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Full notice

Title : L'Art et les artistes : revue mensuelle d'art ancien et moderne...

Publisher : [s.n.?] (Paris)

Publication date : 1905-10-01

Contributor : Dayot, Armand (1851-1934). Éditeur scientifique

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32702564z

Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32702564z/date

Type : text

Type : printed serial

Language : french

Format : Nombre total de vues : 13027

Description : 01 octobre 1905

Description : 1905/10/01 (T2)-1906/03/31.

Description : Collection numérique : Originaux conservés à l'INHA

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k5864957q

Source : Bibliothèque de l'INHA / coll. J. Doucet, 2010-75675

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 30/11/2010

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L'Art et les Artistes



Directeur : Armand DAYOT

L'Art et les Artistes^

/ *

TOME II

(Octobre 1905 - Mars 1906)

PARIS

173, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 173

1906



VAN DER MEER

National Gallery.

La dame au clavecin.



Musée de la Haye.

VAN DER MEER — VIE DU CANAL DE ROTTERDAM, A DELFT

Van der Meer de Deïft

LE SPHINX! C'est ainsi que le nommait'le grand critique passionné qui l'a mis en l'honneur voulu et pour ainsi dire redécouvert. Et le terme qu'employait Thoré garde encore toute sa vérité et toute sa force.

Van der Meer de Delft doit être parmi les plus admirés de tous les peintres, il demeure un des plus inconnus de tous les hommes. Les dates que nous savons de sa vie n'éclaircissent rien; le succès qu'il semble avoir obtenu de son vivant ne rend que plus anormal le défaut absolu de détails sur sa personne; son oeuvre même est une énigme adorablement irritante. Thoré a raison : Vermeer est et demeure le sphinx.

Voici, à peu près, tout ce qu'on a pu arracher de précis au secret des temps. Il serait né à Delft en i632, s'y serait marié en i653; la même année,

il était inscrit dans la Gilde comme maître peintre ; il en était doyen en 1662, puis de nouveau en 1(371 ; enfin il mourait en 1675. Ainsi, il semble n'avoir jamais quitté sa ville natale, et cela explique qu'il n'a pas noué de relations multiples qui contribuent le plus à la notoriété d'un artiste. Il est mort jeune, ce qui, étant ajouté la perfection de son métier et l'évident caractère de méditation et de choix lent de ses oeuvres, explique leur rareté. On ajoute qu'il eut pour maître Léonard Bramer; Thoré suppose qu'il a travaillé avec Rembrandt; et, de notre côté, nous avons émis l'hypothèse qu'il a pu recevoir dans sa prime jeunesse des conseils d'Emmanuel de Witte, qui séjourna à Délit de 1642 à 164g.

Faut-il avouer que la supposition de Thoré nous avait quelque peu trouvé rétif? Il s'appuyait


L'ART ET LES ARTISTES

sur des raisons de facture tirées de l'examen du grand tableau de Dresde,, cette magnifique composition de quatre figures qui non seulement supporte le voisinage du célèbre Rembrandt buvant avec Saskia sur ses genoux, — à supposer que, malgré sa signature et l'exécution d'ailleurs superbe, ce tableau soit bien de Rembrandt, — mais encore lui apparaît sensiblement supérieur. Au contraire, les influences d'un peintre tel qu'Emmanuel de Witte se lisaient bien mieux dans la facture satinée, dans le goût pour les intérieurs clairs, dans la présentation des personnages en pleine lumière.

Mais notre opposition cessa du jour où nous vîmes le prodigieux portrait de femme en robe noire, avec linge blanc et aiguillettes de rubans jaunes, du musée de Buda-Pesth, un chef-d'oeuvre sans pareil, un morceau qui devrait être célébrissime et que peu de gens connaissent. Ici,

la parenté et même l'influence rembrandtesque sont indéniables, et Thoré, instinctivement, génialement, avait vraiment vu toutes les faces d'un sujet qu'il connaissait si bien, autant qu'homme peut connaître celui-ci.

C'est qu'en effet, une des multiples énigmes contenues dans l'énigme capitale de Van der Meer lui-même, c'est le double aspect de son talent avec l'unité, cependant si profonde, de sa personnalité. Dans ce' merveilleux portrait de Buda-Pesth, dans la Verseuse de lait de la Collection Six, dans le grand tableau de Dresde, c'est un peintre d'une robustesse extrême, prodiguant les riches pâtes comme Nicolas Maes (mais, cela va sans dire et cela n'est pas beaucoup dire, plus intelligent que celui-ci) ; dans la Femme au Collier de perles du Musée de Berlin, dans la Petite Dentellière du Louvre ', dans le Soldat et la Fillette qui Ht, dans le tableau du Musée d'Amsterdam, Une Servante

apportant une lettre à une Dame, c'est un peintre fin et subtil, chez qui la matière est lisse et soyeuse ainsi que chez Ter Borch ou Metsu. Et il faudrait encore faire remarquer que, dans certains tableaux, au moins la fameuse Vue de Delft du Musée de la Haye, les deux .autres tendances se trouvent réunies et se tolèrent avec une réciprocité merveilleuse.

Tout ce que l'on peut ajouter à ces indications générales de faits, sur notre maître, n'est que caprice de coeur ou d'imagination. On peut, si l'on veut, se faire de lui telle ou telle idée suivant la sympathie que l'on ressent pour l'une ou l'autre de ses oeuvres. On peut, tour à tour, se le figurer comme un homme paisible, sédentaire, ne quittant point et n'ayant point besoin ni envie de quitter sa silencieuse petite ville,

i. Ce petit chef-d'oeuvre a été reproduit dans le n" i de l'Art et les Artistes.

Musée de Berlin.

VAN DER MEER — LA DAME AU COLLIER DE PERLES


L'ART ET LES ARTISTES

Musée de Berlin.

VAN DER MEER — LE GOÛT DU VIN

aux canaux nonchalants, aux façades muettes, aux intérieurs luisants, aux monuments altiers et endormis; un homme simplement contemplatif et laborieux, n'ayant pas ou ne se croyant point de génie et n'ayant pour ainsi dire aucun nSërite à se livrer, régulièrement et méticuleusement, au passe-temps de peindre. On peut, au contraire, le considérer comme un philosophe ironique, passionné sous des apparences-de flegme, médir tatif et moqueur comme on-sait l'être dans cette Hollande, très au courant des intrigues amoureuses qui se jouent sous les allures mornes de la province; pince-sans-rire, satirique aux airs gracieux et comique renfermé autant que Steen est comique en dehors; homme du monde ou bien bourgeois sans faste; ouvrier sans arrière-pensée ou penseur aux complexes ondoyances....

Ou plutôt Van der Meer est tout cela à l'a fois, et cela se concilie en perfection, la candeur et la finesse, la malice et le sérieux, les belles méditations

méditations et les réticences rouées, l'amour profond de la franche et vaste nature et le plaisir pris à l'observation de la rouerie bourgeoise et de la sensualité vertueuse.

Et voilà pourquoi Van der Meer est le plus moderne de tous les peintres, mis à part Rembrandt qui est moderne à la façon de Shakespeare. Pierre de Hoogh, Adrian van Ostade, Metsu, tels autres bons peintres que vous voudrez, et même Ter Borch, cet ironiste intermittent, et même Jean Steen, ce Molière, tous ont une certaine unité de vision humaine, tous une certaine persistance de sentiment, qui font que l'on ne se trompe jamais sur ce qu'ils ont voulu dire. Vermeer, lui, possède une telle complexité, il voit la femme de façon si délicate et si mystérieuse ; il la traite, picturalement, avec tant de respect, et, moralement, avec tant de perspicacité, que l'on ne sait jamais à quel moment il se moque, — non, le mot est trop précis et trop


L'ART ET LES ARTISTES

Musée de Windsor.

VAN DER MEER — LE CONCERT

brutal,— mettons : il s'amuse d'elle, de nous et de -lui-même. Autant, dans les peintures des autres intimistes, elle est une ménagère attentive et une bonne petite commère, autant chez Van der Meer, c'est une jolie créature, désoeuvrée, froide peut-être, énigmatique certainement, moqueuse sans doute, et que la galanterie préoccupe plus que le ménage. Elle fait, de la dentelle? Ah bien oui! Elle met son collier de perles? Qui vous dit qu'elle ne l'ote pas? Elle reçoit ou lit une lettre? Je parierais que la réponse est écrite depuis longtemps.... Bref, si vous voulez connaître la Joconde hollandaise, ne la cherchez ni dans les ménages de Ter Borch et de Pieter de Hoogh, ni dans les rêves tragiques de Rembrandt;

Rembrandt; dans les boudoirs de Van der Meer, tirée à divers admirables mais cependant trop rares exemplaires.

Tout est encore à faire en matière d'étude de cette oeuvre, sur les bases si solides qu'a édifiées Thoré.

Il avait identifié au moins une douzaine de tableaux, et disait, en 1860, qu'il y en avait environ deux douzaines à identifier encore. Aujourd'hui, on pense en connaître une cinquantaine, mais il reste bien des découvertes à faire, bien des beaux commentaires à écrire. Heureux qui y consacrera ses efforts! Je ne sais s'il rencontrera la gloire, en un temps où la foule se désintéresse de la finesse et s'éblouit de la


VAN DER MEER

Musée de Buda-Pesth.

La femme aux rubans jaunes.



L'ART ET LES ARTISTES

quantité; mais, ce qui est certain, c'est qu'il tirera de cette étude les plus raffinés et les plus profonds plaisirs d'art et de pensée.

L'auteur des tableaux que nous avons cités dans cette courte note, et de la vue d'une Rue de Delft (Collection Six), du Géographe (Musée de Francfort), du Peintre dans son atelier (Collection Czerny, à Vienne), de la « Dame avec son cavalier et un amant boudeur » du Musée de Brunswick, de la Dame au clavecin de la National

National si malencontreusement ratée par le Louvre, et qui provenait de chez Burger, circonstance aggravante! de la Dame au corsage bleu de la Collection Van der Hoop, et de la Dame au corsage à trous du Musée de Berlin, de la Liseuse du Musée de Dresde; cet homme-là, ce penseur, cet artisan, ce peintre, cet inconnu, ce railleur, cet amoureux, ce sphinx, est un des plus grands artistes du monde, un des plus dignes du culte silencieux et hautain des happy fen>.

ARSÈNE ALEXANDRE.

Musée M Dresde.

VAN DER MEER — LA LISEUSE


John Lavery

L'ACCENT singulièrement ferme de ses figures nous attire, depuis plus de dix ans; chaque Salon révèle, signées de ce nom, des effigies dont la maîtrise calme impressionne l'âme et contente le goût. Lentement, sans réclame, John Lavery

s'est imposé au déférent intérêt de la critique française, du fait seul d'un apport périodique de belles oeuvres. Dans le groupe de ces forts techniciens anglo-saxons qui se sont fait en nos expositions une place si large, parmi les Guthrie, les Frieseke, les Bunny,les Alexander, les Dannat, il apparaît le plus cohérent peut-être, le plus typique et le plus expressif.

Une race trouve en lui son aboutissement, et tout son art semble imprégné d'un classicisme héréditaire. Il est classique par la sûreté paisible de la mise en cadre, l'harmonie des volumes et la constance de leurs relations,

relations, sain et naturel des visages, de leur matière, de leurs plans, et par toute la présentation des êtres. Et cependant son observation intense du caractère lui donne un charme moderniste et le situe bien dans notre temps.

John Lavery nous rappellera invinciblement ■ Manet et Whistler. Il s'y apparente mais ne s'y inféode pas. De Manet il a la construction ample, la façon simplifiée de traiter les étoffes, le recours incessant aux grandes surfaces, Te sacrifice du détail ou sa soudaine mise en valeur, la divination de ce qu'il sied d'éliminer, des omissions ou

des insistances significatives. De Whistler, il a le dédain des outrances- chromatiques, l'amour des beaux tons sourds, l'instinct d'inscrire l'individualité aux moiteurs d'une pénombre égale et saturée de silence. Mais une discrétion un peLi

froide l'éloigné également de la fougue réaliste du maître français et dit magique amour du mystère qui hanta le maître américain. La personnalité de John Lavery se définit par LUI souci foncier de vérité et de mesure. Ni verve, ni sortilège : des choses vues, synthétisées, et rendues avec une impartialité que restreint seul le soin du style.

On n'aperçoit que peu à peLi la grande tendresse, le profond sens de féminité de ses oeuvres. Au premier abord, elles donnent le sentiment de la quiétude critique. Tout est établi avec une science, un ordre, une tenue qui n'admettent

n'admettent de défaut. Le regard contourne tous les plans d'un portrait de Lavery sans être arrêté, troublé par Lin doute. Sur de soigneuses préparations s'édifie par des glacis une fois posés, des touches sans retour, l'armature des méplats, des lumières, des cernures franches par quoi naît et s'impose l'image, et se résout doucement le problème de la vie affleurante, appelée du fond des ombres. Totit a sa consistance et sa raison d'être. Regardons la Dame en vert. Son beau dessin n'a rien de linéaire : c'est par une impeccable véracité des valeurs qu'elle surgit et vit, assise. La

LAVERY MISS MARY MORGAN


L'ART ET LES ARTISTES

rondeur pleine de son visage aux yeux clairs s'érige avec assurance sur le carré de sa gorge décolletée, mate, nue et chaste. A l'ogive du front s'accorde, soulignée d'un liséré plus clair, la double volute du vaste chapeau recelant une ombre d'émeraude. De la rondeur des tombantes épaules glisse avec grâce une écharpe d'un ton acide qui se ramène, en un double contour, jusqu'à l'inflexion des bras; les mains aux mitaines de dentelle ajotirée se rejoignent au giron de l'ample robe, dont les plis simples soutiennent totite la calme architecture féminine. Une eurythmie s'affirme et se dérobe avec un tact délicieux. Toute indication de surfaces obliques ou montantes ramène l'oeil à la considération de la face. Une anglaise de cheveux bruns se suspend à demi sur la chair pure du sein droit. Dans les prunelles, pareilles à la fleur du romarin, s'inscrit un rêve tempéré, la santé d'une âme rassurée, incarnée dans une chair sans névrose. On suppose une vie, on la sait : au fond sombre et unitaire dti tableau la songerie suscite les détails du décor où cette femme doit certainement vivre. Cet art sévère et flettri tout ensemble

ensemble bien septentrional. Nul de nos Français ne résisterait au désir de rendre plus vaporeuse l'apparition, ou d'allumer avec vivacité le feu d'un joyau ou la soie d'une rose, d'un noeud, d'une passementerie. John Lavery s'en tient à la puissance des musiques sourdes, et l'ombre où il aime placer ses figures ne recèle aucun fantastique. Elle est simplement l'enveloppe intimiste et quotidienne où, aux heures déclinantes, dans la douceur du jour fermant, se déclôt la pensée reposée et confiante.

Il a fait de beaux portraits d'hommes; mais c'est avant tout un féministe, avec parfois une vivacité française. Regardez Vera Christie, le geste alerte de la main souple au bout du bras qui s'accoude, le caprice de l'autre main fuyante, toute l'allure du jeune buste penché que contrarie le rejet de la fine tète au regard d'oiseau, SOLIS le chapeau d'une si preste peinture : c'est presque un Jacques Blanche, et c'est enlevé

LAVERY VERA CHRISTIE

comme une esquisse de Manet. La présentation ovale de l'effigie de miss Mary Morgan rappelle avec insistance Whistler : c'est le même raidissement un peu figé d'une tète racée, aux yeux froids, au menton lourd, à la bouche charnue, le même fardeau de chevelure étagée, qu'en certaines figures du maître de Chelsea. La Violoniste évoque Manet encore : peinte en toute la personne, avec beaucoup d'atmosphère alentour, un mur vaste, où s'inscrivent sobrement un cadre et une crédence, un canapé dans une lumière froide, un sol gris, cette femme-décolletée, volontaire et pensive, est construite par de merveilleux glacis. Je ne sais quel souvenir de Stevens se propose en l'étudiant, encore que la facture soit toute différente : peut-être la proportion de l'être relativement au cadre, la qualité des chairs, l'apprêt cérémonieux de son élégance noire.... Là comme ailleurs, John Lavery a quelque chose de grave qui rejette l'idée de virtuosité. Rappelons-


L'ART ET LES ARTISTES

nous encore la jeune femme en pied, de profil, avec une robe grise, un mantelet brun, un chou bleu, qui érigeait au Salon d'il y a trois ans sa silhouette obscure et frêle. C'était le plus solide morceau de peinture qui fût là, et cependant défendu de l'admiration trop directe par une sorte d'effacement discret des moyens. On ne découvrait que lentement, au demi-jour de la haute apparition, la maîtrise graduée des valeurs, l'extrême force de synthèse, tout ce qui faisait de cette toile une oeuvre plus sûre qu'un Alexander, plus savante qu'un La Gandara, plus sereine qu'un Boldini, plus stylisée qu'un Zorn, et plus sensiblement vivante qu'un Whistler. La dédaigneuse impersonnalité volontaire de l'AngloSaxon évoquait impérieusement le mot de Flaubert : « L'artiste doit être comme Dieu dans la nature, présent et ressenti partout, vu jamais ».

Le portrait de l'artiste et de sa fillette, que garde le Luxembourg, en dira plus long sur lui. L'enfant au beau visage, dans sa robe blanche, a déjà l'héréditaire assurance calme, que dénote le geste d'une main décidément posée au bras d'un fauteuil de bambou. Derrière et au-dessus d'elle s'accoude le père, attentif et sérieux, un doigt sur la tempe, l'autre main fine et crispée sur une hanche. L'arrangement est une merveille de simplicité, et déjà là nous saisirons la nuance de tendresse particulière de cet homme contenu et savant. Rien d'expansif dans le geste, aucune de ces recherches d'enveloppement, d'attouchement, qu'un Français, se peignant auprès de sa fille, eût précisées; mais un sentiment de protection, d'équilibre, une présence sérieuse, une communion d'âmes attestée par les regards, par la similitude délicate des traits et des expressions.

Une comparaison de cette oeuvre avec un Carrière dirait mieux que de longs discours la dissemblance psychologique de deux races en ces deux épanchements d'artistes songeurs et pareillement jaloux d'une distinction dérobant son émotion aux mystères des pénombres. Là où Carrière exprime l'effusion du coeur par dé suaves passages de tons, de câlines souplesses, Lavery maintient nette et ferme l'attitude paternelle qui veille; et même l'enfant apparaît sans rêves, sans craintes, droite et lucide, regardant venir la vie et levant son petit front d'orgueil et de clarté....

Un Salon récent nous montrait un poème où se révélait une-ingénuité presque sensuelle. C'était cette jeune fille en blanc tenant une brassée d'aubépines et appelée Printemps. Un grand succès vint à Lavery: pour la première fois un sourire atténuait la gravité de son style, et les fonds de son oeuvre s'éclairaient. Au long d'une boiserie grise aux plinthes blanches montait la' longue et svelte forme en ample jupe de

LAVERY — LA VIOLONISTE


J. LAVERY

Mary in green.



L'ART ET LES ARTISTES

linon drapée , corsage - fichu , manches bouffantes serrées aux poignets minces : nul bijou et, sous le large et frais chapeau bergère, sans plumes, ni rubans, ni boucles, rien que la note brune aux reflets d'or des lourds cheveux annelés et de leur torsade tombante. Une main retenait en l'évasant la spirale de la jupe fluide, l'autre appuyait à la hanche la grande palme fleurie des aubépines. La tête rose, penchée avec langueur sur un col gonflé de colombe, montrait, étonnée du délice de vivre, la fleur nue de son jeune sourire humide, déclose sur des dents brillantes, et le charme tout anglais du regard de pervenche et de lin s'attardait vers un aimé invisible. Il y avait là la grâce de Greuze transposée dans les souvenirs de l'Ecole anglaise, et même une moue à la Rossetti, et je ne sais quel balancement exquis dans le mouvement de la promenade qui s'arrêtait, à demi tournée, au seuil du clair appartement, mais toujours la vie réelle, et la certitude des valeurs, la tenue gardée fière et discrète jusque dans l'épanouissement de celte beauté irritante à force de s'ignorer, chaste et vive, riche de caresses futures et de fraîcheurs présentes. Auprès d'un parfait portrait de femme rose et dorée, cette harmonie lactée s'avivait potir le contentement des yeux.

La Polymnie de cette année indiquera par son titre le voeu de composition synthétique de celui qui ne nous apparut jusqu'alors qu'un portraitiste sagace. Lavery semble se penser assez maître à présent de sa technique pour tenter de conférer aux figures une signification générale : et peutêtre y réussira-t-il, étant sensible, songeur, et accoutumé aux longues et perspicaces interrogations du visage humain. Cette Polymnie n'était pourtant qu'une fantaisie décorative, toute moderne, une longue femme en noir accoudée à un piano et laissant, du bout de ses doigts, s'effeuiller une rose rouge sur l'ébène. Mais elle pouvait prétendre incarner bien des visions de la musique de chambre, par la grâce hautaine de sa

LAVERY — PRINTEMPS

grande cambrure souple, par l'expression de son pur masque de blonde dans l'auréole du vaste chapeau de tulle noir, par la rêverie incluse au pli de ses lèvres; et jamais l'artiste ne posa plus sûrement la touche d'or d'un bracelet, ne s'entendit mieux à symphoniser les noirs, à établir le mouvement par de grands plans et des modelés sobres, à suggérer cette distinction dont des peintres comme lui aident à refaire une notion neuve, en rachetant le terme et l'idée de tant d'avatars abusifs et décevants où on les fourvoya. Quelque chose de luxueux et d'éteint en cette Muse, et une intention ornementale dans l'union du piano aux soieries sourdes, c'en était assez pour revêtir toute l'oeuvre d'une buée magnétique, retenir l'âme et


L'ART ET LES ARTISTES

le regard, dépasser portrait ou anecdote et atteindre à la synthèse psychologique.

De telles oeuvres disent la maturité d'un magistral technicien, dont la science et le goût n'ont rien à voir avec les airs de bravoure des ténors de la peinture contemporaine. Ce sont de silencieuses leçons annuelles, les leçons d'un art profondément intelligent tout en demeurant exclusivement pictural et sans mélange littéraire. Art septentrional, où quelque aspect de musée persiste, où l'hérédité anglosaxonne s'affirme, art sans lyrisme, sans caprice, sans verve, mais sobre, mesuré, médité, réalisé

par la volonté d'un évocateur conscient, toujours fort et souvent subtil. Sans inutile abus du chromatisme, mais osant, s'il le faut, de franches tonalités jusqu'au recul des ombres, John Lavery s'impose, parce qu'il restitue des êtres vivants, représentatifs d'un âge, et donne la sensation durable que confère seule la justesse absolue des valeurs. Grand dessinateur des plans, c'est un homme qui sait les secrets du fond de son art, et il nous revient chaque année plus armé pour nous les faire comprendre. Par de tels hommes se fortifie le style et s'accroît l'héritage d'une école et d'une race. CAMILLE MAUCLAIRMusée

MAUCLAIRMusée Luxembourg.

JOHN LAVERY — PORTRAIT DU PEINTRE ET DE SA FILLE

IO


STANISLAS SUCHARDA — PRAGUE ET LA VLTAVA (BAS-RELIEF)

L'Art moderne à Prague

L'OUVERTURE de la Galerie Moderne de Prague permet aujourd'hui la constatation définitive de deux faits, acquis depuis longtemps aux yeux de qui avait eu l'occasion de suivre quelquesunes des expositions bohèmes de ces dix dernières années, tant au Rudolfinum utraquiste (c'est-àdire où se coudoient Tchèques et Allemands), qu'au pavillon de la Société Mânes, local et groupe exclusivement tchèques. Le premier est qu'il n'existe pas encore à proprement parler d'école tchèque; le second est l'évidente supériorité en Bohême de la production artistique tchèque sur l'allemande. Le dernier point n'est même pas à discuter, puisque des critiques parfaitement allemands, comme le D 1' Richard Mutiler, dans des journaux aussi allemands que Die Zeit de Vienne, se rendent à l'évidence. Les artistes allemands de Bohême, MM. Jetmar, Hegenbart et Orlik, ne revendiquent du reste pour leur groupe aucune autonomie et se sentent bien plutôt, l'un de Vienne, l'autre de Munich, le troisième de Dresde, que de Prague.

Pour l'heure, la peinture et la statuaire tchèques, généralement à l'école de la France, se présentent à l'état de "nébulosité lumineuse emportée par un mouvement vertigineux dans le sens du modernisme le plus caractérisé, et où certains noyaux se distinguent assez confus, tandis que quelques

astres en formation déjà se détachent avec une réjouissante netteté. Entre les meilleurs de ces artistes, chose étrange, pas un point de contact autre que la volonté d'être moderne. Pas de solide base de paysage national. Tout Prague célèbre M. Antonin Slavicek, mauvais et tapageur succédané des Worpsweder,dont les débuts cependant promettaient un artiste sincère et ému, comme le meilleur peintre de la campagne bohème, lorsque à vrai dire celle-ci ne compte que deux célébrants véridiques : M. Aloys Kalvoda et M. Richard Larda. Et dans tous les autres domaines, quel désarroi! Ici deux jeunes artistes d'avenirpartent, l'un M. Arnost Hofbauer avec une éducation de l'oeil toute japonaise, l'autre, M. Victor Stretti, en fantaisiste hésitant entre les dessinateurs de Simplicissimus et ceux de Montmartre. Là, un isolé austère et sobre, M. Charles Myslbeck, invente l'Espagne à Prague, ce qui n'est déjà pas si mal appliqué à la Mala Strana de Garamuel de Lobkowitz, ainsi que le montre cette petite vieille vêtue de la défroque surannée de quelques douairière des palais clos endormis au bord de la Certovka. Enfin, voici les deux grandes individualités du groupe Mânes : MM. Max Svabinskv et Jean Preissler. Nous leur consacrerons plus particulièrement cet article en leur adjoignant, et M. Kalvoda, qui a été la gloire locale de cette


L'ART ET LES ARTISTES

exposition du Rudolfinum qu'avait illustrée un si merveilleux choix de Zuloaga, et M. Stanislas Sucharda, le statuaire en vedette de la génération montante. Il faudrait leur ajouter M. Jozka Uprka, peintre slovaque de Moravie. Mais la force de son individualité toute nationale est en train de transformer un coin de province purement rural en centre artistique, tel que Barbizon, Pont-Aven, Dachau ou Worpswede, et cette oeuvre qu'affirme cette année l'exposition de Hrosnova-Lhota où l'on accourt de tous le territoire tchéco-slovaque, est tellement significative qu'elle vaudrait qu'on lui consacrât une étude spéciale.

M. Aloys Kalvoda est né en Moravie. Nous verrons en M. Svabinsky également un Morave. La Moravie est la seule région du royaume de Saint-Vaclav inclinée du côté du Danube; c'est une Bohème méridionale plus fertile, plus pittoresque, plus heureuse et, comme il convient, de

meilleure humeur. Les fêtes de la couleur aux expositions de Prague nous viendront totijours des Moraves. Uprka est un Rubens paysan. Les Tchèques regardent, eux, plutôt du côté de Vélasquez et de Whistler, il n'y a qu'à comparer par exemple les Slovaques de M. Milos Jiranek à ceux du maître de Hrosnova Lhota : la différence est d'un catholique à Lin protestant, ou si l'on veut d'un évêque à un frère morave.

Le paysage de M. Kalvoda est aussi personnel dans le goût qui a présidé au choix et à la mise en cadre du motif que dans la facture. J'ai déjà sotivent développé cette thèse ailleurs, que de régions à régions de l'Europe — surtout en passant de France dans les États de l'Europe centrale,— non seulement le sol, mais l'éclairage, l'air et la lumière changent. L'impressionnisme ne pouvait naître qu'en France, comme la peinture de Boecklin, qui a conquis les mêmes libertés à l'art par des moyens tout opposés, qu'en Allemagne. Claude

Monet lui-même aux environs de Munich serait forcé de voir cm et dur, sombre et dénué de chatoiements. Les Worpsweder près de la Baltique, tout comme Kiihl dans le Schlesswig OLI Dettmann dans la Marche de Brandebourg, voient bariolé et rude. Et l'on sait ce que leur nature réserve aux Scandinaves. En plusieurs séjours très longs et à diverses époques en Bohême, j'ai pu me convaincre que c'est là l'un des pays' les plus fins, les pkts gris, les plus austères, les plus tristement et par le beau temps doucement voilés qui soient. Des prés merveilleusement fleuris, sous un ciel triste, des lambeaux de forêts immenses, une abondance de bouleatix qui annonce déjà la Russie, des chaumines blanches passées deux fois par an au lait de chaux, de petits clochers mélancoliquement baroques, des étangs gris qui sont des viviers et entretiennent l'atmosphère continuellement humide, des ruines moins romantiques qu'ailleurs, quoi qu'on en dise, mais plus muettement tragiques sur des rochers moins grandioses mais plus maussades : voilà la caractéristique générale. Et c'est aussi ce que d'tin pinceatt merveilleusement libre et expert M. Kalvoda nous montre en de grandes pages vigotireuses et jeunes de totiche, fraîches de ton et pourtant fanées d'harmonie, d'un charme très prenant. Dès que le soleil devient plus coloré, les contrastes pkts vifs, les petites maisons blanches plus souriantes, lés villages éparpillés avec plus d'abandon sur les collines, nous sommes en Moravie. Et les ruisseattx coulent aussi plus vifs et plus frais.

CHARLES MYSLBECK

PETITE VIEILLE DE LA MALA STRANA

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L'ART ET LES ARTISTES

En Bohème, l'eau brune semble de l'ombre liquide. On a abusé de la comparaison avec les tons de vieille tapisserie. M. Kalvoda les a souvent dans une pâte plantureuse et fraîche qui leur est en quelque sorte contradictoire, et c'est même là le spécial ragoût de ses dernières oeuvres : des étendues de pays mouvementées se déroulent sous des cieux gris qui semblent en répercuter la rudesse ; des troncs de bouleaux à l'écorce argentée insistent à l'avant-plan. Et cette ténacité du parti-pris gris et argenté, cette distinction et cette subtilité de la vision en quelque sorte brutalisée par la main chargée de la traduire, ne sont nulle part plus sensibles qu'en la dernière grande oeuvre de l'artiste, entrée d'emblée à la Galerie Moderne.

Auprès de ce paysagiste de bel appétit, M. Max Svabinsky est le gourmet brusqtie et nervetix à qui suffit pour toute inspiration et toute ambition de déshabiller la femme aimée et de la représenter dans des intérieurs ou des arrangements de son choix. C'est parfois un peu traiter l'amour en nature morte. Sa manière soigneuse, pointillée (de noir), veloutée, vibrante et caressante, prête

ici et là au reproche de quelqLie salacité. C'est un païen en chambre, avec tout à coup de violentes échappées sur une nature luxuriante, d'un éclat tropical, obtenu cependant par le seul foisonnement des efflorescences surprises dans les jardins de Prague : acacias et cytises, lilas, trèfles et pommiers. Il accroupira une femme nue sur un fauteuil Empire où elle feuillettera un album, tète voilée par quelque dentelle; cela se passera dans un appartement vert à la paroi duquel se balancent des oiseaux de paradis aux ailes bleu de Labrador. Et cette boule de chair sur ce fauteuil semblera LUT sorbet présenté sur une soucoupe. Tel quel, cet artiste aussi probe et serré que fantasque est le portraitiste attitré des mondaines de Prague, des hommes célèbres tchèques. Et sa verve pointilleuse, et sa psychologie clairvoyante, et son procédé à la fois patient et rapide (une sorte de morsure, d'égratignure à l'encre par-dessus l'ample caresse de l'aquarelle ou le copieux abandon de la pâte), le servent on ne peut mieux

ALOYS KALVODA — PAYSAGE MORAVE

pour ces besognes qui lui sont corvée et dont il se console en jetant à la fourche d'un arbre dominant les frondaisons épanouies un couple édénique. Lorsqu'il a affaire à quelque superbe créature en robe de bal, comme sa zébrure de menus traits noirs le sert! Elle se fait dentelle, elle se fais jais, elle se fait luisance des rubans; elle est la souplesse et la vie de l'étoffe comme elle est la trace du peigne dans la chevelure ou la lourdeur duvetée de la plume d'autruche. Il faudrait consulter à cet égard le traitement de la robe de Mme Doubek ou du chapeau de Mme Lubos Jerabek. Et elle sera encore la dureté métallique des feuilles de camélias et le contour arrêté de leurs fleurs sanglantes dans la maîtresse oeuvre de la Galerie Moderne; ou la crispation de l'ouragan dans le bouquet d'arbres courbé sous l'orage de certaine lithographie en couleurs; ou même, sur le diplôme de l'Hôtel de Ville, le velouté du sourire du prince Georges de Lobkovitz recevant la bourgeoisie d'honneur de Prague. L'extraordii3

L'extraordii3


L'ART ET LES ARTISTES

JEAN PREISSLER — ÉTUDE

naire portrait à la plume du poète Jules Zeyer montrera cette manière de dessin fine, expressive, nerveuse, à laquelle ne renonce jamais M. Svabinsky, et le portrait delà grand'mère de l'artiste, comme le tableau de la femme qui se peigne près du massif de camélias, témoignera de l'application courante de ce trait à la couleur par l'artiste.

L'originalité d'un peintre neuf, auprès de qui ne sait rien de lui, ne peut guère s'établir que par un dosage délicat de comparaisons partielles. C'est le procédé du connu à l'inconnu. Dans le cas de M. Jan Preisler, il veut être manié avec une grande délicatesse, car influences disparates et pour ainsi dire inconciliables il y a, comme il y a individualité qui se dessine, et très saisissante désormais. Qu'on imagine, dans la tonalité, l'atmosphère murale, si l'on veut, de Puvis, obtenue par une facture intermédiaire entre celle de MM. Aman-Jean et Henry Martin, des scènes italo-siciliennes de M. Lttdwig von Hoffmann (Berlin), conçues avec la tournure d'esprit que je qualifierai de celtique d'un Ary Renan, c'est-àdire amoureuse des tons blafards, des falaises, des mers sombres, des végétations madréporiques, des coraux et des lichens. Et là se meuvent des nus avec leurs chevatix maigres en train, semblet-il, de se muer licornes comme ceux de Hans von Marées (Musée de Schleissheim) et quelques

créatures d'une maladresse d'attitude segantinienne avec parfois les traits de créatures de Klimt (Vienne). C'est, sans se mettre martel en tête à la recherche du neuf symbolique oti de l'érudition mythologique, un répertoire fort analogue à cehii de Boecklin et de Moreau, de Burne-Joneset de Stuck, mais cela alanouveauté d'une interprétation parfaitement profane et exotérique. Cela ne veut qu'être agréable à voir et faire rêver. Ces géologies étranges, blanches à cailloux noirs, les blancheurs de ces talus découpés par des ruisseaux qu'on dirait issus d'une fabrique d'engrais chimiques, sont hantées à la fois par les nus isolés et désolés entre des troncs de botileaux ou des amoureux vêtus comme le sont des éttidiants d'aujourd'hui. Ils s'en vont parfois enlacés sous des pommiers aux troncs et aux branchages velus comme des chenilles et piqués de fleurettes maladroites comme des bouquets d'autel villageois. Nous avons affaire à un primitif de laboratoire, au rêve de paradis terrestre d'ttn manoeuvre de fabrique. Ou bien encore c'est simplement la nostalgie de la Sicile ou de l'Armorique, telles qu'elles peuvent être conçues au milieu des usines de la dégoûtante banlieue de Prague.

Il faudrait encore dire en M. Preisler l'auteur de dessins merveilleux, d'une sobriété et d'une

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L'ART ET LES ARTISTES

ALOYS KALVODA — SOLITUDE

sûreté qui n'ont d'égales que cellesdeM. Hynais, maître impeccable, mais d'un académisme un peu froid. Chose étrange et du reste assez fréquente hors de France et d'Angleterre, M. Preisler ne cherche aucunement à concilier étroitement son dessin à sa peinture dans ses tableaux où tout est sacrifié à la grâce et à la pondération des taches, à la fraîcheur du coloris. Jamais on ne croirait cet artiste capable de sentir comme il le sait faire la poésie d'une chemise débraillée ouverte sur un torse de manoeuvre OLI d'une manche aux plis tendus sur l'avant-bras. Seul l'artiste grec Nicolas Gysis, avait su jusqu'ici mettre autant de poésie, en quelque sorte sculpturale, dans une indication de mouvement et de draperie. Et le côté remarquable de cette sensibilité chez M. Preisler, c'est qu'il trouve à en user à propos de sujets très modernes. Encore une fois, c'est la blouse, de l'ouvrier ou le vêtement faubourien du modèle qui lui inspirent des lignes d'une élégance attique et pourtant d'une souplesse qui était jusqu'ici l'apanage des seuls maîtres réalistes, un Menzel par exemple. C'est donc un dessinateur de premier ordre qui a le don de voir non seulement en vérité, mais en beauté.

Le statuaire Stanislas Sucharda a aussi un peu de ce don. Ils sont trois maîtres sculpteurs à Prague. Le plus âgé, M. Josef Myslbck, père du

peintre déjà cité, vit retiré sous sa tente, ne se commet plus guère avec le public, et de loin en loin pose avec indifférence sur une place publique ou sur tin monument de Prague quelque retentissant chef-d'oeuvre : les groupes du pont Palacky, le mausolée du cardinal Schwarzemberg, le Saint Vaclav, qu'il achève en ce moment. Le deuxième, M. Frantisek Bilek, est un isolé, un mystique... très pratiqtie,qui se prend ati moins pour le Jean Hus de la sculpture moderne. M. Stanislas Sucharda, plus jeune au bon sens du mot, plus éveillé, entouré d'une pléiade d'artistes d'avenir, sortis de l'école Myslbek et passés à la sienne, les Maratka et les Kafka, cherche dans un sens plus moderne et plus intime des applications d'un art qui sait être aussi grandiose et monumental quand il le faut (monument Palacky, figures de la Caisse d'épargne, etc.) à la décoration des intérieurs. Il faut voir l'effet que produit aiifond de la Galerie Moderne son grand relief de Prague et la Vltava dont la splendeur de la matière ne le cède qu'à la somptuosité de la composition. (La Vltava est la belle rivière brune, large et lente que les Allemands appellent Moldau et qui traverse Prague en une succession de bassins hantés de reflets magnifiques, où nagent des îles et processionnent les pilastres chargés de statues des ponts.) Des brumes de la rivière, une figure


L'ART ET LES ARTISTES

vague se précise pour s'appuyer tendrement à la poitrine énergique de la fière cité. Et derrière la silhouette de bronze du Hradchin une plaque de jaspe d'un bonheur étourdissant simule LUI de ces merveilleux et tiépolesques ciels de Prague att coucher du soleil, qui forcent sans cesse les promeneurs à s'arrêter sur le pont Charles, dont voici les arches et les tours qui se découpent en bas-relief sous les dômes de la Mala Strana. L'or et l'argent et les patines vertes et fauves les plus riches rehaussent ce travail précieux d'ttne noblesse de style toute latine, trop peut-être.... M. Sucharda a su dans d'autres circonstances être si bien slave!...

D'un caractère beaucoup plus véhément est son immense relief de chêne, qui se pourrait titrer les Fumées d'usine, où une figure du Travail succombe sous les baisers OLI la morsure d'une figure de l'Industrie. L'allure est d'une trombe. Il y eut un premier état de cette oeuvre remarquable où des ouvriers pygmées, à l'angle du cadre, contemplaient ce duel effrayant, symbole de leurlabeur. Ce groupe était un hors-d'oeLivre et péchait par un côté anecdotique rapetissant. Il a été supprimé avec l'arbre qtù l'isolait du tourbillon embrasé et mortel. Le bois a été trempé de substances aux tons vénéneux qui aggravent encore la signification redoutable de cette belle chose conçue de premier jet avec une audace tranquille et exéctttée

MAX SVABINSKY — A LA TOILETTE

MAX SVABINSKY — PORTRAIT DU POÈTE

JULES ZEYER

avec une entente merveilletise des propriétés de la matière.

Les quelques pages que voici sont loin de donner un tableau complet de la vitalité artistique de Prague. Elles suffisent, je l'espère, à protiver l'existence de quelques individualités fort remarquables et à inspirer aux visiteurs étrangers, qu'attirent du reste les représentations d'opéras slaves du Théâtre National, l'incomparable beauté du Hradschin et le trésor monumental que représentent certains quartiers de la Mala Strana et de la Vieille-Ville, le désir de s'enquérir aussi de la Galerie Moderne, reléguée, il est vrai, assez loin dans la banlieue, mais à l'entrée d'un beati jardin qu'on peut appeler le bois de Boulogne des Pragois.

Ils y feront la connaissance des quelques artistes dont on petit affirmer qu'ils représentent en face de la culture allemande les meilleures traditions d'une entente intellectuelle franco-slave.

WILLIAM RITTER.

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L'ART ET LES ARTISTES

PASSAGE DU PONT DARCOLE

IMAGES D'EPINAL

1 our votre coloris naïf et point banal

Où l'indigo brutal, le farouche écarlate

S'aggravent de vert tendre — Images d'Epinal —

On vous aime ; et le coeur soudain de joie éclate

Devant votre mérite antique et souverain

Qui nous ramène au temps de la chétive enfance....

Gais produits surannés conçus chez Pellerin,

Vous troublâtes jadis mon être sans défense :

Les rêves bleus, les cauchemars, par millions

Perturbaient le repos de mes frêles méninges ;

Et le Dompteur Lucas dans la Cage aux Lions,

Robinson Crusoé luttant avec les singes,

Et Tropmann ; Malborough ; le Père Lustucru,

Napoléon montrant du doigt les Pyramides,

Héros, fantoches, gueux, en vous longtemps j'ai cru.

Je ne vous contemplais qu'avec des yeux humides

Commenté par la strophe au lyrisme mesquin, Frisé tel un mouton, non sans afféterie, Le Roi de Rome orné d'un pantalon nankin En holocauste offrait son coeur à la Patrie

— Doux Boabdil, je peux dessiner ton turban

De mémoire 1... — Je vais, guidé par une biche, /^

Dans ta retraite, ô Geneviève de Brabant !...

— J'ai sali ton frac blanc, fier Empereur d'Autriche. Et tout jeune j'appris par toi, cher Gulliver,

Que l'homme n'est jamais grand ni petit en somme.

— Lorsque l'Enfant prodigue accablé par l'hiver M'apparaissait, je m'endormais d'un mauvais somme... Calmes pourtant étaient les jours par moi vécus,

Car j'avais foi dans la légende mensongère Qui te prête, sans qu'il t'en coûte, tant d'écus, Astucieuse et bien portante Boulangère :

— « Elle fera l'aumône au pauvre Juif Errant, Me disais-je, s'il passe un jour devant sa porte. »

Son sort maudit m'était dès lors indifférent

Aujourd'hui je raisonne autrement... Mais qu'importe !

Auprès du Paria maigre, tu me souris, Gras Poniatowski qui franchis à la nage Les fleuves sans mouiller tes soyeux favoris I... J'étais l'ami de maint illustre personnage : Jean-Bart ; Espartero ; Chènier ; Garibaldi ;

Gracile Jeanne d'Arc, robuste Jeanne Hachette

En lisant leurs exploits, que mon coeur a bondi ! Comme je parlais d'eux, seul, tout bas, en cachette I...

èrft des soldats de tous genres !... On en avait -'^nquante pour un sou (deux sous, dorés sur tranches):


L'ART ET LES ARTISTES

GRAND CONVOI DE MALBOROUGH

CREDIT EST MORT, LES MAUVAIS PAYEURS L'ONT TUE


L'ART ET LES ARTISTES

STE-GENEVIÈVE DE BRABANT

LES MALHEURS DE PYRAME ET THISBE

LE JUIF ERRANT

NAPOLÉON ET SON FILS


L'ART ET LES ARTISTES

Le Scheick dont le burnous au vent se soulevait ;

Le Guide et le Spahi, des boutons plein les manches.

Tous défilaient, depuis le Hussard Blanc jusqu'au

Dragon à pied du temps du roi Louis-Philippe

Le Zouave courait sans cesse ; le Turco Souriait au danger dans une horrible lippe — Finissant chaque page, accortes, le corps droit, La main gauche sur leur bidon, des Cantinières Aux yeux hautains tenaient en l'air le petit doigt, Afin de témoigner de leurs belles manières—

D'autre part, des combats : Aima, Mamelons-Verts,

Tchernaia, Kalafat, Tilsitt, Wagram, Arcole,

En tous lieux, l'incendie éclairant l'univers.

Les fiers récits...! les beaux tableaux...! la bonne école !

N'est-ce pas l'idéal des faibles batailleurs,

De pouvoir sans danger chez soi faire la guerre ?...

Nous apprenions aussi, sans comprendre d'ailleurs,

(Les questions d'argent ne nous important guère)

Que «.les Mauvais Payeurs avaient tué Crédit ».

Ce dénommé Crédit, qui donc pouvait-il être ?

Et ce Cagliostro, quel est-il, qui prédit

L'avenir, et tutoie un roi, et parle en maître ?...

Aucuns récits pourtant ne m'ont plus absorbé,

Malgré leurs airs menus de fragile ariette, Que les fâcheux destins de Pyrame et Thisbé, Sinon ceux de Damon retrouvant Henriette.

— Souffrant de mille maux que seul le fer calma, Thisbé perce son flanc près du sanglant Pyrame. Ils expirent avec un geste à la Talma

Une lionne aux yeux de vache assiste au drame.

— Moyenâgeux, fébrile, intrépide, bravant Les consignes, Damon pénètre dans le cloître Où sa chaste Henriette, esclave du couvent, Sous sa guimpe paraît dissimuler un goitre.

— Ces héros précieux en des maillots étroits, Exhibent la splendeur de leur anatomie ;

Et si Damon ressemble à Napoléon Trois, Pyrame a des langueurs de bacchante endormie....

Grâce à ton dessin fruste — humble graveur sur bois Qui fis jaillir ton rêve ému d'un coeur de hêtre — J'ai lu le mot Amour pour la première fois... Et c'est pourquoi je te vénère comme un maître.

HUGUES DELORME.

Illustrations d'après les images d'Epinal de la collection BERNARD FRANK.

L'ARBRE D'AMOUR


EUGENE FROMENTIN

Musée du Louvre.

La chasse au faucon en Algérie.



Le Mois Artistique

Le monument d'Eugène Fromentin. — On l'inaugure aujourd'hui iel .octobre, à la Rochelle, sa ville natale. L'annonce de cette fête ramène sur l'écran de l'actualité la figure d'un artiste justement célèbre par ses tableaux et ses livres, le

peintre ayant ete doublé d.'Ltn écrivain remarquable.

Dans tin musée privé, familial, où la mémoire encore persiste de celui qui est représenté au Louvre par la Chasse au Faucon, il m'a été permis de contempler des reliques du maître, de voir des études du commencement et de la fin, de lire des correspondances inédites, de feuilleter des albums de voyage, d'ouvrir des cartons emplis de dessins, d'entendre évoqtter sa noble figure toute de distinction et de bonté. Voilà, par luimême, son portrait dans son premier et très modeste atelier de la rue des Martyrs : enveloppé d'une houppelande, il est assis devant son chevalet, et l'on aperçoit le lit à

peine dissimulé par un rideau suspendu à une tringle; voici les études d'Orient, au début, d'un aspect brutal, foncé, lourd, sous l'influence de Cabaret de Decamps; puis des paysages où les constructions ont la blancheur des Corot d'Italie; enfin la toile inachevée sur laquelle le dernier coup de pinceau date de quinze jours avant sa mort: un portrait de femme qui a la jolie élégance de ceux de Stevens, les mains ébauchées avec une souplesse adorable.

En ces cadres, comme dans les innombrables croquis d'album, on parcourt cette féconde exisV tence d'artiste, la manière s'éclairant à mesure que^

la personnalité se dégage et s'affirme, les tâtonnements faisant place à la maîtrise, des parentés de palette s'établissant avec Gustave Moreau, en compagnie duquel il travailla si longtemps. Eugène Fromentin, lui aussi, fut un peintre littéraire.

Très recherché dans le monde, reçu chez la princesse Mathilde, chez les de Broglie et les d'Hausson ville, qui avaient fait surgir sa candidature à l'Académie française, il était le convive fêté dont la conversation attachait, sa simplicité ne dédaignant pas parfois une sorte de morgue aristocratique que certains de ses confrères ne lui ont pas pardonnée; et cependant « c'était un grand enfant joyeux, une nature d'élite, un être exquis » ; la définition est de quelqu'un qui l'a intimement connu. Son oeuvre, du reste, indique un caractère supérieur, plus qu'un dilettante, comme il s'appelle dans la préface des Maîtres d'autrefois.

Eugène Fromentin naquit à la Rochelle le

24 octobre 1820; il commença d'écrire avant de peindre; ce n'est qu'en 1843 que le jeune licencié en droit décida sa carrière d'artiste, et entra dans l'atelier de Cabat; en 1846, il fait son premier voyage en Algérie ; il en revient, enthousiaste, épris de cet Orient déjà vu par Decamps et Marilhat ; il y retournera plusieurs fois, rapportant livres et tableaux. Sa célébrité s'affirme rapidement, il est en pleine gloire lorsqu'il meurt presque subitement, en 1876, d'un anthrax charbonnjyjx à la lèvre. Telle est, résumée, sa biographie. ^*£f^\aime passionnément le bleu, et il y a deux ■MifiQ&\que je brûle de revoir: le ciel sans nuages

EUGENE FROMENTIN

' [Cliché Mulnier)


L'ART ET LES ARTISTES

SIR HENRY RAEBURN

PORTRAIT DE MRS MACHONICHIE ET DE SON FILS

au-dessus du désert sans ombre, » dit-il en une de ses lettres, et, sauf avec les Centauresses, qui se trouvaient dans la collection d'Alexandre Dumas fils, il n'a.pas fait.d'infidélité à l'Orient; il y demeure absolument original; sa palette est d'un raffiné; sa passion pour le cheval arabe convient bien à son élégance de tempérament. C'est avec Fromentin spécialement qu'il faut visiter ces pays enchanteurs : il vous en communique la vision exacte, tout en exprimant la poésie de l'atmosphère, la splendeur implacable dtt soleil; on se souvient de ces toiles revues à une exposition posthume à l'école des Beaux-Arts, les Gorges de la Chiffa, l'Enterrement maure, les Marchands de PAghouat, la Chasse au faucon, la Fantasia, le Coup de venc dans les plaines de l'Alfa, les Oulad-Nayls, etc., sont un enchantement dont les orientalistes actuels, plus esclaves du motif, de l'actualité, ne nous donnent pas plus l'équivalence de synthèse qu'il ne nous en montrent l'atmosphère lumineuse.

« Ma pensée constante était que ma plume n'eût pas trop l'air d'un pinceau chargé d'huile, et que ma palette n'éclabotissàt pas trop souvent mon écriture. » Et quelques lignes auparavant : « J'en conclus avec la plus vive satisfaction que j'avais en main deux instruments distincts. Il y avait lieu de partager ce qui convenait à l'un, ce qui convenait à l'autre. Je le fis. Le lot du peintre était forcément si réduit que celui de l'écrivain me parut immense. Je me promis seulement de 'ne pas me tromper d'otitil en changeant de métier. » L'erreur ne s'est pas prodtùte, mais les deux personnalités se valent; tandis que, pour se re-mémorer ses tableaux, il faudrait visiter le musée de la Rochelle, les galeries de Mme de Rothschild, de Mme de Cassin, d'Antony Roux, etc., sans compter les collections d'Amérique, poulies livres il est plus facile de préciser un jugement; on les a sous la main, les pages splendides, l'âme du disparu en émane comme un parfum lointain que le temps n'a pas atténué.

L'Orient, il l'a peint et il l'a décrit : l'Eté dans le Sahara et le Sahcl, le premier surtout, sont de véritables joyaux d'anthologie; c'est à ce propos que George Sand,

qui ne le connaissait pas, lui écrit : « La rencontre de la tribu est un chef-d'oeuvre. C'est de la peinture de maître et, bien qu'il n'y ait aucun événement dans ce voyage, on le fait avec VOLIS, avec la passion d'artiste que vous y mettez. Et une passion sage, toujours dans le vrai, dans le goût, dans le simple et le sincère. Je crois que vous ne vous doutez pas du talent que vous avez.... » L'émotion qu'il ressentait devant les spectacles de la nature, il la retrouvait atissi vive devant les manifestations de l'art, et, sachant écrire, voulant aussi affirmer certaines vérités de critique, il publia les Maîtres d'autrefois, pèlerinage en Belgique et en Hollande. Et avec lui nous stationnons respectueux devant Rubens, Van Dyck, Ruysdael, Franz Hais, Rembrandt, malgré que pour ce dernier il soit d'une sévérité incompréhensible. Ce volume devait être continué par d'atitres, Eugène Fromentin voulait faire l'Italie, puis la France : « celui-ci, disait-il, quand je serai vieux, je ne peux pas parler des contem-


L'ART ET LES ARTISTES

porains tant que je serai militant moi-même ».

Dominique, qui parut en 1862, est tin roman mêlé de beaucoup d'autobiographie, une histoire d'amour chaste, une sorte de Lys dans la vallée, que l'auteur a jugé lui-même dans une de ses lettres à George Sand : « .... J'ai voulu me plaire, m'émouvoir encore avec des souvenirs, retrouver ma jetinesse à mesure que je m'en éloigne, et exprimer sous forme de livre une bonnepartie de moi, la meilleure, qui ne trouvera jamais place dans les tableaux. Le livre, en tant que livre, est un embryon, je le sens très bien.... » Il est injuste dans son appréciation, ou trop modeste : cet amour blanc mérite d'être en bonne placé sur le xayon de la bibliothèque réservé à la psychologie sentimentale. Des manuscrits sont restés inachevés : Un Séjour à l'île de Ré, un Voyage en Egypte datant de décembre 1869.

Personnalité complexe en apparence, mais cependant d'une unité absolue, le peintre et

l'écrivain s'égalent par les mêmes mérites, Eugène Fromentin fut un maître atissi bien par le pinceau que par la plume.

L'Ecole anglaise- au Musée du Louvre. — L'aventure de Bagatelle, qui fut si éphémère, aura servi néanmoins à faire entrer dans nos collections nationales, grâce à la générosité d'un grand collectionneur dont l'anonymat est une discrétion inutile, detix très intéressantes peintures anglaises ; le don est d'autant - plus précieux que, malgré l'entente cordiale, l'art d'outre-Manche est très peu représenté au Louvre. Cette parcimonie apparaît regrettable; il serait temps de réparer cette injustice : le ptiblic et les artistes auraient plaisir à admirer chez nous des Hogarth, des Reynolds, des Gainsborough, des Turner, des Wilkie, des Collins, des Leslie

Que possédons-nous, en effet, de nos voisins? L'énumération en sera faite rapidement : un portrait d'homme de Romney, le délicieux féministe; tin William Beechey; deux Henry Raeburn, dont un, l'Invalide de la Marine, est plus que douteux, dont le portrait en blanc à'Anna More; Lin Hoppner, un John Opie; la Halte de Georges Morland; deux Lawrence, plusieurs Constable, le Cottage, VArcen-ciel,

VArcen-ciel, Moulin, la Baie de Weymouth, un chef-d'oeuvre; puis un Mulready, et enfin des Bonington. C'est tout, et c'est peu.

Tandis que sont représentées au Louvre : l'école flamande par Jan van Eyck, Memling, Breughel, Rubens, Van Dyck, Jordaens, Teniers Huysmans ; l'école hollandaise par Antonis Moor, Franz Hais, Rembrandt, Gérard Dow, Van Ostade, Potter, Cuyp, Ruysdael, Hobbema, Jan Steen, Metsu, Pieter de Hooch, etc.; l'école allemande par Durer, Cranach, Holbein; l'école espagnole par le Greco, Ribe.ra, Zurbaran, Vélasquez, Murillo, Goya : l'école anglaise, on l'a vu par la courte énumération ci-dessus, tient une très petite place. Et encore il est bon d'ajouter que Constable seul est représenté par une oeuvre de premier ordre.

Et cependant notre sympathie atavique nous porte vers elle. Le xvme siècle avec sa gracieuseté, son élégance, sa jolie compréhension de la femme

JOHN HOPPNER — PORTRAITS

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L'ART ET LES ARTISTES

son efflorescence parfois mignarde mais exquisement coquette de beauté et de jeunesse, son charme inoubliable, nous le retrouvons dans Reynolds, Gainsborough, Lawrence, Romney; pour le paysage, que la pléiade de i83oa élevé si haut, l'influence de Constable ne peut être niée, et celle de Turner aussi se devine chez bien des peintres français.

A condition de mettre du discernement dans les achats, — aussi bien pour la'valeur artistique que pour la valeur marchande, — il y a là pour le musée du Louvre une orientation à suivre;

les collections publiques doivent être des possibilités d'éducation artistique, et, comme on l'a fait pour certaines écoles étrangères, il faudrait grouper des spécimens plus nombreux et plus caractéristiques de l'école anglaise. Le concours des amateurs est assuré, l'exemple a été donné par M. Groult.

Il est juste de dire, mais cette constatation n'a rien de consolant, que l'école de peinture française est encore moins bien représentée à la National Gallery et à Teate Gallery que l'Ecole anglaise au Louvre et au Luxembourg.

MAURICE GUILLEMOT.

JOSHUA REYNOLDS — PORTRAIT [Legs de la Princesse Mathilde)


LE RETABLE DE BOULBON Acquis pour la somme de 100000 francs par la Société des Amis du Louvre et offert par elle à ce Musée.

Le T^etable de Boulbon au Louvre

"O OULBON est un village des Bouches-du-Rhône, ^"^ non loin de Tarascon ; son église possédait un retable, et ce retable tombait en loques faute d'argent pour le restaurer. C'était là cependant une oeuvre capitale, dont la parenté avec les peintures de la région avignonnaise n'était guère douteuse. Oublié dans un coin, méconnu, il avait échappé aux baptêmes forcés du célèbre Alfred Michiels, et s'il passait pour flamand, c'était sans conviction qu'on lui accordait cette illustre origine. Un très fin connaisseur de nos amis, guidé par M. l'abbé Requin, avait fait le pèlerinage ; il en était revenu émerveillé. C'était une ruine, mais une ruine splendide, une épave incomparable que nous devions amener à l'Exposition des Primitifs. Nous l'allions faire quand une photographie assez médiocre fut présentée, qui nous effraya. Ce que la photographie avait surtout détaillé, c'étaient les tares, les épaisseurs de poussière, les éclats enlevés dans les fonds. Il eût fallu un traitement,

traitement, nous étions pris de court. L'oeuvre vint néanmoins, elle ne fut pas exposée, mais les amoureux de ces choses la purent examiner. Tous eurent le sentiment d'être en présence d'un chefd'oeuvre.

Par un heureux hasard, les parties les plus importantes du Retable n'avaient point souffert. Des quatre personnages représentés, du paysage de fond, rien n'avait disparu. Une sorte de béton aggloméré, fait de crasse et d'humidité, enlevait tout éclat à l'or des nimbes et aux tons des chairs. Au revers, les planches disjointes du noyer employé, avaient, en se séparant, déchiré la toile de suture mise par le peintre sur les raccords, et bâillaient lamentablement. Lorsque, après examen minutieux, on eut acquis la conviction que ces blessures n'étaient point mortelles, que nul organe essentiel n'avait été sérieusement touché, que tout le mal se résumait en éraflures, plutôt localisées aux endroits accessoires, on décida la répa21

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L'ART ET LES ARTISTES

ration et la consolidation. On le fit d'autant plus volontiers, que le conseil de fabrique de Boulbon, impuissant à sauver son malade, nous l'abandonnait moyennant un prix raisonnable. Comme, au fur et à mesure de l'examen, l'opinion s'éclairait davantage, que l'on ne pouvait plus douter de l'importance du monument, le Comité de l'Exposition l'offrit au Louvre qui s'empressa de l'accepter. Celui-là aura du moins la vie sauve, et si les tableaux d'Avignon et de Villeneuve viennent à s'effondrer comme on le peut prévoir, il restera cette trace d'une école glorieuse, d'une époque d'art incomparable, de ce XVe siècle avignonnais dont la réputation s'en va grandissant d'heure en heure.

Le Retable de Boulbon a donc été accroché au Louvre ces temps derniers, en même temps qu'on inaugurait le Mastaba égyptien mais avec moins de bruit. On le plaça entre deux fenêtres, à contrejour, ce qui est, à tout prendre, un meilleur emplacement que celui de Boulbon récemment quitté par lui. Peut-être voulait-on dissimuler ce qu'un nettoyage récent mettait de trop neuf sur la ci-devant ruine. Craignait-on de paraître imiter les Allemands, qui avaient fait reluire l'Etienne Chevalier de Fouquet de la façon que l'on sait ? On s'exagérait. Un tableau simplement lavé, repris, reverni, ne conserve que peu de temps son air requinqué et sirupeux. Dans l'espèce, il ne pouvait en être autrement à peine de tout perdre, et c'eût été d'autant plus dommage que les figures sont indemnes. Peu importe donc qu'une brique ait été ajoutée au fond, qu'un morceau de colonne ait été repris, qu'un seau de métal ait retrouvé l'un de ses pieds. Le Père Eternel, le Christ, le saint présentateur et le donateur sont ce qu'ils étaient au xv° siècle ; ils restent les seuls éléments de discussion souhaitables : tout est donc pour le mieux.

En considérant le prêtre agenouillé que présente un saint évêque, on ne peut douter de son importance dans la commande du tableau. Suivant les usages des clients avignonnais, aussi soupçonneux que des Normands, un contrat avait dû intervenir entre le finaud compère et le peintre, afin de ne rien abandonner au caprice de l'artiste. Un notaire enregistrait le prix-fait comportant la disposition future de l'oeuvre, la qualité des couleurs à employer, le temps accordé au peintre pour la mener à bien, et le bois sur lequel on opérerait. Généralement les méridionaux employaient le noyer, ce que nous retrouvons au Triomphe de la Vierge d'Enguerrand Charton, du Musée de Villeneuve-lez-Avignon, ainsi qu'à la Pietà récemment acquise par le Louvre ; c'est sur du noyer qu'est exécuté le Retable dont nous nous occupons.

Les gens du Nord usaient de chêne préparé d'une certaine manière, et qu'on nommait du « bois d'Irlande », fût-il d'Amiens ou de Paris. L'essence du panneau n'est donc pas un élément de discussion si négligeable ; il est une présomption à tout le moins '.

Suivant toute apparence, la commande du Retable de Boulbon avait été traitée devant un notaire, on y devait lire dans un latin macaronique, où le praticien s'aidait parfois de mots français, qu'un tel prêtre, curé de telle paroisse, faisait exécuter par le maître peintre X unum retabulum sive retaule de juste nucis un retable de bois de noyer, de tant de palmes de haut sur tant de large. Et le peintre y représenterait en bonnes couleurs, en fin azur et à huile, or fin et requis, une image dans la forme qui s'ensuit.

« Premièrement Notre-Seigneur en Pitié sortant de son sépulcre 2 auquel Dieu le Père souffle l'Esprit ; il y aura, au milieu, une colombe en forme de Saint-Esprit joignant le Père au Fils par ses ailes éployées.. Et sera la scène dans un tombeau, en manière de maison, avec à l'entour les instruments de la Passion de Notre Seigneur, peints au naturel. Et sera à la droite de Notre-Seigneur audessous d'une fenêtre où est aperçu Dieu le Père, la représentation d'un priant à genoux, adorant le Sauveur les mains jointes, lequel sera vêtu d'un surplis et aura en le bras droit un manipule. A son côté, et le présentant, sera montré saint Agricol en évêque, tenant une croix en forme de crosse, et posant la main sur la tête dudit priant, lequel dit priant sera fait à la ressemblance et portraiture dudit prêtre donateur, stipulant comme dessus. Entre une porte ouverte et le donateur, sera représentée une ville avec ses manants et habitants, et en haut de la dite ville une église de la forme de celle dont est curé ledit stipulant. »

Si jamais M. l'abbé Requin découvre le « prixfait » du Retable de Boulbon, comme il l'espère, je ne crois pas qu'il ait chose à ajouter à la description ci-dessus, sinon — et ceci en vaut la peine — le nom du donateur et celui du peintre. Peutêtre aussi nous dira-t-il que le Retable était destiné à une autre église que celle de Boulbon où il a été trouvé '. Sa découverte pourra, de plus, nous

i. Dans les prix-faits publiés par M. l'abbé Requin, le noyer est presque toujours stipulé dans les conventions. Cf. Documents inédits sur les Peintres, peint) es verriers et enlumineurs d'Avignon au quinzième siècle, par l'abbé Requin. Paris, Pion, 1889, in-8.

2. On nomme généralement ce thème représentatif un « Homme de douleurs ».

3. On croit en ce moment que le tableau dut être commandé par le premier curé de Saint-Agricol en 1454. Mais ce n'est qu'une simple supposition.

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L'ART ET LES ARTISTES

Musée de ViLLcncnvc-Lez-Avigttou.

LA PIETA

renseigner sur une petite particularité de l'oeuvre qui n'est pas sans poser un autre problème.

Que peut être un signe en forme de besicles fait de trois cercles ou annelets superposés, aperçus, à gauche dans le bas, au-dessous du donateur, et à droite, près de la colonne ? Ce dernier signe est accompagné d'une petite cigogne très habilement peinte, laquelle a été placée, bien postérieurement, sur un blason timbré d'une mitre, derrière le donateur. Je dis une cigogne, mais l'oiseau peut être aussi un héron ou la grue que portent dans leur blason certaines familles, telles les de Gruères, de Piémont, ou les Gruel '. Cet oiseau semble indépendant des besicles dont nous parlions et qu'on avait pensé être la représentation de trois monts sur lesquels eût été perchée la petite cigogne. Ce qui empêcherait de reconnaître des besicles, c'est que ces ronds sont en somme des demi-cercles comme on peut le voir. M. de Mély qui recherche depuis quelque temps les signatures d'artistes, inI.

inI. oiseau, outre le héron, la grue, la cigogne, peut très bien représenter un chevalier, ou tout autre échassier ou oiseau d'eau, tel le butor, armes de la famille Bevereau qui avait un butor sur son blason.

cline dans le sens d'un sigle. La cigogne lui laisse entrevoir un peintre Cigoine, Cigongne ou Ciconia '. La cause reste pendante, mais j'avoue ne pas croire à une mention de peintre. Le plus ordinairement ces indications visaient le donateur, et c'est en ne tenant pas compte de cette loi générale, que M. Bancel avait été conduit à attribuer au peintre Perréal un tableau flamand aujourd'hui au Louvre. Le nom attendu par M. de Mély ne se retrouve d'ailleurs pas dans les artistes du xv'' siècle.

En résumé, nous ne savons pas encore, et nous ne saurons peut-être jamais, ni où, ni quand, ni pourquoi, ni par qui fut exécuté le Retable de l'église de Boulbon, offert au Louvre par le Comité des Primitifs français. On se contente, pour le moment, d'y reconnaître la marque d'un art très supérieur, d'un naturalisme ému et digne, un peu sévère, définitif et naïf cependant, puisque, pour montrer l'excellence de Dieu le Père, l'artiste a cru devoir forcer les proportions de la tête. Mais, à première vue, les concordances de ce

i. Ce pourrait être Segond, Segoind, ou même Cicon, et Sigonge.


L'ART ET LES ARTISTES

morceau magistral avec le Triomphe de la Vierge d'Enguerrand Charton et la Pietà, toutes deux trouvées à Villeneuve-lez-Avignon, s'affirment très nettement. Le Christ du Retable de Boulbon a été pris sur le même modèle que l'admirable figure du Christ mort dans la Pietà. Le donateur y rappelle également le donateur de la Pietà. Avec le Triomphe de la Vierge, dont l'artiste et le donateur nous sont connus ', les identités s'écrivent plus précises encore, comme nous Talions dire.

II

Ce Triomphe de la Vierge ou la Sainte Cité est dans l'instant un étalon fixe et assuré ; j'oserais même dire qu'il n'en est guère de mieux établi dans l'histoire générale de la peinture. Sur une pièce d'archives, l'abbé Requin a débarrassé cette oeuvre considérable de toutes les hypothèses saugrenues nées dans le cerveau des gens. Elle n'est plus ni de Van Eyck, ni de Jean van der Meire, ni du roi René, elle est d'un nommé Enguerrand Charton, né au diocèse de Laon, et visiblement élevé aux mêmes études que son contemporain, Jean Fouquet, sans rien des influences dites flamandes. Installée dans une petite salle obscure d'hospice, livrée un beau jour à un pauvre hère qui la voulait copier, elle a subi des lavages qui ont profondément altéré ses couleurs. Elle se disjoint et s'écaille, et dans vingt ans, si l'on n'y porte remède, ce morceau capital en sera où nous avons trouvé le Retable de Boulbon.

D'aspect, on croirait à une détrempe ; en réalité, l'oeuvre principale est d'huile et d'oeuf. La pâleur des tons provient de l'eau de Javel, que le barbouilleur dont je parlais, a employée au lessivage des ors et des azurs. Des habitants du lieu se le rappellent encore brillant et tout neuf ; dans l'instant, il porte plus que son âge.

Sa composition broussailleuse et quelque peu apocalyptique est le produit de l'imagination d'un prêtre, Jean de Montagnac. C'est lui qui a imposé au peintre ces scènes diverses et opposées, garnissant les moindres recoins. La peinture était par lui destinée à la Chartreuse de Villeneuve, où il resta jusqu'à la Révolution. Elle ne fit que deux pas de l'autel où elle était, pour gagner la salle — le grenier —• où elle se disloque. Nul document comi.

comi. Requin. Le Tableau du Roi René au Musée de Vilhneuve-le^-Avignon. Paris, Picard, 1890, gr. in-8. M. Requin a établi de façon péremptoire que ce tableau attribué à Van Eyck, à Fra Angelico et au roi René, est en réalité d'un peintre picard, Enguerrand Charonton ou mieux Charton, et fut peint pour le prêtre Jean de Montagnac, à Avignon, dans l'année 1453.

paratif n'a donc une importance plus affirmée, ni un état civil pluSven règle.

Le Triomphe de la Vierge est venu deux fois à Paris depuis 1900. Il figura au Petit-Palais lors de l'Exposition universelle ; il revint aux Primitifs, où il fut l'une des pièces les plus admirées avec la Pietà restée anonyme, et qui lui est encore supérieure.

Si donc, nous prenons le Triomphe de la Vierge comme base des recherches, si nous en étudions l'un après l'autre les détails infinis, si nous lui comparons ensuite le Retable de Boulbon, on constate des concordances qui paraissent déceler mieux qne des influences d'école, ou si l'on veut, l'autorité d'un artiste sur un élève ou un contemporain.

Prenons la figure du donateur inconnu retrouvé dans le Retable de Boulbon ; ce sera .un premier élément d'expériences très appréciable. Ce personnage, habillé en curé de paroisse, avec son manipule sur le bras droit et son surplis blanc, a sûrement été dessiné par l'un des plus déterminés peintres de toutes les écoles du xve siècle, fussent-elles de Flandre, fussent-elles même d'Italie. Traité avec une simplicité infinie, une foi candide, un respect religieux des oeuvres de,nature, ce prêtre est dans sa perfection naturaliste, dans ses rudesses, dans son extase vraie, un absolu chefd'oeuvre. En l'opposant à un autre prêtre, représenté à peu près dans la même attitude, dans la Pietà de Villeneuve, on a lieu de démêler quels étroits contacts réunissent entre eux le Retable de Boulbon et la Pietà. On dit cette dernière oeuvre plus magistrale, plus espagnole de tendances, comme si l'Espagne nous révélait rien de semblable avant Velasquez ! Qu'on regarde mieux et l'on se rendra compte que du Triomphe de la Vierge à la Pietà et de la Pietà au Retable de Boulbon, trop de concordances éclatent pour être niées. Toutes les nuances, les différences d'aspect sont bien plus dans la façon de peindre que dans l'esthétique générale, qui reste la même dans les trois tableaux. Visages semblables, attitudes identiques, mains, étoffes, décoration, tout procède d'une convention unique, particulière et personnelle.

Dans le Retable de Boulbon, le saint Agricol debout, avec les orfrois de sa chape, la croix pastorale, les personnes divines avec leurs nimbes, le Christ si évidemment pris sur le même modèle que celui de la Pietà, et retrouvé dans la Messe de saint Grégoire insinuée au Triomphe de la Vierge, notent des parités bien inattendues de la part d'artistes se copiant ou se parodiant.

Mais revenons au donateur du Retable de Boulbon.

Si nous nous reportons au Triomphe de la Vierge d'Enguerrand Charton, nous apercevons à l'angle

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L'ART ET LES ARTISTES

LE TRIOMPHE DE LA VIERGE

inférieur droit du tableau deux personnages agenouillés devant le tombeau de la Vierge, qui est d'ailleurs de même forme que le tombeau du Retable. De ces deux personnages, — un laïque à cotte armoriée, et un moine, — l'un, le moine, est, on. croirait, un autre portrait du donateur de Boulbon. Il suffira, j'espère, de comparer les deux pièces pour admettre ceci. La construction de la tête, les mains, ne laissent guère de doute. Ces deux personnages sont ainsi signalés dans le prixfait du tableau du Triomphe de la Vierge. « Item au pied dudit monument seront deux prians du cousté droit de la vallée de Josaphat entre deux montagnes en laquelle valée a une esglise ou est le monument de Nostre Dame, et un ange dessus. » Mais il n'est pas dit que l'un de ces priants fût celui qui en faisait la commande, Jean de Montagnac, prêtre.

Le saint Agricol de Boulbon a aussi un sosie dans le prélat agenouillé au pied de la croix devant le tombeau du Christ dans le Triomphe de la Vierge, comme le chartreux en habits blancs, également agenouillé au pied de la croix, nous montre des plis identiques à ceux du surplis du donateur de Boulbon.

Ces choses se voient mieux qu'elles ne s'écrivent ; les gens de bonne foi ne sauront disconvenir de ces faits principaux, qui prennent une pluSTr

grande force dans la juxtaposition des oeuvres peintes, car c'est le même procédé de plaquer ses couleurs dans l'un et l'autre, les mêmes tics de pinceau, la même esthétique de dessin et de placement, la même inclinaison des têtes.

Une autre série de remarques vient confirmer ces premières observations. Le Saint-Esprit, figuré par une colombe vue de face, les ailes éployées, est identique à Villeneuve et dans le Retable. L'Esprit, soufflé par le Père et le Fils, sous forme de rayons, remplace dans le Retable les pennes de la colombe partant de la bouche des deux personnes divines, que Jean de Montagnac a exigées égales en âge dans le Triomphe de la Vierge.

J'ai déjà parlé du tombeau à couvercle conique aperçu dans le Triomphe de la Vierge, et rencontré exactement semblable dans le Retable du Louvre. Cette forme n'est pas habituelle ; elle note une concordance étroite entre les deux oeuvres. Mais il y a mieux. Enguerrand Charton ayant eu à peindre dans son Triomphe de la Vierge une Messe de saint Grégoire à l'angle gauche inférieur, sur la demande de son client, a mis un Christ debout dans son sépulcre dans la pose exacte de celui du Retable. Là encore la vérification est facile.

Une des particularités du Retable entré au Louvre,

et l'on pourrait dire un des épisodes les plus aimaitries

aimaitries cette oeuvre à l'aspect sévère, c'est la rue


L'ART ET LES ARTISTES

de ville, entrevue par une large porte, en arrière du donateur, et de saint Agricol. La perspective en rappelle celle du Donateur du Louvre attribué à Jean van Eyck, et les petits personnages qui s'y meuvent portent les costumes de 1450-60 environ. Cette perspective, fort ingénieusement traitée, nous laisse comprendre que la rue est montante. Vers le milieu, un homme est penché sur la margelle d'un puits, et une « fenêtre » de cordonnier expose un étalage de chaussures. Tout au fond, dominant deux collines, la flèche d'un clocher.

Qu'on se reporte au Triomphe de la Vierge, à gauche près de la Messe de saint Grégoire dont je parlais, on aura une représentation identique. Ici, la ville est censée représenter Jérusalem, mais, en réalité, nous montre un coin d'Avignon ou de toute autre cité méridionale. Devant l'église, à deux clochers, une petite population trottine ; elle porte les mêmes costumes que ceux du Retable ; les poses, les attitudes sont les mêmes ; pour nier les concordances, il faut être résolu à le faire de parti pris.

A ceci nous pourrions ajouter que les légendes de l'un et l'autre tableau sont dans la même écriture gothique. Saint Agricol dit : Hec est fides nostra, et le donateur : Salvator mundi miserere me (sic).

Le nom de saint Agricol (.S. Agricolus) est en capitales du xvie siècle, et, par conséquent, ajouté postérieurement, comme les armes du pape à droite, et les armes du donateur à gauche. Mais l'ange Gabriel du Triomphe de la Vierge tient un phylactère avec des écritures toutes pareilles. On objectera que, à cette époque, la minuscule gothique est la même partout ; ceci n'est pas rigoureusement vrai. Il est rare de retrouver deux spécimens aussi proches en deux oeuvres de mains différentes.

J'incline donc à penser que le Retable de Boulbon, désormais acquis au Musée du Louvre, est de la même date et de la même main que le Triomphe de la Vierge de Villeneuve-lez-Avignon, c'est-à-dire de 1450 environ ou 1 455, et de la façon d'Enguerrand Charton. Si cette opinion se confirmait, comme elle fut établie pour la Vierge de Miséricorde du Musée Condé, à Chantilly, ce seraient trois tableaux de Charton retrouvés. J'ose même espérer que la Pietà lui sera quelque jour rendue, et ce jour-là il sera difficile de ne pas proclamer ce peintre, naguère inconnu, comme l'un des plus grands maîtres du XVe siècle français et — pourquoi ne le dirais-je pas ? l'un des plus grands de toutes les écoles.

HENRI BOUCHOT,

de l'Institut.

LA SAINTE CITE {Fragment du triomphe de la Vierge.)

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FRED. WATTS — ENDYMION

Frédéric Watts

(1817=1904)

"PRÉVENONS, dès l'abord, le lecteur français, A qu'on n'entre pas de plain-pied dans l'oeuvre de cet homme colossal. Si vous n'aimez pas les grandes figures plafonnantes qui font lever la tête pour regarder, là-haut, très au-dessus de nous, négligez Watts. Sa gloire, purement nationale, n'a guère encore dépassé la côte argentée de son pays. Il n'en a, d'ailleurs, que plus de saveur et d'originalité. Vous ne trouverez rien de lui chez les marchands de tableaux ; il a tout réservé pour l'Angleterre. Ayant eu le bonheur de réaliser presque tous ses projets, il a ramassé dans Londres et donné à la Nation la moitié de son prodigieux OEuvre. Allez voir la National Portrait Gallery ; allez à la Tate Gallery (Luxembourg anglais) ; admirez ses fresques dan; le Hall de Lincoln Inn's Fields au Temple. Mais, si vous négligez

de regarder notre cher Baudry, à l'Opéra, si vous réservez toutes vos sympathies pour quelques pommes rouges sur une serviette bleue ou poulies déformations puériles et prétentieuses, il est inutile de prendre contact avec de graves chefsd'oeuvre, qui ne sauront vous convaincre. Watts est un de ces Anglais italiénisants qui de Florence et de Venise rapportent un trésor à quoi ils restent toujours fidèles et retournent souvent puiser. Impossible, penseront nos amis, d'être plus démodé et plus « vieux jeu ». Pourtant, je ne vois guère que Rodin, à propos de qui l'on puisse, comme à propos de Watts, citer les plus illustres maîtres de jadis, quand on parle de leurs ouvrages et les y comparer. Ils ont tous les deux le plus noble idéal et disposent des plus sûrs moyens d'expression. Ils sont riches en pensée, classiques, quoique

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L'ART ET LES ARTISTES

A allouai Gallerj'.

FRED. WATTS — RUSSELL GURNEY

foulant le même sol que nous. Watts et Rodin : un Anglais et un Français d'aujourd'hui, de demain et de toujours.

Esprit d'une rare élévation, lettré, poète, Watts, pendant près d'un siècle, fut lié avec les personnes les plus distinguées du monde entier, entretint un commerce intellectuel avec les génies de l'antiquité grecque et de l'Italie. Il fut peintre, comme on l'était au xvie siècle, comme rien n'empêcherait qu'on le fût encore.

Son exposition posthume, à l'Académie de Londres, formait, quoique incomplète, un musée où l'on ne tardait pas à être saisi d'un respect religieux. Est-il donc possible que nous ayons vécu à côté de ce superbe vieillard qui, récemment encore, travaillait comme Titien et Tintoret, si près de nous ? non pas enfermé dans une impénétrable retraite de maniaque, comme Gustave Moreau, mais toujours en contact avec la vie, portraiturant les jeunes beautés à la mode, comme les écrivains et les savants, avec une activité et une curiosité inlassables. Loin d'être un de ces lourds producteurs, intelligents, mais médiocres ouvriers, comme Boecklin ou Moreau, Watts fut, par un caprice

de la nature, un excellent cerveau à la fois et un vrai peintre. Le fait est assez rare pour mériter d'être souligné. Pour indiquer à ceux qui l'ignorent, ce qu'il fut, je dirais : supposez un Elie Delaunay, qui serait génial, fécond, sain, riche et généreux, avec certaines des qualités et la « pâte » qu'on- aime dans le Fantin « des Brodeuses ». Il eut les qualités qui nous réjouissent chez ces « petits maîtres », plus la fantaisie ailée, l'invention, le style, une science consommée.

On pourrait aussi lui trouver quelque parenté avec Ricard (mais seulement comme portraitiste). Enfin, dans telle étoffe de vêtement, dans tels accessoires ce sont les raffinements inattendus, des délicatesses aussi rares que chez Whistler ou Stevens. On voudrait pouvoir décrire « Lady Margarett Beaumont, avec sa fille » (1859), dont ^a robe d'un gris lilas est faite de la matière d'un iris blanc et trente portraits de femmes, dont un seul suffirait à établir une réputation. Mais des pages seraient nécessaires pour choisir équitablement parmi tant de toiles belles ou curieuses.

« Fata Morgana », « Paolo et Francesca », « Le Jugement », « Prométhée », « La Mort couronnant l'Innocence », des centaines de compositions philosophiques

philosophiques didactiques, voisinent — sans rien de conventionnel ni d'académique — avec des portraits, parfois héroïques (Tennyson) ou très familiers, documents sans pareils sur la société anglaise au XIXe siècle. Enviable vie d'homme qui s'écoule harmonieusement, à construire une oeuvre impérissable, au-dessus de nous, avec des matériaux que nous aurions tous à notre portée — sans recettes mystérieuses.

La plupart de ses compositions, a-t-on écrit de lui, doivent être tenues plutôt pour des hiéroglyphes ou des symboles (ce que furent tous les arts à leur origine : n'en va-t-il pas, d'ailleurs, ainsi, de tout ce qui est au-dessus des conditions purement physiques ?). Watts avait la prétention d'enseigner. C'était un moraliste et un idéologue.

Quelque style dont il ait voulu se rapprocher, l'antique, celui du moyen âge, ou tout autre, il y a ajouté le sentiment moderne, excepté dans deux cas : « la Foi » et « Dedica-tion to ail churches ». « La Foi », attristée par la persécution, lave ses pieds ensanglantés, reconnaissant le pouvoir de l'Amour dans le parfum des belles fleurs, la paix et la joie dans le chant des oiseaux. Le glaive n'est

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FRED. WATTS

Miss Mary Fox



FRED. WATTS

Portrait du peintre Walter Crâne



L'ART ET LES ARTISTES

décidément pas le meilleur argument, et elle le rejette.

La mort a beaucoup préoccupé Watts. Il a essayé de la dépeindre comme une amie bienfaisante et secourable. Le soldat, le prince, le mendiant, lui rendent hommage ; la maladie repose sa tête sur ses genoux hospitaliers ; l'enfant joue ingénument avec le linceul. Un bébé, dans la « Cour de la Mort », dort contre le sein de la macabre maj esté ; le silence et le mystère gardent le seuil du palais.

Dans « l'Amour et la Vie », une mince jeune femme, exquise de lignes, est l'emblème de la fragilité humaine, sa faiblesse et sa force, à la fois ; l'humanité monte la rude pente, de l'animalité à la spiritualité.

La fameuse « Espérance » (tableau entièrement bleu), accroupie sur le globe terrestre, pince la dernière corde de sa harpe, pour en tirer la musique la plus intense qu'il se puisse.

Mais nous n'essaierons pas, ici, de donner plus qu'une faible idée d'un cycle philosophique qui se développe, d'un bout à l'autre, avec une rigueur absolue. La place nous manquant, nous effleurons seulement, ne pouvant, étudier. Nous aurions à passer en revue les innombrables portraits-bustes,

les paysages symboliques (le Retour de la Colombe, etc., etc.,) et les toiles d'intimité : telle cette femme assise sur un canapé — qu'on dirait être d'un Fan tin supérieur. — C'est surtout dans la seconde moitié de sa vie, que le maître adopta une sorte de technique dense, empâtée, savoureuse, qu'avait précédée l'usage des glacis.

Nous ne croyons pas que Watts ait eu à lutter avec les difficultés que tant de jeunes artistes ont souvent à surmonter. Ses dispositions exceptionnelles furent aidées par un père et un grandpère clairvoyants. Elève des écoles de l'Académie, dès dix-huit ans, puis du sculpteur Behnes, il débuta par un coup de maître. Comme perfection technique, il ne dépassa jamais l'étonnant « Héron blessé ». Cette toile peut être mise à côté de n'importe quel chefd'oeuvre hollandais. Après un premier concours pour la décoration du Parlement, en 1843, il alla passer quatre années à Florence chez lord Holland, ministre britannique près la cour du grand-duc de Toscane. De retour à Londres, il concourut encore pour un panneau à la Chambre des Lords et fut victorieux. C'était saint George et le Dragon. A partir de 1848, ce

fut une succession ininterrompue de tableaux de chevalet et de portraits, dont chacun a une haute signification. Point d'essais, point de tâtonnements, mais une maîtrise qui, quoique s'appuyant sur les écoles d'autrefois, n'en a pas moins un parfum tout frais. Watts ne fut pas un des membres du « préraphaélite brotherhood ». Il marcha, à côté des voies tracées, vers un but qu'il était seul à viser. Il vit tout ce que les arts produisaient autour de lui, sentit avec ses contemporains et avec ses cadets, mais sa pensée plana sur des cimes dont nous sommes désaccoutumés. Quand il lui plut d'être un réaliste, il le fut autant que Courbet : témoin son magnifique attelage de brasseur, aux chevaux plantureux, fumant dans l'atmosphère ambrée de la rue, sous la conduite d'un gars rougeaud, aux vêtements de cuir.

Je n'oublierai jamais les deux heures que je passai, il y a cinq ans, chez le vénérable vieillard. Sa maison de Holland Park n'était qu'ateliers et galeries. Dès l'entrée, on se sentait apaisé, dans la sérénité de l'art pur. C'étaient des salons, pleins

FRED. WATTS — SIR WILLIAM BORMAN'

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L'ART ET LES ARTISTES

de précieux objets, où deux dames, passant comme des ombres, allaient et venaient, occupées à garnir de fleurs des vases et des coupes. Du jardin, dans le goût archaïque anglais, tombait une lumière de fin de belle journée ; on apercevait, au travers des petits carreaux aux losanges de plomb, le cavalier héroïque (l'énergie physique), dressé au milieu des allées au sable rouge ; Watts modelait encore ce groupe qui est aujourd'hui dans la cour de Burlington House (Academy). Enfin une sorte de moine entra, coiffé d'une calotte écarlate d'enfant de choeur : c'était notre hôte, dont je reconnus le visage si fin ; très blanc, mais droit et tel que maintes images me l'avaient montré. Quelle conversation s'engagea aussitôt ! Avec les plus jolies façons, des gestes modérés, une voix tremblante et toute frêle, il parlait, évoquant un passé

illustre, me racontant des anecdotes sur des Français de naguère, sur la société du duc d'Orléans ; puis, apprenant que j'étais peintre, il porta des jugements inattendus sur nos confrères, aussi renseigné que sur les quatrocentistes. Le maître me montra ses ouvrages de prédilection, les portraits dont il était entouré et une certaine toile, déjà ancienne, dont il repeignait le fond. Il semblait qu'il se crût immortel.

L'oeuvre de Watts m'était expliquée. Cet être heureux et fêté, depuis 1817, n'avait vu que les beaux aspects de la vie, évolué dans les milieux les plus policés, fréqtienté les plus hautes intelligences de tous les siècles et pénétré les mythes de toutes les religions. Une telle existence vaut la peine d'être vécue.

J.-E. BLANCHE.

icloria and Albert Museuil

FRED. WATTS — RENCONTRE D'ESAÙ ET DE JACOB

(Dessin.)

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FRED. WATTS

Fata Morgana



LE CHEMIN DU CALVAIRE : JÉSUS TOMBE POUR LA SECONDE FOIS

(Bois sculpté.)

Les Pasos

T 'ESPAGNE est le pays des pasos. La plupart ^"* des chapelles de monastères, des églises paroissiales et à plus forte raison des collégiales et des cathédrales possédaient des pasos destinés à être promenés dans des processions de la Semaine Sainte, par les rues des grandes villes aussi bien que par les chemins des plus humbles villages.

Le paso est composé d'un certain nombre de statues isolées mais concourant à une action commune qui réunies en groupe figurent une des diverses scènes de la Passion du Christ, telles que la Cène ; la Prière au Jardin des Oliviers ; le Baiser de Judas ; le Jugement de Caïphe ; Jésus dépouillé de ses vêtements ; le Christ à la colonne, le Chemin du Calvaire, le Crucifiement, la Descente de Croix, la Mise au Tombeau.

Ces statues, toujours en bois, matière pour laquelle les Espagnols ont de tout temps témoigné

un attrait particulier, sont d'ordinaires estafadas, peintes ou dorées. Par estafadas, expression qui n'a pas d'équivalent en français, il faut entendre la préparation consistant à donner au chêne, au noyer, ou au pin une surface complètement unie et lisse, avant d'y appliquer la peinture et la dorure. Parfois, la tête, les mains et les pieds de ces statues sont seules taillées; le corps, formé d'un tronc de bois à peine équarri, est alors recouvert de vêtements en véritables étoffes solidifiées à l'aide d'un enduit spécial.

Qu'ils soient peints ou affublés de vêtements, les différents personnages du drame sacré montrent des couleurs convenues et immuables, arrêtées de temps immémorial et dans des poses hiératiques. La Vierge est vêtue de blanc et de bleu ; Judas, dont la barbe est teinte en rouge ardent, porte une robe jaune, couleur des cagoules des condamnés du Saint33

Saint33


L'ART ET LES ARTISTES

Office ; Madeleine est fardée avec du rouge aux pommettes. On allait plus loin encore, jusqu'à la figuration réelle pour ainsi dire, en donnant de vrais cheveux et une vraie barbe aux hommes, des mantilles en guipure, des éventails, des chapelets et des mouchoirs aux femmes. Les artistes castillans s'étaient rendu compte que le costume change toujours d'une façon notable, selon sa forme ou sa couleur l'allure d'un personnage.

Ces procédés qui nous semblent aujourd'hui quelque peu barbares, ont cependant leur raison d'être jusqu'à un certain point et s'expliquent par ce besoin du caractère espagnol de mêler au mysticisme le naturalisme qui a

SAINT FRANÇOIS D ASSISE (Bois sculpté.)

l'avantage de frapper fortement les imaginations.

Lors des processions, les expressions patibulaires données par les artistes aux bourreaux du Christ, costumés en brigands et en vagabonds, impressionnaient tellement les spectateurs que ceux-ci jetaient des pierres aux statues les représentant cherchant à 1 es mettre en pièces ; aussi parfois était-il difficile de les ramener sans dommage à leur point de départ.

Dans nombre de localités, on s'était vu réduit à ne pas exposer la figure de Judas à la populace, que sa vue rendait furieuse et qui l'aurait mise en morceaux au risque de blesser ses porteurs.

C'est surtout à partir de la seconde moitié du xvie siècle que les pasos se multiplièrent pour jouir d'une vogue qui se continua sans interruption jusqu'à la fin du xvme siècle.

Au temps de Philippe II et de Philippe III les plus intéressants sortaient des mains de Juan de Juni et de Gregori Fernandez qui doivent être mis non seulement au rang des plus grands artistes produits par la Renaissance castillane, mais encore au nombre des meilleurs sculpteurs du monde entier. Rarement la largeur et la puissance d'exécution, la connaissance de l'anatomie, l'entente et le sens des draperies se sont trouvés alliés à une plus intense et plus complète expression de la vie.

De ces deux maîtres le musée de Valladolid renferme de nombreux pasos. A Gregorio Fernandez on peut sans crainte d'erreur attribuer cinq statues de la scène du chemin de la croix : Jésus portant l'instrument de son supplice; Simon Cyrénêen;un soldat ; un bourreau tenant une corde, et sainte Véronique le voile qui a essuyé le visage du Sauveur, dans les mains. A notre avis, c'est à un de ses élèves ou à un de ceux de Juan de Juni qu'il convient d'attribuer les deux larrons sinistrement suspendus à de hauts gibets dont l'un — le mauvais larron — à la face repoussante, aux yeux à moitié sortis de leurs orbites, à la bouche aux lèvres boursouflées laissant passer une langue horrible et tuméfiée, est vraiment par trop épouvantable. Aussi comprendon l'émotion d'Edmondo de Amicis, lorsqu'on l'introduit au musée de Valladolid dans une salle pleine de colossales statues. Devant ces « affreux visages •—■ affreusement contractés », il se crut, écrit-il dans son Voyage en Espagne, entré dans un bagne de géants.

C'est encore un élève de Gregorio Fernandez, Marcos de Calrera, qui, en 1594, tailla la tête, les mains et les pieds de la célèbre et colossale statue habillée d''Abraham, une des effigies obligatoires et une des plus appréciées du public des processions de la capitale de l'Andalousie.

Juan Martinez Montanes, le sculpteur le plus renommé de l'école espagnole dont Vélasquez a

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L'ART ET LES ARTISTES

reproduit les traits dans ce merveilleux portrait du musée du Prado qui jusqu'à ces derniers jours a passé pour celui d'Alonso Cano, a traduit et interprété la nature avec son tempérament tantôt violent et fougueux, l'entraînant à de singulières exagérations de formes et d'étranges outrances d'attitudes, tantôt tendre et voluptueux, l'incitant à des images pures et éthérées rappelant les figures de son contemporain et compatriote, le peintre Murillo.

Parmi les pasos conservés à Séville, dus à Montanes, il faut placer au premier rang son fameux groupe de Jésus Nazarero del Gran Poder dont la renommée est universelle et, parmi ses statues habillées, celle de saint Ignace qu'il tailla en 1601 à l'occasion des fêtes de la béatification du fondateur de l'ordre pour la maison professe des Jésuites, le Jésus Nazaréen du couvent des Mercenaires chaussés qu'il suivait lui même, à travers les rues de la cité andalouse, lors des processions, s'émerveillant

s'émerveillant des mains d'un pécheur tel que lui soit sortie une si merveilleuse création. Cean Bermudez, l'historien qui relate cette anecdote empruntée au peintre-écrivain Palomino, ajoute que pour sa part, tout en n'en étant point l'auteur, il n'était content, lors des sorties de cette statue, que lorsqu'il pouvait la voir à plusieurs reprises.

Les élèves de Montanes exécutèrent à leur tour de nombreux pasos pour Séville, disséminés dans les nombreuses églises et chapelles de la ville. Jean

Garcia en fit un plein de vie et d'un noble sentiment pour le couvent des moines de la Merci ; Peldro Roldan, artiste expert, naturaliste convaincu mais manquant quelque peu de distinction, en composa un autre connu sous le nom de paso de la Martaja pour l'église Santa-Marina ; Pedro de Mena, l'élève préféré d'Alonso Cano, reconnu à juste titre après la mort de celui-ci comme le premier sculpteur de son temps, l'auteur de la célèbre statuette de saint François d'Assise du trésor de la cathédrale de Tolède qui a passé longtemps pour un chef-d'oeuvre de son maître, a fait de nombreuses statues habillées empreintes d'une élégance de formes, d'une noblesse d'attitude, d'un naturel et d'une simplicité de mouvements rares dans l'école espagnole, dus aux enseignements reçus de Cano. Parmi ses meilleures productions en ce genre il convient de signaler à Grenade le saint François de Paule du couvent du Carmel et le prophète Elie, au monastère des Minimes. Vers 1660, Manuel Gutierrez, originaire de la vieille Bastille et élève de Pereira, reçut des Trinitaires déchaussés de Madrid, la commande d'un paso de la fuite en Egypte ; en 1689, Francisco

Truxillo, élève de son père Diego de Truxillo qui avait étudié son art sous la direction de Montanes, livre aux religieux du.couvent de la Merced de Séville une Vierge et un saint Jean que l'on promène encore aujourd'hui dans les processions.

Au xvme siècle, les arts tombèrent en Espagne dans une complète et irrémédiable décadence. Le duc d'Anjou devenu roi sous le nom de Philippe V, ainsi que ses successeurs Ferdinand VI, Charles III et plus tard Charles IV, essayèrent en vain d'enrayer leur chute en leur prodiguant des encouragements de toute sorte.

Tous les efforts furent inutiles.

Les sculpteurs qui régentaient alors le goût public, épris de grâce affétée et mignarde, de poses préSAINT

préSAINT D ARIMATHIE (Bois sculpté.)

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L'ART ET LES ARTISTES

tentieuses et cherchées, amoureux du détail qui fait disparaître l'ensemble, toutes choses en absolu désaccord avec le caractère national, ne produisirent que des groupes, des bas-reliefs et des statues tortillées et veules. Leurs compositions religieuses, leurs interprétations du drame sacré ne montrèrent que des Vierges minaudières ; des Christs, expirant avec un beau geste sur la croix ; des Madeleines au sourire engageant, des saints Jean pleins de grâce, les cheveux soyeux et bouclés ; les soldats, les bourreaux,

bourreaux, luimême, firent assaut de gentillesses.

Parmi les artistes les plus en vue de cette déplorable époque, Alejandro Carmicero, né en 1693, à Iscar, dans la province de Ségovie, est un des moins mauvais. Son paso de las Azates et son Ecce Homo, commandés le premier par le monastère de Saint-Etienne et le second par le couvent de Saint-Jérôme de Salamanque, ne manquent ni d'effet, ni de vérité, malgré leurs exagérations anatomiques et leurs poses contournées. Les statues de saint Antoine et de sainte Barbara

Barbara monastère de Saint-Martin et de l'église de Santa Maria del Camino de Compostelle, ont du caractère et de l'expression. Elles sont dues à Benito Silveira qui ne quitta guère la Galice, sa patrie, dont les productions sont rares. ■ Juan Antonio Ron, originaire des Asturies, fort apprécié dans la capitale durant sa vie, exécuta en collaboration avec son gendre Joseph Galvan, ce dernier né à Madrid, pour l'église Santa Maria de San Sébastian dans les provinces basques, trois importants pasos : Jésus au Jardin des Oliviers, la Cène et la Descente de Croix ; ces sculptures, d'un goût déplorable, furent néanmoins payées à leurs auteurs 47 500 reaies, ce qui, avec les frais

LA VIERGE ET SAINT JEAN (Bois sculpté.)

d'estafado, de peinture et de dorure, atteignit le chiffre de 69 491 reaies, somme énorme pour l'époque et surtout pour leur valeur.

C'est pour cette même église que Felyre de Arismendie, originaire de Saint-Sébastien même, tailla à son tour, entre 1710 et 1713, un nouveau paso de la Prière au Jardin des Oliviers et ceux de Jésus dépouillé de ses vêtements et de Jésus succombant sous la croix, mélange de naturalisme aigu poussé jusqu'à la caricature, d'exagérations anatomiques,

de mouvements et d'attitudes désordonnés. Il n'y a pas lieu de s'en étonner quand on sait que le sculpteur, pour composer ces scènes, se servait en guise de modèle de mendiants , de vagabonds et de soldats ramassés dans les bouges les plus mal famés. Il les faisait enivrer pour en étudier les mouvements et les allures et leur moulait même le visage pour rester encore davantage dans ce qu'il considérait comme la vérité.

Nombreuses sont à cette époque les différentes interprétations des scènes de la Passion du Sauveur montrant les acteurs

aux gestes violents, aux attitudes outrées, aux draperies volantes, aux expressions et aux gestes extravagants.

Il faut aller chercher les rares vestiges surnageant dans ce déluge de productions navrantes, dans les ouvrages d'une famille italienne établie en Espagne, les Zarcillo.

Nicolas Zarcillo, chef de la dynastie, originaire de Capoue, était venu de bonne heure s'établir à Murcie où il s'était marié. Ses fils Francisco, né en 1707, Josef et Patricio et même sa fille Inez, suivirent la carrière paternelle. Ils se divisaient la besogne, Francisco composait les maquettes, Inez modelait en terre d'après elles, Josef taillait les statues

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L'ART ET LES ARTISTES

de bois que Patricio colorait ensuite. N'ayant à nous occuper ici que des pasos sortis de leur collaboration — tous composés de figures de grandeur naturelle, mais pour la plupart habillées ; la tête, les mains et les pieds étaient seuls exécutés — nous citerons à Murcie, dans l'église de Jésus : une Cène composée de treize personnages d'un grand effet d'ensemble, d'une extrême variété d'attitudes, mais d'une vulgarité d'expression désespérante dans son naturalisme terre à terre ; le Christ tout particulièrement est d'une insignifiance rare ; viennent ensuite la Prière au Jardin des Oliviers ; la Flagellation ; Jésus fléchissant sous le poids de la croix, puis enfin, différentes statues isolées : la Vierge des Douleurs,

Douleurs, Véronique, saint Jean et saint Jérôme, que l'on sort avec les pasos aux processions de la Semaine Sainte.

Après les pasos de Zarcillo convient-il d'en citer d'autres ? Faut-il parler de ceux dus à Jaime Molins, directeur des Académies de Santa Barbara et de San Carlos de Valence ; de ceux de Pedro Antonio Hermaso de Madrid ? Malgré les titres honorifiques du premier et les grandes espérances qu'avait fait naître le second, le mieux est d'en rester là et de laisser ces ouvrages dans le juste oubli où ils sont tombés.

P. LAFOND,

Conservateur du Musée de Pau.

LE BAISER DE JUDAS (Bois sculpté.)


Le Classicisme de Manet

TkyfANET qui de son vivant fut considéré comme •"■P- le type du révolutionnaire et à qui son ami Degas disait : « Toi, tu as le même genre de célébrité que Garibaldi », est décidément à l'heure

actuelle hors de toute discussion.

La re vision de ; premiers jugements portés sur ses oeuvres commença dès le lendemain de sa mort, à l'exposition organisée en son honneur à l'école des BeauxArts, par Antonin Proust et M. Th. Duret, malgré la sourde hostilité de l'Institut et de l'Administration. Cette revision s'est continuée triomphalement aux Expositions universelles de 1889 et de 1900 qui, grâce à M. Roger Marx, furent pour- le grand impressionniste deux apothéoses.

Enfin, au Salon d'Automne, ses peintures furent présentées au public à côté de celles du maître que l'on appelle encore aujourd'hui, non sans quelque malice : Monsieur Ingres et qui, malgré la verve

superbe de ses portraits, passe, à tort peutêtre, pour l'incarnation de la régularité académique. Et nul n'a songé à critiquer un tel rapprochement.

C'est que Manet a fini par être accepté pour ce qu'il est réellement, c'est-à-dire pour un classique.

PORTRAIT DE MANET EN 1867 PAR FANTIN-LATOUR

A vrai dire, ce ne fut jamais lui-même qui se posa en insurgé. Il désira la réputation certes, la popularité même : « Entendre dans la rue les cochers de fiacre vous demander : Monsieur Manet, où

désirez-vous aller ? » C'est un de ses mots que M. Bartholomé m'a rapporté.

Mais ce renom, il ne voulait pas le devoir au dévergondage de la fantaisie. Tout, en sa personne et dans ses actes, eût protesté contre une pareille imputation.

Nul artiste ne fut d'un extérieur plus correct. Fils d'un magistrat qui avait de la fortune, il avait reçu une éducation parfaite et il était, au dire de ceux qui l'ont beaucoup connu, la distinction même. On assure que sa tenue contribua à faire disparaître du monde artistique les allures excentriques qui y furent longtemps à la mode.

Il est certain que dès ses années d'études, il se montra d'une sincérité intransigeante, si bien

que Couture, son professeur, lui disait par manière de réprimande : « Vous, vous ne serez jamais que le Daumier de votre temps ! » Car Daumier n'était pas encore dans l'opinion publique le demi-dieu qu'il est devenu pour nous.

Mais le jeune Manet était loin pourtant de faire fi de la tradition classique et il lui vouait proba38

proba38


ED. MANET

Les Parents de l'Artiste



L'ART ET LES ARTISTES

blement plus de vénération que son maître qui s'en croyait à tort le représentant.

Il était sans cesse au Louvre devant les Raphaël, les Titien, les Tintoret, les Vélasquez. On a de lui des copies d'après les Petits Cavaliers de Vélasquez, d'après la Vierge au Lapin de Titien et un dessin d'après une des femmes de l'Incendie du Borgo.

Une de ses premières peintures, son Guiiarero exposé au Salon de 1861, était tout à fait dans le sentiment des Ribéra, des Vélasquez, des Goya : une grande franchise d'éclairage, une profonde vérité d'observation dans le dégingandement de l'attitude et dans la canaillerie du masque ; or ces qualités étaient précisément celles des maîtres

maîtres dont s'inspirait le jeune artiste.

Aussi Ingres et Delacroix qui virent ce tableau l'ap■ prouvèrent-ils en lui attribuant une mention. Et l'assentiment de ces grands classiques, car aujourd'hui Delacroix est reconnu pour tel autant que Ingres, peut donner à penser qu'ils devinèrent chez Manet un des leurs.

Si, au Salon de 1863, il fut refusé, ce ne fut pas lui, mais ses juges qui, en cette occasion, trahirent l'esprit classique.

Son envoi, le Déjeuner sur l'herbe, était en effet directement imité de Giorgione. De même que ce Vénitien, pour célébrer les joies de la vie, avait hardiment représenté dans une campagne divine- ' ment ombragée, deux plantureuses Italiennes nues, à la chair ambrée, auprès de deux jeunes seigneurs du xvie siècle, Manet n'avait pas hésité à peindre dans un sousbois deux blanches Parisiennes dévêtues à côté de deux jeunes gens en costume moderne. Cela, d'ailleurs, sans l'ombre d'intention grivoise.

Le Déjeuner sur l'herbe fut exposé à ce célèbre Salon des Refusés qui

fut ouvert cette année-là au Palais de l'Industrie avec l'autorisation de l'empereur et qui réunit les oeuvres de tant d'artistes depuis illustres : Bracquemond, Cals, Cazin, Chintreuil, FantinLatour, Harpignies, Jongkind, J.-P. Laurens, Legros, Pissarro, Vollon, Whistler, etc.

Au reste, le public ne comprit pas plus que le jury officiel le tableau de Manet et cria à l'obscénité. Quelle injustice cependant d'adresser au peintre contemporain un reproche que l'on se gardait de formuler contre Giorgione ! Ce qui n'était pas scandaleux chez celui-ci, le devenait donc chez son disciple ? Pour quelle raison mystérieuse ? En 1865, le jury accueillit

ED. MANET — LE'BALCON

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L'ART ET LES ARTISTES

Collection du Comte I. de Camondo.

ED. MANET — LOLA DE VALENCE

Olympia, cette courtisane recevant nue sur son lit le bouquet en cocarde qu'un de ses amants lui fait apporter par une négresse. La toile est aujourd'hui au Musée du Luxembourg.

Comment avait-elle été admise au Salon ? Sans doute par un égarement passager du camp académique. La réaction ne se fit pas attendre. Le tableau, d'abord sur la cimaise, fut relégué à distance des yeux, et l'année d'après, les deux envois de Manet furent refusés.

Zola ayant entrepris sa défense dans l'Evénement dirigé alors par Villemessant, les partisans de l'Institut hurlèrent, les menaces de désabonnement affluèrent et le rédacteur en chef dut charger un second critique de soutenir dans son ournal exactement la contre-partie des opinions ém'ses par l'admirateur de Manet.

Eh bien ! pourtant, n'était-ce pas le peintre d'Olympia qui gardait la vraie tradition ? N'y avait-il pas, par exemple, les plus grandes affinités entre son nu et les courtisanes que Titien étale triomphalement sur le manteau galonné d'argent

d'Alphonse d'Esté ou de tel autre seigneur de son temps ? N'était-ce pas la même verdeur, la même robuste allégresse dans la représentation de l'animal humain ?

Ou bien pour prendre un terme de comparaison plus rapproché de nous, Olympia ne rappelle-t-elle pas à ceux qui ont visité le Prado de Madrid la provocante Maja que deux toiles de Goya, le nerveux maître espagnol, nous montrent, ici vêtue et là déshabillée, dans une pose absolument identique ? C'est tout à fait la même effronterie et le même triomphe de jeunesse.

Les adversaires de Manet le blâmaient de ne pas continuer à figurer les Horaces et les Curiaces. Léonidas ou le pieux Enée, de ne pas donner à ses personnages les poses ridiculement maniérées ou grotesquement héroïques que prennent les Italiens sur les tables à modèles, de ne pas arranger des draperies avec une fausse élégance, de ne pas s'asservir à un éclairage factice tombant de haut

Collection. G Vian

ED. MANET — PORTRAIT

(Pastel.)

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L'ART ET LES ARTISTES

selon le jour habituel des ateliers. Ils lui faisaient un crime de ne pas s'astreindre à ce programme de niaiserie et de mensonge qu'interprétaient leurs propres oeuvres. Car c'était là, suivant eux, le patrimoine classique.

Mais on se demande chez quels maîtres anciens, ils pouvaient bien avoir trouvé les principes d'un art si misérablement truqué, d'une si plate contrefaçon d'idéal.

Etait-ce chez Raphaël dont le réalisme dramatique fait pendiller des hommes à des murs croulants dans l'Incendie du Borgo ? Etait-ce chez Titien dont les portraits font peur à force de vérité formidable et hautaine ? Etait-ce chez Rubens, le grand pétrisseur de chair ? Ou chez Vélasquez étirant les crânes, appesantissant les mâchoires de ses rois fatigués ? Chez qui enfin ?

Bien mieux, c'était lorsque Manet se refusait à imiter servilement les anciens maîtres qu'il leur

ED. MANET — LA FEMME AUX CERISES

ED. MANET JEUNE FEMME A L'OMBRELLE

témoignait le plus de fidélité. S'il se gardait, par exemple, de reproduire les costumes de leurs personnages, comme le faisaient les froids représentants de la peinture historique, s'il peignait les hommes et les vêtements de son époque, en cela encore il était le vrai disciple du Titien et du Véronèse qui célébraient les Vénitiens de leur temps, de Rubens qui fêtait la société de Marie de Médicis, de Vélasquez qui ne s'intéressait qu'aux Espagnols de Philippe IV, de Rembrandt qui n'avait d'yeux que pour sa démocratie hollandaise, enfin de tous les génies qui furent sacrés tels, parce qu'au lieu de rabâcher de vieilles histoires, ils proclamèrent la vérité contemporaine.

Remarque bien curieuse ! Ceux qui, à notre époque se sont donnés pour les gardiens de la tradition, les Hesse, les Signol, les Lehmann, les Cabanel, les Bouguereau, sont ceux qui l'ont le moins comprise et le Temps, bon jardinier, les élaguera certainement comme une végétation parasite sur l'arbre classique, tandis qu'il dégagera comme rameaux de bonne sève ceux qu'ils voulurent étouffer : Corot, Puvis de Chavannes, Courbet, Millet, Manet.

Ce dernier se défendait d'ailleurs énergiquement

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L'ART ET LES ARTISTES

ED. MANET — LA PÊCHE

(Dans le coin, à droite, Manet s'est représenté avec sa femme en costume Louis XIV.)

de chercher à détruire les anciens autels. « M. Manet, écrivait-il dans un manifeste, a toujours reconnu le talent là où il se trouve et n'a prétendu ni renverser une ancienne peinture, ni en créer une nouvelle. » Ces mots servaient d'introduction au catalogue de l'Exposition particulière qu'il fut. contraint d'ouvrir au- pont de l'Aima en 1867 pour soumettre au public ses oeuvres repoussées par le jury de l'Exposition Universelle.

Il avait tellement le respect de ses devanciers qu'il hésita quelque temps avant d'adopter la technique du plein air dont il ne trouvait que peu d'exemples dans la peinture ancienne. Ce fut Claude Monet qui appliqua le premier cette formule. Au Salon de 1866, Manet remarqua une marine de ce paysagiste avec lequel il n'était pas encore lié et qui même lui portait ombrage à cause de leur quasi-homonymie prêtant à la confusion : « Pourquoi ce jeune homme recherche-t-il la vérité du plein air ? observa-t-il ; est-ce que les Anciens s'occupaient de cela ? »

Il devait revenir de ce dédain ; mais cette parole avait tout de même son prix. Les Anciens, c'està-dire les Classiques ! Il se sentait leur cadet et ne voulait pas les renier.

Un moment, le parti de l'Institut sembla reconnaître cette filiation.

Ce fut quand Manet exposa son magistral Bon Bock. Ce portrait exubérant de vie et de joie rappelait tellement, par sa vérité familière et par son exécution plantureuse, le sentiment et la facture des maîtres hollandais, que la critique déposa les armes. On évoquait l'Homme joyeux peint par Franz Hais, au Musée d'Amsterdam, ou encore ses Gardes civiques trinquant avec tant d'allégresse. Et Alfred Stevens ayant dit que le personnage de Manet buvait de la bière de Harlem, le mot reconnu juste fit fortune.

Mais hélas ! cette trêve dura peu.

En 1876, un absurde jury refusa de nouveau deux chefs d'oeuvre : le Linge, une -jeune mère faisant la lessive dans un jardin ensoleillé, tout en surveillant un mignon bambin, une fête de lumière et de gracieuse intimité ; et l'Artiste, admirable portrait de Desboutins qui, le feutre sur l'oreille, apparaît là comme un sympathique seigneur de la bohème artistique.

En 1877, Nana, reçue, fut ensuite rejetée par une fausse pudibonderie.

En 1878, les envois de Manet à l'Exposition Universelle furent refusés comme à celle de 1867.

Enfin, en 1881, son portrait de Pertuiset, le tueur de lions, obtint une médaille ; mais les 17 membres du jury qui l'avaient votée furent voués par l'Institut à l'exécration publique.

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ED. MANET

Ecce Homo



L'ART ET LES ARTISTES

ED. MANET — LE CHEMIN DE FER

Deux ans après Manet mourut. Malgré le bruit fait autour de son nom, il disparaissait méconnu.

De son vivant, il n'avait pas réussi à se faire accepter pour ce qu'il était vraiment, pour le continuateur des Classiques.

Comme eux il adorait la vie réelle. Ses personnages sont solides, pesant sur la terre, respirant et agissant. Parmi les réalistes modernes il n'y a guère que Courbet et Millet qui aient été aussi robustes que lui.

Comme les anciens maîtres, il a de merveilleuses ressources de facture, tantôt sabrant de son pinceau la toile pour exprimer quelque geste hâtif, tantôt empâtant sa peinture, la caressant pour rendre le velouté de la chair juvénile ; comme eux, d'ailleurs, il apportait, dans l'exécution cette conscience surhumaine que seuls peuvent nier ceux

qui n'ont pas regardé ses oeuvres. Car y a-t-il rien de plus fini, par exemple, que le Déjeuner dans l'atelier, où la technique offre des variations merveilleuses selon la matière des objets représentés ' ; ou bien le Bon Bock auquel furent consacrées quatre-vingts séances de travail, à ce que m'a affirmé M. Guillemet, l'homme le mieux renseigné sur la vie de Manet.

Comme les maîtres anciens encore, il a eu cette raideur de sincérité qui est, je crois, le premier caractère du classicisme, puisque c'est par cette qualité que les grands artistes font école, c'est-àdire recrutent parmi leurs contemporains et aussi dans les générations suivantes des adhérents à "eur manière de voir.

Il fut chef d'école presque dès le début de son activité artistique. Autour de lui se forma le fai.

fai. tableau est le plus beau de la galerie de M. Auguste Pellerin qui a cependant réuni tant de chefs-d'oeuvre.

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L'ART ET LES ARTISTES

ED. MANET COMBAT DE L'ALABAMA ET DU KERSEAGE 1

meux groupe des Batignolles, qui tint ses assises au Café Guerbois, et où figurèrent les peintres Cézanne, Bazille, Guillemet, Monet, Renoir, Fantin-Latour, les graveurs Desboutins, Belot, le modèle du Bon Bock, les hommes de lettres, Duranty, Zola, Cladel, Philippe Burty.

Manet qui, parmi ces jeunes gens, avait le plus fort tempérament de lutteur et qui soutint les assauts les plus acharnés de l'opinion hostile, fut tout de suite le porte-drapeau de la petite société.

S'il n'en fut pas le seul initiateur, si, par exemple, comme nous venons de le dire, il ne fit qu'appliquer la théorie du plein air découverte par Monet, qui d'ailleurs, en intitulant Impression un coucher de soleil, exposé en 1867, se trouva également être le parrain de Y Impressionnisme, cependant le

1. Ce fameux duel entre les deux corsaires américains eut lieu pendant la guerre de Sécession, en rade de Cherbourg. Le Kerseage guettant depuis plusieurs jours la sortie de l'Alabama qui s'était -réfugié dans notre port de guerre, la curiosité publique attendait impatiemment la rencontre des deux adversaires. Des barques même furent louées pour permettre aux curieux d'assister au combat ; et c'est de l'une de ces barques que Manet prit le croquis qui lui servit à exécuter ce tableau.

peintre duBonBock et d'Argenteuil, par l'attention qu'il concentra sur lui et aussi par la vigueur avec laquelle il mit en oeuvre les idées élaborées en commun, en devint pour ses contemporains et en restera dans l'histoire le principal champion.

- De lui, découlent donc les deux grands courants réaliste et impressionniste.

De.lui, date l'apparition, dans l'art, du chapeau haute forme bourgeois aussi, bien que de la blouse bleue et de la casquette de l'ouvrier. C'est lui qui le premier a célébré le foyer moderne et la rue. C'est par Son influence que les laboratoires des savants, les ateliers, les chantiers sont devenus sujets dignes d'intéresser l'art.

Est-il besoin de compter son escorte triomphale ?

A ses côtés, Renoir traita les intimités et les réjouissances faubouriennes, Degas évoquales coulisses des théâtres. Sa formule a été habillée à la rustique par Bastien

ED. MANET — LA BONNE PIPE

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L'ART ET LES ARTISTES

Lepage et Roll ; elle a été vêtue des haillons de la banlieue par Raffaëlli; elle a été édulcorée et assagie par Gervex, Duez, Dagnan-Bouveret, Béraud ; elle a été conduite dans les lieux de petite vertu par l'âpre Toulouse-Lautrec ; elle a rayonné dans les affiches de Chéret et dans les truculentes vignettes de Forain et de Steinlen. Nous ne parlons que de la France ; quel dénombrement ne ferions-nous pas à l'étranger !

Au reste, l'on se tromperait étrangement si l'on ne voyait en Manet que le fruste promoteur d'un genre qui devait être amené à perfection après lui.

Il a été à la fois le premier et le plus complet réaliste, pourvu de toutes les idées philosophiques, de tous les moyens que comportait la nouvelle théorie.

Ainsi il a très bien vu que l'adoration de la nature matérielle le conduisait nécessairement à ne plus s'attacher comme ses devanciers à des compositions groupant un certain nombre d'individus dans des scènes fermées et complètes en elles-mêmes. Il a compris que la vie étant un réseau immense d'actions et de réactions, l'on n'y pouvait

rien abstraire de complet ; qu'il n'y fallait donc plus choisir de thèmes pour les présenter à part ; mais qu'il fallait seulement donner des tranches de réalité en suggérant au spectateur la sensation que la vie se continue indéfiniment au delà du cadre du tableau ; c'est ainsi qu'il peignait, par exemple, une tranche de rue, une tranche de bal public, une tranche de rivière ensoleillée. Cette originalité de la coupe est peut-être la plus frappante et la plus géniale qualité de Manet.

Il a compris également que les lois de la vie étant universelles, tout est intéressant et non pas seulement l'humanité ; il lui est arrivé de donner par la beauté de l'éclairage un intérêt palpitant à un jardin désert, à un mur chargé de plantes grimpantes.

Et il a compris enfin qu'aimant la nature dans

ED. MANET — PIVOINES

sa totalité, il ne devait pas plus choisir le point d'observation que le thème observé. Aussi, a-t-il rompu courageusement avec l'habitude qu'avaient les peintres de ne se poster que là où ils pouvaient commodément s'asseoir et planter leur chevalet. Le point de vue de Manet est rarement un endroit où l'on puisse stationner. C'est, par exemple, le milieu d'une piste de courses ; c'est le milieu d'un fleuve, c'est le milieu d'une rue. Voilà précisément ce qui donne à se oeuvres un tel caractère de vie. Evidemment, dans son travail, la mémoire le devait servir au moins autant que l'étude.

Toutes ces innovations ont été reprises par ses imitateurs, mais il y en a même qu'il est resté seul à appliquer. Ainsi, je ne vois pas qu'après lui aucun peintre ait poussé aussi loin l'accentuation presque caricaturale des physionomies. Aucun

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L'ART ET LES ARTISTES

n'a eu, jusqu'à présent, la bravoure de déplaire au bourgeois en faisant aussi vrai que Manet. Et cependant, c'est par la vérité seule que peut être atteinte la belle et grande émotion.

Dans l'impressionnisme, c'est-à-dire dans la notation des effets de lumière, il a donné, de même, des exemples de tout ce qui a été tenté depuisDans son Linge, dans son Argenteuil, il a rivalisé d'éclat avec le soleil. Dans telles marines, au contraire, il a, avant Whistler, imaginé des monochromies de verts glauques ou de gris mélancoliques.

Mais, dit-on, il n'a point eu d'idéal !

« L'imitation stricte de la Nature est de l'art barbare — c'est de la photographie ! » De telles observations furent inscrites sur le registre qu'il

avait mis lui-même à la disposition des visiteurs, quand, refusé au Salon de 1876, il convia le public à venir voir ses oeuvres dans son atelier.

En vérité, ces critiques tombaient à faux.

Les tableaux de Manet sont tout autre chose que de la photographie. Il s'en dégage une âpre poésie de naturalisme, de mécanisme matérialiste, une rudesse presque brutale de passions physiques. Et cela est encore du lyrisme, donc, de l'idéal, puisque c'est une large interprétation philosophique du monde observé.

A Manet, il n'a donc rien manqué pour être un grand classique, ni la santé robuste, ni la technique savante, ni certes, l'influence doctrinale, ni enfin la profondeur de pensée.

Il serait temps, grand temps, qu'on l'admît au Louvre où les autres maîtres l'appellent.

PAUL GSELL.

Collection y.-B. Faurc.

ED. MANET— LE BON BOCK

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J.-B. INGRES

Portrait de Mme Marcotte



Le 3e Salon d'Automne

INGRES A VINGT ANS D'APRÈS UNE PEINTURE DE DAVID

T 'HOMME vaut en proportion de sa façon ^~* d'admirer. » Si cette phrase de Renan est exacte, on ne saurait trop féliciter des artistes de maintenant qui avouent leur culte pour des maîtres tels que, à des degrés différents, Ingres et Manet ; c'est une louable ambition de les prendre comme références, même si très peu de véritables raisons autorisent cette manifestation ; habileté ou snobisme, les rétrospectives du Salon d'Automne de 1905 sont les bienvenues.

Pour parler dignement de l'auteur de l'Odalisque, il suffirait de rappeler ce qu'en a dit Théophile Gautier dans son rapport sur les Beaux-Arts en 1855. Le fougueux romantique à gilet rouge, n'a pas craint qu'on l'accusât d'être un bourgeois, un classique, un rétrograde, parce qu'il campait en face de Delacroix, Ingres, parce qu'il s'enthousiasmait pour celui-ci plus que pour celui-là, parce qu'il portait

sans hésitation le jugement que devait ratifier la postérité. Il faut relire ces pages de lyrisme admiratif, scruter cette critique qui reste définitive, et que n'ont pas dépassée dans l'éloge les ingristes les plus intransigeants ; nous pouvons y ajouter la consécration d'un demisiècle, une survivance absolue de génie à travers toutes les orientations d'écoles, de manières, de modes, la constatation d'une influence indéniable qui se continuera sans doute longtemps encore. Quelqu'intérêt que présente le mouvement d'art contemporain, il est utile, consolant parfois, de regarder dans le passé, de s'attarder à la noblesse sereine des oeuvres antérieures.

Il faut remercier le prince Amédée de Broglie, Mme la Comtesse d'Haussonville. M. Théodore Duret, M. Gallimard, Mme Adam, Mme Emmery-Dollfus, M. Poilpot, M. Georges Viau, Mme Léon Say, M. Cheramy, M. BeurINGRES

BeurINGRES SOIXANTE ANS PAR LUI-MEME (Dessin à la mine de plomb.)

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L'ART ET LES ARTISTES

deley, Mme Ménard-Dorian, M. Lerolle, M. Uhde, d'avoir bien voulu prêter ces merveilles de portraits et

Collection du Dr Vaquez. VUILLARD — INTÉRIEUR

d'études, auxquelles se joignent quelques-unes des richesses du Musée de Montauban, la série du Bain turc. Un fragment de chef-d'oeuvre permet de deviner le chef-d'oeuvre tout entier. Ces 68 numéros sont une contribution suffisamment précieuse à l'apothéose d'Ingres. Il y a là le portrait de Mme de Rayneval, d'après lequel a été peinte la Muse de Cherubini, ceux de Mme Dolfus, d'Hippolyte Flandrin, de Mlle Forestier, de Charles Gounod, celui justement légendaire de Bertin aîné, celui du peintre par lui-même, physionomie de volonté, de conviction, de rudesse, qui inspire de l'émotion et du respect; il y a encore les études de l'Angélique, du Saint-Symphorien, de l'Andromède, de l'OEdipe, du Phidias, etc ; même une page de croquis, — le terme ne semble-t-il pas manquer de noblesse lorsqu'il s'agit de ce maître ? On ne se lasse pas de regarder, d'étudier ces effigies au crayon, toute la vie enclose dans de simples traits, révélée par quelques lignes dont la netteté signalétique a la sereine harmonie de la nature. Ces modèles ont posé, sans nul doute, et cependant leur vie normale, leur habitude de pensées, leur individuel état d'âme est dévoilé. La pointe du crayon va plus avant que le contour ou le relief de la figure, joénètre la personnalité intellectuelle. La hantise vous demeure de certains de ces portraits. Il est juste que dans tels ateliers d'artistes contemporains des reproductions en restent sur le mur entre une eauforte de Rembrandt et une tête d'Holbein, les dieux du foyer, comme disaient les anciens.

Edouard Manet est davantage le patron des exposants d'aujourd'hui. Ils le prétendent du moins ; je ne dirai rien de lui dont la figure combative est étudiée à part. Mais pourquoi le souvenir du Salon des Refusés n'a-t-il pas convaincu du danger des jurys ? Comment se fait-il que l'exemple donné par les Indépendants ne soit pas suivi : la porte grande ouverte, l'entrée libre ? Cela eût évité cette fois des injustices, des mesquineries, des rigueurs déplacées ; l'artiste ne peut pas être juge et partie, car... monsieur Josse est orfèvre toujours et quand même ; nous souhaitons que l'année prochaine — il n'y aura pas l'excuse du Congrès de la Tuberculose qui a réduit l'emplacement — cette institution néfaste du jury ait vécu. Les peintres et les sculpteurs ont autres choses plus utiles à faire en leurs ateliers que de siéger au Grand-Palais pour décider des admissions et des non-admissions. Cette besogne autoritaire leur prend un temps précieux; ce fonctionnarisme les diminue; la confraternité et la justice en souffrent.

* * *

Renoir, Guillaumin, Cézanne, celui-ci très inférieur, n"ayant ni le charme de l'un, ni la robus50

robus50


L'ART ET LES ARTISTES

ABEL FAIVRE — PRINTEMPS

tesse de l'autre, et à côté d'eux paraissant d'une palette pauvre ; Raffaëlli, ayant évolué des noirs de son Clemenceau vers les clairs portraits de jeunes filles ou de bouquets, des banlieues miséreuses vers les gais paysages de France ; Willette, conservant son esprit le pinceau en main, renouvelle le mythe d'Eve et du serpent, en faisant de celui-ci une corde à sauter ; Odilon Redon reste anémié ; Charles Guérin qui délaisse un peu les modes rétrospectives, fait causer dans un jardin trois Grâces dont une seule est habillée, essaye une romance lunaire à la Massenet, a réussi une jeune femme en gris feuilletant un gros missel ; Valotton voit la nudité laide ; Bonnard (id.) la présente de derrière ou dans un tub. Degas nous avait d'ailleurs déjà initié avec une géniale audace à ces attitudes intimes.

Albert Braut la traite mieux que les jardins ; Rouault la bariole d'éclaboussures d'aquarelles, dont les tons se retrouvent en des maisons de tremblements de terre ; Vuillard, exagérant son procédé, fait avec impatience des trompeToeil de tapisserie, gâte par sa facture un joli sentiment décoratif ; Laprade, habile en natures mortes, brutalise des Stewart ; Abel Truchet troque l'habituel bar de Montmartre ou d'ailleurs contre une guinguette en plein air, très ensoleillée comme ses jardins qui sont de vibrantes études ; a vu un paysage d'eau un peu avec les yeux de Thaulow ; Synave a l'exquise spécialité des petits enfants ; ces joujoux de la vie ; Iturrino habille de blanc des Espagnoles plus bistrées que nature ; Garcia Lozano a rencontré une Famille de charbonniers

charbonniers de Mlle Delasalle un Portrait d'homme, la Fillette au chien, et des vues de Paris, crayonnées librement ; Maurer groupe des robes de filles en taches qui chantent ; Belleroche, lithographe ou peintre, est fidèle au mystère des têtes de femmes ; Mlle Dufau affadit ses belles audaces d'antan ; Lavery s'égale à lui-même avec sa communiante et ses deux beaux portraits de femmes ; Wely passe avec aisance de la Parisienne à la paysanne ; Margueritt Carrière dessine des stylisations de plantes ; sa soeur Lisbeth mélancolise des fleurs ; Francis Jourdain exprime la quiétude des jardins de villégiature dans une atmosphère assourdie ; Abel Faivre est le délicieux humoriste du Journal et le délicat interprète de la grâce féminine; Robert Besnard portraitise, surtout un petit garçon en rouge ; Borchardt dont il faut citer le joli dessin de la Femme au géranium, mène deux femmes à la promenade, et cela évoque — est-ce à cause du format ou de la toilette ? — certaines oeuvres d'avant 1870 ; Gumery situe une famille au bord de la mer, expose aussi une porte enfeuillagée, un intérieur ; Martel nous conduit dans un cabaret d'apaches de province ; Albert Laurens symphonise une très intéressante série de femmes en blanc qui ont des légèretés d'Elfes ; son frère Jean prouve sa maîtrise atavique avec une simple petite étude de bateau. M. Moreau-Nélaton expose une suite d'intérieurs et de paysages d'une rare fraîcheur d'impression.

NAUDIN — SYMPHONIE PASTORALE

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L'ART ET LES ARTISTES

CH. GUERIN — LE GROS LIVRE

Lebasque, dont j'ai parlé ici-même récemment, s'affirme de plus en plus paysagiste et peintre de figures, un des premiers d'aujourd'hui ; Desvallières, dont nous reproduisons la frise, a joint à un bon portrait de fillette, des illustrations d'Alfred de Musset qui méritent d'être regardées attentivement ; Loiseau continue les Sisley ; Gaston Prunier promène sa vision farouche le long des fortifs, devant les cheminées d'usines, parmi les montagnes ; Maurice Eliot dore les toits de Paris ; René Debraux engrisaille délicatement le panorama de Rouen ; Emile Barau se souvient de Cazin ; Ch. Agard s'affirme puissant coloriste dans deux envois très remarqués ; Numa Gillet poétise la nuit ; Bernard Boutet de Mouvel saisit au passage des chevaux de courses ; Guéroult caricaturise ce spectacle charmant qu'est le cirque ; Cardona campe finement des Espagnoles ; Ten Cate sert le régal de ses notations rapides ; Charles Lacoste est loin de recommencer feu Lépine ; Jean Biettè met des crudités de natures mortes ; de Dufrenoy, la place Royale et une cour où sèche du linge ; de Seyssaud, des paysages du Midi solidement établis et aux colorations puissantes ; de H. Le

Beau des dessins coloriés supérieurs à ses tableaux ; d'Aguttes, des fleurs en gerbe sur un mur, et Venise. Venise encore, en trois pages largement peinte par P.-F. Namur ; de Lechat, le calme des rues villageoises presque désertes ; de Braquâval, des marchés, du grouillement de foule ; de Lepère, des nuages; Firmin Bussy, sans grande recherche de sujets, prouve sa science des valeurs par une simple table blanche avec dessus un minuscule pot de fleurs, par une femme tenant un éventail noir ; Chigot a rapporté de la Flandre française de séduisantes et sincères impressions de paysage ; Tarkhoff dramatise la neige ; de Maufra, des ports de mer, facture puissante, métier sûr, l'artiste en pleine possession de son art, montre aussi des aquarelles violentes; de Thomas Jean, un beau portrait; Mme Marval pratique l'allégorie confuse ; Mlle Charmy, un vrai peintre, expose des fleurs superbes ; Chenard-Huché est bien inspiré par l'hiver ; André Allard, se souvenant des séries de Giverny, répète inutilement un même motif : Morren imite Renoir, on peut plus mal choisir ; Sureda est fougueux à Venise comme au Maroc ; Sunyer prend avec talent les petites marchandes de Victor Gilbert ; Peccatte dispose l'or

Mme A. DELASALLE — PORTRAIT D'ENFANT 52


L'ART ET LES ARTISTES

PIERRE RENOIR — FEMME NUE

FÉLIX BORCHARDT — UN JOUR D'ÉTÉ

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L'ART ET LES ARTISTES

de ses paysages ; René Prath songe peutêtre à Cézanne; Ibels hachure; Brugnat symphonise des toits rouges ; Henriette Jeanniot, plus heureuse que son mari, expose ; Madeline, le Theuriet de la peinture, a de jolies sensations d'automne ; Vibert est éloquent avec ses dessins bistrés rehaussés de gouache ; Bernard Naudin, qui se révèle cette année, illustre avec un art d'une puissance troublante des entités musicales ; Piccabia essaye de continuer Sisley ; Gorges Scott erre dansTrianon au crépuscule ; Max Grimard, un poupon; de Milcendeau, de l'énergie, de la chaleur ; de Horton, un doux paysage en fleurs ; de Robert Dupont des natures mortes et de très bons dessins de Paris ; de Marquet, des rochers rouges ; de Piet, des laveuses et des Bretonnes; de Marcel Fournier, des bâtisses neigeuses ; de Delestre, des bords de rivière au couteau et au pastel ; de Bourgeois, des landes; de René Piot des dessins de figures de grande sincérité et des paysages d'une savante analyse préraphaélitique.

Flandrin est sacrilège à son nom ; Dethomas a des dessins vigoureux ; Pierre Bracquemond peint très habilement au feu une saynette

Mlle H. DUFAU — PORTRAIT

CARDON A LA TOILETTE

de famille; Robbi portraitise une jeune femme ; V. de Castro est un intimiste ; René Juste attire; Marshall également ; de Paul Vuibert, un beau paysage breton ; Henry Moret et Alluard voisinent sur la cimaise ; GropeaUo entoure le portrait du sénateur Forcioli d'intimités discrètes dans des verdures, corrobore par la fillette au piano ses envois de l'an dernier ; G. d'Espagnat raconte somptueusement les loisirs de l'été : dominante rouge puissante et harmonieuse, fait de la décoration avec des modernités frémissantes de vie. Chéret n'a qu'une carte de visite, mais bien sienne, de la poussière d'ailes de papillon.

De cette course hâtive, sans catalogue et pendant l'accrochage, on revient harassé, et l'oasis est le panneau où Carrière a placé, à côté de portraits d'une psychologie intense, une nou-


L'ART ET LES ARTISTES

G. DESVALLIÈRES — NYMPHES ET FAUNES

G. D'ESPAGNAT — LA TERRASSE A L'ITALIENNE

MAUFRA — LE PORT DU HAVRE 55


L'ART ET LES ARTISTES

velle et toujours admirable synthèse de l'amour maternel, de la pensée dans des formes.

Citons encore : les pastels de Borissoff-Moussatoff, l'automne de Deconchy, l'orage de Faber du Faure, la ville arabe de Kandinski et les oeuvres du regretté Mita, paysages de valeur et des pages de Nadar. Le vieux maître a écrit, sous le titre de Miton-Mitaine, des pages émues sur le jeune artiste enlevé prématurément.

*

* *

Çà et là, des estampes sont

disséminées ; Manuel Robbe est un dès princes de la

gravure en couleurs ; citons Brunner, les lévriers décoratifs de Cauvy, les vieilles maisons de Flodin, l'éventail

de Marie Gautier, les paysages de

Krouglicoff, les Martignes de Picabia, les Espagnoles

P.-F. NAMUR — LA FÊTE DE LA SALUTE A VENISE

RENÉ SAYSSAUD — PAYSAGE

RAMON PIÇHOT — DANSE POPULAIRE EN ESPAGNE

de Lunois, les fleurs de nuit de Roustan ; puis Destérat, Ouvré, F. Simon, RouxChampion,

RouxChampion, L'exposition du livre, une innovation intéressante, montre des Bertrand, des Besriard, des Daniel Vierge, des Lunois, des Lepère, des

ToulouseLautrec,

ToulouseLautrec, Grasset, des Carlos Schwabe, et des reliures signées de noms aimés des bibliophiles.

A la sculpture : Rodin. Il serait superflu de commenter, sa présence est écrasante pour tout le monde à l'entour. Le Génie se met à part.

Maillol, qui fit de la peinture, de la tapisserie, du sanguin en bois travaillé, des statuettes volontairement archaïques, aborde cette fois et heureusement une grande figure de robustesse ; de Mlle Claudel, un baiser, qui


L'ART ET LES ARTISTES

G. MITA — PORTRAIT DE NADAR

MOREAU-NÉLATON — LE TOUR

GROPEANO — AU PIANO

F. VALLOTTON — PORTRAIT

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L'ART ET LES ARTISTES

HOETGER — TORSE DE FEMME

est une prière, une prière d'amour ; Hoetger a dressé une icône antique ; Bourdelle recommence sa brillante exposition de la rue Royale ; Halou n'a pas complété son torse ; de Mme Besnard, un buste de femme curieusement teinté ; de Fix-Masseau, des bronzes patines, des statuettes, un art nerveux et souple, d'une force contenue, d'une perfection patiente, des joyaux ; du jeune fils de Carrière, des têtes de femmes d'une belle souplesse d'exécution, riches promesses ; de Gairaud, des statuettes drolatiques. comme en fit jadis Bourbier, ce spirituel portraitiste des Coquelin, de Daubray, d'Hyacinthe, de l'André Gill à l'ébauchoir ; de Sortoni, un groupement de foule, de l'anecdote non sans grandeur; de Bugatti, les animaux fondus chez Hébrard ; puis les effigies de Verlaine, de Maxime Gorki ; un délicat et impressionnant bronze d'Alexandre- Charpentier ; et enfin Derré, dont on sait le joli haut-relief, rue Poussin, à Auteuil, «leBonheur est dans l'Amour du Foyer», et les figures accueillantes de l'hôtel Dehaynin, dont on a remarqué l'an dernier la Grotte d'Amour; il a fait avec la silhouette ingrate de Louise Michel une statue de simplicité et de

conviction, une icône pour le peuple ; de lui aussi une ornementation symbolique de maison, la Vie exprimée par les différentes étapes, et une tête de femme renversée, fleur de volupté.

Dans la section des objets d'art, beaucoup de vitrines, toutes sortes de choses, même des assiettes ; on peut noter les grès de Bigot, les céramiques de Moreau-Nélaton, la frise en mosaïque de Mouvan, le fer forgé de Morlet, les ampoules électriques de Fourain de Reims, l'encrier et les couverts de Paul Brindeau, la pyrogravure de Raymond S Bigot, etc.

D'Albert André, des environs d'Aix'; de Mme Annie Avog, de curieux panneaux décoratifs en grès flammés qui marquent de plus en plus les recherches de cette artiste, de Paul-Emile Colin, des bois, en couleurs ; des meubles de Dufrène ; de Mme Hilda Flodin, des eaux-fortes originales de Bretagne; de Henry Gsell, un soir d'été; des peignes de Hamm comme d'ordinaire; deux peintures de Léonce de Jorcières; de M"ede Krouglicoff, des canards, eau-forte originale ; cinq eaux-fortes de Jean-Emile Laboureur; une collection de bijoux en matières précieuses, comme à l'habitude par

FIX-MASSEAU — RÉFLEXION

(Masque bronze)

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L'ART ET LES ARTISTES

A. MAILLOL — FEMME, STATUE PLÂTRE

René Lalique; des gravures de Gaston de Lateney ; des bijoux, des pendentifs, deux épingles à chapeau d'Emile Mangeant.

Deux grès spirituels de Moreau -Vauthier ;

une • série de livres anglais illustrés par Lucien Pissarro ; différentes gypsographies de Pierre Roche; le Musée Carnavalet par Mme J. Rosenberg; des eauxfortes de J.¬ François Simon; des dessins deMmeVan

Bever de la Quintinie; des eaux-fortes en couleurs de Jacques Villon;

des vues de Hollande par André Wilder, etc.

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L'indiscutable intérêt du Salon d'Automne provient surtout de la diversité des éléments qui le constituent et aussi, il faut bien le dire, de l'éclat de sa partie rétrospective, une haute expression éclectique qui nous fait espérer qu'à l'avenir les portes du

Sulbac Dranem Little Tiche Fragson

GAIRAUD —■ STATUETTES PLATRE COLORIÉ

Palais seront plus généreusement ouvertes à tous les artistes de talent.

Mais l'orientation de cette manifestation dont l'apparence orageuse n'a rien qui nous effraye ne saurait cependant être confiée plus longtemps au douanier Rousseau, qui s'étale avec une si naïve outrecuidance sur le panneau d'honneur.

Les bonnes plaisanteries ne doivent pas se prolonger.

On annonce déjà pour l'an prochain une double exposition de Corot et de Courbet. C'est fort bien. Espérons qu'autour de ces deux grands peintres, aux visions si dissemblables, le comité saura grouper cette fois, avec une clairvoyante équité, tous les artistes de talent et de sincérité, fussent-ils devenus d'ex-indépendants assagis par le travail et le succès.

C'est à cette condition seule que ce Salon d'Automne peut vivre, se développer et prospérer, et, comme on l'a fort bien dit, il ne peut se borner, sous peine de décadence rapide, à être uniquement la succursale

agitée, l'annexe tumultueuse de l'exhibition pnntanière des Serres de la Ville de Paris.

Il n'y a place durable pour le Salon d'Automne entre la Société Nationale et celui des Indépendants,

Indépendants, si le comité d'artistes de talent qui préside à ses destinées est assez maître de lui, assez clairvoyant et assez juste pour ne pas sacrifier désormais les artistes de réelle valeur à de joyeux fumistes pour ne pas escompter d'avance comme un succès de bon aloi, la rumeur publique

publique naîtra autour de la bouffonne singularité de certaines choses innommables, — s'il en était autrement le Salon d'Automne n'aurait plus sa raison d'être. Ce ne serait qu'une succursale, sans indépendance, du Salon des Indépendants... avec le soleil en moins.

MAURICE GUILLEMOT.

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L'ART ET LES ARTISTES

RENÉ PIOT — ÉTUDE DE PORTRAIT

Voici la liste des tableaux acquis au Salon d'Automne par le Gouvernement :

RENÉ DEBRAUX, Vue de Rouen, peinture.

RODOLPHE FORNEROD, Capucines, peinture.

FRANCIS JOURDAIN, Nature morte, peinture.

ARMAND GUILLAUMIN, Paysage, peinture.

FERNAND LAMBERT, Barques, lac Léman; peinture.

LOPISGISCH, Fleurs, peinture.

FRÉDÉRIC LOTTIN, Fleurs, peinture.

FERNAND PIET, La Gavotte, à Lo'ctudy, Bretagne, peinture.

SUE, Nature morte, peinture.

ANDRÉ SURÉDA, Café Maure, pastel.

TANCRÈDE SYNAVE, Petite Fille, pastel.

PIERRE - EUGÈNE VIBERT, Dans les Terrains vagues, dessin.

MAUFRA, Les Phares du Havre, dessin.

FIX-MASSEAU, Réflexion, masque bronze

ALBERT MARQUE, Torse d'Enfant, bronze.

GROPEANO, AU Piano, peinture.

Mm" S. MARGUERITT, Les Tomates, une épreuve unique.

Mmc AGUTTES, Vue de Barcelone, aquarelle.

M.' LEYDET, Paysage.

Musée de Montauban.

INGRES ÉTUDE AU CRAYON POUR LE CHÉRUBINI DU MUSÉE DU LOUVRE

(Ce dessin et le portrait de Mm 8 Marcotte sont extraits de l'oeuvre de J.-B. Ingres par H. Lapauze. — BULLOZ, éditeur.)

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RÉUNION DE FAMILLE, D'APRÈS LA PEINTURE DE LE NAIN

Les Frères Le Nain

TTpN 1850, Champfleury publie à Laon, sa ville "*"* natale, son Essai sur la vie et l'oeuvre des Le Nain, peintres laonnois. Il cherche à deviner leurs personnes et à caractériser leurs oeuvres parmi les courants venus d'Espagne et d'Italie qui envahissaient alors la littérature et la peinture françaises. Avant lui, on sait les noms de Louis, Antoine et MathieuLeNain. Louis,né en 1583, Antoine, en 1585, seraient morts en 1648. Mathieu aurait vécu jusqu'en 1677. Us firent partie de l'Académie de peinture. Champfleury ne débrouille pas les dates, et pour les oeuvres, il s'en tire ainsi : « Pour moi, les trois frères — s'ils sont trois — ne font qu'un. Et celui-là serait bien malicieux qui dirait : Voici un tableau de Louis, voici un tableau de Mathieu, voici un tableau d'Antoine...

« Ceux qui ont longtemps fréquenté les tableaux reconnaissent au coup d'oeil un Le Nain sans s'inquiéter de la trilogie fraternelle. »

Champfleury décrit, analyse, juge les tableaux des Le Nain qui sont au Louvre : Le Maréchal-Fcrrant, L'Adoration des Bergers, Les Moissonneurs. Il ne retrouve pas ses peintres dans La Procession, peinte avec la richesse et le soin méticuleux des anciens Flamands. Il énumère les toiles conservées dans les églises de Paris, à Saint-Etienne-du-Mont, à Saint-Laurent, au Couvent-du-Temple. Au Musée du Louvre, un seul dessin, très expressif, les Deux Femmes assises. Il- donne ensuite quelques renseignements trouvés dans les catalogues desventes, descriptions et prix de tableaux. Puis,, la liste des musées, galeries, etc., où se trouvent des oeuvres des peintres laonnois : les musées de Rouen, Nevers, l'église Saint-Denis de Libourne, les collections de M. de Montalivet, du duc de Sutherland, le musée de Florence. Au xvme siècle, le graveur Jean Daullé publia quatre gravures d'après Lenain : La Surprise du Vin, Les tendres

6.3


L'ART ET LES ARTISTES

Adieux de la Laitière, La Fête bachique, L'École champêtre. Puis, Levasseur grave La Villageoise à la fontaine et Le Villageois satisfait. Elisabeth Cousinet grave Le Bénédicité flamand. Encore : Danse de petits Paysans, par Bannerman ; Un père de famille, par Saint-Maurice ; Le Voleur pris, par Elluin; Le Maréchal-Ferrantet sa Famille, dû à la collaboration dé Fragonard fils, Levasseur et Claessens ; Le Marchand de Cornes,-pnr Hubert.; Cinq-Mars, par Langlois et par Gavard ; Vive le Roi ! lithographie par Schultze.

Champfleury croit à l'authenticité du portrait d'un Le Nain au Musée du Puy et il en fait faire par François Bouvin une libre gravure dont il a orné son Essai. A la fin de sa brochure, l'auteur ayant exploré les notes du bénédictin Dom Grenier, découvre que le nom des trois peintres . doit s'orthographier Le Nain, leur parenté étant prouvée avec Gilles Le Nain, vicaire à Laon. Antoine, l'aîné, fut reçu peintre le 16 mars 1629, lui et ses deux frères furent reçus le Ier mars 1648 à l'Académie Royale de peinture et de sculpture. Mathieu, reçu peintre de la Ville de Paris, le 22 août ID33, était membre de l'Académie Royale en 1662. Et. le biographe des Le Nain a découvert, pendant l'impression de sa brochure une gravure nouvelle : Famille flamande, signée Weisbrod, 1771.

En 1862, Champfleury agrandit et approfondit son travail. Il publie tout un volume : Les frères Le Nain, avec ce titre général: Les peintres de la réalité sous Louis XIII. Il ne sait toujours rien sur leurs dates de naissance, sur leurs débuts. « Il faut faire — dit-il — un grand saut dans leur vie pour les retrouver tous trois membres de l'Académie de Peinture, à sa fondation, et assistant à la séance de mars 1648. » Il a retrouvé les mémoires manuscrits de M. Leleu sur la Ville de Laon, où; Dom Grenier avait puisé son érudition. -Pour la présence à l'Académie, il a résumé comme .il-suit les registres, les notes de M. Hultz, secrétaire, et de Rognés, concierge.

En. mars 1648, Louis, Antoine et Mathieu sont présents; le 6 novembre 1649, des trois frères il ne reste que Mathieu. .Louis• Le Nain meurt le 23 mai 1648, Antoine deux jours après,et Mathieu le 20 août -1677. Louis serait mort âgé de soixantecinq ans. Antoine de soixante-trois ans, et Mathieu de .soixante-dix ans. : Et cela " donne Tes dates de naissance des trois peintres.

A la liste des toiles de Musées s'ajoute Un repas de famille, acquis par le Musée de Laon. Le repos .de paysans, appartenant à M.-Lacaze, et qui est aujourd'hui au Louvre, est exposé en 1860 dans Une salle du boulevard des Italiens, parmi des oeuvres du xvnr 3 siècle. Il avait alors pour titre : Les Buveurs. Le portrait de Cinq-Mars est chez

le baron Sellière. Le portrait de Mazarin et le portrait d'Anne d'Autriche ont disparu. Le portrait de la Marquise de Forbin est au musée d'Avignon. Champfleury allonge la liste des musées contenant des oeuvres des Le Nain ou attribuées aux Le Nain: Louvre, Valenciennes, Le Puy, Rouen, Rennes, Semur. A l'étranger : musées de Gotha, Buckingham-Palace, Strafford-House, Collections Neeld, Carlisse, Bredel, Petworth, Tirleslen-Housè, Louther-Castle, musée - de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, etc.. Champfleury complète aussi les gravures d'après les Le Nain et donne la liste de leurs tableaux et dessins passés en ventes publiques de 1753 à 1853.

Ce. ne fut pourtant pas Champfleury qui trouva le document nouveau sur les Le Nain. Ce fut Eudore Soulié, conservateur du Musée de Versailles, qui fit part au biographe ordinaire des artistes de Laon, des pièces découvertes par lui dans - une étude de notaire, et se rapportant à une succession recueillie par les trois frères. - -

Champfleury eut alors le mérite de partir pour Laon en se donnant la tâche de visiter les maisons de ville et de campagne, les champs, les prés, les bois, les vignes que les trois frères eurent eii partage. Il rapporta de son voyage un raccourci de l'existence de ses héros. D'abord les noms du père et de la mère. Ysaac Le Nain, qui était en 1630 sergent royal au bailliage de -Vermandois avait .épousé Jehanne Prévost, dont il eut cinq garçons : Ysaac, Nicolas, Antoine, Louis et Mathieu. Il possédait à une lieue et demie de Laon une maison entourée de terres. L'aîné des fils, Ysaac, disparut sans laisser de traces. Nicolas devint commis chez un président de l'élection de Verneuil à Paris, où il habita la rue des Escouffes, sur la paroisse Saint-Germain. Les trois autres Le Nain, peintres à Paris,- avaient leur atelier rue Princesse, même paroisse. La mère des Le Nain mourut jeune. Le père géra les biens de la communauté jusqu'au mois d'août 1630, époque où il se rendit à Paris pour le partage de ses biens entre ses quatre fils, leur donnant tout moyennant une rente viagère. Autre détail : Mathieu, le plus jeune, reçu peintre de la Ville de Paris en 1633, entré en qualité de lieutenant dans la Compagnie du sieur Dury. C'est ce Mathieu, survivant vingtneuf ans à ses frères, qui fut le peintre de CinqMars, de Mazarin, de la reine Anne d'Autriche. Pour le superbe portrait de la marquise de Forbin, qui est au musée d'Avignon, il y a doute.

Champfleury suppose (à tort) Mathieu Le Nain retiré dans sa terre de Campignole, lorsqu'en 1668 il lègue ses biens à son neveu Antoine Le Nain, fils de Nicolas. Dans la biographie la plus récente des frères Le Nain, établie par Antony

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LE NAIN

Repos de Paysans



L'ART ET LES ARTISTES

LE RETOUR DE LA FENAISON, D'APRÈS LA PEINTURE DE LE NAIN

Valabrègue, des documents nouveaux, trouvés par MM. Jules Guiffrey, Etienne Arago, Georges Grandin, ont été réunis aux renseignements de Champfleury et d'Eudore Soulié. Ainsi, nous apprenons que les trois Le Nain, non mariés, s'étaient fait, en 1646, donation réciproque de leurs biens. Nous apprenons encore que Mathieu Le Nain possédait à Paris une maison rue du Grenier-SaintLazare, à l'enseigne de la Chasse royale, une autre rue Honoré-Chevalier, près de Saint-Sulpice, une autre rue Pastourel, et d'autres à Laon, au village du Bourguignon, et la ferme de la Jumelle. Ce sont ces biens qui sont légués par Mathieu Le Nain à son neveu Antoine, et non la maison de Campignole qui était échue à Nicolas Le Nain. Antony Valabrègue donne enfin un relevé des oeuvres principales des frères Le Nain qui se trouvent dans les musées et édifices publics et dans les collections particulières de la France et de l'étranger. N'oublions pas d'ajouter ce joli Enfant à la Chandelle reproduit ici pour la première fois. On voit que, somme toute, l'oeuvre de Champfleury reste intacte. Son grand

mérite, c'est d'avoir — sous les artistes officiels, les maîtres-peintres du Roi, les peintres de la Ville de Paris, — découvert et étudié les peintres provinciaux, campagnards, populaires.

Sainte-Beuve, qui a consacré une étude à Champfleury, le 5 janvier 1863:, a fort bien rendu justice à l'écrivain attentif si occupé des Le Nain.

«Il faut voir, dit-il, comme il les aime, comme il les comprend, comme il les interprète ; il salue et honore en eux ses pareils agrandis, ses pères : heureux qui trouve ainsi à personnifier dans le passé ce à quoi il aspire en idée dans le présent, ce qu'il est déjà enpartie, ce qu'il voudrait être ! Il me semble voir un petit-fils qui, à force de recherches et d'instinct, retrouve ses grandsparents inconnus, et qui se rattache à sa race. » Sainte-Beuve a dit aussi de quelle manière lui apparaissaient les frères Le Nain :

« Voici pourtant comment, après avoir lu et avoir regardé de mon mieux, je me les représente en effet, et aussi d'après mon excellent guide. Louis XIV et son époque introduisirent avant tout la pompe,

1. Nouveaux Lundis, t. IV, p. 116.

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L'ART ET LES ARTISTES

l'éclat, la majesté, la gloire, dans tous les genres, une sorte d'aspiration à la grandeur. Auparavant, et plus on se rapprochait de l'époque d'Henri IV, plus on était simple, naturel et voisin de la bonhomie : les arts eux-mêmes, qui avaient perdu de la délicatesse des Valois, marquaient de la probité et de la gravité en attendant de retrouver mieux. Je sais bien que l'emphase espagnole régnait au théâtre et parmi tout un monde de beaux esprits : mais la veine française directe se maintenait distincte. La littérature proprement dite n'offrait cependant, durant cette période, que trop peu d'exemples à citer de la vérité dans les tableaux : on ose à peine rappeler les romans bourgeois trop vulgaires, dont Sorel donna la première idée dans son Francion. Mais c'était alors, à deux pas de nous, le grand moment de l'Ecole flamande et hollandaise, et il nous en arriva quelque chose...

« Trop rejetés en seconde ligne, trop négligés, même de leur vivant, totalement éclipsés durant l'époque radieuse de Louis XIV, les Le Nain ont recommencé peu à peu à reparaître quand la splendeur

splendeur règne académique diminua. Au xvme siècle l'excellent peintre de genre, Chardin, semble avoir voulu renouer à eux pour les scènes d'intérieur et la représentation des objets naturels... Chardin, qui était, en outre, un homme de beaucoup d'esprit, répandait sur ses reproductions naturelles une qualité que les Le Nain avaient trop négligée ou ignorée, l'agrément : ceux-ci lui restaient supérieurs peut-être par un trait moral plus prononcé, par une bonhomie plus antique. »

Pour l'apport pictural de chacun des Le Nain, il n'a pas été nettement défini. « Il semble difficile — dit Antony Valabrègue — de préciser, d'une façon absolue, la part qui revient à chacun des trois frères. » Il faut nous en tenir, en effet, à cette sage réserve, mais nous pouvons, devant les tableaux du Louvre, classer les oeuvres et établir des différences. La Nativité est un tableau de caractère espagnol, par la Vierge, les anges, le berger à demi nu, la jeune femme brune, et le Saint Joseph barbu qui regarde en souriant le nous veau-né. Seule, la vieille femme aux mains jointepeut

jointepeut songer à une bonne femme de nos pays.

Avec les Portraits dans un intérieur, nous sommes en présence d'une oeuvre familiale, à la fois bourgeoise et campagnarde, conçue selon le mode de rassemblement et d'expression des artistes des Pays-Bas. Il en est de même avec la Réunion de famille, où un guitariste à moustaches et à barbiche grisonnantes accompagne le chant d'une jeune personne à cheveux tire bouchonnés, assise au milieu d'un cercle de seigneurs attentifs.

Quelles sont donc les oeuvres des Le Nain, peintres français, peintres picards, s'inspirant de l'existence villageoise et intime qu'avait connue leur enfance ? Les voici, et ces oeuvres sont tout à fait extraordinaires, à cette époque, alors que l'imitation sévit, que les conceptions de la décadence italienne prennent la place de l'observation directe et de l'émotion ressentie. Les Le Nain, avec trois oeuvres bien simples, mais profondément vécues, suffisent à tenir en échec l'Art mensonger et pompeux d'un Simon Vouet, peintre du Roi. Celui-ci et ses élèves peuvent avoir en partage un art de composition et une verve d'exécution, mais ils aboutissent à des

. • , . Musée du Louvre.

LA FORGE D'APRÈS LA PEINTURE DE LE NAIN

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L'ART ET LES ARTISTES

pages creuses qui nous renseignent trop sur l'indifférence et le vide de leur esprit.

Les Le Nain se sont intéressés à une scène ordinaire, ramenée devant leurs yeux tous les ans par la saison.

Auprès d'un bâtiment de ferme d'humble apparence, ils ont vu les enfants gardeurs d'animaux, la laitière portant le vase de cuivre attaché à son épaule, la femme rude et solide assise à terre et endormant le dernier né, le joli groupe des trois fillettes debout sur la charrette de foin, qui écoutent le garçonnet jouer de la flûte, la poule et le dindon qui picorent, les porcs qui fouillent le sol, le chien fidèle qui guette, — et ils ont peint le Retour de la fenaison.

Us ont vu dans la flamme brillante et joyeuse et les ombres bougeantes de la forge, le jeune maréchal-ferrant, mettant le fer au feu, le visage à demi éclairé par la rouge lumière du foyer. Il est chevelu et sauvage, maladif, sérieux et mélancolique. Auprès de ce Vulcain de village, debout entre son feu vif et sa massive enclume, il y a une femme soucieuse et des enfants insouciants, et il y a un vieillard au repos, le regard fixe, qui tient de la main droite une pipe, de la main gauche une bouteille en osier. Les Le Nain ont vu et revu ce spectacle familier, — et ils ont peint La Forge.

Ils ont vu, dans la salle obscure d'une chaumine, trois paysans revenus harassés de leur travail, et assis, qui sur une escabelle, qui sur un tonneau, autour d'une planche improvisée en table. Les trois rustres ont, pour apaiser leur faim et leur soif, la miche de pain bis et le vin clair du pichet. Celui qui est à gauche boit, et il est tout entier à son acte. Il boit animalement et religieusement. Celui qui est à droite, les vêtements en loques, les coudes de sa souquenille percés, les pieds nus,

LE NAINLA

NAINLA

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L'ART ET LES ARTISTES

celui-là ne boit ni ne mange. Il a terminé, il est farouche, exténué, soucieux, et il songe. On pourrait citer à son propos le passage — si souvent cité!—de La Bruyère, et les vers d'une brièveté si admirables de la Mort et le Malheureux, où La Fontaine a fait, comme La Bruyère, la description du paysan du xvir 3 siècle. Je ne citerai ni la prose ni les vers, mais il n'est pas défendu d'y songer, ni d'y faire songer. Au milieu, entre le

place dans l'Ecole française. Ils sont dans la tradition des anciens artistes, des primitifs, des gothiques, qui ont représenté les scènes de la vie et les personnages de tous les jours dans les miniatures des missels, les peintures religieuses, les sculptures des cathédrales.

Ils ne sont pas à la mode des italianisants du temps, épris du fracas décoratif et du style, mais ils montrent le chemin aux artistes qui vienpaysan

vienpaysan apaise sa soif après avoir apaisé sa faim, et le paysan qui rumine son triste sort, il en est un autre, qui est parfait d'intelligence et de vaillance. H tient son verre en main et il va boire. Mais avant, il regarde son camarade accablé, et il le regarde d'un oeil qui semble lui dire qu'il a bien fort de se laisser aller ainsi, et qu'il ferait bien mieux de boire un dernier coup avant de retourner à l'ouvrage. La vie est encore bonne puisqu'il y a une salle pour se réunir, un escabeau pour s'asseoir, une table où s'accouder,

s'accouder, pain qui sent bon la farine, un vin récolté au coteau, une ménagère comme celle qui est là, de visage attentif, pour veiller à toutes choses, des enfants comme les trois qui tournent autour de la table, et même un air de musique pour vous remettre un peu de joie au coeur, puisque l'un des trois garçonnets accorde son violon pour le dessert.

Les Le Nain ont vu et senti cela, — et ils ont peint le Repos de paysans, de la galerie Lacaze.

Cette toile suffirait pour leur donner leur

Musée dit Louvre.

PORTRAITS DANS UN INTÉRIEUR (FRAGMENT) D'APRÈS LA PEINTURE DES LE NAIN

dront plus tard.

Ils sont les précurseurs des réalistes du xixe siècle, de Courbet, de Bonvin, de Jean - François Millet, de Raffaëlli, et de ces nouveauvenus , Charles Milcendeau, Eugène Martel.

Les Le Nain avaient l'humeur grave et en même temps une fine gaieté, l'observation pittoresque et profonde. Peintres, ils avaient trouvé une manière d'exprimer en rapport avec les sujets qu'ils représentaient.

Ce sont les Concourt qui ont remarqué, à propos de Millet, que les vêtements de drap et les blouses de toile des paysans

paysans de la couleur de la terre et de la couleur du 'ciel.

Regardez les paysans des Le Nain à la galerie La Caze : leurs peintres ont peint la bure dont ils sont vêtus avec la terre des .champs.

On pense, en les voyant, aux sillons bruns, aux garennes grises, aux étendues qu'ils labourent et qu'ils ensemencent.

GUSTAVE GEFFROY.

I Clichés Moreau et jDruet.)

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Les Figures de Corot

COROT

EUGÉNIE DUTILLEUX

£*OROT n'est pas seule^^ ment, comme on le croit trop souvent, un grand paysagiste. Ses figures, longtemps, méconnues contribuent avec ses traditionnnelles matinées et ses soleils couchants universellement admirés à lui assurer la première place à la tête de notre moderne école française. M. E. Moreau-Nélaton, l'auteur de l'Histoire de Corot ', dont

nous avons signalé dans notre dernier numéro la récente apparition, nous autorise à extraire de son livre quelques clichés et divers passages intéressants relatifs à cet aspect encore insuffisamment apprécié du maître et de son talent.

« ... Son délassement favori, c'est de prendre une semaine de modèle, d'affubler une de ces faubouriennes qui courent les ateliers d'oripeaux plus ou moins italiens et de s'appliquer à peindre pour le plaisir de peindre, pour la joie de fixer sur la toile un beau regard noir et d'harmoniser le blanc d'une chemise avec le jaune d'une manche ou le rouge d'un jupon. »

« ... La clientèle boude les figures de Corot. Il est convenu qu'il ne sait pas dessiner une tête. About se fait l'interprète de l'opinion générale quand, après avoir couvert d'éloges ses paysages, il l'accuse de n'être « pas de force à peindre un portrait ni à modeler un torse ». L'apparente gaucherie des bonnes femmes de Corot déroute la plupart de ses confrères. Ingres, qui se rencontre par hasard avec lui chez Haro, devant une de ses Vénus, s'échappe brusquement pour n'avoir pas à dire son sentiment jusqu'au bout.

« Cependant, avec plus de clairvoyance, Hippolyte. Flandrin avoue que « ce diable d'homme met dans ses figures quelque chose que les spécialistes n'ont jamais mis dans les leurs ». C'est qu'il va chercher l'âme et la vie à travers

I. H. Floury, éditeur.

l'enveloppe de la guenille humaine. Voilà le bu1 de ses constants efforts... »

« A chaque nouveUe exposition, il se trouvait des gens pour accuser Corot de monotonie et pour lui reprocher de recommencer toujours le même tableau. A supposer qu'un démenti fût nécessaire, il le donna d'une façon péremptoire en ajoutant à son Ville-d'Avray la Liseuse. En dépit de sa modestie qui, respectueuse des conventions, affectait de ne pas franchir les limites de son domaine particulier, le paysagiste ne résistait pas au plaisir de marauder sur le terrain d'à côté. La semaine de modèle était sa récréation favorite. Il y conviait volontiers les petits amis : Lavieille, Oudinot, le jeune Badin. Les Italiennes de la rue Mouffetard alternaient dans la pose avec les coureuses d'ateliers de Montmartre. Beautés banales, chairs cent fois vulgarisées déjà, mais qui suffisaient à allumer l'étincelle du génie.

« Le magicien les transfigurait. Il faisait couler un sang de déesse sous ces épidermes plébéiens. Ce :'n'était_ plus Mariette, Clémence ou Emma.

COROT, PAR LUI-MÊME


L'ART ET LES ARTISTES

COROT LA FEMME A LA MANDOLINE

COROT — LA PERLE

C'était la Naïade, ta Bacchante ou la Muse ; c'était la Nymphe Eurydice et la prêtresse Velleda Dans cette famille sans pays et sans âge, les hommes paraient leur personnalité indécise de l'armure des paladins, ou de la bure du moine. Mais sous cette friperie, sous la défroque bigarrée des. Italiennes, des Grecques et des Bohémiennes d'occasion, palpitait la plus vivante des humanités. Ces créatures étaient faites par l'artiste à son image : douces, tendres et rêveuses, occupées de

fleurs et de musique. Corot laissait à d'autres les vaines poupées tirées à quatre épingles, dont la prunelle est sans feux. Son modèle pouvait bouger; il ne le gourmandait point. Les habituées de l'atelier en prenaient à leur aise ; telle la petite Dobigny, devenue familière à la longue, qui babillait, chantait, riait, ne tenait pas en place. Un jour quelqu'un critiquait devant lui' ce sans-gêne : « Mais c'est justement cette mobilité que .j'aime en elle, fit le maître. Moi, je ne suis pas de ces spécialistes qui font le morceau. Mon but, c'est d'exprimer la vie. Il me faut un modèle qui remue.

« Le public, qui n'était pas accoutumé à cette manière

de faire et qui n'aime pas à être contrarié dans ses habitudes, narguait toujours les figures de Corot. De rares marchands, tels Martin, Beugniet, Brame ou Tempelaere, en comprenaient la beauté, les lui achetaient et s'efforçaient de les répandre parmi les amateurs.

« Il leur savait gré de cette clairvoyance et les leur cédait à vil prix, trop heureux de se voir compris.

« N'avait-il pas entendu à son propre foyer

une péronnelle en rire et s'écrier : « Ah ! mon Dieu, où allez-vous chercher de pareils singes ». Des singes, . ces créatures . sorties du fond de son âme ? Son coeur blessé protestait. Vainement un troupeau de moutons de Panurge bêlait des acclamations devant ses paysages. Vainement on couvrait d'or ses traditionnelles matinées et ses crépuscules classiques.

<( A quoi bon gagner cent mille francs par an pour s'entendre bafouer dans les enfants de ses entrailles ?

«E. MOREAU-NÉLATON. »

COROT — LA LISEUSE

&c

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GROUPE DE FIGURINES POUR LE « MONUMENT AUX OUVRIERS »

Dalou inconnu

O OUR paradoxal que cela puisse sembler, au premier abord, il n'en est pas moins exactement vrai que, de tous les grands artistes contemporains, Dalou fut le plus complètement inconnu. La faute, d'ailleurs, en incombe à lui seul, car il mettait à cacher son oeuvre autant de soin que tant d'autres mettent à produire la leur. Aussi, au jour de sa mort, les amis auxquels il avait confié le soin de ses affaires et de son oeuvre, eurent-ils une surprise sans pareille

en découvrant une foule d'oeuvres dont ils ne soupçonnaient pas l'existence. Sur des étagères voilées par des rideaux ou des bâches, sous l'enveloppe de vieux journaux, dans des coins, un peu partout et jusque sous des meubles, ils aperçurent une foule d'objets révélant pour la plupart une formule d'art entièrement nouvelle.

Aucun de ces objets n'était de grande taille. Il y avait là quelques bustes inconnus, entre autres un buste d'enfant en marbre, le seul marbre d'ailleurs que possédait l'atelier, il y avait quelques plâtres originaux, modèles d'ouvrages exécutés en Angleterre et dont les ■ terres cuites appartiennent à

des grands seigneurs anglais. C'était une réduction de la Paysanne française exposée jadis à Londres ;. c'était la Liseuse et c'était la Jeune Mère, deux figures de femmes modernes d'une exquise élégance et d'une prodigieuse beauté de coloration, d'un esprit et d'un galbe étonnants. Les deux dernières étaient marquées au meilleur coin de l'Art français tel que Watteau et les maîtres du xvnr 3 siècle l'ont comprise, la Paysanne avait une allure de réalité moderne,

moderne, française et aussi absolument neuve. Par ailleurs, c'était un torse de femme, en présence duquel on se demandait s'il n'était pas un antique ou s'il ne provenait point de l'oeuvre d'un des maîtres suprêmes de la Renaissance ; mais il comportait de telles, beautés de souplesse, une telle puissance de « vivre »• qu'on n'osait l'attribuer ni à l'une ni à l'autre époque ; ce n'est point sans étonnement et sans admiration qu'on apprenait que ce morceau incomparable était, tout simplement, l'une desétudes faites pour étudier la statue de l'Abondance qui est placée derrière le monument colossal de la place de la Nation.

DALOU EN 1871

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L'ART ET LES ARTISTES

Mais la surprise fut bien plus grande encore lorsqu'on trouva, dans un coin quelconque, le modèle d'un groupe exécuté jadis pour un amateur français et qui n'avait jamais figuré à aucune exposition et n'avait jamais été montré par son auteur, fût-ce à ses plus intimes amis. Ce groupe, qu'on peut inti■ tuler Le Baiser, représente un faune, debout, embrassant une femme, qui se défend, sans se défendre, tout en se défendant. Si je n'avais horreur des comparaisons et des classements que l'on fait

d'oeuvres de maîtres à oeuvres de maîtres, je mettrais ce groupe en parallèle avec un autre groupe du même intitulé, qui fut mille et mille fois reproduit en toutes les matières et dans toutes les dimensions, et je dirais pourquoi je préfère à celui-ci le groupe de Dalou. Mais j'estime que quand on a devant soi deux oeuvres maîtresses de deux artistes hors ligne, c'est honorer l'un et l'autre des artistes et l'un et l'autre des ouvrages que d'additionner leur beauté pour la plus grande gloire de l'Art qui

les a produites toutes deux. Tout ce qu'on peut dire du groupe de Dalou, c'est qu'il est une oeuvre, de forme et d'esprit français, purement français dans sa composition et dans sa forme.

Dans la partie d'étagère couverte de bâches, on trouva des plâtres,des petits modèles à quart d'exécution du monument de Delacroix et du Silène, modèles exécutés jusqu'au bout, et avec un soin si complet, qu'il a suffi, par la suite, de les envoyer à la fonte pour qu'ils devinssent, tout à la fois, une reproduction et une variante des deux monuments qui sont au Luxembourg. Le monument d'Alphand, si malencontreusement exécuté, se trouve représenté par une petite esquisse en terre cuite, par laquelle on distingue ce que Dalou eût fait, si l'état de sa santé, alors gravement compromise, lui avait laissé la liberté de le faire. Mais ce n'était encore que le commencement de la surprise et nul ne put contenir un cri d'admiration, lorsque s'ouvrit un énorme placard, tout rempli de petites figures et de petites figurines en terre cuite ou en glaise séchée. Il y avait là-dedans un certain nombre de statuettes, de petits groupes, comportant des personnages, la plupart à l'état de nu; parmi lesquelles d'aucunes, telle la femme accroupie, intitulée La Vérité méconnue, telle la femme surprise, sont de purs chefsd'oeuvre.

Mais cela n'était rien encore.

ETUDE

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DALOU

Jeune Mère


DALOU

Paysanne Française



L'ART ET LES ARTISTES

Ce qui les frappa le plus vivement, c'était tout un monde de petits êtres, hommes, femmes, animaux, dont la hauteur variait entre dix et vingt centimètres, et qui étaient placés un peu partout sur les larges planches du placard.

Ce qu'ils venaient d'apercevoir ce n'était plus de l'Art, c'était la Vie elle-même. Ces statuettes, malgré leur taille infime, étaient aussi définitives que les terres cuites de Tanagra ou les bronzes de Barye.

L'impression donnée par l'assemblage de ces figurines a été résumée d'un mot. Comme on avait groupé ces petits bonshommes de terre cuite pour les photographier, une femme d'esprit, qui

se trouvait auprès de l'opérateur, l'interrompit par cette exclamation : « Attendez ! Je crois qu'il y en a un qui a bougé ! »

Par un concours de circons- . tances, •— qui n'a rien d'intéressant en soi, — la fille unique de Dalou fit don à la Ville de Paris, de tout ce qui se trouvait dans l'atelier de son père à l'heure de sa mort.

J'ai écrit : « fit don » à la Ville de Paris, parce que je ne saurais supposer que le Conseil municipal estime avoir réellement acheté, moyennant la somme grotesque de 30 000 fr., tout le musée aujourd'hui installé au Petit Palais.

La succession Dalou, dont les revenus sont attribués aux enfants de l'Orphelinat des Arts, n'avait pas le droit moral de faire des libéralités : « Payez ce que vous pourrez, avait-elle dit aux représentants du budget de la Ville, et nous vous ferons cadeau du reste ».

Ainsi fut fondée la Salle Dalou au Petit Palais.

C'est là qu'il faut aller voir le Dalou inconnu; seulement, — au risque de contrister ceux qui, avec le plus grand dévouement, ont organisé cette salle, — je ne crains pas de dire qu'il sera très difficile de le bien voir pour l'instant. L'espace est trop restreint, les objets sont déplorablement accumulés dans les vitrines où des figures et des groupes de tout premier ordre ne sont visibles

que sur une de leurs faces. Le mal, est d'ailleurs, réparable, facilement et sans grands frais. Du jour où l'on pourra exposer et classer l'oeuvre de Dalou, comme cela est nécessaire, chacun pourra voir qu'elle apporte, dans le domaine de la sculpture un élément nouveau. Ici, Dalou ne fait plus seulement de la sculpture en sculpteur, il la fait aussi, et surtout, en philosophe et, si le mot n'était pas un peu gros, je dirais qu'il la fait en sociologue. Ses modèles, il les prend dans, les rues, dans les champs, dans les ateliers, partout où l'on vit par le travail et c'est alors la Vie qu'il nous donne. Si je le répète sans cesse, ce mot « la Vie », c'est

UNE DES ÉTUDES POUR « LA RÉPUBLIQUE » DU MONUMENT DE LA NATION

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L'ART ET LES ARTISTES

uniquement parce que tout l'art de Dalou est l'art de la Vie. En pareille matière, il vaut toujours mieux montrer que démontrer.

Examinons donc cette statue de paysan en plâtre qui occupe un angle de la salle. Elle a été conçue dans les champs, aux environs de Saint-Cyr. Pendant des journées et 'des journées, Dalou parcourait la campagne, causant avec les agriculteurs, cherchant la synthèse de la forme du paysan français. Pour l'établir, devant sa conscience d'artiste, il fit une série de bustes de divers paysans, il fit une série de statuettes représentant le cultivateur en ses diverses attitudes à l'instant où il va se mettre au travail. Ce n'est pas « un paysan » qu'il a voulu faire, c'est « Le Paysan » lui-même et c'est pour cela qu'il a pu lui donner sa forme définitive et synthétique. Dans les vitrines du Petit Palais, vous le retrouverez en divers petits modèles, toujours inspirés de la même pensée, de l'homme qui va se mettre à la besogne. Bien que le grand modèle soit entièrement habillé, sauf l'échancrure de la chemise quelque peu entr'ouverte, Dalou a exécuté deux études du torse entièrement nu et faites d'après le torse d'un véritable paysan. Là sont écrites et modelées toutes les tares, toutes les déformations et toutes les nobles vigueurs

aussi que produit le travail de la glèbe.

Comme toutes les oeuvres de Dalou, — quelles qu'elles soient, — le modèle du Paysan a été exécuté d'abord intégralement nu. Il suffit,

d'ailleurs, de regarder les jambes pour retrouver, sous les plis du pantalon de toile, toute la musculature agreste du bonhomme.

Invariablement, avant de monter à la grandeur d'exécution, les figures nues qu'il devait habiller ensuite, Dalou en faisait des petits modèles nus qu'il poussait jusqu'à la dernière perfection. C'était sa manière à lui d'essayer les mouvements et, si la petite figure nue ne lui donnait pas satisfaction, il faisait une autre figure nue, et ainsi de suite jusqu'à satisfaction complète.

Par malheur, il n'attachait aucune important à ces travaux-là. C'était ce qu'il appelait apprendre sa leçon avant de la réciter en public.ll les abandonnait au hasard, n'en faisait ni cuisson, ni moulage; bientôt la terre s'effritait et il n'en restait plus trace. Quelquefois, par exception, il lui semblait nécessaire de faire mouler ses études, mais, presque toujours, lorsqu'il avait fini de s'en servir, il les broyait à coups de marteau. C'est par dizaines que des oeuvres de premier ordre ont ainsi disparu. Ce qui a été retrouvé dans l'atelier était destiné à la; destruction lorsque les oeuvres, dont tout cela était la préparation, seraient achevées.

C'est par le seul fait du hasard que quelques études

ETUDE POUR « LE GRAND PAYSAN »

ETUDE POUR « LE FONDEUR »

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L'ART ET LES ARTISTES

ETUDE POUR « LE TERRASSIER »

du temps passé ont échappé au vandalisme de leur auteur et l'on peut juger de ce vandalisme quand on regarde certaine étude de nu de la statue de la République qui domine la place de la Nation. Le geste est tout différent de celui de la statue définitive. L'on sait de plus, par tradition, qu'une autre statue nue, analogue à celle-ci, a été exécutée pour l'étude définitive du geste adopté en dernier lieu. Il n'en reste plus trace.

Un torse de femme qui est une étude préparatoire de la statue de l'Abondance placée derrière ce monument de la place de la Nation, a subsisté.

Trois ou quatre des statuettes que Dalou a faites pour apprendre sa leçon, lorsqu'il travaillait au haut-relief de la Fraternité, ont échappé au massacre, uniquement parce que Mme Dalou les avait recueillies dans son appartement/Elles sont un spécimen curieux de la préparation des bas-reliefs telle que Dalou la comprenait.

Quand bien même dans un bas-relief, il ne devait montrer qu'une faible partie d'un personnage (et d'un seul côté bien entendu) il entendait avoir vu, de ses yeux vu, ce personnage tout entier et, pour cela, il l'exécutait dans son mouvement, au complet, en rond de bosse, entièrement nu et sans omettre ni un muscle ni un ongle, et il mettait autant de conscience à l'exécution des parties, invisibles dans le bas-relief, qu'à celle des parties qui y viennent au premier plan. Maintes fois il allait plus loin encore : il dessinait des croquis, des écorchés, de ses mouvements il en remplissait des cahiers (bien entendu il déchira plus tard tous ces cahiers) et, si les croquis ne lui suffisaient pas, il modelait,

en cire ou en terre, d'autres écorchés, puis, comme toujours, il les anéantissait lorsqu'il n'en avait plus un besoin immédiat.

Quand la mort le surprit, il y avait dans son armoire quelques spécimens de ces études anatomiques, notamment le plâtre d'une épaule et d'une jambe de cheval, un cheval de labour tout entier avec sa peau d'un côté et de l'autre son écorché et enfin un admirable petit écorché d'homme, auquel manquaient la tête et la jambe droite. Ce petit modèle était l'étude d'un chasseur dans le style décoratif Louis XIV qu'il exécutait sur commande et non pas pour son plaisir, je vous l'assure, car cela retardait l'heure où il pourrait se mettre complètement à l'exécution de l'oeuvre caressée et préparée depuis 1889, qui eût été la gloire et la joie de sa vie : le Monument aux Ouvriers.

Là, c'est toute la vie morale et la vie sociale de l'individu qu'il voulait incarner dans sa forme humaine. Pour bien connaître l'ouvrier de la terre, il s'était donné à tâche de faire une statue de cultivateur français. Il la voulait scrupuleusement conforme à la réalité de l'homme rencontré dans

AUTRE ÉTUDE POUR « LE TERRASSIER »

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L'ART ET LES ARTISTES

la vie ; il voulait qu'elle fût; en son Etre éternel et divin : le mythe':de l'Homme de la Terre jetant à "la terre le fruit né d'elle .et qu'elle fera germer pouf qu'il 'en' naisse d'autres fruits. Il voulait faire tenir dans l'attitude de cet homme tout le mystère grandiose de l'éternelle Fécondation. Et le voici cherchant dans la plaine de Beauce les ouvriers des champs dont la forme et le geste évoquent superbement cette auguste pensée. Et, alors, il fait toute une série de statuettes ou de figurines où l'homme tel qu'il vient de le voir, — soit qu'il lance le grain, soit que, pensif, il s'apprête à le lancer, -— éveillera dans nos esprits toutes les émotions et toutes les grandeurs de l'OEuvre de Fécondation.

Mais bientôt Dalou pense que ce n'est pas encore assez d'avoir modelé son homme en une série d'attitudes différentes ; il veut l'entourer de tout ce qui, dans la réalité de sa vie, lui fait cortège et le complète ; et alors il conçoit '. un socle, ou plutôt - une série de piédestaux enrichis de basreliefs qu'on ne saurait comparer qu'à autant de pages de Virgile ou de Théocrite, et où se

LE TERRASSIER AU TRAVAIL

LE TERRASSIER ALLANT AU TRAVAIL

déroulent les scènes de la vie champêtre. Les personnages y sont nombreux ; chacun d'eux a été l'objet d'une étude approfondie. Chacun a été retrouvé parmi les figurines de la fameuse'armoire, à l'état de ronde bosse dans son attitude empruntée

empruntée la nature même, et le plus souvent sous divers aspects. Chacune de ces minuscules figurines a été pour le moins massée tout d'abord nue d'après le modèle nu.

. Les plantes et les bêtes n'ont pas été l'objet de moindres soins. Sans s'arrêter aux plantes dont

il existe de merveilleuses petites études. Citons, parmi les animaux, un mouton paissant, en basrelief, puis une petite statue de mouton, toujours paissant, puis, comme si tout cela n'était pas assez, pour bien comprendre les moutons, qui ne sont pourtant qu'un accessoire de son oeuvre décorative, l'artiste s'est donné le plaisir d'exécuter une tête de mouton en grandeur naturelle, si méticuleusement parfaite, qu'il semble — comme disait

80


L'ART ET LES ARTISTES

un critique d'art distingué — qu'il semble, « qu'elle a le museau humide ».

Tous ces efforts aboutissent, en fin de compte, à l'établissement du Semeur, c'està-dire l'une des seize figures en haut-relief qui devaient former une gigantesque bague ornementale au pied du Monument aux Ouvriers.

Ce Semeur et un Terrassier sont les seules de ces seize figures dont le modèle définitif existe (au quart de grandeur d'exécution).

L'histoire du Terrassier et celle du Paysan sont au fond la. même. Il existe au moins quatre statuettes de Terrassier en ronde bosse : l'une nous représente un type de terrassier à forte barbe, au geste large, soulevant sa pelle, un autre terrassier se rendant à l'ouvrage sa pelle sur l'épaule, un autre, ou plutôt deux autres, ont les mains sur le haut du manche de la pelle, la tête levée et dans l'attitude de l'homme qui souffle un instant avant de se mettre à la besogne. Le modèle définitif, le haut-relief au quart d'exécution, nous montre enfin l'homme au torse nu, au pantalon large, la ceinture de laine aux reins, coiffé d'un vieux chapeau de feutre, le menton appuyé sur les deux mains croisées sur le manche de l'outil.

Tout cela est modelé et bien modelé jusqu'au bout, mais cela ne satisfait point encore Dalou, et, pour étudier ce qu'il aura à faire sur le grand modèle, pour mieux apprendre sa leçon — comme il se plaisait à le redire — il fait, de grandeur naturelle, un buste de son terrassier, comprenant la poitrine, le dos, les avant-bras, et, enfin les mains sur quoi s'appuie le menton. Le tout est si méticuleusement poussé qu'on peut, sans aucune retouche, le faire fondre en bronze.

Et tout ceci ne serait rien, comparativement à ce qui a été détruit par suite de circonstances indépendantes de la volonté de Dalou.

Au lendemain de la Commune, comme il était obligé de quitter Paris, il laissait son petit atelier.de la rue du Cherche-Midi à l'abandon et confiait à un mouleur quelconque et de moralité quelconque le soin de sauver ce qu'il pourrait.

Or, il y avait là la statue de la Brodeuse, un plâtre que l'Etat venait d'acheter et dont l'exécution en marbre devait bientôt commencer.

Cette statue de la Brodeuse qui' était un morceau important fut d'abord ébauchée dans le marbre en l'absence de Dalou et quand le maître revint en France, après dix ans d'exil,

FIGURE DÉFINITIVE DU « TERRASSIER »


L'ART ET LES ARTISTES

le plâtre et le marbre ébauchés rentrèrent dans son atelier.

Dalou s'attacha d'abord à l'exécution de la Brodeuse, il'surveillait de-très près les praticiens, il tournait beaucoup autour d'eux. C'était mauvais signe. Un-beau jour, Te travail étant très avancé, iï eut une sorte d'accès de colère, il eut je ne sais quel cri qui pouvait se traduirepar : « Décidément, c'est trop mauvais! » et, d'un coup de masse, il abattit les bras, brisa le cou.

Puis se tournant vers le modèle il fit sentir en peu de minutes au plâtre qu'il n'était que matière fragile et transitoire.

Quand on revint à l'atelier on n'y trouva plus qu'un morceau informe de marbre et que de la poudre blanche faite de plâtre écrasé.

Ici, comme on le voit, il ne s'agissait plus ni d'un projet, ni d'une ébauche, ni même d'un travail hâtif ou de peu d'importance artistique.

Je ne parle ici que de ce qui a été détruit en France. Si l'on pouvait ravoir'la liste de ce qui a été détruit en Angleterre lorsque Dalou a quitté Londres, de- ce qu'il a cassé sous prétexte que ça ne' valait ni la peine, ni l'ennui d'être emporté, on en serait épouvanté. Si des élèves et Berthault le mouleur et l'ami de.Dalou n'avaient pas pieusement

arraché à ses mains, d'iconoclaste, tout ce qu'ils pouvaient arracher, il y a bien.des choses qui auraient encore "disparu. : ; ." .

Le sculpteur, anglais Alfred'Dfury. a;, comment dirais-je.? mettons... recueilli-dans des baquets, un certain nombre de têtes en terre fraîche provenant du haut-rèlief de Mirabeau et si le patron Savait SU' . qu'il les mettait de côté au lieu de les aplatir le pauvre Drury aurait passé un mauvais quart d'heure.

Calculez maintenant ! en prenant pour base d'appréciation ces quelques exemples, échappés au ' massacre, le désastre accompli par -la. passion qu'avait Dalou de détruire tous ces travaux préparatoires, quelque définitive qu'en soit l'exécution, et demandez - vous alors quels trésors nous posséderions si seulement il avait pu achever et voulu laisser survivre ceux' qu'il destinait à ce Monument aux Ouvriers où, avec toutes les ■ tendresses de son âme profondément peuple, il avait voulu immortaliser dans sa plus profonde et intime réalité la vie même dont il entendait dresser l'apothéose.

Jacques-Louis David disait : « Il ne suffit pas de regarder le modèle, il faut le lire ». Dalou avait le droit de dire : « Il ne. suffit pas de regarder le modèle, il faut le vivre ».

MAURICE DREYFOUS.

TÊTE DE PAYSAN (ÉTUDE) 82


DALOU

Femme surprise



CHEZ LES PEINTRES

0

Un après=midi chez Claude Monet

/""* XAUDE MONET n'est point le peintre paysan, ^■^ simple et fruste, que l'on croit à Paris. Aucun rapport entre sa vie et celle d'unJean-François Millet, terré par l'injuste misère à l'orée du Bas-Bréau, à Barbizon, ou celle d'un Alfred Sisley, végétant dans une masure, à l'ombre de l'église de Moretsur-Loing. Monet, jadis, subit des débuts douloureux, la lutte, les quolibets de la foule, les privations.

privations. s'en souvient, et ne nie point ce temps de nécessaires épreuves. Mais, s'il a peiné comme un matelot, à Belle-Isle, livrant bataille aux lames, aux récifs de PortDomois, de Port-Goulphar, analysant sans trêve les rocs déchiquetés, les falaises striées par l'écume, engluées par les mousses et les lichens, et les bastions de granit battus par la meute des vagues, s'il a décrit sans relâche, d'un infaillible pinceau, les bouquets d'arbres d'Antibes et de Bordighera, et les pins noirs, et les oliviers d'argent pâle, et le ciel indigo, — le voici aujourd'hui fixé,

pour bien longtemps, et depuis vingt ans déjà, dans ce gracieux pays du Vexin, dont il connaît, feuille par feuille, les prés et les bois.

Claude Monet, en dépit de la soixantaine sonnante, est robuste et dru comme un chêne. Son visage hâlé par tous les embruns et tous les soleils, cheveux poivre et sel, le col nu, largement dégagé, les yeux d'acier clair, d'une pénétration

aiguë, des yeux qui voient jusqu'au fond des choses. L'allure fait penser à celle de Meissonier. Les manières exquises, affables, sont d'un gentleman-farmer.

Quand nous arrivâmes à Giverny, Félix Borchardt, le beau peintre impressionniste allemand, et moi, le maître vêtu d'un costume de homespun beige, à carreaux, chemise de soie bleue plissée, feutre de velours fauve, bottines de cuir rougeâtre, nous fit entrer quelques instants dans un premier atelier, dont. les murs offraient le résumé de sa vie d'artiste. Une trentaine de toiles, depuis les

CLAUDE MONET DANS SON JARDIN


L'ART ET LES ARTISTES

LES NYMPHEAS

essais, aux côtés de Manet, quelques toiles de la série des Meules, des Cathédrales, des Nymphéas. Mais, comme il était déjà quatre heures de l'aprèsmidi et « que les nymphéas se ferment avant cinq heures, en été », il nous mena au second jardin. Vous savez que Claude Manet, ayant acheté un vaste clos en face de sa propriété, de l'autre côté de la route, l'inonda en partie, pour y créer une rivière. Sur cette rivière, il a jeté des nymphéas à profusion. Les feuilles s'étalent à plat, et, parmi leur verdure, la corolle, jaune, bleue, mauve, rose, de la belle fleur aquatique, s'épanouit. Une passerelle verte, en dos d'âne, près de laquelle Monet pose son chevalet. Des saules, des trembles au feuillage léger. Et surtout, sur les bords de la petite rivière, des fleurs par centaines, glaïeuls, iris, rhododendrons, lys rarissimes tachetés de points brunâtres. Le tout forme un décor plus joli que grandiose, un rêve extrêmement oriental.

Nous entrâmes au second atelier, qui est spacieux et haut. Borchardt et moi demeurâmes, immobiles, muets, éblouis. Ah ! la lumière est meilleure que dans les souterrains de M. Durand-Ruel. Partout des Falaises de Dieppe, d'Etretat, et des champs de tulipes de la Haye, et les champs de Vétheuil, et la mer, et le ciel. Des églises-fantômes évanouies dans la brume. Enfin, une seconde série de nymphéas, à toutes les heures de la journée, au petit matin liliacé, dans le poudroiement mordoré

de midi, dans les ombres violettes du crépuscule. La fraîcheur du ton, la subtilité, la fugacité d'impression, sont inégalables.

Sur la cimaise, bien en vue, une grande toile (le premier tableau de Monet refusé au Salon), des jeunes femmes en crinolines, se protégeant du soleil grâce à de minuscules ombrelles au manche d'ivoire, les taches de lumière sur les robes et les visages. Cette toile, brossée en plein air, fut refusée surtout par M. Jules Breton, membre influent du jury d'alors, lequel, — en éliminant l'oeuvre hardie, annonciatrice, — sauva le grand art...

Une bibliothèque ; peu de livres, mais bons ; des photographies d'amis, Stéphane Mallarmé, visage de rêveur dolent, la physionomie douce et laborieuse de Gustave Geffroy, Mirbeau et la ride, dure comme un coup de sabre, qui lui barre le front.

Nous nous installons sur un immense divan de panne crème, et, dans la fumée des cigarettes, Claude Monet, souriant, dispos, malicieux, modeste, évoque ses souvenirs et nous conte sa vie.

Il a horreur de Paris, où l'on ne peut faire cent pas sans être harponné par des importuns, des gaffeurs, des snobs indiscrets et incompréhensifs. Il reste parfois huit, dix mois sans mettre le pied sur les boulevards. Il ignore les coteries, les Salons, l'Institut. Il préfère ses jardins, et son travail. Ce n'est pas qu'il abomine les grandes villes. Il a vécu,

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L'ART ET LES ARTISTES

LE PONT SUR L ETANG DES NYMPHEAS

paisible, solitaire et ignoré, à Londres, il y a quelques années, lors de la série de la Tamise.

Claude Monet rappelle ses tout premiers débuts, qui ne furent point dédaignés. Il avait même réussi au Salon ! Soudain, le besoin de peindre des figures et des objets en plein air l'illumina, comme une révélation. De ce jour il fut perdu — pour les gens sérieux. Et c'est au catalogue du Salon de 1868 que l'on trouve, pour la dernière fois, trace d'un envoi : Navires sortant des jetées du Havre. S'il n'eût pas insisté dans la voie nouvelle qu'il voulait frayer, il aurait connu le succès mondain, les commandes, les médailles. Encouragé par ses camarades, dissidents de l'atelier Gleyre, — Bazille, Renoir, — il ne céda pas. Manet, que Claude Monet admirait profondément (il allait boire des bocks au café de Bade pour ouïr l'auteur àel'Olympia, causer avec Baudelaire), le jalousa avec vivacité. Daubigny le comprit de bonne heure, et même démissionna d'un jury de Salon parce qu'on avait refusé Monet et ses amis. Rares étaient les défenseurs : Burty, Duranty, Castagnary, Théodore Duret.

— Daubigny fut-il le seul à soutenir l'impressionniste naissant ? Que disaient les vrais maîtres d'alors ?

—Tenez, je me rappelle que nous exposâmes,

Renoir et moi, dans une petite boutique. Mon tableau était à la devanture. Un jour, —je me trouvais là, — passe Daumier, maître vénéré, qui s'arrête, lorgne, et dit au marchand : « Qui donc vous force à montrer au public de pareilles horreurs ? » Je suis rentré chez moi, ce soir-là, le coeur navré. Par contre, Diaz (j'eusse préféré que l'éloge vînt de Daumier, et la critique de Diaz) s'enthousiasma pour ce même paysage, me serra les mains et me prédit le plus brillant avenir.

— Et le père Corot, qui accueillit les débuts de Pissaro ?

— Le père Corot dit un soir à Guillemet : « Mon petit Antonin, tu as joliment bien fait de t'échapper de cette bande-là ».

Je n'ai guère connu, à ces lointaines époques où nous vendions nos toiles quarante francs, qu'un seul amateur vraiment sincère et désintéressé, M. Chocquet.

Claude Monet nous retrace en quelques mots le portrait de Chocquet, fureteur clairvoyant qui, sans fortune, sut accumuler les meilleures choses de Van Gogh, de Cézanne, de Pissaro, ami véritable des peintres et de la peinture. « Je n'ai vu que Chocquet et Georges de Bellio qui fussent des amateurs, — non des spéculateurs. »

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L'ART ET LES ARTISTES

Claude Monet, à l'apogée de la gloire, ne se fait pas d'illusions. « Ceux qui nous prônent maintenant nous comprennent-ils mieux que les insulteurs d'antan ? Ah ! si l'on ôtait les signatures, lequel de tous vos snobs se risquerait à acheter « nos chefs-d'oeuvre » ? Et puis, on exagère notre mérite. Et surtout, certains, parmi les j eunes gens des Indépendants, au lieu de chercher, ainsi que nous fîmes il y a trente ans, ont le tort d'étudier de trop

près notre technique, notre facture ; ils perdent ainsi tout espoir de personnalité. Ils nous démarquent, et le savent bien. Une fois, chez DurandRuel, j'aperçus, au moment où j'entrais, un monsieur qui se sauva à ma vue. C'était M. Loiseau... »

.Je parle de l'exposition Gauguin, qui se tint ces temps derniers, chez Vollard.

— Gauguin, répond Claude Monet, je ne le comprends pas. Je vois bien ce qu'il doit à Puvis de Chavannes, à Cézanne, aux Japonais, mais je ne vois guère sa part. Je ne l'ai d'ailleurs jamais pris au sérieux. Et n'allez point prononcer le nom de Gauguin devant Cézanne ! J'entends encore ce dernier s'écrier, avec l'accent méridional : « Ce Gauguin, je lui tarderai le cou ».

Je me permis de dire à Monet qu'il me semblait fort injuste.

Je prononce le nom d'Albert Besnard.

« Je n'ai pas eu le temps d'aller à son exposition. »

D'autres noms :

« !... »

—■ Vuillard, un oeil très fin. Maurice Denis, un bien joli talent, et si roublard !...

Mais Monet, à qui il ne sied guère de s'aventurer sur ce terrain, préfère tisonner dans ses souvenirs, et nous ramène à l'époque héroïque.

« Dégoûtés des Salons et des Jurys, nous avions formé un petit groupe, exposant chez un marchand.

Manet qui, lui, préférait lutter au Salon même, chez l'ennemi, — tel Zola voulant forcer les portes de l'Académie — nous traitait de « lâcheurs ». Et, lorsqu'il connut un semblant de succès, grâce au sujet, avec son Bon Bock, il ne décoléra pas contre Berthe Morizot, Renoir et moi-même, répétant : « Pourquoi n'êtes-vous pas restés avec moi ? Vous « voyez bien que je tiens la corde »:

« Ma première réussite date d'une exposition chez Georges Petit. M.. Durand-Ruel ne nous envoyant pas un sol d'Amérique, jefinis, car il fallait vivre, par céder à M. Georges Petit. J'exposai à l'Internationale. Les sociétaires me prièrent poliment de ne pas mettre mes toiles trop près des leurs. Cazin, lui, accepta de bonne grâce le voisinage. Seulement, le lendemain matin dès sept heures, il venait décrocher ses paysages et les éloignait de six mètres... Les critiques décrétèrent gravement que je m'étais assagi ; seul, Geoffroy nous défendait bien, mais son Voltaire n'était guère lu.. J'expoL

J'expoL

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CLAUDE MONET

L'Été

(Le premier tableau de Monet refusé au Salon.)



L'ART ET LES ARTISTES

CLAUDE MONET DANS SON ATELIER

sai ensuite avec Rodin. Georges Petit flairant le succès, me dit, avant le vernissage : « Je pense que nous aurons le Figaro... Et tenez, à ce propos, Albert Wolf m'a prié de vous transmettre une invitation à déjeuner, pour Rodin et vous. Il vous attend après-demain. » Je refusai net.

— Et Rodin ?

— Je ne me rappelle pas...

Claude Monet nous entretint ensuite de Cézanne. Il l'admire extrêmement, le tient pour un des maîtres peintres d'aujourd'hui. '

« Voulez-vous voir mes Cézanne, ma collection ? »

Nous acceptons avec joie et montons derrière le maître. Nous voici dans sa chambre à coucher. Au-dessus du lit, large et bas, un Renoir de la plus voluptueuse beauté. Un portrait velouté de jeune femme de Manet. Le Nègre, de Cézanne, chef-d'oeuvre éclatant : ce nègre, culotté de bleu, au torse nu, est un morceau digne de Delacroix. Un paysage de Pissaro, vibrant de lumière, des intérieurs de Berthe Morizot, une femme à son tub, de Degas, des pommes,

i. La Revue UArt et les Artistes est ouverte à toutes fies opinions sincères, elle est libre de toute tendance, et les jugements esthétiques qui s'y trouvent n'engagent que ceux qui les formulent.

et l'Estaque, de Cézanne ; une Forêt sous la neige, de Cézanne ; deux portraits de Claude Monet, l'un de Renoir, — c'est le Monet de Fantin dans l'atelier des Batignolles, — l'autre, fort curieux, de Séverac, qui révèle un Claude Monet adolescent, au grand. front ombragé de cheveux bouclés.

Mais le plus noble tableau a pour cadre la fenêtre grande ouverte. Ce

L'ALLÉE DEVANT LA MAISON

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L'ART ET LES ARTISTES

sont les coteaux de Giverny, dans la vibration dorée du crépuscule.

Nous redescendons, traversons deux salonnets ornés d'estampes japonaises, chimères et dragons, la salle à manger lumineuse et gaie, d'un arrangement whistlérien avec ses buffets, chaises et table jaune clair.

Nous rentrons dans l'atelier. Monet nous parle de sa méthode de peindre. A Londres, lors de la série de la Tamise, où il avait installé tous ces chevalets dans une enfilade de chambres d'hôtel démeublées, il travaillait à cent toiles à la fois ! Quelques touches, un quart d'heure d'étude sur une marine dont l'effet est à neuf heures du matin, puis il se met à l'effet suivant. Et ainsi de suite.

Claude Monet repeint nombre de fois le même tableau, et jamais — nous avons sous les yeux d'éblouissants Nymphéas — jamais la moindre trace de fatigue. Il est certaines toiles, qu'on jurerait

jurerait de verve en un après-midi, auxquelles ce maître illustre a travaillé plusieurs années.

Il peint par accès, par foucades. Lorsqu'il est en train, nul n'a le droit de le déranger, amis, visiteurs, acheteurs, personne. Puis il reste huit jours sans toucher à ses pinceaux.

... Le soir tombe. Un valet de chambre, parfaitement stylé, met le couvert, sur la terrasse enguirlandée de vigne-vierge, glycines et d'aristoloches...

Claude Monet nous reconduisit jusqu'à la grille avec cette aménité de grand seigneur dont il ne s'était point départi. Et il s'en fut donner des instructions au jardinier, qui, en barque, arrachait les mauvaises pousses d'entre les nymphéas.

Nous échangeâmes nos impressions, sur la route, Félix Borchardt et moi :

— Ce grand homme est un homme heureux.

— Et un sage.

Louis VAUXELLES.

I Clichés de M. BUlUz.)

GIVERNY VU DE LA FENÊTRE DE L'ATELIER

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Le Mois artistique

-rr EES VAN DONGEN (Galerie Druet). — Des études '"* de ciels fulgurants, les touches d'essuie-pinceau jutaxposées en retombées de feu d'artifice ; les terrains de moissons ou de verdures, très bas, laissent presque toute la toile pour les nuées rugueuses et papillotantes ; une façon voulue, outrancière ; treize visages sur papier sont d'un sommaire déconcertant.

PREMIÈRE EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ D'ART DÉCORATIF CONTEMPORAIN (Galerie Georges Petit). — Cela semble une petite annexe du Salon du mobilier, dans laquelle il faut noter : les panneaux de Gallerey ; les tentures pyrogravées et coloriées de Maurice Testard, auteur aussi d'images naïvement bizarres ; les marines et les peignes d'Henri de Waroquier ; les frises de Legeas ; la salle à manger d'Adrien Duthoit ; les bijoux d'Eugène Belville, et du même un livre, le Bouquet de mauvaise herbe (Floury, édit.) ; les tables et dressoirs de Majorelle ; les bibelots précieux de Claudius Marioton ; les porcelaines de Taxile Doat ; les coupes très étranges i'Arthur Jacquin.

SOCIÉTÉ DES PEINTRES DU PARIS MODERNE (Galerie Chaine et Simonnson). — C'est un groupement intéressant que préside L. Benedite et dont les membres d'honneur sont : Jeanniot, Lepère, Raffaëlli, Renouard ; bien qu'il y manque des historiens de Paris comme Eug. Bejot, Prunier, etc.,, le conservateur de Carnavalet trouverait là de précieuses notations documentaires ; le Jardin du Luxembourg, par Boutet de Monvel ; le Marché aux Chevaux, par J. Brissaud ; la Féerie du Soleilsur la Seine, par P. Chapuis ; le Pont d'Austerlitz,

<*par R. Florès; le Cirque Medrano, par Francis Jourdain ; la Place.des Vosges et les Vieux Lavoirs de l'Ile Saint-Lottis, par V. Muller ; le- Parc de Montsouris, par H. Thomas et par E. Yerme ; le Quai des Grands-Augustins, par Ch. Jouas ; les Chevaux

* de bois, par J. Villon; G. Jeanniot silhouette finement la Parisienne, et surprend le lac du Bois par un joli effet de nuit ; Raffaëlli pratique la route de la Révolte et a retrouvé, le terrain vague, son petit chef-d'oeuvre d'antan ; Mme Jeanniot, qui décidément s'attaque à la peinture, a transposé et brutalisé une toile célèbre : les Pays.

DEUXIÈME SALON ANNUEL DE LA GRAVURE ORIGINALE EN COULEURS (Galerie Georges Petit). — Malgré l'exemple du président, Raffaëlli, qui tient

à honneur de faire véritablement de la gravure, encore et quand même, il y a une tendance fâcheuse de beaucoup d'exposants à produire l'illusion des photogravures coloriées, telles qu'on les rencontre à certaines vitrines du boulevard ; il n'y a plus intervention personnelle de l'artiste, mais triomphe banal d'un procédé quelconque ; du reste, ces planches sont tirées à 150 et 200 épreuves, et ce nombre contribue à les déprécier ; l'amateur n'y trouve plus la pièce rare. Cette constatation faite, qui s'applique surtout à Bompard dont les estampes ne sont que des répliques de ses tableaux si chauds de Venise, citons : le romantisme tumultueux de Balestrieri, l'humour sportif de Bernard Boutet de Monvel, le parti-pris de noirceur de Cottet, les délicates impressions de nature d'Eugène Delâtre, la toujours jolie fantaisie décorative de Mme Marie Gautier, le soir d'automne de Gaston de Latenay, les tomates de Lecreux, qui a su rendre aussi de jolis modèles du lac à Evian et des hortensias ; de M""' Marguerite Lecreux, des harengs saurs et un très habile papier de garde pour une partition ; la Venise de Meunier, les fines et pittoresques vues de Paris de H. Paillard, le Grand bassin de SaintCloud de Prins, les précieuses gypsographies de Pierre Roche, l'habituel dégel de Thaulow, les parisianismes de Jacques Villon, les fumées * d'Anna Osterlind, vision très artiste d'un petit village de la Creuse ; puis les envois de Bartho - lomé, Chabanian, Dauphin, Henri Jourdain, Lorrain, Samanos, Taquoy, Trilleau, Waidmann.

S'il fallait faire une sélection, il aurait suffi d'admirer : les eaux-fortes teintées de Raffaëlli, traductions par lui-même de ses déjà célèbres tableaux de la Nationale ; les poèmes de Detouche qui ne dédaigne pas de mettre un peu de pensée subtile sous la couleur ; le début de Geoffroy avec une pointe agile, spirituelle (l'amusante tête de bébé) ; les Versailles de Houdard, et sa rafale qui est une exquise chose ; les danseuses -espagnoles, d'Osterlind, tourbillonnement de gestes et d'étoffes.

EXPOSITION D'EUGÈNE CADEL (Galerie Chaigneau). — La préface du catalogue est de Pierre Veber, ce que justifie une influence de Jean Veber; mais ici l'humour est moins caricaturesque, s'attendrit à de poétiques effets de nuits piquées d'un; petite lumière à la Cazin, à des scènes presque bibliques dans un format de vignettes ; la mort du cheval de roulotte est une anecdote émouvante,

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L'ART ET LES ARTISTES

celle du chevalier et du dragon a déjà été vue ; le poème navrant du chemineau est illustré avec âme par le peintre. Toutes ces petites toiles sont d'une facture délicate, d'un coloris aimable, séduisant.

DESSINS DE JEAN TILD (chezRey). — «Un talent jrécis, minutieux, alerte, élégamment cursif, d'observateur libre à la fois et fin. » Ainsi le définit très justement Louis Vauxcelles dans sa présentation ; ces croquis rehaussés d'aquarelles, d'aucuns s'apparentant aux Milcandeau d'autrefois, ces silhouettes de paysans et de cabotins, ces fileuses bretonnes et ces ouvrières parisiennes, ces instantanés très sincèrement étudiés, ces pochades spirituelles, révèlent une vision originale, primesautière, un tantinet gavroche, ce qui ne saurait déplaire ; comme Béjot, Jean Tild est un historien des aspects de Paris, saisit le pittoresque de la Ville... et de la Vie.

EXPOSITION MARCOTTE (Galerie Georges Petit). ■— C'est un très doux enchantement, ces intérieurs de serres où, dans une atmosphère de quiétude s'épanouissent les azalées aux rouges chantants, somnolent les chrysanthèmes mélancoliques. Mile Marie-Antoinette Marcotte se complaît en ces oasis dont les vitres opaques tamisent la lumière, dont l'air est ouaté de vapeur, elle aime cette soliM"'!

soliM"'! — LA SERRE

G. NICOLET — FIVE O'CLOCK

tude en compagnie des plantes immobiles à l'abri du plein air et des brises effeuillantes ; ses heures de travail doivent être exquises de calme, de poésie, la palette cherchant à égaler les tons vifs du modèle, et une telle série a la séduction de petits poèmes parfaits, on voudrait épigraphier ces tableaux avec des sonnets d'anthologie ; la couleur en est harmonieusement rendue, l'arrangement pittoresque et très sincère, ce sont des intimités de nature dont on subit l'emprise.

L'artiste fait parfois des infidélités aux fleurs, et hausse son talent jusqu'à des figures au teint bistré, aux sillons de rides, le Vieux Jardinier, la Doyenne des Dentellières de Bruges ; cette toile importante est placée à côté d'un joli bouquet de lilas blanc, Hommage à la Fiancée, c'est le Matin et le Soir, c'est la Vie avec ses étapes tour à tour radieuses et attristées. M" 1' Marcotte, dont le Musée de Bruxelles possède déjà une Serre d'azalées, sera représentée en notre Luxembourg par un tableau qu'a choisi, lors de sa visite d'inauguration, M. Dujardin-Baumetz.

EXPOSITION GABRIEL NICOLET (Galerie Georges Petit). — Un ensemble de peintures, d'aquarelles, de pastels, de dessins; malgré que sur un cadre soient inscrites • les lettres fatidiques H. C. (hors concours) qui fait songer du Salon des ChampsElysées, M. Gabriel Nicolet joue avec aisance du pinceau, vêt délicieusement de rouge une jeune fille assise, noie dans l'ambre d'une chevelure

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L'ART ET LES ARTISTES

défaite un pur profil de clarté, dresse une tête de femme qui évoque les vers d'André Chénier :

un cou blanc, délicat, Se plie, et de la neige effacerait l'éclat.

et sur son carnet de touriste a noté le gris subtil des oliviers d'Antibes, la pourpre rutilante des fleurs du Midi, l'éclatance soleilleuse de Nice avec le Paillon, un fleuve de cailloux où sèche du linge, et, d'une touche large d'aquarelle a, pendant une expédition au Maroc, portraituré des Arabes du Talifet, un ministre du Sultan.

En ses entr'actes de voyages il prend des modèles plus près, et dans les immeubles qui bordent le boulevard Berthier, dont il expose une vue d'impression pittoresque et juste, il a sans doute trouvé ces élégantes, et raffinées, et coquettes Parisiennes, si bien exprimées d'un crayon léger que réhaussent de tendres colorations de pastel ; on ferait un album précieux de la femme moderne avec ces pages d'un fin sentiment, d'une jolie indiscrétion d'attitudes et de gestes, dans lesquelles s'ajoute à la gracieuseté de figures de keepsake le frémissement chaste et voluptueux à la fois de

la femme de Paris, ce cher bijou charmant.

EXPOSITION MARCEL COGNIET (Galerie Georges Petit). — La poésie inédite de Venise exprimée en une soixantaine de toiles, où ne se trouvent pas les motifs fastidieusement légendaires déjà tant de fois vus depuis Ziem jusqu'à Bompard et Allègre, en passant par Gaston Béthume et... tant d'autres, mais dans lesquelles sont rendues les émotions rares d'un artiste très personnel, ne suivant pas les canaux frayés, allant au gré de sa fantaisie et de son goût vers les sites non encore vulgarisés, préférant le pittoresque des îles à l'éternelle place

Saint-Marc, la station des petits vapeurs à celle des gondoles, les brumes matinales aux midi soleilleux, les maisonnettes fleuries aux palais du Grand Canal.

Les féeries des nuages empourprés d'aurore ou bleutés de crépuscule, les ciels très doux sur lesquels se silhouettent les clochers et les dômes, la morne étendue de la lagune où des voiles d'ocre frissonnent, les pâli bleus et les maisons rouges, la noirceur farouche d'un orage, le calme silencieux d'une nuit claire, — les modèles sont variés, l'impression demeure juste, et toujours cette atmosphère spéciale de Venise, limpide et vaporeuse, est exactement rendue. De petites toiles, enlevées en une séance,

dans l'instantanéité de l'effet fugitif, sont des notations précieuses, un carnet de voyage qu'on a plaisir à feuilleter, des pages où l'on retrouve aisément le charme du souvenir. Dans la monographie qui se pourrait faire de « Venise par les artistes », M. Marcel Cogniet mérite d'être mis en bonne place.

MAURICE GUILLEMOT.

&

GALERIE GEORGES PETIT. — Société Internationale d'Aquarellistes. — Les trente artistes environ, qu'une nouvelle Société, fondée par notre collaborateur Maurice Guillemot, réunit aujourd'hui chez Georges Petit, semblent bien n'avoir eu pour se grouper ensemble d'autre raison, ni d'autre affinité qu'une commune sincérité. Leurs réputations, comme leurs mérites, sont inégaux. Presque tous, cependant, ont atteint cette maturité que donnent le travail et la réflexion. Quelques-uns touchent à la maîtrise.

Les envois de Mackic et Mathewson, deux talents mélancoliques, peut-être apparentés au discret impressionnisme de Cazin, le Sidaner ou Meslé ; les imageries originales de Kandinski ; les compositions claires et mouvementées de Romberg ; l'excellent Village de Pêcheurs en Comouailles de Ertz; un important travail de Hagemans ; l'Été d'Osterlind et sa Rentrée des Récoltes ; les fraîches notes de Titz ; de Horton : les plus subtiles études de fumées et vapeurs, et notamment les Berges de la Seine au chantier du Métropolitain, un Effet d'AprèsMidi d'une couleur métallique et pourtant harmonieuse qui fait songer à Sisley, une Fête à Venise, enfin, discrète et précieuse ; de diffus et savoureux lavis de Bourget ; de nerveuses études de Maufra ;

MARCEL COGNIET — VENISE

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L'ART ET LES ARTISTES

les silhouettes vivantes que Gabriel Nicolet rapporte du Maroc ; les paysages sylvestres et les marines bretonnes d'Ollivier ; les souvenirs de voyages de Sheidecker ; les pages simples et violentes où Adrien Lemaître affirme sa vision sincère et profonde par l'ampleur des horizons, la rudesse des terrains, la tourmente des nuages ; — tous ces témoignages émis de recherches individuelles composent un ensemble solide parmi lequel le public averti aimera reconnaître, à l'éclat dont ils brillent, les noms de Bartels, Cadenhead, Delestre, Deconchy, Detroy et Gaston Prunier.

Et, bien que ce ne soit ici que la plus sèche des nomenclatures, il faut dire le sobre, puissant réalisme de "Bartels qui, dans sa Femme bretonne mourante, évitant toute mesquinerie anecdotique, sait corriger un sujet douloureux par une incomparable richesse d'exécution. Son métier d'aquarelliste, soutenu par des touches de gouache, est solide comme une peinture à l'huile.

Placidement ouvert sur une nature un peu fruste, l'oeil de Cadenhead accepte ce qu'il voit et sa main l'exécute avec sûreté. Il y a une probité scientifique dans ses larges tableaux. Son Paysage du Soir et son Bois de Bouleaux sont d'une grandeur nue.

Le Portrait du Peintre Lomer, par Alexandre Zezzos, est un chef-d'oeuvre.

Je louerais Les Tartanes, pareilles à de grands oiseaux, et la Rade d'Agay si ces deux franches études ne faisaient plus que confirmer la maîtrise du bel artiste qu'est Léon Detroy.

Et si j'ai réservé pour la dernière ligne le nom de Gaston Prunier, c'est afin qu'il y prenne tout le relief qu'il mérite à mes yeux. On admire en lui l'âpreté de la couleur, surprenante à ce degré chez un aquarelliste. Elle imprègne le papier. Elle y pénètre, comme un acide. Par une simplification naturelle, il obtient dans ses paysages un caractère éminent de généralité. Une beauté cosmique s'en dégage. Certaine uniformité dans le sombre et le tourmenté, qui lui est familière, rend plus sensibles « quelques vifs mouvements vers la lumière », d'une délicatesse subtile. Grâce au « sens primordial de la construction », que M. Roger Marx a reconnu chez lui, Gaston Prunier suggère l'ossature du monde. Les solitudes où se plaît sa contemplation ont une taciturnité primitive.

Citons encore Faber du Faure, Sureda, Crawshaw, H. des Méloizes; un ensemble très intéressant et inédit.

JACQUES COPEAU.

HORTON — BERGES DE LA SEINE AVEC CHANTIERS DU MÉTROPOLITAIN

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L'ART

ET

LES d RTI5TE5

REVUE D'ART ANCIEN ET MODERNE

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SOnn/IIRE DES ILLUSTRATIONS

PISANELLO : Saint Georges. — L'Adoration des Mages. — Etudes d'oiseaux et de fauves. — Costume de cour.—Etudes de têtes de médailles. — Médaille de I. de Rimini (face et revers).

GEORGES PICARD : Portrait. — Croquis d'enfants. —■ Pastels. — Panneau décoratif. — Plafond de l'Hôtel de Ville de Paris.

LENBACH : Portraits : Léon XIII ; le prince Frédéric ; le prince de Bismarck ; La Duse ; Begas ; Liszt ; Mme Berndl ; le prince Luitpold ;

Ruedorffer; le Paysan; la Maison du paysan.

LE MOIS ARTISTIQUE : Victor Hugo et le médaillon de David d'Angers.— Groupe, de M"c Claudel. —■ A la mer, de Van Rysselberghe. — Vase en grès, de Lachenal. —• A la Terrasse, Danseuse, par Louis Legrand.

E. LAERMANS : L'Enterrement. — L'Aveugle. —

— L'Ornière. —• Les Paysans. — Soir d'automne. — Les émigrants. — L'eau songeuse.

— Portrait.

EPREUVES D'/IRi I Marion (gravure en quatre couleurs d'après la peinture de Lenbach). Etude (gravure en couleurs d'après le dessin aux trois crayons de Lenbach).


PISANELLO

Clir.h: draudon.

Saint Georges

d'après la peinture de PISANELLO, à l'église de Saint-Anastase, à Vérone.


TÊTES D'ÉTUDES POUR DES MÉDAILLES

PISANELLO

MÉDAILLE D'i. DE RIMINI (Face)

pour utilité actuelle que la conviction du mensonge.

Il viendra pourtant un jour où, après avoir tout inventé autour de lui, l'homme inventera enfin... l'homme. Il aura des règles précises ou des instruments délicats, pour mesurer ses perceptions, modérer ou exalter son fluide et son rayonnement, adapter sans déperdition et sans erreurs de direction ses forces diverses. Alors, on comprendra bien plus nettement: pourquoi telle action correspond plutôt avec telle forme qu'avec telle autre ; on lira à livre mieux ouvert la signification de tant de rapports divers entre les lignes et les mouvements du visage. Enfin, l'on saura mieux les correspondances qui existent entre l'homme et ses frères dits inférieurs, les animaux.

Ce jour-là, s'il subsiste encore des dessins, des médailles et des peintures de Pisanello, ce maître apparaîtra comme un grand précurseur, et on lui reconnaîtra le considérable mérite d'avoir sinon expliqué toutes ces questions, du

"^ roici un maître fort étrange, qui ne nous a dit son *^ premier mot qu'il y a relativement peu d'années, et qui ne dira sans doute son dernier mot que plus-tard,- quand la science de l'homme et de l'être vivant sera devenue plus-profonde et plus subtile qu'elle né l'est encore en ce moment.

Le visage humain, la physionomie de l'animal, sont encore pour nous en grande partie des énigmes que nous déchiffrons péniblement. Nous croyons avoir tout dit quand nous avons appliqué à ces traits et à ces formes à la fois permanents et changeants quelques épithètes sentimentales. Les études de Lavater, puis celles plus solides de Mantegazza, de Gratiolet, d'Eugène Mouton, de Darwin, ont à peiné soulevé le voile, ou plutôt elles se sont bornées à constater que le visage était une force voilée, et son action les plis et les agitations de ce voile ; c'est déjà quelque chose et ce n'est rien. La comparaison des expressions avec la parole n'a guère

Cl. Gintudon. MÉDAILLE D'i. DE RIMINI (Revers)

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L'ART ET LES ARTISTES

moins de les avoir posées, et s'il n'a pas tout compris, d'avoir su garder l'essentiel.

Il est probable qu'instinctivement c'est parce que nous vivons dans un âge de science, ou plutôt d'aurore de science, que nous nous sommes avisés de la grandeur et de l'importance de ce maître, totalement négligé par ceux qui vécurent dans un âge d'académisme. Cependant, ses contemporains lui firent grand honneur ?... Mais oui, cela s'accorde fort bien. Ils jouirent de la richesse des couleurs (Vasari attribue tout le succès de ses fresques de Saint-Jean-de-Latran à un certain outremer sans pareil) ; ils s'amusèrent, comme des enfants, du naturel des animaux et de la finesse des brins d'herbe ; ils regardèrent, en sujets prudents, les traits véridiques de quelques-uns de leurs sauvages, impétueux, impulsifs, galants ou monstrueux princes ; et quand les enfants regardent des images et s'en amusent ils ont toujours raison. Ils pensent et ressentent des choses profondes que le jeune homme ou l'homme imbu de formules çlichées et de préjugés éducatifs ne sait plus ressentir. L'enfant est plus près du grand savant qui a longuement vécu et observé que de l'homme infatué ou aveuglé qui croit tout savoir. Aussi, un homme comme Pisanello ne pouvait être compris et aimé au temps où l'art avait complètement divorcé avec l'esprit critique et scientifique. On le méprisait comme un primitif, on recommence à l'interroger comme un devancier.

Mais ce dédain est.cause de la perte de maintes grandes oeuvres précieuses, et de l'ignorance quant

aux principaux faits de sa vie et aux traits significatifs de sa personnalité.

Nous ne savons guère que ceci.' Il serait né à Venise, en 1380, et aurait vécu à Vérone où il a considérablement

oeuvré ; il aurait voyagé entre Milan, Mantoue, Ferrare, Rome, Naples. On sait ses travaux dans la plupart de ces cités, mais ces travaux sont détruits.Vasari lui donne comme maître Andréa del

COSTUME DE COUR ClicU Cir«"d""-

Fragment d'une aquarelle de PISANELLO


L'ART ET LES ARTISTES

ClicU Gimiidoti. Mvsét àl Berlin.

L'ADORATION DES MAGES D'APRÈS LA PEINTURE DE PISANELLO

Castagno, à qui il ne ressemble guère. Toutefois, ses affinités ou ses origines florentines en tant que peintre sont indéniables, mais à un certain point - de vue singulier : l'empreinte de Giotto et d'Orcagna, enrichie d'une couleur vénitienne, amenuisée par une délicatesse d'orfèvre, précisée par un souci de détail qui est le propre d'un savant, d'un naturaliste aigu et passionné, voilà tout ce qui frappe en Pisanello, voilà tout ce que l'on sait, et après tout, ce qu'il importe de savoir —-et pour le reste, il n'y a qu'à laisser parler ses médailles, ses rarissimes peintures, et les incomparables dessins du recueil Vallardi, un des joyaux les plus précieux, et peut-être encore les moins connus, de notre Louvre.

Ce recueil est en même temps un document et un trésor d'art d'une valeur extrême. Semblable à cet autre cahier, qui chez nous jeta une si vive lumière sur notre ancien art français, l'album de Villard de Honnecourt, il est extrêmement varié et on voit s'y succéder les notes prises devant des maîtres admirés et les inventions personnelles. Tels grands dessins à la plume, représentant de caractéristiques profils, austères ou candides, de dames, de clercs, de pontifes, des guerriers, des musiciens dénichés dans quelque fresque de Giotto ou de son école, ou de l'auteur grandiose de la Chapelle des Espagnols, sont comme un tribut et un hommage à l'art, rendu par un disciple qui est lui-même un maître. Tels dessins d'animaux,

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L'ART ET LES ARTISTES

étudiés avec amour, exprimés avec un magnifique entêtement, montrent Pisanello sous son aspect vraiment personnel. La première série de ces dessins peut, à la rigueur, permettre de se rendre compte de ce que purent être, comme style, les grandes décorations disparues de notre artiste, ou tout au moins celles qu'il s'était assignées comme modèles : sévères et simples, avec de la grandeur. La seconde série montre de quels matériaux exquis il s'approvisionnait pour enrichir ces oeuvres de mille détails raffinés, et pour faire circuler entre les nobles silhouettes de ses personnages hautains, tout un fourmillement de vie.

Ils sont, ces dessins d'animaux, des choses si véridiques et si délicates, que l'on s'étonne de les voir traités du Louvre avec une certaine indifférence. Nous sommes peut-être trop riches. De plus pauvres que nous auraient recueilli pièce à pièce et encadré avec les plus grands égards, pour les offrir séparément aux admirations qui passent, et aux studiosités qui méditent, ces merveilles de patience et de vie, — qui demeurent insouciamment

insouciamment en un album dont personne, ou presque personne, ne tourne les feuillets. Tout est beau en ces dessins d'animaux : la

LA GRUE D'après l'aquarelle de PISANELLO

LE VANNEAU

vérité de la vie et du mouvement, surprise et fixée avec une promptitude admirable ; le métier, délicat et fort comme celui des plus grands maîtres

japonais. Et voici une analogie frappante, . obsédante ; il y a entre les Japonais et Pisanello des affinités miraculeuses. Dans cet album Vallardi, des études de singes et une biche pourraient, à s'y tromper, être données comme des oeuvres de Fosen. Certain faucon pourrait être signé Zcho-Kwan. Des études de canards à la nage sont presque de tous points semblables à certaines peintures, parmi celles qui sont poussées au fini et au précieux, d'Hokousaï et d'Hiroshighé.

N'est-ce pas un surprenant et édifiant contrôle qu'un tel rapprochement s'imposant avec une force si grande ? N'est-elle pas féconde en conséquences fort belles et fort graves, cette affinité entre le Véronais du xve siècle et les Nippons du XVIIe et du xvme, se rencontrant dans un semblable et égal amour instinctif de la nature, dans une même réussite à la traduire par les mêmes moyens.

Vraiment, Pisanello, — et l'on en

yiiit ici des exemples saisissants, —

■■^-e^Xpas inférieur aux plus habiles

!(l@p.Ô3Mis dans l'art de fléchir et de

ioo


L'ART ET LES ARTISTES

L AIGLE ROYAL

PIC EPEICHE

LES CANARDS SAUVAGES

LE VANNEAU '-*/"••. • LE ROî-LIER

' <D>près les aquarelles de PISANELLO.


L'ART ET LES ARTISTES

contourner un cou d'échassier, de rendre la sublime férocité d'un bec et d'un regard d'aigle, de saisir le mouvement furtif et d'interpeller le pelage caressant et chaud des lièvres et des renards. Chacun ■ de ces beaux dessins monté en kakémono serait à s'y méprendre. Je cite encore, dans ce recueil, une merveille de ciselure, un mulet harnaché et bridé, et une merveille de mouvement, trois biches vues de derrière. Mais c'est une longue analyse qu'il faudrait faire de tout cela, et un livre, non une étude de revue, dont le but est surtout d'indiquer des directions aux esprits soucieux d'approfondirParmi ces directions, et ceci nous ramène aux considérations de notre début, une des plus exemplaires et des plus instructives serait le rapprochement, cette fois, entre les animaux de Pisanello et les personnages dont il fit vivre les traits en ses médailles. Je ne parle point seulement des admirables revers où sa science de naturaliste se montre alliée aux inventions d'un poète spontané et génial. Mais encore des princes, princesses et divers grands personnages, chez lesquels, sans ombre

de satire, mais par la force même des choses, on retrouve, gravement et fortement burinés, les caractères d'animalité qui correspondent aux caractères d'humanité qui nous frappent chez les princes des champs et des forêts. Cette princesse a la souplesse d'une des gazelles qu'à l'instant nous admirions ; ce marquis est un loup et ce duc est

un sanglier ; je n'ose dire que ce mécène est un mulet...

Et notez que cette apparente similitude n'est pas chez Pisanello, l'effet d'une intention, d'un effort, mais plutôt d'une intuition, d'une assimilation visuelle. Il n'a point cherché à rappeler dans, telle ou telle figure, la face d'un animal, il n'a point fait un homme

ressemblant à un lion, à un loup, à un oiseau — il a dessiné cet homme simplement avec la caractéristique qui lui était propre et le rapprochait fatalement de tel ou tel animal.

Il y a une page de l'album Vallardi qui est frappante à cet égard, malheureusement les croquis fort petits dont elle est semée sont à la pointe d'argent et presque impossibles à reproduire.

On y voit un pélican de dos que nous rencontrons chaque jour dans la rue, un autre échassier qui, de trois-quart perdu, semble quelque grand diable mal bâti regardant pardessus son épaule d'un air rogue la moquerie des gamins de la rue.

On songe de suite à des humains en voyant

TÊTES DE LYNX

LA PINTADE

LES SINGES

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PISANELLO

Tête de lévrier

Le lévrier

D'après les aquarelles de l'album VALLARDI.



L'ART ET LES ARTISTES

LE LÉVRIER MORT D'après le dessin à la pointe d'argent de PISANELLO.

ces bêtes de Pisanello — et la caricature est plus marquée, plus délicate, plus mordante que dans les transformations voulues d'animaux en gens dont on abusa souvent chez nous, sous la plume de Granville entre autres.

Sans intention — sans le voir peut-être même — Pisanello a apparenté l'humanité aux bêtes qui la confinent — et la délicatesse de sa vision traduite par la délicatesse, plus subtile encore, de son exécution, a donné des chefs-d'oeuvre qui sont parfois supérieurs aux japonais comme un oiseau vivant est préférable à l'oiseau mort, si bien naturalisé soit-il.

Et cette fraîcheur de traduction s'accentue encore quand on voit, mêlées aux Pisanello par la fantaisie ou peut-être la superficielle érudition du collectionneur de l'album, les cruelles caricaLE

caricaLE D'après la miniature de PISANELLO.

LE LOUP D'après la miniature de PISANELLO.

tures du Vinci — qui ont, elles, une férocité d'intention qui les rend à côté des autres peutêtre fort souvent inférieures.

Il y a, pour un naturaliste et un physiologiste, une étude infiniment fructueuse à faire, des médailles et des dessins de Pisanello.

Une autre étude, mais qui se réduirait à des conjectures, serait de se rendre compte par l'imagination, de ce que purent être les somptueuses peintures dont il ne reste que des ruines. On le peut, en partie, en étudiant attentivement le riche petit tableau de la National Gallery, Saint Antoim et Saint Georges (ce si beau Saint Georges à l'extravagante armure d'argent) si parfait de matière, si noble de maintien, si ravissant de détails.

On est invinciblement frappé en regardant cette caressante composition de tout ce que l'on peut dans Gustave Moreau retrouver non seule105

seule105


L'ART ET LES ARTISTES

ment de l'architecture féerique des lointains mais même encore de ressemblance, de similitude presque d'expression, dans la suave et voluptueuse figure du Chevalier. Les maîtres comme Pisanello font toujours songer à quelqu'autre maître qui les suivra.

Avec ces divers éléments que nous venons de passer en succincte revue, l'on peut reconstituer de Pisanello une figure singulièrement haute et fière ; sorte de fils par volonté d'Orcagna et de Lorenzo Monaco, s'attardant à leur conception de la grandeur tout en devançant son propre temps par sa conception de la vie. Philosophe aussi peut-être,

— philosophe sans le savoir, ou sans le vouloir paraître —■ car sur les arrière-pensées de ce brave ouvrier au menton volontaire, à la bouche petite et serrée, à l'oeil en apparence un peu appesanti mais très pénétrant, un certain revers d'une de ses médailles en dit long. C'est le revers de la médaille d'Alphonse d'Aragon, dit le Magnanime. L'on y voit, avec cette inscription : Liberalitas augusta, un aigle qui vient de tuer et commence à dépecer, fier et sombre, un cerf qui palpite encore. Autour de lui, de respectueux et impatients vautours attendent leur part de la proie...

ARSÈNE ALEXANDRE.

TROIS BICHES D'après le dessin à la plume de PISANELLO.

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Cliché Dorvac.

GEORGES PICARD

Georges Picard

T A santé robus*"4 te et rieuse de son art atteste, rare en l'époque, un souci d'affirmer, simples et beaux, des aspects de la vie qu'on n'admet plus sans mystère ni réticence.

réticence. de voir des torses nus de jeunes femmes, des enfants, des fleurs, Georges Picard les peint, et nous donne sa joie. Il fait avec plaisir des choses que nous sommes à notre tour ravis de regarder, et il nous suggère l'agrément qu'il en conçut. Mais l'objectivisme de son art

est plein d'une touchante tendresse.

Je n'ai pas oublié l'impression profonde que me firent deux de ses panneaux décoratifs. C'était il y a quelque neuf ans, alors que son nom m'était à peine connu. Je visitais pour la première fois les salons de jeux de Monte-Carlo. On m'y montrait avec empressement d'horribles peintures qui ont coûté fort cher et sont signées de gens célèbres

dont les talents m'ont toujours laissé froid. Là, ils semblaient vraiment avoir pris plaisir à se distinguer, et je n'avais rien vu d'aussi mauvais d'eux, dans les Salons. Au milieu de cette attristante réunion de peintures pour parvenus, à peine dignes des grands cafés, je tombai en arrêt devant deux compositions : des fleurs au soleil, de hauts arbres en bouquets, des femmes en robes claires, des enfants joueurs, une harmonie dorée, riche, diaprée, tout un charme d'été heureux. La signature se lisait malaisément. « Qui a fait ces très belles choses ? » On me nomma Georges Picard, et je causai quelque étonnement en répétant : « C'est la seule oeuvre qui existe ici et il est bien fâcheux que l'homme qui l'a signée, n'ait pas orné cette maison tout entière. »

ENFANT COUCHE, CROQUIS

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L'ART ET LES ARTISTES

Depuis, j'ai connu les pastels et les tableaux de Georges Picard. Je les ai cherchés avec sympathie,

PANNEAU DÉCORATIF a- V*Vfi"<™>-

D'après la peinture de G. PICARD.

et n'ai jamais été déçu : la Titania du Salon de cet été offrait la merveille vaporeuse de son harmonie bleu et or. L'homme est un modeste. Les peintres savent tous qu'il est très fort, mais s'il n'avait tenu qu'à lui, le public l'ignorerait encore aujourd'hui. Ce fut un des derniers actes de M. Henry Marcel, parmi tant d'actes de justice accomplis en un an rue de Valois, que de décorer ce solide et sincère technicien et ce charmant rêveur. Georges Picard ne sait pas qu'à notre époque un tableau n'est pas fini lorsqu'il est achevé, et qu'il est bon de faire pour lui beaucoup d'autres choses encore, qui ne concernent pas la peinture.

C'est un très beau dessinateur, et un des savants peintres de nu de l'école française actuelle. Il modèle amoureusement, par grands plans simplifiés, très franchement, des bustes où son pastei, son pinceau également veloutés font frissonner des lueurs beiges ou argentines, éclairent la roseur pâle et douce des seins jeunes. Moiteur et duvet de fruits sur une anatomie scrupuleuse et toute classique : la délicatesse tonale n'intervient qu'après le désir d'exprimer la plénitude des. volumes, et le morceau apparaît presque statuaire. Mais surtout flotte une grâce simple, qui émeut et requiert, parce que le peintre n'a pas pu voir sans aimer ; et il y a là, toujours, une caresse silencieuse. Les nus féminins de Georges Picard me rappellent cette expression de Mallarmé, parlant de la muse de Banville : « ... vêtue du sourire qui sort d'un jeune torse... » C'est cela même que l'artiste scrupuleux sait faire voleter, comme une gaze insaisissable, autour de ses figures vivantes, pleines et réelles.

La riante ingénuité de son instinct s'est plue au mystère gracile de l'enfance, et le devine par la vertu d'un continuel rajeunissement. C'est le peintre des enfants joueurs, et il les suspend en grappes, et les balance, les groupe ou les sépare, dans ses décorations et ses plafonds. Je me le figure comme Fragonard folâtrant avec les petites filles, jouant, tapageant, et tout à coup grave et artiste, écrivant d'un trait cursif l'observation surprise d'un éveil de la vie. Regardez ses dessins, ses « croquetons » dont certains ont la prestesse, la crânerie, la saisissante justesse des Eisen, des Moreau le jeune. L'enfance est là, nue et vive, avec ses mouvements encore empreints d'une charmante brusquerie animale, ses mouvements sans autre but qu'eux-mêmes, exagérés et maladroits, sans cesse démentis par la modification du caprice ou du désir. La plus grande difficulté que présente la notation du geste enfantin est peut-être dans le défaut d'adaptation de ce geste à la volition qui, aux yeux d'un adulte, semble le prétexter. Nous ne faisons un geste que selon la

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L'ART ET LES ARTISTES

EXPRESSIONS, POSES ET ATTITUDES (Page d'album).


L'ART ET LES ARTISTES

LES DEUX FEMMES ROUSSES D'après le pastel de G. PICARD.

mesure et le calcul que nous en impose son but. L'enfant le fait par une projection subite et irréfléchie de tout son moi, et pour la joie de sa propre élasticité. Là est la nuance subtile, dont la difficile appréciation fait conférer à l'enfant, par la plupart des dessinateurs, de fausses attitudes de jeune homme à l'âge ingrat. Georges Picard a merveilleusement compris le dosage de volition et d'instinctivité agitée et joueuse qui meut les organismes puérils : ses enfants sont de vrais enfants, et il les étudie passionnément.

Les croquis épars aux marges de ce texte ne sont que les fugaces témoignages d'une vaste et lente étude de la vie puérile : étude de vérité et de force, où le trait poursuit constamment la synthèse, et dénote en Georges Picard un observateur des volumes, dans une manière presque sculpturale. Je ne sais pourquoi ces sanguines toutes françaises et d'un délicieux primesaut me font penser non aux formidables dessins de Rodin, mais à la manière dont ceux-ci sont obtenus. L'oeil ne regarde ni le papier ni la main, mais, ardent et fixe, il s'attache à l'être qui se meut, tandis que les doigts jettent sur la feuille, et quelquefois en dehors d'elle, les linéaments hâtifs. C'est l'impressionnisme même.

C'est l'opération toute mentale du joueur d'échecs qui dirige une partie sans la voir. La fixation du geste devient ainsi une manifestation mathématique. Guidée et contenue par les prévisions de l'esprit, qui sait par coeur, la main discipline son élan, et le trait devient une pure écriture de formes. La mémoire ne retiendrait pas les gestes multiples de l'enfant : l'esprit en comprend le sens et ainsi les indications presque cinématographiques de ces zébrures rouges se trouvent être plus justes que ne les eût assurées la plus patiente copie. Pour Georges Picard l'observation est intuitive et non déductive, elle ratifie ce que l'esprit a deviné ; mais il faut être, comme lui, né peintre de la vraie race, ce que les gens du métier appellent « un homme très fort ». Cette force dont ils parlent, ce n'est ni l'acquit ni le doigté, c'est une qualité psychologique et non une dextérité manuelle ou une heureuse fidélité de rétine — c'est l'intuition.

Je ne connais guère que la remarquable artiste américaine, miss Mary Cassatt, pour avoir atteint, dans la très difficultueuse et très ingrate étude de l'enfance, à une aussi frappante véracité. Car les enfants de Carrière sont déjà symboliques, emblématiques, leurs crânes frêles sont dilatés

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L'ART ET LES ARTISTES

EXPRESSIONS, POSES ET ATTITUDES D'ENFANTS (Page d'album.)


L'ART ET LES ARTISTES

ÉTUDE POUR LE PANNEAU DE LA DANSE D'après un crayon de G. PICARD.

de pensée future, et ceux de Renoir ne sont que de jolis fruits de chair duveteuse. Mais miss Cassatt peint des babies avec réalisme, et des babies anglais, colorés comme des brugnons. Georges Picard note l'enfant avec exactitude dans ses croquis, mais lorsqu'il peint, il l'étiré et le déforme pour le faire participer à l'art décoratif par toute sa grâce de statuette élégante. L'enfant décoratif de Georges Picard n'est plus un babie, ni le cupidon grassouillet de Boucher. C'est l'enfant de quatre ans, déjà svelte et très dessiné, qui s'élance et volète en ses compositions ornementales.

De celles-ci, Georges Picard a donné quelques témoignages admirables par la grâce inventive. Les deux panneaux du Casino de Monte-Carlo ont gardé leur fraîcheur ravissante, leur atmosphère soleilleuse, toute liquoreuse de lumière diffuse. Les plafonds et voussures de l'Hôtel de Ville de Paris ont une tout autre importance. On s'accorde à penser qu'avec les peintures de Chéret ils sont seuls à prouver en cette réunion d'oeuvres disparates la richesse du tempérament décoratif français, le chef-d'oeuvre de Besnard étant d'un autre ordre. Portée sur de souples ellipses la composition tournoie et s'exalte. En plein azur, dans la confusion exquise des branches fleuries, s'épanouissent de beaux corps nimbés. Nulle idée, sinon celle qui résulte de l'évidence elle-même de la forme de la femme nue.

« Quelque folie originelle et naïve, une extase d'or, je ne sais quoi ! par elle nommé sa chevelure, se ploie avec la grâce des étoffes autour d'un visage qu'éclaire la nudité sanglante de ses lèvres. A la place du vêtement vain, elle a un corps : et ses yeux, pareils aux pierres rares, ne valent pas le sourire qui sort de sa chair heureuse, des seins levés, comme durs d'un lait éternel, la pointe vers le ciel, aux jambes lisses, qui gardent le sel de la mer première. » Vous rappelez-vous l'immortel passage du Phénomène futur ? C'est l'épigraphe de toutes les belles choses qu'on a faites et qu'on fera avec ce corps qui est le plus complet des symboles perceptibles à l'inquiète humanité, et c'est l'épigraphe de toute cette oeuvre luxuriante et saine de Georges Picard. Une décoration récemment achevée, destinée à un établissement public d'Amérique, y témoignera de la souple joliesse française de l'artiste. Là encore l'enfant est, parmi des guirlandes florales, le thème essentiel d'un caprice ornemental qui se joue en de suaves colorations, et que soutient et exalte un arrangement stylisé de femmes claires.

Quelques pastels, d'une vaporeuse exécution, ont touché à l'étrange, par la magie des lumières contrariées. Deux surtout, un groupe d'enfants

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L'ART ET LES ARTISTES

dans une clarté lunaire et deux femmes rousses, vivement apparues dans une lueur de rêve orangé, font songer à ces premières aquarelles, à ces fascinants caprices qui révélèrent la maîtrise de Besnard vers 1885, la Souffleuse d'étoiles par exemple, ou les études de reflets d'une si insolite poésie. Ce nom illustre s'impose avec insistance, en effet, auprès de celui de Georges Picard : voisinage redoutable pour beaucoup, vaillamment supporté ici.

Comme Besnard, auquel il s'apparente, Picard a le culte de la belle forme pleine, logique, de la franche distribution des lumières, du métier sain et classique, et il y a entre eux une parenté. Mais rien de la féminité féline de l'art du grand peintre ne se retrouve en la vision calme, joyeuse, sans nervosité, de son confrère.

Georges Picard est sans subjectivisme, il ne transpose pas, il ne synthétise pas, il n'essaie point d'éveiller une hantise. C'est un peintre de purs morceaux, même de portraits, dont le sien, si plein de verve vivante, n'est pas le moindre. Il échappe à toute la préoccupation contemporaine du second sens des réalités apparentes. Il lit à même la leçon immédiate d'une forme ou d'une tonalité, et jouit intensément des volumes et des plans, beaucoup plus que du mouvement. Le mouvement, c'est déjà pour lui le domaine du rêve, et il ne le conçoit que décoratif, à des fins chimériques.

C'est même chez lui un trait curieux que cette destination du mouvement en art. Voici l'un des très rares peintres de notre époque qui n'éprouvent pas le désir d'exprimer les états dynamiques de la forme, et ne demandent l'affirmation de la vie qu'aux attitudes statiques. Cela, et sa façon de dessiner par modèles massés et pleins, ce sont les deux signes qui révèlent en Picard une nature autant statuaire que picturale.

Quels peintres aujourd'hui croient à la valeur du repos comme élément de beauté ? Le mouvement les hante tous comme la condition essentielle, le but même de l'art. L'immobilité de leur rôle leur pèse. Ils s'en irritent. Ils souhaitent, avec des traits et des tons sur une toile, et un art de deux dimensions condamné à figer à jamais le geste, parvenir à enfreindre cette défense immanente et à suggérer l'illusion de la vie mourante : du fait que tout leur est permis sauf cela, c'est à cela seul qu'ils s'attachent. Georges Picard m'apparaît profondément et naturellement soumis à la limitation éternelle de la peinture en ne s'inquiétant pas des attitudes instables, en se contentant, sauf en ses croquis, du charme des poses paisibles. Le mouvement ne lui semble peut-être bon qu'à figurer les êtres irréels ; c'est à ses yeux

ETUDE POUR LE PANNEAU DE LA DANSE D'après un crayon de G. PICARD.

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L'ART ET LES ARTISTES

un langage propre à faire comprendre qu'il s'agit d'actes ou de désirs idéaux.

Du moment qu'on entreprend de représenter avec des moyens fixes et sous un aspect invariable la succession d'aspects qu'est un mouvement,.c'est en effet dans l'arbitraire qu'on se meut à l'instant ; et dès lors, toute figuration de mouvement est symbolique et décorative, elle n'est plus l'expression de la vérité, elle n'offre plus de terme de comparaison entre la toile immodifiable et le geste multiforme, elle ne peut qu'être une synthèse et un signe, elle dépasse la transcription directe, la ressemblance de la vie, elle atteint au domaine de la chimère.

Je ne sais pas si Georges Picard raisonne sur tout ceci, qui est un peu bien métaphysique pour un peintre de bonne santé : mais je sais que son oeuvre le prouve. Décorateur riche de mouvements quand il peint ses fées printanières, il est le peintre de chevalet des belles stabilités de la femme nue dont le fait

ENFANT ENDORMI D'après l'étude peinte de G. PICARD.

JEUX D'ENFANTS AU CLAIR DE LUNE D'après un pastel de G. PICARD.

d'être immobile et nue contient déjà tout le triomphe.

Tel quel, son art plaît comme une très belle branche de fruits alourdie et de soleil baignée, évidente et riche : et peut-être n'a-t-il pas tort de s'en tenir à ces fins naturelles de la peinture. Trop de nos peintres ressemblent à ces paysans avides qui vont, la nuit, déterrer la borne du champ voisin et la replacer un peu au delà, en espérant que l'empiétement ne sera pas connu. Ils reculent furtivement la borne qui sépare le monde visible du monde spéculatif, la zone des aspects de la zone dés suggestions, avec l'espoir d'élargir le domaine pictural. Ruse honorable et périlleuse ! L'homme de lettres l'a souvent conseillée au plasticien, quitte à ne le point absoudre ensuite d'erreurs par lui-même causées. J'imagine que Georges Picard est trop sensible et trop intelligent pour n'avoir point réfléchi au péril plein d'attrait de la peinture qui tente l'au-delà des aspects et veut pénétrer les enveloppes des choses qu'elle interprète. Mais il a dû choisir, et s'interroger dûment. Son oeuvre entière décèle la résolution dans le choix. Elle est écrite avec fermeté, santé, vigueur. Elle commente paisiblement les quelques thèmes qui suffisent. Et par là, elle dénote une de ces natures nées pour l'observation directe qui sont l'équilibre d'une école, le fond immuable et de tout repos du talent dans une génération.

Natures enviables que celles pour qui le désir de peindre naturellement des choses évidentes suffit à constituer tout le rôle de

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GEORGES PICARD

Étude pour un portrait


L'ART ET LES ARTISTES

l'artiste ! Elles connaissent aussi le doute et l'anxiété, parce que toute réalisation les encourt et que sans scrupule il n'est pas de travail. Mais ce doute s'applique à leur faculté d'exprimer, il ne touche pas aux sujets, aux raisons secrètes qui mettent le pinceau à la main. Aucun élément métaphysique ne complique ce doute du bon ouvrier qui se demande si son oeil a bien vu, si ses doigts ont été experts. Il ignore l'angoisse infinie de voir lui échapper son idole, et du moment qu'il a fait de son mieux, il est tranquille. Je vois en Georges Picard cet ouvrier de toutes les heures, loyal, patient et paisible, exempt des névroses et des outrances de son époque. Tout le rattache au xvnr 3 siècle ; il eût été le gai compagnon d'un Lemoyne, travaillant au plafond d'Hercule, y modelant avec amour de belles femmes roses et blanches, y jetant des festons de fleurs, y laissant un peu d'anonyme immortalité, faisant son devoir sans ouvrir son âme aux conseils des « heures corrosives » dont a parlé Edgar Poe, Mais faute d'avoir vécu dans sa véritable période, il la prolonge au milieu de nous par sa bonne humeur et la probité de son travail, et il incarne un type d'artiste autochtone qui disparaît de plus en plus. Nous ne savons rien de ce que l'avenir pensera

de nous. Il nous est à peine permis de le supposer en voyant la forme de nos jugements à l'égard du passé. Les oeuvres ornementales et directes survivent aux oeuvres intentionnelles et spéculatives. Nos idées ne nous appartiennent pas : nous n'en sommes que les véhicules, nous les avons reçues d'autrui et nous devons les rendre. Seul notre corps est à nous. Il en est de même en peinture. Un beau buste nu, une arabesque de branches, un bouquet, demeurent universellement compréhensibles et, si l'on peut dire, individuels. Leur valeur se transmet entière au-delà des discussions. C'est pourquoi il est bien possible que des morceaux comme ceux qu'a signés Georges Picard survivent, préférablement à des oeuvres qui nous émeuvent ou nous font réfléchir davantage et qui, admettant en leur composition une part de mystère, en. seront peu à peu rongées jusqu'au non-sens à mesure que le mystère se présentera différemment. Les idées changeantes offrent quelques masques immuables derrière lesquels c'est la passion de l'humanité que de les rechercher toujours, et représenter ces masques n'est peut-être, pour le peintre, que le rôle essentiel et la véritable profondeur. Tout le mystère multiforme de la femme palpite sous la chair soyeuse d'un pastel de Georges Picard.

CAMILLE MAUCLAIR.

PLAFOND A L HOTEL DE VILLE DE PARIS D'après la peinture de G. PICARD.

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LENBACH

cftckê Bruckmann.

Portrait de Lenbach, par lui-même.



Franz Lenbach

lUf UNICH vient de fêter Lenbach. La ville de l'art allemand a consacré la gloire de son grand peintre, et toute une foule a défilé devant ses toiles. Elles avaient été rassemblées des parties les plus reculées de l'Empire, et solennellement exposées dans le temple antique qui s'élève à la Place du Roi. Les Allemands restent saisis d'admiration devant

l'immensité de cette oeuvre. L'étranger comprend cet enthousiasme et le partage. C'est que Lenbach est le portraitiste de la nouvelle Allemagne. Il nous a légué le souvenir impérissable de ses gloires : artistes, politiques, savants, hommes de guerre, et il les a reproduits avec le talent le plus élevé, le goût le plus fin, et le plus profond regard. Lenbach est le peintre de Bismarck, de Wagner, de Mommsen. Il en est à la fois le psychologue et l'historien, le seul peutêtre qui fut capable de transmettre à la postérité une digne image de ces colosses. Mais il demeure en même temps le peintre des

femmes les plus gracieuses qui aient embelli de leur charme la seconde moitié du XIXe siècle. Travailleur scrupuleux lorsqu'il modelait un visage d'homme, causeur plus nonchalant quand il s'attache à reproduire la grâce, l'abandon féminins, Lenbach intéresse et charme tout à la fois. On l'aime jusque dans ses défauts. On lui pardonne cette négligence souveraine — cette négligence si peu allemande — qu'il manifeste pour tout ce qui n'est pas « le visage ». C'est que la personne tout entière se résume pour lui dans les traits de la figure. Les mains se tendaient vers lui. Il ne

les a pas vues. Il les néglige. On ne connaît qu'un tableau de lui, où l'exécution des mains ait été traitée avec quelque scrupule. Un critique d'art, compatriote de cet artiste, disait une fois : « Le portraitiste doit donner dans la main un surplus de psychologie. » Lenbach aurait pu lui répondre : « Comment le pourrait-il, puisqu'il donne dans

le visage la totalité de l'expression ? » Et c'est pourquoi il répandait à la manière d'un Titien, d'un Rembrandt, d'un Van Dyck, toute la lumière, toutes ses lumières, sur le visage du modèle qui captivait son attention. Lenbach n'a jamais répondu aux critiques — même très vives — que soulevait son oeuvre. Il a pris soin lui-même de formuler son esthétique. Il philosophait, dès sa jeunesse, avec Boecklin, son ami intime, si différent de lui, sur la nature et sur les fins de la beauté, sur le goût, sur le style. Boecklin ne parvenait pas à comprendre comment Lenbach, si réaliste à la fois et

si idéaliste, osait compromettre ses travaux les plus remarquables par des alentours d'un dilettantisme parfaitement ridicule. Un examen de son oeuvre dans les salles de la Koenigsplatz nous permet de donner la réplique posthume et définitive de Lenbach : « La physionomie était de mon ressort. Rien de plus, et c'est assez. Ne voyez dans le reste que des effets de couleurs et de lignes, destinés à rehausser le plus possible le relief de mes têtes. » Où est d'ailleurs le peintre moderne qui aurait trouvé comme lui ces fonds d'un brun doré, d'un noir

ELEONORA DUSE

D'après un crayon de LENBACH.

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L'ART ET LES ARTISTES

mystérieux, qui rappellent le Titien, Rembrandt, Van Dyck ?

Lenbach était l'artiste né. On le voit s'élever, tel qu'un palmier dans le désert, d'un milieu de paysans très pauvres, d'une famille où dix-sept enfants partageaient la misère des parents. Son père était' maçon. Il habitait Schrobenhausen; village situé non loin d'Augsbourg. Franz, l'aîné des onze frères, fut appelé, dès sa quatorzième année, au privilège honorable, mais bien, lourd, de subvenir aux besoins de la bande. Il ne passa que trois années à l'École commerciale de Landshut. Cette instruction lui permit néanmoins d'être l'architecte de son père. Lenbach dessinait des plans pour les nouvelles, maisons de Schrobenhausen. Ce travail lui rapportait des sommes énormes : un florin par plan. (2 Ir. 50). Une. fois le travail technique achevé, le futur maître prenait des pierres, une pelle, et il aidait son père, de- toutes ses jeunes forces, à élever les murs de l'habitation qu'il avait dessinée. Les murs plâtrés, bien cimentés, il restait encore à les brosser avec de belles - couleurs : du bleu, du rouge, que le jeune Lenbach avait à sa disposition, à pleins seaux. Donnez un cheval à l'enfant .d'un gaucho : il s'improvisera cavalier. Mettez dans la- main d'un artiste des pinceaux,

LE PAPE LEON XIII D'après la peinture de LENBACH.

de la couleur. C'en est assez pour qu'un chefd'oeuvre naisse.

Schrobenhausen faillit être inondé sous des flots de couleur bleue et rouge. Franz ne désarma pas. Il voulait qu'une enseigne peinte "par lui se balançât à la porte de chacun de ses habitants. Pour le prix d'un florin, il dessinait le portrait d'un cheval, d'un pourceau, d'une vache. Il commença même à reproduire les « gros bonnets » de lalocalité, des familles entières de Schrobenhausen. C'était alors l'usage, comme au temps de Holbein et de Lucas Cranach, dé consacrer des ex-votos à la Vierge de la Chapelle, à Altoetting. On la remerciait ainsi de son. intercession, pour-une vie qu'elle avait protégée, une récolte qu'elle avait sauvée. Lenbach aimait plus tard à raconter avec beaucoup d'humour, combien il était heureux de peindre pour la Vierge ces familles nombreuses : père, mère, filles, fils, côte à côte, rangés comme des tuyaux d'orgue, tous au même tarif : un florin par personne.

Tant d'efforts artistiques ne pouvaient pas rester inaperçus. Aussi bien, l'année 1852 vit-elle- le jeune Franz à l'École polytechnique d'Augsbourg. Il n'y apprit qu'une chose: une haine sans réserves pour tout ce qui lui rappelait ; l'Académie. Ses

excellents maîtres de l'école s eu tenaient aux formules apprises. .11 fallait dessiner d'après de vieilles lithographies françaises. On les copiait minutieusement, jusque dans leurs lignes les plus fines, ce qui fatiguait les yeux délicats de l'élève.-Il prenait la fuite. Cette jeune âme. d'artiste avait besoin de liberté. Il retournait alors, à Schrobenhausen, pour y brosser « de la nature », soigneusement, ardemment, en compagnie de son ami Hofner, qui habitait à côté. de, lui, à Alesing, dans une maison qu'il avait héritée de son père, et que Franz avait construite, quelques années auparavant. Les jours de fête, les deux amis faisaient, côte à côte, le long chemin qui conduit à Munich, afin d'étudier dans cette ville, si féconde en musées, l'exemple illustre des vieux maîtres.

La jeunesse de Lenbach ressemble point par point à celle de Henner. Lui aussi, le grand artiste alsacien, il appartenait à une. famille nombreuse de .paysans, de Bernviller. -. Pour apporter quelques francs à son père, il entreprit le portrait des familles les plus riches de la contrée.. Puis il travailla le dessin à Strasbourg ; et de retour dans son village, il faisait à pied la longue route qui conduit à Bâle, pour y admirer, y étudier ses chers Holbein... Les petits paysages de Lenbach, composés à Schrobenhausen, sont maintenant

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FRANZ LENBACH

Le prince-régent Luitpold


L'ART ET LES ARTISTES

jalousement gardés par les collectionneurs. Ce sont des souvenirs historiques. Et certes, ils ne sont pas plus mal que beaucoup d'autres qui peuplent aujourd'hui les salons modernes,

Le peintre Graefle à Munich, les trouva à son goût, Il ouvrit son atelier à Lenbach. Graefle était un artisan de la Cour bavaroise, C'était un peintre fade, médiocre imitateur de certains maîtres français du temps. Lenbach ne put y résister, Au bout de deux mois, il se retrouvait au village natal. Mais une année plus tard, il excitait l'intérêt du grand peintre historien Piloty, Piloty était alors dans toute sa gloire. Ce fut sous son inspiration que Lenbach travailla à sa première grande toile ; une scène de paysans qui se sauvent dans une chapelle, devant l'orage, Le pas décisif était fait, On remarqua beaucoup, à l'exposition du Kunstverein, l'oeuvre de ce jeune homme de vingt et un ans, qui avait pu, sans instruction, s'élever à ce haut degré de perfection. Mais on critiqua très vivement

LE PRINCE DE BISMARCK D'après un dessin de LENBACH.

LE KONPRINZ FRIEDRICH-WILHELM D'après la peinture de LENBACH,

son naturalisme Si nous regardons aujourd'hui ces pauvres faucheurs qui se penchent devant la Vierge, avant d'entrer dans la chapelle, dans une attitude si justement étudiée, nous ne comprenons rien à cette petite tempête qui s'éleva en' 1857 dans la bonne ville de Munich. Le genre paysan récoltait, d'ailleurs, les mêmes reproches ridicules. Et Piloty lui-même, était mis à l'index pour son réalisme, On l'accusait de vouloir empoisonner la nouvelle école munichoise. Le mérite essentiel que nous découvrons aujourd'hui dans ce premier tableau de Lenbach — le premier qui compte réellement dans son oeuvre — c'est d'abord une certaine notion de la couleur, inconnue jusque-là aux peintres allemands du plein air, Il avait réussi à trouver le brun de la terre nue, et ce brun faisait horreur aux braves esthéticiens du temps. Ils accusaient le « naturaliste » de traîner ses toiles dans la boue. Il se trouva cependant, malgré ce scandale, un audacieux, qui paya pour les Paysans à la chapelle, une somme respectable. L'Etat y adjoignit un prix, ce qui permit au jeune artiste d'accompagner son maître Piloty en Italie. Voir le Titien, c'était son rêve ! Lenbach rapporta de ce voyage des

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L'ART ET LES ARTISTES

LE SCULPTEUR BEGAS D'après un tableau de LENBACH,

études pour un grand tableau L'Arc de Titus plus fortement encore influencé de Piloty, et plus critiqué encore que les paysans, à cause de son caractère accentué de naturalisme. Les vieux maîtres de Munich ne voyaient pas que plus ils fouettaient ce « cheval de campagne », plus il se mettait à courir. Le paysan à tête carrée s'entêtait de plus en plus dans sa voie. Si bien que le goût de Piloty finit même par lui sembler trop Stylé, et qu'il ne se plia plus que difficilement à la discipline de l'atelier. Chaque fois qu'il le pouvait, Franz se sauvait dans la nature vraie de Schrobenhausen. Là, quand il entreprit son fameux Jeune berger couché dans l'herbe, il obligea le pauvre garçon qui lui servait de modèle, à exposer ses jambes, pendant des heures, au soleil brûlant. Lenbach voulait obtenir ce « brun chocolat » qu'il avait admiré à la campagne. Quand on vit exposé à Munich ce berger avec ses jambes rôties, ce fut un cri unanime. L'Etat, encore une fois, avait bien placé son «prix de Rome». On ne voulait plus de ce fils de maçon qui portait la boue de son village, dans la ville de Munich, si fière de sa propreté. La carrière de Lenbach sembla brisée à jamais. Piloty même jugea qu'il fallait éloigner l'imprudent.

A ce moment, arrivait à Munich un être encore plus curieux que Lenbach : Boecklin, l'idéaliste, le symboliste par excellence, l'homme des nuages, le peintre de l'Ile des Ames, tout le contraire du réalisme de Schrobenhausen. Lenbach et lui devinrent amis, d'autant plus que le grand-duc de Saxe les appelait tous les deux, sur le conseil de Piloty, à son école d'art nouvellement fondée à Weimar. Ils y rencontrèrent Begas, le sculpteur aujourd'hui bien connu de Berlin. Le grand-duc rêvait de faire de la petite ville de Goethe et de Schiller un centre d'art. Il n'y parvenait pas. L'académie de Weimar a gardé un caractère plutôt familier, où des artistes rares, quelquefois de grand talent, comme Hofmann, goûtent les joies d'une petite ville de campagne où traînent encore de grands souvenirs poétiques. Lenbach et Boecklin y passaient leur temps à philosopher, à discourir sur l'art ; et s'ils profitaient l'un de l'autre, c'est que chacun se fortifiait dans sa position. Boecklin comprenait bien qu'il resterait éternellement plongé dans le mysticisme. Lenbach s'apercevait qu'il ne posséderait jamais aucune fantaisie. Et dans cette considération, il se tourna vers sa vérir table destinée : le portrait. Les deux

bohèmes retournèrent deux années plus tard a Munich, où ils retrouvèrent leur grand protecteur, qui devait, dès maintenant, jouer un rôle tout à fait prépondérant dans le développement de la carrière de Lenbach.

C'était le comte de Schack, qui dotait Munich d'un magnifique musée, plein de tableaux anciens et modernes, et d'excellentes copies des grands maîtres. Accompagné de Boecklin et du comte, Lenbach voyagea en Italie et en Espagne pendant plusieurs années. Plein d'un enthousiasme religieux, il se mit à copier pour la galerie du comte de' Schack, le Vénitien, et plus tard Velasquez. Ces copies de la main de Lenbach, qu'on voit dans la galerie de Munich, sont des chefs-d'oeuvre en elles-mêmes.

Dès son retour à Munich en 1866, l'artiste est complètement imprégné des influences de Titien, et il le restera jusqu'à la fin de sa vie. L'année suivante, il exposa quelques portraits, entre autres le sien, et celui du romancier idéaliste, Paul Heyse, dont il donnait plus tard une réplique beaucoup plus magistrale, à l'exposition de Paris. On y remarquait ces têtes entourées d'un noir impénétrable, qui faisait ressortir avec tant de vigueur les profils éclairés. C'est environ vers cette époque

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L'ART ET LES ARTISTES

FRANZ LISZT D'après le tableau de LENBACH.

que Richard Wagner apparut à Munich pour y donner ses Maîtres Chanteurs. Ce grand génie musical attirait Lenbach, et jusqu'à sa mort, il lui garda son amitié. On ne possède pas de portraits plus saisissants et plus vrais, on voudrait dire plus monumentaux, de cette tête unique de Wagner, que ceux de Franz Lenbach. Il se dépassa lui-même cependant, lorsqu'il arriva en face de son grand problème : la tête de Bismarck.

Cependant Munich méconnaissait toujours son prophète. C'est à Vienne que le grand monde découvrit d'abord la future gloire de la Bavière. Le peintre réaliste trouva dans la capitale de l'Autriche le pain, vers lequel l'art se dirige. (Kunst geht nach Brot /). Bientôt, il n'y eut plus de jolie femme à Vienne qui ne brûlât du désir de se laisse dessiner par la main de cet homme étrange et sympathique. Les cercles de la plus haute société fêtèrent l'artiste à la longue barbe roussâtre, aux yeux vifs, aux manières franches, et d'un langage à la fois si brusque et si juste. La comtesse Andrassy, la princesse Obrenowitsch, la comtesse Clam-Gallas posèrent devant sa palette ou ses crayons.

Lenbach ne dépensait pas pour ces portraits la force entière de son talent. Il esquissait la grâce. Il n'approfondissait pas le caractère. Il donnait en quelques lignes le charme du profil : il caressait les reflets d'une jolie chevelure, il ne s'arrêtait pas aux détails. Les couturiers de Vienne n'eurent guère à se féliciter de ce peintre. Quelques traits, et la robe était indiquée. Une seule fois, Lenbach a poussé l'exécution d'un costume. C'est dans le portrait de la jolie millionnaire munichoise, Mme de Poschinger. Elle eut ainsi la chance de voir éternisée sa robe à plis, à la mode de 1885.

Lenbach devint plus tard le peintre de la Cour. Il faut reconnaître que ce titre ne lui fut pas conféré pour récompenser sa flatterie, ni sa complaisance. Uniformes, décorations, costumes d'apparat, Lenbach voulut tout ignorer. « Qui n'avait pas de tête n'avait pas de majesté. » Pour être peinte par lui, une femme devait être belle, et non riche. Lenbach fut un gourmet de la beauté. Les portraits de la comtesse

MADAME BERNDL D'après le tableau de LENBACH

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LENBACH

Clichû Briifikmann.

Étude


LENBACH

Cliché Briickmann.

Marion



L'ART ET LES ARTISTES

Moltke, la première femme de l'artiste, avec laquelle il divorça, et celui de la baronne Hornstein, sa deuxième femme, nous montrent un exemple de cette gourmandise raffinée et délicate. Quelle élégance dans ce dessin! Quelle hardiesse dans la couleur ! Quelle nonchalance aussi dans le détail!

Il n'en était pas de même pour les portraits d'hommes. Là, Lenbach travaillait avec une patience de ciseleur, patiemment, sans se lasser, cherchant les traits les plus fins, les plus déliés, les plus cachés. Psychologue à l'oeil perçant, il mettait dans ses toiles tout ce qu'il apercevait de l'âme et de la volonté de l'homme qui posait devant lui. Et quelles illustres figures la destinée lui a permis de rencontrer ! Lenbach

nous a laissé des portraits, déjà célèbres, de Léon XIII, de Gladstone, de Marco Minghetti. Delbruck, Doellinger, Wagner, Liszt, Strauss, Bùlow, Lévy, ont posé devant lui. Il nous a conservé le souvenir de Mommsen, Schopenhauer, Helmholtz, Pettenhofer, Boecklin, Begas. Il a

LE PAYSAN D'après le tableau de LENBACH.

LA MAISON DU PAYSAN D'après le tableau de LENBACH.

enfin tracé des figures impérissables de Luitpold de ' Bavière, des empereurs Guillaume Ier et Frédéric III, de Bismarck, de de Moltke.

Le Chancelier de Fer, si peu enclin à poser devant les peintres, fit exception pour Lenbach. Il aimait ce stratège du pinceau. Il l'admettait dans son intimité. Les tableaux et les dessins que Lenbach nous a donnés de Bismarck ne se comptent pas. On aperçoit le colosse, pendant l'histoire de vingt années, avec ou sans casque, en tenue de parade, en homme d'État, en causeur dans l'intimité, en famille à Friedrichsruhe, où Lenbach fut le seul artiste à qui l'on permit de prendre un dernier dessin le jour de la mort du prince.

Jamais toute la puissance psychologique de Lenbach ne se déploya plus à l'aise qu'en présence de cet homme dont le regard faisait trembler tout être qui l'approchait pour la première fois.

C'est un monument gigantesque que l'oeuvre de Lenbach a élevé à la gloire de Bismarck, pour la postérité.

Les portraits des empereurs sont beaucoup moins intéressants et plus conventionnels. Mais par contre, le crâne chauve de de Moltke (qui poussait l'amabilité envers son grand contemporain, jusqu'à enlever devant lui sa perruque pommadée, puisqu'il fallait mettre âme et cervelle à nu), ce crâne restera une des curiosités de l'oeuvre de Lenbach. C'est d'un Holbein impitoyable.

L'exposition de Munich contient toutes ces gloires. On y remarque la tête merveilleusement martelée de Liszt, celle de Schweninger, d'un tempérament si puissant, d'une vigueur si mâle,

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L'ART ET LES ARTISTES

celle de Busch, le poète satirique des enfants de l'Allemagne, celle du Prince-Régent Luitpold, un des rares portraits où Lenbach s'intéressa aux mains, le portrait de la princesse Clémentine de Cobourg, considéré comme le meilleur portrait de femme exécuté par l'artiste, et celui du comte de Schack. Il rappelle parfois Rembrandt, en s'élevant presque vers les hauteurs de ce géant unique du portrait, parfois Titien (une de ses plus belles toiles représente le comte de Moy dans l'arrangement fidèle du costume aimé de l'Italien), parfois Van Dyck, parfois encore Velasquez, Lenbach a été l'adorateur des grands maîtres anciens, toujours modernes.

L'exposition de Munich présente, en outre, au grand complet, des portraits de famille : la charmante

charmante qui faisait la joie de la somptueuse demeure de l'artiste à Munich; la.'villa Lenbach, ainsi que le double portrait de cette enfant chérie et du peintre, qu'on a pu admirer à l'exposition universelle de 1900.

Franz Lenbach s'est endormi pour toujours au mois de mai'1904. Il a connu tout l'enthousiasme et toute la gratitude que l'Allemagne est capable de manifester, envers ses hommes de génie. On lui a fait des funérailles nationales. Mais sa véritable apothéose est dans cette pieuse réunion de toutes ses oeuvres, que la capitale de la Bavière a exposées cet été, avec.une fierté, bien justifiée. L'Allemand peut dire de Franz Lenbach qu'il a été le grand peintre d'une grande époque.

CARL . LAHM.

(Clichh B'fickmann.

H. RUEDORFFER D'après le tableau de LENBACH.

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EUG. LAERMANS — L'ENTERREMENT AU VILLAGE

Coll. Siim tdater

LE

MOUVEMENT ARTISTIQUE EN BELGIQUE

EUGÈNE LAERMANS

Ï"VANS son admirable étude sur Rubens, l'analyse <i la plus pénétrante, la plus sagace qui ait été consacrée au grand maître flamand, Fromentin fait, à propos de la Montée au Calvaire et du Martyre de Saint Liêvin, une constatation curieuse. Après avoir décrit le premier tableau, après avoir dit son sujet douloureux, l'auteur des Maîtres d'autrefois remarque : « Et malgré ce bois d'infamie, ces femmes en larmes et en deuil, ce supplicié rampant sur ses genoux, dont la bouche haletante, les tempes humides, les yeux effarés font pitié, malgré l'épouvante, les cris, la mort à deux pas, il est clair pour qui sait voir que cette pompe équestre, ces bannières au vent, ce centurion en cuirasse qui se renverse sur son cheval avec un beau geste et dans lequel on reconnaît les traits de Rubens, tout cela fait oublier le supplice et donne la plus manifeste idée d'un triomphe. »

Et après avoir exprimé l'horreur du sujet du Martyre de Saint Liêvin, Fromentin constate encore : « Ne voyez que le cheval blanc qui se cabre sur un ciel blanc, la chape d'or de l'évêque, son étole

blanche, les chiens tachés de noir et de blanc, quatre ou cinq noirs, deux toques rouges, les faces ardentes, au poil roux, et tout autour, dans le vaste champ de la toile, le silencieux concert des gris, des azurs, des argents clairs ou sombres — et vous n'aurez plus que le sentiment d'une harmonie radieuse, la plus admirable peut-être et la plus inattendue dont Rubens se soit jamais servi pour exprimer, ou, si vous voulez, pour faire excuser une scène d'horreur. »

Fromentin voit là « des contradictions qui se font équilibre, et constituent un génie à part, »

Et dans cette déduction je crois qu'il se trompe : Rubens est un génie supérieur, mais à considérer tout l'art de sa race, ce n'est pas un génie à part Il a simplement, à un degré de merveilleuse puissance, la vision de sa race. Cette vision s'est manifestée avant lui, et après lui elle subsistera. N'importe quelle Pietà d'un primitif flamand montrera, avec une splendeur moins dominatrice sans doute, mais montrera tout de même sa volonté d'exprimer la tristesse d'une idée dans des formes

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L'ART ET LES ARTISTES

Coll. âe U' W,:eJemai

EUG. LAERMANS — L'AVEUGLE

et dans une couleur voluptueuses de dominer par la joie des choses la mélancolie de la pensée. Le vieux Bruegel enveloppe, dans la Parabole des Aveugles, les plus lamentables misères humaines de la joie intense des somptueuses harmonies. Et ce d édoublement de la vision qui ne laisse jamais se confondre l'impression de la pensée avec celle des yeux et fait cette dernière toujours heureuse et ardente, n'est pas particulier à Rubens, ne s'est pas perdu avec le prodigieux artiste. Il constitue toujours la qualité la plus caractéristique des peintres flamands d'aujourd'hui. C'est cette qualité faite de la contradiction constatée par Fromentin, qui rend certains d'entre eux quelque peu déroutants et les impose quelquefois à l'admiration de ceux-là mêmes qui se rebellent devant' telles de leurs expressions.

Il y a, au fond de la race, un optimisme, une joie de vivre qui maîtrise toute autre tendance/Quel que soit le spectacle qu'ils contemplent, quels que soient les événements que ceux-ci inspirent, de l'héroïsme, de la terreur, de la sérénité, de la joie ou de la pitié, la plupart des peintres flamands trouveront toujours - dans ces spectacles une beauté de couleur ou de forme, et ils ne la sacrifieront point à l'impression à traduire : tout leur effort tendra à accorder cette impression et cette beauté matérielle, même si la première est triste. C'est ainsi que leur art n'est jamais pessimiste : des joies consolantes entourent toujours les douleurs, souvent même celles-ci se confondent avec celles-là et sont par elles dominées.

Le vrai réalisme, d'ailleurs, n'est-il pas

là ? Rien n'est autour de nous, entièrement laid, tout à fait désespérant ; sur les plus tristes choses la lumière suffit à jeter de l'espoir. Ce qui est désolant n'est généralement que l'oeuvre passagère des hommes, et la nature éternelle dans laquelle ceux-ci vivent leurs erreurs promet toujours des réparations ; autour des plus tristes yeux il y a de la chair qui rappelle la pérennité de la Vie et toutes les compensations qu'elle peut apporter.

Eugène Laermans est l'un des peintres belges dont l'art dit le plus complètement tout cela; et l'admiration suscitée par ses oeuvres, pourtant un peu déconcertantes au premier examen, fournit un exemple frappant de la puissance de cette

conception. Son tableau du Luxembourg, Soir d'Automne, ne donne qu'une imparfaite idée de son art expressif et splendide ; et je crois qu'il n'a jamais exposé à Paris. On le connaît donc peu en France ; on le connaît un peu mieux en Allemagne où il est représenté dans quelques galeries, notamment au musée de Dresde et dans la collection de Gerhardt Hauptmann. Il n'est bien connu que dans son pays, ce qui est d'ailleurs le cas delà plupart des artistes belges vivant dans un milieu peu propice à l'établissement des grandes réputations. Mais en Belgique la déférence qui s'attache à son oeuvre est générale, alors pourtant que cette oeuvre, par son étrangeté farouche, pouvait paraître destinée à n'être comprise, à n'être appréciée que par une élite. Laermans, en effet, ne peint guère que des paysans et

EUG. LAERMANS -— L'ORNIÈRE

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L'ART ET LES ARTISTES

des parias. Et il les peint avec une pitié que l'où pourrait dire impitoyable si les deux mots ne semblaient pas se détruire mutuellement. Dans la fidélité de son réalisme, il y a une âpreté ! qui accentue les misères physiques jusqu'à la déformation. Et, à ses débuts on lui reprocha, on lui reproche encore quelquefois, d'être caricatural. Il est incontestable qu'en certaines de ses premières oeuvres, de celles qui suivirent les interprétations exaspérées des Fleurs du mal par lesquelles il débuta, il exagéra jusqu'à l'outrance, jusqu'à l'invraisemblable les lignes et les formes lourdes, la disgrâce physique des paysans qu'il peignait.

Ces paysans ne sont pas ceux de Millet, ce ne sont pas les figures frustes, mais

équilibrées, rythmées et paisibles de l'Angélus ou des Glaneuses. Les paysans de Millet sont enveloppés d'une sérénité, ce sont ceux de la pleine campagne, résignés dans la nature, n'ayant jamais soupçonné qu'elle. Ceux de Laermans, ce sont les paysans de la campagne proche de la ville et les artisans de la banlieue, ce sont des prolétaires qui savent la lourdeur ingrate de leur sort, qui ploient sous la tâche, que la révolte guette parce que la misère les étreint sur le sol sans générosité, sur une terre gagnée déjà par le pavé des villes; ce sont des émigrants en foule inquiète; ce sont des parias allant on ne sait où, vers le passé problématique, traînant des enfants que l'anémie a marqués de ses tares ; ce sont des chemineaux

Musée du Luxembourg.

EUG. LAERMANS — SOIR D'AUTOMNE

EUG. LAERMANS — LES PAYSANS

loqueteux à qui le village, le village défiant et égoïste, est inhospitalier ; ce sont des infirmes, des aveugles. Millet est pénétré par Jacques Callot.

Une tristesse exaspérée, une révolte, s'expriment en ces toiles. Elles ont une éloquence imprécatoire, anathématique, admirablement conduite, mesurée. Car elle est voulue. C'est délibérément que l'artiste accentue jusqu'à la violence la disgrâce injuste infligée à ses modèles par la misère, par le travail écrasant et sans compensations. Car il sait, il sait merveilleusement la forme serrée et la matière tendre, et l'expression paisible. Ses premières études et le Profil de jeune fille que possède M. Sam Wiener l'attestent. Ce profil est d'une pureté lumineuse et nacrée qui en fait un chef-d'oeuvre de simplicité. Il

sait ; et ce n'est pas par impuissance à faire noble et pur, ce n'est pas pour atteindre facilement au caractère, qu'il montre avec rudesse des difformités. Il est certain qu'une pitié révoltée l'agite devant les êtres auxquels son art s'est attaché et qu'il présente leur disgrâce aux autres hommes comme une protestation et comme un sarcasme.

Il vit d'ailleurs très près de ces êtreslà, dans le faubourg le plus pauvre de Bruxelles, où il est né. Toute son enfance s'est écoulée au milieu de la population mi-industrielle, mi-rurale de ce faubourg, aux confins de la cité, là où ce n'est plus la ville et où ce n'est pas encore la campagne, dans cette banlieue où la nature ne corrige pas de sa fraîcheur bienfaisante les maux de la misère. Et il a regardé avidement, avec la passion ardente, interrogatrice, de l'homme qui n'a que le regard pour comprendre,

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L'ART ET LES ARTISTES

pour deviner, car il est, depuis l'âge de onze ans, complètement sourd. Il a tout pénétré de la tristesse des vies qu'il contemple depuis qu'il sait regarder, celle du décor des routes de banlieue, celle des demeures lamentables, des masures, et celle des êtres qui les hantent. Et il a réfléchi puisqu'il possède une culture littéraire sérieuse.

Il est donc incontestable qu'il n'est pas guidé par le seul intérêt, qu'il choisit très consciemment ses sujets, qu'il démêle parfaitement leur signification amère, leur éloquence de clameur douloureuse et menaçante. Il y a, dans son art, une part évidente de subjectivité.

Or, il reste tout de même voluptueusement objectif. Cet art inspiré de tristesses

et de colères emprunte toute sa puissance à de la resplendissante beauté et il fait surgir, des plus lamentables spectacles, une joie physique intense; tandis que l'esprit est en deuil les yeux sont en fête, et leur consolante exaltation sur la douleur crée de l'espoir.

Un vrai peintre peut être triste par la pensée : il sera toujours heureux par les yeux. Lorsque Laermans voit passer dans son coin de faubourg quelque loqueteux pitoyable à la difforme silhouette, s'il voit, en cette victime, se formuler des problèmes sociaux, il ne s'isole point dans les pensées que cette évocation provoque: il sait ne pas cesser de regarder, de contempler cette figure qui passe et de la voir sous le cadre qui l'entoure. Et soudain ses yeux s'exalteront, et il s'écriera, en montrant les haillons :

— Oh ! ce rouge et ce noir !

Musée de Mous.

EUG. LAERMANS — L'EAU SONGEUSE

Musée d'Anvers.

EUG. LAERMANS — LES ÉMIGRANTS

Panneau central du Tryptique.

Ou bien, son regard allant plus loin, vers l'horizon, vers la campagne proche, s'apaisera dans la contemplation du ciel décoré par une ligne d'arbres, ou s'arrêtera ébloui sur un mur blanc lépreux caressé par le soleil et dans lequel il verra d'inépuisables subtilités de couleur, ou sur un rayon de lumière glissant dans le couloir sombre, sur les marches usées de l'escalier sale d'une demeure lugubrement pauvre.

Autour de toutes les tristesses, même sur elles, Laermans voit les beautés que la nature"dispense. Il y en a partout. Et c'est pour cela qu'un peintre peut être grave, peut être mélancolique, peut être pathétique, mais ne peut pas être pessimiste : il évoque, non pas ce que l'on pense, mais ce que l'on voit, et dans ce que l'on voit il y a toujours une part de joie, quelque chose qui rappelle que la tristesse ne peut pas être éternelle, qu'elle est non point une loi, mais presque toujours une erreur humaine.

Devant un tableau de Laermans on peut éprouver une révolte, mais on ne sera jamais désespéré. Des beautés apaisantes, humbles mais splendides, amortissent, adoucissent, circonscrivent l'amertume, donnent à la douleur sa véritable attribution. Cela est plus évident à mesure que l'artiste mûrit, qu'il se débarrasse de la fougue outrancière des débutants échappant de parti pris, en les rejetant comme des conventions, aux suggestions des influences de la race : c'est toujours dans la maturité que ces influences renaissent et s'accordent à la personnalité conquise.

Mais dès les premières oeuvres

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L'ART ET LES ARTISTES

cependant, même dans les plus violemment imprécatoires comme la Grève, dans les plus anxieuses, comme l'Eau songeuse, la Nuée inquiétante, dans les plus dramatiques comme l'Enterrement au village, cette page poignante, ou dans les Emigrants, en ces toiles où passe, dans le mouvement des foules ruées ou des foules inconscientes, de si terribles menaces, même dans les paysages où la nature est écrasante elle aussi, semble complice des cruautés humaines, il y a tout de même une joie amère : elle est dans de prodigieuses harmonies de couleur qui, en plein drame, font goûter des saveurs fortes et raffinées en même temps ; elle est dans un rayon de soleil qui se glisse, furtif, et lèche les pierres du rude chemin ; elle est dans la ligne d'un arbre, dans un poudroiement lointain de lumière rappelant qu'il ne fait pas tragique toujours et partout ; elle est dans les formes et dans le mouvement d'une femme perdue dans la foule : bonheur possible ; elle est même dans l'émail de la matière, de la matière onctueuse dont sont faites les choses les plus sombres et qui donne le désir d'une caresse.

Et ainsi se retrouve dans l'art de Laermans la contradiction apparente découverte par Fromentin et qui n'est pas une contradiction, mais au contraire un phénomène de parfait équilibre.

Cet équilibre se fait, du reste, plus complet et plus paisible à mesure que se développe l'artiste et que s'épanouit son talent. Il a commencé par le pessimisme exaspéré et exaspérant des Fleurs du Mal ; il a poursuivi sa tâche en plaçant ses figures difformes dans des paysages tragiques mais offrant

d'acres saveurs ; il a ensuite, avec une puissance aiguë d'expression dans le mouvement, peint des foules en des remous de révolte, — et dans la révolte il y a déjà de l'espoir ; puis il a vêtu ces foules d'un splendide vêtement de couleur amère, comme dans l'Enterrement; il a graduellement calmé l'outrance de disgrâce infligée à ses modèles ; tout en leur gardant leur signification, il leur a donné des lignes plus rythmées ; enfin, le fond de paysage de la plupart de ses toiles, celui de l'Aveugle, notamment, est devenu gravement radieux, montrant en la simple nature féconde, un but, une consolation, une terre promise, l'éternelle possibilité du bonheur offert aux hommes. Dans le Bain, il semble que cette terre promise soit atteinte : le nu lourdement voluptueux d'une femme du peuple frissonne doucement dans une nature humble, mais sereine ; et de la matière onc. tueuse, de la prodigieuse couleur, monte une ivresse, un trouble sensuel rude et sain, une joie physique que l'on retrouve même dans le Mort, une joie latente qui s'obstine dans toutes les évocations de la vie la plus lourde et qui s'épanouit,' prometteuse et attirante, dans les lointains vers lesquels marchent les travailleurs très las et les chemineaux pathétiques.

Et c'est cette joie dans le drame intense, cette joie persistante des choses, cette volupté des yeux, qui font de Laermans, coloriste somptueux, l'un des plus flamands des peintres d'aujourd'hui, l'un de ceux qui expriment le mieux leur race pensive, farouche, souvent révoltée, mais tenacement confiante devant l'éblouissante nature.

GUSTAVE VANZYPE.

EUG. LAERMANS 129


VICTOR HUGO ET SON MÉDAILLON, PAR DAVID D'ANGERS Cette photographie fut faite à Guernesey par Auguste Vacquerie, pendant une séance de pose.

Le Mois artistique

CINQUANTENAIRE DE DAVID D'ANGERS. — Il ^"^ sera célébré en 1906, sa mort est de 1856, et des fêtes commémoratives ramèneront sur l'écran de' l'actualité cette grande figure d'artiste ; à un moment où la sculpture française encombre les monuments et les places publiques d'effigies lamentables, emplit les expositions de plâtres mort-nés, il ne messied pas de regarder en arrière, d'évoquer un maître du passé, un maître classique, diront peut-être d'aucuns en prenant le mot dans le mauvais sens. Cependant, s'il fut prix de Rome en 1811, avec la mort d'Epaminondas, il a fait partie en 1848 de la commission nommée par le gouvernement provisoire pour les réformes à établir (déjà !) dans l'Académie de France à Rome et dans l'Ecole des Beaux-Arts ; s'il fut dès 1826 de l'Institut et professeur à l'Ecole, il a été

plus tard membre de l'Assemblée Constituante, il a été exilé au 2 décembre par Napoléon III ; ceci compense cela.

Son oeuvre est considérable, 40 statues, 120 bustes, 500 médaillons, etc., aucunement sociale comme celle d'un Constantin Meunier ou d'un Dalou, non totalement humaine comme celle d'un Rodin, mais historique, documentaire, et, par ce fait, précieuse ; nous ne nous enthousiasmons certes pas pour le Condé de Versailles, le Roi René d'Aix, le Fénelon de Cambrai, mais il y a le Général Foy, du PèreLachaise, il y a aussi les bustes de Chateaubriand, de Lamartine, celui si superbe de Victor Hugo qui dans la vérandah du petit hôtel de l'avenue d'Eylau aujourd'hui démoli, faisait face au portrait par Bonnat ; il y a surtout les médaillons, véritable Panthéon de ses contemporains, collection nom130

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L'ART ET LES ARTISTES

breuse qu'Alexandre Dumas fils possédait et dont il était très fier, réunion d'effigies célèbres, ressemblantes, vivantes, définitives (qui a été continuée, en ce temps-ci, par Ringel d'Illzach) ; le musée d'Angers, sa ville natale, en montre la plus grande partie, signalons un absent, le médaillon de Hyacinthe Langlois, bisaïeul du bon aquarelliste Adrien Lemaître.

Auteur de la Jeune Grecque au tombeau de Botzaris, de Philopoemen, Pierre-Jean David d'Angers est moins populaire que Rude, dont il n'a jamais eu la fougue, la puissance ; il n'a pas de Marseillaise dans sa longue carrière; sa force est plus sévère, plus contenue, au fronton du Panthéon c'est l'anecdocte du tambour qui retient l'attention; l'homme qui, maltraité par la politique, eut une fin d'existence vagabonde et attristée, avait une bonne physionomie de robuste ouvrier; lui aussi méritait le qualificatif de Barbier, « tailleur de pierre », et de le glorifier sera une leçon, réveillera un exemple.

EAUX-FORTES DE LOUIS LEGRAND (Galerie Gustave Pellet). — Parmi les aquafortistes dont le maître incontesté est toujours Bracquemond, Louis Legrand, qui ne fait pas de gravures de reproduction, sauf de lui-même, tient une des premières places. Qu'il se contente du blanc et noir, qu'il s'essaye dans l'estampe en couleurs, il a cette qualité rare, l'originalité; ému par un sentiment religieux, il a la naïveté d'âme d'un primitif ; regardant la fille de joie, il en décrit le charme vicieux, la lassitude veule ; pénétrant dans les coulisses d'un ballet, il surprend les attitudes tortionnées des danseuses ; passant à travers la campagne, il voit la brutalité de passion du paysan ; avec un dessin merveilleusement exact, il exprime l'entente de deux êtres, il traduit les baisers et les étreintes ; s'il illustre Edgar Poë, il invente des visions de cauchemars ; s'il compose un livre d'heures, il imagine un mysticisme touchant ; chairs de femme, chairs d'enfants, il les rend avec tendresse, d'une manière délicate et éloquente. Les soixante-cinq numéros de cette exposition sont tous intéressants, tous dignes de figurer dans les collections d'amateurs ; s'il fallait toutefois en citer d'aucuns plus spécialement, notre attention s'arrêterait à la Première leçon, au Curé de campagne, au Souper de l'apache, à l'Amateur, etc.

LES CÉRAMIQUES DE LACHENAL. — Après vingt années d'expositions chez Georges Petit et récemment chez Majorelle, le bon céramiste de Châtillon, Edmond Lachenal, a voulu être chez lui, et a insDAVID

insDAVID D'APRÈS UNE LITHOGRAPHIE DU TEMPS

tallé coquettement, 15, rue Auber, un dépôt de ses oeuvres. Grands vases décoratifs ornementés d'iris, bestioles spirituellement campées et coloriées, portebouquets en formes de coqs, crabes servant d'encriers, canards et faisans prenant leur vol sur les tentures, statuettes de Mmede Frumerie ou de FixMasseau, décors d'Orient ou de fantaisie, il y a ainsi, avec des colorations douces, caressantes, quantité de bibelots amusants, aux formes graciles, bijoux d'étagères et de vitrines, s'harmonisant bien avec les intérieurs modernes ; jardinières aux contournements bizarres, assiettes au fond d'or comme semées de papillons, aiguières aux détails capricieux, immenses amphores aux feuillages en rondebosse, fleurs mauves sur des fonds gris-laiteux, « un enchantement des yeux et des doigts, presque un poème de voluptés coupables » a écrit Jean Lorrain de certaines patines, roseaux sabrant des horizons enneigés, il a quantité de ces compositions primesautières, d'une marque très personnelle. Au milieu de l'anglomanie des étalages de la rue Auber, les céramiques de Lachenal sont un régal de parisianisme.

OEUVRES DE CAMILLE CLAUDEL ET DE BERNARD HOETGER (galerie Eug. Blot). —Sous le parrainage, pourrait-on dire, des deux grands maîtres, Rodin et Constantin Meunier ; de Camille Claudel et de Bernard Hoetger, présentés par une éloquente pré131

pré131


L'ART ET LES ARTISTES

face de Louis Vauxcelles, l'oeuvre apparaît prometteuse de chefs-d'oeuvre peut-être, quand des influences indéniables auront cessé, quand une individualité absolue se sera dégagée complètement des langes du début. M"e Claudel, qui a de l'esprit dans les Bavardes, une sorte de lyrisme dans Persêe, un imprévu attrayant dans la Fortune, de l'intensité d'émotion dans Y Abandon, a magnifiquement exprimé le tournoiement de la danse et l'ivresse de la volupté avec la Valse ; c'est de ses statues et statuettes celle qui impose l'admiration, révèle une personnalité.

Bernard Hoetger qui a emprunté ses Aveugles à une toile légendaire, transposition de métier, voit dans le manoeuvre la bête humaine, exacerbe la misère de l'ouvrier sous l'effort, est tragique dans le Hâleur, sait de la Vie et de l'Humanité la souffrance, le drame continu, reprend une sérénité antique avec des torses qui ont un calme d'icônes. Le bronze est bien ce qui convient à ces anatomies tumultueuses ou lisses, à ces formes bossuées ou caressantes, et la galerie de M. Blot contient ainsi des productions très intéressantes de l'art contemporain.

sr

OEUVRES DE THÉODORE RIVIÈRE (salle Chaîne et Simonson). — Ces oeuvrettes étaient déjà

Cliché Druct.

VAN RYSSELBERGHE

A LA MER

célèbres, il y a plaisir à les trouver réunies, la collection synthétisant l'art minutieux du sculpteur. Joyaux de vitrine combinés en des matières diverses, bronze, ivoire, marbre, or, argent, bois, émaux ; orientalismes d'une réalité moderne (CavaVASE

(CavaVASE GRÈS

DE E. LACHENAL

tiers arabes et Soldats annamites), d'une joliesse antique (Danseuses, Magdeleine) ; statuettes-portraits du format des Troubetzkoï, parmi lesquelles on reconnaît Pierre Louys, Poilpot, Floquet, Ch. Hayem, Rochegrosse et dans la série en bronze appartenant à M. Mariani, délicat amateur d'art : G. Cain, A. Christian, A. Cipriani, J. Claretie, général Dodds, P. Doumer, J.-M. de Heredia, docteur Labbé, A. Lumière, A. Mariani, F. Mistral, Nadar, O. Roty, Armand Silvestre, une sorte de Panthéon d'intimité, le modèle ayant le chapeau rond sur la tête, le cigare à la bouche, les mains dans les poches, Théodore Rivière, qui a confié à Thiébaut-Sisson du Temps sa pittoresque et miséreuse autobiographie, est un statuaire séduisant, un exquis faiseur de bibelots tanagréens.

w

EXPOSITION VAN RYSSELBERGHE (Galerie Druet). — Au moment où se clôturait le Salon d'Automne, avec ses incohérences, ses excentricités, ses mépris du dessin (malgré Ingres), ses outrances de palette (malgré Manet), le jeune maître Van Rysselberghe nous conviait à une véritable jouissance artistique, par un ensemble important de son oeuvre, paysages et figures, fleurs et marines, dessins et aquarelles.

Sans ajouter plus d'importance qu'il ne faut aux théories de luminisme, de vibrisme, de tachisme, etc., etc., sans attacher trop d'intérêt à la facture, au procédé, à la manière, mais en considérant le seul résultat atteint, on ne peut qu'admirer cette harmonie impeccable de formes féminines, cette ivresse'raisonnée'et savante de chaudes colorations ;

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L'ART ET LES ARTISTES

A LA TERRASSE

D'APRÈS L'EAU-FORTE

DE L. LEGRAND

certaines esquisses préparatoires au crayon ont la sérénité des Puvis de Chavannes, certains nus ont la richesse de chairs de Renoir, l'efflorescence d'un Rubens appâli ; la Femme au Collier d'ambre, la Jeune femme endormie, sont des tableaux de musée, Sous les Pins s'apparente aux meilleures décorations, le portrait de Miss G., les'cheveux blonds envolés à la brise de mer, s'affirme une délicieuse chose ; du reste, que ce soit un bouquet d'Anémones ou de Renoncules, la baie du Lavandou ou le Jet d'eau de Potsdam, un Champ de fleurs ou la Plage, l'Arche des Korrigans ou le Violoniste, la qualité est toujours la même, valant par sa sincérité absolue, sa puissance de vision, par sa pure et saine intelligence du rythme et de la lumière. Des notations à l'aquarelle, un genre dans lequel triomphent aussi parfois Signac et

Cross, complètent cet ensemble de premier ordre.

CÉRAMIQUES DE CHAPLET ET LENOBLE (galerie Georges Petit). — Le maître et le doyen de la céramique moderne présente en ses vitrines ses dernières productions ; un enchantement, ces vases, ces buires, ces coupes, avec des traînées chaudes, ou plus sombres ou plus claires, dans une alternance savamment combinée, avec des tons éclatants ou tranquilles ; cette couverte finit par faire corps à la porcelaine elle-même, on croirait que l'objet tout entier est de cette matière irisée ; une finesse extraordinaire de coloration s'y allie à beaucoup d'éclat, sur les objets dont les profils simples ont une merveilleuse

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L'ART ET LES ARTISTES

LE PARDON

D'APRÈS LA SCULPTURE DE M" 0 CLAUDEL

harmonie de lignes ; il parcourt la gamme entière des gemmes, continue et dépasse les Japonais qui ne cuisaient qu'à deux feux tandis que lui pousse jusqu'à cinq, obtient des rouges sanguinolents

sanguinolents coulées de laves,^des roses tigrés, des gris tendres, des bleus dégradés en mauve ; c'est évocateur d'insaisissables effets de nature, certains motifs ont la ténuité charmeresse de ces nuages qui dentèlent l'horizon de la Mer, aux crépuscules de Rêve.

« ... La porcelaine doit éviter de ressembler à du verre, je me suis toujours efforcé de tendre à la pièce de matière dure par l'aspect, de là mon succès dans ce genre de fabrication, car tous ceux qui ont fait ce genre de poteries et Sèvres en particulier n'ont toujours montré que des pièces veules, mièvres, et surtout vitreuses, par conséquent le contraire d'une oeuvre artistique... »

Cette lettre de lui dit la vérité ; un de ses récents modèles est, dans la symphonie puissante des rouges, et dans celle des blancs, une sorte d'écaillé rugueuse, du plus curieux aspect.

Pour la première fois le vieux maître Chaplet associe à son succès son gendre, M. Lenoble ; l'exposition de celui-ci est discrète, dans des teintes mortes, des gris et des bistres atténués ; il intitule simplement cela : poteries, et elles apparaissent décorées de linéaires ornementations, d'arabesques sobres donnant presque un caractère archaïque ; c'est là un intéressant début par les formes, la couleur, le dessin ; désormais les amateurs de céramique connaîtront cette alliance de noms, Chaplet-Lenoble.

MAURICE GUILLEMOT.

L. LEGRAND — DANSEUSE 134


REVUE D'ART ANCIEN ET MODERNE 000

SOMMAME DES IIL!LIJSTRATlI©M*f

D. GHIRLANDAJO : La Naissance de la Vierge.

— Le Patriarche Zacharie. — Saint Jacques.

— La Naissance de Saint Jean-Baptiste, etc. LA COQUETTERIE FÉMININE : La Coquette, par

F. BOUCHER. — La Dame de la Reyne, par MOREAU LE JEUNE. — Objets d'art de la Collection Bernard Franck. Louis LEGRAND : Portrait. — L'Ami des Danseuses. — La Fille à sa Tante. — Le Parisien. — L'Idiot. — Anatomie comparée. — Flore artificielle. — Joie maternelle. — Couverture.

Couverture. Mère de Douleur. —■ Le Christ. — La Chauve-Souris. — Épaves. —- Le Bedeau.

— Danseuse.

GRIGORESCO : Les Boeufs. — Les Tziganes. — Les Bergères. — Tzigane. — Etude. — Portrait.

LE MOIS ARTISTIQUE : Bavardage, par CH. CHECA.

BORCHARDT : Portrait.

SUPPLÉMENT : Eau-forte, de CHARDIN. — Les Fresques d'Avignon. — Sculptures et Dessins.

— Aztèques. — La jeune Malade, de STEEN.

LOUIS LEGRAND : Danseuses. — Le Beau Soir. — Le Sioux. — La Paimpolaise. D. GHIRLANDAJO : Portrait, héliogravure d'art.


DOM. GHIRLANDAJO

Cliché Gîrauden

La Naissance de la Vierge

Fresque de l'église de Santa Maria Novella, à Florence


Cliché Giraudon

Sutitti Maria Novellti.

SACRIFICE DU PATRIARCHE ZACHARIE (DÉTAIL)

Portraits de la famille Tornabuoni.

..- .- ILes

','.' '. à. Samtsi Msuriiai N ©veilla

DANS cette harmonieuse église, qui dresse, non loin de la gare de Florence, sa façade incrustée ' dé ' marbres blanc et noir, due au génie de Battista - Alberti, il semble que toutes les générations qui ont fait la gloire artistique de la grande cité toscane aient rivalisé à qui y laisserait un plus imposant témoignage de son idéal et de son génie. C'est, dans la célèbre Chapelle des Espagnols attenante à la nef, le colossal cycle de fresques Giottesques retraçant, du sol aux voûtes, le Crucifiement,, le Triomphe de saint Thomas d'Aquin, l'Église militante-et triomphante ; c'est, non loin de là, dans'le Cloître vert, l'ensemble attirant, dans sa dégradation, des peintures en chiaro oscuro où le puissant naturalisme de ' Paolo Uccello a figuré le Déluge et l'ivresse de Noé. En rentrant dans le transept gauche, on a devant soi l'immense déploiement de figures par lequel Andréa Orcagna a évoqué les

gloires et les terreurs, du Jugement. dernier, du Paradis et de l'Enfer. Traverse-t-o.n la nef, le talent ardent et tourmenté de Filippino Lippi nous arrête devant les légendes de saint Jean et de saint Philippe. Enfin, derrière l'autel,, au fond du choeur, s'ouvre une vaste chapelle recouverte' sur toutes ses parois d'un monde fourmillant de personnages. C'est là notre dernière station, la plus longue. Nous sommes devant l'oeuvre capitale, le monument décisif du génie de Domenico Ghirlandajo.

Quelques mots d'abord sur la vie de l'artiste. Fils d'un joaillier de Florence à qui sa; spécialité de ciseleur.de parures en forme de couronnes, tiès recherchées des élégantes du temps, valut le surnom sous lequel il est connu, DomeniCo Bigordi naquit en 1449. Il manifesta de bonne heure le goût, de la peinture et fut placé chez Alesso Baldovinetti, maître soigneux et fort dont les fresques de Santa

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L'ART ET LES ARTISTES

Cliché Giraudon.

Santa Maria NoveJla.

DOM. GHIRLANDAJO

NAISSANCE DE LA VIERGE (DÉTAIL)

Trinita ont disparu, mais que sa décoration de la chapelle du cardinal de Portugal à San Miniato, sa charmante Annonciation des Uffizi, et enfin le faux Pierro délia Francesca, acquis il y a quelques années par le Louvre, montrent digne d'une sérieuse estime. Mais l'influence qui contribua le plus à la formation de notre artiste fut celle d'Andréa del Castagno, artiste de premier mérite, en sa véhémence et sa rudesse, dont nul des visiteurs de Florence n'a oublié les fresques puissantes au couvent, transformé en musée, de Sant' Apollonia. La Cène, qui en décore une des murailles, offre avec celle de Ghirlandajo aux Ognissanti, exécutée en 1480, des analogies si étroites de disposition et de caractère, que la parenté intellectuelle des deux hommes s'y affirme indéniable, en dépit de.différences marquées. Le grand Verrocchio, tout à; la fois modeleur et peintre, a également fait passer quelque chose de lui dans la personnalité de Ghirlandajo, dont un

Baptême du Christ, à l'église Sant'- Andrea, de Brozzi, près de Florence, reproduit librement sa célèbre composition de l'Académie des Beaux-Arts.

Le succès de la Cène, son premier travail important, attira à Ghirlandajo, en 1481, une importante commande de fresques au Palazzo Vecchio : une partie en est bien conservée ; la Majesté de san Zenobio présente déjà l'ordonnance aisée et l'élévation de style caractéristiques de l'artiste.

L'année suivante, on le voit travaillant dans la petite ville si pittoresque de San Gimignano, à la Collégiale, aux charmants motifs tirés de la légende de Santa Fina. Il n'a déjà plus rien à apprendre; c'est un maître personnel et complet. La simplicité pleine de charme de la jeune sainte gisante entre deux matrones, et dont un pape, apparu dans une mandorle, bénit la douce et confiante agonie, le cortège recueilli de clercs et de bourgeois rassemblés autour de soi lit de parade, dans un édifice corinthien sur les côtés duquel se profilent les hautes tours de la ville, signalent ces ouvrages parmi les plus expressifs et les plus élevés du peintre. C'est en 1485 qu'il termina le travail le plus considérable qui lui eût encore été confié :

six scènes tirées de la vie de saint François d'Assise, dans la chapelle Sassetti, à Santa Trinita de Florence, que surmontent quatre sibylles, au plafond. Ces fresques, en dépit de restaurations contestables, présentent l'artiste sous le jour le plus avantageux. Tout y est pris de la nature : costumes, attitudes, gestes, mais choisi, épuré, avec le goût le plus scrupuleux et le plus sûr. La gravité y est expressive, la sobriété éloquente. Les portraits des deux donateurs, sur le côté, offrent un accent de vérité saisissant.

Ne faisant point l'étude critique des oeuvres de Ghirlandajo, nous ne parlerons ici ni de ses peintures d'autel, malgré leur très haut mérite, ni de la Vocation de saint Pierre et saint André, exécutée à la chapelle Sixtine. Arrivons aux fresques de Santa Maria Novella, qui constituent l'affirmation supérieure et définitive de son génie. La chapelle qu'elles décorent appartenait à la famille Ricci ; des peintures y avaient été exécutées par Andréa Orcagna,

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fJTraffment d& lez. JVairjanee. de S.lJean-JBapù,sle> J à Santa^.Maria J^ovel/jz..—Fler/mcc. y .. --.

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L'ART ET LES ARTISTES

mais l'eau, passant dans les fissures de la voûte, les avait détruites. Les Ricci n'étant pas en mesure de faire la dépense d'une restauration, Giovanni Tornabuoni, riche citoyen de Florence, apparenté aux Médicis, qui désirait procurer un travail important à Ghirlandajo, son ami, s'offrit pour faire les réparations nécessaires ; à quoi les patrons de la chapelle consentirent, à la condition d'une indemnité et de l'apposition de leurs armes en belle place. Un prix de douze cents écus d'or fut alloué à Ghirlandajo, avec une prime de deux cents autres en fin d'ouvrage, dont l'artiste dispensa généreusement son mécène. Il peignit dans les segments de la voûte les quatre évangélistes ; sur les murs des fenêtres, les vies de saint Dominique et de saint Pierre martyr ; les parois latérales furent affectées à celles de saint Jean-Baptiste et de la Vierge. Chacune de ces dernières est partagée en sept compartiments. Ceux de la Vie de la Vierge représentent de

bas en haut : Joachim chasse du Temple, à cause de la stérilité d'Anne, sa femme; 2° la nativité de la Vierge ; 30 la présentation au Temple ; 40 le mariage de la Vierge ; 50 l'adoration des mages (à peu près détruite) ; 6° le massacre des Innocents ; 70 la mort de la Vierge. Les panneaux de la vie de saint Jean-Baptiste ont pour sujets, dans le même ordre : la Visitation ; 20 Zacharie dans le Temple ; 30 la naissance de saint Jean ; 40 Zacharie indiquant le nom de l'enfant ; 50 la prédication ; 6° le baptême du Christ ; 70 le festin d'Hérode avec la danse de Salomé.

Ghirlandajo travailla cinq ans environ à ces fresques, dans l'exécution desquelles il fut assisté par ses frères David et Benedetto. Elles furent son dernier grand travail monumental. II. mourut en 1498, à quarante-neuf ans, laissant un fils, peintre distingué, Ridolfo Ghirlandajo.

Etudions avec quelque détail cet ensemble imposant de peintures. Les scènes sont j uxtaposées deux par deux ; la dernière de chaque cycle, resserrée par l'incurvation de la paroi en ogive, s'étend dans toute la longueur. Des entablements à l'antique, avec denticules, oves, etc., surmontent chaque rangée, et le

pilastre médian à rinceaux qui les supporte sépare les deux scènes juxtaposées. L'auteur de ce vaste ensemble s'est attaché à y réaliser la variété dans l'unité. La variété résulte du caractère contrasté des sujets alternant à chaque étage, autant que possible, les scènes calmes et les scènes mouvementées. L'unité est obtenue d'un côté par l'encadrement symétrique des ensembles, de l'autre par l'harmonie générale de la coloration, assez montée et vibrante, mais que le salpêtre et la poussière ont grandement atténuée, et qui, d'ailleurs, à aucune époque, même dans la vivacité primitive des tons, n'a dû offrir d'écarts excessifs ni de crudités déplaisantes.

Le parti pris d'interprétation des thèmes est un réalisme mitigé. L'Ecole florentine qui, avec Giotto, Orcagna, Fra Angelico et leurs successeurs immédiats, s'était assez longtemps confinée dans une vision extasiée et mystique, avait repris terre avec

Cliché Giramion

DOM. GHIRLANDAJO

PRÉSENTATION DE LA VIERGE AU TEMPLE (DÉTAIL)

139


L'ART ET LES ARTISTES

Cliché Giraudon,

Sauta Mitria Novelhi.

DOM. GHIRLANDAJO — SAINT JACQUÈS (DÉTAIL)

Çastagno, Uccello, Veneziano, maîtres robustes et Un peu âpres, qui se plurent au spectacle du réel et l'aimèrent pour lui-même, le transportant, avec ses exagérations et ses difformités, jusque dans les sujets- les' plus relevés et les plus nobles. Ghirlandajo réagit contre ces excès : il prit comme l'avait fait Filippo Lippi une trentaine d'années auparavant, une position moyenne entre la copie littérale et la transposition poétique, mais bien choisie et si forte qu'il s'y établit pourla vie et que sa conception s'imposa pendant un demi-siècle. Si, au même moment, l'idéalisme maniéré de Filippino Lippi, le sensualisme précieux de Botticelli les engagèrent dans des voies 'divergentes, le gros de l'École, séduit par la logique et la santé des ouvrages du maître, s'attacha fermement à sa doctrine, et il ne fallut rien moins que l'action de Michel-Ange, très influencé d'ailleurs par Ghirlandajo.dans la première partie de sa carrière, pour amener l'avènement d'un lyrisme audacieux qui ne trouva son expression normale que dans la seule décoration du plafond de la Sixtine, \et, manié ensuite par des bras débiles, ne fit que précipiter la décadence et la chute de l'art en Italie. Ce réalisme mitigé est nécessairement assez composite '; si la copie -d'individus et de milieux'

choisis est suffisante pour la représentation - de thèmes contemporains ou même' d'époque rapprochée, elle comporte, dès qu'on s'éloigne dans le temps ou l'espace, des -compromis nécessaires et délicats. Ghirlandajo, à l'exemple de ses prédécesseurs, renonce délibérément pour les ' pays lointains à la couleur locale ; pour les périodes rétrospectives il se tire d'affairé avec les ressources que lui fournissent les monuments de l'antiquité romaine. C'est ainsi qu'une scène qui se passe à Jéru; sàlêm au Ier siècle, ' sera figurée par. des hommes en cùstume florentin, à côté d'autres en tôge, sous -des portiques corinthiens.- Quant aux localisations indispéri- - sables, un accessoire de costume ou de coiffure, turban, bonnet conique, les fournira, évoquant suffisamment, à lui seul, le milieu ethnique particulier auquel cet attribut se rattache. C'ést-évidemment là une pure convention, mais' elle n'impose aucune gêne à l'es-' prit II s'agit toujours en effet d'épisodes connus-de chacun, dans leur version traditionnelle, et dont

la signification générale,la portée édifiâhteeonatituent l'intérêt, beaucoup plus que lés circonstances, accidentelles où ils se produisirent. Il suffit que la vérité humaine du sujet Jsoit fortement exprimée, et c'est à quoi excelle Ghirlandajo.' Prenons'pour exemple une des plus célèbres de ces peintures : la Naissance de saint Jean. On se croirait chez: de riches - bourgeois, dans la Florence-du XVe siècle : l'architecture, renouvelée de l'antique, est celle où la Renaissance se plaisait à encadrer la vie moderne; les costumes sont strictement du'temps : coiffures plates, manches à crevés, corsages lacés-, jupes tombantes à grands plis; cette jeune femme, ces deux matrones, viennent faire leur visite dé couches-à quelque amie, tandis qu'une nourrice allaite le -nouveau-né et qu'une servante apporte" les rafraîchissements d'usage. Un détail, un'seul, va dans ce spectacle familier, introduire la note voulue pour lui restituer sa. signification religieuse et reculer toute la scène dans l'idéal : une-figure drapée de blanc, aux pieds nus, à la démarché bondissante-d'immortelle, entre derrière les visiteuses, une corbeille dé' fruits sur la tête. GëstT'ange'dé la bonne nouvelle, le témoin divin d'une naissance prédestinée.

Même réalité familière, même rappel discret du

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DOM. GHIRLANDAJO

Cliché Giraudon.

Sauta Maria Novclla.

La Naissance de saint Jean-Baptiste

Fresque de l'église de Santa Maria Novella, à Florence


L'ART ET LES ARTISTES

surhumain dans la prédication du Baptiste : nous sommes sur une hauteur voisine d'une ville ; un gros de catéchumènes bourgeoises a suivi l'ascète éloquent ; elles l'écoutent, assises sur la terre nue, sans souci de leurs beaux atours ; mais auprès d'elles l'idéal prend place ; au-dessus des ermites qui entourent Jean, reconnaissables à leurs bâtons et à leurs pèlerines, un peu en arrière, debout, deux hommes songent, dont l'un offre la candeur sérieuse, l'ingénuité méditative de l'autre Jean, le disciple aimé de Jésus, et semble le trait d'union du Dieu fait homme et du plus inspiré de ses missionnaires. C'est comme un accord soudain dans une symphonie agreste, dont le timbre mystérieux, la vibration prolongée entr'ouvre soudain l'au-delà. Que si nous passons à l'examen technique de ces peintures, nous ne pourrons manquer d'être frappés de la quasi-perfection de leur exécution. Aucune trace n'y demeure des pauvretés et des gaucheries des primitifs : les gestes étriqués, les yeux tirés vers les tempes les pieds posant mal sur le sol ont fait place à des carrures robustes, à des attitudes franches, à des mouvements souples, à une sorte d'aplomb général dans la pose et l'expression.

■Cliché Giraudon

Santa Maria Novella

DOM. GHIRLANDAJO

FRAGMENT DE LA NAISSANCE DE LA VIERGE

Autre remarque : les trécentistes n'étudient pas la physionomie humaine. Chacun d'eux s'est fait, une fois pour toutes, un type de vierge, d'éphèbe, de matrone, de patriarche, qu'aucune particularité individuelle ne différencie, dans les centaines d'exemplaires qu'ils en tirent. L'admirable Fra Angelico voit ses plus délicieuses inspirations gâtées par cette monotonie fastidieuse des types, dans des compositions qui en souffrent d'autant plus que le- milieu pittoresque y est nul et qu'elles ne comportent guère que des assemblages de figures. Prenez au contraire, les personnages de Ghirlandajo : autant de protagonistes, autant de physionomies, de tempéraments, de caractères. Tous ces gens-là ont un état civil, une fonction sociale. Cela tient à ce qu'au lieu de modèles de profession aux mimiques banalisées, aux masques à tout faire, il n'a reproduit que des individus pris au vif de la vie quotidienne ; parmi son entourage civique. On voit dès lors quel puissant intérêt représentatif s'attache à son oeuvre, quelle masse de renseignements matériels et moraux elle met sous nos yeux, et comme par surcroît la personnalité accusée des figures communique un air de vraisemblance à

toute l'action, et donne même au milieu souvent assez artificiel où celle-ci évolue, quelque chose de normal, ou tout au moins d'acceptable.

Quant à la facture proprement dite, il n'en est guère ailleurs qui offre ce degré de décision et de certitude. Aucune insistance inutile, aucune affectation, non plus, d'adresse expéditive, de rapidité brillante, chaque partie est traitée avec le même soin, la même conscience, mais sans excès de détails, dans une proportion et un équilibre admirables. Rien ne tire l'oeil et tout est en place, au plan de subordination qu'exigent l'effet général et l'unité d'ensemble. Le dessin, très écrit, n'est ni sec, ni coupant ; le ton, quelquefois un peu désaccordé (les rouges et les orangés surtout), par excès d'énergie, dans les tableaux de chevalet au maître, observe dans la fresque, la discipline nécessaire. Nous ne savons rien dans tout l'art italien qui offre cette pondération parfaite, et où la vigueur et la santé se maîtrisent avec une pareille aisance. Il s'est vu assurément des natures plus poétiques, des inspirations plus ardentes, des raffinements plus exquis; on trouverait malaisément des productions qui offrent à ce degré l'union d'une vision lucide et d'un talent viril.

HENRI MARCEL,

Administrateur général de la Bibliothèque Nationale.

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Éventail, gouache sur soie, monture ivoire ajouré. Epoque Louis XVI.

QÂL L,oquett&u£ ^envlnine au A\MeQ)tecle^

Etui, émail de Saxe, forme de bras. — EJ>. L. XV.

T 'AMOUR de l'élégant, du seyant, !*"* la passion de l'atour, le culte de la grâce spirituelle et bien parée, n'est-ce point la religion principale de la femme du xvme siècle, à l'époque des frivoles abandons, comme à celle des sentimentalités passionnées et des philosophiques ambitions de pensée ? N'est-ce point la foi profonde qui est commune à toutes, grandes dames, nymphes d'opéra, bourgeoises et même à ces jolies bouquetières que Boucher aime à dessiner dans toute leur svelte accortise, chez les modèles de Largillière et de Nattier comme chez ceux de Watteau ? La Grande Muse du Temps,

celle qu'écoutent le mieux les dames, ce n'est point Uranie, encore que Mme du Châtelet l'adore, ce n'est point Thalie, encore que Mme de Pompadour lui sacrifie, ce n'est point Terpsichore si fêtée partout, c'est une dixième Muse, la Coquetterie, qui fut si puissante au xvme siècle, qu'elle enfanta un monde, un monde varié d'objets d'art et d'oeuvrettes d'art, un monde selon l'expression pittoresque qui déjà caractérisait tout l'arsenal d'ustensiles, tout le décor nécessité par la toilette- d'une dame romaine.

Toute la journée, la femme du xvnr 3 siècle est

élégante, qu'elle aille en visite, qu'elle coure aux boulevards, qu'elle entre aux loges grillées • des petits théâtres, qu'elle aille à la cour; qu'elle parcoure les magasins de curiosités ou de modes dont Boucher, Gravelot ou Eisen ont gravé les réclames. La souple, mode du temps, l'ingéniosité de tout un peuple de coiffeurs, de modistes, d'habilleuses lui graduent pour tant d'objets différents, un luxe

du meilleur, goût et de la plus sûre appropriation.

Mais avant qu'elle ne sorte par les rues de la ville, dès le matin, la-Parisienne du xvme siècle est déjà élégante ; déjà son lever a été une manière . dé petite cérémonie, comme une menue réception. Dans sa douillette commode, les

Boîte à moudies, or et miniature cadre en ferles fines. Epoque Louis XVI.

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L'ART ET LES ARTISTES

cheveux à peine arrangés par la main experte de caméristes dont Marivaux, avec un rien d'idéalisation, a fait des merveilles de gracieuse subtilité, à peine déparées par un peu de vivacité dans l'accent, la jeune femme pour qui sont préparés tant d'élégances, de plaisirs ingénieux, pour qui sont prêtes toutes les caresses de la vie, fait son apparition parmi une menue cour. Déjà la modiste a envoyé

son trottîn qui déplie les aunes d'étoffe légère et les rubans versicolores qui donneront à l'attifement du jour le suprême bon ton, la plus jolie dominante d'harmonie ; on apporte aussi lés

morceaux de musique et les billets, et on caqueté. Tout en écoutant, en regardant, en choisissant, tout en se remettant aux mains du coiffeur, de la soubrette, de l'essayeuse, la jeune femme ne perd point de vue sa table de toilette, que l'art du temps, si fécond en enjolivements, cet art qui sait amener dans la pièce aux lambris ornés d'après Boffrand, aux appliques dans le goût de Meissonn.ier, avec toute la saveur du goût d'Ile de France, tous les jolis caprices du goût d'Extrême-Orient a créé si coquette. La fantaisie de Paris et celle du Nippon s'unissent

s'unissent faire un entour harmonieux à cette jolie merveille, la table de toilette d'une jeune femme du xviir 2 siècle.

« Dans l'appartement de la femme, disent les Goncourt, c'est le meuble de triomphe que cette table surmontée d'une glace, parée de dentelles comme un

. autel, enveloppée de mousseline comme un berceau, toute encombrée de philtres et de parures, fards, pâtes, mouches, odeurs, vermillon, rouge minéral, végétal, blanc chimique, bleu de veiné, vinaigre de Maille contre les rides, et les rubans, et les tresses et les aigrettes... Depuis longtemps les experts ont réglé sa place: la toilette est-toujours dans un cabinet au nord, pour que le jour net, la clarté sans miroitement d'un atelier de peinture tombe sur la femme qui s'habille. »

Cette clarté froide convient à merveille aussi à toutes les frivolités élégantes

élégantes riches, à tous les bibelots qui sont des joyaux, à toutes ces précieuses créations d'artistes soucieux d'embellir des réduits de petites fées, à tous ces brimborions admirables qui ont leur place sur le meuble de toilette. La patience d'un collectionneur artiste, M. Bernard Franck, a réuni par centaines, dans ses vitrines, en son appartement de l'avenue du Bois,

sous une lumière qui fait valoir tous les scintillements et tous les chatoiements, nombre de ces menus objets, nombre

de ces oeuvres d'art égales aux plus belles, car en art, le volume n'est rien, l'équilibre des proportions est tout ; telle bonbonnière, tel étui à épingles sur lequel Watteau a jeté pour les frères Martin le caprice d'une fête galante, l'allure spirituelle d'un donneur de sérénades, équivalent aux travaux des dimensions les plus ambitieuses. M. Bernard Franck a eu deux passions de collectionneur : il a réuni, tout le décor des grandes époques militaires, les miniatures des héros, les armes rares, les miroirs où se reflétèrent des impératrices ; il a groupé aussi d'un soin égal, avec un

bonheur peut - être plus grand, tous les caprices de goût, toutes les jolies menuités qui entouraient la beauté féminine au xvnie siècle; parmi ses vitrines, dansl'éclat des gemmes, dans la luisance des vernis, dans la douceur vive de la porcelaine, synthétisent

synthétisent l'effort de plusieurs générations vers toujours plus de grâce, et plus de coquette subtilité à faire passer entre les doigts de la beauté, pour l'orner et l'embellir encore, le contact de mille objets précieux, bonbonnières, vinaigrettes, étuis à épingles, nécessaires, boîtes à mouches, montres précieuses, éventails, flacons de parfums, tout l'attirail de guerre de Chloris ou d'Eglé, de Mme de Pompadour ou de M"e de l'Espinasse. Certains de ces objets sont de simple mais excellente joaillerie. Des

Étui, émail de

Saxe forme de jambe,

mouture or et sardoiue.

sardoiue. Louis X V.

Etui, émail de Chelsea,personnage de la Comédie italienne Ep L. XVÉtui,

XVÉtui, iaj'é,

médaillons les

Quatre Saisons.par

Eisen. Epoque

Louis XV.

Etui, faïence de

Mcnnecy, forme

bébé. Ep. Louis XV.

Étui, émail de Saxe, formé barbillon Ep. Louis XV.

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BOUCHER

Cliché Durand-Ruel.

La Coquette à sa toilette


L'ART ET LES ARTISTES

Lorgnon et loupe, jaspe et sanguin monture or ciselé, traz'ail de Debeige. — Epoque Louis XV

rocailles, des volutes d'or d'une admirable finesse courent autour de la pierre dure et sur le jaspe sanguin, sur l'agate rosée et veinée; sur ces harmonies de reflets doux, l'artisan délicat, un Debeige, par exemple, a mis sa. marque par le simple arabesque d'or. D'autres sont dus à la collaboration

collaboration l'artiste et de l'artisan. Parmi deux cents étuis à

épingles, en vernis Martin, M. Bernard Franck peut montrer celui que décora Watteau ; il en est un où François Boucher

Boucher des amours. Ici c'est Oudry qui a paré cet étui des prouesses des animaux qu'il aimait peindre. Eisen a dessiné dans des médaillons décoratifs des rondes d'enfants et figuré les Saisons. Et pour quelques étuis authentiques.signés de noms d'artistes, combien s'affirment oeuvres d'art par leur seule valeur ? Est-ce Gillot qui a

peint là ce Chinois madré et élégant, tout au-dessous d'un Chinois de convention au ventre éclatant et bombé ? C'est possible ; à moins que ce ne soit Boucher, à l'heure où il était passionné de décor extrême-oriental et préparait ses cartons de tapisserie et ses livres d'estampes chinoises. C'est aussi un peintre qui a jeté sur fond d'or clair ce svelte faucon - nier, comme ce sont des artistes qui ont dessiné pour Sèvres, Lunéville et surtout pour Meissen, ces étuis de céramique, de porcelaine blanche, rose et verte, de couleur tendre, fragile et précieuse, ces flacons à personnages brillants, poupins, mais séduisants car ils sont galants et tendres comme une jolie odelette du temps.

Ces Saxes l'idée en vint-elle d'un Adam, d'un Antoine Pesne, d'un Clodion, d'un Le Mire ? En tout cas dans la série des étuis voici les plus jolis essais de forme décorative: c'est la botte éperonnée d'un seigneur; c'est un Scapin aux yeux étonnés ; c'est la jolie face masquée d'une marquise galante ; c'est un bras nu tendant une coupe frêle;c'est, en

somme, une recherche d'associer à ces menuité charmantes la ligne de la beauté humaine, d'unir la joliesse des objets et les agréments de la nature ; l'espièglerie n'y perd point ses droits, qui fait un flacon d'odeurs d'un singe portant une bouteille ; un autre artiste se plaît à tirer ces minuscules et délicats flacons de paifums, du baiser quasi violent de deux bouches, de l'attirance des deux jolies têtes de Lindor et de Cydalise, les lèvres unies dans un bel élan amoureux. Quand la présence de l'artiste, du créateur de figurines, n'a pas été requise, on sent bien que le céramiste, ou l'orfèvre n'est point étranger à l'art d'un Oppenord

ou d'un Brunetti, et il y a toujours du style dans le dessin de ces jolies boîtes qui renferment les ciseaux serrés d'un strict étui, le pinceau à mouches, le flacon de sels,. le carnet de bal. Il y a chez M. Bernard Franck des boîtes admirables, faites à cet effet ; les formes en sont curieuses ; parfois l'art d'un Berain y fait apparaître

apparaître le fond vieil argent, parmi le faste d'un décor fleuri, des silhouettes délicates.

Parfois l'orfèvre est seul, ou on peut le croire seul, à avoir édifié la petite merveille, mais certes c'est une oeuvre d'art que, par exemple, ce carnet de visite de Debeige, en jaspe sanguin foncé sur lequel l'artiste s'est plu, par le

jeu de couleurs des pierreries, des petits diamants

et des rubis, à enclore de scintillants paradoxes, d'éclats de gaieté claire, la gamme lisse et miroitante de la pierre dure, à l'enserrer comme d'une vigne dont les pampres seraient des lumières.

Et encore dans cette collection, où rien n'est oublié de ce qui touche la vie intime de la femme au xvme siècle, voici ■ des cassolettes en forme d'oeufs. Sur la toute menue surface ovoïde' en jaspe sanguin, la volute d'or enroule des ébats d'enfants.

Lorgnon face à-main, or laque noir, motifs de Berain ciselés. Epoque Louis XVI.

Lorgnette de théâtre, laquée rouge et or. — Epoque Louis XVI.

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MOREAU-LE-JEUNE

La Dame de la Reyne


L'ART ET LES ARTISTES

L'objet est de provenance royale : des armoiries l'indiquent. Une devise sur émail blanc entoure le bibelot précieux : « Votre fidélité fait ma félicité. » Les boîtes à mouches,

mouches, toutes petites surfaces d'or et d'ivoire ont

ete recherchées par des artistes épris de difficultés à vaincre, pour y figurer sur l'émail, les ébats joyeux des faunes, ou dans la menuité de petites frises les élans comme enrubannés de petits amours.

Parfois aussi c'est une miniature qui s'y incruste ; et c'est alors, parmi le cercle de roses de Hollande, sur la blancheur tranquille de l'ivoire, l'éveil coloré et souriant ou la grâce mélancolique d'une beauté du temps passé, notée aux plus belles heures de sa fraîcheur, à une minute de coquetterie souvent reprise par le pli de ses lèvres, et que la patience de l'artiste a gardée toute intacte, sur la plaque d'ivoire patiemment lavée et aquareUée, pour les temps qui viendront.

Devant ces vitrines de miniatures, devant les petites rondes mythologiques qui courent ( si peu d'espace) sur la toute petite boîte à mouches, comme aussi devant les portraits de femmes qui sourient sur le couvercle des

boîtes légères, qui furent faites surtout pour y mettre un portrait, on songe aux vers de Théophile Gautier qui promettait l'immortalité à la matière dure, aux émaux, aux camées, aux onyx, aux agates : et voici que ces vitrines offrent le prestige contraire de la durée du frêle et du léger, du vernis

et de la couleur, de toutes ces choses délicates que leur beauté seule suffit à empêcher de mourir, car les mains pieuses des amateurs recueillent leurs fragiles miracles, et les préservent à force de soins tendres et respectueux.

Ainsi subsistent les éventails; la collection

de M. Bernard Franck

permettrait d'écrire l'histoire de l'éventail au xvme siècle ; depuis ceux du commencement du siècle, ceux de la Régence où sur

les lamelles brillantes apparaissent encore, écho des compositions d'un Lebrun, rivales des fastes d'un Lemoyne, de grandes plaques décoratives où parmi tout l'arroi d'une armée, et les lances et les panaches et les palanquins des éléphants et la carrure forte des gros chevaux de guerre, où parmi les guerriers casqués, Alexandre ou un tel autre vainqueur des pays de légende et de lointain s'avance vers la reine captive. Et puis viennent la

mythologie, et les fêtes galantes ; auprès des balustrades florées de grosses roses, les dames au long manteau, au menu toquet à plumes, s'accoudent à écouter l'Arlequin galant et le Gille languissant.

languissant. temps de Boucher, le faire de

l'éventail

parfois se

hausse à

rivaliser

avec le

carton de tapisserie et laisse voir autour des douleurs d'Ariane des défilés de Tritons et de Néréides, jusqu'à ce que la mode amoureuse de Greuze y mette des fillettes aux jolies allures rêveuses : ce qui n'empêche point

Boîte à mouches, agate orientale, monture or, couvercle à cassolette. Epoque Louis XV.

Etui en forme de clé

or entaillé et brillants.

Epoque Louis XVI.

Châtelaine et montre, agate

orientale, mont'ure or, roses, rubis. Ep. Louis XVI^

Montre de femme en or,

émail, entourage Jargons.

Epoque Louis XVI.

Boîte à fard, mail de Saxe,

yeux en roses, couvercle agate

monture or. Ep. Louis XV.

I48


L'ART ET LES ARTISTES

Boîte à épingles, ivoire, forme navette, incrustée d'or, miniature de Prud'hon. Epoque Louis XVI.

1 éventail de revivre tant d'autres minutes de l'art, de refléter la fantaisie des maîtres du second ordre,

et aussi de noter parmi l'agrément de ses surfaces, la mode de son temps, bien détaillée, bien vivante, présentée parfois comme en une série de portraits, cernés comme par les lignes d'écrans distincts, ou mieux agréablement enchaînés par le jeu d'une petite scène de la vie mondaine, d'une réception, d'une dînette. Parmi ceux de la collection Bernard Franck un intérêt unique s'attache à celui qui nous amuse avec adresse de tout l'aspect d'une mascarade, d'unescènedebal costumé que rend plus

joyeuse l'apparition d'un cortège de dominos qui semblent presque des pénitents, à la cagoule

joyeusement rejetée, petite oeuvrette qui fait penser à Casanova et aux bizarres coudoiements qu'il nous montre parmi les plaisirs de la vie de Paris, les jours des fêtes de la foire, à ces petits abbés libertins et à tout le mélange humain qui vivait et riait dans les coins d'élégance de la grande ville.

Et ainsi l'éventail suit l'histoire des moeurs et l'histoire de l'art, chose de durée, en même temps que bibelot d'une heure aux mains des belles curieuses et des belles spirituelles qui s'en servirent pour voiler ce regard qui était selon Goncourt sous les temps de la Régence, vif, hardi, dominateur, pour devenir sous Louis XV, fripon, expressif et sentimental,

sentimental, se muer ensuite en passion et en langueur ; généralisation peut-être un peu excessive, mais qui s'accorde avec ce que l'art nous dit de la femme du xvnr 3 siècle. Pour voiler ou pour accentuer ce regard, pour le munir d'impertinence, pour décocher la flèche du désir, pour en montrer l'accueillante douceur, pour faire valoir toutes les mille nuances de la sensibilité féminine traduites par sa limpidité, ce temps met aux doigts des femmes les plus jolis faces-à-main, où toujours la pierre dure se flamme et se décore de

volutes d'or. Pour créer le face-à-main ou le lorgnon, comme pour orner la montre, l'artiste est

toujours appelé et si la montre n'est point, avec sa coque précieuse, une merveille de précision, emboîtée dans quatre jolies miniatures , souriantes sur tous les parois de son enveloppe, au moins, la pierrerie et l'émail s'y jouent en harmonies fines, distinguées, où la gemme se garde d'écraser par son faste, le joli jeu de dégradations, parfois l'irisation bleue et verte de la plume de paon, qu'y a voulu l'artiste.

Analyser la collection tout entière de M. Bernard Franck, ou examiner les pièces, en les

commentant ce serait écrire toute 1 histoire du petit- art décoratif au xvme siècle, grâce au plus

Boîte en écaille, miniature portrait de la princesse de Lamballe (i7Sç\

Carnet de bal ouvert, montrant à l'intérieur tablettes, miroir, ustensiles d'acier. OEuvre de Debeige.

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L'ART ET LES ARTISTES

Carnet de bal porte-tablettes, agate orientale, or ciselé, diamants et rubis. Epoque Louis XV. '

magnifique assemblage de documents.

Nous n'avons cherché ici qu'à esquisser d'après ce qu'ont pu réunir les patientes . recherches d'un subtil chercheur, dont l'ardente curiosité et l'habileté de dénicheur égalent celle d'un Sauvageot,

Sauvageot, scintillant petit musée était la table de toilette d'une élégante au xvme siècle. Epoque heureuse, : où la grâce divine de l'art touchait le moindre bibelot, où la patience et l'ingéniosité de l'artisan français égalait celle.de .l'artisan japonais, où d'ailleurs par une coïncidence curieuse, qui ne semble point venir, ainsi que le.remarquait un de nos plus judicieux critiques d'art, M. Jérôme Doucet, d'une influence des Japonais sur nos artisans, mais d'une égale dose de perfection dans le détail et d'une aussi prodigue fantaisie décorative, chez nos artistes, tous les recoins, toutes les facettes d'une de ces précieuses petites merveilles offrent aux yeux la surprise d'un attribut nouveau, d'une harmonie ou d'un attribut corollaire, d'un enjolivement habilement, capricieusement, logiquement, librement jeté auprès du motif principal, où l'artisan-artiste semblait ne quitter

qu'à regret et après l'avoir embellie de tout son pouvoir la jolitê qu'il offrait, en accessoire de leurs grâces naturelles et

apprises, aux plus jolies et aux plus spirituelles des

femmes éprises de luxe élégant et artiste. Sans doute,

Carnet de visite, reliure jaspe sanguin, monture or, travail de Lebeige. — Epoque Louis XV.

au xvine siècle, nos artisans et nos artistes connaissent fort bien l'art d'Extrême-Orient M. Roger Marx a noté avec sa sûreté et sa précision ordinaires que la vision fréquente des objets d'art japonais et chinois n'est pas étrangère au mouvement de liberté qui écarta le style froid et compassé de Lebrun pour le remplacer par une manière plus proche de la vie ou de la fantaisie élégante. Mais dans le bibelot xvme siècle, le soin de l'artiste à orner toutes les facettes de sa petite oeuvre n'était point inspiré par le simple souci du fini, du parfait, en même temps que par celui d'une élégante complexité ; dès que le goût français se débarrasse de la conception rigide et fausse qu'on voulut lui imposer de l'antique, qu'il s'évade de la prétendue sobriété des temps classiques, il retrouve toutes les qualités de verve et d'abondance heureuse, cette ambition du complet et du varié qu'on admire aux belles pièces de la collection Bernard Franck.

GUSTAVE KAHN.

Nota. — C'est à la gracieuse obligeance de KG Bernard Franck que l'Art et les Altistes doit la reproduction de la suite d'objets d'art reproduits dans cet article.

Navette, or laqué, fond rouge. Epoque louis XV

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Portrait de l'Artiste par lui-même


LOUIS LEGRAND — L'AMI DES DANSEUSES

(Eau-forte)

Louis Legrand

JE crois bien que c'est le plus surprenant aquafortiste de notre époque. Nous comptons une belle série de techniciens de l'eau-forte, mais qui, parmi, eux, jugera-t-on plus -savant, plus maître ? Cependant Louis Legrand n'a de la gloire que sa partie la plus pure, il est vrai, mais la plus restreinte : l'estime enthousiaste d'une élite de connaisseurs et de spécialistes, depuis une quinzaine d'années qu'il produit inlassablement. Je ne dirai pas qu'on ne le met point à sa place : un grand artiste sait toujours s'y mettre lui-même, et certes je trouve la sienne large et splendide dans l'art moderne. Mais si, devant une puissance aussi avérée, l'unanimité ne s'incline pas, c'est qu'il y a des raisons obscures, et j'aimerais les comprendre. Une récente exposition à la galerie Pellet réunissait les principales eaux-fortes de Louis Legrand, et quelques pastels. Les caractères généraux qui s'imposaient à l'esprit dès le premier regard étaient ceux-ci : une imagination violente j usqû'à la brutalité, une inquiétude nerveuse se communiquant au spectateur avec un redoutable magnétisme ; une fécondité

fécondité une passion enragée pour le travail, permettant au caprice de l'artiste des incursions dans tous les domaines de l'expression, depuis la luxure hypocrite ou avouée jusqu'à une mysticité rustique et quasi plébéienne ; enfin et surtout, rassurant en présence de certains sursauts d'une fantaisie acerbe et bizarre, un don de perfection technique effarant par sa constance, sa richesse, sa certitude et sa concentration de volonté, un don de perfection imperturbable faisant du dessin un instrument d'analyse d'une extraordinaire acuité psychologique.

Je ne connais aucunement Louis Legrand, dont je n'ai jamais cessé de suivre l'oeuvre depuis les temps déjà lointains où ses premiers dessins parurent au Courrier français, annonçant, malgré des outrances inutiles, des lourdeurs et des gaucheries, une captivante personnalité. Je ne sais rien de l'homme ni de son caractère ; mais je serais bien surpris si son trait dominant n'était pas une volonté presque farouche, volonté tout entière tournée vers le dedans, d'ailleurs, uniquement donnée à l'ex152

l'ex152


LOUIS LEGRAND

Le Beau Soir



LOUIS LEGRAND

Le Parisien



L'ART ET LES ARTISTES

pression de ses désirs d'art, car il s'en est bien peu servi pour propager son nom et soigner ses intérêts. Mais quelle nature intransigeante, quel singulier mélange de patience et de fougue ! quel amour tenace de la forme poursuivie jusque dans ses suprêmes ressources de signification ! quel acharnement jaloux et exclusif d'un homme « fou de dessin » comme le vieillard sublime de la Mangura !

L'imagination de Louis Legrand s'autorise presque avec névrose, du plus robuste, du plus sain

tempérament de dessinateur. Elle est inégale et admirable. Elle naît presque toujours d'un enfièvrement sensuel, et c'est même là ce qui a pu, dans des jugements superficiels, l'assimiler à Rops avec lequel il n'a aucune parenté technique ou mentale. L'imagination de Legrand n'a rien d'idéologique. Ses compositions n'ont pas de thèmes littéraires ; il n'est pas épris de symbolisme, et s'il a une culture intellectuelle, il se garde soigneusement de la faire intervenir dans ses oeuvres. C'est un réaliste et un Français, étranger à la rêverie allégorique des graveurs allemands, à la gracilité compliquée des illustrateurs préraphaélites. L'amour du modèle le possède. Il est gourmand de la chair, et il ne songe qu'à faire partager sa gourmandise, avec une telle bonne foi, une telle expansion de belle humeur, que même dans l'érotisme il reste naïf.

Il a gravé quelques scènes religieuses. Il les a conçues dans un décor contemporain, comme cette Famille du charpentier qui est une merveille de savoir et de sincérité plastique, comme le Fils du charpentier, magistralement traité à la manière noire, comme la Mère de douleur, vêtue en paysanne, tenant son fils émacié sur ses genoux, le regardant avec des yeux de folle, comme la Divine Parole ou la Mater inviolata. Ces diverses recherches sont autre chose que ses caprices d'aquafortiste touchant à tous les sujets. Ce ne sont évidemment pas des oeuvres religieuses au sens exact du

terme, ni les repentirs d'un erotique; mais le côté populaire de la légende du Christ a remué en Louis Legrand une certaine émotion de justice et de pitié, un désir d'ingénuité, et son tempérament de réaliste est intervenu avec une heureuse logique pour donner à ces scènes un accent de sincérité, d'humanité, analogue à celui que M. de Uhde a emprunté aux traditions du moyen âge en mêlant le Christ aux milieux ouvriers modernes. Ces quelques planches de Legrand, avec leur style rude, sont

LOUIS LEGRAND

LA FILLE A SA TANTE (Eau-forte)

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L'ART ET LES ARTISTES

suggestives d'une foi qui, pour n'avoir rien d'orthodoxe, ne révèle pas moins chez lui une réelle faculté de tendresse. Mais son essentielle personnalité est ailleurs.

Elle est dans l'expression profonde, terriblement éloquente, .d'une certaine sensualité, qu'il ressent et qu'il définit comme personne, je crois, ne l'a jamais fait. Cette sensualité, dont les baisers . s'achèvent en morsures, n'a rien de la sensualité fine et perverse de Rops, rien de l'intensité lyrique de celle que Baudelaire déchaîne dans la terreur et étouffe dans le remords. Elle est exempte de toute intention littéraire ou philosophique, elle n'est ni morale ni immorale. Elle a quelque chose d'évident, d'obstiné, de fauve et de cruel, un magnétisme animal qui trouble.

Deux planches de Legrand, la Maîtresse et les Amants, sont en ce sens deux chefs-d'oeuvre qui donnent à réfléchir longuement et font presque peur.

C'est tout à fait admirable de complexité psychologique et de révélation de la pensée par

LOUIS LEGRAND.

ANATOMIE COMPARÉE

LOUIS LEGRAND L'IDIOT

le dessin, mais sans romantisme, sans symbolisme. La réalité de la vie, rassemblée en un geste naturel, suffit à la composition. C'est la qualité seule des modelés, c'est la puissance d'un dessin merveilleusement propre à intensifier le caractère, qui entourent d'un halo d'idées générales ce monsieur et cette dame s'embrassant, et en font des figures représentatives de tout le vertige affolant du désir, avec pourtant un modernisme aigu.

Pareillement s'atteste la faculté de synthèse de Louis Legrand dans cette planche des Amants où une femme couchée sur un-canapé écouté son amant jouer du violon. L'étrange page d'amour! Là encore tout symbolisme est absent. Nous voyons un amant jouant un air à sa maîtresse, et c'est réaliste, et ce serait banal — mais il y a de quoi songer durant des heures sur le degré inouï de volupté contenue et de délire douloureux qu'il y a là. Le soi-disant réalisme de Louis Legrand a donc su, par la restitution du vrai, par la science de la présentation, par la sincérité du sentiment, nimber une anecdote de toute la mystérieuse beauté du symbolisme immanent de la vie, et construire une réalité qui n'a pas sa fin en elle-même, sans le secours d'aucun accessoire symbolique — ce que Rops n'a jamais pu faire. Pour un homme

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LOUIS LEGRAND

Danseuses



LOUIS LEGRAND

Joie Maternelle



L'ART ET LES ARTISTES

qui a l'air de ne pas penser et qui ne prie pas le public de remarquer qu'il a mis une grande pensée dans son eauforte, il me semble que Legrand est quand même arrivé à nous en suggérer d'authentiques ! Il n'a pas eu une idée proprement dite, mais il a regardé deux faits de vie avec une si extraordinaire pénétration qu'il en a fait jaillir 'la part d'éternité et de symbolisme latente dans tout fait, et se révélant à qui sait voir. Et il a su conférer à chaque détail, par la patience de son analyse et l'obstination de sa volonté, toute sa valeur significative, tant qu'à "la fin la synthèse s'est reconstituée d'elle-même.

Obstination, volonté, patience, Louis Legrand a tout cela, et l'amour tyrannique de la perfection. Il a travaillé énormément pour produire une oeuvre relativement restreinte, et il a dépensé certainement la force d'une longue vie. S'il s'attache à un détail, il ne le quitte plus, il s'y cramponne jusqu'à lui faire rendre toute la somme d'intérêt qu'il peut contenir, en quoi certains dessins de lui me font songer à ceux de Ferdinand Gaillard. Un pied, une main, un coude, les côtes d'un torse de fillette maigre, il faut voir cela de Legrand ; mais cette périlleuse manie de parachèvement ne le conduit ni au fignolage ni à la dispersion des regards au détriment

détriment deux ou trois grandes valeurs importantes de sa composition. Lorsqu'il peint, d'ailleurs, il ne tient compte que de ces valeurs : ses pastels très doux, se jouant dans les gris et les blancs avec de légers rehauts roses, présentent avec une fragilité inattendue des figures extrêmement délicates, indiquées largement et à peine ; ses peintures sont traitées dans la technique impressionniste avec une franchise presque brutale, par hachures de tons juxtaposés, et toutes de verve. Ce sont les jeux d'un graveur âpre et minutieux qui se repose et révèle une vision picturale presque ingénue, offrant l'amusant disparate d'un coloris de fleurs et d'un dessin caricatural lorsqu'il silhouette des soupeuses de grands bars.

LOUIS LEGRAND

FLORE ARTIFICIELLE

La massivité puissante de ses noirs, parfois insistante jusqu'à la lourdeur dans ses eaux-fortes religieuses, s'allège étonnamment dans toute une série d'impressions où il a noté le vice parisien, en cherchant à donner au trait toute sa valeur d'expression sans le concours des masses d'ombre et de lumière. Il en est venu à de simples graphiques cursifs dont le reste de son oeuvre ne l'eût pas fait penser capable, et qui sont d'une verve ironique et acerbe. Cela semble de très forts dessins de journaux d'humour, de rosserie et de caricature; cela a l'aspect de griffonis enlevés, quelque chose comme le journalisme impressionniste de M. Forain : en regardant de plus près on découvre des oeuvres méditées, complètes, et qui sont tout à

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L'ART ET LES ARTISTES

LOUIS LEGRAND

COUVERTURE DU « LIVRE D'HEURES »

fait de l'art, les résumés brusques de lentes réflexions et d'un acquit plus lent encore.

Dans les eaux-fortes les plus libres de Louis Legrand, où il y a de tout, de l'observation malicieuse, du burlesque instantané, de la satire, de la gaillardise même, et contestable, j'aperçois toujours cette névrose inquiète, cette amertume d'artiste obsédé par le souci de perfection, et ce désir de faire grand et puissant, qui relève jusqu'aux plus douteux des caprices de son humeur ; si parfois je suis, par le sujet, convié à un rire facile contenant l'implicite perception d'une faute de goût, et au moment où je vais en vouloir à un homme qui traite un sujet digne des plats romans naturalistes, le raccourci d'un bras, l'attache d'une nuque ou la cernure d'un pied m'émeuvent par la science vigoureuse, et je me souviens d'être devant un grand artiste qui s'amuse.

C'est peut-être ce côté bon enfant et parfois terre à terre de l'humour de Legrand qui a indisposé certains : car on n'aime, dans les régions de l'eau-forte « secrète », que la perversité malsaine, compliquée, prétentieuse et très littéraire, celle qui permet des déclamations sur le symbolisme de la luxure et sur la démonialité, déclamations dont Rops a prétexté un abus si

agaçant. Ni là ni ailleurs Legrand ne s'est soucié de symboles, et il lui eût été facile d'en rehausser les tendances de son érotisme, lesquelles sont communes d'ailleurs à la plupart des graveurs, par un phénomène mental qu'il serait intéressant de définir. - Mais il ne fait que ce qui lui plaît ; le choquant de cette partie de son oeuvre vient plutôt du désaccord de ses sujets, qui en général s'excusent par la négligence d'une facture leste, et de. la conscience un peu pesante qu'il, y apporte, voyant surtout, même dans un croquis • grivois ou une vignette de réalisme navrant, l'occasion de satisfaire à la passion de perfection qui le hante. Cette conscience extrême, insolite dans • l'époque, et surtout dans le monde des dessinateurs de journaux, où l'escamotage s'appelle de l'esprit, , a dû aussi nuire à Louis Legrand, qui n'a aucunement cet esprit et n'a rien à faire dans ce monde - où son séjour forcé a donné fâcheusement le change sur sa haute valeur d'artiste.

Il a touché à tout, il a fait de tout, et avec un bonheur égal, sans se spécialiser, ce qui est encore une des raisons de la restriction apportée à sa gloire

LOUIS LEGRAND

MÈRE DE DOULEUR

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LOUIS LEGRAND

Le Christ


L'ART ET LES ARTISTES

LOUIS LEGRAND

L'HEURE DE LA CHAUVE-SOURIS

par ses rivaux auxquels sa science est redoutable et qui s'imposèrent en faisant toujours la même chose. Le dessinateur des filles, le pastelliste des silhouettes candides, le graveur des christs socialistes, l'analyste d'; l'hystérie amoureuse, est aussi un expressif du visage des humbles, comme en témoignent ses dessins de prêtres campagnards, ses croquis d'animaux, ses bretonneries, tel ce Beau Soir où la tête de la mère adoucie et résignée est un chef-d'oeuvre, telles ces maternités villageoises où se modèlent d'admirables académies d'enfants, tels ces dessins d'un caractère tendre, presque classique, dont l'Aïeule, interrogée par une enfant câline, est peut-être le plus attachant témoignage. Legrand nous a confié, dans son Livre d'heures, les fluctuations de sa sensibilité, allant de l'audace charnelle, de l'hallucination, de la brutalité, à la plus réelle finesse, et toujours avec cette volonté acharnée d'exécutant qui prime toute considération en lui et pourrait faire croire à des visiteurs hâtifs qu'il n'est avant tout qu'un ouvrier, ce qui est à la fois vrai et faux.

Ses dessins pour Edgar Poë requièrent par une impressionnante entente du tragique, tels ceux pour Le Chat Noir et Bérénice, mais s'en tiennent à l'extériorité de la terreur, qui,

dans Poë, n'est qu'un voile jeté sur des idées infiniment profondes : il est vrai de dire qu'une pareille illustration est à peu près impossible, et surtout à des peintres, alors qu'un poète de génie sachant dessiner la pourrait seul tenter avec des chances de succès.

Une part de l'oeuvre de Legrand est particulièrement belle; c'est sa série d'études de danseuses. De même qu'en dessinant le vice parisien il a fait tout autre chose que Lautrec, ce pessimiste glacé, japonisant, avant tout décorateur, en étudiant la vie et les exercices de la Ballerine Legrand a fait tout autre chose que Degas, bien que guidé par une curiosité très analogue, celle de montrer le contraste entre le labeur pénible, la vulgarité populacière de la danseuse, et la puissance d'illusion que la scène et la clarté confèrent à la chrysalide du jour devenue le féerique papillon des nuits. Degas, qui est un dessinateur de génie et un très beau coloriste de valeurs, est aussi un misanthrope à vision chagrine, spirituelle, cruelle, et volontairement très restreinte. Il a tiré tous ses effets du désaccord subtil entre le charme de la tonalité et la laideur minutieusement observée des formes réelles de la Ballerine : et même ses répétitions de danse, dans le froid jour grisâtre des salles nues, gardent un intérêt avant

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LOUIS LEGRAND

Le Sioux Hampa


LOUIS LEGRAND

Paimpolaise



L'ART ET LES ARTISTES

tout pictural. Legrand y a mis moins de méchanceté que de pitié. On dirait que Degas, avec son amour obstiné de la vérité amère, hait la danseuse parce qu'elle crée une illusion de beauté sans être belle, et se réjouit de ruiner cette illusion en révélant les tares secrètes.

Legrand s'est intéressé au travail écrasant qui brise les pauvres corps, à toute la fatigue musculaire qui prépare durant des heures la minute de grâce éblouissante et factice du soir, et il a noté le détail technique des attitudes, comme il l'avait fait jadis, en une série de dessins aujourd'hui introuvables, pour l'étude du « chahut » professée gravement par La Goulue. Puis, son regard de dessinateur, introublé par le problème de la couleur qui a modifié le réalisme de Degas, a trouvé une beauté dans cette fatigue, cette peine et ces exercices imposés à des femmes. Il en est résulté de multiples recherches d'anatomie et de mouvements où se rencontrent, sous la cernure énergique du trait, quelques-unes des choses les plus savantes que Legrand ait jamais réalisées, avec un sens ornemental qui se montre

LOUIS LEGRAND

LE BON BEDEAU

LOUIS LEGRAND

ÉPAVES DE FAMILLE

{d'après un dessin exécuté à 14 ans)

peu dans son oeuvre. Certaines combinaisons de corps parviennent vraiment, par la subtilité de l'enlacement des membres et le contrariement noué et dénoué des lignes, à donner l'impression de chiffres humains tels que Rodin les a cherchés dans tous ses petits groupes.

L'oeuvre de Legrand, dans son ensemble, offre comme un résumé des tendances caractéristes du mouvement moderne ; il a touché à toutes les formes de la technique, et il s'est rencontré dans plusieurs domaines avec des maîtres. Cependant on dirait qu'il a vécu absolument à l'écart et qu'il a traité tous ses sujets sans savoir ce qu'en avait fait autrui, découvrant et reprenant les thèmes du réalisme impressionniste pour en refondre un art qui est bien le sien.

Sa gamme de sujets rappelle Rops, Lautrec, Degas ; mais ce qu'il en tire ne ressemble à aucune des interprétations de ces artistes, ni par le sentiment, ni par le faire. Cette note sombre, nerveuse, âpre, ce souci de la forme qui le ramène constamment au classicisme dans les fantaisies les plus scabreuses, cette

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L'ART ET LES ARTISTES

rudesse ardente, ce sont ses marques. Il impose par le scrupule dans la puissance, et même sa nervosité reste soigneuse d'une exécution évidente et définie, son caprice ne suggère pas mais dit tout sans rien omettre, sa volonté est écrite violemment sur le cuivre, l'élan de sa sensualité farouche est cerné par son burin avec une patience implacable.

Louis Legrand m'apparaît hautement original par la sorte d'aveu cynique et superbe d'une personnalité qui ne s'énonce jamais à demi.

Notre époque a fait un tel gaspillage des mots qu'on n'ose plus écrire certains sans se défier de soimême, sans redouter d'être atteint de cette contagieuse et déplorable ivresse verbale qui fausse toutes les valeurs des termes. Mais ce n'est pas sans y avoir longuement réfléchi que j'en viendrai à dire qu'il y a dans cet homme une authentique, une incontestable génialité.

La conscience acharnée, l'insistante curiosité

visuelle, l'amour paroxysme de l'analyse des formes, ont élevé Legrand et son art à la valeur d'une passion, il s'est tellement exalté dans cette passion, contemplative qu'il en est venu à une harmonisation de: toutes ses énergies mentales, c'est-à-dire à ce prestige étrange que le mot génie me semble définir. Sa maîtrise - est le fait d'une longue' " patience obstinée ; il a dépensé frénétiquement sa- force vitale à une lecture toujours plus profonde des mystères de la forme.

C'est par là qu'il est admirable.

Sa sensuelle sincérité ne s'est pas diluée en caprices, laissé griser par la charmante et dangereuse spontanéité des dons naturels, contentée d'un « à peu près » dont la grâce légère abuse trop de nos meilleurs artistes : il a voulu, à un degré presque inquiétant, et c'est cette saturation de volonté qui nous trouble avec ■ une sourde puissance dans son oeuvre. '

Nous devons à l'aimable autorisation de M. 'G. Pellet, éditeur, la reproduction des oeuvres de Louis Legrand qui illustrent cet article.

CAMILLE MAUGLAIR.

LOUIS LEGRAND — DANSEUSE

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LES BOEUFS D'après le tableau de GR1G0RESC0.

Nikoulae ion Grigoresco

T A Roumanie a envoyé officiellement quelques "^** tableaux aux expositions universelles de 1889 et de igoo, malgré les protestations de ses meilleurs peintres, Grigoresco tout le premier. Le jeune royaume voulait comme un autre avoir une école, alors qu'il ne possédait que deux ou trois individualités : or, une salle uniquement ou presque remplie de ses oeuvres, récoltées au hasard, semblait le comble du ridicule à la modestie du Maître. Aujourd'hui, une jeune école existe réellement à Bucharest ; elle vient de revendiquer et d'obtenir sa place au soleil. Une section roumaine a pour la première fois été organisée à la neuvième exposition internationale des Beaux-Arts de Munich. Le fait est accompli. Et voici que Grigoresco n'y figure pas autrement que par l'impression que donnent tous ces jeunes gens de lui devoir l'existence. Choix et mise en place des motifs, distinction de la tonalité, goût des harmonies délicates et jeunes, on retrouve à peu près tout de lui chez M. Petrasco, qui le suit jusqu'à Vitré et à Fougères, d'où le maître rapporta jadis les jolies notes des musées de Bucharest et de Jassy, et même chez M. Kimon Loghi, infiniment

plus original que M. Petrasco, mais dont les coins d'appartements douillets et calfeutrés évoquent les quelques tableautins mondains de l'oeuvre initiatrice. Même chez ceux qui s'écartent des prédilections de Grigoresco, M. Steriadi qui peint des places de Paris, et M. Popesco qui raconte à ses compatriotes la Bretagne crépusculaire aux grandes silhouettes d'églises sombres sur les falaises, M. Artachino qui dans les mahalas (faubourgs) et terrains vagues de Bucharest découvre des motifs dont le grand aîné s'est détourné parce qu'ils étaient tristes, M. Nicolas Grant qui a de riches "intérieurs d'église byzantins et de jolies têtes d'enfant sur fond d'aconits en fleurs, M. Strambulesco qui reprend le thème des pâtres dans la montagne, chez tous, vous dis-je, un spectateur un peu au courant des choses de la Roumanie, reconnaîtra l'impulsion et l'élan du seul grand artiste qu'eut pendant cinquante ans ce pays de soleil heureux et de vie pastorale, le mot pris dans une oeuvre à vrai dire innombrable et dont le catalogue sera certainement impossible, mais dont toute page est significative de l'amour du pays natal, même celles rapportées de Normandie ou des

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L'ART ET LES ARTISTES

DEMENAGEMENT DE TZIGANES D'après le tableau de GRIGORESCO.

environs de Paris, puisque Grigoresco n'a jamais peint en France que ce qui lui rappelait la Roumanie.

Jamais vie d'artiste ne fut mieux dégagée de tout embarras scolaire ou académique ; on- a l'impression d'une belle plante des champs poussée en plein vent, avec la grâce nerveuse et sèche que prennent en Roumanie dans les sols sablonneux, pétrolifères ou salins de la Prahova les espèces de chez nous. Il faut s'imaginer l'un des meilleurs paysagistes de Barbizon, détaché de sa forêt de Fontainebleau et des horizons si fins et humides de l'Ile de France, subitement acclimaté à des deux où la finesse argentée naît de l'excès de chaleur et à un sol où la rare qualité des nuances vient de la sécheresse et de la poussière. Grigoresco a horreur de plusieurs moments et particularités de son pays : il fuit la Roumanie, subitement trop verte parce qu'elle n'a que quelques semaines à l'être du premier printemps ; il ne l'a jamais peinte sous la neige et le brouillard, Plevna l'ayant dégoûté du froid ; il ne veut pas apercevoir les colchiques d'automne, parce que « c'est une fleur mal dessinée » ; il n'a jamais représenté de buffles, réservant tout son amour aux grands boeufs blancs qui portent la clarté du ciel sur leur échine et échangent sur les routes poudreuses les reflets blonds de leurs flancs contre leur légère ombre lilas ou bleuâtre; enfin, il n'admet ni un mouton qui soit noir ou brun, ni une maison roumaine en délabre, ni une fille trapue, ni les jeunes garçons tziganes (au contraire, exclusivement leurs soeurs), ni rien de ce qui pourrait donner de la Roumanie une sensation autre que claire, souriante,

heureuse et virgilienne, Ni grands cris, ni gestes forcés ; seulement de grands horizons, des caim pagnes infinies et une population passive et douce', rêveuse et contemplative le long des grandes routes. Il ne veut rien savoir des Carpathes de caractère alpestre, des sauvages Boutchéches ou du Negoï; mais « la silencieuse Campina », où M. André Bellessort a si bien raison de trouver que « les collines meurent si doucement à l'horizon » reste sa résidence préférée et le décor de la majeure partie de ses scènes populaires.

On pourrait vraiment tirer un commentaire écrit à l'oeuvre de Grigoresco de ce charmant livre, plein d'air et comme ailé, de M. Bellessort sur la Roumanie ; et c'est preuve qu'il l'a bien vue. Des touches comme celles-ci semblent inspirées par l'oeuvre du maître aussi bien, si ce n'est mieux, que les tableaux de ses jeunes disciples. Il s'agit de longues files de chars de boeufs :« J'ai toujours vu les routes pleines de ces convois assoupis. Us se remettent en marche, puis reprennent leur somme, et l'interrompent de nouveau, et s'avancent encore, et quelquefois un paysan, qui ne dort pas, chante d'une voix très douce et très lente à côté de ses boeufs. Roumanie du crépuscule et du soir, si nonchalante et si persistante, paysans qui semblez venir de très loin à travers les âges et qui gardez sous la brillante canicule le bonnet de fourrure où neigea l'hiver russe, paysans, vers quelle aube allez-vous ?» —• « L'hiver russe » seul est de trop, car Grigoresco abhore lui aussi le « Pruth maudit » et ce qui vient d'au delà....

Cette oeuvre est si libre, si aisée, si exempte de

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L'ART ET LES ARTISTES

LA BERGERE D'après le tableau de GRIGORESCO.

prétention, d'une composition si spontanée et empirique, d'une belle matière simple et propre si dépourvue d'artifice, si indifférente à toute recette, que la classification n'en saurait même être chronologique. Si je la devais tenter.il la faudrait établir par la géographie, ou par les saisons, ou par le folklore. On n'a pas même l'idée de l'analyser en un essai soigneusement ordonné et de proportions savantes. Rapportée tout entière de promenades et de flâneries dans les vallons de la zone médiane entre la plaine et les cimes, elle incite à parler d'elle et de son auteur par les mêmes détours au long des haies et des torrents, les mêmes contemplations des lointains mauve, les mêmes arrêts devant les petites maisons blanches à toits de bardeaux et à pridvor aux élégantes colonnettes équarries à la gâchette, qui montrent un sourire de dents blanches sous les pruniers incultes, si différent de l'air navré des vraies paillotes de nègres de la plaine. Cette oeuvre capricieuse et charmante est du reste à l'image de la vie du maître toujours par voies et par chemins. La guerre de l'indépendance, qui sous les tranchées de Plevna l'improvisa peintre militaire, et l'un des plus saisissants que je sache justement pour l'avoir été d'une façon irraisonnée sous le coup d'une émotion et d'une surprise, teinta à peine de misanthropie sa bonne grâce et ne fut qu'un épisode dans l'oeuvre comme dans la vie. Tout le reste appartient à la lumière et muse avec les jolies pastoures dans les fleurs, au bord des grandes routes qui mènent à la montagne. Comme elle diffère également, cette vie, de la morne

existence studieuse et mondaine, réglée de l'école primaire aux funérailles officielles avec une désespérante régularité, du gros de nos peintres contemporains en Allemagne, en Angleterre et en Italie comme en France. Seule, celle du pauvre Vereschaguin fut plus énergique, plus mouvementée et eut une fin brusque et explosive à l'unisson de ce qu'elle avait été tant de fois déjà. Auprès de cette épopée, l'existence de Grigoresco a l'allure d'une églogue sage et lente, mais elle n'en est pas moins libre et dégagée de toute préoccupation arriviste. Ce vrai peintre n'a jamais songé à faire une « carrière », tout au plus de loin en loin une promenade à travers le monde, car sa flânerie a eu la curiosité des capitales d'Occident et de maints sites célèbres. Il ne s'en est jamais souvenu et n'en est que mieux revenu à ses moutons.

Né à Bucharest le 15 mai 1838, son enfance est ceUe que les petits Roumains de notre temps ne vivent plus. Elle clabaude et s'éjouit dans des rues ressemblant fort aux mahalas d'aujourd'hui. L'amour prématuré du jeune Nikoulae pour la peinture connaît encore les vieux Zugrav qui enluminaient les petites églises selon les manuels de l'Athos et des recettes immémoriales. Sous le prince Couza, il est envoyé à Paris : il part par la Moldavie et s'oublia indéfiniment à Agapia où les nonnes lui offrent avec l'hospitalité la mieux choyée, une église à restaurer. Lorsqu'enfin il arrive à Paris, c'est pour y prendre d'emblée le dégoût de l'école et s'en aller tripoter la couleur sans maître dans la forêt de Fontainebleau. Quand il revient à Bucharest,

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L'ART ET LES ARTISTES

il est immédiatement célèbre, car il rapporte à ses compatriotes la bonne nouvelle de l'art libre et clair, appliqué à la représentation de l'idylle roumaine. C'était en 1864. . Or, c'était une révélation que de montrer de vraies pages d'art faites de sujets roumains par des mains roumaines. Et dès lors commence cette interminable série de tableaux grands et petits, qui exprimeront toute la poésie de cette région spéciale où la plaine devient montagne, où les rivières indomptées descendues du plateau de Transylvanie prennent une allure modérée pour se rendre au Danube, et « laissent derrière elles des lambeaux de grève blanche, qui scintillent au soleil comme des parures abandonnées ». Et dans ces vastes albia (lit) caillouteuses, le soleil rend non seulement les pierres éblouissantes, mais les mares fulgurantes et des boeufs blancs paresseux. Le soir aux abords des villes, les baignades connaissent une ingénuité

JEUNE TZIGANE D'après le tableau de GRIGORESCO.

biblique. Puis c'est l'heure de feu, où l'horizon rougeoie longuement au ras d'un sol brun et tiède, comme en sueur, où flotte dans l'air une poussière d'or. Au Palais royal de Bucharest, je sais l'un des plus merveilleux de ces couchers de soleil de Grigoresco. Levé au premier chant du coq, il surprend dans les rues grises des villes quisemblent des camps, ou dans les cours blanches des monastères à tours couronnées de galeries et de toitures en bardeaux, des pâmoisons d'aube, analogues à celles que Cazin cherchait au crépuscule. Puis, ce sont les grands marchés blancs, boeufs, maisons, sol et poussière, bâches des chars (les lourdes brachovones), et costumes des hommes, égayés par les notes rouges des coiffures, des tabliers et des manches brodées des femmes. Un marché de Ploesci, qui avait figuré à l'exposition de 1889, attira mon attention sur le nom de Grigoresco, avant qu'il fût même question de mon premier voyage de Roumanie. Et maintenant,

maintenant, est tout le récit, lent, doux et mélancolique comme une doina, de la vie des champs et des grand'routes. Des grand'routes qui ne ressemblent en rien à celles de chez nous, frayées d'un abreuvoir à l'autre par le passage à même la glèbe pulvérulente d'un premier attelage de boeufs, puis d'un encore, puis d'autres, d'une première caroutz de six à douze petits chevaux cabrioleurs, puis de tout un troupeau et ainsi de suite. Et des scènes de labourage qui ne ressemblent pas non plus beaucoup à celles de chez nous : fortes encolures des boeufs aux cornes arquées, silhouettant sur les nuages le pénible coup de collier appréhensif du coup de fouet, qu'un bras énergique balance en avant de la charrue, enfoncée trop profond dans l'épais et gras terroir.

Et dès les premières forêts, dès les premières friches atteintes, le caractère légendaire de ces scènes, strictement réalistes et contrôlables encore tous les jours, s'affirme élégant sans mièvrerie et candide sans enfantillage, avec le va-et-vient assoupi des grands boeufs, le passage des troupeaux, des sveltes bergères et des pâtres rêveurs dans un nuage né de leurs pas. Leurs attitudes prises sur le fait et toujours apparentées, donnent à ces adolescents un caractère de ressemblance qui permet de les ramener à un seul type.

Les paysages de Grigoresco tiennent tout leur charme d'un coloris toujours atténué par le trop de lumière, le mirage et la poussière, une poussière adorable, propre, saine et blanche comme la plus

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L'ART ET LES ARTISTES

pure fleur de farine. Tout est transitoire, ondoyant et fugace dans ces paysages : les ciels immenses, les jeux de lumière, les ombres des cumulus, les lignes de montagne lointaines, les sillons des vallées, et les miroitements des eaux et de leur lit dévasté. Souvent il n'y a pas de motifs à proprement parler : une rencontre de taches heureuses, de gris rares et de jaunes fanés, au zénith et sur la terre. Un échange de rayonnements subtilement nuancés entre l'avant-plan, le ciel et l'arrière-plan fournit le prétexte immédiat à l'exécution de quelqu'une de ces variations symphoniques dont l'imagination du maître est bourrée. D'une presbytie quij l'empêche absolument de délimiter avec précision ses taches exquises sur la toile ou les planchettes de noyer qu'il affectionne, il n'a cure de traduire avec une subtilité et un raffinement admirables que la seule couleur, les seules valeurs. Il adore le mois de septembre roumain. L'automne est du reste la saison idéale de la Roumanie, les tons roux et fauves, roses et jaunes y sont harmonisés infiniment mieux que chez nous. Des étés dévorants y font disparaître en moins de rien les dernières traces de chlorophylle et des mois de poussière sur un sol d'une grande sécheresse naturelle, mais d'une minéralogie extraordinaire donnent aux terrains des tons noisette et chamois, gris jaune, gris vert, gris bleu, de gants très fins ou d'étoffes

anglaises très discrètes. Au milieu de ces tons rares la virtuosité de Grigoresco se joue. Je l'ai vu en adoration devant de subtils gris de montagnes éboulées, comme devant le museau émerveillé d'un petit veau intelligent et batifoleur, ou tel ramassis de fleurs des champs fourrées à la bottée dans un vase de poterie populaire par grandes taches de même espèce. Et l'adoration chez lui se trahit immédiatement par une pochade. « La femme que j'aimerais je la peindrais tout le temps », nous disait-il un jour. Et nous n'avions qu'à jeter les yeux autour de nous aux parois de son atelier pour nous convaincre qu'il l'avait fait.

Toute discussion théorique lui est absolument étrangère. Sa notion de l'art exclut toute science. Le mot de « technique » le révolte. On doit peindre comme l'oiseau qui chante, tout ce qui se présente de plaisant ; ne jamais se mettre martel en tête à la recherche d'un motif alors que tout est charmant autour de soi. La composition ? Qui ne la découvre pas spontanément à la minute même où il couvre sa toile de couleurs, n'est pas doué selon lui pour la

TETE DETUDE D'après la peinture de GRIGORESCO.

peinture. Et l'on s'étonne qu'un empirisme aussi absolu ait pu produire les étonnants, et.singulièrement effrayants tableaux militaires dont celui de la mairie de Bucharest, un assaut de Smerda, pourrait être cité comme le plus complet, le plus puissant résumé en art des notions de la guerre moderne. Il manque à l'esthétique des batailles de M., de la Sizeranne. C'est le feu et c'est l'assaut vu non.plus par un peintre mais par un soldat, la bataille peinte dans la bataille, où le soldat empêche de voir la bataillecommelesmaisonslaville.O.iditquele roi de Roumanie a peu goûté cette.façon démettre la tuerie au premier plan et le général en chef à la cantonade. Pourtant, on a du monarque de merveilleux portraits militaires par Grigoresco. Mais il avait le tort de plus se rapprocher de Velazquez que de von Werner. Ses dorobantz (fantassins) et ses roshiori et ses calarashi (cavaliers) d'une allure si martiale, sur des paysages de camp réveillé ou d'aube brumeuse aux rives du Danube, resteront le portrait définitif de la nation armée, du paysan soldat, du Roumain de la colonne trajane armé d'un fusil, coiffé d'un

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L'ART ET LES ARTISTES

kalpak diminué en képi et chaussé d'opincis accrues en bottes.

Grigoresco a fait au moins deux portraits de la reine à ma connaissance. Est-ce bien de la reine, et non point de « Carmen Sylva » ? L'un en tous cas est celui de la femme-poète plus que de la souveraine.

Assise dans sa serre, vue presque de dos, elle écrit,Te profil rêveur et penché. Autour d'elle, les palmes et les fleurs se penchent aussi, et une atmosphère blonde et parfumée un peu fiévreuse oppresse

cet intérieur factice où, semble-t-il, aucun souffle du grand air de la montagne ne pénétrera jamais. Si bien que la reine elle-même y semble la plante de serre chaude, exilée et prisonnière que nous a dépeinte Pierre Loti, encore que représentée à une époque où l'on ne savait pas encore le nom de l'écrivain exotique. Et depuis lors, Grigoresco | a •trouvé en cette femme supérieure l'une de ses plus fermes approbations et la plus clairvoyante amitié.

Il y a quelques autres portraits de Grigoresco, d'une fermeté, d'une vigueur et d'un entrain étonnants; vieux de la montagne ou juifs de Moldavie, petites filles des villes et grandes diablesses

de tziganes. Il y a même divers essais décoratifs : un projet de billet de banque, un panneau dans l'escalier de la banque roumaine. Mais il faut tenir tout cela pour des corvées qui lui ont été aussi pénibles que toute commande fixe, au prix du reste de son oeuvre. Là seulement il a été lui-même où toute sa liberté lui a été accordée. Je ne sais pas de sauvagerie plus impatiente de toute espèce de joug. Il a secoué toutes les protections et refusé toutes les subventions avec un désintéressement absolument miraculeux au pays roumain où il eût été presque

. PORTRAIT D'après la peinture de GRIGORESCO.

naturel qu'il fit de sa peinture un moyen de politique. Il a, au contraire, vécu à l'écart de toutes les querelles de parti, ne demandant rien à aucun ministère.

De loin en loin, quand son atelier déborde et que son porte-monnaie s'allège,- il ouvre à contrecoeur une exposition, vend ce qu'il lui faut pour s'assurer quelques années de répit, puis recommence. Un homme qui veut ainsi que lui exprimer toute la substance d'un pays a besoin de ses coudées franches et de nombreux pied-à-terre : il a' été amené

à avoir ainsi des domiciles aux'quatre coins du pays, avant qu'il se soit définitivement fixé à Bucharest et à Campina.

Un temps il eut même à Paris un atelier sans que l'on s'en soit douté dans la petite rue tranquille où vécut et mourut Barbey d'Aurevilly : il y vint peindre ses plus grandes toiles, celles pour lesquelles il fallait de longues séances de modèle qu'aucun paysan de Roumanie n'eut consenti jamais à fournir.

Inutile de mentionner ses tableautins d'intérieur, animés par la présence de femmes charmantes aux gaies toilettes, et qui eurent toujours le type des mondaines de la Calea Victoriei, car le

vrai Grigoresco reste avant celui en quj la Roumanie voit quelque chose comme son poète national, le plus parfait représentant de sa vie, de sa culture et de sa philosophie un peu épicurienne, à la fois désabusée et satisfaite, l'artiste qu'elle peut seul envoyer plaider en faveur de la beauté de ses paysages et de sa vie populaire dans toute occasion où il s'agit de rappeler que « la civilisation ne finit pas à Mohacs », ainsi qu'il a plu longtemps à l'orgueil hongrois de le proclamer.

WILLIAM RITTER.

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M,lc M.-P. CARPENTIER — LE PRÉ AUX PEUPLIERS

Le Mois artistique

C'est par suite d'une indication erronée que nous avons attribué à David d'Angers l'exécution du médaillon de Victor Hugo, représenté dans l'intéressante photographie faite à Guernesey par Auguste

Vacquerie, pendant l'exil du grand poète, photographie reproduite dans le numéro 10 de la Revue l'Art et les Artistes.Le médaillon en question est de Nicolas Vilain, grand-prix de Rome, mort en 1899.

Tp-xposiTiON J. WELY (galerie Chaigneau). — *-* Ses silhouettes féminines aux deux crayons, dans la manière de Jeanniot, avaient une certaine prestesse d'illustrations ; ces vingt-trois pastels sont loin de séduire autant malgré la coquetterie des sujets, le Tub de la petite Fille, le petit Déjeuner, au Saut du lit, etc. ; la facture est appuyée, la matière dure, épaisse, comme de la gouache ; la Consultation (peinture) pourrait être empruntée à Abel Faivre ou Guillaume ; J. Wely aura certainement une note personnelle, de parisianisme raffiné, sera un annaliste de la femme d'aujourd'hui.

sr

SOCIÉTÉ INTERNATIONALE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE. (23e exposition, galerie G. Petit). — Un hommage tardif y est rendu à Paul Baudry dont on revoit avec plaisir l'Amour et Psyché, une jolie page décorative de colorations tendres, affirmant encore la maîtrise de celui qui enjoliva l'Opéra d'une oeuvre incomparable. Maurice Bompard, dont la série de Venise lassait par une brutalité criarde, se rapproche cette fois de la vérité en ces impressions qui sont des pochades prestes, d'une vision exacte. Félix Borchardt retient l'attention par sa Dame en blanc à la tête si habilement modelée dans une franche lumière soleilleuse, par son Portrait d'homme, par su Dame en gris, dessin aux 3 crayons tout à fait séduisants, par ses pastels. André Brouillet, dont peut se défendre le Petit Jacques, a fait

un Ministre de la marine avec, derrière les vitres de la fenêtre, une rade illuminée qui n'est que la place de la Concorde, l'obélisque figurant un unique mât de navire; Calbet, dont on sait l'habileté, éparse dans maintes illustrations de volumes, s'amuse à des baigneuses, à des reflets d'eau, saisit au passage des canotiers sur la Marne ; Chialiva prend au pastel de très impressionnistes notations champêtres, M"e Delasalle, dont le Dordrecht, bien qu'un peu ouateux, a un fin lointain d'atmosphère blonde, expose une étude délicate : le Réveil, un nu de clarté et de calme ; Albert Fourié recommence, après Roll, Besnard, Stewart et Brin, des nudités tachées de soleil à travers les branches, leur ajoute des draperies poncives ; Grimelund banalise des ' marines ; Harrison montre une poésie douce de déserts et de lagunes; Laparra nous promène dans les mystérieux ombrages des jardins de la Villa Médicis. De Frédéric Lauth un bon portrait d'homme. Le Goût-Gérard s'évade un instant de ses habituels motifs et a fait dans la Baie d'Au-S dierne une de ses meilleures choses, une marine d'où sont absentes les petites Bretonnes à coiffe blanche. Lorimer a apporté sur un sujet banal une harmonieuse recherche de gris pâles, de lumière douce avec la fenêtre ouverte sur la nature et son envol de pigeons. Richard Miller est certes un des artistes les plus intéressants de l'exposition actuelle, par son Portrait d'Homme, son Café de Nuit, et son Étude de Femme reflétée dans une glace avec un

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L'ART ET LES ARTISTES

entour pittoresque de ces bibelots où excella jadis Alfred Stevens. De Réalier-Dumas, de subtiles et charmants paysages d'oliviers à l'île Majorque. De Sorolla y Bâstida, Sur la plage, une palette, très intense. De Waidmann, un Pont de Chatou qui semble, comme les autres envois, arriver du duché du Luxembourg. De Walden, une très belle exposition, notamment le Canot norvégien, mais pourquoi cette Idylle au clair de lune, marionnettes

ridicules d ombres chinoises pour une romance de Botrel!

Sur des socles, de la sculpture : Bernstamm, qui a déjà exécuté 'un si amusant Coquelin cadet dans le Malade imaginaire, statuette devenue légendaire, portraicture l'éminCnt sociétaire mutualiste en' un buste de bronze souriant à celui très grave de Berthelot; Armand Bloch creuse le bois avec science et conscience; Mercié se fait pardonner son petit marbre de l'OpéraComique et sa Walkyrie de bonbonnière par un adorable tableautin très dix-huitième,

les Cerises. De Charles Samuel, le buste de Ch. Hayem.

Il y a quelques autres exposants : le silence est, pour le critique, une opinion.

r EXPOSITION DE LA LIBRAIRIE PRATH. — C'est la seconde fois que nous sommes convié 4, rue de Lille, et malgré l'étroitesse du local, son peu de lumière, le jour, son manque d'éclairage le soir, il y a intérêt à aller voir des paysages de Beaufrère, la très belle étude pour affiche de Bellery-Desfontaines, la Jetée d'Honfleur de Braque, l'Enfant sur la plage de Camoin, la Cabane norvégienne de Diriks, le Montmartre enneigé de Van Dongen, le Marché Sainte-Catherine de Ricardo Florès, les

BORCHARDT — LA DAME EN BLANC

Crinolines démodées de Charles Guériri, les ' dessins de Corse par Matisse, les natures mortes de Manguin, la Vue panoramique de Milcerideau, le Frésselines de Noblot, les Chrysanthèmes de René Prath, la Rue de Maurice Robin, les peintures de Henri Thomas. Il se trouve même parmi les entassements de livres de la boutique des sculptures de Bourdelle et de Nau, des vitraux de Paris-Reby, des reliures de René Kieffer. Il faudrait, à ce Salonnet qu'on

ne saurait négliger, un local.

sr

TABLEAUX ET ÉTUDES D'ULPIANO CHECA (Galerie des artistes modernes). — Dès Chars romains courant dans l'arène avec furia, . toile immense que nous revîmes en la villa Gambard, à Nice, tel,fut le succès soudain de l'artiste ; comme ses modèles il avait tourné la borne du premier coup, et à ce passé triomphal il repense encore, l'évoquant maintenant en sculpture. Nous préférons les simples études qu'il rapporte d'Espagne et d'Italie, d'une vision directe, intense et

subtile à la fois, d'un coloris pittoresque, d'une habileté charmeresse. Après Bompard, après Marcel Cognet, il nous montre Venise, et tous ses motifs sont à citer : Saint-Marc dans la brume violette et la solitude du petit jour, les maisons du GrandCanal avec leurs blancheurs ensoleillées, la canaletto tragique en sa sombreur qu'étoilent des rares lumières, la Salute silhouettant sa coupole sur les nuages du soir, le palais Franchetti au soleil couchant, la place Saint-Marc à vol d'oiseau, les barques de pêche, etc. ; sans le romantisme banalisé de Ziem, avec moins d'ampleur peut-être, mais aussi avec plus de vérité, c'est pour ceux qui ont fait le pèlerinage de la Cité du Rêve et s'en souviennent toujours avec émotion, un exquis rappel d'autrefois. En Espagne, Checa nous conduit aux marchés

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L'ART ET LES ARTISTES

U. CHECA —; BAVARDAGE

grouillant dans le soleil devant les étals defruits, de melons, les déballages d'alcarrazas ; des aquarelles fougueusement lavées sont_de_curieux portraits de chevaux.

- jr--

ARGENTERIES DE VAN'DE VELDE (Galerie Druet). Depuis que les Salons ont innové leur section d'objets d'art, y admettant même des modes et de la lingerie, il ne faut pas s'étonner que dans une galerie, habituellement ornée de tableaux, on nous montre maintenant une bouilloire, des salières, une fourchette à homard; d'autant que les modèles sont nouveaux, la matière martelée à souhait, et que ce service luxueux, d'un chiffre assez élevé, a été exécuté par MM. Muller, orfèvres de la cour grandducale de Saxe-Weimar. D'un dessin sobre, avec leSj rythmes art nouveau, les formes sont gracieuses, souples, élégantes ; la bouilloire, les candélabres notamment présentent de l'intérêt; le mélange des anses en ivoiref avec l'argenterie pure, formant une harmonie lourde de tonalités, décèle l'origine d'outreRhin; nos maîtres orfèvres auraient le goût plus délicat. Entre une aquarelle de Signac, un bronze de Claudel, une peinture de Charles Guérin, ces vitrines méritent de retenir l'attention où luisent des services à thé et à café, des couteaux à fruits, des ciseaux à raisin, un couvert à poisson, etc., sans compter des assiettes de porcelaine de Saxe.

EXPOSITION DE LOUIS MORIN. {AU Mur, librairie Eug. Rey). — C'est la seconde fois que le spirituel vignettiste réunit là des pastels, des aquarelles, des dessins, des eaux-fortes et des lithographies, et c'est plaisir de retrouver cette fantaisie preste, ces croquis très dix-huitième siècle, ces coquettes colorations à la Chéret, ces vues de Venise et de Montmartre teintées de poésie, ces programmes et ces en-têtes, ces frontispices pour orner des éditions rares, toutes ces oeuvrettes d'un Eisen de maintenant qui, on le sait, a un joli brin de plume à son crayon.

14e EXPOSITION ANNUELLE DES FEMMES-ARTISTES (Galerie E. Petit). —■ Il serait à souhaiter que. les tableaux, déjà vus au Salon, ne nous soient pas représentés dans des expositions particulières, les numéros laissés sur les cadres n'ajoutent aucune valeur, et si tous ces envois n'ont pas au moins l'excuse d'être inédits... Mme Nanny Adam, comme tant de peintres depuis Ziem, a pratiqué Venise, et les sites aimés sont traités par elle pour chromos d'almanachs ; Mme A. Crespel étudie avec talent, mais avec une eau un peu boueuse, des feuillages ; Lisbeth Delvolvé-Carrière distingue dans la brume du Rêve des orchidées, des renoncules, des hydrangeas, érige une anémone mystérieuse ; de Mllc Ger173

Ger173


L'ART ET LES ARTISTES

maine Druon, des portraits de choses finement traités ; de Mllc Jeanne Duranton, une table servie, étude vibrante ; de Mlle F. Esté, des paysages ingrats mais vus un peu à la manière de Paule Carpentier ; de Mme Nina Gallay-Charbonnel, des toits dans la buée matinale ; de Mme Galtier-Boissière, des intérieurs bien vus, exprimés par une touche brutale, à noter la Galerie ; de Mme Philippar-Quinet, des silhouettes drôles d'enfants ; Mme Séailles expose de jolis paysages de Rome et des figures délicatement exprimées; Infant de Mme Toudouze serait une toile exquise, peinte par Alfred Stevens ; Mlle Pauline Adour s'apparente, de très loin, à Prunier; M"° Amélie Valentino expose des portraits, parmi lesquels celui de Mm° Camille Duguet ; Mme Frédérique " Vallet-Bisson, dont on sait la maîtrise, ennuage délicieusement de mousseline rose une jeunesse blonde chapeautée de vert ; Mme Dethan-Roullet, en plus de fleurs vivantes, a de très justes notations de paysages ; Mlle Renée Iwill a une signature connue ; Mme B. de Neuville aquarellise dans la manière de Harpignies ; M"e Marie-Paule Carpentier triomphe en cette exposition avec le Pré aux Peupliers, grande frise décorative, avec les Bruyères en Alsace, qui consolent des Didier-Pouget et autres navrants spécialistes, avec les Pins sous lesquels la pensée logerait volontiers des héros wagnériens, etc.

A la sculpture, MUo Bertrand a toute une ménagerie en biscuit, Mlle Jeanne Jozon des Bretonnes en céramique de Lachenal, M" 0 R. Silberer une Rieuse en étain, des Lamentations en plâtre. Il y a de plus, comme à l'habitude, des miniatures, des eauxfortes et des cuirs d'art.

*

OEUVRES DE DÉSIRÉ-LUCAS (Galerie Chaine et Simonson). — Nous connaissions - les charmantes scènes bretonnes de cet intéressant artiste. Dans ses paysages, Désiré Lucas a les mêmes qualités; il y a de lui des rubans de routes blanches menant à un clocher lointain, des villages de pêcheurs, une falaise notamment, qui sont de petites toiles délicates et puissantes à la fois; des croquis, au. pastel, prestes ainsi que des instantanés {Petite Fille et son Veau) montrant la sincérité d'études, la vision exacte, ont des fraîcheurs séductives de coloris. A citer aussi des lithographies et des eaux-fortes.

AQUARELLES DE RENÉ BINET (Chez DurandRuel.) — Ce sont d'exquises petites choses, ces pages d'album rapportées d'Assise, avec leur éclatance de soleil, leurs lueurs de vitraux, leur papillotement de mosaïques et de fresques, leur solitude

solitude ruelles, leur pittoresque de monuments; la précision du dessin architectural soutient utilement le lavis de l'aquarelle, les tons sont chauds, très harmonieux, d'une minutie qui n'est qu'apparente, car tel panorama de la ville vu à travers les arbres d'une terrasse s'étend vaste et lointain dans une atmosphère de clarté, tel clocher d'église s'érige vibrant sur le ciel bleu, tel intérieur de nef avec, devant chaque pilier, les taches noires des confessionnaux, sommeille impressionnant sous la féerie des verrières.

Certaines de ces études font songer à la joaillerie d'un Gustave Moreau, dont la seule nature a cette fois fourni les modèles; chaque voyage fait par René Binet nous donne ainsi la joie d'une exposition intéressante. Pour celle-ci, notre distingué collaborateur M. Pierre de Nolhac, a écrit une charmante préface au catalogue et la termine par ce sonnet :

Sur les chemins d'Ombrie accouraient, les pieds nus, Les pauvres qui chantaient, en montant vers Assise : « Frères, un nouveau Christ a paru dans l'Eglise, Souffrant et dénué comme l'était Jésus.

« Infirmes et pêcheurs, ne désespérons plus ; Une espérance neuve à nos pleurs est promise... » Et le bon Saint faisait, dans la foule soumise, Prier les endurcis et marcher les perclus.

O chercheur de pitié, pèlerin de justice !

Pour que l'oeuvre d'amour en ton coeur s'accomplisse,

Prends le bâton de marche et laisse ton souci ;

Comme ceux d'autrefois gravis l'humble colline : En ces jours de détresse où .le monde décline La parole.de paix habite encore ici.

EXPOSITION DE LOUIS CABIÉ (Galerie Crombac). ■—• De la Dordogne et de l'île de Noirmoutiers l'artiste a rapporté une série de tableaux qui sont d'une sincérité intéressante, d'une impression calme et chaude ; l'influence du vieux maître Harpignies se révèle à certaines silhouettes de grands arbres placés un peu comme des portants de théâtre, et aussi à une matière crayeuse par endroits ; certaines toiles apparaissent plus originales avec des. tournants de rivière ou des lointains de mer sous les. feuillages; des paysages récents sont plus intenses, de clartés plus violentes; Louis Cabié montre également des aquarelles très verveuses, d'une exécution primesautière, enlevées du premier coup, dans la soudaineté de la vision juste, j

MAURICE GUILLEMOT.

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REVUE D'ART ANCIEN ET MODERNE SOMMAIRE DES IILILlLJSTrRATîOMS

L'EXPOSITION DES VAN EYCK : L'Adoration de l'Agneau. —La Vierge au donateur. —/. Arnolfini. — Les Anges chanteurs. — Les saints Guerriers. — Les trois Marie. — L'homme à l'oeillet. — Portrait d'Inconnu. — H. T. Portrait d'un marchand flamand et de sa femme.

LES PORTRAITS DE LA POMPADOUR : LaPompadour, d'après BOUCHER, C. VANLOO, LA TOUR, François GUÉRIN. — H. T., d'après BOUCHER.

LES FEMMES DE GOYA : La Maja couché:. — L'Infante D.-M.-Josepha. — Le Mannequin. — D. A. Zarate. — Manolas au balcon. — La duchesse à"A Ibe. — La reine Marie-Louise. — La Tirana. —La duchesse d'A Ibe. —D. JosephaCastilla-Portugal.

JosephaCastilla-Portugal. La comtesse Goicoechea. — Marquise de Lazan. — La reine MarieLouise. — La famosa Librera. — H. T. La Famille de Montijo.

LES TAPISSERIES DE CHÉRET : 3 panneaux, Le Déjeuner sur l'herbe.

LE MOIS ARTISTIQUE : Reproduction d'oeuvres de WOOG, WILLETTE, BEAUDUIN.

JS .

SUPPLÉMENT : L'Éducation artistique : Pointe sèche d'HELLEU, manière noire d'après J. Vernet. — L'Art dans la Mode: Corselet du musée de Clunv.

Alexandrine Le Normand d'Etiolles, fille de la Pompadour, gravure en couleurs d'après le tableau

de BOUCHER (Collection Deutsch de la Meurthe).

Sainte Barbe, d'après le dessin original de VAN EYCK (Anvers).


L'ADORATION DE L'AGNEAU

D'après la peinture de H. et J. VAN EYCK, conservée à Saint-Bavon de Gand

à Gand ©n 1906

ON sait aujourd'hui que les Flamands ont bien voulu entendre l'appel que je leur adressais l'année dernière ici même 1, et qu'ils ont résolu une exposition des Van Eyck à Gand. J'ai été un peu honteux du succès, car mon ami Durand Gréville avait, paraît-il, prôné cette idée ; en m'en reportant l'honneur, M. Moeterlinck, conservateur du musée de Gand, avouait que la priorité de notre excellent ami.lui avait échappé également. Au fond, n'eussé-je point, un peu redouté l'ironie d'une initiative qui me mettait aussi résolument en contradiction avec moi-même ? Car je suis l'iconoclaste impénitent qui a osé contredire la légende établie en l'honneur des illustres frères. Sans nier, j'ai donné à entendre combien le cycle littéraire, bâti par quelques esprits ingénieux et subtils, laissait de prises à la critique serrée. Pour me combattre et ruiner le schisme naissant, on employa naguère les arguments de grande remise : on me traita d'agathopète, de patriotard ; on sous-entendit de pires choses. On m'accusa de vouloir diminuer la gloire des Van Eyck pour en magnifier les Français. On parla, un peu à tort et à travers, sans faire montre d'autres qualités que d'une colère inexplicable. Je ne rêvais rien

i. Voir l'Art et les Artistes, n" i, où notre collaborateur lançait l'idée de cette exposition.

d'aussi noir ni d'aussi redoutable. Je disais, .et ceci j e le répète encore, que les Van Eyck ont endossé le bon et le mauvais d'une époque, parce qu'ils ont été célébrés par des poètes, des sacristains et des littérateurs en prose ; que leur Enéide est façonnée comme les odyssées et les chansons de gestes, d'apports successifs et héroïques, et qu'un peu de lumière serait utile dans les attributions. J'ai montré que leurs oeuvres, devenues sublimes, se sont prêtées, par leur illustration même et leur renommée, aux interpolations les plus éhontées. Disons-le vite, le principal mécompte des peintures passées au rang de merveilles est de rester sans défense en face des entreprises intéressées de leurs possesseurs ; ceux-ci, au temps où la critique était moins assurée, ne tenaient pas pour forfaiture l'addition d'une légende ou d'une signature qui donnait raison à leur opinion. Il arriva — et ceci on ne le peut nier — que des mentions péremptoires ont été fabriquées cinq cents ans après la peinture, et imposées à des compositions sans aucun rapport avec celles de l'artiste dont elles portaient le nom. Les preuves ont été faites, et telles, que maintenir la légende faussée montre plus de naïveté que de conviction sincère.

Mais il ne s'ensuit pas que l'exposition des panneaux anciens et vénérables, dans l'instant dispersés

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L'ART ET LES ARTISTES

Cliché ÎSeurdein.

MitSée du Louvre.

LA VIERGE AU DONATEUR D'après la peinture de J. VAN EYCK.

aux quatre coins du monde, et qu'on a généreusement attribués à Hubert ou à Jean Van Eyck, ne vaillent pas qu'on les admire. On n'a jamais soutenu que ces reliques disparates fussent indignes de louanges ; on a simplement remarqué que leur groupement empirique sous une seule et unique étiquette laissait des doutes troublants. Si virtuoses qu'on les proclame généralement, les Van Eyck ne furent point en avance sur leur siècle au point de deviner les costumes et les décors apparus vingt ou trente ans après leur mort. Si géniaux

qu'on les fasse, il semble osé de leur reconnaître l'usage d'ingrédients et de couleurs inventés au XIXe siècle. Ce serait donner au génie une intuition divine, qui répugne à nos scepticismes grossiers. La manifestation tentée à Gand n'eût-elle pour résultat que de permettre la sélection, le départage, elle mériterait d'avance l'approbation des gens de bonne volonté.

Et nous irons tous, les croyants et les incrédules, à ce pèlerinage, avec une entière et respectueuse simplicité, sans desseins méchants ; que des noms

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L'ART ET LES ARTISTES

Musée de Berlin.

Cliché Hanfëtaengel.

JEAN ARNOLFINI D'après la peinture de VAN EYCK.

sortent agrandis ou amoindris de l'aventure, l'art n'aura rien à perdre. Tout au plus pourra-t-on sourire de certaines phrases enthousiastes échappées aux littératures bénévoles qui rêputaient oeuvre de Van Eyck le Triomphe de la Vierge d'Enguerrand Charton. Personne ne songera à railler, parce qu'on arrivera pénétré de cette idée que la vision humaine a ses faiblesses, et que l'esthétique ne s'établit point en formules d'algèbre. '

II

L'oeuvre type qui a servi à glorifier la mémoire des Van Eyck dans le monde, et à leur donner dans l'art de la peinture le premier rang, était le Retable conservé autrefois dans l'église Saint-Jean de Gand. Au temps où le Retable fut peint, c'est-àdire vers le commencement du xve siècle, l'église se nommait S. Johannes ; elle est devenue SaintBavon depuis. Nul ne signale le tableau avant

la fin du xve siècle ; sa grande popularité commence au xvie avec les historiens et les poètes du crû. En 1495, le souvenir des auteurs du Retable est si bien sorti de la mémoire des bedeaux de Saint-Jean, que Jérôme Mùnzer, médecin de Nuremberg, passant à Gand et visitant « Johannem », c'est-à-direSaint-Jean, ne parvient pas à en avoir la moindre mention. Il décrit bien le tableau, il s'émeut de la beauté de l'oeuvre, il répète une légende du sacristain au sujet d'une somme supplémentaire de 600 florins payée à l'artiste, son ouvrage une fois terminé, mais le nom des Van Eyck ne lui est pas indiqué. On lui raconte qu'un autre peintre, ayant voulu copier cette merveille en est devenu fou. On croit qu'il s'agit de Van der Goes, mais Mûnzer ne le cite pas davantage. On a depuis tiré des inductions singulières du Johannes (saint Jean) dont parle Mùnzer. On a voulu y retrouver le prénom du plus jeune des Van Eyck. Or, Mûnzer écrit positivement : « nobilis tabula picta ad Johannem » (noble peinture à saint Jean). Et lorsque Durer verra la même pièce et l'admirera, quand il prononcera également le nom de Johannes, il ne visera point Jean Van Eyck, mais l'église Saint-J ean.Tout ce qu'on a écrit à ce sujet est du roman pur. Ni Mûnzer, ni Albert Durer n'ont connu les Van Eyck; ils ont vu le Retable,

Retable, et voilà tout. Mùnzer, qui décrit la composition, ne nous parle pas des revers des volets, ni du portrait de Josse Wydt, ni de l'inscription qui nomme si précisément les deux frères et leur attribue la paternité de l'oeuvre. Voilà qui est singulier à tout le moins, et déroutant. Que mentionne cette inscription ? Elle assure que Hubert Van Eyck a commencé le Retable, et que son frère Jean l'a terminé à la prière de Josse Wydt. Elle dit que le Retable fut achevé en 1432.

Bien. Mais Mûnzer n'a pas vu cela. Et quand Waernewyck, Luc de Heere et autres entonnent l'hymne en faveur des Van Eyck dans le xviesiècle, cent cinquante ans après, quand Karl Van Mander les démarque et s'approprie leurs phrases, ce n'est pas Josse Wydt qui a commandé l'oeuvre, mais le duc Philippe le Bon ! Alors éclate comme une fusée la légende des deux frères. Ils ont inventé la

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VAN EYCK

Musée d'Anvers.

Sainte Barbe

(Dessin)



L'ART ET LES ARTISTES

peinture à l'huile ; ils se sont représentés dans le Retable sous les traits de deux seigneurs à cheval ; ils ont lancé les arts de peinture en Europe. L'Italien Vasari, copiant à son tour, répète les mêmes histoires, et depuis on n'a jamais douté. Tout ce qu'ont cherché les historiens modernes de l'art n'a été que pour fortifier cette opinion. Elle s'est étayée d'hypothèses, de textes nuageux et incomplets, et surtout de la mention singulière et fort précise — trop précise — inscrite au revers des volets, et que ni Mùnzer ni Durer n'avaient remarquée.

Dans le milieu du xvie siècle, une chose grave se produit. On fait restaurer le Retable et on en confie le soin à deux peintres flamands. C'est Waernewyck, un contemporain, qui l'indique 1. Puis le roi Philippe II en fait prendre une copie pour l'Espagne. Que s'est-il passé alors ? Bien fin qui le voudrait assurer. Le fait indéniable, c'est que le milieu de la composition et les trois figures du haut, qui sont tout ce qui reste à Saint-Bavon de l'oeuvre originale, ont singulièrement souffert de reprises et de retouches inavouables. Je viens d'examiner à la loupe ces reliques insignes, elles ont subi des viols nombreux. Le bedeau assure qu'on les a confiées « à des peintres », il n'y a pas si longtemps ! |

i Les volets arrachés au Retable ont été transportés à Berlin, et sciés dans le sens de l'épaisseur, de sorte qu'on a placé côte à côte-les droits et le revers de ces pièces magnifiques. Malheureusement, elles ont été restaurées et vernies à outrance ; elles ont perdu le meilleur de leur qualité et de leur fraîcheur. Quant à la figure d'Adam et à celle d'Eve, elles sont au Musée de Bruxelles.

Saint-Bavon a tout simplement remplacé les volets par ceux de la copie de Coxie retrouvée ; mais le revers ne montre pas le portrait de Josse Wydt et de sa femme. Ils sont compensés par deux figures d'apôtres. Coxie est allé plus loin, il n'a pas reproduit l'inscription qu'on lit à Berlin ; c'est un cassetête presque indéchiffrable.

Pour éclairer définitivement le débat, il est donc indispensable d'exposer, en belle lumière, d'abord la partie ancienne du Retable conservée à SaintBavon. Puis on y devra joindre les volets du Musée de Berlin, et les deux figures du Musée de Bruxelles. Alors on pourra peut-être démêler quelques énigmes au sujet de la paternité des Van Eyck. Mais on aura le régal d'un merveilleux

i. Historié van Belgis, Gand, 1574, cap. LVII, fol. nç. Ces deux peintres sont Lancelot de Bruges et Jean Schoorel.Ils lavent le Retable (!)l'an 1550, le 15 septembre. On fut si content d'eux qu'on leur donna des présents. Schoorel reçut une coupe d'argent dans laquelle but Waernewyck, auteur de cette anecdote.

chef-d'oeuvre, que les tortures infligées rendent plus noble encore et plus respectable. Je souhaite que la preuve soit éclatante, car je ne nie pas, je doute simplement. Et l'on avouera qu'après ce qui vient d'être dit impartialement, l'enquête s'impose.

Il y aura surtout à examiner comment le portrait de Josse Wydt et celui de sa femme sont ménagés et encastrés dans les panneaux. Il est vraiment singulier que Van Mander nomme le duc Philippe, quand il eut pu si facilement vérifier le revers et se faire traduire l'inscription. On dit qu'elle était alors recouverte d'un badigeon . On avait donc badigeonné ? Tout cela n'est pas d'une limpidité éblouissante, convenons-en une bonne fois, et ceux qui prétendent y voir clair, ont une acuité de vision bien remarquable. Certes, il est moralement probable que les frères Van Eyck collaborèrent au Retable dit de l'Agneau; les documents authentiques s'accordent à leur conférer une situation prépondérante à la cour des premiers ducs de Bourgogne ; nous savons beaucoup sur leur compte. Mais nulle part un acte indéniable ne les a réputés les auteurs de ce monument. Tout ce que nous en savons est sorti de ce que nos voisins d'Allemagne désignent sous le nom de littérature, et que nous appellerions plus volontiers du roman.

III

La peur que nous inspirent les mentions trop formelles peintes sur les cadres, vient justement de la tendance que les possesseurs d'oeuvres ont eue de tout temps, d'étayer leurs attributions par une lettre péremptoire et d'apparence indiscutable. Malheureusement, s'il est très naturel qu'un étranger estropie la signature qu'il falsifie, il est plus rare de voir un artiste tronquer son propre nom. Cela se trouve pour certains tableaux portant le nom de Van Eyck. On flaire en divers cas une sollicitation intéressée dans le sens le plus favorable ; or Jean Van Eyck était à la fin de sa vie un peintre célèbre, moins par son talent que par sa situation de valet de chambre. Nous savons aujourd'hui qu'il mourut en 1441. Quatre ans après des religieux lui attribuent la paternité d'oeuvres exécutées en 1445. Ce sont les Frères Gris de la ville d'Ypres qui notent ce fait dans leurs Mémoriaux, en le nommant Joannes van Eycken !2

Voilà le commencement de la légende. A partir

i. Et comment se fier à cette inscription, quand l'épitaphe des deux frères applique une date fausse à la mort de Jean Van Eyck, — 9 juillet 1440 — au lieu de fin juin i/j/j 1 ! retrouvée dans un acte sûr ?

2. On a cru retrouver cette pièce dans un panneau appartenant à M. Bogaert, qui a été refait, disent les uns, et qui n'est qu'un pastiche, disent les Allemands. N° 14 de l'Exposition de Bruges en 191.2.

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L'ART ET LES ARTISTES

de là, le nom de « Johannes » va servir à baptiser les panneaux les plus disparates. Les détenteurs de tableaux ne manquaient pas d'authentiquer — cela se fait encore, on ne le sait que trop — jmr une mention très explicite et souvent un peu trop bavarde, le chef-d'oeuvre enfin obtenu. Un portrait de jeune homme à Vienne, qui* porte une de ces inscriptions, raconte vraiment trop de choses dans la légende de son cadre. Ici, contrairement à la signature ordinaire Johannes de Eyck, nous voyons le nom orthographié Jan van Eyck.- Eyck-avec une Y, tandis que dans ; le reste de l'inscription l'Y se note ij comme aujourd'hui,- dans .le langage néerlandais ! En. vérité, si Van Eyck fut- l'auteur de cette - pièce assez médiocre, il avait de bien mauvais jours.

Certaines inscriptions peuvent être erronnées, parce qu'elles datent en réalité de quelques années après la confection de l'oeuvre, telle celle du tableau représentant le chanoine Georges van de Paele aux genoux de la Vierge, Cette mention très longue, dit en ' latin que. Georges de Paele a fait exécuter

ce tableau par Jean de Eyck, que la pièce commencée en 1434 fut terminée en 1436; elle ajoute que le chanoine a fondé deux chapelleries .dans le choeur de l'église. Mais il y a ici une difficulté. Le tableau existe à deux exemplaires, un au Musée de Bruges, l'autre au Musée d'Anvers. Ce dualisme est gênant. L'indication

L'indication la terminaison de l'oeuvre, et celle des fondations du donateur nous permettent de penser que l'inscription fut très postérieure, et on peut craindre que le nom de Van Eyck ait été admis ici comme il l'avait été chez les Frères Gris de la ville d'Ypres. Jusqu'à ce jour on n'a pu discuter de ces choses que sur photographies, sans contrôler les matières respectives, les tons, les touches. On a parlé de tout cela de mémoire; l'exposition qui mettra côte à côte l'original et la réplique permettra de se faire une opinion plus décisive.

Un des panneaux les plus célèbres, un des plus purs chefs-d'oeuvre de la peinture dans tous les temps et tous les pays, accuse les plus grands rapports de facture avec le retable du chanoine van de Paele; c'est la Vierge au donateur du Musée du Louvre.

D'après les avis les plus généralement reçus, le donateur agenouillé devant la Vierge, dans un oratoire de style roman, serait le chancelier de Bourgogne, Nicolas Rolin. Trouvé à Autun sous le premier Empire, ce merveilleux tableau faisait pendant à celui

du Maître de Moulins, admiré à notre exposition des Primitifs, et représentant le fils du chancelier, Jean Rolin, évêque d'Autun, adorant la Nativité.

Il est étrange de constater la ressemblance du père au fils, étrange surtout si l'on veut bien considérer que le Nicolas Rolin du tableau du

Cliché Sanfstaengel.

Musée de Berlin.

LES ANGES CHANTEURS D'après la peinture de VAN EYCK.

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L'ART ET LES ARTISTES

Louvre est un homme de quarante à cinquante ans, et que s'il est de Van Eyck, il doit être reporté à 1436 au moins. Né vers 1375, Nicolas touche à la soixantaine en 1436, et son artiste a dû le rajeunir extraordinairement. Mais quelle est la ville, si admirablement traduite, qu'on aperçoit en arrière de la scène ? On a dit Liège. Pourquoi Liège, puisque les fonds nous découvrent les Alpes couvertes de neige ? On a dit aussi Lyon, ce qui serait plus vraisemblable. Mais Lyon, pour Nicolas Rolin, est imprévu. Pour Jean Rolin au contraire, il s'expliquerait mieux ; toutefois Jean n'aura quarante ans qu'en 1448 ; de plus il est évêque d'Autun et serait représenté dans ses habits pontificaux. Ces diverses considérations ont poussé M. Weale à reporter l'oeuvre à Hubert Van Eyck et à lui assigner une date à laquelle Nicolas Rolin eut touché à la cinquantaine, soit aux environs de 1422 ou 23. Que deviennent alors les identités formelles constatées entre ce tableau et celui du chanoine de Paele que l'inscription donne à Jean van Eyck et date de 1436 ? H y a là des incertitudes, des flottements singuliers qui laissent une large place au scepticisme. N'y eut-il pas en Flandre ou ailleurs un collaborateur des deux frères Van Eyck, qui eût couru le monde, et promené leurs formules jusqu'en Lyonnais? Pourquoi vouloir toujours nommer le plus célèbre, quand nous sommes forcés de convenir à chaque instant que nous ne savons pas grand chose de ces hommes, et que les attributions absolues faites a priori, sont démenties le plus souvent par la pièce d'archives retrouvée ?

Placé à côté du chanoine de Paele, le Nicolas Rolin du Louvre nous découvrira mieux ses concordances de style, d'accessoires et de matière. Accordera-t-on, en haut lieu, que ces comparaisons puissent se faire ? On n'en veut guère douter.

La National Gallery de Londres ne pourra se refuser non plus à laisser venir à Gand l'admirable tableau de genre que des. hasards imprévus ont fait entrer dans ses collections. Il s'agit du prétendu Arnolfini et de sa femme, l'une des oeuvres les moins discutables de Jean Van Eyck. J'ai précédemment indiqué dans un livre 1 ce qui me paraît tout à fait curieux dans cette oeuvre, c'est-à-dire la signature. Je crois que Jean Van Eyck s'est représenté lui-même, et que l'inventaire de Marguerite d'Autriche en 1518, qui est censé mentionner cette oeuvre, ne vise pas celle-ci, mais une autre identique. Le tableau de Londres est signé en latin : Johannes de Eyck fuit hic, ce qu'on a traduit par « Jean de Eyck fut ici », c'est donc lui qui a fait ce tableau. Or, le latin veut tout aussi bien

1. Les Primitifs français. Paris, Librairie de l'Art ancien et moderne, 28, rue du Mont-Thabor, in-b°, 1905.

Cliché Hanfstaengel. - Musée de Berlin.

LES SAINTS GUERRIERS D'après la peinture de VAN EYCK.

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L'ART ET LES ARTISTES

Cliché Bruckmann.

LES TROIS MARIE D'après la peinture de J. VAN EYCK.

Coll. Sir. F.. Cook.

dire : « Jean de Eyck fut le personnage que voici ». Et ce qui donne consistance à mon opinion, c'est la ressemblance de la femme avec le portrait de la femme de Van Eyck du Musée de Bruges, exécuté cinq ans plus tard. Le tableau fut retrouvé à Bruxelles après la bataille de Waterloo par un colonel anglais. Ce devait être le pendant de celui d'Arnolfini, conçu dans le même esprit. Et ceci s'explique, Arnolfini était le beau-frère de Van Eyck, ayant épousé la soeur de sa femme.

Un certain nombre de panneaux importants ont été décrétés oeuvres des Van Eyck sur des rapprochements parfois un peu téméraires, sur des hypothèses ou des raisons de sentiment. Aucun indice n'autorise ces opinions, mais comme il arrive souvent, ces à-peu-près risqués ont passé dans la critique moderne au titre de fait acquis. Telle est cette composition grandiose des Trois Maries au Sépulcre du Christ dont la date est'trop sensiblement rapprochée de 1460 ou 70 pour autoriser de semblables identifications. Il y a les armures des guerriers qui sont un empêchement formel contre les frères Van Eyck, contre Hubert surtout

mort en 1426, et qui est spécialement désigné par les auteurs les plus qualifiés. L'un d'eux pourtant avoue que les types de femmes ne sont pas néerlandais, mai; il ne parle pas des armes de Philippe de Commines qui ont été peintes dans un coin de la scène. D'autres s'en sont tirés habilement en les prétendant ajoutées à une époque postérieure. En' réalité, ce qui est plus grave, c'est le style qui n'est ni celui des Van Eyck, ni même celui des gens du Nord 1. Pour ce tableau aussi, les juxtapositions rationnelles sont de toute urgence. Si, comme je l'espère, on ne consent plus à conserver cette pièce capitale sous son étiquette d'emprunt, il nous sera loisible de juger combien il est sage de penser à d'autres, et de sortir une bonne fois de la hantise Eyckienne. Un pareil hypnotisme a fait accorder à Hubert la Vierge au Chartreux du Musée de Berlin ; on a même donné le nom du chartreux représenté ; on a vu une vue de Londres

1.. M. Neoustreieff m'a indiqué un tableau français conservé à l'Ermitage, et qui est une paraphrase presque textuelle du panneau dont il est ici question. Le style de Fouquet y est très accusé.

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VAN EYCK

Cliché ïïanfstaengel. \

National Gallcru, Londres

Portrait présumé d'Arnolfini et de sa femme



L'ART ET LES ARTISTES

dans le paysage ; tout naturellement on a mis sur le même rang un tableau identique appartenant à M. Gustave de Rothschild.

Ce sont là de pures et gratuites imaginations. Ces oeuvres valent, non pas par ce qu'on a écrit à leur sujet, mais par leurs qualités intrinsèques. Qu'elles soient d'un artiste encore inconnu, et quelque jour révélé, elles ne sauraient perdre. Ce sont d'absolues merveilles, dignes des admirations les plus passionnées.

Le besoin que nous avons tous de fortifier une opinion préalable et de conforter une thèse, a entraîné toute une génération de critiques à découvrir de nouveaux Van Eyck de par le monde. Puis on a vu d'excellentes gens s'ingénier à séparer le frère aîné du frère cadet, à imaginer des classements entre l'un et l'autre. Les Van Eyck une fois devenus le pivot d'un cycle, on ne s'est plus inquiété de leur chercher des concurrents, des précurseurs ou des descendants immédiats. Toute la production d'une époque, entre 1410 et 1441, leur est libéralement reconnue ; ils ont dû tout faire, et ont tout fait. Ceci est commun aux religions, ne nous en étonnons point outre mesure.

La conception idéale de l'exposition de Gand inclinerait à admettre tous ces prétendus et ces présumés Van Eyck. Leurs inventeurs fourniraient dans le catalogue les raisons de leurs dires. Imaginez bien qu'elles ne prêteraient pas plus à rire que d'autres fournies en l'honneur de Giotto, ou que certaines en faveur de la Renaissance italienne en France. On se paie volontiers de mots quand on caresse une chimère, l'essentiel en ces histoires est de ne pas dépasser la mesure des polémiques entre gens qui se respectent et s'estiment. Je puis très bien penser que mon voisin se trompe et le lui dire, sans prendre des airs de Père de l'Eglise en possession de la vérité une. C'est dans cette pensée tranquille, sans idées de combat ni de disputes injurieuses, que l'exposition de Gand a été résolue par des hommes prudents, par des Flamands, qui admettent les remarques et ne

Cliché Giraudon. Musée de Berlin.

L'HOMME A L'OEILLET

D'après la peinture de VAN EYCK.

nous tiennent pas pour mécréants ou criminels de les formuler.

Plus on montrera d'oeuvres, sûres ou non, plus on aura chance de s'acheminer vers la vérité probable. On me dira que la vérité ne peut être « probable », à quoi je répondrais qu'en mathématiques peut-être — et encore ? — mais en critique d'art! On a des présomptions vraisemblables, possibles, presque assurées, jamais indiscutables, Je ne connais au monde qu'un seul primitif à peu près certain de son état civil, le Triomphe de la Vierge, d'Enguerrand Carton, à Villeneuvelès-Avignon, et cependant la preuve arithmétique nous manque pour certifier que tout y est de la main de Charton, que la composition a été son oeuvre personnelle, et qu'un autre n'y a pas mis la main, comme Pierre Villate dans la Vierge de Miséricorde de Chantilly. Or, remarquons-le, pas

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L'ART ET LES ARTISTES

un tableau des Van Eyck n'a sa pièce d'archives indiscutable, pas un. Et quand nous retrouvons, presqu'aux mêmes dates, un Peter Cristus, un Jacques Daret, un Roger de La Pasture, un inconnu, dit à présent le Maître de Flémalle, n'est-il pas souhaitable de montrer aux gens sincères tout ce qui est enrégimenté sous le nom de Van Eyck,

pour provoquer les discussions et, qui sait ? faire sortir de son carton la pièce révélatrice. Sans l'abbé Requin et l'acte notarié produit par lui, la Vierge de Charton resterait douteuse, et il ne manquerait pas de gens pour la revendiquer comme un Van Eyck possible ; et la Vierge de Chantilly demeurerait au compte de Fra Angelico.

Le véritable intérêt de ces manifestations n'est donc pas dans leur succès mondain — et Dieu sait ce que produira une exposition Van Eyck dans ce sens ! — .mais dans ces constatations, ces séparations, ces restitutions qui désencombrent

l'histoire des Arts de truismes a la Velly dont on nous rebat les yeux et les oreilles à chaque instant. N'avait-on pas refusé aux Primitifs français le prêt du Retable du Palais de Justice sous le prétexte qu'étant de Van Eyck, il n'avait rien à faire dans une réunion d'oeuvres françaises ! Les guides répétaient à satiété cette chose, parce que

l'artiste s'était avisé d'insérer, dans la bordure d'un manteau, des lettres décoratives formant à peu près le mot ANNES. Annes ? JOHANNES sans doute ? assurément! et Johannes c'est Jean Van Eyck. Donc, Jean van Eyck a composé ce calvaire à Paris, puisqu'il y a des vues de Paris fort exactes. Il n'en fallait pas plus autrefois, au bon temps

d'Alfred Michiels.

Nous disons maintenant avec plus de bon sens : « Que sais-je » ? Et nous le disor.s parce que nous avons au moins l'exemple de Charton pour nous permettre de douter.

Si l'exposition de Van Eyck ne nous révèle rien de sensationnel, si nous n'obtenons rien de mieux que ce que nous savons, nous n'en serons pas moins vivement intéressés par une réunion de chefsd'oeuvre, que nous adorons séparément dans des chapelles fort distantes les unes des autres, et que notre trompette, comme celle du Jugement dernier, aura appelés à une commune

commune Ceci ne s'est jamais vu et ne se verra jamais plus. Spectacle inédit et unique, la manifestation artistique de Gand sera l'entreprise la plus grandiose que l'on ait tentée dans le genre. Tout le monde y pensait, M. Moeterlink aura l'honneur d'avoir donné corps à une idée, qui semblait, à première vue, presque irréalisable.

HENRI BOUCHOT,

de l'Institut,

Conservateur du cabinet des estampes

à la Bibliothèque Nationale.

Cl. Hanfstamgd. National Gallery, Londres.

PORTRAIT D'INCONNU

D'après la peinture de J. VAN EYCK.

Les saints Guerriers, l'Adoration de l'Agneau, les Anges chanteurs sont trois fragments du célèbre Retable de l'Agneau dont M. Henri Bouchot a si éloquemment demandé la reconstitution dans le numéro i de l'Ait et les Artistes. Dans ce numéro i, une grande planche hors texte donne les douze pièces, idéalement réunies, du Retable reconstitué.

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LA POMPADOUR D'après une peinture de BOUCHER.

National Gallery, Edimbourg.

Les

Forïmife de !& Fomp^dlotiiir

CN^?. DE MARIGNY nous assure que les portraits V> V> peints d'après sa soeur, la marquise de Pompadour, ont toujours manqué de ressemblance. Il ne fait d'exception que pour un seul, dû à Carie Vanloo, qui n'est qu'un simple profil dans une composition intitulée La Sultane.

Cette observation d'un tendre frère, et d'un très bon connaisseur des choses d'art, vient confirmer ce fait assez curieux, que les amateurs du dix-huitième siècle n'ignorent point : les portraits de Mme de Pompadour ne concordent pas entre eux.

L'explication en est, à coup sûr, dans cette excessive mobilité, qui faisait un des charmes de la femme, qui la renouvelait d'un moment à l'autre, mais qui privait son charmant visage de ces traits

précis et distinctifs où la postérité aime à retrouver aisément les physionomies célèbres. Ils ne s'accentuèrent qu'avec l'âge ; mais c'est justement la jeune favorite que nous désirerions connaître avec certitude, à l'heure où elle fit, dans les circonstances difficiles que l'on sait, la conquête de Louis le Bien-Aimé.

Les peintres ne lui ont pas manqué cependant. Tout ce qui tenait le pinceau a brigué l'honneur d'immortaliser l'image de celle qui aimait si vivement les arts et savait s'en servir aussi bien que les servir. Mais c'est encore un portrait à la plume, écrit au début de sa faveur, qui nous fait le mieux goûter les grâces de sa personne et compter les armes victorieuses et fragiles de sa beauté.

Le lieutenant des chasses de Versailles, Georges

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L'ART ET LES ARTISTES

Leroy, celui que Diderot appelait le « Satyre », devait sans doute à son goût des femmes le don d'avoir si bien compris celle qui fut pleinement une femme de son siècle. Il nous la montre « d'une taille au-dessus de l'ordinaire, svelte, aisée, souple, élégante», telle qu'il la voyait avant 1749, aux chasses du roi ; et il insiste sur le jeu de ses traits qu'il a si souvent observés de près : « Son visage était bien assorti à sa taille : un ovale parfait, de beaux cheveux, plutôt châtain clair que blonds ; des yeux assez grands, le nez parfaitement bien formé, la bouche charmante, les dents très belles et le plus délicieux sourire... Ses yeux avaient un charme particulier, qu'ils devaient peut-être à l'incertitude de leur couleur... Leur couleur indéterminée semblait les rendre propres à tous les genres de séduction et à exprimer successivement toutes les impressions d'une âme très mobile. »

On s'explique que les artistes voient et comprennent une telle femme de façon très différente, non seulement selon leur tempérament particulier,

Collection du Tcil du Saoelt.

PORTRAIT DE LA POMPADOUR EN SULTANE D'après une peinture de C. VAN LOO.

mais encore suivant l'âge du modèle, son heure et son moment. Pendant ses vingt ans de Versailles, elle charme et déconcerte les meilleurs maîtres, qui ne fixent chacun qu'une partie assez fuyante d'elle-même.

Nattier, le premier qui l'a peinte n'étant encore que Mme Le Normant d'Etiolés, la représenta encore à Fontainebleau en Diane chasseresse. Sans retrouver ce portrait commandé par le roi, nous avons du moins identifié de belles répliques originales du buste peint à part en 1749. L'une est au musée de Saint-Omer ; l'autre au musée de Versailles, où elle avait passé jusqu'à présent pour une duchesse d'Orléans. Quel que soit l'intérêt de ces peintures, ce n'est pas à « l'élève des Grâces » qu'il faut demander la ressemblance d'un modèle féminin. On ne l'exigera pas davantage de Boucher, dans ses scènes mythologiques, où il semble bien qu'il ait introduit la marquise, par exemple en ce Coucher du Soleil de la collection Wallace, commandé par elle et d'une allégorie si facile à saisir. Boucher doit être consulté plus

utilement dans les portraits fort étudiés qu'il a faits de Mme de Pompadour, et dont il existe des répétitions et des copies assez nombreuses. Voici d'abord celui de la collection Wallace, qui fut acheté 154 livres à la vente du marquis de Ménars (Marigny). Dans un jardin, auprès d'un oranger en caisse et d'un groupe sculpté, où l'Amour empressé sollicite Vénus, la jeune marquise est debout, en robe de taffetas garnie de gaze et de dentelles, une échelle de noeuds de ruban fer-. mant le corsage, qu'orne une rose; le col est entouré du même ruban; elle a des perles dans les cheveux, au cou et aux poignets, l'éventail à la main, et devant elle, sur un banc, déjà le carlin favori qui reparaîtra dans tant de portraits.

La composition de cette petite toile est charmante, moins cependant qu'une autre, prise encore dans un jardin, où la jeune femme, alanguie sur un banc rustique, en robe fermée aux manches, flottantes, semble surprise, à l'ombre d'une épaisse futaie, au milieu d'une aimable lecture ; sa main droite tourne encore la page de la brochure

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FRANÇOIS BOUCHER

Alexandrine Le Normand d'Etiolles

(Collection Henri Deutsch de la Meurthe.)



L'ART ET LES ARTISTES

Collection Pauline.

LA POMPADOUR EN BERGÈRE D'après une peinture de C. VAN LOO.

tombée sur ses genoux, tandis que le bras gauche repose sur d'autres livres. Le plus bel exemplaire de ce portrait, celui qui fut donné à l'abbé de Bernis, plus tard cardinal, pour lui rappeler l'amitié d'Etiolés, appartient aujourd'hui à la collection Alphonse de Rothschild. Un troisième Boucher, le plus connu, a été brillamment ! décrit par les Goncourt, dans leur essai fort incomplet sur l'iconographie de la marquise. Il est signé et daté de 1758. La favorite est dans son intérieur, étendue sur une chaise longue, retenant encore un livre sur ses genoux, et entourée des objets familiers, qui caractérisent sa vie de femme artiste et de personnage politique ; dans le fond, une glace reflète sa somptueuse bibliothèque, détail qui ne figure pas dans la répétition partielle

de la « National Gallery of Scotland », à Edimbourg.

Il y aurait enfin le pastel, le fameux pastel qu'a gravé en couleurs L. Bonnet en 1769 et qui passe pour représenter la marquise tenant un panier de fleurs, avec des fleurs piquées dans les cheveux. Le Louvre possède un exemplaire de l'oeuvre, et un autre se trouve clans la collection Yves Le Moyne. On a douté de l'authenticité de la désignation ; la dame serait Mme Baudouin, fille de Boucher. Il est dommage pour nous de n'avoir pas à chercher en cette image une Pompadour charmante encore de jeunesse et de fraîcheur.

On ne sait auquel de ces porte»

porte» h d<- La Tour. ]>jr II. Lapauzc.

Musée de Saint-Quentin, J.-E. Bulloz, édit. _

LA POMPADOUR D'après un pastel de LA TOUR.

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L'ART ET LES ARTISTES

Cl. Giraudon.

Musée du Louvre.

LA POMPADOUR D'après le pastel de LA TOUR.

traits de Boucher pensait la marquise, alors qu'elle écrivait à son frère voyageant en Italie, le Ier mars 1750 : « Je me garderai bien de vous envoyer mes portraits de Liotard, mais je vais vous envoyer la copie d'un fait par Boucher qui est charmant et qu'il finira sur moi ; j'espère que vous l'aurez à Pâques. » Boucher ne travaillait-il d'après nature qu'à la fin de son ouvrage ? Ce propos semble l'indiquer. En tous cas, à cette date, il ne satisfaisait point la marquise, qui écrivait le 26 avril : « Je vous envoie enfin la copie de mon portrait de Boucher ; elle ressemble beaucoup à l'original, peu à moi ; cependant assez agréable. Je fais copier celui de Liotard; je ne sais s'il sera possible d'en rien faire de bien. »

De ce portrait ou de ces portraits de Liotard, probablement au pastel, je n'ai pas encore retrouvé la trace. On pourra être aidé dans la recherche par une particularité que désigne la marquise à M. de Marigny : elle doit tenir dans la main une boîte qu'elle avait reçue de lui.

Le pastel consacra à Mme de Pompadour une de ses oeuvres les plus fameuses, le grand morceau du Louvre, qui fut exposé au Salon de 1755. La « préparation » de La Tour conservée à Saint-Quentin accentue avec la cruauté d'une étude sincère, le flétrissement du modèle ; on retrouve le même caractère dans le pastel possédé par le marquis de Ganay, où la marquise s'est affublée d'un costume de bergère. Dans le tableau du Louvre, le teint est rafraîchi, les traits agréablement arrondis ; l'intérêt principal a passé dans l'arrangement du décor, qui est délicieux.

La dame est assise auprès de sa table d'étude, dans une robe de satin d'argent à ramages d'or, le corsage ouvert enrubanné de clair lilas, tenant du bout de ses doigts son cahier de chant. La tête légèrement retournée, comme pour écouter un pas qui vient, laisse voir la ligne du cou dans toute sa grâce, et le paisible visage se détache sur le fond bleu clair des tentures. Le tableau révèle les goûts et les occupations de celle qui pourrait n'être qu'une jolie femme et qui s'efforce d'être une artiste. La guitare de la musicienne repose sur l'ottomane; des livres, et

des plus graves, dressent leur reliure; un carton armorié posé à terre, contient l'oeuvre gravé de la marquise.

Cet étalage complaisant rend assez vivant le milieu où le peintre l'a placée. Il est probable que, pour une fois, il s'est laissé imposer le choix de ces accessoires, lui qui pourtant n'admettait d'autres règles que sa fantaisie, qui faisait supporter aux plus grands les bizarreries de son caractère, qui osait dire à la favorite, quand le roi était entré pendant son travail : « Vous m'aviez promis, Madame, que votre porte serait fermée. »

La femme a été vue par La Tour dans l'attitude préférée que lui prête la postérité bienveillante. Sa mémoire si cruellement compromise par d'autres côtés de l'histoire, ici, se réhabilite. C'est l'amie des artistes, qui essaye de participer à leurs travaux ; c'est la liseuse infatigable, qui se fait la protectrice des écrivains ; c'est encore l'initiatrice des industries délicates et la conseillère fidèle des bons ouvriers.

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La Pompadour en Bergère

d'après un pastel de LA TOUR

[Collection de Madame la Mari/aise de Ganaij.



FRANÇOIS BOUCHER

Coll. WaliaccLa

WaliaccLa



L'ART ET LES ARTISTES

Le charmant petit tableau de la collection Edmond de Rothschild, qu'a peint François Guérin, nous représente Mme de Pompadour dans l'élégant décor de son second appartement, celui « d'en bas », au moment même où elle vient d'en prendre possession. Elle est assise sur un divan devant une glace qui reflète les tentures de soie et le lustre garni de fleurs ; d'une main, elle tient un livre à ses armes ; de l'autre, elle caresse le chien blotti dans les coussins. A ses pieds est la petite Alexandrine, qui joue avec un autre petit chien, une cage et un oiseau posé sur son doigt. La table à écrire, le carton à estampes, les livres et les plans posés sur le tapis achèvent de donner à l'oeuvre un caractère très attachant de tableau d'intérieur.

Avec Carie Vanloo, on a quelques chances de trouver une ressemblance serrée de près. La jeune « Sultane » est assise parmi les coussins, en cette veste flottante qu'affectionnait la marquise, le long tube à fumer entre ses jolis doigts. Ce sont là des renseignements sûrs et charmants. La dame a posé ainsi, dans ses intérieurs de Versailles, après avoir mis ses plus beaux diamants aux oreilles et dans les cheveux, où son léger

voile semble piqué par une rose ; des perles entourent le cou et descendent le long de la veste. Le vif et fin profil révèle une grâce toute d'esprit, telle que le crayon de Cochin la retrouvera encore, bien des années plus tard, dans les traits fatigués de la femme qui finit son règne.

Van Loo a peint aussi la marquise à ce moment, portant sur le visage l'usure du surmenage de la Cour, des soucis et des affaires. Cette révélation toujours pénible est ingénieusement atténuée par le décor du portrait. C'est le morceau gravé par Anselin, qui est intitulé La belle Jardinière, et dont l'original est venu de Montpellier à Paris, il y a peu d'années.

L'accoutrement à demi rustique, le panier fleuri sous le bras cerclé de perles, le chapeau de paille gentiment contourné et doublé de bleu conservent une grâce coquette à cette image tant célébrée.

Coll. du baron Edmond de Rothschild.

LA POMPADOUR ET SA FILLE D'après une peinture de FRANÇOIS GUÉRIN.

Elle nous fait connaître le déclin de cette grâce fragile, par laquelle un roi inconstant avait été retenu cinq ou six ans fidèle.

F.-H. Drouais fut le peintre de ce déclin, de cet embonpoint trop vite venu, de ce vieillissement prématuré, où l'esprit seul reste jeune dans le pétillement des yeux. Des diverses images peintes par Drouais ou répétées d'après lui, et que présentent les musées et les collections privées, la plus belle, sans nul doute, et la plus instructive, est celle qui, d'après Grimm, fut exposée au mois d'août 1764, après la mort de la marquise, dans une salle des Tuileries. Elle porte, à côté de la signature, l'inscription suivante : « La tête a été peinte en 1763, et le tableau fini en 1764 ». Ce précieux morceau, qui a passé en 1845 dans la vente Cypierre, est aujourd'hui la propriété de Lord Rosebery.

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L'ART ET LES ARTISTES

Mme de Pompadour se montre dans l'attitude familière des derniers temps, alors qu'elle donnait ses audiences privées ou recevait ses amis. Elle est à son métier de broderie, en toilette de taffetas à fins ramages, piquant, tout en causant, le poinçon dans le satin. Dressé sur un tabouret et les pattes de devant appuyées sur le métier, son carlin noir la regarde travailler. Dans le fond, se voit une de ses bibliothèques et, à côté d'elle, une magnifique table à ouvrage, ornée de bronzes à l'antique.

La marquise compte alors quarante et un ans ; le menton alourdit sensiblement le visage, qui garde cependant sa petite distinction bourgeoise et qu'encadre

qu'encadre fanchon dé dentelle blanche. Les. yeux se dirigent bien en face, brillants d'intelligence et de bon sens.

Tels sont les principaux renseignements dont nous disposons pour suivre à travers ses portraits l'histoire, toujours énigmatique par quelques côtés, de la grande favorite du xvnr 3 siècle. Il faudrait y joindre les marbres de Lemoyne et de Pigalle ; mais les sculpteurs n'ajouteront qu'à nos incertitudes, et c'est à peine si nous pourrons satisfaire notre curiosité avec cette richesse de documents et cette profusion de chefs-d'oeuvre.

PIERRE DE NOLHAC.

Conservateur du Musée de Versailles.

Collection de Madame la Marquise de Ganay.

LA POMPADOUR D'après un pastel de LA TOUR.

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Cl. Lacoste. Académie des Bcnu.r-Arls de Madrid.

GOYA — LA MAJA COUCHÉE

TJ IEN qu'il ait vécu en plein dix-huitième siècle ■*-* (de 1746 à 1828), Goya annonce et proclame le dix-neuvième. Il n'est même pas dépaysé au

début du vingtième. Il a tous les caractères d'un peintre d'aujourd'hui. C'est un précurseur. Il a ouvert la voie à plus d'un de nos impressionnistes. Toute son oeuvre respire la jeunesse et la vie ; toute son oeuvre reflète l'âme ardente de son pays. A une époque où l'Espagne artistique, en pleine décadence, semblait avoir oublié son passé et, inconsciente de ses forces et de son caractère, avait abdiqué le souci de sa gloire dans les mains d'étrangers, Goya, tout à coup, apparaît comme un révolté, sans respect pour les dieux du jour, comme un héros aventureux qui se moque de tout et n'écoute que son caprice, fierà-bras et conquérant d'amour,

d'amour, l'épée et le pinceau avec une égale désinvolture, — la parfaite incarnation de

l'Espagne romanesque, que dis-je? l'Espagne ellemême, soudain ressuscitée.

Mais l'Espagne qu'il incarne n'est pas celle du

mysticisme ténébreux et profond qu'avaient pratiqué les maîtres primitifs de la Royauté somptueuse et grave enclose dans les froides galeries de l'Escurial... Cette Espagne-là, Goya ne craint pas de la défier, de la bafouer, d'en dénoncer les pratiques barbares et surannées. L'Espagne qu'il incarne, c'est l'Espagne grouillante et folle de la rue, des fêtes publiques, des divertissements populaires ; celle qui se remue, se bat, crie, souffre — et aime. Oui, c'est l'Espagne de l'amour, surtout ; car Goya fut, avant d'être un grand artiste, un grand amoureux. Il nous a révélé l'Espagnole, la vraie femme espagnole, que nous ignorions

ignorions lui, et qui n'a pas cessé d'être ce qu'elle était alors, et ce qu'elle fut toujours.

Cl. Giraudon. Musée du PradoGOYA

PradoGOYA L'INFANTE DONA-MARIA-JOSEPHA

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L'ART ET LES ARTISTES

Et c'est-parce qu'il l'a aimée qu'il l'a si bien comprise 'et si ""bien interprétée. ' ;.

Les femmes de Goya sont le sourire et la lumièrede son' oeuvre.' Elles • l'illuminent dès le commencement. De cette oeuvre, deux parts peuventêtre faites : celle du satirique, qui note, et flagelle les abus du pouvoir, et celle de l'amoureux, qui immortalise la beauté. Cette dernière n'est pas la moins considérable, ni surtout la moins séduisante.'

Elle . nous livre l'artiste dans ce qu'il a de meilleur, de plus spontané, de plus charmant. Jeune, Goya avait traversé toutes les influences,

sans en subir aucune. Ni l'Italie, ni Raphaël Mengs, -ni les solennels j classiques, ni les faux continuateurs des vieux maîtres espagnols, n'avaient eu de prise sur son caractère indépendant et frondeur. Mais, une chose cependant l'avait séduit : la grâce légère, frivole, mousseuse, de la femme du dix-huitième siècle, que la France avait apportée en Espagne, comme un fruit nouveau'. Les pastorales de Versailles et de Trianon avaient envahi 1a Cour d'Aranjuez.et parfumé de senteurs capiteuses les bosquets du Prado-et de la Granja. A son incrédulité native, Goya ajoute le scepticisme galant des petits-maîtres. Et il ne s'en défend

défend Ayant à peindre des fresques pour la chapelle royale de San Antonio de la Florida, aux portes de Madrid, il ne s'inquiète pas outre mesure du sujet principal qui doit re: présenter « saint Antoine de Padoue ressuscitant un mort" pour lui faire révéler le nom de son

• meurtrier » ; il esquive ce sujet, l'indique à peine;au milieu d'un déploiement fou de gentilles Espagnoles, — très modernes, vous n'en doutez pas — accoudées le long d'un balcon circulaire, d'où,

• l'éventail aux.' doigts et. la flamme dans les yeux,. elles '. assistent au miracle, d'une {\ façon j ' d'ailleurs extrêmement distraite, — eh lui tournant le dos. Galerie féminine, prestement exécutée.' Tous les personnages sont, dit-on, des portraits. ;La • tradition veut même que les dames de la Cour aient toutes posé devant le peintre en cette occasion, et aient tenu à honneur de, figurer là. : On croit avoir reconnu notamment, dans la figure d'un ange debout, les bras levés, à la droite.du maîtreautel, la fameuse duchesse d'Albe, célèbre, par ses aventures galan.

galan. Et. l'on nous a conté à ce sujet une. anecdote, qui pourrait bien n'être, pas vraie. Goya, achevait son travail quand,, un jour, la duchesse vint le'trouver :

— Il paraît, monsieur le peintre, s'écria-t-elle, avec un visible dépit, que vous avez mis là toutes les... filles de. Madrid?

Nous faisons grâce au lecteur de l'expression juste qu'elle employa.

Cl. iMurent. ~ ■' ■ • r , Musce du Prado.

GOYA — LE MANNEQUIN CARTON POUR TAPISSERIE

TQ4


GOYA

Cliché Moreno

lolleclion du Due d'Albo.

La comtesse de Montijo et ses filles

(On. peut voir assise à droite de la composition la future Impératrice)



GOYA

Cliché Wanfstamqel. National nall-rj/, Ùflffi-en

Dona Isabelle Cobos de Poroel



L'ART ET LES ARTISTES

Coll. V. de Albacete.

GOYA — DONA ANTONIA ZARATE

— Certainement, madame, répondit le peintre... Mais il y a encore une place, que je vous réservais...

La duchesse d'Albe posa, dit-on, sur l'heure.

La liaison qui s'ensuivit, l'intimité dont l'histoire scandaleuse du temps ne s'est pas fait faute de perpétuer le souvenir, a sans doute été beaucoup exagérée. On s'est plu à reconnaître la duchesse d'Albe dans de nombreux types féminins tracés par la main-du peintre, dans de nombreux portraits d'autres dames espagnoles. Avec une certaine malice, on s'est plu surtout à voir la duchesse dans les deux célèbres figures féminines connues sous le titre de la Maja nue et de la Maja habillée, représentant la même personne, couchée sur un divan, ici vêtue de sa seule beauté, là couverte d'une robe légère qui laisse facilement deviner ce qu'elle cache. Ce sont deux délicieuses choses, délicieusement peintes, avec des caresses

qui contrastent fort avec la facture habituellement expéditive et négligée de Goya. Rien de plus spirituel que le visage, qu'éclairent deux yeux vainqueurs ; rien de plus joli que le geste coquet du modèle offrant à nos regards le régal de sa jeunesse en fleur. Sous son voile transparent, la Maja vêtue palpite; le corps souple et nerveux se repose voluptueusement; sans voile aucun, la Maja nue apparaît, chaste dans sa volupté même, les bras fins et courts, la poitrine frémissante, les jambes impatientes ; tout chante en elle la chanson de l'amour.

Il a bien fallu se résoudre à abandonner enfin l'idée que l'on s'était faite à propos de ces deux chefs-d'oeuvre. Les deux Maja n'ont rien de commun avec la duchesse d'Albe. Le véritable portrait de la duchesse existe au palais de Lirian ; et, malgré sa beauté, son charme captivant, sa grâce un peu excentrique, aucun trait du visage n'indique une ressemblance quelconque, suffiCl.

suffiCl.

GOYA — MANOLAS AU BALCON

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L'ART ET LES ARTISTES

Cl. Lacoste. Musse de Madrid.

GOYA LA DUCHESSE D'ALBE

santé tout au moins, avec celui des deux jeunes personnes dont nous venons de parler.

Nous n'affirmons pas toutefois que le peintre, s'il y avait été invité, ou même sans invitation, eût hésité à manquer de respect, si galamment, à sa chère protectrice. D'autres documents existent qui nous montrent son intimité avec elle toute pleine de douces privautés. Avant la duchesse d'Albe, la comtesse de Benavente avait

régné sur son coeur; et ce règne n'avait cessé que par l'entrée en scène de la duchesse, ardente, jalouse, et bientôt victorieuse. L'influence de cette femme séduisante remplit le meilleur de la vie du peintre ; elle le remplit d'enchantement, de gloire, — et aussi, comme il arrive, de tourment. Si l'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux, l'amour d'une grande dame ne laisse pas souvent d'être, à certains égards, hélas ! néfaste. Elle valut à Goya une infirmité cruelle, la surdité, contractée à la suite d'un froid, au cours d'un voyage qu'il fit chevaleresquément avec la duchesse, exilée de Madrid par la juste colère de la reine Maria-Luisa. L'artiste ne guérit point. Guérit-on j amais des blessures de l'amour ?

Aucun peintre ne fut plus inégal ; aucune oeuvre ne trahit plus que la sienne l'humeur capricieuse, l'émotion changeante, les dispositions bonnes ou mauvaises de l'heure ou des circonstances. Chargé de peindre des portraits officiels, — on disait alors : des portraits d'apparat, — il les bâcle (c'est le mot) avec une hâte et un laisser-aller qu'il ne cherche point à dissimuler. Et alors, ses portraits de femme eux-mêmes ne valent que par la prodigieuse facilité avec laquelle il les improvise, sans se préoccuper aucunement de les « flatter ». Il y a, au musée du Prado, un portrait de la reine Maria-Luisa, à cheval, qui est absolument grotesque ; — il est vrai que le costume de la reine y prêtait un peu : Sa Majesté porte l'uniforme de garde du corps ! La Famille de Charles IV, en groupe, pourrait tout aussi bien représenter une famille de braves épiciers dans leurs beaux habits des dimanches.

Mais quand le « sujet » lui plaît ; quand il peut le choisir, Goya se transforme : il s'applique de toute son âme ; il cesse d'être incorrect ; il trouve d'exquises tendresses de colorations ; et ce qu'il produit dans ces conditions est un délice. Greuze, dans ses plus délicates figures de jeunes filles, n'a rien fait d'aussi ravissant que l'Infante dona Maria-Josepha (au Prado) et que la Reine Isabelle des Deux-Siciles âgée de douze ans (galerie San Telmo, à Séville) —

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L'ART ET LES ARTISTES

deux adorables toiles, où la candeur et la grâce juvéniles, la poésie de la femme qui se devine sous l'enfant, sont traduites avec une incomparable maîtrise.

Le grand portrait à quatre personnages que nous reproduisons ici, hors texte, et qui fait partie de la précieuse collection du duc d'Albe, est également des plus remarquables. Et il est curieux même à plus d'un titre. Il nous montre la comtesse de Montijo entourée de ses trois filles : l'une de ces filles — celle qui est assise à gauche, souriante, — devait, plus tard, devenir impératrice des Français.

Ailleurs, aussi, dans plus d'une oeuvre même improvisée, même sabrée à grands coups de

brosse, tout à coup un détail arrête, retient, séduit... C'est, au milieu d'un grouillement de personnages quelconques, à peine esquissés, un souriant minois, une silhouette élégante et souple, quelque chose qui T vêle l'artiste épris de la souveraine beauté, et qui s'y réfugie, comme un collégien, de corvées assommantes. Rarement, dans ces cas-là, Goya reste inférieur à lui-même. Ses Manolas au balcon, de la galerie Montpensier, à Séville, sont peut-être la seule chose où il paraisse faillir à sa renommée. Et encore ontelles un caractère spécial, qu'il ne convient pas de juger arbitrairement avec nos conventions et nos goûts. Quant à la série des idjdles, des fêtes champêtres, des déjeuners sur l'herbe, qu'on est assez étonné de rencontrer chez cet indépendant et farouche fantaisiste, trop de souvenirs des gentils maîtres français s'y retrouvent, affaiblis et travestis ; et les grâces mêmes que Goya y a mises semblent mal à l'aise. Deux ou trois visages de jeunes filles, aux grands yeux noirs mouillés, ne rachètent point ce que tout cela a de lourd, d'embarrassé et de factice.

Pour créer des idylles où la réalité importe certes bien moins que le maniérisme d'une grâce un peu factice, en des paysages imaginaires et conventionnels, Goya n'avait point du tout ce qu'il fallait ; sa grâce n'avait rien de précieux ; elle se sentait mal à l'aise sous ses déguisements mignards, trop étroits pour sa forte carrure ; à peine y devine-t-on le véritable Goya, celui qui se livre librement à son inspiration, quand la verve l'emporte et

que son coeur est pris. Maître, de lui-même, devant la beauté et devant la vie, il ne doit rien aux autres et s'épanouit dans toute la fleur de son originalité. Alors il peint des oeuvres durables. palpitantes et. émues ; devant la nature souveraine, il a la foi de l'artiste. Foi toute païenne, à cette heure, émotion toute moderne, bien nouvelles en ce pays de vieille orthodoxie. De moins en moins pourrait-on y retrouver la trace de l'Espagne d'autrefois, ou plutôt de l'art d'autrefois, car l'Espagne même, son caractère, ses moeurs ne se sont pas, en aussi peu de temps, transformés à ce point ; le fond est resté ; la surface seule, sous l'empire des événements, a changé ; le peuple a gardé ses superstitions, sa sauvagerie et sa fierté ;

l'Iwto Lacoste. Muiée de Madrid,

GOYA LA REINE MARIE-LOUISE

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L'ART ET LES ARTISTES

mais l'art ne s'adresse plus à lui comme jadis, — ou bien il n'y a plus' de communauté d'esprit et de goût entre-lui et ceux auxquels il s'adresse maintenant ; l'art est devenu uniquement le miroir des moeurs de certaines classes, et ces classes-là, s'élevant, se corrompant, tandis que les autres sont laissées dans l'ombre, ont.ouvert leur âme à des sentiments nouveaux... Bientôt cette désunion amènera une catastrophe ; mais de ce cataclysme naîtra un autre monde, plus fort.

Goya fut en quelque sorte le divinateur, l'initiateur de ce monde-là, et il en a noté d'avance l'expression exacte. Il a eu le sens vrai et juste de ce que l'on a appelé plus tard la « modernité »,

dans ce je ne sais quoi qui le rapproche de nous au point d'en faire, comme nous le disions en commençant, un contemporain, mais aussi dans le côté plastique de son art, dans ces recherches de pittoresque, de couleur et de lumière dont on s'est si fort affriandé aujourd'hui. Et sous ce. rapport sa modernité diffère essentiellement — comme la nôtre — de celle de la. plupart des grands artistes de tous les temps. Eux aussi étaient, pour leur siècle, des « modernes », parce qu'ils quintessenciaient dans leurs oeuvres l'esprit de leur époque. Mais la modernité de Goya, — celle de notre temps, — a poussé plus loin que celle des anciens la sincérité ; elle a touché à plus de sujets , et elle

y a mis plus de variété, de pensée et ' d'intentions ; elle a moins fait de l'art pour l'art ; elle a eu l'ambition de dire plus et autre chose, en étendant son domaine désormais sans limites, ou en le . restreignant aux choses passagères. Elle est devenue le « modernisme » ; — bientôt elle se fera 1' « actualité ». Un autre que Goya, son ami Paret y Alcazar( 1747-1799), avait eu déjà un instinct, de résistance contre le courant de la mode française, si charmante en France, mais si insupportable ailleurs dans les mains d'imitateurs-et de plagiaires, quand il peignait, entre deux bergères, ses scènes d'animation locale, son Magasin d'étoffes à Madrid, sa Vue de la Puerta del Sol, dans leurs petites dimensions de tableaux de chevalet. Mais Goya seul donna au-genre le cachet et l'accent vraiment contemporains. Il imagina de saisir, dans cette forme tumultueuse qui lui était propre, le côté pittoresque et caractéristique de la vie -nationale, non seulement de la vie intime, mais aussi de la vie extérieure prise sur le vif, fixée en traits rapides , et féconds, avec toute la franchise d'études faites d'après nature ou sous l'impression immédiate des choses. Et alors s'anima soudain, en des toiles fougueuses, le spectacle fou des fêtes de la rue et du cirque, réjouis sances publiques, processions, combats de taureaux, scènes religieuses, bandits, pestiférés, aliénés, batailles, galanteries, types popuCl.

popuCl. ...

„_ Bue d'Albe.

(_rUïA — LA TIRANA (MÀRIA-FERNANDEZ)

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GOYA

Cliché Durand-Ruel.

Portrait présumé de la Duchesse d'Albe



L'ART ET LES ARTISTES

laites et fantaisistes ; et ce qui en fit surtout la portée curieuse et originale, c'est que, à la justesse d'interprétation et de notation de ce monde, traduit par lui avec sa physionomie et ses couleurs vraies, il ajouta quelque chose de son esprit d'artiste toujours en éveil et de philosophe mordant et hardi ; il en dégagea le ridicule, le grotesque et l'odieux ; il fit de la véritable satire; et cette satire, politique, religieuse et sociale, sans déclamation, sans phrases ni soulignements, dans son inaltérable bonne humeur, est d'une éloquence, sans pareille.

Là, moins encore qu'ailleurs, ne lui demandez pas la correction du dessin, l'impeccabilité d'une forme châtiée ! Toute contrainte à cet égard éteindrait sans nul doute sa verve. Il ne s'agit plus pour lui de caresser, en ses ondulations cadencées, le beau corps de la Maja : ce qu'il faut ici, c'est l'entrain, c'est le pinceau alerte, qui suit l'élan de la pensée ; et, comme la main du peintre n'a pas cette sûreté des

GOYA—DOXA NARCISSA,BARONNE DE GOICOECHEA

!!! [Coll. Viccnte {lairini.

GOYA

DONA JOSEPHA CASTILLA-PORTUGAL

forts qui « savent », trop souvent son laisser-aller trahit de l'impuissance. Mais toutes ces incorrections, tous ces à-peu-près s'évanouissent devant son mouvement endiablé, sa faconde prodigieuse et la salacité de son étourdissante imagination. Quelques taches de couleur, quelques coups de brosse, bien donnés, à la bonne place, et l'on voit aussitôt les cortèges s'ébranler, les troupes échevelées de masques étaler, comme dans cette étonnante esquisse de l'Enterrement de la Sardine, de l'Académie San Fernando, l'effréné délire de leurs danses, les picadors et les espadas rougir le sable des arènes... Et sans cesse déborde la vie, — une vie fiévreuse et grimaçante, née du cerveau d'un songeur ou d'un fou, qui pousse l'observation jusqu'à la caricature et l'étrange jusqu'à l'absurde. On est tout à la fois séduit et choqué... Choqué par la brutalité, de cet art plein d'ignorance et de gaucheries dans ses moyens matériels, — séduit par tant de franchise, d'humour et d'imprévu. On se révolte parfois, on hausse les épaules : « — Ce n'est pas un peintre, cela! C'est un improvisateur, un poète !... Impossible de

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L'ART ET LES ARTISTES

. Cl.' Giraudun. ' . Coll. du duc d'A lie.

■-.*"! GOYA LA MARQUISE DE LAZAN

prendre au sérieux ces barbouillages... » Et, un instant après, on'se surprend à considérer de plus près ces barbouillages, qui vous retiennent, qui -vous attachent ; quelque chose de ce qu'y a mis l'auteur vous pénètre ; vous entrez dans son coeur et dans - sa vie ; le tourbillon de sa fantaisie vous emporte... Le charme a opéré : Goya triomphe.

Impitoyable pour la laideur, disciple fervent de toute beauté, tel est Goya dans le cours entier de son oeuvre. Tout ce qui est odieux, cruel, vilain, le trouve plein de haine et de mépris ; tout ce qui est jeune, gracieux, charmant, éveille son culte obéissant, soumis et enthousiaste. Les deux parts, celle du satirique et celle de l'amoureux, que nous

avons indiquées au début de cette étude, se vérifient minutieusement. Et, pour en revenir à ce qui fait ici l'objet principal de notre attention, ses portraits de femme proclament, tour à tour, avec éclat, cette double face de son talent, primesautier et indépendant. Gare aux princesses vieilles, méchantes, sans élégance et sans charme, que le-pinceau du maître doit interpréter! Il ne leur fait grâce d'aucune - ride ; il semble qu'il prenne un malin plaisir- à respecter ce que d'autres peut-être, par courtisanerie, cacheraient sous les artifices aimables de la . flatterie. Autant la belle duchesse d'Albe, qu'il a follement aimée, resplendit d'attraits que le pinceau du maître a soulignés religieusement, autant, par contre, l'impérieuse reine Maria-Luisa qui contraria ses amours, nous apparaît d'une farouche ressemblance, dans toute l'inélégance de son costume militaire et de sa pose masculine, à califourchon sur son lourd cheval castillan. On sent que le souci de la.vérité n'a pas guidé sa main seulement ; un peu de malicieuse vengeance se devine dans l'âpreté de cette peinture, sans complaisance et-sans ménagement. Mais il faut voir surtout, pour bien juger de sa malice, la grande toile où Goya rassembla toute la famille de Charles IV, dans le pittoresque aimable d'un groupe familial. Avec quelle amertume non déguisée il a trouvé moyen de placer, à côté l'un de l'autre, le revêche,

horrible et malfaisant visage de la vieille donaMariaJosefa, tante de don Fernando, prince des Asturies, et le doux et souriant visage de la petite infante dona Maria-Isabella, sur l'épaule de qui la reine appuie nonchalamment son bras ! Dans l'ombre, la vieille darde des regards méchants ; l'artiste n'a point cherché, si ce n'est en l'éloignant un peu, à atténuer sa laideur ; il l'a indiquée, négligemment, brutalement, en quelques traits, réservant toutes les caresses de son pinceau, toutes les harmonies de sa palette pour l'autre, pour le frais et gentil minois, pour la grâce en fleur des quinze ans, qui semble là comme une aube rayonnante effaçant de sa jeune lumière le sombre masque de la nuit.

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GOYA

Coll. A. licrnete.

La Reine Marie-Louise



LART ET LES ARTISTES

A Valence, une autre toile, toute aimable, toute captivante, sourit aux visiteurs. C'est le portrait de dona Joaquina, une jolie fille aussi, qui fut une des maîtresses les plus chéries de l'artiste. La jolie fille a toute la grâce d'une Espagnole, petite, bien tournée, au teint •éclatant, aux yeux de velours. Le peintre, dit-on, la peignit dans une de ses heures les plus joyeuses. Il l'avait amenée un jour de fête parmi ses amis, et ses amis, la voyant si avenante, voulurent qu'il fît son portrait aussitôt. Goya brossa l'esquisse à l'endroit même où la folle compagnie s'était réunie, et dès le lendemain, dans la fièvre ■encore de son bonheur, il exécuta l'oeuvre, et y mit tout son coeur.

Ah! que n'eût-il toujours, devant ses yeux, pour l'inspirer, d'aussi agréables modèles ! Que n'eût-il toujours la liberté de les choisir, sans l'ennuyeuse contrainte des effigies officielles et des travaux commandés, qui trouvaient sa main sans force et son âme sans volonté !

Ainsi, — sans nous aventurer •sur un terrain qui nous est interdit pour le moment, et en nous bornant à considérer le talent du peintre espagnol sous une seule de ses faces, — une si grande inégalité semblerait faite pour dérouter, si •elle n'était au contraire, je pense, la vraie caractéristique de ce talent.

Singulier mélange de séductions et de faiblesse, de finesse et de brutalité, de malice et d'ignorance, il n'est pas de peintre qui ait mérité autant de sympathie et autant de blâme ; il n'est pas d'artiste <;hez qui l'abondance des dons naturels fut plus riche et plus mal équilibrée, il n'est pas d'homme ■chez qui le tempérament fut mieux trempé pour la lutte et, avec cela, plus irrésolu et plus facile à surprendre.

Peut-être, si plus d'ordre et de mesure avaient existé en ce chaos de choses mauvaises et bonnes, ■celles-ci auraient-elles perdu de leur saveur ; l'esprit,

Cl. Laurent. Madrid.

GOYA — LA FAMOSA LIBRERA DE LA CALLE DE CARRETAS

plus posé, mais n'ayant pas pour guide la volonté inébranlable du génie, se serait laissé entraîner, et alors tout ce qui fut en Goya de spontané, de vif, d'original, tout ce qui fit son charme, on l'aurait vu s'éteindre doucement dans la paix somnolente de la médiocrité.

Mais il a suffi que la Femme laissât, dans sa vie et dans son oeuvre, sa trace lumineuse pour nous rendre l'une et l'autre aimables, et rapprocher de nous, jusqu'à en faire presque un contemporain, cet Ancien, qui, autant que nous, souffrit par Elle —

Et l'adora.

LUCIEN SOLVAY

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Les

Tapisseries de Chéret

TU LE s CHÉRET, ces derniers temps, a renouvelé *^ l'art de la tapisserie, non point dans la technique, — elle demeurait excellente, — mais dans la conception décorative — elle en avait bien besoin. Les cartons de Chéret ne sont pas modèles d'Etat. Ils n'ont point la sanction gouvernementale. Ils sont transcrits par des moyens d'Etat, librement, en marge, à côté, pour M. Fenaille, le collectionneur, pour qui Chéret fit son affiche si populaire de la Saxoléine, qui, on le sait, est un historien d'art,

érudit et spécialiste en tapisseries, et qui a obtenu, non sans quelque peine, de faire exécuter à ses frais, pour lui, des tapisseries de Chéret destinées à embellir sa maison. A l'ordinaire, les excellents praticiens des Gobelins assortissent leurs laines irréprochables en vue d'une lutte à livrer à des colorations médiocres. Il est vrai que l'art vieillot dont (exceptons la Jeanne d'Arc de Jean-Paul Laurens), en leur ton anachronique avec l'art d'aujourd'hui, relèvent la plupart des compositions admises, n'est point sans cadrer avec le petit aspect tranquille de la Manufacture où on les transcrit, de ce petit Béguinage d'art décoratif, semblable, parmi ce Paris ouvrier de la Butte aux Cailles, à un petit coin de Bruges ; l'évolution ne peut pénétrer très vite dans tout ce silence qui descend vers la Bièvre, parmi ces pavillons bas et ces feuillures vénérables. Décor paradoxal avec ses dépendances de grands j ardins en annexe avec sa bancle potagère courant

en quai du ruisseau roux, décor d'ancienne France amusant et curieux au possible, mais où l'on aimé trop la peinture froide, la pompe ennuyeuse, où aussi l'on croit trop que Chevreul a tout emporté de la science dans son cercueil, y compris les possibilités d'études nouvelles, où l'on ferme l'oreille aux bruits du dehors, où l'on demeure immobile et majestueux comme les héros des tapisseries d'après Lebrun.

Connaître les affiches, les pastels de Chéret, sa décoration de l'Hôtel de Ville, son rideau du

Théâtre Grévin, ses couvertures de livres, ses illustrations de pantomimes, c'est savoir qu'il a toutes les qualités nécessaires à une rénovation de la tapisserie... Il a la fraîcheur, la grâce, l'éclat, le jeu des couleurs jolies harmonieusement fondues, il a cette gaieté supérieure, cet épanouissement, nécessaires à toute tapisserie qu'on n'exige point austère et commémorative. Faut-il égayer les murs ou les assombrir ? toute la bonne tradition de l'école moderne, en peinture, les veut considérer comme des fenêtres ouvertes sur le jour et non sur la nuit. Ni Puvis, ni Martin, aucun des grands décorateurs ne fait sombre ; au contraire, après les colorations tendres de Puvis, la fougue de Martin éclabousse les murs de soleil et il a raison, comme Chéret avait raison de dérouler à la villa du baron Vitte, ou chez M. Fenaille, en ornement de halls et de salles à manger, les séries de ses Pierrots, de ses PolichiCliché

PolichiCliché FEMMES, ENFANTS ET FLEURS Peinture pour tapisserie par Jules CHÉRF.T.

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J. CHÉRET

Cliché Vizzavoiia.

La Ronde

Peinture pour une tapisserie.


L'ART ET LES ARTISTES

Cliché Vizzavona.

LA FEMME A LA GUIRLANDE Peinture pour tapisserie par Jules CHÉRET.

nelles de ses Scapins, de ses Colombines et de ses danseuses, de ces extraordinaires silhouettes de ballerines tout éclat, toute gaze, tout sourire, toutes fleurs, harmonieuses de la pointe du pied jusqu'au bout flottant de leur écharpe, le bouquet à la ceinture et faisant neiger les fleurs autour d'elles sur leur chemin de nuées. L'art de Chéret s'est d'ailleurs depuis quelques années singulièrement agrandi.

Depuis et même avant sa décoration de l'Hôtel de Ville ce n'est plus, chez lui, sinon tyrannique, au moins prépondérante, la préoccupation de la couleur générale qui emporte tout comme en une gracieuse tourmente de roses rouges et de roses blanches, d'éclats solaires et de rubans feu. Sa science des attitudes féminines s'est encore accrue, et la curiosité de ses masques et la fermeté des lignes autour de la sensibilité du regard; à plus d'élégance encore s'est ajoutée plus de solidité ; il n'est point de dessin de maître ancien où un corps de femme soit mieux établi, où la structure en soit mieux indiquée et la transcription de la ligne de beauté plus parfaite, que dans ces sanguines oi Chéret a jeté, d'après le modèle joliment attifé, diversement dévêtu et drapé, les allures souples, les pointes agiles des danseuses de sa Ronde, les attitudes des coquettes écouteuses de Decamérons qu'il groupe dans son Déjeuner sur l'herbe, et autour de la grâce mutine, éveillée, rieuse, saine des jolies faces et autour des belles allures joyeuses, le paysage se développe en lignes nobles de coteaux, en belles statures d'arbres, en colorations amples et puissantes d'horizons qui font de ces cartons, de merveilleux tableaux, et les meilleurs qu'ait encore signés Chéret. JS

Le dernier grand travail décoratif de Chéret, ce sont ses cartons dé tapisserie établis pour M. Fenaille. Outre ces deux grandes pages, la Ronde et le Déjeuner sur l'herbe, il comporte, sans compter des fauteuils sobrement ornés d'un bouquet, trois panneaux longs, et sur l'un c'est le caprice d'une ballerine éparpillant du ciel, parmi le jeu d'oiseaux multicolores,la grâce menue des fleurs qu'elle détache d'une branche flexible. Une autre, parmi la nuée de cendre dorée, montre une femme serrant coquettement contre sa poitrine l'éclat d'une gerbe d'épis ; un chapeau léger orne sa tête délicate.

Brune et blonde, en robe éclatante, en robe claire, cheveux dorés et cheveux d'Erèbe, enlacées dans l'ascension d'un vol dansant, deux belles filles s'élèvent que suivent, porteurs de 'fleurs épanouies, des amours comme les peint Chéret, de jolis enfants d'aujourd'hui, au rire

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L'ART ET LES ARTISTES

en fête parmi leurs joues de rose-thé à peine piquées d'une roseur plus vive. Mais l'intérêt de ces jolis panneaux pâlit auprès de celui de deux grandes pages, du Déjeuner sur l'herbe : en longue robe d'un gris un peu violet où le soleil plaque une protéique dentelle d'or que dessine le feuillage au tremblement du vent léger, une svelte jeune femme tend une corbeille de cerises à des jeunes femmes assises auprès de la nappe blanche, tout auprès de cette belle personne en robe jaune, de ce pâté, de cette bouteille, de ces verres mi-pleins qui amènent dans cette gaieté des êtres et de la nature, comme le sourire des choses. Parmi tout cet allègre mouvement c'est une admirable nature morte que ce coin de nappe sur l'herbette fleurie.

Et l'art des tapissiers, de M. Gouzy et de ses amis, rend toute l'acuité des flèches lumineuses, la fraîcheur des fruits, tous les reflets de tout ce printemps de soleil qui rend plus vifs le regard et les lèvres des jeunes femmes. La gageure de Chéret d'obtenir de la tapisserie, le décor le plus frais, et en même temps le plus mobile, et le plus léger, d'en tirer des délicatesses de pastel, a été tenue par ses exécutants.

A peine, en prévision du pâlissement fatal qu'amène la durée, les couleurs sont-elles montées d'un ton, mais en harmonie; de sorte que tout l'aspect jeune, frêle, le bouquet de la composition, est absolument sauvegardé.

Le Déjeuner sur l'herbe est aux trois quarts terminé. La Ronde sera transcrite après : c'est une opération longue ; un bon ouvrier fait environ un mètre par an et l'on devine quel soin et quelle peine doit donner ce choix de laines, qui arrive à égaler les détails du pastel.

Le carton de la Ronde est peut-être plus beau que celui du Déjeuner sur l'herbe.

Du fond d'un parc Watteau, par des degrés de marbre blanc, vers une colonnade entourée d'arbres majestueux, courent, se tenant par la main, des danseuses. Elles vont vers la joie; en courant elles nous laissent admirer la splendeur élancée de leur démarche, les fleurs qui encadrent le feu de leurs yeux, la beauté de leurs épaules et la grâce d'un ajustement qui semble la parure naturelle et simple du bonheur.

De belles femmes, au visage doux, les regardent ; elles semblent écouter le prolongement du son des guitares dont elles rythmaient l'élan des danseuses; il n'est plus besoin de ce rythme pour souligner cet appel de la beauté; c'est une minute de mouvement suprême, comme glissant, comme soulevé des chaînes de la pesanteur. C'est la beauté de la vie. /^Jl

GUSTAVE KAHNI(-((V

Cliché Yizzacona. LA FEMME ET LA GERBE Peinture pour tapisserie par Jules CHÉRET.


Le Mois Artistique

■DASTELS PAR ARTHUR WARDLE (galeries Arthur ■* Tooth and Sons). — Après les peintures fougueuses de Delacroix, après les aquarelles précises de Barye, ces pastels d'Arthur Wardle semblent s'apparenter seulement à quelque dessin de Rosa Bonheur ; le drame intense de la lutte pour la vie, le destin

fatal de la proie chassée et vaincue, l'orgueil satisfait du victorieux, ne sont ici que des anecdotes, imaginées - à dessein,d'aucunes trop banales comme dans Sauvé ; ces fauves, copiés dans des ménageries sans doute, ont été replacés après coup dans des décors de nature (parfois très réussis comme dans Léopards au Somaliland, le paysage lointain crête de soleil couchant,) et on ne sent pas leur allure réellement libre, leurs muscles en action, leur férocité lâchée ; le Léopard et la Pintade n'est qu'un, agrandissement du chat et l'oiseau, une Histoire de la

Jungle est bien loin du Lion au Serpent de la terrasse des Tuileries ; Tigre buvant est un sujet connu, et Lever de Lune ne vaut que par l'étrange phosphorescence des prunelles. Où l'artiste nous montre des motifs inédits, c'est dans ses études d'ours polaires, « les maîtres des vagues » comme les appelle le catalogue ; les grosses bêtes blanches tapies au bord d'une crevasse guettant des veaux marins ou nageant rapides — sous un vol de mouettes dans l'écume des flots—sont des aspects nouveaux d'une belle intensité. Il est regrettable que cela n'ait pas la facture si artiste de William Wats.

EXPOSITION DE BREVERN DE LA GARDIE (boulevard de Clichy). — Vues de Bretagne et de la Hollande, telle est l'indication de la carte d'invitation. Ayant reçu les leçons du vieux maître, Harpignies, M. de Brevern de la Gardie sait le mystère des masses sombres de feuillages, les

clartés d'eau où se mirent des maisons, l'ondulation des champs sous des ciels de nuées, les ruelles de village, les cours de ferme ; et, comme feu Chaplin, il a de jolis croquis de porcs ; toutes ces pages à l'aquarelle sont d'une sincérité absolue, d'une grande distinction discrète.

OEUVRES DE J. FLANDRIN (Galerie Druet).— Les Salons annuels, s'ils sont pour un certain public une fête du snobisme, pour l'innombrable mêlée des soidisant peintres et sculpteurs une occasion de se produire, pour les critiques une promenade parfois fastidieuse,ne rendent pas à certains

artistes les services que l'on s'imagine; une exposition particulière dans laquelle ils peuvent montrer leur oeuvre complète, avec ses inégalités et ses trouvailles, renseigne bien mieux, permet de pénétrer davantage la personnalité, de définir une technique, de synthétiser une manière.

Ainsi, au dernier Salon d'Automne, les bergers de J. Flandrin, d'une facture cotonneuse, inhabile, étaient des envois bien mal choisis par le peintre, ne faisaient aucunement prévoir un ensemble comme celui qu'il présente à la galerie Druet ; ne redoutant pas d'indiscrétion sur ses affinités, il a

RAYMOND WOOG — INTIMITÉ

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L'ART ET LES ARTISTES

WILLETTE — FRAGMENT D'UN PANNEAU DÉCORATIF A LA TAVERNE DE PARIS

même mis des copies faites par lui des Noces de Cana et du Mariage de Marie de Médicis ; on devine le plaisir qu'il a eu à rendre les rouges de Rubens, on voit qu'il s'en est souvenu pour une Audience à Venise ; cette intensité de palette, il la conserve dans ses paysages et ses natures mortes, là où il est plus maître de lui, que dans le Portrait, très sage, que dans la Vierge et l'Enfant, d'aspect désagréablement sculptural ; ses vues de Corenc, le couvent, la maison de campagne, l'église, toutes ses études du Dauphiné, certaines petites notations rapides comme celles si savoureuses que l'on connaît de Russell, les Moissonneurs, d'autres toiles encore affirment en J. Flandrin un naturaliste de réel e valeur ; et ses deux panneaux

ovales, Pêches et Raisins, la Corbeille de Fleurs, ses Orchidées des Alpes, ses compotiers de fruits, ses bouquets de fleurs, sont régal d'amateurs ; le souvenir s'efface, heureusement, des Bergers d'Armide du Salon d'Automne. A citer encore des aquarelles fougueuses, très intéressantes.

PAYSAGES DE CAPRI, PAR G. DUBUFE (galerie G. Petit). — L'actualité commanderait l'éclectisme si cette vertu n'était naturelle à qui s'occupe de questions d'art, en dehors de toute école et de tout parti pris ; du reste, les divergences des Musées la nécessitent aussi bien que la diversité des expositions. G. Dubufe nous conduit à Capri dans des paysages de lumière, parmi des maisons blanches,

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L'ART ET LES ARTISTES

WILLETTE

LA SAGESSE ET LA VÉRITÉ

(Fragment de plafond)

sous des tonnelles ensoleillées d'où pendent des grappes ; le site était connu par des toiles pieuses antérieurement faites par l'artiste; mais l'intérêt de cette exposition réside dans les très nombreuses études préparatoires qu'il a notées de ce paysage où il villégiature ; il y a là une série de pochades (quoique ce mot ne convienne pas à une manière plutôt léchée) tout à fait attrayantes par la transparence des marbres, par l'éclatance des fleurs, par l'azur de la mer, par la sérénité du ciel ; sous le charme de la vision, le peintre a exprimé rapidement le décor enchanteur, et sa palette y a gagné une inhabituelle énergie de tons. G. Dubufe, dont le violon d'Ingres est une lyre, a sur le même sujet écrit de jolis vers :

Ces pays grecs aux bleus sommets, ces îles roses, Qui dorment sur la mer en ces climats bénis, Grands navires à l'ancre entre deux infinis, Terres chaudes du charme invisible des choses,

Gardent, sous la splendeur de leurs métamorphoses, L'âme des temps obscurs et des rêves finis Dont les Héros lointains et les grands Dieux bannis Hantent obstinément l'ombre des lauriers roses !

Ayant trouvé ce paysage, le littérateur y voulut situer des figures et il fit les Heures de la Vierge ; il n'était pas besoin de préciser ainsi notre émotion, ce mysticisme n'ajoute rien ; le fichu à carreaux d'une fillette italienne vaut mieux que les ailes des anges.

UN PLAFOND DE WILLETTE. — « ... C'est la vie avec ses joies, ses luttes et ses tristesses qui inspire mes productions. C'est aussi l'amour de la femme, de cet être exquis qui conserve encore les instincts primitifs et surtout la coquetterie du sauvage en se parant la tête de plumes, de fruits et de fleurs... J'ai la joie d'affirmer que je n'ai suivi la trace d'aucun maître... Ce que je cherche, je le trouve dans la rue, aux champs ou dans le ciel... Je pleure avec la fille de joie, je ris avec les enfants que j'adore, je vis dans la foule dont le spectacle m'amuse, j'en comprends et en retiens toutes les scènes... » Il sera précieux plus tard de publier les lettres de Willette, car il a un joli brin de plume à son crayon, ou mieux à son pinceau, le dessinateur d'antan cherchant de plus en plus à s'évader de la besogne journalistique pour s'adonner à la seule peinture ; son oeuvre picturale serait déjà intéressante à réunir depuis le Parce Domine du Chat noir jusqu'à la salle du budget à l'Hôtel de Ville, en passant par les panneaux du Tabarin et ceux de la Taverne de Paris, fantaisies exquises pour lesquelles la Postérité renouvellera l'engouement et les enchères des amateurs actuels pour le XVIIIe siècle ; des esprits avertis n'attendent pas ce recul et cette consécration, savent apprécier tout de suite, et il faut féliciter M. Bélin d'avoir commandé à Willette le plafond qui sera exposé à la Nationale.

Puisque le possesseur en sera un libraire, l'artiste a mis, dans sa composition, des bouquins, de ceux qu'on brûlait autrefois ; la Pensée est attachée nue sur un bûcher dont la flamme s'alimente de tous les ouvrages condamnés par le Parlement et l'Eglise, dans la fumée noirâtre se distinguent les douleurs, les carnages, la guerre, tout le sinistre et farouche Moyen Age ; en opposition, sur un ciel rasséréné qu'auréole l'arc-en-ciel, la Sagesse et la Vérité montrent le clair avenir à des êtres heureux, que nous serons peut-être ! Nous ne voulons pas déflorer davantage cette oeuvre du nouveau chevalier de la Légion d'honneur qui sera le succès du prochain Salon.

CERCLE DE LA RUE VOLNEY. — On y respire l'atmosphère du Salon des Champs-Elysées, et l'on errerait monotonément parmi les papotages mondains et les signatures connues s'il n'y avait, en peinture, les deux toiles de Raymond Woog, en sculpture, les marrons sculptés (sic), de Lionel Le Coûteux ; le Portrait de Mme B. V. noir et vert, l'Intimité avec la matinée rose, le coussin bleu, le jupon noir et blanc, sont des morceaux énergiques, d'une facture solide, d'une touche vigoureuse, très hauts en couleurs, qui décèlent un véritable peintre ; ce nom de Raymond Woog est à retenir.

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L'ART ET LES ARTISTES

Les portraits habituels sont signés : Marcel Baschet, Benner, Boeswillwald, Cayron, Chabas, Chrétien, Ferrier, Fournier, Faivre, Gounod, Gueldry Hall, Lefebvre, Royer, Vollon, Weerts et Zwiller ; les paysagistes : Bellanger Adhemar réédite le château de Fleury qui servit de modèle jadis à Heilbuth, Bouchor, Buffet, Dameron, Damoye, Delbrouck, Guignard, Nozal avec son Nocturne à Berck, d'une poésie intense, et son Effet de neige à Saint-Cucufa, instantané d'hiver pris habilement en deux séances, Picabia, Rigolet, Tattegrain, Taupin ; de Brugairolles, Venise fleurie ; de Charpentier, un Coin du port à Dieppe ; de Chigot, Mon Jardin, aux boiseries bleues et aux fleurs de soleil, Cité flamande le soir, la vie révélée par les petites lumières à la Cazin ; de Dambeza, un Octobre très doux; de Delamarre de Monchaux, le Pont de l'Hydromel à Bruges, très intense ; d'Adrien Demont, Après l'ondée ; de Horton, un très bon Jour de neige à New-York; de Laparra, les Jardins de la Villa Médicis (et un portrait de femme) ; de Maigret, un pastel ; Bompard noircit Venise qu'Iwill banalise, Bergeret continue ses natures mortes, Cesbron ses fleurs, Cadel vignettise du Puvis de Chavannes, Cormon pratique énergiquement les forges, Devambez a de l'esprit, paraît-il ; < Le Goût-Gérard est toujours à Audierne, Albert Maignan a pris à Venise un décor pour J.-P. Laurens, Saint-Germier y a vu un prologue de Sardou, Taupin ne se lasse pas de Laghouat, Weber croit qu'il s'appelle Vibert !

Sur des socles, Sicard expose un beau buste de femme et une statuette... Puis, c'est tout.

Scheidecker a une vitrine d'objets d'art en métal pittoresquement découpé.

SOCIÉTÉ DE LA MINIATURE, DE L'AQUARELLE ET DES ARTS PRÉCIEUX (Galerie Georges Petit). — Citons rapidement les aquarelles assez larges d'Ivan d'Assof, une Étude de Mme Laurence FaralicqDelobel, la Vieille Femme de Mlle Lucie Gibier, toute une ménagerie de tigres, lions, éléphants par ■ Gustave Surand, la Maison du Passeur de Henri Jourdain, acquise par l'Etat, des fantaisies spirituelles ou grivoises de Mlle Leone Georges, quantité de miniatures intéressant surtout les modèles qui ont fourni leur photographie, et de belles reliures de Meunier.

SIXIÈME EXPOSITION DE L'ASSOCIATION

L'ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DE PEINTRES ET SCULPTEURS FRANÇAIS (Grand Palais). — En des salles peu claires, insuffisamment chauffées, les rares visiteurs remarquent parmi une profusion de cadres : des paysages de Petitjean, de Rigolot, une Venise de G. Roullet, des fleurs de Bienvêtu, des verdures de Brun, des «ws'Loïe Fullérés d'Emile Brin, des mauvais Jules Breton de Chateignon, une petite Salomé(!)de Commerre,un Clair de Lune, de Cachoud, une Batteuse de Gelhay, du soleil par Mazard, de la neige par Jacob, des aquarelles de Fournery, des notations prestes d'Eugène Bourgeois, des vieilles maisons de Benoît-Lévy, des voiles à la Monticelli par Dagnac-Rivièrè, un profil d'enfant par Jean Enders. Un pauvre petit Sarcey en bronze somnole à l'entrée sur un socle.

EXPOSITION JEAN BEAUDUIN (galerie Chaigneau). — « La fin du jour, quand un dernier reflet de soleil éclaire encore le haut des maisons, c'est l'heure adorable... » L'artiste avoue sa prédilection, et ses meilleures toiles sont celles où, sans préoccupation de personnages, il rend des impressions sincères de Nature, le Soir à Theux, près de Spa, le Jardin au bord de l'eau, son Jardin de Sannois avec les roses trémières, le plein Soleil de Givemy intense et vibrant, le Soir d'hiver sur la Neige d'une désolation émouvante, le Clair de Lune. C'est d'un art délicatement nuancé, plein de poésie; il fa't bon voir et respirer ces fleurs dans le jardin de Sannois.

ETUDES D'EGYPTE, VENISE, TROUVILLE, PAR RODOLPHE D'ERLANGER (Galerie des Artistes modernes).

BAUDUIN — PAYSAGE

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L'ART ET LES ARTISTES

— Des taches rutilantes de soleil, un Orient chaud, éblouissant, pris sur le vif, les bouchers à Assouan et aussi les marchands, les boutiques, le marché, puis le Caire, Sakara, Tunis, Esneh, de petites toiles très ■ intéressantes, d'une facture artiste ; le peintre est moins heureux clans les douceurs bleutées de Venise et de Trouville.

SALON DE L'ECOLE FRANÇAISE, 3e EXPOSITION (Grand Palais). — Salon d'hiver, celui-là ; plus de huit cents numéros parmi lesquels nous retiendrons seulement : en peinture, la Venise de Brugairolles, les Fumeurs de Dillon, la Rivière de Tanzi ; en sculpture, les Gorilles et Serpents de Sanchez; en gravure, les affiches de Grun, puis les eaux-fortes en couleurs de Boutet de Monvel, Delâtre, Anne Osterlind, Manuel Robbe ; en objets d'art, les reliures de Belville, le bas-relief de Perrotte, et, de René Rozet, des modèles gracieux de vases, une buire en bronze, et seize plaquettes et médailles en argent exécutées chez Christofle.

EXPOSITION MARIE DUHEM (Galerie Georges Petit). — L'atmosphère spéciale des villes et des paysages de province, rien du plein air et de la vaste campagne mais une intimité grisâtre, silencieuse et discrète, quasi-morte, à la Le Sidaner ; de grandes maisons calmes qui reposent parmi des jardins herbus, des ruelles enneigées où passent des ombres rares, des silhouettes falotes de religieuses, des « soeurs noires », des haies poudrées de givre, des vergers où « ils étaient trois petits enfants », un bouquet mauve sur une console blanche, des anémones pâles, tout cela est éteint etdoux comme une heure crépusculaire, et toujours

très Belle au Bois dormant ; on subit le charme ainsi que d'une tendre berceuse, chantonnée à mi-voix dans le lointain.

TABLEAUX DE MISS LOUISE E. PERMAN (chez Henry Graves). — L'enchantement des roses, peintes pour elles - mêmes, pour leur chair fragile et embaumante, les branches et les vases dissimulés afin que la fleur soit seule en lumière. Roses sur un vieux mur, roses jaunes et blanches, roses en boutons, roses épanouies, toujours des roses, et les vers de DesbordesJEAN-LOUIS

DesbordesJEAN-LOUIS — ÉCUYÈRE

Valmore chantent dans la mémoire ; miss Perman exprime délicieusement la fleur reine, elle triomphe dans cette spécialité qu'elle choisit à sa sortie de l'Ecole des Beaux-Arts de Glasgow, et sa célébrité est affirmée en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, en Italie; Paris l'a consacrée.

LES ARTS RÉUNIS (Galerie Georges Petit). — C'est la sixième exposition de cette Société dont le président d'honneur est M. Léonce Benedite, et l'on y trouve de nombreuses choses intéressantes : la pochade rutilante de Georges Berges, faite à Etretat ; les prestes et chaudes études de Bretagne par Emile Cornillier. dont il faut aussi remarquer le Portrait de femme en blanc, avec un voile noir autour de son chapeau, les mains unies très étudiées ; les Paysages pittoresques de Norvège, par Dambeza ; les plaisanteries vêbériennes de Dewambez; les grandes aquarelles de Henri Jourdain; les gouaches provinciales de Lechat ; les Renoncules et jonquilles de Gaston Lecreux ; le Marché à La Châtre et les Inondations de la Creuse par Fernand Maillard, toiles charmantes, d'un artiste dont le grand talent ne peut tarder à s'imposer à l'attention des vrais connaisseurs ; le Village de Grez et Y Église d'Ormesson, par Ernest Marché ; les eaux-fortes de reproductions d'Arthur Mayeur et son portrait en dessin de Dalpayrat ; l'Église Saint- Mêiard de Maurice Moisset ; la Baignade de feu Thierot;.les Quais de Paris, par Jules Triquet.

En sculpture, Boverie ajoute à un buste de femme un groupe inutilement inspiré par Rodin ; Jean-Louis Brown, se souvenant des toiles célèbres de son oncle John-Levis-Brown, continue des

statuettes de chevaux, portraicture une. écuyère de panneau ; Segoffin qui a réussi le buste de Harpignies, a eu tort de réduire sa Danse sacrée ; enfin, il y a des marbres de Cazin ; les statuettes campagnardes de Fernand Clostre ; une coupe cloisonn 'e de Feuillâtre, le petit âne drôle de Froment - Meurice, les reliures de Mme Gaston Lecreux, notamment celle pour le Point de France, les merveilleux émaux translucides de Thesmar, les grès flammés de Vallombreuse.

MAURICE GUILLEMOT.

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Numéro 7 — Octobre 1905

Supplément illustré

de l'Art et les Artistes

N. B. — Tout ce qui concerne les Abonnements, la Publicité, etc., doit être exclusivement adressé à M. /'Administrateur de L'ART ET LES ARTISTES, IJ3, boulevard Saint-Germain.

ABONNEMENT ANNUEL : Un ait, 16 fr. pour la France, 20 Jr. pour l'Étranger.

La Bibliothèque de l'Arsenal

On ne pourrait, sans outrecuidance personnelle, prétendre retracer en quelques pages l'histoire complexe

complexe savoureuse de la Bibliothèque de l'Arsenal. Cette inappréciable collection de livres et d'archives, d'estampes et de manuscrits, a déjà été l'objet d'une Étude savante et consciencieuse, de haut

intérêt documentaire, due à M. Henry Martin, conservateur adjoint de l'établissement. Mais M. Henry Martin, tout en consacrant un fort volume à l'histoire de la Bibliothèque de l'Arsenal 1, s'appliqua à nous conter presque exclusivement les origines et la formation de l'ancienne « Bibliothèque publique de S. A. R. Monsieur frère du Roi ». Il nous en narra les vicissitudes avec précision et compétence-, et en décrivit minutieusement les agrandissements successifs. Quant aux richesses artistiques disséminées un peu pari.

pari. la « collection des Catalogues généraux des Manuscrits des Bibliothèques publiques de France », le « Catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque de l'Arsenal » a été rédigé en neuf volumes

volumes M. Henry Martin, avec la collaboration de M. Frantz Funck-Brentano pour le volume IX (en 3 parties), consacré aux « Archives de la Bastille ». Le tome VIII

PORTRAIT PRÉSUMÉ DE LOUIS XV (MAITRE INCONNU)

tout, quant aux merveilles qui font de certaines salles de l'Arsenal des spécimens délicats et édifiants de

l'art décoratif d'autrefois, le dévouement du fonctionnaire et la passion du bibliophile ne lui ont guère laissé le loisir d'étu dier en détail cet aspect qui est loin d'être le moins attachant.

Ces richesses fourniraient aisément matière à d'attrayants et instructifs chapitres sur la décoration des appartements au xvn° et au xvm° siècle. Dans les bâtiments occupés actuellement par la Bibliothèque de l'Arsenal et qui constituaient jadis l'Hôtel du Grand Maître de l'Artillerie de France, il n'est point de pièce qu'un objet d'art ou un souvenir historique ne recommande à la vigilance de l'érudit ou à l'admiration du visiteur ! Ici., dans l'encoignure d'une salle de réserve embellie de fines sculptures Louis XV, c'est le buste de Henri Grégoire, ancien évêque constitutionneldeBlois, ancien conservateur de « l'Arsenal » et zélé partisan de l'abolition

relate uniquement 1' « Histoire de la Bibliothèque ». L'ensemble de ce travail, digne des Bénédictins d'autrefois, a été publié chez Pion, Nourrit et Cie (Paris, I885-I8O8).


L'ART ET LES ARTISTES

de la traite des noirs. A côté de cette oeuvre du sculpteur Chartrousse, on remarque un carcan de fer, tel qu'en employaient les marchands d'esclaves nègres.

Ailleurs, l'ancienne « Salle des Catalogues » nous offre de magnifiques et somptueuses boiseries, d'un aspect plus sévère, d'un travail moins délicat que les ornements du « Salon de la duchesse du Maine ». Ce pupitre à supports mobiles, que nous apercevons au coin de la fenêtre de cette salle, provient de la bibliothèque des Célestins : ses proportions majestueuses évoquent l'époque des volumineux in-folio aux caractères gothiques et aux naïves enluminures; mais les rosaces et feuilles d'acanthe sculptées à même le bois autprisent à lui assigner le xvii° siècle comme date de fabrication....

Bien d'autres « objets de haute curiosité », ainsi que s'exprime .un certain jargon, figureraient avec honneur parmi des pièces de musée. D'ailleurs n'estce pas, en fait, un véritable musée que cette Bibliothèque de l'Arsenal, considérée à juste titre comme la.seconde bibliothèque de France, après la Bibliothèque Nationale 1, et dont nous ne pouvons qu'indiquer à larges traits les beautés artistiques, demeurées inconnues même à ceux que leurs goûts ou leurs occupations attirent vers les livres?

Le promeneur qui, débouchant du boulevard Henri IV, longe le boulevard Morland, aperçoit une vaste construction d'aspect harmonieusement sobre et de façade singulière. .Deux longues rangées de fenêtres grillées, au travers desquelles on distingue des rayons de livres, dont le soleil caresse les reliures un peu ternies, sont surmontées d'une balustrade de pierre à l'italienne, de trophées et de canons également de pierre, mais placés seulement au sommet du bâtiment central, qui fait-saillie sur les deux pavillons édifiés à ses extrémités, Ces attributs guerriers se retrouvent en un haut-relief au-dessus d'une des portes réservées à l'Administration, rue de Sully, où donne également l'entrée du public.

La portion centrale de cette construction date du XVIII 0 siècle et fut élevée, en 1718, sur les dessins de l'architecte Germain Boffrand. Celui-ci travaillait d'après les ordres de la duchesse du Maine, de la charmante, fantasque et ambitieuse écervelée qui rêvait de faire de l'Arsenal une autre « Cour de Sceaux ». En faisant casser par le Parlement le testament de Louis XIV qui attribuait au duc du Maine la surintendance de l'éducation du futur Louis XV et lui donnait pleins pouvoirs, le régent Philippe d'Orléans jeta la duchesse dans une violente colère. Le duc du Maine étant en titre d'office grand maître de

1. La Bibliothèque de l'Arsenal comptait encore récemment 480000 volumes imprimés. Ce chiffre doit être largement dépassé à l'heure présente. Quant aux manuscrits, le « Catalogue » énumère 8807 pièces. Avec les documents manuscrits relatifs aux affaires de police sous l'ancien régime, classés sous le titre d' « Archives de la Bastille », on arrive au total approximatif de 12727 volumes ou cartons manuscrits.

l'artillerie du royaume et, par suite, titulaire de l'hôtel de la grande-maîtrise, le régent, dans le désir de se concilier les bonnes grâces de la duchesse, lui aurait envoyé Germain Boffrand avec mission de reconstruira l'ancien hôtel du grand maître, que la duchesse considérait comme fort incommode. A l'époque de. son édification, la façade du boulevard Morland s'élevait en bordure sur un petit bras de la Seine, et le boulevard Morland était le « Mail », étroite bande de terre où se donnaient rendez-vous les amateurs du jeu de ce nom....

Mais, en ces temps-là, l'Arsenal était bien déchu de son importance de jadis. Que l'on songe qu'avant de se réduire à une série de cours et de bâtiments occupés par le duc du Maine et les officiers de sa maison, à une fonderie de statues pour l'embellissement des demeures royales, l'Arsenal avait été un des établissements les plus vastes et les plus considérables du royaume !

L'ensemble des constructions, des bâtiments, des cours, des jardins, des fonderies de canons, des ateliers de serrurerie et de charronnage, des réserves d'armes et de munitions, s'étendait sur le vaste quadrilatère formé de nos jours. par la rue du PetitMusc, la Seine, le canal Saint-Martin et la rue SaintAntoine. La porte monumentale y donnait accès, à côté de l'église des Célestins et sur l'emplacement de la rue du Petit-Musc.

Le grand maître de l'artillerie avait tous ces établissements sous sa haute direction : ainsi s'explique l'hôtel qu'habita le duc du Maine et dont les salles, aujourd'hui devenues l'asile de l'étude, demeurent les derniers vestiges du belliqueux « Arsenal ».

Si vous entrez,un jour, à la Bibliothèque, vous ne songerez, guère à toutes ces origines; mais vous saluerez, en montant l'escalier d'honneur, le buste du marquis de Paulmy, qui orne le vestibule du rezde-chaussée. L'inscription, en lettres d'or sur une plaque de marbre noir, justifie cette présence :

.BIBLIOTHÈQUE DE L'ARSENAL

FONDÉE PAR

ANTOINE RENÉ D'ARGENSON

MARQUIS DE PAULMY

OUVERTE AU PUBLIC

LE 9 FLORÉAL AN V.

Convenons-en : dans tous ces grands salons remplis de vénérables « bouquins », reliés en veau fauve, dans le moindre cabinet, où s'entassent des piles de journaux et des monceaux de curiosités bibliographiques, devant tant de rayons surchargés de livres, et même en parcourant les admirables appartements du duc et de la duchesse du Maine, on évoque plutôt le souvenir de ce marquis de Paulmy, ancien secrétaire d'État de la Guerre et bibliophile passionné, qui se démit de toutes ses fonctions pour se livrer à la tyrannie délicieuse, absorbante et émouvante des livres, qu'on ne pense à ce brave homme de Rosny, marquis de Sully; on éprouve un sentiment de gratitude à l'égard du marquis de Paulmy, dont les richesses amoncelées dans son Hôtel de gouverneur


L'ART ET LES ARTISTES

LE CABINET DE SULLY

de l'Arsenal 1 ont formé le noyau, le très précieux noyau de la Bibliothèque actuelle.

Et pourtant on ne saurait parler de l'Arsenal sans parler de Sully. Deux pièces de la Bibliothèque sont connues sous, le nom de « Cabinet de Sully », et, comme pour attester davantage au regard de la postérité les liens inséparables qui unissent l'ancien Arsenal et le nom de son véritable créateur, de celui qui travailla tout ensemble à ses embellissements sans négliger la fabrication des armes et des canons, la Restauration fit don à la Bibliothèque d'un buste de Sully « pour servir de pendant à celui de Henri IV qui lui avait déjà été accordé ». Ce dernier est de Jean-Jacques Flatters (1786-1845), élève de Houdon, tandis que l'effigie de Sully est due à Antoine Allier (1793-1834). Ces deux portraits se font face àlaporte du « Cabinet de Sully ».

Une légende prétend que ce « Cabinet» forme, avec la petite pièce qui y est jointe, la dernière trace du séjour de Henri IV à l'Arsenal. Sans nous arrêter à discuter cet incident raconté. par Sully dans ses « Mémoires » 2, bornons-nous à noter que les deux pièces ne sont pas d'original. Le « Cabinet » et son annexe ne sont que des reconstitutions.

1. La charge de grand maître de l'artillerie du royaume ayant été supprimée, le marquis de Paulmy eut le titre de gouverneur de l'Arsenal.

2. Voir à ce sujet les « Économies royales ou Mémoires de Sully », passim.

A l'origine, la nouvelle construction nécessitée par le désir du roi d'avoir un appartement à l'Arsenal avait été élevée en encorbellement sur le mur d'enceinte de Charles V, en bordure du mail et de la rivière, autant dire sur la façade du boulevard Morland. En 1864, M. Th. Labrouste, architecte de la Bibliothèque., déplaça les deuxpièces et les transporta, avec leur décoration, dans le pavillon du nord-ouest nouvellement édifié. Le « Cabinet » dit « Cabinet de Sully » et son annexe, 1' « Oratoire », se trouvent maintenant au-dessus de l'entrée du public, 3, rue de Sully 1.

Tous ceux qui ont visité le « Cabinet de Sully » se sont extasiés sur l'ornementation luxueuse de ce logement qui passe, à bon droit, pour offrir un parfait modèle de l'art décoratif, tel qu'on le pratiquait, sinon à la fin du xvi" siècle, du moins au début du siècle suivant. On sait, d'ailleurs, sur la foi de documents

1. La Bibliothèque de l'Arsenal se trouve enserrée du côté du boulevard Henri IV par tout un lot d'immeubles qui se prolongent, d'une part sur la rue de Sully, et de l'autre sur le boulevard Morland. Il en résulte des dangers permanents d'incendie dont le Conseil municipal de Paris, sur la proposition de M. H. Galli, conseiller municipal du quartier, eut à se préoccuper; mais, la Bibliothèque étant monument national, le dégagement et l'isolement du monument ne peuvent être opérés sans l'assentiment et lu participation de l'Etat. Cependant, il semble bien que la disparition de ce lot d'immeubles soit décidée et qu'un square doive être dessiné sur ce terrain.

m


L'ART ET LES ARTISTES

LE SALON D ATTENTE

(Le buste qui figure dans cette pièce est celui de M. J.-M. de Hérédia, le célèbre poète des Trophées, actuellement conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal).

irrécusables, encore fortifiés par les témoignages des contemporains, que la décoration du Cabinet de Sully revient, non à Sully ou à Maximilien II de Béthune, prince d'Henrichemont, qui lui succéda en 1610 dans la charge de grand maître de l'artillerie, mais à Charles de la Porte, marquis, puis duc de la Meilleraye, grand maître depuis 1634 et, trois ans plus tard, époux de Marie de Cossé-Brissac.

Après son mariage, M. de la Meilleraye aurait fait revêtir de peintures et d'ornementations de son goût la décoration primitive exécutée sur les instructions de Sully. Il y aurait là sujet à un intéressant, mais épineux débat; il vaut mieux reconnaître que le « Cabinet de Sully » serait dénommé avec plus de vérité « Cabinet de la Meilleraye ».

Les peintures des murailles célèbrent les hauts faits du maréchal, tandis qu'au plafond une composition allégorique due, suivant toute vraisemblance, à Simon Vouet ou à l'un de ses élèves, proclame la gloire de a maison de la Meilleraye unie par lafoi du mariage à la maison de Cossé-Brissac. C'est d'une richesse somptueuse, d'une imagination mythologique dans la mode du temps, où Apollon, les « neuf Soeurs » et

des emblèmes héraldiques forment un document d'outrecuidante vanité. La Renommée du vieux monde et la Renommée du monde nouveau font pendant à deux figures parallèles assises sur des drapeaux : on reconnaît la France, tout orgueilleuse des triomphes obtenus, et la Victoire entourée des écussons des ennemis vaincus par le maréchal et des noms des villes conquises : Gravelines, Aire, Bapeaume, Arras, Perpignan, la Bassée, Collioure et Hesdin.

Aux murailles, à part un panneau représentant 1' « Entrée de Henri IV à Paris », où l'on voit des gentilshommes de sa suite jeter à la Seine quelques ligueurs récalcitrants, toutes les autres peintures paraissent dater du maréchal de la Meilleraye : l'une rappelle la prise d'Hesdin, l'autre relate un épisode du siège de la Rochelle, où La Meilleraye se couvrit de gloire. De tous côtés, le monogramme de La Meilleraye et des CosséBrissac, des M et des C entrelacés.

Ces monogrammes se répètent dans 1' « Oratoire », qui fait suite. Une tradition prétend que cet oratoire fut à l'origine le cabinet de travail de Henri IV. Marie de Cossé-Brissac, duchesse de la Meilleraye, l'aurait fait aménager à son intention. Quant à la galerie des « femmes fortes », à cette série d'effigies d'héroïnes célèbres où Mme de la Meilleraye est représentée sous le costume et avec le nom de Marie Stuart, elle serait destinée à transmettre aux races futures le souvenir de sa vertu. Nous devons l'anecdote à cette bonne langue de Tallemant des Réaux 1.

Mme de la Meilleraye avait épousé à seize ans le maréchal, « un petit homme mal fait et jaloux- » qui avait le double de

son âge. Le cardinal de Richelieu vit cette jolie blonde, s'en éprit, lui déclara sa passion, et entreprit un siège en règle. Soit que V « Homme rouge » lui déplût, soit qu'elle eût ses préférences, soit pour toute autre cause, Mme de la Meilleraye s'enfuit dans son gouvernement de Bretagne, et le maréchal, mis au courant, résolut d'immortaliser la constance de la duchesse en lui donnant rang parmi les « femmes fortes » de la légende.

Les boiseries de l'Oratoire et les arabesques des panneaux sont d'une élégance nerveuse et fine, non sans analogue avec les travaux de l'Ecole de Fontainebleau.

Jadis, ces deux pièces furent considérées comme des dépendances négligeables. Les goûts studieux du marquis de Paulmy ne s'arrêtèrent guère à respecter

1. Tallemant des Réaux, Historiettes ou Mémoires pour servir aï Histoire du XVII" siècle, publiés sur le manuscrit autographe par M. de Monmerqué. 10 tomes en 5 volumes, Paris, Garnier, 1860. Au tome III, p. 42-55, on lira l'anecdote sous ce titre : « Le Maréchal de la Meilleraye et les soeurs de la Maréchale ».

2. Id., ibid., t. III, p. 5i.


L'ART ET LES ARTISTES

LE CABINET DE CHARLES NODIER, AUJOURD'HUI . CABINET DES ESTAMPES

les riches ornementations du temps de Louis XIII. Du Cabinet somptueux, il fit un dépôt d'estampes et de cartes géographiques. Les cadres d'oiseaux, les médaillons si délicieusement imités de l'antique, les arabesques d'un pur dessin, disparurent derrière des coffres pleins d'in-folio et des armoires surchargées d'atlas.

Du reste, la restauration intelligente des merveilles de l'Arsenal est de date toute récente. Le salon de musique de la duchesse du Maine, encore converti en salon de lecture des manuscrits dans les dernières années du xix° siècle, a, grâce à l'initiative de M. JoséMaria de Hérédia, le dévoué administrateur de la Bibliothèque, été affranchi de toute servitude. Ce n'est plus que la maîtresse pièce des appartements en enfilade du premier étage, dont la vue donne sur les frondaisons du boulevard Morland. Et le génie décoratif de Germain Boffrand s'épanouit à l'aise dans cette merveille du XVIII" siècle. Tandis que les sculptures des boiseries étaient exécutées sur les dessins de l'architecte décorateur, les nombreux trophées d'instruments de musique, en surmontant les panneaux et les trumeaux des glaces, venaient fort heureusement symboliser les goûts de la duchesse, qui raffolait de musique presque autant que d'intrigue. On admire des dessus de porte en grisaille, reproductions des bas-reliefs de la fontaine élevée par Bouchardon dans la rue de Grenelle. Une horloge à gaine de toute beauté, et un portrait d'apparat de Louis XV, de

forme ovale, complètent le charme de ce lieu, que devaient égayer autrefois les meubles de Charles Cressent, d'une élégance légère et solide.

D'après les Curiosité^ de Paris 1, les appartements du duc contenaient quantité de richesses d'art et d'ameublement. « Il y avait un cabinet de médailles très accompli. Les curieux de peintures devaient examiner le grand salon, peint par Mignard à son retour d'Italie. La France triomphante en était le sujet. »

Toutes ces curiosités artistiques ont disparu.

Dans les divers cabinets qui avoisinent le salon de musique, la décoration moins somptueuse n'est pas exempte d'une certaine grâce : ainsi le petit « Salon bleu », qui sert de bureau au conservateur des manuscrits, justifie d'attrayants dessus de portes; la salle où réside le « trésor » de la Bibliothèque révèle par l'ornementation de sa frise l'existence de boiseries dissimulées vraisemblablement derrière les rayons de livres.

L'ancien salon de Charles Nodier a été transformé en « Cabinet des estampes ». En pénétrant dans ce local bondé d'imposants in-folio, d'une austérité froide, on éprouve une impression singulière. Ce fut pourtant ici que le mouvement romantique prit naissance, ou peu s'en faut. Mme Ménessier-Nodier, dans

r. Les Curiosité^ de Paris, réimprimées d'après l'édition originale de 1716. Paris, Quantin, 1883-4.


L'ART ET LES ARTISTES

les Souvenirs consacrés à son père 1, a raconté comment Alexandre- Dumas père, Musset, Victor. Hugo, Vigny, Eugèue Devéria, Louis Boulanger, les frères Alfred et, Tony Johannot, Eugène Delacroix, Lamartine, .s'assemblaient auprès de Charles Nodier, qui écoutait d'une oreille favorable les théories dramatiques dé Hugo, dont la préface de Cromwell allait

nous conserver l'écho

Mais tant de souvenirs du passé dominent en cette Bibliothèque de l'Arsenal, tant de chefs-d'oeuvre de tous genres y survivent, qu'on se lasse malaisément d'évoquer les mille faits qui se rattachent à l'existence du dernier vestige de l'antique Arsenal ! Et quand on aura rappelé que la « Chambre Ardente » se réunit à l'Arsenal pour juger le surintendant Fouquet accusé de malversations et pour instruire le procès de la trop fameuse Brinvilliers 2 et de ses complices,

i. Mme Ménessier-Nodier, Charles Nodier, Etudes et Souvenirs, 1867.

2. M. Franlz Funck-Brentano, sous-bibliothécaire, possède une curieuse toile de Charles Le Brun représentant la Brinvilliers décapitée. La tête tranchée d'où dégoutte le sang n'est pas une oeuvre d'une haute valeur d'art, mais elle offre un puissant intérêt documentaire. Cette toile accrochée aux murailles du «' studio » de l'érudit auteur de 1' n Affaire des Poisons » est bien à sa place dans ces lieux où furent instruits tous les procès d'empoisonnequand

d'empoisonnequand aura signalé les inestimables « Archives de la Bastille » et les richesses uniques dont se compose le « trésor «delà Bibliothèque 1, cet édifice s'imposera à notre admiration et à notre piété, vigilante, non seulement à l'égal d'un dépôt de livres rares et précieux, mais comme un legs des temps révolus, dont nous pouvons attendre le secret de bien des énigmes et qui nous instruira aussi sur l'évolution du goût national.

EDOUARD ANDRÉ.

Clichés Robert Balagny.

ment qui émurent si violemment les dernières années du xvne siècle. .

1. Ces « richesses » sont trop nombreuses pour être toutes énumérées. Les unes tirent leur intérêt de leur valeur d'art et de la beauté; de leurs caractères, les autres sont remarquables par les souvenirs qu'elles évoquent. Contentons-nous de citer en bloc le « Psautier », dit « de saint Louis », spécimen de l'art de l'enluminure au xiv" siècle, un manuscrit des « Comédies » de Térence, ayant appartenu à Jean, duc de Berry, frère de Charles V, un exemplaire des « Triomphes » de Pétrarque avec d'incomparables miniatures exécutées pour François 1", la « Bible » de Charles V, les manuscrits dits du « Maître aux Fleurs», les manuscrits de Conrart, les registres d'écrou de la Bastille, etc., etc. Tout un article spécial s'imposerait.

Le Mois Artistique Belge

Dans le courant du mois d'août, on a inauguré, à l'Exposition rétrospective de l'Art belge, la salle réservée au « Monument du Travail », l'oeuvre que Constantin Meunier venait de terminer quand il mourut.

Une maquette du Monument du Travail avait été déposée il y a trois ans au Cercle artistique de Bruxelles; les quatre grands bas-reliefs formaient les quatre faces d'un bloc flanqué aux angles des figures du Mineur, du Forgeron, de l'Ancêtre, et de la Maternité, et surmonté par le Semeur. Mais ce n'était point là la conception initiale de l'artiste. Cette conception, on- l'a réalisée à l'Exposition et l'on va probablement s'y conformer pour le placement de l'oeuvre au musée.

Les quatre bas-relief sont disposés en hémicycle, encadrés par une architecture très simple et séparés p.arles figures de bronze, le Semeur au milieu. L'ensemble est d'une grandeur sereine, très impressionnante, et d'une parfaite harmonie.

*

Presque en même temps que l'Exposition rétrospective de l'Art belge, on a ouvert en Belgique deux autres expositions importantes ; à Bruxelles celle de l'Art ancien bruxellois, à Anvers l'Exposition Jordaens.

L'Exposition de l'Art ancien, installée dans des locaux provisoires construits au Parc de Bruxelles, et

communiquant avec ceux du cercle artistique, réunit surtout des tapisseries. On sait quelle splendeur cet art atteignit au xv° et au xvr siècle, dans la capitale brabançonne, sous l'impulsion des Roger van der Weyden et des Van Orley, et quelles admirables oeuvres décoratives, somptueuses et graves il donna. Si l'on n'a pas réussi à obtenir les tapisseries de la couronne d'Espagne qui ornaient le pavillon espagnol en 1900, à Paris, on a pu montrer d'autres merveilles, notamment le Triomphe du Christ que M. Pierpont Morgan a payé un million et qui appartint au cardinal Mazarin, — un joyau éblouissant de couleur et d'or, un tableau délicieux de grâce fine; — la Présentation de Jésus-Christ au Temple, plus vigoureuse, plus éclatante, appartenant à M. Martin-Leroy, d'autres prêtées par M. Nardus, par le musée des Gobelins, par les musées belges et par de nombreux collectionneurs.

L'ensemble présente le plus puissant intérêt. Et, malgré l'absence des tapisseries de Madrid, de celles du Musée de Berne trouvées dans le camp de Charles le Téméraire, on peut se faire une idée de ce que fut cet art patient et savant qui donna la seule ornementation décorative convenant aux pays du nord, la seule que leur climat respecte. -

* L'Exposition Jordaens est évidemment très intéres-


L'ART ET LES ARTISTES

santé. On y a réuni un grand nombre de travaux sortis de l'atelier du maître.

Mais je ne sais si la gloire de celui-ci y gagnera. Les plus belles oeuvres de Jordaens sont connues, elles figurent dans les musées qui, généralement, ne les ont pas prêtées — le musée de Bruxelles a envoyé cependant la Fécondité.

Or, pour un très grand nombre de tableaux, on ne sait pas dans quelle mesure Jordaens y travailla.

travailla. doute ils portent sa marque, sans doute ils sortent de son atelier, mais ils furent en grande partie exécutés par des collaborateurs du maître, qui n'avait pas le rayonnant génie de Rubens grandissant tout autour de lui. Il s'ensuit que tout n'est pas admirable en cette exposition. Mais pourtant on y est frappé parla puissance, l'éclatante santé d'un art qui, sans s'élever jusqu'aux sommets, donne aux réalités les plus simples une vie épique. C'est le cas pour la Fécondité, pour Atalante et Méléagre, pour bien d'autres grandes compositions où apparaissent quelquefois des figures de la plus pure noblesse, au milieu d'un grouillement d'humanité vulgaire. Le chef-d'oeuvre

de cette exposition est le portrait d'homme de la galerie Esterhazy de Buda-Pesth. Cette sobre, grave, pénétrante effigie, animée d'une vie intérieure si prolonde, si mystérieuse, étonne chez l'artiste épris généralement de violentes réalités extérieures. Et elle fait penser à ce qu'aurait été peut-être Jordaens si les circonstances lui avaient permis de mettre au service de sa puissance un peu de la culture, de l'initiation, qui grandissent chez Rubens des aspirations analogues à celles du maître de la Fécondité.

Il faut signaler la première Exposition organisée à Anvers par l'association l'Art contemporain. Deux salles y sont occupées par Besnard, par des portraits, des esquisses décoratives; Cottet y a une salle également et expose notamment ses petits nus qui sont des chefs-d'oeuvre de forme ample et de voluptueuse

Collection Esterhazy (Budapest).

JORDAENS PORTRAIT D'HOMME

I

couleur. Une salle au Hollandais Breitner: des coins d'Amsterdam d'un caractère amer, d'une exécution fougueuse et d'une vision raffinée; une salle aussi à l'Espagnol Zuloaga dont les oeuvres, en ce pays de peinture solide, paraissent un peu sommaires; des Heurs d'une belle allure décorative, du Hollandais Verster.

Parmi les Belges, Claus, Van Rysselberghe, avec des oeuvres déjà vues pour la plupart; Eugène Laermans,

Laermans, des pages d'un sentiment poignant, d'une tristesse somptueuse; Jacob Smits, avec des figures et des paysages d'une âpre éloquence ; Delaunois, Oleil'e Morren, Mertens, Buysse, Ensor, Delvin, Frédéric, Baeseleer, Van Mieghem, Walter Vaes, un jeune peintre dont la curieuse personnalité promet beaucoup, et les sculpteurs Constantin Meunier, Victor Rousseau, Georges Minne et Huygelen.

Enfin, il faut dire un mot de l'Exposition à Bruxelles du cercle de l'OEuvre, où l'on a remarqué certains jeunes, notamment le portraitiste Cran, le dessinateur Van Haelen, et l'animalier Delin.

*

La Société Royale Belge des Aquarellistes célébrera, le n juin 190C, le cinquantième anniversaire de sa fondation.

Le regretté sculpteur Constantin Meunier avait, pour cette solennité, composé une plaquette où nous' retrouvons avec plaisir sa maîtrise ordinaire et aussi, — avec un. peu d'étonnement, — un de ses sujets familiers.

Sur le fond, où le titre Société Royale Belge des Aquarellistes est inscrit avec les deux dates, 1856-1906, se détache le mâle profil d'un jeune porion du pays wallon, tenant de la main droite sa hachette, de façon symbolique.

La tête est superbe de calme résigné, la main robuste et bien modelée, — mais... quel rapport a ce jeune ouvrier, armé pour le labeur ou la défense, avec cet art léger, coquet et propre de la Société Royale? Point n'est besoin de hachepourpeindre à l'aquarelle.

G. V. Z.

VII


L'Art dans la Mode

LE RENARD

Octobre, syllabes qui sentent déjà, sinon l'hiver, du moins le triste automne avec ses brumes, syllabes dont l'assemblage, au ton mineur, fait passer un petit frisson entre les épaules! On songe déjà à se garer

du brouillard, de la fraîcheur. On rêve de fourrure... déjà!

Fourrure, nom douillet, chaud et somptueux, nom qui berce et ragaillardit!

Mais ce n'est pas encore la longue et douillette enveloppe du manteau, sa large et vaste fourrure que la neige accompagne, ce n'est même pas la mante et presque pas l'étole. C'est le simple boa, s'il se portait encore, c'est le très pratique renard, s'il était tant soit peu de mode : hélas! il ne l'est plus.

Chantons donc ses dernières heures, scandons sa marche funèbre; la faim fait sortir le loup du bois, la mode y fait rentrer le renard. On ne le verra plus, pour quelque temps au moins, sur les épaules jolies, autour des cous ronds qu'il caressait et réchauffait. Renard, symbole clair et franc, renard, image de la ruse, de l'adresse, de la malice, accompagnant la jolie frimousse des femmes!

Quel rapprochement ! quel symbole! Qui donc a dit que le renard seul est malicieux, qu'ilestl'ennemi

de la poulette ; qu'il la guette et la croque. C'était alors mieux qu'un symbole, c'était une revanche, et à son tour vaincu, dépouillé, empaillé, le renard a servi à celle qu'il croqua si souvent.

La bergère avait vu le loup, la citadine avait pris le renard pour s'en faire une chaude parure.

Mais les renards, si nombreux soient-ils, ne pourraient suffire à la coquetterie, à la demande, à la mode. Après avoir tué tous ceux de Russie, d'Alaska, d'Australie et même tous les renards des pays' où

Musée de Naplcs.

PARMIGIANINO — « LA BELLA »

jamais on ne vit la queue d'un, il fallut en trouver encore, en trouver toujours.

On en créa de toutes pièces; n'importe quelle fourrure, quelle peau,.chat ou lapin, devint renard.- Il

suffisait de donner à la bête, au chat paré des poils du renard, la forme longue du classique croqueur de poules, de façonner avec du cartonpâte (celui des masques de carnaval) une petite tête futée avec des yeux ronds et vifs en verre, des oreilles pointues en velours, et trois poils de moustache en crin de cheval : le tour était joué, le tour du cou enveloppé; le renard était plus renard qu'un vrai, plus long que nature, plus gros que de raison, il était trop beau pour être vrai : mais un renard a le droit d'être faux.

Seulement les véritables coquettes ont vite renoncé à la somptueuse et commode fourrure ; maintenant que pour cent sous on a un renard qui, de très loin, rappelle le renard bleu, ou le renard argenté de cent louis, cette fourrure est démodée, délaissée. — Ils sont trop peu cher, dit-elle, et bons pour des goujats. C'est la revanche du raisin, du raisin de l'automne.

Probablement, un de ces jours, quand les renards auront eu le temps de repeupler

repeupler forêts, la roue de la mode les ramènera aux vitrines des fourreurs, on reportera du renard comme on en portait hier, comme on en a porté jadis, car les Romains connurent cette tiède parure, nos ancêtres aussi. Je n'en veux pour preuve que cette délicieuse figure du Parmigianino avec son renard à tête naturalisée, avec une petite chaîne-agrafe d'argent tout comme ceux qu'on faisait les ans passés, nouveauté admirable, à la grande fierté de nos élégantes.

LILIA ROBERTS.

VIII


Echos des Arts

Cliché Pirou. jj-LLE YVONNE MAUGER

(Premier Prix de Harpe Erard)

Au Conservatoire. — Les concours derniers ne furent pas tous absolument satisfaisant, on s'en souvient, et l'on se rappelle certaines manifestations un peu bruyantes du public. Ceux de harpe, cependant, furent cette année si remarquables que l'on dut décerner quatre premiers prix. Cette abondance de lauréats nous a fait commettre un oubli dans la publication des récompenses et des portraits en notre numéro dernier, oubli d'autant plus regrettable qu'il s'agit de la Charmante titulaire du premier des premiers prix de harpe Érard, Mlle Yvonne Mauger, élève de M. Hasselmann.

Mlle Mauger a en effet été déclarée gagnante de la harpe offerte par la maison Érard.

Modeste, gracieuse, brillante musicienne, exécutante d'un brio remarquable, Mlle Yvonne Mauger est appelée à un,gros succès que nous lui souhaitons, en réparant l'injuste et involontaire oubli dont elle avait été victime.

Le Salon au village. — Un petit groupe d'artistes peintres, de graveurs et de littérateurs s'est constitué dans le charmant petit pays de Grosrouvres, village situé en lisière sur la magistrale forêt de Rambouillet,

Rambouillet, a, l'année dernière, inauguré le Salon au village : tentative qui a justement obtenu un certain retentissement, puisque l'écho s'en est répercuté jusqu'en Amérique.

Les fondateurs de ce groupe : Mme Couturier, MM. Pierre Prins, Julien Tinayre, Franck Boggs, Pierre Gusman et le littérateur Pierre Lelong, ont accepté, cette année, l'invitation, qui leur a été faite par la municipalité de Rambouillet, à exposer dans les salons de l'hôtel de ville de cette localité, du 22 septembre au 3 octobre, les travaux qu'ils ont exécutés cette année dans la région.

MM. Victor Fournier, Eug. Vibert, Henri Thévenin et René Lelong sont venus se joindre aux ouvriers de la première heure et ont été très aidés dans l'organisation de cette manifestation d'art rustique par M. Pierre Lelong, qui habite Grosrouvres, ainsi que plusieurs des artistes fondateurs.

A l'intérêt tout particulier qui s'attache aux travaux de la phalange de Grosrouvres se joint aussi l'idée juste et salutaire de décentralisation d'art. Aussi le titre d'Ecole de Rambouillet qui a été donné au groupement porte-t-il lui-même sa signification : chanter, par l'art et la littérature, les beautés du pays de l'Yveline.

Nous voyons donc cette année les savoureuses aquarelles de Mme Couturier ; les peintures et pastels pleins de charme et d'harmonie de M. Pierre Prins, le doyen du groupe ; les pastels et les dessins délicats de Julien Tinayre; les aquarelles du virtuose Franck Boggs; les peintures et dessins rehaussés de Pierre Gusman, paysages d'allure sobre et scènes champêtres de libre facture ; les sujets de chasse très étudiés de Henri Thévenin; les dessins rehaussés, à l'aspect fruste, de M. Vibert; les harmonies fraîches et ensoleillées de printemps de Victor Fournier; les types de paysans en dessins rehaussés de René Lelong que la sûreté de l'oeil et l'habileté d'exécution mettent hors de pair.

Tout cela est groupé dans un petit coin clair et simplet, sans disparatisme, chaque oeuvre voisinant avec les autres amicalement, gentiment, comme leurs auteurs voisinent eux-mêmes entre eux.

L'exposition comprend une deuxième section : oeuvres d'art et ethnographie.

M. Pierre Lelong présente une collection d'objets usuels rustiques : échantillons d'art populaire réunis dans le pays de l'Yveline ; M. Georges Jean meuble une vitrine d'émaux translucides inspirés de l'école de Limoges : objets de forme simple et robuste dont la décoration en émail rappelle la flore et le caractère sylvestre de la région.

Enfin M. Pickett envoie — pourquoi pas? — deux panneaux de documents photographiques représentant les sites et monuments de l'Yveline.

Afin d'accentuer la portée de cette manifestation

IX


L'ART ET LES ARTISTES

d'activité locale, M. Pierre Lelong a fait, au milieu des oeuvres exposées, une charmante causerie sur l'art rustique du pays.

Fidèle à son programme, la revue l'Art et les Artistes applaudit à cette tentative de décentralisation artistique enmême temps qu'à la renaissance régionale de l'art.

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Au musée de Grenoble. — Les Jouilles d'Antinoë. Notre correspondant grenoblois nous écrit :

Le musée archéologique de Grenoble vient de s'enrichir d'un don d'une valeur inestimable, provenant des fouilles d'Antinoë, qui sont actuellement pratiquées par la Société française des Fouilles archéologiques de France.

M. le général de Beylié, un des principaux bienfaiteur de nos collections locales, ayant fait inscrire le musée de Grenoble comme membre titulaire de la Société, notre musée se partage avec le Louvre les divers trésors découverts, préférablement à beaucoup d'autres musées de province. Nous venons donc de recevoir :

La dépouille de Khelmis, chanteuse de l'Osiris Antinous ;

2° Deux masques ou portraits de personnages ensevelis à l'époque de Khelmis (ces masques reproduisent la tête, avec la gorge, et sont en plâtre peint ou doré, avec yeux en émail) ;

3° Un autre portrait de femme, tête, gorge et buste, mains sur la poitrine (coiffure à la grecque) ;

4° Un groupe de poteries antiques et deux caisses d'étoffes avec broderies en couleurs, ornements et figures, de haute et basse lisse, genre Aubusson;

5° Un portrait peint sur bois d'un personnage enseveli dans le même pays.

La pièce la plus importante, le corps momifié de la chanteuse Khelmis, mérite d'être étudiée avec soin.

Antinoë, l'ancienne Antinopolis, où ont lieu les fouilles, est une ville de l'ancienne Egypte, située dans laThébaïde, sur les bords du Nil.

Au cours de l'hiver dernier, on mit à jour quelques documents du plus haut intérêt. La tombe de Khelmis est de ceux-là.

Cette tombe, de grandes dimensions, où elle reposait dans un cercueil de bois décoré de peintures, du rituel égyptien, était entourée de plusieurs autres mausolées renfermant les corps de jeunes filles de quatorze à quinze ans, vêtues pareillement et parées de fleurs. Elles étaient, il faut croire, assistantes de la chanteuse.

Malheureusement, rien, si ce n'est le corps de Khelmis, n'a pu être sauvé de cet ensemble ; le reste est tombé en poussière au contact de l'air, dans les caveaux ouverts.

Khelmis, vêtue du long voile d'Isis, en soie sergée, d'un bistre pâle, sur une robe de même couleur, le front ceint d'un diadème de feuillage, une longue guirlande de « perséa » allant du cou jusqu'au pied et s'enroulant autour des hanches, a l'aspect d'une figure tanagréenne. Le corps, petit, desséché, est parfaitement conservé.

A côté d'elle gisent divers objets : crotales de bronze, vases, lampes funéraires, figurines et divers objets de toilette en ivoire, corne, etc. Tous ces objets sont parvenus à Grenoble.

On prépare en ce moment les vitrines pour contenir ces souvenirs, qui bientôt seront exposés au public.

A.

M. Bonnat, membre de l'Institut, président du Conseil des Musées nationaux, adresse au Ministre des Beaux-Arts son rapport sur les opérations de la caisse des musées en 1904. Nous extrayons de ce document les détails suivants ':

Les ressources dont disposait la caisse s'élevaient à 553" 202 fr. go. Il a été dépensé 518 571 francs. Les principales acquisitions faites sur cette somme sont les suivantes :

Département des peintures et des dessins.

1 tableaux par Hoppner et Raeburn isoooofr.

1 tableau par le maître de Moulins.... . 62 5oo »

1 tableau de l'école d'Avignon 5 000 »

1 tableau de Dehodencq 7 000 »

Département des objets d'art, du moyen âge, de la Renaissance et des temps modernes. 1 lot d'objets provenant de la vente Gillot. 20207 fr.

Département des antiquités égyptiennes :

La stèle du roi Serpent 103400 »

1 statue égyptienne 20 000 »

1 loi d'objets : vente Amelincau 10 041 go

Bibliothèque nationale.

M. Henry Marcel, directeur de la Bibliothèque Nationale, a eu l'idée de réformer un vieux règlement de son administration.

Depuis des temps immémoriaux, la Bibliothèque fermait ses portes à cinq heures. Nombre de travailleurs se plaignaient à juste titre de cette fermeture prématurée. Ils viennent d'obtenir gain de cause et dorénavant on fermera à cinq heures et demie à partir du i5 septembre, et à quatre heures et demie à dater du 15 octobre.

Tout le monde des laborieux, dont la nomenclature' serait si curieuse à établir, depuis le savant qui prépare un livre que personne ne lira jusqu'à la copiste qui dépouille des manuscrits ardus pour fournir à l'auteur célèbre des arguments irréfutables, s'est montré satisfait.

Les membres de la « Conférence de la Paix » auront bientôt leur « Palais à la Haye. On sait que , M. Carnegie, le richissime Américain, leur a offert les millions nécessaires à son édification. Le Comité des Directeurs vient d'instituer un concours de projets et d'inviter chaque nation à y participer en désignant trois ou quatre architectes chargés de la représenter dans ce tournoi artistique.


L'ART ET LES ARTISTES

Les archives de Sèvres.

Jusqu'ici, les précieux documents qui constituaient les archives de la manufacture de Sèvres étaient disséminés dans les différents bureaux de l'administration et ils échappaient ainsi aux investigations des historiens, d'art.

Ceux-ci vont désormais pouvoir les consulter à la manufacture même, qui vient de rassembler ses archives et d'en dresser un catalogue comprenant dix-huit séries, environ 100000 pièces et 65o registres. Il y a là de curieuses ordonnances royales et des pièces datant de 1745 à 1790 qui témoignent des luttes soutenues par la manufacture pour maintenir ses privilèges. L'histoire intérieure de la maison, les rapports des directeurs avec les ministres, les inventaires des produits fabriqués, les mémoires des artistes, les registres de la Compagnie des Potiers constituent des documents fort intéressants pour , l'histoire de l'art français,

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Les catalogues de nos musées.

Le charmant musée Carnavalet, qui contient tant de souvenirs parisiens, aura bientôt son catalogue officiel, alors que nos plus grands musées ou nos plus importantes bibliothèques, comme la Nationale, attendent toujours les leurs, au grand désespoir des érudits et des curieux.

M. Alcanter de Brahm, secrétaire de Carnavalet, vient, en effet, de terminer le catalogue sur fiches, au nombre de près de cinq mille, dont le classement méthodique vapermettre d'établir rapidement le catalogue définitif.

Ajoutons, pour le nombreux public amateur de l'histoire et des choses de Paris, que ce catalogue est dès maintenant complété par un inventaire des réserves du musée, dont toutes les pièces seront ainsi à la disposition des chercheurs.

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L'aménagement de Bagatelle.

M. Charles Normand, président de la Société des Amis des Monuments parisiens, compose actuellement un rapport sur les nombreuses pièces iconographiques se rattachant au château de Bagatelle, acquis par la Ville.

Ces pièces sont destinées à être réunies aux nombreux plans et vues de Bagatelle dispersés dans nos principales bibliothèques et nos différentes galeries d'archives, et qui, sur le voeu de la Commission du Vieux-Paris, vont être rassemblés dans une des salles du château.

La même commission a réclamé avec énergie la conservation intégrale des aspects historiques de Bagatelle, et elle s'est élevée vivement contre le projet d'y établir la « future » exposition des Sports. Il est juste d'ajouter qu'aucune personnalité responsable n'a jamais songé sérieusement à cette transformation du" délicieux palais de Bagatelle en une galerie des machines... automobiles.

Et, puisque nous parlons de Bagatelle, disons que

son aménagement va commencer très prochainement par la disparition d'une partie de l'affreux mur qui le cache aux visiteurs du Bois. Ce mur sera « rasé » à hauteur d'appui, et sa clôture sera complétée par l'addition d'une grille en fer, dans le style duxvm" siècle. Cette disposition lui rendra tout l'espace nécessaire à ses jolies perspectives.

Les liquidateurs des biens des congrégations apportent, au dire de certains journaux, dans l'exécution de leur mandat un zèle excessif. C'est ainsi qu'à Aix en Provence un de ces officiers ministériels vient de vendre pour 200 francs un tableau de maître appartenant à l'État. Voici l'histoire : Un jour, M. le comte de Forbin, directeur des musées nationaux, adressa au musée d'Aix un certain nombre de tableaux. La place faisant défaut, plusieurs de ces oeuvres d'art furent réparties entre les diverses administrations de la ville. C'est ansi qu'un tableau de Loubon, représentant le Christ et les Lépreux, fut placé dans l'église de la Mission. Or, cette église, dépendant de l'ordre des Oblats, le liquidateur a vendu tout ce qui s'y trouvait. La ville d'Aix, au nom de l'État, va revendiquer le tableau de Loubon.

Les travaux d'embellissement commencés depuis quelque temps pour transformer l'entrée du jardin des Tuileries par la place du Carrousel vont reprendre et se continuer. A la jolie balustrade à hauteur d'appui qui relie toute la partie gauche des jardins à l'une des statues monumentales et, par suite, à l'arc du Carrousel, va s'ajouter une balustrade semblable sur le côté droit, ce qui donnera une élégante clôture aux jardins considérablement agrandis et auxquels l'arc de triomphe du Carrousel formera comme une majestueuse entrée. De plus, les grands arbres qui masquent les jardins vont disparaître de façon à découvrir la superbe perspective des arbres centenaires des Tuileries. Les monticules, les colonnettes et les boules d'or de l'ancienne clôture vont disparaître pour faire place à des jets d'eau qui compléteront agréablement ces jardins.

On lit dans le journal des Débats :

La Réserve du Roi, à Neuilly, est un gracieux monument que peu de Parisiens connaissent. Les Amis des Monuments parisiens s'émeuvent, car il est menacé de disparaître, et ils voudraient voir conserver ce temple grec à douze colonnes, de style corinthien, que le duc d'Orléans fit élever dans son parc de Neuilly, sur le bord de l'eau, pour les plaisirs de Louis XIV. Le roi se plaisait, en effet, à pêcher dans le petit bras de la Seine et avait adopté, dans le parc qui le bordait, une petite pointe qui s'avançait dans l'eau. C'est là qu'on amena à grands frais de la forêt de Fontainebleau d'énormes roches qui formèrent une sorte de promontoire artificiel. On y construisit un éperon en pierre de taille sur la terrasse duquel s'éleva le temple gracieux qui existe encore.


L'ART ET LES ARTISTES

Conservation des manuscrits.

Une nouvelle qui intéressera vivement les amis des manuscrits. On sait que la bibliothèque de Turin, qui a été incendiée il y a quelque temps, possédait des manuscrits anciens d'un prix et d'une rareté inestimables qui furent totalement détruits.

Divers savants français avaient depuis longtemps émis le voeu que l'on fît des reproductions en facsimilé de tous les manuscrits importants que conservent les bibliothèques de tous les pays.

Malheureusement, pour exécuter cette excellente idée, les fonds manquaient ; et comme nos pouvoirs publics sont routiniers et incapables de prendre une initiative quelconque, ils ont donc fait la sourde oreille, et c'est naturellement un Américain, un simple professeur à l'Université de Californie', M. Gauley, qui vient de relever cette idée vraiment si intéressante pour l'art. Il vient d'arriver au Congrès des Bibliothécaires, à Liège, pour offrir le concours efficace et généreux des États-Unis.

Il va se constituer aux États-Unis un bureau qui centralisera les clichés de manuscrits, les matrices de sceaux et monnaies, et en mettra des épreuves à la disposition des savants pour un prix aussi faible que possible.

Voilà une bonne leçon pour un pays comme le nôtre qui passe pour être au sommet de la civilisation.

Décidément, c'est un grand pays que celui de M. Roosevelt.

*

Une école régionale d'architecture vient d'être instituée à Lille.

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La maison de campagne d'Armande Béjart, à Meudon, datant du xvu° siècle, vient d'être classée comme monument historique.

A l'exemple de notre École française, à Athènes, le gouvernement anglais étudie le projet d'une école d'archéologie en Egypte. L'une des particularités de cette école sera que les élèves, au lieu d'étudier dans une ville, seront répartis dans toute l'Egypte et étudieront l'histoire à l'endroit même des fouilles.

Il vient de se fonder dans le département de l'Indre une Société qui, sous le titre des « Amis de Gargilesse », se propose d'assurer la conservation des sites et monuments de ce pays et d'y entretenir le souvenir de George Sand.

On a inauguré dernièrement, au cimetière de Boulogne-sur-Seine, un monument au peintre José Frappa. La partie architecturale est de M.' Raymond Février, le buste est dû au ciseau de M. Bennetiau.

A l'occasion de l'inauguration d'un monument au peintre Fromentin, qui aura lieu le i" octobre prochain, un groupe d'écrivains très connus, parmi lesquels Arvède Barine, Ferdinand Brunetièr.e, Pierre Loti et autres, ont eu l'idée de publier un livre d'or, destiné à faire connaître en les vulgarisant sa vie et ses oeuvres, qui est à la veille de paraître.

*

Le dimanche 3 septembre a eu lieu à Avesnes-surHelpe l'inauguration de la statue faite en l'honneur du petit tambour Stroh, par le statuaire Fagel. Stroh, Alsacien de naissance, avait quatorze ans lorsqu'il s'était engagé, en 1793. Il entra comme tambour dans l'ancien régiment de Royal-Suédois, devenu le 890 de ligne. A la bataille de Wattignies, voici l'exploit qu'il accomplit, qui lui valut la mort et aussi la glori- ' fication qu'on vient de lui faire : Les Autrichiens défendaient contre les forces françaises le village de Droulers. Stroh eut l'idée de faire à lui tout seul une diversion : quittant les rangs, il alla se porter sur le flanc des Autrichiens et battit furieusement la charge. L'ennemi se crut tourné, et le désordre se mit dans ses rangs; mais l'intrépide tapin fut aperçu par des grenadiers autrichiens. Il se défendit héroïquement, mais succomba au moment où les Français arrivaient à lui, et où il venait de leur crier : A moi les patriotes ! Ces paroles sont gravées sur le socle du monument qu'on lui a élevé. Le petit tambour est représenté debout, battant la charge.

Dimanche dernier on a élevé à Pamiers (Ariège) .un monument à la mémoire de Pierre Bayle, l'auteur du Dictionnaire historique et critique. Ce monument, qui figurait au Salon de cette année, est l'oeuvre du statuaire H. Icard. Il consiste en une stèle en haut de laquelle est placée l'image du philosophe posée sur une pile de livres et vers laquelle une femme qui représente la Postérité soulève un enfant.

Sur l'initiative d'un comité radical-socialiste du quartier de la Folie-Méricourt, un concours a été ouvert pour élever un monument à Charles Floquet, ancien député, ministre et président de la Chambre. Lundi dernier, quatre maquettes ont été présentées au jury chargé de les examiner : l'une était de M. Peynot, une autre de M. Michelet, la troisième de M. Le Gastelois et la dernière de M. Descamps. Les votes, au nom.bre de vingt-neuf, se sont divisés entre les quatre concurrents sans résultat définitif. MM. Descamps et Le Castelois, avec neuf voix chacun, ont obtenu la préférence à égalité ; huit voix se sont portées sur M. Michelet et trois voix seulement sur M. Peynot. Il a été décidé que MM. Descamps et Le Gastelois exécuteraient leur maquette au cinquième et que le comité se prononcerait alors définitivement.


L'ART ET LES ARTISTES

Les habitants de Vitré vont élever, sur la plus belle de leurs places, une statue à Mme de Sévigné.

On va donner un pendant au Jules Simon de la place de la Madeleine. Il restait, de l'autre côté de la place, une fontaine, elle sera remplacée par la statue en marbre de Théophile Roussel.

L'État, représenté par la direction des beaux-arts, vient de se mettre d'accord avec la Ville de Paris pour élever, aux Champs-Elysées, un monument collectif aux maîtres de l'École française de paysage : Corot, Théodore Rousseau, Millet, Jules Dupré, Daubigny, etc. Ce monument, qui sera mis au concours, se dressera dans le voisinage du Grand-Palais.

On vient de trouver non loin de Paris un théâtre romain comparable, assurent les archéologues, à celui d'Orange. C'est à Champlieu, près de Compiègne, que sont enfouies les ruines de cet édifice que l'on veut dégager et restaurer juste assez pour permettre des représentations théâtrales. Les restaurations seront d'ailleurs de peu d'importance, car le théâtre romain de Champlieu paraît admirablement conservé.

M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'État des beaux-arts, a donné sa pleine approbation au projet de représentations dans ce théâtre qu'on lui a soumis , et les villes de Compiègne et de Senlis ont voté, ainsi que le Conseil général de l'Oise, des fonds en vue de la réalisation de cet intéressant projet.

Découverte d'un trésor.

Dans les travaux qu'exécute la Compagnie des chemins de fer de l'Est, à Banoncourt (Meuse), des terrassiers italiens ont trouvé au pied d'un arbre tout un lot de monnaies anciennes, ainsi que plusieurs bijoux du temps de Henri IV.

Il y avait là, enterrées à plusieurs mètres sous terre, près de 3oo pièces d'or et d'argent dont beaucoup avaient en plus de leur valeur intrinsèque une réelle valeur numismatique. Certaines pièces d'or, évidemment frappées dans quelque abbaye, portaient en effigie des têtes de moines et, au revers, un attelage de boeufs.

Les ouvriers italiens, ignorant la valeur de ces monnaies, les avaient, en partie, données ou vendues à vil prix. L'État a eu vent de la trouvaille et a fait rechercher les pièces éparpillées qu'il s'est fait restituer pour ses musées.

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Lundi 21 après midi on a volé au Petit-Palais un basrelief en bronze représentant une Femme vue de dos, oeuvre de Dalou, mesurant 3o centimètres de hauteur.

Un certain nombre d'historiens et d'archéologues ont pensé que le moment était venu de reprendre à Alise, qu'illustra la défense suprême de Vercingétorix, les recherches topographiques et archéologiques commencées sous le règne de Napoléon III. En vue de faciliter cette reprise, une conférence préparatoire va être organisée à Alise-Sainte-Reine. On y arrêtera dans ses lignes générales le programme des recherches futures et, éventuellement, celui d'un congrès archéologique qui se réunirait en 1906, à Semur-enAuxois et à Alise-Sainte-Reine. Cette conférence aura lieu le lundi 18 septembre, qui, d'après quelques historiens, serait le jour anniversaire de la reddition d'Alesia. Les adhésions doivent être adressées à M. le docteur Adrien Simon, à Semur (Côte-d'Or).

La famille de M. Bouguereau vient de donner au Musée de la Rochelle le tableau VOcéanide que le peintre avait exposé au Salon de cette année.

Le baron de Bonnemain vient de léguer plusieurs objets intéressants au Musée de l'Armée, parmi lesquels se trouve un portrait de son aïeul, le général de Beauharnais, par Couture.

*

Mme Edouard Pailleronvient défaire don à l'État, pour le musée de Versailles, d'un portrait de l'auteur du Monde où l'on s'ennuie, exécuté par le peintre anglais Sargent.

Mme Arthur Raffalovich vient de faire don à l'État d'une baignoire historique. Selon les uns, Bonaparte premier consul s'en servit à la Malmaison; selon les autres, l'Empereur en usa à Moscou; les mieux informés, enfin, prétendent que, si elle n'appartint pas à Napoléon lui-même, elle fit partie de l'attirail de toilette de quelque personne de son entourage. Certains documents permettent même de l'attribuer au baron de Menneville, secrétaire de l'Empereur. Mme Raffolovich, au surplus, ne garantit qu'une chose : c'est que cette baignoire est de l'époque impériale. Ce don trouvera place à la Malmaison.

Par arrêté du Ministre de l'Instruction publique, des beaux-arts et des cultes en date du 25 août 1905, ont été nommés à la suite du concours ouvert le 24 juillet dernier, et par ordre de mérite, élèves de l'École de Céramique annexée à la Manufacture nationale de Sèvres, les cinq candidats dont les noms suivent : MM. Blendiné (Albert), Boucher (Ernest), Blémond (Albert), Argyriadès (Platon), Pérot (Maurice).

A la suite des concours et examens de sortie du même établissement, le diplôme d'élève de l'École de céramique a été décerné à MM. Millot et Savreux.

XIII


L'ART ET LES ARTISTES

Le Comité du prochain Salon de l'Automobile, qui aura lieu en décembre, a décidé de réserver une de ses salles d'exposition aux peintres et aux sculpteurs qui désirent y envoyer des oeuvres se rapportant aux choses de l'automobilisme et de tous les sports.

Une Exposition internationale de Peinture s'ouvrira du 2 novembre 1905 au ior janvier 1906, à Pittsburg (États-Unis), dans les salles de l'institut Carnegie. Les artistes français désireux de prendre part à cette exposition devront faire déposer leurs oeuvres, à leurs frais, chez M. Navez, 76, rue Blanche, à Paris. Elles y seront examinées par un comité composé de Mlle Mery Cassatt et de' MM. Dagnan-Bouveret, W. Gay, Lhermitte, Pearce, Thaulow, Raffaëlli, Aman-Jean, Melchers et Cottet. L'institut Carnegie supportera toutes les dépenses, aller et retour, des tableaux que le comité aura jugés dignes de figurer à l'Exposition de Pittsburg. Quel que soit le nombre des toiles acceptées, l'institut ne pourra exposer que deux tableaux de chaque artiste. Un jury, composé de dix membres élus et du président du comité des beaux-arts et de l'institut Carnegie, répartira parmi les exposants les récompenses suivantes : une médaille de première classe, en or, et un prix de i5oo dollars (7500 francs) ;.une médaille de seconde classe, en argent, et un prix de 1000 dollars (5ooo fr.); une médaille de troisième classe, en bronze, et un prix de 5oo dollars (25oo francs). Le jury sera libre de distribuer à son gré une ou plusieurs mentions honorables. Ces récompenses seront décernées sans distinction de nationalité, à condition que les oeuvres qui en paraîtront dignes auront été envoyées par le peintre lui-même, quand bien même il ne serait plus propriétaire de ses toiles, et qu'elles aient été terminées dans les cinq années qui auront précédé la date de l'ouverture de cette exposition. 1

EXPOSITION DE MONTE-CARLO

14° Exposition internationale des Beaux-Arts de la Principauté de Monato.

RÈGLEMENT GENERAL

ART. i°r. — La quatorzième Exposition internationale des Beaux-Arts aura lieu au Palais de.s BeauxArts, à Monte-Carlo, de janvier à avril igo6. Elle comprendra des ouvrages de peinture, sculpture, aquarelles, pastels, gravures et objets d'art. L'administration, tout en invitant les artistes, se réserve la faculté de constituer un jury- d'admission chargé d'opérer une sélection dans les oeuvres envoyées, si elle juge cette mesure nécessaire.

ART. 2. — Seront seules exposées les oeuvres des artistes qui auront une reçu invitation personnelle, afin d'assurer la qualité et d'éviter l'encombrement, l'espace étant limité, etc.

La ville de Pontivy organise une Exposition des Beaux-Arts, dite « Salon de Pontivy », qui s'ouvrira le 1" octobre. Il ne sera admis au maximum que trois oeuvres du même artiste. Il n'y aura pas de„ jury d'admission, car cette invitation n'est adressée qu'à des artistes dont le talent a été apprécié, mais il sera constitué un jury de récompenses. L'envoi et le retour des oeuvres est à la charge des exposants. Il ne sera perçu aucun droit sur la vente des oeuvres exposées. Après le 20 septembre, il ne sera plus reçu de demande d'admission. Toutes les oeuvres à exposer devront être rendues le 28 septembre au siège de l'Exposition, place Nationale.

Le 3° Congrès international de l'Art public, que le peintre belge Broerman organise dans un esprit pratique, se tiendra à Liège, du i5 au 21 septembre prochain. L'inscription de 10 francs donne droit à toutes les publications, rapports, comptes rendus, à assister aux séances, réceptions, fêtes, à l'entrée à l'Exposition de Liège, à la réduction de 5o pour 100 sur les grandes lignes de chemins de fer. Les adhésions peuvent être adressées soit au secrétaire-délégué, M. Félix Régamey, inspecteur honoraire de l'enseignement du dessin, hôtel des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, Paris, soit, directement, au Secrétariat du Congrès, hôtel Revinstein, à Bruxelles, d'où le programme est envoyé sur demande.

*

, Pour les philatélistes : Après l'apparition du nouveau timbre ottoman, nous aurons celle d'un timbre italien nouveau modèle qui suivra de près l'abaissement de la taxe postale en Italie. L'auteur des vignettes est le peintre Michetti. L'image du roi est représentée de profil, en relief; le buste laisse apercevoir l'uniforme de petite tenue. La couleur du fond du timbre et ce fond lui-même varient suivant chaque valeur différente. L'un de ces fonds représente une mer sur laquelle se lève le soleil; un autre un paysage des Alpes, puis la mer sillonnée par un navire ; un train dans le lointain, des poteaux et des fils télégraphiques; un laboratoire de radiographie, etc. C'est ce dernier fond qui a été adopté pour le timbre de un centime.

La 6° Chambre du Tribunal civil de la Seine a rendu dernièrement le jugement suivant qu'il est intéressant de faire connaître aux antiquaires pour •qui il présente de l'intérêt.

Il s'agit d'une personne entrée chez un marchand d'objets d'art et ayant brisé, étant accompagnée du gérant du magasin, une statue objet de la visite. Le propriétaire du magasin intentait un procès à son gérant, alléguant que son employé ne devait pas faire pénétrer le client dans la vitrine où elle était exposée.

XIV


L'ART ET LES ARTISTES

De son côté, le gérant appelait en garantie le client auteur du bris. Comme on le verra, le tribunal a mis hors de cause le client, condamné le gérant à 5oo francs de dommages-intérêts envers son patron pour avoir laissé pénétrer le client dans la vitrine, le rendant ainsi responsable d'une partie de la faute, mais en rejetant la plus grande partie sur le patron pour ne pas fournir à son gérant un matériel plus stable.

Catalogues de musées. — Nous avons souvent regretté que l'État ne possédât pas l'inventaire de ses richesses artistiques : sur l'initiative de M. DujardinBeaumetz, des catalogues très précis seront désormais dressés et tenus à jour : celui des tapisseries des Gobelins a été confié à M. Fenaille, l'érudit collectionneur, et formera quatre forts volumes qui seront édités à l'Imprimerie Nationale.

L'inauguration du monument de J.-L. Hamon, le gracieux peintre de Ma soeur n'y est pas, de la Comédie humaine, des Deux orphelines et de tant d'autres chefs-d'oeuvre, qui devait avoir lieu à Plouha le 20 octobre, est remise au printemps prochain.

NECROLOGIE

M. Alphée Dubois, graveur sur médailles, est décédé le 6 septembre en son domicile, à Clamart, à l'âge de 74 ans.

Né à Paris, le 17 juillet i83i, Alphée Dubois était fils d'Eugène Dubois, graveur sur médailles.

Lorsqu'on organisa la Monnaie en i832, Eugène Dubois, graveur de la duchesse de Berry, fut chargé de refaire les matrices des médailles détruites.

Il devint aveugle vers 1846, et son fils Alphée, âgé seulement de i5 ans, se mit au travail pour aider son . père et continuer son oeuvre.

Élève de Duret et Barré, Alphée Dubois fut grandprix de Rome en 1855. Membre du jury en 1900, il était chevalier de la Légion d'honneur depuis i885.

C'était un homme exquis, d'une modestie, d'une douceur et d'une complaisance incomparables.

Une perte pour l'art, un deuil pour ses nombreux amis.

*

Le peintre Albert Edelfelt, bien connu des visi-. teurs du Salon, vient de mourir en Finlande, âgé seulement de 5i ans.

Né, le 21 juillet 1854, à Borga (Russie), il était fils d'un architecte distingué d'Helsingfors.

En 1873, âgé de 19 ans, il fut admis à l'Académie des Beaux-Arts d'Anvers, récompensé d'un prix d'excellence; il vint à Paris, où, en compagnie de Bastien-Lepage

Bastien-Lepage de Dagnan-Bouveret, il entra à l'ate lier de Gérome.

Il débuta au Salon de 1877 avec une toile représentant Blanche de Namur, reine de Suède. Mais il quitta vite la peinture d'histoire pour donner une série de très jolies études de la vie finlandaise.

Il fit aussi de fort beaux portraits : citons celui de Pasteur à la Sorbonne, qui lui valut d'être appelé par le futur Alexandre III à Gatchina, pour faire les portraits des princes et des princesses.

Le Luxembourg acquit son Service divin au bord de la mer, qu'il exposa en 1882 à son retour de Russie.

Membre du jury en 1900, à la Société nationale des Beaux-Arts, commandeur de la Légion d'honneur, Edelfelt était retourné dans sa Finlande et n'exposait plus depuis 1901.

Le peintre de marines F.-B. Barry vient de mourir à Saint-Laurent du Var.

Il était né le 3 mai )8i3. Élève de Gudin, il fit surtout des commandes officielles pour le musée de Versailles, Napoléon III, le président Grévy.

Il était surtout peintre de marines.

Nous apprenons avec regret la mort de S. Bing, le grand importateur de japonaiseries, un des plus ardents, des plus éclairés partisans de l'art nouveau, pour lequel il dépensa beaucoup d'efforts et d'argent, et recueillit en somme peu de satisfaction.

J.-S. Bing a laissé derrière lui des élèves dressés à son école de goût et de patience, des Japonais de Paris qui compléteront son oeuvre.

M. Jules Oppert, l'éminent orientaliste, membre de l'Institut, professeur au Collège de France, vient de succomber aux suites d'une affection vésicale dont il souffrait depuis deux ans. Malgré cette maladie, il avait tenu, pendant tout l'hiver dernier, à professer son cours au Collège de France; c'est à l'Institut même, le vendredi 11 août, qu'il fut pris d'une syncope, et, depuis, son état ne cessa d'empirer. Il était âgé de 80 ans.

M. Jules Oppert s'était fait connaître par son érudition et ses connaissances mathématiques. Mais c'est surtout la science orientaliste qui le rendit célèbre.

Tour à tour professeur d'allemand à Laval, puis à Reims, il fut enfin chargé, en i85i, par l'Institut, d'une expédition scientifique en Mésopotamie. Cette mission le plaça hors de pair. L'année suivante, il était nommé professeur de sanscrit à la Bibliothèque Nationale et chevalier de la Légion d'honneur.

M. Jules Oppert était professeur au Collège de France.

xv


L'ART ET LES ARTISTES

REVUES D'ART ET JOURNAUX ARTISTIQUES

L'Art Moderne, Bruxelles.

L'Art Flamand et Hollandais, Anvers.

Modem Kunst, Berlin.

La Forma, Barcelone.

La Chronique, Bruxelles.

Durandal, Bruxelles.

Simplicissimus, Munich.

The Magasine of Arts, Londres.

Saturday Rewiew, Londres.

Deutsche Kunst und Dekoration, Darmstadt.

Modem Baujormen, Stuttgart.

La Revue de l'Art Ancien et Moderne, Paris.

La Décoration Ancienne et Moderne, Paris.

L'Art pour Tous, Paris.

Le Journal des Arts, Paris.

La Galette de l'hôtel Drouot, Paris.

La Vie Illustrée, Paris.

Femina, Paris.

Je Sais tout, Paris.

Le Mercure de France, Paris.

Le Mois, Paris.

La Revue Biblio-Iconographique, Paris.

La Vie Parisienne, Paris.

Le Journal Amusant, Paris.

Échos de la Mode

On demeure si longtemps aux champs, maintenant, qu'il est impossible de suivre le bon exemple de nos mères, lesquelles conservaient bravement leurs toilettes d'été, plus ou moins défraîchies, jusqu'à l'heure du retour en ville. Beaucoup plus simples que nous, moins éprises de nouveautés, elles s'accommodaient fort bien d'un petit arrangement, nous disons dédaigneusement : retapage!... qui donnait aux costumes un rien d'imprévu et leur permettait de franchir l'arrière-saison sans paraître trop rococos. Ça allait parfois vaille que vaille, mais on n'avait pas l'air de s'en apercevoir et seule la Toussaint apportait du changement en ramenant le tralala d'hiver : satins, velours et fourrures.

Plus encore que le retour tardif, la coquetterie actuelle nous impose une saison mixte, ni chien ni loup, pour laquelle nous voulons des costumes ad hoc, non plus réparés, mais, bien au contraire, tout flambants neufs et créés en vue de ces quelques

semaines de transition.

LE CORSET RÊVE CLAVERIE

Avant tout le corset nous fait signe de songer à lui, car, sans ses bons offices, point de grâce corporelle. Et là commence l'incertitude, le choix de ce pivot de la toilette étant capital, si l'on veut obtenir ce que rêve chaque femme qui n'a pas encore renoncé aux pompes du siècle.

Souplesse, sveltesse, harmonie des mouvements, bien-être général, hygiène, beauté des lignes, tout cela

tient dans un corset bien compris, sortant des mains d'un maître corsetier, renommé à bon droit pour sa science de l'esthétique féminine et la parfaite élégance qu'il prodigue dans toutes ses créations.

C'est nommer M. Claverie, dont sont tributaires les plus jolies tailles de Paris, et nous pouvons ajouter que ses corsets sont triplement incomparables comme coupe, comme luxe et comme prix.

Le nouveau catalogue des corsets Claverie va, du reste, paraître et renseignera mieux que moi nos lectrices. Il suffit de le demander 234, faubourg SaintMartin, pour le recevoir franco.

Jeune par sa plastique et par sa toilette, aucune femme ne consentirait à sembler vieille par un visage flétri ou par une chevelure prématurément décolorée, devenue de ce ton lamentable qui tire sur la couleur — foin— d'un gris vert et d'un blanc jaune, que l'on dénomme « poivre et sel ». Cette nunnce sonne le glas de la beauté : aussi doit-on tenter i'impossible pour la faire disparaître. Quand je dis l'impossible, c'est une façon déparier, vu que rien n'esfplus facile. Quelques applications de poudre Capillus et voilà le miracle réalisé, sans teinture, sans humidité dangereuse, puisque cette poudre, agissant à sec, ne peut causer ni refroidissements ni névralgies.

L'important est d'avoir la nuance exacte. On l'obtient en envoyant une mèche de cheveux à la parfumerie Ninon, 3i, rue du Quatre-Septembre, où l'on n'a pas à redouter les contrefaçons. La boîte vaut 5 francs et 5 fr. 5o franco. M" SANS-GÊNE.

Aimant la vie. — L'existence vous serait triste sans bonnes dents. Soignez-les donc, et vite! avec les produits dentifrices des Bénédictins du Mont-Majella, élixir et pâte ou poudre à votre choix, vous verrez le résultat. Adressez-vous en toute sûreté à M. Senet, administrateur, 35, rue du Quatre-Septembre.

M"' S.-G.

xvi


Numéro 8 — Novembre 1905

Supplément illustré

de l'Art et les Artistes

N. B. — Tout ce qui concerne les Abonnements, la Publicité, etc., doit être exclusivement adressé à M. /'Administrateur de L'ART ET LES ARTISTES, 173, boulevard Saint-Germain.

ABONNEMENT ANNUEL : Un an, 16 fr. pour la France, 20 fr. pour l'Etranger.

L'Education artistique

LE GOUT PUBLIC DANS L'AMEUBLEMENT

A u retour des villégiatures, rien n'est intéressant ■^^ comme la visite des magasins de Paris pour se rendre compte du goût public et de son évolution annuelle.

Le hasard m'ayant dernièrement mis en rapport avec le chef du rayon d'ameublement d'un grand établissement parisien, j'ai pu, dans une visite détaillée, faire un examen commenté du mobilier qui fournit la majeure partie de ce que j'appellerai les acquisitions bourgeoises.

Mon chef de rayon est un homme aimable, intelligent en son commerce. Successivement appelé à diriger les rayons de papeterie, de vaisselle et de bicyclettes, il fait faire d'excellentes affaires à la maison qui l'emploie.

Et comme, après une vue d'ensemble, je m'étonnais de la quantité de pseudo-styles, de fantaisies Renaissance et xvnr 9 siècle, présentant les plus déplorables exemples de prétentieuse opulence :

— Ah ! monsieur, me dit-il, avec un sourire nuancé d'indulgence, on voit bien que vous êtes un artiste !... Voyez-vous, ici, il en faut pour tous les goûts !...

— Même le mauvais ?

■— Même celui que vous qualifiez de mauvais.

— Et, questionnai-je, vers quels modèles le public revient-il plus fréquemment ?

— Cela dépend. Il y a des engouements et des saisons. L'art nouveau, les fantaisies laquées, ont un public. Mais la majeure partie et la meilleure de notre clientèle préfère nos bons meubles destyle !...

Et mon interlocuteur, tapotant fièrement sur une table de salon, une fantaisie Louis XV surchargée de cuivreries en rocaille mais dont le dessus trop étroit, les pieds trop lourds et d'un galbe courtaud auraient fait hurler un ouvrier ébéniste du xvme siècle.

— Le voua, Monsieur, le bon, le beau meuble français ! L'art nouveau et sa camelotte n'arriveront pas de sitôt à le démolir dans le goût du public.

— Donc, on préfère en général le meuble luxueux?

— Oui, Monsieur, le meuble de style, bien conditionné, dans des prix abordables.

Attirant mon attention sur un buffet de salle à manger, au fronton Henri II, aux montants s'érigeant en chimères Louis XIII, et dont les panneaux sculptés s'agrémentaient de faisans et de perdrix suspendus en panoplie Louis XV :

— Voici un article soigné que nous pouvons donner à d'excellentes conditions. Regardez la richesse de ce travail, le fini des moulures.

J'esquissai un sourire navré :

— D'ailleurs, ne croyez pas que les modèles artistiques soient dédaignés, au contraire. En dehors de l'art nouveau dont nous possédons les dernières créations, nous avons les fantaisies bretonnes et normandes pour lesquelles le public montre une faveur marquée. En voici des spécimens très originaux.

Je défilai devant une série de crédences, de vaisselliers, d'armoires, où, sur les rares places laissées par les bosses et les ajourages, s'ébattait un peuple


L'ART ET LEvS ARTISTES

de joueurs de binious et de paimpolaises sculptés pour peuplades nègres.

— Mais, lui dis-je, du moment que vous connaissez les tendances de votre clientèle, ne pourriezvous lui donner des modèles plus... purs de formes, d'une esthétique plus châtiée... ou des copies exactes ?

J'avisai un secrétaire charmant qui sans nul doute était la reproduction scrupuleuse d'un joli meuble du xvme siècle :

— Ceci, par exemple.

. — Certainement, nous avons des copies de pièces

BUFFET DE SALLE A MANGER (FABRICATION COURANTE) DIT DE STYLE HENRI II

de musée ; nous avons même un assortiment de véritables meubles anciens, mais outre que c'est beaucoup plus cher, cela ne s'adapte pas à tous les intérieurs. Et, embrassant d'un geste large l'amoncellement de ses fantaisies :

— Tandis que ceci peut aller partout !

— Pourtant, insistai-je un peu effaré, je ne vois pas en quoi la façon d'un meuble de style revient plus cher que celle d'une... fantaisie.

— Dame, il faut des ouvriers exprès. Ce sont des spécialistes. De plus, l'exécution demandant plus de soin, la fabrication en est plus longue.

— Pourquoi?

Et lui désignant un des meubles du style salade :

— Je ne m'explique pas les raisons pour lesquelles un ouvrier qui fait avec tant de soin les moulures d'un pareil modèle déployera plus de savoir en

exécutant le même travail sur une forme plus harmonieuse. Quant à la scuplture, il est, ce me semble, aussi facile de copier un bon modèle qu'un mauvais. La faute en serait donc plutôt au fabricant qui...

— Pas le moins du monde. Les fabricants sont comme les maisons de vente, ils exécutent les meubles qu'ils trouvent à écouler. Croyez-moi, me dit le chef de rayon d'un air légèrement narquois, si les modèles étaient mauvais, le public ne les achèterait pas.

Je me surpris à murmurer :

— Croyez-vous ?

— Assurément. Nous voyons bien quelles sont les préférences et quels sont les articles qui nous restent pour compte.

Et, triomphant :

— Tenez, le japonais, les chinoiseries... les artistes eux-mêmes n'en veulent plus !... Ah ! mon cher Monsieur ? la mode ! voyez-vous ! La mode !...

— D'accord, mais la mode, c'est le fabricant, c'est vous, le vendeur, qui l'imposez au public.

— Jamais de la vie !

— Voyons ! De quelle façon la clientèle manifeste-t-elle ses préférences ?

— En choisissant parmi les modèles qu'elle trouve ici.

— Donc, c'est sur ce que vous lui imposez préalablement que le public fait son choix ?

— Nous n'imposons rien au public. Il voit dans nos magasins une variété de modèles, il

. achète ceux qui lui conviennent.

— Mais à qui incombe le soin de centraliser les objets à lui montrer ?

— Mais... à nous, me dit mon chef de rayon en se rengorgeant.

J'avais ma conviction sur ce point et je crus devoir la soumettre.

— La plupart des modèles de style que vous venez de me montrer, lui dis-je, je parle bien entendu de ceux dont les prix sont moyens et par conséquent les plus répandus, sont


L'ART ET LES ARTISTES

d'un goût déplorable ; la soi-disant fantaisie qui les caractérise est en désaccord non seulement avec les styles dont elle prétend être tirée, mais avec toutes les lois de l'équilibre et de l'harmonie.

Mon interlocuteur me considérait avec un peu d'inquiétude.

— Vous voulez, continuai-je, vous soumettre aux exigences du public, du client qui achète et paie. Très bien. Mais ne trouvez-vous pas qu'il serait possible tout en satisfaisant à ses desiderata de relever le niveau de son goût en ne mettant sur le

marché, en ce qui concerne les imitations ou interprétations de styles, que des oeuvres épurées répondant à la fois aux besoins de la mode et aux lois de l'art et de la logique. Des différences insensibles a priori font pourtant que tel ou tel objet est plus conforme aux exigences d'un style, aux principes de la beauté. Pour le public — qui ne jette qu'un coup d'oeil superficiel et d'ensemble — les modèles sembleraient être les mêmes, mais ils auraient subi d'importantes, d'indispensables modifications...

— Modifier la fabrication, désorienter les ateliers organisés et entraînés ! Changer ce qui depuis cinquante ans, que dis-je, depuis soixante ans, est une source inépuisable et copieuse de bénéfices pour l'industrie... c'est insensé! Mais, Monsieur, le public ne réclame rien ! Il est enchanté. C'est par milliers que les modèles que vous décriez se vendent !

— Raison de plus. Le public ne se plaint jamais. Il n'achète que ce qu'on lui montre. Montrez-lui de meilleures choses, il les achètera aussi. Il y aurait pour les directeurs des grands magasins, un rôle supérieur à remplir pour la propagation du goût et sans que cela soit au détriment de leur intérêt matériel, au contraire.

— Et lequel ?

— Ne laisser mettre en vente que des modèles donnant toutes les garanties esthétiques.

— Mais c'est ce que nous avons la prétention de faire, me répondit le chef de rayon, d'un air légèrement vexé.

Plein de mon sujet je poursuivai : '

— Une commission permanente, oui, un comité, nommé par l'Etat, et formé de compétences, ne pourrait-il périodiquement,

et sur leur demande, être mis à la disposition des directeurs des grands établissements pour examiner la ■ série des modèles soumis par les fabricants et décider quels sont ceux qui répondent le mieux aux lois éternelles de l'art, du goût et de la beauté ?...

Je n'achevai pas. Mon chef de rayon, me jetant un regard effaré, prétextait un ordre urgent à donner et s'éloignait avec une grande rapidité.

PAUL STECK,

Inspecteur de l'enseignement du dessin.

CABINET A DEUX CORPS (XVI° SIÈCLE. MUSÉE DE CLUNY)

III


ENTRÉE PRINCIPALE

Le Château d'Azay=le=Rideau

T ES amateurs d'art et les fervents de notre passé *"* national ont éprouvé, ces temps derniers, une joie profonde et légitime : Azay-le-Rideau, enTouraine 1, joyau inestimable de l'architecture de la Renaissance française ; spécimen d'une rare élégance et d'une perfection sans disparate du goût national, vient d'être sauvé, et c'est aux efforts de M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, que nous devons la conservation d'un édifice incomparable, dont les lignes, la façade aux dimensions délicates et mesurées, les hautes lucarnes et les tourelles d'angle forment avec les prairies, les feuillages aux tons adoucis et la transparence limpide qui règne en ce pays, le plus harmonieux décor que l'on puisse rêver. M. DujardinBeaumetz a déjà préservé d'une destruction imminente, le château de Maisons-Laffitte, chef-d'oeuvre de François Mansart et logis tout désigné pour un musée national de l'art décoratif du XVIIe siècle

i. Azay-le-Rideau est un chef-lieu de canton du département d'Indre-et-Loire. Situé à 24 kilomètres N.-E. de Chinon, il se trouve sur la route de Tours à Chinon.

naissant ; en assurant avec le bienveillant concours de M. Bienvenu-Martin, ministre de l'Instruction publique, et l'aide du Conseil d'Etat, l'acquisition d'Azay-le-Rideau, M. Dujardin-Beaumetz a poursuivi l'oeuvre de sauvegarde du patrimoine artistique qu'il avait décidé d'entreprendre. La gratitude des savants et des artistes, de tous ceux qui, sans renier aucune des oeuvres du temps présent, échos de la pensée et des aspirations contemporaines, ont assez d'indépendance pour revendiquer les chefs-d'oeuvre d'autrefois, saura apprécier l'activité laborieuse et la passion éclairée que notre surintendant des Beaux-Arts manifeste dans les fonctions de sa charge.

Mais cette activité eut surtout à se déployer au cours des pourparlers qui précédèrent l'acquisition du château d'Azay-le-Rideau...

Depuis longtemps, depuis fort longtemps, l'Administration des Beaux-Arts souhaitait mettre à l'abri de toute destruction cette merveille de la Renaissance, mais l'argent manquait !... A plusieurs reprises, pour des raisons diverses, Azay fut mis en vente, mais son heureuse fortune le sauva toujours

IV


L'ART ET LES ARTISTES

des spéculateurs de terrains et des marchands de biens, vandales modernes dont les méfaits se parent d'excuses hypocrites ; deux de ses derniers propriétaires ont attaché leur nom au domaine qu'ils se plurent à restaurer, sans rien altérer du caractère

VUE D'ENSEMBLE DU CHATEAU D'AZAY-LE-RIDEAU

original des constructions. Ce fut d'abord le marquis de Biencourt, dont les collections de tableaux et de portraits historiques, où figurent de nombreux Clouet et d'autres toiles de l'époque, trouvèrent à Azay un cadre à souhait. Plus tard, M. Artaud s'efforça d'entretenir soigneusement ce bijou architectural.

Avec un désintéressement digne des plus grands éloges, M. Artaud vient de le céder, moyennant l'invraisemblable somme de deux cent mille francs (200 000 francs !) aux Beaux-Arts représentés en l'occurrence par le sous-secrétaire d'Etat. Et pour cette somme modique, le château entre dans le patrimoine de la France, pourvu de toutes ses servitudes et d'environ sept hectares de terre (sur les quarante hectares que le parc mesure à l'entour. Assurément ce ne seront pas les plus belles perspectives de jadis grâce auxquelles on apercevait de loin la façade séduisante et délicate de l'édifice. Contentons-nous de posséder enfin Azay, qui perpétuera désormais le souvenir de l'architecture

l'architecture la Renaissance, bien mieux que Chambord, Blois ou Chenonceau, où les modes nouvelles ont malheureusement dénaturé les parties originales des constructions !...

Comment M. Dujardin-Beaumetz parvint-il à

mener à bonne fin, une acquisition rêvée par tous ses prédécesseurs et dont lui-même, en arrivant rue de Valois, était loin de se désintéresser?... C'est une histoire assez compliquée que nous allons résumer brièvement avant d'offrir à nos lecteurs un aperçu d'Azay-le-Rideau et de ses merveilles.

Un ingénieur civil, M. Léon Dru, avait légué à l'Etat le château de Vez (Oise), près de Senlis, avec une rente de 40 000 francs réservée exclusivement à son entretien, indépendamment du mobilier et des collections. Le château devait être classé comme « monument historique » et conservé à perpétuité.

Sans grand enthousiasme, les Beaux-Arts acceptèrent d'abord le legs. Vez est un domaine féodal, situé sur une éminence, à 32 kilomètres de l'est de Senlis, près de la ligne de chemin de fer de Crépigny-en-Valois à Villers-Cotterets. Presque inconnu des touristes, Vez date du xme siècle et offre un amalgame de constructions restaurées


L'ART ET LES ARTISTES

et de ruines assez imposantes. Les luttes entre la féodalité et le pouvoir royal, la guerre de Cent ans et les siècles suivants ont ébranlé fortement les tours massives et le donjon. C'est en somme un type de construction assez fréquent dans les campagnes de France et sa valeur architecturale est plutôt limitée. D'autre part, l'état de délabrement de l'édifice allait imposer des réparations continuelles, d'où des dépenses considérables, trop onéreuses à tous égards.

Heureusement, les héritiers de M. Dru tenaient à conserver Vez et à ne pas verser quarante mille francs de rente. Ils offrirent à l'Etat un capital d'un million : un million pour la caisse des monuments historiques ! un million !... on allait donc pouvoir acquérir Azay-le-Rideau !... Mais si un amateur étranger avait devancé l'Etat?... Par un bonheur inconcevable, M. Artaud, propriétaire, tenant à laisser Azay aux Beaux-Arts, avait décliné les offres qui s'étaient présentées.

Donc, sur la proposition de M. Dujardin-Beaumetz, M. Bienvenu-Martin résolut l'achat du châ- „ teau d'Azay-le-Rideau, et, comme il fallait l'approbation du Conseil d'Etat, le ministre de l'Instruction publique voulut bien se souvenir qu'il avait été maître des requêtes de cette haute juridiction administrative pour faire établir un dossier parfaitement en règle. La section du contentieux fit diligence, et le 4 août dernier, le Président de la République signait le décret approuvant la transaction avec les héritiers Dru, ainsi que l'achat d'Azay-le-Rideau. Notons que ladite transaction classe le château de Vez comme monument historique, réalisant une des conditions essentielles du testament de feu Léon Dru.

Sur le million versé à l'Etat, une somme de cent mille francs est affectée aux frais de sa restauration, les héritiers étant déclarés propriétaires et gardiens.

Quant à Azay, outre les deux cent mille francs consacrés à l'achat, quatre-vingt mille francs seront exclusivement réservés à sa restauration et un capital de quatre cent cinquante à cinq cent mille francs va être placé à la Caisse des Dépôts et Consignations, afin que la rente serve aux émoluments du conservateur, au payement des gardiens, des ouvriers, des jardiniers, etc.

Il restera — on l'espère du moins —■ une somme approximative de cent cinquante mille à deux cent mille francs dont on fera don à notre Caisse des Musées nationaux, si indigente en comparaison des fondations analogues de l'étranger ! Mais ne sera-t-on point obligé de renoncer à cette espérance et d'attribuer encore cette somme au budget annuel de la nouvelle acquisition : l'entretien du château, les appointements des fonctionnaires et

des gardiens, et divers frais risquent d'absorber plus de vingt mille francs par an...

Azay-le-Rideau justifie du reste de telles dépenses.

Le château, moins original que Chenonceau et moins somptueux que Chambord, s'élève dans un site de beauté séduisante. Au milieu d'une île formée par l'Indre, qui l'enserre des deux côtés et réfléchit l'image de ses deux corps de bâtiments, il se dresse flanqué de tourelles à mâchicoulis et surmonté de hautes lucarnes historiées, de cheminées sculptées, d'ornements décoratifs d'une rare richesse.

Une somptueuse colonnade avec niches et attributs divers encadre les deux portes jumelles et les deux étages de fenêtres jusqu'au faîte. Par la pureté de son style, par la grâce des détails, ce portrait évoque le souvenir d'un des maîtres les plus parfaits de la Renaissance française, de Jean Goujon.

Aux fenêtres du premier étage, sur la façade principale, on peut noter, d'un côté, la salamandre, emblème des armes de François Ier avec la devise : « NUTRISCO ET EXSTINGUO», «Je me nourris du feu et je l'éteins » et, de l'autre, l'hermine d'Anne de Bretagne, avec la devise : « VNG SEUL DÉSIR ».

Cette décoration se retrouve dans plusieurs pièces de l'intérieur; mais l'escalier surtout est merveilleusement riche et élégant. S'il est dépourvu de la majesté qu'offre le double escalier de Chambord, il est plus orné que celui de Chenonceau. Les pilastres et les cintres sont revêtus de sculptures exquises. Un peu partout, on remarque le chiffre et les croissants de Diane de Poitiers. La salle à manger contient une des rares cheminées de la Renaissance qui subsistent en leur état primitif. Le salon et la chambre du roi sont d'un aspect imposant, et par les larges baies on ne peut se lasser d'admirer le décor charmant qui entoure Azay-le Rideau.

Azay-le-Rideau tire son nom d'Hugues-Ridel ou Rideau, un des chevaliers bannerets deTouraine faits sur le champ de bataille de Bouvines par Philippe-Auguste. Hugues, qui vivait au commencement du xine siècle, édifia un donjon destiné sans doute à commander la route de Tours à Chinon. D'ailleurs, Azay passe pour avoir été d'une réelle importance stratégique : une tradition rapporte que, lorsque Jean Sans-Peur se fut rendu maître de Tours en 1417, il y installa une garnison. A la suite d'outrages commis envers le dauphin Charles, qui, se rendant de Tours à ChiVI

ChiVI


L'ART ET LES ARTISTES

non, fut gravement insulté du haut des remparts par les soldats bourguignons, Azay fut assiégé, démantelé et ses défenseurs massacrés. Au xv° siècle, Jacques de Montbrun essaya de le réédifier. Le château actuel doit sa naissance au faste de Gilles Berthelot, secrétaire-conseiller du roi François Ier. Ainsi s'expliquent les ornementations consacrées au roi et à sa belle amie Diane de Poitiers.

François Ier y séjourna, Louis XIII y promena sa royale mélancolie sur les bords de l'Indre et Louis XIV enfant y vécut, habita même la chambre du roi. '

Aujourd'hui, Azay, propriété de l'Etat, serait un cadre parfait pour évoquer dans son intimité l'existence seigneuriale, aux premiers temps de la Renaissance.

EDOUARD ANDRÉ.

Les Théâtres

Vaudeville : la Belle Madame Hébert, de M. Abel Hermant. — Odéon : le Coeur et la Loi, de MM. Paul et Victor Margueritte. — Théâtre Antoine : Vers l'Amour, de M. Léon Gandillot. — Comédie-Française : Don Quichotte, de M. Jean Richepin. — Théâtre Molière : la Concurrente, de M. Jean Roy. — Théâtre Sarah Bernhardt : le Masque d'Amour, de Mme Daniel Lesueur. — Théâtre de l'OEuvre : les Bas-Fonds, de Maxime Gorky.

Les feuilles tombent, les affiches se posent, les rampes s'allument. C'est la rentrée. Il va falloir recommencer le drôle de métier qui consiste à aller regarder, sur des planches, l'image de la vie... de quelle vie ! C'est dommage. On était si bien, parmi les prés et les vendanges. Mais tout a une fin. Il faut rentrer...

sr

La Belle Madame Hébert, on l'a dit, c'est Sapho, mais dans le grand monde, si l'on peut s'exprimer ainsi. C'est la femme fatale, tragique, redoutée, désirée des hommes, telle que la peignait Dumas fils. Son unique: passion : l'argent. C'est une dame entretenue. Mais ces femmes-là, paraît-il, éprouvent parfois de l'amour. Non de l'amour vrai, il s'entend, mais une rage sensuelle, une flambée de désir persistante. Et alors, tant pis pour celui qui est victime de l'accès. La maladie est contagieuse, l'homme, à son tour, deviendra fou. Seulement, la femme guérit, revient à ses rubis, à ses robes. Tandis que nous autres, naïfs, qui sommes, n'est-ce pas, plus profonds, nous ne pouvons nous consoler. Il faut un dénouement sinistre. Il y aurait bien un voyage en Mandchourie, vers les hécatombes. Mais le président Roosevelt coupe fâcheusement cette issue. A défaut du train, l'omnibus. Claude Orcemont se jette . dessous. Chanceux suicide, et bien malpropre ! J'aimerais mieux le poison, il me semble. Mais, au théâtre, on n'a pas le choix.

La pièce est bien faite, nerveuse, acre, désolante

et crispée ; cette frénésie sèche l'anime que, goûtent beaucoup de spectatrices. Le dialogue est spirituel, serré, pincé, éloquent parfois. Il n'y manque, pour le grand succès, qu'une qualité : l'émotion. La fureur des sens n'émeut pas, c'est une chose que nos dramaturges oublient souvent. Ils en pâtissent. Il faudrait qu'à défaut de la tête le coeur au moins fût intéressé. Cette Nicole Hébert est trop basse, décidément, et sans tendresse. Délicieuse Manon Lescaut !... Et quant à l'amant, s'il se tue, nous en sommes presque soulagés. On a envie de s'écrier, comme Andrieux lisant Lamartine: « Hé ! qu'il crève, et n'en parlons plus !... » Du talent, beaucoup. Pas de larmes.

sr

Tout le monde connaît les idées des frères Margueritte sur le divorce. Ils voudraient l'élargir, faire admettre qu'une seule .volonté le provoque. L'union libre sous un autre nom, pour qu'il y ait paternité légale. Et cette prétention, il faut l'avouer, a pour elle au moins la logique. Les Margueritte, jugeant sans doute que la logique est chose trop sèche, ont voulu par surcroît nous toucher. Ils ont fait une pièce en ce sens. L'argument est on ne peut, plus simple. La femme d'un goujat veut être libre. Le goujat s'y refuse, épris de la dot. On plaide deux ans. La femme perd. Elle va être ou ruinée, ou violée, et se voir enlever son enfant. Que faire ? Un honnête homme est là. Il tend sa main. Le monde est grand... Les amants s'évaderont, au mépris des lois, emportant l'enfant. Les blâmerez-vous ? Je m'en garderai, quant à moi. Et le public est de mon avis.

Pièce nette et franche, bien coupée, honnête, c'est une chose étonnante, d'une hardiesse respectable. Trop de discours, trop de tirades. Les auteurs nous sermonnent encore quand nous sommes déjà convaincus, et l'on voit leur inexpérience en ce qu'ils mettent leur thèse à la fin. Elle était démontrée par la pièce ! Mais il y a là, tout de même, outre les beautés littéraires, un sens évident du théâtre, des entrées, des sorties heureuses, un intérêt qui se soutient,

VII


L'ART ET LES ARTISTES

de la fraîcheur et de la jeunesse. Et de l'émotion, oui, de l'émotion. Somme toute, spectacle excellent. Très bien joué par Mme Dux, passionnément raisonneuse, Sergine, exaltée et charmante, Janvier, Darras, Chevalet, Liser. Et il est précédé d'un fort joli acte d'André Rivoire : l'Ami du Ménage, ironique et doucement ému.

.Gros succès au Théâtre Antoine, comme par hasard, bien mérité. Le vaudevilliste Gandillot s'est senti touché de la grâce. Il a voulu faire une belle pièce, vivante et souffrante. Il a réussi. Il a réussi sans rien perdre de ses ressources de métier, et, par •là, d'une idylle touchante, mais monotone, romanesque, il a su faire cinq tableaux qui nous tiennent sans cesse en haleine. Un jeune peintre à bonnes fortunes s'éprend d'une modiste, la quitte, la retrouve mariée, en devient follement amoureux, est quitté par elle, se tue. Encore Sapho ! Oui, parbleu, mais il y a toujours la manière. Celle-ci est délicieuse. Et le cabaret de Montmartre, et l'atelier, et l'étang de Saint-James, sont des décors attendrissants où l'on passe du rire aux larmes, des lèvres au coeur, comme disait le premier .titre — un. meilleur, titre. Et, à chaque tableau, des comparses qui égaient l'attention, la ravivent : le mari, silhouette excellente, une vieille bonne, un Américain, le. gardien du Bois de Boulogne. L'ombre, de Murger flotte là, joliment rajeunie par Willette. L'auteur a trouvé le secret d'extérioriser une histoire qu'on sent réelle, palpitante, d'y garder le frisson de la vie en l'adaptant à notre optique. C'est assez fort, je vous assure. Becque n'a pas fait autrement pour composer la

Parisienne. Vous pensez de quel pittoresque Antoine encadra l'oeuvre exquise ! Et Graud s'est surpassé lui-même dans le rôle atrocement difficile de l'amoureux. Il nous a charmés. M. Claretie, à l'avantscène, avait l'air satisfait et très .fier de son imminent pensionnaire. Il avait tout à fait oublié la fugue de M. Garry. Au Coin d'un Bois, d'Hugues Delorme, est une

A. GISBERT — DON QUICHOTTE CHEZ LES DUCS

amusante pochade, tirée d'un conte d'A.-G. Ibels. et ornée de rimes banvillesques.

Don Quichotte à la Comédie-Française, par Jean Richepin : quelle affiche ! Il faut y aller, évidemment, et l'on ne regrette pas sa soirée. Il y a de l'humour, du pittoresque, de l'imagination, de beaux vers. Au total, on est vaguement déçu. Pourquoi ? C'est assez difficile à dire. Il semble que l'auteur ait trop compté sur la collaboration de Cervantes. Il suppose le livre connu, ce qui est une erreur énorme. Le public ne sait rien, n'a rien lu. Il ne voit qu'une intrigue assez mince et, pour tout dire, un peu falote, parmi laquelle un héros douteux fait des gestes plutôt décousus. Il ne sait s'il faut rire ou pleurer, sauf tout à la fin, où il pleure. Et alors, les bravos d'éclater. Mais c'est un peu tard, tout de même. Leloir est un grime admirable. Les décors sont d'un goût bien fâcheux. $r

■ Je ne puis que vous signaler, en terminant, trois spectacles de très inégale valeur. La Concurrente, de M. Jean Roy, offre la donnée originale d'une femme qui, forcée d'écrire pendant une maladie de son mari, se révèle égale, sinon supérieure à l'écrivain. D'où la discorde. Querelles des sens et de la tête... En somme, pièce intéressante L'expérience scénique manque un peu. EUe viendra.

Le Masque d'Amour, de Mme Lesueur, est une assez étrange histoire, qu'il eût bien mieux valu conter aux lecteurs du Petit Journal. Erreur d'une femme de talent. Il serait cruel d'insister.

Les Bas-Fonds, de Maxime Gorky, oeuvre puissante et épileptique où les ombres sont accumulées, fut décemment montée

par l'OEuvre. C'est un pendant russe aux Tisserands. Il ne suffit pas à prouver que Gorky est un grand dramaturge. Grand écrivain, nous le savions. Je vous conseille de la lire.

GAB. TRARIEUX.

VIII


L'Art dans la Mode

LE TRICORNE

A PRÈS la mer estivale, l'automnal château avec ■**■ son parc mélancolique et ombreux que dorent les premiers froids, qu'environne la forêt peuplée de cerfs. Après les baignades et les pêches, les croisières, après les villes d'eaux et les stations thermales, la chasse, la chasse à courre, le bruissement des feuilles après le grondement des vagues.

Voici le temps de la chasse, des chasses, les moissons sont rentrées; place aux chasseurs. La chasse ! un sport — mieux, un art — plus même, une religion. Diane chasseresse en est la déesse, chaste et belle, cruelle et toujours jeune; et sur son autel, par milliers , chaque année s'immolent les oiseaux et les faunes, plume et poil, de toutes sortes.

La chasse, roi des plaisirs, plaisir des rois, hygiène et distraction à la portée de tous au j ourd' hui moyennant le simple et démocratique permis.

Ainsi que tout corps constitué qui se respecte, le chasseur a son uniforme, tel un soldat; n'en est-il pas un en effet ? Il a son fusil, et parfois son couteau,

couteau, un sabre, plus noble que le vulgaire coupe-choux. Il est harnaché de pied en cap, botté de cuir,"guêtré de peau imperméable, il a son sac et ses cartouches, comme un cosaque, en évidence.

La chasse à courre surtout, chasse noble, princière, réservée à de rares privilégiés, veut son vieux et classique uniforme, sous lequel parfois, n'était la distinction du visage, le maître a bien souvent l'aspect de son piqueur ou de son valet

LOUISE DE FRANCE, EN COSTUME DE CHASSE (D'après une peinture de Nattier au Musée de Versailles.)

de chiens, sous la toque de velours noir, la culotte de peau, blanche et collante, les hautes bottes à l'écuyère, et l'habit sanglé par ses boutons de métal clair.

Elle est surtout la chasse des femmes, on la suit à son gré, de loin, dans les landaus joyeux, par les grandes allées tapissées de mousse — ou de très

près — sur les chevaux fringants que fa meute et les cors excitent ; on y peut crânement montrer sa science de l'équitation et l'élégance de ses formes, la finesse de sa taille et la perfection de son assiette.

Sous le petit tricorne, cavalièrement et fièrement campé sur l'oreille, la jolie femme peut laisser à son gré la bride à ses instincts de chasseresse, à ses besoins de chevauchées et de mouvement.

Elle essaya même de le porter dans les rues, où parfois la chasse se poursuit ; mais là, du moins, la mode fut passagère.

Tel on le portait sous Louis XIV, sous Louis XV, sous Louis XVI, sous tous les Louis, tel on le porte encore

sous Emile Loubet, coquet, baroque, venu on ne sait d'où, tarabiscoté, on ne sait pourquoi, Inventé on ne sait par qui, symbole inexpliqué, mystérieux, avec ses trois cornes, solidement enfoncé sur les têtes folles, si bien que ni le heurt du galop, ni les chocs des branches, ni le vent d'automne, ni le souffle implacable et puissant de la mode et du temps, ne l'ont encore déraciné de son trône où il se trouve, où nous le trouvons si bien.

LILIA ROBERTS.

IX


Le Mois artistique en Belgique

T A saison des expositions, un peu plus longue ■*""* chaque année, est ouverte. Jusqu'en mai vont se succéder les expositions personnelles au Cercle artistique, les expositions de cercles dans les salles du Musée Moderne de Bruxelles.

Depuis quelques années, ces cercles se sont multipliés à Bruxelles. Tous les deux ou trois ans, la génération de jeunes artistes sortant de l'Académie des Beaux-Arts, en fonde un nouveau et les salles du musée affectées aux expositions de ces groupes sont maintenant occupées à peu près toute l'année.

Ces cercles sont nécessaires. En effet, il n'y a guère, à Bruxelles, de marchands de tableaux s'occupant de l'art contemporain. Le salon officiel est triennal. Et la petite salle du cercle artistique ne peut être mise à la disposition d'un artiste que tous les deux ans au plus. Pour qu'un peintre ou un sculpteur puisse montrer ses oeuvres nouvelles au public, il faut donc qu'il fasse partie de l'un des cercles organisant des expositions annuelles. Et c'est ce qui fait que neuf, comptant chacune trente ou quarante exposants, se succèdent en un hiver au Musée Moderne, sans porter préjudice aux salonnets du cercle artistique qui durent dix jours et sont consacrés chacun à un, deux ou trois artistes.

Le plus ancien de ces groupes est aujourd'hui le cercle Pour l'Art, émanation de l'ancien Essor. Il ne compte guère que des artistes de talent mûr, de réputation faite, comme Caermans, Alfred Verhaeren, Victor Rousseau, Emile Fabry, Albert Ciamberlani, René Janssens ; dans ses salons règne une atmosphère d'art calme, souvent hardi, mais pondérés, d'efforts et de réalisations.

Le Sillon groupe des artistes plus tapageurs qui se réunirent il y a une douzaine d'années pour réagir contre un idéalisme qui leur paraissait excessif et point conforme aux aspirations de leur race. Il n'a cessé depuis de recruter des débutants, et ses salons aux manifestations quelquefois outrancières ont révélé, depuis dix ans, des artistes que connaissent les habitués du Champ de Mars : Alfred Bastien, Wagemans, Smeers, Swyncop, Apol, bien d'autres.

Le Labeur, fondé il y a sept ans, groupe des artistes de tendances assez diverses. Il a pour chefs de file Alfred Delaunois, l'étrange peintre des nefs, des cloîtres et des Béguinages, Van Zeverberghen, jeune peintre étonnamment puissant d'intérieurs,

de natures mortes et de figures, Henri Thomas, un heureux évocateur, voluptueux et un peu ironique, de la vie des bars et des cabarets élégants, unRops, peintre curieusement morbide, Oleffe, et puis les Anversois Baescher, Vaes, car, phénomène tout nouveau, les artistes de Bruxelles et d'Anvers, naguère rivaux, séparés par l'irréductible hostilité inévitable entre « l'académisme » de ceux-ci et l'indépendance de ceux-là, se rapprochent aujourd'hui que, à Anvers comme à Bruxelles, les jeunes ont secoué le joug de l'école officielle.

Il y a encore les Indépendants, le Vrye Kunst, l'OEuvre, trois cercles de jeunes où se manifestent des talents naissants ; il y a la société, très ancienne, des aquarellistes dont les expositions réunissent des oeuvres belges, françaises, hollandaises, allemandes ; il y a celle des aquarellistes et pastellistes.

Puis, il y a la Libre Esthétique et la Société des Beaux-Arts. La Libre Esthétique n'est pas à proprement parler, une association d'artistes. C'est un cercle d'amateurs d'art au nom duquel M. Octave . Mans organise chaque année une exposition d'oeuvres belges et étrangères, d'impressionnistes surtout, une exposition consacrée aux - tentatives les plus hardies, aux artistes d'avant-garde, et qui soulève presque toujours de grands débats. •

Quant à la Société des Beaux-Arts dont le rôle est demi-officiel, elle se compose de cinquante membres artistes choisis avec un certain éclectisme, de cinquante membres protecteurs; et de membres associés. Les membres effectifs, parmi lesquels figurent Franz Courtens, Léon Frédéric, Victor Gisoul, Albert Baertsoen, Emile Claùs; -Verhaeren, Verheyden, Delvin, Merelly, Lambeaux, Vinçotte, Lagae, Alice Ronner, exposent de droit ; les membres associés sont invités à toUr de rôle.

Toutes ces expositions, qui se succèdent sans interruption, sont très suivies et rendent aux artistes de réels services.

Mais un projet dont la réalisation est très probable, et dont on parle beaucoup dans les milieux officiels, semble devoir leur enlever le meilleur de leur intérêt. On songe à rendre annuel le salon officiel, aujourd'hui triennal. Bruxelles aurait son salon chaque printemps, comme Paris ; et Anvers, Gand et Liège auraient un salon trienna en automne. Dès lors, la plupart des artistes garderaient pour ce salon de printemps leurs meilleures oeuvres, et les expositions de cercles, moins intéressantes et moins utiles, risqueraient fort de disparaître.

x


L'ART ET LES ARTISTES

Ce serait, dans la vie artistique du pays, une modification profonde.

En attendant, il faut signaler le Salon du Labeur qui vient de s'ouvrir. Si plusieurs des envois sont d'un réalisme un peu trop simpliste, valant par des qualités d'expression littéraire plutôt que par la beauté plastique, il en est par contre de très remarquables, notamment la polyptique de M. Alfred Delaunois, les Champs d'été, d'une éloquence

synthétique, certains morceaux d'une extraordinaire subtilité de couleur, de M. Henri Thomas, d'autres très puissants de M. Van Zevenberghe, les marines de M. Baescher, la Passerelle de M. Merckaert, les pages minutieuses et émouvantes de M. Le Brun, d'ardentes impressions de M. Robinson et de M. Ottmann ; les envois de MM. Thysebaert, Stiévenart, Thévenet, Vanderstraeten, Herbays, Schirren, Marten Melsen, Baudronghien, etc.

G. V. Z.

Echos des Arts

X A question de l'incendie, sans cesse menaçant pour ^"* le Musée du Louvre, par suite de son voisinage avec le ministère des colonies qui, depuis plusieurs années, préoccupe si vivement l'opinion publique, va-t-elle enfin recevoir une solution favorable et si longtemps attendue ? Peut-être.

On s'est mis d'accord, paraît-il, entre l'Etat et la Ville de Paris, pour transférer prochainement le ministère des colonies rue Oudinot, dans l'immeuble municipal naguère occupé par une école 'de frères. Lorsque le déménagement du ministère des colonies sera réellement effectué, on s'occupera de prendre d'autres mesures jugées nécessaires à la sécurité du Louvre. A sa rentrée, la Chambre des députés aura à statuer sur le rapport que M. Gaston Menier, membre de la commission extra-parlementaire de préservation du Musée du Louvre, vient d'adresser à cette commission. Ce rapport, qui demande, outre le déplacement du ministère des colonies, celui, du ministère des finances, ' également logé au Louvre, a formulé les conclusions suivantes :

' Déménagement du ministère des colonies ; 2° compléter les moyens de secours demandés parles sapeurs-pompiers sur les quais du Louvre et des Tuileries ; 30 brancher les bouches d'incendie installées cour du Carrousel sur une conduite de 200 mm. ; 40 remplacer les fermes en bois par des fermes métalliques ; 5° revêtir les charpentes anciennes du vieux Louvre de ciment armé ; '6° remplacer les cloisons en bois par des cloisons en brique creuse ;- 70 sectionner les couloirs par des cloisons en briques de manière à localiser le feu; 8° exiger que les chevalets des copistes soient ignifugés et limiter le délai de leur dépôt ; 9° déplacer les ateliers de réparation et de rentoilage, les isoler des salles de peinture ; io° supprimer toutes les cheminées; ne tolérer que l'éclairage

à l'huile ; 12° déplacer les bureaux des conservateurs et les installer dans un immeuble à proximité du Louvre ; 130 remplacer les calorifères existant par un système de chauffage à la vapeur ayant un foyer générateur à l'extérieur ; 140 enfermer toutes les matières combustibles, chiffons gras, etc., dans des caisses en fer ; 150 défendre au personnel de fumer, même en l'absence du public ; 160 déplacer le ministère des finances, ou, en attendant, l'isoler du Louvre par d'épaisses cloisons en ciment armé, en fer ou en maçonnerie. se

La série des bustes des souverains et chefs d'Etat, que la Manufacture de Sèvres exécute en biscuit, vient de s'augmenter d'une effigie nouvelle, celle du shah de Perse, Mouzaffer-ed-Dine, par le sculpteur Alfred Boucher. &

On annonce qu'une exposition des oeuvres de feu Rodolphe Bresdin, graveur aquafortiste, aura lieu prochainement au musée du Luxembourg. On sait que Bresdin, né en 1822 et mort en 1885, est l'un des héros de la Vie de Bohême, de Murger, et qu'il a fourni à Champfleury le type de ChienCaillou.

sr

L'Exposition de la gravure originale, rétrospective et moderne, qui devait être inaugurée le 25 novembre courant, est remise au printemps de 1906. Elle aura lieu à l'Ecole des Beaux-Arts, dont les salles ont été mises à la disposition du comité, par M. Dujardin-Beaumetz.

Le conseil supérieur de l'enseignement des beaux-arts s'est réuni le 18 octobre à l'Ecole, sous la présidence de M. Dujardin-Beaumetz.

XI


L'ART ET LES ARTISTES

Assistaient à la séance : MM. Léon Bonnat, directeur de l'Ecole des Beaux-Arts ; Roujon, Liard, Valentino, Jean-Paul Laurens, Marqueste, etc. Le sous-secrétaire d'Etat des Beaux-Arts, après avoir exprimé les vifs regrets du conseil supérieur pour la mort des peintres Henner et Bouguereau, membres du conseil, a souhaité la bienvenue à M. Bonnat, qui dirige depuis le 2 octobre l'Ecole nationale des Beaux-Arts. Le conseil supérieur a ensuite examiné quelques questions relatives à l'enseignement des beaux-arts, puis, par votes, a pourvu ensuite au remplacement de M. Bouguereau, comme professeur des cours du soir à l'Ecole. Ont été proposés à la nomination du ministre des beaux-arts : en première ligne, M. Tony Robert-Fleury ; 20 en deuxième ligne, M. Friant. C'est donc M. Tony Robert-Fleury qui succédera à M. Bouguereau.

• Voici quels sont, depuis le Ier octobre, les heures d'ouverture et de fermeture de nos principaux musées : Les musées du Louvre, Luxembourg, de Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Carnavalet, Cernuschi, Palais des Beaux-Arts resteront ouverts de dix à quatre heures ; Cluny, musée de sculpture du Trocadéro, galeries du Muséum, de onze heures à quatre ; musée Victor-Hugo, musée ethnographique du Trocadéro, de midi à quatre heures.

sr

Une délégation de citoyens de la ville de NewYork viendra assister, dans quelques semaines, à l'inauguration du monument aux aéronautes du siège, que l'on élève en ce moment à Neuilly, devant la porte des Ternes. La présence de cette délégation à cette cérémonie s'explique par le fait que Bartholdi, l'auteur du monument, était « citoyen de New-York ». C'est un hommage que la grande ville américaine veut rendre ainsi à la mémoire du célèbre sculpteur, à qui elle doit la grande statue de La Liberté éclairant le monde. Bartholdi avait été, en effet, nommé « citoyen de New-York » par une délibération du Conseil municipal de cette ville, en date du 27 octobre 1886, à la suite de l'installation à New-York de la statue de La Liberté, sr

La Jeunesse de France ait tombeau de Gambetta, en mai 1901, tableau commandé par l'Etat au peintre Guillaumet, a été placé récemment dans la salle d'attente du public au Palais-Bourbon, en pendant à la toile de M. Dagnan-Bouveret, Les Conscrits, que possède depuis quelque temps la Chambre des députés.

sr

On nous informe qu'au lendemain même des

obsèques de M. William Bouguereau, un Comité s'est formé pour élever un monument au dévoué président de l'Association des Artistes peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et dessinateurs qui fut, pendant vingt ans, l'administrateur incomparable de cette belle oeuvre Taylor. sr Le jury du concours d'architecture ouvert par le « Phénix espagnol » entre architectes français et espagnols pour l'édification de l'hôtel de la Compagnie, vient de se réunir à Madrid. Le jury comprenait notamment M. Nénot, de l'Institut ; le sculpteur espagnol Mariano Benliure et l'architecte Luis de Landecho, de l'académie de San-Fernando. La première prime de 8 000 pesetas a été accordée à MM. Jules et Raymond Février, père et fils, pour un très beau projet d'architecture monumentale. M. Jules Février, l'architecte parisien bien connu, est l'auteur du château Gaillard de la place Malesherbes.

sr Un des peintres les plus connus de Russie, M. W.-M. Vasnetzoff, vient d'ouvrir, depuis le Ier octobre, une exposition de ses oeuvres les plus récentes, à la salle Rubens, de l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. sr Le conservateur du Musée de Cluny s'est aperçu qu'un objet de grande valeur venait d'être dérobé parmi les collections dont il a la garde. C'est une statuette en marbre blanc, figure d'applique, sculptée en haut-relief, de l'école française du xive siècle, qui représente une sainte. Celle-ci est debout et couverte d'un voile, un long manteau se drape par-dessus sa robe et se relève sur son bras gauche. La statuette, brisée jadis en deux morceaux, avait été réparée, la tête et le buste d'une part, de l'autre le reste du corps. Ces deux fragments avaient été soudés à la céruse et réunis par un goujon en bois. La description de cette figurine a été transmise a tous les commissaires de police, et des recherches vont être faites chez les antiquaires et marchands d'objets de curiosité, sr Le peintre Hébert, membre de l'Institut, vient d'être victime d'un vol assez mystérieux. Pendant son absence, un dessin de Machard, auquel il tenait beaucoup, a disparu de son atelier. Ce dessin, encadré d'une baguette en or mat, représentait une tête de jeune sainte auréolée. Une plainte a été déposée au parquet et la photographie de l'oeuvre a été adressée à tous les marchands de tableaux. sr M. André Hallais, dans son dernier article : « En flânant » {Débats du 6 octobre), signale la

XII


L'ART ET LES ARTISTES

formation récente dans la ville de Chinon (Indreet-Loire) d'une Société des Amis du vieux Chinon, fondée en vue de sauvegarder les anciens monuments de la vieille cité tourangelle. Cette Société a déjà organisé une exposition, avec catalogue déjà rédigé, « d'histoire locale », estampes, photographies, faïences, sculptures, etc., à l'hôtel de ville de Chinon. C'est d'un bon exemple

Des Débats :

On vient de restaurer, sous la direction de M. Desjardins, architecte de l'Etat, et de mettre en lumière, dans la cathédrale Saint-Jean de Lyon, deux magnifiques toiles de maîtres. L'une représente le mariage mystique de sainte Catherine. La Vierge, assise sur un trône et tenant sur ses genoux le divin enfant, passe l'anneau au doigt de sainte Catherine. Bien que cette oeuvre ne soit pas signée, il semble bien qu'elle est de Rubens, d'après la splendeur du coloris, la manière de distribuer la lumière, la forme des personnages et surtout d'après la figure de sainte Dorothée, en laquelle il est facile de reconnaître le portrait d'Hélène Fourment, la femme de Rubens. Le second tableau est une magnifique page décorative signée de Jean Restout. Elle représente la descente du Saint-Esprit. Dans cette toile, qui ne mesure pas moins de sept mètres de long sur près de cinq de large, on retrouve les procédés et l'ordonnancement des Jouvenet. Ces tableaux faisaient partie de la collection que le cardinal Fesch s'était constituée grâce à son neveu Napoléon, qui lui réservait toujours une part assez large dans son butin artistique.

sr

Par arrêté du ministre de l'instruction publique et-des beaux-arts, en date du 14 octobre courant, les articles 139 et 141 du règlement de la Bibliothèque nationale sont modifiés ainsi qu'il suit : Art. 139. Les galeries et salles d'exposition sont ouvertes au public le lundi et le jeudi, de dix heures à quatre heures. —Art. 141. Le lundi et le jeudi, on ne communique aucun des objets exposés dans les salles où le public est admis.

Un comité vient d'être constitué en vue de célébrer, le 6 juin 1906, le troisième centenaire de la naissance de Pierre Corneille,

Un comité pour l'érection, à Bernwiller, d'un monument destiné à perpétuer la mémoire de Henner, vient de se constituer. Ce comité se compose de MM. Ernest Zuber, C. de Lacroix, Alfred

Favre, H. Juillard-Weiss, Gustave Christ, Aug. Hoensler, Aug. Lauth-Scheurer, Aug. Dollfus, Th. Boch, Alfred Engel, Th. Schlumberger, Georges Spetz, le colonel Blumenstihl, Ad. Seyboth, A. Laugel, le docteur Bûcher, Léon Jourdain, X. Gilardoni, Kubler, A. Waltz, Aimé Gros-Schlumberger, Ernest Blech, Aug. Lalance, Gaston Braun, J. Wencker, Henri Zuber.

M. Léonard Danel, le grand imprimeur et éditeur de Lille, a, par son testament, légué au Musée de Lille, une somme de 15 000 francs qui sera employée par ce musée à l'acquisition d'un tableau à son choix

Au cours des travaux de terrassement effectués pour les fondations du nouvel hôtel des postes à Bologne, on a trouvé un collier en or massif, orné de diamants, et plusieurs objets de grande valeur artistique. On croit que ces objets et le collier ont appartenu à la famille historique, éteinte aujourd'hui, des Pepoli. Ces reliques ont été déposées au musée de'la ville.

sr

Parmi les candidatures au fauteuil du peintre Henner à l'Académie des Beaux-Arts, on signale celle de M. Chartran, qui est fort bien accueillie. A ce sujet, l'Académie vient de fixer ses opérations aux dates suivantes : 7 octobre, déclaration de la vacance du fauteuil; 14 octobre, lecture des leçons des candidats; 21 octobre, rapport de la section de peinture pour le classement des candidats. L'élection aurait lieu ensuite le 28 octobre.

Dans les derniers examens qui ont eu lieu à la section de peinture à l'École des Beaux-Arts en vue de la réouverture des ateliers, vingt-deux femmes sur cent sept élèves ont été admises.

On a installé cette semaine, sur les piédestaux de la porte du pavillon de Marsan, aux Tuileries, qui ouvre sur les nouveaux jardins du Carrousel, deux modèles en plâtre de cerfs, exécutés par Auguste Caïn, pour le château de Chantilly. Ces modèles ont été autrefois donnés par le duc d'Aumale au musée des Arts décoratifs.

On annonce, pour le courant du mois, l'installation au Musée du Louvre de La Pietà, que la Société des Amis du Louvre a acquise, moyennant 100 000 francs, dit-on, de la municipalité de Villeneuve-lez-Avignon. Voir la reproduction de cette

XIII


L'ART ET LES ARTISTES

peinture dans ce numéro. Cette installation donnera lieu à une cérémonie officielle.

Parmi différents objets légués par le baron de Bonnemain au musée de l'Armée se trouve le portrait de son aïeul, le général de Beauharnais, par Couture.

sr

Depuis le 16 octobre, la fermeture de la Bibliothèque nationale a lieu à quatre heures et demie, au lieu de cinq heures et demie, et celle de la Bibliothèque Mazarine, à quatre heures au lieu de cinq. Réouverture de la Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts, fermée depuis le Ier août.

sr

Le musée Carnavalet vient d'être doté d'une commission chargée des achats, sous la haute direction de M. Bonnat, directeur de l'Ecole des Beaux-Arts. Les autres membres de cet aéropage sont : MM. Olivier Sainsère, Victorien Sardou, Feuardent, Georges Villain, Raphaël Brown et Georges Caïn, conservateur du musée.

Les lecteurs de l'Art et les Artistes se souviennent que notre distingué collaborateur, Henri Bouchot, manifesta, dans un de ses articles, le grand désir de voir un comité se constituer en Belgique pour organiser une exposition des oeuvres de Van Eyck.

Nous apprenons à l'instant que ce souhait sera réalisé. Au printemps prochain, on verra sans doute accourir de toutes parts, à Gand, où les chefs-d'oeuvre de Van Eyck seront réunis, les innombrables admirateurs du grand primitif flamand.

sr

M. Carnegie a résolu d'affecter 15 000 dollars à la récompense des cinq meilleurs projets qui seront envoyés pour le concours du Palais de la Paix. Les détails du programme seront publiés prochainement.

sr

Notre collaborateur, M. Paul Steck, vient d'être nommé par arrêté ministériel, inspecteur des musées et de l'enseignement artistique pour les départements du Nord.

sr

Notes pour les philatélistes :

Pour mettre son système postal en concordance avec sa situation nouvelle de protecteur de l'Empire de Corée, le Japon va émettre de nouveaux timbres. Sur les vignettes figureront le chrysanthème, emblème du pays du Soleil Levant, une fleur de prunier, emblème du Matin

Calme, et enfin'deux colombes, symbole des services postaux.

— A l'occasion de la prochaine célébration des jeux olympiques, le gouvernement grec a résolu d'émettre des timbres spéciaux dont il a confié la composition à un artiste français.

Les sujets des timbres-poste hellènes actuellement sous presse à Paris sont empruntés à la mythologie païenne. Ils reproduisent des vignettes provenant soit d'anciennes palestres, soit de vieilles céramiques, ou bien d'échantillons rares de numismatique. Les timbres de un et deux lepts, par exemple, qui représentent Apollon dans l'attitude du lancement du disque, sont la reproduction d'une monnaie de quatre drachmes en argent, de l'île de Céos, qui avait cours 509 ans avant l'ère chrétienne.

sr

La Société valenciennoise des arts a ouvert au commencement d'octobre, dans les salles de l'hôtel de ville, une de ses expositions périodiques toujours organisées avec beaucoup de soin et toujours intéressantes. Celle-ci est, en -outre, assez nombreuse.

L'Etat lui a prêté : Les vieux pilotes, du peintre Boyer ; Après-midi d'octobre, de M. Auguste Desch, et un paysage de M. Paul Sébilleau, Matinée mouillée d'octobre à la Brède (Gironde).

sr

Une exposition centennale de l'art allemand.

Voici une nouvelle qui nous parvient au moment où nous mettons sous presse et qui est d'un intérêt d'art considérable. Un comité, sous la présidence du Dr Tchudi, directeur de la galerie nationale de Berlin, s'est constitué, pour organiser dans cette même galerie nationale, une exposition centennale de l'art allemand de 1775 à 1873. Nous aurons bientôt l'occasion de parler, avec tous les détails nécessaires, de cette importante manifestation d'art.

sr

Au Musée du Louvre.

Après la réforme du Conservatoire, celle du Louvre. M. Dujardin-Beaumetz s'en occupe avec beaucoup d'activité, et il est probable qu'un décret de réorganisation de notre grand musée national paraîtra prochainement.

M. Dujardin-Beaumetz a visité le 19 octobre le Louvre, de la base au faîte. Il a décidé en principe le dégagement des étages supérieurs et des fameux greniers qui renferment des oeuvres dignes d'être exposées, soit au Louvre, soit dans ses annexes, tels que Maisons-Laffitte et Azay-leRideau.

Le musée de la marine va abandonner le Louvre

xiv


L'ART ET LES ARTISTES

pour les Invalides. La collection Tomy-Thierry descendra au bel étage, tandis que la collection Grandidier occupera les locaux actuels des conservateurs. On sortira des cartons une partie des trente mille dessins qui s'y dissimulent et, quand les Colonies auront déménagé, l'Ecole française pourra s'y étaler à l'aise. On installera même des ascenseurs.

Enfin, M. Dujardin-Beaumetz entend procéder sans délai à la refonte des décrets organiques qui régissent le Louvre. Ces réformes importantes seront réalisées pour le plus grand profit de nos collections nationales, suivant un programme dont les lignes essentielles sont déjà arrêtées dans l'esprit de M. Dujardin-Beaumetz, d'accord avec M. Homolle, directeur des musées nationaux.

La villa Falconieri, à Rome, vient, dit-on, d'être achetée par un banquier allemand pour le compte de l'empereur Guillaume, qui aurait décidé de faire le siège de l'Académie des beauxarts allemands à Rome.

sr

L'Etat est définitivement entré en possession du musée d'Ennery, tous procès avec les héritiers étant définitivement terminés. Il. ne reste plus qu'à remplir quelques formalités telles que la constitution d'une rente de 16 ooo francs à prendre sur la succession d'Ennery, la vente du mobilier de l'hôtel de l'avenue du Bois-de-Boulogne, vente dont le produit s'ajoutera à cette vente pour les frais d'entretien et de gardiennage du musée, et enfin l'organisation du musée lui-même. Ce sera là une affaire de quelques mois, et l'on espère pouvoir, dès le printemps prochain, ouvrir ce nouveau musée au public.

sr

Les salles de l'Ecole des Beaux-Arts s'ouvriront dans le courant de novembre pour l'exposition des plus intéressantes des écoles provinciales des Beaux-Arts et des arts appliqués à l'industrie.

Manifestation artistique pleine de précieux enseignements pour les jeunes artistes et qui est due à l'initiative de M. le Sous-Secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts.

Elle sera organisée par le bureau d'enseignement de la rue de Valois, service dirigé avec une si active surveillance par M. Valentin.

C'est dans le courant de cet hiver qu'aura lieu la troisième exposition de l'Association des Boursiers de voyage.

Nous parlerons en temps et lieux, avec tous

les détails nécessaires, de cette importante manifestation d'art.

sr

La première exposition annuelle de la Société d'art décoratif est ouverte depuis le 15 octobre, à la galerie Georges Petit, 8, rue de Sèze. sr

Voici par ordre alphabétique la liste des candidats au siège d'Henner à l'Académie des BeauxArts.

MM. Besnard, Chartran, Raphaël Collin, Harpignies, Gabriel Ferrier, Gervex, Tony RobertFleury, Flameng, Friant, Lecomte du Nouy, Lhermitte, Renaud, Albert Maignan, Toudouze, Wenker, presque autant de candidats que pour la succession de M. Loubet. Voilà de beaux ballottages en perspective.

sr

Un comité vient de se constituer à Saint-Brieuc pour élever un monument à Villiers de l'Isle-Adam. Nous relevons parmi les noms des membres de ce comité ceux de M. Henri Servain, maire de la ville natale de l'illustre écrivain, de M. Catulle Mendès, Armand Dayot, Anatole Le Braz... sr

Expositions de l'année iyoj-06 aux Galeries

Georges Petit. Gravures en couleurs, du 2 au 15 novembre (Grande Galerie).

Mllc Marcotte, du 6 au 15 novembre (Petite Galerie).

— Aquarellistes internationaux, du 16 au 3o novembre (Grande Galerie).

— Exposition Bruel, du 16 au 30 novembre (Petite Galerie).

— Exposition et Vente Cronier, 1, 2, 3, 4 et 5 décembre.

— Internationale, du 6 au 31 décembre (Grande Galerie).

— Marcel Coignet, du ier au 15 décembre (Petite Galerie).

— Chaplet, du 16 au 3i décembre (Petite Galerie).

— Femmes Artistes, du 2 au 20 janvier (Grande Galerie).

— Von Vélie, du 2 au 15 janvier (Petite Galerie).

■— G. Dubufe, du 16 au 3i janvier (Petite Galerie).

■— Miniaturistes, du 21 janvier au 2 février (Grande Galerie).

— Arts Réunis, du 3 au 16 février (Grande Galerie).

Mme Duhem, du Ier au 15 février (Petite Galerie).

xv


L'ART ET LES ARTISTES

— Paol, du 16 au 28 février (Petite Galerie).

— Aquarellistes, du 17 février au 10 mars (Grande Galerie).

— Le Petit Salon, du 11 au 31 mars (Grande Galerie et Petite Galerie).

— Aug. Rey, du Ier au 10 mars (Petite Galerie).

— Pastellistes,du Ier au 20 avril (Grande Galerie). —LeGout-Gérard,du3 au 15 avril (PetiteGalerie).

— Emile Laf ont, du 16 au3oavril (PetiteGalerie).

— Montenard, du Ier au 15 mai (Petite Galerie).

— Rusinol et Violet, du Ier au ^-15 juin (Petite

Galerie).

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NÉCROLOGIE

Nous avons appris avec le plus vif regret la mort de M. Maurice Ephrussi, qui dirigeait avec un goût si sûr la Gazette des Beaux-Arts.

Cette mort a causé une douloureuse impression dans tout le monde des arts, où M. Ephrussi ne comptait que des sympathies.

Le peintre Florent Willems, commandeur de la Légion d'honneur, est mort à. Neuilly. Il avait quatre-vingt-trois ans et vivait, depuis vingt ans, à l'écart des Salons et des expositions, où il eut jadis de si retentissants triomphes.

C'est lui qui, en deux ans d'un travail très délicat, restaura le Saint Jean-Baptiste de Raphaël, qui est au Louvre.

Célèbre à vingt ans, ses tableaux, pour la plupart inspirés par l'époque Louis XIII, figurent dans les musées flamands.

Le plus célèbre des disciples de Florent Willems est Alfred Stevens.

Échos de la Mode

T . 'AMPLEUR, la longueur et surtout l'abondance ^~* de fanfreluches sur nos jupes obligent à les soutenir ferme si l'on ne veut pas marcher avec une grâce de pigeons pattus et cette nécessité a poussé certains couturiers à prononcer le mot : crinoline! N'y eût-il-pas contre ce projet baroque les exigences d'esthétique et d'élégance^ actuelles qu'il suffirait du Métro pour tuer l'idée dans l'oeuf, car combien tiendrait-il de crinolines dans un compartiment et comment s'y logeraient-elles ?...

Dans le même esprit de retour en arrière, on nous vante la coiffure basse chère à l'impératrice Eugénie qui faisait ainsi valoir sa lumineuse chevelure, son admirable profil et la célèbre ligne de son cou que les statues de l'Opéra conserveront à la postérité. En grand décolleté, telle que nous la représentent les tableaux de l'époque, ce flou des cheveux mollement noués sur la nuque et laissant glisser d'onduleux frisons sur la nacre des épaules était vraiment ravissant, mais en toilette de ville il y a beaucoup à dire.

En effet, les cheveux tracent leur sillon sur l'étoffe, la lustrent, la graissent si-bien que la plus fraîche robe a l'air négligé au bout de huit jours. Je sais bien que cet argument ne. prévaudra pas contre la mode et que si elle veut de nouveau les cheveux tombant au milieu du dos il faudra-nous y résigner.

Même je conseille de faire contre mauvaise fortune bon coeur en soignant si bien nos cheveux

que, l'heure venue, ils aient l'abondance, la souplesse et l'éclat nécessaires dans les torsades lâches et les nombreuses frisures du chignon en question. La chose sera commode avec l'Extrait Capillaire des Bénédictins du Mont-Majella, dont toutes les mondaines connaissent l'action sur le système pileux qu'il fortifie et débarrasse des pellicules, favorisant aussi la pousse des cheveux et en retardant la décoloration.

Comme tous les produits supérieurs, l'Extrait Capillaire est beaucoup imité. Il est donc bon, pour éviter les contrefaçons, dé le demander à M. Senet. administrateur, 35, rue de 4-Septembre. Il vaut 6 francs le flacon et 6 fr.:85 franco.

Cette coiffure basse entraîne l'agrandissement des chapeaux, mais, Dieu merci ! il n'a pas encore été question de bavolet. Bien, au contraire, le chignon est encadré par des noeuds délicieusement chiffonnés ou par des touffes de fleurs groupées par des doigts d'ouvrières parisiennes, c'est tout dire.

Mme SANS-GÊNE.

Veuve de 30 ans. —Madame, le désespoir a des bornes et personne ne s'étonnera que vous fassiez, disparaître les traces de vos larmes sur votre visage Vous y réussirez avec la véritable Eau de Ninon, sans rivale pour rafraîchir le teint et atténuer les petites rides. C'est une spécialité de la parfumerie Ninon, 31, rue du 4-Septembre. Prix 6 francs et 6 fr. 50 franco. Mme S. G.

XVI


Bibliographie

LIVRES D'ART

L'OEuvre de Corot, par Alfred ROBAUT, et l'Histoire de Corot et de ses OEuvres, par Etienne MOREAU-NÉLATON.

— H. FLOURY, éditeur, i, Boulevard des Capucines.

M. Etienne Moreau-Nélaton n'est pas seulement un peintre de talent, mais aussi un écrivain d'art très subtil et fort bien renseigné. Son Histoire de Corot et de ses OEuvres qui vient de paraître est un véritable monument élevé, et avec quel soin pieux et avec quelle religieuse sincérité, à la gloire du maître immortel de Ville-d'Avray.

L'OBuvre de Corot est divisée en 4 volumes comprenant chacun 350 pages grand in-40 jésus.

I. — Etude biographique ornée d'environ deux cents héliotypies dans le texte et d'une cinquantaine de hors texte, d'après les dessins et croquis originaux de Corot. •

II et III. — Catalogue illustré comprenant la reproduction en héliotypie de toutes les oeuvres citées, au nombre de plus de deux mille cinq cents.

IV. — Suite du catalogue (Dessins et Estampes). — Iconographie. — Catalogue de la vente posthume de Corot, accompagné de vignettes marginales explicatives de tous les numéros. — Catalogue des expositions diverses de son oeuvre. — Bibliographie. — Etudes critiques.

— Tables.

La simple exposition du sommaire suffit à indiquer la valeur extérieure de l'oeuvre dont la luxueuse et si artistique présentation fait le plus grand honneur au goût artistique de M. Moreau-Nélaton et de son éditeur, M. H. Floury.

Les plans de cette monumentale publication furent dressés par le regretté M. Alfred Robaut. Il en commença même l'exécution, mais l'achèvement en est dû à M. Moreau-Nélaton qui, avec une excesCOROT

excesCOROT DU LAC D'ALBANO

XVII

COROT — L'ATELIER

sive modestie, nous confesse dans un avant-propos que « devenu le collaborateur de la dernière heure, de l'histoire de Corot et de Delanois, il exécuta fidèlement le plan de l'auteur en subvenant de bonne volonté à sa compétence. »

Mais là où la collaboration cesse et où l'oeuvre personnelle de l'écrivain apparaît nettement détachée de toute influence, c'est dans l'Histoire de Corot, qui constitue à elle seule le premier tome de la grande série, mais que l'éditeur a eu l'heureuse idée de présenter au public sous la forme d'un ouvrage unique, aux modestes proportions et dont une illustration très compacte et très méthodiquement ordonnée, illumine pour ainsi dire le texte très savant, très précis, et d'une documentation des plus intéressantes.

t Ces deux clichés ont été empruntés à l'ouvrage de AI. Morcan-Nêlaton


L'ART ET LES ARTISTES

État général des tapisseries de la manufacture des Gobelins, depuis son origine jusqu'à nos jours, par Maurice FENAILLE. — HACHETTE, éditeur.

Bornons-nous aujourd'hui à signaler l'apparition très prochaine du troisième et dernier volume de ce magnifique ouvrage, le plus beau assurément et le plus complet qu'ait inspiré jusqu'à ce jour l'art de la Tapisserie.

Dans un de ses prochains numéros l'Art ei les Artistes consacrera un article spécial à la manufacture des Gobelins et à l'oeuvre définitive de son très savant historien.

Constable, par LéonBALZAGETTE.—H.FLOURY, éditeur.

Le Constable de M. Balzagette apparaît comme la suite naturelle des belles monographies artistiques qui se publient chaque année sur les grands maîtres de l'Ecole anglaise. Cet ouvrage, très étudié, est né presqu'en entier des souvenirs de C.-P. Leslie, dont M. Balzagette est le savant et très clairvoyant glossateur. C'est assez dire combien en est vivante et précieuse la documentation.

Le livre de M. Balzagette est orné d'une précieuse eauforte de Loys Delteil et de culs-de lampe de- M. Cl. Barcard.

Les grandes formes de musique (OEuvre de Camille Saint-Saëns), par Emile BAUMANN. — Société d'éditions littéraires et artistiques, 50, Chaussée-d'Antin.

DIVERS

De Tartuffe à ces Messieurs, par Gustave KAHN. — SAN SOT, éditeur, 53, rue Saint-Andrédes-Arts.

La Russie libre, de M. Georges BOURDON. — Eugène FASQUELLE, éditeur, 12, rue de Grenelle.

L'Abraccio (esquisses de femmes), par Georges SERVINÈS. — (Albert FONTEMOING, éditeur, 4, rue Le Goff).

La Révélation (roman), par Gustave VANZYPE.

— Paul LACOMBLEZ, éditeur, 3i, rue des Paroissiens. Bruxelles.

Journal de captivité de la Duchesse de Berry a-Blaye (1832-1833), publié par Georges PRICE, préface de Louis D'HURCOURT. — EMILEPAUL, éditeur, 100, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

'Recueil des Discours politiques et des 3\(otes de voyages de Georges *Périn, préface de Georges CLEMENCEAU. — Société nouvelle de Librairie et d'Éditions, ty, rue Cujas.

Les Veillées d'Auvergne, par JeanAjALBERT.

— Librairie Universelle.

Athènes et la Comédie-Française (Souvenir d'une mission en Grèce), par Jules TRUFFIER, sociétaire de la Comédie-Française. — P.-V. STOCK, éditeur, 155, rue Saint-Honoré.

Quelques Idées, par Paul et Victor MARGUERITTE.— PLON-NOURRIT, éditeurs, 8, rue Garancière.

La Vie et les Prophéties du comte de Gobineau, par Robert DREYFUS. — CALMANN LÈVY, éditeurs, 8, rue Auber.

ReVues d'Art & Journaux artistiques

L'Art Moderne, Bruxelles.

L'Art Flamand et Hollandais, Anvers.

Modem Kunst, Berlin.

La Forma, Barcelone.

La Chronique, Bruxelles.

Durandal, Bruxelles.

Simplicissimus, Munich.

The Magazine of Arts, Londres.

Saturday Review, Londres.

Deutsche Kunst uni Dekoration, Darmstadt.

Modem Bauformen, Stuttgart.

La Revue de l'Art Ancien et Moderne, Paris.

La Décoration Ancienne et Moderne, Paris.

L'Art pour Tous, Paris.

Le Journal des Arts, Paris.

La Gazette de l'hôtel Drouot, Paris.

La Vie illustrée, Paris.

Femina, Paris.

Je Sais Tout, Paris.

Le Mercure de France, Paris.

Le Mois, Paris.

La Revue Biblio-Iconographique, Paris.

La Vie Parisienne, Paris.

Le Journal Amusant, Paris.

XVIII


Numéro 9 — Décembre 1905

Supplément illustré

de l'Art et les Artistes

N. B. — Tout ce qui concerne les Abonnements, la Publicité, etc., doit titre exclusivement adressé à M. /'Administrateur de L'ART ET LES ARTISTES, 173, boulevard Saint-Germain.

ABONNEMENT ANNUEL : Un an, 16 fr. pour la France, 2.0 fr. pour l'Étranger.

Les Habitations ouvrières

LE CONCOURS DE LA FONDATION ROTHSCHILD

T A Fondation Rothschild, pour ~* l'amélioration des conditions de l'existence matérielle des travailleurs, a mis au concours, au mois de février de l'année courante, un projet de construction de maisons à usage de petits logements salubres et économiques.

Ce concours, à deux degrés, est maintenant terminé et a motivé, lors du jugement définitif, l'attribution des sept primes suivantes aux projets retenus par le jury :

i'° prime (10.000 fr.), à M. AdolpheAugustin Rey, architecte à Paris;

2° prime (g.000 fr.), à M. Henry Provensal, architecte à Paris ;

3e prime (7.000 fr.), M.WilfridBertin;

4° prime (6.000 fr. ), MM. André Ventre et L. Besnard ;

50sprimes ex oequo (4.000 fr.),MM.Gustave Majou; Eichmuller; Gaston Le Roy.

Il était intéressant à plusieurs titres de marquer dans ce journal le concours

1. La Fondation Rothschild, pour l'amélioration des conditions de l'existence matérielle des travailleurs, a pour objet l'étude et la réalisation, en dehors de toutes tendances politiques ou religieuses, des moyens propres à améliorer les conditions de l'existence matérielle des travailleurs en France et plus particulièrement à Paris (Art. Ier des statuts).

PLAN GÉNÉRAL (PROJET PROVENSAL)


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PLAN GÉNÉRAL (PROJET A.-A. REY)


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ENSEMBLE DES FAÇADES (PROJET A.-A. REY)


L'ART ET LES ARTISTES

FAÇADE DES MAISONS (PROJET H. PROVENSAL)

Rothschild : il a été l'occasion d'un effort précieux et important dans le sens du perfectionnement des conditions d'hygiène, de confort et de bon marché des habitations pour la classe ouvrière ; d'autre part, ce résultat a été obtenu sans abandonner l'intérêt de l'aspect extérieur. Il importe de manifester l'importance de cet acte de philantropie éclairée ; en même temps qu'elle soulage d'immédiates misères elle trouve un puissant agent de perfectionnement social et moral ; pourvus par la bonté des fondateurs des moyens matériels d'action, ces sociologues pratiques, J. Siegfried, G. Picot, Cheyssdn et d'autres, peuvent ne point cantonner dans le domaine spéculatif leurs rêves de progrès ; et si dans les constructions élevées sous leur contrôle les conditions d'hygiène conduisent à un meilleur état physique des habitants, il y a fort à penser que par surcroît leur oeuvre sera de santé morale.

Les deux projets reproduits ici sont ceux de M. A. Rey (ire prime) et de M. H. Provensal (2e prime).

L'inspection des plans montrera quel problème délicat se posait dans l'utilisation de ce vaste terrain (il a 5.630 mètres de surface et se trouve situé sur l'ancien emplacement de l'hôpital Trousseau, faubourg Saint-Antoine).

Il a été fort justement réservé dans cette sur. face une portion laissée en cours ou squares assurant aux locataires une quantité d'air et de lumière suffisante ; en même temps, grâce à certains arrangements, on y trouve des espaces réservés aux jeux des enfants, séchage du linge, etc.

L'étude détaillée de chacun des projets reproduits vaudrait à elle seule un long article et sortirait de notre cadre.

Aussi bien nos lecteurs liront eux-mêmes sur ces planches ce qu'il y faut voir et ils se rendront compte en particulier de la satisfaction donnée à une des clauses du programme visant cet écueil redoutable aux habitations ouvrières de grande étendue, l'uniformité, la monotonie. « Il est recommandé, disait la fondation, de veiller à ce que l'ensemble des constructions ne puisse en aucune façon évoquer l'idée de la cité ouvrière, de la caserne ou de l'hospice ; on évitera les couloirs communs et un accès direct sur des paliers largement ' éclairés sera assuré à chaque logement d'un même étage. »

Les concurrents primés y ont pourvu d'une manière absolue. Ils ont de même assuré pratiquement l'installation demandée de services généraux, chauffage, installation de force motrice, buanderie, séchoirs, bains, etc.

Nous donnons de plus un détail du plan de chaque logement type montrant avec quelle ingéniosité et quel sens pratiques la distribution en est faite en ménageant les meilleures conditions d'hygiène et d'agrément dans l'habitation.

Enfin, M. A. Rey a bien voulu nous permettre la reproduction du croquis perspectif montrant le genre de construction qu'il désirerait adopter pour les façades, construites en agglomérés ; elles tirent uniquement leur très grand intérêt du mouvement des saillies et du jeu des pleins et des vides ; la prévision de séchoirs à l'étage des combles a permis l'étude d'un couronnement original et charmant. Badigeonnées à des intervalles rapprochés ces façades claires et propres, égayées par des sgraffitti, éveilleraient l'idée d'une habitation heureuse et simple.

Nous devons en terminant remercier MM. Rey et Provensal de la communication qu'ils nous ont faite de leurs remarquables études.

G.-J. MAUGUE.

iv


Le Mois archéologique

LE BERNIN EN FRANCE. LE PROJET DU LOUVRE ET LES STATUES

DE LOUIS XIV

TLa paru, dans le tome XXXI des Mémoires de la *"■ Société de l'Histoire de Paris, une étude fort intéressante de M. Léon Mirot sur « LeBernin en France, les travaux du Louvre et les statues de Louis XIV». Elle éclaire singulièrement les rapports de l'art italien et de l'art français au xvir 9 siècle. En janvier 1664, Colbert est nommé surintendant des bâtiments : il veut donner un regain d'activité aux travaux du Louvre, qui lui semblent faire diversion aux entreprises folles de Versailles. On demande un projet à l'architecte Le Vau, et, devant l'insuccès de ce dessin, on s'adresse au Bernin, par l'intermédiaire du duc d'Estrées, ambassadeur de France à Rome, de l'abbé Benedetti, agent de Mazarin et Colbert, du Poussin. En même temps qu'au Bernin, on fait appel à Pierre de Cortone, à Rainaldi, à Candiani.

Le cavalier Bernin, né en 1598 à Naples, était alors le chef de l'école italienne, le décorateur de la Rome du xvne siècle. Tous les papes l'avaient favorisé. En 1639, Charles Ier lui demandait son buste; en 1641, il exécutait celui de Richelieu. En 1645, Mazarin essayait de le faire venir en France. Les rapports étaient fréquents entre la France et l'Italie, favorisés par Benedetti, l'agent de Mazarin, de Lionne et de Colbert ; par l'abbé François Butti, sorte d'agent secret politique ; ' par le cardinal Barberini ; par Vigarani, représentant du duc de Modiène à Paris après l'avoir été à Rome ; par le cardinal Chigi. En 1661, Le Bernin avait dessiné les machines de la fête de naissance du Dauphin ; en 1662, il déclinait une nouvelle invitation de la cour de France, occupé qu'il était depuis 1656, à la colonnade, et depuis peu, à là. chaire de Saint-Pierre. S'agit-il alors de Versailles ou du Louvre ?

En tout cas, en février 1664, le roi s'installe aux Tuileries pour donner toute facilité aux travaux. Colbert écrit au Bernin, et aux trois autres architectes italiens déjà cités, pour leur demander : leur sentiment sur les plans de Le Vau ; 20 quelques indications personnelles. Le duc de Créquy, ambassadeur de France, devait stimuler le zèle des artistes en leur distribuant au fur et à mesure le contenu de quatre cassettes. En juin, Le Bernin avait terminé ses dessins ; en juillet, Landiani et

Rainaldi livraient les leurs ; en septembre, Pierre de Cortone, retardé par la maladie, préférait envoyer son projet directement en France.

LE Ier PLAN DU BERNIN.

Le dessin du Bernin, parvenu en France le 25 juillet, avait reçu l'approbation d'Hugues de Lionne, et, en septembre, celle de Colbert. Il consistait à « entourer la cour intérieure du Louvre de galeries, masquant ainsi toute la décoration de Lescot, et, dans les angles du palais, faire des cours intérieures destinées à éclairer les appartements ».

Le cavalier Bernin semblait n'avoir songé qu'à faire une façade magnifique. Aussi bien, le 31 octobre, Colbert déclinait ce plan. Le Bernin, furieux d'avoir été sollicité en même temps que d'autres artistes, ne se calmait que sur la commande d'un nouveau dessin.

LE 2e PLAN DU BERNIN. NÉGOCIATIONS RELATIVES AU VOYAGE .

En janvier 1665, Le Bernin achevait "son deuxième plan. Le cavalier maintenait les doubles loggie de la cour intérieure, et, comme il jugeait la forme carrée nuisible à la perspective, il portait la longueur ouest-est de la cour, de I23m, 49 à 143111,91, réduisant la profondeur de la place Saint-Germain de Ô4m,3i à 9m,8o, et détruisait, par la même occasion, la symétrie des pavillons médiaux des ailes latérales ; il élevait les murs, élargissait les cours destinées à éclairer les petits escaliers.

Louis XIV trouva beau le dessin de la façade ; fut partisan du projet; mais Colbert reprocha la petitesse des escaliers, l'obscurité des appartements éclairés par les loggie, et parla de deux millions pour la dépense totale : à quoi l'envoyé répondit que la colonnade de Saint-Pierre avait à elle seule coûté cinq millions. Colbert fit rédiger un mémoire, dans lequel on énumérait les griefs déjà indiqués. En tout cas, la présence du Bernin à Paris était indispensable pour discuter utilement son projet. Louis XI Vlui écrivit, ainsi qu'au pape Alexandre VII, qui le 23 avril, autorisait Le Bernin à quitter Rome pour trois mois- et à servir le roi de France. On lui remettait 10 000 écus ; on le défrayait complètement lui et sa maison.


L'ART ET LES ARTISTES

VOYAGE ET ARRIVEE A PARIS.

Le 29 avril 1665, Le Bernin se mettait en route, accompagné de son fils Paolo, âgé de 18 ans, de ses élèves Rossi et Cartari, d'un maître d'hôtel et de familiers. Il avait 67 ans. A Sienne, à Florence, à Bologne, à Milan, à Turin, à Chambéry, partout il fut reçu avec les plus grands égards. A Pont-deBeauvoisin, il gagnait le territoire français, et là, commençait un ' voyage triomphal à travers Lyon, Roanne, Briare, Châtillon-sur-Loire, Montargis, Fontainebleau, où on l'accueillit comme un prince du sang ou un ambassadeur extraordinaire. On avait attaché à sa personne le seigneur de Chantelou, que son parent Sublet des Noyers, surintendant des bâtiments, avait fchargé à plusieurs reprises de missions artistiques^ Rome, et qui par son goût éclairé, son tact, sa connaissance de l'italien, allait devenir l'ami dévoué du Bernin. Le journal de Chantelou est très précieux pour l'histoire du séjour du Bernin en France ; mais, M. Léon Mirot s'est appuyé principalement sur des documents inédits et inconnus jusqu'alors des historiographes du Louvre, sur les lettres que l'élève de l'artiste, Mathias de Rossi, écrivit de Paris à Rome (B. N. ms. ital. 2083).

La cour étant à Saint-Germain, Chantelou reçut l'artiste, et l'installa à l'hôtel de Frontenac, décoré spécialement de tapisseries et de meubles superbes. Colbert arriva ensuite, pour conduire Le Bernin à la cour.

LA VISITE A SAINT-GERMAIN.

A ce moment, la France était dans tout son éclat ; elle venait de signer la paix glorieuse des Pyrénées ; le mouvement intellectuel, la passion des grands collectionneurs, l'amour des grandes constructions l'enrichissaient de trésors artistiques. Les grandes collections comme celles de Sublet des Noyers, de Mazarin, de Chantelou, de Jabach, du duc de Richelieu, reflétaient un goût presque exclusif pour l'art italien. Toutefois, un parti se précisait hostile à l'artiste ultramontain, et comprenant Le Vau, Perrault, le maréchal de Grammont et Le Brun. Quant au cavalier lui-même, il se présentait sous un jour favorable : petit, bien proportionné, un visage d'aigle, une mémoire précise, un jugement sain, une imagination vive, une conversation facile et alimentée surtout d'anecdotes sur les peintres italiens de la grande époque. A Saint-Germain, il fut reçu avec admiration par le roi et sa cour. Mais dès la première entrevue, il déplut à quelques-uns par sa faconde ; comme il parlait de ses projets, il se tourna vers l'entourage royal, et prononça cette parole d'un goût douteux : « Qu'on ne me parle de rien qui soit petit». .-•;■'

Dès le début, il se mit au travail avec ardeur ; dans son particulier, il se rendait chaque jour à l'église, visitait les monuments parisiens en compagnie de Chantelou, et le soir, réunissait ses amis italiens en conversations animées. Il s'accoutumait rapidement aux vins français, et chargeait un des siens, Scarlatti, de monter une faction rigoureuse à l'entrée de ses cuisines. Dès le 20 juin, il allait à Saint-Germain communiquer ses nouveaux plans ; le roi lui dit : « J'avais une grande idée de votre talent ; vous l'avez encore dépassée ». Il lui commanda son buste, pour lequel Le Bernin demanda 20 séances de 2 heures, afin de le terminer avant octobre.

LA VIE DU BERNIN A PARIS ET L'OPINION PUBLIQUE. LE PROJET DU LOUVRE.

Sur le plan du 20 juin, l'artiste avait conçu pour l'entrée une allégorie : « un écueil servait de base à l'édifice ; au-dessus, sur les côtés de la porte principale, deux statues d'Hercule semblaient garder le monument ; Rossi explique qu'Hercule représente le courage, le rocher, l'effort ; quiconque désire arriver à cette royale demeure doit passer par le courage et l'effort. Au-dessus du rocher, un ordre en bossage; puis huit colonnes corinthiennes, au pavillon saillant du milieu ; les deux bâtiments rentrants rejoignant les pavillons d'angle sont ornés de pilastres. Le tout est surmonté d'une corniche avec balustrade et statues ».

Le Bernin prêtait aux critiques par son attitude. Grisé par les honneurs, il n'avait d'éloges, dans ses visites à travers Paris, que pour les oeuvres italiennes, trouvait le dôme du Val-de-Grâce trop petit, etc. Anne d'Autriche lui commandait, pour cette église, un autel dont il exécutait une esquisse. Le 5 juillet, Rossi terminait le dessin de la façade tournée vers les Tuileries. Colbert s'en déclarait satisfait. Le roi faisait promettre au cavalier de s'occuper, dès son retour à Rome, des jeunes sculpteurs français ; enfin,l'artistes'attaquait au marbre, pour l'exécution du buste royal. Le 12 juillet, on communiquait à Saint-Germain le dessin de l'intérieur de la cour du Louvre, avec des modifications de la façade tournée vers la rivière, pour l'adapter à la façade principale. Le 15 juillet, Colbert venait demander à l'artiste un garde-meuble, en réalité pour ménager la place Saint-Germain-l'Auxerrois ; Le Bernin proposait alors une rue entre l'église et le palais, deux côtés de la place en portion de cercle, sur le modèle de la place Saint-Pierre ; les logis circulaires seraient utilisés par des corps de garde, avec des portiques assez bas pour ménager la per, spective. Entre temps, le buste ^avançait, et De .Lionne, Colbert et le duc de Créquy, le marquis de

VI


L'ART ET LES ARTISTES

Bellefonds venaient souvent le voir dans l'atelier du Bernin. L'artiste continuait ses visites quotidiennes : les Gobelins, Saint-Cloud, le Temple, la galerie de Jabach que la malveillance de Lebrun lui avait longtemps fermée. Le soir, il réunissait ses amis, critiquant l'architecture française, se plaignant de son isolement, et semblant accorder une grâce en restant en France. Ses ennemis exploitaient la situation. Le Vau poussait l'audace jusqu'à proposer de garder l'ancien Louvre comme logement des grands seigneurs ; on aurait construit un palais vers la cour des cuisines, agrémenté de jardins jusqu'aux Tuileries ; Colbert, de son côté, craignait pour les constructions entre le palais et Saint-Germain. Le désaccord s'accentuait entre le ministre, préoccupé de précision, et l'artiste, peu soucieux des détails. Enfin, le plan du Bernin était approuvé, tel qu'on peut le voir dans Blondel, Architecture française, livre VI, n° i, pi. 3, 8,12,15.

RETOUR DE LA COUR A PARIS. LE BERNIN ET LA COUR.

Le 17 août, le roi revint à Paris. L'hôtel de Frontenac étant occupé par la suite du roi, Le Bernin s'installa dans un appartement luxueux, au palais Mazarin ; on y transporta aussi le buste. Le retour de la cour à Paris allait aggraver la situation du Bernin ; on allait collectionner ses mots irréfléchis et durs. Colbert le discuterait sur les points de détail. D'autre part, les murateurs demandés en Italie n'arrivaient pas; Colbert s'opposait au dégagement e la place Saint-Germain-l'Auxerrois.

Cependant, les séances de pose chez Le Bernin devenaient publiques ; l'atelier de l'artiste était le rendez-vous à la mode. La reine et la cour y accompagnaient le roi. Le Bernin, de son côté, continuait, à causer sans discernement ; montrant le buste, il aurait dit : « Cela est beau ; mais dans l'original, c'est vraiment laid ». A Saint-Denis, devant le tombeau de François Ier, de sa femme, et de ses enfants il déclarait :. « Ils sont là bien mal » ! A Versailles, toutefois, le 13 septembre, il félicitait Le Nôtre, et ajoutait, devant le palais : « C'est galant, chaque chose est proportionnée et belle, ce palais a de la proportion ». A Saint-Cloud, le duc d'Orléans lui demandait un dessin pour les cascades ; le commandeur de Souvré le priait d'un plan pour la reconstruction du Temple. A la Sorbonne, après quelques conseils judicieux sur l'emplacement du monument funéraire de Richelieu, il critiquait sans façon l'église. Le 18 septembre, on le recevait solennellement à l'Académie de peinture ; dans les soirées, on lisait des sonnets en son honneur et en celui Mfi Louis XIV. . (cHx

L ACHEVEMENT DU BUSTE DE LOUIS XIV. LA POSE DE LA PREMIÈRE PIERRE DU LOUVRE.

_ Cette gloire n'allait pas sans nuages. On discutait maintenant le projet dans des« congrégations », conférences où assistaient Colbert, Le Bernin, Perrault, Chantelou, et d'autres encore. Une animosité entre Le Bernin et Perrault s'y dessinait. L'artiste complétait son projet par l'adjonction d'un théâtre entre le palais et les Tuileries ; entre les deux monuments, par deux colonnes, semblables aux colonnes Trajane et Antonine, avec, au milieu, une statue colossale sur piédestal ; par un mémoire d'ensemble sur l'organisation intérieure, sur la création d'une chapelle destinée à suppléer à la paroisse royale de Saint-Germain, sur un pont dé pierre destiné à remplacer le pont de bois (Pont-Rouge), avec un terre-plein et une statue de Louis XIV, analogue au terre-plein et a la statue de Henri IV du PontNeuf. ■

Le 29 août, Colbert priait Le Bernin d'entamer les fondations. Mais alors des discussions s'élèvent sur la maçonnerie française et la maçonnerie romaine : on construit à cet effet deux murs d'essai. Le Bernin veut qu'on paie les ouvriers à la j ournée ; Colbert parle d'un tarif au forfait et à la toise. Le Bernin et Perrault se chamaillent. Le 30 septembre, l'artiste achève le buste du roi, d'une ressemblance imparfaite, mais plein de majesté. Le 17 octobre, on pose la première pierre du Louvre, au son des trompettes et des tambours. Le 19 octobre, l'artiste prend congé du roi ; on lui montre les émeraudes apportées d'Espagne par la reine ; et il n'a qu'une plaisanterie lourde pour les malheurs de la nation espagnole : « Cela ne m'étonne pas, car les Espagnols sont au vert ». On l'avait muni d'une pension annuelle de 6 000 livres. Colbert lui faisait promettre un prompt retour, pour voir son ouvrage réalisé ; enfin, à Villejuif, l'Italien se séparait en pleurant de celui qui lui avait aplani bien des difficultés, du seigneur de Chantelou.

DÉPART DU BERNIN. ABANDON DE SON PROJET.

Quoi qu'en aient dit ses détracteurs, l'artiste témoigna à plusieurs reprises de sa reconnaissance pour le roi. Malheureusement, l'absence est le pire des maux ; le mur d'épreuve en mortier italien s'écroula, et les adversaires comme Perrault triomphèrent bruyamment. D'autre part, la mort du roi d'Espagne, en septembre 1665, faisait prévoir la guerre de Dévolution, et les préparatifs militaires allaient conraindre à des économies. En 1666, l'affaire tramait en longueur ; Rossi, atteint par les rjrfièvres, ne pouvait venir à Paris surveiller les tra^^jux. Mais Le Bernin continuait à perfectionner les


L'ART ET LES ARTISTES

plans. On le ménageait d'ailleurs, car on espérait qu'il s'intéresserait à l'Académie de France à Rome. Ce projet d'Académie, qui remontait à Sublet des Noyers, fut réalisé en 1666, sous la direction d'Ehrart ; Colbert espérait les leçons de sculpture du Bernin. En mai 1666, Rossi revenait enfin à Paris, et exécutait d'après les dessins de son maître deux modèles en bois et en stuc du nouveau palais. Mais le 5 novembre, Rossi attendait encore la visite de Colbert. A Rome, Le Bernin répliquait en négligeant l'Académie, en réclamant les honoraires en retard de son élève. Ce à quoi Colbert donnait satisfaction, mandant à l'artiste de faire venir son fils, en France, s'offrant même à l'y marier. D'autre part, Rossi avait toutes les peines du monde à réaliser son modèle ; le mauvais vouloir du Bernin à l'égard de l'Académie mécontentait Colbert et Louis XIV; la guerre menaçait ; Le Vau et Perrault multipliaient les intrigues ; en mai 1667, l'abandon du projet italien était décidé. Le 15 juillet, Colbert annonçait au cavalier la remise à une époque indéterminée de la poursuite des travaux. En réalité, Colbert avait longtemps accordé sa faveur au projet du Bernin. Il lui fit maintenir sa pension, et provoqua la commande de la statue

équestre de Louis XIV ; en échange, il espérait l'appui de l'artiste à l'Académie de Rome. Mais il voyait avec inquiétude l'imprécision matérielle de ce beau dessin, la guerre, les dépenses de Versailles. Quelque chose pourtant devait en subsister : la colonnade de Perrault rappelle singulièrement l'oeuvre du Bernin. De ces rapports du Bernin avec la cour de France, il reste enfin, outre le. buste du salon de Diane, la statue équestre de Louis XIV. L'aventure en est amusante ; elle finit par débarquer au Havre, malgré la flotte espagnole ; conduite à Paris par un bateau hollandais, on la transporta de Sèvres à Versailles. Le roi la vit, voulut la faire briser, puis la fit transporter dans le bassin de Neptune ; de là, elle fut reléguée derrière la pièce d'eau des Suisses, transformée par Girardon, et devint le Curtius se précipitant dans les flots, ou pour le bon public la Statue de Berlin (sic).

Le voyage du Bernin en France montre l'éclectisme du roi, l'influence de l'art italien sur notre art national, et les résistances des artistes nationaux. Les critiques du Bernin ne demeurèrent pas sans effet ; et ses détracteurs eux-mêmes ne purent qu'imiter son oeuvre.

LÉANDRE VAILLAT.

Le Mois artistique en Belgique

J.=TH. COOSEMANS. L'ECOLE DE TERVUEREN LE " SILLON "

TTXEUX expositions très intéressantes par les rappro■*"' chements qu'elles permettent, se sont ouvertes le même jour à Bruxelles : au Cercle artistique, on réunissait environ deux cents oeuvres du paysagiste Joseph-Théodore Coosemans, mort il y a quelques mois ; au Musée moderne, les jeunes peintres et sculpteurs du cercle le Sillon exposaient leurs dernières oeuvres.

Et ces deux expositions simultanées offrent un sujet d'étude à ceux qui cherchent à démêler les tendances de l'art belge. Coosemans, c'est déjà le passé; il représente l'école de Tervueren, cette école de Tervueren qui, il y a une quarantaine d'années, secoua violemment les modes pour imposer une conception vigoureuse et saine du paysage, inspirée par la simple et sincère contemplation de la nature, par le respect des choses, par ce panthéisme ardent qui leur donne une expression héroïque, leur reconnaît une personnalité

personnalité une vie, et trouve ses émotions dans le caractère d'un arbre, dans la lumière d'un ciel, dans la couleur frissonnante des feuilles.

L'école de Tervueren n'était d'ailleurs pas une école. C'était un groupe de peintres qui s'étaient rencontrés dans le vieux village de la forêt de Soigne, et qu'une communauté d'aspirations avait réunis. Ils étaient animés tous de la même volonté de libérer l'art des conventions qui l'enserraient encore. Et ils durent soutenir de rudes batailles pour faire admettre leurs paysages sans ruines et sans nymphes, leurs paysages splendides montrant la nature seule, sans artifices et sans anecdotes. Ils triomphèrent d'ailleurs ; ils triomphèrent parce que leur vision voluptueuse, virile, était servie par une technique consciencieuse, aboutissant à des évocations intégrales donnant à la couleur, à la forme, à toute la matière une puissance épique, cette puissance qui anime la nature d'une vie presque

VIII


L'ART ET LES ARTISTES

humaine sans que rien d'humain ne la peuple. Et c'est ce qui fait la beauté de la plupart des oeuvres de Coosemans, en ce moment exposées, oeuvres scrupuleusement étudiées mais larges, amples, de grand caractère.

Lorsqu'ils réagissaient si vigoureusement il y a quarante ans contre les conventions, les peintres de l'école de Tervueren retournaient simplement à la tradition flamande, à sa simple et saine et voluptueuse contemplation. C'est la joie des yeux que a peinture flamande a toujours traduite, la joie

des yeux par laquelle a pensée peut s'imprégner de plus de noblesse et prendre plus de force exaltée, mais qui ne s'inspire que des beautés concrètes, visibles. Chaque fois que dans l'art flamand a pénétré l'ambition d'évoquer des idées, de substituer aux beautés éternelles les passagères concep - tions et impressions humaines, cet art s'est affaibli. Il est fait pour les vigueurs et les évidences. C'est dans l'instinct de la race. Aussi, les paysagistes de Tervueren furent suivis par tous les jeunes. Ce fut un beau mouvement

d'affranchissement qui vit naître 1 de

nombreux et grands talents. La vision s'était rafraîchie, s'était fortifiée; et en même temps s'était élargie la facture, consistante, mais cherchant plus la synthèse que la minutieuse analyse. Mais le mal dont on venait de se libérer devait renaître bientôt sous un autre aspect, modifié par le temps et adapté aux progrès accomplis. Sur les conquêtes acquises on voulut renchérir ; de la fraîcheur et de la sincérité dans la vision on alla vers la subtilité fiévreusement cherchée, de l'ampleur fougueuse de la facture on alla à la forme vague, confuse, négligée, sans s'apercevoir que, tout en se réclamant de la nature, de nouveau on lui substituait des idées et des impressions auxquelles on donnait plus d'importance qu'on n'en accordait à elle-même; souvent elle ne fournissait plus qu'un vague prétexte à des effets voulus, imprécis

ou imaginés, puisqu'on dédaignait les aspects merveilleux qu'elle a créés pour ne donner d'importance qu'aux commentaires et aux interprétations par elle suscités.

De nouveau, les peintres vivaient plus par la pensée que par les yeux. Certes, il ne faut pas songer à chasser de l'art la pensée qui finalement est son but. Mais la peinture ne doit point avoir la pensée pour sujet : elle doit la servir en ennoblissant, en magnifiant toutes les choses au milieu desquelles notre pensée vit et qui l'influencent, nous les montrer

montrer une atmosphère de sensibilité, d'émotion. La vue de la Joconde inspire un monde d'idées sans qu'une idée ait été son sujet; et le troublant Penseur de Rodin n'est qu'une belle et puissante figure humaine au rythme émouvant.

Je ne crois pas que les jeunes peintres qui, depuis quelques années, se sont groupés au Sillon se soient dit tout cela. Mais instinctivement ils ont réagi comme avaient réagi il y a quarante ans les paysagistes de Tervueren et un peu plus tard la plupart des artistes belges. Ils ont compris qu'un danger les guettait, que

pour faire de l'art émouvant, quels que fussent leurs intentions et leurs sujets, ils devaient tout d'abord faire de l'art robuste, de l'art viril aux complètes étreintes, que l'on ne peint pas des frissons mais ce qui provoque et ce qui subit les frissons. Comme ils étaient très jeunes, très inexpérimentés, les premières manifestations de ces nouveaux venus : Alfred Bastien, Maurice Blieck, Smeers,Wagemans, furent outrancières, dépassèrent le but ; ils confondirent la vigueur avec la brutalité et on put les accuser de manquer de goût.

Mais, tout en restant fidèles à leur conception, et en travaillant avec un bel enthousiasme, ils acquirent plus de jugement, plus de modération, comprirent que l'élégance n'est pas méprisable, que la grâce peut ne pas être du maniérisme, que l'une et l'autre peuvent parfaitement ^s'allier à la

Cliché Beckcr.

PHILIPPE SWYNCOP

JEUNESSE ET VIEILLESSE

IX


L'ART ET LES ARTISTES

force. D'année en année, leurs expositions marquaient davantage l'épanouissement et l'équilibre raffermi de nombreux talents. Et celle de cette année est tout à fait remarquable.

Il convient de citer notamment l'envoi de M. Swyncop : des portraits d'une couleur chatoyante et distinguée, peints en une matière savoureuse, des coins de ville, de fleuve, et ces deux figures délicieuses de délicatesse nerveuse : Jeunesse et Vieillesse ; l'envoi de M. Armand Apol, un coloriste ardent qui revêt de splendeur de tristes coins de

canaux ; MM. Smeers et Wagemans, avec des portraits de grande allure et de fines notations de lumière; M. Laudy, avec des portraits impérieux; M. Pinot, avec des fleurs subtilement et puissamment peintes et une lumineuse Marée basse ;. M. Lefebvre, avec des nus étonnamment serrés et éclatants, MM. Haustraete, Godfrinon, Amédée De Greef, Tordeur, Van den Brugge, Deglume, Bouy, Bulens, Victor Mignot, MUo Brohée ; et les sculpteurs de Haen, Puttemans; Mascré et Gilbert.

GUSTAVE VANZYPE.

Les Théâtres

Vaudeville : La Marche Nuptiale, quatre actes de M. Henry Bataille. — Renaissance : Bertrade, quatre actes de M. Jules Lemaître. — Théâtre Molière : Fred, trois actes de MM. Auguste Germain et Trébor. — Théâtre Sarah-Bernhardt : Pour la Couronne, cinq actes en vers de M. François Coppée.

La Marche Nuptiale est l'histoire d'une jeune fille de bonne famille, Mlle Grâce de Plessans, provinciale et catholique, qui, un beau matin, s'en est allée avec son professeur de piano. Il paraît que ces choses-là, en province, ne sont pas du tout étonnantes. A Paris, elles saisissent d'abord. C'est précisément l'impression de Suzanne Lechâtelier, amie de couvent de Grâce de Plessans, chez laquelle celle-ci débarque, avec son pianiste embourbé. Suzanne, cependant, est charitable. Elle décide son mari, gros raffineur — que les krachs récents ont fort heureusement épargné — à caser le piteux séducteur. Le gros raffineur en profite pour essayer de courtiser Grâce. Celle-ci le remet à sa place, dans une scène tout à fait supérieure. Elle aime son pianiste, cette enfant. Sa joie ne connaît pas de bornes lorsque, dans leur chambre d'hôtel, on. apporte un Ehrard. Quelle extase ! Ils jouent tous deux, à quatre mains, la Marche Nuptiale de Mendelssohn. Tout cela est joli tout à fait. Et quand, à la fin du second acte, le malheureux artiste avoue qu'il a pris deux cents francs à la caisse pour payer la location du piano, Grâce reçoit le coup crânement, avec douceur et avec noblesse. C'est quelqu'un, il n'y a pas à dire. Cette jeune fille à l'âme d'Eloa.

Par malheur, tout se gâte au troisième acte. Grâce s'est laissé inviter chez les Lechâtelier, en vacances. C'est un premier manque de tact. Elle porte de trop belles robes, et un faux nom... Quelle étrange histoire!

histoire! boit du Champagne, elle valse, et elle écoute les confidences de demoiselles du corps de ballet. Elle se laisse faire la cour par ce plat don Juan de raffineur, malgré les larmes de son amie... Ah ! quelle déception est la nôtre ! Tout est perdu en un clin d'oeil.

Le quatrième acte, plus net, ne dissipe pas ce malaise. Nous y voyons Grâce devant son pianiste, atterrée, menacée par surcroît d'une maternité future. Roger Lechâtelier vient la relancer. Il lui offre le grand jeu, le départ. Ce personnage nous dégoûte, et nous ne comprenons même pas que Grâce en paraisse troublée. Elle se tue, en fin de compte. Elle fait bien. Mais nous qui, d'après le début, attendions un exemple héroïque de dévouement aventureux ! Nous sommes déconcertés, voilà. Et je crois que ce n'est pas notre faute.

La grosse erreur de cette pièce est qu'elle manque de logique apparente. Elle pourrait se justifier, sans doute. On peut toujours tout justifier. Mais le fait brutal qui subsiste est celui-ci : les deux derniers actes ne sortent pas des deux premiers. Alors, ce n'est plus une pièce. C'est une donnée de roman. Et, comme elle a les défauts d'un livre, elle en a aussi les qualités. Il est impossible de mettre plus de poésie dans les détails, dans l'atmosphère, dans la langue. Ce sont prouesses où Henry Bataille a coutume de triompher. Mais en outre, dans Maman Colibri, il nous donnait une oeuvre forte et viable d'un bout à l'autre. Celle-ci, à mon sens, ne l'est point. C'est une erreur. Cela arrive. Et c'est sans la moindre importance. L'auteur a beaucoup de talent.

La Renaissance nous a offert un spectacle du vieux répertoire, quelque chose comme une réplique au fameux Gendre de M. Poirier. Ici, c'est le noble

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L'ART ET LES ARTISTES

qui est ruiné, et c'est le parvenu qui épouse, pardon ! qui prétend épouser. Afin de moderniser ce thème, Jules Lemaître l'a poussé au noir. Il a fait de ses personnages de rares crapules, excusez le mot. Ils rivalisent de bassesse. Tous deux, le noble et le parvenu, s'acharnent à faire accepter leur combinaison matrimoniale d'une pauvre petite fille amoureuse d'un bon hobereau... Je ne vous cacherai pas plus longtemps que cette histoire, assez répugnante, est, par surcroît, sans intérêt. Tous ces gens-là ne vivent pas, ce sont fantoches de théâtre. Et je ne me sens pas le courage de les discuter longuement. Il paraît que, pour monter cette pièce, M. Guitry a sacrifié le Coup d'aile, de François de Curel, que naguère il nous annonça avec épithètes pompeuses. J'ignore ce que vaut ce Coup d'aile. Je suis sûr que, même manqué, il eût offert à ses interprètes le réconfort de quelque gloire. Ce n'est pas le cas de Bertrade.

Dieu, cela ne casse rien. C'est l'histoire connue d'un jeune homme, ballotté, aux belles années, entre le demi-monde et le monde, entre la fête.et le pot-aufeu, avec fausses ruptures, folies, etc., etc. Mais il y a de fort jolies scènes, c'est agréablement joué, et le dénouement est cordial. C'est une soirée supportable.

Et l'on peut bien en dire autant — bien que le genre soit inverse — de la reprise de Pour la Couronne, mélodrame assez ingénieux, ma foi, poncif, éloquent et sonore. Il y a là des choses terribles et des aphorismes hautains. C'est de l'Ambigu littéraire. Le public s'y plaira, c'est probable, en attendant que la fée du logis revienne des lointaines contrées où elle charme les barbares, et fait dételer son carrosse par des Portugais en délire et des peuples en pâmoison...

GABRIEL TRARIEUX.

Louons le' Théâtre Molière. Il tente, dans un quartier ingrat, des innovations courageuses. Il joue du classique le dimanche. Et les pièces qu'il joue sur semaine valent bien celles du boulevard. Fred, en effet, je vous assure, est une gentille comédie. Mon

P.-S. — On reprend l'Alsace chaque soir au théâtre de la Gaîté. Des Oberlé de M. Bazin, qui sont un roman assez faible, M. Haraucourt a tiré une pièce assez forte, mais grise. Attendons, espérons Chantecler !

Chronique Musicale

■pVEPUis la réouverture de ses concerts, M. Camille ^"^ Chevillard, le remarquable chef d'orchestre* a donné chaque dimanche à ses habitués une première audition. C'est M. Claude Debussy qui a ouvert le feu avec trois petits tableaux symphoniques intitulés : la Mer. L'oeuvre nouvelle du triomphant auteur de Pelléas et Mélisandre n'a peut-être pas rencontré la même faveur que ses compositions précédentes. En lisant ce titre : la Mer, chacun s'était attendu à des effets de puissance et de grandeur tels qu'en comportait le sujet traité. Au lieu de cela, M. Debussy nous a donné des morceaux peu développés, écrits avec une souplesse de main extraordinaire, pleins de détails exquis et amusants, mais ne procurant qu'une très faible idée de l'immensité et de l'infini. Le Jeu de vagues est la partie qui a été le plus unanimement goûtée, surtout pour son orchestration vraiment éblouissante.

Ce n'est pas précisément par des qualités de facture que se distinguent les fragments de M. Pierre Kunc, intitulés : l'Eté pastoral. Non que ces fragments soient mal écrits, mais le métier n'est ici

que qualité secondaire, tandis que l'impression de la nature qui se dégage des pages du jeune compositeur, est absolument charmante. C'est juvénil et non dépourvu de promesses. • Des promesses ? Il y en a en nombre considérable dans la Chevauchée de la Chimère, de M. Gaston Carraud, et mieux, il y a surtout un acquis énorme. Ici, en effet, nous nous trouvons en présence d'une page de maître, clairement conçue, logiquement déduite, merveilleusement écrite, rehaussée d'un sentiment réel et d'une instrumentation remarquable. Oh ! la jolie fin qui s'envole et seperddansle Rêve déçu!.. M. Carraud est vraiment un poète doublé d'un musicien de race.

Quant à la légende finlandaise de M. Silesius : le Cygne du Tuorrela, c'est une page qui ne manque pas d'émotion mais dont la longueur engendre une monotonie regrettable.

Les concerts du Châtelet n'ayant encore donné aucune nouveauté au moment où j'écris cet article, je préfère vous parler,sans plus attendre, du poème symphonique de M. Edmond Malherbe, couronné

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L'ART ET LES ARTISTES

au concours de l'Opéra et exécuté le soir de la reprise du Freischutz. Ce poème offre ceci de particulier, c'est que, non seulement il a été inspiré par le tableau de Paul Baudry mais encore il vise à reproduire musicalement les personnages, la ligne, la couleur de ce tableau. Jamais je ne suivrai mon ami Malherbe dans cette voie que je trouve antimusicale au possible. Si une peinture est réellement belle, elle n'a que faire de la langue des sons pour être admirée; et quant à la musique, sa richesse est assez grande pour qu'elle puisse se suffire à elle-même. Dès le début de la partition du jeune compositeur, début où il y a pourtant de si jolies sonorités, l'inconvénient du système se fait jour. En effet, pour donner une vue d'ensemble du chefd'oeuvre de Baudry, M. Malherbe nous présente ensemble les six thèmes destinés ■ à reproduire la figure des personnages créés par le pinceau du peintre. Or, comment voulez-vous qu'au milieu de cette polyphonie, l'oreille la plus exercée devine la présence de ces motifs si elle n'en a pas fait la connaissance avant leur juxtaposition ? De même pour les dimensions du morceau qui, musicalement, est beaucoup trop long et dont les développements exagérés ne s'expliquent que par le sujet pictural qu'ils cherchent à mettre en action ! Une fois ces réserves faites, je n'ai-que des éloges à adresser à cette oeuvreécrited'aprèsleplandela fugue et dont la rare valeur de conception et de réalisation place son auteur parmi les jeunes avec lesquels il faut compter.

Cette première audition était suivie de la représentation du chef-d'oeuvre de Ch.-M. de Weber, dont l'admirable ouverture, fort bien enlevée par 1'éminent orchestre de M. Taffanel, souleva des tonnerres d'applaudissements. Le reste de l'ouvrage produisit moins d'effet et cela s'explique. Le Freischutz est un opéra-comique parfait, dont }a place serait à la salle Favart et non au palais Garnier. Ici. on a cru devoir alourdir l'oeuvre par des allures de grand opéra et par les récitatifs de Berlioz qui, quoique habilement conçus,, en faussent complètement le caractère et en dénaturent l'espritJe le répète, le Freischutz est un chef-d'oeuvre et quand on le voit dans n'importe quelle ville d'Allemagne on prend à ce spectacle un plaisir extrême.

A l'Opéra on n'y trouve que l'ennui ! Et pourtant Mlles Grandjean et Hatto ont de précieuses qualités et MM. Delmas et Rousselière ont bien du talent ! De plus l'ouvrage est supérieurement monté ! A vous donc de conclure !

Mais tandis que l'Opéra fait peut-être fausse route avec une reprise pour le moins inutile, le succès vient une fois' de plus de prendre le chemin du théâtre de M. Albert Carré.

Il y a quelque vingt ans parut chez l'éditeur Enoch un volume de mélodies intitulé : Chansons de Miarka. En peu de temps ces chansons devinrent très à la mode. Aussi quand leur auteur vit pour luila possibilité d'être joué àl'Opéra-Comique, pensat-ilque le plus sûr moyen d'y réussir était d'écrire une partition dans laquelle le public retrouverait ses chansons favorites. Pour cela, ii suffisait de recourir au joli roman de Jean Richepin : Miarka la fille à l'ourse, et d'en extraire la matière de plusieurs actes. C'est ce qu'il fit avec l'aide du grand poète de la Chanson des gueux. Le malheur est que, malgré son admirable talent, M. Richepin n'ait pu trouver de pièce là où il n'y en avait pas et qu'il ait dû se contenter d'offrir à son collaborateur plusieurs tableaux supérieurement écrits, avec de séduisants hors-d'oeuvre mais dénués presque totalement d'intérêt dramatique.

Il est vrai que les auteurs n'ont pas cherché à nous donner le change. Aussi dès que je me fus rendu compte de leur parti pris, ai-je tâché de me figurer que j'assistais à une sorte de concert en action et me suis-je laissé charmer par les jolies musiques qui ' composent la partition de Miarka FEt de la sorte je vous assure qu'on peut trouver un plaisir très grand à cette audition, car tout d'abord les chansons de M. Georges sont exquises de sincérité et de sentiment, avec leurs accompagnements d'orchestre habiles et délicieux au possible. Et puis les scènes qui les séparent, les récits qui les amènent, les danses qui les encadrent — oh ! la captivante et pittoresque scène du rêve de Miarka ! — tout cela est d'un musicien charmant et pour lequel notre art a bien peu de secrets.

Quel dommage, qu'à part dans une ou deux , scènes, M. Alexandre Georges ne se soit point servi de ses chansons — l'ouvrage en contient quatorze ! — pour en extraire la moelle et en créer, par des développements symphoniques, l'ambiance de sa partition ! Mais à quoi bon ces desiderata puisque le succès a dépassé l'espoir des plus optimistes ? II.est vrai que la pièce est admirablement montée et que le magicien qui s'appelle Albert Carré n'a jamais fait mieux comme mise en scène. C'est du très grand art. L'interprétation mérite aussi de vifs éloges, principalement en ce qui concerne Mme Marguerite Carré, Miarka, idéale de beauté, d'attitudes, de charme, de voix, de talent, en un mot ; Mme Héglon, magnifique de ligne et d'autorité, et M. Jean Perier, artiste consommé. Je n'oublierai ni le grand peintre Jusseaume, ni M. Vizentini, et quant aux choeurs et à l'orchestre ils furent superbes sous la direction du maître Alexandre Luigini.

FERNAND LE BORNE.

XII


Les Grandes Collections

LA VENTE CRONIER

TVEUX jours, deux après-midi, — le lundi 4 et le ■"^ mardi 5 décembre prochains — suffiront pour éparpiller aux quatre coins du monde cette admirable collection, universellement célèbre. Deux vacations ! cela paraît bien peu en comparaison de la fortune qu'elle représente. Songeons par contre qu'il n'y. a que cent soixante-dix-sept enchères, nombre

déjà respectable pour le peu de temps que M. Cronier mit à réunir ces merveilles.

Certains, pieux collectionneurs, pourchasseurs enragés et fervents de bibelots, ont reproché à M. Cronier d'avoir composé trop vite, à coup sûr, à l'aide de folles dépenses,

une sélection d'oeuvres d'art précieuses, ceuxlà préfèrent le trésor découvert sous la poussière, acquis pour une bouchée de pain et mettent une vie à composer leur musée. D'autres, au contraire, l'ont applaudi d'avoir rapidement, dès le jour où la fortune le lui permit, accumulé autour de

soi tant de richesses d'art, pour se distraire de la platitude des affaires, se reposer du terre-à-terre de l'industrie.

L'Art et les Artistes n'a pas à juger : fidèle à son programme, notre Revue qui s'est promis de renseigner fidèlement ses lecteurs sur tout ce qui peut les intéresser dans le domaine de l'art ancien et moderne, se contentera de décrire quelques-unes des toiles magistrales ou des meubles prestigieux, en reproduisant quatre des objets qui vont être exposés aux Galeries Georges Petit, le samedi 2 et

le dimanche 3 décembre, puis vendus aux enchères, l'es deux jours suivants.

Ce qui distingue cette collection de certaines autres célèbres que nous passerons peu à peu en revue, ce qui la différencie par exemple de la galerie Chéramy, décrite hier, à la Revue, c'est que toiles et objets d'art ont ici un double rôle. Ce sont de précieux,

précieux, d'inestimables objets d'art, des pièces enviables et cotées, ce sont des objets de collection, ce sont aussi des sujets de décoration.

Il n'y a rien qui n'ait pu être exposé, le nombre des toiles n'a pas obligé leur propriétaire à les empiler les unes derrière les autres, un chef-d'oeuvre jouant à cachecache avec un autre, non, ici tout était réellement destiné à orner les murs, à garnir les meubles, les étagères, les cheminées, à tapisser les couloirs, toutes les toiles pouvant être mises sur la cimaise dont elles sont d'ailleurs dignes

dignes Cette particularité est du reste conforme à la nature hâtive de cette collection, a son but principal de somptuosité plutôt que de curiosité. Vingt-six toiles anciennes, du xvnr 2 siècle bien entendu, école française et anglaise, vingt et un pastels ou dessins des mêmes écoles, quatre gravures invariablement rattachées au même groupe, voilà pour l'art ancien.

Seize peintures, bien entendu de l'école 1830, six aquarelles, Decamps, Harpignies et Gustave Moreau, voilà pour l'art moderne.

A. FRAGONARD — LE BILLET DOUX

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L'ART ET LES ARTISTES

WATTEAU — LE LORGNEUR

Le reste est composé de cent deux bibelots, porcelaines de Chine et du Japon, meubles en marquetterie avec bronzes du XVIIIe siècle, Sèvres et Saxes, sièges en tapisserie, tapisseries murales, tous au goût du jour, tous sans excep7. tion parmi les merles blancs du moment, ,ce qui indique bien à la fois combien cette réunion est de composition récente, adroite et précieuse.

On peut s'attendre à de folles enchères, à une. lutte acharnée, la cote du reste de presque tous ces objets est connue, leurs dernières enchères sont dans toutes les mémoires, sur tous les calepins de collectionneurs.

On parle surtout du Fragonard, que nous reproduisons ici; il débutera,' dit-on, et nous le croyons, à deux cent mille francs pour s'arrêter peut-être court, peut-être bien loin. On prononce le nom de M. Mackay et le mot million, qui sont synonymes, à propos des incomparables tapisseries de Beauvais d'après Boucher, mais ceci n'est que pour les grands chefs, les troupiers qui les entoureront se batteront aussi, avec acharnement en leur apparente modestie.

Le Fragonard, le Billet doux, est évidemment

évidemment chef-d'oeuvre du maître, on y retrouve au complet toutes les qualités qui en font aux yeux des amateurs le plus précieux des illustres peintres de xvnr 3 siècle. Charme de la composition, brio de l'exécution, harmonie adorable de la couleur, et chose précieuse, nous sommes ici non devant une de ces prestigieuses ébauches qui sont des trésors de joie et des pièces de haut goût, mais, chose très rare chez Fragonard, devant une oeuvre maîtresse, poussée, fignolée, caressée, unique.

La Liseuse, de Fragonard également, est une page adorable, mais plus spontanée, moins absolument parfaite, quoique délicieuse en tous points.

Auprès de ces deux soleils éblouissants, la douce lumière caressante et immortelle des Chardin, le Volant et les Osselets, scintille sans éclipse; on connaît ces deux sujets tant de fois gravés où celui que l'on considéra trop longtemps comme uni petit maître avant de le placer au premier rang des intimistes, de tous les peintres pouvons-nous dire, a mis toutes ses qualités, de composition de dessin, d'exécution, d'harmonie.

Deux pages encore du maître des maîtres, du Roi, de Watteau, le Lorgneur, une de ces composiLA

composiLA — PORTRAIT DE LAD Y, COMTESSE DE COVENTRY

XIV


L'ART ET LES ARTISTES

tions typiques, les Amants endormis, page inattendue presque dans l'oeuvre de Watteau, où le virtuose a déployé à la fois toutes ses qualités de décorateur et de peintre. Toile dorée et chaude, éblouissante et tentante auprès du Lorgneur tant lorgné à son tour. Voici à peu près toutes les toiles de genre, le reste est composé de portraits, Nattier, Natoire, le premier avec un portrait présumé de Mme Tocqué, daté de 1740, pièce capitale du maître portraitiste. Lawrence, Raynolds, Romney, Gainsborough, les grands rôles de l'école anglaise, charme et splendeur, avec de séduisantes figures de femmes, et Perronneau dans les pastels, Perronneau, si couru depuis peu, auprès de La Tour qu'il approchera peut-être, mais n'atteindra jamais, même ici où pourtant il est admirablement représenté.

En première ligne de l'école moderne, citons : les deux Corot, le Pâtre et Etaples, le premier surtout qui est la toile par excellence de la série des matins bleus qui émigrent outre-mer acquis au poids de l'or, même des billets, bleus aussi.

Un des plus beaux Daumier, les Amateurs, oeuvre importante et complète. Un des Delacroix de la série d'Hercule, où le vigoureux peintre voulut glorifier la force généreuse. Sept Diaz, de la série des paysages, presque pas animés, deux Dupré, un Troyon, un Rousseau, on attendait Jacque, Boudin, ils n'y sont pas ; par contre Harpignies est bien représenté par quatre importantes aquarelles.

Et c'est tout." C'est assez !

Nous passerons rapidement en revue les meubles, en citant une commode de Rubestuck, d'une composition

composition d'une exécution exquises, avec une ceinture de rosaces et d'entrelacs qui lui vaudra de belles enchères.

Une autre du maître-ébéniste Chevallier avec des bronzes qui me semblent de Pillement, dans le goût chinois, dès consoles, des encoignures, un bureau plat de la Régence, un secrétaire de fine marquetterie, un régulateur de Le Roy, des sièges, fauteuils et canapés d'une somptuosité et d'une grâce adorables, parmi lesquels un canapé de la Régence recouvert de tapisseries de Beauvais ; nous ne pouvons résister au plaisir de le reproduire.

J'ai dit au début qu'une lutte s'engagera âUtour des tapisseries. Les trois panneaux de l'Histoire de Psyché, d'après Boucher, exécutés à Beauvais ; la Noble Pastorale et l'Eté, du même peintre et delà même manufacture, les quatre pièces de l'histoire de Don Quichotte, des Gobelins, d'après Coypel, des Gobelins aussi la Comédie italienne, deux pages d'après Watteau et; Q^et, Y Automne de la même manufacture, d'après Boucher : voici peut-être les plus admirables spécimens de cet art si goûte" de nos jours, qu'on ait vus depuis longtemps apparaître au feu des enchères.

Qu'on nous pardonne l'aridité de cette rapide énumération; munis de leur carte d'abonnement, nos lecteurs seront admis aux Galeries "Georges Petit, exposition particulière du samedi 2 décembre, ils jouiront à leur aise de ce petit, mais somptueux et bien passager musée, qu'est une collection semblable à l'a. veille de la vente.

THIBAULT.

CANAPÉ DU TEMPS DE LA REGENCE COUVERT EN ANCIENNE TAPISSERIE DE LA MANUFACTURE ROYALE DE BEAUVAIS

XV


L'Art dans la Mode

LE CHAPITRE DES CHAPEAUX

IXANS ses invraisemblables et inépuisables varia■*"' tions, le chapeau —celui des femmes entendonsnous ■— garde toujours, pendant une période de la mode, une silhouette générale, une analogie de masse, une ressemblance d'allure, un à. peu-près de proportions qui classe les variétés infinies écloses sous les doigts inventifs et fantaisistes des modistes, dans un genre déterminé, genre qu'un connaisseur approfondi détermine d'un coup d'oeil en disant : printemps de telle année, hiver de telle autre. C'est la règle générale, dirions-nous, l'exception actuelle est peut-être pour la confirmer, mais il faut reconnaître que nul ordre primitif, nulle

conception primordiale nulle entente tacite, ne président en ce moment à la combinaison, à la disposition, au chiffonnage, à 1 ' ornementation des chapeaux féminins.

Il y en a pour tous les goûts ■— même pour le mauvais — de toutes les formes, de toutes les couleurs, en toutes matières. Feutres mats ou soies velues comme les tuyaux de poêle d'antan, velours ou panne, chenille ou tulle, dentelle ou fourrure, plumes ou fleurs. C'est la liberté absolue. La débauche d'invention, l'anarchie.

Ainsi l'on voit par les rues de jeunes anges... Pitou avec le petit haut-de-forme évasé, bas, en soie noire, aux bords retroussés, conspirateur, on voit d'adorables Gainsborough, aux ailes largement éployées, aux plumes légères,

GAINSBOROUGH — ÉTUDE AUX DEUX CRAYONS

POUR LE PORTRAIT DE LA Dss 0 DE DEVONSHIRE

tels de grands oiseaux planant, on voit des toques de polonaises, des Danton pleins d'audace, à bords évasés, des capes provocantes, de petites capotes fausses modestes qui ratatinent leurs richesses ; mais si tout est permis, si tout se voit, la grande cape, le large chapeau mousquetaire empanaché, le Gainsborough enrubanné dominent de tout leur volume, de toute leur élégance, de toute leur envergure, la foule trottinante et bariolée des cha peaux féminins.

Car les grands, nobles, majestueux chapeaux, qu'accompagnent les larges, vastes, riches voilettes, vont en voiture, les autres préfèrent aller à

pied; l'automobile pratique et moins coquet, car sa vitesse échappe à la vue des critiques, conserve la casquette, la commode casquette du yacht ou de la montagne, celle des sports.

Cependant, si loin que puisse aller la fantaisie des modistes, leur besoin d'inventer pour satisfaire le goût

caméléonesque des clientes blasées, et l'appétit talonnant des frais généraux, aux magasins - palaces, si folle soit l'invention des créatrices, si inattendu puisse être le dernier chef - d'oeuvre de Lentheric, de Jeanne Lanvin ou de Reboux, il est peu probable qu'il arrivera jamais à la carnavalesque incompréhension du chapeau de Smith.

Ah ! la joie des titis en voyant passer un pareil galurin, que nous reproduisons ici, la moquerie des fauXVI

fauXVI


L'ART ET LES ARTISTES

vettes de la rue de la Paix en apercevant dans une voiture un tapin de cette envergure, de cette forme, de cette masse. Boisseau ou abatjour, ballon peut-être, en tout cas, chapeau aussi peu que possible.

Il faut une invraisemblable joliesse, une frimousse divine, une grâce inébranlable pour résister à pareille caricature.

Et c'est là qu'apparaît, en même temps qu'une curiosité de mode qu'il nous a semblé bon de rappeler en cette date de fantaisies à outrance, le style exquis, la grâce particulière , 1 ' élégance innée de l'école anglaise dont les porJ.-R.

porJ.-R. ÉTUDE FEMME (CRAYON)

traits ont un chic — le chic est né à Londres — une race, une allure rarement dépassés. Et quand, comme dans ce Gainsborough, l'élégance des choses s'ajoute à celle du maître anglais, que le vêtement souple, ou le majestueux chapeau accompagne le corps harmonieux et la tête jolie que le peintre immortalise sur sa toile, nous en arrivons au pur chefd ' oeuvre, grâce et force, élégance et vigueur, beauté et art, qui font qu'aujourd'hui les fervents amateurs de peinture s'inclinent devant ces toiles, amoureux du modèle et admirateur du maître.

LILIA ROBERT s.

Echos des Arts

■pAK décret du président de la République, rendu sur * le rapport du ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, M. Léon Bourgeois, ancien ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, sénateur, qui taisait partie du conseil des musées nationaux en qualité de député, est maintenu audit conseil, en remplacement de M. Henner, décédé.

M. Léon Bourgeois est remplacé au conseil des musées nationaux, en qualité de député, par M. Georges Leygues, député.

— Par arrêté du ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, pris sur la proposition du sous-secrétaire d'Etat des Beaux-Arts, M. Joseph Reinach a été nommé membre de la commission chargée d'étudier toutes les questions relatives à l'organisation des musées de province et à la conservation de leurs richesses artistiques.

sr

Le conseil municipal de Paris a accepté, sur le rapport de M. Quentin-Bauchart, l'offre faite à la

Ville de Paris par M. Jules Henner d'une importante série d'oeuvres du peintre J.-J. Henner. Le Conseil municipal a ensuite décerné une médaille de donateur au neveu de l'illustre peintre et a accordé à M. Quentin-Bauchart les. 10 ooo francs qu'il demandait pour l'installation de la salle Henner, au musée du Petit Palais. '.

sr

Le samedi 28 octobre, l'Académie des Beaux-Arts a procédé à l'élection d'un membre titulaire (section de peinture), en remplacement de M. Henner, décédé. Dix candidats se présentaient.' La liste de classement avait été, a la dernière séance, établie de la façon suivante.: en première ligne, M. François Flameng; en deuxième ligne ex oequo, MM. Besnard et Tony RobertFleury ;. en .troisième..ligne, M. Raphaël Collin ; en quatrième ligne, M'. Lhermitte. L'Académie avait ajouté à cette liste, par des votes successifs, les noms de MM. Ferrier, Maignan, Toudouze, Friant et Gervex. Trente-cinq académiciens ont pris part au vote, et il

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L'ART ET LES ARTISTES

n'a pas fallu moins de neuf tours de scrutin pour •donner un résultat définitif. Les votes se sont ainsi décomposés :

,cr 2« 3« 4« 5e (,' 7« 8» 9"

TOUR TOUR TOUR TOUR TOUR TOUR TOUR TOUR TOUR

MM. ____-----

Flameng 9 8 IO 9 12 14 15 17 16

Besnard 5 5 6 6 4 3 2 o o

Robert-Fleury.. .77 5 4 3 4 1 1 °

-Collin 4 4 4 4 4 o o o o

Lhermitte 1 3 6 12 12 14 17 17 19

Ferrier 2 4 1 o o o o o o

Maignan.. 1 o o o o o o o o

Toudouze 4 4 2 o o o 0 o o

Friant o o o o o o o o o

Gervex 2 o 1 o o o o o o

M. Lhermitte ayant obtenu la majorité des suffrages, 19, a été déclaré élu.

st

Dans la séance de rentrée, la Société de numismatique a élu comme membre honoraire le vicomte de Rougé, en remplacement de M. Jules Oppert, décédé. Il a été lu une lettre du conseiller Casati sur un trésor de monnaies consulaires romaines découvert en Sar■daigne. Une note de M. Delorme est relative à des ■douzains de Henri II, tordus par mesure officielle, pour en modifier la valeur. Le colonel Allotte de la Puye a signalé des bronzes romains, avec une âme en fer, et d'autres frappés sur étain ou sur plomb. M. Blanchet a présente une plaque de laiton ouvragée, portant l'empreinte d'un poids monétaire de Louis XIV ■encore inconnu. Il a commenté une lettre du 4 vendémiaire an III, signée des membres du Comité des ' finances, et repoussant les réclamations de la corporation des monnayeurs. M. Caron-a lu une note sur nin denier d'Amiens, qui marque la transition entre le monnayage épiscopal et le monnayage communal. M. Bordeaux a lu un document des archives de Gand relatif à la fausse monnaie sous la Révolution.

Parmi les cours sur l'histoire de l'art, repris le mois dernier à l'Ecole des Beaux-Arts, nous signalerons les suivants : le cours d'Histoire 'et Archéologie professé par M. Léon Heuzey, de l'Institut, tous les mardis à une heure et demie, depuis le 7 novembre; le cours d'Esthétique et Histoire de l'Art, par M. L. de Fourcaud, tous les jeudis à trois heures, depuis le 16 novembre ; le cours d'Histoire générale de l'Architecture, par M. Lucien Magne, tous les lundis à dix heures, ■depuis le 6 novembre ; le cours d'Architecture française, par M. Boeswilwald, tous les jeudis à dix heures, •depuis le 9 novembre.

UN DESSIN DE SAINTE-BEUVE. — Nous connaissions les puissants lavis de Hugo, les fines aquarelles de Musset et les romantiques pochades de •Gautier, mais jusqu'à ce jour nous ignorions SainteBeuve dessinateur.

Voici, que l'extraordinaire profil romain, ci-dessous reproduit et très héroïquement signé, nous montre, sous un nouvel aspect, l'auteur des Lundis, de Volupté, etc. .

A cette curieuse pièce inédite nous joignons, inédite également, une pensée autographiée de l'illustre écrivain, celle-ci d'une pureté de forme contrastante. Ce ne sont que des miettes d'un opulent festin, mais il n'est cependant pas permis de les laisser perdre.

Dans la jeunesse un monde habite en nous. Mais, en avançant, il arrive que nos pensées et nos sentiments ne peuvent plus remplir notre solitude; — ou du moins ils ne peuvent plus la charmer. STE-BEUVE.

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L'ART ET LES ARTISTES

- Le musée Carnavalet a installé tout récemment dans ses galeries le buste de Jules Cousin, un amateur d'objets d'art doublé d'un spirituel lettré, bien connu en son temps, et qui s'était spécialement consacré à la recherche d'objets et de documents relatifs à l'histoire de la Ville de Paris. Lorsque la bibliothèque de la Ville de Paris disparut dans les incendies de la Commune, Jules Cousin, qui possédait de nombreux ouvrages sur Paris, offrit gratuitement sa bibliothèque au Conseil municipal, qui la fit installer dans l'ancien hôtel de Sévigné et en nomma Jules Cousin le conservateur, ainsi que des objets d'art qu'il avait également offerts. Livres et objets sont devenus, après sa mort, •le noyau de la bibliothèque et du musée Carnavalet.

Le sous-secrétaire d'Etat des Beaux-Arts vient de répartir entre les musées du Louvre et de Cluiiy, les objets légués à l'Etat par M. Léon Dru, aux termes d'un testament dont il a été parlé récemment et notamment au sujet du château d'Azay-le-Rideau.

Ont été attribués au musée du Louvre : six cuivres musulmans incrustés d'or et d'argent et sept miniatures persanes ; et au musée de Cluny, un calice franco-flamand du xve siècle, deux pyxides limousines du xme siècle et deux morceaux de sculpture française des xive et xve siècles.

sr

Le Comité de la Société des Artistes français vient de fixer au lundi 18 décembre la date de son assemblée générale annuelle.

Il y a quelques jours, on a inauguré dans le square des Arènes de Lutèce, un monument élevé à la mémoire de Gabriel Mortillet, savant archéologue, qui fut conservateur des antiquités du musée de SaintGermain, et à qui on doit de nombreux travaux sur l'archéologie préhistorique. Ce monument est l'oeuvre du statuaire de Penne.

La Société des artistes lithographes, pour remercier le sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, des services rendus par lui aux arts de la Gravure et de la Lithographie françaises, a offert à M. Dujardin-Beaumetz, avec le concours des artistes graveurs, un banquet, le jeudi 16 novembre, au Palais d'Orsay.

Les travaux de la commission des musées viennent de reprendre. M. Dislère, président de-section au Conseil d'Etat, qui a reçu mission de diriger les travaux de la sous-commission de législation, assisté de M. Bigard-Fabre, le distingué chef du bureau des travaux d'art et des musées, a présenté un projet de décret qui a été adopté à l'unanimité. Il s'agissait de fixer les conditions dans lesquelles les musées de province pourront réclamer le bénéfice de la personnalité civile, prévu par la loi de 1895. Le projet Dislère,

que la commission aura à ratifier en séance plénière, s'inspire du plus grand libéralisme, tout en sauvegardant, comme il est naturel, les droits de l'Etat et les intérêts des communes.

Le conseil supérieur de l'enseignement des beâuxarts, qui s'est réuni dernièrement sous la présidence de M. Bonnet, a décidé que les arrérages de la donation de 500000 francs faite récemment â l'Ecole des Beaux-Arts par M. Wilman, Américain, seraient affectés à des bourses d'études de 1 200 francs chacune, dont profiteront, pendant les vacances, trois élèves peintres, trois sculpteurs, quatre architectes et deux graveurs. Ces bourses seront accordées sur le vu des notes obtenues dans les différents concours de l'année scolaire.

sr

Au Conservatoire des Arts et Métiers, le cours d'Art appliqué aux métiers est professé par M. Lucien Magne, tous les mercredis et samedis, à neuf heures et quart du soir. Il y traite cette année de l'Art appliqué au travail du bois (charpente, menuiserie, mobilier), au travail des tissus et au décor du papier.

La Société pour la protection des paysages de France a émis, dans sa dernière séance de comité, les voeux suivants : que tout le périmètre des fortifications compris entre la porte d'Auteuil et la porte Maillot, soit incorporé au bois de Boulogne, afin de sauvegarder à Paris la beauté édilitaire et l'hygiène publique ; que dans la forêt de Marly, le lieu historique et pittoresque, dit le Petit-Parc, demeure intangible; qu'il soit établi des « zones artistiques » à la halte de la Brétèche et près de Marly-le-Roy, et enfin, qu'en cas de coupes indispensables, une lisière de verdure dissimule les treillages et qu'on appose des échelles de bois aux endroits où les sentiers se trouvent coupés. La Société pour la protection des paysages de France s'est, en outre, associée aux voeux émis par le récent Congrès pour l'aménagement des montagnes en demandant de plus que les mesures de protection réclamées pour les sommets s'étendent « aux terrains occupés par des forêts, bouquets de bois et arbres remarquables dont la conservation serait, après enquête, reconnue indispensable à la beauté des paysages fréquentés par les touristes ».

La maison de Rembrandt.

Le conseil municipal d'Amsterdam vient d'acheter la maison que Rembrandt possédait dans le Godenbreestraat, au milieu du ghetto d'Amsterdam et où le grand peintre habita avec la Sarkia qui servit de modèle aux chefs-d'oeuvre qu'il y peignit.

Cette petite maison contient deux logements séparés par une cloison. Rembrandt l'avait achetée en 1639 pour 13,000 florins; en 1656, il dut la vendre, ayant

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L'ART ET LES ARTISTES

été mis en faillite. Elle était estimée aujourd'hui 35000 florins; le propriétaire en a demandé45 000 en faisant ressortir la valeur historique de sa maison, et c'est le prix que la ville d'Amsterdam lui a payé.

Un incendie rapide et violent, vient de causer de très sérieux dommages au musée de Caen (Calvados). Parmi les tableaux et les objets de prix qui ont été détruits par le feu, on cite la Fumeuse, de Téniers; un Intérieur hollandais de Brakenburg, une toile de Lemarié de Landelles, une autre de Van Goyen, une statue en marbre Saint Jean-Baptiste. De nombreux tableaux sur la cimaise sont gravement atteints; l'un d'eux a sa peinture entièrement craquelée et ne paraît pas pouvoir être restauré.

sr

On parle d'une exposition posthume d'oeuvres de Fantin-Latour, qui doit s'ouvrir prochainement à l'Ecole des Beaux-Arts.

La ville de Tourcoing prépare une exposition rétrospective pour l'été de 1906. Il y aura de grosses surprises dans la partie rétrospective. Mais l'un des plus intéressants parmi les projets, sera l'exposition rétrospective de la région jurassienne organisée à Besançon, sous la présidence d'honneur de M. Georges Berger, membre de l'Institut. La Franche-Comté a-eu, de tout temps, des écoles d'art très prospères, dont les chefs-d'oeuvre seront réunis pour la première fois. On y joindra les dessins originaux et inédits des grands maîtres du xvme siècle, légués à Besançon, par l'architecte Paris, il y a cent ans. Ces oeuvres offertes à Paris par leurs auteurs, Fragonard, Hubert Robert, van Loo, Boucher, Saint-Aubin, Vincent, Surci, sont, par le temps de truquage qui court, des reliques d'une authenticité indiscutable. Voilà pour les collectionneurs du xvme siècle un voyage obligé, d'autant que les plus grandes facilités seront données, et que le pays est merveilleux.

Deux expositions sont ouvertes à Lille en ce moment : une de peinture, installée au Palais-Rameau, une d'art industrie! intéressant particulièrement le mobilier, à l'Union Artistique. Leur coïncidence atteste, mieux que leurs proportions, la constance de l'effort artistique dans le grand centre du Nord.

Mais ce n'est pas l'exposition de peinture actuellement épanouie, qui peut fournir une donnée exacte sur l'état de l'art local. A l'exception de quelques oeuvres louables, elle est dénuée d'intérêt.

Le mois de février ramènera le Salon ordinaire des Artistes lillois, qui est, depuis une quinzaine d'années, la véritable manifestation de la vie artistique dans cette région. Assurément tout n'y est pas chef-d'oeuvre, il s'en faut de beaucoup. Mais en même temps qu'on

y rencontre de très bonnes peintures, on y peut suivre d'une manière régulière les progrès des jeunes talents et y assister à l'éclosion de talents nouveaux. C'est là le meilleur résultat que l'on puisse attendre des expositions périodiques en province : encourager la production locale et en révéler la valeur. Ce but spécial, la Société des Artistes lillois l'a seule pleinement atteint jusqu'ici, et c'est pourquoi il est grandement à souhaiter qu'elle continue à prospérer.

D'autres associations organisent aussi des expositions, dont certaines sont fort belles et obtiennent du succès. Mais toutes sont plus ou moins des rééditions partielles du Salon de Paris; aucune ne revêt un caractère exclusivement indigène. Parmi celles-ci on. peut citer les expositions de Roubaix-Tourcoing, de Douai et de Valenciennes, villes voisines de Lille, qui ont, elles aussi, leurs écoles florissantes.

CONGRÈS DE LIÈGE. — Séance du i<) septembre 190J. Le congrès de l'art public et la propriété littéraire et artistique, émet le voeux que dans chaque pays des commissions soient constituées avec les délégués de toutes les associations intéressées pour l'étude d'une législation sur la conservation des monuments du passé, des sites et des paysages en prenant comme point de départ le travail du rapport de M. de Clermont « adopté à l'unanimité ».

Le directeur des fouilles de Timgad, M. Albert Ballu, annonce qu'on vient de découvrir un nouveau marché avec entrepôt, des Thermes publics près la porte Ouest des portes de la ville, des mosaïques curieuses et des tombeaux chrétiens recouverts d'inscriptions en mosaïques plaquées sur des sarcophages antiques, dont les textes seront bientôt mis au jour.

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Société des Artistes Lyonnais. — Salon de 1906. —■ La Société des Artistes Lyonnais prévient ses amis et adhérents, qu'elle ouvrira sa cinquième exposition, le 13 janvier 1906.

Les artistes lyonnais sont spécialement prévenus que leurs envois seront reçus du 27 au 30 décembre inclus, de neuf heures du matin à cinq heures du soir, au Palais municipal, quai de Bondy (porte à droite).

NANCY..— Salle Poirel, Société lorraine, Exposition de la Société des Amis des arts, du 19 octobre au 3 décembre.

CANNES. — Société des Beaux-Arts de Cannés, quatrième exposition, du 26 décembre 1905 au 26 février 1906. Dépôt des oeuvres à Paris, chez M. Fen'et, 36, rue Vanneau, du 10 au 15 novembre.

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L'ART ET LES ARTISTES

Envois directs du 10 au 15 décembre, au Palais des Beaux-Arts, allées de la Liberté.

MONTE-CARLO. — Quatorzième Exposition internationale des Beaux-Arts de la principauté de Monaco, en 1906, de janvier à avril. Dépôt des oeuvres, à Paris, chez M. Robinot, 32, rue de Meubeuge, du 20 octobre au 20 novembre. Envois directs avant le ier décembre, au Palais des Beaux-Arts. S'adresser pour tous renseignements à M. Jacquier, 40, rue Pergolèse, Paris.

LYON. — Société des Artistes Lyonnais, cinquième exposition à partir du 13 janvier 1906. Envois directs du 27 au 30 décembre inclus, au Palais municipal, quai de Bondy.

TOULON. •— Société des Amis des Arts, Exposition des Beaux-Arts, en mars 1906. S'adresser à M. Boyer, 9, rue Dumont-d'Urville, à Toulon.

Une Exposition nationale aura lieu à Angers en 1906; elle occupera le Champ de Mars et le Mail et comprendra tous les produits de l'industrie, de l'agriculture, des sciences et des arts.

L'ouverture de cette Exposition aura lieu le 6 mai 1906.

Exposition coloniale de Marseille. — Les collectionneurs qui possèdent des tableaux, objets d'art ou de curiosité, portraits, autographes, souvenirs personnels ayant appartenu aux personnages ayant participé dans l'Histoire, à la conquête ou à la mise en valeur des Colonies Françaises et qui consentiraient à les prêter, seraient très aimables de bien vouloir écrire à M. Louis Dumoulin, commissaire des Beaux-Arts, ou à M. Gaston Bernheim jeune, 1, rue Scribe, expert près la Cour d'Appel, délégué du commissariat des BeauxArts à l'Exposition Coloniale de Marseille.

PITTSBURG (Etats-Unis). — Exposition internationale de peinture, à l'Institut Carnegie, du 2 novembre au Ier janvier. Dépôt des oeuvres à Paris, chez Navez, 76, rue Blanche.

C'est dans le courant de 1906, qu'aura lieu à Gand, l'exposition rétrospective d'oeuvres de Van Dyck, qui sera organisée par les soins d'un comité présidé par M. Moeterlink, conservateur du musée de Gand.

Les Arts et industries du feu. — La direction de l'Exposition internationale des Arts et industries du feu ouvre deux concours pour la médaille et le diplôme qui seront délivrés en 1906 à tous les exposants récompensés par les différents Jurys.

Mille francs de prix dans chaque concours seront attribués aux trois projets retenus par le Jury spécial, qui examinera les maquettes et les dessins, le vendredi 15 décembre.

Les artistes qui désirent prendre part à ce concours, peuvent dès maintenant s'adresser à M. Biny, directeur général de l'Exposition, dont les bureaux sont installés, 19, rue Saint-Roch, à Paris.

Un peintre belge de grand talent vient de mourir à Bruxelles, à l'âge de soixante ans. C'est Isidore Verheyden.

Portraitiste et paysagiste, il fut l'évocateur ému des beautés nacrées du ciel occidental, dont il rendit les brumes avec une précision délicate et subite.

Il fut l'ami de Constantin Meunier, dont il traça maintes fois l'effigie et qui mourut même dans ses bras.

L'oeuvre de Verheyden est considérable et exerça une grande influence sur l'art jeune belge.

Un monument a Jules Verne à Nantes.

Un comité vient de se constituer à Nantes, pays natal de Jules Verne, pour élever un monument à l'illustre auteur des voyages extraordinaires. Sur l'initiative de ce comité présidé par le maire de Nantes, M. Sarradin, les lycées de la ville ont adressé à tous les lycées et collèges de France un appel de souscription, autorisé par M. le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.

Voilà une souscription qui promet d'être opulente si seulement chaque collégien de France donne 25 centimes.

Le monument sera mis au concours, et les maquettes seront, sans doute, exposées à l'École des Beaux-Arts de Paris.

L'Art et les Artistes tiendra ses lecteurs au courant de tous les détails de cette intéressante manifestation, qui deviendra une belle fête de la jeunesse.

Le Sous-Secrétariat des Beaux-Arts a confié à la Revue «- L'Art et les Artistes » le soin de rédiger et de publier la Notice officielle illustrée de l'Exposition des Ecoles départementales des Beaux-Arts et d'Art appliqué à l'Industrie, qui a été inaugurée à l'École Nationale des Beaux-Arts le 25 novembre.

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Bibliographie

La Comédie-Française (album), par André

ROUVEYRE.

Les historiens de la Comédie-Française se multiplient, et pendant que M. Jules Truffier en décrit les richesses d'art dans l'Art et les Artistes (voir le numéros delà Revue),pendant queM.FrédéricLoliée met la dernière main à son grand ouvrage, si documenté sur le passé et le présent de la maison de Molière, voici que le dessinateur humoriste André Rouveyre, dans un magnifique album, orné d'une intéressante préface de M. Robert de Montesquiou, fixe d'un trait sûr et vivant, mais non exempt de malice psychologique, les traits des glorieux sociétaires dans leurs rôles les plus importants.

Un des saints ressuscites et restitués par Ernest Hello, affirmait qu'il sentait l'odeur, et pour ainsi dire, voyait la couleur des âmes. Aussi n'était-il pas rare de lui voir embrasser un lépreux dont le coeur lui semblait pur, et se détourner avec dégoût d'une personne parfumée et parée.

Les caricaturistes comme M. Rouveyre ne sont pas loin de ressembler à ce saint-là; et leur art pourrait rendre .des services réels dans un bureau d'anthropométrie,- son crayon, quasiment exorciste, saurait y contraindre un faciès en apparence anodin, à livrer de redoutables secrets...

Ces lignes, empruntées à la préface, en disent assez sur l'art pénétrant et indiscret du dessinateur, sur l'intérêt palpitant du livre, et nous voilà du coup renseignés sur les méditations académiques de Mounet-Sully, sur les rêves bucoliques de M. Sylvain, sur les plus secrètes pensées de M"e Kolb et sur les tourments politiques de M. Coquelin Cadet. — Ernest FLAMMARION, édit.

L.-E. Barrias, par Albert SOUBIES. — E. FLAMMARION, éditeur. sr

G.-G. Henner, par Albert SOUBIES.—E. FLAMMARION, éditeur.

sr

Le Mystère du visage, par Camille MAUCLAIR, très précieux recueil de nouvelles et de contes. —• FASQUELLE, éditeur.

sr

L'Homme de peine, par Charles GÉNIAUX, belle oeuvre littéraire digne du premier ouvrage du jeune auteur de la Cité de mort.— FASQUELLE, éditeur.

sr

Trois Comédies de T>laute (Les Bacchis, Le Petit Carthaginois, Curculio). Traductions de Laurent TAILHADE, avec un frontispice d'Evelio TORENT. — E. FLAMMARION, éditeur.

\sr

Au Tays de l'Harmonie, par Georges DELBRUCK. — PERRIN et Cie, éditeurs.

L'Esprit nouveau (drame), par Mathias MORHARDT. — Librairie Molière.

DEMOLY.

ReVues d'Art & Journaux artistiques

L'Art Moderne, Bruxelles.

L'Art Flamand et Hollandais, Anvers.

Modem Kunst, Berlin.

La Forma, Barcelone.

La Chronique, Bruxelles.

Durandal, Bruxelles.

Simplicissimus, Munich.

The Magazine of Arts, Londres.

Saturday Review, Londres.

Deutsche Kunst unà" Dekoration, Darmstadt.

Modem Bauformen, Stuttgart.

La Revue de l'Art Ancien et Moderne, Paris.

La Décoration Ancienne et Moderne, Paris.

L'Art pour Tous, Paris.

Le Journal des Arts, Paris.

La Gazette de l'hôtel Drouot, Paris.

La Vie illustrée, Paris.

Femina, Paris.

Je Sais Tout. Paris.

Le Mercure de France, Paris.

Le Mois, Paris.

La Revue Biblio-Iconographique, Paris.

La Vie Parisienne, Paris.

Le Journal Amusant, Paris.

XXII


Les Parfums naturels de Lenthéric

leur réputation dans le monde

Phot. Reutlinger.

Mme OTEKO

COLLECTION DES PARFUMS LENTHÉRIC

-VIOLETTE LENTHÉRIC, MERVEILLEUSE, BOUQUET ALGÉRIEN, BOUQUET DE L'ALLIANCE, CHÈVREFEUILLE, LE MIEN, L'TEOLIAN, LA FERIA, CHYPRE, FLEURS DE SAINTE-LUCIE, FOIN FANÉ, GARDÉNIA, GIROFLÉE, HÉLIOTROPE BLANC, IRIS, IRIS AMBRÉ, JASMIN AMBRÉ, JOCKEY-CLUB, MAGNOLIA,

MLGNONNETTE, MLM'OSA, MUGUET, PARFUM RUSSE, PEAU D'ESPAGNE , PORTUGAL , RÉSÉDA , ROSE MUSQUÉE, SKIMMIA DU JAPON, VERVEINE, VIOLETTE DES BOIS, YLANC-YLANG, OEILLET BLANC, AMBRE GRIS, Musc, BÉGONIA, MARÉCHALE, OPOPONAX, LILAS, ORCHIDÉE.


Échos de la Mode

■JXANS son évolution routinière, la mode nous rend ■*■' les grands manchons, les grands chapeaux, les grandes voilettes, et l'on peut dire qu'elle ne nous ménage pas ses largeurs, car une femme portant ce trio de fanfreluches tient bien de la place dans l'existence.

Ce n'est pas qu'on ait à se plaindre de pouvoir glisser les deux mains à la fois dans un manchon, plaisir d'hiver dont nous étions privées depuis que messieurs les fourreurs, à court de pelages, sans doute, nous imposaient de minuscules manchons, utiles seulement au point de vue de la morale et de la mortification, car on n'y pouvait cacher le moindre billet doux et on y attrapait l'onglée.

Les voilà démodés et remplacés par de véritables . berlinis où les bras s'enfoncent jusqu'au coude, donnant ainsi à nos modernes élégantes la silhouette frileuse et mignarde de leurs aïeules, croquées au passage, dans les allées des Tuileries, par Boilly et Debucourt.

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Les chapeaux suivent la même marche et leurs bords insolemment retroussés ou cabossés, plus garnis de panaches qu'un cheval de carrosse, ont belle allure sur certaines jolies têtes dont la coif-» fure, le type, le teint et surtout l'âge permettent les pires excentricités. Mais sur d'autres... oh! sur d'autres, c'est vraiment pénible de les voir et l'on a envie de pleurer en croisant d'antiques beautés, plus emperruquées, plus plâtrées que la reine Jezabel, qui osent arborer sur un échafaudage de postiches, des chapeaux faits pour la grâce des vingt ans.

Ce n'est que tulles, gazes et dentelles en légères envolées, nuances tendres, fleurs fraîches écloses, plumages vaporeux, aigrettes provocantes, noeuds coquets, voire même un brin coquins, et tout cela couronne des figures qu'on vantait déjà du temps de M. Thiers!

Les amples voilettes à pois serrés ou à souples rinceaux ont, au moins, l'avantage de masquer un peu ces débris et, quand ce ne serait que pour ce service, ou leur doit quelque reconnaissance bien que leurs pans, trop longs, soient souvent gênants.

En général, les voilettes un peu lâches sont beaucoup plus favorables au teint et aux traits que les

voilettes bridées qui laissent voir tous les défauts du visage derrière leur réseau trop tendu. Les femmes coquettes avec habileté ne l'ignorent pas et en profitent pour paraître à leur avantage sous l'ombre douce et mouvante de la voilette bien posée, sans faux plis qui balafrent les joues, fendent la bouche et rapetissent les yeux.

Pour compléter l'oeuvre de séduction, elles ont soin, non de se maquiller, c'est bien trop vieux jeu, mais d'entretenir la fraîcheur, la blancheur et le velouté de leur épiderme par l'emploi constant de l'Eau ou de la Crème Brise Exotique qui effacent rides, taches de rousseur, effiorescences, en un mot toutes les petites horreurs dent l'apparition est synonyme de désespoir.

Les plus raffinées ajoutent un rien de poudre de riz fleur de pêche et s'en trouvent à merveille. Ces trois spécialités appartiennent à la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre.

Les maisons ne vendant spécialement que des articles d'enfants sont rares ; surtout celles qui ont pour principe de vendre bon et peu cher. Nous croyons rendre un réel service en faisant connaître à nos lectrices une adresse utile à garder « Fraysse, 5, Faubourg-Saint-Honoré, Paris » où elles trouveront pour les enfants de tout âge, un grand choix de chaussures sur les formes rationnelles, puis aussi un rayon de chapeaux pour les bébés, petites filles et grandes fillettes. Sur la demande, le catalogue de la maison sera adressé franco.

Mme SANS-GÊNE.

Rêveuse. —■ Dans beaucoup de cas pareils au vôtre, je sais que cils et sourcils ont épaissi et allongé sous l'influence de la Sève Sourcilière de la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre. Essayez-en, ce produit vaut 5 francs, et 5 fr. 50 franco.

Violette. — Rien n'accompagne bien un grand chapeau comme une belle chevelure ondulée. Demandez à la Parfumerie Régine, 188, rue de Rivoli, des épingles viennoises — adorable invention.

Mrae S.-G.

xxiv


Numéro 10 — Janvier 1906

Supplément illustré

de l'Art et les Artistes

N. B. — Tout ce qui concerne les Abonnements, la Publicité, etc., doit être exclusivement adressé à M. /'Administrateur de L'ART ET LES ARTISTES, 17s, boulevard Saint-Germain.

ABONNEMENT ANNUEL : Un an, 16 fr. pour la France, 20 fr. pour l'Etranger.

L'Education artistique

L'AVENIR DE NOS ECOLES PROVINCIALES D'ART

L'EXPOSITION des écoles départementales qui vient de se fermer, quoique ne donnant dans son ensemble restreint qu'un aperçu incomplet de l'effort accompli depuis quelques années sur plusieurs

plusieurs de la France, a présente le plus grand intérêt au point de vue de l'éducation artistique actuelle et de l'évolution des arts appliqués.

Il faut nous réjouir de l'initiative prise par le Sous-Secrétariat d'Etat des Beaux-Arts ; elle a ramené l'attention des industriels, du public et, il faut le dire, du Parlement sur une question vitale pour l'avenir de nos industries nationales : celle de l'enseignement des artisans.

En effet, de l'ensemble des travaux exposés s'est dégagée nettement l'orientation des cours vers les applications industrielles. Si l'art pour l'art reste le haut idéal des natures d'élite, si le champ de France donne encore la plus riche et la plus enviable moisson de peintres et de sculpteurs, l'art pour l'homme prend de plus en plus a place à laquelle il a droit, et le nombre s'augmente des élèves qui désirent en vivre.

Nos Ecoles provinciales, de par leur situation même, se transforment suivant les nécessités industrielles de la région, et leur premier souci est de préparer des élèves pouvant apporter aux industries

industries une base de connaissances sérieuses et contribuer ainsi au développement de notre production. Et c'est encore de la véritable et . bonne décentralisation artistique permettant aux qualités inhérentes à la race de se développer dans leur milieu. Ces qualités, issues des traditions, des moeurs, des coutumes, du sol même, forment ce qu'on appelle l'art du terroir. Elles se révèlent dans toutes les oeuvres des bons artisans de nos anciennes provinces et l'ensemble en a produit la floraison rayonnante de notre vieil art national. L'autonomie artistique des écoles départementales peut nous permettre de retrouver cette floraison.

A ce titre les écoles de Roubaix, de Rennes, de Tarare, de Lyon, de Valence, de Bourges, de Saint-Etienne, d'Abbeville, etc., ont fourni les plus intéDIJON

intéDIJON


L'ART ET LES ARTISTES

ressants envois. Leurs recherches décoratives basées sur l'étude préalable et documentaire de la flore naturelle est d'un heureux augure pour les oeuvres futures.

Pourtant, ces essais ne sont encore qu'à l'état de tentatives. Ils se présentent encore trop souvent entachés de cette uniformité d'interprétation décorative baptisée stylisation, procédé d'influence néfaste, formule parasite germée sur l'art décoratif depuis près de quinze ans et dont l'envahissement a pénétré la province par le moyen des publications pseudo-artistiques.

Stylisation, modem-style, art nouveau, que d'horreurs n'a-t-on pas fait sous le pavillon de ces trois mots-là !

On ne saurait trop le répéter à ceux auxquels incombe l'éducation artistique de la jeunesse : il n'y a pas d'art nouveau, il n'y a pas de modem, style. Il n'y a qu'un art qui s'appliquera rationnellement et de lui-même aux conditions nouvelles de la vie, des moeurs et des habitudes, pour peu qu'on se pénètre bien de sa destination.

Quant aux méthodes employées pour la composition décorative il ne peut exister, sous le nom de stylisation, une formule emprisonnant les motifs dans un même principe géométrique, principe dont la généralisation tournant au poncif devient d'un aspect aussi suranné que celui des modèles les plus désuets.

On ne fait pas nouveau en déformant bizarrement

BOIS SCULPTÉ (BOURGES)

une composition. Il ne faut pas oublier que le style dans un objet d'art réside uniquement dans V appropriation logique du décor à la matière et à l'espace à décorer.

Il apparaît donc que ce ne sont pas les bons élèves qui manquent dans nos écoles, ni l'ardeur qui fait défaut à leurs professeurs, mais plutôt que ces professeurs ont eux-mêmes besoin de connaissances générales plus soPROJET

soPROJET COL EN DENTELLE (TARARE)

lides en ce qui concerne les applications de l'art à l'industrie. Les considérations techniques propres à chaque branche d'art me paraissent insuffisamment observées dans les compositions qu'il nous a été donné d'examiner. Ceci ne peut être imputable à la bonne volonté des maîtres. Le motif de cette lacune est autre ; nous le trouvons dansl'absenced'EcoleNormalepréparant ces derniers.

Pourquoi ne créerait-on pas des cours ou sessions normales pour la formation de professeurs d'art décoratif ?

L'enseignement théorique général, la composition basée sur le document naturel, l'étude des métiers d'art et, surtout, l'examen approfondi des lois et des nécessités techniques relatives à chacune des industries auxquelles l'art peut s'appliquer, formeront un fond solide d'éducation pour la préparation des futurs maîtres.

Les résultats ne seraient pas longs à se faire sentir dans nos écoles provinciales, et nous pourrions, grâce à elles, voir rapidement se hausser la qualité de nos productions d'art industriel, qualité actuellement un peu... stationnaire, il faut l'avouer.

PAUL STECK,

Inspecteur de l'Enseignement du Dessin et des Musées.

II


PAUL-LOYS ARMAND — CHEMIN DE TABLE

La Dentelle et M. Paul=Loys Armand

T A mode revient à ce joli luxe, les dentelles. A —* vrai dire, elle ne les délaissa j amais tout à fait ; les sévérités du Chantilly, les ennuagements du point d'Alençon parurent toujours en mainte toilette féminine. Seul le sexe fort les dédaigne résolument depuis cette révolution de 8g, qui, si elle nous donna la Déclaration des Droits de l'Homme, supprima le jabot et les manchettes. Et depuis, si l'on voulait, si l'on ne craignait pas le paradoxe, on pourrait dire que c'est la vie économique, la lutte pour la vie, le développement de la concurrence vitale, le machinisme qui exclut sévèrement la dentelle de la toilette masculine.

Les dames tinrent bon et restèrent fidèles à la dentelle. Elles savaient que c'était une magicienne. Jetez sur la robe d'une femme impérieuse les méandres délicats de la dentelle, sa beauté paraîtra moins altière; aux polis, aux luisants de la soie noire, la dentelle apporte un précieux adoucissement, même la dentelle noire participe de cette qualité apaisante, par ce ton doux et mat, par toute cette patience délicate dont elle est le symbole. La dentelle blanche est plus encore une mollesse, une douceur, une fantaisie au rythme léger ajouté à la toilette féminine.

Si les dames aiment, parce qu'elles leur sont bien seyantes, ces précieuses merveilles, les belles dentelles, les artistes les aiment aussi parce que sur le luxe un peu brutal de l'étoffe elles font courir des

arabesques artistes. Les dessins de dentelle procèdent de la plus belle théorie d'art, de celle qui recommande la ligne pure, de celle qui dicte les entrelacs du Vinci qui ne sont point des dessins de dentelle, mais dont la formule peut se traduire avec cette jolie matière ; les artistes aiment cette matière, parce que peu coûteuse, peu précieuse, elle peut donner, grâce à l'habileté humaine, un produit d'art aussi rare que le plus magnifique bijou. Aussi la dentelle évoque, si l'on songe à sa fabrication un des plus séduisants parmi les pittoresques qui s'en vont en mourant. On la fabrique sur ce vieux métier qui n'a point changé depuis que Van der Meer de Delft l'a peint, et quand il l'a peint c'était déjà un appareil très ancien; on la fabrique dans les rues silencieuses d'un Bruges, que les travaux de son port de mer n'empêchent point encore de ressembler à la dolente cité que peignit Rodenbach avec la consciencieuse douceur d'un élève de Memlink, près des béguinages où d'humbles femmes attendent le repos éternel en agitant sans relais, d'un mouvement doux, les bâtonnets ; on la fabrique à Bruges dans les rues de misère, près du poêle de fonte à la flamande, et dès que le temps moins âpre le permet, clans la rue, car les logis des dentellières sont exigus ; on en fait dans les maisons paysannes des pays de montagne, vers le Puy,dans les Vosges, aussi on en fait en Normandie, aussi on en fabrique dans ces grands centres industriels, Plauen, Saint-Gall, Calais,

ni


L'ART ET LES ARTISTES

PAUL-LOYS ARMAND — RETICELLA, POINTS COUPÉS

Nottingham. Ici la machine a pris possession de ce domaine ; elle est entrée dans la vie de la dentelle, elle en expulse peu à peu le travail manuel et le procédé des aïeules. Il peut y avoir des grèves de dentelliers, de dentelliers mécaniciens, comme hélas, il pourrait y avoir des grèves de dentellières, si trop de personnes écoutaient le conseil de ce récent comité de la dentelle qui voudrait remettre en honneur le vieux mode de fabrication, si pittoresque, mais si insuffisant à lutter contre l'outillage moderne. La machine, dès à présent, exécute les points les plus difficiles ; elle donne à celui qui s'en sert un salaire quadruple de celui qui est tangible à l'ouvrière selon le vieux procédé; la machine vaincra et le tour de main, si intéressant soit-il, disparaîtra devant elle de la fabrication de la dentelle.

Si le rôle de l'ouvrière s'annule dans ce devenir de la dentelle, il n'en est point de même de celui de l'artiste ; il existe toujours et pourrait s'augmenter. Comment ? la dentelle doit être exécutée d'après un dessin. Il y a trois façons d'obtenir des dessins de dentelle.

La première consiste à copier des vieux modèles.

Il y a peu de travaux aussi inutiles ou du moins qui soient si peu de l'art et davantage du pur commerce. Il y a quelque propension de la part d'excellents fabricants, et qui s'intéressent fortement au renouveau de la dentelle, à procéder ainsi. L'industriel y peut parfaitement trouver son compte d'abord en se félicitant d'avoir obtenu une imitation quasi parfaite et aussi parce que des belles clientes peuvent être ravies de porter, sans trop de frais, une cravate, un col, une quille qui est l'exacte analogue de telle pièce entrevue au Gruthuys de Bruges ou à Cluny, et qui a paré, d'après la chronique, une grande dame d'antan. C'est là, simplement, commerce de luxe.

Il y a une deuxième manière d'obtenir des dessins de dentelles, c'est de les demander à un praticien, qui dessinera d'une façon molle et quelconque une rose , une volute, qui transportera à la dentelle un décor formulé par un artiste, mais pour un autre art, qui déduira d'un ornement de céramique ou de bijouterie un dessin quelconque ; on peut le demander à la candeur de jeunes filles qui entasseront sur une brève surface toutes les roses, les rosaces,

IV


L'ART ET LES ARTISTES

STYLISATIONS D'iNSECTES POUR ADAPTATION A LA DENTELLE DE CHAINE POINTS A GAZE, DENTELLES A L'AIGUILLE

les festons et les astragales; c'est également, encore que bien des fabricants y aient recours, un assez piètre système.

Il y a une troisième façon de procéder, c'est de demander un dessin de dentelle à un artiste : ainsi Fernand Courteix s'adresse à Victor Prouvé, à Félix Aubert, à Mezara ; d'autres, à AbelTruchet, d'autres à l'artiste qui nous occupe, M. Paul-Loys Armand.

sr

Comme tous les bons décorateurs M. Paul-Loys Armand n'est pas absolument spécialisé en un seul genre ; il ne fait point que de la dentelle ; l'art décoratif a ses principes généraux qui, une fois bien compris, permettent à l'artiste qui s'en est pénétré d'établir toute espèce de décoration ou d'objet d'art. A cette entente des principes de la décoration, le bon artiste décorateur doit ajouter la connaissance de plusieurs techniques qui lui permettent d'assimiler à ses conceptions la matière dont il veut se servir. M. Paul-Loys Armand, qui est un homme d'une trentaine d'années, a déjà signalé son activité

dans des branches diverses de l'art ; on connaît de lui une enseigne établie d'une façon intéressante des projets de meubles pour les classes populaires, certains meubles plus coûteux à réaliser, qui se recommandent par une bonne entente des proportions et une remarquable sobriété de style. M. Paul-Loys Armand a trouvé le détail de certaines machines nouvelles nécessaires à sa conception du meuble.C'est un inventif ; son goût est sobre et sûr, il a parfaitement discerné entre les éléments de l'art décoratif moderne, de ce que l'on appelle l'art nouveau, et il s'est créé une originalité, un mode sobre, parfois un peu sévère, d'ornementation, où il se tient également à distance, du coup de fouet, du paraphe qui trop employé faillit amener le discrédit sur les tentatives nouvelles, et des formes monotonement cubiques, vers lesquelles par réaction contre le coup de fouet, certains artistes évoluèrent. Encore que son attention soit portée sur tous les points de l'art décoratif, bijou, cuir incisé, meuble, ou cuivre repoussé, M. Paul-Loys Armand a jusqu'ici donné à la dentelle, une place prééminente dans ses recherches.


L'ART ET LES ARTISTES

STYLISATION DE FLEURS PAR DENTELLES OU BRODERIES

Un livre de lui, Dentelles et Broderies (20 planches, 150 motifs) abondî en projets ingénieux et de lignes harmonieuses.

Un système se démontre à ces essais de dentelle. L'artiste ne cherche nullement à accumuler le détail. Encore qu'il ait vers ses débuts travaillé avec Mucha, dont le goût somptueux aime à nourrir de joliesses le moindre coin de la page ornementale, M. Paul-Loys Armand est d'un goût très sobreSa méthode ordinaire est de créer un grand motif central, très évident, très lisible, qu'entoure une série de motifs plus légers, passant à de menues dégradations. Dans beaucoup de ses projets, M. Paul-Loys Armand établit l'autorité de ce motif central non seulement par la ligne, mais encore par la couleur, ou plutôt par la valeur, par des gradations dans l'emploi des blancs employés, allant du blanc pur au crème, variant les densités et par conséquent les clartés du réseau qui sert de fond à son

arabesque ou à son dessin ornemental. Aussi dans ses dessins, jdans ses interprétations de la nature, car là est sa base, il se sert selon la bonne technique, de la fleur, de'la'tige, des coupes botaniques et non point de l'objet usuel figuré dans des décors déjà vus (mandolines ou flûtes enrubannées, fleurs stylisées et méconnaissables), il se garde de pousser par trop son exécution. Ce sont des indications de mouvement qu'il fournit, des mises en place de fleurs, de façon qu'un praticien puisse s'en inspirer avec une certaine largeur pour produire, avec les ressources qui lui sont fournies, un dessin similaire et bien adéquat au but recherché. Pour établir des réseaux, l'artiste a recours à des sections botaniques, à l'étude de fleurs, de tiges décomposées, étudiées à l'aide de très grosses loupes qui lui révèlent la construction et le mouvement de son modèle. Ailleurs, il empruntera l'arabesque d'un galon à l'algue, à la monnaie-du-pape, au chardon à foulon, au pavot. Il les modèle fortement et entend

entend l'exécution pratique rende fidèlement ses intentions. Il reprend parfois sans trop d'archaïsme le style de Vecellio, mais dans un goût du motif très moderne. Avec le même soin dont il établit le modèle d'un corsage de femme flore et ajouré, il compose des motifs qui peuvent se fragmenter et fournir au goût de la couturière tout un éparpillement de fantaisie, tout un essor de petits détails autour du grand motif d'ornementation de la robe. Son faire est simple et très varié et c'est justement au moment où renaît le goût de la dentelle, qu'il était bon de parler de cet artiste très ingénieux, d'éducation esthétique excellente, dégoût vraiment traditionnel, puisqu'il oriente ses recherches dans la direction de la simplicité ornée et de l'expression des lignes en une arabesque dont tous les éléments sont empruntés à la nature.

GUSTAVE KAHN.

VI


Le Mois archéologique

L'EGYPTE CHRETIENNE. — UNE LETTRE D'AMOUR AU XIIIe SIECLE.

LES INTESTINS DE RAMSÈS II.

L'EGYPTE CHRÉTIENNE.

TL n'y a pas de pays où les choses changent aussi peu qu'en Egypte.^ Les fellahs d'aujourd'hui ressemblent au Scribe accroupi, et les indigènes des fouilles assimilèrent immédiatement au maire de leur village la statue qui porte ce nom (Cheikel-Beled). Et pourtant il n'en est pas qui ait subi des destinées plus diverses. Ce paysan si résigné que suivant un scribe, les pyramides se sont construites à coups de verge, a vu se succéder dans son pays toutes les dominations. En trois siècles, trois peuples, les Ethiopiens, les Assyriens et les Perses l'ont soumis tour à tour. Entre temps, dans la période saïte, Psammétik Ier établit les Grecs d'Ionie et de Carie sur le Nil, les Milésiens à Bubastis, et alors se forma en Egypte cette classe d'interprètes grecs si utile dans un pays où les races diverses sont en rapports quotidiens. De nouveaux colons helléniques fondèrent le port de Naucratis, et ces marchands rayonnèrent dans la Haute-Vallée du Nil ; l'Egypte, autrefois si hiératique, frayait avec les peuples de la Méditerranée. A la mort d'Alexandre, un de ses généraux établit sa capitale à Alexandrie : Cette ville, avec son musée, son gymnase, son Arsineum, fut le siège d'une brillante civilisation, le 'trait d'union entre la civilisation grecque et la romaine. Et cependant la civilisation égyptienne persistait : la permanence des formes d'architecture en est un exemple. Les premiers explorateurs furent frappés par les temples de Philoe, les mieux conservés, et les prirent pour des types de l'architecture égyptienne ; et cependant ils n'étaient contemporains que des Ptolémées (3e et 2e siècles av. J.-C), en partie de Tibère, c'està-dire du Ier siècle après Jésus-Christ. On sait la conquête romaine (30), l'Egypte devenue avec la Tunisie, le grenier à blé de Rome, le pèlerinage d'Hadrien (première moitié du 11e siècle) à Alexandrie, à Memphis, au pied du colosse de Memnon, et le dévouement d'Antinous. Or, à cette époque le christianisme se propageait sur les bords du Nil. Alexandrie, qui conservait encore pour quelque temps sa renommée intellectuelle, fut le siège d'un évêché, et les prêtres de ce pays prétendirent longtemps que l'église d'Alexandrie était l'égale, sinon la supérieure des églises de

Rome et de Constantinople.Origène était si célèbre que la mère d'Alexandre Sévère voulut l'entendre discuter sur l'âme ; Clément (217) écrivit le Pédagogue, manuel de morale chrétienne, et les Stromates (Broderies), sorte d'encyclopédie religieuse ; on traduisait en copte les pères de Y it lise grecque, saint Basile et saint Jean Chrysostome ; et la ville du Musée voyait naître les premières passions théologiques, l'hérésie d'Arius, à savoir l'analogie, non l'identité du Père et du Fils,hérésie vite réprimée par le concile de Nicée (325).

Mais, dans l'Orient chrétien cette idée se répandait de plus en plus que l'homme ne peut faire son salut qu'en se séparant de ses semblables. Les premiers Anachorètes (hommes qui se mettent à part) s'établirent en la Thébaïde, dans les ruines de l'ancienne Thèbes. Paul, le plus ancien (235-340), vécut 90 ans dans une grotte, près d'une source et d'un palmier. Saint Antoine, beau, noble et riche, entendit l'Evangile, à l'âge de vingt ans. Aussitôt, il vendit tout, distribua son argent en aumônes, et s'établit dans un tombeau vide ; il invectivait l'aurore qui le trouvait en prières : « O soleil pourquoi te lèves-tu déjà et m'empêches-tu de, contempler la splendeur de la vraie lumière ? » Il ne sortit de sa retraite que pour prêcher à Alexandrie, contre les Ariens. Alexandra s'enferma dix ans sans voir personne. Poemen et ses frères ne voulurent parler à leur vieille mère qu'en se tenant cachés : « Vous nous verrez, dirent-ils, dans l'autre monde ». Saint Pacôme, quinze ans durant, ne dormit que debout, appuyé contre un mur. Macaire resta six mois dans un marais, harcelé par des moustiques dont les dards auraient percé la peau d'un sanglier. Siméon le Stylite passa quarante ans au sommet d'une colonne. Tous les Parisiens se souviennent d'avoir vu au musée Guimet, les momies de Thaïs et de Sérapion, et peut-être, à Saint-Merry, car on en parle moins, l'admirable fresque de Chasseriau, qui retrace la vie de sainte Marie l'Egyptienne.

Puis les ascètes se groupèrent dans le désert, et devinrent des cénobites (gens qui vivent en commun), sous la direction d'un abbé (père). L'abbé était maître absolu en son monastère, et dans Cassien, il est question d'un cénobite à qui son supérieur infligea un soufflet en pleine figure pour éprouver son obéissance. Saint Pacôme (272-348) avait groupé

vu


L'ART ET LES ARTISTES

à Tabenna, près de la première cataracte du Nil, 3 ooo anachorètes. En 356, un voyageur raconte avoir vu dans une ville d'Egypte 20 000 religieuses et 10 000 moines.

Les monastères, dans lesquels les cellules ressemblaient « à une ruche d'abeilles où chacun a dans ses mains la cire du travail, dans sa bouche le miel des psaumes et des prières », furent soumis à une règle monastique. Saint Pacôme rédigea la première, — saint Basile, celle qui fut adoptée par les monastères d'Orient.

M. Maspero, cet éminent archéologue, qui ne dédaigne pas d'écrire en une langue savoureuse, a publié une très intéressante étude sur les couvents d'Asouan, qui fut « passionnément chrétienne avant de devenir passionnément musulmane », et notamment sur le couvent de Saint-Siméon, le mieux conservé. Il s'élève là-bas, derrière Eléphantin'e, près des hypogées que creusèrent les princes de la sixième et de laseptième dynasties. Chemin faisant M. Maspero parle d'un charme que . se passèrent avec bienveillance les diverses religions, et qui s'opérant d'abord par la puissance de Khnoumou, le seigneur de la cataracte, fut cédé à de bonnes conditions à saint Siméon par Khnoumou, enfin recueilli précieusement par un cheikh musulman. Et, voilà qui corrobore cette notion, indiquée déjà, que le peuple égyptien a peu changé, malgré des vissicitudes apparentes, et qu' « il continue de prier sous des vocables nouveaux les dieux médecins que ses ancêtres adoraient ».

Le monastère est établi sur deux plans, indépendants, est et ouest, dont l'ensemble forme un trapèze, orienté dans le sens de la plus grande longueur, du nord au sud. L'enceinte extérieure, qui regarde l'Est, et par conséquent la vallée du Nil, s'allonge, uniformément, sans bastions ; la base est en gros moellons, pour résister à la sape ; le haut est en briques. Le tout est en parfait état, sauf à l'angle S.-O., éventré par la brèche des derniers assaillants. L'entrée, à soixante mètres de la brèche, au centre du mur, est constituée par une poterne étroite et basse dont on ne pouvait approcher qu'à découvert: Par là on pénétrait en une chambre sombre, puis on franchissait une deuxième porte, puis une troisième à la suite d'un long couloir encaissé. On était alors maître du premier plan Est, il restait à conquérir le plan ouest, plus élevé. En travers de la cour du premier plan s'étalait l'église du couvent. L'architecture est celle de la basilique classique, avec un atrium et un narthex, aujourd'hui démolis, une aula se divisant en nef centrale et deux nefs latérales, surmontées chacune de trois coupoles. Les murs, blanchis à la chaux, comportent pour tout ornement, de grossiers entrelacs en noir, jaune

et rouge. Dans le choeur, 1' « hékal », comme disent les Arabes, la décoration est plus importante : l'hékal comprend trois niches, surmontées d'une demi-coupole. Les murs sont recouverts de plusieurs couches de peintures ; sur les plus anciennes, on voit apparaître des draperies et des figures intéressantes ; les plus récentes datent du 11e siècle et sont dues probablement à un moine du couvent : le Christ assis, dans une gloire, bénit de la main droite, et tient de la main gauche l'Evangile, sur ses genoux. C'est la manière habituelle des christs italiens et français du XIe et du début du XIIe siècle; et la tradition en est toute byzantine ; au-dessous, les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse, que les Egyptiens ont désignés par les vingt-quatre lettres de l'alphabet. Le tout est laid et gauche. Dans les cellules attenant à l'hékal, des pèlerins ont exprimé la ferveur de leur foi par des graffiti ; parmi ces inscriptions, les unes sont en copte, et, plus on avance dans le cours des années, en arabe. L'église s'appuyait au rocher qui marquait la limite des deux plans : dans ce rocher, à la fin de l'époque grecque, on perça des carrières, dont les ermites firent leur demeure. L'une de ces excavations a dû abriter un saint de marque, car elle a été recouverte par des figures de saints célèbres dans l'almanach copte, l'apa Anoup, l'apa Poimên, l'apa Mercouré, l'apa Phibammon. Les autres excavations furent sans doute destinées à la domesticité, aux artisans du couvent, voire même à des étables, fort utiles dans le cas où les Bédouins coupaient toute communication avec Asshouan. Quant aux moines eux-mêmes, ils habitaient, dans le plan supérieur qui communiquait avec le plan inférieur par une rampe étroite, la partie nord-ouest, que défendait un donjon dominant le rocher au nord et à l'est, et visant une cour au sud et à l'ouest ; là ils pouvaient tenir encore quelques semaines. Une caserne à deux étages, divisée en 5 bandes longitudinales du nord au sud, constituait leur logement; une de ces bandes, voûtée, traverse l'édifice. Sous les écailles de crépi blanc, on voit la terre battue qui enduisait les briques ; tout le long, des formules coptes ou arabes ; de part et d'autre les cellules pouvant contenir jusqu'à six moines ; à l'intérieur, des bancs en briques crues, sur lesquels ils étendaient leurs nattes pour dormir ; une niche pour la lampe et la goulleh d'eau fraîche ; au milieu de la galerie, deux tableaux dont l'un a disparu ; l'autre représente un christ, en une attitude byzantine, entouré d'archanges ailés, de six apôtres, le tout dans le faire maladroit qui caractérise les images de l'église conventuelle. Les galeries attenantes représentent probablement le réfectoire, le chapitre ou la bibliothèque.

VIII


L'ART ET LES ARTISTES

La vie de ces moines s'écoulait, monotone ; plus de ces discussions théologiques qui avaient fait la gloire de l'Église d'Alexandrie ; leurs scribes ne copiaient plus que les vies de saints, les psaumes, les Evangiles ; ils balbutiaient, comme un refrain vide de sens, des paroles qui avaient bouleversé le monde, et ils étaient mûrs pour la disparition. En effet, les Musulmans d'Assouan empiétaient sans cesse sur leurs biens, et après quatre siècles de résistances, vers 1350, le monastère de SaintSiméon fut abandonné pour les communautés coptes d'Edfou et d'Esneh.

UNE LETTRE D'AMOUR AU xme SÈCLE.

■ M. Sauvageot, l'architecte diocésain, qui dirige la restauration de l'église Saint-Pierre de Montmartre, a trouvé, dans un pilier N. de la nef, un morceau de verre émaillé, une branche de buis, et un parchemin daté du xme siècle, par sa jolie écriture gothique. En voici la traduction :

« Jean de Gisors mande salut à damoiselle Aolis de Lisle, come à la femme au monde qu'il aime le plus quoiqu'il ne lui appartienne.

« Et sachez en vérité qu'il vous aime, comme on aime une soeur ; aussi pouvez-vous avoir en lui la même confiance qu'en un de vos frères, ou en deux, pour l'amour de sire Philippe et le vôtre. Et sachez, en vérité, qu'il ne voudrait méfaire ni médire envers vous plus qu'envers sa mère.

« Et sachez, en vérité, que cette lettre fut écrite au boulevard et que celui qui l'écrit n'a jamais reçu de vous une faveur quelconque ; il vous le jure devant Dieu. »

« Dieu vous sauve. »

M. Lucien Lambert a communiqué cette lettre à la commission du Vieux Paris, qui l'a envoyée au musée Carnavalet. Il s'en exhale un délicieux parfum de chevalerie.

LES INTESTINS DE RAMSÈS IL

Suivant le spirituel informateur du Cri de Paris, ils attendent dans quatre urnes funéraires, chez M. Léon Bénédite. Le conseil des musées, importuné par le souvenir de la tiare, n'ose leur accorder droit de cité dans les salles du Louvre.

LÉANDRE VAILAT.

Les Théâtres

Athénée: Triplepatte, cinq actes de MM. Tristan, Bernard et André Godfernaux. — Ambigu : la Grande famille, six actes de M. Arquillière. — Vaudeville : la Cousine Bette, quatre actes de MM. Decourcelle et Granet, d'après le roman de Balzac. — Les Auteurs et le Trust des Théâtres.

Nous avons lu — qui n'a pas lu ? — les Mémoires d'un jeune homme rangé et ceux d'un Mari pacifique. La figure de Daniel Henry nous est sympathique et familière. Nous l'aimons pour sa veulerie, sa gaucherie, sa sincérité, son égoïsme, ses calculs, son irrésolution éternelle, ses qualités et ses défauts.

C'est un garçon ultra-moderne. Nous en connaissons plusieurs de cette sorte. Et je ne dirai pas, lecteur, qu'il vous ressemble comme frère. Ce serait excessif, impoli. Mais je jurerais qu'il ressemble à votre ami le plus fidèle.

Hé bien, Tristan Bernard s'est dit que ce bon héros de roman ferait un bon héros de pièce. Il l'a débaptisé pour la circonstance, l'a fait héritier d'une famille noble : il s'appelle le vicomte de

Houdan. Mais c'est Daniel Henry, vous dis-je. Nous le reconnaissons sans peine,dès qu'à la buvette d'une station thermale il lance dix centimes en l'air pour savoir s'il boira froid ou chaud. C'est Daniel Henry fiancé, traîné au mariage de force, après de burlesques péripéties. Son usurier, une chanoinesse, un journaliste, une mère de famille, une Américaine, une douairière, il a tous ces gens après lui. Il n'arrive pas devant l'obstacle sans s'être maintes fois dérobé (comme son cheval, Triplepatte, dont il tient ce prénom savoureux). Et le meilleur acte est le troisième, où il s'habille pour la mairie, où l'on vient emporter ses malles, où il demande à son tailleur, à son bottier, à l'homme d'équipe : « Vous êtes marié ? Etes-vous content ? » Ils ne savent pas. Et il conclut « Oui, pour agir, il faut ignorer. » Mot délicieux, mot profond (découvert déjà par Stendhal) où tient la morale de la pièce. Il est dommage que l'auteur ait cru bon, pour plaire au public, d'alourdir cette fantaisie d'agréments trop vaudevillesques. Nous regrettons, ici, le livre. Et l'effet, trop gros, ne porte pas. N'importe. Ce comique Triplepatte, avec ses lazzis douloureux, reste gravé

IX


L'ART ET LES ARTISTES

dans nos mémoires. Il est peu de héros de théâtre dont on en puisse dire autant. sr

L'Ambigu tient un gros succès avec une pièce militaire. Il était fatal qu'après la Retraite, où les uniformes allemands triomphèrent au Vaudeville, nous eussions sur la scène des uniformes français. La Grande Famille ne vaut pas la Retraite. C'est un fait divers — vrai, sans doute — bien conté, prenant, poignant même, mais que l'auteur n'a su dominer d'une large idée générale. C'est un mélodrame bien fait, sans hautes visées littéraires. C'est un genre fort honorable. Arquillière, excellent comédien, vient ainsi de se révéler excellent auteur dramatique. J'en suis, pour ma part, enchanté. Voilà du théâtre « populaire » sain, solide, du meilleur cru. sr

Pourquoi les pièces de Balzac — j'entends celles qu'on tire de Balzac, car le théâtre écrit par Balzac est tout uniment déplorable —ne réussissent-elles pas, d'ordinaire? Il semble que ces livres si dramatiques, voire si mélodramatiques, ces types si vivants, si grossis déjà, d'une inoubliable carrure, soient tout indiqués pour la scène. Pas du tout. A la scène, la fable paraît improbable ou burlesque; les personnages, d'une outrance qui frise la caricature. Çà et là éclatent des phrases, des mots d'une portée profonde. Mais ce sont des couplets d'auteur. Ils ne sauvent rien, au contraire. J'en aperçois quelques raisons. Balzac, si vous y pensez bien, fait peu dialoguer ses personnages. Il les analyse, les démonte, les décrit, s'exalte sur eux, nous fait partager son ivresse. Tout ceci.disparaît au théâtre, doit être remplacé par le physique, l'habit et le fard d'un acteur. Le dialogue, il faut que l'interprète, que l'adaptateur le compose. Et, dame, ce n'est pas facile, justement parce que, de ces figures dans notre imagination grandies, nous attendons des sentiments, des paroles extraordinaires. De plus, le romancier accumule les peintures de milieux, les épisodes, les péripéties de détail, qui lui servent à montrer les replis de ses psychologies fouillées. Si le dramaturge veut le suivre dans cette voie semée d'écueils, le voici obligé de multiplier les changements de décors, les tableaux coupés. Gros problème, de soutenir l'intérêt, à moins d'une action très serrée, à travers ces multiples dédales ! Il vaudrait mieux trancher bravement, négliger le texte et bâtir une pièce en s'inspirant de la donnée, sans se croire obligé de tout faire entrer, au risque d'impiété littéraire. C'est ce qu'a fait Emile Fabre dans la Rabouilleuse, avec succès. M. Pierre Decourcelle, devant la Cousine Bette, n'a pas osé ou n'a pas voulu ces simplifications brutales. Et voilà pourquoi, lui dirai-je, votre fille,

Monsieur, est muette. J'entends, malgré tout le talent — et il est très grand — mis en oeuvre, que cette pièce n'émeut pas, qu'elle paraît obscure, incertaine. On ne s'intéresse à personne. On est distrait, mais point saisi.Les acteurs et le directeur ont cependant fait des prodiges. Impossible de nous présenter des silhouettes plus saisissantes, des décors plus ingénieux, des costumes plus pittoresques. Et que M"e Cerny — Mme Marneffe — est donc jolie, et, si j'ose m'exprimer ainsi, d'une canaillerie élégante et délicieusement surannée ! Un frisson d'aise en a couru. Tout de même, je maintiens mon verdict. Il est possible, et je le souhaite, qu'il ne soit pas ratifié par le public. J'en serais surpris.

sr

Vous avez entendu parler de la question du Trust des Théâtres. Vous savez que des financiers veulent prendre à bail, coup sur coup, les diverses salles du boulevard. Ils ont l'Athénée, les FoliesDramatiques. Ils convoitent les Bouffes-Parisiens, le Palais-Royal, les Nouveautés, les Variétés, le Gymnase — d'autres encore, si possible. Vous savez que la Société des auteurs dramatiques, fort émue, cherche à se défendre. Elle refuse ses pièces aux accapareurs, met en interdit leurs théâtres. Ils lui ont contesté ce droit, ont plaidé, perdu leur procès. Mais ils trouvent quelques auteurs qui, malgré le pacte signé, consentent à leur donner des pièces et leur permettent ainsi de vivre. Il s'agit de savoir l'attitude que prendra la Société vis-à-vis de ces dangereux dissidents. Après beaucoup d'hésitations, de palabres et de scrupules, elle semble décidée à sévir, à les exclure de ses rangs.Je ne vois pas d'autre solution. A vous, public, il importe peu. Mais je vous soumets cette remarque.Le jour où des spéculateurs (qui ont donné un avant-goût de leurs préférences littéraires (?) dans les deux scènes qu'ils exploitent) tiendront toutes les salles de Paris, sera-ce un gain, sera-ce une perte, je ne dis pas pour le métier, je dis pour l'art dramatique? La réponse me paraît très simple. L'art dramatique aura vécu. Or, il a déjà bien assez de peine, dans l'état d'anarchie actuelle, à lutter contre le poids lourd de l'ambiant commercialisme, pour ne pas tendre un cou bénévole à l'étranglement définitif. De là les résistances ardentes dont les échos vous parviennent sans doute, mais dénaturés, mais faussés par d'incompétents journalistes. Ne les jugez pas, à l'avenir, en oubliant ce point de vue.

GABRIEL TRARIEUX. ]

P.-S. —UEspionne, de Sardou, malgré des rides accusées, s'est fait applaudir à- la Renaissance. Et le fils de Guitry, Sacha Guitry, débute heureusement aux Mathurins avec trois actes : Nono.


Chronique Musicale

Xp-T la foule d'assiéger sans cesse les salles de con*"* cert, malgré les noms nouveaux qui, depuis la louable initiative de M. Henry Marcel, figurent' chaque dimanche sur les affiches !

Que doit penser de cet état de choses certain seigneur important qui, jadis, prétendait que la présence d'une oeuvre nouvelle sur un programme, même fût-elle entourée de pages célèbres, suffirait à effrayer le public et à motiver son abstention ? Ne se reproche-t-il pas quelquefois à présent d'être resté sourd si longtemps aux protestations d'une partie de la presse — j'eus l'honneur d'être avec mon camarade Bruneau parmi les protestataires les plus énergiques — et d'avoir ainsi contribué à faire piétiner sur place, pendant tant d'années, la jeune école française ?

Je sais bien que toutes les compositions entendues cette année ne sont pas de qualité supérieure, mais qu'importe si, dans le nombre, il se révèle une nature ou si, grâce à des exécutions répétées, nous pouvons juger des progrès accomplis par ceux qui n'en sont déjà plus à leurs débuts.

Ne trouvez-vous pas qu'il soit intéressant, par exemple, de faire connaissance avec une partition nouvelle de M. Rabaud, partition écrite sur un sujet très apparenté avec l'un de ses envois de Rome ? Tout n'est pas également digne d'éloges dans ce morceau tiré du second livre de Job ; l'allure générale, bien que très mouvementée, manque peut-être d'imprévu, de révolte, de désordre apparent, si je puis dire, au bénéfice de qualités scholastiques remarquables. N'importe, la facture en est savante, l'ordonnance habile, l'instrumentation d'une écriture superbe. Il n'en fallut pas davantage pour que l'auditoire lui fit un accueil chaleureux ainsi qu'à l'éminent interprète de la partie vocale : M. Dufrane, de l'Opéra-Comique.

Et voyez comme ces premières auditions sont instructives ! Tandis qu'au Châtelet il était permis de reprocher à M. Rabaud des tendances un peu trop classiques, au sens « Conservatoire » du mot, aux concerts Lamoureux, le contraire se produisait à l'égard de M. Casadessus et de son Quasimodo.

Ici, une impétuosité déréglée, faisant moisson de tout ce qui se rencontre sur son chemin, sans

grand souci du fond et de la forme, avec un orchestre parfois peu fondu mais avec des qualités de vigueur et de jeunesse qui méritent d'être grandement encouragées.

Avec la Cathédrale très réussie de M. Max d'Olonne nous rentrons dans la musique sage, dans la musique bien faite, quoique pas toujours très personnelle. M. d'Olonne aime et admire beaucoup Massenet ; ce n'est pas moi qui l'en blâmerai ; mais juge-t-il bien nécessaire de faire, parfois, trop visiblement éclater dans ses oeuvres cette amitié et cette admiration ? Il a pourtant assez de talent et une nature assez fine pour pouvoir se contenter d'être lui-même !

Ce n'est point non plus par la personnalité que brillent les trois mélodies de M. Gay que Mme Mellot-Joubert nous a fait entendre aux Concerts Lamoureux. Toutefois le charme qui s'en dégage est très réel et le public les a courtoisement applaudies.

Quand j'aurai cité une très musicale pièce pour flûte et harpe de M. Périlhou et quand j'aurai mentionné l'exécution d'un Soleil couchant de M. Lefèvre-Derodé, de Reims, dont les qualités méritaient d'être appréciées, je crois que j'aurai fait le compte des dernières nouveautés françaises de ce commencement de saison. L'étranger nous a révélé une très curieuse Kermesse de M. J. Dalcroze et un Concerto de piano de Rimsky-Korsakoff, merveilleusement joué par M. R. Vin es.

Est-il nécessaire d'ajouter qu'au Châtelet les oeuvres de Beethoven triomphent chaque dimanche et que, rue Blanche, M. Chevillard se couvre de gloire en dirigeant superbement Haydn, Schumann, Mendelssohn, Liszt, Wagner, Franck, Rimsky-Korsakoff, etc ?

Les samedis de la salle Pleyel attirent un public nombreux, grâce au maître pianiste M. Risler, incomparable dans les Sonates de Beethoven.

Quant aux Quators de l'immortel auteur de Fidelio, si vous désirez en entendre de parfaites exécutions, n'omettez pas d'assister aux très belles Soirées d'art fondées, avec un succès complet, par M. Barrau. Là vous serez témoin chaque jeudi du triomphe de l'incomparable Quatuor Capet.

FERNAND LE BORNE.

XI


L'Art dans la Mode

jar

LE MANCHON

SON nom indique son origine ; le premier manchon fut dû à un mouvement instinctif, dicté par le froid: la main droite s'est glissée dans la manche gauche ; la gauche dans la manche droite ; la chaleur est revenue, rapidement : le manchon a été inventé, du coup.

Les hommes, eux, ont leurs poches où ils peuvent abriter les doigts des baisers piquants de la bise,

mais les femmes ? Une poche de femme est une chose lointaine, mystérieuse, cachée, introuvable ; il fallait trouver autre chose pour garantir les mains, plus délicates encore — friandises pour l'hiver goulu; — d'où la nécessité du manchon.

De là à séparer du vêtement ces deux « bas de manches », à les réduire à un seul — économie et simplicité — à fabriquer ce cylindre court et mobile, chaud et étroit, où les mains, comme des oiseaux dans leur nid, se prélasseraient, se dorlotteraient à leur guise —i il n'y avait qu'un pas.

A quelle époque fut-il franchi ? Qui peut le dire ? — Le fait est que dès le xv" siècle on le

voit apparaître appelé de noms variés, contenance, bonnes grâces, que les hommes bientôt s'en emparèrent à leur tour, que l'on voit même au XVIIIe siècle, à l'époque de la guerre en dentelles, des soldats avec des! manchons... il est vrai en peau de tigre...

Il est tout naturellement indiqué que le manchon soit en fourrure ; c'est à la fois solide, chaud, à l'abri de la neige et de la pluie que la peau arrête,

PORTRAIT DE M™ MOLÉ-RAYMOND,

DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Diaprés la peinture de M"" Vigée-Lebrun, au Musée du Louvre.

que le poil fait glisser tout en conservant ce calorique, et cependant si le manchon est généralement fait ainsi, s'il emprunte sa riche tiédeur à l'astrakan, la zibeline, le vison, la martre, la loutre, l'hermine même, précieuse et un peu salissante, il fait aussi appel, à défaut de fourrure, aux velours et aux draps.

La mode a de telles exigences que malgré la

variété des pelages elle eut tôt fait le tour de la roue et pour inventer une variété nouvelle on se met aujourd'hui à faire les manchons en n'importe quoi.

L'acheminement sembla naturel en ce qu'il passa par une de ces savantes évolutions dont la mode a le secret. On commença par égayer, par enrichir la fourrure, déjà coûteuse et rare, avec des passementeries, des dentelles, des fanfreluches ; petit à petit ces accessoires prirent une place importante, accaparante, prépondérante. O n apporta à la fourrure l'appoint du drap et du velours et aujourd'hui — économie de bout de chandelles — on supprime la fourrure pour ne garder que

l'étoffe qu'on froufroute, plisse, arrange, tarabiscoté, orne de mille riens exquis, de chichis si jolis et si précieux que la plus chère zibeline est près d'eux économique. Mais on n'a plus ce cylindre disgracieux au goût du jour, cette ronde et encombrante fourrure, ce bonnet à poil de grenadier, fauve et monumental, que nos grand'- mères conservaient précieusement dans les vastes cartons verts avec du camphre et du pyrêthre.

XII


L'ART ET LES ARTISTES

La palatine de~martre de France, et le manchon assorti — si douillets, si pratiques, — ces meubles, ces bons meubles "^domestiques, sont ridicules et saccagés par les petites filles moqueuses; la coquetterie double les étoffes et les rend douillettes. Le gros cylindreVjaune est allé rejoindre l'acajou dont il avait certains tons, la crinoline les vieilles lunes.

A nous la petite fanfreluche coquette — friponnée — aumonière, réticule, manchon, tout à la fois ; minuscule cachette où cependant se nichent le fin mouchoir, la pomponnette, la boîte à poudre, le carnet, le porte-monnaie, le nécessaire, les billets doux et, parfois aussi, les menottes.

LlLIA ROBERTS..

Le Mois artistique

ALLEMAGNE DU SUD

T 'EXPOSITION internationale des Beaux-Arts de ■*""* Munich a fermé ses portes.

La France, la Belgique, la Hollande, l'Autriche, la Hongrie, l'Angleterre, la Suède, le Danemark, la Suisse, l'Italie, la Roumanie et les Etats-Unis y furent représentés, les uns bien, les autres mal, selon les compétences et les goûts des jurys nationaux, sans immixtion de ceux du Glaspalast, lesquels n'avaient à fonctionner qu'à l'égard des envois allemands, chacun dans son domaine : Société des Artistes munichois, Sécession, Scholle (traduction littérale : la Motte), enfin Luitpoldgroupe, de tous le plus harmonieux, le plus sérieux, le seul également dépourvu d'artistes excentriques et de retardataires et le mieux aménagé. Une société qui s'honore de noms comme ceux de MM. Hans van Bartels, un merveilleux poète de la mer, de la vie des pêcheurs, Hermann Urban, le symphoniste grandiose et mélancolique de la campagne romaine, Cari Marr, un portraitiste d'intérieur et de plein air aussi chercheur qu'indépendant, Raoul Frank, dont la verve descriptive s'accommoda jusqu'ici des falaises anglaises et passe maintenant aux grasses terres de labour hongroises, Franz Hoch, évocateur des lourds orages et des crépuscules troublants du pays souabe et bavarois, Cari Kùstner, qui a la hantise des miroirs aquatiques et des marécages morts sous les mauvais ciels tristes de l'hiver munichois, Walther Thor, un portraitiste de toute probité, une telle société ne peut pas manquer d'une sorte de splendeur cossue, de noble homogénéité.et seule elle a l'apanage d'une aussi aristocratique tenue. La Sécession a de belles débauches coloristes : des tempéraments batailleurs et heureux comme ceux de MM. Franz Stuck, le plus romantique des visionnaires archaïques, Hierl-Deronco, un exotique hispano-mauresque et parfois javanais, Angelo Jank, une sorte

de Velasquez de l'armée bavaroise, Ludwig von Zumbusch, un raconteur d'anecdotes narquoises, en grand style, dont les oeuvres voisinent étrangement avec celles de l'austère M. Samberger. Les portraits de ce dernier, même les plus bourgeois, ont une sorte de terribilità à la fois misanthrope et magnifiante. A la Scholle, nousavons affaire à des imaginations parfois encore plus débridées qu'à la Sécession, mais surtout à de joyeux drilles dont il conviendrait de parler en un langage technique et rabelaisien qui n'a pas cours dans les revues de bon ton. On y peint admirablement, mais on s'y offre de petites cures d'extravagances, fort amusantesencore une fois, mais un peu trop spéciales. J'y ai vu le plus scabreux tableau dont j'aie souvenir; il était signé Léo Putze. Une exposition particulière de Kaulbach et dans un local séparé, l'exposition d'ensemble de l'oeuvre de Franz von Lenbach complétaient ces solennelles assises de l'art allemand, que l'on peut confronter sans aucun détriment avec l'art étranger.

La France offrait à l'étude une moyenne d'oeuvrescertainement très élevée — la meilleure des deux derniers Salons — mais d'année en année son isolement triomphal cesse : les écoles étrangères qui ont reçu jadis son enseignement et lui en sont reconnaissantes, entendent désormais fara da se, et elles ont bien raison puisqu'elles ont su d'abord se faire. Voyez la Suisse ! Il y a quelquesannées, c'était encore, art parlant, une presque insignifiante province française. Cette année, tant à Munich qu'à l'exposition de Bâle, elle proclame son indépendance : pourquoi pas, puisque ce qui s'y fait ne ressemble presque plus à ce qui se fait en France et peut-être même n'y aurait pas cours. D'ailleurs, elle possède des artistes de flagrante originalité : un Albert Welti, esprit fantasque et.

XIII


L'ART ET LES ARTISTES

plein d'humour, un Edouard Stiefel, charmant diseur de Lieder printaniers et délicats comme des pervenches, un Giovanni Giacometti, qui, jadis une doublure de Segantini, fait aujourd'hui comme l'école suisse tout entière, devient âprement, obstinément lui-même, sommaire, brutal, emporté et bariolé à plaisir.

La Hollande, la Belgique, l'Angleterre demeurent stationnaires, mais leur belle santé ne dépérit point. Le miracle, c'est l'Autriche : de salle en salle on va de plus fort en plus fort. Voici l'échelle : Artistes viennois, Hagenbund de Vienne, Allemands de Bohême (c'est-à-dire M. Emile Orlik, presque seul), Sécession de Vienne où l'émerveillement commence avec M. Raimund Germela, se poursuit avec la salle tchèque et aboutit à la formidable explosion de joie, à la grande fête décorative et picturale de la section polonaise : MM. Jozel Mehoffer, Stanislaw Wyspianski, Léon Wyczôlkowski et Ferdinand Ruszczyc. Là aussi, nous avons affaire à une école parfaitement constituée et parfaitement viable : tout y est national, de l'arrangement fastueux et simple, riche et de bon goût, imprégné de la saveur orientale et de la magnificence des intérieurs boyaresques d'autrefois, jusqu'au sujet du moindre tableautin : ces femmes et ces enfants ne peuvent être que polonais, ces montagnes et ces vallons aussi et jusqu'aux façons de se contracter dans la neige de ces petits sapins et de s'y fouir ces paillottes rhutènes. Malgré de bonnes choses à la section hongroise, il n'y a rien d'authentiquement magyar, sauf quelques portraits. Le véritable art magyar, il faudrait plutôt l'aller chercher dans les écoles d'art appliqué de Budapest qui remportent des succès à Venise mais ne figurent pas à Munich. La Suède, opérée à son dam de la Norvège, car elle lui est artistiquement de beaucoup supérieure, paraît comme le Danemark victime de son jury retardataire et routinier. Il en va de même de l'Espagne, nombreuse, encombrée, pour ne nous offrir qu'un affligeant spectacle, toute découronnée qu'elle fut de ses meilleurs artistes, sauf le seul M. Aureliano de Bernete, l'historien de Velazquez, qui ne saurait commettre de mauvaise peinture.

De Lenbach on a tant parlé que chacun a son opinion faite sur ce psychologue non pareil, cet extraordinaire tritureur de matière, à la somptuosité triste, au dessin incisif et au coloris extraordinairement cuisiné. Son oeuvre évoque à la fois toutes les gloires de l'Allemagne contemporaine et toutes les hautaines physionomies de l'histoire de l'art. Elle est une synthèse et une histoire : elle résume les ambitions, impérialistes dans tous les domaines, de la culture allemande politique,

arts, sciences, et elle retrace les fastes d'une société éprise de toutes les grandeurs terrestres. Elle aura plus tard, elle a déjà, l'importance des Mémoires de Saint-Simon. Et l'on nous annonce un Musée Lenbach : le produit des entrées de cette exposition posthume, sera affecté à cette fin, de même que celui des entrées dans son atelier et sa maison qu'il avait bourrés de collections précieuses. Disons en passant, qus ce peintre orgueilleux, trop clairvoyant pour ne pas mépriser sincèrement l'humanité, fut préservé de la misanthropie par le succès, l'amour qu'il portait à sa seconde femme, à ses enfants, et qu'il fut l'un des hommes les meilleurs et les plus charitables de nos jours. On ne sait pas assez que ce fut aussi le cas du musicien Brahms, dont on ne connut de son vivant que l'humeur de dogue alors qu'il donnait par les mains de son éditeur presque anonymement tous ses revenus aux pauvres.

Jusqu'au 15 novembre s'est prolongée à Munich une autre exposition : celle d'art appliqué, aménagée avec beaucoup d'agrément dans le pavillon des études du Musée national bavarois. Trois noms résument l'effort de l'art appliqué à Munich, ces dernières années : ceux de MM. Fritz Erler, Bernard Pankok et Bruno Paul. Le second est peut-être encore connu en France pour son catalogue des sections allemandes à l'Exposition universelle de 1900. Dans ce cas, il sera facile de donner le signalement de son oeuvre : meubles, boiseries, cadres, illustration, marquetterie, c'est toujours le même système ornemental. M. Erler vise à l'extrême simplicité et à l'étrangeté par la nudité. Je préfère à tous M. Bruno Paul. La caricature décorative est peut-être un genre spécialement allemand qui vaudrait une étude spéciale. Ouvrez quelques numéros de Simplicissimus et vous comprendrez aussitôt ce qu'il faut entendre par là. C'est tout un renouveau des arts graphiques que cette petite feuille a déterminé. Sa vaillance n'est égalée que par le talent qui s'y dépense. Et cependant, MM. Cari Schmoll von Eisenwerth, H.-T. Heine, Schulze, Welti, Kreidoff, Aloys Kolb, Franz Hoch, M" 0 Anna May, et tout un groupe de Carlrsuhe et tout un groupe de Stuttgart n'avaient pourtant pas attendu cet élan. Depuis le xvr 3 siècle, un aussi prodigieux épanouissement d'estampes remarquables ne s'était pas revu en Allemagne. Or, de tout cela, rien ne franchit les frontières : je crois que l'oeuvre grave de Max Klinger est à peine connue en France où les cabinets d'estampes semblent n'en avoir guère cure, alors que les gravures modernes françaises, anglaises, belges et hollandaises ne sont nulle part recueillies avec un soin plus jaloux qu'en Allemagne.

WILLIAM RITTER.

XIV


Le Mois artistique en Belgique

M. BAERTSOEN. — LES AQUARELLISTES

TE n'ai pas à vous révéler M. Baertsoen. Il est *^ parmi les membres les plus actifs de la Société nationale des Beaux-Arts, et il n'y eut guère, depuis quinze ans, de Salon auquel il ne participât. Il a depuis longtemps une toile au Luxembourg, qui vient d'en acquérir une seconde, le Dégel.

Ce Dégel figure en ce moment à l'exposition particulière de ses dernières oeuvres que M. Albert Baertsoen a organisée au Cercle Artistique de Bruxelles. C'est, me semble-t-il, un chef-d'oeuvre.

Ce peintre, à la fois délicat et rude, — délicat par la vision, par la couleur, par l'émotion; rude par la matière, par la forme, — ce Flamand de la décadence qui évoque, avec tant de mélancolie, mais avec pourtant la joie de chatoiements et d'harmonies rares, les décors désertés de la très ancienne' vie des villes flamandes, ou qui fait passer dans ces décors la vie présente, lourde du passé, ce beau peintre n'a jamais fait oeuvre plus complète. Jamais aucune de ses toiles ne montra avec autant de puissance à la fois de métier et d'expression, qu'on peut faire de l'impressionnisme délicat et subtil, fixer l'aspect le plus particulier et le plus fugitif des choses, l'atmosphère d'une heure, tout en fixant aussi, intégralement, avec fidélité et avec force, les formes consistantes.

Le caractère de tout l'oeuvre de Baertsoen est là, dans ces deux facultés combinées de délicatesse et de force, dans l'art d'imprimer de la vigueur à la subtilité. Le curieux est qu'il lui faille celle-ci pour atteindre celle-là. Pour arriver à une impression de puissance, il lui faut des aspects de sérénité dans de la couleur discrète, amortie dans de la vie endormie.

Le seul tableau faible qu'il expose au Cercle Artistique est le Quai des Ménétriers à Bruges, où clament des couleurs ardentes. Tous les autres, le Soir à Gand, le Jardin de l'Asile, tous les coins de Gand, de Bruges ou de l'Ecluse où murmure plutôt du souvenir que de la vie présente, et où les tons amers sont eux aussi comme des souvenirs de couleur, sont, comme les eaux-fortes de l'artiste, des oeuvres complètes et par l'émotion et par l'exécution, d'une unité sévère et d'une tristesse voluptueuse.

L'ensemble affirme un artiste personnel en possession

possession la maîtrise, et fournit un des rares exemples de ce que deviennent les qualités du peintre flamand chez un artiste affiné par l'éducation et par l'atavisme, par la culture d'aujourd'hui, et aux instincts par conséquent aristocratisés mais atiédis.

La vieille Société des Aquarellistes a ouvert ce mois-ci à Bruxelles son quarante-sixième Salon annuel, auquel participent de nombreux artistes étrangers, notamment La Touche avec un très beau portrait, ardent et mystérieux. Il y a dans ce Salon, beaucoup de choses honnêtes sans originalité. Il y a par contre quelques oeuvres tout à fait remarquables, notamment l'important envoi de M. Alfred Delannois qui, à côté de ses majestueux et troublants intérieurs d'églises, de ses nonnes en prière dans la lumière diffuse, furtive des chapelles, montre cette fois une série de « portraits psychologiques », bizarrement travaillés, d'une facture à la fois simple et déroutante et d'une expression extraordinairement intense, inquiétante, anormale ; le portrait d'un peintre, grave, impérieux, onctueusement peint, merveilleusement enveloppé d'une atmosphère chuchotante, de M. Jakob Smits ; une image exquise d'esprit et de pittoresque, et de précision caractéristique, de M. Amédée Lynen, une belle page de l'Allemand, Von Bartels, d'autres de MM. Verheyden, Robinson, Bartlett, Staequet, Cassiers, Hytterschant, de Mme Gilsoul-Hope, de MM. Titz, Théo Hannon, Loreda, etc.

Une disparition qu'il faut signaler parce qu'elle laisse un grand vide dans l'école belge : celle d'Isidore Verheyden, paysagiste et portraitiste, l'un des derniers survivants du célèbre atelier Portaels qui sont autant d'artistes de valeur.. Verheyden, avait été parmi les premiers qui orientèrent leurs recherches vers le luminisme. II avait fait partie du fameux groupe des XV et la vigueur, la conscience scrupuleuse de son art en avaient gardé une grande hardiesse et une grande sincérité.

Il était titulaire du cours supérieur de peinture de. l'Académie de Bruxelles. Il n'était âgé que de: cinquante-neuf ans..

G. V. Z.

xv


Echos des Arts

IL faut compter parmi les plus intéressantes manifestations artistiques du mois dernier la conférence faite, devant un public très nombreux à l'Ecolepratique d'Enseignement mutuel des Arts, 44, rue de Rennes, par le maître peintre Albert Besnard.

Le sujet traité était : De la nécessité d'être vrai en art.

Nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux des lecteurs de L'Art et les Artistes quelques passages essentiels de cette belle conférence, où le srand artiste se révèle comme un brillant et subtil orateur, dont l'éloquence esthétique fait involontairement penser à celle de Reynolds. M. Albert Besnard ■sera pour l'Académie, en même temps qu'un très précieux collaborateur d'art, une inestimable recrue •oratoire.

Qu'on en juge par ces quelques extraits :

« Un vieux symbole a lait de la Vérité une déesse toute nue, vivant au fond d'un puits d'où elle ne sort que pour causer aux hommes de grandes ou de désagréables surprises.

« Elle m'est toujours apparue à moi fort parée. N'a-t-elle pas pour vêtement le manteau admirable de la nature, et, pour parure, l'éclat de nos passions ?

« Il me semble que le symbole est périmé. La Vérité de nos jours est une Vérité vêtue, très remuante et très voyageuse, que vous, moi, rencontrons à toute heure. Et, si nous ne la reconnaissons pas, c'est que nous l'imaginons où elle n'est pas. Serait-ce qu'en réalité elle n'a pas de domaine fixe ? Oui et non, car •elle habite au multiple coeur des hommes ; seulement l'artiste la fait surgir dans ses oeuvres par la puissance de l'amour, l'amour qui est le choix sans lequel s'étiolerait l'espèce, le choix, véritable raison de notre besoin de créer dans l'art et dans la vie.

« Il ne saurait donc y avoir d'idéal immuable, mais un idéal successif et permanent qui renferme tour à tour et tout ensemble la totalité des vérités éternelles.

« Comment faire de l'art à notre époque? s'écrient quelques-uns avec découragement. Nos musées regorgent de chefs-d'oeuvre de toutes les esthétiques et de tous les temps. La nature ne peut plus nous inspirer que des émotions stylisées.

« Comment la voir autrement qu'à travers les maîtres ?

« Ces découragés se trompent. La hantise des grands ancêtres ne trouble que les stériles, ceux-là qui, sans ■eux, n'auraient pas même éprouvé la tentation de produire; elle vivifie les artistes authentiques, dont l'admiration cherche des exemples et non pas des modèles.

« La connaissance des maîtres nous confirme dans des traditions qui ne sont pas des chaînes, mais des chaînons formés par les générations successives.

« Je prévois, au contraire, que nous pourrions bien être les primitifs pour l'avenir.

« L'ère actuelle marque un profond changement dans les conditions de la vie ; tout s'accélère dans le sens de la puissance, dans celui de la vitesse, celle de la pensée aussi bien que celle des forces, si bien que la science a bouleversé le monde et notre art avec lui. Lourd de pensées et de spéculations, ivre de sensations élargies, l'homme est toujours celui dont le premier éveil à l'intelligence s'est manifesté par le dessin. L'homme fera de l'art jusqu'à extinction de sa race ; actuellement, il se cherche à nouveau comme il s'est toujours cherché aux époques de renouvellement ; son art, où certains croient démêler des signes de décadence, serait donc au contraire un balbutiement.

« Avez-vous remarqué, Messieurs, dans vos visites aux musées, combien les portraits attirent vos regards et retiennent votre esprit ? Vous étes-vous dit qu'il fallait qu'un tableau fut dix fois mieux qu'un portrait pour vous intéresser autant ? Peut-être la raison estelle en ceci : Que ce que l'homme aime le mieux dans la nature, c'est encore lui-même... en tous cas, il se cherche partout et la nature ne l'intéresse qu'autant qu'il s'y trouve mêlé. Cela est si vrai, que les peintres de paysages les ont toujours animés par la présence de quelque petit humain, en lequel, sans s'en douter probablement, ils ont symbolisé l'éternel spectateur que nous sommes.

« Le portrait est donc né en même temps que le tableau, du besoin qu'a l'homme de se perpétuer. A toutes les époques, il accompagne le tableau ; il a suivi l'art dans toutes ses fluctuations. Il fut hiératique au moyen âge, mystique, décoratif, anecdotique, naturaliste aux époques suivantes. Somptueux en Italie, intime en Flandre, en France, en Angleterre, etc., partout reflétant le génie de son époque, point de repère de l'histoire à laquelle il est aussi nécessaire que le flambeau dans les ténèbres, car, sans lui, l'humanité ne serait peut-être qu'une légende. Le portrait explique, il renseigne, il marque les étapes du temps, par les physionomies, par le costume, par l'attitude. Il représente les préférences de la race et la déformation causée par l'habitude de la pensée ou de l'action. Il est quelquefois nul, ce qui est encore une manière de s'exprimer. Certains portraits racontent, d'autres se taisent, — ce sont les plus beaux, — d'autres ne sont que des apparences, et c'est ceux-là que préfère la foule.

« Au début, l'artiste croyait qu'il suffisait de mettre

XVI


L'ART ET LES ARTISTES

toute sa passion à reproduire un homme. Plus tard, son modèle attendit de lui la représentation de l'invisible, de son moi caché ; plus tard encore, il exigea de lui qu'il néglige le trait pur pour donner tous ses soins à la physionomie. Dès lors, commence un duel entre l'artiste et son modèle qui se dérobe, rêvant la reproduction de son individu, bien plus suivant les apparences qu'il s'attribue que d'après la réalité de sa fig-ure. Il contrefait ses attitudes et voile son regard.

« Ceci n'est pas la moindre erreur que nous ait apporté le romantisme, qui rêvait l'annoblissement du personnage, non par l'exaltation de son type, mais au nom d'on ne sait quelle esthétique qui prétendait trouver l'individu en dehors de lui-même, fût-ce au mépris de la reproduction juste de ses traits.

« Heureusement que devant cette théorie, un Ingres montait une garde sévère. Mais encore, malgré lui, combien d'Ossian en collet monté virent le jour, combien de Galilée, combien de jeunes hommes refaits à l'image de l'homme au gant!... Il ne faut pas réveiller les morts, surtout pour leur dire des choses désagréables. Aussi ne citerai-je aucun nom. D'ailleurs, ce n'est pas tout à fait la faute des artistes ou de leur modèle, mais plutôt celle de l'instabilité de notre société actuelle, qui se divise en une infinité de catégories. »

sr

CONTRE L'INCENDIE DU LOUVRE.

Dans son très intéressant rapport sur la protection du Louvre contre l'incendie, M. Gaston Menier, député de Seine-et-Marne, indique les mesures suivantes à prendre pour prévenir le désastre.

Espérons que la bonne volonté de M. Clémentel, et la clairvoyance passionnée de M. Dujardin-Beaumetz, pour tout ce qui touche aux choses de l'art, feront le nécessaire, et que, cette lois, l'éloquent et impressionnant appel de M. Gaston Menier sera entendu. Il n'est que temps.

Mesures très urgentes :

1° Déménagement du Ministère des Colonies et son transfert dans l'immeuble des frères de la rue Oudinot ;

2° Compléter les moyens de secours demandés par les sapeurs-pompiers sur les quais du Louvre et des Tuileries. Brancher les bouches d'incendie installées cour du Carrousel sur une conduite de 200 millimètres ;

3° Sectionner les combles par des cloisons en briques, de manière à localiser le feu et empêcher son extension ;

40 Suppression de tous les ateliers de rentoilage, réparation, menuiserie, collage, etc., et leur installation au dehors ;

50 Exiger que les chevalets des copistes soient en bois injecté et limiter le délai de leur dépôt en prenant les mesures nécessaires pour en éviter l'accumulation ;

6° Ne tolérer que l'éclairage à l'huile et dans la plus petite mesure possible ;

7° Enfermer toutes les matières combustibles, chiffons gras, etc., dans des caisses en fer fermées avec couvercles ;

8° Veiller avec le plus grand soin à l'application des règlements défendant de fumer;

90 Suppression des cloisons en bois et leur remplacement par des cloisons en briques ;

io° Remplacement de tous les systèmes dangereux de chauffage. Suppression de toutes les cheminées et établissement de calorifères, soit à vapeur, soit à eau chaude, avec foyer extérieur ;

II° Entretien de paratonnerres.

Mesures urgentes à prendre à la suite des précédentes.

12° Déplacer les cabinets des conservateurs, afin de les mettre en meilleure place et les installer en prenant les plus grandes précautions pour éviter la for - mation de foyers dangereux, soit par le chauffage, soit par l'accumulation des toiles, gravures, cadres, etc. ;

130 A mesure que l'occasion se présentera, remplacer les fermes en bois de la charpente du toit du vieux Louvre par des fermes en fer. Dans le cas où ce remplacement tarderait, revêtir ces charpentes avec un enduit en plâtre ou en ciment grillagé ;

140 Déplacer le Ministère des Finances, ou en attendant, l'isoler du Louvre par d'épaisses cloisons en briques, en fer ou en maçonnerie.

sr

ECOLE DU LOUVRE. (Cours Lefuel), vingt-quatrième année (1905-1906).

Archéologie nationale.

M. Salomon Reinach, membre de l'Institut, conservateur du musée de Saint-Germain, professeur. Le professeur étudiera, à la lumière de découvertes récentes, diverses questions d'archéologie préhistorique, celtique, romaine et franque, tous les vendredis, â dix heures et demie du matin. La première leçon a eu lieu le vendredi 8 décembre.

Archéologie orientale et céramique antique.

M. Heuzey, membre de l'Institut, conservateur des antiquités orientales et de la céramique antique, professeur. M. E. Pottier, membre de l'Institut, conservateur adjoint des antiquités orientales et de la céramique antique, suppléant. Le professeur suppléant étudiera, dans le premier semestre, les récents envois de la mission J. de Morgan (antiquités de Suzc); dans le second semestre, la collection des Terres cuites grecques du Louvre, tous les jeudis, à une heure et quart de l'après-midi. La première leçon a eu lieu le jeudi 7 décembre.

A rchéologie égyptien ne.

M. Pierret, conservateur des antiquités égyptiennes, professeur. Le professeur expliquera les grands monuments du Musée du Louvre, tous les mardis, à dix heures et demie du matin. La première leçon sur la Religion égyptienne a eu lieu le mardi 5 décembre.

XVII


L'ART ET LES ARTISTES

Démotique, Copte, Droit égyptien.

M. E. Revillout, conservateur adjoint des antiquités égyptiennes, professeur. Démotique : Le professeur continuera à expliquer le nouveau papyrus de sentences morales de Leyde, tous les lundis, à deux heures et quart du soir.

Copte et hiératique : Le professeur continuera à expliquer, d'une part, les apocryphes du Nouveau Testament écrits en copte, et, d'autre part, divers textes hiératiques et hiéroglyphiques, tous les mardis, à deux heures et quart du soir.

Droit égyptien et économie politique : Le professeur continuera à expliquer et commenter juridiquement des contrats ou textes légaux égyptiens des diverses périodes, le premier et le troisième mercredi du mois, à deux heures et quart du soir.

Épigraphie orientale.

M. Ledrain, conservateur adjoint des antiquités orientales, professeur. Epigraphie assyrienne : Le professeur étudiera les nouvelles inscriptions assyriennes, tous les jeudis, à dix heures du matin.

Épigraphie phénicienne et épigraphie araméenne : Le professeur étudiera les inscriptions nabatéennes du Musée du Louvre, les samedis, à deux heures du soir.

Histoire de la peinture. M. Paul Leprieur, conservateur des peintures, des dessins et de la chalcographie, professeur. M. Paul Leprieur se trouvant empêché, pour cette année, par les travaux du Musée, le cours sera fait par M. Salomon Reinach, membre de l'Institut, conservateur du Musée de Saint-Germain, professeur à l'Ecole du Louvre, qui exposera, tous les lundis, à quatre heures du soir, l'histoire de la peinture depuis le siècle d'Auguste jusqu'au siècle de Louis XIV.

Histoire de la sculpture du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes. M. André Michel, conservateur de la sculpture du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes, professeur. Le professeur traitera de l'histoire de la sculpture au xve siècle, tous les mercredis, à dix heures et demie du matin.

Histoire des arts appliqués à l'industrie.

M. Gaston Migeon, conservateur des objets d'art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes, professeur. Le professeur étudiera l'histoire de la céramique dans les pays occidentaux et, en particulier, en Italie et en France, tous les vendredis, à deux heures et demie du soir.

Nota. — Les cours de l'année scolaire à l'École du Louvre, prendront fin le 15 juin 1906 ; une interruption des cours aura lieu, à l'occasion des vacances de Pâques, pendant la semaine tout entière qui précédera le jour de Pâques et celle qui le suivra.

Les élèves qui désirent suivre un ou plusieurs de ces cours sont priés de vouloir bien s'inscrire, de deux heures à quatre heures, au secrétariat des Musées nationaux (Pavillon de l'Horloge), auprès du secrétaire de l'École, qui délivrera les cartes; les auditeurs

auditeurs les lui demander par lettre avec timbre pour la réponse.

Le Directeur des Musées nationaux et de l'École du Louvre, membre de l'Institut,

T. HOMOLLE. Approuvé : Le Ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes,

BIENVENU-MARTIN. sr

Mme Jules Comte a offert à la Société des Artistes français, en mémoire de M. Armand Hayem, sa propriété de Montlignon, près d'Ermont, en Seine-etOise. Cette propriété, qui se compose d'une maison construite dans un parc de vingt-cinq mille mètres, sera transformée en maison de retraite pour les artistes vieux, infirmes et sans ressources.

Quelques ateliers seront construits pour faire de cette propriété la Maison des artistes, une maison où ils puissent être à l'abri de tout besoin et travailler sans souci du pain quotidien. Cette maison sera prête vers le milieu de l'année prochaine.

sr

La Société « Le Nouveau Paris » vient de renouveler sa commission pour 1905-1906. Ont été nommés :

Président, M. Frantz-Jourdain ; vice-présidents, MM. Albert Besnard, Th. Poilpot, Hector Guimard, Henri Turot; secrétaire général, M. Georges Bans ; secrétaire des séances, M. P.-A. François ; secrétaire pour la presse, M. Alcanter de Brahm ; trésorier généra], M. Alfred Besnard ; trésorier adjoint, M. Paul Ancelle ; avocat conseil, Me Albert Rodanet ; membres, MM. Eugène Hénard, Stanislas Ferrand, Fernand Hauser, Alexandre Charpentier, Harmand, Alexandre Gariel ; membres suppléants, MM. Eugène Blot, Charles Plumet, Charles Saunier, H. Deverin ; capitaine Alexandre, Saglio, Eugène Gaillard, Raquin, Paul-Louis Garnier.

sr

Il est rappelé aux jeunes artistes sans fortune, peintres, sculpteurs, graveurs, lithographes, architectes ou musiciens, qui désireraient se porter candidats aux bourses artistiques instituées par le Conseil général de la Seine, pour l'année 1906, qu'ils doivent, avant le 31 décembre 1905, dernier délai, adresser leurs demandes à M. le Préfet de la Seine (Hôtel de Ville, service des Beaux-Arts). Les conditions essentielles à remplir sont d'être né dans le département de la Seine et de n'avoir pas trente ans accomplis. sr

Dans sa séance du 2 décembre, présidée par M. Edouard Détaille, l'Académie des Beaux-Arts a procédé à l'élection d'un membre titulaire de la section de peinture, en remplacement de M. Bouguereau, décédé.

Trente-cinq membres de l'Académie ont pris part au vote.

XVIII


L'ART ET LES ARTISTES

Au cinquième tour de scrutin, M. François Flameng a été élu par 19 voix, contre 8, à M. Tony Robert-Fleury, 3 à M. Ferrier, 2 à M. Collin, 2 à M. Toudouze, 1 à M. Besnard.

sr

Le Conseil supérieur de l'École des Beaux-Arts, dans sa réunion présidée par M. Dujardin-Beaumetz, a nommé professeur chef d'atelier de peinture, en remplacement de M. Bonnat, nommé directeur de l'École nationale des Beaux-Arts, M. Luc-Olivier Merson, membre de l'Institut.

M. Luc-Olivier Merson a cinquante-neuf ans. Il avait remporté, en 1869, le prix de Rome. sr

L'État vient d'accorder le Grand Palais à l'Association syndicale professionnelle de peintres et sculpteurs français pour sa sixième exposition annuelle qui aura lieu en janvier et février 1906. Pour les renseignements, écrire au président, 31, avenue de Villiers.

J*"

LES COURS DE LA RUE DE RENNES. —Ecole pratique d'enseignement mutuel des Arts. — Les cours de l'École ont commencé le jeudi 27 novembre et se poursuivent tous les jours, à cinq heures et demie, pour la section esthétique et historique, et à huit heures et demie pour les sections technique, juridique et économique. Des conférences ont déjà été faites dans la première section par MM. François Benoit, Albert Besnard (nous en reproduisons des passages dans ce numéro), Léonce Benedite et G. Séailles, ainsi que par M. E. Gaillard sur les principes et lois des arls du meuble et par M. Homolle, sur les rapports de la peinture et de la sculpture dans l'art grec. sr

Les conférences de l'École d'art qui seront données pendant l'année scolaire 1905-1906, à l'École des Hautes Études sociales, 16, rue de la Sorbonne, dans la section Esthétique et Arls plastiques, porteront sur l'histoire du paysage en France et auront lieu tous les samedis, à cinq heures et demie. Elles seront faites par MM. Raymond Bouyer : Claude Lorrain (13 janvier) ; — Pierre Marcel : Le Paysage à la fin du XVIIe siècle (20 janvier) ; — L. de Fourcaud : Le Paysage dans l'oeuvre de Watteau (27 janvier) ; — Deshairs : Le Paysage au XVIIIe siècle (3 et 10 février) ; — François Benoît : Le Paysage au début du XIXe siècle (17 février); — Rosenthal : Le Paysage au temps du romantisme (24 février et 3 mars) ; — Henry Marcel : Les Orientalistes (10 mars); N... :J.-F. Millet (IJ mars); ■— Sarradin : Le Paysage dans l'oeuvre de Courbet (24 mars); — Théodore Duret: Le Paysage dans l'oeuvre de Manei (31 mars); — Gustave Kahn : Le Paysage impressionniste (7 avril). sr

Exposition d'art provençal. — On écrit de Marseille:

Un Comité composé de notabilités marseillaises

vient d'être constitué avec la mission d'organiser dans

l'enceinte de l'exposition coloniale, qui aura lieu ici

en 1906, une exposition générale d'art provençal.

Grâce au Conseil municipal et au Conseil général, les travaux d'aménagement ont commencé.

L'exposition projetée réunira la fleur des productions inspirées par le génie du terroir, du xve au xxe siècle, tant en peinture, sculpture et gravure qu'en art dit industriel ou décoratif. sr

On annonce d'Udine qu'on vient de découvrir, dans l'ancien château de cette ville, des fresques qui représentent une Sainte Famille et proviennent d'un maître remarquable de la Renaissance. sr

Le statuaire Récipon vient d'être chargé de l'exécution du buste de M. Alfred Mézièrcs, président de l'Association des journalistes parisiens. sr

La quatrième Commission municipale vient d'accepter les esquisses présentées par le peintre Besnard pour les trois plafonds du Petit Palais. L'oeuvre de l'artiste représente l'Art à travers les âges. sr

Le jury de « l'Exposition des écoles départementales des Beaux-Arts et d'Art appliqué » s'est réuni à l'École Nationale des Beaux-Arts à Paris, sous la présidence de M. Dujardin-Beaumetz.

Les six Chambres syndicales représentées dans ce jury (Ameublement, Charpentiers, Ameublement et Tissus, Menuisiers du bâtiment, Céramique et Verrerie, Charpente en fer), ainsi que la Société des Architectes diplômés par le gouvernement, ont mis des médailles d'argent à la disposition du jury pour être distribuées en récompenses.

Le jury a décidé de classer, pour les récompenses, les écoles exposantes en deux sections: Section de l'Enseignement général et des Beaux-Arts ; 2° Section de l'Enseignement général et des applications industrielles de l'Art.

Les écoles classées en tête sont:

Dans .la ire section : Première, Toulouse; deuxième, Rennes; troisième, Dijon; quatrième, Le Mans;

Dans la 2e sec/ion: Première, Roubaix ; deuxième, Rennes; troisième, Le Mans; quatrième, Toulouse; cinquième, Valence.

Le rapport général sur l'Exposition a été confié à M. Valentino, chef du bureau de l'Enseignement au sous-secrétariat d'État des Beaux-Arts. L'Art et les Artistes a publié une intéressante étude illustrée sur cette exposition. sr

Le très curieux autographe et le dessin original de Sainte-Beuve que nous avons publiés dans notre précédent numéro, font partie de la précieuse collection de M. Jules Martinon, le bibliophile érudit, le possesseur du répertoire d'Hozier.

sr

Voici à titre de curiosité les prix d'adjudication des principales pièces de la vente Cronier dont nous avons parlé dans notre précédent numéro :

FRAGONARD : Le Billet doux, 420 000 francs, à

XIX


L'ART ET LES ARTISTES

MM. Kraemcr et Wsedenstein. — La Liseuse, 182,000 francs, à M. Ducrey.

CHARDIN: Le Volant, 140000 francs, à M. le Baron FI. de Rothschild. — Les Osselets, 50000 francs, à M. Charley.

GAINSBOROUGH: Sir John Campbell, 65,000 francs, à M. Walles.

LAURENCE: Portrait de Miss Day, 43000 francs, à M. Kraemer. — REYNOLDS: Portrait d'homme, 30 00ofr.

ROMNEY: La jeune laitière, 30000 francs, à M. Malfait.

WATTEAU: Les Amants endormis, 152000 francs, à M. Seligmann.

LA TOUR: Portrait de Smidt, 77000 francs, à M. Veil-Picard. — Portrait du Maître, 70000 francs, à M. Sortais. — Lady Comtesse de Covenlry, 72000 fr., à M. Kahn.

PERRONNEAU : Portrait de femme, 26 000 francs, à M. Pauline.

COROT: Le Paire, 47000 francs, à M.-Sortais.— Étaples, 31 000 francs, à MM. Arnold et Trip.

DAUMIER: Les Amateurs, 17000 francs, à M. G. Petit.

DIAZ : Le Printemps, 50 000 francs, à M. Lasquin. — L'Automne, 45 000 francs, à M. Glaenger. — La Mare, 35 500 francs, au même.

DUPRÉ: La Mare, 60 100 francs, à MM. Arnold et Trip. — Le Troupeau, 34000 francs.

TH. ROUSSEAU : La Mare, 110 500 francs à M. Montaignac.

TROYON: Vaches, 40 100 francs, à M. Roseneau.

DECAMPS: Les Enfants, 10600 francs, à M. G. Petit.

G. MOREAU: Le Porte-Étendard, 4000 francs, à M. Berly.

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NÉCROLOGIE Une des notoriétés de la sculpture française contemporaine vient de disparaître: le sculpteur Gustave Crauk est décédé le 17 novembre dernier, en son domicile, à Meudon, 7, rue de l'Arrivée, à l'âge de soixante-dix-huit ans. Il était né à Valenciennes en 1827. Elève de Ramey, Dumont et Pradier, il arriva de bonne heure à la renommée. Son oeuvre, qui consiste surtout en des monuments publics et en de nombreux bustes de personnages de son époque, est considérable.

sr

On annonce la mort, à Tours, de M. Félix Laurent, directeur de l'Ecole régionale des beaux-arts et conservateur du musée de Tours depuis 1876, décédé dans cette ville à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.

Bibliographie

LIVRES D'ART

Jacques Jordaens et son oeuvre, par

P. BUSCHMANN JR. — Librairie nationale d'art et d'histoire. — G. VAN OEST et Cie, Bruxelles.

La récente et superbe exposition des oeuvres de Jordaens à Anvers devait forcément avoir ses historiens. Parmi l'un des plus brillants et des mieux documentés il faut signaler M. P. Buschmann dont le livre élevé à la mémoire de Jordaens est une belle oeuvre d'érudition, de critique pénétrante et de style. La présentation du livre est des plus remarquables; ce qui ne peut encore que contribuer à son succès. Ici l'auteur et l'éditeur méritent des éloges.

sr

HACHETTE et Cie, éditeurs, 79, boulevard SaintGermain.

L'Homme et son image, par Ch. MOREAUVAUTHIER, contenant plus de 200 gravures dans le texte et 12 planches en héliogravures tirées hors texte.

Du Chancelier Rollin de Van Eyck aux aristocratiques figures de Van Dyck et aux somptueux et robustes modèles d'un Titien ou d'un Rubens, des drapiers de Rembrandt au portrait de M. Berlin, les physionomies diffèrent, les génies s'affirment, les procédés se modifient. Voilà pourquoi, avec une très juste intelligence de son sujet, l'auteur du beau livre que nous annonçons a perpétuellement soutenu sa fine et délicate analyse des chefs-d'oeuvre de l'art d'un large et vivant aperçu de l'histoire même des sociétés et de la transformation des moeurs. Ce bel ouvrage continue très dignement la superbe série où figurent déjà le Napoléon par l'image et l'Image de la femme de M. Armand Dayot, Le XIX" siècle, etc.

La Teinture française au XIX" siècle, par

Henry MARCEL. — Alcide PICARD et KAAN, éditeurs.

...Que ne pouvons-nous en dire autant de ce livre!

Entendons-nous.

En écrivant cet ouvrage, où, en moins de 350 pages l'auteur a su enfermer, décrire, analyser toute la physionomie, tous les mouvements si multiples, toutes les évolutions, parfois si déconcertantes, de la peinture française pendant un siècle, et cela avec un si rare bonheur d'expression et de science si complète du sujet, M. Henri Marcel a fait un véritable tour de force dont il faut le louer. Mais pourquoi, obéissant à des raisons économiques d'un ordre vraiment trop inférieur, les éditeurs de ce beau livre, disons de ce beau et consciencieux et si utile travail, n'ont-ils pas compris qu'ici, dans la mesure du possible, le vêtement devait être approprié à la forme ? Je sais la destination populaire de ces publications et je n'ignore pas le prix de revient des clichés. Cependant... malgré cela le livre de M. Marcel doit prendre place dans toutes les bibliothèques d'art, car sous sa forme concise et méthodique il constitue le document le plus utile' à consulter sur l'histoire de notre école de peinture an xixc siècle.

sr

Michel-c4nge, par Romain ROLLAND; Holbein, par François BENOIT; Rubens, par Louis HOURTICQ; Claus Sluter par A. KLEINCLAUSZ. — Librairie de l'Art ancien et moderne, 28, rue du Mont-Thabor.

Telles sont les dernières monographies des grands artistes publiées à la Librairie de VArt ancien et moderne.

La gloire des sujets, l'autorité des auteurs et aussi l'habileté persistante de la Direction qui préside à ces,

XX


L'ART ET LES ARTISTES

publications, disent assez l'intérêt qui s'attache à ces nouvelles publications dignes des précédentes consacrées à l'analyse de l'oeuvre des Reynolds, des David, des Albert Durer.

Chacun de ces livres est orné de superbes illustrations choisies avec le plus grand soin.

sr Librairie RENOUARD. H. LAURENS, Éditeur, 6, rue de Tournon, Paris.

Les villes d'art célèbres :

ÎNjiremberg par M. P.-J. RÉE; Milan, par M. Pierre GAUTHIER.

Ces intéressantes monographies de villes d'art viennent s'ajouter très heureusement à la suite déjà longue, publiée avec le goût parfait que met M. H. Làurens, dans tous ses utiles et précieux travaux d'édition. Cette librairie d'art nous avait déjà donné : Bruges et Ypres; Constantinople; Cordoue et Grenade; Gand et Tournai; Le Caire; Moscou; Nîmes, Arles, Orange; Paris; Ravenne; Rome; Rouen; Séville; Strasbourg; Tours et les châteaux de la Touraine ; Venise ; Versailles ; puis elle nous annonce : Bourges et Nevers; Nancy; Pompéi; Toulouse et Carcassonne....

Inutile d'insister sur l'intérêt de ces études de villes, toutes confiées à des écrivains d'art très connus, et où de belles illustrations complètent et confirment, pour la joie des yeux, les descriptions et les commentaires des textes.

A bientôt Florence de M. Emile GEBHART; 3\ancy, de M. André HALLAYS; ^Pompéi, de M. THÉDENAT; Toulouse et Carcassonne, de

M. Henri GRAILLOT.

Les musiciens célèbres :

Rossini, par Lionel DAURIAC; Liszt, par M.-D. CALVOCORESSI; Gounod, par P.-L. HILLEMACHER.

Avec ces trois grands noms, M. H. Laurens ouvre dans son utile collection d'enseignement et de vulgarisation une nouvelle suite de publications d'art, dont le succès ne peut manquer d'être considérable, étant donné le goût de plus en plus grand du public pour la musique.

Sous peu, les intéressantes biographies critiques

de Rossini, de Liszt et de Gounod seront suivies de-celles de Schumann par Camille MAUCLAIR; de Gluck par Jean D 'UDINE ; d'Hérold, par Arthur POUGIN; de Chopin, par Elie POIRÉE. Puis viendront Wagner, iMozart, cAuber, Beethoven, Schubert, Berlioz, avec MM. DE FOURCAUD, BELLAIGUE, Ch. MALHERBE, D'INDY, BOURGAULTDUCOUDRAY, Henry MARCEL, pour historiens.

Comme on le voit, le même soin a présidé au choix des sujets et à celui des écrivains spécialistes chargés de les traiter.

sr Librairie DELAGRAVE, 15, rue Souffiot, Paris.

Les caricatures de Tuvis de Chavannes,

précédé d'une étude par Mlle ADAM.

Les lecteurs de l'Art et les Artistes retrouveront avec plaisir les intéressants dessins reproduits dans un de nos premiers numéros et où Puvis de Chavannes se révèle comme le grand précurseur inconscient des plus célèbres de nos caricaturistes actuels et comme leur maître.

sr

E. GAILLARD, éditeur, 37, rue Gaudon (Paris, xnr9).

Pompéi, par Pierre GUSMAN, nouvelle édition revue et complétée considérablement.

C'est à l'émotion intense ressentie par M. Pierre Gusman à Pompéi que nous devons ce livre écrit et illustré par lui-même de 600 dessins et aquarelles formant ainsi un tout plein d'unité et d'harmonie.

sr

La bijouterie française au XIXe siècle (1800-1900), par Henri VEVER. Chez FLOURY, éditeur, boulevard des Capucines, 1.

Ce remarquable ouvrage illustré de 415 gravures représentant plus de mille bijoux ou objets s'adresse également à l'artiste, à l'amateur, à l'homme du métier; tous y trouveront une ample moisson de documents entièrement inédits concernant une des branches principales de la parure à une époque particulièrement intéressante, puisqu'elle date d'hier.

DIVERS

Librairie HACHETTE, 79, boulevard Saint-Germain.

Napoléon, roi de l'Ile d'Elbe, par Paul GRUYER, illustré de 200 gravures hors texte.

Rien de plus piquant que l'histoire de cette « royauté de Sancho Pança », tout d'un coup dévolue au « Géant historique ». Jamais peut-être la réalité la plus scrupuleusement étudiée n'a ressemblé davantage à un conte imaginé à plaisir.

Murât. Album in-40 contenant 39 grandes planches en couleurs par JOB. Texte de G. MONTORGUEIL.

Dans la lumière antique (Les Dialogues d'Amour), par Auguste ANGELLIER. 3 fr. 50.

Après le Chemin des Saisons, A l'Amie perdue, voici un nouveau livre de poésie où M. Angellier a enfermé peutêtre avec encore plus d'art concis, dans une forme plus impeccablement classique, toutes les ardentes aspirations, tous les tourments de son âme moderne. Ce livre est d'un beau poète et d'un pur artiste et il vient s'ajouter avec éclat à la petite chaîne aux anneaux si précieux, suite des études sur Regnault, sur la chanson, de Roland, sur l'oeuvre et la vie de Robert Burns, et enfin sur les strophes si douloureusement harmonieuses dédiées à l'Amie perdue.

FIRMIN-DIDOT et Cie, 56, rue Jacob. Fils du Désert, par Charles SIMOND.

Jean-3Vlarie Kerdern et ses oeuvres, par

Auguste LE BRAS.

sr

Librairie Ch. DELAGRAVE, 15, rue Souffiot, Paris.

La Petite Colonelle, par G. TRÉMISOT, illustrations de R. PINCHON.

Récit joyeux, en pleine fantaisie, des situations cocasses, des caractères inattendus et ingénieux, des mots drôles, de l'intérêt sans cesse renouvelé et de l'esprit.

Le Petit Fauconnier de Louis XIII, par

J. CHANCEL, illustrations de FONTANEZ.

Histoire passionnante d'une époque intéressante entre toutes, à laquelle M. Chancel garde toute son originalité, toute sa belle allure.

Nouvelles et récits de chez nous, par G. BONNEAU, illustrations de COMTE.

François Buchamor, par Alfred ASSOLLANT, illustrations et aquarelles de JOB.

XXI


L'ART ET LES ARTISTES

Bouboule et Berty, par M. NERVAT, illustrations de Kate FRICERO.

La Pupille du sergent Flageolet, par HAMEAU, illustrations de R. DE LA NÉZIÈRE.

Les chasses de Petit-Bonhomme, où le chasseur devient chassé, les spirituelles réparties de son grand ami le sergent Flageolet, constituent la plus divertissante histoire que l'on puisse imaginer.

L'Équitation pratique, par le capitaine DE BRIGNAC. Nombreuses illustrations.

La science de l'équitation est la connaissance des principes et des règles de tenue du cavalier et de conduite du cheval. La recherche de ces principes et de ces règles fait l'objet de l'intéressant ouvrage de M. de Brignac.

Les Mille et Un Jours. Contes persans, à l'usage de la jeunesse, par Eudoxie DUPUIS, illustrés de 500 compositions par GAILLARD.

Contes du Soleil et de la Brume, par Anatole

LE BRAZ.

Trois ans au Klondike, parj. LYNCH, traduor tion de P. LEFÈVRE.

Chants du jeune âge, paroles et musique par P. ROUGNON, professeur au Conservatoire. Illustrations de VERJETAS.

Faire chanter les petits sans les y contraindre, cela n'est pas facile; il faut les amuser, et les petits s'amusent des choses simples. Cette simplicité charmante fait l'originalité de ce livre, qui a aussi pour but de jeter dans l'esprit et le coeur des jeunes enfants les premiers sentiments d'amour pour la famille, l'humanité, la nature.

Les 59 Bougies, par Jacques HYLIANE. Illustrations de R. PINCHON.

Le Ko-Hi-Noor ou le diamant du Rajah,

par E. SALGARI, illustrations de G. AMATO.

Roman d'un petit Pierrot, par H. BEZANÇON, illustrations de PINCHON.

Raton- Petite collection pour les jeunes.filles, par H. BEZANÇON, illustrations de DUDORET.

Toutes les lectrices goûteront ce charmant récit, d'un intérêt pénétrant, d'une parfaite pureté de sentiment et de style, et qui se distingue de bien des romans pouvant être lus par les jeunes filles, en ceci qu'il n'est, en aucune façon, fade ou conventionnel.

L'Ivraie. Bibliothèque de la Famille, par Jean NESMY, couverture en couleurs de DULAC.

L''Ivraie est une oeuvre de belle santé morale, qui allie à l'énergie d'une intrigue bien menée les ressources d'une observation scrupuleuse des milieux et le charme d'une étude de caractères pleine d'aperçus nouveaux.

sr Librairie HETZEL, 18, rue Jacob, à Paris. L'Invasion de la Mer, par Jules VERNE. 44 dessins de L. BÉNETT.

Le Phare du Bout du Monde, par Jules VERNE, 33 illustrations de Georges Roux.

Deux nouveaux chefs-d'oeuvre de l'auteur des Voyages extraordinaires. Ces deux volumes d'une valeur exceptionnelle nous autorisent à dire que le célèbre auteur se survit à lui-même dans ses oeuvres posthumes, et qu'il charme encore après sa mort, ses nombreux et fidèles lecteurs.

Le maître de l'abîme, par André LAURIE, 25 illustrations de Georges Roux.

Fière devise, par Pierre PERRAULT, 25 illustrations de Georges Roux.

Pixie et sa famille, adapté de l'anglais de Mmc DE HORNE-VAISEY, par M.-G. PITROIS. Illustrations de W.-H.-C. GROOME.

PETITE BIBLIOTHÈQUE BLANCHE

Une affaire difficile à arranger, par P.-J.

STAHL. Illustrations de FROELICH.

BIBLIOTHÈQUE DE M'^LILI ET DE SON COUSIN LUCIEN

Le Royaume du Gourmand, par P.-J. STAHL. 28 dessins de FROELICH.

Magasin illustré d'Éducation et de Récitation. Année 1905.

sr

Librairie COMBET et Cie, éditeurs, 5, rue Palatine, Pans.

Louis XI, par Georges MONTORGUEIL, illustré par JOB de 40 aquarelles reproduites en chromotypogravure.

Cet ouvrage continue la série des albums historiques où tour à tour Job et Maurice Leloir ont fait défiler sous nos yeux Richelieu, La Tour d'Auvergne, Le Roy Soleil.

Il nous révèle un Louis XI presque gai et plaisant, déployant la fantaisie jusque dans ses légendaires cruautés; nous y trouvons des anecdotes presque inconnues et charmantes, et les auteurs ont fait ressortir avec beaucoup d'originalité le contraste entre le roi cauteleux, aux combinaisons sombres, et son grand rival Charles le Téméraire tout éclat et impétuosité.

Millionnaire malgré lui, par Paul D'IVOI, illustré par BOMBLED de 115 gravures en noir et en couleurs.

M. d'Ivoi continuant son intéressante série de voyages nous entraîne cette fois en Extrême-Orient et en Amérique; son récit est alerte et plein de vie et d'entrain.

Le Fiancé de Catherine, par R. DE SAINTMAUR, illustré par E. VAVASSEUR.

Ce noble récit de dévouement et de vaillance nous fait revivre un des innombrables drames d'héroïsme de l'année terrible et la défense passionnée de la vieille cité restée française de Belfort.

sr Librairie FLAMMARION, 26, rue Racine, Paris.

Histoire contemporaine par l'image, par

Armand DAYOT, inspecteur général des BeauxArts.

Ouvrage illustré d'après les documents du temps, 1789-1872.

Dans cet album unique où la savante précision d'un texte impartial s'allie au pittoresque d'une sérieuse documentation graphique, M. Armand Dayot a rassemblé tous les éléments essentiels de notre histoire nationale de 178g à 1872. De l'énorme amoncellement d'images de toutes sortes très judicieusement choisies et chronologiquement classées, qui constitue le bloc de son récit par l'image de l'histoire de France de la Révolution à la troisième République, M. Dayot a détaché les motifs les plus caractéristiques et les plus propres à l'enseignement utile. Ce nouvel album est un véritable livre classique où l'enfant (et souvent aussi l'homme mûr) pourra, en tournant quelques centaines de feuillets, connaître en s'amusant, et comme par l'effet d'un jeu cinématographique, les événements dont la trame constitue notre histoire moderne et les personnages qui y furent mêlés.

XXII


L'ART ET LES ARTISTES

Dans cet ouvrage, le texte rapide, clair, précis, a une importance égale à l'image. Il l'accompagne, l'explique, la commente.

sr

Librairie Alphonse LEMERRE, 23-33, passage Choiseul.

Petite bibliothèque littéraire. — Ouvrages publiés en 1905.

Anthologie des poètes français depuis les origines jusqu'à la fin du xvme siècle, avec une étude sur la poésie française, par Anatole France.

C'est le trésor national de notre langue. On y trouvera les poésies des auteurs les plus célèbres des siècles classiques, avec un grand nombre de fort belles pièces, moins connues, mais aussi dignes de l'être. L'étude qui précède ces poésies et leur sert de préface est une oeuvre magistrale du maître écrivain Anatole France.

anthologie des poètes français duxixe siècle, quatre volumes in-8° imprimés sur papier vélin.

Cet ouvrage comprend quatre volumes. Le premier d'André Chénier à 1817. Le second de 1818 (Leconte de Lisle) à 1841. Le troisième de 1842 (François Coppée) à 185 1 ; le quatrième de 1852 (Paul Bourget) à nos jours.

Gaston DE RAIMES. Soldats de France.

— Actions héroïques.

Généraux de la République. Illustrations de Henri Pille, un volume.

Maréchaux de l'Empire. Illustrations de Henri Pille, un volume.

Algérie, Crimée, Mexique, Illustrations de Henri Pille et Eugène Chapron, un volume.

Gaston DE RAIMES. Marins de France. —• Actions héroïques.

Un volume illustré par Eugène Le Mouel.

Frédéric HENRIET. Les eaux-fortes de Léon Lhermitte, orné d'un portrait de l'artiste gravé à l'eau-forte par G. La Touche, et 10 eaux-fortes de Lhermitte dont une originale, de frontispices et culs-de-lampe d'après les eaux-fortes du maître.

Paul ARÈNE. Contes de Paris et de Provence, illustrations de Myrbach.

Auguste BRIZEUX. Marié, illustrations de H. Pille.

Marcel PRÉVOST. L'accordeur aveugle, illustré de 30 aquarelles de François Courboin. sr

Librairie Félix ALCAN.

Le succès, auteurs et public. Essai de critique sociologique par Gaston RAGEOT, dans la Bibliothèque de philosophie contemporaine.

Essais socialistes. L'alcoolisme. Le Religion. L'Art, par E. VANDERVELDE, professeur à l'Université nouvelle de Bruxelles, dans la Bibliothèque généralejles sciences sociales.

Palestrina, par Michel BRENET, dans la collection « Les Maîtres de la Musique ». sr

Librairie J.-B. BAILLIÈRE et fils, 19, rue Hautefeuille, Paris.

Les races humaines, par le T>r R. VERNEAU, Assistant d'anthropologie au Muséum d'histoire naturelle, illustré de 531 figures. Introduction par

A. DE QUATREFAGES.

La vie des animaux. Sous la direction d'Edmond PERRIER, directeur du Muséum d'histoire naturelle, membre de l'Académie des sciences; illustré de 140 planches en couleurs et nombreuses photogravures, d'après les peintures et les dessins originaux de W. Kuhnect.

Les mammifères, par A. MENEGAUX, Assistant du Muséum d'histoire naturelle, orné de 80 planches.

Les oiseaux, par Julien SALMON, Conservateuradjoint du Muséum d'histoire naturelle de Lille. sr

Imprimerie CHAIX, à Paris, 20, rue Bergère.

Les maîtres de l'affiche.

Publication artistique contenant la reproduction en couleurs des plus belles affiches des grands artistes français et étrangers. — Cinq volumes chacun de 12 livraisons comprenant 4 reproductions en couleurs d'artistes différents français et étrangers. sr

Librairie A. FONTEMOING, 4, rue Le Goff, Paris.

La messe de onze heures et demie, par Fernand MEDINE.

Un prince jacobin. — Charles de Hesse ou le général Marat, par Arthur CHUQUET, de l'Institut.

sr

Librairie ROTHSCHILD, L. LAVEUR, rue des Saints-Pères, 13, Paris.

Le point de France et les centres dentelliers aux XVIIe et XVIIIe siècles, par Laurence DE LAPRADE.

Orné de deux portraits de Colbert et de cinquante reproductions de dentelles.

La vie antique.

Manuel d'archéologie grecque et romaine, traduit par M. TRAWINSKI.

Première partie : La Grèce, ornée de 578 vignettes.

sr

CALMANN-LÉVY, 3, rue Auber, Paris.

Jeanne d'oÂrc, par Anatole FRANCE.

De la collection artistique illustrée : Gabriele D'ANNUNZIO, La fille de Jorio. — Anatole FRANCE, Les contes de Jacques Tournebroche.

René BAZIN, ^Mémoires d'une vieille fille.

— Ludovic HALÉVY, Mémoires de Granet.

— Marcelle TINAYRE, Le coeur de J^osanne.

sr Editions du Mercure de France, rue Condé, 26, Paris.

Tei-San. ■— Notes sur l'Art Japonais, la peinture et la gravure.

La littérature contemporaine (1905) (opinions des écrivains de ce temps), par G. LE CARDONNEL et Ch. VELLAY. sr

Librairie de l'Art ancien et moderne. Collection des Maîtres de l'art. Géricault, par Léon ROSENTHAL.

XXIII


L'ART ET LES ARTISTES

Puissante étude du maître né sous le règne de David, célèbre à 20 ans, mort à 32 ans, à l'heure où s'affirmait Delacroix, et dont l'influence, bien que n'ayant pas eu de disciple immédiat, s'exerce encore sur l'esprit de nos contemporains.

Michel-cAnge, par Romain ROLLAND, chargé de cours à la Faculté des lettres de Paris. (24 planches hors texte.)

C'est un remarquable ensemble de la vie et de l'oeuvre du génie le plus puissant de la Renaissance Italienne.

sr Guerre des Vendéens (1792-1800), par

Désiré LACROIX, d'après les Mémoires de l'époque et les documents officiels, avec cartes, portraits et gravures (GARNIER frères, éditeurs).

Récit impartial et documenté, sans autre souci que celui de la vérité, de grand drame vendéen, accompagné de nombreuses notes et pièces officielles offrant des détails d'un réel intérêt historique.

Librairie BERGER-LEVRAULT et C!c, éditeurs, 5, rue des Beaux-Arts.

Navires et ports marchands, par Marcel PLESSIX.

C'est une impartiable et consciencieuse étude mettant en lumière notre déchéance maritime, les exemples fournis par les nations étrangères ainsi que les remèdes desquels on peut attendre le relèvement de notre marine marchande.

; ^J^iu-Jitsu, méthode d'entraînement et de combat qui a fait des Japonais les adversaires les plus redoutables du monde, par H. IRVING HANCOCK, traduit par MM. L. FERRUS et J. PESSEAUD.

La Bataille de Tsoushima, par le capitaine de frégate N.-L. KLADO, traduit par M. R. MARCHAND.

Échos de la Mode

ON gré mal gré, voici Christmas et le jour ■*■"* de l'An... neige et bonbons, froidure et galas, onglée et musique, car tout se tient en cette saison où les uns dansent pendant que les autres tapent du pied pour se réchauffer. Après les réceptions princières, voici les fêtes privées, moins nombreuses pourtant qu'elles ne devraient l'être parce que les goûts actuels comportent une somptuosité dont s'effraient beaucoup de maîtresses de maison.En effet, si les réceptions, même intimes, ne présentent pas une grande recherche, si le cadre de fleurs et de lumière n'offre pas orchestre savant, . artistes célèbres et buffet délicat, les invités qui ont arboré des toilettes étourdissantes, pincent le nez comme s'ils assistaient au thé de Mme Gibou et déclarent, en s'en allant, que ce n'était vraiment pas la peine de les déranger pour si peu.

Elles sont rares, les maisons où l'on ose encore se distraire sans tant de panache, où l'on n'exige pas les uns des autres des frais inutiles dont l'idée vient gâter le plaisir de tous en mêlant le mot fatidique : échéance ! aux conversations les plus mondaines.

Mais, enfin, il en reste et le plaisir plus simple que l'on y prend n'empêche ni l'élégance, ni la distinction, ni la beauté d'y paraître avec succès. Pour ne pas être de professionnelles beautés, les invitées n'ignorent aucune des ressources de la coquetterie, elles veulent plaire, être admirées et y parviennent très bien. ■

Est-ce toujours naturellement, sans l'aide d'aucun artifice ? Hum ! je n'en jurerais pas, mais qu'importe le moyen si le résultat est bon, s'il paraît entièrement dû à la générosité de dame Nature.

Puisque nous parlons réceptions du soir, on entrevoit le décolleté des invitées, si joli lorsqu'il découvre bras ronds, belles épaules, cou onduleux et qu'un épiderme aussi blanc que satiné revêt de son éclat ces formes féminines.

Mais il est fugitif, cet éclat printanier, il cède à mille causes : fatigues, chagrins, souffrances, avant même que l'âge, son plus grand ennemi, ne s'affirme trop indiscrètement.

Aussi doit-on lutter sans trêve et, dans le cas qui nous occupe, rien n'est supérieur au véritable Lait de Ninon pour obtenir la blancheur et la fraîcheur du décolleté, pour dissimuler vilains plis et nuances douteuses de la peau. Le Lait de Ninon n'est pas un fard, notons-le bien ; il existe en trois teintes : blanche, rose et Rachel, à la parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre, et vaut 5 francs le flacon, 5 fr. 85 franco.

Pour être bien corsetée s'adresser à Mlle Adnet, 22, rue du Vieux-Colombier, et bien peignée à la Parfumerie Regina, rue de Rivoli, 188 ; lui demander l'épingle viennoise.

Mme SANS-GÊNE.

Une désolée de ' vingt ans. — Voulez-vous bien quitter fichu et mentonnières et soigner simplement vos dents avec les produits dentifrices des Bénédictins du Mont Majella qui leur donneront la force dont elles manquent ! Prenez élixir et pâte ou poudre à votre choix. Chez M. Senet, administrateur, 35, rue du Quatre-Septembre, et vous verrez votre ennui disparaître.

Mrae S. G.

XXIV


Numéro 11 — Février 1906

Supplément illustré

de l'Art et les Artistes

N. B. — 7ont ce qui concerne les Abonnements, la Publicité, etc., doit être exclusivement adressé à M. /'Administrateur de L'ART ET LES ARTISTES, IJJ, boulevard Saint-Germain.

ABONNEMENT ANNUEL : Un an, 16 fr. pour la France, 20 fr. pour l'Etranger.

L'Education artistique

L'ESTAMPE — COMMENT SE FAIT UNE GRAVURE A L'EAU=FORTE '

TVEPUIS quelques années, grâce aux Revues et *~^ aux publications artistiques, l'estampe revit et se propage. Tout en restant le régal des collectionneurs elle n'est plus uniquement confinée dans les cartons et elle prend de plus en plus, dans le décor de nos intérieurs, une place prépondérante. Et quel art peut, en effet, mieux et plus discrètement s'associer à la nette élégance de l'ameublement, à la clarté des tentures, base de notre conception actuelle de l'habitation ? En outre, les estampes

estampes ou coloriées, tout en égayant nos yeux, nous suggèrent, par le talent des artistes de notre époque qui les conçurent et les exécutèrent, des visions caractéristiques et rapides de nos milieux, des sensations d'art, primesautières, fantaisistes ou lancinantes, émotions subtiles dans lesquelles se complaît notre âme moderne, analyste aiguë éprise pourtant de synthèse profonde, curieuse à la fois de fantasque et de réel, et par-dessus tout assoiffée de nouveau. Le bel art de la grai.

grai. prochain article sur l'Education artistique sera consacré à la technique de la pointe sèche, de la gravure à la manière noire et de la gravure en couleur.

CHARDIN — LE GARÇON CABARTIER

Eau-forte de COCHIN (i" état)

vure, ayant repris son essor, il ne peut être indifférent de connaître les généralités propres à chacune de ses branches, et du moment que le public redevient sensible à l'aspect et au charme de l'estampe, il est bon de savoir quelles sont les particularités techniques qui contribuent à la séduction de cet aspect.

Prenons d'abord l'eau-forte.

Qu'est-ce qu'une gravure à l'eau-forte ? Peutêtre n'est-il pas inutile de le rappeler. — Voici en

quoi elle consiste : On trace sur une plaque de cuivre lisse préalablement enduite d'une légère couche de vernis, un dessin au moyen de pointes d'acier. Un acide, versé ensuite sur cette plaque, attaquera et entamera le cuivre sur les traits dessinés, le vernis préservant de l'acide les autres parties de la planche. Voilà pour la gravure. — Une fois cette opération faite, on dévernit la plaque, on enduit cette dernière d'une encre d'imprimerie qui pénètre dans les tailles creusées par l'acide; on essuie. On place le cuivre sous le rouleau d'une presse à bras; on met dessus une feuille de papier; on actionne la


L'ART ET LES ARTISTES

presse; sous cette action les parties encrées appuient sur le papier qui pénètre dans les tailles. On retire la feuille : le dessin se trouve reproduit légèrement en relief, et, naturellement, à l'envers de son exécution sur le cuivre. Voilà pour .l'épreuve.

C'est la gravure en creux, différente en cela de la gravure. sur, bois.dont, les tailles, sont en relief. Il faut attribuer aux orfèvres florentins du XVe siècle, Maso'Finiguerfa et Baldini, l'origine de cette application de la gravure aux épreuves tirées sur papier '. Primitivement l'entaille des métaux était exclusivement réservée.aux. ciselures. et aux nîellures dont les orfèvres ornaient les ouvrages qu'ils exécutaient. Botticelli, Pollajuolo et Mantegna expérimentèrent les premiers la gravure pour la reproduction de leurs dessins. Mais ce n'est que plus tard, que l'invention de la presse et de l'encre d'imprimerie sépara nettement l'art, de la gravure de l'orfèvrerie.

Citer chronologiquement les artistes auxquels on doit des eaux-fortes remarquables serait faire l'historique de tous ceux qui, du xve au xixe siècle, furent coloristes, originaux, et pittoresques dans leurs oeuvres. L'eau-forte et son métier si particulier, ses épreuves à la couleur si profonde, a tenté tous les peintres épris de clair-obscur, et Rembrandt sut dans cet art qu'il marqua de son génie, rendre si l'on.peut dire, plus sensible encore que dans sa peinture, sa hantise des sujets mystérieux enveloppés d'une lumière extra-naturelle, à la fois fluide et vaporeuse, se dégradant insensiblement jusqu'aux souples et transparentes pénombres.

Mais s'il est peu d'art où la personnalité de l'artiste joue un si grand rôle, il en est peu qui soit autant soumis à des manipulations techniques. Pour employer un terme d'atelier, c'est une véritable cuisine que doit faire le graveur avant d'obtenir un premier résultat.

- Pénétrons donc un instant dans l'atelier, nous allions dire le laboratoire, de l'aquafortiste.

Devant la fenêtre qu'abrite un châssis de bois léger tendu de mousseline destinée à tamiser la lumière, l'artiste est assis à la table sur laquelle on distingue un véritable arsenal : le tas en acier pour redresser et repousser le cuivre, le compas d'épaisseur, le marteau, les quatre étaux à main qui serviront de poignée à la planche de cuivre au courant des opérations, la pierre à l'huile pour aiguiser les outils rangés par ordre sur le banc, ou tablette étagée, où nous voyons leurs pointes briller discrètement dans la lumière diffuse. Ils sont nombreux, ces outils: brunissoirs d'acier qui rempliront l'office de gomme à effacer, grattoirs, pointes d'aiguilles de

i. Le cabinet des estampes possède une première épreuve de ce genre remontant à 1452, uue Paix gravée, tirée en bleu est attribuée à Finiguerra de Florence.

diverses grosseurs emmanchées dans des bâtonnets pour les traits fins à tracer sur le métal, bouts de burin usés et arrondis sur la meule, aiguisés sur la pierre à l'huile. C'est un travail des plus minutieux que cet affûtage des outils, car il faut que, sans couper le cuivre, ces pointes employées dans tous les sens produisent un trait bien égal. Encore fautil savoir que chaque graveur a son habitude ; les uns ne font qu'effleurer la planche en enlevant seulement le vernis, d'autres au contraire coupent plus ou moins fortement le cuivre et font ce qu'on appelle un travail bien attaqué qui mord plus vite et donne plus de brillant à la taille.

Notre graveur va commencer son travail. Il a choisi chez le planeur la plaque de cuivre uni et poli réunissant les qualités nécessaires à une bonne gravure. Ce cuivre est plein, liant, serré sans être aigre; la pointe l'entame sans mollesse, le burin le coupe net sans dureté. Il prend donc sa planche, la fixe à chacun de ses bouts par l'étau à mains, puis l'ayant fait chauffer également au moyen d'un réchaud, l'enduit, avec un tampon, d'un vernis préalable dans lequel entrent les ingrédients suivants : cire blanche, mastic en larmes, poix de bourgogne, essence de térébenthine et caoutchouc en solution.

La plaque refroidie, un report du dessin que veut exécuter l'artiste est fait au moyen d'un calque frotté par derrière de sanguine et de mine de plomb; une pointe légère décalquera ainsi ces traits qui se reporteront aisément sur le vernis. Puis notre graveur a choisi sa pointe suivant la force ou la finesse des contours qu'il a à tracer et le voici qui s'en sert comme on pourrait se servir d'un crayon, tantôt la promenant légèrement sur le cuivre, tantôt au contraire entamant plus profondément le métal pour les accents de son dessin.

Les contours sont tracés, les masses générales et les effets principaux sont indiqués. L'instant de la première morsure est arrivé.

L'acide nitrique propre à cette opération est préparé, coupé d'eau, dans trois flacons, à des degrés différents : 15, 20 et 25 degrés.

Quelques graveurs, après avoir mis autour de la plaque un rebord de cire molle, versent l'acide dans le récipient ainsi formé. D'autres plongent la plaque, dont le verso est préalablement enduit de suif ou de vernis, dans un baquet de verre où elle baignera entièrement.

Ici commence une opération capitale dans ses résultats et parfois incertaine dans son exécution. — Voilà une planche importante qui représente un grand effort de travail, de temps, et d'art; et tout peut être gâché par une morsure mal dirigée. .— Aucune règle de durée ne peut être assignée, l'action de l'acide est subordonnée à des considéra11

considéra11


L'ART ET LES ARTISTES

tions si diverses : la dureté du métal, l'état de l'atmosphère qui intervient très puissamment, la force de l'acide par rapport à l'exécution qu'on a adoptée. L'artiste obligé de sonder constamment son travail n'est guidé que par la pratique seule, une grande habitude, et... l'intuition. Il faut deux heures ; il faut aussi parfois plusieurs j ours. Un des maîtres aquafortistes de notre époque, M. Henri Lefort, me contait que pour des oeuvres importantes, l'appréciation de limite de morsure ne lui venait que par une sorte d'instinct, et que, pendant toute la durée de l'opération, il arpentait son atelier, revenait à sa planche, se répétait, en proie à une angoisse très grande : « Je la laisse trop... c'est raté! tant pis... Elle est brûlée! ça ne fait rien... laissons-la encore! » jusqu'au moment où un flair presque inconscient l'avertissait que, malgré toutes ses appréhensions, le moment psychologique était arrivé, et qu'il pouvait arrêter la morsure.

La morsure est donc achevée. — Notre graveur lave la planche, la fait sécher et la dévernit par des procédés chimiques. Son oeuvre est-elle terminée? Non pas.. Il va de ce travail obtenir une première épreuve au moyen de l'encre d'imprimerie et de la presse à bras. Cette épreuve est ce qu'on appelle un premier état. C'est l'ébauche.

Les amateurs d'estampes recherchent beaucoup ces épreuves d'acheminement d'un travail de gravure; elles ont la saveur des esquisses, et le petit nombre auquel elles sont tirées accentue leur valeur par la rareté.

Sur ce premier état l'artiste se rend compte de ce ' qu'il a obtenu et de ce qu'il lui reste encore à faire. Certaines parties sont bonnes et peuvent ne pas être retouchées, d'autres trop accentuées seront ébarbées ou adoucies au brunissoir — Puis la plaque sera de nouveau enduite d'un vernis transparent, et, reprenant ses pointes et son burin, l'aquafortiste ajoutera des hachures, des détails ou des accents sur l'ébauche obtenue, et il fera remordre à nouveau ce second travail; la première morsure étant couverte par le vernis, l'acide n'agira donc que sur le second tracé. Donc, même opération, aussi délicate que la première, car il est nécessaire de faire cette seconde morsure homogène comme pénétration à la première. La planche est encore une fois dévernie, et une nouvelle épreuve en est tirée. C'est le second état. Plus achevé est déjà celui-ci, et pourtant ce n'est pas tout. Trois ou quatre états, et plus, sont parfois nécessaires ; quelques traits réservés nécessitent souvent une morsure spéciale.

Enfin, voici le dernier état avant l'épreuve définitive; il ne manque à cette épreuve que les finesses

CHARDIN — LE GARÇON CABARTIER

Eau-forte de COCHIN (état terminé)

de détails. Ces finesses s'exécuteront sur le cuivre même au moyen de pointes d'acier entamant directement le métal nu, et sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à la morsure de l'acide; c'est l'ultime travail, de., parachèvement délicat,...^

Il ne restera plus qu'à tirer l'épreuve définitive. Et c'est encore un art spécial que de tirer de belles épreuves d'eaux-fortes. Certains artisans imprimeurs sont réputés et recherchés par leur habileté à faire valoir le travail du graveur. Soit que, sur la planche de cuivre, ils laissent par endroit une demi-teinte légère d'encrage faisant valoir par ailleurs l'éclat des blancs, soit que, disposant des couches légères de papier à certains endroits de l'impression, l'épreuve, sous l'action de la presse, appuiera davantage sur certaines parties de la plaque, accentuant ainsi le parti pris de l'effet. Bref, c'est encore ici l'initiative qui entre en jeu.

On conçoit donc pourquoi la vue d'une belle eau-forte a quelque chose de particulièrement, de mystérieusement attrayant; c'est que, en dehors même de l'aspect et de la qualité d'art, il s'en émane comme le reflet d'une intelligence ardente, attentive, anxieuse, et qui, constamment en éveil sur l'oeuvre, en a dirigé jusqu'au bout avec un effort soutenu, chacune des parties. PAUL STECK,

Inspecteur de l'enseignement du Dessin et des Musées.

III


VUE D'ENSEMBLE DU PALAIS DES PAPES

Aquarelle de C. BOURGET

Les Fresques du Palais des Papes

à Avignon

X 'ÉCOLE italienne primitive a été de notre temps •*""'- l'objet des admirations les plus ferventes et des curiosités les plus passionnées, et ils sont légion, les curieux de tous les pays qui viennent, à chaque printemps, auprès de la jolie prairie pisane, interroger les maîtres du Campo Santo, ou qui suivent sous les arcades austères de la Chapelle des Espagnols la vision forte de Simon Memmi et de son école. La plupart des voyageurs qui vont vers l'Italie à la recherche de ces spectacles d'art ne se doutent pas qu'ils passent, dans la vallée du Rhône, à côté d'un monument tout aussi important de la peinture primitive. Avignon contient en effet dans son Palais des Papes un ensemble tout à fait unique de la peinture italienne du XIVe siècle.

Lorsqu'au commencement de 1400 les papes se fixèrent à Avignon, ils y élevèrent ce gigantesque et merveilleux palais, qui domine la vallée du Rhône du haut de son rocher des Doms et dont la masse magnifique est le type le plus imposant et le plus vaste de ces églises fortifiées comme on en trouve dans le midi de la France.

Comme tous les édifices de cette époque, le palais avait été enrichi de peintures de toutes sortes, exécutée, par les artistes illustres que les papes Jean XXII, Benoît XII, Clément VI, Innocent VI et Urbain V avaient appelés à Avignon. Malheureusement

Malheureusement siècles, la barbarie, les guerres et la révolution ont passé par là: les oeuvres d'art ont disparu, les merveilleuses peintures ont été fortement détériorées et cela surtout depuis que le palais a été transformé en caserne, état de choses qui cessera bientôt, espérons-le. Malgré tout cela, ces fresques, même un peu fanées, conservant pour les yeux et l'imagination un enchantement adorable. L'éclat assourdi des ors, les teintes devenues plus mates des bleus, les formes plus fondues des ensembles et cet air de tristesse et d'abandon qui se dégage de tout cela cadre tellement mieux avec les mages de désolation que ce palais évoque à l'esprit. Eloquents vestiges qui nous sollicitent en trois beaux ensembles.

Nous irons d'abord vers la fresque des prophètes dans la chapelle du Consistoire. Cette chapelle était jadis magnifiquement ornée.

Un mémoire de 1822 les décrit ainsi : « Il existe dans la grande salle où siégeait le tribunal de la Ruota, d'anciennes peintures qui occupent toute la surface du fond de cette salle, et qui s'étendent même sur une partie de celle de la voûte. Les premières représentent le Jugement dernier. Dieu le fils y est assis sur son trône, entre la Vierge et saint Jean, accompagnés de tous les saints et même de tous les papes et archevêques des XIIe et xmesiècles.

IV


L'ART ET LES ARTISTES

Dans le bas on

distingue toutes les

nations à leur costume, au

milieu desquelles des ministres du

Seigneur choisissaient les élus et repoussaient

d'un autre côté, les réprouvés dans les flammes de

l'Enfer.

« Les dernières, situées entre

les deux croisées, représentent le Calvaire. Elles étaient mieux conservées

conservées les premières, malgré que celles-ci n'eussent éprouvé que de très

légères dégradations, avant qu'on eût commencé les ouvrages. »

Un panneau est encore là qui proclame le génie du peintre. Ces têtes austères, cette exécution

exécution et franche, cette énergie et cette vérité dans l'aversion, cet art sobre des draperies. ce

style enfin que n'eurent guère que deux ou trois maîtres, vous avez reconnu ici la forte école siennoise, et plu particulièrement Simon Memmi, l'auteur des fresques du Palais public de Sienne et de la chapelle des Espagnols de Florence. Simon Memmi ou Simone di Martino avait été emmené à Avignon par le cardinal di Ceccano (Vasari affirme que ce fut Pandolfo Malatesta). Il y connut Pétrarque'et fit pour lui le portrait de Laure. Le grand poète nous renseigne lui-même sur les sentiments éprouvés à l'égard du peintre : « J'ai connu, dit-il, deuxpein-. très, tous les deux excellents, Giotto de Florence, dont la réputat on est grande parmi les modernes, et Simon de Sienne. » Et ailleurs il unit dans son souvenir la mémoire de Simon et de Laure :

Ma certo il mio Simon fù in paradiso Onde questa gentil Donna si parte Ivi la vide et la tristrasse in carte Per far fede quaggiu del suo bel viso.

Ce portrait auquel il fait allusion « pour qu'on sût ici-bas combien elle était belle », fut très probablement la première oeuvre du peintre en Avignon.

A la demande du cardinal Lecano, évoque de Frascati et son protecteur, il décora le porche de la cathédrale d'un saint Georges aujourd'hui effacé et le portait d'une Madone qui subsiste. f Les fresques de Simon qui ornaient la voûte de la chapelle du Consistoire étaient excessivement

SAINT MARTIAL GUERIT UN BLESSE (Fragment d'une des fresques du Palais des Papes)

importantes, si l'on en juge par le grand fragment conservé où l'on voit dix-huit figures de prophètes et une sibylle dans chacun des angles. Le fond de ces peintures est bleu, semé d'étoiles d'argent et les personnages sont presque de grandeur naturelle.

Les prophètes représentés sont les suivants : Anna, mère de Samuel, Habacuc, Malachiel, Abdias, Michée, Nahum, Ezéchiel, Jérémie, Isaïe, Moïse, Enoch, Job, Salomon, David, Daniel, Osée, Amos, Sophonie, Johel, Sibylle.

Il est hors de doute, à en juger par les nervures peintes de la voûte, que d'autres fresques existent sous le badigeon, et je suis convaincu pour ma part qu'un habile praticien les dégagerait facilement, et qu'on les retrouverait presque intactes. Espérons que le ministère des Beaux-Arts, d'accord avec la ville d'Avignon, entreprendra bientôt ce grand oeuvre.

Dans la tour Saint-Jean on trouvera un monument plus important encore de la peinture primitive, dont certaines parties sont fort bien conservées, et qui devait être jadis d'une magnificence extraordinaire. C'était Benoît XII (13351342) qui avait appelé à Avignon Simone Memmi.


LES FRESQUES D'AVIGNON

Le Christ consacre saint Martial Le Christ remet un volume à saint Pierre qui envoie saint Martial en Gaule pour convertir ce pays


LES FRESQUES D'AVIGNON

Le Christ apparaît à saint Martial Diverses conversions effectuées par le saint.


L'ART ET LES ARTISTES

Son successeur Clément VI fit décorer la tour Saint-Jean. La chapelle supérieure de son oratoire privé est ornée sur ses voûtes divisées en huit parties, de peintures représentant la vie de saint Martial. Clément VI avait tenu particulièrement à honorer ce saint, originaire comme lui et la plupart de ses cardinaux de Limoges. Comme dans les fresques de Simon Memmi ces peintures se détachent sur fond bleu avec une grande profusion d'ornements et d'or ; malheureusement, plusieurs têtes furent enlevées vers 1830,— la chronique dit par un colonel qui commandait alors le régiment d'Avignon. Ces panneaux ne sont ni de Giotto, ni de Memmi, ni d'Orcagna. M. Duhamel, le savant architecte de Vaucluse, a trouvé dans les comptes de Clément VI, pour l'année 1346, la preuve que Jean de Viterbe en fut l'auteur.

Voici les titres des principaux sujets traités, tels qu'on les trouvera sur nos illustrations, en commençant par les voûtes :

I. Jésus prêche devant plusieurs personnes parmi lesquelles saint Martial entre ses parents ; plus bas le baptême du saint.

IL Saint Martial consacré par le Christ.

III. Le Christ ordonne à saint Pierre de catéchiser les Gaules ; celui-ci y envoie saint Martial.

IV.- Saint Pierre remet le bâton du pèlerin à saint Martial.

V. Saint Martial guérit à Tulle un blessé du nom d'Arnaud.

Sur les côtés du même oratoire, nous voyons tour à tour le saint Martial prêchant la religion chrétienne à sainte Valérie ; 20 la conversion du comte de Poitiers ; 30 la mort de saint Martial; 40 la réception de l'âme de saint Martial parlés

anges ; autant de morceaux du plus haut intérêt et souvent de la plus parfaite conservation.

Dans la chapelle du bas un peintre inconnu jusqu'ici et qui n'égale pas en forte personnalité Simon Memmi ou Jean de Viterbe, a peint des scènes de la vie de saint Jean-Baptiste encore fort bien conservées. Huit panneaux sur les voûtes représentent des saints tandis que sur les côtés nous voyons des scènes de la vie de saint Jean-Baptiste et de Jésus-Christ que j'énumérerai succinctement :

Le baptême du Christ. Jésus au mont des Oliviers. Apparition du Père. Naissance de saint Jean-Baptiste;

20 Vocation des enfants de Zébédée. Crucifixion du Christ ;

30 Décollation de saint Jean ; sa tête apportée à Hérode; le Christ suivi de deux anges lui parle ;

40 Le Christ donne une mission.

Les brèves notes qui précèdent, et surtout les illustrations qu'elles encadrent, pourront peut-être donner une idée de ce beau trésor d'art qui est à la veille de disparaître si les pouvoirs publics n'interviennent pas au plus tôt. Il est inadmissible, en effet, qu'un pays aussi soucieux que l'est le nôtre des merveilles de son patrimoine artistique ne songe pas à préserver jalousement un monument unique et auquel rien ne saurait être comparé.

Qu'il nous soit donc permis de rêver d'un palais des papes discrètement restauré, où, dans le silence des salles aux élégantes ogives, devant l'harmonie un peu éteinte des belles fresques, on puisse savourer dans toute sa plénitude une page de'notre histoire du moyen âge, et évoquer les ombres éloquentes de Pétrarque ou de Rienzi.

HENRI FRANTZ.

UN COIN DU PALAIS (Aquarelle de C. Bourget)

VIII


Le Mois archéologique

L'ARCHEOLOGIE AMERICAINE

QUAND on parle d'antiquité américaine, le nom d'Aztèques se présente aussitôt à l'esprit; il évoque le souvenir de deux microcéphales exhibés par un manager de cirque. Quelques-uns pensent vaguement aux Conquistadores ; d'autres enfin vont cueillir dans leur bibliothèque quatre volumes elzévirs où le poète José-Maria de Heredia a traduit la Véridique Histoire de la Conquête de la Nouvelle-Espagne, de Bernai Diaz del Castillo. Il y a peu d'années que l'archéologie américaine est scientifiquement constituée. Il a fallu la générosité éclairée et l'intelligente initiative de M. le duc de Loubat, membre correspondant de l'Académie des Inscriptions pour animer ces études. Grâce à lui, depuis 1903, le Collège de France s'enorgueillit d'une chaire américaniste occupée par M. Léon Lejeal ' ; par la même faveur, à Berlin, M. Seler, et à la Columbia University de New-York, le conservateur de l'American Muséum M. Marshall H. Saville poursuivent des recherches parallèles.

Or, toutes ces recherches nous font savoir la complexité infinie de cette archéologie. Il n'y a pas eu une, mais plusieurs civilisations pré-colombiennes. Du Sud au Nord, se seraient échelonnées celles du Pérou, celles des Muyscas, de la NouvelleGrenade, du Mexique, sans parler des demi-civilisations, comme celles des Moundbuilders, constructeurs de tertres, des Cliffdwellers ou falaisiers, des Pueblos du Nouveau-Mexique et des États-Unis.

Ces demi-civilisations, qui précédèrent ou entourèrent les civilisations plus avancées du Mexique, du Yucatan et du Pérou — comme les Pélasges circonvinrent les Grecs et les Latins — sont caractérisées par les constructions désignées sous le nom de mounds, de cliffs. (cavernes) et de pueblos. Sur le versant du Pacifique, dans un pays calcaire, rocheux, qui déborde un peu sur le territoire actuel

1. L'Américanisme a, d'ailleurs, comme l'orientalisme, depuis 1875, ses congrès internationaux, dus à l'initiative de deux précurseurs français, MM. Léon de Rosny qui enseigne encore les religions de l'Amérique indigène à l'Ecole des Hautes-Etudes, et Lucien Adam, linguiste réputé. Paris, par deux fois (1890 et 1900), après Nancy, a été le siège de ces assises, comme Berlin, .Stuttgart, Bruxelles, ' Stockholm, Copenhague,. Huelva, Mexico,.etc., plus récemment, New-York' (1902) et Stuttgart (1904). La prochaine réunion se doit tenir dans une ville encore française d'esprit, dans la métropole française du NouyeaurMonde, Québec, à l'automne de cette nouvelle année.

des Etats-Unis, on peut observer les cliffs, cavernes taillées dans le roc perméable, à une certaine hauteur, pour se préserver des atteintes de l'ennemi.

Les parties planes, plateaux ou vallées du pays des cliffs, nous présentent, d'autre part, des villages curieux, où les constructions de briques crues se superposent en étages successifs, réunis par des échelles extérieures. Ce sont précisément les pueblos dont quelques-uns (Arizona et NouveauMexique) sont encore habités aujourd'hui. Entre l'homme des cliffs et l'Indien Pueblo d'autrefois et d'aujourd'hui, la parenté est éviden e. Mais ce rapport de parenté, tous les américanistes ne le conçoivent pas de la même manière. Pour les uns, l'habitant des Pueblos est un descendant des anciens troglodytes. Il y aurait donc là deux générations humaines et archéologiques distinctes. Pour d'autres, habitations falais'.ères et villages des régions moins élevées seraient l'oeuvre des mêmes générations et du même temps : le cliffs dwelling, la maison de rochers, était l'habitation du temps de guerre comme les pueblos étaient celles du temps de paix En tout cas, comme le démontrent et ce mode de bâtir digne des abeilles et les moeurs des modernes Pueblos, cette société était phalanstérienne, communiste.

Antérieurement, et plus au Nord-Est, sur le versant de l'Atlantique, dans la vallée du Mississipi, se manifeste la demi-civilisation des moundbuilders (constructeurs de tertres).

Et ce qui est plus énigmatique, on voit là des tertres fantastiques, auxquels on attribue des significations différentes. On est à peu près d'accord sur leur utilisation comme sépultures ; mais la science hésite à sanctionner leur emploi comme travaux défensifs, comme enceintes sacrées, comme temples, comme tertres à sacrifices, comme tertres figuratifs d'animaux. On n'ignore pas qu'en Amérique les espèces monstrueuses ont disparu beaucoup plus tard qu'en Europe. Parmi ces tertres, les plus célèbres sont le mound de l'Alligator, le mound du Serpent, et l'on sait le rôle important joué par lé serpent dans les mythologies primitives; en les fouillant, on a trouvé des pipes, des vases, des ornements en coquilles, des ornements de bronze, ou de cuivre. Ces moundbuilders disparurent devant un afflux de races venues d'ailleurs : s'agit-il de migrations dépeuples asiatiques, ou d'une bousculade dans les populations

rx


L'ART ET LES ARTISTES

autochtones du. Nord ? C'est là même le problème des races américaines et, si palpitant qu'il soit, il n'en saurait être question ici. A ces civilisations primitives correspond dans l'Amérique du Sud celle de la Bolivie méridionale et des provinces du Nord de l'Argentine, des Calchaquis ? Les uns concluent à l'originalité de la culture calchaquie ; les autres se servent de ces rapports pour assimiler les Calchaquis à

des barbares, policés par des émigrants venus des vallées supérieures des Indes; mais nous n'avons ici qu'à montrer . toute la complexité ■ du problème. ■ . .

La , question

la plus féconde

dupoint.de vue

archéologique,

est celle de. la

civilisation • isthmico-mexicaine. Mais ici, il faut distinguer plusieurs étapes, représentées par les diverses races du Mexique. La culture toltèque semble avoir été

particulièrement brillante; jusqu'à ce jour, on n'a pas découvert, moins d'une centaine de monuments .

toltèques ; les Toltèques ont donc bien mérité leur nom, qui est synonyme de bâtisseurs. L'architecture du,Mexique ancien est grandiose, l'artiste travaille pour la religion ou les rois ; les temples, les palais, les nécropoles royales, tels sont donc les objets de son activit . Le temple consiste en une pyramide colossale ; celle de Comalcalco n'a pas moins de 285 mètres de côté à la base, sur 35 mètres de hauteur ; celle de Cholula atteint cinquante mètres pour une superficie de 18 hectares. Ces pyramides contiennent des chamb es funéraires, comme celles de l'Egypte ; mais, comme les zigurats de la Chaldée, elles sont tronquées, et, par un escalier

monumental, on arrive à la plate-forme supérieure, où se trouve la chapelle. Le Palais carré, à Palenqué, dans le Chiapas, dont les dimensions sont à peu près celles de la cour du Louvre, nous donne le type de la maison des rois ; il témoigne d'uie entente parfaite du climat et de la sécurité, par ses issues, sa haute tour, ses frais promenoirs. Enfin, la nécropole de Mitla (Etat d'Oaxaca) avec ses « mytérieuses cryptes cruciformes » et

sa salle hypostyle soutenue par six magnifiques monolithes, donne bien l'idée des sépultures monumentales de cette époque. Tous ces artistes ont su utiliser les voûtes

à encorbellement, les ouvertures en fer à cheval, en trèfle, en accolade ; dans l'ornementation on rencontre des motifs géométriques, des swastika, des idéogrammes rehaussés par la polychromie (blanc, rouge et noir). Là se pose cette question si intéressante des origines du dessin,

exposée par M. Holmes dans

son ouvrage sur l'Archéologie pré-colombienne, et corroborée par M. Denicker et M. Pottier ; les hommes sont-ils partis de l'ornementation géométrique pour arriver à l'ornementation végétale, puis animale, ou, au contraire, ne peut-on pas constater là une loi de déformation analogue à celle qu'on peut constater dans l'histoire des langues, et les figures comme la swastika, les entrelacs, les losanges, etc., ne. sont-elles pas plutôt inspirées par le souvenir de dessins d'animaux ou de plantes, stylisés à outrance, et devenus de plus en plus schématiques ? Pour ce qui est de la sculpture, maladroite dans l'exécution de la figure

.,. PALENQUE (Civilisation Maj'a)


L'ART ET LES ARTISTES

humaine, elle atteint une grande énergie dans les grands ensembles décoratifs analogues à ceux qui décoraient les pylônes égyptiens. A cet égard, le bas-relief aztèque de la collection Uhde et celui des suivantes de la Reine, à Palenqué, les figures de Copan, sont caractéristiques.

Du point de vue religieux, il y a là un autre problème très curieux : la religion des Toltèques se serait résumée dans le culte du prophète civilisateur Quetzalcoatl ; ce grand réformateur aurait épuré le culte primitif d'un dieu atmosphérique, le dieu de « la bonne pluie », il aurait supprimé les sacrifices humains, et introduit l'idée de pureté et d'ascétisme ; ce nouveau culte offrait tellement de ressemblance avec le christianisme que les savants ont été amenés à chercher s'il n'y avait pas eu là un apostolat pré-colombien, réalisé du IXe au xive siècle, par des « papas », des prêtres de l'ancien christianisme irlandais, Scandinave et islandais, arrivés au' Mexique, de proche en proche, depuis le Groenland et le Canada, où la colonisation européenne avant Colomb est un fait historique. Mais à l'heure actuelle, aucun américaniste sérieux ne s'occupe plus du problème des origines ethniques ni de l'autre, très di férent, des origines de la civilisation américaine : ces questions, la science ne les pourra résoudre qu'après deux siècles de recherches. Pour le moment, « l'Amérique aux Américains ! » tel est le point de vue nouveau auquel se place l'américanisme.

En tout cas, les Toltèques si raffinés, avec leurs connaissances astrologiques, leur calendrier harmonieux, leur littérature, leurs institutions politiques — théocratie, monarchie féodale, ou fédération de tribus — semblent avoir cédé devant des émigrants sanguinaires, les Chichimèques, venus du N.-O., et s'être enfuis vers le Sud. Ils auraient pénétré dans la région isthmjque, dans le Chiapas, le Yucatan, le Guatemala, le Honduras ; et là se serait développée parmi les populations antérieures de race dite Maya, la dernière floraison de leur art, la plus exubérante si l'on en juge par les monuments de Copan. Cette civilisation toltéco-maya daterait du VIe au xve siècle de notre ère ; tous les grands monuments de l'Amérique centrale étaient debout à l'arrivée des Espagnols, qui mentionnent sans cesse la blancheur des monuments ; comme ces monuments sont en argile mêlée de terre,, ils n'étaient donc pas très anciens lorsque les Conquistadores les virent.

Quelques peuples se dégagèrent rapidement des Chichimèques ; les Aztèques colonisèrent les bords du lac aujourd'hui desséché de Mexico. Les Aztèques, très guerriers, offrent plus d'une analogie avec les Romains, par la manière dont ils ont unifié le Mexique pré-colombien. En réalité,

ils fondèrent (1320-1328) en face de Tescuco, la ville lacustre de Mexico. Ils entraînèrent à leur suite les tribus voisines, et les villes du lac arrivèrent peu à peu à assimiler presque tout le plateau d'Anahuac, si l'on excepte quelques résistances dans le Nord-Ouest. Ainsi, à la civilisation toltécomaya ou toltéco-isthmique, succéda au Mexique même, la phase aztèque, qui marque en vérité un retour à des moeurs plus guerrières, à un culte plus sanguinaire, mais qui par son énergie devait durer jusqu'à la conquête espagnole en 1521.

Il faut lire dans Bernai Diaz l'étonnement des Conquistadores à la vue de ces monuments fabuleux, de cette civilisation opulente. Ils voient l'empereur Montezuma respecté comme un dieu, comme un souverain de Thèbes ou de Ninive ; dans son palais, la maison des armes d'or et d'argent,

d'argent, maison des fauves et celle des serpents, nourris de viande humaine, les volières où l'oiseau sacré, le Quetzal, resplendit dans sa parure d'un vert émeraude ; les tableaux de plumes éblouis r santés, d'un art polychromique dû à la fantaisie décorative des communautés d'Amantecas ; les mosaïques, « qui peignent avec la pierre pour l'éternité » ; tout autour, les jardins fantastiques, la campagne où croît le cactus, propre, comme le palmier d'Orient, à tous les usages, et que le Mexique moderne a

PORTRAIT D'UN GRAND-PRÊTRE

AVEC SON MASQUE RITUEL '

Sculpture Maya

(Haut de la vallée de l'Usumacintla)

XI


L'ART ET LES ARTISTES

couché dans ses armes ; dans la ville, l'agitation des marchés où se coudoient cinquante mille marchands.

Depuis 1893, l'archéologie américaine a fait des progrès de détail, mais très importants. Ils se divisent en deux catégories : le déchiffrement

des manuscrits figuratifs, dont M. le duc de Loubat a fait relever des fac-similés, plus exacts que ceux de son devancier anglais, lord Kingsborough. Il ne s'agit pas là de hiéroglyphes, mais plutôt de rébus, d'une écriture à la fois idéographique et phonétique. Un exemple le fera comprendre; le mot dent, tlan, qu'on désignera par une mâchoire fermée, reviendra dans-une foule de mots où il y aura la syllabe tlan. Le système d'ailleurs n'est pas le même pour

les diverses régions : d'où des difficultés, même lorsqu'on connaît l'origine des manuscrits. Le nombre de ces manuscrits est peu élevé ; la plupart sont des copies dues à l'initiative des vice-rois et des missionnaires, postérieures à la conquête, et par conséquent incorrectes sur certains points : ce sont, en général,

des documents de seconde main. Il faut en excepter les trois manuscrits mayas, actuellement conservés dans les bibliothèques de Dresde, Paris et Madrid, qui sont certainement antérieurs à l'invasion européenne. M. Seler, le titulaire de la chaire Loubat à Berlin, a poussé assez loin ses travaux de paléographie pour se rendre un compte exact du calendrier et de l'ancienne théologie de l'Amérique moyenne ; la plupart des manuscrits

CODEX MAYA UN DES TROIS CODICES CONNUS

XIL-.


L'ART ET LES ARTISTES

sont en effet dés calendriers rituels, des recueils archéologiques pour les horoscopes, des grimoires. M. Léon Lejeal, pour sa part, explore depuis trois ans, au Collège de France, les sources espagnoles de l'histoire précolombienne de l'Amérique. C'est l'inventaire méthodique et critique d'une historiographie admirable, oeuvre en grande partie de moines (surtout franciscains). Jusqu'à présent on s'en était servi, mais sans l'avoir replacée dans son milieu natal, sans notions suffisantes sur les auteurs et les diverses traditions indigènes qu'ils ont utilisées. De là des contradictions telles dans les résultats que certains savants actuels refusent systématiquement d'accorder le moindre crédit aux témoignages des convertisseurs ! M. Lejeal restitue donc à la science l'emploi d'une bibliothèque immense de documents;

• 2° Les fouilles, très abondantes dans l'Amérique centrale, ont permis de dégager l'escalier monumental de la pyramide de Copan : l'honneur en revient à une mission américaine venue du Peabody Muséum, de Harvard. Aux efforts de cette mission, il faut ajouter ceux, de l'American Muséum of Natural History, de New-York, dont les recherches se sont spécialisées au Mexique (fouilles de M. Saville à Mitla), et ceux de l'Université de Californie, qui ont exploré le Pérou (fouilles du Dr Max Utile). Enfin, ne négligeons pas notre pays ! Récemment, notre compatriote le comte . de Créqui-Montfort a dirigé, une belle expédition sur les hauts plateaux de la Bolivie et dans l'Argentine septentrionale. Une galerie spéciale de notre musée du: Trocadéro permet d'en apprécier l'importance. Dans la région du lac Titicaca, les missionnaires (entre autres M. A. de MortiUet) ont grandement ajouté, par

leurs découvertes, à notre connaissance des ruines et décidément démontré que le passé du Pérou civilisé ne se résume pas tout entier, comme beaucoup de gens l'ont cru, dans l'histoire très brillante, mais très courte (400 ans au plus avant la conquête espagnole) des Incas. Ils ont grandement avancé notre connaissance de la culture calchaquie et affirmé son origine ando-péruvienne.

D'autre part, rendons hommage au Dr Hamy, qui représente depuis longtemps à l'Institut l'américanisme. On lui doit : l'organisation du musée ethnographique du Trocadéro, dont la collection américaine est un modèle achevé d'objets sélectionnés et représentatifs ; 2° une description méthodique, en une oeuvre monumentale, de la galerie américaine ; 30. des mémoires nombreux d'archéologie, histoire et anthropologie américaines ; 40 la publication de deux des manuscrits Loubat. Le Dr Hamy, qui continue Quatrefages au Muséum, est vraiment un des créateurs (en France, le créateur) de l'américanisme scientifique.

Que maintenant mes lecteurs veuillent me pardonner cet exposé uni peu long, trop court à. mon gré. La sévérité et le mystère de ces.immenses: ruines ensevelies dans les végétations" du nouveau monde, voisinent mal, en apparence, avec la grâce et l'élégance des figures contemporaines;, la femme et l'enfant modernes sont: évidemment plus séduisants que les petits papiers d'un archéologue ennuyeux ; mais il y a, dans ces recherches: pré-américaines, tant d'imprévu, un avenir sibrillant s'ouvre à la science, que je n'ai pu résister au plaisir d'exposer le problème dans toute sa complexité, et, je l'espère,' dans tout son intérêt.

- LÉANDRE - VAILLAT.

Les Théâtres

Comédie-Française : le Réveil, trois actes de M. Paul Hervieu. — Théâtre Antoine : le Coup d'Aile, trois actes de M. François de Curel.

Je ne pense pas que le Réveil, la pièce attendue de M. Paul Hervieu, quoique brillamment accueillie aux Français, résiste fort bien à l'analyse. Je vais tâcher de vous le démontrer. Je vous livre cette glose sans garantie et vous irez la vérifier.

Le Réveil, c'est le conflit dans une âme, dans une âme déjeune homme moderne, du devoir et de la passion. Quelle passion ? L'amour, l'adultère. Quel devoir ? Le plus grand, le plus rude, celui de répondre à l'appel d'un peuple, d'accepter une royauté. Ce thème, c'est celui d'Hamlet, celui du Cïd et de Bérénice, celui d'Hernani, de l'Aiglon. Toutes les grandes écoles classiques s'y sont tour à tour essayées. Que M. Paul Hervieu, ambitieux de créer une tragédie moderne, un drame en

XIII


L'ART ET LES ARTISTES

prose et en veston égal à ceux du péplum antique, ait tenté de le rajeunir, c'est chose toute naturelle, et il faut l'en féliciter. Concevoir, porter de pareils sujets, c'est un honneur pour le dramaturge.

Comment l'a-t-il réalisé ? Mon Dieu, d'une façon ingénieuse. Pour ce conflit exceptionnel, il choisit une action exceptionnelle et cependant très admissible. Son jeune roi est l'héritier d'une de ces vieilles cours orientales où les marches du trône ont du sang. Il est élevé à Paris, et il aime une Parisienne. Et l'heure de crise surgit où il faut soudain qu'il choisisse entre ses goûts d'Occidental, entre sa passion délicieuse, et l'obscur atavisme ancestral, le farouche crime héréditaire. Il vacille, il aime, il s'égare. Il repousse une couronne trop lourde. Il attife dans un rendez-vous, parmi les fleurs et le silence, la douce proie qui succombe enfin, emportée, affolée, elle aussi, par le vertige du danger si proche. Ils y sont victimes du guetapens le plus odieux et le plus grotesque. Un père qui, derrière une porte, a surpris le secret de son fils, et veut que son abdication, si douloureuse, ne soit pas vaine, un louche émissaire venu de là-bas, se saisissent du jeune prince, le bâillonnent et le ligottent. Et la pauvre femme éperdue, qui le croit mort, rentre chez elle.

Elle l'y retrouve, deux heures plus tard, alors que parée pour le bal, afin de complaire à sa famille, elle sortait, étouffant en elle l'atroce cauchemar entrevu. Et lui, qui ne comprend pas, l'insulte. Et elle, qui comprend tout, le repousse. Puis elle s'en va doucement. Ils souffrent beaucoup l'un et l'autre. Et le jeune prince sera roi. C'est tout? Oui, c'est tout... Pas possible! Je vous assure que c'est tout.

Alors?... Le conflit annoncé? La belle crise où nous comptions retrouver des échos de nousmêmes, l'image amplifiée, élargie, d'une race où les goûts du meurtre déclinent devant ceux de pitié ? Les musiques de la flûte et du cor mariées en poignante harmonie ? Cette fougue, ce dégoût, cette ardeur d'un Louis de Bavière moderne qui préfère aux charges d'un trône les délices de la beauté ?

Supprimé tout cela, escamoté par un tour de passe-muscade ! Nous ne voyons dans le prince Jean qu'un banal amoureux ahuri, à qui, par-devant sa maîtresse, échoit la plus sotte aventure. Que celle-ci soit guérie d'un seul coup de ces rez-dechaussée effarants, voilà qui est fort pardonnable. L'auteur se donne beaucoup trop de mal pour justifier cette volte-face. Il y consacre son troisième acte. De sorte que nous ne savons plus si le Réveil, c'est celui de la maternité chez l'amante, ou celui de l'instinct royal chez l'adolescent dégrisé.

dégrisé. chinois, cette pièce ! A peine, entre le prince et son père, un débat est-il esquissé, la majesté de l'amour humain opposée aux grandeurs factices, mais ce n'est qu'une phrase, et l'on passe. Le vieux roi lui-même, ce prince Grégoire, tout couvert de hideux forfaits, en qui l'on pouvait espérer une figure shakespearienne, quelque rude toucheur de boeufs comme fut Milan de Serbie, venant prendre au collet, à la gorge, son rejeton dégénéré, le prince Grégoire fait des grâces. Il a un huit-reflets, une belle jaquette, des bottines irréprochables. Il s'exprime comme un vieil aristocrate du Jockey-Club, dans ses bons jours. Il a sûrement vu le répertoire. Il a même fréquenté l'Ambigu. Notre déception est fort grande.

Je crùis qu'il y a là une erreur de l'auteur de Peints par Eux-Mêmes, de la Course du Flambeau, de l'Enigme. C'est peut-être moi qui me trompe. Je le souhaite de tout mon coeur.

sr

Je suis sûr de ne pas me tromper en affirmant que le Coup d'Aile est une des plus admirables pièces qu'ait écrites François de Curel, et une très belle pièce, tout court. Ce grand succès, qui vient trois ans après l'échec de la Fille Sauvage, est une juste récompense pour le dramaturge le plus probe, le plus intransigeant qui soit. Dans l'ovation enthousiaste qui lui fut faite l'autre jour, il y avait ce sentiment d'une réparation tardive. Le Coup d'Aile, la Nouvelle Idole, ces deux triomphes peuvent suffire à illuminer une carrière d'artiste.

Le sujet n'est pas sans analogie, et ceci est un trait de hardiesse, avec celui de cette Fille Sauvage si difficilement accueillie. Il s'agit ici, une fois encore, du choc de la civilisation et de la barbarie, thème dont Curel semble hanté. Seulement, au lieu de mener une sauvagesse par degrés successifs jusqu'à Bayreuth, il nous montre un civilisé qui, sous le soleil africain, est retourné à l'état sauvage. Ces accès' de sadique folie sont malheureusement trop fréquents pour qu'on puisse les contester.

Michel Prinçon, jeune et célèbre, comblé de toutes les faveurs de la gloire et de la fortune, a donc tout compromis en un jour d'aberration furieuse. Il a massacré des compatriotes, il a tiré sur le drapeau. Lui-même échappé à la mort après des tortures atroces, il n'a pu rentrer en Europe qu'en déserteur, sous un faux nom.

Le drame s'ouvre dix ans plus tard, alors qu'il revient chez son frère, le député Bernard Prinçon. Il est possédé d'un seul désir, d'un rêve morbide et farouche : reconquérir coûte que coûte cette gloire qu'il a connue, qui l'a enlevé d'un coup

XIV


L'ART ET LES ARTISTES

d'aile. Pour cela, il veut renouveler ses expéditions africaines. Il se fait fort d'offrir bientôt un royaume vierge à la France. L'appui de son frère est indispensable à l'exécution de ce projet : s'il échoue, eh bien ! il n'a plus que les issues désespérées. Il se fera sauter la cervelle, ou il s'exhibera dans un cirque comme le général Krohje, y rééditera l'image de ses déshonorants exploits.

Le député Bernard refuse, par égoïsme et par prudence. C'est ici que se dessine l'épisode qui fait la pièce. Michel Prinçon est mis en présence de sa fille qui ne le connaît pas. Ils causent. Elle lui raconte sa vie, sa morne jeunesse au couvent. A demi-mot ils se comprennent. Elle est attirée par l'énigme qu'elle pressent chez cet homme bizarre. Il retrouve chez cette enfant sa propre nature indomptable. Quand elle le voit désemparé, acculé à la pire détresse, elle lui offre de partir avec lui. Il refuse par orgueil, par pitié. Alors germe dans le cerveau de cette petite pensionnaire une idée héroïque et folle. Elle se dit : « Pour toucher ce monstre, il faut se mettre à son niveau. Il faut le suivre dans le gouffre. » Que faire ? Elle volera le drapeau qu'on a déposé

dans la maison. Car on est en grandes manoeuvres, le colonel loge chez le député. Son calcul périlleux se trouve juste. Michel reconnaît là sa fille. Il l'emporte, à défaut de la gloire. Les deux réprouvés partent ensemble pour un définitif exil.

Telle est cette pièce étonnante, et dont l'analyse rend mal la beauté prenante et tragique. Michel Prinçon y apparaît empreint d'un relief inoubliable. Il efface tous les comparses. Le drame n'est qu'un long monologue qui nous ouvre le désespoir, l'amertume d'un héros déchu. Il y a là des cris, des sanglots d'une poésie déchirante. Antoine les a exprimés avec une maîtri e impeccable qui ne lui est pas coutumière. Il dominait de très haut son rôle. Ce sera là, sinon sa plus belle, au moins sa plus parfaite création. A côté de lui M" 6 Van Doren a dessiné avec finesse le caractère de la jeune Eloa. Signoret prête au député ses qualités de bonho'mmie, de brio, de verve et d'aisance.

Et il ne faut pas s'y tromper : de pareils efforts sont très rares. Dé Curel est. tout de même le seul qui ait quelquefois réussi à évoquer sans désavantage la grande ombre glorieuse d'Ibsen.

GABRIEL TRARIEUX.

Chronique Musicale

A L'OPÉRA-COMIQUE " LA COUPE ENCHANTÉE " — " LES PÊCHEURS DE SAINT=JEAN "

*TT\ANDis que certains compositeurs semblent "*■ favorisés par le sort et arrivent à se faire ouvrir les portes de nos théâtres subventionnés, sans même parfois y faire antichambre, d'autres moins heureux se voient dans la déprimante et cruelle nécessité d'attendre leur heure durant de longues années.

Aujourd'hui, le hasard paraît précisément avoir pris plaisir à réunir, dans une même soirée, ces deux exemples de fortune différentes que nous offre la carrière des compositeurs modernes. Je crois que la Coupe enchantée de M. Gabriel Pierné ne date pas d'hier, puisqu'elle fut applaudie il y a assez longtemps déjà au Casino de Royan, mais son auteur donna, très jeune encore, il y a trois ou quatre ans, à la place Favart, la Fille de Tabarîn, qui entra en répétition à peine la partition terminée. Au contraire, les Pêcheurs de Saint-Jean de M. Widor sont reçus à l'Opéra-Comique depuis dix ans, ce qui prouve

que, dans notre métier, la patience est aussi nécessaire que le talent, puisque de telles choses peuvent même se produire avec un directeur aussi artiste que M. Albert Carré.

Du talent M. Widor en a beaucoup, et je n'en veux pour preuve que son Conte d'Avril, ses Symphonies pour orgue, ses Mélodies et, principalement la Korrigane, son délicieux ballet. Et si les Pêcheurs de Saint-Jean ne nous apprennent rien de nouveau et ne font pas faire un pas à la cause du drame lyrique, au moins nous donnent-ils l'impression reposante d'une musique sincèrement conçue et supérieurement écrite. Et à l'heure où tant de mauvais élèves passent, aux yeux des snobs, pour des avancés et des savants, en donnant l'illusion de l'originalité, de l'indépendance, du métier... l'éloge a son importance. Le public semble du reste avoir partagé ma façon de voir, puisqu'il a réservé ses faveurs à l'oeuvre nouvelle. Oui, le succès fut très spontané, mas je crois qu'il eût été

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L'ART ET LES ARTISTES

encore plus grand et plus unanime si le sujet, très joliment et très simplement traité par M. Henri Cain, n'avait pas été délayé en quatre actes assez peu mouvementés.

Quatre actes,, en effet, c'est beaucoup pour nous conter, d'émouvante façon, il est vrai, l'histoire de deux amoureux que la différence de fortune a séparés et qui finissent cependant par se marier, grâce à une tempête pendant laquelle le jeune homme sauve le père de sa bien-aimée.

Vous pensez bien que, pour délayer la sauce, M. Cain a ajouté, avec l'adresse qui le caractérise, des hors-d'oeuvre nombreux dont le musicien fut heureux de profiter. Malheureusement tous ces hors-d'oeuvre engendrent des longueurs qui nuisent, j'en ai-peur, à la durée du succès. Et ce sera grand dommage, car la partition abonde en qualités de tout premier ordre, en très jolies choses.

Au premier acte le duo et la procession forment des pages de réelle valeur, dont le sentiment populaire égale l'habileté d'écriture. Il est regrettable toutefois que certaines rentrées trop prévues se rencontrent fréquemment et que la phrase principale du duo, que nous a révélée l'ouverture, soit d'une coupe légèrement surannée.

Les points saillants du second acte sont la scène d'amour, très poétique, très tendre, très réussie,

en un mot, et la scène de l'ivresse vraiment impressionnante, vraiment théâtre. Cette scène qui termine l'acte très dramatiquement, suffirait à témoigner des dons scéniques de son auteur.

J'aime beaucoup l'expression simple, émouvante et juste du troisième acte, et quant au quatrième avec sa tempête, Ses cris d'effroi, ses prières, etc., il atteint à une réelle puissance, qu'affaiblit, par malheur, le souvenir des situations semblables dont abonde le répertoire.

L'orchestration, extrêmement soignée, a été fort bien mise en valeur par M. Ruhlman, l'ancien chef d'orchestre du Grand-Théâtre d'Anvers. . Mlle Friche fut absolument remarquable, et M. Vieulle également. L'impression laissée par M. Salignac a été indécise. Quant à la mise en scène elle est du magicien M. Albert Carré : c'est tout dire.

Comme je l'ai écrit plus haut, le spectacle commença par la Coupe enchantée. Je tiens M. Gabriel Pierné pour un compositeur de tout premier plan. Sa Coupe enchantée, écrite dans le style de. l'ancien opéra-comique modernisé, et supérieurement instrumentée, est un bijou. Sa brillante réussite prouve que M. Carré a eu grandement raison de nous la faire connaître et de nous la présenter dans un aussi joli décor.

FERNAND LE BORNE.

Le Mouvement artistique à l'Etranger

AUTRICHE

T 'EXPOSITION d'art chrétien moderne, organisée à '""*' Vienne par la Sécession, a été d'un grand intérêt et a démontré que le christianisme en Allemagne, en Autriche et en pays slave, n'avait pas cessé d'être une source d'heureuses inspirations. L'oeuvre presque entier de M. Wilhelm Steinhausen, à Francfort, d'une si insigne noblesse et d'une tell : paix évangélique ; une grande partie de l'oeuvre, à Carlsruhe, de M. Ham Thoma, auraient suffi à la démonstration. Mais on a appris à mieux rendre justice à Matthoeus Schiesstl, de Munich, auteur de fresques laborieuses dans les églises du Palatinat, un véritable primitif allemand, restaurateur de vieux procédés et de vieilles techniques, mis au service d'une adaptation charmante de l'hagiographie légendaire

légendaire riche et si poétique du Tyrol et de la Franconie, de la Bavière et des provinces rhénanes. Cependant la grande surprise a été encore une fois l'école polonaise, et à Vienne cet automne comme cet été à Munich : Joseph Mehofer. Des vitraux à la cathédrale de Lwow (Lemberg), la décoration d'une chapelle à la cathédrale du Wawel, ce capitole de la Pologne; les projets de vitraux pour la cathédrale de Plock l'avaient déjà mis hors pair. Mais l'on ne connaissait pas encore à Vienne ses prodigieux vitraux pour la cathédrale de Saint-Nicolas de Fribourg en Suisse, et l'émerveillement a été considérable. Il faut dire que toute latitude ayant été laissée à l'artiste, une fois décidé le sujet de chaque vitrail, jamais on n'en avait pris autant

xvi


L'ART ET LES ARTISTES

à son aise avec la dévotion depuis les temps heureux d'avant le Concile de Trente ; et non seulement l'impression religieuse subsiste malgré tant de hardiesses, mais elle s'en augmente singulièrement. M. Mehofer va jusqu'à représenter deux fois ses saints dans la même lancette de ses vitraux : vivants et vêtus en haut ; en bas nus, leur cadavre rejeté dans des monceaux de fleurs après le martyre. Dans le vitrail de la bataille de Morat tout est bariolé et sauvage comme une inextricable mêlée de boucliers héraldiques ; dans le vitrail du SaintSacrement des entités diaphanes se mêlent à la fumée des encensoirs et aux limbes de milliers de cierges illuminant l'autel. C'est une profusion ornementale, une débauche de couleurs merveilleuses, une fougue d'imagination et une étrangeté slave telles qu'il faut bien déclarer que rien encore de pareil ne s'était vu de nos jours dans l'art du vitrail. Que nous voilà loin, et heureusement ! de la maigre esthétique de Beùron, au prix de laquelle Flandrin lui-même semble un impulsif d'imagination. Voilà bien au contraire les grandes orchestrations des messes catholiques, le déploiement de toutes les splendeurs profanes autour d'idées qui n'en sont pas moins profondément religieuses, je n'en veux pour preuve que la grandiose conception du vitrail du Saint-Sacrement, avec tout son contrepoint théologique d'idées symboliques adventices. En ce qui nous concerne insistons sur deux points : la floraison d'un système ornemental individuel autant que slave, et le retour aux véhémences de couleurs les plus sombres, les plus indigo, les plus noires même, — mais des noirs en fonctions de pourpre — pour équilibrer les transparences les plus ténues, les fluidités irisées les plus aériennes, toute la gamme qui irait des lourdes opulences de Brangwyn aux délicatesses névrosées de Tiffany. Nous avons là de véritables vitraux baudelairiens et pourtant jamais belle santé n'a été de meilleure humeur que celle de l'artiste de Cracovie dont l'oeuvre merveilleuse de Wowel a été si inopinément interrompue par la regrettable intervention d'un grand seigneur polonais qui peut aujourd'hui se mordre amèrement les doigts. La grande leçon que l'Exposition de Vienne nous donne est celle-ci : l'art religieux naïf n'a que faire à une époque où la religion même a cessé d'être naïve et où la foi « du charbonnier » n'est plus de saison. L'artiste croyant n'a qu'un devoir, s'il s'agit de célébrer sa foietsonDieu:

faire appel à toutes les ressources de l'art et se surpasser lui-même. Tel un jardin qui fleurit pour la Fête-Dieu.

Prague pendant ce temps voyait une exposition des artistes danois et des porcelaines de Copenhague et une exposition des femmes-artistes. L'Exposition danoise n'a rien appris de nouveau. Parmi les artistes qui travaillent pour la Manufacture royale le nom d'un sculpteur de mérite cependant s'impose : C. Montensen. C est un animalier de première force, de beaucoup de fine observation et d'une tournure d'esprit que l'on qualifierait volontiers de japonaise, si par ailleurs ce n'était un statuaire d'une grande simplicité d'exécution et d'une grande rectitude d'imagination, qui a su retrouver dans la représentation des sports modernes une occasion toute indiquée de revenir au culte de la beauté athlétique tel qu'on l'entendait à Olympie et à Delphes. Dans l'histoire du paysage, d'autre part, le Danemark d'aujourd'hui écrit en mineur un joli chapitre, rêveur, nuancé et délicat,, un agréable contraste avec celui si haut en couleur des artistes continentaux voisins àWorpswede et dans la Marche du Brandebourg.

L'Exposition des femmes-artistes met en vedette surtout Mlle Zdenka Braunerova, la belle-soeur du romancier français Elemir Bourges. Elle s'est fait du vieux Prague une spécialité. Au pastel, à l'aquarelle, à l'eau-forte, elle ne tend qu'à en sauver le charme mourant, les aspects condamnés. Amoureuse d'art populaire, elle s'adonne depuis quelques années à la verrerie. Ses services à bière ou à liqueurs sont tels que les pourraient souhaiter des verriers slovaques d'autrefois qui auraient subi de nos jours un avatar aristocratique. La sincère naïveté du procédé, la forme populaire et la cuisson dans une petite verrerie provinciale au fond des montagnes moraves sont pour autant que la grâce spontanée et la gentillesse sans prétention de l'auteur dans les réussites singulières de cet art exquis et facile qui nous repose un peu des complications hasardeuses et de la simplicité maniérée de « l'art nouveau ».

Une autre femme-artiste de Prague, Mlle Hausmannova, venait d'avoir une jolie exposition particulière : paysages marécageux et nuits d'étoiles de la Russie baltique et surtout quelques bonnes lithographies de Paris et de Prague.

W. R.

XVII


L'ART ET LES ARTISTES

BELGIQUE

LE musée de Bruxelles possède-t-il un Vermeer de Delft ? M. A.-J. Wanters prétend que oui, et il en a convaincu la commission du musée. Depuis trois semaines, un cartel portant le nom du maître merveilleux du Clavecin et de la Servante, est placé sous un portrait d'homme acheté à Paris il y a cinq ans, attribué d'abord à Nicolas Maes et classé ensuite parmi les maîtres hollandais inconnus.

Des rapprochements avec certaines des oeuvres connues de Vermeer de Delft, notamment avec le portrait de Budapesth, permettent à M. A.-J. Wanters, qui signale, par exemple, dans le portrait de Bruxelles, une chaise identique à celle que l'on trouve dans plusieurs tableaux du maître, de conclure très catégoriquement.

Mais, naturellement, tout le monde n'est pas de son avis, et ,1e docteur Bredins, directeur du musée de La Haye, a écrit à un journaliste belge, M. Saye, que, selon lui, le portrait de Bruxelles doit être attribué à Jan Victoors, l'élève de Rembrandt, qui a des portraits à l'orphelinat wallon d'Amsterdam et dans une collection particulière de La Haye.

Je ne prétends pas m'ériger en arbitre entre ces deux autorités. Mais j'ai, devant le portrait de Bruxelles, un portrait d'homme coiffé d'un chapeau haut de forme, vêtu de noir avec un col blanc.

J'ai bien l'impression d'un Vermeer. Sans doute, il n'y a trace ni de ces bleus si particuliers, ni de ces jaunes citron, si caractéristiques dans l& Jeune Fille de La Haye, dans la Dame au Collier de Berlin, dans la Liseuse d'Amsterdam. Mais, dans la facture, notamment dans les chairs, apparaît un timide pointillé ; la matière a la richesse somptueuse du tableau de Dresde, et il y a surtout dans les ombres bleutées des chairs, dans la lumière franche qui baigne le visage, de troublantes analogies avec les oeuvres connues du maître mystérieux dont tant d'oeuvres peut-être sont encore ignorées, ensevelies dans des collections peu connues ou attribuées à des contemporains.

En tous cas, que le portrait de Bruxelles soit une oeuvre de jeunesse de Vermeer — et cette oeuvre pourrait alors confirmer l'hypothèse de Thoré qui donne pour maître, à Vermeer, Rembrandt — ou qu'elle soit de Jan Victoors, c'est une oeuvre fort belle et méritant l'attention qu'on lui accorde en ce moment.

Dans les salles du musée moderne vient de s'ouvrir l'exposition annuelle du Cercle Pour l'Art. Ce

cercle, fondé il y7a douze ou treize ans par des dissidents de l'Essor et qui fut, au début, une succursale de la Rose-Croix esthétique du Sâr-Péladan, dirigée par un consul, fit dans ses premières années des expositions où régnait un idéalisme intransigeant. De cette tendance, aujourd'hui très atténuée, il ne reste plus grand'chose dans les salons de Pour l'Art. Mais si l'on y voit, comme ailleurs, de la peinture revenue à une vision objective, de l'ancien idéalisme il reste une volonté de noblesse, des recherches d'expression élevées qui se traduisent en des oeuvres de grand art décoratif. C'est ainsi que, cette année, M. Emile Fabry expose les deux derniers panneaux d'un ensemble destiné à la ville de M. Wolfers, ensemble tout à fait remarquable par la simplicité puissante de la conception, par la vigueur impeccable du dessin, du modelé, par l'étrange éclat d'une couleur aux chaudes harmonies de tapisserie ancienne. Les 'oeuvres de Fabry sont d'une personnalité curieuse qui apporte vraiment à la peinture décorative une vision nouvelle, d'une opulence grave, avec un beau rythme de santé et d'orgueil paisible. C'est de l'art plein de pensée pure, mais qui n'isole point l'humanité dans l'exclusive contemplation d'elle-même, l'environne de la splendeur des choses, dans une atmosphère d'énergique sérénité.

Un grand panneau décoratif de M. Ciamberlani, se rapprochant plus de l'expression de béatitude de Puvis de Chavannes, manquant un peu d'accent, mais baignant ses figures de tendresse ; des esquisses de M. Colmant, des compositions de M. Ottevaere, complètent cette partie du Salon, où M. Laermans montre trois oeuvres nouvelles dont un Cimetière de Village, chef-d'oeuvre d'émotion simple et de peinture discrètement ardente.

Des portraits de M. Van Holder, de couleur chatoyante, de facture spontanée, de M. Michel, de M. Fichefel, des paysages de M. de Haspe évoquant l'Ardonne dans un style d'une farouche grandeur, des intérieurs de René Janssons, • des coins de vieilles villes flamandes de M. Viérin, de M. Opsomer, qui fait vivre des figures de caractère intense, de M. Coppens ; des marines chaudement colorées d'une belle nature morte de Mme Lacroix ; de délicieuses images, exécutées avec science et avec esprit par Amédée Lyneu, des dessins impressionnants de M. Beauck; d'autres, de grand style, par M. Firmin Baes qui expose aussi un beau portrait ; une cheminée de M. Ph. Wolfers avec un Cycle des Heures, d'un mouvement souple et d'un modelé savant; un somptueux vitrail de M. Hector Thys ; et puis encore des oeuvres des peintres Viandier,

XVIII


L'ART ET LES ARTISTES

Dierickx, Mertens, Luns, Hamesse, H. Smits, des sculpteurs De Rudder, Boucquet et Sprimont.

De tout cela se dégage une impression de travail sérieux, équilibré, d'une harmonie complète entre

l'idée et le métier, d'une compréhension sage des relations entre la pensée et la matière qui doit l'exprimer dans l'oeuvre d'art plastique.

G. V. Z.

GRÈCE (SL TURQUIE

ATHÈNES. — D'une note adressée à l'Ecole des Beaux-Arts, par le professeur Malher de Prague, il résulterait que la « Vénus de Médicis » serait l'oeuvre de Lysippe. Voici les arguments décisifs que le savant hongrois donne à l'appui de son assertion : les ressemblances frappantes existant entre la « Vénus de Médicis » et l'Apoxyomène de Lysippe ; 2° les analogies non moins frappantes qui rapprochent la tête de la « Vénus de Médicis » à celle d'une statue de femme qui se trouve à Dresde, et qui, depuis longtemps, est attribuée à Lysippe ; 30 la réplique de la « Vénus de Médicis », détruite à Sienne, au xive siècle, sur l'ordre du Conseil de la ville, comme un marbre impur (inhonestum) et qui portait à son socle le nom de Lysippe ; 40 enfin, les monnaies romaines frappées à Lycione — ville natale de Lysippe — sur le revers desquelles figure le motif de la « Vénus de Médicis ».

CÉRIGO. — Des fouilles sous-marines viennent de commencer autour de Cérigo (l'ancienne Cythère). Un appareil nouveau permet aux scaphandriers de plonger dans l'eau jusqu'à une profondeur de près de cent mètres (60 brasses) et d'y séjourner pendant assez longtemps. Après l'achèvement des travaux dans la mer Méditerranée, on explorera le détroit de Salamine et celui plus important, situé à l'ouest d'Egine, entre cette île et Anghistri, recouvrant de ses flots une ville antique entièrement engloutie.

CONSTANTINOPLE. —■ Le mois dernier a eu lieu à Stamboul la distribution des prix aux élèves de l'Ecole Impériale des Beaux-Arts dont les oeuvres — tableaux à l'huile, dessins au crayon et à la plume, plans d'architecture, gravures et

marbres, — avaient été exposées en octobre dans le grand salon de l'Ecole.

S. E. le général de division Ahmed Ali Pacha, aide de camp de S. M. I. le Sultan, et peintre lui-même de beaucoup de talent, présidait le jury chargé de décerner les prix et qui se trouvait composé de S. E. Hamdi Bey, directeur du Musée Impérial Ottoman ; de Kadri Bey, conservateur du même musée ; d'Osgan Effendi, un artiste de haute valeur, professeur de sculpture à l'Ecole des Beaux-Arts dont il est, en même temps, le directeur interne ; de Moustapha Bey, directeuradjoint interne de la même Ecole ; de M. Salvator Valeri, professeur de peinture à l'huile ; de M. P. Bello, professeur d'architecture ; de M. Joseph Warnia-Zarzecki, professeur de dessin ; de Behzad Bey, sculpteur, et de Hihsan Bey, professeur adjoint de sculpture.

Les récompenses obtenues ont été les suivantes : (Nous ne mentionnons que les classes supérieures.)

Peinture à l'huile. — Classe supérieure : Ier prix : Mehmed Maazès Effendi ; 2e prix : Zia Effendi ; ire mention honorable : Ismaël Hakki Effendi ; 2e. mention honorable: Saïd Effendi.

Dessin au crayon. — Classe supérieure : Ier prix : Murtazih Effendi ; 2e prix : Seïfeddin Effendi ; ire mention honorable : Suleïman Effendi ; 2e mention honorable : Nazmi Effendi ; 3e mention honorable : Alexanian et 'Boyadjian Effendis, ex-oequo.

Architecture. — Classe supérieure : Ier prix : Méhémet Assime Effendi ; 2e prix : Bochnakian Effendi et Garabed Gumuchgueuzian Effendi, ex-oequo ; mention honorable : Zareh Defnessessian Effendi.

Gravure. — Classe supérieure : mention honorable : Alexan Boyadjian Effendi.

Sculpture : Classe supérieure : Ier prix : Bochnakian Effendi.

A. DE MILO.

XIX


L'ART ET LES ARTISTES ITALIE"OAR

ITALIE"OAR nombre des exposants, par l'importance •* , de quelques envois, parmi les centaines qui ont encombré la dernière Exposition internationale de Venise, le groupement d'oeuvres d'art qui pendant plusieurs mois a retenu l'attention du public international n'a pas été cette année tout à fait sans intérêt. C'est en vain qu'on chercherait l'oeuvre formidable, l'oeuvre de puissante promesse ou d'écrasante réalisation. Aucun nouveau talent ne s'y révèle dans la lumière du Paraclète attendu. Aucune école n'a proclamé un dogme satisfaisant. Les toiles, les bronzes, les marbres, y ont étalé leur individualité belle ou laide, presque toujours intéressante, mais presque toujours aussi sans importance et sans signification générales;.

Cependant M. Vittorio Pica, dont le volume fort richement illustré qu'il écrivit sur cette Exposition a paru par les admirables soins de Ylstiluto Italiano d'Arti Grafiche, à voulu découvrir dans la multitude des exposants les éléments de quelques groupes. Il a voulu retrouver un « style » au milieu de tant de désordre individuel; aussi a-t-iï pu réunir les envois les plus, intéressants et les plus caractéristiques en deux catégories qui prennent les noms de deux races : les Espagnols et les Suédoise Si l'on devait donner la palme de'la victoire à un groupe d'artistes, celui-ci serait, sans ' nul contredit, un groupe d'artistes étrangers, et seul on pourrait avoir quelques indécisions pour l'accorder aux peintres Espagnols ou aux Suédois. Car les premiers, plus audacieux-et plus vis, sans être tous d'égale valeur, et les seconds, plus significatifs, plus sûrs et plus sciemment équilibrés, réussissent cette année mieux que tous les autres, par des qualités d'art totalement-différente et presque opposées, à conquérir la.sympathie, et l'admiration dès amateurs.» M. Vittorio Pica commence ainsi par eux la description et la critique de l'Exposition de Venise. Il parle de MM. Sorolla, Zuloaga, Rusifiol, Anglada, Bacarisas, Alvarez de Sotomayor et d'autres, pour les Espagnols ; et, parmi les Suédois : MM. Anders Zorn, si étrangement voluptueux, géorgique et charnel, Cari Larsson, exquis et souriant, Bruno Liljefors, et, quoique Norvégien, M. Fritz Thaulow.

Toutes les oeuvres d'un très réel intérêt de ces deux groupes témoignent de belles recherches et de fortes volontés dans l'étude de la nature et de l'humanité. Les Espagnols étudient plus particulièrement les créatures, et la femme entre toutes : M. Anglada fait des admirables tableaux du vice parisien, qui rappellent par leur précision les plus rudes Toulouse-Lautrec. Les Suédois mêlent la nature et les effets amoureux de la lumière à leurs

analyses industrielles. Mais de toutes ces oeuvres exposées à Venise, aucune parole nouvelle ne jaillit que nous n'ayons déjà entendue dans nos salles parisiennes.

La France n'est pas merveilleusement représentée en peinture ; elle l'est fort bien en sculpture, par la Femme gisante de Rodin et par de nombreuses médailles et plaquettes de M. Alexandre Charpentier.

L'Italie révèle une tendance de ses peintres à aimer la nature; en général, ils isolent le paysage de la créature : ils font le paysage et ils font le portrait. Quelques-uns s'essayent à la composition et à l'allégorie. Et des noms déjà connus et aimés se groupèrent à Venise :-le sculpteur Leonardo Bistoïfi, les peintres Nomellini, Costetti, dall' Oca Bianca,". etc. . '

Le livre de M. Vittorio Pica, en présentant dans son ensemble, et avec la méthode d'une sereine critique, cette dernière manifestation collective d'art, rend un service très grand à tous les artistes. '■■' sr

MÉMENTO DES HOMMES, DES CHOSES ET DES PUBLICATIONS D'ART. — A Florence il se fait un grand bruit autour dé la reconstruction de là façade de l'église de Saint-Laurent. Le temple élevé par Filippo •■ BrunelleschT, et qui renferme l'énorme richesse des tombeaux des Médicis par Michel - Ange, n'a pas de façade. Des projets de reconstruction furent faits at laissés par un artiste même de la Renaissance : Sangallo. Les architectes et les esthètes modernes de toutes branches discutent pour savoir si l'on doit accepter ces projets de Sangallo, qui n'ont pas une grande valeur de beauté ou s'il faut en confier la modernisation à un architecte contemporain.

— Dans les collections artistiques de la Pinacothèque de Milan, MM. Luca Beltrami, Luigi Cavenaghi et Antonio Grandi ont cru découvrir que le, petit portrait d'un duc de Milan, attribué en 1686 à Luini, est au contraire de la main de Léonard de Vinci. Ce portrait qui serait celui d'un musicien de la cour de Ludovic le More serait, à côté des nombreux portraits de femme, le seul portrait d'homme du grand maître.

— A la suite de la mort de l'artiste, M. Giuseppe Sacconi, de violentes discussions se poursuivent dans la presse.de tous les partis au sujet de son successeur à l'élévation du monument national au roi Victor-Emmanuel Ier. Ce monument, de proportions immenses, à la manière des mausolées orientaux, s'élève inachevé, à Rome ; il doit dans l'esprit des Italiens résumer la gloire de l'unification du Royaume. RICCIOTTO CANUDO.

xx


L'Art dans la Mode

LA ROBE DE MAISON

CAHT de lit, peignoir, robe de chambre, de quel ^^ nom qu'on la désigne, la robe de maison est ce vêtement domestique que la femme revêt pour rester au logis, alors qu'elle a pour la ville un tout autre appareil. Mais de même que cette robe de ville, à l'infini,

se transforme selon qu'elle doive accompagner la maîtresse . de maison aux provisions, la désoeuvrée à la promenade, la visiteuse à ses visites, la coquette au bal, la traîtresse au rendezvous, de même la robe de maison à son gré elle aussi se transforme, se modifie, se décore selon qu'elle, servira aux soins du ménage, aux apprêts de la toilette, au décor des réceptions à l'imprévu des indispositions, selon qu on restera seule chez soi ou que quelqu'un du dehors, voire quelqu une, viendra meubler votre solitude domestique.

Et selon la fortune, la situation de la dame, la simple robe

de chambre de pilou roturier pourra devenir une vraie robe de cour, crêpe de chine et dentelles, peau de soie et guipure, velours et bijoux.

Elle pourra être au soleil du printemps le saut de lit de linon brodé ou de douillette flanelle; aux jours gris de l'hiver, elle pourra être le peignoir à pli watteau traînant sa nonchalance sur la tiédeur somptueuse des tapis, ou bien encore la robe de chambre aux inventions esclaves aussi de la mode, comme s'il s'agissait d'un costume de ville

aux couleurs inattendues que a rue proscrit et tolère à la maison.

Mais jamais, du moins auprès d'une élégante, d'une coquette,'d'une femme qui tient à la grâce de son sexe, elle ne sera une robe de ville démodée, usagée, fanée, réformée. Alors qu'il est permis aux

hommes d'achever au logis, ou au bord de la mer, le vêtement qui se refuse à dîner en ville ou même à se promener par les rues, il est formellement interdit à la femme de demeurer chez soi en robe de ville, car la femme est industrieuse, tient l'aiguille, et peut ou pourrait tout au moins transformer avant d'user.

Mais bien souvent, si la loi du bon goût veut que la robe de maison soit faite spécialement à cet usage, la coquetterie féminine abuse de ce prétexte pour trouver dans ces nouvelles fanfreluches l'occasion de joliesse dans l'invention, de somptuosité dans l'ornementation,

de chatoyance dans les couleurs.

Même malade la femme sait être coquette. On sonne ; c'est le docteur : « — Vite, Rosalie, ma poudre et mon rouge ; un coup de peigne, un coup de fer, ma camisole de surah, il ne faut pas qu on me voie ainsi, je suis laide à faire peur...» Le bon docteur y prend-il garde ? Qu'importe ! toutes les femmes, comme la jolie malade de Jen Steen, gardent toujours en face de l'homme, la grâce, l'élégance et le charme qui sont leur secret, leur privilège et leur force.

LILIA ROBERTS.

Jifusée d'A msierdam.

JAN STEEN FEMME MALADE

XXI


Echos des Arts

Voici sur les trois effigies que nous donnons à cette pase, effigies jusqu'ici inédites, des renseignements

renseignements irréfutable précision et de nature, nous semble-t-il, à satisfaire la curiosité des innombrables fervents d'iconographie napoléonienne.

Le Napoléon à cheval, en terre cuite bronzée, a été donné au musée de Dijon par M"e Dondey, décédée en 190-5. Mlle Dondey était une amie de la famille Rude. Cette maquette, ainsi que plusieurs autres, lui fut donnée par Mme Rude, en souvenir de son mari.

Il est permis de supposer qu'elle avait été conçue en vue du monument de Cherbourg et que l'idée en fut reprise plus tard par Levéel, auteur de la statue qui figure actuellement sur le quai de notre grand port de guerre. Le geste indicateur est encore plus menaçant que dans la maquette de Rude et plus en désaccord avec le sentiment qui unit en ce moment

la France et l'Angleterre. Levéel était élève de Rude.

20 Le buste couronné de Napoléon, en terre cuite

par Rude, oeuvre assez médiocre d'ailleurs, fut fait

BUSTE COURONNE DE NAPOLÉON Terre-cuite de RUDE

très rapidement à l'occasion d'une manifestation napoléonienne lors du retour del'île d'Elbe, en 1815.

30 Le buste de Bonaparte, premier consul, plâtre original par

L o r m i e r (Pierre-Philibert), né à Dijon en 1752, décédé en 1807, a été donné au musée de cette

NAPOLÉQN A CHEVAL Terre-cuite bronzée de RUDE

ville par M. Dameron, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Dijon, qui le tenait de son beau-père

M. Darbois, également professeur à ladite Ecole, mort •en 1861. Ce buste a été exécuté pendant un court séjour que fit. le général Bonaparte à Dijon en 1800, lors de son départ pour l'Italie. Il serait le développement d'une rapide ébauche, aujourd'hui disparue, que le sculpteur aurait exécutée pendant un banquet auquel assista Bonaparte.

Ces trois sculptures figurent au musée de Dijon.

Pierre Puget va enfin avoir son monument à Marseille. On vient de commencer sur la place de la Bourse les travaux d'architecture nécessaires à l'érection du monument du grand sculpteur,.monument exécuté par M. Henry Lombard, grand-prix de Rome.

A quand le tour d'un autre non moins grand artiste,

Honoré Daumier, lui aussi citoyen de la Cannebière ? & Société nationale des Beaux-Arts. — La délégation de

la Société nationale des Beaux-Arts a, conformément à ses statuts, nommé son bureau pour l'année 1906. . MM. Roll, président ; Besnard, Rodin, Waltner et Lhermitte, vice-présidents ; Béraud et Billotte, secrétaires ; Dubufe, trésorier, délégué à l'organisation du Salon.

A cette occasion, rappelons que c'est le samedi 17 février que devront être effectués au Grand Palais, porte B, les envois des compositeurs de musique.

BUSTE DE BONAPARTE Plâtre original de l.ORMIER

XXII


L'ART ET LES ARTISTES

Le Conseil d'administration de la Société des Artistes français pour l'année 1906 est composé comme' suit :

MM. T. Robert-Fleury, Nénot, J. Coutan, Albert Maignan, Boisseau, de Richemont, Georges Lemaire, Pascal Mongin, E. Adan, Blanchard, Cagniard, Carlés, Carlier, Dawant, Deglane, F. Flameng, Gagliàrdini, Laloux, Le . Coûteux, Lefort, Louis-Noël, Maillait, Petitjean, Saintpierre, Zuber.

Au PETIT PALAIS. — Une des plus curieuses petites expositions qui soient est celle des photographes documentaires, constituée par la Ville de Paris et qui s'ouvre pour la troisième fois.

Le thème est des plus amusants : cours et jardins ayant un caractère pittoresque ou artistique des anciens hôtels ou maisons du Marais.

Toute l'Ile Saint-Louis : rues, quais, façades, intérieurs, etc.

Le comité des dames de l'Union centrale des arts décoratifs vient de nommer vice-présidente déléguée la duchesse de Broglie. Cette élection a été motivée par la mort de Mme Taine dont le comité garde Un respectueux et reconnaissant souvenir. Le bureau des dames de l'Union centrale des arts décoratifs se trouve ainsi composé : vice-présidente déléguée, la duchesse de Broglie; vice-présidentes, la générale Derrécagaix, la duchesse d'Estissac, Mme Gaston Lecreux, la comtesse de Maupeou, la marquise de Nadaîllac ; secrétaire générale, Mme Paul Biollay; secrétaires-adjointes,. Mlle Antoinette Bucquet, Mlle Pauline Pages;

Les cuivres de Rembrandt. — UNE LETTRE DE GUSTAVE GEFFROY. — Les lecteurs de l'Art et les Artistes auront certainement suivi dans la presse une polémique assez édifiante au sujet delà découverte de cuivres de Rembrandt par une revue.

Le Gil Blas où M. Louis Vauxcelles mène, avec son entrain et son esprit habituels, une campagne très documentée contre cette mirifique découverte, publie la lettre suivante de M. Gustave Geffroy, l'éminent écrivain et critique d'art, notre fidèle collaborateur.

Paris, 19 janvier 1906. Mon cher ami, Je vous prie, à la suite de la publication dans Gil Blas d'une lettre où mon nom est cité, à propos d'une discussion sur des cuivres de Rembrandt, de dire, en deux mots, à vos lecteurs, que je décline toute collaboration à Y Artistes.

Cordiale poignée de mains. 210, boulevard Pereire.

Gustave GEFFROY. ■ ■ . - ■ se

Pendant ces derniers jours de janvier, l'Ecole pratique d'enseignement mutuel des arts, 44, rue de Rennes, a donné les conférences suivantes : le mercredi 24 janvier, à 8 h. 3/4, les Arts du bois, suite par M. E. Gaillard ; les samedis 20 et 27 janvier, à 8 h. 3/4, Histoire et technique de l'éiain, par M. Brateau; samedi 27 janvier, à 5 h. 1/2, les Arts du livre, récriture au moyen âge, enluminures et miniatures, par MM. A. Christian et Defrance; mercredi 31 janvier, à 8 h. 3/4, la Sculpture décorative, par M. Camille Lefèvre.

sr

Au GRAND PALAIS. — Très intéressante exposition de l'Association syndicale professionnelle des peintres et sculpteurs français.

Paysages de Capri. — C'est le 17 janvier que s'est ouverte dans la galerie Georges Petit, l'exposition des Paysages de Capri, de M. Guillaume Dubufe. M. Dubufe passe ses.vacances dans « l'île de Tibère » et dans les jolies toiles qu'il nous montre, il a fixé d'un pinceau rapide les douces impressions de ses villégiatures ensoleillées. L'exposition des Paysages de Capri est restée ouverte du 17 janvier au 31 du même mois.

sr

. GALERIE ALLARD. — Série de fleurs, par Georges Lopisgich.

. M. Dujardin-Beaumetz a voulu inaugurer cette exposition particulière d'un artiste que les amis du Salon d'Automne connaissent bien. Il a été reçu parmi les fleurs et un bouquet de jolies femmes. C'était doublement fête à la ravissante galerie de la rue Caumartin.

sr

M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire des BeauxArts, inaugurera officiellement le samedi 3 février, à la galerie Georges Petit, l'exposition des Arts Réunis', sera président l'excellent peintre Gaston Lecreux.

Lire dans le n° du 15 décembre de la Revue un remarquable article de notre collaborateur Camille Mauclair sur la jeune peinture française et ses critiques.

sr

En souvenir des liens très vifs de sympathie qui unissent le Portugal et la France, une commission s'est réunie à Lisbonne pour l'érection d'une statue à Victor Hugo, avenue de la Liberté. C'est à M. Jean Boucher qu'en a été confiée l'exécution. M. Boucher est le jeune sculpteur qui obtint la même année la première médaille et le prix du Salon et à qui l'on doit le beau monument de Renan à Tréguier.

D'autre part, à Paris, M. Xavier de Carvalho, fondateur de la Société des études portugaises, s'est occupé de réunir un comité de sommités littéraires et philosophiques pour élever un monument à Camoëns.

Voici les noms des premiers adhérents : MM. SullyPrud'homme, Brunetière, Paul Leroy-Beaulieu, Paul Hervieu, Jules Glaretie, Catulle Mendès, Armand Dayot, Henri de Régnier, Georges Bondon, Coppée, Richepin, Paul Deschanel, Berthelot, Marcel Prévost, Albert Sorel, Ganderax, Massenet, Lockroy, Jules Lemaître, Léon Dierx, Paul Ginisty, Paul et Victor Margueritte, Mistral.

XXIII


L'ART ET LES ARTISTES

Dès que le comité Victor-Hugo sera constitué le roi de Portugal lui accordera officiellement son haut patronage, comme le Président delà République vient d'accorder le sien au monument Camoëns.

Un Comité vient de se constituer à Paris pour ouvrir une souscription entre les membres de la. Société des artistes français, de l'Association des .artistes peintres, sculpteurs, architectes, dessinateurs et graveurs (Fondation Taylor), de la Société libre des artistes français, entre les élèves, les amis et les admirateurs de W. Bouguereau, en vue d'élever un monument au Maître, mort l'année dernière.

Ce Comité a pour président, M. Bonnat; pour viceprésidents, MM. Carolus Duran, Moyaûx, membres de l'Institut ; Tony Robert, Fleury, président de la Société des artistes français et Henry Roujon, secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts.

Les souscriptions sont reçues au siège du Comité, 28, rue du Mont-Thabor, et dans les bureaux de la Société des artistes français, Grand Palais des Champs-Elysées, porte D ; de l'Association des artistes peintres, sculpteurs, etc., 25, rue Bergère.

Sf Sous les auspices, de M. G. Hcentschel, qui donna

les chefs-d'oeuvre de Carriès, au Petit-Palais, le Conseil municipal d'Arquian, avec le concours des admira-. , teurs de Carriès, va ériger — par-voie de souscription publique — sur l'une des. places d'Arquian. (Nièvre), le buste du regretté artiste céramiste.

Le Comité désire que le Monument de Jean Carriès soit l'oeuvre de tous. A cet effet, il accueillera les dons les plus petits comme les plus généreux ; il sollicite aussi le concours de la Presse, pour le seconder.

Les souscriptions peuvent être adressées à M. Georges Hcentschel, artiste décorateur et céramiste à Paris, ou à M. E. Frottier, maire d'Arquian (Nièvre).

&

Nous apprenons qu'une Union artistique internationale, le Cercle des Arts, en formation depuis un an, vient de se constituer définitivement. Le Comité se compose de MM. Léon Ristor, président; Jean Boucher, sculpteur, vice-président.

La Société Jean-Jacques-Rousseau. — Il s'est constitué à Genève, à l'exemple de.la Société Goethe et Schiller, à Weimar, une Société Jean-Jacques-Rousseau, sous la présidence de M. Bernard Bouvier, professeur de littérature française à l'Université de Genève Cette Société se propose de préparer, d'une manière rigoureusement scientifique, l'édition de Genève du grand citoyen de Genève.

Bibliographie

LIVRES D'ART

L'École genevoise de peinture. — A qui ne

connaîtrait pas l'ancienne école de peinture genevoise, ou la connaîtrait mal, il faut signaler les deux magnifiques volumes illustrés que le Journal de Genève a édités coup sur coup, à un an d'intervalle, sur les Peintres genevois (1702-1849) 1.

Le texte est de M. Daniel Baud-Bovy, conservateur du musée des Beaux-Arts de Genève, un érudit qui se double d'un charmant écrivain d'art. L'illustration, exécutée par la Société des Arts graphiques, 'd'après les clichés de F. Boissonnas, atteint les limites de ce que la photographie peut donner de meilleur. Les belles figures artistiques de Liotard, de Pierre de la Rive, de Saint-Ours revivent, avec l'amusant caricaturiste Huber, dans le premier volume. Le second volume est consacré à Adam Toepffer, le père de Rodolphe, à F. Massot, le portraitiste, et à l'animalier Agasse,_dont les oeuvres originales sont aujourd'hui si haut cotées par les connaisseurs anglais. A cette oeuvre d'un si grand intérêt local, M. Daniel Baud-Bovy a su donner

I. En vente à Paris à la librairie Fischbacher, 33, rue de Seine.

une portée plus générale, en montrant le curieux mélange des influences anglaise et française qui ont agi sur la petite et vivante phalange des peintres genevois d'autrefois.

Les Grands Artistes. . T^uysdael, par Georges RIAT, sous-conservateur au cabinet des Estampes à la Bibliothèque nationale, 1 vol.; Gainsborough,par Gabriel MOUREY, 1 vol. Chaque volume in-8 avec 24 gravures hors texte. Broché 2 fr. 50. Relié 3 fr. 50. (Envoi franco contre mandat-poste à H. LAURENS, éditeur, Paris, Vie).

Les biographies critiques de Ruysdael et de Gainsborough viennent porter à trente le nombre des volumes que comprend aujourd'hui la collection les Grands Artistes.

Les années, les siècles n'ont pu qu'accroître la gloire de Ruysdael et nous discernons très bien à quelles raisons est due la survivance de sa célébrité ; son art vaut tout d'abord par lui-même, parce qu'on y trouve la plus complète expression du paysage intime dans l'Ecole hollandaise ; il vaut aussi par la portée d'enseignements si décisifs qu'ils ont exercé la plus salutaire influence non seulement sur les compatriotes contemporains de Ruysdael, mais

XXIV


L'ART ET LES ARTISTES

sur Constable et les maîtres français de i83o. En résumé ce classique est en même temps très 'moderne et de là vient l'intérêt qui s'attache à la pénétrante et sagace étude, que lui avait consacrée le regretté Georges RIAT ; vingt-quatre illustrations, choisies parmi-les chefs-d' oeuvre ,du maître, y viennent corroborer les leçons d'un texte à tous égards remarquable.

L'oeuvre'et la vie de Gainsborough, le rival de Reynolds; la physionomie du portraitiste de Mrs. Siddons et de VEnfant bleu, si séduisante cependant, tant au point de vue humain qu'au point de vue artistique, sont relativement peu connues en France. On ne sait pas assez d'autre part, l'importance de la place que Gainsborough occupé dans l'histoire du paysage anglais avant Constable et Turner. Le livre de M. Gabriel Mou R ET, par sa documentation serrée, par les aperçus originaux qu'il apporte sur la sensibilité de Gainsborough, permettra de se faire une^idée exacte de la personnalité de ce très grand artiste. Il offre, en effet, outre l'intérêt, qui s'attache à des pages de critique aussi largement compréhensive, tout l'attrait d'une étude de psychologie subtile et vivante, faite par un véritable écrivain, et qu'éclairent, grâce à une illustration .non moins parfaite que captivante, le sourire rêveur, le tendre regard, les élégances délicieuses, des « belles femmes » de Gainsborough.

Les Beaux-Arts à l'Exposition de 1900,par

•Léonce BENEDITE, conservateur du musée du Luxembourg. — Imprimerie nationale.

En un ouvrage de plus de 700 pages, orné de' superbes images, M. Léonce Benedite a résumé la physionomie si complexe de la section des Beaux-Axts à l'Exposition de 1900. Cette oeuvre si considérable n'est autre que la rédaction officielle du Rapport général des Beaux-Arts à l'Exposition'de 1900, et nul ne semblait mieux désigné pour réaliser ce travail que l'érudit conservateur du Musée. du Luxembourg.

M. Benedite a divisé son livre en six parties : la Peinture, la Sculpture, la Médaille et la Glyptique, l'Estampe, l'Architecture, les A rts décoratifs, et dans chacun de ces chapitres le genre qui y correspond est étudié aussi bien à l'Etranger qu'en France avec toute la minutie des détails qu'autorise le cadre, et avec une remarquable sûreté de jugement à travers tous les mouvements de nos évolutions historiques.

Cet ouvrage est d'une très haute portée d'enseigne, ment, sous sa forme séduisante.

Les peintres français, par Jérôme DOUCET. *— Librairie Félix JUVEN, 122, rue Réaumur.

Fantin-Latour, Corot, les trois Vernet, Ingres, J. S. Laurens, Bouguereau, Puvis de Chavannes, Jules Breton, Meissonier, Fromentin, Yvon, Millet. Telle est la liste des peintres français dont M. Jérôme Doucet raconte la vie et, d'une plume vive et savante, analyse les travaux. Ce livre, destiné à figurer dans toutes les bibliothèques d'art, est orné d'une suite de reproductions empruntées à l'oeuvre de chacun des artistes.

DIVERS

Camille MAUCLAIR.

A signaler une très intéressante plaquette de M. G.¬ Jean Aubry, à ajouter à la liste des biographies critiques des Célébrités d'aujourd'hui. Ici M. Aubry étudie avec une rare pénétration le caractère de notre éminent collaborateur Camille Mauclair et analyse l'oeuvre étincelante, profonde et déjà si considérable du jeune écrivain.

Cette brochure a pour frontispice un portrait de Camille Mauclair, dessiné par Mauclair lui-même, image pensive, d'un graphisme très intelligent et qui, sans rappeller l'Erasme d'Holbein, révèle néanmoins chez l'auteur du Soleil dès- morts et de Watteau à Whistler un tempérament de vigoureux coloriste et un dessinateur volontaire.

&

Librairie E. SANSOT et Cie, éditeurs, 53, rue Saint - André-des-Arts.

Les c4ubes mauvaises, par Fernand KOLNEY. — AMBERT et Cie, éditeurs, 25, rue Lauriston.

L'auteur du Salon de Madame Truphot nous offre ici un livre' d'un noir pessimisme, mais où d'étranges beautés de. style apparaissent parfois, illuminant l'ombre effrayante de l'oeuvre.

Fernand Kolney a cru qu'il était possible d'étudier des caractères qui n'avaient point paru encore dans le roman. Tel celui de la trop curieuse Clotilde Herma' gis. Sans . doute devant des scènes qu'on peut en vérité qualifier d'excessives, bien des lecteurs, crieront au scandale. Mais l'auteur, prend soin de nous déclarer qu'il est habitué à la réprobation des « gens de bien », que les tribunaux n'ont pu briser sa plume, et qu'il persévérera, satisfait de son salaire, s'il peut emporter à nouveau le suffrage de ses maîtres, des lettrés et du public athénien... A men !

<ytu *Pays de l'Harmonie, roman par Georges DELBRUCK, un volume in-16, prix 3 fr. 50. — Librairie Académique PERRIN et Cie, Paris.

Un Jules Verne philosophe, tel nous apparaît l'auteur de ce curieux roman, plein d'aventures aussi passionnantes que celles de Vingt mille lieues sous les Mers ou de Cinq semaines en ballon, et qui toutes, avec cela, ont pour nous une signification pratique très directe, une évidente portée morale et sociale. Sur la base de nos idées, de nos sentiments, et de nos moeurs d'à présent, de la transformation radicale qui est-en train de s'opérer aussi bien dans notre manière de vivre que dans nos croyances et aspirations intimes, M. Delbruck a édifié quelque chose comme une religion nouvelle, une religion de liberté, d'amour et de beauté, une religion d'autant mieux faite pour nous toucher et nous séduire que chacun de nous en porte déjà vaguement les germes au fond de son coeur. C'est assez dire l'extrême intérêt, à la fois actuel et permanent de ce Pays de l'Harmonie où une intrigue romanesque toujours vivante et variée nous promène le plus agréablement du monde parmi les occupations et les joies d'un avenir qu'il ne tient qu'à nous de rendre prochain.

sr

La Physiologie morale du Poète, par Florian PARMENTIER. (Société d'Editions de l'Essor Septentrional, Valenciennes).

■ Le coeur effeuillé, par Maria STAR. — Félix JUVEN, éditeur, 122, rue Réaumur.

Suite de spirituelles comédies de salon avec musique de scène par Reynaldo Hahn et de fines illustrations de R. Mainella.

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L'ART ET LES ARTISTES

Navires et ports marchands, par Marcel PLESSIS. — BERGER-LEVRAULT, 5, rue des BeauxArts.

C'est une impartiale, savante et consciencieuse étude mettant douloureusement en lumière notre déchéance maritime, les exemples fournis par les nations étrangères ainsi que les remèdes desquels on peut attendre le- relèvement de notre marine marchande. Livre précieux que chacun de nos législateurs voudra posséder.

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Clara Bill, danseuse. — Tel est le titre d'un roman du plus vif intérêt que vient de publier M. Albert BOISSIÈRE. — Eugène FASQUELLE, éditeur, 12, rue de Grenelle.

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Librairie Félix JUVEN, 122, rue Réaumru", Paris.

Paul d'Ivoi et Colonel ROYET, Les Briseurs d'Épées, qui peut se peindre entrais mots : bonne humeur,verveetesprit.—^Mémoiresd'un Cheval, de C. AUDIGIER, illustrés par ROUFFET.— Un Voyage dans le vent, de Mme LESCLIDE : l'histoire la plus extraordinaire, le livre le plus humoristique de l'année.

Pour les garçonnets, Les exploits du Colonel Gérard, par Conan DOYLE, l'auteur de Sherlock Holmes et Les Trois Pages de M. d'Artagnan, par Eug. WATIN ; pour les fillettes, 3\(inette et sa Grand 'M ère, par BRADA et Le Prince Coquelicot, par Eug. WATIN.—Une traduction de l'anglais, La Promesse de Toby, de HOPKINSON, intéressera vivement les deux sexes.

Mais où la firme Juven règne en maîtresse incontestée, c'est dans les albums en couleurs de RABIER, de DELAW, de JOB, de SÉVERINE : France, son Histoire, la Cantinière, les Trois Couleurs, de JOB; Caramel (histoire d'un singe), de RABIER, les *Petits Cake-Wàlk, de DE LANÉZIÈRE, Jean de la Lune, de DELAW, "Petit Jean ne voulait plus travailler et La Flûte enchantée, de TANTE COLETTE.

Et la maison Juven a créé cette année toute une série d'albums également en couleurs pour les tout petits : Tour apprendre à lire, La Chasse à la Carpe et la Pêche au Lapin, Histoire extraordinaire de la Sarigue et des Petits Clowns, Une Journée bien remplie, etc., etc.

Envoi franco du Catalogue complet des livres nouveaux.

Echos de la Mode

TjuiSQUE toutes les jeunes filles aspirent à gran* dir, à vieillir, à paraître irréprochables dans les plus petits ^détails, il faut qu'elles suivent le courant et ne négligent rien des ressources que met à leur disposition l'art chaque jour plus grand des fournisseurs de beauté.

Ainsi, qu'elles fassent une guerre sans répit aux vilains points noirs qui envahissent le nez, le front, le menton, et sont d'autant plus tenaces que la peau est plus délicate.

Cela suffit pour enlaidir le plus joli visage et le mal s'aggrave lorsqu'on essaie d'enlever ces tannes avec l'ongle. La pression amène une rougeur sur une noirceur, voilà tout, tandis qu'avec l'Anti-Bolbos de la Parfumerie Exotique, 35, rue du 4-Septembre, on obtient un excellent résultat sans causer la moindre irritation à l'épiderme.

Pour être bien habillée, il faut que la robe soit

bien coupée et rien n'est ardu comme une bonne coupe.

La faute en est aux couturiers qui apprennent vaguement, sans principes, cet art vraiment délicat. On arrive pourtant avec quelques leçons assez vite à de bons résultats. Nous recommandons tout particulièrement pour leçons de coupe, raisonnée et rationnelle, pour leçons de goût également, M"e Edeline, professeur diplômée, 12, rue de l'Assomption, à Paris, qui vient d'inventer un appareil breveté, pour assurer la rotondité absolue des robes dites trotteuses.

Mme SANS-GÊNE.

B. de L. ■—■ Pour effacer les rougeurs, taches de rousseur et rugosités dont 'ous vous plaignez, employez la véritable Eau de Ninon, parfaite pour conserver la fraîcheur du teint. Vous la trouverez à la Parfumerie Ninon, 31,-rue du 4-Septembre, aux prix de 6 francs et 6 fr. 50 franco.

M 1" S.-G.

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Numéro 12 — Mars 1906

Supplément illustré

de l'Art et les Artistes

N. B. — Tout ce qui concerne les Abonnements, la Publicité, etc., doit être exclusivement adressé à M. /'Administrateur de L'ART ET LES ARTISTES, 173, boulevard Saint-Germain.

ABONNEMENT ANNUEL : Un an, 16 fr. pour la France, 20 fr. pour l'Etranger.

L'Éducation artistique

L'ESTAMPE (Suite)

Comment on fait une gravure en manière noire, une gravure à la pointe sèche,

une gravure en couleurs.

f^ONTiNUANT notre incursion dans la technique ^"^ des arts de reproduction, nous examinerons maintenant quelques-unes des applications que l'artiste peut tirer de la gravure sur cuivre.

Une des plus intéressantes pour le peintre est la gravure en manière noire. Son procédé gras, son exécution par plans larges, et la souplesse des valeurs qu'elle permet, d'obtenir s'accommodent heureusement des effets de clair-obscur.

Son invention attribuée à L. Siegen, officier au service du prince Robert d Angleterre, remonterait donc au commencement du xvue

siècle. Peu répandue en France, elle fut pratiquée avec succès en Grande-Bretagne pendant une grande partie du xvne siècle et tout le xvme.

Cette gravure se fait sur un cuivre recouvert uniformément d'un grain qui, à l'impression, donnerait une teinte générale foncée d'un noir gris velouté. Au moyen du grattoir et du brunissoir, on aplanit, enlève, on écrase plus ou moins profondément le grain de la plaque, obtenant ain i des parties plus ou moins claires, ainsi que le ferait un dessinaLA

dessinaLA Gnivure à la manière noire, d'après Joseph VERNET.

teur, sur un papier teinté, avec un crayon blanc. C'est donc l'inverse de l'exécution dont nous parlions pour l'eau-forte. Au lieu de distribuer les ombres sur une surface unie, au moyen d'outils incisifs, ce

sont les parties claires que l'on fait surgir de l'ombre avec plus ou moins d'intensité. Il faut néanmoins procéder avec une extrême prudence; la hâte d'aplanir trop vite le grain du métal pour avoir de suite l'effet, est un danger. Les graveurs nous diront en effet qu'il n'est pas facile de refoncer une demi - teinte dont on a trop accentué la clarté. Naturellement, aucune opération

de morsure ; mais ici, aussi, plusieurs états sont nécessaires pour se rendre compte de la marche du travail.

La manière noire dont l'exécution large s'adapte merveilleusement à la traduction de certains portraits, a peut-être le défaut de manquer un peu de fermeté dans les accents ; mais ce défaut peut devenir presque une qualité pour la recherche des eïfets estompés où la pénombre ajoute au sentiment du sujet. Certains peintres modernes, tels que


L'ART ET LES ARTISTES

Eugène Carrière par exemple, trouveraient dans la gravure en manière noire un art de reproduction parfaitement approprié au caractère de leurs oeuvres. Ajoutons que cette gravure est assez difficile à imprimer, les lumières étant creusées sur la planche demandent à être nettoyées avec soin pour obtenir des blancs purs. Elle ne peut supporter non plus un grand nombre d'épreuves ; le grain, sous la pression, s'aplatissant rapidement ; mais la rapidité avec laquelle elle s'exécute remédie en quelque sorte à cet inconvénient.

Quant à la pointe sèche, nous savons que dans l'eau-forte les pointes d'acier très fines interviennent, à la terminaison de la planche, pour les détails ultimes qui n'ont pas besoin de subir la morsure de l'acide, la pointe entamant directement le cuivre.

Tout le travail d'un graveur à la pointe sèche consiste donc à opérer entièrement sur le cuivre à nu avec des pointes d'acier de différentes grosseur.

Rembrandt a fait un très grand usage de la pointe sèche, soit que, sur des parties préalablement mordues, il exécutât, des morceaux entiers à même le cuivre, soit qu'il traitât des planches entières par ce procédé.

Depuis quelques années cet art a repris une saveur nouvelle. Son métier alerte et spirituel, fait de délicatesse, a tenté nos artistes modernes, et le nombre est considérable des peintres qui ont par ce moyen, exécuté des oeuvres directes, originales. J. Helleu entre autres, utilisant la finesse à la fois souple et puissante du procédé, a fait une adaptation de la pointe sèche à son talent de moderniste aigu épris d'indications précises et d'une cursive élégance. Au surplus, cet artiste utilise, je crois, la pointe de dia: mant de préférence à la pointe d'acier ; elle lui donne une taille plus nette, plus profonde, et permet, par endroits, des tracés d'une ténuité presque insaisissable.

Il va sans dire que le tirage des planches de pointe sèche ne peut être élevé. Les tailles, en raison de leur finesse, s'usent ou s'aplatissent sous l'action de la presse à bras et les dernières épreuves perdent souvent de leur éclat.

je

Pour ce qui est de la gravure en couleurs, ce n'est pas, à proprement parler, une manière de graver, mais plutôt un procédé d'impression permettant par plusieurs tirages successifs, ou même par un seul tirage, d'obtenir, au moyen des encres de couleur, une estampe coloriée.

On peut le dénommer l'art de peindre en gravure. C'estjle peintre hollandais Lastmann qui, vers 1628, imagina la reproduction en couleurs des planches de gravure.

A cette époque, les tentatives de ce genre se succédèrent sous forme d'essais sans (rencontrer un accueil

bien favorable des amateurs. J.-C. Leblond, peintre allemand, développant le procédé en Hollande et en Angleterre, vers 1704, appliqua à la reproduction en couleurs la gravure de trois cuivres différents, un pour chaque couleur et ses nuances intermédiaires. La juxtaposition repérée donnait au tirage l'harmonie complète.

Nous voyons au même moment d'autres artistes, Gautier par exemple, appliquant en France le même principe, mais au moyen de quatre cuivres, soit une gravure par couleur : noire, bleue, jaune et rouge.

On ne saurait mieux expliquer la technique de son procédé qu'en donnant le. passage suivant d'une lettre de cet artiste :

Ma première planche ne porte que le noir. Elle est gravée pour tous les tons de cette couleur dans le tableau ; elle sert encore pour produire toutes les teintes grises, qui ne peuvent être faites que par cette seule couleur avec le blanc du papier.

Je passe d'abord sous la presse cette première planche, qui fait sur le papier une espèce de lavis à l'encre de la Chine ; ensuite je passe ma planche bleue, qui, avec le secours de la précédente, fait un camaieu noir et bleu dans lequel on trouve le noir, le bleu, le blanc, le gris, le gris-bleu, le bleu sale, et une grande quantité d'autres teintes composées de ces couleurs.

Je passe sous la même feuille la planche jaune, qui fait avec les teintes précédentes, le jaune, le vert clair, le vert brun, le vert céladon, le vert olive, etc. ; elle fait encore, avec le secours des teintes noires primitives, les terres brunes, les jaunes sales, etc. Après, je passe ma planche rouge, laquelle produit le rouge, et avec les teintes des trois autres, les pourpres, les oranges, les gris de lin, les couleurs roses, les bruns rouges, les terres d'ombre, les terres de Cologne, et une infinité d'autres teintes que les couleurs n'ont jamais produites.

Il est à remarquer que Gautier indique comme première opération l'impression de la planche de noir. Malgré son avis, d'autres graveurs, au contraire, ne firent intervenir la planche de noir qu'en dernier lieu pour renforcer les fermetés et les parties ombrées. D'autres encore n'utiliseront que les trois couleurs sans le noir.

La plupart de nos petits maîtres peintres de la fin du xvme siècle trouvèrent dans le talent des graveurs de cette époque une charmante appropriation de ce procédé et les estampes en couleur qu'on doit à ces derniers sont trop connues pour que nous en rappelions les qualités de fantaisie et légèreté.

De nos jours encore de nombreuses et intéressantes tentatives dans ce genre agrémentent les sections de gravure de nos expositions artistiques.

Mais la majeure partie de ces planches ne sont pas exécutées au moyen des trois ou quatre cuivres en tirage superposés. — On se contente souvent

II


L'ART ET LES ARTISTES

HELLEU : LA JEUNE MÈRE (pointe sèche)

d'encrer une planche^unique avec plusieurs teintes, produisant ainsi des variations de nuances dans les différentes parties d'une même gravure. C'est ce qu'on appelle un tirage à la poupée.

Ajoutons que, pour l'impression, une légère couche d'huile sur la planche au moment du tirage donne à l'estampe^coloriée le ton moelleux et fondu de certaines aquarelles à grande eau.

Sans discuter le charme incontestable de la gravure en couleurs, nous ne pouvons néanmoins lui donner le pas sur l'impression en noir.

La fantaisie coloriée si délicate, si amusante soitelle/ne

soitelle/ne valoir aux yeux des vrais amateurs de gravure, la séduction des beaux noirs veloutés, profonds, où le blanc du papier s'harmonise si heureusement avec l'encre d'imprimerie, donnant à l'oeil cette sensation produite par l'union intime de l'ombre et de la lumière et qui, dans le domaine des équivalences physiologiques, correspond à l'émotion que l'on ressent à entendre vibrer un accord musical plein, large et sonore.

PAUL STECK,

Inspecteur de l'Enseignement du dessin et des musées.

III


Les Théâtres

Théâtre Antoine : Vieil Heidelberg, cinq actes de M. Meyer Forster. — Renaissance : les Hannetons, trois actes de M. Brieux. — Au petit Bonheur, un acte de M. Anatole France. sr

Une loi d'équilibre mystérieuse préside, au théâtre Antoine, à l'alternance des spectacles. Tel s'adresse à l'élite lettrée : c'est, par exemple, le Coup d'Aile. Tel à la petite bourgeoisie : c'est Une pièce de Brieux. Tel enfin, au vaste public : et nous avons Vieil Heidelberg.

C'est une jolie opérette, à qui ne manque même pas la musique. C'est l'idylle d'un jeune prince et d'une soubrette. Air connu. Mais les costumes sont nouveaux. Il fut élevé, le jeune prince, à Carlsbourg, dans un sombre château, loin des hommes, de la vie, du soleil. Il a vingt ans, et on l'envoie, pour une année, à Heidelberg. O surprise ! il y a là des tavernes, des étudiants et des rapières, des pommiers en fleurs, des tonnelles, des chansons au bord du Neckar. Il y a un vieil hôtelier brave homme, dont la nièce, Catherine, est exquise....

Doux mystère du toit que l'innocence habite. Chansons, rêves d'amour, rires, propos d'enfant, Et toi, charme inconnu dont nul ne se défend, Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite...

C'est cela. C'est cela justement. Il est bien heureux, Charles-Henri. Il s'est découvert un coeur d'homme. Son bonheur est de brève durée. Crac ! il arrive une Excellence, feutre noir à la main, compassée : « Son Altesse votre oncle se meurt. » Il faut retourner à Carlsbourg, dans le château noir, loin des fêtes. Il est bien malheureux, Charles -Henri ! Nous le revoyons, au tableau suivant, vieilli, durci, la bouche mauvaise, isolé de nouveau des contacts par un protocole inflexible. Nous songeons au grand mot de Tolstoï : « Un moujick a des millions de frères. Mais un roi, qu'est-ce qu'il est ? seul, tout seul... «C'est flatteur pour nous, somme toute. Nous plaignons ce pauvre petit. Tout de même, avant le mariage, il aura revu Heidelberg. Il l'aura revu en automne. Plus de fleurs, plus de chants, plus d'ivresse. Tous les fronts, devant lui, se découvrent. La solitude l'accompagne. Il sanglote doucement, tandis que Catherine met un pur baiser sur son front.

Notez que ce scénario pourrait être celui d'un chefd'oeuvre. Il en est d'aussi enfantins. Hamlet et Faust par exemple. Oui, mais le génie, le génie !... Ceci n'est nullement un chef-d'oeuvre. C'est une romance agréable, où l'on papote gentiment, où nul soupçon d'art ne fatigue, qui va droit à son but, telle une eau courante. Et, comme elle est sentimentale, démocratique et pittoresque, encadrée de décors de Jusseaume

Jusseaume d'une mise en scène admirable (Antoine a dû bien s'amuser!), comme ily a les choeurs, — ah! ces choeurs ! — et l'accorte Mlie Sylvie, vous pensez bien que le public ne se tient pas d'enthousiasme. On a joué vingt fois le Coup d'Aile. On jouera cent fois Heidelberg. C'est très bien calculé. C'est dans l'ordre. Un peu écoeurant ? Oui, peut-être... Mais c'est le théâtre ! Qu'y faire ? #-

Guitry est un peu moins heureux. Cette année, il n'a pas la veine. Elle reviendra, car il est beau joueur. Mais les Hannetons, c'est visible, ont dû décevoir son attente. Pourquoi ? Oh ! rien de plus facile que de l'expliquer... après coup.

Les Hannetons, ce sont les amants qui se lient au hasard des rencontres. Ça commence à merveille, et finit très mal. Lui : un savant. La quarantaine. Professeur d'histoire naturelle. Tics de vieux garçon, tendre et faible ; elle : une grisette quelconque, Jolie, jolie, mais insupportable. Elle s'ennuie de coller des fougères, de lire des bouquins, d'être seule. Elle apporte un sadisme mutin à détraquer l'existence paisible de ce pauvre quadragénaire. Il S'irrite, s'emporte, s'emballe. Il essaie de se libérer. Un ami vient à point, qui le trompe. Occasion bénie, mais unique ! Il la saisit, met à la porte sa petite amie étonnée. Il se croit rajeuni, délivré. Il chante victoire. Trop tôt ! L'aimable enfant s'est jetée à l'eau. On l'a repêchée tout de suite. On la ramène, en grande pompe, au domicile de son ami. Réconciliation obligatoire. Voilà un professeur perdu...

Hé bien, c'est charmant ? Mon Dieu, oui. Ce sont trois actes drus et vifs, sans rien qui pèse ni qui pose, pleins de traits de moeurs, de mots qui portent et d'observation amusante. Brieux a mis là son sens du théâtre, en laissant de côté les sermons. Point de thèse, et une morale. Des caractères lestement enlevés. Que faut-il de plus ?... Il faudrait une solution optimiste. Tout cela est trop vrai, est trop cru. L'âpreté, bien parée, est latente. Et elle perce nettement vers la fin. Le public ne veut pas d'âpreté, ni de vérité, ni de larmes. Il veut un mensonge tout rose, avec des drôleries épicées. Que faire à cela ? Rien à faire...

Même accueil, un peu plus réservé, échoit au

charmant petit acte qui ouvre ce spectacle charmant.

Ni le nom d'Anatole France, ni l'amère saveur d'un

dialogue fantaisiste, ému, libertin, ni les grâces

exquises d'un style qu'on ne parle guère au théâtre

ne dérident ce public renfrogné. Le style ? Ah! non,

ce qu'il s'en moque !... Etonnez-vous, après cela, des

recettes des music-halls !

GABRIEL TRARIEUX.

IV


L'Art dans la Mode

LE CORSET

Ç^UJET à la fois grave et frivole, le corset fit ^ couler [des flots d'encre : inspirant les poètes, interviewant les savants.]

Faut-il supprimer le corset ?_Le faut-il conserver

au contraire ? Faut-il au moins le modifier? La question est grave, d'autant plus grave que ceux qui sont appelés à donner leur avis en la question, sont des hommes qui portent, — rarement — de corset. Les médecins blâment le corset et lui reprochent mille choses : c'est le meurtrier qui frappe au foie ou tout au moins engourdit l'intestin ; c'est le criminel qui ralentit la circulation, retarde le labeur de l'estomac, c'est, comme dans la fable de La Fontaine,

Ce pelé, ce galeux,

d'où vient tout le mal.

Les couturiers, bien au contraire, ne tarissent pas d'éloges sur leur plus puissant auxiliaire, sur leur indispensable collaborateur : il arrondit la taille, l'effile, l'élancé,

il redresse et soutient les corps frêles, il corrige les regrettables déformations — et, que sais-je — il rend la femme élégante au sens que l'on attache, avec nos modes actuelles, à ce mot plein| d'élasticité.

Les peintres et les statuaires déclarent, eux, que ni la Vénus de Milo, ni les nymphes de Rubens, ne portèrent oncques de corsets ; leurs modèles, elles, le retirent pour poser ; quand elles en ont.

La peinture rarement a consenti à copier cet atour; la sculpture l'a toujours aboli.

Entre les médecins et les couturiers il y a place pour la Vérité, — ne fût-ce qu'au fond du puits,

— la Vérité, belle, sans corset.

L'un et l'autre ont raison : le corset est à la fois utile et nuisible; c'est le sabre de J oseph Prud ' homme qui sert à défendre la Constitution et au besoin, à la combattre.

Les constitutions robustes lui résistent, mais il doit être rationnel: il n'est criminel que s'il est exagérément serré, la taille de guêpe n'est ni jolie ni saine, — nul ne le discute plus.—N'inventat-on pas récemment le corset droit au nom de l'hygiène ?

La suppression du corset n'est pas arrivée; on le rend souple, on le fait petit, élégant, léger, loin, bien loin de la cuirasse que conserve le musée de Cluny, thorax de fer, — d'un siècle de croisades, où toutes les danses, qui veulent la taille souple

étaient prohibées; presqu'aussi loin du rigide monument qu'était le corselet au xvme siècle, long démesurément au-dessus de l'ampleur ronde des paniers.

C'est pourquoi les femmes ne s'en plaignent plus guère : seule, la dépositrice, la fournisseuse naturelle de la matière première, la baleine, [trouve le corset peu à son goût ; il est vrai que c'est une grosse bête, et que tous les corsets ne sont pas — il s'en faut — empruntés à ses précieux fanons.

LlLIA ROBERTS.

CORSELET DU XVe SIÈCLE

MUSÉE DE CLUNY


Le Mouvement artistique à l'Etranger

ALLEMAGNE DU NORD

QUOIQUE dans l'Allemagne du Nord nous soyons encore loin d'avoir une culture artistique générale qui serait capable de donner à notre existence plus de charme et plus de beauté et d'unir toutes les classes du peuple dans l'amour commun de l'art, dans une compréhension plus affinée de ses. oeuvres, — il n'y a pas de doute, que dans les deux derniers siècles, notre vie artistique n'ait pris un élan, comme il ne lui en a pas été donné d'en avoir depuis longtemps. C'est surtout Berlin qui en donne la preuve. Il est vrai que dans d'autres villes aussi cet essor est assez perceptible ; cependant la capitale de l'Empire confirme sur ce terrain comme partout ailleurs la manière américaine de son développement rapide. Il y a neuf ans nous avions annuellement en été notre grande exposition académique et en hiver deux Salons d'art privés, celui de Schulhe et celui de Gûrlith, et c'était tout. A côté de la grande parade de tableaux au « Glaspalast » (Palais de Glace), la « Sécession », un groupe d'artistes modernes et avancés appelé ainsi d'après l'exemple de Munich, organise chaque année une vaste exposition. Les Salons se sont multipliés comme les lapins, et les événements importants se pressent avec une hâte extrême.

Les Salons de Berlin ont tous leur caractère spécial. Schulte, Unter den Linden, est l'endroit de réunion du monde distingué, de l'aristocratie, des officiers, des gens de clubs ; ici fréquente la cour, ici l'empereur se montre dans des occasions particulières. C'est pourquoi il y règne au point de vue artistique, une hésitation prudente qui veut tenir compte de toutes les exigences. On y rencontrera tantôt des oeuvres de jeunes peintres (de valeur, je suppose), et d'excellents artistes étrangers, tantôt des produits du dilettantisme le plus superficiel exécuté pour le gros public ou encore de cet art horrible qu'on désigne du nom « d'art officiel » et de l'art de la cour qui, malheureusement, en Prusse, est toujours en pleine et disgracieuse floraison. — Le Salon Gûrlith qui a célébré récemment son 25e anniversaire, fut de tout temps le refuge des talents modernes. Dans les années 80 et go du siècle dernier se présentèrent ici les maîtres français modernes, et à côté

d'eux les meilleurs maîtres allemands, qui à cette époque luttèrent encore pour être compris et reconnus, comme Bôcklin, Klinger, Feuerbach, Lenbach, Leibl ou le sculpteur Adolphe Hildebrandt. Ces dernières années, où Gûrlith s'était retiré un peu, le nouveau Salon Cassirer lui fit concurrence. Celui-ci avait inscrit sur sa bannière surtout la culture de l'impressionnisme. C'est grâce à lui que nous avons fait ample connaissance avec Monet, Manet, Pissaro et avec leurs disciples, dont les oeuvres étaient exposées en quantité dans cet endroit avec les Daumier et Delacroix, les Van Gogh et Courbet, qui, justement en ce moment, est confié pour la première fois aux Berlinois dans une exposition excessivement intéressante. Parmi les artistes allemands il entre chez Cassirer naturellement en première ligne ceux qui se sont joints à l'enseignement impressionniste, c'est-à-dire les chefs de notre Sécession, à leur tête Max Liebermann. — A côté des Salons indiqués plus haut, le Salon de Keller et Reiner essaie avant tout d'attirer le public par de grands arrangements spéciaux qu'il met en scène avec un goût remarquable. L'exposition permanente duKùnstlerhauses (Maison des artistes), a été d'abord destinée aux membres du Club des Artistes Berlinois qui, à rencontre de la Sécession, représente l'élément conservateur et réactionnaire de notre vie artistique. Mais avec ceci le nombre des maisons qui organisent des expositions permanentes, est loin d'être épuisé. Il existe un Salon Casper, un Salon Nutz, un Salon Amelang, un Salon Amsler et Ruthard ; il y a la raison d'art industriel Hohenzollern, et il y a — mais qui peut retenir tous ces noms ?

Le mois de janvier nous a déjà emmené trois expositions importantes. Keller et Reiner nous mettent sous les yeux l'oeuvre de Constantin Meunier, toute la série puissante de ses petits bronzes et statues, en plus les tableaux de la succession d'atelier de l'artiste parmi lesquels il manque malheureusement les meilleurs : ses pastels. Comme attrait spécial, figure le modèle du grand « Monument du Travail » dont le maître belge ne devait plus voir l'exécution et l'installation. L'exposition a eu auprès du public de Berlin un immense succès.

Quant au deuxième événement artistique du.

VI


L'ART ET LES ARTISTES

mois de janvier nous ne pouvons en dire que quelques mots ici : c'est l'exposition rétrospective, séculaire allemande qui est installée à la National Galerie. Cette entreprise est d'une importance et d'une portée historiques, car on y offre pour la première fois au public un ensemble des oeuvres de la peinture allemande de la dernière époque, qui d'après la conception moderne et après un choix et un examen minutieux, sont considérées comme les meilleures etles plus caractéristiques. Les tableaux d'histoire et les tableaux de genre qui jouaient autrefois un si grand rôle en sont presque complètement exclus ; on fait valoir la maturité et la culture de l'harmonie des couleurs, l'intimité et la sincérité des impressions. C'est le contre-coup de la conception académique ancienne qui se manifeste ici. Lorsque, de ce nouveau point de vue on commença à examiner le matériel on découvrit partout des personnalités oubliées qui méritent bien d'être placées à côté des célèbres et des arrivés, et c'est dans des collections cachées qu'on alla chercher des oeuvres d'artistes connus qui firent paraître leur créateur dans une toute autre lumière. C'est ainsi qu'on a bien des surprises dans cette exposition et les lignes du cadre qu'on s'était construit pour représenter la peinture allemande se déplace quelque peu à présent. Il sera nécessaire d'y revenir plus longuement à l'occasion.

Le père de l'idée de cette exposition fut Alfred Lichtmark, directeur de la « Kunsthalle » à Hambourg, qui, dans sa ville natale, poursuivait depuis des années les traces du développement artistique dans son pays des temps modernes et anciens et démontra la nécessité de faire aussi ailleurs de telles études locales. Car chez nous les destinées de l'art ne se sont pas uniquement déroulées dans la capitale comme en France où toutes les forces de la nation se concentrent depuis des siècles à Paris ; chez nous il y a toujours eu de nombreux petits centres de la vie culturalle et artistique, qui, chacun pour soi, se sont développés indépendamment les uns des autres. Lichtmark a réussi dernièrement

dernièrement découvrir un ancien artiste allemand important, le maître Bertram qui vivait vers la fin du xive siècle à Hambourg. La réunion (qui vient seulement d'être achevée) de ses oeuvres, inconnues jusqu'à présent, — de la peinture et de la sculpture — a attiré à Hambourg, ces dernières semaines, beaucoup d'amateurs d'art allemands.

La troisième exposition de Berlin est également en faveur du passé : c'est l'exposition d'oeuvres de l'art ancien en possession de particuliers berlinois, organisée par la Société du Musée « Kaiser Friedrich » à l'occasion des noces d'argent de l'empereur et de l'impératrice qui sont eux-mêmes membres de la Société. Les trésors qui sont montrés ici au public sont presque tous venus à Berlin pendant ces huit dernières années — depuis la dernière exposition d'emprunt et il est étonnant de voir avec quelle rapidité la richesse qui éclôt de plus en plus dans cette ville étrange fait, sortir de la te re des collections privées et des galeries entières. On y trouve surtout de belles toiles de Néerlandais. Les Anglais sont représentés par Reynolds, Romney, Lawrence... En dehors des tableaux il y a d'anciennes gravures allemandes, de l'argenterie, de la porcelaine, de précieux ouvrages de miniature. Une richesse étonnante y est déployée qui contient trop de belles choses pour rendre jaloux.

Ces derniers jours on a ajouté à cette exposition une oeuvre qui a obtenu le prix le plus élevé qui ait jamais été payé en Allemagne par un collectionneur privé pour un seul tableau : c'est une toile magnifique de Jean Vermeer van Delft, intitulée : la Lettre. Pour la bagatelle de 320 000 marks elle a passé d'Angleterre dans la collection de l'amateur berlinois connu James Simon. A défaut d'autres preuves cet achat respectable fournirait une preuve caractéristique du zèle et de l'énergie avec lesquels on s'occupe des choses d'art maintenant chez nous.

MAX OSBORN.

ALLEMAGNE DU SUD

L'EXPOSITION d'hiver de la Sécession à Munich ne se distinguait pas par une bien grande homogénéité puisqu'elle se composait en même temps de l'oeuvre de trois artistes, dont deux au moins peuvent passer pour ultra-modernes, et d'une salle où l'on avait entassé tout ce que Munich renferme dans les maisons privées d'oeuvres de sculpture antique. On y voyait en outre la magnifique

magnifique antique du Doryphore de Polyclète, qui fit jadis l'orgueil des col'ections du comte de Pourtalès. M. Furtwângler y montrait cette tête en marbre d'Alexandre le Grand de provenance égyptienne, dont la matière comme ambrée et cireuse vaut tout ce que l'on peut voir de plus beau ailleurs.

Quant aux collections de M. le Dr Paul Arndt,

vu


L'ART ET LES ARTISTES

elles voudraient une étude spéciale. Regrettons le manque de place et passons.

Des trois artistes modernes, un au moins ne semble guère avoir droit à l'honneur qu'on lui fait. M. Becker-Gundahl, après avoir été un peintre d'intérieurs soigneux et pas méchant, a'essayé de prendre des allures dévergondées où il s'est senti mal à l'aise, en lesquelles il a persévéré et qui ont fini par trahir une sorte d'impuissance. L'esprit « sécessionniste » n'est pas assimilable à toutes les natures. Il le faut d'autant plus regretter dans le

cas de M. BeckerGundahl qu'il y avait en lui l'étoffe d'un portraitiste populaire de la lignée de Ribot en France et de Leibl en Allemagne. Je n'en veux pour preuve que le portrait de sa mère, à la fois si pieux et si aisé et certain diptyque qui nous montre en prière, de face, des paysannes bavaroises à grande coiffe de soie noire.

M. Weishaupt est un bon peintre de bestiaux, que les lauriers de MmeRosaBonheur attendent tôt ou tard. Son Taureau furieux, propriété

de la Société artistique de Munich, est une fort belle chose, et aussi ses Vaches dans l'eau, et encore plus son Labourage bavarois. C'est aussi un paysagiste d'un accent bien particulier et d'une rare sincérité. J'ai rarement mieux senti la différence exacte d'un ciel bavarois, ou d'un ciel de l'Ile-deFrance ou des environs de Vienne, comme en présence d'une étude de sol tourbeux dont tout l'intérêt gît dans la qualité blonde un peu rosée d'une atmosphère humide saturée de soleil. M. Weishaupt excelle aussi à la notation des coupes rectilignes de tourbe dans les Maas des environs de Munich, des étangs marécageux gris et tristes entre des verdures amènes, ou simplement de quelque assemblage de perches et de planches à l'angle d'une maison. Ce sort là les récréations de son activité

d'animalier, l'une dès plus méritoires de notre temps. Mais voici M. Richard Pietzsch, le peintre attitré de la vallée de l'Isar en amont de Munich. La rivière verte et rapide traverse un plateau de gravier chargé de forêts superbes, au fond d'un large ravin sauvage, avec de grandes courbes, où l'on a l'impression d'une nature parfaitement vierge. M. Pietzsch a été toujours très saisi par les variétés suivant les saisons de couleurs sombres de ce pays forestier. Et il s'est acharné à les rendre avec sa gaucherie d'un si grand accent de sincérité

et d'une sorte de naïveté grandiose. Si cet homme ne savait pas si bien voir on aurait quelque tendance à l'accuser de ne pas savoir peindre. La force de vérité de sa vision finit par faire admettre la légitimité de sa touche, l'une des plus lourdes qui soient.

Munich est la ville des contrastes violents. Je doute qu'à Paris même l'écart entre le plus brutal réalisme ou les modes les plus surannées et, d'autre part, la plus rare santé

intellectuelle puissent être aussi

grands : on peut y étudier du reste les avantages et les désavantages de ne point connaître le sentiment du ridicule, car les individualismes y ont quelque chose de rude, de sombre et d'intempérant qui rendrait les meilleurs peut-être intolérables au goût français. Il faut pourtant s'y faire. A côté ou bien de la grâce charmante d'une femme artiste comme Mlle Anna May en qui revit un peu de l'atticisme de Gysis, ou bien de la sobre et hautaine statuaire de M. Rumann, dont les deux lions de marbre blanc viennent d'être posés sur l'escalier de la Feldherrnhabe, des tempéraments de la rudesse hargneuse et de la maladresse voulue de M. Richard Pietzsch semblent encore plus étranges, et l'on arrive d'autant mieux à les apprécier.

WILLIAM RITTER.

M" 0 ANNA MAY

LA PUDEUR ET LE COURAGE

VIII


LA « VENUS AU MIROIR » OU « VENUS ET CUPIDON »

(D'après la peinture de VELASOUEZ tout récemment acquise par la National Gallery de Londres au prix de plus d'un million et demi).

ANGLETERRE

T TNE oeuvre d'une rare beauté, la Vénus au \S- miroir, de Velasquez, vient de faire son entrée dans la National Gallery de Londres.

Cette toile était en Angleterre depuis 1813; mais, sauf une apparition à la fameuse exposition de Manchester (1857), où figurèrent vingt-six ! Velasquez, puis à l'Académie Royale (1890) lors de l'exhibition des Vieux Maîtres, elle ne fut accessible au public que ces temps derniers dans les galeries de M. Agnew, d'où elle sortit pour gagner sa place éternelle aux Galeries nationales '.

La Vénus au miroir, ou, pour lui donner son titre plus exact, Vénus et Cupidon, fut peinte, dit-on, par Velasquez pour Philippe IV, pour faire pendant à la Vénus du Titien. C'est l'unique étude de nu de Velasquez actuellement existante. Une autre oeuvre, d'un caractère similaire, Vénus et Adonis, est

1. Thoré la vit à l'exposition de Manchester et elle lui inspira les lignes suivante : « La Vénus de Velasquez est étendue en travers d'une toile de 6 pieds, couchée sur le côté droit, dans l'attitude de la rêverie, la tête appuyée sur un bras replié ; on ne voit rien de son visage. A peine une indice de profil perdu ; mais la nuque, surmontée d'une abondante chevelure brune, dans laquelle les doigts de la main sont noyés; mais le dos cambré, dont une raie serpentine indique la souplesse; mais les hanches, et ce qui

supposée avoir été détruite dans l'incendie de VAlcazar Palace.

La couleur du tableau est sobre et en demi-teinte ; toute la magnificence est dans la chair superbe de la souple fille andalouse — une paysanne, semble-t-il, — mais transformée en une véritable déesse par le prodigieux art du peintre. La pourpre éteinte de la draperie sur laquelle elle repose, le rouge profond des rideaux par derrière, le cadre d'ébène du miroir, tout sert à exalter la lumineuse beauté de la figure centrale.

La National Gallery of British Art a. vraiment été comblée cette année, car elle a été dotée d'une toile charmante, offerte par M. Duveen. C'est l'exquis portrait de miss Ellen Terry en lady Macbeth, signé M. J. S. Sargent R. A. Il a été fait il y a dix-sept ans environ et passa en la possession de sir Henry Irving. Après avoir été acheté à la récente vente

suit, jusqu'au bout du pied, qui touche la bordure. Il est impossible d'imaginer une ligne plus gracieuse que celle qui, partant du cou, s'arrondit à l'épaule, se creuse à une taille déli:ate, rebondit en montagne et glisse ensuite tout d'un j t le long d'une jambe effilée. Il y a quelque chose de Watteau dans la forme élégante et introuvable de cette belle nonchalante Comme qualité de couleur et comme harmonie on ne citerait pas beaucoup de Velasquez plus distingués. »

IX


L'ART ET LES ARTISTES

Irving, une offre en fut faite par l'Amérique. M. Duveen en fit une semblable, avec l'intention de l'offrir à la nation, à la condition que cette proposition fût acceptée par l'exécuteur testamentaire de sir Henry.

Les deux principales expositions au point de vue de l'intérêt ont été celle de la Société des Arts et Métiers et celle de la Société internationale. La première est obligée de se loger à la Grafton Gallery à cause de l'occupation par Y Internationale de son siège habituel à la Nouvelle Galerie. Les Arts et Métiers ont consacré une large somme d'argent à des reliures de livres, émaux et bijoux. — un excellent témoignage de la reconnaissance des corporations artistiques en Angleterre.

L'oeuvre de M. Alexandre Isber et celle de M. CR. Ashbee dans les 2e et 3e sections sont particulièrement intéressantes.

L'exposition de la Société internationale est de nouveau dominée par l'oeuvre de son président, M. Rodin, qui est représenté par son groupe célèbre le Baiser et son exquis Paolo et Francesca. Les impressionnistes sont aussi fortement représentés par Manet, Monet, Pissarro, Sisley et Claus, mais il est douteux que le public anglais puisse apprécier dès maintenant l'effort de la Société pour l'initier à l'art de ces artistes. Certainement l'oeuvre de l'école de Glasgow représentée par M. Macaulay, Stevenson, M. James Paterson, M. E.-A. Walton fait appel plus fortement au sentiment — ce qui n'est en somme qu'une affaire de climat — que la peinture de paysage.

Comme peintres de portraits, M. John Lavery, sir James Guthrie, satisfont nos idées nationales beaucoup plus sûrement que ne peuvent le faire M. Boldini ou M. Aman Jean, malgré leur indiscutable talent. ' A. F.

GRECE <BL TURQUIE

<\ THÈNES.—Un comité de peinture composé des ■**■ artistes hellènes les plus renommés vient de se constituer à Athènes. Ce comité se propose d'organiser à l'étranger des expositions de peinture où ne figureraient, exclusivement, que des oeuvres helléniques. La première de ces expositions va s'ouvrir incessamment à Alexandrie, une des villes du littoral où la colonie grecque est très répandue. Tout ce que la Grèce compte d'artistes de valeur a tenu à honneur de prendre part à cette première manifestation de l'art national moderne. Le professeur Jacobidès, le célèbre pastelliste Mathiopoulos, des peintres réputés comme Djallinas et Phocas, — se sont mis à la tête de ce mouvement artistique et, — par l'envoi de leurs meilleures toiles, — se sont empressés de donner un exemple qui a été suivi avec la belle spontanéité qui caractérise les Hellènes.

CONSTANTINOPLE. —.Une intéressante Exposition de tableaux vient de s'ouvrir Grand'Rue de Pérà, à l'hôtel Raghit Bey, près de la cité de Roumélie. Les plus sincères félicitations doivent être adressées aux promoteurs de cette manifestation artistique.

Ce qui surprend, cependant, dans cette exposition, où il y a des toiles de tous les pays, c'est l'abstention complète des artistes orientaux. Aucun des professeurs, aucun des élèves de l'école des Beaux-Arts de Constantinople n'y a fait d'envois. Coïncidence ou mot d'ordre, le fait n'en est pas moins regrettable et il est fort à désirer qu'il ne se renouvelle plus.

SMYRNE. — La ville de Smyrne va avoir son musée.Le projet mis en avant depuis longtemps a,

enfin, reçu la sanction impériale. L'iradé est promulgué et l'on n'attend pour commencer les travaux que le retour de la belle saison. En attendant la commission smyrniote étudie les plans qui lui ont été soumis pour la création de ce musée. Mais d'ores et déjà, il paraît certain que son choix se fixera sur celui dressé par S. E. Hamdi Bey lui-même, le directeur du musée impérial ottoman et de l'école des Beaux-Arts de Constantinople.

SAMOS. — On vient de faire une précieuse découverte. En défrichant son champ un paysan de Tigha t ni, — petite commune de Samos, — a déterré un marbre antique représentant une déesse. La statue, en parfait état de conservation, est de très grande beauté. La pureté des lignes, la plastique des formes, le jeu des étoffes font reporter cette sculpture au 111e siècle avant l'ère chrétienne, c'està-dire à l'époque la plus glorieuse de l'art grec. On en parle comme d'un chef-d'oeuvre, comme d'un pendant digne de la Vénus de Milo.

BROUSSE.—Le petit muséede Brousse, si curieux, si intéressant, où, depuis de nombreuses années, se centralise le produit des fouilles opérées dans le. vilayet de Houdavendighiar, vient de s'enrichir de collections uniques dues à la libéralité de deux notables Arméniens, MM. Paronack Aribian et Karniq Chichmanian, archéologues distingués, établis à Brousse. Vases, armes et armures ciselés des premiers temps du Khalifat d'Orient, ces pièces, merveilleusement ouvragées, sont de très rares et très beaux spécimens du somptueux art arabe, alors à son apogée.

A. DE MILO.


TH. DE BOCK — PAYSAGE

Gravure à l'eau-forte.

HOLLANDE

TL est vraiment curieux que les grands maîtres ""■ hollandais du xixe siècle, les Maris, Israëls, Bosboom, Mauve, etc., n'aient pas laissé un certain nombre d'élèves, comme il arrive d'habitude, lorsqu'une école de peinture atteint une apogéeSeuls quelques rares peintres, vaguement influencés par des artistes remarquables, montrent dans leurs oeuvres leur influence. Tels, Théophile de Bock, W. de Zwart, —et c'est à peu près tout ! Car parmi ceux que le verbe et l'exemple de ces artistes contribuèrent à développer, je ne compte pas leurs imitateurs serviles, ceux qui les suivirent à la lettre. Mais seulement ceux qui furent pénétrés par leur esprit, à la suite d'un travail plus ou moins suivi, sous leur direction immédiate.

De Bock, un peintre trop peu connu encore, eh dehors de sa patrie, né en 1851, fut d'abord l'élève de peintres tels que van Borselen et Weissembruch ; il débuta, jeune encore, avec des paysages d'un coloris assez riche, dont la composition montrait l'influence de Corot. Plus tard ce fut Jacob Maris, le puissant maître, qui lui montra sa voie définitive. Dès lors, son sentiment de composition élégante s'affine ; la robustesse de ses tons s'accentue, et dans ses ciels et ses eaux, luisent des lueurs d'argent bruni.

Il mourut en 1904, après avoir produit beaucoup. Lorsqu'un artiste est mort, les marchands et

les héritiers se précipitent sur tout ce que son atelier contient. C'est de tradition.

Aussi un marchand entreprenant de La Haye eut l'idée de faire dans les salles claires du cercle Pulchri Studio, une exposition d'une centaine de pages d'album.

Ces pages montrent l'artiste en toute intimité avec la nature. Leur ensemble m'a remémoré un exquis petit album de poche, de van Goyen, que possède le Dr Bredius, carnet infiniment précieux du grand paysagiste si hollandais, contenant la genèse de tout son oeuvre.

Les dessins de de Bock, fugitifs instantanés, légers et rapides comme un effleurement, le plus souvent, donnent la fleur primesautière de l'impression première, montrent l'artiste charmé ou ému devant la nature. Rien de plus direct, de plus personnel. Aussi cette exposition, qui a été un succès, avait-elle un attrait particulier. Et l'étonnant, c'est que le public, froid d'habitude devant de simples dessins, sans couleurs, ce public qui naguère encore laissait se vendre des merveilles de blanc et noir, pour rien, — ait acheté cette fois un grand nombre de ces dessins légers.

Il est vrai que ceux-ci révélèrent en de Bock un maître du croquis rapidement enlevé avec sentiment. Il sut donner, en quelques coups de crayon noir ou de mine de plomb, rarement rehaussés

xi


L'ART' ET LES ARTISTES

d'un peu d'aquarelle ou de pastel, une vision d'ensemble de la Hollande, depuis les eaux de Dordrecht aux fermes de la Gueldre, des plages de la mer du Nord aux saules et roseaux graciles des « polders ».

Son dessin est ferme, élégant, expressif, en peu de traits, dans les meilleures de ces oeuvrettes, et caractéristique pour ces croquis est le sentiment d'étendue, d'atmosphère.

Tout à fait par hasard, de Bock a égratigné le cuivre; deux fois seulement, je crois. Une de ses deux eaux-fortes est reproduite ci-contre ; il n'existe que quelques très rares épreuves de ce petit cuivre, qui montre bien les qualités innées du peintre.

A noter, le 27 du mois de janvier, le 82e anniversaire de naissance de Josef Israëls, le vaillant artiste, travaillant journellement encore, avec toute la fougue et l'enthousiasme de la plus belle jeunesse !

Si la femme-artiste, malgré ses charmes et ses mérites, montre en ses oeuvres bien fréquemment une certaine faiblesse inhérente à son sexe, il y a cependant partout des exceptions. En Hollande particulièrement il y a un grand nombre de femmes de talent et d'esprit, très actives ; des présidentes de Sociétés importantes ; des femmes écrivains

et poètes nombreuses, des artistes comme... Marie Kalff, ou Barbara van Houten, qui a fait un grand nombre d'eaux-fortes d'une très rare puissance de tout premier ordre.

Parmi ces femmes de réel mérite et d'énergie absolument masculines, il faut compter au premier rang Mme Bisschop-Robertson. Cette femme, dans la force de l'âge (née en 1857), débuta par l'enseignement du dessin, tout en travaillant la peinture avec ardeur, deux fois par semaine, chez le peintre P. van Velden. En 1883, elle cessa de donner des leçons pour se vouer entièrement à l'art, luttant avec ténacité contre les difficultés matérielles.

Toute sa peinture dénote une rare puissance de tempérament artiste. Natures mortes au coloris vigoureux, sonore, exalté ; coins de villages aux murs blancs contre dès ciels d'azur foncé ; figures d'enfants ou de jeunes filles, — tout son art montre une personnalité remarquable, douée admirablement sous tous les rapports.

Le Cercle artistique de Rotterdam a réuni une grande collection de ses oeuvres, donnant un aperçu complet de sa carrière sans défaillance, exposition qui a été le succès de cette saison.

Et les expositions se succèdent : en même temps que l'Exposition de Bock avait lieu dans les salles du cercle, M. Biesing exposait chez lui une quarantaine de tableaux de Venise, la Provence, etc., de votre correspondant !

P. Z.

ITALIE

■pARTOUT, et dar/s tous les domaines de la vie * collective, l'activité humaine qui sans cesse engendre le Devenir, se canalise dans deux courants, cent fois définis sous les noms de Tradition et d'Innovation. Les esprits animateurs de ces deux courants sont en réalité assez vagues, car la Tradition et l'Innovation, l'une sévère dans ses aspirations immobiles, l'autre toujours toute ardente de la fièvre du nouveau, se servent mutuellement, déterminant ainsi, dans tout domaine de l'esprit et de l'action 1' « évolution humaine 11. En esthétique, la lutte et la fusion des deux courants, autant qu'en politique est féconde en oeuvres. Et les oeuvres seront d'autant plus intéressantes que l'équilibre des esprits oscillera dans le sens de l'Innovation.

En Italie, la grande dispersion des activités esthétiques, apportée par la révolution nationale qui aboutit à la prise de Rome par des politiciens armés, sévit naturellement sur l'esprit de l'art. La seule littérature intéressante de ces derniers trente ans, celle de Carducci, suivi de d'Annunzio, s'est développée dans le sens de l'exaltation du Passé. Le culte de Rome et de la Renaissance.

enflamma de nobles aspirations, et produisit quelques belles oeuvres. Les arts plastiques, comme la littérature, oscillèrent entre la plus enthousiaste exaltation du Passé et les tendances naturalistes, véristes, puis « humanitaristes » du temps présent. Il y eut des divisionnistes de talent, amoureux de la lumière pour la lumière, et il y eut le grand Segantini, seul aux sommets des Alpes.

Cependant, l'évolution de l'art contemporain impose tôt ou tard ses irrésistibles volontés. L'art italien littéraire et plastique (l'art musical suit celui-ci encore de très loin), tend à l'Innovation. De grands espoirs nouveaux gonflent les enthousiasmes. On sait que l'Italie a été malheureusement partagée dans ses capitales, qui n'ont plus comme autrefois la puissance de leurs personnalités bien caractérisées, et n'ont pas encore une véritable et profonde « unité de style » apportée par la conscience collective, qui, de régionale, est devenue nationale. Les multiples expositions organisées chaque année, dans les différentes villes, ne sont pas suffisantes à réaliser une grande synthèse d'art qui soit un enseignement fécond et répété. Les Expositions internationales de Venise suffisent

XII


L'ART ET LES ARTISTES

à peine à cette synthèse. Mais on sait aussi que la ville la plus moderne et la plus vivante de l'Italie, la vraie capitale, la métropole réelle de la Péninsule, est Milan. Les espoirs et les enthousiasmes nouveaux des artistes italiens tendent donc naturellement vers la grande exposition qui s'ouvrira cette année à Milan. Une salle sera entièrement consacrée aux oeuvres du peintre Mos Bianchi, mort il n'y a pas longtemps. D'autres artistes morts seront aussi représentés, tels que M. Domenico Morelli, dont on exposera des croquis. De M. Giuseppe Sacconi il y aura, envoyé par le ministère des Travaux publics, le projet du monument à Victor-Emmanuel IL

Les meilleurs artistes italiens d'une génération qui n'est plus jeune, et qui tout en étant très louable et souvent admirable, n'a produit aucun chef-d'oeuvre vraiment définitif, apporteront leur concours. Mais l'importance de cette Exposition d'Art, qui sera sans doute féconde en enseignements et qui nous réserve — il faut l'espérer ■— quelque remarquable surprise, est surtout dans la suite des salles régionales, où les jeunes de chaque région italienne grouperont leurs envois autour d'un artiste élu parmi eux. Là, l'Italie apparaîtra dans ses physionomies de races, d'éducations, d'aspirations profondes que l'unité politique du pays n'a pas encore détruites. On y découvrira peut-être quelques signes d'avenir, vraiment intéressants et beaux.

MEMENTO DES HOMMES, DES CHOSES ET DES

PUBLICATIONS D'ART. — L'Exposition de Milan, au milieu de ses nombreux congrès, comptera un Congrès qui intéresse tous les artistes et aussi les collectionneurs de photographies artistiques... A l'instar de l'Archive photographique de l'oeuvre de Léonard à Milan, et surtout de celle des Monuments de Sienne, des sociétés privées vont s'organiser en

Italie, dans le but de réunir et ordonner chronologiquement et géographiquement, les reproductions photographiques |des oeuvres d'art italiennes. C'est au Congrès de Milan que ces sociétés se réuniront pour la première fois, afin d'échanger des vues pour une organisation d'utilité nationale.

■— Un concours est ouvert parmi les sculpteurs italiens, pour les croquis des médailles commémoratives et des prix de l'Exposition de Milan. Les médailles seront ensuite fournies par la maison Johnson de Milan.

— Une exposition de Beaux-Arts sera inaugurée à Turin le 28 avril, et durera un mois.

— A l'exposition de Milan, sont aussi admis les Italiens demeurant à l'étranger et les étrangers demeurant en Italie.

■— La Pinacothèque de Sienne vient de s'enrichir d'une fresque de Benvenuto di Giovanni qui décorait un mur intérieur de l'ancien couvent degli Umiliaii, aujourd'hui maison de retraite pour les pauvres. Cette fresque a été cédée par l'hospice, et a été détachée par M. Giuseppe Cervelli.

•— L'éditeur Hoepli, de Milan, a publié récemment un volume sur l'oeuvre de Carpaccio. Le texte, de MM. Ludwig et Molmenti, et la beauté particulière de l'édition, sont remarquables.

— Une Exposition d'art ancien aura lieu à Pérouse dans le palais municipal. Les oeuvres de l'art ancien de l'Ombrie : estampes, monnaies, armes, inscriptions de l'époque étrusque romaine, joyaux, etc., y seront distribuées en 36 salles. L'art franciscain aura des honneurs tout particuliers.

Un comité chargé depuis longtemps d'élever au Pérugin un monument dans sa ville natale, semble vouloir hâter sa besogne en vue de la prochaine Exposition. Mais contre cette décision soudaine, les critiques et les artistes protestent pour éviter l'inauguration d'une statue quelconque, bâtie hâtivement et indigne d'honorer le grand peintre.

[RICCIOTTO CANUDO.

SUISSE

T ES expositions ont été le mois dernier en Suisse ■*■"' peu nombreuses et peu importantes. Je ne vois à vous signaler qu'une petite exposition de noir et blanc à la salle Thélusson récemment ouverte à Genève, et au Kùnstlerhaus (Maison des Artistes) à Zurich, l'exposition de quelques oeuvres du paysagiste W. Lehmann et de M. E. Kreidolf. Cet illustrateur de contes qui fait la joie des petits et des grands enfants par ses dessins pleins d'humour et de fantaisie, avait envoyé, avec les aquarelles originales de ses illustrations, un certain nombre de paysages qui ont eu un succès de curiosité.

Profitons de la placidité, nullement extraordinaire

extraordinaire du « mouvement artistique », pour dire quelques mots de nos musées. Les plus importants d'entre eux sont actuellement en pleine voie de transformation, de développement et d'activité. Il y a dans le besoin qu'éprouvent simultanément les principales villes suisses de reconstruire, de transformer ou de mieux aménager leurs musées, un symptôme réjouissant de l'intérêt plus vif que notre petite démocratie, si active, si industrieuse et si positive, commence à vouer aux choses de l'art. Partout On s'ingénie à mieux loger les oeuvres d'art héritées du passé, à en augmenter le nombre par des acquisitions nouvelles et à faire mieux connaître et appréXIÏI

appréXIÏI


L'ART ET LES ARTISTES

cier du public les trésors trop longtemps enfouis dans la pénombre des portefeuilles et des armoires.

Si la Confédération ne possède pas encore en propre un musée des Beaux-Arts, elle consacre du moins les revenus de la fondation Gottfried Keller (environ 50 à 60 000 francs par an) à l'achat d'oeuvres d'art ancien et moderne qu'elle confie en dépôt aux collections publiques des divers cantons. Les objets d'art acquis jusqu'à ce jour par la fondation Gottfried Keller, et exposés naguère publiquement à Zurich, forment déjà le noyau d'une -belle et importante collection nationale. On peut espérer qu'après les flottements inévitables du" début, les hommes consciencieux et compétents dont se compose la commission sauront discerner clairement le but à atteindre et nous y mener d'une main ferme.

Dans ce domaine, le meilleur exemple est donné à l'autorité centrale par l'heureuse émulation qui anime, en ce moment, les gouvernements cantonaux et les autorités municipales. •

A Genève, on construit un vaste musée central dont les diverses salles doivent recevoir toutes les collections artistiques et historiques appartenant à la ville et qui sont aujourd'hui dispersées en divers locaux : musée Rath, musée archéologique, musée Fol, collection des armures à l'arsenal, musée des arts décoratifs.

Rendue possible par le legs considérable d'un citoyen généreux, M. Charles Galland, la construction dirigée par M. M. Camoletti, architecte, n'est encore achevée qu'aux deux tiers. On prévoit, d'autre part, que l'aménagement intérieur de ce vaste édifice et l'installation de collections si diverses exigeront encore un ou deux ans, au moins, avant l'ouverture définitive du musée central.

Le nouveau et zélé conservateur du musée des Beaux-Arts (musée Rath), M. Daniel Baud-Bovy, l'historien de notre ancienne école genevoise de peinture, n'a pas voulu attendre ce moment pour donner à la collection qu'il dirige une impulsion décisive et pour ramener sur elle l'attention du public cultivé et ami des arts. Non content de mettre en valeur et en lumière, par un heureux aménagement des salles, les quelques chefs-d'oeuvre et les nombreuses oeuvres de valeur que contient cette collection, il a ouvert dans le sous-sol du musée Rath, deux salles nouvelles. L'une de ces salles a reçu les dessins et les études de nombreux artistes suisses, et l'autre renferme d'excellents moulages de statues antiques qui doivent être l'embryon d'un instructif musée de sculpture comparée. Enfin, M. D. Baud-Bovy vient d'imprimer un catalogue exact et complet du musée Rath, qui a, entre autres mérites, celui de mettre en lumière l'importance et l'intérêt des dons faits en 1804 par

Napoléon Ier à la ville de Genève. Ce sont ces toiles enlevées par l'empereur aux musées de l'Italie et d'Espagne, qui ont été l'origine et le noyau de la galerie genevoise installée, vingt-deux ans plus tard, dans le musée fondé par la famille du général Rath et inauguré en 1826. Peut-être me sera-t-il permis de revenir un jour, à loisir, sur ces dons vraiment princiers parmi lesquels se distinguent une Annonciation de Fra Bartolomeo et M. Albertinelli, un Saint Rémy de Philippe de Champaigne, une Mise au tombeau de Véronèse, etc. Disons seulement que le catalogue . du musée Rath. ainsi rajeuni fait faire aux Genevois mainte découverte imprévue et charmante.

A Lausanne, le musée Arlaud qui, de 1841 à 1904, contenait les collections artistiques du canton de Vaud, a clos ses portes le 15 octobre 1904. On installe actuellement dans les salons, la galerie et le hall de sculpture du nouveau Palais de Rumine, les objets d'art qui s'entassaient dans le vieil édifice. L'excellent conservateur du musée Arlaud, M. Emile Bonjour, n'a pas voulu fermer l'ancien musée sans prononcer son oraison funèbre et sans retracer son histoire. C'est ce qu'il vient de faire dans une intéressante monographie, illustrée des portraits des meilleurs peintres vaudois du xixe siècle, au premier rang desquels se distingue Charles Gleyre. L'inauguration du Palais de Rumine me donnera, un jour, l'occasion de vous parler de la collection vaudoise, et spécialement de la salle consacrée à Emile David (1824-1891), un peintre trop peu connu, et bien digne de l'être par son amour de la beauté antique et par sa noble interprétation du paysage classique. On lira avec intérêt, même hors de la Suisse, le Catalogue des oeuvres d'Emile David qui vient d'être publié avec une notice bibliographique (Lausanne, Payot et Cie). . Le musée de Berne s'est enrichi dernièrement de toute une série d'oeuvres importantes du peintre F. Hodler.

Le musée de Zurich, après de longs débats et de vives querelles, a enfin trouvé l'emplacement définitif qu'il méritait d'avoir.

Et le musée de Bâle a fourni la meilleure partie des beaux dessins des maîtres suisses du XVe. au xvme siècle que publie le savant conservateur, de ce musée, M. le professeur Paul Ganz. La première série de cette publication monumentale, -qui a seule paru jusqu'ici, se compose de 60 planches in-folio, dont seize sont des reproductions de Holbein le jeune, six de Urs Graf et six de Nicolas Manuel Deutsch. Cette publication fait grand honneur, à la commission bâloise des beaux-arts qui en a pris l'initiative, .

GASPARD VALETTE.

XIV


Echos

des Arts

SIRENE-ARGONAUTE

LES VIERGES FOLLES

PORTE-BOUQUET

A U MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS. —

■**■ La direction de ['Union centrale des arts décoratifs, toujours en quête des éléments d'art les plus dignes de figurer dans son superbe Musée de la rue de Rivoli, installé avec un goût si parfait, vient de s'enrichir d'une nouvelle vitrine consacrée à l'exposition d'une suite de pièces céramiques (faïences à reflet) dues au Dr Pierre Delbet, professeur agrégé à l'Ecole de médecine. Depuis longtemps déjà, le jeune et célèbre chirurgien était connu comme artiste par le public des vrais amateurs, grâce à ses grès et à ses verreries du Musée du Luxembourg et aussi aux sculptures, aux pastels et aux peintures qu'il expose assez régulièrement aux Orientalistes : rapides ébauches de

BEDOUINE

types arabes, vues des oasis et du désert africain, largement crayonnées et brossées pendant quelques rares heures de loisir.

Nous reproduisons ici quelques-unes des nouvelles richesses du Musée des arts décoratifs. Ces images ne peuvent malheureusement qu'exprimer la ligne et la forme élégante des sculptures et des objets. C'est seulement devant les originaux baignés de lumière et pénétrés de rayons qu'on pourra se rendre compte de la splendeur de la matière.

Nous ne pouvons que féliciter l'Union centrale des arts décoratifs de sa nouvelle acquisition, et c'est avec le plus vif intérêt que l'Art et les Artistes suivra le développement progressif et si rationnel de son Musée.

J. M. F.

JARDINIERE

PLATEAU

XV


L'ART ET LES ARTISTES

Tableau des Expositions en i<)o6.

AMIENS. — Exposition internationale de 1906, du

14 avril au Ier octobre. Sections des beaux-arts. Dépôt des ouvrages, du 20 février au Ier mars, chez Kobinot, 32, rue de Maubeuge; envois directs avant le 5 mars.

LYON. — Société lyonnaise des beaux-arts. Salon de 1906, Palais municipal, 19e exposition, ouvrant le

8 février.

LYON. — Société des artistes lyonnais, Palais municipal des expositions (quai de Bondy), Salon de 1906, du 13 janvier au 13 mars.

MARSEILLE. — Palais du ministère des Colonies, exposition coloniale, section des beaux-arts, comprenant une partie rétrospective et une partie consacrée aux artistes modernes. S'adressera M. Dumoulin, 58, rue Notre-Dame-de-Lorette, à Paris, et à M. José Silberg, 139, boulevard Longchamp, à Marseille.

MONTE-CARLO. — 14e exposition internationale des beaux-arts de la principauté de Monaco, en 1906, de janvier à avril. Agent de la Société à Paris, M. Robinot, 32, rue de Maubeuge.

NANTES. —Société des amis des arts, 15e exposition des beaux-arts, du 26 janvier au 11 mars 1906.

NEVERS. — Groupe d'émulation artistique, 4e exposition annuelle, du 4 mars au Ier avril, dans la salle des dépêches du Journal de la Nièvre.

NICE. — Société des beaux-arts, 20e exposition au Palais du Crédit lyonnais, du 30 janvier au

30 mars 1906.

PARIS. — Société des artistes français, Salon de 1906, au Grand Palais des Champs-Elysées, du Ier mai au 30 juin. Dégôt des ouvrages : Peinture, du 12 au 17 mars; les hors-concours, le 3 avril; notices avant le 20 mars. — Dessins, aquarelles, émaux, miniatures, les 12 et 13 mars. — Sculpture, 13 au 17 avril; bustes, médaillons, statuettes, médailles, etc., du

31 mars au 2 avril ; les hors-concours jusqu'au 25 avril. — Architecture, les 4 et 5 avril. — Arts décoratifs, 13 et 14 avril.

PARIS. — Société nationale des beaux-arts, Grand Palais, avenue d'Antin, exposition du 15 avril au

30 juin 1906. Envois des oeuvres. Peinture, les 8 et

9 mars, les associés le 24 et les sociétaires les 30 et

31 mars. Sculpture, 16 et 17 mars; associés, le 29; sociétaires, les 2 et 3 avril. Architecture et objets d'art, les ié et 17 mars; associés, le 29; sociétaires, les 30, 31 mars et 3 avril; musique, le 17 avril.

PARIS. — Salon de l'Automobile-Club de France, peinture et sculpture, ouvrant le 15 février.

PARIS. — Rue Boissy-d'Anglas, Cercle de l'Union artistique, du 4 février au 8 mars. ' PARIS. —Terrasse des Tuileries, Société des peintres de marines, 2e exposition des arts de la mer, du 17 au 3: mars.

PAU. — Société des amis des arts, 42e exposition, au Pavillon ■ es arts, place Royale, du 15 janvier au

15 mars 1906

ROUEN. — Ivtposi'ion des beaux-arts, au Musée, du Ier juin au 15 juillet Dépôt des oeuvres du 5 au

15 avril, chez M. Robinot, 32, rue de Maubeuge, à Paris.

TOULON. — Société des amis des arts, exposition de 1906, du 29 mars à fin avril. Envoi des ouvrages de M. Picon, secrétaire du Comité artistique, au siège de l'exposition, place de la Liberté, du 8 au 15 mars; sculpture, jusqu'au 25 mars.

Dépôt des oeuvres à Paris, chez Robinot, 32, rue de Maubeuge, avant le 5 mars 1906.

TOULOUSE. — L'ouverture annuelle de l'exposition de l'Union artistique de Toulouse, aura lieu le 15 mars.

Dépôt des oeuvres, à Paris, chez Ferret, 36, rue Vanneau, du 15 au 23 février.

VERSAILLES. — Société des amis des arts de Seineet-Oise, 53e exposition des beaux-arts, Salons de l'Hôtel de Ville, du 18 mars au 20 mai. Dépôt des oeuvres chez M. Pottier, 14, rue Gaillon, du 25 février au 9 mars. Envois directs aux mêmes dates, à M. Eug. Barbier, secrétaire général, à l'Hôtel de Ville de Versailles.

sr

Une exposition internationale des arts de la femme aura lieu à Marseille dans le courant de 1906. A cette exposition figurera tout ce qui touche à la femme : arts, lettres, modes, costumes, ouvrages de dames, broderies, tapisseries, dentelles, rubans, bijouterie, parfumerie, etc. Les exposants peuvent s'adresser, dès maintenant, au commissariat général, 16, rue de Noailles, à Marseille.

Salon de 1906, à Lyon. — La Société lyonnaise des beaux-arts a ouvert avec éclat sa 19e exposition le 9 février. L'inauguration officielle eut lieu la veille, le 8 février, à une heure et demie, sous la présidence de M. le maire de Lyon.

Le Salon de 1906 sera, sans contredit, un des plus remarquables ,ue la Société ait organisés depuis dix-neuf ans qu'elle jouit de la faveur du public.

Les envois de la capitale se composent de 290 oeuvres choisies dans les tendances les plus diverses et parmi les maîtres de toutes les écoles. La nomenclature des principaux d'entre eux donnera une idée suffisante de la sympathie que nos confrères parisiens témoignent à la Société lyonnaise des beaux-arts : Maignan, Lhermitte, Jean-Paul Laurens, Jean-Pierre Laurens, Paul-Albert Laurens, Meunier, Friant, Eliot, Gillot, Maxence, Dawant, Tattegrain, Bréauté, Henri Roger, du Gardier, Granchi-Taylor, Gagliardini, Guillaume, Gnignct, Guignard, Smith, Maillaud, Camoreyt, Picard, Boutet de Monvel, Thurner, Rieder, Bouvet, Almagia, Chéca, Pezant, Dameron, Jourdeuil, Zwiller, Laugée, Timmermans, Japy, Iwil, F. Bail, Cachoud, Paul Sain, Debat-Ponsan, Jimenez, Rivoire, Marins Roy, Lucas-Robiquet, Bourgoin, Biva, Girardet, Girardot, Deully, Bonneton.

Sculpteurs : Larrivé, Loiseau-Rousseau, LoiseauBailly, Muscat, Chcrel, Tournés, Walgren, Davin, Victorien-Tournicr, de Mcssard.

Les artistes de Lyon, voulant être au niveau de la

XVI


L'ART ET LES ARTISTES

réputation que leur Société s'est acquise, se font remarquer aussi par d'excellents envois. Parmi les principaux, citons : Perrachon, Beauverie, Sicard, Baudin, Tollet, de Belair, Barriot, Arlin, Bauer, Euler, Coman, Bonnaud, Médard, Villard, Jourdan, Terraire, Sarrasin, Ridet, Fonville, Girin, Rougier, Perrier; Mlles Olivier, Chardéron, Esprit, Suc, Garcin; sculpteurs : Aubert, Lamotte, Ploquin, Millefaut.

La section des arts décoratifs, unique à Lyon, offre cette année un véritable intérêt ; la citation des principaux exposants fera bien vite comprendre son importance : Lucien Gaillard, Galle, Paul Roussel, Paul Bonnaud, Walgren, Boutet de Monvel, Loiseau, Rousseau, Rivaut, René Bouvet, Lachenal, Mme Lacaille-Gaucher, Guétant, Nicod, Jubin, Boulcnger, Damouse.

Le jury des arts décoratifs a été ainsi constitué : MM. Desvernay, Desjardins, Montagnon, Roux, Bardey, Chomel, Dubuisson, Lamotte, Rogniat et Cox.

Le public appréciera plus que jamais, au Salon de 1906, la ligne de conduite généreuse que s'est tracée la Société lyonnaise de beaux-arts qui, en même temps qu'elle met en évidence les artistes consacrés, permet aux jeunes dignes d'intérêt de se produire en facilitant leurs débuts, en encourageant leurs efforts.

Le Comité rappelle aux artistes que le secrétaire est à leur disposition, pour tous les renseignements qui leur seraient nécessaires, au Palais du quai de Bondy, porte de gauche.

sr

Les Musées départementaux et communaux. — Voici le texte de l'avant-projet de règlement d'administration publique pour l'exécution de l'article 52 de la loi du ié avril 1895, en ,ce qui concerne les Musées départementaux et communaux.

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,

Vu les articles 52 et 56 de la loi de Finances du avril 1895 ;

Sur le rapport du ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, et du ministre de l'Intérieur;

Le Conseil d'État entendu, DÉCRÈTE :

ARTICLE PREMIER. — Les Musées départementaux et communaux investis de la personnalité civile sont administrés par des Comités et dirigés par des conservateurs.

ART. 2. — Le décret qui investit le Musée de la oersonnalité civile fixe le nombre et le mode de désignation des membres du Comité, et approuve les statuts proposés pour le fonctionnement du Musée. Ceux-ci ne peuvent être modifiés qu'après approbation dans la même forme.

ART. 3. — Le Préfet, pour les Musées départementaux, le Maire, pour les Musées communaux, est président de droit du Comité.

Le Maire de la ville dans laquelle est établi un Musée départemental, est membre de droit du Comité.

Le Conseil comprend un membre désigné par le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.

ART. 4. —Toute session, même gratuite, de pièces non réformées est interdite. Aucun objet ne peut être réformé sans l'avis d'une Commission spéciale dont la composition est prévue par les statuts et sans l'approbation du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.

Aucun échange ne peut être consenti que dans la même forme.

ART. 5. — Le conservateur et les conservateurs adjoints, s'il y a lieu, sont nommés par le Préfet, sur une double liste de deux candidats dressée d'une part par le Comité d'administration, d'autre part par le Conseil général pour les Musées départementaux, parle Conseil municipal pour les musées communaux.

ART. 6. — La demande de la personnalité civile est faite par une délibération du Conseil général pour les Musées départementaux, du Conseil municipal pour les Musées communaux.

Encore les cuivres de Rembrandt. — Le Bulletin de l'Art ancien et moderne (supplément de la Revue de l'Art ancien et moderne, directeur M.Jules Comte), publie la lettre suivante qu'il fait précéder de ces quelques mots :

Il y a quelques semaines, les journaux annoncèrent la découverte sensationnelle de quatre-vingt-cinq cuivres originaux de Rembrandt, au sujet de laquelle notre collaborateur M. Henri Clou\ot nous a adressé la lettre suivante :

Monsieur le Directeur,

On mène grand bruit, dans certains journaux, autour de la découverte de quatre-vingt-cinq cuivres originaux de Rembrandt, offerts au Rijks Muséum d'Amsterdam, par une revue artistique parisienne.

L'auteur de cette trouvaille a mis, nous dit-on, plusieurs années à ses recherches. Il aurait pu s'éviter la perte d'un temps précieux en interrogeant le premier amateur venu. Personne, en effet, n'ignorait l'existence de ces planches chez M. Bernard, marchand d'estampes de la rue des Grands-Augustins, qui en tirait des épreuves à vingt sous la pièce.

Celui-ci tenait ces cuivres de la veuve d'un autre marchand d'estampes, nommé Jean, qui les avait reçus du graveur Basan, et Basan lui-même les avait achetés à Mariette, qui en était possesseur au XVIIIe siècle.

Le fait qu'un tel nombre de planches originales se soient conservées jusqu'à nous, il n'est pas aussi extraordinaire qu'il le paraît. Tout le monde sait que la chalcographie du Louvre tire encore les cuivres de Drevet, de Van Schuppen, de Nanteuil, d'Edelinck, et l'on trouverait, en cherchant bien chez presque tous les éditeurs d'estampes, un stock de planches anciennes souvent fort intéressantes. Un d'eux, nous assure-t-on, possède même d'anciens cuivres d'Albert D;'rer.

Malheureusement, presque tout cela ne vaut que le poids du métal. Il y a quelque quarante ans, au temps où les colporteurs parcouraient encore la province, leur balle surledos, ils s'approvisionnaient à bon compte de tirages faits sur ces vieux cuivres chez Legrand, qui vendait l'oeuvre de Wille, chez Marel, chez Mmi' Avenin, à qui Arsène Houssaye acheta la fameuse planche de la Cruche cassée, dont il plaça des milliers d'exemplaires aux lecteurs de l'Artiste (ne pas confondre avec la revue du même nom qui a lancé l'affaire des cuivres de Rembrandt).

Quant à l'oeuvre de Rembrandt, on le prenait chez la veuve Jean, puis chez M. Bernard. Mais les épreuves qu'en avait publiées Basan, sous Louis XVI, ne valaient déjàrien à cttte époque. On juge de ce que pouvaient donner, cent

XVII


L'ART ET LES ARTISTES

ans plus tard, les mêmes cuivres encore plus usés, retouchés et surchargés de travaux.

Ce sont pourtant ces tirages, passés au marc de café et revêtus au verso du cachet bleu : Colportage, qui, sous le second Empire, allaient grossir, sans les enrichir, les cartons des amateurs de province. Aujourd'hui, quand ils revoient le jour à une vente après décès, les experts les adjugent en lots à 25 francs le cent.

Certes, ce sont de vénérables reliques que ces planches qui ont traduit fidèlement, à leur naissance, le génie du maître. Mais maintenant qu'elles n'en ont même pas gardé le reflet, elles ne sont plus bonnes qu'à figurer dans une vitrine de Musée. Les épreuves qu'on en pourrait tirer n'auraient aucune valeur aux yeux des amateurs, et il faudrait croire singulièrement à la transmutation des métaux pour espérer faire de l'or avec de vieux cuivres.

Veuillez agréer, etc.

HENRI CLOUZOT.

Alexandre Decamps, dans le Musée de 1834, s'exprime en ces termes au sujet d'un tableau d'Eugène Delacroix : « Dans son portrait de Rabelais, Delacroix est aussi savant, aussi vrai, aussi ferme que jamais : la tête est une de ces belles productions dont le temps consacrera la célébrité. L'auteur y a peut-être épuisé ce que l'art peut offrir de plus correct, de plus brillant, de plus fin, et de plus spirituel. »

Ce portrait en pied de Rabelais se trouve actuellement à la mairie de Chinon. La presse parisienne, voici quelques années, en avait annoncé l'acquisition par le Musée du Louvre, moyennant une somme de cent mille francs. Et c'est le Figaro, qui sur l'affirmation de son correspondant, en avait révélé le premier la nouvelle.

M. Georges Lenseigne nous apprend qu'un Anglais avait manifesté le désir d'acquérir ce tableau. Le Conseil municipal, ayant à faire face à d'importants travaux, se laissa tenter par cette offre. Et l'on put craindre un instant que l'oeuvre de Delacroix ne nous quittât pour l'étranger.

M. Lenseigne en avisa MM. Kaempfen et Henry Roujon, afin d'assurer à l'État la possession de cette toile, dans le cas où la Ville aurait eu le droit de la vendre. Mais il ressort, d'après des recherches faites au Musée du Louvre, que le portrait du grand apôtre de la Renaissance, avait été envoyé à la Bibliothèque de Chinon par le ministère de l'Intérieur, après le Salon de 1834, et sur la demande du député Piscatory, qui siégeait sur les bancs de la majorité ministérielle. Lorsque Crémieux, membre de l'opposition de 1842, le supplanta, le célèbre avocat israélite, par une mesure de courtoisie dont la saveur n'échappera à personne, envoya en retour à l'église Saint-Maurice une copie de la Descente de croix de Rembrandt, que l'on peut encore y admirer.

Une Société d'histoire locale Les Amis du vieux Chinon vient d'ailleurs de se constituer dans cette ville. Elle y a donné l'an dernier une exposition. Grâce à l'initiative du Dr Faucillon, cette Société deviendra désormais la sauvegarde de tous les souvenirs de la vieille cité tourangelle. Exemple bien digne d'être suivi. La réforme de la loi française de 1887 devrait s'inspirer delà loi italienne qui défend « l'exportation des oeuvres d'art classées ».

Une intéressante exposition de l'art provençal se prépare en ce moment à Paris, sùus la présidence de M. Louis Milhau, adjoint aux Beaux-Arts, et sous le patronage des plus hautes notabilités du monde de l'art. Citons parmi les noms : MM. Léon Bonnat, Bouchot, de l'Institut; Roujon, secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts ; Homolle, Henri Marcel, Georges Berger, etc., et de collectionneurs et d'amateurs parisiens, MM. Maciet, Foule, etc. sr

Société des artistes français. — Mme Bartholdi vient de verser à la Société des artistes français une somme de treize mille sept cent soixante-dix francs, qui avait été payée à son mari par la ville de Marseille pour les projets du Palais de Longchamp, par arrêt du Conseil d'Etat en date du 7 mars 1873. Avec cette somme il sera fondé un prix.

Ce prix, d'une valeur de quatre cents francs est destiné à récompenser annuellement au Salon, un artiste français, âgé de moins de trente ans, auteur d'une oeuvre remarquable par les qualités d'invention ou d'imagination dans n'importe quelle catégorie d'art.

Il sera attribué par le Conseil d'administration de la Société et décerné pour la première fois en 1906. sr

Par arrêté du ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Gilles, pris sur la proposition du sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts à la date du 29 janvier 190e, sont nommés membres du Conseil supérieur des Beaux-Arts : MM. Albert Gérard, sénateur ; Henry Maret, député : Harpignies, artiste peintre, et Paladilhe, compositeur de musique. sr

Un monument au peintre Caxin. — Les Rosati viennent de prendre l'initiative d'ériger à Samer, sa ville natale, un monument à J.-Ch. Cazin. Les comités parisiens sont ainsi composés :

Présidence d'honneur : M. le sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts.

COMITÉ DE PATRONAGE

MM. J. Breton, Carolus-Duran, le Dr Hamy, Moyaux, Roujon, membres de l'Institut ; Marcel, administrateur général de la Bibliothèque nationale ; Bénéditte, conservateur du musée du Luxembourg; Roll, président de la Société nationale des BeauxArts ; Tony Robert-Fleury, président de la Société des artistes français; Bigard-Favre, O. Saincère, Harpignies, membres du conseil supérieur des beauxarts ; Jonnart, gouverneur général de l'Algérie, président du conseil général du Pas-de-Calais ; le préfet du Pas-de-Calais ; le sous-préfet de Boulogne ; Huguet, sénateur ; Achille Adam, député ; Georges Adam, conseiller général ; Gournay-Hédouin, conseiller d'arrondissement ; le maire de Boulogne, le maire de Samer ; Frantz Jourdain, président du Syndicat de la presse artistique ; Arsène Alexandre, Roger-Miles, Thiébaut-Sisson, Alex. Guilmant, Farjon, président de la Chambre de commerce de Boulogne.

XVIII


L'ART ET LES ARTISTES

COMITÉ D ACTION

Président: M. J.-J. Weerts ; vice-président: M. R. Le Cholleux ; secrétaire général : M. Albert Acremant ; secrétaire: M. Jean Bédorez; trésorier: M. Alfred Hulleu.

Membres: MmeV. Demont-Breton , MM. A. Agache, Alloy, Berne-Bellecour, P. Bobin, H. Bonnefoy, Boucher-Cadart, FI. Buret, Gustave Colin, Coquelin aîné, Coquelin cadet, H.-E. Delacroix, Ad. Démon, G. Docquois, Engrand, Enlart, Gustave Geffroy, Gournay, Graf, Antoine Guillemet, Ch. Halais, L. Hista, Em. Langlade, F. Lefranc, Lhermite, Ed. Lormier, H. Malo, Martel, Mayeur, le baron F. de Ménil, J. Moleux, E. Moreau, le vicomte du Passage, F. Tattegrain, Victor Wallet.

On peut envoyer ses souscriptions au trésorier, 22, rue de l'Odéon, et aux bureaux du Journal des Arts.

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Rubans et rosettes académiques. — Parmi les nouveaux officiers de l'Instruction publique, nous relevons les noms de :

MM. H.-A. Bernard, architecte des monuments historiques, à Compiègne ; J.-G. Besson, artiste peintre; H. Buffenoir, critique d'art; Cabanié, conservateur du musée de Carcassonne; E. Cadel, artiste peintre; A. Crauk, graveur; C. Godebski, statuaire; Hannotin, architecte; Lormier, artiste peintre; Raoul Brunet, céramiste; Albert Maignan, artiste peintre; Ch.-L. Masson, conservateur-adjoint du musée du Luxembourg; M. Moreau, statuaire; Y. Rambosson, critique

d'art ;: Lionel-Royer, artiste peintre; Ch. Saunier, critique d'art; Jérôme Doucet, critique d'art: J. Wagrez, artiste peintre.

Parmi les officiers d'académie :

MM. G. Amoretti, artiste peintre; C. Massier, céramiste, directeur de la faïencerie d'art du golfe Juan ; Quidor, graveur; Schnegg, sculpteur; Theunissen, statuaire.

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Un certain nombre des plus belles tapisseries des Gobelins des xvue et xvme siècles ont été classées par la commission des monuments historiques. Parmi ces tapisseries classées, figure au complet la Suite dite du roi Louis XIV, formée de quatorze grands panneaux mesurant de 25 à 35 mètres carrés de surface. On a pensé qu'il serait intéressant de présenter au public cette Suite dans son ensemble, — jusqu'à ce jour on n'en avait exposé que des pièces isolées, — et l'administration des beaux-arts vient de décider que les quatorze tapisseries de la Suite du roi Louis XIV seraient placées dans un cadre approprié, c'est-à-dire dans les grands appartements du château de Versailles. Le garde-meuble national va sans retard procéder à cette installation, qui sera définitive, des quatorze superbes panneaux des Gobelins exécutés d'après Le Brun et Van der Meulen, et parmi lesquels figurent notamment l'Audience donnée par le roi au cardinal Chigi, le Duc d'Anjou déclaré roi d'Espagne, le Plan des Invalides, le Départ de Turenne pour la guerre, le Siège de Douai, etc.

(Le Journal des Arts.)

Bibliographie

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