brigand à l'hypocrite qui se cache pour machiner dans les ténèbres (i). *

(I) Juumal de la. Rê/jubltque française, nO LXXXII*


Ce n'est pas la seule honte que Marat ait flétrie de son indignation. Nos modernes publicistes riraient des colères de l'Ami du peuple tonnant contre la corruption et les intrigues de son siècle, contre les tripots, les mauvais lieux du PalaisRoyal, dans lesquels on allait relancer Dumouriez, lorsque la république avait besoin de lui, et contre les tapis verts où les impurs de la Montagne et de la Gironde passaient les nuits que leur laissait le soin des affaires publiques.

Au-dessus de ces misères d'un passé qui eut ses gloires aussi, paraîtra pour les dominer toutes l'indignité de Philippe d'Orléans. De la Montagne, où il est assis, acteur sans âme et sans cœur, indifférent comparse de cette tragédie, il n'aura pour excuse ni le ressentiment des colères du peuple, ni l'égarement du sophisme, ni les énergiques convictions de l'homme de parti. De toute cette ardente Assemblée, lui seul peut-être ne trouvera pas au fond de sa poitrine un stimulant à de chaudes passions.

Entre ceux qui assistent tristes et sombres aux funérailles de la monarchie, et ceux qui saluent de leurs cris de joie ce baptême de sang imposé à l'ère nouvelle, Philippe passera, insensible à la douleur, blasé sur la joie, cruel sans colère, mais aussi sans pitié.

Qui donc a osé dire que Marat et Robespierre ont excité Philippe à venir jouer ainsi avec le crime?

Ne sait-on pas que toujours prudent et mesuré, Ro-


bespierre a évité le contact de Philippe, et que Marat n'a jamais eu pour lui que des paroles de mépris?

D'ailleurs ces deux tribuns de la souveraineté du peuple eussent-ils été admis aux conseils du Palais-Royal, que ni l'un ni l'autre, ni Robespierre surtout, n'auraient sollicité Philippe à'un acte qui ne fut en réalité l'œuvre de personne autre que de celui à qui seul pouvait profiter une aussi monstrueuse lâcheté.

En se présentant à la Convention nationale, à cette première séance du 11 décembre 1792, Louis XVI trouva donc son parent Philippe d'Orléans Égalité au nombre de ses juges. Bientôt après, cherchant à se disculper des accusations qu'on faisait peser sur lui, au milieu du silence de l'Assemblée, Louis put entendre un jeune homme, un enfant encore s'écrier : Eh!mais Unie tout! C'était à un fils d'Égalité, au duc de Montpensier, que les réponses du roi arrachaient cette exclamation d'un cruel dépit. — Voilà quelles furent les premières et sinistres impressions du monarque déchu. Le supplice était commencé : c'est dans sa famille que Louis devait rencontrer les premiers bourreaux.

Avant cette solennelle comparution de la royauté vaincue, de grands débats avaient eu lieu à la Convention ; chacun avait passionnément étalé ses principes, ses pensées, son système; c'était, entre les défenseurs de l'inviolabilité royale et les partisans de la souveraineté du peuple, une lutte opiniâtre à laquelle, un mois durant, avaient pris part la Gi-


ronde et la Montagne, et tous les partis qui fractionnaient cette redoutable Assemblée. Seul de tous, Philippe avait gardé le silence. Un jour cependant, devançant les idées que devaient développer Rouzet, Morisson et Vergniaud, Lanjuinais parla de l'incompétence de la Convention pour juger Louis XVI. Il y eut à ce propos de violentes protestations. « Nous avons tous juré que nous n'au« rions pas de roi ! s'écria Pétion au milieu du « tumulte. Quel est celui qui fausserait ses ser« mens? Qui voudrait un roi?» Non, nous n'en voulons pas ! non ! non ! jamais ! s'écrie toute l'Assemblée; et Philippe Égalité agitant son chapeau disait aussi : Non! non! jamais! — Ce furent-là ses seules paroles.

Les défenseurs du roi entendus, et la discussion close après un discours deBarrère, —des harangues prononcées contre Louis XVI, la plus adroite et la plus perfide de toutes, -le président Vergniaud résuma les conclusions du procès. Trois questions étaient à résoudre; la première fut posée en ces termes : Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d'attentat contre la sûreté générale (1)?

(1) Celte question impliquait tout à la fois la politique extérieure et intérieure de Louis XVI; mais les véritables motifs de la condamnation de Louis XVI furent sa collusion avec les armées étrangères.


Sept cent onze votes répondirent affimativement; c'était l'unanimité de la Convention, - huit membres qui se récusèrent étant exceptés.

Le jugement de la Convention nationale contre Louis Capet sera-t-il soumis à la ratification du peuple ?

Cette question, objet d'un deuxième vote, fut négativement résolue par 425 voix contre 286.

Cette majorité, dans laquelle on pouvait déjà pressentir la question de vie ou de mort, ne fut proclamée qu'après une orageuse discussion. La plupart des conventionnels voulurent expliquer leur vote et récriminer contre les opinions contraires ; ce qui fit dire à Manuel, député de Paris, le seul avec Thomas et Dussault qui ait voté pour l'appel au peuple : « Citoyens, je reconnais ici des législateurs : je « n'y ai jamais vu des juges; car des juges sont « froids comme la loi, des juges ne murmurent pas, « des juges ne s'injurient pas, ne se calomnient pas.

« Jamais la Convention n'a ressemblé à un tribunal.

« Si elle l'eût été, certes elle n'eût pas vu le « plus proche parent du coupable n'avoir pas, si« non la conscience, du moins la pudeur de se « récuser. »

C'est à Philippe Égalité que Manuel infligeait la flétrissure d'une si étrange justification.

Lorsque d'un élan unanime, la Convention proclama la culpabilité de Louis XVI, Philippe Égalité fut le seul dont la voix alla se perdre au


milieu des rumeurs de ceux qui avaient voté ou qui se disposaient à voter comme lui; et quand il fut question de l'appel au peuple, ce sentiment de réprobation que les seuls murmures avaient encore accusé, éclata sur la tête de Philippe en violentes apostrophes. Sous cette impression répulsive, quelques républicains semblèrent vouloir incliner à la conciliation.

« Je vois la faction d'Orléans répandre des gui« nées, s'écria Rebecquy, l'un des chefs de la « bande des Marseillais, par conséquent je vote « pour l'appel au peuple. »

« Je respecte également toutes les opinions, dit « à son tour Duprat : cependant, une considération « nouvelle m'a frappé tout-à-l'heure en faveur du « renvoi de notre décision à la sanction du peuple, « et je dis oui avec d'autant plus de confiance que « Philippe (ci-devant d'Orléans) a dit non (1). »

Ces traits, si acérés fussent-ils, s'émoussèrent sur le triple airain de la poitrine de Philippe : à ces cruelles injures il ne répondait rien, donnant ainsi l'exemple d'une résignation inconnue dans les fastes parlementaires.

Aussi bien que répondre? — D'autres clameurs plus grandes ne l'attendaient-elles pas à un moment plus solennel? Il n'était encore qu'au milieu de la

(1) Moniteur du 19 janvier. — Duprat et Rebecquy ne volèrent pas moins la mort; et après avoir demandé l'appel au peuple, ils rej etèrent le sursis.


voie du crime, pourquoi se retourner et faire face à ses accusateurs, lorsque silencieusement il s'apprêtait à suivre jusqu'au bout cette voie dans laquelle il était si fatalement entré?

Déjà le drame touchait à sa fin. Les votes de mort sur la question principale, celle de la peine à infliger, se succédaient à la tribune, lorsque vint le tour de la députation de Paris. Ce fut une série de vingt et une voix régicides : sinistre nomenclature dont Collot d'Herbois, Danton, Billaud-Varennes, Léonard Bourdon, Fréron, Marat et Desmoulins se chargèrent d'interrompre la monotonie par de sanglantes maximes qu'ils burinèrent en forme d'exergue autour de leur sentence. C'était comme une introduction au vote de Philippe Égalité : le dernier de tous, il prononça ces paroles : Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteraient par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort.

En recueillant ces mots, le Moniteur annote : « Quelques rumeurs s'élèvent dans une partie de la « salle. » Toujours habile à ménager les susceptibilités et les tendances de l'opinion dominante, le Moniteur était, en 93, ministériel comme il l'est aujourd'hui. C'est donc aux Mémoires de l'époque, narrateurs plus fidèles., plus explicites et plus passionnés, qu'il faut demander compte de l'impression du moment : tous racontent qu'il y eut dans la salle


comme un tressaillement de dégoût et d'horreur; manifestation instantanée d'un irrésistible et généreux sentiment dont Robespierre fut le premier à ne pouvoir se défendre. Sans comprendre, sans s'émouvoir, Philippe descendit lentement les marches de la tribune, se faisant à lui-même trophée de son opprobre comme un autre l'eût fait de sa gloire.

Il était nuit. — A trois heures du matin, le président Vergniaud prononça le décret par lequel Louis XVI était condamné à la peine de mort.

Le scrutin avait donné une majorité de cinq voix (1).

Quelques momens après (la séance était permanente) , recommencèrent de nouveaux débats : il s'agissait de savoir s'il serait sursis au décret qui condamnait Louis XVI ; si la Convention tiendrait cette royale vie suspendue sur la tête des ennemis de la république, ou bien si la mort du roi devait à l'heure même servir d'expiation aux erreurs et aux fautes de la monarchie, et de sanglant défi à l'Europe coalisée.

La discussion fut ardente; elle dura jusqu'au lendemain; mais la question admise, le sursis fut rejeté.

Il y eut au recensement des voix, dans ce der-

(1) Ce résultat fut infirmé à la séance suivante, après une assez longue discussion. Il y eut un nouveau recensement des votes qui changea le chiffre de la majorité. (Voir les débats du procès de Louis XVI.)


nier scrutin, de cruelles défections, quelques concessions faites au dangereux sophisme des nécessités politiques; car plusieurs qui n'avaient voté que le bannissement ou la détention rejetèrent le sursis : de telle sorte que le chiffre qui devait réellement décider du sort de Louis fut supérieur à celui de la condamnation à mort.

Après avoir admis la culpabilité du roi, refusé l'appel au peuple, voté la mort, Philippe Égalité rejeta le sursis. Ainsi cet homme devait oublier jusqu'au dernier moment que de toute la Convention, lui seul n'avait pas le droit de se croire juge ni homme d'État. Mais les instincts de son cœur étaient profondément pervers : le sentiment moral était nul chez lui, comme les prescriptions de la délicatesse, de l'honneur et du devoir. Reportez au temps des tortures et de la question le procès de Louis XVI, descendez un degré plus bas dans l'échelle de la pénalité, modifiez quelques circonstances , et sûrement Philippe dirait encore après son dernier vote, comme Caligula au bourreau en lui abandonnant une victime nouvelle : « Fais qu'il « sente la mort. » C'est que chez les hommes de toutes les époques il y a de sympathiques et d'invariables propensions, que modifient seulement les âges et les circonstances, mais qui, soumises à l'analyse, laissent au fond du creuset un même résidu.

En livrant Louis XVI à la mort, Philippe ne cédait point à d'inexorables circonstances politiques : quelqu'énergiques qu'on pût les supposer, ses con-


victions n'exigeaient pas l'accomplissement d'un si cruel devoir. Le temps des Brutus est passé, et l'implacable rigorisme des républiques vierges grimaçait de la plus hideuse façon dans la bouche d'un héros de luxure.

La révolution', qui était en droit de demander à Philippe tous les gages possibles de son dévouement, eût reculé, comme en effet elle recula devant le gage que Philippe lui offrait. Quelque ardeur qu'eussent mise les révolutionnaires dans l'accomplissement de leur œuvre, ils avaient eux-mêmes respecté, au paroxismc de l'exaltation, les droits imprescriptibles de la nature et du sang. Si donc l'autel de la Convention n'eut rien perdu de sa gloire, de sa terreur, et de son sanglant éclat à se passer d'un pareil holocauste et d'un semblable sacrificateur, il faut bien laisser à Philippe l'entière responsabilité de son quadruple vote, et l'éternelle honte de l'avoir à lui seul médité et consommé.

On a dit, et peut-être dira-t-on encore que ce vote fut arraché à la faiblesse du prince, aux perplexités de son âme ; erreur. — Ce vote n'était pas le honteux et timide monosyllabe qui vient expirer sur les lèvres de l'homme irrésolu, c'était, au contraire, la manifestation d'une pensée profonde et raisonnée, manifestation telle que l'étrangeté de sa position en paraissait faire comme un devoir, une nécessité au duc d'Orléans. Cimenter d'une manière éclatante les engagemens qu'il avait pris avec


la révolution, engagemens dont chaque jour on contestait injurieusement la sincérité et la valeur; repousser du même coup d'incessantes accusations d'ambition et d'intrigues, acheter la sécurité dans une république qui se défiait de lui, voilà quelle était depuis long-temps la pensée dominante de Philippe. Un moyen s'offrait d'arriver au but désiré, il le saisit; et pour éviter l'abîme, il y précipita le roi.

Louis XVI était accusé d'avoir conspiré contre la liberté de la nation et la sûreté générale de l'État; Philippe change à son gré la proposition formulée par la Convention, et il condamne Louis XVI pour avoir attenté à la souveraineté du peuple ; espérant prouver ainsi qu'il ne reconnaît et ne veut reconnaître d'autre roi que le peuple, et qu'après un serment si solennel, il ne cherchera jamais à usurper un trône auquel on l'accuse de prétendre.

C'était là un de ces calculs auxquels les natures perverses se trompent quelquefois : c'était en même temps la pire de toutes les lâchetés.

Puis, au moment où Philippe sentit, après tant de vicissitudes, le sort de Louis XVI entre ses mains, le souvenir des affronts qu'il avait essuyés à la cour ne réveilla-t-il pas dans sa pensée un besoin de vengeance? Qui pourrait dire que dans les profondeurs de son âme blasée, Philippe n'ait point éprouvé de secrètes jouissances à payer d'un seul coup tout l'arriéré des humiliations qu'il devait à la famille royale?


Ceux qui connaissaient Philippe résolurent ainsi le sanglant, probléme de son vote : d'autres le regardèrent comme l'effet de la peur; le plus grand nombre, comme le dernier calcul d'une indéfinissable ambition.

Qu'il eût pour cause la vengeance , la frayeur, l'intérêt, l'ambition, ou tous ces motifs réunis, ce vote ne fut pas moins réprouvé par la révolution et par les débris du royalisme expirant. Comme on croyait Philippe accessible à tous les crimes, on se permit envers lui les plus monstrueuses accusations.

On disait que, au moment où Louis XVI étalait si noblement devant ses juges sa royale infortune, Philippe, l'œil sur sa lorgnette, n'avait cessé de contempler les traits du monarque déchu, cherchant à démêler sur son visage quelqu'indice de douleur, quelque signe de faiblesse.

On disait qu'à l'heure du supplice, Philippe avait été reconnu dans la foule examinant avec sang-froid, de son cabriolet, tous les apprêts, tous les incidens de l'exécution.

Enfin, lorsque, dans la soirée du 20 janvier, Lepelletier de Saint-Fargeau fut assassiné au PalaisRoyal, on accusa Philippe d'avoir dénoué par ce meurtre la dernière scène d'une infernale combinaison.


Héritier d'une immense fortune, Lepelletier de Saint-Fargeau était à vingt-cinq ans président à mortier du Parlement de Paris, lorsqu'il fut député à l'Assemblée nationale. Bien loin de se montrer hostile à la monarchie, il resta, au contraire, fidèle à la majorité de la noblesse dans la discussion du vote par tête et de la réunion des ordres. Au 12 juillet, la veille de la prise de la Bastille et du jour où furent promenés, dans Paris, les bustes de Necker et du duc d'Orléans, Saint-Fargeau passa dans les rangs de l'opposition. Cette défection inattendue fut attribuée aux manœuvres secrètes de ce prince, dont Mirabeau arrangeait alors la lieutenance-générale.

Une fois entré dans la révolution par calcul ou par conviction, Lepelletier de Saint-Fargeau y resta, comme tant d'autres, par faiblesse ou par nécessité.

« Quand on a 600,000 livres de rente, il faut être à « Cobleutz ou au faite de la Montagne, » avait-il dit à « un de ses amis. C'est ainsi qu'il expliquait ou croyait excuser l'exagération de ses principes et la violence de ses discours.

On vantait toutefois l'aménité de son caractère, l'urbanité de son langage, ses mœurs douces et faciles, derniers reflets d'une société qu'il avait traversée en homme de plaisirs et de fêtes. Lorsque vinrent, avec le procès du roi, les discussions des clubs et des feuilles démagogiques, Saint-Fargeau hésitait à tirer la conclusion sanglante que faisaitpressentir cette lutte terrible : philosophe et moraliste,


il avait même , disait-on , juré de ne jamais prononcer une condamnation capitale. Aussi les voix étant comptées, comme la victoire de la révolution parut incertaine, il fut question de gagner Saint-Fargeau, et avec lui quelques conventionnels de ses amis qui avaient foi en l'autorité de ses paroles. Saint-Fargeau vota la mort du roi, ses amis votèrent comme lui. En fallait-il davantage pour donner à la Convention la majorité qui décida du sort de Louis XVI?

Philippe, dont le vote comptait dans ce terrible résultat, fut accusé d'avoir triomphé de l'irrésolution et des scrupules de Saint-Fargeau; la main d'Adélaïde d'Orléans avait été, dit-on, l'enjeu de ce pacte infâme. La mort de Louis XVI une fois décidée, Saint-Fargeau fut assassiné au Palais - Royal, le 20 janvier au soir, par un individu dont l'identité n'a jamais été constatée (1).

(i) Tous les journaux et les historiens de la révolution disent que le meurtrier de Lepelletier de Saint-Fargeau était un ancien garde du corps nommé Paris.

Après avoir perpétré son crime dans le lieu le plus fréquenté de Paris, et s'être tranquillement échappé du PalaisRoyal, l'assassin se serait ensuite donné la mort quelques semaines après, dansune auberge de la petite ville de Forgesles-Eaux.

Telle fut la déclaration faite à la tribune par Tallien et Legendre, que la Convention avait désignés pour dresser procès-verbal du suicide, et telle est la tradition historique.

Mais d'après une note qui figure dans les pièces justificatives réunies par Félix Lepelletier dans une édition des œuvres de son frère, il résulte que Pâris vivait encore sous


Après avoir dit que pour gagner quelques voix au vote régicide, Philippe d'Orléans avait promis sa fille à Saint-Fargeau, il n'en coûta pas davantage d'ajouter, qu'afin de se soustraire à l'engagement qu'il avait contracté, Philippe d'Orléans s'était débarrassé de Saint-Fargeau par un meurtre.

L'histoire n'admettra pas une si atroce invraisemblance : on la trouve cependant dans le plus grand grand nombre des récits contemporains, tant l'indignité de Philippe domine son époque, tant cet homme semble avoir donné la mesure de ce qu'on pouvait oser avec lui.

Ce qui paraîtra moins mystérieux peut-être, c'est

l'empire, que l'individu tué à Forges-les-Eaux n'était point Pâris, bien qu'on eût trouvé sur loi son extrait de baptême, son brevet de garde du roi, avec une annotation indiquant qu'il était sans complice, et que s'il n'eût tué Lepelletier, il eût tué Philippé d'Orléans.

Paris ne s'est donc pas tué à Forges-les-Eaux près Rouen, pourtant il y eut un homme tué dans une auberge. — Paris n'est pas mort. Un homme a été tué, et l'on a trouvé sur lui les papiers de Paris !

Bonaparte mit une grande activité à retrouver Paris, qui en 180.4 fut reconnu à Genève, au moment où le frère de Lepelletier de Saint-Fargeau s'y trouvait aussi, mais qui, ne put être arrêté.

(Voir dans les oeuvres de Lepelletier de Saint-Fargeau, les détails de cette affaire.) MM. Buchez et Roux, dans leur Histoire parlementaire de la révolution, ont élevé les mêmes doutes sur l'identité dij meurtrier de Saint-Fargeaq.


que les hommes auxquels appartenait le triste hon neur d'avoir vaincu la royauté, pouvaient seuls profiter du meurtre de Saint-Fargeau, et que de toutes les combinaisons, celle qui se servait de ce crime comme d'un moyen de réaction et de terreur, était la seule possible, car elle était la seule efficace.

Si le meurtre de Saint-Fargeau ne fut pas le résultat d'une vengeance particulière — explication inadmissible avec les circonstances connues de l'évènement — comment admettre que les royalistes aient voulu, par cet acte isolé de représailles incomplètes, maladroites, inutiles, enlever la dernière chance qui restait de sauver le roi, en soumettant à la sanction du peuple l'appel de vie ou de mort rejeté par l'Assemblée?

Assassiner un conventionnel riche, estimé, héritier d'un beau nom, au moment où la république craignait à chaqua instant de voir sa victime lui échapper; imputer ce crime aux royalistes; profiter de cette apparente violence faite à l'inviolabilité de la conscience et des votes, c'était là un calcul savant et hardi, une tactique aussi habile que la combinaison contraire l'eût été peu(l).

(1) Ce n'est pas la première fois que, dans leur exaltation, les révolutionnaires auraient eu reeours à des expédiens de cette nature pour amener le succès de leur cause. En révolution, il n'y a pas de moyen si atroce qui ne soit proposé, pas de mesure si extravagante qu'elle ne soit discutée ; tout semble licite si l'on peut avoir raison de ses ennemis.

Voir dans Y Histoire de la révolution par Toulongeon, le ré-


Mais quelle part faire dans ce crime à Philippe Égalité? Faut-il l'accuser, faut-il l'absoudre? Les preuves manquent, comme pour tous les crimes qui viennent de haut. Passons donc, sans plus nous y arrêter, cette page de sa vie; elle est marquée d'un signet, pour rappeler au moins avec quelle facilité ont été accumulées, sur la tête d'un seul homme, toutes les hontes de son siècle. Il était écrit que Philippe justifierait jusqu'au bout cette étrange apologie de M. de Talleyrand : « D'Orléans est le vase dans lequel on a jeté toutes les ordures de la révolution. » Quand il eut déserté l'orageuse sommité de la Convention pour revenir à ses plaisirs du PalaisRoyal et du Rincy, Philippe put écouter les premiers cris de la foule indignée. La réprobation que l'histoire réservait à sa dernière lâcheté, ce fut dans sa famille et chez ses amis que d'abord il la trouva.

Le duc de Chartres ne voulut plus correspondre

cit d'une singulière tentative qui aurait été faite pour engager deux députés patriotes à se laisser assassiner par des hommes déguisés en gardes du roi ; et dans les Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont, la motion de Brissot, proposant pour arracher une déclaration de guerre à l' Assemblée, de déguiser quelques soldats en hulans autrichiens, et de leur faire opérer une attaque nocturne sur un village français.

On trouve beaucoup d'autres faits de ce genre dans les récits contemporains.


avec lui (1). Ce jeune prince, que n'avaient point encore aguerri les catilinaires du club des jacobins, fut soutenu par Dumouriez dans cette triste mais honorable manifestation, à laquelle s'associèrent ses frères, sa mère, et Mme de Genlis elle-même.

Certes, personne n'accusera l'austérité politiquè de Dumouriez ni la sévérité des principes de Mme de Genlis : le cynisme spirituel de celui-là est aussi connu que la philosophie révolutionnaire de celleci. Mme de Genlis, qui, le soir de la prise de la Bastille, s'était mêlée aux farandoles du Palais-Royal, devait se montrer indulgente pour Philippe, - son bienfaiteur, autant au moins que l'ambitieux Dumouriez, élevé dans la corruption des cours, et qui savait par cœur les exigences et les roueries po.., litiques.

Il était encore un ami de Philippe, un illustre compagnon de plaisirs et de débauches, Georges, prince de Galles. A Londres, le prince de Galles avait fait au duc d'Orléans les honneurs des mauvais lieux et des tripots de la vieille cité ; à Paris, le duc d'Orléans avait rendu au prince de Galles les soupers et les orgies de Londres. Comme Philippe, le prince de Galles avait adopté la révolution, et salué l'aurore d'une ère nouvelle ; mais en voyant souillée de sang et de boue cette révolution qu'il espérait si belle, le-prince de Galles abandonna brusquement

(T) Correspondance de Louis - Phiiïppe-Jo seph d'Orléans, in-, troduction.


le parti de l'opposition dont il était le chef; et lorsque les journaux de France lui apportèrent, avec les débats de la Convention, le récit de la mort de Louis XVI, il détacha lui-même de son palais de Carlton le portrait du duc d'Orléans, chef-d'œuvre du peintre Reynolds, le déchira de ses mains, et en fit jeter les lambeaux dans la cour (1).

Comment Philippe accueillit-il le cri de la réprobation générale? Par le plus profond silence. Quelle justification fit-il entendre? quelle explication donnat-il? Aucune. Cependant, dans d'autres circonstances, Philippe n'avait pas craint de soumettre sa conduite au jugement public. L'exposé qu'il avait fait était menteur; mais la déférence à l'opinion était réelle, bien qu'elle n'apparût encore que comme un leurre de plus. A la mort de Louis XVI, quel besoin Philippe pouvait-il avoir de semblables subterfuges? Du côté de la Convention étaient la force et le pouvoir, que lui fallait-il de plus?

Il parut néanmoins une apologie de Philippe une seule; mais comme l'opinion était si énergiquement hostile au prince régicide, qu'il n'eût pas été possible de faire accepter un mot en sa faveur, on eut recours à un singulier expédient. Pour louer Philippe, il fallait d'abord avoir l'air de le vilipender; ce fut ainsi qu'on parvint, par une amorce perfide, à tromper le peuple, et à lui faire, accepter sous ce titre : Philippe-Égalité traité comme il le mérite, les éloges que voici :

(i) Moniteur du 6 février 1793.


« Trop long-temps la calomnie a versé son poison sur un « prince à qui la nation française a les plus grandes obli« gations ; trop long-temps l'illustre, le premier bienfaiteur « de la patrie a été outragé, injurié dans des libelles, conçus, « écrits non par la main des hommes, des. hommes vrais et « raisonnables, mais par la main des diables persécuteurs de « notre bonheur et de notre liberté. L'heureuse révolution « qui a écrasé le despotisme, qui a dépouillé le clergé de ses « usurpations , qui a détrôné les législateurs criminels qui « trompaient et pillaient la nation ; cette heureuse, cette im« mortelle révolution, est l'ouvrage d'un grand homme, d'un « grand prince digne de notre vénération et de notre re« connaissance éternelle, etc., etc., etc. J)

- Faut-il dire que cette apothéose de contrebande n'avait pas même le mérite de l'à-propos et de la nouveauté; ce n'était que la réimpression d'une apologie déjà vieille de deux années : Louis-Philippe, père de la patrie (1) , avec quelques additions, quelques périphrases de circonstance.

Ce fut là toute la justification de Philippe Égalité.

C'est ainsi qu'il répondit à l'outrageant défi du prince de Galles, aux reproches de ses fils, à la désolation de sa famille, et au mépris de tous.

(i) Louis*Philippe d'Orléans, père de la patrie. Avec cette épigraphe: Aurea nascitur cetas. Paris, 1790.


XVII ,

Un des côtés distinctifs du caractère de Robes-4 pierre, c'est la suite dans les idées, l'inflexibilité des principes révolutionnaires et l'eprit d'unité. Il était impossible qu'avec ces qualités, avivées encore par une bilieuse jalousie et le perpétuel instinct de la domination, Robespierre ne cherchât pas à réunir dans ses mains les ressorts épars du gouvernement. Aidé de Saint-Just, de Couton et de Lebas, Robespierre marchait effectivement à la dictature, en cherchant, au milieu du désordre, à rassembler les élémens d'une organisation sociale ; mais il mourut à cette œuvre, et au moment où il n'en avait encore ébauché que le côté le plus repoussant.

Le discours que Robespierre prononça à la Convention, le 25 mars 1793, cache certainement un mystère dont il faut peut-être chercher le secret dans la persistance de ce tribun à réveiller d'éternelles


défiances pour activer la guerre civile, et arriver par l'anarchie à l'unité du pouvoir. En même temps, il se révèle dans ces sinistres paroles combinées avec une violente sortie de Danton, un enchaînement d'idées dont Robespierre ne s'est jamais départi.

Chez lui tout découle d'un même principe, tout marche à un même but. La question du bannissement de Philippe et des Bourbons avait été ajournée jusqu'au jugement du roi : Louis XVI mort, Robespierre vint rappeler à la Convention qu'elle avait un autre procès à vider. Le vote de PhilippeÉgalité n'avait pas fait dévier Robespierre de sa pensée première : il croyait ce personnage dangereux pour la république ; le scandale de sa vie privée offensait d'ailleurs l'austérité du tribun : Philippe devait donc être sacrifié. Alors Robespierre fit un sombre tableau de la situation, dit que pour s'en rendre maître, il fallait de l'énergie, des lois populaires, un système, et couronna son discours par une violente philippique qu'il traduisit en proposition de bannissement contre tous les Bourbons (1). MarieAntoinette était mêlée à ces paroles de proscription ; l'impitoyable Robespierre demandait qu'elle comparût immédiatement au tribunal révolutionnaire.

(1) Voici comment Robespierre explique sa pensée à ce sujet, dans le projet qu'il rédigea pour le rapport de SaintJust : « On a pu remarquer la consternation de Fabre d'Églantine et de beaucoup d'autres, lorsque je fis sérieusement la


Occupée à prévenir des dangers qu'elle croyait plus imminens que la présence de Philippe-Égalité au Palais-Royal, livrée aux haineuses passions, aux intrigues, à la corruption et aux rivalités jalouses qui la divisaient déjà, l'Assemblée prèta peu d'attention au discours de Robespierre, et passa à l'ordre du jour. Nous verrons cependant que, dans cette circonstance, Robespierre avait raison contre l'Assemblée.

Ici commence, dans la révolution, une suite de

motion de chasser les Bourbons, que les meneurs du côté droit avaient jetée en avant, avec tant d'artifices ; et le concert des chefs Brissotins et des intrigans de la Montagne pour la rejeter à cette époque. Cette contradiction est facile à expliquer : la motion venue du côté droit, popularisait d'Orléans, et échouait contre la résistance de la Montagne abusée par ce jeu perfide ; faite par un montagnard, elle démasquait d'Orléans, et le perdait, si le côté droit ne s'y était lui-même opposé. L'époque où je 6s cette motion était voisine de celle où la conjuration de d'Orléans et de Dumouriez devait éclater et éclata en effet. Ce futalors que les Brissotins continuèrent de tromper la Convention, et de rompre l'indignation publique en mettant sous la garde d'un gendarme d'Orléans et Sillery, qui riaient eux-mêmes de cette comédie, qui leur donna le prétexte de parler à la tribune le langage de Brutus. C'est alors que Danton et Fabre, loin de dénoncer cette faction criminelle , se prêtèrent à toutes les vues de ses chefs. Joignez à cela le développement des trahisons de la Belgique. (Projet rédigé par Robespierre du rapport fait à la Convention nationale par Saint-Just, p. il.)


nouveaux malheurs. Robespierre, sinistre augure, venait d'en présager l'accomplissement. La Convention avait déclaré la guerre à la Belgique et au stathouder de Hollande. Dumouriez, illustré par ses récens succès de la campagne d'Argonne, était le chef de cette expédition. La marche de l'armée française, dans ces deux pays, avait été mêlée de succès et de revers jusqu'à la bataille de Neervinde, qui fut décisive : la Belgique conquise était perdue pour la France. Des bruits de trahison arrivèrent à Paris avec la nouvelle de ce désastre; la Convention d'abord n'y prêta pas l'oreille ; mais une lettre de Dumouriez étant venu réveiller les défiances nationales, la Convention dépêcha vers lui trois commissaires, Proly, Dubuisson et Pereyra, pour s'assurer de ses dispositions et connaître ses allures. Le 1er avril, Cambacérès mit sous les yeux de l'Assemblée le procès-verbal des conférences que les trois envoyés avaient eues avec Dumouriez. Deux lettres de ce général complétèrent cette communication officiellement faite par Cambacérès au nom des comités de défense et de sûreté générale. La première lettre, celle dont nous venons de parler, datée du 12 mars, avait été tenue secrète par le comité jusqu'au moment où les journaux belges l'avaient eux-mêmes publiée; la seconde, plus récente, était adressée au ministre de la guerre Beurnonville. Le dédain et l'injure respiraient dans chaque parole de Dumouriez, et témoignaient du profond dégoût qu'il avait à commander les armées


d'une république telle que la Convention l'avait faite.

Au ministre de la guerre, Dumouriez écrit qu'il ne peut plus tenir contre l'ennemi si on ne lui envoie pas des troupes régulièrement organisées, et non plus des bataillons de volontaires, ramassis d'enfans, de vieillards et de vagabonds, qui, après avoir jeté l'effroi sur leur passage, ont affamé le pays et l'armée ; Au président de la Convention, que tous les décrets de l'assemblée paraissaient être marqués du fatal cachet de l'imprudence et de l'exagération; qu'il veut être maître, au camp, dans son armée, et ne pas. souffrir la visite de tous les commissaires en écharpe qu'on envoie contrôler ses actes et vexer le pays.

Ces paroles étaient graves. Plus injurieuses et plus menaçantes furent-elles encore, lorsque Proly, Péreyra et Dubuisson se présentèrent à Dumouriez.

C'est à Tournay qu'ils le rencontrèrent, dans la maison de Mme de Genlis. Là, en présence du général Valence, du duc de Chartres, de plusieurs officiers de son état-major, de Mrae de Genlis et de Miles d'Orléans et Paméla, Dumouriez s'emporta en invectives contre les jacobins et les tyrans régicides qui composaient la Convention. Il jura qu'il avait honte de servir son pays au nom d'un gouvernement pareil, et que depuis la bataille de Jemmapes il avait pleuré tous les succès obtenus pour une si mauvaise cause.

Plusieurs fois il répéta que la France voulait un roi,


qu'il fallait un roi à la France, et qu'il marcherait sur Paris pour rétablir la Constitution de 1791; qu'il se moquait des décrets d'accusation qu'on pourrait lancer contre lui, et que, à la dernière extrémité, il lui resterait toujours un temps de galop vers le camp autrichien, où il s'était réservé les moyens d'être bien reçu.

L'indignation et la stupeur dont furent accueillies ces imprudentes et cependant sérieuses bravades n'ont d'égales dans l'histoire que celles qui éclatèrent à la journée du 18 brumaire, avec la différence de la menace à l'action. Les haines de l'avocat, de l'homme de paroles et de délibérations contre l'homme d'épée sont éternelles, et s'accroissent toujours en raison directe du dédain qu'affecte le soldat pour les débats inutiles et les bavardages parlementaires. Les menaces de Dumouriez allaient plus avant encore dans la blessure qu'elles faisaient au cœur de la Convention ; car elles présageaient la guerre civile ; — l'anarchie régnait déjà.

Les premières accusations, suscitées par ces tristes évènemens, frappèrent Sillery-Genlis et Philippe Égalité. La présence de Dumouriez dans le salon de Mme de Genlis, au milieu des enfans d'Égalité, de la femme et du gendre de Sillery, les paroles prononcées par ce général sans apparence de contradiction, tout cela suffisait pour faire naître dans l'ombrageuse Assemblée de vifs soupçons contre Sillery et Philippe Égalité. Lassource fut le premier à demander leur arrestation, bien que, en


terminant son rapport Cumi uicérès eût fait connaîtrc la démarche faite par les deux députés, auprès du comité de salut public, pour provoquer un scrupuleux examen de leur conduite. D'autres discussions firent oublier la motion de Lassource; mais, deux jours après, la position s'était aggravée par la saisie d'une lettre du duc de Chartres à son père. Sans être aussi imprudente que celles de Dumouriez, cette lettre témoignait, chez ce jeune prince, de profonds dissentimens avec la politique républicaine. La motion de Lassource revint à l'ordre du jour. Levasseur déclara qu'il tenait pour coupables Valence et Égalité fils, par cela seul qu'ils n'avaient pas poignardé Dumouriez lorsqu'il débitait ses propos contre-révolutionnaires : en conséquence, il demanda que Sillery et Égalité père fussent gardés à vue.

Sillery s'offrit de lui-même à l'exécution de cette mesure, et comme Levasseur venait de faire au général Valence le reproche de ne pas avoir poignardé Dumouriez, Sillery, vieux sybarite à cheveux blancs, protesta qu'il poignarderait Valence. « Quand il « s'agira de punir les traîtres, s'écria-t-il, si mon « gendre est coupable, je suis ici devant l'image de « Brutus, je sais le jugement qu'il porta contre son « fils. » — Philippe Égalité sourit à cette évocation du courage et de l'antique abnégation républicaine; il rompit le silence qu'il avait jusqu'à ce moment gardé, et, stérile plagiaire, ce fut pour répéter : « le comité de défense générale a rendu compte à la


« Convention de la demande que j'ai faite de l'exa« men de ma conduite. Si je suis coupable, je dois « être puni, cela va sans dire; si mon fils l'est, je « vois aussi Brutus. » Ces raisons parurent médiocrement toucher la Convention : Buzot réclama la lecture de la lettre du duc de Chartres, et cette lettre décida du vote de l'Assemblée (1).

(1 ) Voici cette lettre : « Je vous ai écrit de Louvain, cher papa, le 21 ; c'est le premier instant dont j'ai pu disposer après la malheureuse bataille de Neervinden ; je vous ai encore écrit de Bruxelles et d'Enghien; ainsi vous voyez qu'il n'y a pas de ma faute.

Mais on n'a pas d'idée de la promptitude avec laquelle les administrations de la poste font la retraite. J'ai été dix jours sans lettres et sans papiers publics, et il y a dans ces bureaux-là comme dans tout le reste un désordre admirable.

Mon couleur de rose est à présent bien passé, et il est changé dans le noir le plus profond ; je vois la liberté perdue ; je vois la Convention nationale perdre tout- à-fait la France par l'oubli de tous les principes ; je vois la guerre civile allumée ; je vois des armées innombrables fondre de tous côtés sur notre malheureuse patrie, et je ne vois pas d'armée à leur opposer; nos troupes de ligne sont presque détruites , les bataillons les plus forts sont de 400 hommes.

Le brave régiment des Deux- Ponts est de i5o hommes, et il ne leur vient pas de recrues ; tout va dans les volontaires ou dans les .nouveaux corps ; en outre le décret qui a assimilé les troupes de ligne aux volontaires les a animés les uns contre les autres. Les volontaires désertent et fuient de toutes parts ; on ne peut pas les arrêter, et la Convention croit qu'avec ces soldats elle peut faire la guerre à toute l'Eu-


On décréta que Sillery et Égalité seraient gardés à vue, et qu'ils ne pourraient sortir des barrières de Paris. Mme de Montesson, la duchesse d'Orléans, la femme et les enfans du général Valence furent mis en état d'arrestation. Ainsi commençait la proscription de la famille d'Orléans.

Cependant la Convention avait envoyé aux frontières les commissaires Camus, Quinette, Bancal, Lamarque et le ministre de la guerre Beurnonville, avec la mission de signifier à Dumouriez l'ordre de paraître à la barre de l'Assemblée, pour y rendre compte de sa conduite.

C'est à Saint-Amand que les commissaires rencontrèrent le général en chef de l'armée du Nord.

On sait ce qui se passa. Dumouriez se montra plein d'insolens dédains pour les décrets de la Convention; il renouvela ses bravades et ses menaces de Tournay; et lorsque les commissaires voulurent exécuter les rigoureuses prescriptions de leur mandat, ils furent eux-mêmes faits prisonniers. Par ce hardi coup de tête, Dumouriez se fut rendu maître des destinées de la France s'il n'eût pas commis le

rope. Je vous assure que pour peu que ceci dure elle en sera bientôt détrompée. Dans quel abîme elle a précipité la France !. Ma sœur ne se rendra pas à Lille, où on pourrait l'inquiéter sur son émigration. Je préfère qu'elle aille habiter un village aux environs de Saint-Amand.

« Signé EGALITÉ. »


crime de livrer aux Autrichiens ses prisonniers en otage.

« En France, dit M. Laurentie, l'honneur na« tional est plus fort que les haines de parti; les « soldats avaient failli mettre en pièces les commis« saires de la Convention, en les conduisant aux « lieux désignés par Dumouriez ; lorsqu'on sut qu'il « les avait remis à des mains étrangères, le cour« roux se tourna contre lui : il pouvait devenir un « libérateur, il ne fut plus cfu'un traître (1). »

L'indignation de l'armée devint si grande, que deux jours après, Dumouriez, obligé de fuir, passa dans le camp autrichien, entraînant avec lui le général Valence et le duc de Chartres La faute que commit Dumouriez, en livrant à l'ennemi les envoyés de la Convention, est tellement énorme, que les simples règles de l'imprudence et de la sottise humaine ne suffisent pas à l'expliquer.

Or, Dumouriez était habile, adroit, homme d'esprit; mais plein de cynisme et de corruption.

C'est le 6 avril que fut fait à l'Assemblée le récit de cette trahison. Le premier moment de stupeur passé, Carrier prit la parole, et demanda l'arrestation de Sillery et de Philippe Égalité.

Marat dit que le moment était venu pour la Convention nationale de se couvrir de gloire aux yeux de l'univers entier, en prenant en otage cent mille parens et amis des émigrés. Les tribunes ap-

J) ï^aurenlic, Histoire des dut s d'Orléans, t. iv, p. 366.


plaudirent à ces paroles; mais l'Assemblée murmura lorsque Marat voulut défendre Égalité et Sillery, et prier la Convention de ne pas se livrer à des mesures précipitées contre deux représentans du peuple que, disait il, aucun soupçon justifié n'atteignait encore. — Au même instant, Laliaye annonce que depuis long-temps il se défie d'Égalité, et que ses doutes se sont fortifiés par le récit qu'on lui a fait d'un voyage de Philippe à Seez, petite ville de l'Orne, dans laquelle, sous le nom emprunté de son intendant, Philippe avait chanté luimême ses louanges et demandé si le pays serait aise de l'avoir pour roi. On observe qu'Égalité n'est pas sorti de Paris; Lahaye persiste à soutenir que plusieurs habitans de Seez ont été consultés pour savoir s'ils voudraient reconnaître Philippe pour roi, et que des propositions de ce genre ont notamment été faites à l'hôtel d'Angleterre. Cette déclaration était trop précise pour que, dans un semblable moment, l'Assemblée laissât échapper les moyens d'en constater l'exactitude et la valeur. Des commissaires furent dépêchés à Seez. On connaîtra tout-à-l'heure les résultats de leurs investigations.

S'il eût été possible à Philippe Égalité d'échapper aux cris de proscription qui, de tous les côtés, s'élevaient contre lui, le discours de Boyer-Fonfrède lui aurait fermé la dernière porte de salut.

Redisons les paroles de ce jeune républicain : elles semblent tombées d'hier seulement de quelque tribune romaine :


« ,

Il faut arrêter tous les Bourbons, les garder en otage, s'est écrié Carrier; c'est la motion de ce républicain que je veux appuyer, et dont je vais développer la justice et la nécessité.

« On nous parle sans cesse de lois révolutionnaires, de la nécessité de prendre des mesures fortes et vigoureuses: sans doute, elles seules peuvent sauver la patrie ; mais je ne conçois pas comment la proscription de la famille ci-devant et toujours royale, n'a pas encore été comprise par vous au nombre de ces mesures. Il faut faire cette loi révolutionnaire, cette loi terrible que le salut du peuple commande et justifie. Le jour où vous fondâtes la république, si vous eussiez banni tous les Bourbons, ce jour-là eût épargné à la France bien des troubles, à Paris bien des mouvemens , à vous bien des divisions, à vos armées bien des échecs.

« C'est le moment de réparer cette erreur, d'abjurer cette faiblesse. Les républiques ne subsistent que par les vertus.

Les princes ne vivent que de crimes. Corrompus dans les cours, ils corrompent vos soldats dans les camps, vos citoyens dans les villes ; il n'est pour eux ni foi ni serment ; leur ambition se cache sous mille formes, et c'est en profanant le saint nom de patrie qu'ils aspirent en secret à redevenir un jour vos mahres.

Rendons en grâces au génie qui veille sur la république, il nous éclaire enfin, et nous trace nos devoirs. Tandis qu'on conspirait au nord, que va faire cet autre Egalité au midi, dans l'armée du Var i' Est-ce dans les mains d'un nouveau général un nouvel instrument d'ambition ? Les traîtres qui servaient cette famille, à laquelle nous avions livré, par je


ne .sais quel aveuglement, nos armées et nos flottes, ont conduit nos collègues à Maëstrich, ils sont au pouvoir de nos ennemis. Citoyens, les princes, au moins pour les forfaits, sont tous parens ; conservons donc tous les Bourbons en otage ; et si les tyrans qu'est allé rejoindre Égalité, auxquels il a livré nos collègues, osent, au mépris du droit des gens, porter sur les représentans du peuple français un fer assassin, que leur tête roule au pied des échafauds, qu'ils disparaissent de la vie, comme la royauté a disparu de la république, et que la terre de la liberté n'ait plus à supporter leur exécrable existence (i). »

En écoutant cette éloquente philippique, la Convention, électrisée, s'était levée toute entière. A peine Boyer-Fonfrède eut-il cessé de parler, que de frénétiques applaudissemens ébranlèrent les murs de l'enceinte législative, et la proposition d'ostracisme fut votée d'enthousiasme à l'unanimité.

Sillery voulut prévenir l'orage. Il parla du calme de son âme, de la pureté de sa conscience : « Malet gré l'ignominie dont l'infâme lâcheté de son gen« dre avait, disait-il, flétri ses cheveux blancs. »

Protestations inutiles ! Égalité devait entraîner dans sa chute, dont son fils venait lui-même de marquer le moment, non-seulement sa famille, mais encore ses amis. Le Palais-Royal était contagieux pour tous ceux qui l'avaient approché. Pendant trois jours ce fut dans la Convention et dans le comité de sûreté générale, un concert unanime d'accusations aux fa-

(1) Moniteur, avril 1793.


tales conséquences desquelles ne purent échapper ni Sillery, ni Bonnecarère, dénoncé une année auparavant par Ribes, ni Lemaire, trésorier de Philippe, ni Sauvau, undesesagens, ni Victor Broglie, ni enfin Choderlos de Laclos, cette âme damnée du duc d'Orléans.

C'était le 6 avril, au soir, que ces choses se passaient. Le lendemain, à l'ouverture de la séance, Gohier, ministre de la justice, fit connaître à l'Assemblée la réclamation suivante : -

« Paris, de la mairie, 7 avril.

« Citoyens mes collègues, il est venu chez moi deux particuliers, l'un se disant officier de paix, l'autre inspecteur de police. Ils m'ont présenté un réquisitoire signé Pache, pour me rendre à la mairie ; je les ai suivis ; on m'a exhibé un décret de la Convention qui ordonne l'arrestation de la famille des Bourbons. Je les ai requis d'en suspendre l'effet à monégard. Invinciblement attaché à la république, sûr de mon innocence, et désirant voir approcher le moment où, ma conduite sera examinée et scrutée, je n'aurais pas retardé l'exécution de ce décret, si je n'eusse pas cru qu'il compromettait le caractère dont je suis revêtu.

« Signé, PHILIPPE ÉGALITÉ. »

C'était un misérable et dernier subterfuge. On a dit même que Philippe ne s'était pas borné à cette protestation, et qu'il poussa le cynisme jusqu'à renier le sang des Bourbons, espérant se sauver.

ainsi par le déshonneur de sa mère. Tout fut inutile, La Convention répondit qu'elle avait voulu com-


prendre Louis-Philippe-Joseph Égalité, ci-devant d'Orléans, dans son décret contre les Bourbons (1).

Marseille fut le lieu désigné pour la détention des

(1) Bertrand de Molleville, si bien informé d'ordinaire sur les choses de la révolution, prétend que Philippe était à dîner au Rincy avec Marat, lorsque lui fut porté le décret de la Convention. Cette assertion paraît extraordinaire, après l'extrait du Journal de la Républiquefrançaise que nous avons cité plus haut. Ce qui, toutefois, la rendrait vraisembblable, c'est que, pendant les orageuses séances que nous retraçons en ce moment, Marat fut à peu près seul à défendre Philippe Égalité , aux murmures de l'Assemblée , tout en demandant que la tête du duc de Chartres fût mise à prix, et que la Convention gardât en otage cent mille parens des émigrés. Marat espérait masquer ainsi, par l'exagération de ses paroles, ce qu'avait d'insolite, dans un pareil moment, la protection qu'il accordait à Philippe Egalité. La fougue de son officieuse éloquence était même poussée si loin, que deux fois la tribune fut interdite à ses inspirations orléanistes. A la séance du n avril, Barbaroux l'accusa d'avoir reçu i5,ooo livres de Philippe Egalité. Ce n'était peut-être là qu'un souvenir de l'ancienne accusation de Gorsas; mais il ne paraîtra pas moins évident à quiconque suivra les débats de la Convention, au moment dont nous parlons, que Philippe Égalité avait payé de quelque façon les inconcevables apologies que MaraL débitait en sa faveur. Si Bertrand de Molleville a dit vrai, en parlant du dîner de Marat et de Philippe Egalité , il s'est probablement trompé sur le lieu de la scène : Philippe ne pouvait être au Rincy, lorsqu'un décret, rendu deux jours ( auparavant, lui avait donné les barrières de Paris pour prison.


prisonniers. Cette décision ne passa pas sans quelques débats. Le comité de sûreté générale avait proposé la forteresse de Vincennes, et Robespierre voulait que Philippe Égalité, au lieu d'être transféré à Marseille, fût immédiatement traduit au tribunal révolutionnaire, avec tous les affidés du Palais-Royal.

Robespierre échoua ; mais dans la pensée de l'implacable tribun, l'arrêt de mort de Philippe Égalité était signé déjà.

Le 7 avril, à huit heures du soir, Philippe Égalité fut conduit à l'Abbaye. Les journaux du lendemain racontèrent qu'il pleura pendant le trajet de l'Hôtel-de-Ville à cettre prison. Il y trouva son plus jeune fils, le duc de Beaujolais, un enfant de treize ans, qu'on y avait enfermé le matin du même jour. On leur fit subir à chacun un interrogatoire préliminaire, après quoi, dans la nuit du 9 avril, ils furent dirigés sur Marseille, avec la duchesse de Bourbon et le prince de Conti, arraché malade à son tranquille foyer.

Il ne restait que la duchesse d'Orléans. A tous les malheurs qui l'avaient frappée, un malheur récent était venu se joindre ; l'assassinat de la princesse de Lamballe, la mort de Louis XVI, les douleurs de la duchesse sa fille, les turpitudes de Philippe Égalité, avaient tué le duc de Penthièvre. Restée seule, la duchesse d'Orléans était tombée malade à son château de Vernon.

La Convention nationale, s'associant à la confiance publique, excepta, pour le moment, cette


princesse de la proscription, et ordonna qu'elle serait gardée à vue dans sa maison jusqu'au rétablissement de sa santé. Voilà donc quelle était la destinée que Philippe avait faite à sa famille! Sans lui, qui eût jamais songé à ces femmes , à ces vieillards, à tant d'êtres inoffensifs?

Après que la proscription de Philippe eut été prononcée, pendant une semaine entière il y eut à la Convention nationale un épouvantable conflit d'accusations entre la Gironde et la Montagne : les deux côtés de l'Assemblée s'accusant l'un l'autre d'être les suppôts de Philippe Égalité. Jamais ce nom maudit n'avait encore soulevé tant de bruit, de haines et de violentes colères. Nous ne connaissons pas au Moniteur de pages plus énergiques que celles-là; c'est à peine si la séance fameuse et tant de fois consultée qui marqua la chute de Robespierre , est d'un effet aussi saisissant. Ces jeux de tribune cachaient des intrigues masquées et des corruptions de longue date. On accusait avec d'autant plus de vigueur, qu'on avait de plus grands reproches à se faire. La moitié de l'Assemblée jouait évidemment avec des dés pipés. Enfin, d'invectives en récriminations, on alla jusqu'à se reprocher les soupers chez Dumouriez, les dîners chez Philippe et les thés chez Robert, où Philippe venait aussi.

Il faut lire dans le Moniteur ces séances des premiers jours d'avril. La physionomie de l'époque y semble conserver encore toute sa vivacité. Il


faut voir la Gironde et la Montagne se défendant avec fureur de tout contagieux rapport avec Philippe Égalité, sorte de bête immonde à laquelle chacun vient donner son coup de pied (1).

(i) Les philippiques ne s'arrêtèrent pas à l'enceinte de la Convention. Objet des accusations de l'Assemblée, d'Orléans fut encore le héros de tous les pamphlets du moment.

Les plus remarquables de ces écrits furent celui de Louvet (*) : c'était l'écho des récriminations de la Gironde, et celui de Camille Desmoulins, officieux accusateur de la Montagne (**). Salles, député de la Meurthe, composa également une brochure dans le sens de celle de Louvet (***). Le défaut de ces ouvrages, c'était de conclure du particulier au général. De ce que d'Orléans fréquentait plusieurs membres de la Gironde, la Montagne accusait les girondins d'être les suppôts, les affidés de d'Orléans, et de machiner avec lui de coupables manœuvres; à son tour, la Gironde avait contre la Montagne les mêmes motifs de craindre et de soupçonner. Dans les deux camps il y avait donc un défaut d'exactitude et de raisonnement, résultat du double jeu de Philippe Égalité, qui, sans avoir épousé la cause de la Montagne ni celle de la Gironde, avait su adroitement louvoyer entre les deux côtés rivaux de la Convention.

On conçoit le parti que les girondins devaient tirer contre

(*) La vérité sur la faction d' Orléans et la conspiration du 10 mars 1?93.

(**) Fragment de r histoire secrète de la révolution, sur la faction J' Orléans, etc.

(***) Recherches de Salles sur les agens et les moyens de la faction d'Orléans. Ce fut Salles qui, dans la discussion du procès de Louis XVI, prononça ces paroles : Heureusement que Louis nous laisse de ses parens celui qui peut le plus dégoûter de la royauté.


C'était un prélude à de plus grands débats, à de plus graves accusations. La Montagne, long-temps maîtrisée, eut son tour de domination. La Gironde, violemment éliminée par elle, fut dispersée, proscrite et décimée. Ce fut une époque terrible pendant laquelle Robespierre voulut établir l'unité de la république avec le couperet du bourreau. On commença par anéantir les fédéralistes et les girondins, et on acheva le sacrifice par Danton, Camille Desmoulins, et par la secte de Chaumette, de Vincent et d'Hébert. Les royalistes trouvèrent aussi leur place à l'échafaud entre tous ces enfans perdus de la révolution, que la révolution sacrifiait ellemême. Marat, envoyé au tribunal révolutionnaire, y parut en accusateur, et revint triomphalement à

les montagnards de la présence de Philippe Égalité siégeant au milieu de ces derniers, de sa nomination aux assemblées électorales, œuvre des plus actifs montagnards ; de la protection que Marat lui accordait; de la fameuse séance de décembre, où le bannissement de Philippe Égalité, réclamé par la Gironde, fut repoussé par la Montagne, et d'autres incidens que nous passons sous silence. Les accusations de la Montagne étaient plus exactes, plus vraies, plus logiques surtout qre celles de la Gironde. De tout cela il résultait évidemment que, si la faction d'Orléans n'existait pas, chacun pensait avoir en main assez de preuves pour croire à sa réalité. Nous citons, à Y Appendice de ce livre, un fragment de l'Histoire secrète de la révoliition; ce morceau complètera l'historique des incidens que nous venons d'analyser, et en même temps il donnera une idée du talent de Camille Desmoulins.


la Convention. Quelques semaines plus tard, il fut assassiné dans son bain par une jeune fille digne des temps antiques de Sparte ou de Rome. Ainsi mourut le dernier défenseur de Philippe Égalité à la Convention nationale. Les girondins prisonniers ou fugitifs , Marat n'étant plus, et la terreur organisée en système politique, Philippe Égalité resta seul en face de Robespierre. A mesure que s'agrandissait le pouvoir de celui-ci, les chaînes de celuilà se resserraient davantage. De temps à autre, le nom de Philippe Égalité retentissait au sein de la Convention ; mais ce n'était jamais que pour y rencontrer une accusation nouvelle, une insulte de plus. Déjà la Convention avait ordonné le sequestre des biens de la maison d'Orléans. Sous la surveillance d'un agent du Trésor, trois mille créanciers se partagèrent les riches dépouilles d'Égalité, ses palais, ses domaines, son luxueux mobilier, immense patrimoine que leur livrait un concordat signé par Philippe une année auparavant, et dont les dispositions ne furent pas toutes également respectées.

Pendant l'été de 1793, les journaux annoncèrent la mise aux enchères des arcades du Palais-Royal et des domaines de la vallée d'Auge, des jardins et de la maison de Mousseau. La vente des autres propriétés de la famille d'Orléans dura une année.

Les commissaires désignés pour rechercher les papiers de Philippe trouvèrent au Palais-Royal un arrangement intérieur qu'on ne soupçonnait pas.


Les objets mobiliers les plus nombreux étaient un amas de boucles de souliers à faire la fortune d'un bijoutier, des cannes de toute taille, des pipes de toute forme et des portefeuilles de toute dimension.

Chaque chose était rangée avec symétrie, les cannes dans des râteliers, les pipes sur des layettes et les portefeuilles dans des tiroirs. Un médailler et un cabinet d'histoire naturelle, où les parties anatomiques étaient en cire coloriée, complétaient cette partie de l'habitation. C'était là le côté artistique; le côté moral et intellectuel paraissait se résumer dans une chambre dont les murs étaient couverts de tableaux en relief animant, au moyen de ressorts cachés, des groupes semblables aux spinctries d'Herculanum et de Pompéï. C'est dans ce monde lascif qui s'éveillait par degrés comme la Galatée du statuaire, que le citoyen Égalité aimait à faire revivre les mœurs honteuses d'une époque en haine de laquelle venait de s'accomplir la révolution. La chambre à coucher de Philippe respirait encore les âcres parfums de l'orgie et l'odeur nauséabonde des débauches gastronomiques. Les rideaux de son lit et le damas d'un canapé étaient souillés de déjections vineuses.

Tout, dans ces lieux intimes, accusait des habitudes immondes; tout semblait indiquer que les décrets de la Convention avaient surpris Philippe Égalité au moment où il cherchait au fond d'un panier de vin de Champagne des inspirations pour recommencer sa fameuse scène de Brutus.

Le 3 mai, Gohier, ministre de la justice, informa


la Convention que les citoyens Conti, Égalité père, ses deux fils et la citoyenne Bourbon avaient été écroués au château de Notre-Dame de la Garde, à Marseille (1).

Peu de jours après, le Moniteur publia cette curieuse relation du voyage des prisonniers : « Les commissaires nommés pour la conduite des « Bourbons étaient Gayeux, Laugier et Naigeon.

« Chaque voiture était garnie d'un Bourbon, d'un « commissaire et d'un gendarme. Mme Bourbon gar« dait le silence, Conti frissonnait, Égalité sifflait.

« Vers Orgon, à quatre lieues d'Avignon, des coups « de fusil furent tirés sur la voiture. Mme Bourbon « n'a pas adressé la parole à son frère dans toute la route.

« Égalité dînait avec son fils. Aux trois quarts du « chemin il fallut que tout le monde dînât ensem« ble. Un commissaire observa qu'Égalité disséquait « la poularde, se servait, et n'abandonnait qu'un « squelette à l'appétit des autres voyageurs. Le « commissaire commanda deux poulardes ; et quand « Orléans eut fait le partage du lion, il lui dit « en refusant le plat qu'il rendait : « Croyez-vous « que madame votre sœur et moi soyons faits pour « manger vos restes? — Qu'on apporte une autre « poularde. » — Ici Égalité siffla.

(i) Le duc de M onl pensier avait été arrêté à l'armée du Var par le duc de Biron, et dirigé sur Marseille, où il arriva quelque temps avant son père.


« Mme Bourbon apprit par hasard qu'un des com« missaires était gendre du citoyen Laugeon, homme « de lettres estimé par son talent aimable et la « douceur de ses mœurs. Cette découverte la tran« quillisa sur-le-champ.

« Égalité avait beaucoup d'assignats sur lui (1). »

Cette silhouette, esquissée à grands traits, est saisissante de vérité ; on y reconnaît l'un des côtés du caractère de Philippe : le cynique égoïsme.

A peine Philippe fut-il arrivé à Marseille, que les commissaires envoyés dans le département de l'Orne pour vérifier l'exactitude de la dénonciation de Lahaye, rendirent compte à l'Assemblée du résultat de leurs investigations. Leur rapport était ainsi conçu : « Arrivés à Seez, dans le département de l'Orne, « plusieurs témoins nous ont donné en détail le si« gnalement d'un personnage auquel quelqu'un « d'entr'eux a cru reconnaître les traits de d'Or« léans. Nous avons été nous-mêmes d'autant plus « facilement induits à le présumer, que deux té« moins attestaient avoir vu le nom d'Égalité le jeune « inscrit sur le passeport de cet individu, qui voya« geait avec un jeune homme de quinze à seize « ans.

« Poursuivant nos recherches sur les traces de « ces voyageurs, et parvenus à Alençon, nous y

(i) Moniteur du 27 mai 1793.


« avons trouvé le même signalement et les mêmes « indications. Partout le plus âgé des deux voya« geurs, désigné sous des traits qui caractérisent « essentiellement d'Orléans, s'annonçant lui-même « comme son agent, et tenant les propos les plus « propres à inspirer le désir de le voir placé à la « tête du gouvernement, nous paraissent devoir être « l'homme qui nous était dénoncé.

« Cependant un témoin se présente, et déclare « qu'il connaît ce voyageur pour être le nommé Fé« camp, de Pont-l'Évêque, agent de d'Orléans; mais v* comme ce témoin nous avait déclaré que lui-même « avait été chargé des intérêts de d'Orléans, comme « son conseil, la déclaration nous parut suspecte ; « et après avoir pris toutes les mesures convenables « pour vérifier sa correspondance et ses relations, « soit avec d'Orléans, soit avec le prétendu Fécamp, « nous arrêtâmes, avant de finir l'instruction à Alen« çon, de nous transporter à Pont-l'Évêque, où « nous avons, en effet, trouvé Fécamp, dont les « traits en détail avaient quelque rapport avec ceux « d'Orléans. Nous avons examiné ses papiers après « l'avoir interrogé, et il en est résulté que c'est « bien Fécamp qui a fait le voyage d'Alençon par « Seez; que c'est un aristocrate agent de d'Orléans, « qui partout sur sa route, en faisant l'éloge conti« nuel de son maître, ainsi qu'il l'appelle, avait « l'intention de rappeler la nécessité de donner un « chef à la république. Nous avons mis cet individu « sous la surveillance de la municipalité de Pont-


« l'Ëvêque, jusqu'à ce que la Convention ait pris un « parti à son égard (1). »

Fécamp, aussitôt amené à Paris, fut traduit devant le tribunal révolutionnaire, jugé, condamné et décapité. Les Mémoires du duc de Montpensier ne font aucune allusion à ce triste événement, dont la nouvelle dut cependant arriver à l'oreille de Philippe. Dans le récit que la famille d'Orléans a fait publier de sa captivité de Marseille, on n'a donné ni une larme ni un souvenir à la fin déplorable du trop dévoué Fécamp.

Les scellés furent mis au Palais-Royal, au Rincy et à Mousseau. Cambacérès, Mathieu et Rulh, chargés de vérifier les papiers qui se pouvaient trouver dans ces diverses résidences, affirmèrent n'avoir découvert rien qui indiquât de la part de Philippe Égalité quelque tentative pour arriver au trône ; c'est du moins ce que déclara Rulh à la Convention, car il ne paraît pas que jamais onait fait aucun rapport sur cet incident (2). Sans admettre cependant que l'ambition du trône ait été tout le secret de sa vie, il ne faut pas oublier que Philippe avait eu le temps d'effacer la trace de ses intrigues pendant les deux jours qui avaient précédé son arrestation, lorsqu'il n'avait encore pour prison que les barrières de Paris.

C'est ce que firent observer plusieurs députés, Lecointre-Puyraveau entr'autres.

( i) Moniteur, séance du iermai 1973.- (2) idem, (lu ai juin.


On voit quelles étaient les dispositions de la république à l'égard de Philippe Égalité. Chaque jour elles devenaient plus rigoureuses, à mesure que s'affermissait la sanglante dictature du triumvirat montagnard. Au nombre des créatures et des amis de Philippe Égalité, prisonniers déjà, on joignit le chevalier de Saint-Georges, ce mulâtre si renommé par ses aventures et par sa dextérité à tous les exercices du corps. S'il se fût rencontré pour lui un dénonciateur comme le malheureux Fécamp en avait trouvé un, Saint-Georges eût éprouvé le même sort que l'intendant de Philippe Égalité.

On savait à Tournay que pendant l'été de 1791, Saint-Georges s'était présenté dans cette ville, sous prétexte d'y donner un concert, mais en réalité pour chercher à rallier à la cause d'Orléans quelques-uns des émigrés qui se trouvaient alors dans cette partie de la Belgique. Saint-Georges avait échoué dans sa mission; les émigrés avaient même refusé de le recevoir à leur table, et le commandant de place lui avait enjoint de ne se pas montrer en public (1).

Plus heureux que Fécamp, Saint-Georges fut relâché après la chute de Robespierre.

Tournay était d'ailleurs un foyer d'intrigues orléanistes. C'est après avoir quitté cette ville que, passant par Francfort, Dumouriez remit au comte de Metternich la déclaration que voici :

(1) Biographie universelle, article Saint Georges.


« Ayant appris qu'on avait élevé quelques soupçons contre mes intentions, d'après une prétendue liaison qu'on suppose exister entre moi et Philippe d'Orléans , prince français , connu sous le nom d'Egalité ; jaloux de conserver l'estime dont je reçois journellement les preuves les plus honorables, je m'empresse de déclarer que j'ignore s'il existe réellement une faction d'Orléans; que je n'ai jamais eu aucune liaison avec le prince qu'on en suppose le chef, ou qui en est le prétexte; que je ne l'ai jamais estimé, et que depuis l'époque funeste où il a déchiré les liens du sang et manqué à toutes les lois connues, en votant criminellement la mort de l'infortuné Louis XVI, sur lequel il a prononcé son opinion avec une impudeur atroce, mon mépris pour lui s'est changé en une aversion légitime, qui ne me laisse que le désir de le savoir livré à la sévérité des lois.

cc Quant à ses enfans, je les crois doués d'autant de vertus qu'il a de vices ; ils ont parfaitement servi leur patrie dans les armées que je commandais, sans jamais montrer d'ambition. J'ai une grande amitié pour l'ainé, fondée sur l'estime la mieux méritée. Je crois être sur que, bien loin d'aspirer jamais à monter sur le trône de France, il fuirait au bout de l'univers plutôt que de s'y voir forcé. Au reste , je déclare que si, d'après les crimes de son père, ou par les atroces résultats des factieux et des anarchistes, il se trouvait dans le cas de balancer entre les vertus qu'il a montrées jusqu'à présent, et la bassesse de profiter de l'affreuse catastrophe qui a mis en deuil la partie saine de la nation et toute l'Europe, et qu'alors l'ambition l'aveuglât au point d'aspirer jamais à la couronne, je lui vouerais une haine éternelle, et j'aurais pour lui le même mépris que je porte à son père (it). »

(*) Journal de Paris, 17 mai 1793. Cette déclaration est du ao avril.


Cette pièce peut être une accusation ou un adroit plaidoyer tout à la fois. L'histoire ne doit pas moins l'accepter comme un témoignage de plus à joindre au monument d'exécration élevé à Philippe Égalité par ses contemporains (1).

Dumouriez connaissait le chemin du Palais-Royal.

Pendant le procès de Louis XVI il avait même dîné chez Égalité; mais c'est toujours dans les termes les plus insultans qu'il s'était défendu de tout rapport avec lui. Si, dans les circonstances présentes,

(i) Ajoutons à ces derniers le nom de Claude Fauchet, évêque constitulionel du Calvados, qui mourut sur l'écha faud de la terreur avec les girondins. La lettre suivante, publiée dans la Correspondance du duc d'Orléans, donnera la mesure de l'opinion de Fauchet sur Philippe Egalité : « Philippe, tu as voté le supplice de Louis Capet ; il est mort sur l'échafaud ; tu jouis. Je veux troubler ta joie par le seul moyen qui puisse toucher ton cœur. Tu me dois douze cents livres depuis l'oraison funèbre que j'ai faite de ton père(*); je te les demande. D'après le désir que tu manifestas, je distribuai dans ta maison six cents exemplaires de cet ouvrage sur papier de Hollande. Les exemplaires en papier commun se vendaient trente sous ; ceux-ci valaient dix sous de plus. Tu ne m'as pas offert une épingle.

Paie-moi les cinquante louis dont tu m'es débiteur. Si tu ne le fais pas, j'imprimerai cette lettre, et j'annoterai ton silence. — 22 janvier 1793.

(*) Trois oraisons funèbres, pour le duc d'Orléans, furent prononcées à Paris : l'une dans l'église des dames de Belle-Chasse, par l'abbc de Vauxcelles; l'autre à Notre-Dame, par l'abbé Waury; et la troisième à Saiut- Lustache, par l'abbé Fauchet.


les accusations de Dumouriez ne pouvaient que paraître favorables à d'Orléans, elles n'étaient pas moins l'expression franche et réelle de la pensée de ce général.


ZVIII.

Le premier incident de la captivité de Philippe fut un interrogatoire qu'on lui fit subir ainsi qu'à son plus jeune fils, dans l'église des Picpus, où siégeait le tribunal criminel de Marseille. Les deux prisonniers furent reçus avec obséquiosité. On adressa à Égalité une longue série de questions relatives à sa conduite, à ses principes , et aux diverses circonstances qui pouvaient faire présumer chez lui une secrète pensée à la royauté ou à la dictature, soit aux premiers jours de la révolution, de concert avec Mirabeau, soit plus tard avec Dumouriez. Philippe, disent les journaux de l'époque, répondit à toutes ces questions d'une manière ferme, précise et négative. Puis on demanda au duc de Beaujolais s'il était patriote. — Il répondit: Oui, citoyens; — s'il préférait la qualité de prince, sous l'ancien régime, a celle de citoyen sous le nouveau. — Il


répondit : Celle de citoyen. Toutes ses paroles furent dans le même sens.

Quand on apprit à Paris la comparution de Philippe Égalité devant le tribunal de Marseille, on répandit des interrogatoires apocryphes et des bulletins supposés du tribunal révolutionnaire. Plusieurs journaux publièrent même de prétendues lettres de Mirabeau à Philippe, lettres qui avaient une apparence de vérité telle, que Voidel se vit obligé de les démentir, et de publier le véritable interrogatoire de Philippe et de son fils. Les pamphlets qui avaient suivi d'Orléans pendant toute sa vie ne devaient pas s'arrêter au seuil de sa prison, aux rigueurs et aux dangers de laquelle personne, au reste, n'était tenté de croire.

Du fort de Notre-Dame de la Garde, où il avait été conduit d'abord, Philippe Égalité fut renfermé dans la tour du fort Saint-Jean, à l'entrée du port de Marseille. Ses deux fils, réunis dans la même tour, étaient cependant séparés de lui. Cette séquestration, qui coïncidait avec la chute des girondins, eut des alternatives de rigueur et d'adoucissement, selon les dispositions de la municipalité de Marseille ou les ordres du comité de salut public.

Ses goûts ordinaires de débauche et de faciles plaisirs n'abandonnèrent pas Philippe dans les solitudes de la captivité. Son esprit était, pour ainsi dire, enchaîné comme son corps aux murailles de la prison, incapable qu'était Philippe de lui faire


tranchir les horisons infinis de la pensée et du repentir; accommodant son épicurisme aux dures nécessités du moment, il buvait, mangeait, et renouait avec une fille de la cantine du fort la chaîne interrompue des voluptés grossières au sein desquelles l'avait surpris le décret de la Convention. Il est né de ce commerce un enfant que la piété filiale du roi Louis-Philippe a tiré de la misère où l'avait laissé la triste condition de sa mère. Quelques dames de Marseille vinrent au fort, poussées par le désir de contempler les traits de celui qui avait été le duc d'Orléans ; mais soit que cette curiosité indiscrète dont il était l'objet obsédât Philippe, soit qu'au travers de son imagination salie toute femme lui apparût comme une Ève séduite ou fatalement vouée au péché, ce n'était le plus souvent que son visage que le prisonnier dérobait aux visiteuses, rouges de pudeur et de confusion.

Sa plus innocente occupation était de jouer aux cartes avec les gardes nationaux du poste, lorsqu'il en obtenait la permission. Du reste, observé sans cesse et s'observant lui-même avec le plus grand soin, il ne prononçait jamais que des paroles banales et de simple politesse. Les redondances patriotiques étaient le fonds ordinaire de toutes ses conversations.

Voici la silhouette qu'un témoin oculaire (1) a

(i) M. Laurent Lautard, qui termine, au moment où nous écrivons, l'impression de ses Esquisses sur la révolution à Mur-


tracée de la physionomie et des allures de Philippe pendant sa captivité : seille, livre rempli d'intéressans détails sur Marseille pendant la révolution, et surtout pendant la terreur* Voici un passage de cet ouvrage où le chroniqueur raconte sa journée de garde au fort Notre-Dame, peu de temps après la séquestration de la famille d'Orléans : « Nous entrâmes dans le fort. vers six heures du soir, à là tête d'un détachement de vingt-cinq ou trente gardes nationaux aussi mal équipés qu'incapables de discipline, et moins encore d'un coup de main, au demeurant soldats excellent à la cantine. Notre mission consistait à renforcer la garnison, laquelle, fidèle à la tradition, se bornait, à quelques invalides près, au suisse de Bachaumont peint derrière la porte. Nous fûmes sur-le-champ introduits dans l'appartement, ou pour mieux dire dans le taudis du principal prisonnier, réduit étroit, enfoncé, dégradé, obscur. Pour tout meuble une vieille table vermoulue, deux ou trois chaises boiteuses dont la paille s'en allait en débris, deux mauvais petits lits de sangle à un seul matelas, dans le fond , l'un pour le père et l'autre pour le cadet des enfans. Le duc de Montpensier couchait ailleurs , mais- aussi mal.

« Le repas, dont les restes annonçaient la frugalité, venait de finir ; la conversation s'engagea, roulant sur des sujets d'une insignifiance étudiée de part et d'autre.

« Égalité parla beaucoup et en très-bons termes, affectant la résignation, la gaité même, et mêlant à son discours la qualification réitérée à outrance de citoyen, quoique de notre côté nous évitassions la réciprocité. Nous fûmes tellement gonflés de cette avalanche de civisme, que le grand air nous fit du bien en sortant. Notre interlocuteur n'avait pas à coup sûr le don de deviner les gens sur la mine.

t( Un chevalier d'industrie de bas étage, nommé Boma-


« Philippe, que l'illuminé Cazotte, ce royaliste si « malheureux et si fidèle, surnommait Philippe-

mère, parasite mal famé, qui s'était guindé, on ne sait comment, jusqu'à l'épaulette de sous-lieutenant, proposa avec une rare effronterie une partie de jeu. Le prince sans-culotte ayant accepté la proposition, on apporta les cartes du corps-de-garde ; elles ne servaient que depuis quinze jours.

Un vieux manteau, tout plein de taches, tint lieu de tapis; un bout de chandelle , dans un chandelier de terre , éclaira militairement le tripot. On fit deux tours d'impériale : Philippe perdit par courtoisie; mais sa manière de battre et de jouer la carte n'était pas d'un novice, nous en donnerions des certificats. Le jeu fini nous nous retirâmes, et les prisonniers furent claquemurés.

« Le lendemain. vers midi, iYTne de Bourbon et le prince de Conti s'étant retirés, Philippe et ses deux enfans apparurent au donjon. Le père se promena long-temps ; il devisait avec chacun de nous, en prenant bien soin d'assaisonner ses paroles de la muscade patriotique de tantôt.

De leur côté, les jeunes princes s'étant mêlés aux soldatscitoyens, se mirent à folâtrer, le cadet en tête. Nous étions vraiment enchantés de la gentillesse, de la bonne façon, de l'affabilité de cet aimable enfant, qui n'avait alors que treize ans; le duc de Montpensier, aussi joli, aussi affable, mais plus âgé de quatre ans, et moins délié que son frère, n'avait ni la même grâce ni la même agilité.

Au milieu de la récréation, le gros Bomanière, l'homme à l'impériale de la veille, s'imagina de faire des tours de bateleur: ses lazzis divertirent fort nos deux jeunes princes; le duc de Montpensier riait à gorge déployée. Alors , le bouffon ne se possédant plus, redouble ses gambades en se dirigeant vers le rieur, lequel marchant à reculons, rencontre le soupirail de la casemate et s'y laisse tomber,


« Bourgeon, avait, comme chacun sait, des traits « réguliers, mais gâtés par les efflorescences de « Sylla, unique analogie entre l'ami de Danton et le <( vainqueur de Jugurtha. Il était grand, nerveux et « carré, structure de gendarme, qui ne répondait « guère à l'idéal d'un prince français. Il était vêtu, « au fort la Garde, d'une redingote râpée, de cou« leur équivoque, aux manches et au collet gras : « de vieilles bottes à revers, un chapeau crasseux « brodant sur le tout, du linge sale et une barbe de « huit jours. »

Tel était Philippe Égalité dans sa prison.

S'il l'eût voulu, il lui eût été facile de fuir en trompant la vigilance du gardien; mais il fallait pour cela deux choses qui lui manquaient, de la résolution et de l'argent. D'ailleurs il n'avait aucune inquiétude sur sa position, dont il était loin de soupçonner le danger. Un évènement vint augmenter encore sa sécurité. Le tribunal de Marseille avait été désigné par la Convention pour le juger. Ce tribunal ignorait quelles destinées on réservait à l'accusé; aucun avis n'avait été reçu de

Grand émoi parmi l'assistance; tout le monde court, Égalité le premier, et nous trouvons le pauvre garçon sur le carreau, tout étourdi de sa chute. Il n'avait pourtant qu'une légère contusion à la hanche. On le porta dans son lit; une heure après il n'y paraissait plus. La princesse sa tante, instruite de l'événement, vint tout de suite chez le malade, et lui prodigua dés soins maternels; Philippe voyant arriver sa sœur, s'était éclipsé. »


Paris; en conséquence, Philippe Égalité avait été absous, mais renvoyé au fond de sa prison, où le retenaient les ordres du comité de salut public. Ce fut alors qu'il sollicita de la Convention son élargissement ou de nouveaux juges. Des Mémoires apologétiques furent publiés par Voidel, de tous les amis du Palais-Royal le seul qui fût resté fidèle au malheur; mais la Convention rejeta par l'ordre du jour les réclamations de Philippe, et le comité de salut public n'accueillit les officieuses démarches de Voidel que pour redoubler de rigueur envers le prisonnier du fort Saint-Jean.

C'est que depuis l'arrestation de Philippe Égalité, la face des choses était changée dans l'Assemblée conventionnelle. Une violente élimination, déplaçant la majorité, avait donné à la Montagne la toutepuissance qu'elle ambitionnait. Quarante députés, l'élite de la Gironde, étaient inscrits sur les tables de proscription ; soixante et quatorze autres étaient provisoirement décrétés d'arrestation, pour avoir protesté contre l'expulsion de leurs collègues. L'acte d'accusation dressé par la Montagne contre la Gironde était un monument remarquable qui embrassait toute l'époque de la révolution, et rattachait à des faits généraux la conduite, les écrits et les discours des hommes qui n'avaient pas marché dans le sens le plus absolu, le plus inexorable du mouvement révolutionnaire , et dont les intrigues , l'ambition, les systèmes, quelquefois même de généreuses pensées, avaient en grande partie causé


les divisions intestines des derniers temps de la monarchie et de l'ère républicaine.

Du moment où il exista dans la Convention deux partis rivaux, ardens, implacables, l'anéantissement de l'un devint pour l'autre une fatale nécessité.

C'est la Gironde qui fut sacrifiée la première; plus tard la Montagne devait subir le même sort, quand elle se fut à son tour divisée.

On sait quel fut le sort des girondins; comment l'infatigable persécution dispersa ceux que l'échafaud ne put atteindre , et quelle terrible responsabilité de désordre et de sang pesa sur la tète des proscripteurs. C'est le 3 octobre 1793 que ce grand drame se nouait à la Convention. On ferma toutes les issues de la salle pour écouter la lecture du rapport d'Amar, monument des griefs de la Montagne, et pour qu'aucun des députés présens ne pût échapper au décret qui le devait frapper.

Trente-neuf députés furent, séante ténante, envoyés devant le tribunal révolutionnaire ; c'étaient : Brissot, Vergniaud, Gensonné, Duperret, Carra, Sillery, Condorcet, Fauchet, de Pontécoulant, Ducos, Fonfrède, Gamon, Mollevault, Gardien, Dufriche-Valazé, Vallée, Duprat, Mainviclle, Delahaye, Bonnet, Lacaze, Mazuyer, Savary, Lehardy, Hardi, Boileau, Antiboul, Lassource, Lesterp-Bauvais, Isnard, Duchatel, Duval, Deverité, Bresson, Noël, Coustard, Andréi, Grangeneuve etVigée.


Billaud-Varennes trouva qu'un nom manquait à cd martyrologe : « Le temps est venu, dit-il, où tous « les conspirateurs doivent être connus et frappés; « je demande qu'on ne passe pas sous silence un « homme qu'on a oublié, malgré les faits nombreux « qui déposent contre lui; je demande que Phi« lippe d'Orléans soit envoyé au tribunal révolution« naire avec les autres conspirateurs. »

L'Assemblée fit silencieusement droit à la dénonciation de Billaud-Yarennes, et le nom de Philippe Égalité fut ajouté à la liste fatale.

Plusieurs historiens se sont étonnés que Philippe, mis en jugement par la Montagne, dont il faisait partie, ait été enveloppé dans le même décret que les girondins, avec lesquels il ne votait pas. On a dit que l'acte d'accusation dressé par Amar ne renfermait aucun grief contre Philippe Égalité, puisque celuici ne fut qu'accidentellement compris au nombre des accusés, et que ce fut le comble de la folie de poursuivre Égalité en vertu d'un acte dans lequel il n'était pas même nommé. Conclure ainsi, c'est méconnaître la vraie signification du rapport d'Amar, c'est oublier avec quel concours de circonstances s'était accomplie la trahison de Dumouriez. Philippe Égalité siégeait à la Montagne, mais ses plus intimes liaisons, comme déjà nous l'avons dit, le rattachaient aux girondins. C'était aux hommes influens de tous les partis, et non point exclusivement à un parti que s'adressait Philippe; car il n'avait d'autre mobile que l'instinct de sa conservation personnelle.


Pour rester au Palais-Royal, que se disputait déjà la meute de ses créanciers, il n'est rien que Philippe n'eût tenté; et si Robespierre ne l'eût pas proscrit, peut-être, une année plus tard, serait-il tombé avec lui. Philippe Égalité n'était pas alors un conspirateur dans la rigoureuse acception de ce mot, mais il payait sa détestable réputation de factieux, ses relations avec Sillery, Pétion, Brissot, Gorsas et la plupart des girondins, et enfin se8 mystérieux rapports avec Dumouriez, dont la trahison et les rêveries constitutionnelles avaient été la première cause de sa perte.

La Convention traita donc Philippe Égalité ni plus rigoureusement ni plus favorablement que les girondins. La part de justice de cette Assemblée souveraine fut égale pour chacun. Tout s'enchaînait, tout se liait si bien dans l'acte d'accusation dressé par la Montagne, qu'il n'y avait, en réalité, pas plus de raison de justifier Philippe que d'accuser les girondins.

Ce fut dans la matinée du 15 octobre que les journaux apportèrent au prisonnier du fort SaintJean la nouvelle de sa mise en jugement. La sécurité qu'il affectait depuis les premiers jours de sa captivité ne l'abandonna pas à cette heure. Quelques jours après il quitta Marseille, accompagné de trois commissaires que le comité de sûreté générale lui avait dépêchés. Il emmenait avec lui un valet


de chambre appelé Gamache, qui avait volontairement partagé, au fort Saint-Jean, la captivité de son jeune maître, le duc de Montpensier. A Aix, Philippe obtint des commissaires que les gendarmes qui escortaient sa voiture fussent congédiés. Pendant qu'il dînait à Auxerre, un courrier fut expédié à Paris pour y annoncer son arrivée. Philippe parla fort peu pendant la route. Il conservait son air d'indifférence et d'impassibilité.

Le 2 novembre, à cinq heures du soir, la voiture s'arrêta dans la cour de la Conciergerie : Philippe Égalité traversa la foule, que le bruit de sa venue avait attiré sur son passage, et les portes de la geôle se fermèrent sur lui.

Quelques heures après, Voidel vint lui apporter des paroles d'espoir. Voidel croyait Philippe sauvé : — Philippe était perdu.

Les heures qui s'écoulèrent entre son arrivée à la Conciergerie et sa prochaine comparution au tribunal révolutionnaire, Philippe les donna au vin et au sommeil.

« Il buvait tout le long de la journée, et encore « une partie de la nuit, a dit le concierge Lebeau à « l'écrivain Montjoie; il buvait de préférence du vin « blanc de Champagne. Il n'avait nulle idée qu'il « devait mourir. Pendant les heures qu'il donnait « au repos, il dormait profondément; il ne parlait « jamais des affaires publiques.

« Le jour même où il monta au tribunal révolu« tionnaire, il lui arriva, une ou deux heures avant d'y


(, paraître, un panier de vin blanc de Champagne. En « le recevant, il dit au concierge : Voici, monsieur Le« beau, le meilleur vin qu'il soit possible de boire.

« Parbleu, vous me ferez le plaisir de le goûter. Le« beau, par respect, se défendit de cette invitation.

« Point, point de cérémonie, répondit d'Orléans; « je vous en prie, goûtez-moi ce vin; je vous jure « que personne au monde n'en a bu, je ne dis « pas de meilleur, mais d'aussi bon. Lebeau, cé« dant à ses instances, ôta son chapeau, et tendit « un verre que d'Orléans lui remplit deux fois. Le« beau m'a dit naïvement que de sa vie rien d'aussi « délicieux n'avait flatté son goût. Quant à d'Orléans, « il but, sans se reposer, une bouteille entière, dite sant à chaque coup : Ah ! que c'est bon (1)!! »

Ce fut dans ces dispositions que Philippe Égalité comparut devant le tribunal révolutionnaire, le 6 novembre 1793.

Il y trouva le député Coustard, accusé comme lui, et qui n'avait pas été arrêté à temps pour être compris dans le procès des girondins.

L'interrogatoire de Philippe Égalité commença aussitôt.

« — Votre nom ?

« — Louis-Philippe-Joseph Égalité.

« — Votre âge?

« — Quarante-six ans.

(i) Histoire de la Conjuration du duc d'Orléans, vol. III.


« — Vos qualités?

« —Amiral et député à la Convention nationale.

« — Votre demeure?

« - A Paris. »

Après ces premières questions, le greffier donna lecture de l'acte d'accusation dressé contre Brissot et les girondins. Cette lecture finie, le président dit aux prévenus : « Voilà ce dont le peuple français « vous accuse par l'organe de ses représentans : « prêtez une oreille attentive, les débats vont com« mencer. »

Alors l'accusateur public Fouquier-Thinville continua l'interrogatoire comme il suit :

« — Avez-vous connu Brissot?

« — Je l'ai connu; mais je ne me rappelle pas lui avoir parlé depuis qu'il est à la Convention.

« — Quel était le poste que remplissait auprès de vous Sillery-Genlis ?

« — Il m'était attaché en qualité de capitaine des chasses du ci-devant Dauphiné.

« — N'avez-vous point eu chez Sillery des entrevues particulières avec Laclos, Brissot et autres conspirateurs?

« — Non.

« — Depuis quel temps avez-vous cessé de fréquenter Pétion?

« — Depuis qu'il m'avait conseillé de donner ma démission de représentant du peuple.


« — N'avez-vous pas assisté à des conciliabules tenus chez Pétion?

« — Non.

« — Comment avez-vous pu consentir à livrer votre fille entre les mains de ce traître et de la Gcnlis, femme adroite et perfide, qui depuis a émigré?

« — J'ai, à la vérité, consenti à livrer ma fille à la femme Sillery, qui ne méritait pas ma confiance.

Elle s'est associée Pétion; je lui ai donné sans dessein mon approbation , pour qu'il l'accompagnât en Angleterre.

« — Mais vous ne deviez pas ignorer que la Sillery était une intrigante?

« — Je l'ignorais absolument.

« — Quel était le motif du voyage de votre fille en Angleterre ?

« — Le besoin de voyager pour rétablir sa santé.

« — N'est-ce pas par suite d'une combinaison que vous, accusé, avez voté la mort du tyran, tandis que Sillery, qui vous était attaché, a voté contre?

« — Non ; j'ai voté en mon âme et conscience.

« — Avez-vous connaissance que Pétion ait été lié avec quelqu'un de votre famille?

« — Non. > « — Vous n'avez sans doute pas ignoré qu'il entretenait une correspondance très-suivie avec votre fils, qui était à l'armée de Dumouriez?

« — Je sais qu'il a reçu de lui plusieurs lettres.


« — Avez-vous connaissance que Sillery était trèslié avec Buzot et Louvet?

« - Non.

« — Avez-vous connaissance que Louvet devait proposer l'expulsion des Bourbons hors du territoire de la république ?

« - Non.

« — N'avez-vous pas, un jour, dîné avec Ducos et plusieurs autres députés conspirateurs ?

« — Je n'ai jamais eu de liaison avec eux.

« — N'est-ce point par suite des liaisons qui existaient entre vous et la faction, que toutes vos créatures ont été nommées à la tête de nos armées ?

« — Non, certainement.

« — Mais , par exemple, vous ne devez pas ignorer que Servan n'était qu'un ministre de nom, et que c'était Laclos, votre affidé , qui dirigeait le ministère?

« — Je n'ai aucune connaissance de ce fait.

« — N'avez-vous pas dit un jour à un député que vous rencontrâtes : Que me demanderas - tu quand je serai roi ?

« — Jamais je n'ai tenu ce propos.

« — Ne serait-ce point à Poultier à qui vous l'auriez tenu? et celui-ci ne vous a-t-il pas répondu : Je te demanderai un pistolet pour te brûler la cervelle.

« — Non.

« — N'avez-vous pas été envoyé à Marseille par la faction, à l'effet d'effacer les traces de la conspiration dont vous étiez le principal chef?

« — Non.


« — Comment se fait- il que vous qui étiez à Marseille , au milieu des fédéralistes qui firent emprisonner et supplicier les patriotes, ils vous aient laissé tranquille?

« — Je parus devant un tribunal qui, après m'avoir donné un défenseur, m'interrogea, et ne me trouva pas coupable.

« — A quelle époque ont cessé vos correspondances avec l'Angleterre?

« — Depuis 1790, que j'y ai été pour y vendre une maison et des effets que j'y avais.

« — Connaissez-vous le nommé Dumont?

« — Non.

« — N'avez-vous pas eu connaissance de courriers qui allaient et venaient de Paris à Londres à cette époque?

« — Non.

« — Pendant votre séjour à Londres, n'avez-vous pas été lié avec des créatures de Pitt?

« — Non. J'ai vu Pitt, parce que j'avais des lettres à lui remettre.

« — N'avez-vous pas eu des liaisons avec des Anglais résidant en France depuis 1790?

« — Je ne le crois pas.

« — Les raisons du voyage de votre fille n'avaient-elles pas pour but de la marier à quelque prince de la maison d'Angleterre ?

« — Non.

« — Quels ont été les motifs de votre prétendue mission en Angleterre ?


« — C'est que l'on savait que j'étais très-lié avec le parti de l'opposition, et il s'agissait d'entretenir la paix avec l'Angleterre à cette époque.

« — Avez-vous eu connaissance des manœuvres de Dumouriez avant que sa trahison eût éclaté?

« — Non.

« — Comment pensez-vous faire croire aux citoyens jurés que vous ignoriez les manœuvres de ce scélérat, lui qui était votre créature, vous dont le fils commandait sous ses ordres, et qui a fui avec lui en partageant sa trahison envers le peuple français ; vous qui aviez votre fils près de lui, et qui entreteniez des correspondances avec lui?

« — Je n'ai jamais reçu de lui que deux ou trois lettres qui ne roulaient que sur des choses très-indifférentes.

« — Pourquoi, dans la république, souffriez-vous qu'on vous appelât prince?

« — J'ai fait ce qui dépendait de moi pour l'empêcher; je l'avais même fait afficher à la porte de ma chambre , en observant que ceux qui me traiteraient ainsi seraient condamnés à l'amende en faveur des pauvres.

« — Quelles étaient les vues des grandes largesses que vous avez faites pendant la révolution?

« — Je n'ai point fait de grandes largesses ; j'ai été assez heureux pour soulager mes concitoyens au milieu d'un hiver rigoureux, en vendant une petite portion de mes propriétés. »


Voilà quels furent les griefs de l'accusateur public Fouquier-Thinville contre Philippe Égalité.

Au point de vue d'une accusation normale, ces griefs paraissent à peine sérieux; au point de vue politique, ils le sont davantage; en révolution ils deviennent irrémissibles.

Voidel, défenseur officieux de l'accusé, rappela les services rendus par le duc d'Orléans à la révolution, et la haine que les royalistes avaient vouée à ce prince ; il s'efforça de repousser toute pensée commune entre son client et Dumouriez ; mais Philippe Égalité était jugé avant même d'avoir été entendu (1).

Hermann, président du tribunal révolutionnaire, prononça en ces termes la condamnation de Philippe Égalité : c Le tribunal, d'après la déclaration unanime du « jury, portant que Louis-Philippe Égalité, ci-de« vant duc d'Orléans, et Anne-Pierre Coustard, ex« députés à la Convention nationale, sont convaincus « d'être les auteurs ou complices de la conspiration « qui a existé contre l'unité et l'indivisibilité de la « république, contre la liberté et la sûreté du peu« pie français, condamne lesdits Égalité et Coustard « à la peine de mort. »

En écoutant cette sentence, à laquelle il n'était

(1) Un témoin , Claude Agoust, fut entendu avant la plaidoierie de Voidel. Cet homme déposa qu'un individu avait été porteur d'une épée empoisonnée pour assassiner le citoyen Égalité.


point préparé, Philippe parut dominer le sort qui le frappait.

« Puisque vous étiez décidés à me faire périr, « dit-il à ses accusateurs et à ses juges, vous auriez « dû au moins chercher des prétextes plus plausi« bles pour y parvenir; car vous ne persuaderez ja« mais à qui que ce soit que vous m'ayez cru cou« pable de tout ce dont vous venez de me déclarer « convaincu ; et vous moins que personne, vous qui « me connaissez si bien, ajouta-t-il en regardant « fixement le chef du jury, Antonelle. Au reste, « continua-t-il, puisque mon sort est décidé, je « vous demande de ne pas me faire languir ici jus« qu'à demain, et d'ordonner que je sois conduit à « la mort sur-le-champ (1). »

Cette cruelle faveur accordée, il fut reconduit en prison pour y attendre les préparatifs de son supplice.

A ce moment suprême, Philippe d'Orléans parut comprendre qu'il est un autre juge que le tribunal qui venait de l'envoyer au bourreau. Les souvenirs du passé se transformaient dans son âme en visions vengeresses. Ses angoisses devinrent terribles; un prêtre était à la Conciergerie, il lui demanda de

(1) On ne sait quel crédit il faut ajouter à ces paroles empruntées à une note des éditeurs des Mémoires du duc de Montpensier; cependant il paraît que Philippe Égalité demanda à marcher tout de suite à la mort.


pieuses consolations. Sa confession achevée, voyant l'énormité et le nombre infini de ses crimes, il douta de la grandeur des miséricordes de Dieu ; une première absolution lui parut impuissante à le laver de ses souillures, il en voulut une seconde au pied de l'échafaud. Il pria Dieu de lui pardonner sa vie, et il supplia le prêtre de ne le pas quitter que le sacrifice n'eût été accompli. C'est ainsi qu'il entra dans l'éternité (1).

(1) Ces détails sont consignés dans une lettre écrite par le prêtre qui assista Philippe Égalité à son heure dernière; cette lettre est trop importante pour que nous ne la citions pas; Au citoyen Sicard, ministre du culte catholique et directeur des Sourds-Muets, rue Saint-Jacques, à Parisi «A Hann, département du Haut-Rhin, ce 27 juillet 1794* « En ce moment, monsieur, je sors des prisons , où j'ai été conduit pour avoir rétracté le serment de 1 791, et pour avoir fait une rétractation aussi incendiaire et capable de séduire tout le monde, comme il plaisait de dire aux constitutionnels schismatiques de ce pays. Arrivé chez moi, jé trouve une lettre de votre part, datée déjà du i5 avril dernier. La crainte de me compromettre avait empêché de mé l'envoyer dans les prisons d'Épinal, et je m'empresse de vous répondre.

« A l'égard de M. le duc d'Orléans, vous pouvez assùrc-r Mme la duchesse son épouse, très respectable, vraiment pieuse, et vraiment digne d'un autre époux, que j'ai reçu une permission de la part de Fouquier-Thinville , accusateur de l'infâme tribunal révolutionnaire, pour aller don iier les derniers secours de notre religion à M. le duc d'Orléans.


Si jamais Philippe d'Orléans se montra prince, ce fut le jour où il marchait à la mort. Il sembla con-

« Arrivé à la Conciergerie, je le trouve assez disposé à m'écouter; mais un homme ivre, dont je ne sais pas le nom, et en même temps condamné pour avoir, comme je crois, jeté du pain dans les latrines, nous a déroutés par d'horribles blasphèmes que, dans son ivresse et dans son désespoir, il vomissait contre la religion et ses ministres.

Cet homme a tout fait pour empêcher M. le duc d'Orléans de se confesser et d'avoir confiance à un prêtre. Inutilement les gendarmes présens lui imposaient silence. Tout-àcoup, par une providence spéciale, l'homme ivre commence à s'endormir jusqu'à l'arrivée des exécuteurs. M. le duc d'Orléans me demande si je suis le prêtre allemand duquel lui avait parlé la femme de Richard , concierge de la Conciergerie, et si j'étais dans les bons principes de la religion. Je lui ai dit que, séduit par l'évêque de Lyda, j'avais prêté le serment; qu'il y avait long-temps que je m'en repentais ; que je n'avais jamais varié de principes dans ma religion, et que je n'attendais que le moment favorable pour me rétracter. M. le duc d'Orléans alors se mettant à genoux, me demanda s'il avait encore assez de temps pour faire une confession générale. Je lui ai dit que oui, et que personne n'était en droit de nous interrompre, et il fit une confession générale de toute sa vie.

« Après sa confession il me demanda, avec un repentir vraiment surnaturel, si je croyais que Dieu pouvait le recevoir au nombre des élus.

« Je lui ai prouvé, par des passages et des exemples de la sainte Ecriture, que son repentir, sa résolution héroïque , sa foi en la miséricorde infinie de Dieu, sa résignation à la mort, le pourraient sauver infailliblement.


centrer sur lui seul ce mépris de la vie humaine qu'il avait toujours affecté. Son insensibilité naturelle aida la religion à lui faire envisager sans faiblesse les terribles approches de la destruction de son être. Aussi bien qù'avait-il à regretter dans la vie? Il ne mourait pas au moment des triomphes, le front ceint d'une auréole de gloire, plein d'avenir comme était mort Mirabeau. Celui-là, du moins, avait pu regretter la vie : Philippe, au contraire, dut avoit hâte d'en finir avec elle.Depuis l'heure où il entendit la sentence du tribunal révolutionnaire, jusqu'au moment où il adressa au bourreau la prière de se hâter, tout paraît indiquer que la vie n'était plus pour Philippe d'Orléans qu'un insupportable fardeau. - Trente années d'abjection et de crimes sont lourdes à porter.

« Oui, me répondit-il, que Dieu me pardonne comme je pardonne moi-même. J'ai mérité la mort pour l'expiation de mes péchés; j'ai contribué à la mort d'un innocent, mais il était trop bon pour ne me point pardonner, et Dieu nous rejoindra tous deux avec saint Louis.

« Je ne peux pas exprimer combien j'étais édifié de sa résignation, de ses gémissemens, de ses désirs surnaturels de tout souffrir dans ce monde et dans l'autre pour l'expiation de ses péchés, desquels il me demanda une seconde et dernière absolution au pied de l'échafaud.

« Voilà, monsieur l'abbé Sicard, de quoi vous pouvez en toute sûreté assurer cette pieuse épouse pour la tranquilliser à cet égard.

« Signé LOTHRINGER, prêtre catholique. » (Annales catholiques, tome IV.)


A trois heures et demie, Philippe Égalité traversa la cour et les guichets de la Conciergerie, et alla se placer sur la charrette que tant de victimes avaient illustrée déjà. Les prisonniers qui le virent passer remarquèrent la fierté de sa démarche, son air noble, sa contenance assurée. Ses compagnons de supplice étaient le député Coustard et un serrurier nommé Labrousse. Ces deux infortunés, abîmés déjà dans les angoisses de leur agonie, étaient comme accroupis dans le tombereau. Philippe seul avait conservé la hauteur de son maintien, qu'il savait rendre imposant. Sa tête, qu'il portait noblement, dominait ce groupe d'hommes qu'attendait le bourreau; son confesseur, l'abbé Lothringer, était à côté de lui.

A quatre heures , le cortège se mit en marche par le Pont-du-Change, le quai de la Mégisserie, la rue de la Monnaie et la rue Saint-Honoré.

La nouvelle de l'exécution de Philippe s'étant répandue dans Paris, la foule, grossissant à chaque pas, se précipita sur le passage de la charrette, qu'escortaient deux escadrons de gendarmerie. Ce fut un spectacle imprévu pour le peuple, déjà blàsé sur ces sinistres convois de victimes, car beaucoup ignoraient encore la présence de Philippe Égalité dans les prisons de Paris, tant la translation de ce prince avait eu peu de retentissement. D'autres, croyant à l'éternelle durée de la faction d'Orléans et à sa toutepuissance, pensaient que Philippe n'avait été ramené à Paris que pour monter sur le trône.


Lorsqu'on vit aller à la mort ce prince qui avait effrayé la France du bruit de ses débauches et de ses turpitudes, le peuple fit retentir l'air de clameurs et de huées. Toutes les hontes de sa vie furent reprochées au condamné. Sans pitié pour son agonie, on lui fit, jusqu'à l'échafaud, un cortége d'injures et de malédictions, terribles représailles de la justice populaire. Dans les imprécations de la foule commençait déjà, pour Philippe d'Orléans, le jugement de la postérité; ainsi le malheureux put voir son nom traîné aux gémonies avant même que son corps eût été livré au bourreau. Ce fut un horrible moment que néanmoins il parut supporter avec courage et résignation. Bien qu'il n'eût rien perdu de l'assurance de son maintien, il était aisé de voir que le sentiment des approches de la mort le livrait tout entier à de douloureuses contractions.

Les excroissances sanguines qui défiguraient son visage avaient entièrement disparu. Quelques taches jaunâtres, produites par l'extravasion de la bile dans le sang, se faisaient seules remarquer sur sa figure pâle.

Arrivé devant le Palais-Royal, le convoi rencontra un embarras de voitures, et s'arrêta. Les conducteurs s'étant pris de querelle, le peuple commençait à s'attrouper autour d'eux, lorsque les officiers municipaux accoururent et mirent fin à cette collision. Ceux des historiens qui ont cité ce fait, l'ont présenté comme un vulgaire accident. S'il faut en croire un homme qui avait appris beaucoup


de choses secrètes au comité de salut public, où il fut appelé après le 9 thermidor, le conventionnel Harmand, de la Meuse, il ne s'agissait de rien moins que de l'exécution d'un complot pour arracher Philippe à la mort.

On voulait attendre le moment où Robespierre sortirait du comité de salut public, ce qui était-ordinairement vers les quatre heures du soir ; alors il eût été assassiné en rentrant chez lui, et Philippe d'Orléans sauvé, grâce à la révolution opérée dans le gouvernement par la mort du dictateur.

Quelque lenteur calculée que la charrette eût mise à faire le trajet du Palais-de-Justice à la place Louis XV, elle arriva cependant au pied de l'échafaud long-temps avant la sortie de Robespierre, qui ne quitta le comité qu'à six heures. Les hommes apostés sur la place ne recevant pas le signal qui avait été convenu d'avance, laissèrent tranquillement consommer l'exécution (1).

Triste néant des intrigues de l'homme ! De toute la puissance du duc d'Orléans à faire mouvoir les masses populaires, voilà donc ce qui était resté : une tentative avortée du fidèle Voidel !

Pendant la station du cortége sur la place du Palais-Royal, Philippe Égalité contempla son ancienne demeure, au fronton de laquelle se lisait cette inscription : Propriété nationale. Il sembla même ma-

( i ) Anecdotes relatives à quelques personnes et à plusieurs èvè nemens remarquables de la résolution, 2 e édition.


chinalement épeler ces deux mots, car ses lèvres palpitaient comme s'il eût répété en lui-même les syllabes qui frappaient ses yeux. Puis comme la voiture n'avançait pas, il tourna le dos au Palais-Royal, et regarda le château d'eau.

Le cortége se remit en marche au milieu d'une foule toujours croissante et des clameurs qui se faisaient entendre. Philippe Égalité sentit alors qu'il laissait la terre derrière lui; sa tête tomba sur sa poitrine ; ce fut un moment de faiblesse impossible à maîtriser : la voix de son confesseur, et le roulement du tambour le rappelèrent à lui. La charrette venait de s'arrêter au pied de l'échafaud. Philippe demanda une dernière absolution : les larmes du repentir coulaient sur ses joues. — « Mon père, ne me quittez pas ! » disait-il à l'abbé Lothringer, qui l'aidait à monter les marches de l'échafaud. — Les aides de l'exécuteur, auxquels appartenaient ses dépouilles, voulurent le débotter. - « Vous débotterez plus facilement mon èadavre, leur dit-il; écoutez la prière d'un mourant, dépêchez-moi vite. »

— « Citoyen Égalité, à vous de passer le premier, » avait dit le bourreau à Philippe d'Orléans. Quelques secondes après fut montrée au peuple la tête sanglante du supplicié. — Et le peuple applaudit.

Ainsi mourut, dans la quarante-sixième année de son âge, le 6 novembre 1793, à cinq heures du soir, Louis-Philippe-Joseph d'Orléans-Égalité. Son corps fut porté au cimetière de la Madeleine.


Quand il disparut de la vie, bien d'autres victimes l'avaient devancé dans le tombeau, frappées par les épouvantables rigueurs du comité de salut public.

Mais, les girondins exceptés, la révolution n'avait encore fauché que des têtes ennemies. Le supplice de Philippe Égalité devait être , sinon le premier, du moins le plus terrible exemple de l'inexorable fatalité des vicissitudes politiques; il fut encore la réparation juste et morale des longues douleurs que les calomnies d'un prince du sang avaient imposées à la reine de France, douleurs qui, peu de jours auparavant, avaient eu pour terme fatal ce même échafaud où venait d'expirer à son tour Philippe Égalité.

Sa mort pénétra de joie les royalistes et les républicains. Les uns y voyaient un Bourbon de moins et l'anéantissement d'une faction maudite ; les autres la tardive expiation d'une criminelle vie. Après le 6 novembre 1793, le nom d'Orléans disparut dans la mêlée des factions, pour redevenir ensuite un mot de ralliement à de plus heureuses destinées.


CONCLUSION.

Voilà quel fut Philippe d'Orléans-Égalité.

Pour condamner la mémoire de ce prince, il ne faut que lire le récit de sa vie ; pour juger certaines actions dont il savait dissimuler le but, c'est à l'opinion des contemporains qu'il en faut appeler. Depuis le moment où il écoutait sous les arcades du Palais-Royal les bruits de la populace, répétant ces mots des sorcières de Macbeth : Macbeth, tu seras roi, jusqu'à l'heure où, abandonné de tous, il fut livré à l'inexorable tribunal révolutionnaire, quels sont les hommes qui ont connu Philippe d'Orléans, et qui n'aient laissé sur lui d'éclaians témoignages de leur réprobation ?

Faut-il redire les noms de Mirabeau, de Talleyrand, de Bertrand de Molleville, de Bezenval, de La Fayette, de Mounier, de Barrère, de Louvet, de Barbaroux, de Fauchet, de Manuel, de Salles, de Lan-1


juinais, de Billaud-Varennes, de Fonfrède, de Marat, de Dumouriez, de Robespierre et de tant d'autres ?

L'opinion de ces personnages est consignée dans les journaux, dans les Mémoires et dans les pamphlets qui se publièrent alors; c'est à ces divers écrits que nous avons eu recours pour reproduire la physionomie de l'époque, l'expression des sentimens populaires et le mouvement des esprits.

De tous les personnages de la révolution, sans en excepter Carrier, Le-bon, Fouquier-Thinville, Hébert, et tous les sanguinaires proconsuls, il n'en est aucun qui ait été en butte à de plus énergiques accusations que Philippe d'Orléans : les récits du temps forment autour de lui comme un rempart inaccessible à toute pensée de bienveillance, de réhabilitation ou de pitié. Sans doute la haine des royalistes entrait pour beaucoup dans ces philippiques, qui changeaient chaque jour de forme pour mieux atteindre le duc d'Orléans : mais on a vu que les feuilles révolutionnaires n'étaient pas plus modérées dans leurs attaques. Les catilinaires de Marat, de Prudhomme, de Louvet, de Barrère et de Lanjuinais, n'égalent-elles pas en mépris et en indignation, les spirituelles épigrammes de Rivarol, où les pages brûlantes de Suleau?

Les monographies de Philippe sont nombreuses.

La plus considérable est celle de Montjoie, connue sous le nom de : Histoire de la Conjuration de LouisPhilippe-Joseph d'Orléans. Montjoie fait de ce


prince la cheville ouvrière de la révolution : tout se rapporte à lui, tout vient de lui. Pour peu qu'on connaisse l'histoire contemporaine, on comprendra combien sont fausses les bases d'un pareil système.

Aussi l'autorité du livre de Montjoie ne saurait-elle être invoquée, après les sérieuses études qu'on a faites sur la révolution.

Les apologies de Philippe d'Orléans étaient rares autrefois : l'esprit de courtisanerie les a rendues plus nombreuses aujourd'hui. On s'est souvenu des paroles adressées en 1830 à quelques jeunes républicains : Mon père était un honnête homme qui a voulu donner des gages à la révolution; et il s'est rencontré des écrivains pour exploiter cette manifestation de la piété filialc. A défaut des contemporains, dont on se gardait bien d'invoquer le témoignage accusateur, on a cité un passage des Mémoires de Savary, duc de Rovigo, faisant dire à Napoléon que Philippe d'Orléans n'était pas un méchant homme, et que le parti de ce prince n'a jamais été qu'une chimère.

Napoléon eût-il tenu ce propos, il n'y aurait pas grande importance à cela ; on sait avec quel œil favorable l'empereur regardait les révolutionnaires passés, tous ceux qui sans le savoir avaient été les instrumens de son élévation et de sa gloire : il était aussi indulgent pour eux qu'impitoyable pour leurs continuateurs.

Mais il est fàcheux que les apologistes n'aient d'autre autorité à citer que celle du duc de Rovigo, dont les Mémoires sont apocryphes, comme le sont à


peu près tous les ouvrages où l'on a glissé furtivement quelques pages élogieuses à l'adresse de Philippe d'Orléans.

Les Mémoires de Barrère, récemment publiés, ont offert un nouvel aliment aux entrepreneurs de louanges orléanistes. L'ancien tuteur de Paméla a prétendu que le supplice d'Égalité ne fut point l'œuvre des républicains, mais bien celle du comte de Provence et des royalistes de Coblentz. Nous citons, à Y Appendice de ce livre, de curieux renseignemens sur cette assertion posthume de Barrère, et sur la manière dont ce conventionnel entend la flatterie ou la flétrissure, selon qu'il écrit sous LouisPhilippe Ier ou sous Napoléon.

La première réhabilitation qui ait été tentée en faveur de Philippe Égalité, le fut par la duchesse d'Orléans, sa veuve. Exiléeen Espagne, elle avait emmené le conventionnel Rouzet, devenu comte de Follemon, qui, pour la suivre, avait donné sa démission du conseil des Cinq-Cents, dont il était membre. Ce fut au commencement du séjour de cette princesse en Espagne que parut YHistoire de la Conjuration de Philippe d'Orléans, par Montjoie. Soit que les couleurs sous lesquelles Philippe Égalité était représenté dans ce livre révoltassent la duchesse, qui cependant avait eu tant à souffrir de son mari, soit que d'au Ires motifs cachés fussent le mobile qui la dirigeait, la duchesse d'Orléans fit composer par Rouzet une réfutation du livre de Montjoie. Cette réfutation fut imprimée sous le titre de : Explication de l'é-


nigme du roman intitulé Histoire de la Conjuration de Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans. — A Vérédisthad (sans date). Mais l'ouvrage à peine imprimé, la princesse se ravisa, et le fit détruire : on n'en connaît que deux exemplaires aujourd'hui. C'est ce livre qui, refondu, a formé la base de la plupart des apologies publiées depuis 1830 en faveur de Philippe d'Orléans-Égalité, apologies qu'on avait préparées déjà sous la restauration, par les Mémoires (apocryphes) du duc de Montpensier (1); par le Récit de la translation de Louis-Philippe-Joseph des prisons de Marseille à Paris ; par les Mémoires de Mme de Genlis, et par quelques autres articles disséminés dans les recueils biographiques. Retranchez des apologies de Philippe Égalité le nom de M. Vatout, à qui le souvenir de ce prince doit être cher à plus d'un titre, et vous arriverez il des autorités historiques de la force des Mémoires du duc de Rovigo, ou à des rapsodies plus pauvres encore. On a mieux réussi à protéger Philippe d'Orléans en faisant disparaître toutes les tracés compromettantes que, malgré sa prudence et sa réserve habituelles, ce prince avait laissées des hontes de sa vie. Nous savons telles pièces qui ont été soigneusement soustraites à tous les regards, et telle correspondance fameuse et bien connue cependant, qui malheureusement peut-être ne verra jamais le jour. Aussi,

(1) Les Mémoires du duc de Montpensier sont dus à la plume de M. Vatout, bibliothécaire du roi Louis-Philippe.


comme la vie de Philippe d'Orléans est essentiellement double, et qu'elle n'apparaît jamais qu'enveloppée des faux jours de l'hypocrisie, — le seul mal, a dit le poète, qui passe à travers la terre, invisible à tous, si ce n'est à Dieu (1), — on a laissé de côté l'existence privée de ce prince, pour ne s'en tenir qu'à ses actes d'apparat et aux discours patriotiques que lui faisaient Laclos ou Mme de Genlis. Ainsi on a pu largement user de cette maxime de l'école pyrrhonienne, que l'histoire n'est qu'un mensonge convenu, et l'on s'est principalement ingénié à représenter l'indignité attachée à la mémoire de Philippe d'Orléans comme l'œuvre exclusive du parti royaliste. Il nous a donc fallu prouver que la haine et le mépris des contemporains de Philippe d'Orléans furent poussés envers lui jusqu'aux plus sanglans outrages, jusqu'à l'exécration; que ce prince fut renié par la révolution, en raison directe des efforts qu'il faisait pour la suivre ou pour la diriger, et que tous les sophismes imaginables ne donneront jamais le change sur les actes les plus significatifs de sa vie : sa complicité dans les meurtres des journées d'octobre, la répudiation du nom de ses aïeux, et son yote dans le procès de Louis XVI.

Mais, dira-t-on, à quoi bon réveiller ces souvenirs déplorables? Que nous font, à nous, hommes d'ave-

( i) Milton, le Paradis perdu.


nir, les douleurs du passé? La révolution a marqué pour la civilisation du monde une ère de progrès, de lumière et de liberté; c'est dans cette voie nouvelle qu'il faut marcher, sans s'arrêter à regarder en arrière les sépulcres où dorment pêle-mêle les bourreaux, les victimes, le crime et l'expiation.

Que nous importe, à nous, l'histoire des turpitudes d'un duc d'Orléans, perdue dans cette histoire des grandes choses de la révolution française?

Quelle que fùt sa vie, ce prince n'a-t-il pas cruellement expié sur l'échafaud ses fautes, ses faiblesses et ses erreurs? N'a-t-il pas confessé lui-même ses crimes? N'en a-t-il pas imploré le pardon? Sa mort ne fut-elle pas chrétienne et couronnée des larmes du repentir?

Pourquoi se montrer plus impitoyable que le prêtre qui écouta cette terrible confession faite pour épouvanter la longue expérience de son ministère sacré? Pourquoi empiéter sur les jugemens de Dieu et sur les impénétrables desseins de la Providence?

Pourquoi maintenant flétrir cette mémoire?

Pourquoi? — C'est que l'histoire a des devoirs qu'on ne peut enfreindre impunément; c'est que, autour de Philippe d'Orléans, jadis impitoyablement accusé, il se fait, depuis quelque temps, certaines tentatives intéressées d'une réhabilitation que non seulement l'histoire impartiale n'acceptera pas, mais que la morale de tous les temps doit rejeter et flétrir.

Lorsqu'on se montre facile pour les turpitudes passées, on est tout disposé à rire des hontes du présont.


Si rien ne distingue l'honnête homme, le prince généreux, le grand roi, du citoyen pervers, du prince lâche et cruel et du despote ; si la flétrissure et la louange sont choses banales et indifférentes ; si le même burin doit graver en mêmes caractères le récit des vertus et des vices ; si la même couronne attend l'immoralité honteuse et la sainte pudeur, à quoi servira de laisser sur cette terre un nom digne de souvenirs et de regrets ? De même que le bien n'est sensible que par la comparaison du mal, de même la vertu n'est auguste que par la flétrissure du vice. L'histoire de Rome serait-elle complète sans l'éloquente indignation d'un Tacite et les brutales colères d'un Juvénal?

C'est donc pour rendre à la vérité historique un hommage, autant que possible dégagé de tout intérêt, de toute passion, de tout esprit de parti, que nous avons écrit la vie de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans-Égalité.



APPENDICE.

Page 272.

Voici un fragment de la brochure de Camille Desmoulins sur la faction d'Orléans. Au milieu des détails piquans que renferme cet écrit, devenu fort rare aujourd'hui, on verra que les sympathies de Camille Desmoulins pour Philippe d'Orléans ne l'empêchent point d'avoir été frappé de l'hypocrisie et de la duplicité du caractère de ce prince: « Est-ce qu'on peut me nier ce que j'ai prouvé dans un discours dont la société se souvient encore, celui que je prononçai sur la situation politique de la nation, à l'ouverture de la session législative, que notre révolution de 1789 avait été une affaire arrangée entre le ministère britannique et une minorité de la noblesse, préparée, par les uns, pour amener un déménagement de l'aristocratie de Versailles dans quelques châteaux, quelques hôtels, quelques comptoirs; par les autres, pour amener un changement de maître; par tous, pour nous donner les deux Chambres et une Cons-


titution à l'instar de la Constitution anglaise? Lorsque je prononçai ce discours à la société, le 21 octobre 1791, où je montrais que les racines de la révolution étaient aristocratiques , je vois encore la colère et les soubresauts de Sillery et de Voidel, quand je parlai des machinistes de la révolution. Je glissai légèrement là dessus, parce qu'il n'était pas temps encore, et qu'il fallait achever la révolution avant d'en donner l'histoire. Je voulais seulement laisser entrevoir à Sillery que ses pensées les plus secrètes ne nous échappaient pas, que nous le tenions en arrêt, et qu'il ne s'imaginât pas que, chez lui et à Bellechasse, la harpe de M-e Sillery'et les séductions plus fortes de ses syrènes avaient amené toute mon attention sur le bord de mes yeux et de mes oreilles pour admirer, et n'avaient point laissé le temps à mon esprit observateur de poursuivre ses opérations, et de lever ses plans de république; « Me fera-t-on croire que, lorsque je montais sur une table, le 12 juillet, et que j'appelais le peuple à la liberté, ce fut mon éloquence qui produisit ce grand mouvement une demi-heure après, et qui fit sortir de dessous terre les deux bustes d'Orléans et de Necker ?

« Croit-on que, dans les quinze jours que j'ai habité à Versailles chez Mirabeau, immédiatement avant le 6 octobre, où je le quittai, je n'aie rien vu des mouvemens précurseurs de la journée du 5 au 6 ? Croit-on que, lorsque j'allai chez Mirabeau, au moment où il apprit que d'Orléans venait de partir pour Londres, sa colère de se voir abandonné, et ses imprécations dignes de Philoctète, et celles de son secrétaire , et la figure pétrifiée de Servan, ne m'aient rien fait conjecturer?

« N'est-ce pas un fait que Brissot a été secrétaire de Mme Sillery ou de son frère Ducrest? N'est-ce pas un fait que ce fut Brissot et Laclos, car Danton n'y concourut point, qui furent les rédacteurs impunis de la pétition


concertée avec La Fayette , et si funeste du Champ-deMars?

« Brisso t et Laclos! c'est-à-dire La Fayetteet Orléans. Le lecteur, qui n'est pas au courant, s'étonne de trouver ces deux noms à côté l'un de l'autre. Patience, que j'aie débrouillé l'intrigue, et la surprise cessera tout à l'heure.

« N'est-ce pas un fait que Pétion a fait le voyage de Londres dans une dormeuse avec Mme Sillery et Paméla Sercey (i.), qui pressaient son genou vertueux et heureusement incorruptible, et que c'est à ce retour qu'il a été nommé maire de Paris? Pourquoi ce voyage si suspect? Quelle né gociation si importante avait exigé qu'un si grand personnage que Jérôme Pétion passât la mer et s'abouchât avec Pitt?

« Pétion croit-il que je ne me souvienne pas, il y a trois ans, dans le temps où on m'avait cru bon à quelque chose, de mes dîners chez Sillery, dans le salon d'Apollon, où venaient aussi diner lui Pétion, Voidel, Volney, Mirabeau, Barrère, tuteur de Paméla, et autres républicains de cette étoffe; mais où l'on n'invitait jamais Robespierre?

« Vous étiez donc aussi vous-même de la faction d'Orléans? me répète ici Barbaroux au sujet de ces dîners ; mais je lui observe que, dans ces premiers temps de la révolulution, cette coalition se confondait tellement avec celle des amis de la liberté et de la république, qu'il y aurait eu de la stupidité de nous joindre à Maury et à Boucher d'Ar- gis pour tirer sur nos troupes. Nous n'étions pas dix républicains le 12 juillet 1789, et voilà ce qui couvre de gloire les vieux cordeliers, d'avoir commencé l'entreprise de la république avec si peu de fonds. Quand on se souvient que c'est un Chapelier qui a posé la première pierre du club des

(i) Desmoulins fait ici une confusion de nom : les deux jeunes personnes élevées avec Mlle d'Orléans, étaient Henriette Sercey et Paméla Seymours.


jacobins, on sent que, dans l'abâtardissement de la génération, cette statue de la liberté, notre idole, il nous a fallu la construire, comme le euro de Saint-Sulpice sa Vierge d'argent, avec des pois de chambre. C'est ainsi que Necker, Orléans, La Fayette. Chapelier, Mirabeau, Bailly, Desmeuniers, Duport, Lameth, Pastoret, Cérutti, Brissot, Ramond, Pétion, Guadet, Gensonné, ont été les vases impurs d'Amasis avec lesquels a été fondue, dans la matrice des jacobins, la statue d'or de la république. Et au lieu qu'on avait pensé jusqu'à nos jours qu'il n'était possible de fonder une république qu'avec des vertus, comme les anciens législateurs, la gloire immorLeJle de cette société est d'avoir créé la république avec des vires.

« Déjà le lecteur voit que Necker, d'Orléans, La Fayette, Malouet, Chapelier, Dandré, Desmeuniers, Mirabeau, Duport, Barnave, Dumolard, Ramond, Dumouriez, Roland, Servan, Clavières, Guadet, Gensonné, Louvet, Pélion, Pitt, Brissot, Sillery, ne sont que les anneaux d'une même chaîne ; c'est le même serpent coupé en différens tronçons qui se rejoignaient sans cesse, pour siffler et s'élancer de même contre les tribunes, les jacobins, le peuple, l'égalité et la république. Déjà j'ai fait toucher au doigt la jointure entre Brissot et d'Orléans (i).

(i) Notez que, par Orléans, ici je ne désigne pas précisément Philippe (sur qui individuellement je dirai mon opinion tout à l'heure) 1 mais plutôt la sphère d'ambition et d'intrigues dans laquelle il tournait, et par laquelle il était emporté, je veux dire la chancellerie d'Orléans, Ducrest, Laclos, Limon, Brissot, avec la coterie de cette MOle de Genlis, dont les demangeaisons allaient tou jours en se dépravant, et qui avait remplacé celle si naturelle de faire des Dunuis et de la musiquj par celle de faire des livres; celle d'être auteur de comédies parcelle d'être docteur de Sorbonne, et enfin les douceurs de la dévotion, de la vie contemplative, et d'être moine par les plaisirs de la politique, de la vie active, et d'être surintendante et premier ministre, après qu'elle aurait fait de son élève, Mil. d'Orléans, une petite reine.


« J'achève de compléter l'ensemble irrésistible de preuves qui surprendront bien du monde , que Brissot, Pétion et la clique n'élaient que les continuateurs de la faction d'Orléans.

« Comme depuis long-temps j'étais devenu suspect à Sillery, qui ne m'a plus invité , je n'ai pu continuer mes observations sur les lieux ; mais il m'a été facile de deviner que Louvet, Gorsas et Carra dînaient à mon couvert dans le salon d'Apollon, quand j'ai vu que Louvet avait succédé à ma faveur, que Sillery ne quittait plus sa manche aux Jacobins , où il s'était fait son plus zélé champion; quand j'ai vu Sillery, dans la discussion de la guerre, prendre si chaudement parti pour Louvet et Brissot, que je ne pouvais pas trop décider si c'était Sillery qui épousait leurs querelles contre Robespierre, ou si ce n'était pas plutôt eux qui épousaient les querelles de Philippe et de Sillery contre Robespierre trop républicain.

« Quand je n'aurais pas remarqué l'indiscrétion de Carra, n'ayant point de honte à une certaine séance des Jacobins, il y a environ un an, de nous proposer pour roi le duc d'Y orck, ou quelqu'autre prince de la maison de Brunswick, qui aurait épousé apparemment Mlle d'Orléans, j'aurais reconnu l'amphitrion Sillery, rien qu'à l'application de nos, trois journalistes à dénigrer Robespierre et Danton, et c'est ici le lieu de faire une observation essentielle.

« Une des ruses de nos ennemis qui leur a le mieux réussi dans la révolution , a été leur prévoyance à bâtir colossalement certaines réputations et à en démolir d'autres.

L'aristocratie s'est toujours attachée à entretenir comme une réserve de coquins. Dans la crainte d'un mauvais succès de son principal acteur, elle employait à l'avance une partie de ses soufflets à forger une réputation à la doublure qu'elle tenait prête à paraitre au moment où l'autre serait contraint par les sifflets de vider la scène.


«. La guerre qui semblait à outrance entre La Fayette et Philippe m'en a imposé long-temps, et je m'en veux d'avoir reconnu si tard que Brissot était le mur mitoyen entre Orléans et La Fayette, mur comme celui de Pyrame et Thysbé, entre les fentes duquel les deux partis n'ont cessé de correspondre. Je commençai à soupçonner que cette guerre n'était pas à mort, mais, comme les querelles de coquins, susceptible d'accommodement, quand je vis Mme Sillery prendre la défense de La Fayette, et avec tant d'intérêt, qu'elle ne gardait de mesure qu'autant qu'il en fallait pour ne pas me laisser soupçonner entre les deux rivaux d'ambition et d'intrigues, des intelligences funestes aux jacobins. Je n'en pus plus douter un jour que Sillery, cherchant à émousser la pointe dont je tourmentais sans cesse le cheval blanc, m'avoua qu'il y avait des propositions de paix, et que la veille, La Fayette étant venu au comité des recherches, lui avait fait entrevoir dans l'avenir la possibilité et même les convenances d'un mariage de sa pelite-fille avec son fils Georges La Fayette.

« Un trait acheva de me convaincre que quoique La Fayette, depuis plus d'un an , eût fait pleuvoir les plus sanglans libelles sur la faction d'Orléans, la grande famille des usurpateurs et des fripons ajournait ses querelles, et se ralliait toujours contre le peuple et contre l'ennemi commun, à l'approche du fléau terrible de l'égalité. Je dois raconter ce trait, parce qu'il ouvre un champ vaste aux conjectures, et pourra servir à expliquer bien des évènemens postérieurs. Nous étions seuls dans le salon jaune de la rue Neuve-des-Mathurins. Le vieux Sillery, malgré sa goutte, avait frotté lui-même le parquet avec de la craie, de peur que le pied ne glissât aux charmantes danseuses.

Mme Sillery venait de chanter sur la harpe une chanson que je garde précieusement, où elle invitait à l'inconstance, et Paméla Sercey dansait une danse russe dont je n'ai oublié


que le nom , mais si voluptueuse, et qui était exécutée de manière que je ne crois pas que la jeune Hérodias en ait dansé devant son oncle une plus propre à lui tourner la tête, quand il fut question d'en obtenir la lettre de cachet contre Jean le baptiscur. Bien sur de ne pas succomber à la tentation, je ne laissais pas que de jouir intérieurement d'être mis à une si rude épreuve, et je goûtais le même plaisir que dut éprouver saint Antoine dans sa tentation.

Quelle fut ma surprise , au milieu de mon extase et dans un moment où la gouvernante magicienne opérait sur mon imagination avec le plus de force , et où la porte devait être fermée aux profanes, de voir entrer, qui? un aide de-camp de La Fayette, venu là tout exprès, et qu'on fit asseoir un moment auprès de moi, pour me montrer sans doute que La Fayette était redevenu l'ami de la maison. Ceci se passait à l'époque où Sillery achevait son fameux rapport sur l'affaire de Nancy, et s'efforçait de blanchir Bouille , le cousin de La Fayette.

« Il ne peut plus être douteux pour personne de quel côté il faut chercher la faction d'Orléans dans la Convention.

Les complices de d'Orléans ne pouvaient pas être ceux qui , comme Marat, dans vingt de ses numéros, parlaient de Philippe d'Orléans avec le plus grand mépris; ceux qui, comme Robespierre et Marat, diffamaient sans cesse Sillery; ceux qui, comme Merlin et Robespierre, s'opposaient de toutes leurs forces à la nomination de Philippe dans le corps électoral; ceux qui, comme les jacobins, rayaient Laclos, Sillery et Philippe de la liste des membres de la société.

« Mais les complices présumés et bien véhémentement présumés de d'Orléans, ne sont-ce pas ce Brissot, ci-devant secrétaire à la chancellerie d'Orléans, et rédacteur, avec Laclos, de la pétition du Champ-de-Mars, pétition visiblement concertée avec La Fayette? Les complices de


d'Orléans ne sauraient être que tous ces royalistes qui, comme Sillery et Roland, Louvet et Gorsas , poursuivaient avec acharnement et Pache et la Commune du 10 août, et la députation de Paris, pour les punir d'avoir si efficacement travaillé à établir la république. Les complices de d'Orléans ne sauraient être que ceux qui, comme Pétion, allaient faire un voyage à Londres avec Mme Sillery et Mlle d'Orléans; ceux qui, comme Pétion, étaient les confidens les plus intimes et le Mentor du général Égalité ; qui, comme Pétion, lui écrivaient par tous les courriers, en recevaient des lettres par tous les courriers, et à l'heure même de son émigration; ceux qui, comme Carra, proposaient le duc d'Y orck pour roi ; ceux qui, comme le président Pétion et les secrétaires Brissot, Rabaut, Vergniaud et Lassource, envoyaient, à la fin de septembre, Carra et Sillery au çamp de la lune. Oh! — les bons surveillans qu'on donnait là aux généraux Dumouriez et Kellerman, pour presser la déconfiture des Prussiens, pour empêcher qu'on ne ménageât Frédéric - Guillaume, et prendre garde qu'il ne fût rien stipulé contre la république au profit de l'Angleterre et de la Prusse, dans les conférences qu'on a avouées avec Mansfeld, et probablement dans des entrevues dont on n'est pas convenu avec le roi de Prusse!

« Les complices de d'Orléans, ce sont ceux qui, comme Servan , ministre seulement de nom , laissaient la réalité et les opérations du ministère à Laclos : ce sont visiblement les brissotins qui, s'étant emparé de tous les comités de la Convention , et ayant rempli depuis long-temps le ministère de leurs créatures, avaient insensiblement mis à la tête des affaires tous les amis naguère proscrits de Philippe ; si bien qu'un beau jour, à la fin de février, la nation se trouva avoir toutes ses armées commandées par des çhefs bien connus par des relations plus ou moins intimes


avec cette maison, par leur attachement à ses intérêls, ou pour en être les commensaux, Chartres, Valence, Ferrière, Kellerman , Servan , Latouche, Biron, Miranda, Dumouriez, Lecuyer, etc. Et il n'y a:pas quinze jours encore, après que la trahison de Dumouriez avait éclaté , Latouche, avant d'aller à son commandement, étant venu prendre congé du comité des vingt-cinq, où se trouvaient tous les hommes d Etat, brissotins et girondins, qui accusent la Montagne d'être de la faction d'Orléans, je fus le seul qui, dans le silence de tous les membres, pris la parole pour répondre à Latouche : « Je crois volontiers que vous êtes un homme de bien et un bon patriote, comme vous le dites ; mais lorsque vos anciennes liaisons avec la maison d'Orléans sont connues ; lorsque Dumouriez semble ne conspirer que pour cette maison ; lorsque j'ai vu dans les mains d'un collègue, avant la trahison de Dumouriez, des lettres de l'armée où on racontait que les domestiques voyant Dumouriez s'échauffer prodigieusement, à la fin du repas, gémissaient dans l'antichambre, où ils disaient tout haut que c'était une chose indigne que la république fût trahie , et tant de milliers d'hommes sacrifiés, tant de magasins livrés à l'ennemi, à cause des complaisances de Mme Sillery pour un vieux paillard; dans ces circonstances, je m'étonrte que le ministre de l'intérieur ait pris sur lui de vous confier un commandement, et je n'y donnerai jamais la main, tant que je serai du comité. » Il me semble que voilà des faits qui donnent à penser au lecteur.

« Ne serait-ce pas le comble de l'art des brissotins si, tandis qu'ils travaillaient si efficacement pour la famille d'Orléans, c'étaient eux qui nous avaient envoyé à la Montagne le buste inanimé de Philippe , et un automate dont le côté droit tirait les fils pour le faire mouvoir avec nous par assis et levé, et montrer aux yeux que s'il y avait une faction d'Orléans, elle était parmi nous? Ce fut du moins


un coup de politique du côté droit, de demander le bannissement de Philippe prématurément, etlorsque la trahison fut un coup de leur politique de revenir sans cesse à la charge pour obtenir cette expulsion. Par-là, ils nous mettaient dans l'alternative ou d'accréditer le bruit qu'ils répandaient , que nous étions les partisans secrets de d'Orléans , ou de commettre une injustice en envoyant à l'échafaud de Coblentz un citoyen qui n'avait pas encore fait oublier les services immenses qu'il avait rendus à la liberté. Pour glisser entre ces deux écueils, en même temps que je m'opposais à son bannissement dans le discours que la société a fait imprimer et a envoyé aux sociétés affiliées, il y a trois mois, je ne dissimulais pas dès-lors le soupçon que nous donnaientla conduite tortueuse et équivoque de Philippe, son espèce de neutralité, particulièrement ses fautes d'omission, pour me servir d'une expression théologique, et surtout l'intimité de son confident Sillery avec les plus mauvais sujets de la Convention, son compérage avec Pétion et avec tout le corps brissotin. Sur quoi il est bon de dire, en passant, que quelques jours après, Égalité étant venu se placer auprès de moi, à l'Assemblée, et me remerciant d'avoir pris sa défense dans ce discours , ajouta en présence de plusieurs de mes collègues : « Qu'à l'égard des reproches que « je lui adressais de ses liaisons avec les intrigans du côté « droit, il est vrai qu'il les avait hantés lorsqu'il les avait « crus patriotes ; mais qu'il avait cessé de les voir, ayant « reconnu que c'étaient des coquins. »

<t Il ne se servit pas de termes plus ménagés, tant il jouait bien son personnage. Aussi se divertissait-on quelquefois à la Montagne à dire exprès à ses oreilles les plus grandes injures contre Sillery, afin de voir jusqu'où Philippe saurait être cordelier, et alors il ne manquait jamais d'enchérir sur les propos, au point que je me suis dit quelquefois : Il serait fort singulier que Philippe d'Orléans ne


fat point (le la faction d'Orléans; mais la chose n'est pas impossible. Non seulement rien n'est plus fort que son vote dans le jugement de Louis XVf, par lequel il a condamné à l'échafaud tous les rois et quiconque aspirerait au pouvoir royal; mais depuis quatre années, dans l'Assemblée constituante et dans la Convention , où je l'ai bien suivi, je ne crois pas qu'il lui soit arrivé une seule fois d'opiner autrement qu'avec le sommet de la Montagne ; en sorte que je l'appelais un Robespierre par assis et levé. Aimable en société, nul en politique, aussi libertin, mais plus pares&eux que le régent, et incapable de la tenue qu'aurait exigée cette continuité de conspiration pendant quatre années, il aura pu être embarqué un moment par Sillery, son cardinal Dubois, dans une intrigue d'ambition, comme il s'était embarqué dans un aérostat; mais dans cette intrigue comme dans son ballon, il me semble voir Philippe, à peine ayant perdu la terre et au sein des orages, tourner le boulon, pour se faire descendre bien vite , et rapporter du voisinage de la lune le bon sens de préférer Mme Buffon. Je sais ce qu'il y aurait à objecter, et voilà pourquoi ma remarque subsiste, c'est-à dire toute cette partie de mon discours. Mais comme la différence de la conduite de Pétion avec le père , qu'il bannissait à Marseille et en Amérique, parce qu'il siégeait à la Montagne, et avec le fils, à qui il écrivait tous les jours, jusqu'au moment même de son émigration, parce qu'il conspirait avec Dumouriez et Mme Sillery ; comme le conseil de Pétion à Philippe de fuir par-delà les colonnes d'Alcide lui était donné en même temps par Rabaut, Guadet, Barbaroux, Buzot et Louvet, qui se croyaient encore trop voisins d'un perfide, je suspens mon jugement sur le perfide, et je lui devais le témoignage que je viens de lui rendre , dans un moment où il est accusé , traduit dans les prisons de Marseille, et si loin du maître autel de Reims. Au dedemeurant, que Philippe fut oui ou non membre de la fac-


lion d'Orléans; qu'il ait trempé oui ou non dans les intrigues des deux Sillery, mari et femme , toujours demeuret-il que ce couple tripotait avec les brissotins, qu'il existait une faction d'Orléans, et que le siège de cette faction était dans le côté droit et le marais. »

Page 3i3.

Dans la Notice biographique qu'il a publiée en tête des Mémoires de Barrère, M. Carnot donne plusieurs fragmens des manuscrits de ce conventionnel, relatifs à Philippe Egalité.

Voici les principaux passages de cette citation, qui semble, au premier abord, résumer l'opinion de Barrère sur le duc d'Orléans :

« A l'Assemblée constituante, il servit très efficacement la cause des Communes, en entrainant une minorité de la chambre de la noblesse. Des intrigans politiques, décorés du nom de patriotes, cherchèrent à exploiter l'influence et la richesse du duc d'Orléans, en le poussant à s'emparer du trône, sur lequel il m'a paru évident qu'il n'avait jamais voulu sérieusement monter. »

« Il m'a semblé, dans toutes ses actions, ne chercher qu'à se venger de l'indifférence affectée de Louis XVI, et des mépris outrageans de la reine, qui le détestait et le méprisait. M « Nul de ses contemporains n'aurait pu dire de ce prince avec quelque fondement : Cet homme avait tel but. » « A la Convention nationale, Joseph d'Orléans prononça le vote de la mort contre Louis XVI. Ce vote retentit à Coblentz sans douleur, mais non sans y fournir un prétexte de se débarrasser du votant. L'intrigue des princes bannis était occulte, mais puissante à Paris, où elle avait des agens à la Commune, aux Cordeliers, aux Jacobins, et même à la


Convention. Toutes les machines contre-révolutionnaires agirent à la fois. Le duc d'Orléans fut compromis dans la défection de Dumouriez, et arrêté le 4 avril 1793, au Palais-Royal, avec un de ses fils, âgé de treize ans, le duc de Beaujolais.

« Transférés à Marseille, dans l'intention sans doute de les ajourner et de les sauver, Égalité et sa famille furent d'abord enfermés dans le château de Notre-Dame, puis dans le fort Saint-Jean; ils y demeurèrent jusqu'au mois d'octobre. Le comité de salut public, qui avait fait donner les attributions de tout le personnel au comité de sûreté générale, ne s'occupait ni des détenus ni des accusés; il avait oublié que le duc d'Orléans était à Marseille : cela ne le regardait pas. Mais les ennemis du prince s'en occupaient sans doute ; sa perte avait été résolue à Coblentz , dont les agens parvinrent à le faire revenir de Marseille pour lui susciter des accusations et le faire condamner à mort Sa mort paraît être l'ouvrage des républicains exagérés; ils ne furent, d'après mon sentiment, et je l'exprimai alors à plusieurs députés, que lesinstrumens aveugles des haines de l'aristocratie. C'est la perfide et infatigable intrigue de Coblentz qui amena, par le mouvement des sections et de l'esprit de parti, la perte de toute cette minorité de la noblesse qui s'était réunie aux Communes en juin 1789, et dont plusieurs avaient passé au service de la liberté dans les armées de la république. Voilà les deux crimes irrémissibles aux yeux de l'émigration, et le comte de Provence fut l'intrigant le plus corrupteur et le plus perfidement habile que la famille des Bourbons ait produit.

« Non, le peuple français n'est point coupable de la mort du duc d'Orléans; le peuple s'était affectionné à lui par reconnaissance et par sympathie. C'est à Louis XVIII qu'il faut reporter cette accusation, lui qui a intrigué secrètement, à Paris, pour exciter le peuple contre son frère


Louis XVI, contre Marie-Antoinette et Mnie Elisabeth, comme cela est prouvé par des lettres et documcns recueillis à Vienne dans le cabinet de l'empereur, d'après le dire du prince Charles. »

L'idée de faire dresser, par Louis XVIII et par les émigrés de Coblentz, l'échafaud expiatoire sur lequel mourut Philippe Egalité, ne pouvait éclore que dans le cerveau de l'ancien rapporteur du comité de salut public. Il est certaines haineuses rancunes pour la satisfaction desquelles rien ne coûte, ni l'absurdité historique ni les assertions les plus monstrueuses, si elles n'étaient en même temps les plus sottes et les plus ridicules.

Nous ne discuterons pas comment il se pourrait que la Convention, qui ordonna l'arrestation de Philippe Egalité; que Billaud- Varennes et Robespierre, qui demandèrent la mise en jugement de ce prince; que les comités de salut public et de sûreté générale qui le traduisirent devant le tribunal révolutionnaire; que les juges et les jurés qui le condamnèrent à mort, comment il se pourrait, disons-nous, que tant de personnages n'aient été que les agens du comte de Provence et des émigrés de Coblentz ; car Barrère nous offrira lui-même la preuve que, suivant les époques et les occasions, il sait varier ses croyances et ses formules historiques. Après avoir dit que le duc d'Orléans n'était point un prince ambitieux, et qu'il avait su conquérir l'affection du peuple, voici les couleurs sous lesquelles Barrère nou& le représente quelques pages plus loin :

« Rabaud Saint-Etienne et moi nous parlâmes à Pétion, qui voyait d'Orléans à cette époque (i), et nous lui dîmes

(i) Au mois de décembre 1791» pendant la discussion du bannissement des Bourbons.


que si ce personnage aimait son pays, s'il voulait prouver qu'il n'avait aucune pensée de royauté, aucune vue d'ambition, il devait demander à se retirer avec sa famille aux Etats-Unis d'Amérique. — J'appris depuis qu'il avait rejelé tous ces conseils de la sagesse et de la politique : ceci me prouva qu'il était vraiment l'homme ambitieux et inquiétant pour la liberté, lui dont le buste avait été, comme une nouvelle idole, promené avec celui de Necker, le 14 juillet 1789, au milieu de l'insurrection; lui qui avait excité les évènemens des 5 et 6 octobre à Versailles; lui qui se faisait nommer le vingt-quatrième et dernier député de Paris, au milieu des poignards et des sicaires constamment dirigés par lui et ses affidés; lui qui se donna tant de mouvement à l'époque de la trahison de Dumouriez dans la Belgique; lui qui avait tant de relations à Londres, et tant de complices à Paris (1). »

Cette contradiction n'est pas la seule que nous puissions signaler dans les Mémoires de Barrère. Toutefois, à ne prendre que ces deux opinions si opposées sur Philippe d'Orléans, il est facile de connaître celle qui approche le plus de la secrète pensée du conventionnel. En i8o5 Barrère publia, sous les ordres de Napoléon, une histoire de la conduite des princes de la maison de Bourbon pendant l'époque révolutionnaire (2). La biographie de Philippe Egalité est retracée dans cet ouvrage, avec des traits trop caractéristiques, pour que nous n'en reproduisions pas quelques passages ; « La branche de Bourbon-d'Orléans fut, depuis Philippe le régent, une famille dévouée à l'Angleterre ; le nou-

( 1 ) Mémoires de Barrère, tome 11, page 294.

(2) Conduite des princes de la maison de Bout bon durant lu révolution. l'émigration et le cOf/sulat.


veau Philippe eut une anglomanie encore plus prononcée.

« La bataille d'Ouessant prouva à la nation combien elle pouvait peu compter sur les talens et le courage (le ce prince. Ses premières divisions avec la cour, et principalement avec la reine, présagèrent d'autres divisions qui seraient un jour d'une plus terrible influence.

« Les États-Généraux s'assemblent : tous les mécontens et les intrigans de la cour se réunissent autour du duc d'Orléans, nommé député Ainsi, sans idées libérales, sans patriotisme vrai, ce prince excite d'abord les partis, par esprit de vengeance, contre la cour, et surtout contre la reine; il divise l'opinion par le moyen des coteries d'écrivains populaciers, de courtisans immoraux et d'intrigans audacieux.

Les évènemens du 14 juillet s'offrent à lui comme un moyen de popularité : le duc d'Orléans fait promener son buste dans les rues de Paris, avec celui de M. Necker. Mais le peuple, toujours libre dans ses suffrages, se prononça pour ses droits nationaux, et l'ambition du duc d'Orléans échoua, sans cependant ralentir ni ses intrigues ni ses crimes.

«

« Les agens secrets du duc d'Orléans, mêlés dans la foule qui, en un instant, inonde les avenues et le palais de Versailles, commandent les meurtres de cette journée (6 octobre), dont il faut absoudre le peuple, qui en fut innocent. La révolution prend dès-lors un caractère de férocité réfléchie, et c'est à l'ambition du duc d'Orléans que la France doit reprocher cette horrible et funeste influence.

« L'histoire du temps a dit qu'un homme, célèbre par son éloquence, avait senti le besoin de changer le chef de la dynastie; ce qu'il y a de certain, c'est que le génie de cet homme célèbre se serait étrangement abusé si le succès avait couronné ces affreuses journées d'octobre, puisqu'il aurait substitué au chef le plus faible l'homme le plus vil, des inlrigans et des sicaires à de mauvais ministres et à de


lâches courtisans. Mirabeau s'est absous lui-même de ces coupables projets, en faisant de la manière la plus énergique, quoique dans un style grossier, le portrait hideux de ce duc d'Orléans, qu'il cessa de servir de ses talens, dignes de plus nobles desseins.

ff « , «

« La fédération de 1790 fut une époque où le duc d'Orléans demanda de prêter le serment civique. Cette jonglerie patriotique du duc d'Orléans doit trouver sa place à côté de la renonciation formelle qu'il fit, le 24 du mois d'août 179T, aux droits de membre de la dynastie régnante, pour s'en tenir aux droits de citoyen français, après s'être opposé, le 24 du même mois d'août, à ce que le titre de prince français fût donné parla Constitution aux membres de la famille royale.

«-Il est inutile de rappeler comment le duc d'Orléans, baffoué dans l'Assemblée constituante, fut dénoncé à l'Assemblée législative ; comment il se plaignit de ce que le roi l'empêchait de servir dans l'armée de terre, ainsi que dans sa dignité de grand-amiral. Il est trop heureux pour la France que, dans les époques orageuses, ce chef de parti n'exerçât pas quelque autorité ou quelque grade élevé dans la force armée. Ses complots, trop long-temps cachés sous une popularité hypocrite, ne tardèrent pas à se dévoiler.

« La Commune de Paris, composée en grande partie d'hommes voués au parti d'Orléans, change son nom en celui d'Égalité, comme pour exciter le fanatisme de l'opinion en sa faveur; mais le ridicule en fit bientôt justice.

C'est cependant sous ce nom révolutionnairement grotesque de Philippe Egalité, que ce prince fut député, par le corps électoral de Paris, à la Convention nationale; mais il ne le fut que par l'exécrable influence des massacres des priions.

f(.

« Ce fut là l'époque où le duc d'Orléans réunit contre


lui toutes les opinions par la lâcheté barbare de son vole pour la mort de Louis XVI. Certes, l'opinion générale était montée à un haut degré d'indignation contre un roi perfide, violateur à main armée du contrat social; mais l'opinion s'indigna aussi fortement de voir un Bourbon voter froidement la mort d'un Bourbon, tandis que les sentimens les plus légitimes, les .liens du sang et le vœu de la nature lui ordonnaient de s'àbstenir de voter. On vit alors les hommes les plus acharnés contre Louis XVI, et les représentans les plus déterminés à le condamner, blâmer hautement Faffreuse et inutile participation que le duc d'Orléans eut à ce jugement. Certes, alors, on se félicita davantage d'avoir voté le régime républicain qui, en détruisant la dynastie des Bourbons, excluait du pouvoir un prince si lâchement cruel. Quel homme, en France, eût pu supporter l'idée de voir, à la tête de l'État, un politique aussi monstrueux et un prince aussi infâme?

<(

« Ainsi finit ce Bourbon-d'Orléans, qui fut un des auteurs les plus acharnés de la division des Bourbons, un des conseillers les plus ardens de quelques journées horribles de la révolution, et l'un des plus habiles, mars heueeuscment des plus lâches hypocrites qu'aient eus le patriotisme et la liberté. » - -

Voilà ce que pensait Barrère de Philippe d'Orlé-ans-Egâlité sous le règne de Napoléon. Entre cette opinion Jdônt nous n'avons cité que quelques passages seulement, et celle que l'ancien rapporteur du comité de salut publie" a

manifestée sous le règne du roi Louis^Phil^ig^Y-lçéboix de

l'histoire ne peut être douteux.

FIN.


NOTES.

Page 1.

M. de Maurepas, qui a pieusement recueilli toutes les ordures rimées de son siècle, n'a pas oublié les couplets composés par la duchesse d'Orléans. Ils sont inscrits, à leur date, dans son fameux recueil manuscrit (3me volume), sous le titre de Derniers sentiments de Madame la duchesse d'Orléans. Je citerai de ces couplets les trois premiers seulement, pour donner une idée de l'esprit qui les a inspirés :

Je finirai tranquillement, Craignant peu le dernier moment ; L'enfer, le diable et l'âme Eh ! bien, Sont des contes de femme, Vous m'entendez bien.

Ma pauvre mère m'ennuya, Mon pauvre frère m'excéda, Voulant me faire entendre Eh ! bien, Qu'ils ont tous le cœur tendre.

Vous m'entendez bien.


Mon gros mari tout consolé, Par ma mort se croira vengé, - Des cornes qu'à sa tête, Eh! bien, Ont placé mes conquêtes, Vous m'entendez bien.

Les autres couplets (au nombre de 15) pouvaient bien se chanter à l'époque, mais ils ne se peuvent écrire aujourd'hui.

La vie de la duchesse d'Orléans a été publiée, en 1806 (1), d'après des traditions,, dit M. Leber, dans son Catalogue de livres curieux et rares, que l'histoire a couvertes de son silence et qu'il eût mieux valu laisser dans l'oubli. M. Leber oublie les droits de l'histoire et ses devoirs surtout.

Page 6.

Les rapports de police conservés aux archives, à Paris, ne laissent aucun doute sur les habitudes honteuses du prince et leur triste précocité. Ainsi, dans un rapport du 6 mars 1767, se trouve un fait caractéristique cité par l'inspecteur de police, à propos d'une tentative faite par le prince pour renouer la liaison d'une heure qu'il avait eue, quelques jours auparavant, avec l'une des plus jolies et des plus célèbres impures de l'époque, la demoiselle Lavignc, dite Durancy : « La Durancy n'a pas voulu s'y prêter. Elle trouve le « prince extrêmement grossier dans ses caresses, n'ayant aucune « délicatesse et jurant comme un charretier. Plusieurs demoiselles « l'ont trouvé tel, et tout annonce en lui un fonds de libertinage « crapuleux. »

Et cependant alors le duc de Chartres n'avait pas encore vingt ans !

Page 129.

J'ai trouvé dans les manuscrits de Barnave, légués par Mme de Saint-Germain, sa sœur, à la bibliothèque de Grenoble, une note qui viendrait à l'appui de mes observations sur la protestation du

(1) Le Palais-Royal, ou Mémoires secrets de la duchesse d'Orléans mère de (Louis) Philippe-Joseph, par M. D. F. Hambourg (Paris) 1806, 2 vol. in-12.


Champ-de-Mars et ceux qui en furent les instigateurs secrets. Voici cette note : « Il est deux circonstances qui méritent d'être observées, l'une c'est que J.- P. Brissot, rédacteur de la pétition, a déclaré depuis peu dans ses écrits qu'il ne s'était décidé à la rédiger que sur les pressantes instances de M. de Laclos, attaché pour lors à M. d'Orléans ; l'autre c'est que M. d'Orléans, qui crut dans les premiers moments qu'il convenait à sa sûreté de (1) devoir désavouer M. de Laclos, et qui le fit en effet (2) dans la salle des Feuillants, en présence de plus de trois cents députés, ne commença pas moins à cette époque à fréquenter avec la plus grande assiduité le club des Jacobins, où jusques là il n'était point dans l'usage d'aller, et où même il n'était peut-être pas encore reçu. »

[Manuscrits de Barnave, vol. i, page 136.)

Page 184.

Malgré les pitoyables inventions de Sergent-Marceau, aucun doute n'est possible sur la manière dont le duc d'Orléans renia le nom de ses ancêtres et sur les démarches qu'il fit pour obtenir celui d'Egalité. Si l'on voulait une preuve de plus, on la trouverai' dans la lettre même par laquelle ce prince sollicita de la commune de Paris ce triste baptême. Cette lettre a été publiée à l'époque (3), mais les exemplaires en sont devenus fort rares, et je n'en avais jamais vu un seul lorsque je rassemblai pour la première fois les matériaux de cette histoire.

Voici cette lettre dans toute sa platitude et son abjection : Lettre de Louis-Philippe Joseph au Conseil provisoire de la commune de Paris.

9

« Paris, ce 14 septembre 1792, l'an rve de la liberté, ier de l'Égalité.

« Monsieur, « Le corps électoral, dont je suis Membre, a été étonné que la Section de la Buttc-des-Moulins m'eût inscrit sur la liste de ses

(t) Mots raturés dans le manuscrit.

(2) Id.

(3) Une page in-4°, sans nom d'imprimeur.


Electeurs sous le nom d'Orléans, que je n'ai cependant jamais signé depuis le décret de l'Assemblée Constituante, et m'a paru désirer que je prisse mon nom de famille. Il y a déjà longtemps que mon amour pour l'Egalité, qui m'a toujours empêché de prendre celui de Prince Français, m'aurait fait adopter cette mesure, si j'en avais eu un ; mais je ne m'en connais pas : je suis, par cette raison, fort embarassé de satisfaire le désir de mes Concitoyens à trouver une manière de me faire reconnaître, ainsi que mes enfants. Je ne crois pas pouvoir m'adresser, pour me tirer d'embarras, à d'autres, qu'il la Commune de la ville dont je suis Citoyen : j'espère donc, Monsieur, que vous voudrez bien lui faire pour moi cette demande : je serai très-reconnaissant qu'elle ne dédaigne pas de me dicter ce que je dois faire en cette occasion. Je la prie également de donner à la maison que jlhabite un nom différent de celui qu'elle porte.

« Je suis, Monsieur, bien fraternellement, votre Concitoyen.

« L. P. JOSEPH. »

Page. 314.

On me saura gré, je crois, de donner ici quelques extraits de l'Explication de l'énigme du roman de Montjoie. On pourra se convaincre, en les lisant, qui si l'auteur de l'Histoire de la conjuration du duc d'Orléans, a effectivement commis bien des erreurs dans son livre, l'auteur de l'Explication de l'énigme n'a pas été souvent plus heureux que lui, dans ses réfutations presque toujours maladroites, et rarement appuyées de preuves.

L'ouvrage forme trois parties divisées en quatre volumes in-8°, sous le titre de : Explication de l'énigme du roman intitulé : Histoire de la conjuration de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, premier prince du sang, duc d'Orléans, de Chartres, de Valois, de Nemours, de Montpensier, d'Etampes ; comte de Beaujolais, de Joinville, de VermandoiS, deSoissons, etc., etc.; amiral; lieutenant-général des armees, colonel des hussards, etc., etc.

Quœque ipse miseri-ima vidi et quorum. A Veredishtad, chez les marchands de nouveautés. (Vers 1800)

Un des premiers soins du panégyriste, c'est de chercher à justifier la légitimité de la naissance du duc d'Orléans, et de la défendre contre « les platitudes et les ignobles accusations de Montjoie. »


« Est-il vrai, dit-il en commençant, que Louis d'Orléans ait refusé « de reconnaître Louis-Philippe-Joseph pour son petit- fils ?« Et d'abord, il faut bien avouer, avec tous ceux qui ont eu quelque notion, on ne dit pas de la Cour, mais seulement de Paris, que les premières années du mariage de Louis-Phîljppe avec Henriette de Conti, ne furent rien moins que scandaleuses, et que Louis-Philippe-Joseph fut le fruit de cette première intimité (1).

« Après avoir, dans le 17e livre, disséminé toutes les impostures qu'il a encadrées dans l'intervalle du mois d'août 179.2 au mois de février 1793, le romancier remonte encore une fois, dans son livre 18e, à ce même mois d'août, pour ressasser, sous une autre forme, l'impertinente fable de légitimité du duc d'Orléans, auquel M. Montjoie veut bien donner pour père un valet d'écurie. Ce que nous en avons déjà dit au livre premier, relativement à la conduite de Henriette de Conti, dans les premières années dé son mariage, et au livre 5e au sujet de l'embonpoint dont le duc d'Orléans avait à craindre et craignait d'être embarassé, comme Louis-Philippe, sou père, l'était, nous dispense de donner d'autres développements à cette gentillesse de Porcherons vraiment digne de M. Montjoie (2). »

Le passage du livre 5e auquel il est fait allusion ici se rapporte à une anecdote dont il est parlé à la page 53 de cette histoire et que Montjoie n'a pas été le premier ni le seul à raconter. Je cite : « Il (Monjoie) suppose que le 17 juin, jour où le tiers-état se constitua Ass-emblée nationale, le duc d'Orléans devait produire, dans la Chambre de la noblesse, un mouvement dont le résultat serait : la réunion des ordres, l'interdiction du Roi, la mort de la Reine ; mais que l'excessive chaleur ayant suffoqué le prince, au moment où il commençait de lire son discours, et M. de Montrevel ayant demandé qu'on ouvrît les fenêtres, la crainte qu'eut le prince que ce ne fût pour l'y faire passer, jointe à la suffocation qu'il venait d'éprouver le mirent dans l'impuissance de continuer. Le gazetier ajoute que le prince fut dans un tel état, que lorsqu'on voulut lui rendre la circulation libre, on le trouva plastronné de quatre gilets dont un de peau de renne ; et le romancier s'écrie à ce sujet qu'il n'est pas permis de douter que craignant que son audace ne portât

(1) Explication de l'énigme, t. i, page 16.

(2) Explication de l'énigme, t. iv, page 120.


aux dernières extrémités contre lui, ceux qui en seraient indignés, le duc d'Orléans avait pris ses précautions pour se mettre à l'abri de leurs coups.

« Voilà encore un autre roman de la fabrication du gazetier, et qui, à coup sûr, n'a été inventé que pour parler de la quadruple cuirasse du Prince.

« Il est vrai que le duc d'Orléans, menacé de grossir, et grossissant effectivement beaucoup, redoutant, par dessus tout, de devenir sous ce rapport comme son père, avait imaginé depuis longtemps de se serrer depuis l'estomac jusqu'à la chute des reins, d'une très-forte ceinture de peau de renne, et d'ajouter à ce premier moyen des gilets de flanelle, pour se tenir constamment en moiteur, et suivre, en ce point, le régime des jockeis, traités ainsi pour les préserver de l'embonpoint qui eût été un obstacle à leurs exercices.

« Ce sera donc en pure perte que le romancier aura fait cette observation ; les prétendues précautions du duc d'Orléans pour ce jour là n'étant autre chose que son état habituel depuis quelques années (1). »

Ainsi se trouve complétée d'une façon quasi grotesque la réunion des preuves que l'apologiste a cru suffisantes pour sauver l'honneur de Louise-Henriette de Bourbon Conti, au moins pendant les premières années de son mariage, et pour justifier la filiation légitime de Louis-Philippe-Joseph duc d'Orléans.

Quelques lignes plus loin l'auteur abordant un autre sujet, sans changer de ton ni de manière, disculpe son héros par les paroles suivantes, auxquelles je ne change rien, de l'un des mille reproches formulés contre lui : « Le duc d'Orléans faisant de très-bonnes digestions, en dépit de M. Montjoie, se piquait d'être bon danseur, et il l'était en effet." La construction de la phrase, heureusement pour M. Montjoie, laisse place ici à l'alternative sur la nature de l'accusation qu'il avait portée contre le prince.

Vainqueur sur le terrain des « très bonnes digestions » le duc d'Orléans sera-t-il aussi bien défendu contre l'accusation d'immoralité dont Montjoie a flétri sa première jeunesse ? Que l'on en juge par ces lignes*: « Si on date la sortie de la première enfance, de l'âge de puberté,

(1) Explication de l'énigme, t. 1, page 188.


1 1

de l'âge de quatorze ans, que faudra-t-il dire d'un romancier qui se permet de diffamer d'une manière aussi atroce un prince qui, à l'âge de vingt ans, n'avait encore connu aucune des sociétés propres à lui inspirer des goûts déplacés , un prince dont l'extrême retenue pendant environ sept années d'une entière liberté avait assez alarmé son père pour qu'il ne blâmât pas le complot de quelques amis qui pour faire cesser cet état d'indifférence employèrent la célèbre courtisane Duthé (t). tQue dire des alarmes paternelles? l'expression n'est-elle pas des plus heureuses et ne fait-elle pas bien juger d'une époque ?

On a vu quelques pages plus haut ce qu'il faut penser de « l'indifférence» et de « l'extrême retenue du duc d'Orléans à vingt ans.»

Le panégyriste, toujours très-prolixe quand il s'agit de circonstances insignifiantes, ou de détails d'une importance souvent fort secondaire, est beaucoup moins précis et moins affirmatif dans les questions où la personne du Prince, vivement accusée, auràit le plus besoin d'être défendue. Ainsi l'écrivain consacre presque un chapitre entier à parler du procès de Louis XVI, mais il le fait sans autre allusion au lâche et cruel vote du duc d'Orléans, que cette apostrophe à son fils : « Fils respectueux qui dans un âge aussi tendre, ne pouvant avoir d'ascendant que celui de vos larmes, avez tant fait pour éviter à votre père une aussi cruelle erreur, recevez l'hommage qui vous est dû pour une telle action, et livrez à ses remords et à l'indignation de tous les âges le lâche diffamateur (Montjoie) qui voulut si perfidement vous outrager (2) ! »

Je terminerai ces extraits de l'apologie du due d'Orléans par la citation suivante qui ne laissera pas de doute sur l'inspiration toute conjugale qui a présidé à la rédaction de cette œuvre anonyme. 11 s'agit ici de justifier le duc d'Orléans d'avoir réclamé l'établissement du divorce : « Examinons de sang froid en quoi cette proposition de divorce est si immorale, si irréligieuse, si déplacée dans la bouche d'un époux aussi heureusement partagé que le dûc d'Orléans.

« Si le duc d'Orléans avait eu personnellement à désirer quelque

(1) Explication de l'énigme, t. i, page 26.

(2) Explication de l'énigme, t. iv, page 89.


chose, comme époux, il eût été souverainement inconvenant qu'il eût parlé de divorce.

« Mais que pouvait-il désirer? du côté de la fortune, il avait épousé la plus riche héritière à laquelle il pût prétendre. Du côté des grâces, de la considération, que lui aurait-on offert de plus ?.

« Et, quant à son intérieur, si la perversité des mœurs du siècle n'avait pas attaché une sorte de ridicule à montrer pour sa femme les sentiments dont cette même perversité permettait ces démonstrations vis à vis d'une maîtresse, la duchesse d'Orléans aurait reçu, de son mari, tous les témoignages de tendresse qui lui étaient si légitimement dus.

« L'on se convaincra facilement de cette vérité, si l'on veut se rappeler que cette intéressante princesse, de laquelle le cynique Diderot disait que ce n'était pas sa faute si elle était née princesse. Si on veut se rappeler qu'elle avait captivé son mari par ses prévenances et sa douceur, au point de lui faire faire, avec elle, des cours de chimie, de botanique, de physique expérimentale, et entre autres un cours complet d'histoire naturelle, par M. Valmont de Bomare; qu'elle l'avait captivé au point de lui faire partager les travaux auxquelles elle se livrait, pour l'occuper, entre autres ceux de la peinture, de la gravure des pierres, dans laquelle elle réussissait assez bien pour que des connaisseurs prissent plusieurs de ses ouvrages pour de superbes antiques, etc. etc. Qu'aurait-il pu désirer de complaisances affectueuses, après en avoir reçu de tant de genres, jusqu'à le suivre sur l'Océan, dans un frêle esquif, bravant la mer la plus orageuse, pour périr avec son mari et ses enfants, plutôt que de les abandonner.

« Ce n'aurait pas été, sans doute, pour avoir d'autres enfants que le duc d'Orléans aurait parlé de divorce ; car, on n'a pas oublié que, satisfait d'en avoir quatre, desquels il n'a jamais eu à se plaindre, comme aucun d'eux n'a eu à se plaindre de lui, écrivant à sa femme pendant un de ses fréquents voyages, il lui adressa gaiement sa lettre: A Madame la duchesse de Chartres, grosse d'un cinquième enfant au moins, et c'est beaucoup.

« Qu'on ne pense pas que ce fut de sa part autre chose que de la gaité : il s'en permettait souvant de ce genre avec ses amis : il adressait quelquefois ses lettres au prince de Ligue : A Monsieur, Monsieur Chariot, espèce de fou, à Bruxelles.

« Laissons donc là les réflexions de M. Montjoie sur le divorce ; elles sont aussi judicieuses que ses anecdotes sont exactes (1). »

(1) Explication de l'énigme, t. i, p. 149.


ETUDES REVOLUTIONNAIRES. — Philippe d'Orléans Egalité, par M. Augufte Ducoin.

Fac-fimile de l'ordre délivré par Fouquier-Tinville pour l'exécution de Philippe Egalité.



TRIBUNAL CRIMINEL

Révolutionnaire établi par la Loi du 10 Mars 1793, l'an 2e. de la République.

Le Charpentier du domaine fera les préparatifs nécessaires pour l'exécution du Ju-

gement rendu par le Tribunal contre ..--.

condamné à la

peine de

Cette exécution aura lieu à

heures

sur la place de

L'Accusateur public.

Au Tribunal, ce v



Page 336.

L'histoire sera plus sévère pour le conventionnel Barrère que je ne l'ai été, en parlant de lui et de sa tentative de réhabilitation de Philippe Egalité. Le surnom d'Anacréon de la guillotine qui lui fut donné à l'époque, et qui lui restera, ne suffit pas pour flétrir sa mémoire. Barrère fut cruel et lâche ; c'est l'un des hommes les plus odieux d'une odieuse époque.


BIBLIOGRAPHIE DES ÉCRITS PUBLIÉS SUR PHILIPPE D'ORLÉANS-ÉGALITÉ, HISTOIRES, PIÈCES APOLOGÉTIQUES ET PAMPHLETS, POUR SERVIR DE COMPLÉMENT A LA PRÉSENTE MONOGRAPHIE.

1. Adieu de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans à la ville de Paris et à ses habitants. — 16 pages.

2. Adieux (les) de la citoyenne Egalité, ci-devant d'Orléans, à ses compatriotes. - De l'impr. de Provost, rue Mazarine, nO 170.

— 8 pages.

3. Adresse d'un aide-de-camp de la garde nationale à ses concitoyens, concernant l'arrivée de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. 1790. — 5 p.

4. Ami (l') des Français suivi d'un précis succinct sur la conspiration du duc d'Or. — De l'impr. des Jacobins, 32 p.

5. A moi Philippe un mot. - Ayec cette épigr. :

Qunusquc tendent abutere, Catiima, patientiâ nostrâ ?

Quousque se se effrenata jactabit licentia tua? — 16 p.

6. Appel au tribunal de l'opinion publique du Rapport de M. Chatroud. — Examen du mémoire du duc d'Oiléans et plaidoyer du comte de Mirabeau. — Nouveaux éclaircissements sur les crimes du 5 et du 6 octobre 1789, par Mounier.

Genève, 1791. - In-So.

7. Assassinat (1') de la famille royale, plan présenté à Monseigneur le duc d'Orléans par le marquis de '*" , trouvé sous le portail du Louvre, près le jardin de l'infant. — 8 p.

8. A toi même, Laclos. — 4 p.

9. Au régicide d'Orléans. — 4 p.

10. Aventures et confession de frère Philippe, conventuel dans un beau château monacal sur les rives de la Garonne. — 8 p.

11. Avis au peuple sur les véritables motifs du voyage de M. le duc d'Orléans en Angleterre ; — sur les ordres donnés par un


de ses valets de chambre pour faire des cartouches ; — sur le roi ; — sur l'Assemblée nationale ; — sur M. le comte d'Artois, les princes, etc., etc. — A Paris, chez Garnery et Volland, libraires, quai des Augustins, n° 25, 1789.

- 8 p.

12. Bilan, ou état des biens et revenus de toute nature dont jouit M. d'Orléans et des dettes et charges de toute espèce dont ils sont grevés, tant celles personnelles à 31. d'Orléans que celles provenant de la succession de feu M. d'Orléans son père. — 32 p.

13. Bulletin du tribunal révolution; aire de Marseille , établi en vertu d'un décret, pour juger la famiHc des Bourbons. Acte d'accusation de Louis-Philippc-Joscph Egalité , ci-devant d'Orléans..— De l'impr. de Dancour, rue de l'Egalité, 19.

- 8 p.

14. Cabale (la) d'Orléans ressuscitée et dévoilée, par un bon citoyen. — Mai 1790, 8 p.

15. Chàtelct (le) dévoilé, ou réponce (sic) à la procédure criminelle du Chàtelct de Paris, sur refaire du 5 au 6 octobre 1789.

— De l'impr. de Labatte, rue du Battoir. 8 p.

16. Circulaire adressée aux curés, signée de Limon, contrôleur général des finances de Monseigneur d'Orléans, à l'évéché, à Soissons. — In-4°, 2 p.

17. Circulaire de la Société des Jacobins contre la faction d'Orléans. — 1792. 22 p.

18. Comblement (le) du déficit, ou produit annuel de cent millions sans Irais; dédié au patriotisme de S. A. S. Monseigneur le duc d'Orléans, par un jeune solitaire académicien. — 1789.

14 p.

19. Commentaires sur la procédure criminelle du Châtelet, et rapprochement des dépositions dans l'affaire des 5 et 6 octobre 1789 — avec cette épigr. : Sont-ils enfin connus ces secrets pleins d'horreurs ? — 22 p.

20. Conduite des princes de la maison de Bourbon durant la Révolution, immigration et le Consulat, par Barrère. — in-8°.

i 1. Conjuration de Philippe d'Orléans, ou détails exacts et circonstanciés de l'assemblée qu'il tint en personne au ltincy, le 7 de ce mois et jours suivants. — 1790. 32 p.

22. Copie de la lettre de M. le marquis Ducrest à Monseigneur le duc d'Orléans. — 8 p.


1 1

23. Correspondance de Louis-Philippe-Joseph duc d'Orléans avec Louis XVI, la Reine, Montmorin, Liancourt, Biron, Lafayette, etc. publiée par L.-C.-R. (Roussel). 1 - Paris, Lerougc, 1800, in-8°.

24. Crimes (les) de Louis-Philippe d'Orléans découverts par le Châtcletde Paris. — Impr. du Postillon. 8 p.

25. Déclaration de la citoyenne Topin, sous-gouvérnante de LouiseEugénie-Adélaïde d'Orléans. — 8 p.

26. Éclaircissements sur la prétendue mission du duc d'Orléans — avec cette épigr. :

sa renommée Et ses fausses vertus ont séduit notre armée. Rac. Mithr: Se distribue chez tous les Suisses du Palais-Royal.- - 1789.

15 p.

27. Écouteur (1'), ou une soirée au palais de Philippe, par l'auteur des Mille et une fadaises. — Avec cette épigr. J'écoute et je retiens. — A. Cocopolis, l'an ni de la papirocratie. 47 p.

28. Entrevue du duc d'Orléans avec le marquis de Lafayette, en vers. — 1790. 15 p.

29. État de situation de M. L.-Ph.-Joseph prince français, et projet de libération et d'union qu'il propose à ses créanciers.

- In-40, 16 p.

30. État nominatif des créances de L.-Ph.-Joseph, prince français, avec l'acte notarié. - In-fol. 59 p.

31. Explication de l'énigme du roman intitulé* (Voir plus haut, page 340.) 32. Exposé de la conduite de M. le duc d'Orléans dans la Révolution de France, rédigé par lui-même , à Londres. — De l'impr. de la veuve d'Houry et Debure, impr. lib. de Monseigneur le duc d'Orléans, rue Hautefeuille, n° 14. — 28 p.

33. Faction (la) d'Orléans mieux dévoilée. Lettre de M. le duc d'Orléans à M. de Laclos, — Londres, le 10 mai 1790. 8 p.

34. Faits et gestes de l'honorable Charles Chabroud, procureur, avocat, député à l'Assemblée nationale, blanchisseur du héros d'Ouessant, enfin un des juges de la ville de Paris, avec cette épigr. :

Vipère cesse enfin de siflfer.

FLOR.

A Aristocrapolis, de l'impr. de la ci-devant Justice, à l'en-


seignc de la ci-devant Vérité, et se trouve chez les opprimés, l'an Il de la démagogie. — 32 p.

35. Fragment de l'Histoire secrète de la Révolution, sur la faction d'Orléans , le Comité anglo-prussien et les six premiers mois de la République, par Camille Desmoulins, député de Paris à la Convention. — 80 p. — Avec cette épigr. :

Est-ce que des fripons la race est éternelle ?

36. France (la) sauvée, ou la plus exécrable conjuration dévoilée.

Novembre, 1790. — 60 p.

37. Grande dénonciation du duc d'Orléans et de ses complices, faite à l'Assemblée nationale par un député. — 38 p.

38. Grand Dîner (le) des nouveaux conjurés. — Dumont, impr.

nationale, rue de la Parcheminerie, 13. - 8 p.

39. Grande motion de M. de Chartres en faveur des artistes, peintres, sculpteurs et graveurs de Paris. — 12 p.

40. Grandes nouvelles de Monseigneur le duc d'Orléans , par Roger. — 8 p.

41. Grand triomphe de M. le duc d'Orléans, ou examen de son exposé de conduite, par un de ses amis. — 21 p.

42. Histoire de la conjuration de L.-Philippe-Joseph d'Orléans, par l'auteur de l'Histoire de la conjuration de Maximilien Robespierre (Montjoie). — Paris, 1796. 3 vol. in-8°, portr.

43. Le même ouvrage. — Paris, 1800, 6 vol. in-18.

44. Histoire des ducs d'Orléans, par M. Laurentie. — Paris, 1840, 4 vol. in-8°.

45. Histoire de L.-Ph.-Joseph d'Orléans, par M. Tournois. - Paris, Charpentier, 1842, 2 vol. in-8°.

46. Il arrive, il arrive le B.reau. — 8 p.

47. Il y a lieu à accusation contre le duc d'Orléans et le comte de Mirabeau, ou résumé et rapprochement des dépositions qui les chargent. Avec cette épigr. :

Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir ?.

1790. — 16 p.

48. Intrigues secrètes de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans dans sa résidence actuelle en Angleterre. — 14 p.

49. Instruction donnée par S. A. S. Monseigneur le duc d'Orléans à ses représentants aux bailliages, suivie de délibérations à prendre dans les assemblées, 4e édition corrigée. — 75 p.

50. Jean-Georges-Charles Voidel à ses concitoyens, sur l'affaire de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. — De l'impr. des Répu-


blicains, chez R. Vatar et ass., rue de l'Université, n° 139 ou 926. — 8 p.

51. Justification de M. d'Orléans, ou réflexion d'un bon citoyen sur la conduite du Châtelet, au sujet de l'affaire du 5 octobre, par J.-M. Gercy-Dupré.

52. Lettre à Monseigneur le duc d'Orléans, par D. Garncry et Volland. — 8 p.

53. Lettre à M. Philippe u'Orléans, par M. le comte Alex. de Tilly. — 8 p.

54. Lettre à Monseigneur le duc d'Orléans, premier prince du sang. — 8 p.

55. Lettre de L.-Ph.-Joseph Égalité, ci-devant d'Orléans, envoyée hier à Paris, suivi (sic) de son interrogatoire subi pardevant le tribunal criminel révolutionnaire établi à Marseille pour juger la famille des Bourbons. — Impr. à Paris par ordre de son défenseur. — De l'impr. de Dancour, rue de l'Égalité, nO 16. — 8 p.

56. Lettre de Monseigneur le due d'Orléans à M. le Président de l'Assemblée nationale, en date du 13 février. Signé : L.-P.-J.

d'OnLÉANS, député à l'Assemblée nationale. — A Paris, de l'impr. de Chaudrillié, rue de Chartres, nO 70, près le Palais-Royal. — 4 p.

57. Lettre de M. le duc d'Orléans à M. le chevalier de Laclos sur ce qui s'est passé les 12 et 13 avril a Paris. — 7 p.

58. Lettre de M. Laclos à M. d'Orléans. Paris, 27 novembre 179t. — 16 p.

59. Lettre de M. Laclos, écrite de Paris à M. Forsh à Londres.

20 p.

60. Lettre de M. le duc d'Orléans à l'Assemblée nationale sur son retour à Paris, ou extrait de la séance du 6 juillet 1790.

-7 p.

61. Lettre des Parisiens à M. d'Orléans. Fragment de cette pièce imprimée chez P. de Lorme et non publiée.

62. Lettre du sieur Forsh, agent du ci-devant duc d'Orléans à Londres, écrite au sieur Laclos, agent du même à Paris, trouvée parmi les papiers d'un courrier arrêté à Calais. — Calais et Paris. 7 p.

63. Lettre du due d'Orléans, ou supplément à l'exposé de sa conduite, rédigé par lui-même. — Impr. du duc d'Orléans. 7 p64. Lettre écrite à Son Altesse sérénissime Monseigneur le duc d'Or.


léans, premier prince du sang, où se trouvent exposées quelques gentillesses des sieurs Bachois de Villefort, lieutenant criminel ; Flandre de Brunville, procureur du roi ; Lenoir, ancien lieutenant général de police, encore conseiller d'Etat, encore bibliothécaire du Roi, et Shée, secrétaire-général des Hussards, par M. de Latouche, officier réformé de hussards.

— 1789. 42 p.

65. Lettre du prince de Galles à milord duc d'Orléans. — 16 p.

66. Les voilà tous les crimes de MM. d'Orléans et Mirabeau dans l'affaire du 6 octobre, d'après la procédure du Châtelet.—18 p.

67. Louis d'Orléans mal conseillé. Réponse au mémoire à consulter et consultation pour L.-Philippe-Joseph d'Orléans. Ce 8 novembre 1790. — A Paris, de l'impr. d'un royaliste. 32 p.

6.8. Louis-Philippe d'Orléans, père de la Patrie. - Paris, 1790.

Avec cette épigr. :

Aurea nascitur œtas.

69. Mémoire justificatif pour L.-Ph.-Joseph d'Orléans, écrit et publié par lui-même, en réponse à la procédure du Châtelet.

— 34 p.

70. Motion de M. le duc d'Orléans pour le soulagement du peuple.

— De Versailles, le 10 juillet 1789. — 6 p.

71. Non, d'Orléans, tu ne règneras.pas. — 8 p.

72. Nouveautés du Palais-Royal, ou livres nouveaux des charlatans, des roués, etc., de la France, accompagnées de notes impartiales, par M. G.-C. d. C. Avec cette épigr. :

Fouettons en plaisantant ces grands hommes du jour.

De l'impr. de la Vérité, et se trouve au Palais-Royal, chez Mme l'Ironie. — 1789, 16 p.

73. Nouvelles de Londres. — 8 p.

n. Observations particulières à M. d'Orléans sur le second rapport du Comité du domaine concernant les apanages. — 4 p.

75. Observations sur les attentats attribués à M. le duc d'Orléans, en réponse à l'Exposé de sa conduite dans la Révolution de France. Imprimé par ordre et aux dépens de Son Altesse.

Avec cette épigr. : Habemus confitentem reum.

A Paris, chez tous les marchands de nouveautés. — 1790.

42 p.

76. Observations sur la propriété actuelle du Palais-Royal. — 31 p.


1 1

77. Opinion de M. l'abbé Maury, député de Picardie, sur le remboursement que demande M. d'Orléans de quatre millions.

cent cinquante-huit mille huit cent cinquante livres, pour la dot de Louise-Élisabeth d'Orléans, fille de M. le Régent et reine douairière d'Espagne. Prononcé dans l'Assemblée nationale le avril 1791. — A Paris, au bureau de l'Ami du Roi, rue Saint-André-des-Arcs, n° 37. — 1791. 74 p.

78. Opinion de M. de Guilhermy, député de la sénéchaussée de Castelnaudary, sur le rapport lu à l'Assemblée nationale par M. de Chabroud dans les séances des 30 septembre et 1er octobre 1790, 'concernant les attentats des 5 et 6 octobre 1789 et la procédure instruite à ce sujet par le Châtelet. — De l'impr. de Paris, au Palais-Royal. 8 p.

79. On (sic) nous mène donc la Faction orléano-anglaise ? (par Laborne). — 16 p.

80. Où nous mène donc la Faction orléano-anglaise ? — n° 2 (par Desbrais). — 6 p.

81. Où nous mène donc la cabale orléano-anglaise, ou les projets des méchants dévoilés, n° 3 (par Laborne). -7 août 1790.8 p.

82. Orléansriade (1'), ou le masque rouge déchiré.

83. Philippe d'Orléans traité comme il le mérite. (Signé Bavouz).

— De l'impr. de la veuve d'Houry, rue Hautefeuille, nO 14.

14 P.

84. Philippe d'Orléans dévoilé. — Impr. de Momoro. 14 p.

85. Portefeuille (le) de Louis-Philippe d'Orléans, trouvé dans la poche de M. de Lafayettc. (Signé Labenette.) — t791. De l'impr. du Pont-Neuf, nO 19. — 35 p., fig.

86. Portrait de M. le duc d'Orléans (en vers).

87. Prophéties (les) françaises suivies d'un projet présenté au roi pour dégrader et punir le duc d'Orléans, par M. Berg., député de l'Assemblée nationale. — A Paris , chez Couteau, impr., et se distribue chez tous les libraires du Palais-Royal.

— 1789. 24 p. Très-violent pamphlet contre la malheureuse reine Marie-Antoinette.

88. Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789. — Impr. par ordre de l'Assemblée Nationale. Chez Baudoin, impr. de l'Assemblée Nationale, rue du Foin-Saint-Jaçques, 1790. — 2 vol. in-80.


Il - - - J

89. Rapport fait au nom des Comités de l'extraordinaire et de l'organisation de la direction générale de liquidation, au sujet d'une créance réclamée par M. d'Orléans. Impr. par ordre de l'Assemblée nationale. — De l'impr. nationale. 30 p.

90. Rapport fait au non) du Comité de liquidation, sur la répartition d'une somme de 4,158,850 livres, formée par M. d'Orléans , par M. Cochard, député du département de la HauteSaône, membre de ce Comité. Impr. par ordre de l'Assemblée nationale. — De l'impr. nationale. 36 p.

91. Recherches de Salles, député de la Meurthc, sur les agens et les moyens de la Faction d'Orléans. — De l'impr. d'A.-Jos.

Gorsas, rue Tiquetonne, n° 7. — 16 p.

92. Réfutation de l'exposé de la conduite de M. le duc d'Orléans.

— 1790. 16 p. Avec cet épigr. :

Hic niger est, hune tu, Romane, caveto.

9.3. Remontrances du Parlement sur l'usage des lettres de cachet, l'exil de M. le due d'Orléans et l'enlèvement de MM. Freteau et Sabatier, arrêtés le 11 mars 1788. — 18 p..

94. Réponse à la cabale d'Orléans ressuscitée et dévoilée, par un membre de ladite cabale (Jausson). — 1790. 8 p.

95. Réponse à M. de la Touche. '- Turin. 2 p.

96. Réponse aux pamphlets calomnieux répandus depuis quinze jours sous le titre d'Interrogatoire de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. — Véritable interrogatoire et véritables réponses de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. — 14 p.

97. Réponse aux ennemis de Monseigneur le duc d'Orléans.

Motifs secrets et véritables de l'absence de ce prince. — 8 p.

98. Réponse aux philippiques, ou lettre du duc d'Orléans à la nation française. — 14 p.

99. Réponse de Monseigneur le duc d'Orléans à l'Assemblée qui l'avait élu président. — 1 p, 100. Réponse de M. d'Orléans à l'opinion de M. l'abbé Maury, dans l'affaire de la dot de la reine d'Espagne, imprimée à Paris, en 74 p. in-8, au bureau de l'Ami du Roi, rue Saint-Andrédes-Arcs, nO 37, et annoncée comme devant être prononcée devant l'Assemblée nationale le avril 1791, par M. Geoffroy de Limon, ci-devant contrôleur général des finances de M. d'Orléans. — A Paris, de l'impr. de Seguy-Thiboust, place Cambrai, 1791. 52 p.


101. Réponse de Monseigneur le duc d'Orléans à l'Assemblée nationale. Compliment de M. l'évêque de Vienne à la même Assemblée. Suite des nouvelles de Versailles, du 3 juillet 1789 et publiées le 4 du-même mois. — 8 p.

102. Réponse de M. de Laclos à M. le duc d'Orléans, pour servir de suite à la Conspiration mieux dévoilée, ou à la lettre de M. le duc d'Orléans à M. Deleaclos tsic). — 18 juin 1790.

16 p.

103. Résultat du Conseil de S. A. S. Monseigneur le duc d'Orléans, premier prince du sang. — Impr. de la veuve d'Houry et Debure, impr. de Monseigneur le due d'Orléans.—In-4°, 2 p.

104. Scandales de S. A. S. Monseigneur le duc d'Orléans, par Publius. — 1789. 22 p. Avec cette épigr. :

Le flot qni l'apporta recule épouvanté.

105. Le sieur d'Orléans tout entier, ou extrait de la véritable chronique de Paris des 17 et 18 avril 1791. — 8 p. Avec cet épigr. :

Neque Per nostrum patimur scelus Irracunda Jovem ponere fulmina.

106. Suite de l'interrogatoire de Louis-Philippe-Joseph Égalité, cidevant d'Orléans, prévenu d'avoir attenté au trône et de conspiration contre la sûreté de son pays, etc. , etc.

De l'impr. de Dancour, rue de l'Egalité, ne 16. 8 p. paginées de 18 à 32. (Suite du nO 13 ci-dessus.) 107. Table alphabétique des noms de toutes les personnes qui ont déposé dans la procédure criminelle instruite au Châtclet de

Paris, dans les journées des 5 et 6 octobre 1789. — 8 p.

108. Un coup d'œil impartial sur les motifs de l'absence de Monseigneur le duc d'Orléans (par M. Albeitin). — 8 p.

10.9. Vérité (la) sur la Faction d'Orléans et la conspiration du 10 mars 1793 (par J.-B. Louvet). — A Paris, chez la veuve d'Ant.-Jos. Gorsas, etc. — 55 p.

110. Vie de L.-P.-J. Capet, ci-devant duc d'Orléans, ou Mémoire pour servir à l'Histoire de la Révolution française. — A Paris, se trouve à l'impr. de Franklin, rue de Cléry, nO 75, et chez les libraires du Palais-de-l'Égalité, l'an II de la Rép.

56 p.


111. Vie de Louis-Philippe-Joscph duc d'Orléans, traduit de l'anglais par M. R. d. W. (Rodolphe de Veisse). — A Londres, de l'impr. du Palais-Saint-James. 1789, 86 p.

112. Vie privée, ou apologie du très-sérénissime prince Monseigneur le duc de Chartres contre un libel (sic) diffamatoire écrit en 1781, mais qui n'a point parut (sic) à cause des menaces que nous avons faites à l'auteur de le décéler, par une société d'amis du prince (A. Gédéon Lafitte, marquis de Pelleport et Thevcncau de Morande). A cent lieus (sic) de la Bastille. (Londres), 1784. 134 p. et 2 feuilles préliminaires.

Avec cette épigr. :

Nos lèvres n'ont jamais trahi la vérité.

113. — Le même ouvrage. — 1784. 101 p.

114. Vie politique de Louis-Philippe-Joseph, dernier duc d'Orléans (par Étienne et Martainville). — Paris, an X (1802), in-12, portr.

115. Vie (la) et les crimes de Philippe duc d'Orléans. — A Cologne, 1793. 102 p. Avec cette épigr. :

Ainsi que la vertu le crime a ses héros.

VOLT.

116. Vie de L.-P .-J. Capet, ci-devant duc d'Orléans. — Paris, an II, portr. avec ces mots : Infidèle au tyran et traitre à la patrie. — 56 p.


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TABLE DES CHAPITRES.

I page 1 H. 25 II I 36 IV 47 VI. 75 Vif. 90 VIII 112 IX. 124 X. 138 XI. 153 XII. 169 XIII 182 XIV. 190 XV. 199 XVI 233 XVII. 253 XVIII. 283 CONCLUSIO.-I 310 APPEKDICE 319 NOTES 337 FAc SIMILE de l'ordre délivré par Fouquier-Tinville pour l'exécution de Philippe-Egalité. 345 BIBLTOGRAPHIR, 346

NOTA. — Il a été fait deux tirages de ce livre. Le premier, avec quatre cartons, s'arrête à la page 336 et se termine par le fac simile de l'ordre d'exécution ; le second n'a que deux cartons et contient de plus les Notes, la Bibliographie et la Table des chapitres.

Lyon. — Impr. d'Aimé VixGTRi~ER, quai ti ~Wè, Lyon. - Impr. d'Aimé VI-NGTRI-il£R, quai S c~ <~\