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Titre : Les fleurs du mal / par Charles Baudelaire

Auteur : Baudelaire, Charles. Auteur du texte

Éditeur : Poulet-Malassis et De Broise (Paris)

Date d'édition : 1857

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb37367035f

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11947965f

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (248 p.) ; 19 cm

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Description : [Les fleurs du mal (français)]

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : GTextes1

Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5834013m

Source : Médiathèque de la communauté urbaine d'Alençon, 2010-60808

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 23/08/2010

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LES

FLEURS DU MAL

PAR

CHARLES BAUDELAIRE

On dit qu'il faut couler lus exécrables choses Dans le puits de l'oubli et au scpulchre encloses, lit que par les escrits le mal resuscité Infectera les moeurs de la postévité ; Mais le vice n'a point pour mère la science, Et la vertu n'est pas fille de l'ignorance.

(THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGKÉ, Les Tragiques, liv. 11

PARIS

POULET-MALASSIS ET DE BROISE

LIBRAIRES-ÉDITEURS

A, rue de Buci. 1857



LES

FLEURS DU MAL


Les éditeurs de cet Ouvrage se réservent le droit de le l'aire traduire dans toutes les langues. Ils poursuivront , en verlu des Lois, Décrets et Traités internationaux , toutes contrefaçons el toutes traductions laites au mépris de leurs droits.

Toutes les formalités prescrites par les traités ont été remplies dans les divers Etats avec lesquels la France a conclu des conventions littéraires.

AI.ENÇONInnirinii'rii'île Poi.-i,KT->ï\i.Assid ET 1>K NIIOISI


LES

FLEURS DU MAL

CHARLES BAUDELAIRE

On dit qu'il faut couler tes exécrables choses Dans le puils de l'oubli et au sepulclire encloses, lît que par les escrits le mal rcsuseité Infectera les moeurs de la postérité ; Mais le vice n'a point pour mère la scienct', Et la vertu n'est pas fille de l'ignorance.

(TiiKODoitr. AGRIPPA H'AUMONÉ, Les Tragiques, liv. Il

PARIS

P0ULET-MALASS1S ET DE BROTSE

LIBRAIRES-ÉDITEURS

4, rue de Buci, 1857







AU POETE IMPECCABLE

Al! PARFAIT MAGICIEN ES LANGUE FRANÇAISE A MON TKÉS-CIIEIl ET THÙS-VÉNÉRÉ

MAITRE ET AMI

THÉOPHILE GAUTIER

AVEC LES SENTIMENTS

DE LA PLUS PROFONDE HUMILITÉ

JK 1) É Tl I E

CES FLEURS MALADIVES

C. H.



LES FLEURS DU MAL



AU LECTEUR

La sottise , l'erreur, le péché , la lésine Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et, nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus , nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons paver grassement nos aveux, Et nous rentrons gaîment dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté, Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste.


6 LES FLEURS DU MAL

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,- Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange

Le sein martyrisé d'une antique catin,

Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Dans nos cerveaux malsains, comme un million d'helminthes, Grouille, chante et ripaille un peuple de Démons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons S'engouffre, comme un fleuve, avec, de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins, C'est que notre âme, hélas ! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lyces, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde! Quoiqu'il ne fasse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde ;


LES FLEURS DU MAL

C'est l'Ennui ! — l'oeil chargé d'un pleur involontaire,

Il rêve d'échafauds en fumant son houkaTu

houkaTu connais, leateur, ce monstre délicat.

— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère i



SPLEEN ET IDEAL



I

BÉNÉDICTION

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes, Le Poète apparaît en ce monde ennuyé , Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes Crispe ses poings vers Dieu qui la prend en pitié :

— « Ah ! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères, Plutôt que de nourrir cette dérision ! Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères Où mon ventre a conçu mon expiation !


12 LES FLEURS DU MAL

Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes Pour être le dégoût de mon triste mari, Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes, Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable Sur l'instrument maudit de tes méchancetés. Et je tordrai si bien cet arbre misérable Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés ! »

Elle ravale ainsi l'écume de sa haine, Et, ne comprenant pas les desseins éternels, Elle-même prépare au fond de la Géhenne Les bûchers consacrés aux crimes maternels.

Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange, L'Enfant déshérité s'enivre de soleil, , Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage, Et s'enivre en chantant du chemin de la croix, Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.

Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte, Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité, Cherchent à qui saura lui tirer une plainte, Et font sur lui l'essai de leur férocité.


LES FLEURS DU MAL 13

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche

Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats ; '

Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche ,

Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

Sa femme va criant sur les places publiques : « Puisqu'il me trouve belle et qu'il veut m'adorer, Je ferai le métier des idoles antiques, Que souvent il fallait repeindre et redorer ;

Et je veux me soûler de nard, d'encens, de myrrhe, De génuflexions, de viandes et de vins, Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire Usurper en riant les hommages divins !

Et quand je m'ennuierai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma frêle et forte main ; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu'à son coeur se frayer un chemin.

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,

•l'arracherai ce coeur tout rouge de son sein ,

Et, pour rassasier ma bête favorite,

Je le lui jeterai par terre avec dédain ! »

Vers le Ciel, où son oeil voit un trône splendide, Le Poète serein lève ses bras pieux, Et les vastes éclairs de son esprit lucide Lui dérobent l'aspect des peuples furieux :


14 LES'FLEURS DU MAL.

— « Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés, Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prépare les forts aux saintes voluptés !

Je sais que vous gardez une place au Poète Dans les rangs bienheureux des saintes Légions, Et que vous l'invitez à l'éternelle fête Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

Je sais que la douleur est la noblesse unique Où ne mordront jamais la terre et les enfers, Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique Imposer tous les temps et tous les univers.

Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre, Les métaux inconnus, les perles de la mer, Montés par votre main, ne pourraient pas suffire A ce beau diadème éblouissant et clair ;

Car il ne sera fait que de pure lumière,

Puisée au foyer saint des rayons primitifs,

Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,

Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs! »


II

LE SOLEIL

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures Les persiennes, abri des secrètes luxures, Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés Sur Ja ville et les champs, sur les toits et les blés , Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime, Flairant dans tous les coins les hasards de la rime, Trébuchant sur les mots comme sur les pavés, Heurtant parfois des vers depuis long-temps rêvés.


16 LES FLEURS DU MAL

Ce père nourricier, ennemi des chloroses, Éveille dans les champs les vers comme les roses ; Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel, Et remplit les cerveaux et les ruches de miel. C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles Et les rend gais et doux comme des jeunes filles, Et commande aux moissons de croître et de mûrir Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes, 11 ennoblit le sort des choses les plus viles, Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets, Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.


III

ELEVATION

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par-delà le soleil, par-delà les éthers, Par-delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,

El, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde ,

Tu sillonnes gaîment l'immensité profonde

Avec une indicible et mâle volupté.


18 LES FLEURS DU MAL

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ; Va te purifier dans l'air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les sombres chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, — Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes !


IV

CORRESPONDANCES

La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent,

Dans une ténébreuse.et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


20 LES FLEURS DU MAL

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, — Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


V

J'aime le souvenir de ces époques nues,

Dont le soleil se plaît à dorer les statues.

Alors l'homme et la femme en leur agilité

Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,

Et, le ciel amoureux leur caressant l'échiné,

Exerçaient la santé de leur noble machine.

Cybèle alors, fertile en produits généreux,

Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux ,

Mais, louve au coeur gonflé de tendresses communes,

Abreuvait l'univers à ses tétines brunes.

L'homme élégant, robuste et fort, avait le droit

D'être fier des beautés dont il était le roi,

Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures,

Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures!


22 LES FLEURS DU MAL

Le poète aujourd'hui, quand il veut concevoir

Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir

La nudité de l'homme et celle de la femme,

Sent un froid ténébreux envelopper son âme

A l'aspect du tableau plein d'épouvantement

Des monstruosités que voile un vêtement ;

Des visages manques et plus laids que des masques ;

De tous ces pauvres corps, maigres, ventrus ou flasques,

Que le Dieu de l'utile, implacable et serein,

Enfants, emmaillotta dans ses langes d'airain ;

De ces femmes, hélas ! pâles comme des cierges,

Que ronge et que nourrit la honte, et de ces vierges

Du vice maternel traînant l'hérédité

Et toutes les hideurs de la fécondité !

Nous avons, il est vrai, nations corrompues, Aux peuples anciens des beautés inconnues : Des visages rongés par les chancres du coeur, Et comme qui dirait des beautés de langueur ; Mais ces inventions de nos muses tardives N'empêcheront jamais les races maladives De rendre à la jeunesse un hommage profond, — A la sainte jeunesse, à l'air simple, au doux front, A l'oeil limpide et clair ainsi qu'une eau courante, Et qui va répandant sur tout, insouciante Comme l'azur du ciel, les oiseaux et les fleurs, Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs !


VI

LES PHARES

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, — miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;


24 LES FLEURS DU MAL

Rembrandt, — triste hôpital tout rempli de murmures, Et d'un grand crucifix décoré seulement, Où la prière en pleurs s'exhale des ordures, Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, — lieu vague où l'on voit des Hercules Se mêler à des Christs, et se lever tout droits Des fantômes puissants, qui dans les crépuscules Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune, Puget, mélancolique empereur des forçats ;

Watteau, — ce carnaval. où bien des coeurs illustres , Comme des papillons, errent en flamboyant, Décors frais et légers éclairés par des lustres Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, — cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues Pour tenter les Démons ajustant, bien leurs bas ;

Delacroix, — lac de sang hanté des mauvais anges , Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;


LES FLEURS DU MAL

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes ; C'est pour les coeurs mortels un divin opium.

C'est un cri répété par mille sentinelles,

Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;

C'est un phare allumé sur mille citadelles,

Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que ce long hurlement qui roule d'âge en âge, Et vient mourir au bord de votre éternité !


VII

LA MUSE MALADE

Ma pauvre muse, hélas! qu'as-tu donc ce matinV Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdàtre et le rose lutin T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes '/ Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin , T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes''


LES FLEURS DU MAL 2/

.le voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté, Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques.

Comme les sons nombreux des syllabes antiques, Où régnent tour à tour le père des chansons, Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.


VIII

LA MUSE VENALE

0 muse de mon coeur, amante des palais, Auras-tu quand Janvier lâchera ses Borées, Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées, Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées Aux nocturnes rayons qui percent les volets V Sentant ta bourse à sec autant que ton palais. Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?


LES FLEURS DU MAL 29

Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soif, Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir, Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guères,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas

Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,

Pour faire épanouir la rate du vulgaire.


IX

LE MAUVAIS MOINE

Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles Etalaient en tableaux la sainte Vérité, Dont l'effet réchauffant les pieuses entrailles Tempérait la froideur de leur austérité.

En ces temps où du Christ florissaient les semailles, Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité, Prenant pour atelier le champ des funérailles, Glorifiait la Mort avec simplicité.


LES FEURS DU MAL 31

— Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite, Depuis l'éternité je parcours et j'habite ; Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux.

0 moine fainéant ! quand saurai-je donc faire

Du spectacle vivant de ma triste misère

Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux !


X

L'ENNEMI

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,

Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux

Pour rassembler à neuf les terres inondées,

Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.


LES FLEURS DU MAL 33

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?

—0 douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie !


XI

LE GUIGNON

Pour soulever un poids si lourd, Sisyphe, il faudrait ton courage ! Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage, L'Art est long et le Temps est court.

Loin des sépultures célèbres, Vers un cimetière isolé, Mon coeur, comme un tambour voilé, Va battant des marches funèbres.


LES FLEURS DU MAL 35

— Maint joyau dort enseveli

Dans les ténèbres et l'oubli,

Bien loin des pioches et des sondes ;

Mainte fleur épanche à regret Son parfum doux comme un secret Dans les solitudes profondes.


XII

LA VIE ANTERIEURE

J'ai long-temps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d'une façon solennelle et mystique Les tout puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.


LES FLEURS DU MAL 37

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l'azur, des flots et des splendeurs, Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le iront avec des palmes, Et dont l'unique soin était d'approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir.


XIII

BOHEMIENS EN VOYAGE

La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes.


LES FLEURS DU MAL 39

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson ; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures.

Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des ténèbres futures.


XIV

L'HOMME ET LA MER

Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;

Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur

Se distrait quelquefois de sa propre rumeur

Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.


LES FLEURS DU MAL

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ; Homme, nul ne connaît le fond de tes abîmes; 0 mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant, vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, 0 lutteurs éternels, ô frères implacables !


XV

DON JUAN AUX ENFERS

Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine, Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon, Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène, D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes, Des femmes se tordaient sous le noir firmament, Et, comme un grand troupeau de victimes offertes, Derrière lui traînaient un long mugissement.


LES FLEURS DU MAL 43

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages, Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant Montrait à tous les morts errants sur le rivage Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire, Près de l'époux perfide et qui fut son amant, Semblait lui réclamer un suprême sourire Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre Se tenait à la barre et coupait le flot noir; Mais le calme héros courbé sur sa rapière Regardait le sillage et ne daignait rien voir.


XVI

CHATIMENT DE L'ORGUEIL

En ces temps merveilleux où la Théologie

Fleurit avec le plus de sève et d'énergie,

On raconte qu'un jour un docteur des plus grands.

— Après avoir forcé les coeurs indifférents,

Les avoir remués dans leurs profondeurs noires,

Après avoir franchi vers les célestes gloires

Des chemins singuliers à lui-même inconnus,

Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,

—Comme un homme monté trop haut, pris de panique,

S'écria, transporté d'un orgueil satanique :


LES FLEURS DU MAL 44

« Jésus, petit Jésus! je t'ai porté bien haut! Mais si j'avais voulu t'attaquer au défaut De l'armure, ta honte égalerait ta gloire, Et tu ne serais plus qu'un foetus dérisoire ! »

Immédiatement sa raison s'en alla. L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila ; Tout le chaos roula dans cette intelligence, Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence, Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. Le silence et la nuit s'installèrent en lui, Comme dans un caveau dont la clef est perdue. Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue, Et quand il s'en allait sans rien voir, à travers Les champs, sans distinguer les étés des hivers, Sale, inutile et laid comme une chose usée, 11 faisait des enfants la joie et la risée.


XVII

LA BEAUTE

Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre. Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ; Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.


LES FLEURS DU MAL i

Les poètes devant mes grandes attitudes,

Qu'on dirait que j'emprunte aux plus fiers monuments,

Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai pour fasciner ces dociles amants

De purs miroirs qui font les étoiles plus belles :

Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


XVIII

L'IDEAL

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes , Produits avariés , nés d'un siècle vaurien, Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes, Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.

Je laisse à Gavarni, poète des chloroses, Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital ; Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.


LES FLEURS DU MAL 49

Ce qu'il faut à ce coeur profond comme un abîme, C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime, Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans ;

Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange, Qui tors paisiblement dans une pose étrange Tes appas façonnés aux-bouches des Titans!


XIX

LA GEANTE

Du temps que la Nature en sa verve puissante . Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante, Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.

J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandir librement dans ses terribles jeux, Deviner si son coeur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux,


LES FLEURS DU MAL 51

Parcourir à loisir ses magnifiques formes, Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s'étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins, Comme un hameau paisible au pied d'une montagne.


XX

LES BIJOUX

La très-chère était nue, et, connaissant mon coeur, Elle n'avait gardé que, ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur, Ce monde rayonnant de métal et de pierre Me ravit en extase, et j'aime avec fureur Les choses où le son se mêle à la lumière.


LES FLEURS DU MAL 53

Elle était donc couchée, et se laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait d'aise A mon amour profond et doux comme la mer Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté, D'un air vague et rêveur elle essayait des poses, Et la candeur unie à la lubricité Donnait un charme neuf à ses métamorphoses.

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S'avançaient plus câlins que les anges du mal, Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristal, Où calme et solitaire elle s'était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin

Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,

Tant sa taille faisait ressortir son bassin.

Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !

— Et la lampe s'étant résignée à mourir, Comme le foyer seul illuminait la chambre, Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir, Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre !


XXI

PARFUM EXOTIQUE

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux:, Je vois se dérouler des rivages heureux Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone :

Une île paresseuse où la nature donne Des arbres singuliers et des fruits savoureux ; Des hommes dont le corps est mince et vigoureux, Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.


LES FLEURS DU MAL 55

Guidé par ton odeur vers de charmants climats, Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encor .tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,

Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.


XXII

Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,

0 vase de tristesse, ô grande taciturne,

Et t'aime d'autant plus., belle, que tu me fuis,

Et que tu me parais, ornement de mes nuits,

Plus ironiquement accumuler les lieues

Qui séparent mes bras des immensités bleues.

Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts, Comme après un cadavre un choeur de vermisseaux, Et je chéris, ô bête implacable et cruelle, Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle!


XXIII

Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle, Femme impure ! L'ennui rend ton âme cruelle. Pour exercer tes dents à ce jeu singulier, Il te faut chaque jour un coeur au râtelier. Tes yeux .illuminés ainsi que des boutiques Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques Usent insolemment d'un pouvoir emprunté, Sans connaître jamais la loi de leur beauté.

Machine aveugle et sourde en cruautés féconde ! Salutaire instrument buveur du sang du monde, Comment n'as-tu pas honte , et comment n'as-tu pas Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ?

3.


58 LES FLEURS DU MAL

La grandeur de ce mal où tu te crois savante Ne t'a donc jamais fait reculer d'épouvante, Quand la nature, grande en ses desseins cachés, De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés, — De toi, vil animal, — pour pétrir un génie?

O fangeuse grandeur, sublime ignominie !


XXIV

SED NON SATIATA

Bizarre déité, brune comme les nuits, Au parfum mélangé de musc et de havane. OEuvre de quelque obi, le Faust de la savane, 'Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l'opium, au nuits, L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ; Quand vers toi mes désirs partent en caravane, Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.


60 LES FLEURS DU MAL

Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton àme, O démon sans pitié, verse moi moins de flamme ; Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,

Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,

Pour briser ton courage et te mettre aux abois,

Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine !


XXV

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, Même quand elle marche, on croirait qu'elle danse, Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

Comme le sable morne et l'azur des déserts. Insensibles tous deux à l'humaine souffrance, Comme les longs réseaux de la houle des mers, Elle se développe avec indifférence.


62 LES FLEURS DU MAL

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants, Et dans cette nature étrange et symbolique Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,

Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants, Resplendit à jamais, comme un astre mutile, La froide majesté de la femme stérile.


XXVI

LE SERPENT QUI DANSE

Que j'aime voir, chère indolente,

De ton corps si beau, Comme une étoffe vacillante,

Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde

Aux acres parfums, Mer odorante et vagabonde

Aux flots bleus et bruns,


64 LES FLEURS DU MAL

Comme un navire qui s'éveille

Au vent du matin; Mon âme rêveuse appareille

Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle

De doux ni d'amer, Sont deux bijoux froids où se mêle

L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,

Belle d'abandon, On dirait un serpent qui danse

Au bout d'un bâton ,

Sous le fardeau de ta paresse

Ta tête d'enfant Se balance avec la mollesse

D'un jeune éléphant,

Et ton corpâ se penche et s'allonge Comme un fin vaisseau

Qui roule bord sur bord, et plonge Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte Des glaciers grondants,

Quand ta salive exquise monte Au bord de tes dents,


.LES FLEURS DU MAL 65

Je crois boire un vin de Bohème,

Amer et vainqueur, Un ciel liquide qui parsème

D'étoiles mon coeur !


XXVII

UNE CHAROGNE

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d'été si doux : Au détour d'un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé dé cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d'exhalaisons.


LES FLEURS DU MAL 67

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu'ensemble elle avait joint.

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s'épanouir ; — La puanteur était si forte que sur l'herbe

Vous crûtes vous évanouir ; —

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D'où sortaient de noirs bataillons De larves qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,

Où s'élançait en pétillant ; On eut dit que le corps, enflé d'un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique

Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique "

Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,

Une ébauche lente à venir, Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève

Seulement par le souvenir.


68 LES FLEURS DU MAL

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d'un oeil fâché, Épiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu'elle avait lâché.

— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

A cette horrible infection, Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion !

Oui, telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements, Quand vous irez sous l'herbe et les floraisons grasses

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté, dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers Que j'ai gardé la forme et l'essence divine

De mes amours décomposés !


XXVIII

DE PROFUNDIS CLAMAVI

J'implore ta pitié, Toi, l'unique que j'aime, Du fond du gouffre obscur où mon coeur est tombé. C'est un univers morne à l'horizon plombé, ' Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème ;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois, Et les six autres mois la nuit couvre la terre ; C'est un pays plus nu que la terre polaire ; —Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !


70 LES FLEURS DU MAL

Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse

La froide cruauté de ce soleil de glace,

Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;

Je jalouse le sort des plus vils animaux

Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,

Tant l'écheveau du temps lentement se dévide !


XXIX

LE VAMPIRE

Toi qui, comme un coup de couteau, Dans mon coeur plaintif es entrée, Toi qui, comme un hideux troupeau De démons, vins, folle et parée,

De mon esprit humilié Faire ton lit et ton domaine, — Infâme à qui je suis lié Comme le forçat à la chaîne,


72 LES FLEURS DU MAL

Comme au jeu le joueur têtu, Comme à la bouteille l'ivrogne, Comme aux vermines la charogne, — Maudite, maudite sois-tu !

J'ai prié le glaive rapide De conquérir ma liberté, Et j'ai dit au poison perfide De secourir ma lâcheté.

Hélas ! le poison et le glaive M'ont pris en dédain et m'ont dit : « Tu n'es pas digne qu'on t'enlève A ton esclavage maudit,

Imbécile ! — de son empire Si nos efforts te délivraient, Tes baisers ressusciteraient Le cadavre de ton vampire ! »


XXX

LE LÉTHE

Viens sur mon coeur, âme cruelle et sourde, Tigre adoré, monstre aux airs indolents ; Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants Dans l'épaisseur de ta crinière lourde ;

Dans tes jupons remplis de ton parfum Ensevelir ma tête endolorie, Et respirer, comme une fleur flétrie, Le doux relent de mon amour défunt.


74 LES FLEURS DU MAL

Je veux dormir! dormir plutôt que vivre ! Dans un sommeil, douteux comme la mort. J'étalerai mes baisers sans remord Sur ton beau corps poli comme le cuivre.

• Pour engloutir mes sanglots apaisés Rien ne me vaut l'abîme de ta couche ;• L'oubli puissant habite sur ta bouche, Et le Léthé coule dans tes baisers.

A mon destin, désormais mon délice, J'obéirai comme un prédestiné ; Martyr docile, innocent condamné, Dont la ferveur attise le supplice,

Je sucerai, pour noyer ma rancoeur, Le népenthès et la bonne ciguë Aux bouts charmants de cette gorge aiguë Qui n'a jamais emprisonné de coeur.


XXXI

Une nuit que j'étais près d'une affreuse juive, Comme au long d'un cadavre un cadavre étendu, Je me pris à songer près de ce corps vendu A la triste beauté dont mon désir se prive.

Je me représentai sa majesté native, Son regard de vigueur et de grâces armé, Ses cheveux qui lui font un casque parfumé, Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.


76 - LES FLEURS DU MAL

Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps, Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses Déroulé le trésor des profondes caresses,

Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles, Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.


XXXII

REMORDS POSTHUME

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse, Au fond d'un monument construit en marbre noir, Et lorsque lu n'auras pour alcôve et manoir Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ;

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir, Empêchera ton coeur de battre et de vouloir, Et tes pieds de courir leur course aventureuse,


78 LES FLEURS DU MAL

Le tombeau, confident de mon rêve infini,

— Car le tombeau toujours comprendra le poète, — Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,

Te dira : « Que vous sert, courtisane imparfaite, De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts? »

— Et le ver rongera ta peau comme un remords.


XXXIII

LE CHAT

Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux;

. Retiens les griffes de ta patte, Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux Mêlés de métal et d'agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir

Ta tête et ton dos élastique, Et que ma main s'enivre du plaisir

De palper ton corps électrique,


80 LES FLEURS DU MAL

Je vois ma femme en esprit; son regard,

Comme le tien, aimable bête, Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et des pieds jusques à la tête, ■ Un air subtil, un dangereux parfum Nagent autour de son corps brun.


XXXIV

LE BALCON

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,

O toi, tous mes plaisirs, ô toi, tous mes devoirs ! —

Tu te rappelleras la beauté des caresses,

La douceur du foyer et le charme des soirs,

Mère des souvenirs, maîtresse de6 maîtresses 1

Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,

Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses ;

Que ton sein m'était doux ! que ton coeur m'était bon !

Nous avons dit souvent d'impérissables choses

Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.

4.


82 LES FLEURS DU MAL

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! ■■Que l'espace est profond ! que le coeur est puissant ! En me penchant vers toi, reine des adorées, Je croyais respirer le parfum de ton sang. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison, "

Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,

Et je buvais ton souffle, ô douceur, ô poison !

Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles ;

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,

Et revis mon passé blotti dans tes genoux.

Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses

Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux?

Je. sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis, Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes, Comme montent au ciel les soleils rajeunis Après s'être lavés au fond des mers profondes ? — O.serments ! ô parfums! ô baisers infinis!


XXXV

Je te donne ces vers afin que, si mon nom Aborde heureusement aux époques lointaines, Et, navire poussé par un grand aquilon, Fait travailler un soir les cervelles humaines,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines, Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon, Et par un fraternel et mystique chaînon Reste comme pendue à mes rimes hautaines ;


84 LES FLEURS DU MAL

Être maudit à qui de l'abîme profond,

Jusqu'au plus haut du ciel rien, hors moi, ne répond ;

O toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d'un pied léger et d'un regard serein Les stupides mortels qui t'ont jugée amère, Statue aux yeux de jais, grand ange au front, d'airain !


XXXVI

TOUT ENTIERE

Le Démon, dans ma chambre haute, Ce matin est venu me voir, Et, tâchant de me prendre en faute, M'a dit : « Je voudrais bien savoir,

Parmi toutes les belles choses Dont est fait son enchantement, Parmi les objets noirs ou roses Qui composent son corps charmant,


86 LES FLEURS DU MAL

Quel est le plus doux. » — O mon âme, Tu répondis à l'Abhorré : Puisqu'en Elle tout est dictame, Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j'ignore Si quelque chose me séduit. Elle éblouit comme l'Aurore Et console comme la Nuit ;

Et l'harmonie est trop exquise, Qui gouverne tout son beau corps, Pour que l'impuissante analyse En note les nombreux accords.

O métamorphose mystique De tous mes sens fondus en un ! Son haleine fait la musique, Comme sa voix fait le parfum.


XXXVII

Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire, Que diras-tu, mon-coeur, coeur autrefois flétri, A la très-belle, à la très-bonne, à la très-chère, Dont'le regard divin t'a soudain refleuri?

— Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges : Rien ne vaut la douceur de son autorité ; Sa chair spirituelle a le parfum des Anges, Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté.


88 LES FLEURS DU MAL

Que ce soit dans la nuit et dans la solitude, Que ce soit dans la rue et dans la multitude, Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau

Parfois il parle et dit : « Je suis belle , et j'ordonne Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau. Je suis l'Ange Gardien, la Muse et la Madone. »


xxxvrn

LE FLAMBEAU VIVANT

Ils marchent devant moi, ces yeux pleins de .lumières, Qu'un Ange très-savant a sans doute aimantés ; Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères, Suspendant mon regard à leurs feux diamantés.

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave. Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ; Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ; Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.


90 LES FLEURS DU MAL

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique Qu'ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique;

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil ; Vous marchez en chantant le réveil de mon âme, Astres dont le soleil ne peut flétrir la flamme !


XXXIX

A CELLE QUI EST TROP GAIE

Ta tête, ton geste, ton air

Sont beaux comme un beau paysage ;

Le rire joue en ton visage

Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles Est ébloui par la santé Qui jaillit comme une clarté De tes bras et de tes épaules.


92 LES FLEURS DU MAL

Les retentissantes couleurs Dont tu parsèmes tes toilettes Jettent dans l'esprit des poètes L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème

De ton esprit bariolé ;

Folle dont je suis affolé,

Je te hais autant que je t'aime !

Quelquefois dans un beau jardin, Où je traînais mon atonie, J'ai senti comme une ironie Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure Ont tant humilié mon coeur Que j'ai puni sur une fleur L'insolence de la nature.

Ainsi, je voudrais, une nuit, Quand l'heure des voluptés sonne, Vers les trésors de ta personne Comme un lâche ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonné, Et faire à ton flanc étonné Une blessure large et creuse,


LES FLEURS DU MAL 93

Et, vertigineuse douceur ! A travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles, T'infuser mon venin, ma soeur !


XL

REVERSIBILITE

Ange plein de gaîté, connaissez-vous l'angoisse,

La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,

Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits

Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse?

Ange plein de gaîté, connaissez-vous l'angoisse?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,

Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,

Quand la Vengeance bat son infernal rappel,

Et de nos facultés se fait le capitaine ?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?


LES FLEURS DU MAL

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard, Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,

Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment

1)e lire la secrète horreur du dévouement

Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?

Angeplein de beauté, connaissez-vous les rides?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,

David mourant aurait demandé la santé

Aux émanations de ton corps enchanté !

— Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !


XL1

CONFESSION

Une fois, une seule, aimable et douce femme,

A mon bras votre bras poli S'appuya ; — sur le fond ténébreux de mon âme

Ce souvenir n'est point pâli.

Il était tard ; ainsi qu'une médaille neuve

La pleine lune s'étalait, Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,

Sur Paris dormant ruisselait.


LES FLEURS DU MAL 97

Et le long des maisons, sous les portes cochères,

Des chats passaient furtivement, L'oreille au guet, — ou bien, comme des ombres chères,

Nous accompagnaient lentement.

Tout-à-coup, au milieu de l'intimité libre

Éclose à la pâle clarté, De vous, — riche et sonore instrument où ne vibre

Que la radieuse gaîté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare

Dans le matin étincelant, — Une note plaintive, une note bizarre

S'échappa, — tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,

Dont sa famille rougirait, Et qu'elle aurait long-temps, pour la cacher au monde,

Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde,

« Que rien ici-bas n'est certain, Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde,

Se trahit l'égoïsme humain ;

Que c'est un dur métier que d'être belle femme,

— Qu'il ressemble au travail banal De la danseuse folle et froide qui se pâme

Dans un sourire machinal ;


98 LES FLEURS DU MAL

Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte, — Que tout craque, amour et beauté,

Jusqu'à ce que l'Oubli les jette dans sa hotte Pour les rendre à l'Éternité ! »

J'ai souvent évoqué cette lune enchantée, Ce silence et celte langueur,

Et cette confidence horrible chuchotée Au confessionnal du coeur.


XLII

L'AUBE SPIRITUELLE

Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeille Entre en société de l'Idéal rongeur, Par l'opération d'un mystère vengeur Dans la brute assoupie un ange se réveille ;

— Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur, Pour l'homme terrassé qui rêve encore et souffre, S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre. Ainsi, chère Déesse, Être lucide et pur,


100 LES FLEURS DU MAL

Sur les débris fumeux des stupides orgies,

Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,

A mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci les flammes des bougies ;

— Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,

Ame resplendissante, à l'immortel soleil !


XLIII

HARMONIE DU SOIR

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;

Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir,

— Valse mélancolique et langoureux vertige ! —

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ; Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ;

— Valse mélancolique et langoureux vertige ! —

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.


102 LES FLEURS DU MAL

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige, Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !

— Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un coeur tendre qui hait le néant vaste et noir Du passé lumineux recueille tout vestige ;

— Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige ; Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !


XLIV

LE FLACON

Il est de forts parfums pour qui toute matière Est poreuse ; — on dirait qu'ils pénètrent le verre. Quelquefois en ouvrant un coffre d'Orient Dont la serrure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire, Sentant l'odeur d'un siècle, arachnéenne et noire, On trouve un vieux flacon jauni qui se souvient, D'où jaillit toute vive une âme qui revient.


104 LES FLEURS DU MAL

Mille pensers dormaient, — chrysalides funèbres, Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres, — Qui dégagent leur aile et prennent leur essor, Teintés d'azur, — glacés de rose, — lamés d'or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige

Dans l'air troublé ; — les yeux se ferment ; le vertige

Saisit l'âme vaincue et la pousse à deux mains

Vers un gouffre où l'air est plein de parfums humains.

11 la terrasse au bord d'un gouffre séculaire, Où, — Lazare odorant déchirant son suaire, — Se meut dans son réveil le cadavre spectral D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire Des hommes, — dans le coin d'une sinistre armoire Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé, Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence ! Le témoin de ta force et de ta virulence, Cher poison préparé par les anges ! liqueur Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon coeur !


XLV

LE POISON

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

D'un luxe miraculeux, Et fait surgir plus d'un portique fabuleux

Dans l'or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,

Projette l'illimité, Approfondit le temps, creuse la volupté,

Et de plaisirs noirs et mornes Remplit l'âme au-delà de sa capacité.


106 LES FLEURS DU MAL

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts,

Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers ; — Mes songes viennent en foule

Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

De ta salive qui mord, Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,

Et, charriant le vertige, La roule défaillante aux rives de la mort !


XLVI

CIEL BROUILLE

On dirait ton regard d'une vapeur couvert ; Ton oeil mystérieux, — est-il bleu, gris ou vert ? - Alternativement tendre, doux et cruel, Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.

Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés, Qui font se fondre en pleurs les coeurs ensorcelés, Quand, agités d'un mal inconnu qui les tord, Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.


108 LES FEURS DU MAL

Tu ressembles parfois à ces beaux horizons Qu'allument les soleils des brumeuses saisons ; — Comme tu resplendis, paysage mouillé Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé !

O femme dangereuse ! ô séduisants climats ! Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas, Et saurai-je tirer de l'implacable hiver Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer?


XLVII

LE CHAT

Dans ma cervelle se promène, Ainsi qu'en son appartement, Un beau chat, fort, doux et charmant ; Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ; Mais que sa.voix s'apaise ou gronde, Elle est toujours suave et profonde. C'est là son charme et son secret.


110 LES FLEURS DU MAL

Cette voix, qui perle et qui filtre Dans mon fonds le plus ténébreux, Me remplit comme un vers nombreux Et me pénètre comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux Et contient toutes les extases ; Pour dire les plus longues phrases,. Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde Sur mon coeur, parfait instrument, Et fasse plus royalement Chanter sa plus vibrante corde

Que ta voix, chat mystérieux, Chat séraphique, chat étrange, En qui tout est, comme en un ange, Aussi subtil qu'harmonieux.

— De sa fourrure blonde et brune Sort au parfum si doux qu'un soir J'en fus embaumé, pour l'avoir Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ; Il juge, il préside, il inspire Toutes choses dans son empire ; Peut-être est-il fée, est-il dieu?


LES FLEURS DU MAL 111

Quand mes yeux vers ce chat que j'aime,

Tirés comme par un aimant,

Se retournent docilement,

Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnemenl Le feu de ses prunelles pâles, Clairs fanaux, vivantes opales, Qui me contemplent fixement.


XLVIII

LE BEAU NAVIRE

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse, Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;

Je veux te peindre ta beauté, Où l'enfance s'allie à la maturité.

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,

Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,

Chargé de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.


LES FLEURS DU MAL 1 13

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tète se pavane avec d'étranges grâces ;

D'un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. -

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse, Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;

Je veux te peindre ta beauté Où l'enfance s'allie à la maturité.

Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire, Ta gorge triomphante est une belle armoire

Dont les panneaux bombés et clairs Comme les boucliers accrochent des éclairs;

Boucliers provoquants, armés de pointes roses ! Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses.

De vins, de parfums, de liqueurs Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs !

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,

Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,

Chargé de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Tes nobles jambes sous les volants qu'elles chassent Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,

Comme deux sorcières qui font Tourner un philtre noir dans un vase profond.


114 LES FLEURS DU MAL

Tes bras qui se joueraient des précoces hercules Sont des boas luisants les solides émules,

Faits pour serrer obstinément, Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ;

D'un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.


XLIX

L'INVITATION AU VOYAGE

Mon enfant, ma soeur,

Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ;

— Aimer à loisir,

Aimer et mourir Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.


il 6 LES FLEURS DU MAL

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,

Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ;

Les plus rares fleurs

Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre,

J^s riches plafonds,

Les miroirs profonds, La splendeur orientale,

Tout y parlerait

A l'âme en secret Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde;

C'est pour assouvir

Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde.

— Les soleils couchants

"Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière,

D'hvacinthe et d'or ;


LES FLEURS DU MAL '11'

— Le monde s'endort Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.


L

L'IRRÉPARABLE

Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,

Qui vit, s'agite et se tortille, Et se nourrit de nous comme le ver des morts,

Comme du chêne la chenille? Pouvons-nous étouffer l'implacable Remords'/

Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane

Noierons-nous ce vieil ennemi, Destructeur et gourmand comme la courtisane,

Patient comme la fourmi? Dans quel philtre? — dans quel vin?—dans quelle tisane?


LES FLEURS DU MAL M 9

Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais,

A cet esprit comblé d'angoisse Et pareil au mourant qu'écrasent les blessés,

Que le sabot du cheval froisse,

— Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais,

A cet agonisant que déjà le loup flaire Et que surveille le corbeau,

— A ce soldat brisé, — s'il faut qu'il désespère

D'avoir sa croix et son tombeau ; Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire!

Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

Peut-on déchirer des ténèbres Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,

Sans astres, sans éclairs funèbres? Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?

L'Espérance qui brille aux carreaux de l'Auberge

Est soufflée, est morte à jamais ! Sans lune et sans rayons trouver où l'on héberge

Les martyrs d'un chemin mauvais !

— Le Diable a tout éteint aux carreaux de l'Auberge.

Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

Dis, connais-tu l'irrémissible? Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,

A qui notre coeur sert de cible ? Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?


120 LES FLEURS DU MAL

L'Irréparable ronge avec sa dent maudite Notre âme, — honteux monument, —

Et souvent il attaque, ainsi que le termite, Par la base le bâtiment.

L'Irréparable ronge avec sa dent maudite !

— J'ai vu parfois, au fond d'un théâtre banal

Qu'enflammait l'orchestre sonore, Une fée allumer dans un ciel infernal

Une miraculeuse aurore ; J'ai vu parfois, au fond d'un théâtre banal,

Un être qui n'était que lumière, or et gaze,

Terrasser l'énorme Satan ; Mais mon coeur que jamais ne visite l'extase

Est un théâtre où l'on attend Toujours, ■— toujours en vain,— l'Être aux ailes de gaze!


LI

CAUSERIE

Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose ! Mais la tristesse en moi monte comme la mer, El laisse, en refluant, sur ma lèvre morose Le souvenir cuisant de son limon amer.

— Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;

Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccagé .

Par la griffe et la dent féroce de la femme. —

Ne cherchez plus mon coeur ; des monstres l'ont mangé.


422 LES FLEURS DU MAL

Mon coeur est un palais flétri par la cohue ;

On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux

— Un parfum nage autour de votre gorge nue ! —

O Beauté,.dur fléau des âmes! tu le veux! Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes, Calcine ces lambeaux qu'ont épargnés les bêtes !


LU

L'HEAUTONTIMOROUMENOS

Je te frapperai sans colère

Et sans haine, — comme un boucher !

Comme Moïse le rocher,

— Et je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon Saharah, Jaillir les eaux de la souffrance ; Mon désir gonflé d'espérance Sur tes pleurs salés nagera


124 LES FLEURS DU MAL

Comme un vaisseau qui prend le large, Et dans mon coeur qu'ils soûleront Tes chers sanglots retentiront Comme un tambour qui bat la charge !

Ne suis-je pas un faux accord Dans la divine symphonie, Grâce à la vorace Ironie Qui me secoue et qui me mord?

Elle est dans ma voix, la criarde ! C'est tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau !

Je suis de mon coeur le vampire, — Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire ! .


LUI

FRANCISCO MEiE LAUDES

YKUS COMPOSA POUR UNE MODISTE ÉMJDITE ET DÉVOTE.

Ni-semble-t-it pas au lecteur, comme à moi, que la langue de la dernière déi:udcuue lalinc, -— suprême soupir d'une personne robuste déjà transformée et préparée pour la vie spirituelle, — est singulièrement propre à exprimer la passion telle que l'a comprise et sentie le monde poétique moderne ? La mysticité est l'autre pôle de cet aimant dont Catulle et sa bande, poètes brutaux et purement épidermiques, n'ont fourni que le pôle sensualité. Dans cette merveilleuse langue, le solécisme et le barbarisme me paraissent rendre les négligences forcées d'une passion qui s'oublie et se moque des règles. Les mots, pris dons une acception nouvelle, révèlent la maladresse ïliannante du barbare du nord agenouillé devant la beauté romaine. Le ealembour lui-même, quand il traverse ces pédàntesques bégaiements, ne joue-t-il pas la grâce sauvage et baroque de l'enfance V

Novis te canlabo chordis., O novelletum quod ludis In solitudine cordis.


126 LES FLEURS DU MAL

Esto sertis implicata,

O femina delicata,

Per quam solvuntur peccata !

Sicut beneficum Lethe, Hauriam oscula de te, Quae imbuta es magnete.

Quum vitiorum tempestas Turbabat omnes semitas, Apparuisli, Deitas,

Velut Stella salutaris In naufragiis amaris. — Suspendam cor tuis aris !

Piscina plena virtutis, Fons oeternse juventutis, Labris vocem redde mutis '.

Quod erat spurcum, cremasti; Quod rudius, exeequasti ; Quod débile, confirmasti.

In famé mea taberna, In nocte mea lucerna, Recte me semper guberna.


LES FLEURS DU MAL 427

Adde nunc vires viribus, Dulce balneum suavibus Unguentatum odoribus !

Meos circa lumbos mica, 0 castitatis lorica, Aqua tincta seraphica ;.

Patera gemmis corusca, Panis salsus, mollis esca, Divinum vinum, Francisca !


LIT

A UNE DAME CREOLE

Au pays parfumé que la soleil caresse, J'ai connu sous un dais d'arbres verts et dorés Et de palmiers, d'où pleut sur les yeux la paresse, Une dame créole aux charmes ignorés.

Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse A dans le cou des airs noblement maniérés ; Grande et svelte en marchant comme une chasseresse, Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.


LES FLEURS DU MAL 129

Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire, Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire, Belle digne d'orner les antiques manoirs,

Vous feriez, à l'abri des ombreuses retraites, Germer mille sonnets dans le coeur des poètes Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.


LV

MOESTA ET ERRABUNDA

Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe, Loin du noir océan de l'immonde cité, Vers un autre océan où la splendeur éclate, Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe?

La mer, la vaste mer console nos labeurs !

— Quel démon a doté la mer,— rauque chanteuse

Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,

De cette fonction sublime de berceuse?

La mer, la vaste mer console nos labeurs!


LES FLEURS DU MAL 131

Emporte-moi, wagon! enlève-moi, frégate!

Loin ! — loin 1 — ici la boue est faite de nos pleurs !

— Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?

Comme vous êtes loin, paradis parfumé, Où sous un clair azur, tout n'est qu'amour et joie, Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé, Où dans la volupté pure le coeur se noie ! Comme vous êtes loin, paradis parfumé !

Mais le vert paradis des amours enfantines,

Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,

Les violons mourant derrière les collines,

Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,

— Mais le vert paradis des amours enfantines,

L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs, Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine? —Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs Et l'animer encore d'une voix argentine, L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?


LVI

LES CHATS

Los amoureux fervents et les savants austères Aiment également dans leur mûre saison Les chats puissants et doux, orgueil de la maison, Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté, Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres ; L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres, S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.


LES FLEURS DU MAL 133

Ils prennent en songeant les nobles attitudes

lies grands sphinx allongés au fond des solitudes,

Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques , Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin, liloilent vaguement leurs prunelles mystiques.


LVII

LES HIBOUX

Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur oeil rouge. Ils méditent.

Sans remuer ils se tiendront Jusqu'à l'heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique, Les ténèbres s'établiront.


LES FLEURS DU MAL 135

Leur attitude au sage enseigne Qu'il faut en ce monde qu'il craigne Le tumulte et le mouvement;

L'homme ivre d'une ombre qui passe Porte toujours le châtiment D'avoir voulu changer de place.


LVIII

LA CLOCHE FELEE

11 est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, D'écouler près du feu qui palpite et qui fume Les souvenirs lointains lentement s'élever Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante, Jette fidèlement son cri religieux, Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la lente !


LES FLEURS DU MAL 137

loi, mon àme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis îlle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits, I arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie

Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,

Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.


LIX

SPLEEN

Pluviôse irrité contre la ville entière

De son urne à grand flots verse un froid ténébreux

Aux pâles habitants du voisin cimetière

Et la mortalité sur les faubourgs brumeux.

Mon cliat sur le carreau cherchant une litière Agite sans repos son corps maigre et galeux ; L'ombre d'un vieux poète erre dans la gouttière Avec la triste voix d'un fantôme frileux.


LES FLEURS DU MAL 139

Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée Accompagne en fausset la pendule enrhumée, Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,

Héritage fatal d'une vieille hydropique, Le beau valet de coeur et la dame de pique Causent sinistrement de leurs amours défunts.


LX

SPLEEN

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,

Do vers, de billets doux, de procès, de romances,

Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,

Cache moins de secrets que mon triste cerveau.

C'est une pyramide, un immense caveau,

Qui contient plus de morts que la fosse commune.

— Je suis un cimetière abhorré de la lune,


LES FLEURS DU MAL 141

Où comme des remords se traînent de longs vers

Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.

Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,

Où gît tout un fouillis de modes surannées,

Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher

Hument le vieux parfum d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'ennui, fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l'immortalité. - Désormais tu n'es plus, ô matière vivante, Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux, -Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.


LXI

SPLEEN

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux ,

Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très-vieux,

Qui de ses précepteurs méprisant les courbettes,

S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.

Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,

Ni son peuple mourant en face du balcon.

Du bouffon favori la grotesque ballade

Ne distrait plusle front de ce cruel malade ;

Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,

Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,


LES FLEURS DU MAL 143

Ne savent plus trouver d'impudique toilette

Pour tirer un souris de ce jeune squelette.

Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu

De son être extirper l'élément corrompu,

Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,

Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,

li n'a pas réchauffé ce cadavre hébété

Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.


LXÏI

SPLEEN

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant, en proie aux longs ennuis. Et ipie de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous fait un journoir plus triste que les nuits :

Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide, Et secognantla tète à des plafonds pourris ;


LES FLEURS DU MAL 145

Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'horribles araignées Vient tendre ses filets au (ond de nos cerveaux,

Des cloches tout-à-coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et d'anciens corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; et, l'Espoir Pleurant comme un vaincu, l'Angoisse despotique Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.


LXIIT

BRUMES ET PLUIES

0 fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue, Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau D'un linceul vaporeux et d'un brumeux tombeau.

Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue, Où par les longues nuits la girouette s'enroue, Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau Ouvrira largement ses ailes de corbeau.


LES FLEURS DU MAL 147

Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funèbres, Et sur qui dès long-temps descendent les frimas, 0 blafardes saisons, reines de nos climats !

Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres, — Si ce n'est par un soir sans lune, deux à deux, D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.


LXIV

L'IRREMEDIABLE

Une Idée, une Forme, un Être Parti de l'azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul oeil du Ciel ne pénètre ;

Un Ange, imprudent voyageur Qu'a tenté l'amour du difforme, Au fond d'un cauchemar énorme Se débattant comme un nageur,


LES FLEURS DU MAL 149

Et luttant, angoisses funèbres ! Contre un gigantesque remous Qui va chantant comme les fous Et pirouettant dans les ténèbres ;

Un malheureux ensorcelé Dans ses tâtonnements futiles, Pour fuir d'un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumière et la clé ;

Un damné descendant sans lampe, Au bord d'un gouffre dont l'odeur Trahit l'humide profondeur, D'éternels escaliers sans rampe,

Où veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visibles qu'eux ;

Un navire pris dans le pôle, Comme en un piège de cristal, Cherchant par quel détroit fatal Il est tombé dans cette geôle ;

— Emblèmes nets, tableau parfait D'une fortune irrémédiable, Qui donne à penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu'il fait !


150 LES FLEURS DU MAL

Tête-à-tête sombre et limpide Qu'un coeur devenu son miroir ! Puits de Vérité, clair ei noir, Où tremble une étoile livide,

Un phare ironique, infernal, Flambeau des grâces sataniques. Soulagement et gloire uniques, —; La conscience dans le Mal !


LXV

A UNE MENDIANTE ROUSSE

Ma Manchette aux cheveux roux, Dont la robe par ses trous Laisse voir la pauvreté Et la beauté,

Pour moi, poète chétif, Ton jeune corps maladif Plein de taches de rousseur A sa douceur ;


LES FLEURS DU MAL

Tu portes plus galamment Qu'une pipeuse d'amant Ses brodequins de velours Tes sabots lourds.

Au lieu d'un haillon trop court, Qu'un superbe habit de cour Traîné à plis bruyants et longs Sur tes talons ;

En place de bas troués, Que pour les yeux des roués Sur ta jambe un poignard d'or Reluise ericor ;

Que des noeuds maj attachés Dévoilent pour nos péchés Ton sein plus blanc que du lait Tout nouveiet ;

Que pour te déshabiller Tes bras se fassent prier Et chassent à coups mutins Les doigts lutins;

— Perles de la plus belle eau, Sonnets de maître Belleau Par tes galants mis aux fers Sans cesse offerts,


LES FLEURS DU MAL ' 153

Valetaille de rimeurs Te dédiant leurs primeurs Et reluquant ton soulier Sous l'escalier,

Maint page ami du hasard, Maint seigneur et maint Ronsard Épieraient pour le déduit Ton frais réduit.

Tu compterais dans tes lits Plus de" baisers que de lis, Et rangerais sous tes lois Plus d'un Valois !

— Cependant tu vas gueusant Quelque vieux débris gisant Au seuil de quelque Véfour De carrefour ;

Tu vas lorgnant en dessous Des bijoux de vingt-neuf sous Dont je ne puis, oh ! pardon! Te faire don ;

Va donc, sans autre ornement, Parfum, perles, diamant, Que ta maigre nudité, O ma Beauté !


LXVI

LE JEU

Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles, —Fronts poudrés, sourcils peints sur des regards d'acier,' Qui s'en vont brimbalant à leurs maigres oreilles Un cruel et blessant tic-tac de balancier ;

Autour des verts tapis des visages sans lèvre, Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent, Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre, Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;


LES FLEURS DU MAL 155

Sous de sales plafonds un rang"de pâles lustres Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs Sur des fronts ténébreux de poètes illustres Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs :

— Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant ; Moi-même, dans un coin de l'antre taciturne, .le me vis accoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens la passion tenace, De ces vieilles putains la funèbre gaîté, Et tous gaillardement trafiquant à ma face, L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beauté !

Et mon coeur s'effraya d'envier le pauvre homme Qui court avec ferveur à l'abîme béant, Et, soûlé de son sang, préférerait en somme La douleur à la mort et l'enfer au néant !


LXVIT

LE CREPUSCULE DU SOIR

Voici le soir charmant, ami du criminel ;

tl vient comme un complice, à pas de loup ; — le ciel

Se ferme lentement comme une grande alcôve,

Et l'homme impatient se change en bête fauve.

O soir, aimable soir, désiré par celui Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd'hui ■ Nous avons travaillé I — C'est le soir qui soulage Les esprits que dévore une douleur sauvage, Le savant obstiné dont le front s'alourdit, .*

Et .l'ouvrier- courbé qui regagne son lit.


LES FLEURS DU MAL 157

Cependant des démons malsains dans l'atmosphère S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire, Et cognent en volant les volets et l'auvent. A travers les lueurs que tourmente le vent La Prostitution s'allume dans les rues ; Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ; Partout elle se fraye un occulte chemin, Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main ; Elle remue au sein de la cité de fange Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange. On entend çà et là les cuisines siffler, , Les théâtres glapir, les orchestres ronfler; Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices, S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices, Et les voleurs , qui n'ont ni trêve ni merci, Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi, Et forcer doucement les portes et les caisses Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment, Et ferme ton oreille à ce rugissement. C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent! La sombre Nuit les prend à la gorge ; — ils finissent Leur destinée et vont vers le gouffre commun ; L'hôpital se remplit de leurs soupirs. — Plus d'un Ne viendra plus chercher la soupe parfumée, Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu La douceur du foyer et n'ont jamais vécu !


LXVIII

LE CREPUSCULE DU MATIN

La diane chantait dans les cours des casernes, fit le vent du matin soufflait sur les lanternes.

C'était l'heure où l'essaim des rêves malfaisants Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ; Où, comme un oeil sanglant qui palpite et qui bouge, La lampe sur le jour fait une tache rouge ; Où l'âme, sous le poids du corps revêche et lourd, Imite les combats de la lampe et du jour.


LES FLEURS DU MAL 159

Comme un visage en pleurs que les brises essuient, L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient, Et l'homme est las d'écrire et la femme d'aimer.

Les maisons çà et là commençaient à fumer. Les femmes de plaisir, la paupière livide, Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ; Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids, Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts. C'était l'heure où parmi le froid et la lésine S'aggravent les douleurs des femmes en gésine ; Comme un sanglot coupé par un sang écumeux Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux, Une mer de brouillards baignait les édifices, Et les agonisants dans le fond des hospices Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux. Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

L'aurore grelottante en robe rose et verte S'avançait lentement sur la Seine déserte, Et le sombre Paris, en se frottant les yeux, Empoignait ses outils, — vieillard laborieux !


LXIX

La servante au grand coeur dont vous-étiez jalouse — Dort-elle son sommeil sous une humble pelouse? — Nous aurions déjà dû lui porter quelques fleurs. Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs, Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres, Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres, Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats, A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps. Tandis que, dévorés de noires songeries, Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,


LES FLEURS DU MAL 161

Vieux squelettes gelés travaillés par le ver, Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver, Et l'éternité fuir sans qu'amis ni famille Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

Lorsque la bûche siffle et chante,, si le soir, Calme, dans le fauteuil elle venait s'asseoir, Si par une nuit bleue et froide de décembre, Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre, Grave, et venant du fond de son lit éternel Couver l'enfant grandi de son oeil maternel, Que pourais-je répondre à cette âme pieuse Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?


LXX

Je n'ai pas oublié, voisine de la ville,

Notre blanche maison, petite mais tranquille,

Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus

Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus ;

— Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,

Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,


LES FLEURS DU MAL 163

Semblait, grand oeil ouvert dans le ciel curieux, Contempler nos dîners longs et silencieux, Et versait largement ses beaux reflets de cierge Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.


LXXI

LE TONNEAU DE LA HAINE

La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes ;

La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts

A beau précipiter dans ses ténèbres vides

De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,

Le Démon fait des trous secrets à ces abimes, Par où fuiraient mille ans de sueurs et d'efforts, Quand même elle saurait allonger ses victimes, Et pour les resaigner galvaniser leurs corps.


LES FLEURS DU MAL 165

La Haine est un ivrogne au fond d'une taverne, Qui sent toujours la soif naître de la liqueur Et se multiplier comme l'hydre de. Lerne.

— Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur, Et la Haine est vouée à ce sort lamentable De ne pouvoir jamais s'endormir sous la table.


LXXI1

LE REVENANT

Comme les anges à l'oeil fauve, Je reviendrai dans ton alcôve Et vers toi glisserai sans bruit Avec les ombres de la nuit ;

Et je te donnerai, ma brune, Des baisers froids comme la lune Et des caresses de serpent Autour d'une fosse rampant.


LES FLEURS DU MAL 167

Quand viendra le matin livide , Tu trouveras ma place vide, Où jusqu'au soir il fera froid.

Comme d'autres par la tendresse, Sur ta vie et sur ta jeunesse, Moi, je veux régner par l'effroi.


Lxxin

LE MORT JOYEUX

Dans une terre grasse et pleine d'escargots

Je veux creuser moi-même une fosse profonde,

Où je puisse à loisir étaler mes vieux os

Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde.

.le hais les testaments et je hais les tombeaux ; Plutôt que d'implorer une larme du monde, Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.


LES FLEURS DU MAL 169

—0 vers! noirs compagnons sans oreille et sans yeux, Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ; Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

A travers ma ruine allez donc sans remords,

Et dites-moi s'il est encor quelque torture

Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts?


LXXIV

SEPULTURE

Si par une nuit lourde et sombre Un bon chrétien, par charité, Derrière quelque vieux décombre Enterre votre corps vanté,

A l'heure où les chastes étoiles Ferment leurs yeux appesantis, L'araignée y fera ses toiles, Et la vipère ses petits ;


LES FLEURS DU MAL 171

Vous entendrez toute l'année Sur votre tête condamnée Les cris lamentables des loups

Et des sorcières faméliques, Les ébats des vieillards lubriques Et les complots des noirs filous.


LXXV

TRISTESSES DE LA LUNE

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ; Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins, Qui d'une main distraite et légère caresse, Avant de s'endormir, le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons, Et promène ses yeux sur les visions blanches Qui montent dans l'azur comme des floraisons.


LES FLEURS DU MAL 173

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive, Elle laisse filer une larme furtive, Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle, Aux reflets irisés comme un fragment d'opale, Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.


LXXVI

LA MUSIQUE

La musique parfois me prend comme une mer !

Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un pur éther,

Je mets à la voile;

La poitrine en avant et gonflant mes poumons

De toile pesante, Je monte et je descends sur le dos des grands monts

D'eau retentissante ;


LES FLEURS DU MAL 175

Je sens vibrer en moi toutes les passions

D'un vaisseau qui souffre : Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur le sombre gouffre Me bercent, et parfois le calme, — grand miroir De mon désespoir !


LXXVII

LA PIPE

Je suis la pipe d'un auteur;

On voit, à contempler ma mine

D'abyssinienne ou de cafrine,

Que mon maître est un grand fumeur.

Quand il est comblé de douleur, Je fume comme la chaumine Où se prépare la cuisine Pour le retour du laboureur.


LES FLEURS DU MAL 177

J'enlace et je berce son âme Dans le réseau mobile et bleu Qui monte de ma bouche en feu,

Et je roule un puissant dictame Qui charme son coeur et guérit De ses fatigues son esprit.



FLEURS DU MAL



LXXVITI

LA DESTRUCTION

Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon ; Il nage autour de moi comme un air impalpable ; Je l'avale et le sens qui brûle mon poumon, Et l'emplit d'un désir éternel et coupable.

Parfois il prend, sachant mon grand amour de l'Art, La forme de la plus séduisante des femmes, Et, sous de spécieux prétextes de cafard, Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.


182 LES FLEURS DU MAL

Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu,

Haletant et brisé de fatigue, au milieu

Des plaines de l'Ennui, profondes et désertes,

Et jette dans mes yeux pleins de confusion Des vêtements souillés, des blessures ouvertes, Et l'appareil sanglant de la Destruction !


LXXÏX

UNE MARTYRE

DESSIN D'UN MAITRE INCONNU

Au milieu des flacons, des étoffes lamées

Et des meubles voluptueux, Des marbres, des tableaux, des robes parfumées

Qui traînent à plis paresseux,

Dans une chambre tiède où, comme en une serre,

L'air est dangereux et fatal, Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre

Exhalent leur soupir final,


184 LES FLEURS DU MAL

Un cadavre sans tète épanche, comme un fleuve,

Sur l'oreiller désaltéré Un sahg rouge et vivant, dont la toile s'abreuve

Avec l'avidité d'un pré.

Semblable aux visions pâles qu'enfante l'ombre Et qui nous enchaînent les yeux,

La tête, avec l'amas de sa crinière sombre Et de ses bijbux précieux,

Sur la table de nuit, comme une renoncule,

Repose, et, vide de pensers, Un regard vague et blanc comme le crépuscule

S'échappe des yeux révulsés.

Sur le lit, le tronc nu sans scrupules étale

Dans le plus complet abandon La secrète splendeur et la beauté fatale

Dont la nature lui fit don ;

Un bas rosâtre, orné de coins d'or, à la jambe

Comme un souvenir est resté ; La jarretière, ainsi qu'un oeil vigilant, flambe

Et darde un regard diamanté.

Le singulier aspect de cette solitude Et d'un grand portrait langoureux,

Aux yeux provocateurs comme son attitude, Révèle un amour ténébreux,


LES FLEURS DU MAL 185

Une coupable joie et des fêtes étranges

Pleines de baisers infernaux, Dont se réjouissait l'essaim des mauvais anges

Nageant dans les plis des rideaux ;

Et cependant, à voir la maigreur élégante

De l'épaule au contour heurté, La hanche un peu pointue et la taille fringante

Ainsi qu'un reptile irrité,

Elle est bien jeune encor! — Son âme exaspérée

Et ses sens par l'ennui mordus S'étaient-ils entr'ouverts à la meute altérée

Des désirs errants et perdus?

L'homme vindicatif que tu n'as pu, vivante,

Malgré tant d'amour, assouvir, Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante

L'immensité de son désir?

Réponds, cadavre impur ! et par tes tresses roides

Te soulevant d'un bras fiévreux, Dis-moi, tête effrayante, a-t-il sur les dents froides

Collé les suprêmes adieux ?

— Loin du monde railleur, loin de la foule impure.

Loin des magistrats curieux, Dors en paix, dors en paix, étrange créature,

Dans ton tombeau mystérieux ;


186 LES FLEURS DU MAL

Ton époux court le monde, et ta forme immortelle

Veille près de lui quand il dort ; Autant.que toi sans doute il te sera fidèle,

Et constant jusques à la mort.


LXXX.

LESBOS

Mère dès jeux latins et des voluptés grecques, Lesbos, où les baisers languissants ou joyeux, Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques, Font l'ornement des nuits et des jours glorieux, — Mère des jeux latins et des voluptés grecques,

Lesbos, où les baisers sont comme les cascades Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds Et courent, sanglotant et gloussant par saccades, —Orageux et secrets, fourmillants et profonds ; Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !


188 LES FLEURS DU MAL

Lesbos où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,

Où jamais un soupir ne resta sans écho,

A l'égal de Paphos les étoiles t'admirent,

Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho !

— Lesbos où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses, Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté, Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses, Caressent les fruits mûrs de leur nubilité, Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,

Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère ; Tu tires ton pardon de l'excès des baisers, Reine du doux empire, aimable et noble terre, Et des raffinements toujours inépuisés. Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère.

Tu tires ton pardon de l'éternel martyre Infligé sans relâche aux coeurs ambitieux Qu'attire loin de nous le radieux sourire Entrevu vaguement au bord des autres cieux ; Tu tires ton pardon de l'éternel martyre !

Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge, Et condamner ton front pâli dans les travaux, Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux? Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge?


LÉS FLEURS DU MAL 189

Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste? Vierges au coeur sublime, honneur de l'archipel, Votre religion comme une autre est auguste, Et l'amour se rira de l'enfer et du ciel !

— Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste?

Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre Pour chanter le secret de ses vierges en fleur, Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère Des rires effrénés mêlés au sombre pleur ; Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre,

Et depuis lors je veille au sommet de Leucate, Comme une sentinelle, à l'oeil perçant et sûr, Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate, Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur,

— Et depuis lors je veille au sommet de Leucate

Pour savoir si la mer est indulgente et bonne, Et parmi les sanglots dont lo roc retentit Un soir ramènera vers Lesbos qui pardonne Le cadavre adoré de Sapho qui partit Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !

De la mâle Sapho, l'amante et le poète, Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !

— L'oeil d'azur est vaincu par l'oeil noir que tacheté Le cercle ténébreux tracé par les douleurs

De la mâle Sapho, l'amante et le poète !


190 LES FLEURS DU MAL

— Plus belle que Vénus se dressant sur le monde Et versant les trésors de sa sérénité

Et le rayonnement de sa jeunesse blonde

Sur le vieil Océan de sa fille enchanté 1;

Plus belle que Vénus se dressant sur le monde !

— De Sapho qui mourut le jour de son blasphème, Quand, insultant le rite et le culte inventé,

Elle fit son beau corps la pâture suprême D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété De Sapho qui mourut le jour de son blasphème.

Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente, Et, malgré les honneurs que lui rend l'univers, S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente Que poussent vers les cieux ses rivages déserts. Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente !


LXXXI

FEMMES DAMNEES

A la pâle clarté des lampes languissantes, Sur de profonds coussins tout imprégnés d'odeur, Hippolyte rêvait aux caresses puissantes Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.

Elle cherchait d'un oeil troublé par la tempête De sa naïveté le ciel déjà lointain, Ainsi qu'un voyageur qui retourne la tête Vers les horizons bleus dépassés le matin.


192 LES FLEURS DU MAL

De ses yeux amortis les paresseuses larmes, L'air brisé, la stupeur, la morne volupté, Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes, Tout servait, tout parait sa fragile beauté.

Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie, Delphine la couvait avec des yeux ardents, Comme un animal fort qui surveille une proie, Après l'avoir d'abofd marquée avec les dents.

Beauté forte à genoux devant la beauté frêle, Superbe, elle humait voluptueusement Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle Comme pour recueillir un doux remercîment.

Elle cherchait dans l'oeil de sa pâle victime

Le cantique muet que chante le plaisir

Et cette gratitude infinie et sublime

Qui sort de la paupière ainsi qu'un long soupir :

— « Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses? Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir L'holocauste sacré de tes premières roses Aux souffles violents qui pourraient les flétrir?

Mes baisers sont légers comme ces éphémères Qui caressent le soir les grands lacs transparents, Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières Gomme des chariots ou des socs déchirants ;


LES FLEURS DU MAL 193

Ils passeront sur toi comme un lourd attelage

De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitié

Hippolyte, ô ma soeur ! tourne donc ton visage, Toi, mon âme et mon coeur, mon tout et ma moitié,

Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'étoiles ! Pour un de ces regards charmants, baume divin, Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles, Et je t'endormirai dans un rêve sans fin ! »

Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tète : — « Je ne suis point ingrate et ne me repens pas, Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète, Comme après un nocturne et terrible repas.

Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes El. de noirs bataillons de fantômes épars, Qui veulent me conduire en des routes mouvantes Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.

Avons-nous donc commis une action étrange? Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi : le frissonne de peur quand tu me dis : mon ange ! Et cependant je sens ma bouche aller vers loi.

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée, Toi que j'aime à jamais, ma soeur d'élection, Quand même tu serais une embûche dressée, Et le commencement de ma perdition ! »


194 LES FLEURS DU MAL

Delphine secouant sa crinière tragique, Et comme trépignant sur le trépied de fer, L'oeil fatal, répondit d'une voix despotique : — « Qui donc devant l'amour ose parier d'enfer?

Maudit soit à jamais le rêveur inutile, Qui voulut le premier dans sa stupidité, S'éprenant d'un problême insoluble et stérile , Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté !

Celui qui veut unir dans un accord mystique L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour, Ne chauffera jamais son corps paralytique A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour!

Va, si ta veux, chercher un fiancé stupide ; Cours offrir un coeur vierge à ses cruels baisers ; Et, pleine de remords et d'horreur, et livide, Tu me rapporteras tes seins stigmatisés ;

On ne peut ici bas contenter qu'un seul maître! » Mais l'enfant, épanchant une immense douleur, Cria soudain : — « Je sens s'élargir dans mon être Un abîme béant; cet abîme est mon coeur,

Brûlant comme un volcan, profond comme le vide;

Rien ne rassasiera ce monstre gémissant

Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide,

Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang.


LES FLEURS DU MAL 195

Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,

Et que la lassitude amène le repos !

Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde ,

Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux. »

Descendez, descendez, lamentables victimes, Descendez le chemin de l'enfer éternel ; Plongez au plus profond du gouffre où tous les crimes, Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage ; Ombres folles, courez au but de vos désirs ; Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage, Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes ; Par les fentes des murs des miasmes fiévreux Filent en s'enflammant ainsi que des lanternes Et. pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.

L'âpre stérilité de votre jouissance

Altère votre soif et roidit votre peau ,

Et le vent furibond de la concupiscence

Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.

Loin des peuples vivants s errantes, condamnées, A travers les déserts courez comme les Joups ; Faites votre destin, âmes désordonnées, Et fuyez l'infini que vous portez en vous !


LXXXI1

FEMMES DAMNEES

Comme un bétail pensif sur le sable couchées, Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers, Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées Ont de douces langueurs et des frissons amers :

Les unes, coeurs épris des longues confidences, Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux, Vont épelant l'amour des craintives enfances Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ; •


LES FLEURS DU MAL 197

D'autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves A travers les rochers pleins d'apparitions, Où saint Antoine a vu surgir comme des laves Les seins nus et pourprés de ses tentations ;

Il en est, aux lueurs des résines croulantes, Qui dans le creux muet des vieux antres païens T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes, O Bacchus, endormeur des remords anciens !

Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaircs, Qui, recelant un fouet sous leurs longs vêtements, Mêlent dans le bois sombre et les nuits solitaires L'écume du plaisir aux larmes des tourments.

0 vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres, De la réalité grands esprits contempteurs, Chercheuses d'infini, dévotes et satyres, Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies, Pauvres soeurs,'je vous aime autant que je vous plains, Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies, Et les urnes d'amours dont vos grands coeurs sont pleins !


LXXXIU

LES DEUX BONNES SOEURS

La Débauche et la Mort sont deux aimables filles, Prodigues de baisers, robustes de santé, Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté.

Au poète sinistre, ennemi des familles, Favori de l'enfer, courtisan mal rente, Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles Un lit que le remords n'a jamais fréquenté.


LES FLEURS DU MAL 199^

Et la bière et l'alcôve en blasphèmes fécondes

Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes soeurs,

De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs.

Quand veux-tu m'enterrer, Débauche aux bras immondes? 0 Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits, Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?


LXXXIV

LA FONTAINE DE SANG

Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu'une fontaine aux rhythmiques sanglots. Je l'entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

A travers la cité, comme dans un champ clos, Il s'en va, transformant les pavés en îlots, Désaltérant la soif de chaque créature, Et partout colorant en rouge la nature.


LES FLEURS DU MAL 201

J'ai demandé souvent à des vins captieux D'endormir pour un jour la terreur qui me mine ; Le vin rend l'oeil plus clair et l'oreille plus fine !

J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux, Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles Fait pour donner à boire à ces cruelles filles!


LXXXV

ALLEGORIE

C'est une femme belle et de riche encolure .

Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.

Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,

Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.

Elle rit à la mort et nargue la débauche,

Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,

Dans ses jeux destructeurs a pourtant respeclé

De ce corps ferme et droit la rude majesté.

Elle marche en déesse et repose en sultane ;

Elle a dans le plaisir la foi mahométane,


LES FLEURS DU MAL 203

Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,

Elle appelle des yeux la race des humains.

Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde

Et pourtant nécessaire à la marche du monde ,

Que la beauté du corps est un sublime don

Qui de toute infamie arrache le pardon ;

Elle ignore l'enfer comme le purgatoire,

Et, quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,

Elle regardera la face de la Mort,

Ainsi qu'un nouveau-né, — sans haine et sans remord.


LXXXVI

LA BEATRICE

Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure, Comme je me plaignais un jour à la nature, Et que de ma pensée, en vaguant au hasard, J'aiguisais lentement sur mon coeur le poignard, Je vis en plein midi descendre sur ma tête Un nuage funèbre et gros d'une tempête, Qui portait un troupeau de démons vicieux, Semblables à des nains cruels et curieux. A me considérer froidement ils se mirent,


LES FLEURS DU MAL 205

Et, comme des passants sur un fou qu'ils admirent,

Je les entendis rire et chuchoter entre eux,

En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux :

— « Contemplons à loisir cette caricature Et cette ombre d'Hamlet imitant sa posture, Le regard indécis et les cheveux au vent. N'est-ce pas grand pitié de voir ce bon vivant, Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle, Parcequ'il sait jouer artistement son rôle, Vouloir intéresser au chant de ses douleurs Les aigles , les grillons, les ruisseaux et les (leurs, Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques . Réciter en hurlant ses tirades publiques ? »

J'aurais pu — mon orgueil aussi haut que les monts Recevrait sans bouger le choc de cent démons ! — Détourner froidement ma tête souveraine, Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène —-, Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil ! — La reine de mon coeur au regard nonpareil, Qui riait avec eux de ma sombre détresse Et leur versait parfois quelque sale caresse.


LXXXVII

LES METAMORPHOSES DU VAMPIRE

La femme cependant de sa bouche de fraise, En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise, Et pétrissant ses seins sur le fer de son buse, Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc : — « Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science De perdre au fond d'un lit l'antique conscience. Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphanls Et fais rire les vieux du rire des enfants. Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles, La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!


LES FLEURS DU MAL 207

Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,

Lorsque j'étouffe un homme en mes bras veloutés,

Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,

Timide et libertine, et fragile et robuste ,

Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi

Les Anges impuissants se damneraient pour moi! »

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle, El que languissamment je me tournai vers elle Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ! Je fermai les deux yeux dans ma froide épouvante, Et, quand je les rouvris à la clarté vivante, A mes côtés, au lieu du mannequin puissant. Qui semblait avoir fait provision de sang, Tremblaient confusément des débris de squelette, Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer, Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.


LXXXVIII

UN VOYAGE A CYTHERE

Mon coeur se balançait comme un ange joyeux Et planait librement à l'entour des cordages ; Le navire roulait sous un ciel sans nuages, Comme un ange enivré d'un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire? — C'est Cyllièrc. Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons, Eldorado banal de tous les vieux garçons. Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.


LES FLEURS DU MAL 209

— Ile des doux secrets et des fêtes du coeur ! De l'antique Vénus le superbe fantôme Au-dessus de tes mers plane comme un arôme, Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation, Où les soupirs des coeurs en adoration Roulent comme l'encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d'un ramier !

— Cylhère n'était plus qu'un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. J'entrevoyais pourtant un objet singulier :

Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères, Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs, Entre-bàillant sa robe aux brises passagères ;

Mais voilà qu'en rasanl la côte d'assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches, Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture ;


210 LES FLEURS DU MAL

Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux gorgés de hideuses délices L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes. Le museau relevé, tournoyait et rôdait ; Une plus grande bête au milieu s'agitait Comme un exécuteur entouré de ses aides.

Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau, Silencieusement tu souffrais ces insultes En expiation de tes infâmes cultes Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.

Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes ! Je sentis à l'aspect de tes membres flottants, Comme un vomissement, remonter vers mes dents Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes ;

Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher, J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires Des corbeaux lancinants et des panthères noires Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

— Le ciel était charmant, la mer était unie ; Pour moi tout était noir et sanglant désormais, Hélas ! et j'avais, comme en un suaire épais, Le coeur enseveli dans cette allégorie.


LES FLEURS DU MAL 211

Dans ton île, ô Vénus, je n'ai trouvé debout Qu'un gibet symbolique où pendait mon image. — Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût !


LXXXIX

L'AMOUR ET LE CRANE

VIEUX CUL-DE-LAMPE

L'Amour est assis sur le crâne

De l'Humanité, Et sur ce trône le profane,

Au rire effronté,

Souffle gaiment des bulles rondes Qui montent dans l'air,

Comme pour rejoindre les mondes Au fond de l'éther.


LES FLEURS DU MAL 213

Le globe lumineux et frêle

Prend un grand essor, Crève et crache son âme grêle

Comme un songe d'or.

J'entends le crâne à chaque bulle

Prier et gémir : — « Ce jeu féroce et ridicule,

Quand doit-il finir?

Car ce que ta bouche cruelle

Eparpille en l'air, Monstre assassin, c'est ma cervelle,

Mon sang et ma chair ! »



REVOLTE

Parmi les morceaux suivants, le plus caractérisé a déjà paru dans un des principaux recueils littéraires de Paris, où il n'a été considéré, du moins par les gens d'esprit, que pour ce qu'il est véritablement : le pastiche des raisonnements de l'ignorance et la fureur. Fidèle à son douloureux programme, l'auteur des Fleurs du Mal a dû, en parfait comédien, façonner son esprit à tous les sopliïsmes comme à toutes les corruptions. Cette déclaration candide n'empêchera pas sans doute les critiques honnêtes de le ranger parmi les théologiens de la populace et de l'accuser d'avoir regretté pour • notre Sauveur Jésus-Christ, pour la Victime éternelle et volontaire, le rôle d'un conquérant., d'un Attila égalitaire et dévastateur. Plus d'un adressera sans doute au ciel les iictions de grâces habituelles du Pharisien » Merci, mon Dieu, qui n'avez pas permis '[tie je fusse semblable à ce poète infâme ! »



xc

LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE

Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce Ilot d'anatliènios Qui monte tous les jours vers seschers Séraphins? Comme un tyran gorgé-de viandes et do vins, Il s'endort aux doux bruit de nos affreux blasphèmes.

Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie enivrante sans doute, Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte, Les Cieux ne s'en sont point encor rassasiés.

lu


218 LES FLEURS DU MAL

— Ah ! Jésus ! souviens-toi du Jardin des Olives ! Dans ta simplicité tu priais à genoux

Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous

Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives

Lorsque tu vis cracher sur ta divinité La crapule du corps-de-garde et des cuisines, Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité;

Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang Et ta sueur coulaient.de ton front pâlissant, Quand lu fus devant tous posé comme une cible,

Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse, Où tu foulais, monté sur une douce ânesse, Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,

Où, le coeur tout gonflé d'espoir et de vaillance, Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras, Où tu fus maître enfin? Le remords n'a-t-il pas Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ?

— Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait, D'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve ; Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !

— Saint Pierre a renié Jésus... il a bien fait !


XCI

ABELETCAIN

Race d'Abel, dors, bois et mange : Dieu te sourit complaisamment,

Hace de Caïn, dans la fange Rampe et meurs misérablement.

Hace d'Abel, ton sacrifice Flatte le nez du Séraphin 1


220 LES FLEURS DU MAL

Race de Caïn, ton supplice Aura-t-il jamais une fin?

Race d'Abel, vois tes semailles Et ton bétail venir à bien ;

Race de Caïn, tes entrailles

Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d'Abel, chauffe ton ventre A ton foyer patriarcal ;

Race de Caïn, dans ton antre Tremble de froid, pauvre chacal !

Race d'Abel, sans peur pullule : L'argent fait aussi ses petits;

Race de Caïn, ton coeur brûle ; Eteins ces cruels appétits.

Race d'Abel, lu crois et broutes Comme les punaises des bois !

Race de Caïn, sur les routes Traîne ta famille aux abois.

— Ah ! race d'Abel, ta charogne Engraissera le sol fumant!


LES FLEURS DU MAL 221

Race de Caïn, ta besogne N'est pas faite suffisamment ;

Race d'Abel, voici ta honte : Le fer est vaincu par l'épieu !

Race de Caïn, au ciel monte, Et sur la terre jette Dieu !


xcri

LES LITANIES DE SATAN

0 toi, le plus savant et le plus beau des Anges, Dieu trahi par le sort et privé de louanges,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

O Prince de l'exil, à qui l'on a fait tort,

Et qui, vaincu, toujours le redresses plus fort,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !


LES FLEURS DU MAL 223

Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines, Aimable médecin des angoisses humaines,

0 Satan, prends pitié de ma longue misère !

Qui même aux parias, ces animaux maudits, Enseignes par l'amour le goût du Paradis,

O Satan, prends pitié de ma longue misère!

O toi, qui de la Mort, la vieille et forte amante. Engendras l'Espérance, — une folle charmante !

0 Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui peux octroyer ce regard calme et haut Qui damne tout un peuple autour d'un échafaud,

0Satan, prends pitié de ma longue misère!

Toi qui sais en quels coins des terres envieuses Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses,

0 Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont l'oeil clair connaît les secrets arsenaux Où dort enseveli le peuple des métaux,

0 Satan, prends pitié de ma longue misère !


224 LES FLEURS DU MAL

Toi dont la large main cache les précipices Au somnambule errant au bord des édifices,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui frottes de baume et d'huile les vieux os De l'ivrogne attardé foulé par les chevaux,

i) Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, pour consoler l'homme frêle qui souffre, Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui mets Ion paraphe, ô complice subtil, Sur le front du banquier impitoyable et vil,

O Satan, prends pi lié de ma longue misère!

Toi qui mets dans les yeux et dans le coeur des filles Le culte de la plaie et l'amour des guenilles !

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Bâton des exilés, lampe des inventeurs, Confesseur des pendus et des conspirateurs,

O Satan, prends pitié de ma longue, misère!


LES FLEURS DU MAL 225

Père adoplif de ceux qu'en sa noire colère Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père ,

OSalan. prends pitié de nui longue misère !

Gloire et louange à loi, Satan, dans les hauteurs Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs De l'Enfer où, fécond, tu couves le silence ! fais que mon âme un jour, sous l'Arbre de Science. Près de toi se repose, à l'heure où sur ton front Comme un Temple nouveau ses rameaux s'épandronl!



LE VIN



XCIII

L'AME DU VIN

Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles : — « Homme, vers loi je pousse, ô cher déshérité. Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité!

■lésais combien il faut, sur la colline en llaimne. De peine, de sueur et de soleil cuisant Pour engendrer ma vie et pour me donner l'àme ; Mais je no serai point ingrat ni malfaisant,


230 LES FLEURS DU MAL

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux. Et sa chaude poitrine est une douce tombe Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains dès dimanches Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant? Les coudes sur la table et retroussant tes manches, Tu me glorifieras et tu seras content :

J'allumerai les yeux de ta femme ravie ; A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs Et serai pour ce frêle athlète de la vie L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l'éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »


LCIV

LE VIN DES CHIFFONNIERS

Souvent, à la clarté rouge d'un réverbère Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre, Au coeur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux, Où l'humanité grouille en ferments orageux .

On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tôle, Buttant, et se cognant aux murs comme un poète, Etj sans prendre souci des mouchards, ses sujets, Epanche tout son coeur en glorieux projets.


232 LES FLEURS DU MAL

11 prête des serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les méchants, relève les victimes , Et sous le firmament comme un dais suspendu S'enivre des splendeurs de sa propre vertu.

Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage, Moulus par le travail et tourmentés par l'âge, Le dos martyrisé sous de hideux débris, Trouble.vomissement du fastueux Paris,

Reviennent, parfumés d'une odeur de futailles, Suivis de compagnons blanchis dans les batailles, Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux ; Los bannières, les fleurs et les arcs triomphaux

Se dressent devant eux, solennelle magie! Et dans l'étourdissante et lumineuse orgie Des clairons, du soleil, des cris et du tambour, Ils apportent la gloire au peuple ivre d'amour !

("est ainsi qu'à travers l'Humanité frivole Le vin roule de l'or, éblouissant Pactole ; Par le gosier de l'homme il chante ses exploits Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.

Pour noyer la rancoeur et bercer l'indolence De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, saisi de remords, avait fait le sommeil ; L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !


xcv

LE VIN DE L'ASSASSIN

Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon saoul.. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses pleurs mo déchiraient, la fibre.

Autant qu'un roi je suis heureux ; L'air est pur, le ciel admirable. — Nous'avions un été semblable Lorsque j'en devins amoureux !


234 LES FLEURS DU MAL

—L'horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s'assouvir D'autant de vin qu'en peut tenir Son tombeau ; — ce n'est pas peu dire :

Je l'ai jetée au fond d'un puits, Et j'ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle.

— Je l'oublierai si je le puis !

Au nom des serments de tendresse,

Dont rien ne peut nous délier,

Et pour nous réconcilier

Comme au beau temps de notre ivresse,

J'implorai d'elle un rendez-vous, Le soir, sur-une route obscure, Elle y vint ! folle créature !

— Nous sommes tous plus ou moins fous !

Elle était encore jolie, Quoique bien fatiguée ! et moi, Je l'aimais trop ; — voilà pourquoi Je lui dis : sors de cette vie !

Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides Songea-l-il dans ses nuits turpides A faire du vin un linceul ?


LES FLEURS DU MAL 233

Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l'été ni l'hiver, N'a connu l'amour véritable,

Avec ses noirs enchantements, Son cortège infernal d'alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes, Ses bruits de chaîne et d'ossements !

—■ Me voilà libre et solitaire ! Je serai ce soir ivre-mort ; Alors, sans peur et sans remord, Je me coucherai sur la terre,

tët je dormirai comme un chien ! Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues, Le vagon enragé peut bien

Ecraser ma le te coupable Ou me couper par le milieu, Je m'en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table !


XCVI

LE YIN m SOLITAIRE

Le regard singulier d'une femme galante Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant, Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante,

Le dernier sac d'écus dans les doigts d'un joueur, Un baiser libertin de la maigre Adeline. Los sons d'une musique énervante et câline, Semblable au cri lointain de l'humaine douleur,


LKS FMÏURS DU MAI, 237

Tout cela ne vaut pas, » bouteille profonde, Les baumes pénétrants que ta panse féconde (iarde au coeur altéré du poète pieux ;

Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie,

— Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie,

Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !


XCVH

LE VIN DES AMANTS

Aujourd'hui l'espace est splendide ! Sans mors, sans éperons, sans bride, Partons à cheval sur le vin Pour un ciel féerique et divin !

Comme deux anges que torture Une implacable calenture, Dans le bleu cristal du matin Suivons le mirage lointain !


LES FLEURS DU MAL 239

Mollement balancés sur l'aile Du tourbillon intelligent, Dans un délire parallèle,

Ma soeur, cote à côte nageant, Nous fuirons sans repos ni trêves Vers le Paradis de mes rêves !



U ■MOKÏ



xcvnr

LA MORT DES AMANTS

.Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d'étranges fleurs sur des étagères, Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières, Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux, Qui réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.


Mk LES FLEURS DU MAL

Un soir plein de rose et de bleu mystique,

Nous échangerons un éclair unique,

Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux :

Et bientôt un Ange, entr'ouvrant les portes.

Viendra ranimer, fidèle et joyeux,

Les miroirs ternis et les flammes mortes.


XCIX

LA MORT DES PAUVRES

C'est la Mort qui console et la Mort qui'fait vivre; C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir Qui, divin élixir, nous monte et nous enivre. Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir ;

A travers la tempête, et la neige et le givre, C'est la clarté vibrante à notre horizon noir ; C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre. Où l'on pourra manger, et dormir et s'asseoir


246 LES FLEURS DU MAL

C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques Le sommeil et le don des rêves extatiques, Et qui refait le lit des gens pauvres et nus ;

C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique. C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique, C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !


G

LA MORT DES ARTISTES

Combien faut-il de fois secouer mes grelots Et baiser ton front bas, morne caricature '? Pour piquer dans le but, mystique quadrature, Combien, ô mon carquois, perdre de javelots?

Nous userons notre àme en de subtils complots, Et nous démolirons mainte lourde armature, Avant de contempler la grande Créature Dont l'infernal désir nous remplit de sanglots!


248 LES FLEURS DU MAL

11 en est qui jamais n'ont connu leur Idole,

Et ces sculpteurs damnés et marqués d'un affront,

Qui vont se martelant la poitrine et le front,

N'ont qu'un espoir, étrange et sombre Capitole ! C'est que la Mort, planant comme un Soleil nouveau, Fera s'épanouir les fleurs de leur cerveau !


TABLE

DÉDICACE. I

AU LECTEUR. . o

SPLEEN ET IDÉAL

BÉNÉDICTION. ■ " ' Il

LE SOLEIL. li>

ÉLÉVATION.' " _ - 17

CORRESPONDANCES. 19

J'aime le souvenir de ces époques mies. • ■ '21

LES PHARES. 23

LA MUSE MALADE. '26

LA MUSE VÉNALE. 28

LE MAUVAIS MOINE., -50

L'ENNEMI. ' . 32

LE GUIGNON. - 34

LA VIE ANTÉRIEURE. 36

BOHÉMIENS EN VOYAGE. ' 38

L'HOMME ET LA MER. 40

DON JUAN AUX ENFERS. 42

CHATIMENT DE l/ORGUElL. 43

LA BEAUTÉ. 4fi

L'IDÉAL. ' • . 48

- LA GÉANTE. :>H

^LÉS BIJOUX. ■ - ;>2

PARFUM EXOTIQUE. -ii

11.


TAULE

Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne... •'>(>

Tu mettrais l'univers entier dans la ruelle... 57

SED NON SATIATA. . o9

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés.. . fil

LE SERPENT QUI DANSE. 63

UNE CHAROGNE. 66

DE PROFUNDIS CLAMAVI. 69

LE VAMPIRE. 71

^E KKT1IÉ. 73

,Une "nuit que j'étais près d'une affreuse Juive. . . 75

REMORDS POSTHUME. 77

LE CHAT. , ' 79

LE BALCON. 81

Je le donne ces vers -afin que si mon nom... 8^

TOUT ENTIÈRE. ' ' No

Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire... 87

LE FLAMBEAU VIVANT. 89

^A CELLE QUI EST TROP GAIE. 91

RÉVERSIBILITÉ. 91

CONFESSION. 96

L'AUBE SPIRITUELLE. 99

HARMONIE DU SOIR. 101

LE FLACON. ' 103

LE POISON. I0ii

CIEL BROUILLÉ. 107

LE CHAT. 109

LE BEAU NAVIRE. 112

L'INVITATION AL! VOVAGE . IIS

L'IRRÉPARABLE. 118

CAUSERIE. - 121


TABLE

l.'llEAUTONTLMOROUMENOS. 123

FRANCISCO ME.E LAUDES. 125

A UNE DAME CRÉOLE. '128

MOESTA ET ERRABUNDA. '130

LES CHATS. 132 LES HIBOUX. , 1 34

LA CLOCHE FÊLÉE. '136

SPLEEN : Pluviôse irrité... 138

SPLEEN : J'ai plus de souvenirs 140

SPLEEN': Je suis comme le roi. 142

SPLEEN : Quand le ciel bas et lourd... 144

BRUMES ET PLUIES. 146

L'IRRÉMÉDIABLE.' 148

A UNE MENDIANTE ROUSSE. loi

LE JEU. ■ 1 Oi

LE CRÉPUSCULE DU SOIR. Jo6

LE CRÉPUSCULE DU MATIN. ' 158

La servante au grand coeurdonl vous étiez jalouse. .. 160

Je n'ai pas oublié, voisine de la ville... 162

LE TONNEAU DE LA HAINE. I (H

LE REVENANT. 166

LE MORT JOYEUX. 168

SÉPULTURE. 170

TRISTESSES 1)'E LA LUNE. 172

LA MUSIQUE. 174

LA PIPE. ' 176

FLI2URS DU MAL

LA DESTRUCTION. 181

UNE MARTYRE. 183


TABLE

/ LESBOS- 187

/ FEMMES DAMNÉES : A la pâle clarté... 191

FEMMES DAMNÉES: Comme un bétail pensif... 196

LES DEUX RONNES SOEURS 198

LA FONTAINE DE SANG. 200

ALLÉGORIE. 202

LA BÉATRICE. 201

jJ.ES MÉTAMORPHOSES DU VAMPIRE. 206

t'X VOYAGE A CYTI1ÈRE. 20iS

L'AMOUR ET LE CRANE. , 212

RÉVOLTE

LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE. 217

ABEL ET C.AÏN. . 219

LES LITANIES DE SATAN. ' ' 222

LE VIN

L'ÂME DU VIN. 229

LE VIN DES CHIFFONNIERS. 231

LE VIN DE L'ASSASSIN. 233

LE VIN DU SOLITAIRE. 236

LE VIN DES AMANTS. 238

LA MORT

LA MORT DES AMANTS. ' 2-13

LA MORT DES PAUVRES. 21.')

LA MORT DES ARTISTES. 217



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