Rappel de votre demande:


Format de téléchargement: : Texte

Vues 26 à 189 sur 189

Nombre de pages: 164

Notice complète:

Titre : Histoire de la révolution en Auvergne. Tome 3 / par M. Jean-Baptiste Serres

Auteur : Serres, Jean-Baptiste (1827-1904). Auteur du texte

Éditeur : Impr. Saint-Joseph (Saint-Amand (Cher))

Date d'édition : 1895-1899

Sujet : Auvergne

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34099955q

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 10 vol. ; in-16

Description : Collection numérique : Fonds régional : Auvergne

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5809461s

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK2-4181 (3)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 22/07/2010

Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 97%.


- ,8 ~

Pemhièvre-dragons, commandée par le capitaine Tolques et les dix brigades de maréchaussée du commandant Bourguillon du Gravier, arrivèrent à Pontaumur le dimanche 19 mars et allèrent camper à Saunades,

Les bandits, qui avaient choisi ce jour pour consommer leur horrible projet, furent pris et condamnés à vingt ans de galères.

Ce prompt secours avait sauvé la région; mais bientôt la position ne fut plus tenable. Le tribunal révolutionnaire d'Aurillac amnistia les factieux du 19 mars. M. le baron de Saunades-Deval fut obligé d'émigrer et passa à l'armée de Condé. Son père, 1 ancien officier de la maison du roi, et plus tard son procureur général en l'élection de Riom, alors âgé de 92 ans, ne voulut pas abandonner son château. Emprisonné par ordre du citoyen Goup... de Font... il mourut en prison et le château de Saunades fut brûlé (1). »

Les dames étaient aussi bien traitées que leurs sei. gneurs et leurs châteaux: t

ALaSauvetat, canton de Veyre-Monton, vivait la famille de Douhet, noble par sa naissance et par ses vertus; c'était là un double titre qui la désignait à la haine des patriotes du pays.

{1) L'Auvergne historique.


— 19 -

« Le jeune de Douhet, Jacques-Michel-Gaspard, fils de l'ancien gouverneur de Billom, entré de bonne heure dans les gardes du corps, avait émigré à Tâge de 21 ans, pour se joindre à l'armée de Condé. Son père étant mort, sa mère Marie-Antoinette-Henriette Pasquanet de Lavaud de Pierrebrune se trouva seule au milieu de l'exaltation et des dangers. Sa foi vive, sa charité envers les malheureux, qui la faisait estimer, honorer et aimer de tous les gens de bien, la désignaient d'avance à la haine de nos jacobins. Non contents de l'avoir dénoncée au comité révolutionnaire, ils violent un jour son domicile, la conduisent brutalement sur la place publique, l'attachent à l'arbre de la liberté, lui rasent sa belle chevelure et la laissent quelque temps exposée à la vue d'une population terrifiée et consternée. Débarrassée.de ses liens, elle fut jetée dans le cachot des grands criminels au fond du donjon.

Elle n'en sortit que pour être mise en état d'arrestation, le 24 nivôse an II (13 janvier 1793). La noble dame était alors âgée de 44 ans. Elle fut conduite à Clermont et enfermée dans la maison des Hospitaliers. L'infortunée y subit une réclusion de neuf mois. Malgré une force d'âme et une énergie peu communes, elle vit peu à peu sa santé s'altérer profondément, et obtint d'habiter, soit à Clermont, soit à La Sauvetat avec sa fille Marguerite, épouse de Paul-Philippe


-~ 30 —

Rebière de Land; mais elle était toujours en état d'arrestation « sans pouvoir découcher de Tune ou l'autre et sous la surveillance des autorités ».

Mmc de Douhet fit cependant des démarches pour obtenir sa liberté. Elle fit appel à la population de La Sauvetat et lui demanda une attestation de sa conduite régulière. La réponse qui lui fut faite est un bel éloge des habitants qui se hâtèrent d'acquitter la dette de reconnaissance envers leur bienfaitrice :

« 30 octobre 1794. Les habitants de La Sauvetat, soussignés, et autres ne sachant pas écrire, certifient^ que la veuve de Douhet a résidé depuis longtemps' (23 ans) dans cette commune avec sa famille, qu'elle s'y est toujours très bien comportée, faisant plaisir et charité toutes les fois qu'elle a trouvé l'occasion. Nous avons à applaudir à sa soumission aux lois. Elle s'est toujours empressée de les exécuter, donnant libéralement à tous'les volontaires de cette commune qui partaient pour la défense de la patrie, des secours . même au-oelà dé sa fortune... » Un décret de la Convention rendit la liberté à Mr^ de Douhet (1).

Dans le district de Brioude, même guerre sauvage aux châteaux et aux nobles.

Une commune de ce district, Gizac, avait pour* seigneur M. de Montcetard. Comme tous les nobles à

(t) Histoire de La Sauvetat, p. Çï.


— 2| -,

cette époque, de Montceiard fut en butte à. toutes sortes de vexations : on l'accusait de concussions, de tyrannies, de crimes. Fatigués du joug pesant qu'il leur faisait porter, disaient-ils, les habitants, encouragés d'ailleurs par les exemples des communes voisines qui dévalisaient leurs seigneurs, résolurent de se soustraire à son autorité seigneuriale et même de se débarrasser de sa présence. L'occasion favorable se présenta bientôt.

Il y avait dans la commune une plantation d'arbres. Or, M. de Montceiard voulut un jour, le 7 décembre 1791, s'approprier un de ces arbres. Ses ennemis s'y opposèrent sous prétexte que ces arbres existaient sur un terrain communal. La discussion s'envenima; la foule grossit; on en vint aux menaces et même aux coups. De Montceiard-ayant fait mine de se servir de la canne à lance qu'il portait avec lui, la rage de l'attroupement fut telle q 1e tous, hommes, femmes, enfants se jetèrent sur lui et le massacrèrent; il expira sous leurs coups.

Plusieurs de ces misérables furent arrêtés, et le 6 septembre 1792, le tribunal de Brioude condamna les quatre plus coupables à la peine de mort et quelques autres à la prison.

Les quatre condamnés allaient subir leur peine, lorsque Régnaud, député de la Haute-Loire à la Convention, fit suspendre l'exécution du jugement.


«— 83 —•

La chose traîna en longueur; d'ailleurs le temps était favorable aux assassins. Régnaud et son collègue Bezard portèrent l'affaire devant la Convention et firent devant elle un tableau si affreux de Montceiard que l'Assemblée, dans sa séance du 17 messidor an II (5 juillet 1794), porta le décret suivant:

« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, sur la pétition des citoyens Madiet jeune, Jean-Baptiste Varennes, Jean Rieux et Bertrand Chambon, cultivateurs à Gizac, condamnés à mort, déclare nul et de nul effet le jugement rendu le 6 septembre 1792 centre leis pétitionnaires et ordonne qu'ils seront mis sur le champ en liberté. La Convention renvoie à son Comité de législation pour déterminer le secours à accorder aux pétitionnaires (1). »

Les assassins de M. de Montceiard furent donc mis en liberté et un secours leur fut accordé.

(1) Moniteur universel, t. XX, p. 735 ; — t. XXI, p. 14).


CHAPITRE III

DIVERS ARRÊTÉS CONTRE LES CHATEAUX DANS LE PUYDE-DÔME. — LE CHATEAU DE LA RONZIÈRE. — MORT DU JEUNE DE CISTERNES. — MADAME DE MAROLLES ET SON FILS. —- SCÈNE LAMENTABLE SUR L'ÉCHAFAUD.

La guerre à la noblesse dura pendant toute la Révolution. Le directoire du département, les districts, les sociétés populaires, les municipalités demandaient la démolition des châteaux, l'emprisonnement des nobles.

En preuve, voici un arrêté du district dTssoire :

« Le 4 mat 1793, les citoyens Gaultier, président, Altaroche, Grenier, Taphanel, Meyrand, Trioyon, Fondary et Bergier, procureur-syndic, réunis en surveillance permanente, ont tenu la séance publique.

jt( Un membre a observé que dans l'étendue du district, il y a plusieurs châteaux d'émigrés qui sont isolés dans les campagnes et qu'il serait convenable


- »4 —

de prendre à cet égard des mesures avant que la loi du 18 mars dernier eût été exécutée.

« Le même membre a encore observé que ces châteaux isolés, non seulement étaient des monuments de despotisme, mais qu'encore ils pourraient servir de refuge aux brigands et servir les complots des malveillants; que d'ailleurs ces édifices d ant être détruits, il ne paraissait pas qu'il y eut aucun obstacle pour en accélérer la destruction.

« Considérant que les observations qui viennent d'être faites sont du plus grand poids;

« Ouï le procureur-syndic; | ,

« L'administration du district réunie aux citoyens Monestier et Petit Jean, députés, commissaires de la Convention nationale pour loi départements du Puy-de-Dôme et de la Creuse.

« Arrête que les châteaux des ci-devant émigrés, qui sont situés dans'les campagnes et isolés des habitations des citoyens, des bourgs et villages, tels en exprès que les châteaux de Lagrange et Bélestat (i), seront incessamment détruits, pour cet effet démolis et les matériaux soigneusement ramassés pour profiter à la république de la manière la plus utile. 1L$ soin de la démolition est confié aux administrateurs du district et aux municipalités. Les frais qu'il con(i)

con(i) commune | de Radeaux, canton de Sauxillaoges ; Bélestat, commune de Vôdable, canton d'Issoire.


~a5

viendra de faire seront pris, après que les principes d'économie auront été mis en usage, dans la caisse du receveur de la régie nationale, percepteur du revenu des biens des émigrés, sur les mandats des corps administratifs qui restent chargés de rendre compte de ce qui aura été fait en vertu du présent arrêté, dont expédition sera délivrée aux députés commissaires de la Convention.

« Petit Jean, Monestier, du Puy-de-Dôme.

« Gaultier, Meyrand, Fondart, etc. (r). »

Le 5 août de la même année 1793, la société populaire de Riont adresse la pétition suivante à l'administration départementale.

« Citoyens, la tyrannie étant renversée et le gouvernement républicain constitutionnellement établi, pourquoi existe-t-il encore des monuments du despotisme? Une loi sage ayant ordonné leur destruction, pourquoi les montagnes de notre département sontelles encore hérissées des antiques repaires de la tyrannie, d'où nos roitelets d'Auvergne ont fait si longtemps la.guerre à la liberté, aux dépens de l'argent, des bras et du sang de leurs malheureux vassaux ?

« Des pétitions sans nombre ont été par nous adres(1)

adres(1) des délibérations du district d'Issoire (Puy-de-Dôme), en 179^, p. 645.


_ 86 —

sées aux administrations, mais nos réclamations n'ont jamais été accueillies et nous avons toujours prêché dans le désert. Citoyens administrateurs, nous réclamons auprès de vous l'exécution d'une loi que nécessitent plus fortement que jamais d'impérieuses cir-. constances. Les horreurs de la guerre civile déchirent un grand nombre de départements dont quelquesuns sont peu éloignés du nôtre. Celui de la Lozère en a été momentanément le théâtre. Déjà même elle a éclaté dans notre sein. Votre surveillance, à la vérité, et le courage des bons citoyens, l'ont étouffée dès sa naissance ; mais qui vous a répondu de l'avenir ? Les ennemis de la république veillent sans cesse. Une cruelle expérience ne vous a-t-elle pas appris qu'ils ne laissent échapper aucune occasion de faire le mal ? qu'une nouvelle étincelle reparaisse, nous voilà peutêtre encore en proie au fléau de la guerre civile ? Où en serions-nous alors, citoyens, si ces mêmes châteauxforts, dont depuis si longtemps nous sollicitons en vain la destruction, servaient de retraite à nos ennemis? Ils n'y seraient,pas inexpugnables, il est vrai, parce que rien ne résiste aux armes d'un peuple libre, mais ils pourraient s'y défendre longtemps; mais des milliers de nos frères y perdraient peut-être la vie; mais les restes d'une récolte précieuse n'en seraient pas moins ravagés. « R appelez-vous q^ue l'Auvergne, par son territoire


- 8? —

montagneux, par la position avantageuse d'un grand nombre de ses places fortes, a été, sous les Césars d'abord, et ensuite sous ses premiers tyrans, le théâtre d'une longue guerre, dont le souvenir ne peut être que douloureux et inquiétant pour des âmes républicaines. Eloignez de nous de pareils malheurs. Que ces forteresses tombent! que la loi reçoive enfin son entière exécution, et nos inquiétudes cesseront (i). »

Enfin, dans la démolition des châteaux, les administrateurs ne se hâtent pas assez au gré des révolutionnaires. Le conventionnel Couthon les aiguillonna par l'envoi de l'arrêté suivant :

« Citoyens, les châteaux-forts, les tours, les donjons, les souterrains, tous ces crimes vivants du régime féodal, blessent la vue des hommes libres et outragent la Révolution. La Convention nationale n'a pas créé.la république et fondé la liberté sur les ruines de l'esclavage, sans songer à ces restes hideux du monstre qu'elle a mortellement frappé. Elle a décrété qu'ils seraient détruits. Mais parce qu'en même temps elle a ordonné que le ministre de la guerre lui présenterait l'état de ceux qui pourraient être conservés comme places fortes de la république, Ton s'est dispensé d'exécuter le décret, même dans

(i) Le Puy-de-Dôme en ijpj, p. 644.


- 38 ~

l'intérieur, quoique la déposition suspensive ne fût bien évidemment relative qu'aux frontières. Et ces tours insolentes, ces repaires dangereux qui furent si longtemps funestes à la liberté, semblent la menacer encore en offrant asile à ses plus cruels ennemis. Il est temps enfin d'en délivrer la terre humiliée de la porter, et que la loi bien entendue soit exécutée. « En conséquence, le Représentant du peuple,

« Arrête :

« ART. I. — Tous les châteaux-forts, donjons, tours et autres monuments de la féodalité qui< exigent, encore dans l'étendue de ce département/seront détruits. Les fossés qui les environnent, les citernes et souterrains pratiqués auprès ou au-dessous seront comblés.

« ART. IL — Les matériaux provenant des démolitions seront adjugés au profit des patriotes indigents des communes dans l'étendue desquelles seront situés les châteaux, tours et donjons démolis.

« ART. III. —L'adjudication se fera par des commissaires du district qui se transporteront à cet effet sur les lieux; et la désignation des patriotes qui devront profiter du prix de l'adjudication sera faite en. séance publique par les Conseils généraux des communes, de concert avec les sociétés populaires, dans les lieux où il y en aura d'établies.


— 89 —

« ART. IV, — Il sera nommé des commissaires qui parcourront de suite le département, indiqueront les châteaux, tours et donjons qui devront être démolis à l'instant, et désigneront les bâtiments indépendants qui seront susceptibles d'être conservés comme bâtiments d'exploitation.

« ART. V. — Le présent arrêté sera imprimé et envoyé sur-le-champ à toutes les communes et sociétés populaires du département et aux administrations des départements voisins.

« A Clermont-Ferrand, le vingt septembre 1793, an II de la République une et indivisible.

« COUTHON (1). »

Les ordres de Couthon furent rigoureusement exécutés dans le Puy-de-Dôme. Cet homme n'était pas seul à poursuivre la noblesse et le clergé; ses collègues à la députation, Dulaure, Gauthier-Biauzat, Monestier, Maignet, leur faisaient aussi une guerre acharnée. Hommes sans conscience, aux convoitises insatiables, d'une ambition démesurée, ces jacobins usaient de toute leur influence, soit à l'Assemblée nationale, soit dans les administrations, pour arriver à leur double but qui était d'abord la destruction de la noblesse, du clergé, de toute aristocratie, et puis

(1) Le Puj'de-Dôme en ijpj, p. su.


-, )0 —

l'établissement sur ces ruines de leur fortune privée, de leur élévation personnelle.

Aussi de toutes parts les châteaux croulaient, les châtelains fuyaient devant le pillage, l'incendie, les bandes armées. Les uns passaient la frontière, se réfugiaient en Allemagne, en Italie, en Angleterre; plusieurs se cachaient dans les villes populeuses où ils se dissimulaient dans la foule.

Ceux qui ne fuyaient pas étaient arrêtés, emprisonnés, quelquefois massacrés ou envoyés à l'échafaud.

Charles-Guillaume Arnauldde La Ronzière habitait son château de La Ronzière, près d'Artonne, où, grâce à ses nombreux bienfaits, il put quelque temps tenir tête à la bande révolutionnaire. Mais bientôt deux démagogues du pays, les citoyens Dessert et Desniers, ourdirent contre lui des trames infernales et le féroce Couthon le fit inscrire sur la liste des proscrits du Puy-de-Dôme. Dès lors, M. de La Ronzière sévit sans. cesse harcelé par les patriotes et dut subir les mesures les plus vexatoires. (

Un jour, en avril 1793, une bande d'hommes avinés arrivent de la ville d'Aigueperse à La Ronzière, pénètrent en désordre dans le château et somment le châtelain de leur livrer les armes qui sont, disent ces hommes, en sa possession. Il répond qu'il n'a d'autres armes que deux pistolets et Tépée dont il se servait


-- )l

contre les ennemis de la France, quand il était au service du roi. On les lui demande, il les refuse et, ouvrant une fenêtre de son château, il décharge en l'air les deux pistolets, puis, prenant son épée, il la brise en disant.: « Cette épée a servi le roi, elle ne servira à aucun autre usage. » Cette fière action et ce noble langage n'émurent pas les patriotes; ils emmenèrent M. de La Ronzière dans les prisons de Riom, à la grande indignation des habitants d'Artonne dont la reconnaissance envers leur bienfaiteur était encore vivante dans leur coeur; ces honnêtes gens firent même des démarches pour obtenir sa liberté, comme le prouve la lettre suivante écrite par un ecclésiastique, probablement par M. Fargès, curé d'Artonne :

« Citoyen Rozier-Darzilly,

<t Voilà le moment d'agir : tu connais l'innocence du citoyen Arnauld de La Ronzière et la méchanceté de ses délateurs. Que n'ont-ils pas fait et que ne font-ils pas encore pour le perdre I II .faut espérer qu'il triomphera de ses ennemis comme sa femme en a triomphé. Pour cela, il suffit d'exposer les faits tels qu'ils sont. Le comité de surveillance d'Aigueperse a demandé ces jours-ci à la municipalité d'Artonne une prétendue dénonciation qui n'existe pas. Tout se réduit à un procès-verbal fait par la précédente municipalité d'Artonne : et que dit-il ? Qu'Arnauld a remis


— 3« -

ses pistolets après les avoir déchargés par la fenêtre, et qu'il a donné son épée après l'avoir brisée. Or, quel mal y a-t-il à cela? Les citoyens Dessert et Desnier ne lui reprochent pas autre chose.

« Notremunicipalité actuelle atteste qu'il s'est toujours bien' comporté. Que faut-il de plus ? Je compte sur toi, citoyen, et te prie de tout faire pour obtenir son élargissement. »

M. de La Ronzière obtint sa liberté et parvint à sauver sa vie et son château. Cet ancien capitaine de grenadiers, ce chevalier de saint Louis mourut à La Ronzière en 1821, âgé de 89 ans, laissant quatre enfants, dont un, M,,e Victorine, fut pendant quarante ans la providence des pauvres du pays (1).

Quand les nobles ne fuyaient pas, on les emprisonnait; quand ils fuyaient, on les poursuivait, on confisquait leurs biens; quand ils rentraient sur le territoire français, on les fusillait.

La famille de Cisterne, seigneurs de Vinyelles, de Lormej de Rochegonde, de La Fage, etc., tire son nom de Cisterne, chef-lieu de commune dans le canton de Pontgibaud. Avant la Révolution, cette famille était composée de huit membres : le père, la mère, quatre garçons et deux filles; ils habitaient Vic-le-Comte et Clermont.

(1) L'Auvergne chrétienne, p. 364.


—}) —

A quinze ans, le fils aîné s'engagea dans les chasseurs d'Auvergne. Il fut toujours fervent roya. liste. En 1814, le roi Louis XVIII lui donna la croix de Saint-Louis.

En 1791, ilse résolut à émigrer, mais ne voulant pas courir seul une telle aventure, il détermina le plus doux, le moins belliqueux de ses frères, MichelJoseph, âgé de vingt ans, à partir avec lui.

Ils rejoignirent l'armée de Condé en Allemagne ; plus tard, Michel-Joseph fut envoyé, avec deux de ses camarades, en Hollande, chargé de quelque mission. Les troupes républicaines occupaient le territoire hollandais et un jour, en 1794, le jeune de Cisterne tomba entre leurs mains; il fut incarcéré dans les prisons de Bois-le-Duc.

« Le malheur voulut, dit Marcelin Boudet, qu'un des officiers qui commandaient le détachement français fût son compatriote. Reconnu et dénoncé par cet homme, il fut aussitôt extrait de la prison de Bois-leDuc, où on venait de Técrouer, et traduit devant la commission militaire établie dans cette ville; M. de Cisterne ne chercha plus à disputer sa vie, il déclina son nom, avoua son but, et revendiqua sa qualité de royaliste. Il fut condamné à être fusillé en vertu de la loi qui frappait de mort tout émigré saisi sur le territoire. Au moment de l'exécution, il demanda un instant de sursis pour faire son acte de


J4

contrition. On le laissa s'agenouiller; il déclara qu'il pardonnait à son dénonciateur; il demanda ensuite la faveur de recevoir la mort à genoux, et sa courte prière fut interrompue par les balles. Il fut fusillé dans le milieu de la nuit, au clair de lune, le 15 vendémiaire an 111(6 octobre 1794), immédiatement après sa condamnation. De sa vie, son frère ne put se consoler de cette mort dont il avait été la cause involontaire et qui avait prouvé que le courage peut s'allier au caractère le plus doux. Fidèle exécuteur de la dernière volonté de son jeune frère, il ne voulut jamais, paraît-il, livrer le nom du dénonciateur. » j Voici encore une lamentable histoire : Mra« de Quatresols de Marolles était soeur de M. de Barentin, vicomte de Montchal, lequel, nous . l'avons dit, fut nommé par la noblesse de Clermont député aux Etats-Généraux, en sus du nombre fixé par le règlement royal et qui, par conséquent, ne fut pas accepté. Sa soeur, Louise-Madeleine de Barentin, avait, de M. de Marolles, un fils, Charles-Nicolas qui, au commencement du mouvement révolutionnaire, suivît dans l'émigration quelques-uns de ses compatriotes.

Ce jeune homme rentra bientôt auprès de sa mère, en butte aux espionnages et tracasseries des jacobins. On avait saisi chez elle une chanson quelque peu irrévérencieuse à l'égard de la fête de la fédération qui


— 35 — '

avait eu lieu au Champ-de-Mars, à Paris (i), et une lettre de la mère à son fils émigré, dont voici le contenu :

« Nous sommes toujours dans l'attente des événements que la guerre doit occasionner. On ne peut se faire une idée de ce qui se passera d'ici à deux ou trois mois. Si la rage des émigrés éclate, il nous écraseront. Les Parisiens sont bien décidés à faire belle résistance... Rentrons chez nous sains et saufs. Voilà ce qu'il nous peut arriver de moins malheureux *

Cette chanson et cette lettre, assez inoffensives, furent pourtant la cause d'une catastrophe. Mme de Marolles et son fils furent arrêtés et renvoyés au

(t) Oh! quel superbe serment! Comme ça t'oa en verra guère. Oh! quel superbe serment! S'il n'y eut ni pluie ni vent.

t

Figurez-vous le Champ de Mars Qu'est bien plus grand que not' cimetière, 11 était tout plein de soudard* Qu'avaient quasi l'air de guerre. Oh! quel superbe serment! etc.

3

Malgré cette pluie, ce vent,

On fit défiler les armées

Je me disais en les regardant

Ah! bon Dieu, que de poules mouillées.

Oh! quel superbe serment! etc.


-36tribunal

-36tribunal de Paris, en compagnie de leur cousin Pierre de Quatresols de La Hante, et de six autres accusés, dont quatre'prêtres. Ils parurent tous devant le tribunal révolutionnaire, le 29 novembre 1793; ils étaient accusés du délit d'écrits anti-révolutionnaires et de sentiments anti-patriotiques. Ils furent tous les neuf condamnés à mort.

Les derniers moments de Mme de Marolles et de son fils, âgé de vingt-trois ans, furent déchirants. Sur la charrette qui les conduisait à Téchafaud, ils étaient placés l'un à côté de l'autre. La douleur de la mère était poignante: elle tenait son fils dans ses bras*: elle le couvrait de ses baisers, elle le mouillait de ses larmes, ne cessant de prononcer des paroles égarées où se manifestaient une tendresse et une douleur indicibles.

Le bourreau lui-même, Sanson, qui était sur la charrette, ne put'supporter un pareil spectacle et alla monter sur une autre voiture.

Il raconte dans ses Mémoires cette scène émouvante : « Il a fallu, dit-il, les séparer de force pour les lier, tant ils se tenaient étroitement embrassés. Quand elle a vu tomber les cheveux de son fils, les cris de la condamnée étaient si lamentables qu'on eût dit qu'elle allait cracher son coeur; nous étions tous interdits, et d'autant plus que c'était à nous qu'elle s'adressait, nous disant que U République avait bien


-37 —

assez de sa tête et que nous devions faire grâce au jeune homme. C'était si fort que j'ai renoncé. Henry est monté dans la première charrette avec eux et je m'en suis allé avec la seconde ; niais dans le chemin, malgré le bruit des chevaux et des roues sur le pavé, on l'entendait gémir et se désoler. Les condamnés de ma voiture tournaient la tête pour ne pas la voir. On n'a presque pas crié, les femmes ont pleuré, même les plus harpies, et beaucoup ne se sont pas gênées pour la plaindre. Sur la place et quoiqu'elle fût fort abattue, elle fit une nouvelle scène. Le fils ne cessait de lui répéter qu'il était content de mourir avec elle, mais elle répondait avec colère qu'elle ne voulait pas qu'il mourût. Elle fut exécutée la première et, sur la plate-forme, elle me disait : — « N'est-ce pas que sa grâce va venir? » Je crois qu'elle s'était persuadée qu'on n'avait amené son fils que pour la désespérer, mais qu'il ne serait pas supplicié. Je n'ai pas eu le coeur de la contredire. Le fait est que si ceux de l'autre jour étaient bien vieux, celui-ci était bien jeune : vingt-trois ans (i). »

(i) Le Tribunalrév. de Paris, t. III, p. 183. Marcellin Boudet.


CHAPITRE IV

NOUVELLES VICTIMES DE LA RÉVOLUTION DANS LE PUY-DE-DÔME ; DES BRAVARDS D*EYSSAC ; J. B. D'ESTAING ; VARENNES DE CHAMPFLEURY ; GEORGES DE MONTCLOUX; GABRIEL DU S AU LN 1ER; LE COMTE ET LA COMTESSE DE SAINT-DIDIER ; GASPARD DE BESSE. « .

Dans l'extermination de la noblesse du Puy-deDôme, les révolutionnaires n'avaient égard ni aux bienfaits reçus, ni aux services rendus, ni à la gloire militaire et nationale. Les grands dignitaires, les généraux, les amiraux, les officiers vieillis au service de la France, nul ne trouvait grâce devant ces despotes sectaires qui voulaient, disaient-ils, régénérer le monde, et qui dans ce but tonnaient, criaient, sonnaient la charge contre tout ce qui dépassait leur taille monstrueusement petite et leur intelligence horriblement dévoyée.

Les hideux personnages, Marat, Panis, Sergent envoyèrent à une certaine époque à Rennes une


- 39 -*•'•

horrible circulaire dans laquelle il était dit : « Tuez, nous avons tué; égorgez, nous avons égorgé ». On faisait ainsi en Auvergne : on tuait, on égorgeait. Il fallait bien faire ainsi pour régénérer l'Auvergne.

Le 9 floréal an II (28 avril 1794), devant le tribunal révolutionnaire de Paris, comparut une fournée de trente-trois accusés parmi lesquels nous trouvons deux nobles Auvergnats : Un colonel et un amiral :

Louis des Bravards d'Eyssac, comte de Prat, né à Limons, près Ràndan, selon les uns, à Ganiac, près Riom, selon le Moniteur Universel, était en 1789 lieutenant-colonel au régiment d'Orléans-infanterie. Malgré ses services rendus à la patrie, il fut dénoncé comme suspect. Il était noble, donc il était coupable, contre-révolutionnaire, conspirateur: donc il fallait l'arrêter. On l'arrêta. Le tribunal révolutionnaire de Paris le condamna à mort et il fut exécuté sans retard. Il était âgé de cinquante-un ans.

Jean-Baptiste-Charles-Hector d'Estaing naquit au château de Revel, dans le Puy-de-Dôme ; il se distingua dans les armées de terre et de mer, surtout aux Indes et dans la guerre américaine pour l'indépendance des Etats-Unis. Courtisan par nature et patriote par intérêt, l'amiral comte d'Estaing embrassa le parti de la Révolution, et fut nommé commandant de la garde nationale de Versailles en 1789.


— 40 —

Malgré sa conduite et ses principes révolutionnaires, il ne put échapper aux méfiances des républicains qui le firent arrêter comme suspect.

Devant le tribunal révolutionnaire de Paris, il tint un langage. qui dénotait une certaine ingratitude envers le roi et la reine dont il avait reçu tant d'honneur et de bienfaits.

Le juge l'interrogea:

D. — Depuis la Révolution et lors du séjour du tyran à Versailles, fréquentiez-vous la cour du despote Louis XVI ? -.

R. — Je l'ai fréquentée autant que ma jilace de commandant de la garde nationale l'exigeait. ' <

D. — Assistiez-vous quelquefois au conseil de Capet et de ses ministres?

R. — Jamais.

D. — Avez-vous été invité, avez-vous assisté aux orgies des gardes ,du tyran les jours qui ont précédé ceux des 5 et 6 octobre 1789 ?

R. —; J'ai assisté à un des grands repas des gardes du corps, après m'y être opposé, autant qu'il était en moi, et seulement en ma qualité de commandant de la garde nationale.

D. — A ce repas, vous aperçûtes-vous de quelques outrages faits à la souveraineté du peuple ?

R. — J'eus le chagrin de voir qu'on n'y avait pas bu à la santé de la nation, malgré la demande


4i

expresse que j'en avais faite avant de m'y rendre, et que lorsque les ci-devant roi et reine, et la ci-devant famille parurent, avec enthousiasme on but à leur santé, ce qui augmenta mon chagrin, attendu qu'on était convenu de ne boire à la santé de personne, sinon des convives entre eux.

D. — Avez-vous quelquefois fait visite à Capet et à sa famille durant son séjour aux Tuileries ?

R. — Oui, environ une fois par semaine, à ce que Ton appelle son lever.

D. — Depuis la destruction du tyran et de la tyrannie, à quel dessein conservîez-vous les effigies des ci-devant roi et reine, d'Artois et Monsieur, qui se sont trouvées dans votre domicile lors de la perquisition qu'on y a faite ?

R. — Je ne les conservais pas, je les ai oubliées, elles étaient mêlées avec des vieilles clefs. Toute ma conduite a prouvé ma haine pour ces individus... »

Condamné et exécuté avec ses trente-deux compagnons; il avait soixante-cinq ans.

Cette exécution de trente-trois personnes, femmes, prêtres, hommes de cour, hommes du peuple, fit une impression profonde. « La plus grande consternation régnait hier dans les cafés, dit un rapport; des soupirs ont échappé involontairement à quelques individus. Les sans-culottes au contraire étaient au comble de la joie : Ça irai Vive la République! Vive la


— 4» —

Convention! nous ne serons plus trahis.' Voilà le refrain de chaque républicain (i). »

Le chevalier de Varennes de-Champfleury, François Etienne-Joseph, né à Clermont en 1730, fut lieutenant-colonel de dragons au régiment de Beauffrement, puis au 10e régiment de cavalerie. Voici ce que dit sur cette victime le tribunal révolutionnaire de Paris:

« François-Etienne-Joseph Champfleury, capitaine au 10e régiment de cavalerie, ci-devant nommé chevalier de Varennes, un des chevaliers du poignard, dit l'acte d'accusation, portant sa croix de Saint-Louis sur sa chair. On l'avait trouvé muni d'une bagué où étaient ces mois : Tout à mon roi, et de plusieurs pièces de monnaie étrangère, ce qui ne laissait à l'accusateur public aucun doute sur ses relations avec l'étranger.

Tout ce qu'il fit dans son interrogatoire pour atténuer la gravité de ces faits ne lui servit de rien (2). » Il fut exécuté le 13 ventôse an II (3 mars 1794), laissant deux fils, dont l'un émigra.

Le 19 floréalan II (8 mai 1794), vingt-huit fermiers généraux furent condamnés par le tribunal de Paris, accusés de n'avoir pas bien tenu et rendu leurs comptes,

(1) Trih. rév. de Paris, t. III, p. 350 et suiv. — Nobiliaire d'Auvergne.

(4) Id., t. II, p. 516.


— 43 —

a d'avoir favorisé par tous les moyens possibles les succès des ennemis de la France, notamment en mêlant au tabac de l'eau et des ingrédients nuisibles à la santé de ceux qui en faisaient usage. »

Parmi ces 28 se trouvait un Auvergnat, GilbertGeorges de Montcloux, né à Montaigu (Puy-de-Dôme), fermier général et secrétaire du roi. Coffinhal, notre compatriote, était un des juges de la présente audience. Le savant Lavoisier, un des fermiers-généraux, demanda un sursis de quinze jours pour terminer des expériences scientifiques. < La république, lui répondit Coffinhal, n'a pas besoin de savants ni de chimistes. » Ils furent tous exécutés (1).

Troisautres fermiers généraux, qui avaient échappé ce jour-là à la condamnation parce qu'ils étaient dans d'autres prisons, furent bientôt découverts et conduits devant le tribunal: Charles-Adrien Prévost d'Arlincourt, Louis Mercier et Jean-Claude Douet. Ce dernier habitait tantôt Paris, tantôt sa terre de Lamothe dans le Puy-de-Dôme. Ils furent comme leurs collègues accusés d'avoir dilapidé les finances et falsifié le tabac. •

Pendant le cours du débat, on interrogea M. Douet sur un fait qu'il ignorait. Il répondit que sa femme, détenue à la Force, pourrait peut-être donner quelques

(1) Tribunal révol. de Paris, t. III, p. jç.


— 44 —

instructions sur ce point. On l'envoya chercher; elle fut entendue. Et le tribunal « attendu qu'il résulte des pièces lues par l'accusateur" public que Douet, non content des dilapidations, entretenait encore une. correspondance criminelle avec les ennemis extérieurs de la république, dans laquelle correspondance il paraît que sa femme avait la plus grande part, ordonne que mandat d'arrêt sera à l'instant décerné contre la femme Douet. » Ce n'est pas la première fois qu'une personne appeléecomme témoin est rangée au nombre des accusés et condamnée séance tenante.'

Douet et sa femme furent condamnés et exécutés ensemble; c'était le 25 floréal an II (14 mai 1794). Le mari avait 73 ans et la dame 60 ans. Leur véritable crime était d'être très riches (1).

Raymond-Gabriel du Saulnîes, né à Brîoude, demeurant à Bansat, près dTssoire, avait été lieutenant au régiment deBeauvaisis. Il avait des propriétés dans l'Allier et il fut dénoncé par les autorités de ce département qui l'accusaient d'avoir offert de parier qu'avant peu il y aurait une contre-révolution. En outre, il avait écrit le 10 janvier 1793 une lettre portant cette adresse : A Monsieur le comte de BourbonBusset, lieutenant-général des armées du roi, dans son château de Busset.

(1) Trib. rév. de Parist\\. III, p. 440.


- 45 -

Pour cela, il fut arrêté à Bansat, envoyé à Paris, condamné et exécuté le 28 floréal an II (17 mai

I794XOLe mois suivant, deux autres victimes tombèrent

sous le couteau de la guillotine : le comte et la comtesse de Saint-Didier.

Jean-Marie-Hector Genestet, marquis de Nerestang* comte de Saint-Didier, né à Aurec (Haute-Loire), épousa en 1784 Louise de Besse, née à Auliac (Puyde-Dôme), delà famille de Rochechouart et soeur de la comtesse de Montboissier. Ces deux jeunes époux possédaient des biens immenses dans l'Auvergne, le Veley et le Forez et, outre cette illustration de la fortune, ils portaient sur leur front la gloire de la foi la plus vive. Ils se faisaient surtout remarquer par leur charité envers les pauvres. La mère de M. de SaintDidier lui avait dit en mourant : t Sois le père des pauvres, mon fils, promets-moi de ne jamais les oublier. » Il ne les oublia jamais.

« Encore aujourd'hui, à Sêneujols, à Montbonnet, Saint-Didier et dans les autres endroits dont il était seigneur, mais surtout à Aurec où il résidait habituellement, on se souvient avec attendrissement et admiration de sa grande charité pour les pauvres, de sa libéralité envers tout le monde, de sa tendre

(\\Trib. rév. de Paris, t. III, p. 494.


piété à Téglise. Les habitants d'Aurcc, dont il était réellement le père, ne voulurent jamais d'autre maire queluiet il enaccepta la charge par affection pour eux. Sa vertueuse épouse le secondait admirablement dans toutes ses oeuvres de piété et de charité. La plus exacte régularité régnait dans la famille. Les préceptes de l'Eglise touchant le jeûne et l'abstinence y étaient également observés. La comtesse visitait elle-même les malades et les consolait autant par sa présence que par ses largesses. Lorsqu'elle allait à Téglise pour s'approcher du tribunal de la pénitence, elle se mettait à genoux, à son rang, sur le pavé, disant aux personnes qui voulaient se déranger pour elle : « Ici je ne suis pas plus que vous, pas de distinction pour moi(i)».

En 1790, quand les prêtres furent proscrits, ils les recevaient chez eux.

En 1791, les perfidies et les tracasseries des patriotes — car il y en avait aussi dans ce pays foncièrement catholique, — déterminèrent M. de Saint-Didier à donner sa démission de maire d'Aurec, et, pour se soustraire aux obsessions des habitants qui tenaient à le conserver à leur tête, il se retira quelque temps soit à Lyon, soit à Feurs, où il avait du chef de sa femme une belle maison de campagne.

(t) Conférence sur les martyrs de la Révolution dans le diocèse du Puy, p.- 151.


-47M.

-47M. Mmc de Saint-Didier étaient trop aimés dans le pays, trop religieux et trop riches pour ne pas s'attirer la haine des. révolutionnaires. On les dénonça ; ils furent arrêtés à Aurec au milieu de la frayeur et de l'indignation générale. Les habitants, pour obtenir leur liberté, signèrent en masse une pétition et soixante d'entre eux eurent le courage de la porter au district, à Monistrol, au péril de leurs biens, de leur liberté et même de leur vie ; mais inutiles démarches et vains regrets. La Révolution n'a pas de coeur et se moque de la justice qui est un vain mot pour elle.

Les nobles époux furent conduits au tribunal de Paris, c'est-à-dire à la boucherie. Ils parurent devant ce tribunal le 9 messidor an II (27 juin 1794), et ils furent condamnés à mort :

«Convaincus, dit le jugement, d'avoir été complices du traître Capet, en répandant de l'argent parmi les prêtres réfractaires, en entretenant des intelligences avec les ennemis de la France ».

Faisant des aumônes, voilà leur premier crime; écrivant à quelque émigré, voilà le second ; c'est toujours lé même refrain : Tout noble, aux yeux des républicains, entretient des correspondances avec les émigrés; vrai ou faux, c'est cela.

En outre, M. de Saint Didier était accusé « d'avoir assassiné les patriotes au Champ-de-Mars .» En effet,


-48M.

-48M. Saint Didier faisait partie de la garde nationale commandée par Lafayette, son parent, lors de l'affaire duChamps-de-Mars :-mais Lafayette et Saint Didier n'étaient pas hommes à assassiner les patriotes.

MttC de Saint-Didier, elle, n'était pas accusée d'avoir assassiné les patriotes, mais t elle a provoqué par des discours, dit le jugement, l'avilissement et la dissolution de l'Assemblée nationale ». C'est incroyable. #

Voici qui est horrible : Mme de Saint-Didier était enceinte de six ou sept mois. C'était là une circonstance atténuante et le tribunal, malgré ses fureurs, élargissait quelquefois de telles accusées, du moins renvoyait à plus tard leur exécution. Il paraît que Mme de Saint-Didier auraitété sauvée sans un billet que Faute, représentant du peuple envoyé dans la HauteLoire, écrivit à l'accusateur public dans lequel il disait: c Demande à< la Saint-Didier où elle était à telle époque. * La question fut faite et avec toute simplicité, la comtesse répondit qu'à cette époque elle était allée voir sa mère en Suisse.

Aller voir sa mère, crime digne de mort.

En outre, Faure, écrivant au président du club de Monistrol, disait :

c Informe-toi de celui qui a fait la pétition pour les Saint-Didier, et raye-le de la face de la terre. Sans moi, la Saint-Didier échappait à la guillotine. »


-49Les

-49Les furent exécutés avec vingt autres condamnés, parmi lesquels le Maréchal et la Maréchale de Noailles de Mouchy, dont nous parlons ailleurs. M. de Saint-Didier avait 36 ans, Madame 26(1).

Le 5 juillet 1795 (17 messidor an II), deux autres Auvergnats perdirent la vie: Gaspard de Besse et Pierre Vigerie, le noble et le roturier.

Gaspard-Georges de Besse de La Richardie, né à Auliac (Puy-de-Dôme), était oncle de Louise de Besse, comtesse de Saint-Didier, dont nous venons de raconter la tragique histoire. Il était grand-croix de Tordre de Malle. Il habitait ou du moins il avait des propriétés dans le Lot, car il fut dénoncé par l'accusateur public de ce département. Quand on voulait perdre un noble, un riche, tout était prétexte à accusation, un mot', une exclamation, la lettre la plus insignifiante. On trouvait partout la preuve de conspiration, de correspondance avec les émigrés, de complot avec les ennemis de la république.

De Besse fut arrêté et condamné sur le vu de quelques lettres, interprétées défavorablement.

Dans une lettre du 8 juillet 1792, on lui écrivait : « Nous sommes ici comme vous Têtes à Paris, dans l'attente des grands événements qui se préparent.

. (1) Trib. rév.de Paris, t. IV, p. »$. Boudet.


- 5oCelui

5oCelui mois dernier a affligé tous les gens de bien, amis de leur roi et de leur patrie et le nombre en est grand. »

Dans une autre lettre on lisait :

« Je serais charmé de vous voir pendant mon court séjour dans la capitale. Vous avez raison de croire que Ton y est tranquillement ; mais qui est-ce qui peut répondre que dans peu Ninive ne sera pas détruite ou du moins bien châtiée ! C'est Paris qui a été la boussole de la Révolution. Gare qu'elle n'en soit la victime ! Ce qui se passe en ce moment annonce une décision peu éloignée. Le règne des anthropophages va finir. ». l ' l

Dans une autre lettre du 21 avril 1792, qui ne porte ni indication, ni signature, ni adresse, on lit :

« Le roi rappelle son ambassadeur auprès de la courde Vienne, qui est M. deNoaillcs. Je vous assure que les émigrés sont très contents, et qu'ils ont l'espoir de rentter victorieux. » *

C'était assez ; de Besse fut condamné à mort et exécuté avec vingt autres malheureux citoyens de divers pays. De Besse avait 36 ans.


CHAPITRE V

LABOULAY DE MARILLAC — J.-B. DE VICHY. — CHARLOTTE DE SAINT-NECTAIRE. — LE COMTE DE CROZET, DE MONTGON. — DAUPHIN DE LEYVAL. — LES CINQ. DE MONTMORIN.

Continuons la lamentable histoire de l'extermination de la noblesse en Auvergne. Des familles entières furent décimées.

La guerre faite par la classe bourgeoise à la classe aristocratique prit, en 1793 et 1794, un développement de férocité extraordinaire. Délations, dilapidations, arrestations, visites domiciliaires, confiscations, guillotine, tout fut mis en usage pour faire disparaître de la surface de la terre les nobles et les riches.

Jean-Nicolas-^mbroise de Laboulay de Marillac avait son domicile à Fouranges, commune de Brout, district de Gannat; il était sous-lieutenant au régiment de Béarn-infanterie, en garnison à Saint-Omer, lorsqu'arriva le cataclysme qui vint briser toutes ses espérances. Il passa en Allemagne et, en conséquence,


- 53 —

il fut porté sur la liste des émigrés du département de l'Allier, auquel avait été annexé le district de Gannat, détaché de l'Auvergne.

M*"* de Marillac, née de Salvert, restée à Gannat avec deux jeunes enfants, fut arrêtée et mise en prison en sa qualité de femme d'émigré, mais elle obtint son élargissement après des démarches et des supplications multipliées.

• Son mari rentra en France et, pour ne pas être découvert, il se fit agriculteur, dans la commune de Nevers. Il s'y croyait en sûreté. C'était loin de Brout; qui donc irait le découvrir là ? Il fut pourtant découvert par le comité de surveillance; incarcéré à Nevers, puis envoyé à Gannat, ensuite à Moulins où le tribunal criminel le condamna à mort, « attendu, dit le jugement, qu'après avoir émigré, il a osé venir souiller de sa présence le territoire de la République. »

Il n'eut pas le temps de languir : condamné à mort le matin, il fut exécuté le soir, à 7 heures, sur la place Brutus; le 17 messidor an II (5 juillet 1794). H était âgé de 34 ans. Le jugement porte que « ses biens sont et demeurent acquis à la République, conformément à la loi du 17 mars 1793 (1) >. On exigeait donc des nobles et la bourse et la vie.

On guillotinait les nobles d'Auvergne à Moulins, à

' (t) Revue de la Révolution, par Gustave Bord.


— 53 ~

Paris, à Lyon, à Clermont, partout où on les trouvait. Dans cette dernière ville, le 17 juillet 1794, tombait la tête de Jean-Baptiste de Vichy, d'Aigueperse, officier au régiment de Beauvoisis, émigré rentré en 1793, arrêté dans les environs de Riom et condamné à mort le 29 messidor (17 juillet 1794). Un membre de la même famille fut exécuté à Lyon, comme nous le racontons ailleurs.

Le 26 du même mois de juillet, l'héritière d'un nom illustre de l'Auvergne, Charlotte-Marguerite de Saint-Nectaire, épouse du marquis d'Armentières, maréchal de France, était guillotinée à Paris avec trente autres condamnés à mort, parmi lesquels se trouvaient les princesses de Narbonne-Pelet, de Grammont, de Chymay, de Monaco et les hauts dignitaires, Clermont-Tonnerre, Ctussol d'Amboise, etc.

Le 23 septembre 1794, le comte Jean-Baptiste de Croyet, né et domicilié à Riom, lieutenant au régiment de la Tour, fut condamné à mort et exécuté le 2 vendémiaire an 111(23 septembre 1794), par la commission militaire établie à Valenciennes, en qualité d'émigré, saisi sur le territoire français.

Jacques-François de Cordeboeuf-Beauverger, comte de Montgon, paroisse de Grenier, près Blesle, venait de quitter l'Auvergne pour se rendre à Arras dont il avait été nommé gouverneur militaire. Il emmenait


- 54avec

54avec sa famille et une servante dévouée, appelée Thérèse Chazelles, fille de son régisseur de Védrines.

Deux fils du comte, Jacques-François-César et JeanAntoine, tous deux officiers au régiment de Cambraisis, faisaient partie de ce convoi de prisonniers qui furent massacrés sur la route de Paris à Orléans, le 9 septembre 1792. Grâce au dévoûment d'un soldat de leur régiment, ils purent s'échapper.

Le proconsul Joseph Lebon ai.iva à Arras et terrorisa la ville. On avait pressé M. de Montgon d'émigrer ; il avait refusé, disant que, « placé à son poste par le roi, il y resterait tant que le roi ne l'aurait pas relevé ». ( s

Mais bientôt il dut quitter forcément son poste de gouverneur de la citadelle d*Arras.

< Pendant qu'ils se cachaient, lui et les siens, dit Boudet, Thérèse les nourrissait en faisant de la dentelle. Quand ils furent incarcérés, elle se voua à l'adoucissement de leur captivité... Quand elle avait gagné;quelque argent, elle achetait des provisions et les portait à la prison.

Les femmes étaient,surveillées plus rigoureusement que les hommes et Thérèse ne pouvait voir ces dames, Mme de Montgon et sa fille Delphine, dame de Saint-Cyr, mais elle obtenait sans difficulté de visiter le prisonnier.

Un jour, M. de Montgon lui donna sa tabatière.


— 55 -

— « Tiens, lui dit-il, sans aucune émotion apparente, tu donneras cela à ta maîtresse quand tu la verras. »

— « Vous ne prisez donc plus ? lui observa la jeune fille. — Non, je ne priserai plus ! » répondit simplement M. de Montgon; et en même temps il lui remit sa montre dont il avait arrêté le ressort, comme pour mieux donner à ce souvenir suprême l'empreinte de la mort.

Il venait d'être condamné. Thérèse " ne connut l'exécution que par la rumeur publique ; elle apprit par hasard qu'elle, venait d'avoir lieu ; elle accourut et ne put voir que les ruisseaux de sang.

La date de la condamnation, ajoute Marcellin Boudet, n'a été précisée ni par les témoins, ni par M. d'Espiuchal. Elle ne figure pas dans la liste officielle de celles qui sont attribuées à Lebon.

Le commandant de la citadelle d'Arras avait, outre les deux fils mentionnés plus haut, un fils aîné, le marquis de Montgon, qui épousa, au retour de l'émigration, M,l€ de Baurron, et c'est dans le couvent de Baurron qu'il assura une retraite à Thérèse Chazelles, où ses descendants lui servent encore aujourd'hui une pension, en reconnaissance de son dévouement dans les temps d'épreuves (i). »

Les Dauphin de Ley val étaient seigneurs deLeyval,

(i) Tribunaux d'Auvergne, p. 66 et 384.


-56d'Auzolles,

-56d'Auzolles, Chaumettes, Charlane, Ramades, etc. ; en Basse et Haute-Auvergne. Cette famille eut son martyre pendant la révolution.

Le baron Augustin-François-César, Dauphin de Leyval, né à Clermont, était capitaine en second, avec grade de colonel aux Gardes françaises, lorsque arriva le torrent révolutionnaire.

Il avait épousé une demoiselle de Dienne. On l'accusa d'avoir conspiré avec le roi pour massacrer le peuple.

« Il avait depuis quatre ou cinq mois, dit M. de Barante, échappé aux recherches et vivait « tantôt errant, tantôt caché aux environs de sa terre de Mont-de-Gétat. Une fausse confiance dans la promesse de Couthon et encore plus dans sa propre innocence, le détermina, d'après les instances de sa femme, non-seulement à se présenter, mais même à demander à être jugé. Use constitua prisonnier à Clermont au commencement de 1794 et fut envoyé à Paris peu de temps après.

«Safemme s'y rendit en même temps toute pleine d'espérance de le faire acquitter : ses sollicitations ne firent que hâter sa mort en hâtant son jugement. »

Amené devant le tribunal révolutionnaire, le 11 prairial an II (30 mai 1794)1 il fut interrogé. Il avoua qu'on l'appelait encore quelquefois baron ; que le 14 juillet il était de service à Versailles; que le


— 57 —

io août il avait couché chez lui, qu'il ne savait pas ce qu'on voulait dire quand on parlait des chevaliers du poignard, qu'il allait quelquefois aux Tuileries. On lui demande enfin ce qu'il pense de la condamnation du roi. — Il répond qu'il croit que quand un roi a tort il est à la merci du peuple.

Bref, il fut condamné à mort avec plusieurs autres citoyens, parmi lesquels se trouvait Nicolas Lacorde de Montpensin, juge et subdélégué dans l'élection de Gannat.

Mme de Leyval se rendit auprès de Couthon pour solliciter la grâce de son mari ; Couthon lui répondit : « Je te promets, citoyenne, que ton mari ne languira pas en prison, il sortira demain; porte toi-même cette lettre à l'accusateur public. »

Le lendemain, 31 mai, M. de Leyval sortait en effet de la prison, mais c'était pour aller à Téchafaud.

La famille a toujours cru que Couthon avait eu la froide barbarie de faire porter à une jeune femme Tordre de mort de son mari (1).

c La maison de Montmorin, dit Bouiilet, est Tune des plus anciennes et des plus illustres de la Province d'Auvergne; elle tirait son nom d'une terre considérable près de Billom. » La Révolution la décima ; cinq membres de cette famille en furent victimes.

(1) Nobiliaire d'Auvergne, Bondet. — Tribunal révol. de Paris, t. IV, p. 468.


-5* -

Louis-Victorin-Hippolyte-Lucç-Armand de Montmorin, marquis de Saint-Hérem, fut d'abord colonel au régiment de Flandre, puis gouverneur du château de Fontainebleau, charge héréditaire dans sa famille. Il accompagna à Turin Mm*s Adélaïde et Victoire, tantes du roi, lorsqu'elles émigrèrent, et revint aux Tuileries où il logeait depuis quelque temps.

Décrété d'accusation, il va se cacher à SaintGermain-en-Laye; mais découvert, il est arrêté, incarcéré dans la prison de TAbbaye, puis dans celle de la Conciergerie. Après le 10 août, où les Suisses, gardes du roi, furent massacrés, un tribunal révolutionnaire avait été établi pour juger les conspirateurs qui, disait-on, avaient, dans cette journée fameuse, fait tirer sur le peuple. - Pour donner une couleur favorable, une excuse au massacre des Suisses, les jacobins firent croire à l'existence d'une conspiration ourdie contre les, patriotes et l'Assemblée nationale.

Or, le marquis de Montmorin fut accusé d'avoir écrit de; sa main le plan de cette conspiration. Traduit devant le tribunal, le 28 août 1792, il fut acquitté; mais cet acquittement excita parmi les assistants des murmures d'une violence extrême. — « Vous le déchargez aujourd'hui, s'écria une voix, et dans quinze jours il vous fera égorger. » — « M. de Montmorin est en danger. Alors le président du tribunal, M. Osselin, trouvant un biais, annonce qu'un des


— 59 -

jurés est peut-être < parent de l'accusé, que, dans ce cas, il faudra un nouveau jury et un nouveau jugement, qu'on va s'assurer du fait et, qu'en attendant, le prisonnier sera reconduit à la Conciergerie. Làdessus, il prend M. de Montmorin par lé bras et l'emmène à travers les hurlements, non sans péril pour lui-même. Dans la cour extérieure, un garde national lui lance un coup de sabre et, le lendemain, il faut que le tribunal autorise huit délégués de l'auditoire à vérifier par leurs propres yeux que M. de Montmorin est toujours sous les verrous (i). »

Sur ces entrefaites, le 2 septembre arriva, date funèbre où des milliers de Français, hommes, femmes, prêtres, nobles, enfermés dans les prisons de Paris, furent égorgés, hachés, massacrés par des sansculottes armés de haches, de piques, de massues. M. de Montmorin, âgé de 30 ans, fut égorgé à la Conciergerie, pendant que son cousin, ancien ministre, était massacré à l'Abbaye.

Armand-Marc de Montmorin Saint-Hérem, maréchal de camp, chevalier des ordres du Saint-Esprit, et de la Toison d'Or, ambassadeur en Espagne, commandant des Etats de Bretagne, ministre des affaires étrangères de 1792, était un personnage trop marft)

marft) Révolution, par Vaine, t. II, p. 369.


— 6o —

quant pour ne pas devenir un objet de jalousie et de haine jacobines.

« Constitutionnel zélé, dit Marcellin Boudet, il fut victime de l'attachement qu'il montra au roi dans les derniers jours. Grand exemple des vicissitudes humaines; il allait être fait duc quand la Révolution le fit martyr.

c La maison où il s'était caché, au faubourg SaintAntoine, après le 10 août, raconte M. Ignace de Barante dans ses Notes inédites, était celle d'une ancienne femme de chambre de Mme de Montmorin. Tous les amis de cet infortuné ministre, 'auxquels j'ai eu occasion d'en parler, étaient persuadés qu'il fiit trahi par celte femme, et que c'est elle qui découvrit aux assassins l'asile dans lequel elle l'avait engagé elle-même à chercher sa sûreté. »

Il fut arrêté le 21 août, interrogé à la barre de l'Assemblée et envoyé au tribunal révolutionnaire. Danton, qui méditait déjà les massacres de septembre, craignit que le tribunal révolutionnaire n'acquittât l'ancien ministre de Louis XVI dans un accès d'indulgence ; le 28 août, il députa quatre citoyens au tribunal pour l'inviter à suspendre sa séance, si le procès n'était pas terminé, et ce ministre de la justice donna Tordre de réintégrer sous les verrous M. de Montmorin, acquitté ou non.

Le malheureux fut donc ramené en prison au


6i,-

moment où il espérait toucher à la fin de ses angoisses. Lorsqu'il apprit, à quelques jours de là, le massacre en niasse des prisonniers, il entra dans une telle crise de désespoir qu'il brisa à coups de poings une énorme table en bois de chêne.

Le 3 septembre, on l'amena à son tour devant cette parodie de tribunal qui s'était installé à l'abbaye et que Maillard présidait. Il protesta énergiquement contre ces nouveaux juges qu'il ne connaissait pas. Déféré à une juridiction régulière, il n'en acceptait pas d'autre. Ah ! il s'agissait bien vraiment de déclinatoire d'incompétence ! Un des juges l'interrompit :

— « Les crimes de M. de Montmorin sont connus, dit-il au président; mais puisqu'il prétend que son affaire ne nous regarde pas, je demande qu'il soit envoyé à la force. »

Envoyer à la force, élargir, étaient les termes dont ils étaient convenus pour exprimer leur vote sanguinaire; raffinement emprunté à Néron et qui devait rendre la mort plus poignante en la faisant précéder des ravissements de la délivrance.

— « Oui ! oui ! à la force I » cria ce tribunal de bouchers.

M. de Montmorin, persuadé que la commission faisait droit à ses observations, parut tout rassuré; un éctair de joie illumina son visage, ont raconté les témoins de cette scène.


6a

— « Monsieur le Président, puisqu'on vous appelle ainsi, dit-il à Maillard avec un sourire sarcastique, je vous prie de me faire avoir une voiture.

— « Vous allez l'avoir, répondit Maillard. Il envoya aussitôt prévenir les tueurs, qui étaient dans la cour, de la qualité du personnage, pour que la mort fût en proportion de son importance et peut-être de son dédain. Puis aussitôt l'envoyé de retour :

— c La voiture attend Monsieur, dit-il en accentuant sa politesse ironique... Qu'on élargisse Monsieur! »

M. de Montmorin demanda à réunir divers objets qui se trouvaient dans sa chambre; on » lui dit qu'on les lui enverrait. Il sortit et tomba sur les piques,* des travailleurs de la Commune de Paris.

Au moment où on. Tégorgeait, il mordit la main d'un de ses assassins, le septembriseur Gument. Boinnet, camarade de ce dernier, lui abattit les doigts à coups de sabre et, quelques heures après, tout dégouttant de Sang, il promenait dans les cafés du quartier ces. affreux trophées, qu'il remettait dans sa poche après les avoir montres.

Percé de plusieurs coups en plein corps, haché, coupé, tailladé, M. de Montmorin était encore vivant, quand les bourreaux eurent l'idée de l'empaler. On le porta ainsi jusqu'aux portes de l'Assemblée nationale. On peut dire qu'il mourut de douleur encore plus que du sang qu'il perdait.


-63-rEmpaler,

-63-rEmpaler, faire entrer par le bas du corps un pieu et l'enfoncer jusqu'à la gorge à travers les entrailles. C'est l'opération que Ton fit subir à M. de Montmorin encore vivant ; on Téleva en Tair et on le porta ainsi à la porte de l'Assemblée nationale qui applaudit.

Eh bien, je demande au lecteur de vouloir bien, s'il en a le courage, réfléchir un instant sur ce supplice et qu'il dise ensuite s'il y a quelque chose de plus monstrueux au monde.

Non, dans l'histoire des sauvages de l'Amérique, des anthropophages de TOcéanie, on ne trouve rien de pareil, rien de comparable à cette barbarie atroce, à cette êclosion spontanée d'une rage qui poussait les hommes de notre Révolution jusqu'à faire ce que ne font pas les lions et les tigres, jusqu'à prendre plaisir à torturer leurs concitoyens, à tes brûler dans des fours allumés, à les enterrer vifs, à boire leur sang, à manger leur chair, à les fusiller, noyer, guillotiner avec une joie d'animal pleinement rassasié, car tout cela est arrivé fréquemment pendant la Révolution, comme on peut s'en convaincre en lisant Taine, Wallon et autres historiens véridiques de la Révolution française.

D'où provenait cette rage qui se produisait à cette époque sur tout le territoire de la France ? Il n'est pas possible que la nature humaine, toute dégradée qu'elle


-64est,

-64est, capable, livrée à elle-même, de commettre des actes d'une atrocité telle que les bêtes féroces ellesmêmes ne peuvent pas produire.

Il y a dans cette rage du surnaturel ; ces hommes de la Révolution n'agissaient pas par leur propre force naturelle ; d'eux-mêmes, ils n'auraient pas fait ce qu'ils faisaient ; ils ne se possédaient pas, ils étaient possédés. Par qui ? Par une force surnaturelle, par un être du monde invisible qui envahissait leur cerveau, qui prenait possession de leurs muscles, qui pénétrait leur âme de son souffle, agissait sur leur volonté et leur communiquait cette énergje surhumaine, cette scélératesse dont la puissance produisait ces phénomènes de rage qui nous étonnent, nous stupéfient et nous tuent.

On ne peut expliquer les atrocités de la Révolution que par la possession diabolique.

Le gouvernement lui-même était en proie à cette possession sataniqùe. L'esprit diabolique s'était emparé de tous les organes du gouvernement ; il en avait pris la direction, il s'était érigé en législateur. De là ces lois atroces contre plusieurs classes de la société, contre Dieu, contre la religion, la famille, la liberté, la propriété ; de là ces massacres, ces fusillades, ces noyades, ces meurtres, ces assassinats constitutionnels qui effrayèrent l'humanité.

L'infortuné de Montmorin laissait une veuve et


-65plusieurs

-65plusieurs La veuve, Françoise-Gabrielle de Tanes, était née à Chadieu dans le Puy-de-Dôme, d'Antoine, marquis de Tannes, seigneur de Chadieu, de Talende, des Martres, etc., et de Louise-Alexandrine de Montmorin. Le comte et la comtesse de Montmorin s'étaient donc épousés cousins.

Leurs deux filles avaient épousé, Tune le comte de Luzerne, l'autre, le comte de Beaumont d'Auty. Le fils, Antoine-Hugues-Calixte, était sous-lieutenant au 5e régiment des chasseurs à pied. Un autre garçon, nommé Guy, mourut aux Indes.

Cette malheureuse famille, après la mort du père, prit tous les moyens pour échapper à la fureur des révolutionnaires; elle allait de cachette en cachette. Tout fut inutile. Mme de Montmorin fut arrêtée à Passy avec sa fille aînée, la comtesse de La Luzerne, et son fils Hugues-Calixte : tous les trois furent jetés dans les cachots."

Accusés d'être complices dans la prétendue conspiration dont Mme Elisabeth, soeur du roi, était le prétendu chef, ils furent condamnés à mort avec Mte< Elisabeth, et vingt-et-un autres personnages que Ton impliqua sans preuve dans le même prétendu complot.

Ce fut le 21 floréal an II (10 mai 1794), qu'ils furent tous conduits à Téchafaud. La veille, Mm« de La Luzerne était morte en prison sous, les yeux de sa

ç


— 66 —

mère dans les douleurs d'une maladie contractée par suite des souffrances de la détention. Elle avait cinquante-quatre ans. Cette noble victime de la rage révolutionnaire alla revoir son père au ciel, emportant l'espérance de voir bientôt sa mère la rejoindre.

Le lendemain, en effet, la mère et le fils furent conduits à la guillotine avec les autres condamnés; ils étaient vingt-quatre; les charrettes qui les portaient se mirent en marche à quatre heures du soir. Le jeune de Montmorin était sur la charrette qui portait Mme Elisabeth de France; par respect pour la princesse, il resta debout pendant tout le lugubre trajet, au milieu d'une population hurlante et grisée de blasphèmes. On arrive sur la place où était dressé l'échafaud, et la guillotine commence son infernale besogne.

Les têtes tombent successivement. Au pied de l'échafaud, en attendant son tour, le jeune Calixte, à chaque coup du fatal couteau, s'écrie : Vive le roi l La foule exaspérée de cette noble attitude, répondait : Vive la nation! Cependant il pâlit quand vint le tour de sa mère et il cria moins fort: Vive le roi! Enfin son sang coula.

Il ne restait plus que la soeur du roi. « Elle restait immobile, dit un témoin, comme ces statues de la foi qu'on voyait autrefois sous le porche des églises


-67et

-67et le visage de pierre ne saurait avoir d'autre expression que celle de l'amour de Dieu. »

Elle reçut l'absolution de M. Claude L'Hermitte de Chambertrand, chanoine de Sens, qui était du nombre des condamnés. Mme Elisabeth avait trente ans. Calixte de Montmorin en avait vingt selon Boudet, vingt-deux selon Wallon. Le soir même, à onze heures, il fut enterré avec sa mère à Mousseaux, En lui finit la branche des Montmorin de La Chassaigne (i).

Cinq victimes dans la famille des de Montmorin; ainsi étaient exterminés les nobles.

Nous nous arrêtons ici pour le moment dans cette lugubre énumération des nobles de la BasseAuvergne, mis en fuite ou assassinés légalement pendant la Révolution. Nous y reviendrons, car, dans ce pays, il y eut d'autres victimes, nombreuses, intéressantes, sorties de tous les rangs de la société.

Passons en Haute-Auvergne.

(i) BOUDET, p. 7). Le Tribunal révolutionnaire, par Wallon, t. III p. 413. —Nobiliaire d'Auvergne, art. Montmorin, — Le Moniteur universel, t. XX, p. 443.


CHAPITRE VI

GUERRE AUX CHATEAUX DANS LE CANTAL. — CHATEAUX DÉVASTES OU INCENDIES. — ADRESSE DE L'ASSEMBLÉE DÉPARTEMENTALE DU CANTAL A L'OCCASION DES TROUBLES. — PILLAGE DU CHATEAU DE DRUGEAC.

Dans le Cantal comme dans le Puy-de-Dôme, la guerre à la noblesse et aux châteaux, commencée en 1789, prit dans les années suivantes des proportions énormes. D'abord on se contenta de forcer les nobles à livrer leurs titres, leurs terriers, à détruire leurs armoiries; bientôt on les mit hors la loi, on finit par piller, brûler lçurs châteaux et s'emparer de leurs propriétés.

Voici le nom de quelques châteaux dévastés ou incendiés pendant la Révolution dans notre haut pays d'Auvergne:

— Le château àtAllancht appartenait à la famille de Dienne. Le gouvernement révolutionnaire s'en empara : on vendit le mobilier avec les bâtiments et


-69les

-69les Ce qui reste de ce château dévasté sert aujourd'hui de demeure à plusieurs ménages.

La famille de Dienne perdit dans la Révolution tous ses châteaux, toutes ses propriétés de Sainte-Anastasie (autrefois Saint-Eustache), Moissac-Chastel, Montmorand et Curières. Le chevalier de Dienne du Lac fut le seul qui conserva son domaine. Cette noble race d'anciens chevaliers de la Haute-Auvergne, ruinée, décimée par la Révolution, a disparu du pays.

— Le château de Pradt, dans la commune de Landeyrat, canton d'Allanche, fut incendié en 1790.

— Le château de la Prade, dans la commune d'Arpajon, était la propriété de la famille Robert de Lîgnerac; la Révolution le renversa de fond en comble ; il fut incendié en 1790. Aujourd'hui il ne reste plus de vestige ni de la tour féodale, ni des bâtiments modernes qui l'entouraient.

— Le château de Montmurat, dans le canton de Maurs, eut le même sort. Plusieurs des tours furent découronnées et les créneaux arrachés de leur cîme. La démolition, commencée pendant la Terreur fut achevée plus tard.

— Le château de Sainf-Angeau, dans la commune de Riom-ès-Montagne, fut dévasté en 1789. Plus tard la famille de M ira mon, à laquelle il appartenait, le fit reconstruire.


— 7o —

— Le château de la famille âHEscars, à Laroquebrou, renfermait en 1789 des archives précieuses; elles furent brûlées pendant que le château était démoli.

— Sur la, même paroisse 1, la Révolution détruisit encore en partie un autre château, celui de Messac, propriété de la famille de Beauclair.

— Dans la commune de Saint-Etienne-de-Maurs, le château de la Devèze, appartenant à la famille Guiral de Montarnal, fut également dévasté et sa grande tour abattue.

Les hordes dévastatrices non seulement pillaient les châteaux, elles s'abattaient encore sur les pro-s priétés, elles détruisaient les viviers, les étangs, elles saccageaient les forêts des nobles, devenues biens nationaux, et dans cette besogne elles étaient aidées par les gardes nationales, même par les municipalités en certaines contrées.

Le désordre était à son comble. Pour y remédier, l'Assemblée départementale du Cantal, dans sa séance du 14 décembre 1791, vota une adresse aux habitants du Cantal pour ' leur recommander le paiement des contributions et le respect des propriétés.

« Quel serait, dît l'Assemblée dans cette adresse, quel serait le sort de la Constitution, si les municipalités convoquaient des rassemblements des citoyens


7i

soldats de leur voisinage, pour porter l'effroi, la désolation et la mort, si elles ne s'opposaient pas par tous les moyens dont la loi les a investies, aux attroupements qui menacent les personnes et les propriétés, si au lieu d'arrêter les mouvements séditieux, elles les excitaient, les fomentaient secrètement ou à découvert, et regardaient avec satisfaction ou dans une lâche immobilité le désordre s'accroître et porter en tous lieux l'empreinte de ses ravages ? Tous les liens de la société ne seraient-ils pas brisés?... C'est alors que les plus grands ennemis de notre liberté, le clergé et la noblesse, réunis par les liens de leur intérêt commun, mettraient de l'ensemble dans leur politique, agiraient de concert et nous tiendraient à jamais abrutis sous le joug de la crainte, de l'ignorance et de la misère.

« O vous, que votre patriotisme, vos lumières et vos vertus ont élevés aux places municipales, bornez votre sollicitude à protéger les citoyens... Dissipez les attroupements qui pourraient y compromettre la sûreté publique ou individuelle, ou qui tendraient à dégrader et détruire les propriétés... Vous surtout, soldats citoyens, braves gardes nationales, sans qui la Révolution ne se serait jamais opérée, vous le soutien et Tespoir de la Constitution, ne détruisez pas cet édifice auguste qui s'est élevé sous vos auspices. Vous avez de la valeur et du courage, ayez également de


— 73 —

a prudence, de la docilité, de la discipline. Attendez pour quitter vos utiles et paisibles occupations que vous en soyez requis par ceux à .qui la loi donne le droit d'invoquer la force de vos bras... Vous ne pouvez ni prendre les armes*, ni vous rassembler en état de garde nationale sans Tordre de vos chefs médiats ou immédiats... Votre destination est de protéger la sûreté publique, de prévenir et de réprimer le brigandage; et vous oseriez vous ériger vousmêmes en brigands l et vous auriez assez peu de noblesse d'âme, pour insulter, maltraiter la faiblesse, que vous devez couvrir de votre protection I ravager,, détruire les propriétés que la loi confie à votre ' garde!... Abstenez-vous de ces voies de fait, de ces scènes indécentes et atroces, si opposées à nos moeurs, qui font calomnier la liberté' et lui suscitent des ennemis.

« Citoyens de tout âge et de tout état, au nom delà patrie qui vous en prescrit la nécessité, noyez dans une fraternelle alliance vos mécontentements et vos haines; ralliez-vous autour de la Constitution et des lois... acquittez les dettes sacrées des contributions... Plusieurs citoyens commettent, dit-on, journellement des dégâts dans les bois nationaux ; mais ces propriétés, pour appartenir à la nation, n'en sont que plus sacrées ; y porter atteinte c'est blesser les droits de tous... mais si la voix de Tordre, de la raison, de


— 73 —

l'équité est trop faible pour arrêter le cours de vos usurpations, apprenez qu'on va vous dénoncer, vous traduire devant les tribunaux comme de vils brigands. L'arbre de la féodalité étendait ses rameaux meurtriers sur la surface de la France entière; son ombre malfaisante empoisonnait le plus beau sol de l'univers. L'Assemblée nationale constituante a lancé sur lui la foudre de la raison, et l'arbre désastreux est réduit en poudre ; mais en abolissant le régime féodal, en brisant les chaînes dont les ci-devant seigneurs vous tenaient enveloppés, l'Assemblée nationale n'a ni voulu, ni pu porter atteinte aux droits de la propriété... (i)»

Ce sermon ne convertit personne. Les pillages continuèrent. Voici des détails intéressants sur le pillage du château de Drugeac:

Eutrope-Alexandre-Hyacinthe, marquis de LurSaluces et baron de Drugeac, né en 1736, servit dans la maison militaire du roi et obtint ensuite le titre de gouverneur de Salers. Il habitait son château de Drugeac où il menait une vie paisible et retirée.

« J'ai toujours vécu, dît-il dans un Mémoire, isolé de ce qu'on appelait le grand monde; j'ai joui dans ma paisible retraite de tous les charmes de la philosophie; elle m'a appris de bonne heure à connaître les

(t) Procès-verbal de l'Assemblée dép. de 1791, p. ))).


- 74 -

droits de l'homme et les devoirs du citoyen ; j'ai employé les plus beaux jours de ma vie à cultiver les sciences utiles à l'humanité; L'indigent et l'infirme ont trouvé chez moi des secours, je n'ai jamais été sourd aux plaintes de la douleur et de la misère ; j'ai prodigué mes soins, mes veilles et une partie de ma fortune à soulager les malheureux. Mais il est bien rare qu'une tranquillité aussi douce soit à couvert des traits de Tenvie. Je me félicitais du bonheur que l'Assemblée nationale préparait aux citoyens lorsque ma vie a été en danger et mes propriétés dévastées et ravagées. », «

Encouragés par le récit qu'on leur faisait des événements de l'époque, sûrs d'ailleurs de l'impunité dans un temps où tout était en désarroi, quelques patriotes de Drugeac et des paroisses voisines résolurent de forcer le marquis de Saluces à leur livrer les titres de rente ejt à leur donner quittance de toutes les dettes par eux contractées envers lui. Ils délibèrent entre eux sur les moyens à prendre pour arriver à Ce but. On est d'avis de se rendre au château en nombre et en armes. — « Gardez-Vous-en bien, leur dît un valet du marquis, Monseigneur a là-haut, sur les tours, dès coulevrines braquées, il vous mitraillerait. » — Ils changèrent d'avis et prirent un autre moyen. Le dimanche suivant, échauffés par le vin, les plus hardis se groupent devant la porte de Téglise,


- 75 —'■■■

et lorsque le marquis sort de la messe, l'un d'eux pose sa lourde main sur son épaule et le saisit vigoureusement. M. de Saluces se redresse effaré et fier, mais en vain : on se presse autour de lui, il ne peut s'échapper; on le pousse, on le conduit dans une auberge ; là il est obligé de payer à boire à la bande, puis on le mène à son château où Ton prend son meilleur vin ; il doit subir les plus cruelles humiliations, on le menace de le jeter par la croisée ou de l'assommer ; on le couche en joue, on le force à signer des quittances, à livrer les titres, à remettre les arrérages des fermes et des rentes. Prisonnier dans son château, il voit de ses yeux ses appartements pillés, ses caves vidées, ses jardins ravagés, ses papiers détruits ou emportés, sa vie mille fois menacée. Le lendemain, même ripaille et mêmes mauvais traitements : il est le jouet de la canaille avinée. Mais tout à coup, saisissant le moment où ses geôliers occupés à boire font une moindre surveillance, il se précipite vers l'écurie, s'élance sur un cheval, s'échappe, et bride abattue va se réfugier à Mauriac.

« Le 28 février 1790, raconte*t-il lui-même dans son Mémoire, je fus saisi par un attroupement de gens du bourg de Drugeac où j'habite ; coalisés avec une foule de séditieux des paroisses voisines, j'allais être immolé à leur fureur, si quelques-uns d'entre eux n'eussent délibéré qu'il fallait se contenter de me


-76~

dépouiller, par les plus barbares violences, de tout ce qui était en mon pouvoir. Après m'avoir enlevé mon argent et mes effets, ces brigands m'extorquèrent, les uns des quittances, les autres des billets. Les jours suivants ne furent qu'une répétition de la même tragédie. Le Ier mars, je/me réfugiai à la hâte dans la ville de Mauriac; je n'y fus pas plus en sûreté que chez moi : mes assassins me poursuivirent jusque dans mon asile ; je me rendis à Riom. »

Arrivé à Rochefort, il trouve M. de Pruns, d'Aurillac, et lui dit qu'il va porter sa plainte, en. passant à Riom, à M. le prévôt de la maréchaussée (gendarmerie) et faire décréter prévôtalement tous 1 ceux qui l'avaient attaqué. Ivî. de Pruns lui répond : « Gardezvous bien de le faire, vous risquez votre vie et même vos bâtiments seront incendiés. » Le marquis n'écoute pas ce conseil. « Je me rendis à Riom, continue-t-il ; j'exposai au sieur de La Rive-Haute, prévôt général, les excès en tout genre que j'avais éprouvés, et le priai de recevoir ma plainte. Cet officier convînt que le cas était prévôtal, mais il ajouta : « Je voudrais, Monsieur, pouvoir vous rendre justice, mais un décret récent de l'Assemblée nationale a suspendu l'autorité prévôtale. Cependant, attendu le danger pressant qui menace la sûreté publique et compromet Tordre social, je prends sur mon compte d'envoyer chez vous provisoirement un détachement, pour en imposer et empêcher qu'on


— 77 -

ne se porte à de nouveaux excès. Je vais en rendre compte au ministre, et j'espère qu'il approuvera ma conduite ; mais vous devez vous pourvoir devant un tribunal compétent. »

M. de La Rive-Haute envoya à Drugeac un détachement de dix-huit gendarmes, pris dans les résidences de Saint-Martin-Valmeroux, de Mauriac, de Tauves et de Clermont. Us firent au château un séjour de huit mois, et on le comprend, il n'y eut pendant ce temps ni trouble, ni menaces.

De Riom, le marquis de Saluces se rendit à Paris pour porter plainte à l'Assemblée nationale et lui demander justice contre les persécuteurs.

Le Prévôt lui écrivit de Riom le 19 mars 1790 : « Je viens, Monsieur le marquis, de recevoir une lettre du sieur Croisi, gendarme, qui m!apprend que la présence du détachement qui est à la garde de votre château, en a tellement imposé qu'il semble que le repentir ait pris la place de la rage et de la fureur. Je ne vous dissimulerai pas cependant qu'il est à craindre que les gens de votre paroisse trouvent des conseils propres à faire diversion sur vos plaintes à l'Assemblée nationale et même à l'indisposer contre vous. »

Par l'organe de son comité des rapports, l'Assemblée nationale autorisa, le 31 mars 1790, M. de Saluces à poursuivre les coupables devant le tribunal d'Aurillac. A ce procès qui traîna en longueur, vint


- 78 - "

s'en joindre un autre, celui que lui fît le détachement des gendarmes, qui demanda une somme considérable pour les services rendus* par lui. Le marquis qui avait déjà dépensé plus de six mille francs en comestibles' pour les cavaliers, et en fourrages pour leurs chevaux, refusa de faire droit à cette demande, disant qu'il avait droit au secours gratuit de la force publique, ce qui était vrai d'après l'ordonnance royale de 1778.

Mais comme le marquis avait promis, en passant à Riom, de payer les services du détachement, il fut condamné par le tribunal de Salers, par sentence du Ier mars 1791 : à payer au sieur Croisi, brigadier à la résidence de Mauriac, la somme de trois cent cinquante-une livres, pour deux cent trente-quatre journées, déduction faite de la nourriture dudit Croisi et de son cheval, qu'il a plu au tribunal de fixer à raison de cinquante sous par jour; 2° aux gendarmes résidant à Mauriac, quatre-vingt-dix-huit livres pour cent quatre-vingt-seize journées ; ainsi de suite pour les autres ; 3°aux dépens.

M. de Saluces fit appel de ce jugement; je ne connais point le résultat de cette affaire. Je suis porté à croire que le marquis n'obtint pas justice. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'après le départ du détachement, les dilapidations recommencèrent, et la vie du marquis fut souvent en danger. On lui enleva tout,


— 79 —

jusqu'aux girouettes de sa maison, jusqu'aux galons de ses habits.

Il avait un banc dans le choeur de Téglise, en qualité de seigneur de Drugeac; ce banc était orné de ses armoiries, entourées de guirlandes et de fleurs sculptées, on n'eut aucun égard à ces embellissements, le banc fut arraché, brisé. En outre, le Directoire du district de Mauriac écrivit à la municipalité de Drugeac, pour lui donner Tordre d'avertir M. de Saluces de retirer les armes qui étaient à la porte de son château.

Le marquis répondit qu'il lui en avait coûté de l'argent pour les faire poser, et qu'il ne voulait pas en dépenser pour les faire enlever. Le Directoire réitéra ses ordres, et il fallut obéir.

Particularité qui ne surprendra personne : ceux même qui étaient chargés de maintenir Tordre, étaient des provocateurs au désordre :

« Quel sera Tétonnement et l'indignation de mes juges, dit le marquis dans son Mémoire, lorsqu'ils se convaincront que le sieur Rivet, brigadier à la résidence de Saint-Martin- Valemeroux, a suscité les insurrections qui m'ont été faites, qu'il n'a rien négligé, qu'il les a provoquées par ses propos incendiaires et ses lettres séditieuses. Les pièces imprimées à la suite de ce Mémoire en sont des preuves évidentes. »

En effet, dans une lettre à M. Lassale, lieutenant de


- 8o -

la maréchaussée à Riom, M. Nivet dit entre autres choses: « J'ai l'honneur de vous prévenir aussi, Monsieur, que M. de Saluces a'perdu la tête, depuis que le détachement de la. maréchaussée n'est plus chez lui. Plusieurs personnes m'ont assuré le fait, et notamment M. de Faùssanges, commissaire du roi au tribunal de Salers, qui était hier chez moi. Si le fait est vrai, ce sont ses coquineries réitérées qui en sont la cause. Toutceque je sais de certain, Monsieur, c'est que le dit seigneur ne sort pas de sa chambre et qu'il s'y soûle tout seul journellement. »

Ainsi, calomnier, vilipender, noircir les nobles, lés traiter de vampires et de brutes afin d'avoir le droit de les éventrer et de piller leurs châteaux, tel est le système du jour.

Pour M. de Saluces, la position n'était pas tenable. Il habitait tantôt Drugeac, tantôt Salers, s'effaçant, se cachant, employant toutes sortes d'industries pour sauver sa vie et sa propriété.

Dans l'été de 1792, un détachement de cent dix hommes, des volontaires du Cantal, parcouraient les villes et les campagnes, sous le commandement de Delzonsd'Aurillac, enlevant partout où ils passaient les voitures, les chariots et les chevaux des émigrés. Ces hommes arrivèrent à Salers le 21 août 1792, et prirent deux chevaux à M. de Saluces. L'année d'après on lui en prît quatre.


8i

« Aujourd'hui, lisons-nous dans le Registre des délibérations de la municipalité de Salers, aujourd'hui 8 août 1793, a comparu le citoyen EutropeAlexandre Delur Saluces, habitant du bourg de Drugeac, à présent résidant en sa maison sise en cette ville, lequel a exposé que les 30 et 31 mai dernier, des officiers et gardes nationaux, par la réquisition du citoyen Salsac, commissaire du département du Cantal, se transportèrent dans sa maison et écurie de Drugeac, y prirent trois chevaux de voiture et un cheval de selle avec leurs Hcols, selle, harnais, avec un chariot, que le tout fut conduit à la ville de Mauriac, à l'effet de servir à l'armée, qu'il a fait sa pétition aux administrateurs du département, le icr juillet dernier, sur laquelle il a été déclaré que lesdits chevaux étaient propres au service de l'armée, et que letout avait été estimé et que le prix devait être payé audit citoyen Delur en un bon sur le receveur du district de Mauriac... » La veille, 7 août, on avait rendu un des chevaux malade et hors de service. Le marquis refuse de le recevoir jusqu'à ce que la municipalité de Salers ait fait constater l'état du cheval; ce qu'elle fit. Alors il demanda des dommages-intérêts. Je ne sais s'il lui furent accordés et si les chevaux furent payés.

On avait enlevé à Saluces jusqu'à sa montre. Dans une séance publique à laquelle assistait le représentant Bo, Gamet, Cirier et Marcenat, cordonnier, dénon6

dénon6


8a

cèrent le bruit public que Delthil avait emporté une montre d'or déposée au comité révolutionnaire et que Ton disait provenir de Saluces (i). »

Ainsi, soit par pillages, soit par réquisitions ordonnées administrativement, le malheureux marquis était dépouillé de tout. La tradition rapporte et affirme que les patriotes finirent par mettre le feu au château de Drugeac. Le Dictionnaire statistique du Cantal dit que l'incendie d'une partie du château avait eu lieu avant la Révolution. Où est la vérité? Quoiqu'il en soit, la demeure féodale de Prugeac, composée de quatre corps de logis, flanquée de quatre tours, n'est plus aujourd'hui qu'un simple bâtiment à moitié démoli, sans grandeur et sans aspect. *

M. de Saluces fut arrêté par ordre du comité révolutionnaire, et dirigé sur Paris, de brigade en brigade, pour y monter sur l'échafaud. En route, il pria les gendarmes de passer par Bordeaux où il avait des parents qu'il voulait voir, disait-il. Il cherchait à gagner du temps. Un de ses conducteurs étant tombé malade, le marquis, qui était médecin, lui dit : « Si tu réponds de ma vie, je réponds de la tienne. » En effet, le remède le guérit, et ce geôlier, par complaisance pour son prisonnier, marcha si lentement que

(i) Révolution du Cantal.


-83lorsqu'ils

-83lorsqu'ils à Paris, Robespierre était mort ; c'est ce qui sauva M. de Saluces.

M. de Saluces, rendu à la liberté se retira définitivement à Salers. Il épousa, en 1810, MUede Lespinasse, et mourut en 1813, sans laisser de postérité, dans un âge très avancé. Son nom disparut de l'Auvergne et sa propriété de Drugeac amoindrie passa en des mains étrangères (1).

(t) Mémoire de M. de Saluces. Archives de Salers.


CHAPITRE VII

LA FAMILLE DE SARTIGES PENDANT LA RÉVOLUTION. LES CINQ. RELIGIEUSES DE SARTIGES.

La famille de Sartiges, connue dès l'époque des Croisades, au xne siècle, tire son nom d'un ancien château fort situé sur un monticule, à sept kilomètres de Mauriac, au nord. Cet antique manoir fut détruit au xive siècle, et remplacé par un autre château, bâti à quelques pas de l'ancien, au lieu appelé Sourniac.

C'est une befte demeure, flanquée de quelques tours qui, avec le petit clocher de Téglise paroissiale, leur unique voisin, dominent la plaine et les coteaux d'alentour.

C'est dans ce château que vit depuis de longs siècles la famille de Sartiges.

Dans le cours des temps, cette famille avait fondé autour d'elle cinq nouvelles maisons :

— La maison de Sartiges d'Estillot, dans la paroisse de Jalleyrac, canton de Mauriac, composée, en 1789,


-8>-

de trois membres : Guillaume de Sartiges, officier dans l'armée, et ses deux soeurs : Elisabeth^Marie, célibataire, et Madeleine-Jeanne-Isabeau, religieuse.

— La famille des Sartiges de Montclarc-Chambon, dans la paroisse d'Anglards de Salers, représentée en 1789 par les deux frères, Pierre et François, tous les deux capitaines dans la marine.

— La famille des Sartiges de Beaufort, en Limousin, dont le chef était Jean-Baptiste de Sartiges-Beaufort, capitaine.

— La famille des Sartiges de La Prade, au Vigean, près Mauriac, représentée par Jean-Baptiste de Sartiges de La Prade, par sa femme Marie de Montclarc et leurs enfants : François, prêtre; Jacques-Antoine, Jean-François, Marguerite, religieuse, et Marie, religieuse.

— La famille des Sartiges d'Angle, non loin du Vigean, composée, au moment de la Révolution, de Jean-François de Sartiges, officier, de sa femme Antoinette-Marguerite Delprat d'Angle et de leurs enfants en bas âge.

Ainsi la famille de Sartiges, au moment de l'explosion révolutionnaire, nous présente cinq religieuses, trois prêtres et douze officiers, presque tous en activité de service. Elle brillait d'un trop grand éclat pour n'être pas, dès le début, signalée à la fureur démagogique.


-,86Commençons

-,86Commençons redire la pieuse histoire des cinq religieuses de Sartiges.

La première qui se présente est Madeleine-JeanneIsabeau de Sartiges d'Estillot. Elle naquit en 1742, et passa les premières années de sa vie dans la maison paternelle, à Estillot, avec son frère Guillaume et sa soeur Elisabeth-Marie. Elle voulut quitter le monde, et ayant fourni ses preuves de noblesse, elle fut admise, en 1771, chanoinesse dame de justice de Tordre de Malte, au couvent de l'hôpital Beaulieu, près de Gramat, en Quercy, aujourd'hui département du Lot, Bâti sur la paroisse dTssindolus, où Ton voit encore ses ruines gigantesques, le monastère donnait l'hospitalité aux pèlerins et aux malades, d'où son nom d'hôpital.

Les dames de justice ou chanoinesses de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, dit de Malte, devaient fournir les mêmes preuves dé noblesse que les chevaliers de cet Ordre, et comme eux, elles étaient soumises à l'autorité du grand maître de Malte.

Au commencement de la Révolution, l'Ordre comptait en France trois maisons de chanoinesses de Matte : une à Beaulieu-Issindoius, une à Martel (Lot), la troisième à Toulouse. Les religieuses se recrutaient dans la noblesse ; elles portaient, comme les chevaliers, la croix de toile blanche sur le côté gauche du manteau noir, et la croix d'or émaillée sur


-*7~

la poitrine, plus un anneau d'or sur le chaton duquel figurait la croix de Malte,

La grande prieure de Beaulieu était la supérieure générale des trois maisons de l'Ordre en France.

C'est au monastère de Beaulieu que vécut, au xive siècle, sainte Flore, née dans la ville de Maurs en Haute-Auvergne. C'est là aussi que son corps immaculé était conservé et vénéré, non seulement par les religieuses, mais encore par les populations d'alentour, ce qui donnait au monastère une grande célébrité en même temps qu'un parfum de dévotion et de sainteté. Telle est la maison monastique où vint s'abriter la pieuse Madeleine de Sartiges d'Estillot. Bientôt deux de ses cousines vinrent la rejoindre, les deux soeurs Marguerite et Marie de Sartiges de La Prade.

Nées au Vigean, paroisse voisiné de celle de Jalleyrac, Marguerite en 1760 et Marie en 1761, elles furent reçues en 1782, après avoir fait leur preuve de noblesse, au monastère de Beaulieu, heureuses de retrouver leur pieuse cousine.

Ces trois demoiselles de la noble race des Sartiges vivaient sous l'antique toit du monastère Quercynois, dans l'exercice de la prière et des vertus monastiques, lorsque la tourmente révolutionnaire vint troubler leur repos en ébranlant le monastère. Les bruits les plus sinistres frappaient à la porte, elles


comprirent bientôt qu'il faudrait quitter leur saint •asile et revenir à leur berceau, dans les montagnes d'Auvergne.

Lorsqu'elles virent que leur aumônier, M, Surgier, et le curé de la paroisse, M. Sarmayon, pour avoir refusé le serment schismatique, prenaient forcément le chemin de Texil, elles ne doutèrent plus que l'heure du départ était venue pour elles,

Elle était venue, en effet. C'était en 1792.

Voici comment est racontée l'expulsion des chanoinesses de Beaulieu, dans la Vie de sainte Flore :

« La régularité et la ferveur florissaient 'dans le monastère depuis la réforme de Galiote de Veillacj la charité des bonnes dames est encore profondément écrite dans le coeur des pauvres du pays; mais enfin la tourmente révolutionnaire, comme un ouragan dévastateur, vint se ruer sur ce saint asile. Mme de Langeac était abbesse du monastère. Les pauvres soeurs furent violemment arrachées de leurs cellules. Elles ne voulaient pas s'éloigner de ces murs où elles avaient passé des jours si heureux dans la paix et la joie du Seigneur. Elles se jetaient aux genoux des pillards qui les chassaient ; elles les suppliaient de prendre tous leurs biens, mais pour unique grâce, de les laisser à l'abri des murailles de leurs cloîtres.

« Ces hommes sans pitié ne daignaient pas les écouter et continuaient leur oeuvre de destruction


sacrilège, Quelques-unes d'entre elles étaient infirmes ou malades; on les jeta inhumainement sur la voie publique ; plusieurs appartenaient à des familles qui avaient émigré ou gémissaient dans les fers. Privées de toutes ressources, elles furent obligées de demander asile et subsistance aux pieux fidèles de la contrée. Alors commencèrent ces scènes d'horreur dont le récit épouvante encore après tant d'années. Le marteau démolisseur s'abattit sur l'hospice comme aussi sur la chapelle et le couvent. Tout fut pillé, profané et dévasté, et pour que rien ne manquât à ce drame lugubre, les restes sacrés de sainte Flore furent livrés aux flammes sur le seuil même de cette maison toute resplendissante encore de l'éclat de ses vertus et de ses miracles. Ainsi fut détruit le monastère de l'hôpital Beaulieu, fondé en 1235. Il avait duré environ cinq cent cinquante-six ans. »

Les religieuses de Sartiges quittèrent donc leur demeure désolée, et rentrèrent en Auvergne dans leurs familles où la désolation était à son comble, car les révolutionnaires sont les mêmes partout : persécuteurs haineux et dévastateurs cupides.

Rentrée à Estillot, Madeleine ne trouva plus son frère Guillaume de Sartiges ; il était mort le 8 novembre 1789. Sa soeur Elisabeth-Marie était restée seule, en butte aux fureurs des patriotes du pays. C'est sans doute alors qu'elle se retira au château de Fargues,


9Q -

commune de Vitrac, Elle est, en effet, portée sur la liste des émigrés en ces termes : « Sartiges, fille cidevant noble, dernier domicile à Fargues, district d'Aurillac ; biens à Jalleyrac, » Sa propriété d'Estillot fut déclarée bien national.

On lit, en effet, dans la liste des biens nationaux, ces mots : « La demoiselle Sartiges possède un domaine situé au village d'Estillot, municipalité de Jalleyrac. »

Sa soeur, religieuse, ballottée comme elle par les flots démagogiques, ne vit pas la fin de la tourmente, elle mourut en 1797. Elisabeth-Marie survécut à tous les désastres; elle mourut en 1817, aprèslavoir vu tout périr, sa famille et sa fortune. Elle fut la dernière des Sartiges d'Estillot.

Les deux autres religieuses de Malte, Marguerite et Marie de Sartiges de La Prade, revenues de Quercy, trouvèrent un asile à la Prade d'abord, puis à Angle où leur frère cadet, Jean François de Sartiges, s'était établi, et avait fondé le rameau d'Angle en épousant Antoinette-Marguerite Delprat d'Angle. Elles y vécurent plusieurs années.

Au monastère, on avait donné aux deux soeurs, pour les distinguer, les noms des propriétés de leur famille. Marguerite était appelée Mrae de La Prade ; Marie, Mmc de Lassaigne. Dans le monde on continua de les appeler^ ainsi.


- 9« —

« Chassées de leur paisible retraite par la tourmente révolutionnaire, écrit le baron de Sartiges d'Angle (i), les deux religieuses de La Prade furent accueillies d'abord dans leur famille, puis chez leur frère cadet, mon père, à Angle, où elles ne furent pas toujours en sûreté pendant ce temps d'orage. Ma famille, assez nombreuse alors, habitait à Angle une maison spacieuse, au trois quarts détruite depuis. Tous les membres qui la composaient étaient animés des meilleurs sentiments de piété et d'une profonde horreur des idées démagogiques. Aussi donnait-elle asile aux prêtres traqués par les agents de la république. Vous devinez que cette maison où Ton savait un noble et deux religieuses, fut signalée comme suspecte et à ce titre souvent soumise à des visites domiciliaires.

(i) Lettre à l'auteur. Parmi les enfants de Jean-François de Sartiges d'Angle était un tout petit garçon, né en 1789, la mém« année que la Révolution. On l'appela Jean, plus tard il fut toujours connu sous le nom de baron de Sartiges d'Angle. M0111 me fort distingué par son esprit judicieux, écrivain correct, il s'occupa beaucoup des antiquités de l'Auvergne, collabora au Dictionnaire statistique du Cantal, au Nobiliaire d'Auvergne avec M, Bouillet et fut décoré par le pape Pie IX, du titre de commandeur de l'ordre pontifical de saint Grégoire-le-Grand. Il avait un frère, Julien de Sartiges d'Angle, né en 1803, qui était garde de corps du roi, quand il mourut en 181), sans postérité.

Le baron de Sartiges d'Angle épousa, en ISSJ;, Thérèse-Anne Domis de Semerpont, laquelle mourut en 1847 sans enfants. Il mourut lui-même plusieurs anées après à Clermont, où il habitait, emportant dans la tombe le uom des Sartiges d'Angle.


-, 9a

« Ces visites avaient toujours lieu dès l'aube du jour et l'habitation promptement envahie était dans ses moindres recoins fouillée par ies sans-culottes, les gendarmes, les gardes nationaux, qui sans le moindre ménagement, nous arrachaient de nos lits pour retourner nos matelas. Je dois cependant à la vérité de déclarer que si parmi ces hommes il y en avait de bien méchants, il s'en trouvait de bons qui tout en affectant beaucoup d'ardeur et de sévérité pour découvrir les suspects, ne voyaient pas ce que d'autres n'auraient pas manqué de saisir.

« J'étais trop jeune pour savoir leurs noms que j'ai toujours ignorés, et je le regrette, car leur conduite fut digne d'éloges. Grâces à eux, grâces à d'autres bonnes âmes parmi lesquelles était cette Catinon-Menette, que vous avez si bien dépeinte, et qui de nuit venaient nous avertir du danger, il n'y eut chez nous que quelques arrestations, entre autres celle de mon oncle Tabbé, et fort heureusement ce fut dans les dernières années, à une époque où les rigueurs avaient sinon cessé entièrement, du moins, diminué, de sorte qu'après quelques semaines de détention, il fut relâché.

« Malgré ces tribulations, la maison n'avait cessé de donner, autant qu'elle l'avait pu, asile aux prêtres et autres suspects, au péril de notre liberté et même de notre vie. i


— 9> —

« Mon père, obligé de se cacher, ne paraissait que très furtivement au milieu de nous. Mes tantes, les religieuses, furent arrêtées et retenues en réclusion avec ma mère qui laissait derrière elle neuf enfants sous la seule garde d'une tante maternelle presque aussi jeune que l'aînée de ses nièces.

« Ces souvenirs profondement gravés dans ma mémoire ne sont pas les seuls que j'ai conservés. Je n'ai pas oublié les messes qui se célébraient la nuit, les mariages et les baptêmes qui se faisaient secrètement et dans lesquelles cérémonies j'avais toujours un rôle, tantôt celui de clerc, tantôt celui de parrain. Hélas ! si Dieu me demande un jour compte des obligations qu'en cette dernière qualité la religion m'imposait, je serai bien marri, car les trois quarts de mes filleuls me sont demeurés inconnus..

« Une autre remarque à faire et qui constate combien les masses étaient contraires aux idées révolutionnaires, c'est l'empressement des populations voisines à venir assister au divin sacrifice. La maison ne pouvait contenir tout le monde et Ton voyait ceux de dehors s'agenouiller sur les pierres ou dans la boue au moment de l'élévation. Les prêtres qui fréquentaient la maison, étaient mon oncle l'abbé de Sartiges, un abbé Bachèlerie et deux abbés de Ribier, frères, petitsfils d'une demoiselle de Sartiges.

« L'un d'eux, après le rétablissement du culte, fut


-94nommé

-94nommé d'Auzers où sa mémoire est restée vénérée, Son frère, placé dans le diocèse de Clermont, d'abord curé à Mire-Fleur, fut 'transféré plus tard à Montel-de-Gelat, où il mourut vers Tan 1820, je crois.

« Quant à mes tantes, les chanoinesses de Beaulieu, lorsque le calme fut rétabli, elles ouvrirent, à Angle, un pensionnat de demoiselles, où les jeunes personnes de Mauriac et des environs affluèrent. Mais, le local étant devenu insuffisant, elles transférèrent leur établissement à Moussages dans le château appelé de Valmaison, où elles continuèrent leurj labeur, environnées de cette vénération qu'inspire une vie entièrement consacrée au bien, à la pratique de toutes les vertus et à l'exercice de la piété la plus austère.

« La génération actuelle se souvient encore des services qu'elles ont rendus par plus de trente années de soins donnés à Téducation des jeunes personnes qui y venaient de toutes les parties de l'arrondissement. Mme de La Prade, l'aînée des deux, fit de longs séjours au château de Sourniac, mais la plus jeune, Mme de Lassaigne, continua l'oeuvre jusqu'à ce que, épuisée par le travail et la prière, elle mourut à Moussages, le 19 novembre 1836. Sa soeur la suivit dans la tombe en 1839. »

Au témoignage du baron de Sartiges d'Angle, ajoutons le témoignage non moins honorable descon-


— 95 -

temporains, qui tous affirment que les anciennes religieuses de Sartiges de La Prade furent dans le pays la Providence des jeunes filles et des pauvres, en même temps qu'un exemple vivant de toutes les vertus. Non seulement, disent les anciens, elles étaient estimées, mais encore aimées, vénérées comme des saintes. Dans Téglise de Moussages, canton de Mauriac, on voit un vitrail sur lequel sont peintes deux religieuses à genoux sur des prie-Dieu. Elles portent le costume de Malle : un voile noir, un manteau noir avec la croix blanche. Ce sont les dames de Sartiges, Marguerite et Marie : au dessus et au dessous d'elles sont écrits ces mots : « A la mémoire de Marguerite et de Marie de Sartiges de La Prade, soeurs, dames de justice de l'Ordre de Malte, décédées à Moussages, Marie, le 19 novembre 1836, et Marguerite, le 19 décembre 1839 ; après la dispersion de leur Ordre, leur vie entièrement consacrée à la pratique de toutes les vertus, à la piété la plus austère, à l'instruction chrétienne dans cette contrée, a mis leur mémoire en vénération. *

A ces édifiants détails sur les religieuses de Malte, ajoutons quelques mots sur la vie non moins édifiante des deux chanoinesses de Remiremont. Madeleine et Marguerite de Sartiges de Sourniac, soeurs du comte de Sourniac, furent reçues chanoinesses-comtesses, au chapitre noblede Remiremont, en 1788. Ce célèbre


-9<»-

monastère était situé dans le diocèse de Saint-Dié (Vosges), Pour y être admis, il fallait faire preuve de seize quartiers de noblesse. On n'y faisait point de voeux.

Là, les demoiselles de Sartiges de Sourniac trouvèrent les plus grands noms de France, mais bientôt, là, comme partout, retentirent les cris de mort.

Les chanoinesses furent dispersées et leurs biens confisqués.

Rentrées à Sourniac, Madeleine et Marguerite tâchèrent de se faire oublier, en se cachant de leur mieux soit dans la demeure de leur frère, jsoit dans la maison de Sartiges, bâtie tout à côté sur les ruines de l'ancien château ; mais la Révolution les y trouva et les accabla de ses tracasseries, de ses violences. Elles virent leur trère le comte de Sourniac, mis en prison et le château mis au pillage. " Elles furent arrêtées elles-mêmes en 1793, conduites à Mauriac et enfermées non dans les prisons, car elles étaient pleines, mais dans une maison particulière, celle du citoyen Jean Roche, où elles restèrent environ dix jours. Mirande et Valette, administrateurs du district, leur firent déclarer qu'elles seraient mises en liberté si elles versaient la somme de deux mille francs. On s'arrangea à six cents francs ; les dames de Sartiges les versèrent et recouvrèrent leur liberté.

Il y avait à celte époque 'à Mauriac, comme à


- 97 -

Aurillac, comme à Salers et ailleurs, même dans les administrations, des citoyens, véritables escrocs, qui sous un prétexte ou sous un autre, faisaient arrêter les gens riches, et les menaçaient ensuite de les envoyer soit au tribunal criminel d'Aurillac, soit au tribunal révolutionnaire de Paris, s'ils ne versaient immédiatement entre leurs mains telle somme d'argent désignée par eux.

Plus tard, on voulut connaître les personnes qui avaient été victimes de ces concussions et la somme qu'elles avaient versée.

Ces personnes furent donc admises à faire leur déclaration soit par elles-mêmes, soit par les témoins de l'escroquerie dont elles avaient été les victimes.

C'est ce qui arriva dans l'affaire des demoiselles de Sartiges.

Voici intégralement la déclaration que fit Jean Roche, lequel avait été témoin et acteur dans cette affaire : « Ce jourd'hui, 24 frimaire an m de la rép. (14 décembre 1794), à la maison commune de Mauriac est comparu Jean Roche, lequel a déclaré que vers le milieu du mois d'octobre 1793, les citoyennes Sartiges soeurs, furent conduites chez lui entour une dizaine de jours, que dans cet intervalle les dites Sartiges lui dirent que les citoyens Mirande et Valette exigeaient d'elles une somme de deux mille livres, que les jo roeui ants elles lui apprirent


-98que

-98que dits Mirande et Valette s'étaient relâchés de cette première demande et se contentaient d'une somme de six cents livres qu'elles étaient résolues à leur donner, que n'ayant dans le moment à leur disposition qu'une somme de quatre cents livres, elles engagèrent le déclarant à leur procurer les deux cents livres qui leur manquaient eu s'adressant pour cela de leur part au citoyen Deydier; qu'il se rendit en conséquence chez le citoyen Deydier et qu'ayant exposé Tobjet de sa mission à la citoyenne Deydier son épouse, celle-ci envoya sur le champ par sa bru ladite somme de deux cents livres aux citoyennes Sartiges, que ces dernières s'empressèrent de remettre le tout, c'est-à-dire six cents livres entre les mains du déclarant et le prièrent de les porter sans retard au citoyen Mirande, attendu, dirent-elles, qu'elles étaient menacées d'être transférées à Aurillac si la somme n'était comptée sur l'heure ; qu'en exécution de cette recommandation il se rendit au bureau des citoyens Mirande et Valette dans la maison où siège l'administration du district ; qu'il y trouva le citoyen Mirande avec le citoyen Ternat père, et qu'en présence de ce dernier, i! compta et délivra au citoyen Mirande ladite somme de six cents livres, que lui ayant demandé -quittance ainsi qu'il lui avait été recommandé par lesdites Sartiges, le citoyen Mirande refusa de la lui donner et exigea au contraire qu'il souscrivit une


- 99 -

déclaration dont il ignore le contenu ne sachant pas lire, qu'il hésitait à signer la susdite déclaration et n'y fut déterminé que par le citoyen Ternat qui lui dit que cette signature ne l'engageait en rien, qu'il en avait lui-même signé de pareilles et qu'il signerait volontiers celle qui lui était présentée, si le déclarant persistait à refuser de le faire, qu'il se retira après avoir signé et fut rendre compte aux citoyennes Sartiges de sa mission, qui est tout ce qu'il a dit savoir et à l'appui de la présente déclaration, il a remis un écrit signé de Tune des citoyennes Sartiges, qui confirme la vérité de la contribution de six cents livres ci-dessus énoncée et qui est adressée sans cachet ni enveloppe aux citoyens administrateurs du district de Mauriac, ledit écrit daté de Sartiges le 14 décembre Tan m de la république une et indivisible et signé dudit Roche pour en certifier l'authenticité, et a signé : ROCHE (1). »

Après la tourmente révolutionnaire, les demoiselles de Sartiges vécurent paisiblement à Sourniac. Pieuses, modestes, simples dans leurs goûts, elles se firent dans le pays une réputation de bienfaisance, qui existe encore dans le souvenir des habitants. L'une d'elles se cassa une jambe en allant à la messe. Elle vécut quelque temps dans les plus grandes douleurs,

(1) Archives de Mauriac.


— roo —

patiente et résignée, assise sur un fauteuil à roulettes. Enfin Dieu vint les retirer de ce monde : Madeleine en 1808, Marguerite en 1817. -


CHAPITRE VIII

LES TROIS PRÊTRES DE SARTIGES

A côté des douces figures des cinq religieuses de Sartiges, se présentent à nous, dans le même rayonnement, trois nobles figures sacerdotales, de la même famille et à la même époque. Un souvenir est dû dans YHisioire de la Révolution en Auvergne, à ces trois prêtres qui se distinguèrent durant les temps mauvais par leur courage à confesser la foi de Jésus-Christ, et par leur fidélité à l'honneur et aux bons principes de leur famille.

François de Sartiges de La Prade naquit au Vigean en 1764, de Jean-Baptiste de Sartiges, et de Marie de Montclarc. Il entra dans l'état ecclésiastique.

« Il venait d'être ordonné prêtre, écrit son neveu, le baron de Sartiges d'Angle, lorsque la Révolution éclata. Il eût le malheur de prêter le serment civique, mais promptement revenu de son erreur, il s'empressa de se rétracter et se réfugia dans le couvent abandonné


— loa —

de Saint-Projet. Caché dans les bois et les rochers de la profonde vallée de la Dordognc, à l'abri dans ce lieu sauvage, alors sans chemin, il vécut ignoré, déguisé en travailleur, vivant du produit de la pêche et de la vente de quelques ' milliers de merrain que les ouvriers du pays l'aidaient à préparer. 11 ne sortait de cette retraite que la nuit, soit pour porter les secours de la religion dans les villages des environs, soit pour venir à Angle, où il trouvait toujours un accueil des plus sympathiques. Lorsque tes autels furent relevés, l'abbé de Sartiges de La Prade fut placé dans le diocèse de Clermont, d'abord vicaire à Issoire, puis curé de Vodable où il mourut en 1822'. » 1

L'abbé François de Sartiges de La Prade avait deux cousins prêtres et confesseurs de la foi comme lui. Ils étaient frères du comte de Sourniac et remplirent tous les deux la plus honorable carrière.

Pierre-Antoine de Sartiges naquit au château de Sourniac en 1729. Il commença ses études ecclésiastiques à Clermont et fut ordonné prêtre par M«r de Beaumont, archevêque de Paris, dans Téglise de Conflans, en 1756. Reçu docteur de Sorbonne, il fut d'abord vicaire général de M*r d'Anteroche, évêque de Condom, puis en 1775, ayant fourni ses preuves de noblesse, il fut pourvu d'une prébende au Chapitre noble de l'église métropolitaine de Lyon.

Le Chapitre de Téglise cathédrale de Lyon, un des


— io> —

plus anciens de France, possédait de grands biens et avait de nombreux privilèges.

Philippe le Bel, roi de France, l'avait érigé en comté, de sorte que les chanoines portaient le titre de comtes de Lyon.

Pour y être admis il fallait faire preuve de seize quartiers de noblesse, huit du côté paternel, et huit du côté maternel.

Les chanoines comtes portaient une croix d'or émaillée à huit pointes, entre lesquelles alternaient quatre couronnes de comte et quatre fleurs de lis. Dans le centre étaient représentés, d'un côté saint JeanBaptiste, patron de la cathédrale, avec cette devise à Tentour: Prima sedes Galliarttm (premier siège des Gaules), et de l'autre, saint Etienne avec ses mots : Ecclesia comitttm Lttgduni (église des comtes de Lyon). Cette croix était suspendue au cou par un ruban rouge, liseré de bleu.

En 1777, Pierre-Antoine de Sartiges fut nommé vicaire général de M*' de Montayat, archevêque de Lyon, et en 1785, le roi lui donna en outre en commende, dans le diocèse de Clermont, Tabbaye de Menât ; il en fut le dernier abbé commendataire. Comblé d'honneurs et fondé de pouvoir du Chapitre de Lyon, M. de Sartiges servait à Paris les intérêts de cette compagnie lorsque survint la Révolution qui emporta tout.


io4

Repoussant les idées démagogiques et le schisme constitutionnel, M. de Sartiges, après avoir tout perdu, titres, dignités et bénéfices, fut obligé de se cacher et d'errer de ville en ville. Emigra-t-il ? on peut en doutet;quoiqu'il soit porté sur la liste des émigrés du Cantal. Il trouva un asile au château de Chazcron en Basse-Auvergne, puis à Paris, où il mourut en 1818, âgé de quatre-vingt-sept ans.

Son frère Charles de Sartiges, admis au même Chapitre noble de Lyon, en 1777, fut, en 1780, nommé vicaire général de Clermont parM«rdeBonal.

La Révolution venue, en prêtre fidèle,,en grand vicaire dévoué, il suivit son évêque dans l'émigration. Il est porté sur la liste des émigrés. Il ne revit plus sa famille et son pays. Après mille péripéties et mille souffrances noblement supportées, il mourut en exil avant Tannée 1800.


CHAPITRE IX

LES DOUZE OFFICIERS DE SARTIGES. — ARRESTATION DU COMTE ET DE LA COMTESSE DE SARTIGES. — PILLAGE DE LEUR CHATEAU.

De tout temps la famille de Sartiges se distingua par la manifestation de sa foi religieuse et par la vaillance militaire de la plupart de ses membres. Elle porta toujours noblement et fièrement la croix et Tépée : ^servir l'Eglise, servir l'Etat, courir les mers et les champs de bataille, ce fut toujours l'idéal, le rêve préféré de cette vaillante race.

Au moment de la Révolution elle n'avait pas dégénéré. Elle avait conservé sa foi, l'histoire de ses cinq religieuses et de ses trois prêtres confesseurs de la foi, le prouve; elle avait gardé son vieil honneur, son dévouement à la patrie : l'histoire de ses douze officiers va nous le prouver.

— Commençons par la branche d'Estillot. Là nous trouvons un vrai gentilhomme, Guillaume de Sartiges,


— io6 —

qui servit longtemps aux gendarmes de la garde de la reine ; il fut décoré de la croix de Saint-Louis en 1787, et il ne quitta les gendarmes de la garde que lorsque ce corps fut licencié en 1788. La Révolution qui arrivait ne Tébranla pas dans sa fidélité à son roi, elle fut impuissante à détruire en lui ses principes politiques ; ce qu'elle détruisit ce fut sa fortune. Cet officier mourut célibataire à Estillot, le 8 novembre 1789, témoin attristé de la fureur démagogique qui déjà s'agitait autour de sa maison et de son nom. Il fut le dernier des de Sartiges d'Estillot.

— D'Estillot, passons dans la commune d'Anglards. Ici se présentent deux frères, deux défenseurs de l'honneur français dans les pays lointains.

— Pierre de Sartiges de Montclar-Chambon, cadet gentilhomme au régiment d'Austrasie en 1779, devint lieutenant en 1789, dans l'Inde, capitaine en 1791.

— Son frère François, dit le chevalier de Sartiges> entra comme lui au régiment d'Austrasie en 1779, fit comme lui la campagne de l'Inde de 1783 à 1785, fut promu au grade de lieutenant en cette dernière année et à celui de capitaine en 1791.

Ces deux vaillants de Montclar-Chambon se montrèrent dignes de leur race durant cette guerre des Français contre les Anglais dans l'Inde. Ils combattirent sur terre et sur mer « avec distinction » et


— 107 -*■■■■

se signalèrent dans plusieurs batailles sur les côtes de Coromandel et de Bombay.

Rentrés dans leur patrie après de brillants exploits, ces deux soldats de la France eurent à lutter contre d'autres ennemis, contre les révolutionnaires qui bouleversaient toutes les institutions. Dans le dessein de mieux la servir ils émigrèrent et passèrent à l'armée de Condé dont ils partagèrent les succès et les revers et où ils conquirent le grade de chef de bataillon et la croix de Saint-Louis, que Louis XVIII- s'empressa de leur confirmer dans les termes les plus flatteurs, en 1814.

Après quelques années de service sous la restauration, ils rentrèrent dans leurs propriétés d'Anglards. L'aîné, Pierre, y devint maire de la commune et il occupait cette fonction quand il mourut le 18 juin 1823, ne laissant que deux filles de Jeanne de Baron de Layac qu'il avait épousée en 1808.

Son frère mourut célibataire beaucoup plus tard, à l'âge de quatre-vingt-onze ans. Il fut le dernier des de Sartiges de Montclar-Chambon.

— La maison de Sartiges de La Prade avait aussi son officier en 1789, c'était Jean-François de Sartiges, frère de l'abbé de Sartiges de La Prade et des deux religieuses de Malte dont nous avons parlé. Il servit en qualité de cadet au régiment Royal-Comtois. En 1778 il épousa Antoinette-MargueriteDelprat d'Angle,


— io8 —.

et donna ainsi naissance au rameau d'Angle, qui ne subsista pas longtemps, tous les garçons de cette famille étant morts sans enfants. Jean-François de Sartiges niourut à Angle en 1807.

— Jacques-Antoine de Sartiges de La Prade, frère de Jean-François, abandonna le Vigean et acheta en 1798, dans le Limousin, la baronnie de Durfort, commune de Soursac. Ainsi finit la maison des Sartiges de La Prade.

— La branche des Sartiges de Beaufort en Limousin, compte un officier, M. de Sartiges-Beaufort était, en 1772, élève de l'école militaire, capitaine de grenadiers au régiment de Béarn en 1792, aide de camp du général Boisgeliii la même année. En 1793, après la mort du roi sur Téchafaud, cet officier quitta le service militaire. Il est mort en 1811 sans postérité.

Voilà tombées, fracassées par l'orage, les cinq branches de l'arbre séculaire de Sartiges. Il ne reste que le tronc, mais il est vigoureux.

Au moment de la Révolution, la maison de Sartiges de Sourniac comptait sept officiers, qui, joints aux cinq dont nous venons de parler, portent le nombre total à douze.

De ces sept officiers, deux étaient rentrés au château, et cinq étaient encore en activité de service. Les deux premiers étaient le comte de Sourniac et son oncle.

Le comte de .Sourniac, chef de la famille, était


— 109 —

François de Sartiges, seigneur de Vernines, de Fournols, de Bilgeac ou Villejacques et autres lieux.

Jeune encore, il partit pour l'armée, « fit plusieurs campagnes, dit Bouillet, et se trouva à diverses batailles en Flandre, en Allemagne, en qualité de capitaine au régiment Royal-Comtois, de 1746 à 1769, fut fait chevalier de Saint-Louis en 1771, et inspecteur général des haras d'Auvergne la môme année. »

La terrible année 1789 trouva le comte de Sartiges au château de Sourniac, avec sa femme, la comtesse Marie-Gilberte de Talemendier de Guéry. Leurs trois enfants étaient aux armées.

Avec le comte et la comtesse vivait un vieil oncle, ancien militaire, revenu au berceau de la famille après plusieurs années de service. C'était Jean-Baptiste de Sartiges, ancien officier, porte-étendard des gardes de corps du roi, compagnie de Charost, 'chevalier de Saint-Louis, pensionné en 1779. Il eut sa part des douleurs de la Révolution ; il vit le pillage du château, l'arrestation de son neveu et le saccagement de ses propriétés. Il mourut célibataire à Sourniac, le 7 août 1795, sans voir la fin des malheurs de sa famille.

Le comte de Sourniac avait six frères ou soeurs dont deux prêtres, deux religieuses et deux officiers dans l'armée. Nous avons dit un mot des quatre premiers. Les deux derniers étaient :

Pierre-François de Sartiges, dit le chevalier de Sour-


no —

niac, capitaine au régiment de Neustrie en 1780, chevalier de Saint-Louis le 11 septembre 1790, émigré en 1792, retraité comme colonel en 1814.

Pierre-Antoine-Simon, dit le vicomte de Sartiges, capitaine de génie en 1780, chevalier de Saint-Louis en 1790, émigré en 1792, colonel en 1800, maréchal de camp en 1814, décédé célibataire le 2$ avril 1820.

Ces deux officiers, morts à Sourniac, ont laissé dans le pays une réputation de bravoure, comme leurs soeurs les chanoinesses-comtesses de Remiremont y ont laissé des souvenirs de bonté et de vertu.

A ces deux officiers ajoutons les trois fils du comte, officiers eux aussi. ,

L'aîné, Louis-Joseph-François, né en 1767, officier aux gardes-françaises en 1784, admis aux honneurs de la cour en 1789, réemployé comme lieutenantcolonel de 1814 à 1821, chevalier de Saint-Louis en 1815, mort célibataire aux bains de Schlangeubad, duché de Nassau en 1837.

Son frère Charles-Gabriel-Eugène, né en 1770, servit dans la marine de 1787 à 1805, fit les campagnes d'observation sur les côtes de Malabar et de Coromendel, en Chine et en Cochinchlne. Breveté capitaine de vaisseau et fait prisonnier par les Anglais, il revint en France en 1805 et se démit du service de la marine. En 1807. il fut nommé sous-préfet de Gannat; il reçut en 1812 la croix de l'Ordre de la


III

Réunion, et en 1814 le roi le fit préfet de la HauteLoire et chevalier de Saint-Louis. Il mourut à Lyon en 1827 laissant un fils, Etienne-Gilbert-Eugène, qui devint successivement secrétaire de légation au Brésil, en Grèce, à Constantinople, ministre plénipotentiaire aux Etats-Unis, au Pays-Bas, en Italie, et enfin ambassadeur auprès du Saint-Siège.

Le troisième fils du comte de Sourniac, AntoineFrançois-Gilbert, né en 1772, fut officier au régiment deNeustrieen 1790, émigré en 1792, fit toutes les campagnes de Tannée deCondé jusqu'au licenciement en 1801. Il épousa, en 1803, Louise-Françoise de Chabannes, de laquelle il eut deux filles, dont Tune est morte religieuse de la Visitation à Saint-Flour et l'autre épousa M. Gilbert d'Auriac, de Saint-Flour, et un fils, François-Louis-Marie de Sartiges qui continua la lignée.

Tels sont les douze officiers de la famille de Sartiges ; presque tous émigrèrent ; neuf signèrent l'acte de coalition de la noblesse d'Auvergne. Tous curent à souffrir de la Révolution, plusieurs y trouvèrent la ruine de leur fortune et de leur nom.

Eh bien 1 c'est contre de tels hommes, de tels défenseurs de la patrie que jappaient, aboyaient, hurlaient les patriotes du pays.

En 1789 le futur régicide Lacoste, de Mauriac, commença à dénoncer les nobles dans une lettre que


— 113 —

nous avons rapportée. En 1791, au mois de juin, les démagogues de Mauriac, pour avoir un prétexte de vexer le comte de Sourniac et de piller son château, firent courir le bruit que M. de Sartiges faisait chez lui un rassemblement d'armes et de munitions, et ce bruit prit tout à coup une telle consistance que les membres du Directoire de Mauriac nommèrent, pour vérifier le fait, des commissaires parmi leurs affidés. Ces commissaires se rendirent au château de Sourniac et, après de copieuses libations, firent vaillamment des perquisitions dans les bâtiments. Ils trouvèrent une épée et un fusil, Tépée et le fusil dont s'était servi le comte dans les combats en Allemagne contre les ennemis de la France. Ce fut tout.

Cette visite n'apaisa pas les énergumènes de Mauriac; les clameurs continuèrent; ce fut à tel point, que le Directoire du district arrêta dans sa séance du 29 juin 17^1, que deux gendarmes seraient mis sur pied, « pour protéger et sauvegarder le citoyen Sartiges détenu dans la maison du sieur Offroi, lesquels gendarmes seront à ses frais. » Il lui donna en outre deux gardes nationaux pour l'accompagner à Clermont et le protéger dans la route. On ne donne aucun détail sur ce voyage (i).

Pendant la Terreur, le comte de Sartiges fut de

(1) Archive! de Mauriac.


- H3 -r

nouveau mis en prison en même temps que la comtesse.

Son château fut livré au pillage, le mobilier vendu par l'administration, tout fut dévasté jusqu'à la bibliothèque.

Voici à ce sujet une lettre curieuse :

« Mauriac, le 9 floréal Tan II (28 avril 1794), à l'agent national du district de Mauriac.

. « Citoyen,

«En exécution des arrêtés de l'administration du district de 16 et 24 du mois dernier (5 et 13 avril), je me rendis avant hier à Sourniac où je requis pour le dépôt national des sciences et des arts du district de Mauriac, un certain nombre de livres, cartes de géographie, tableaux, gravures et autres objets énoncés au procès-verbal que j'en dressai conjointement avec le maire de Sourniac et le commissaire de l'administration pour la vente du mobilier du nommé Sartiges. J'avais laissé tous ces objets à la garde du maire que j'avais pareillement requis de les faire transporter au dépôt. Mais il vient* de remplir cette commission avec tant de négligence, que trois volumes ont été égarés, un tableau et deux estampes déchirés, et le cadre du premier brisé ; la paille de six chaises ou fauteuils,

8


coupée par le frottement et le pied de l'un d'eux cassé.

« Je crois qu'il est de mon. devoir de te rendre compte de cette dégradation. Je m'empresse de l'informer aussi que dans le nombre des imprimés voitures à Mauriac, il en est plusieurs qui sont des productions infâmes de l'esprit de royalisme, de fanatisme et d'aristocratie, du nom desquels je n'ai pas voulu salir le catalogue d'une biliothèque nationale et que j'aurais sur-le-champ livrés aux flammes si je n'avais été retenu par la loi qui défend, de brûler aucun papier. . >

« Je te prie de m'indiquer le cloaque où tu désires que soient versées ces ordures, que je tiens en attendant renfermées sous clef. Salut et fraternité. Charles VACHER TOURNEMIRE. »

Les biens du comte de Sartiges furent mis sous le séquestre, du moins en partie. Nous avons sous la main un « Etat des bois séquestrés sur le comte Sartiges » dans lequel nous lisons ce qui suit :

Ont été séquestrés : le Bois-Grand de l'étendue de 6,000 ares; le bois de Varennes de l'étendue 500 ares ; le bois de Pieron de l'étendue de 2,000 ares. Les bois du comte Sartiges sont des plus précieux par la nature et la proximité où ils se trouvent de la commune de Mauriac. Ce sont même les seuls dans


les environs qui puissent fournir des bois de construction; aussi ont-ils une valeurconsidérable. Cependant ils ont été fort dégradés durant la détention et l'absence du comte Sartiges soit par les vols qui s'y sont commis, soit par l'effet des ventes qu'y a fait faire l'administration du district de Mauriac en Tan II et III (1793 et 1794), ainsi qu'il a été constaté par un commissaire ad Itoc nommé par l'administration centrale, du procès-verbal duquel il appert qu'il a été vendu en un lot et finalement exploité durant ces deux années, savoir six cent soixante-six pieds des plus beaux arbres dans le Bois-Grand, et cent quatrevingt-six dans celui appelé des Varennes, non compris les dégâts occasionnés par la chute de ces gros arbres et leur mauvaise exploitation (i)« »

La Révolution ne respectait ni les personnes, ni les propriétés, Le comte de Sartiges fut de nouveau arrêté. Ayant appris « que pour de l'argent on tirait d'affaire les accusés » il donna, pour obtenir sa mise en liberté, la somme de huit mille francs à Hébrard, président du tribunal criminel d'Aurillac, par l'entremise d'Alary cadet (2). On prit l'argent, mais les portes de la prison ne furent pas ouvertes. Par arrêté du comité de sûreté générale du 4 messi(t)

messi(t) de la Régie.

(1) La Révolution du Cantal.


— n6 -

dpr an II (2 juillet 1794), M. de Sartîges et la comtesse, sa femme, furent condamnés à être traduits au tribunal révolutionnaire de Paris pour y être guillotinés avec onze autres suspects du Cantal, qui sont: Mri* la marquise de Roquèmaurel, de Salers; M™' de Laronade, de Salers; d'Olivier, de Salers; Mrae la marquise de Fontanges; M. de Faussange, ancien procureur du roi, à Salers; M. Devèze, ancien procureur du roi à Aurillac; M. Decours; M. deFalvelly, prêtre; M. Laguèze, médecin (1), On revint sur ce décret. Tous les personnages susnommés ne partirent pas pour Paris, entre autres, M*' de Laronade que l'on réserva pour la guillotine dressée siir la place d'Aurillac,

Remarquons encore que les malheureux suspects du Cantal étaient envoyés à la mort à Paris par bandes de six, huit, dix, dans des charrettes accompagnées de gendarmes à cheval. J'ignore le nombre et le nom des infortunés qui composaient la bande dont faisait partie M. de Sartîges. Mrae de Sartiges n'était pas dans la même voiture que le comte. Ce qu'il y a de certain c'est qu'en vertu de l'arrêté que nous avons rappelé plus haut, M. de Sartiges fut conduit à Paris de brigade en brigade sur une char*

(1) M/moire de M. d'Olivier de Salers. M. d'Olivier ne nomme pas les deux autres compagnons de son infortune.


— »»7 *-

rette avec quelques compagnons. En traversant la ville de Mauriac, il fut l'objet de la sympathie des honnêtes gens, et de la raillerie des patriotes qui étaient les plus puissants; ceux-ci hurlaient, criaient : Le Imif est gras, il est bon h tuer ! ça irat ça ira, à la lanterne, les aristocrates on les pendra !

Sur la route de Paris le comte rencontre un autre condamné qu'on conduit aussi à l'abattoir révolutionnaire. Cet homme, mal assis dans sa voiture, trouve le chemin long et s'impatiente ; il croit d'ailleurs qu'arrivé à Paris, il aura de si bonnes raisons a donner au tribunal qu'on se hâtera de le mettre en liberté. Il presse donc son conducteur. Le comte n'était pas du même avis.

« Prenons patience, mon ami, disait-il ; en temps de Révolution un jour peut tout sauver, un jour peut tout perdre. D'ailleurs, pour être guillotinés, nous arriverons toujours à temps. » L'homme impatient s'en va rapidement ; il arrive à Paris et le lendemain il est guillotiné.

M. de Sartiges fît tout ce qu'il put pour retarder son arrivée dans la capitale, c'est ce qui le sauva, lut et ses compagnons, ainsi que les autres condamnés au nombre de quinze ou seize qui arrivèrent à Paris en même temps (i). Quand il arriva, Robespierre venait

(i) Rtfontt d"Wbrard% pag. $1-56-63-79.


_ u8 -

d'être mis à mort ; ii y eut alors un.revirement et les prisonniers furent mis en liberté, parmi lesquels M. de Sartiges, sa femme et beaucoup d'autres Auvergnats,

. De retour à Sourniac, le comte et la comtesse de Sartiges trouvèrent leur château saccagé et leurs propriétés dévastées. Ils cherchèrent à reconstituer leur fortune. Avant la saisie de son mobilier, le comte avait soustrait et caché chez le sieur Arnal de Jalleyrac une partie de son argenterie, et divers objets chez d'autres particuliers. Tout lui fut rendu. Ses fils rentrèrent de l'émigration et l'aidèrent à relever les ruines.

Enfin le comte mourut en 1804 et la comtesse,en 1819(1).;

(1) Archives de Sourniac.


CHAPITRE X

CHATEAU DE VALENS. — M. DE CRUSSOL D'AMBOISE. — SA MORT, — LA FAMILLE DE MONTCLAR. — SA FIN. — ASSASSINAT LÉGAL DU MARQUIS D*APCHON ET DE SA BELLE-MÈRE.

Si de Sourniac nous allons vers l'Orient, après deux ou trois heures de marche, sur les hauteurs de la vallée de Mars, nous trouvons la paroisse de Moussages et sur le territoire de cette'paroisse, en allant vers les montagnes, nous voyons dans la plaine, à la naissance d'un vallon, un immense château féodal, flanqué de plusieurs tours rondes ou carrées, et dont les murailles sont d'une épaisseur prodigieuse. C'est le château de Valens.

Avant la Révolution, le propriétaire de ce château et du domaine qui l'environne était « AnneEmmanuel-François-Georges de Crussol d'Amboise comte d'Aubijoux, seigneur de Valens, né à Aurillac, le 29 juin 1726. Il entra aux mousquetaires le 8 dé-


— 120 —

cembre 1740, devint capitaine de cavalerie dans Royal-Pologne en 1783, se trouva à la prise de Weissembourg et des lignes de Lautern, à l'affaire d'Haguenau et au siège de Fribourg en 1744 ; fut fait lieutenant-co'onel le 14 décembre de la même année; combattit avec la gendarmerie à la bataille de Fontenoy, aux sièges de Tournay, de Termonde et d'Ath en 1745 ; servit aux sièges de Charleroi, de Namur et à la bataille de Rocoux en 1746. Devenu maître de camp, M. de Crussol combattit à Lawfeld en 1747, au siège de Maestricht en 1748 ; au combat de Sundershausen, a la prise de Cassel, à la conquête de la Hesse, et à la bataille de Lutterberg en 1^58. Cr^éé brigadier d'armée le 10 février 1759, il commanda le régiment d'infanterie de la reine à la bataille de Clostercamp, au mois d'octobre 1760. Déclaré maréchal de camp en 1762, et lieutenant-général en 1780, M. de Crussol, se reposait des fatigues de la guerre, lorsque la noblesse de Poitou le députa aux EtatsGénéraux de 1789. A l'époque néfaste de la Terreur, ni les anciens services de M. de Crussol, ni son âge avancé ne purent le sauver de la fureur des Jacobins (r).

Georges de Crussol d'Amboise est porté sur la liste des émigrés du Cantal en ces termes : c Crussol

(1) Nobiliaire. j


— 191 —•

d'Amboise, ci-devant officier général dans les armées ; dernier, domicile à Paris; biens à Saint-Vincent. Emigration constatée le 2 octobre 1792 (1). »

Arrêté â Paris, de Crussol d'Amboise fut écroué dans le couvent des Oiseaux, transformé en prison, où se trouvaient cent soixante malheureux détenus. L'heure de l'immolation arriva. On alla aux Oiseaux chercher les victimes, pour les conduire à l'abattoir.

« Le 7 thermidor (25 juillet 1794), à cinq heures du soir, tandis que chacun était dans sa chambre ou paisiblement rassemblé dans celles de ses compagnons d'infortune, on entendit un bruit confus de voix dans la rue, qui annonçait quelque événement. Aussitôt on voit un chariot immense traîné par quatre chevaux. Quatre gendarmes se présentent à l'instant dans la cour, suivis d'un huissier du tribunal révolutionnaire qui semblait par sa physionomie et sa stature n'être destiné qu'à annoncer des choses sinistres. Cet homme farouche donne aussitôt l'ordre au concierge de sonner la cloche pour que tout le monde au même instant se rassemble dans la cour. Chacun s'y rend, en tremblant sur sa destinée. Quelques-uns cependant se flattaient encore qu'il était peut-être

(1) La marquise de Crussol d'Amboise, née Angélique Bessin, avait été guillotinée le to nui 1794 avec Mmc Elisabeth, soeur du roi. Etait-elle la femme de Crussol d'Amboise de Valens ou bien une cousine? Je l'ignore.


question de transférer des prisonniers dans une autre maison. On fait l'appel et bientôt tous les doutes se dissipent. La princesse de Chimay, les comtesses de Narbonne-Pelet et Raymond-Narbonne, le vieux Çlermont-Tonnerre (74 ans), Crussol d'Amboise, l'évêque d'Agde Siméon de Saint-Simon et plusieurs autres sont appelés, rangés sous la porte, au-delà de la ligne du ruisseau. C'est à peine si la comtesse Raymond-Narbonne peut embrasser sa petite fille et la recommander à la duchesse de Choiseul (1). »

La voiture, cette grande bière roulante, les emporta au tribunal. Que reprochait-on à de Crussol d'Amboise ? Le voici : j J(

« Crussol d'Amboise, ex-marquis, ex-lieutenantgénéral des armées de Capet, ex-député de la noblesse à l'Assemblée constituante, a suivi scrupuleusement la marche qui lui était indiquée dans ses cahiers ; ce n'est qu'après la plus grande persévérance, et lorsqu'il vit que tous ses efforts étaient inutiles qu'il consentit enfin à l'examen des pouvoirs des communes. Il parvint à force d'intrigues à se faire employer dans nos armées, dans la seule vue de les trahir comme Lafâyette, Du mou riez et autres scélérats de cette espèce (2). »

(1) Tribunalr/vol., t. V, p. 1)9. (s) Idtm, t. V, p. 161.


Ainsi Crussol était accusé non pas d'avoir trahi, mais d'avoir eu l'intention de trahir. C'était assez, il fut condamné à mort avec trente autres de ses compagnons de prison et exécuté avec eux le lendemain, 26 juillet 1794. Il était âgé de 67 ans. Son château et son domaine de Valens furent vendus ; fut vendue aussi sa montagne de trente têtes d'herbage, appelée de la Vianne, sise dans la commune de Saint-Vincent de Salers. Aujourd'hui le vieux manoir de Valens est complètement en ruine et il n'est plus question dans nos montagnes des de Crussol d'Amboise (1).

Voici une autre des plus anciennes et des plus nobles familles d'Auvergne, décimée, ruinée, anéantie par la Révolution :

La famille de Montclar tirait son nom d'un ancien château fort situé près d'Anglards de Salers, sur les crêtes de la vallée de Mars. Au moment où éclata la Révolution, le chef de cette famille était Jean-Dominique de Montclar, ancien capitaine de cavalerie au régiment de Noailles. Il habitait son château de la Trémolière situé au bourg d'Anglards.

En 1756, il avait épousé Marie-Claire du Fayet de La Tour qui lui donna quatre enfants dont l'un mourut avant la Révolution. Au moment de la grande peur, M. de Montclar se trouvait au château de la

(1) Voir aux pièces justificatives n* i.


- 194 ~

Trémolière et tout à coup on crie (|e toutes parts que des armées de brigands arrivent, qu'ils ont saccagé Mauriac, brûlé Salers, qu'ils ravagent les campagnes, incendient les maisons. Tout est perdu. On sonne le tocsin au grand clocher d'Anglards.

Le baron de Montclar fut si surpris de cette terreur subite qu'il en mourut de frayeur. « Le 5 août 1789, fut inhumé au cimetière d'Anglards, Jean«Dominique de Montclar, chevalier, seigneur de Montclar de la Trémolière, baron de Montbrun, décédé hier, âgé d'environ 64 ans (1). »

Il laissait deux fils et une fille. ■

La fille, Angélique-Marie de Montclar, épqusa Louis-Alexis Plaiichàrd deCussac, habitant Nonnars en Limousin, mort sous-préfet de Mauriac en 1823.

Le fils cadet, Mathieu-Marie de Montclar, entra dans l'état ecclésiastique (2). Déjà bachelier en théologie, il fut reçu licencié en 1789 et il se préparait au doctorat quand la Révolution survint. L'abbé de Montclar fut le dernier nobilissime de la licence en Sorbonnè ; il avait pour concurrent l'abbé de Conac, issu d'une très ancienne 1 famille du Limousin, plus tard évêque de Mcaux. L'abbé de Montclar eut le

(1) Registres de l'église d'Anglards, (1) Yoir aux pièces justificatives n° ».


dessus, sa noblesse fut déclarée plus ancienne, d'après la décision de M. Chérin, généalogiste du roi.

Le brillant avenir de M. de Montclar fut compromis par la Révolution. Fidèle à sa vocation, fidèle à l'Eglise, il refusa le serment schismatique et, poursuivi comme prêtre et comme noble, n'étant pas en sûreté à Paris, il vint chercher en Auvergne un asile dans les châteaux de ses pères, La Trémolière, Longevergne et Montbrun, où les habitants du pays allaient entendre sa messe. La Terreur augmentant, il fut obligé de s'éloigner de sa famille et d'aller chercher un refuge dans les maisons isolées, dans les hameaux épars de la vallée de Mars. Comme ses confrères, il demandait un abri aux anfractuosités des rochers et aux solitudes des montagnes. La persécution avait parfois des intermittences, et alors l'abbé de Montclar paraissait au grand jour ; quand l'orage reprenait, le proscritrecommençait sa vie de fugitif, ranimant la piété, réchauffant la foi des bonnes gens qui le recevaient; il transformait en églises les châteaux de ses pères, leurs granges, les greniers, les caves des maisons chrétiennes, transportant son autel, son culte, ses instructions d'une paroisse à l'autre, variant ses déguisements à l'infini. Il allait souvent à Condamine, village perdu dans les montagnes, où il trouvait un asile sûr chez les parents de l'abbé Mathieu son ami, ancien supérieur des missionnaires


de Salers, proscrit et fugitif comme lui. L'abbé de Montclar ne passa pas tout le temps de la Révolution dans nos montagnes, il alla se cacher aussi à Clermont où il croyait, confondu dans la foule, échapper plus facilement aux mains des patriotes.

Vers la fin de la Révolution, revenu dans son pays natal, il fut arrêté, mais bientôt remis en liberté, comme le constate le billet suis'ant écrit au citoyen Chevalier, capitaine commandant de la gendarmerie nationale du Cantal.

« Mauriac, le ïo germinal an VI (30 mars 1798). Citoyen, capitaine, je vous envoie ci-joint copie d'un procès-verbal d'arrestation du nommé MathieuMarie Montclar, prêtre de la commune d'Anglards que nous avons arrêté, que le juge de paix a mis en liberté, parce qu'il s'est trouvé un arrêté de l'administration du département en date du 5 fructidor an IV (22 août 17*96), qui le lui permettait.

« Signé: DUMAS, maréchal de Logis (1). »

Après la Révolution, 'M. l'abbé de Montclar se retira à Nonnars, chez sa soeur, Mra* la baronne de Cussac. Il exerça les fonctions de curé dans cette

(t) Papiers trouvés cher M. Chevalier, ancien capitaine de gendarmerie. (


paroisse et il fut enfin appelé à Limoges où il devint grand vicaire del'évêque. C'est là qu'il mourut en 182 5. Dans les premiers jours d'octobre, le baron de Montclar, frère du grand vicaire de Limoges, reçut la lettre suivante :

t Mauriac le 4 octobre 1825. Monsieur et cher frère, j'ai la vive douleur d'avoir à vous apprendre la perte que nous venons de faire de l'abbé de Montclar qui a succombé à trois attaques d'apoplexie. La première nouvelle que nous avons eue de sa maladie, nous parvint le 29 septembre au soir, c'est-à-dire le jour même où notre pauvre frère est décédé à Limoges, à dix heures du matin. Cette lettre était sous la date du 25. Le 27, la même personne que je ne connais pas, mais qui paraissait très dévouée au bien-aimé abbé, nous marquait que la maladie qui jusque-là ne paraissait pas grave, avait été suivie d'une attaque d'apoplexie. Il y avait lieu d'espérer, d'après les détails de la lettre, que le malade ne serait que paralysé, mais une lettre du 29, que j'ai reçue hier, m'assure qu'il est décédé le 29, à dix heures du matin. Votre soeur çt mon frère aîné sont partis dans la nuit du samedi au dimanche, et ont dû arriver à Limoges dans la nuit du dimanche au lundi. Elle aura eu l'extrême douleur de ne pouvoir porter


.— 138 —

aucun secours à son frère dans ses derniers moments, et ce regret la suivra, j'en suis sûr, jusqu'au tombeau. J'ai l'honneur d'être avec attachement votre très humble serviteur et dévoué parent, le baron de Cussac(i). »

Le frère aîné de l'abbé de Montclar, Jean-BaptisteClaire baron de Montbrun, seigneur de Longevergne et de la Trémolière, co-seigneur de Montclar et d'Anglards fut admis aux pages en 1772 et servit ensuite dans la maison du roi. Il émigra et fit la campagne des princes en 1792. 11 est pprté sur la liste des émigrés du Cantal. Il rentra bientôt dans ses foyers et ce ne fut qu'à prix d'argent qu'il sauva sa vie;son père lui avait laissé d'immenses propriétés: il possédait dans la commune d'Anglards le château et le domaine de la Trémolière, les domaines de Montclar de Vergne-Chabeau, le château et le domaine de Longevergne ; dans la commune de Méallet, le domaine de la Mailhtayre, le château et le domaine de Motûbrun, dans la commune de Trizac les domaines de Lavaissière, de Sagnemonteil, de Las Taules, plus un autre au CoUde-Besse. Plusieurs

(t) Papiers de la famille de Montclar, communiqués à l'auteur par le baron de Montclar, neveu de l'abbé de Montclar et fil* de jean-Baptiste-Ciaire de Montclar.


— 189 *~

de ces domaines sont portés sur la liste dés biens des émigrés.

Etant rentré de bonne heure de l'émigration, M. de Montclar empêcha la vente de ses propriétés, du moins de plusieurs, mais, pour sauver sa vie, il versa des sommes considérables, ce qui commença sa ruine.

Valette de Salers avait dit : « Ce bougre de Montclar est bien heureux d'être riche. Son père lui a laissé des louis, on les lui fera bien sortir (i). »

En effet, on les lui fit sortir.

Le baron de Montclar fut plusieurs fois arrête. Le féroce Carrier le porta sur la liste des suspects. Voici en quels termes : « Montclar : ex-noble, émigré rentré. Le tribunal criminel d'Aurillac a eu l'indécence de lui accorder un délai pour fournir ses certificats de résidence, tandis que la notoriété publique constatait son émigration. Il est en liberté. Aristocrate abominable. »

Le tribunal d'Aurillac et le comité révolutionnaire de la même ville rançonnaient les riches ou les faisaient arrêter et leur disaient : « Citoyen, si tu ne donnes pas dix, quinze, vingt mille francs, tu seras arrêté et envoyé à la guillotine. » Le citoyen terrifié donnait la somme qu'on exigeait.

(i) La R/colulion du Cantal.


ijo

Plus tard quand la Terreur fut un peu moins vive, on fit un procès aux terroristes, à tous ces escrocs qui avaient soutiré d'une manière scandaleuse l'argent des nobles et des honnêtes gens. On appela donc des témoins.

Voici les dépositions faites au sujet des concussions exercées contre le baron de Montclar :

Déposition de Foumol : « Gros, ci-devant bénédictin à Mauriac, m'a dit tenir de Valette aîné, que Mirande et Milhaud avaient pris huit mille francs de la citoyenne Montclar. »

Déposition de Perret : « Alary m'a oMt avoir donné a Hébrard de l'or et des assignats pour Montclar. »

Alary lui-même dépose : « Pour calmer BouJier, lors des jugements, je lui ai donné pour Montclar sept à huit mille* francs. »

Alary, cadet, déposa à son tour : « Hébrard a reçu de Montclar, prévenu d'émigration, deux cents louis d'or, et depuis ils ont été très liés. »

Autre déposition de Fournol : « Hébrard me dit un jour : Reste jusqu'à samedi, tu verras guillotiner Montclar. J'avertis la soeur de Montclar et l'adressai à Alary qui, ayant vu Hébrard, me dit que pour apaiser

î


I3i

les ennemis de Montclar il ne fallait pas épargner l'argent. Peu après, je m'obligeai pour la citoyenne Montclar pour quinze mille francs. Au bout de quelque temps, elle me dit que l'affaire allait bien depuis qu'Alary avait remis les quinze mille francs à différents individus. Je sais que Montclar a donné vingt-quatre mille francs au comité révolutionnaire (i). »

Ces témoignages prouvent évidemment que différentes sommes considérables furent versées par le baron de Montclar, par sa mère et par sa soeur, entre les mains des patriotes qui à ce prix voulaient bien lui ouvrir les prisons et ne pas l'envoyer à la guillotine.

M. de Montclar sauva donc sa tête, mais perdit sa fortune. Des procès de famille achevèrent sa ruine. Ses châteaux, ses domaines furent tous vendus successivement. Louis XVIII lui accorda la croix de SaintLouisen 1814. Il avaitépousé, pendant la Révolution, une jeune fille, Catherine Soubrier, qui lui avait sauvé deux fois la vie en le cachant, et il en avait eu un fils et une fille. La fille, Marie de Montclar, épousa M. Aigueperse attaché à l'administration des ponts et chaussées, et le fils, Louis-Henri, mourut à Mauriac

(1) La Rholution du Cantal.


IJ3

dans un âge très avancé et dans la plus extrême pauvreté, laissant trois filles. Ainsi disparut une des plus anciennes et des plus illustres familles d'Auvergne.

Voici une autre victime delà Révolution. AhtoineLouis-Claude de Saint-Germain, marquis d'Apchon, neveu de Msr Marc-Antoine d'Apchon, évêque de Dijon, puis archevêque d'Auch, appartenait à l'Auvetgne par son nom, ses possessions et ses alliances.

« Le marquis d'Apchon, dit d'Espinchal, qui l'avait connu, entièrement pieux, vertueux comme ses parents, ne s'était point mêlé des affaires de la Révolution. Il s'était refusé au désir qu'il avait d'émigrer, pour donner ses soins à la dame Périçord, sa belle-mère, vieille et infirme. Il fut arrêté à Paris où il s'était retiré, et condamné à mort. »

La dame de Périçord, née de Lacorée, eut le même sort. Le tribunal révolutionnaire donne le motif de cette double condamnation ; c'était une prétendue correspondance avec les émigrés. « Le marquis d'Apchon avait écrit au nom de sa belle-mère à l'archevêque de Paris, retiré à Chambéry, pour une autorisation que le prêtait dans une lettre lui donne en ces termes : « Madame votre belle-mère pourra continuer de faire dire la messe dans le château de Saim-Ouen quand le plafond sera raccommodé. » C'est la pièce saisie, et elle était du 25 mars 1791.

Le marquis d'Apchon affirmait qu'il n'avait


adressé à l'archevêque aucune autre lettre, qu'il n'avait envoyé aucun secours d'argent aux émigrés, qu'il ne partageait en aucune sorte les sentiments exprimés par Mme de Résy à Mme de Périçord, sa belle-soeur dans des lettres peu révolutionnaires que lui ne pouvait imputer qu'à Mmc de Résy.

Mme de Périçord faisait observer que ces lettres étaient tontes d'amitié, que les nouvelles qu'elles donnaient étaient extraites des papiers publics.

N'importe, le marquis d'Apchon et la dame de Périçord furent condamnés à mort et exécutés le 18 germinal an II (7 avril 1794); M"* 4 de Périçord avait 70 ans, le marquis d'Apchon, 46.

Peu de temps après, la dame de Résy, dont on vient de parler, fut également accusée de correspondance anti-révolutionnaire et mise à mort le JI mai 1794, à l'âge de 72 ans (1).

Le château d'Apchon est aujourd'hui en ruines; on en voit le squelette debout au milieu des montagnes et dans les airs. La famille de ce nom a disparu de la Haute-Auvergne.

(1) Le Tribunal r/v. de Paris, t. III, p. S17 et 489.


CHAPITRE XI

LA FAMILLE D AUZERS. LE CHATEAU DE CHABANNES.

MORT DE LA MARQUISE DE CHABANKES.

Nous n'entrerons pas ici dans de longs détails sur les douloureuses péripéties par lesquelles |>assa la famille d'Auzers, durant la Révolution. On en trouvera le récit dans la Vie de M«r Charles d'Auzers, évêque de Nevers. Nous nous contenterons de dire que lorsque la Révolution arriva, le baron d'Auzers était mort, laissant une veuve et quatre enfants qui eurent cruellement à souffrir pendant la Terreur.

La veuve, Marie Charlotte de Saint-Chamant, baronne d'Auzers, vit ses propriétés et son château ravagés et mis en vente. Elle se réfugia avec ses enfants à Paris et ne revint qu'en 1797 à Auzers, où elle rentra en possession de ses biens qui n'avaient pas été vendus; elle mourut en 1802.

Son fils aîné, Joseph, émigra, passa à l'armée des Princes, rentra en Varice, devint aide de camp du


— 135 —

général de Précy dans l'héroïque résistance de la ville de Lyon à la tyrannie révolutionnaire. Après la prise de la ville par les armées de la Convention, Joseph d'Auzers se cacha à Paris et rentra plus tard à Auzers, où il mourut en 1840.

Son frère cadet, Jean-Louis, émigra également, passa en Italie où il fut plus tard élevé à la dignité de directeur général de la police dans les départements conquis par Napoléon au-delà des Alpes. Il s'établit à Turin et y mourut en 1831.

Charles, frère des précédents, fut emprisonné pendant la Révolution, reprit plus tard ses études ecclésiastiques interrompues, devint curé de Mauriac, grand vicaire d'Amiens, et évêqùe de Nevers. Il mourut en 1834. .

Sa soeur, qui l'avait suivi à Nevers, mourut dans cette ville.

La famille de Douhet d'Auzers avait produit en Auvergne et en Limousin plusieurs branches qui fournirent toutes des membres à l'émigration, dans l'armée des Princes, ou dans celle de Condé, savoir :

Louis Barthélémy de Douhet de Rommange.

François de Douhet de La Roche, dont les biens furent vendus nationalement.

François de Douhet d'Algère, seigneur de Laveix en Limousin.

Arnaultde Douhet son fils, mort à l'armée de Condé *


Michel-Jean-Baptiste de Douhet, du Puy-Molinier en Limousin.

L'abbé de Douhet, mort aumônier de la Garde.

Tous furent traqués, concussionnés, ruinés par la Révolution;

Madame la baronne d'Auzers, née de Vergennes, qui vit actuellement (1895) au château d'Auzers avec sa famille, est l'arrière petite-fille de madame la marquise de Chabannes qui fut guillotinée pendant la Terreur.

Or, la famille de Chabannes était d'Auvergne ; elle possédait avant la Révolution la terre et le château de ce nom dans la commune de Madic, canton de Saignes, arrondissement de Mauriac. C'est donc ici le lieu de parler de cette noble famille et de raconter les derniers moments de l'auguste victime que Dieu voulut prendre parmi ses membres.

Situé sur un «monticule, au bord de la Dordogne, le château de Chabannes, flanqué de plusieurs tours, aujourd'hui en ruine, présente encore un aspect majestueux.

Les de Chabannes étaient seigneurs de Madic, de Saignes, de Lapalice, d'Apchon, comtes de Rochefort, marquis de Curton. Cette maison, qui a fourni à la France plusieurs grands capitaines et dont le nom, illustre dans notre histoire, est liée à toutes les gloires de l'ancienne monarchie, tient particulièrement à


\y\

1'A.uvergne, non seulement par son origine et ses propriétés, mais encore par sa suprématie dans le pays et par les grands et nobles souvenirs qu'elle y a laissés.

Jean-Frédéric de Chabannes, marquis de Curton, colonel de cavalerie, un des soldats de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique, émigra en 1789, fit la campagne des Princes, celle de Quiberon, rentra en France en 1802, racheta sa terre de Madic qui avait été vendue nationalement, la revendit et mourut en 1836, laissant trois fils. Il fut le dernier des de Chabannes possesseurs de Madic.

Un couronnement manquait à tous les titres glorieux de cette famille, celui du martyre. Il lui fut acquis dans la personne de Mme la marquise de Chabannes, de la branche dite du Verger, établie en Nivernais.

Marie-Henriette-Hyacinthe de Fournier de Quincy, avait épousé, en 1766, Claude François de Chabannes du Verger, seigneur d'Argoulais, de Montbaron, de Montbois, etc., chevalier de Saint-Louis, capitaine de cavalerie au régiment de Broglic. Il mourut jeune laissant deux fils et trois filles.

La marquise de Chabannes, déjà veuve quand la Révolution arriva, passa les premiers moments de la tourmente dans son château de Quincy, commune de Villiers-sur-Yonne, près de Clamecy, dans la Nièvre, cherchant à cacher et à faire évader les malheureux


- i38~

prêtres persécutés. Son fils aîné, Jean-Baptiste-Marie, déjà marié, avait émigré.

Secondée par ses autres enfants et par des domestiques dévoués, la marquise poursuivit cette oeuvre de charité pendant quelque temps. C'est ainsi qu'elle donna asile à l'évêque de Nevers, hUr Louis-Jérôme de Suffrcn, à toute sa suite et à une foule de proscrits. Le calme de sa belle figure en imposait aux plus méchants. Mais un jour qu'elle avait été avec ses enfants entendre une messe qui était dite secrètement dans une maison isolée de Clamecy, elle fut arrêtée et conduite avec eux dans la prison de Pressures, proche de cette ville, sous cette accusation formidable alors, d'avoir soustrait des prêtres à l'échafaud.

Ce fut à ce moment que Mme de Chabannes ressentit l'effet du dévouement sublime d'une de ses femmes de service. C'était une toute jeune personne. Elle se présenta à la porte de la prison et somma ses misérables gardiens de la laisser porter de la nourriture à ses maîtres. On lui répondit d'abord par des huées, mais elle, avec des' larmes, plaida si chaleureusement sa cause, qu'elle finit par attendrir les plus mauvais. Elle se loua dans un moulin peu éloigné, ne demandant pour tout salaire que de la nourriture pour les prisonniers, et ainsi elle les secourut et les consola. \


— 139 —

La seconde fille de la marquise, Marie-Henriette, avait à peine dix-sept ans. Elle était bonne et pieuse comme sa mère. Un des scélérats qui avaient contribué à l'arrestation de la famille, vint un jour à la prison et lui proposa de l'épouser, lui promettant de la sauver avec tous les siens. La pauvre enfant communiqua à sa mère cette horrible proposition, la laissant libre de décider.

Alors la marquise de Chabannes appela ses enfants et prenant leurs mains dans les siennes, leur dit : c Je vais bientôt vous quitter, retenez mes paroles : L'honneur est plus précieux que la vie ; promettezmoi que vous ne ferez jamais une lâcheté pour sauver ma vie et la vôtre. Aimez-vous ; consolez-vous quand je ne serai plus là; priez pour votre mère; moi je prierai pour vous au ciel! »

La marquise de Chabannes comparut le 10 pluviôse an II (29 janvier 1794) devant le comité de surveillance de Clamecy. Les représentants du peuple, délégués dans la Nièvre, décidèrent que dix-sept de leurs prisonniers seraient envoyés au tribunal révolutionnaire de Paris.

Au plus fort de l'hiver, par une nuit très froide, Mme de Chabannes fut arrachée à ses enfants et mise avec les autres détenus sur des voitures.

Ces voitures étaient rangées devant l'église SaintMartin de Clamecy, l'endroit le plus froid de la


— 140 —

ville, où les prisonniers restèrent longtemps. L'infortunée marquise avait tellement souffert dans la prison que l'enflure avait envahi .son. corps. Malade, excédée de mauvais traitements, elle était encore belle et calme. S'adressant aux bourreaux qui s'apprêtaient à l'enchaîner, elle et les autres victimes : Prenez, une bûche leur disait-elle, et assommez-moi ! — Elle demanda un verre d'eau qui lui fut refusé. Car telle était la terreur dans,la ville qu'en entendant passer le triste cortège, chacun fuyait ou s'enfermait dans sa demeure.

Lorsque son tour vint d'être enchaînée, aucun de» gardiens ni des gens de la prison ne voulut toucher ses mains. Non, disaient-ils, ces mains ont fait trop de bien I ça nous porterait malheur ! — On fut obligé d'aller chercher dans la prison un malfaiteur étranger pour faire cette triste besogne. On mit à la marquise des fers trop petits pour ses bras. Il fallut forcer ces fers. On l'enchaîna avec un pauvre vieux prêtre, l'abbé . Portepain, curé de Ouagne, ecclésiastique éminent par ses vertus et son savoir. Il était atteint de la dyssenterie, et cet état l'humiliait au dernier point; Mme de Chabannes le consolait et l'encourageait.

Dans cette horrible nuit, dans la ville déserte, il ne se fit exactement que le bruit indispensable d'une marche très lente. {Les ordres les plus sévères avaient


Mi -•

été donnés aux prisonniers, aux gardes, aux voituriers de ne pas dire un seul mot à haute voix. Le bruit le plus frappant fut sans doute le bruit sonore et lugubre des fers que l'on rivait.

Le triste cortège se mit donc en marche pour Paris dans ce silence de mort. Ce fut pour les prisonniers et surtout pour Mme de Chabannes une suite non inter-r rompue d'angoisses poignantes et d'atroces souffrances. On s'aperçut bientôt que les mains de la marquise enflaient énormément sous la pression des fers. Le voiturier, le jeune Bouche, pénétré de pitié et d'horreur devant une pareille torture, plein de respect et de vénération, déclara énergiquement aux gardiens que si on ne brisait pas les fers de Mm* de Chabannes, il ne la conduisait pas plus loin. On y consentit. Alors la marquise, touchée des soins de ce brave homme, jugeant qu'elle pouvait compter sur lui, prit la montre d'or qu'on lui avait laissée et lui demanda de la remettre à son fils aîné, lorsqu'il viendrait d'exil. Bouche reçut la montre, la baisa et promit à Mme de Chabannes de faire ce qu'elle désirait. Il tint fidèlement sa promesse.

Dès leur arrivée à Paris, les prisonniers lurent écroués à la Conciergerie. Presque en même temps arrivèrent dans la capitale plusieurs habitants de Villiers-sur-Yonne.

Lorsque les habitants de cette paroisse apprirent le


_ ,43 —

départ de Mm* de Chabannes, leur bonm damer ils furent dans la consternation, Plusieurs se réunirent, ayant à leur tête un homme appelé Régent. Ils décidèrent qu'ils iraieut à Paris réclamer au tribunal révg. lutionnaire celle qu'ils appelaient leur mère. Ils partirent à pied immédiatement. Ces braves gens arrivèrent au moment même où les prisonniers de Clamecy venaient d'y être conduits. Ils se rendirent au lieu où étaient les détenus, et s'adressant à un garde, lui soumirent le but de leur voyage. Cet homme se pencha et dit tout bas à celui qui avait parlé : — Vous ne la sauverez pas, et si vous parlez, vous mourrez avec elle ; il n'y a plus en France que des bourreaux et des martyrs. — Cet homme pleurait. Il les fit pourtant entrer. A ce moment la marquise de Chabannes aperçut ce groupe; le costume du pays l'avait frappée. En reconnaissant ceux qui lui faisaient un signe de tendre respect, elle éleva sa main, la passa sur son cbui pour leur faire comprendre de quelle mort elle allait mourir, et leur montra le ciel 1

Un semblant de procès fut immédiatement commencé. Ce fut bientôt fait ; les dix-sept prisonniers de Clamecy furent jugés en bloc; quinze furent condamnés à mort parmi lesquels Mme la marquise de Chabannes. Que lui reprochait-on ? D'avoir fait des reproches à un particulier parce que les enfants de ce


H) -

particulier péchaient dans sa rivière ; par conséquent de vouloir maintenir ses droits féodaux, c'était tout. L'exécution eut lieu le 25 ventôse an II (15 marsi794).

La marquise de Chabannes monta sur le fatal tombereau et alla courageusement à la mort, au milieu d'une foule de spectateurs dont la plupart criaient, riaient des angoisses des infortunés condamnés.

Voici ce qu'on lit dans le journal du bourreau Samson : « Nous avons eu ce jour une terrible journée. Dans la séance d'hier le tribunal avait prononcé 15 condamnations : hier, à deux heures, je me tenais prêt. Mais le citoyen Fabricius me dit que comme il tombait grande pluie, il serait bon de remettre au lendemain matin, que l'accomplissement de la justice du peuple devait avoir des témoins afin de propager l'horreur du crime de lèse-nation, que cela me ferait une belle journée et que les patriotes ne se plaindraient pas. Ce matin donc j'ai été à la Conciergerie avec quatre charrettes. Trois seulement ont servi. Ont été suppliciés : Marie-Françoise-Hyacinthe Fournier, ci-devant marquise de Chabannes... (il dit le nom des autres quatorze condamnés). Le citoyen Fabricius ne s'est pas trompé. Ce qu'il appelle le peuple a été très satisfait. Mais je remarque aussi qu'on ne voit plus dans les maisons une seule personne aux fenêtres quand nous passons. L'exécution a duré trente-cinq minutes... »


M4 -

MB* la marquise de Chabannes avait quarante-sept ans,

Quarante ans plus tard, Diogène et Horace Tenaille, les deux misérables qui avaient dénoncé la marquise et qui ensuite avaient profané l'église de Villiers-surYonne, furent atteints par la main de Dieu, Leur mort fut si affreuse que le souvenir ne s'en cflacera pas. Leurs hurlements effrayaient la population ; les vers les dévoraient. Le prêtre ne put jamais approcher d'eux ; ils brûlaient, disaient-ils, quand ils le voyaient.

Le fils aîné de l'auguste victime, Jean-BaptisteMarie, marquis de Chabannes, avait épousé, avant la Révolution, M,,c de Boisgelin. Au retour de l'émigration, il reconstitua sa fortune considérablement endommagée.

Ii fut pair de France sous la Restauration.

Sa soeur aînée, Cécile, sortie de prison avant la mort de sa mère, se fît religieuse.

Les deux cadettes, Henriette et Suzanne, étaient restées après le départ de leur mère dans les prisons de Pressures. La plus jeune, Suzanne, âgée de onze ans, que les duretés de la prison rendaient malade, obtint v du comité révolutionnaire de Clamecy sa liberté, sur les instances de sa soeur Henriette. En 1803, Suzanne dé Chabannes épousa Antoine-François-Gilbert, comte de Sartiges de Sourniac.


- 145 -

Henriette resta prisonnière jusqu'à la mort de Robespierre, fin juillet 1794. On raconte qu'ayant été appelée un jour devant le Comité et interrogée, elle y comparut avec une grande dignité et jeta à la figure d'un de ces misérables une lettre qu'il avait osé lui adresser. M"c Henriette avait alors 17 ans.

Aussitôt après sa sortie de prison, Marie-Henriette de Chabannes épousa en premières noces le vicomte de Fournier d'Armes, son parent, et en secondes noces le marquis de Barbançois, qui devint sousgouverneur de Son Altesse Royale le duc de Bordeaux, étant colonel aux gardes du corps. De ce dernier mariage naquit Blanche de Barbançois, qui épousa plus tard le marquis de Vergennes, dont elle eut M,Ie Marie de Vergennes, actuellement baronne d'Auzers. La famille des de Chabannes a disparu de la Haute-Auvergne (1).

(1) Nobiliaire d'Auvergne. — Notes fournies par Moe* la baronne d'Auzers. — Tribunal rt'vol. de Paris, t. II, p. 473.

10


CHAPITRE XII

LA FAMILLE DE NOAILLES. — LES CHATEAUX DE CHAMBRES ET DE PÊNIÈRES EN HAUTE-AUVERGNE. — IMMOLATION DU MARÉCHAL ET DE LA MARÉCHALE DE NOAILLES-MOUCHV.

Revenons vers Mauriac, et à cinq ou six kilomètres de cette ville, au midi, nous apercevrons sur le penchant d'une coliine un grand château dont les tours en ruine s'élèvent majestueuses encore au milieu des arbres et des maisons d'un petit village. C'est le château de Chambres, qui conserve le souvenir de grandes infortunes.

Avant la Révolution,'il appartenait à la famille de Noailles. Les de Noailles, comtes de Noailles, marquis de Montclar, barons de Chambres, ducs d'Ayen, ducs de Mouchy, princes de Poix, pairs de France, Grands d'Espagne, etc., sont parvenus à la plus haute illustration.


~ M7 -

De cette famille sont sortis des évêques, dont un de Saint-Flour, un cardinal-archevêque de Paris, des ambassadeurs, des capitaines, quatre maréchaux de France, des amiraux, huit chevaliers du Saint-Esprit ; un gouverneur d'Auvergne et plusieurs lieutenants du roi pour le Haut-Pays d'Auvergne.

Avant la Révolution, elle possédait dans notre pays plusieurs châteaux et de nombreux domaines, entre autres Chambres, Montclar, Carbonières, Trémouille, Pénières, etc. C'est au château de Pénières, dans la commune de Cros de Montvert, que résidait Anne de Noailles, gouverneur du Haut-Pays d'Auvergne. Cette famille possédait en outre à Aurillac un hôtel somptueux. Sa fortune territoriale était si considérable que les paysans des environs de Mauriac disaient que les Noailles pouvaient aller de Chambres à Paris sans poser le pied sur d'autres terres que les leurs. Quand vinrent les mauvais jours, la famille de Noailles était représentée par les deux frères Louis et Philippe de Noailles, tous les deux maréchaux de France.

Le cadet, Philippe de Noailles, était plus connu sous le nom de maréchal de Mouchy, à cause de son château et de sa terre de Mouchy; il avait épousé Anne-Claude-Louise d'Arpajon, née à Paris, de laquelle il eut deux fils, qui leur survécurent.

Le maréchal et la maréchale de Noailles-Mouchy


!4S

étaient trop riches et trop dévoués au roi pour n'être pas suspects. « Le maréchal de Mouchy, dit Wallon, par ses services, par soit caractère comme par son âge, aurait désarmé les plus malveillants, si sa noblesse et sa fortune même, dont il faisait le plus libéral et le plus patriotique usage, ne l'eussent désigné à la proscription (i). »

Le maréchal et la maréchale furent arrêtes et enfermés dans la prison de la Force, à Paris, sous l'inculpation d'être les agents de Capet, le dernier tyran, selon le langage de l'époque.

1 ' l:

Voici l'arrêté qui envoie le maréchal au tribunal révolutionnaire :

« Convention nationale. Comité de sûreté générale et desurveillance. Du 28 prairial, an H(i6 juin 1794). Le comité de sûreté générale renvoie au tribunal révolutionnaire le ci-devant maréchal, duc de NoaillesMouchy, comme prévenu d'avoir conspiré avec le tyran, en se rendant l'un des agents de ce dernier par la distribution de sommes au moyen desquelles il soudoyait les prêtres réfractaires, les émigrés et

(1) Tribunal revol., ù IV, p. )}6.


-, 149 —

tous autres instigateurs et complices de la contreRévolution. Le présent arrêté, ensemble les documents relatifs au crime dont il s'agit, seront adressés sans délai à l'accusateur public. Signé : Les représentants du peuple membres du comité de sûretégénérale. DUBARRAN, Elie LACOSTE, Louis VADIERVOULLAND

VADIERVOULLAND »

La maréchale de Mouchy n'est pas comprise dans cet arrêté; son nom ne se trouve pas dans l'acte d'accusation des vingt-trois personnes envoyées au terrible tribunal, et pourtant elle fut menée devant ce tribunal avec son mari. Le maréchal était coupable, la maréchale devait l'être. Tel était le raisonnement des juges de ce temps. Le maréchal avait 79 ans, la maréchale, 66. Le jour fatal étant arrivé, on les conduisit de la Force au Luxembourg, du Luxembourg à la Conciergerie, dernière station de cette voie douloureuse.

« Lorsqu'on vint appeler le maréchal pour le mener à la Conciergerie, il pria celui qui lui annonçait qu'il fallait descendre au greffe, de ne point faire de bruit afin que la maréchale ne s'aperçut pas de son départ: Elle avait été malade les jours précédents, et

(1) Tribunal r/vol., t. IV, p. 337.


■— *5° —

était dans les remèdes. Il faut qu'elle descende aussi, lui répondit-on. Elle est sur la liste ; je vais l'avertir de descendre. — Non, dit le maréchal ; puisqu'il faut qu'elle vienne, c'est moi qui l'avertirai. Il va aussitôt dans sa chambre et lui dit : « Madame, il faut descendre ; Dieu le veut, adorons ses desseins ; vous êtes chrétienne ; je pars avec vous, et je ne vous quitterai pas. »

La nouvelle que M. de Mouchy et sa dame allaient au tribunal, se répandit en peu de moments dans toutes les chambres. Le reste du jour fut pour tous les prisonniers un temps de deuil. Les uns s'éloignaient de leur passage, ne se sentant pas la force de soutenir ce spectacle ; d'autres, au contraire, se rangeaient eh haie voulant leur témoigner une dernière fois leur respect et leur douleur. Quelqu'un éleva la voix et dit : Courage, Monsieur le maréchal ! —- Il répondit d'un ton ferme : A quinze ans j'ai monté à l'assaut pour mon roi, a près de quatre-vingts, je monterai à l'échafaud pour mon Dieu (i)l »

Le tribunal révolutionnaire se divisait en plusieurs bureaux et on jugeait plusieurs séries par jour. Ce fut le 27 juillet 1794 que le maréchal et la maréchale de Nôailles-MoUchy parurent devant le bureau qui

(1) Tribunal rivoh, t. IV, p. 336.


- 151 —

siégeait dans la salle de la liberté. Les juges étaient là pour la forme ; les accusés étaientcondamnés d'avance. On répéta au maréchal les mêmes accusations : Vous êtes l'agent de Capet... Vous avez distribué de l'argent aux émigrés... Le maréchal eut beau protester, il fut condamné. On ne prit pas la peine d'interroger la maréchale et de formuler contre elle des accusations : — c A quoi bon, disait Fouquier-Tinvilte, président, l'affaire est la même, cela est inutile. » Elle fut condamnée sans avoir été entendue.

Le même jour, trente-et-un individus furent condamnés à mort. Ces trente-et-une victimes de la barbarie révolutionnaire allèrent à l'échafaud sur des charrettes à travers les rues de Paris, au milieu d'une foule hideuse et criarde.

Le maréchal et la maréchale eurent le bonheur de recevoir l'absolution avant de mourir et voici comment:

Il y avait à Paris un saint prêtre, le P. Carrichon, qui était bien connu, non de M. de Mouchy, mais de la famille de son frère. La duchesse de Noailles ayant appris que le maréchal et la maréchale de Mouchy allaient monter à l'échafaud, envoya une personne de confiance chez ce saint prêtre pour le prier d'aller donner une dernière absolution aux condamnés ; cette personne de confiance ajouta que le maréchal et la


— 15» —

maréchale étaient avertis et que le moment de l'exécution approchait.

Le bon religieux se mit aussitôt en route, et quand il arriva à la prison, on venait de'donner le signal du départ. Il ne connaissait pas le maréchal de Mouchy, mais en voyant sur le bord de la charrette un homme à cheveux blancs, il se douta que c'était lui. Ce vieillard était, raconta-t-il plus tard, singulièrement édifiant, son attitude était celle d'un homme en prière. Pâle et tremblant, le P. Carrichon le suivit à pied au milieu de la foule jusqu'à la barrière du Trône, le regardant d'un air expressif et cherchant, malgré le péril, à attirer son attention, a (in de lui procurer, non pas la force, car il n'en avait pas besoin, mais la joie que lui donnerait la présence d'un prêtre.

On arrive au lieu de l'exécution. Au moment où le maréchal et la maréchale de Mouchy descendaient de la fatale charrette^ le P. Carrichon leur donna l'absolution, le maréchal ne laissa point voir qu'il s'en fût aperçu. Les trente-et-une victimes, descendues de la bière ambulante, attendaient • chacune son tour, rangées sur des bancs au pied de l'échafaud. Quand la tête de l'une était tombée, l'autre montait.

Le tour de,la maréchale et du maréchal arriva. Celui-ci sur les degrés de l'échafaud, plein de courage, se tourne tout à coup et d'une voix forte, il répète


~ I5>

cette parole Ï « A quinze ans, je montais à l'assaut pour mon roi, à soixante-dix-neuf ans je monte à l'échafaud pour mon Dieu ! »

Il franchit alors les dernières marches et se livre à l'exécuteur. Ce spectacle fit une telle impression sur le P. Carrichon et le mit dans un tel état qu'il eut de la peine à s'en retourner chez lui (ï).

(i) Tribunal riv„ t. IV, p. 317, ~ Histoire des frisons, t. IV, p. 181, — Récit du P. Carrichon.


CHAPITRE XIII

LA MARÉCHALE DE NOAILLLES. — LA DUCHESSE DE NOAILLES. — LA VICOMTESSE DE NOAILLES. — LEURS DERNIERS MOMENTS.

Le maréchal de Noailles-Mouchy dont nous venons de raconter la triste et glorieuse mort, avait un frère plus âgé, Louis de Noailles, comme lui maréchal de France, vieilli dans les armées. Cet homme de guerre qui s'était battu dans maintes batailles, mourut au plus fort de la Terreur, en 1793, à l'âge de 80 ans, emportant dans la tombe les douleurs des terribles catastrophes dont il avait été le témoin désolé pendant les trois premières années delà Révolution, et laissant au milieu des orages de plus en plus lugubres, une veuve et deux fils. Les deux fils, en 1789, occupaient de hautes fonctions. «Le second, EmmanuelLouis, marquis de Noailles, dit le Nobiliaire d'Auvergne, fut maréchal de camp, chevalier de

Saint-Louis et commandeur de Saint-Lazare. Dès

i


— 155 -

l'âge de 22 ans, le roi l'envoya à Hambourg, en qualité de ministre, puis successivement comme ambassadeur en Hollande, en Angleterre et en Autriche. Il quitta son ambassade de Vienne au commencement de la Révolution, se retira à Maintenon et mourut en 1822.»

Son frère aîné, Jean-Louis-Paul-François, duc de Noailles, duc d'Ayen, fut capitaine de la première compagnie des gardes de corps, lieutenant-général, chevalier de la Toison d'Or, membre de l'Académie des sciences. Il se faisait remarquer par la distinction de son esprit et la variété de ses connaissances. La Révolution venue, il émigra, rentra un moment en France en 1793 ; mais, obligé de prendre de nouveau le chemin de l'exil, il passa en Suisse où il demeura plusieurs années. Il est porté sur la liste des émigrés du Cantal en ces termes : « Noailles, ci-devant duc, dernier domicile à Paris. »

Or les biens des émigrés étaient confisqués. Leduc de Noailles fut donc dépouillé de tous ses biensd'Auvergne. Dans la liste des biens des émigrés on lit:

« Le sieur Denoailles perçoit sur la commune de Plcaux environ cent quartes de rentes réduites en seigle, mesure de Pleaux. — Le sieur Denoailles. possède dans le territoire de la municipalité du Vigeari un domaine situé au village de Chambres et


-156perçoit

-156perçoit ledit village plusieurs rentes et autres redevances. »

La terre de Pénières, dans la commune de Crosde-Montvërt, et de laquelle dépendaient Carbonnières, Trémouillc et saint Rouffi, fut vendue par la nation. Le château fut incendié en 1807. Le propriétaire y établit une verrerie qui n'existe plus (1).

La seigneurie de Montclar était divisée en deux : le marquisat et la baronnie. Le marquisat appartenait à la famille de Noailles. La Révolution le lui enleva.

« La famille de Noailles, dit M. Emile. Delalo, ancien président du tribunal de Mauriac, est [demeurée propriétaire de la terre de Chambres jusqu'à sa confiscation, lors de la première Révolution. Les biens qui en dépendaient furent vendus nationale* ment. Après la Révolution, ta plupart des acquéreurs traitèrent avec la famille de Noailles et firent ratifier les ventes au moyen du paiement d'une certaine somme réglée à l'amiable. Les terres que la maison de Noailles possédait en Haute-Auvergne étaient nombreuses et considérables. Le château de Chambres, dont le principal corps de logis, flanqué de trois tours, a été conservé, a été remanié à diverses époques. On remarque encore dans les

(t) Statistique du Cantal.


— 157 w

murs des portions d'arceaux en plein-cintre. La grande salle est encore entière. On voit sur une énorme cheminée les armes de la maison de Noailles: De gueules à la bande d'or. L'entrée du château était défendue par une antique tour carrée quia été abattue pendant la Révolution.La chapelle a été transformée en salle d'école (ï) . »

Aujourd'hui le temps achève ce qu'avait commencé la Révolution : la démolition du château.

Le duc de Noailles n'eut pas la seule douleur de voir ses propriétés devenir la proie des révolutionnaires de l'époque; une douleur plus poignante, une inénarrable angoisse devait aller l'atteindre dans le fond de son exil, la douleur apportée par la nouvelle de la tragique immolation de sa mère, de sa femme et de sa fille. Sa mère, la maréchale de Noailles, née Catherine-Françoisc-Charlotte de Cossé-Brissac ; sa femme Henriette-Anne-Louise d'Aguesson, duchesse de Noailles d'Ayen ; sa fille, Annc-Adrienne-Dominique, qui avait épouse un de ses parents, vicomte de Noailles, émigré aussi, devenues toutes les trois suspectes à cause de leur fortune, et de leur rang élevé, furent arrêtées au mois d'octobre 1793 dans leur hôtel, à Paris et jetées impitoyablement dans les prisons de la capitale sous prétexte qu'elles avaient

(1) Statistique du Cantal.


-i58*des

-i58*des avec les émigrés, étant elles-mêmes mère, femme et fille d'un émigré.

De leur première prison, elles furent transférées •dans celle de Luxembourg où elles eurent beaucoup à souffrir. « Au Luxembourg,- dit Wallon, une soupe détestable, une demi-bouteille de vin qui ne valait pas mieux, deux plats, dont un de légumes nageant dans l'eau et l'autre toujours de viande de porc mêlée avec des choux, leur était servis au prix de cinquante sous, avec un pain de munition d'une livre et demie, fourni par la république, et il fallait en réserver quelque chose si l'on voulait manger une autre fois dans la journée. Mais cela même aurait été [supportable si la brutalité des gens de service n'y avait joint mille avanies.

Parmi les prisonnières se trouvaient la maréchale de Noailles, la duchesse d'Ayen. La première était âgée de soixante-dix ans, et presque entièrement sourde. A peine pouvait-elle marcher. Elle était obligée d'aller comme les autres à la gamelle et de porter avec elle une bouteille, une assiette et un couvert de bois; il n'était pas permis d'en avoir d'autre. Comme on mourait de faim, en allant à ce pitoyable dîner chacun se pressait pour arriver le plus tôt possible, sans faire attention à ceux qui étaient à côté de soi. La vieille maréchale était poussée comme les autres et, trop faible pour résister


i59

à ce choc, elle se traînait le long du mur pour n'être pas à chaque instant renversée; elle n'osait avancer ni reculer et n'arrivait à la table que lorsque tout le monde était placé. Le geôlier la prenait rudement par le bras, la faisait pirouetter et la faisait asseoir sur un banc. Un jour, croyant que cet homme lui adressait la parole, elle se retourne : — Qu'est-ce que vous dites? — Je dis vieille boug..., que tu n'as personne ici pour porter ta cotte. Fous-toi-là ! — Et il la plaça sur le banc comme s'il y eût mis un paquet (ï). »

Dans cette même prison du Luxembourg, les dames de Noailles trouvèrent la princesse d'Orléans, la vertueuse fille du duc de Penthièvre, elle aussi emprisonnée pour crime de noblesse. Elle était malade et pour tout lit elle n'avait qu'un misérable grabat qu'il ne lui était pas permis d'améliorer. Mme la duchesse de Noailles d'Ayen, mieux partagée, lui céda le sien et l'entoura respectueusement de tous les soins qu'il fut en son pouvoir de lui donner.

Tandis qu'elle s'occupait de la sorte, sa fille, la vicomtesse de Noailles, veillait sur leur mère, la vieille maréchale^ toute étonnée de se trouver dans une prison. Elle l'habillait, la peignait, remuait la paille de son lit et lui rendait tous les soins que

(t) La Terreur, par Wallon t. II. p. 183.


— i6o —

nécessitaient son âge et ses infirmités. Dans l'exercice de ces charitables fonctions la duchesse et la vicomtesse de Noailles s'aidaient, se relevaient, et chacune à son tour passait la nuit près du chevet de l'auguste malade, la princesse d'Orléans.

Elles étaient réduites au plus affreux dénûment; il leur restait quelques bijoux que M. Grellet, précepteur des enfants de la vicomtesse, fut chargé de vendre. Il les vendit en effet, mais en se représentant le lendemain pour en recevoir le prix, il apprit que le bijoutier avait été condamné pendant la nuit et exécuté le matin; le prix ne fut pas payé et les bijoux ne furent pas rendus. Le temps avançait. Les nobles prisonnières furent successivement interrogées par ces hommes qu'on appelait des juges et qui n'étaient que des bourreaux. On voulait saisir un mot, un bout de phrase qui pût servir de motif plausible pour leur condamnation.

Mandée la première devant eux, la vicomtesse de Noailles ne fut pas médiocrement surprise de s'entendre accuser d'avoir conspiré pour faire assassiner le- membres de la Convention nationale. Elle ne perdit pas cependant son sang-froid et répondit avec beaucoup de calme que la chose était matérialement impossible puisqu'elle était déjà en prison à l'époque où l'on faisait remonter le prétendu complot. — Eh bien, lui dit l'un des juges, si tu ne l'as pas fait, tu


i6i

étais bien capable de le faire) — C'était un arrêt de mort. La vicomtesse le comprit. On la ramena dans sa prison. Elle reprit ses fonctions de garde-malade auprès de sa grand'mère et de la princesse d'Orléans. Elle sut si bien se maîtriser, si bien cacher.ses angoisses, que ni la princesse, ni sa mère qui savaient d'où elle venait, ne purent deviner et lire sur son visage ce qui s'était passé. Le lendemain ce fut le tour de la maréchale, le surlendemain, celui delà duchesse. On les accusa d'être complices dans la conspiration Dillon, d'avoir trempé dans tous les crimes de Capet contre la nation. L'interrogatoire était pouf la forme ; leur mort était résolue.

Mme la duchesse d'Ayen avait l'oreille un peu dure; elle n'entendait pas trop bien les interrogations que lui faisait le juge; elle le pria de vouloir bien parler un peu plus haut. — Ah ! ah ! s'écria le président, la citoyenne est sourde/ Greffier, écris qtCellea conspiré sourdement.

Ramenée au Luxembourg, la duchesse de Noailles d'Ayen, comme sa fille, cacha si bien ses émotions que la princesse d'Orléans ne se douta pas du triste résultat de l'interrogatoire et continua à recevoir ses soins de plus en plus empressés.

Cependant il fallait bien prévenir la princesse d'Orléans de leur prochaine séparation. Dans le courant de la journée, peu à peu, elles lui révélèrent leur


— i6a —

triste sort, leur mort désormais certaine. Quoique s'en doutant un peu, la duchesse d'Orléans en fut vivement affectée. Elle s'attendait, elle aussi, à une pareille fin.

C'était le 21 juillet 1794.-A cinq heures du soir, on vint au Luxembourg chercher les prisonniers destinés à la fournée du jour suivant. On en prit dix-huit parmi lesquels les trois dames de Noailles. Lorsqu'on entra dans leur cellule, la duchesse d'Ayen lisait VImitation de Jésus-Christ. Elle écrivit à la hâte sur un bout de papier ces simples mots : Mes enfants, courage et prière/ Elle plaça ce papier à l'endroit où elle avait interrompu sa lecture. C'était au chapitre de via Crttcis, du chemin de la croix; puis elle baisa le livres et le remit à la princesse d'Orléans, en la priant, si elle conservait la vie, de le remettre un jour à ses enfants, comme un dernier gage de sa tendresse. Lorsqu'elle prononça le nom de ses filles, le calme qu'elle avait conservé jusque-là l'abandonna et elle mouilla le livre de ses larmes.

Les trois victimes arrivèrent à la Conciergerie. La Conciergerie était le vestibule du tribunal et le tribunal le vestibule de la mort.

Elles étaient brisées de fatigues et d'émotions. Comment, disait la vieille maréchale, dont les facultés s'affaiblissaient de plus en plus, comment pourrait-on nous condamner pour des crimes imaginaires, pour


des prétendus complots dont nous ignorons jusqu'à l'existence ? — Maman, continuait MMe d'Ayen, vous savez comme moi que les jugements des hommes sont faillibles ; tenons-nous prêtes à tout, si nos vies sont entre les mains des hommes, nos âmes sont entre les mains de Dieu. — Faisons notre prière du soir et dormons, reprit la maréchale. La place manquait pour pouvoir donner un lit à chaque prisonnier. On en fit un pour les trois dames. Mme d'Ayen s'y jeta tout habillée et voyant que sa fille se tenait debout, et en méditation, elle la pria de faire comme elle, et de prendre un peu de repos, mais la vicomtesse lui répondit : A quoi bon se reposer à la veille de VEternité l Elle céda néanmoins aux prières de sa mère et se coucha un moment.

Le lendemain, 22 juillet (4 thermidor), un mardi, les trois dames virent entrer dans leur prison un gardien et les gendarmes qui devaient les amener au tribunal sanguinaire. Avant de partir, la jeune vicomtesse fit avec plus de soin qu'à l'ordinaire la toilette de sa grand'mère qui paraissait n'avoir qu'une idée confuse de ce qui se passait autour d'elle. Puis, elle va vers sa mère, et veut de sa main arranger sa coiffure. — Courage, maman, lui dit-elle en l'ajustant, nous n*avons plus qtiune heure.

Arrivées au Tribunal, elles entendirent leur sentence de mort avec une héroïque et chrétienne résî-


— 164 —

gnation. La maréchale avait soixante-dix ans; la duchesse, cinquante-sept; la vicomtesse, trente-cinq.

La fournée qui paraissait avec elles au tribunal comprenait vingt-cinq personnes, parmi lesquelles se trouve un autre Auvergnat, Jean-Joseph-Antoine de Laroche-Lambert, âgé de 41 ans.

Les juges se divisaient par sections et tenaient ainsi plusieurs audiences à la fois. Pendant que les vingtcinq étaient condamnés dans une salle du tribunal une fournée de vingt-et-un détenus était condamnée dans une autre, celle de /'Egalité. En additionnant les deux nombres nous avons un total de quarante-six personnes guillotinées le même jour, 22 juillet 1794.

Les pieuses dames de Noailles n'avaient pas attendu la sentence du tribunal pour se préparer à paraître devant Dieu. Ayant été arrêtées et prévoyant leur prochaine condamnation, elles avaient demandé et obtenu une entrevue avec le P. Carrichon. Il avait été convenu que, si la condamnation survenait, ce qui était probable, le prêtre, pour bénir une dernière fois les victimes, se mêlerait à la foule sur le chemin de l'échafaud, et qu'il prendrait, afin qu'il fût reconnu, un habît bleu foncé, avec une carmagnole de couleur rouge. La chose arriva ainsi. Le 22 juillet (4 thermidor an II), à huit heures du matin, le P. Carrichon voit entrer chez lui les enfants de la vicomtesse de Noailles, conduits par M. Grellet leur précepteur.


— 165—»

M. Grellet lui apprend que ces dames doivent monter sur l'échafaud dans la journée, et qu'il vient dé leur part le prier de tenir la promesse qu'il leur avait faite. Le prêtre ne fait aucune objection ; il prend son habit bleu, sa casaque rouge, embrasse les enfants de la vicomtesse qui jouaient dans sa chambre et se rend au tribunal.

Quand il arrive, tout est prêt pour la grande immolation. Les quarante-six victimes sont entassées dans des charrettes qui doivent à travers la ville les porter au lieu de l'exécution.

, On donne le signal du départ et toutes les charrettes portant les victimes et les bourreaux, s'avancent dans les rues de la ville, à travers la foule des curieux, des badauds cruels qui crient : A bas la canaille, la prétrailleet les nobles!

Le P. Carrichon, mêlé à la multitude, se perd dans les flots, bouscule les uns, est heurté par les autres, s'approche le plus près possible de la voiture qui porte les dames de Noailles qu'il a parfaitement reconnues. Pendant le trajet un orage éclate.

L'orage fait rage, écrit le P. Carrichon, le vent est impétueux, tes dames de la première charrette en sont fort tourmentées, surtout la maréchale de Noailles'. Son ' grand bonnet renversé laisse voir ses cheveux blancs. Elle chancelle sur sa misérable planche sans tlossier, les mains liées derrière le dos; Des énergu-


i66

mènes viennent près du char et poursuivent l'octogénaire de leurs insultes. Nous arrivons au carrefour qui précède le faubourg Saint-Antoine. Je marche toujours près de Mme d'Ayen et de Mme la vicomtesse de Noailles qui ne sont pas dans la même voiture que leur mère et qui semblent me dire : « Oh ! que nous sommes heureuses! Vous nous ouvrez le Paradis! » Le meilleur endroit est trouvé pour leur accorder ce qu'elles désirent tant. C'est un détour dé rue.

La charrette va moins vite. Je fais à Mme la vicomtesse de Noailles un signe qu'elle comprend. — Maman, M. Carrichon va nous donner l'absolution. Ensembles elles baissent la tête avec contrition, atten-, drissement, foi, espérance. Je lève la main et je prononce la formulé de l'absolvo, puis les paroles qui suivent, très distinctement et avec une onction qui me pénètre. Elles s'unissent au sacrement. Je n'oublierai jamais cette inénarrable minute... Quel déchirement! mais non sans de grandes consolations en les voyant si résignées. L'échafaud se présente; les charrettes s'arrêtent, les gardes les entourent. Ensuite se forme un cercle plus nombreux de spectateurs, la plupart riant et s'amusant de cet horrible jeu. Etre au milieu, quelle situation!... Le dernier adieu donné, elles descendent. Je ne me sentais plus. A la fois déchiré, attendri, consolé, combien je remerciai Dieu de n'avoir pas attendu ce moment pour leur donner


— 167 —

l'absolution. Nous n'aurions pas pu nous unir en Dieu pour accorder ou recevoir cette grande grâce, comme nous l'avions fait dans l'endroit et avec les circonstances de la route. Les sbires entourent d'un rang serré les victimes. Je m'arrange pour être en face des degrés de la guillotine. Mais dans le groupe je ne vois plus ces dames au bas de l'estrade, mais seulement la vieille maréchale dans l'attitude d'une dévotion simple, noble, résignée, tout occupée de s'offrir en oblation.

, Elle monta la troisième du troupeau à l'égorgeoir. Il fallut échancrer le haut de son habillement pour lui découvrir le col. Six dames passèrent ensuite.

Mme d'Ayen fut la dixième. Qu'elle parut contente de mourir avant sa fille! Sur la plate-forme, le bourreau lui arracha son bonnet; il tenait par une épingle; les cheveux tirés avec force lui occasionnèrent une douleur qui se peignit sur ses traits.

La mère disparaît; sa digne et tendre fille la remplace. Quelle émotion en voyant cette jeune dame en blanc, douce comme un agneau, se livrer d'elle-même aux exécuteurs !

Comme sa mère, elle exhorte avant de mourir les infortunés compagnons de son supplice. Elle s'était attachée particulièrement à un malheureux jeune homme qui ne voulait pas mourir, qui criait, blasphémait. Elle l'encourageait, le consolait, le suppliait


- " ' — i68

de penser à Dieu. « — En grâce, rnôri ami, demandez pardon! »

« Divine parole, mouvement sublime ! s'écrie le P. Carrichon, n'est-ce pas un ange, l'ange de la miséricorde apportant au blasphémateur lui-même l'inspiration du repentir, la grâce du salut!... Cette jeune femme, cette jeune mère au pied de l'échafaud, où sa grand'mère vient d'être immolée, où sa mère la précède, où le bourreau l'attend, ne songe qu'à sauver une âme, et déjà sur les marches sanglantes, elle se retourne vers le jeune homme pour tirer de son coeur le mot qui ouvre le ciel! En grâce, dites pardon(i)\ »

- l - 'i.

(ï) Relation du P. Carrichon. — Nobiliaire d'Auvergne. — La Terreur, par Wallon, t. II, p. 304.— Le Tribunal révolutionnaire de Paris, t. V., p. 7J.


PIÈCES JUSTIFICATIVES

5"C

Extraits des registres de la commune de Moussages :

. t< Aujourd'hui 15 thermidor an II (2 août 1794) est comparu par devant le conseil général de la commune de Moussages, district de Mauriac, département du Cantal, le citoyen Pierre-Mary Soustre, habitant de la commune de Mauriac, lequel a dit et déclaré qu'il lui avait été adressé une procuration en date du 5 nivôse dernier (25 décembre 1793), reçue Bro, notaire à Paris, en bonne forme, par laquelle le citoyen Anne-Emmanuel-François-Georges Crussol d'Amboise, demeurant à Paris, rue de Sèvres, lui a donné pouvoir de compter avec tous régisseurs de ses biens situés dans le département du Cantal, débattre, clore et arrêter les dits comptes, en fixer le reliquat, les toucher, rece-


• — îyo—

voir, en donner quittance; et, en conséquence, le déclarant a exposé un compte avec le citoyen Bouchy Labesseire, ci-devant régisseur des dits biens, par lequel le dit Boùchy s'est trouvé redevable de la somme de dix mille cent soixante cinq livres deux sols, qu'il compta au dit déclarant sous sa quittance.

Par conséquent ce dernier se déclare débiteur envers la nation de la dite somme qu'il offre de payer surle-champ, sous bonne quittance, déclarant en outre n'avoir plus rien perçu en argent, mobilier, ni effets... de tout quoi nous a requis acte et a signé : SOUSTRE. »

— «Aujourd'hui, 21 thermidor an 11(8 août 1794) est comparu par devant le conseil général de la commune de Moussages le citoyen Antoine Cissoire, agent national de la dite commune, lequel a déclaré être redevable envers la nation de la somme de deux cent vingt-six livres provenant d'une distribution de grains qui étaient dans le ci-devant château de Valens, faite aux plus nécessiteux de la commune, de laquelle distribution il avait été chargé par le conseil général de Moussages, en conséquence le déclarant offre de payer sur-le-champ à la nation la dite somme, sous bonne quittance, de tout quoi nous a requis acte et a signé :

« CISSOIRE. »


i?i -

« — Séance du 10 frimaire an m (30 novembre

1794): « Sur la proposition d'un membre le conseil général

arrête, l'agent national entendu, qu'il sera exactement tenu registre de la délivrance aux plus nécessiteux de la commune, de soixante quintaux de grains, requis sur les domaines nationaux de Valens, pour que le montant en soit exactement versé entre les mains du citoyen Brunon, receveur d'enregistrement au bureau de Mauriac. Fait et clos le 10 frimaire an III. JARRIGE, PAGIS, CHAMBON, CHATONIER-MATHIEU,ISCHARD, maire, CISSOIRE, agent national. »

La Révolution enleva donc à M. de Crussol d'Amboise et ses biens et sa vie.


*K 2.

Sur l'abbé Mathieu-Marie de Montclar, voici ce qu'on lit dans une histoire de Notre-Dame de Lorette, de Salers, écrite avant la Révolution par M. Mathieu de Mathieu, curé de Salers :

« Mathieu-Marie de Montclar, originaire du bourg d'Anglards, fils de Jean-Dominique de Montdlar, chevalier, seigneur d'Anglards et de Méallet, baron de Montbrun et Longesfergne, seigrteur de Trémolière, et de dame Marie-Adélaïde-Claire de Fayet de La Tour, avait déjà atteint l'âge de cinq ans ou environ, sans qu'il eût encore pu former un pas, ni même se soutenir sur ses jambes ; tout au plus, la femme qui était chargée de sa garde le mettait à terre et l'appuyait contre une chaise, où il demeurait dans ta même position jusqu'à ce qu'elle le reprit entre ses bras. Le père et la mère de cet enfant étaient d'autant plus affligés de cette infirmité qu'ils l'aimaient avec plus de tendresse et lui portaient un plus vif intérêt. Enfin dans la saison de l'été de l'année 1765, ayant appris qu'on se disposait dans la ville de Salers à célébrer une fête


m

solennelle en l'honneur de la sainte Vierge, Notre-: Dame de Lorette, à laquelle les habitants s'étaient voués à l'occasion d'une calamité publique, ces religieux parents, aussi recommandables par leur piété que par leur nom, se sentirent inspirés de vouer leur enfant à la très sainte Vierge; et en suivant les mouvements de cette inspiration, ils promirent devant toute leur maison assemblée de faire porter leur cher enfant à la chapelle de Notre-Dame de Lorette, de l'y accompagner, d'y offrir autant de cire que pèserait le malade.

Le voeu ne fut pas plutôt fait que l'enfant qu'on tenait appuyé contre une chaise, fit comme un effort pour échapper d'entre les mains de sa garde, se mit à courir dans l'appartement où la,famille était assemblée. On ctia au miracle! Dans le moment, tous les habitants du bourg en furent instruits et coururent au château pour être témoins de cette merveille et se conjouîr avec leur seigneur.

Dès ce moment, l'enfant marcha toujours d'un pas ferme et assuré. On le voit croître et se fortifier de jour en jour. Il est à présent âgé de huit ans, et annonce déjà qu'il sera dans peu d'années un homme des plus forts et des plus robustes, comme aussi un des plus beaux cavaliers de la province. Au reste les parents de l'enfant se firent un devoir sacré de religion et de reconnaissance de se rendre à la ville de


-174Salers

-174Salers y accomplir leur voeu ; ils l'y firent porter avec eux. L'enfant les suivit de son pied, depuis une maison où ils étaient allés se reposer, jusqu'à la chapelle de Notre-Dame de Lorette, où la Sainte Messe fut célébrée pour lui en action de grâces, et y laissèrent en offrande quatre grands flambeaux de cire du poids à peu près égal à celui de l'enfant. «^-^


TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE I". — Extermination de la Noblesse. — Guerre sociale. — La Nuit du 4 août. —Maximes révolutionnaires mises en pratique par les patriotes auvergnats. — Premières hostilités contre les nobles. ... 1

CHAPITRE IL — Guerre aux nobles et destruction des châteaux dans le Puy-de-Dôme. — I Châteaux pillés ou incendiés : Plauzat, SaintNectaire, La Guesle, Beauregard, Ligone, Marsat, Fieux, Chateaugay, Pont-du-Château, Saunades, Blot-le-Rochet. — Emprisonnement de madame de Douhet de la Sauvetat. — Assassinat de M. de Montcelard. 11

CHAPITRE III. — Divers arrêtés contre les châteaux dans le Puy-de-Dôme. — Le château de la Ronzière. — Mort du jeune de Cisternes. — Madame de Marolles et son fils. — Scène lamentable sur l'échafaud 23


— 176 —

CHAPITRE IV. — Nouvelles victimes de la Révolution dans le Puy-de-Dôme : Des Bravards d'EyssacîJ.-B.d'EstaingîVarennesdeChampfleury ; Georges de Montcloux ; Gabriel du Saulnier ; Le comte et la comtesse de SaintDidier; Gaspard de Bessé 38

CHAPITRE V. — Laboulay de Marillac. — J.-B. de Vichy. — Charlotte de Saint-Nectaire. — Le comte de Crozet, de Montgon. — Dauphin de Leyval. — Les cinq de Montmorin. ... 51

CHAPITRE VI. — Guerre aux châteaux dans le Cantal. —Châteaux dévastés ou incendiés. — Adresse de l'assemblée départementale du Cantal à l'Occasion des troubles. — Pillage j

du château de Drugeac 68

CHAPITRE VIL — La famille de Sartiges pendant la Révolution. — Les cinq religieuses de Sartiges 84

CHAPITRE VIII. — Les trois prêtres de Sartiges. 101

CHAPITRE IX. — Les douze officiersde Sartiges. — Arrestation du comte et de la comtesse de Sartiges. — Pillage de leur château. . . . 105

CHAPITRE X. — Château de Valens. — M. de Crussol d'Amboise. —Sa mort. — La famille de Montclar. — Sa fin. — Assassinat légal du marquis d'Apchon et de sa belle-mère. . 119


i77

CHAPITRE XL — La famille d'Auzers. — Le château de Chabannes. — Mort de la marquise de Chabannes 134

CHAPITRE XII. — La famille de Noailles. — Les châteaux de Chambres et de Pénières en HauterAuvergne. — Immolation du maréchal et de la maréchale de Noailles-Mouchy . . . 146

CHAPITRE XIII. —La maréchale de Noailles. — La duchesse de Noailles. — La vicomtesse de Noailles. — Leurs derniers moments. ... 154

PIÈCES JUSTIFICATIVES. — N° 1. —Extraits des registres de la commune de Moussages. . . 169

N*2 ./^J^Xi?*

Sjtnt-Annmt (Cher). — Imprimerie Siîtit-Joîeph.