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Titre : La Divinité de Jésus-Christ démontrée par l'empereur Napoléon Ier à Sainte-Hélène, suivi de : le Verbe incarné, discours sur N.-S. Jésus-Christ, par le Rév. P. J. Etcheverry

Auteur : Antoine de Beauterne, Robert Augustin (1803-1846). Auteur du texte

Auteur : Etcheverry, Justin (1815-1890). Auteur du texte

Éditeur : A. Mame et fils (Tours)

Date d'édition : 1870

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb310034935

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : In-12, 144 p., frontisp.

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Description : Comprend : Le Verbe incarné, discours sur N.-S. Jésus-Christ

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k61283275

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LB48-3292 (B)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 03/11/2010

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BIBLIOTHÈQUE

DE LA

JEUNESSE CHRÉTIENNE

APPROUVÉE

PAR MGR L'ARCHEVÊQUE DE TOURS

5e SÉRIE IN-12


PROPRIÉTÉ DES ÉDITEURS




LA DIVINITE

DE

JESUS-CHRIST

DEMONTRÉE PAR

L'EMPEREUR NAPOLÉON IER

A SAINTE-HÉLÈNE

SUIVI DE

LE VERBE INCARNÉ

DISCOURS SUR N.-S. JÉSUS-CHRIST

PAR LE REV. P. J. ETCHEVERRY

NOUVELLE EDITION

TOURS

ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS

M DCCC LXX



LA DIVINITE

DE

JESUS-CHRIST

Ce mémorable discours a inspiré à un grand orateur chrétien qui est en même temps un admirable écrivain, une de ses plus éloquentes pages. Il nous à paru utile de la reproduire ici, en forme de prologue. Le lecteur, assurément, ne s'en plaindra pas.

I

Lacordaire et Napoléon.

« Notre âge, dit le P. Lacordaire, s'ouvrit par un homme qui surpassa tous nos contemporains, et que nous, venus après, nous n'avons pu égaler. Conquérant, législateur, fondateur d'empire, il eut un nom et une pensée qui sont encore présents partout. Après avoir accompli l'oeuvre de Dieu sans y croire, il disparut, cette oeuvre achevée, et se coucha comme un astre


8 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

éteint dans les eaux profondes de l'océan Atlantique. Là, sur un rocher, il aimait à ramener devant lui-même sa propre vie, et, de lui remontant à d'autres auxquels il avait droit de se comparer, il ne put éviter, sur ce théâtre illustre dont il faisait partie, d'entrevoir une figure plus grande que la sienne : le malheur ouvre l'âme à la lumière que la prospérité ne discerne pas. La figure revenait toujours, il fallut la juger. Un des soirs de ce long exil, qui expiait les fautes du passé et éclairait la route de l'avenir, le conquérant tombé s'enquit d'un des rares compagnons de sa captivité s'il pouvait bien lui dire ce que c'était que JésusChrist. Le soldat s'excusa ; il avait eu trop à faire depuis qu'il était au monde pour s'occuper de cette question.

« Quoi ! reprit douloureusement l'interlocuteur, tu as été baptisé dans l'Église catholique, et tu ne peux pas me dire à moi, sur ce rocher qui nous dévore, ce que c'était que Jésus-Christ? Eh bien, c'est moi qui vais te le dire.

« Et alors, ouvrant l'Evangile, non pas de la main, mais d'un coeur qui en était rempli, il se mit à comparer Jésus-Christ avec lui-même


LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. 9

et tous les plus grands hommes de l'histoire, il releva les différences caractéristiques qui mettent Jésus-Christ à part de toute l'humanité, et, après un torrent d'éloquence qu'aucun Père de l'Eglise n'aurait désavoué, il conclut par ce mot : « Enfin, je me connais en hommes, et je te dis que Jésus-Christ n'était pas un homme. »

« .... Un jour aussi, sur la tombe de son grand capitaine, la France gravera ces paroles, et elles y brilleront d'un plus immortel éclat que le soleil des Pyramides et d'Austerlitz. »

Maintenant laissons parler l'empereur.

II

Jésus-Christ est-il Dieu ?

« Un soir, à Sainte-Hélène, la conversation était animée; on traitait un sujet bien élevé : il s'agissait de la divinité de Jésus-Christ. Napoléon défendait la vérité de ce dogme avec les arguments et l'éloquence d'un homme de génie, avec quelque chose aussi de la foi native du Corse et de l'Italien.


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« Aux objections d'un de ses interlocuteurs qui dans le Sauveur ne semblait voir qu'un sage, un philosophe illustre, un grand homme, l'empereur répondit (1) :

« Je connais les hommes, et je vous dis que Jésus n'est pas un homme.

« Les esprits superficiels voient de la ressemblance entre le Christ et les fondateurs d'empires, les conquérants et les dieux des autres religions. Cette ressemblance n'existe pas. Il y a entre le christianisme et quelque religion que ce soit la distance de l'infini.

« Le premier venu tranchera la question comme moi, pourvu qu'il ait une vraie connaissance des choses et l'expérience des hommes. »

III

Les dieux du paganisme.

« Quel est celui de nous qui, envisageant avec cet esprit d'analyse et de critique que

(1) Napoléon n'a jamais prononcé tout d'une haleine le magnifique plaidoyer qu'on va lire. L'auteur a donc réuni et rassemblé ici ce qui a été dit dans plusieurs conversations.


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nous avons les différents cultes des nations, ne puisse dire en face à leurs auteurs :

« Non, vous n'êtes ni des dieux, ni des « agents de la Divinité ; non, vous n'avez « point de mission du Ciel. Vous êtes plutôt « les missionnaires du mensonge; mais, à « coup sûr, vous fûtes pétris du même limon « que le reste des mortels. Vous êtes bien de « la race et de la famille d'Adam. Vous ne « faites qu'un avec toutes les passions et tous « les vices qui en sont inséparables, telle« ment qu'il a fallu les déifier avec vous. Vos « temples et vos prêtres proclament eux« mêmes votre origine. Votre histoire est « celle des inventeurs du despotisme. Si vous « exigeâtes de vos sujets le culte et les hon« neurs qui ne sont dus qu'à Dieu seul, vous « fûtes inspirés par l'orgueil naturel au rang « suprême. Et certainement ce ne fut ni la « liberté, ni la conscience qui vous obéirent « d'abord, mais la bassesse, le besoin et l'a« mour du merveilleux, l'ignorance et la su« perstition ; voilà vos premiers adorateurs. » « Tel sera le jugement, le cri de la conscience de quiconque interrogera les dieux ou les temples du paganisme.


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« Reconnaître la vérité est un don du Ciel et le caractère propre d'un excellent esprit ; mais il n'est personne qui ne puisse rejeter tout de suite le mensonge. Ce qui est faux répugne, et se reconnaît à une simple vue.

« Eh bien, il s'élève constamment un flot sans cesse renaissant d'objections contre la vraie religion, soit. D'où vient qu'on n'en fait aucune contre les fausses ? C'est que sans hésiter tout le monde les croit fausses.

« Jamais le paganisme fut il accepté comme la vérité absolue par les sages de la Grèce, ni par Pythagore ou par Socrate, ni par Platon, ni par Anaxagore ou Périclès ?

« Ces grands hommes se récréaient avec les récits du bon Homère, comme avec les riantes imaginations de la Fable ; mais ils ne les adoraient pas.

« Au contraire, les plus grands esprits, depuis l'apparition du christianisme, ont eu la foi, et une foi vive, une foi pratique aux mystères et aux dogmes de l'Évangile : nonseulement Bossuet, Fénelon, dont c'était l'état de le prêcher, mais Descartes et Newton, Leibnitz et Pascal, Corneille et Racine, Charlemagne et Louis XIV. D'où vient cette sin-


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gularité, qu'un symbole aussi mystérieux et obscur que le symbole des apôtres ait été reçu avec un profond respect par nos plus grands hommes, tandis que des théogonies puisées dans les lois de la nature, et qui n'étaient, à vrai dire, que des explications systématiques du monde, n'ont pu parvenir à en imposer à un homme instruit? Qu'est-ce qui a le plus médit de l'Olympe païen, sinon les païens ?

« La raison en est bien naturelle : derrière le voile de la mythologie, un sage aperçoit tout de suite la marche et les lois des sociétés naissantes, les illusions et les passions du coeur humain, les symboles et l'orgueil de la science.

« La mythologie est la religion de la fantaisie. Les poètes, en déifiant leurs rêves, suivirent la pente naturelle à notre esprit, qui exagère sa puissance jusqu'à s'adorer lui-même, parce qu'il ignore ses limites.

« Ici, tout est humain, tout crie en quelque sorte : « Je suis l'oeuvre de la créature. » Cela saute aux yeux : tout est imparfait, incertain, incomplet, les contradictions fourmillent. Tout ce merveilleux de la Fable


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amuse l'imagination, mais ne satisfait pas la raison.

« Ce n'est point avec des métaphores ni avec de la poésie qu'on explique Dieu, qu'on parle de l'origine du monde et qu'on révèle les joies de l'intelligence.

« Le paganisme est l'oeuvre de l'homme. On peut lire ici notre imbécillité et notre cachet, qui sont écrits partout.

« Que savent-ils de plus que les autres mortels, ces dieux si vantés, ces législateurs grecs ou romains : ces Numa, ces Lycurgue, ces prêtres de l'Inde et de Memphis, ces Confucius, ces Mahomet ? Rien absolument.

« ils ont fait un vrai chaos de la morale ; mais est-il un seul d'entre eux qui ait dit rien de neuf relativement à notre destinée à venir, à notre âme, à l'essence de Dieu et à la création? Les théosophes ne nous ont rien appris de ce qu'il nous importe de savoir, et nous ne tenons d'eux aucune vérité essentielle. La question religieuse n'est pas même entamée par eux, tant leur théogonie est embrouillée, confuse, obscure. »


LA DIVINITE DE JÉSUS-CHRIST. 15

IV

Supériorité du christianisme sur les autres religions.

« Il est une vérité primitive qui remonte au berceau de l'homme, qu'on retrouve chez tous les peuples, écrite par le doigt de Dieu dans notre âme : la loi naturelle, d'où dérivent le devoir, la justice, l'existence de Dieu, la connaissance de ce que c'est que l'homme, composé d'un esprit et d'un corps.

«Une seule religion accepte pleinement la loi naturelle, une seule s'en approprie les principes, une seule en fait l'objet d'un enseignement perpétuel et public. Quelle est cette religion ? Le christianisme.

« La loi naturelle chez les païens, au contraire , était méconnue, défigurée, modifiée par l'égoïsme, et dépendante de la politique. On la tolérait, mais on n'en connaissait pas le caractère sacré. Cette loi n'avait ni temple, ni prêtres, ni d'autre asile que le langage, où Dieu la conservait par une sagesse de sa providence.

« La mythologie est un temple consacré à


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la force, aux héros, à la science, aux bienfaits de la nature. Les sages n'y ont pas de place; en effet, les sages sont les ennemis naturels de cette idolâtrie qui divinise la matière.

« Aussi, pénétrez dans les sanctuaires, vous n'y trouvez ni l'ordre, ni l'harmonie, mais un vrai chaos, mille contradictions, la guerre entre les dieux, l'immobilité de la sculpture, la division et le déchirement de l'unité, le morcellement des attributs divins, altérés ou niés dans leur essence, les sophismes de l'ignorance et de la présomption, des fêtes profanes, le triomphe de la débauche, l'impureté et l'abomination adorées, toutes les sortes de corruption gisant parmi d'épaisses ténèbres avec un bois pourri, l'idole et son prêtre. Est-ce là ce qui glorifie de Dieu, ou ce qui le déshonore ?

« Sont-ce là des religions et des dieux à comparer au christianisme?

« Pour moi, je dis : Non. J'appelle l'Olympe entier à mon tribunal. Je juge les dieux ; mais je suis loin de me prosterner devant de vains simulacres. Les dieux, les législateurs de l'Inde et de la Chine, de Rome et d'Athènes , n'ont rien qui m'en impose. Non pas


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que je sois injuste à leur égard ; non, je les apprécie parce que j'en sais la valeur. Sans doute les princes dont l'existence se fixa dans la mémoire comme une image de l'ordre et de la puissance, comme un idéal de la force et de la beauté, ne furent point des hommes ordinaires.

« Mais il faut aussi calculer dans ces résultats l'ignorance de ces premiers âges du monde. Cette ignorance fut grande, puisque les vices furent divinisés avec les vertus, tant l'imagination joua le rôle principal dans cette séduction curieuse. Ainsi la violence, la richesse, tous les signes et l'orgueil de la puissance , l'amour du plaisir, la volupté sans frein, l'abus de la force, sont les traits saillants de la biographie des dieux, tels que la Fable et les poëtes les présentent et nous en font un naïf récit. »

V

Supériorité de Jésus-Christ sur tous les grands hommes.

« Je ne vois dans Lycurgue, Numa, Confucius et Mahomet, que des législateurs qui,


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ayant le premier rôle dans l'État, ont cherché la meilleure solution du problème social ; mais je ne vois rien là qui décèle la divinité ; eux-mêmes n'ont pas élevé leurs prétentions si haut.

« Il est évident que la postérité seule a divinisé les premiers despotes, les héros, les princes des nations et les instituteurs des premières républiques. Pour moi, je reconnais les dieux et ces grands hommes pour des êtres de la même nature que moi. Leur intelligence , après tout, ne se distingue de la mienne que d'une certaine façon. Ils ont primé, rempli un grand rôle dans leur temps, comme j'ai fait moi-même. Rien chez eux n'annonce des êtres divins ; au contraire, je vois de nombreux rapports entre eux et moi, je constate des ressemblances, des faiblesses et des erreurs communes qui les rapprochent de moi et de l'humanité. Leurs facultés sont celles que je possède moi-même : il n'y a de différence que dans l'usage que nous en avons fait, eux et moi, selon le but différent que nous nous sommes proposé, et selon le pays et les circonstances...

« Il n'en est pas de même du Christ. Tout


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de lui m'étonne ; son esprit me dépasse, et sa volonté me confond. Entre lui et quoi que ce soit au monde, il n'y a pas de terme possible de comparaison. Il est vraiment un être à part : ses idées et ses sentiments, la vérité qu'il annonce, sa manière de convaincre, ne s'expliquent ni par l'organisation humaine, ni par la nature des choses.

« Sa naissance et l'histoire de sa vie, la profondeur de son dogme, qui atteint vraiment la cime des diflicultés, et qui en est la plus admirable solution; son Évangile, la singularité de cet être mystérieux, son apparition, son empire, sa marche à travers les siècles et les royaumes, tout est pour moi un prodige, je ne sais quel mystère insondable... qui me plonge dans une rêverie dont je ne puis sortir, mystère qui est là sous mes yeux, mystère permanent que je ne peux nier, et que je ne puis expliquer non plus.

« Ici je ne vois rien de l'homme.

« Plus j'approche, plus j'examine de près : tout est au-dessus de moi, tout demeure grand d'une grandeur qui écrase; et j'ai beau réfléchir, je ne me rends compte de rien...

« Sa religion est un secret à lui seul, et


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provient d'une intelligence qui certainement n'est pas une intelligence de l'homme. Il y a là une originalité profonde qui crée une série de mots et de maximes inconnus. Jésus n'emprunte rien à aucune de nos sciences. On ne trouve absolument qu'en lui seul l'imitation ou l'exemple de sa vie. Ce n'est pas non plus un philosophe, puisqu'il procède par des miracles, et dès le commencement ses disciples sont ses adorateurs. Il les persuade bien plus par un appel aux sentiments que par un déploiement fastueux de méthode et de logique; aussi ne leur impose-t-il ni des études préliminaires, ni la connaissance des lettres. Toute sa religion consiste à croire.

« En effet, les sciences et la philosophie ne servent de rien pour le salut, et Jésus ne vient dans le monde que pour révéler les secrets du Ciel et les lois de l'esprit.

« Aussi n'a-t-il affaire qu'à l'âme, il ne s'entretient qu'avec elle, et c'est à elle seule qu'il apporte son Évangile.

« L'âme lui suffit, comme il suffit à l'âme. Jusqu'à lui, l'âme n'était rien ; la matière et le temps étaient les maîtres du monde. A sa voix, tout est rentré dans l'ordre. La science


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et la philosophie ne sont plus qu'un travail secondaire. L'âme a reconquis sa souveraineté. Tout l'échafaudage scolastique tombe comme un édifice ruiné par un seul mot :

LA FOI.

« Quel maître, quelle parole qui opère une telle révolution ! Avec quelle autorité il enseigne aux hommes la prière, il impose ses croyances ! et nul ici ne peut contredire, d'abord parce que l'Évangile contient la morale la plus pure, et ensuite parce que le dogme, dans ce qu'il contient d'obscur, n'est autre chose que la proclamation et la vérité de ce qui existe là où nul oeil ne peut voir et où nul raisonnement ne peut atteindre.

« Quel est l'insensé qui dira Non au voyageur intrépide qui raconte les merveilles des pics glacés, que lui seul a eu l'audace de visiter ?

« Le Christ est ce hardi voyageur. On peut demeurer incrédule, sans doute ; mais on ne peut pas dire : Cela n'est pas.

« D'ailleurs consultez les philosophes sur ces questions mystérieuses qui sont l'essence de l'homme, et aussi l'essence de la religion ; quelle est leur réponse? Quel est l'homme de


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bon sens qui a, jamais rien compris aux systèmes de la métaphysique ancienne ou moderne, qui ne sont vraiment qu'une vaine et pompeuse idéologie, sans aucun rapport avec notre vie domestique, avec nos passions ? Sans doute, à force de réfléchir, on parvient à saisir la clef de la philosophie de Socrate et de Platon ; mais il faut être métaphysicien, et il faut de plus, avec des années d'étude, une aptitude spéciale. Mais le bon sens tout seul, le coeur, un esprit droit suffisent pour comprendre le christianisme.

« La religion chrétienne n'est pas de l'idéologie ni de la métaphysique, mais une règle pratique qui dirige les actions de l'homme, qui le corrige, le conseille et l'assiste dans toute sa conduite. La Bible offre une série complète de faits et d'hommes historiques, pour expliquer le temps et l'éternité, telle qu'aucune autre religion n'est à même d'en offrir ; si ce n'est pas la vraie religion, on est excusable de s'y tromper, car tout cela est grand et digne de Dieu. »


LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. 23

VI

Aucun homme ne ressemble à Jésus-Christ.

« Je cherche en vain dans l'histoire pour y trouver le semblable de Jésus-Christ, ou quoique ce soit qui approche de l'Évangile. Ni l'histoire, ni l'humanité, ni les siècles, ni la nature ne m'offrent rien avec quoi je puisse le comparer ou l'expliquer. Ici tout est extraordinaire ; plus je le considère, plus je m'assure qu'il n'y a rien là qui ne soit en dehors de la marche des choses et au-dessus de l'esprit humain.

« Les impies eux-mêmes n'ont jamais osé nier la sublimité de l'Évangile, qui leur inspire une sorte de vénération forcée. Quel bonheur ce livre procure à ceux qui y croient ! Que de merveilles y admirent ceux qui l'ont médité!

« Tous les mots y sont scellés et solidaires l'un de l'autre, comme les pierres d'un même édifice. L'esprit qui lie les mots entre eux est un ciment divin qui tour à tour en découvre le sens ou le cache à l'esprit. Chaque phrase


24 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

a un sens complet, qui retrace la perfection de l'unité et la profondeur de l'ensemble ; livre unique où l'esprit trouve une beauté morale inconnue jusque-là, et une idée de l'infini supérieure à celle même que suggère la création ! Quel autre que Dieu pouvait produire ce type, cet idéal de perfection, également exclusif et original, où personne ne peut ni critiquer, ni ajouter, ni retrancher un seul mot ; livre différent de tout ce qui existe, absolument neuf, sans rien qui le précède et sans rien qui le suive.

« Vous parlez de Confucius, de Zoroastre, de Numa, de Jupiter et de Mahomet ; mais il y a entre eux et le Christ cette différence que, de même que tout ce qu'il a fait est d'un Dieu, il n'est rien chez eux, au contraire , qui ne soit d'un homme. L'action de ces mortels fut bornée à leur vie, et ce fut de leur vivant qu'ils établirent leur culte à l'aide des passions, avec la force et à la faveur des événements politiques. »


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VII

Le Christ est un fou, ou un imposteur, ou un Dieu.

« Le Christ attend tout de sa mort : est-ce là l'invention d'un homme? Non ; c'est, au contraire, une marche étrange, une confiance surhumaine, une réalité inexplicable. N'ayant encore que quelques disciples grossiers, le Christ est condamné à mort ; il meurt objet de la colère des prêtres juifs et du mépris de sa nation, abandonné et contredit par les siens. Et comment pouvait-il en être autrement de celui qui avait annoncé par avance ce qui allait lui arriver ?

« On va me prendre, on me crucifiera « (disait-il), je serai abandonné de tout le « monde, mon premier disciple me reniera « au commencement de mon supplice. Je « laisserai faire les méchants ; mais ensuite, « la justice divine étant satisfaite, le péché « originel étant expié par mon supplice , le « lien de l'homme avec Dieu sera renoué , et « ma mort sera la vie de mes disciples : alors

1*


26 LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST.

« ils seront plus forts sans moi qu'avec moi ; « car ils me verront ressuscité : je monterai « au ciel, et je leur enverrai du ciel un Esprit « qui les instruira : l'esprit de la croix leur « fera concevoir mon. Évangile. ; enfin ils y « croiront, ils le prêcheront, ils le persua« deront à l'univers tout entier. »

« Et cette folle promesse, si bien appelée, par saint Paul la folie de la croix, cette prédiction d'un misérable crucifié s'est accomplie littéralement... Et le mode de l'accomplissement est peut-être plus prodigieux que la promesse.

« Ce n'est ni un jour ni une bataille qui en ont décidé : est-ce la vie d'un homme ? Non. C'est une guerre, un long combat de trois cents ans, commencé par les apôtres et entretenu par leurs successeurs et par le flot successif des générations chrétiennes. Depuis saint Pierre, les trente-deux évêques de Rome qui ont succédé immédiatement à sa primauté ont été comme lui martyrisés. Ainsi, trois siècles durant, la chaire romaine fut un échafaud, qui procurait infailliblement la mort à celui qui y était appelé. Et rarement les autres évêques, pendant cette période de


LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. 27

trois cents ans, eurent une destinée meilleure.

« Dans cette guerre, tous les rois et toutes les forces de la terre se trouvent d'un côté, et de l'autre je ne vois pas d'armée, mais une énergie mystérieuse , quelques hommes disséminés ça et là dans toutes les parties du globe , n'ayant d'autre signe de ralliement qu'une foi commune dans le mystère de la Croix.

« Quel étrange symbole ! l'instrument du supplice de l'Homme-Dieu, ses disciples en sont armés. Ils portent la croix dans l'univers avec leur conviction, flamme ardente qui se propage de proche en proche « Le « Christ, Dieu, disent-ils, est mort pour le « salut des hommes. » Quelle lutte, quelle tempête , soulèvent ces simples paroles autour de l'humble étendard du supplice de l'Homme-Dieu!

« Que de sang versé des deux parts ! quel acharnement! Mais ici la colère et toutes les fureurs de la haine et de la violence; là, la douceur, le courage moral, une résignation infinie. Pendant trois cents ans , la pensée lutte contre la brutalité des sensations, la


28 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

conscience contre le despotisme, l'âme contre le corps, la vertu contre tous les vices. Le sang des chrétiens coule à flots. Ils meurent en baisant la main de celui qui les tue. L'âme seule proteste, pendant que le corps se livre à toutes les tortures. Partout les chrétiens succombent, et partout ce sont eux qui triomphent. »

VIII

Le Christ au delà du tombeau.

« Vous parlez de César et d'Alexandre, de leurs conquêtes et de l'enthousiasme qu'ils surent allumer dans le coeur du soldat pour l'entraîner avec eux dans des expéditions aventureuses; mais il faut voir là le prix de l'amour du soldat, l'ascendant du génie et de la victoire, l'effet naturel de la discipline militaire et le résultat d'un commandement habile et légitime. Mais combien d'années l'empire de César a-t-il duré? Combien de temps l'enthousiasme des soldats pour Alexandre s'est-il soutenu? Ils ont joui de


LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. 29

ces hommages un jour, une heure, le temps de leur commandement et au plus de leur vie, selon les caprices du nombre et du hasard, selon les calculs de la stratégie, enfin selon les chances de la guerre... Et si la victoire infidèle les eût quittés, doutez-vous que l'enthousiasme n'eût aussitôt cessé ? Je vous le demande, l'influence militaire de César et d'Alexandre a-t-elle fini avec leur vie? s'est-elle prolongée au delà du tombeau? « Concevez-vous un mort faisant des conquêtes avec une armée fidèle et toute dévouée à sa mémoire. Concevez-vous un fantôme qui a des soldats sans solde, sans espérance pour ce monde-ci, et qui leur inspire la persévérance et le support de tous les genres de privations ? Hélas ! le corps de Turenne était encore tout chaud, que son armée décampait devant Montécuculli. Et moi, mes armées m'oublient tout vivant, comme l'armée carthaginoise fit d'Annibal. Voilà notre pouvoir à nous autres grands hommes ! une seule bataille perdue nous abat, et l'adversité nous enlève nos amis. Que de Judas j'ai vus autour de moi ! Ah ! si je n'ai pu persuader ces grands politiques, ces généraux qui m'ont


30 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

trahi, s'ils ont méconnu mon nom, et nié les miracles d'un amour vrai de la patrie et de la fidélité quand même... à leur souverain...; si moi, qui les avais menés à la victoire, je n'ai pu, vivant, réchauffer ces coeurs égoïstes, par où donc, étant glacé moi-même par la mort, parviendrai-je à entretenir, à reveiller leur zèle?

« Concevez-vous César, empereur éternel du sénat romain, et de son mausolée gouvernant l'empire , veillant sur les destins de Rome ? Telle est l'histoire de l'envahissement et de la conquête du monde par le christianisme ; voilà le pouvoir du Dieu des chrétiens, et le perpétuel miracle du progrès de la foi et du gouvernement de son Église. Les peuples passent, les trônes croulent, et l'Église demeure! Quelle est donc la force qui fait tenir debout cette Église assaillie par l'océan furieux de la colère et du mépris du siècle? Quel est le bras, depuis dix-huit cents ans , qui l'a préservée de tant d'orages qui ont menacé de l'engloutir?

« Dans toute autre existence que celle du Christ, que d'imperfections, que de vicissitudes ! Quel est le caractère qui ne fléchisse


LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST. 31

abattu par de certains obstacles? Quel est l'individu qui ne soit modifié par les événements ou par les lieux, qui ne subisse l'influence du temps et qui ne transige avec les moeurs et les passions, avec quelque nécessité qui le surmonte? »

XI

Jésus et Mahomet.

« Je défie de citer aucune existence, comme celle du Christ, exempte de la moindre altération de ce genre, qui soit pure de ces souillures et de ces vicissitudes.

« Depuis le premier jour jusqu'au dernier, il est le même, toujours le même, majestueux et simple, infiniment sévère et infiniment doux; dans un commerce de vie, pour ainsi dire, public, Jésus ne donne jamais de prise à la moindre critique ; sa conduite, si prudente, ravit l'admiration par un mélange de force et de douceur. Qu'il parle ou qu'il agisse, Jésus est lumineux, immuable, impassible. Le sublime, dit-on , est un trait de la Divinité :


32 LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST.

quel nom donner à celui qui réunit en soi tous les traits du sublime?

« Le mahométisme , les cérémonies de Numa , les institutions de Lycurgue, le polythéisme et la loi mosaïque même sont bien plus des oeuvres de législation que des religions.

« En effet, chacun de ces cultes se rapporte plus à la terre qu'au ciel. Il s'agit là surtout d'un peuple et des intérêts d'une nation. Et n'est-il pas évident que la vraie religion ne saurait être circonscrite à un seul pays ? La vérité doit embrasser l'univers. Tel est le christianisme, la seule religion qui détruise la nationalité , la seule qui proclame l'unité et la fraternité absolue de l'espèce humaine, la seule qui soit purement spirituelle , enfin la seule qui assigne à tous, sans distinction, pour vraie patrie le sein d'un Dieu créateur.

« Le Christ prouve qu'il est le Fils de l'Éternel , par son mépris du temps ; tous ses dogmes signifient une seule et même chose : « l'éternité. »

« Aussi comme l'horizon de son empire s'étend et se prolonge indéfiniment ! Le Christ règne par delà la vie et par delà la mort ; le


LA DIVINITÉ DE JESUS-CHRIST. 33

passé et l'avenir sont également à lui; le royaume de la vérité n'a et ne peut avoir, en effet, d'autre limite que le mensonge. Tel est le royaume de l'Évangile, qui embrasse tous les lieux et tous les peuples. Jésus s'est emparé du genre humain : il en a fait une seule nation, la nation des honnêtes gens, qu'il appelle à une vie parfaite. Les ennemis du Christ relèvent de lui, comme ses amis, par le jugement qu'il exercera sur tous au dernier jour.

« Mahomet sans doute proclame L'unité de Dieu : cette vérité est l'essence et le dogme principal de sa religion. Je le reconnais ; mais tout le monde sait qu'il ne l'affirme que d'après Moïse et la tradition juive. L'esprit de Mahomet, ou plutôt son imagination, a fait tous les frais de tous les autres dogmes de l'Alcoran, livre plein de confusion et d'obscurité, d'un novateur passionné qui se tourmente pour résoudre avec le génie des questions qui sont plus hautes que le génie ; et il n'aboutit vraiment qu'à des turpitudes ! Tant il est vrai qu'il n'est donné à personne, même à un grand homme, de rien dire de satisfaisant sur Dieu, le paradis et la vie future, si


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Dieu ne l'en instruit lui-même préalablement !

« Aussi Mahomet n'est vrai qu'autant qu'il s'appuie sur la Bible et sur le sentiment inné de la croyance en Dieu.

« Pour tout le reste, l'Alcoran n'est vraiment qu'un système hardi de domination, d'envahissement politique.

» Partout l'homme ambitieux se montre à découvert dans Mahomet. Vil flatteur de toutes les passions les plus chères au coeur de l'homme, comme il caresse la chair ! quelle large part il fait à la sensualité !

« Est-ce vers la vérité de Dieu qu'il veut entraîner l'Arabe, ou vers la séduction de toutes les jouissances permises dans cette vie, et promises comme l'espoir et la récompense de l'autre ?

» Il fallait enlever un peuple ; l'appel aux passions fut nécessaire, à la bonne heure ! Il a réussi ; mais la cause de son triomphe sera la cause de sa ruine. Tôt ou tard le croissant disparaîtra de la scène du monde, et la croix y demeurera !

« Le sensualisme tue en définitive les nations aussi bien que les individus qui ont


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la folie d'en faire la base de leur existence.

« De plus, ce faux prophète s'adresse à une seule nation, et il a senti le besoin de jouer deux rôles, le rôle politique et le rôle religieux. Il a effectivement conquis et il possède toute la puissance du premier. Pour le second, s'il en a eu le prestige, il n'en a pas eu la réalité. Jamais il n'a donné de preuves de la divinité de sa mission. Une ou deux fois il veut s'étayer d'un miracle, et il échoue honteusement. Personne ne croit à ses miracles, parce que Mahomet n'y croyait pas lui-même ; ce qui prouve qu'il n'est pas aussi aisé qu'on se l'imagine d'en imposer sous ce rapport.

« Si le titre d'imposteur s'accole facilement au nom de Mahomet, il répugne tellement avec celui du Christ, que je ne crois pas qu'aucun ennemi du christianisme ait jamais osé l'en flétrir.

« Et cependant il n'y a pas de milieu : le Christ est un imposteur, ou il est Dieu. »


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X

Le Christ affirme victorieusement sa divinité.

« Le Christ n'a point d'ambition terrestre, il est exclusivement à sa mission céleste. Il lui était facile d'exercer une grande séduction, et d'avoir de la puissance, en devenant un homme politique. Tout s'y prêtait et allait au-devant de lui, s'il eût voulu.

« Les Juifs attendaient un Messie temporel qui devait subjuguer leurs ennemis, un roi dont le sceptre rangerait le monde entier sous leur domination. Certes, il y avait là une tentation difficile à surmonter, et l'élément naturel d'une grande usurpation. Jésus est le premier qui ose attaquer publiquement l'interprétation erronée des Écritures. Il s'attache à démontrer que ces victoires et ces conquêtes du Christ sont des victoires spirituelles , qu'il s'agit de la répression des vices, de l'assujettissement des passions, et de l'envahissement pacifique des âmes; et si les Écritures annoncent la soumission éclatante de l'univers, cette soumission absolue


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regarde le second avènement qui arrivera à la fin du monde.

« Jésus prend un soin tout particulier d'inculquer cette explication toute spirituelle à ses disciples. On veut, dans plusieurs occasions, se saisir de lui pour le faire roi; il écarte de son front la couronne, il n'en veut pas : il en veut une autre, que la Vierge, sa mère, lui a préparée : il la ceindra le jour de son grand sacrifice.

« Jésus ne pactise pas davantage avec les autres faiblesses humaines. Les sens, ces tyrans de l'homme, sont traités par lui en esclaves faits pour obéir et non pour commander. Les vices sont les objets de sa haine implacable. Il mortifie les passions, qui sont l'élément naturel des grands succès. Il parle en maître à la nature humaine dégradée, en maître courroucé qui exige une expiation. Sa parole, tout austère qu'elle est, s'insinue dans l'âme comme un air subtil et pur ; la conscience en est pénétrée et silencieusement persuadée.

« Jésus met de côté la politique, qui est chose superflue pour de vrais chrétiens, qui adorent le dogme de la fraternité divine.


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« Certes, voilà un homme, voilà un pontife à part, et une religion qui se sépare vraiment de toutes les autres religions ; et celuilà est un menteur, qui dit qu'il y a quelque part quelque chose qui ressemble à cela.

« Il est vrai que le Christ propose à notre foi une série de mystères. Il commande avec autorité d'y croire sans donner d'autre raison que cette parole épouvantable : Je suis Dieu.

« Il le déclare ! quel abîme il creuse par cette déclaration entre lui et tous les faiseurs de religion ! Quelle audace, quel sacrilége, quel blasphème, si ce n'était vrai ! Je dis plus : le triomphe universel d'une affirmation de ce genre; si ce triomphe n'était bien réellement celui de Dieu même, serait une excuse plausible et la preuve de l'athéisme. »

XI

Le Christ et les mystères.

« En proposant des mystères, le Christ est conséquent avec la nature des choses, qui est profondément mystérieuse. D'où viens-je?


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où vais-je? que suis-je? La vie humaine est un mystère dans son origine, dans son organisation et dans sa fin. Dans l'homme et hors de l'homme, dans la nature, tout est mystère, et l'on vaudrait que la religion ne fût pas mystérieuse ? La création et la destinée du monde sent un abîme impénétrable, aussi bien que la destinée et la création d'un seul individu. Le christianisme, du moins, n'élude pas ces grandes questions : il les attaque en face, et nos dogmes en sont une solution pour celui qui croit. Les païens ne niaient pas que la nature des choses ne fût mystérieuse ; chez eux, le mystère était partout ; ils en avaient de toutes les sortes : mystères d'Isis, mystères de Bacchanales, mystères de sagesse et d'infamie. C'est ici qu'à bon droit on peut se révolter de la nuit impure et profonde qui enveloppe le sanctuaire.

« Quel amalgame hétérogène de principes contradictoires que la théogonie chaldéenne, grecque et égyptienne! quel océan d'idées mal digérées, unies sans liaison, sans hiérarchie ! quel mélange du sublime et de l'absurde, du sacré et du profane ! Ce qui est le moins obscur se rapporte évidemment à l'ori-


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gine des sociétés, à leur histoire et surtout à celle des premiers princes, tandis que le dogme rappelle les mêmes croyances ou plutôt les mêmes erreurs d'une tradition perdue. Et le sanctuaire païen est vraiment le réceptacle ténébreux des lueurs fausses des sens, le rendez-vous impur de mille bizarreries de l'imagination, et l'asile consacré de toutes les folies du coeur et de toutes les aberrations des siècles.

« De tels temples, de tels prêtres peuventils être les temples et les prêtres de la vérité? Qui oserait le soutenir ? Non, jamais les païens eux-mêmes ne l'ont cru sérieusement.

« Le christianisme seul a affiché dès sa naissance cette prétention , et seul il en a le droit, parce que son dogme est conséquent et d'accord avec cette prétention. Le polythéisme en eut le pressentiment, quand il attaqua le christianisme avec tant de fureur. La voix du christianisme fut entendue comme un cri puissant de la science, qui venait réveiller la conscience. Aussitôt l'idolâtrie se sentit attaquée dans sa base, et, n'ayant rien à opposer à l'attaque de ce cri généreux, l'idolâtrie, menacée dans son existence, ré-


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pondit par un cri de rage. Cette rage n'était pas de la conviction, mais le désespoir de ceux qui allaient cesser de vivre, parce que leur vie serait liée à celle de leur idole.

« Telle est la faiblesse du mensonge, qui de soi n'a rien de fixe. Comment, sur la tige mouvante de l'erreur, germait-il une croyance, une conviction? Non, les païens ne croyaient pas au paganisme; et de nos jours un hérétique n'a et ne peut avoir qu'une fausse confiance dans les erreurs qui le séparent du catholique : mais il croit en toute assurance les articles communs aux deux communions; et c'est la croyance commune qui explique la durée des hérésies. On ne peut expliquer le succès de Luther et de Calvin que par les passions des hommes, et par le secours qu'ils reçurent de la politique des princes et des grands qui se servirent de l'hérésie comme d'une arme contre le pouvoir royal et contre l'autorité ecclésiastique. Mais comment un homme de bon sens peut-il demeurer protestant dans ces temps-ci? Aussi le protestantisme existe plutôt par ses conquêtes passées que par sa force présente.

« Quelle est la religion qui soit absolue,


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qui éclaire, dirige et tranquillise la conscience comme la foi chrétienne? Les fausses religions laissent l'esprit, comme un vaisseau sans pilote, errer à l'aventure. Le protestantisme lui-même montre bien sa triste origine par l'abandon qu'il fait du gouvernement de l'âme.

« Et je conçois que Luther et Calvin aient eu peur de ce fardeau. Oui, je conçois qu'un homme recule toujours devant la direction des consciences. Dieu seul a pu s'en saisir comme d'un sceptre qui appartient à lui seul.

« Toutes les religions, hormis la religion chrétienne, rejettent l'âme dans le commerce de la vie commune.

« Confucius propose aux Chinois d'agriculture ; Lycurgue et Numa crurent contenir leurs concitoyens par le sage équilibire des lois et par l'harmonie d'une société bien réglée. Mahomet poussa ses disciples à la conquête du monde par le sabre. Tous précipitèrent l'homme vers les choses extérieures. A la bonne heure! Mais quel rapport existe-t-il entre cette activité et le sentiment religieux? Je vois là des citoyens, une nation,


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un législateur, un conquérant, mais nulle part un pontife.

« Et quel autre que Dieu pouvait affirmer avec une certitude absolue capable de tranquilliser la conscience des vérités telles que l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, la Croyance à l'enfer, au paradis, ces dogmes enfin qui sont les prémisses et la base de toutes les religions ? Quand le Christ les énonce comme l'essence de sa doctrine, il le fait avec tout ce qu'il y a d'imposant et d'absolu dans son caractère de Fils de Dieu.

« Sans doute il faut la foi pour cet rarticle-là, qui est celui duquel dérivent tous les autres articles. Mais, le caractère de la divinité du Christ une fois admis, la doctrine chrétienne se présente avec la précision et la clarté de l'algèbre : il faut admirer l'enchaînement et l'unité d'une science.

« Appuyée sur la Bible, cette doctrine explique le mieux les traditions du monde ; elle les éclaircit, et les autres dogmes s'y rapportent étroitement comme les anneaux scellés d'une même chaîne. L'existence du Christ, d'un bout à l'autre, est un tissu tout mystérieux, j'en conviens; mais ce mystère répond


44 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

à des difficultés qui sont dans toutes les existences; rejetez-le, le monde est une énigme : acceptez-le, vous avez une admirable solution de l'histoire de l'homme.

« Le christianisme a un avantage sur tous les philosophes et sur toutes les religions : les chrétiens ne se font pas illusion sur la nature des choses. On ne peut leur reprocher ni la subtilité, ni le charlatanisme des idéologues, qui ont cru résoudre la grande énigme des questions théologiques avec de vaines dissertations sur ces grands objets. Insensés, dont la folie ressemble à celle d'un petit enfant qui veut toucher le ciel avec sa main, ou qui demande la lune pour son jouet ou sa curiosité. Le christianisme dit avec simplicité : « Nul homme n'a vu Dieu, si ce n'est « Dieu. Dieu a révélé ce qu'il était. Sa révé« lation est un mystère que la raison ni l'es« prit ne peuvent concevoir ; mais puisque « Dieu a parlé, il faut y croire. » Cela est d'un grand bon sens. »


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XII

Divinité de l'Évangile.

« L'Évangile possède une vertu secrète, je ne sais quoi d'efficace, une chaleur qui agit sur l'entendement et qui charme le coeur ; on éprouve à le méditer ce qu'on éprouve à contempler le ciel. L'Évangile n'est pas un livre, c'est un être vivant, avec une action, une puissance qui envahit tout ce qui s'oppose à son extension. Le voici sur cette table, ce livre par excellence (et ici l'empereur le toucha avec respect), et je ne me lasse pas de le lire, et tous les jours avec le même plaisir.

« Le Christ ne varie pas; il n'hésite jamais dans son enseignement, et la moindre affirmation de lui est marquée d'un cachet de simplicité et de profondeur qui captivent l'ignorant et le savant, pour peu qu'ils y prêtent leur attention.

« Nulle part on ne trouve cette série de belles idées, de belles maximes morales, qui défilent comme les bataillons de la milice céleste, et qui produisent dans notre âme le


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même sentiment que l'on éprouve à considérer l'étendue infinie du ciel resplendissant, par une belle nuit d'été, de tout l'éclat des astres.

« Non-seulement notre esprit est préoccupé, mais il est dominé par cette lecture, et jamais l'âme ne court risque de s'égarer avec ce livre. Une fois maître de notre esprit, l'Évangile fidèle nous aime. Dieu même est notre ami, notre père et vraiment notre Dieu. Une mère n'a pas plus de soin de d'enfant qu'elle allaite. L'âme séduite par les beautés de l'Évangile ne s'appartient plus. Dieu s'en empare tout à fait, il en dirige les pensées et toutes des facultés, elle est à lui.

« Quelle preuve de la divinité du Christ ! Avec un empire aussi absolu, il n'a qu'un seul but, l'amélioration spirituelle des individus, la pureté de la conscience, l'union à ce qui est vrai, la sainteté de l'âme. Voilà vraiment une religion, et je reconnais là un pontife.

« Et ce qui ravit la conviction, ce sont

tous des avantages et le bonheur qui résultent

résultent telle croyance. L'homme qui croit

est heureux. Ah! vous ignorez ce que c'est


LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. 47

de croire ! croire, c'est voir Dieu, parce qu'on a les yeux fixés dans lui ! Heureux celui qui croit ! Tel est le christianisme, qui satisfait complétement la raison de ceux qui en ont une fois admis le principe, qui s'explique lui-même par une révélation d'en haut, et qui explique ensuite naturellement mille difficultés qui n'ont de solution possible que par la foi. »

XIII

Dieu est complice d'un affreux mensonge, si Jésus-Christ n'est pas Dieu.

« Enfin, ajouta l'empereur, et c'est mon dernier argument, il n'y a pas de Dieu dans le ciel, si un homme a pu concevoir et exécuter avec un plein succès le dessein gigantesque de dérober pour lui le culte suprême, en usurpant le nom de Dieu. Jésus est le seul qui l'ait osé ; il est le seul qui ait dit clairement, affirmé imperturbablement lui-même de lui-même : Je suis Dieu. Ce qui est bien différent de cette affirmation : Je suis un Dieu,


48 LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST.

ou de cette autre : Il y a des dieux. L'histoire ne mentionne aucun autre individu qui se soit qualifié lui-même de ce titre de Dieu dans le sens absolu. La Fable n'établit nulle part que Jupiter et les autres dieux se soient eux-mêmes divinisés. C'eût été de leur part le comble de l'orgueil, et une monstruosité, une extravagance absurde. C'est la postérité, ce sont les héritiers des premiers despotes qui les ont déifiés. Tous les hommes étant d'une même race, Alexandre a pu se dire le fils de Jupiter. Mais toute la Grèce a souri de cette supercherie ; et de même l'apothéose des empereurs romains n'a jamais été une chose sérieuse pour les Romains. Mahomet et Confucius se sont donnés simplement pour des agents de la Divinité. La déesse Égérie de Numa n'a jamais été que la personnification d'une inspiration puisée dans la solitude des bois. Les dieux Brahma de l'Inde sont une invention psychologique.

« Comment donc un Juif dont l'existence historique est plus avérée que toutes celles des temps où il a vécu, lui seul, fils d'un charpentier, se donne-t-il tout d'abord pour Dieu même, pour l'Être par excellence, pour


LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST. 49

le Créateur de tous les êtres? Il s'arroge toutes les sortes d'adorations. Il bâtit son culte de ses mains, non avec des pierres, mais avec des hommes. On s'extasie sur les conquêtes d'Alexandre : eh bien ! voici un conquérant qui confisque à son profit, qui unit, qui incorpore à lui-même, non pas une nation, mais l'espèce humaine. Quel miracle! l'âme humaine, avec toutes ses facultés, devient une annexe de l'existence du Christ. »

XIV

Jésus-Christ seul a conquis l'amour des hommes.

« Et comment? par un prodige qui surpasse tout prodige. Il veut l'amour des hommes, c'est-à-dire ce qu'il est le plus difficile au monde d'obtenir ; ce qu'un sage demande vainement à quelques amis, un père à ses enfants, une épouse à son époux, un frère à son frère : en un mot, le coeur : c'est là ce qu'il veut pour lui, il l'exige absolument, et il y réussit tout de suite. J'en conclus sa divinité. Alexandre, César, Annibal, Louis XIV, avec tout leur génie, y ont échoué. Ils ont con-


50 LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST.

quis le monde, et ils n'ont pu parvenir à avoir un ami. Je suis peut-être le seul de nos jours qui aime Annibal, César, Alexandre... Le grand Louis XIV, qui a jeté tant d'éclat sur la France et dans le monde, n'avait pas un ami dans tout son royaume, même dans sa famille. Il est vrai, nous aimons nos enfants ; pourquoi? Nous obéissons à un instinct de la nature, à une volonté de Dieu, à une nécessité que les bêtes elles-mêmes reconnaissent et remplissent ; mais combien d'enfants qui restent insensibles à nos caresses, à tant de soins que nous leur prodiguons ! combien d'enfants ingrats ! Vos enfants, général Bertrand, vous aiment-ils! Vous les aimez, et vous n'êtes pas sûr d'être payé de retour... Ni vos bienfaits, ni la nature, ne réussiront jamais à leur inspirer un amour tel que celui des chrétiens pour Dieu ! Si vous veniez à mourir, vos enfants se souviendraient de vous en dépensant votre fortune, sans doute ; mais vos petits-enfants sauraient à peine si tous avez existé... ; et vous êtes le général Bertrand ! Et nous sommes dans une île, et vous n'avez d'autre distraction que la vue de votre famille.


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« Le Christ parle, et désormais les générations lui appartiennent par des liens plus étroits, plus intimes que ceux du sang, par une union plus sacrée, plus impérieuse que quelque union que ce soit. Il allume la flamme d'un amour qui fait mourir l'amour de soi, qui prévaut sur tout autre amour.

« A ce miracle de sa volonté, comment ne pas reconnaître le Verbe créateur du monde?

« Les fondateurs de religion n'ont pas même eu l'idée de cet amour mystique, qui est l'essence du christianisme, sous le beau nom de charité.

« C'est qu'ils n'avaient garde de se lancer contre un écueil. C'est que dans une opération semblable, se faire aimer, l'homme porte en lui-même le sentiment profond de son impuissance.

« Aussi le plus grand miracle du Christ, sans contredit, s'est le règne de la charité.

« Lui seul, il est parvenu à élever le coeur des hommes jusqu'à l'invisible, jusqu'au sacrifice du temps ; lui seul, en créant cette immolation, a créé un lien entre le ciel et la terre.


52 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

« Tous ceux qui croient sincèrement en lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, supérieur : phénomène inexplicable, impossible à la raison et aux forces de l'homme ; feu sacré donné à la terre par ce nouveau Prométhée, dont le temps, ce grand destructeur , ne peut ni user la force, ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage, parce que j'y ai pensé souvent, et c'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ ! ! !

« J'ai passionné des multitudes qui mouraient pour moi. A Dieu ne plaise que je forme aucune comparaison entre l'enthousiasme des soldats et la charité chrétienne, qui sont aussi différents que leur cause ; mais enfin il fallait ma présence, l'électricité de mon regard, mon accent, une parole de moi ; alors j'allumais le feu sacré dans les coeurs... Certes, je possède le secret de cette puissance magique qui enlève l'esprit, mais je ne saurais le communiquer à personne ; aucun de mes généraux ne l'a reçu ou deviné de moi ; je n'ai pas davantage le secret d'éterniser mon nom et mon amour dans les coeurs, et d'y opérer des prodiges sans le secours de la matière.


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« Maintenant que je suis à Sainte-Hélène..., maintenant que je suis seul cloué sur ce roc, qui bataille et conquiert des empires pour moi? Où sont les courtisans de mon infortune ? pense-t-on à moi? qui se remue pour moi en Europe? qui m'est demeuré fidèle? où sont mes amis? Oui, deux ou trois, que votre fidélité immortalise, vous partagez, vous consolez mon exil. »

Ici la voix de l'empereur prit un accent particulier d'ironique mélancolie et de profonde tristesse : « Oui, mon existence a brillé de tout l'éclat du diadème et de la souveraineté ; et la vôtre, Bertrand, réfléchissait cet éclat comme le dôme des Invalides, doré par nous, réfléchit les rayons du soleil... Mais les revers sont venus, l'or peu à peu s'est effacé. La pluie du malheur et des outrages dont on m'abreuve chaque jour, en emporte les dernières parcelles. Nous ne sommes plus que du plomb, général, et bientôt moi je serai de la terre.

« Telle est la destinée des grands hommes, celle de César et d'Alexandre, et l'on nous oublie ! et le nom d'un conquérant comme celui d'un empereur n'est plus qu'un thème


54 LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

de collége ! Nos exploits tombent sous la férule d'un pédant qui nous loue ou mous insulte !

« Que de jugements divers on se permet sur le grand Louis XIV ! A peine mort, le grand roi lui-même fut laissé seul, dans l'isolement de sa chambre à coucher de Versailles ..., négligé par ses courtisans et peutêtre l'objet de la risée. Ce n'était plus leur maître ! C'était un cadavre, un cercueil, une fosse, et l'horreur d'une imminente décomposition.

« Encore un moment, voilà mon sort et ce qui va m'arriver à moi-même... Assassiné par l'oligarchie anglaise, je meurs avant le temps, et mon cadavre aussi va être rendu à la terre pour y devenir la pâture des vers.

« Voilà la destinée très-prochaine du grand Napoléon... .Quel abîme entre ma misère profonde et le règne éternel du Christ, prêché, encensé, aimé, adoré, vivant dans tout l'univers !... Est-ce là mourir? N'est-ce pas plutôt vivre ? Voilà la mort du Christ, voilà celle de Dieu ! »

L'empereur se tut, et comme le général


LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST. 55

Bertrand gardait également le silence : « Si vous ne comprenez pas, reprit l'empereur, que Jésus-Christ est Dieu, eh bien ! j'ai eu tort de vous faire général ! ! ! »


AVIS AU LECTEUR

Tout ce qu'on vient de lire est extrait d'un ouvrage intitulé : Sentiments religieux de Napoléon Ier, par le chevalier de Beauterne, au sujet duquel le général Montholon, compagnon fidèle de l'empereur à SainteHélène, écrivait à l'auteur :

« J'ai lu avec un vif intérêt votre ouvrage : Senti« ments de Napoléon sur le christianisme, et je ne « pense pas qu'il soit possible de mieux exprimer les « croyances religieuses de l'empereur. »

Un éminent écrivain et un excellent apologiste, M. A. Nicolas, en insérant, pour une grande partie, le Discours sur la divinité de Jésus-Christ, dans ses Études philosophiques, n'hésitait pas à dire : « Cité « plusieurs fois et dans des circonstances solennelles, « ce jugement de Napoléon sur Jésus-Christ passe « généralement pour historique. Au reste, sa valeur « n'est pas toute dans son authenticité; elle est surtout « dans la force de vérité qui le distingue, et dans la « touche originale dont il est empreint. Et cela même « vient à l'appui de son authenticité ; on y voit l'ongle « du lion. »


LE

VERBE INCARNÉ

DISCOURS

SUR

NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

PAR

LE REV. P. J. ETCHEVERRY

DE LA COMPAGNIE DE JESUS

Et Verbum caro factum est, et habitavit in nobis. (Joan., I, 14.)


APPROBATION

ÉVÊCHÉ DE SAINT-DENIS

Nous sommes heureux que le R. P. ETCHEVERRY, sur la demande qui lui en a été faite, ait développé et fasse imprimer le discours qu'il a prononcé, dans l'église cathédrale de Saint-Denis, pour la dernière fête de Noël, ayant pour objet : le Verbe incarné.

Saint-Denis, le 15 janvier 1864.

L'abbé FAVA, Vicaire général du diocèse de Saint-Denis.


INTRODUCTION

Il y a plus de dix-huit siècles, dans la nuit du 28 décembre, un enfant naissait près de Jérusalem, à Bethléhem de Juda, cité de David, dans une étable délabrée ouverte à tous les vents. Qu'était cet enfant? Avançons et disons déjà : Quel est cet homme ? Car, en nous transportant à son âge viril, nous le voyons, après trente années passées dans l'obscurité et le travail, paraître en public, prêcher une doctrine sublime et une morale parfaite, étonner par sa vie toute sainte et ses oeuvres merveilleuses, et mourir bientôt du supplice ignominieux de la croix. Et voici que tout à coup il apparaît ressuscité, réunit encore ses disciples, et, après avoir organisé la société qui doit continuer son oeuvre, il s'élance dans les airs, montant au ciel. A ce moment une transformation profonde, immense, s'opère


60 INTRODUCTION.

dans l'humanité, sous l'influence de la religion de ce Jésus que ses apôtres annoncent au monde comme Fils de Dieu devenu fils de l'homme pour nous sauver.

S'il est vraiment le Verbe incarné, le Dieu fait homme pour le salut des hommes, il s'ensuit que c'est en lui que nous devons croire, que c'est sur lui seul que sont posées nos espérances, que c'est lui seul qu'il nous faut aimer, que ses exemples et ses leçons doivent être la règle de notre vie. Cette question embrasse donc Dieu et l'homme, le ciel et la terre, le temps et l'éternité, tous nos devoirs, tout notre bonheur. Qu'elle soit donc étudiée par nous avec un intérêt souverain, et malheur à celui qui, semblable au gouverneur romain de la Judée, après avoir demandé ce que c'est que la vérité, se retournerait insouciant sans attendre la réponse et peut-être avec la peur de l'entendre ! Ne redoutons pas la vérité : si elle condamne le mal, ce n'est que pour nous donner le bien ; elle cache les consolations les plus douces, la paix, la vie.


INTRODUCTION. 61

Ce grand fait de l'Incarnation du Verbe, pour être connu dans sa portée incomparable, doit être vu dans les causes qui l'amènent, dans les circonstances qui le caractérisent, dans les conséquences qui en découlent; nous y verrons toute l'histoire divine et humaine, la raison de tous les événements, la solution de tous les problèmes. L'ordre de nos idées se trouve ainsi nécessairement tracé. Dans la première partie de ce discours, remontant à l'origine des choses, nous trouverons les causes qui ont motivé l'incarnation du Verbe, sa préparation à travers les siècles jusqu'à l'heure de son avénement, causes et préparation hors ligne, surhumaines, comme le demandait la nature de ce fait exceptionnel et qui dépasse tout. Dans la deuxième partie, c'est le fait lui-même qui se présentera à nous, mais avec des circonstances si merveilleuses, que de chacune d'elles sa divinité ressortira brillante comme le soleil brille à nos yeux éblouis. Enfin la troisième partie déroulera à travers les temps cette suite non interrompue de conséquences d'une telle


62 INTRODUCTION.

grandeur et d'une telle beauté, que l'on y reconnaît à chaque instant l'influence ou plutôt la présence du Dieu tout-puissant et tout bon ; conséquences dont nous objets comme les témoins, et qui attirent à la fois notre admiration et notre amour.

Nous confions le succès de ce travail aux puissantes prières de la Vierge Marie, Mère immaculée de l'Homme-Dieu. C'est par elle que ce Sauveur nous est venu ; par elle qu'il fut, dès son berceau, offert aux adorations du monde ; que par elle encore il soit de plus en plus connu et béni, afin que se réalise dans toute son étendue cette heureuse annonce chantée par les anges auprès du berceau de Bethléhem : Gloire à Dieu sur les hauteurs des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. (Luc, II, 4.)


LE

VERBE INCARNE

PREMIÈRE PARTIE

CAUSES ET PREPARATION DE L'INCARNATION DU VERBE

I. État primitif de l'humanité. — II. La déchéance. — III. La rédemption future. — IV. Promesses, traditions, figures et prophéties. — V. Préparation universelle et prochaine.

I

Les commencements de notre histoire sont splendides et doux. Nous savons ce que la Genèse raconte des premiers jours passés au paradis terrestre; les traditions de tous les peuples ont gardé le souvenir de ce temps primitif, époque de gloire et de félicité que les poëtes ont nommé l'âge d'or. L'homme, brillant encore de son innocence première, pouvait dire en toute vérité :

Je suis maître de moi comme de l'univers.


64 LE VERBE INCARNÉ.

Il trouvait le bonheur partout, et dans cette nature, que Dieu lui avait donnée comme un empire et un palais, et dans son âme, paisible dominatrice des sens , inclinée elle-même sous la douce domination du ciel. Créé à l'image et à la ressemblance de son créateur, il était le roi et le pontife de la nature visible, le frère des esprits célestes, doué comme eux d'intelligence, de liberté et d'immortalité. Lé vrai et le beau se montraient à lui dans le miroir du monde spirituel et du monde matériel, le bien infini touchait son coeur et ses sens par les biens sans nombre qui l'entouraient. C'était assez pour répondre à ses plus vastes désirs ; mais l'infinie Bonté voulut donner davantage, donner sans mesure. A ces dons naturels furent ajoutés les dons surnaturels, c'est-à-dire la vie divine communiquée déjà à l'âme par la grâce, la lumière divine éclairant l'intelligence, l'amour divin animant le coeur, et, pour couronnement suprême, le ciel, où Dieu devait nous donner un jour toutes ses gloires et toutes ses joies et se donner lui-même dans les extases de l'éternité.

Cependant, cette heureuse destinée étant à


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la fois un don et une récompense, il fallait que l'action de l'âme vînt s'unir à l'action de Dieu par le digne usage de la liberté, cette prérogative magnifique et terrible. Prérogative magnifique, puisque nous devenons par elle les coopérateurs de Dieu dans l'édifice de notre gloire. Plus grands que cet univers, auquel sont imposées des lois qu'il est obligé de subir sans en avoir même la conscience, nous pouvons les connaître, les vouloir, y conformer notre vie, répondre aux bienfaits divins par un amour spontané. Mais aussi prérogative terrible, puisqu'il nous est possible d'en abuser, et que cet abus, brisant l'harmonie essentielle et troublant l'ordre suprême d'où naissent toute beauté et tout bien, entraîne nécessairement après lui des ruines et le malheur.

II

Il en fut ainsi. Dieu demanda à l'homme ce qu'il avait demandé à l'ange, ce qu'il doit demander à toute créature, l'obéissance à ses lois, expression d'une volonté aimante, juste, souveraine ; comme l'ange rebelle et par son


66 LE VERBE INCARNÉ.

inspiration l'homme se révolta. Il se révolta, lui le privilégié de la création, qui avait reçu pour escabeau cette terre si belle et si féconde, et pour pavillon ces cieux brillants, lui que son union intime avec le Créateur avait comme divinisé ; c'est lui qui se séparait, qui voulait se suffire à lui-même et trouver son bonheur autre part que dans cette source unique de l'être. Rien ne peut exprimer la grandeur de cette faute, ni mesurer la profondeur de l'abîme où tomba le coupable avec l'impuissance de se relever. Il était là souillé, appauvri, déshérité des dons surnaturels de la grâce, blessé même dans ses facultés naturelles, et, comme désormais toute communication était interrompue avec le foyer de la vie, il s'en allait, par un chemin hérissé d'épines, à travers une incalculable série de souffrances et de misères, à la mort du temps et à celle de l'éternité. Et ce n'était pas seulement cet homme, c'était l'homme, l'humanité entière qui tombait dans son chef et qui ne pouvait recevoir de lui que cette nature dépouillée de la grâce, troublée dans son intelligence, son coeur et ses sens, déchue de cette souveraineté qu'elle exerçait sur la création;


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celle-ci, bouleversée à son tour par le mal qui venait d'entrer dans le monde, se révolta contre l'homme, comme l'homme s'était révolté contre Dieu.

La raison, écrasée sous le poids du mystère, ne peut pas saisir ce dogme, qui touche à l'infini, comme toute la religion ; mais, à moins de s'abdiquer elle-même, il faut bien qu'elle accepte le fait palpable, gravé dans d'histoire des religions et des sociétés, et surtout en nous, qui sommes les irrécusables témoignages, des monuments vivants de la déchéance originelle. Etrange composé de grandeur et de bassesse ; éprouvant à la fois les plus généreux élans vers le bien et les plus violentes attractions vers le mal ; travaillé du besoin de dignité, d'élévation, de noblesse morale, et cependant aspirant à descendre dans les profondeurs de misères qui forcent à rougir ; touchant à l'ange par son côté supérieur, et par son côté inférieur touchant à la brute et parfois s'abaissant au-dessous d'elle, l'homme porte en lui-même deux mondes qui se combattent, deux hommes ennemis, une contradiction perpétuelle qui envahit tout l'être, et qui demeurerait inex-


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plicable si la chute primitive ne venait l'expliquer. Aussi ce fait est-il également constaté par la religion et par la philosophie, par la foi et par la science. Au récit de la Bible, de ce livre qui est sorti triomphant de toutes les attaques, s'unissent et les chants des poëtes qui ont popularisé les croyances, et les conceptions des maîtres de la pensée humaine. Tous aboutissent à cette conclusion qu'il faut forcément accepter : nous venons au monde avec une nature corrompue et malheureuse, donc cette nature a été primitivement dégradée par le péché de l'homme ; c'est de la perversité de la créature qu'est venu tout le mal qui se perpétue de génération en génération; car qui oserait, à moins de vouloir anéantir Dieu dans sa pensée, prétendre que c'est lui qui est l'auteur du mal ?

III

Voyez comme il va se montrer l'auteur de tout bien, le médecin de tous les maux, le réparateur de toutes les ruines! La cause occasionnelle de l'incarnation du Verbe, nous venons de la voir dans ce gouffre où tout s'est


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perdu avec l'homme, gloire, dignité, joies , espérances, terre et ciel; tout gît pêle-mêle, plus tristement que dans l'antique chaos. Voici la cause active, voici l'amour qui va refaire ce que nous avons défait, qui va relever ce que nous avons abattu, qui va ramener le souffle de la vie là où le vent de l'enfer avait porté le souffle de la mort. Du sein de la désolation s'élève une parole d'espérance , une promesse d'avenir, une assurance de bonheur. L'humanité remontera à sa hauteur première, plus haut encore ; les liens qui l'unissaient à la Divinité vont se renouer plus étroits ; la vie surnaturelle va couler à pleins bords en l'homme, devenu plus que jamais fils de Dieu, participant à sa nature divine et à sa félicité : si bien que l'Église pourra s'écrier avec un de ses grands docteurs, saint Augustin : Heureuse faute, puisqu'elle nous a mérité un tel Rédempteur!

Qui sera ce Rédempteur? Une créature, même angélique, pourrait-elle égaler la réparation à l'outrage, offrir une immolation infinie en rapport avec l'offense qui a été infinie dans son objet? La création entière n'y suffirait pas ; il faut que Dieu même des-


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cende, qu'il se revête de cette humanité malheureuse afin de souffrir en elle, et la sauve par ce sacrifice d'un mérite infini. Serait-ce possible, Seigneur ? Quoi! vous, l'offensé, le délaissé, l'outragé, c'est vous qui viendriez au-devant de l'humanité coupable, lui offrir le pardon, le lui acheter au prix de vous-même, essuyer nos pleurs et nous rendre nos joies perdues ! Vous inventeriez le moyen de vous jeter dans l'anéantissement et les douleurs pour nous faire monter au sommet de la gloire et de la félicité ! Votre amour irait à cet éblouissant mystère de miséricorde et de bonté !

Et qui de nous en douterait? Qui serait assez ignorant de l'amour pour ne pas comprendre le divin amour? Nous savons bien, nous, avec ce coeur que Dieu nous a fait, avoir nos heures de tendresse dévouée, nous élans d'amitié généreuse, et nous hésiterions à les comprendre en celui qui est la charité éternelle et sans mesure? Une mère s'incline sur la couche de son enfant malade, suit avec anxiété les progrès du mal, pâlit et pleure à la vue de symptômes alarmants. Ah! si elle pouvait prolonger cette vie aux dépens de


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la sienne, mourir pour que son enfant vive encore et longtemps, avec quelle joie elle donnerait ses jours ! Mais, que dis-je, une mère ! c'est un étranger, un inconnu, qui, voyant une maison en flammes, s'y jettera pour en retirer ceux que menace l'incendie ; un passant se précipitera au sein des flots pour arracher à l'abîme le malheureux qu'il y voit se perdre; le soldat meurt avec joie sur le champ de bataille pour défendre les frontières ou venger l'honneur de son pays; l'apôtre, volant à la conquête des âmes, embrasse les travaux, les sacrifices, le martyres, pour des sauvages, parfois pour des barbares qui le tueront. Et celui qui est l'immense foyer de ces rayons, on ne voudrait pas qu'il fût aimant au-dessus de tous et généreux au delà de toute limite ! Ce Dieu, qui a soins de nourrir le passereau et de fournir leur rosée à l'Herbe des champs et aux fleurs des vallées, oublierait les âmes, ses âmes chéries, faites à son image, créées pour le voir face à face et s'unir à lui dans les étreintes de l'éternité? Il les verrait tomber de misère en misère jusqu'au malheur absolu, et il ne viendrait pas, le pouvant, leur tendre une main amie, les


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retirer du gouffre et les replacer sur son coeur? Comprenons mieux ce coeur divin, et croyons à cette parole de Jésus à l'un des maîtres en Israël : C'est ainsi que Dieu a aimé le monde, jusqu'à lui donner son Fils unique, afin que tous ceux qui croient en lui ne périssent pas, mais qu'ils aient la vie éternelle. (Joan., III, 16.)

IV

A l'instant même où l'humanité tombe, la venue future du Réparateur est annoncée. Dieu dit au serpent infernal qui de son venin venait d'infecter la race humaine : Je mettrai l'inimitié entre toi et la femme, entre sa descendance et la tienne, et elle te brisera la tête. (Gen., III, 15.) C'est par l'humanité que la Divinité devait sauver le monde, c'est par un être humain et divin à la fois que l'homme devait être réhabilité. Le Saint qui naîtra de vous, devait dire plus tard à Marie le céleste ambassadeur, sera appelé le Fils de Dieu. (Luc, I, 35.) Cette croyance était au fond de toutes les doctrines religieuses, même chez les peuples qui n'avaient conservé que des lambeaux de la vérité primitive. On la voit sans


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peine à travers la transparence des fables. La mythologie a fait appel à l'imagination pour orner selon les goûts humains ce dogme, par lui-même si beau et si doux. Quoique ainsi déparée et comme étouffée sous ces vains ornements, la vérité se découvre à tout oeil qui veut l'apercevoir. La fable de Pandore, répétée par les poëtes antiques, en est la plus vive expression. Pandore, c'est la première femme , comblée de tous les dons du Ciel ; une boîte lui est confiée, avec défense de l'ouvrir; la défense n'est pas respectée, et tous les maux renfermés dans la boîte mystérieuse se répandent sur le genre humain. Au fond cependant est resté un élément de consolation qui semble contre-balancer à lui seul le poids de tous les maux : c'est l'espérance. L'espérance du salut, basée sur la divine promesse, fut déposée dès l'origine au coeur du genre humain, et s'y conserva toujours pour le soutenir jusqu'à l'heure de la délivrance. Ainsi le captif sent ses maux s'amoindrir et ses fers s'alléger lorsqu'il voit poindre le jour où, loin de sa prison étroite et obscure, il pourra jouir de la pleine lumière et respirer à l'aise l'air de la liberté. Reçue dans la première fa-


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mille, la foi au Rédempteur s'étendit dans le monde avec les familles qui se dispersèrent; de génération en génération elle se transmettait comme un héritage précieux. Partout où se faisait entendre le triste récit de la chute originelle, là aussi retentissait cette promesse consolatrice : Un libérateur viendra qui triomphera de nos ennemis, brisera notre joug et nos chaînes, fermera nos blessures, sèchera nos pleurs, et, mettant fin à nos maux, inaugurera une ère de gloire et de prospérité. Le libérateur devait tenir à la fois de Dieu et de l'homme, être l'un et l'autre pour remplir dignement son titre de Médiateur et Sauveur ; et cette pensée était si universellement acceptée, que la plupart des théogonies païennes annonçaient l'incarnation d'un Dieu. De fait, l'idolâtrie, prise dans son ensemble, n'était-elle pas la corruption de ce dogme comme de tous les dogmes? L'envoyé céleste toujours attendu, on croyait le voir chaque fois qu'un personnage apparaissait sur la scène du monde brillant d'un éclat exceptionnel. Les héros, surtout ceux qui se montraient vainqueurs et libérateurs, étaient regardés comme des êtres divins, des


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demi-dieux, et le paganisme multipliait les apothéoses en raison des victoires de ses grands hommes : tant était accréditée la tradition de la délivrance du genre humain par un homme-Dieu ! La haute philosophie, dont Platon est l'organe le plus illustre, parle plus d'une fois de ce Verbe qu'il appelle Sauveur, par lequel un enseignement devait nous venir. Les limites d'un discours nous permettent à peine d'indiquer l'accord unanime de tous les peuples à prédire, à figurer, à chanter la venue du merveilleux Rédempteur. Les livres sacrés des Perses, des Indiens, des Chinois, des Égyptiens, des Grecs, des Gaulois, des Romains, des Scandinaves, des peuplades du nouveau monde, tous aboutissaient à la même espérance , parce qu'ils partaient tous de la même foi.

Mais laissons les écrits où la vérité se trouve enveloppée de nuages, et regardons la vérité pure, qui n'a d'autres ombres que celles qui servent à donner à notre foi le mérite de la bonne volonté ; voyons les saints Livres, les plus anciens et les plus authentiques de ceux qui ont été écrits par la main de l'homme, les seuls où la main de l'homme


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paraisse visiblement conduite par l'Esprit de Dieu. Tandis que les diverses tribus emportaient dans les contrées lointaines les trésors des traditions, que corrompirent bientôt des altérations nombreuses, un peuple était constitué avec la mission solennelle de conserver intact le dépôt sacré. Seul il garde les révélations divines dans leur inaltérable pureté; or la révélation qui domine tout, qui concentre tout, qui est la raison d'être de ce peuple miraculeux, c'est la proclamation anticipée de l'arrivée du Messie. Pendant trois mille ans son rôle unique est là : prophétiser, figurer, préparer la naissance du Sauveur. Son rôle unique ; car, dès que les promesses sont réalisées, ce peuple n'existe plus comme peuple ; il se disperse, et il atteste, par ses lambeaux qui seront épars jusqu'à la fin des siècles , la vérité de ses prophéties et de sa destinée. C'est là que Celui qui doit venir, le Désiré des nations, le Christ sauveur est clairement annoncé, attendu, figuré. Tous les grands personnages sont l'image et le reflet de sa personne ; toutes les grandes vies disent déjà sa vie ; tous les grands événements sont l'annonce des phases de son existence mor-


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telle; tous les rites sont la préparation de sa mission, de son sacrifice, de ses mystères, de ses sacrements, les premières lignes de sa religion. Ce qui doit être un jour est si bien marqué dans les siècles antérieurs, les circonstances si bien détaillées, les traits si bien dessinés, les temps et les lieux si bien précisés, que l'on dirait une narration d'historien, compte rendu après les événements. Et cependant les derniers prophètes précédaient de plus de quatre siècles la naissance de ce Messie , objet unique de toutes les espérances et point de mire de l'humanité. Ce que nous avons déjà vu dans les traditions restées au sein de la gentilité se retrouve plus nettement formulé dans l'antiquité juive : c'est que le Réparateur sera à la fois Dieu et homme. En lui la plus haute puissance s'unira à la plus étonnante faiblesse, la grandeur souveraine au plus profond anéantissement, la gloire la plus brillante aux humiliations les plus ignominieuses. C'est Isaac montant, innocente victime, sur la montagne du sacrifice, et devenant le père d'un peuple innombrable ; c'est Joseph, vendu par ses frères, esclave d'un maître étranger et sortant d'une prison pour


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monter sur les marches d'un trône; c'est le jeune David, pauvre pâtre, devenu le guerrier terrible qui abat le géant ennemi; et régnant bientôt dans la cité de Dieu ; c'est Moïse surtout, le petit enfant retiré du frêle berceau, persécuté et triomphant, obscur et pourtant placé à la tête du peuple élu, étonnant la cour et les sages de l'Egypte par ses prodiges, vainqueur de Pharaon, libérateur des tribus saintes, les conduisant à travers les déserts où il leur donne la loi divine, et, de la montagne où il meurt, leur montrant la patrie où les introduit un chef qui porte le nom significatif de Josué ou Jésus. Le prophète Isaïe, parlant d'Emmanuel (ou Dieu avec nous), que la Vierge concevra et enfantera, l'appelle le petit enfant, et en même temps l'Admirable, le Conseiller, le Dieu fort, le Père du siècle futur, le Prince de la paix ; il décrit point par point la passion et la mort de cet homme de douleurs, et il annonce que son empire s'étendra depuis ce temps jusqu'à jamais, et que la paix par lui établie n'aura pas de fin. Il exhale de son âme ce cri qui résume et tous les désirs de l'humanité, et toute la foi en


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l'Homme-Dieu : Cieux, répandez votre rosée, et que les nuées pleuvent le Juste ; que la terre s'ouvre, et qu'elle enfante son Sauveur. (Is., XLV, 8. ) Michée nomme le lieu de sa naissance, Bethléhem , d'où doit sortir le Dominateur en Israël, Celui dont la génération est dès le commencement et dès l'éternité. Daniel précise l'époque où le Christ, le Saint des saints, sera mis à mort, et raconte déjà comment la ville déicide et son temple seront saccagés et resteront dans la désolation jusqu'à la consommation et jusqu'à la fin. Les Psaumes de David sont tout le poëme de la vie, des souffrances, de la gloire du Christ, qui devait naître de sa race et qui déjà était son Seigneur et son Dieu.

V

Annoncé dans les livres prophétiques, gravé dans le coeur des peuples, contenu dans tous les cultes, appelé par un besoin toujours croissant et des aspirations toujours plus ardentes, l'avénement du Sauveur est préparé encore par le mouvement des sociétés humaines et les révolutions des empires. Ce


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serait manquer de vue philosophique et de largeur dans la pensée que de considérer la naissance, le progrès et la décadence des nations comme des faits isolés sans relation avec la marche générale de l'humanité. La Providence, qui veille sur les êtres les plus imperceptibles et assigne à la plus chétive de ses créatures sa place et son rôle dans l'harmonie universelle, dirige surtout les événements qui sont les évolutions de l'humanité, et les conduit à une fin digne de sa sagesse et de son amour. L'homme s'agite, et Dieu le mène, a dit un pontife chrétien que son génie et son coeur ont rendu cher et vénérable à tous; oui, Dieu laisse à l'homme sa liberté d'action, mais dans un cercle tracé par sa main et dans un plan que sa pensée conçoit et que sa puissance réalise. Au sein de cette agitation humaine s'accomplit paisiblement la loi du Dieu des mondes, qui fait converger toute chose à ce centre unique, sa gloire et le bonheur des âmes. Or, comme l'incarnation de son Verbe est par excellence la glorification des perfections divines et le moyen pour l'homme d'atteindre à la plus complète félicité, c'est là que tout viendra


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concourir, c'est à ce terme qu'arriveront tous les événements. Tout prépare les voies à Celui qui doit venir.

Le prophète Daniel avait expliqué de la sorte au roi d'Assyrie le sort des quatre grands empires; ils étaient destinés à se succéder pour contribuer à l'extension de la vérité, et pour amener enfin l'empire divin, universel, immortel, qui n'est autre que le règne du Christ Jésus. Les empires de l'Orient devaient tomber sous le glaive du grand conquérant Alexandre ; ses royaumes à leur tour devaient s'incliner plus tard sous la puissance romaine, ou plutôt disparaître pour s'absorber en elle. Le jour devait venir où l'empire romain, seul maître du monde, effaçant toutes les nationalités , faciliterait, par l'unité de sa domination et la fixité de sa langue, la propagation de l'Évangile. Rassemblé sous un seul sceptre, réuni en une seule famille, le genre humain était prêt à recevoir son Père et son Roi, l'unique Pasteur de l'unique bercail.

Ce plan surhumain des choses humaines, tracé à grands traits par Daniel, a été développé par saint Augustin dans sa Cité de


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Dieu, et par Bossuet dans son admirable Discours sur l'histoire universelle. C'est la vraie philosophie de l'histoire, puisqu'elle prend ses inspirations plus haut que la terre, et qu'elle ne fait que suivre la pensée de Dieu. Comme le soleil envoie des rayons plus brillants et plus vifs à mesure que s'approche l'heure où son disque va apparaître à notre horizon, le grand fait de la venue du Messie s'annonçait par des signes de plus en plus éclatants et par ce pressentiment des peuples qui est une des grandes manifestations des desseins de Dieu. Tacite, Suétone et Josèphe, dans leurs histoires ; Cicéron dans ses oeuvres philosophiques et religieuses; Virgile dans ses poésies, où il est l'harmonieux interprète des livres sibyllins, attestent, entre autres, cette attente générale de l'événement capital que tous sentaient prochain. Si prochain, que l'on vit alors arriver à Jérusalem un grand nombre d'étrangers accourus pour voir le Sauveur de l'humanité. La Judée était le point providentiel qui attirait tous les regards, parce qu'on savait que de là devait venir le Dominateur attendu. C'étaient les lueurs de l'aurore. Voici le jour.


DEUXIEME PARTIE

L'INCARNATION.

I. L'Homme-Dieu. — II. Jésus-Christ notre Voie : exemples divins, morale divine. — III. Jésus-Christ Vérité : lumière divine, mode divin d'enseignement, dogmes reconnus divins. — IV. Jésus-Christ Vie : miracles sur la nature physique, conséquences pour la divinité de Jésus - Christ, miracles sur les âmes.

I

Le Rédempteur, nous l'avons dit, devait être à la fois Dieu et homme. C'est ainsi que l'humanité l'attendait, c'est ainsi qu'il va se montrer.

Oui, que l'homme voie en lui un homme, c'ést-à-dire un frère, un ami, un compagnon de pèlerinage, un coeur sympathique qui s'émeuve de nos douleurs avec d'autant plus de force qu'il les partage et qu'il videra le calice


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le plus amer ; un médecin d'autant plus appliqué à la guérison de nos maux qu'il en recevra le contre-coup terrible pour expier et satisfaire, puisque c'est l'homme qui est coupable; un homme pour notre réhabilitation et notre gloire, pour que la honte d'être tombés dans le premier Adam soit effacée par l'honneur d'être relevés dans le second, le vrai chef de l'humanité régénérée; un homme qui ait une pensée humaine, une volonté humaine, une action humaine, comme il a un corps humain, afin que nous puissions modeler notre âme, notre coeur, notre vie, nos oeuvres sur cet homme type, et suivre ce guide qui nous conduira à la perfection désirée.

Mais aussi qu'il soit Dieu. L'infini seul peut répondre à nos besoins ; il nous faut une expiation infinie pour réparer des crimes sans nombre et sans nom qui vont se multipliant et appelant les coups d'une justice terrible ; une lumière infinie , pour dissiper cet amas d'erreurs qui ne fait que s'épaissir de jour en jour ; une sainteté infinie, pour porter les parfums du ciel à cet air corrompu que nous respirons ; une force infinie pour nous armer


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contre cette puissance du mal que nous trouvons au dedans comme au dehors de nous. L'infini seul peut répondre à nos désirs : il faut que nous soyons infiniment aimés, que nous voyions l'infinie bonté se donner ellemême après nous avoir donné tous ses biens, et que nous puissions nous unir à la beauté infinie, rêve de notre amour ; il faut que nous dépassions notre nature, que nous ayons des ailes pour nous élever, que nous planions à des hauteurs souveraines, que l'homme soit divinisé. C'est jusqu'à ce sommet que vont nos aspirations. Aussi le tentateur, qui les connaissait, introduisit par ce moyen les séductions qu'il avait savamment préparées : Vous serez comme des dieux ! (Gen., III, 5.) Il nous faut un modèle de perfection infinie. Si notre type doit avoir son côté humain qui l'accommode à notre faiblesse, il faut aussi qu'il ait son côté divin pour que nous arrivions à cette perfection indéfinie, pensée sublime qui imprime à l'humanité une impulsion constamment ascensionnelle. Que l'idéal du beau moral, que nous portons en nous, apparaisse vivant devant nous, et nous nous élancerons pour


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nous rapprocher de cette grandeur qui nous enchante et nous attire .

Ces deux aspects sont saillants dans le Verbe incarné. Et, tout d'abord, voyons en lui le Fils de l'homme, puisqu'il veut prendre ce nom et se manifester ainsi à nos yeux de chair, en attendant qu'il manifeste aux yeux de la raison et de la foi, même sous cette enveloppe mortelle, le Fils de Dieu, Celui par qui tout a été fait et par qui tout va être régénéré.

Jésus-Christ vient au monde avec toutes les faiblesses de l'enfance ; il est élevé, nourri, soutenu par Marie et Joseph comme on l'est à cet âge par ses parents ; il grandit dans les labeurs d'un atelier; à trente ans, quand il sort de son obscurité pour prêcher la bonne nouvelle , il reçoit les impressions humaines de tout ce qui l'entoure. Il aime cette brillante et douce nature, la vie pastorale et champêtre; et, de tous ces spectacles gracieux, des troupeaux, des plantes et des fleurs, des oiseaux du ciel, des plaines cultivées et des arbres féconds ou stériles, il tire ces comparaisons charmantes qui font comprendre aux plus petits la doctrine la plus élevée. Il prie comme nous tous, et cherche,


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pour plus de recueillement, les montagnes et les déserts. Il vit de la vie de ses compatriotes, parle leur langue, cite leurs livres, se mêle à leurs assemblées. Il se montre le plus aimable des hommes; et le doux rayonnement de sa physionomie attire les pauvres, les malades, les pécheurs, les enfants. Il sent les douleurs de tous, il sent en homme ; souvent on l'a entendu gémir, on l'a vu pleurer. Après trois années de cette vie publique ; après tant de voyages sur les lacs, les plaines, les collines natales; après tant d'oeuvres accomplies devant des foules diverses, il meurt sous les coups de ses ennemis. Le lieu et le jour de sa mort, comme ceux de sa naissance; comme les faits particuliers de sa vie, sont connus; on montre encore l'endroit du Calvaire où se dressa la croix de son supplice, et le rocher voisin de Jérusalem où l'on creusa son tombeau. Et non-seulement il se montra homme comme tous les hommes, mais encore, si nous pouvons le dire, plus homme que tous ; l'humanité entière était représentée en lui, mais telle que l'avait faite la chute originelle, c'està-dire pauvre, humiliée, souffrante, faible,


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destinée à la mort. Il est l'assemblage vivant de toutes les misères humaines parvenues à leur apogée; une seule exceptée, celle qui était la cause de toutes les autres, et dont il était la pure et volontaire victime, le péché. C'est donc avec raison que Pilate, le montrant au peuple avec sa couronne d'épines, ses lambeaux de pourpre et son sceptre de roseau, s'écriait : Voilà l'homme !

Oui, voilà l'homme, et voici le Dieu.

Ici nous adjurons les âmes d'être sincères en face d'elles-mêmes , de ne pas à dessein fermer les yeux à la vérité qui étincelle de toutes parts; nous les adjurons, dans cette question souveraine, d'accepter l'évidence et de ne pas se roidir contre ce fait si clair : Dieu était là sous l'enveloppe de l'homme.

Jésus-Christ est né d'une femme; oui, mais l'histoire sacrée nous dit que cette femme a conçu et enfanté le Fils du Très-Haut en conservant intacte sa virginité , et l'on sent comme un parfum de pureté s'exhaler au seul nom de Marie. Il est né dans une étable, on le dépose dans une crèche, sur la paille qui sert aux animaux; mais cette naissance, déjà prédite par les prophètes, est chantée par les


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anges, qui annoncent que de ce berceau jaillit la plus grande gloire pour le Ciel et la la plus douce félicité pour la terre ; et l'on voit s'incliner autour de cet humble enfant, dans la personne des bergers et des mages, les petits et les grands, les Juifs et les gentils, les temps anciens et les temps nouveaux. Il s'exile pour éviter les poignards d'Hérode ; mais il déjoue ses projets, et seul il échappe, quand il est seul l'objet de sa cruelle poursuite ; et, s'il permet que de jeunes martyrs soient enlevés à l'amour de leurs mères, c'est pour en faire les fleurs brillantes des jardins du ciel, et montrer déjà qu'il est bon de mourir pour une sainte cause et d'échanger une vie passagère pour l'éternité du bonheur. Adolescent, il obéit à Marie et à Joseph; mais, à cette époque même, il étonne les vieux docteurs d'Israël par la profondeur de ses questions et la clarté de ses réponses. Il est dédaigné de plusieurs ; mais de plusieurs aussi il est révéré comme le révélateur d'une doctrine céleste, un thaumaturge puissant, un être supérieur à l'humanité. Avant de se soumettre aux ombres de sa Passion et de sa mort, il s'entoure des rayons de la Trans-


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figuration au Thabor. Mais voici les jours suprêmes, les heures de ténèbres ; rien ne ressemble ; dans les annales humaines, à ce drame terrible et sanglant qui va se dénouer par le supplice du Golgotha. Quelle nuit que celle de Gethsémani, où la vision du calice amer passe et repasse devant son esprit accablé, où la sueur de sang coule jusqu'à terre, où cette nature humaine, brisée et sans force, semble demander grâce et avoir besoin du secours d'un ange pour se soutenir jusqu'à la fin ! Quelles humiliations et quelles douleurs au prétoire ! Quels cris de désolation au Calvaire, partis de cette poitrine qui n'a plus qu'un soupir. Des clameurs ironiques l'invitent à descendre de la croix; il n'en descendra bientôt que mort, meurtri dans tous ses membres, corps qui n'est plus qu'une immense plaie, et que l'on se hâte d'enfermer dans un sépulcre sur lequel ses ennemis triomphants posent les sceaux de l'empire romain. Oui, mais ces opprobres et ces douleurs, cette croix, ce baptême de sang, il avait tout prédit à ses disciples, tout appelé de ses voeux les plus ardents. Il y volait avec tout l'élan de son amour, parce qu'il savait


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que c'était ainsi qu'il réalisait sa grande mission de Sauveur des hommes, et que là, dans cet abîme de misères humaines où il se plongeait de tout coeur, il posait les profondes et solides bases de sa gloire surhumaine. La croix devenait son trône éternel, le brillant étendard de ses victoires : Quand je serai élevé de terre, disait-il, j'attirerai tout à moi. (Joan., XII, 32.) Et, en effet, quand l'heure est venue pour ses ennemis de l'écraser comme on broie d'un pied puissant un misérable ver de terre, à cette heure où il semble disparaître dans le néant, il règne. Son dernier soupir a bouleversé la terre et les cieux, jeté le monde dans l'agonie, et bientôt ce monde, ravivé par la mort et la résurrection de l'HommeDieu, le reconnaîtra comme le Fils du Dieu vivant, et se prosternera à ses pieds pour l'adorer.

II.

Lui-même avait affirmé qu'il était Dieu, Fils unique de Dieu, la Voie, la Vérité et la Vie ; il l'a dit dans l'intimité à ses disciples, aux


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foules assemblées pour l'entendre, en face de ses ennemis, qui épiaient ses discours pour y trouver un prétexte à leurs calomnies, et enfin devant l'autorité, qui ne l'appelait à son tribunal que pour le condamner. Voyonsle à l'oeuvre, et les faits vont fournir un éclatant témoignage à sa parole.

Il est la Voie de deux manières : par ses exemples et par ses préceptes. Regardons et écoutons :

La vie de Jésus-Christ, telle que l'Évangile la peint à nos regards , peut se résumer en un mot : c'est la perfection absolue. Il est impossible de lire les pages saintes sans se sentir ému à chaque ligne, sans rencontrer le divin à chaque pas du Sauveur, à chacun de ses mouvements. On n'y trouve pas une ombre , si ce n'est celle qu'essaie de jeter en passant la haine satanique de certains apostats, dont le venin savamment préparé et lancé avec une douceur hypocrite, soulève de dégoût nos coeurs indignés. Mais les nuages qu'on envoie d'en bas peuvent-ils empêcher le soleil d'être un astre sans rival? Il jette à tous les siècles ce défi qu'il adressait aux hommes de son temps : Qui de vous me


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convaincra de péché? ( Joan., VIII, 46. ) Il pense , il dit, il fait toutes choses bien; c'est le témoignage que lui donnent les foules. ( Marc., VII, 37. ) Il est constamment dans le sublime , mais dans un sublime qui dépasse tout, dans l'infini ; et on voit qu'il lui est naturel tant il s'y montre à l'aise. Qu'y a-t-il de semblable avant et après lui? Les saints sont ses imitateurs variés; chacun dans son genre étonne ; martyrs, apôtres, vierges, pénitents , toutes ces grandes âmes qui sont la lumière du monde et le sel de la terre, se sont élancées avec une admirable vigueur dans la carrière des plus héroïques vertus : et pourtant en quoi Jésus-Christ a-t-il jamais été égalé? Qui a osé, qui oserait tenter une comparaison? Qui a été comme lui doux et humble de coeur ? Quel homme eut jamais cette affabilité et cette indulgence qui accueillait à la fois l'innocence et le repentir, l'enfant pur et la pécheresse, promettait le paradis au larron pour un instant de pénitence et de foi, et faisait de Pierre, qui l'avait renié, et de Paul, le persécuteur, les colonnes les plus fermes de son Église? Qui sait mêler à cette mansuétude sans bornes cette fermeté


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sainte qui chasse les vendeurs du temple et fait pâlir sous leurs masques d'hypocrisie les scribes et les pharisiens? Ce n'est pas là un portrait idéal, une invention des évangélistes; Rousseau nous dit que l'inventeur en serait plus grand que le héros. Ajoutons qu'il est impossible au génie humain de concevoir une perfection si au-dessus de l'âme humaine, et que, si les évangélistes avaient voulu faire un poëme pour attirer à Jésus les adorations réservées à Dieu, la raison leur eût commandé une fiction qui rapprochât leur personnage de l'idée que les païens se faisaient de leurs dieux, et les Juifs de leur Messie. Ici la réalité dépasse tout idéal. Depuis plus de dix-huit siècles nous sommes en contemplation devant cette incomparable figure, et notre admiration ne s'épuise jamais. Cette vie est l'objet constant de nos méditations, de nos discours ; ce modèle parfait pose devant le regard de notre âme, nous excitant à l'imitation, nous élevant par sa seule vue, nous enchaînant à ses pas. C'est le beau par essence, c'est le bien, c'est la perfection , c'est Dieu.

Sa morale parlée va ressembler à sa morale


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pratiquée ; l'une est l'écho de l'autre, et c'est toujours le rayonnement de la divinité de Jésus-Christ. Est-ce l'homme qui a pu, à l'encontre de toutes les idées, dé tous les sentiments, de tous les instincts de la nature, poser la béatitude d'ici-bas dans les pleurs et les souffrances? Est-ce un homme qui a pu prendre l'enfant, de pauvre, le faible , et les élever si haut qu'on s'est mis à se passionner pour cet état d'abaissement et de douleur plus qu'on ne pourrait le faire pour les plus riches trésors? Est-ce un homme qui a demandé l'adoration en esprit, la pureté du coeur et de la pensée ; qui règle jusqu'aux mouvements les plus intimes du désir; qui glorifie l'intention cachée et assure la récompense du ciel à la plus petite aumône, pourvu qu'elle soit faite en son nom et avec un grand coeur ? Le pardon des injures poussé jusqu'à l'amour des ennemis, jusqu'à la prière pour ceux qui nous calomnient, jusqu'à l'effusion du bien dans le sein de ceux qui nous font du mal, est-ce de l'homme? Dans quelle philosophie humaine l'a-t-on jamais trouvée cette morale qui fait trembler la nature humaine? Le sacrifice de soi pour se dévouer à tous ;


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l'oubli de cette terre, de ses biens, de sa gloire, de ses plaisirs enchanteurs, pour porter la pensée, les désirs, les efforts à un monde invisible , et placer toute sa vie dans une sphère surnaturelle : est-ce de l'homme? Il est des vertus inconnues des anciens, et qui, enseignées et implantées par Jésus-Christ, sont devenues l'habitude, la vie commune de ses innombrables disciples. Comment peut-on oublier ce fait, et attribuer ces actes de grandeur ou de sainteté soit à la force seule de notre nature, soit à ce qu'on appelle la marche ascendante de l'humanité? On ne veut point se souvenir de ce qu'était cette humanité , de ce qu'elle est toujours, en dehors de l'action de Jésus-Christ. Avant que le Rédempteur lui apportât la plénitude de grâce et de vie, le monde, pris dans son ensemble, était un égout de vices, même chez les nations les plus illustres et les mieux civilisées. Pour le savoir, il ne faut que lire l'histoire. Si on le peut, pourtant ! car il est des pages dans les annales du monde païen , surtout à l'époque qui nous occupe et qui est celle de l'apogée de la grandeur romaine ; il est des détails d'une telle corruption, que la pudeur


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la plus commune y trouve à rougir. Voilà le point de vue qu'il faut prendre pour être dans le vrai : il faut saisir les faits, non d'après un système à soi, mais dans leur réalité; et la réalité c'est que, dans la société, malgré de beaux préceptes de morale épars dans les livres, malgré les exemples de mâle vertu et de noble dévouement, venus de cette bonté naturelle et dé ce soutien providentiel qui n'a jamais manqué à l'humanité dans sa plus grande dépravation, les plus simples notions du devoir étaient obscurcies, et, pour tout dire d'un mot, le vice déifié avait ses temples, son culte, ses adorateurs. Et c'est sur ce sol gâté que Jésus-Christ a fait naître la sainteté la plus sublime : est-ce l'oeuvre d'un homme ?

Quel autre qu'un Dieu pouvait donner à sa morale un point de départ divin, un but divin, un mobile divin, une sanction divine? Les hommes cherchent et donnent des motifs humains, une base humaine, une récompense humaine; Dieu seul, faisant venir le précepte de plus haut, place plus haut le terme et la couronne que la fidélité devra atteindre ; seul il pouvait aller jusqu'à promettre des souf3*

souf3*


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frances et des persécutions ici-bas à ceux qui auraient la générosité de se dévouer, réservant, pour l'éternité, qui lui appartient, les récompenses dont il est le distributeur. Regardez n'importe quels philosophes et inventeurs de religions, et vous verrez leur morale s'appuyant sur des jouissances de ce monde ; c'est l'inévitable cachet des choses humaines et le secret des succès humains.

III

Un phénomène semblable à celui que nous venons d'exposer se présente, sous le rapport intellectuel et dogmatique, pour le règne de la Vérité. Le péché mit des nuages autour d'elle et blessa la faculté de connaître. Cependant les vérités absolument nécessaires demeurèrent pour la possibilité du salut de tous ; et le génie de l'homme, quoique ayant perdu de son intégrité primitive, garda cette élévation et cette profondeur qui témoignent qu'il a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu. Mais c'est précisément dans ces jets


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vigoureux de l'esprit humain que nous pouvons mieux constater la grandeur de la chute quand il s'agit de la vérité par excellence : la vérité surnaturelle. Ici les plus beaux soleils du monde des intelligences pâlissent, et l'on est douloureusement surpris de voir jusqu'à quel degré de folie les plus hauts génies ont pu descendre, parce qu'ils m'étaient pas guidés par Celui qui est la Vérité.

Il apparaît : c'est la lumière qui luit dans les ténèbres (Joan., 1, 5), et cette lumière, éclairant toutes les questions, donnant la raison de tout, révélant tout ce que l'homme doit' savoir des divins secrets jusqu'à leur claire vision du ciel, se présente paisible devant la science, l'expérience, la critique, et les dépasse de l'infini. Depuis dix-huit siècles elle est en butte à toutes les attaques, à tous les examens, à toutes les négations-, et plane victorieuse par sa propre force. N'est-ce pas une gloire pour elle que de voir toutes ces dépenses d'esprit, de subtilité, de malice, expirer à ses pieds comme un trait sans vigueur; de voir tout ce que l'hérésie, l'orgueil humain, la haine infernale, ont de plus habile et de plus fort, passer ainsi pendant


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des siècles en grondant et en jetant une vaine écume sur ce rocher que rien n'ébranle ? Une gloire pour elle aussi, ce sont les mobiles de la guerre qui lui est livrée avec un tel acharnement. David a dit le mot : C'est pour ne pas bien faire qu'on refuse de comprendre. (Psal. XXXV, 4.) Il n'y a que des dogmes divins qui jouissent ainsi soulever contre eux les passions humaines.

Jésus-Christ parle en maître, non pas comme les docteurs et les pharisiens, qui transmettaient la doctrine reçue, mais comme possédant la vérité, qu'il apportait du ciel. Il pose le dogme, sans avoir besoin, pour le faire accueillir, des moyens humains de l'éloquence ou du raisonnement : il révèle. Les enseignements les plus mystérieux et les plus élevés, qui heurtent le plus fortement l'opinion et étonnent notre raison, il les dit simplement, sans préparation et sans art, tant il est sûr de la puissance créatrice de sa parole. Les révélations les plus profondes sur les choses surnaturelles et invisibles coulent de ses lèvres comme d'une source ; on voit que ce n'est pas une science acquise , mais une lumière qui lui est propre, et qu'il est


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lui-même la lumière. Il dira à ses apôtres qu'ils sont à leur tour la lumière du monde, parce qu'ils sont illuminés par son Esprit pour devenir les interprètes de sa parole. N'est-il qu'un homme celui qui parle ainsi, qui éclaire ainsi, qui apaise tous les besoins de l'esprit et contente la raison tout en imposant à la foi des mystères qui dépassent la raison? N'est-il qu'un homme celui qui, de la lumière naturelle et de la lumière surnaturelle qu'il y ajoute, compose cet admirable ensemble de doctrine qu'on ne peut attaquer que par la mauvaise foi et le mensonge, et qui fait le bonheur de tous ceux qui l'embrassent? Il disait un jour : Qui de vous me convaincra de péché ? (Joan., VIII, 46. ) Et nous pouvons ajouter : Qui jamais l'a convaincu d'erreur ? Bien des doctrines ont passé ; elles étaient de l'homme et du temps, elles en ont eu le caractère incomplet et passager ; la sienne demeure, parce qu'elle est la vérité, et qu'elle ne passera pas alors même que la terre et les cieux passeront. On voulait démontrer naguère comment les dogmes finissent; les dogmes, par leur immuable existence, démontrent qu'ils ne finissent pas et qu'ils sur-


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vivent après la mort de ceux qui proclamaient leur mort.

Dogmes divins, apportés par la Vérité même, et qui ne doivent rien aux conquêtes successives de l'esprit humain, auxquelles, par peur du surnaturel, les rationalistes voudraient faire honneur des beautés doctrinales du christianisme. Les faits sont assez splendides pour faire rentrer dans l'ombre cette assertion mensongère. Le monde était si peu préparé à la doctrine de Jésus-Christ, quoiqu'elle ne fût que le complément suprême de l'enseignement divin déjà révélé, que toutes les forces humaines se réunirent pour l'étouffer dès son apparition ; il en fut lui-même la première victime.

Dogmes divins et reconnus divins, nonseulement par la multitude qui s'incline docile devant la parole de Dieu, mais par les savants, les grands hommes, les profonds penseurs, toute la pléiade de génies qui se sont faits humbles aussi devant cet enseignement, qu'ils sentaient venir d'ailleurs que de la terre. Rien n'est beau comme de voir le long des siècles passer cette armée intelligente, ces légions d'hommes illustres dans tous les


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genres, le front brillant de l'auréole du savoir et de la pensée, qui se courbent devant JésusChrist, leur maître à tous, le seul docteur, l'unique soleil d'où jaillisse la clarté complète. Les noms ne peuvent pas être cités à raison de leur nombre presque infini ; mais ont-ils besoin de l'être, lorsque l'histoire en est tout étincelante, et que toutes les bibliothèques du monde sont riches de leurs oeuvres, monuments de leur foi, magnifique témoignage au Dieu des sciences, aux pieds duquel les sciences en adoration déclarent qu'il est le foyer qui les anime et le souffle qui les inspire? Effrayés des écarts où se jette l'esprit humain quand il n'est pas guidé par la lumière divine, et surtout attristés de ce vide que l'on trouve au fond de toute philosophie purement humaine, ces vrais philosophes se sont retournés vers Celui qui leur apportait la vérité qu'ils cherchaient, et ils lui ont dit comme saint Pierre : Seigneur, à qui irions-nous? C'est vous qui avez les paroles de la vie éternelle. (Joan., VI, 68.)


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IV

Jésus-Christ a dit qu'il est la Vie. C'est, en effet, par le Verbe que tout a été fait, et c'est par l'Incarnation du Verbe, lorsque le péché a introduit la mort dans le monde, que la vie devait y être ramenée. La vie est en Dieu, c'est de lui qu'elle découle en nous. Cette vie divine transmise à l'âme humaine s'appelle en ce monde la grâce ; et, dans l'autre, la gloire : la gloire, participation suprême et sans limite à cette vie de Dieu que la grâce commence et développe ici-bas. C'est par les mérites du Verbe incarné que cette vie nous est communiquée, et surtout par les mérites de sa mort, subie pour expier le péché, cause de la mort de l'âme. Comme la mort de l'âme entraînait la mort du corps, ainsi la vie rendue à l'âme ranimera le corps, qui reçoit par Jésus-Christ des germes de résurrection et d'immortalité. Mais la vie spirituelle étant insaisissable à l'oeil matériel, et la résurrection corporelle définitive n'ayant lieu qu'au dernier jour, il faut que Jésus-Christ, pour


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se montrer l'auteur et le restaurateur de la vie, opère des miracles sur la nature, sur les hommes, sur lui-même , avec une telle souveraineté que tout obéisse à sa voix, même les corps que la mort a frappés, même les âmes que le péché a tuées.

Le miracle signalait chacun de ses pas. Guérisons instantanées au seul nom de sa parole, au seul contact de son vêtement; résurrections des morts, multiplications de pains, orages calmés d'un mot qui commandait aux vents et aux flots agités : voilà ce qui compose le tissu de cette vie publique de trois années, terminée par une mort où tout est miracle, et couronnée enfin par sa propre résurrection, le miracle des miracles. C'est ainsi qu'il se prouvait Fils de Dieu comme il le disait, agissant par son propre pouvoir divin, et non par une puissance empruntée, comme avant lui les prophètes, et après lui les apôtres et les nombreux thaumaturges de son Église. Ainsi témoignait-il aux âmes qui attendaient le Dieu sauveur que le Dieu sauveur était enfin venu. Allez, disait-il aux disciples de Jean, rapportez-lui ce que vous venez de voir et d'entendre : les aveugles


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voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, l'Evangile est annoncé aux pauvres. (Luc, VII, 22.)

L'impie fait des efforts inouïs pour repousser le miracle, parce qu'il y voit la démonstration irréfutable de la divinité de JésusChrist. Tantôt c'est la possibilité du miracle qu'il ne veut pas admettre, et tantôt c'est son existence historique qu'il nie du haut de sa savante critique. Or, pour soutenir sa négation, il se livre à des explications d'une telle puérilité, d'un tel dévergondage de mensonge, que les gens sensés y trouvent une nouvelle preuve de la vérité attaquée. Les miracles de Jésus-Christ, pour ne pas parler des autres, sont un fait, un fait qui a ses témoignages irrécusables, un fait qui a été vu, entendu, touché par tout un peuple ; un fait consigné dans l'Évangile, ce livre que l'on est obligé de vénérer comme le plus saint et le plus vrai des livres ; un fait accepté même par les Juifs et les païens ennemis, soutenu par les témoins oculaires et par les convictions raisonnées de tous les siècles, mais soutenu avec une telle assurance de vérité, que


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des millions d'hommes ont donné leur sang pour l'attester. Le nier, c'est détruire tout moyen de certitude rationnelle et historique, c'est se jeter de gaieté de coeur dans un scepticisme universel ; c'est être réduit à dire : Non, ce fait-là n'est pas, parce que je ne veux pas admettre qu'il puisse être ! Il faudrait donc l'absurde ; et, comme nous ne voulons pas l'absurde, nous, nous acceptons le divin.

Savez-vous ce qu'il faudrait encore? Voici une conséquence devant laquelle n'a pas reculé l'audace satanique , et que nous sommes obligé de signaler malgré les frémissements de notre coeur. Il faudrait dire : Ces prétendus miracles n'étaient que des fantasmagories , l'emploi d'une science occulte, des jongleries auxquelles Jésus s'est prêté, auxquelles les évangélistes ont prêté leur âme et leur plume, auxquelles les docteurs et les prédicateurs du christianisme ont prêté leur concours ; c'est une imposture, et l'imposteur c'est Jésus-Christ. J'en appelle à la conscience de tous : au point où nous sommes arrivés de nos considérations, est-ce la conclusion qu'une âme honnête puisse tirer?


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Celui que nous avons vu pratiquant les vertus les plus sublimes, Celui qui a révélé au monde par ses discours, comme il l'avait fait par ses actes, une morale qui surnaturalise l'homme et le divinise, celui-là est-il un imposteur? Il le serait, si ses miracles étaient des mensonges ; car il en appelait à ses oeuvres merveilleuses pour prouver son origine céleste, sa divinité, disant à ses contradicteurs : Les oeuvres que je fais rendent témoignage de moi, et montrent que c'est mon Père qui m'a envoyé (Joan., V, 36. ) Ne dites donc pas, ô vous qui voulez enlever sa divinité à Jésus, qu'il est un sage, un demidieu , presque un dieu : ne tombez pas d'admiration à ses genoux, disant que l'humanité n'a jamais produit et ne produira jamais un être de cette grandeur : arrière cette admiration hypocrite et ces respects menteurs! Non, non; s'il n'est qu'un homme, il est le dernier des hommes ; il mérite plus que la condamnation dont l'accablèrent les scribes, les pharisiens, Hérode, Pilate, toute la tourbe qui s'écriait : « Qu'il soit crucifié. » Il mérite que toute l'humanité lui jette son mépris et ses crachats, qu'on le foule aux


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pieds, qu'on maudisse sa mémoire, qu'il soit exécré de tous, car tous il nous a trompés dans les conditions essentielles de notre vie, du temps et de l'éternité, dans notre amour pour la vérité et pour Dieu ; il nous a enchaînés à l'idolâtrie en se faisant adorer comme Dieu, lui qui n'est alors qu'un misérable blasphémateur; il nous a arrachés, pour le suivre, à tout ce que la terre a de plus beau et de plus doux, pour nous jeter dans une voie d'erreur qui n'a pas d'issue.

O mon bien-aimé Maître ! Vous savez s'il nous en a coûté de descendre à de telles paroles pour la défense de votre cause. Vous savez tout ce que notre coeur contient de vénération, d'adoration profonde, de tendre amour pour Celui qui a consenti à subir d'insultants blasphèmes, prévus par sa science, mais acceptés par sa charité, puisque c'était à ce prix qu'il devait nous sauver ! Plus on vous outrage, plus vous nous êtes cher ; plus on vous méconnaît, plus notre foi fait entendre ses protestations solennelles. Et vous, ô Jésus, multipliez toujours vos miracles ; ajoutez à ceux d'autrefois celui de la conver-


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sion de vos ennemis ; triomphez ainsi de la malice des uns et de la faiblesse des autres, et qu'ils reconnaissent comme nous, à ce nouveau miracle de puissance et de bonté, que vous êtes le vrai Sauveur et le vrai Dieu.

Le vrai Seigneur et le vrai Dieu se reconnaît surtout à la transformation des âmes t à cette création nouvelle, plus difficile que la création primitive, qui n'agissait que sur le néant; ici c'est le néant révolté qu'il s'agit de raviver. Il faut être Dieu pour rendre la vie à une âme morte, pour donner à notre faiblesse humaine une puissance surhumaine, pour communiquer une séve spirituelle qui fasse de nous, chétifs et pécheurs, des êtres forts et surnaturels. Cette merveille a été opérée par Notre-Seigneur Jésus-Christ et elle l'est encore tous les jours; et c'est un fait aussi, un fait qui tombe sous les sens de l'âme, un fait constant, expérimenté par chacun de nous toutes les fois que nous sommes en relation intime avec le Dieu de la vie. Cette relation intime, cette transmission de sa vie, nous l'avons déjà nommée, c'est la grâce, ce souffle d'en haut qui nous


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inspire, qui nous anime, qui nous rend capables de toute vertu, nous élève à la hauteur des plus nobles devoirs, au-dessus des passions les plus impérieuses, au-dessus de nous-mêmes.

Regardez où vont ceux qui suivent l'impulsion de la nature ; ils descendent par une pente irrésistible; ils vont à la terre, aux joies humaines et sensuelles, à l'égoïsme. Mais monter en sens opposé, résister à tout et à soi, courir aux sacrifices comme on court aux voluptés, avancer dans la voie de l'abnégation et du martyre comme dans un chemin semé de fleurs, se dévouer toujours et en tout, et cela avec un bonheur qui surpasse tout sentiment (Phil., Ep., v, 7) ; non, qu'on n'essaie pas de l'expliquer par la nature, le caractère, l'enthousiasme ; car le mouvement est au-dessus de la nature, souvent en raison inverse du caractère, et dans le calme d'une intelligence qui se possède et d'une volonté raisonnée. La cause en est évidente ; c'est l'action surnaturelle sur l'âme humaine, c'est la grâce, c'est Jésus-Christ, c'est Dieu. Il se montrait Dieu quand il commandait à la mort de rendre ses victimes,


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quand il disait aux paralytiques de prendre leur lit et de marcher, à Lazare de sortir de son tombeau de quatre jours ; mais plus encore faisait-il éclater sa puissance céleste quand il arrachait Madeleine aux fanges de Jérusalem pour en faire une sainte, et que de Saul le persécuteur il créait le grand Apôtre. Il se montrait Dieu lorsque, après avoir précisé l'heure où il déposerait la vie et l'heure où il la reprendrait, il sortait, en effet, brillant, impassible, immortel, de ce sépulcre dont son corps spiritualisé n'avait pas besoin d'écarter la pierre; mais il se montre également Dieu lorsque, tous les jours, il ressuscite les âmes, leur donne une vie nouvelle, les revêt de qualités surnaturelles qui les font soeurs des anges et dignes du ciel. Il se montre Dieu quand, maître des intelligences, il les assouplit au joug de la foi, et, par la seule force de la vérité et de la grâce, leur rend croyables et chers les mystères les plus profonds; quand, maître des coeurs, il les enchaîne à son amour, obtenant des élans d'une ardeur et d'une générosité qu'aucune passion humaine n'égale; quand, maître des âmes et des consciences, il les


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dirige suivant ses lois, qui deviennent la règle intime de la vie ; quand enfin, après avoir détruit le règne des faux dieux et fait crouler les idoles qui couvraient l'ancien monde, pour reconnaître et adorer le Dieu unique, c'est lui-même qu'il fait adorer comme Fils de Dieu et vrai Dieu ; et l'univers se tient en adoration devant ce Crucifié du Golgotha ! A la vue de ces prodiges innombrables, saisissants, perpétuels, tout homme de bonne foi s'inclinera convaincu ; et, eût-il d'abord l'incrédulité obstinée de l'apôtre saint Thomas, comme lui, terrassé par le fait qu'il touche de sa main et contemple de ses yeux, il devra tomber à genoux et s'écrier : Mon Seigneur et mon Dieu ! (Joan., XX, 28.)



TROISIEME PARTIE

SUITE ET CONSÉQUENCES DE L'INCARNATION

I. L'Incarnation continuée : l'Église. — II. Le divin se montre dans le projet, les moyens choisis, le succès obtenu. — III. Perpétuité de l'oeuvre divine. — IV. Effets divins sous le rapport moral, intellectuel, social. — V. Conclusion.

I

L'incarnation du Verbe ne devait pas, on le comprend bien, se réaliser seulement par une époque, une contrée, un peuple; ses divins effets allaient nécessairement à tous les temps, à tous les lieux, à toutes les âmes ; ils embrassent les hommes et les anges, le ciel et la terre. Cependant Jésus-Christ ne s'est montré que quelques années, il n'a parcouru que quelques pays, il n'a eu pour au-


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diteurs de sa parole et pour témoins de ses actes que quelques hommes, une minime portion du genre humain. Il en résulte qu'il fallait que son infinie sagesse inventât un moyen d'étendre, de propager et de maintenir partout et toujours cette Incarnation une fois faite, afin que tous pussent venir puiser à la source de vie.

Cette merveille a été opérée par l'Église. L'Église est la continuation de Jésus-Christ ; elle continue sa mission réparatrice, son enseignement dogmatique, ses préceptes de morale, ses moyens de sanctification ; elle continue même sa présence au milieu de nous, puisque, par un miracle qui résume toutes les merveilles divines, les paroles créatrices que Jésus a déposées sur les lèvres de ses apôtres et de leurs successeurs le ramènent chaque jour sur l'autel de son sacrifice , au tabernacle dont il fait sa demeure, à nos coeurs qui s'unissent au sien ; et il est ainsi avec nous par son action, par son esprit, par sa vie, en personne, jusqu'à la consommation des siècles.

Ici encore tout est divin ; le divin s'y multiplie et semble grandir à nos yeux ; à


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chaque pas le surnaturel se rencontre, et sollicite le cri du centurion romain : Vraiment, celui-là était le Fils de Dieu ! (Matth., XXVII, 54.)

II

Jésus-Christ fonde son Église. Quelle entreprise inouïe jusque-là, et que nul génie humain n'eût pas même pu concevoir! Le Sauveur voulait faire adopter sa doctrine par tout l'univers : doctrine si élevée, qu'elle dépassait les plus grands esprits ; si mystérieuse, qu'elle étonnait la raison et choquait étrangement la sagesse orgueilleuse. Il voulait faire paraître sa morale, morale si contraire aux penchants humains que l'humanité en masse s'en allait dans le sens opposé avec cette puissance du torrent qu'aucune digue n'arrête. Il voulait établir son règne sur les esprits, sur les coeurs, sur les sens, sur les sociétés ; qu'on l'adorât, lui qui venait de monter sur un gibet d'ignominie ; que ce gibet fût couvert de baisers d'amour, et devînt à tout jamais le symbole de la vertu et


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de la gloire, la règle de la vie. Il voulait que toute puissance fléchit devant la sienne, et que l'empire romain, l'empire de l'idolâtrie couronnée, fût le siége de son empire, qui devait durer autant que le monde et au delà. Jamais rêve de conquérant ambitieux n'égala ce dessein de l'humble Jésus, qui disait : Mon royaume n'est pas de ce monde (Joan., XVIII, 36), et qui s'enfuyait dans les déserts quand le peuple émerveillé voulait en faire son roi. Il fallait, en effet, plus qu'une ambition humaine ; il fallait avoir la pensée et se sentir la force d'un Dieu. Aussi l'annonce s'en faisait avec cette calme assurance et cette précision qui caractérisaient toutes les paroles sorties de la bouche de la Vérité incarnée : Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie... Allez, enseignez toutes les nations, et baptisez-les au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit... Et voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles... Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. (Évang. passim.)

Les moyens sont-ils en rapport avec le succès voulu et promis ? Humainement, ils


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sont contraires. Pour faire accepter une doctrine nouvelle, au-dessus de tout enseignement , il faut des hommes de savoir et d'éloquence ; pour inspirer une vertu hors ligne et la faire passer dans les moeurs, il faut des hommes d'une vertu supérieure, d'un caractère parfait, d'une beauté morale sans ombre ; pour dominer le monde, il faut de l'autorité, de la puissance, de la force. Les apôtres, tels que Jésus les prend, sont-ils les rois de la pensée, de la vertu, du pouvoir? Il les choisit dans les rangs du peuple, pour la plupart aux derniers degrés ; c'est parmi les pêcheurs de poissons qu'il cherche ceux qui deviendront par lui des pêcheurs d'hommes ; ils sont ignorants, aussi pauvres d'intelligence, de caractère et de coeur que de biens matériels ; sans énergie, sans grandeur d'aucune sorte, la balayure de la terre, comme l'a écrit l'un d'entre eux. (Ire aux Cor., IV, 13.) Évidemment, dans ce contraste absolu il y a un calcul divin. JésusChrist va ajouter encore à la faiblesse naturelle de ses agents en les envoyant comme des agneaux au milieu des loups, leur défendant de résister autrement que par les armes sur-


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naturelles de la foi et de l'amour, de ne répondre aux persécutions et aux calomnies qu'en priant et en mourant. Quel est son but, si ce n'est de prouver que, tout élément de réussite étant mis de côté, tout ce qu'il y a d'humain étant en raison inverse du succès voulu, c'est à l'élément divin seul que pourront être attribués les résultats qui vont suivre? Ainsi avait-il fait pour lui-même ; dans la faiblesse dont il s'était enveloppé, avec l'apparente victoire de ses ennemis sur sa personne, foulé aux pieds de tous, c'est dans cet anéantissement qu'il triomphe, et que de sa croix de douleur et d'ignominie il fait le trône de son éternelle royauté. C'est ainsi qu'il se montre Dieu, en créant toutes choses de rien.

Du reste, comment aurait-il choisi des hommes remplis de la sagesse mondaine, puisque c'était précisément cette fausse sagesse qu'il venait combattre ? Comment aurait-il voulu de la grandeur et du pouvoir humains dans ses apôtres, quand il avait besoin pour régénérer le monde de montrer le vide de toutes ses grandeurs et puissances, nous guérissant ainsi de notre incurable or-


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gueil? Que l'homme comprenne une bonne fois qu'il n'est rien et ne peut rien par luimême dans les choses surnaturelles, en voyant qu'on dédaigne ses plus puissants moyens, et qu'on obtient les plus admirables effets avec la seule force de Dieu. Que les apôtres aussi sachent que ce n'est pas d'eux que vient le succès ; qu'ils ne soient pas tentés d'en usurper la gloire, mais qu'elle remonte tout entière à Celui qui les envoie et les anime de sa puissance. Aussi est-ce au nom de Jésus qu'ils se présentent, en son nom qu'ils enseignent, en son nom qu'ils opèrent toutes les merveilles qui surgissent sous leurs pas.

Et le christianisme s'est établi. Ce grand fait, conçu et prédit par Jésus-Christ, était humainement impossible ; il est accompli cependant. Dans le siècle où son fondateur avait apparu, quelques années de prédication suffisent, et la prédiction est réalisée ; le réseau chrétien enlace le monde. La Judée, la Grèce, les îles des mers, l'Italie, les contrées lointaines, sont envahies par ces douze apôtres, qui sont les conquérants les plus heureux, quoique dépourvus de tous les moyens qui enfantent les succès


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des hommes. Ils vont heurter de front toutes les opinions, toutes les croyances, les systèmes, les moeurs, et ils triomphent de tout, ils changent tout. Quelles sont donc ces armes d'un nouveau genre et devant lesquelles toute force doit céder? Transformés par l'EspritSaint, que Jésus leur a envoyé, ils savent et ils enseignent avec une lucidité et une puissance qui portent au fond des âmes qui les entendent la croyance qui est dans la leur ; ils écrivent, et leurs pages sont encore l'arsenal de la plus haute théologie, la base de l'enseignement catholique, l'inspiration des docteurs de la foi. Le peuple s'est levé avec sa soif de plaisir matériel, demandant du pain et des spectacles, et se ruant contre ceux qui leur apportaient des joies invisibles et célestes ; le peuple a été vaincu, et s'est relevé spiritualisé. La philosophie païenne s'est levée avec toute sa sublimité et sa science orgueilleuse; les philosophes sont vaincus, et plusieurs d'entre eux embrassent la doctrine nouvelle et la défendent avec cette grandeur que nous admirons encore après tant de siècles dans les écrits des Justin, des Tertullien, des Origène, des Cyprien, etc.


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Le colosse romain s'est levé avec ses millions de bras; il venait de conquérir l'univers, et l'univers entier pouvait lui servir de bourreau ; ses glaives et ses bûchers , ses chevalets et ses tigres servaient sa rage toutepuissante; cette toute-puissance est vaincue, le monde romain est devenu le monde chrétien, et sa capitale devient la capitale de ce royaume des âmes confié au pêcheur de Galilée.

Ce succès ne peut pas s'expliquer par des causes naturelles ; l'essai en a été fait pourtant , parce que certains esprits voudraient à tout prix faire disparaître le surnaturel, et par ce moyen enlever au christianisme son caractère divin. On a dit que, l'esprit religieux , étant parvenu alors à un grand développement, le christianisme se présentait à une heure favorable pour répondre à ce besoin général ; que le polythéisme croulait de toutes parts, et que les hommes de bon sens apercevaient toute l'inanité de cette religion vermoulue, qui ne supportait pas l'examen ; qu'en conséquence on dut se jeter avec avidité au sein de ces doctrines spiritualistes élevées, qui correspondaient aux aspirations des âmes.


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A cela il y a une réponse à donner, celle des faits ; à cette philosophie fantastique de l'histoire c'est l'histoire elle-même qu'il convient d'opposer. Or voici ce qu'elle nous apprend. Le christianisme s'est présenté à la philosophie alors régnante, non comme un développement de ses doctrines, mais comme une nouveauté : nouveauté dans ses mystères et dans sa morale; ses mystères étaient traités de folie, et sa morale d'ennemie du genre humain, puisque, à cette société plongée dans les sens et des voluptés qu'on ne peut redire, on prêchait des immolations crucifiantes basées sur des dogmes terribles aux prévaricateurs. L'aréopage d'Athènes répondit à la sublime philosophie de saint Paul par le sourire du dedain et de l'incrédulité ; un seul de ses sages, saint Denys, suivit l'Apôtre, pour devenir à son exemple apôtre des Gaules et notre patron. Déjà les docteurs de Jérusalem avaient flagellé et emprisonné les prédicateurs de l'Évangile ; Rome les tua. C'était la sagesse humaine surtout qui organisa une guerre à mort contre le christianisme ; elle combattit contre lui, non-seulement avec l'esprit de ses Celse, de ses Porphyre et de


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ses Hiéroclès, avec la politique savante et astucieuse de Julien, mais avec les armes d'une cruauté sanguinaire ; parmi ses persécuteurs couronnés, Rome compta plusieurs lettrés et plusieurs sophistes. L'esprit humain et le coeur humain allaient si peu d'euxmêmes vers cette transformation morale, qu'elle fut, nous l'avons déjà vu, l'unique motif d'une poursuite acharnée qui dura trois siècles et immola plus de douze millions de martyrs. Sans doute la vérité et la vertu ont des charmes puissants qui attirent les âmes ; mais les âmes étaient si dégradées, si dépravées par une corruption toujours croissante, qu'elles ne pouvaient agréer le bien qu'après avoir été transfigurées par un moyen surnaturel. Voilà le fait ; et il serait étrange qu'on voulût contester ce fait dans le passé, quand il est de toujours. Est-ce que les siècles que l'on a prétendus être les plus philosophiques n'ont pas été les plus hostiles au christianisme ? N'est-ce pas de ce côté-là encore que nous viennent les attaques les plus vives? Le bien et le vrai ne trouvent pas bon accueil auprès de l'homme que domine l'influence de la nature blessée ; il faut, pour qu'ils soient


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bien reçus, un puissant effort de la volonté aidée de la puissance de la grâce ; alors seulement s'opère le miracle de la permanence du règne de Dieu dans l'homme et l'humanité.

III

Ce miracle de la perpétuité de l'oeuvre divine malgré toutes les raisons humaines de décadence, est constamment offert à notre admiration. Comme Jésus-Christ, qu'elle représente et continue, l'Église a son côté humain, c'est-à-dire ses humiliations, ses souffrances, ses affaissements, dans cette vie de société qu'elle passe ici-bas, comme Jésus y passa sa vie mortelle. Composée d'hommes, elle reçoit le contre-coup de leurs faiblesses. Il est des heures d'une telle angoisse et d'un tel trouble, que l'on dirait son agonie qui commence et sa mort qui est prochaine ; ses ennemis depuis longtemps nous parlent de la tombe où elle va bientôt être ensevelie. Que de blessures elle reçoit! Sans tache ellemême , combien de ses enfants la déshono-


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rent par leurs souillures, la déchirent par les schismes, l'attaquent par l'hérésie ! Aucun genre de combat ne lui est épargné ; ici on la traque comme une bête fauve, on la bâillonne , on lui ôte toute liberté ; là on essaie de la séduire et de l'abaisser par les habiletés de la politique et de la flatterie. Et comment résister ? C'est une reine désarmée entourée de légions ennemies : légions invisibles composées des esprits des ténèbres, légions visibles d'hommes pervers ou égarés, qui s'unissent et mêlent toutes leurs forces avec le dessein hautement avoué de la détruire à tout jamais.

Mais elle est indestructible, et c'est là son côté divin. Toujours frappée, et jamais vaincue, elle n'a rien d'humain pour se défendre, et elle est victorieuse toujours. Il semble qu'au-dessus d'elle brille la croix qui prédisait la victoire à Constantin, et que, dans ses batailles sans cesse renouvelées, elle lit dans les airs cette promesse écrite en lettres de feu : Tu vaincras par ce signe. Là est sa force, plus haut que la terre; elle souffre, elle* prie, elle triomphe ; le sang de ses enfants est toujours répandu par quelque persécu-


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teur ; d'autres persécutions lui font répandre des larmes ; mais de ses larmes et de son sang il s'élève toujours de nouveaux chrétiens, et ses douleurs la rendent féconde.

Essaiera-t-on encore d'attribuer à ce fait évidemment surhumain une cause humaine ? Mettra-t-on en avant la prudence dans la conduite des affaires, la fermeté dans le caractère, le secours des armes, la protection des puissances ? Ce sont des instruments dont Dieu se sert ? et, sous ce rapport, nous pouvons être heureux et saintement fiers, nous, de ce que la France, si justement appelée la fille aînée de l'Église, a toujours été choisie pour être le brillant instrument des desseins providentiels. Mais où est la main qui meut toutes les forces, dirige les volontés, dispose les événements, pour donner à ce royaume des âmes fondé par Jésus-Christ cette stabilité unique, cette perpétuité miraculeuse, quand tout change autour de nous, quand les révolutions emportent tant de dynasties, changent la forme de tant de gouvernements et font disparaître des nationalités? Comment se fait-il qu'aux heures les plus sombres, quand on croit que tout est perdu, quand


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toutes les voix ennemies acclament la fin de cette Papauté, sommet et centre de l'Église, représentée par un vieillard sans force, tout à coup l'orage menaçant disparaît ? Toujours être auprès de l'abîme, et n'y jamais tomber, quoique toutes les mains s'efforcent d'y précipiter ; être toujours la frêle barque agitée par les flots, livrée à tous les vents, passant à côté de mille écueils, et ne se briser jamais, mais poursuivre son voyage à travers l'océan du monde, jusqu'à ce que cet océan ne soit plus, pour faire place à l'éternité ! Non, non, ce phénomène n'est pas dans l'ordre des choses naturelles. Plus que jamais peut-être notre époque met sous nos yeux ce spectacle qui a toujours frappé la pensée ; et je plaindrais l'âme qui, à la vue de cette merveille, refuserait d'y reconnaître le doigt divin, et d'avouer que Celui-là est vraiment Dieu qui a promis à son Église de pareilles destinées, et qui, pendant dix-huit siècles, les lui fait telles qu'il les lui avait promises. Les persécutions, les luttes, les douleurs, tout a été prédit, et tout est venu en son temps ; et ce qui a été prédit par-dessus tout, c'est la victoire, et la victoire se perpétue.


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IV

Pourquoi? Quel est le but de cette merveilleuse perpétuité ? Nous l'avons déjà dit, l'Homme-Dieu, en faisant son Église et la maintenant jusqu'à la fin des temps, a voulu étendre à toutes les âmes les bienfaits de son incarnation. Donner Dieu à l'homme, et élever l'homme jusqu'à Dieu ; fournir ainsi à l'humanité un moyen d'offrir à la Divinité une adoration infinie ; faciliter l'ascension de l'âme ; maintenir, en les produisant tous les jours, le sacrifice régénérateur et les sacrements qui nous donnent la grâce et l'augmentent, être enfin pour tous les hommes de bonne volonté la Voie, la Vérité et la Vie, quelle fin digne du Créateur et du Sauveur des âmes ! Et c'est l'effet produit par la religion chrétienne, ce sont les fruits que porte constamment cet arbre divin.

Le christianisme sanctifie. Le coeur humain est un abîme de misères, et il a besoin d'un fort secours venu du Ciel pour monter et se


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tenir à la hauteur qu'exige la vertu : la religion lui fournit ce secours.

On s'étonne parfois qu'elle ne fasse pas davantage, qu'elle ne détruise pas les forces opposées, et ne règne pas en souveraine sur les coeurs et les actions des chrétiens. Mais il faut se souvenir que la grâce respecte la liberté tout en l'aidant ; elle la soutient, mais en lui laissant sa spontanéité, qui constitue le mérite. Le Sauveur offre ses dons, invite, presse, mais ne s'impose pas de force ; c'est aux âmes de bonne volonté que sa paix est annoncée. La vie actuelle doit être jusqu'au bout un champ de bataille où notre générosité est appelée à combattre pour conquérir des couronnes. Si l'action divine devait nécessairement produire le succès, quelle que fût, du reste, la coopération de l'homme, le ciel cesserait d'être pour nous ce côté glorieux d'être une récompense en même temps qu'un don accordé par l'amour infini.

Savez-vous ce qui a droit de nous étonner? C'est que l'homme, avec sa pente au mal et sa liberté de résister à Dieu, soit tellement fort encore par l'effet de la grâce qu'il puisse dompter ses penchants, dominer sa faiblesse,


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repousser les assauts incessants, et, restant malgré tout dans les sentiers du bien, gravir la rude montagne de la sainteté. Et cela, non pas une fois, mais toute sa vie ; non pas avec un tempérament porté au bien, mais avec une nature hérissée de défauts ; parfois avec un coeur naturellement inflammable aux passions vives et affaibli par des chutes nombreuses , comme celui des Madeleine et des Augustin. De nous hommes et de tels hommes Jésus-Christ fait des saints. Ah ! je le sens, il faut être Dieu pour obtenir de tels résultats, et à telle distance, quand il est invisible et que son action est toute mystérieuse et cachée.

Il se montre Dieu encore lorsqu'il éclaire notre intelligence de telles clartés, que tous nous savons tout par lui ; lorsqu'il maintient l'intégrité de sa doctrine au sein de cette humanité si mobile , si changeante, si facile aux séductions de l'erreur, et cela encore quand il n'est plus, là visiblement pour faire entendre les sons vainqueurs de sa parole. C'est à l'Église qu'il a confié ce dépôt sacré, et, pour que jamais il ne pût se perdre ou même s'altérer, il l'a faite infaillible, pro-


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mettant de l'inspirer et de la soutenir jusqu'à la fin des temps. Quel bienfait pour notre besoin de vérité et de science divine ! Posséder le fil conducteur qui nous guide dans les labyrinthes de la pensée, le phare, l'étoile , la boussole, pour éviter les écueils où la raison se brise, être retenus par la main de Jésus pour marcher dans la vraie voie sans crainte de s'égarer, comme l'enfant avance avec sécurité quand sa faible main est dans la main de sa mère! Aussi, qu'arrive-t-il en dehors de lui? L'histoire de la pensée humaine , quand elle regarde comme une conquête la liberté de s'affranchir de toute direction de la foi, est devenue l'histoire des erreurs, du doute, de la négation absolue. Aucune vérité n'est restée debout après ce travail de prétendue critique qui sape les fondements des croyances les plus sûres, et ne laisse que des ruines. Tandis que l'Église de Jésus-Cbrist, en enseignant à la raison ses justes limites et ses devoirs, lui conserve ses lumières, ses conquêtes, ses droits, ne fait que les couronner par la grâce de la révélation , trésor nouveau dont l'intelligence s'enrichit tout en gardant les trésors déjà

4*


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possédés. Et c'est alors que la pensée est vraiment libre, parce qu'elle n'est esclave ni de sa propre faiblesse, ni de ses caprices, ni des opinions humaines si changeantes et pourtant si impérieuses ; elle est soumise seulement à Celui qui éclaire tout homme venant en ce monde, au Verbe divin, dont l'Église n'est que l'écho prolongé à travers les siècles.

En moralisant les individus et les guidant par la vraie lumière dans la voie qui conduit à la vie, Jésus-Christ a posé la base du bonheur des peuples, de l'humanité. S'il est vrai que la félicité générale résulte de l'harmonie des esprits, des coeurs, des intérêts, marchant vers le même but, il est sûr que toute société qui s'organise et se développe d'après les principes chrétiens est par cela même la société la plus grande, la plus forte, la plus heureuse. Écoutons Jésus-Christ, la veille de sa Passion, dans cette prière où il semble prendre toute l'humanité dans son coeur pour l'unir à Dieu dans l'infini de l'amour : Père saint, conservez par votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous... Que tous ensemble ils soient un. Comme


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vous, mon Père, êtes en moi et moi en vous, qu'ils soient de même un en nous... Je suis en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés dans l'unité, et que le monde connaisse que vous m'avez envoyé et que vous les aimez comme vous m'avez aimé. ( Joan., XVII. ) Voilà l'harmonie et l'unité de la société humaine fondées, voilà la fraternité qui nous place dans la famille divine et qui fait du genre humain un corps dont Jésus est la tête et le coeur, et dont nous sommes les membres heureux. Oui, de quelque race que vous naissiez, à quelque condition que vous soyez assujettis, hommes, enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, incorporés à Jésus-Christ, venez, vous êtes nos frères, et nous vous aimons. Il n'y a plus de Juif ni de Grec, s'écrie saint Paul ( Gal., III); il n'y a plus d'esclave ni d'homme libre; il n'y a plus d'homme ni de femme : vous êtes tous un en Jésus-Christ.

L'histoire de l'Église, c'est l'histoire des bienfaits de Jésus s'étendant partout et se propageant toujours. Comme lui elle passe en faisant le bien ( Act., X, 38 ), organisant tous les dévouements, allant au-devant de toutes les misères pour les soulager, au-devant de


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tous les coeurs pour les attirer à son foyer de vie. C'est une mère, dont le coeur, tout brûlant des flammes du coeur divin, invente de nouvelles formes de charité à mesure qu'elle voit s'élever une nouvelle souffrance humaine. C'est la mère des pauvres, la mère des orphelins, la mère des malades , la mère de toute âme qui languit et qui tombe, de tout corps que brise la douleur. C'est une mère que dévore toujours la soif de la conquête des âmes, qui envoie constamment ses apôtres lui amener de nouveaux enfants pour qu'elle les nourrisse de tous les dons du ciel déposés dans son sein. Voilà l'Église, c'està-dire voilà Jésus-Christ. Il a répondu et il répond toujours à tous les besoins de l'individu et de la société, à tous les besoins de l'intelligence et du coeur, à tous les besoins de vertu, à tous les besoins de consolation et de soutien sur cette terre, vallée de larmes et arène de combats, à toutes les aspirations des âmes vers l'infini. Seul il a dit cette parole : Venez à moi, vous tous qui êtes dans la peine et qui succombez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai ( Math., XI, 28) ; et seul il a soulagé le monde du poids affreux du


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mal, relevant le misérable, l'abandonné, le pécheur souillé de toutes les fanges, l'âme tremblante et affaissée, le coeur meurtri et saignant, et il les a amenés jusqu'à son coeur, où l'univers a trouvé la résurrection et la vie.

V

Ce discours est long, et pourtant nous abrégeons, on le voit; force nous est de nous résumer, de ne donner que des aperçus, de réduire à d'étroites proportions l'exposé de ces vastes questions qui touchent à tout, qui embrassent tout. Toutefois les principes que nous avons rappelés suffiront pour indiquer le fond et le but de l'Incarnation du Verbe, pour attirer à lui les hommes de bonne volonté. Et c'est ce Dieu Sauveur que l'on repousse aujourd'hui comme autrefois, que l'on rejette comme un ennemi, à qui l'on refuse l'entrée de l'âme, comme Bethléhem lui refusait l'entrée de ses hôtelleries ! Il est venu parmi les siens, et les siens ne l'ont pas compris et ne veulent pas le comprendre.


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S'il était apparu tel que l'attendait le Juif charnel, dans les splendeurs de la puissance et de la gloire humaines, les mains pleines de trésors terrestres, le sourire du plaisir sur les lèvres, invitant aux joies d'ici-bas, on l'eût accueilli comme le Libérateur des peuples , leur apportant l'affranchissement de la pauvreté , des humiliations et des douleurs. La terre et rien que la terre, c'est ce qu'on voulait et ce qu'on veut. Or le Libérateur céleste venait donner le ciel, et, pour attirer au ciel, il nous affranchissait précisément du misérable joug des jouissances vaines, passagères , sensuelles, en prenant sur lui et nous conviant à prendre avec lui le joug des nobles sacrifices, qui doivent produire les nobles joies de l'âme dès ce monde et pour l'éternité.

Que fait l'homme, quand il méconnaît l'Homme-Dieu, quand il le délaisse, quand il lutte contre lui? Il emploie sa liberté à combattre le bonheur qui lui est offert, il se dresse contre le bienfaiteur et l'ami qui est venu et qui se présente les mains pleines des trésors qu'il veut répandre dans notre sein. Est-ce dans l'ordre, même dans l'ordre de


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notre intérêt bien entendu ? Est-ce juste ? Un tel amour de la part de Dieu devait-il rencontrer une telle ingratitude de la part de l'homme ?

Qu'ils sont coupables ceux qui emploient leur talent à couvrir des séductions d'un beau style leur impiété et les mensonges qui en sont les auxiliaires ! Ils couvrent de fleurs la coupe empoisonnée que l'on se passe de main en main et qui va bien loin porter la mort. Et que dire de cette foule, coupable à son tour, puisqu'elle accueille les doctrines les plus subversives de sa foi, qui bat des mains ou sourit aux blasphèmes les plus impurs ! Et ce sont des chrétiens ! Et celui qu'on outrage est le Dieu qu'ils ont adoré ; ils portent son nom, ils ont reçu au baptême son caractère sacré! Ils rougiraient d'entendre une minime partie de ces insultes si elles étaient adressées à leur mère , ils frémiraient d'une juste indignation ; et leur coeur ne s'émeut pas quand on souille la face auguste de leur Dieu ! Triste aberration, et qui s'explique par une cause bien triste encore : c'est qu'il y a au fond des coeurs des passions qui sont heureuses de trouver des prétextes sur lesquels les re-


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mords puissent s'endormir; c'est que la peur de la vertu fait applaudir aux impiétés qui jettent des nuages sur la loi divine de la vertu; c'est qu'on aime à douter de l'Évangile quand on ne veut pas s'astreindre à ses préceptes pénibles à la nature gâtée.

Lorsque l'Enfant-Dieu fut présenté au temple de Jérusalem, le vieillard Siméon, le tenant entre ses bras, prononça ces prophétiques paroles que chaque jour voit s'accomplir : Cet enfant est pour la perte et pour le salut de plusieurs dans Israël, et pour être en butte à la contradiction. (Luc, II, 24.) Ou cette pierre servira de base au magnifique édifice de notre sanctification, ou elle tombera sur nous pour nous briser; ou nous serons associés à l'Homme-Dieu, qui nous communiquera ses dons infinis, ou, rameaux séparés de cet arbre de vie, nous mourrons stériles et desséchés ; ou heureux avec lui et par lui, ou malheureux loin de lui : c'est l'alternative posée devant notre libre élection.

Que voulons -nous! Imiter ces bergers et ces mages au coeur croyant, qui s'inclinèrent auprès de son berceau, et reconnurent sous cette forme humaine et sous ces pauvres


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langes le Dieu Rédempteur? ou, comme Jérusalem et son roi, demeurer dans une indifférence dédaigneuse, persévérer dans un coupable aveuglement, tuer en nous sa foi et son amour comme ils essayèrent de le tuer lui-même enfant, comme ils le tuèrent , homme, sur la croix où le cloua leur haine jalouse?

A Dieu ne plaise que nous suivions les inspirations du Tentateur, qui, homicide dès le commencement, s'efforce toujours d'arrêter le torrent de vie que le Ciel veut faire couler en nous. Nous ferons bon accueil au Sauveur qui nous est venu. Né un jour à Bethléhem, il naît toujours parla grâce dans les âmes, il naît chaque jour à l'autel et en nous par l'Eucharistie. Et nous, devenus fils de Dieu par notre union à ce Fils unique du Père , nous naîtrons à notre tour à la vie de la grâce dans le temps, pour naître enfin à cette vie qui ne connaît pas les ombres de la mort, à la vie de la gloire dans l'éternité.

FIN



TABLE

LA DIVINITE DE JESUS-CHRIST

I. — Lacordaire et Napoléon 7

II. — Jésus-Christ est-il Dieu? 9

III. — Les dieux du paganisme 10

IV. — Supériorité du christianisme sur les autres religions 15

V. — Supériorité de Jésus-Christ sur tous les grands hommes. 17

VI.— Aucun homme ne ressemble à Jésus-Christ. . 23

VII. — Le Christ est un fou, ou un imposteur, ou un Dieu 25

VIII. — Le Christ vit au delà du tombeau 28

IX. — Jésus et Mahomet 31

X.— Le Christ affirme victorieusement sa divinité. . 36

XI. — Le Christ et les mystères 38

XII. — Divinité de l'Évangile 45

XIII. — Dieu est complice d'uu affreux mensonge, si Jésus-Christ n'est pas Dieu 47

XIV.— Jésus-Christ seul a conquis l'amour des hommes. 49


144 TABLE.

LE VERBE INCARNÉ INTRODUCTION 59

PREMIÈRE PARTIE CAUSES ET PRÉPARATION DE L'INCARNATION DU VERBE

I. État primitif de l'humanité. — II. La déchéance. — III. La rédemption future. — IV. Promesses, traditions, figures et prophéties. — V. Préparation universelle et prochaine 63

DEUXIÈME PARTIE L'INCARNATION

I. L'Homme-Dieu. — II. Jésus-Christ notre Voie : exemples divins, morale divine. — III. Jésus-Christ Vérité : lumière divine, mode divin d'enseignement, dogmes reconnus divins. — IV. Jésus-Christ Vie : miracles sur la nature physique, conséquences pour la divinité de Jésus - Christ ; miracles sur les âmes. . . : 83

TROISIEME PARTIE SUITE ET CONSÉQUENCES DE L'INCARNATION

I. L'incarnation continuée : l'Église.— II. Le divin se montre dans le projet, les moyens choisis, le succès obtenu. — III. Perpétuité de l'oeuvre divine. — IV. Effets divins sous le rapport moral, intellectuel, social.—V. Conclusion. 115

192. — Tours, impr. Mame.