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Titre : La Deffence et illustration de la langue françoyse, par Joachim Du Bellay, précédée d'un discours sur le bon usage de la langue française, par Paul Ackermann

Auteur : Du Bellay, Joachim (1522?-1560). Auteur du texte

Auteur : Ackermann, Paul (1812-1846). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1839

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11968311h

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30357463m

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : In-8° , XVI-139 p.

Format : Nombre total de vues : 157

Description : [Défense et illustration de la langue française (français)]

Description : Comprend : Discours sur le bon usage de la langue française...

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6133798b

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, X-9711

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 30/09/2010

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LA

DEFFENCE ET ILLUSTRATION

DE LA

LANGUE FRANCOYSE,

PAR JOACHIM DU BELLAY; DISCOURS SUR LE BON USAGE

DE

LA LANGUE FRANÇAISE,

6

PAR PAUL ACKERMANN,

L'un des auteurs du Vocabulaire de l'Académie.

PARIS.

)R07,ET, LIBRAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE,

QUAI MALAgUAIj. iN° l5.

1839



LA DEFFENCE ET ILLUSTRATION

DE LA LANGUE FRANCOYSE,

PAR JOACIIIM DU BELLAY;

PRÉCÉDÉE D'UN

DISCOURS SUR LE BON USAGE

DU

LA LANGUE FRANÇAISE,

PAR PAUL ACKERMANN.


IMPRIMERIE DE TEnZBOI.O,

rue Madame, n° 30.


LA

DEFFENCE ET ILLUSTRATION

DK LA

LANGUE FRANCOYSE,

PAR JOACHIM DU BELLAY;

PRISCBDÉB D'UN

DISCOURS SUR LE BON USAGE

DE

LA LANGUE FRANÇAISE,

PAR PAUL ACKERMANN.

PARIS.

€ROZÈT, LIBRAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE,

QtJAl MALAQUAIS, l5.

1839.



DISCOURS

SUR LE BON USAGE

DE LA LANGUE FRANÇAISE,

PAR PAUL ACKEItMANN.

« Un beau style n'est tel que par le nombre infini de vérités qu'il présente. Toutes les beautés intellectuelles qui s'y trouvent, tous les rapports dont il est composé sont autant de vérités aussi utiles, et peut-être plus précieuses pourl'espril humain, que celles qui peuvent faire le Fond du sujet.» BUFFOM, Disc, de réception à l'Acad, française.

— « Scribendi recle saperc est principium et fons. » HoHAr,, lie Art. pcct.} v. 3oj).



PRÉFACE.

On n'a jamais bien déterminé ce que c'est que la langue française classique, et quels sont ses écrivains. Il est pénible de voir dans les grammaires et les dictionnaires, à l'appui d'un terme, d'une locution, citer les deux Rousseau et des auteurs aujourd'hui en vogue , comme on, fait La Fontaine et Voltaire. Quels sont donc nos écrivains classiques, et à quoi reconnait-on qu'une locution est correcte, qu'un mot est français ?

L'Académie française prépare, dit-on , un admirable travail, un Dictionnaire historique, critique et étymologique de la langue française : mais a quelle époque prend-elle la langue? Si elle remonte au-delà d'Amyot, elle empiète évidemment sur les glossaires et sur les domaines de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Quel est donc son point de départ? quelles sont ses vues,générales sur l'histoire de la langue ?

Aujourd'hui plus que jamais il faut se fixer sur l'unité, la précision et les règles de notre langue, qui a tant faibli depuis le milieu du siècle dernier.

L'élude plus générale et le progrès toujours croissant des sciences mathématiques et d'observation, la tribune, et les journaux politiques toujours écrits avec précipitation, les articles reproduits journellement des journaux étrangers, l'imitation maladroite des littératures du Nord et du vieux style, ont introduit dans la langue française moderne une foule de nouveaux mois et de. locutions inusitées; enfin les hommes les plus eminents du mouvement qu'on nomma romantique


V11I

ont à l'envi dénaturé la langue précise et limpide du dixseptième siècle. Cette jeune école, hardie mais aventureuse, s'est perdue par l'orgueil, et après avoir lancé de si belles flammes, ellenejelte plus maintenant que de la fumée et des scories.

Depuis 1835 il y a une réaction sensible contre les écrivains incorrects et contre les grammairiens ignorants et systématiques, et l'on penche visiblement à reprendre la langue du dix-septième siècle, en acceptant les nouveautés légitimes qu'y a introduites le tems; mais ce mouvement sera vain, s'il n'est secondé et dirigé par des hommes qui ont des lumières spéciales et un jugement sain et courageux.

Dans notre désir de voir la langue se rasseoir et se régénérer de plus en plus, nous avons abordé la question de l'autorité et celle des âges, les croyant capitales aujourd'hui dans la littérature. Nous ne pouvons partager l'opinion de ceux qui disent : tout est perdu. Sansdoute beaucoup de mal est fait, mais comme la nation est encore pleine dévie, c'est une erreur funeste de désespérer de l'avenir.

Nous devons dire un mot sur notre réimpression de la De-ffence et illustration de la langue francoyse de Joachini du Bellay. C'est un des plus précieux opuscules littéraires du seizième siècle ; l'auteur, ami de Ronsard, l'écrivit pour appuyer les tentatives de la nouvelle école poétique, et faire rendre à la langue vulgaire l'empire que le latin usurpait encore. Cette Dépense est elle-même un monument de notre langue dans la période qui prépara le français de Balzac et de Pascal.

L'édition originale de la Deffence et illustration de la tangue francoyse est devenue tellement rare qu'on ne la trouve plus dans le commerce. Pour posséder cet ouvrage, il faut Tacheter dénaturé dans son orthographe, dans soi) langage même, et enfoui dans un gros volume de vers d'un mérite forl inégal. Nous avons cru faire plaisir aux amateurs de Du


IX

Bellay et du X. VIe siècle de réimprimer celte Deffence, sijustemenl estimée et recherchée des connaisseurs. Le texte que nous donnons est collationné sur un exemplaire de l'édition originale, appartenant a la bibliothèque de l'Arsenal, et dont voici letitre exact : LaDeffbnce et Ulustrationde lalangue francoyse, par J. A. D. B. Imprimé à Paris pour Arnoult l'Angelier, 15A9. In-8° (sans pagination). Nous en avons conservé l'orthographe, mais en y introduisant la distinction de Vu et du v, de Vi et du.7, et sans nous asservir a la ponctuation et aux lettres capitales qui y surabondent d'après l'usage du tems; pour tout le reste, l'orthographe de l'édition originale est exactement reproduite.

Beaucoup de savants, en réimprimantaujourd'hui de vieux textes, ont l'habitude de placer sur les e inaccentués alors, les accents que nous y mettons aujourd'hui : nous avons cru devoir nous éloigner de cette méthode, qui est évidemment erronée. Qui m'assure que du tems de mon vieil auteur on prononçait les e comme aujourd'hui ? Il faudrait par des preuves solides avoir établi à l'avance leur prononcialion.

Dans l'édition que nous suhons, il y a parfois un accent sur a, troisième personne du singulier du présent de l'indicatif du verbe avoir, mais le plus souvent il n'y en a pas; nous avons cherché à l'enlever partout, pensant que celle irrégularité venait de l'imprimeur, et parce qu'ici l'accent n'influe en rien sur la prononciation du mot (1).

Quelques mots nous ont paru être des fautes palpables, provenant sans doule de la négligence de l'imprimeur ; nous avons rétabli entre [] la leçon qui était certainement celle de l'auteur.

Du Bellay avait approuvé, sans les adopter toutes, les simplifications orthographiques réclamées par plusieurs de

(i) A la page 85, ligne lu, lisez « au lieu tic «.


ses contemporains : « Quant à l'Orthographe, dit-il (out a » la fin de son livre, j'ay plus suyvy le commun et anliq' usaige » que la raison, d'autant que cetenouvelle (mais légitime à » mon jugement) façon d'écrire est si mal receuc en bcati» coup de lieux, que la nouveauté d'icclle eust peu rendre » l'oeuvre non gueres de soy recommendable, mal plaisant, » voyre contemptible aux lecteurs. » Après sa mort les éditeurs de ses oeuvres y mirent l'orthographe de l'année de chaque impression nouvelle, et rétablirent ainsi nombre d's qui ne furent définitivement supprimées qu'au XVIII" siècle, cl que Du Bellay avait déjà rejetées de son orthographe; ils firent plus, ils rajeunirent son langage, substituant personnage, à personnaige, transportèrent à transportarent, et ainsi de suite. Nous n'avons point commis cette faute, et nous espérons qu'on nous en saura gré. On rencontrera dans l'ouvrage de Du Bellay quelques mots écrits de deux manières : c'est un reste des fluctuations et des irrégularités de l'orthographe du moyen-âge, défaut peu sensible clans l'édition originale, mais qui s'accrut dans les éditions posthumes. Nous n'avons pas cru devoir faire disparaître le petit nombre d'irrégularités que présente sous ce rapport l'édition que nous suivons, dans une réimpression faite seulement pour les amateurs et non pour les écoles.

Enfin, toujours dans l'inlenlion d'agréer au lecleur, nous avons rappelé en note au bas des pages quelques passages d'Horace, de Cicéron et de Virgile que Du Bellay avait mêlés à sa composition, et que nous avons reconnus; le lecteur instruit en trouvera peut-être qui nous ont échappéCes emprunts nous font voir que Du Bellay connaissait bien ceux dont il repoussait l'idiome, et que l'élude des anciens n'a pas été sans influence sur la maturité de la langue française.

t'aiis, 20 awil iSôg. V. A.


XI

OUVRAGES A CONSULTER

SUR L'HISTOIRE , LA PURETÉ ET L'UNIVERSALITE DE LA LANGUE FRANÇAISE.

Illustration de ta langue françoise, par Jean Palsgrave. Londres, 1530, in-fol. Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvrage.

La Deffence et illustration de la Langue Francoyse, par J. A. D. B. (Joachim Du Bellay.) Paris, Arnoult l'Angelier, 1549,in-8°.

Apologie povr la Langue Françoise, en laquelle est amplement déduite son origine et excellence ; le moyen de l'enrichir et augmenter selon les anciens Grecs et Romains; l'obseruation de quelques manières de parler francoises; une exhortation aux François d'escrire en leur langue, etc., par J. A. D. B. (Joachim Du Bellay.) Paris, Lucas Breyer, 1580, in-8°.

C'est la meilleure réimpression de l'ouvrage de Du Bellay ; elle n'est cependant pas parfaitement exacte.

Lettres d'Esiienne Pasquier. La seconde Lettre du liv. I, datée de 1552, adressée à M. de Tournebu, roule sur l'emploi de la langue française dans la littérature.

Oraison de Jacq. Tahureau au Roy, de la grandeur de son règne, et de l'excellance de la langue françoise, etc. Paris, Ve Maurice de la Porte, 1555, in-Z»°.

Devis de la langue françoise fort exquis et singidier, par A. M. Sieur de Moystardieres. Paris, Jean de Bordeaux, 1572, in-8°.

Art poétique français.— Avec le QuinlilHoralian,sur la défense et illustration de la Langue Françoise. Lyon, Benoist Rigaud. 157<i, in-18.


Xll

Dcvx dialogves du nouueau langage François, italianizé, et autrement desguizé, principalement entre les courtisans de ce temps : De plusieurs nouueaatez, qui ont accompagné ceste nouueautè de langage : De quelques courtisanismes modernes, et De quelques singularitez courtisanesques (par Henry Estienne). Sans date, in-8°.

Project du livre intitulé De la Precellence du langage franfOi.s,par Henry Estienne. Paris, Mamert Pâtisson, 1579, in-8°.

La Langue francoyse de Jean Godart, Parisien ; première partie. Lyon, Nicolas Jvllieron, 1620, in-8°.

Remarques sur la langue françoise, par Claude Favre de Vaugelas, de l'Académie française. PRÉFACE. Paris, 16A7, in-Zi".

La défense de la poésie et de la langue françoise (en vers), adressée à M. Perrault, par J. Desmarets. Paris, Nicolas Le Gras, 1675, in-12.

Considérations en faveur de la langue françoise, par l'abbé de Marolles. Paris, 1677, in-4°-

De l'Excellence de la langue françoise, par M. Charpentier, de l'Académie Françoise. Paris, VeBilaine, 1683, 2 vol. in-8".

C'est un ouvrage verbeux et déclamatoire, où sont noyées quelques bonnes idées.

Bibliothèque universelle et historique de l'année 1687, t. vu, p. 181-195.

On y examine si la langue française a plus gagné que perdu depuis Amyot.

L'Art de bien prononcer et bien parler la langue françoise, par le sieur J. H. ( J. Hindret. ) Paris, Ve Cl. Thiboust. 1687, in-12.

Des mots à la mode, cl des nouvelles façons de parler : avec la suite traitant du bon et du mauvais usage dans 1rs manières


XIII

de s'exprimer, etc., par François de Cailliere, de l'Académie françoise. Paris, 1693, in-12.

Ce livre est bien fait et agréable à lire.

Du bon et mauvais usage, dans les manières de s'exprimer. Des façons de parler bourgeoises, et en quoy elles sont différentes de celles de la cour, suitte des mots à la mode. Paris, Claude Barbin, 1693, 2 vol.

Le Dictionnaire de l'Académie françoise. Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1694, 2 vol. in-fol. V. la PRÉFACE placée à la tête du tome 1.

Manière de parler la Langue Françoise selon ses differens styles, avec la critique de nos plus célèbres Ecrivaiiis en Prose et en Fers : et un petit Traité de l'Ortographe et de la Prononciation Françoise, par André Renaud, Prêtre Docteur en théologie. Lyon, 1694, in-4°. (V. t. 1, p. 167 et suiv. )

Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvrage.

Le sort de la langue française (par de Lionniere). Paris, V Claude Barbin, 1703, in-12.

Ce dont il est le moins question dans ce livre, c'est de la langue française, mais on y parle longuement de l'origine et de la splendeur de la monarchie française.

Traité des langues, où l'on donne des principes pour juger du mérite et de l'excellence de chaque langue, et en particulier de la langue françoise, par le sieur Frain du Tremblay, de l'Académie d'Angers. Paris, J.-B. Delespine, 1703, in-12.

Maximes sur le ministère de la chaire et discours académiques, par feu le R. P. Gaichiés, prêtre de l'Oratoire, et membre de l'Académie de Soissons. Paris, 1739, in-12. On y trouve, p. 234-247, un DISCOURS SUR LE PROGRÈS DE LA LANGUE FRANÇOISE.

Dictionnaire du vieux langage françois ; avec Un coup-


XIV d'ceit sur l'origine, sur les progrès de la langue et de lapù'èsie' françoise, des fragmens des troubadours et des autres poëiès, depuis Charlemagne jusqu'à François ï", pat Lacotribe. Supplément. Paris, chez Nie. Aug, Delalain, 1767, in-8".

L'auteur dans son coup-d'oeil a vu les choses de travers,' si l'on me permet dé continuer la métaphore. Dans cette préface, comme dans son Dictionnaire, il marche sans Critiqué et sans règle. Il compte les époques de la langue française d'après les règnes de nos rois, et prend la langue provençale pour un dialecte français. Un glossateur est jugé, quand il peut donner les vers suivants comme étant du VIIe siècle :

a Por amor de vos pri, saignos Barun

SI Ce vos tuit escorer la leçun

De seint Esteve le glorieux Barun ,

Escotct la per bone entencion ,

Ki à ce jor receu la passion

Saint Esteve fut pleins de gran bonté,

Êniment tôt cels qui creignent Dieu ,

Fesoit miracle o nom de Dieu .mendé,

As contrat et au ces , à tos done santé,

Por ce haïrent au tems li juve. »

C'est du français du XIIF siècle.

Dictionnaire philosophique, par Voltaire ; Voyefc l'article François* Frcatçaisi t. IV, p. 483-504, et l'article tangues, t. V, p. 511-540. (OEuvres de Voltaire, édit. Bettchot.)

Mémoire itàr l'origine et les révolutions de là langue française, par Duclos, dans les Mémoires dé l'Académie des Inscriptions et Belks^-LeWres, t. xv, p. 565, el t. xfiî, p. 171 (1764).

Ces deux Mémoires ont été réimprimés, sans nom d'auteur, sous le titre de Discours sur l'origine et les révolutions des langues celtique et françoise. Paris, Saugrain et Lâmy, 1780, in-8°.


XV

De la langue françoise comparée aux langues anciennes. C*est le chap. 3 du liv. i de la première partie du Cours de Littérature de Laharpe.

Lettre de l'auteur de l'Anatomie de la langue française, à M. le baron de B*** (Bérnstorf), du musée de Paris, à l'occasion du Discours (de Rivarol) sur l'universalité de la langue françoise (par M. De Sauseuil). •Londres et Paris, Guillot, 1785, in-12.

L'Esprit de la langue française, et la cause de l'universalité de cette langue, etc. Dijon, 1787.

Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvragé ; on le dit de nulle valeur.

De l'Universalité de la tangué françoise, par A. C. de Rivarol. Paris, enchéris, ànV (1797), in-4°.

Dissertation sur les causes de l'Universalité de la langue françoise, et la durée vraisemblable de son empire, par M. Schwab. Traduit de l'allemand par D. Robelot. Paris, Làmy, 1803, in-8°.

En i783, l'Académie de Berlin avait proposé pour sujet de concours lès trois questions suivantes :

Qu'est-ce qui a rendu la langue françoise nouvelle? Pourquoi mérite-t-ëlle Cette prérogative ? Èst-fl a présumer qu'elle la conserve?

La dissertion de Rivarol et celle de Schwab furent toutes deux couronnées.

Discours sur l'origine et les progrès de la langue françoise, et sur ses caractères, par J.-B.-Fr. Gérusez, 1800, in-8°.

Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvrage.

Essai sur les meilleurs ouvrages écrits en prose dans ta langue françoise, et particulièrement sur les Provinciales de Pascal, par François de Neufchateau.

Cet estimable opuscule est placé à la tête d'une édition des


XVI

Lettres Provinciales. Paris, F. Didot l'aîné, 1816, 2 vol. in-8". tome 1.

Grammaire Générale et rai sonnée de Port-Royal, par Arnauld et Lancelot ; précédée d'un ESSAI SUR L'ORIGINE ET LES PROGRÈS DE LA LANGUE FRANÇOISE, par M. Petitot, 2' édition. Paris, Bossange et Masson, 1810, in-8".

Dans cette prolixe dissertation de M. Petitot, le style est assez élégant, mais l'auteur manque de vues, et ne fait guère que répéter ce qui a été dit avant lui.

Histoire de la langue française, par Gabriel Henry. Paris, Leblanc, 1812, 2 vol. in-8".

Ouvrage verbeux, oratoire, vague, plein de banalités; on y remarque cependant de l'érudition; l'auteur avait beaucoup lu, et son livre a le mérite de donner les titres de beaucoup de traités grammaticaux français ; mais il faut se défier de ses indications bibliographiques.

Supplément au Glossaire delà langue romane, par J.-B. Roquefort ; précédé de deux dissertations inédites ; l'une sur l'Origine des François ; l'autre sur le GÉNIE DE LA LANGUE FRANÇOISE, par M. Auguis. Paris, Chasseriau et Hécarl, J820, in-8".

Essai sur l'universalité de la langue française, ses causes, ses effets et les motifs qui pourront contribuer à la rendre durable, par C. N. Allou. Paris, Firmin Didot, 1828, in-8.

Dictionnaire de l'Académie française, sixième édition. Paris, Firmin Didot frères, 1835, 2 vol. in-4°. V. la PRÉFACE placée à la tête du tome 1.

Histoire abrégée de la langue et de la littérature française, par F. Barthe. Paris, Hachette, 1838, in-8".


DISCOURS

SUR LE BON USAG'E

DE LA LANGUE FRANÇAISE.

L'homme que son talent naturel appelle à être orateur ou poëte, n'a point apporté en naissant un discernement parfait de la propriété des termes, mais seulement un instinct vague du choix des expressions. La délicatesse de son goût est plutôt en germe que développée. Il cultivera et assurera ce goût par une lecture réfléchie des auteurs dont le style est précis et délicat, et en observant comment parlent les personnes dont le langage réunit ces deux qualités. Il faut qu'il apprenne à distinguer le dialecte littéraire désengages provinciaux, les expressions qui conviennent aux différents styles, la langue écrite du parler négligé. Un génie même supérieur, quelque goût qu'il ait reçu de la nature, ne peut se passer de cette observation approfondie. On apprend à devenir écrivain par le commerce des bons auteurs, comme on se forme à la politesse par l'usage du monde élégant. La politesse des manières, ainsi que celle de l'esprit, exige d'abord un tact naturel ; mais toutes deux veulent impérieusement de la culture. Nul n'est en droit de dédaigner cette étude. Louis XIV et d'autres personnages célèbres, connus par leur ton exquis, se plaisaient à traiter, à discuter des cas de politesse ; sentaient le besoin d'observations et de réflexions pour étendre et assurer leur jugement.

La même méthode et la même étude conduisent à la perfection des manières et à celle du langage ; il y a même entre elles une liaison intime : comment supposer, en effet, dans une société des


propos délicats et des manières grossières ? Ces grands écrivain» du dix-septième siècle, si clairs, si nerveux, si élégants, étaient des personnes de bon ton, et s'étaient appliqués avec un soin extrême à connaître le bon usage des mots. Mais trop souvent l'étrangeté et la violence du style ont pris la place du naturel et de la délicatesse. On a oublié, ce semble, que tout écrivain, même de génie, s'abaisse par la grossièreté, rebute par la recherche et l'apprêt, et diminue l'influence légitime de ses écrits en dédaignant la pureté du langage.

Le but de ce discours est d'enseigner comment et où l'on peut apprendre la politesse et la pureté de la langue française. Je ne suis pas capable d'instruire d'exemple, mais je puis indiquer les modèles, enseigner les sources de l'Usage. Je vais entrer dans quelques considérations philosophiques, puis j'examinerai chez qui se trouve le bon usage écrit de la langue; enfin, arrivé à notre époque, je rechercherai quelles sont les causes de la corruption de l'éloquence actuelle, et où l'on peut, de nos jours, rencontrer des personnes qui parlent purement la langue française.

CHAPITRE I. — Diversité littéraire des Langues.

On prête à Buffon cette phrase, qui n'est pas précisément la sienne : « Le style c'est l'homme. » Non, le style n'est pas l'homme, mais comme il est produit par l'esprit humain, il révèle une partie de l'homme. Ainsi, selon le génie particulier de chaque individu, son style variera, et offrira avec celui de ses compatriotes des nuances, des différences plus ou moins sensibles. Il en est de même des peuples ; et de la différence des génies nationaux naît presque entièrement la variété littéraire des langues. Je dis presque entièrement, car il est des différences grammaticales qui viennent de l'oreille et non de l'esprit.

Selon que l'Esprit ou la Réflexion, l'Imagination ou le Senti-


ment prédominent, se mélangent ou s'excluent chez un homme, son style en porte les traces. Il en est de même pour toute une langue, selon la nature d'esprit de la foule. Je vais présenter quelques exemples; et dès le premier l'on pourra voir combien, malgré le nombre et la force de certaines influences communes entre deux peuples, ces deux peuples peuvent différer profondément de génie et de style. Les Français sont une nation moderne et en grande partie d'origine germanique. L'éducation chrétienne et l'instruction classique existent chez nous comme chez les Allemands, et à peu près depuis la même époque. Ils lisent nos ouvrages et les ont toujours lus ; ainsi nos auteurs ont dû beaucoup influer sur leur littérature. Ils ont comme nous l'article et les verbes auxiliaires. Cependant il n'est pas un traducteur qui n'ait pu observer combien il est difficile de rendre en français un auteur allemand. Des écrivains fort élégants sont plats traduits en allemand, quoique avec soin, et même malheur arrive aux auteurs allemands traduits dans notre langue. Quelle est donc l'explication de ces deux faits singuliers? Elle est, si je ne m'abuse, dans la diversité d'esprit des deux nations. L'Allemand est essentiellement contemplatif et inductif ; son génie littéraire se compose d'une certaine dose de réflexion et d'imagination ; mais il manque en général d'esprit, et c'est ce qui fait à l'égard de la France, de l'Italie et de l'Angleterre, son infériorité relative en littérature. Le Français, au contraire, est d'une conception vive, promte, nette, saisissant bien en toutes choses les contrastes et les ressemblances. L'intelligence est sa faculté la plus vive. C'est l'esprit géométrique, déductif par excellence. Nous sommes les disciples d'Aristote et de Descartes. Aussi la littérature française s'est-elle placée au premier rang bien plus par l'esprit et la régularité que par l'imagination. Un étranger , homme plus réfléchi qu'inspiré, plus grave que badin, qui ne pouvait parvenir à écrire supportablement le français, qu'on lui avait cependant fait cultiver dès son enfance, frappé de la physionomie de nos auteurs, me dit un jour qu'il croyait qu'il est


impossible de bien posséder notre langue, si l'on n'est homme d'esprit. 11 suffit d'être^homme de sens; mais sa remarque était profonde, il méritait de savoir le français.

Chez aucun peuple l'intelligence n'a plus été séparée de l'imagination que chez les Français; chez les Allemands au contraire la liaison est intime. Cette différence de proportions, de relation entre les facultés en met une aussi grande dans le style. Il eslpresque impossible, si l'on est d'une de ces deux natures-là, qu'on s'exprime avec un parfait naturel dans un style élaboré par des esprits de l'autre trempe. Avant que j'eusse fait aucune de ces réflexions, longlems je fus sans pouvoir me rendre compte de l'impression que fesait sur moi le style de J.-J. Rousseau ; je ne savais qu'y redire; mais il me semblait voir en lui un homme condamné à être orateur dans une langue qui n'est pas la sienne, mais qui y est parvenu.

C 'est que, bien que Rousseau eût beaucoup d'esprit, il avait encore davantage d'imagination et de réflexion, et une vie sentimentale bien différente de celle du Parisien. Même fait se remarque dans Montaigne, qui a eu plus d'imagination qu'aucun autre philosophe français, et plus de méditation philosophique que tous ses prédécesseurs. A force d'esprit et de vigueur il parvint à briller dans notre langue, mais ce ne fut pas sans peine. C'est que l'activité d'imagination et de réflexion était, chez ces deux hommes, unie à l'intelligence dans une proportion exceptionnelle pour la France. De semblables génies sont pour une littérature ce que les conquêtes sont pour une nation : elles étendent ses domaines, mais en altérant son unité.

Il est un peuple qui fut favorisé par excellence, dont la langue satisfit aux plus grands plaisirs de l'oreille et à tous les besoins de la pensée. Le peuple qui la parlait, également méditatif et inspiré, poêle, orateur etj philosophe, posséda dans le plus haut degré connu ce juste équilibre des facultés qui fait le grand écrivain. Il eut à la fois la justesse de goût et la puissance complète de création; c'était un mélange d'inspiration et de méditation,


de poésie et de philosophie, de naïveté et de réflexion, de délicatesse et de force. J'ai nommé les Grecs, restés uniques jusqu'aujourd'hui pour la variété, la force et la perfection du talent littéraire. Les Latins, qui vinrent après eux, eurent plus de jugement que d'imagination, et, rivaux des Grecs en quelques partics, ils .'ont demeurés dans d'autres incomplets et même nuls. La langue et la civilisation des Grecs et des Romains étaient pourtant soeurs. Il y a entre les Italiens et les Français une relation à peu près analogue. Chez nous l'esprit l'a emporté, chez les Italiens l'imagination.

De la différence intime qui est entre la poésie et l'éloquence, l'une se rattachant plus à l'imagination, l'autre à l'esprit, naît une diversité marquée d'élégance entre les poêles et les orateurs. Comme cette différence n'a point encore été développée par les grammairiens, je vais essayer d'expliquer en quoi elle consiste.

L'art, comme je viens de le dire, se présentant sous une double face, il se propose aussi deux objets différents : la prose veut expliquer, la poésie veut plaire; l'une cherche la clarté et l'autre l'effet ; par conséquent il leur faut à toutes deux des ressources différentes de langage. Les langues poétiques sont riches en synonymes du genre au genre; les langues scientifiques le sont dans les mots qui expriment les variétés du genre. Celui qui parle pour dire ce qu'il sait recherche surtout la précision qui donne la clarté à son discours ; l'homme qui chante veut faire admirer ce qu'il voit ou communiquer une émotion. Trop de précision nuirait à ce dernier, qui doit laisser une certaine latitude à l'imagination de son auditeur; un certain vague, soutenu pourtant parla justesse, convient à ses expressions; il lui faut un grand nombre d'adjectifs et de verbes dont le sens soit large ; il recherche l'à-propos et l'abondance des métaphores; le premier pour être élégant s'euquiert de la propriété rigoureuse et du degré de dignité des expressions. Les associations d'idées attachées aux mots consacrés par l'usage chez les peuples orateurs appartiennent et vont à l'intelligence, tandis que chez les peuples poètes.


elles consistent surtout en nuances qui frappent l'imagination. Il va sans dire que cette délimitation ne peut être absolue; j'exprime des généralités et montre ce qui domine d'un côté et de l'autre. L'orateur, pour revêtir son style d'une élégance accomplie, a besoin de^quelques nuances poétiques ; il peut même selon le genre d'éloquence les multiplier et les renforcer.

Le style poétique et le style positif se séparent encore de la manière la plus sensible par la construction des phrases. L'une exige l'inversion, l'autre y répugne ; c'est d'un côté La Fontaine, de l'autre la prose de Voltaire et du Code civil; le premier remarquable par le choix des tournures pittoresques, les deux autres par la précision et la clarté. Il faut remarquer que la présence ou l'absence de déclinaisons, la richesse des formes du verbe, comme aussi l'harmonie de certains mots, que pour cette raison on peut ou l'on ne peut pas rejeter à la fin de la phrase, déterminent beaucoup l'emploi fréquent ou la difficulté des inversions ; mais il n'est pas de langue qui ne puisse, selon le genre de la composition, selon l'art et la tournure d'esprit de l'auteur, permettre l'emploi dominant du style inversif ou de la construction directe. Un démonstrateur a besoin d'être logique et précis, le poète d'avancer ou de suspendre l'effet qu'il veut produire sur l'imagination. Il faut donc, comme le veut la nature de toute langue, laisser aux écrivains, selon les convenances de leur sujet, une grande latitude dans le choix des tournures.

CHAPITRE II. — Phases, époques d'une tangue littéraire.

La même diversité qui peut exister dans le caractère littéraire de deux langues, se retrouve dans les phases successives de chacune d'elles, et toute littérature développée et mûrie a eu ses tems plus poétiques et ses tems plus philosophiques. Comme le fonds emporte la forme, à mesure que les idées, le ton, et les cou-


leurs changent dans une littérature, le langage en reçoit des allérations. Le premier caractère de l'usage c'est d'être variable. Les révolutions dans les idées, les sentiments, les moeurs, les institutions politiques apportent des substitutions de locutions et des changements dans la valeur des mots.

Jusqu'à présent on est toujours parti, pour définir les phases littéraires d'une langue, de l'année de l'apparition des ouvrages célèbres ; mais ce moyen est tout-à-fait insuffisant.

Rigoureusement parlant, il n'y a pas un style propre à chaque époque, à chaque année. Pourrait-on dire par exemple que dans l'année 1830 il y avait une teinte commune de style, une entière conformité dans les mouvements et l'emploi des termes? Non assurément, et la raison en est fort simple : les générations, tout en se succédant, vivent ensemble, et dans cette même année 1830 il y avait des vieillards, des hommes mûrs, des jeunes gens et des adolescents. Mais, dira-t-on, ne suffit-il pas de vivre ensemble pour offrir les mêmes qualités de langage et de style ? Sans doute cette influence est grande, mais il en est une plus forte encore. En général l'état de notre style s'explique par nos lectures et nos impressions anciennes, ce sont du moins les plus puissantes ; celles du jour n'influent sur notre style que pour y mettre plus ou moins de mouvement; et là, comme ailleurs, la raison du présent est dans le passé : or le passé d'un vieillard n'est pas celuid'un jeune homme.

C'est de quinze à trente ans que notre imagination prend ses couleurs, que notre coeur s'est ému, que la plupart de nos idées ont germé, et que par conséquent se sont jetées les bases de notre style. Au-delà de cet âge, les habitudes d'oreille et d'expression sont à peu près fixées ; nous perdons la tendreur nécessaire pour recevoir des impressions vives, profondes et fertiles ; il ne nous reste plus que celles du jeune âge, qui dès lors semblent fermer la porte à toute influence nouvelle. Les hommes aiment et conservent les locutions à la mode dans leur jeunesse. Aussi les ouvrages des jeunes gens n'influent guère sur le


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style des hommes faits et des vieillards, bien qu'ils soient compatriotes et contemporains. Les jeunes gens au contraire, communicatifs, souvent élevés en commun, se trouvent pour toute leur génération à peu près sous l'impression des événements du jour et des idées nouvelles ; ils vivent longlems de la vie commune, pendant que l'homme de pensée cherche à s'isoler quand il se reconnaît assez fort pour marcher seul, et se maintient aussi roide dans le mouvement que le jeune homme y est chaud, tendre et flexible. Ainsi, à la même année, il y a pour les deux ou trois générations qui peuvent alors écrire, des styles propres et distincts, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, dans la même langue des phases contemporaines. Ainsi la date de l'apparition d'un livre n'expliquant pas à quelle période il appartient, le plus sûr est de grouper les auteurs par date de naissance. Pour fixer les époques de la langue française nous partirons donc de ces deux principes : l'esprit change le style; les fondements du style sont jetés quand l'esprit prend son assiette.

Les premiers tems de toute littérature sont barbares, puis la poésie fleurit et l'art se développe. Chez nos auteurs le style poétique est dominant depuis Froissard jusqu'à Rabelais inclusivement. Puis apparaît l'esprit philosophique, positif, méthodique. La naissance de notre prose précise, régulière et oratoire date des premiers écrits de Calvin. Les écrivains protestants suivirent cette école, qui a fini par l'emporter.

Calvin, Pionsard et Montaigne préparèrent la langue du dixseptième siècle. Descartes et Corneille déterminèrent son caractère/général.


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CHAP, III. — Première époque, ou tems archéologiques. Avant 1330.

La Chanson de Roland , par Turold; R. Wace (né vers 1120) ; Voyage de Gharlemagne à Jérusalem ; le Roman de la Violette, par Gibert de Montrcuil; Sermons de saint Bernard; Gérard de Viane; Villehardouin (né vers 1167) ; Thiebaut, comte de Champagne (néen 1201) ; le Roman de Rcnart ; Guillaume de Lorris (né vers 1210?} ; Pierre de Fontaines (né vers 1210Î); Joinville (né vers 1224); Philippe de Beaumanoir iné versi23o?); Aucassin et Nicolette; Jean de Meung (né vers i25o?), etc.

Les plus anciens ouvrages que nous ayons en langue française paraissent se rapporter à la seconde moitié du douzième siècle. C'était alors la langue d'oïl, parlée au nord de la Loire. Dans les thèmes de ses mots elle variait, pour ainsi dire,, de village à village. Peu à peu, par suite des circonstances politiques et du mouvement de la population, il se forma dans l'Ile-de-France, dont Paris était la capitale, un dialecte général, qui avait réuni, en les harmonisant, les variétés du langage d'oïl (1). Au quinzième siècle il est déjà dominant ; les mots se sont adoucis, et la phrase se dénoue et se cadence. Enfin au dix-septième siècle, la langue atteignit sa dernière perfection sous le double rapport de la forme des mots et de la propriété des termes.

Les monuments littéraires abondent au treizième siècle, mais la langue y est tellement dépourvue de toute espèce d'harmonie et dans les mots et dans leur assemblage, il y a en outre si peu d'art dans les compositions poétiques, elles sont en général si vides d'idées, si prolixes, que la lecture en est insoutenable. Notre vieux et sage Villehardouin n'est lisible que pour des historiens ou des grammairiens. Je défie un lecteur ordinaire, un poëte, une femme de lire d'un bout à l'autre avec plaisir un livre de cette époque

(1) Voyez Recherches sur les formes grammaticales île la lingue française cl île ses dialectes, au treizième siècle, par M. G. Fallût, ch. 1.


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dans le texte original, même Joinville. Celte littérature rentre dans le domaine de l'érudition, et est inaccessible au public. Elle est barbare, et ce serait à peu près tems perdu que d'y aller chercher aucune richesse pour notre langue actuelle.

CHAP. IV. — Tems anciens ou poétiques. Ecrivains nés de 1330 à 1430.

Froissard (né en i333) ; Histoire de Bertrand Du Guesclin (publiée par Ménard);les Mémoires de Boucicaut; Alain Chartier (i3S6); Chroniques, par Monstrelet (né vers i3go); Charles d'Orléans (i5ç)i); Merlin l'Enchanteur; Jehan de Paris ; le Petit Jehan de Saintré ; l'Avocat Pathelin; Jacques du Clercq (i424) > Olivier de la Marche (1426) .

A la fin du quatorzième siècle et au commencement du quinzième, dans Froissard et dans Boucicaut, la langue commence à se débrouiller, à se dégrossir, les mots sont moins rudes et varient moins, la phrase prend de la cadence, et l'on peut encore aujourd'hui lire ces deux auteurs avec plaisir et avec fruit. Boucicaut surtout est admirable. La phrase y est nette, forte, ayant déjà une certaine symétrie et un commencement d'harmonie. Les tournures les plus hardies et les plus vives y abondent, les locutions les plus gracieuses y sont semées avec profusion. Le quinzième siècle est véritablement l'âge poétique de la langue, et qui voudrait traduire Homère devrait faire son bréviaire de certains auteurs de ce siècle.

Le mérite épique de Froissard est connu ; je vais citer deux fragments qui montreront la force et la grâce du style des Mémoires de Boucicaut.


FRAGMENTS DE L'HISTOIRE DE BOUCICAUT.

Ch. VIII. Cy parle d'amour, en demonstrant par quelle manière les bons doivent aimer pour devenir meilleurs.

— « Mais sais-tu la cause pourquoy tu qui veux aimer trouves en amour communément tant d'amertumes et demaulx? C'est pour ce que tu ne mets mie ton coeur en la vie amoureuse pour cause de mieulx en valoir, ne pour vertu : mais seulement pour délectation que ton corps en a ou espère avoir. Et, pour ce que telle folle plaisance et délectation est chose qui durer ne peult, toute chose qui est fondée dessus ne peult estre seure et à peine se peult garder : mais ce qui est fondé sur vertu est très durable, et en vient bien et joie. Tout ainsy que ie puis bailler exemple du vin, lequel est de soy très bon et qui res jouit le coeur de l'homme et le reconforte et soustient, et assez de bonnes choses en sont faictes ; mais si discrètement il n'en prend et que gloutement et en délectation, plus que de raison de son corps: il luy destourne le sens et le ramené comme à nature de beste, qui n'a nulle raison, et luy trouble la veûe, si n'est mie à la coulpe du vin, mais de celuy qui follement en use. —...»

Ce fragment peut donner une idée de la philosophie morale et de l'éloquence philosophique du tems. Les passages suivants, où notre auteur raconte la défaite des chevaliers français par les Turcs, quand Os furent abandonnés dans la bataille des Hongrois leurs alliés, feront connaître son ton et sa manière épiques.

Ch. XXV. De la fiere bataille que on dit deHongrie, qui feut des Chrestiens contre les Turcs.

— « Mais peu estoient contre si grande quantité. Mais ne

croyez que pourtant ils reculassent ne gauchissent ; ains tout ainsi comme le sanglier, quand il est atainct, plus se fiche avant tant plus se sent envahy, tout ainsi nos vaillans François vainquirent


la force des pieux et de tout, et passèrent oullre comme courageux et bons combatans.

» Ha! noble contrée de François, ce n'est mie demaintenantquc tes vaillans champions se monstrent hardis et fiers entre toutes les nations du monde ; car bien l'ont de coustume dés leur premier commencement, comme il appert par toutes les Histoires, qui des faicts de batailles, où François ayent esté font mention, et mesmement celle des Romains et maintes autres, qui certifient par les espreuves de leurs grands faicts que nulles gens du monde oncquesne feurent trouvez plus hardis ne mieulx combatans, plus constans ne plus chevalereux que les François. Et peu trouve l'on de batailles où ils ayent esté vaincus que ce n'ait esté par trahison, ou par la faute de leurs Chevetains, et par ceulx qui les debvoient conduire. Et encorcs osay-je plus dire de eulx que, quand il advient que ils ne s'employcnt en faicts de guerre et que ils sont à séjour, que ce n'est mie leur coulpc, ains est la faulte de ceux à qui il appartiendrait de les embesongner. Si est dommaige quand il advient que gent tant cheval eureuse n'ont chefs selon leur vaillance et hardiesse : car choses merveilleuses feroient.

— « Quand le bon mareschal veid celle envahie (l'armée du roi de Hongrie), et que ceulx qui les debvoient secourir les avoient délaissé, et que si peuestoient entre tant d'ennemis, adonc cogneut bien que impossible estait de pouvoir résister contre si grand ost, et qu'il convenoit que le meschef tournast sur eulx. Lors feut comme tout forcené, et dict en lui-mesme que puisque mourir avec les autres luy convenoit, que il vendroit cher à ceste chiennaille sa mort. Si fiert le destrier des espérons, et s'abandonne de toute sa vertu au plus dru de la bataille, et à tout la tranchante espée que il tenoit, fiert à dextre et à senestre si grandes collées que tout abatoil de ce qu'il atteignoit devant soy. Et tant alla, ainsi faisant devant lui, que tous les plus hardis le redoutèrent et se prirent à destourner de sa voye ; mais pourtant ne laissèrent de lui lancer dards et espées ceulx qui approcher ne l'osoient : et luy, comme vigoureux, bien se sa-


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voit deffendte. Si vous poignoit ce destrier, qui estoit grand et fort et qui bien et bel estoit armé, au milieu de la presse, par tel randon (impétuosité) qu'à son encontre les alloitabatant. Et tant alla ainsi faisant tousjours avant (qui est une merveilleuse chose à racompter, et toutesfois elle est vraye, comme tesmoignent ceulx qui le veirent)queil transpercea toutes les batailles des Sarrasins, et puis retourna arrière parmy eulx à ses compaignons. Ha! Dieu, quel chevalier ! Dieu luy sauve sa vertu ! Dommaige sera quand vie luy faudra ; mais ne sera mie encores, car Dieu le gardera. »

Ch. XXVII. Comment les nouvelles veindrent en France de la dure desconfaure de nos gens.

«Apres ceste mortelle desconfiture, fut la grand pitié des Chrestiens François et autres qui estaient là allez pour servir le Comte de Nevers et les autres Seigneurs, Chevaliers et Escuyers, si comme Chappellains, Clercs, varlets, paiges et aultres gens qui ne s'armoient mie, et mesmement d'aulcuns Gentilshommes qui eschapperent à la bataille. Si n'estait pas petit l'esbahissement de eulx trouver en tel party sans chef, entre les mains des Sarrasins. Si estaient comme brebis esparses, sans Pasteur, entre les loups. Adonc prist à fuir qui fuir peut hastivement au fleuve du Danube, à refuge, comme si ce fcusl lieu de leur sauvement, comme gent esperduë et que peur de mort chassoit de péril en aultre. Là, se fichèrent es bateaux que ils trouvèrent qui premier y put venir; mais tant les chargeoient que à peu n'enfondroient et que tous ne perissoient ensemble. Les autres, qui advenir n'y pou voient, despouilloient leurs draps, et à nager se mettaient. Mais la plus grande part en périt, poureeque trop est cette rivière large et courante. Si ne leur pouvoit durer haleine tant que ils feussent arrivés ; et des noyés en y eut sans nombre.

» De ceulx qui eschapperent en revint en France aulcuns Gentilshommes et autres, qui rapportèrent les douloureuses nouvelles; et aussi les propres messagers que le Comte de Nevers en-


- i4 - voya au Duc deBourgongne son père, et les aultres Seigneurs aussi à leurs pères et parens.

» Quand ces nouvelles furent sceiies et publiées, nul ne pourroit deviser le grand deuil qui feut mené en France, tant du Duc de Bourgongne, qui de son fils se doubtoit que pour argent ne le peust r'avoir et que on le feist mourir : comme des autres pères, mères, parens et parentes des aultres Seigneurs, Chevaliers et Escuyers, qui morts y estaient. Et commença le deuil, grand par tout le Royaume de France, de ceulx à qui il touchoit; et mesmement généralement chascun plaignoit la noble Chevalerie, qui estoit comme la fleur de France, qui perie y estoit. Le duc de Bourgongne, avec le dueil qu'il menoif pour la doubte de son fils, moult plaignoit piteusement et regretoit ses bons nourris^Gentilshommes, qui morts esloient en la compaignée de son dict fils. Le Duc de Bar grand deuil demenoit pour ses enfans, et faire le debvoit, car oncques puis ne les veid.[Les mères"en estaient comme hors du sens ; mais aux piteux regrets de leurs'femmcs nul aultre ne se compare. La Comtesse de Nevers, la bonne preude femme, qui de grand amour "aime, son seigneur, à[peu que le coeur^ne lui partait; mais aulcune espérance pouvoit avoir du retour.[N'eut pas moins de deuil la saige et vaillante Dame la Comtesse d'Eu, fille du Duc de Berry. Rien ne la pouvoit reconforter ; car quoy que on luy dist, le coeur luy disoit que plus ne verroit son seigneur, laquelle chose advint, dont de deuil pensa mourir, quand elle sceut son trespas. La belle et bonne Baronnesse de Coucy tant plora et plaignit la mort de son bon Seigneur que à peu que coeur et vie ne lui partait; ne oncques puis, qui que l'aist requise, marier ne se voulut,"ne celuy deuil de son coeur ne partit. La fille au Seigneur de Coucy, qui perdu y avoit son père et son mari Messire Henri de Bar dont elle avoit deux beaux fils, avoit cause de deuil avoir, et croy bien que elle n'y faillit mie. Et tant d'autres Dames et Damoiselles du royaume de France, que grand pitié estoit d'oùir leurs plaintes et regrets, lesquels ne sont mie à plusieurs d'elles, quoy que il y ait ja grand pièce, encore finis,


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ne à leur vie croy que ils ne finiront : car le coeur qui aime bien de léger pas n'oublie.

» Si firent tous Nosseigneurs faire le Service solemnelement en leurs Chappelles pour les bons Seigneurs, Chevaliers etEscuyers, et tous les Chresliens, qui là estoient morts. Le Roy en fit faire le solemnel Service à Nostre-Dame de Paris, où il fut, et tous Nosseigneurs avec lui. Et estoit grand pitié à oùir les cloches sonner de par toutes les Eglises de Paris, où l'on chantait et fesoit prières pour eux, et chascun à larmes et plaintes s'enalloit priant. Mais peult bienestre que mieux eussions besoing que ils priassent pour nous, comme ceulx qui sont, si Dieu plaist, Saincts en Paradis. »

(Histoire de M" Jean deBovcicavt,mareschaldeFrance, etc., escripte du vivant dv dict mareschal. Paris. Abraham Pacard. 1620. 1 vol. in-4.)

François de Neufchâteau, dans un discours qui sert de préface à une édition des Lettres Provinciales, passe en revue, sous le rapport de la pureté du style, les grands écrivains qui ont précédé Pascal. Il parle des principaux auteurs français imprimés au quinzième siècle. C'est dommage que les Mémoires de Boucicaut, ne l'ayant été qu'en 1620, il ait négligé d'en parler.

CHAP. V. — Ecrivains nés de 1430 à 1500.

Fr. Villon (i43i) ; Philippe de Comincs (i445); Olivier Basselin (né vers i45o?) ; Jean Marot ( i463) j Oct. deSaint-Gelais(né vers i466); Jean Lemairede Belges (né vers i^y5) ; Rabelais(i483) ; VictorBrodeau (né vers i4goî); Melin de Saint-Gelais (1491)! Marguerite de Valois (1492) ; Cl. Marot (i4g5).

La langue est généralement pure dans les auteurs du quatorzième et du quinzième siècle : ils écrivirent naturellement, popu-


i6 — lairement, et c'est même par là qu'ils pèchent; du reste, le bon usage, dans ces temps, n'est pas encore assez déterminé et fixé, pour qu'on puisse juger rigoureusement les auteurs d'après ce point de vue. Cependant la précision dans l'emploi des termes, qualité distinctive de notre littérature classique, ne leur est pas inconnue. Us sont trop souvent plats et empêtrés, mais ils rencontrent fréquemment en s'exprimant un tour gracieux et hardi. L'inversion, nécessaire à lapoésie, est fréquente chez eux. Il y a dans tous les écrits de celte époque une fraîcheur native, et comme un parfum de poésie. Dans Rabelais, qui naquit en 1483, et dont La Fontaine, Molière, Voltaire, Courier, ont tant profité, la prose inversive est arrivée à un aussi haut point de perfection qu'au dix-septième siècle la prose directe dans Descartes, Voiture et Balzac. Quiconque voudra employer fréquemment l'inversion dans sa prose, ne peut choisir un meilleur modèle que Rabelais. Courier l'a fait de nos jours avec un rare bonheur; mais malheureusement, depuis la fin du seizième siècle, par l'influence de la science et de la philosophie, par le développement de l'esprit géométrique et démonstratif de la nation, la plupart de nos auteurs, rendant la langue de plus en plus régulière, mais roide et plate, ont écrit dans les principes d'une phraséurgie systématique, proscrivant l'inversion, en dépit de tout le quinzième siècle, et souvent au mépris de la concision, de la grâce et de l'harmonie.

Clém. Marot est, je crois, le seul poëte antérieur à Ronsard qui ait exercé de l'influence sur notre littérature classique. Il a eu pour disciples, dans la poésie légère : Voiture, La Fontaine, J.-B. Rousseau, Le Brun; dans l'ode religieuse il fut le înaître de Conrart, disciple qui surpassa son maître.

Dans son genre, il fut certainement un grand poète, quoiqu'on trouve fréquemment dans ses poésies de la puérilité, des fadaises, des ordures et du bel esprit. « On remarque chez lui, dit » Laharpe, un tour d'esprit qui lui est propre. La nature lui avait » donné ce qu'on n'acquiert point ; elle l'avait doué de grâce. Son


i7 — » style a vraiment du charme, et ce charme tient à une naïveté de » tournure et d'expression qui se joint à la délicatesse des idées et «des sentiments. Personne n'a mieux connu que lui, même de » nos jours, le ton qui convient à l'cpigramme, soit celle que nous «appelons ainsi proprement, soit celle qui a pris depuis le nom de «madrigal, en s'appliquant à l'amour et à la galanterie. Personne » n'a mieux connu le rhythme du vers à cinq pieds et le vrai ton » du genre épistolaire, à qui cette espèce de vers sied si bien. » C'est dans les beaux jours du siècle de Louis XIV, que Boileau » a dit:

«Imitons de Marot l'élégant badinage.

» Il fut, sans doute, beaucoup plus élégant que tous ses contem«porains; mais, comme le choix des termes n'est pas ce qui do» mine le plus dans son talent, et que son langage était encore peu « épuré, on aimerait mieux dire, ce me semble :

«Imitons de Marot le charmant badinage. »

La substitution de La Harpe était bien inutile, car Marot n'est charmant que là où il est élégant. « Pour peu, ajoute-t-il, qu'on » soit fait à un certain nombre de mots et de constructions qui «ont vieilli depuis, on lit encore aujourd'hui avec un très-grand «plaisir une partie de ses ouvrages; car il y a un choix à faire, et «il n'a pas réussi dans tout. Ses psaumes, par exemple, ne sont «bons qu'à être chantés dans les églises protestantes. » (Cours de Littérature, seconde partie, liv. I, ch. 1. )

Le catholique La Harpe ne blesse pas moins la vérité que les convenances. Depuis longtems on ne chantait plus dans les églises protestantes les psaumes de Marot, mais bien sa version remaniée par Conrart, l'un des fondateurs de l'Académie Française, version elle-même retouchée par des pasteurs prolestants. Cette traduction des Psaumes, à la vérité, est faible dans le plus grand nombre des pièces, mais elle est écrite dans l'excellent français du dix-septième siècle, et souvent pleine de naturel, de grâce et d'élévation. Enfin une bonne partie des psaumes attribués à Marot appartient à


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Théod. de Bèze. Mais même dans la vieille traduction de Marot l'on trouve encore des beautés, et sa naïveté ne messied pas toujours au sujet. Je me contenterai d'en citer un exemple :

Psaume VIII.

0 nostre Dieu et Seigneur amiable, Combien ton nom est grand et admirable Par tout ce val terrestre spacieux, Qui ta puissance esleve sur les cicux 1

En tout se voit ta grand'vertu parfaicte , Jusqu'en la bouche aux entants qu'on allaictc ; Et rens par confus et abbatu Ton ennemi qui nie ta vertu

Mais quand je voy et contemple en courage Les cieux, qui sont de tes doigts haut ouvrage, Estoilcs, Lune et signes différons, Que tu as faits et assis en leurs rangs :

Adonc je di à part moi (ainsi comme Toutesbahi) et qu'est-ce que de l'homme ? D'avoir daigné de luy te souvenir Et de vouloir en ton soin le tenir !

Tu l'as fait tel que plus il ne luy reste Forsestre un Ange, en l'ayant quant au resle Abondamment de gloire environné, Rempli de biens, et d'honneur couronné.

Régner le fais sur les oeuvres tant belles De tes deux mains, comme seigneur d'icelles. Tu as de vray, sans quelque exception, Mis sous ses pieds tout en sujection.

Brebis et boeufs, et leurs peaux et leurs laines, Tous les troupeaux des hauts monts et des plaines, En général toutes hesles cherchans A pasturcr et par bois et par champs,


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Oiseaux de l'air qui volent et qui chantent, Poissons de mer, ceux qui nagent et hantent Par les sentiers de mer grands et petits : Tu les as tous à l'homme assujettis.

O nostre Dieu et Seigneur amiable, Comme à bon droict est grand et admirable L'excellent bruit de ton nom précieux, Par tout ce val terreslre spacieux!

Voltaire, avant La Harpe, avait déjà critiqué l'expression si juste de Boileau. Rappelant que c'est Montaigne qui, de son tems, a le plus répandu à l'étranger l'estime pour notre littérature, il dit : « Marot, qui avait forgé le langage de Montaigne, n'a presque jamais été connu hors de sa patrie. —Le judicieux Despréaux a dit : « Imitez de Marot l'élégant badinage. » J'ose croire qu'il aurait dit le 7iaïf badinage, si ce mot plus vrai n'eût rendu son vers moins coulant. » {Discours de Voltaire à sa réception à l'Académie Française, 1746.)

J'oserai répondre à cela : Marot n'a forgé aucun langage; il écrivait savamment la langue de la cour, et c'est ce qui le rend élégant pour son tems. C'est Montaigne qui a forgé lui-même son français, si l'on peut s'exprimer ainsi. C'est faire une étrange confusion que de ne pas distinguer le langage de Montaigne de celui de Marot.

Au dix-huitième siècle on nommait style marotique tout ce qui rappelait l'ancien langage, comme anciennement en appela Goths tous les peuples du Nord. Yoltaire, qui dans sa Pucelle sut si heureusement employer les archaïsmes, ne les concevait pas dans des écrits d'un autre genre. Voici comme il s'exprime à cet égard : « Un style qu'on appelle marotique fut quelque temps à la mode. Ce style est la pierre sur laquelle on aiguise aisément le poignard de la médisance. Il n'est pas propre aux sujets sérieux, parce qu'étant privé d'articles, et étant hérissé de vieux mots, il n'a aucune dignité; mais, par ces raisons-là même, il est très-


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propre aux contes cyniques. « (Mémoire sur ta Satire, t. 38, p. 37. Èdit. Beuchot.)

Nos anciennes épopées et quelques poésies de Clolilde de Surville prouvent que le style de la poésie noble comporte parfaitement les constructions dites marotiques et l'emploi des vieux mots; et sans cela, bien des vers de Corneille et de Racine seraient aujourd'hui du style marotique.

CHAPITRE VI. — Transition de l'âge ancien à la renaissance. Écrivains nés de 1500 à 1520.

Olivétan (né vers i5oo); Monlluc (nevers i5oo);Bonaventurc Despcrier (né vers i5oo?); G. D'Aurigny (nevers i5oo?) ; Calvin (i5oa); Gilles Corrozet (i5io) ; Borderie (né vers i5io?);Amyot (i5i3) ; N. P. de de Granvelle (1517); Théod. deBèze (I5IQ) ; les Mémoires de VieilleVille ; Maurice Scève (né vert i5ao?).

Vers ce tems, certaines règles de grammaire, établies depuis trois siècles, furent définitivement abolies pour faire place à celles qui ont été consacrées par le dix-seplième siècle. On commence à voir dans nos auteurs la période à quatre membres jusqu'alors inconnue ; avant le quinzième siècle le style avait été en général coupé et décousu.

L'esprit cl les études philosophiques entrent dans la littérature, et l'éloquence prend une physionomie toute nouvelle dans les ouvrages du réformateur Calvin. Avec lui commence véritablement le style philosophique et régulier qui, perfectionné par Lanoue, Coëffeleau, Balzac, Descaries, Larochefoucaull, Pellisson et Pascal, a fini par dominer dans la prose française. Calvin écrivit avec naturel, simplicité et noblesse ; la langue, dans ses ouvrages, a conservé un reste de ses anciennes allures, mais elle en prend visiblement de nouvelles. Bossuet estimait l'éloquence de Calvin, et Patru n'a pas hésité à nommer ce théologien l'un des Pères de la langue française.


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Amyot nous ramène aux vieilles formes et à l'antique naïveté. Son élocution est abondante, pure et aisée, exemte de système et de néologisme. Montaigne dit de lui : « Je donne avec raison, » ce me semble, la palme à Jacques Amyot sur tous nos écrivains «françois pour la naïveté et pureté du langage. » (Essais, liv. II, ch. 4.) Vaugelas ne fesait pas un cas moins grand de la pureté de son style. Pour lui, ce simple traducteur était une autorité. Voici comment il en parle dans la Préface de ses célèbres Remarques : « Quelle gloire n'a point encore Amyot depuis tant » d'années, quoy qu'il y ait un si grand changement dans le lan» gage ? Quelle obligation ne luy a point nostre langue, n'y ayant «jamais eu personne qui en ait mieux sceu le génie et le carac«tere que luy, ny qui ait usé de mots, ni de phrases si naturelle» ment Françoises, saus aucun meslange des façons de parler des » Provinces, qui corrompent tous les jours la pureté du vray lan» gage François. Tous ses magasins et ses thrésors sont dans les «OEuvres de ce grand homme, et encore aujourd'huy nous n'a» vons gueres de façons de parler nobles et magnifiques, qu'il ne «nous ait laissées; et bien que nous ayons retranché la moitié de » ses phrases et de ses mots, nous ne laissons pas de trouver dans » l'antre moitié presque toutes les richesses dont nous nous van«tons, et dont nous faisons parade. Aussi semble-t-il disputer le «prix de l'éloquence Historique avec son Aulheur, et faire dou» ter à ceux qui savent parfaitement la langue Grecque et la Fran» çoise, s'il a accreu ou diminué l'honneur de Plularque en le tra«duisant. »

D'Olivet semble avoir songé à la pureté du style d'Amyot, lorsque , parlant de la pureté inaltérable de Racine, et de cette fraîcheur de style toujours la même au bout de tant d'années , il dit : « Je l'attribue surtout à ce que Racine suivait exactementle conseil » que donnait César, de fuir comme un écueil toute expression » qui ne serait pas marquée au coin de l'usage le plus certain et lo «plus connu. Racine, peut-être, n'a pas employé un terme qui »ne soit dans Amyot. » (Remarques sur Racine, XIX.) D'A-


guesseau, P.-L. Courier, et probablement aussi Bernardin de Saint-Pierre avaient fait une étude approfondie du français d'Amyot. On peut dire de ce traducteur original ce que Voltaire disait de Fénelon, que son style est flatteur et sa prose admirable, cncor qu'un peu traînante. Du reste, pour les locutions et les tournures, c'est le guide le plus sûr que l'on puisse choisir au seizième siècle. Je considère les ouvrages de cet écrivain comme un champ fertile en beaux archaïsmes. Quelques écrivains du quinzième siècle, Rabelais, Marot et Amyot seront entre les mains de vrais artisans du langage des sources éternelles de jeunesse pour notre langue. La Fontaine, excellent guide, nous est un exemple de ce qu'on peut tirer de nos vieux auteurs, pour renouveler la langue et lui rendre de la fraîcheur. Amyot en particulier, plein de justesse et de grâce, a une flexibilité de style qui, depuis cent ans, a presque disparu de notre littérature, et que par la méditation de ces vieux auteurs on pourrrait peut-être lui rendre, dans la poésie du moins. De stupides grammairiens se sont efforcés de l'en bannir. Par leurs prédications et avec l'aide du tems le charme a opéré, et depuis le milieu du siècle dernier, notre langue n'a cessé de gagner en roideur. La pureté de la langue est nécessaire, elle est divine. Il fallut la demander à grands cris après le débordement néologique du seizième siècle; mais elle n'est pas inhérente à la construction directe, qui s'allie, comme on l'a trop bien vu depuis cent ans, avec tous les barbarismes. On ne doit pas taire qu'à la suite de Malherbe et de Vaugelas sont venus des puristes durs, ignorants et étroits, qui ont chassé une à une toutes les richesses poétiques et toutes les grâces de la langue. Le P. Rapin, dans un estimable ouvrage, écrivait en 1691 : « Un trop grand soin d'être si fort régulier, si exact et si juste dans le discours, est quelquefois dangereux : il fatigue celuy qui parle et celuy qui escoute.... —On expose mesme nostre langue, de la manière dont on la traite aujourd'huy, à perdre sa force et son abondance, pour vouloir trop conserver sa douceur et sa delica-


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tesse. » (Réflexions sur l'usage de l'éloquence de ce temps, p. 48 et 49.)

Fénelon donnait des regrets au vieux langage. Consulté par M. Dacier, secrétaire perpétuel, au nom de l'Académie Française, au sujet de son Dictionnaire, il répondit par une lettre dans laquelle on remarque le passage suivant :

« Notre langue manque d'un grand nombre de mots et de «phrases: il semble même qu'on l'a gênée et appauvrie depuis » environ cent ans en voulant la purifier. Il est vrai qu'elle était » encore un peu informe et trop verbeuse. Mais le vieux langage «se fait regretter, quand nous le retrouvons dans Marot, dans » Amyot, dans le cardinal d'Ossat, dans les ouvrages les plus> en» joués et dans les plus sérieux : il avoit je ne sais quoi de court, » de naïf, de hardi, de vif et de passionné. On a retranché, si je » ne me trompe, plus de mots qu'on n'en a introduit. » (Lettre écrite à l'Académie Française, édition de 1787, in-4°, t. III, p. 317, et 318.)

Mlle Gournay, Ménage, La Bruyère, Bayle, Rollin, Marmontel, François de Neufchàteau, et plusieurs autres hommes instruits et d'un esprit poli, ont fait entendre les mêmes regrets.

D'Olivet, ce traducteur de Cicéron, cet ami de Voltaire, ce critique respectueux de Racine, cet écrivain didactique, cet homme classique, disait: «Nos neveux, s'ils sont sages, ne feront pas » comme nous, qui avons perdu par caprice une infinité d'anciens » mots, pour les remplacer par d'autres moins propres et moins » significatifs. On a voulu épurer notre langue depuis François I. » Peut-être a-t-on fait comme ces médecins qui, à force de sai» gner et de purger, précipitent leur malade dans un état de foi» blesse d'où il a bien de la peine à revenir. » (Remarqtws sur Racine, XIII, 1767.)


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CHAPITRE VII. Renaissance. Écrivains nés de 1520 à 1545.

L, Leroy; Ronsard (né en'i524)> Joachim du Bellay (né vers i5a4) ; Louise Labé (I5Î6) ; Brantôme (né vers 1527) ; Remy Belleau ( t528) ; Henry Eslienne (152S) ; Estienne Pasquier (i52g); Gui du Faur de de Pibrac (1S29); Jean Bodin (i53o) ; F. de ta Noue (i53i); Baïf (i532); Jodelle (i552j ; Montaigne (i533); Passerat (i534);Vauquelin de La Fresnaye (i536) ; D'Ossat (i536); Scévole de SainteMarthe (i536); ; Pierre Pilhou (1539); Serres du Pradel (i53g); Nie. Rapin (nevers i54o) ; Jean de la Taille (né vers i54o) ; Amadis Jamyn (né vers i5(o) ; Charron (i54>); Simon Goulard (1543) ; Salluste du Bat las (i544).

L'époque dans laquelle nous entrons est celle des emprunts, de l'imitation et du néologisme. La célèbre Pléiade, dont Ronsard était le roi, y fait son apparition et la domine. On ne saurait refuser à cette école une grande puissance littéraire, la verve, l'abondance des idées, la richesse des images, enfin une force rénovatrice dont avait besoin notre vieille littérature. Joachim du Bellay, ami et émule de Ronsard, dans son beau discours intitulé Défense et Illustration de la Langue françoise, s'éleva énergiquement contre ceux qui rejetaient l'emploi de la langue vulgaire dans la haute littérature. Il demanda que les Français fissent aussi bien que les anciens, des comédies et des tragédies, s'employassent à étudier nos vieux poëmes et nos anciennes chroniques, afin de composer des épopées sur d'anciens sujets nationaux, ou d'écrire l'histoire à l'imitation de Tite-Live, de Thucydide et de Salluste. Il fit sentir que pour égaler les anciens, il faut surtout les étudier, les imiter, non dans des compositions latines, mais dans la langue française.

Déjà Calvin fesait renaître l'éloquence simple et grave des anciens. Ronsard, dont la poésie n'est pas sans quelque rapport avec celle des Méditations, créait l'ode pastorale ou champêtre, et fesait prendre à l'élégie un essor plus élevé.


Que l'on compare la pièce suivante aux vers de Marot, et l'on verra quel pas immense Ronsard fit faire à la langue; mais quand il pindarise, il traîne le lecteur sur des rocs et des épines.

Marie au Tombeau.

Comme on void sur la branche au mois de May la rose,

En sa belle jeunesse, en sa première fleur,

Rendre le Ciel jaloux de sa vive couleur,

Quand l'Aube de ses pleurs au point du jour l'arrose :

La Grâce dans sa feuille et l'Amour se repose, Embasmant les jardins et les arbres d'odeur; Mais, battue ou de pluie ou d'excessive ardeur, Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté , Quand la terre et le Ciel honoroient ta beauté, La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes : Pour obsèques reçoy mes larmes et mes pleurs, Ce vase plein delaict, ce pannier plein de fleurs, Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses (1).

Gomme cela est pittoresque et gracieux! quelle manière large ! quelle souplesse dans le vers ! Si jamais sonnet valut un poème, n'est-ce pas celui-ci ? et il y en a vingt comme cela dans Ronsard.

A cette même époque, féconde en poètes, en théologiens, en jurisconsultes, où de nouvelles idées et de nouvelles passions agitent l'Europe, Montaigne, plein des moralistes anciens, et jetant dans le style une énergie familière et de vives images, apprit aux Français à douter et à observer, et fut un des pères de la langue. Pour un homme de tact, il y aurait au moins autant à puiser pour l'éloquence et pour la richesse de la langue dans Montaigne que dans Amyot et Rabelais. Ses Essais n'ont pas été

(i) V. OEuvrcs choisies de Pierre de Ronsard, parC. A. Sainte-Beuve. Paris, 1828, in-8" , p. 60.


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inutiles, non-seulement pour les idées, mais pour Fart d'écrire, à Descartes, à Balzac, à Pascal, à La Bruyère et à J.-J. Rousseau.

Vers ce tems on commence à faire des remarques sur les locutions françaises : Henri Estienne, né à Paris en 1528, publie un traité des Conformités du François et du Grec, et la Préccllence du François sur l'Italien; Rabelais avait déjà critiqué le néologisme outré dans un chapitre de son roman satirique.

Marot et Ronsard recommandent l'emploi de la construction directe, l'un des caractères de notre langue; Joachim Du Bellay présente la cour comme la seule eschole où on apprend à bien et proprement parler.

L'an 1539, François I" consacre par une ordonnance l'usage de la langue française dans les tribunaux, et l'impose dans l'enseignement aux professeurs du Collège de France.

Le xvr siècle fut réellement l'époque décisive pour la maturité et la suprématie du français de Paris. Tout lui fit place : la langue d'oc, déjà oubliée, les dialectes du langage d'oïl, et le latin des savants et des gens de loi.

Mais cette époque si féconde pour la littérature, et qui prépara la philosophie moderne, est, il faut le dire, chez presque tous les poètes et dans plusieurs prosateurs, dangereuse pour l'étude de la langue ; il faut avoir un goût sûr pour y puiser, mais alors les richesses sont abondantes. Les styles sont souvent mélangés ; ces auteurs sont communs et apprêtés, mignards et pédantesques. Us se lisent avec moins d'agrément que leurs prédécesseurs, parce que leur style sent la traduction et l'imitation. Par eux les traditions du langage furent interrompues. Une néologie baroque et inutile fut mise dans la poésie. Ronsard lui-même, ce poëte si inspiré et si gracieux, forgea des mots. Remy Belleau est plein d'une afféterie détestable. Il faut en général se défier de la Pléiade, de plusieurs prosateurs, entre autres de Le Roy, dit Regius, si périodique et si nombreux. Montaigne eut au plus haut degré la richesse des idées et des images, la science de la


— 27 — phrase ; mais ses métaphores, que François de Neufchâteau a trop admirées, sont souvent sans noblesse et même incohérentes, et les termes qu'il emploie ne sont pas toujours pris dans le bon usage. Il avait plus de force d'éloquence et de vivacité d'esprit que de justesse et de goût dans les détails du style ; il force le sens des mots ; on sent qu'il avait appris le français plus par la lecture que dans les sociétés de Paris.

Cependant cette génération fournit encore quelques écrivains chez qui la langue est saine et pure; tels sont La Noue, Passerat et d'Ossat. Mais en général si cette époque est classique pour les études, il s'en faut de beaucoup qu'elle le soit pour la langue. Elle vit, à la vérité, s'élever l'éloquence philosophique et l'éloquence religieuse ; la langue gagna de la symétrie et de nouveaux mots, mais elle perdit de sa vivacité, de sa hardiesse et de sa grâce. Heureusement quelques hommes du dix-septième siècle ont rattaché leur langue à celle du quinzième.

Salluste Du Bartas fut le dernier et le plus enflé des poètes de la nouvelle école. Quoiqu'il ait des parties du poète, son nom doit rester comme celui d'un écrivain dépourvu de tout naturel. Sa principale qualité est l'abondance périodique. Il vise au brillant, au magnifique, mais n'atteint que l'extraordinaire et le phébus. Qui lirait quelques pages d'Amyot, puis de Du Bartas, ne pourrait croire que ces deux hommes fussent de même pays et de même siècle; c'est que proprement ils n'en sont pas; l'un est de l'Ile-de-France, et l'autre des bords de la Garonne; de plus il y a eu entre eux l'école que nous nommons de la renaissance. Son origine gasconne se trahit à une certaine allure étrangère dans le style, à un fort goût de terroir qui n'est pas celui d'Ile-de-France ou de Bourgogne. Le vers de Boileau est bien vrai:

Tout a l'humeur gasconne en un auteur gascon.

Art poétique.


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CHAPITRE VIII.—Transition de la renaissance à l'âge classique. Écrivains jiés de 1545 à 1580.

Desportes (i546);Mornay(t549) ; D'Aubigné(i55o);Charles IX(i55o); Jean Savaron (i55o) ) Gilles Durant (iSSo); Marguerite de France (i552); Bertaud (i552); Henri IV (i553); Malherbe (né vers i555); Anne d'Urfo (1555J ; J.-D. Duperron (i5S6); Guill. Duvair (i556); Sully (t56o)i Pierre-Matthieu (i5G3); Mademoiselle Gournay (i566); Saint François de Sales (1567); Honoré d'Urfé (1567) ; Guill. Crestin (nevers 1570?); Hardy (nevers 1570?) ; Régnier (1573); Coëfleteau (1574); Chassignet (1578); Henri de Rohan (1579); Jean de Légendes, poète (i58o).

Les auteurs de cette génération commencent à se distinguer par une certaine sagesse de style qui ne fit que s'accroître chez leurs successeurs. L'époque est fertile en écrivains distingués ; ce sont les protestants Mornay et d'Aubigné, Rapin et Régnier, disciples d'Horace ; Marguerite de France, Desporles, Bertaud, Coëfleteau, le célèbre Malherbe, élève et censeur de Ronsard, et le biblique Chassignet.

Les poëtes de la Pléiade n'étaient pas seulement disciples des Grecs et des Latins, ils imitèrent beaucoup les Italiens ; c'est aussi par là qu'avait débuté Malherbe, mais il laissa bientôt Tansillo pour s'attacher exclusivement à Horace et à la Bible. De nos jours, on a beaucoup contesté le mérite de Malherbe. Je ne veux point ici discuter la valeur de ses poésies ; je ne défendrai pas sa tendance oratoire, dont il faut se défier ; La Fontaine avoua qu'il avait failli se gâter par son imitation ; mais je dirai qu'on trouve encore dans ses odes une naïveté, un tour heureux, comme disait Boileau, dont ses disciples se sont trop écartés. Jamais Rousseau n'a pu dire avec cette molle aisance, avec cette grâce familière et noble :

Mais elle était du monde, où les plus belles choses

Ont le pire destin ; Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses ,

L'espace d'un matin.

{Consolation à M. Du Verrier (1599).)


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Malherbe, dont le goût littéraire n'est pas sûr et constant, et que je suis loin de regarder comme un modèle en poésie, mais qui était doué d'un sens grammatical excellent, possédait le style, connaissait le tour et l'élégance poétiques. Il a fait entrer dans l'ode héroïque la noblesse et la majesté.

CHAPITRE IX. — Age classique : Jeunesse. Écrivains nés de 1580 à 1613.

Maynard (1582); Vaugelas (i585); Racan (i58g); Herberay des Essarts (né vers 1S90?) ; Jean de Lingendes, évoque (1590); Théophile Viaud (1590); Claude de Lingendes (1591); Brebeuf (i5g3); Balzac (i5g4); Descartes (i5g6) ; Malleville (1597) ; Voiture (i5g8); Guill. Colletet (1S98); Gombauld (né vers t6ooî); Adam Billaut (né vers 1600 ?); Gomberville (1600); G. de Scudery (1601); Lemoyne (1602); La Rochefoucauld (i6o3) ; Conrart (i6o3J ; Sarrasin ( né vers i6o3 ) ; Patru (i6o4); Mairet (i6o4) ; D'Ablancourt (1606); P. Corneille (1606); Mademoiselle de Scudery (1607) ; Mézerai (1610) ; Scarron (1610); Benserade (1610); Saint-Pavin )né vers 1610?) ; La Calprenède (nevers 1610?) A. Arnauld (1612) ; Saint-Évremond (i6t5) ; Charleval (i6i3).

Après Rabelais et Marot, la littérature se trouvait dans un état analogue à celui où on la vit après Voltaire. Elle avait tourné longtems sur elle-même et s'était affadie. Le vieil esprit français était épuisé ; l'esprit chevaleresque avait même disparu ; il fallait du nouveau. La poésie épique n'était plus comprise, et les jolis riens, dont notre littérature a toujours été encombrée, demandaient, pour plaire au public ennuyé, à être produits dans un goût nouveau. L'érudition et les événements de ce siècle fécond en bouleversements, se chargèrent de ces soins; avec les moeurs et les idées changea la littérature. De la renaissance classique et religieuse sortit une nouvelle poésie. Désormais nous avons, non pas des épopées, malheureusement on oublia le conseil de Du


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Bellay, mais des odes, des discours, des tragédies, des comédies et des chansons nouvelles. Voilà pour le fond ; mais la langue où en est-elle?

Vers l'an 1600, la langue française fixa son unité et prit une forme constante. Dès lors il n'y a plus dans les mots qu'une légère fluctuation, qui, à ce faible degré, est seulement un signe que la langue vit, et ne nuit en]rien à sa conservation. Nous assistons à son épuration définitive, et elle se voit en cet état dans les ouvrages de Corneille et de ses contemporains. Elle a gagné à peu près toute sa douceur, sa netteté et sa régularité.

Vers ce tems, les hommes d'un goût fin et d'un esprit judicieux dans la matière grammaticale sentirent que la maturité de la langue arrivait, et qu'il importait de déterminer ce que c'est que l'usage, et où se trouvait le bon usage de la langue française. Malherbe après Henri Estienne, ei ensuite Vaugelas, furent ces utiles critiques.

La langue avait à la fois besoin d'être réparée et fixée, car les érudits, secondés par les courtisans italiens et gascons, l'avaient gâtée. Il se fit bientôt une réaction générale contre eux et contre l'école de Ronsard. Plus énergiquement que tous les poêles ses contemporains, Malherbe, par ses écrits et par ses remontrances, protesta contre la corruption de la langue. Il se constitua le chef de la réaction parisienne et populaire contre la langue adultérée et pédante alors à la mode dans le monde cultivé. Il fit comprendre que la langue française n'est autre que la langue du peuple de Paris. « J'apprends, disait-il, tout mon français à la place Maubert. » Ainsi, renvoyant à la frontière les termes translatés mal à propos du grec et du latin, les mots forgés et les provincialismes, il rendit à notre littérature un service signalé.

Vaugelas vint ensuite, qui, trouvant la cour délivrée des Gascons, et le français de Paris reconnu comme seul légitime dans la littérature et les lois, nous apprit à distinguer le bel usage et l'usage commun. Il fit très-bien sentir qu'à Paris même il y avait une populace parlant un français détestable; que ceux qui vou-


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laient employer purement la langue devaient se régler sur le langage des honnêtes gens, des gens de cour et de condition, et seulement encore sur le langage de la plus saine partie de la cour et des auteurs.

L'Académie française, fondée pour le perfectionnement de la langue, en entreprit le Dictionnaire, et déclara dans la préface de la première édition que la langue française avait atteint sa perfection. Voici comment elle l'explique :

« On dira peut-estre qu'on ne peut jamais s'asseurer qu'une Langue vivante soit parvenue à sa dernière perfection ; mais ce n'a pas esté le sentiment de Cicéron, qui après avoir fait de longues reflexions sur cette matière, n'a pas fait difficulté d'avancer que de son temps la Langue Latine estoit arrivée à un degré d'excellence où l'on ne pouvoit rien adjouster. Nous voyons qu'il ne s'est pas trompé, et peut-estre n'aura-t-on pas moins de raison de penser la mesme chose en faveur de la Langue Françoise, si l'on veut bien considérer la Gravité et la Variété de ses Nombres, la juste cadence de ses Périodes, la douceur de sa Poésie, la régularité de ses vers, l'harmonie de ses Rimes, et surtout celte Construction directe, que sans s'esloigner de l'ordre naturel des pensées, ne laisse pas de rencontrer toutes les délicatesses que l'art est capable d'y apporter. C'est dans cet estât où la Langue Françoise se trouve aujourd'huy qu'a esté composé ce Dictionnaire. » (Dictionnaire de l'Académie, 1" édition in-f'., t. I.)

Parmi les écrivains de cette génération, La Rochefoucauld a un style si juste et si court, si régulier, si dégagé, qu'on le croirait contemporain de Voltaire ; cela vient sans doute de ce qu'il vécut à la cour et écrivit tard ; mais il est quelquefois trop simple et trop nul Balzac n'est pas un prosateur du premier ordre, mais il est plein d'art, et cherche la noblesse et l'atticisme. Racan et Benserade ont beaucoup de détails de style charmants. Voiture ne fut pas toujours naturel, mais c'était un homme d'un goût grammatical très-délicat, bel esprit, à la vérité, par conséquent souvent fade et recherché, mais spirituel, d'une imagination vive


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et gracieuse, et ayant parfaitement tourné un certain nombre de lettres et de pièces de vers. Il a été estimé de La Fontaine, de Boileau, de La Bruyère, et de Voltaire, dont parfois il a déjà le tour galant et flatteur.

Descartes, Voiture, Corneille et La Rochefoucauld sont les plus grands écrivains de l'époque. Voiture a rattaché la langue de son tems à celle de Marot, et renouvelé le style badin. Pour Corneille, esprit énergique, grave et sublime, il créa le style de la tragédie, et, à part quelques tirades alambiquées, demeure chez nous comme un des modèles de la haute éloquence ; il a des traits sublimes que rien n'égale, et rencontre parfois, en demeurant français, la concision et la force du latin. Son éloquence a exercé l'influence la plus grande sur notre littérature. « Il y a «grande apparence, dit Voltaire, que sans Pierre Corneille, le «génie des prosateurs ne se serait pas développé.» (Siècle de LoidsXIV, chap. 32, t. H, p. 315, édit. Beuchot.) Corneille, quelquefois embarrassé, a des scènes entières d'une haute élégance. Voltaire, dans ses Commentaires sur Corneille, a condamné des expressions qui sont excellentes. L'auteur de la Henriade et de Mahomet ne concevait pas, ne comprenait pas le naïf et le familier dans la haute poésie.

CHAPITRE X. — Age classique. — Virilité. — Écrivains nés de 1613-1655.

Le Maistre de Sacy (i6i3) ; Retz (i(ù4) ; La Sablière (i6i5); Bussy-Rabutin ( 161 S) ; Tallemant-des-Réaux (né vers 1S19) ; La Fontaine (1621); René Rapin 11621) ; Molière ( 1622); Pascal ( 162J); Pellisson (1624); SegraU (1624); P. Nicole (1625); Chapelle (1626); madame de Sévigné (1627) ; Bossuet (1C27) ; Bouhours (1628) : Rcgnier-Desmarets (i632); Bourdaloue (I63Î); Fléchier (i632); madame La Fayette (i632) ; madame Deshoulièrcs (i63.-{); madame de Maintenon (i635), Boileau-Despréaux (i656); Quinault (i656) ; Boursault (i638); Mallebranchc (i65S); Racine (iG3g); Chaulieu


(i63g);Saint-Réal(i63g);Cl. Fleury (i64o); Sùnecé (i6Vp); La Uruyèrt (i644); Hamilton ( 1646); Reguard ( 1647) ; Bayle (1647) ; Dufresny (1648); Fénelon (i65i); A. de Lafosse (né vers i655); L. deSacy (i654); Vergier(i655); Vertot (i655).

La principale occupation des écrivains nés de 1585 à 1615 fut de donner à la langue l'unité et la précision, une précision qui fût de tous les styles, et ne se démentît jamais. Corneille seul semble ne s'en être pas préoccupé, témoin beaucoup de passages de ses tragédies, entre autres les dix premiers vers d'Horace. Les prosateurs surtout, cherchant la précision, s'attachèrent à rendre de plus en plus notre langue explicative. Cette double et précieuse qualité, qui ne cessa de s'accroître jusqu'au milieu du dix-huitième siècle, a fait de la langue française classique un des plus précieux instruments de la pensée humaine. Cette prose si régulière, si précise, n'est pas toujours complaisante à l'esprit, mais elle l'oblige par cela même à un utile travail. Dans le style philosophique et positif, il n'y a chez nous qu'une manière d'exprimer sa penséee qui soit bonne, notre langue la fournit, quelque métaphysique que soit l'idée, mais il faut la chercher. La Bruyère, qui avait tant étudié les ressources de la langue, arriva à cette observation, seulement il eut tort de l'étendre à toutes les langues : « Entre toutes les expressions qui peuvent » rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la » bonne : on ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écri» vant. Il est vrai néanmoins qu'elle existe, que tout ce qui ne » l'est point est foible, et ne satisfait point un homme d'esprit qui «veut se faire entendre. » (Les Caractères, chap. 1.)

Lorsqu'un écrivain français ne s'exprime pas clairement, surtout s'il écrit en prose, où rien ne gêne la phrase, il est bien à croire que sa pensée n'a pas été nette, mais qu'il a eu'seulement une demi-idée, une lueur. Ainsi le grand avantage de la langue française, avantage précieux, inestimable, c'est qu'elle contraint à penser avec netteté ; elle force à l'analyse : il est comme impossible d'exprimer sa pensée en français si l'on ne s'est pas bien

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rendu compte de ce qu'on veut dire. C'est une pierre de touche pour la justesse des idées. « La correction, dit Andricux, a en français un avantage particulier : c'est qu'elle amène en partie la justesse des pensées, la conséquence et la solidité des raisonnements. Notre langue, en général, a une marche si méthodique et si régulière, la construction y est presque toujours si conforme aux règles de la saine logique, que si l'on peut y mal raisonner en écrivant correctement, au moins ne peut-on guère y faire de faute de construction qui ne soit en même temps une faute de raisonnement ; ainsi, en étudiant sa langue, en la cultivant, un français cultive son jugement et le perfectionne ; et réciproquement un jugement sain et exercé le conduit à éviter les fautes contre la langue. » (Journal de l'École Polytechnique, t. IV, p. 112 et 113.)

Mais aussi nous devons remarquer que cette langue manque d'abondance et de souplesse. De grands auteurs s'y sont trouvés gênés, Montaigne, Molière, Boileau, Paul-Louis Courier; les trois derniers s'en sont tirés à force de travail, et les deux premiers en forçant parfois la langue. Le premier besoin dans l'expression était pour eux l'énergie et la vivacité, et il paraît que notre langue se refuse à concilier toujours ces deux qualités. Il eût fallu à ces auteurs l'art merveilleux de La Fontaine et de Racine ; mais de tels artisans sont aussi rares que les grands penseurs. Ceux-ci furent à la fois de grands artistes et des hommes d'une rare intelligence : La Fontaine était un profond penseur, et Racine un grand logicien.

Peut-être la gêne dont nous venons de parler tient-elle en partie à ce que la néologie du seizième siècle fut souvent maladroite et dédaigna trop le passé ; l'érudition fit une brusque invasion dans la littérature ; les pensées vinrent plus vile que les ressources du langage, et firent négliger la recherche des anciennes locutions: dans le milieu de ce siècle, on aima trop le néologisme et trop peu les archaïsmes. Il nous a manqué un Dante, qui, venant au moment du débrouillcment de la langue, assemblât


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dans son style la richesse des locutions et des tournures de Page poétique, et les qualités de la littérature classique. Le poëme héroïque veut un style fort, hardi, souple et varié, majestueux et naïf à la fois. Ce livre, comme Homère chez les Grecs, comme Dante chez les Italiens, comme la Bible en Allemagne, fût devenu pour nous la source première et inépuisable de la haute poésie. Nous avons eu plus tard le Télêmaque et la Henriade, mais malheureusement ces ouvrages furent composés à la fin et non au •commencement de l'âge classique, non dans le peuple et pour le peuple, mais par des hommes de cour et pour la cour. Aussi cela est-il bien poli et bien académique.

Si nos poètes ont produit tant d'oeuvres épiques avortées, ils ont mieux réussi dans le genre galant et gracieux, dans lequel peut-être nous avons surpassé les autres peuples. Quel sentiment délicat, quel charmant langage dans les vers suivants de La Sablière :

« Je ne sais pas, Iris, à quoi mon coeur s'attend ;

Je ne sais pas ce qu'il doit craindre ;

Mais je suis triste et mécontent

Sans avoir sujet de me plaindre. Avec mille bontés vous me souffrez chez vous ;

D'un visage obligeant et doux Vous recevez mes voeux, mes soins et mes hommages :

De quoi suis-je donc affligé ? Ai-je vu dans vos yeux de sinistres présages î

EnGn dites-moi ce que j'ai ?

Madrigaux , 1. II, 19.

Jen'entrefu-endraipas d'apprécier chacun des auteurs de cette riche et brillante période ; tant d'habiles critiques ont passé par ce champ et y ont fait moisson, qu'il n'y a plus rien à glaaer. Les auteurs de ce tems sont nos écrivains classiques ; c'est toujours chez eux qu'il faudra étudier les lois de la langue française, et plus on s'exprimera d'après les règles secrètes qui ont présidé à leur style, plus on écrira purement. Sans doute ils ne sont pas infaillibles ; Molière et surtout Bayle ne sont pas tau-


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Jours corrects ; tous les mots qu'emploie Sénecé ne sont pas de formation légitime; peut-être y a-t-il aussi dans les autres, çà et là, quelques expressions, quelques tournures qui ne sont pas des meilleures ; mais toujours est-il qu'on ne peut les condamner que d'après les règles que ces écrivains eux-mêmes nous donnent occasion d'établir. Dans l'art du langage, qui est à la fois de création et d'arrangement, le goût précéda toujours la raison, et la primera sans cesse, ou malheur à l'art de la parole ! Racine et surtout La Fontaine, par leur admirable travail sur la langue, se sont élevés au-dessus de tous leurs contemporains : l'un nous présentant l'idéal de l'élégance dans le style noble; l'autre, dans sa richesse de mots, d'images et de tournures, nous montrant comment on peut atteindre avec les locutions du style le plus familier, à un style quelquefois noble et de la plus vaste richesse poétique.

Celte époque fut celle où la langue, déjà très-précise, avait retenu cependant celle proportion de morbidesse et d'élégance poétique qui ajoute une grâce et un charme particulier au style ferme et précis de l'orateur. On s'en aperçoit par la latitude qu'on avait encore dans l'emploi de beaucoup de mots, dont l'usage restreignit depuis et fixa de plus en plus les applications (1).

C'est vers ce tems que notre langue a le plus donné à nos auteurs les qualités du style grec, lequel, même dans la prose, conserve une fleur poétique, qui manqua toujours aux prosateurs latins, presque tous moins curieux de la grâce qu'appliqués à être forts, majestueux et précis. Toutefois sous ce rapport ils n'ont pas surpassé les Grecs, dont le génie, plus riche que l'esprit latin, mais aussi ferme, conserva toujours, et mit à tout ce qu'il fit, dans la mesure donnée par le goût, un divin parfum de poésie. Pourquoi nous sommes-nous toujours si peu inspirés de

(1). Telles sont les prépositions <i et de, plus fréquemment employées que de nos jouis et qu'au dix-huitième siècle; et les mois expliquer, dresser, adresser, ôUr, ferme , soin ,. courage, génie, amitié, étui, clc.


nos vieux auteurs et des écrivains grecs? Il y a dans la littérature grecque une mesure pour le goût, des sources abondantes, sapides et pures, propres au plus haut degré à le réveiller et à le raffermir, à retremper notre esprit, et à redonner de la vie à notre idiome corrompu et desséché.

C'est en méditant ces divins modèles, c'est en reprenant leur style simple et orné, naturel et sévère, que nous parviendrons à reconquérir quelques-unes des qualités de cette période si riche de pensée et de poésie, si belle, si féconde, qui produisit La Fontaine, Molière, Pascal, Sévigné, Bossuet, Malebranche, Boileau, Racine, La Bruyère, Regnard, Fénelon. Que de justesse d'esprit, que de brillant, que de force et de grâce! Où ont-ils pris leur langue, et qu'est-elle devenue!...

CHAPITRE XI. — Age classique. Maturité. Écrivains nés de 1655 à 1710.

Fontenelle (1657); Rollin (1661); Massillon (i663) ; Jacques Saurin (1667); Lesage (166S) ; d'Aguesseau (1668); J.-B. Rousseau (1670); Du Cerceau (1670); La Motte (1672); Le Grand (1673); Crébillon (i6/4) ; Saint-Simon (1675); Mesenguy (1677); de Mairan (1678); Destouches (1680); Madame de Tencin (1681) ; D'Olivet (1682).

Moncrif (1687); Marivaux (1688); Piron (1689); Montesquieu (1689); La Chaussée (1692); L. Racine (1692) ; Madame de Staal (i6g3); Madame de Grafigny (1694); Voltaire (1694); Panard (1694); Prévost (1G97); Maupertuis (169S); Duclos (1704); Buflbn (1707); Mably (1709); Gressct (170g); Collé (1709) ; Lefranc de Pompignan (1709); Favart (1710); P.-J. Bernard (Gentil) (1710).

La langue française achève de se développer. Elle atteint dans Voltaire un degré de clarté, de précision, de convenance et de dégagé, qui a placé cet écrivain au-dessus de tous nos prosateurs ; et comme Cicéron fut l'orateur romain, Voltaire fut l'orateur parisien. Dans son genre d'éloquence, qui était le genre simple, il a su prendre tous les tons avec une égale perfection de style, et il


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demeure pour nous le modèle de l'orateur familier. Pour le mouvement du style, pour la propriété et la convenance des termes, il est aux Français ce que fut Cicéron chez les Latins, c'est lui qui a le mieux connu notre langue, je ne dirai pas en profondeur,, mais en étendue; et quiconque voudra devenir prosateur français doit prendre Yoltaire pour lecture journalière. Dans ses belles tragédies et dans la Henriade, il peut former à la haute éloquence, non moins que Racine et Corneille ; et c'est là peut-être le plus grand avantage littéraire de nos tragédies classiques. Mais la phrase de Voltaire ne comportait pas le rithme ; sous ce rapport il doit être complété par Bossuet, qui, dans sa simplicité, est le plus savant et le plus cadencé de nos prosateurs.

Mais Bossuet, par son caractère plein d'ardeur et d'énergie, a gardé quelquefois dans ses mouvements oratoires un reste de brusquerie, dont Massillon fut toujours exemt. Les qualités de ces trois hommes, réunies sur une seule tête, nous montreraient le parfait orateur, dont Racine est peut-être le modèle humain, Racine, né pour le plaisir de l'oreille et de l'esprit, Racine qui excella dans le discours, le dialogue et la narration, dans le comique et le tragique, dans le poëme dramatique, l'hymne et l'épigramme. C'est ce poète heureux que demandait Boileau, qui, fort, noble et aisé, pût

D'une voix légère P.isser du grave au doux, du plaisant au sévère. [Art poét., c. i, v. 75, 76.)

Aussi est-il aimé du ciel et chéri des lecteurs dont le goût est élevé et délicat.

Il est à remarquer, dans cette période, que les protestants, qui étaient les prosateurs les plus purs du seizième siècle, sont devenus incorrects. Mais si Bayle et Jacques Saurin ne se sont point placés au rang de nos premiers écrivains du dix-septième siècle, où leur génie les appelait, c'est sans doute parce qu'ils n'habitaient point Paris, mais vivaient dans l'exil, au milieu des étrangers. Ils eurent ce qu'on appela le style réfugié.


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L'ode a perdu la molle aisance et la grâce que lui avaient conservées Malherbe et Coiirard. J.-B. Rousseau, célèbre par quelques belles odes et par des épigrammes mordantes, est quelquefois incorrect, souvent dur, presque toujours tendu. Il prend le mouvement oratoire pour la chaleur poétique, et met dans l'ode la conlexture de phrase du style didactique.

Les mauvais auteurs contemporains de Racine ne sont que plats et négligés; ils sont en retard et non en décadence ; mais J.-B. Rousseau était un esprit faux, qui finit par devenir un écrivain alambiqué et barbare. La Motte, beaucoup plus prosaïque que lui, est le plus dur des versificateurs. Crébillon est incorrect, enflé et bel esprit.

Le style de l'époque classique est parvenu à son dernier degré de perfection, et déjà se montrent dans la littérature des symptômes de décadence. Voltaire dans la tragédie, Rousseau dans l'ode, Buffon dans la prose ont tendu la langue autant qu'elle peut l'être ; le scepticisme et le bel esprit s'infiltrant dans la littérature y deviennent des germes de mort pour la poésie. M. Villemain a dit avec sa justesse et son charme habituels, en parlant de Fontenelle : « Il n'a pas renoncé à toutes les affectations du bel esprit. Tantôt il les cherche dans le contraste d'un terme familier avec une idée savante, d'une expression galante et mondaine avec de sérieuses études. Tantôt il rend avec subtilité une pensée commune, ou fait une plaisanterie fade et contournée. Quelquefois même il est obscur à force de finesse. Il a ce caractère particulier, remarqué dans d'autres littératures, d'avoir gâté la diction avant la langue, et de composer souvent des phrases recherchées avec des expressions très-pures et des tours indigènes.

« Sous ce rapport, il marque la même décadence que Pline ou Sénèque. Mais en même temps, et cette différence est due tout à la fois à l'influence des sciences et à la supériorité de sa raison, il a souvent une belle et heureuse netteté que l'esprit orne avec discrétion, et ne surcharge pas. Il est même quelquefois simple, oui, simple, quoique Fontenelle. ■> (Tableau du XVIIIesiècle, l" partie, 13e leçon.)


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CHAPITRE XII. — Écrivains nés de 1710 à 1759. Age classique. Décadence. Réaction.

J.-J. Rousseau (1712); Raynal (1713); Diderot (1713); Madame Riccoboni (1714); Condillac (1715); Vauvenargues (1715); Barthélémy (1716); Saint-Lambert (1716); Fréron (1719) ; Marmontel (1719) ; Sedaine (1719); Ch. Bonnet(i72o); Desmahis (1722); Le Brun (172g); Palissot (1730); Legouvé (17J0); Beaumarchais (1732); Thomas (1732); Colardeau(i732); MalBlâtrc (1733); Ducis (1733) ; Dorât (1734I; Rulhière (i7S5).

Bailly (1706); Bernardin deSaint-Pierre(i737); Delille (1^38); La Harpe (1739); Chamfort (1741); Condorcet (1743); Léonard (1744); Roucher (1745); Madame de Genlis (1746); Maury (1^46); Mirabeau (1749); Berquin (1750) ; Gilbert (1751) ; Berlin (1752); L.-Ph. Ségur (1753); Pigault-Lebrun (1753); J.de Maistre (1753) ; Parny (1753); Destut de Tracy (i754); Florian (i75S) ; Volney (17SS) ; Louis XVIII (i755) ; Piis (i755);Collin-Harlevillc (1755); Madame Roland (1756); Laromiguièrc (1756) ; Rivarol (1757) ; La Fayette (1757); Veigniaux (1759).

Tout se tient dans la littérature, tout a ses conséquences. Le tems de Bossuet et de Bourdaloue semblait bien éloigné d'une époque où régnerait un esprit anti-catholique ; cependant si l'on y regarde de bien près, on verra qu'elle produisit les Contes de La Fontaine, le Lutrin de Boileau, l'épicurien Chaulieu, et enfin le sceptique Bayle. Voilà qui préludait bien aux épigrammes de J. -B. Rousseau contre les moines, aux Lettres Persanes, à l'Esprit des Lois et aux diatribes de Voltaire. En même tems Basnage, Beausobre, Jacques Saurin combattaient l'église romaine. Mais à Voltaire surtout est due la ruine du christianisme positif en France; il fut le fléau des chrétiens. J.-J. Rousseau, le vrai fondateur du rationalisme moderne, acheva, par sa dialectique puissante , l'oeuvre de destruction, et sapa les fondements de la monarchie. Enfin parurent Mirabeau et Robespierre: l'oeuvre est achevée, la ruine accomplie; et cette immense et prodigieuse révolution a eu pour point de départ les épigrammes lancées par les troubadours^ et les trouvères contre les moines et les hommes de loi du moyen-âge.

Voilà quels furent la nature elle succès de la philosophiefran-


- 4> - çaise, qui a été presque toute critique. Voyons quelle fut la marche du goût. Comme Fénelon l'a fort bien remarqué, la vraie supériorité des anciens sur les modernes consiste en ce qu'ils ont été exemts du bel-esprit. Ce n'est pas que tous les auteurs latins en soient purs, mais ce sont des écrivains des derniers tems. Malheureusement ils furent avec les Arabes, beaux-esprits par excellence, les maîtres des poêles provençaux; les Provençaux furent à leur tour les premiers modèles des poètes italiens. Au treizième siècle les trouvères aussi commencèrent à donner dans le bel-esprit; au seizième siècle et au commencement du dixseptième les pointes nous revinrent en foule et d'Espagne, et d'Italie. Au dix-septième siècle le bel esprit succomba sous les coups de Molière et de Boileau ; et néanmoins plusieurs de nos plus excellents écrivains de la seconde moitié du dix-septième siècle , qui fut chez nous la période de l'art et du bon sens, se sont ressentis de son règne. 11 avait abondé dans M arot ; Malherbe y avait sacrifié ; il déborde dans Voiture et dans Fontenelle ; Corneille et même La Fontaine, Racine, La Bruyère n^en furent pas complètement exemts. Balzac, Fléchier, D'Aguesseau, Montesquieu et Buffon, hommes graves, sont des beaux-esprits; ils veulent briller, et dans des genres où il faut être simple. Parmi nos hommes éminemment spirituels, deux auteurs de la génération qui suivit immédiatement Molière et Boileau, Le Sage et Voltaire, ont mérité cette louange qu'avec infiniment d'esprit ils ont évité l'écueil du belesprit. Voltaire a trop de sentences et de rhétorique dans ses tragédies et dans sa Henriade ; il est quelquefois violent et grossier dans ses satires, mais jamais il ne donne dans le bel-esprit.

Les autres défauts qui trop'souvent ont gâté notre littérature, même au dix-septième siècle, sont la rhétorique et la pédanterie. Plusieurs satires de Boileau ne sont autre chose que des thèmes de rhétorique, qu'il s'amuse à développer pour faire briller son bon esprit et pour bien parler ; telles sont la satire sur l'Homme et celle sur la Femme. Bien que le bon sens de Boileau ait mis dans ces compositions des vérités piquantes, leur but n'est pas sérieux.


- 4» - Leur auteur, à cette époque, n'était préoccupé que du goût, et dans tout ce qui ne louche ni à la médecine ni aux lettres, il semble n'avoir cherché qu'un texte pour écrire avec esprit et un bon style. Fénelon a blâmé l'inconvenance du récit de Théramône sur la mort d'Hippolyte; en effet, il est bien long et trop logiquement arrangé pour la situation. J'oserais aussi hasarder quelques doutes sur la vérité parfaite du pompeux discours de Milhridate à ses enfants : est-ce ainsi qu'un grand politique parle dans son conseil ? L'admirable récit de la mort de Polyphonie, dans la Mérope de Voltaire, me paraît aussi d'une longueur déplacée. On voulait toujours étaler une bienséance majestueuse, l'action tragique était dans la coulisse, et Fou venait la réciter sur la scène ; cela fesait briller l'éloquence de l'auteur, et surtout celle de l'acteur, toujours fort exigeant sur ce point ; et la scène, comme l'on sait, embarrassée de spectateurs, était une des principales causes de ce défaut, en empêchant le déploiement du spectacle.

Fénelon, qui critiqua si justement Racine dans le Télémaque, tombe à tout instant dans le défaut qu'il a repris. Il y a dans ce poème surabondance de discours d'une morale tantôt élevée, tantôt puérile. Mentor donne des conseils et des éclaircissements à Idoménée sur les soins qui causent la prospérité d'un É lat et favorisent l'accroissement de la population, et pour le toucher par un doux spectacle, il parle ainsi : « Cependant la mère et toute la famille » prépare un repas simple à son époux et à ses chers enfants, qui » doivent revenir fatigués du travail de la journée. Elle a soin de » traire ses vaches et ses brebis, et on voit couler des ruisseaux » de lait. Elle fait un grand feu autour duquel toute la famille «innocente et paisible prend plaisir à chanter tout le soir en al» tendant le doux sommeil. Elle prépare des fromages, des châ» taignes, et des fruits conservés dans la même fraîcheur que si «on venoit de les cueillir. Le berger revient avec sa flûte, et «chante à la famille assemblée les nouvelles chansons qu'il a ap» prises dans les hameaux voisins, etc. » (Télémaque, liv. Xll.)

Il faut avouer que ces deux grands personnages avaient du goût pour l'uhlle.


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Il est téméraire, sans doute, de critiquer le chef-d'oeuvre d'un aussi beau génie que celui de Fénelon ; mais, quoi que l'on dise pour justifier toutes les moralités du Télémaque, il y aura toujours à répondre que si c'est un poëme, il y a trop de sentences, et que si c'est un traité de morale, il y a trop de fictions et de poésie. Mais quel beau français ! quelle riche imagination ! quelle noblesse de coeur dans ce roman héroïque !

Fléchier, Buffon, les deux Rousseau, Raynal, Le Brun, Thomas, Delille ont donné dans la rhétorique. J.-J. Rousseau, qui est le vrai précurseur des Romantiques, nous a donné, dans la Nouvelte Héloïse, le prototype du roman intime et pédant.

Mais les écrivains de celte époque sont, en général, loin de valoir ceux des deux précédentes. Le Brun, notre Pindare, et Parny, le dangereux apôtre de la doctrine du plaisir, sont d'excellents poêles, mais il n'y a qu'eux, et malgré tout leur mérite, je ne puis les égaler à La Fontaine et à Racine; chez les prosateurs même infériorité.

J.-J. Rousseau, dans sa Nouvelle Héloïse, est souvent lourd et incorrect ; il eut le malheur de venir fort tard à Paris, et se ressentit toujours d'avoir passé sa jeunesse à l'étranger. Malgré ses grandes qualités d'écrivain, et ses efforts continuels pour s'améliorer, il n'a jamais atteint à Fatticisme et à la pureté de style de Voltaire. Mirabeau est plus grand orateur que grand écrivain. Bernardin de Saint-Pierre est loin de Fénelon. La décadence est évidente, et cela ne tient pas seulement au goût, cela vient aussi des principes bttéraires. En voici les principaux signes :

1" Les idées sur la prose et la poésie se troublent; la prose abonde dans la poésie, et les vers dans la prose. Déjà on avait eu la sottise de dire, pour louer des vers : Beau comme de ta prose. Voilà une triste louange; les vers de Pradon et de La Motte sont beaux comme de la prose. Les théories sur la prose poétique ont perdu la prose française.

2° La critique littéraire prend une extension qui n'a cessé de s'accroîlrc depuis, et qui augmente tous les jours au moment où


- 44 - j'écris ces lignes. On voyait tout ensemble au dix-huitième siècle La Motte, d'Olivet, Desfontaincs, Voltaire, Diderot, Fréron, Marmontel, Palissot, Thomas, La Harpe, Chamfort et Clément.

3" Apparition des genres bâtards et recherchés dans la littérature : le roman intime, le drame prétentieux. Le roman entre dans le drame, et les confessions dans le roman. L'élégie surabonde.

4° On n'a plus la juste idée du bon usage de la langue; les uns en sortent, d'autres sont d'étroits puristes. Le sens créateur va se perdant de plus en plus ; la langue élégante des salons est usée comme les moeurs. Marmontel, auteur contemporain, écrivait avec un tact prophétique : « Le terme propre est devenu » commun ; le tour naturel est usé ; l'épithète la plus hardie et «la plus forte n'est plus qu'un mot parasite et vague; l'expres» sion figurée est ternie ; l'élégance a perdu sa fleur : et si l'on » veut donner au style un peu d'éclat, il faudra bientôt tirer de «loin des mots auxiliaires, accumuler des métaphores, afin de » se rendre étrange, de peur d'être commun en osant être natu«rel. » (Éléments de Littérature, art. USAGE.)

Mais Rousseau fut l'orateur providentiel dont les écrits neutralisèrent pour l'avenir la sécheresse des savants et le sensualisme de Diderot, l'éloquent corrupteur du dix-huitième siècle. Retournant au ton et aux images champêtres, il commence une réaction contre le goût et les moeurs de Paris ; avec lui naît une nouvelle école de prose, qui fut continuée et modifiée par Bernardin de Saint-Pierre.

« Sous le rapport de la langue et du style, dit M. Villemain, Bernardin de Saint-Pierre avait habilement rétrogradé vers un autre siècle. Avec tant de nouveauté dans ses images, il a de l'archaïsme dans sa manière d'écrire. La littérature, depuis le siècle de Louis XIV, avait toujours été s'épurant, cherchant l'élégance, la noblesse, la dignité des formes. Buffon, si grand écrivain d'ailleurs, avait dit : « Ayez du scrupule sur le choix des expressions, de Fat-


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» tention à ne nommer les choses que par les termes les plus géné» raux » ; c'est-à-dire soyez pompeux, et soyez vague. Au contraire, Bernardin de Saint-Pierre, malgré le tourbrillant de son imagination, ne craint pas les termes simples, particuliers, les noms propres des choses. Son expression colorée n'en est pas moins familière.— Son langage n'est pas digne et pompeux, comme un langage de cabinet ou de théâtre. Les images basses et vives qui abondent dans nos vieux auteurs ne lui répugnent pas. Écrivain si harmonieux et si pur, il a baissé d'un ton la dignité du beau style. Comme J.-J. Rousseau, et peut-être plus que lui, il innove par la familiarité des comparaisons, l'excessive simplicité des images; son dédain pour la richesse et le faste, sous toutes les formes, depuis le luxe des palais, jusqu'à celui des livres et du style, l'ont ramené vers notre littérature du XVIe siècle. Il est élève de Montaigne et d'Amyot. » (Tableau du XVIIIe siècle, 3° partie, 8" leçon. ),

L'antipathie de Voltaire contre Rousseau, le dédain de Buffon pour les ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre s'expliquent maintenant naturellement; la chaumière du paysan venait se substituer au château du seigneur.

CHAPITRE XIII. — Naissance et développement de l'école romantique. Écrivains nés depids 1759.

Andrieux (1759); Parscval-Grandmaison (1759); Rouget-de-Lisle (1760);

Ilofl'mau (1760); De Bonald ( ); Surville (né vers 1760?); Barnave

(1761); Raynouard (1761); Fontanes (1761) ; Désaugiers (1762) ; André de Chénier (1760); Madame Dufrénoy (1763); Royer - Colard (1763); Berchoux (1765) ; M.-J. de Chénier (1764); X. de Maistrc (1764); Marat (1764); Arnault (1766); Madame de Staél-Holstein (1766); Benj. Constant (1767) ; Lacretelle (1767); Al. Duval (1767);

Picard (176g); de Chaleaubriant( 1769); de Jouy( 1769); Esménard (1769); Dussault (1769) ; Napoléon Bonaparte (1769); Michaud (1769); Cuvier (17G9); Baour-Lormian (1770); Lamarque (1770); Antignac (1770); CliC'iicdollé (né vers 1770?); K.-L. Lemercier (1772) ; Madame Cotin


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(1773); J. Droz (1773); P.-L. Courrier (1773); A. Gouffé (né vers 1773); Foy (1795); De Saint-Victor (né vers 1775) ; J.-L. Burnouf (1775); Roger (1776); De Marlignac (i77G);Ballanche (1776) ; M. Th. Leclerc (1777); D'Allarde, dit Francis (177S); Etienne (1778). De Bélanger (17S0); P.-Ph. Ségur (17S0); Lamennais^ 1781) ; Millevoic (17S2); De Maichangy (17S2); DeBaianle (17S3); Ch. Nodier (1783); V. Dncange(J783); L.-A. Martin (1786); D.-Fr. Arago(i7S6) ; Guizot (17S7); De Cormenin (1788); Soumet (178S); Scribe (1791); Villemain (1791); V. Cousin (1792) ; De Lamartine (1792); Cas. Delavignc (1794);

Aug. Thierry ( ); Em. Debraux (1796); Jouffioy (1796); Thiers

(1798); A. Carrel (1800).

Plusieurs hommes de la génération"précédente et de la nouvelle avaient senti que la littérature s'épuisait, que la langue s'usait, et qu'il fallait aller puiser de la vie pour toutes deux quelque part. Fontanes et M. - J. C hénier demeurèrent dans la voie classique, étudiant nos grands écrivains postérieurs à Malherbe et les auteurs latins. De Surville rentra dans la langue et la poésie du quinzième siècle ; A. Chénier étudia les bucoliastes grecs et les élégiaques latins, renouvela le mètre et les couleurs; M. de Chateaubriant, malheureusement peu correct et un peu bel-esprit, continua la voie de poésie champêtre et religieuse ouverte par J.-J. Rousseau et par Bernardin de Saint-Pierre. Eu même tems étaient nées et s'étaient développées l'éloquence militaire et l'éloquence politique ; nous eûmes Mirabeau et Napoléon. Courier se forma sur Amyot, Rabelais et Hérodote; M. Ch. Nodier, dans une langue abondante, aisée et correcte, créa le roman que l'on pourrait appeler romantique.

La chanson avait été renouvelée par Rouget-de-Lisle, Désaugiers et Béranger; l'ode le fut par M. de Lamartine et M. V. Hugo, et la critique littéraire par M. Villemain, dans de célèbres leçons, où brillaient à la fois l'érudition et le goût. M. Augustin Thierry et M. Cousin, écrivains du premier ordre par la pureté et la simplicité du style, par l'inspiration et la pensée, jetaient une vie nouvelle, l'un dans l'histoire, l'autre dans la philosophie. Le caractère de cette époque est donc la fin de la littérature


-47 - classique, l'élévation de la tribune et des journaux politiques, et l'apparition de la littérature dite romantique, en un mol toute une rénovation littéraire.

Mais plusieurs de ces écrivains n'ont pas été parfaitement naturels; on ne peut se dissimuler qu'il y a de l'apprêt dans Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier, M. de Chateaubriant et Paul-Louis Courrier; et qu'il y en a encore bien davantage dans d'autres écrivains plus jeunes, et leurs élèves.

Aujourd'hui le public paraît lassé du débordement littéraire qui a suivi la révolution dejuillet, littérature quia justement reçu le surnom d'échevelèe et même d'épilcptique.

Il semble demander quelque chose de plus correct, de plus philosophique, de plus reposé, de plus gai. On ne veut plus de la bouffissure et de l'incorrection romantique, ni de la froideur, de la fadeur et de l'apparat des auteurs prétendus classiques du dix-huitième siècle et de l'Empire.

De la lecture et de la représentation des tragédies classiques et des drames modernes, des critiques qui en ont été faites, il m'est resté la conviction que la mise en scène de l'ancienne tragédie ne convient plus aujourd'hui ; les tragédies ne doivent plus être faites pour la cour et la ville, pour un public d'exception, mais pour le peuple. L'exigence des trois unités et des cinq actes est heureusement bannie, le théâtre n'est assurément plus timide ; mais la rhétorique, sous son nouveau déguisement, y est plus gourmée que jamais. La comédie n'a pas été quittée par Marivaux; il n'a fait que vieillir et changer d'habits. Quel triste spectacle ! à côté du drame qui prône la débauche, l'adultère et le suicide, nos auteurs comiques bafouent le civisme, et tournent en ridicule le désir de l'estime publique.

Quant à nos épopées des trois derniers siècles, la vie en est fausse, il faut les rejeter en bloc, sauf à y retrouver de beaux détails, et retourner à nos épopées chevaleresques, à FAriosle, au Tasse et à Homère.

L'épopée et l'ode ne doivent plus. comme ta Hcnriade et les


- 48 - odes de Rousseau, s'adresser aux seigneurs et aux belles dames de la cour, mais à toute la nation ; cette observation est importante, car, comme l'a dit Cicéron, l'orateur se règle sur le goût de son auditoire : «Semper oratorum eloquentioe moderatrix fuit auditorum prudentia. Omnes enim qui probari volunt, voluntatem ewum qui audiunt intuentur, ad eamque, et adeonim arbitrium et nutum totos se ftngunt et accommodant. (Orator, cap. IV. ) Le peuple veut de la poésie, et non des discours de rhétorique.

Qui aujourd'hui saurait réciter les aventures merveilleuses de nos héros du moyen-âge, bien traduire Homère et Arioste, chanter les gloires de la République, les merveilles de l'industrie moderne, le bonheur domestique, la vie pastorale, et les louanges de Dieu, trouverait un champ neuf et un public enthousiaste. La littérature doit se placer dans la société que nous ont faite nos révolutions politiques et intellectuelles, et, en évitant les vieilles répétitions mythologiques et épicuriennes, conserver avec respect les vrais usages de la langue, et lui rendre une sève nouvelle.

Mais, malgré la puissance de talent de nos meilleurs écrivains modernes, on ne saurait méconnaître la grande perturbation qui s'est faite dans la langue depuis cent ans, et les dangers qu'elle court. La décadence classique a commencé au dernier siècle la corruption de la langue ; nous avons vu Marmontel faire reniai quer que de son tems la langue était déjà très-usée, qu'on était blasé sur les plus belles expressions. Voltaire criait à la fin de sa vie que la barbarie arrivait de toutes parts. Son bon sens supérieur lui montrait dans la littérature l'esprit français baissant et se faussant ; il prévoyait le règne des extravagants et des sophistes. Aujourd'hui on pèche plus que par l'incorrection : le faux, le heurté, l'incohérent, le discordant sont dans toutes les poésies. Dans la conception des livres comme dans l'emploi des mots, la précision française se perd ; on retombe dans les défauts du treizième siècle.


- 49Les

49Les provinciales et étrangères ont débordé par la tribune et les journaux ; le langage scientifique le plus sec, le plus dur, s'infiltre partout, jusque dans les romans. Les littérateurs, les écrivains légers sont devenus systématiques ; ils perdent à créer une détestable langue qui soit à eux le tems qu'ils devraient employer à apprendre celle qui a existé long-tems avant eux (1).

Dans ce chaos de locutions, la critique du grammairien littérateur nous semble être devenue une nécessité de jour en jour plus forte. Plus il y a d'activité et d'audace dans la création, plus il doit y avoir d'habileté et de vigilance dans la critique. Un bon grammairien n'est pas moins utile dans l'État qu'un vérificateur des monnaies et qu'un vrai philosophe.

(i) Voici quelques échantillons du style du jour ; ils feront juger dans quel état nos plus grands écrivains ont mis la langue; lecture faite, on ne sait si on doit en rire ou s'attrister.

« Equitable et moral, le protestantisme est cjcact dans ses devoirs, mais sa bonté tient plus de la raison que de la tendresse ; 1/ vclil celui qui est nu , mais il ne le réchauffe pas dans son sein. »

{Etudes ou Discours historiques, t. I, Préface, cxxxi.)

« Deux partis dominèrent alors dans la Péninsule : le premier emportait presque tOLt le peuple des campagnes, entr'excitê des prêtres et fondu en bronze par la foi religieuse et politique; le second comprenait les libérales, gent dite plus éclairée, mais, à cause de cela, moins pétrifiée par les piéjuges ou consolidée par la vertu, n

( Congrès de Vérone, t. I, p. 8.)

« Plagiaires aussi de l'empire, les Espagnols empruntèrent le bataillon sacré à la retraite de Moscou*, ainsi qu'ils étaient bouffonesques de la Marseillaise , des sanculolidcs , des propos de Murât et des diatribes du Vieux Cordelier, toujours rendant les actions plus viles, l<: langage plus bas. »

(74., t. I,p. 60 et 6t. )

n Si Louis XVIII n'eût été roi, il auiait été membre de l'Académie, et il était féru ù l'esprit de l'antipathie des classiques contre les romantiques. »

(7k, t. 1. p. 243.)

4


CHAPITRE XIV. — Conservation matérielle.

Toute langue se compose de deux éléments : l'harmonie des mots, et leur sens ; il y a donc deux côtés par lesquels on doit soigner sa perfection et veiller à sa conservation. Lorsqu'une langue est arrivée à ce degré de douceur et de régularité qui est le signe de sa maturité (1 ), elle n'est pas invariablement fixée dans chacune de ses syllabes, et il leur reste une certaine latitude de mutations. C'est ainsi qu'on a dit tantôt droit, tantôt drct, etc., sans que l'intégrité delà langue en fût altérée. Aujourd'hui, sous ce rapport, notre langue est aussi bonne qu'elle a jamais été, et l'on peut affirmer que depuis deux cents ans elle n'a rien perdu de sa perfection matérielle ; la langue de la saine partie de Paris a encore tout son agrément et sa force, et par son influence le français des villes de la province a considérablement gagné ; le dialecte de Paris devient de plus en plus la langue du royaume. Il est cependant un endroit par lequel il court des dangers : c'est par le développement du langage scientifique, qui, en s'accroissant, se remplit de plus en plus de mots d'une harmonie barbare, et qui s'introduisent peu à peu dans la langue usuelle et littéraire ; c'est un effet du mouvement du siècle. Il est donc nécessaire que les auteurs et les grammairiens veillent à maintenir dans toute sa force la perfection matérielle de la langue. Je vais entrer à ce sujet dans quelques détails.

« Triompher sur le même sol où les armées de l'homme fastique avaient eu des revers, faire en six mois ce qu'il n'avait pu faire en sept ans, c'était un véritable prodige. »

(74., t. II, p. 425.)

(î) Cf. G. FALLOT, Recherches sur les Formes Grammaticales de la Langue Française et de ses dialectes au XIIIr siècle ; Introduction.


0 1

Le peuple a pour ses différentes espèces de mots, pour toute la langue, un goût d'harmonie absolu, auquel il soumet tous les termes qui sont à son usage; c'est le lit de Procuste, qui détermine aussi la valeur prosodique des syllabes. La langue française a été faite avec la langue latine; c'est donc dans les analogies qui nous viennent du latin que se trouve la régularité formelle de nos mois ; presque tout ce qui sort de là est barbarisme de son. Et pourtant il y a dans notre langue bien des barbarismes de ce genre qu'il est impossible d'expulser. Mais d'où viennentils? A côlé du peuple qui suit seulement son instinct d'oreille et de goût, c'est-à-dire qui écoute les vraies lois du langage, il y a les savants qui, pour leurs besoins, ou même sans besoin, font des emprunts aux langues étrangères ; mais comme ils n'ont pas le tact du peuple, et son exigence d'harmonie uniforme dans les syllabes et dans leur combinaison, ils transportent dans la langue nationale des mots de forme exotique. J'en vais donner quelques exemples qui rendront sensible ce que j'avance. Du latin strielus, le peuple a fait étroit et étroitement; et les gens de loi nous ont donné les horribles mots strict et strictement. Observons, à cette occasion, qu'il est contraire à l'oreille du peuple de commencer aucun mot par st ou sp; il a toujours eu soin d'anléposer un é; de spes il a fait espoir; de status, état. Les mots spirituel, station, etc., n'ont pas passé du peuple dans la littérature. mais sont venus de l'école. Le et final, comme dans tact, exact, strict, est également contraire à l'euphonie ; et déjà le t final ne se prononce plus dans respect, et le c ni le t dans aspect, instinct, etc. Le peuple a fait tomber presque tous les c qui se trouvaient au milieu des mots latins; de directus, il a fait droit; de factutn, fait; aussi, par cela seul, on pourrait affirmer que les mots secs et laids de didactique, éclectique, technique, viennent encore de l'école, si on ne le savait à l'avance (1). La désinence istc, em(i)

em(i) substantifs longs et grêles de fusibilité, susceptibilité, inhumanité, inutilité, succcisibUiié, perspicuile, superficiellement, superstitieuse-


pruntée au grec, a passé, depuis quelques années, dans le peuple, parce qu'elle est commode, assez douce, et qu'elle a servi dans nos tems de révolution à distinguer des partis, bonapartiste, carliste, etc.; mais elle est loin d'y être aussi commune que la terminaison latine icn, qui y répond à peu près. La désinence ique, charmante chez les Grecs, parce qu'elle était suivie d'un os qui soutenait la voix et l'oreille, car on disait ikos, est fort laide chez nous, parce que ce os harmonieux a disparu. C'est pourtant celle que nos savants substitueraient, si on les laissait faire, à la belle terminaison en al, qui nous vient du latin, et qui est toute populaire. Depuis un tems, les verbes en iscr semblent se multiplier ; mais cette forme est barbare, quand elle s'applique à des racines latines, et est peu élégante en général, même dans les mots tirés du grec : qui est-ce qui emploie poétiser, dramatiser, et beaucoup d'autres verbes semblables? Cette désinence peut être tolérée dans certains verbes empruntés du grec ; on est obligé de la conserver dans quelques mots latins, transformés en verbes français harmonieux et utiles, et pour lesquels l'usage a établi une longue prescription : tels sont autoriser, diviniser, immortaliser, tratiquilliser, etc.; mais en général il faut la repousser , elle n'est pas populaire, ni d'origine latine. Le peuple l'a même enlevée dans certains mots : d'agoniser, v. n., il a fait agonir, v. a. : « agonir quelqu'un de sottises, » c'est-à-dire le mettre à l'agonie en l'accablant de sottises; j'ai même entendu des ouvriers dire sympathir, au lieu de sympathiser : c'est que le peuple forme ses verbes simplement en cr ou en ir, et non point en iser. Conservons religieusement les formes delà langue, sans

ment, substitution, tacticien, épilepliquc, logistique, artistique, slyptique, épispaslique ; les mots lourds de prononciation, modernisation, adaptation, subtilisation, homologation, obstruction, extinction, extraction, substruclion, homogénéisation, transsubstantiation, irrèulisabililé, inconstilutionnalilc, epislolographe, acataleplique, astérisque, antarctique, administratrice, autocralrice, sont encore des mois faits par les savants.


(juoi lotis les idiomes connus y feront invasion, briseront ses formes constitutives; toute forme de mot pourra être considérée comme française, et la langue française aura vécu.

CHAPITRE XV. — Conservation logique.

La langue se conserve aussi par le sens des mots, par la logique. Chaque mot, par son origine et son premier emploi, a une capacité logique, si l'on peut dire ainsi, d'où se tireront ses acceptions futures. Les emplois heureux et nouveaux qu'on peut faire d'un mol sont trouvés dans des moments d'inspiration par les personnes qui ont la conception vive et nette et le sens délicat. Donner par calcul et arbitrairement des nuances particulières aux mois, comme raisonner sur leurs acceptions et sur leur position clans la phrase avec la rigueur des mathématiques, c'est s'abuser complètement. L'orateur, de celte manière, émousse en lui le sens délicat du langage; ses paroles deviennent obscures ou trompeuses, parce qu'il attache aux termes qu'il emploie un autre sens que son auditoire, car celui qui lit ou écoule ne comprend les mots que dans le sens consacré par l'usage, ou que l'instinct de l'intelligence peut leur attribuer dans une circonstance donnée.

Ainsi le public et les grammairiens doivent repousser les barbarismes, parce qu'ils perdent la langue et la justesse de l'esprit; et l'écrivain doit les fuir, parce qu'ils sont une source d'obscurité et d'ennui. Mais aujourd'hui l'on ne pense point à cela ; on a l'habitude d'être ennuyeux. Chaque écrivain veut forcer l'emploi des mots, être excentrique par son langage. L'improvisation de la tribune, par une cause opposée, fait courir à la langue les mêmes dangers.

Un même désordre, par un amour aveugle de l'ordre, a lieu dans l'enseignement grammatical : dt-puis un siècle, la plupart


de nos grammairiens, substituant au goût les raisonnements, ont renversé le fondement de la grammaire :

« Et le i abonnement en bannit la raison. »

(MOMÎ'HK, Les Femmes Surautcs, II, 7.)

La grammaire doit tirer ses règles, non de la spéculation, niais des usages du peuple et de l'inspiration des grands écrivains.

CHAPITRE XVÏ. — Où est aujourd'hui le bon usage?

Mais, dira-t-on, où trouver, en France, le bon usage de la langue? Est-ce dans l'usage général? dans l'usage de Paris ou de la Touraine? et à Paris, est-ce aux Tuileries ou clans les rues qu'on parle le mieux? Voici mon opinion en deux mots, qu'ensuite je développerai : Le peuple fait loi, l'écrivain fait choix.

Oui sans doute pour le gros de la langue, il faut suivre l'usage général, mais, entendons-nous bien, l'usage des provinces de langue d'oïl; tout le reste est barbare : ainsi un Picard, un Parisien et un Franc-Comtois se comprennent parfaitement; mais lorsqu'on veut parler la langue avec perfection, il faut suivre l'usage des habitants lettrés de Paris, et de race parisienne. Dès le douzième siècle déjà, « on ne reconnaissait comme bon langage » françois que celui des habitants de l'Ile-de-France. » (Histoire littéraire de la France, t. XVIII, p. 846.) Un enfant qui, même à Paris, est élevé par des parents étrangers ou provinciaux, en conserve souvent une empreinte.

La cour ne doit plus faire loi, comme du tems de Louis XIV ; ce n'est plus là que se rencontre l'élite des écrivains et des hommes d'esprit de la France ; d'ailleurs cet usage était beaucoup trop restreint : il porta préjudice à la poésie épique, à la poésie pastorale et à l'ode; et en effet, où une vie n'est pas, son langage ne peut s'y trouver.


La Chambre des Députés est composée de provinciaux; parmi les habitants mêmes de Paris, il y a beaucoup d'étrangers : certains faubourgs de Paris renferment une populace ramassée de tous les coins de la France, et qui jargonne d'une manière détestable et ridicule. Ce n'est donc pas là qu'il faut aller chercher le bon usage.

Si l'on veut indiquer avec précision où est le bon usage parlé, je dirai qu'on le trouve surtout au Théâtre - Français pour la prononciation, et dans l'Académie Française pour la propriété des termes. C'est là qu'on entend parler et s'exprimer conformément à l'usage de la plus saine partie de Paris. Il faut suivre l'accent et la prosodie de Paris, dont le dialecte est le plus riche et le plus cultivé. 11 est essentiel à l'unité et à la durée de la langue que le fiançais de la capitale soit dominant, et d'autant plus nécessaire que la prosodie variant de province à province, et l'orthographe étant irrégulière, compliquée et presque conventionnelle , sans celte loi l'ordre disparaît, et la langue tombe dans une sorte de chaos. Il faut une langue commune dans l'État, comme un seul système de poids et mesures.

L'Orléanais et la Touraine sont, ce me semble, après Paris, les provinces où l'on parle le meilleur français.

Ce n'est pas toutefois que la prononciation générale de Paris soit parfaite : la lettre r y est fréquemment mal prononcée ; mais cela me paraît tenir plutôt à. une faiblesse d'organe qu'à un goût particulier d'articulation ; dans le discours familier, les Parisiens ont une tendance à affaiblir et à user la langue, en supprimant les?-, les( et les 5 de liaison, en retranchant nombre d7 mouillées, et l'une des consonnes finales dans les mots qui en ont deux, par exemple 17 et IV dans les terminaisons en blc, en bre, en tre, etc. Plus on descend dans la population de Paris, plus ce vice a de force et d'effet : le petit peuple dit artisse, Augusse, pour artiste, Auguste, etc. ; il emploie aussi des termes de jargon, qui ont des lents de vogue, et dont il faut s'abstenir avec un soin extrême.

Mais les défauts de la prononciation commune de Paris ,


— r>(> —

qui viennent d'un parler vif et négligé cl du grand mouvement de cette capitale, sont trop connus pour n'être pas combattus dans toute bonne éducation ; malheureusement, sous ce rapport, toute la France laisse beaucoup à désirer. Pourquoi, par exemple, n'a-t-on pas des maîtres de prononciation comme on a des maîtres de chant ? Ce qui est inhérent à la nature de l'homme, indispensable à ses besoins et extrêmement agréable, un talent qui est nécessaire aux poètes, qui fait admirer celui qui le possède, qui aide à monter aux honneurs, cjui constitue et maintient les nationalités, est dédaigné, négligé, oublié; et cependant n'y a-t-il pas, sans comparaison, plus d'utilité el plus d'agrément, ne se fait-on pas plus d'honneur en bien parlant, que par les arls frivoles du chant et de la danse ?

L'Académie, pour l'autorité grammaticale, a remplacé la cour d'autrefois, mais avec ce désavantage qu'elle n'est composée que d'auteurs, el manque de femmes. Pour le langage familier, son Dictionnaire est très-bon, et notamment l'édition de 1835. Sans s'écarter du bon usage actuel, elle a retenu, dans ses phrases d'exemple et ses définitions, la tradition du dix-septième et du dix-huitième siècle. Au reste, de même que Vaugelas, à la cour, ne prenait pour autorité que la plus saine partie de la cour, il faut aussi, quand on fréquente les membres de l'Académie Française, choisir ses autorités. Mais cela est insuffisant, il faut consulter l'usage de la ville, et avoir soi-même de l'oreille et du goût. Il faut dans la société polie de Paris, et même aussi chez les artisans, s'attacher à discerner les personnes qui parlent avec délicatesse et justesse, et qui sont de Paris. Nos auteurs, plus naturels dans la conversation que dans leurs écrits, les femmes, dont le langage est plus libre de système que celui des hommes, l'esprit plus naïf, plus vif, plus fin et plus délicat, peuvent au littérateur qui vit à Paris, et presque tous y vivent, fournir une ample moisson d'observations grammaticales relatives au bon usage. Ceci est de rigueur pour un prosateur.

Je serais moins rigoureux pour un poêle. Celui qui aurait


assez de sûreté dans le'seus trouverait une riche provision de formes el de locutions dans le vieux langage des provinces de langue d'oïl ; mais il doit toujours s'astreindre à la prosodie de Paris, et y connaître le bon usage actuel.

En général, pour être correct et élégant il faut : proscrire l'emploi systématique des mots; concilier la nouveauté et la tradition, la langue écrite et la langue parlée; puiser à la fois à la ville et à la campagne, dans la rue et dans les salons. 11 est visible que l'élégance de la cour influa sur celle des écrits de Racine, de Massillon et de Voltaire, comme le langage populaire et campagnard sur celui de La Fontaine, ce grand écrivain ayant senti sans doute que le ton et les locutions pastorales ne se rencontrent point à Paris.

Pendant le dix-septième siècle et la première moitié du dixhuitième, la plupart des bons auteurs fréquentaient la cour. 11 en résultait pour le goût action mutuelle : la cour formait son langage sur le style des bons auteurs, et les écrivains se conformaient dans l'emploi des locutions à l'usage de la cour. Depuis, tout a changé : on serait fort embarrassé de dire où s'est trouvé, depuis l'année 1789,1e bon usage dans la conversation. Les révolutions sociales et intellectuelles qui depuis cette époque se sont opérées à Paris ont amené des perturbations dans la langue et fait changer de place le bon usage.

Aujourd'hui que l'Académie a remplacé la cour, que par le gouvernement représentatif, toute la province est comme entrée dans Paris, il faut dans l'emploi des mots distinguer et concilier l'usage de l'Institut et celui des villes, la langue politique et la langue littéraire et usuelle.


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CHAPITRE XVII. — Auteurs qui font autorité dans la langue écrite.

Les auteurs les plus naturels, les plus purs, c'est-à-dire qui ont le plus suivi le bon usage de leur tems, elpar suite les plus corrects et les plus élégants, sont ceux du quinzième siècle et du siècle de Louis XIV. Mais au quinzième siècle, la langue n'était pas formée. Pour la propriété des termes, la nature des métaphores et la contexture de la phrase, il faut surtout s'attacher aux auteurs nés de 1585 à 1710 ; ils excellent dans le tissu du style, art que nous avons perdu. L'éloquence académique, dont le développement a été si grand au siècle dernier, nous a donné de plus en plus le goût des expressions générales et abstraites. Bossuet, La Bruyère, Fénelon, peignent, et nous employons le crayon gris. Us ont eu aussi grand soin d'écarter de la littérature le style scientifique, en ces deux points imitateurs des anciens, qu'ils n'ont pas surpassés, ni peut-être même égalés, à cause de l'infériorité de l'instrument grammatical. Nous devons être rigoureux à bannir les mots techniques, et sobres dans l'emploi des locutions abstraites. Les langues nées du latin, langues d'emprunt, faites en partie dans les écoles de théologie et de philosophie, sont par elles-mêmes beaucoup plus métaphysiques que celles des anciens ; ainsi, nous devrions plus qu'eux encore veiller au choix des termes dans l'éloquence et la poésie.

Les mots que nous employons sont presque tous tirés du latin, l'un emprunté pour le droit, l'autre pour la théologie ; de sorte que beaucoup de termes, très-français, n'ont jamais eu dans notre langue qu'un sens abstrait. Dans le latin, dans l'allemand, chaque terme abstrait eut d'abord et conserva une acception matérielle : contrepoids aux abus de l'usage, et qui, nous manquant, nous force à être plus sévères dans le discours, et plus soumis à l'autorité. La base logique de notre langue est dans le latin, où nous retrouvons la valeur primitive et positive de chacun de nos mois.


— 1)1) —

Cet état de choses rend donc l'usage plus étroit et plus roide dans le français. Par là se distinguent tristement les langues dérivées des langues originales ; aussi, pour peu que nous ne soyons pas précis, c'est-à-dire tenus au bon usage, nous nous égarons. Les langues originales ont encore cet avantage que la dérivation logique y suit la dérivation motale, ce cjui très-souvent n'a pas lieu clans notre langue : ainsi logiquement éducation est le substantif d'élever, quoique dans la dérivation motale ils ne soient pas en parenté, mais viennent de deux racines différentes. Soyons donc attachés à la précision, qui vient du bon usage; elle est la chaîne salutaire qui nous empêche de tomber.

Veut-on sentir la supériorité du goût et du langage des Latins, comparativement à nous ? Salluste dit : Veluti pecora, quee natura prona atqueventriobedienlia ftnxit. (Bell. Catil., § 1.) Nous disous : « La brute, que la nature a asservie à ses appétits. » Veutil dire que l'ambition contraignit beaucoup d'hommes à devenir faux, à être hypocrites, à ne cultiver l'amitié que par intérêt, à avoir plus de politesse que de probité, voici comme il s'exprime : « Ambitio multos mortales falsos fieri subegit ; aliud ctausum » in pectore, aliud in lingua promplum habere (avoir une chose » dans le coeur, une autre sur les lèvres ) ; amicitias inimicitias» que non ex re, sed ex commodo oestumare, magisque vultum «quarn ingenium bonum habere. » (Ib., § 10). La différence paraît sans peine. Sous ce rapport-là le Télémaque est un des meilleurs livres qu'ait produits la littérature française ; dans les détails du style, pour la force, le naturel et la beauté, il égale les anciens orateurs. Racine a manqué à cette qualité quand il dit dans Esther :

« Là tu verras d'Esther la pompe et les honneurs, n Et sur le trône assis le sujet de les pleurs. »

[Acte 1, se. î, vers iS.)

Aujourd'hui plus que jamais nous entassons dans nos discours gonflés les substantifs abstraits; on n'y trouve point dans chaque détail des faits et des images palpables. Montaigne cher-


— Go — cha beaucoup à composer sa phrase d'images el de mois empruntés à la vie sensible el au monde matériel ; mais on aperçoit la recherche. Fénelon possédait la juste mesure du mélange de substantifs abstraits et d'images sensibles qu'il faut clans l'éloquence; il s'était formé chez les Grecs, surtout par l'étude d'Homère el des tragiques : la lecture des poètes apprend aux orateurs à colorer leur style et à mettre de l'imagination dans l'expression.

On peut accorder les mêmes éloges à Bossuet et à La Bruj ère, qui a porté plus loin que personne, dans notre prose classique, la variété des tours et la force métaphorique.

Nos écrivains classiques, qui sont en général bons logiciens, tombent quelquefois dans l'incohérence des métaphores, vice qui gâte le fond même du style ; elles avortent sous leur plume, comme par une faiblesse de l'imagination. Massillon, logicien égal à Racine, aussi éminent que lui par le talent de la déduction et des transitions, n'eut pas toujours la main ferme dans les figures. Dans son Petit Carême, si renommé par le fini du style, j'ai remarqué le passage suivant; il s'agit de l'ambition : & Ce penchant infortuné, qui souille tout le cours de la vie des hommes, prend toujours sa source dans les premières moeurs ; c'est le premier trait empoisonné qui blesse Famé ; c'est lui qui efface sa première beauté, et c'est de lui que coûtent ensuite tous ses autres vices. » (Sermon pour le 1" dimanche de carême, 1" partie. )

Je ne crois pas qu'on trouvât rien de semblable dans Bossuet ni dans Fénelon.

Dans notre ancienne littérature, je mettrais en première ligne, comme sources d'étude de la langue française, au quinzième siècle, Boucicaut; puis Rabelais, malgré le jargon, Cl. Marot, Calvin, Amyot, Montaigne, malgré ses impropriétés de termes, el enfin Malherbe.

Parmi les écrivains français, depuis Malherbe jusqu'à nos jours, ceux qui ont le mieux connu les usages el le génie de leur langue me paraissent être La Fontaine, Racine et Voltaire. La


— (il —

Fontaine est notre plus heureux archaïste. Il a même poussé la hardiesse el l'habileté jusqu'à faire un peu ce qu'ont fait des Grecs, des Allemands et des Italiens, à introduire dans ses vers des mots de forme dialectale.

Immédiatement après eux, je placerais par ordre de date Descartes, Corneille, Pascal, Sévigné, Bossuet, Boileau, La Bruyère, Fénelon, Massillon, Le Sage, Buffon et Béranger. D'autres les égalent pour le talent de la composition et la pureté grammaticale; mais comme ils n'ont pas eu au même degré le don de création dans le style, je ne puis les mettre sur leur ligne.

Au seizième siècle, la langue est à son plus haut degré de force dans Montaigne cl d'Aubigné ; dans Corneille pour l'âge classique, et immédiatement après lui, dans Bossuet, Pascal, La Bruyère, Molière, Boileau et Lebrun.

Dans La Fontaine, le français égale en souplesse l'italien et l'allemand. Cette langue montre toute son élégance, au seizième siècle, dans Marot et Amyot, au dix-seplième dans Racine et Massillon, au dix-huitième dans Voltaire; son aisance et sa grâce, dans La Fontaine, Fénelon et Voltaire; dans Voltaire, son plus haut degré de précision, de clarté et de facilité. Pour bien écrire en français, il faut lire et relire ces admirables écrivains, et quitter ses locutions pour les leurs.

Pour la phrase en elle-même, dans le style coupé, Voltaire est notre premier modèle, puis, par ordre de date, La Fontaine, Molière, Sévigné, Fénelon et Lesage ; pour Fart de la période, c'est Bossuet, qui dans son style, à la fois plein et serré, a su, comme Cicôron, parfaitement placer les respirations, les mots de chute, et les mots à effet ; après lui je recommanderais Massillon et Flôchier, mais leurs périodes sans fin sont aussi formées de membres trop longs, et ils sont loin d'avoir au même degré que Bossuet le sentiment du rilhme delà langue. Le français, ayant une prosodie moins forte que le latin et l'allemand, ne comporte pas des phrases aussi longues, ce qui, joint à son manque de cas, le rend moins propre au style périodique. Pour modèles d'un style tantôt coupé,


tia — ,anlôt périodique, nous citerons parmi les poêles, Corneille el Racine, et chez les prosateurs, Balzac, qui le premier rencontra el dégagea le vrai rilhme du style grave et oratoire, La Bruyère, quelquefois trop tourné, mais toujours si lin, si énergique, si coloré, si varié dans ses mouvements, et enfin Buffon, qui brille encore par la clarté, l'harmonie et la majesté.

Béranger, parmi ses contemporains, mérite une louange particulière. Il a placé la chanson dans la littérature, et banni de la poésie lyrique le mouvement oratoire, introduit par Malherbe, et qu'un siècle durant J. -B. Rousseau y fit régner en dominateur. Aussi, dans Béranger, la langue poétique est rajeunie jusque dans ses entrailles, si je puis parler ainsi. Par les tournures, par toute l'allure du style, il abonde en archaïsmes heureux. Chez lui,le mélange de l'élément ancien et de l'élément nouveau est si intime, si parfait, qu'il faut toute la sagacité d'un grammairien exercé pour l'apercevoir. Mais ce n'est pas seulement par le mouvement du style, par la contexture de la phrase, et par la propriété des termes que Béranger a su rajeunir la langue : son arl consiste aussi dans le rapprochement nouveau des expressions ; il sait porter l'élégance jusqu'au degré de création :

Sur des tombeaux si j'évoque la gloire, Si j'ai prié pour d'illustres soldats, Ai-je, à prix d'or, au pied de la victoire, Encouragé le meurtre des Etats? Ce n'était point le soleil de l'empire Qu'à son lever je chantais dans ces lieux. Ciel vaste et pur, daigne encor me sourire. Echos des bois, répétez mes adieux.

( Adieux à la campagne.)

Ce sens, cet art heureux, et,1a sagesse de sa conduite littéraire l'ont mis au-dessus de tous nos écrivains modernes. Ha conquis l'avenir autant par la variété et la justesse deson style que par le fond de ses compositions, el plus fait pour la conservation et l'entretien de la langue française que lous les grammairiens et lexiro-


— «J -

graphes nés depuis cent ans, et plus que loule la nouvelle génération néologiste, qui, au rebours de Béranger, a voulu rompre el a rompu en effet avec la langue du dix-septième siècle.

Dans l'époque moderne, il faut jilacer après Béranger P.-L. Courier, comme réformateur et rénovateur de la langue, et de Surville, malgré son imitation outrée du vieux langage. Ces deux auteurs, prenant la phrase pour ainsi dire par tous les bouts, ont surtout cherché à lui rendre de la souplesse et de la variété, et aux mots de la naïvelé et de la force; ou, pour m'exprimer autrement, ils ont cherché à rajeunir la langue, en lui ôtant de sa platitude et de sa roideur.

Courier avait surtout placé ses espérances dans sa traduction d'Hérodote, dont il n'a donné que des fragments ; la mort l'a interrompu dans son oeuvre. Je crois que si cette traduction eût été finie, elle serait demeurée pour la France le modèle des traductions poétiques; car Hérodote, dans sa simplicité de style, est presque un poète. Elle a la perfection du genre qui consiste à prendre le ton et le mouvement de l'auteur, et en même tems un milieu clair et net entre les allures et les locutions de l'original et celles de la langue du traducteur. Les traductions faites de cette manière sont un des plus puissants moyens d'enrichissement d'une langue ; mais si ces traductions dominaient dans une littérature, elles écraseraient enfin la langue, en étouffant son originalité. Nos traducteurs, qui perdent leur tems à traduire Homère et tous les anciens en style de Fléchier, ne feraient-ils pas mieux, en les calquant avec justesse et délicatesse, d'enrichir notre langue de tours et d'expressions poétiques et utiles aux orateurs? Des traductions ainsi faites, à la façon d'Amyot, de Courier et de Chateaubriant,faites surtout sur les classiques grecs et latins, contribueraient de la manière la plus efficace à réparer notre langue littéraire, si sèche, si tordue et si usée. Elles donneraient à la langue, et au public blasé, de nouvelles métaphores, de nouveaux mouvements de style, et rendraient de l'avenir à la littérature, comme à la langue ; du reste, il faut de la mesure en tout. Mais


-64 - nos traductions, loin d'avoir assoupli la langue, semblent avoir contribué à lui donner de la roideur, tant elles sont peignées et oratoires.

11 faut se remettre à l'étude, je dirais volontiers à l'imitation des historiens et des orateurs de la Grèce el de Rome ; ils nous seraient plus profitables qu'aux écrivains des deux derniers siècles, puisqu'aujourd'hui nous avons, comme les Grecs et les Romains, la vie publique, inconnue à nos pères.

Ce que j'ai dit de l'effet des traductions peut s'étendre à toutes les parties de la littérature. Une philosophie judicieuse donne à la langue la précision ; les grammairiens, la sévérité et la régularité; les orateurs, la facilité et la noblesse ; les poètes, la richesse, la beauté et la variété. La poésie, par son inspiration et son ritlime, a surtout de l'efficacité, quand la langue s'use, pour la renouveler et en rouvrir la source ; c'est à elle de recréer le mouvement et les détails du style ; ainsi, au crépuscule comme à l'aurore d'une littérature, la poésie est l'école des prosateurs. Aussitôt qu'une locution du style simple vieillit, elle tombe dans le domaine de la poésie ; le poète est ainsi non-seulement créateur, mais conservateur, et la plus grande faute qu'il puisse faire, c'est de chercher à interrompre les usages de la langue. Et de plus, comme la langue est l'instrument de la pensée, on peut dire qu'un poète élégant, quelque frivole qu'il soit, est un homme utile pour l'intelligence , par cela seul qu'il entretient la langue dans un étal sain. Il n'y a donc pas seulement des moyens grammaticaux pour conserver la langue ; une langue est généralement saine dans une partie de la littérature, lorsque le genre fleurit; l'inspiration est toujours le meilleur guide dans le style.

La poésie légère est presque nulle aujourd'hui, parce qu'il n'j en a plus dans les esprits, parce que la vraie poésie vient de la vie, et que notre vie est fort prosaïque, quoique très-agitée. Il n'y a plus de poésie légère el épicjue que dans les rangs inférieurs du peuple, qui lit les vieux romans chevaleresques, et chante ses amours et Napoléon.


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Aussi, dans la belle littérature, le style est faussé, malade, perdu, et la prose y est peut-être encore plus gâtée que la poésie ; on manque de naturel, parce qu'on a de faux principes, de mauvaises habitudes, des exemples dangereux, et parce qu'on vise aux effets extraordinaires. Mais heureusement on s'est lassé des hommes qui ont tant fait pour nous blaser et pour corrompre le goût; on commence à ne plus suivre des parleurs qui n'ont pas même foi en leur honnêteté. Quand une littérature en est là, le seul bon parti pour tout le monde, c'est de faire ce que font les jeunes gens sensés d'aujourd'hui, de revenir au simple et au naturel. Les journaux, les écrits périodiques ont beaucoup rendu notre littérature flasque par la prolixité ; on devrait oublier qu'on écrit à tant la colonne. Nous aurions besoin d'aliments sains et d'un régime fortifiant. Il n'y a point de salut dans les matières de goût sans la justesse, le naturel et la simplicité. Que l'on me permette, à cette occasion, de rapporter sur le naturel une page d'Andrieux; elle est elle-même un modèle de netteté, d'aisance et de simplicité.

« Le naturel doit se trouver dans tous les genres : c'est la vérité des expressions, des images, des sentiments, mais une vérité parfaite, et qui paraît n'avoir coûté à l'écrivain aucune peine, aucun effort. La moindre affectation détruit ce naturel si précieux ; dès qu'une expression recherchée, une image forcée, un sentiment exagéré se présentent, le charme est détruit.

» Le défaut le plus ennemi du naturel, et celui dans lequel nous autres Français nous tombons le plus aisément, c'est de vouloir montrer de l'esprit mal à-propos. Nous cherchons des traits brillants où il ne faudrait que de la justesse.

» Les anciens ont eu plus de naturel que les modernes ; c'est un naturel admirable et enchanteur, qui donne un si grand prix aux chefs-d'oeuvre d'Homère, de Théocrite, de Sophocle ; il semblerait que, dans ces temps reculés, les hommes fussent plus près de la nature, et qu'ils la sentissent mieux ; ils n'avaient pas besoin de pensées si fines, ni d'expressions si recherchées; ils nevou-


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laient que des sentiments vrais, des images fidèles ; leurs langues se prêtaient aux plus simples détails, et admettaient des expressions communes dans le style le plus relevé; leur extrême simplicité nous paraîtrait peut-être trop nue ; il nous faut plus de recherche, plus d'ornements : notre langue est dédaigneuse, et ne se plie qu'avec peine, dans le genre noble, à l'expression naïve des choses ordinaires; elle rejette même de ce genre beaucoup de termes comme trop bas, en sorte qu'il faut user de périphrases : Voltaire disait assez plaisamment que notre langue est une gueuse fière, à qui il faut faire l'aumône malgré elle.

» On peut dire que le naturel est, dans les ouvrages de littérature des anciens, et surtout des Grecs, ce qu'il est dans leurs belles statues, une imitation fidèle de la nature, sans recherches, sans efforts; la pose de la plupart des figures antiques est simple, vraie; leur expression souvent tout unie; rien d'affecté, rien d'extraordinaire ; les artistes, comme les poètes, comme les orateurs, ne voulaient pas alors faire des tours de force, et courir mal à propos après de grands effets. » (ANDRIEUX, Journal de l'École Polytechnique, t. IV, pag. 115 et 116 (1810).

Pour bannir de notre littérature les pensées fauses et le faux goût, le ton apprêté, les tirades indigestes et incohérentes, pour y ramener la vie el le naturel, il faut une renaissance intellectuelle et une réforme morale chez les littérateurs : les auteurs et leurs oeuvres périront bientôt, si la probité et l'instruction leur manquent. Il y a aujourd'hui, au lieu de ces qualités, la vanité, la morgue et la cupidité. Mais on devrait sans cesse se répéter cette vérité : Bien vivre apprend à bien penser, bien penser à bien parler ; et réciproquement : Bien parlei- apprend à bien penser, el même, à la longue, penser avec justesse conduit à des principes honnêtes. On a besoin d'une langue pour penser ; et plus l'instrument est en bon état, mieux on travaille.


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CHAPITRE XVIII. — Conclusion.

Lorsqu'un peuple, pur de tout contact avec des nations cor^ rompues, est dans sa première jeunesse, n'ayant à combattre que sa grossièreté et son ignorance, chacun, rempli pour ainsi dire de la sève nationale, suit la pente de son caractère et de son génie, et contribue, sans s'en rendre compte, à la force de la vie commune. Une nation semblable, dans les moeurs, la politique et la littérature, a un long et bel avenir. Mais quand un peuple a vieilli parmi les courtisanes et sous le joug des despotes; quand il n'est arrivé à la liberté que peu à peu et par des crises violentes, la foi est usée, le scepticisme règne, et la nation est énervée. Cependant, chez ce peuple vieilli se trouve un certain nombre d'hommes énergiques, purs, qui, frappés du tableau que leur présente la société, s'écartent du torrent, cherchent dans le passé de saints exemples, et placent dans l'avenir de dignes espérances ; d'autres, enchaînés par la volupté, attestant le plaisir et la faiblesse de l'homme, se plongent dans la vieille corruption et dans une ignoble mollesse. Ainsi, dans cette société, Fou voit d'un côté d'infâmes hontes, et de l'autre des vertus héroïques. Telle était Rome sous ses empereurs ; telle a toujours été la France : mais les voix de Pascal, de Fénelon et de La Bruyère, de Massillon, de Voltaire et de Rousseau, les cris des amis de l'humanité ont été entendus ; mais nous avons encore l'Évangile et la presse libre. Aujourd'hui, de toutes parts, les hommes qui ne sont point avilis ou sans foi convient les coeurs nobles et les mains pures à l'oeuvre commune, à la régénération nationale. Là est l'avenir de notre littérature; c'est là une oeuvre digue des intelligences supérieures, l'emploi des conducteurs de l'humanité. Que le cri de réforme se fasse entendre de toutes parts ! Expliquant aux Français et à tous les hommes les droits du citoyen, montrons que leur exercice est un devoir, leur négligence une


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inertie funeste. 0 vous, hommes de coeur et de raison, démasquez dans son égoïsme et flétrissez, sous sa couronne de roses, la doctrine du plaisir; montrez à nu le coeur séché et rongé par elle ; appliquez un fer brûlant sur les bouches vénales : alors la France renaîtra comme une digne fille de Dieu, et notre littérature sera un mets divin pour les hommes.

Depuis les premiers bégaiements de notre poésie jusqu'au roman de la Rose, depuis le roman de la Rose jusqu'à Désaugiers, la galanterie et la moquerie sont le fond et la vie de la plupart de nos poésies et de nos romans : aussi que de fadeur, que de libertinage et de scepticisme dans toute notre littérature ! Si ces qualités y régnaient sans partage, ne faudrait-il pas la condamner au feu comme pernicieuse à l'humanité ? Heureusement il s'est trouvé dix justes pour conjurer la colère du ciel ; mais ces dix justes morts, que deviendra la cité coupable ? Est-ce la théorie de l'art pour l'art, et le scepticisme romantique, sous son manteau catholique, qui ramènera les moeurs et le bon goût? Sont-ce des hommes chez qui est mort tout amour pour les enfants, pour l'épouse, pour la patrie, qui feront une langue saine, qui composeront des poèmes fortifiants et doux au coeur, qui dans leurs écrits feront reluire la vérité ?

Concluons que pour relever la langue il faut aujourd'hui relever la littérature, si enfoncée dans l'ornière et le bourbier, si rongée de ses vieux ulcères.

Rappelons aux journalistes que l'ignorance et le pédantisme sont funestes el ridicules ; que la légèreté des jugements est condamnable ; que la camaraderie sans bornes a égaré le public et perdu les auteurs : l'homme est si faible, que la louange qu'il a fait préparer lui-même l'empoisonne. Il faut de la fraternité, mais non des coteries : sans doute l'amitié est sainte, mais la justice l'est encore plus.

L'avidité des libraires a fait porter depuis vingt ans le charlatanisme littéraire à un degré honteux et inouï; à force d'abuser le public, ils l'ont dégoûté, et ils ont tué du même coup la librairie et


-69la littérature. Que les auteurs s'instruisent par l'étude, se réfrènent sur la vanité et l'avidité, qui leur fait composer un volume par mois, le trouvant toujours trop bon pour un public arrogamment méprisé par eux, mais qui leur rend bien leur mépris. Que les auteurs qui sont dans le besoin cherchent à côté de la littérature des moyens d'existence et une conscience indépendante : aujourd'hui, il ne faut plus être homme de lettres par état, si l'on ne veut pas s'exposer à vendre sa plume et son honneur.

Il est toujours ignoble, il est odieux, au milieu des profondes misères qui nous entourent, de faire de l'or son dieu, et de la volupté sa religion : la vie de plaisir et l'exercice sérieux du talent sont même incompatibles ;

Qui studet optatam cursu contingere metam, Multa tulit fecitque puer, sudavit et alsit, Abstinuit venere et vino.

(HOB,, De Acte Poct., v. 41a-414• )

La mission est grande et belle, non moins que celle du prêtre chrétien et du philosophe de l'antiquité ; mais quel compte à rendre! La renommée est une seconde obligation d'être vertueux. Tout homme dont le nom est répété est exposé aux regards et aux discours du public ; plus un auteur a de talent et de réputation, plus il est dangereux ou bienfesant. Ses écrits vont entretenir les pensées intimes de l'homme et de la mère de famille, les causeries du jeune homme et les rêveries de la jeune fille ; corrompu et au fond de l'abîme, il ne peut y rester seul ; il y fait descendre par des chemins glissants et rapides les âmes faibles et passionnées ; il a vécu pour la ruine morale ou pour le salut de tous ceux qui Font lu. L'écrivain est donc responsable pour lui et pour plusieurs des exemples qu'il donne et des principes qu'il professe. Qu'est-ce que les lettres, quel est leur prix, si elles ne servent à nous rendre meilleurs et plus respectables ? Ne doivent-elles pas faire grandir la moralité de l'auteur et du public ? Qu'il y ait, je l'accorde, quel-


ques esprits badins el frivoles, dont les récits ou les productions amusent dans les moments perdus; mais qu'ils soient eu petit nombre dans une littérature, et surtout qu'ils soient amusants I

Enfin, souvenons-nous que l'homme marche avant le littérateur, mais aussi que le grand écrivain, comme le chef politique, par l'autorité de son exemple et de sa parole, vaut à lui seul plusieurs hommes. Il a aussi plus de mérite à vaincre son coeur que le simple citoyen, car quiconque a eu plus de combats à rendre, vainqueur recueillera plus de gloire et un bonheur inaltérable. Le public, toujours juste à la longue, tient compte aux hommes supérieurs par leur position et leurs talents, des périls qu'ils ont courus el surmontés; el les vertus des grands écrivains ont toujours reçu de la postérité leur tribu légitime d'hommages. Que cette gloire est encourageante ! Quelle plus noble ambition que celle de conduire les hommes à la vertu en charmant leur esprit? Mais reconnaissons aussi que la philosophie, la religion et la liberté ne suffisent pas à former une bonne littérature ; il faut y joindre l'imagination, le sentiment des convenances sociales et littéraires, et le tact grammatical, qui ne peut se développer que par l'étude du Bon Usage.


NOTE DU CHAPITRE IX.

J'ai parlé de la version des Psaumes par Conrart. Voici deux passages de cette version trop peu connue et trop peu appréciée ; on y reconnaîtra la belle langue du dix-septième siècle.

Psaume 90.

Toujours, Seigneur , tu fus notre retraite,

Notre secours, notre sflre défense ;

Avant qu'on vît des hauts monts la naissance,

Et même avant que la terre fût faite,

Tu fus toujours vrai Dieu comme tu l'es,

Et comme aussi lu dois l'être à jamais.

D'un mot tu peux nos faibles corps dissoudre. Si tu nous dis : Créatures mortelles I Cesser de vivre et retournez en poudre. Mille ans k loi qui l'Éternel l'appelles Sont comme à nous le jour d'hier qui luit, Ou seulement une veille en la nuit.

Dès que sur eux tu fais tomber l'orage,

Ils s'en vont tous comme un songe qui passe

Qu'avec le jour un prompt réveil efface ;

Ou, comme aux champs, on voit un vert herbage,

Frais le matin, dans sa plus belle fleur,

Perdre le soir sa grlice et sa couleur.

Ces strophes montrent la grâce de l'inversion dans la poésie noble, et prouvent qu'il est possible, qu'il n'est pas choquant d'entrelacer des rimes féminines.

Psaume 10 A.

Tl faut, mon tinte, il faut avec ardeur De l'Eternel célébrer la grandeur.


Dieu Tout-Puissant, seul digne de mémoire,

Je te contemple environné de gloire,

Ceint de lumière et paré richement

De ta splendeur comme d'un vêtement.

Pour pavillon à ta majesté sainte,

Ta main forma des cienx la vaste enceinte.

Ton haut palais est d'eaux tout lambrisS", Pour toi la nue est u.i char exhaussé ; Les vents ailés, lorsque tu le promènes, Pour te porter redoublent leurs haleines, De ces esprits aussi prompts que légers Quand il te phùt tu fais tes messagers; Et, si tu veux exercer ta justice, Les feux biûlanssont prêts à ton service.

Tu fis la terre et l'assis fermement. ., -

■I» Son propre poids lui sert de fondement ;

Iticn ne l'ébranlé, et l'on la voit paraître

Telle aujouid'hui qu'an jour qui la vit naitie.

Auparavant d'un grand abîme d'eau

Tu la couvrais comme d'un noir manteau.

Les eaux lloltoient encor sur les montagnes

Comme elles fout dans les basses canipagnes.

Mais d'un seul mot, qu'il le plul prof'urer, Toutes soudain lu lus fis retirer; Ta forte voix, qui forme le tonnerre, Avec frayeur leur fil quitter la terre ; Alors on vit mille monts se hausser, Mille vallons à leurs pieds s'abaisser, Tous se hâtant pour occuper la place Qu'il t'avait plu leur marquer par ta grâce.

la mer alors sous tes yeux se forma, Et dans ses bords toute se renferma, IN'osant franchir les bornes éternelles Qui de ses flots sont les gardes fidèles. Entre les monts tu fis sourdre les eaux. Tu fis partout couler mille ruisseaux, Qui, descendant des plus hautes collines, Vont réjouir les campagnes voisines.


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Là, quand le jour commence d'éclairer, Les animaux vont se desaltérer; Tous à l'envi, même l'âne sauvage, Courent en foule à ce commun breuvage. Le long des bords de ces ruisseaux courants On voit voler mille oiseaux différents, Qui, se posant sous le sombre feuillage, Font tour-à-tour entendre leur ramage.

Tu fis la lune et tu réglas son cours , Pour nous marquer et les mois et les jours ; Et le soleil, au moment qu'il se lève, Sait où le soir sa carrière s'achève. Tu couvres l'air d'un voile ténébreux, Qui de la nuit rend le visage affreux ; Et c'est alors que les bêtes sauvages , Sortant des bois, cherchent les pâturages.

Le lionceau, dans son besoin pressant, Après la proie en fureur rugissant, A toi, Seigneur, auleur de la nature, Pousse des cris pour avoir sa pâture. Puis, le soleil nous ramenant le jour, Tigres , lions, rentrent dans leur séjour ; Tous s'en revont dans leur demeure sombre. Pour y trouver du repos et de l'ombre.



LA DEFENSE ET ILLUSTRATION

DB

LA LANGUE FRANCOYSE.

PAR JOACHIM DU BELLAY.


L'autheur prye les lecteurs différer leur jugement jusques à la fin du livre, et ne le condamner sans avoir premièrement bien veu, et examiné ses raisons.

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A MONSEIGNEUR

^f,e &i?eveï'enddjta7/e lbarac?ia6rut SveiMiy,, ^y.

Veu le personnaige que tu joues au spectacle de toute l'Europe, voyre de tout le monde, en ce grand théâtre romain ; veu tant d'affaires et telz, que seul quasi lu soutiens : ô l'honneur du sacré Collège ! pecheroy'-je pas (comme dit le Pindare latin) contre le bien publicq', si par longues paroles j'empeschoy' le tensque tu donnes au service de ton Prince, au profit de la patrie, et à l'accroissement de ton immortelle renommée? Epiant donques-quelque heure de ce peu de relaiz, que tu prens pour respirer soubz le pesant faiz des affaires francoyses (charge vrayement digne de si robustes épaules, non moins que le ciel de celle du grand Hercule), ma Muse a pris la hardiesse d'entrer au sacré cabinet de tes saintes et studieuses occupations : et la, entre tant de riches et excellens voeuz de jour en jour dédiez à l'image de la grandeur, pendre le sien humble et petit, mais toutesfois bien heureux, s'il rencontre quelque faveur devant les yeux de ta bonté, semblable à celle des Dieux immortelz, qui n'ont moins agréables les pauvres presentz d'un bien riche vouloir que ces superbes et ambicieuses offrandes. C'est en effect, la Deffence et Illustration de nostre langue francoyse ; à l'entreprise de laquele rien ne m'a induyt, que l'affection naturelle envers ma patrie ; et


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à te la dédier, que la grandeur de ton nom : afin qu'elle se cache (comme soubz le bouclier d'Ajax) contre les iraiclz envenimez de cesle antiquecnncmye de vertu, soubz Tumbre de tes esles; de toydy-je, dont l'incomparable scavoir, vertu, et conduyte, toutes les plus grandes choses, de si long tens de tout le monde sont expérimentées, que je ne les scauroy' plus au vif exprimer, que les couvrant (suyvant la ruse de ce noble peintre Tymante) soubz le voyle de silence, pource, que d'une si grande chose il vault trop myeux, comme de Carlhage disoit T. Live, se taire du tout, que d'en dire peu. Recoy donques avecques ceste accoutumée bonté, qui ne te rend moins amyable entre les plus petiz que ta vertu et auctorité vénérable entre les plus grands, les premiers fruictz, ou pour myeulx dire, les premières fleurs du printens de celuy, qui, en toute révérence et humilité, bayse les mains de ta R. S. ; priant le Ciel te départir autant d'heureuse et longue vie, et à tes haultes entreprises estre autant favorable, comme envers toy il a été libéral, voyre prodigue de ses grâces. A Dieu, de Paris ce. 15. de Février, 15A9.


LA DEFENSE ET ILLUSTRATION

DE

LA LANGUE FRANCOYSE.

LIYRE PREMIER.

CHAPITRE I". — De l'Origine des Langues.

Si la Nature (dont quelque personnaige de grand'renommée non sans rayson a douté si on la devoit appeller mère ou marâtre) eust donné aux hommes un commun vouloir et consentement, outre les innumerables commoditez qui enfeussent procedées, l'inconstance humaine n'eust eu besoing de se forger tant de manières de parler ; laquéle diversité et confusion se peut à bon droict appeller la Tour de Babel.

Donques les Langues ne sont nées d'elles mesmes en façon d'herbes, racines et arbres , les unes infirmes et débiles en leurs espèces, les autres saines et robustes et plus aptes à porter le faiz des conceptions humaines ; mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortelz. Cela, ce me semble, est une grande raison pourquoy on ne doit ainsi louer une langue, et blâmer l'autre , veu qu'elles viennent toutes d'une mesme source et origine, c'est la fantasie des hommes ; et ont été formées d'un mesme jugement, à une mesme fin , c'est pour signifier entre nous les conceptions et intelligences de l'esprit. Il est vray que par succession detens, les unes, pour avoir été plus curieusement reiglées, sont devenues plus riches que les autres : mais cela ne se doit attribuer à la félicité desdites langues, ains au seul artifice et industrie des hommes. Ainsi doneques toutes les choses


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que la nature a crées, tous les ars et sciences, en toutes les quatre parties du monde, sont chacune endroict soy une mesme chose ; mais pource que les hommes sont de divers vouloir, ilz en parlent et écrivent diversement.

A ce propos, je ne puis assez blâmer la sotte arrogance et témérité d'aucuns de notre nation, qui n'etans rien moins que Grecz ou Latins, deprisent et rejetent d'un sourcil plus questoïque toutes choses écrites en francois ; et ne me puys assez émerveiller de l'étrange opinion d'aucuns scavans, qui pensent que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition, comme si une invention pour le languaige seulement devoit estre jugée bonne ou mauvaise. A ceux la je n'ay entrepris de satisfaire ; à ceux-cy je veux bien, s'il m'est possible, faire changer d'opinion par quelques raisons, que brefvemcnt j'espère deduyre: non que je me sente plus cler voyant en cela ou autres choses qu'ilz ne sont, mais pource que l'affection qu'ilz portent aux langues estrangieres, ne permet qu'ilz veillent faire sain et entier jugement de leur vulgaire.

CHAPITRE II.—Que la Langue francoyse ne doit estre nommée barbare.

Pour commencer donques à entrer en matière, quand à la signification de ce mot Barbare : Barbares anciennement etoint nommez ceux qui ineptement parloint grec. Car comme les étrangers venans à d'Athènes s'efforcoint de parler grec, ils tumboint souvent en ceste voix absurde ^lp§«p«c. Depuis les Grecz Iransportarent ce nom aux meurs brutaux et cruelz, appelant toutes nations, hors la Grèce, Barbares ; ce qui ne doit en rien diminuer l'excellence de notre langue, veu que ceste arrogance greque, admiratrice seulement de ses inventions, n'avoit loy ny privilège de légitimer ainsi sa nation, et abâtardir les au-


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très, comme Anacharsis disoit que les Scythes etoint barbares entre les Athéniens, mais les Athéniens aussi entre les Scythes. Et quand la barbarie des meurs de nolz ancéstres eust deu les mouvoir à nous apeller Barbares, si est ce que je ne voy point pourquoy on nous doive maintenant estimer telz, veu qu'en civilité de meurs, équité de loix, magnanimité de couraiges, bref, en toutes formes et manières de vivre, non moins louables que profitables, nous ne sommes rien moins qu'eux, mais bien plus, veu qu'ilz sont telz maintenant, que nous les pouvons justement apeller par le nom qu'ilz ont donné aux autres. Encores moins doit avoir lieu, de ce que les Romains nous ont appeliez Barbares, veu leur ambition et insatiable faim de gloyre, qui tachoint non seulement à subjuger, mais à rendre toutes autres nations viles et abjectes auprès d'eux, principalement les Gauloys, dont ilz ont rcccu plus de honte et dommaigeque des autres.

A ce propos, songeant beaucoup de foys d'où vient que les gestes du peuple romain sont tant célébrés de tout le monde, voyre de si long intervale préférés à ceux de toutes les autres nations ensemble, je ne treuve point plus grande raison que ceste cy : c'est que les Romains ont eu si grande multitude d'écrivains, quelaplus part de leur [leurs] gestes (pour ne dire pis) par l'espace de tant d'années, ardeur de batailles, vastité d'Italie, incursions d'estrangers, s'est conservée entière jusques à nostre tens. Au contraire les faiz des autres nations, singulièrement des Gauloys, avant qu'ilz tumbassent en la puyssance des Francoys, et les faiz des Francoys mesmes, depuis qu'ilz ont donné leur nom aux Gaules, ont été si mal recueilliz, que nous en avons quasi perdu non seulement la gloire, mais la memoyre (1). A quoy à bienaydé l'envie

« Atheniensium resgestoe, sicuti ego cxistumo, satis amplx, magnifiexque l'uere; verum aliquànlo minores tamen quam famâ feruntur. Sed quia provcnere ibi scriplorummagnaingenia, perterrarum orbem Atbeniensium facta pro maxumis celebrantur. Ita eoruai qui ea fecere vir6

vir6


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des Romains, qui comme par une certaine conjuration conspirant contre nous, ont exténué en tout ce qu'ilz ont peu notz louanges beOiques, dont ilz ne pouvoinl endurer la clarté ; el non seulement nous ont fait tort en cela, mais pour nous rendre cncor' plus odieux et contemplibles, nous ont apellez brutaux, cruelz el Barbares. Quelqu'un dira, pourquoy onl-ilz exempté lesGrecz de ce nom? pource qu'ilz se feussent fait plus grand tort qu'aux Grecz mcsmcs, dont ilz avoint emprunté tout ce qu'ilz avoint de bon, au moins quand aux sciences ci illustration de leur langue. Ces rajsons me semblent suffisantes de faire entendre à tout équitable estimateur des choses que nostre langue (pour avoir été nommes Barbares ou de noï ennemis, ou de ceux qui n'avoint loy de nous bailler ce nom) ne doit pourtant estre deprisée mesmes de ceux aux quelz elle est propre cl naturelle, et qui en rien ne sont moindres que les Grecz ou Romains.

CHAPITRE 111.—Pourquoi/ la Langue francoyse n'est si riche que la greque et latine.

Et si nostre langue n'est si copieuse et riche que la greque ou latine, cela ne doit estre imputé au défailli d'icelle, comme si d'elle mesme elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et stérile : mais bien on le doit attribuer à l'ignorance de notz majeurs, qui ayans (comme dict quelqu'un, parlant des anciens Romains) en plus grande recommandation le bien faire que le bien dire, et mieux aymans laisser à leur postérité les exemples de vertu que les pretus

pretus habetur, quantum verbis tam potuerc extullere proeclaia ingénia. At popolo romano nunquaui ca copia fuit.»

S.ti.i.usr., Ilclt. Catit., cli. S.


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ceptes, se sont privez de la gloire de leurs bien failz (1), el nous dufruictdc l'immilation d'iceux : et par mesme moyen nous ont laissé nostre langue si pauvre et nue, qu'elle a bcsoing des ornementz, (et s'il fault ainsi parler) des plumes d'autruy.

Riais qui voudrait dire que la greque et romaine eussent tousjours été en l'excellence qu'on les a vues du lens d'Homère et de Demosthcne, de Virgile et de Ciceron ? El si ces aucteurs eussent jugé que jamais pour quelque diligence et culture qu'on y eust peu faire, elles n'eussent sceu produyre plus grand fruict, se feussent ilz tant eforcez de les mettre au point ou nous les voyons maintenant ? Ainsi puys-je dire de nostre langue, qui commence encores à fleurir sans fructifier, ou plus tost, comme une plante et vergeltc, n'a point encores fleury, tant se fault qu'elle ait apporté tout le fruict qu'elle pouroit bien produyre. Cela certainement non pour le defaultde la nature d'elle, aussi apte à engendrer que les autres, mais pour la coulpe de ceux qui l'ont eue en garde, et ne l'ont cultivée à suffisance : ains comme une plante sauvaige, en celuy mesme désert ou elle avoit commencé à naiire, sans jamais Parrouser, la tailler, ny défendre des ronces et épines qui luy faisoinl timbre, l'ont laissée envicillir et quasi mourir. Que si les anciens Romains eussent clé aussi negligens à la culture de leur langue quand premièrement elle commença à pululer, pour certain en si peu de tens elle ne feusl devenue si grande. Mais eux, en guise de bons agriculteurs, l'ont premièrement transmuée d'un lieu sauvaige en un domestique ; puis affin que plus tost et mieux elle peust fructifier, coupant à l'entour les inutiles rameaux, l'ont pour échange d'iceux restaurée de rameaux francz et domestiques magistralement tirez de la langue greque, les quelz soudainement se sont si bien entez et faiz semblables à

(i) « Oplumus quisque facete quam dicere, sua ab aliis benefacla laudari, quam ipse aliorum uarrare malebat. »

SALUJST. Bell. Calil. , ch. 8.


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leur tronc, que désormais n'apparoissent plus adoptifz, mais naturel. De la sont nées en la langue latine ces fleurs et ces fruictz colorez de cete grande éloquence, avec ces nombres et cete lyaison si artificielle, toutes lesquelles choses, non tant de sa propre nature que par artifice, toute langue a coutume de produyre.

Donques si les Grecz et Romains, plus diligcns à la culture de leurs langues que nous à celle de la nostre, n'ont peu trouver en icelles, sinon avecques grand labeur et industrie, ny grâce, ny nombre, ny finalement aucune éloquence, nous devons nous émerveiller si nostre vulgaire n'est si riche comme il pourra bien estre, et de la prendre occasion de le mépriser comme chose vile et de petit prix? Le lens viendra, peut estre, el je Pcspcre moyennant la bonne destinée francoyse, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et que nostre langue (si avecques Francoys n'est du tout ensevelie la langue francoyse) qui commence encor' à jeter ses racines, sortira de terre, et s'elcvera en telle hauteur et grosseur, qu'elle se poura égaler aux mesmes Grecz et Romains, produysant comme eux des Homeres, Demosthenes, Virgiles et Cicerons, aussi bien que la France a quelquesfois produit des Pericles, Nicies, Alcibiades, Themistoclcs, Césars et Scipions.

CHAPITRE IV. — Que la Langue francoyse n'est si pauvre que beaucoup l'estiment.

Je n'estime pourtant nostre vulgaire, tel qu'il est maintenant, estre si vil etabject, comme le font ces ambicieux admirateurs des langues greque et latine, qui ne penseroint, et feussent ilz la mesme Pithô déesse de persuasion, pouvoir rien dire de bon, si n'etoit en langaige étranger et non entendu du vulgaire. El qui voudra de bien près y regarder, trouvera que nostre langue francoyse n'est si pauvre qu'elle ne puysse rendre fidèlement ce qu'elle


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emprunte des autres; si infertile, qu'elle ne puysse produyre de soy quelque fruict de bonne invention, au moyen de l'industrie et diligence des cultiveurs d'icelle, si quelques uns se treuvent tant amys de leur pays et d'eux mesmes qu'ilz s'y veillent employer.

Mais à quij.apres Dieu, rendrons nous grâces d'un tel bénéfice, sinon à nostre feu bon roy et père Francoys premier de ce nom et de toutes vertuz ? Je dy premier, d'autant qu'il a en son noble royaume premièrement restitué tous les bons ars et sciences en leur ancienne dignité ; et si à nostre langaige, au paravant scabreux et mal poly, rendu élégant, et si non tant copieux, qu'il poura bien estre pour le moins fidèle interprète de tous les autres. Et qu'ainsi soit, philosophes, historiens, medicins, poètes, orateurs grecz et latins ont appris à parler francois.

Que diray-je des Hébreux ? Les saintes lettres donnent ample temoingnaigedece que je dy. Je laisseray encest endroict les superstitieuses raisons de ceux qui soutiennent que les mystères de la théologie ne doyvent estre découverts et quasi comme prophanez en langaige vulgaire, et ce que vont alléguant ceux qui sont d'opinion contraire ; car ceste disputation n'est propre à ce que j'ay entrepris, qui est seulement de montrer que nostre langue n'a point eu à sa naissance les dieux et les astres si ennemis qu'elle ne puisse un jour parvenir au poinct d'excellence et de perfection, aussi bien que les autres, entendu que toutes sciences se peuvent fidèlement et copieusement traicter en icelle, comme on peut voir en si grand nombre de livres grecz et latins, voire bien italiens, espaignolz et autres, traduictz en francoys par maintes et excellentes plumes de nostre tens.


— SG —

CHAPITRE V. — Que les Traductions ne sont suffisantes pour donner perfection à ta langue francoyse.

Toutesfois ce tant louable labeur de traduyre ne me semble moyen unique el suffisant pour élever nostre vulgaire à l'égal et parangon des autres plus fameuses langues ; ce que je prêtons prouver si clerement, que nul n'y vouldra, ce croy je, contredire, s'il n'est manifeste calumniateur de la vérité.

Et premier, c'est une chose accordée entre tous les meilleurs aucteurs de rethorique, qu'il y a cinq parties de bien dire, l'invention, l'eloquution, la disposition, la mémoire et la pronunliation. Or pour autant que ces deux dernières ne s'aprennent tant par le bénéfice des langues, comme elles sont données à chacun selon la félicité de sa nature, augmentées et entretenues par studieux exercice et continuelle diligence; pour autant aussi que la disposition gist plus en la discrétion et bon jugement de l'oraleur qu'en certaines reigles et préceptes, veu que les evenementz du tens, la circunslancc des lieux, la condition des personnes et la diversité des occasions, sont innumerables : je me contenteray de parler des deux premiers, scavoir de l'Invention et de l'Eloquiition.

L'office donques de l'orateur est de chacune chose proposée élégamment et copieusement parler. Or ceste faeullé de parler ainsi de toutes choses ne se peut acquérir que par l'intelligence parfaite des sciences, les queles ont été premièrement traitées par les Grecz, et puis par les Romains imitateurs d'iceux. Il fault donques nécessairement que ces deux langues soint entendues de celuy qui veut acquérir cete copie et richesse d'invention, première et principale pièce du harnoys de l'oraleur. Et quand à ce poincl, les fidèles traducteurs peuvent grandement servir, et soulaiger ceux qui n'ont le moyen unique de vacquer aux langues estrangeres.

M ais quand à l'Eloquittion, partie certes la plus difficile el sans la quelle toutes attires choses restent comme inutiles et sembla-


— 87 — blés à un glayve encores couvert de sa gayne, l'eloquutton, dy je, par la quelle principalement un orateur est jugé plus excellent, et un genre de dire meilleur que l'autre, comme celle dont est apellée la mesme éloquence, et dont la vertu gistauxmotz propres, usitez et non aliènes du commun usaige de parler, aux métaphores, alegories, comparaisons, similitudes, énergies, et tant d'autres figures et ornemens, sans les quelz tout oraison et poëme sont nudz, manques et débiles : je ne croyray jamais qu'on puisse bien apprendre tout cela des traducteurs, pour ce qu'il est impossible de le rendre avecques la mesme grâce dont l'aulheur en a usé ; d'autant que chacune langue a je ne scay quoy propre seulement à elle, dont si vous efforcez exprimer le naïf en une autre langue, observant la loy de traduyre, qui est n'espacier point hors des limites de l'aucteur, vostre diction sera contrainte, froide est [et] de mauvaise grâce. Et qu'ainsi soit, qu'on me lyse un Demosthene et Homère latins, un Ciceron et Vergile francoys, pour voirs'ilz vous engendreronttelles affections, voire ainsi qu'un Prolhée vous transformeront en diverses sortes, comme vous sentez, lisant ces aucteurs en leur langues : il vous semblera passey [passer] de l'ardente montaigne d'Aetne sur le froid sommet de Caucase. Et ce que je dy des langues latine et greque, ce [se] doit réciproquement dire de tous les vulgaires, dont j'allegueray seulement un Pétrarque, duquel j'ose bien dire, que si Homère et Virgile renaissans avoint entrepris de le traduyre, ilz ne le pouroint rendre avecques la mesme grâce et naïfveté, qu'il est en son vulgaire toscan. Toutesfois quelques uns de notre tens ont entrepris de le faire parler francoys.

Voyla en bref les raisons, qui m'ont fait penser que l'office et diligence des traducteurs, autrement fort utile pour instruire les ignorans des langues étrangères en la congnoissance des choses, n'est suffisante pour donner à la nostre ceste perfection, et comme font les peintres à leur tableaux, ceste dernière main que nous desirons. Et si les raisons que j'ay alléguées ne semblent assez fortes, je produiray pour mes garans et deffenscurs les anciens


aucteurs romains, poètes principalement el orateurs, les quelz (combien que Ciceron ait traduyt quelques livres de Xenophon et d'Arate, et qu'Horace baille les préceptes de bien traduyre) ont vacqué à ceste partie plus pour leur étude et profit particulier, que pour le publier à l'amplification de leur langue, à leur gloire, et commodité d'auu-uy. Si aucuns ont veu quelques oeuvres de ce tcns la, soubz tiltre de traduction, j'entens de Ciceron, de Virgile, et de ce bienheureux siècle d'Auguste, ilz me pourroint démentir de ce que je dy.

CHAPITRE VI. — Des mourais Traducteurs, et de ne traduyre tes poètes.

Mais que diray-jed'aucuns, vrayement mieux dignes d'estre appelles traditeurs que traducteurs ? veu qu'ilz trahissent ceux qu'ilz entreprennent exposer, les frustrant de leur gloire, et par mesme moyen seduysent les lecteurs ignorans, leur montrant le blanc pour le noyr ; qui, pour acquérir le nom de scavans, traduysent à credict les langues, dont jamais ilz n'ont entendu les premiers elementz, comme l'hébraïque et la grecque ; et encor' pour myeux se faire valoir, se prennent aux poètes, genres d'aucteurs certes, auquel si je scavoy, ou vouloy'traduyre, je m'addroisseroy' aussi peu, à cause de ceste divinité d'invention, qu'ilz ont plus que les autres, de ceste grandeur de style, magnificence de motz, gravité de sentences, audace et variété de figures, el mil' autres lumières de poésie, bref ceste énergie, et ne scay quel esprit, qui est en leurs escriz, que les Latins appelleraient Genius, toutes les quelles choses se peuvent autant exprimer en traduisant, comme un peintre peut représenter l'ame avec le cors de celuy qu'il entreprend tyrer après le naturel ?

Ce que je dy ne s'adroisse pas à ceux, qui, par le commandement des princes et grands seigneurs, Iraduyscnt les plus fameux


-8gpoêles

-8gpoêles et latins, pource que l'obéissance qu'on doit à telz personnaiges ne reçoit aucune excuse en cet endroit : mais bien j'entens parler à ceux qui de gayeté de coeur (comme on dict) entreprennent telles choses légèrement, et s'en aquitent de mesme. O Apolon ! O Muses ! prophaner ainsi les sacrées reliques de l'antiquité ? Mais je n'en diray autre chose. Celuy donques qui voudra faire oeuvre digne de prix en son vulgaire, laisse ce labeur de traduyre, principalement les poètes, à ceux qui de chose laborieuse et peu profitable, j'ose dire encor' inutile, voyre pernicieuse à l'acroissement de leur langue, emportent à bon droict plus de molestie que de gloyre.

CHAPITRE VII. — Comment les Romaùis ont enrichy leur langue.

Si les Romains, dira quelqu'un, n'ont vaqué à ce labeur de traduction, par quelz moyens donques ont ilz peu ainsi enrichir leur langue, voyre jusques àl'egaller quasi à la greque? Immilant les meilleurs auteurs grecz, se transformant en eux, les dévorant ; et, après les avoir bien digérez, les convertissant en sang et nourilure, se proposant, chacun selon son naturel et l'argument qu'il vouloit élire, le meilleur aucteur, dont ilz observoint diligemment toutes les plus rares et exquises verluz, eticelles comme grephes, ainsi que j'ai dict devant, entoint et apliquoint à leur langue. Cela faisant, dy-je, les Romains ont baty tous ces beaux ecriz, que nous louons et admirons si fort, égalant ores quelqu'un d'iceux, ores le préférant aux Grecz. Et de ce que je dy font bonne preuve Ciceron et Virgile, que voluntiers et par honneur je nomme tousjours en la langue latine, des quelz comme l'un se feut entièrement adonné à l'immitation des Grecz, contrefist et exprima si au vif la copie de Platon, la véhémence de Demosthene, ut la joyeuse douceur d'Isocrate, que Molon Rhodian l'oyant


— 9° — quelquefois déclamer, s'écria qu'il emportait l'éloquence grecque à Rome. L'autre immita si bien Homère, Hésiode et Théocrit, que depuis on a dict de luy que de ces troys il a surmonté l'un, égalé l'autre, el aproché si près de l'autre, que si la félicité des argumens qu'ils ont traitez eust esté pareille, la palme serait bien douteuse.

Je vous demande donq', vous autres qui ne vous employez qu'aux translations, si ces tant fameuxaucteurs se fussentamusez à traduyre, eussent-ilz élevé leur langue à l'excellence et hauteur ou nous la voyons maintenant ? Ne pensez donques, quelque diligence et industrie que vous puissiez mettre en cest endroit, faire tant que nostre langue encores rampante à terre puisse hausser la teste et s'élever sur piedz.

CHAPITRE VIII. — D'amplifier la Langue francoyse par l'immitation des anciens aucteurs greczet romains.

Se compose doncq' celuy qui voudra enrichir sa langue, à l'immitation des meilleurs aucteurs grez et latins ; et à toutes leurs plus grandes verluz, comme à un certain but, dirrigela pointe de son style : car il n'y a point de doute, que la plus grande part de l'artifice ne soit contenue en l'immitation ; et tout ainsi que ce fettt le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est-ce le plus utile de bien immiter, mesmesà ceux dont la langue n'est encor' bien copieuse et riche. Mais entende celuy qui voudra immiler, que ce n'est chose facile de bien suyvre les vertuz d'un bon aucteur, et quasi comme se transformer en luy, veu que la.nature mesme aux choses qui paraissent tressemblables, n'a sceu tant faire, que par quelque notte et différence elles ne puissent estre discernées. Je dy cecy, pour ce qu'il y en a beaucoup en toutes langues, qui, sans pénétrer aux plus cachées et intérieures parties de l'aucleur, qu'ils se sont proposé, s'adaptent seulement au premier


gi — regard, et s'amusant à la beauté des motz, perdent la force des choses. Et certes, comme ce n'est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter d'une langue étrangère les sentences et les motz, et les approprier à la sienne : aussi est ce chose grandement à reprendre, voyre odieuse à tout lecteur de libérale nature, voir en une mesme langue une telle immitatien comme celle d'aucun scavans mesmes, qui s'estiment estre des meilleurs quand plus ilz ressemblent un Heroet ou un Marot.

Je t'amonnesle doneques (o toy, qui desires l'accroissement de ta langue, et veux exceller en icelle) de non immiter à pié levé, comme n'agueres a dict quelqu'un, les plus fameux auteurs d'icelle, ainsi que font ordinairement Japlus part de notz poètes francoys, chose certes autant vicieuse, comme de nul profict à nostre vulgaire, veu que ce n'est autre chose (o grande libéralité!) sinon luy donner ce qui estoit à luy. Je voudroy' bien que nostre langue feust si riche d'exemples domestiques que n'eussions besoing d'avoir recours aux étrangers. Mais si Virgile et Ciceron sefeussent contentez d'immiter ceux de leur langue, qu'auront les Latins outre Bnnie ou Lucrèce, outre Crasse ou Anlhoine ?

CHAPITRE IX. —Rcsponsc à quelques objections

Apres avoir le plus succinlement qu'il m'a été possible, ouvert le chemin à ceux qui désirent l'amplification de notre langue, il me semble bon et nécessaire de repondre à ceux qui l'estiment barbare et irreguliere, incapable de cete élégance et copie, qui esl en la greque et romaine : d'autant, disent ilz , qu'elle n'a ses declinations, ses piez et ses nombres, comme ces deux autres langues.

Je ne veux alléguer en cet endroicl ( bien que je le peusse faire sans honle) la simplicité de notz majeurs, qui se sont contentez d'exprimer leurs conceptions avecques paroles nues, sans art et or-


— Ornement, nonimmitansla curieuse diligence des Grecz, aux quelz la Muse avoit donné la bouche ronde ( comme dict quelqu'un) c'est à dire parfaite en toute élégance et venusté de paroles, comme depuis aux Romains immitateurs des Grecz : mais je diray bien que nostre langue n'est tant irreguliere qu'on voudrait bien dire, veu qu'elle se décline, sinon par les noms, pronoms, et participes, pour le moins par les verbes, enjtous leurs tens, modes et personnes. Et si elle n'est si curieusement reiglée, ou plus tost liée est [et] gehinée en ses autres parties, aussi n'ha elle point tant d'hetheroclites et anomaux, monstres étranges de la grecque et de la latine. Quand aux piedz et aux nombres, je diray au second Livre, en quoy nous les recompensons. Et certes ( comme dict un grand auteur de rethorique, parlant de la félicité qu'ont les Grecs en la composition de leurs motz), je ne pense que telles choses se facent par la nature desdites langues, mais nous favorisons toujours les étrangers. Qui eust gardé notz anceslres de varier toutes les parties déclinables, d'allonger une syllabe et accoursir l'autre, et en faire des pieds ou des mains ? Et qui gardera notz successeurs d'observer telles choses, si quelques scavans, el non moins ingénieux de cesl aage entreprennent de les reduyre en art? comme Ciceron promettait de faire au droict civil : chose qui à quelques-uns a semblé impossible, aux autres non. Il ne fault point icy alléguer l'excellence de l'antiquité : et comme Homère se plaignoit que de son tens les cors estoint trop petiz, dire que les espris modernes ne sont à comparer aux anciens. L'architecture, l'art du navigaige et autres inventions antiques certainement sont admirables, non toutefois, si on regarde à la nécessité mère des ars, du tout si grandes qu'on doyve estimer les deux et la nature y avoir dépendu toute leur vertu, vigueur et industrie. Je ne produiray pour temoings de ce que je dy, l'imprimerie seur des Muses et dixième d'elles, et ceste non moins admirable que pernicieuse foudre d'artillerie, avecques tant d'autres non antiques inventions, qui montrent véritablement que par le long cours des siècles les espris des hommes ne


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sont point si abatardiz qu'on voudrait bien dire : je dy seulement qu'il n'est pas impossible que nostre langue puisse recevoir quelquesfoys cest ornement et artifice, aussi curieux qu'il est aux Grecz est [et] Romains. Quand au son et je ne scay quelle naturelle douceur (comme ilz disent), qui est en leurs langues, je ne voy point que nous l'ayons moindre, au jugement des plus délicates oreilles. Il est bien vray que nous usons du prescript de nature, qui pour parler nous a seulement donné la langue. Nous ne vomissons pas notz paroles de l'estommac, comme les yvroingnes; nous ne les étranglons pas de la gorge, comme les grenoilles; nous ne les découpons pas dedans le palat, comme les oyzeaux ; nous ne les siflons pas des lèvres, comme les serpens. Si en telles manières de parler gist la douceur des langues, je confesse que la nostre est rude et mal sonnante. Mais aussi avons nous cestavantaige de ne tordre point le bouche en cent mile sortes comme les singes, voyre comme beaucoup mal se souvenans de Minerve, qui jouant quelquefois de la fluste, et voyant en un myroirladeformité de ses lèvres, la jela bien loing, malheureuse rencontre aux presumptueux Marsye, qui depuis en feut ecorché.

Quoy donques, dira quelqu'un, veux-tu à l'exemple de ce Marsye, qui osa comparer sa fluste rustique à la douce lyre d'Apolon, égaler ta langue à la grecque et latine ? Je confesse que les aucteurs d'icelles nous ont surmontez en scavoir et facunde, es queles choses leur a été bien facile de vaincre ceux qui ne repugnoint point. Mais, que par longueet diligente immitation de ceux qui ont occupé les premiers ce que nature n'ha pourtant dénié aux autres, nous ne puissions leur succéder aussi bien en cela que nous avons déjà fait en la plus grand' part de leurs ars mécaniques et quelquefois en leur monarchie, je ne le dyrai pas ; car telle injure ne s'elendroit seulement contre les espris des hommes, mais contre Dieu, qui a donné pour loy inviolable à toute chose crée, de ne durer perpétuellement, mais passer sans fin d'un état en l'autre, étant la fin et corruption de l'un, le commencement et génération de l'autre. Quelque opiniâtre re-


-expliquera encores : ta langue tarde trop à recevoir ceste perfection. Et je dy que ce retardement ne prouve point qu'elle ne puisse la recevoir ; aincois je dy qu'elle se poura tenir certaine delà garder longuement, l'ayant acquise avec si longue peine, suyvant la loy de nature, qui a voulu que tout arbre qui naist, florist et fructifie bien tost, bien lost aussi cnvieillisse et meure ; et au contraire, celuy durer par longues années, qui a longuement travaillé à jeter ses racines.

CHAPITRE X. — Que la Langue francoyse n'est incapable de la philosophie, et pourquoy les anciens estoint plus scavans que les homines de notre aage.

Tout ce que j'ay dict pour la défense et illustration de notre langue, apartient principalement à ceux qui font profession de bien dire, comme les poètes et les orateurs. Quand aux autres parties de lilerature, el ce rond de sciences, que les Grecz ont ont nommé Encyclopédie, j'en ay touché au commencement une partie de ce que m'en semble : c'est que l'industrie des fidèles traducteurs est en cest endroict fort utile et nécessaire ; et ne les doit retarder, s'ilz rencontrent quelquefois des motz qui ne peuvent estrereceus en la famille francoyse, veu que les Latins ne se sont point eforcez de traduyre tous les vocables grecz, comme rhétorique, musique, arithmétique, géométrie, phylosophie, et quasi tous les noms des sciences, les noms des figures, des herbes, des maladies, la sphère et ses parties, et generallement la plus grand' part des termes usitez aux sciences naturelles et mathématiques. Ces motz la donques seront eu notre langue comme étrangers en une cité, aux quels toutesfois les periphrazes serviront de truchementz. Encores seroy' je bien d'opinion que le scavant translateur fist plus tost l'office de paraphraste que de traducteur, s'efforceant donner à toutes les sciences qu'il voudra


- 95 - traiter, l'ornement et lumière de sa langue, comme Ciceron se vante d'avoir fait en la phylosophie, et à l'exemple des Italiens, qui l'ont quasi toute convertie en leur vulgaire, principalement la Platonique. Et si on veut dire que la phylosophie est un faiz d'autres épaules que de celles de notre langue, j'ay dict au commencement de cet oeuvre, et le dy encores, que toutes langues sont d'une mesme valeur, et des mortelz à une mesme fin, d'un mesme jugement formées. Parquoy ainsi comme sans muer de coutumes ou de nation, le Francoys et l'Alemant, non seulement le Grec ou Romain, se peut donner à phylosopher : aussi je croy qu'à un chacun sa langue puysse competemment communiquer toute doctrine.

Donques si la phylosophie semée par Aristote et Platon au fertile champ atique était replantée en notre pleine francoyse, ce ne serait la jeter entre les ronces et espines, ou elle devint stérile ; mais ce serait la faire de loingtaine, prochaine, et d'étrangère, citadine de notre republique. Et paravanlure ainsi que les episseries et autres richesses orientales que l'Inde nous envoyé, sont mieulx congnues et traitées de nous, et en plus grand prix qu'en l'endroict de ceux qui les sèment ou recueillent : semblablement les spéculations philosophiques deviendraient plus familières qu'elles ne sont ores, et plus facilement seraient entendues de nous, si quelque scavant homme les avoit transportés de grec et latin en notre vulgaire, que de ceux qui les vont (s'il fault ainsi parler ) cueillir aux lieux ou elles croissent.

Et si on veut dire que diverses langues sont aptes à signifier diverses conceptions, aucunes les conceptions des doctes, autres celles des indoctes; et que la grecque principalement convient si bien avecques les doctrines, que pour les exprimer il semble qu'elle ait été formée de la mesme nature, non de l'humaine providence : je dy qu'icelle nature, qui en tout aage, en toute province, en toule habitude, est tousjours une mesme chose, ainsi comme voluntiers elle s'exerce son art par tout le monde, non moins en la terre qu'au ciel, et pour estre enlentive à la produc-


- 9<3 - tion des créatures raisonnables, n'oublie pourtant les «raisonnables, mais avecques un égal artifice engendre cetes cy et celles la: aussi est elle digne d'eslrecongnue et louée de toutes personnes et en toutes langues. Les oyzeaux, les poissons et les bestes terrestres de quelquonque manière, ores avecques un son, ores avecques l'autre, sans distinction de paroles, signifient leurs affections : beaucoup plus tost nous hommes devrions faire le semblable, chacun avecques sa langue, sans avoir recours aux autres. Les écritures et langaiges ont été trouvez, non pour la conservation de la nature, la quelle (comme divine qu'elle est) n'a mestierde nostre ayde : mais seulement à nostre bien et utilité, affin que presens, absens, vyfs et mors, manifestans l'un à l'autre le secret de notz coeurs, plus facilement parvenions à notre propre félicité, qui gist en l'intelligence des sciences, non point au son des paroles: et par conséquent celles langues et celles écritures devroint plus estre en usaige, les queles on apprendrait plus facilement.

Las! et combien serait meilleur qu'il y eust au monde un seul langaige naturel, que d'employer tant d'années pour apprendre des motz ! et ce jusques à l'aage bien souvent que nous n'avons plus ny le moyen, ny le loisir de vaquer à plus grandes choses. Et certes songeant beaucoup de foys d'où provient que les hommes de ce siècle généralement sont moins scavans en toutes sciences et de moindre prix que les anciens, entre beaucoup de raysons jetreuve cete-cy, que j'oseroy' dire la principale, c'est l'étude des langues greque et latine. Car si le tens que nous consumons à apprendre les dites langues estoit employé à l'étude des sciences, la nature certes n'est point devenue si brehaigne, qu'elle n'enfentast de nostre'tens des Platons et des Aristotes. Mais nous, qui ordinairement affectons plus d'estre veuz scavans que de l'estre, ne consumons pas seulement nostre jeunesse en ce vain exercice,, mais comme nous repentans d'avoir laissé le berseau et d'estre devenuz hommes, retournons encor' en enfance, et par l'espace de xx ou xxx ans ne faisons autre


— 97 — chose qu'apprendre à parler, qui grec, qui latin, qui hébreu. Les quelz ans finiz, et finie avecques eux ceste vigueur et promptitude, qui naturellement règne en l'esprit des jeunes hommes, alors nous procurons estre faictz phylosophes, quand pour les maladies, troubles d'afaires domestiques, et autres empeschementz qu'ameine le tens, nous ne sommes plus aptes à la spéculation des choses. Et bien souvent étonnez de la difficulté et l'ongueur [longueur] d'apprendre des motz seulement, nous laissons tout par desespoir, et hayons les lettres premier que nous les ayons goûtées, ou commencé à les aymer.

Faut il donques laisser l'étude des langues ? Non : d'autant que les ars et sciences sont pour le présent entre les mains des Grecz et Latins. Mais il se devrait faire à l'avenir qu'on peust parler de toute chose par tout le monde et en toute langue. J'entens bien que les proflesseurs des langues ne seront pas de mon opinion, encores moins ces vénérables Druydes, qui pour l'ambicieux désir qu'ilz ont, d'estre entre nous ce qu'estait le philosophe Anacharsis entre les Schytes, ne craignent rien tant que le secret de leurs mystères, qu'il fault apprendre d'eux, non autrement que jadis les jours des Chaldëes, soit découvert au vulgaire, et qu'on ne crevé (comme dict Ciceron) les yeux des corneilles. A ce propos, il me souvient avoir ouy dire maintesfois à quelques uns de leur académie, que le roy Francoys (je dy celuy Francoys, à qui la France de doit moins qu'à Auguste Romme), avoit deshonoré les sciences, et laissé les doctes en mespris. O tens! ô moeurs! b crasse ignorance! n'entendre point que tout ainsi qu'un mal, quand il s'etent plus loing est d'autant plus pernicieux, aussi est un bien plus profitable, quand plus il est commun ! Et s'ilz veulent dire (comme aussi disent ilz) que d'autant est un tel bien moins excellent et admirable entre les hommes, je repondray qu'un si grand appétit de gloire et une telle envie [ne] devrait régner aux coulomnes de la republique chrestienne, mais bien en ce roy ambicieux, qui se plaignoit à son maistre pource qu'il avait divulgué les sciences acroamatiques, c'està dire,

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- 9» ~ qui ne se peuvent apprendre que par l'audition du précepteur. Mais quoy ? ces geans ennemis du ciel, veulent ilz limiter la puissance des dieux, et ce qu'ilz ont par un singulier bénéfice donné aux hommes, restreindre et enserrer en la main de ceux qui n'en scauroient faire bonne garde? Il me souvient de ces reliques, qu'on voit seulement par une petite vitre, et qu'il n'est permis toucher avecques la main. Ainsi veullentilz faire de toutes les disciplines, qu'ilz tiennent enfermées dedans les livres greczs el latins, ne permettant qu'on les puisse voir autrement, ou les transporter de ces paroles mortes en celles qui sont vives et volent ordinairement par les bouches des hommes.

J'ay (ce me semble) deu assez contenter ceux qui disent que nostre vulgaire est trop vil et barbare pour traiter si hautes matières que la philosophie. Ets'ilz n'en sont encores bien satisfaiz, je leur demanderay pourquoy donques ont voyaigé les anciens Grecz par tant de païz cl dangers, les uns aux Indes pour voir les Gymnosophisles, les autres en Egypte pour emprunter de ces vieux prestre» et prophètes ces grandes richesses, dont la Grèce est maintenant si superbe? Et toutesfois ces nations, ou la phylosophie a si voluntiers habité, produysoint (ce croy-je) des personnes aussi barbares et inhumaines que nous sommes, et des paroles aussi étranges que les nostres. Bien peu me soucyroy-je de l'elegance d'oraison qui est en Platon et en Aristotc, si leurs livres sans rayson etoint ecriz. La phylosophie vrayement les a adoptez pour ses filz, non pour estre nez en Grèce, mais pour avoir d'un hault sens bien parlé et bien écrit d'elle. La vérité si bien par eux cherchée, la disposition et l'ordre des choses, la sententieuse breveté de l'un et la divine copie de l'autre est propre à eux, el non à autres; mais la nature, dont ils ont si bien parlé, est mère de tous les autres, et ne dédaigne point se faire congnoilre à ceux qui procurent avecques toute industrie entendre ses secrets, non pour devenir Grecz, mais pour estre faiz phylosophes. Vray est que pour avoir les ars el sciences tousjour.s été en


— 99 — la puissance des Grecz et Romains, plus studieux de ce qui peut rendre les hommes immortelz que les autres, nous croyons qlic par eux seulement elles puyssent et doyvent eslre traictées. Mais le tens viendra paraventure (et je suplye au Dieu tresbon et tresgrand que ce soit de nostre aage) que quelque bonne personne, non moins hardie qu'ingénieuse et scavante, non ambitieuse, non craignant l'envie ou hayne d'aucun, nous otera cete faulse persuasion donnant à noire langue la fleur et le fruict des bonnes lettres; autrement si l'affection, que nous portons aux langues étrangères (quelque excellence qui soit en elles), empeschoit cete notre si grande félicité, elles serai nt dignes véritablement lion d'envie mais de hayne, non de fatigue mais de fascherie; elles seroint dignes finalement d'estre non apprises, mais reprises de ceux qui ont plus de besoing du vif intellect de l'esprit que du son des paroles mortes.

Voyla quand aux disciplines. Je reviens aux poètes et orateurs, principal object de la matière que je traite, qui est l'ornement et illustration de notre langue.

CHAPITRE XI.—Qu'il est impossible d'égaler les anciens en leurs langues.

Toutes personnes de bon esprit entendront assez que cela, que j'ai dict pour la deffensede nostre langue, n'est pour decouraiger aucun de greque et latine : car tant s'en fault que je soye de cete opinion, que je confesse et sousliens celuy ne pouvoir faire oeuvre excellent en son vulgaire, qui soit ignorant de ces deux langues, ou qui n'entende la latine pour le moins. Mais je seroy' bien d'avis qu'après les avoir apprises, on ne deprisasl la sienne, et que celuy qui par une inclination naturelle (ce qu'on peut jugerpar les oeuvres latines et thoscanes de Pétrarque et Boccace, voire d'aucuns scavans hommes de nostre tens) se


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sentirait plus propre à écrire en sa langue qu'en grec ou en latin, s'etudiasl plus tost à se rendre immortel entre les siens, écrivant bien en son vulgaire, que, mal écrivant en ces deux autres langues, estre vil aux doctes pareillement et aux indoctes. Mais s'il s'en trouvoit encores quelques uns de ceux., qui de simples paroles font tout leur art et science, en sorte que nommer la langue greque et latine, leur semble parler d'une langue divine , et parler de la vulgaire, nommer une langue inhumaine, incapable de toute érudition, s'il s'en trouvoit de telz, dy je, qui voulussent faire des braves, et depriser toutes choses écrites en francoys, je leur demanderoy' voluntiers en ceste sorte: Que pensent donq' faire ces reblanchisseurs de murailles , qui jour et nuyt se rompent la teste à inimiter : que dy je inimiter ? mais transcrire un Virgile et un Ciceron ? bâtissant leurs poëmes des hemystyches de l'un, et jurantenleurs proses aux motz et sentences de l'autre, songeant (comme a dict quelqu'un) des pères conscriptz, des consuls, des tribuus, des comices, et toute l'antique Rome, non autrement qu'Homère, qui en sa Batracomyomachic adapte aux raz et grenouilles les magnifiques tiltres des dieux et déesses. Ceux la certes méritent bien la punition de celuy, qui ravy au tribunal du grand Juge, repondit qu'il était ciceronien. Pensenl-ilz doncq' je ne dy égaler, mais approcher seulement de ces aucteurs, en leurs langues ? recuillant de cet orateur et de ce poëte ores un nom, ores un verbe, ores un vers, et ores une sentence : comme si en la façon qu'on rebatist un vieil édifice, il s'attendoint rendre par ces pierres ramassées à la ruynée fabrique de ces langues, sa première grandeur et excellence.

Mais vous ne serez ja si bons massons (vous qui estes si grands zélateurs des langues greque et latine) que leur puissiez rendre celle forme, que leur donnarent premièrement ces bons et cxcellens architectes ; et si vous espérez ( comme fist Esculape des membres d'Hippolyte) que par ces fragmenlz recuilliz, elles puyssent estre resuscilées, vous vous abusez , ne pensant point qu'à la cheutc de si superbes édifices conjointe à la ruyne fatale de ces


deux puissantes monarchies, une partie devint poudre, et l'autre doit estre en beaucoup de pièces, les queles vouloir réduire en un seroit chose impossible : outre que beaucoup d'autres parties sont demeurées aux fondemenlz des vieilles murailles, ou égarées par le long cours des siècles, ne se peuvent trouver d'aucun. Par. quoy venant à redifier cete fabrique, vous serez bien loing de luy restituer sa première grandeur, quand, ou souloit estre la sale, vous ferez paraventure les chambres, les etables ou la cuysine, confundant les portes et les feneslres, bref changeant toute la forme de l'édifice. Finablement j'estimeroy' l'art pouvoir exprimer la vive énergie de la nature, si vous pouviez rendre cete fabrique renouvelée semblable à l'antique, étant manque l'idée, de la qucle faudrait tyrer l'exemple pour la redifier. Et ce (afin d'exposer plus clerement ce que j'ay dict) d'autant que les anciens usoint des langues, qu'ilz avoint succées avecqutsle laict de la nourice, et aussi bien parloint les indoctes comme les doctes, sinon que ceuxey aprenoint les disciplines et l'art de bien dire, se rendant par ce moyen plus eloquens que les autres. Voyla pourquoy leurs bien heureux siècles etoint si fertiles de bons poètes et orateurs. Voyla pourquoy les femmes mesmes aspiroint à ceste gloire d'éloquence et érudition, comme Sapbo, Corynne, Cornelie, et un milier d'autres, dont les noms sont conjoings avecques la mémoire des Grecz el Romains.

Ne pensez donques immitaleurs, troupeau servil, parvenir au point de leur excellence, veu qu'à grand' peine avez vous appris leurs motz, et voyla le meilleur de votre aage passé. Vous deprisez nostre vulgaire, paraventure non pour autre raison, sinon que des enfance et sans étude nous l'apprenons, les autres avecques grand peine et industrie. Que s'il etoit, comme la greque et latine, pery et mis en reliquaire de livres, je ne doute point qu" [ ne feust (ou peu s'en faudroit) aussi dificile à apprendre comme elles sont. J'ay bien voulu dire ce mot, pource que la curiosité humaine admire trop plus les choses rares et difficiles à trouver, bien qu'elles ne soint si commodes pour l'usaige de la vie. comme


les odeurs cl les gemmes, que les communes et nécessaires, comme le pain et le vin. Je ne voy pourtant qu'on doyve estimer une langue plus excellente que l'autre seulement pour estre plus difficile, si on ne vouloit dire que Lycophron feust plus excellent qu'Homère, pour estre plus obscur, et Lucrèce que Virgile, pour ceste mesme raison.

CHAPITRE XII. — Deffence de l'aucteur.

Ceux qui penseront que je soye trop grand admirateur de ma langue, aillent voir le premier livre des Fins des Biens et des M aulx, fait par ce père d'éloquence latine Ciceron, qui au commencement dudict livre, entre autres choses, repond à ceux qui deprisoint les choses écrites en latin et les aymoint myeux lire en grec. La conclusion du propos est, qu'il estime la langue latine non seulement n'estre pauvre, comme les Romains estimoyent lors, mais encor' estre plus riche que la greque. Quel ornement, dit il, d'orayson copieuse ou élégante, a defailly, je diray à nous, ou aux bons orateurs, ou aux poètes, depuis qu'ilz ont eu quelqu'un qu'ils peussent immiter ? Je ne veux pas donner si hault los à notre langue, pour ce qu'elle n'a point encores ses Cicerons et Virgiles ; mais j'ose bien asseurer que si les scavans hommes de notre nation la daignoint autant estimer que les Romains faisoint la leur, elle pouroit quelquesfoys, et bien tost, se mettre au ranc des plus fameuses.

Il est tens de clore ce pas, afin de toucher particulièrement les principaux poinetz de l'amplification et ornement de notre langue. En quoy, lecteur, ne t'ébahis, si je ne parle de l'orateur comme du poëte; car outre que les vertus de l'un sont pour la plus grand' part communes à l'autre, je n'ignore point qu'Etienne Dolet, homme de bon jugement en notre vulgaire, a formé l'Orateur francoys, que quelqu'un, peut estre, amy de la mémoire de l'auteur et de la France, mettra de bref et fidèlement en lumière.

Fin du premier Livre de la deffense cl illustration de la langue francoyse.


LA DEFENSE ET ILLUSTRATION

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LA LANGUE FRANCOYSE.

LIVRE SKCOMJ.

CHAPITRE I". — De l'Intention de l'aucteur.

Pour ce que le poète et l'orateur sont comme les deux piliers qui soutiennent l'édifice de chacune langue, laissant celuy que j'entens avoir été baty par les autres, j'ay bien voulu, pour le devoir en quoy je suys obligé à la patrie, tellement quellement ébaucher celuy qui restait, espérant que par moy, ou par une plus docte main, il poura recevoir sa perfection. Or ne veux-je, en ce faisant, feindre comme une certaine figure de poëte, qu'on ne puisse ny des yeux, ny des oreilles, ny d'aucun sens apercevoir, mais comprendre seulement de la cogitation et de la pensée (1) : comme ces idées, que Platon corntituoit en toutes choses, auxquels, ainsi qu'à une certaine espèce imaginative, se réfère tout ce qu'on peut voir (2). Cela certainement est de trop plus grand scavoir et loysir que le mien; et penseray avoir beaucoup mérité des

. 1) Quud neque oculis, ncque auiibus, ne-que ullosensu pereipipok-sl, cogitatione lantum et mente coniplecliinur. CICKBO, Orutor., c. 1.

{■i) Cujus ad cogilalam speeicm refeiunlur ea qu.e sub ouulos ipsa eadunt. Jtid.


- roi - miens, si je leur montre seulement avecques le doy le chemin qu'ilz doyvent suyvre pour attaindre à l'excellence des anciens , ou quelque autre peut estre, incité par nostre petit labeur, les conduyra avecques la main.

Mettons donc pour le commencement ce que nous avons, ce me semble, assez prouvé au I livre : c'est que sans l'imitation des Grecz et Romains, nous ne pouvons donner à notre langue l'excellence et lumière des autres plus fameuses. Je scay que beaucoup me reprendront, qui ay osé le premier des François introduire quasi comme une nouvelle poésie, ou ne se tien - dront plainement satisfaictz tant pour la breveté, dont j'ay voulu user, que pour la diversité des espris, dont les uns treuvent bon ce que les autres treuvent mauvais. Marot me plaist, dit quelqu'un, pour ce qu'il est facile et ne s'eloingne point de la commune manière de parler; Heroet, dit quelque autre, pour ce que tous ses vers sont doctes, graves et elabourez; les autres d'un autre sedelectent. Qu'and [quand] à moy, telle superstition ne m'a point retiré de mon entreprinse, pour ce que j'ay tousjours estimé notre poésie francoyse eslre capable de quelque plus hault et meilleur style que celuy dont nous sommes si longuement contentez. Disons donques bravement ce que nous semble de notz poêles francoys.

CHAPITRE II. —Des Poètes francoys.

De tous les anciens poëtes francoys, quasi un seul Guillaume du Lauris, et Jan de Meun, sont digues d'estre leuz, non tant pour ce qu'il y ait en eux beaucoup de choses, qui se doyvent immiter des modernes, comme pour y voir quasi comme une première imaige de la langue francoyse, vénérable pour son antiquité. Je ne doute point que tous les pères cryroint la honte estre perdue, si j'osoy' reprendre ou emender quelque chose en ceux que jeunes ilz ont appris ; ce que je ne vcuxfaire aussi. Mais bien


soutiens-je que celuy est trop grand admirateur de l'ancienneté, qui veut defrauder les jeunes de leur gloire méritée, n'estimanl rien comme dict Horace, sinon ce que la mort a sacré : comme si le tens, ainsi que les vins, rendoit les poésies meilleures. Les plus recens mesmes ceux qui ont esté nommez par Clément Marot en nn certain epygramme à Salel, sont assez congneuz par leurs oeuvres. J'y renvoyé les lecteurs pour en faire jugement. Bien dyrai-je que Jan le Maire de Belges me semble avoir premier illustré et les Gaules et la langue francoyse, luy donnant beaucoup de mots et manières de parler poëtiques, qui ont bien servy mesmes aux plus excellens de notre tens. Quand aux modernes, ilz seront quelquesfoys assez nommez; et si j'en vouloy' parler, ce serait seulement pour faire changer d'opinion à quelques uns, ou trop iniques, ou trop sévères estimateurs des choses , qui tous les jours treuvent à reprendre- en troys ou quatre des meilleurs, disant, qu'en l'un default ce qui est le commencement de bien écrire, c'est le scavoir, et aurait augmenté sa gloire de la moitié, si de la moitié il eust diminué son livre. L'autre, outre sa ryme, qui n'est partout bien riche, est tant dénué de tous ces délices et ornementz poëtiques, qu'il mérite plus le nom de phylosophe que de poëte. Un autre, pour n'avoir encores rien mis en lumière soubz son nom, ne mérite qu'on luy donne le premier lieu : et semble (disent aucuns) que par les ecriz de ceux de son tens, il veille eternizer son nom, non autrement que Demadeest ennobly par la contention de Demosthene, et Hortense de Ciceron. Que si on en vouloit faire jugement au seul rapport de la renommée, on rendrait les vices d'iceluy egaulx, voyre plus grand que ses vertuz, d'autant que tous les jours se lysent nouveaux ecriz soubz son nom, à mon avis aussi éloignez d'aucunes choses, qu'on m'a quelquesfois asseuré estre de luy, comme en eux n'y a ny grâce, ny érudition. Quelque autre voulant trop s'eloiugner du vulgaire, est lumbé en obscurité aussi difficile à eclersir en ses ecriz aux plus scavans, comme aux plus ignares.


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Voyla une partie de ce que j'oy dire en beaucoup de lieux des meilleurs de notre langue. Que pleust à Dieu le naturel d'un chacun estre aussi candide à louer les vertuz, comme diligent à observer les vices d'autruy. La tourbe de ceux (hors mis cinq ou six) qui suivent les principaux, comme port'enseignes, est si mal instruicte de toutes choses, que par leur moyen nostre vulgaire n'a garde d'étendre gueres loing les bornes de son empire. Et sij'etoy' du nombre deces anciens critiques juges des poëmes, comme un Aristarque et Aristophane, ou (s'il fault ainsi parler) un sergent de bande en notre langue francoyse, j'en mettroy' beaucoup hors de la bataille, si mal armez que, se fiant en eux, nous serions trop eloingnez de la victoire ou nous devons aspirer.

Je ne doute point que beaucoup, principalement de ceux qui sont accommodez à l'opinion vulgaire, et dont les tendres oreilles ne peuvent rien souffrir au desavantaige de ceux qu'ilz ont desja receuz comme oracles, trouverront mauvais de ce que j'ose si librement parler, et quasi comme juge souverain pronuncer de notz poètes francoys; mais si j'ai dict bien ou mal, je m'en rapporte à ceux qui sont plus amis de la vérité que de Platon ou Socrate, et ne sont imitateurs des Pytagoriques, qui, pour toutes raisons, n'alleguoint sinon, celuy la l'a dit.

Quand à moy, si j'etoy' enquis de ce que me semble de notz meilleurs poëtes francoys, je diroy' à l'exemple des Stoïques, qui interroguez si Zenon, si Cleanle, si Chrysippe sont saiges, répondent ceulx-la certainement avoir clé grands et vénérables, n'avoir eu toutefois ce qui est le plus excellent en la nature de l'homme : jerespondroy', dy-je, qu'ilz ont bien écrit, qu'ilz ont illustré notre langue, que la France leur est obligée; mais aussi diroy-je bien qu'on pouroit trouver en notre langue (si quelque scavant homme y vouloit mettre la main) une forme de poésie beaucoup plus exquise, la quele il faudrait chercher en ces vieux Grecz et Latins, non point es aucteurs francoys, pource qu'en ceux-cy on ne scauroit prendre que bien peu, comme la peau et la couleur, en ceux la on peut prendre la chair, les oz, les


nerfz, el le sang. Et si quelqu'un, mal aysé à contenter, ne vouloit prendre ces raisons en payement, je diray (afin de n'eslre veu examiner les choses si rigoreusement sans cause) qu' aux autres ars et sciences la médiocrité peut mériter quelque louange , mais aux poëtes ny les dieux, ny les hommes, ny les coulonnes n'ont point concédé estre médiocres (1), suyvant l'opinion d'Horace, que je ne puis assez souvent nommer, pour ce qu'es choses que je traicte, il me semble avoir le cerveau myeux purgé et le nez meilleur que les autres. Au fort, comme Demosthene repondit quelquefois à Echines, qui l'avoit repris de ce qu'il usoit de motz après et rudes, de telles choses ne dépendre les fortunes de Grèce (2). aussi diray-je, si quelqu'un se fâche de quoy je parle si librement, que de la ne dépendent les victoires du roy Henry, à qui Dieu veille donner la félicité d'Auguste et la bonté de Traian.

J'ai bien voulu, lecteur studieux de la langue francoyse, demeurer longuement en cete partie, qui te semblera, peut estre, contraire à ce que j'ay promis, veu que je ne prise assez haultement ceux qui tiennent le premier lieu en nostre vulgaire, qui avoy' entrepris de le louer et deffendre : toutesfoys je croy que tu ne le trouveras point étrange, si tu considères que je ne le puis mieux défendre, qu'atribuant la pauvreté d'iceluy, non à son propre et naturel, mais à la négligence de ceux qui en ont pris

(i) . . « Certis médium et tolerabile rébus

Recte concedi

Sed tamen in pretio est. Mediocribus esse poelis Non Di, non homincs, non concessere columnoe. •

HOBAT., De Art. poet., v, 368-375.

(î) i Reprehendit iEscbincs qusedam (verbaj et exagitat ;il!udensqne, dira, odiosa, intolcrabilia esse dicit. —Itaquc se purgans jocatur Dcmoslhencs ; negat in co positas esse fortunas Graecia; : hoc an illo verbo usus sit, hue an illuc manum porrexcrit. »

CicEno, Orutor., cap. IV.


M)8

le gouvernement, et ne te puis mieux persuader d'y écrire, qu'en te montrant le moyen de l'enrichir et illustrer, qui est l'imitation des Créez et Romains.

CHAP. III. — Que le Naturel n'est suffisant à celuxj qui en poésie veult faire oeuvre digne de l'immortalité.

Mais pour ce qu'en toutes langues y en a de bons et de mauvais, je ne veux pas, lecteur, que sans élection et jugement tu te prennes' au premier venu. Il vauldroit beaucoup mieux écrire sans immitation, que ressembler un mauvais aucteur : veu mesmes que c'est chose accordée entre les plus scauans, le naturel faire plus sans la doctrine, que la doctrine sans le naturel. Toutesfois d'autant que l'amplification de nostre langue (qui est ce que je traite) ne se peut faire sans doctrine et sans érudition, je veux bien advenir ceux qui aspirent à ceste gloire, d'immiter les bons aucteurs grecz et romains, voire bien italiens, hespagnolz et autres ; ou du tout n'écrire point, sinon à soy, comme on dit, et à ses muses. Qu'on ne m'allègue point icy quelques uns des nosires , qui sans doctrine, à tout le moins non autre que médiocre, ont acquis grand bruyt en nostre vulgaire. Ceux qui admirent volunliers les petites choses, et deprisent ce qui excède leur jugement, en feront tel cas qu'ilz voudront : mais je scay bien que les scavans ne les mettront en autre ranc que de ceux qui parlent bien francoys, et qui ont (comme disoit Ciccron des anciens aucteurs romains) bon esprit, mais bien peu d'artifice. Qu'on ne m'allègue point aussi que les poètes naissent, car cela s'entend de ceste ardeur et allégresse d'esprit, qui naturellement excite les poëtes, et sans la quele toute doctrine leur seroit manque cl inutile. Certainement ce seroit chose trop facile, et pourtant contemptible, se faire éternel par renommée, si la félicité de nature donnée mesmes aux plus indoctes, ctoit sulïisante pour faire


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chose digue de l'immortalité. Qui veut voler par les mains et bouches des hommes, doit longuement demeurer en sa chambre, et qui désire vivre en la mémoire de la postérité, doit comme mort en soymcsmes, suer et trembler maintes fois, et autant que notz poètes courtizans boyvent, mangent et dorment à leur oyse, endurer de faim, de soif, et de longues vigiles. Ce sont les esles dont les ecriz des hommes volent au ciel.

Mais afin que je retourne au commencement de ce propos, regarde nostre immitateur premièrement ceux qu'il voudra immiter , et ce qu'en eux il poura, et qui se doit immiter, pour ne faire comme ceux, qui voulans aparoitre semblables à quelque grand seigneur, immiteront plus tost un petit geste et façon de faire vicieuse de luy, que ses vertuz et bonnes grâces. Avant toutes choses, fault qu'il ait ce jugement de cognoilrc ses forces, et tenter combien ses épaules peuvent porter (1), qu'il fonde [sonde] diligemment son naturel, et se compose à l'immitation de celuy dont il se sentira approcher de plus près : autrement son immitalion ressemblerait celle du singe.

CHAP. IV. Quelz genres de Poèmes doit élire le ■poète francoys.

Ly donques et rely premièrement, b poëte futur, fueillelte de main nocturne et journelle les exemplaires grecz et latins (2), puis me laisse toutes ces vieilles poésies francoyses aux Jeuz Flo(1)

Flo(1) Sumile matériau) vestris qui scribitis oequam

Viribiis, et versate diù quid ferre récusent, Quid valcant humeri. s

IIOBAT., De Arl. poct., v. 3S-4o.

(j) « lus exemplaria grajea

ÏNoolurna versate înan ', versate diurna. »

lbid., v. 268-369.


raux de Thoulouze et au Puy de Rouan : comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz, Chantz Royaulx, Chansons, et autres telles episseries, qui corrumpent le goust de nostre langue, et ne servent si non à porter temoingnaige de notre ignorance. Jéte toy à ces plaisans Epigrammes, non point comme font aujourd'huy un tas de faiseurs de contes nouveaux, qui en un dizain sont conlens n'avoir rien dict qui vaille aux IX premiers vers, pourveu qu'au dixiesme il y ait le petit mot pour rire : mais à l'immitation d'un Martial, ou de quelque autre bien approuvé, si la lascivité ne te plaist, mesle le profitable avecques le doulz. Distile avecques un style coulant et non scabreux ces pitoyables élégies, à l'exemple d'un Ovide, d'un ïibule et d'un Properce, y entremeslant quelquesfois de ces fables anciennes, non petit ornement de poésie. Chante moy ces Odes, incongnues encor' de la muse francoyse, d'un lue bien accordé au son de la lyre greque et romaine, et qu'il n'y ait vers, ou n'aparoisse quelque vestige de rare et antique érudition. Et quand à ce, te fourniront de matière les louanges des dieux et des hommes vertueux, le discours fatal des choses mondaines, la solicitute des jeunes hommes, comme l'amour, les vins libres, et toute bonne chère (1 ). Sur toutes choses, prens garde que ce genre de poëme soit eloingné du vulgaire, enrichy et illustré de motz propres et epilhetes non oysifz, orné de graves sentences, et varié de toutes manières de couleurs et ornementz poétiques, non comme un : Laissez la verde couleur, Amour avecques Psychés, 0 combien est heureuse, et autres telz ouvraiges, mieux dignes d'estre nommez chansons vulgaires, qu'odes ou vers lyriques.

Quand aux Epistres, ce n'est un poëme qui puisse grandement enrichir nostre vulgaire, pource qu'elles sont voluntiers de cho(i)

cho(i) dédit fidibus Divos, puerosque Deorum,

Et juvenuu) cuias, cl libéra vina rel'ene.

Horal. De Ari. /IOLI., V. 85-8.5.


ses familières et domestiques, si tu ne les voulois faire à l'iinmilalion d'Elégies comme Ovide, ou sentencieuses et graves, comme Horace. Autant te dy-je des Satyres, que les Francoys, je ne scay comment, ont apellées Coqz à l'Asne ; es quelz je te conseille aussi peu t'exercer, comme je te veux estre aliène de mal dire, si tu ne voulois, à l'exemple des anciens, en vers héroïques (c'est a dire de X à XI, et non seulement de VIII à IX ) soubz le nom de Satyre, et non de cete inepte appellation de Coq à l'Asne, taxer modestement les vices de ton tens, et pardonner aux noms des personnes vicieuses. Tuhaspourcecy Horace, qui, selon Quintilian, tient le premier lieu entre les satyriques. Sonne moy ces beaux Sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l'Ode, et différente d'elle seulement pour ce quejc Sonnet a certains vers reiglez et limitez, et l'Ode peut courir par toutes manières de vers librement, voyre en inventer à plaisir à l'exemple d'Horace, qui a chanté en XIX sortes de vers, comme disent les grammairiens. Pour le Sonnet donques tu as Pétrarque et quelques modernes Italiens.

Chante moy d'une musette bien resonnante etd'une flustebien jointe cesplaisantes Ecclogues rustiques, à l'exemple de Thëocrit et de Virgile, Marines, à l'exemple de Sennezar gentil homme nëapolitain. Que pleust aux Muses, qu'en toutes les espèces de poësie, quej'ay nommées, nous eussions beaucoup de telles immitations qu'est cete Ecclogue sur la naissance du filz de Monseigneur le Dauphin, à mon gré un des meilleurs petiz ouvraiges que fict onques Marot. Adopte moy aussi en la famille françoyse ces coulans et mignars Hendecasyllables, à l'exemple d'un Catulle, d'un Pontan et d'un Second : ce que tu pouras faire, sinon en quantité, pour le moins en nombre de syllabes. Quand aux Comédies et Tragédies, si les roys et les republiques les vouloint restituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpée les Farces et Moralitez, je seroy' bien d'opinion que tu t'y employasses, et si tu le veux faire pour l'ornement de ta langue, tu scais ou tu en doibs trouver les archétypes.


CHAP. V. — Du long Poëme (rancoys.

i)onques, 6 toy, qui doué d'une excellente félicité de nature, mstruict de tous bons ars et sciences, principalement naturelles et mathématiques, versé en tous genres de bons aucteurs grecz et latins, non ignorant des parties et offices de la vie humaine, non de trop liaulte condition, ou appelle au régime publiq', non aussi abject et pauvre, non troublé d'afaires domestiques, mais en repos et tranquilité d'esprit, acquise premièrement par la magnanimité de ton couraige, puis entretenue par ta prudence et saige gouvernement, b loy, dy-je, orné de tant de grâces et perfections, si tu as quelquefois pitié de ton pauvre langaige, si tu daignes l'enrichir de tes thesors, ce sera toy véritablement qui lui feras hausser la teste, et d'un brave sourcil s'égaler aux superbes langues greque et latine, comme a fait de nostre tensen son vulgaire un Arioste italien, que j'oseroy' (n'estoit la saincleté des vieulx poëmes) comparer à un Homère et Virgile. Comme luy donq', qui a bien voulu emprunter de nostre langue les noms et l'hysloire de son poëme, choysi moy quelque un de.ces beaux vieulx romans francoys, comme un Lancelot, un Tristan, ou autres , et en fay renaître au monde un admirable Iliade et laborieuse Eneïde. Je veux bien en passant dire un mot à ceulx qui ne s'employent qu'à orner et amplifier notz Romans, et en font des livres, certainement en beau et fluide langaige, mais beaucoup plus propre à bien entretenir damoizelles qu'à doctement écrire : je voudroy' bien, dy-je, les avertir d'employer ceste grande éloquence à recuillir cesfragmentz de vieilles Chroniques francoyses, et comme a fait Tite Live dts Annales et autres anciennes chroniques romaines, en bâtir le cors entier d'une belle histoire, y enlremeslant a propos ces belles concions et harangues, à l'immitationde celuy que je viens de nommer, de Thucidide, Saluste, ou quelque autre bien approuvé, selon le genre d'écrire ou ilz se sentiroint propres. Tel oeuvre certainement seroit à leur immor-


telle gloire, honneur de la France et grande illustration de nostre langue.

Pour reprendre le prapos que j'avoy' laissé : quelqu'un, peut eslre, trouverra étrange que je requière une si exacte perfection en celuy qui voudra faire un long poëme, veu aussi qu'à peine setrouverroint, encores qu'ilz l'eussent inslruictz de toutes ces choses, qui voulussent entreprendre un oeuvre de si laborieuse longueur et quasi de la vie d'un homme. II semblera à quelque autre que, voulant bailler les moyens d'enrichir nostre langue, je face le contraire, d'autant que je retarde plus tost, et refroidis l'élude de ceux qui etoint bien affectionnez à leur vulgaire, que je ne les incite, pource que, débilitez par desespoir, ne voudront point essayer ce àquoy ne s'attendront de pouvoir parvenir. Mais c'est chose convenable, que toutes choses soint expérimentées de tous ceux qui désirent attaindre à quelque hault point d'excellence et gloire non vulgaire. Que si quelqu'un n'a du tout cete grande vigueur d'esprit, cete parfaite intelligence des disciplines, et toutes ces autres commoditez que j'ay nommées, tienne pourtant le cours tel qu'il poura ; car c'est chose honneste à celuy qui aspire au premier ranc, demeurer au second, voire au troizieme. Non Homère seul entre les Grecz, non Virgile entre les Latins, ont acquis loz et réputation. Mais telle a été la louange de beaucoup d'autres, chacun en son genre, que pour admirer les choses haultes, on ne laissoil pourtant de louer les inférieures (1).

(i) «Vereor ne si id quod visexpresscro, enmquc oratorum quem qurcris expresscro, tardein studia mulloriini, qui despcralione débilitai!, experiri id noient, qnod se assequi possc difidan t. Sed par est omnes omnia experiri, qui res magnas et magno opère expetendas concupiverunl. Quodsi quem aut natura sua, aut illa prsestantis ingenii vis forte dcficiet, aut minus instructus erit magnarum arlium disciplinis ; teneat tamen cum cursum quem poterit : prima enimsequentem, boneslum est in secundis terliisque consistere. Nam in poetis, non Ilomeri solo locus est, ul de tiroecis Ioquar, aut Arcbiloco, aut Sopliocli, aut Tindaro ; sed horum vel secundis, vol eliam infrasecundiis. » CICKBO, Oralor, cap. I.


— 114 — Certainement si nous avions des Mécènes et des Augustes, les cieux et la nature ne sont point si ennemis de nostre siècle, que n'eussions encores des Virgiles. L'honneur nourist les ars ; nous sommes tous par la gloire enflammez à l'élude des sciences : ef ne s'elevent jamais les choses qu'on voit estre deprisées de tous. Les roys et les princes devroint, ce me semble, avoir mémoire de ce grand empereur, qui vouloit plus tost la vénérable puissance des loix estre rompue, que les oeuvres de Virgile, condamnées au feu par le testament de Paucteur, feussent brûlées. Que diray-je de cet autre grand monarque, qui desiroit plus le renailre d'Homère que le gaing d'une grosse battaille? et quelquefoys étant près du tumbeau d'Achile, s'écria haultemenl : 6 bienheureux adolescent, qui as trouvé un tel buccinateur de tes louanges! Et à la vérité, sans la divine muse d'Homère, le mesme tumbeau, qui couvroit le corps d'Achile, eustaussi accablé son renom ; ce qu'avient à tous ceux qui mettent l'asseurance de leur immortalité au marbre, au cuyvre, aux collosses, aux pyramides, aux laborieux édifices, et autres choses non moins subjecles aux injures du ciel et du tens, de la flamme et du fer, que de fraiz excessifz et perpétuelle sollicitude. Les allechemenlz de Venus, la gueule et les ocieuses plumes ont chassé d'entre les hommes tout désir de l'immortalité : mais encores est-ce chose plus indigne que ceux qui d'ignorance et toutes espèces de vices font leur plus grande gloire, se moquent de ceux qui en ce tant louable labeur poétique employent les heures, que les autres consument aux jeuz, aux baings, aux banquez et aulres telz menuz plaisirs. Or neantmoins quelque infelicité de siècle ou nous soyons, toy, à qui les Dieux et les Muses auront été si favorables, comme j'ay dit, bien que tu soye depourveu de la faveur des hommes, ne laisse pourtant à entreprendre un oeuvre digne de toy, mais non deu à ceux, qui, tout ainsi qu'ilz ne font choses louables, aussi ne font ilz cas d'estre louez. Espère le fruict de ton labeur de l'incorruptible et non envieuse postérité : c'est la gloire, seule échelle par les degrez de laquele les mortclz d'un pié léger montent au ciel, et se font compaignons des Dieux.


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CllAP. VI. — D'inventer des Motz, et quelques autres choses que doit observer de [le] poète francoys.

Mais de peur que le vent d'affection ne pousse mon navire si avant en cete mer que je soye en danger du nauffrage, reprennant la route quej'avoy' laissée, je veux bien avertir celuy qui entreprendra un grand oeuvre, qu'il ne craigne point d'inventer, adopter et composer à l'immitation des Grecz, quelques mots francoys, comme Ciceron se vante d'avoir fait en sa langue. Mais si les Grecz et Latins eussent esté supersticieux en cet endroit, qu'auroint-ilz ores de quoy magnifier si haultement cete copie qui est en leurs langues ? Et si Horace permet qu'on puysse en un long poëme dormir quelquesfois, est-il deffendu en ce mesme endroictuser de quelques motz nouveaux, mesmes quand la nécessité nous y contraint? Nul s'il n'est vrayment du tout ignare, voire privé de sens commun, ne doute point que les choses n'ayent premièrement été, puis après les mots avoit [avoir] été inventez pour les signifier : et par conséquent aux nouvelles choses estre nécessaire imposer nouveaux motz, principalement es ars dontl'usaige n'est point encores commun et vulgaire, ce qui peut arriver souvent à nostre poëte, au quel sera nécessaire emprunter beaucoup de choses non encor' traitées en nostre langue. Les ouvriers (afin que je ne parle des sciences libérales) jusques aux laboureurs mesmes, et toutes sortes de gens mécaniques, ne pouroint conserver leurs métiers, s'ilz n'usoint de motz à eux uzitez et à nous incongneuz. Je suis bien d'opinion que les procureurs et avocatz usent de termes propres à leur profession, sans rien innouer ; mais vouloir oter la liberté à un scavanl homme, qui voudra enrichir sa langue, d'usurper quelquesfois des vocables non vulgaires, ce seroit relraindre notre langaige, non encor' assez riche, soubz une trop plus rigoreuse loy que celle que les Grecz et Romains se sont donnée. Les quelz, combien qu'jlz


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(eussent sans comparaison plus que nous copieux et riches, neantmoins ont concédé aux doctes hommes user souvent de molz îïon acoulumez es choses non acoutuméés.

Ne crains donques, poëte futur, d'innover quelques termes, en un long poëme principalement, avecques modestie toutesfois, analogie et jugement de l'oreille, et ne te soucie qui le treuve bon ou mauvais, espérant que la postérité l'approuvera, comme celle qui donne foy aux choses douteuses, lumière aux obscures, nouveauté aux antiques, usaige aux non acoutuméés, et douceur aHX après et rudes. Entre autres choses se garde bien nostre poêle d'user de noms propres latins ou grecz, chose vrayment aussi absurde que si tu appliquois une pièce de velours verd à une robe de velours rouge. Mais serait-ce pas une chose bien plaisante user, en un ouvraige latin, d'un nom propre d'homme ou d'autre chose en francoys? comme Jan currit, Loyrefluit, cl autres semblables. Accommode donques telz noms propres, de quelque langue que ce soit, à l'usaige de ton vulgaire, suyvant les Latins , qui pour ûf àxXifc ont dit Hercules , pour GÏJB-EÙÇ Thescus, et dy Hercule, Thésée, Achile, Ulysse, Virgile, Ciceron, Horace. Tu doibz pourtant user en cela de jugement et discrétion, car il y a beaucoup de telz noms qui ne se peuvent approprier en francoys, les uns monosyllabes, comme Mars; les autres dissyllabes, comme Venus; aucuns de plusieurs syllabes, comme Jupiter, si tu ne voulois dire Jove; et autres infmilz, dont je ne te scauroy' bailler certaine reigle. Parquoy je renvoyé tout au jugement de ton oreille.

Quand au reste, use de motz purement francoys, non toutesfois trop communs, non poiut aussi trop inusitez, si tu ne voulois quelquefois usurper, et quasi comme enchâsser ainsi qu'une pierre précieuse et rare, quelques motz antiques en ton poëme, à l'exemple de Virgile, qui a usé de ce mot olli, pour ilti, aidai pourattte,el autres. Pour ce faire, te faudrait voir tous ces vieux romans et poètes francoys, ou tutrouverras un ajourner, pour faire jour (que les praticiens se sont fait propre). anuyier, pour


ii7 — faire nuyt, assener, pour frapper ou on visoit et proprement d'un coup de main, isnel, pour léger, et mil' autres bons motz que nous avons perdus par notre négligence. Ne doute point que le modéré usaige de telz vocables ne donne grande majesté tant au vers comme à la prose, ainsi que font les reliques des sainetz aux croix et autres sacrez joyaux dédiez aux temples.

GHA-P. VII. De la Rythme, et des Vers sans rythme.

Quand à la rythme, je suis bien d'opinion qu'elle soit riche, pour ce qu'elle nous est ce qu'est la quantité aux Grecz et Latins. Et bien que n'ayons cet usaige de piez comme eux, si est-ce que nous avons un certain nombre de syllabes en chacun genre de poëme, par lesquelles, comme par chesnons, le vers francois lié et enchainé, est contraint de se rendre en cete étroite prison de rythme, sous la garde le plus souvent d'une couppe féminine, fâcheux et rude geôlier et incongnu des autres vulgaires.

Quand je dy que la rythme doit estre riche, je n'entens qu'elle soit contrainte et semblable à celle d'aucuns, qui pensent avoir fait un grand chef d'oeuvre en francoys, quand ilz ont rymé un imminent et un eminent, un misericordieusement et un mélodieusement, etaulres de semblable farine, encores qu'il n'y ait sens ou raison qui vaille. Mais la rythme de notre poëte sera voluntaire, non forcée ;rcceûe, non appellée; propre, non aliène; naturelle, non adoptive; bref, elle sera telle que le vers, tombant en icelle, ne contentera moins l'oreille que une bien armonieuse musique tumbante en un bon et parfait accord. Ces équivoques donq' et ces simples rymez avecques leurs composez, comme un baisser et abaisser, s'ilz ne changent ou augmentent grandement la signification de leurs simples, me soint chassez bien loing; autrement qui ne voudrait reigler sa rythme comme j'ay dit, il vaudrait beaucoup mieux ne rymer point, mais faire


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dos vers libres, comme a fait Pétrarque en quelque endroit, et de notre tensle seigueurLoys Aleman, en sa non moins docte que plaisante agriculture. Mais tout ainsi que les peintres et statuaires mettent plus grand' industrie à faire beaux et bien proportionnez les corps qui sont nuds, que les autres : aussi faudroit-il bien ces vers non rymez,feussentbien charnuz etnerveuz, afin de compenser par ce moyen le default de la rythme.

Je n'ignore point que quelques uns ont fait une division de rythme, l'une en son, et l'autre en écriture, à cause de ces dyphthongues ai, ei, oi, faisant conscience de rymer maitre et prestre, fontaines et Athènes, connoitre et naitre: mais je ne veulx que notre poëte regarde si superstitieusement à ces petites choses, et luy doit suffire que les deux dernières syllabes soint unisones, ce qui arriverait en la plus grand' part, tant en voix qu'en écriture, si l'orthographe francoyse n'eustpoint été dépravée par les praticiens. Et pource que Loys Mégret, non moins amplement que doctement a traité cete partie, lecteur, je te renvoyé à son livre ; .et feray fin à ce propos, t'ayant sans plus averty de ce mot en passant, c'est que tu te gardes de rythmer les motz manifestement longs avecques les bre-fz, aussi manifestement brefz, comme un passe et trace, un maitre et mettre, une chevelure et hure, un bast et bat, et ainsi des autres.

CHAP. VIII. De ce mot Rythme; de l'invention des versrymez; et de quelques autres antiqidlcz usitées en noire langue.

Tout ce qui tumbe soubz quelque mesure et jugement de l'oreille, dit Ciccron, eii latin s'appelle numerus, en grec, pv^'og non point seulement au vers, mais à l'oraison ; parquoy improprement notz anciens ont astrainct le nom du genre soubz l'espèce , appellant rythme cete consonance de syllabes à la fin des vers, qui se devrait plus tost nommer ÔPQIO-Ù.VJTQ-J , c'est à dire


finissant de mesmes, l'une des espèces du rythme. Ainsi les vers, encores qu'ilz ne finissent point en un mesme son, généralement se peuvent apeller rythme, d'autant que la signification de ce mot p'u^pôç est fort ample, et emporte beaucoup d'autres termes, COmmexKvwv, phpov f«).oç ÈVJXUVOV, ÙY.olttvSia, T«£tç, avy/.pimç, reigle,

reigle, mélodieuse consonance de voix, consequulion, ordre, et comparaison. Or quand à l'antiquité de ces vers que nous appelions rymez, et que les autres vulgaires ont empruntez de nous, si on adjoute foy à Jan le Maire de Belges, diligent rechercheur de l'antiquité, Bardus v. roy des Gaules en feut inventeur, et introduysit une secte de poètes nommez .Bardes, les quelz chantoint mélodieusement leurs rymes avecques instrumentz, louant les uns et blâmant les autres, etetoint (comme temoingne Dyodore Sicilien en son vi. Livre) de si grand' estime entre les Gaullois, que si deux armées ennemies etoint prestes à combattre, et les ditz poëtes se missent entre deux, la bataille cessoit, et modérait chacun son ire.

Je pourroy' alléguer assez d'autres antiquitez, dont notre langue aujourd'huy est ennoblie, et qui montrent les Histoires n'estre faulses, qui ont dit les Gaulles anciennement avoir été florissantes, non seulement en armes, mais en toutes sortes de sciences et bonnes lettres. Mais cela requiert bien un oeuvre entier; et ne seroit, après tant d'excellentes plumes, qui en ont écrit mesmes de nostre tens, que retixtre, comme on dit, la toile de Pénélope. Seulement j'ay bien voulu, et ne me semble mal à propos, montrer l'antiquité de deux choses fort vulgaires en notre langue, et «on moins anciennes entre les Grecz : l'une est cete inversion de lettres en un propre nom, qui porte quelque devise convenable à la personne, comme en FRANCOYS DE VALOYS, de façon suys royal; HENRY DE VALOYS, roy es de nul hay. L'autre est en un epigramme, ou quelque autre oeuvre poétique, une certaine élection des lettres capitales, disposées en sorte qu'elles portent ou le nom de l'aulheur, ou quelque sentence.

Quand à l'inversion de lettres, que les Grecz appellent iv«y^u-


— lao — y.arnjjj.bç. l'interprète de Lycophron dit en sa vie : en ce (eus la florissoit Lycophron, non tant pour la poésie que pour ce qu'il faisoitdes Anagrammatismes ; exemple du nom du roy Plolomée : ■zroïsuaîo;, àizb pûtroç, c'est à dire emmiellé, ou de miel; de la royne Arsinoë, qui feut femme dudit Ptolomée, «paiiiért, iîpa.q 'ÎO-J. c'est à dire la violette de Juno. Artemidore aussi le Stoïque a laissé en son livre des Songes un chapitre de l'Anagrammatisme, ou il monstre que par l'inversion des lettres on peut exposer les songes.

Quand à la disposition des Lettres capitales, Eusebc, au livre de la préparation evangelique, dit que la Sybille Erythrée avoit prophetizé de JESUCHIUST, préposant à chacun de ses vers certaines lettres, qui declaroint le dernier advcncment de Christ. Les dites lettres portoint ces motz : JÉSUS. CIIIUSTUS. SERVATOR. CRUX. Les vers feurent translatez par Saint Augustin (et c'est ce qu'on nomme les xv signes du jugement) les quelz se chantent encor' en quelques lieux. Les Grecz appellent cete proposition de letires au commencement des vers ùy.poçTixiç. Ciccron en parle au livre de Divination, voulant prouver par cete curieuse dili - gence, que les vers des Sibylles etoint faits par artifice et non par inspiration divine. Cete mesme antiquité se peut voir en lous les argumens de Piaule, dont chacun en ses lettres capitales porte le nom de la comédie.

CHAP. IX. — Observation de quelque manières de parler francoyscs.

J'ay déclaré en peu de paroles ce qui n'avoit encor' été (que je saiche) touché de notz rheloriqueurs francoys. Quand aux couppes féminines, apostrophes, accens, IV masculin et IV féminin, el autres telles choses vulgaires, notre poëtc les apprendra de ceux qui en ont écrit. Quand aux espèces de vers,


qu'ilz veulent limiter, elles sont aussi diverses que la fantasie des hommes cl que la mesme nature. Quand aux vertuz et vices du poëme, si diligemment traitez par les anciens comme Aristote, Horace, et après eux Hieronyme Vide; quand aux figures des sentences et des motz, et toutes les autres parties de Peloquution, les lieux de commisération, de joye, de tristesse, d'ire, d'admiration, et toutes autres commotions de l'ame : je n'en parle point après si grand nombre d'excellens phylosopb.es et orateurs qui en ont traicté, que je veux avoir été bien leuz et releuz de nostre poêle, premier qu'il entreprenne quelque hault et excellent ouvraige. Et tout ainsi qu'entre les aucleurs latins, les meilleurs sont estimez ceux qui de plus près ont immité les Grecz, je veux aussi que tu t'eforces de rendre, au plus près du naturel que tu pouras, la phrase et manière de parler latine, et en tant que la propriété de l'une et l'autre langue le voudra permettre. Aulanl te dy-je de la greque, dont les façons de parler sont fort approchantes de notre vulgaire, ce que mesmes on peut congnoitre parles Articles, incongneuz de la langue latine.

Use donques hardiment de l'infinitif pour le nom, comme l'aller, le chanter, le vivre, le mourir; de l'adjectif substanlivé, comme le liquide des eaux, le vuide de l'air, le fraiz des umbres, l'épcs des forestz, l'enroué des cimballes, pourveu que telle manière de parler adjoute quelque grâce et véhémence : et non pas, le chault du feu, le froid delà glace, le dur du fer, et leurs semblables; des verbes et participes, qui de leur nature n'ont point d'infinilifz après eux, avecques des infinilifz, comme tremblant de mourir, et volant d'y aller, pour craignant de mourir, et se hâtant d'y aller; des noms pour les adverbes, comme ilz combattenlobstinez, pour obstinéement, il vole léger, pour légèrement; et mil' autres manières de parler, que tu pouras mieux observer par fréquente et curieuse lecture, que je ne te les scauroy' dire.

Entre autres choses je t'averty' user souvent de la figure ANTONOMASIE, aussi fréquente aux anciens poêles, comme peu usitée voire incongnue des Francoys. La grâce d'elle est quand on de-


signe le nom de quelque chose par ce qui luy est propre, comme le Père foudroyant pour Jupiter, le Dieu deux fois né pour Bacchus,la Vierge chasseresse pour Dyane. Cete figure a beaucoup d'autres espèces, que tu trouverras chés les rheloriciens, et a fort bonne grâce, principalement aux descriptions, comme Depuis ceux qui voyent premiers rougir l'Aurore jusques la ou Tlietis reçoit en ses ondes le filz d'Hyperion, pour Depuis l'Orient jusques à l'Occident. Tu en as assez d'autres exemples es Grecz et Latins, mesmes en ces divines expériences de Virgile, comme du fleuve glacé, des douze signes du Zodiaque d'Iris, des douze labeurs d'Hercule, et autres.

Quand aux Epithetes, qui sont en notz poètes francoys la plus grand' part ou froids, ou ocieux, ou mal à propos, je veux que tu en uses de sorte que, sans eux, ce que tu diras seroit beaucoup moindre, comme la flamme dévorante, les souciz mordans, la gehinnante sollicitude ; et regarde bien qu'ilz soint convenables, non seulement à leurs substantifz, mais aussi à ce que lu décriras, afin que lu ne dies l'eau' undoyante, quand tu la veux décrire impétueuse, ou la flamme ardente, quand tu la veux montrer languissante. Tu as Horace entre les Latins fort heureux en cecy comme en toutes choses.

Garde toy aussi de tumber en un vice commun mesmes aux plus excellens de nostre langue, c'est l'omission des Articles. Tu as exemple de ce vice en infiniz endroictz de ces pelites poësics francoyses. J'ay quasi oublié un autre default bien usité et de très mauvaise grâce : c'est quand en la quadrature des vers héroïques la sentence est trop abruplement coupée, comme Si non que tu en montres un plus seur.

Voyla ce que je te vouloy' dire bravement de ce que tu doibz observer tant au vers comme à certaines manières de parler, peu ou point encor' usitées des Francoys. 11 y en a qui fort superstitieusement cntremeslent les vers masculins avecques les féminins, comme on peut voir aux Psalmes traduictz par Marol : ce qu'il a observé (comme je croy') afin que plus facilement on les peust


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chanter sans varier la musique pour la diversité des meseures qui se trouverroint à la fin des vers. Je trouve cete diligence fort bonne, pourveu que lu n'en faces point de religion jusques à contraindre ta diction pour observer telles choses. Regarde principalement qu'en ton vers n'y ait rien dur, hyulque, ou redundanl; que les périodes soint bien joinetz, numéraux, bien remplissais l'oreille, et telz qu'ilz n'excèdent point ce terme et but, que naturellement nous sentons, soit en lisant ou écoutant.

ClIAP. X. — De bien prononcer tes vers.

Ce lieu ne me semble mal à propos dire un mot delàpronunciation, que les Grecz appellent miy.piaiç [vizir-piat;] afin que s'ilt'avientde reciter quelquesfois tes vers, tu les prononces d'un son distinct, non confuz ; viril, non efféminé ; avecques une voix accommodée à toutes les affections que tu voudras exprimer en tes vers. Et certes comme icelle pronunciation, et geste approprié à la matière que Ion [l'on] traite, voyre par le jugement de Demosthene, est le principal de l'orateur, aussi n'est-ce peu de chose que de pronuncer ses vers de bonne grâce ; veu que la poësie (comme dit Ciceron) a été inventée par observation de prudence et mesure des oreilles, dont le jugement esttressuperbe, comme de celles qui répudient toutes choses après et rudes, non seulement en composition et structure de motz, mais aussi en modulation de voix. Nous lisons cete grâce de pronuncer avoir elé fort excellente en Virgile, et telle qu'un poëte de son tens disoit que les vers de luy, par lu y pronuncez, etoint sonoreux et graves ; par autres, flacques eteffeminez.


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CliAP. XI. — De quelques obswvaiions oultrc l'Artifice, avecques une Invective contre les mauvais poètes francoys.

Je ne demeurera y longuement en ce que s'ensuit, pour ce que nostre poëte, tel que je le veux, le poura assez entendre par son bon jugement, sans aucunes traditions de reigles. Du tens donques et du lieu qu'il fault élire pour la cogitation, je ne luy en bailleray autres préceptes, que ceux que son plaisir el sa disposa tion luy ordonneront. Les uns ayment les fresches umbres des forestz, les clairs ruisselez doucement murmurans parmy les, prez ornez et tapissez de verdure. Les autres se délectent du sei cret des chambres et doctes études. Il fault s'accommoder à la saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de chercher la solitude et le silence amy des muses, qui aussi (affin que ne laisses passes cete fureur divine, qui quelquesfois agite et échauffe les espris poétiques, et sans la quele ne fault point que nul espère faire chose qui dure) n'ouvrent jamais la porte de leur sacré cabinet, sinon à ceux qui hurtent rudement.

Je ne veux oublier l'Emendation, partie certes la plus utile de notz études. L'office d'elle est ajouter, oter, ou muer à loysir ce que cete première impétuosité et ardeur d'écrire n'avoil permis de faire. Pourtant est il nécessaire, afin que noz ecriz, comme enfans nouveaux nez, ne nous flattent, les remettre à part, les revoir souvent, et, en la manière des ours, à force de lécher leur donner forme et façon de membres, non immitant ces importuns versificateurs, nommez des Grecz povuomkTayoi, qui rompent à toutes heures les oreilles des misérables auditeurs par leurs nouveaux poëmes. Il ne fault pourtant y estre trop supersticieux, ou (comme les elephans leurs petiz) estre X ans à enfanter ses vers. Sur tout nous convient avoir quelque scavant et fidèle compaignon, ou un amy bien familier, voire trois ou quatre, qui veillent et puissent congnoitre noz fautes, et ne craignent point blesser nostre papier avecques les ungles. Encores le veux-je advenir de


hanter quelquesfois, non seulement lesscavans, mais aussi toutes sortes d'ouvriers et gens mécaniques, comme marinières [mariniers] , fondeurs, peintres, engraveurs, et autres ; scavoir leurs inventions, les noms des matières, des outilz, et les termes usitez en leurs ars et métiers, pour tyrer de la ces belles comparaisons et vives descriptions de toutes choses. Vous semble point, messieurs, qui êtes si ennemis de vostre langue, que nostre poëte ainsi armé puisse sortir à la campaigne, et se montrer sur les ranez, avecques les braves scadrons grecz et romains?

Et vous autres si mal équipez, dont l'ignorance a donné le ridicule nom de Rymeursà nostre langue (comme les Latins appellent leurs mauvais poètes versificateurs), oserez vous bien endurer le soleil, la poudre, et le dangereux labeur de ce combat? Je suis d'opinion que vous retiriez au bagalge avecques les paiges et laquais , ou bien (car j'ay pitié de vous) soubz les fraiz umbraiges, aux sumptueux palaiz des grands seigneurs et cours magnifiques des princes, entre les dames et damoizelles, ou votz beaux et mignons ecriz, nom [non] de plus longue durée que vostre vie, seront receuz, admirés et adorés, non point aux doctes études et riches byblyolheques des scavans. Que pleust aux muses, pour le bien que je veux à nostre langue, que votz ineptes oeuvres feussent bannys, non seulement de la (comme ilz sont) mais de toute la France. Je voudroys bien qu'à l'exemple de ce grand monarque, qui défendit que nul irentreprist de le tirer en tableau sinon A pelle, ou en statue sinon Lysippe (1), tous roy s et princes amateurs de leur langue deffendissent, par edict exprès^ à leurs subjeetz de non mettre en lumière oeuvre aucun, et aux imprimeurs de non l'imprimer, si premièrement il n'avoit enduré la lyme de quelque scavant homme, aussi peu adulateur qu'etoit ce

(i) Edicto veluit ne quis se, proeler Apellem,

Pingeret, aut alius Lysippo duceret a:ra Foi-lis Alexandri vultum simulanlia.

lIonuT.. Epislot., lib. II, cp. i, v. 509-241.


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Quintilie, dont parle Horace en son an poétique, ou, et en infiniz autres endroitz dudit Horace, on peut voir les vices des poètes modernes exprimés si au vif, qu'il semble avoir écrit, non du tons d'Auguste, mais de Francoys et de Henry. Les medicins, dict il, promettent ce qui appartient aux medicins, les fevures taictent [traictent] ce qui appartient aux fevures,mais nous écrivons ordinairementdespoëmes, autantles indoctes comme lesdoctes(l). Voylapourquoy ne se fault émerveiller, si beaucoup de scavans ne daignent aujourd'huy écrire en nostre langue, et si les étrangers ne la prisent comme nous faisons les leur [leurs], d'autant qu'ilz voyent en icelle tant de nouveaux aucteurs ignorans., ce qui leur fait penser qu'elle n'est capable de plus grand ornement et érudition. 0 combien je désire voir sécher ces Printens, châtier ces Petites jeunesses, rabbaltre ces Coups d'essay, tarir ces Fontaines, bref abolir tous ces beaux tiltres assez suffisans pour dégoûter tout lecteur scavant d'en lire d'avantaige. Je ne souhaite moins que ces Depourveuz, ces humbles Esperans, ces Banniz de lyesse, ces Esclaves , ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde, et ces belles petites devises aux gentilzhommes et damoyselles, d'où on les a empruntées.

Quediray plus? Je supplie à Phebus Apollon que la France, après avoir été si longuement stérile, grosse de luy, enfante bien tost un poëte, dont le lue bien resonnant face taire ces enrouées cornemuses, non autrement que les grenoilles, quand on jette une pierre en leur maraiz. Et si non obstant cela, cette fièvre chaude d'écrire les tormentoit encores, je leur conseilleroy' ou d'aller prendre medicine en Anticyre, ou, pour le mieux, se remettre à l'étude, et sans honte, à l'exemple de Caton qui en

(1) Navem agere ignarus navis timet ; abrotonum oegro

Non audet, nisi qui didicit, dare ; quod medicoruui csl Promitlunt medici ; tractant fabrilia fabri : Scribimus indocli doctique poemala passim.

HoiuT., Epislot., lib. II, v. 114-117.


la; — sa vieillesse apprisl les leilres greques. Je pense bien qu'en parlant ainsi de nolz rymeurs, je sembleray à beaucoup trop mordant et satyriquc, mais véritable à ceux qui ont scavoir et jugement, et qui désirent la santé de nostre langue, ou cet ulcère et chair corrumpuc de mauvaises poësies est si invétérée, qu'elle ne se peut oter qu'avec le fer et le cautère.

Pour conclure ce propos, saiches, lecteur, que celuy sera véritablement le poêle que je cherche en noslre langue, qui me fera indigner, apayser, ejouyr, douloir, aymer, hayr, admirer, étonner , bref, qui tiendra la bride de mes affections, me tournant ça et la à son plaisir. Voyla la vraye pierre de touche ou il fault que tu épreuves tous poëmes et en toutes langues. Je m'attens bien qu'il s'en trouverra beaucoup de ceux qui ne treuvent rien bon, sinon ce qu'ilz entendent et pensent pouvoir immiter, aux quelz nostre poëte ne sera pas agréable ; qui diront qu'il n'i a aucun plaisir et moins de profit à lire telz ecriz; que ce ne sont que fictions poétiques ; que Marot n'a point ainsi ccrit. A telz, pource qu'ilz n'entendent la poésie que de nom, je ne suis délibéré de repondre, produysant pour deffence tant d'excellens ouvraigespoétiques grecz, latins et italiens, aussi aliènes de ce genre d'écrire, qu'ilz approuvent tant, comme ilz sont eux mesmes eloingnez de toute bonne érudition. Seulement veux-je admonnester celuy qui aspire à une gloyre non vulgaire, s'eloingner de ces ineptes admirateurs, fuyr ce peuple ignorant, peuple ennemy de tout rare et antique scavoir ; se contenter de peu de lecteurs , à l'exemple de celuy qui pour tous auditeurs ne demandoit que Platon ; et d'Horace, qui veult ses oeuvres estre leuz de trois ou quatre seulement, entre les quelz est Auguste.

Tu aSj lecteur, monjugement de nostre Poëte francoys, le quel tu suyvras, si tu le treuves bon, ou te tiendras au tien, si tu en as quelque autre. Car je n'ignore point combien les jugementz des hommes sont divers, comme en toutes choses, principalement en la poësie, la quelle est comme une peinture, et non moins qu'elle subjecte à l'opinion du vulgaire. Le principal but ou je


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vise, c'est la deffence de notre langue, l'ornement et amplification d'icclle, en quoy si je n'ay grandement soulaigé l'industrie et labeur de ceux qui aspirent à cete gloire, ou si du tout je ne leur ay point aydé, pour le moins je penseray avoir beaucoup fait, si je leur ay donné bonne volunté.

CHAP. XII —Exhortation aux Francoys d'écrire en leur tangue; avecques les Louanges de la France.

Donques, s'il est ainsi, que de nostre tens les astres, comme d'un accord, ont par une heureuse influence conspiré en l'honneur et accroissement de notre langue, qui sera celuy des scavans qui n'y voudra mettre la main, y rependant de tous cotez les fleurs et fruietz de ces riches cornes d'abundance greque et latine ? ou, à tout le moins, qui ne louera et approuvera l'industrie des autres? Mais qui sera celuy qui la vouldra blâmer? Nul, s'il n'est vrayment ennemy du Nom francoys. Ce prudent et vertueux Themistocle Athénien montra bien que la mesme loy naturelle, qui commande à chacun défendre le lieu de sa naissance, nous oblige aussi de garder la dignité de notre langue, quand il condamna à mort un herault du roy de Perse, seulement pour avoir employé la langue atlique aux commandemens du Barbare. La gloire du peuple romain n'est moindre (comme a dit quelqu'un) en l'amplification de son langaige que de ses limites ; car la plus haulte excellence de leur republique, voire du lens d'Auguste, n'etoit assez forte pour se deffendre contre l'injure du tens par le moyen de son Capitole, de ses Thermes et magnifiques palaiz, sans le bénéfice de leur langue, pour la quele seulement nous les louons, nous les admirons, nous les adorons.

Sommes-nous donques moindres que les Grecz ou Romains, qui faisons si peu de cas de la nostre? Je n'ay entrepris de faire comparaison de nous à ceulx la, pour ne faire tort à la verlu fran-


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coyse, la conférant à la vanité gregéoyse; et moins à ceux cy , pour la trop ennuyeuse longueur que ce serait de repeter l'origine des deux nations, leurs faictz, leurs loix, meurs et manières de vivre, les consulz, dictateurs et empereurs de l'une, les roys, ducz et princes de l'autre. Je confesse que la fortune leur ait quelquesfoys été plus favorable qu'à nous : mais aussi diray-je bien (sans renouveler les vieilles playes de Romme, et de quele excellence , en quel meprix de tout le monde, par ses forces mesmes elle a été précipitée) (1) que la France, soit en repos ou en guerre, est de long intervalle à préférer à l'Italie, serve maintenant et mercenaire de ceux aux quelz elle souloit commander. Je ne parleray icy de la temperie de l'air, fertilité de la terre, abundance de tous genres de fruictz nécessaires pour l'ayse et entretien delà vie.humaine, et autres innumerables commoditez, que le Ciel, plus prodigalement que libéralement, a elargy à la France. Je ne conteray tant de grosses rivières, tant de belles forestz, tant de villes non moins opulentes que fortes et pourveuës de toutes munitions de guerre. Finablement je ne parleray de tant de métiers, arz et sciences, qui florissent entre nous, comme la musique, peinture, statuaire, architecture, et autres, non gueres moins que jadis entre les Grecz et Romains. Et si pour trouver l'or et l'argent, le fer n'y viole point les sacrées entrailles de nostre antique mère; si les gemmes, les odeurs et autres corruptions de la première générosité des hommes, n'y sont point cherchées du marchant avare : aussi le tigre enraigé, la cruelle semence des lyons, les herbes empoisonneresses, et tant d'autres pestes de la vie humaine, en sont bien éloignées. Je suis content que ces félicitez nous soient communes avecques autres nations, principalement l'Italie : mais quand à la pieté, religion, intégrité de meurs, magnanimité de couraiges, et toutes ces vertuz rares et

(i) o Ut paulalim immutala, ex pulchenuma, pessuma ac llagitiosissnina factasil. » SALLUST. , liett. Calil., eh, 5.


antiques (qui est la vraye et solide louange), la France a tousjours obtenu sans controverse le premier lieu (1).

Pourquoy donques sommes-nous si grands admirateurs d'autruy ? pourquoy sommes nous tant iniques à nous mesmes? pourquoy mandions nous les langues étrangères, comme si nous avions honte d'user de la nostre? Caton l'aisné (je dy celuy Caton, dont la grave sentence a été tant de foys approuvée du sénat et peuple romain) dist àPosthumie Albin, s'excusantdecequeluy, homme romain, avoit écrit une Hystoire en grec : Il est vray qu'il t'eust faillu pardonner, si par le décret des Amphyctioniens tu eusses été contraint d'écrire en grec; se moquant de l'ambitieuse curiosité de celuy qui aymoit mieulx écrire en une langue étrangère qu'en la sienne. Horace dit que Romule en songe l'amonnesta, lorsqu'il faisoitdes vers grecz, de ne porter du boys en la forest, ce que font ordinairement ceux qui écrivent en grec et en latin (2).

(i) Hic ver assiduuin, alque alienis mensibus xstas ; Bis gravidx pecudes, bis pomis utilis arbos. At rabida; tigres absunt, et srcva leonum Seuiina; nec miseros fallunt aconita lcgentcs.

Adde lot egregias urbes operumque laborem, Tôt congesta manu pr.xruptis oppida saxis, Flutnina antiquos subterlabentia muros.

Salve, magna parens fruguin, Satumia tellus,

Magna virùm. » VIHGIL,, Géorgie, lib. II, v. i4g 174.

André Ghénier a imité encore de plus près ce poétique éloge de l'Ilalir dans l'Hymne à la France, qui commence par ce vers :

« France, ô belle contrée, ô terre généreuse ! »

(2) « Atquiego, quum Gra;cos lacérera, natus mare citra,

Versiculos, vetuit me tali voce Quirjnus, Post mediam noctem visus, quum somnia vera : In sylvam non ligna feras insanius, ac si Magnas Grxcorum inalis implere catervas. »

HOIUT., Sermonum. 1. I, sat. x, v. ôi-35.


Et quand la gloire seule, non l'amour de la vertu, nous devrait induire aux actes vertueux, si ne voy-je pour tant qu'elle soit moindre à celuy qui est excellent en son vulgaire, qu'à celui qui n'écrit qu'en grec ou en latin. Vray est que le nom de cetuy cy (pour autant que ces deux langues sont plus fameuses) s'etent en plus de lieux : mais bien souvent comme la fumée, qui, fort grosse au commencement, peu à peu s'evanouist parmy le grand espace de l'air, il se perd; ou, pour estre opprimé de l'infinie multitude des autres plus renommez, il demeure quasi en scilence et obscurité. Mais la gloire de cetuy la, d'autant qu'elle se contient en ses limites et n'est divisée en tant de lieux que l'autre, est de plus longue durée, comme ayant son siège et demeure certaine.

Quand Ciceron et Virgile se misrent à écrire en latin, l'éloquence et la poésie eloint encor' en enfance entre les Romains, et au plus haut de leur excellence entre les Grecz. Si donques ceux quej'ay nommez, dedaignans leur langue, eussent écrit en grec, est-il croyable qu'ilz eussent égalé Homère et Demosthenc? Pour le moins n'eussent ilz été entre les Grecz ce qu'ilz sont entre les Latins. Pétrarque semblablement et Boccace, combien qu'ilz aient beaucoup écrit en latin, si est-ce que cela n'eust été suffisant pour leur donner ce grand honneur qu'ilz ont acquis, s'ilz n'eussent écrit en leur langue. Ce que bien congnoissans, maintz bons espris de notre tens, combien qu'ilz eussent ja acquis un bruyt non vulgaire entre les Latins, se sont neantmoins convertiz à leur langue maternelle, mesmes Italiens, qui ont beaucoup plus grande raison d'adorer la langue latine que nous n'avons. Je me contenteray de nommer ce docte cardinal Pierre Bembe, duquel je doute si onques homme immita plus curieusement Ciceron , si ce n'est paraventure un Christofle Longueil. Toutesfois parce qu'il a écrit on italien, tant en vers comme en prose, il a illustré et sa langue et son nom trop plus qu'ilz n'esloint auparavant.

Quelqu'un, peut estre, doja persuadé par les raisons que j'ay alléguées, se convertirait voluntiers à son vulgaire, s'il avoit


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quelques exemples domestiques : et je dy que d'autant s'y doit il plus tost mettre, pour occuper le premier ce à quoy les autres ont failly. Les larges campaignes greques et latines sont déjà si pleines, que bien peu reste d'espace vide. Ja beaucoup d'une course légère ont attaint le but tant désiré; long temps [tens] y a que le prix est gaigné. Mais, ô bon Dieu, combien de mer nous reste encores, avant que soyons parvenuz au port ! combien le terme de nostre course est encores loing ! Toutesfoys je te veux bien avertir que tous les scavans hommes de France n'ont point méprisé leur vulgaire. Celuy qui fait renaître Aristophane, et faint si bien le nez de Lucian, en porte bon témoignage. A ma volunté que beaucoup, en divers genres d'écrire, volussent faire le semblable, non point s'amuser à dérober l'ccorcc de celuy dont je parle, pour en couvrir le boys tout vermoulu de je ne scay queles lourderies, si mal plaisantes qu'il ne faudroit autre recepte pour faire passer l'envie de ryre à Democrite. Je ne craindray point d'aleguer encores pour tous les autres ces deux lumières francoyses, Guillaume Budé et Lazare de Bayf, dont le premier a écrit, non moins amplement que doctement, l'Institution du Prince, oeuvre certes assez recommandé par le seul nom de l'ouvrier ; l'autre n'a pas seulement traduict l'Electre de Sophocle, quasi vers pour vers, chose laborieuse, comme entendent ceux qui ont essayé le semblable : mais d'avantaige a donné à nostre langue le nom d'epigranunes et à'élégies, avecques ce beau mot composé, aigredoulx, afin qu'on n'attribue l'honneur de ces choses à quelque autre. Et de ce que je dy m'a asseuré un gentilhomme mien amy, homme certes non moins digue de foy que de singulière érudition et jugement non vulgaire. Il me semble, Lecteur amy des muses francoyses, qu'après ceux que j'ay nommez, tu ne doys avoir honte d'écrire en ta langue : niais encores doibs-tu, isitu es amy delà France, voyrede tojniesnies, t'y donner du tout, avecques cete généreuse opinion, qu'il vault mieux estre un Achille entre les siens qu'un Diomede, \oyre bien souvent un Thersite, entre les aulres.


IJJ

Conclusion de tout l'Oeuvre.

Or sommes nous, la grâce à Dieu, par beaucoup de perilz et de flots étrangers, renduz au port, à seureté. Nous avons échappé du millieu des Grecz, et par les scadrons romains pénétré jusques au seing de la tant désirée France. La donques Francoys, marchez couraigeusement vers cete superbe cité romaine : et des serves dépouilles d'elle (comme vous avez fait plus d'une fois) ornez voz temples et autelz. Ne craignez plus ces oyes cryardes. ce fier Manlie et ce traitre Camile, qui soubz umbre de bonne foy, vous surprenne tous nudz contans la rançon du Capitole. Donnez en cette Grèce menteresse, et y semez encor' un coup la fameuse nation des Gallogrecz. Pillez moy sans conscience les sacrez thcsors de ce temple Delphique, ainsi que vous avez fait autrefoys ; et ne craignez plus ce muet Apollon, ces faulx oracles, ny ses flesches rebouchées. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, secondes Athènes, et de votre Hercule Galliquc, tirant les peuples après luy par leurs oreilles avecques une cliesne attachée à sa langue.

Fin de la Dc/fence cl illustration de la Langue Francoysc.



TABLE.

PRÉFACE, page vu.

Ouvrages à consulter sur l'histoire, la pureté et l'universalité

de la langue française, p. xi. DISCOURS SUR LE BON USAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE, p. i. CHAPITRE I". Diversité littéraire des langues, p. 2. .JHAP. II. Phases, époques d'une langue littéraire, p. 6. CHAP. III. Prelriière époque, ou teins archéologiques.

Avant i33o, p. 9. CHAP. IV. Tems anciens ou poétiques. Ecrivains nés de i35o

à i43o, p. 10. CHAP- V. Ecrivains nés de 14^0 à i4oo, p. i5. CHAP. VI. Transition de l'âge ancien à la renaissance. Écri -

vains nés de i5oo à i5ao, p. 20. CHAP. VII. Renaissance. Écrivains nés de i520 à 1 545, p. 24CHAP. VIII. Transition de la renaissance à l'âge classique.

Écrivains nés de i545 à i58o, p. 28. CHAP. IX. Age classique. Jeunesse. Ecrivains nés de i58o à

i6i3, p. 29. CHAP. X. Age classique. Virilité. Écrivains nés de i6i3 à

i655, p. 32. CHAP. XI. Age classique. Maturité. Écrivains nés de i655 à

1710, p. 37. CHAP. XII. Age classique. Décadence. Réaction. Écrivains

nés de 1710a 175g, p. 4°- CHAP. XIII. Naissance et développement de l'école romantique. Écrivains nés depuis 1759, p. 45CHAP. XIV. Conservation matérielle de la langue, p. 5o. CHAP. XV. Conservation logique, p. 53.

10


i58 — CHAP. XVI. Où est aujourd'hui le bon usage? p. 54CHAP. XVII. Auteurs qui font autorité dans la langue écrite,

p. 58. CHAP. XVIII. Conclusion, p. 67. Note du chapitre IX, p. 71.

LA DEFFENCE ET ILLUSTRATION DE LA LANCÉE FRANCOYSE, par

Joachim Du Bellay, p. 76. A Monseigneur le Reverendissime Cardinal Du Bellay, p. 77.

LIVRE I. CHAP. I. De l'Origine des Langues, p. 79.

CHAP. II. Q.ue la Langue francoyse ne doit estre nommée barbare, p. 80.

CHAP. III. Pourquoy la Langue francoyse n'est si riche que la greque et latine, p. 82.

CHAP. IV. Que la Langue francoyse n'est si pauvre que beaucoup l'estiment, p. 84CHAP.

84CHAP. Que les Traductions ne sont suffisantes pour donner perfection à langue francoyse, p. 86.

CHAP. VI. Des mauvais Traducteurs, et.de. ne traduyre les poêles, p. 88.

CHAP. VII. Comment les Romains ont enrichy leur langue,

p. 89. CHAP. VIII. D'amplifier la Langue francoyse par l'immitation

l'immitation anciens aucteurs grecz et romains,

P- 9°- CPIAP. IX. Response à quelques objections, p. 91.

CHAP. X. Que la Langue francoyse n'est incapable de la philosophie, et pourquoy les anciens estointpliis scavans que les hommes de notre aage, p. 94CHAP.

94CHAP. Qu'il est impossible d'égaler les Anciens en leurs langues, p. 99.

CHAP. XII. Deffence de l'auteur, p. 102.


— 1^9 — LIVRE IL CHAP. I. De l'intention de l'aucteur, p. io3.

CHAP. II. Des Poètes francoys, p. io4CHAP.

io4CHAP. Que le naturel n'est suffisant à celuy qui en poésie veult faire oeuvre digne de l'immortalité, p. 108.

CHAP. IV. QuelzgenrcsdepoëmesdoitelirelePoëtefrancoys, p. 109.

CHAP. V. Du long poëme francoys, p. 112.

CHAP. VI. D'inventer des motz, et quelques autres choses que doit observer le Toëte francoys, p. 115.

CHAP. VII. De la Rythme, et des Vers sans rythme, p. 117.

CHAP. VIII. De ce mot Rythme, de l'invention des Vers rymez, et de quelques autres antiquitez usitées en notre langue, p. 118.

CHAP. IX. Observation de quelques manières de parler francoyses, p. 120.

CHAP. X. De bien prononcer les vers, p. 123.

CHAP. XI. De quelques observations oultre l'Artifice, avec une Invective contre les mauvais poètes fran - coyp, p. 124.

CHAP. XII. Exhortation aux Francoys d'écrire en leur langue ; avecques les Louanges de la France, p. 128.

Conclusion de tout l'oeuvre, p. i33.

Au lecteur, p. 134A

134A et avare ennemy des bonnes lettres, Sonnet, p. i5f>.

FIS DE LA TABLE.