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Title : Sentiment de Napoléon sur le Christianisme : conversations religieuses (3e éd. rev. et corr.) / recueillies à Sainte-Hélène par M. le général comte de Montholon... ; par M. le Chevalier de Beauterne ; avec un dessin de M. Horace Vernet...

Author : Napoléon Ier (1769-1821 ; empereur des Français). Auteur du texte

Author : Antoine de Beauterne, Robert Augustin (1803-1846). Auteur du texte

Author : Montholon, Charles Tristan (1783-1853). Auteur du texte

Publisher : (Paris)

Publication date : 1843

Contributor : Vernet, Horace (1789-1863). Illustrateur

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30074051p

Type : text

Type : monographie imprimée

Language : french

Language : French

Format : 1 vol en 2 parties (VIII-VIII-XVI-80, 252-VIII p.) : frontisp., pl. ; In-8̊

Format : Nombre total de vues : 430

Description : Avec mode texte

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k6138553m

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LB48-2009

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 04/10/2010

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SENTIMENT

DE

NAPOLÉON

SUR LE CHRISTIANISME.




NAPOLEON RECEVANT LE SAINT VIATIQUE.


SENTIMENT

DE

NAPOLÉON

SUR LE CHRISTIANISME ,

CONVERSATIONS RELIGIEUSES,

RECUEILLIES A SAINTE HÉLÈNE

PAR

M. LE GÉNÉRAL, COMTE DE MONTHOLON,

Avec un dessin de M. HORACE VERSET, et un fac-similé de l'écriture de l'Empereur,

PAR

M. LE CHer DE BEAUTERNE.

3e EDITION , REVUE ET CORRIGÉE AVEC SOIN.

Le son des cloches me fait plaisir, la vue d'un prêtre m'émeut.

Paroles de l'Empereur, page 164, 2de partie.

PARIS,

CHEZ M. WAILLE, LIBRAIRE, rue Cassette, 8; ET CHEZ DEINTU, au Palais-Royal.

1813.


PARIS, — IMPRIMNIE DE BEAULE, RUE FRANÇOIS MIRON, 8.


SENTIMENT DE NAPOLEON

SUR LE CHRISTIANISME,

CONVERSATIONS RELIGIEUSES

RECUEILLIES A SAINTE-HÉLÈNE, PAR M. LE COMTE DE MONTHOLON.

TABLE DES MATIÈRES. — PREMIÈRE PARTIE.

DEDICACE. — L'auteur, en dédiant son livre au vénérable M. Marduel, le dédie à l'ancien clergé de France PAGE

AVANT-PROPOS. — En mot de M. d'Eskstein et un mot de M. de Montholon, au sujet de ce recueil.—M. Cousin. — L'Evangile de Napoléon. — Epigramme contre le Conseil royal de l'instruction publique.— L'âme de Napoléon. — Visite de l'auteur à MM. Las Cases, Montholon, Marchand et Gourgaud.—L'Empereur et M. Montholon à l'Elysée-Bourbon, en 3815.—Lettre explicative, au Journal l'Univers, au sujet du général Bertrand... PAGE

PREFACE. — Opinion des historiens et des partis qui divisent la France au sujet de la moralité de Napoléon. — Opinion de l'auteur. — Napoléon est un homme principe. — Sa pensée en faisant le sacre et le Concordat. — C'est Lafayette qui a fait prononcer la déchéance de l'Empereur. — C'est la Chambre des représentants et Lafayette qui ont livré l'Empereur et Paris à l'ennemi. — Les cendres de l'Empereur.—Mépris de l'Empereur pour le journalisme. — La révolution et l'Empereur PAGE

CHAPITRE PREMIER.— L'Empereur et l'abbé Vignali. — Erreur de M. de Norvins au sujet du saint viatique. — L'Empereur veut la messe dans sa chambre tous les jours, depuis le 21 avril jusqu'à sa mort le 5 mai. — Visite de l'auteur à M. Marchand. — Mot naïf et sublime de l'Empereur.— Rectification de M. Marchand contre Antommarchi. — Colère de l'Empereur contre l'impiété de son médecin. — Visite de l'auteur à M. le comte Montholon. — L'Empereur religieux et chrétien. — Lettre officielle du général Bertrand pour avoir un prêtre à Sainte-


— 2 — Hélène. — L'empereur écrit lui-même au cardinal Fescli. — Document inédit d'Hudson Lowe sur ce sujet. — Réussite et joie de l'Empereur. — Le rocher de Sainte-Hélène et la prison du Temple. — Celui des exilés qui sentait le plus vivement la privation d'un prêtre? PAGE 1

CHAPITRE II.—Croyance de l'Empereur à Dieu et à la religion.

— Exclamation contre le général Bertrand au sujet de la première communion. — Désir d'aller en Paradis. — Lecture et admiration des premiers chapitres de l'Evangile. — Opinion sur les couvents favorable aux trapistes et à l'ancien clergé.— L'Empereur évêque.

— Madame de Staël et le Concordat. —Foi vacillante de l'Empereur, désir d'une foi plus ferme. — Importance de la religion pour un état. — Son attachement au catholicisme et ses raisons pour y tenir plus qu'à aucune autre religion. — L'évêque de Nantes Duvoisin. — La communion et le sacre. — Éloge de Pie VII par Napoléon. — Calcul sur un chiffre de la Bible: — Flétrissure de l'immoralité dans un souverain. — Conduite en Italie du général Bonaparte à l'égard des prêtres et de la religion.

— Jeunesse de l'univers et de la race humaine. — Respect filial de Napoléon. — Le matelot anglais, bon fils prouve une bonne mère. —Condamnation formelle du divorce. — Parallèle du mahométisme et du christianisme. — La mauvaise librairie. — Royauté de l'âme. — L'esprit ennemi du bon sens. — Opinion de l'Empereur sur les curés et leur casuel.— Son aversion poulies joueurs. — Son opinion sur le fatalisme. — Le jeune ecclésiastique anglais à Longwood. — Instance pour avoir un prêtre catholique à Longwood.— Politique du Directoire et deNapoléon à l'égard des prêtres et du pape. — Condamnation du suicide.— Flétrissure imprimée aux gardiens du pape par l'Empereur, PAGE 33

CHAPITRE III.—Examen des objections.—Le républicanisme de Napoléon et sa conduite pendant la révolution. — Lettre inédite à ce sujet de Mme la marquise de Chabrillan, sauvée par Napoléon, elle et sa famille, avec d'autres familles émigrées, des fureurs et des massacres des républicains. — Napoléon décrété plusieurs fois d'arrestation par la république. — Son système de modération à l'égard des prêtres et de la religion, aussitôt qu'il prend le commandement de l'armée d'Italie. — Le meilleur ami de Rome. — Démenti de M. de Bourrienne à ceux qui ont osé dire que Bonaparte avait été musulman en Egypte. — Faux Mo-


— 3 — niteur, imprimé à Londres, contenant de fausses proclamations de Bonaparte à l'armée d'Egypte. — Le général Menou réprimandé et puni par Napoléon pour avoir apostasie.—Citations de quelques pensées morales extraites des oeuvres de la première jeunesse de Napoléon. — Le son de la cloche de Ruel.— Le chapelain de l'Empereur. — Importance des déclarations catégoriques du protcstant O'Méara et du libéral M. de Las-Cases, qui témoignent de la religion de l'Empereur. PAGE 65

DEUXIÈME PARTIE.

CHAPITRE PREMIER. — Arrivée de deux prêtres missionnaires à Sainte-Hélène.—Accueil qu'ils reçoivent d'Hudson Lowe et de l'Empereur.—Notice biographique de ces deux ecclésiastiques, écrites par eux-mêmes pour l'Empereur. — Napoléon faisant l'éloge de sa mère. — La première messe à Sainte-Hélène. — Egards de Napoléon pour le plus âgé des deux ecclésiastiques. — Le respect humain et la foi de l'Empereur sur le trône. — Il renonce à la société de la comtesse Bertrand. — Le costume d'évêque. — On fait maigre à Sainte-Hélène. — Les galanteries des rois flétries par l'Empereur. — Preuve de l'existencs de Dieu par l'Empereur. —Son horreur pour le matérialisme. — Parallèle du protestantisme et du catholicisme.—La cène selon les protestants et selon les catholiques. — Mot profond sur le mystère de la croix PAGE

CHAPITRE II. — Discussion entre l'Empereur et le généralBertrand au sujet de la divinité de Jésus-Christ. — Objection du général Bertrand. — Réfutation de Napoléon, qui expose ses idées sur Jésus-Christ.—Le christianisme et les fausses religions. Les sages du paganisme ennemis du paganisme. — Tous les grands hommes de la civilisation moderne adorateurs de JésusChrist. — La mythologie est l'oeuvre de l'homme. — Le christianisme identique avec la loi naturelle. — Coup-d'oeil sur les fondateurs des nations ou des religions. — Jésus-Christ est un être exceptionnel, absolument différent de quoi que ce soit.—Le seul qui soit purement religieux, le seul qui explique la destinée humaine. — Impuissance de la métaphysique et des philosophes à formuler la vérité religieuse. — Les législateurs ont agi de leur vivant et le Christ après sa mort.—Les conquêtes de César,


- 4 - d'Alexandre, d'Annibal, de Napoléon, comparées à celles du Christ. — Le sublime et le Christ. —Toutes les fausses religions sont terrestres, la vraie religion seule est céleste. — L'empereur Auguste et le Christ. — Le Christ et l'éternité. — Mahomet et le Coran.—Refus du Christ de jouer le rôle d'un ambitieux.—Son mépris des grandeurs. — Son mépris du temps et son nom de fils de l'éternel. — Je suis Dieu. — Les mystères de sa vie sont ceux de la vie humaine. — Être athée ou chrétien. — Sa religion est celle de la conscience. —Le Christ imposteur ou Dieu. — Explication de la durée des hérésies. — Le pouvoir de la confession est le pouvoir royal. — Eloge de l'Evangile. — La foi est le bonheur. — Les fondateurs d'empire et de religion se sont servis du nom de Dieu, sans oser l'usurper pour eux. — Le Christ est le seul qui exige d'une manière absolue et exclusive, pour lui seul, le culte suprême. — Le seul qui se soit emparé du coeur humain. — Le miracle permanent de la charité. — L'amour des soldats pour Napoléon et l'amour des chrétiens pour le Christ. — La mort de Napoléon et des grands hommes et la mort du Christ. — Apostrophe au général Bertrand PAGE 33

CHAPITRE III. — Napoléon pressent sa mort prochaine. — Il en accuse le gouvernement anglais. — La comète de Napoléon et celle de César. — Dernière sortie en calèche. — Besoin d'une obscurité profonde. — Examen et condamnation des doctrines de Gall, Cagliostro et de Mesmer. — Doctrine de Napoléon pour connaître le caractère d'un homme. — Napoléon et l'abbé Buonavita. — Ennuis et isolement de l'Empereur. — Comparaison entre la fidélité du général Bertrand et celle de MM. le comte Montholon et Marchand. — Le médecin Antommarchi et son impiété. — Anecdote à ce sujet. —Mécontentement de l'Empereur contre son médecin. — Les médecins matérialistes et les mathématiciens croyants.— Lettre inédite d'Antommarchi. —Réponse inédite, accablante pour le docteur. —Fidélité chancelante et victoire sur lui-même du général Bertrand. — Fuite de SainteHélène de M. Gourgaud. — Dévouement sublime et départ de l'abbé Buonavita. — Egards touchants de l'Empereur pour le bon abbé. —Première messe de l'abbé Vignali, sermonné pour l'avoir dépêchée. — Une bonne messe. — Nouvelle de la mort de la princesse Élisa PAGE 87

CHAPITRE IV. — L'Empereur averti de se préparer à mourir.


— Il redemande un testament au général Bertrand. — Second testament. — Flétrissure imprimée à Talleyrand, à Lafayette, à Augereau et à Marmont. —Pardon des injures. — La légitimité de son titre d'Empereur. — Son testament est un résumé de sa vie politique. — Son premier valet-de-chambre Marchand.■ — Explication de sa sévérité à l'égard du général Bertrand, et de son indulgence pour Marie-Louise. — Legs à l'abbé Vignali. — Résigné à mourir.— Appel à ses braves qu'il va revoir dans l'autre monde. Refus de voir madame Bertrand.—Motifs de cette sévérité, PAGE 411

CHAPITRE V. — L'heure de mourir. — Chrétien et Français sont synonymes.— Invocation. —Objection contre le sacrement de pénitence. — L'Empereur et le pape Pie VII, causant de la confession.— Opinion de Napoléon sur la confession. — Le pénitent de l'abbé Vignali. -—L'évêque du dehors. — L'extrêmeonction. — Eclat de rire impie du docteur Antommarchi, et colère de l'Empereur. — Sortie contre l'athéisme. — Ses dispositions et ses ordres pour mourir chrétien. — Opposition du général Bertrand. —Entrevues secrètes de l'Empereur avec son confesseur.— Chrétien par sentiment du coeur, plus encore que par l'esprit. — Son mépris des idéologues. —Son estime de la conscience. — Souvenir de la première communion. — La nuit du 30 avril. — Dialogue religieux avec le général Monthiolon. — Le saint viatique. — Expression de son bonheur. — Autel construit par ordre de l'Empereur, et démoli par ordre du général Bertrand. — Intolérance du général Bertrand. —Dignité de l'Empereur. — Autel reconstruit. — Paroles de l'Empereur.— Triomphe de la religion. — Mort chrétienne PAGE 129

CHAPITRE VI. — Codicille consacré aux pauvres. — Exposition du corps. — Le crucifix sur la poitrine. — Messe solennelle.

— Marche religieuse et Honneurs funèbres. — L'abbé Vignali et le jeune Henri Bertrand portant un bénitier d'argent avec le goupillon.—Description du cortége.—De profundis et prières au bord caveau sépulcral.— Descente du cercueil dans le caveau. — Salut du canon anglais.—Pierre énorme pour fermer la tombe.—Garde à perpétuité posée auprès du sépulcre de Sainte-Hélène, qui reçoit ainsi le même honneur rendu au sépulcre du Calvaire PAGE 173

CHAPITRE VII.—L'âme de Napoléon devant le tribunal de Dieu.— État de sa conscience.—Humilité profonde de Napoléon.

— L'accusation du vice. — Défense de l'ange gardien, qui fait


— 6 — l'humble aveu de la misère de la créature. — Napoléon accusé d'orgueil, de haine contre Dieu et de persécution de l'Eglise. — L'orgueil, l'ange des ténèbres et l'ange des lumières. — Noble espoir, discours de Napoléon. — Histoire de l'orgueil de Napoléon, qui s'en confesse devant Dieu. — Il condamne l'orgueil des rois scuismatiques et hérétiques. — Son opinion sur le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. — Son projet de faire un seul peuple de tous les peuples avec une seule religion. — En quoi il a été coupable et justement châtié.—Il prouve son amour de l'Eglise par le bien qu'il lui a fait et par le mal qu'il pouvait lui faire et qu'il ne lui a pas fait. — Il se vante de sa foi en Dieu. — Il énumère tous ses droits à la récompense céleste. — Il se prévaut des sacrements et du pardon de l'Eglise. — Fin du Discours de Napoléon. — Apparition de la sainte Vierge. — Accusation nouvelle : la foi et les oeuvres. — Napoléon, homme inique, fourbe et sanguinaire. — Disciple de Machiavel. — L'émule des Henri VIII, des Elisabeth d'Angleterre, des Catherine de Médicis , comparé à Louis XVI. — Ses crimes et sa scélératesse. — Admiré comme Danton, Robespierre, Saint-Just. - - Comparé à Marat.—Un composé de tous les tyrans.— Accusé de mépris et de corruption. — Il n'a pas rétabli la religion. — La France appartient au journalisme qui ne fait qu'un avec le démon. — Christianisme extérieur et matériel de Napoléon. — Absence de foi prouvée par l'absence de pratique. — Les partis qui divisent la France. — Le pape prisonnier. — Divorce de Jérôme Napoléon. — Divorce de Napoléon.—Refus du pape d'être l'allié de Napoléon. — Attentat sacrilége sur le pape. — Napoléon accusé de despotisme et de cruauté. — Assassin du duc d'Enghien. — Tison de discorde. — Le feu des vices réclame le feu de l'enfer.—Equipée de l'île d'Elbe.—Homicide.— Fin des accusations.—Exhortation de la Viergeà l'ange gardien.—Discours de l'ange gardien : Noblesse de l'âme de Napoléon.—Les intentions. —Péché originel et ses suites.—La damnation est le fait de la méchanceté propre des individus.—L'être animal et l'être spirituel. —L'âme de Napoléon dans le sein de sa mère.—Vertus de la mère de Napoléon. —Ondoyé et baptisé. — Enfance extraordinaire.— Ecole de Brienne.—La sensibilité est l'écueil du coeur.— Raison et foi de l'écolier. — Sa première communion. — Danger de l'imagination,—Effet des mauvaises lectures.— Adhésion à la


révolution française. — Trompé par des sophismes et désabusé par des forfaits. — Besoin d'agir. — Les fautes de la jeunesse de Napoléon n'ont pas été stériles. —Sa foi sort victorieuse du républicanisme. — Chrétien et vertueux à l'armée d'Italie. — L'idée de l'ambition suprême simultanée avec celle du rétablissement de la religion. — Son épée et sa croyance. — Hiérarchie nouvelle créée par Napoléon. — Son erreur sur l'indépendance du pouvoir temporel. — Erreur de la passion plutôt que du jugement libre de la volonté. — Condamnation du divorce dont le crime est rejeté sur l'officialité servile de Paris qui l'approuva. — Responsabilité du sang versé à la guerre ou par les tribunaux. — Excuse de l'orgueil qui était l'expression des nécessités de la politique plus que d'un coeur altier.—Eloge du coeur de Napoléon.

— Son horreur pour la guerre civile. — L'emploi de son temps justifié. — Observation du dimanche sous son règne.— Son droit au paradis fondé sur l'examen de sa vie toute entière et sur la rémission de ses péchés. — Satan vaincu de son propre aveu. — Plusieurs millions d'élus sauvés par le concordat. — Fuite de Satan. — Supplication de la Vierge en faveur du héros restaurateur des autels de son fils. — Parole de la Vierge qui annonce

à Napoléon son admission dans le Paradis PAGE i 81

PIÈCES JUSTIFICATIVES. — Lettre de M. le général de Montholon, explicative de la croyance religieuse ce Napoléon.

— Sentiment de Napoléon, comme homme et comme roi, sur la religion. — Le premier acte de son avénement au pouvoir, le concordat, rectification d'une calomnie à ce sujet. — Opinion de Napoléon sur la suppression des couvents et sur le mariage des prêtres, un mot de lui à Fox à ce sujet. — L'enlèvement du pape est le fait personnel du général Miollis. — Correspondance du pape et de l'empereur. — Querelles entre eux, purement politiques. — Traité d'alliance proposé par Napoléon et refusé par le Saint - Père. — Ancône occupé pour le soustraire à une invasion des hérétiques les anglais et des infidèles les turcs. — Déclaration de guerre du pape. — Bataille d'EssIing. — Espoir des ennemis de l'empereur. — Enlèvement du pape, conduit à Florence, puis à Savone. — Étonnement de la grande duchesse de Toscane. — Mécontentement de l'empereur, ses embarras, les suites de cet attentat. —L'unité italique. —Le pape transféré à Paris, capitale de l'univers et résidence de 80 millions de ca-


— 8 — tholiques.—Puissance spirituelle des papes, unie à la toute-puissance temporelle de l'empereur. — Il eut tort, mais il n'eut pas une mauvaise intention. — Lettre de Napoléon à ce sujet à l'évêque de Nantes. —Résumé de tout ce qu'a fait l'empereur pour l'église. — Testament catholique de Napoléon. — Son gardemalade. — Nuit du 29 au 30 avril. — L'abbé Vignali. — Le Saint-Viatique. — Parole de l'empereur à ce sujet. — Enfance religieuse. — Explication de quelques contradictions à ce sujet. —Ordre de l'empereur pour avoir les prières des agonisants.—Réflexions de l'auteur sur cette lettre du général de Montholon. PAGE 225

LETTRE de M. de Beauterne au général de Montholon. — Réclamations pour la publicité de certaines paroles de l'empereur, toutes catholiques PAGE 233

AUTRE LETTRE de M. de Beauterne, au même, pour avoir le procès verbal de l'Extrême-Onction, rédigé et signé par le confesseur de Napoléon. — Réponse du général à la précédente. —Nouvelle lettre de M. de Beauterne au général, sur la nécessité de tout dire et de ne rien cacher au public. — Lettre de Ham du général Montholon, depuis la publication de l'ouvrage Sentiment de Napoléon, Conversations religieuses et opinion du général Montholon sur le départ de Sainte-Hélène de MM. Gourgaud et Las-Cases.—Réponse de l'auteur à la précédente, où l'on soutient que MM. Las-Cases et Gourgaud ont déserté Sainte-Hélène. — Témoignage de M. de Las-Cases contre lui-même. — Dernière lettre du général Montholon, son dernier mot sur M. deLasCases. — Communion pascale du prince Louis, à Ham.—Lettre inédite du cardinal Fesch, à Mme la Vtesse de Fontange, au sujet de la mort de l'empereur et de l'effet produit sur sa mère muette, immobile contre un coup semblable. — Soumission à Dieu du cardinal PAGE 235

LETTRE de M. Marchand, 1er valet de chambre de l'empereur, à l'auteur. — Ses souvenirs au sujet de l'Extrême-Onction et du Saint-Viatique PAGE 250

ANECDOTE intéressante de la mort de Louis XV —

Paris. — Imprimerie de BEAULÉ, rue François Miron, 8, derrière l'Hôtel-de-Ville.


DEDICACE



Dédicace

Au vénérable J. B. Marduel,

ANCIEN VICAIRE DE SAINT-ROCH,

Chanoine Honoraire de Paris et de Lyon.

Vénérable Père,

C'est assez de votre nom pour indiquer qu'il ne s'agit point ici ni d'un écrit frivole, ni d'une


— II —

oeuvre profane. Le lien spirituel qui m'unit à vous, et le besoin de votre appui, sont le motif de mon hommage, et sans doute aussi de l'acceptation que votre modestie daignera en faire. Après avoir encouragé mes efforts et pris la peine de revoir mon travail, vous ne refuserez pas d'en protéger les résultats. D'ailleurs, c'est encore la religion que vous servirez, puisqu'il s'agit ici exclusivement, du témoignage précieux d'un grand homme en faveur de la foi. Qui ne sait la magie d'un nom aussi populaire que celui de Napoléon, et notre pente naturelle à nous ranger avec ceux que nous admirons! Enfin, les opinions religieuses du moderne César seront explicitement connues : on lira ici son adhésion au christianisme, et en particulier ses raisons de croire à la divinité de l'Homme-Dieu, qui sont bien les raisons d'un homme de génie. Tous, pour la première fois, nous l'entendrons parler sans ambiguïté de nos dogmes, et formuler l'aveu de son sentiment intime, avec cette hauteur de vue, cette persuasion sympathique, avec la même éloquence qu'on admire dans ses


— III —

écrits et dans ses proclamations à ses armées. Et le lecteur, remontant, par le souvenir, vers les premières années de l'élévation au pouvoir de cet homme extraordinaire, dira : « Voilà bien » le législateur qui rouvrit les églises, qui re» noua les liens rompus de l'unité chrétienne, » et qui ravit la France à l'impiété. » La religion, qui fut consolée par un guerrier couronné, devoit plus tard consoler le héros restaurateur de nos autels. A Sainte-Hélène, où la guerre et les soucis du trône n'étoient plus un obstacle à la grâce, Napoléon, rendu à lui-même, éprouvé et grandi par l'adversité, enfin fut trouvé digne de Dieu... L'empereur est mort marqué de l'onction qui présage un élu, comme il l'avoit été de l'onction qui bénit et consacre l'autorité temporelle des princes.

Tel est, vénérable père, le contenu de l'écrit qui paroît sous vos auspices. Notre siècle peut ajouter à cette liste brillante et nombreuse des grands hommes qui se sont honorés de leur foi à


— IV —

l'Évangile, le nom de Napoléon, Son titre d'empereur, ses victoires, la grandeur de son génie, l'excès inoui de son élévation et de son abaissement, l'ont donné en spectacle à l'univers. On en est encore préoccupé, comme d'une comète qui a disparu. Ajouter à tant d'éclat, dont brille sa tête, le rayon sacré de l'auréole chrétienne, c'est embellir un objet cher à la France, c'est aussi célébrer le triomphe de la religion, qui a définitivement conquis l'âme de ce conquérant du monde, c'est édifier les chrétiens; peut-être même, j'offre à nos grands hommes d'état un sujet,pour le moins, de réfléchir...

J'en ai l'espérance; puisse le grand nom de Napoléon aider à mon succès ! puisse la leçon de ses derniers instants être entendue !

Pour atteindre un but pieux, pauvre, je n'ai pas sollicité l'or des riches; car je ne désire point la richesse; je n'ai point non plus invoqué le monde, ni les grands de la terre, ni la nais-


sance, ni le pouvoir, qui ne sont plus qu'un thème obscur de mille contradictions, et pour la société qu'un sujet d'effroi, une source d'alarmes. Orphelin, j'invoque Dieu seul et son sanctuaire... Mais j'ai confiance d'avoir honoré l'époque, en me plaçant sous la protection d'un humble ecclésiastique, riche seulement de sa piété, de sa science et de l'amour de ses devoirs. Du moins, je suis, certain d'avoir bien agi, en ne consultant que mon coeur, puisque je n'ai rien fait qui puisse déplaire à qui que ce soit au monde. Hélas! c'est à cela que se réduit, dans ce siècle-ci, l'autorité du prêtre, qui n'a jamais eu d'autre contact avec le monde que celui de sa prière et d'une bénédiction constante. Oui, si sa charité ne nous entraine tous à l'imiter, du moins son nom vénéré, qui rappelle l'idée d'un dévouement exclusif à ses fonctions, et d'une consécration de toute la vie au service de Dieu, commande encore cet hommage.

Mais pour vous louer, vénérable père, ou


VI

plutôt pour me glorifier, vais-je indiscrètement déchirer le voile de modestie qui cache et qui doit cacher le serviteur de Dieu à un monde qui n'en est pas digne ?

Non, je ne trahirai ni le secret du ciel, ni le voeu de l'humilité; je ne dirai rien d'une vie consumée de bonnes oeuvres et de charité.

Mais votre zèle pour la défense des saintes lois, sur lesquelles Dieu lui-même a fondé la société, et qui protégent la perpétuité de la famille, ce zèle me pardonnera de signaler ici votre ouvrage de l'Autorité paternelle et de la piété filiale: livre, ou plutôt fleuve sacré, où coulent à pleins bords le flot des bons principes, les idées saines et pures, capables de guérir les plaies et d'emporter dans leur cours, si vif et si mesuré, toutes les erreurs de ceux qui, inspirés par leur ange gardien, viendront s'y désaltérer...


— VII —

Ah ! certes, quand mon coeur honore, et salue par une inclination profonde, le défenseur de tous les pères, l'ami de tous les fils, je suis assuré de ne pas trouver un seul contradicteur, et qu'il n'est personne qui n'applaudisse à ma piété, qui ne s'en émeuve, et qui ne s'incline aussi profondément que moi-même, devant vos cheveux blanchis dans le service de Dieu.

Animé de la plénitude d'un tel sentiment, et déposant à vos pieds l'hommage de ces quelques pensées, permettez-moi, vénérable père, de les offrir également à ce reste précieux de vieux prêtres, de l'ancien clergé de France, à ces vétérans du sacerdoce qui, dans la persécution suscitée à l'Église, vers la fin du dernier siècle, ont préféré, sans hésiter, l'exil, la misère, et la mort même, à une lâche apostasie: vous étiez avec eux, leur choix fut le vôtre, souffrez donc qu'en implorant votre bénédiction, j'implore aussi la leur...


— VIII —

Dans cette attente, je suis avec une vénération profonde,

Vénérable père,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur et fils en N. S. Jésus-Christ.

Le chevalier de BEAUTERNE,

Commissaire de charité du 1er arrondissement, rue des Batailles, 18.


PREMIÈRE LIVRAISON.

SOMMAIRE.

L'auteur, en dédiant son livre au vénérable M. Marduel, le dédie à l'ancien clergé de France. — Avant-propos.—Un mot de M. d'Eskstein et un mot de M. de Montholon, au sujet de ce recueil. — M. Thiers et M. Cousin. — L'Évangile de Napoléon.— Épigramme contre le Conseil royal de l'instruction publique. — L'âme de Napoléon. - Visite de l'auteur à MM. Las Cases, Montholon, Marchand, Bertrand et Gourgaud. — L'Empereur et M. Montholon à l'Élysée-Bourbon, en 1815.



AYANT-PROPOS,

SOMMAIREUn

SOMMAIREUn de M. le comte de Montholon, et un mot de M. le baron d'Eckstein. —Les grands hommes du jour. — Épigramme contre le conseil royal de l'instruction publique. — L'âme de Napoléon. — Visite de l'auteur à MM. de Las-Cases, de Montholon, Marchand, Gourgaud L'empereur et M. le comte de Montholon à l'ElyséeBourbon en 1815. — Explications au sujet du général Bertrand,



AVANT-PROPOS.

Comme on voit dans l'eau l'image de celui qui se regarde, ainsi le coeur de l'homme est connu de l'homme.

Proverbes CHAP. XXVII. 19

Les documents inédits de ce recueil m'obligent à en établir l'authenticité. Simple metteur en oeuvre de la pensée d'autrui, je dois au génie, au public autant qu'à moi-même de le déclarer. L'écrit qu'on va lire n'est point un mensonge, ni quelque élaboration vulgaire de la cupidité, mais une parole improvisée à Saint-Hélène, dont l'écho est transmis au lecteur, tel qu'on l'a recueilli des auditeurs de l'illustre improvisateur lui-même, avec ce scrupule et-ce respect qu'inspire tout ce qui émane de ce grand homme. , Allant au-devant de quelques doutes que l'esprit de méfiance nous a suggérés à nous-même.: " Comment, disions-nous au noble personnage duquel nous recevions la meilleure part de cette religieuse confidence, comment des documents de cette importance n'ont-ils pas encore été portés à la connaissance du public? " Voici la réponse : « Pourquoi cela ? rien de plus simple : personne n'a fait les questions que vous faites ; personne ne s'est inquiété de ce qui vous inquiète. "

Qu'on fasse un retour sur soi-même, qu'on s'interroge, interrogeons la curiosité du jour, et chacun saura le secret de l'omission et de la négligence qu'on répare ici. Ce qui est futile et romanesque nous captive plus volontiers que les scènes de l'histoire. L'attention, si éveillée devant les tréteaux du premier feuilletoniste qui


— IV—

s'offre à nous, s'affaisse et s'endort oisive devant le portail d'une église. La conscience s'en indigne, et la vérité jaillit du premier choc qui l'appelle. En voici la preuve : Quelqu'un me demanda s'il y aurait une suite à l'Enfant impie *. « Oui, répondis-je : Napoléon religieux. « J'avais affaire à un philosophe, qui eut dominé bientôt un premier mouvement de surprise; et, sans doute consultant sa réflexion: « Oui, dit-il, après un instant de silence, vous avez raison, avec tant de génie, avec tant de puissance ; on doit vite épuiser le fini, on doit arriver à l'infini. » Cette parole, qui était le produit d'un choc inattendu, si simple et si profonde, fut pour moi l'éclair de la région intellectuelle, qui traverse et illumine l'entendement. Voilà bien le fruit mûr d'une belle intelligence! Ah! sans doute, le génie, la religion et l'infini ne sont qu'une seule et même chose; mais il n'appartient qu'au génie de l'exprimer avec une concision aussi admirable, et du même coup de justifier une donnée originale, qui a le grand défaut de contredire un préjugé accrédité par l'impiété contre l'empereur. La première phrase, citée plus haut, est de M. le comte de Montholon, et constate l'authenticité dé nos documents,

* Cet ouvrage, publié sous le titre de Mort d'un Enfant impie, forme un vol. in-8°. La première édition, tirée à 1000. exempl. est épuisée. Rien là qui soit romanesque, mais la vérité toute nue ; une histoire véritable et le portrait d'après nature d'un écolier vicieux et méchant. La seconde édition vient de paraître avec une préface qui est toute une histoire des idées de l'auteur, de ses travaux, de sa vocation littéraire, des difficultés et des obstacles qu'il a rencontrés, et de la manière dont il les a surmontés. Cette seconde édition est ornée d'une liste de mille souscripteurs et de deux dessins, dont l'un représente Napoléon recevant le saint viatique, par M. Horace Vernet.

( Note de l'éditeur. )


en expliquant tout naturellement leur nouveauté. La seconde phrase, qui est de M. le baron d'Eckstein, donne la sanction d'un jugement favorable du génie au nouveau point de vue de ce recueil. C'est au recueil à faire le reste. Un homme corrompu, quel que soit son esprit et sa puissance, est toujours un intrigant qui peut effleurer les questions, les agiter, les dominer même momentanément, mais qui ne peut ni les sonder ni les résoudre. Tout ce qu'il y a de faux et de misérable dans un individu flétri dans sa conscience publique et dans sa vie privée, paralyse nos grands hommes actuels, qui sont également impuissants pour le bien et pour le mal, et qui se débattent vainement contre l'obstacle infranchissable de leur propre individualisme. Il ne faut pas s'inquiéter trop de leur passage éphémère au pouvoir, ni de leur opinion sur le christianisme. Ils sont arrivés a la surface et au timon des affaires, beaucoup plus par la fermentation d'un esprit qui s'ignore et par le trouble des événements que par un mérite réel; un moment encore... et ils disparaîtront comme une impure écume, emportés dans le grand courant des principes. Ils sont sortis de l'antre du journalisme : puisse leur triomphe, qui est l'expression du mensonge: littéraire et philosophique de l'époque en être aussi la fin ! Lui, Napoléon, est un fait aussi éclatant que le soleil! Il conquit le pouvoir non à coups de plume, mais à coups d'épée; non avec des phrases, mais avec des faits; non dans les ténèbres souterraines du journalisme, mais au grand jour d'un champ de bataille; non avec des intrigues, mais avec des victoires ; au risque de sa vie, non pas à la manière des libertins, en alarmant, en violentant l'opinion publique, mais à la manière des héros, en calmant, en rassurant


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cette même opinion, dont il n'était pas l'esclave, et dont il ambitionnait plutôt d'être le maître. Le règne de Napoléon fut celui de l'intelligence et défia volonté, et son triomphe le triomphe de la société et du christianisme. Quel beau sujet de réflexion et d'étude! En ne se lassant pas de creuser au fond de l'âme de ce grand homme, on doit y trouver certainement le secret de l'origine de sa puissance. D'ailleurs, peut-on négliger celui dont le nom tient une si grande place dans notre histoire? Ses revers, noblement supportés, lui ont mérité une popularité nouvelle, celle qui naît du malheur. De longtemps, on ne connaîtra d'autre modèle ; et quelle imitation dangereuse, s'il n'y avait un correctif à l'ambition, si les qualités d'un grand caractère, les croyances d'une intelligence supérieure, enfin si les principes n'étaient là pour dominer le tableau de l'imagination, et pour imprimer dans les esprits l'idée d'une gloire supérieure à celle de la guerre et des conquêtes..-. Les livres ne font connaître que le capitaine fameux, ici l'on connaîtra l'esprit, la conscience du héros... J'ose dire qu'on lira l'histoire de son âme, puisque la pensée religieuse révèle l'âme elle-même.

Tel est le but de ce recueil, que j'offre surtout à la jeunesse de nos écoles, si le libéralisme ne s'y oppose. Sous la restauration, on ne refusait l'approbation universitaire qu'à un livre immoral ou contraire à la religion. Maintenant nous vivons sous un régime de liberté, et nos prétendus libéraux refusent l'approbation même aux livres-religieux, sous prétexte qu'ils sont trop religieux *, ce qui faisait dire à M. Sainte - Beuve

* Le conseiller de l'Université chargé de l'examen de la Mort d'un Enfant impie, a conclu au refus d'approbation. Ce livre, a-t-il dit, est


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» Ils voudraient aussi une religion juste - milieu. » Les documents que je publie contiennent la pensée intime de Napoléon sur le christianisme, et spécialement sur la divinité de l'Homme-Dieu. Ces révélations, émanées de lui, sont le faîte de l'édifice de sa vie et le couronnement de son caractère historique; on peut en fixer désormais la proportion définitive, parce qu'on en connaît toute l'élévation.

Que d'écrivains ont interrogé ce mort illustre, trop souvent dans l'intérêt d'une curiosité puérile! Du moins il s'agit ici d'une chose neuve et grande, plus grande que Napoléon lui-même. On ne saurait contester non plus l'originalité et l'importance de cette publication, qui est en quelque sorte un nouvel Évangile, l'Évangile du génie, où Napoléon, justifiant sa foi, du même coup justifie celle de Locke et de Leibnitz, de Newton et de Clarke, comme celle de Pascal, de Cassini et de Descartes; en énumérant ses motifs pour croire à la religion, il semble énumérer les motifs de la foi de ces grands hommes. On dirait qu'il les devine, comme il disait luimême un jour, que tout le secret de ses succès à la guerre, « c'était l'imitation de César, d'Annibal et d'Alexandre, » Quelques personnes s'inquiéteront; de savoir quelle est la part de travail du metteur en oeuvre ; et, si l'on a fait des additions, à quels signes on reconnaîtra ce qui

plus religieux que moi; je n'en veux pas. Cependant ce conseiller est exact à la messe le dimanche, et même il lit très-attentivement dans son livre de messe; comment concilier la religion avec tant de haine des jésuites chez le même homme ! Pascal peut-être est excusable d'avoir allié deux sentiments si opposés, circonvenu, trompé qu'il était par les jansénistes, trompé aussi par sa dévotion atrabilaire. Mais en vérité, la haine des jésuites n'est plus de mise chez aucun homme d'esprit, laissons cela au Courrier, français, à MM. Valentin de la Pelouze, Moussette, Lucas et autres olibrius pareils. ( Note de l'auteur. )


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est de Napoléon ou du manoeuvre. Ma réponse seras bien simple : on ne contrefait pas le génie. Le fond des pensées, lé nerf du raisonnement, les arguments principaux sont et ne peuvent être que de Napoléon. Le style et des phrases entières lui appartiennent aussi, quelquefois littéralement, comme celle-ci, par exemple, qui est au début de l'opinion de l'empereur sur Jésus-Christ : « Je connais les hommes, et je vous dis que Jésus n'est pas un homme." Et cette autre qui termine : "Si vous ne voyez pas que Jésus est Dieu, dit Napoléon à son interlocuteur, eh bien! j'ai eu tort de vous faire général. «■

Néanmoins on avouera ingénument que, si l'on a respecté les pensées de Napoléon, ce respect n'a rien de servile. On a imité l'ouvrier qui monte un écrin; cet ouvrier ne craint pas quelquefois de tailler les diamants; pour multiplier l'éclat et les effets de lumière, il ose multiplier les facettes. Heureux si l'on avait pu faire davantage! Maintenant, pour ce qui est du style et de la forme littéraire, le geste et la voix sont la vie et le charme naturel du discours : mais quelque fidèle que soit la mémoire, qui ne sait combien la pensée s'altère et diminue dans le trajet d'une communication qui n'est pas directe : pour y suppléer, on n'a pas craint de recourir à une inspiration propre et à une certaine parure, qu'exige la parole écrite, et sans laquelle elle manque de grâce et ne saurait plaire.

Ceci posé, il me reste à indiquer par ordre et clairement les sources où j'ai puisé. Je dois citer en première ligne les compagnons d'exil de l'empereur. Je les ai consultés; je me suis assuré, autant par leur dire que par la lecture des écrits officiels de Sainte-Hélène, qu'il y avait été question, beaucoup plus souvent qu'on ne le


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croit communément, de Dieu et de la religion. Ai-je eu lieu d'être satisfait également de mes démarches auprès de tous? Hélas! trop souvent on pense à soi plus qu'à la vérité ; et plusieurs ne retiennent que ce qui se rapporte à l'opinion, à l'intérêt du jour! On divulgue ce qu'il faudrait tenir secret, et l'on cache ce qu'il faudrait publier sur les toits. Que de misères! que de niaiseries l'on nous a débitées gravement sur Napoléon! et l'on a omis les scènes imposantes de la religion; on a raccourci les improvisations sublimes! La crainte du : Qu'en dira-t-on? paralyse la langue. Peut-être ai-je le défaut opposé : j'abonde dans le sens religieux. Mais on n'aime jamais assez ce. qui est digne d'amour; du moins l'opinion propre, ici, est la recherche de ce qui est éternel.

J'ai reçu de M. de Las-Cases une lettre singulière, qui n'est pas propre à donner une grande idée de sa pénétration, si elle honore sa conscience. M. Marchand fournit une lettre bien décisive, naïf renseignement dans le sens de la foi religieuse de l'empereur. On trouvera une citation, également décisive, de M. Antommarchi dans le même-sens. On lira sans doute avec intérêt les rapports qui n'ont jamais été publiés, demandés par l'empereur aux deux prêtres et au médecin, le jour de leur arrivée à Sainte-Hélène. Ces rapports sont une notice biographique de chacun de ces personnages. M. le baron Gourgaud m'a fait l'honneur de me recevoir et de causer avec moi; il m'a promis des documents précieux que je n'ai pas encore reçus. Il pense que Napoléon était croyant, mais qu'il avait des moments de doute. « Par exemple, ajouta M. le général Gourgaud, je ne " puis oublier que l'empereur m'ayant surpris plusieurs » fois, lisant la Bible, il m'en plaisantait, lui qui la lisait


» presque constamment lui-même. Il me disait : Voyons, » avez-vous la foi? expliquez-moi cela, donnez vos raisons. »

Lé lecteur ne lira pas sans émotion une lettre du cardinal Fesch, où ce prince de l'église romaine essaie de faire connaître la douleur profonde causée par la perte d'un tel fils à la mère de Napoléon. Je tiens cette lettre précieuse de l'obligeance de Mme la vicomtesse de Fontange, à qui elle fut adressée. De plus, on a placé en tête de cette publication un fac simile bien intéressant de l'écriture de l'empereur, lequel, par l'étendue et par l'importance de la matière, est le plus curieux qui ait encore été publié.

Enfin la personne qui a droit à mes remercîments les plus respectueux, c'est M. le comte de Montholon. Je pourrais presque dire que ce recueil tout entier est bien plus son ouvrage que le mien ; non pas que je prétende excuser ainsi mes fautes : non, j'affirme de nouveau que le style, la forme littéraire est de moi; mais j'affirme, et je le répète encore une fois, que les pensées, les raisonnements sont l'esprit, la parole, l'oeuvre de Napoléon lui-même. Le Mémorial si fidèle, s'il contient un plus grand nombre de pages, ne contient pasplus de vérité. D'ailleurs les sentiments religieux exprimés ici se retrouvent dans le Mémorial de M. de LasCases, dans O'Méara et dans Antommarchi, mais avec des additions, des retranchements. Il n'y a donc ici qu'une répétition plus formelle, plus explicite, et, si j'ose le dire, plus littéraire. Il ne me serait pas difficile de prouver que les différences tiennent beaucoup plus aux différents secrétaires de l'empereur, à leur manière de voir, à leur esprit propre, qu'à l'empereur lui-même. Si la nécessité m'y forçait, il suffirait de consulter l'opinion, les préjugés, les principes connus des secrétaires,


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pour déterminer immédiatement la vraie origine des contradictions flagrantes, des absurdités palpables, des fausses interprétations. Néanmoins je ne me fais pas d'illusion sur le sentiment de prévention avec laquelle on accueillera d'abord ce recueil. En voici l'explication: la religion est ici en évidence et le principal ; ailleurs il en est tout autrement : la religion n'est jamais dans le jour qui lui convient; ce qui la concerne n'est même pas exprimé avec cette politesse, ces égards, ces développements, cet amour que réclame la sublimité du sujet. On écrit avec le même style l'histoire des plus augustes confidences et l'histoire de ce qui est le plus trivial et du dernier vulgaire. On est de mauvaise compagnie, on est sans gêne avec Dieu. Les questions sacrées se trouvent noyées dans la foule des détails d'une insignifiance désolante...

Quant à la valeur de la parole de M. le comte de Montholon, à qui l'histoire sera redevable de cet éclaircissement inattendu de la physionomie religieuse de l'empereur, je crois devoir édifier le lecteur par un récit succinct de ce qui décida ce personnage à s'exiler de France pour partager la prison de Napoléon. Il était de service à l'Élysée-Bourbon, le jour où l'illustre libéral Lafayette demanda et obtint le décret de la seconde déchéance. L'effet fut prompt comme celui de la foudre ; aussitôt tout le monde s'évada d'un lieu frappé de disgrâce Le général Montholon, lui seul d'officier général, demeura à son poste. Napoléon, avec l'inquiétude, l'agitation naturelle dans une position semblable, venait de temps à autre, jeter un regard furtif dans le salon de service qui bientôt fut désert. « Général Mon» tholon, lui dit-il en venant à lui, est-ce que vous sui» vriez ma mauvaise fortune comme tant d'autres ont


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» suivi la bonne » Je cite les paroles textuelles du

général : Je n'osai refuser Certes, je ne me se»

se» pas offert, j'en étais bien éloigné; mais c'était la " demande de mon souverain dans le malheur; ce fut » mon honneur de soldat qui dicta ma réponse, j'accep» tai. » D'autres se sont offerts pour aller à SainteHélène, et qui en sont repartis avec de bons prétextes, sans doute, puisque l'empereur les a acceptés ; Dieu juge

leur conduite Quant au général Montholon, qui ne

s'est pas offert, il y est demeuré jusqu'à la fin, « sans jamais » donner aucun signe de chagrin. » Aussi l'impartiale équité de celui qui faisait consister à bon droit l'art de régner dans l'art d'apprécier les hommes, cette équité a écrit dans son testament les trois paragraphes suivants :

« Je lègue deux millions de francs au comte Mon» tholon, comme une preuve de ma satisfaction et des « soins filials qu'il m'a rendus depuis six ans.

» Je lègue au général Bertrand cinq cent mille francs.

» Je lègue à Marchand, mon premier valet de cham» bre, quatre cent mille francs; les services qu'il m'a » rendus sont d'un ami. »

Il nous reste à nous expliquer au sujet du général Bertrand, plusieurs fois cité et mis en scène, pour des actions, des paroles dont la divulgation a dû le blesser, lui, sa famille et ses nombreux amis. Un journal ayant donné de la publicité aux griefs qui ont surgi contre nous à ce sujet, et les ayant tous résumés dans quelques lignes, comme une marque de notre bonne foi et un premier hommage à celui qui est aussi pour nous le héros des temps modernes, nous allons reproduire l'article du journal:

" Dans notre numéro du 3 octobre courant, à l'article Variétés, consacré à l'ouvrage de M. de Beauterne,


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SENTIMENT DE NAPOLÉON SUR LA DIVINITÉ, nous terminions cet article par ces mots : Quoique nous ne soyons pas en position de pouvoir fixer la valeur historique de tous les détails que renferme le livre de M. de Beauterne, nousy avons trouvé néanmoins un vif intérêt. " C'était assez dire que nous n'adhérions nullement, du moins jusqu'à plus ample informé, aux incriminations que peut contenir cet ouvrage contre certains personnages ; c'était même peut-être inviter le lecteur à se défier de plusieurs d'entre elles. Toutefois nous éprouvons le besoin de déclarer plus nettement encore notre pensée à ce sujet; car en nous associant à un hommage rendu à la Divinité, à Dieu ne plaise que nous nous associions pour cela à des accusations qui sont sans doute formulées avec conscience et bonne foi, mais qui peuvent pourtant n'être pas du tout fondées. Nous citerons, par exemple, ce qu'on dit dans ce livre du général Bertrand, qui, certes, n'a jamais été un impie, encore moins un fanfaron d'impiété; qui se fit, au contraire, remarquer à toutes les époques de sa vie par des actes religieux; de qui il est établi que dans l'existence la plus agitée des camps, il n'oubliait jamais d'adresser sa prière à Dieu matin et soir, et qui enfin, a obtenu du ciel de laisser, suivant ses voeux, la postérité la plus honorable par sa foi et sa piété. »

( Extrait du journal l'Univers, 10 octobre 1841 ).

Maintenant voici notre réponse, qui fut insérée dans le numéro du 15 obtobre 1841 du même journal :

Chaillot, ce 13 octobre 1841.

« Monsieur,

« Dans votre numéro du 3 octobre, vous avez rendu compte d'un livre dont je suis l'autéur, intitulé : SENTIMENT


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DE NAPOLÉON SUR LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST, et révenant sur votre premier éloge dans le numéro du dix octobre, tout en rendant justice à la bonne foi de l'auteur, ce dont je vous remercie très-humblement, vous paraissez n'avoir pas une opinion aussi favorable de sa perspicacité et de son discernement, vous élevez le nuage de quelque doute, bien léger, il est vrai, et jusqu'à plus ample informé, dites-vous, sur l'authenticité des documents qui ont excité à un si haut degré votre admiration et votre intérêt.

» Je dois répondre, non pour moi seul, mais à cause d'une oeuvre, que les autorités les plus respectables, ont jugée capable d'exercer une heureuse influence sur un grand nombre d'esprits, naturellement disposés à se laisser instruire et convertir même peut-être par l'éloquence et les arguments victorieux, par l'exemple de la piété et de la foi admirable d'un génie aussi extraordinaire que Napoléon. Quant à moi, monsieur, qui me connais du moins moi-même, c'est cette connaissance qui m'engage, pour suppléer à ce qui me manque, à ne rien écrire que posément et après de mûres réflexions.

» L'avant-propos de mon livre, que je devrais transcrire ici tout entier, est consacré presque uniquement à établir l'authenticité des documents dont je me suis servi, et contient l'indication très-précise des sources différentes où je les ai puisés, et des autorités dont je m'appuie. Toutes les pièces inédites originales que j'ai publiées, émanent du portefeuille de Sainte-Hélène et de celui qui en est le possesseur. Il n'est pas un témoignage plus pur et plus désintéressé que celui de M. Marchand. Voici comment il s'exprime : Ne craignez rien; il'n est personne qui soit à même de démentir ce qui vous a été communiqué par M. le comte de Montholon, qui jouis-


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sait de la plus entière confiance de l'empereur, et qui a été à même, mieux que personne, de connaître tout ce qui s'est passé à Longwood. M. le comte de Las-Cases n'a pas donné d'autres preuves de l'authenticité de ce qu'il rapporte dans le Mémorial que son propre témoignage, et le public s'en est contenté. Ne serait-on soupçonneux, inique même, que parce qu'il s'agit de la foi? Cela serait concevable d'un journal impie, mais devait-on s'attendre à ces soupçons de la part de l'Univers ? Est-ce la charité qui cherche à contrarier ce qui édifie naturellement tout le monde? Le Courrier français lui-même n'en a pas eu l'idée, dans l'analyse furibonde qu'il a donnée de l'ouvrage, préoccupé qu'il s'est montré uniquement de défendre les écrivains méprisables et infâmes stygmatisés dans

ma préface, comme si la cause de ces écrivains avait quelque chose de commun avec le Courrier français.

« Je termine, en répétant que mes documents sont authentiques, étant émanes de personnages vivants et contemporains, qui me les ont donnés comme les acteurs et les témoins des faits que je raconte. Tout mon livre est vrai, quant au principal et à l'essentiel, parce que personne n'a démenti, ni ne pourra rien démentir.

» Je ne puis donc attribuer l'insinuation de l'Univers qu'à un désir naturel d'associer à un hommage à Dieu, pour me servir de son expression en parlant de mon livre, un autre hommage à l'héroïsme, à la fidélité, aux vertus du général Bertrand. Je m'y associe d'autant plus volontiers, qu'à mes yeux il n'est pas d'illustration contemporaine mieux établie, plus pure, plus désintéressée, plus digne de tous les éloges et de toutes les sympathies.

» Permettez-moi d'ajouter à ce que vous dites du


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général faisant dans les camps, soir et matin, sa prière à Dieu, qu'il est bien probable, d'après cela, que dans ses objections contre nos croyances à Sainte-Hélène, il n'exprimait pas sa pensée véritable,' mais qu'il obéissait au désir d'animer la conversation, peut-être même au désir de s'instruire des vrais sentiments de l'empereur sur ces questions si graves.

» J'ajoute encore un fait bien touchant, que je tiens de M. l'abbé Dancel, premier vicaire de Notre-Dame-deLorette, que le général Bertrand ne manque jamais de faire célébrer un service le jour anniversaire de la mort de l'empereur, dévotion que pratique également M. Marchand. On dit de plus, et vous semblez, monsieur le rédacteur, le confirmer, que le général Bertrand pratitique la religion de ses pères. Le général Montholon m'a toujours dit, et je l'ai même écrit dans mon livre, qu'il ne doutait pas que le général Bertrand, réfléchissant sur tout ce qu'il avait vu et entendu de l'empereur religieux à Sainte-Hélène, ne voulût lui-même mourir comme leur maître et ami commun. Dieu soit béni d'avoir accordé une si grande grâce à une vertu si grande que celle du général Bertrand! Le ciel le devait à cette vertu, et surtout aux prières ferventes d'une famille dont là piété égale la distinction. Et qui pourrait s'étonner de cette conversion un peu tardive, quand Napoléon luimême, cet Italien plein de foi, n'a pratiqué avec exactitude, avec ferveur la religion qu'à Sainte-Hélène, dans l'exil et en face de la mort imminente.

» J'ai l'honneur, etc.

Le chevalier DE BEAUTERNE.


PREFACE.

Fù vera gloria? aï posteri

L'ardna sentenza

Manzoni, il cinque maggio, ode.

Dans l'existence de Bonaparte, il se trouve une question qui n'est point suffisamment éclaircie, celle de sa moralité. Qui n'aperçoit tout de suite la gravité et les conséquences de cette omission, puisque toutes les autres questions se rattachent à celle-ci et en dépendent? Il n'est rien de plus étendu, de plus subtil et de plus délicat, que ce qui est du ressort et du domaine de la conscience. Il ne s'agit point ici de l'esprit, mais du coeur. Dieu seul lit couramment ce qui s'y passe, je le sais; cependant les prêtres égyptiens croyaient avoir le droit d'interroger les rois, en les citant, après leur mort, à un tribunal redoutable et révéré : l'on y scrutoit jusque dans les replis les plus intimes ; l'on y demandoit compte non-seulement des actes mais encore de l'intention : c'est vraiment d'après l'intena

l'intena


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tion qu'il est équitable de juger la mémoire des princes.

Faut-il donc regarder Napoléon comme un de ces hommes fameux qui doivent leur élévation au caprice du sort, à l'épée, aux finesses d'une habileté prodigieuse, au machiavélisme plus qu'à la justice, plus qu'au bien général et à une mission providentielle?... Je le dis en toute assurance : J'ai lu des histoires de l'empire ; mais je ne commis point d'appréciation morale de l'empereur. Cependant les facultés les plus brillantes glorifient Dieu qui les donne, plus que l'homme qui les reçoit. Ce n'est pas là ce qui crée des droits à l'estime. Je puis dire de Napoléon: Qu'importe l'étendue presque infinie de ses connoissances, son coup d'oeil d'aigle, ses idées administratives, sa conception si rapide, sa stratégie si savante, et son incomparable talent militaire, qui le place hors de ligne dans l'histoire moderne, et sans autres rivaux dans l'histoire ancienne, qu'Annibal, César et Alexandre. Ce sont là des redites et des banalités, puisque personne n'y contredit. D'où vient que l'unanimité cesse, que l'incertitude commence, aussitôt qu'on veut approfondir le coeur, analyser l'intelligence, mettre à nu la base morale de ce profond politique ?

Sur son rocher, l'empereur avoit pensé à cette


lacune, et, refléchissant à la puissance et à la fureur dp ses ennemis acharnés après sa mémoire, il se sentoit la peur d'être défiguré dans l'histoire, et d'y être un jour buriné sous les traits de quelque monstre, de quelque tyran sanguinaire; ou, ce qui lui inspirait la même horreur, il craignait d'arriver à la postérité, flétri par les odieuses qualifications d'incrédule, d'impie, peut-être d'athée...

Mais une réflexion lui rendoit la sérénité, réflexion bien simple : « Les faits sont là » , disoit-il. Déjà son espérance prophétique se réalise, l'avenir la réalisera davantage : car la justification complète du drame impérial est liée à la solution du problème politique, au dénouement trop tardif de nos luttes intestines , et à la fin de la crise que nous subissons. L'empereur ne fait qu'un avec les honnêtes gens, qui sont solidaires entre eux : sa cause est la leur, comme celle des intérêts généraux qu'il servit avec un dévouement si absolu. Son triomphe sera donc le triomphe des principes. Et qui oseroit refuser une place parmi les honnêtes gens à celui qui leur a rendu de si éminens services? Ce qui reste de l'ordre établi dans son empire, est encore ce qui nous protége momentanément contre l'anarchie. Tôt ou tard, après des oscillations plus ou moins périlleuses,


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plus ou moins turbulentes , j'en ai le pressentiment, les honnêtes gens de tous les partis verront la nécessité de se coaliser dans l'intérêt commun. On ne fera point un appel au despotisme; mais on voudra rendre aux pouvoirs publics leur dignité, sans laquelle ces pouvoirs sont plus nuisibles qu'utiles (1). On s'élèvera contre la confusion des droits, le nivellement des principes, enfin contre une prétendue liberté de discussion, qui n'est bien réellement que le despotisme d'un intarissable bavardage. Alors nous admirerons le grand génie politique de Bonaparte, et l'audace qui fit surgir du chaos révolutionnaire une hiérarchie ; et, nous inspirant de son héroïque souvenir pour imiter son exemple dans des circonstances également critiques, peut-être renouvellerons-nous le prodige de la volonté individuelle qui sauva la France, peutêtre la volonté collective de la nation aura la même énergie pour imposer silence au vice, aux mauvaises passions, en imprimant la terreur des lois aux absolutistes dans le système du mal. Quoi qu'il en soit, Napoléon demeure le créateur et l'organisateur de la France moderne. Nous sommes son ouvrage; nos lois, nos moeurs, notre système social tout entier, portent l'empreinte de son esprit, de ses qualités, de ses défauts. Celui qui nie ces rapports, cette ressem(1) Paroles du Testament de Louis XVI,


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blance, ne connoîtra jamais qu'imparfaitement la société actuelle ; il ne pénétrera qu'à demi la cause des sourdes rumeurs et du malaise indéfinissable qui pèsent sur la situation présente. Comment les historiens semblent ils s'être donné le mot, pour ne parler que superficiellement et au hasard d'un caractère moral aussi prononcé que celui de l'empereur? Ils ont, dans sa vie esquissée par eux, mis en relief le guerrier plutôt que le prince; l'imagination et les qualités éphémères, plutôt que les qualités essentielles; le brillant plutôt que le solide, le fabuleux plutôt que le réel. Ils n'ont point défini l'homme privé, et n'ont point vu que cette omission obscurcissoit les plus belles parties de l'homme public. Pourquoi cette lacune? La raison en est bien simple : vils esclaves des faits, nos écrivains n'ont pas peur seulement de la religion, mais encore de la métaphysique. De là le soupçon d'athéisme, qui plane sur la gloire de Napoléon. Mais on a droit de dire : « « Ce n'est » pas lui qui ne croit pas en Dieu, ce sont ses » historiens. »

Je sais qu'il est des gens estimables qui ne nient point les immenses services rendus par l'auteur du Concordat, mais qui se délivrent du fardeau de la re-


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connaissance, en attribuant aux lumières d'un despotisme intelligent et à l'intérêt propre du prince une conduite qui, de leur avis, à été celle de Dieu même. Dieu, disent-ils, dans l'intérêt de son Eglise, s'est servi d'un hemme qui avoit l'impiété de vouloir se servir de lui. Je n'épouse point cette opinion, qui est dure, peu chrétienne, et qui manque de charité autant que de vérité.

Soit ignorance réelle ou combinaison de gens qui croient avoir besoin du parti impie et du parti religieux, les bonapartistes, acceptant les faits sans remonter à la cause, n'ont jamais osé dire clairement quelle étoit la pensée intime de l'empereur touchant le dogme chrétien, si quelque calcul ou la conviction lui avoit inspiré lé concordat et le sacré.

Enfin, les hommes du jour ont traité la conscience religieuse de Bonaparte avec le dédain habituel à des parvenus, croyant faire beaucoup d'honneur à un héros, de le faire penser comme eux sur un sujet aussi délicat, et de le rapetisser à la taille morale si exiguë de quelque sous-sécrétaire d'état de nos ministères. Mais il est permis de leur dire : « Vous faites votre » propre histoire, et non la sienne. Vous déshonorez


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" un prince qui a professé publiquement le christia" nisme, dans des temps orageux, pour excuser le. » déshonneur et l'avilissement personne que l'ambi» tion ou plutôt l'intrigue vous fait subir. Car dans » ces temps d'indifférence où nous vivons, rien ne » peut comprimer la foi, si ce n'est l'athéisme, une « impiété réelle, ou bien une prudence égoïste et » l'hypocrisie du respect humain. Qu'y a-t-il de " commun entre vous et Napoléon? qu'il est un » parvenu comme vous; mais que vous êtes petits, » et qu'il étoit grand! Le trône ne l'exhaussa « point; au contraire, ce fut lui qui exhaussa le » trône. »

Telle est la conclusion des partis qui divisent là France, réunis et dominés, dans la présente circonstance, par l'esprit du siècle : le siècle n'estime que ce qui l'amuse. Le temps, le plaisir présent, la minuté où nous vivons, voilà ce qui plaît au siècle; voilà ce qu'il exige d'un auteur, et voilà l'excuse des écrivains du jour. Quelle n'est pas la tyrannie d'une idée fausse? L'appréhension du pouvoir absolu, do déductions en déductions, a. amené nos publicistes jusqu'à la haine de l'absolu, jusqu'au mépris de la vérité. Quel est le thème de nos dissertations quotidiennes? quel est le cri de ralliement? Vive le fait! à bai l'absolu!


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Tel est le mot d'ordre insensé de nos prétendus chefs d'école, qui ne sont vraiment que des pédagogues, plutôt que des politiques ou des philosophes. C'est ainsi que nous retournons, par une conséquence fatale, au fait de l'anarchie et à l'absolu de la guillotine et du jacobinisme. . a

On a décrit minute par minute l'emploi du temps de l'empereur. On n'en a jamais fini avec ses guerres : que de volumes, quel torrent de phrases, que d'éloquence, quel mer de documens sur ce chapitre! Notre histoire n'est plus l'histoire d'une nation, mais d'une armée, une sorte d'école de peloton, un manuel de l'officier. Mais ne vous avisez pas de demander quel était le mobile qui faisait agir ce grand capitaine; quelle était sa foi ; où il puisait sa retenue dans le mal, la régularité de ses inspirations , la sagesse de ses maximes, l'équité de ses jugemens; s'il n'avait pas enfin quelque principe qui le dominait, ce dominateur du monde; quelle était sa conviction; s'il était vicieux ou vertueux ;'impie ou pieux ; athée ou croyant. L'histoire se tait, tout manque à la fois, les idées, l'inspiration, le style, la critique, même les phrases. 0 historiens de l'antiquité profane , Plutarque, Xénophon, Salluste, et vous immortel Tache ! il jaillit de votre seul souvenir


— 9 — une protestation contre nos historiens modernes, dont je n'oserois écrire ici les noms chrétiens auprès de vos noms païens. En sorte qu'après avoir compulsé , médité des milliers de volumes, l'attention ploie devant la multitude des faits, et l'on n'en connoît ni le droit ni la moralité. Vous êtes éblouis par la série des victoires et des combats d'une sorte de dieu Mars qui s'agite et se démène dans toute l'Europe , y promenant toutes les horreurs de la guerre, noyant dans le sang humain les limites géographiques des peuples; déplaçant, remuant et bouleversant les trônes et les royaumes avec son épée, comme un laboureur retourne son champ avec le soc de sa charrue. Puis ce dieu mythologique disparoît comme un héros de théâtre ; et sa pensée intime, sa volonté, son âme, demeurent quelque chose d'obscur, un secret complexe, je ne sais quelle indéchiffrable énigme que l'honnête homme contemple, sans pouvoir se résoudre à affirmer rien, dans un sens ou dans un autre.

Cependant, d'où vient que Napoléon n'a jamais cessé d'inspirer, à ses amis comme à ses ennemis, la terreur d'une admiration involontaire, qui est le vrai diadème d'un front royal? Il tint jusqu'au bout son rôle à lui, fidèle au caractère principal de sa physio-


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nomie, qui étoit l'esprit de domination. Injurié ou encensé, haï ou aimé, vainqueur ou vaincu, donnant des fers aux rois ou captif-d'Hudson-Lowe , Bonaparte demeure être supérieur, le juge de ses juges; il

trône, il est encore lui l'empereur l'élu d'un

grand peuple et de Dieu... phénomène admirable, signe caractéristique d'une majesté que n'a pas faite là main des hommes, et telle que Dieu seul en élève, quand cela lui plaît.

Cette haute situation, cette influence conquise , parmi les désastreuses vicissitudes d'une époque où il semble qu'un arrêt du ciel préside au renversement et à l'humiliation de tout ce qui est grand, imposent le devoir de ne rien laisser dans l'obscurité de tout ce qui se rattache à cet être privilégié, et de tracer, si j'ose le dire, un portrait intellectuel qui fasse le digne pendant du portrait militaire que nous avons.

La capote du bronze militaire qui couronne là colonne Vendôme sera toujours la silhouette populaire. Qu'on honore le courage, qui est une noble passion, déployé dans une guerre juste!... C'est dans l'ordre. Mais comment ne pas voir les illusions de l'humeur batailleuse, qui nous reprend comme de plus belle, et tout ce que traîne


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après soi d'incalculables conséquences, d'après l'état actuel des choses, un fait comme la guerre, qui ne dépend plus de la valeur ou de la clairvoyance, mais de l'arithmétique? La guerre n'a jamais eu de sens logique qu'avec un système absolu, avec des croyances bien arrêtées, avec une forme sociale conçue dans le but d'une idée unique, l'envahissement et la domination, qui né recule pas devant l'anéantissement et l'extermination. Le Christianisme, en soumettant l'univers, avec la seule force de la vertu, a fait disparaître du monde ces systèmes absolus d'envahissement par la force musculaire : malheur aux tentatives d'un retour, d'un appel à cette force méprisable, si hautement condamnée par Dieu même! Les peuples, profondément divisés par le schisme des opinions, des intérêts contraires, ont tout à perdre contre ceux qui obéissent et ne peuvent cesser d'obéir, aussi vite que quelques esprits abusés se l'imaginent, à l'unité de l'ancien pouvoir royal. Napoléon avait trop de génie pour ne pas être inquiet de l'immense responsabilité qui est une suite de la guerre. Aussi a-t-il protesté souvent que la paix étoit son but et sa pensée dominante, et que c'étoit l'ennemi qui l'avoit constamment obligé de recourir au sort des armes. Aveu tardif, mais éloquent plaidoyer en faveur de la paix, que cette


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protestation ! Quelle leçon pour nos traîneurs de sabre! Mais quel exemple aussi de la tyrannie et de l'aveuglement d'une passion qui donne ainsi le change au génie, et l'humilie jusqu'à une erreur aussi palpable!...

Néanmoins, les plus nobles traits de la divinité sont manifestement écrits et se réfléchissent dans cet individu illustre. Il eut la mission de protéger et d'accomplir la réalisation des desseins du ciel sur le monde. Ce fut la Providence qui attira sur lui tous les regards et qui lui aplanit le chemin d'une élévation inouïe. En donnant à un seul homme un empire aussi singulier sur toute une génération follement éprise d'elle-même et de la fureur maniaque de la souveraineté collective et individuelle, la Providence se joue des projets humains. Dieu lui-même se plut à démontrer à tous l'avantage, l'incontestable supériorité du gouvernement d'un seul, dans ces bouleversemens, parmi ces cataclysmes où périssent les nations. En effet, tous les besoins, tous les désirs, tout ce qui est légitime, toutes les classes, un grand peuple se personnifient dans un seul homme; tout revient à la vie comme par enchantement; ce grand peuple, tout à l'heure divisé, déchiré, annihilé par ses vices et ses passions, qui avoient usurpé le pouvoir, et qui


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s'en servoient dans l'intérêt d'une tyrannie cruelle, ce peuple présente maintenant le spectacle de l'union, de la force et d'une puissance invincible, objet de consolation pour lui et de terreur pour ses ennemis ! Jamais la puissance et les bienfaits de l'unité ne furent mieux constatés ! les anarchistes eux-mêmes en furent éblouis ! quelle leçon ils reçurent du ciel ! En investissant un seul homme de l'admiration universelle des Français, Dieu continua son oeuvre créatrice par excellence, le redressement des esprits, la réforme des moeurs, la régénération de la société; qui jamais exerça plus d'influence avec plus d'autorité sur une nation, que Bonaparte général, consul, empereur, sur les Français ? Mais la guerre ne fut pas la cause essentielle de son influence? Non. Ce ne fut qu'un magnifique piédestal, taillé par la victoire, où le soldat exhaussé devint le point de mire de tous les yeux; là, toujours agissant, il triompha de la redoutable épreuve qui ressort d'un jugement de l'opinion publique, triomphe insigne, dans ces temps de malignité, où les réputations se flétrissoient si vite, où l'échafaud étoit si voisin dé la plus haute fonction publique... ce fut là ce qui le couronna, plus encore que ses exploits guerriers... Tous, nous saluâmes du nom d'empereur, le jeune homme qui avoit su se gouverner lui-même, en nous faisant admirer les ressources et


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les qualités d'un génie de premier ordre, pour se sauver en nous sauvant nous-mêmes de la tempête révolutionnaire.

Il en est des relations qui s'établissent entre un tel homme et une nation jusqu'à marier leur destinée, comme des motifs qui tous les jours assortissent des époux. Le vulgaire ne voit que des raisons communes, tandis que c'est ce qu'il y a de plus secret dans la constitution des familles, ce qu'il y a de plus intime dans l'organisation des individus, enfin notre naturel, nos passions, nos vertus et nos vices qui en décident : et de là, le bonheur ou le malheur. Mais que penser d'un historien qui s'arrête à l'écorce des événements, qui ne coordonne pas les faits, qui ne les rapporte pas à leur cause la plus élevée? Criminelle incurie, dont les nations sont les victimes, et qui les assujettit à rouler dans le cercle des même erreurs et des mêmes folies, pour retomber et s'ensevelir inévitablement dans le tombeau des mêmes catastrophes ! Alors la politique, privée do l'expérience, du secours et des lumières de l'histoire, isolée des faits antérieurs, réduite à vivre au jour le jour, sans passé et sans avenir, la politique n'est plus qu'un labyrinthe obscur, où un grand peuple tout entier se trouve égaré et comme perdu, cherchant à


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tâtons, sans parvenir à le trouver, le fil sauveur de sa primitive destinée providentielle, cette destinée étant la vraie vie des peuples, je le dis en passant, l'origine et la loi de leur durée, comme l'unique raison de leur prospérité et de leur décadence, jusqu'au jour marqué de leur disparition de la scène du monde.

Qui sait donc jusqu'où s'étendroit l'influence d'une bonne histoire du géant reconstructeur de la société française? Il apparut parmi des ruines et parmi des crimes de toutes les sortes; il arracha la France à ceux-ci, souillée, meurtrie, et tout ensanglantée par ce contact infâme; il guérit, en les cicatrisant, toutes les plaies; il voulut rendre, il rendit à nous tous Français, qui en étions privés, la liberté si douce du sol, et le bonheur des croyances natales. Un décret infâme, qui faisoit horreur à Robespierre lui-même, avoit dévasté les couvents, ruiné les églises; par un attantat inouï, violant, au nom de la liberté la plus sacrée de toutes les libertés, celle du for intérieur, ce décret avoit proclamé l'anéantissement du christianisme; et du même coup, ce qui en étoit l'inévitable conséquence, on proscrivoit, on déportoit, on emprisonnoit, on guillotinoit nos prêtres. Quel est le héros qui rapporta ce décret ? Bonaparte. Là ne se borne point son équité : à peine af-


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fermi au pouvoir, sans attendre davantage, sans autre conseil que le sien, n'obéissant ici dans l'affaire de Dieu, comme à la guerre, qu'à son inspiration, tout seul, d'une main ferme, armé d'une volonté magique, il rouvre et répare les églises, il rappelle les prêtres', et, d'un clin d'oeil, il relève et ressuscite miraculeusement la religion. Et l'histoire ne raconte qu'à voix basse un tel prodige, et cette fière alliance d'un guerrier avec Dieu ! Ce soldat parvenu fait ce qu'un Bourbon, un descendant de saint Louis, remonté à la même époque sur le trône de ses pères , peut-être n'eût osé faire qu'à peine, comme un coup d'état trop hardi, que n'eût pas conseillé une politique peureuse; personne ne lui en tient compte. Les noms des auteurs du décret déicide, demeurent stygmatisés, et sous le coup de l'anathème public, comme les types de la folie, de la débauche et du crime, comme des personnifications de l'enfer. Et l'on n'a point d'éloge pour le héros réparateur du sanctuaire! Que dis-je? le bienfait ne suffit plus à la reconnaissance, on suspecte l'intention. « Croyez» vous (dit-on) que ce fût Dieu qui l'inspiroit ? » Eh bien, moi je vous dis : présumez-le du moins, d'après cet adage sorti de la bouche de la vérité elle-même : « Si le royaume de Satan est divisé, comment subsis" tera-t-il? »


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La dissimulation est un vice des êtres faibles, qui répugne aux âmes héroïques. Mentir à autrui est une bassesse; mais mentir à soi-même, est le propre d'an être corrompu. C'est sur cette règle, et non sur de vains soupçons, qu'il faut juger un grand homme. Mais, dit-on, la politique n'a-t-elle pas conseillé des crimes, des hypocrisies et des parjures? A la bonne heure, qu'on accuse tout haut, qu'on flétrisse publiquement le protecteur de l'Église, l'auteur du concordat; qu'on le traite sans plus de façon d'hypocrite : il n'y a rien là de trop pour cet histrion, cet empereur parjure qui, dans l'intérêt de son ambition, eut bien l'impudence de se jouer du ciel et des hommes. Mais que les accusateurs y prennent garde: une accusation sans preuves est une calomnie qui tombe d'elle-même, en déshonorant son auteur. Personne jamais ne se rendit parjure à la légère, et sacrilége de gaîté de coeur, sans des motifs puissans, sans une nécessité bien pressante, bien évidente. Éclaircissez donc la source de vos malins soupçons; dites ce qui put faire croire à Napoléon qu'au lieu d'affermir un trône naissant, il n'allait pas l'ébranler. Les mots de politique et d'ambition ne sont pas des mots cabalistiques, qui aient une vertu indépendante du sens naturel et des événemens qui s'y rattachent. Il eut, dites-vous, l'ambition de rallier un parti nombreux?

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Et moi je dis : « Son ambition étoit satisfaite : car » il tenoit le pouvoir : les événemens et les choses, » l'esprit du jour, toutes les réalités du moment, étoient " contre la religion. Les chiens l'avoient dévorée comme » un morceau de pain. Nos temples nus et délabrés, » n'étoient plus qu'un corps sans âme; le dogme étoit » un objet de risée, une chose infâme, qui gisoit à terre » comme un mort sans sépulture, sous les pieds de » ceux qui naguère n'osoient en contempler, même » de loin, la splendeur éblouissante. Le parti impie » étoit là, veillant sur sa proie , comme l'assassin sur le " cadavre qu'il a fait. Bonaparte lui arrache cette " proie, relève ce cadavre; il le ressuscite, il place la " religion sur le trône, il s'agenouille dev ant elle ; il " baise les pieds du vicaire de Dieu, qu'il fait venir de " Rome tout exprès, à la face des autels, ayant pour té» moins et spectateurs l'Europe et les partis étonnés. » Le nouvel empereur répète le Symbole des Apôtres, " et d'une voix ferme, la main sur le livre des évangiles, il dit : Voilàma foi, je crois ce que croit l'Église, " j'en prends le ciel à témoin, je le jure. Non, non, je " le jure aussi, j'en prends à témoin la conscien ce pu»blique, il n'y a rien là d'un hypocrite. Le coeur, le » coeur seul inspira la confession de foi si éclatante de » ce samaritain couronné : je vois dans lui mon frère, " mon prochain, et trait pour trait vraiment le samari-


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« tain de l'Évangile; le divin blessé, c'est Dieu même. Je le demande à la logique comme à la théologie, une » action qui est aussi évidemment bonne en soi-même «peut-elle être mauvaise dans son principe? Ah! je » savoure un fruit exquis, je l'ai cueilli sur un bon ar» bre, un mauvais arbre ne sauroit produire un bon » fruit... Malheur à celui qui ne le reconnoît pas, malulieur aux ingrats!! !»

Mais c'est assez. Je me laisse entraîner ; j'oublie qu'il faut finir une préface, et non commencer un livre. Le défaut que je viens d'indiquer est commun à tous les historiens ; telle est leur peu d'impartialité dans la manière de présenter les faits relatifs au concordat. Ce défaut, disons mieux, cet inqualifiable déni de justice, se retrouve toutes le» fois qu'il s'agit d'une question qui intéresse les moeurs, le droit et la conscience. Est-il besoin de faire ressortir les inconvéniens d'un défaut si grave ? Sans doute Napoléon a commis des fautes; mais ces fautes furent celles d'un prince ambitieux, trop passionné des intérêts et de l'indépendance du trône, et nullement celles d'un incrédule ou d'un athée. Il ne seroit pas difficile même de trouver, parmi les descendans de saint Louis, ceux que Napoléon prit pour ses modèles, dans sa politique et dans ses démêlés avec la cour de Rome,


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Telles sont les conséquences de l'erreur et la solidarité des mauvais précédens. Mais ce qui a singulièrement aggravé les torts de l'empereur, c'est l'ignorance où l'on veut laisser le public de ses intentions, c'est le silence que l'on garde sur les excuses et les interprétations qu'il a données lui-même au sujet de ses luttes contre l'Église. Chacun se plaît à raconter ce qu'il osa contre les cardinaux et le saint-père ; mais l'on a bien soin de cacher ce qui atténue ses torts. Il est certain que l'entourage de l'empereur a agi autant que luimême dans ces attentats déplorables, puisqu'il affirme à plusieurs reprises, dans le Mémorial, que non seulement ses ordres ont été constamment outrepassés, mais encore que l'enlèvement sacrilége de Pie VII n'a jamais pu émaner de sa volonté. L'autographe avec lequel agit le général Miollis existe à Paris,

dans une collection de madame de L , qui

le tient de Miollis lui-même. Il est signé : Murat, de la main de madame Murat. Et ce qui fait bien croire que c'est le fait d'une simple femme, qui se consultoit elle-même, qui agissoit dans la liberté d'un mouvement propre, c'est que l'autographe, qui ne contient que quelques lignes, annonce le tumulte d'une grande indécision, par une multitude de ratures, qui permettent à peine de lire l'ordre véritable.


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Napoléon a dit lui-même : « Je n'ai pas seulement » relevé les autels et la religion en France, j'ai rétabli » l'équité, la justice, les notions premières qui étaient » méconnues, et qu'on avait également jetées par » terre. » Le choix d'un point de vue moral et religieux n'est donc point une idée de l'imagination, mais un choix suggéré par une multitude de faits enregistrés dans l'histoire : pourquoi donc s'obstiner à ne voir dans Napoléon qu'un grand général, un grand souverain, puisqu'il est quelque chose de plus qu'un grand homme? il est un homme principe, un fait providentiel, un de ces êtres symboliques qui opèrent un changement dans la scène du monde, qui viennent renouer la chaîne interrompue des événemens, avec la mission d'affermir et de régulariser le cataclysme d'une transition. Peut-on supposer que Napoléon n'en avait pas la conscience, lui qui fut l'intervention manifeste, un acte vivant du ciel, et qui en accomplit avec tant de fidélité les desseins sur lui, en organisant le phénomène d'un nouvel ordre social. La question de sa moralité intéresse tous les individus qu'il a gouvernés : l'étude de son caractère n'est pas l'étude d'un individu, mais la psycholo gie d'un type, l'histoire d'une belle personnification de toute une génération, une application brillante, l'analyse des lois mêmes de l'intelligence. Un tel être n'ap-


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partient pas à une seule époque, mais à tous les temps et à l'humanité tout entière. C'est ainsi qu'il faut considérer le dominateur de la révolution. Après en avoir terminé la phase anarchique et sanglante, après avoir tenu le sceptre et gouverné la France pendant quinze ans, tout mort qu'il est, il domine encore l'époque actuelle, puisque son nom tout seul, dépouillé de l'auréole de ses succès, privé du prestige des siècles et d'une longue suite d'aïeux, est un drapeau, une religion qui impose même au libéralisme , et qui fait pencher du côté d'un mort, la faveur et le suffrage populaires.

Enfin une dernière considération : Voilà que le libéralisme qui a succédé à l'empereur, qui en a certainement hérité, s'il ne l'a détrôné; le libéralisme va subir l'expiation, le triomphe prophétique d'une sorte d'apothéose de ses cendres. Bientôt la révolution va s'incliner devant l'exterminateur de la révolution, et la tribune s'agenouiller devant l'ennemi mortel des tribun» et de la démocratie. Cependant ce n'est plus l'épée qui règne... c'est la plume... Des bataillons d'idées, des systèmes innombrables, flottent dans l'air comme de» fantômes : le ciel en est obscurci... nous n'avons plus d'empereur... mais nous avons des milliers de tyrans... la chaire chrétienne est muette,


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mais nous avons des milliers de langues qui chuchottent incessamment à l'oreille, sans nous laisser un instant de repos. L'imagination est obsédée, l'esprit torturé, la conscience altérée, le goût corrompu, les affections détruites, la liberté anéantie par un déluge enflammé d'idées, qui brûlent le coeur, qui dessèchent l'entendement humain.

Ce ne sont plus nos capitaines qui paradent sur la scène du monde, ce sont de beaux diseurs et des rhétoriciens. Ce n'est plus la noblesse de l'épée, mais une sorte de noblesse de l'encrier. Nous admirions autrefois le bien faire qui vient du coeur et les hauts faits d'armes ; maintenant nous sommes devenus les dévots passionnés du bel-esprit, du beau langage et des belles tirades littéraires. Soult, Molé, on ne veut pas plus de vous que du fils de Louis XIV et de Henri IV. Il nous faut absolument pour nous gouverner des professeurs en Sorbonne, des feuilletonnistes de journaux, ou pour le moins des académiciens. Puisqu'il faut qu'il y ait des rangs, le bon sens, d'accord avec l'ancien régime, vouloit que les guerriers vinssent immédiatement après Dieu. Maintenant il n'y a plus de Dieu, de par messieurs de la grammaire. Ce sont des pédans qui sont nos prêtres, et les supérieurs d'un siècle exclusivement industriel. Tout le


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24reste ensuite à l'unisson, sur le pied de parfaite égalité ou d'une parfaite confusion. Le cliquetis de la plume et des mots, le feu roulant des phrases interminables, ont succédé au cliquetis du fer, aux prouesses de nos guerriers, à la mêlée des batailles; ce n'est plus le canon, mais le bruit plus terrible d'une langue effrénée et impudente, qui assourdit nos oreilles, avec un retentissement prolongé, dont l'écho se promène, se répète, se multiplie dans tout l'univers. Tel est le phénomène qui a succédé au phénomène de l'empire. Au lieu d'un seul homme, qui suffisoit tout à l'heure au gouvernement de l'Europe, nous avons des myriades d'esprits sublimes, de génies étincelans, qui suffisent à peine à notre gouvernement. Grâce au journalisme, pouvoir nouveau, né d'hier, et qui déjà, despote géant, ébranle et menace, expulse et absorbe, ridiculise, paralyse, annihile et tue tout ce qui lui résiste; ce monstre, établi au milieu de nos villes , s'attaque aux sources de la vie, où il se désaltère avec insolence, et, semblable au sphynx de Thèbes, empoisonne l'air même qu'on respire, avec le venin d'une menace inquiète, d'une malignité incessante; accroupi au centre de la politique, comme au centre de son repaire, le journalisme en garde avec des yeux d'Argus toutes les issues, pour que tout périsse, pour que rien ne lui


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échappe ; sorte de démon incube qui pollue la France, impuissant pour agir et pour gouverner, mais puissant pour critiquer, dénigrer, offenser tout ce qui est noble et grand, pour s'opposer à un ordre permanent quelconque, à toute idée de réalisation pacifique et. sérieuse dans l'intérêt des masses et du pays. Jamais les marquis de l'ancien régime, avec leur épée, ne furent suffisans, ne haussèrent la voix avec l'audace, l'incroyable persistance de ces marquis de la plume. Du moins les nobles étoient braves, et payoient de leur personne à nos frontières, en face de l'ennemi. A Dieu ne plaise que j'en désigne d'autres , ici, que ce bataillon d'écrivains perdus, sans foi, sans Dieu, sans loi que la charte, qui ne se servent pas de la pensée pour éclairer l'esprit, mais pour l'obscurcir; non pour resserrer les liens sociaux, mais pour les briser ; non pour échauffer le coeur avec la sainte flamme des vertus, mais pour le gonfler de fiel, de haine et d'orgueil ! Misérables, dont la plume ose bien railler et ricaner même de la majesté divine! bien dignes d'être les esclaves de l'esprit infâme et d'une mission satanique.

Voilà les héritiers de Bonaparte et du trône de saint Louis ! voilà le nouveau trône et le nouvel empereur! Qu'y a-t-il de commun entre cela et Napo-


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léon ? qu'est-ce donc que ces acclamations tumultueuses, le murmure vague et confus qui enfle les voiles et démarre du rivage, qui pousse avec tant de précipitation, vers Sainte-Hélène, un pieux cénotaphe? Qu'est-ce donc que ce voeu national, qui vogue, escorté des voeux du journalisme, avec les bénédictions et l'encens du monde libéral?Est-ce un repentir tardif? Napoléon, comme un guerrier qu'il étoit, parloit peu et agissoit beaucoup. Ne sont-ce pas les phrases qui l'ont détrôné plutôt que les Cosaques, et n'est-ce pas avec les débris de son trône qu'on a construit et tant exhaussé la tribune? Que lui veut cette tribune, avec son apothéose ballottée, marchandée au scrutin? N'est-ce pas de là, hissé sur ce trépied, que Lafayette, plus fatal que le canon de l'ennemi, demanda et obtint la déchéance du vaincu de Waterloo ? Pour ne pas faire les choses à demi, que la même loi flétrisse donc Lafayette, et le déclare traître, comme il est déclaré flétri, enregistré dans le testament de l'empereur ! On vengera à la fois Louis XVI, livré aux assassins du 5 et du 6 octobre par Lafayette, chef de la force armée; Napoléon, livré aux Anglais par Lafayette, et Charles X expulsé de son royaume par Lafayette. Et qu'est-ce qu'une telle condamnation , sinon celle du libéralisme en personne ? Quel dédale obscur, quel labyrinthe que le sentimentalisme


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de la politique! Que veut le pouvoir? est-ce l'Eole des tempêtes, ou le roman de quelque oriflamme moderne, pour échauffer l'enthousiasme de nos soldats, pour aiguiser leurs baïonnettes? Et que veut la liberté, cette farouche ennemie des tyrans, qui règne à la place des rois débonnaires , assassinés par elle? Veut-elle encore jeter au vent les cendres d'un monarque absolu, comme elle a fait des cendres de saint Denis, ou bien veut-elle adorer un mort qu'elle haïssoit vivant, comme il l'abhorroit lui-même? Que veut la France? veut-elle ensevelir avec honneur, parmi les drapeaux d'un monument funèbre, un guerrier malheureux, ou encenser comme un Dieu le vainqueur du 18 brumaire, le pacificateur des discordes civiles? Veut-on égarer l'opinion? Dans quelle mer d'incertitudes, dans quelle fluctuation de pensées diverses et contraires, les esprits demeurent suspendus ? Rien de formel et d'explicite n'a été dit làdessus ! Il n'a pas été possible de définir le voeu national. Je vais dire ce qu'on n'ose point dire : le voeu national est un appel à Napoléon, à ses qualités, qu'on apprécie d'autant mieux qu'elles sont aussi rares qu'indispensables au salut des empires. Le voeu national est un appel à une intelligence royale, qui ne' consultait pas l'opinion publique, mais la conscience ; un appel à l'esprit supérieur qui savoit manier,


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commander les esprits, un appel au noble coeur qui savoit gagner les coeurs ; enfin au souverain qui avoit foi dans sa souveraineté, qui étoit la souveraineté vivante même. Ce n'est donc point un mensonge, un cercueil, une vaine poussière, un cadavre, qui est l'objet du voeu de la France; non; obéissant à l'instinct impérieux de la conservation, c'est un type sauveur que nous invoquons tous, et chacun se dit tout bas intérieurement : « Ce que nous allons chercher au fond des «mers, c'est celui qui comprima les mauvaises pas»sions ; c'est la volonté énergique qui fit reculer le » fleuve débordé de la folie révolutionnaire; c'est l'en« nemi de l'anarchie ; c'est un symbole religieux; c'est »la vérité du génie politique qui sut conjurer , com» battre, détruire le génie de l'irréligion, rétablir, avec » la hiérarchie sociale, le bel ordre des rangs, des ver» tus et des principes. »

Telle est mon opinion : je l'émets en toute liberté, sans crainte des mauvaises interprétations que la malice, les passions ou l'ignorance peuvent en induire. J'ajoute que nous saluerons justement de nos hommages l'ennemi de ce journalisme que j'ai défini plus haut, qui est le despote géant du régime actuel, et qui étoit si peu de chose sous le régime impérial. Napoléon crut jadis nous avoir délivrés du


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joug si humiliant d'un tyran bavard ; il crut jadis avoir anéanti le sphynx mystérieux de la civilisation moderne, mais il connut trop tard, qu'il n'avoit réussi qu'à l'endormir, en le chargeant des chaînes dont la lâcheté sut et saura toujours s'accommoder, pourvu que celui qui les impose sache vouloir.

J'en ai le pressentiment, l'étude complète de Napoléon, la définition de son caractère, de ses défauts et de ses qualités , de ses vertus et de ses vices, jetera une grande lumière sur l'histoire de l'époque et de la crise actuelles. Il me semble que la connaissance intime de ce grand homme est le préliminaire de la solution du problème politique ; et, si je ne me trompe, le mot de cette grande existence héroïque scroit le mot de l'énigme sociale même, qu'il nous faut deviner sous peine de périr.

Heureux le génie à qui la France seroit redevable d'un si grand bienfait, que celui d'être délivrée de ces écrivains perdus qui déshonorent l'intelligence, et de leur sifflement qui trouble la paix publique ! Une bonne histoire de l'empereur y contribuera puissamment, si l'historien s'aheurte franchement aux difficultés pour les résoudre, au lieu de les fuir comme un écueil; s'il met courageusement de côté


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la guerre et tout le fracas des conquêtes, pour ne se préoccuper que de la question sociale; s'il traite avec le mépris qu'elle mérite cette inique raison d'état, ce mensonge, ou mieux l'impudent athéisme, qui prétend isoler et laisser en dehors du gouvernement la religion, c'est-à-dire le phénomène générateur de l'existence d'un peuple, et par conséquent de tous les phénomènes qui regardent ce même peuple. Exclusion insensée, et comparable à l'aveuglement de celui qui nierait que les tours de Notre-Dame sont dans Paris !

Mais pourquoi continuer? je n'ai point l'espoir de persuader celui qui méconnoît le lien intime, religieux et sacré, qui existe entre les actes et les pensées, les moeurs et les croyances, et la nécessité pour leur avantage mutuel, dans l'intérêt général, de rétablir l'antique accord de la politique et de la religion. Qu'attendre de celui qui ignore l'importance et la supériorité des choses célestes? Qu'est-ce que la guerre, et que sont des questions de territoire, et les limites géographiques des nations ? que sont des victoires ? que sont des chartes ? qu'est-ce que l'écroulement de tous les trônes ? qu'est-ce même que l'existence éphémère des peuples, auprès de la question du crime et de la vertu, des bons et des mauvais princi-


pes, auprès de l'écroulement universel de la morale, auprès de la lutte éternelle du bien et du mal?

Maintenant, c'est à l'esprit que je parle: le trône arraché à la naissance, à la religion, aux moeurs même, le trône appartient actuellement à l'esprit, plus encore qu'au journalisme, qui ne peut jamais en être qu'un degré. Tous nos maux nous sont venus de l'esprit, puisse le remède nous en venir aussi ! Daigne l'esprit m'entendre et m'exaucer!

J'en ai beaucoup trop dit, eu égard à ma spécialité, puisque j'ai fait une excursion aventureuse hors de mon domaine... Écrivain obscur, moraliste chrétien, je ne vise point le but grandiose d'un historien politique... Je ne traite ici que des qualités morales et de la croyance religieuse de l'empereur ; mais, qu'on me permette de le dire, après tant de livres sur Napoléon, le sujet envisagé sous ce point de vue est neuf, et je pourrais dire, un sujet vierge.

J'apporte le tribut de ma modeste pierre, que j'ai taillée de mon mieux, comme doit le faire un ouvrier laborieux et consciencieux... Puisse un jour quelque grand historien, rencontrant sous sa main, cette pierre, ne pas la dédaigner !


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Que son génie en fasse l'usage qui lui plaira, pourvu qu'il ne la rejette pas de la construction de son monument! Là, se bornent mon ambition et ma

préface.


CONVERSATIONS

RELIGIEUSES

DE NAPOLÉON.



TROISIEME LIVRAISON.

CHAPITRE PREMIER.

SOMMAIRE.

L'Empereur et l'abbé Vignali- —Erreur de M. de Norvins au sujet du saint viatique. — L'Empereur veut la messe dans sa chambre tous les jours, depuis le 21 avril, jusqu'à sa mort le 5 mai.—Visite de l'auteur à M. Marchant. —Mot naïf et sublime de l'Empereur. — Rectification de M. Marchant contre Antommarchi.—Colère de l'Empereur contre l'impiété de son médecin.—Visite de l'auteur à M. le comte Montholon.— L'Empereur religieux et chrétien.—Lettre officielle du général Bertrand pour avoir un prêtre à Sainte-Hélène.—L'Empereur écrit lui-même au cardinal Fesch. — Document inédit d'Hudson Lowe sur ce sujet.—Réussite et joie de l'Empereur. — Le rocher de Sainte-Hélène et la prison du Temple.—Celui des exilés qui sentoit le plus vivement la privation d'un prêtre?



CONVERSATIONS

RELIGIEUSES

DE

NAPOLÉON.

Souvenez-vous de votre créateur avant que le soleil, la lumière et les étoiles s'obscurcissent pour vous, que la phiole d'or se casse

et que la poussière rentre en la terre et que l'esprit retourne à Dieu.

CHAP. XXII, V, I, 2, 6, 7. Eccl.

CHAPITRE PREMIER.

Après avoir attristé l'attention du lecteur par le récit tragique de la mort d'un enfant impie, peut-être ce même lecteur prendra-t-il du délassement à reposer sa vue sur un objet qui présente du moins l'adoucissement des consolations, et le mélange d'une instruction sublime.

S'il est vrai que la mort du plus chétif indi1

indi1


vidu, celle de l'impie lui-même, assez impie pour invoquer le néant, contient quelque chose d'excessif et de souverain, je ne sais quelle horreur qui impose, si l'audace de cette invocation, en plongeant dans la stupeur ceux qui environnent le lit de mort d'un athée, les y retient par un affreux attrait, pour en épier les gestes, pour en admirer le moindre mot, qui retentit avec la puissance d'une émanation de l'éternité, avec quel pieux respect ne faut-il pas recueillir les dernières paroles d'un prince illustre, vénérer les vestiges d'une voix qui eut la puissance d'ébranler le monde, alors qu'il en jaillit une lumière céleste qui éclaire et purifie toute une existence. Telles sont les dernières paroles de Napoléon, où brille la foi sincère d'un grand homme, la noblesse et l'élévation des sentiments , l'amour et l'éclat des vertus, enfin toutes ces clartés, qui sont celles de la religion et d'une âme chrétienne, près de quitter la terre et de s'envoler vers les hauteurs du sublime empyrée.

Il s'agit ici uniquement de l'instant suprême de Napoléon, de son choix éternel, et du sacré linceul dans lequel il lui plut de s'envelopper


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comme du vêtement de son éternité, pour mourir et comparaître au tribunal de son créateur, comme il lui avoit plu autrefois de ceindre le diadème et de s'envelopper du manteau impérial, alors qu'il s'agissoit de vivre la vie du temps et de dominer l'univers. Ici rien de profane; il n'y a de place que pour les inspirations de la foi et pour les splendeurs religieuses qui ont brillé à l'entour du lit funèbre, posé sur un rocher et pour ainsi dire sur les flots de l'Océan, splendeurs qui ont illuminé les angoisses d'une bien longue et bien cruelle agonie...

En commençant le récit de la mort de l'enfant impie, pour préciser la date de l'événement trop réel de ma tragique histoire, je désigne l'année de la décadence et de l'écroulement du trône de l'empereur. Ce grand nom une fois prononcé , par une idée d'allusion au dessein qui me préoccupoit, je crus devoir, opposant à un enfant impie un grand homme religieux, parler brièvement de la mort chrétienne de Napoléon : je me vis obligé à relater dans une note tout le passage suivant, extrait des mémoires du docteur Antommarchi.


-4«

-4« 21 avril, à une heure et demie, l'empereur demande l'abbé Vignali. — « Savezvous, abbé, ce que c'est qu'une chapelle ardente? — Oui, sire. —En avez-vous desservi? — Aucune. — Ehbien! vous desservirez la mienne. » Il entre à cet égard dans les plus grands détails, et donne au prêtre de longues instructions. Sa figure étoit animée, convulsive, je suivois avec inquiétude les contractions qu'elle éprouvoit, lorsqu'il surprit sur la mienne, je ne sais quel mouvement qui lui déplut.—« Je ne suis ni philosophe ni médecin; je crois en Dieu, je suis chrétien, catholique romain. » Et se tournant vers le prêtre: « Je suis né dans la religion catho" lique, je veux remplir les devoirs qu'elle im» pose, recevoir les secours qu'elle administre. » Vous direz tous les jours la messe dans la » chambre voisine, et vous exposerez le saint-sa"crement pendant les quarante heures. Quand » je serai mort, vous placerez votre autel à ma » tête, dans la chambre ardente, vous continue» rez à célébrer la messe; vous ferez toutes les » cérémonies d'usage; vous ne cesserez que lors» que je serai en terre. » L'abbé se retira, je demeurai seul. Napoléon me reprit sur ma prétendue incrédulité. — « Pouvez-vous la pousser


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» à ce point, pouvez-vous ne pas croire à Dieu, » car enfin tout proclame son existence, et puis

" les plus grands esprits l'ont cru ? — Mais sire, » je ne la révoquai jamais en doute; je suivois les » pulsations de la fièvre : votre majesté a cru » trouver dans mes traits une expression qu'ils » n'avoient pas. — Vous êtes médecin, répon» dit-il; ces gens là, ajouta-t-il à demi-voix, ne

" brassent que de la matière, ils ne croiront ja» mais rien. » (Tome II, pag. 117-118. Mémoires du docteur Antommarchi, édition de Barrois, 1825.)

Ainsi le monstre du respect humain avoit pénétré jusque dans la prison de Longwood, et le philosophisme étoit là, essayant d'intimider l'empereur lui-même. Comment n'auroit-il pas plus tard essayé de même d'atténuer sa défaite?

Rien de plus précis que le texte d'Antommarchi qu'on vient de lire. Plus loin le docteur ajoute les lignes suivantes ;

Le 3 mai, deux heures après midi, la fièvre diminue. Tout le monde se retire. L'abbé Vi-


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gnali reste seul avec le malade. Il nous rejoint quelques instans après dans la pièce voisine, et nous annonce qu'il a administré le viatique à l'empereur.

Maintenant voici ce qu'on lit dans M. de Norvins, qui donne un démenti formel à M. le docteur Antommarchi :

« Napoléon était trop pénétré du sentiment de sa propre grandeur pour ne pas croire à l'immortalité de l'âme. Le 21 avril, il voulut rendre l'hommage du chrétien à ce dogme consolateur. La veille, à l'insu des généraux Bertrand et Montholon, l'autel se trouva dressé dans la chambre voisine de celle de l'empereur. Il avoit tout prescrit lui-même au chapelain qui reçut sa confession. L'état du malade ne permit pas qu'on lui administrât le saint viatique. Seul avec l'abbé Vignali, qui ne l'avoit connu qu'à Sainte-Hélène, il, ne donna à aucun témoin de sa puissance passée le spectacle de cette dernière abdication. »

Que signifie cette dernière phrase ? Venant de M. de Norvins, l'auteur d'un traité de l'im-


mortalité de l'âme, je n'y puis reconnaître la gentillesse superbe d'un philosophe. Je ne vois pas bien le sens du mot abdication. Que veut donc dire M. de Norvins? je n'en aurois tenu compte, si les historiens, en adoptant le récit d'un auteur véridique d'ailleurs, ne couroient le risque de s'égarer, comme a fait déjà notamment M. Laurent de l'Ardèche. Il est vrai, M. de Norvins impute uniquement à la maladie d'avoir empêché l'empereur de recevoir le saint viatique. La modération impartiale de ce langage, tout en justifiant la volonté de l'illustre malade, n'en laisse pas moins de l'incertitude sur un fait, qu'il m'a paru intéressant d'éclaircir.

En outre, et par un motif qu'on appréciera plus tard, je prie le lecteur de bien remarquer ces paroles de l'empereur :

« Vous direz tous les jours la messe dans la chambre voisine, et vous exposerez le saint-sacrement pendant les quarante heures. »

On ne peut douter que ce fût pour lui seul, que l'empereur demandoit cette messe quoti-


- s —

dienne, pour y assister en esprit, puisqu'il étoit instruit qu'il touchoit à sa dernière heure. Ces messes ne pouvoient donc se rapporter qu'à lui et à son besoin de se préparer à la mort, par des prières plus fréquentes, en implorant publiquement les mérites du Rédempteur ; ce qui est bien la marche d'un grand coeur, d'un esprit loyal, d'un repentir sincère, et la voie pour fléchir Dieu et obtenir un pardon réel, par une confession de foi éclatante. Ah! sans doute, jetant en arrière le regard de la réflexion, il sentoit alors le besoin d'abriter une vie d'agitation et d'orgueil, dessous la chair et dessous le sang sacré du médiateur et du prêtre éternel!

A. Dieu ne plaise que dans une circonstance si solennelle, je me serve d'autres expressions que de celles dont se sert l'Eglise, et qui sont les expressions consacrées.

Napoléon vouloit tous les jours la messe à partir du 21 avril jusqu'à sa mort, puisqu'il ajoute :

« Quand je serai mort, vous continuerez à dire la messe, vous ne cesserez que lorsque je serai en terre. »


M. de Norvins, d'accord sur ce fait essentiel avec M. Antommarchi, rapporte :

« Qu'un autel avoit été dressé la veille du 21 avril par ordre de l'empereur, qui avoit tout prescrit lui-même au chapelain. »

Pendant quinze jours, l'empereur, selon sa volonté, et selon le texte formel de M. Antommarchi et de M. de Norvins, a donc eu tous les jours la messe dans sa chambre.

Certes, M. de Norvins ne peut être suspect de partialité en faveur de l'Eglise, et le témoignage de M. Antommarchi est une autorité irrécusable, alors qu'il rapporte des paroles qui l'accusent lui-même d'incrédulité; sa fidélité est d'autant plus louable, qu'il a eu besoin de se faire violence, pour enregistrer des paroles précieuses à l'histoire et chères à la religion.

Je reviens à M. de Norvins. Comment a-t-il pu commettre une erreur aus'si grave au sujet du saint viatique ? Il le dit lui-même : la maladie seule s'est opposée à la réalisation des sentiments et de la volonté de l'empereur.


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« La nature de la maladie, dit M. de Norvins, a empêché Napoléon de recevoir le viatique.»

Il est vrai que des vomissemens fréquens étoient une des souffrances, et un des caractères de la maladie, mais dans une si longue agonie, qui a duré près de trois mois, certainement il y a eu des jours de calme, et cela suffit. Cependant j'avoue qu'en lisant le journal d'Antommarchi, je ne devinois pas le jour de la cérémonie religieuse; c'est ce qui m'a engagé à faire de nouvelles recherches. Je m'y suis livré avec toute la conscience possible, et je n'ai pas lieu de m'en repentir, puisque dans l'intérêt de la vérité j'ai trouvé au-delà de mes espérances.

Parmi les personnes qui ont accompagné l'empereur à Sainte-Hélène et qui sont demeurées avec lui jusqu'à la fin, il en est deux dont le dévoûment auroit adouci, s'il eût été possible, l'âpreté de l'exil les horreurs du délaissement et les tortures d'une prison cruelle, choisie par l'astuce unie à la haine, et donnée en garde à l'hypocrisie, ce sont MM. les généraux Bertrand et Montholon.


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L'Europe, dont le jugement sera celui de la postérité, les a distingués, et leur nom brillera dans les fastes de l'histoire d'un éclat d'autant plus vif, que nul ne pourra suspecter ni ternir la pureté du mobile qui inspira leur résolution. C'étoit à eux que je devois m'adresser d'abord, comme aux plus illustres témoignages de tout ce qui avoit dû se passer à Sainte-Hélène.

Néanmoins, la première personne que j'allai consulter, ce fut M. Marchant. Il me sembla qu'en sa qualité de premier valet de chambre, il devoit être au courant aussi bien que personne d'une scèned'intérieur. Ce fut de lui que j'appris, « que c'étoit la nuit, que l'empereur avoit accompli ses devoirs religieux ; le général de Montholon étoit seul de garde cette nuit-là, et lui seul pourvoit en signaler les détails. » M. Marchant ajouta: « Pour moi, j'ai vu sortir l'abbé Vignali le matin, ayant accompli, je n'en doute pas, les fonctions de son ministère ; mais je n'en fus informé avec toute la maison qu'au jour, et quand tout étoit fini. Du reste, je me rappelle fort bien plusieurs à parte de Napoléon avec l'abbé Vignali : Ce qui n'a pas lieu d'étonner de l'empereur, qui avoit l'âme naturelle-


ment religieuse, jusqu'à prononcer même avec l'émotion d'un ami de la divinité cet ordre si simple : « Ouvre la fenêtre, Marchant, ouvre-la » bien grande, que je respire l'air, cet air si bon » que le bon Dieu a fait. "

Souvenir touchant, exclamation naïve, où se réfléchit l'extrême bonté d'âme et l'extrême misère du conquérant du monde, réduit à humer avec délices quelques gorgées de l'air insalubre d'un sol marâtre et d'un roc inhospitalier!!!

M. Marchant m'apprit aussi qu'il étoit présent à l'entretien avec l'abbé Vignali, rapporté plus haut par le docteur Antommarchi, et que ce dernier avoit omis une chose bien essentielle pour l'éclaircissement.

« J'étois là, me dit M. Marchant, avec Antommarchi et l'abbé Vignali. L'empereur parloit de choses bien graves, lorsque le docteur se permit d'éclater de rire, ce qui étoit bien indécent de toute manière. Aussi ne fut-il pas repris dans des termes modérés, comme ceux qu'il relate. Avant atténué sa faute, il a de même


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adouci les reproches qu'il s'attira ; l'irritation de l'empereur fut au comble, et je conçois bien que le docteur n'en ait rien rapporté, puisque moi-même, je me refuse à le répéter, par respect pour la mémoire de l'empereur, qui a pardonné au docteur, et qui, l'ayant chargé de plusieurs commissions honorables, l'a de plus nommé avec estime dans son testament. »

Malgré de vives instances auprès de M. Marchant, pour savoir les termes dont s'étoit servi l'empereur, il n'y voulut pas consentir, mais il ajouta : « Ne craignez pas de dire sous ma responsabilité que l'empereur l'a tancé d'importance , pour un rire si déplacé, dans une circonstance aussi solennelle. »

Singularité bien digne d'être remarquée, M. Marchant ne me répondit qu'en hésitant, sur le fait des messes qui, d'après l'ordre de l'empereur, dévoient se dire tous les jours, depuis le 21 avril jusqu'à sa mort, de L'aveu de MM. de Norvins et Antommarchi.

« Ce que je puis affirmer, me dit M. Marchant, c'est qu'un autel fut construit à cette in-


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tention, mais aussitôt démoli; et autant que je puis me le rappeler, on interpréta le désir de l'empereur, on crut que l'office devait avoir lieu seulement après sa mort. D'ailleurs (continua M. Marchant) c'est Saint-Denis qui a construit l'autel, c'est aussi lui qui l'a démoli; interrogez-le , adressez-vous à lui pour ce détail, si M. le général Montholon ne juge pas à propos de vous satisfaire lui-même. »

Evidemment, M. Marchant (qui m'a paru un homme de tact et doué d'une grande circonspection ) ne disoit pas tout ce qu'il savoit. Il y avoit du calcul et un parti pris dans ses réticences. Evidemment, il y avait eu à SainteHélène, une volonté assez puissante pour lutter contre celle de l'empereur, en faisant démolir un autel construit par son ordre. De qui émanoit cette volonté ? on le saura plus tard, et je dirai le nom du personnage; l'on pourra juger qu'il s'en faut de beaucoup que l'on soit informé de tout ce qui s'est passé à Sainte-Hélène. Hélas! on néglige Dieu, on méprise les scènes de la religion !

Ayant écrit à M. le général Montholon pour


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avoir un rendez-vous, il me fit l'honneur de me recevoir.

Dès notre première entrevue, il me confirma la vérité de l'objet spécial de ma visite, au sujet de l'extrême onction, du saint viatique, en fixant les dates, rectifiant les erreurs, remplissant les omissions, citant Napoléon, et complétant les détails, de manière à ne plus laisser aucun doute sur l'essentiel. « Il étoit heureux, me dit-il, de saisir une occasion, qui ne s'étoit pas encore présentée, de témoigner des sentiments religieux de l'empereur, sentiments si favorables au christianisme. »

Le général me lut d'abord ce début solennel du testament, qui est une profession de foi : Je meurs dans la religion apostolique, romaine. Ensuite il ajouta :

« L'empereur étoit chrétien par instinct et par conviction, par suite de son éducation italienne, autant que par la nature de son génie particulier. Une fois débarqué sur le rivage affreux de sa captivité, il devoit avec son caractère élevé, s'apercevoir, et il s'aperçut aussitôt


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de l'impardonnable, du grossier oubli qu'on avoit fait d'un prêtre, dans la précipitation à l'écarter de l'Europe, pour aller le déposer sur un rocher, au fond de l'immensité des mers, et dans une île où il n'y avoit ni prêtre, ni église catholique. Il en souffrit visiblement, et c'est à cette souffrance qu'il faut rapporter des paroles qu'on trouve éparses dans le Mémorial de Sainte-Hélène, et qui ont dû retentir dans toutes les âmes religieuses :

« Quelle bonne fortune, messieurs, si nous pouvions nous résigner, et offrir à Dieu nos malheurs et notre captivité. »

« Tombés de si haut dans une si extrême in - fortune, supportée en vue de Dieu, ce seroit le sujet d'un grand mérite, et peut-être notre plus sûre consolation. »

Ces paroles sont de Napoléon; il est certain que son malaise, par suite de la privation d'un prêtre, se manifestait plus particulièrement le dimanche. Il paraissoit, ce jour-là, dans ses traits, un redoublement de mélancolie et d'amertume. Enfin c'est un dimanche, que je me


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souviens de l'avoir entendu s'écrier : « Voyez, messieurs, examinez ce que c'est que la piété du roi Très-Chrétien; jugez d'après leurs actes, ces princes légitimes, ces monarques de droit divin ? jugez la Sainte-Alliance. Que pensent-ils de moi, ou que faut-il penser d'eux ? leur conduite à mon égard, est-ce de la religion ou de la haine? Que prétendent-ils, en me privant des consolations religieuses? me prennent-ils, ou veulentils me faire passer pour une bête brute ? et tous les habitants de cette plage protestante, qui ont les yeux fixés sur nous, ces soldats, ces officiers qui célèbrent enfin le jour du Seigneur, que doivent-ils croire de moi ? »

« Ce jour-là même, autant que je me le rappelle, ajouta le général, l'empereur écrivit une lettre confidentielle au cardinal, pour demander un prêtre en qui il pourroit placer sa confiance. Voici la raison qui le fit écrire directement lui - même. Sa demande d'un prêtre, plusieurs fois réitérée, depuis son arrivée à Sainte-Hélène, étoit demeurée sans réponse de la part du cabinet anglois ; c'étoit le général Bertrand qui, par la nature de son litre de grandmaréchal, et dans l'ordre de ses fonctions, avoit


dû transmettre au gouvernement anglais le voeu du captif. Celui-ci finit par concevoir quelque soupçon sur le mode de transmission , sur les instances, le peu de vivacité du général à poursuivre l'exécution d'un voeu qui ne lui plaisoit pas précisément, et contre lequel il s'étoit permis des plaisanteries et quelques réclamations indirectes. »

Cependant le général Bertrand avoit écrit la lettre suivante au cardinal Fesch, quelques jours après la mort d'une personne du service de l'empereur :

« Nous sentons tous les jours le besoin d'un ministre de notre religion ; vous êtes notre évêque, nous désirons que vous nous en envoyiez un, français ou italien ; veuillez dans ce cas, faire choix d'un homme instruit, ayant moins de quarante ans et qui ne soit pas entêté des principes anti-gallicans; Le sieur Cipriani, maître-d'hôtel de l'empereur, est décédé, le 27 févrir dernier, à Longwood, à quatre heures de l'après midi. Il a été enterré dans le cimetière protestant, mais on a eu soin de faire mettre dans l'extrait mortuaire, qu'il étoit mort dans


— 19 — le sein de l'Eglise catholique apostolique romaine. Le ministre anglican auroit volontiers assisté le mort ; mais celui-ci auroit désiré un prêtre catholique; comme nous n'en avons pas; il a paru ne pas se soucier d'un ministre d'une autre religion... »

(Extrait d'une lettre du général Bertrand au cardinal Fesch. )

Le général Montholon me disoit :

« Oui, l'empereur étoit chrétien; chez lui la foi étoit un principe naturel, fondamental; le sentiment religieux arrivoit à la surface aussitôt qu'il y étoit le moindrement appelé par la circonstance d'une sensation extérieure, d'un raisonnement fortuit. Quand quelque chose d'inhumain, d'irreligieux, osoit se produire devant lui, il semble qu'on attentoit à son organisation intime; il étoit mal à son aise, il ne pouvoit se contenir; alors il protestoit, il s'opposoit, il s'indignoit; son esprit faisoit éruption, il ne ménageoit plus personne. Tel étoit son caractère, son naturel. Je l'ai vu, oui, j'ai vu cela, et moi, l'homme des camps, qui avois oublié ma religion, je l'avoue, qui ne la pratiquois point, je


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m'en étonnois d'abord; mais ensuite j'en pris des pensées, des émotions, qui me demeurent à présent, qui sont souvent pour moi des sujets de réflexion profonde. J'ai vu l'empereur religieux, et je me dis à moi-même : il est mort dans la religion, avec la crainte de Dieu. Je ne puis me dissimuler que l'âge me talonne , que la mort arrive aussi pour moi, et je voudrois mourir comme l'empereur. Je ne doute pas même que le général Bertrand ne soit préoccupé comme moi du souvenir des conversations religieuses et de la mort de l'empereur; le général, voyez-vous, finira peut-être comme son maître et son ami. »

Le général de Montholon eut la bonté de me donner ces détails de vive voix, à peu près dans les mêmes termes qu'on vient de lire : il en ajouta d'autres qu'on lira tout à l'heure, sur l'extrême-onction et sur le saint viatique, avec des confidences que je vais mettre également sous les yeux du lecteur. Souvent le général faisoit parler Napoléon et le citoit de mémoire. Tout le monde est en quelque sorte à même de reconnoître la verve inspirée et l'éloquence naturelle de ce parler si bref, profondément mar-


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que du signe de la puissance. Jamais la pensée ne se faisoit attendre, et les mots couloient sans effort de la bouche du général, et se gravoient de même dans ma mémoire.

Néanmoins je crus devoir demander au général, s'il ne lui répngneroit pas de m'écrire une lettre, qui seroit un témoignage authentique des sentiments et de la piété de l'empereur. Il eut la bonté d'accéder à ce voeu si naturel de ma part : il me promit spécialement un récit fidèle de la solennité religieuse qui avoit consolé l'agonie de l'empereur.

La demande d'un prêtre fut donc uniquement le résultat des réflexions, un acte de la conscience de l'empereur, et une détermination de sa volonté.

Si l'on en croit M. de Las-Cases, le cabinet anglais fit des résistances, et le saint-père eut besoin d'exiger cette condescendance ; il menaça d'en appeller d'un refus et d'un délai inexplicables à l'Europe entière. Enfin Londres donna son acquiescement, en permettant au cardinal Fesch de nommer un ecclésiastique.


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Les instances de l'empereur avoient vaincu la mauvaise volonté qui depuis deux ans lui refusoit même les consolations religieuses dans son exil ; il en reçut la nouvelle le 4 novembre 1818, par la pièce officielle suivante... qui est un document inédit, émané d'Hudson Lowe lui-même.

DOCUMENT INEDIT D'HUDSON LOWE.

The governor perusing to instructions he has received from earl Bathurst, one of His Majesly's principal secretaries of state, has the honor to communicate as follows :

That cardinal Fesch, having represented to the pope the desire of general Bonaparte to have a priest résident at Longwood, in whom he may confide, and having made an application to the prince regent, for permission to procure and send to Sainte-Hélène, a roman catholic priest to attend on general Bonaparte. His Royal Highness, who had seen no reason to withold his assent, to his application on behalf of general Bonaparte, had signified his consent that cardinal Fesch, should agreably to general Bonaparte, vishes select a


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priest for that purpose, and that this priest should have permission to reside at Longwood, subject to such conditions as it may be necessary, for him previous by to subscribe.

The governor has te honor further, to make hnown that earl Bathurst having observed in the governor's recent despatches, general Bonaparte had expressed a wish to have a french surgeon of known reputation established at Longwood, and to have a cook in whom he could place confidence, his lordship had availed himself of the same opportunity to make general Bonaparle's wishes, on this subject, known to cardinal Fesch, according to him to select persons for both these situations, to proceed to Sainte-Hélène in Company with the roman catholic priest, and under similar engagements as to the restrictions of their communications, and intercome with inhabitants of the. island.

Earl Bathurst has added he would not fail to give. the governor the earliest informations of the names of the individuals selected for theses offices and of the probable percid of their departure of England.

Sainte Hélène, 4 november 1818.

Pour copie conforme à la minute renfermée dans le portefeuille de Sainte-Hélène,

F. MONTHOLON,


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TRADUCTION DU DOCUMENT OFFICIEL INÉDIT D'HUDSON LOWE.

Le gouverneur, suivant les instructions qu'il a reçues du comte Bathurst, un des premiers secrétaires d'état de Sa Majesté, a l'honneur de communiquer ce qui suit :

Que le cardinal Fesch, ayant représenté au pape, que le général Bonaparte désiroit avoir un prêtre, résidant à Longwood, en qui il puisse placer sa confiance, et s'étant adressé au prince régent, pour obtenir la permission d'envoyer au général Bonaparte, un prêtre de la religion catholique, Son Altesse Royale, qui n'avoit point trouvé de motif pour rejeter la demande faîte par le général Bonaparte, avoit consenti à ce que le cardinal Fesch, suivant les désirs du général Bonaparte, choisît un prêtre, et que ce prêtre eût la permission de demeurer à Longwood, assujetti aux conditions auxquelles il pourroit être nécessaire de le faire souscrire.

De plus, le gouverneur a l'honneur de faire savoir que le comte Bathurst, ayant remarqué dans les dernières dépêches du gouverneur, que le général Bonaparte avoit exprimé le désir d'avoir un chirurgien français, d'une réputation connue, établi à Long-


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wood, et d'avoir un cuisinier à qui il pût se fier, Sa Seigneurie avoit profité de celte occasion, pour faire savoir au cardinal Fesch, les désirs du général Bonaparte (1) à ce sujet, lui permettant de choisir les personnes qui devront remplir ces deux places, et qui seront assujetties aux mêmes conditions, concernant leurs rapports avec les habitants de l'île, et à partir pour Sainte-Hélène avec le prêtre catholique.

Le comte Bathurst a ajouté qu'il ne manqueroit pas de faire part au gouverneur, le plus tôt possible, des noms des individus choisis pour ces emplois, et du temps de leur départ de l'Angleterre,

4 novembre 1818.

Certifié conforme à l'original,

Paris, 4 avril 1840. F. MONTHOLON.

(1) Le titre de général est répété presque à chaque ligne. Le motif en est simple. Tout le sort funeste de Napoléon est résumé dans ce seul mot. Hudson Lowe et Napoléon ont la même opinion au sujet de cette répétition. Tout le Bel britannique se retrouve dans celte injure qui offense le ciel et les hommes, étant l'équivalent du régicide. ( Note de l'auteur. )


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L'empereur ayant reçu cette nouvelle, attendoit avec impatience l'arrivée des prêtres annoncés par la missive d'Hudson Lowe ; il en parloit avec une joie anticipée. C'étoit le premier adoucissement et une consolation réelle qu'il alloit recevoir par leur présence. « Enfin , di» soit-il, nous aurons la messe le dimanche! » revoir la religion, c'est revoir la patrie. Privés » de nos familles, du moins nous en aurons les » moeurs, nous aurons un lien, une communi» cation avec l'Europe, l'union des souvenirs. » Si nous fondons Un autel catholique dans » cette île, nous avons le droit d'en être fiers, car » nous y arborons l'étendard de la France et » d'une victoire perpétuelle contre notre en» nemi. Oui, la religion va élever une nouvelle » barrière entre Plantion-House et Longwood, » entre ces hérétiques et moi. Ces prêtres qui «arrivent, ce sont des coreligionnaires, des » compatriotes , des frères , un renfort contre " l'Angleterre. »

Le mot hérétique étoit souvent dans la bouche de l'empereur. II ne le prononçoit jamais qu'avec l'accent de l'injure absolue, et de la condamnation définitive qu'implique ce mot. Hud-


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son Lowe étoit un hérétique, c'étoit le cri d'une âme religieuse, mais aussi d'un Italien, d'un Corse, et de l'empereur prisonnier et victime de la perfidie des Anglais.

Mais une raison plus grave lui faisoit désirer les prêtres, sa santé délabrée ; il avoit le pressentiment de sa fin prochaine et prématurée.. Frappé de celte idée, il en parloit souvent : « l'Angleterre réclame mon cadavre, disoit-il, je ne la ferai point attendre. » Il prévoyoit l'heure de la mort, avec le même calme qu'il prévoyoit autrefois l'heure de la victoire. Les âmes vaines se repaissent d'illusions ; il faut la vérité à l'âme de Napoléon, même celle de la mort. Mais avant de raconter sa sublime agonie, il est convenable de réunir, de citer ici toutes les paroles religieuses de l'empereur, éparses dans le Mémorial de M. le comte Las-Cases, dans O'Méara et dans Antommarchi, en y mêlant les souvenirs inédits, les additions, les rec" tifications que j'ai été à même de recueillir. Le lecteur, entendant plusieurs témoignages, formera plus facilement, plus sûrement sa conviction. Ces voix différentes sont plusieurs chemins vers un même but, et une transition à des con-


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fidences plus explicites et plus étendues. Mais quelques phrases sont nécessaires pour expliquer la graduation des idées et des faits. Napoléon, quoi qu'on en ait dit, fut toujours jaloux du soin de sa dignité personnelle, mais il le fut surtout à Sainte-Hélène. Il semble qu'il vouloit reconquérir par la surveillance et l'empire sur soi-même, la puissance qu'il avoit perdue sur le monde, et se venger ainsi de la fortune et de l'indigne surveillance de son geôlier. Chez les hommes vulgaires, la pensée est la vaine écume de leur esprit léger et irrésolu. Chez un grand homme, la pensée est le fruit de la volonté. Sur le trône, Napoléon s'étoit fait une longue habitude de ne parler qu'avec réflexion, mais dans la captivité de l'île Sainte-Hélène, il ne parle plus que pour l'histoire et en présence de la postérité. Telle est la disposition personnelle de l'empereur; mais il faut tenir compte aussi de l'état moral et de la disposition d'esprit des personnes qui l'entourent, de leur influence et de leurs rapports réciproques. Les exigences ne sont plus celles du trône, mais celles du malheur. Dans la prison du Temple, Louis XVI fut abreuvé d'outrages ; on osa lui disputer même la consolation des pratiques extérieures. On


— 29 — célébra le saint sacrifice dans la prison du Temple une seule fois, le jour où le roi martyr alloit lui-même offrir à Dieu le sacrifice de sa vie innocente, mais du moins là s'arrêta l'outrage; si les mains qui avoient tenu le sceptre n'étoient libres, la conscience l'étoit. Déplorable effet du malheur des temps! il est certain que non seulement Napoléon fut enchaîné et privé comme Louis XVI de la pratique religieuse, pendant un laps de temps assez long, mais de plus on osa lui contester la liberté de l'âme. Il fut constamment gêné dans la franche expression de ses sentiments religieux. Au-dehors, il redoutoit ses partisans en Europe, que la politique lui commandoit de ne pas choquer, et dans son intérieur, il redoutoit certain compagnon de son exil, qui ne craignoit pas de se montrer hostile à la religion, incrédule même en présence de son maître. Quoi donc ! la fidélité même étoit une autre servitude ; il se sentoit l'obligé de ses compagnons d'exil. Ah ! qu'il comprit bien alors tout ce qu'il y avoit de cruel et d'ironique, dans un dévouement qui n'est point l'unité des principes : quelle union que celle qui peut finir avec la vie, parce qu'elle n'est pas l'union du coeur. Déjà l'empereur, malgré tous ses efforts


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pour retenir auprès de lui MM. Gourgaud et Las-Cases, les avoit vus s'échapper du rivage et fuir un séjour odieux, où ils le laissoient captif. Il faut se placer au point de vue de celte situation délicate, pour apprécier les ménagements et la lenteur de Napoléon à exprimer toute sa pensée, relativement à ses croyances religieuses. Mais sa fierté s'en indigne. Dès le commencement de son séjour à Sainte-Hélène, dès les premières conversations, aussitôt que le mot religion est prononcé, l'empereur se déclare sans ambiguïté pour l'affirmative; mais une fois qu'il a satisfait au devoir de l'honnête homme, cela suffit pour le moment, il s'impose de ne pas en dire davantage. Pour sauver sa susceptibilité, il ménage celle d'autrui; on devine le prince, qui veut qu'on sache qu'en pareille matière, il a son opinion indépendante, mais qui ne veut pas tyranniser l'opinion dissidente : telle est l'étiquette, l'esprit de la conversation à Sainte-Hélène, jusqu'au jour où les prêtres débarquent dans l'île. Fortifié par leur présence, l'empereur sera plus libre de laisser prendre tout son essor à sa pensée religieuse.

D'après ce qu'on vient de lire, peut-il exister


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des doutes sur la cause qui détermina l'arrivée des prêtres à Sainte-Hélène? Qu'on suspecte encore ici l'intention de l'empereur : le soupçon est l'âme de la malignité; mais la malignité ne peut point attaquer autrement un acte aussi significatif. En attribuera-t-on la moralité aux compagnons de l'empereur? par exemple, à M. de Las Cases? Mais on contrediroit M. de Las Cases lui-même, ses préjugés, ses moeurs, et le portrait de sa ressemblance originale tracé par lui-même dans ses écrits, où l'univers entier, d'un seul coup d'oeil, peut lire et juger la valeur religieuse , morale et intellectuelle de Lafayette en miniature. Le général Gourgaud lit la Bible et veut qu'on le sache; mais la lecture de la Bible n'implique pas qu'on soit un homme religieux. M. Gourgaud peut avoir la foi et ne pas avoir la pratique. J'affirme que ce n'est pas lui qui réclama un prêtre pour le service de Longwood; peut-être étoit-il déjà préoccupé du projet d'abandonner Sainte-Hélène, qu'il effectua quelques mois après M. de Las Cases, y laissant leur maître captif, et allant chercher, sinon la messe en Europe, du

moins leur plaisir et leurs affections Nous

avons entendu tout à l'heure le général Montho-


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lon nous déclarer, avec sa franchise militaire , « qu'il avoit oublié sa religion dans les camps. » Quant au général Bertrand, justement cité dans le Mémorial pour ses réparties antireligieuses, qui chagrinoient et quelquefois même irritoient l'empereur, on ne peut lui attribuer d'avoir attiré des missionnaires catholiques dans l'île de Sainte-Hélène. Quel est donc celui qui fit des sollicitations à cet égard ? L'empereur lui seul. Ce fut son mouvement propre, son esprit, sa conscience, qui surmonta l'indifférence de ces compagnons, les railleries du général Bertrand et la mauvaise volonté du cabinet anglais... Les citations suivantes porteront la lumière et la conviction chez les plus incrédules.


CHA PITRE II.



QUATRIEME LIVRAISON.

CHAPITRE DEUXIÈME.

SOMMAIRE.

Croyance de l'Empereur à Dieu et à la religion. — Exclamation contre le général Bertrand au sujet de la première communion.— Désir d'aller en Paradis. — Lecture et admiration des premiers chapitres de l'Évangile.— Opinion sur les couvents favorable aux trapistes et a l'ancien clergé —L'Empereur évoque.—Madame de Staël et le concordat. — Foi vacillante de l'Empereur, désir d'une foi plus ferme. —Importance de la religion pour un état. —Son attachement au catholicisme et ses raisons pour y tenir plus qu'à aucune autre religion.— L'évêque de Nantes de Voisins.—La communion et le sacre. — Éloge de Pie VII par Napoléon.— Calcul sur un chiffre de la Bible.— Flérissure de l'immoralité dans un souverain — Conduite en Italie du général Bonaparte à l'égard des prêtres et de la religion. — Jeunesse de l'univers et de la race humaine. — Respect filial de Napoléon. —Le matelot anglais, bon fils prouve une bonne mère. — Condamnation formelle du divorce.—Parallèle du mahométisme et du christianisme. — La mauvaise librairie.—Royauté de l'âme.—L'esprit ennemi du bon sens.— Opinion de l'Empereur sur les curés et sur leur casuel.—Son aversion pour les joueurs— Son opinion sur le fatalisme.— Le jeune ecclsiastique anglais à Longwood. — Instance pour avoir un prêtre catholique à Longwood; — Politique du Directoire et de Napoléon à l'égard des prêtres et du pape—Condamnation du suicide.—Flétrissure imprimée aux gardiens du pape par l'Empereur.



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CITATIONS DU MÉMORIAL DE SAINTE-HÉLÈNE , PAR M. DE LAS CASES.

Le coeur des rois est impénétrable, comme le ciel l'est dans sa hauteur et la terre dans sa profondeur.

(Proverbes, ch. XXV, v. 3.)

CHAPITRE DEUXIEME.

Un soir, la conversation tomba sur la religion. L'empereur, après un mouvement très-chaud, a dit :

« Tout proclame l'existence de Dieu ; c'est indubitable... Dès que j'ai eu le pouvoir, je me suis empressé de rétablir la religion. Je m'en servois comme de base et de racine. La religion est à mes yeux l'appui de la morale, des vrais principes, des bonnes moeurs. L'inquiétude de l'homme est telle, qu'il lui faut le mystère et ce merveilleux qu'on trouve dans le christianisme. »


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Le général Bertrand (1) lui ayant dit «qu'il pourroit se faire qu'il finît par être dévot. » L'empereur a répondu : « Il m'arrive de craindre que cela ne soit pas. Plaise à Dieu que je meure bon chrétien ! mais chez moi, l'incrédulité ne vient d'aucun travers, ni de libertinage d'esprit. L'homme ne doit jurer de rien, sur tout ce qui concerne ses derniers instants. »

Comme le général Bertrand osa se vanter de n'avoir pas fait sa première communion : « C'est très-mal à vous, s'écria l'empereur, vous avez manqué à un premier devoir, vous vous êtes rendu coupable vis-àvis de votre éducation. Dire d'où je viens, où je vais, ce que je suis, tout cela est au-dessus de mes idées. Et pourtant cela est : Je suis la montre qui existe et qui ne se connoît pas. L'homme aime le merveilleux. Le vrai, c'est que tout est merveille autour de nous, tout est phénomène dans la nature. Mon existence est un phénomène. Le bois qu'on met dans la cheminée et qui me chauffe est un phénomène. Toutes les causes premières sont des phénomènes. Mon intelligence,

(1) Dans le Mémorial, au lieu du nom propre, M. de Las Cases écrit: L'un de nous. Cette observation s'applique aux autres endroits de ces citations ou le même nom va se retrouver. Le nom du général Bertrand est rétabli d'après le témoignage d'un témoin qui assistoit à ces conversations avec M. de Las Cases. Une seule citation du Mémorial avant été essentiellement modifiée, le lecteur en sera averti par une note.


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mes facultés, sont des secrets admirables, que nous ne savons ni deviner, ni définir. Nous 'les constatons, voilà où se borne notre science. Telle est la nature dont les secrets sont fins, délicats, fugitifs, lesquels jusqu'ici échappent à l'analyse comme à la synthèse. Le sentiment religieux est si consolant, que c'est un bienfait du ciel que dé le posséder. De quelle ressource ne nous seroit-il pas ici? quelle puissance pourroient avoir sur moi les hommes et les choses, si, prenant en vue de Dieu mes revers et mes peines, j'en altendois la félicité future pour récompense ! Quelle jouissance que la contemplation d'un avenir, où Dieu couronne la créature qui a mérité cette récompense ! L'empereur a terminé cette conversation en envoyant le jeune Las-Cases chercher l'Évangile, et le prenant au commencement, il ne s'est arrêté qu'après le discours de Jésus sur la montagne. Il se disoit ravi, extasié de la pureté, du sublime d'une telle doctrine (1).

Au sujet de la Mèlanie de La Harpe, l'empereur disoit en critiquant la pièce, qu'il trouvoit fausse d'un bout à l'autre : « Jamais un père n'a eu le pouvoir

(1) Si l'on veut se faire une idée juste des croyances de l'Empereur, on doit lire l'Évangile selon saint Matthieu, dont il est ici question. En connoissant ce qu'il admiroit, on verra que c'est justement le dogme, la doctrine ; en effet, ces quelques chapitres racontent le mystère de l'incarnation, qui sert de base aux autres mystères.


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de forcer sa fille à être religieuse, jamais l'autorité n'y eût donné les mains. J'ai assisté, disoit-il, à maintes prises d'habit ; c'étoit une cérémonie fort suivie par les officiers. Si une jeune fille eût dit : Non, nous l'eussions enlevée l'épée à la main. Il est donc faux qu'on employât la violence; peut-être on employoit les séductions, comme on fait pour les recrues. Le fait est qu'elles avoient à passer, avant de conclure, par les religieuses, la supérieure, le directeur, l'évêque, l'officier civil, et enfin les spectateurs. Le moyen que tout cela se soit entendu pour concourir à un crime?» L'empereur ajoutoit : « Je ne suis pas porté pour les couvents, je vois un écueil dans l'oisiveté. Pourtant, d'un autre côté, il y a des raisons qui militent en leur faveur. Un empire comme la France peut et doit avoir des trapistes. Si un souverain infligeoit les pratiques qu'ils observent, ce seroit la plus abominable des tyrannies; et pourtant ces pratiques si dures font les délices de celui qui se les impose volontairement. J'ai permis, encouragé les moines du Mont-Cenis, qui sont des hommes héroïques. Ma pensée est que les moines seroient de beaucoup les meilleurs corps enseignants... J'ai du penchant pour eux. J'aime les prêtres... (1) Je ne me plains pas du vieux

(1) Que d'idées saines et neuves! quelle clarté, quelle énumération, quelle logique pressante en faveur de la religion, et en opposition avec toutes les déclamations du libéralisme, sur ce chapitre des religieuses et des couvents ! Les moines seroient de beaucoup les


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clergé. Je n'ai rien à dire contre les vieux évêques, qui ont vu ce que j'avois fait pour la religion, et qui s'en sont toujours montrés reconnoissants. Ils ont répondu à mes espérances. Tous les anciens évêques curent ma confiance, et je n'en sais pas un seul qui l'ait trompée (1). On n'a pas compris ma sollicitude pour les intérêts élevés de la religion. Le protestantisme est la plaie de l'Europe, j'espérois la fermer. »

Un jour, pendant une promenade en calèche : « C'est dimanche, a fait observer l'empereur; nous aurions la messe, si nous étions en pays chrétien, si nous avions un prêtre, et cela nous eût fait passer convenablement un moment de la journée. J'ai toujours aimé le son des cloches. Il y a deux choses dans cette île hérétique, inhospitalière, qui me manquent,

meilleurs corps enseignants. Telle est l'opinion de l'empereur, qui n'est guère celle de MM. de l'Université. La restaurationa proscrit les jésuites. Il seroit curieux de les voir rétablis par le triomphe de la liberté d'enseignement. Les libéraux consciencieux, les républicains ne verront là qu'une conséquence d'un principe; mais les chanoines du conseil royal de l'instruction publiquey verront bien autre chose.

(1) Cet éloge de l'ancien clergé de France n'est que juste ; mais il honore l'empereur et le clergé. En effet, on ne fait pas assez d'estime de la vertu des ecclésiastiques qui ont restauré le culte en France; après avoir supporté la persécution, ils surent mettre en oubli leurs intérêts sacrifiés, et sans aucun regret de l'ancien état de splendeur dont ils avoient été les témoins, sans aigreur ni récrimination, ils se prêtèrent avec une abnégation vraiment évangélique aux circonstances, ne demandant rien pour eux de plus que ce qui leur étoit offert par le gouvernement.


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et dont la privation m'est spécialement insupportable: pas de cloches, et du pain moisi. Et puis, on nous refuse un prêtre; ne pourrions-nous pas nous, empereur sacré, de notre autorité faire un prêtre ? ne suis-je pas évêque? n'ai-je pas été oint, sacré de la même manière? Clovis et ses successeurs n'avoient-ils pas été oints dans le temps avec la formule de : Rex Christique sacerdos? n'étoit-ce pas là réellement de vrais évêques? la jalousie des évêques et des papes n'a-telle pas-seule amené depuis la suppression de cette formule? Lors du Concordat, madame de Staël étoit forcenée; elle unissoit contre moi les républicains et les aristocrates : « Vous n'avez plus qu'un moment (leur crioit-elle), demain le tyran aura 40, 000 prêtres à son service. » C'étoit la rage d'une protestante bel-esprit. »

10 Février 1816. On a profité de la belle soirée pour se promener longtemps dans le jardin; la conversation a été des plus intéressantes, les sujets étoient grands et profonds : c'étoit sur les diverses religions, l'esprit qui les avoit dictées 5 les absurdités, les ridicules dont on les avoit entremêlées; les excès qui les avoient dégradées ; les objections qu'on leur avoit opposées ; l'empereur a traité tous ces sujets avec sa supériorité ordinaire (1).

(1) Quelle perle que la perte de cette conversation, qui fut longue et sur des sujets grands et profonds! dit M, de Las Cases ! et il ne nous en apprend rien de plus.


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En parlant de prêtres et de religion, la conversation a conduit l'empereur à dire : « L'homme lancé dans la vie se demande : D'où viens-je? qui suis-je? ce sont autant de questions mystérieuses qui nous précipitent vers la religion. Nous courons au-devant d'elle, notre penchant naturel nous y porte... On croit à Dieu parce que tout le proclame autour de nous et que les plus grands esprits y ont cru, non-seulement Bossuet et Fénelon, dont c'étoit l'état de le prêcher, mais Pascal, Leibnitz, Newton; et telle a été pour mon compte et à la lettre la marche de mon esprit. J'ai eu besoin de croire, j'ai cru; mais ma croyance s'est trouvée incertaine dès que j'ai raisonné. Peutêtre y avoit-il de ma faute, peut-être croirai-je de nouveau aveuglément! Dieu le veuille! je n'y résiste assurément pas, je ne demande pas mieux, je conçois que ce doit être un grand et vrai bonheur. Toutefois, dans les grandes tempêtes, dans les suggestions accidentelles de l'immoralité même, l'absence de celte foi religieuse, je l'affirme, ne m'a jamais influencé en aucune manière, et je n'ai jamais douté de Dieu. Car si ma raison n'eût pas suffi pour le comprendre, mon intérieur ne l'adoptoit pas moins. Mes nerfs étoient en sympathie avec ce sentiment. Lorsque je saisis le timon des affaires, j'avois déjà des idées arrêtées sur tous les grands éléments qui cohésionnent la société; j'avois pesé toute l'importance de la religion, j'étois persuadé, et j'avois résolu de la rétablir; mais on croi-


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roit difficilement les résistances que j'eus à vaincre pour ramener le catholicisme. C'est au point qu'au conseil d'État où j'eus grand peine à faire adopter le Concordat, plusieurs ne se rendirent qu'en complotant d'y échapper: " Ehbien ! ( se disoient-ils l'un à l'autre), faisons-nous protestans, et cela ne nous regardera pas. » Il est sûr qu'au désordre auquel je succédois, que sur les ruines où je me trouvois placé, je pouvois choisir entre le catholicisme et le protestantisme; et il est vrai de dire encore, que les dispositions du moment poussoient toutes à celui-ci; mais outre que je tenois réellement à ma religion natale, j'avois les plus hauts motifs pour me décider? En proclamant le protestantisme, qu'eussé-je obtenu? J'aurois créé en France deux grands partis, à peu près égaux, lorsque je voulois qu'il n'y en eût plus du tout. J'aurois ramené la fureur des guerres de religion. Ces deux partis, en se déchirant, eussent annihilé la France, et l'eussent rendue l'esclave de l'Europe, lorsque j'avois l'ambition de l'en rendre la maîtresse. Avec le catholicisme, j'arrivois bien plus sûrement à tous mes grands résultats : au dehors, le catholicisme me conservoit le pape, et avec mon influence et nos forces en Italie, je ne désespérais pas tôt ou tard, par un moyen ou par un autre, de finir par avoir à moi la direction de ce pape. Et dès lors, quelle influence ! quel levier d'opinion sur le reste du monde !

L'évêque de Nantes ( de Voisins ), le prêtre qui a eu


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toute ma confiance, me rendoit Complètement catholique, par la sagesse de ses raisonnements, son excellente morale, et sa tolérance éclairée.

L'évêque de Nantes avoit vécu au milieu des incrédules, avec Diderot; aussi avoit-il réponse à tout. Il avoit le bon esprit d'abandonner tout ce qui n'étoit pas soutenable. Il se retiroit donc dans les derniers retranchements, dans la forteresse même ; et là, se ménageoit toujours ainsi un excellent terrain. C'étoit mon oracle, mon flambeau, il avoit ma confiance aveugle, sur les matières religieuses; car dans mes querelles avec le pape, j'avois pour premier soin, bien qu'en aient dit les intrigants et les brouillons, de ne pas toucher au dogme. L'empereur a terminé en disant': « Le jour où je fus sacré, le pape m'avoit dispensé de la communion publique; et c'est sur cette détermination de sa part, que je juge de la sincérité de sa croyance religieuse. Il avoit tenu une congrégation de cardinaux, pour arrêter le cérémonial; la plus grande partie avoit insisté fortement pour que je communiasse en public, soutenant que l'exemple seroit d'un grand poids sur les peuples et qu'il falloit que je le donnasse. Le pape craignant, au contraire, que je n'accomplisse cet acte que comme un des articles du programme de M. de Ségur, n'y voyoit qu'un sacrilége et s'y opposa inflexiblement. « Napoléon n'y est peut-être pas disposé, disoit-il; un temps viendra


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sans doute où la foi le lui conseillera : en attendant, ne chargeons pas sa conscience, ni la nôtre. " Dans sa charité chrétienne, car c'est véritablement, un bon , doux et brave homme, il n'a jamais désespéré de me tenir pénitent à son tribunal; il en a laissé souvent échapper l'espoir et la pensée. Nous en causions quelquefois de bonne amitié. « Vous y viendrez tôt » ou tard, me disoit-il, avec une innocente douceur, » je vous y tiendrai, ou d'autres si ce n'est pas moi, » et vous verrez alors quel contentement, quelle sa» tisfaction pour vous-même... »

En attendant, mon influence sur lui étoit telle, que je lui arrachai, par la seule force de ma conversation privée, ce fameux Concordat de Fontainebleau, dans lequel il eût renoncé à la souveraineté temporelle , acte pour lequel il a fait voir depuis, qu'il redoutoit le jugement de la postérité. Il n'eut pas plutôt signé, qu'il s'en repentit. Il devoit le lendemain dîner avec moi en public; mais dans la nuit, il fut malade, ou feignit de l'être. C'est qu'immédiatement après que je l'eus quitté, il retomba dans les mains de ses conseillers habituels, qui lui firent un épouvantait de ce qu'il venoit d'arrêter. Si nous eussions été laissés à nous seuls, j'en eusse fait ce que j'aurois voulu; j'eusse gouverné alors le monde religieux, avec la même facilité que je gouvernois le monde politique. Pie VII est vraiment un agneau, tout-à-fait un bon homme, un


- 47 - véritable homme de bien, que j'estime, que j'aime beaucoup , et qui, de son côté, me le rend un peu, j'en suis sûr; vous ne le verrez pas trop se plaindre de moi, ni porter surtout aucune accusation directe et personnelle.

Un soir à Sainte-Hélène, l'empereur faisoit des calculs sur la fécondité productive du sol de l'Egypte, De là sont venus naturellement beaucoup d'autres objets, la population probable et possible de l'Egypte aux temps anciens. Quelle avoit pu être celle des Israélites, si, dans le peu de temps qu'ils y étoient demeurés captifs, ils avoient pu s'accroître au point ou nous le lisons dans l'Ecriture! Sur quoi l'empereur ma dit (à M. de Las Cases) de lui apporter le lendemain quelque chose sur ce sujet, Voici le calcul qui fut présenté à l'empereur le lendemain. Les Israélites ont demeuré 200 ans en Egypte : on peut compter sur dix générations. Dans cet intervalle, on se marioit jeune, et surtout on avoit beaucoup d'enfants. On supposoit donc les enfants de Jacob, les douze chefs de tribus, tous mariés; je supposois aussi, mais pour un moment, chacun d'eux ayant le même nombre d'enfants , ou six couples ; et ainsi de suite : la dixième génération se trouvoit alors composée de deux milliards 480 millions , 64 mille 704 individus. Toutefois est-il qu'on peut diminuer hardiment le nombre d'enfants, compter à son aise sur les mortalités, et qu'il demeurera certain , qu'au-


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cun calcul ne peut amener à contredire le récit de Moïse. L'empereur s'est occnpé quelque temps à chercher les vices de ce raisonnement, pour les faire ressortir, et s'en est amusé.

L'immoralité, disoit l'empereur, est sans contredit la disposition la plus funeste qui puisse se trouver dans un souverain , en ce qu'il la met aussitôt à la mode, qu'on s'en fait honneur pour lui plaire, qu'elle fortifie tous les vices , entame toutes les vertus, infecte toute la société comme une véritable peste ; c'est le fléau d'une nation. La morale publique, au contraire, ajoutoit-il, est le complément naturel de toutes les lois : elle est, à elle seule , tout un code; et il prononçoit que la révolution, en dépit de toutes ses horreurs, n'en avoit pas moins été la vraie cause de la régénération de nos moeurs, comme les plus sales fumiers provoquent la plus noble végétation ; et il n'hésitoit pas à dire que son administration seroit une ère mémorable du retour à la morale. La moralité publique (disoit-il) est du domaine spécial de la raison et des lumières : elle en est le résultat naturel, et l'on ne sauroit plus faire rétrograder celles-ci, pour reproduire les scandales et les turpitudes des temps passés, la consécration des doubles adultères, le libertinage de la régence, les débauches du règne qui a suivi; il faudrait reproduire aussi toutes les circonstances d'alors, ce qui est impossible. Il faudrait ramener l'oisivité absolue de


- 49 - la première classe, qui ne pouvoit avoir d'autre occupation, que les rapports licencieux des deux sexes. Il faudroit détruire dans la classe moyenne, ce ferment industriel, qui agile toutes les imaginations, éveille toutes les idées et stimule les âmes. Il faudroit enfin replonger les dernières classes dans cet avilissement et cette dégradation, qui les réduisoient à n'être que des bêtes de somme. Or, tout cela est désormais impossible. »

« En mettant le pied en Italie ( disoit l'empereur), j'ai changé les moeurs, les sentiments, le langage de notre révolution. Je n'ai plus fusillé les émigrés, j'ai secouru les prêtres, j'ai abrogé les institutions, les fêtes qui déshonoraient. En cela, je n'étois point guidé par mon caprice, mais bien par la raison et l'équité, ces bases premières de la haute politique. Par exemple, si la fête de la mort du roi se fût conli' nuée, les émigrés n'auraient pas eu l'occasion de pouvoir se rallier jamais. »

L'empereur causoit sur la chaîne de nos connoissances anciennes, les historiens qui nous les ont transmises; la conclusion forcée, revenoit toujours à l'extrême jeunesse de notre univers, ou bien plus sûrement encore à celle de la race humaine.)

Parlant de sa famille, il disoit ; « Ma mère est digne de tous les genres de vénération ; pour mes frères, je

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n'ai jamais cessé un instant de me sentir le coeur d'un frère. Je les ai tous aimés , et je crois bien qu'au fond ils me l'ont toujours rendu , et qu'au besoin , ils m'en donneraient des preuves. »

Un jeune matelot anglais, prisonnier en France, s'échappe d'un dépôt, il avoit fait avec beaucoup de difficulté et de patience un petit canot, avec lequel il espéroit joindre les vaisseaux de la croisière anglaise; mais il fut découvert : Napoléon l'ayant sçu, le fit venir, et lui dit : « mais tu as donc une bien grande » envie de revoir ton pays ; y aurois-tu laissé quelque » maîtresse?—Non (répondit le matelot), ce n'est que » ma mère, qui est vieille et infirme, et que je vou» drois revoir.—Eh bien tu la reverras » (reprit Napoléon); et il commanda aussitôt qu'on prit soin de ce jeune homme, qu'on l'habillât et qu'on le transportât à bord du premier croiseur de sa nation, voulant en même temps qu'on lui donnât une petite somme pour sa mère, faisant la remarque :« qu'elle devoit être une bonne mère, puisqu'elle avoit un si bon fils. » (1)

16 septembre 1816, l'empereur racontoit que son frère Louis, lui avoit écrit une lettre de Rome, en 1815; « c'étoit son Traité, disoit-il, ses conditions pour revenir

(1) Rien n'est plus louchant que la conduite de l'Empereur, et la remarque finale est une moralité digne d'être conservée dans la mémoire et gravée dans le coeur de toutes les mères !


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auprès de moi. Croiroit-on bien, qu'une de ses conditions, étoit, qu'il aurait la liberté de divorcer avec Hortense. Je maltraitai fort le négociateur, pour avoir osé se charger d'une telle absurdité, et pour avoir pu croire , qu'une pareille chose fut négociable. Nos statuts de famille , le défendoient formellement : la politique, l'opinion , la morale ne s'y opposoient pas moins encore. »

Napoléon faisoit observer, comme bien digne de remarque, que du même coin de terre, étoient sortis les trois cultes qui avoient déraciné le polythéisme et couvert tout le globe de la connoissance d'un seul Dieu ; alors analysant les deux religions de l'Orient et de l'Occident (1) ; il disoit que la nôtre étoit toute spirituelle, et celle de Mahomet toute sensuelle; que l'esprit dominoit chez nous, avec la charité, tandis que ce n'étoit que sensualisme chez les mahométans : les houris aux yeux bleus, les bocages riants, les fleuves de lait ; et de là, il concluoit en opposant les deux religions, que l'une étoit esprit, et se présentoit comme la religion de l'amour; que l'autre , au contraire , étoit toute terrestre et devenoit la religion des sens.

Un jour Napoléon, fouillant dans un livre mo(1)

mo(1) passage est le seul où le sens a été essentiellement rectifié d'après le dire du général Montholon. D'ailleurs, la version de M. de Las Cases est inintelligible pour ceux qui connoissent la religion.


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derne, disoit qu'il le trouvoit très-mal fait, que tous ces livres modernes n'étoient que des livres de spéculation , faits à l'entreprise et commandés par des libraires. Le monde étoit menacé, disoit-il, d'un débordement de mauvaise librairie , et il ne voyoit pas trop de remède à ce fléau. (1) Il existe aujourd'hui tant d'esprit, parmi nous, qu'il domine aisément le bon sens, et peut obscurcir à son gré les points les plus lumineux.

L'empereur se plaignant de sa captivité et de son geôlier , terminoit en disant : " quoi qu'il en soit, le corps seul est au pouvoir des méchants. L'âme règne partout, du fond des cachots même, elle peut s'élever jusqu'au ciel. Bien des pamphlets m'ont accusé de perfidie (disoit-il), de manquer de foi et de parole , je ne méritai jamais ce reproche. »

Au sujet des curés, Napoléon disoit : « qu'il eut voulu les rendre très-importants et fort utiles. Plus ils sont éclairés (disoit il), moins ils sont portés à abuser de leur ministère. A leur cours de théologie , il auroit

(1) Le journalisme et la mauvaise librairie sont en effet la plaie de l'époque. Les idées fausses et libertines qui attaquent la foi attaquent moins la religion que la société ; car la foi religieuse est le lien de la société. Ce n'est ni la Charte, ni même le budget qui peuvent la remplacer. La religion subsiste indépendante des Etats, mais un Etat ne ubsiste pas sans religion.


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voulu joindre un cours d'agriculture, les élémens de médecine et du droit : alors les pasteurs eussent été vraiment une providence pour les ouailles, et comme on leur eut composé un très-bel état, ils auraient joui d'une grande considération; ils n'auroient pas eu le pouvoir de la seigneurie féodale, mais ils en auraient eu, sans danger, tonte l'influence. Un curé eut été le juge de paix naturel, le vrai chef moral qui eut dirigé ; si l'on joint à tout cela , les épreuves et le noviciat, pour le devenir, qui garantissent en quelque sorte la vocation , et supposent de belles dispositions de coeur et d'esprit, on est porté à prononcer qu'une telle composition de pasteurs au milieu des peuples , eût dû amener une révolution morale, tout à l'avantage de la civilisation. Déjà dans mon conseil d'état, j'avais déclamé contre le casuel des ministres du culte , en faisant ressortir l'indécence de les mettre dans le cas de marchander des objets sacrés, et pourtant indispensables ; je proposois donc de le détruire : en rendant les actes de la religion gratuits, nous relevons sa dignité et sa charité. Nous faisons beaucoup pour le petit peuple, et rien de plus naturel et de plus simple, que de remplacer ce casuel, par une imposition légale; car tout le monde naît, beaucoup se marient, et tous meurent; et voilà pourtant trois grands objets d'agiotage qui me répugnent, ce que je voudrais faire disparaître. Puisqu'ils s'appliquent également à tous, pourquoi ne pas les soumettre à une imposition spé-


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ciale, ou bien encore les noyer dans la masse des impositions générales... (L).

Napoléon disoit : « ma prévention contreles joueurs, étoit telle, qu'un homme étoit totalement perdu dans mon esprit, aussitôt que je lui connoissois ce défaut : je n'avois pas le loisir de vérifier, si j'avois tort ou raison : mais je ne comptais plus sur lui. »

Un jeune préfet refusoit le titre de monseigneur à un ministre de l'empereur, qui s'en plaignît. L'empereur a répondu en riant; «mais c'est qu'après tout, une telle obligation n'est pas dans le Code. Toutefois, il faut en finir : faites-moi venir son père, je suis sûr que le jeune homme ne résistera pas à un ordre de sa part (2). »

(1) Ces idées sont la révélation des préoccupations religieuses de l'Empereur, et la preuve que la guerre seule l'a empêché de relever

tout-à-fait la religion et de rendre aux autels leur ancienne splendeur. Sans doute l'avarice et l'esprit de cupidité, celte lèpre de l'âme, ne sont pas le vice du clergé françois. Ce vice est trop grossier. Cependant le casuel est une source de récriminations qui injurient la majesté du sanctuaire : le siècle ignore tous les anathèmes de nos livres saints contre ceux qui thésaurisent pour leurs familles et pour eux, au lieu de distribuer aux pauvres l'excédant des revenus de l'Eglise. Combien l'amour de l'argent est éloigné du voeu de célibat et de chasteté. Quel service l'Empereur auroit rendu à l'Eglise ! Plaise à Dieu que ce voeu d'un grand homme soit entendu et enfin réalisé ! Tout le monde y applaudiroit, et il en résulteroit un bien infini pour tout le monde. Du moins la simonie n'apporteroit plus le même dommage à l'Eglise.

(2) Non seulement l'Empereur étoit bon fils; mais il croyoit que tout le monde devoit l'être ; cette foi vive à l'autorité paternelle,


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« Allez, monsieur, courez (disoit d'ordinaire l'empereur), après avoir confié à quelqu'un une besogne importante, et n'oubliez pas, que le monde a été fait en six jours. » L'empereur disoit : « mon organisation répugne, est étrangère au crime. »

1er octobre 1816. Dans divers sujets de conversalions, le fatalisme s'est trouvé mentionné, et l'empereur a dit à cet égard des choses curieuses et remarquables, entre autres...

« Ne me fait-on pas passer pour imbu de fatalisme, m'a-t-il demandé ?—mais oui sire, du moins parmi beaucoup de gens.— Eh bien ! il faut laisser dire, aussi bien on peut vouloir imiter, et cela peut avoir son utilité... Ce que sont les hommes pourtant... On est plus sûr de les occuper, de les frapper davantage, par des absurdités que par des idées justes; mais un homme de bon sens, peut-il bien s'y arrêter un instant! ou le fatalisme admet le libre arbitre , ou il le repousse : s'il l'admet, qu'est-ce qu'un résultat déjà fixé d'avance, vous dit-on, et que pourtant la moindre détermination, un pas, une seule parole, vont faire varier à l'infini ? Si le fatalisme, au contraire, n'admet pas le libre arbitre, c'est bien autre chose : alors quand vous venez au monde, il n'y a plus qu'à vous jeter dans votre berprouve

berprouve y étoit soumis lui-même, et qu'il en avoit le sentiment imprimé dans le coeur bien profondément.


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ceau, sans vous donner aucun soin; s'il est véritablement fixé que vous vivrez, bien qu'on ne vous donne à boire ni à manger, vous grandirez toujours; vous voyez bien que ce n'est pas une doctrine soutenable; ce n'est qu'un mot. Les Turcs eux-mêmes, ces patrons du fatalisme , n'en sont pas persuadés ; autrement il n'y aurait plus de médecine chez eux ; et celui qui occupe un troisième étage, ne se donneroit pas la peine de descendre longuement les escaliers, il descendrait tout de suite par la fenêtre , et vous voyez, a quelle foule d'absurdités cela conduit... (1).

Le passage suivant est extrait d'une lettre de M. de Las Cases à Hudson Lowe :

Après les couches de madame la comtesse Montholon, un jeune eccléesiastique anglais, très-fervent, vint baptiser son enfant. La religion ayant été l'objet de la conversation, sa figure nous montra une étrange surprise, d'entendre nos regrets de nous trouver sans prêtres, livré sans doute à la croyance vulgaire, et au tas de sottises, dont on nous environne sans cesse, il s'étoit attendu à se trouver parmi des renégats : il lui échappa d'avouer, qu'on lui avoit dit, et qu'il avait cru qu'à Madère, un prêtre s'étoit offert à nous : mais que

(1) Rien de plus simple et de plus nerveux que ce raisonnementcontre le fatalisme. Cela n'empêche pas certaines gens de persister à soutenir que l'Empereur est fataliste. Chacun croit en définitive ce qu'il lui plaît de croire.


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nous l'avions repoussé, en l'apostrophant de quelques soldatesques grossièretés. Il fut bien surpris d'apprendre, que si cette offre avoit eu lieu, elle nous étoit demeurée étrangère. Profitant de cette circonstance, je priai l'éclésiastique, après déjeuner, de vouloir bien passer chez moi, et là , je saisis celte occasion toute naturelle , pour lui peindre la situation morale des habitants de Longwcod. « Nous avons des femmes, des « enfants, sans parler de nous-mêmes, pour qui le man» que des exercices religieux étoit une véritable pri» vation. Nous désirions vivement y remédier sans bruit " et sans ostentation. Or, c'étoit précisément son af» faire; je lui confiai nos voeux, et je chargeai sa con» science du soin d'y pourvoir auprès du gouverneur.» À ce seul mot, je vis de l'embarras, et sans doute la crainte de se compromettre, tant la terreur nous environne. Je n'en ai pas entendu parler; n'aura-t-il pas osé remplir sa mission ? ou aurez-vous voulu que sur ce point, commesur tous les autres, je vous en adres - sasse la demande moi même? Si je ne l'ai pas fait, c'est par l'embarras d'un ridicule toujours si facile sur cet objet, comme aussi par la crainte, que ne nous laissant point à nous - même le choix de ce médecin de l'âme , qui requiert plus de confiance encore que celui du corps , on ne nous imposât un étranger, qui loin de nous être de quelque consolation , ne nous donnerait l'idée que d'un surveillant de plus , d'an espion de plus parmi nous.


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Le directoire employoit vis-à-vis du pape des formes outrageantes, le général de l'armée d'Italie ne l'appeloit que le très-Saint-Père. Il ne lui parloit dans ses lettres qu'avec un respect filial. Le directoire vouloit renverser le pape , Napoléon n'y voulut jamais accéder. Le directoire déportoit les prêtres et les proscrivit. Napoléon disoit à son armée quand elle en rencontrait ; « soldats, ces prêtres sont des français et » nos frères. »

Au sujet du suicide, l'empereur disoit : « les premiers principes de la morale chrétienne et ce grand devoir imposé à l'homme de suivre sa destinée quelle qu'elle soit, m'empêcheront toujours de mettre moi-même un terme à l'horrible existence de Sainte-Hélène. »

L'empereur nous dit que le pape, malgré tout ce qu'on en avoit osé dire dans le monde , avoit été traité avec tous les égards dûs à un souverain dans le palais de Fontainebleau; que cependant l'emploi de gardien étoit du domaine de la délicatesse intérieure; et que, quant à lui, Napoléon, comme homme et comme officier, il n'eut pas hésité à refuser de garder le pape, dont il n'avoit jamais ordonné la translation en France. (1)

(1) Puisse cette flétrissure imprimée aux auteurs de l'attentat sacrilége de l'enlèvement d'un pape, désavoués avec mépris par celui même qu'ils prétendoient servir, puisse cette flétrissure, ce désaveu être la leçon des séides du despotisme ! ! !


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CITATIONS EXTRAITES DES MÉMOIRES D'O'MEARA MEDECIN DE L'EMPEREUR.

J'ai vu Napoléon dans son bain. Il lisoit un petit livre que j'ai reconnu pour être le Nouveau-Testament. Je n'ai pu m'empêcher de faire observer que beaucoup de personnes ne voudraient pas croire qu'il lut un tel livre, attendu qu'on a affirmé et répandu le bruit qu'il ne croit à rien. Napoléon a répondu : « Cela n'est pas vrai, et je suis loin d'être athée. Aussitôt que j'ai été à la tête du gouvernement, j'ai fait tout ce qui étoit en mon pouvoir pour rétablir la religion, qui est en outre une grande consolation pour celui qui en a, et personne ne peut dire ce qu'il fera à ses derniers moments ».

Le 9 novembre 1817. Je me suis entretenu pendant quelque temps avec Napoléon sur la religion, je lui dis qu'on avoit différentes opinions sur sa croyance en Angleterre, et qu'on l'avoit supposé depuis peu catholique romain. Il me répondit : c'est vrai, je crois cegue croit l'église. Le pape vouloit me faire confesser, ce que j'évitai en disant : « santo padre je suis occupé à présent, quand je serai plus vieux. »

Napoléon me dit qu'il désirait qu'après sa mort, son corps fut brûlé , que la résurrection devoit s'accomplir par un miracle, et qu'il étoit facile à l'être,


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Le 10 juin, Napoléon me parla de sa famille. « Mon excellente mère est une excellente femme d'âme et de beaucoup de talent. Elle a un caractère mâle, fier, et plein d'honneur. Je dois ma fortune à la manière dont elle a élevé ma jeunesse. Je suis d'avis que la bonne ou la mauvaise conduite à venir d'un enfant, dépendent entièrement de sa mère. » Napoléon me parla aussi du pape Pie VII. « Quand le pape étoit en France, disoit il, je lui assignai un magnifique palais, élégamment meublé à Fontainebleau, 100,000 couronnes par mois pour sa dépense. On lui tenoit prêtes quinze voitures pour lui et les cardinaux, quoiqu'il ne sortît jamais. Le pape étoit grandement fatigué des libelles dans lesquels on prétendoit que je l'avois maltraité : il les contredit publiquement. » On lit aussi dans O'Meara : « Comme je disois à Napoléon, qu'il ne devoit pas hâter sa mort en refusant de prendre des remèdes nécessaires. » Il a répondu : « Ce qui est écrit là haut est écrit; « et jetant les regards vers le ciel, il disoit : « Nos journées sont comptées. « L'empereur me dit au sujet des rapports que le gouverneur exigeoit de moi, qu'un médecin étoit pour le corps ce qu'un confesseur étoit pour l'âme, que les aveux d'un malade avoient droit au même secret, qu'un médecin et un prêtre ne doivent avoir dans l'exercice de leur profession aucune idée de patriotisme, et qu'il faut qu'ils se dépouillent de toute opinion politique.


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Après la lecture de ces citations du docteur O'Méara et de M. le comte de Las Cases, le lecteur seroit-il embarrassé de répondre à cette question, si Bonaparte avoit ou non une croyance! S'il ne consultait que les faits, je ne le pense pas; mais chez le plus grand nombre, les faits viennent après le sentiment, et chez le plus grand nombre aussi, le sentiment n'est autre chose que le cri de la sensation et des préjugés. J'ai entendu mille opinions, voici les plus saillantes : « A Sainte-Hélène ( disent ceux-ci ) il faut un prêtre, une chapelle, soit : on accomplit une affaire de forme; est-ce un scrupule, est-ce le devoir ? non, la conscience n'y est pour rien, on obéit à la politique plus qu'à la religion; on veut mourir chrétien pour être conséquent avec soi-même, et fidèle aux traditions du trône; l'homme se passeroit peut-être du ministre de Jésus-Christ, mais le souverain ne peut se passer de son aumônier ; une chapelle n'est point le symbole de la messe et du sacrifice du Calvaire, mais un signe distinctif d'une situation perdue, qui rappelle au monde entier l'huile sainte etl'onction du sacre impérial; enfin pour l'empereur, l'aumônier et la chapelle sont l'étiquette de la légitimité. »


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Ceux là disent non sans une raison assez fondée. « Si la foi de l'empereur étoit sincère, seroit il demeuré deux ans à Sainte-Hélène, privé des secours de la religion ? Si ses réclamations ayoient été le fruit d'une conviction sincère, il les auroit faites moins tard et avec plus de vivacité. C'étoit à Rochefort qu'il devoit choisir son chapelain ; il devoit à lui-même, à la religion, à la France de ne pas monter sur un vaisseau anglais sans y faire monter avec lui sa religion. Faut-il décerner ce beau titre de chrétien à de simples phrases ? Les citations d'O'Méara et de Las Cases, sont après tout des phrases et tout au plus le langage d'un homme bien élevé, ce qui s'explique par la famille de Bonaparte qui étoit chrétienne, et par le titre d'élève d'une école militaire des rois de France. Mais enfin ce sont là des velléités religieuses plutôt qu'un homme religieux, le pressentiment un peu confus des choses de la foi plutôt que la foi même; on peut y voir encore les idées d'un grand homme d'état qui envisage l'utilité, les bienfaits, la nécessité de la religion sous le point de vue social ; mais n'allez pas plus loin : ce sont de pures idées ; or pour être chrétien , il faut des actes, il faut une profession de foi


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plus formelle, il faut la pratique. La confession des lèvres ne suffit pas, il faut la confession du coeur, claire, distincte, circonstanciée sur tous les articles de la foi; et les citations de MM. de Las Cases et O'Méra ne satisfont pas complètement celui qui veut avoir une conviction éclairée sur un sujet aussi intéressant que celui de la foi religieuse de Napoléon : jusqu'ici le nom de Jésus n'est pas prononcé une seule fois, et jamais il n'est question des mystères et du dogme que d'une manière générale. » Enfin il est une multitude de personnes qui se refusent absolument à voir dans Bonaparte autre chose qu'un incrédule, un homme qui leur ressemble, parfaitement indifférent en matière religieuse, et qui ne fut même que par circonstance fortuite un persécuteur de l'Église. Il est aussi des personnes qui vont répétant que Napoléon a traîné le pape par les cheveux, qu'il a apostasie en Egypte, enfin toutes les niaiseries démenties vingt fois par les autorités les plus respectables, par l'empereur lui-même, qui s'est abaissé jusqu'à réfuter d'aussi plates calomnies...

Je suis loin de vouloir éluder ces objections , qui sont exprimées ici dans toute leur force. Ce


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que je cherche, c'est la vérité, qui est utile à tous; tandis que l'amour-propre, ennous aveuglant nous-mêmes , ne sert de rien à personne. Comment nier la valeur de ces objections, qui ont eu la puissance d'obscurcir le nom de Napoléon, et d'envelopper sa gloire morale d'un nuage si épais qu'aucun historien, aucun critique n'a su encore les en dégager ? Tel est le travail que j'ai entrepris dans l'intérêt général plus encore que dans l'intérêt d'un individu si haut placé qu'il soit... Je vais donc examiner rapidement ces objections avant de passer plus loin et d'arriver aux documens inédits de la plus haute importance, où Napoléon révèlera luimême sa pensée intime sur le christianisme et spécialement sur Jésus-Christ, son fondateur ; le moderne Alexandre tranchera avec l'épée de sa parole le noeud gordien des objections qui offensent sa moralité; il les résoudra par une explication spontanée , éloquente , catégorique, qui mettant à nu son âme et déroulant les plus secrets replis de sa conscience, ne permettra plus aucun doute sur sa croyance. Plaise à Dieu que l'éclair de sa foi, en sillonnant les âmes, y laisse ces lumières , ces impressions , qui sont celles de la grâce et du salut ! !


CHAPITRE III.

SOMMAIRE

Examen des objections.—Le républicanisme de Napoléon et sa conduite pendant la révolution.—Lettre inédite à ce sujet de Mme la marquise de Chabrillan, sauvée par Napoléon elle et sa famille, avec d'autres familles émigrées, des fureurs et des massacres des républicains.— Napoléon décrété plusieurs fois d'arrestation par la république. — Système de modération à l'égard des prêtres et de la religion, aussitôt qu'il prend le commandement de l'armée d'Italie. — Le meilleur ami de Rome. — Démenti de M. de Bourrienne à ceux qui ont osé dire que Bonaparte avoit été musulman en Egypte.—Faux Moniteur, imprimée Londres, contenant de fausses proclamations de Bonaparte à l'armée d'Egypte.—Le général Menou reprimandé et puni par Napoléon pour avoir apostasie.—Citations de quelques pensées morales extraites des oeuvres de la première jeunesse de Napoléon.—Le son de la cloche de Ruel.— Le chapelain de l'Empereur.—Importance des déclarations catégoriques du protestant O'Méara et du libéral M. de Las-Cases, qui témoignent de la religion de l'Empereur.



CHAPITRE TROISIEME.

La crainte de Dieu est créée avec les hommes fidèles dès le sein de leur

mère mais le culte de Dieu est

en exécration au pécheur.

Ecclésiastique. Cbap. I. v. 16 et 32.

Les objections contre la sincérité de la foi religieuse de l'empereur, sont plus apparentes que réelles, plus idéales que positives. Les faits qu'on cite sont le plus souvent falsifiés , ou même absolument inventés par la calomnie. Par exemple : un ressentiment aveugle ne peut pardonner d'éclatants services rendus à une cause que l'on déteste, et impute à Napoléon tous les crimes de la république. Rien de plus atroce et de plus hideux que l'apostasie de la fin du dernier siècle, où l'on vit les ennemis de l'humanité se déclarer aussi les ennemis de la religion, et prétendre à la détruire pour mieux détruire la société, fermer les couvents, massacrer les prêtres, et conduire à l'échafaud jusqu'à d'humbles filles, qui expièrent, par la mort, quelques larmes versées sur les ruines des autels, qui avoient reçu leurs voeux, et dont la violence pouvoit à peine les séparer ! république infâme, voilà tes oeuvres ! combien de chrétiens, au nom de la liberté et de l'égalité,


— 68 — tu fis périr, et qui renouvelèrent contre de nouveaux Nérons, les prodiges de la primitive église. C'est un devoir de flétrir ces forfaits ; c'est un devoir aussi de ne pas les attribuer à celui qui n'était pas dans les rangs des assassins, mais dans ceux de l'armée, qui n'a ni fermé ni spolié les églises, mais qui les a ouvertes, enrichies, réparées et reconstruites, qui n'a ni exilé ni massacré les prêtres, mais qui les a rappelés dans la patrie et réintégrés dans leurs augustes fonctions, enfin, qui n'est vraiment solidaire que de ses actions et des victoires remportées sur les ennemis du dehors et du dedans.

Il n'a pas donné sa démission, il n'a pas quitté la France, j'en tombe d'accord. Qu'importe? qui osera lui en faire un crime, s'il est demeuré dans le vaisseau pour le disputer à la tempête, pour sauver d'innombrables victimes, qui lui doivent leur salut et qui sont fières d'en témoigner leur reconnoissance ? c'est précisément ce qu'il a fait. A Sainte-Hélène, jetant un regard en arrière sur les premières années de sa vie, il invoqua contre ceux qui lui reprochoient d'avoir pris part aux excès de la révolution, le témoignage de la famille de Chabrillan, sauvée par lui à Toulon du massacre des prisons. Il jaillit quelquefois d'un simple trait de morale et d'une bonne action une lumière inattendue, qui semble descendre


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du ciel, pour éclaircir une figure et justifier un héros. Telle est la lettre suivante de madame la marquise de Chabrillan :

L'histoire particulière de nos malheurs seroit trop longue , Monsieur ; notre prise, notre séjour tant sur mer que sur terre, pendant la quarantaine que nous fîmes à Toulon, fut accompagné de tant de cruautés, que je voudrais pouvoir l'oublier ; car c'étoit des Français qui en étoient les auteurs. Bonaparte étoit à l'époque en question, officier d'artillerie à Toulon, et bien loin de provoquer les affreux massacres dont nous avons manqué être victimes, il a montré une grande humanité. La marquise de Caumont-Laforce, sa fille, son gendre, le marquis de Chabrillan, deux enfans en bas âge et d'autres familles émigrées avoient été prises sur mer, et se trouvoient dans la prison du Saint-Esprit, à Toulon. Le général Bisannet commandoit la place et Bonaparte l'artillerie. Tous les prisonniers que renfermoient les autres prisons furent massacrés, femmes, enfans indistinctement. Le peuple se porta à celle du Saint-Esprit. La nuit étant survenue donna un moment de répit, ou les assassins étant las de massacrer se reposoient. Mais aucun moyen ne paroissoit possible pour sauver le reste de leurs victimes, leur fureur allant toujours croissant. Le général Bisannet, au désespoir de l'affreux speciacle qu'il avoit eu et de celui qui se préparoit, rencontra Bonaparte , à qui il fit part de sa peine de n'avoir aucun moyen d'essayer de sauver ces malheureux, presque tous des femmes, des enfans, des vieillards. Bonaparte lui dit : « tu me sais ici et tu ne viens pas me trouver, quand il s'agit de faire une bonne action. Donne-moi vile une réquisition; tu auras à tes ordres les voitures d'artillerie nécessaires et je t'aiderai de tous mes moyens. »

Vous voudriez, Monsieur, savoir comment nous avons échappé au massacre, il m'est difficile moi-même de le savoir, Arrachés de notre prison par cette multitude ivre de carnage, armés de bâtons, couverts encore de sang,


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nous restâmes plus de vingt minuit entre leurs mains sans être frappés. Qui a retenu jeurs bras? la seule discussion que nous entendions entre eux étoit pour savoir s'il fallait massacrer les enfans ou les mettre à l'hôpital; et nous, malheureux parens, étions réduits à désirer que nos enfans subissent notre sort. Un homme se présente, couvert de sang, qui paroît avoir de l'autorité sur cette multitude ; il nous ordonne de rentrer dans noire prison. Quel était cet homme ? je l'ai su depuis; c'étoit le même qui avoit été à la tête des massacres de la Glacière d'Avignon, le même qui avait présidé depuis deux jours aux scènes de carnage! il nous quitta immédiatement, et nous restâmes entendant lès vociférations du peuple qui nous réclamoit, jusqu'à minuit, qu'arriva le général Bisannet et beaucoup de troupe. Je n'ai jamais su si Bonaparte y était. Il nous ordonna de le suivre dans le plus grand sifence. J'élois mourante. M. de la Jonquaire, vieillard âgé de 82 ans, mourut dans cet instant. Deux soldats le portèrent. Ce triste cortége traversa de la sorte une grande partie de la ville entre des haies de soldats ; nous entendions murmurer que l'on nous menoit au champ de bataille pour nous fusiller. Les troupes le croyoient ainsi que nous. Le champ de bataille se trouve près de la porte de France ; on nous fit hâter le pas quand nous y fumes arrivés et nous trouvâmes des charriots d'artillerie sur lesquels nous montâmes et que l'on fit partir très-vite. On nous dirigea sur Grasse. Nous faillîmes encore être massacrés dans une ville où nous passâmes; pour moi, on fut obligé de me laisser mourante à Vidauban. Mon mari, ma mère, eurentheau supplier qu'on laissât quelqu'un près de moi, tout fut inutile. j'étois la moins à plaindre ; toutes mes facultés m'avaient abandonné. Ce n'est qu'au bout de deux mois que je les recouvrai, et le premier usage que j'en fis, fut d'aller rejoindre ma malheureuse famille dans les prisons de Grasse ; nous passâmes trente mois de prisons en prisons, de tribunaux en tribunaux avant que de recouvrer la liberté. Voilà, Monsieur, une bien faible esquisse des maux que nous avons soufferts ; les 24 heures d'agonie ont passé vile, mais trente mois, abreuvés cha-


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que jour par des nouveaux tourments, nous ont paru bien longs. Il n'est question dans ce récit où je me suis, laissée entraîner, et que vous avez paru désirer, que de dire la vérité sur Bonaparte, qui paroît, d'après ce que vous me dites, l'avoir réclamée de nous; jamais nous n'avons voulu perpétuer par écrit des scènes, dignes de cannibales, surtout le temps que nous sommes restés sur mer. La manière dont nous fûmes sauvés tient du miracle ; mais il faut dire la vérité, que bien loin d'avoir ordonné les massacres, Bonaparte les a empêchés de tout son pouvoir. La famille Chabrillan a eu long-temps l'ordre de Bonaparte en réponse à la réquisition qui mettait à la disposition du général Bisannet les charriots d'artillerie, qui furent notre salut. L'impératrice Joséphine ayant désiré l'avoir et le montrer à l'empereur, il ne leur a pas été rendu, malgré leur demande réitérée. Ces temps sont loin ; il ne reste plus qu'une fille trop jeune pour s'en souvenir, et moi do ceux échappés à cette scène d'horreur. Puisse-ton n'en jamais revoir de semblable dans notre pays?

Recevez, je vous prie, Monsieur, tous mes compliments (1).

Marquise DE CHABRILLAN née CAUMONT-LAFOHCE.

Telle fut la conduite de Bonaparte pendant la terreur, où une bonne action étoit souvent un arrêt de mort prononcé contre soi-même. Aussi plusieurs fois Napoléon fut-il dénoncé et même décrété d'arrestation: aussitôt qu'il parut à l'armée d'Italie, il mit à l'ordre du jour le respect de la re(1)

re(1) celte lettre est honorable I la peinture est énergique mais sans exagération ! fidèle et en même temps sobre dé mots; quelle dignité! quelle retenue ! quel amour de la France en payant à un héros la dette de la reconnoissance. C'est là du vrai patriotisme. Ce langage calme et exempt de passion, est le langage de la bonne compagnie ! ce qui relève la bonne action de l'empereur c'est l'anéantissement d'un titre qui eh étoit la preuve, et si justement cher et précieux à une famille illustre et reconnoissante. [Note de l'Auteur).


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ligion et de ses ministres, et quand il rencontroit des prêtres français sur les routes, il les défendoit en disant : « Soldats, ces hommes sont des Français et des frères. » Plusieurs émigrés se battoient dans les rangs des Autrichiens ; jamais Bonaparte ne fit exécuter le décret qui les condamnoit à la peine de mort. Ce fut dans cette première campagne, qu'ayant eu une courte entrevue avec le cardinal archevêque de Ferrare, il lui dit cette parole mystérieuse : « Vous vous trompez sur moi, je suis le meilleur ami de Rome. »

Mais comment concilier le christianisme de Napoléon avec sa conduite en Egypte ? ma réponse sera brève et péremptoire, copiée dans les mémoires d'un ennemi personnel de l'empereur , M. de Bourrienne : « Comment a-t-on eu la pensée de représenter Bonaparte (dit M. de Bourrienne), comme disposé au mahométisme? cela ne mérite même pas d'être sérieusement discuté. Non, jamais il n'est entré autrement que par curiosité dans une mosquée. On s'est plu à relever, dans plusieurs proclamations adressées à l'armée d'Egypte par son général, des passages qui semblent contraires aux doctrines du christianisme ; il faut être bien tourmenté par le mauvais génie de l'interprétation. De quoi étoit-il question? d'entrer en Egypte. La politique, le simple bon sens commandoit de parler avec beaucoup de ménagement de la religion des habitants, »


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Maintenant il est certaines phrases qui sont inconciliables avec la foi au christianisme ; écoutons une dissertation curieuse fournie par M. le chevalier Artaud, dans son histoire de Pie VII, ouvrage si justement couronné par l'académie française, qui a décerné à l'auteur le grand prix Monthyon.

Pendant qu'on traitoit à Paris pour le concordat, le pape étoit circonvenu par tous ceux qui avoient intérêt à troubler la bonne harmonie qui alloit s'établir. Un jour, dans une entrevue, Pie VII prit une feuille imprimée, la lut tout bas, et me dit ( à M. Artaud) : Voilà une proclamation faite en Egypte, ou, en s'adressant aux Turcs, il y a deux ans, on assure qu'on a déjà chassé de Rome le vicaire de J.-C. sur la terre. C'est s'accuser injustement et gratuitement. Ce n'est pas par ordre de Bonaparte que Pie VI a été enlevé ; on n'a pas été si cruel. Vous concevez, Monsieur, que nos amis nous font connoître ces sortes de pièces pour nous éclairer et nous aider à nous mieux conduire.

Cette pièce étoit UN FAUX MONITEUR imprimé sur un papier commun, que des malveillants avoient fait fabriquer, et qui étoit censé renfermer des actes relatifs à l'expédition de Bonaparte en Egypte.

Je tiens de M. le général comte de Montholon que le général Menou fut vivement réprimandé par Napoléon, pour avoir embrassé l'islamisme ;


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ce fut la raison qui empêehâ de lui confier le commandement de l'armée, Kléber étant plus jeune que lui et moins ancien de grade.

Mais on dit que Bonaparte n'étoit pas chrétien dans le fond du coeur, que son christianisme était un besoin de son ambition et |e corollaire de son système de gouvernement. C'est là une de ses assertions qu'on avance sans la prouver. Le christianisme n'est pas autre chose que la conscience elle-même , si bien qu'écouter sa conscience, c'est être chrétien. Ceci posé, qu'on lise les phrases suivantes, écrites par Napoléon dans sa première jeunesse, et qui sont tirées de sa lettre à Buttafuoco, et de son discours à l'académie de Lyon.

Malheur à celui qui nie la moralité de la conscience, il ne connoît de la vie que les rebuts et LES

PLAISIRS DES SENS L'état du riche est l'empire

de l'imagination déréglée, de la vanité, DES JOUISSANCES DES SENS, des caprices, des fantaisies, ne

l'enviez jamais LES PLAISIRS DES SENS émoussent

la délicatesse du sentiment il y a dans l'aspect

de la nature une électricité qui nous fait éprouver des émotions délicieuses SANS AUCUN ÉBRANLEMENT VIOLENT..... Selon le monde infâme l'argent procure LES PLAISIRS DES SENS, ET LES PLAISIRS DES SENS SONT LES SEULS..... L'égoïste ne connoît dans le cours de sa vie que les calculs de son intérêt, l'ins-


- 75 - tinct de la destruction, l'avidité la plus infâme, LES

PLAISIRS., LES VIES PLAISIRS CES, SENS.

Je le demande à ceux qui ont une connoissance de la religion et le sentiment des vertus les plus délicates qu'elle commande, cette religion, ces vertus étoient-elles ignorées du jeune officier, capable d'éprire des maximes si pures, si énergiques???

C'est encore dans M. de Bourrienne que se trouve le passage suivant :

Le son des cloches produisait sur Bonaparte un effet singulier que je n'ai jamais pu m'expliquer ; il l'entendoit avec délice; lorsque nous étions à la Malmaison, et que nous nous promenions dans l'allée qui conduit à la plaine de Ruel, combien de fois le son de la cloche de ce village n'a-t-il pas interrompu les conversations les plus sérieuses, ll s'arrêtoit pour que le mouvement de nos pas ne lui fit rien perdre d'un retentissement qui le charmoit. Il se fâchait presque contre moi, de ce que je n'éprouvois pas les mêmes impressions que lui. L'action produite sur ses sens étoit telle, qu'il avoit la voix émue et qu'il me disoit alors : « CELA ME RAPPELLE LES PREMIÈRES

ANNÉES QUE J'AI PASSÉES A BRIENNE, J'ÉTOIS HEUREUX

ALORS ! j'ai été VINGT FOIS témoin du singulier effet que produisoit le son de la cloche sur Napoléon. Il est une autre objection plus mesurée. " Pourquoi dit-on, l'empereur n'avoit-il pas son chapelain à Rochefort ? » Ceci n'est plus une con-


— 76 — damnation sans appel. Ce langage du moins est celui de la bonne compagnie. Rien d'injurieux ! il n'y a même plus d'affirmation. On doute, et il semble qu'on veut s'éclairer. Notre réponse sera courte et péremptoire : d'abord la rapidité des événements de Waterloo et la précipitation du départ de Paris ; ensuite, un document officiel inédit qu'on lira dans le cours de cet ouvrage, constate que le chapelain ne fut pas tout-à-fait oublié, puisqu'il faisoit diligence pour arriver à Londres, et qu'il y rejoignoit l'empereur, si le cabinet anglais n'avoit précipité le départ pour SainteHélène. Lafayette et les représentants français avoient affecté une brutalité inouïe, dans leur empressement pour éloigner l'empereur de Paris, aussitôt qu'ils eurent prononcé la déchéance. Le cabinet anglais imita cet exemple : les uns et les autres avoient peur sans doute, que le nom seul du héros n'exerçât quelque influence mystérieuse sur les esprits, qui le cherchoient comme un soleil éclipsé, et qu'il ne se fît dans sa fortune, un de ces revirements dont il savoit tirer un si grand parti. Toujours est-il certain que l'abbé Buonavita, le même qui plus tard fut le chapelain de Longwood, et qui était attaché à la chapelle des Tuileries, dans les cent jours, était parti de Paris avec l'ordre de rejoindre : malheureusement il ne put arriver à Londres que deux jours après le départ de l'empereur.


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Pour ce qui est de l'opinion de ces personnes qui ne trouvent rien de décisif dans les citations d'O'Méara et de M. de Las-Cases, en faveur des idées religieuses de l'empereur, je suis d'une opinion tout-à-fait différente. J'ai pesé ces citations dans la balance d'un jugement équitable : je m'en contente, j'en suis complètement satisfait : Napoléon n'est pas un homme ordinaire, dont on peut dédaigner les paroles. Chez un grand homme la parole vaut l'action, parce qu'elle est le fruit de la science et du génie, parce qu'elle est une réflexion et la forme de l'âme elle-même. D'ailleurs, de quoi s'agit-il ? non pas de savoir si Napoléon étoit un observateur scrupuleux de la discipline de l'Église, ayant une religion pratique, mais de savoir s'il avoit la foi, si, dans son coeur, il croyoit au grand mystère de la rédemption, en un mot, s'il étoit chrétien, enfant de l'Église catholique, disciple de l'Évangile, adorateur de la divinité du Christ ? eh bien ! qu'on lise avec attention les tirades religieuses éparses dans le Mémorial de Sainte-Hélène, on y reconnoîtra je ne sais quelle odeur de modération et d'équité, qui est l'odeur de la religion elle-même. Qu'on fouille les fastes du règne impérial, on s'épuisera en vains efforts pour y trouver un seul mot hostile au dogme chrétien, tandis qu'on a pu lire et qu'on va rencontrer encore dans ce volume, des


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discours étendus et.de la plus haute éloquence en faveur du christianisme;

Je choisirai un exemple propre à faire impression sur un homme de bonne foi. M. de Las-Cases écrit à Hudson-Lowe une lettre sous ce titre : Mes griefs de Longwood. J'en ai cité quelques mots ; il raconte qu'un jeune ecclésiastique anglais, étant venu baptiser un fils de madame Montholon, lui, M. de Las-Cases, crut convenable de saisir cette occasion pour faire des réclamations au sujet de la religion. Il parla à part à ce jeune ecclésiastique : « Nous avons des fem» mes, des enfans, lui dit-il, sans parler de nous" mêmes, pour qui le manque des exercices reli" gieux étoit une véritable privation ». Cette réclamation des exilés de Longwood est-elle assez claire ? dira-t-on que c'est M. de Las-Cases qui parle? eh bien ! moi, j'affirme qu'il n'est ici que le truchement de Napoléon ; qu'il s'acquitte d'un ordre, et qu'il répète mot pour mot une parole qu'il a reçue de l'empereur. Je le dis du vivant de M. de Las-Cases, qui ne me démentira pas. Mais, dit-on, l'empereur demande un prêtre pour la forme ? je le nie : il veut le fond, et non la forme de la religion ; un politique tel que lui ne fronde pas le libéralisme et ne se sépare pas de l'impiété pour un petit résultat, mais pour accomplir le devoir le plus intime , et peut-être le plus pénible de


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la religion: ce qui résulte des phrases suivantes, extraites de la même lettre de M; de Las-Cases à Hudson-Lowe : « Nous avons craint que ne nous » laissant point à nous-mêmes le choix de ce mé» decin de l'âme qui requiert plus de confiance en" core que celui du corps, on ne nous imposât un » étranger , qui loin de nous être de quelque con« solation, ne nous donneront l'idée que d'un surveillant de plus, d'un espion de plus parmi « nous.» Quel éclair d'une âme chrétienne que cette expression : Médecin de l'âme. Ces lignes toutes seules sont une preuve de la sincérité des sentiments religieux de l'empereur. Le besoin de la pratique des sacrements, ne pouvoit pas être exprimé par lui plus clairement. Ou M. de LasCases ne sait pas la valeur des mots, ce que l'on ne peut supposer, ou il a entendu et exprimé que l'empereur voulait se confesser et recourir au sacrement de pénitence, je suis bien aise d'écrire le mot. Ce fut lui, lui seul, à Sainte-Hélène qui sollicita dû gouvernement anglais, avec l'inquiétude, avec la persistance d'un chrétien fidèle, la venue d'un prêtre. Cette belle expression, le médecin de l'âme, n'appartient à nul autre des exilés qu'à l'empereur. Ces exilés sont vivants, et ce grand homme est mort; eh bien ! qu'ils rendent témoignage à la vérité, et tous conviendront que l'empereur fut toujours celui qui manifesta à plusieurs


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reprises avec éloquence sa profonde douleur, son indignation, et les plus nobles sentiments touchant ce qu'il y avoit d'immoral, de dégradant, de barbare et d'anti-social dans le spectale d'une petite réunion d'exilés, à qui on refusoit un prêtre et par suite l'exercice de leur religion : oubli ou calcul, c'étoit un crime chez ces anglais hypocrites, qui eurent bien l'impudence d'attenter à] la France, à tous les rois, aux catholiques de toutes les parties du monde, en refusant le titre d'empereur à celui qui avoit la sanction du peuple et de la religion. Est-il permis, d'ailleurs, de douter de la foi de celui qui a dit formellement : « Je suis " catholique romain, je crois ce que croit l'Eglise. » Nous prouverons que l'empereur savoit tout le sens et la portée de cette déclaration qu'on vient de lire tout à l'heure dans les citations du docteur O'Méara, formulée en sa présence par l'empereur. Mais j'insiste trop long-temps sur ce qui est l'évidence elle-même. Je poursuis : aussi bien, voici des documens qui feront cesser toute incertitude. La question importante que nous avons posée, sera éclaircie et jugée, la croyance de Napoléon ne sera plus un mystère pour personne ; enfin la même lumière qui éclaire ses gestes guerriers, éclairera ses gestes religieux.


SECONDE PARTIE.



SENTIMENT

DE NAPOLÉON

SUR LE

CHRISTIANISME,

CONVERSATIONS RELIGIEUSES

RECUEILLIES A SAINTE-HÉLÈNE,

PAR M. LE GÉNÉRAL Cte DE MONTHOLON.



SOMMAIRE.

Arrivée de deux prêtres missionnaires à Sainte-Hélène. — Accueil qu'ils reçoivent d'Hudson-Lowe et de l'Empereur. — Notice biographique de ces deux ecclésiastiques, écrite par eux-mêmes pour l'Empereur. — Napoléon faisant l'éloge de sa mère.—La première messe à Sainle-Hélène.—Égards de Napoléon pour le plus âgé des deux ecclésiastiques.—le respect humain et la foi de l'Empereur sur le trône. — II renonce à la société de la comtesse Bertrand. — Le costume d'évêque. — On fait maigre à Sainte-Hélène. — Les galanteries des rois flétries par l'empereur.—Preuve de l'existence de Dieu par l'Empereur. — Son horreur pour le matérialisme.— Parallèle du protestantisme et du catholicisme. — La cène selon les protestants et selon les catholiques. — Mot profond sur le mystère de la croix.



CHAPITRE I.

Le roi se réjouira en Dieu. Tous ceux qui ne jurent que par lui se glorifieront de l'avoir révéré, tandis que la bouche de ceux qui publient des mensonges sera fermée à jamais. ( Pseaume 62, v. 12).

Les deux prêtres, avec le docteur Antommarchi, arrivèrent dans le mois de septembre 1819 à Sainte-Hélène. Hudson-Lowe les garda un jour entier à Planta tion-House; il les combla de prévenances , les fêta, les fit dîner avec lui. Étoitce le gouverneur anglois ou bien le geôlier qui traitoit ses hôtes ? leur faisoit-il honneur ou déjà sondoit-il leur moralité, cherchoit-il à deviner leurs caractères ? Pour le moins ces égards affectés pouvoient les rendre suspects à l'empereur.

Hélas ! Hudson-Lowe sait bien que, privé de nouvelles, il attend la consolation de celles qui


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lui arrivent.... En retardant sa joie, il sait bien qu'il en corrompt la pureté , autant qu'il est en lui! L'empereur apprend sa conduite, et la méfiance succède à la joie ; c'est assez pour le mettre sur ses gardes ; il refoule en lui-même son élan naturel vers ce qu'il est avide de voir et impatient d'interroger. Ce ne sont plus des compatriotes, des amis qui arrivent; ce sont les hôtes du gouverneur anglois. « Qui êtesvous, de quelle part et d'où venez-vous? Où sont vos lettres de recommandation ? Quel motif vous a fait traverser les mers et quitter l'Europe, pour un rocher mortel aux Européens? » L'empereur, naturellement respectueux envers la vieillesse, reçoit d'abord l'abbé Buonavita, à cause de son âge ; mais il ne lui accorde qu'un court moment d'audience; ensuite une étiquette inquisitoriale préside à ce glaçant accueil. Ah! sans doute , les prêtres catholiques , au lieu de s'en offenser, saluèrent la vertu de prudence de ce nouveau Joseph , questionnant ses frères avant de les reconnoître. sans doute ils se disoient tout bas : « Voici bien le seuil d'un grand prince! Quel empire sur soi-même! qu'il faut avoir l'âme héroïque, pour maîtriser


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ainsi ses sensations, et faire taire son désir si na turel d'avoir des nouvelles de son fils, de sa mère, de ses frères, de ses soeurs et de ses amis !» Il n'en étoit pas de môme du docteur Antommarchi, qui raconte lui-même le supplice de son amour-propre ; pendant qu'il s'irritoit de ces retards, qui n'étoient pour lui qu'une imjurieuse méfiance, les deux abbés répondoient avec candeur et simplicité à toutes les questions. Ils remettoient à l'empereur , sur sa demande, chacun leur notice biographique, écrite par eux, qui les faisoit connoître en retraçant toute leur vie.

NOTICE BIOGRAPHIQUE DE L'ABBÉ BUONAVITA.

Antonio Buonavita, né à Piétralba, canton du canal dans l'île de Corse, en 1762, fils légitime de Christophe et d'Angela Buonavita, propriétaires, fit ses premières études, jusqu'aux humanités, dans son pays; ensuite il s'embarqua pour Pise, dans la Toscane, où il suivit ses études de rhétorique; de loi civile, de philosophie et de théologie, et il retourna chez lui pour se faire prêtre, en 1776. L'année suivante, son père l'envoya à Cadix pour des affaires de famille, et y ayant appris la mort de son père, il ne


pensa plus à retourner dans sa patrie. Il entra chapelain dans là marine espagnole. Ensuite il passa au Mexique, comme précepteur de D. Giuseppe Flores, fils du vice-roi Flores. L'année 1788, il fut fait curé, Il resta vingt ans dans sa cure, et avec les permissions nécessaires, la quitta, pour aller en Corse pour deux ans. Il partit pour Philadelphie ; il eut une attaque d'apoplexie qui l'obligea de rester dans ce pays plus de deux ans. Etant un peu mieux, il vint en Europe, et passa en Espagne. Eu 1811, il ne pensa plus à retourner au Mexique à cause des événements.

Il fut envoyé à Cuença pour des affaires d'église, et de là, en allant à Valence avec des biens du roi, dans la division du général Monpoint, il fut pris dans la plaine d'Otiel, par les insurgés commandés par Villacacupo, dépouillé de tout, et envoyé dans les montagnes d'Arragon. Il fut délivré par le maréchal duc d'Albufera, qui, au nom do S. M. l'empereur Napoléon, l'investit d'une dignité à Tortose, d'où il partit, quand on rendit la place aux Espagnols. Ensuite il alla à l'île d'Elbe, et S. M. l'empereur l'honora du titre de chapelain de madame mère. De là, il passa à Paris, où il arriva deux jours avant que Sa Majesté partit pour la compagne de Waterloo; ensuite Madame mère l'envoya à Londres , pour savoir si Sa Majesté demeuroit là, pour y venir elle-même. Il partit pour Londres, et il eut le chagrin d'arriver quatre jours


apresle départ de Sa Majesté(1). De l'Angleterre, il retourna à Rome , et fut nommé chapelain de la princesse Borghèse, chez laquelle il a servi en cette qualité jusqu'à son départ. Dans ce moment, il fut nommé par le pape régnant protonotaire apostolique, le 5 février de cette année. Il partit pour Londres, où il arriva le 19 avril. Il s'embarqua le 9 juillet, dans le bateau suisse, et il est arrivé à Longwood le 21 septembre. Certifié conforme à l'original en mes mains, Paris, 4 avril 1840.

F. MONTBOION.

NOTICE BIOGRAPHIQUE DE L'ABBÉ VIGNALI.

Angelo Paolo Vignali, né à Vignale de Rostino, le 11 avril 1789, fils légitime d'Angelo Giovanni et de Lucie, propriétaires dans ledit pays, d'une famille honnête et honorable, apprit à lire et à écrire, et à connaître les principes de la grammaire latine à l'école du pays. Il apprit la langue latine et l'humanité à la vallée de Rostino, la philosophie et les principes de la morale, au séminaire à la porte d'Ampugnani. Il fut ordonné prêtre en 1814,le 20 octobre de la même année. Il partit de Corse avec un passeport pour Rome,

(1) Comme on le voit, l'Empereur pressé par le désastre de Waterloo et la trahison de Lafayette, malgré la précipitation de son départ pour Rocheforl, avoit pensé a son chapelain,


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mais emporté par le désir de voir Sa Majesté l'empereur Napoléon, il passa par l'île d'Elbe : et le 28 octobre, il eut le bonheur de parler à Sa Majesté, lorsqu'elle retournoit de sa maison de campagne, ayant dans sa voiture son excellence M. le grand-maréchal Bertrand. Il partit de l'île d'Elbe, et-arriva à Rome, le 12 novembre, où il resta cinq ans, à étudier la théorie pratique de la médecine. Le 16 janvier 1819, il fut reçu docteur en philosophie et en médecine par les autorités de ladite école de l'Université de Rome. Il partit pour Londres le a5 février, où il arriva le 19 avril. Il s'y embarqua pour Sainte-Hélène le 9 juillet, et il y arriva le 21 septembre.

Certifié conforme à l'original.

MONTHOLON.

Ayant lu ces notices, ainsi que les lettres de sa famille, Napoléon demande alors les deux prêtres. D'abord il se tourne vers l'abbé Buonavita; il lui parle de sa santé, de son âge, des dangers qu'il a courus sur mer pour venir à lui, de ceux qui le menacent sur ce rocher, par suite de l'intempérie du climat; enfin l'empereur pense à lui-même, à ses affections, à sa mère , à sa famille. Un bon coeur est le fondement naturel d'un grand esprit. A tout ce qu'il entend de


— 9 — sa mère , l'empereur répond : « Elle m'a toujours aimé ; elle a été toute sa vie une excellente femme, une mère sans égale; elle a un courage, une force d'âme au-dessus de l'humanité. »

Aussitôt il s'occupe de régler le service de la chapelle, de concert avec le général Montholon : il veut la messe le lendemain même ; vainement on fait des objections contre cette précipitation. L'empereur le veut : « Quoi, messieurs , dit-il, être privés depuis si long-temps d'un tel bonheur et ne pas être empressés d'en jouir aussitôt que nous le pouvons. » On étoit embarrassé de trouver le lieu convenable. « Je vais l'indiquer, dit l'empereur; désormais nous aurons la messe tous les dimanches, et les jours des fêtes reconnues par le Concordat; je veux à Sainte-Hélène les cérémonies religieuses qu'on célèbre en France. Ces jours-là, on dressera un autel mobile dans la salle à manger ; vous êtes âgé, souffrant, monsieur l'abbé, je choisis l'heure qui vous sera lé plus commode. Vous célébrerez de neuf à dix heures ».

Ces ordres étant donnés , l'empereur mande le docteur Antommarchi : « Je vous recommande l'abbé Buonavita. Je crains que le cardinal ait


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envoyé ici ce bon vieillard pour le faire enterrer. En tout cas, je le recommande à vos bons offices; il mérite notre bienveillance et notre appui : c'est un homme bien respectable. Le pape aussi est un vieillard excellent que j'ai toujours bien traité (1) ».

Le soir, l'empereur , seul avec le général Montholon , s'informe dans le plus petit détail des préparatifs pour l'exécution de son dessein d'entendre la messe le lendemain. Il en parle avec une joie intérieure qu'il ne peut contenir, et qui est pour le général un sujet de réflexion et d'admiration. Mais déjà l'empereur prévoyoit des dissidences. Allant au-devant des objections, il disoit : « Sur le trône, environné de généraux qui étoient loin d'être dévots; oui, je ne le cache pas, j'avois du respect humain et beaucoup trop de timidité; et peut-être je n'aurois osé crier tout haut : Je crois. Je disois : La religion est une force , un rouage de ma politique ; mais alors même , si l'on m'eût

(1) L'empereur dans le Mémorial de M. de Las Cases, dans O'meara et dans le récit d'Antommarchi , répète souvent celte phrase. C'est ainsi que procède celui qui reconnoît sa faute, et qui l'atténue pour l'effacer, avant d'avoir le courage de s'en confesser à Dieu seul.


questionné en face, j'aurois répondu : Oui, je suis chrétien ; et s'il eût fallu confesser la foi au prix du martyre, j'aurois retrouvé tout mon caractère; oui, je l'aurois enduré, plutôt que de renier ma religion. Maintenant que je suis à Sainte-Hélène, pourquoi dissimulerois-je ce que je pense au fond de l'âme. Ici , je vis pour moi. Je veux un prêtre , je veux la messe et professer ce que je crois. J'irai à la messe; je ne force personne de m'y accompagner, mais ceux qui m'aiment m'y suivront. »

Tout le service divin consistoit dans une messe basse, à Sainte-Hélène. Sitôt que l'empereur entroit dans la chapelle, il faisoit un signe de croix très-prononcé, et s'agenouillant sur un fauteuil, il y demeuroit les mains jointes, avec toutes les marques du recueillement. Au moment de l'élévation, il inclinoit sa tête avec un sentiment profond d'adoration. C'étoit tantôt le jeune Bertrand et tantôt le jeune Montholon qui faisoient l'office d'enfant de choeur. Pour ce qui concerne le service de la chapelle , tout étoit riche et magnifique ; le cardinal avait tout prévu.

Mais il faut mettre à l'aise ceux qui ne se soucient pas d'entendre la messe, et l'empereur


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décrète que, pour assister à la sienne , il falloit, comme aux Tuileries, être invité; et, pour ménager les susceptibilités,'il met à la disposition de madame la comtesse Bertrand l'abbé Vi-' gnali. S'il n'invite pas cette dame à sa messe, la raison en est simple, c'est qu'il ne la voit plus, ayant eu des motifs de renoncer à sa société. Quels étoient ces motifs? personne encore ne les a révélés. Le docteur Antommarchi fait sciemment un mensonge réitéré, quand il amène plusieurs fois à Longwood madame Bertrand, pendant, la maladie de l'empereur.

L'empereur, plein d'un respect vraiment filial pour l'abbé Buonavita, l'invite à s'asseoir à sa table avec l'abbé Vignali ; il ne cesse de lui témoigner en particulier et en public les égards qui sont dus à la vieillesse rehaussée d'un caractère sacré. Un jour il lui disoit : « Vous êtes protonotaire apostolique; ne pourriez-vous pas prendre le costume d'évêque; ne suis-je plus l'empereur? Vous êtes mon aumônier; je ne vous le dis pas pour moi, ni par une considération de vanité puérile , non ; mais il faut imposer à ces hérétiques, et rien n'est imposant comme le costume d'évêque. » Ce fut dans ses dernières années que l'empereur parut vouloir sérieuse-


— 13 — ment se rapprocher de la pratique religieuse. Il est certain qu'on fit maigre quelquefois à Sainte-Hélène, le vendredi, et toujours sur l'injonction formelle de Napoléon; c'étoit lui qui disoit au maître-d'hôtel : « Allons, Cypriani , sommes-nous donc des parpayots ? Pourquoi nous fais-tu vivre comme eux? Tu es Italien comme moi. Ce n'est pas le poisson qui manque à Sainte-Hélène; fais nous du maigre: c'est aujourd'hui vendredi. »

Mais quand on y manquoit, ce qui étoit le plus ordinaire, il disoit doucement : «Allons, messieurs, une autre fois faisons maigre. Quelle excuse avons-nous ? Sommes-nous à la guerre? Est-ce le poisson qui manque? Cependant, ajoutoit-il, j'ai une dispense, et le pouvoir de dispenser les autres; ce qui fait que je ne pè che pas, et, si vous le voulez, vous ne pécherez pas non plus. Je suis un vieux soldat; je sais l'importance d'un signe de ralliement, la nécessité et les bienfaits de la discipline. Tous les vices, toutes les passions sont plus près qu'on ne croit de nos appétits naturels. Quel souvenir contenu dans le seul mot de vendredi. »

Mais ces paroles avivèrent les discussions religieuses,


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OPINION DE L'EMPEREUR SUR LES GALANTERIES ET LES MAITRESSES DES ROIS.

Un jour on parloit des maîtresses des rois ; l'empereur a dit : « Si la race des Bourbons a mérité ses malheurs , c'est pour avoir voulu s'élever au-dessus de la religion et de la morale. Rien de plus insolent, de plus démoralisant que le libertinage scandaleux d'un souverain. Mieux vaut, pour un royaume, la guerre la plus malheureuse et le fléau de la peste. La corruption est contagieuse , quand elle descend du trône ; car la cour et la ville s'empressent d'imiter. La religion en reçoit une atteinte funeste. On impute aux prêtres et au dogme tout le mal qu'ils ne préviennent pas. On les fait coupables de leur impuissance pour réprimer le désordre. Comment se fait-il qu'aucun prêtre n'ait eu la hardiesse de reprendre publiquement LouisXIV de ses adultères publics , et de lancer l'anathème d'une voix courageuse contre le régent et contre Louis XV. Cela fait peu d'honneur au clergé de ce temps-là. Avec moins de talent que Bossuet et Massillon, dans des temps plus re-


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culés, il se fût trouvé quelque évêque qui, au risque de sa vie, eût rempli ce devoir. L'empiétement du pouvoir religieux n'est pas à craindre de ce côté-là. Il faut trop d'élévation dans l'âme pour prendre en main la cause du ciel outragé, en s'opposant au libertinage des grands. L'énergie qui s'acquitte de ce devoir est trop rare et est sympathique avec la fibre populaire. Je ne sache rien de plus vil que la puissance d'un souverain immoral. Une société est bien profondément corrompue, qui subit un joug aussi méprisable : c'est l'indice de la décomposition du corps social. Sans nul doute, les galanteries de la royauté, les turpitudes de Louis XV et du régent, furent une des principales causes de la révolution. Avant qu'on dégradât le pouvoir, le pouvoir s'étoit dégradé lui-même; il étoit tombé au-dessous de tout le monde, en foulant au pieds tous les principes. Louis XVI, par son courageux martyre, releva la royauté dans l'opinion; ceci ne justifie pas, mais explique les crimes de Marat et de Robespierre et des autres régicides, qui sont vraiment des monstres à face humaine ; mais ces monstres ont exécuté une sentence de réparation sociale..,


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Les forfaits y ont servi, comme les immondices qui servent d'engrais à une terre épuisée et la rendent capable de produire au centuple. Quant à moi, si j'ai eu des faiblesses, je n'en ai jamais fait parade, j'en ai eu honte le premier. C'est que j'en appréciois les conséquences. Les femmes sont un écueil pour le souverain. Mon âme étoit trop forte pour donner dans le piége ; sous les fleurs, je jugeois du précipice. Je commandois de vieux généraux. Des regards jaloux s'attachoient à tous mes mouvements. Ma fortune étoit dans ma sagesse; j'eusse pu m'oublier une heure, et combien de mes victoires n'ont pas tenu à plus de temps. En épousant Marie-Louise, je me sentois un coeur bourgeois. Peut-être la postérité me reprochera ce mariage : j'aurois dû épouser une Françoise (1).

PREUVE DE L'EXISTENCE DE DIEU.

Le général Bertrand disoit à Napoléon

« Sire, vous croyez en Dieu, j'y crois égale(1)

égale(1) se trompe quand il affirme qu'aucun prêtre ne reprit nos rois de leurs adultères. Henri de Gondrin, archevêque de Sens, se transporta à l'improviste à Fontainebleau, dépendant de sa juridiction, pendant un séjour du roi, et tonna en chaire contre LouisXIV, jusqu'à le menacer de l'excommunication : Louis XIV promit alors de s'amender. L'empereur se trompe encore en disant qu'il auroit dû épouser une Françoise ; il devoit rester uni à Joséphine. Si le divorce est condamnable et un crime pour les particuliers, quelle insolence à un souverain de se


— 17 — ment ; mais enfin, qu'est-ce? qu'en savez vous? l'avez-vous vu? » L'empereur répliquoit : « Qu'est-ce que Dieu? Si je le connois, ce que j'en sais? Eh bien ! je vais vous le dire : répondez à votre tour: Comment jugez-vous qu'un homme a du génie? Est-ce quelque chose que vous avez vu? est-ce une chose visible, le génie? Qu'en savez-vous pour y croire? On voit l'effet, et de l'effet on remonte à la cause, on la trouve, on l'affirme, on y croit, n'est-ce pas? Ainsi sur un champ de bataille, quand l'action est engagée, si tout d'un coup le plan d'attaque est reconnu mauvais, à la promptitude, à la justesse des manoeuvres, on admire, on s'écrie : Un homme de génie! Au fort de la mêlée, quand la victoire flottoit indécise; pourquoi, vous, le premier, me cherchiez vous du regard? oui, vos lèvres m'appelaient, et de toutes parts on n'entendoit qu'un cri : L'Empereur, où est-il ? Les ordres? Qu'est-ce que c'étoit que ce cri ? C'étoit le cri

le croire permis? Napoléon a outragé les femmes et la société autant que la religion en se séparant de l'impératrice. C'est se mettre hors la loi que de s'élever au dessus de la loi, et de la part de Napoléon, sa déclaration de divorce fut une déclaration de despotisme et la consommation d'un suicide ; mais ce fut le crime de ses passions, plutôt que de sa volonté. ( Note de l'auteur).

2


— 18 — de l'instinct et de la croyance générale à moi, à mon génie.

Eh bien! moi aussi, j'ai un instinct, une certitude, une croyance, un cri qui m'échappe malgré moi; je réfléchis, je regarde la nature avec ses phénomènes et je dis : Dieu. J'admire et je m'écrie : Il y a un Dieu (1).

(1) Cette preuve de l'existence de Dieu est aussi belle et peut être plus éloquente qu'aucune des plus grands philosophes chrétiens, Descartes, Clarke et Leibnitz, etc. Mais qu'on me permette de transcrire ici quelques lignes du philosophe , dont la plupart de nos hommes d'état se vantent d'être les disciples, de Locke, qu'on accuse à tort d'être matérialiste, parce qu'il a fait une école qui s'est déclarée telle. Voici ce que dit Locke sur la question de l'esprit et du corps : « La notion d'un esprit n'enferme pas plus de difficulté que celle du corps. La substance de l'esprit nous est inconnue ; mais celle du corps nous l'est tout autant. Nous avons des idées claires, distinctes des deux premières qualités ou propriétés du corps, qui sont la cohésion des parties solides et l'impulsion : de même, nous connoissons dans l'esprit, deux premières qualités ou propriétés, dont nous avons des idées claires et distinctes ; savoir, la pensée et la puissance d'agir, c'est-à-dire de commencer et d'arrêter différentes pensées ou divers mouvements. L'esprit nous fournit de même des idées de plusieurs modes de penser, comme croire, douter, espérer, craindre, etc. Nous y trouvons aussi les idées de vouloir et de mouvoir le corps, en conséquence de la volonté. Enfin, s'il se trouve dans cette notion de l'esprit quelque difficulté; nous n'avons pas pour cela plus de raison de nier l'existence des esprits que nous n'en aurions de nier l'existence du corps , sous prétexte que la notion du corps est embarrassée du quelques difficultés, qu'il est fort difficile et peut-être impossible d'expliquer. Par exemple , est-il rien dans la notion de l'esprit qui approche plus de la contradiction que ce que renferme la notion même du corps, c'est-à-dire la divisibilité à l'infini d'une étendue finie. Voilà une difficulté bien plus grande et une absurdité bien plus apparente que tout ce qui peut suivre de la notion d'une substance immatérielle, douée d'intelligence. »


- 19 — Mes victoires vous font croire en moi; eh bien ! l'univers me fait croire en Dieu. J'y crois à cause de ce que je vois, à cause de ce que je sens. Ces effets merveilleux de la toute-puissance divine, ne sont-ce point là des réalités aussi positives et plus éloquentes que mes victoires? Qu'est-ce que la plus belle manoeuvre auprès du mouvement des astres? Puisque vous croyez au génie, dites-moi du moins, dites moi, je vous prie, d'où vient, chez l'homme de génie, cette invention d'idées, l'inspiration, ce coup d'oeil qui n'est propre qu'à lui, Répondez ? D'où vient cela? indiquez-en la cause? vous l'ignorez, n'est-ce pas? Eh bien! moi aussi, et personne n'en sait plus que nous deux. Et cependant cette singularité qui signale quelques individus, n'est-ce point un fait aussi évident, aussi positif qu'aucun autre fait? Mais s'il est une telle différence dans les

Ces lignes sont extraites de l'Essai sur l'entendement humain. Ce ne sont pas là les idées d'un matérialiste, mais celles d'un penseur profond et véridique. Locke a pu se tromper sur l'origine des idées, mais il s'est trompé de bonne foi; jamais, il n'exprime ce qu'il pense qu'avec un esprit de doute, dans tout ce qui concerne son système propre , et il affirme au contraire , avec tout l'élan de la conscience et d'une certitude absolue en toutes sortes de rencontres sa croyance à la vérité de la révélation. Locke est un philosophe dans la belle acception du mot ; ses disciples matérialistes sont des rhéteurs et des pédagogues qui n'ont pas plus de rapport avec Locke qu'avec la science et la vérité. ( Note de l'auteur ).


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esprits, il y a une cause apparemment, c'est quelqu'un qui la fait cette différence; ce n'est ni vous, ni moi, et le génie n'est qu'un mot qui n'apprend rien de sa cause. Que quelqu'un vienne dire : Ce sont les organes : voilà une niaiserie bonne pour un carabin, mais non pour moi, entendez-vous?

Votre esprit à vous, est-il celui du pâtre que nous apercevons d'ici dans la vallée à garder ses moutons? n'y a-t-il pas la même distance entre vous et lui qu'entre un cheval et un homme? comment le savez-vous ? Ce n'est pas que vous ayez jamais vu son esprit. Non, l'esprit d'une bête a le don d'être invisible ; il a ce privilége comme le plus grand génie.

Mais vous avez causé avec ce pâtre, vous avez examiné son visage, vous l'avez questionné et ses réponses vous ont dit ce qu'il étoit. Vous jugez donc la cause d'après les effets ? et vous jugez bien. Certes votre intelligence, votre raison, vos facultés sont infiniment au-dessus de celles de ce pâtre.

Eh bien! moi, je suis la même marche, et les effets divins me font croire à une cause divine. Oui, il existe une cause divine, une raison sou-


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veraine, un être infini; cette cause est la cause des causes, cette raison est la raison créatrice de l'intelligence. Il existe un être infini, auprès duquel, général Bertrand, vous n'êtes qu'un atôme ; auprès duquel, moi Napoléon avec tout mon génie, je suis un vrai rien, un pur néant, entendez-vous? Je le sens, ce Dieu... je le vois... j'en ai besoin, j'y crois... Si vous ne le sentez pas, si vous n'y croyez pas, eh bien ! tant pis pour vous... Mais je m'emporte... vous croyez l'existence de Dieu, général; à la bonne heure! Je pardonne bien des choses; mais j'ai horreur de l'athée et du matérialiste... Comment voulez-vous que j'aie quelque chose de commun avec un matérialiste, avec un homme qui ne croit pas à l'existence de l'âme, qui croit qu'il est un tas de boue, et qui veut que je sois comme lui un tas de boue? »

CRITIQUE DU PROTESTANTISME.

L'empereur avoit peu de goût pour le protestantisme , et il saisissoit volontiers l'occasion d'en faire la critique. Voici ce qu'il en disoit un jour à Sainte-Hélène :


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On peut appeler le protestantisme, si l'on veut, la religion de la raison, dénomination bien convenable pour une invention de l'homme.

Le catholicisme au contraire est la religion de la foi, parce qu'il est l'oeuvre de Dieu.

Sans doute nous avons tous du penchant à rapporter tout à l'aulne de notre jugement, et à ne croire que ce qui tombe sous nos sens.

Humainement parlant, je m'arrangerois de faire la cène en mémoire de Jésus-Christ, plutôt que de manger réellement son corps et de boire son. sang, ce qui est difficile à entendre et dur à croire.

Mais dois-je m'étonner de rencontrer des mystères dans la religion, quand j'en vois partout dans la nature. Moi qui ne conçois rien de la création, qui ignore l'essence des choses, dois-je m'étonner que l'explication même de tant de mystères soit un dogme tout mystérieux? Je m'étonnerois plutôt qu'il en fût autrement.

Oui, la religion est ce qu'elle doit être, eu égard à la grandeur de l'Etre-Suprême et à la misère d'une pauvre créature; j'y vois précisément la preuve de la vraie religion. Pourquoi


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ne pas nier l'azur, parce qu'on ne peut en mesurer ni en embrasser l'immensité avec le compas ? Il n'est que Dieu, il n'est que la foi, qui puisse atteindre, et résoudre ces hautes questions de la création du monde et de la destinée humaine.

D'ailleurs si le protestantisme s'approprie mieux à mon imbécillité humaine, comme roi, comme chef d'un grand empire, je demeure catholique.

Le catholicisme est la religion du pouvoir et de la société, comme le protestantisme est la doctrine de la révolte et de l'égoïsme. La religion catholique est une , mère de la paix et de l'union.

L'hérésie de Luther et de Calvin est une cause éternelle de division, un ferment de haine et d'orgueil, un appel à toutes les passions.

Le clergé catholique a présidé à la fondation de la société européenne ; ce qu'il y a de meilleur dans la civilisation moderne, les arts, les sciences, la poésie, tout ce dont nous jouissons est son ouvrage. Tous les éléments d'ordre, qui assurent la paix des états, sont encore un de ses bienfaits.

Au contraire, le protestantisme a signalé sa


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naissance par la violence, par les guerres civiles. Après avoir détruit l'autorité, par un esprit de doute, et par une critique de mauvaise foi, l'hérésie a préparé, par l'affaiblissement de tous les liens sociaux, la ruine de tous les états. L'individu livré à lui-même, s'abandonne au septicisme; le besoin de croire, de se confier à son semblable, est la base de tous les rapports des hommes entre eux : on a sapé cette base.

L'anarchie intellectuelle que nous subissons est une suite de l'anarchie morale, de l'extinction de la foi, et de la négation des principes, qui a précédé.

Bientôt nous subirons les convulsions de l'anarchie matérielle ; quand les riches auront mis tout frein de côté, le peuple se précipitera aussi vers les jouissances matérielles. L'Europe est atteinte du mal de l'idéologie, mal incurable ! elle en mourra. Les plus belles idées du monde n'ont de valeur que par leur réalisation ; si les idées ne se personnifient, politiquement parlant, ce sont des rêves. Telles sont les idées du journalisme, qui prêche de véritables utopies.

Si le protestantisme a vraiment, comme on le dit, développé l'esprit industriel, augmenté le


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bien-être matériel, ce léger avantage, qu'on pouvoit obtenir avec le catholicisme, est largement compensé par toutes sortes de maux causés par le libre examen, sans parler de ceux qui sont imminents pour l'avenir. Un protestant honnête homme, ne peut pas ne pas mépriser Luther et Calvin, ces violateurs éhontés du second commandement de Dieu : l'idée de Dieu est inséparable de la foi à la parole. Qu'espérer de bon de ces deux religieux catholiques, déserteurs de leur couvent et de la foi jurée ? Ils étoient liés par les voeux les plus solennels, et qui obligent le plus étroitement, ceux de religion, ils y renoncent sans avoir aucune excuse! Ces deux moines apostats, ignoroient-ils que le serment est la base des sociétés, si bien que Jephté a tué sa fille pour accomplir un voeu imprudent, ce qui est raconté sans le moindre blâme dans la Bible (1) ? Ils ont mis de côté le célibat, pour favoriser, pour assouvir leur luxure et celle des princes qui les proté(1)

proté(1) effet, la fidélité au serment dérive immédiatement de l'existence de Dieu, et forme le deuxième commandement de Dieu. Dieu en vain tune jureras, ni autre chose pareillement. Eh bien! le mariage est fondé sur un serment prêté en face des autels ; comment Napoléon a-t-il pu, dans l'intérêt de je ne sais quelle misérable vanité, divorcer avec l'impératrice Joséphine? Ce divorce a


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geoient. Sont-ce là des hommes de Dieu ? Un Henri VIII, un Luther, un Calvin peuvent-ils être des agents, des intermédiaires de la divinité? D'ailleurs, qu'est devenu le protestantisme primitif? les protestants n'en ont rien retenu, que la maxime absurde, de ne s'en rapporter qu'à soi, sur les matières religieuses. Aussi, de nos jours les protestants ne s'entendent pas plus entre eux qu'avec nous autres catholiques.

On compte 70 sectes reconnues, on en compteroit 70,000 si l'on consultoit chaque protestant sur sa croyance.

Et comment en seroit-il autrement? est-il un lien assez fort pour réunir des hommes, qui croyent plus à eux-mêmes qu'à des règles, à des définitions et à un symbole? qui n'admettent ni base fixe, ni autorité? qui demain, peuvent rejeter ou démentir leurs croyances d'aujourd'hui?

Peut être on finira par s'entendre avec un

eu dès suites incalculables; en dévoilant son orgueil, Napoléon dévoilait la vanité de son système. Le jour où il déclara qu'il avoit besoin d'un allié, sa chûte fut certaine; car une alliance imposée parla violence, ou si l'on veut par la victoire, ne pouvoit être qu'un mensonge d'abord, et plus tard une trahison.

( Note de l'auteur. )


— 27 — schismatique, parce qu'ici la porte n'est pas ouverte à toutes les nouveautés. Il y a une limite à l'erreur. Un schismatique reconnoît invariablement les mêmes dogmes, parce qu'il demeure soumis à une autorité.

L'empereur Alexandre et moi, nous aurions peut-être rétabli l'unité entre les communions chrétiennes. Nous en avions conçu le projet, cela était possible. Mais ce seroit une folie de penser à un rapprochement avec un protestant, qui croit au dogme de son infaillibilité, et à la souveraineté monstrueuse de l'individu.

Où trouver un point de ralliement avec des sectaires, dont la secte est fondée sur une base aussi mouvante que le droit pour chaque individu d'interpréter l'Evangile, suivant les inspirations de sa conscience , sans assujettissement, ni à la tradition, ni à l'autorité.

Il est vrai que le catholicisme est un Océan de mystères; mais outre que le protestantisme les admet presque tous, la religion catholique possède des avantages qui me la feront toujours préférer à toute autre. Elle est une, elle n'a jamais varié, et elle ne peut changer. Ce n'est pas la religion de tel homme, mais la vérité des


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conciles et des papes, qui remonte sans interruption jusqu'à Jésus-Christ son auteur.

Elle possède tous les caractères d'une chose naturelle et d'une chose divine; elle plane audessus des passions et des vices; elle est un soleil qui éclaire notre âme avec mystère et majesté; elle est infiniment supérieure à notre esprit; et, malgré cette supériorité, très-appropriée aux plus communes intelligences. Sa vertu est une vertu cachée, qui est au-dedans de l'homme, comme la sève au-dédans des arbres.

Telle est la religion catholique, qui met l'ordre partout, qui est à lu fois un lien social et un lien religieux, qui fortifie le pouvoir, qui prêche à tous l'union et l'amour, et qui persuade merveilleusement à chacun son devoir.

C'est pour cela que je suis chrétien, catholique, romain, parce que mon père l'étoit, que mon fils l'est comme moi, et que j'aurois un grand chagrin si mon petit-fils pouvoit ne pas l'être...

OPINION DE L'EMPEREUR SUR LA CÈNE SELON LES PRO - TESTANTS ET SELON LES CATHOLIQUES.

Un jour qu'il étoit question de Luther et de Calvin, et spécialement du changement que


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ces deux hérésiarques s'étoient permis dans l'interprétation des paroles sacramentelles de la Cène, Napoléon formula ainsi son opinion : Quelles sont les paroles du Christ? les voici : " Ma chair est vraiment viande, et mon sang est vraiment breuvage. Si vous ne mangez ma chair, si vous ne buvez mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous ; et en prenant du pain, ceci est mon corps, de même en prenant du vin, ceci est mon sang. »

Catholiques et protestants, reçoivent également ces paroles, comment se fait-il qu'ils les interprètent si différemment? les catholiques dans le sens littéral, et les protestants dans le sens figuré.

Les protestants veulent que tout ce langage si positif, si extraordinaire, qu'ils croient comme les catholiques, être la parole de l'homme Dieu, que ce langage n'aboutisse qu'à cette maigre et chétive signification : « Ceci représente du pain, » ceci représente du vin. Souvenez-vous deman» ger cette Cène en souvenir de moi. »

Voilà en effet une explication toute vulgaire, et qui ne présente plus à la raison la moindre difficulté, je l'accorde; mais aussi je n'y vois


- 30 — plus rien de ce qui annonce un Dieu , et la parole efficace de l'Être-Suprême; j'y vois l'invention , le conseil, la pensée et l'exhortation d'un homme comme moi. Mais pourquoi donc employer des mots remplis d'horreur comme ceuxci : Mon corps est viande etc., et appuyer sur ces expressions, en développer le sens avec une insistance toute particulière ? pourquoi des paroles aussi épouvantables? pour rendre la pensée la plus simple du monde.

Si je crois à la divinité du Christ, c'est à cause du, mystère profond caché dans ces paroles, à cause de l'efficacité qu'il y a su y attacher.

Si le Christ n'a entendu que celte recommandation : Mangez du pain, buvez du vin, en mémoire de moi, et je m'unirai à vous et vous vous unirez en moi, il n'y a rien là d'un Dieu... en dissimulant le mystère, vous anéantissez la religion. Qu'est-il besoin d'un Dieu pour faire tout juste ce qu'un homme peut dire et faire?

Et cependant les protestants croyent à la divinité de Jésus-Christ. Ils croyent à l'Évangile , à la sainte Trinité et à la conception par l'opération du Saint-Esprit. Pourquoi cela ? ces mystères sont au-dessus de la raison. Il n'y a que


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quelques mots dans l'Évangile qui les affirment pourquoi ne pas les interpréter également avec la raison ?

MOT PROFOND DE L'EMPEREUR SUR LE MYSTÈRE DE LA CROIX.

Napoléon avoit un sens droit; il s'en servoit pour juger tout ce qui s'offroit à son esprit. Il racontoit un jour, à Sainte-Hélène , qu'on avoit fait plusieurs fois des tentatives auprès de lui, à diverses époqites de sa puissance, pour l'engager à se déclarer le chef de la religion, en mettant de côté le pape. «On ne se bornoit pas là, disoitil; on vouloit que je fisse moi-même une religion à ma guise, m'assurant qu'en France, et dans le reste du monde, j'étois sûr de ne pas manquer de partisans et de dévots du nouveau culte. Que répondre à de pareilles sottises?

Un jour, cependant, que j'étois pressé sur ce sujet, par un personnage qui voyoit là-dessous une grande pensée politique, je l'arrêtai tout court : « Assez, monsieur, assez; voulezvous aussi que je me fasse crucifier ». Et comme il me regardoit d'un air étonné : « Ce n'est pas


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là votre pensée, ni la mienne non plus : eh bien ! monsieur, c'est là ce qu'il faut pour la vraie religion ! Et après celle-là, je n'en connois pas, ni n'en veux connoître une autre. »

Napoléon disoit souvent avec un sentiment profond d'amertume : « Il est dans cette île maudite deux privations auxquelles je ne puis m'habituer : pas de cloche et du pain moisi... »

Entrant dans la chambre de madame la comtesse de Montholon, et apercevant un crucifix, Napoléon disoit avec humeur : « Pourquoi ce crucifix dans cette chambre consacrée aux épingles , à la toilette et aux chiffons, où l'on se pare, où l'on se mire tout le jour dans une glace? comment accorder tout cela?... »


- 35SOMMAIRE.

35SOMMAIRE.

Discussion entre l'empereur et le général Bertrand au sujet de la divinité de Jésus-Christ. — Objection du général Bertrand.

— Réfutation de Napoléon , qui expose ses idées sur JésusChrist. —Le christianisme et les fausses religions. — Les sages du paganisme ennemis du paganisme. — Tous les grands hommes de la civilisation moderne adorateurs de Jésus-Christ. La mythologie est l'oeuvre de l'homme. — Le christianisme identique avec la loi naturelle.—Coup-d'oeil sur les fondateurs des nations ou des religions.—Jésus-Christ est un être exceptionnel, absolument différent de quoi que ce soit. — Le seul qui soit purement religieux, le seul qui explique la destinée humaine.—Impuissance de la métaphysique et des philosophes à formuler la vérité religieuse. — Les législateurs ont agi de leur vivant et le Christ après sa mort. — Les conquêtes de César, d'Alexandre, d'Annibal, de Napoléon comparées à celles du Christ. — Le sublime et le Christ.—Toutes les fausses religions sont terrestres, la vraie religion seule est céleste.— L'empereur Auguste et le Christ. — Le Christ et l'éternité. — Mahomet et le Coran. — Refus du Christ de jouer le rôle d'un ambitieux. — Son mépris des grandeurs.

— Son mépris du temps et son nom de fils de l'éternel. — Je suis Dieu. — Les mystères de sa vie sont ceux de la vie humaine. — Être athée ou chrétien. — Sa religion est celle de la conscience. —Le Christ imposteur ou Dieu. —Explication de la durée des hérésies. — Le pouvoir de la confession est le pouvoir royal — Éloge de l'Évangile, — La foi est le bonheur. — Les fondateurs d'empire et de religion se sont servis du nom de Dieu, sans oser l'usurper pour eux. — Le Christ est le seul qui exige d'une manière absolue et exclusive, pour lui seul, le culte suprême. — Le seul qui se soit emparé du coenr humain.—Le miracle permanent de la charité.—L'amour des soldais pour Napoléon et l'amour des chrétiens pour le Christ.—La mort de Napoléon et desgrands hommes et la mort du Christ. — Apostrophe au général Bertrand.



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CHAPITRE II.

DE LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. (1)

Je représenterai maintenant ce que c'est que la sagesse, et quelle est son origine ; je ne vous cacherai point les secrets de Dieu, mais je remonterai jusqu'à la source de sa naissance; je la produirai au jour, je la ferai connoître; et je ne cacherai point la vérité, ( La Sagesse, chap. VI, v. 24).

On parloit assez souvent à Sainte-Hélène de religion.

(1) Napoléon n'a jamais prononcé tout d'une haleine le magnifique plaidoyer qu'on va lire. L'auteur a donc réuni et rassemblé ce qui a été dit dans plusieurs conversations en présence de l'interlocuteur qui parle le premier, ou du général Montholon. Il est nécessaire aussi de remettre sous les yeux du lecteur cet avertissement de l'avant-propos :

« Quelques personnes s'inquiéteront de savoir quelle est la part de travail du metteur en oeuvre, et si l'on a fait des additions, à quels signes on reconnoîtra ce qui est de Napoléon ou du manoeuvre. Ma réponse sera bien simple : on ne contrefait pas le génie. Le fond des pensées, le nerf du raisonnement, les arguments principaux sont et ne peuvent être que de Napoléon. Le style et les phrases entières lui appartiennent quelquefois littéralement, comme


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Un jour, la conversation étoit animée; on traitait un sujet bien élevé, il s'agissoit de la divinité du Christ, Napoléon défendoit la vérité de ce dogme avec les arguments et l'éloquence d'un homme de génie, avec quelque chose aussi de la foi native du Corse et de l'Italien.

Le général Bertrand étoit encore son antagoniste et celui qui lui tenoit tête.

Je ne conçois pas, sire, disoit-il, qu'un grand homme comme vous, puisse adopter que l'ÊtreSuprême se soit jamais montré aux hommes, sous une forme humaine, avec un corps, une figure, une bouche et des yeux, enfin semblable à nous. Que Jésus soit tout ce qu'il vous plaira, la plus vaste intelligence, le coeur le

celle-ci, par exemple, qui est au début de l'opinion de l'empereur sur Jésus Christ : «Je comtois les hommes et je vous dis que Jésus n'est pas un homme. » Et cette autre, qui termine : Si vous ne voyez pas que Jésus est Dieu (dit Napoléon au général Bertrand), eh bien ! j'ai eu tort de vous faire général.

Néanmoins, quelque fidèle que soit la mémoire, qui ne sait combien la pensée s'altère et diminue , dans le trajet d'une communication qui n'est pas directe. Pour y suppléer, ou n'a pas craint de recourir à une inspiration propre cl à une certaine parure qu'exige la parole écrite et sans laquelle elle manque de grâce et ne sauroit plaire... Si l'on a respecté les pensées de Napoléon, ce respect n'a rien de servile. On a imité l'ouvrier qui monte un écrin ; cet ouvrier ne craint pas quelquefois de tailler les diamants. Pour multiplier l'éclat et les effets de lumière, il ose multiplier les facettes. Heureux si l'on avait pu faire davantage !


- 37 - plus moral, le législateur le plus profond , et surtout le plus singulier qui ait jamais existé, je l'accorde; mais il est un pur homme qui a endoctriné des disciples, séduit des gens crédules comme Orphée, Confucius, Brama. Le Dieu juif a renouvelé le prodige des temps fabuleux; il a remplacé, en les détrônant, les divinités grecques, égyptiennes. Grand homme succédant à des grands hommes, Jésus s'est fait adorer, parce qu'avant lui, ses prédécesseurs, Isis et Osiris, Jupiter et Junon , et tant d'autres avoient eu l'orgueil de se faire adorer.

Tel a été l'ascendant de Jésus sur son époque, l'ascendant de ces dieux, de ces héros de la fable. Si Jésus-Christ a passionné et attaché à son char les multitudes, s'il a révolutionné le monde, je ne vois là que le pouvoir du génie et l'action d'une grande âme, qui envahit le monde par l'intelligence comme ont fait tant de conquérants, Alexandre, César, comme vous, Sire, ou Mahomet avez fait avec une épée ».

Napoléon répondit :

« Je connois les hommes, et je vous dis que Jésus n'est pas un homme.

Les esprits superficiels voient de la ressemblance entre le Christ et les fondateurs d'oui-


— 38 - pire, les conquérants et les dieux des autres religions. Cette ressemblance n'existe pas. Il y a entre le christianisme et quelque religion que ce soit , la dislance de l'infini.

Le premier venu tranchera la question comme moi, pourvu qu'il ait une vraie connaissance des choses et l'expérience des hommes.

Quel est celui de nous qui, envisageant, avec cet esprit d'analyse et de critique que nous avons, les différens cultes des nations, ne puisse dire en face à leurs auteurs :

" Non, vous n'êtes ni des dieux, ni des agens » de la Divinité , non. vous n'avez point de » mission du Ciel. Vous êtes plutôt les mission» naires du mensonge; mais à coup sûr, vous » fûtes pétris du même limon que le reste des " mortels. Vous êtes bien de la race et de la fait mille d'Adam. Vous ne faites qu'un avec tou" tes les passions et tous les vices qui en sont » inséparables, tellement qu'il a fallu les déifier » avec vous. Vos temples et vos prêtres procla» mont eux-mêmes votre origine. Votre his" toire est celle des inventeurs du despotisme. » Si vous exigeâtes de vos sujets le culte et les » honneurs qui ne sont dûs qu'à Dieu seul


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» vous fûtes inspirés par l'orgueil naturel au » rang suprême (1). Et certainement ce ne fut » ni la liberté, ni la conscience qui vous obéirent » d'abord, mais la bassesse, le besoin et l'amour " du merveilleux, l'ignorance et la superstition ; » voilà vos premiers adorateurs. »

Tel sera le jugement, le cri de la conscience de quiconque interrogera les dieux ou les temples du paganisme.

(1) Voici ce que dit Salomon sur le culte des idoles : « Le premier essai de former des idoles a été un commencement de prostitution; et l'établissement de leur culte a été l'entière corruption de la vie humaine. Car les idoles n'ont point été dès le commencement et elles ne seront point pour toujours. C'est la vanité des hommes qui les a introduites dans le monde, c'est pourquoi on en verra bientôt la fin. Un père affligé de la mort précipitée de son fils , fit faire l'image de celui qui lui avoit été ravi sitôt : il commença à adorer comme dieu, celui qui comme homme étoit mort un peu auparavant, et il lui établit parmi ses serviteurs un culte et des sacrifices. Cette coutume impie s'étant autorisée de plus en plus dans la suite du temps, l'erreur fut observée comme une loi, et les idoles furent adorés par le commandement des princes. Les hommes aussi ne pouvant honorer ceux qui étoient bien loin d'eux, firent apporter leur tableau du lieu ou ils étoient, et ils proposèrent devant tout le monde l'image du roi à qui ils vouloient rendre honneur, pour révérer ainsi comme présent, avec une soumission religieuse, celui qui étoit éloigné. L'adresse admirable dés sculpteurs augmenta encore beaucoup ce culte dans l'esprit des ignorants. Chacun d'eux voulant plaire à celui qui l'employoit, épuisa tout son art pour faire une figure parfaitement achevée , et le peuple ignorant, surpris par la beauté de cet ouvrage, commença de prendre pour un dieu celui qu'un peu de temps auparavant, il avoit honoré comme un homme.

( Sagesse , ch 14, v. 12 et suivants ).


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Reconnoître la vérité est un don du Ciel et le caractère propre d'un excellent esprit ; mais il n'est personne qui ne puisse rejeter tout de suite le mensonge. Ce qui est faux répugne et se reconnaît à une simple vue.

Eh bien ! il s'élève constamment un flot sans cesse renaissant d'objections contre la vraie religion , soit. D'où vient qu'on n'en fait aucune contre les fausses? C'est que sans hésiter, tout le monde les croit fausses.

Jamais le paganisme fut-il accepté comme la vérité absolue par les sages de la Grèce, ni par Pytagore ou par Socrate, ni par Platon, ni par Anaxagore ou par Périclès.

Ces grands hommes se récréaient avec les récits du bon Homère, comme avec les riantes imaginations de la Fable, mais ils ne les adoraient pas.

Au contraire, les plus grands esprits, depuis l'apparition du christianisme, ont eu la foi, et une foi vive, une foi pratique aux mystères et aux dogmes de l'Évangile, non seulement Bossuet et Fénélon, dont c'étoit l'état de le prêcher, mais Descaries et Newton, Leibnitz et Pascal, Corneille et Racine, Charlemagne et Louis XIV.


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D'où vient cette singularité? Qu'un symbole aussi mystérieux et obscur que le symbole des apôtres, ait été reçu avec un profond respect par nos plus grands hommes, tandis que des théogonies puisées dans les lois do la nature et qui n'étaient, à vrai dire, que des explications systématiques du monde, n'ont pu parvenir à en imposer a aucun homme instruit? Qu'est-ce qui a le plus médit de l'Olympe païen, sinon les païens?

La raison en est bien naturelle ; derrière le voile de la Mythologie, un sage apperçoit tout de suite la marche et les lois des sociétés naissantes, les illusions et les passions du coeur humain, les symboles et l'orgueil de la science.

La mythologie est la religion de la fantaisie. Les poètes, en déifiant leurs rêves, suivirent la pente naturelle à notre esprit, qui exagère sa puissance, jusqu'à s'adorer lui-même, parce qu'il ignore ses limites.

Ici, tout est humain , tout crie en quelque sorte : « Je suis l'oeuvre de la créature. » Cela saute aux yeux, tout est imparfait, incertain, incomplet, les contradictions fourmillent. Tout


- 42 - ce merveilleux de la fable, amuse l'imagination, mais ne satisfait pas la raison.

Ce n'est point avec des métaphores ni avec de la poésie qu'on explique Dieu, qu'on parle de l'origine du monde et qu'on révèle les lois de l'intelligence.

Le paganisme est l'oeuvre de l'homme. On peut lire ici notre imbécillité et notre cachet qui sont écrits partout.

Que savent-ils de plus que les autres mortels, ces Dieux si vantés, ces législateurs grecs ou romains, ces Numa , ces Lycurgue, ces prêtres de l'Inde ou de Memphis, ces Confucius, ces Mahomet ? Rien absolument.

Ils ont fait un vrai cahos de la morale; mais en est-il un seul d'entre eux, qui ait dit rien de neuf relativement à notre destinée à venir, à notre âme, à l'essence de Dieu et à la création. Les théosophes ne nous ont rien appris de ce qu'il nous importe de savoir, et nous ne tenons d'eux aucune vérité essentielle. La question religieuse n'est pas même entamée par eux, tant leur théogonie est embrouillée, confuse, obscure !

Il est une vérité primitive qui remonte au


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berceau de l'homme, qu'on retrouve chez tous les peuples, écrite par le doigt de Dieu dans notre âme : la loi naturelle, d'où dérive le devoir, la justice, l'existence de Dieu, la connaissance de ce que c'est que l'homme composé d'un esprit et d'un corps.

Une seule religion accepte pleinement la loi naturelle, une seule s'en approprie les principes, une seule en fait l'objet d'un enseignement perpétuel et public. Quelle est cette religion? le christianisme.

La loi naturelle chez les payens, au contraire, était méconnue, défigurée, modifiée par l'égoïsme et dépendante de la politique. On la toléroit, mais on n'en reconnaissait point le caractère sacré. Cette loi n'avait ni temple, ni prêtres, ni d'autre asyle que le langage, ou Dieu la conservait par une sagesse de sa providence.

La Mythologie est un temple consacré à la force, aux héros, à la science, aux bienfaits de la nature. Les sages n'y ont pas de place ; en effet, les sages sont les ennemis naturels de cette idolâtrie qui divinise la matière.

Aussi, pénétrez dans les sanctuaires, vous n'y trouvez ni l'ordre, ni l'harmonie, mais un vrai


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cahos, mille contradictions, la guerre entre les dieux, l'immobilité de la sculpture, la division et le déchirement de l'unité, le morcellement des attributs divins, altérés ou niés dans leur essence, les sophismes de l'ignorance et de la présomption, des fêtes profanes, le triomphe de la débauche , l'impureté et l'abomination adorées, toutes les sortes de corruption gisant parmi d'épaisses ténèbres avec un bois pourri, l'idole et son prêtre. Est-ce là ce qui glorifie Dieu ou ce qui le déshonore (1)?

Sont-ce là des religions et des Dieux à comparer au Christianisme?

Pour moi, je dis non. J'appelle l'Olympe entier à mon tribunal. Je juge les Dieux, mais je suis loin de me prosterner devant de vains simulacres. Les Dieux, les législateurs de l'Inde

(1) II est curieux de rapprocher ces paroles de celles de Salomon, sur le même sujet: « ç'a été la source de l'illusion de la vie humaine, de ce que les hommes, ou se livrant au regret d'avoir perdu ceux qu'ils aimoient, ou se rendant trop complaisans aux rois, ont donné à des pierres ou à du bois un nom incommunicable à la créature. Il n'a pas même suffi aux hommes d'être dans ces erreurs touchant la connoissance de Dieu ; mais vivant dans une grande confusion, causée par l'ignorance ; ils donnent le nom de paix à des maux si grands et en aussi grand nombre. Car, ou ils immolent leur» propres enfans, ou ils font en secret des sacrifices infâmes, ou ils célèbrent des veilles pleines d'une brutalité furieuse. De là vient qu'ils ne gardent plus aucune honnêteté, ni dans leur vie, ni dans leurs


-45et de la Chine, de Rome et d'Athènes , n'ont rien qui m'en impose. Non pas que je sois injuste à leur égard! non, je les apprécie parce que j'en sais la valeur. Sans doute les princes dont l'existence se fixa dans la mémoire, comme une image de l'ordre et de la puissance, comme un idéal de la force et de la beauté, de tels princes ne furent point des hommes ordinaires.

Mais il faut aussi calculer dans ces résultats l'ignorance de ces premiers âges du monde. Celte ignorance fut grande, puisque les vices furent divinisés avec les vertus, tant l'imagination joua le rôle principal dans cette séduction curieuse! ainsi la violence, la richesse, tous les signes et l'orgueil de la puissance, l'amour du plaisir, la volupté sans frein, l'abus de la force, sont les traits saillants de la biographie des dieux,

mariages ; mais l'un tue l'autre par envie, ou l'outrage par l'adultère. Tout est dans la confusion , rempli de sang, de meurtre , de vol, de tromperie, de corruption, d'infidélité, de tumulte, de parjure, de persécution pour les gens de bien ; d'oubli de Dieu, d'ingratitude, de souillure des âmes, d'avortement, de désordres dans les mariages et des dissolutions de l'adultère et de l'impudicité.... En effet, ou ils s'abandonnent à la fureur dans leurs divertissements , ou ils font des prédictions pleines de mensonges, ou ils vivent dans l'injustice, ou ils se parjurent sans aucun scrupule, parce qu'ayant mis leur confiance en des idoles qui n'ont point d'âme, ils ne craignent point d'être punis de leurs parjures.

(Sagesse, chap. XIV, v. 21),


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tels que la Fable et les poètes les présentent, et nous en font un naïf récit

Je ne vois dans Lycurgue, Numa, et Mahomet, que des législateurs, qui ayant le premier rôle dans l'Etat, ont cherché la meilleure solution du problême social; mais je ne vois rien là qui décèle la divinité; eux-mêmes n'ont pas élevé leurs prétentions si haut.

Il est évident que la postérité seule a divinisé les premiers despotes , les héros, les princes des nations et les instituteurs des premières républiques. Pour moi je reconnois les dieux et ces grands hommes, pour des êtres de la même nature que moi. Leur intelligence après tout, ne se distingue de la mienne que d'une certaine façon. Ils ont primé, rempli un grand rôle dans leur temps, comme j'ai fait moi-même. Rien chez eux n'annonce des êtres divins : au contraire je vois de nombreux rapports entre eux et moi, je constate des ressemblances, des faiblesses et des erreurs communes qui les rapprochent de moi et de l'humanité. Leurs facultés sont celles que je possède moi-même; il n'y a de différence, que dans l'usage que nous en avons fait, eux et moi, selon le but différent que


- 47 - nous nous sommes proposés, et selon le pays et les circonstances...

Il n'en est pas de même du Christ. Tout de lui m'étonne; son esprit me dépasse et sa volonté me confond. Entre lui et quoique ce soit au monde, il n'y a pas de terme possible de comparaison. Il est vraiment un être à part : ses idées et ses sentiments, la vérité qu'il annonce, sa manière de convaincre, ne s'expliquent ni par l'organisation humaine, ni par la nature des choses.

Sa naissance et l'histoire de sa vie, la profondeur de son dogme qui atteint vraiment la cîme des difficultés, et qui en est la plus admirable solution , son Evangile, la singularité de cet être mystérieux , son apparition , son empire, sa marche à travers les siècles et les royaumes, tout est pour moi un prodige, je ne sais quel mystère insondable... qui me plonge dans une rêverie dont je ne puis sortir, mystère qui est là sous mes yeux, mystère permanent que je ne peux nier et que je ne puis expliquer non plus. Ici je ne vois rien de l'homme.

Plus j'approche, plus j'examine de près , tout est au-dessus de moi, tout demeure grand d'une grandeur qui écrase, et j'ai beau réfléchir, je ne me rends compte de rien...


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Sa religion est un secret à lui seul et provient d'une intelligence qui, certainement, n'est pas l'intelligence de l'homme. Il y a là une originalité profonde qui crée une série de mots et de maximes inconnues. Jésus n'emprunte rien à aucune de nos sciences. On ne trouve absolument qu'en lui seul l'imitation ou l'exemple de sa vie. Ce n'est pas non plus un philosophe, puisqu'il procède par des miracles, et dès le commencement ses disciples sont ses adorateurs. Il les persuade bien plus par un appel au sentiment, que par un déploiement fastueux de méthode et de logique; aussi ne leur impose-t-il ni des éludes préliminaires, ni la connaissance des lettres. Toute sa religion consiste à croire.

En effet, les sciences et la philosophie ne servent de rien pour le salut; et Jésus ne vient dans le monde que pour révéler les secrets du Ciel et les lois de l'esprit.

Aussi n'a-t-il affaire qu'à l'âme, il ne s'entretient qu'avec elle, et c'est à elle seule qu'il-apporte son Évangile.

L'âme lui suffit comme il suffit à l'âme : jusqu'à lui, l'âme n'étoit rien; la matière et le temps étoient les maîtres du monde. A sa voix, tout est rentré dans l'ordre. La science et la phi-


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losophie ne sont plus qu'un travail secondaire. L'âme a reconquis sa souveraineté. Tout l'échafaudage scholastique tombe comme un édifice ruiné par un seul mot : LA FOI.

Quel maître, quelle parole qui opère une telle révolution! avec quelle autorité il enseigne aux hommes la prière I il impose ses croyances ! et nul ici ne peut contredire, d'abord parce que l'Evangile contient la morale la plus pure, et ensuite parce que le dogme dans ce qu'il contient d'obscur, n'est autre chose que la proclamation et la vérité de ce qui existe, là où nul oeil ne peut voir, et où nul raisonnement ne peut atteindre.

Quel est l'insensé qui dira : non , au voyageur intrépide qui raconte les merveilles des pics glacés, que lui seul a eu l'audace de visiter.

Le Christ est ce hardi voyageur. On peut demeurer incrédule, sans doute; maison ne peut pas dire : Cela n'est pas.

D'ailleurs, consultez les philosophes sur ces questions mystérieuses qui sont l'essence de l'homme, et aussi l'essence de la religion; quelle est leur réponse, quel est l'homme de bon sens qui a jamais rien compris aux systèmes de la


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métaphysique ancienne ou moderne (1) qui ne sont vraiment qu'une vaine et pompeuse idéologie, sans aucun rapport avec notre vie domestique, avec nos passions. Sans doute, à force de réfléchir, on parvient à saisir la clé de la philosophie de Socrate et de Platon ; mais il faut être métaphysicien, et il faut de plus, même avec des années d'étude, une aptitude spéciale. Mais le bon sens tout seul, le coeur, un esprit droit suffisent pour comprendre le christianisme.

La religion chrétienne n'est pas de l'idéologie ni de la métaphysique, mais une règle pratique qui dirige les actions de l'homme, qui le corrige, le conseille et l'assiste dans toute sa conduite. La Bible offre une série complète de

(1) J'en appelle à tous les hommes sensés, qui sous la restauration ont assisté aux cours de M. Cousin. Eu est-il un seul qui ait pu rien comprendre à tout ce pathos , qu'on décorait alors du nom d'ecclectisme, et que maintenant M. Cousin baptise du nom de philosophie de la Charte. Mais le monde frivole et les salons applaudissoient, faisant chorus avec le journalisme, par haine des jésuites et du gouvernement. Quelle estime de soi-même et quel mépris d'autrni, pour pérorer sur une trinité imaginaire, qui n'a jamais existé que dans la tête, ou plutôt sur la langue de M Cousin, et ne dire mot sur la trinité réelle, qui est dans l'esprit et dans le coeur de tout le monde ! 0 vous, Platon, à qui l'amour de la philosophie commanda un voeu de chasteté, qui vous rendit voisin de la grâce céleste, jusqu'à vous faire entrevoir notre divin Jésus, à la lueur de votre éminente raison: qu'y a-t-il entre vous, le disciple et l'ami de Socrate et ce professeur équivoque dans sa morale autant que dans ses principes!!! Injures d'un énerguméne de sacristie, dira M. Cousin; hélas ! le National professe plus de mépris encore que la sacristie contre M. Cousin, (Note de l'auteur,)


— 51 — faits et d'hommes historiques, pour expliquer le temps et l'éternité, telle qu'aucune autre religion n'est à même d'en offrir : si ce n'est pas la vraie religion, on est excusable de s'y tromper ; car tout cela est grand et digne de Dieu.

Je cherche en vain dans l'histoire pour y trouver le semblable de Jésus-Christ, ou quoique ce soit qui approche de l'Évangile. Ni l'histoire, ni l'humanité, ni les siècles, ni la nature ne m'offrent rien avec quoi je puisse le comparer ou l'expliquer. Ici tout est extraordinaire; plus je le considère et plus je m'assure qu'il n'y a rien là, qui ne soit en dehors de la marche des choses et au-dessus de l'esprit humain.

Les impies eux-mêmes n'ont jamais osé nier la sublimité de l'Évangile qui leur inspire une sorte de vénération forcée ! Quel bonheur ce livre procure à ceux qui y croient ! que de merveilles y admirent ceux qui l'ont médité!

Tous les mots y sont scellés et solidaires l'un de l'autre, comme les pierres d'un même édifice. L'esprit qui lie les mots entre eux, est un ciment divin qui tour à tour en découvre le sens ou le cache à l'esprit. Chaque phrase a un sens complet , qui retrace la perfection de l'unité et la profondeur de l'ensemble; livre unique ou l'es-


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prit trouve une beauté morale inconnue jusque-là, et une idée de l'infini supérieure à celle même que suggère la création ! Quel autre que Dieu pouvoit produire ce type, cet idéal de perfection, également exclusif et original, où personne ne peut ni critiquer ni ajouter, ni retrancher un seul mot, livre différent de tout ce qui existe, absolument neuf, sans rien qui le précède et sans rien qui le suive (1).

(4) Napoléon, étant jeune, avoit lu Rousseau dont il faisoit alors un grand cas; ensuite il répudia les sophismes et l'idéologie de l'auteur paradoxal du Contrat social; mais il dut relire souvent le passage suivant, qui contient nn éloge de l'Évangile, d'autant plus curieux qu'il est arraché à l'écrivain qui cède à l'évidence plutôt qu'à la foi « J'avoue que la majesté des Écritures m'étonne : la sainteté de l'Évangile parle à mon coeur. Voyez les livres dès-philosophes, avec toute leur pompe, qu'ils sont petits près de celui-là ! se peutil qu'un livre à la fois si sublime et si simple soit l'ouvrage des hommes? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur! Quelle pureté dans ses moeurs ! Quelle grâce touchante dans ses instructions ! Quelle élévation dans ses maximes! Quelle profonde sagesse dans ses discours ! Quelle présence d'esprit ! Quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ! quel emempire sur ses passions ! où est l'homme, où est le sage , qui sait agir, souffrir et mourir sans foiblesse et sans ostentation ? Quand Platon peint son juste imaginaire , couvert de tout l'oprobre du crime et digne de tous les prix de la vertu ; il peint trait pour trait Jésus-Christ. La ressemblance est si frappante que tous les pères de l'Église l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper... Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ! Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate mourant sans douleur, sans ignominie , soutint aisément jusqu'au bout son personnage ; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate , avec tout son


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Vous parlez de Confucius, de Zoroastre, de Numa, de Jupiter et de Mahomet; mais il y a entre eux et le Christ cette différence que de même que tout ce qu'il a fait est d'un Dieu, il n'est rien chez eux au contraire qui ne soit d'un homme. L'action de ces mortels fut bornée à leur vie, et ce fut, de leur vivant, qu'ils établirent leur culte à l'aide des passions, avec la force et à la faveur des événements politiques.

Le christ attend tout de sa mort : est-ce là l'invention d'un homme? non, non, c'est au contraire une marche étrange , une confiance suresprit, fût autre chose qu'un sophiste ! Mais, où Jésus avoit il pris parmi les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons et l'exemple ? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre et la simplicité des plus héroïques vertus honora un peuple tout matériel. La mort de Socrate philosophant tranquillement avec ses amis , est la plus douce qu'on puisse désirer. Celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure. Jésus au milieu d'un supplice affreux , prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. Dironsnous que l'histoire de l'Évangile est inventée à plaisir ; non, ce n'est pas ainsi que l'on invente, et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus Christ. Au fond, c'est reculer la difficulté sans la détruire. Il seroit plus inconcevable que plusieurs hommes d'accord, eussent fabriqué ce livre qu'il ne l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs Juifs n'eussent trouvé ni ce ton, ni celte morale ; et l'Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement lui mitables, que l'inventeur en seroit plus étonnant que le héros «


- 54humaine,

54humaine, réalité inexplicable ! n'ayant en core que quelques disciples idiots, le Ghrist est condamné à mort; il meurt objet de la colère des prêtres juifs, et du mépris de sa nation, abandonné et contredit par les siens. Et comment pouvoit-il en être autrement de celui qui avoit annoncé par avance ce qui alloit lui arriver :

« On va me prendre, on me crucifiera (di» soit-il) je serai abandonné de tout le monde, » mon premier disciple me reniera au commen» cernent de mon supplice, je laisserai faire les » méchants; mais ensuite la justice divine étant " satisfaite, le péché originel étant expié par » mon supplice ; le lien de l'homme avec Dieu » sera renoué, et ma mort sera la vie de mes » disciples : alors ils seront plus forts sans moi " qu'avec moi : car ils me verront ressuscité : je » monterai au Ciel, et je leur enverrai du Ciel, « un esprit qui les instruira : l'esprit de la croix » leur fera concevoir mon Evangile ; enfin ils y » croiront, ils le prêcheront, ils le persuade» ront à l'univers tout entier. »

Et cette folle promesse, si bien appelée par saint Paul la folie de la croix, cette prédiction


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d'un misérable crucifié s'est accomplie littéralement... Et le mode de l'accomplissement est peut être plus prodigieux que la promesse.

Ce n'est ni un jour, ni une bataille qui en ont décidé ; est-ce la vie d'un homme ? Non. C'est une guerre, un long combat de trois cents ans, commencé par les apôtres et entretenu par leurs successeurs, et par le flot successif des générations chrétiennes. Depuis saint Pierre, les 32 évoques de Rome qui ont succédé à sa primauté, ont été comme lui martyrisés. Ainsi trois siècles durant, la chaire romaine fut un échafaud, qui procurait infailliblement la mort à celui qui y était appelé. Et rarement les autres évêques, pendant cette période de trois cents ans, eurent une destinée meilleure.

Dans cette guerre , tous les rois et toutes les forces de la terre se trouvent d'un côté, et de l'autre je ne vois pas d'armée ; mais une énergie mystérieuse, quelques hommes disséminés çà et là dans toutes les parties du globe, n'ayant d'autre signe de ralliement qu'une foi commune dans le mystère de la Croix.

Quel étrange symbole ! l'instrument du supplice de l'Homme-Dieu. Ses disciples en sont


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armés. Ils portent la croix dans l'univers avec leur conviction, flamme ardente qui se propage de proche en proche :« Le Christ, Dieu, disent» ils, est mort pour le salut des hommes. » Quelle lutte , quelle tempête, soulèvent ces simples paroles autour de l'humble étendard du supplice de l'Homme-Dieu !

Que de sang versé des deux parts ! quel acharnement ! Mais ici, la colère et toutes les fureurs de la haine et de la violence. Là, la douceur, le courage moral, une résignation infinie. Pendant trois cents ans, la pensée lutte contre la brutalité des sensations, la conscience contre le despotisme, l'âme contre le corps, la vertu contre tous les vices. Le sang des chrétiens coule à flots. Ils meurent en baisant la main qui les tue. L'âme seule proteste, pendant que le corps se livre à toutes les tortures. Partout les chrétiens succombent, et partout ce sont eux qui triomphent. (1)

(1) Écoutons Rousseau exprimant les mêmes Idées, avec son style si remarquable : « Après la mort de Jésus-Christ, douze pauvres pêcheurs entreprennent d'instruire et de convertir le monde ; leur méthode étoit simple ; ils prêcboient sans art, mais avec un coeur pénétré; et de tous les miracles dont Dieu honoroit leur foi, le plus frappant étoit la sainteté de leur vie ; leurs disciples suivirent cet exemple et le succès fut prodigieux. Les prêtres païens alarmés firent entendre aux princes que l'état étoit perdu, parce que les


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Vous parlez de César et d'Alexandre, de leurs conquêtes, et de l'enthousiasme qu'ils surent allumer dans le coeur du soldat pour l'entraîner avec eux dans des expéditions aventureuses ; mais il faut voir là le prix de l'amour du soldat, l'ascendant du génie et de la victoire, l'effet naturel de la discipline militaire, et le résultat d'un commandement habile et légitime. Mais combien d'années l'empire de César a-t-il duré? Combien de temps l'enthousiasme des soldats pour Alexandre s'est-il soutenu? Ils ont joui de ces hommages, un jour, une heure, le temps de leur commandement et au plus de leur vie, selon les caprices du nombre et du hazard, selon les calculs de la stratégie , enfin selon les chances de la guerre... Et si la victoire infidèle les eût quittés, doutez-vous que l'enthousiasme n'eût aussitôt cessé? Je vous le demande , l'influence militaire de César et d'Alexandre, a-t-elle fini avec leur vie ? s'estelle prolongée au-delà du tombeau?

offrandes diminuoient. Les persécutions s'élevèrent et ne firent qu'accélérer le progrès de celte religion, qu'ils Vouloient étouffer. Tous les chrétiens couroient au martyre, tous les peuples couroient au baptême ; l'histoire de ces premiers temps est un prodige continuel. "


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Concevez-vous un mort, faisant des conquêtes avec une armée fidèle et toute dévouée à sa mémoire? Concevez-vous un fantôme qui a des soldats sans solde, sans espérance pour ce monde-ci, et qui leur inspire la persévérance et le support de tous les genres de privations ; hélas ! le corps de Turenne était encore tout chaud, que son armée découragée, décampoit devant Montécuculli, Et moi, mes armées m'oublient tout vivant, comme l'armée carthaginoise fit d'Annibal. Voilà notre pouvoir à nous autres grands hommes! une seule bataille perdue nous abat, et l'adversité nous enlève nos amis. Que de Judas j'ai vus autour de moi! Ah! si je n'ai pu persuader ces grands politiques, ces généraux qui m'ont trahi, s'ils ont méconnu mon nom et nié les miracles d'un amour vrai de la patrie et de la fidélité quand même à un souverain. .. Si moi, qui les avois si souvent menés à la victoire, je n'ai pu, vivant, réchaufferces coeurs égoïstes, par où donc, étant glacé moi-même par la mort, parviendrois-je à entretenir, à réveiller leur zèle!

Concevez-vous César, empereur éternel du sénat romain, et du fond de son mausolée, gouvernant l'empire, veillant sur les destins de


- 59 - Rome; telle est l'histoire de l'envahissement et de la conquête du monde par le christianisme ; voilà le pouvoir du dieu des chrétiens , et le perpétuel miracle du progrès de la foi et du gouvernement de son église. Les peuples passent , les trônes croulent, et l'église demeure ! Quelle est donc la force, qui fait tenir debout cette église assaillie par l'océan furieux de la colère et des mépris du siècle? quel est le bras, depuis dix-huit cents ans, qui l'a préservée de tant d'orages qui ont menacé de l'engloutir ?

Dans toute autre existence que celle du Christ, que d'imperfections, que de vicissitudes; quel est le caractère qui ne fléchisse abattu par de certains obstacles? quel est l'individu qui ne soit modifié par les événements ou par les lieux, qui ne subisse l'influence du temps, et qui ne transige avec les moeurs et les passions, avec quelque nécessité qui le surmonte!

Je défie de citer aucune existence comme celle du Christ, exempte de la moindre altération de ce genre, qui soit pure de ces souillures et de ces vicissitudes.

Depuis le premier jour jusqu'au dernier, il est le même, toujours le même, majestueux et


- 60 — simple, infiniment sévère et infiniment doux ; dans un commerce de vie pour ainsi dire public, Jésus ne donne jamais de prise à la moindre critique; sa conduite si prudente ravit l'admiration par un mélange de force et de douceur. Qu'il parle ou qu'il agisse , Jésus est lumineux, immuable, impassible. Le sublime, dit-on, est un trait de la Divinité, quel nom donner à celui qui réunit en soi tous les traits du sublime?

Le mahométisme, les cérémonies de Numa, les institutions de Lycurgue, le polythéisme et la loi mosaïque même, sont bien plus des oeuvres de législation que des religions.

En effet., chacun de ces cultes se rapporte plus à la terre qu'au ciel. Il s'agit là surtout d'un peuple et des intérêts d'une nation. Et n'est-il pas évident que la vraie religion ne sauroit être circonscrite à un seul pays? La vérité doit embrasser l'univers, Tel est le christianisme, la seule religion qui détruise la nationalité, la seule qui proclame l'unité et la fraternité absolue de l'espèce humaine, la seule qui soit purement spirituelle, enfin la seule qui assigne a tous, sans distinction, pour vraie patrie, le sein d'un Dieu créateur.


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Le Christ prouve qu'il est le fils de l'éternel par son mépris du temps ; tous ses dogmes signifient une seule et même chose : « l'éternité. »

Aussi comme l'horizon de son empire s'étend, et se prolonge infiniment. Le Christ règne par delà la vie et par delà la mort! le passé et l'avenir sont également à lui ; le royaume de la vérité n'a et ne peut avoir en effet d'autre limite que le mensonge. Tel est le royaume de l'Evangile, qui embrasse tous les lieux et tous les peuples. Jésus s'est emparé du genre humain : il en a fait une seule nation, la nation des honnêtes gens, qu'il appelle à une vie parfaite. Les ennemis du Christ, relèvent de lui comme ses amis, par le jugement qu'il exercera sur tous le jour du jugement.

Mahomet sans doute proclame l'unité de Dieu : cette vérité est l'essence et le dogme principal de sa religion. Je le reconnais, mais tout le monde sait qu'il ne l'affirme, que d'après Moïse et la tradition juive. L'esprit de Mahomet ou plutôt son imagination a fait tous les frais de tous les autres dogmes de l'alcoran, livre plein de confusion et d'obscurité, d'un


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novateur passionné qui se tourmente pour résoudre avec le génie, des questions qui sont plus hautes que le génie ; et il n'aboutit vraiment qu'à des turpitudes ! tant il est vrai qu'il n'est donné à personne, même à un grand homme, de rien dire de satisfaisant sur Dieu, le paradis et la vie future, si Dieu ne l'en instruit lui-même préalablement !

Aussi Mahomet n'est vrai qu'autant qu'il s'appuie sur la Bible et sur le sentiment inné de la croyance en Dieu.

Pour tout le reste, l'alcoran n'est vraiment qu'un système hardi de domination et d'envahissement politique.

Partout l'homme ambitieux se montre à découvert dans Mahomet, vil flatteur de toutes les passions les plus chères au coeur de l'homme ! comme il caresse la chair , quelle large part il fait à la sensualité !

Est-ce vers la vérité de Dieu qu'il veut entraîner l'Arabe, ou vers la séduction de toutes les jouissances, permises dans cette vie et promises comme l'espoir et la récompense de l'autre.

Il fallait enlever un peuple ; l'appel aux passions fut nécessaire, à la bonne heure ! il a réussi :


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mais la cause de son triomphe sera la cause de sa ruine. Tôt ou tard le croissant disparaîtra de la scène du monde, et la croix y demeurera!

Le sensualisme tue en définitive les nations, aussi bien que les individus, qui ont la folie d'en faire la base de leur existence !

De plus, ce faux prophète, s'adresse à une seule nation, et il a senti le besoin de jouer deux rôles, le rôle politique et le rôle religieux. Il a effectivement conquis et possédé toute la puissance du premier. Pour le second, s'il en a eu le prestige , il n'en a pas eu la réalité. Jamais il n'a donné de preuves de la divinité de sa mission. Une ou deux fois, il veut s'étayer d'un miracle, et il échoue honteusement. Personne ne croit à ses miracles, parce que Mahomet n'y croyait pas lui-même ; ce qui prouve, qu'il n'est pas aussi aisé qu'on se l'imagine, d'en imposer sous ce rapport.

Si le titre d'imposteur, s'accole facilement au nom de Mahomet, il répugne tellement avec' celui du Christ, que je ne crois pas qu'aucun ennemi du christianisme, ait jamais osé l'en flétrir!

Et cependant il n'y a pas de milieu , le Christ est un imposteur, ou il est Dieu.


- 64 - Le Christ n'a point d'ambition terrestre, il est exclusivement à sa mission céleste. Il lui étoit facile d'exercer une grande séduction et d'avoir de la puissance, en devenant un homme politique. Tout s'y prêtoit et alloit au devant de lui, s'il l'eût voulu !

Les Juifs attendoient un messie temporel, qui devroit subjuguer leurs ennemis ; un roi dont le sceptre rangeroit le monde entier sous leur domination. Certes, il y avait là une tentation difficile à surmonter, et l'élément naturel d'une grande usurpation. Jésus est le premier qui ose attaquer publiquement l'interprétation erronée des écritures. Il s'attache à démontrer que ces victoires et ces conquêtes du Christ, sont des victoires spirituelles, qu'il s'agit de la répression des vices, de l'assujétissement des passions, et de l'envahissement pacifique des âmes; et si les écritures annoncent la soumission éclatante de l'univers, cette soumission absolue, regarde le second avènement qui arrivera à la fin du monde.

Jésus, prend un soin tout particulier, d'inculquer celte explication toute spirituelle à ses disciples. On veut, dans plusieurs occasions, se


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saisir de lui pour le faire roi ; il écarte de. son front la couronne, il n'en veut pas : il en veut une autre, que la vierge sa mère lui a préparée : il la ceindra le jour de son grand sacrifice.

Jésus ne pactise pas d'avantage avec les autres faiblesses humaines. Les sens, ces tyrans de l'homme, sont traités par lui, en esclaves faits pour obéir et non pour commander. Les vices sont les objets de sa haine implacable. Il mortifie les passions, qui sont l'élément naturel des grands succès. Il parle en maître à la nature humaine dégradée , en maître courroucé qui exige une expiation. Sa parole, toute austère qu'elle est, s'insinue dans l'âme comme un air subtil et pur ; la conscience en est pénétrée et silencieusement persuadée.

Jésus met de côté la politique, qui est chose superflue pour de vrais chrétiens, qui adorent le dogme de la fraternité divine.

Certes, voilà un homme à part, voilà un pontife et une religion qui se, sépare vraiment de toutes les autres religions ; et celui-là est un menteur, qui dit qu'il y a nulle part quelque chose qui ressemble à cela.

Il est vrai que le Christ propose, à notre foi

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une série de mystères. Il commande avec autorité d'y croire sans donner d'autre raison , que cette parole épouvantable : Je suis Dieu. Il le déclaré ! quel abîme il creuse par cette déclaration entre lui et tous les faiseurs de religion. Quelle audace, quel sacrilége, quel blasphême, si ce n'était vrai ! Je dis plus : le triomphe universel d'une affirmation de ce genre, si ce triomphe n'était bien réellement celui de Dieu même, serait une excuse plausible, et la preuve de l'athéisme.

D'ailleurs en proposant des mystères, le Christ est conséquent avec la nature des choses qui est profondément mystérieuse. D'où viens-je, où vais-je, que suis-je ? la vie humaine est un mystère dans son origine, dans son organisation et dans sa fin. Dans l'homme et hors de l'homme, dans la nature, tout est mystère et l'on voudrait que la religion ne fut pas mystérieuse. La création et la destinée du monde, sont un abîme impénétrable, aussi bien que la destinée et la création d'un seul individu. Le christianisme du moins n'élude pas ces grandes questions; il les attaque en face, et nos dogmes en sont une solution pour celui qui croit. Les


- 67 - païens ne nioient pas que la nature; des choses ne fut mystérieuse; chez eux,le mystère étoit partout : ils en avoient de toutes les sortes, mystères d'Isjs, mystères des bacchanales, mystères de sagesse et d'intamie. C'est ici qu'à bon droit l'on peut se révolter de la nuit impure et profonde qui enveloppe le sanctuaire.

Quel amalgame hétérogène de principes contradictoires que la théogonie chaldéenne, grecque et égyptienne ! quel océan d'idées mal digérées, unies sans liaison, sans hiérarchie! quel mélange du sublime et de l'absurde ! du sacré et du profane! Ce qui est le moins obscur, se rapporte évidemment à l'origine des sociétés, à leur histoire, et surtout à celle des premiers princes, tandis que le dogme rappelle les mêmes croyances ou plutôt les mêmes erreurs d'une tradition perdue ! et le sanctuaire païen est vraiment le réceptacle ténébreux des lueurs fausses des sens, le rendez-vous impur des mille bizarreries de l'imagination et l'asile consacré de toutes les folies du coeur, et de toutes les aberrations des siècles. De tels temples, de tels prêtres, péuvent-àls être les temples et les prêtres de la vérité. Qui oseroit le soutenir? Non, jamais les païens euxmêmes ne l'ont cru sérieusement.


- 68 — Le christianisme seul a affiche dès sa naissance cette prétention, et seul il en a le droit, parce que son dogme est conséquent, et d'accord avec cette prétention. Le polythéisme en eut le pressentiment, quand il attaqua le christianisme avec tant de fureur. La voix du christianisme fut entendue comme un cri puissant de la conscience, qui venait réveiller la conscience. Aussitôt l'idolâtrie se sentit attaquée dans sa base, et n'ayant rien à opposer à l'attaque de ce cri généreux, l'idolâtrie menacée dans son existence, répondit par un cri de rage. Celte rage n'étoit pas de la conviction, mais le désespoir de ceux qui alloient cesser de vivre, parce que leur vie étoit liée à celle de leur idole. Telle est la faiblesse du mensonge, qui de soi n'a rien de fixe. Comment sur la tige mouvante de l'erreur, germerait-il une croyance, une conviction ? Non, les payens ne croyoient pas au paganisme; et de nos jours un hérétique n'a et ne peut avoir qu'une fausse confiance dans les erreurs qui le séparent du catholique ; mais il croit en toute assurance les articles communs aux deux communions. Et c'est la croyance commune qui explique la durée des hérésies On


— 69 - ne peut expliquer le succès de Luther et de Calvin que par les passions des hommes, et par le secours qu'ils reçurent de la politique des princes et des grands, qui se servirent de l'hérésie, comme d'une arme contre le pouvoir royal et contre l'autorité ecclésiastique? Mais comment un homme de bon sens peut-il demeurer protestant dans ces temps-ci? Aussi le protestantisme existe plutôt par ses conquêtes passées que par sa force présente.

Quelle est la religion qui soit absolue , qui éclaire, dirige et tranquillise la conscience comme la foi chrétienne? Les fausses religions laissent l'esprit comme un vaisseau sans pilote, errer à l'aventure. Le protestantisme lui-même, montre bien sa triste origine par l'abandon qu'il fait du gouvernement de l'âme.

Et je conçois que Luther et Calvin, aient eu peur de ce fardeau. Oui, je conçois qu'un homme recule toujours devant la direction des consciences. Dieu seul a pu s'en saisir comme d'un sceptre qui lui appartient à lui seul?

Toutes les religions, hormis la religion chrétienne, rejettent l'âme dans le commerce de la vie commune.


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Confucius-propose aux Chinois l'agriculture. iS^'curgue et Nuina, crurent contenir leurs concitoyens par le sage équilibre des lois et par l'harmonie d'une société bien réglée. Mahomet poussa ses disciples à la conquête du monde par le sabre. Tous précipitèrent l'homme vers les choses extérieures. A la bonne heure! Mais quel rapport existe-t-il, entre cette activité et le sentiment religieux. Je vois là des citoyens, une nation, un législateur, un conquérant, mais nulle part un pontife,

Et quel autre que Dieu pouvoit affirmer, avec cette certitude absolue capable de tranquilliser la conscience, les vérités, telles que l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, la croyance à l'enfer, au paradis, ces dogmes enfin qui sont les prémisses et la base de toutes les religions. Quand le Christ les énonce comme l'essence de sa doctrine, il le fait avec tout ce qu'il y a d'imposant et d'absolu dans son caractère de fils de Dieu,

Sans doute il faut la foi pour cet article là, qui est celui duquel dérive tous les autres articles. Mais le caractère de la divinité du Christ, une fois admis, la doctrine chrétienne se pré-


sente avec la précision et la clarté de l'algèbre; il faut y admirer l'enchaînement et l'unité d'une science.

Appuyée sur la Bible, cette doctrine explique le mieux les traditions du monde; elle les éclaircit, et les autres dogmes s'y rapportent étroitement comme les anneaux scellés d'une même chaîne. L'existence du Christ d'un bout à l'autre est un tissu tout mystérieux, j'en conviens, mais ce mystère répond à des difficultés qui sont dans toutes les existences , rejetez-le, le mondé est une énigme : acceptez-le, vous avez une admirable solution de l'histoire de l'homme.

Le christianisme a un avantage sur tous les philosophes et sur toutes les religions : les chrétiens ne se font pas illusion sur la nature des choses. On ne peut leur reprocher ni la subtilité, ni le charlatanisme des idéologues, qui ont cru résoudre la grande énigme des questons théologiques , avec dé vaines dissertations sur ces grands objets. Insensés dont la folie ressemble, à celle d'un petit enfant, qui veut toucher le ciel avec sa main, ou qui demande la lune pour son jouet ou sa curiosité (1). Le chris(1)

chris(1) va droit à M. Cousin pérorant sur le mystère de la sainte Trinité; on peut le définir avec la foi, mais autrement on ne peut


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tianisme dit avec simplicité : « Nul homme n'a » vu Dieu, si ce n'est Dieu. Dieu a révélé ce » qu'il étoit : Sa révélation est un mystère que » la raison ni l'esprit ne peuvent concevoir. » Mais puisque Dieu a parlé, il faut y croire. « Cela est d'un grand bon sens.

L'Évangile possède une vertu secrète , je ne sais quoi d'efficace, une chaleur qui agit sur l'entendement et qui charme le coeur ; on éprouve à le méditer, ce qu'on éprouve à contempler le ciel. L'Évangile n'est pas un livre, c'est un être vivant, avec une action, une puissance; qui envahit tout ce qui s'oppose à son extension. Le voici sur cette table, ce livre par excellence, ( et ici l'empereur le toucha avec respect), je ne me lasse pas de le lire et tous les jours, avec le même plaisir.

Le Christ ne varie pas, il n'hésite jamais dans son enseignement, et la moindre affirmation de lui, est marquée d'un cachet de simplicité et de

faire que d'interminables déclamations, ainsi qu'il arrivoit à M. Cousin sous la restauration. J'en dirai autant des systèmes de panthéisme de M. Pierre Leroux, mais au moins celui-ci en barbottant dans une mare d'idées fausses, est consciencieux , désintéressé, qui rougiroit de toucher les appointemens d'une place qu'il ne rempliroit pas, ou fle recevoir dans un cabinet de ministre de l'instruction publique, pour les pensionner, une sorte de fllle publique, un écrivain rendu à la police. (Note de l'autour),


-73profondeur, qui captive l'ignorant et le savant, pour peu qu'ils y prêtent leur attention.

Nulle part on ne trouve cette série de belles idées, de belles maximes morales, qui défilent comme les bataillons de la milice céleste, et qui produisent dans notre âme le même sentiment que l'on éprouve à considérer l'étendue infinie du ciel resplendissant, par une belle nuit d'été, de tout l'éclat des astres. (1)

Non seulement notre esprit est préoccupé, mais il est dominé par cette lecture, et jamais

(1) Cet éloge est plein de sentiment; Rousseau a dit de l'Évangile, avec un style plus châtié , mais non plus éloquent ; « Ce divin livre, le seul nécessaire à un chrétien, et le plus utile de tous à quiconque même ne le seroit pas , n'a besoin que, d'être médité pour porter dans l'âme l'amour de son auteur et la volonté d'accomplir ses préceptes, Jamais la vertu n'a parté un si doux langage, jamais la plus profonde sagesse ne s'est exprimée avec tant d'énergie et de simplicité. On n'en quitte point la lecture sans se sentir meilleur qu'auparavant. » J.-J. Rousseau est un sophiste , qui a fait beaucoup de mal à la société et à la religion, parce qu'il mêloit, à un sentiment de la vérité qu'il entrevoyoit, les erreurs d'une âme orgueilleuse trop éprise d'elle-même ; mais il avoit du moins lui, cette science, cette énergie, ce génie qui ne se trouvent pas dans les livres , mais dans un travail opiniâtre sur les choses , dans l'élude de soi-même, dans une grande pratique du coeur. Eh! qui mieux que Rousseau en connut les faiblesses et la corruption. Nos orateurs , nos grands écrivains du jour ne sont que des rhétoriciens et des pédagogues qui usurpent avec insolence le nom de philosophes et d'hommes d'état. J.-J. Rousseau avoit trop de vrai savoir pour ignorer la distance qui existe entre un professeur et un homme d'état! Quelle honte pour le pays ! Ce ne sont plus ni des généraux, ni des prêtres, ni des magistrats, qui tiennent les rênes de l'état,


- 94 - l'âme ne court risque de s'égarer avec ce livre. Une fois maître de notre esprit, l'Évangile fidèle nous aime. Dieu même est notre ami, notre père et vraiment notre Dieu. Une mère n'a pas plus de soin de l'enfant qu'elle allaite. L'âme séduite par la beauté de l'Évangile, ne s'appartient plus. Dieu s'en empare tout-à-fait, il en dirige les pensées et toutes les facultés, elle est à lui.

Quelle preuve de la divinité du Christ ! Avec un empire aussi absolu, il n'a qu'un seul but, l'amélioration spirituelle des individus, la pureté de la conscience, l'union à ce qui est vrai, la sainteté de l'âme. Voilà vraiment une religion , et je reconnais là un pontife.

Et ce qui ravit la conviction, ce sont tous les

ce sont des professeurs à qui nos, pères eussent à peine confié la férule de leurs écoles; et ce sont eux qui se comparent à un guerrier qui a fait ses preuves en commandant des armées! Quand ils n'ont fait les leurs que sur les bancs de la Sorbonne. Les ennemis de M. le maréchal Soult eux-mêmes, croient à sa haute capacité d'homme de guerre. Saint Louis, Louis XI, Louis XIV, Napoléon, auroient eu honte de briller par des phrases comme MM. tels et tels...... Mais avec moins de paroles, ils ont fait plus pour |a

France que jamais ne feront nos faiseurs de livres ? et Charles X,

lui-même, qu'ils ont détrôné, a sur MM... etc., nonsentement

nonsentement de la naissance la plus illustre et des qualités de l'âme, mais encore le mérite d'être le vainqueur d'Alger? La postérité lui en tiendra compte; car Charles X a conquis Alger, pacifié l'Espagne, avec son âme de gentilhomme, plus encore qu'avec la valeur incontestée du duc d'Angoulême et de M, le maréchal de Bourmont.

(Note de l'auteur).


-75avantages et le bonheur qui résultent d'une telle croyance. L'homme qui croit est heureux ! Ah vous ignorez ce que c'est que croire ! croire, c'est voir Dieu , parce qu'on a les yeux fixés dans lui! Heureux celui qui croit! ne croit pas qui veut! Tel est le christianisme, qui satisfait complétement la raison de ceux qui en ont une fois admis le principe, qui s'explique luimême par une révélation d'en-haut ; et qui explique ensuite naturellement mille difficultés, qui n'ont de solution possible que par la foi.

Enfin, et c'est mon dernier argument, il n'y a pas de Dieu dans le ciel, si un homme a pu concevoir et exécuter, avec un plein succès,, le dessein gigantesque de dérober pour lui le culte suprême, en usurpant le nom de Dieu. Jésus est le seul qui l'ait osé , il est le seul qui ait dit clairement, affirmé imperturbablement lui-même de lui-même : je suis Dieu, Ce qui est bien différent de cette affirmation : je suis un Dieu, ou de cette autre, il y a des dieux. L'histoire ne mentionne aucun autre individu qui se soit qualifié lui-même de ce titre de Dieu dans le sens absolu. La fable n'établit nulle part, que Jupiter et les autres dieux, se soient eux-mêmes divinisés. C'eût été do leur part le comble de


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l'orgueil, et une monstruosité, une extravagance absurde. C'est la postérité, ce sont les héritiers des premiers despotes qui les ont déifiés. Tous les hommes étant d'une même race, Alexandre a pu se dire le fils de Jupiter. Mais toute la Grèce a souri de cette supercherie; et de même l'apothéose des empereurs romains n'a jamais été une chose sérieuse pour les Romains. Mahomet et Confucius se sont donnés simplement pour des agents de la divinité. La déesse Egérie de Numa n'a jamais été que la personnification d'une inspiration puisée dans la solitude des bois. Les dieux Brama de l'Inde sont une invention psycologique.

Comment donc un juif, dont l'existence historique est plus avérée que toutes celles des temps où il a vécu, lui seul, fils d'un charpentier, se donne t'il tout d'abord pour Dieu même, pour l'être par excellence , pour le créateur de tous les êtres. Il s'arroge toutes les sortes d'adorations. Il bâtit son culte de ses mains, non avec des pierres, mais avec des hommes. On s'extâsie sur les conquêtes d'Alexandre ! eh biert ! voici un conquérant qui confisque à son profit, qui unit, qui incorpore à lui-même, non pas une nation, mais l'espèce humaine. Quel miracle!


- 77 — l'âme humaine avec toutes ses facultés, devient une annexe de l'existence du Christ.

Et comment? par un prodige qui surpasse tout prodige.. Il veut l'amour des hommes, c'està-dire ce. qu'il est le plus difficile au monde d'obtenir : ce qu'un sage demande vainement à quelques amis, un père à ses enfants, une épouse à son époux, un frère à son frère, en un mot, le coeur: c'est là ce qu'il veut pour lui, il l'exige absolument, et il y réussit tout de suite. J'en conclus sa divinité. Alexandre, César, Annibal, Louis XIV avec tout leur génie, y ont échoué. Ils ont conquis le monde et ils n'ont pu parvenir à avoir un ami. Je suis peut être le seul, de nos jours , qui aime Annibal, César, Alexandre... Le grand Louis XIV, qui a jeté tant d'éclat sur la France et dans le monde, n'avoit pas un ami dans tout son royaume, même dans sa famille. Il est vrai, nous aimons nos enfants, pourquoi? Nous obéissons à un instinct de la nature, à une volonté de Dieu, à une nécessité que les bêtes elles-même reconnoissent et remplissent; mais combien d'enfants qui restent insensibles à nos caresses , à tant de soins que nous leur prodiguons, com-


-78bien d'enfants ingrats? Vos enfants , général Bertrand, vous aiment-ils? vous les aimez, et vous n'êtes pas sûr d'être payé de retour... Ni vos bienfaits, ni la nature, ne réussiront jamais à leur inspirer un amour tel que celui des chrétiens pour Dieu! Si vous veniez à mourir , vos enfants se souviendroient de vous en dépensant votre fortune, sans doute, mais vos petits enfants sauraient à peine si vous avez existé... et vous êtes le général Bertrand! Et nous sommes dans une île, et vous n'avez d'autre distraction que la vue de votre famille.

Le Christ parle, et désormais les générations lui appartiennent par des liens plus étroits, plus intimes que ceux du sang, par une union plus sacrée , plus impérieuse que quelque union que ce soit. Il allume la flamme d'un amour qui fait mourir l'amour de soi, qui prévaut sur tout autre amour,

A ce miracle de sa volonté, comment ne pas reconnaître le Verbe créateur du monde?

Les fondateurs de religion n'ont pas même eu l'idée de cet amour mystique, qui est l'essence du christianisme, sous le beau nom de charité.

C'est qu'ils n'avoient garde de se lancer contre


— 79 - un écueil. C'est que dans une opération semblable, se faire aimer, l'homme porte en lui-même le sentiment profond de son impuissance.

Aussi le plus grand miracle du Christ, sans contredit, c'est le règne de la charité.

Lui seul, il est parvenu à élever le coeur des hommes jusqu'à l'invisible, jusqu'au sacrifice du temps; lui seul , en créant cette immolation, a créé un lien entre le ciel et la terre.

Tous ceux qui croient sincèrement en lui, ressentent cet amour admirable, surnaturel, supérieur; phénomène inexplicable, impossible à la raison ; et aux forcés de l'homme; feu sacré donné à la terre par ce nouveau Prométhée, dont le temps, ce grand destructeur, ne peut ni user la force ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage , parce que j'y ai pensé souvent. Et c'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ !!!

J' ai passionné des multitudes qui mouraient pour moi. A Dieu ne plaise que je forme aucune comparaison, entre l'enthousiasme des soldats et la charité chrétienne, qui sont aussi différents que leur cause.

Mais enfin, il fallait ma présence, l'électri-


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cité de mon regard, mon accent, une parole de moi; alors, j'allumais le feu sacré dans les coeurs... Certes, je possède le secret de cette puissance magique qui enlève l'esprit, mais je ne saurais le communiquer à personne; aucun de mes généraux ne l'a reçu ou deviné de moi; je n'ai pas davantage le secret d'éterniser mon nom et mon amour dans les coeurs, et d'y opérer des prodiges sans le secours de la matière.

Maintenant que je suis à Sainte Hélène..., maintenant que je suis seul cloué sur ce roc, qui bataille et conquiert des empires pour moi ? Où sont les courtisans de mon infortune? penset-on à moi?qui se remue pour moi en Europe? qui m'est demeuré fidèle , où sont mes amis? Oui, deux ou trois que votre fidélité immortalise, vous partagez, vous consolez mon exil.»

Ici la voix de l'Empereur prit un accent particulier d'ironique mélancolie et de profonde tristesse : « Oui, notre existence a brillé de tout l'éclat du diadème et de la souveraineté ; et la vôtre, Bertrand, réfléchissoit cet éclat comme le dôme des Invalides, doré par nous, réfléchit les rayons du soleil... Mais les revers sont venus , l'or peu à peu s'est effacé. La pluie du malheur


— 81 — et des outrages, dont on m'abreuve chaque jour, en emporte les dernières parcelles. Nous ne sommes plus que du plomb, général Bertrand, et bientôt je serai de la terre.

Telle est la destinée des grands hommes! Celle de Gésar et d'Alexandre, et l'on nous oublie ! et le nom d'un conquérant comme celui d'un empereur, n'est plus qu'un thème de collége! Nos exploits tombent sous la férule d'un pédant qui nous loue ou nous insulte!

Que de jugements diversion se permet sur le Grand Louis XIV! A peine mort, le grand roi lui-même, fut laissé seul, dans l'isolement de sa chambre à coucher de Versailles... Négligé par ses courtisans et peut-être l'objet de la risée. Ce n'étoit plus leur maîlre! C'étoit un cadavre, un cercueil, une fosse , et l'horreur d'une imminente décomposition.

Encore un moment, voilà mon sort et ce qui va m'arriver à moi-même... assassiné par l'oligarchie anglaise, je meurs avant le temps, et mon cadavre aussi va être rendu à la terre pour y devenir la pâture des vers...

Voilà la destinée très-prochaine du grand Napoléon. . Quel abîme entre ma misère pro-


fondé, et lé règne éternel du Christ prêché, encensé, aimé, adoré, vivant dans tout l'univers... Est-ce là mourir? n'est-ce pas plutôt vivre? voilà la mort du Christ? voilà celle do Dieu!»

L'empereur se tut, et comme le général Bertrand gai-doit également le silence: « Si vous ne » comprenez pas, reprit l'empereur, que Jésus" Christ est Dieu, eh bien! j'ai eu tort de vous » faire général!!! » (1).

(1) Après cette poétique inspiration d'une âme religieuse où respire tout le génie oriental de notre Napoléon, voici la prose d'un de ces professeurs, devenus les héritiers des héros de juillet, de la race de St-Louis et de celle de Napoléon, du doctrinaire M....... , qui

est tout juste sous tous les rapports, l'antipode de Napoléon et l'antipathie de la France, comme ce grand homme en était l'amour et l'idole. Sous la restauration pour complaire à un ami à lui, je fus voir ce roi de notre Chambre des députés : je ne pus m'empêcher de lui exprimer mon opinion sur la nécessité de revenir à la religion, de ne pas la laisser plus long-temps en dehors de la politique, et de finir cette comédie, cette niaiserie, ce mensonge d'une politique qui n'a ni âme ni coeur, puisqu'elle n'a pas de Dieu qu'elle croit remplacer avec un mol : Libéralisme. « La religion, disois-je à M :, est la seule chose vraie et positive , elle est le coeur, l'âme, l'esprit et même le corps d'une nation. Mettre d'un côté la religion, la politique de l'autre, c'est séparer le corps de l'âme, le ciel de la terre, ce qui est le meilleur et l'essentiel en nous de ce qui est accidentel et passager, c'est intervertir le bel ordre, nous ravaler au-dessous des païens, mutiler l'homme, enfin mentir à la conscience et blasphémer la Divinité. » M étoit là avec toute sa morgue ; voici sa réponse qui ressemble assez à celle qu'il donneà ceux qui lui demandent compte' de sa versatilité. « Monsieur j tout cela est vrai pour ceux qui croyent à la divinité du Christ, je ne puis m'y résoudre; mais je


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reconnois que ceux-là ne sont pas conséquents qui y croient et qui ne conforment pas rigoureusement leurs pensées, leurs actions, toute leur conduite, leur vie et leur politique, sur une doctrine aussi parfaite qui pour eux est la vérité absolue, j'en demeure d'accord ; mais je suis protestant, et tout en admettant une supériorité dans le Christ sur tout ce qui a existé, telle qu'il est impossible à mon esprit de l'expliquer ni de la concevoir, néanmoins je ne vois aucun rapport entre l'Évangile et la politique-, et c'est ce qui me retient ; puisque le Christ n'a pas réglé les choses de la terre, puisqu'il a laissé le sceptre à César, je nie crois obligé de recourir à mes lumières et à les suivre pour le réglement de mes affaires et pour celles de la société. » Je pris aussitôt congé

de M Que dire à un être qui se préoccupe de son ventre ou

de son ambition, ce qui est la même chose, jusqu'à nier l'éternité, et qui aime son visage d'une minute , qui sera défiguré demain par la mort, et jeté comme une momie dans les cavaux du PèreLachaise, jusqu'a méconnoître le visage de la sagesse incarnée, du Verbe qui a créé le monde et le temps. Devois-je citer tant de grands hommes qui ont fait de si grandes choses avec la pensée de Dieu ? devois je évoquer les noms des Constantin , des Charlemagne, des Saint-Louis, des Louis XI, des Louis XIV, des Turenne, des Newton et des Pascal, enfin de ce grand Napoléon ? Devois-je apprendre à M que le Christ a dit à Pilate : Je suis le roi des Juifs. Jésus est le roi de ce qui est saint et pur ; vous n'en voulez pas ,

M , à la bonne heure !

( Note de l'auteur).



CHAPITRE III.

SOMMAIRE.

Napoléon pressent sa mort prochaine. — Il en accuse le gouvernement anglais. — La comète de Napoléon et celle de César. Dernière sortie en calèche. — Besoin d'une obscurité profonde.— Examen et condamnation des doctrines de Gall, Cagliostro et de Mesmer. — Doctrine de Napoléon pour connoitre le caractère d'un homme. — Napoléon et l'abbé Buonavila — Ennuis et isolement de l'empereur.—Comparaison entre la fidélité du général Bertrand et celle de MM. le comte Montholon et Marchand.— Le médecin Antommarchi et son impiété —Anecdote à ce sujet. — Mécontentement de l'empereur contre son médecin.—Les médecins matérialistes et les mathématiciens croyants.— Lettre inédite d'Antommarchi. — Réponse inédite, accablante pour le docteur. —fidélité chancelante et victoire sur lui-même du général Bertrand. — Fuite de Sainte-Hélène de M. Gourgaud. — Dévouement sublime et départ de l'abbé Buonavila.—Égards touchants de l'empereur pour le bon abbé. — Première messe de l'abbé Vignali, sermonné pour l'avoir dépêchée. — Une bonne messe. — Nouvelle de la mort de la princesse Élisa.



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CHAPITRE III.

Je suis languissant et tout brisé ; je rugis dans l'inquiétude qui agite mon coeur. Mes forces me quittent; ceux qui m'étoient le plus unis m'abandonnet!. ( Psaume VI, versets 5, 9, 11. )

L'instant, fixé dans les décrets éternels pour la mort de Napoléon, approchait. Usant avec lui de cette clémence dont il use à l'égard de ses amis, Dieu avait achevé ce modèle de sa jouissante main avec l'épreuve des humiliations, les mesurant aussi grandes que le grand homme! Pour lui, il les reçut comme un présent et une grâce de salut qui le préparait à mourir d'une mort chrétienne.

Les âmes vaines se repaissent de vent et de sottises, de chimères et d'illusions; il faut à l'âme de Napoléon là vérité, même celle dé là mort... Depuis Moscou, cette vérité, ce spectre, ont sans


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cesse apparu à ses côtés comme le fantôme de Brutus avec le mot fatal : C'est moi... bientôt tu me reverras et nous serons ensemble. Maintenant c'est l'heure où va s'accomplir le destin du grand Napoléon. La mort est devenue sa compagnie, qui ne le quitte plus , le confident de ses longues veilles, le songe de son sommeil, l'âme de toutes ses pensées, le dernier mot de toutes ses conversations.

Alors Napoléon n'est plus seulement le successeur, mais l'émule de la piété et des vertus de Charlemagne, fidèle avec le scrupule d'un roi et d'un chrétien aux traditions du trône de saint Louis. Comme Louis XVI, s'il proteste contre ses bourreaux, s'il flétrit le gouvernement anglois, il le fait plus par le sentiment de ce qu'il doit à sa dignité d'empereur que par aucun esprit de haine. Mais écoutons-le parler.

Il s'adresse à son médecin anglois, le docteur Arnott, quelques jours avant sa mort, et résumant tous ses griefs, il lui dit : «Je sens que je touche à ma fin; le coup est porté, je vais rendre mon cadavre à la terre: mais approchez, général Bertrand, traduisez à monsieur ce que vous allez entendre : c'est une suite d'outrages


_ 89 - dignes de la main qui me les prodigue. Rendez tout, n'omettez pas un mot. J'étois venu m'asseoir au foyer du peuple britannique; je demandois une loyale hospitalité, et, contre tout ce qu'il y a de droits sur la terre, on me répondit par des fers. J'eusse reçu un autre accueil des autres souverains de l'Europe; mais il étoit réservé à l'Angleterre de surprendre, d'entraîner les rois , et de donner au monde le spectacle inouï de quatre grandes puissances s'acharnant sur un seul homme. C'est votre ministère qui a choisi cet affreux rocher, où se consume en moins de trois années la vie des Européens, pour y achever la mienne par un assassinat. Et comment m'avez-vous traité depuis que je suis exilé sur cet écueil? Il n'y a pas une indignité, pas une horreur, dont vous ne vous soyez fait une joie de m'abreuver. Les plus simples communications de famille, celles même qu'on n'a jamais interdites, vous me les ayez refusées. Vous n'avez laissé arriver jusqu'à moi aucune nouvelle, aucun papier. Ma femme, mon fils même, n'ont plus vécu pour moi. Vous m'avez tenu six ans dans les tortures du secret. Dans celle île inhospitalière , vous m'avez donné pour demeure l'en-


— 99 — droit le moins fait pour être habité, celui où le climat meurtrier du tropique se fait le plus sentir. Il m'a fallu me renfermer entre quatre cloisons dans un air malsain, moi qui parcourois à cheval toute l'Europe. Vous m'avez assassiné longuement, en détail, avec préméditation, et l'infâme Hudson Lowe a été l'exécuteur des hautes, oeuvres de vos ministres. » L'empereur termina par ces mots : «Vous finirez comme la superbe république de Venise, et moi mourant sur cet affreux rocher, je lègue l'opprobre et l'horreur de ma mort à la maison régnante d'Angleterre, »

Comme il prophétisoit sa mort avec ce stoïeisme d'un chrétien rassasié de la vie, voilà qu'une comète parut au-dessus de Sainte-Hélène ; Napoléon songea d'abord, à celle de Jules César, et sembla croire que le ciel lui confirmoit l'arrêt irrévocable de sa propre mort dans un délai très-prochain. Tout ce qui l'environnoit le pressoit d'aller voir ce phénomène ; mais instances inutiles ; un seul, le général Montholon, gardoit le silence» « Vous m'avez compris, vous, » lui dit-il. Bientôt tous les symptômes de la dissolution du


- 91 — corps deviennent visibles pour tout le monde. L'empereur perd l'appétit, il est livide et ne présente presque plus que l'aspect d'un cadavre ; deux fois il veut monter en calèche et il ne peut y parvenir, son effort l'épuisé... Tous ses membres sont crispés par un froid glacial ; il se couche avec des frissons, des grincements de dents; il s'écrie : » Ah! comme je souffre! je le sens, ma mort ne peut être éloignée ! en quel état je suis tombé ! j'étais si actifs si alerte! à peine si je puis à présent soulever ma paupière, je ne suis plus Napoléon!"

J'ai dit que l'empereur aimoit à s'isoler dans l'obscurité; c'étoit une habitude de sa jeunesse qu'il avoit portée sur le trône, cette habitude se fortifia à Sainte-Hélène, et pendant sa maladie devint son besoin et son unique consolation, à tel point qu'il ne vouloit pas de lumière, nonseulement pouf converser avec son médecin où avec ceux qui le veilloient, ou pour donner ses ordres ; mais encore souvent il vouloit qu'on fit même le servi rité... (1)

(1) On lit dans l'admirable Traité do l'oraison mentale, que l'oraison, à un certain degré d'énergie et de vérité , nous porte


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C'étoit dans celte obscurité favorable au re cueillement que Napoléon puisa ces vues profondes, cette sensibilité, ce jugement, ce discernement, toutes ces fleurs variées si délicates, ces pensées fières et mâles et ces fruits exquis qu'on admire dans son langage et qui brillent dans toutes ses actions. Je ne veux pas me détourner de mon but qui est uniquement religieux; cependant, je ne puis me refuser de faire encore une citation de quelques paroles, qu'il prononça dans le mois qui précéda sa mort et où l'on retrouve toute la profondeur, le sens et la sagacité de son immense génie.

On reçut d'Angleterre et de milady Holland un envoi de livres dans lequel se trouvoit une cassette renfermant un buste en plâtre, dont la tête étoit couverte de divisions, de chiffres qui se rapportoiënt au système crâniologique de Gall. L'empereur dit à Anlommarchi : " voilà, docteur, qui est de votre ressort; nous causerons de cela plus tard; on s'amuse quelquefois à considérer jusqu'où peut aller la sotisse. Lavater , Cagliostro, Mesmer, n'ont jamais été mon fait;

comme malgré nous à fermer les yeux , pour ne plus voir les objets extérieurs. Ne semble-t-il pas que Napoléon l'ait deviné en pratiquant naturellement une vérité exprimée par sainte-Thérese.


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j'éprouvois je ne sais quelle espèce d'aversion pour eux. Ce sont des gens qui donnent l'apparence du vrai aux théories les plus fausses. La nature ne se trahi t pas par ses formes extérieures. Elle cache, elle ne livre pas ses secrets. Vouloir saisir, pénétrer les hommes par des indices aussi légers, est d'une dupe ou d'un imposteur. Le seul moyen de connoître ses semblables est de les voir, de les hanter, de les soumettre à des épreuves. Il faut les étudier long-temps, si on ne veut pas se méprendre. Il faut les juger par leurs actions : encore cette règle n'est-elle pas infaillible, et a-t-elle besoin de se restreindre au moment où ils agissent. Car nous n'obéissons presque jamais à notre caractère. Nous cédons au transport, nous sommes emportés par la passion ; voilà ce que c'est que les vices et les vertus, la perversité et l'héroïsme. Telle est mon opinion ; tel a été long-temps mon guide. Ce n'est pas que je prétende exclure l'influence du naturel et de l'éducation; je pense, au contraire, qu'elle est immense. Mais hors de là tout est système, tout est sottise. »

( Mémoires d'Antommarchi. )


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L'empereur auroit voulu que le climat ne fut du moins mortel qu'à lui seul, n'étoit-ce point assez de l'holocauste de sa vie! Préoccupé d'un preseentiement douloureux au sujet de la santé de M.. L'abbé Buonavita, qui, depuis qu'il avoit mis le pied dans, l'île, étoit toujours souffrant, malade , Napeléon avoit pris le parti de lui commande de retourner en Europe, Le docteur Antommarchi, qui fut témoin de cette séparation, a raconté combien elle fut touchante ; un fils obligé de quitter son père ne montre ni plus de tendresse, ni plus de déférence que l'empereur : il assure au bon abbé une pension de 3,000 francs pour le reste de ces jours. Ah ! sans doute il y avoit dans ce départ, dans cette séparation, une arrière pénsée qui brava les yeux d'Hudson Lowe et de l'infâme gouvernement anglois, la pensée d'un fils mourant qui envoyoit à sa mère, à ses frères et aux siens sa dernière parole , son dernier baiser; puisqu'il lui était défendu de les déposer dans une lettre, ce fils auguste les cachoit dans le coeur d'un prêtre catolique.

Mais je manquerais à mon devoir d'écrivain sévère et consciencieux, si je ne disois les ennuis extrêmes et l'isolement où se voyoit réduit


- 95 - l'empereur par le départ de l'abbé buonavita. Déjà MM. Las Cases (1) et Gourgaud avoient indignement déserté le poste de l'honneur et le devoir de la fidélité , en quittant Sainte-Hélène , en y abandonnant l'empereur à sa destinée, aux horreurs de son cachot, fit en ayant l'audace d'abuser même de sa position pour l'empêcher de se plaindre et de flétrir leur fuite.

J'ai dit que Napoléon avpit renoncé à la société de madame Bertrand : à tort ou à raison , il tenoit à sa résolution une fois prise. On tenta vainement de l'en faire revenir ; maintenant l'humeur du général Bertrand s'en aigrissoit. Tous les jours c'étoient de nouvelles altercations, le général, oubliant l'intervalle infini, qui existe entre un sujet et son souverain , et se conduisant plutôt en ancien compagnon d'armes qui parlait à son égal, qu'en serviteur d'un grand monarque, qui avoit le sacre de l'élection du peuple et du pontife, et de plus le sacre d'une adversité inouïe.

L'empereur en souffroit au point d'avoir agité

(1) M. de Las Cases est pour le monde libéral une sorte de saint; et je sais que M. de Las Cases, dans sa vie privée, est un honnête homme dans le sens du monde. Mais ce que j'affirme, c'est qu'il n'est pas un héros de fisélité. Je prie le lecteur de restreindre ainsi mes griefs contre lui; je ne dis et ne veux rien dire de plus. Les libéraux qui ne sont qu'amour-propre et orgueil, ne savent garder au-


- 96 - bien souvent avec le général Bertrand la question de son départ de l'île, lui promettant d'user à son égard des mêmes procédés, de la même compassion exquise et discrète qui avoient présidé à l'éloignement de MM. Gourgaud et Las-Cases. Enfin le général Bertrand avoit accepté; lui aussi fut à la veille de déchirer son brevet d'immortalité. Déjà le jour et l'heure sont fixés et le navire ; c'est le même qui alloit bientôt emmener le bon abbé Buonavita.

Ainsi l'empereur restoit seul , isolé , avec MM. Montholon et Marchand, que le testament de l'empereur a réunis en appellant l'un son fils et l'autre son ami; et l'empereur disoit : « HudsonLowe triomphe; qu'un jour ou l'autre il m'enlève

cune mesure dans leur éloge ou dans leur blâme ; cependant le sage dit : in medio stat virtus. M. de Las Cases peut avoir toutes les vertus qu'on voudra et que ses amis préconisent ; mais si ses amis prétendent qu'il a été un héros de fidélité à Sainte-Hélène, je leur rirai au nez. Louis XIV avoit de grandes vertus, mais étoitil chaste ou humble ? Napoléon a gagné bien des victoires, mais il a été vaincu une fois à Leipsik et à Waterloo. Il étoit frugal dans ses repas, et cependant il est à ma connoissance qu'il a été gourmand , une fois dans sa vie, d'une manière honteuse. Je demande pardon à M. de Las Cases d'être obligé d'écrire son nom et de le confondre avec celui de M. Gourgaud. Je reconnois qu'il y a une ditférence entre le départ de l'un et le départ de l'autre de Sainte-Hélène, et bien marquée dans le testament de l'empereur, où le nom de M. Gourgaud né se trouve pas, tandis que l'indulgence y a écrit celui de M. de Las Cases.


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Montholon sous un prétexte qu'il inventera, il me séparera ensuite de Marchand et de mes autres serviteurs ,: et puis on me livrera à des sbires et il sera aisé de hâter le terme fatal par un crime. Hudson Lowe ne fait-il pas tous les jours des calculs sur ce que je coûte d'argent à son gou - vernement; ses calculs sont ceux de l'impatience des ministres et de la maison régnante; on trouve que je tarde bien à mourir; certes, leur haine est bien forte pour qu'elle ne cède pas à une dépense de quelques milliers de livres sterling; mais enfin l'avarice et la haine peuvent s'en tendre, et l'on dira à l'Europe que l'empereur Napoléon; s'est suicidé, pu qu'il est mort de maladie, et personne ne pourra y contredire. »

Néanmoins à la veille de partir, le général Bertrand eut une défaillance ; sa mémoire sans doute lui rappela tout ce qu'il avoit dit à M. de Las Cases, les motifs si touchants par lesquels il avoit essayé de le retenir ! enfin la vertu triompha ; le général Bertrand fut fidèle ! honneur à lui! La postérité lui pardonnera ses incertitudes ; car le pardon est inséparable du triomphe de la fidélité ! ne nous étonnons point ni du triomphe ni de la tentation à laquelle il


-98fut

-98fut de succomber. Il étoit la personnification de l'armée; et il en résuma ce dévouement qui prvient plutôt de l'instinct que de l'âme. La fidélité du général Montholon fut celle d'un gentilhomme français rallié à là monarchie autant qu'à un grand homme; M. Marchand est une touchante personnification du dévouement proverbial du peuple à ses rois. Honneur à lui et à ceux qui, dans le contact de la noblesse et de la royauté, s'y mêlent jusqu'à se confondre dans l'unité, Jusqu'à s'assimiler au souverain luimême ! Honneur à l'unité prodigieuse de Napoléon qui sauva la France des mains parricides qui conjurent sa ruine, et qui la défendit contre ses propres fureurs , comme autrefois le pouvoir royal l'avoit si long-temps protégée contre la fureur de l'étranger! Honte et malédiction sur les ennemis de cette unité, qui a reconstruit comme elle avoit créé la société ! ! !

Il me reste à juger un homme que sa vanité autant que l'erreur d'un mauvais choix avoienl conduit à Sainte-Hélène, je veux parler dû docteur Antommarchi. Ses Mémoires, qui sont ceux de l'agonie de l'empereur, sont aussi ceux de la sottise de l'auteur qui se met lui-même en scène


- 99 - avec un bavardage et un orgueil vraiment risibles, si le lieu et le sujet ne le défendoient... Antommarchi fut une croix d'autant plus pesante pour l'empereur qu'il l'a voit en quelque sorte tous les jours dans son intérieur. C'étoit un de ces moqueurs de ce qu'il y a de plus noble et de plus saint, qui élèvent la voix dans les places publiques ou dans les cafés d'une ville de province, et qui pérorent avec insolence contre nos prêtres et nos croyances, enfin pour tout dire en un mot, un de ces médecins qui sont les valets des vices et des mauvaises passions de leurs clients imbécilles ou d'un public lâche et désoeuvré. Tel étoit le médecin adressé à l'empereur, et qui bientôt fut le commensal habituel de la maison du général Bertrand; quel renfort pour l'impiété ! mais quel renfort aussi pour la religion que deux missionnaires catholiques !

Qu'on juge de l'impiété d'Antommarchi par le trait suivant, que je prends au hasard dans les Mémoires d'Antommarchi lui-même :

Le 18 novembre 1820, comme Napoléon disposoit une touffe de haricots, il aperçut des radicules et se mit à discourir sur les phenomènes de la végétation; il les analysoit, les discutoit avec sa sagacité ordi-


naire, et en concluoit l'existence d'un être supérieur qui présidoit aux merveilles de la nature : «Vous autres médecins, vous ne croyez pas; docteur, vous n'avez jamais rencontré l'âme sous votre scalpel; vous ignorez où elle réside.. Il n'est pas de médecin qui croie en Dieu, mais il n'en est pas ainsi des mathématiciens qui sont ordinairement religieux. Le nom de Dieu se reproduit sans cesse sous la plume de Lagrange. Du reste, vous êtes, messieurs les médecins, ajouta-t-il, aussi poltrons que peu crédules. Sitôt que le canon tonnoit, vous n'y étiez plus. » (Antommarchi. )

Comme Antommarchi déplaisoit souverainement à l'empereur, à cause de son amour-propre, de sa fatuité et de son impiété, il est tout simple qu'Antommarchi à son tour ne fût pas très-jaloux de prolonger son séjour à Sainte-Hélène. La lettre suivante, dont j'ai l'original, le prouvera, tout entière écrite de la main du docteur, en italien ; en voici la traduction :

Sire, L'intérêt seul et le zèle de servir Sa Majesté et de lui être utile par ma profession, m'ont engagé à venir dans ce triste lien. Maintenant ce même intérêt et ce zèle me guident aujourd'hui que j'ai l'honneur d'être auprès de Sa Majesté; mais réfléchissant sur ma situation actuelle et la position pénible et difficile où je me


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trouve, en un mot le désordre moral et physique que j'éprouve ici, m'obligent, après les aimables et trèsobligeantes offres que Sa Majesté a daigné me faire cette nuit, à lui demander humblement pardon, en pré - sentant à Sa Majesté la demande que fait un des plus habiles chirurgiens pour me remplacer, afin de m'éviter de celte manière certains inconvénients qui pourroient naître à mon désavantage. Cependant j'aurai l'honneur de continuer à servir Sa Majesté et à lui obéir conformément à mon devoir, jusqu'à ce que mon remplaçant arrive, et tant qu'il plaira à votre Majesté. Je profite de cette occasion pour assurer Sa Majesté de ma dévotion sincère et de mon respect.

J'ai l'honneur d'être, Sire, De Votre Majesté Le très-obéissant et très-dévoué serviteur.

François ANTOMMARCHI. Longwood, 31 janvier 1821.

Comme on le voit, Antommarchi convient de ses torts en demandant humblement pardon , voici la réponse de l'empereur :

Longwood, 4 février 1821.

L'empereur prenant en considération, monsieur,

le désir que vous manifestez, dans votre lettre du

51 janvier dernier, d'opérer votre retour en Europe,

vous autorise à vous adresser à l'officier anglois com-


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mandant à Sainte-Hélène pour qu'il facilite votre traversée. S il étoit possible qu'il vous plaçât sur le même bâtiment que l'abbé Buonavita, votre assistance seroit d'une grande utilité à ce vieillard moribond pour les accidents qui peuvent lui advenir dans un si long voyage. Depuis quinze mois que vous êtes dans ce pays, vous n'avez donné à Sa Majesté aucune confiance dans votre caractère moral ni dans vos connaissances médicales, vous ne pouvez lui être d'aucune utilité dans sa maladie, et votre séjour ici quelques mois de plus seroit sans objet.

J'ai l'honneur d'être Votre très-humble et obéissant serviteur.

Signé MONTHOLON. (Minute renfermée dans les portefeuilles de Sainte-Hélène.)

Comme on le voit, ce n'étoit pas seulement Hudson-Lowe qui torturoit l'empereur ; depuis la campagne de Moscou , tout s'étoit soulève contre lui, même les éléments pour l'accabler ; à Sainte-Hélène, ce sont ses serviteurs, son médecin lui-même, qui achèvent son existence avec des coups d'autant plus cruels, qu'ils parlent de la main de laquelle il attendoit au lieu d'un surcroît d'amertume la douceur de quelque consolation ; ainsi l'heure de l'agonie de


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l'empereur est celle que son médecin choisit pour solliciter et obtenir de retourner en Europe; et ce fut à cette époque que le général Bertrand lui-même put la plus forte tentation de partir avec sa famille et de laisser l'empereur. Ah ! général Bertrand, vous vous drapez actuellement avec un orgueil qui n'est que juste dans le manteau de votre fidélité; bénissez l'ange qui vous a retenu, bénissez l'empereur. Ce sont eux qui vous ont empêché de commettre un attentat qui eût été un suicide. Jouissez de votre victoire, jouissez-en; car il est glorieux de s'être vaincu soi-même ; oui, il y a entre vous et M. le général baron Gourgaud, l'abîme d'une fuite que la postérité stigmatisera! vous avez été fidèle jusqu'à la fin ! vous avez résisté à votre chair, à vos aises, à votre humeur, à ce libéralisme infâme qui veut nous persuader que les princes sont des hommes comme les autres hommes ( 1 ),

(1 )« Un roi est un homme comme un autre, va répétant l'esprit révolutionnaire , donc je peux le détrôner, l'insulter, le juger, le décapiter. » Quel sophisme infernal ! avec lequel on a jugé, décapité Louis XVI, Marie-Antoinette et la saur du roi. Que dirait un libéral à son domestique si celui-ci se prévalant qu'il est un homme aussi bien que son maître, refusoit d'obéir et de faire son service; Eh bien ! il est aussi absurde à un sujet de traiter d'égal à égal avec son roi; rien de plus faux et de plus dangereux que ce sophisme qui pendant un temps m'a abusé moi-même, jusqu'à me


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parce qu'il ignore-la vérité, parce qu'il est 1 ennemi de la hiérarchie sociale qui dérive de la nature des choses. Non, celui qu'une nation a appelé à régner sur elle, sur le front duquel un pontife a versé l'huile sainte, non, non, il n'est pas un homme comme un autre ; car il a le caractère: de père, de maître et de représentant de la Divinité avec le nom d'empereur ! vous

faire voir que les assassins de la reine et de la soeur du roi pouvoient être excusés; j'écoulois des idées qui m'avoient été suggérées, et contre lesquelles mon coeur protestoit intérieurement comme malgré moi. Quelle perversité ou quel aveuglement pour excuser Robespierre, Danton, Saint-Just, Billaud de Varenne, tous ces monstres à face humaine, comme les appelle Napoléon qui les avoit vus de près, et pour ne rien trouver en faveur de l'innocence de Louis XVI. Ce prince a dit du haut de l'échafaud ce qu'il avoit écrit dans son testament : « Je déclare devant Dieu, et prêt à paroître devant lui, que je ne me reproche aucun des crimes que l'on a avancés contre moi.» Il est un autre sophisme qui est reçu parmi les libéraux et parmi les révolutionnaires comme un principe incontestable, savoir que les résultats de la révolution excusent sinon les révolutionnaires du moins la révolution. Comment les libéraux font-ils un crime aux jésuites dé cette maxime que ceux-ci ont toujours désavouée : La fin justifie les moyens. D'ailleurs n'est il pas évident pour tout homme de bonne foi, que tout ce qui s'est fait de bien dans la révolution a été voulu non-seulement par le roi, mais par tous les honnêtes gens et a été opéré avec leur concours, tandis que les crimes de la révolution n'appartiennent qu'à la révolution et aux révolutionnaires. M.. .... a dit dernièrement à la tribune : Je suis un révolutionnaire honnête»; quel accouplement monstrueux ! J'aimerois autant : un fripon honnête. Qu'on y réfléchisse bien : le salut de la France nous oblige à reconnoître que la révolution provient d'un esprit radicalement mauvais , qui ne fait qu'un avec l'esprit, de l'enfer, c'est la conviction de mon age mûr, formée dans la retraite, l'étude et la prière!!!, (Note de l'auteur.)


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êtes un fils glorieux de la France, général Bertrand; honneur à vous, honneur aux fidèles partout où ils se trouvent ! votre nom arrivera à la postérité paré de cette auréole!

Le médecin Antommarchi demeura à SainteHélène, parce que le général Bertrand y demeura.

Le bon abbé Buonavita, chargé des instructions de l'empereur, par obéissance quitta seul Sainte-Hélène; ce départ fut un acte de résignalion , un sacrifice héroïque ; car c'étoit fuir la mort pour la trouver plus sûrement : l'abbé Buonavita plus que sexagénaire, à peine arrivé, à peine reposé de ses fatigues, se rembarque pour recommencer le voyage le plus pénible. 0 miracle d'un coeur chaste, qui a Dieu avec soi et qui accomplit sans peine et comme naturellement ce qui est le plus opposé à la nature et ce qui est le plus parfait! Mais pourquoi m'é tendre davantage? pourquoi louer le bon abbé? en faisant une action sublime, il a été prêtre et voilà tout! Ah, que l'empereur, qui avoit aussi, lui, un caractère sacré, comprit bien cette abnégation, ce dévouement sublime. Il est des larmes intérieures qui ne sont connues que de certaines âmes! ce sont celles qui inondèrent


— 106 — le coeur de Napoléon, quand il fit ses adieux au bon ahbé! Ecoutons Antommarchi nous raconter à son insu quelque chose de cette douleur impériale: L'empereur me dit (à Antpmmarchi): « Docteur, accompagnez ce bon vieillard à JamesTown; rendez-lui tous les soins, donnez-lui tous les conseils qu'exige un si long trajet. » Quand je fus de retour : —Est-il embarqué ? demanda Napoléon. — Oui, sire. — Commodément?-— Le navire paraît bon. —L'équipage?—Bien composé. — Tant mieux, je voudrois déjà savoir ce brave ecclésiastique à Rome, et quitte des accidents de la traversée. Sans doute le pape lui fera bon accueil. Sans moi, où en serait l'Église (1)?

C'est sans doute après le départ de l'abbé Buonavita qu'il faut placer l'anecdote suivante:

« Le jeune abbé dont jusque-là c'étoit le devoir de dire la messe chez madame la comtesse Bertrand, y avoit, à ce qu'il paroît, pris l'habitude de la dire beaucoup trop preste(1)

preste(1) pouvoit accomplir par un antre bras le triomphe de l'Église catholique en France; je le sais. Cependant si Dieu a. choisi Napoléon; c'est que Napoléon justifioit ce choix par de certaines qualités personnelles et la correspondance aux desseins de Dieu sur lui, et il a bien raison de s'en glorifier. Le pape Pie VII l'entendoit ainsi quand il disoit : « Après Dieu c'est à lui que nous devons le rétablissement de la religion en France.»


— 107 — ment; c'étoit une concession au général Bertrand, qui pensoit en faire lui-même une plus grande encore en consentant à entendre la messe ou à la laisser dire dans sa maison. Quoi qu'il en soit, le jeune abbé, sans doute par imitation et réminiscence de ce qui se faisoit aux Tuileries, le premier jour dépêcha sa messe. L'empereur s'aperçut de cette flatterie détournée, mais ce ne fut pas pour le complimenter. « Vous allez trop vite, beaucoup trop vite, monsieur l'abbé; pourquoi cela? quelle excuse? qui nous presse ici? A l'avenir dites-nous la messe, une bonne messe (1).

Ce fut vers cette époque, que l'empereur apprit la mort de sa soeur la princesse Elisa; cette nouvelle rappelle Napoléon à cette idée fixe de sa fin prochaine : « Je n'ai plus ni forces, ni activité, ni énergie. Je ne suis plus Napoléon, dit(1)

dit(1) tiens cette anecdote touchante et instructive de M. le comte de Montholon , qui étoit présent. Quelle leçon pour ceux d'entre les jeunes abbés qui dépêchent leur messe comme s'ils étoient pressés d'aller à quelque chose de mieux. Pauvres jeunes abbés Ah! que vous vous rendez coupables en vous faisant mépriser! En laissant quelque doute dans les esprits des fidèles sur la sincérité de votre foi et de votre vocation, ne craignez-vous pas d'entendre un jour votre condamnation sortir de la bouche de notre maître avec ces mots pathétiques ; « C'étoit une bonne messe que j'offrois pour vous, moi, te jour de ma passion sur le Calvaire !!! »


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il à son médecin ; vous cherchez en vain à me rendre l'espérance , à rappeler la vie prête à s'éteindre; vos soins ne peuvent rien contre la destinée ; elle est immuable. La première personne de notre famille qui doit suivre Elisa dans la tombe , est ce grand Napoléon qui végète , qui plie sous le faix et qui tient encore l'Europe en alarmes. »

L'anecdote suivante est racontée par Antommarchi. Un soir, l'empereur s'étoit endormi pendant la lecture; tout d'un coup il se réveille et demande de quoi il s'agit ! «Sire, des prêtres, des embarras qu'ils vous ont suscités , de leurs intrigues ? — L'auteur extravague ! s'écrie l'empereur; ils furent tous pour moi, je n'ai eu qu'à m'en louer, ce sont eux qui m'ont le mieux servi et dont j'ai eu le moins à me plaindre ( 1 ). »

(1) Cette anecdote est curieuse, parce qu'elle résume l'opinion de l'empereur sur la conduite du clergé pendant son règne. Quel est l'homme qui a passé au pouvoir dans ces derniers temps, qui ne reconnoisse que le clergé est le corps le plus utile et le moins coûteux à l'état. Les coryphées eux-mêmes du libéralisme, MM Thiers, Cousin , Guizot, Dupont de l'Eure , Villemain , Laffitte , etc. , ne sont pas les derniers à en convenir ; mais il reste encore deux ou trois maniaques, tels que MM. Isambert et Boulay, qui font chorus avec les libertins, de bas étage , et qui diffèrent d'opinion avec Napoléon sur le clergé. (Note de l'auteur ).


CHAPITRE IV.

SOMMAIRE.

L'empereur averti de se préparer à mourir.—Il redemande un testament au général Bertrand. — Second testament. — Fletrissure imprimée à Talleyrand, à La Fayette , à Augereau et à Marmont. — Pardon des injures. — La légitimité de son titre d'empereur. — Son testament est un résumé de sa vie politique. — Son premier valet-de-chambre Marchand. — Explication de sa sévérité à l'égard du général Bertrand, et de son indulgence pour Marie-Louise.—Legs à l'abbé Vignali. —Résigné à mourir. — Appel à ses braves qu'il va revoir dans l'autre monde.—Refus de voir madame Bertrand.—Motifs de cette sévérité.



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CHAPITRE IV.

Mon coeur s'est enflammé au dedans de moi; mes réflexions y ont allumé un feu, et ma langue a enfin proféré ces paroles ; je vois que vous avez réduit mes jours à une mesure bien petite; et que ma vie est comme un néant devant vous; certes, tout homme, même le plus puissant, est un abîme de vanité. (Psaume 38, verset, 4, 6.)

Ce fut le 5 avril que l'on perdit toute espérance ; ce jour-là le médecin reconnut que la maladie étoit mortelle, et comme c'étoit son devoir , il prévint MM. les comtes Bertrand et Monlholon que la crise étoit prochaine; sans doute les idées d'Antommarchin étoient pas les mêmes quelques jours auparavant ! autrement quelque désir qu'il eût de voyager en compagnie du comte Bertrand et de revoir l'Europe et l'Italie, il n'eût pas songé à solliciter lui-même son éloignement ! Suivant l'étiquette des têtes couronnées , l'em-


pereur devoit être averti; il le fut par le comte Montholon (1).

(1) Les libéraux ne sont pas partisans de l'étiquette ; le mot seul est pour eux quelque chose de gênant, de ridicule et de stupide, qui tout de suite leur fait faire la grimace ou leur désopile la rate ; à la bonne heure ! Cependant l'étiquette qui régloit les différents services de la maison des rois de France, et les rapports publics ou privés de la souveraineté , ne fut pas absolument inventée par de petits esprits, ou par des princes imbéciles ; car l'étiquette se forma et s'établit successivement par la volonté des plus grands princes qui furent les fondateurs de la monarchie. Ainsi Charlemagne la fonda et Marie-Antoinette la détruisit. Qu'on me permette d'intercaler ici une anecdote que je tiens d'une dame qui étoit de la société de la reine. Certes jamais la reine n'a manqué à ses devoirs, comme le tyran Robespierre osa bien l'en accuser le jour où elle monta sur l'échafaud ; mais personne ne peut nier qu'elle n'ait fourni elle-même des armes à la calomnie, en mettant de côté l'étiquette, et en apportant à la cour de France la liberté de la cour du roi son père et les usages qui peuvent convenir en Allemagne, mais qui ne sont pas compatibles avec le caractère françois. Mille rumeurs indiscrètes cituùvient contre la reine, qui pouvoient enfin venir aux oreilles du roi. Madame Victoire , la tante du roi, en eut peur , et dans l'intérêt de la reine , elle manda l'abbé de Vermont qui étoit le mentor de la reine , d'autant plus écouté d'elle qu'il lui avoit été donné par sa mère et qu'il étoit venu en France avec la reine , «Monsieur, lui dit la princesse, pouvez-vous ignorer les bruits de la cour et ne seroit-il pas sage d'en avertir la reine? — Ah ! madame , dit l'abbé , qu'une reine auroit à faire , si elle vouloit empêcher le monde de médire ? — Monsieur, tout ce que je dois ajouter et ce que je vous permets de répéter, c'est que la reine ma mère n'a jamais fourni de prétexte ah moindre mot qui pût déplaire au roi mon père. » L'étiquette de la cour est une imitation de celle qui préside au cérémonial auguste de l'église romaine, lequel est une imitation des formes de l'âme et j'oserai dire une image,

presque l'énumération des vertus organiques de l'esprit de l'homme; l'étiquette est la nécessité de toute maison et de toute société bien

réglée : tellement que Napoléon qui avoit naturellement toutes


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Il apprit, avec le calme de quelqu'un qui s'y attendoit, la signification de cet arrêt fatal de son médecin. Aussitôt rappelant la même énergie avec laquelle il commandoit autrefois à son corps, il se hâte de mettre ordre à ses affaires spirituelles et temporelles. Il avoit fait un testament qui étoit dans les mains du général Bertrand, l'empereur n'hésita pas à le redemander pour le détruire avant que d'en écrire un autre beaucoup moins favorable sans doute au général (1).

A partir de cet avertissement lugubre, l'empereur n'eut plus qu'une idée, celle d'accomplir ses devoirs , et de signifier ses dernières volontés , comme homme, comme chrétien et comme empereur ! il étoit résigné , mais sa

les idées d'organisation, parce qu'il étoit un homme complet, dont l'âme étoit une âme de prince, n'eut rien de plus pressé que de rétablir l'étiquette. L'étiquette reparut donc en même temps que l'ordre , la société, le trône et la noblesse sous l'égide de ce grand homme ! (Note de l'auteur.)

(1) M. Marchand me racontant ce détail, me disoit : « Je reçus des mains de l'empereur le premier testament pour le brûler; peutêtre c'étoit un document curieux à conserver à la postérité ; peutêtre ma désobéissance eût été un sentiment de culte ? néanmoins je n'hésitai pas, je jetai an feu ce précieux autographe: je crus que c'étoit le mieux d'exécuter à la lettre un ordre de confiance.» (Note de l'auteur.)


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résignation étoit ce sentiment magnanime qui domine la mort elle-même. Alors on vit sa foi paroître en même temps que ses passions s'affoiblir, et sa croyance se ranimer, et teindre d'un vif et solennel éclat les tristes ombres de l'agonie la plus douloureuse.

La politique ne lui est plus de rien ; mais, préoccupé des principes , il se doit à lui-même de protester contre les crimes de la politique dont il expire la victime. Il flétrit les souverains qui n'ont été ni cléments ni justes envers l'oint de Dieu, qui a jeté tant d'éclat sur la souveraineté, qui l'a restaurée non-seulement en France, mais dans l'esprit des hommes, et qui a usé tant de fois de la victoire à l'égard des rois avec une modération insigne. L'empereur laisse tomber de sa plume un foudroyant anathème sur les noms de Talleyraud, de La Fayette, d'Augereau et de Marmont. La postérité confirmera cet anathème contre La Fayette et Talleyrand comme les auteurs des traités de Paris et de cette Charte (1), dont le mensonge pèse encore

(1) Montesquieu, dans sa belle définition de la loi, dit : La loi est l'expression des rapports qui dérivent de la nature des choses. Ce qui distingue l'homme des autres êtres, c'est la conscience. La conscience se manifeste par le sentiment, et l'idée de Dieu est identique, simultanée avec la conscience, et est même antérieure


— 115 — sur la France, quoiqu'elle ait été également déchirée avec la même colère et le même mépris en 1830 et par le peuple et par la royauté. En flétrissant Talleyrand et La Fayette, l'empereur flétrit ceux qui sont dévoués à un système, à des utopies plus qu'à la patrie et au souverain, qui s'aiment eux-mêmes et écoutent leur individualité et leur ambition plus que la conscience, les principes, la religion et la France, et qui mettent des formes de gouvernement avant le gouvernement, avant l'empereur qui seul auroit pu nous sauver de l'invasion ! En flétrissant Augereau et Marmont, l'empereur flécomme

flécomme principe. Ce principe enveloppe, domine, absorbe l'homme, considéré isolément et à fortiori comme être social. Aussi chez tous les peuples de l'antiquité, la religion est le fait essentiel, primordial, qui commande à tout et n'obéit à personne. La révolution françoise est arrivée tout droit à l'athéisme comme à une conclusion. Bonaparte, en s'intitulant empereur par la grâce de Dieu, renia la révolution avec tout le mépris qu'il avoit pour l'athéisme, et, en rouvrant les églises, il se déclara hautement chrétien. La charte de 1814 relégua la religion à une place secondaire, ce qui équivaut à une négation. Car, si la religion est vraie, elle est avant tout, et fausse, c'est un pur néant. Quelle est l'opinion de la Charte de 1830, laquelle a enchéri sur sa soeur aînée en rejetant absolument la religion hors de l'état ? Quelles en seront les suites ? « La loi est athée et doit être athée, » a dit M. Barrot, le penseur du parti libéral, profond penseur en vérité, plus profond que Robespierre, qui proclama l'existence de l'Être suprême comme une nécessité sociale. A vous donc le pouvoir, M. Barrot ! Vous étiez préfet de la Seine, quand on a démoli l'Archevêché de Paris; peutêtre vous serez ministre pour démolir les Tuileries!(Notede l'auteur.)


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trit le soldat qui raisonne au lieu d'obéir, qui se préoccupe de son intérêt et de son ambition jusqu'à étouffer le cri de l'honneur; maisencondamnant les traîtres, l'empereur pense moins à lui qu'à la justice et au salut de la France, puisqu'il ajoute : Je leur pardonne, puisse la postérité française leur pardonner comme moi! Le pardon des injures est la vertu et comme le caractère propre d'un chrétien ! aussi le mot pardon se trouve à chaque page du testament de Napoléon.

Ainsi , après avoir nommé sa bonne et trèsexcellente mère , ses frères et soeurs, Eugène et Hortense, qu'il remercie de l'intérêt qu'ils n'ont cessé de lui porter, il écrit ces mots touchants : Je pardonne à mon frère Louis le libelle qu'il a publié en 1820.

Tout le testament est un portrait au vif de la ressemblance morale de Napoléon , où il s'est représenté lui-même dans la nudité de son être intime. Chaque mot est une révélation de son coeur ou de son esprit, et dans l'ensemble des dispositions, on retrouve un abrégé de sa vie et trait pour trait toute sa physionomie intellectuelle , son âme elle-même avec ses qualités et ses vertus, avec son caractère héroïque,


mais aussi avec ses foiblesses et ses passions. Ce qui paroît davantage, c'est le besoin d'agir sur les hommes, c'est l'ambition, c'est la passion de la politique, c'est l'amour des grandeurs, c'est le prince. Quelle préoccupation dans un moment aussi solennel ! Et quelle preuve de sa conviction de la légitimité de son titre d'empereur! Plus la fortune l'humilie et plus il s'élève ; plus l'infâme geolier de l'Angleterre fait d'efforts pour l'avilir et lui ravir le diadème, et plus il le retient à son front. 0 puissance de l'âme ! déjà la vie s'est retirée de tous ses membres et sa tête en expirant, lance les mêmes éclairs et la même majesté dont elle étinceloit jadis, quand l'empereur jeune et victorieux , signifioit aux rois ses volontés et distribuoit des trônes à ses com pagnons d'armes. 0 vous qui niez la vérité de lame, approchez, contemplez ce moribond, écoutez ses pensées. Tel qu'il étoit sur le trône, tel il est dans son agonie! C'est la même équité pour récompenser et punir , pour décerner le blâme et l'éloge, la même mémoire des noms et des services , la même élévation et la même justice dans les sentiments , la même hardiesse de logique, le même empire sur soi-même , la


— 118 — même impartialité , la même force d'âme , la même sensibilité, la même indulgence, le même héroïsme, la même religion. Je dis plus : l'anéantissement du corps fait ressortir davantage la beauté et la vérité de l'âme. En se dégageant du corps, elle brille comme un soleil qui brise Le réseau des nuées obscures. Approchez aussi, juges de la terre, rois qui êtes assis sur des trônes; approchez du lit de mort de l'empereur pour y recevoir l'instruction d'un maître dans l'art de régner, d'un souverain donné à la terre et dressé par Dieu même pour ses desseins à lui! Écoutez et pesez bien ses dernières paroles, recueillez les lueurs qui éclairent d'une soudaine lumière tous les mystères de sa politique. Pour moi, obligé de me renfermer dans mon sujet, Je ne veux, je ne dois parler que de la religion et me taire sur tout le reste.

Le testament commence par ces mots : Je meurs dans la religion apostolique et romaine. C'est ainsi que Napoléon se déclare chrétien tout d'abord et sans user d'aucune dissimulation, comme il l'avoit proclamé jadis en prenant les rênes du pouvoir suprême. Ensuite il décerne à ses amis , à ses serviteurs , des ré-


— 119compenses qui sont une juste appréciation de leurs services et de leur fidélité. Usant du droit qui est inhérent à un souverain, il élève son premier valet-de-chambre Marchand , jusqu'à l'honorer du nom de son ami; sa justice, image de celle de Dieu, pose en principe, que tous ceux qui lui ont été dévoués, ont les mêmes droits et sont égaux à ses yeux ; ce qui ressort de cette recommandation à Marchand d'épouser la veuve, la fille ou la soeur d'un officier ou soldat de son armée. S'il refuse au comte Bertrand aucune autre marque d'intérêt qu'une somme d'argent, c'est que l'empereur place Dieu et les principes avant l'amitié; il déclare ainsi, à la face de l'univers, qu'il est uni avec le comte Bertrand par le hasard fortuit des événements politiques, mais qu'il n'a point avec lui la communauté des principes et des croyances (1). Combien cette sévérité coûte à l'empereur, lui qui est si heureux d'aimer et de pardonner ! qu'on en juge par les codicilles écrits à la hâte et la veille de sa mort; sa sensibilité s'é(1)

s'é(1) ne sommes pas aussi éloignés qu'on le croit , de voir ces sottes et vagues classifications des partis libéraux, ultra, constitutionnels , parlementaires , dynastiques, tomber pour faire place à ces classifications réelles et significatives : religieux, croyant, chrétien , incrédule , impie. Le mot républicain, tant qu'il ne sera pas défini avec précision, n'est et ne peut être que le drapeau de la révolte et de la niaiserie. Je dis la même chose du mot révolutionnaire. (Note de l'auteur).


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meut et lui inspire un moyen de concilier la justice et l'indulgence; il prend de nouveau la plume , pour recommander le général Bertrand à Marie-Louise , afin qu'elle lui fasse rendre 30,000 francs de rente qu'il possède dans le duché de Parme et sur le Mont-Napoléon de Milan , ainsi que les arrérages échus.

Mais il n'est rien qui puisse donner une idée de l'empire de Napoléon sur ses passions plus que le codicille qui regarde Marie-Louise. Il hésita long-temps avant de le tracer, et on l'entendit s'écrier : « Être Corse et pardonner un tel outrage! » Et il ajoutoit : « Quoi donc ! la justice elle-même ne me convie-t-elle pas à la flétrir , à l'abîmer! « Puis s'arrêtant, il disoit avec une réflexion plus mûre : « C'est la mère de mon fils, qui reste seule pour veiller sur ses jours. Eh! que puis-je d'ailleurs, moi misérable proscrit, captif, que puis-je contre la fille de César? Mon anathème ira se perdre dans les airs, ou retombera sur moi , sur mon fils. Elle est coupable , et moi , suis-je innocent ? Elle a besoin de pardon et moi qui vais paroître devant Dieu , n'en ai-je pas besoin? " Ce fut après ce colloque avec lui-même que l'empereur écrivit : Je conserve jusqu'au


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dernier moment à ma très-chère épouse MarieLouise les plus tendres sentiments , je la prie de veiller pour garantir mon fils des embûches qui environnent encore son enfance (1).

II est deux legs de ce testament que nous devons encore transcrire :

Je lègue à l'abbé Vignali cent mille francs. Je désire qu'il bâtisse sa maison près de Ponte-Nuovo de Rostino.

Je charge l'abbé Vignali de garder les vases sacrés qui ont servi à ma chapelle à Longwood, et de les remettre à mon fils quand il aura seize ans.

Fendant qu'il se forçoit pour écrire de sa main ses codicilles, se tenant renfermé et assidu à ce travail, trois et quatre heures de suite, la

(1) « Mlle est coupable et moi suis-je innocent, » s'écrie Napoléon, en parlant de Marie-Louise. Quel rapprochement involontaire ne présente pas à l'esprit celte confession énergique d'un prince, qui avoit cru pouvoir se permettre, du vivant de sa femme légitime l'impératrice Joséphine, d'épouser une archiduchesse d'Autriche. Quelques années sont à peine écoulées, et voilà cette même archiduchesse devenue l'épouse de Napoléon, qui brise à son tour le noeud conjugal , et qui croit pouvoir se permettre, du vivant de Napoléon, de lui donner un successeur , en admettant dans son lit avec le titre d'époux légitime le comte Neipperg, un général autrichien !!! Quelle leçon du ciel aux souverains, pour leur apprendre à garder la sainteté du mariage! Quand on se rappelle que ce fut pour avoir la liberté de ses infâmes convoitises; et la liberté du divorce , qu'un monstre couronné, Henri VIII, osât bien faire le schisme d'Angleterre. (Note de l'auteur.)


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maladie s'en irritoit, et la mort impatiente de mettre fin à une vertu si grande , étendoit sur Napoléon les ombres de cette nuit redoutable et ténébreuse qui ne doit se dissiper que dans l'éternité, pour lui, il regardoit la mort en face, sans en sentir le moindre trouble, avec le même sang-froid, avec la même magnanimité qu'il avoit vu deux fois crouler son trône et successivement se briser l'une après l'autre les branches de l'arbre impérial, enfin déraciné par l'orage du sol où il avoit poussé si vite des racines qui s'étendoient dans l'univers entier. A quelqu'un qui lui disoit qu'il avoit encore des chances, que son état n'étoit pas désespéré , il disoit : « Plus d'illusion, je sais ce qui en est, je suis résigné. »

Le 19 avril, il fait effort, il se lève, il s'assied dans son fauteuil. Le général Montholon se réjouit de cette amélioration ; Napoléon se met à lui sourire avec douceur : « Vous ne vous trompez pas, mon ami, je vais mieux aujourd'hui; mais je n'en sens pas moins que ma fin approche. Quand je serai mort, chacun de vous aura la douce consolation de retourner en Europe. Vous reverrez vos parents, vos amis; et moi, je


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retrouverai mes braves. Oui, continua-t-il en haussant la voix , Kléber , Desaix , Bessières, Duroc, Ney, Murat, Masséna, Berthier (1), tous viendront à ma rencontre ; ils me parleront de ce que nous avons fait ensemble; je leur conterai les derniers événements de ma vie. En me voyant, ils redeviendront tous fous d'enthousiasme et de gloire. Nous causerons de nos guerres avec les Scipion, les Annibal, les César, les Frédéric!!! A moins, ajoute-t-il en riant, qu'on n'ait peur là bas de voir tant de guerriers ensemble. »

Pendant cette longue agonie , madame Bertrand désira souvent de voir l'empereur; souvent le général Bertrand en réitéra la demande; ces instances étoient louables, très-nobles et trèschrétiennes ! Madame Bertrand vouloit une réconciliation, je n'ose dire son pardon, mais du moins les bonnes grâces de l'empereur mou(1)

mou(1) ne me lasse pas de faire remarquer les qualités de l'âme. Aimer et pardonner, c'est là tout le christianisme, et il semble que ce soit là aussi tout l'empereur. Que de sujets de se plaindre il avoit de son beau frère Murat ! Eh bien I l'heure de la mort est l'heure de le réconcilier avec lui ; et quelle délicatesse! Il mêle, il identifie son nom aux noms des hommes qu'il chérit le plus, et qui sont pour lui des souvenirs délicieux et sans amertume!!!

(Note de l'auteur.)


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rant ! l'empereur refusa. Ce n'étoit ni ressentiment, ni opiniâtreté de sa part, mais un sentiment de justice qui est aussi un devoir, une vertu. Ah ! que l'esprit du monde est un esprit condamnable ! Le besoin de société avoit entraîné madame Bertrand à recevoir chez elle des officiers anglois ses parens, qui faisoient partie du camp et qui ensuite amenèrent leurs camarades ; et le croirait-on ! on se permettoit des plaisanteries contre l'illustre captif, et quelquefois la maîtresse de la maison entendoit ces épigrammes. J'en sais une si mordante, que je ne crois pas qu'une plume françoise osât l'écrire , mais qui dut chatouiller agréablement les officiers anglois. Du moins , si l'empereur l'eût ignorée! Mais il vouloit tout savoir, même à Sainte-Hélène et il étoit servi à souhait ! Ah! j'en ai la certitude , ce n'étoit pas avec le coeur mais de l'oreille seulement qu'on écoutoit ces indignes sarcasmes ! Enfants du respect humain, qui imposoit à une femme distinguép, et lui faisoit oublier ce qu'elle devoit à un grand homme dont elle adoroit la gloire. On cédoit à ce respect humain qui avoit autrefois imposé au chef des apôtres , on se troubloit à la voix d'un ennemi, et, comme saint Pierre, on en avoit


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aussitôt du regret; car le coeur étoit fidèle (1). 0 monde! monde cruel, monde imposteur , monde condamné par celui qui a dit: Le monde me hait, c'est toi, toi seul, que l'empereur écarta courageusement jusqu'à la fin de son lit de mort et non l'aimable compagne de son exil ! O mon de, retire toi! Qu'est-il besoin désormais de toi? Qu'estil besoin de tes attraits dont la fleur est passée; oui, tout ce qui meurt est déjà mort. Et vous, fille d'Adam (2), personnification fragile et brillante, abrégé trop séduisant d'un monde périssable, éloignez-vous! Il faut une autre société à l'empereur, à celui que le soleil même importune. O sublimité de son agonie, toi-même, soleil orgueilleux, qui dominois , qui tout-àl'heure dévorois tous les sucs de cette existence glorieuse, toi-même , retire-toi ! tu fatigues Napoléon ! Maintenant c'est l'heure d'un autre soleil, l'heure du soleil de l'éternité !

(1) A Dieu ne plaise que je veuille ici diminuer le mérite du long exil de madame la comtesse Bertrand ! Elle a supporté avec une grande élévation d'âme cette disgrâce de l'empereur et n'en est pas moins restée à Sainte-Hélène. N'est-ce pas là de l'héroïsme ?

(2) Madame la comtesse Montholon étant partie de Sainte-Hélène quelques semaines après M. de Las Cases , l'empereur se trouva bientôt privé jusqu'à sa mort de ce charme et de ces consolations qui ne se trouvent que dans la société des dames.

(Notes de l'auteur.)



CHAPITRE V,

SOMMAIRE.

L'heure de mourir. — Chrétien et Français sont synonymes. — Invocation. — Objection contre le sacrement de pénitence. — L'empereur et le pape Pie VII , causant de la confession. — Opinion de Napoléon sur la confession. — Le pénilent de l'abbé Vignali. — L'évêque du dehors. — L'extrême-onction.— Éclat de rire impie du docteur Antommarchi, et colère de l'empereur. — Sortie contre l'athéisme.— Ses dispositions et ses ordres pour mourir chrétien. — Opposition dugénéral Bertrand. — Entrevues secrètes de l'empereur avec son confesseur.—Chrétien par sentiment du coeur, plus encore que par l'esprit. — Son mépris des idéologues. — Son estime de la conscience. — Souvenir de la première communion. — La nuit du 30 avril. — Dialogue religieux avec le général Montholon. — Le saint viatique. — Expression de son bonheur. — Autel construit par ordre de l'empereur, et démoli par ordre du général Bertrand. — Intolérance du général Bertrand. — Dignité de l'empereur. —Autel reconstruit.—Paroles de l'empereur. — Triomphe de la religion. — Mort chrétienne.



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CHAPITRE IV.

Et quand le jour fixé de toute éternité Brilla sur ton chevet, ô profond politique , Dans ton vieux manteau bleu, tu mourus catholique. (Page 189, édition Delloye, Bibliothèque choisie, oeuvres de Antoni Deschamps (1) .

Non moriar, sed vivam. (Psaume de David.)

Le propre du génie, c'est de voir ce qui est; semblable au soleil qui, à peine sorti de l'horizon , remplit l'univers de son regard, en mesure l'extrême immensité et déjà se précipite avec conscience vers le terme de sa course rayonnante , Napoléon, dès le matin de sa vie en avoit aussitôt marqué du doigt le terme fatal. Il étoit à peine âgé de vingt-deux ans, lorsqu'il

(4) Ce poëte a un mérite bien rare de nos jours, celui de la clarté uni à la sobriété, à l'élégance et à la correction ; mais ce qui le signale et le rend digne de l'attention d'un ministre de l'instruction publique, ses vers ne sont pas seulement l'inspiration d'un poëte, mais l'accent d'un honnête homme, qui a les vertus d'un grand patriote. ( Note de l'auteur.)

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écrivoit avec le laconisme du penseur, cette sentence, qui exhale l'odeur balsamique d'un monastère du Carmel : "La vie est un léger songe qui se dissipe. » Quand l'heure fut venue de voir ce songe s'évanouir , lui qui apprécioit le temps en homme qui en sait la brièveté , comprit la solennité, l'irnportance et l'imposante grandeur de l'emploi de sa dernière heure ! Il avoit de trop loin préparé cette dernière et décisive victoire, pour ne pas la remporter! C'est à la mort, et là seulement que l'homme se connoît bien et qu'il se fait enfin connoître tout entier! Notre politique alors, c'est notre volonté; notre pensée, c'est vraiment notre esprit, et le sentiment, c'est notre coeur, c'est nous, nousmème... Quand l'univers ne flotte plus devant nos yeux que comme un vil mensonge qui nous a trompés, quand nos membres roidis sont sans souplesse et déjà morts ; ce qui demeure, ce qui est ferme, ce qui vit en nous, c'est la vie, c'est l'absolu, c'est nôtre âme... Armé de son jugement si sûr, Napoléon devoît être alors et il fut tout-à-fait chrétien ! Pour ne pas l'être à sa mort, son âme étoit trop religieuse, et luimême étoit trop positif pour ne pas sentir avec


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son bon sens presque infini, la nécessité d'arrêter enfin ses idées dans une foi précise. Refuser à Dieu ce dernier hommage, c'étoit pour Napoléon apostasier ! et ne pas s'astreindre aux formalités, aux usages, à toutes les pratiques de la religion, c'étoit non-seulement renoncer au ciel, mais encore à sa famille et à la France ; car dans l'enchaînement logique de sa pensée rigoureuse , la religion étant le phénomène principal, essentiel et générateur d'une nation, ne pas être chrétien, c'étoit ne pas être François, c'étoit ne pas être de sa famille. Mais pour être chrétien que de choses à accomplir ! Pour celui qui jusque-là n'a pratiqué qu'à demi, pour cet homme terrestre qui, tout-à-l'heure encore rampoit à terre, opprimé par l'obscurité d'un doute Indigne de la majesté lumineuse de la religion! Quel effort sublime pour triompher de soi-même, et le même jour, tout aussitôt, traverser les nombreuses et diverses couches de l'atmosphère, s'élever par une ascension sublime plus haut que les astres, jusqu'à l'absolu de l'immuable et splendide azur, et là, tenant sous ses pieds les lois et l'harmonie dû mouvement créé, s'agenouiller, adorer par la foi l'es-


— 132 — sence invisible de Dieu, devenue visible par Jésus-Christ, Dieu et homme, et par le SaintEsprit, l'amour du père et du fils, qui procède de l'un et de l'autre, vérité ineffable qui est la vie commune de la sainte Trinité, des anges et des élus! Quelle distance à franchir en un instant; mais l'âme n'a plus le poids du corps, et miracle de la grâce, miracle des mérites des saints et de ceux infinis du Sauveur, cette distance est franchie par tous ceux qui le veulent. Napoléon s'y résolut avec cet élan indomptable qu'il portoit dans l'accomplissement de sa volonté ! Il s'humilia, il se réconcilia avec Dieu, il s'anéantit en sa présence autant qu'il s'étoit élevé devant les hommes; enfin ce grand homme est mort pénitent dans les bras de la religion, et il ne fit pas moins pour rentrer en grâce avec elle, pour en obtenir l'ineffable pardon, qu'il avoit fait pour conquérir les royaumes de la terre; c'étoit dans cette prévision fatale qu'il avoit mandé avec une sollicitude si touchante, et fait arriver des prêtres dans l'île. Mais qu'il lui en coûta et qu'il eut à combattre et d'énergie à déployer pour vaincre d'indignes obstacles, et terrasser l'impiété qui osa bien s'approcher


— 153 — de son lit de mort ! Oui, s'il est une heure précieuse dans la vie, c'est celle où l'honnête homme paie à son Dieu la dette dont tout honnête homme lui est redevable, c'est celle où nous imitons du moins sa mort par l'oblation d'un sacrifice qui rappelle celui du calvaire ; alors tout chrétien peut être martyr ! Mais tout prêt à raconter ces secrets augustes, les plus intéressants d'une existence tout entière pleine d'intérêt, je m'émeus... j'ai besoin de me recueillir et d'invoquer celle qui fut l'assistante pieuse de cette pieuse agonie. O ma mère, vénérable et chère image de la bonté de Dieu, sainte Église romaine, vous qui reçûtes ces sacrées confidences d'un héros, ce seroit à vous d'en divulguer la foi; mais modeste au sein de vos victoires, puisque vous vous taisez, ah! du moins, jevousimplore, foible écho de vos accents ; répandez sur ces dernières pages qui vous sont toutes consacrées, répandez ce charme onctueux et grave, cet attrait tendre et solennel de vos cérémonies saintes ; et que mon récit, empreint de cet amour cévère de la vérité, qui est votre esprit propre, ô Eglise, soit le burinsacré qui éternise, pour votre gloire et celle de votre immortel époux

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— 154 — et seigneur, les événements illustres et ignorés de la mort chrétienne de l'empereur Napoléon! Et vous, ô Esprit, source profonde de la vie et du sentiment, inspirez-moi, échauffez de vos flammes ceux qui me liront.

Napoléon étoit chrétien sans doute par sa naissance et son éducation, parce qu'il étoit un honnête homme (et l'honnête homme est d'abord de la religion de son père et de sa mère); de plus Napoléon étoit chrétien par le génie et par le coeur; il avoit la foi qui naît d'une grande âme. Mais tel est L'orgueil humain; lui qui eût regardé comme un crime et même comme une folie la prétention de retrancher un seul iota de l'Évangile, dont il vénéroit également tous les dogmes , il en avoit constamment éludé la pratique par une de ces aberrations trop communes et qui sont la plaie, l'ulcère de notre époque ! Le sacrement essentiel du christianisme et qui est tout le christianisme, c'est le sacrement de l'eucharistie; aucun chrétien, si relâché qu'il soit, n'ose en discuter même en idée la vérité mystérieuse ; mais on ne se fait pas de scrupule de faire des objections contre la confession; et cependant quelle inconsé-


quence ! La confession est l'escalier de l'autel chrétien ; brisez-le , vous ne pouvez plus en approcher ! Déjà sur le trône, pressé de se confesser par le pape Pie VII, Napoléon avoit dit : « Je suis trop occupé, saint Père; quand je serai plus vieux. » Puis il disoit à ses courtisans : " Un souverain peut-il, doit-il se confesser? alors que devient la question des deux puissances, la temporelle et la spirituelle ? Le souverain, c'est le prêtre (1). »

(1) « Je suis trop occupé, quand je serai plus vieux. Un souverain doit-il se confesser? alors que devient la question des deux puissances, la spirituelle et la temporelle? Le souverain, c'est le prêtre. » Paroles d'or, qui seraient une solution du problême de la politique, si elles n'étoient pleines de perplexité et d'indécision. Comme nous nous retrouvons tous dans ce langage ! N'avons-nous pas tous nos affaires, lesquelles doivent passer avant l'affaire de Dieu, et tous aussi notre puissance temporelle qu'il faut maintenir, arrondir, garder sauve et intacte, indépendante de la puissance spirituelle? analysons donc ces objections, sondons-en l'esprit; la première : " Je suis trop occupé, quand je serai plus vieux, » est l'aveu d'un chrétien dominé par ses passions, entraîné par leur impétueux courant, mais qui a l'espoir de se ranger un jour à son devoir, quand le temps aura refroidi le sang, amorti le feu d'une activité dévorante. Hélas ! Napoléon songeoit encore à conquérir le monde, que déjà l'éternité sonnoit pour lui ! Délai déplorable et banal de tant de chrétiens, qui décèle l'empire des passions sur leur coeur, mais aussi l'empire de la religion ; car enfin il n'y a pas une négation dans cet aveu, mais au contraire une reconnaissance implicite de la religion, aveu précieux qui tout à l'heure sera le salut de l'empereur !

La seconde objection, plus grave, n'est guère plus fondée en raison que la première. Qui le croirait ? un personnage doué de tant de perspicacité, est ici de niveau avec ces bons bourgeois de la restauration, qui étaient subitement atteints, en lisant leur journal, d'une risible frayeur de l'influence des missionnaires sur leurs femmes, leurs filles, dans le confessionnal ou dans la chaire. Napoléon craindre le despotisme de son confesseur ! est-ce bien là une crainte sérieuse de sa part? N'est-ce pas plutôt la justification pour autrui et pour soi-même de l'ou-


— 136 — Mais ce qui prouve que Napoléon faisoit un sophisme quand il refusoit de se confesser, prétextant que les soins , l'honneur du trône le lui déferidoient, c'est qu'à Sainte-Hélène il ne se confessoit pas davantage. A quelqu'un qui lui disoit: « Sire, vous êtes chrétien , vous entendez la

bli d'un devoir essentiel? Que le lecteur prononce lui-même : l'Église, puissance spirituelle, ne se propose, ne peut se proposer en toutes ses actions que ce qui est spirituel. Son langage, ses actions ne sont que la conséquence, le développement d'une doctrine toute spirituelle, donnée à la terre par le ciel même, et dont l'influence aboutit et se résume dans ses sacrements : voilà les limites sacrées de la religion. Le prêtre ne parle, n'agit, en tant que prêtre, que d'après l'Évangile, expliqué, défini par les conciles et la tradition, résumé et contenu dans le catéchisme. Et puisqu'il s'agit de la confession, ouvrons le catéchisme : qu'y lisons-nous ? « la confession est un sacrement institué pour remettre les péchés commis après le baptême; » et toutes les parlies de la confession sont définies avec la même clarté, la même précision , qui ne permettent pas au pénitent plus qu'au prêtre de s'égarer, en s'émancipant dans des pensées terrestres, étrangères au sacrement, à la religion. A merveille, dira-ton, si les prêtres n'abusoient d'une chose aussi sainte. En effet, l'objection n'est spécieuse qu'à ce point de vue. Les abus sont possibles, soit: oui, en toutes choses, l'abus est voisin de l'usage. On peut abuser du mariage, et transformer son alliance sainte et divine en une tyrannie abjecte, infâme : l'abus vous fera-t-il condamner le mariage, avec ces pauvres insensés de saints simoniens? Supprimerez-vous aussi le notariat, à cause des vols et des banqueroutes de quelques notaires; la médecine, à cause de l'exécrable libertinage de quelques médecins; la presse, à cause du mal prodigieux dont elle est la cause? Ah! que l'Écriture a raison, qui nous reproche de peser dans des balances fausses, selon notre malice, les choses du siècle et les choses de Dieu I II y a des abus possibles, même dans la religion, même dans le confessionnal ; eh bien, ce n'est pas un motif de renoncer à la confession, mais d'en user avec discrétion : à la bonne heure ! c'est la maxime des saints. Exemple : Saint Ignace de Loyola veut " qu'on prenne un confesseur entre mille; » " et moi, s'écrie saint François de Sale, je dis entre dix mille. » Voilà certainement qui est rassurant pour les timorés que cette latitude infinie du choix. Tel prêtre est ambitieux, présomptueux, intrigant, sensuel, avare, mondain et charnel ; jamais nous n'avons rencontré un tel monstre ; enfin mettons les choses au pire : eh bien, laissez-le à ses vices. Si vous adoptez un confesseur possédé d'un seul vice, quelque chose qui arrive, ne vous plaignez pas, ne condamnez pas la religion, condamnez-


- 137 - messe, vous allez même jusqu'à faire maigre, mais comment vous dispensez-vous du prinvous

prinvous Cette latitude du choix qui existe pour le simple fidèle, existe aussi pour un roi. L'Église commande à tous de se con fesser, mais elle n'impose à personne tel ou tel confesseur; chacun choisit le sien à sa guise. Après cela, je le demande, où est l'abus? Est-il aucun tribunal qui offre plus de garantie que celui dont chacun peut à sa volonté choisir le juge, et à sa volonté encore le changer, si quelque motif grave l'y sollicite, après l'avoir choisi? Maintenant, un souverain doit il se confesser ? le demandez-vous encore ? Moi, je vous demande si la confession est d'institution divine? Chrétien catholique, répondez: vous ne l'êtes pas, vous ne l'avez jamais été, si vous hésitez un seul instant. Connaissez-vous la dignité et l'ulilité de ce sacrement? Humainement parlant, c'est une conception si haute que Dieu seul a pu l'instituer, et, toute seule, elle est un argument victorieux de la divinité du Christ. Savez-vous ce que c'est que ce tribunal, mystérieux auprès duquel un chrétien se prosterne humblement, le front dans la poussière? Savez-vous ce que c'est que ce souverain dont vous parlez, quand vous dites : le souverain, c'est le prêtre? Que parlez-vous de prêtre! dites davantage, et soyez aussi hardi que votre religion, qui vous dit que l'homme disparaît dans le tribunal de la confession, par un miracle qui rappelle celui de la transubstantiation, et que Dieu seul y demeure. Le souverain, c'est le prêtre, à condition d'ajouter que le prêtre, c'est Dieu. Niez-vous Dieu, niez donc aussi la conscience? car, à bien l'entendre, la souveraineté dont il s'agit ici, est celle de la conscience. Et que personne, après cela, même un monarque absolu, ne rougisse de s'humilier au pied d'un tel tribunal et de s'en reconnaître le sujet ! car ce seroit prétendre au despotisme. Nier la confession, c'est nier Dieu, nier la conscience, nier l'âme. O sacrement divin, vérité ineffable et mystérieuse, colloque intime et sacré, qui conseille, qui dirige, qui redresse l'esprit, qui améliore mon coeur! con, tu n'abaisses pas, lu exaltes, au contraire, l'homme jusqu'au ciel! Comme on le voit, ce sacrement est toute une histoire de l'âme humaine, de son passé, de son avenir, et je ne crois rien dire de trop en affirmant qu'elle est un paradis anticipé et comme l'aurore d'une lumière graduelle dont la clarté croissant tous les jours dispose les élus pour la vision face à face du soleil éternel ! Si donc la confession n'existoit pas, il semble qu'il faudrait l'inventer spécialement pour les rois, car ce tribunal est le seul dont la dignité soit de pair avec la dignité de roi, et j'entends de roi absolu; car, quoi qu'on fasse ou qu'on dise, il n'y a rien de bon et de vrai que l'absolu, et l'homme est un être absolu. Ce qui n'est pas l'absolu est illusion et mensonge; pourquoi s'en occuper, pourquoi donc, ô menteurs, vous prosterner devant le mensonge et l'adorer comme votre Dieu? Misérables apostats du christianisme, qui adorez l'idole d'un pouvoir vacillant dans vos mains, vous croyez ne nier qu'un sacrement en niant la confession, et vous niez


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cipal, vous ne vous confessez pas. « L'empereur répliquoit vivement : « La confession est d'institution divine; elle est nécessaire; en se faisant connoître à autrui, nous apprenons à nous connoître; c'est un supplément, et un auxiliaire admirable de la conscience; la confession est un émétique trop nécessaire à la pauvre humanité pour ne pas être l'institution médicinale du Dieu réparateur de l'âme; par la confession on s'affermit dans le bien, on connoît à fond le mal, on s'en sépare, on s'unit à Dieu, cela est incontestable; mais la confession est une affaire de confiance, et la confiance est une chose délicate qui ne se commande pas; aussi c'est notre droit à tous de choisir, de pouvoir choisir un confesseur; et moi le puis-je? qui choisir? l'abbé Vignali, un jeune homme qui est là toute la journée sous mes yeux, aussi familier avec moi que l'un de vous. Il a de la foi, c'est tout ; mais ce n'est pas là ce qu'il me

aussi la conscience! vous croyez ne nier que le verbe de l'âme, et vous niez l'âme elle même, vous niez la vie, vous prononcez vous-mêmes votre jugement de mort, de mort éternelle! Et vous, rois, qui n'osez vous intituler rois par la grâce de Dieu, vils esclaves de l'opinion, qui vous a élevés hier pour vous briser demain, vous ne relevez pas de Dieu, dites-vous, vous contestez son droit survous, eh bien, tremblez, vous relevez de la souveraineté du peuple !l! (Note de l'auteur.)


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faut; il a de l'instruction, mais il n'a ni assez de lumières ni assez d'expérience pour moi. L'abbé Buonavita, à la bonne heure! voilà un prêtre, un saint vieillard! » Puis il ajoutoit : « Si l'évêque de Nantes étoit ici, je me confesserois sur L'heure. Il eût fait de moi tout ce qu'il eût voulu. » Qu'on juge par là combien il en coûtoit à Napoléon de se mettre aux genoux de ce même abbé Vignali, quand la maladie vint enfin le lui commander impérieusement. Cepen dant s'étoit-il confessé à l'abbé Buonavita? Personne n'est en mesure de l'affirmer ou de le nier; mais ce qui est certain, c'est qu'il s'étoit enfermé souvent seul avec lui ; que se passoit-il alors entre le prêtre et Napoléon? Dieu seul la sait. Ce qui est certain encore, c'est que l'empereur ne nioit pas la vérité de la confession, et c'est là l'unique point qu'il est essentiel d'établir.

Voici une preuve nouvelle que les délais à accomplir un devoir impérieux, doivent être rangés parmi ces subtilités, que suggère le démon et qu'accepte l'orgueil. Etant auprès d'une personne malade, avant la venue des prêtres dans l'île; comme cette personne se désoloit à


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l'idée du risque qu'elle couroit de mourir sans les sacrements, l'empereur lui disoit : « Certes, j'en serois effrayé à votre place, mais non autant que vous, parce que je suis plus instruit. II n'y a pas de notre faute si nous sommes ici sans religion. C'est une infamie nouvelle de nos bourreaux, une malice des légitimes; les voyezvous se frotter les mains et dire : Buonaparte Nicolas athée, mécréant, qu'est-il besoin d'un prêtre pour ce Corse? Voilà les gentillesses des légitimes. Mais si je mourais sans les sacrements, mon sang seroit sur eux et non sur moi, si d'ailleurs je suppléois par l'intention à ce qui nous manque. Une confession faite à Dieu est très-valable pour celui qui ne peut la faire à son ministre; ensuite on peut encore se confesser à un laïque qui vous inspire assez de confiance pour cela. » Et il ajoutoit : « Peut-être les malades de Longwood seraient-ils en sûreté de conscience, en se confessant à moi; car si la confession faite à un laïque ou écrite sur le papier, est valable in articula mortis, elle doit l'être a fortiori à un homme revêtu comme moi d'un caractère religieux; car le sacre m'a imprimé quelque chose de divin; j'ai un caractère clé-


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rical, j'ai ma place dans la hiérarchie de l'Eglise, et un empereur devient presque un évêque ; le pape lui-même et les évêques appeloient l'empereur Constantin l'évêque du dehors? "

Enfin, pressé d'en finir avec toutes ces sublilités par le progrès de la maladie autant que par le besoin de sa conscience, l'empereur se décida. Déjà il avoit eu. plusieurs entretiens secrets avec l'abbé Vignali , lorsque le 20 avril, l'autel se trouva dressé et à l'issue de la messe l'empereur se confessa et fut administré dans la même matinée, c'est-à-dire qu'il reçut l'extrême-onction ; voilà ce que rapporte M.de Norvins, et ce qui m'a été confimé par M. Marchand. Le malade désiroit aussi recevoir le Saint-Viatique ; je cite encore M. de Norvins ; mais la maladie ne le permit pas.

Le lendemain, 21 avril, l'empereur mande de nouveau l'abbé Vignali et lui dit : « Monsieur l'abbé, savez-vous ce que c'est qu'une chapelle ardente?— Oui sire. — Enavez-vous desservi? — Aucune. — Eh bien vous desservirez la mienne! L'empereur entre à cet égard dans les plus minutieux détails (1), » lorsqu'un éclat de rire se

(I) Ces lignes en italique sont d'Antommarchi.


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fait entendre. Quel étoit celui qui s'oublioit jusqu'à insulter à la religion et à la majesté de l'empereur, sans être retenu par ce respect naturel qui s'attache aux dernières paroles d'un mourant? C'étoit le médecin Antommarchi. Qu'on juge de ce qui dut se passer dans l'âme magnanime de Napoléon; sa colère fut telle que M. Marchand, qui en fut témoin, me disoit: « Je n'ose ni ne veux rapporter les termes textuels, par égard pour l'empereur qui a pardonné au docteur, mais je vous autorise à dire que l'empereur l'a tancé d'importance. » On peut se faire une idée par l'expression de M. Marchand, de la vivacité de la correction qui foudroya le moqueur insolent. Les termes furent bien énergiques, puisqu Antommarchi, racontant cette scène, en atténuant ses torts, prête ces exclamations à l'empereur : « Vous êtes un athée; vous êtes médecin ; les médecins ne croient jamais à rien , parce qu'ils ne brassent que de la matière. Je ne suis ni philosophe ni médecin, je crois à Dieu, je suis chrétien, catholique, romain; soyez athée, monsieur, pour moi je veux remplir tous les devoirs que la religion impose et recevoir tous les secours qu'elle administre. « Et se tournant vers


— 143 — le prêtre : « Monsieur l'abbé, vous direz la messe tous les jours, et vous continuerez à la dire après ma mort. Vous ne cesserez que lorsque je serai en terre. Aussitôt que je serai mort, vous poserez un crucifix sur mon coeur, vous mettrez votre autel à ma tête. Je veux en outre que dès-à-présent vous exposiez tous les jours le Saint-Sacrement et que vous disiez tous les jours les prières des quarante heures. » Voilà ce que le médecin Antommarchi lui même raconte et ce qui a été confirmé par M. Marchand, avec la rectification si intéressante qu'on vient de lire. Ici j'admire un trait de la politique de Napoléon. De même qu'il a été couronné empereur dans l'église Notre-Dame, en présence de toute l'Europe, il veut que toute l'Europe sache aussi d'une manière certaine qu'il est mort couronné de ce diadème impérissable que la religion attache au front des élus! Voici la raison des ordres donnés par lui en présence de deux témoins, dont la véracité ne peut être suspectée par personne. Si le prêtre eût été seul, alors même qu'il eût élevé la voix , l'impiété eût facilement couvert, infirmé ce témoignage. Mais la malignité, si audacieuse qu'elle soit, ne sauroit in-


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firmer le témoignage de deux témoins étrangers à la religion, qui racontent ce qu'ils ont vu , et qui tous deux , avec une variante sur un détail accessoire, sont d'accord pour affirmer la vérité du fait principal. Mais bientôt un autre témoin, des faits nouveaux vont paroître, et la gloire morale, la foi du héros, sa piété, paroîtront aussi dans un nouvel éclat ! Mais pourquoi suis-je obligé d'interrompre, d'assombrir les scènes consolantes de la religion? On vient d'entendre de la bouche d'Antommarchi les ordres formels de l'empereur, pour avoir la messe tous les jours jusqu'à sa mort, pour l'exposition du Saint-Sacrement, pour les prières des quarante heures. Eh bien! le croiroit-on! le 22 avril au malin, le prêtre fut interrompu dans l'exé cution de ces ordres si formels. Comme il se dis posoit à faire dresser l'autel, pour dire la messe et avant qu'il eût exposé le Saint-Sacrement, e général Bertrand survint. On tint conseil sur un fait si grave, et l'on décida qu'il seroit enjoint à l'abbé Vignali de s'en tenir là, et que ce seroit bien assez de célébrer la messe funèbre après la mort de l'empereur, qui ne pouvoit avoir ordonné rien de plus ( 1 ).

(4) Quel était le mobile qui faisait agir le général Bertrand? ne


— 145 — De quoi s'agissait-il dans ce conseil ? il s'agisl'a

s'agisl'a pas deviné ; c'étoit la crainte du qu'en dira-ton des journaux d'Europe? Le général Bertrand croyoit déjà entendre monsieur le Constitutionnel traiter l'empereur de capucin, et gémir de la foiblesse d'esprit d'un grand homme. Le général Bertrand ignoroit que toute l'impiété du Constitutionnel est le fait d'un ou deux drôles, dont la haine vivace et subtile du christianisme est méprisée même des rédacteurs et propriétaires de cette feuille. Je dis la même chose des attaques contre les prêtres, la religion et les frères des écoles chrétiennes , qu'on lit avec dégoût dans les antres feuilles du libéralisme, et qui ne partent même pas de la rédaction officielle. Presque toujours ces attaques acérées sont envoyées au journal sous le voile de l'anonyme , et le plus souvent ce sont des mensonges, des histoires faites à plaisir, que l'on prend dans les feuilles de province. En effet , quelque faute qui se commette , il faut avoir l'âme bien basse et bien méchante ou bien légère pour s'en faire une arme contre la religion ? Je prends à témoin de la vérité de ce que je viens de dire , tous les rédacteurs en chef des journaux libéraux ou républicains , MM. Raspail, Bastide, Chastelain, Moussette , Dupoty , Etienne et Jay ; et qu'on me permette d'ajouter une anecdote curieuse et honorable pour le National. Un jour que j'avois affaire au rédacteur en chef, M. Bastide, je ne pus m'empêcher de lui parler d'un article qui avoit paru le jour même, contre un refus de sépulture ecclésiastique , et je lui dis : " Ce refus est très-louable de la part de l'Église, il est légitime ; mais de plus c'est humainement parlant une action plus utile à la société qu'à la religion. — comment cela, me dit M. Bastide? — Un des motifs de l'Église dans ses refus, est sans doute la présomption de la damnation éternelle de l'individu; cependant ce n'est pas le seul motif, ni même le motif principal; car l'église qui refuse des prières publiques ne refuse pas au suicide ses prières secrètes; ce qu'elle se propose donc par son refus de sépulture ecclésiastique, c'est de mettre un poids de plus dans la balance de la raison contre le suicide, en essayant de retenir par la crainte d'un dernier déshonneur. —Ah! me dit naïvement M, Bastide, ce que vous dites là est touchant. L'Église a raison et je vous promets que nous ne blâmerons plus jamais les refus de l'Église.» ( Note de l'auteur. )


_ 146 - soit de la chose la plus sacrée qui soit au monde, savoir : les intentions dernières d'un mourant , et lequel ? Napoléon , exténué de corps , mai sain d'esprit et moralement plein de vigueur, puisque ce jour-là même , 22 avril et les jours suivants, jusqu'au 30 avril, il écrivit de sa main son immortel testament. Eh bien! quand il s'agissoit d'une chose si grave, comment se faitil qu'il ne vînt à l'esprit de personne de consulter l'empereur lui-même, alors qu'on refusoit de croire à sa parole textuellement rapportée par ceux qui l'ont entendue, par Antommarchi, qui cependant ne devoit pas être suspecté de partialité pour la religion ! ô destinée bizarre , où triomphe le néant et la vanité des pompes et de la gloire du monde! Celui qui tout -à-l' heure ébranloit l'univers , à cette dernière heure où l'être le plus vil devient un être sacré, ce potentat est tellement sans puissance , qu'on néglige sa parole; que dis-je? on la discute, ou l'interprète, on n'en tient aucun compte, on l'annulle ! Quel étoit le devoir de l'abbé Vignali ? De protester , d'en appeler à l'empereur. Non, la charité craint le scandale; étoit-ce à elle de contrister l'illustre pénitent, en lui


— 147 — présentant à boire la lie amère de cette humiliation ? L'abbé Vignali, disciple fidèle de l'agneau qui se laisse égorger, céda. Priant et pleurant, bénissant Dieu et souffrant pour l'amour de lui cette contradiction, il se tenoit à l'écart et sans doute il disoit en lui-même: « Dieu qui voit le coeur, tient compte des intentions; il est puissant pour en inspirer de bonnes, il peut aussi les réaliser, sa sainte volonté soit faite. » Oui, bientôt le bien va sortir du mal, le miel de la pierre, bientôt Dieu va se manifester et le bien s'accomplir ; tranquillisezvous, lecteur pieux et sensible, ayez confiance ; les communications célestes sont rétablies. Ah! sous leur influence, nous ne pouvons guère tarder à sentir le besoin de la présence du ministre du Seigneur; Napoléon le rappelle, il veut converser, il s'enferme avec lui. Quoi donc ! Ce jeune homme a t-il vieilli tout d'un coup, n'est ce plus ce même abbé Vignali, le commensal et le familier de l'exilé? Non, voyez-le: sa démarche est posée et grave., l'Empereur ne lui impose plus; au contraire il impose à l'Empereur lui même, c'est un être tout divin, le familier de Dieu, le déposi-


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taire de ses sacrements et de sa parole, le nouvel Adam, le convive et l'hôte du banquet, le prêtre éternel, enfin le représentant et le ministre légitime de Jésus-Christ, qui en lient les pouvoirs et qui est revêtu des entrailles de sa miséricorde; je ne dis point assez, écoutez: Ce prêtre, c'est Jésus-Christ; oui Dieu même, notre sauveur béni, dont Napoléon contemple le visage, recherche la société et adore la conversation. O triomphe de la foi, à cette heure, ô Napoléon! vous en savez, vous en goûtez enfin la suavité; ce fait des entrevues secrètes de l'abbé Vignali avec l'Empereur ne sauroit être l'objet d'aucun doute , puis qu'il est attesté également par M. Antommarchi et par MM. Montholon et Marchand. « Plusieurs fois , m'ont-ils répondu , quand je les interrogeois là dessus, pendant ces dernières semaines de son agonie, l'empereur demeura seul avec l'abbé Vignali; sa porte étoit fermée par ordre. »

Que se passoit-il? Nous pouvons le pressentir : l'empereur repassoit toute sa vie pour en ôter l'ivraie; il nétoyoit son aire avec le van de l'Evangile. Quel travail nouveau ! On ne veut plus gagner le monde ou des trônes qu'on mé-


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prise, mais l'âme qu'on estime enfin son prix ! Qui pourroit dire quelles furent les pensées avec lesquelles il traita l'affaire de son éternité, lui qui avoit des pensées si magnanimes pour les affaires du temps! Lui , si dévoué à sa famille, à ses amis, indulgent aux ingrats, facile à la pitié, avec une conception si prompte et si féconde, une mémoire prodigieuse, une volonté ardente, quelles furent ses sensations quand il se sentit tout près de la réalité de nos saints mystères, et déjà les maniant, palpant Dieu avec la main , pour me servir d'une expression de l'Evangile. Hommes grossiers et charnels, apostats du christianisme, qui ne comprenez ni la profondeur ni la vérité de cette expression , éloignez-vous , il n'y a plus rien ici pour vous! Dans ces instants solennels où Napoléon médita le christianisme, favorisé de la grâce, réconcilié avec Dieu, lui qui à la lueur seule de son génie étoit monté et descendu dans l'abîme de nos mystères , aidé de la foi, fondé sur l'humilité et rempli de la charité qu'elle inspire, où ne parvint-il pas, où s'arrêta cet aigle dans l'ascension de son vol royal, dans quelle région de l'azur, dans quelles

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harmonieuses sphères, dans quelles sublimités, dans quels cieux???

Ce ne sont pas là de pures idées, des hypothèses de l'imagination; non, ce sont les réflexions qui naissent naturellement des faits. J'en fais juge le lecteur, et je poursuis : Un chrétien vulgaire se fût contenté avec la cérémonie du 20 avril ; cette cérémonie étoit suffisante, satisfaisoit la religion et à toutes les convenances. C'étoit assez surtout pour un prince plus scrupuleux observateur de la formé que du fond. Mais non, le christianisme n'étoit pas une affaire de forme pour Napoléon, c'était une vérité essentielle et capitale, la première de toutes les vérités, puisqu'elle embrasse, éclaire et dominetoutes les autres; enfin , c'était pour lui un sentiment, une croyance, la vraie religion ! Cette vérité étoit écrite dans ses nerfs et dans son organisation ; il étoit chrétien, profondément chrétien ; il l'étoit beaucoupdans son esprit, il l'étoit davantage dans son coeur! car plusieurs fois il faillit s'égarer, et il s'égara même avec son esprit; au contraire, ce fut son coeur qui le ramena toujours dans la bonne voie. De là le mépris de ce grand homme pour


— 151 — l'idéologie ! Si intelligent qu'il fût; il mettoit sa gloire à penser comme le commun des hommes sur les vérités premières., Jamais on ne le vit contredire la nature ou la conscience ! Quelque système séduisant qui se présentât à lui, jamais il n'eut l'orgueil de se mettre au- dessus, de la révélation, en s'arrogeant dans les questions de la foi le droit absolu du jugement et cette infaillibilité souveraine, commise par Dieu à son église, et qui n'appartient qu'à elle, à elle seule. Pourquoi cela? Il avoit trop de génie (1). Mais pour

(1) Talleyrand, Fonché,..... . ont pu avec madame Krudener et

l'empereur Alexandre, avec Benjamin Constant et madame de Staël, et surtout avec lord Castelreagh, qui fut l'âme de celte oeuvre, rédiger la charte de 1814 ; cela se conçoit, la charte de 1814 vaut tout juste ce que valent ces individus et mérite la même estime; ils ont pris leurs idées, leurs notions, leurs principes en eux-mêmes, et non dans la vérité ; tant vaut l'ouvrier, tant vaut l'oeuvre! Cette oeuvre était une image de l'esprit et du coeur, des passions, des vices, de l'impiété, de l'ignorance et de la science mondaine , superficielle et creuse des susnommés! Mais, je le répète, Napoléon avait trop de génie pour enfanter un pareil monstre qui devoit enfanter la révolution de juillet, laquelle enfantera à son tour son fruit. MM. . . .. . , font l'honneur au christianisme de le protéger, et l'on assure que M......., depuis qu'il

est entré au pouvoir, favorisé par le courage aveugle des combattans de juillet, va répétant sans cesse à son entourage : «Messieurs, je suis protestant ; eh bien, je suis forcé de convenir que les Français sont catholiques ; te gouvernement ne peut pas être autre chose que catholique parce que la majorité l'est et plus sérieusement qu'on ne le croit. " A la bonne heure ! M........ ; mais il est

triste, profondément triste de ne le voir qu'avec le télescope d'une ambition puérile, et de ne le dire que par un intérêt purement hu-


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mieux l'expliquer : la conscience réside dans le coeur, et Napoléon, doué des qualités les plus éminentes, avoit un coeur excellent. L'ordre de ses affections étoit une chaîne d'une belle symétrie , la chaîne des sentimens , des devoirs et des principes auxquels est obligé et qui régissent l'honnête homme. Tel étoit l'empereur ! le coeur dominoit chez lui. Ce fut son coeur qui le sépara des forfaits et de l'athéisme insensé de la révolution française, et son coeur plus que sa politique , qui fit de lui un empereur très-chrétien par la grâce de Dieu ! Un fait grave de sa jeunesse, une première communion exmain,

exmain, demain peut changer et vous faire penser et agir différemment, scandale que vous avez déjà donné plusieurs fois. Quant

à MM , leurs ménagemens pour le christianisme

sont aussi le misérable calcul de leur ambition mesquine et d'un tâche égoïsme.

Que les chrétiens sont dégénérés de leur primitive vertu, s'ils acceptent la protection de tels hommes! non, ce n'esl point en s'alliant au mensonge que le règne de la vérité s'est établi où peut se conserver ! Se laisser protéger par ceux qui ont enlevé à sainte Geneviève son église , et qui en ont déshonoré le fronton, avec l'image de je ne sais quels hommes profanes on flétris tel" que Lafayette, Manuel, quelle absence de sens et de dignité ! non , ce n'est pas l'amour des grands hommes, mais la haine de Dieu et de sa religion, qui a inspiré et accompli une telle profanation ! Tôt ou tard la religion reprendra son église , ou la religion disparaîtra du sol de France; ce jour, ta France aura cessé d'être !!!

(Note de l'auteur.)


cellente, y contribua puissamment en marquant dans son âme d'ineffables vérités et d'ineffaçables impressions; aussi l'idée de l'eucharistie ne se présentoit jamais à lui sans l'émouvoir profondément! c'est que l'eucharistie lui rappeloit son éducation , la cathédrale d'Ajaccio , avec son grand-oncle l'archidiacre, dont l'étole avoit veillé sur son berceau et qui plus tard avoit été le tuteur de l'orphelin. L'eucharistie ne faisoit qu'un avec ces souvenirs, qui réunissent tout ce qui est cher à un coeur bien né, la patrie, la famille et la religion, ces objets qui sont la félicité! Qu'est-ce que l'homme égaré loin de ces objets et de cette félicité, qui étoient pour Napoléon un sentiment unique et inviolable! C'étoit son coeur! Il vouloit mourir dans la foi chrétienne, parce qu'elle étoit la vraie foi, mais aussi parce qu'elle étoit la foi de son éducation, celle de son père et de ses ancêtres! C'est pour cela qu'il lui falloit à sa mort la religion, toute la religion! Et l'avoit-il toute entière, si l'eucharistie lui manquoit! Qu'on me pardonne ces réflexions, qui m'ont semblé nécessaires à l'intelligence et à la suite des faits qui vont clore ce récit. Ce


— 154 - n'étoit donc pas assez d'avoir reçu le sacrement de pénitence et le sacrement de l'extrême onction, il falloit de plus à Napoléon Dieu luimême.

Mais avant d'arriver à cette heure et à la nuit solennelle , où l'Empereur va recevoir la sainte Eucharistie, voici deux traits qui achèvent de peindre sa physionomie morale !

On a vu tout-à-l'heure sa colère contre son médecin; le lecteur n'a pas oublié sa déclaration , que Ce médecin est un homme inutile, dans les lumières et dans la moralité duquel l'Empereur n'a nulle confiance. Jusqu'au 27 avril il n'avait pu se décider d'écrire le nom de cet impie dans son testament; mais ce jour là, la clémence l'emporte; il se préoccupe d'acquitter à son médecin sa dette dé malade; « seriez-vous bien aise , lui dit-il, d'entrer au service de Marie-Louise, de lui être attaché en qualité de chirurgien, comme vous têtes auprès de ma personne? — Si je devais perdre votre majesté, ce seroit toute mon ambition. — Fort bien, je vais écrire à l'impératrice. » Ce n'est pas assez pour l'Empereur; il sent que cette promesse a quelque chose de trop vague. Il en fait un codicille


à part qu'il écrit la veille de sa mort, ainsi conçu: «Je prie ma bien aimée Marie-Louise de prendre à son service mon chirurgien Antommarchi, auquel je lègue une pension pour sa vie durant de 6,000 fr., (six mille francs) qu'elle lui payera. » Cela ne tranquillise pas encore celui qui connoît les cours; il craint sans doute que la politique n'élève des objections, et que son médecin ne soit frustré du prix généreux de ses services; il mande ses exécuteurs testamentaires, MM. Montholon, Bertrand et Marchand, et en leur présence, « il déclare que c'est son intention de laisser à son médecin une somme de cent mille francs. » En tête du codicille qui regarde Antommarchi on lit ces mots : « Aujourd'hui 27 avril 1821, malade de corps, mais sain d'esprit, j'ai écrit de ma propre main ce huitième codicille à mon testament. "

Voici le second trait rapporté par Antommarchi lui-même : le 29 avril Napoléon n'éprouve pas de vomissemens et boit beaucoup d'eau fraîche, ce qui lui inspire ces pensées; « Si la destinée vouloit que je me rétablisse, il s'éleveroit un monument dans le heu où jaillit cette eau; je couronnerois la fontaine en


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mémoire du soulagement qu'elle m'a donné. Si je meurs, que l'on proscrive mon cadavre comme on a proscrit ma personne, que l'on me refuse un peu de terre; je souhaite qu'on m'inhume auprès de mes ancêtres, dans la cathédrale d'Ajaccio en Corse ; s'il ne m'est pas permis de reposer où je naquis; èh bien! qu'on m'ensevelisse là ou coule cette eau si douce et si pure. « O sentiment touchant ! ô gratitude digne d'un souverain ! Celui qui a été le maître du monde demande l'aumône d'un peu de terre pour son cadavre! il vient de disposer de tout ce qu'il a pour ses amis; il ne veut pas demeurer redevable, il veut payer généreusement même à une fontaine là fraîcheur de son eau ; il n'a plus rien, mais le cadavre de Napoléon proscrit est un trésor; sa reconnaissance le donne à cette fontaine. Don immortel, dernière munificence d'un prince libéral et magnifique, vous êtes le dernier trait qui couronne toute une vie! Et tout seul vous révélez l'infinie grandeur du héros! Ainsi dépouillé tout vivant de son corps, il ne lui reste plus que son âme!!! (1).

(1) La générosité est une vertu essentielle du souverain : Napoléon la possédoit au suprême degré : on en peut citer des milliers de preuves,


- 157 - Mais s'agit-il ici seulement d'une fontaine? celte exquise sensibilité, qui se manifeste dans

éparses dans son Histoire; mais ce remerciement magnanime à une fontaine à jamais illustre et mémorable, dépasse tout ce qu'on sait en ce genre de notre héros. On chercherait vainement ailleurs que dans lu vie des saints une inspiration semblable.

Après cela, c'est toucher dans le même moment les deux pôles du monde que de parler du temps présent ; aurois-je le courage de le faire oui, dans l'intérêt d'une cause doublement sacrée, puisqu'elle est celle des principes et du malheur. Il s'agit des pensionnaires de l'ancienne liste civile du roi Charles X. Comment le gouvernement libéral actuel a-t-il pu les négliger, et faire moins pour eux que la convention et l'empire? Louis XVI, dans son Testament, les recommande à la générosité de la nation en ces termes: " II y en a beaucoup qui avoient mis toute » leur fortune dans leurs charges, et qui n'ayant plus d'appointements » doivent être dans le besoin; je les recommande à la générosité de la nation.» Expressions touchantes, sollicitude royale où se peint tout entier le meilleur des monarques,sur son calvaire même, préoccupé du salut de son peuple! Mais ce qui est remarquable la convention répondit, par l'organe de son président, que, toujours grandeet juste, la nation accorderait des indemnités aux créanciers de la royauté. Elle pensionna ceux en petit nombre, il est vrai, qu'elle ne guillotina pas. L'empire a recueilli ce legs pieux comme une dette, en rétablissant dans leurs fortunes et leurs emplois tous ceux qui se sont présentés ; il ne dédaignoit pas d'aller même les chercher au fond des retraites où la terreur les avoit obligés de s'ensevelir. Qu'a fait le gouvernement de Juillet II a totalement négligé la dette sacrée du malheur de Charles X, bien sacrée, puisque les charges de cour étoient le prix des sommes reçues par la royauté. Les ministres de la royauté de Juillet l'ignoraient sans doute, lorsqu'ils ont cherché à avilir tous les pensionnaires de l'ancienne liste civile, en présentant à la chambre des députés une loi qui alloue un secours misérable, comme une aumône, à ceux qui apporteraient un certificat d'indigence. J'ai déjà fourni le mien. S'il y a quelqu'un d'avili, ce n'est pas, telle est du moins mon opinion, le créancier des rois de France, qui reçoit de la France une aumône en paiement de sa créance Iégitime! Le nom de Bourbon est le plus illustre qui soit sous le ciel, un nom qui dans l'histoire est tellement mêlé, identifié à la France qu'il est la France elle-même; comment donc est-il devenu l'objet de la haine, de l'exclusion, de l'exécration et de l'anathème des François? Il est remarquable que sous la restauration les libéraux sollicitèrent, avec force de phrases sentimentales et de prières larmoyantes, le rappel des régicides bannis par une loi; le coeur, plus chrétien encore que royal de Charles X, y acquiesça, A l'heure qu'il est, il n'est plus d'exil éternel que contre les deux noms les plus grands de notre histoire, les Bonaparte et les Bourbons!!! Quelle vicissitude! eux seuls sont condamnés à vivre loin du sol natal, sans espoir d'y rentrer jamais! Quel sujet de méditation pour le philosophe! Athènes, Rome et Cartilage étoient la proie des factions quand elles proscrivoient leurs plus grands citoyens, Aristide et Thémistocle, Cicéron et le dernier des Brutus, Annibal!! c'étoit la veille de leur ruine! (Note de l'auteur.)


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des termes choisis, n'est-ce qu'un sentiment de bien-être physique ? n'est-ce pas plulôt l'indice d'un bonheur plus relevé , d'une espérance de l'âme? J'en fais juge le lecteur : d'après M. de Norvins, la nature seule de la maladie s'étoit opposée, le 20 avril, au désir de l'empereur de recevoir le Saint-Viatique. Eh bien! Le 29 avril, le médecin constate dans son journal que les vomissemens ont cessé par suite de cette eau fraîche et pure de la fontaine; et ce jour-là même, l'empereur se prépare à recevoir le Saint-Viatique. Comment douter, après cela, de la liaison secrète, dans l'esprit de Napoléon , entre cette fontaine et le bonheur qu'elle va lui procurer d'étancher une autre soif et de se désaltérer à une autre fontaine, dont l'eau vive, rejaillit jusque dans L'éternité. Aussitôt qu'il sent l'irritation de son estomac se calmer, et la nature toute seule opérer enfin ce que l'art n'a pu faire , Napoléon doit se dire, à lui même : « Dieu le veut, Dieu me permet donc de goûter à ma mort ce délicieux bonheur, que je n'ai goûté qu'une fois dans ma vie et qui m'a laissé une impression qui dure encore. » Ecoutez, lecteur, non de vaines conjectures,


— 159 — mais un fait, dont l'authenticité ne sauroit plus être révoquée en doute, même par la mauvaise foi...

« Le 29 avril, raconte le général Montholon, j'avois déjà passé trente-neuf nuits au chevet du lit de l'empereur, sans qu'il eut voulu permettre, même à mon vénérable compagnon de chaîne le général Bertrand, de me remplacer dans ce pieux et filial service , lorsque dans la nuit du 29 au 30 avril il affecta d'être effrayé de ma fatigue et m'engagea à faire venir à ma place l'abbé Vignali. L'insistance que mit l'empereur, me prouva qu'il parloit sous l'empire d'une préoccupation étrangère à la pensée qu'il m'exprimoit ; il me permettoit de lui parler comme à mon père; j'osai lui dire ce que je comprenois de son insistance; il me répondit sans hésiter : « Oui, c'est le prêtre et non le montagnard Corse que je demande; veillez à ce qu'on me laisse seul avec lui, et ne dites rien. » J'obéis , et lui amenai immédiatement l'abbé Vignali, que je prévins du saint ministère qu'il alloit remplir. (1) »

Enfin, voici l'empereur face à face avec le

(1) Ceci est littéralement extrait d'une lettre inédite du général Montholon, qui se trouve à la fin de ce volume. (Note de l'auteur.)


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christianisme, avec tous ses dogmes, contenus dans un seul, avec le dogme de la création, de la chute et de la rédemption de l'homme ; face à face avec l'Eucharistie ! Avec le corps, le sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ ; face à face avec Dieu ! Ne craignons pas d'appuyer sur les mots, car il s'agit ici d'un fait bien grave. D'un côté,le spiritualisme chrétien et tous les mystères de la foi ; et de l'autre, l'empereur; L'empereur, cette tête carrée , cet homme positif par excellence, si clair et si net dans ses idées, prudent, réfléchi; chez qui la volonté est l'intelligence même! Voilà bien mon Dieu une de ces victoires, que vous remportez quand cela vous plaît, et ensuite que vous exposez aux yeux des nations, pour être un signe du salut ou de la ruine de plusieurs! Quelle fut, je le demande, cette communion différée, jusqu'à la mort, par celui qui avoit dit : « Je ne suis pas assez pieux pour communier, mais je le suis trop pour commettre un sacrilège. » Quelle en fut la ferveur et la sincérité! Quelle union intime avec la vérité, et surtout quelle séparation du monde et de ses mensonges ! Quel couronnement d'une vie qui toute entière avoit dominé l'impie et qui l'écrase en se


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terminant ! Quel triomphe de la foi !... et quelle leçon donnée de haut à cette misérable et méprisable politique, qui n'ose pas avouer une religion de l'état, qui rougit d'un Dieu tel que ce grand Jésus, qu'il fàudroit adorer comme le bienfaiteur des hommes, même alors que nous ne lui devrions pas cette infinie reconnaissance de la rédemption! Ah que la politique écoute l'exemple de celui qui fut son maître , qui demeure l'oracle des vrais hommes d'état! En voyant Napoléon s'incliner avec le tremblement de la foi, devant notre mystérieuse et redoutable hostie, attendre les mains jointes, dans un recueillement profond, prendre et consommer l'aliment de la foi ; que la politique s'incline elle-même et adore! Et vous, Napoléon, mon héros, que j'ai le droit d'appeler dans ce moment du doux nom de frère, du sein de la mort ou plutôt de la gloire, ou vous régnez sur un trône plus brillant cent fois que votre trône terrestre, ô élu de Dieu , convertissez-moi, convertissez l'impie, oui, l'impie Lui-même, s'il est possible, en nous racontant, pour notre édification, les idées et les sentimens de votre communion bienheureuse... Mais non , votre


— 162 — communion est assez éloquente et parle assez haut toute seule! O fils dévot de l'église catholique , vos actes sont là , inséparables de, votre nom, l'effroi de l'impie! Ah qu'il tremble cet impie qui ose encore lever sa main sacrilège contre nos églises ! du haut du ciel, vous combattez pour nous, ô Napoléon ! c'estassez d'avoir donné un immortel exemple. Que pourriez vous dire de plus?

Il est des âmes engourdies ou qui ne sont agissantes que pour la vie animale ; pour: tout le reste ignorantes et inactives , lâches et paresseuses; qui n'ont de foi, de certitude, de religion, que celle de leurs appétits grossiers, ensevelies dans ce cachot infect ou elles ses plaisent en rampant, comme dans un vestibule de l'enfer, éloignées de toute piété, sagesse et justice; au contraire il en est d'autres qui semblent être de purs esprits, qui sont lumière et connoissance, amour et sentiment, si dégagées du temps qu'on les appelle; les épousas de l'éternel, qui aspirent sans cesse vers l'infini, et par des élans continuels qui s'avancent de progrès en progrès dans cette science de soimême, qui est la racine du christianisme; de


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quelque nation qu'elles soient, ces âmes spirituelles qui sont justes et qui font le bien, sont agréables à Dieu; Qu'est-ce que Dieu en effet, sinon l'essence de l'âme. L'âme de Napoléon étoit une de ces âmes prédestinées , vertueuse qu'elle était, équitable et sobre, indifférente aux joies des sens qu'elle dédaignoit le plus souvent, alors même qu'ils venoient au devant d'elle , sans pouvoir jamais les estimer ou les rechercher; tel fut Napoléon qui, sur le trône même, dans le cours d'une carrière agitée, parmi les périls de la guerre et les prestiges de la puissance souveraine, se montra l'ami de la vertu, et qui nécessairement de voit à sa mort se réunir à la vérité, comme à son vrai centre!!! Ce qu'il fit par sa communion avec la sainte Eucharistie (1).

Quand le général Montholon parut le matin,

(1) En terminant ce volume , je veux répondre clairement à ceux qui me font l'honneur de demander quelle est mon opinion politi que : pour un chrétien, catholique romain . la légitimité du pouvoir vient de Dieu seul, par 'a consécration du prêtre absolument dans la forme que les mariages sont légitimés par la religion. Donc la souveraineté du peuple, eu tant qu'origine du pouvoir est un principe, non seulement faux , mais encore absurde et impie. Ensuite tout doit être subordonné à la religion, qui étant la seule vérité immuable et absolue, marche nécessairement avant tout,sur Iaquelle tout sans, exception doit se régler et s'harmoniser le plus doucement et le mieux possible. Il me paroit difficile et dangereux d'admettre qu'il y ait une légitimité voulue par Dieu autre que celle de l'Église; mais il est bien plus difficile d'admettre le juste milieu qui n'a pas la consécration de l'Église et qui ne reconnoit pas


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sur les quatre heures, dans la chambre du malade, Napoléon Lui dit avec émotion ces paroles si touchantes : « Général, je suis heureux ; j'ai » rempli tous mes devoirs, je vous souhaite à » vôtre mort le même bonheur. J'en avois be» soin , voyez-vous ; je suis Italien, enfant de « classe de la Corse. Le son des cloches m'é» meut, la vue d'un prêtre me fait plaisir. Je » voulois faire un mystère de tout ceci, mais »cela ne convient pas; je dois, je veux rendre » gloire à Dieu ; je doute qu'il lui plaise de me » rendre la santé. N'importe, donnez vos Ordres, » général, faites dresser un autel dans la cham» bre voisine ; qu'on y expose le Saint-Sâcre» ment, et qu'on dise les prières des quarante » heures. » Comme le général s'apprêtoit à sortir, Napoléon l'arrêta : « Non, dit-il, vous avez « assez d'ennemis, comme noble et gentilhomme;

une religion de l'Etat ! enfin, qui est basé sur un principe faux et impie , savoir : la souveraineté du peuple. Après cette confession de foi franche et explicite, je suis et je serai toujours uni avec ceux qui travaillent au triomphe des saines doctrines, et particulièrement au triomphe de la religion. Je crois de plus que l'immense majorité des Français, est plutôt chrétienne catholique que légitimiste ou juste milieu. Mais ce qui est le meilleur, ce que je demande à Dieu, comme la plus grande grâce qu'il puisse me faire, c'est de me séparer de tout intérêt terrestre, pour ne plus tenir aux hommes que par le lien de la charité. (Note de l'auteur).


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on vous imputeroit d'avoir tout fait, d'après

votre tête, quand je n'avois plus la mienne; "demeurez, je veux donner les ordres moi» même. » Le général étant monté à sa chambre s'étoit jeté sur son lit tout habillé ; il dormoit, lorsqu'un bruit inaccoutumé le réveille. Le général Bertrand entre chez lui, et d'une voix très-animée lui demande « ce que c'étoit » qu'une chapelle en permanence chez l'em» pereur et, l'abbé Vignali ne décessant d'offi» cier. » Le général répartit : «Qu'on pouvoit in"

in" l'empereur là dessus. » — Comment » cela, puisque c'est de vous, que Saint-Denis a » reçu ces ordres-là, de vous seul, » s'écria le comte Bertrand. Les deux généraux descendirent pour interroger Saint-Denis , qui convint qu'il avoit reçu de l'empereur directement l'ordre relatif à l'érection de la chapelle. Alors le comte Bertrand entra chez Napoléon, et crut devoir faire une objection respectueuse « contre des actes aussi solennels, aussi réitérés de religion, que la renommée porteroit en Europe, pour les défigurer, qu'il regardoit comme des exagérations politiquement peu convenables , plus

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conformes d'ailleurs au caractère d'un religieux qu'à celui d'un vieux soldat, son empereur.» Alors Napoléon se leva sur son séant, et d'une voix animée : « Général, je suis chez moi, vous » n'avez pas d'ordre à donner ici, vous n'en avez " pas à recevoir ; pourquoi donc êtes vous ici ? » Est-ce que je me mêle de votre ménage, moi?» Le général s'inclina et sortit; mais il ne put comprimer aussitôt son humeur, qui se manifesta par ce mot, qu'il prononça en haussant les épaules : « capucin. »

Cependant on s'étoit empressé de démolir l'autel. Sur un nouvel ordre, on le reconstruisit; les intentions de l'empereur furent remplies ; les prières des quarante heures et la messe furent dites, tous les jours. Quand l'heure eut sonné, on commença les prières des agonisans, sublime invocation du chrétien, près de quitter son corps et la terre, dernier battement de son coeur expirant.

Antommarchi cite dans son journal des paroles qui se rapportent trop directement à la religion, pour les omettre. Napoléon parla des cultes, des dissensions religieuses, et de


— 167 — l'espérance qu'il avoit nourrie de rapprocher toutes les sectes. « Je n'ai pu l'exécuter, ditil ; les revers sont venus trop tôt ; mais du moins j'ai rétabli la religion; c'est un service dont on ne peut calculer les suites. Que deviendraient les hommes sans la religion?»

M. de Norvins rapporte les paroles suivantes : «Aucun remède ne peut me guérir, dit Napoléon à un étranger qu'il avoit admis auprès de son lit; mais ma mort sera un beaume salutaire pour mes ennemis. J'aurois désiré de revoir ma femme et mon fils ; mais que la volonté de Dieu soit faite. « Puis, avec une attitude digne de Socrate, il ajouta : « II n'y a rien de terrible dans la mort; elle a été la compagne de mon oreiller pendant ces trois semaines, et à présent, elle est sur le point de s'emparer de moi pour jamais. »

Il dit encore : « Quelle souffrance mes ennemis me font endurer ! Encore s'ils m'avoient fait fusiller, j'aurois eu la mort d'un soldat. J'ai fait plus d'ingrats qu'Auguste. Que ne suis-je comme lui en état de leur pardonner. »

Le 3 mai, après avoir dit adieu à ses généraux , l'avant veille du jour fatal, il prononça


— 168 — cette parole : « Je suis en paix avec le genre humain ( 1 ). »

Ce même jour, l'empereur reçut une seconde fois le saint viatique; ce qui est attesté par M. Antommarchi et par M. Marchand.

Voici ce qu'on lit dans Antommarchi :

Le 3 mai, 2 heures après midi, la fièvre diminue. Tout le monde se retire. L'abbé Vignali reste seul avec le malade, et nous rejoint quelques instants après dans la pièce voisine, où il nous annonce qu'il a administré le saint viatique à l'Empereur.

M. Marchand m'a dit que les choses s'étaient passées telles que les rapporte M. Antommarchi, et que pour ce qui le concerne, son souvenir lui rappeloit de la même manière l'événement de la dernière entrevue du prêtre et de Napoléon.

(1) Les personnes qui ne veulent entendre parler de religion qu'à l'église, parce qu'elles n'y mettent jamais les pieds, peuvent lire l'Histoire de Napoléon, par M. LAUBENT de l'Ardeche. La religion y tient peu de place. Tout ce qu'il en dit est à peu près contenu dans cette seule ligne : L'abbé Vignali n'attendoit qu'un moi qui lui permît d'achever son ministère. L'empereur prononça ce mot le mai. La fièvre diminue. Seul avec le digne abbé, Napoléon reçoit le saint Viatique. Voilà bien le langage suffisant d'un libéral mal informé!!! ( Note de l'Auteur).


— 169 — Le buste de son fils, qu'il avoit fait placer en face de son lit, eut son dernier regard. Il joignit les mains et sa dernière parole fut : « Mon Dieu. » Telle fut la fin de Napoléon , fin vraiment chrétienne!



SOMMAIRE.

Codicille consacré aux pauvres.—Exposition du corps.— Le crucifix sur la poitrine. — Messe solemnelle. —Marche religieuse et honneurs funèbres. — L'abbé Vignali et le jeune Henri Bertrand portant un bénitier d'argent avec le goupillon. — Description du cortége. — De profundis et prières au bord du caveau sépulcral. — Descente du cercueil dans le caveau. — Salut du canon anglais. — Pierre énorme pour fermer la tombe. —Garde à perpétuité posée auprès du sépulcre de Sainte-Hélène, qui reçoit ainsi le même honneur rendu au sépulcre du Calvaire.



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CHAPITRE VI.

0 jour de colère et de vengeance

Lorsque le souverain juge paraîtra pour examiner les actions de l'homme selon la rigueur de sa justice!!!

(Prose de la messe des morts).

Après sa mort, son visage portoit encore l'empreinte du calme de son âme.

Il y avoit six heures que Napoléon étoit sans vie; les exécuteurs testamentaires avoient pris connaissance d'un codicille, qui devoit être ouvert immédiatement après la mort de l'empereur : Ce codicille étoit relatif aux gratifications qu'il accordoit sur sa cassette à toutes les personnes de sa maison et à des aumônes que Napoléon ordonnoit de distribuer aux pauvres de Sainte-Hélène.


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Le corps resta exposé le 6 et le 7 mai, dans une chapelle ardente, sur un des lits de campagne; ce lit étoit surmonté de petits rideaux blancs , qui servoient de sarcophage... Le manteau de drap bleu , que Napoléon avoit porté à la bataille de Marengo, couvroit le corps ; les pieds et les mains étoient libres ; l'épée au côté gauche et un crucifix sur la poitrine;... derrière la tête étoit un autel, où le prêtre en surplis et le visage inondé de larmes, récitoit des prières.

Le 8 mai, la messe funèbre fut dite avec toute la solennité possible à Sainte-Hélène. Les troupes prirent le deuil et les armes dès la pointe du jour. Le gouverneur arriva avec le contreamiral et toutes les autorités civiles et militaires de l'île, qui se trouvèrent réunies à Longwood. La journée étoit magnifique. La population pleine de respect et d'émotion , couvroit les avenues; la musique couronnoit les hauteurs. Jamais spectacle aussi triste, aussi imposant, n'avoit été étalé dans ces lieux. Midi et demi sonnent, les grenadiers soulèvent avec peine le cercueil, qu'ils parviennent à transporter dans la grande allée du jardin , où les attend le char funèbre. Ils le placent sur le char , le couvrent


d'un drap de velours violet et du manteau que Napoléon portoit à Marengo. La maison de l'empereur est en deuil. L'abbé Vignali marche le premier, revêtu des ornements sacerdotaux, avec lesquels on célèbre la messe, ayant à ses côtés le jeune Henri Bertrand , portant un bénitier d'argent avec son goupillon ; puis le docteur Antommarchi, le jeune Napoléon Bertrand, M. Marchand, les comtes Bertrand et Montholon, qui étoient à cheval; la comtesse Bertrand avec sa fille Hortense., dans une calèche attelée de deux chevaux , conduits à la main par ses domestiques ; ensuite venoient tous les officiers de terre et de mer, ayant à leur tête le gouverneur de l'île et le contre-amiral, le général Coffin et le marquis de Montchenu, tous à cheval. Quinze pièces d'artillerie étoient placées le long de la route, et les canoniers se tenoient à leurs pièces, prêts à faire feu. Des corps de musiciens, placés de distance en distance, ajoutoient encore par leurs sons lugubres à la tristesse et à la solennité de la cérémonie.

Parvenu à un certain endroit où le char ne pouvoit plus avancer, on fit halte : les grenadiers prirent alors le cercueil sur leurs


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épaules, et le portèrent ainsi jusqu'au lieu de la sépulture, par une nouvelle route , qui avoit été pratiquée exprès sur les flancs de la montagne. Les comtes Bertrand et Montholon, Marchand et le jeune Napoléon Bertrand, portent les quatre coins du drap. Le cercueil est déposé sur les bords de la tombe, que l'on avoit tendue en noir. Tout présente un aspect lugubre , tout concourt à augmenter la tristesse et la douleur dont les coeurs sont remplis. L'émotion est profonde , concentrée et silencieuse. On découvre le cercueil. L'abbé Vignali récite les prières accoutumées, et le corps couvert de cette pluie vivifiante des bénédictions catholiques, est descendu dans sa dernière demeure, les pieds vers l'orient et la tête à l'occident. L'artillerie fit aussitôt entendre trois salves consécutives de quinze coups chacune; le vaisseau amiral avoit tiré pendant la marche vingt-cinq coups de canon, de minute en minute. On soulève une énorme pierre , on la pose au dessus du eercueil, appuyée de chaque côté sur un mur; c'est cette masse qu'on fixe avec de la maçonnerie, et recouverte d'une couche de ciment, qui ferme la tombe. Aussitôt la foule


— 177 — se jette sur les saules qui ombragent la tombe et qui sont déjà l'objet de la vénération ; chacun vouloit en avoir une branche. Il ne fut permis , ni d'élever une pierre tumulaire , ni d'écrire une modeste inscription. Mais on plaça une garde de douze hommes avec deux factionnaires et deux officiers, qui devoient y rester à perpétuité, disoit-on. Signe extraordinaire de la puissance d'un mortel qui faisoit décerner par ses ennemis à son sépulcre un honneur qui avoit été jusque-là le privilège inoui et exclusif du sépulchre du Calvaire!!!



CHAPITRE VII.

SOMMAIRE.

L'âme de Napoléon devant le tribunal de Dieu.—Sentiment de crainte.—Rugissement de Satan. —Fluctuation de la conscience. — Humilité profonde de Napoléon. — Apparition et accusation des sept péchés capitaux. — Défense de l'ange gardien, qui fai l'humble aveu de la misère de la créature. — Discours de Satan qui accuse Napoléon d'orgueil, de haine contre Dieu et de persécution de l'Église. — Six péchés capitaux disparaissent et l'orgueil demeure. — Lutte entre l'ange de ténèbres et l'ange de lumière qui console Napoléon dans son affliction. — Noble espoir, discours de Napoléon.—Histoire de l'orgueil de Napoléon, qui s'en confesse devant Dieu. — Il condamne l'orgueil des rois schismatiques et hérétiques. — Son opinion sur le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.—Son projet de faire un seul peuple de tous les peuples avec une seule religion. — En quoi il a été coupable et justement châtié. —Il prouve son amour de l'Église par le bien qu'il lui a fait et par le mal qu'il pouvait lui faire et qu'il ne lui a pas fait. — Il se vante de sa foi en Dieu. — Il énumère tous ses droits à la récompense céleste. — Il se prévaut des sacrements et du pardon de l'Église. — Fin du discours de Napoléon. — Apparition de la sainte Vierge. — Accusation nouvelle du démon. — La foi et les oeuvres. — Napoléon , homme inique, fourbe et sanguinaire.— Disciple de Machiavel. — L'émule des Henri VIII, des Elisabeth d'Angleterre, des Catherine de Médicis. — Comparé à Louis XVI. — Ses crimes et sa scélératesse. — Admiré comme Danton, Robespierre, Saint-Just. — Comparé à Marat. — Un composé de tous les tyrans. —Accusé

de mépris et de corruption. — Il n'a pas rétabli la religion. — La France appartient au journalisme qui ne fait qu'un avec le


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démon. — Christianisme extérieur et matériel de Napoléon. — Absence de foi prouvée par l'absence de pratique. — Les partis qui divisent la France. — Le pape prisonnnier. — Divorce de Jérôme Napoléon. — Divorce de Napoléon. — Refus du pape d'être l'allié de Napoléon. — Attentat sacrilége sur le pape. — Napoléon accusé de despotisme et de cruauté. — Assassin du duc d'Enghien. — Tison de discorde. —Le feu des vices réclame

le feu de l'enfer. — Équipée de l'île d'Elbe. —Homicide Fin

des accusations. — Exhortation de la Vierge à l'ange gardien.— —Discours de l'ange gardien qui réfute les arguments du démon.

— Noblesse de l'âme de Napoléon. — Les intentions. — Péché originel et ses suites. — La damnation est le fait de la méchanceté propre des individus. — L'être animal et l'être spirituel. — L'âme de Napoléon dans le sein de sa mère. — Vertus de la mère de Napoléon. — Ondoyé et baptisé. — Enfance extraordinaire.

— École de Brienne. —La sensibilité est l'éceuil du coeur. — Raison et foi de l'écolier. — Sa première communion. — Danger de l'imagination. — Effet des mauvaises lectures. —Adhésion à la révolution française.—Trompé par des sophismes et désabusé par des forfaits. — Besoin d'agir. — Les fautes de la jeunesse de Napoléon n'ont pas été stériles.— Sa foi sort victorieuse du républicanisme. — Chrétien et vertueux à l'armée d'Italie. — L'idée de l'ambition suprême simultanée avec celle du rétablissement de la religion. — Son épée et sa croyance.— Hiérarchie nouvelle créée par Napoléon. — Son erreur sur l'indépendance du pouvoir temporel. —Erreur de la passion plutôt que du jugement libre de la volonté. — Condamnation du divorce dont le crime est rejeté sur l'officialité servile de Paris qui l'approuva. — Responsabilité du sang versé à la guerre on par les tribunaux. Excuse de l'orgueil qui étoit l'expression des nécessités de la politique plus que d'un coeur allier. — Éloge du coeur de Napoléon. — Son horreur pour la guerre civile. — L'emploi de son temps justifié. — Observation du dimanche sous son règne. — Son droit au paradis fondé sur l'examen de sa vie toute entière et sur la rémission de ses péchés. — Satan vaincu de son propre aveu. — Apparition de plusieurs millions d'élus sauvés par le concordat. — Fuite de Satan. — Supplication de la Vierge en faveur du héros restaurateur des autels de son fils. — Parole de la Vierge qui annonce à Napoléon son admission dans le paradis.


CHAPITRE VIII.

CONCLUSION (1),

Je crois en Jésus-Christ... qui est monté au ciel, qui est assis à la droite de Dieu tout puissant, d'où il viendra juger les vivants et lès morts,

(Symbole des apôtres.)

L'âme de Napoléon, en sortant de son corps, est sortie du temps, et, pur esprit, remontée vers le père des esprits, dans la compagnie de son ange gardien et précédée de l'ange tentateur. Terre , fuyez donc, et vous cieux, entr'ouvrez-vous ; laissez un regard mortel pénétrer vos secrets. O vision inévitable qui me fait frémir... Voici la Trinité, voici l'essence incréée, voici le principe des êtres, la vérité qui apparoît enfin dans le calme de son impassibilité, dans l'éclat de sa lumière. A cette vue adorable, Napoléon s'émeut, saisi

(1) Nous irons au devant des objections contre un épilogue oratoire tout d'imagination dans un ouvrage tout historique. Ces objections ser roient fondées, s'il s'agissoit de cette imagination fausse, qui assemble des objets incompatibles, bizarres, qui peint des objets qui n'ont ni analogie, ni allégorie, ni Vraisemblance, et dont les oeuvres sont plus dépourvues d'ordre et de bon sens que nos contes de fées : cette imagination ridicule et fantasque , est celle de nos grands littérateurs actuels, qui ne sont vraiment que les chantres du mensonge : c'est justement qu'on se défie de cette imagination qui apprêté à rire, et qui excite à la fois le dégoût et le mépris; mais il est une imagination sensée et discrète, toujours naturelle, qui n'emploie la fable que dans l'intérêt de la vérité, pour rendre sensible ce qui est abstrait. La fiction de celle-ci et ses images ont paru nécessaires à plusieurs grands historiens eux-mêmes, qui n'ont pas dédaigné d'y recourir. Tel est le modèle de notre épilogue; ceux à qui il déplaît, peuvent ne pas le lire, mais il est une partie essentielle et intégrante de notre ouvrage, et par conséquent, selon nous, ne saurait en être séparé. (Note de l'auteur.)


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qu'il est d'une terreur involontaire qu'excite en nous l'infini, il tremble; car il ne trouve en lui qu'un seul sentiment, celui de son néant, et le souvenir de ses iniquités innombrables, fleuve immense qui grossit sans cesse, dont le flot tumultueux nous agite ça et là, nous soulève, nous entraîne, et qui nous sépare trop souvent de l'objet qui nous aime , et vers lequel l'âme se sent mystérieusement attirée... Semblable à un lion rugissant, Satan triomphe, à peine contenu par la présence de l'être des êtres, il exhale sa rage: mille et mille accusations différentes partent de ses yeux : ce sont autant de flèches enflammées qui peuvent donner la mort, des éclairs qui partent avant la foudre et capables comme elle d'anéantir. Alors une seule idée nous absorbe, l'idée d'un danger immense qui s'avance contre nous comme un océan tout prêt à nous submerger ! Le plus juste admire avec effroi l'abîme de l'être in créé, qui le fait rentrer en lui-même, pour admirer avec le même effroi l'abîme de l'être créé. En vain cherche-t-il pour appui le témoignage intérieur de ses bonnes actions: sa conscience est plus mouvante que le sable des


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mers labouré par un vent furieux : il se juge indigne de la société et de la communion bienheureuse; si l'amour et le respect ne le retenoient, se condamnant tout le premier, il voudroit s'enfuir

Satan frémit, et impatient de sa victoire, appelle à soi les sept péchés capitaux qui surgissent et couronnent sa tête, hideux et vivants diadèmes dont l'éclat affreux réfléchit et raconte toute cette histoire lamentable des égarements et de la perversité du coeur humain. Napoléon lui-même a peur de ces sept démons qui sont là dans toute leur laideur : la colère, la gourmandise, la paressej la luxure, l'avarice, l'envie et l'orgueil. L'ange gardien, qui connoît les liens, les chaînes elles affinités innombrables et invisibles qui unissent les âmes au péché, tremble pour l'âme de son client ; mais, armé d'une modeste confiance. il s'avance au pied du trône, où siégé le juge des vivants et des morts, et jetant un regard suppliant vers son visage immuable et splendide Gomme l'azur :

« Oui, dit-il, l'homme n'est qu'illusion et mensonge, son esprit n'est que malice et corruption. L'âme est criminelle dès son union avec


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le corps : dès cet instant même, elle est l'esclave du démon et des sens: d'esprit elle devient chair. Est-ce là ce que confesse Satan ? Nous le confessons avec lui. Oui, Napoléon confesse que sans l'assistance de Dieu , il étoit incapable d'aucun bien; il étoit au contraire capable de toute sorte de mal, puisqu'il n'avoit alors d'autre principe en lui-même que sa vie propre, c'est-à-dire son néant, sa naissance rebelle et sa chair corrompue. Cesse, cesse donc, ô Satan, de nous accuser, puisque nous nous accusons nous-mêmes. »

Satan répartit :

« Cessez, cessez vous-même devons opposer à la justice, car elle est à moi, elle a mérité le même enfer et le même supplice qui est mon partage, l'âme sacrilége qui, orgueilleuse comme moi-même, a déclaré comme moi la guerre au Verbe incarné et à sa mère, en persécutant la religion chrétienne, et en se portant à des attentats inouïs contre la personne du pape Pie VII. Je le demande:par qui fut-il dépossédé et banni de ses états, menacé, moqué, incarcéré? Tel est le crime de Napoléon,qui ne s'est pas contenté d'être le premier des mortels . Ce n'étoit point assez pour lui : il nourrissoit


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et il inspiroit une si haute et si folle idée de luimême , qu'il prétendoit à dominer aussi bien sur les âmes que sur les corps, s'assujétir l'esprit comme il s'étoit assujéti la matière, emporter d'assaut le ciel comme il prenoit les royaumes. Telle fut l'ambition ou mieux la folie d'un empereur qui n'aspiroit à rien moins qu'à une domination universelle dont il eût été le despote. Cet insolent rêva bien d'être indépendant de Dieu, en détrônant Satan lui-même , pour se faire, de son autorité privée, le centre et le mobile de l'univers. Mais alors j'épiois ses pas, bien certain que sa chute et son châtiment ne pouvoient tarder. L'insensé travailloit pour moi, et déjà se déclaroit, bon gré mal gré, mon esclave; car ne pas dépendre de Dieu, c'est dépendre de Satan : ainsi l'a décrété l'éternel. Cessons de disputer : je réclame cet enfant d'orgueil ; à ce titre celte âme est à moi. » Pendant cette lutte, soit artifice du démon ou l'effet d'une cause supérieure et secrète, six péchés capitaux tombent du front de Satan; mais l'orgueil y demeure, et l'orgueil tout seul est menaçant comme un orage ténébreux, capable de ravir à Dieu courroucé sa foudre et


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ses éclairs ; Satan, qui s'en aperçoit, redouble son effort: il s'élance sur Napoléon comme sur sa proie; mais l'ange de lumière s'oppose à l'ange de ténèbres.

Pour Napoléon, consterné par le ressouvenir de ce qu'il avoit osé entreprendre contre la sainte Eglise, n'écoutant que son affliction extrême, il étoit muet, il s'humilioit, il se condamnoit lui-même. Agité d'une indéfinissable perplexité, il appeloit à soi, il conjuroit par des gémissements intérieurs la miséricorde divine. L'ange de lumière s'approche de lui et verse dans son âme une influence secrète; aussitôt Napoléon sent circuler en lui une joie qui le fait revivre : « Je vois Dieu, dit-il, je suis heureux, ne dussé-je en jouir qu'un moment, suivi de l'arrêt de ma damnation éternelle. » Ranimé par ce sentiment comme par un parfum suave qu'il respire, il reprend courage, et s'abandonne à l'espérance ; il veut se défendre, plaider lui-même la cause de son destin immortel; cependant il se tient à la plus extrême limite, où la créature puisse se placer loin du Créateur, sans sortir de sa présence, l'amour lui inspire celte réponse :


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» Accusé d'orgueil par l'ennemi du genre humain, je m'humilie au pied du trône, d'où j'attends mon arrêt, non selon la justice, mais selon la miséricorde. Cependant loin de moi des détours mensongers ! j'en conviens avec Satan, j'affectai l'indépendance; oui, jamais mon front ne se baissa devant un front mortel que ma présence intimidoit ; mon regard seul imposait aux rois eux-mêmes : j'en conviens, je ne pensois pas que le corps seul et la matière dussent obéir à mon sceptre : oui, je voulus commander à l'âme elle-même. Telle étoit l'idée que je me faisois du souverain ; c'étoit chez moi science, conviction persuasion intime. Le souverain fut toujours à mes yeux un être à part, relevant de Dieu seul et de sa conscience. Je fus criminel, c'est l'histoire des plus grands souverains qui m'a trompée; voilà mes modèles, tels ils avoient été, tel je voulus être! Souverain comme eux, j'aspirai comme eux à être vraiment représentant de Dieu, son image. Tout indigne que j'en étois, je crus de mon devoir de tenir sa place sur la terre, et d'y être ce qu'il est dans le ciel. Tel fut mon orgueil : faute de distinguer le sacré du profane, je fus conduit à la plus horrible de toutes les tyrannies, celle qui


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s'exerce contre la liberté du for intérieur: j'y serois arrivé, si Dieu ne m'avoit retenu sur la pente d'un effroyable abîme. Satan appelle avec raison insensé, le souverain qui viole la limite de la juridiction spirituelle. La chose la plus sacrée parmi les homme, c'est la conscience. Il y a une voix secrète qui crie que rien sur la terre ne peut nous obliger à croire ce que nous ne croyons pas. Sophistes menteurs, et vous rois., qui disputez à Dieu son trône en l'usurpant pour vous, vous faites avec complaisance l'énumération des inconvénients de l'ascendant et de la prééminence du prêtre, ignorez-vous donc les inconvénients du despotisme du souverain ? Les uns et les autres sont ceux de l'humanité. Mais le prêtre est celui qui offre le plus de garanties, parce qu'il est le plus désintéressé par son état, par ses voeux, par ses moeurs : enfin, il est l'expression de ce qu'il y a de plus noble dans l'homme, le représentant et la personification de la divinité. Soyons positifs, soyons sincères. Quel est celui qui a jamais osé nier que l'âme ne soit absolument dans le domaine du prêtre? Eh bien ! l'âme, c'est l'homme. La société doit donc être , je ne dis pas admi-


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nistrée ni gouvernée, mais éclairée et guidée par le prêtre. Autrement il faut obéir à de vils rhéteurs ou à la force du sabre. Je le savois, et ma science ne me préserva pas de cet écueil! Je voulois fonder mon trône sur la religion, et je l'appuyois sur mon épée! Je fis ce que je ne voulois pas faire. Tant il est vrai que la passion est un tyran qui nous aveugle ! J'avois horreur de l'hérésie et du schisme. Je sentois au dedans de moi, que l'âme est un être spirituel qui ne relève, qui ne peut ni ne doit relever absolument que de Dieu , dont elle est proprement le royaume. Mes intentions étoient bien différentes de celles que l'on me prête et des actions qui ternissent ma gloire. Je tenois à ne faire qu'un avec le pape, non pour diminuer son pouvoir, mais pour l'agrandir. Peut-être ce monde grossier qui ne connoît que ce qui est matériel, auroit cessé de rire des soldats du pape, le jour où je me fusse déclaré , moi Napoléon, un soldat du pape. Telle étoit mon ambition ! Je n'osois l'avouer publiquement par respect humain, mais aussi par politique. Le secret est l'âme du succès. J'avois affaire à une race incrédule et méchante, rebelle à la foi, sans vertu pour


— 190 — agir, assourdie qu'elle est par un bavardage intarissable ; race amoureuse des crimes qu'elle n'a plus l'énergie de commettre, pétrie d'égoïsme et de corruption. Avec le peuple, il faut agir et non parler. Encore un moment, j'allois monarchiser l'Europe et en faire un seul empire , corps immense , dont le pape eut été le chef spirituel et Napoléon le chef temporel. Idée grandiose, dont Henri IV avoit eu le pressentiment ! Ma jeunesse, comme la sienne s'étoit écoulée dans les camps : je gardois pour ma vieillese l'occupation d'un travail vraiment digne de moi, une mission toute morale , évangélique, la rénovation de la société par la religion. J'eusse déclaré une guerre d'extermination à l'impiété. J'eusse fait un auto-da-fé de tous les livres obscènes; nouvel Hercule, j'aurois nétoyé cette étable d'Augias. J'aurois banni du monde la fraude et l'intrigue , ce journalisme qui est une impureté d'eunuque, l'idéologie , enfin tous les vices, l'adultère et l'inceste qui désolent le monde et souillentle temple auguste de la famille elle-même ( 1). Persuadé de la

(1) Il est une calomnie que je ne passerai pas sous silence. Les mêmes personnes qui ont imaginé de dire que l'empereur étoit lâche, ont aussi imaginé de l'accuser d'un inceste. En effet, ces


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vérité du christianisme, j'étois également persuadé qu'il falloit, non-seulement identifier, mais absorber l'état dans la religion , comme l'élément indispensable, essentiel de la durée et de la félicité des peuples ! J'allois organiser le clergé avec plus de soin que je n'avois organisé l'armée et la société. Les curés auroient eu tout le pouvoir et les honneurs, sans les inconvénients, du seigneur féodal; les séminaires eussent été des pépinières d'où ne seroient sortis que des sujets éclairés et fidèles, qui eussent été les amis, les consolateurs de toutes les infortunes, de vrais disciples de Jésus-Christ De gré ou de force, le monde fut devenu chrétien. J'eusse par tous les moyens aboli le protestantisme, qui n'est qu'une doctrine de révolte, d'anarchie et de division (1).

deux accusations ont de l'affinité et vont assez bien ensemble. Il faut signaler un inceste quand il est public, comme celui dont parle saint Paul dans ses Épîtres, avec une charité qui semble avoir moins pour but de flétrir l'auteur d'un forfait semblable que de lui rendre la confiance, en faisant briller à ses yeux l'espoir du pardon et de la rentrée en grâce avec Dieu, par le moyen de la pénitence, à la bonne heure! mais imputer sans la moindre preuve raisonnable à un héros, dont le caractère propre est l'empire sur soi-même, ce qui ne convient qu'au plus corrompu et au dernier des hommes, ce n'est pas seulement de la partialité et de la calomnie, mais de l'absurdité!!!

(Note de l'auteur.)

(1) M. le général convie de Montesquiou, ancien aide-de-camp de l'emnereur, raconte que passant auprès des prisonniers et des


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Le monde qui penche vers sa ruine, me sembla mûr pour cette rénovation, pour l'établissement d'une grande monarchie spirituelle et temporelle. Je me sentois assez fort pour la réaliser : je comptois trop sur mon bras de chair. Vouloir tout faire par mes propres forces, c'étoit orgueil, c'étoit imiter Saül. Comme lui je touchai à l'encensoir, et comme lui je fus rejeté. Enfin je fus excommunié. Aussitôt tout me devint funeste, tout changea pour moi. Ce ne sont pas les hommes qui m'ont vaincu , ce sont les éléments, c'est l'excommunication (1).

Vivant, je l'ai confessé tout haut. Mais j'ajoute que si Dieu m'a châtié, il ne m'a pas

blessés, sur un champ de bataille, Napoléon l'avoit fait descendre plusieurs fois de cheval, pour s'informer de la religion de ces malheureux ; ils répondoient presque tous : « Chrétiens. » L'empereur demandoit : " de quelle communion ? » Plusieurs répondoient : «protestants. » — Eh bien ! ajoutoit l'empereur , dites leur qu'ils ne sont pas chrétiens. " M. de Montesquiou disoit; — " Sire, les protestants sont chrétiens." L'empereur : « Non, monsieur, ils ne le sont pas... » Ceci prouve que l'esprit de l'empereur étoit éveillé et nullement indifférent sur ces matières si graves, que nos hommes d'état ou nos grands hommes du journalisme, daignent à peine juger dignes d'un regard de leur illustre pitié !

(Note de l'Auteur.)

(1) L'empereur venoit de de livrer la bataille d'Essling, il étoit dans sa tente, au milieu de son armée , quand le nonce du pape qui était à Vienne, arrive et demande une audience'pour accomplir un ordre de son souverain. L'empereur le reçoit. Le nonce lui remet


— 103 — perdu. J'ai reconnu sa main qui me terrassoit. Je n'ai pas seulement donné la liberté au pape: j'ai aussi obtenu de lui le retrait de la sentence d'excommunication fulminée contre moi. Je me soumis aux conditions, à la pénitence qu'il m'imposa , pendant que j'étois à l'île d'Elbe. Avant d'en sortir pour mon expédition des cent jours, je l'assurai par un de mes frères , que remonté sur mon trône, je prenois l'engagement de ne jamais rien tenter contre le domaine et l'autorité de Saint-Pierre. J'étois vraiment changé et converti. Mes sentiments étoient, à cette époque, ceux que la religion elle-même avoit reconnus , lorsqu'elle me bénit, le jour de mon sacre, ou je consentis à m'humilier et à me prosun

prosun en lui disant : « Sire, j'ai l'ordre de remettre cette huile en mains propres à votre majesté. » L'empereur décacheté et lit avec un sentiment concentré la bulle de son excommunication. Il envisage le nonce et laisse échapper cette exclamation : " Vous avez fait votre devoir, monsieur le nonce ; c'est du courage à vous! Je vous estime. » Puis, après un moment de silence, et en le congédiant : « Quels hommes, quel caractère! Plus tard, relisant la bulle fulminée contre lui, il la froissoit dans ses mains, en disant : " que pense-t-il? j'ai 500,000 hommes sous mes ordres. Sa foudre ferat-elle tomber les armes des mains de mes soldats. » Quelque temps après, en Russie, les soldats se couchaient sur la neige et le froid leur faisait tomber le armes des mains, dit M. de Ségur. Et nous lisons dans la Sainte-Ecriture: nix, glacies , ministri ejus, la neige

et le froid sont les ministres qui exécutent les volontés du ToutPuissant.

( Note de l'auteur. )


— 194 — terner devant elle, tout superbe que j'étois ! Je fis cet acte de soumission publiquement, environné des grands de mon empire, en présence de l'Europe et des partis étonnés, dans l'église Notre-Dame de Paris. Les dissensions qui s'élevèrent entre le pape et moi, peuvent éclaircir et prouver ces sentiments. J'impute tout le mal à Satan, je fus criminel en lui cédant, plutôt par une adhésion surprise au consentement, que par une adhésion libre de ma volonté. Aussile mal, comme une écume, a disparu avec moi, sans laisser de trace, tandis que le bien demeure. Fort et tout-puissant pour restaurer l'Église, je fus foible, irrésolu pour l'attaquer. C'est que dans l'un et dans l'autre cas, j'écoutois ma conscience. Les racines de mon empire étoient profondément enfoncées dans la terre que je méprisois , tandis que mon âme s'élevoit jusqu'à l'azur, pour y chercher ses inspirations. Apprends ce secret, Satan, je le divulgue à ta confusion et à la louange éternelle de Dieu. L'origine de mon pouvoir fut ma méditation: méditer, c'est prier. Oui, javois la foi, je priois, quand d'une main ferme, je terrassois l'impiété et l'irréligion ! et moi, mar-


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que de l'onction qui fait les rois, je serois traité comme un enfant d'orgueil ! l'élu de Dieu deviendroit l'esclave de Satan! moi, qui ayant conquis par mon épée le plus beau trône du monde, voulus le recevoir de la main du prêtre; moi, qui m'agenouillant devant la religion, obligeai, par mon exemple, l'univers à s'agenouiller; moi, qui par mon titre d'empereur par la grâce de Dieu , confessai que toute vraie puissance descend de cette origine sacrée ; moi, qui ai reconnu, béni Dieu dans mon adversité, comme je l'avois reconnu, béni dans la prospérité. J'invoque ces deux confessions si différentes contre Satan, dont je conçois la fureur contre moi; enfin j'ai arraché à l'enfer une grande nation, rentrée pour jamais dans le bercail de l'Eglise chrétienne. J'ai fait cette oeuvre, et je me prévaux de n'avoir pas reçu ma récompense sur la terre, puisque ma vie tout entière n'a été qu'un laborieux travail, et sa fin qu'une suite de châtiments et de malheurs inouïs. Ah j'invoque le sang du Christ et son humilité! N'a-t-il point payé pour mon orgueil, lui qui est mort tout nu sur une croix , pour le salut des hommes! si j'ose le dire, plus je fus orgueilleux, plus j'ai dû souffrir ! J'ai expié


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la gloire du commencement de ma vie par les humiliations de mes deux déchéances et par les tortures de mon exil et de ma prison. Moi aussi, j'ai eu part au calice des ignominies, j'en ai bu la lie amère, sans exhaler une plainte, un seul murmure! J'eus tort de lutter contre l'Eglise, en essayant d'intimider, son chef, pour en triompher et l'amener à mes desseins. Ce crime étoit une ingratitude énorme, une témérité sacrilège de ma présomption ! Le désir de plaire aux hommes du siècle m'a trompé! Insensé qui prétendois affermir la hiérarchie fondée par moi, quand je l'ébranlois et la détruisois! Qu'estelle devenue celte hiérarchie dont j'étois si fier? Séparée de celui qui en étoit l'âme, ce n'est plus qu'un mécanisme, mais un mécanisme qui excite encore l'admiration, et qui est la vraie cause qui maintient dans l'ordre un vaste empire. Telle est ma réponse à Satan, dont les accusations pleines de violence ne sauroient ébranler celui qui met sa confiance en Dieu, qui d'ailleurs a accompli rigoureusement toutes les prescriptions de l'Église. Je fus marqué en mourant du sceau victorieux de ses sacrements: Oui, j'en ai l'espoir, Jésus mon sauveur, et vous, ô Vierge mère, vous avouerez dans le ciel celui


- 197 - qui vous a avoués sur la terre. Je demande, tout indigne que j'en suis, par miséricorde , l'héritage des saints, prêt à subir toutes les peines imaginables, hormis celle de la société des méchants, »

Après ce discours, Napoléon s'humilia profondément. Il parut aussi un autre trône qui sembloit sortir du premier. Sur ce trône, étoit une femme brillante comme le soleil ; elle avoit la lune sous ses pieds; sa tête étoit ceinte d'une couronne de douze étoiles. Cette apparition nouvelle fut une joie sensible qui consola également l'ange gardien et Napoléon. Le démon qui est le père et le prince de toutes les réalités du royaume du mal, est aussi le père et le prince des folles illusions. Bercé de je ne sais quelle chimérique espérance de mettre dans ses intérêts le nouveau trône, il osa bien persister dans ses accusations; et d'abord, adoucissant sa voix, armé d'une éloquence pleine de fiel, de sophisme et de perfidie s il dit :

« C'est justice d'absoudre ou de condamner l'homme d'après sa foi; car la foi est la génération nécessaire de l'âme, sa vapeur, sa vertu, sa forme éminemment spirituelle, un sym14

sym14


- 198 - bole et l'exercice de la liberté. Mais telle est l'imbécilité de l'homme, qu'il agit souvent contrairement à ses pensées, à sa conviction, à sa volonté; il faut donc aussi le juger sur ses oeuvres. J'admire ici l'audace de Napoléon, de se réclamer de la religion de Jésus-Christ, lui, le plus inique, le plus fourbe et le plus sanguinaire des hommes. Je vais mettre à nu sa scélératesse, puisqu'il m'y contraint. Par son caractère et sa politique comme par sa naissance, il appartient à l'école de Machiavel. Si le livre du prince n'eut existé, Bonaparte l'eut inventé! Toujours l'Italien perfide qui sut vouloir, en se dominant lui-même, domina le Français étourdi et léger. L'élévation fabuleuse et la fin tragique des époux Concini, en est une preuve (1). Bonaparte suivit les traces des Borgia, des Catherine de Médicis, des Henri VIII et des Elisabeth d'Angleterre. Comme eux, esclave sensuel de l'ambition, volontaire, tenace et cupide, il visa le but de la toute puissance et y parvint. Son union avec la France fut un

(1) Concini, maréchal d'Ancre, favori de Marie de Médicis, tué par ordre de Louis XIII, et dont l'épouse, Eléonora Galigaï, fut décapitée et brûlée en place de Grève. (Note de l'Auteur.)


- 199 - hymen si l'on veut, mais l'hymen de la tyrannie; car une seule volonté étoit parfaitement libre et consciencieuse, celle qui s'imposoit plus qu'elle ne se fit accepter. Les François assassinèrent Louis XVI, prince honnête, loyal, qui vouloit le bien du peuple. On lui imputoit le crime d'avoir tiré sur le peuple , crime atroce dont Bonaparte seul fut coupable , lui qui mitrailla le peuple révolté contre la représentation nationale, et qui signala son début politique en se débarrassant par la violence de cette même représentation, révoltée à son tour contrele glaive d'un soldat insolent. Si Louis XVI perdit le trône parce qu'il aimoit la France , parce qu'il étoit humain et débonnaire, Bonaparte fut empereur parce qu'il étoit un scélérat plein de mépris pour les François. Il réussit non par ses victoires, mais par ses crimes et par la crainte qu'il sut inspirer ! tant il est vrai que la crainte est une passion universelle, et la voie la plus sûre pour arriver au pouvoir suprême et pour s'y maintenir. Quelle estime on fait de la politique de Louis XI, et l'on parle à peine de Saint-Louis ! La vraie grandeur de Louis XIV n'est plus appréciée que par un petit nombre. Le


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peuple adore Bonaparte qui compte encore de nombreux partisans; mais Danton, Saint-Just , Robespierre ont aussi les leurs, autrement nombreux, vivants, énergiques! Après cela comment les hommes sont-ils excusables d'ambitionner la popularité. Le vice et le crime sont infinis comme le ciel. Il ne s'agit que de vouloir et de frapper fort pour captiver l'imagination et s'assu rer l'immortalité. Que Bonaparte ne se glorifie donc pas de son renom , qui le cède évidemment à celui de plusieurs scélérats ! Marat est plus illustre, plus fameux que lui! La politique de Bonapate fut peut-être plus habile pour le temps, mais celle de Marat plus profonde pour l'éternité!

Bonaparte est un composé de tous les tyrans qui ont avili l'humanité. Les révolutionnaires le détestent à cause de son despotisme et sentent de l'attrait pour son orgueil, sa cruauté et ses autres vices qui excitent leur sympathie et forment entre eux et lui un lien commun. A force de mépris, il domina les. Français; à; force de corruption, il crut les attacher à lui, l'insensé ! il bâtissoit sur de la boue. Et il ose parler de sa foi ! On peut la résumer dans ces deux mots : mé-


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priser et corrompre les hommes; ces deux mots sont aussi toutes ses oeuvres. Est-ce là croire au ciel et à Jésus? N'est-ce pas plutôt croire à Satan et à l'enfer? Il ose se vanter d'avoir ravi les François à l'enfer, vanterie qui ne m'émeut guère, moi qui sais que la France ne m'a pas été ravie, puisque toute entière elle m'appartient, à moi, qui la fais descendre doucement par une pente insensible vers l'apostasie et dans le puits de mon abîme. Il est vrai, j'ai besoin de dissimuler pour mieux atteindre mon but. Semblable à un être foible et dégradé, qui n'ose faire un retour sur soi-même pour se rendre compte de son état réel, la France a peur de se voir telle qu'elle est; mais l'habitude est trop enracinée , la corruption trop vieille, pour qu'on puisse en revenir et la surmonter; ce serait folie d'y penser. Que m'importe à moi cette pusillanimité? En se fuyant soi-même, l'homme fuit la vérité et assure mon triomphe.

Quand le sentiment religieux est mort chez une nation, c'est que la nation elle-même est morte. Eh bien! le prêtre, cette personnification de la divinité, n'est plus regardé par les François, qui


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l'ont rejeté hors de l'État, que comme un être insignifiant et inutile, s'il n'est dangereux. Leur unique croyance est celle du journalisme, nouvelle idole de mon invention, formée à mon image et ressemblance, qui a pour origine l'amour de soi, l'orgueil, et dont l'essence est un droit absurde et absolu de parler, toujours parler, à propos de tout et à propos de rien, sans règle, sans but, sans dépendance, partant sans amour, mais non sans haine; pluie battante, déluge qui s'infiltre dans l'esprit, refroidit le coeur avec l'attention, ébranle et dissout à la longue les convictions et les principes les plus fermes, noie la conscience, domine, absorbe, dévore l'âme avec un babil assourdissant auquel on cède par fatigue plus que par persuasion ; enfin un mensonge aîlé, qui vole incessamment dans tout l'univers pour ruiner tout nom qui n'est pas celui de Satan, et pour fonder sur une base inébranlable cet empire universel que je dois posséder un jour, et qui aura dans sa sujétion l'espèce humaine tout entière, vile esclave des plus vils bavards et apostate du christianisme.

C'est un fait avéré qui frappe tous les


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yeux, que les vices.de toutes sortes, les mensonges et les illusions, tous les crimes, toutes les folies, toutes les dépravations, ont des autels et des adorateurs zélés. Dieu seul n'a que des autels déserts et des amants sans ferveur, qui croyent faire beaucoup de garder le nom de leur baptême, avec quelque dehors d'une pratique extérieure. Voilà le bel oeuvre de Bonaparte ! voilà le christianisme tout matériel qu'il a rétabli, parfaitement semblable à celui qui l'animoit et qu'il pratiqua lui-même, mais si différent du christianisme de SaintLouis et de Louis XIV. On ne se sauve ni on ne se damne tout seul, vérité proverbiale. Où sont les imitateurs des exemples de Bonaparte? armé de tant de puissance et d'une si grande influence, qu'il me montre une âme, une seule âme qu'il ait gagnée à Dieu, et je m'avoue vaincu. Quel est l'oeil de lynx qui apercevra les vertus et la piété de Napoléon? « Napoléon chrétien, Napoléon religieux », quelle plaisanterie dont l'idée ne vint à personne de son vivant ! Est-ce après sa mort qu'on inventera ce dernier sophisme? Il y a en France un culte officiel rétabli par Napoléon , je le reconnois; mais où sont les chrétiens? Il y


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a aussi un clergé: salarié; mais où sont les prêtres qui ont converti le monde à l'Évangile? Ensuite on compte trois grands partis politiques, qui tôt ou tard se feront une guerre intestine, dans laquelle cette nation périra victime de sa propre fureur, si elle ne succombe sous les armes de l'étranger qui la convoite comme une proie ; mais où sont les disciples du Christ, où sontils? Est-ce cette sorte de bête, prudente d'une prudence animale, qui mange et qui boit, qui fait consister toute sa religion dans son ventre et dans ses intérêts matériels? Ou bien, cette autre bête étourdie et présomptueuse, braillarde et féroce, qui fomente des trahisons et des émeutes par habitude, sans autre vertu qu'un instinct sauvage de destruction, qui lui fait diviniser l'assassinat? Qu'est-ce que le reste des François ? des gens qui mettent toute leur religion dans leur fidélité à un jeune homme qui peut mourir demain, et qui d'ailleurs dorment la grasse matinée. Est-ce là un peuple de chrétiens ? Voilà l'oeuvre de Bonaparte ! voilà tout le fruit de son concordat! ll a rétabli la religion, mais sans la pratiquer ; il a fait venir de Rome à Paris un pape tout exprès, et à


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peine la cérémonie du sacre étoit achevée, qu'il comploloit de le retenir prisonnier. Lui, l'instrument de Dieu, l'hypocrite ! qui ne le fut que de son ambition, puisqu'il voulut au contraire se servir de Dieu comme d'une chose à son usage. N'a-t-il pas essayé d'extorquer au pape l'acte de divorce de son frère Jérôme, marié légitimement à miss Patterson? Cette jeune fille étoit protestante ; « monstruosité, disait-il, dans une cour catholique », quand il ne s'inquiétoit que de l'obscurité d'une naissance honnête, mais bourgeoise. N'avoit-il pas fait un statut spécial pour lui et les siens, à l'effet de bannir le divorce de sa famille, comme un crime qui offensoit les hommes et Dieu ? il opposoit ce statut à son frère Louis, réclamant l'abolition d'un hymen commandé et consenti par la politique; mais sévère pour les autres et indulgent pour lui, n'a-t-il pas sacrifié sa femme Joséphine à son ambition et à sa luxure ? N'eutil pas l'insolence d'envoyer ses ordres au pape comme s'il eût été un préfet ou un général de son empire? « Le pape devoit être l'allié de Bonaparte dans toutes ses guerres, » et quand le pape refusa, l'hypocrite n'écrivit-il pas une


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lettre qui contient ce sophisme : « Si le pap ne croit pas dans sa conscience devoir faire la guerre à aucune puissance chrétienne, je consens que le traité d'alliance soit réduit à être une ligue offensive et défensive contre les infidèles et les hérétiques (1). » Vainement le pape refusa d'accéder à cette proposition, « Ne pouvant accepter et déclarer pour ses ennemis, disoit-il, tous ceux qu'il plaisoit à l'empereur d'avoir pours ennemis.» L'empereur s'empara des états de l'église et renouvela tous les attentats de la révolution françoise : Digne fils d'une telle mère, il osa porter la main sur la personne de Dieu même. Le pape fut son captif : un saint et innocent vieillard, fut traîné de prisons en prisons, abreuvé d'injures et d'humiliations! et ce soldat sanguinaire, ce sophiste sacrilége ose demander le ciel! le ciel, pour celui quia plongé dans l'enfer tant d'hommes qui ne durent leur damnation qu'à la licence

(1) Ceci est conforme à l'anecdote de M. le comte de Montesquion sur l'empereur , déniant le titre de chrétiens aux protestans; et il n'y a pas de réplique possible , puis que cette asssertion est garantie par une personne si honorable , qui a entendu l'empereur , et par une lettre signée de Napoléon lui-même , où l'on voit qu'il mettoit sur la même ligne les hérétiques et les infidèles. ( Note de l'auteur. )


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des camps et à une mort, qui les surprit sur un champ de bataille, où l'intérêt seul d'un despote les avoit entraînés ! Le ciel, pour le lâche meurtrier du duc d'Enghien, victime infortunée du calcul infernal d'un ambitieux qui donnoit un gage à la faction des jacobins, mêlant sa cause avec la leur, en même temps qu'il se débarrassoit d'un rival rendu redoutable par ses qualités personnelles unies à un sang illustre ; le ciel pour cet orgueilleux tellement épris de lui-même, qu'il mettoit ses volontés et ses caprices au-dessus des lois et des principes, au-dessus de la religion même, qui d'ordinaire est un frein pour les plus scélérats des hommes ! comment aruroit-il une place dans le ciel, séjour de l'humilité, ou tout est amour, dépendance et harmonie ? Où seroit-elle la place de celui qui tout-à-l'heure encore se faisoit gloire de ne jamais avoir obéi à personne ? Si on l'admettoit, ce seroit une chose inouïe de voir avec les saints, jouissant de leur inaltérable union, cet artisan de la désunion des hommes, contre lequel tous les rois de l'Univers se virent contraints de faire une ligue pour le dompter et parvenir à l'enchaîner sur un rocher au milieu


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des mers ; là, tant qu'il fut vivant, seul et réduit à lui-même, il menaçoit encore le monde d'un bouleversement général ! non, je ne sais que les cavernes profondes où je tiens captif ensemble et le feu qui alimente tous les vices et toutes les passions, et cet autre feu central terrestre qui doit être leur supplice éternel, je ne sais que l'affreuse demeure de ces cavernes souterraines et enflammées qui puissent contenir et absorber l'activité fébrile et dévorante de ce monstre couronné. Il dit qu'il s'est reconnu sous la main de Dieu, l'imposteur ! non, c'est un mensonge. Son ambition trop vivace ne pouvoit ni mourir, ni même se ralentir ! je n'en veux pour preuve que son équipée de l'île d'Elbe, qui fut vraiment l'entreprise d'une bête féroce, poussée par l'instinct et l'appétit à sortir de sa tanière pour tuer et dévorer. Que de morts dont il fut la cause! j'en suis épouvanté moi-même, moi le roi des homicides, qui reconnois la mort pour ma fille !

Il n'est pas un seul conquérant qui puisse approcher d'une telle destruction; lui tout seul fait équilibre à tous ! et il seroit avec le Dieu de la paix, avec le Dieu des vivants pour


— 209 — l'éternité ! Non, je le réclame, il m'appartient, qu'on me le délivre, il est à moi, le sujet et l'esclave de Satan, pour l'éternité !... »

Après ce discours, Satan confessa qu'il n'avoit rien de plus à ajouter. La Vierge mère elle-même, invita l'ange gardien à plaider la cause de Napoléon, il le fit dans ces termes :

« A l'arrogance tumultueuse de son langage, on reconnoît l'oppresseur farouche, l'antique ennemi de l'âme humaine, qui ne la réclame, qui ne la possède jamais que par le droit de la haine et de la tyrannie. Qui donc es-tu, Satan, pour en user ainsi avec l'élue de Dieu, destinée à sa société charmante et libre, si elle ne préfère ton esclavage ? Mais quel aveuglement, quelle fureur est la tienne, d'oser flétrir avec cette qualification d'inique, fourbe et sanguinaire, qualification odieuse qui réunit et retrace tous les vices, tous les crimes, une âme dans laquelle resplendit à un degré si rare la majesté des attributs de la nature et de la ressemblance de Dieu, et élue entre mille pour être l'organe de la volonté suprême !

Mais autant il paroît de violence, de passion et de désordre dans l'attaque de mon client,


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autant je mettrai de clarté, de calme et de méthode dans sa défense. Le jugement de l'homme doit être rendu sur l'examen de sa foi et de ses oeuvres, j'en conviens; mais il faut tenir compte du bien comme du mal, il faut surtout peser les intentions. Et d'abord, Napoléon renouvelle ici la confession de son indignité : il se condamne comme fils d'Adam ; mais s'il est vrai que le péché originel est l'origine de tous les crimes , lequel détruisit l'équilibre de la création et fit prévaloir la volonté de Satan sur la volonté divine, la matière sur l'esprit, le corps sur l'âme, le visible sur l'invisible, le temps sur l'éternité; s'il est vrai que ce défaut d'équilibre, se perpétue dans la naissance de tous les mortels, il est vrai aussi que la damnation éternelle n'est et ne peut être que le châtiment des fautes et de la méchanceté propre des individus , selon le décret de la miséricorde de Dieu! J'opposerai donc avec confiance au tableau hideux et menteur des vices de Napoléon, j'opposerai le tableau brillant et pur de ses vertus. Satan a décrit l'être animal, je décrirai l'être spirituel. L'âme de Napoléon, descendue de l'entendement divin comme un rayon de lumière,


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dès le premier instant de son union avec le corps, ressentit les heureuses influences de la religion; elle reçut dans ce cloaque même de l'animalité , une sorte de prédestination par le contact d'une mère chrétienne, qui, tout entière à son devoir, veilloit déjà pour imprimer dans un corps tendre et délicat toutes les qualités naturelles, qu'il est au pouvoir d'une mère de donner à son enfant. Aussitôt qu'il parut à la lumière du jour, il fut ondoyé et marqué du signe de la rédemption. Consacré à Dieu, il alloit croître pour lui en sa présence. Rien de puéril ou de frivole n'approcha de son berceau. Pendant son enfance, rien de vague, rien d'incertain, rien de vicieux ou d'impur n'offensa ses yeux, ne macula son esprit. Grâce à la vigilance de sa mère , si différente des autres mères qui ne sont que niaiserie ou tendresse folle, tout étoit précis, positif chez elle . Le moindre geste avoit un sens, une signification; sa parole brève avoit quelque chose de l'autorité souveraine , et inspiroit la crainte à son fils dominé par elle, et qui faisoit ses premiers progrès à la grande école de l'obéissance! heureuse mère , qui comprimant la nature comprimiez tous les vices !


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vous prépariez à Dieu un instrument docile de ses desseins miséricordieux sur un monde égaré ! Aussi l'enfance de Napoléon, est elle extraordinaire et plus admirable que son âge mûr. Comment les vices auroient-ils trouvé place dans un coeur tout entier occupé, échauffé, maîtrisé par le sentiment de la piété filiale? Un prêtre, le grand oncle de Napoléon, l'archidiacre d'Ajaccio, ne se reposa point sur un autre que lui, du soin d'instruire son neveu de ses devoirs envers Dieu, et de tout ce qui regarde la science du salut. Ce fut aussi lui qui le baptisa avec toute la solennité possible, profitant de cette cérémonie pour imprimer dans un enfant, déjà âgé de deux ans, les idées chrétiennes avec les grandes images de la religion. Sitôt qu'il put bégayer, la même prévoyance lui apprit le nom de Dieu, et jamais sa mère n'oublia de lui faire balbutier ses prières du soir et du matin. Il assistoit avec recueillement au divin office , et sitôt que l'heure eut sonné , sa mère le conduisit elle-même et le fit s'agenouiller au sacré tribunal qui lie et délie les fautes. Tel étoit Napoléon, quand il vint en France, pour y recevoir l'éducation militaire et religieuse de l'école de Brienne. C'étoit un en-


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faut pour l'âge, mais un homme pour la volonte, pour l'ardeur au travail et à s'avancer dans les sciences, pour l'ardeur à pratiquer la vertu. Un sentiment profond est toujours secret : La piété filiale se transforma en patriotisme. Hélas ! il est trop vrai que l'écueil du coeur se trouve dans sa sensibilité même, d'où naissent les haines, les flammes impures , les envies, les passions. Ici la raison toute seule ne suffit plus : La foi, une foi vive et éclairée préserva le jeune Napoléon de l'écueil du sensualisme, contre lequel viennent faire naufrage tant d'enfants vulgaires. Né pour l'empire, il avoit une haine naturelle pour l'égoïsme : aussitôt qu'il commença à penser , il fut chaste et s'élança dans l'empyrée pour avoir plus de liberté, pour mieux dominer la terre. Ce fut sous de tels auspices qu'il fit sa première commu - nion, qui fut écrite dans le ciel, présage heureux et infaillible de son salut. Furieux de ces beaux commencements , Satan qui n'avoit pu parvenir à dérègler les sens , tenus en bride par la raison , n'eut plus qu'un espoir , celui de dérégler l'entendement. Napoléon joignoit à un esprit de calcul, à un bon sens rare, au génie le plus positif, une imagination trop

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vive et même l'amour du merveilleux. Le démon, qui connoissoit cette disposition vicieuse, s'en servit, et réussit à pervertir par de mauvaises lectures une âme qui jusque-là lui résistoit. En enflammant l'imagination, il enflamma les sens. Quand l'homme se retire de la contemplation des vérités éternelles, il devient fatalement enthousiaste des mensonges du temps et des illusions du monde. Ses convictions religieuses furent ébranlées, mais non déracinées; son âme avoit atteint sa croissance virile : elle étoit en état de se défendre contre le monde et l'enfer , faisant de vains efforts pour la dévorer. Néanmoins ce fut la cause de l'adhésion de Napoléon aux doctrines funestes de la révolution françoise: trompé par les sophismes des philosophes et des orateurs des clubs, il fut vite désabusé par leurs forfaits et leur impiété. La jeunesse est l'âge de l'action ; mais une autre, une meilleure excuse , c'est que Dieu a tiré sa gloire de celte séduction, qui fut courte : Napoléon ne tarda pas à prendre de l'aversion et un dégoût singulier pour le bavardage et les sophismes sanguinaires de l'idéologie moderne.

Le Génie ne peut long-temps marcher d'ac-


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cord avec le crime, et dès ce monde, la probité de l'honnête homme le sépare du méchant. La foi se ranima avec l'énergie d'un triomphe dans l'âme de Napoléon. Chef de l'armée d'Italie, il ne craignit pas de s'y déclarer ouvertement, par ses proclamations et par sa conduite, l'ami des chrétiens et le protecteur du culte catholique. Il fit davantage : vainqueur de luimême, il affectoit les dehors du stoïcisme; mais il avoit dans le coeur le christianisme ; car il pratiquoit les vertus qui sont l'indice certain de la foi, telles que la tempérance, la force, la prudence et la justice. Ce fut alors qu'il eut la première étincelle de l'ambition suprême, qui ne fut pas seulement la vaine pensée de son égôïsme, mais une inspiration céleste, une prière qu'il offrit à Dieu! En même temps il promit, il jura, si le succès couronnoit ses voeux , de rétablir la religion; ce qu'il exécuta ensuite avec une volonté secrète et indomptable. Pour marcher sagement, il commença par rétablir l'ordre dans le langage, montrant par là que la puissance n'était pas légitime , si elle n'avoit pour elle le droit, c'està-dire la religion. En s'unissant à lui, les François se séparoient du mensonge et revenant au


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langage, ils revenoient à la nature, à la vérité. Ce n'étoit point assez, s'il n'ordonnoit la politique. Il le fit: ce fut lui qui créa la société, en fondant une hiérarchie, expression incomplète, mais assez fidèle des besoins de l'époque. On sait obéir quand on sait commander. Chef de cette hiérarchie, Napoléon reconnut au-dessus de lui, comme un pouvoir supérieur, le pouvoir religieux. Malheureusement il se préoccupa trop de son indépendance temporelle, préoccupation indigne de ce grand homme, mais qui avoit également assiégé l'esprit de tous les rois de France : il oublia qu'ils étoient tombés dans la dépendance du peuple souverain pour éviter celle de Dieu : leur malheur ne l'éclaira point. Nier le droit divin , c'est affirmer le despotisme: grave erreur de Napoléon, qui le précipita de son trône. Malgré ses différends avec le pape, il n'a jamais cessé de protester de sa volonté de ne point se séparer de l'Église. Il ne faut donc l'accuser que de s'être exagéré à lui-même l'importance de sa personnalité, qui fut sitôt fauchée dans sa fleur. Je ne prétends pas excuser davantage son divorce avec l'impératrice Joséphine. Mais qu'ils sont criminels, les prêtres de l'officialilé servile et


lâche, qui ont aplani le chemin du crime par une dispense qu'on ne pouvoit donner... Un autre sujet bien grave d'accusation, c'est le sang versé à la guerre ; mais la paix et la guerre dépendent de la volonté du souverain, qui n'a de compte à rendre qu'à Dieu de sa décision : Que l'on persuade aux peuples d'avilir les rois, jusqu'à les priver de la conscience et de la liberté, en les abaissant au-dessous de la brute qui obéit à l'instinct ! cette doctrine, qui n'avilit pas seulement les rois, mais l'humanité, ne peut avoir de crédit auprès du juge par qui règnent les rois.. et ceci s'applique au jugement de l'infortuné duc d'Enghien. Je soutiens que l'orgueil de Napoléon ne fut point l'amour de soi., mais l'amour de la gloire. Il s'estimoit beaucoup lui-même, mais il estimoit plus haut que lui la vertu modeste, qu'il envioit et reeherchoit pour l'honorer. S'il affectoit d'être au-dessus desrois, c'étoit politique et non impiété de sa part. Son orgueil fut l'erreur de la passion plutôt que la volonté d'un jugement rebelle; jamais, non jamais, il ne prétendit sérieusement se mettre au-dessus de Dieu ou de sa religion; au contraire, dans les rêves de son ambition, c'étoit son idée fixe qu'il


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étoit l'instrument de Dieu et qu'il travailloit pour sa gloire... Bien éloigné de corrompre et de mépriser les hommes, il les aimoit : j'en atteste le dévouement qu'il inspiroit et sut créer pour sa personne, j'en atteste son amour si tendre et si respectueux pour sa mère. Sa piété filiale toute seule est suffisante pour justifier, pour glorifier le coeur de ce héros ! Deux fois il abdiqua, et ses deux abdications furent et demeurent dans l'histoire, des monuments de son horreur de la guerre civile et de son amour pour la France. Comme Louis XVI, il préféra mourir et descendre du trône que de se servir de l'armée dans un intérêt personnel. Inaccessible à l'intrigue, avec lui la récompense appartenoit de droit aux services rendus, au mérite réel, et je ne sache aucun prince qui ait pratiqué avec plus d'inflexibilité les vertus de justice et de reconnoissance. On objecte qu'il a relevé les autels , mais qu'il ne les a pas honorés par une présence assidue, c'est vrai ; mais il consacroit aux affaires de l'état tout son temps, et il en étoit plus avare encore pour ses plaisirs que pour le divin office , qu'il ne manquoit pas d'ailleurs d'entendre les dimanches et fêles ; et jamais,


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sous son règne, l'état ne donna ce scandale de faire travailler le dimanche , ce qui est à noter. Pourquoi donc, Satan s'étonneroit-il, qu'un tel prince fût admis dans le ciel pour y partici per au bonheur éternel : il pourroit y avoir droit, alors même qu'il auroit commis tous les forfaits qui lui sont faussement imputés, s'il s'en étoit repenti, s'il en avoit fait pénitence, s'il en avoit obtenu la rémission. La damnation éternelle ne tombe que sur ceux qui en ont fait choix bien consciencieusement par leur lâcheté ou par leur orgueil !

Satan, aveuglé par sa haine, s'y est pris comme dans un piége. Il se confesse vaincu , si je lui montre une seule âme sauvée par Napoléon; eh bien! le ciel s'ouvre : je vois des millions d'élus qui l'attendent comme une cause seconde de leur rédemption ; ce sont les soldats morts sur les champs de bataille, instruits, convertis par l'exemple de ce grand homme, tous les enfants baptisés, grâce au concordat. Eh bien! Satan , te voilà donc vaincu! comment n'espèrerois-je pas dans la miséricorde de Dieu, moi, l'ange gardien de cette âme, qui après l'avoir accompagnée sur


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la terre dans son pèlerinage, ai fait avec elle une union intime et sacrée et qui viens témoigner pour elle au pied de ce tribunal, dont j'invoque la clémence? »

Comme l'ange gardien achevoit ce discours, Satan s'étoit enfui, à la vue de mille millions d'élus qui parurent dans le ciel avec des palmes à là main, et qui se prosternèrent au pied du trône de l'homme-Dieu. La Vierge elle-même ne dédaigna pas d'implorer son fils pour Napoléon. A peine avoit-elle ouvert sa bouche auguste, qu'elle obtint ce qu'elle vouloit, et se tournant vers Napoléon :

« Héros illustre , qui avez défendu ma cause et celle de mon fils, bénissez-le de vous avoir châtié sur cette terre misérable ! sur le trône même, vous rendîtes à votre mère ce que vous lui deviez, vous fûtes un bon fils ! votre vie courte sur la terre sera longue dans le ciel. Vous avez été purifié au creuset du malheur. Votre exil, votre dernière maladie, pendant laquelle vous vous êtes humilié et reconnu, l'indulgence plénière du souverain pontife que vous avez sollicitée et reçue avec l'esprit de foi, votre pénitence, votre amour pour mes prêtres vous


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ont sauvé. Un héros toujours prêt à verser son sang pour sa patrie, est prêt aussi tous les jours de sa vie à le verser pour son Dieu. La confusion étoit partout, de vils rhéteurs asservissoient la France et la déshonoroient, en prétendant la gouverner : tout était mensonge et bavardage, quand vous apparûtes avec votre épée. On ose bien disputer sur la préséance des rangs : celui qui doit marcher le premier , c'est le prêtre, qui est la plus haute expression du sacrifice, ensuite le guerrier. Le prêtre est la victime religieuse, le guerrier est la victime sociale. Il ne faut avoir que du coeur pour sentir cette vérité. Tous ceux qui la nient sont des imposteurs. Les rois de France et les autres rois catholiques, se sont tenus fermes sur leurs trônes, tant qu'ils ont maintenu cette alliance du prêtre et du guerrier. Votre gloire, Napoléon, c'est d'avoir restauré cette politique qui fut celle de Constantin et de Charlemagne. Venez donc, ô ami des prêtres, dans la cour de leur Dieu, prendre possession de votre trône pour l'éternité !!!. »



PIÈCES JUSTIFICATIVES.



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PIÈGES JUSTIFICATIVES.

LETTRE INEDITE DE M. LE GÉNÉRAL COMTE DE MONTHOLON

A. M. le chevalier Antoine de Beauterne.

MONSIEUR,

Vous m'avez à plusieurs reprises demandé mon opinion sur les croyances religieuses du grand homme auquel j'ai fermé les yeux. Je n'ai pas cru devoir répondre ; vous connaissez les motifs de mon silence. Votre lettre du 6 décembre m'oblige à regret à me départir de ce système, et à redresser des erreurs auxquelles votre position d'écrivain consciencieux pourroit donner de la valeur.

Comme homme, Napoléon croyoit. Gomme roi, il jugeoit la religion une nécessité, un moyen puissant pour gouverner.


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L'un des premiers actes de son avénement au pouvoir suprême, fut de relever les autels renversés par la tempête de 95, de rappeler les prêtres au milieu de leurs ouailles, et de les placer sous l'égide protectrice d'une loi fondamentale de l'État, le concordat de 1801.

Il n'a jamais dit : le concordat fut la plus grande faute de mon règne.

Il n'a jamais demandé au Saint-Siége d'autoriser en France ou en Italie la suppression des couvents, ou la vente de leurs biens. Les couvents étoient supprimés, et leurs biens vendus en France et dans la république Cisalpine, longtemps avant qu'il ne revînt d'Egypte.

Le mariage des prêtres n'a jamais été l'objet d'une négociation entre son cabinet et le Saint Siége. Le célèbre Fox lui reprochant de n'en avoir pas fait une condition du concordat, il lui répondit : « J'avais et j'ai besoin de pacifier, c'est avec de l'eau bénite, et non avec de l'huile bouillante que l'on calme les plaies théologiques. "

L'enlèvement du pape est le fait personnel du général Miolis; il n'a jamais été prévu ni ordonné par l'empereur.

Une partie notable de la correspondance entre Napoléon et Pie VII, depuis 1805 jusqu'en 1809, est restée secrète. Je le regrette ; ces lettres témoigneroient des opinions religieuses de l'empereur, et de ses vues, comme chef de l'empire d'occident, pour la gloire et la prospérité de l'Église catholique.

Les querelles entre le cabinet des Tuileries et le Saint-Siége n'eurent jamais pour cause une question


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religieuse, elles furent toutes politiques; elles datent de 1805, époque à laquelle les escadres de la troisième coalition menaçoient les côtes d'Italie d'un débarquement Anglo-Russe.

L'armement d'Ancône entroit dans le plan général de défense de l'Italie. L'empereur chargea son ambassadeur à Rome de le demander au gouvernement du pape; il offrit un traité d'alliance offensive et défensive entre le roi d'Italie et la cour de Rome. Le pape refusa; il répondit que : « Père des fidèles, il ne pou voit entrer « dans aucune ligue contre ses enfants, et ne pouvoît « ni ne vouloit faire la guerre à personne. » L'empereur répliqua : « L'histoire des papes est pleine de » leurs ligues avec les empereurs, les rois d'Espagne » ou les rois de France. Jules II a commandé des ar» mées; en 1797, moi général Bonaparte, j'ai battu » l'armée de Pie VI combattant dans les rangs des " Autrichiens la République française, et, puisque de » nos jours, les bannières de Saint-Pierre ont pu flot» ter saintement à côté des aigles d'Autriche, elles » peuvent bien flotter sur les murs d'Ancône, comme » alliées de l'aigle de France. Cependant, par respect « pour les scrupules du Saint Père, je consens que le » traité d'alliance soit restreint au cas d'attaque de la » part des infidèles ou des hérétiques. »

Les événements marchoient rapidement dans ces temps de lutte à mort entre l'Angleterre et la France. Il fallait qu'Ancône fût occupé à tout prix. L'empereur, n'espérant plus rien de ses instances auprès du Saint-Siège, et dominé qu'il était par l'intérêt du salut de ses états d'Italie, ordonna à la division Miolis


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de mettre garnison dans Ancône, et d'occuper militairement les marches et les légations. Le nonce quitta Paris sur l'heure, et, ministre de la plus petite des puissances temporelles, il déclara sans hésiter la guerre au colosse de l'Empire français. Napoléon ordonna à son ambassadeur de rester à Rome, et d'affecter que rien ne fût changé dans les relations diplomatiques.

La bataille d'Essling rendit un instant l'espérance aux ennemis de l'empereur. En Italie, l'exaspération populaire se manifesta avec violence ; le cri : Mort aux Français ! retentissoit de tous côtés. Le général Miolis avoit à peine quelques mille bayonnettes disséminées sur une étendue de plus de soixante lieues, il gardoit Rouie avec moins de quinze cents hommes. Sa position étoit bien critique ; il ne vit de salut que dans la désobéissance à ses instructions, et ne recula pas devant l'effroyable responsabilité de violer la sainteté du vicaire de Jésus-Christ ; il enleva le pape au milieu de la nuit et le fit conduire à Florence. La foudre n'a point d'effet plus subit; la stupeur la plus profonde remplaça sur les places publiques et dans les montagnes, l'effervescence si menaçante de la veille.

La grande-duchesse de Toscane ne fut pas plus étonnée qu'un général eût osé désobéir à son frère, qu'elle ne fut effrayée de la responsabilité qui pèseroit sur elle si le pape restoit en Toscane; elle expédia courrier sur courrier au quarlier-général impérial, et demanda avec instance au général Miolis de diriger le cortége par le littoral sur les étais de Gènes. Le général Miolis y consentit. Le pape fut conduit à Savone.

Rien n'égala le mécontentement de l'empereur; sa pensée profonde comprit instantanément tous les em-


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barras qui naîtroient pour lui de l'enlèvement du pape; ses convictions religieuses ne furent pas moins froissées, et son premier mouvement fut d'ordonner de ramener sur l'heure le pape à Rome. Mais tout à la fois les rêves du général Bonaparte, les projets de l'empereur recevoient, de l'enlèvement du pape, la possibilité d'être réalisés. Des trois obstacles qui s'étoient opposés à l'unité italique, deux avoient été levés par la volonté de l'empereur ; le troisième, celui devant lequel cette volonté presque magique se croyoit impuissante, la résidence des papes à Rome, venoit de tomber. Une de ces combinaisons inexplicables du destin transportait la chaire de Saint-Pierre des bords du Tibre à ceux de la Seine. Paris seroit la capitale du grand empire, et la résidence du souverain pontife de 80 millions de catholiques. La puissance spirituelle des papes s'accroîtroit naturellement de l'appui de la toute-puissance temporelle de l'empereur; les beaux temps de l'Église renaîtroient. Le déplacement du pape étoit un fait acquis à la fortune de l'empire; Napoléon l'accepta, il eut tort, mais du moins est-il certain qu'il ne fut point dans sa volonté de porter atteinte à la sainteté du chef de l'Église. La lettre qu'il écrivit en celte occasion à l'évêque de Nantes, en seroit une preuve au besoin : « Monsieur l'évêque, soyez sans inquiétude, la politique de mes états est intimement liée avec le maintien et la puissance du pape. Il me faut qu'il soit plus puissant que jamais. Il n'aura jamais autant de pouvoir que ma politique me porte à lui en donner. »

L'enlèvement du pape ne fut donc point un acte de la volonté de l'empereur. C'est un de ces funestes ac16

ac16


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cidents qui trop souvent adviennent en politique, comme dans le cours de la rie.

Napoléon comprenoit les intérêts de l'Église, il les adjoignit constamment à ceux de la couronne, dans les méditations de son génie. Tout ce que l'Église catholique a retrouvé de puissance en France depuis quarante ans, elle le lui doit.

Napoléon est mort comme il a vécu, comme il a régné. Son testament l'atteste à l'histoire, il commence par ces lignes : Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle je suis né, il y a plus de cinquante ans.

J'avois déjà passé trente-neuf nuits au chevet de son lit, sans qu'il eût voulu permettre même à mon vénérable compagnon de chaîne, le général Bertrand, de me remplacer dans ce pieux et filial service, lorsque dans la nuit du 29 au 30 avril, il affecta d'être effrayé de ma fatigue, et m'engagea à faire venir à ma place l'abbé Vignali. L'insistance que mit l'empereur me prouva qu'il parloit sous l'empire d'une préoccupation étrangère à la pensée qu'il m'exprimoit; il me permettoit de lui parler comme à mon père, j'osai lui dire ce que je comprenois de son insistance. Il me répondit sans hésiter : « Oui, c'est le prêtre, et non le montagnard corse que je demande. Veillez à ce qu'on me laisse seul avec lui, et ne dites rien. » J'obéis, et lui amenai immédiatement l'abbé Vignali, que je prévins du saint ministère qu'il alloit remplir. Vers quatre heures l'aumônier sortit, et j'entrai.

Vous n'attendez sûrement pas de moi, monsieur, le récit de l'entretien que j'eus alors avec l'empereur, et vous trouverez simple que je me borne à vous dire


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ma conviction. Les méditations du génie prodigieux de Napoléon n'avoient point effacé chez lui les impressions religieuses de son enfance italienne; loin de là, elles les avoient développées comme croyance, et si quelques actes de son règne semblent être en contradiction avec cette vérité, c'est qu'habitué qu'il étoit à tout soumettre aux exigences de son ambition royale, il commandoit dans ce cas à la religion , comme journellement il exposoit sa vie ou commandoit à ses passions.

C'est par l'ordre de l'empereur que l'abbé Vignali a dit dans la chapelle de Longwood les prières des agonisants, et que le service a été célébré avec tout le cérémonial possible à Sainte-Hélène.

Recevez, Monsieur, l'assurance de la considération très-distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être

Votre très-humble et très-obéissant serviteur

F. MONTDOLON.

Cette lettre d'un style si élégant et si rapide est un document bien précieux pour l'histoire.

Le fait le plus grave, constamment cité contre l'empereur, et qui est en effet une tache dans sa croyance, ce fait s'y trouve sinon justifié., du moins éclairci et considérablement attenué par un désaveu formel, dont je réunis ici les éléments principaux :

« L'empereur n'a pas donné l'ordre de l'enlè-


— 232 — » vement du pape. Ses convictions religieuses en " furent froissées; son premier mouvement fut de " ramener sur l'heure le pape à Rome; mais le " pape étoit un obstacle à l'unité italique. Cet ob» stade venoit de tomber par une de ces combinai" sons inexplicables du destin ; Napoléon accepta » le déplacement comme un fait acquis à sa for» tune; il eut tort. »

Tous ceux qui liront ces explications, ce désaveu avec attention, avec bonne foi, ne pourront s'empêcher de reconnoître un document émané de Napoléon lui-même. Pensée, conception, style, tout est de lui. C'est une confidence, mais aussi la confession d'un ami à son ami, qui se condamnant lui-même, se familiarise avec l'idée d'un repentir, d'une absolution nécessaire ; l'empereur s'apprête pour une confession plus solennelle qu'il veut faire un jour au pied du seul juge qui avoit le droit de la recevoir dans toute sa sincérité. Quelle autre bouche que celle de Napoléon a jamais pu prononcer des mots tels que ceux-ci : " Unité italique, combinaison du destin. » Quel langage gigantesque ! Voilà bien les excuses de l'orgueilleux qui eut la témérité de qualifier son fils


— 233 — du titre de roi de Rome. Quelle condamnation de l'orgueil que les phrases suivantes : « Le général Miollis n'a pas reculé devant l'effroyable responsabilité d'attenter à la sainteté du vicaire de Jésus- Christ. J'ai eu tort d'en accepter les conséquences. » Si on rapproche ces paroles de celles-ci qu'on trouve à chaque page du Mémorial : « Le pape étoit un excellent vieillard, je ne lui ai pas voulu de mal; je ne lui en ai pas fait, je l'ai bien traité. » Qui pourroit ne pas y voir les marques d'une préoccupation religieuse? disons plus : il faut reconnoître dans ce langage le cri de la conscience, le remords d'un chrétien ! ! !

LETTRE DE M. LE CHEVALIER DE BEAUTERNE A M. LE GÉNÉRAL COMTE DE MONTHOLON.

MON GÉNÉRAL,

Vous persistez à taire au public les phrases suivantes, qui sont si touchantes, si dignes de passer à la postérité!

« Je suis heureux (vous a dit Napoléon) d'avoir » rempli mes devoirs. Je vous souhaite, général, à » votre mort, le même bonheur , j'en avais besoin. » Voyez-vous, je suis italien, enfant de classe de la » Corse; je n'ai pas pratiqué sur le trône, parce que » la puissance étourdit les hommes, mais j'ai toujours


— 234 —

» eu de la foi. Le son des cloches me fait plaisir, et la » vue d'un prêtre m'émeut. »

Pourquoi priveriez-vous, mon général, les vieux compagnons d'armes de Napoléon de ce salut, aussi sublime que celui de ses harangues militaires qui les transportait sur un champ de bataille, et les faisait voler à la mort, à la victoire. Nous ignorons la conduite de Dieu : il lui a plu peut-être que le lit funèbre de Sainte-Hélène fût une chaire qui prêchât sa gloire! et l'écho religieux serait perdu, vous le retiendriez pour vous. Si la mort vous frappait, personne n'en saurait rien ; on n'oserait affirmer la vérité.

Mon ouvrage est pour l'éducation. De telles paroles de Napoléon ne sont pas seulement des phrases, mais des sentences et des axiomes de morale. La jeunesse y verra une leçon, un sujet de réfléchir et un modèle à imiter.

Me permettriez-vous du moins, mon général, d'écrire ces quelques lignes, que j'ajouterais à votre récit, sous ma responsabilité.

Des personnes m'ont assuré tenir de madame Bertrand , que non seulement l'empereur avoit reçu les sacrements, mais que la religion l'avoit préoccupé dans ses derniers instants, et que les mots d'armée et de bataille ne furent prononcés par lui que dans le délire très-court qui précéda sa mort; que son dernier mouvement fut une invocation de ses mains suppliantes, en prononçant : Mon Dieu !

Enfin, mon général, je vous prie de m'expliquer comment il se fait que le docteur Antommarchi melle le 3 mai un à-parte religieux de l'empereur avec


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M. l'abbé Vignali. Ci-inclus le passage extrait des mémoires du docteur.

Je vous prie d'agréer les sentiments de respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, mon général,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur

DE BEAUTEBNE.

LETTRE DE M. LE CHEVALIER DE BAUTERNE

A M. le comte de Montholon.

MONSIEUR LE COMTE ,

Le renseignement que j'ai eu l'honneur de vous demander, dans notre première entrevue, regarde uniquement le fait religieux, si Napoléon avoit demandé l'extrême onction et reçu le saint viatique. En me donnant les détails les plus précis à cet égard, vous m'avez appris que M. l'abbé Vignali, qui avoit administré l'empereur, rédigeoit un journal des dires et des faits religieux de Sainte-Hélène, journal connu de l'empereur, qui le lisoit et le corrigeoit même au besoin. Vous avez eu dans vos mains cette pièce importante, que dans votre opinion , l'abbé Vignali, de retour en Europe, avoit dû remettre à son E. monseigneur le cardinal Fesch. Vous avez bien voulu me promettre d'écrire au cardinal et d'en réclamer pour moi la copie. Le fait dont je suis exclusivement préoccupé,


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pour le moment, se trouveroit de cette manière éclairci complètement et à la satisfaction du monde chrétien.

Je recevrai avec reconnoissance le document dont vous m'avez donné lecture, où la diplomatie et la politique de l'empereur sont justifiées par vous du reproche d'impiété ou de haine systématique du clergé.

Mais peut-être sentirez-vous qu'il est indispensable de citer les paroles textuelles de Napoléon, telles que vous me les avez dites de vive voix, pour atteindre le bnt que je me propose. Quant au scrupule peu fondé qui vous fait hésiter, je ne dirai qu'une chose bien simple, mais décisive : La publicité, cette loi de l'existence est devenue une nécessité honorable, un devoir même pour tous depuis la publication de l'Évangile. Tout le monde l'accepte avec cette différence que les rois et les grands du monde la subissent et les petits l'invoquent. Ce qui est vrai surtout dans l'occasion présente, où il s'agit d'une personne dont tous ceux qui l'ont approchée ont divulgué à l'Europe les paroles, les pensées et noté les moindres gestes. Pour quel motif tairiez-vous quelques phrases qui importent moins à personne peut-être qu'à la gloire morale de l'empereur, et qui sont naturellement du domaine de la publicité.

Tel est mon sentiment, du moins, et j'ai l'honneur d'être, avec respect,

Mon général ,

Votre très-humble et très-obéissant, etc.

Le chevalier DE BEAUTERNE.


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RÉPONSE DE M. LE COMTE DE MONTHOLON.

MONSIEUR ,

Je me suis empressé d'écrire à son altesse monseigneur le cardinal Fesch, conformément au désir que vous m'en avez témoigné, pour lui demander copie des procès-verbaux qu'a dû lui remettre M. l'abbé Vignali. Je ne puis avant d'avoir reçu la réponse de son altesse monseigneur le cardinal, rien ajouter comme détails au fait sur lequel vous m'avez interrogé dans l'intérêt de l'histoire, et auquel j'ai répondu en vous donnant communication du premier paragraphe du testament de l'empereur, qui ne peut laisser aux incrédules le plus léger doute sur les sentiments religieux qui le dominoient à ses derniers moments , et qui, dans ma conviction profonde, furent ceux de toute sa vie.

Recevez, Monsieur, l'expression de la considération distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être

Votre très-humble et très-obéissant serviteur Le général MONTHOLON.


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RÉPONSE.

MONSIEUR LE COMTE ,

J'ai l'honneur de vous annoncer que je ne puis plus retarder ma publication. Votre dernière lettre me fait espérer des détails nouveaux, inédits sans doute. Mais vous attendez de Rome, pour mêles donner, le procès verbal de M. l'abbé Vignali. Puisque ce procès-verbal n'est pas arrivé, auriez-vous du moins la bonté de ne pas tarder davantage à m'adresser une lettre qui contiendroit ce que vous savez personnellement des circonstances religieuses de la mort de l'empereur, en annonçant avec votre permission votre lettre inédite; pouvois-je penser que vous no reproduiriez pas tout ce que vous avez vu et entendu, et que vous omettriez spécialement les admirables paroles dont l'empereur s'est servi pour demander les secours de l'Église, et que vous ne diriez rien de la satisfaction pleine d'une foi si vive qu'il éprouva après avoir reçu les consolations célestes. A quoi bon, en effet, publier autre chose et ce qui étoit connu de toute l'Europe.

Il est malheureusement des faits dans la vie de Napoléon qui sont incompatibles avec la foi catholi - que, et qui, malheureusement aussi, ont acquis la plus éclatante publicité. Je sais que de son propre mouvement et sur le trône, ce grand homme a publiquement désavoué des procédés qui effrayèrent toute


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la chrétienté; mais il s'agit aujourd'hui de compléter cette réparation et d'y mettre le dernier sceau en opposant à des torts bien graves et en signalant à la postérité ce que l'empereur a fait à sa mort en sa qualité de chrétien, qui vouloit dormir du sommeil des justes, dans une réconciliation sincère et parfaite avec la sainte Église.

Votre parole personnelle, si grave, suffit toute seule pour moi et pour les gens sans préjugés; mais il n'en est pas de même pour la multitude qui veut juger par soi-même, ni pour les incrédules ou pour le parti religieux ou qui se dit tel, ni pour les esprits encleins aux mauvais soupçons et aux mauvaises croyances. Rien ne les éclairera mieux que la publicité de ce dialogue ou plutôt de ce monologue, sublime comme la foi, dont vous fûtes le témoin la nuit triste et solennelle où votre grand Napoléon se décida à s'agenouiller , lui, le Dieu de la guerre, aux pieds d'un ministre du Dieu de paix, pour recevoir dans sa chambre de mort de Sainte-Hélène tous les sacrements des mourants.

Ayez la bonté de me faire tenir votre dernière réponse et d'agréer les sentiments d'admiration et de respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être

Votre très-humble et très-obéissant serviteur Le chevalier DE BEAUTERNE.


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L'impartialité m'engage à mettre sous les yeux du lecteur la lettre suivante de M. le général comte de Montholon, où il prend la défense de M. le comte Las Cases et de M. le baron Gourgaud :

LETTRE DE M. LE GÉNÉRAL COMTE DE MONTHOLON

à M. le chevalier de Beauterne. Citadelle de Ham.

MONSIEUR,

J'ai reçu hier la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, en m'adressant quelques épreuves en feuilles déjà tirées de votre ouvrage, Conversations religieuses de Napléon ; je vous remercie du prix que vous voulez bien attacher à mon opinion et c'est avec un extrême intérêt que je vais vous lire.

Mais permettez-moi de vous exprimer mes regrets des sentiments que vous me manifestez à l'égard du général Gourgaud et de M. le comte de Las Cases, je leur dois, comme à mes compagnons de Sainte-Hélène, de rectifier votre opinion sur la cause de leur départ de Longwood , en 1819 pour le général Gourgaud , en 1816 pour M. de Las Cases. Le général Gourgaud n'a point, ainsi que vous le croyez, abandonné l'empereur, il est parti de Sainte-Hélène du consentement de sa majesté et chargé d'une mission importante, il y auroit plus qu'injustice à présenter sous une autre couleur son retour en Europe. Quant à M. de Las Cases, peut-


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être y a -t-il niaiserie de ma part à intervenir en ce qui le regarde , depuis surtout que son fils a cru, parce qu'il ne me faisoit pas l'honneur de me compter au nombre de ses amis , devoir omettre mon nom dans son récit de la mort de l'empereur (journal de la frégate la Belle Poule) ; mais dussé-je mériter le reproche de niaiserie , je ne puis m'empêcher de vous dire que dans ma conviction intime , le dévouement du comte de Las Cases pour la personne de l'empereur a été sans réserve.

Veuillez, monsieur, apprécier à leur valeur les faits que je viens d'avoir l'honneur de vous faire connoître et s'il étoit possible que des renseignements contraires, déjà recueillis par vous , vous portassent à croire que je suis égaré par mes sentiments personnels pour d'anciens compagnons d'exil , rappelez-vous en cette occasion cette maxime du sage : Dans le doute abstiens-toi.

Recevez, je vous prie , l'expression des sentiments fort distingués avec lesquels j'ai l'honneur d'être , Votre très-humble et très-obéissant serviteur

F. MONTHOLON.

RÉPONSE

A M. le général comte de Montholon à Ham.

MON GÉNÉRAL,

Je m'empresse de répondre à votre réclamation. Je commence par déclarer que je n'ai absolument recueilli


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de vous dans ma publication que ce qui fait ressortir les idées et la foi religieuse de l'empereur. Questionnant M. Marchand sur le même sujet et lui disant ce que j'avois appris de vous, il me disoit : «Personne ne peut contredire la parole du comte de Montholon qui étoit sans cesse avec l'empereur et dans sa plus haute laveur et intimité ». M. Marchand m'a dit aussi qu'il croyoit bien se souvenir d'avoir vu le général Bertrand sortir de la chambre de l'empereur en haussant les épaules et murmurant distinctement le mot : capucin. M. Arthur Bertrand , dans une lettre spirituellement écrite, qui est dans le supplément du Constitutionnel de dimanche dernier, ne dit-il pas que son frère demandoit « si un grand maréchal étoit plus qu'un empereur. «Quel aveu naïf! quelle vérité sortie de la bouche d'un enfant I combien le général Bertrand dut être affligé d'une telle méprise ! j'en suis bien sûr, jamais votre fils n'eut l'idée, mon général, de vous croire le supérieur de l'empereur.

Je viens à MM. Gourgaud et Las Cases; ai-je besoin de déclarer que je ne tiens pas de vous les renseignements qui me servent de base dans mon appréciation de leur conduite? Votre autorité est grande, mon général , mais j'en sais une plus grande, celle des faits accomplis. Non, MM. Las Cases et Gourgaud n'ont pas quitté Sainte-Hélène sur un ordre de l'empereur et par dévouement à sa personne, et si je le disois, ce seroit un mensonge indigne d'un homme d'honneur ! Et je renvoie sur ce sujet MM. Las Cases et Gourgaud à leur conscience; je croirois offenser l'empereur et lui nuire d'une manière indirecte si je ne disois la vérité dans


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cette circonstance si délicate ; car l'empereur auroit manqué à ses antécédents , à tout son caractère , à l'honneur, à la justice, si, n'ayant aucun sujet de se plaindre de M. Gourgaud, il l'avoit flétri par l'omission injurieuse de son nom dans son testament, monument immortel du coeur et de l'esprit de ce grand homme !

Quant à M. de Las Cases, il ne faut que lire avec attention le Mémorial pour connoître la vérité. Voici mot à mot le récit de M. de Las Cases lui-même :

« J'ai confié, dit-il, une lettre à un domestique qui quittoit mon service pour aller en Angleterre. Comme nos lettres dévoient passer par le gouverneur qui avoit le droit de les lire, je courois le risque d'être renvoyé en Angleterre, si j'étois trahi par ce domestique, qui s'exposoit lui-même an châtiment le plus grave Il porta ma lettre à Hudson-Lowe. Celui ci vint m'en lever brutalement de Longwood. Aussitôt que l'empereur sut de quoi il s'agissoit, il s'écria: « Non , Las Cases n'a pas écrit ni remis cette lettre, car Las Cases n'est ni fou ni imbécile; s'il l'eût fait, il m'eût demandé conseil, et nous avions mieux qu un esclave qui devoit infailliblement trahir. » Hudson-Lowe prononce mon renvoi de l'île (continue M. de Las Cases), je m'indigne, je proteste. Hudson-Lowe, effrayé de sa responsabilité, m'offre de retourner à Longwood; je refuse, ma personne étoit souillée ; Hudson-Lowe réplique : « Que se passe-t-il donc à Longwood ! la société de l'empereur est donc bien terrible ! » Voilà le récit textuel de M. de Las Cases ; et il a cru donner le change à l'Europe avec une apparence de franchise , avec des protestations de fidélité, et par l'insertion de la lettre


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d'adieu de ('empereur dictée par la politique et par une indulgence qui lui étoit naturelle. Mais voici une autre preuve curieuse de la fidélité de M. de Las Cases fournie encore par M. de Las Cases lui-même dans son Mémorial : « Le général Bertrand , muni d'une permission du gouverneur, parvient jusqu'à moi, il me presse , il me conjure par toutes les raisons les plus propres à émouvoir ma sensibilité , de revenir auprès de l'empereur auquel je suis nécessaire, qui ne peut se passer de moi ; mais je persiste à vouloir quitter Longwood ou du moins à n'accepter mon retour que sur un ordre formel de l'empereur » Le général Bertrand retourne vers l'empereur, qui répond : « L'empereur verra avec le même plaisir M. de Las Cases retourner en Europe ou à Longwood.n Celte ironie n'éclaira pas M. de Las Cases. Il ne se rendit pas, et il ose s'associera la fidélité de MM. Bertrand, Montholon, Marchand!»

Tels sont les faits, mon général, qui sont la base de mon jugement défavorable, fourni par M. de Las Cases qui les raconte lui-même d'accord avec O'Meara. Je consens néanmoins à terminer par celte réflexion magnanime , échappée à l'empereur et que j'extrais mot à mot d'O'Meara. «.Je ne puis expliquer la conduite de Las Cases qu'en supposant que le poids de nos afflictions et la triste situation de son fils condamné à mourir d'une maladie incurable l'ont poussé à bout !»

J'ajoute, mon général, comme le sachant de bonne source , que ces deux messieurs disent que c'est vous qui les avez éloignés de l'empereur, ce qui signifie que le malheureux Napoléon, réduit à vous demander tous les jours votre signature et votre dévouement à défaut de ceux qui résistoient sans cesse à ses désirs


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et à ses volontés, n'étoit plus même libre de témoigner sa satisfaction. Enfin, ce qui m'indispose contre M. Gourgaud et M. de Las Cases, c'est que le premier consulté par moi m'a insinué qu'il étoit plus chrétien, plus religieux que l'empereur , à tel point que surpris dans sa chambre un dimanche, lisant la Bible, l'empereur l'en avoit plaisanté. Pour M. de Las Cases, il m'a écrit qu'il ne pouvoit pas dire, si l'empereur étoit ou n'étoit pas chrétien,parce qu'il n'avoit pas de conviction formelle à ce sujet. Il est vrai que dans le Mémorial, on lit le pour et le contre, ce qui n'est pas assurément dans le génie de Napoléon. M. de Las Cases est resté d'ailleurs si peu de temps à Sainte-Hélène , qu'on conçoit qu'il n'a pu connaître que très-superficiellement l'empereur, ce qui ressort de la lecture du Mémorial, pour ceux qui savent les différences qui existent entre une surface et une profondeur. Du reste , mon général, si vous m'en manifestez le désir , j'insérerai votre réclamation aux pièces justificatives.

J'espère que les idées religieuses de l'empereur, recueillies de votre bouche et que je vous ai déjà lues en partie, je crois, vous plairont plus encore dans la citadelle de Ham que dans votre appartement du Luxembourg.

Je présenté mes respectueux hommages au noble prisonnier auprès duquel votre fidélité vous a placé. Son attitude à la Chambre des pairs , qui l'a singulièrement relevé à tous les yeux, a bien été celle d'un neveu de l'empereur.

J'ai l'honneur d'être bien respectueusement, Mon général, Votre très-humble et très-dévoué serviteur, Le cher de BEAUTERNE.

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AUTRE LETTRE DE M. LE GÉNÉRAL COMTE DE MONTHOLON.

à M. le chevalier de Beauterne.

Citadelle de Ham, 30 mai 1841.

MONSIEUR ,

J'ai lu avec un vif intérêt votre brochure : Sentiment de Napoléon sur la divinité de Jésus-Christ, et je ne pense pas qu'il soit possible de mieux exprimer les croyances religieuses de l'empereur.

Je vous remercie et vous renvoie les lettres que madame de Fontanges a bien voulu vous confier pour qu'elles fussent lues à Ham. Veuillez lui faire agréer les hommages et les remercimens des captifs vers lesquels elle a été assez bonne pour reporter un souvenir.

Le prince vient de faire paraître quelques extraits de ses travaux sous le titre de fragments historiques 1688 et 1830. Il vous en fait adresser un exemplaire; il me charge de vous le faire savoir, et espère que vous verrez dans cet envoi un témoignage des sentiments qui lui ont été inspirés par la lecture de vos ouvrages.

Lorsque j'ai lu votre opinion sur M. de Las Cases, j'ai fait acte de charité chrétienne, en vous écrivant que dans ma conviction, les sentiments qui l'ont conduit à Sainte-Hélène , ainsi que sa conduite pendant le peu de mois qu'il y est resté , avoient été des témoignages d'un dévouement semblable à celui qui, 58 ans avant, l'avait mené à Coblentz à la suite de madame la princesse de Lamballe et de M. le comte


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d'Artois ; mais Je n'ai pat cherché et je ne chercherai Jamais à expliquer les causes qui l'ont empêché de revenir à Longwood, quand sir Hudson-Lowe le lui permit ; Je ne les connais ni ne les conçois.

En vous écrivant également que la mission donnée par l'empereur au général Gourgaud est un fait incontestable et que le général a suivi l'empereur avec un égal dévouement sur la terre d'exil et sur les champs de bataille, j'ai voulu combattre autant qu'il dépendoit de moi d'ignobles accusations trop légèrement accréditées par l'esprit de parti et qui ont été écrites dans un libelle publié par sir Walter Scott, sous le titre fallacieux d'histoire de Napoléon.

Je me crois assez riche de l'appréciation donnée par l'empereur à mes services près de lui, pendant les six années de son martyre, pour n'être point condamné à me taire quand il s'agit de rendre justice à mes compagnons de Longwood , quelque soient d'ailleurs les sentiments qu'ils témoignent à mon égard , et je laisse au besoin à leur conscience le soin de me venger de leur oubli ou de leurs passions.

Je me refuserai toujours à croire que le général Gourgaud ait en aucune occasion méconnu la confraternité de notre exil de Sainte-Hélène. Quant à M. de Las Cases, le journal de la Belle-Poule m'a prouvé que de petites rancunes d'intimité pouvoient parfois faire tout oublier jusqu'à dénaturer l'histoire. J'ai lu votre lettre au prince Louis Napoléon; il est fort sensible à l'opinion que vous m'exprimez sur sa conduite devant la Chambre des pairs ; il me charge de vous l'assurer et de vous prier de l'inscrire au nombre de vos


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souscripteurs pour cinq exemplaires de votre ouvrage qu'il désire avoir dans les bibliothèques de ses diverses habitations.

Nous avons entendu hier la messe pour la première fois depuis notre captivité, le gouvernement ayant permis qu'à l'occasion des solennités de Pâques , M. le curé de Ham, put communiquer avec nous ; je ne doute pas du plaisir que vous éprouverez, en apprenant que les sentiments religieux de l'empereur, sont ceux qu'a manifestés son héritier, en recevant l'assistance de M. le curé de Ham, pour communier et pour l'exercice de ses devoirs religieux,

Adieu, monsieur, veuillez agréer l'expression de mes sentiments les plus distingués.

F. MONTHOLON.

LETTRE INÉDITE DE S. E. LE CARDINAL FESCH

à madame la vicomtesse de Fontange,

Ancienne dame-d'bonneur de la mère de Napoléon.

MADAME , J'ai reçu votre lettre avec reconnoissance dans la circonstance qui vous a fait rompre un silence que j'ai excusé, et qui m'imposant à moi-même une grande circonspection, m'a privé jusqu'à ce moment d'avoir de vos nouvelles. J'en userois aussi par la suite si mes lettres pouvoient par quelque motif ne pas vous convenir, et je ne serois pas moins convaincu des sentiments d'amitié, que vous conservez pour des personnes, qui ont toujours apprécié en vous la sin-


— 249 — cérité et la vérité qu'on ne trouve guère dans le monde.

La soumission à la volonté de Dieu a été pour moi, dans ce qui nous arrive, toute ma force dans un moment où il falloit réprimer tous les sentiments du coeur pour annoncer à une mère un semblable coup, et pour continuer, pendant un mois entier, à la soutenir et à adoucir un caractère fortement concentré dans la douleur la plus sentie, sans qu'elle ait pu répandre une larme et parvenir avec la grâce de Dieu à la préserver de tous les symptômes qui auroient pu faire craindre pour sa santé. Votre lettre lui a apporté quelque consolation et elle m'a chargé de vous en remercier, son état ne lui permettant pas de répondre à personne.

Vous n'auriez pas craint de m'importuner par vos lettres, si vous aviez connu le train de notre vie ; nous vivons purement en famille, sans voir personne ; tout nous est étranger, les Romains comme les voyageurs, et nous continuerons ainsi tant qu'il plaira à Dieu. Retiré tout-a-fait du monde, ne me livrant qu'à quelques occupations de mon état, je commence à désirer cette paix que Dieu seul peut donner.

Je vous ai très-souvent présente dans mes faibles prières ; veuillez bien me recommander à Dieu dans les vôtres, qui sont plus ferventes, et soyez convaincue du respectueux attachement avec lequel je suis.

P. S. J'ai été fort embarrassé pour répondre à votre lettre, ne connoissant pas votre adresse. Veuillez bien me la faire donner, si vous le croyez convenable.

Votre très-affectionné serviteur.

J. cari. FESCH. Rome, ce 25 août 1821.


— 250 — LETTRE DE M. MARCHAND,

Premier valet-de-chambre de l'empereur, A. M. le chevalier de Beauterne.

MONSIEUR ,

Il ne m'a point été possible, ces jours-ci, comme je me proposois de le faire, de répondre à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je n'ai point écrit à M. Saint-Denis [pensant qu'il avoit peu d'éclaircissement à apporter dans la question que vous avez le désir de connoître.

Je crois plus convenable, M. le comte Montholon vous ayant donné ses souvenirs, de vous donner les miens. Ce qui me laisseroit croire à un acte religieux, c'est qu'étant seul auprès de l'empereur dans, la matinée du 1er mai , M. l'abbé Vignali entra et me dit que les intentions de l'empereur, communiquées par M. le comte Montholon, étoient d'être seul avec lui. Quand l'abbé vignali sortit de la chambre, je revins auprès de l'empereur; je le trouvai comme toujours calme et résigné, ne laissant rien apercevoir de ce qui s'étoit passé. Quant à la conversation rapportée par le docteur Antommarchi, elle s'est passée dans la chambre à coucher, huit jours avant que l'empereur la quittât pour aller dans le salon où il est mort : j'étoit présent ; cette conversation est exacte, sauf l'omission du mécontentement éprouvé par le docteur à propos de son inconvenante hilarité dans un moment aussi solennel.


— 251 —

Ne craignez pas de dire sous ma responsabilité qu'il fut tancé d'importance, comme il méritoit.

Ce fut à la suite de cette conversation qu'un autel fut élevé. Je regrette, monsieur, de ne pouvoir vous donner de plus amples renseignements, mais ce sont les seuls à ma connaissance, ( 1)

Veillez je vous prie agréer la considération distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être, monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

MARCHAND.

(1) Cette lettre est curieuse, annonçant une nouvelle entrevue secrète' du prêtre avec Napoléon ; M. Marchand m'a dit d'ailleurs ; qu'à sa connaissance, ces entrevues s'étaient renouvellées plusieurs fois pendant la maladie. C'est une chose très-grave que le refus de recevoir les sacrements de l'église, puisque c'est une apostasie formelle; mais de même il est très-édifiant de voir un grand pécheur se reconnaître dans un moment aussi décisif et revenir à la foi. Napoléon n'avait d'obstacle réel que dans son orgueil, mais il le foula aux pieds par une victoire qui lui était ordinaire. L'empereur avoit l'esprit trop juste pour ne pas sentir la vérité du Christianisme; il étoit trop vraiment grand pour ignorer que la vraie grandeur consiste à s'humilier devant Dieu. Le roi Louis XV rencontra à sa mort un obstacle terrible, qui faillit l'empêcher de recevoir les secours de la religion. L'archevêque exigeait que mamadame Dubarry quittât la demeure des rois, avant d'y entrer luimême. Le roi voulait de tout son coeur les secours de la religion ; mais il ne pouvait, disait-il, consentir à une cruauté; enfin il s'y décida. Quand il se fut préparé ; l'archevêque lui porta le saintviatique. La faculté avait recommandé au roi de demeurer couché, sans faire aucun mouvement; mais aussitôt que le saint sacrement parut, le roi se leva sur son séant, jeta son bonnet, et voulut se prosterner. Tout le monde l'arrête : on le supplie, on lui intime de se coucher , alors le roi avec une voix profondément émue et qui va au coeur dé tous les assistans : Quoi! Messieurs; quand Dieu, daigne entrer ches un chien comme moi, je noterais pas mon bonnet!


— 252 —

Je tiens cette anecdote d'une tante à moi, qui l'avoit apprise de son mari, témoin oculaire, et qui était mort de la maladie du roi. M. Vatout, qui raconte la même anecdote dans ses chroniques des châteaux royaux, la tient de moi et non du petit fils d'un seigneur de la cour du roi Louis XV, comme il l'affirme par erreur, à moins que ce seigheur de la cour citoyenne, ne prenne la charge militaire de porte arquebuse des rois de France pour une des grandes charges de la couronne, et ne prenne le nom des Antoine de Beauteme pour un de ces noms dont l'illustration marche de pair avec celle de nos rois. Comment aurions nous cette prétention, nous, qui tenons notre noblesse de Louis XIV. Ce prétendu seigneur, dont parle M. Vatout, était tout simplement l'un des deux cents chevau-légers du roi Louis XV et son porte-arquebuse, le même qui occupa cette dernière charge (que nous avions depuis trois cents ans dans notre famille), sous le roi martyr, sous l'empereur Napoléon, et enfin sous Louis XVIII.

M. Vatout est tombé dans une erreur plus grave, en faisant dire à Louis XV : Quoi! messieurs, quand Dieu daigne faire à SI PEU QUE JE SUIS l'honneur de le visiter , je n'ôterois pas mon bonnet ! C'est là parler en courtisan des rois de la terre; je souhaite à M. Vatout, à sa mort, d'agir et de parler comme Louis XV. Quel spectacle sublime de voir un homme grossier et charnel, un roi libertin, dans ce moment suprême, s'élever de la fange de sa corruption, jusqu'à parler en chrétien, jusqu'à paroître le digne descendant de saint Louis, en disant avec la foi de la Cananéenne : Quoi ! messieurs, quand Dieu daigne entrer CHEZ UN CHIEN COMME MOI, je n'ôterois pas mon bonnet!!! ( Note de l'auteur. )

FIN.

ERRATA:

Page 112, ligne 6°, lisez, après le mot d'amertume, au lieu d'un point (. ) deux points ( : ). — Page 136, ligne 4e de la note , au lieu de prêchoient, lisez : préchoient. — Page 151, ligne 20, au lieu de questons, lisez : questions. — Page 186, ligne 6 de la note, au lieu de hérétiques, lisez : hérétiques. — Page 301, ligne 5, au lieu de déhonoroient, lisez déshonoraient. — Pag. 192. ligne 29 de la note, au lieu de qe, lisez que, — Page 170, ligne 15 au lieu de ; stoïcisme chrétien d'un rassasié de la vie, lisez : stoïcisme d'un chrétien rassasié de la vie: — Page 324, ligne 25, au lieu de affections, lisez : afflictions.— Page 240, ligne 13, au lieu de Napléon, lisez ; Napoléon. - Page 245, ligne 2, au lieu de sali/action, lisez : satisfaction.


LISTE DES SOUSCRIPTEURS

A L'OUVRAGE

MORT D'UN ENFANT IMPIE.

Monseigneur l'évêque de Jérusalem, MM. les curés de Saint-Louisd'Antin, de Saint-Méryr de la Madeleine, de Chaillot, de Saint-Louis, de Saint-Paul, de Saint-Sulpice, de Saint-Germain-des-Prés, de SaintEustache, de Saint-Philippe-du-Roule. MM. les aumôniers du Collége Henri IV, du Collége Saint-Louis et du Collège Louis-le-Grand.

La reine Amélie, madame la duchesse d'Orléans, le prince

Royal, madame la princesse A , le duc d'Aumale, le duc de

Montpensier, le duc de Joimille, le duc de Nemours.

A.

MM. Le minisire de l'instruction publique, 25 exemplaires, le marquis Aguado de Las Marismas, Andraud, homme de lettres, Louis Arnault, référendaire, Aubert d'Epernay, Amyot, libraire, l'abbé d'Assance, premier aumônier du collége Saint-Louis, Amans, peintre, le colonel Thelleville Arnault, Ambert (du National), le comte d'Asnières, le baron Alibert, le vicomte d'Aure, le docteur Aussandon, le baron d'Arlaincourt, le vicomte d'Arlaincourt, l'aumônier de Beaujon, Accoyé, madame Augustin, peintre, M. Annat, curé de St-Méry, Asseline, secrétaire des commandements de madame la duchesse d'Orléans, madame la baronne d'Avril, mademoiselle Auge, maîtresse de pension à Chaillot, l'agent de Sainte-Pèrine.


MM le général Baudran, aide-de-camp du prince royal, le général B... la bibliothèque de l'Hôtel-de-Ville, Battifoglier, vétérinaire du roi, Bonvallet, administrateur de bienfaisance, de Brack, général commandant à Saumur, Bréauté, de la maison du prince royal, Beloyn, marguillier à Chaillot, le colonel Bouffet Montauban, le comte de Boigne, Binet, le docteur Boutain de Beauregard, de Beauchêne, Baude, conseiller d'état, Levayer du Boulaye, prêtre à Saint-Roch, Berteloitte, sous-chef à la guerre, Belmontet, homme de lettres, de Berthier, officier d'ordonnance du roi, Brunlon, banquier, Boulet-Paty, homme de lettres, Léon de Bruyères, le comte Armand de Briqueville, le baron de Bellerio, le comte Bougainville, Bielrix de Sault, madame Bocquet, M. Bayen, l'abbé de B..., vic. général, Bontarel, Roger de Beauvoir, Bouchitté, professeur à Versailles, madame Benjamin de Constant-Rebecque, Biesta, premier clerc de notaire, Bory de Saint-Vinrent, de l'Institut, l'abbé Biehet, Casimir Bukaer, maître de harpe, Bauceron, Barré, vicaire-général diocèse de Chartres, Basse, chef d'institution à Chaillot, Casimir Bonjour, homme de lettres, Bonlemps de SaintPhar, Bourgeois, ancien sous-préfet, Bertinot, notaire, de Beaupré, Bergeron, capitaine d'état-major, le baron de Bourgoing, ministre à Munich, madame Aglaé Bretod, le baron de Bazancourt, madame la comtesse de Berthier, madame la baronne de B..., M. Bascans, le baron de Brindois, le baron de Bourqneney, Brennier, directeur des fonds aux affaires étrangères, l'abbé Bardin, Bigi, l'abbé Bourgoing, de Belviala, l'abbé Bautain de Strasbourg, Bigot, maître de pension à Chaillot, Barrois, ancien avoué, Bonrreuil capitaine du génie, madame la baronne de Bressieux, mademoiselle Bourdon, le comte de Biencourt.

C.

MM. le vicomte de Caux, pair de France, le général Corbineau, pair de France, l'abbé Caire, Cottenet, adjoint du maire du premier arrondissement, Chevreau, maire de Saint-Mandé, Chapellier, notaire, le comte Chollet, pair de France, Cherbuliez et Cbamerot, libraires, Carette, chef de bataillon du génie, Chabanel, chef de bureau au minis-


tère du commerce, Cormon, libraire, le comte de Celle, pair de France, de Coigny, médecin du prince Tallevrand, l'abbé Caron, professeur de philosophie, le général Clary, de Cambernon, de Coincy, de Courbonne, Chegaray; madame de Chef de Bien, Catruffo, madame la vicomtesse de Caux, le prince de Craon, le vicomte Félix de Conny, de Cotte, Carlier, notaire, Paulin de Coincy, Felix de Coincy, le baron de Croze, le duc de Caderousse Grammont, du Colombier, chef d'escadron, Chevalier, de la bibliothèque historique, Champ, banquier. Carnet, officier de la garde nationale, le comte de Canizi, madame Chayé, Choiselat, madame de Coincy, Courtois, Alphonse de Coincy, Gauthier de Chaubry, professeur à l'école Polythechnique, le marquis de Courtivron, ancien député de la Côte- d'Or, le vicomte de Courtivron, officier supérieur, l'abbé Cauvin, Corbet, libraire, le docteur Connette fils, médecin du bureau de bienfaisance du premier arrondissement, Collin, curé de Saint-Sulpice, Alissan de Chazet, C F précepteur de..., madame Chastelain.

D.

MM. le comte Daru, pair de France, Delaunay, Dentu et Decourchant, libraires, Duchesne, conservateur du cabinet des estampes, madame Dartigue, Didier, avocat, ancien avoué, Daru, officier des hussards, David, secrétaire du conseil supérieur du commerce, Delaunay, chef de bureau à l'administration des postes, Desmazzis, ancien intendant du garde-meuble, Dubeau, employé à la banque de France, D...., député, le duc d'...., pair de France, Dorcy, peintre, Félix Darcét, Dubose, ancien gérant du Réformateur, de Lafontaine, payeur du trésor, Durant, receveur des finances, le baron Dudon, Emile Deschamps et Antony Deschamps, hommes de lettres, Duchesne, peintre, Duroux, attaché à l'ambassade de Stuttgart, la comtesse Du Boisguy, M. Alfred de Larue, receveur des finances, de Larue , officier d'ordonnance du roi, Desetards, Dupoty, rédacteur en chef du journal le Peuple, Drouet, de Toulon, Devienne, de la cour des comptes, Dugazon, Désilles, madame la baronne du Hamel, Deniset. Martin Doisy, homme de lettres, Alexandre Dumas, le comte du Peyrou, Dufougerais, l'abbé d'Ancel, vicaire à Notre-Dame-de-Lorette, Delchet, madame Delaunay, Donat de Lyon, M. l'abbé Deshoulières, Duhamel, avocat, le vicomte Donnadieu, Delzons, gérant des Parisiennes, le docteur Duval, le docteur Dupleix, David, avoué, Duclos, avocat, l'abbé Denis, premier vicaire de la paroisse Saint-Pierre de Chaillot, De Latour, précepteur du duc de Montpensier, Dupaty, de l'Académie française, Désirabode, dentiste, Delessert, préfet de police, le directeur de l'hospice Baujon, Denis, député du Var.


E.

MM. le marquis d'Eurville, Etienne, pair de France, le baron d Eckstein, le général Excelmans, le marquis d'Eyragues, ministre de France à Stuttgard, mademoiselle Inès d'Esmenard, peintre,

F.

MM. Francoeur, professeur de mathématiques, Froidure, le général comte de Fernig, le général comte de Flahault, Favier, intendant militaire, Fortin, le duc de Fitzjames, le baron Fossati, Gustave Fauche, François, Fontaine, Froidefond des Farges, conseiller à la Cour royale, Fessard, madame Fiévée, mademoiselle Froidure, M. de Lafrenaye, l'abbé de Folleville, Fiot, ancien député, Fisanne, avoué à Versailles, Froidure, suppléant du juge de paix du 5e arrondissement, Fontaine, de Melun, avocat.

G.

MM. l'amiral Gallois, le colonel Gallois, le capitaine Gallabert, colonel Gallabert, ancien député, le comte Germain, pair de France, de Guizard, député, de Grandmaison, Giraud de Savine, Jacquin, prêtre à Rueil, Jarry , la comtesse de Grabowska, le général Guilleminot, Frédéric de Gournay, le colonel de Gournay, madame Goy, la baronne Gérard , M. de Gévaudan, Guex, le comte de Grandmaison, madame Giraud, M. Jamain, notaire, Goddet, madame Gaulier, de Jouy, de l'Académie, de Jouvencel, maître des requêtes, le général Gourgaud, Jay, de l'Académie française, Grisier, maître d'armes des princes, Gabillaud, premier adjoint à la


mairie du premier arrondissement, Gibault, marchand d'estampes, Grimbert et Dorez, Gibberton et Brun, libraires, G...., homme de lettres, Goubaud, chef d'institution, Giovanni, administrateur de bienfaisance, Gabriel de Lessert, préfet de police, madame la baronne Godinot, l'abbé Goujon, l'intendant de la maison du Roi pour les bibliothèques de la couronne, Garnier, secrétaire de la mairie du premier arrondissement.

H.

Madame la comtesse d'Hyeuville, le comte d'Henisdall, Hovelt, le comte d'Houdetot, receveur des finances, le général d'Houdetot, aide de-camp du roi, Ittier, Hervé, lieutenant d'artillerie, d'Halmont, le comte du Halley, le comte d'Hyeuville, Hugot, le général Heymès, aide-de-camp du roi, Hulot, colonel d'artillerie, le comte Hocquart, Hesse, Hachette, libraire, le comte d'Houdetot, pair de France,

L.

Madame la contesse de Lipona, soeur de l'Empereur. MM. de Launay, Lechat, agent de change, le marquis de Lavalette, Lemaitre, madame la comtesse de Lespine, Lanyer, député, Lenoir, architecte, madame la baronne Lambert, Lefevre [Francisque, le docteur Loir, Lefevre, ancien sous-chef aux affaires étrangères, madame Labbé, Lautour-Mézeray, madame Laffilée, mademoiselle Laffilée, le docteur Lugoll, Lepage, arquebusier du roi, Lallemant, jeune, avocat consultant, Ferdinand Leroy, secrétaire-général de la préfecture de Bordeaux, madame Lebrun, peintre, le baron Alphonse de Lambert, le comte de Langle, Ledieu, Jacques Laffitte, le baron de Las Cases, député, Lefebvre, officier d'état-major, mademoiselle Lemoine, maîtresse de pension, de Latcnat, référendaire à la Cour des comptes, Lagriel de Saint-Cloud, Lombard, notaire, Landrin, avocat, Latry, professeur d'équitation, de Luynes, madame la comtesse dé Lipona, la baronne Lavollée, le baron Henri Lemoine, de Laville de Mirmont, inspecteur général des prisons, Leblond, inspecteur du garde-meuble


— 6 — de la couronne, de Lancy, bibliothécaire de Sainte-Geneviève, Gustave Lemoine, Laboëssière, ancien député, de Lyonne, Lecresne, de Lafrenaye, Leistner, pharmacien à Chaillot, Edouard Legrand, libraire, Lagny, libraire, madame Lafosse, Lacroix, propriétaire, de Latour, précepteur du duc de Montpensier, Lepoitevin, le comte de Lascases député, Ledoyen, Laey, relieur, Lafosse, maître de pension à Suresnes, Lacroix fils, Lebel, notaire , Ligier , sociétaire du Théâtre. Francais.

M.

MM. Marcellot, maire du premier arrondissement, Tom Massé, banquier, Monier de la Sizeranne, député, mademoiselle Mars, sociétaire du Théâtre-Français, M...., ancien rédacteur en chef de la Tribune, le comte Jean de Montmaur, Mourre, Marceschau, consul à Dublin, Mesnard jeune, de Montmerqué, l'abbé Maret, le duc de Masséna, prince d'Essling, le prince de la Moskowa, madame Sidonic Moët d'Epemay, Mesnard aîné, le comte de Mazin, colonel de cavalerie, Michel, agent d'affaires, le baron de Mathat, le général comte de Monistrol, le comte Anatole de Montesquiou, chevalier d'honneur de la reine, madame de Mareste, le comte de Montalembert, pair de France, le baron Michel, médecin, le comte de Montaigu, colonel, Marchant, premier valet de chambre de l'empereur, le comte du Médic, administrateur du bureau de bienfaisance de Chaillot, Monginot, le comte de Montholon, Morin, le maréchal Moncey, le comte Mole, pair de France, Molard, sous-inspecteur des postes. Molard, inspecteur général des finances, Masson, maître des requêtes, Machelard, avoué, le marquis de M...... de Malartic, Montigny, directeur de la Gaîté.

N.

MM. l'abbé Martin de Noirlieu, ancien sous-précepteur de monseigneur le duc de Bordeaux, madame la maréchale Ney, le docteur Nilas, Joseph Nessy, Nyon, chef d'institution,


O.

MM. le comte O'donnel, maître des requêtes, Olivier, le comte Odoard.

P.

MM. Préval, ancien officier de la garde royale, mademoiselle Piautaz, Pinet, Paillard de Villeneuve, avocat, madame Paira, le comte Alexis de Saint-Priest, Hippolyte Passy, ministre des finances, P..., homme de lettres, Picher, le général duc de Padoue, Pérot, sous-chef au ministère de l'intérieur, Planche, fondateur de la Revue Médicale, ancien pharmacien, le marquis de Pissy, le docteur Pinel, le baron Pontois, ambassadeur à Conslanlinople, Pierrot, proviseur du collége Louis-le Grand, Pernot, ancien référendaire à la Cour des comptes, mesdames Pujol, maîtresses de pension à Chaillot, madame Duclency, le docteur Puzin de Chaillot, Jules Pasquier, directeur général de l'amortissement, Petit, électeur, Prud'homme, libraire, Pourquet, libraire, Paul Royer Collard, Prillieux, administrateur de bienfaisance, de Prejan , écuyer du roi, Poullain , chef de la comptabilité du prince royal, Auguste Pasquier, directeur des contributions indirectes, Poullain de Ladreue.

R.

M. de Rémusat, ministre de l'intérieur.

MM. le comte de Ripert Monclar, le comte de Ressegnier, Hippolyte Royer-Collard, professeur à l'École de Médecine, Rue (Gédéon), le colonel de Radulph, Roux, ancien maître des requêtes, Maurice Roux, Charles Roux, Rodrigue, E. S., Jules Raynal, Regnier, avocat consultant, Rouen aîné, inventeur et fabricant de lampes, Rouen jeune, chef du mouvement du chemin de fer de Saint-Germain, Rozerot, avocat à Troyes, le comte de Riencourt, madame Rémonda, le comte Gustave de la Rifaudière, madame la comtesse Regnault d'Angely, la baronne de Riouffe, de Rémusat, député, le comte de Rayneval, premier secrétaire d'ambassade à Rome, Roger, peintre, le comte de Rochefort, le comte de Rambuteau, préfet de la Seine, Rabourdin de Versailles, le vicomte de Romanet, le baron Rouen.

S.

M. le maréchal Soult.

MM. de Salvandy, ministre de l'instruction publique, Germain Sarrut,- madame Sheppers Mey, M. Saint-Amand, madame de Sainte-Ursule


- 8 -

libraire, le comte Honoré de Sussy, Soumet, de l'Académie française, le comte de Septeuil, le comte de Saint-Exupéry de Bordeaux, madame de Saint-Surin, madame de Saint-Julien d'Esneux, Shepear, le duc de Saulx, le comte Siméon, pair de France, de Saint-Projet, Emile de Saint-Cricq, Soulié père, Frédéric Soulié, Aimé Sirey, de SaintHilaire, le marquis de Siblas, Sirieys de Mayrinhac, de Saint-Menge, Arnold Scheffer, le docteur Sédillot, le comte de Solms,

T.

M. Thiers, président du conseil.

MM. le prince de Talleyrand, le marquis de Torcy, la marquise de Torcy, le docteur Treille, madame Thibert, Thoré, un des rédacteurs du Siècle, l'abbé Theroux, aumônier du collége Louis-le-Grand, Adolphe Thibeaudeau, rédacteur du National, Tessier, architecte, Théry, proviseur du collège de Versailles, l'abbé Triquenod, Thiollière du Treuil, curé de Saint-Chamond, Treuttel et Wurtz, libraires, Thévenin, Thomas, chef du personnel au ministère des finances, Taillefer, inspecteur de l'Université, Tupigny de Bouffé, Transon, ancien élève de l'école Polytechnique, Tandoux, maître de pension à Chaillot.

Madame d'Urclé, M. Urhan.

V.

MM. le duc de Villequier, Villemain, pair de France, le marquis de Visconti, de Wailly, chef de division de l'intendance, Voizel, Vatout, député, Vincent, madame la comtesse de Vierzac, madame de Villeneuve, Valtier, le baron de Ville-d'Avray, Véry, le baron de Vitrolles, madame Verdaveine, de Viany, Valette, professeur de droit civil, Vaton, libraire, madame Viala, dame de charité de Chaillot, le docteur Vallerand, le duc de Valmy, député, le premier vicaire de Chaillot Virmaitre, avocat.

c.

M. le comte zenowietz, colonel d'état-major.

Paris.—COSSON, Imprimeur de l'Académie royale de Médecine (rue Saint-Germain des-Prés, 9.