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Titre : Les Chemins de fer du Sénégal au Niger et le service du génie militaire

Éditeur : Germain et G. Grassin (Angers)

Date d'édition : 1896

Sujet : Sahara

Sujet : France -- Colonies -- Histoire

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34137821k

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : In-8°

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Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique

Description : Collection numérique : Zone géographique : Afrique de l'Ouest

Description : Collection numérique : Thème : Les échanges

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5784447x

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK11-572

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 16/12/2009

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ET

LE SERVICE DU GÉNIE MILITAIRE

ANGERS

GERMAIN & G. GRASSIN, IMPRIMEURS-LIBRAIRES 40, rue du Cornet et rue Saint-Laud

1896



LES

ET

LE SERVICE DU GÉNIE MILITAIRE

ANGERS

GERMAIN & G. GRASSIN, IMPRIMEURS-LIBRAIRES

40, rue du Cornet et rue Saint-Laud

1896



LES

CHEMINS DE FER DU SÉNÉGAL AU NIGER

ET LE SERVICE DU GÉNIE MILITAIRE

Projets et explorations préliminaires

C'est à Faidherbe que sont dus les premiers projets d'extension de notre colonie du Sénégal vers la vallée du Niger; c'est lui qui a fait le premier pas dans cette voie par l'occupation de Médine, en septembre 1855.

Mais, à cette époque, commençait à s'élever dans le Soudan l'empire Toucouleur d'El Hadj Omar, qui fut pendant plusieurs.années notre ennemi acharné.

Le principal épisode de la lutte fut le siège du fort et du village de Médine, défendus, pendant trois mois, par une armée de 15.000 Toucouleurs, par une garnison composée de 45 hommes, dont 8 blancs seulement, commandée par Paul Holl, et par les 6.000 habitants du village, sous les ordres de leur chef, notre allié Sambala.

Médine fut délivré, le 18 juillet 1857, par une colonne que commandait Faidherbe.

La guerre dura deux ans encore ; puis El Hadj Omar, voyant échouer toutes ses tentatives contre nos possessions, s'éloigna du Sénégal pour conquérir le royaume de Ségou, le Macina et Tombouctou.

Le gouverneur Faidherbe pensa alors à lier avec lui des relations commerciales; il lui envoya dans ce but, en 1864,


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MM. Mage et Quintin. Ces officiers, arrivés à Ségou quelques jours après la mort d'El Hadj Omar, furent retenus captifs pendant deux ans par son fils Ahmadou.

Faidherbe quitta la colonie en 1865, en recommandant de ne pas perdre de vue son projet de relier le Sénégal au Niger, par des postes dont il indiquait les emplacements à Bafoulabé, Kita, Mourgoula ou Bengassi et Bammako.

Mais ses successeurs ne portèrent pas leurs efforts dans cette direction, bien que la mort d'El Hadj Omar eût été suivie, comme il arrive souvent aux conquérants musulmans, de la dislocation de son empire, et que son fils Ahmadou n'ait conservé qu'une autorité précaire sur le royaume de Ségou.

En 1878 seulement, l'amiral Jauréguiberry, étant ministre de la marine, et le colonel Brière de l'Isle, gouverneur du Sénégal, reprirent les projets d'extension sur le Niger.

Le village de Sabouciré, qui était devenu un foyer d'agitation aux mains de nos adversaires, fut enlevé en novembre par le colonel Reybaud. Cet acte de vigueur ébranla dans toute la région l'influence d'Ahmadou, et le moment parut favorable au Gouverneur pour établir enfin la communication entre le Sénégal et le Niger.

A cette époque, l'opinion publique était généralement favorable à toutes les grandes entreprises et des idées d'extension étaient mises au jour de divers côtés.

Un décret du 13 juillet 1879, s'inspirant de voeux émis par des commissions parlementaires, instituait, sous la présidence du Ministre des Travaux publics, alors M. de Freycinet, une commission supérieure pour l'étude des questions relatives à la mise en communication, par voie ferrée, de l'Algérie et du Sénégal avec l'intérieur du Soudan.

Sur les indications de cette commission, le Ministre des Travaux publics organisa quatre missions dirigées respectivement par MM. Paul Soleillet, Choisy, Flatters et Pouyanne. Les trois dernières se rapportaient à la pénétration par l'Algérie.


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M. Soleillet, qui s'était fait connaître précédemment par un voyage de Saint-Louis à Ségou, se proposait cette fois de gagner Tombouctou; mais il fut attaqué et pillé en route et obligé de rentrer à Saint-Louis.

Le Ministère des Travaux publics ne fit pas de nouvelles tentatives dans cette voie et, conformément à l'avis émis par la commission supérieure, dans sa séance du 1er août 1879, il laissa au Ministère de la Marine et des Colonies le soin de relier le Sénégal au Niger.

En 1879, le colonel Brière de l'Isle fit construire le poste de Bafoulabé, au confluent des deux rivières dont la réunion forme le Sénégal, le Bafing et le Bakoy ; puis, le Sénégal n'étant pas navigable au-dessus de Médine, il fit commencer une route pour relier Médine à Bafoulabé.

Ces opérations n'ayant donné lieu à aucune résistance de la part des chefs indigènes, le Gouverneur pensa que le moment était venu de poser la question du chemin de fer. Le Ministre entra dans ses idées et, le 5 février 1880, il déposait à la Chambre un projet de loi concernant un chemin de fer à établir de Dakar au Niger. Cette ligne devait comprendre trois tronçons; le premier, de Dakar à Saint-Louis, et le deuxième, partant d'un point à déterminer du premier tronçon pour aboutir à Médine, seraient concédés à des compagnies ; le troisième, de Médine au Niger, devait être construit par l'État.

La dépense totale était évaluée à 120 millions, dont 54 au compte de l'État et 66 au compte des compagnies concessionnaires. On demandait, pour l'année courante, un crédit de 9 millions.

La commission du budget, sans être effrayée du chiffre de la dépense et sans repousser le projet en principe, fit observer que les études préliminaires n'étaient pas assez avancées pour qu'on pût engager dès lors une pareille somme sans avoir la certitude d'arriver au but. Elle demanda donc au Ministre un supplément d'étude, qui devait porter spécialement sur la portion de la ligne comprise entre


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Médine et Bafoulabé. La commission admettait que le fleuve était provisoirement suffisant comme voie de communication jusqu'à Médine et ajournait, au moment où le premier tronçon serait construit, la décision à prendre au sujet du prolongement jusqu'au Niger.

Le Ministre apporta bientôt de nouvelles propositions sur ces bases et demanda des crédits pour commencer les travaux dès la campagne suivante. Mais la Commission fit observer que la saison était trop avancée pour approvisionner le matériel en temps utile.

On n'alloua donc, pour l'exercice 1880, que les crédits nécessaires aux troupes d'occupation, aux travaux des postes et à l'envoi d'une mission d'exploration.

L'amiral Jauréguiberry, Ministre de la Marine, avait délégué l'inspecteur général du Génie maritime auprès du général Faidherbe, pour lui demander des renseignements au sujet des ressources sur lesquelles on pouvait compter dans la colonie. Le général fit connaître qu'on trouverait un petit nombre d'ouvriers au Sénégal, mais qu'en fait de terrassiers ou de manoeuvres, les indigènes ne lui paraissaient pas devoir rendre de grands services.

Il déclara, en outre, qu'à son avis, on devait faire exécuter le chemin de fer par le Génie militaire et y affecter, comme personnel, un colonel directeur, un officier supérieur comme second, trois ou quatre capitaines et une dizaine d'adjoints.

Ses conseils ne furent pas suivis sur ce dernier point, et, sur un rapport du Ministre de la Marine, qui visait une décision récente chargeant le corps de l'Artillerie de Marine des travaux de construction et de fortification aux colonies, un décret fut rendu le 6 septembre 1880, dans les termes suivants :

« Article premier. — Un officier supérieur d'Artillerie « de la Marine et des Colonies, du grade de lieutenant« colonel ou de chef d'escadrons, exerce au Sénégal, sous « les ordres du gouverneur de la colonie, les fonctions de


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« commandant supérieur des troupes cantonnées dans le « Haut-Fleuve et est chargé, en même temps, de la direc« tion générale des travaux.

« Art. 2. — Etc . . . »

A la même époque, un cinquième bureau, ayant pour chef un lieutenant-colonel d'Artillerie de Marine, fut constitué à la direction des Colonies du Ministère de la Marine, pour centraliser le travail des études et d'exécution des voies ferrées projetées au Sénégal.

Cependant, le commandant supérieur et le personnel de l'Artillerie de Marine dans le Haut-Fleuve ayant dû, par la force des choses, se consacrer entièrement à leurs fonctions militaires, l'exécution de la voie ferrée fut, en réalité, confiée à un personnel purement civil.

Débats parlementaires et actes législatifs

Le 13 novembre 1880, l'amiral Cloué, Ministre de la Marine, déposait à la Chambre un projet de loi portant ouverture, sur le budget extraordinaire de 1881, d'un crédit de 8.552.751 francs, pour la construction du chemin de fer de Médine à Bafoulabé. L'exposé des motifs faisait ressortir la difficulté du ravitaillement de Bafoulabé et l'urgence d'exercer d'une façon effective notre protection sur les chefs indigènes qui l'avaient demandée, sous peine de les voir nous accuser d'impuissance et se tourner contre nous.

Un rapport favorable fut déposé, au nom de la Commission du budget, par M. Blandin.

D'après ce document, « les nivellements effectués pér« metttaient d'assurer que sur tout le parcours, sauf au « passage de quelques cours d'eau, il suffisait de poser la « voie sur le terrain naturel ».

On peut en conclure qu'on ne comptait pas exécuter de ballast.


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« La voie franchissait les cours d'eau sur des traverses « métalliques que l'on ferait reposer sur des chevalets en « bois du pays, en attendant la construction ultérieure de « piles et de culées en maçonnerie. »

Si telles étaient les instructions données aux ingénieurs, on pouvait dès lors prévoir que des procédés de construction aussi rudimentaires ne donneraient qu'une voie défectueuse, dont l'exploitation serait dangereuse ou impossible.

Le projet de loi fut adopté le 24 février 1881 ; il était entendu que les crédits alloués ne comportaient pas l'achèvement du travail.

Une deuxième demande de crédit, applicable à l'exercice ' 1882, fut déposée, le 16 janvier 1882, par M. Rouvier, Ministre du Commerce et des Colonies. Elle s'élevait à 7.458.785 francs et comportait l'achèvement de la ligne jusqu'à Bafoulabé.

L'exposé des motifs faisait connaître que le matériel pour 110 kilomètres avait été acheté et transporté à SaintLouis et que 36 kilomètres de voie seraient achevés sur les fonds votés précédemment. Deux campagnes encore paraissaient nécessaires pour atteindre Bafoulabé.

Il signalait l'avantage qu'il y aurait à reporter la tête de ligne en un point plus accessible que Kayes et prévoyait en conséquence l'étude d'une voie ferrée entre Kayes et Bakel.

Le projet de loi fut adopté par les deux Chambres à une très grande majorité.

Le 26 avril 1883, un nouveau projet de loi était présenté par M. Charles Brun, ministre delà Marine et des Colonies; il faisait connaître que de graves mécomptes étaient résultés des difficultés des transports sur le fleuve et que la voie ne pourrait être posée à la fin de la campagne en cours que sur une longueur de 20 kilomètres.

Les prévisions primitives étaient notablement dépassées, et le prix de revient kilométrique semblait devoir être porté de 88.250 francs à 112.400 francs.


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Le Ministre demandait, pour le commencement de la campagne 1883-84, un. crédit de 4.677.000 francs, en annonçant que, pour terminer celle campagne, un autre crédit de 3.209.000 francs devait être alloué au titre de l'exercice 1884.

La discussion fut vive à la Chambre comme au Sénat. Une demande d'enquête parlementaire fut repoussée; mais le crédit ne fut voté qu'avec une disposition additionnelle d'après laquelle le Ministre devait fournir, avant le 31 décembre de chaque année, un rapport spécial sur l'emploi fait des crédits.

Dans le projet de budget extraordinaire pour 1884, le Ministre fit entrer la dépense complémenraire qu'il avait annoncée à la Chambre, mais cette fois le crédit fut repoussé.

Rétabli par le Sénat, il fut une deuxième fois rejeté par la Chambre des Députés.

Cependant le Ministre, s'appuyant sur ce que les Chambres, dans leurs votes précédents, avaient admis le principe de la dépense totale, pour la campagne 1883-84, avait dès le début complètement engagé cette dépense. Les agents et ouvriers étaient recrutés et expédiés, et il eût été aussi coûteux de les indemniser et de les rapatrier prématurément que de les conserver jusqu'à la fin de la campagne.

Les Chambres le comprirent et votèrent un crédit supplémentaire de 3.300.000 francs, mais seulement après que le Ministre de la Marine, l'amiral Peyron, eut pris l'engagement de ne plus demander de fonds pour le chemin de fer et d'arrêter les travaux au point où ils en seraient à la fin de la campagne.

Depuis lors, des crédits furent alloués par une loi spéciale du 18 août 1884 et par les lois de finances annuelles pour les frais d'occupation du Haut-Sénégal. Ils comprenaient des sommes minimes applicables à l'entretien et à l'exploitation du chemin de fer, de sorte qu'au bout de plusieurs années on put poser les rails jusqu'à Bafoulabé.


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Configuration générale du terrain

Avant de passer à l'historique de la construction, il est nécessaire de donner une idée d'ensemble du terrain parcouru par la voie ferrée. Nous n'entrerons pas ici dans le détail des accidents géographiques du Soudan ; la vue d'une carte quelconque les fera connaître beaucoup mieux qu'aucune énumération. Toutefois il est indispensable, pour bien comprendre cette carte, de connaître l'allure générale des formes du terrain, bien différentes de celle qu'on rencontre dans les diverses régions de la France.

La région qui s'étend entre le cours supérieur du Niger et la côte occidentale d'Afrique ne paraît pas avoir été le théâtre de violentes commotions géologiques ; elle a dû subir un soulèvement lent et presque uniforme, suivi d'un profond remaniement sous l'action des eaux pluviales.

Les roches qui ont résisté à l'action des eaux ont une stratification sensiblement horizontale. Les couches supérieures ont été presque entièrement détruites; il n'en reste que des massifs isolés, qu'on ne pourrait mieux comparer qu'aux témoins laissés dans les chantiers de terrassement pour évaluer les déblais. Très irréguliers en plan, de dimensions variables entre quelques centaines de mètres et plusieurs kilomètres, ils présentent ordinairement à leur partie supérieure une table horizontale, limitée par une falaise à pic ou par un éboulis de gros blocs, suivant que l'action des eaux a déblayé ou non les résidus de l'érosion des parties voisines.

Nombreux et presque confluents dans la région qui borde la vallée du Niger, on les trouve de plus en plus disséminés quand on s'avance vers l'ouest, et le long du fleuve on rencontre les derniers à la hauteur de Dinguira.

Il est remarquable que les plateaux supérieurs de ces massifs se trouvent à peu près tous dans une même sur-


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face plane, très légèrement inclinée vers l'Ouest, dont l'altitude est de 550 mètres le long de la vallée du Niger, de 450 mètres aux environs de Dinguira.

Ces massifs sont presque entièrement composés de grès ; on y trouve cependant quelques couches schisteuses ou ferrugineuses.

On rencontre d'autres collines, de hauteurs variables, mais toujours moins élevées que les précédentes, et qui ne présentent sur toutes leurs faces que des éboulis.

Elles paraissent provenir de massifs semblables à ceux que nous venons de décrire, dont les érosions auraient achevé de détruire le plateau supérieur. On les rencontre sur la rive gauche du fleuve, jusqu'à Bakel. De là jusqu'à la mer, on ne trouve plus, comme accidents de terrain, que quelques buttes isolées et absolument insignifiantes.

Le sol de cette plaine est presque partout formé par les débris des érosions. Au pied des massifs et se rattachant aux éboulis, on trouve des graviers gréseux et ferrugineux, avec des pentes relativement fortes de 30 à 150 millimètres par mètre ; au-delà, des sables siliceux, plus ou moins mélangés d'argile et de pierrailles ferrugineuses, présentant des pentes douces de 5 à 25 millimètres ; puis des parties presque horizontales, formées d'une terre rougeâtre que les noirs emploient sous le nom de banko, à la construction de leurs habitations. Dans les bas fonds, ce banko est recouvert d'une couche d'humus.

Ces alluvions ont généralement peu de profondeur; elles reposent sur des terrains sédimentaires en partie détruits, dont les couches les plus dures, grès ou minerai de fer, apparaissent parfois à la surface du sol comme les arêtes des marches d'un escalier qu'on aurait incomplètement recouvert de terre.

La même structure en escalier se retrouve dans le fond du lit des marigots et du Fleuve, qui sont aussi partagés en une série de biefs, dont la profondeur maxima, à l'aval


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de chaque barrage, diminue progressivement jusqu'à la crête du barrage suivant.

A l'Est, la région que nous venons de décrire est bordée par une falaise presque verticale, coupée seulement de quelques ravins et au pied de laquelle s'étend, à une altitude de 250 mètres, la vallée du Niger. Le fleuve lui-même court du Sud au Nord, parallèlement à la falaise, à une distance de cinq à six kilomètres.

A l'ouest de Kayes, on ne rencontre plus guère que les zones inférieures des plaines, celles des sables et de l'argile, qui descendent d'une pente insensible jusqu'au littoral de l'Atlantique et dont certaines parties sont inondées tous les ans, après la saison des pluies.

Ces inondations annuelles donnant lieu à des alluvions abondantes, il s'est formé, sur les rives du fleuve, des bourrelets ou digues naturelles qui retiennent les eaux en arrière et contribuent à transformer la plaine en marécage.

En amont de Kayes, le fleuve présente des biefs navigables, mais les barrages sont nombreux et à peu près infranchissables en toute saison.

En aval, au contraire, tous les barrages sont praticables à l'époque des inondations, pour les bateaux qui ont franchi la barre du Sénégal, et ils laissent passer en tout temps des chalands ne calant pas plus de 50 centimètres, sauf le plus rapproché de Kayes, celui de Tambo-Kané, qui n'est praticable aux plus basses eaux que pour les barques de 25 centimètres de tirant d'eau.

On sait que la crue du Sénégal commence avec la saison des pluies, vers la fin de mai, et qu'elle atteint son maximum à la fin de cette saison, vers le 20 septembre. Les eaux baissent ensuite rapidement jusqu'en décembre, puis plus lentement, jusqu'à l'hivernage suivant.

La hauteur des berges du fleuve est, à Kayes, d'environ 10 mètres au-dessus de l'étiage et les eaux les dépassent de 2 mètres dans les plus fortes inondations.

Le plus grand nombre des marigots et, notamment,


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tous ceux qui se trouvent entre Kayes et Bafoulabé, sont à sec dès le mois de décembre et jusqu'aux premières tornades de l'hivernage.

La saison sèche et la saison des pluies se succèdent avec une régularité presque parfaite. La première est celle des travaux et des expéditions, la seconde est celle des transports par le fleuve.

1880-1884. — Construction du chemin de fer de Kayes à Diamou

La prise de possession du territoire entre Sénégal et Niger devait, dans le programme primitif, marcher de front avec la construction du chemin de fer.

Il n'en fut pas ainsi, l'hostilité des chefs musulmans ayant rendu indispensable une action militaire plus rapide que ne pouvait être l'avancement de la voie ferrée.

En trois admirables campagnes, le colonel BorgnisDesbordes brisa la puissance d'Ahmadou et de Samory, rendit la liberté aux populations indigènes qu'ils avaient subjuguées et établit la domination française jusqu'aux rives du Niger.

Au point de vue de l'avancement du chemin de fer, les résultats furent loin d'être aussi brillants.

Les études préliminaires furent absolument insuffisantes. La mission topographique dirigée par le commandant Derrien, pendant la campagne 1880-81, rapporta une carte au 100.000e de la région comprise entre Médine et Kita. L'échelle était beaucoup trop petite pour que cette carte pût servir de base à une étude sérieuse ; nous ne croyons pas, d'ailleurs, qu'on s'en soit réellement beaucoup servi.

Un tracé avec nivellement a, paraît-il, été fait en 1880, par M. Carrey, ingénieur civil. Il est permis de croire que cette étude, dont nous n'avons trouvé aucune trace, était


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fort incomplète, puisqu'en 1883, alors que la voie avait atteint le 15° kilomètre, on annonçait qu'il n'y avait plus aucune difficulté de terrain jusqu'à Bafoulabé, et que, trois ans plus tard, on en trouvait de telles, qu'il était absolument impossible de suivre la portion de ce tracé comprise entre Bouroukou et les chutes de Gouina.

Campagne de 1881-82. — La première campagne fut dirigée au début par M. Arnaudeau, ingénieur, qui rentra malade en France au bout de quelques semaines, puis par M. Jégou, conducteur. Le personnel secondaire se composait de cinq conducteurs, de quatre agents auxiliaires et de deux mécaniciens. Une partie de ce personnel dut bientôt être renvoyée à la disposition du Ministre, par mesure disciplinaire. On employa cent cinquante ouvriers recrutés au Sénégal, des Marocains et des manoeuvres indigènes en nombre variable.

On ne fit pendant cette campagne qu'un kilomètre de plateforme, à partir de Kayes et, de plus, quelques terrassements vers le 4e kilomètre, aux abords du marigot de Papara.

Le matériel fixe et roulant nécessaire pour 110 kilomètres de voie fut acheté et transporté à Saint-Louis ; mais, par suite du vote tardif des crédits, n'y arriva qu'après la période des hautes eaux et ne put être conduit directement dans le Haut-Fleuve. Il fut transbordé sur des chalands pour être remorqué jusqu'à Kayes. Alors survint l'épidémie de fièvre jaune, pendant laquelle le Gouverneur donna l'ordre de suspendre tout transport. Il n'arriva à Kayes que 700 mètres de voie, qui fut posée sans ballast.

Campagne 1882-83. — Le personnel fut composé de M. Jacquier, ingénieur-directeur, un ingénieur sous-directeur, deux chefs de section, cinq conducteurs, deux agents auxiliaires, quatre cent cinquante terrassiers marocains, trente-cinq maçons chinois, environ deux cent cinquante manoeuvres indigènes.


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On jeta deux ponts métalliques de 60 mètres et de 24 mètres sur les marigots de Papara. Les culées et les piles furent construites en pierres sèches ; on dut les consolider dès l'année suivante.

La plate-forme fut établie et la voie posée sans ballast jusqu'au 16e kilomètre, en traversant deux régions assez accidentées, le Fouti, du kilomètre 7 au kilomètre 9, le Bouri, du kilomètre 11 au kilomètre 15.

Ces passages comportant des rampes à flanc de colline, on se contenta d'entailler le sol sur une longueur uniforme, en suivant toutes les inflexions du terrain. Il en résulta un tracé des plus défectueux; en certains points les angles que formaient entre eux deux rails consécutifs atteignaient 4 et même 5 degrés.

En dehors de ces passages, on traversait des plaines de la zone moyenne, où la voie fut simplement posée sur le sol.

Les études et le débroussaillement furent poussés jusqu'au 38e kilomètre.

A la fin de cette campagne, les acquisitions de matériel s'élevaient à 150 kilomètres de rails, dont 16 posés, environ 100 à Saint-Louis, et le reste en France, 175.000 traverses réparties d'une façon analogue, 4 machines dont 2 à SaintLouis, une échouée à Bakel et une seule à Kayes.

Pendant l'hivernage de 1883, on réussit à faire monter à Kayes la plus grande partie de ce matériel. Nous n'avons pas trouvé de documents précis sur la manière dont s'exécuta cette opération. On a raconté que d'immenses quantités de rails auraient été jetés au fleuve, pour alléger des chalands échoués, ou bien abandonnés sur les rives où ils seraient encore.

Il y a là beaucoup d'exagération : La voie posée avait en 1892 une longueur de 124 kil. 800 entre Kayes et Bafoulabé. Les embranchements du plateau de Kayes et de Médine, les voies d'évitement et de garage formaient environ 7 kil. 700. Il y avait en outre dans différents dépôts des


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rails pour 7 kilomètres. Il ne manquait donc, sur la quantité achetée, que 11 kilomètres, et, pour évaluer les pertes réelles, il faudrait en défalquer ce qui a été utilisé pour la construction des bâtiments militaires de Kayes ou à SaintLouis.

Campagne 1883-84. — Le personnel fut composé de M. Chapron, ingénieur civil, directeur, un sous-directeur, trois chefs de section, seize conducteurs, quinze agents auxiliaires, soixante-quatorze chefs ouvriers blancs, douze cent soixante terrassiers marocains, six cents manoeuvres indigènes.

La voie fut poussée jusqu'au 53e kilomètre, près de Diamou. Au sortir de la région du Bouri elle tournait brusquement à gauche, pour rejoindre les bords du fleuve, au-dessus des rapides du Felou, et les suivre à peu de distance jusqu'au marigot de Donkollé au kilomètre 34. Le tracé de celte partie, étudié pendant la campagne précédente, est très admissible comme courbes et comme pentes, mais il se déroule dans une plaine basse et marécageuse, sur un sol peu solide et inondé pendant l'hivernage sur une longueur de 7 kilomètres.

Du kilomètre 34 au kilomètre 42 le sol est meilleur, et du kilomètre 42 au kilomètre 45 on longe sur un sol rocheux le pied des collines de Dinguira.

Au-delà du kilomètre 45, on retombe dans une plaine marécageuse, inondée pendant l'hivernage, où la voie décrivait, sans motif apparent, les sinuosités les plus bizarres. Il semble qu'on ait suivi un sentier que les indigènes avaient frayé suivant leur habitude, en faisant un détour chaque fois qu'ils rencontraient un arbre tombé, ou un obstacle de même importance.

Vers le kilomètre 50 et jusqu'à Diamou, le sol devenait meilleur ; mais le tracé restait aussi incertain. La voie était toujours posée sans ballast.

Depuis le marigot de Papara jusqu'au kilomètre 34, on


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n'avait établi que quelques ponceaux sans importance, formés de poutres en fer sur des culées en pierres sèches, ou sur des piles de traverses. La plupart furent emportés au premier hivernage.

Au marigot de Donkollé (kilomètre 34), on imagina un nouveau système de construction.

On sait qu'une travée de pont doit être constituée par deux poutres longitudinales réunies par des entretoises, ces poutres étant construites pour résister à des efforts de flexion dirigés suivant leur hauteur.

Les ponts envoyés dans le Haut-Fleuve étaient de trois types différents, correspondant à des travées de 10, de 15 et de 20 mètres. Les poutres de tous ces ponts étaient composées de tronçons de 5 mètres de longueur, pouvant se boulonner à la suite les uns des autres.

Pour le pont de Donkollé, dont la longueur est de 15 mètres, on se servit de tronçons du type de 20 mètres, mais, au lieu de les assembler normalement, on forma une poutre unique que l'on jeta à plat, le treillis horizontal ; puis on la soutint par des tronçons de 5 mètres, espacés de 2 mètres 50 et placés verticalement sur des socles en maçonnerie. Les culées étaient formées de deux autres tronçons placés parallèlement au cours du marigot. Le tout arc-bouté par des rails obliques et sans aucun assemblage. Les traverses de la voie reposaient sur le treillis de la poutre.

Cet échafaudage de fer était d'une solidité fort douteuse et le matériel qui le composait aurait pu, s'il eût été convenablement utilisé, fournir un pont de 25 mètres. Cependant on employa des procédés analogues au kilomètre 41 (5 mètres), aux deux ponts des marigots de Godiolo (10 et 15 mètres) et au marigot du kilomètres 51.

Le pont de Yatamako (kilomètre 45, portée 26 mètres) et ceux du Diamouko (kilomètre 53, 20 et 30 mètres de portée) furent construits régulièrement, mais leur longueur


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était insuffisante et les culées furent emportées au premier hivernage.

Au-delà du kilomètre 54 et jusqu'au kilomètre 110, la plate-forme était marquée par quelques terrassements rudimentaires, mais il n'y avait aucun travail sérieux. On avait évidemment voulu, pour des motifs que nous ne rechercherons pas, montrer beaucoup de kilomètres exécutés sur le papier.

1884-88. — Pose de la voie de Diamou à Bafoulabé

Les campagnes 1884-85 et 1885-86, dirigées par M. Descamps, ingénieur civil, furent des périodes d'inaction presque complète. On ne disposait que de crédits très limités, accordés pour l'entretien et l'exploitation de la portion de la voie déjà construite. On chercha cependant à utiliser le matériel déposé à Kayes.

En 1884-85, on prolongea la voie au travers d'une plaine basse et marécageuse et suivant de près le bord du fleuve jusqu'au kil. 58 ; on jeta les ponts du Dibako (10 mètres de portée) et du Mansakollé (30 mètres de portée).

En 1885-86, on arriva au kil. 62. On avait dû, à partir du 38e kilomètre, abandonner les rives du fleuve, barrées par de hautes falaises, et suivre une direction absolument imposée entre des massifs abrupts et resserrés. Sans être bien satisfaisant, le tracé était admissible et le terrain assez bon.

Cependant, après l'hivernage de 1886, l'ingénieur directeur constatait que les machines ne pouvaient dépasser Diamou, et il l'attribuait aux fatigues qu'elles avaient éprouvées pendant les campagnes précédentes. Il est permis de croire que l'état de la voie y contribuait dans une certaine mesure.


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La campagne suivante, 1886-87, fut dirigée par M. Portier, ingénieur civil.

Le lieutenant-colonel Gallieni, commandant supérieur, manifestait l'intention bien arrêtée de terminer la ligne coûte que coûte ; il avait, à cet effet, prescrit aux chefs indigènes de fournir des manoeuvres qui seraient nourris, mais ne recevraient pas de solde.

La voie fut posée jusqu'au kil. 92, sur le semblant de plate-forme exécutée en 1884. On restait dans la zone supérieure des plaines, par conséquent sur un terrain solide, mais le tracé comportait des courbes de faible rayon qu'il serait plus exact d'appeler des lignes brisées, puisqu'on n'avait pas courbé les rails et des rampes dépassant 5 centimètres par mètre, comme celle de Tamba Coumba Fara.

C'est sur cette dernière qu'on put voir journellement, jusqu'en 1892, des machines, remorquant deux ou trois wagons seulement, s'arrêter impuissantes, redescendre la pente et aller, à quelques centaines de mètres en arrière, prendre un élan suffisant pour franchir le sommet, ce qui ne réussissait quelquefois qu'après plusieurs essais infructueux.

Du kil. 78 au kil. 88, la voie présentait des sinuosités nombreuses et de faible rayon qui n'étaient nullement justifiées par la forme du terrain.

On établit le viaduc de Bagouko (kil. 67, trois travées et 60 mètres de portée), qui ne présentait aucune difficulté, les piles étant peu élevées et reposant sur un banc de roc à sec pendant la plus grande partie de l'année.

Au kil. 73, on jeta un pont de deux travées et 20 mètres sur le marigot de Tomba Coumba Farra ; mais la chaux ayant fait défaut, on se servit, pour la maçonnerie des piles et culées, de la terre argileuse que les indigènes nomment banko.

Pour les autres marigots, on se contenta de les passer sur des remblais qui furent régulièrement enlevés à chaque


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hivernage et qu'on dut refaire au d'ébut de chaque campagne.

Comme beaucoup des traverses expédiées de France avaient disparu, brûlées ou employées dans la campagne précédente, par ordre du colonel Frey, aux travaux de défense de Kayes, on ne mit, à partir du kil. 77, que quatre traverses, au lieu de sept, par longueur de rail.

La campagne de 1887-88 fut encore dirigée par M. Portier ; on employa plusieurs semaines à réparer les dégâts causés par l'hivernage avant de commencer la construction du viaduc de Galongo.

Le marigot est profond et encaissé, et il n'est complètement à sec que pendant deux mois chaque année ; on dut établir des bâtardeaux pour les fondations des piles.

Le viaduc se compose de quatre travées et sa longueur est de 60 mètres. Les hauteurs des piles sont respectivement de 12, 15 et 16 mètres. La troisième pile, côté Bafoulabé, fut fondée dans des conditions très défectueuses et l'intérieur formé, en grande partie, de maçonnerie de pierres sèches.

Le tablier fut monté sur place, au moyen d'un échafaudage formé de traverses empilées depuis le fond du marigot.

Pendant la construction de ce viaduc, on avait prolongé la voie au-delà du Galongo, en transbordant le matériel au moyen d'un radeau. On arriva ainsi à Bafoulabé ; mais, dans cette région, chaque rail ne reposait que sur trois ou quatre traverses en bois du pays, dont la plupart n'étaient que des branches d'arbres de 8 à 10 centimètres de diamètre, sans ballast et même sans bourrage.

A partir de Talari (kil 108), il n'y avait plus rien qui ressemblât à un tracé ; les rails étaient pour ainsi dire jetés au hasard sur le sol.

Deux ponts furent établis : celui de Moumania, dont les culées en pierres sèches s'écroulèrent pendant l'hivernage


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suivant, et celui du kil. 110, qui n'avait pour supports que des chevalets de bois.

L'embranchement de Médine fut construit dans la même campagne ; il comportait deux viaducs qui s'écroulèrent aussi l'année suivante.

Au mois de mai 1888, on annonçait triomphalement que le chemin de fer aiteignait Bafoulabé ; mais on se gardait bien d'ajouter que les trains arrivaient rarement à leur destination sans avoir plusieurs fois déraillé en route, qu'aucune machine n'avait pu encore dépasser le Galougo, et que les plate-formes, poussées à bras, arrivaient à grand'peine à Sitafoula.

L'ingénieur directeur proposait cependant d'ouvrir le chemin de fer à l'exploitation à partir du 1er janvier 1889, et il avait préparé dans ce but un volumineux travail.

Un nombreux personnel était prévu pour assurer cette exploitation ; on avait fixé d'avance les traitements à allouer à tous les agents et arrêté le type des logements qu'on devait leur construire. On avait calculé de longs barèmes pour toutes les classes de voyageurs et de marchandises en grande et en petite vitesse, et pour toutes les distances jusqu'à 300 kilomètres. (La ligne n'en avait que 128.)

Dans la classification des objets à transporter, on voyait une longue énumération de marchandises absolument inconnues au Soudan. Des règlements minutieux définissaient jusqu'aux responsabilités au cas où les chiens transportés par le chemin de fer viendraient à s'enfuir pendant le débarquement. On avait même, prévu le transport sur plate-formes des omnibus et des voitures de déménagement.


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1888-92. — Le service du Chemin de fer confié à l'Artillerie de Marine

Voie de 1 mètre et voie de 0 m. 50

Dans un rapport de fin de campagne établi en mai 1888, le lieutenant-colonel Galliéni avait demandé qu'un officier du Génie fût envoyé en mission dans le Haut-Fleuve, pour rendre compte de la valeur de la ligne construite et de l'importance des travaux de réfection nécessaires pour en assurer l'exploitation normale, et que le service fût ensuite confié à un personnel exclusivement militaire.

On ne donna satisfaction qu'à la deuxième partie de ces propositions et, au début de la campagne suivante, le service du chemin de fer fut réuni, sous les ordres du capitaine Klobb, de l'artillerie de marine, à la direction des travaux. Cet officier fut secondé par le lieutenant Huvenoit.

Nous avons fait connaître l'état de la voie. Le matériel roulant se composait de 4 machines de 12 tonnes (Felou, Mafou, Gouina et Kipps) en service depuis le commencement des travaux et qui avaient déjà subi de nombreuses réparations, d'une machine de 20 tonnes (le Kayes) arrivée en 1887, d'une quarantaine de plates-formes et de trois wagons couverts.

Pendant la campagne 1888-89, on ne fit entre Kayes et le Galouko que des réparations provisoires, nécessaires pour maintenir la circulation. Entre le Galouko et Bafoulabé, on refit le pont de Moumania et celui du kilomètre 110 ; on construisit un nouveau pont à Sitafoula, ainsi que quelques ponceaux.

On remplaça, pendant cette campagne, 42.000 traverses; 5.000 des nouvelles étaient des traverses métalliques, les autres, en bois du pays.


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La campagne 1889-90 fut encore dirigée par le capitaine Klobb, ayant sous ses ordres les lieutenants Huvenoit et Hugot.

75.000 traverses furent remplacées et on fit quelques rectifications partielles. La ligne fut reconstruite en totalité entre Sitafoula et Bafoulabé, sur une longueur de 10 kilomètres et suivant un tracé complètement différent de l'ancien.

Le 11 mai 1890, la première machine arriva jusqu'à Bafoulabé.

On chercha, pendant ces deux campagnes, à utiliser le matériel Decauville qui avait été approvisionné vers 1887. C'était une voie de 0m50, du type le plus faible ; 23 kilomètres étaient déjà posés entre Bafoulabé et Kolé, dans des conditions très défectueuses et sans aucune préparation du sol; la voie était placée sur le côté de la route de ravitaillement, qui elle-même suivait la rive gauche du Bakoy. Aucun ouvrage d'art ; la voie descendait dans le fond de chaque marigot.

En 1888-89, on jeta sur les marigots de Kalédeux ponts, aujourd'hui détruits, et on prolongea la voie dans un étroit défilé entre la montagne et le fleuve.

En 1889-90, on atteignit le Balou, massif très difficile, où des travaux sérieux durent être faits; les rampes de la voie atteignaient 15 centimètres par mètre. On jeta sur les marigots qui traversent ce massif le pont Desbordes et le pont Gallieni qui subsistent encore aujourd'hui.

Cette voie, sur laquelle la traction était faite par des mulets, fut bientôt abandonnée; on n'en conserva que les portions correspondant aux barrages du fleuve où les transports ne pouvaient se faire par pirogues.

En 1891, nous avons vu le ravitaillement se faire de la façon suivante :

Les colis étaient transportés de Kayes à Bafoulabé par chemin de fer, de Bafoulabé à Kalé par pirogues, à Kalé transbordés de l'aval à l'amont des rapides par un Decau-


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ville de 2 kilomètres, repris par pirogues et conduits à Laoussa, de Laoussa à Dioubéba par un autre Decauville de 5 kilomètres, puis par pirogues à Badumbé, et à tête d'hommes de Badumbé à Toukoto. Enfin, à Toukoto, ils étaient chargés sur les convois de voitures Lefebvre qui les conduisaient dans les postes ou aux pirogues du Niger.

Revenons à la voie de 1 mètre.

Pendant les campagnes 1890-91 et 1891-92, le service de chemin de fer, bien que rattaché à la direction d'artillerie de Kayes, fut effectivement dirigé par le lieutenant Huvenoit, qui avait déjà pris une part importante aux travaux exécutés les années précédentes. C'est surtout au zèle et à l'activité de cet officier qu'on doit les amélioratious apportées à l'état du chemin de fer de 1888 à 1892.

Après le passage au service du Génie, le capitaine Huvenoit prit part à l'expédition du Macina et succomba à ses fatigues en rentrant en France, après cinq campagnes successives au Soudan.

Outre les réparations courantes, les parties ci-dessous de la ligne furent complètement refaites sur un nouveau tracé.

Rectification de Léoulé-Fara . . 3.900 mètres

— de Diamou .... 4.500 —

— de Bouroukou. . . 700 —

— de Deko 2.100 —

— de Ouaranta. ... 5.000 —

— de Talari 1.900 —

— de Moumania . . . 600 —

— de Sitafoula. ... 600 —

Au total, près de 20 kilomètres de voie reconstruits.

Le caractère général de ces rectifications était la substitution de longs alignements droits à des portions sinueuses de l'ancien tracé, dont on suivait d'ailleurs la direction générale et dont on ne s'éloignait pas de plus de 200 à 300 mètres.


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Par contre, les courbes qui raccordaient ces alignements ne furent pas modifiées et restèrent très défectueuses.

55.000 traverses furent remplacées dans ces deux campagnes.

On jeta un viaduc de 60 mètres sur le marigot du kilomètre 93, pour remplacer un remblai qui, plusieurs fois, avait été emporté, et on répara les maçonneries de nombreux ponts et ponceaux de la ligne.

Enfin, un service de cantonniers fut organisé pour assurer les réparations courantes de la voie.

Pendant l'hivernage de 1892, le directeur d'artillerie, commandant supérieur par intérim, voulut, contrairement à ce qui s'était fait jusqu'alors, maintenir la circulation des trains. C'était, dans l'état actuel de la voie, une imprudence grave, dont les suites fâcheuses devaient se faire sentir au début de la campagne suivante.

La voie de 0m60

L'achèvement du chemin de fer de Kayes à Bafoulabé, prématurément annoncé en 1888, laissait entrevoir la possibilité de son prolongement ultérieur vers le Niger.

Malheureusement, cette fois eneore, on s'engagea sans préparation suffisante et sans plan bien arrêté.

Dès 1889, le sous-secrétaire d'État, M. Étienne, faisait expédier dans le Haut-Fleuve 40 kilomètres de voie Decauville, qui paraissaient destinés à la ligne de Bafoulabé à Kita, avant qu'aucune étude sérieuse eût été faite, même sur la direction générale du tracé.

En même temps, une Commission était constituée pour examiner quelle suite serait donnée aux projets de prolongement de la voie ferrée.

L'avis de cette Commission fut nettement hostile ; elle repoussait « toute proposition tendant non seulement à la « prolongation de la ligne de pénétration au-delà de


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« Bafoulabé, sur le modèle du tronçon déjà construit. « mais encore au maintien de la ligne de Kayes à Bafou« labé dans les conditions actuelles d'exploitation. »

La Commission proposait les mesures suivantes :

« 1° Cessation définitive de la construction du chemin de « fer au-delà de Bafoulabé ;

« 2° Conservation de la voie de 1 mètre entre Kayes et « Médine, en substituant la traction des animaux à celle « des locomotives, quand elles seront hors de service ;

« 3° Abandon de la voie de 1 mètre entre Kayes et Bafou« labé, en profitant de la plate-forme actuellement établie « pour y adapter un chemin de fer Decauville de 0m60, « lorsque la voie actuelle et son matériel de traction ne « pourront plus rendre de services. »

Le sous-secrétaire d'État fit connaître qu'il approuvait ce programme et qu'il était décidé à le mettre le plus tôt possible en application; il demanda cependant des renseignements complémentaires à M. Picanon, inspecteur des colonies, en mission dans le Haut-Fleuve, qui répondit par un rapport dont les éléments lui avaient été fournis par le capitaine Klobb, directeur du chemin de fer.

Il n'eut pas de peine à démontrer que la traction muletière serait beaucoup plus coûteuse que la traction par machine, qu'elle nécessiterait tout d'abord un élargissement de la plate-forme existante et entraînerait des dépenses d'entretien beaucoup plus élevées.

Il établit ensuite que, sans s'occuper du rendement commercial et en ne tenant compte que des transports militaires, il y avait avantage économique à prolonger le chemin de fer jusqu'à Kita ; il estimait que la voie de 0m60, dont il évaluait le prix kilométrique à 19.000 francs seulement, serait suffisante pour cette partie de la ligne.

En ce qui concerne le tronçon de Kayes à Bafoulabé, et bien que le capitaine Klobb eût admis la réduction de largeur à 0m60, en modifiant les traverses, M. Picanon proposait de maintenir l'écartement de 1 mètre.


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Il ne voyait aucun inconvénient à ne pas raccorder les deux tronçons et considérait, au contraire, comme très difficile l'établissement du pont sur le Bafing, qui était nécessaire pour les réunir.

Il est bon d'entrer ici dans quelques développements sur la question de la largeur de la voie.

Quand on construit une ligne à grand trafic, où l'on cherche à réduire au minimum les dépenses de traction et d'exploitation, on prend la voie normale de 1m40 et on adopte un tracé ne comportant que des courbes de rayon supérieur à 1000 mètres et des rampes de 10 millimètres au plus par mètre.

Mais une telle voie nécessite des terrassements considérables et des travaux d'art importants dès que le terrain est tant soit peu accidenté ; son prix de revient est, par suite, très élevé.

Si on tient à réduire les dépenses de construction, il faut modifier les conditions d'établissement ; on peut le faire dans une certaine mesure et de trois façons différentes :

1° Admettre des courbes de faible rayon ;

2° Admettre de fortes rampes ;

3° Réduire la largeur de la voie.

Les deux premiers procédés rendent le tracé plus souple, permettent de mieux le plier au terrain, en réduisant les terrassements et les ouvrages d'art ; le troisième permet de réduire le poids des rails et traverses et, dans une très faible mesure, les terrassements.

D'autre part, on est conduit à diminuer, dans le premier cas, la vitesse des trains ; dans le deuxième, le nombre des véhicules ; dans le troisième, le poids des machines et des voitures.

En résumé, on ne diminue jamais le prix de construction qu'au détriment de la puissance de la ligne et de l'économie des transports ; et si l'on emploie à la fois des courbes de faible rayon, des pentes raides et une voie


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étroite, on réduit triplement la dépense d'établissement, et triplement aussi le rendement de la ligne.

Il est d'ailleurs à ces trois éléments des limites que, dans aucun cas, on ne peut dépasser.

Si le rayon descend au-dessous d'une certaine valeur, le matériel roulant ne passe plus dans les courbes qu'avec un frottement énorme et s'use très rapidement. Ce rayon limite, qui varie proportionnellement à l'écartement des rails, est de 150 mètres pour la voie de 1 mètre, et de 100 mètres pour celle de 0m60.

Si les rampes atteignaient 80 millimètres par mètre, la machine pourrait à peine se traîner elle-même et l'effet utile serait nul. En pratique, il convient de ne pas dépasser la rampe de 30 millimètres sur laquelle la machine peut remorquer deux fois son propre poids ; ces limites sont absolument indépendantes de l'écartement de la voie.

La réduction de largeur de la voie entraîne une diminution de la stabilité, les dénivellations de la plate-forme étant d'autant plus sensibles que l'écartement des rails est moindre. Si l'on peut quelquefois descendre à 0m60 et même à 0m50, ce n'est que sur un terrain très solide et en exerçant sur la voie une surveillance de tous les instants.

Si nous avons cru nécessaire de rappeler des principes aussi élémentaires, c'est qu'on avait pu embrouiller des idées aussi simples au moyen de réclames aussi ingénieuses qu'opiniâtres en faveur de la voie de 0m60. On était parvenu à répandre cette opinion que la voie étroite était une panacée dont l'application remédiait à toutes les difficultés de terrain et permettait l'emploi de n'importe quel tracé, sans limitation de courbes ni de rampes. On n'était pas loin d'ajouter que, même dans ces conditions, là voie étroite conservait une puissance de transport égale à celle d'une voie normale bien construite.

Des esprits remarquables et parfaitement désintéressés, sinon très expérimentés en matière de chemin de fer, ont partagé cette erreur dans une certaine mesure, et le capi-


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taine Klobb affirmait dans son rapport de 1890 que la plate-forme actuelle du chemin de fer de Kayes à Bafoulabé, mauvaise pour la voie de 1m00, était parfaite pour celle de 0m60.

On se mit donc à l'oeuvre pour établir de Bafoulabé à Kita une voie de 0m60, et malheureusment avec cette idée fausse que la voie de 0m60 s'accommodait très bien d'un tracé défectueux.

On a vu plus haut qu'une voie de 0m50 avait été posée sur 38 kilomètres de longueur depuis Bafoulabé, rive droite, jusqu'à la sortie du défilé de Balou. Quand les 40 kilomètres de voie de 0m60 furent expédiés au Soudan, on conçut le projet de les placer à la suite de la voie de 0m50 pour arriver à Badumbé ; on en posa effectivement 5 kilomètres et l'on atteignit ainsi Dioubeba.

Dans la même campagne, on entreprit une route dans le passage de Manambougou qui était depuis longtemps considéré comme un obstacle très sérieux. La plaine, couverte dans toute cette région d'une forêt épaisse, est en ce point coupée par une falaise abrupte de 3 kilomètres de longueur, haute de 17 mètres, aux points les plus bas, et dont les extrémités s'appuient à des massifs infranchissables et impossibles à contourner. Le sentier des indigènes gravissait cette falaise par une sorte d'escalier dificile même pour les mulets et presque impraticable aux voitures.

Une chaussée en remblai de blocs rocheux y fut exécutée sous la direction de M. Oswald, garde d'artillerie. Le travail fut bien conduit et n'entraîna qu'une dépense très faible, eu égard à son importance ; cette route fut utilisée et l'est encore pour le ravitaillement par voitures. Mais elle était destinée à servir ultérieurement de support à la voie ferrée et elle est absolument impropre à cet usage, les courbes étant très raides et la pente dépassant 70 millimètres par mètre.

On trouva plus tard un tracé beaucoup meilleur; les officiers de la mission du Génie, en étudiant avec soin les


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inflexions du terrain pour trouver le point où la falaise aurait le minimum de hauteur, découvrirent, entre la plaine supérieure et un promontoire rocheux qui s'en détache, une sorte de cassure, dont le fond, très irrégulier et coupé par des quartiers de roc volumineux, offrait néanmoins une pente générale très faible et où la ligne pourra être établie à la pente de 25 millimètres, sans grandes difficultés, et en gagnant 3 kilomètres sur le tracé de la route actuelle.

Le travail de la route de Manambougou, interrompu et repris plusieurs fois, fut poursuivi jusqu'en 1892, bien qu'on eût abandonné dans les derniers temps le projet d'y faire passer la voie ferrée.

Après que le Ministre eut fait connaître en 1890 son intention de cesser définitivement les travaux de prolongement du chemin de fer, on se décida à utiliser la voie de 0m60 pour remplacer celle de 0m50 qui était absolument hors de service.

Ce travail fut conduit pendant la campagne 90-91 jusqu'au 11e kilomètre, près de Demba. On suivit à peu de distance l'ancienne voie de 0m50.

Pendant la campagne suivante (91-92), on prolongea la voie de 0m60 jusqu'au 386 kilomètre, en suivant une nouvelle direction qui avait été découverte par M Stirling, garde d'artillerie, et qui contournait les massifs de Kalé et du Balou.

Cette direction générale était bien choisie, mais les détails du tracé laissent beaucoup à désirer. Il se compose d'alignements droits reliés par des courbes courtes et de très faible rayon, les seules d'ailleurs que permette l'emploi d'un matériel à traverses rivées, comme le Decauville. Les rampes atteignent une valeur trop élevée pour que l'exploitation se fasse dans des conditions satisfaisantes.

Il existe sur cette ligne deux ponts métalliques et certain nombre de ponceaux formés de troncs d'arbres jetés en travers des marigots, dont quelques-uns ont dû être


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réparés dès l'année suivante et qui n'auront qu'une durée très limitée.

Mission d'Études du Génie

En 1891, l'immense développement donné à nos possessions du Soudan par l'habile administration et les éclatants succès du colonel Archinard rendait de plus en plus nécessaire une voie de pénétration rapide et économique permettant d'en mieux assurer la défense et d'en préparer la mise en valeur.

L'administration des Colonies voulut s'assurer de la possibilité du prolongement de la voie ferrée jusqu'à Kita et, revenant aux indications de Faidherbe, demanda au Ministre de la Guerre de mettre à sa disposition le personnel d'une Mission d'études choisie dans l'arme du Génie.

Elle fut composée de MM. Marinier, chef de bataillon, Laclette, capitaine, Fabia et Pélabon, lieutenants, huit sous-officiers, douze caporaux et sapeurs.

Au moment où la Mission commençait ses travaux, la fièvre jaune éclatait au Soudan et enlevait en quelques jours le capitaine Laclette, le lieutenant Pélabon, deux sous-officiers et deux sapeurs, ainsi que le capitaine Seta, de l'artillerie de marine, qui avait accompagné les officiers de la Mission du Génie dans leurs premières reconnaissances. Le commandant Marinier fut aussi atteint, mais il échappa à la mort. Le capitaine Corps et le lieutenantcolonel furent désignés pour remplacer les officiers que la Mission avait perdus.

Les travaux de la Mission ayant été exposés en détail dans la Bévue du Génie militaire (septembre-octobre 1893) et dans l'avant-projet de chemin dé fer du Sénégal au Niger, publié en 1894, par le Ministre des Colonies, nous n'en donnerons qu'un succinct résumé. On considérait comme très important de relier la nouvelle


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ligne à l'ancienne par un pont sur le Bafing, et on fixa le point de passage auprès du village de Mahinadi, à 7 kilomètres en amont de Bafoulabé, où la faible profondeur du fleuve aux basses eaux et la nature rocheuse du fond rendaient relativement facile l'établissement d'un grand ouvrage d'art.

Un embranchement de 5 kilomètres réunira le pont du Bafing à un point de l'ancienne ligne situé au kilomètre 119, à 5 kilom. 500 de Bafoulabé.

Nous avons décrit plus haut la configuration de la région comprise entre le Sénégal et le Niger, nous avons indiqué qu'elle était parsemée d'îlots rocheux escarpés laissant entre eux des plaines ondulées plus ou moins larges, entre lesquelles on devait tout d'abord faire un choix.

On reconnut d'abord à vue toutes celles de ces trouées dont la direction se rapprochait de celle de la ligne à établir, éliminant à mesure celles qu'on reconnaissait impossibles ou difficiles pour le tracé de la voie.

Quand la direction générale était ainsi fixée sur une certaine longueur par des points de passage obligés, on délimitait par des reconnaissances, de plus en plus serrées, une bande de terrain de 500 mètres environ de largeur, sur laquelle devait se faire le tracé définitif.

Nous avons défini les trois zones dont se compose la région des plaines. La plus haute, qui a très peu d'étendue, présente des accidents de terrain nombreux et importants ; la plus basse, un sol peu solide, souvent marécageux ou sujet aux érosions. La zone moyenne, au contraire, est très convenable pour l'établissement d'une voie ferrée et, sauf aux abords de quelques marigots, on peut toujours s'y maintenir.

On faisait, à l'aide de la planchette, un levé régulier, à l'échelle de 1/5000e, de la bande de terrain ainsi délimitée et le cheminement principal était nivelé au moyen du niveau à lunette. Les points de passage de tous les marigots de quelque importance étaient exactement déterminés


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sur le terrain et reportés sur le plan, puis le tracé définitif était arrêté en plan et en profil.

On admit pour les courbes le rayon minimum de 300 mètres, avec lequel le tracé se pliait très suffisamment au terrain.

On reconnut que la rampe de 25 millimètres par mètre s'adaptait parfaitement aux formes du terrain dans les régions les plus accidentées; on n'aurait que très peu diminué l'importance des terrassements en admettant les rampes plus fortes encore, tandis qu'on l'aurait beaucoup augmentée en abaissant cette limite.

Nous renverrons, pour la justification du projet adopté, aux documents cités plus haut. Nous indiquerons seulement qu'à partir du 20e et jusqu'au 40e kilomètre, de Kalé à Dioubeba, on suivit la direction générale qui avait été signalée par M. Stirling.

Le capitaine Gautheron, qui construisait à cette époque la voie de 0m60 partant de Bafoulabé rive droite, suivit à son tour, à partir de Kalé, le cheminement tracé par la Mission du Génie, en y apportant quelques modifications peu heureuses en général, mais qui étaient imposées par l'emploi du matériel Decauville, lequel ne comporte que des courbes de très faible rayon.

Partie au commencement de décembre 91 du Bafing, la Mission du Génie arrivait le 29 février à Kita et s'y arrêtait jusqu'au 12 mars pour achever la mise au net des planchettes, la détermination du tracé définitif, la confection du profil en long, le calcul des terrassements et des maçonneries des ouvrages d'art,

Les officiers et trois sous-officiers de la Mission partirent ensuite pour reconnaître la direction générale du tracé entre Kita et Bammako et s'assurer de la possibilité d'accéder à la vallée du Niger.

On suivit à l'aller la direction de la route de ravitaillement qui passe par Koundou ; on rencontra partout un terrain assez accidenté qui présentait des difficultés sérieuses,

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mais non pas insurmontables, à l'établissement d'une voie ferrée.

Du 22 au 28 mars, on reconnut, aux environs de Bammako, les différents ravins à pentes très raides qui accèdent des hautes plaines de la rive gauche du Niger à la vallée dans laquelle coule ce fleuve. Le ravin de N'Goumi ayant paru le seul praticable, on y fit le tracé de la ligne sur 9 kilomètres de longueur, suivant la méthode employée entre Bafoulabé et Kita.

Au retour, le capitaine Corps et le lieutenant Calmel parcoururent une région encore inexplorée; au sud des massifs que la route ordinaire longe par le nord, ils découvrirent une série de cols convenables à l'établissement d'une voie ferrée et déterminèrent la direction générale du tracé qui fut exécuté l'année suivante.

Le travail de la Mission Marmier concluait à la possibilité d'établir entre Bafoulabé et Kita, suivant un tracé complètement déterminé, une voie ferrée de 1 mètre de largeur, comportant des courbes de 300 mètres de rayon et des rampes de'25 millimètres par mèlre.

La dépense kilométrique était évaluée à 75.000 francs, dont 25.000 pour l'infrastructure (terrassements, maçonneries et ponts métalliques), 40.000 pour la superstructure et 10.000 pour le matériel roulant.

Le travail fut soumis au Conseil supérieur des travaux des Colonies, qui lui donna l'approbation la plus complète et demanda qu'une nouvelle Mission fût chargée de terminer le tracé entre Kita et Bammako.

Remise du service du chemin de fer du Soudan à la Mission du Génie

La nouvelle mission d'études qui s'embarqua le 14 octobre 1892 était composée de MM. Joffre, chef de bataillon, Corps et Cornille, capitaines, Calmel, Crosson, Fillonneau et Wohl,


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lieutenants, Toussaint et Lajoux, adjoints, Haffner, Gerdol, Mondange, Damien et Masson, sous-officiers stagiaires, et de 35 sous-officiers, caporaux et sapeurs.

Elle était chargée 1° d'établir l'avant-projet de chemin de fer de Kita au Niger; 2° d'assurer l'entretien et l'exploitation des lignes de Kayes à Bafoulabé et de Bafoulabé à Dioubeba: 3° d'étudier les travaux de réfection nécessaires pour arriver à mettre la première de ces lignes dans des conditions normales d'exploitation.

Comme matériel, la mission ne put emporter que des instruments de levés et un outillage rudimentaire pour les bureaux des gares et stations.

Elle ne fut pas autorisée à constituer un approvisionnement d'explosifs, d'outils et de matériaux de construction; on admit que l'état de prévision établi par le service de l'artillerie de marine pour la campagne 1892-1893 répondait à tous les besoins de l'entretien. On eut cependant, pendant cette campagne, de nombreuses occasions de regretter la pénurie de chaux et d'explosifs.

Le commandant Joffre et le capitaine Corps arrivèrent à Kayes au commencement de novembre, devançant le reste du personnel de la mission qui n'avait pu trouver place sur le premier bateau parti de Saint-Louis.

Pendant que le chef de la mission préparait, de concert avec le directeur d'artillerie, les mesures à soumettre au Commandant supérieur en vue du passage du service, le capitaine Corps partait pour faire une reconnaissance préliminaire de la ligne et parcourait à pied toute la voie ferrée de Kayes à Bafoulabé.

Il constata les défectuosités que nous avons déjà signalées et reconnut en outre que la circulation des trains, maintenue à tort pendant l'hivernage, avait causé de graves dégâts. Un grand nombre de traverses, reposant sans ballast sur le sol détrempé, avaient été brisées au passage des machines, et la plate-forme était effondrée en de nombreux endroits. Aussi les déraillements étaient redevenus si fré-


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quents qu'on les considérait comme un incident obligatoire de chaque voyage.

Le matériel roulant n'était pas en meilleur état ; le service dut être interrompu pendant une partie des mois de " novembre et décembre. La colonne du colonel Combes, qui partait à cette époque, fut transportée à Bafoulabé sur des plates-formes poussées à bras d'hommes.

Le résultat principal de cette reconnaissance fut d'établir que la direction générale était à conserver de Kayes au kil. 15 et du kil. 45 à Bafoulabé (kil. 125) ; que les rectifications nécessaires dans cette partie de la ligne pourraient se faire sans s'éloigner de la voie actuelle; mais que, du kil. 15 au kil. 45, c'est-à-dire de Kaffa à Dinguira, il y avait lieu de chercher un autre tracé, pour éviter la plaine marécageuse du Sabouciré. Le capitaine Corps avait reconnu la direction générale de ce tracé au pied des collines de Ségala et de Tarakoré et trouvé un col qui permettait de contourner par le sud les collines de Dinguira.

Le personnel de la mission, étant arrivé à Kayes, se rendit à ses postes respectifs et entra en fonction le 1er décembre. Le service de l'exploitation et de la traction fut dirigé par le capitaine Cornille, celui de la voie provisoirement par le lieutenant Crosson.

Il n'existait pas le moindre plan de la ligne, parmi les rares documents qui furent remis au service du génie.

Pour combler cette lacune, le personnel désigné pour les études du prolongement de Kita au Niger fut d'abord employé, sous la direction du capitaine Corps et du lieutenant Fillonneau, à l'exécution du plan au l/5000e et du profil en long de la ligne, puis à un levé d'une partie de la nouvelle direction reconnue entre Kaffa et Dinguira.

Le 23 décembre, ce travail était terminé et, le 24, la brigade d'études se mettait en route pour Kita, sous les ordres du lieutenant Calmel qui, n'ayant pu, par suite de son état de santé, s'embarquer en même temps que les autres officiers, venait seulement de rejoindre la mission.


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Le personnel des officiers fut définitivement réparti de la façon suivante :

Direction : M. Joffre, chef de bataillon, directeur ; M. Toussaint, adjoint, comptable.

Service de la voie : M. Corps, capitaine; MM. Crosson et Wohl, lieutenants; M. Lajoux, adjoint.

Service de l'exploitation et de la traction : M. Cornille, capitaine.

Service des études de prolongement : MM. Calmel et Fillonneau, lieutenants.

Études entre Kita et Toulimandio

La brigade d'études était composée, outre les officiers désignés ci-dessus, de 1 stagiaire du génie, 4 sergents, 6 caporaux et 4 sapeurs.

Le commandant Joffre la rejoignit, après avoir arrêté le projet de rectification de la voie de Kayes à Bafoulabé, et en dirigea les travaux pendant un mois.

La méthode suivie fut à peu près la même que l'année précédente.

On partait de Kita pour aboutir dans la vallée du Niger, au pied de la vallée de N'Goumi, où la ligne se bifurquait en deux embranchements, l'un se dirigeant vers Bammako, l'autre sur Toulimandio, de manière à desservir les deux grands biefs du Niger qui sont séparés l'un de l'autre par les barrages de Sotuba.

Nous renverrons, pour les détails du tracé, au rapport du commandant Joffre, inséré dans la publication du ministère des colonies, déjà mentionné. On suivit en général la direction qui avait été reconnue l'année précédente, et on put constater qu'en évitant les difficultés que présentait l'ancienne route de ravitaillement, elle abrégeait le trajet d'au moins 30 kilomètres.

Le personnel de la mission d'études fut rapatrié après avoir terminé son travail, à l'exception du lieutenant


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Fillonneau, qui passa au service de l'exploitation, et du sergent Naudé, qui fut chargé d'une section de la voie.

En octobre 1892, le colonel Bonnier, frappé des avantages que présentait le nouveau tracé, conçut le projet de l'adopter de suite pour la route de ravitaillement.

Sans faire tous les terrassements qu'exige la construction de la voie ferrée, on devait faire disparaître les inégalités de terrain partout où ce serait nécessaire pour le passage des voitures, de manière que les travaux faits fussent utilisables pour la future plate-forme. On devait jeter des ponceaux en bois sur les marigots principaux.

Le lieutenant Crosson, du génie, secondé par M. Rebuffat, garde d'artillerie, et par le sergent du génie Naudé, fut chargé de construire celte route, sur une longueur de 135 kilomètres, depuis Kita jusqu'à Délasabacoro, point où on recoupait l'ancienne route de ravitaillement.

Le travail fat achevé dans le délai (45 jours) fixé par le Commandant supérieur. On fit donc, en moyenne, 3 kilomètres par jour, avec un effectif de 120 travailleurs seulement. Le pont du Bandiko avait une longueur de 60 mètres ; il fut construit sur des chevalets de 4m 50 de hauteur.

Projet de réfection de la voie de un mètre

Dès qu'on eut terminé le plan et le profil de la voie de un mètre, on se mit à l'oeuvre pour établir le projet des réparations et rectifications, qui fut terminé et remis au commandant supérieur le 6 janvier 1893.

Nous avons dit que, sauf entre Kaffa et Dinguira, la direction générale était à conserver. Probablement, si tout eût été à refaire, on aurait trouvé, en suivant la même diretion, un tracé plus avantageux; mais il fallait bien tenir compte du fait accompli, et on se décida à utiliser la plate-forme actuelle partout où il était possible de le faire. Le projet fut donc établi d'après les bases suivantes :


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Rectifications partielles nécessitées par les défectuosités du tracé. — Il était naturel de mettre la voie actuelle dans les mêmes conditions d'exploitation que celle qui devait lui faire suite et, par conséquent, d'adopter les mêmes limites de courbes ou de rampes.

On fit donc, sur le plan et sur le profil, le tracé provisoire de toutes les rectifications nécessaires pour réaliser les conditions ci-dessous :

Courbes en palier de 300 mètres de rayon minimum ;

Rampes en alignement droit de 25 millimètres au plus ;

Courbes de 500 mètres de rayon minimun, combinées avec des rampes de 20 millimètres au maximum.

On régulariserait aussi les courbes irrégulières, les pentes qui, sans atteindre nulle part une trop grande valeur, présenlaient de trop fréquentes brisures.

On s'astreignait, dans le tracé de ces rectifications, à conserver l'emplacement des ouvrages d'art existants.

On détermina ainsi 54 tronçons de voie d'une longueur totale de 37.640 mètres, dont le tracé ou simplement le profil devait être modifié. 7 de ces rectifications, d'une longueur totale de 4 410 mètres, se trouvaient dans la partie de la ligne que le nouveau tracé projeté entre Kaffa et Dinguira conduirait à abandonner.

Modifications nécessitées par la nature du terrain. — Depuis le plateau du Félou jusqu'à celui de Dinguira, s'étend entre les collines de Kaffa, de Ségala et de Tarakoré à droite et le fleuve à gauche, une pleine marécageuse de 7 à 8 kilomètres de largeur, sur 10 de longueur.

En 1892, la voie, débouchant dans cette plaine par le col de Sérouméau kil. 16, près du village de Kaffa et courant parallèlement au plateau du Felou, arrivait près de Sabouciré (kil. 26) sur les bords du fleuve qu'elle suivait jusqu'au kil. 34 où elle franchissait, à son embouchure, le marigot de Donkhollé.

Toute cette région était fort mauvaise et inondée sur


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7 kilomètres pendant l'hivernage. Chaque année, depuis la construction, on y avait exécuté des réparations importantes sans qu'il parût y avoir d'amélioration sensible.

Dans une partie de cette plaine qui paraissait d'abord à l'abri des inondations, un ravinement s'était produit parallèlement à la voie sur une longueur de 1.500 mètres et menaçait de l'emporter dès l'hivernage suivant.

Il y aurait eu de nombreux ponceaux à construire dans toute cette région, où les marigots étaient bouchés par des remblais de pierres sèches.

Après le Donkhollé le terrain était meilleur, mais le Donkhollé, les deux branches du Godiolo et plusieurs marigots de moindre importance étaient franchis sur ces bizarres échafaudages de ferraille que nous avons déjà décrits et qu'il fallait absolument remplacer. L'établissement de culées en maçonnerie sur des fonds peu solides présentait d'ailleurs quelques difficultés.

En somme on reconnut que les améliorations à faire entre le kil. 15 et le kil. 45 et présentant pour la plupart un caractère d'urgence absolue, entraîneraient une dépense aussi élevée que la reconstruction complète suivant le nouveau tracé. Ce dernier n'empruntait que sur 1.000 mètres environ la plaine basse du marigot de Kaffa et suivait ensuite le pied des collines, sur un terrain satisfaisant, jusqu'au 11e kilomètre où il traversait le Donkhollé, excellent au-delà de ce marigot et partout suffisamment garni de ballastières.

Les ponts qui auraient dû être établis ou reconstruits sur l'ancienne ligne le seraient sur la nouvelle, et à moins de frais, car on passait les mêmes marigots en des points plus rapprochés des sources et où ils étaient moins importants.

Enfin, ce tracé beaucoup plus direct permettait de gagner au moins 6 kilomètres sur l'ancien, d'où économie sérieuse de temps et de combustibles. Et aussitôt la substitution faite, le service du chemin de fer disposerait de 6 kilomètres


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de rails, qui devaient beaucoup faciliter l'exécution du projet dont il sera question plus loin.

Au-delà de Dinguira, la voie traverse encore des plaines marécageuses du kil. 47 au kil. 49, et du kil. 56 au kil. 57. Pour ces deux passages, il n'a pas paru possible de modifier le tracé sans l'allonger considérablement et sans engager de grandes dépenses. Le premier avait d'ailleurs été beaucoup amélioré par le capitaine Huvenoit qui avait relevé la plate-forme au-dessus du niveau des inondations, et il fut décidé qu'on se contenterait d'en faire autant pour le second.

Réparations aux ouvrages d'art. — Il était nécessaire de reconstruire les maçonneries, piles et culées en mauvais état, ainsi que celles exécutées en pierres sèches ou en mortier de terre. Il fallait aussi des ponceaux sur les marigots qui étaient encore traversés sur de simples remblais de terre ou de pierres.

Il ne paraissait pas utile de faire de nouvelles commandes de travées métalliques; celles qui existaient en place, dans les dépôts de matériel, ou éparses le long de la ligne paraissaient devoir suffire à tous les besoins.

Ballastage de la voie et traverses métalliques. — Le ballastage de la voie, à peine ébauché en quelques endroits, devait être fait d'une façon complète. On utiliserait pour ce travail les débris de roc concassés, partout où il existerait des déblais importants, et, sur les autres points, les petits cailloux ferrugineux qu'on rencontre en abondance dans les zones supérieure et moyenne des plaines.

Ce ballast est excellent et peu coûteux, à la condition d'être bien préparé. Ces cailloux ferrugineux ont, pendant la saison sèche, la même apparence que les fragments de terre argileuse qui les accompagnent, mais ces derniers se transforment en boue dès qu'ils sont détrempés. Une trituration sérieuse de la masse et un passage à la claie sont nécessaires pour faire la séparation.


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On prévoyait l'emploi exclusif des traverses métalliques. Les traverses en bois de pin, expédiées de France au début de la construction, avaient toutes disparu dévorées par les termites. Celles qui les avaient remplacées, en bois du pays, devaient être fréquemment renouvelées. Les meilleures essences, vinh, guetch, cailcédrat, duraient environ trois ans. Les traverses en gommier, qu'on employa souvent, quand on était pressé de rétablir la voie après l'hivernage, étaient complètement rongées au bout de six mois.

Nous ignorons s'il serait possible, par un procédé d'injection quelconque, de mettre les bois à l'abri des attaques de ces insectes ; ce problème n'a pas encore été résolu. En tout cas, en ce qui concerne les traverses de chemin de fer, un autre danger subsisterait : dans nos climats un charbon enflammé qui tombe de la machine sur le bois d'une traverse n'y produit qu'une carbonisation superficielle; au Soudan, pendant la saison sèche, la traverse prend feu et brûle jusqu'au dernier fragment, à la façon d'un morceau d'amadou. Ce danger d'incendie était grave, surtout pour les ponts, et on a dû, pour le restreindre, supprimer le plancher qui formait les accotements des ponts métalliques partout où il avait été placé au début.

Les dépenses nécessaires pour la réfection de la ligne de Kayes à Bafoulabé étaient évaluées ainsi qu'il suit, sans tenir compte de la modification de tracé entre Kaffa et Dinguira dont les études n'étaient pas terminées :

Travaux d'entretien, en 1893, des tronçons de voie conservés (longueur totale 87k 170). 25.022 25

Travaux de terrassement et de pose de voie nécessaires pour les rectifications proposées (longueur totale 37k 640) 292.110 95

Réparations urgentes aux maçonneries des ouvrages d'art..... 33.30420

Ballastage de la voie..... 237.480 »

Traverses métalliques ......... . 1.185.700 »

1.773.617 40


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Comme on ne se faisait aucune illusion sur la possibilité d'obtenir de suite une allocation d'une telle importance, on proposait pour 1893 un plan de campagne beaucoup plus restreint, en admettant, comme il résultait des crédits déjà accordés et des recettes probables de la ligne, qu'on pourrait employer, en 1893, à l'entretien et à l'amélioration de la voie, une somme de 200.000 francs.

Outre l'entretien de la voie actuelle et les réparations qu'on pensait devoir faire après l'hivernage 1893, on exécuterait un certain nombre de rectifications, choisies parmi celles qui exigeaient le moins de terrassements, de façon à localiser en une quinzaine de tronçons seulement les parties défectueuses du tracé.

On ajournait en particulier les rectifications de profil que devaient subir les longues rampes comme celles du Fouti, du Bouri, de Farakourou, et de Talari, car ces travaux comportaient d'importants déblais de roc, qu'il était impossible d'exécuter avec la faible quantité d'explosifs dont on disposait alors.

Comme ouvrages d'art, on se bornerait à faire les réparations absolument indispensables à la sécurité, celles des viaducs de l'embranchement de Médine, du pont de TambaCoumba-Fara et du pont de Galouko.

On dépenserait ainsi 150.000 francs environ et l'on demandait que les 50.000 francs disponibles, ainsi que toutes les allocations supplémentaires qu'on pourrait obtenir fussent employés à la construction de la nouvelle voie entre Kaffa et Dinguira et au prolongement de la voie d'un mètre au-delà du Bafing.

On insistait sur la rectification Kaffa-Dinguira, parce que la portion de la voie actuelle comprise entre le kil. 15 et le kil. 45 était la plus impraticable pendant l'hivernage, celle qui exigeait le plus de réparations annuelles, et que les dépenses ainsi faites pour une voie condamnée en principe étaient absolument improductives au point de vue du résultat définitif, tandis que sur le reste de la ligne tout


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travail nouveau, si peu important qu'il soit, pouvait dorénavant être dirigé en vue du but final, qui serait ainsi atteint tôt ou tard par la force des choses.

On considérait aussi comme très important de sortir de la situation fâcheuse créée par la construction de la voie de 0m60, situation qui arrêtait tout progrès en avant et menaçait de compromettre l'avenir du chemin de fer.

On considérait que l'importance de la ligne exigeait au moins l'emploi de la voie de un mètre, à laquelle il faudrait toujours revenir quand on serait bien décidé à achever la construction jusqu'au Niger.

En attendant, il fallait songer aux besoins actuels et continuer, dans la mesure du possible, l'amélioration des communications encore si imparfaites du Soudan.

Continuer la pose de la voie de 0m60 au-delà de Dioubeba, c'était engager des dépenses inutiles pour le résultat définitif. Commencer à Dioubéba la voie de un mètre, en laissant subsister le tronçon de 0m60. c'était multiplier les difficultés de l'exploitation au point de la rendre presque impossible. Il fallait donc se résoudre d'abord à cette tâche ingrate de défaire un travail existant et de substituer la voie de un mètre à celle de 0m60.

Mais, pour passer le Bafing, à l'emplacement reconnu le plus favorable, en amont du village de Maïna, à sept kilomètres de Bafoulabé, il fallait construire, de part et d'autre du fleuve, de nouvelles voies d'accès qui rejoindraient les lignes existantes, à cinq kilomètres de Bafoulabé sur la rive gauche, à vingt kilomètres du même point et près de Kalé sur la rive droite.

D'autre part, la construction du pont à Bafoulabé même était impossible en raison de la nature vaseuse du fond et de la grande profondeur du fleuve, même aux basses eaux.

Il ne restait d'autre solution que le procédé employé jusqu'alors, le transbordement des voyageurs et marchandises, au moyen d'un bac, d'une rive à l'autre du Bafing,


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opération longue et dispendieuse qui était une occasion de pertes et d'avaries continuelles.

On ne se résigna pas à un tel aveu d'impuissance et on posa en principe que la construction d'un pont était le seul moyen de tirer de l'unification de la voie tous les avantages qu'elle était susceptible de produire.

Cette opération devait d'ailleurs être fructueuse par ellemême, les caravanes indigènes devant forcément, même lorsqu'elles ne seraient pas disposées à continuer leur voyage par la voie ferrée, préférer passer le fleuve sur le pont du chemin de fer que sur des pirogues instables et dangereuses.

Sans s'astreindre à doubler le pont d'une chaussée pour les animaux et les voitures, on pouvait établir d'une rive à l'autre un service de transbordement, par plate-forme, très suffisamment rémunérateur.

Enfin, des considérations d'un ordre plus élevé dirigeaient dans cette circonstance les officiers du service du chemin de fer.

Dans ces immenses régions de l'Afrique, occupées à peine par quelques centaines de nos soldats, où notre domination ne se maintenait que par le prestige incontesté dont jouit le blanc aux yeux des noirs et la conviction absolue qu'ils ont de notre supériorité, il importait de frapper de plus en plus l'imagination des indigènes par des manifestations de notre puissance.

A ce point de vue, la création de la voie ferrée nous avait beaucoup servi, et c'eût été nous déconsidérer aux yeux des indigènes que de renoncer à la prolonger, pour reprendre les moyens de transport primitifs qui leur étaient familiers.

La construction d'un ouvrage imposant serait le signe visible à tous de notre inébranlable résolution de maintenir notre domination sur la terre africaine. Le spectacle des trains franchissant à grande vitesse un fleuve large et profond, au-dessus d'un rapide où leurs pirogues ne


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s'aventuraient qu'avec crainte, devait avoir un profond retentissement dans tout le Soudan et contribuer autant que les plus éclatantes victoires à l'affermissement de la puissance française.

On ne se dissimulait pas que de graves objections seraient faites à ce programme dont l'accomplissement exigeait un effort considérable, nécessaire pour préparer l'avenir , mais qui ne se traduirait pas par un avancement immédiat du terminus de la voie ferrée. Aussi on chercha à le réaliser dans les conditions les plus économiques et sans demander aux pouvoirs publics d'allocations extraordinaires autres que celles qui étaient absolument indispensables pour la fourniture de la partie métallique du pont du Bafing.

On arrêta le plan de campagne suivant : Demander la mise en commande de la partie métallique du pont du Bafing (16 travées de 25 mètres de portée) et du matériel nécessaire au montage et au lancement. Si le Ministre donnait suite à cette demande, on aurait encore cinq mois pour construire le matériel qui serait livré en juillet et arriverait directement à Kayes pendant l'hivernage.

Entreprendre de suite la nouvelle ligne Kaffa-Dinguira, en employant pour les sept premiers kilomètres les rails disponibles. Préparer la plate-forme et les traverses pour le reste de la ligne.

Continuer, si on le pouvait, ce travail pendant l'hivernage de 1893.

Après l'hivernage, pendant lequel la circulation serait interrompue, se hâter de faire monter à Bafoulabé les vivres et le matériel destinés au ravitaillement des postes; puis suspendre le service pendant le temps nécessaire pour relever les rails et les ponts métalliques de l'ancienne voie et les poser sur la nouvelle, en attaquant le travail par les deux extrémités.

Le tracé par Tarakoré étant plus court que celui par Sabouciré, on disposerait, après cette opération terminée,


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vers février 1894, du matériel nécessaire pour six kilomètres de voie, à ajouter aux sept kilomètres qu'on possédait déjà.

A l'époque des plus basses eaux (avril et mai 1893) exécuter les fondations des piles du pont du Bafing, et les pousser, avant la crue annuelle, jusqu'à 0m50 au-dessus de l'étiage.

Reprendre ce travail en 1894, vers la fin de janvier, quand la baisse des eaux aurait mis de nouveau à découvert le travail exécuté l'année précédente, et élever les piles à leur hauteur définitive.

Construire en même temps la plate-forme du raccordement avec la voie de 1m (5 kilomètres de longueur), y placer les rails devenus disponibles par suite du relèvement de la voie de Sabouciré.

Transporter le matériel du pont arrivé pendant l'hivernage, le monter et le lancer à mesure de l'avancement des piles. Le travail pouvait être achevé pour l'hivernage 1894.

Pendant la campagne 1894-95, prolonger la voie de 8 kilomètres au-delà du Bafing, en y employant le reste des rails disponibles.

Achever la plate-forme sur les 12 kilomètres qui restaient à faire pour atteindre Kalé et combler la lacune de la voie en y employant d'une part les 5 kilomètres de rails de la voie de 1 mètre devenus inutiles, entre le point de départ de la nouvelle ligne et le poste de Bafoulabé, d'autre part 7 kilomètres de voie de 0m 60 empruntés à la ligne de Bafoulabé rive droite à Kalé.

On pourra d'ailleurs apporter des modifications à cette dernière partie du travail, en allant, par un embranchement provisoire, rejoindre la voie de 0m60 en un point à déterminer aux environs de Demba.

Nous verrons plus tard quelles circonstances ont retardé l'exécution de ce programme, qui est cependant, à l'heure actuelle, bien près de son achèvement.

Il y avait lieu de se demander ce qu'on ferait du matériel de la voie de 0m60 qui devait plus tard disparaître pour


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faire place à la voie de 1m00. Nous allons voir quel emploi immédiat ce matériel peut trouver au Soudan.

On a souvent discuté le choix de Kayes comme tête de ligne; il est cependant justifié : pendant trois mois de l'année, les navires dont le tirant d'eau est assez faible pour passer la barre du Sénégal, montent ensuite sans difficultés jusqu'à Kayes. Cette période est parfaitement suffisante pour le transport des marchandises lourdes et encombrantes, et on aura toujours avantage à leur faire suivre cettte voie La plaine basse, inondée pendant l'hivernage, qui s'étend en aval de Kayes est d'ailleurs peu favorable à la construction d'une voie ferrée.

Après la saison des pluies, les eaux baissent et les transports deviennent beaucoup plus difficiles.

Nous ne croyons pas qu'il soit possible d'améliorer les conditions de navigabité du fleuve. On a pensé autrefois à draguer les bancs de sable, à faire sauter les barrages rocheux ; on a bien vite reconnu que les bancs de sable se reformeraient et qu'en démolissant les arêtes des bancs de roc qui forment les ressauts du lit du fleuve, on ne ferait que reporter en amont les passages difficiles.

Plus récemment, on a proposé de créer dans la partie supérieure du fleuve d'immenses réservoirs qui se rempliraient pendant la saison des pluies et qui permettraient d'entretenir un débit suffisant pendant le reste de l'année.

Ce résultat nous paraît fort douteux; il suffit d'avoir vu le fleuve, à la fin de la saison sèche, d'abord à Bafoulabé, puis à Podor, pour être convaincu que la masse d'eau qu'il roule est beaucoup plus considérable au premier de ces points, ce qu'on ne peut expliquer qu'en admettant que le fleuve n'est pas autre chose que l'affleurement d'une infiltration souterraine beaucoup plus étendue. Si cela est vrai, il est à craindre que la plus grande partie des eaux fournies par les réservoirs n'aille se perdre dans la couche souterraine et que le niveau du fleuve n'en soit pas sensiblement modifié.


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Quoi qu'il en soit, la navigation n'est pas absolument impossible, et nous sommes convaincu que des chaloupes à vapeur, un peu plus légères que celles que nous avons vues en service et ne calant que 40 ou 50 centimètres, seraient suffisantes pour les transports de personnel, de correspondances et d'objets légers à faire en dehors de l'hivernage. Elles remonteraient à Kayes jusqu'au 15 décembre et, pendant presque toute l'année, au barrage de Tambokané.

La voie de 0m60 pourra servir à relier Tambokané à Kayes et, comme elle ne sera jamais utilisée que pendant la saison sèche, il n'y aura pas d'inconvénients graves à l'établir dans une plaine sujette aux inondations.

Travaux du service de la voie Campagne 1892-93

Le personnel du génie désigné pour le service de la voie entra en fonctions le 1er décembre 1892. Il se composait des officiers désignés plus haut et de quatre chefs de section : MM. Lajoux, adjoint du génie, Haffner, Mondange et Damien, sous-officiers stagiaires. M. Hafner succomba au bout de deux mois à un accès pernicieux et fut remplacé par le sergent Naudé. Chaque chef de section avait sous ses ordres deux caporaux ou sapeurs comme surveillants de chantier. On conserva le personnel indigène employé précédemment par l'artillerie de marine : trois maçons, une vingtaine de charpentiers et environ quatre cents manoeuvres.

Comme outils et matériaux de construction, le service de l'artillerie de marine remit à celui du génie quelques centaines de pelles et de pioches en assez mauvais état, quelques outils de mineurs, une trentaine de kilogrammes de dynamite, 300 kilogrammes de poudre de mine, 80 tonnes de chaux et 50 tonnes de ciment. Il n'y avait pas possibilité de renouveler cet approvisonnement avant l'hi-


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vernage suivant, et l'on sait qu'il n'est pas possible de faire de chaux au Soudan, le calcaire n'existant pas dans la région traversée par la voie ferrée.

Le mois de décembre 1892 fut employé à redresser et à relever la voie partout où elle s'était affaissée pendant l'hivernage, à remplacer les traverses brisées et à boucher les coupures produites par l'action des eaux. On acheva en même temps, au passage du col de Tomba-Coumba-Fara et dans le défilé étroit entre le fleuve et le massif du Galouko, deux rectifications partielles qui avaient été étudiées par le capitaine Huvenoit et dont l'exécution était très avancée au moment de la prise du service.

Ces passages étaient jusqu'alors les plus mauvais de la ligne, et ces travaux y apportaient une grande amélioralion; cependant le tracé laissait encore un peu à désirer : il subsistait à Tomba des rampes de 25 millimètres dans des courbes de grand rayon il est vrai, et à Galouko plusieurs courbes dont le rayon descendait à 180 mètres, de sorte que cette dernière partie était encore à remanier.

Vers le 15 janvier, le plan des améliorations étant arrêté, chaque chef de section reçut communication de la partie qui le concernait et alors, commençant le travail par une extrémité de la section pour le mener sans interruption jusqu'à l'autre, fit achever le relèvement de la voie et le remplacement des traverses mauvaises, compléter les terrassements, régler les talus et les accotements, de manière à leur donner un profil uniforme.

Au lieu de chasser les indigènes, comme on le faisait les années précédentes quand on les rencontrait sur la voie ferrée, on donna à la plate-forme une largeur suffisante pour qu'ils puissent la suivre sans dégrader les talus.

Quand on arrivait à l'emplacement d'une rectification projetée, le chef de section en piquetait l'axe suivant le tracé provisoire, relevait le profil du terrain suivant cet axe et le communiquait au capitaine chef de la voie, qui modifiait le tracé s'il y avait lieu, fixait le profil en long de la


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plate-forme et, après avoir pris les ordres du directeur, prescrivait d'exécuter de suite ou d'ajourner la rectification.

On substitua ainsi des courbes à grand rayon, aux changements de direction brusques et irréguliers qui substituaient encore entre les alignements tracés dans les années précédentes, de sorte qu'il y eut à la fin de la campagne plusieurs tronçons de 10 à 12 kilomètres de longueur sans parties défectueuses, où la vitesse des trains pouvait être notablement augmentée.

On dut ajourner, par suite du manque d'explosifs, les rectifications qui comportaient des déblais de roc ; il fallut laisser substituer les rampes difficiles du Bouri, du Farakourou et du Talari.

Les viaducs de l'embranchement de Médine, qui avaient été reconstruits en 1890 au moyen de chevalets en bois et de fer à planchers, et sur lesquels les machines ne pouvaient passer, furent rétablis avec des travées métalliques de 15m00 de portée.

Celte ligne, qui s'arrêtait assez loin du village en-deçà de deux marigots difficiles à franchir en hivernage, fut prolongée jusqu'au centre de Médine, à proximité des rives du fleuve, où les caravanes avaient l'habitude d'apporter leurs marchandises. Le trafic commercial entre Kayes et Médine prît dès lors une réelle importance.

La rectification Kaffa-Dinguira fut entreprise dès la fin de janvier, le tracé définitif était fait sur quatre kilomètres et la plate-forme commencée, lorsque le 2 février, le capitaine chef de la voie, qui dirigeait ce travail, légèrement blessé par suite du déraillement d'un lorry dans la rampe du Bouri, fut conduit, sur l'ordre du chef de bataillon commandant d'armes de Kayes, à l'hôpital militaire et y fut retenu pendant un mois.

Le lieutenant Wohl fut alors chargé de continuer les études de la voie Kaffa-Dinguira ; mais, déjà atteint par le climat du Soudan, son état de santé ne lui permit pas de


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mener ce travail à bonne fin, et il succomba peu de temps après.

On put cependant, avant l'hivernage, établir solidement les fondations de l'ouvrage d'art le plus important de la nouvelle ligne, le pont du Yatamako, et exécuter les terrassements de la voie aux abords de ce marigot.

Les réparations les plus importantes aux ouvrages d'art furent celles des ponts de Tomba-Coumba-Fara et du Galouko.

Les culées et les piles du premier étaient effondrées et lézardées et avaient été remplacées par des palées en bois. Les maçonneries furent refaites en totalité, en sous-oeuvre, sans interruption du passage des trains. Le travail ne présentait pas, d'ailleurs, de difficultés particulières.

Le pont du Galouko, de 60 mètres de longueur totale, était formé de 4 travées métalliques de 15 mètres de portée chacune. La hauteur des piles, comptée du sol à la partie inférieure de la poutre métallique est de 15 mètres, et le fond du marigot, presque au niveau de l'étiage du fleuve, n'est à sec que pendant deux mois de l'année.

On avait constaté des fissures dans la 3e pile, peu de temps après la construction de cet ouvrage, et le service de l'artillerie de marine avait reconnu que l'intérieur de cette pile n'était formé que d'une mauvaise maçonnerie de pierres sèches dissimulée par le rejointement, mais n'avait pris aucune mesure en vue de la réparation. Le service du génie se décida à démolir complètement cette pile pour la refaire à neuf sans interrompre la circulation des trains.

A 5 mètres de distance de la pile à reconstruire, on monta un support provisoire, formé d'une travée de pont de 15 mètres, placée verticalement, et dont les éléments, hissés au moyen d'un treuil et d'une poulie suspendue au pont, furent assemblés sur place.

Le pont étant formé de travées indépendantes, reliées seulement à leur partie supérieure, il fallut, avant de modifier les points d'appui, rétablir, au moyen de plaques


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de joint la continuité de la poutre métallique au-dessus de la pile à reconstruire. Ce travail fut long, car il exigeait le percement dans le fer de nombreux trous de boulons, dans une situation incommode et dangereuse, avec un outillage des plus rudimentaires. On était pressé par l'approche de l'hivernage; un caporal et un sapeur, ouvriers en fer, y travaillaient la nuit et les ouvriers noirs le jour.

Enfin, on put jeter en bas la pile mauvaise, on trouva sous les fondations une couche de vase de 15 centimètres d'épaisseur, sous laquelle était un sol solide formé de blocs de grès agglomérés par du sable. La nouvelle pile fut fondée sur ce sol solide, et les maçonneries s'élevèrent assez vite pour n'avoir pas à souffrir de la crue des eaux ; le travail fut achevé pendant l'hivernage.

Nous avons vu quelle importance on attachait à l'exécution rapide du pont de Maïna. Cependant, le moment d'entreprendre le travail arrivait, et aucune suite n'avait encore été donnée par le Ministre aux projets présentés par le service du chemin de fer.

Les officiers du génie se rendaient bien compte de la difficulté qu'il y aurait, après tous les mécomptes déjà éprouvés dans cette entreprise du chemin de fer du HautFleuve, à obtenir encore des pouvoirs publics une dépense assez importante, en vue d'un travail dont la réussite pouvait leur sembler bien incertaine.

Le seul moyen de leur rendre le projet acceptable était d'en éliminer la partie qui devait paraître la plus aléatoire, celle des fondations et, pour cela, de commencer par les exécuter, avec les faibles ressources dont on disposait.

Après avoir sérieusement examiné toutes les difficultés de ce travail, on se mit à l'oeuvre, avec la conviction de les surmonter.

Le 5 mars 1893, on commença la pose d'une voie de service de 0m50, de 5 kilomètres de longueur, pour amener la chaux à l'emplacement du pont. On suivit exactement


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le tracé exécuté par la mission Marmier pour la ligne définitive.

En même temps, on achevait les études en relevant une série de profils du lit du fleuve, puis on traçait l'axe du pont et on repérait les centres des piles sur des tas de pierres placés de 50 en 50 mètres dans le lit du fleuve.

L'emplacement du pont a été choisi sur un barrage naturel formé par un banc de roc, qui présente vers l'amont une pente insignifiante et qui est limité vers l'aval par une cassure assez régulière formant dans le lit du fleuve une dénivellation brusque de plusieurs mètres.

Le fond du lit, formé par la face supérieure de ce banc de roc, présente quelques ondulations irrégulières, il est parsemé de blocs de grès, débris de couches supérieures détruites par l'action des eaux. La hauteur d'eau à l'étiage, à l'arrêt du barrage, varie de 0m20 près des rives, à lm10 au milieu du fleuve. La largeur entre les rives est de 360 mètres aux plus basses eaux. Le courant est toujours violent sur ce barrage et la dénivellation qu'il produit est de près de un mètre sur une longueur de 2 à 300 mètres.

A l'époque des hautes eaux, le niveau s'élève de 6 à 7 mètres au-dessus de l'étiage et la dénivellation devient beaucoup moins sensible.

Le pont devait être formé de 16 travées de 25 mètres de longueur chacune, reposant sur des piles de 6m50 de longueur et de 4 mètres d'épaisseur.

On fit le calcul de ce qu'on pouvait exécuter de maçonnerie avec les 50 tonnes de ciment disponibles, en tenant compte du volume immergé; on reconnut qu'on pouvait élever les piles à 0m50 au-dessus de l'étiage.

On trouva de la pierre de bonne qualité dans un ravin situé à 800 mètres sur la rive droite du fleuve, qu'on relia par une voie Decauville à l'emplacement du pont.

Le sable se rencontrait dans le lit du fleuve, à l'aval du barrage.

Des batardeaux rectangulaires furent construits autour


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de l'emplacement de chaque pile ; comme on n'avait pas de madriers pour les faire, que le temps et les outils manquaient pour en débiter, on les fit tout simplement en pierres garnies de gravier et de sable.

Les blocs épars qui se trouvaient à l'emplacement des piles furent brisés à la masse, quelques-uns à la dynamite.

Un pont de service fut constitué par des rails de voie de un mètre, reposant sur la partie amont des batardeaux, et sur des tas de pierres intermédiaires ; on plaça sur ces rails des traverses en bois qui servirent de support à une voie Decauville.

On commença la construction des piles par la rive gauche, en les couvrant contre le courant par deux digues parallèles, espacées d'une trentaine de mètres, établies en amont du pont, appuyées à la rive et se dirigeant obliquement vers l'aval jusqu'au tiers de la largeur du fleuve.

Ces digues furent exécutées en blocs de grès garni de pierrailles, en profitant autant que possible des inégalités du fond.

On abaissa suffisamment le niveau dans la partie couverte par ces barrages, pour mettre à peu près à sec l'intérieur des batardeaux, malgré leur défaut d'étanchéité.

On fit ainsi les quatre premières piles de la rive gauche, puis les quatre autres sur la rive droite.

Les digues des rives furent alors supprimées et remplacées par trois autres espacées entre elles d'une trentaine de mètres et disposées en forme de chevron, la pointe dans l'axe du fleuve et dirigée vers l'amont, rejetant, par conséquent, le courant du milieu vers les rives.

Bien que le niveau du fleuve continuât à baisser, on ne put cependant mettre entièrement à sec l'intérieur des batardeaux des piles centrales, comme on l'avait fait pour les piles des rives; on put cependant y réduire la hauteur de l'eau à 40 ou 50 centimètres et la rendre stagnante.

On fit alors à l'intérieur de chaque batardeau, au moyen


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de pierres sèches garnies de sable, un moule de la pile à construire, et on y coula du béton de ciment jusqu'au niveau de l'eau.

On ne trouve pas de maçons chez les races qui habitent les régions du Haut-Fleuve ; ceux qu'on emploie sont des Ouolofs du Bas-Sénégal qui exigent des salaires très élevés et qui ne s'engagent que pour la campagne entière.

On commença le travail avec quatre maçons seulement et on put à grand'peine en recruter six autres, tous assez médiocres et travailleurs peu actifs. Pour éviter toute perte de temps, chacun d'eux eut à sa disposition trois ou .quatre manoeuvres pour lui mettre dans les mains les pierres et le mortier qu'il n'avait qu'à poser. L'extraction des pierres et du sable, les transports, l'exécution des batardeaux et des digues, la confection du mortier et du béton furent exécutés exclusivement par les manoeuvres, conduits par leurs chefs d'équipe.

Le capitaine Corps et le lieutenant Crosson dirigeaient tour à tour le chantier, secondés par un seul surveillant européen, le sergent Magnat.

Les travaux préparatoires et les transports de matériaux furent entrepris vers le 15 mars; les maçonneries de la première pile le furent le 5 avril, et le 20 mai la pile centrale , faite la dernière, était achevée, nous voulons dire élevée à 0m50 au-dessus de l'étiage du fleuve.

Il était temps, car le niveau des eaux, arrivé vers le 1er mai à son minimum, s'était, dans les derniers jours, relevé de quelques centimètres, à la suite des premières pluies, et le courant devenait notablement plus rapide. On eut le temps de relever les rails du pont de service ; les batardeaux furent laissés en place et formèrent des enrochements à la base des piles. Quinze jours après, les maçonneries exécutées étaient complètement recouvertes par les eaux.

Il est nécessaire d'ajouter que ce travail fut exécuté sans allocation spéciale et sans aucun dépassement des crédits


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accordés pour l'entretien et les réparations ordinaires de la voie existante.

Pendant l'hivernage 1893, le personnel du service du chemin de fer fut réduit : le commandant Joffre et le capitaine Cornille rentrèrent en France, le capitaine Corps fut désigné comme directeur intérimaire, le lieutenant Crosson, chargé du service de la voie, le lieutenant Fillonneau, de la traction et de l'exploitation.

On acheva quelques rectifications partielles en profitant de l'interruption du service régulier et on reprit l'étude de la nouvelle ligne Kaffa-Dinguira. A la fin de l'hivernage le tracé définitif était achevé et une amorce de plate-forme, destinée à en conserver la trace, exécutée sur toute sa longueur.

Enfin, une des rectifications principales fut terminée, celle du Fouti, qui nécessitait d'importants déblais de roc; on y employa ce qui restait de poudre et de dynamite.

Campagnes 1893-1894 et 1894-1895

Après l'hivernage 1893, le commandant Joffre rentra de France pour reprendre les fonctions de directeur; il était accompagné du capitaine Guyon, qui remplaça le capitaine Corps comme chef du service de la voie, des lieutenants Plourin et Beauvois et de l'adjoint Carlot.

On connaît les graves événements dont le Soudan fut alors le théâtre, l'occupation de Tombouctou, acte suprême de la lutte engagée contre nous, quarante ans auparavant, par El Hadj-Omar, et toujours poursuivie depuis lors ouvertement ou secrètement par lui et par son fils Ahmadou.

Celte victoire fut malheureusement suivie de la catastrophe de Goundom, où plusieurs officiers des plus remarquables trouvèrent la mort et, parmi eux, Bonnier, qui s'était déjà distingué dans les premières campagnes faites au Soudan et que sa valeur, son intelligence et son infati4.

infati4.


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gable activité désignaient comme le digne successeur deFaidherbe, du général Desbordes et du colonel Archinard.

Le commandant Joffre avait été mis à la tête d'une des colonnes dirigées sur Tombouctou ; il put secourir la garnison laissée dans ce poste, dont il assura à la France la possession définitive.

Le capitaine Guyon prit donc la direction du chemin de fer et la conserva jusqu'à l'hivernage de 1895.

Par ordre du Commandant supérieur, les capitaines Crosson et Fillonneau furent employés, en dehors du service du chemin de fer, le premier à la construction de routes entre Kita et Bammako et au-delà du Niger, le second à l'étude d'une ligne télégraphique ; et, ensuite, ce dernier fut désigné comme commandant du Cercle de Kankan.

Un détachement de relève fut envoyé pendant l'hivernage 1894; il comprenait le capitaine Calmel, le lieutenant Rochard,les adjoints Renaut et Quenelle, les stagiaires Renard, Fourniol, Démarquez, Cunin, Lacombe et Naudé.

On termina d'abord l'embranchement de Médine ; la plate-forme fut élargie sur deux kilomètres de longueur, entre la gare de Kayes et le plateau, pour recevoir une deuxième voie destinée aux transports entre les établissements du bord du fleuve, l'hôpital et la résidence du commandant supérieur.

Les rectifications du Bouri, du Fara-Kourou et du plateau de Moumania furent entreprises et achevées pendant la campagne 1893-1894.

Les travaux de la nouvelle ligne Kaffa-Dinguira furent repris en janvier 1894, mais leur exécution fut ralentie par les mesures imposées au service du chemin de fer, à la suite des événements de Tombouctou. On ne crut pas possible, dans la situation critique où se trouvaient nos postes avancés, d'interrompre la ligne de communication pendant les deux ou trois semaines nécessaires au relèvement des rails sur l'ancienne ligne et à leur pose sur la


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nouvelle. La direction du chemin de fer reçut l'ordre d'assurer à tout prix la circulation pendant l'hivernage, par la voie de Sabouciré. Il fallut donc continuer à enfouir des pierres et des traverses dans ce marécage ; le but immédiat fut atteint, mais au prix de grands efforts, et le résultat était encore peu satisfaisant. Heureusement l'administration des colonies fit alors expédier à Kayes le matériel nécessaire pour 14 kilomètres de voie et, après l'hivernage 1894, on put se remettre à l'exécution de la ligne Kaffa-Dinguira. Les travaux furent rapidement menés par le capitaine Calmel, secondé par le sergent Naudé, tous deux revenus pour la troisième fois au Soudan. Cette ligne de 24 kilomètres de longueur, et qui comportait une quarantaine d'ouvrages d'art, fut terminée en février 1895.

Les travaux du Bafing subirent aussi le contre-coup des événements ; toutefois le service du chemin de fer fut autorisé à surélever les piles de un mètre, pendant la période des basses eaux de 1894. Outre le travail exécuté on y gagnait de pouvoir les reprendre deux mois plus tôt, à la campagne suivante, car elles se trouveraient ainsi de nouveau à découvert dès le mois de décembre 1894. Les piles furent en effet élevées à leur hauteur définitive pendant la campagne 1894-1895, dès qu'on fut informé de la mise en commande de la partie métallique du pont.

Les travaux de la voie de raccordement entre ce pont et la ligne Kayes-Bafoulabé furent exécutés dans la même campagne, et on se décida, malgré l'augmentation de terrassements qui devait en résulter, à adopter un nouveau tracé qui reportait la bifurcation près du marigot de Sitafoula, à 10 kilomètres de Bafoulabé. On gagnait ainsi 4 kilomètres sur la distance entre Kayes et le pont du Bafing et, comme la portion de voie comprise entre la bifurcation et Bafoulabé devenait inutile, on disposait de la même quantité de matériel pour l'avancement vers Kalé et Dioubéba.

La voie de 0m60 qui s'arrêtait, comme nous l'avons vu,


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au 38e kilomètre, fut prolongée jusqu'à Dioubéba, en suivant le tracé de la mission Marmier; on se servit des rails de la voie de un mètre relevés de la ligne de Sabouciré. Il suffira plus tard de leur donner l'écartement normal pour arriver à la voie définitive.

Des bâtiments pour les bureaux des gares furent construits à Kayes, à Diamou, et à Kaffa. Ces bureaux étaient jusqu'alors installés à Kayes dans deux pièces du bâtiment de la direction d'artillerie et, sur le reste de la ligne, dans des cases semblables à celles des indigènes.

Le prolongement de la voie ferrée en aval de Kayes, jusqu'au barrage de Tambokané, fut étudié par le capitaine Calmel.

Service de la traction et de l'exploitation

Les services de la traction et de l'exploitation furent réunis sous la direction du capitaine Cornille ; le sousofficier stagiaire Gerdol devait remplir les fonctions de chef du dépôt, et l'adjudant celles d'inspecteur de l'exploitation.

Nous passerons sur le service de l'entretien et des réparations des machines et du matériel roulant qui, malgré son importance, ne présente d'intérêt que pour les personnes familiarisées avec ces questions. Nous devons cependant faire remarquer la situation difficile où l'on se trouvait pendant la campagne 1892-1893.

Nous avons dit que la mission du génie, devant reprendre un service considéré comme déjà organisé, ne put emporter aucun outillage de réparations.

Mais les ateliers existants étaient communs au service de l'artillerie, à celui des constructions et au chemin de fer; et il n'était pas possible de diviser leur outillage sans l'annihiler.

Il fut donc décidé que les ateliers de Kayes resteraient confiés au service de l'artillerie, auquel le service du che-


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min de fer adresserait, quand il y aurait lieu, ses demandes de réparations de machines, et que les sous-officiers et soldats du génie susceptibles d'être employés à ces réparations seraient mis à la disposition de l'officier d'artillerie chargé des ateliers, qui les utiliserait comme il le jugerait convenable.

On peut juger des difficultés continuelles que cet état de choses devait produire, malgré la bonne volonté et le désir d'entente dont firent preuve les deux services.

Les machines furent successivement réparées et remises en service.

Pendant l'hivernage 1893 deux nouvelles machines de 12 tonnes furent expédiées au Soudan, le Paul Holl et le Capitaine Marchi.

On reçut en même temps l'outillage nécessaire à l'organisation d'un dépôt, et le service du chemin de fer put diriger lui-même les réparations de ses machines.

Les deux machines de la voie de 0m60 le Séta et le Loustalot-Laclette, arrivées en 1892, ne rendirent pas de services bien satisfaisants ; elles furent souvent immobilisées par des réparations qui devaient être faites sur place, leur transport aux ateliers de Kayes étant presque impossible. Ces machines étaient construites pour une pression très élevée (12 kilogrammes) et leur fonctionnement était trop délicat pour être confié à des mécaniciens indigènes.

Depuis 1890, le service du chemin de fer avait exécuté quelques transports pour le compte de particuliers. Une fois par semaine, pendant la saison sèche, un train, dit commercial, faisait un voyage aller et retour entre Kayes et Bafoulabé et prenait des marchandises et des voyageurs payants.

D'autres trains, expédiés suivant les besoins du service, étaient affectés au transport des troupes, du matériel militaire et du ravitaillement des postes. Ces transports étaient faits gratuitement et ne donnaient lieu à aucune comptabilité.


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Le chemin de fer fut régulièrement ouvert à l'exploitation en novembre 1892, par un arrêté du commandant supérieur, qui fut confirmé par un arrêté ministériel du 19 novembre 1893.

La direction du chemin de fer avait préparé un règlement d'exploitation beaucoup plus sommaire que celui élaboré en 1887, mais qui, à la différence de ce dernier, tenait compte des conditions spéciales de la ligne et de la nature des transports à faire au Soudan.

Les ressources nécessaires mises à la disposition du service des chemins de fer se composaient des allocations du budget général et du budget local, et des recettes provenant des transports.

Les transports exécutés par les trains ordinaires de l'exploitation étaient de deux sortes :

Les transports particuliers dont le prix était payé par les voyageurs ou expéditeurs entre les mains des agents de l'exploitation.

Les transports pour le compte des services militaires ou administratifs, qui étalent tarifés comme les précédents, mais exécutés sur réquisitions. Le montant des transports exécutés pour chacun des services était totalisé mensuellement et faisait l'objet d'un virement du crédit particulier alloué à ce service sur le crédit du chemin de fer.

En introduisant cette taxation des transports pour le compte de l'État, on avait pour but, d'une part, de créer au service des chemins de fer des ressources qui lui permettraient à bref délai de se suffire à lui-même, d'autre part de faire ressortir l'importance des services rendus et l'économie réalisée par suite de l'existence de la ligne.

Il était inutile, à ces deux points de vue, de tenir compte des transports de personnel et de matériel exécutés pour le service du chemin de fer lui-même, aussi ne figurent-ils pas dans l'évaluation des recettes ; ils étaient d'ailleurs faits par des trains de service spéciaux.

Les dépenses comprennent l'acquisition et le transport


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du matériel et du combustible, et les salaires payés au personnel indigène employé à la construction, à la réparation et à l'exploitation.

On n'y a pas fait entrer la solde du personnel militaire qui, tout en remplissant ses fonctions spéciales, ne cesse pas de contribuer à la puissance militaire du pays en général et de la colonie en particulier. On l'a vu en 1894, quand le commandant Joffre fut appelé à secourir Tombouctou, et que les capitaines Crosson et Fillonneau étaient également chargés de missions militaires.

Le service fut réglé de la façon suivante pour les trains de l'exploitation :

Un train par jour dans chaque sens, entre Kayes et Bafoulabé.

Deux trains par jour dans chaque sens, entre Kayes et Médine.

Il fut régulièrement appliqué à partir du 1er février 1893.

Sur la voie de 0m60, il y avait en principe un train par jour, dans chaque sens ; mais l'état des machines ne permit pas toujours d'assurer le service, et les plates-formes furent souvent poussées à bras.

Pendant l'hivernage de 93 et 94, l'exploitation fut suspendue sur la ligne Kayes-Bafoulabé et sur celle de Bafoulabé-Dioubéba ; on mil cependant en marche quelques trains de service, en profilant des périodes où les pluies moins abondantes n'avaient pas trop détrempé la plateforme. Le service de Kayes-Médine fut maintenu en raison des recettes élevées qu'il continuait à donner.

A partir de 1895, l'état de la ligne permit de maintenir l'exploitation régulière pendant l'hivernage.

Les recettes du chemin de fer suivirent la progression suivante :


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Transports pour Transports Totaux

le compte de l'Etat commerciaux

1890 » » 2.161 35 » »

1891 » « 6.911 » » *

1892 87.874 » 8.879 » 96.753 »

1893 88.181 » 41.479 » 129.660 »

1894 190.886 » 102.890 » 293.476 »

1895 150.000 » 150.000 » 300.000 »

Les chiffres de l'année 1895 ne sont encore qu'approximatifs.

Les dépenses d'entretien et d'exploitation se sont élevées en 1895 à environ 330.000 francs et ont été appliquées pour une part à des travaux d'amélioration et d'avancement.

On peut donc dire que dès maintenant le chemin de fer se suffit à lui-même et que, dans un avenir prochain, les recettes dépasseront les dépenses d'exploitation.

La situation actuelle du chemin de fer

Le service du chemin de fer est dirigé depuis 1895 par le commandant Rougier, secondé par le capitaine Calmel et par le lieutenant Rochard.

D'après les derniers renseignements reçus, le montage et le lancement de la partie métallique du pont du Bafing étaient très avancés et, suivant toute apparence, sont terminés à l'heure actuelle.

La plate-forme de la voie de un mètre est construite entre le pont du Bafing et son raccordement sur l'ancienne voie de 0m60 ; il ne reste qu'à y placer les rails relevés de l'ancienne ligne de Sabouciré.

On peut donc être assuré qu'avant la fin de l'année, le point de jonction des voies de 1 mètre et de 0m60 sera transporté à Kalé et que le transbordement des marchandises se fera directement de wagon à wagon.


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Si le Parlement admet les propositions qui lui ont été faites par la Commission du budget, la voie de 1 mètre aura, au 1er janvier 1897, remplacé la voie de 0m60 jusqu'à Dioubéba. L'unification accomplie, on pourra porter tous les efforts sur le prolongement de la ligne.

Nous avons dit que dès maintenant les recettes du chemin de fer couvrent les dépenses d'entretien et d'exploitation.

Comme toutes les marchandises actuellement transportées jusqu'à Dioubéba sont ensuite dirigées vers Kita et Bammako par route de terre, on peut être assuré qu'elles emprunteront la voie ferrée aussitôt qu'elle sera construite et, par suite, les recettes augmenteront avec la longueur de la ligne.

Les dépenses augmenteront dans une beaucoup plus faible mesure, car les frais généraux resteront les mêmes, et les frais inutiles, causés par les transbordements, à Bafoulabé, seront dorénavant supprimés.

Il reste à savoir si le bénéfice réalisé constituera une rémunération suffisante du capital à engager pour l'achèvement du chemin de fer. M. le colonel Andry l'a parfaitement démontré, en s'appuyant sur une élude très sérieuse du trafic commercial qui s'établira le jour où la ligne atteindra la vallée du Niger.

Nous nous placerons à un autre point de vue pour établir, sans rien préjuger au sujet de l'augmentation du trafic, que les finances publiques sont intéressées au prolongement aussi rapide que possible de la voie ferrée.

Les recettes provenant des transports pour le compte de l'État se sont élevées, en 1895, à 150.000 francs. La distance de Kayes à Dioubéba étant de 177 kilomètres, et le transbordement à Bafoulabé compté comme transport à 25 kilomètres aux termes de l'arrêté ministériel du 19 novembre 1893, la recette kilométrique est en nombre rond de 750 francs.

Les transports de personnel n'y entrant que pour une faible part et le tarif des marchandises variant suivant


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leur nature, de 0 fr. 15 à 0 fr. 40 par tonne kilométrique, nous croyons pouvoir évaluer à 2.500 tonnes au minimum le poids du matériel transporté en 1895 pour le compte de l'État.

Au-delà du chemin de fer et jusqu'au Niger, les transports se font actuellement sur des voitures traînées par des mulets. Leur prix de revient est assez difficile à établir en raison de la complexité des éléments dont on doit tenir compte. M. le capitaine KIobb, qui avait fait une étude très complète de cette question, évaluait, en 1890, le prix de la traction muletière d'une tonne kilométrique à 0 fr. 42 sur voie ferrée, et à 2 francs sur les routes ordinaires du Soudan. On peut donc évaluer le prix des transports à faire entre Kayes et Bammako à 750 francs par kilomètre sur la voie ferrée et à 5.000 francs sur les routes. C'est-à-dire que chaque kilomètre de chemin de fer construit permettra de réaliser sur les frais de transport une économie annuelle de plus de 4.000 francs.

Utile au point de vue économique, le prolongement du chemin de fer est indispensable à la sécurité de nos possessions.

Il ne faut pas oublier que nous n'avons au Soudan qu'une poignée d'hommes, que les troupes qui ont conquis et qui occupent une région plus grande que la France ne comprennent qu'un effectif de soldats blancs numériquement inférieur à la garnison permanente de certaines colonies anciennes, soumises depuis des siècles, et d'une étendue comparable à celle d'un de nos départements.

Si nous avons pu, avec des forces aussi faibles, chasser du pays les envahisseurs musulmans, mettre fin aux luttes intestines des populations et rétablir partout l'ordre et la sécurité, nous le devons à la politique constante suivie par les chefs militaires du Soudan, à la bienveillance témoignée par eux aux populations indigènes qui se sont rangées sous nos drapeaux, comme à l'énergie indomptable avec


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laquelle ils ont su écraser, à ses débuts, toute tentative de résistance.

Mais ce résultat n'a été atteint qu'au prix d'efforts inouïs, et des pertes cruelles ont été la conséquence des privations et des fatigues imposées à nos troupes.

Pour augmenter notre puissance défensive avec la mobilité de nos garnisons, pour éviter à nos soldats des marches pénibles sous un soleil meurtrier, pour leur assurer dans leurs postes un logement confortable et une nourriture réconfortante, il est nécessaire de compléter, par la construction de la voie ferrée, le réseau des communications fluviales du Soudan.

Nous arrêterons ici ce travail et, bien que croyant parfaitement à l'avenir économique du Soudan français, nous laisserons de côté ce sujet qui nous entraînerait trop loin.

Nous avons suffisamment montré que l'achèvement du chemin de fer est le complément nécessaire de l'oeuvre entreprise par la France dans l'Afrique occidentale, et nous croyons que le génie militaire, appelé tardivement à lui donner son concours, n'aura cependant pas été inutile à son accomplissement.

Angers, imp. Germain et G. Grassin. — 703-96.