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L'ISLAM
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lMI'kttlBIUK A.-G. I.K.MAI.E, HAVRE.
DANS
L'AFRIQUE OCCIDENTALE
PAR
A. LE CHATELIER
PARIS G. STE1NHEIL, ÉDITEUR
H. RUlï CASI.MIR-DÏÎLAVIGNÉ, 2
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AVANT-PROPOS
Ce mémoire sur /'Islam au Soudan avait thé écrit en 1888, un retour d'un voyage au Sénégal ei en Gambie, au Soudan, à K.ayes, Banimakou et Siguiri, d'où je suis revenu à Konakry par le Foutah-DjaUon, accompagnant mon ami le capitaine Andéoud. qui. le premier, assura, la jonction du Soudan et de la Guinée, avant d'attacher si glorieusement son nom à la pacification de noire grande colonie soudanienne.
Mut! intention avait d'abord été de publier ces notes; puis,au fur ex à mesure que je les écrivais, elles me parurent de plus en fi us incomplètes et je me décidai â -mettre mon manuscrit de côté.
Il sommeillait ainsi dans un coin de ma bibliothèque, lorsque le commandant Destenave, avec lequel j'avais bien souvent causé de l'Afrique et de l'Islam â mon retour du Soudan et avant son départ pour le Macina. eut la. curiosité de le lire, et,à ma grande surprise, Vamabilité de le trouver encore exact sur certains points. Ce jugement ne pouvait pas ne pas troubler le mien.
Le commandant Destenave n'a pas seulement réalisé au Soudan une oeuvre administrative remarquable, dans l'organisation des territoires de la Boucle du Niger. Préparé à son rôle africain par de fortes études d'économie sociale, il a, sur la plupart des Soudaniens, la grande supériorité de parler couramtyicnt plusieurs tangues indigènes. En relations journalières avec "
XELAM. I
2 - AVANT-PROPOS
les marabouts du Macina, des rives du Moyen Niger, il s'est entretenu directement avec eux des questions religieuses dont il possède complètement le maniement politique.
C'est là précisément ce qui donnait le plus de poids â son opinion bienveillante,.et ce qui m'a porté â suivre ses conseils en publiant tardivement un travail abandonné d'abord. Telles qu'étaient mes notes primitives, elles fussent cependant restées insuffisantes, bien que des voyages postérieurs m'eussent permis de m'occuper encore de l'évolution de l'Islam africain au Maroc, au Sénégal et au Dahotny, où j'avais eu occasion de m?entretenir à Porio-Novo avec les chefs de l'intéressante colonie musulmane qui s'y développe d'année en année, si le commandant Destenave ne m'avait mis à même de les compléter sur plusieurs points essentiels. Il a bien voulu me donner des avis détaillas sur les pays de la Boucle du Niger. C'est ainsi, grâce à son concours amical, que ce mémoire, complété aussi d'après les données nombreuses et précises que renferment l'ouvrage de Binger, sur son voyage du Soudan au golfe de Guinée, les notices du commandant de Lartigv.e, si intéressantes pour l'histoire actuelle du Soudan, et celle de M. l'interprète Marchand sur la répartition des musulmans soudaniens, ainsi que d'après les rapports officiels des commandants supérieurs du Soudan publiés d<^ divers côtés, se trouve tardivement paraître, au bout de dix ans, avec des remaniements sans lesquels il eût conservé te caractère d'une ébauche provisoire.
PREFACE
En Î+55, Aluise da Gada Mosîo signalait déjà le développement du Muhométisrne chez les peuplades nègres de l'Afrique occidentale. Quatre cents ans plus tard, pour caractériser le grand mouvement religieux qui menaçait les destinées du Sénégal, on se contenîait encore d'appliquer à El ,Hadj Omar la seule épitiiève ri; Faux-Prophète.
1 i semblait cependant que l'Islam fût dès lors connu touifemier, dans son histoire, ses doctrines, son culte. Une phalange de philologues, formée à l'école française, avait, depuis Je commencement du siècle, repris i'oeuvre des anciens orientalistes. Ses investigations s'étaient étendues également aux annales, aux croyances, aux rites du monde musulman. H a la m el Mokannah et les Hachèchin étaient sortis de l'obscurité, comme le calife Omar et les Fatimites. La philosophie des Souris avait été discutée, au même titre que les traditions Chiites. Les cérémonies du pèlerinage de La Mecque se trouvaient décrites aussi minut.ieu.senent par Burckhardt, que les pratiques des Dérouich par Lane. Mais ces laborieuses recherches représentaient une analyse sans synthèse. Elles ne suffisaient pas à pénétrer le mystère de la vie même de l'Islam. L'origine, la nature de ses convulsions restaient donc ignorées, bien que l'effet: s'en fît sentir, et retardât l'oeuvre civilisatrice de la France,au nord et à l'ouest de l'Afrique, Eu Algérie, on avait fait un Émir d'Abd el Kader; un. FauiChérifdeson émule Bou-Maza. Tout au plus, le précurseur d'El
4 PREFACE
Hadj Omar, au Sénégal, Mohammed bon Arnar, obtenait-il le titre de Mahdi de Podor.
Encore fallait-il que son épopée tentât la plume savante de M. Davezac de Ivlakaya. dans la Revue asiatique.
Pour définir le rôle des apôtres, à la voix desquels se soulevaient des légions fanatisées, on disposait à peine de qualifications vagues et sans portée. Ce qu'étaient ces élus, quelle mission suivaient-ils? Nul ne le savait, il paraissait suffisant de les combattre et de les vaincre, sans chercher à déterminer le rapport de l'idée religieuse et de l'idée politique, base de leur puissance.
C'est à la science toute moderne de l'Histoire des religions . qu'il appartenait de réaliser à cet égard la synthèse longtemps dédaignée. Le premier, dans son étude du Culte des saints citez, les musulmans, M. Go'dziher en a fourni les éléments essentiels, par un lumineux exposé de l'évolution des croyances hagiologiques clans l'Islam.
Mais déjà, le champ d'expériences ouvert par la conquête algérienne, avait été largement fécondé. Alors queVambéry, en i8£>3, se bornait à constater la toute-puissance des Dérouich de l'Asie centrale: à profiter de sa connaissance de leurs rites pour devenir momentanément un des ieuvs; que Brown, en 1869, se contentait encore de suivre, pour ceux de Constantinopîe, la voie tracée par Lane en Egypte ; que le gouvernement des Indes voyait seulement dans les Ouahabiya du Pendjab, des sectaires ennemis ; — alors, le service des Affaires indigènes d'Algérie poursuivait résolument l'étude expérimentale du problème. Aux <i Khouan » du général de Neveu, succédaient, en 1855, les « Khouan » de M. Ch, Brosselard, puis, en 1869, la notice de M. Mercier sur la confrérie de Sïdi Abd el Kader el Ghilani. Grâce à ces travaux, aux observations méthodiques et aux remarquables rapports des Officiers des Bureaux arabes, l'oeuvre avançait rapidement.
f/- PREFACE J
f
k Les recherches entreprises sur l'organisation politique de.nos
MI jets rebelles avaient fait le jour aussi sur leur organisation religieuse. Il ne s'agissait plus de Mahdi, d'Émir, de Faux-Chérif, e Faux-Prophète, mais de chefs d'un Islam mystique, dont les (.(■•ifTi-éo-a tions transformées parfois en sociétés secrètes, étendaient souvent au loin des ramifications nombreuses: de Saints înspii es qui puisaient dans leurs croyances la conviction de leur puisan ce personnelle, k sentiment de leur mission. Ce n'étaient plus des bandes révoltées qu'ils entraînaient à leur suite, mais tes milices d'esclaves volontaires, dévoués jusqu'à ia mort à leurs h aîtres spirituels.
Bien que ces notions nouvelles fussent utilisées déjà pour le gouvernement de nos sujets algériens, il fallut, pour leur donner l'importance nécessaire, pour déterminer la gravité des dangers qu'elle- permettaient de prévenir, que M. Duveyrier, après ivoir éléiui-même, en 1861, à Rhât, exposé à la périlleuse hostilité des Senoussiya, fît connaître en 1884, l'organisation, k s rôle et l'étendue de la confrérie de Sidi Mohammed ben Ali el ^enoussi. Au même moment, M. le commandant Rinn, direcreur des Affaires politiques d'Algérie, exposait dans Marabouts U Khouan, l'histoire, ia doctrine et le rituel des autres congrev, liions mystiques de notre colonie, établissant pour chacune d elles le rapport synthétique de leurs croyances et de leurs a tes.
Cet ensemble de travaux, quoique se rapportant surtout à l Algérie et aux contrées voisines, fournissait les éléments prépa atoires.de nouvelles enquêtes dans les autres pays musul| mans.
I J ai donne aans Les Confréries du Hedja\ les résultats ï essentiels des recherches entreprises dans ces condîîi ms, en \ Egypte et en Turquie, pendant l'année 2886. \-
{ Déjà l'insurrection du Soudan Égyptien avait révélé l'exis-
6 PRÉFACE
tence, jusqu'alors ignorée, des ordres religieux chez les peuplades nègres. Le Mahdi ae K.hartoum n'était à ses débuts qu'un Moqaddcm Kadri de la Zaoniya de Kéneh. Ayant pu moi-même constater l'importance du rùle politique joué par d'autres confréries, les Emirghaniya. les Ghafrouniya chez .les Nouba du Haut-Nil. Jcs Barabut delà mer Rouge, il me parut intéressant de continuer l'étnck' à peine ébauchée du mysticisme chez ies musulmans de race noire. .
Le Sénégal offrait à cet égard un champ d'bïvesiigarious d'autant mieux indiqué, que ies circonstances n'avaient pas encore permis d'y accorder, comme en Algérie, l'attention voulue à la question religieuse.
A peine supposait-on qu'EJ Hadi Omar appartenait à la confrérie de Sidi Ahmed Tedjini ; qu'à côté des Tkljuniya, les Kadriya comptaient aussi, des adeptes sur le littoral et au Soudan.
Étudier sur les lieux, au Sénégal, au Niger, l'organisation des ordres religieux chez nos sujets nègres, tel devint l'objet de mon voyage au Soudan, à ia tin de 1887.
Les observations de détail, lorsqu'elles deviennent assez nombreuses, prêtent facilement à quelques généralisations. Les données fournies par mes précédentes recherches et par les . travaux antérieurs, m'avaient semblé justifier quelques hypothèses sur la loi générale de; l'évolution de l'Islam à l'époque actuelle. Ces conclusions.^formulées en 18S7 dans -L'Islam au XIXRsiècle, tendent à montrer que sous l'influence combinée des croyances mystiques et hagiologiques, procédant, du Panthéisme Oriental et qui représentent la seule force vive du M'ahômétisme moderne, il s'est formé dans le monde musulman un parti de réforme rétrograde en réaction contre la conquête chrétienne de l'époque actuelle, réaction de simple propagande ou de combat.— Ce parti, qui n'a aucune organisation corjsti-
PRÉFACE 7
tutive, dont l'existence procède de la seule communauté de vues de tous ses membres, est personnifié par les Saints extatiques, les initiateurs des « Voies » mystiques, ceux auxquels s'applique la définition incomplète et parfois inexacte de Chef d'ordres. C'est par les écoles qu'ils fondent et développent, que s'effectuent la renaissance et la "propagation de la foi islamique.
A cet égard, il m'avait paru particulièrementintéressantd'étudier dans la zone frontière des .pays de langue arabe et des contrées nègres, du Sahara au Soudan, la forme et la nature du mouvement religieux.
La prodigieuse extension de l'Islam dans l'Afrique centrale, a été souvent signalée, depuis l'époque où, le premier, Livingstone essayait de lutter contre les négriers arabes. Dès 1871, M. Blyden, qui, de race noire lui-même et fixé à Libéria sa patrie d'adoption, était non seulement un voyageur intrépide et un saveftn érninent, mais aussi un homme d'État dans toute la force du terme, a jeté, dans la Methodisi Qitarterly Review de NewYork, un premier cri d'alarme, pour revenir encore, dans un ouvrage plus étendu : Christianity, Islam and- Negro races, sur an sujet doublement grave à ses yeux. En 1886, Thomson, au retour de ses belles explorations dans' les parages du Kilimandjaro, et au pays des Massai, disait à son tour dans la Contemporary Revient ce qu'était devenu l'Islam dans l'Afrique centrale, « Mohammedanism in central Africa ». Puis Bove, avant de mourir, emporté par les fièvres d'Afrique, donnait, au Bolletino consolare de Rome, une courte relation de voyage, où il s'attachait à montrer ia progression de la conquête musulmane jusqu'aux côtes du Bénin.
Mieux, encore que ces observations individuelles, de douloureux enseignements ont prouvé par les faits, les progrès rapides du Mahométisme dans le continent noir : après la tragédie de Khartoum, est venu le blocus du Wadelai, puis le pillage et
8 PRÉFACE
l'abandon des stations avancées de l'Etat libre du Congo. Qa a vu un négrier, Tippo-Tib, remplacer les officiers belges dans Je gouvernement des Stanley Falls ; l'Ouganda catholique et protestant est devenu musulman; au Soudan même, Samory nous a tenu tête pendant quinze ans comme représentant de l'idée islamique...
La crise qui a pu sembler un moment menaçante pour l'avenir de la civilisation européenne en Afrique, a disparu devant les succès des troupes belges, de l'expédition anglaise tt des colonnes françaises.
Aucune illusion ne peut subsister cependant sur Je fait même de la propagande musulmane en. Afrique, et sur l'étendue de ses résultats. Il n'est pas douteux qu'à moins de progrès du christianisme, que l'inefficacité des méthodes employées par les missionnaires catholiques et protestants rend improbaiés, l'Afrique nègre sera un jour ou l'autre presque entièrement musulmane.
L'étude de l'Islamsoudanien n'a donc pas seulement uneportée historique, elle ne présente pas seulement tin intérêt conjectura.', limité à quelques occurrences passagères. Son importance résulte du fait sociologique qu'au nord de l'Equateur le mouvement social des races nègres procède dès maintenant, pour ia majorité de la population, du principe islamique, tantôt indépendant, tantôt en conctat avec les influences occidentales.
Puissance musulmane africaine par l'Algérie et par ie voisinage du Maroc, par le Sénégal et le Soudan, par ses nouvelles provinces du Tchad, la France est spécialement intéressée au développement des études islamiques, dans ia forme pratique où elles deviennent utilisables comme élément d'action politique, II ne semble pas cependant que cette notion simple ait été tout d'abord bien comprise en dehors de l'Algérie.
PREFACE 9
Quelques années après mon voyageait Soudan, les recherches dont je m'étais occupé à un point de vue général, furent reprises avec un caractère plus précis par un savant officier. M. le commandant Déporter mieux, qualifié que qui que ce fût pour les mener à bien. II fut malheureusement enlevé par la maladie, an cours de sa mission, et ses notes, probablement perdues, restèrent inédites. On continua donc, en l'absence de documentation sérieuse sur une question trop ardue, pour pouvoir erre élucidée de sentiment, à baser toute ia politique musulmane de nos colonies du Sénégal et du Soudan,, sur les impressions personnelles d'administrateurs distingués, d'explorateurs éminents, mais dont ies vues ne pouvaient résulter que d'observations incertaines. Malgré Samory. malgré Ahmadou, malgré Rabah, les souvenirs des voyageurs qui, bien ou mal accueillis par les rnulsumaus. les jugèrent tantôt favorablement, tantôt avec défaveur, servirent longtemps à cet égard d'uniques credos. Mais tout récemment, le voyage de M. Coppo.laai vient de donner enfin, d'une façondéfinitive, ii faut l'espérer, droit de cité aux études islamiques dac.s ia politique coloniale.
Les conclusions mêmes de ce voyage, qui a eu peur résultat l'établissement de notre autorité effective sur des tribus sahariennes, jusqu'alors rebelles à notre influence, constituent une preuve matérielle de l'efficacité pratique des recherches qui en iaisaient l'objet; on doit souhaiter que cette démonstration si brillante ait une portée durable, que l'administration des colonies, récompensée déjà par le succès d'un premier essai, ne s'en tienne pas là, et continue pour les pays à l'est du Niger, jusque dans le bassin du Tchad, ies investigations qui vont lui permettre d'adopter au Soudan même, vis-à-vis de ses peuplades musulmanes, une ligne de conduite raisonnée.
La prochaine publication des études qui viennent de s'achev
er
10 PREFACE
m'aurait fait hésiter encore à publier les miennes, si je ne conservais le regret de m'être trop exclusivement inspiré, dans des ouvrages antérieurs, des tendances de l'École algérienne. J'en ai précisément trouvé l'écho dans le remarquable travail déjà consacré par M. Coppolani aux confréries musulmanes, véritable monument d'érudition, édité par le gouvernement général de l'Algérie, Après en avoir lu, avec le plus vif intérêt, toute ia partie historique et didactique, notamment le chapitre consacré aux sectes musulmanes, aux variations de l'idée islamique, j'ai été frappé de me trouver souvent en désaccord comme manière de voir actuelle, avec l'auteur, dans ia seconde partie, formée de monographies des principales confréries musulmanes. Et je dois ajouter de suite que cette divergence de vues implique, de ma part, une apparence de contradiction, entre mes idées actuelles et mes idées primitives sur l'Islam, car ce sont souvent des extraits démon propre travail sur lesconfréries du Hedjaz, qui ont motivé mes réserves (i).
La vie d'un peuple, vue à travers le prisme administratif, apparaît autre que sans ce prisme. Il n'est peut-être pas de société au monde plus enveloppée d'admin.istrativisme que la société indigène d'Algérie. Elle est tout entière hiérarchisée de surface, et quand on l'examine hiérarchiquement, il est normal d'y voir de la hiérarchie partout. Si ce point de vue se double de la conception politique des Affaires indigènes d'Algérie, excellente comme instrument de gouvernement, mais fictive et conventionnelle,
(i) Je tiens à remercier ici tout particulièrement M. Coppolani de l'exactitude avec laquelle il a bien voulu mentionner toutes les citations de l'Islam au XIXe siècle, et des Confréries du Hedjaz, dans son important ouvrage sur les confréries musulmanes, ayant eu la surprise de trouver dans' une autre publication du gouvernement de l'Algérie,une centaine do pages, reproduisant textuellement, même avec une faute d'orthographe typique de mon copiste, un travail manuscrit sur les tribus marocaines, dont j'étais "autour, sans mention indicative qui permît d'en reconnaître l'origine. :
PRÉFACE Iï
rien do plus naturel que d'attribuer aux confréries musulmanes un caractère d'associations organisées fortement et de sociétés secrètes, qu'elles n'ont pas toujours en Algérie et quelles n'ont qu'exceptionnellement ailleurs.
De même que l'Église catholique et l'Église réformée comptent des chefs d'école qui sont devenus ces personnages politiques, dont ies disciples se. sont groupés autour d'eux en soldats de ia foi due ment enrégimentés, l'Islam compte beaucoup de ces apôtres m-'Tiques, dont les pratiques liturgiques sont en même temps un mot d'ordre de combat. Naguère, quand sa domina'.;on temporelle était intacte, tes dissidences de rites secondaires, d'enseignement théologique, allaient rarement 'ai delà de leur objet même. Mais dans la décadence de sa puissance politique, l'islam perdant ses chefs naturels en a cherché d'autres et les a trouvés surtout parmi, les adeptes du mysticisme.En évoluant de i'Orieut à l'Occident, les théories soufiques sont devenues dea. réalités défensives pour la foi menacée. Elles ont permis aux fidèles désorientes par l'absenre d'uutcrité constitutive, de chercher un autre centre de ralliement dans la zaouiya du professeur d'exégèse.
Dans sa progression vers ia sainteté, avec la perspective de devenir ouaii, roabc'i, d'atteindre aux plus hauts échelons de la sanctification panthéiste cccidenu'le. le cheikh en arrive aisément à combiner le spirituel et le temporel.
Chef d'école, il devient chef de parti, comme sa zaouiya devimt une forteresse abbatiale.
Mais ce n'est pas là, tant s'en faut, une règle, générale. S'il, est vrai de dire que dans l'islam occidental, l'Islam mystique est presque seul agissant en dehors du Maroc et que dans l'Islam mystique, les confréries religieuses agissent seules, il s'en faut de beaucoup que toutes soient ce qu'a pensé longtemps l'école algérienne: des associations secrètes, organisées et constituées. Dans
I?. PREFACE
la plupart, il n'existe d'autres liens entre leurs membres que ceux qui unissent les adeptes d'une confrérie catholique : tiers ordre ou autre. Un même rituel supplémentaire procédant d'une même inspiration personnelle sanctifiée, réunit ies membres de la confrérie dans des préférences communes de prières, de dévotion. ■Mais les khouan d'un ordre quelconque ne sont pas plus nécessairement les affidés d'une conjuration permanente, que les dévots cle saint Antoine de Padoue,
La communauté de goûts spirituels peut faciliter leur groupement à un moment donné, A côté des confréries sans organisation, il en existe qui sont fortement constituées, comme dans les religions chrétiennes. De même aussi, certaines ne séparent pas le principe politique du principe religieux. Mais il n'en résulte pas qu'il faille considérer routes les confréries musulmanes comme d'immenses associations temporelles religieuses, étendantdans le monde mahométan leurs ramifications maçonniques.
Tout en abordant l'étude de ces groupements avec une extrême sagacité au point de vue de la politique locale, parce quit vaut mieux, en. matière de gouvernement, prévenir les dangers par un excès de prudence que s'y exposer sans les connaître, l'école algérienne s'est, à mon sens, trompée en attribuant, à Ja suite de la publication de Marabouts et. Khouan, aux confréries musulmanes une organisation et un rôle essentiels qu'elles n'ont pas nécessairement.
Pénétré des doctrines de cette école, c'est d'elles que je me suis inspiré dans les Confréries du Hedja.i, où j'ai été amené ainsi à compléter des renseignements historiques précis, par des observations d'une valeur inégale, parce que procédant d'uivpoint de vue trop absolu.
Déjà cependant l'étude de la société musulmane d'Egypte, sur laquelle j'avais recueilli des notes nombreuses, m'avait inspiré quelques hésitations.
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ï A côté de groupes, comme celui des Khelouatiya, qui confi| nuèrent pendant des années après l'occupation anglaise à lutter § contre le chrétien sous forme de banditisme, à côté des Emirif ghaniya,des Ghafrouniya,qui eurent un rôle si considérable dans É la conquête du Soudan par Méhéme: Ali comme convertisseurs officiels, il m'apparaissait bien qu'on eût beaucoup surpris les ; opulents cheikhs du Caire, en leur attribuant des arrière-pensées ;; politiques. Mais je restais convaincu de la valeur du principe, et en dépouillant les renseignements détaillés que des amis musulmans m'envoyaient de La Mecque, je ne fis pas assez la part de ia situation locale, de quelques exceptions, dans l'application des méthodes de diagnostic auxquelles j'avais été habitué en Algérie.
Ce fut dans les mêmes idées que j'abordai l'étude de l'Islam soudanien, convaincu que si je ne percevais pas exactement le lien qui devait nécessairement réunir ses adeptes mystiques en confréries et les répartir en zaouiya, dotées de moqadderns attitrés, l'insuffisance de mes recherches devait seule en être la cause. Peut-être même ce sentiment contribua-t-il à me faire regarder comme partiellement erronés les renseignements que j'avais recueillis. ■
Mes doutes sur lavaieur delà doctrine,que j'avais cru d'abord incontestable, se fortifièrent sans se changer en certitude.
Mais plus tard, au Maroc, ils disparurent en me laissant la conviction d'une erreur dans les enseignements de l'école aisé.tienne, par excès de généralisation. Et depuis, en retournant encore au Maroc et au Sénégal, en causant aussi, à Porto-Novo, avec quelques marabouts foulbé du Dahomey, je n'ai pu que me trouver confirmé dans ces conclusions d'une étude plus approfondie.
•Je me souviens encore de la surprise que j'éprouvai à Fez en faisant la connaissance d'un sellier, commerçant assidu dans
14 PREFACE
la journée, et qui était apparu au regretté Henry Duveyrier comme moqaclde.m révéré des Tidjaniya.Moqaddem, certes il l'était, mais comme dans une ville pieuse d'Espagne, tel commerçant qui, sa journée ne travail finie, ira présider une récitation de litanies à la Vierge, devant un cierge hebdomadaire. Et cette fonction pieuse n'avait rien de commun avec la théorie du Tidjanisme universel, qui m'avait déjà laissé incertain naguère par la découverte, sous '''étiquette de moqaddem de Témacin, à la première mission Fiatters, d'un simple cavalier de malthzen intrigant et ivrogne. J'eus occasion de fréquenter à Rabat un autre moqaddem des Tidjaniya marocains et en constatant qu'il ignorait jusqu'au nom de son collègue de Fez, j'avais appliqué tout d'abord ia doctrine officielle, en supposant l'existence de branches dissidentes- Mais peu à peu il. m'apparut qu'en modifiant légèrement ia valeur des mots, on arrivait facilement, par quelques nuances d'appréciation, à une notion plus exacte des faits. Déjà au Soudan, les Tidjaniya locaux s'étaient montrés aussi complètement ignorants de l'existence des Zaouiya d'Aïne Mahdi et de Témacin,que, plus tard, je trouvai les marabouts de Témacin ignorants de tout ce qui concernait le Tidjanisme soudanien.
La conclusion à laquelle me conduisirent ces remarques, me paraît d'autant plus justifiée qu'elle est plus logique. Chef d'école, Si Ahmed Tedjini a eu de nombreux disciples qui ont à leur tour propagé ses enseignements, mais sans plus de rapports entre eux d'un pays à l'autre, que n'en avaient jadis., au moyen âge, sous une civilisation analogue, les disciples des grands prédicateurs cosmopolites, à la troisième génération. Professant tour à tour, au Maroc, en Algérie, en Egypte, au Hedjaz, il y a laissé des continuateurs de sa « voie » scholastique et rituelle, dont les successeurs s'ignorent entre eux et, séparés par J'espace, par le temps, sont étrangers les uns aux autres. Modifiant euic-
mêmes, au gré de leur inspiration, des besoins de leur concurrence religieuse, la doctrine initiale, ils se montrent sur un point favorables aux opinions libérales et sur l'autre intransigeants.
On les trouve groupés en Algérie, autour de zaouiya prin•jières. Au Maroc. leurs moqaddems ne sont plus que des présidents de petites confréries de paroisses. Au Soudan, au. lieu de moqaddem, ils ont à leur tête des Emir el Moumenin, des chefs d'empires nègres, et souvent aussi ne sont Tidjaniya que de vocable et de tendances générales. De l'un à l'autre, point de lien, ni de rapports de doctrine : une simple communauté cie nom original, de patronat hagîologique.
A côté de ces confréries pieuses et paisibles, il en est au Maroc d'er.ahées et puissantes comme celle des Aissaoua, qu'on retrouve <.r, Algérie et plus encore en Egypte, transformées en écoles de j o ngleurs i n oiï'onsi (s.
D'autres pourraient se comparer exactement aux associations de vétérans d'Allemagne, n'étant que des groupements comméinoratifs des anciennes guerres contre les Portugais et les Espagnols, tels les Cherkîya, ou atix sociétés de tir à l'arc, d'arquebusiers des Flandres catholiques, par exemple les Ramaiya.
A coté d'es ligues inoffensives, purement traditionnelles, il existe cependant aussi de véritables confréries au sens algérien du mot, ies Derkaoua de Medghara notamment, qui sont un spécimen remarquable de société religieuse organisée en vue d'une !i.ctio;i politique.
Toutefois, ce qui frappe surtout au Maroc, quand on étudie de près la société musulmane, c'est la prédominance absolue de l'élément chérifien.
Là, l'Islam, malgré la dissidence rituelle et politique, en même temps qu'ethnique qui, séparant ses adeptes de ceux :k- l'Est dévoués à d'autres étendards, l'a isolé de l'Islam égyptien, syrien et turc, par la reconnaissance d'un cheftem-
i6
PRÉFACE
porel, d'un caiil'e indépendant, conserve sa constitution primitive. Au-dessus de toutes les classes de la société, "celle des Cliorfa - reste l'aristocratie nobiliaire et privilégiée. C'est elle qui, comme toutes ies aristocraties, reste investie des prérogatives de la défense de la foi. Chorfa du Djebel Alem.de Ouezzau, duTafileJt, ses grandes familles ont le pas sur tous les autres partis qui s'agitent au-dessous d'elles. Riches ou pauvres, les Chorfa sont, pour l'empire marocain, l'élément actif que l'Algérie s'est habituée à redouter dans .les cheikhs et moqaddemsdes confréries. Et cela est tellement vrai qu'au lieu de se contenter de la chaîne mystique, coutumière dans l'Est, d'une selsela qui le relie doctri nairement, mystiquement au prophète, le cheikh el Triqa, le chef d'ordre, prélude à son enseignement en s'assurant d'une généalogie c.hérifienne. La noblesse de sang est la condition préalable delà sanctification mystique, qui passe ainsi au second rang.
Au lieu donc de prendre comme absolues les conclusions de l'École algérienne, il faut les considérer comme n'ayant qu'une valeur relative. A peu près exactes en Algérie, non comme énoncé, mais comme résultante, elles ne doivent pas ailleurs être prises au pied de la lettre.
Je tenais, en. revenant après un. long intervalle à mes études antérieures sur l'Islam, à préciser comment mes vues sur cette question se sont modifiées par un examen plus étendu, non seulement parce que je pense avoir été trop formel dans le développement d'un principe qui demande à être envisagé avec des nuances d'interprétation, mais aussi parce qu'à mon sens, pour bien comprendre ce qu'est l'Islam, il faut faire exactement la part desinfluencesgénérales dont.il procède, et de ses moyens . d'action, de propagande, qui se rattachent à ces influences sans en. relever directement. C'est à cette condition seulement qu'on peut suivre avec une certaine exactitude son évolution, d'autant
PREFACE 17
plus complexe qu'elle dépend en même temps de facteurs religieux, doctrinaires et d'éléments ethniques, qui se combinent entre eux.
On serait dans l'erreur en n'envisageant ia question musulmane au Soudan qu'au point de vue historique et politique. On Je serait également en la jugeant uniquement religieuse. Et c'est pour ce motif" qu'il ne faut pas en aborder l'examen avec des idées trop systématiques, trop exclusives.
1SUM
PREMIÈRE PARTIE
TERRES. — PEUPLES. — CROYANCES
CHAPITRE PREMIER
PAYS ET SOL
RÉGION SAHARIENNE
En remontant le Sénégal, on ne constate pas une différence appréciable entre l'aspect du pays sur les deux rives, quoique le fleuve sépare les tribus maures du Nord et les peuplades nègres du Sud. Les mêmes marigots de palétuviers, les mêmes terres d'inondation, les mêmes fourrés de gommiers, de lianes, se succèdent à droite et à gauche. Cependant, les vents secs et brûlants du Nord-Est donnent bientôt l'impression d'un régime climatérique, d'une constitution du sol tout autres dans cette direction, qu'en sens opposé.
Vers le Nord, en effet, au delà d'une bande alluviale, assez large près de l'embouchure du fleuve, et qui décroît graduellement d'étendue en amont, pour disparaître à partir de Bakel, le terrain s'élève peu à peu en une vaste plaine ondulée. Dès les berges de la vallée, elle offre des lignes de hauteurs continues telles que le Tessagert et les plateaux d'Assaba, du Tagant. Là,; sous l'action des pluies tropicales qui se fait encore sentir, la végétation est relativement vigoureuse, quoique caractérisée déjà;
20 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
par la prédominance des miniosées. De même, les bas-fonds transformés en marais, les petits lacs, les ruisseaux ne sont pas rares. Mais plus arides et nues, les vastes plaines qui s'étendent entre ces hauteurs et au delà vers la cote, ont déjà, pendant la saison sèche, un aspect saharien. Si l'ensemble du pays conserve cependant par 'son régime hydrologique, par sa flore et sa formation géologique, de nombreux points de ressemblance avec les régions du Sud, il n'en est pas moins zone de transition. Dans le Tessagert, le Tagant, on trouve encore les grès siliceux, les quartz, les dépôts ferrugineux du Haut-Sénégal ; plus au Nord les roches paléozoïques affleurent dans le massif de l'Adghagh et jusqu'à la côte de Rio de Ouro. Là commencent à paraître les sables, les grandes dunes qui accentuent la stérilité naturelle d'un sol peu fécond par lui-même, et rarement arrosé. Aux lacs, aux marais du Tessagert, du Tagant, se substituent les oasis isolées de l'Adghagh.
Ce n'est pas là toutefois la véritable solitude saharienne. Elle ne se montre qu'à l'Est, avec les terrains dévoniens, entre Aine Berka et Ouadan. De ce côté, l'infertilité absolue du Sahara justifie son nom. Les grandes dunes de Moghtir et d'Iguidi, celles du Ouaran, et la dépression désolée du Djouf, avec sa hamada, ses rochers de sel, forment aux régions précédentes une ceinture naturelle, dont la limite méridionale est la longue vallée desséchée de Oualata.
Au sud de cet ancien lit de quelque fleuve disparu, peut-être d'un cours principal du Sénégal, s'étendent jusqu'au Kaarta, au Bakhounou, les plaines ondulées d'El Hodh, qui rappellent l'Aftouth de Tagant et offrent, elles aussi, des points d'eau, des pâturages souvent abondants.
Telle que se trouve ainsi divisée en zones d'aspects divers, la contrée qui s'étend au nord du Sénégal, elle offre ce caractère général de ne présenter qu'un petit nombre de points propres à
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la création de centres de peuplement. Sauf Oualata, qui par sa situation sur une vallée fertile, a pu acquérir un certain développement, il n'existe dans le Tagant, l'Adghagh, que de petits ksour, des oasis isolées. Seule une population nomade pouvait vivre dans ces vastes espaces, trouvant au Sud, pendant la saison sèche, la nourriture nécessaire à ses troupeaux, et s'enfonçant dans les solitudes du Nord, soit pour y mener une existence plus indépendante, soit pour fuir les pluies de l'hivernage, dès que les plantes sahariennes commencent à reverdir.
C'est l'habitat naturel des tribus errantes, métissées de sang arabe et berbère, pillardes, farouches.
REGION COTIERE
Bien que la partie septentrionale de la région côtière offre plus d'une ressemblance avec les territoires qui longent au Nord le Bas-Sénégal, déjà la différence s'accentue. On pourrait établir plus d'une comparaison entre les plaines sablonneuses du Cayor et celles du pays desTrarza. De même le désert du Ferlo entre le Djolof et le Foutah-Toro, n'est pas sans analogie avec l'Aftouth. Mais au sud du Sénégal, le régime des pluies tropicales, de l'hivernage, est nettement établi. Si le sol offre les mêmes caractères, le climat n'est plus le même sur les deux rives de la vallée.
D'ailleurs, sauf quelques affleurements de rochers tertiaires localisés sur le littoral même et limités à la latitude de Dakar, les alluvions récentes forment toute la bande côtière. C'est là que se sont creusés les immenses estuaires, qui semblent donner aux plus petits cours d'eau l'aspect de grands fleuves, et ne sont souvent que de simples fiords, ou des lagunes. Le Saloum, la Gambie, la Cazamance, le Rio-Geba, le Rio-Grande, le Compony,ila Dubrèka, les Scarcies, la Rokelle, le Sherboro, le Soulima,
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la rivière Saint-Paul, échancrent ainsi largement les côtes. Mais le sol ne tarde pas à se relever vers l'intérieur. A quelques centaines de kilomètres de l'Océan, se dressent les hauts plateaux du Foutah-Djallon, dont la charpente granitique présente une succession de reliefs étages. Vers l'Ouest, ses assises inférieures sont recouvertes de dépôts à travers lesquels percent non seulement les granits eux-mêmes, mais aussi des roches plus anciennes, telles que le grès jaspé, ou des roches de métamorphisme, comme le porphyre amphibolique. Elles supportent ainsi un épais manteau de grès micacés, ou de grès plus récents, d'arkose même, puis de schistes argileux et micacés. Superficiellement, ces dépôts sont eux-mêmes revêtus d'une calotte de grès ferrugineux, qui se retrouvent çà et là, jusqu'au bord de l'Océan, à Konakry par exemple. P Mais presque partout l'humus est riche et profond. Partoutaussi, outre les pluies de l'hivernage, les hauts plateaux fournissent une masse énorme d'eau, que drainent tous les fleuves et d'innombrables ruisseaux, leurs affluents.
Cest donc là un pays naturellement fertile, propre à recevoir une population nombreuse, sédentaire et agricole. Puis la division du sol par ses accidents, les rivières larges et profondes qui le sillonnent, les terrasses qui dominent les plaines, y favorisent la formation de petits Etats isolés les uns des autres, indépendants et constitués avec une certaine vitalité. Enfin, par la configuration du réseau hydrographique sur le littoral, les habitants de ces régions se trouvaient amenés à entrer de bonne heure en relations avec les peuples européens, à contracter par leurs rapports avec ceux-ci des habitudes commerciales. Indépendamment d'une aptitude climatérique, la race indigène devait ainsi offrir ou acquérir des caractères ethniques tout autres que ceux des peuplades sahariennes. Elle devait se grouper en petits districts, s'adonner à la culture, au négoce.
L
PAYS ET SOL
RÉGION DES HAUTS PLATEAUX
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Au Nord, la région des hauts plateaux est limitée par les vallées supérieures de la Gambie et de la Falémé. Vers le Sud-, elle s'étend parallèlement à la côte, jusqu'au Bas-Niger, au-dessus du golfe de Guinée. Ses caractères essentiels, sa configuration et sa constitution semblent être partout les mêmes. Ces hauteurs représentent une zone de relèvement des roches graniques, qui sans affleurer, hors de quelques points, de sommets isolés, forment une charpente dont le relief général dépasse 5oo mètres, et atteint parfois 800 à 1,000 mètres. Cette ossature est recouverte d'une carapace de grès siliceux, de poudingues, de jaspe, puis çà et là de schistes parfois argileux. Superficiellement s'étale un sédiment ferrugineux où les hydrates de fer se trouvent unis tantôt à la silice presque pure, tantôt à une proportion d'alumine comparable à celle de la beaucite.
La superposition de ces roches granitiques, des grès, des sédiments ferrugineux, donne au pays un caractère nettement rocheux et montueux, bien que la dénivellation des reliefs soit peu importante. S'il existe çà et là quelques plaines, dans la vallée du Bafing par exemple, de son affluent le Téné, au Foutah-Djallon, dans le bassin de la Gambie, de la Falémé, elles n'ont jamais qu'une faible étendue. Bordés à l'Ouest par des terrasses qui dressent au-dessus de la zone côtière de hautes falaises, à l'Est par des chaînes qui ont l'aspect de sierra, ces hauts plateaux offrent en général l'aspect d'une succession de collines pierreuses et d'étroits vallons, profonds et fertiles. Sur les sommets,la végétation est toujours peu puissante, malgré les grandes herbes que fait pousser l'hivernage, et quoique la flore arborescente y soit représentée par de nombreux spécimens. Dans les vallées, au contraire, la végétation est exubérante et la terre, d'une fécondité merveilleuse, se prêterait à toutes les cultures.
24 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
Mais l'étendue des terrains laissés disponibles par les sédiments ferrugineux, est relativement peu considérable. D'autre part, le climat plus tempéré que celui des régions voisines se prête à l'élevage, que favorisent aussi les pâturages forestiers des collines.
On doit donc s'attendre à trouver dans les hauts plateaux une population différente à beaucoup d'égards de celle du littoral. La distinction des races se trouve d'ailleurs accusée par l'isolement qu'a favorisé la configuration du sol dans la première région, par l'esprit d'indépendance qui s'est ainsi développé chez ses habitants. Il n'en résulte pas cependant pour ceux-ci une homogénéité politique telle qu'on pourrait le supposer. Là terrasse qui sépare le Soudan du versant atlantique se trouve en effet divisée elle-même en nombreuses régions, contiguës, mais distinctes, et souvent séparées par des frontières naturelles: cours d'eau ou chaînes montueuses. C'est ainsi qu'au nord du Foutah-Djallon, la grande province de Labé, enserrée entre les cours supérieurs de la Gambie et les premiers affluents du RioGrande, est presque indépendante du district central de Foukoumba et de Timbo. De même, les cantons de Koïn et de Kolen sont isolés, le premier entre la Falémé et le Bafing, le second entre cette rivière et le Téné son affluent. Au sud du FoutahDjallon, le bassin de la Scarcie de Falaba forme seul le Soulima. Plus loin la Rokelle et le Bampannah marquent les bornes du Kouranko.
Tout le massif de soulèvement qui forme la ceinture du Soudan, offre donc des caractères communs qui ne permettent pas de confondre les pays qui l'occupent avec ceux de l'Est ou de l'Ouest. Mais si ses habitants vivent dans un même milieu, si sa population doit nécessairement différer des races limitrophes, il n'en résulte pas qu'elle doive aussi présenter une complète unité de groupement. Au contraire, elle se trouve naturellement ré-
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partie en cantonnements dont chacun est isolé des autres, au même titre qu'ils le sont tous des régions voisines.
REGION DU HAUT-FLEUVE
La région du Haut-Fleuve emprunte son nom à celui qu'a eu tout d'abord notre établissement du Soudan. On peut, au Nord, lui rattacher les pays du Kaarta, du Bakhounou. Elle embrasse tout le bassin supérieur du Sénégal et de ses affluents jusqu'aux terrasses inférieures du Foutah-Djallon, et s'étend vers le Sud jusqu'à la vallée du Niger. Dans cette direction on peut la considérer comme limitée par ce fleuve et par le Tinkisso.
C'est là, à tous égards, une zonede transition. Au point de vue topographique, elle offre une succession de plateaux peu élevés qui s'abaissent graduellement, ou tout au moins s'effacent, du Sud-Ouest au Nord-Est. Puis, par ses cours d'eau, elle sert de passage naturel entre le Soudan occidental et les régions sahariennes .
De ce dernier caractère, doit résulter une absence complète d'homogénéité ethnique chez ses habitants. Dans cette large voie ouverte à toutes les invasions, les races se sont superposées, sans jamais se fixer définitivement au sol. Celui-ci, d'ailleurs, estloin d'offrir à l'établissement d'une population stable toutes les ressources qu'on pourrait croire. Le terrain présente deux étages uniques, du Foutah-Djallon au Baoulé : des plateaux, tabulaires le plus souvent, et où dominent en général les grès siliceux ou les schistes, puis les plaines intermédiaires, qui se confondent avec les vallées. Le même dépôt récent des hydrates de fer siliceuxetalumineux, qui s'étend sur le Foutah-Djallon, sur la bande littorale, se retrouve ici encore, et avec une puissance superficielle beaucoup plus grande. L'humus n'affleure donc que partiellement. Bien que les plateaux tabulaires eux-mêmes ne soient
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pas dépourvus d'une végétation qui, sous la double influence du soleil et des pluies tropicales, prendracineen quelque sorte dans la pierre même, les bas-fonds seuls et quelques plaines d'inondation soit de l'époque actuelle, soit d'un âgepeu reculé, offrent une végétation toujours puissante. Ailleurs, la brousse avec l'immensité monotone de ses maigres futaies et de ses grandes herbes d'hivernage, couvre seule un terrain rocailleux.
C'est au delà du Baoulé seulement, dans le Bélédougou, le Bakhounou, le Kaarta que le paysage prend un aspect autre. Les terrasses tabulaires disparaissent, sauf au voisinage du Niger. L'alumine joue un rôle plus important dans l'économie du sol, au détriment de la silice. Les plaines s'étendent vastes et couvertes de forêts, où vivaient encore récemment les grands fauves, les éléphants. Moins accentué vers l'Ouest, au voisinagedesîlots de roches métamorphiques du Felou, de Gouina, de Rilly, qui forment, par des chutes puissantes, les biefs du Sénégal, ce caractère s'accuse vers l'Est, du Bakhounou à la vallée du Niger. Là quelques ondulations de terrain forment, jusqu'à la limite des pays sahariens, un Sahel riche, fertile, où les chevaux trouvent sur un sol léger sablonneux, les conditions d'existence qui leur font défaut dans le Haut-Fleuve. Le chameau même y prospère. C'est donc à la fois un pays d'élevage et de cultures, fort différent des bassins proprement dits du Baoulé, du Bakhoy, du Bafing. Mais la richesse même de ces territoires les a exposés de tout temps aux guerres de conquêtes, et là non plus, les races indigènes n'ont pu trouver d'asile définitif.
Ces caractères mêmes du Kaarta, du Bakhounou, rendent plus sensible encore le rôle dévolu aux districts avoisinants du Sud, où, à défaut du cheval, du chameau, peuvent prospérer les boeufs, les moutons, les chèvres. La population y est exclusivement sédentaire, mais ne tire du sol qu'une partie de son alimentation et demande le reste à ses bestiaux,
PAYS ET SOL 27
En résumé, pays relativement pauvre entre le Baoulé, le Niger et le Bafing ; pays fertile en pâturage, fertile comme sol de labour, au nord du Baoulé, telle est la caractéristique de la région du Haut-Fleuve, telle qu'elle résulte de sa configuration et de sa constitution géologique. Mais c'est là partout une zone de passage ou un champ de conquête. Et plus encore que les conditions ethniques ou climatériques, les invasions ont imprimé à ses races un cachet indélébile: celui d'un produit hétérogène de remous ethniques sans cesse renouvelés.
RÉGION SOUDANIENNE
La région soudanienne qui, comprenant la vallée du Niger, jusqu'au sommet de sa bouche septentrionale, englobe le bassin supérieur du fleuve jusqu'aux plateaux du Kouranko et de Kong, puis s'étend à l'Est au delà du méridien de Timbouctou, peut se diviser en trois zones distinctes : vallée et bassin du Niger Moyen ; bassin du Haut-Niger; puis une troisième embrassant les vallées supérieures des affluents du golfe de Guinée, et confinant au Dahomey, au Togoland, aux pays de Cap Coast, à la Côte d'Ivoire.
1. Vallée et bassin du Niger Moyen.— On peut considérer le territoire ainsi défini comme commençant un peu en aval de Bammako, au point où devient libre la navigation du fleuve. Le long de cette vaste artère,, s'échelonnent des cités populeuses dans le passé ou dans le présent : Nyamina, Ségou, Sansanding, Djenné ; puis Bandjagara sur un affluent, et Timbouctou. L'existence de ces centres montre qu'il s'agit d'un pays tout autre que les précédents. Là, en effet, les alluvions récentes ne sont plus empâtées au même degré de dépôts siliceux en roches, bien que les hydrates de fer s'étendent fort loin vers le Nord. Aux terres alumineuses, succèdent les sédiments arénacés. Les unes et les
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
autres, dans le voisinage du Niger, sont largement fécondés par les inondations périodiques de ce Nil occidental. Toutefois, jusqu'au confluent du Mahel-Balével, en aval de Bandjagara, la vallée du fleuve se trouve souvent resserrée par les escarpements despetits plateaux côtiers qui forment ses berges. Elle n'a parfois pas plus d'un kilomètre de celles-ci au thalweg, du côté du Bélédougou surtout, où se prolongent les terrasses d'où sort le Baoulé.
Au delà du confluent du Mahel-Balével, la plaine du Niger s'étend au contraire fort loin, presque sans discontinuité, sillonnée de bras latéraux du cours principal, offrant même de vastes dépressions où s'accumulent les eaux, comme le lac Debo. Le régime des marigots, caractéristique des alluvions de la côte, reparaît dans cette région, sous une forme analogue : celle de canaux innombrables, creusés par les crues, et qui deviennent autant de lits entre lesquels se répand toute la masse aqueuse drainée dans le Soudan.
Mais à quelque distance de la vallée, ainsi représentée par un thalweg à branches multiples, plutôt que par un thasohl déterminé, le pays prend un aspect tout autre. Il semble qu'une poussée granitique ait refoulé vers le Nord le cours du fleuve, déterminé la vaste boucle qu'il décrit du Macina au Gandho. Çà et là en effet, dans l'axe de cette courbe, pointent les affleurements d'une arête de gneiss, de granits, comme aux monts Hombori.
Au nord de ces massifs isolés, commencent déjà les solitudes désertiques des plaines dévoniennes, à peine coupées par une bande de verdure dans l'Aribinda, le long du fleuve. Le pays est tel déjà qu'aux abords de Timbouctou : nu, stérile, et malgré la présence de quelques forêts de mimosées, propres tout au plus à la pâture. C'est le domaine naturel des tribus nomades peu nombreuses, vivant avec leurs troupeaux de chameaux, de moutons,
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leurs chevaux, et se déplaçant pour se maintenir à proximité des points d'eau, des lacs temporaires souvent taris.
Entre cette région désertique et celle de Ségou, de Sansanding, la double vallée du Niger et du Mahel-Balével, s'étend un territoire dont le type sahélien rappelle celui du Bakhounou, du Kaarta. Là aussi peuvent vivre des peuplades plus denses, s'occupant à la fois d'agriculture et d'élevage.
On voit donc, en résumé, que la zone du Niger moyen offre divers caractères ; à son extrémité septentrionale, elle est nettement saharienne et ne convient qu'à des races errantes. Au centre, elle peut recevoir une population à laquelle ne conviendraient parles conditions climatériques du Soudan proprement dit, une race semi-sédentaire, possédant des chevaux, des chameaux, des boeufs. Au Sud, son aspect se rapproche de celui des pays déjà décrits. Mais la vallée du fleuve a, par places au moins, une fertilité plus grande. Puis c'est là encore une direction de transit entre le Soudan et le Sahara. Ses marchés, alimentés par le trafic lucratif de la traite, le seul négoce d'exportation de ces contrées, peuvent être d'autant plus populeux que leurs habitants trouvent à se nourrir des produits du sol. Cette dernière région d'ailleurs, ne saurait, par sa situation même, avoir un autre caractère ethnique, que les districts voisins de l'Ouest. Là aussi, les migrations, les invasions trouvent une voie naturelle, chacune y laisse quelques traces de son passage. 2. Bassin du Haut-Niger. — Il suffit de jeter un coup d'oeil sur une carte d'Afrique, pour saisir le trait distinctif du bassin du Haut-Niger. L'éventail des cours d'eau qui le drainent, des affluents supérieurs du fleuve, constitue en quelque sorte une figuration graphique qui permet de déterminer aisément ses caractères.
La ceinture du bassin est formée par la chaîne de hauts plateaux qui se prolonge du Foutah-Djallon aux Kong, parle Sou-
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
lima, le Kouranko, le Voukkah. Cette chaîne, moins bien connue dans les parages de Musardou, sur plusieurs degrés de longitude, paraît, dans cette région, avoir un relief moindre qu'à ses deux extrémités. Sa structure géologique semble cependant uniforme, autant qu'on en peut juger par les recherches de Bohlen, dans la partie orientale du Libéria, de M. Chaper, dans le territoire de Grand-Bassam. Le premier, à Gedéyé, a retrouvé les hydrates siliceux de fer du Soudan, et le second a vu au pied des falaises de Sassandra, de Langdou, les grès siliceux du Nord, colorés, çà et là, par l'oxyde de fer.
Comme dans la région du Haut-Sénégal, le bassin supérieur du Niger offre une succession de plateaux peu élevés, s'abaissant graduellement du Nord au Sud. A partir du Ouassoulou, ces plateaux ne forment plus que de faibles collines, dont le relief ne s'accuse que dans le voisinage des cours d'eau par la dépression des vallées. Ils conservent cependant leur caractère général, qu'accentue çàetlà quelque massif à falaises verticales, témoins laissés par les érosions des âges antérieurs.
Vallées limoneuses, fécondées par des crues annuelles, et plateaux étages, à peine ondulés, si bas dès le 10e degré de latitude, qu'ils pourraient sembler une immense plaine, tel est donc le double type très uniforme de cette vaste contrée.
C'est là, en tout cas, une région nettement tropicale, sinon par sa végétation, vigoureuse le long des cours d'eau, plus clairsemée dans les intervalles, du moins par son climat, par l'influence du soleil et des pluies d'hivernage. A ses peuples, une adaptation spéciale était donc nécessaire.
Ce premier point acquis, il convient de remarquer que la nature même du pays ne le dispose pas à recevoir une population en rapport avec son étendue. Les vallées sont autant de zones de peuplement. En dehors, la brousse semble exclusive des cultures, par sa présence même, qui dénote une infécondité
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relative. La constitution géologique n'est pas en eîfet différente Je celle des régions voisines : de rares affleurements de roches granitiques, des assises de grès anciens, et partout des dépôts ferrugineux, tels en sont les caractères essentiels.
Toutes ces causes combinées, conduisent à admettre que les peuplades indigènes doivent nécessairement s'appliquer aux travaux de culture, tout en pouvant posséder un faible cheptel. Elles impliquent aussi une homogénéité plus marquée de la race locale, au moins dans ses traits généraux. Mais l'habitat de cette r;v;c, largement ouvert au Nord et à l'Est, b laisse exposée, sinon aux migrations de passage, du moins à toutes les invasions, et ia soumet à 3a double éventualité d'un éfav anarchique, ou de grandes conquêtes.
REGION MERIDIONALE
Le long du'golfe de Guinée, au delà d'une zone d'alluvïons maritimes, marquée encore par les lagunes côtières 'et que dominent de leurs caps quelques soulèvement;; poussés jusqu'au rivjge, le platesu soudanien. se relève vers l'intérieur, par des Punies, en général moins accusées que dans l'Ouest, parfois noif.bles encore. Les fleuves côliers s'y tracent des parcours torrentueux, dont les rapides sont presque ensevelis sous les' ombrages puissantsdesforêts voisines.. Celles-ci s'arrêtent comme grandes masses à la limite du plateau centrai, dans lequel ies fisuves littoraux coulent d'abord au milieu de vastes plaines ouvertes et fertiles : celles de la Haute-Como, du Volta supérieur, et des cours d'eau moindre du Togo, du Dahomey. .
Là se sont massées, dans le Ouorodougou, ies pays de Salaga et de Kong, dans le Mossi, des populations denses, arrêtées dans leurs mouvements ethniques par l'obstacle que leur opposaient celles de ia région maritime, entamées par les remous des
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peuples du Nord, et se rattachant surtout à l'influence d'une pénétration septentrionale.
Ce caractère même définit leur situation générale : les uns., moins résistants, ont subi l'action dominante du Nord, comme dans la région de Kong; les autres, plus compacts, ont résisté comme dans le Mossi.
Mais à une époque déjà contemporaine, au mouvement venant du Nord, s'est ajoutée Ja poussée des Peul de J'Est. Puis récemment, actuellement, les barrières qui séparaient ces pays de ceux du golfe de Guinée ont commencé à tomber peu à peu devant la conquête européenne. De sorte que les influences de ia civilisation côtière, très notables, en raison des progrès de ia transformation commerciale des races de la côte, vont peu à peu se faire sentir jusque-là.
Sédentaires par leur habitat, mieux désignées par la nature du sol pour les travaux agricoles, les peuplades du Soudan méridional entrent directement dans l'orbite du mouvement commercial si actif de la zone atlantique. Non moins que les troubles résultant de l'exode final de Samory dans le Ouorodougou, et qu'en sens contraire la pacification résultant du. partage politique maintenant accompli, ces conditions impliquent, pour les sociétés nègres de ces régions, une évolution moderne un peu différente- de celle de leurs voisins du Nord,
CHAPITRE II
LES RAGES ET LEUR HISTOIRE I. — RÉPARTITION ET HISTOIRE GÉNÉRALES
L'habitat des races soudaniennes est limité par le cours du Sénégal jusqu'au Kaarta, puis par la vallée du Niger jusque vers Say.
Deux races principales forment un groupe saharien, soit par tribus de sang pur, soit par tribus de métisses, la race arabe et la race berbère. Mais ce groupe compte en outre de nombreux représentants des races nègres : esclaves, harratins, descendants d'esclaves affranchis, et immigrants volontaires; puis quelques fractions des Songhaï, autochtones sur les marchés du Soudan, et maintenant refoulés comme masse principale à l'est du Niger. A ces éléments essentiels, s'ajoutent un petit nombre d'indigènes du Touat, rattachés en général au rameau berbère, mais qui appartiennent plus probablement, comme les Chelouh,à une famille distincte ; enfin, des juifs marocains et peut-être quelques fractions de ce même peuple, issues de tribus hébraïques d'Arabie. Mais au début de la période historique qui s'ouvre avant l'ère musulmane, les Songhaï et les Berbères seuls se trouvaient en présence dans ces régions, cantonnés ceux-ci au nord du Niger, ceux-là sur le fleuve et au sud, soit seuls, soit déjà en mélange avec les Mandé.
Pour bien comprendre les origines historiques du Soudan, il faut, semble-t-il, se reporter comparativement aux annales primitives de l'ancienne Egypte. Dans des conditions de climat, de
ISLAM. 3
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milieu analogues, on y trouve, dès les temps les plus reculés d'une histoire qui remonte fort loin avant notre ère, la race nègre cantonnée dans la zone des grandes pluies tropicales, et l'avoisinant au Nord, une autre race, africaine, pour nous, puisque nous en ignorons la provenance et qui semble l'être effectivement puisque nous ne la rencontrons pas ailleurs : celle des Egyptiens proprement dits,tels que la définissent ethnographiquement les stèles pharaoniques et sa descendance copte.
Entre cette race,voisine des races blanches, non seulement par le faciès et la structure, mais aussi par les aptitudes intellectuelles, et les races nègres, des conflits incessants se produisent séculairement. Tantôt les Égyptiens subjuguent le Soudan noir, dont l'histoire disparaît alors dans la leur. Tantôt les peuples soudaniens réagissent, et non seulement constituent des sociétés indépendantes, relativement cultivées grâce aux conquêtes antérieures des Égyptiens dans leur propre habitat, mais en franchissent même les limites, et envahissent l'Egypte, où, au temps des invasions asiatiques, ils interviennent en défenseurs victorieux de la collectivité africaine.
Si dans le Soudan occidental, l'histoire, dont les débuts remontent seulement à l'Islam, n'a pas conservé le souvenir de grandes oscillations politiques et ethniques de même ordre, aux âges antérieurs, il n'en est pas moins vraisemblable que pour les mêmes causes que dans l'est, deux populations se sont trouvées juxtaposées primitivement dans la région soudanienne.
A côté des Berbères, qui correspondent relativement aux Egyptiens, par leur civilisation plus avancée que celle des nègres, se trouvaient des peuplades inférieures. Et lorsque l'histoire nous montre brusquement une dynastie songhaï détruite par les Berbères, il ne faut pas voir dans cet événement une invasion, un bouleversement général sans précédent, mais seulement la résultante périodique d'une lutte constante, entre deux éléments
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 35
mis en présence l'un de l'autre parla nature même, par les conditions de soi et de climat, aux confins des deux zones climatériques distinctes. Dans le cas du Soudan occidental, l'Egypte n'intervient d'ailleurs que figurative ment, car si la race berbère a eu, au IIe siècle de notre ère, une floraison remarquable, rien ne prouve que ses représentants soudaniens aient dès alors évolué comme leurs frères du Nord.
Leur habitat même le rend peu probable et c'est précisément parce qu'il est impossible qu'ils n'aient pas conservé dans leur domaine saharien les allures de peuplades sahariennes, qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre la comparaison de l'histoire du Soudan égyptien avec celle du Soudan occidental. Ce qui semble probable seulement, c'est queles populations nègres delà partie septentrionale du Soudan de l'ouest, ont dû au contact de la race voisine, plus élevée dans l'ordre du développement normal de l'humanité, de s'élever de meilleure heure au-dessus de la condition inférieure des tribus primitives.
Peut-être aussi, d'ailleurs, s'était-il produite la lisière du Soudan, une diffusion delà civilisation égyptienne, comparable au mouvement islamique de la deuxième invasion.
En tout cas l'histoire du Soudan occidental s'ouvre, par celle des Songhaï, sur la prédominance politique de cette race nègre, et sur ses démêlés avec la race congénère des Mandé pour continuer par l'intervention des Berbères islamisés et aboutir progressivement à la subordination sociale de l'élément nègre aux éléments non soudaniens.
II. — SONGHAÏ
Trois siècles avant l'Hégire, il existait un royaume Songha de Ghana, dans le pays où s'est depuis élevée la ville de Timbouctou. Peut-être un autre État de la même nation s'était-il
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dès cette époque fondé plus à l'Est. Il semble cependant par la similitude des annales que leur attribuent les chroniqueurs arabes, que ces deux empires n'en formaient en réalité qu'un seul fractionné par la suite. En tout cas, l'histoire des anciens Songhaï, subjugués plusieurs fois, et même avant l'Islamisme, par leurs voisins du Nord les Berbères, s'arrête au XIe siècle (VIIe de l'Hégire), sauf pour une branche peu nombreuse qui conserva son indépendance jusqu'au siècle suivant.
Il se produisit pendant cette période, soit une progression locale, soit une poussée des peuples soudaniens, qui amena sur le Niger moyen, avec un nom et un rôle, les Sousou d'abord, et ensuite leurs congénères Mandé, les gens de Melli, de Mali, les Malinké.
Ce furent les Sousou qui au XIe siècle détruisirent l'empire de Ghana. Cent ans plus tard, ils durent émigrer au Sud-Ouest, vers l'Océan, chassés par les Melli qui se substituèrent alors aux derniers souverains Songhaï, déjà, semble-t-il, sous leur influence par des alliances de famille.
Les nouveaux venus fondèrent ou occupèrent Timbouctou peu après sa fondation, au XIIIe siècle, et étendirent leur autorité jusqu'en Sénégambie. Malgré des luttes intestines et des guerres malheureuses qui compromirent souvent leur puissance, leur empire subsistait encore au milieu du XVe siècle. Mais déjà, vers i33o, une partie des Songhaï avaient secoué le joug. Les Berbères de leur côté ne tardèrent pas à entrer en scène. En 1433, une de leurs fractions, les Touareg-Mochcharen, s'empara de Timbouctou. Ce fut le signal de la chute définitive du royaume des . Melli qui émigrèrent à leur tour sur les traces des Sousou.
Les Songhaï refoulèrent les Touareg au Nord et redevinrent maîtres exclusifs de leur pays d'origine. Cette période est la plus brillante de leur histoire. Un de leurs chefs, Askia, étendit ses conquêtes fort loin vers lé Soudan central et, en 1492,
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fonda Gogo, bientôt capitale d'un vaste royaume. .Toutefois, cette prospérité ne fut pas de longue durée. A la fin du XVIe siècle, après une première tentative infructueuse, une armée marocaine, composée en partie d'Andalous, mit fin au pouvoir des successeurs d'Askia.
Sous le nom de Rouma, les descendants de ces conquérants conservèrentle pouvoir jusqu'aux dernières années du XVIIIe siècle, sinon dans tout le pays Songhaï, du moins sur le cours du Niger. Mais de nombreux métissages avec les tribus indigènes avaient peu à peu effacé leur souvenir et les traces de leur origine. Leur autorité disparut en même temps, et toute la contrée qu'ils avaient occupée, tour à tour envahie par les Touareg du Nord et les Manding du Sud, s'était divisée en petits États indépendants, lorsqu'en 1826, les Peul du Macina réussirent à englober dans leurs possessions, Timbouctou et les régions avoisinantes. La domination Peul fut d'ailleurs éphémère. Elle cessa à la mortd'El Hadj Omar, et les Touareg réoccupèrent définitivement les deux rives du Niger, au nord du Macina.
Pendant les derniers siècles, les Songhaï avaient en grand nombre émigré à Gogo et dans l'Est. Ils forment encore dans le Djermah, à l'est du Niger, entre Sansanné Haoussa et Say, un élément notable de la population des castes inférieures auxquelles ils appartiennent de ce côté, leurs familles princières s'étant au contraire réfugiées dans le Kourouma, à l'ouest du Niger où elles occupent les deux villages de Téra et Dargol, avec quelques colonies de vassaux pillards dont les bandes opèrent jusque dans le Yatanga, le Gourounsi et le Mossi.
C'est une race déchue comme influence, mais qui mérite d'être mentionnée en raison de son ancienne importance, quoique dans la région du Niger septentrional elle ne joue plus aucun rôle.
L'histoire du peuplement de cette contrée peut ainsi se résumer en quelques mots : les Songhaï, aborigènes historiquernent, sont
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
subjugués par des tribus soudaniennes qu'ils finissent par chasser puis disparaissent à leur tour comme nation sous la conquête marocaine. A celle-ci succède une période d'anarchie qui se termine par l'occupation des Peul, remplacés à l'époque moderne par les Touareg, qui eux-mêmes sont maintenant refoulés au Nord par les sédentaires, grâce à la conquête française.
En adoptant ainsi dans sa structure générale, l'histoire des Songhaï telle qu'elle résulte des annales arabes, comme sensiblement exacte, on s'expose aux controverses basées sur les conjectures linguistiques très ingénieuses qu'a développées M. Binger, dans ses intéressantes études sur le peuplement historique du Soudan.
Constatant que cette région est en majeure partie peuplée actuellement par les Mandé, grande famille divisée en rameaux multiples et que soit dans les noms des souverains Songhaï, soit même dans les faits historiques relatés par les auteurs arabes, on voit constamment apparaître les influences Mandé, représentées par les noms de ses principaux rameaux, tels que les Mandé actuels les désignent eux-mêmes, ou tels que les désignaient les écrivains musulmans, il tend à considérer l'existence d'un grand empire Songhaï comme une énigme, à moins de comprendre comme facteur principal et élément le plus puissant, la race Mandé.
Le fait même de la pénétration constante de l'histoire Songhaï par l'histoire Mandé n'est pas douteux. Il est très vraisemblable que, indépendamment des périodes pendant lesquelles les Songhaï primitivement maîtres des Mandé ont été dominés par eux, il s'en est présenté d'autres durant lesquelles, sans s'être substitués aux éléments Songhaï, les éléments Mandé ont excercé sur ceux-ci une influence accusée. Mais ce sont là des phénomènes historiques de même ordre que ceux qui ont abouti aux transformations successives des empires thébains, en Egypte.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE
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Ils atténuent le rôle propre des Songhaï dans la deuxième partie de leur existence nominative sans cependant supprimer l'idée générale qui s'attache à la désignation de leur empire par un terme évoquant l'existence d'une civilisation autre que celle des races purement Mandé, dans une région où le conflit des races dissemblables semble résulter comme conséquence naturelle des conditions mêmes de milieu.
III.
BERBÈRES
Contemporains des Songhaï, les Berbères ont, ainsi qu'on vient de le voir, conservé leur autonomie et étendu au siècle actuel leur autorité jusqu'au Niger, dans la partie orientale du Sahara qu'ils n'occupaient pas tout d'abord d'une façon permanente. Seuls habitants de la zone désertique et du Sahara occidental à l'origine, ils ont au contraire, à partir du XIe siècle, subi l'invasion de l'élément arabe, qui, sans détruire leur race, leur a imposé sa suprématie ethnique et politique.
La plus ancienne tradition conservée sur les origines berbères au Sahara remonterait à près de trois cents ans avant l'Hégire, à la fondation de la première dynastie de Ghana par un conquérant de race blanche, Ouagaïmagha. Mais c'est seulement au début de la conquête musulmane que remonte l'histoire des races sahariennes.
Dès l'an 62 de l'Hégire (682 J.-C), sous le deuxième commandement d'Okba, les armées de l'Islam avaient pris le contact des Berbères du désert, connus sous le nom générique de Sanhadja, et soumis au sud du Maroc actuel, une de leurs tribus, les Masoufa, de la grande famille des Lemta. Ce ne fut là toutefois qu'une invasion momentanée. Rappelé par l'insurrection des peuples du littoral méditerranéen, Okba dut revenir sur ses pas, et les Lemta recouvrèrent leur indépendance.
4° TERRES. PEUPLES. CROYANCES
Au sud de leur territoire habitaient alors d'autres nations Sanhadja, qui s'étendaient jusqu'aux confins du Soudan. Elles formaient elles-mêmes plusieurs peuplades, dont la plus anciennement connue est celle des Lemtouna.
A l'époque où commencent leurs annales, les Sanhadja du sud avaient embrassé l'Islam, sous le commandement de leur chef Tiloutan, originaire des Lemtouna, et mort en 837(222 L-C), qui à sa suite les entraîna dans des guerres lointaines contre les nègres fétichistes. Son deuxième successeur et petit neveu, Temyn ben el Athyr, fut tué dans une révolte générale des tribus qui se séparèrent. Mais un nouvel État berbère, dont la capitale était Aoudaghost, entre le Tagant et Oualata, ne tarda pas à acquérir une grande importance. Un peu après le milieu du IVe siècle de l'Hégire (Xe J.-C), un de ses chefs, le Sanhadji Tinézoua, étendait son autorité sur de nombreux rois nègres et au commencement du siècle suivant, tous les Berbères du Sahara méridional se trouvèrent de nouveau réunis sous un seul maître originaire des Lemtouna, qui périt dans une razzia sur les infidèles du Soudan. A sa mort une autre tribu, celle des Djeddala, conquit la suprématie.
Ainsi au XIe siècle, les peuplades Sanhadja du Sahara se trouvaient divisées en deux groupes principaux : les Lemta au Nord et les Lemtouna au Sud, qui comprenaient eux-mêmes plusieurs fractions déjà connues ; les Msoufa, les Djeddala et quelques autres moins importantes.
La conquête arabe du Nord de l'Afrique avait pendant les âges précédents traversé diverses phases, et en dernier lieu, les Berbères, recouvrant partout leur indépendance^ s'étaient substitués à leurs premiers maîtres.
Après avoir formé quelque temps une annexe de l'Egypte, le Maghreb avait été tout d'abord érigé en un gouvernement distinct. Il se divisa bientôt en plusieurs États indépendants dont
LES RACES ET LEUR HISTOIRE' 41
les deux plus importants, ceux des Aghlabites de Kairouan et des Edrissites de Fez, représentaient la suprématie de la race arabe à laquelle appartenaient leurs dynasties.
Mais dès l'an 140 de l'Hégire, une tribu berbère, celle des Mekneça, avait fondé la célèbre ville de Sidjilmassa, au sud du Maroc, et formé une principauté indigène. D'autres plus petites se créèrent de même sur plusieurs points, et peu à peu les révoltes des autochtones se multiplièrent, favorisées d'ailleurs par quelques chefs arabes qui voulaient eux-mêmes s'affranchir de toute suprématie. L'anarchie devint générale. Elle prit fin momentanément avec le triomphe ders Chiites Ismaéliya, des Fathimites, qui réussirent à implanter leurs croyances en Afrique en même temps qu'ils y établissaient leur autorité.
Les Aghlabites disparurent et les Edrissites se soumirent. En fl5o (IVe siècle J^C.), tout le Maghreb forma une vaste monarchie, obéissant à un seul chef Obéid Allah, le fondateur de la nouvelle dynastie. Il était, il est vrai, d'origine arabe, mais devait exclusivement son triomphe à l'adhésion, au concours de la race berbère.
Celle-ci, dans la révolution qui venait de s'accomplir, avait été représentée surtout par la tribu des Ketama, dont les fractions étaient dispersées dans la partie orientale du Maghreb. Elle devint toute-puissante.
Un autre peuple berbère, qui constamment, depuis les origines de la conquête arabe, avait lutté contre les envahisseurs, et auquel se rattachaient les Mekneça de Sidjilmassa, celui des Zenata, forma dès lors un puissant parti d'opposition contre les Ketama. Il entraînait à sa suite une peuplade vassale, celle des Haouara. De leur côté ses adversaires s'appuyèrent sur les Senhadja.
Dans les luttes qu'engagea la rivalité de ces tribus, les Ketama ne tardèrentpas à disparaître, et les Sanhadja se trouvèrent seuls
4-2 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
en présence des Zenata. Ils parurent un moment devoir rester maîtres de tout le Maghreb. Les califes Fathimites après avoir conquis l'Afrique, étendaient leur empire vers l'Asie et en 917 (361 J.-C), Moezz-ed-Dine, le calife régnant, au moment de s'acheminer vers l'Egypte, laissal'administration de ses premiers domaines au Senhadji Balkin ben Zizi. Mais l'autorité des Senhadja ne tarda pas à subir de graves échecs. Dès la fin du Xe siècle (J.-C), sous le règne du troisième émir Zéïrite, l'Afrique Barbaresque se trouva de nouveau divisée en trois États : dans l'ouest, l'émirat de Fez et de Sidjilmassa, soumis à l'influence des Zenata; dans l'est, deux royaumes Senhadja, s'étendant du Maroc à la Tripolitaine. Soumis jusqu'alors aux califes Fathimites, les émirs des Sanhadja, qui quoique longtemps partisans politiques de ces schismatiques, étaient restés orthodoxes, se rendirent indépendants en 440 (1049 J--C).
La race berbère redevint ainsi maîtresse exclusive de l'Afrique du Nord. Son triomphe ne tarda pas d'ailleurs à se trouver fort compromis par l'invasion arabe du XIe siècle, que le calife Fathimite d'Egypte, El Mestamer, déchaîna contre le Maghreb, pour punir sa défection.
Au même moment commençait dans les régions sahariennes un autre mouvement de migrations. A l'exemple des Berbères du Nord, qui, refoulés et vaincus par les Arabes, s'étaient révoltés et avaient fini par rétablir l'autonomie de la race, ceux du Sud se préparaient à entrer en scène, à venir eux aussi prendre part au gouvernement du monde musulman d'Afrique.
On a vu que les Sanhadja du Sahara méridional avaient successivement obéi aux Lemtouna d'Aoudaghost, puis aux Djeddala. Leur premier chef Djeddali, l'émir Yahia ben Ibrahim, était parti pour la Mecque en 427 H. (io35 J.-C), laissant le pouvoir à son fils. Quelques années après, il revint avec un thaleb nommé Abd Allah ben Yacin, disciple d'un savant
LES RACES ET LEUR HISTOIRE
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professeur de Kairouan, auquel il avait demandé un de ses élèves, pour enseigner les sciences religieuses chez les Djeddala. Bien que musulmans, ceux-ci étaient en effet fort ignorants des doctrines islamiques. Ils accueillirent mal les projets de réforme de leur ancien chef qui prit le parti de s'installer à l'écart, avec Abd Allah.
La renommée des deux solitaires ne tarda pas à se répandre au loin et le nombre de leurs disciples devint tel qu'ils purent bientôt entreprendre la propagande par les armes. En 440 H. (1049 J.-G.) les Djeddala furent vaincus et soumis. Puis ce fut le tour des Lemtouna. Vingt ans après tout le Sahara occidental subissait l'ascendant exclusif des « Morabethyn », nom qu'avait valu à Yahia et Abd Allah, leur Rabath, lieu de retraite.
A sa mort Yahia ben Ibrahim fut remplacé par un chef des Lemtouna, Yahia ben Omar, qui prit la direction des opérations militaires, Abd Allah se réservant l'autorité politique et religieuse. Après avoir successivement conquis Aoudaghost, alors indépendante et le Ghana, les Lemtouna s'avancèrent bientôt au Nord. Comme les Touareg actuels, ils portaient un voile qui les fit d'abord connaître sous le nom de « ElMolaththenin », les voilés, et cette particularité, leur aspect sauvage, s'ajoutant aux circonstances de leur arrivée, ils devinrent bientôt pour tout le Maghreb, un objet d'épouvante. Dès 446 H. (1054 J.-C.) leurs premières hordes avaient paru dans la région de Oued Drâa. De là, ils s'avancèrent sur Sidjilmassa, qu'ils prirent. Mais Yahia ben Omar qui les commandait, dut bientôf retourner dans le désert, et les Zenata se soulevèrent. En même temps les Djeddala se révoltaient de leur côté.
Pour faire face à ce double danger, Abd Allah forma deux armées, opérant l'une au Sud, sous la conduite de Yahia; ben Omar, l'autre au Nord, sous les ordres du frère de ce dernier, Abou Beker ben Omar.
-IM
44 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
En 449 H. l'Oued Noun et le Sous étaient ainsi conquis et les Morabethin pénétraient déjà au delà du grand Atlas, dans la province actuelle du Maroc. Bientôt, par la mort d'Abdallah et de Yahia son frère, Abou Beker se trouva seul chef de l'empire en voie de formation. Revenant au Sahara, où les Lemtouna poursuivaient le cours deleurs conquêtes en Nigritie,il prit la direction de ce mouvement, et désigna pour le remplacer au Maghreb, son cousin Youcef ben Tachfin.
C'est avec celui-ci, qui hérita du commandement suprême en 480 H., que s'établit définitivement la puissance des Almoravides. Sous son règne, les royaumes Zenata et Sanhadja perdirent leur indépendance. Il étendit rapidement son empire à toute l'Afrique du Nord, jusqu'au méridien de Bougie, et passant en Espagne, établit également son autorité sur tous les pays musulmans de la péninsule.
A l'Est, ses progrès avaient été arrêtés par la résistance d'une tribu berbère cantonnée dans les montagnes de la Kabylie actuelle, les Masmouda, qui, originaires du pays de Drâa, comptaient encore de nombreuses fractions dans la région marocaine. Sous le règne d'un des premiers successeurs deYoucef ben Tachfin, un marabout des Masmouda, Mohammed ben Toumert, vint à Fez même, prêcher une réforme religieuse dirigée contre les Almoravides. Chassé de la ville, il recruta, en se faisant accepter pour Mahdi, de nombreux partisans parmi les Berbères de sa tribu, et entra directement en lutte contre les maîtres du Maghreb. Ses succès furent rapides, et sous son suceesseur, Abdel Moumen, les Mohadiya, les Almohades, achevèrent en 541 H. la conquête del'Afriqueseptentrionale.En 555 H.(n6o), il s'était partout substitué aux Morabethyn, ou aux dynasties indépendantes de l'Est, de l'Atlantique à la Tripolitaine, de la Méditerranée à Sidjelmassa, et dans toute l'Espagne musulmane.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 45
Pendant que la puissance des Lemtouna se développait et s'écroulait ainsi dans le Nord, leurs destinées suivaient dans le Sahara un cours analogue,
La révolte des Djeddala, en 447, avait obligé Yahia ben Omar, rappelé de Sidjelmassa par Abdallah, à se cantonner dans le massif montagneux de l'Adrar et Temar, centre de l'habitat dès Lemtouna, où ils avaient bâti une forteresse, à Azka, à moitié chemin de l'oued Drâa au Sénégal. Les Djeddala vinrent l'y attaquer, et il périt en 448 H. dans une rencontre contre eux. Mais le prosélytisme religieux réussit, là où avait échoué les armes. Bientôt, les vainqueurs se rallièrent d'eux-mêmes aux Lemtouna. Abou Beker, qui avait confié à Youcef ben Tachfin la conduite des opérations au Maroc, arrivait alors pour reprendre l'oeuvre de conversion et de conquêtes commencée au Soudan par ses prédécesseurs.
On a vu qu'au IVe siècle de l'Hégire, les Sanhadja d'Aoudaghost, avaient déjà commencé à envahir la Nigritie. A deux reprises différentes, en 3o6 et en 38o H., leur domination s'était momentanément étendue sur l'empire de Ghana. Abou Beker ben Omar, reprenant l'oeuvre poursuivie autrefois par la race berbère, soumit de nouveau la Songhaï de Ghana et à sa mort, en 480 H. (-1-807-); tous les pays limitrophes du Sénégal et du Niger septentrional se trouvaient sous le joug des Lemtouna. Outre le Ghana, ils occupaientles États de Djenné, Zanfra, Zegzeg, Ouangara, toute la Nigritie jusqu'à Gogo, où les Songhaï réussirent à rester indépendants.
Il ne paraît pas que les Almohades, bientôt occupés exclusivement par les guerres d'Espagne, et par la lutte contre l'invasion arabe, aient essayé d'étendre leur autorité sur les Morabethyn . du Sahara. Les Lemtouna se trouvèrent donc abandonnés à euxmêmes. Après la mort d'Abou Beker ben Omar, tué dans uhe expédition au Soudan, ils ne tardèrent pas à se diviser de nou-
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
veau. Au commencement du VIe siècle de l'Hégire, ils occupaient encore le Ghana, mais bientôt l'invasion des Sousou les rejeta dans la zone désertique, en même temps qu'apparaissaient les premiers des immigrants amenés par l'invasion arabe du XIe siècle(J.-C).
C'est à cette époque que remonte la formation par métissage, de la première des tribus sahariennes, que mentionne l'histoire, sous son nom actuel. Les Lemtouna de Ghana, chassés par les Sousou, allèrent s'établir dans les parages d'Oualata, et dès le commencement du VIIe siècle (H.), ils y deviennent les Aroussiyn. Peu après aux Sousou se substituent les Mali qui achèvent de refouler les Sanhadja. A ceux-ci s'étaient mélangés depuis plusieurs siècles les Messoufa, qui, cantonnés au sud de l'oued Drâa, avaient dès la première invasion arabe subi un premier métissage, et dont quelques fractions s'étaient alors enfoncées dans le désert. Avec les Lemtouna, celles-ci occupaient la partie méridionale du désert, à l'est de Oualata semble-t-il, lors de l'arrivée des Mali-nké. Absorbées à leur tour par l'élément arabe, qui se répandait dans le Sahara, sans soulever la même résistance que dans les pays du Maghreb, elles formèrent la tribu des Mechdouf. Disputant aux Aroussiyn leurs parcours, cette tribu s'établit, au milieu du VIIe siècle de l'Hégire (XIIIe siècle J.-C.) dans les mêmes parages qu'elle occupe aujourd'hui, ceux de Oualata, pendant que les Aroussiyn émigraient au NordOuest, vers la montagne des Lemtouna, l'Adrar et Temar. De même, les Djeddala se transformèrent en Ouled Delim, en Berabich.
L'invasion arabe, qui dès lors et sous la même forme s'étendit rapidement à toute la partie occidentale du Sahara, clôt pour pour cette région l'histoire de la race berbère autochtone. Celle-ci conserva assez longtemps la désignation générique de Sanhadja, pour que les Portugais aient retrouvé encore au
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 47
XI 0 siècle, ce nom dont ils firent ceux de Azenaga, Sénaga, changé plus tard en Sénégal. Mais, à peu d'exception près, les peuplades indigènes se mélangèrent de plus en plus avec les Arabes, adoptant avec leur langue, leurs traditions et leur suprématie. Quelques tribus seulement conservèrent leur indépendance et leur nationalité : les Aïdou ei Hadj par exemple, qui sont aujourd'hui cantonnés de l'Adrar au Sénégal. Ils paraissent avoir eu pour ancêtres directs les Lemtouna qui occupèrent les premiers le pays de Ghana. Puis, plus tard, ils s'attachèrent avec un entier dévouement à la cause des Morabethyn, et comptèrent au nombre des plus respectés de leurs partisans. Peut-être ont-ils dû précisément à la situation qu'ils occupaient ainsi au moment de l'invasion arabe, de pouvoir éviter le sort commun des autres peuplades de leur race. En tout cas, leur groupe avait dès lors des tendances pacifiques et pieuses qui distinguent encore presque tout ses membres et font donner à tous ceux-ci le titre de Tholba. C'est, en opposition aux tribus où prédomine l'élément étranger, et qui, Harr ou Métisses, sont toutes guerrières, une tribu de marabouts. Tel est d'ailleurs le caractère général de toutes les fractions de l'ancienne population berbère, qui sont restées indépendantes.
Il en est d'autres qui, tout en conservant leur nationalité, ont été réduites à une sorte de vasselage par les peuplades nouvelles qui se constituèrent à partir du XIe siècle, Aroussiyn, Mechdouf,- Oulad Delim, etc.. Elles sont, comme ces dernières, pillardeset batailleuses, mais divisées en petits clans qui relèvent de celles-ci et subissent leur ascendant : tel est le cas des Nirzig, tributaires des Ouled Dahman, près du Sénégal.
Les destinées de la population indigène dans la zone saharienne de l'Ouest, peuvent ainsi se résumer en peu de mots. Dès les premiers âges de l'Hégire, elle fonde un État berbère, celui d'Aoudagahost, qui après avoir dominé sur les confins du Sou-
48 . TERRES. PEUPLES. CROYANCES
dan, disparaît au IVe siècle (H.). Bientôt les nomades Sanhadja qui avaient formé cet État, Lemtouna et Djeddala, suivant le mouvement de renaissance nationale commencé par les Berbères du Nord, étendent leurs conquêtes du Maghreb à la Nigritie. Puis les Almoravides de l'Afrique septentrionale perdent le contact de leurs frères du Sud, et pendant que les premiers sont subjugués par les Almohades, les seconds se laissent refouler dans le désert par les nations soudaniennes, absorbées en majeure partie par l'élément arabe. Au XIIIe siècle J.-C. (VIIe H.), cette évolution est accomplie. Quelques tribus berbères doivent à leur origine maraboutique de rester autonomes ; d'autres sont préservées du métissage par le vasselage qui leur est imposé. La plupart néanmoins ont subi déjà les mélanges ethniques qui rattachent désormais leur histoire à celle de la race arabe.
Mais dans la contrée même où s'effectuait cette transformation, il se produisit simultanément une immigration de Berbères du Nord, encore de sang pur. On a vu qu'au moment où les Lemtouna, les Almoravides pénétraient dans la région marocaine, l'émirat de Fez et de Sidjelmassa se trouvait soumis à l'influence prédominante des Zenata. Ceux-ci occupaient ainsi la partie méridionale du Maroc actuel. Ils avaient de nombreuses colonies, surtout dans les parages de Tafilelt (Sidjilmassa) et du Touat, où ils avaient subjugué une race plus ancienne, autochtone. Pour fuir la conquête des Almohades, des Masmouda, et bientôt après l'irruption des tribus arabes, plusieurs de leurs fractions quittèrent les pays qu'elles habitaient ainsi au nord du Sahara ; des tribus presque entières, dont la plus importante est celle des Kountah, émigrèrent au désert.
Comme les Lemtouna Morabethyn, la plupart appartenaient à la caste maraboutique. Elles formaient dès lors une sorte de fédération religieuse, qui leur valut le nom générique de Zaouiya. Beaucoup d'ailleurs étaient devenues sédentaires.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 49
A leur arrivée dans le Sahara, elles se trouvèrent ainsi incapables de résister aux empiétements des nomades, d'autant plus que leur émigration s'était faite par petits, groupes isolés. Aussi, sauf quelques fractions de Kountah, qui, plus guerriers et d'origine plus respectée, réussirent comme les Aïdou el Hadj à se maintenir indépendants, presque tous les Zenata nouveaux venus durent à leur tour accepter la domination de l'élément arabe. Dès le XVIII 0 siècle, la population du Sahara occidental se trouva ainsi constituée avec ses caractères définitifs qui, malgré la prédominance numérique des Berbères, placent ceux-ci au second rang comme importance politique.
La race indigène est au contraire restée seule maîtresse de la partie orientale de la zone saharienne qu'elle occupe encore sous le nom collectif de Touareg. Plusieurs des grandes tribus berbères dont il vient d'être question, semblent avoir contribué à peupler cette région : les Lemta et trois de leurs fractions, les Masoufa, les Ouanzira et les Berdoa ; puis les Zenata, représentés parles Targa. Mais bien que l'histoire en ait conservé le souvenir, elle ne fournit que peu de détails sur leurs rôles respectifs.
Dès le commencement du Ve siècle de l'Hégire (XIe J.-C.) les
chroniqueurs arabes montrent une grande peuplade, les Tademekka,
Tademekka, des territoires qui s'étendaient au nord-est
du Niger. Puis les Zenata Masoufa prennent part, vers la fin du
même siècle, à la fondation de Timbouctou, où se forment
deux fractions des Touareg actuels du Sud-Ouest, les Idenou et
les Imeddiren. Un peu plus tard, la ville est prise par les Lemta.
Enfin au milieu du XVIIe siècle de notre ère, les Aouelimmiden,
originaires de cette même tribu, et qui s'étaient établis dans
l'Iguidi, près des Oulad Delim, s'avancent vers l'Adrar de
1 Est. Ils en chassent les Tademekkat et les refoulent devant
eux, en établissant leur propre suprématie dans les paràgeâ
ISLAM. J
5o TERRES. PEUPLES. CROYANCES
du Niger septentrional, où ils se sont toujours maintenus. A l'inverse de ce qui s'est produit dans le Sahara occidental, la race indigène, berbère, n'a donc subi aucune atteinte au delà du méridien de Timbouctou. Elle est restée isolée dans son territoire, et a conservé ainsi tous ses caractères primitifs.
Ce n'est pas cependant qu'elle n'ait eu à soutenir d'autres luttes que celles de ses tribus entre elles. Tour à tour les Songhaï, les Sousou, les Mali, puis les armées marocaines lui ont disputé l'hégémonie du Niger, sur les confins du désert. Mais victorieuse ou vaincue, elle s'est avancée ou reculée sans jamais se laisser entamer. Toutefois, en s'étendant au sud de l'Adrar, les Aouelimmiden trouvèrent établies dans la région de Timbouctou quelques fractions des tribus maraboutiques qui, au XIIIe siècle, avaient émigré du Touat, des Kountah notamment.
Bien que musulmans peu fervents, ils paraissent avoir témoigné dès lors à ces marabouts une certaine déférence. Ils respectèrent leur indépendance, et les accueillirent parmi eux. A cet égard on peut admettre qu'un élément étranger,quoique de même race, s'est introduit dans quelques-unes de leurs peuplades, fait d'autant plus remarquable qu'ils s'agissait là de Zenata, et qu'ils étaient eux-mêmes Lemta. A dire vrai, la plupart des Kountah se trouvèrent, par la suite, réduits à une sorte de vasselage. Mais quelques-unes de leurs familles ont jusqu'à l'époque actuelle conservé une réelle autorité sur les hôtes turbulents que le sort leur a imposés.
Le peu d'importance du rôle joué par les Touareg proprement dits, Aouelimmiden, Tademekka ou autres, au point de vue des destinées, de l'Islam, rend inutiles de longs développements sur les guerres qu'ils eurent à soutenir avant de devenir, au siècle présentées maîtres des abords de Timbouctou et des anciens pays Songhaï jusqu'au Macina. Aux indications déjà données, il suffit d'ajouter quelques détails sommaires.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 5 I
Après avoir plusieurs fois envahi les pays Mali, les Touareg réussirent, en 1433, à s'emparer de Timbouctou, sous les ordres de leur chef Akil ag Mellahd, qui confia le commandement de la ville à un Sanhadji de l'Adrar et Temar. Cette défaite fut le signal de la décadence définitive du royaume Mali auquel se substitua la seconde dynastie Songhaï.
Un de ses premiers soins fut de refouler les Touareg qui reprirent l'offensive au siècle suivant, mais sans grand succès. Vint ensuite la conquête marocaine qui rétablit une tranquillité relative dans la région.
Ce fut seulement à la fin du XVIIe siècle, après l'arrivée des Aouelimmiden, que les Berbères reparurent en maîtres à Timbouctou d'où ils chassèrent les Maii-nké qui venaient de la reprendre. Puis à leur tour ils durent reculer devant les Peul, et se contenter de faire des apparitions périodiques dans la vallée du Niger, sans pouvoir s'y maintenir, jusqu'en 1860. C'est alors qu'El Hadj Omar, battu au Sénégal, entreprit de fonder un grand empire entre le Soudan et le Sahara. Il envoya à Timbouctou une armée de 4,000 hommes qui y pénétra sans lutte. Mais les Touareg, ralliés par un marabout des Kountah, Cheikh el Bekkay, et aidés par les tribus métisses du Nord-Ouest, revinrent peu après, pour reculer encore à l'arrivée d'El Hadj Omar en 1863. Enfin, depuis le départ du conquérant Peul, restés seuls maîtres du pays avec les Berabich et quelques autres fractions du même groupe, ils ont continué de l'occuper, en s'étendant surtout vers l'Est.
Telle est dans ses grandes lignes, l'histoire de la race berbère dans le Sahara oriental. Elle se résume en deux faits : les peuplades Touareg qui l'occupent ont conservé leur autonomie, leur unité ethnique, tous les caractères qu'implique cette première donnée ; cependant, elles ont admis parmi elles un autre rameau de la même famille originaire d'une branche différente, celui
52 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
des Kountah, dont les traditions sont essentiellement maraboutiques.
IV.
ARABES
On a vu que la première apparition des Arabes dans le Sahara septentrional, remonte à la conquête du Maghreb par Okba ben Nafih. En l'an 62 de l'Hégire, il soumit les Lemta Masoufa, qui habitaient au sud de l'oued Drâa. Mais bientôt rappelé par la révolte des peuples du littoral méditerranéen, il dut abandonner cette tentative qui ne paraît pas avoir eu de résultats durables. Les Masoufa recouvrèrent leur indépendance un moment compromise. Dès lors et pendant les premiers siècles de l'Hégire, l'élément arabe ne se répandit plus dans le désert que par une infiltration progressive.
Celle-ci s'était étendue déjà de la Tripolitaine aux confins du Soudan, par le Fezzan. En effet, à l'époque même où Sidi Okba quittait le pays des Lemta, la capitale de Ghana comptait douze mosquées. Ce fait, rapporté par Ahmed Baba, l'historien des Songhaï, montre que les missionnaires de l'Islam étaient nombreux déjà chez les Berbères du Sud, et au début, presque tous appartenaient nécessairement à la race arabe. Ils furent plus tard remplacés dans leur oeuvre de propagande par les habitants mêmes du pays, mais n'en formèrent pas moins çà et là, dans les villes surtout, de petites colonies. A la fin du Ve siècle de l'Hégire, Aoudaghost était ainsi peuplée en partie d'Arabes. Quelques-uns s'occupaient de divers métiers manuels, se livraient au commerce. Mais la plupart étaient Tholba ou Feky; ils tenaient écoles, professaient la langue du Koran et les doctrines musulmanes, enseignaient oralement les livres saints.
C'est parmi ces derniers que se recrutaient les hôtes arabes ■des tribus nomades. Plusieurs familles métisses semblent, dès
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cette époque, s'être formées au sein de celles-ci, par les alliances qu'y contractèrent les nouveaux venus. Leur influence se traduisait déjà par la substitution partielle de leur langue à celle des indigènes.
Mais le réveil de la nationalité autochtone, les soulèvements du Maghreb, puis la conquête des Almoravides, ralentirent le mouvement commencé. Le premier chef des Morabethyn avait, il est vrai, puisé l'inspiration de sa mission auprès d'un Cheikh de Kaïrouan, d'origine chérifienne et arabe, quoique né à Fez. Néanmoins, les événements qui se déroulèrent, arrêtèrentforcement toute immigration nouvelle, même individuelle.
Lorsqu'au siècle suivant, les Almoravides du Nord abandonnèrent à eux-mêmes ceux du Sahara, cette contrée parut un moment se fermer davantage encore à toute influence extérieure. Elle ne tarda pas cependant à subir le contre-coup de l'invasion arabe du XIe siècle, à s'ouvrir comme le Maghreb, devant le flot des hordes bédouines, parties d'Egypte en 1048 (440 H.). Pour punir les provinces barbaresques révoltées, le calife Fathimite El Mestamer avait résolu de lancer à leur conquête les peuplades arabes établies sur la lisière de la vallée du Nil. Il fit publier que toutes les familles qui passeraient en Afrique recevraient, en quittant l'Egypte, un Dinar par tête. Trois grandes tribus pouvant, au dire des chroniqueurs du temps, fournir 5o,ooo combattants se mirent en marche.
Ce mouvement était commencé depuis sept ans, lorsque les Lemtouna firent leur apparition au nord du Sahara. Mais arrêtés par la résistance qu'ils rencontrèrent dans la région de Kaïrouan, les Arabes s'étaient répandus dans les déserts de la Cyrénaïque. Ils ne se reportèrent en avant le long du littoral, qu'après l'arrivée de nouvelles bandes de leur race, attirées par l'espoir du butin. Une des trois tribus, la plus nomade, celle des Béni Hassan, s'était avancée rapidement jusqu'à l'oasis de
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Ouadan, au sud de la Tripolitaine. Lorsqu'elles continuèrent leur migration, elle suivit constamment la lisière du désert, abandonnant aux deux autres les pays du Sahel et du Tell. Une de ses fractions même, celle des Oudaïa, qui avaient occupé le Ouadan, paraît s'est dirigée de cette région sur Oualata où elle s'arrêta en dernier lieu, parla frontière du Soudan.
Dès le commencement du XIIIe siècle, elle était arrivée au terme de ce long déplacement et par son mélange avec les Berbères, Lemtouna et Massoufa, avait formé les nouvelles tribus des Aroussiyn et des Mechdouf.
Le Oudaïa appartenaient à un groupe isolé des Béni Hassan, les Oulad Hassein, auxquels échut en partage le Sahara occidental. Les autres fractions qui s'y établirent tout d'abord, sont celles des Oulad Delim et des Oulad Berbèch qui fusionnèrent avec les Djeddala, l'une sous le même nom, l'autre sous celui de Berabich, puis les Oulad Amran, Oulad Menebba, etc..
Quelques siècles plus tard, d'autres tribus arabes fixées d'abord au Maroc, s'enfoncèrent à leur tour dans le désert : les Bouidat, les Oulad Reguig, etc.. Mais ce nouvel appoint ne modifia pas sensiblement la situation faite dès le XIIIe siècle aux Berbères sahariens, par la récente invasion.
Il serait difficile de préciser la forme que revêtirent tout d'abord les relations des deux races qui se trouvèrent ainsi mises en présence. Cependant on peut admettre que s'il y eut souvent des luttes acharnées de tribu berbère à tribu arabe, l'ascendant religieux des nouveaux venus contribua pour une large part à assurer leur suprématie. Non qu'ils fussent eux-mêmes des musulmans très fervents, mais parce qu'ils représentaient somme toute les traditions primitives de l'Islam. Aujourd'hui encore, tout Arabe de race pure, venant du Nord ou de l'Est, est considéré, dans le Sahara, comme d'une origine plus élevée que ses habitants, de quelque souche qu'ils soient. Il lui suffit de
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prétendre au titre de Chérif pour se le voir accorder sans conteste.
Ce fut sans doute aux sentiments qu'ils développèrent dans cet ordre d'idées chez les autochtones, en dépit de leur récent mouvement national, que les Béni Hassan durent le rapide triomphe de leur race.
En thèse générale, on ne sauiait regarder aucune des tribus issues de leur souche, dans le Sahara, comme pure de tout mélange avec les anciens habitants du pays. Il n'en est pas, même des dernières venues, qui n'ait subi un métissage accusé, bien que presque toutes s'attribuent des origines exclusivement arabes. Cependant il est quelques fractions issues de familles puissantes, chez lesquelles l'infusion du sang berbère a été relativement faible. Elles forment ainsi une sorte d'aristocratie ethnique, et comme conséquence, politique, que caractérise le nom de Hassan, conservé par elles avec une valeur spéciale. Hassan dans le Sahara est l'équivalent de Horr dans le Tell. Le mot implique l'idée de race noble. Parmi les plus connues des tribus Hassan de l'époque actuelle, on peut citer les Trarza et les Braknadu Sénégal; les Oulad-YahiabenOthman de l'Adrar et Temar; les Oulad Embarek du Bakhounou.
Ces tribus elles-mêmes comprennent, comme celles des pays du nord de l'Afrique, des familles, des fractions plus spécialement Horr, nobles. Elles n'en représentent pas moins, au milieu de la masse de la population, une classe supérieure.
Pour compléter les indications déjà données sur le peuplement du Sahara, dans sa forme moderne, il convient donc d'ajouter qu'à côté des tribus berbères guerrières, Tholba ou Zaouiya qui sont restées indépendantes, et au-dessus des tribus de race vassale à quelque titre que ce soit, se trouvent des tribus arabo-berbères par leurs origines ethniques, Arabes par leurs tendancesetleurs traditions,qui subissent l'ascendant de quelques
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fractions d'autant plus respectées que leur descendance est moins mélangée.
Cette manière de voir sur le métissage général des peuplades sahariennes ne s'accorde pas de tout point avec les opinions généralement reçues, qui admettent une distinction beaucoup plus tranchée entre l'élément berbère et l'élément arabe. Sans parler de la corruption de la langue introduite par ce dernier, corruption qui s'explique d'elle-même, bien des indices la justifient. L'hypothèse repose surtout sur la prétention des nomades . du désert à une origine exclusivement hymiarite. Mais elle conduit inévitablement à des contradictions telles que celle dont a été l'objet la tribu des Berabich, berbère suivant Barth, arabe suivant Lentz.
L'histoire proprement dite des anciens Sahariens se trouve close par l'arrivée des Arabes, rattachée à la leur. Ceux-ci, à dire vrai, n'en ont guère plus à partir du XIIIe siècle, que les autochtones auxquels ils se sont substitués. Dès leur arrivée, les tribus du désert se sont divisées à l'infini, et redevenant exclusivement nomades, elles n'ont plus formé ni confédérations, ni états durables.
En admettant qu'elle puisse être reconstituée, la chronique de leurs luttes intestines, de leurs razzias sur la limite des pays nègres, n'offrirait qu'un intérêt secondaire,
Quelques événements seuls méritent d'être cités. C'est d'abord au XVe siècle, une longue guerre des Berabich contre les Oudaïa Mechdoufqui s'étendaient alors au nord et à l'est de Oualata et se trouvent ensuite confinés au sud dans le pays d'El Hodh. Puis à la fin du XVIe siècle, apparaît momentanément dans l'Ouest, une grande tribu, les Rahamna, qui y acquiert une situation prépondérante. Mais elle ne tarde pas à retourner dans la région du Tell, où elle se disperse. A la même époque remonte la conquête marocaine de Tim-
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bouctou et du Sahara oriental. En i52i, une dynastie de Berbères Zenata qui s'était substituée aux Almohades dans l'émirat de Fez, avait été renversée par les Chorfa du Maroc et de Taroudant, qui s'étaient rendus maîtres de toutle Maghreb de l'Ouest. Dès le milieu du siècle, leur puissance devint telle que le sultan Mouley Ahmed songea à reprendre l'oeuvre réalisée autrefois par les Almohades, à réunir dans un seul empire tout le Sahara jusqu'au Soudan, et le Maroc. Il entra d'abord en relations avec les Songhaï, alors revenus au pouvoir dans le pays de Ghana, et envoya à leur chef Askia, une ambassade chargée de riches présents, pour lui demander l'abandon des salines de Taghaza. Puis peu après, et au moment même où Askia répondait à ces ouvertures par des cadeaux plus riches encore, comprenant entre autres quatre-vingts eunuques, le sultan marocain mit en marche une armée de 20,000 hommes, destinée à assurer en tout cas la réalisation de ses projets. Mais les nomades et les sables du désert eurent raison de l'expédition qui n'était pas organisée de manière à traverser la solitude où elle s'engageait. Elle périt tout entière avant d'atteindre Taghaza..
Une seconde colonne moins nombreuse et composée de troupes armées de mousquets, arme encore inconnue des Sahariens, fut plus heureuse, et, en i586, occupa les salines. C'étaient les seules qui fussent encore exploitées et Mouley Ahmed avait espéré, en s'en rendant maître, dicter sa volonté aux peuplades qui s'y approvisionnaient. Mais d'autres connues déjà, celles de Taodeni notamment, furent aussitôt utilisées et l'entreprise n'eut pas ainsi le succès attendu.
Ce fut alors contre Timbouctou même que le sultan organisa une nouvelle expédition. En 1588, une petite armée marocaine de 3,6oo fusiliers, commandée par un eunuque d'Alméria, le Bâcha Djodar, et composée en partie de musulmans andalous, arrivait devant Timbouctou. Elle mit en déroute l'armée des
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Songhaï, et renversa définitivement leur dynastie. Bientôt les Marocains se rendirent maîtres de tout le cours du Nil jusqu'au pays Mali-nké, mettant des garnisons à Djenné, Bamba, dans toutes les villes. En même temps, ils fortifiaient par des mariages leur domination, qui put ainsi se maintenir pendant une longue période. Tout d'abord les pays ainsi conquis continuèrent à relever du sultan du Maroc. Mais au milieu du XVIIe siècle, des troubles graves empêchèrent les successeurs de Mouley Ahmed de s'occuper de leur empire soudanien. Peu à peu, les descendants des compagnons de Djodar devinrent pour leur propre compte, sous le nom de Rouma, possesseurs des pays conquis par leurs ancêtres et, en 1667, un caïd du Sons, Sidi Ali, qui s'était sauvé au désert à la suite d'une révolte, réussit sans grande peine à se faire accepter d'eux, comme chef d'une dynastie locale, indépendante de la cour chérifienne. Chérif lui-même il n'en conserva pas moins, avec son pays d'origine, des relations assez suivies qui eurent pour résultat de provoquer un nouveau courant d'émigration du Maroc vers le Soudan. Ce mouvement devint fort important sous son successeur Mouley Ismaïl, qui avait organisé une armée de nègres, de Songhaï principalement, et entreprit de les marier avec des femmes marocaines, achetées à cet effet en grand nombre dans les pays du Sous et du Drâa. Ces districts n'étaient en effet soumis que nominalement à la domination des sultans et se trouvaient alors sous l'autorité d'un neveu de Mouley Ismaïl.
Les Rouma, issus, comme on l'a vu, des mariages contractés par les fusiliers de Djodar avec les femmes nègres, virent ainsi s'accroître leur nombre, enmême temps que s'établissait le courant d'émigration temporaire qui s'est maintenu jusqu'à nos jours entre le Maroc et les régions du Niger septentrional.
Mais, peu à peu, la prédominance atavique du sang nègre finit par l'emporter, dans les familles métisses des Rouma, et ainsi
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qu'il a été dit, ceux-ci se confondirent graduellement avec la population indigène, bien que le souvenir des origines qui leur sont dues soit encore conservé dans quelques familles des villes du Niger. En même temps, leur influence s'affaiblissait rapidement. Du vivant même de Mouley Ismaïl, Timbouctou fut prise en 1680 par les Mandé du Sud.
Des débris du royaume marocain, fondé sur les ruines de l'empire Songhaï,il se forma plusieurs petits États indépendants, limités aux voisinages des villes qui les représentaient: Djenné, Bamba, Sansanding, etc..
Dans cette révolution, les tribus arabo-berbères du Sahara paraissent avoir joué un rôle important. L'une d'elles, celle des Oulad Embarek, cantonnée dans le Bakhounou, en était devenue maîtresse en 1672, par l'investiture que Mouley Ismaïl avait donnée à son chef, Hermoun. Après la prise de Timbouctou, elle cessa de reconnaître les Chorfa marocains, et jusqu'à l'arrivée des Peul, qui la détruisirent en partie, conserva le pouvoir. Une autre tribu, plus berbère, celle des Aïdou Aïch, dont une fraction, fixée maintenant sur le Sénégal, est en général désignée sous le nom de Douaïch, s'unit aux Touareg pour refouler les Mandé au delà du Niger.
Un peu auparavant, l'Adrar et Temar, l'aucien berceau des Lemtouna, avait été le théâtre de luttes successives. C'est là que s'étaient établis les Rahamna, lors de leur apparition au désert. Ils en furent chassés par les Oulad Billah, qui, vers le milieu du XVIIe siècle, y avaient formé une confédération assez puissante. Elle fut détruite en 1680, l'année même de la prise de Timbouctou par les Mandé, par le neveu de Mouley Ismaïl, qui, partant du Sous, à la tête de contingents imposants, s'avança jusqu'au Tagant et, malgré des pertes nombreuses dans la traversée du désert, réussit à les disperser. Ce fut, semble-t-il, une expédition du même genre qui amena dans le Sahara les Bouidat, et
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plus tard les Oulad Reguig. Ils ne purent d'ailleurs supplanter dans l'Adrar, les Oulad Yahia ben Othman qui y avaient déjà remplacé les Oulad Billah, et s'y partagent aujourd'hui encore le pouvoir avec les Aïdou el Hadj, descendants des Lemtouna anciens maîtres de Ghana.
Depuis la décadence des Rouma, les tribus sahariennes n'ont joué dans le Sahara nigérien qu'un rôle secondaire. On a vu que plusieurs se joignirent aux Touareg pour lutter contre les Peul, sous les ordres des Kountah. Il suffit d'ajouter qu'au nordouest de Timbouctou, les Berabich et quelques autres fractions du même groupe, jouent le même rôle que les Aouelimmiden au nord-est. Ils campent les uns et les autres sous les murs de la ville, et leur influence s'y fait parfois équilibre, encore que les Berabich soient plus particulièrement cantonnés dans l'Azaouad occidental.
Dans les parages du Sénégal, au contraire, il s'est.produit un mouvement qui mérite d'être noté. Les tribus sahariennes voisines du fleuve, Trarza et Brakna, appartiennent à une des branches les plus directes de la descendance des Béni Hassan. Lors de leur arrivée sur leurs territoires actuels, elles trouvèrent établie en partie au nord du Sénégal, la peuplade nègre des Ouolof, qui occupe maintenant, au sud, le Cayor, le Djolof, le Oualo.
Les Oualof formaient une confédération de petits royaumes féodaux souvent en guerre. Appelés à intervenir dans ces luttes comme mercenaires à la solde des uns ou des autres, les Trarza et les Brakna arrivèrent peu à peu à atteindre le Sénégal, sur la rive droite duquel ils ne pouvaient se rendre encore, au siècle dernier, qu'en payant un tribut. Puis, quoique se battant souvent entre eux-mêmes, ils prirent pied dans le Cayor et le Oualo surtout, d'où nous avons été forcés de les refouler il y a cinquante ans. Par leur intervention dans les querelles des Ouolof, leur histoire se trouve entièrement liée avec celle de ces derniers, d'au-
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tant que les alliances matrimoniales furent très fréquentes entre les deux races. La fraction principale des Trarza, les Oulad Ahmed ben Dahman, a eu à sa tête, depuis 1871 jusqu'à ces dernières années, le fils d'une reine du Oualo, la négresse Djimbot, mariée avec leur ancien chef. Il semble du reste que si notre propre conquête n'avait établi une ligne de démarcation fixe entre les Ouolof et leurs voisins du Nord, ceux-ci auraient été absorbés à la longue, tout en étendant leur suprématie au delà des limites qu'elle avait atteintes. En effet, les Trarza ont eu pour prédécesseurs dans les parages qu'ils occupent, les Oulad Rezg, des Béni Hassan également et qui, confondus avec les noirs du Oualo, 6ht aujourd'hui presque entièrement disparu comme tribu.
L'occupation arabe du Sahara offre donc des caractères divers. Cependant, ses traits essentiels ne se trouvent pas altérés par la forme locale qu'elle a pu revêtir. Au début, elle s'est effectuée par infiltration lente. Les représentants de la race arabe, jusqu'au Ve siècle de l'Hégire, ont été surtout des missionnaires de l'Islam. A peine ont-il formé de petites colonies dans quelques centres. Interrompu par le soulèvement des Berbères du Maghreb et les conquêtes des Almoravides, le mouvement commencé a repris avec une intensité nouvelle et sous forme d'invasion, par l'exode des tribus Hymiarites d'Egypte au XIe siècle. Lancées par les califes Fathimites contre leurs sujets révoltés de l'Afrique du Nord, elles s'y dispersèrent. Celles qui occupent aujourd'hui le Sahara y étaient arrivées pour la plupart dès le XIIIe siècle.
Elles eurent à soutenir des luttes souvent acharnées pour s'imposer aux autochtones, mais le prestige de la race aidant, l'élément qu'elles représentaient a fini par dominer presque partout. En se mélangeant aux peuplades berbères, dont quelquesunes à peine ont conservé leur indépendance, elles ont formé une population nouvelle essentiellement métisse, mais dans laquelle
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
le premier rang appartient, sous le rapport politique, aux fractions dont la descendance arabe s'est maintenue la plus intacte.
A côté des tribus ainsi constituées, et où les familles dites Hassan, de sang pur, dominent les fractions plus mélangées, vivent, sur un pied d'égalité, quelques groupes berbères, descendants directs des anciennes branches souveraines des Sanhadja sahariens, ou des premiers Morabethyn. Les autres rameaux de la population primitive, restés indemnes de tout métissage, forment une caste vassale de la première, les Hassan.
En outre, contemporaine de l'invasion arabe, il s'est produit, du XIe au XIIIesiècle, une immigration de Berbères fixés d'abord sur la limite septentrionale du Sahara. Quelques fractions maraboutiques ont gardé leur autonomie pendant que les autres se métissaient, ou subissaient à leur tour la suprématie des maîtres du pays.
Tels sont les éléments constitutifs de la population actuelle du Sahara. Mais, indépendamment de quelques migrations temporaires ou récentes qui aux XVIPet XVIIIesiècles ont légèrement accru l'importance numérique de l'élément arabe, il y a lieu de faire la part d'un courant de relations très suivies, établies pendant la même période entre le Maroc et la vallée du Niger septentrional. La conquête des Rouma, faite au nom et pour le compte des sultans de Fez, n'a pas eu d'influence durable sur les destinées politiques de la région. Mais si momentanée qu'ait été l'occupation marocaine, elle n'en a pas moins suffi pour déterminer des rapports suivis entre le Maroc et la zone frontière du Soudan : ces rapports, qu'ont resserrés encore les alliances contractées par les soldats de Djodar et leurs descendants, se sont maintenus jusqu'à ce jour. Ils sont assez importants pour donner droit de cité aux Chorfa de Fez, dans tout le moyen Niger.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE
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V. — RACES SOUDANIENNES
Dans toute l'Afrique du Nord, et même au Sahara, il existe de nombreux monuments mégalithiques, qui rappellent le souvenir des races disparues. Rien au contraire n'indique qu'au Soudan d'autres peuplades aient précédé celles qui l'occupent actuellement. On n'y trouve ni tombeaux, ni vestiges d'aucune sorte d'un peuplement préhistorique au sens usuel du mot.
Les origines de la période historique ne sont guère moins obscures. Elle paraît cependant présenter plusieurs phases, correspondant aux migrations successives de races diverses qui toutes, venant des contrées de l'Est, se sont avancées vers l'Océan. Les plus anciennes ont été refoulées ainsi jusqu'à la côte. Quelques-unes forment encore de petits États. Telles sont les Ouolof, les Sérères, entre le Bas Sénégal et la Gambie, les Aschantis, les Agni et leurs voisins sur la côte du golfe de Guinée. D'autres, presque détruites dans les luttes qu'elles ont subies, ne sont plus représentées que par des familles peu nombreuses, groupées dans quelques villages, comme les Bagnoun, les Yola, les Aïamat delà Cazamance. Beaucoup enfin,absorbées parles envahisseurs, ne subsistentplus que comme fractions métisses de nations nouvelles.
A ces aborigènes ont succédé, dans les régions soudaniennes, deux grandes races qui sur quelques points s'étendent jusqu'au littoral : les Mandé et les Peul.
Depuis l'apparition historique des premiers, il s'est écoulé déjà de longs siècles. Ils sont contemporains au moins des Sanhadja, des Songhaï, au sud du Niger, et dès le moyen âge avaient atteint l'Atlantique. En dehors des pays de Sahel et des hauts plateaux, ils forment l'élément essentiel de la population dans
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toute la Nigritie occidentale, de l'Atlantique au méridien de Timbouctou et même au delà.
Deux divisions générales, correspondant à deux phases dépeuplement, sont ainsi à observer dans l'étude des races nègres. Ce sont celles qu'indique aussi la configuration du pays : d'une part, les peuples du littoral; de l'autre, les peuples soudaniens.
Venus beaucoup plus tard, les Peul ne sont pas de sang nègre, et sauf quelques fractions fortement métissées, sont cantonnés sur la lisière du Sahara, près du Niger, et dans la région montueuse qui sépare la zone côtière du Soudan. Leur histoire est d'ailleurs toute moderne. Ils ne peuvent être confondus avec les premiers.
L'importance relative des peuples aborigènes qui habitent aujourd'hui le littoral atlantique est très variable. Deux surtout dans la région du Sénégal, les Ouolof et les Sérères, méritent une mention détaillée,- en raison de leur situation dans le Bas Sénégal. Quelques autres sont intéressants à divers égards. Mais sauf les deux premiers, tous présentent ce- caractère commun de vivre au milieu des Mandé qui se trouvent partout sur la côte, de la Gambie au golfe de Bénin. Ils feront l'objet d'une seule énumération.
Ouolof. Les Ouolof occupent aujourd'hui les trois pays du Cayor, Oualo et Djolof, dont les deux premiers sont situés sur la rive gauche du Bas Sénégal. Le Djolof s'enfonce au Sud vers la partie supérieure du Saloum. L'époque de l'arrivée de cepeuple dans son territoire actuel est inconnue. Toutefois, on sait que, antérieurement à la découverte du Sénégal par les Portugais qui le trouvèrent déjà près de la côte, le pays avait été occupé parles Lébou et pendant quelque temps par les Mandé que refoulèrent ensuite ceux-ci. Les Ouolof remplacèrent les Lébou en les absor-
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 65
bant pour la plupart. Au milieu du XVe siècle, ils formaient déjà, quand Çada Mosto les vit pour la première fois, trois États comme aujourd'hui. Le Djolof exerçait primitivement la suprématie et son chef, le Bourba Djolof, régnait également sur le Cayor et le Oualo. Puis ces deux pays se rendirent indépendants avant l'arrivée des Portugais, sous les ordres du Damel dans le Cayor, du Brak dans le Oualo.
Toute la rive droite du Sénégal, jusqu'à plus de ioo kilom. du fleuve leur appartenait alors, ainsi que deux provinces dépendant aujourd'hui du Fouta Sénégalais, le Dimar et le Toro.
L'occupation portugaise créa de bonne heure des relations suivies entre les Européens et les Ouolof. Chassé par un de ses frère, un Brak du Oualo, Bemoï, se rendit à Lisbonne, où le roi Jean II le fit baptiser. Déjà les Portugais avaient commencé à s'immiscer dans les affaires intérieures du pays. Ils envoyèrent avec Bemoï une expédition qui devait l'aider à reconquérir le pouvoir. Mais l'amiral qui la commandait, Vas d'Acunha, le fit assassiner sous prétexte de trahison. Cette entreprise, qui eût rendu les Portugais maîtres du Sénégal, n'eut pas de suite.
Cependant, jusqu'à la fondation des compagnies françaises de Dieppe et de Rouen, ils purent continuer à exploiter seuls leur découverte, dont ils furent ensuite dépossédés. Tour à tour les Hollandais, au nord du fleuve et les Anglais à son embouchure nous la disputèrent. De 1758 à 1779 notamment, puis de 1809 a I8i7, le Sénégal devint ainsi colonie britannique. Néanmoins, même au XVIIIe siècle, notre influence y avait été prédominante.
En même temps que s'établissait ainsi la conquête européenne, les Ouolof, dont l'empire s'étendait assez loin dans le Sahara, pour que les Portugais l'aient un moment confondu avec le Oualata, commençaient à reculer devant les tribus sahariennes. C'est vers la fin du XVe siècle qu'ils avaient perdu le Dimar et le
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
Toro, subjugués par les Maures. Jusqu'au XVIIe, ils conservèrent la rive droite du bas fleuve, puis s'en virent chasser définitivement, avant le commencement du XVIIIe,
Sauf dans le Dimar, le Toro et la partie orientale du Oualo, il ne paraît pas qu'ils aient contracté d'alliances matrimoniales suivies avec leurs voisins du Nord, bien que, comme on l'a vu, une fractiou maure, les Oulad bou Rezg, se soit confondue avec les habitants du Oualo. Mais leurs relations avec les nomades arabes eut du moins pour effet leur conversion à l'Islamisme. Les anciens habitants du Toro devinrent les premiers musulmans, longtemps avant leurs frères de l'Ouest. Puis à partir du XVIIe siècle, ce fut le tour des gens du Oualo et du Cayor, où cependant une partie de la population, la caste guerrière et nobiliaire, avait jusqu'à une époque récente conservé les traditions fétichistes. Il en est de même encore dans le Djolof, et dans l'état semi-Sérère du Baol, où la famille régnante est d'origine Ouolof.
Actuellement le Oualo constitue, à proprement parler, la banlieue de Saint-Louis, et le Cayor forme une province que nous administrons directement. Le Baol, le Djolof après avoir conservé jusqu'à ces dernières années une indépendance nominale, par fiction administrative, ne diffèrent guère plus du Cayor à cet égard. L'organisation sociale des Ouolof mérite quelques remarques. Ils sont divisés en castes très caractérisées, qui forment une sorte de société féodale. Ces castes sont celles des hommes libres, les Ndiam Bour, comprenant une aristocratie peu nombreuse, et la classe ordinaire, les Badolo. Viennent ensuite lesDomi-Ndiam Bour qui représenteraient une ancienne classe de serfs émancipés, et les Selm Bour ou Niobé,à un rang très inférieur. Puis les gens de métiers, isolés dans leurs groupes comme les Paria de l'Inde : forgerons et bijoutiers ; cordonniers ; chanteurs : guéwel ou griots. Enfin, les esclaves.
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-A
Politiquement, comme tous leurs congénères de l'Afrique occidentale, les Ouolof se répartissaient autrefois en tribus, qui représentaient autant de descendances familiales. Telles sont celles des N'diagnes, Nianes, Talls, Thianes, N'diayes. Le souvenir ne s'en est guère conservé que par l'adjonction du nom de tribu au nom particulier de chaque indigène. Mais les origines ainsi rappelées n'en ont pas moins une certaine importance. Ce sont elles qui déterminaient les droits d'accession au pouvoir suprême. Ainsi dans le Oualo, pour prétendre au titre de Brak, il fallait appartenir, par la lignée masculine, à l'une des trois familles ou tribus Logr, Trédick et Dieuss, et par la lignée féminine, aux M'bodi.
Dans le Cayor, le Damel devait descendre, par son père, des Fal et par sa mère, d'une des familles Garmi, au nombre de sept.
Les Ouolof, malgré l'absence complète de littérature écrite, de civilisation matérielle, présentaient ainsi un certain développement social. C'est d'ailleurs le cas général de toutes les races nègres de l'Afrique occidentale. Si beaucoup aujourd'hui semblent revenues à un état primitif, il n'en est pas moins certain qu'elles ont eu à une époque antérieure, une organisation plus perfectionnée Leur décadence à ce point de vue a été un des effets de l'invasion de l'Islam.
Sérères.
Les Sérères semblent appartenir à un groupe ethnique voisin des Ouolof, mais séparé depuis longtemps. De nombreuses racines communes dans les deux langues et quelques analogies grammaticales, indiquent tout au moins une certaine affinité d origine. Toutefois, les Sérères eux-mêmes comprennent des tnbus de souches différentes qui parlent les unes le Quégem, les autres le Noun, subdivisé lui-même en plusieurs dialectes :
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TERRES. PEUPLES. CROYANCES
Noun, Paror, Safi, etc.. Il ne s'agit donc là que d'indications générales.
Les Sérères sont connus pour la première fois comme captifs,
vassaux des Mandé, sur la haute Cazamance, dans le Gabon, où
ils avaient précédé leurs maîtres. Vers le XVe siècle, ils émigrèrent
émigrèrent côte et s'établirentles uns dans la basse Cazamance,
où ils sont connus sous le nom de Diola ; les autres sur le
Saloum, où ils devinrent les Sérères actuels. Ce mouvement
avait été dirigé par un chef Mali-nké (tribu royale des Mandé),
en compétition avec le souverain du Gabon. Il explique l'origine
également Mali-nké des familles régnantes dans les divers Etats
que forme la race.
Vers le Nord, les Sérères se trouvèrent bientôt en contact avec les Ouolof, qui les refoulèrent du Cayor méridional, et se mélangèrent à eux dans le Baol. Au Sud, ils sont de même confondus avec les Mandé. Mais le caractère de leur race ne s'en est pas moins conservé très pur, leur territoire n'ayant subi aucune invasion dans sa partie centrale, depuis leur établissement jusqu'au milieu du siècle actuel. lia alors été envahi par les musulmans de la Gambie et nous y sommes nous-mêmes intervenus.
Cependant et quoique relevant ainsi du Sénégal, les trois Etats Sérères, du Saloum, du Sine et du Baol, de même que les districts côtiers voisins de Joal et de Portudal, ont gardé une autonomie très marquée. La race n'a pas à beaucoup près subi au même degré les influences étrangères qui ont changé les destinées des Ouolof. Elle était encore presque exclusivement fétichiste, il y a quelques années et le mouvement musulman n'y domine que très localement.
Son organisation politique s'était de même maintenue, jusqu'à l'époque récente de sa transformation administrative. Elle comportait une royauté héréditaire dans chaque État, royauté féodale
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 69
et ne s'exerçantsurles clans étrangers à l'apanage royal que sous forme de suzeraineté. Dans le Saloum, les liens existant ainsi entre les grands feudataires et le pouvoir suprême, étaient devenus d'autant plus faibles, que le Bour avait pour agent exécutif un véritable maire du palais, le Diaraf. Dans le Sine au contraire l'autorité était restée plus absolue.
Sous réserve de ces nuances, la constitution des États Sérères est partout identique. Ils forment au milieu des pays voisins, convertis à l'Islam, une enclave fétichiste complètement isolée.
Peuples du littoral.
Le rôle peu important et tout local des nombreuses peuplades étrangères à la race Mandé, qui habitent le littoral au sud de la Gambie, rend suffisante une simple énumération de leurs principales tribus. D'une manière générale, toutes sont sédentaires, et formaient en dehors de l'exercice des influences européennes, de petits États, anarchiqués le plus souvent, gouvernés quelquefois par un chef. Bien que l'Islam ait fait, surtout pendant la période actuelle, de rapides progrès sur toute la côte, jusqu'au golfe de Guinée, ces populations aborigènes sont en général restées fétichistes.
Au sud de la Gambie, sur la basse Cazamance, habite un premier groupe de plusieurs nations différentes. Les anciens habitants du pays semblent être les Bagnoun, aujourd'hui peu nombreux sur la rive gauche et très métissés de sang portugais. Ils sont fixés principalement au nord du fleuve et s'étendent jusqu'à la Gambie dans le Fogny. Après eux sont venus les Balanta, originaires du "Rio-Geba, et cantonnés maintenant en face de Sedhiou, puis une foule de tribus, auxquelles les Portugais ont donné le nom collectif de Feloup, mais qui sont d'extractions diverses. Tels sont au Nord, près de l'Océan, les Aïamat, les Yola, les Kabil ; et encore sur la rive droite, mais à
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l'est des premiers, les Fogni, les Kaïmout, les Songragon ; sur la rive gauche, les Banjiar, les Fouloum, les Bayot.
Quelques-unes de ces peuplades semblent d'origine Sérère: d'autres viendraient de fort loin au Sud et seraient apparentées aux Ashantee. Certaines, enfin, peuvent être considérées comme des fractions métisses des Mandé.
Dans la Guinée portugaise, on retrouve encore des rameaux des Bagnoun, Balanta et Feloup; puis les aborigènes, les Biafar, les Papel, les Bonjago des îles Bissagos ; enfin les Nalou dont l'habitat s'étend vers le Sud. Avec les Mali-nké et les Peul, les indigènes de la Guinée forment plus de cinquante nations distinctes, sinon par la race et la langue, du moins par le nom et les traditions.
i La confusion ethnique n'est guère moins grande dans les rivières du Sud. Au Nord, près du Rio Cassini, vivent les Baya, fixés là depuis plusieurs siècles et qui ont dominé toute la contrée, puis les Landouman et les Nalou du Rio Nunez, en partie mélangés de Sousou Mandé qui forment l'élément principal de la population jusqu'à Sierra-Leone, avec quelques autres fractions de la même race: Kisi .Kisi, Solimah, etc.. De ce côté, le fétichisme a perdu beaucoup de terrain, et dans la région méridionale des rivières du Sud principalement, l'Islam domine, même chez les anciens habitants.
A Sierra-Leone, il y a lieu de mentionner, outre l'élément indigène, les émigrants nègres, venus des colonies anglaises, et qui, bien qu'appartenant à la grande famille noire, se rattachent à la civilisation occidentale par leur langue et leur religion. Au nombre de 25,ooo environ, ils constituent un noyau important du peuplement étranger.
En première ligne, parmi les indigènes, on peut citer les Timni ou Timéné qui, au nombre de 200,000, habitent la région comprise entre la Roquelle et les Scarcies. Par leur langue, ils sera-
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bîeraient se rapprocher des Landoumanet de quelques fractions Sousou. Race essentiellement belliqueuse, ils habitaient sans doute autrefois les hauts-plateaux, d'où les ont délogés les Peul et les Mandé Mali-nké. Dans leur nouvel habitat, où ils sont fixés depuis trois siècles, ils ont réussi à conserver leur indépendance religieuse et nationale, menacée cependant maintenant d'un côté par les musulmans de l'Est, de l'autre par les Anglais.
Ils ont pour voisins au Nord-Est, les Limba de la petite Scarcie ; à l'Ouest, près de Freetown, les Boullom, et un peu plus au Sud, les Mampona, qui se rattachent à la même souche, ou du moins ont en partie subi leur métissage, et sont d'ailleurs beaucoup moins nombreux.
Dans la partie méridionale du territoire de Sierra-Leone, vivent sur la lisière des hauts-plateaux d'autres peuplades également indépendantes : les Mendi, les Saffroko, les Kono, et sur la frontière de Libéria, près de l'Océan, les Gallinas. Tout le territoire de Sierra-Leone semble ainsi indemne de l'invasion Mandé qui ne s'y est produite qu'à l'époque actuelle, et sousforme d'immigration individuelle.
Cependant les Gallinas paraissent apparentés avec la grande race nègre du Soudan, où ils ont habité avant de s'avancer vers la côte. Ils ont, en tout cas, pour voisins au Sud, les Veï qui en font partie. Dans la région des hauts-plateaux, les gens du Soulima, du Kouranko sont eux-mêmes des tribus Mandé. La zone côtière seule se trouve habitée par un autre élément.
Le territoire de Libéria, où une population de nègres affranchis, de l'Amérique du Nord, joue le même rôle ethnique que les noirs anglais à Sierra-Leone, était occupé dans sa partie septentrionale par quelques peuplades aborigènes, dont les unes ont disparu, tels les Deh, et dont les autres, Boussi, Gala, etc., sont peu nombreuses. Tous les hauts-plateaux sont occupés par
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les Mandé, dont une fraction très puissante, celle des Weï, déborde jusqu'à la côte.
Au sud de la rivière Saint-Paul, vivent les Bassas et diverses tribus réunies sous le nom général de Krou, puis les Zemma dont font partie les Apolloniens, aux traits parfois caucasiques, comme l'indique leur nom, et qui sont avec les Kroumen, dans une note plus affinée, comme intelligence, activité et aptitudes de tout genre, les plus remarquables des nègres de la côte. Au nord de leur cantonnement littoral, vivent d'autres tribus d'origines distinctes : les Ochin, qui seraient venus du Soudan en conquérants au XVIIIe siècle, puis fractionnés par îlots, les Gouro, peut-être Mandé, les Los, fraction moins policée des Apolloniens, les Gouros etles Ouobés anthropophages, que leurs caractères ethnologiques semblent rattacher aux Pahouins, aux Fans, qui, chassés du Sokoto parles Peuls, émigrèrent en majeure partie au sud du Bas Niger, vers le Cameroun et les pays du Gabon.
Sans continuer pour les autres régions côtières une énumération qui sortirait du cadre de cette étude, il est à noter que dans l'Est du littoral, deux grandes familles ethniques, celle des Agni, dont les Zemma forment le rameau le plus avancé vers l'Ouest, et les Ashantis dont les Dahoméens purs sont un des principaux groupes, représentent une exception remarquable dans le peuplement de la zone maritime de l'Afrique occidentale.
Ce peuplement est en effet caractérisé d'une façon générale par le même fractionnement que sur la côte ouest, mais avec des localisations plus accentuées encore, comme si, indépendamment des races aborigènes refoulées vers la côte par les Mandé, du Soudan, il s'était formé des races métisses d'origine, fixes cependant dans leur nature actuelle, peut-être sous l'influence de la traite. En effet, les nations européennes n'ayant
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guère eu jusqu'à la fin du XVe siècle, de contact avec cette partie de la côte que pour l'exportation des esclaves, il est assez logique de penser que sur bien des points il a dû se former autour des trafiquants indigènes de chair noire des agglomérations hétérogènes. Étrangères aux races locales, celles-ci ont évolué sur elles-mêmes, en prenant des caractères définitifs.
Mais si de nombreuses peuplades échappent ainsi à un groupement générique, la masse de la population ne s'en rattache pas moins à quelques groupes principaux, parmi lesquels dominent les Agnis et les Ashantis.
D'après les traditions locales, les premiers auraient été refoulés vers l'ouest dans leur habitat actuel par lesAshantis.— Quant à ceux-ci, sans que rien de précis puisse motiver des hypothèses rationnelles sur leurs origines géographiques, il est à noter que leurs moeurs et leurs traditions dénotent une civilisation ancienne et compliquée.
D'une part leurs coutumes religieuses évoquaient le souvenir de Carthage et peuvent s'expliquer par la version du Périple d'Hannon qui en fixerait les limites au sud du Cameroun et de Fernando Pô. D'autre part, seule de toutes les races nègres de l'Afrique occidentale, elle a une écriture idéographique dont les quippos complexes rappellent par bien des analogies ceux du Yucatan.
Quoi qu'il en soit, les peuples du littoral du golfe méridional constituent ainsi à divers titres, au sud du Soudan, un groupement étranger au peuplement des pays du Nord, animé de tendances sociales et religieuses différentes des leurs, hostiles par conséquent à leur infiltration.
La région côtière échappe donc, en dehors d'une zone frontière où les races restent nécessairement mélangées, au mouvement soudanien, qui dans l'Ouest s'étend jusqu'à l'Océan.
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C\, Mandé.
Par l'étendue de leur territoire, le nombre de leurs peuplades, le rôle qu'ils ont joué dans l'histoire de l'Afrique occidentale, les Mandé ont une importante exceptionnelle au point de vue du développement de l'Islam. Il importe donc de leur consacrer une étude plus détaillée qu'aux peuplades limitrophes de la côte.
Quelques remarques préliminaires sont, à cet égard, nécessaires pour définir la race même qu'ils représentent. Leur histoire, fort ancienne déjà et très complexe, permettra ensuite d'établir la répartition actuelle de leurs différentes fractions, ce qui, au point de vue de l'évolution de l'Islam, peut offrir un intérêt particulier.
Définition de la race. — Bien qu'en Europe, les divisions ethniques tendent à s'effacer, on parvient cependant, en s'adressant simultanément à l'anthropologie, à la linguistique, à l'histoire, à retrouver dans les races de l'époque moderne, la trace des grandes familles qui les ont constituées.
En France, o où la nation est cependant si homogène et l'unité si complète, on découvre ainsi, au Nord, les descendants des Belges, des Wallons et autres Kymris ; à l'Est, ceux des Germains et des Burgundes ; à l'Ouest, des Normands ; au centre, des Celtes ; au Midi, des anciens Aquitains et des Basques, sans parler d'une foule de colonies comme les Sarrasins, qu'on retrouve çà et là, les Toctosays de Toulouse », etc..
Il n'en existe pas moins une race française, si l'on donne à ce mot une valeur plus générale que celle d'une formule d'anthropologie, de linguistique ou d'histoire.
En Afrique, où d'une part nos connaissances ethnographiques et ethnologiques sont très bornées, où, de l'autre, la confusion des nationalités est extrême, on s'exposerait à des erreurs mul-
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tiples en attribuant une signification trop précise à quelques constatations isolées. Une telle méthode ne peut conduire qu'à des discussions, des contradictions stériles. Il faut emprunter aux trois sciences sur lesquelles repose la classification des peuples, les données générales qu'elles peuvent fournir, et compléter, contrôler celle-ci l'une par l'autre ; mais ne pas s'arrêter à des vues de détail ou isolées, qui seraient nécessairement insuffisantes et inexactes. C'est ainsi seulementqu'onpeut espérer mettre quelque ordre dans le chaos des tribus africaines.
Par race Mandé, il faut donc entendre un ensemble de peuplades qui forment un groupe naturel par leurs affinités historiques, dont les langues offrent au moins quelque analogie, chez lesquelles il existe une certaine ressemblance du type humain." Que des recherches multiples permettent d'établir des distinctions définitives entre les différents éléments de ce groupe, cela est fort possible. Dans le présent, c'estlà, semble-t-il, une limite au delà de laquelle il ne saurait se produire que des hypothèses gratuites.
Le terme de Mandé appliqué à la race ainsi définie, est luimême de convention. II emprunte sa principale valeur aux définitions formulées par Binger, mais doit être conservé au moins provisoirement, en l'absence d'études concluantes, en un autre sens. Cette désignation a d'ailleurs le mérite de ne répondre à aucun des vocables, tous inexacts, usagers parmi les Européens. Le terme français de Malinké, celui de Mandingo qu'emploient les Portugais, ne sont que des termes partitifs, de même que les noms indigènes des différentes tribus du groupe. Aucun de ceux-ci n'a pour ceux qui les revendiquent, un sens collectif dépassant les limites d'une branche particulière de la grande famille qu'ils évoquent. Il n'est pas certain ni même probable que la notion d'une désignation générale, dont, relève la dénominative spéciale de la fraction du groupe entier, se soit
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conservée. — Peut-être même le vocable de Mandé a-t-il plutôt une signification qualitative qu'une portée généalogique et historique. Mais il a le mérite incontestable de substituer une désignation raisonnée, sûrement générale, aux synonymes usuels, tous pris dans un sens impropre. A ce titre il doit être conservé, comme une définition préférable à toute autre, à défaut d'études définitives sur une question trop indifférente et trop complexe pour comporter de longues discussions, en dehors du domaine de la philologie pure.
Histoire. — Avant d'aborder l'étude de l'histoire proprement dite des Mandé, il n'est pas inutile d'en indiquer les grandes lignes, pour préciser quelques notions générales, dont la place se trouverait plus difficilement dans le récit des faits.
Quelle que soit l'origine première des Mandé, il est constant que presque toutes leurs fractions prétendent être venues de l'Est. Quelques-unes revendiquent comme première patrie, l'Arabie, subissant en cela la seule influence des traditions musulmanes. Peut-être cette influence combinée avec celle des légendes juives, répandues par l'immigration hébraïque, suffit-elle pour expliquer la tendance commune. Un seul point peut être considéré comme certain à cet égard : pendant la période moderne, tous les déplacements des Mandé se sont en effet produits de l'Est à l'Ouest. Mais rien ne permet de supposer avec certitude qu'ils aient primitivement dépassé le Bas Niger, dont ils sont maintenant séparés par d'autres peuples.
Quoi qu'il en soit, c'est, semble-t-il, comme tribus isolées, en très grand nombre, que les Mandé ont commencé à jouer un rôle au Soudan. Aujourd'hui encore, ces tribus, bien que n'existant plus en tant qu'organisme politique, sont représentées par leur nom, celui du Diamou, que tous les indigènes ajoutent au leur propre. Ils se disent ainsi Kamara, Sissoro, Dembélé, Traouré, Ko-
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naté, etc.. tout en appartenant à une nouvelle nation, formée de fractions de ces anciennes tribus. Celles-ci en effet se sont divisées au début de la période historique.
Quelques régions du Soudan ont de tout temps été pour ses habitants des centres d'attraction : le Ouassoulou, le Oughadougou, le Manding, le Sahel du Kaarta et du Bakhounou. Peutêtre est-ce là que se fixèrent tout d'abord les diverses peuplades. En tout cas elles s'y trouvèrent à un moment donné représentées en clans isolés, par un essaimage qui laissa d'autres fractions, issues des mêmes tribus, dans les territoires voisins.
A la suite de compétitions faciles à comprendre, il se produisit alors un groupement régional de ces colonies, sous la suprématie de la plus puissante. Dans tel pays par exemple, les Kamara imposant leur autorité aux Sissoro, Dembélé, Traouré, Konaté, devinrent la souche d'un nouveau peuple. De même ailleurs pour les branches différentes de ces diverses familles. C'est ainsi que se formèrent, pendant la période qui s'ouvre avec l'Hégire, les nations de Ghana, de Mali: des Sousou, des anciens Mali-nké. D'autres, comme celles des Tékrour, des Wakoré, les avaient probablement précédées. Puis plus tard les Bambara se groupèrent de même dans la région du Bélédougou, du Minianka.
Mais à la chute des empires ainsi fondés, une nouvelle dissémination s'effectua. Elle eut pour effet de diviser les nations récentes en quelques grandes fractions, qui comprenaient ellesmêmes naturellement des groupes d'origines multiples. Les Soni-nké, les Kissi Kissi, par exemple, se rattachent ainsi aux Sousou.
Dans la suite des âges, ces mouvements alternatifs de groupement et de désagrégation continuant à se produire, on conçoit que les subdivisions de la race primitive soient devenues extrêmement nombreuses. Il serait d'autant plus malaisé de déterminer la provenance de
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toutes celles qui existent, actuellement qu'elles remontent à des périodes d'évolutions différentes et qu'elles s'enchevêtrent mutuellement. On peut toutefois donner à la loi qui les régit et qui est celle de toutes les migrations des Mandé, une formule explicite : à l'origine, la race est divisée en tribus isolées ; Kamara, Sissoro, etc. Ces tribus se fractionnent et se dispersent. Les fractions se groupent et forment des nations : Sousou, Malinké, etc.. Les nations à leur tour se divisent en nouvelles tribus: Soni-nké, etc., qui elles-mêmes se désagrègent.
Les cantonnements actuels peuvent ainsi renfermer côte à côte des indigènes de toute origine, et c'est là un cas fréquent, quoique parfois aussi un même territoire se trouve occupé par une seule grande fraction de nation. Dans ce cas, qui est, par exemple, celui du Kassa, il n'y a plus qu'un mélange des Diamou.
On voit donc que l'histoire delà race Mandé pourrait se diviser en trois grandes périodes : celle de l'existence des tribus, de la formation des nationalités, et de leur dispersion. Il y a lieu d'ailleurs d'ajouter que le mouvement commencé ainsi, continue, comme le montrent la formation du royaume Bambara du Kaarta avant l'invasion Peul, et tout récemment, la fondation des empires de Thiéba, de Samory, puis la décadence de ce dernier État.
Ces indications générales étaient nécessaires tout au moins pour permettre de suivre l'histoire des Mandé, en attribuant aux termes consacrés par l'usage, par.les traditions de nos pays, la valeur qu'ils doivent avoir, lorsqu'il s'agit du Soudan, de l'Afrique nègre.
On a vu qu'il n'existe aucune donnée précise sur la période pendant laquelle les tribus soudaniennes se sont formées et dispersées pour la première fois. De même que les monuments mégalithiques des âges primitifs font défaut dans le continent
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noir, il n'a d'autres chroniques que celles des écrivains musulmans, et ses légendes nationales sont ou très vagues, ou fort récentes. C'est à partir de l'Hégire seulement qu'on peut, en utilisant ces deux sources d'information, tenter la reconstitution du passé.
La première apparition historique des Mandé remonte cependant à une époque antérieure, à la fondation du premierîroyaume des Songhaï de Ghana, par Ouaqaïmagha, quelque temps avant l'Islam. Ce chef avait à son service une caste de fonctionnaires, Ouakoré, dont on retrouve le nom chez les Mandé du Sud-Est, les Ouakoré actuels.
Avec eux vivaient dans le pays d'autres tribus de leur race, les Sébé et les Asouaneck ou Souanînké, les Soni-nké du Sénégal. Cette tribu très importante dès lors, et déjà divisée en plusieurs fractions, se trouvait en même temps représentée dans l'Adrar des Lemtouna, par les Macina, qui ont donné leur nom au pays Peul du Niger ; dans la région de Oualata. par les Azer ; et sur le Niger, par les Silla, qui, aujourd'hui encore, comptent parmi les Soni-nké du Soudan occidental. Enfin à l'est des Silla, habitaient les Takrour, désignés sous le nom de leur capitale et qui formaient une nation puissante. Leur provenance n'est pas certaine. Il semble cependant qu'ils étaient de la même famille que les tribus précédentes.
Ainsi un peu avant l'Hégire, de nombreuses fractions de la race Mandé se trouvaient cantonnéees au nord du Soudan. Avaientelles été subjuguées par les Songhaï, ou commençaient-elles seulement à s'insinuer parmi eux? On ne saurait préciser. En tout cas, elles formaient jusque dans les Ksour Sahariens, une partie notable de l'élément sédentaire et, comme l'a si judicieusement mis en lumière Binger, leur influence sociale se faisait sentir jusque dans la dénomination individuelle des rois Songhaï désignés souvent par un Diamou Mandé, ou par un Tenné'im-
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pliquant au moins une affinité nominale avec la famille représentée par ce Totem.
Jusqu'au Ve siècle de l'Hégire, les peuplades Mandé restèrent idolâtres. Les Tékrour, dont le pays avait été envahi, en 320 de l'Hégire, par l'armée d'un émir de Fez, mais qui étaient redevenus indépendants etles Silla, de la ville de ce nom, embrassèrent alors l'Islam, prêché par un apôtre de la première tribu, Ouardjabi, qui mourut en 432 H. Peu après, la conquête du pays de Ghana par les Sanhadja, accéléra la conversion des pays compris entre le Haut Sénégal et le Niger. Elle était terminée dès le VI 0 siècle de l'Hégire.
Sous l'occupation berbère, les Mandé étaient devenus fort nombreux etpuissants. Outre Takrour et Silla. ils occupaientsur le Niger les grandes villes des Tirekka et de Koukia, qui appartenaient toutes deux aux Ouakoré. Bientôt ils se soulevèrent dans tous les pays Songhaï et substituèrent leur pouvoir à celui des Sanhadja, pendant les guerres de Youcef ben Tachfin, l'Almoravide, dans le nord-ouest de l'Afrique et en Espagne, et pendant les luttes de ses successeurs contre les Almohades.
Dans le Ghana, ce fut une nouvelle tribu, celle des Sousou, apparentée aux Ouakoré, qui s'empara du pouvoir. Elle fonda une dynastie locale et semble avoir étendu ses conquêtes assez loin. Mais son triomphe resta éphémère.
Une autre tribu, issue des Takrour, avait en même temps formé entre Ghana et le Niger, un petit État dont la capitale était Mali ou Mellé et qui conserva le nom de Mali, avec la valeur d'une désignation générique.
En 610 H. (1214 J.-C), son chef, Baramindana, le premier souverain musulman de Mali, avait fait le pèlerinage de la Mecque. Sous son règne, les Takrour devinrent de plus en plus puissants et au milieu du siècle, son successeur Mare Djata, vainqueur des Sousou, acheva de créer le grand empire Mali,
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qui touchait d'un côté au Sénégal moyen, par le pays de Ghana, et de l'autre dépassait vers l'Est le Niger septentrional.
De nouvelles guerres développèrent encore ce vaste domaine, qui au VIIIe siècle de l'Hégire (XIVe J.-C.) englobait le Tagant et l'Adrar des Lemtouna, et plus tard s'étendit au sud du Sénégal jusqu'à l'Atlantique.
Les souverains de Mali entrèrent alors en relations suivies avec les califes d'Egypte et les émirs du Maghreb. L'un d'eux, Mansa Ouali, fils de Mare Djata, s'était, en 658 H. (1259 J.-C), rendu au Caire sous le règne du sultan Beibars, en allant en pèlerinage. Un autre, Sakoura, arrivé au pouvoir par usurpation, vit de même El Melik en Nasir, en 710 H. Enfin, Mansa Moussa, le plus célèbre de la dynastie, conclut un traité d'amitié avec le sultan Abou el Hassen, du Maghreb marocain.
Sous son règne, Timbouctou qui avait été tour à tour conquise par les Lemtouna, réoccupée par les Songhaï et dévastée par les Mossi, fut prise et il y construisit des mosquées. Toutefois, les Mossi, qui habitaient près du Niger et étaient des adversaires déterminés de l'Islam, revinrent encore attaquer la ville, et la saccagèrent de nouveau vers 730 H. (1329 J.-C).
A cette époque remontent les premiers signes de décadence de l'empire Mali. Un prince Songhaï qui était élevé à la cour du souverain, réussit à s'enfuir et à reformer dans l'Est un petit Etat indépendant. Peu après les Masoufa, tribu des Lemta, qui se forma d'une fraction des Touareg, s'emparent de Timbouctou. Leur conquête, il est vrai, ne fut pas de longue durée. Mais dès lors, les Mandé n'exercèrent plus qu'une autorité peu absolue dans la partie orientale de leur territoire, où Gogo notamment formait un État vassal.
A partir de la fin du VIIIe siècle de l'Hégire (XIVe J.-C.) des luttes intestines, où succombèrent plusieurs souverains, affaiblirent plus rapidement la puissance de Mali. Elle était cependant
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assez grande encore, lorsque les Portugais arrivèrent au Sénégal. En 1454, en effet, Çada Mosto trouvait des peuplades tributaires du royaume, à l'embouchure de la Gambie. Déjà cependant les Touareg avaient recommencé leurs dévastations qu'ils étendirent jusqu'au Niger et ils reprirent une fois de plus Timbouctou qu'ils conservèrent pendant quarante ans. En même temps, les Songhaï s'emparaient de Gogo, bâtissaient Agadez, détruisaient Tademekka. Une lutte définitive se préparait entre eux et leurs voisins de l'Ouest. Elle eut lieu un peu après le milieu du IXe siècle H. (XVe J.-C). Le chef des Songhaï, Sonni Ali, avantdernier roi de leur seconde grande dynastie, envahit les pays situés à l'ouest du Niger, le Ghana, le Oualata, et conquit le Bakhounou. Sans disparaître complètement, l'empire de Mali se trouva ainsi réduit à quelques provinces de son domaine primitif. A Oualata même, sous le dernier successeur dynastique de Sonni Ali, El Hadj Mohammed Askia, l'ancienne population avait complètement disparu. Le Songhaï s'y parlait seul.
Toutefois on retrouve encore des Diamou et des Tenné Mali dans la liste des souverains Songhaï de cette période, ce qui montre que la domination politique des uns n'excluait pas l'in. fluence sociale des autres.
L'ancienne capitale du Mali fut probablement détruite pendant les guerres qui se suivirent, de Sonni Ali à El Hadj Askia. En tout cas, leur souverain résidait à Zillen, plus au Sud, sur la frontière même du Soudan, au commencement du Xe siècle de l'Hégire (XVIe J.-C). Il y fut attaqué par le frère d'El Hadj Mohammed Askia, et par celui-ci qui, après un court siège, s'empara de la ville et la détruisit.
Ce ne fut cependant pas encore la ruine définitive du pouvoir des Mali. Ils conservèrent tout au moins les territoires qu'ils avaient occupés au sud du Sénégal jusqu'à l'Atlantique et étaient encore assez puissants pour qu'en 904 H. (1533 J.-C.) les Portu-
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çrais aient envoyé une ambassade à leur roi Mandi Mansa. Peutêtre, au cours des migrations déterminées, ainsi qu'on le verra ultérieurement, par la conquête Songhaï, s'était-il produit dès la fin du XVe siècle des divisions nombreuses dans leurs anciennes peuplades. Celles du Soudan occidental se seraient ainsi trouvées indépendantes des tribus qui habitaient encore les pays de Mali. En tout cas, il existait encore dans cette région un souverain Mali, tributaire des Songhaï et qui, en 942 H. (045 J.-C), essaya de secouer leur joug. Sa révolte fut bientôt comprimée et, à partir de ce moment, on peut considérer comme close l'histoire de cette branche de la race Mandé au nord du Soudan. Elle n'est plus représentée aujourd'hui dans le Kaarta,leBakhounou, dans son pays primitif, que par quelques familles de captifs.
A une époque plus récente, un autre peuple issu de la même souche et venant du Sud, celui des Bambara, y a au contraire joué un grand rôle, ainsi qu'il est dit plus loin.
Avant d'envisager cette période moderne de l'histoire des Mandé, il convient de compléter les indications qui précèdent, pour la fraction septentrionale. Empruntées aux chroniques arabes, à celle d'Ahmed Baba notamment, elles ne visent pas l'occupation du domaine actuel des peuplades refoulées par les Songhaï. Quelques traditions arabes conservées parles griots, permettent de combler en partie cette lacune. lien est ainsi pour le Soudan surtout.
L'origine des tribus Mandé qui sont cantonnées le long de l'Atlantique reste plus confuse. Il semble certain que pendant la période de prospérité de l'empire Mali, la race se trouvait représentée sur le littoral pae une population plus nombreuse qu'à l'époque actuelle. Le Cayor, par exemple, a été un moment envahi par les Mali-nké, les Mandé de Mali que les Ouolof ont encore trouvé établis dans les parages de Dakar. Les récits des
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voyageurs portugais montrent d'ailleurs combien les premiers étaient puissants au XVe siècle jusqu'au sud de Sierra-Leone. Il est probable qu'ils s'étendaient ainsi par des invasions successives, des guerres de conquêtes, dont les annales restent mystérieuses. C'est à partir de la fondation de la seconde dynastie Songhaï seulement, qu'on peut suivre le mouvement des peuples Mandé sur la côte comme au Soudan.
Afin d'éviter toute confusion dans la mesure du possible,il est bon d'indiquer sommairement tout d'abord, les conséquences qu'eut le bouleversement provoqué par le triomphe des Songhaï dans la région littorale. Chassés du pays de Ghana parles Mali, les Sousou leurs congénères s'étaient fixés dans la contrée limitée par le Sénégal, le Niger et le Foutah-Djallon, et quelques-unes de leurs tribus qui avaient embrassél'lslamisme étaient cantonnées au Nord, et dépendaient directement de leurs vainqueurs. Peut-être avaient-elles commencé à s'avancer vers l'Ouest dès l'arrivée de ceux-ci. En tout cas, au moment de la conquête Songhaï du XVe siècle,elles étaientencore représentées, par plusieurs fractions, entre le Foutah-Djallon et le Sénégal. Au Sud, les autres Sousou avaient formé un État vassal des Mali, qui pendant les luttes de ces derniers contre les Songhaï se rendit indépendant et auquel se joignirent les peuplades voisines, pour lutter contre Sonni Ali dont les armées s'avancèrent en même temps dans le Soudan et sur la lisière du Sahara.
Mais là aussi, les Songhaï furent victorieux. Il se produisit alors un mouvement général d'émigration des Sousou vers la côte. Fétichistes ou musulmans, ils franchirent tous les plateaux du Foutah-Djallon et vinrent occuper leurs cantonnements actuels, les premiers en conservant leur ancien nom, les seconds sous ceux de Solima et de Socé. D'autres tribus musulmanes du même groupe, les Kissi-Kissi, fixées également sûr le versant
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Atlantique, paraissent ne s'être converties que depuis leur arrivée dans cette région.
Ce déplacement, qui suivit immédiatement la conquête de Sonni Ali pour les Socé, les Solima et aussi pour quelques fractions fétichistes, ne se produisit qu'un peu plus tard pour les autres Sousou. Ils' se groupèrent tout d'abord à l'est et au sudest du Foutah-Djallon, dans la vallée du Bafing, et ne le quittèrent que refoulés par les Djallonké actuels. Ceux-ci comprenaient des représentants isolés de toutes les tribus Mandé qui, fuyant devant la conquête Songhaï, vinrent chercher un asile de ce côté. Bien que leur cause eût été celle même des Sousou, ils ne tardèrent pas à entrer en lutte avec eux et à les forcer de quitter le pays. Ce mouvement, qui semble s'être terminé vers le milieu du XVIe siècle, eut ainsi pour conséquence de jeter sur le littoral la peuplade Sousou tout entière. A ce moment les Mandé de l'Ouest dépendaient encore, comme on l'a vu, des derniers souverains de Mali. Peut-être fût-ce l'arrivée des nouveaux venus qui acheva de rompre le lien.
Il se produisit d'ailleurs bientôt sur leurs traces, une seconde émigration, celle des Djallonké, dont le nombre s'était considérablement accru et qui formaient une nouvelle agglomération ethnique. De la vallée du Bafing, ils s'étaient avancés vers le Foutah-Djallon où s'étendaient de vastes forêts désertes, puis descendirent sur le versant ouest de ces plateaux, dont ils ne s'écartèrent pas. Tous étaient idolâtres.
L'importance de l'élément Mandé dans la zone côtière se trouva ainsi fort augmentée dès le commencement du XVIIe siècle, et par l'appoint d'une population en majorité fétichiste. Cette population se trouvait répartie en une foule de petits États indépendants, dont quelques uns anciens déjà,' comme celui de Gabou sur la haute Gambie. Mais à cette période d'expansion de la race Mandé succéda
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rapidement la conquête des Peul. Venus en même temps du Nord et du Sud, ceux-ci se rendirent facilement maîtres du Foutah-Djallon. Puis convertis à l'Islam, ils envahirent les pays voisins et les dévastèrent presque jusqu'à la côte qu'ils atteignirent sur quelques points. Les Djallonké se trouvèrent ainsi réduits au rang de vassaux de leurs puissants voisins, et la race Mandé, qui cessa jusqu'à l'époque actuelle de recevoir de nouveaux appoints dans ces parages, perdit presque tout le terrain qu'elle venait de gagner. Seules ses fractions musulmanes continuèrent à se développer, en même temps que les peuplades aborigènes, fixées sur le littoral, et qui échappèrent ainsi à l'invasion Peul, se reconstituaient çà et là, ou tout au moins recouvraient leur indépendance.
Les bouleversements qui suivirent la chute de l'empire Mali eurent ainsi pour première conséquence dans l'Ouest, le déplacement des Sousou, qui occupaient alors les territoires englobés dans le Soudan, et vinrent s'établir entre le Foutah-Djallon et l'Atlantique. Une nouvelle agglomération de Mandé se forma dans la région que quittaient les Djallonké. Ceux-ci essaimèrent également dans la région côtière où la race Mandé devint ainsi plus nombreuse au XVIIe siècle qu'elle n'avait jamais été sous les souverains de Mali. Puis l'arrivée des Peul mit fin à ce mouvement.
Au Soudan même, les remous ethniques dont le triomphe des Songhaï donna le signal, semblent beaucoup plus importants. On a vu comment disparurent d'après les historiens arabes, les souverains de Mali, et comment les Sousou quittèrent leur pays suivant les traditions locales. Quelques développements sont nécessaires pour rattacher ces événements à ceux dont le Soudan fut le théâtre.
Tout d'abord, il y a lieu de noter que les légendes soudaniennes s'accordent pour personnifier le choc des deux races,
LES RACES ET LEUR HISTOIRE
87
Songhaï et Mandé, en deux héros d'épopée, Soundjataet Soumma Oro. Le premier n'est autre, semble-t-il, que Sonni Ali, l'avantdernier souverain de la 2e dynastie Songhaï. Le mot Soundjata n'est, en effet, qu'une crase de Sonni Djata, où Djata (lion) intervient comme Tenné maternel. Puis les chants des griots attribuent à leur héros, comme l'histoire au chef Songhaï, une cruauté extrême, et comme elle, en font une sorte de dieu du mal. Enfin Sonni Ali meurt noyé dans une rivière, et de même Soundjata.
Quant à Soumma Oro, il était roi des Sousou, vassaux autrefois de Mali, puis redevenus indépendants de ceux-ci, lorsque décrut leur puissance. Dabi Touré, Sansoum Touré, Baraka Niakhali, Sousou Massa Soumma Oro, disent les chants des griots : Dabi était Touré, Sansoum Touré. -
Le plus fort contre sa mère était le roi des Sousou Soumma Oro. Pendant la période qui précède la restauration du pouvoir des Songhaï dans le pays de Ghana, ils s'étaient graduellement relevés au sud du Niger. On a vu qu'au XIVe siècle, un prince de leur race, otage à la cour de Mali, avait réussi à s'enfuir. Leurs tribus s'étaient alors soulevées. Ils avaient recouvré leur indépendance, formé un nouvel État, dont les frontières étaient au Nord, marquées parla boucle du fleuve. Peu à peu ce royaume s'était développé dans le pays Mandé du Soudan, vers le Oughadoûgou.
Au moment où Sonni Ali commença ses conquêtes dans l'Ouest, il avait ainsi comme serfs, comme vassaux, de nombreux
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peuples de la même race que les Sousou. Appliquant dès lors un système qui a été suivi de nos jours par Samory, par Thiéba, il lança toutes ces tribus contre celles qui dépendaient de l'empire Mali ou en avaient fait partie.
Parmi ces sujets des Songhaï, se trouvait un peuple qui devait jouer plus tard un rôle prépondérant à Ségou et dans le Kaarta, les Bambara. Nouveau venu sur la scène africaine, il s'était constitué de fractions Mandé de toutes provenances et dont quelques unes étaient également représentées dans le parti de Mali : les Kouramakha, Diara, Kamara, Traouré, Fofana, Sakho, etc.. Il avait, semble-t-il, eu son premier berceau dans le pays de Kong, au sud du bassin du Niger et y était gouverné par un roi Kamara, quandles Songhaï entraînèrent une partie de ses tribus. Dès lors, les Bambara comptèrent parmi les défenseurs les plus énergiques de la cause de Sonni Ali et ce furent leurs chefs qui dirigèrent au début la campagne contre les Sousou.
Une autre peuplade Mandé, les Keïta, qui représententaujourd'hui dans le Manding la lignée royale, se trouvait rattachée au parti des Songhaï par d'autres liens. Elle habitait primitivement le pays de Oughadongou, près de celui qu'occupent les Mossi, puis était venue se fixer dans le Manding. Par la lignée féminine, Sonni Ali appartenait à une de ses fractions, les Konaté. Presque tous les Keïta comptaient ainsi parmi ses partisans.
Quant aux captifs proprements dits du chef Songhaï, suivant l'expression indigène, ils étaient également fort nombreux et prirent part aux luttes contre les Sousou et Mali. On peut citer parmi eux, les Sissoro, les Dembélé, Jes Dabo, sans compter quelques familles des tribus comprises également dans le groupe Bambara, les Kamara, les Dembélé, etc..
Enfin, les Songhaï avaient de bonne heure soumis une partie des Takrour, et presque tous les Asouaneck, les Soninké de la vallée du Niger. Ceux-ci leur fournirent également
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 89
des contingents, notamment les Touré, les Diane, les Sissé. Ces derniers étaient musulmans, tous les autres idolâtres. Sonni Ali se trouva ainsi personnifier aux yeux des populations soudaniennes la cause fétichiste, bien qu'il fût lui-même musulman. Son renom de férocité, les ruines qu'il entassa partout, y contribuèrent d'ailleurs aussi.
Le parti opposé, celui que représente Soumma Oro, se trouva au contraire représenter la cause musulmane, bien qu'il comptât des peuplades païennes, les Sousou du Nord notamment. Soumma Oro était lui-même d'une tribu des Asouaneck, des Soni-nké, les Touré, fixée sur le Niger en amont de Timbouctou. Peu après le soulèvement des Songhaï de l'Est au XIVe siècle, il s'était formé à Ouagadou, dans le Bakhounou, un petit État Soni-nké indépendant, ou qui tout au plus reconnaissait la suzeraineté de Mali. Il était gouverné par les Bakiri ou Sempré et fut de bonne heure attaqué par ses voisins. Dans ces premières luttes, il se trouva soutenu par une importante fraction des Mandé actuels, les Traouré, qui comptaient aussi parmi les Bambara, et réussit à se défend-re victorieusement. Mais lors de l'invasion du Bakhounou par Sonni Ali, toute résistance devint impossible. Les Bakiri se dipersèrent et Soumma Oro, qui était l'un d'eux, ou leur succéda, se réfugia chez les Sousou du Sud, accompagné par ses partisans. Outre les Traouré et les Touré, il avait avec lui de nombreuses fractions des Soni-nké purs, les Tabouré, Kogorota, Silla, Diane, etc.. et quelques autres de tribus mixtes, .les Dabo, Diaouara, etc.. les premières entièrement musulmanes, les autres en partie fétichistes, et représentées comme telles chez les Bambara.
Les Sousou accueillirent avec empressement les nouveaux venus, et pendant que Sonni Ali poursuivait ses guerres contre Mali, il se forma au sud du Sénégal un État Sousou, gouverné par Soumma Oro, dont la puissance se trouva bientôt accrue
90 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
par l'arrivée d'émigrants du Nord, des fractions musulmanes des Sousou notamment.
Comptant ainsi de nombreux groupes mahométans, le parti tout entier représenta naturellement la cause de l'Islam, en opposition à celui des Songhaï, ou plus exactement de leurs vassaux fétichistes. La forme que revêtit la lutte qui s'engagea bientôt, est en effet exclusivement celle d'un choc des peuplades Mandé du Sud et de l'Est contre les populations de même race du Nord et de l'Ouest.
Tout d'abord, Sonni Ali occupé par la conquête du Bakhounou, du Oualata, ne se préoccupa pas du nouveau mouvement. Mais bientôt Soumma Oro, prenant l'offensive, envahit le Manding, pour subjuguer les Keïta. Le souverain Songhaï vint alors au secours de ses alliés et après diverses alternatives, Soumma Oro, vaincu, périt à Néma, au coeur du pays qu'il avait tenté d'occuper.
Ses partisans se dispersèrent aussitôt. On a vu comment les Sousou se réfugièrent d'abord sur la limite du Foutah-Djallon avant de s'enfoncer dans l'Ouest.. Les Soni-nké moins nombreux restèrent dans le pays, mais très disséminés dans les forêts, dans les solitudes de la brousse.
Vainqueur de tous ses adversaires, Sonni Ali n'en avait pas moins redoublé ses cruautés, et les dernières années de son règne achevèrent de pousser à la dernière limite la haine de ses sujets contre la dynastie Songhaï.
A peine était-il mort, noyé dans le torrent de Koura, dans une expédition contre les Kourma, en 1492, que les révoltes éclatèrent de toute part. Les tribus captives émigrèrent en masse vers l'Ouest et vinrent, ainsi qu'il a été dit, peupler les pays Djallonké où se trouvèrent réunis côte à côte, les Traouré, Keïta, Kamara, Silla, Sissé, Dabo, Fofana, Sakho, etc., toutes les fractions Soni-nké, Mali-nké, Bambara, qui avaient pris part aux événe-
LES RACES ET LEUR HISTOIRE CI
ments précédents. En même temps des mouvements analogues avaient lieu dans le Manding et au Sud, jusqu'au delà du Ouassoulou. Les Soni-nkéqui étaient restés dans le Bakhounou l'évacuèrent presque tous, pour venir s'établir dans le Guoy et le Kamira, où ils formèrent momentanément une nouvelle confédération. Mais bientôt, d'autres Mali-nké arrivèrent sur leurs terres et, leur en enlevant une partie, les forcèrent à se disperser de nouveau.
C'était d'ailleurs leur cause surtout, celle de l'Islam, qui venait d'être vaincue et, plus que toute autre tribu,.ils subirent les conséquences de la défaite. Après avoir longtemps formé l'élément principal de la population entre le Niger et le Sénégal, ils ne sont plus aujourd'hui représentés que par des colonies isolées sur les deux fleuves.
Partout ainsi se produisirent un mélange, une confusion extrême des peuplades Mandé, qui cessèrent dès lors d'avoir une homogénéité générale dans toute la contrée où venait d'avoir lieu ce bouleversement.
Une exception très remarquable est cependant à noter, d'autant qu'elle a eu pour résultat un nouvel échec de l'Islam.
La nouvelle nation des Bambara, étrangère encore au Soudan septentrional, et qui paraît n'avoir pas été, comme les autres tribus, réduite par les Songhaï à une dure servitude, perdit seulement quelques fractions qui émigrèrent vers le Manding. Les autres restèrent groupées dans le Toron, sur le haut Niger, près du Ouassoulou. Puis profitant de la dépopulation des pays du Nord, elles s'avancèrent peu à peu vers le Macina, ralliant sur leur route tous les débris des anciennes peuplades ; au commencement du XVIIe siècle, leur nombre s'étant ainsi considérablement accru, elles arrivèrent en conquérantes dans les parages de Ségou, où quelques Soni-nké, de la fraction des Sissé, s'étaient rendus indépendants des Songhaï.
92 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
En i65o, le Kouloubali Kaladian, chef des Bambara, renversa la>4ynastie locale et lui substitua sa propre autorité. Ses successeurs eurent encore à soutenir quelques révoltes des anciens habitants, mais elles prirent fin sous le règne de son arrière-petit-fils, Tiguittonj qui réussit à établir un accord durable entre ceux-ci et ses propres partisans. Il conclut tout d'abord avec leur chef une alliance, puis un soulèvement ayant eu lieu peu après, le réprima avec une énergie qui suffit pour prévenir toute autre rébellion.
Après avoir fondé Ségou, Tiguitton entreprit la conquête de la rive gauche du fleuve et commença à s'étendre dans l'Ouest. Ce mouvement se trouva ralenti après sa mort par des compétitions qui mirent aux prises les diverses tribus Bambara. L'intervention des gens du Kaarta qui prirent part à ces luttes, appelés par un parti vaincu, leur valut bientôt l'envahissement de leur propre territoire, dont l'occupation ne fut d'ailleurs que momentanée. Les Bambara se trouvèrent en effet aux prises, dès la première moitié du XVIIIe siècle, avec les Peul qui arrivaient "de l'Est. Sous le règne du roi de Ségou, Ngolo, une première tentative des nouveaux immigrants fut repoussée avec succès, et ils durent se contenter d'être acceptés dans le Macina qui tout entier relevait du souverain de Ségou, comme sujet de celui-ci. Libre de tout soin de ce côté, Ngolo passa sur la rive gauche, où il guerroya pendant huit ans avec succès contre les nomades, puis entreprit une expédition contre les Mossi.
A sa mort, les Bambara occupaient tout le cours du Niger du Manding au lac Debbo et ses abords jusqu'aux pays Songhaï d'un côté, jusqu'au Kaarta de l'autre. Son successeur Mansong, qui mourut en 1808, acheva la conquête de ce dernier État.
Mais, après lui, la puissance de sa race décrut rapidement. En i8io,les Peul avaient déjà conquis le Macina. Ségou et le Kaarta continuèrent cependant à former un Etat indépendant, qui, tout
LES RACES ET LEUR HISTOIRE
93
en subissant des attaques incessantes, résista à la nouvelle invasion jusqu'à l'arrivée d'El Hadj Omar. Avec lui, les Peul devinrent partout victorieux et la prise de Ségou en 1861 consacra la ruine du royaume Bambara.
Il ne paraît pas que pendant la période où se déroulèrent tous ces événements, c'est-à-dire du XVIe siècle à nos jours, il se soit produit des mouvements similaires dans le reste du Soudan. Cependant, on peut mentionner dans la partie septentrionale du Manding, près de Kita, la formation éphémère d'un État Mandé dont le chef Tamba Bokhari étendit un moment ses conquêtes jusqu'aux abords du Foutah-Djallon. Enfin, dans le Sud, il y a lieu de noter l'existence d'un autre royaume ou plus exactement d'une confédération Bambara, qui jusqu'au milieu du siècle actuel paraît avoir conservé une certaine importance au delà du Ouassoulou.
Mais l'histoire de ces régions est plutôt celle des Peul, dont l'invasion devient le fait capital des annales soudaniennes à partir du XVIIe siècle et celle de l'Islam à l'époque moderne. Elles sont d'ailleurs moins connues à beaucoup près que les pays du Nord, et les grandes migrations qui s'y sont produites autrefois, comme celle desVeïde Libéria, n'ayant pas laissé de traces, il serait superflu d'insister sur quelques mouvements locaux.
Pour compléter l'étude consacrée à la race Mandé, il reste à indiquer la répartition actuelle de ses différentes fractions. Au point de vue de la propagation de l'Islam au Soudan, cette répartition offre un intérêt particulier par les affinités historiques dont elle résulte.
Fractionnement actuel des Mandé. — Ainsi qu'il est facile de s'en rendre compte, en conjecturant de la civilisation antérieure des races nègres par leur état présent, même dans les pays musulmans, les narrations historiques qui s'appliquent aux peuplades n'ont qu'une valeur de convention, par l'emploi obli-
94 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
gatoire, faute de synonymes, de termes qui ne sauraient s'appliquer à leurs sociétés primitives, avec la valeur qu'ils ont dans les annales de nos pays. Tout au plus, par rois Songhaï ou Mali, faut-il entendre des Samory ou des Rabah quelconques, dont les capitales étaient des agglomérations de huttes entourées de murailles de terre, des Tata. Leurs armées ne sont que des bandes et leurs conquêtes des incursions de pillage.
Il est nécessaire de préciser ainsi la valeur figurative des mots, en quittant le passé pour le présent, qui semblerait inexplicable, si on n'en considérait les origines qu'à travers la phraséologie classique, inexacte, mais obligatoire en l'absence de définitions exactes, appropriées à un résumé chronologique.
Les Mandé actuels proviennent, comme on vient dele voir, d'un mélange confus historiquement et géographiquement, de tribus qui ne sont pas nécessairement de la même race, mais se trouvent groupées en grandes familles, très fractionnées elles-mêmes, entre lesquelles il existe un lien traditionnel et sociologique d'origines communes.
Dans cette répartition, la classification telle que la pratiquent les indigènes, repose sur une double base, le Diamou, nom générique de nationalité originelle, familiale, et le Tenné équivalent au Totem américain, qui fractionne la nationalité en tribus, par la personnification d'un fétiche protecteur. Le Diamou ne va pas d'ailleurs sans un Tenné collectif et la tribu issue de la nationalité d'un Diamou commun, se fractionne elle-même par l'adoption de Tennés particuliers, en clans, souvent multiples.
Bien qu'il ne paraisse pas qu'on soit encore exactement fixé sur les grandes divisions de la race Mandé, dont quelques-unes généralement admises se prêtrent à quelques réserves, on peut, en adoptant la classification de Binger, supposer l'existence de deux familles primitives, les Ndé et les Ma-ndé proprement dits et pour ceux-ci un premier fractionnement, en Bammana (Bam-
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 95
bara), Mali-nké, Sama-nké, Samokho ; les Ndé comprenant les Sonni-nké, les Sousou et hypothétiquement les Dioula. Mais historiquement, on constate plus exactement un fractionnement moins généalogique, répondant seulement àla répartition actuelle de Mandé en tribus principales : Mali-nké, Bammana, Sonni-nké, Sousou, auxquelles on ajoute parfois, comme tribu distincte, les Dioula qui représentent peut-être plutôt un groupement politique issu de différentes provenances.
Les Mali-nké ou hommes de Mali ont comme Tenné commun, l'hippopotame, Mali et compteraient, d'après des renseignements indigènes, comme fractions principales les suivantes : Keïta, de souche royale. Sissoro.
Dembelé et Traouré (fractions de même souche). Kamara ; Déléba et Danioro (idem).
Nomoro.
N'Diébaraté, tribu de griots. Boghaïro.
Sinaïro, forgerons parmi lesquels comptent les Niaghaté. Kanté, forgerons. L'excellente notice de Binger sur les Mandé donne une répartition plus complète. Cette notice divise ainsi la famille Mali-nké :
(Tenné : Mali : hippopotame). ire subdivision :
/ Keïta à) Familles royales ) Bakhoyokho Tenné :
( Kamara Le rat palmiste
96 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
/ Kourouma Tenné :
b) Autres familles < Konaté La panthère
' Sissokho 1 Konyaté
I Diabakhaté Tenné :
c) Familles de griots < ,
J Dombia L'igname
[ Diombaté 2e subdivision : les Kagoro comprenant : lesToungara Tennés :
Magaza Le serpent boa
Konaté Le campagnol
Touré Le trigonocéphale
3e subdivision : les Tagoura comprenant : LesTraouré Diarabaté Konné Bamma Au même moment où Binger recueillait ces éléments de classification basée sur le Tenné, dans son voyage vers Kong et Grand-Bassam, nous avions cherché au Soudan septentrional à obtenir des renseignements complets de même ordre ; mais nous n'étions arrivé qu'à des résultats non concluants, des indigènes se disant d'un même diamou fractionnaire, évoquant des tennés différents, suivant leur habitat. Cependant nous serions disposé à considérer la méthode de Binger comme excellente en théorie,quoique d'une application incertaine parce que le diamou subsistant, il arrive souvent que le tenné se modifie en raison des groupements locaux dont nous citerons plus loin des exemples typiques.
Les Bammana (Caïman) ou Bamba, connus en général sous le nom de Bambara, sont, parmi les Mandé, les plus proches parents des Mali-nké.
zemÊt
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 97
Après avoir concouru à former, comme fraction de son peuple, J'empire de Mali, ils se dispersèrent devant la conquête musulmane, les uns restant cantonnés dans le Kaarta, le Bakhounou et les autres s'avançant vers le Manding et la vallée du Baoulé.
Leurs principales tribus dans ces régions sont les suivantes, d'après nos renseignements :
i° Kouloubali qui se divisent eux-mêmes en : Massasi, de souche royale. Mossi Réla ou Mou Siré et Sirala. Denibola. Firimoussa. 2° Konaté, autrefois compris comme griots parmi les serfs des Keïta Mali-nké, mais devenus indépendants d'eux et faisant partie, ou prétendant faire partie des Bammana, 3° Fomba.
4° Diara qui se divisent en : Donfandé. Doumoro Diata. Niamoro Bêlé. Les mêmes Diara sont également connus sous les noms de Kounté en pays Mali-nké et de Fissanka dans le Ouassoulou. 5° Konaré, connus aussi sous le nom de Kala-nké, celui du pays de Kala où ils ont été fixés. 6° Dembélé, dont une partie revendique une filiation Mali-nké. 7° Sounana ou Somono, caste de pêcheurs du haut Niger. 8° Baghaïro, également réprésentés chez les Mali-nké. 9° Kogorata, connus aussi sous le nom de Fofana et de même souche que les Fofana Soni-nké, puis d'autre part apparentés aux Kamara Mali-nké. Voici en regard la classification de Binger.
9»
TERRES. PEUPLES. CROYANCES
Famille des Bamba, dite Bamma-na{Caïman).
i° Familles royales :
' Massa-si Tennés :
Kalari les calebasses fêlées
Daniba et le chien
Kouroubari / Mana
1 Mou Siré I Sira \ Bakar
!< Kounté Tennés :
le lion Fissanka .
le chien \ Barlaka le lait de fauve
iKonéré, ou Tennés :
Koulankou le Bandougan
Sokho le singe vert
Dambele le chien
Traoure Niakané Mériko / Sama-nké, \
I comprenantdes j Touré f Tenné :
Sissé 1 Sama (éléphant)
3° Branche de la J Traouré ]
même famille ] Dambélé /
I Sa-Mokho, v . comprenantdes / Tenné : Kouloubari ( Sa (serpent) \ Sokhodakho /
Si on se reporte d'une part à la classification générale de Bin-
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 99
aer admettant quatre grandes familles Mandé proprement dites,
Bamtna-iia, Mali-nké, Sama-nké, Sama-Kho, d'autre part à l'en;
l'en; des renseignements qui précèdent, on voit de suite que
\ l'application trop absolue de la méthode du tenné entraîne des
i confusions inextricables. La réalité semble être qu'en dehors
; de quelques grandes divisions générales, il n'est pas possible de
faire une distinction toujours certaine entre des fractionnements
ethniques, sociaux à l'origine, mais devenus dans beaucoup de
cas géographiques. Cela n'a rien de suprenant au reste. Les
descendants des corsaires marocains, échoués jadis sur les côtes
de Normandie, sont aujourd'hui Normands, de même que les
descendants des captifs chrétiens de Meknès, sont Marocains.
En admettant la division des Mandé en Ndé et Mandé proprement dits, les Ndé se trouvent représentés d'abord par des Sonni-nké et les Sousou, puis hypothétiquement, avons-nous dit, i par les Dioula.
Laissant de côté les Sousou, qui, malgré leur rôle historique au Soudan, n'y figurent plus comme population caractérisée et ne se trouvent que dans la région littorale, nous devons dire de suite que nous ne partageons pas sans réserve l'opinion qui fait du Dioula ou Dloura une famille ethnique distincte, au même titre que celles des Bamma-na, Mali-nké et Soni-nké, quoique cette manière de voir soit généralement admise au Soudan.
D'après Binger, les descendants des Da'ou, Barou, Kérou, familles royales de la première dynastie Songhaï, les Za (du Tenné Serpent: Za) auraient pour se distinguer des partisans des Sonni, delà dynastie suivante, pris le nom générique de Diaou-la « Souche du Trône ». Les Touré et les Ouattara formeraient deux autres de leurs factions primitives. Puis au moment de leur scission avec les Sonni-nké, ils auraient entraîné avec eux d'autres Ouattara et des Sakhanokko, apparentés aux Dîaouara Sonni-nké, puis des Sissé, Kamata, Kamakhaté, Timité et
IOO TERRES. PEUPLES. CROYANCES
Daniokho. Enfin actuellement, on trouve parmi eux des Diara, Kouroubari. Sakho, Bamba, Diabakhaté et Traouré. irEn décomposant ces renseignements on arrive, somme toute, à reconnaître que les Dioula comprennent essentiellement un groupement de Mali-nké, Bambara et Sonni-nké, autour de trois familles primitives qui n'existent plus que comme souvenir traditionnel. S'il semble ainsi probable que les Dioula ne constituent pas à proprement parler une branche ethnique caractérisée de la famille Mandé, ils n'en sont pas moins actuellement une fraction politiquement et socialement distincte des autres. Il semble qu'elle représente les plus anciennes traditions musulmanes chez les peuples soudaniens nègres. Tous les Dioula sont musulmans et ont emprunté à l'Islam nègre les caractères particuliers d'esprit d'initiative, d'habileté commerciale, de tendances relativement progressives qu'il donne à ses adeptes.
Leur groupement social est incontestable; mais ses origines mêmes restent plus incertaines, car la valeur des Diamou attribuée aux souverains Songhaï peut paraître douteuse, en présence de traditions indigènes qui n'y attachent d'autre signification que celle de la lignée maternelle. Cette explication peut d'ailleurs être d'autantplus valable, que les relations des Berbères avec les Songhaï impliquent une certaine pénétration deleurs coutumes, au même titre que pour les Mandé.
Un autre groupe, celui des' Fofana, aurait une constitution analogue, comprenantà la fois des éléments Mali-nké, Bammana et Sonni-nké, comme s'ils représentaient la survivance d'une ancienne caste, commune à toute la famille Mandé.
Les Sonni-nké, Marka-nké des Bambara, Sera-Koulé, d'où on a fait Saracolets, au Sénégal forment au contraire une branche distincte nettement définissable, autant par son histoire que par ses caractères ethniques et sociologiques. D'après Binger, ils se subdivisent en :
LES RACES ET LEUR HISTOIRE IOI
Bakiri Sissé Sillé Diabi Doukouré Kaba Sakho Niakhaté
Diaouara qui comprennent eux-mêmesles Sagoué et les Dabo.
La répartition de leurs tribus, telle que nous l'avons recueillie
auprès de marabouts lettrés du Guoy, serait un peu différente.
Elle comprendrait, outre de nombreuses divisions secondaires,
comme principales tribus, les suivantes :
Sakho, apparentés autrefois aux Bambara.
Dabo, issus des Kogorta Bambara, ainsi que deux autres
fractions, les Kalé et les Ouattara. Fofana, apparentés primitivement aux Kogorta. Tabouré Touré
Diaouara, apparentés aux Bambara. Ko m a Diane Silla Sissé Kaïra Doukouré Gassama Diakhaba Fissourou Fadiga Dafé Bérété
102 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
On voit de suite, en lisant cette liste, combien les points de jonction entre les Soni-nké et les autres familles Mandé sont nombreux. Ils n'en ont pas moins une origine historique incontestablement distincte comme anciens Asouanek du Niger septentrional. Islamisés avec les Songhaï de la seconde dynastie, dont ils ont pris le nom, ou qui eux-mêmes avaient adopté le leur, ils ont, comme les Dioula, groupé autour d'eux des éléments empruntés aux Mali-nké et aux Bammana, en quittant en partie leur ancien habitat pour venir s'établir au sud du Bakhounou, le long du Sénégal, dans le Guoy, notamment près de Bakel, et en petites colonies le long du haut Niger, dans la région de Kankan, puis au Sud-Ouest, dans le pays de Mousardou.
Si les Mandé se subdivisent ainsi en quelques grandes familles principales, faciles à déterminer dans la nature essentielle de leurs groupements ethniques avec une exactitude relative, il faudrait, pour suivre exactement leur répartition, tenir compte aussi non seulement de groupements incertains comme celui des Fofana, mais aussi de groupements géographiques très variables dont un des plus frappants est celui des Djallonké.
Les Djallonké ne forment pas une nation distincte, au même titre que les précédents. Ils n'ont jamais été réunis, groupés en État et tirent seulement leur nom du pays qu'ils occupent, comprenant des représentants de toutes les tribus Mali-nké et Soninké, dont il est inutile de reprendre l'énumération. A celles-ci toutefois il y aurait lieu d'ajouter un certain nombre de fractions de la race Peul qui sont mélangées avec elles.
De même les Ouassoulonké comprennent une forte proportion de Peul, métissés d'ailleurs au point d'avoir adopté la langue et d'avoir souvent le faciès des Mali-nké du pays. Quatre tribus Peul seulement comptent dans ce groupe : les Sidi-Bé. Diakhité.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE Iû3
Diallo. Sangaré. Il est composé pour le reste de Bambara, Konaté, Fomba et Diara, puis de Soni-nké de diverses provenances.
Probablement incomplètes, les indications qui précèdent suffisent à montrer combien était considérable le nombre des tribus primitives de la race Mandé. A défautd'une étude générale de leur répartition, quelques exemples sont utiles pour faire ressortir la confusion de leur groupement tel qu'il s'est effectué à partir du XVIe siècle.
Dans le bassin supérieur du Niger et de ses affluents de droite jusqu'au Mahel Balével, au suddu parallèle de Bammako, on trouve comme éléments essentiels de la population, la répartition suivante :
SKouloubali Bambara, au Nord. Soni-nke, au Sud l Bambara Kouloubali. I Diara, Dembélé. ! Peul parlant le Bambara et venant des
Bani-nko < premiers émigrés du Macina.
( Kamara, Sissoro.
Bana Samaké Soni-nké, apparentés aux
Touré. , Diakhité, Dembélé, Traouré,
Tiaka j Diara ; c'est-à-dire des Peul, des Mali'
Mali' Bambara. f Baghaïro Bambara.
Kéléyadougou } Sissoro, Koukhoumakha, des Maliv
Maliv de la même nation.
Gouana Keïta Mali-nké, et Konaté Bambara.
Baya Sissoro et Kamara.
Ouassoulou Peul, Mali-nké, Soni-nké, Bambara.
104 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
( Sakho et Soni-nké en petit nombre,
Oudoumo j
I puis quelques Keïta.
i Touré; Silla, Sissé : Soni-nké, etDiaPays
etDiaPays Kankan
J I khité Peul.
PaysdeBissandougou.. Touré Soni-nké et Bambara.
( Diara Bambara et Peul :
Sonkaran j
( Diakhité, Diallo, etc...
Dans une région plus restreinte, le Manding de la rive gauche du Niger, on trouve côte à côte des Kamara, au Nord-Est près de Sibi ; des Keïta entre Niagassola, Kangaba et Niafadié. Puis tout près au Sud-Ouest, des Kainara et Soni-nké dans le Bouré; des Kamara et des Kamissoro dans la vallée du Bakhoy, au nord du Bouré; enfin des Peul Sidi Bé, Diallo et Diakhité, au nord de Niagassola, dans le Gadougou.
Ailleurs, au sud du Bélédoûgou, entre Koundouet Bammako, on voit réunis, ou tout au moins juxtaposés dans un territoire très étroit,des Diakhité Peul,parlant leBambara,des Kouloubali, des Diara et des Dembélé.
Encore ne s'agit-il là que des éléments constitutifs de la population. Comme exemple offrant plus de détails, on peut citer celui d'un district voisin du Manding au sud, le Baléya qui s'étend le long du Niger sur une bande de 60 kilomètres de long et 3o de large. Ses villages sont peuplés, savoir : 7 de Traouré 1 de Traouré et Sissoro 1 de Sissoro 3 de Bérété 1 deKanté pour ne parler que des fractions constituées.
A l'Est, en pays Diallonké, le Oulada, qui n'est guère plus étendu, offre par village la composition suivante de population:
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Nono (village musulman) — Silla, Fassasi (métis de Peul Si Sadouané et de Mali-nké) ; Djané (Soni-nké), Fofana (Soni-nké métissés de sang Bambara); Kalé et Ouattara; Madé (fraction des Fofana); Kourouma(fraction des Sissoro Mali-nké) ; Santara (apparentés aux Kalé) ; Gallo (Silla Soni-nké) — Danioro ; Sissé. Nono (villagefétichiste) — Keïta ; Kalô(fractiondesKamara). Kankaya — Kamara et Kalô. Bankô — Sissé, Konaré, Kaba, Laghabi (Kanté). Kébéya — Kébé (fraction des Fassasi). Tiguidi Madéya — Kamara. Ouatarella — Kalé, Ouatara. Soriya — Sissé, Kaba, Kébé. Sissila — Sissé.
Kaba Bokharya —Kaba, Touré. Kourou Kolo — Dabo, Bérété. Sorotayo — Sissé, Kôma (Soni-nké de Sansanding), Kaba
Kamara. Moriguèya — Sissé, Kanté, Koïaté (griots). Longoronmbo — Kalé, Sanoro, Kasonma (Soni-nké), Fofana. On voit par cette succession d'exemples combien la population du Soudan est peu homogène. C'est là, au point de vue de sa constitution politique, son principal caractère. Elle estle produit d'une suite de migrations qui, pendant des siècles, n'ont cessé de mélanger ses éléments, sans que cependant les origines d'aucun disparaisse. En dépit de tous les bouleversements qui ont précédé l'époque actuelle, chaque groupe, chaque individu conserve la notion de sa tribu, de sa nationalité. Dans chaque district, dans chaque village, les fractions d'origines différentes sont presque étrangères les unes aux autres, encore que la destinée les ait réunies sur un même sol.
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A cette notion qui ressort directement d'un examen statistique, il convient d'ajouter que le principe de l'autorité revêt dans ces régions des formes diverses. Sous l'influence des traditions qui remontent à l'âge de la tribu primitive, le gouvernement est toujours patriarcal en un sens. Le pouvoir ne se transmet nulle part par hérédité directe.
Apanage d'une famille, il appartient au plus âgé de ses membres, par ordre de primogéniture utérine, se transmet aux frères de mère, puis aux neveux. D'autre part, deux tendances se sont établies-dans les deux partis opposés de la race : fétichistes et musulmans. Chez les premiers, l'autorité a été à diverses époques exercée d'une manière absolue. Quelques tribus admettent ainsi un chef unique, s'inspirant en cela de l'exemple de Sonni Ali. Tel est le cas des Keïta, des Kouloubali. Celles au contraire qui n'ont pas dans leur histoire de semblables précédents, s'en tiennent au patriarcat pur, à l'autorité des anciens, sous la suprématie du chef de la famille souveraine, sans admettre de pouvoir personnel. D'autre part, les musulmans, empruntant sans doute aux Lemtouna Almoravides leur système, ont, dès la fondation de l'empire de Mali, admis le dualisme de gouvernement. A côté d'un chef suprême, dont l'autorité, toute d'essence spirituelle, est en quelque sorte législative, l'Almamy, ils ont un chef de guerre, détenteur du pouvoir exécutif. Tels étaient les principes admis sous la dynastie Mali. Ils se sont conservés chez les Mali-nké musulmans et chez tous les Soni-nké.
Étant données ces trois traditions existantes d'une part, et de l'autre le mélange des différentes fractions de la population, on conçoit que l'organisation politique de la race Mandé, au Soudan, telle que l'a créée son histoire, puisse être caractérisée d'un seul mot : celui d'anarchie. Toutefois quelques directions générales résultent de son his-
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toire, de son évolution : deux de ses groupes sont de longue date orientés vers le mouvement musulman les Soni-nké et les Dioula — un autre en sens contraire : les Bambara, — alors que le quatrième, le plus nombreux, celui des Mali-nké, subit diversement les influences dominantes chez les autres, suivant les conditions géographiques ou politiques de sa répartition.
Peul.
De tous les peuples qui se trouvent représentés dans l'Afrique occidentale, il en est peu dont l'étude présente un aussi grand intérêt, au point de vue de la marche de l'Islam, que celui de la race Peul. Ses origines ont fait l'objet d'hypothèses multiples aussi peu fondées les unes que les autres.
M. d'Eichthal, qui s'en est occupé un des premiers, leur a assigné les îles malaises pour première patrie. D'autres auteurs les ont fait venir d'Egypte. On a voulu trouver une raison d'être à la similitude de leurs noms, Fellata, Fellani, avec celui de Fellahin du bas Nil; une ressemblance entre leur type et celui de ces derniers.
En fait, la supposition d'une origine malaise des Peul est purement imaginaire, et quand on a vu d'une part les Fellahin et les tribus du Nil moyen, jusqu'aux pays nègres, et, d'autre part, les Peul chez eux, il est impossible de trouver la moindre analogie entre les langages des races égyptiennes ou leurs caractères anthropologiques et ceux de la grande peuplade de l'Ouest africain.
Ce qui est certain, c'est que les Peul purs ne sont pas une race nègre. Ils comprennent de nombreuses tribus métisses, provenant de leur mélange avec les peuplades dont ils ont occupé le territoire. L'existence de ces fractions où le faciès nègre est commun, a fait supposer, par Krause notamment, une double origine se rattachant à un type noir et à un type rouge.
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Il ne s'agit là en réalité que d'une absorption, imposée par les conditions de milieu où se sont trouvés les Peul nigériens. Mais elle implique une dégénérescence qui rend plus obscure la question d'origine. L'élément pur a presque partout disparu, et il serait difficile de retrouver, de définir les caractères spécifiques de la race pure'. Elle se rapproche certainement davantage par sa coloration primitive que conservent encore quelques-un de ces groupes, par sa conformation, des peuples Indo-germaniques, que des peuples nègres. Mais tel est aussi le cas des Berbères. Et ce seul indice ne suffit pas à justifier une descendance asiatique. Leur langue, que Frédéric Mùller range dans le groupe Hainito-Sémite, tendrait cependant à la même conclusion, sans la rendre, il est vrai, définitive.
Leurs traditions pourraient, d'autre part, établir qu'ils ont eu pour ancêtres communs, au début de l'ère musulmane, les Mali-nké. et les Arabes, ou encore que certaines de leurs tribus viendraient du Maroc, et auraient ainsi du sang arabe. Mais tous les mahométans de l'Afrique occidentale, même les Mandé les plus authentiques, cherchent à se créer une filiation orthodoxe. Il s'agit là de simples légendes religieuses.
On ne peut donc que constater le mouvement de translation qui pendant la période historique a poussé les Peul de l'Est à l'Ouest, entre le Soudan oriental et l'Atlantique. Leur habitat à l'époque antéhistorique est inconnu.
Sous les noms de Foul-bé au pluriel, Poulo au singulier qui ont donné naissance à de nombreux dérivés : Foui, Poul, Fouli, Folo, Fellata, Fellani, Foulan, Fouta, etc., les Peul s'étendent actuellement de l'Océan au Soudan central. Une ligne tracée de l'embouchure du Sénégal à Yola, sur la Bénoué, la capitale de l'Adamaoua, représente l'axe de leur domaine géographique. Ils occupent ainsi au moins par des colonies : en Sénégambie, le Foutah Toro et les districts voisins, puis quelques cantons
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limitrophes du Djoloff et des pays Sérères ; le Foutah-Djallon et les plateaux du Sud jusqu'au Solima ; plusieurs cantons des pays Djallonké, et comme métisses parlant Bambara ou Malinké, quelques provinces du Soudan français ; dans le bassin du Haut-Niger, le Ouassoulou et les régions adjacentes où ils sont également métis, jusqu'à la limite des territoires Ashanti ; en aval, le Macina, d'où ils débordent dans le Bakhounou et le Kaarta ; plus à l'Est, le Ghando et le Sokoto ; le Bornou, le Bagirmi, le Ouadaï, où ils forment quelques groupes isolés, ainsi que dans l'ouest du Darfour ; enfin l'Adamaoua et les deux rives de la haute Bénoué, d'où ils s'étendent graduellement, par des guerres de religion, vers le Congo moyen.
Comme les Mandé, les Peul ont formé primitivement de très nombreuses tribus, dont les noms persistant à travers les âges, ont encore sur quelques points leur ancienne valeur. Ailleurs, ils sont devenus simplement l'équivalent "du nom de famille. Ce premier fractionnement se trouve compliqué par une répartition intérieure en castes locales, dans plusieurs régions, et par le métissage. L'étude de ces subdivisions multiples et d'origines diverses est extrêmement complexe, et nécessiterait de longues recherches. Elle a été tentée déjà, mais reste fort incomplète. Il suffit de rappeler comme exemple les tribus des Sidi Bé, Diallo, Diakhité, Sangaré du Ouassoulou, de mentionner comme caste celle des Torobé, d'origine Ouolof, et qui, répandus dans tous les États Peul, forment une sorte de noblesse religieuse et guerrière ; des Koliabé, issus des captifs de Koli, le conquérant du Foutah ; des Diaouanbé, agents subalternes des chefs, dans le Kaarta, etc.. A ces désignations qui varient à l'infini chez les Peul mêmes, s'en ajoutent d'autres qu'emploient les peuples étrangers à leur race : telle celle de Toucouleur, en usage au Sénégal chez les Français et quelques Ouolof, inconnue des Foul-bé eux-mêmes.
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Ce qu'il importe surtout de retenir,, c'est que partout la race Peul offre les caractères d'hétérogénéité constatés chez les Mandé, avec une confusion plus grande encore s'il est possible. Mais l'idée musulmane, répandue dans toutes leurs peuplades, suffit, à défaut d'une organisation politique et sociale qui manque, pour créer entre toutes leurs fractions,dans chaque contrée, un lien puissant pour les réunir à un moment donné en un groupe compact, dans la lutte contre les adversaires de la foi islamique.
Bien.que ce soit Barth qui ait le premier posé les bases de l'histoire des Peul, il-semble que l'hypothèse admise par lui de leur ancien établissement dans le royaume de Ghana, avant la première conquête Songhaï, ne puisse être admise. Il n'est pas davantage probable qu'ils aient occupé, au VIIe siècle de l'ère chrétienne (ier siècle Hégire), le sud du Maroc et le Touat.
En réalité, on les voit pour la première fois mentionnés dans l'histoire au commencement du XIVe siècle, à l'époque où deux marabouts de leur race allèrent de Mali au Bornou, sous le règne du Sultan Biri (i288-i3o6).
Quelques-unes de leurs tribus s'étaient établies dès cette époque dans le Bakhounou, où El Hadj Mohammed Askia, le successeur de Sonni Ali, défit et tua, en 15oo, leur chef Dambadoumbé. Peut-être leurs premières migrations vers le FoutahToro datent-elles de ce moment. Mais ce fut surtout en pays Songhaï qu'ils se fixèrent tout d'abord dans le bassin du Niger septentrional. Vers le milieu du XVIe siècle, ils forment un petit État indépendant à Dankka, sur la rive droite, au sudouest de Timbouctou, et prennent part en même temps au soulèvement des gens de Kanta, dans le Kebbi, sur la rive gauche, en amont du confluent de la rivière de Sokoto. Leur domaine futur du Gandho et du Macina, se trouvait ainsi jalonné déjà, par deux colonies, à ses extrémités. Mais ils occupaient aussi
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oueiques points de la partie centrale de la Boucle du Niger depuis une date plus reculée. C'est là en effet que Sonni Ali trouva la mort en 1492, dans une expédition qu'il dirigea contre eux et contre une peuplade apparentée à leur groupe, les Zogoran. Continuant à s'accroître dans toute la région dont les monts Hombori marquent le centre, ils y jouèrent un rôle actif au moment de la conquête marocaine, qu'ils aidèrent puissamment, les Zogoran surtout. Ceux-ci, dont descendent les Diaouanbé actuels, formaient une tribu vassale des Songhaï. Réduits à une dure servitude, ils se soulevèrent en 1596, dévastèrent les provinces de Dirma et de Bara, au nord du Macina, et formèrent dans ces parages un État qui embrassa pendant quelque temps un vaste territoire.
Les Peul, qui jetèrent ainsi les fondements du futur empire de leur race, étaient venus eux-mêmes du royaume de Khanem, qui, au XIIIe siècle, s'étendait à tout le Soudan septentrional, et au nord du lac Tchad, jusqu'au Fezzan d'une part, au Ouadaï de l'autre. Malgré l'émigration de quelques-unes de ses fractions, leur race avait continué à se développer dans son ancien habitat, notamment dans la province du Khanem, devenue le Bornou actuel,etdans leBaghirmi. La chronique arabeles signale comme constituant, en 1564, une partie notable de la population du premier pays. Leurs progrès étant devenus menaçants pour les autres habitants, ils eurent à soutenir, sous le règne d'Edriss Alaama(i57i-i6o3), une longue guerre contre les Ngisim qui occupent aujourd'hui l'ouest du Bornou. Dans le Baghirmi où ils étaient nomades et pasteurs, ils habitaient les parages de Massenya, la capitale actuelle, et, plus à l'Est, le Biddari où un marabout de leur race acquit une certaine renommée. Là aussi, ils formaient un groupe nombreux, et au milieu du XVIe siècle, le roi des Boulada, le fondateur du royaume, dirigea contre eux des attaques répétées.
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Ce fut sans doute à la suite de ces guerres que partirent du Baghirmi et du Bornou les tribus qui allèrent envahir l'Adamaoua sur la Bénoué, et le Ouassoulou sur le Haut-Niger. Ces dernières s'établirent ensuite dans le Foutah-Djallon. Mais l'une d'elles, celle des Hirmanké, encore fétichiste, paraît s'être dès lors dirigée vers cette région, où elle se fixa dans sa partie septentrionale.
Un autre courant d'émigration se porta probablement vers le Niger du Gandho ; cependant l'élément Peul y resta stationnaire, ou du moins ne s'y étendit pas assez pendant les deux siècles suivants, pour que les traditions du Soudan occidental mentionnent ses mouvements. On sait seulement que dans cette région, les Zogoran se mélangèrent de plus en plus aux Peul purs, pour devenir en dernier lieu les Diaouanbé. Pendant que s'accomplissait cette transformation ethnique, ils perdirent presque entièrement leur pouvoir politique, et lorsque les Peul du Haoussa fondèrent leur propre empire, ils n'étaient plus déjà qu'une caste inférieure.
Malgré la tentative infructueuse qu'ils avaient faite pour s'établir dans le Bakhounou, les Peul réussirent à s'étendre au delà du Niger, vers le Sénégal, à l'époque même de la victoire remportée sur eux par El Hadj Mohammed Askia, en i5oo. Il sem, ble du moins que l'arrivée dans le Galam, des Dénianké, qui y représentèrent tout d'abord la race, soit contemporaine du bouleversement qui suivit la mort de Sonni Ali. La tradition les représente, en effet, comme d'anciens captifs fuyant après une révolte contre leurs maîtres. En tout cas, ils trouvèrent encore établis dans leur nouveau pays, les Sousou qui en avaient euxmêmes chassé les Ouolof et partirent vers la côte, refoulés à leur tour par les nouveaux venus.
Sous les ordres de leur chef Koli, les Dénianké, encore fétichistes, firent quelques guerres heureuses contre les Ouolof
G.STBINHEIL Editeur.
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a uxquels ils enlevèrent la province de Toro, et contre les Maures. Ils créèrent ainsi un État qui s'étendait sur les deux rives du Sénégal, et était encore puissante la fin du XVIIe siècle. Bien que l'Islam ne fût pas dès lors leur religion exclusive, leurs chefs le professaient en général, et notamment le Siratic Boubakar Siré, qui reçut Brueen 1684, se montrait très fervent musulman. Mais dès le XVIIe siècle, l'élément mahométan se trouva plus particulièrement représenté dans le pays par une caste métisse, celle des Torobé.
Au moment de la conquête du Toro par les Dénianké, qui, quittant le Galam, vinrent s'y établir, les anciens habitants, tous Ouolof, ne voulant pas subir la domination d'anciens esclaves, s'enfuirent chez les Maures. Fétichistesjusqu'alors, ils se convertirent, puis ne trouvant pas les moyens d'existence nécessaires au nord du. Sénégal, ils se dispersèrent. Les uns allèrent se réunir aux Peul, de l'Est, les autres revinrent dans leurs pays.
Ceux-ci ne tardèrent pas à se mélanger aux Dénianké qui les accueillirent bien. Mais ils n'en formèrent pas moins dès lors une caste se distinguant du reste de la population par ses origines et ses tendances religieuses. Peu à peu, l'Islam avait fait de nouveaux progrès dans le Toro, et s'étant eux-mêmes fort accrus en nombre, ils constituaient, au commencementduXVIIIe siècle, un parti pauvre, mais puissant. Leurs progrès, vus d'un mauvais oeil par les Dénianké, déterminèrent à la longue entre eux une animosité très vive.
Quelques mauvais traitements subis par un marabout révéré, firent éclater une lutte devenue inévitable. Après plus de vingt années de guerres intestines, les Torobé dirigés successivement par Baba, puis par Souleyman Ba, finirentpar l'emporter vers 1770, sous les ordres de leur troisième chef l'Almamy Abd el Kader. Après avoir achevé la conversion des Dénianké soumis, celui-ci entreprit au dehors de nouvelles campagnes pourle triomphe de la
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foi musulmane. Tour à tour ses armées victorieuses parcoururent le Oualo, le Djolof, le Boundou et le Galam. Mais ses anciens partisans se lassèrent de le suivre, et une révolte le força de s'enfuir sur la rive droite du Sénégal.
Rappelé quelque temps après par les Torobé, il ne put cependant réussir à renverser l'Almamy qui l'avait remplacé et se réfugia dans le Khassa, où le chef du Boundou, allié au roi du Kaarta, vint le poursuivre et le tua (1788).
L'état Peul du Foutah-Toro avec ses dépendances, le Dimar, le Damga, le Boundou, n'en était pas moins constitué. Son histoire resta dès lors toute locale jusqu'au moment où El Hadj Omar commença l'épopée de ses conquêtes.
Pendant cette période du développement de la race Peul, elle avait également achevé de s'établir au Foutah-Djallon. On a vu qu'elle y avait été représentée tout d'abord par une tribu fétichiste, partie probablement du Soudan central au XVIe siècle, celle des Hirnanké. Nomades et pasteurs, ceux-ci se fixèrent à l'extrémité septentrionale des plateaux, dans le territoire qu'occupe la province de Labé, et s'y mêlèrent aux Djallonké, sans avoir à lutter contre eux.
Un peu plus tard, dans le courant du XVIIe siècle, les Peul, du Ouassoulou, déjà absorbés par les Mali-nké et les Bambara, se rapprochèrent peu à peu des plateaux qui forment la ceinture du bassin du Niger. Cantonnés d'abord dans le Sangaran, ils entrèrent ensuite dans le Kouranko, puis s'étendirent au Nord, jusqu'à la région de Timbo. Ils y trouvèrent d'autres fractions de leur race, venues également du Ouassoulou, mais qui s'étaient rendues au Foutah-Djallon.
Comme au Nord, l'arrivée des Peul ne détermina tout d'abord aucun changement dans la situation politique du pays. Ils se dispersèrent, se mêlèrent aux Djallonké et vécurent avec eux en bonne intelligence. Mais au XVIIIe siècle, un chef Diakhité,
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venant du Kouranko, Alipha Bâ, groupant autour de lui tous les indigènes de sa race, soumit les Djallonké, qui dès lors descendirent au rang de vassaux.
Le Foutah-Djallon était encore fétichiste; mais converti par les marabouts de Kankan, Alipha Bâ ne tarda pas à imposer l'Islam à tous les habitants Peul ou Djallonké. Dès lors le nouvel État se trouva constitué avec le gouvernement théocratique qu'il a conservé. Jusqu'à l'époque où El Hadj Omar à ses débuts, vint s'y fixer momentanément, ses annales n'offrent d'autres événements que des dissensions locales, ou des guerres contre les peuples fétichistes du voisinage.
Toutefois, il y a lieu de noter la formation entre le Kouranko et le Foutah-Djallon proprement dit, d'un petit Etat Peul indépendant, les Houbous, qui, jusqu'au moment où Samory les subjugua, résistèrent victorieusement à toutes les attaques de leurs voisins du Nord. On peut aussi rappeler le développement qu'acquérirent vers l'Ouest les nouveaux pays Peul. Presque tous les Mali-nké fétichistes du versant Atlantique furent successivement subjugués, un peu avant le milieu du siècle actuel, par l'almamy Omar, qui périt lui-même dans une expédition contre les Houbous, après avoir repoussé victorieusement une invasion d'un chef Peul du Ouassoulou Kondé Birama.
Parmi les nouvelles conquêtes des Peul du Foutah-Djallon, il en est une qui, au point de vue politique, forme un Etat indépendant, et offre une importance spéciale, le Firdou. Tel est du moins le nom générique qui lui est donné dans le pays, quoique en réalité le Firdou n'en soit qu'une province. Cet État s'étend de la Gambie au Rio-Grande, englobant l'ancien Gabou. Vers l'Ouest, il s'avance assez loin dans les vallées de la Cazamance et du Rio Géba. Fondé par le père de son chef actuel, Moussa Molo, il continue à se développer. Par le Bondou et le Diaka, qui lui est contigu, les pays Peul du versant Atlantique se pro-
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1 ongent jusqu'au Sénégal. L'élément Mali-nké est, il est vrai, en majorité dans ces régions, et plus encore, au Sud, dans les territoires tributaires du Foutah-Djallon, sur le Rio Compony, le Rio Nunez, laDubréka, mais il n'en subitpas moins la loi des vainqueurs, dont le premier soin a été d'assurer la conversion en masse des habitants fétichistes.
Pendant que les Peul. continuaient ainsi à s'étendre vers l'Océan, ils atteignaient, au commencement du XIXe siècle, l'apogée de leur puissance dans la vallée du Niger moyen. La révolution qui devait les rendre maîtres de leur nouvel empire, commença au Haoussa. Ils y vivaient épars, s'occupant de l'élevage de leurs troupeaux et ne sortant guère des forêts où ils se cantonnaient de préférence. Ils avaient une certaine culture intellectuelle, étant musulmans; beaucoup savaient lire et se procuraient à grand prix les livres apportés par les marchands arabes. Tous cherchaient avec empressement les occasions de s'instruire, de se fortifier dans les principes de la religion.
C'est ainsi que dans les dernières années du XVIIIe siècle, un de leurs marabouts, Othman dan Fodio, groupa autour de lui un certain nombre de disciples à Daghel, village du Gouber. Son influence croissante, ses tendances à s'immiscer dans les affaires publiques, inquiétèrent à la longue le chef du pays, Baoua, qui, en 1802, lui donna l'ordre de sortir de ses États.
Les Peul se soulevèrent aussitôt, mais ils furent vaincus et chassés. Othman s'établit alors dans l'Ader, où il avait autrefois résidé et de tous côtés les tribus musulmanes vinrent l'y rejoindre. Reprenant la campagne, dès qu'il se vit assez fort, il envahit successivement le Kano, puis le Gouber. Baoua fut tué et tout le pays se soumit. Bientôt le Haoussa entier fut aux mains des Peul, qui étendirent alors leurs conquêtes vers le Sud. En peu de temps ils furent maîtres du Yauri et d'une partie du Nupé, dans la vallée du Bas-Niger, puis par le Yorouba,
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s'étendirent jusqu'au golfe de Bénin. Dans ce dernier pays, la résistance futassez vive. Les indigènes, très attachés aux croyances fétichistes, massacrèrent tous les musulmans, marchands ou caravaniers qui se trouvaient sur leur territoire, et se défendirent en désespérés, mais sans succès. Le pays de Sokoto et le Bornou à l'Est, le Gandho à l'Ouest avaient été de même envahis, et au Nord-Ouest, Timbouctou, soumis alors aux Bekkay, avait contracté une alliance avec les conquérants du Soudan central.
Othman dan Fodio se trouvait ainsi maître d'un énorme empire, s'étendant du lac Tchad aux monts Hombori, et embrassant au Sud presque toute la vallée du Niger jusqu'à l'Océan. Mais cheikh mystique, il avait redoublé, au cours de ses triomphes, ses pratiques extatiques et dès 1804 était tombé dans un état de Touhidisme voisin de la folie, qui ne tarda pas à amener sa mort, en 1816.
Il avait eu pour lieutenants, pendant la fin de sa vie, son frère Abd Allahi et son fils Mohammed Bello, qui partagea avec son cousin Mohammed ben Abd Allah, le patrimoine paternel; Mohammed Bello garda le Haoussa et tous les pays situés au Sud et à l'Est, Mohammed ben Abd Allah prit les États situés à l'ouest du Haoussa.
Un autre frère d'Othman, Atégo, essaya alors de dépouiller son fils. Mais celui-ci eut facilement raison de cette tentative et s'occupa activement d'organiser son royaume. Il agrandit Sokoto, fondé par son père, forma une armée, créa une administration provinciale, jeta en un mot les bases d'une puissance durable.
Les révoltes avaient été nombreuses lorsqu'il prit le pouvoir. Le Gouber, le Zamfra, le Gouari, le Kabbé, le Kachena, s'étaient soulevés, après un massacre général des Peul qui se trouvaient dans ces provinces. Il réussit à les reconquérir, au moins en
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partie, mais dut leur donner des chefs indigènes. Plus tard, le Nupé, puis, en 1822, le Yauri, secouèrent à leur tour le joug des Peul, en même temps que le roi du Bornou, Mohammed el Kanémi, un moment soumis par Othman dan Fodio. envahissait le centre même de l'empire jusqu'à Kano.
Après la mort de Mohammed Bello, en i832, les rébellions se multiplièrent et tous les États voisins du Niger sur la rive droite, au sud du Gandho, ont recouvré leur autonomie. Cependant l'empire de Wornou, nouvelle capitale qui s'est substituée à Sokoto, s'étend encore sur la rive gauche jusqu'à la Bénoué. D'autre part, le lien religieux a maintenu des relations suivies entre ses sultans et ceux des royaumes redevenus indépendants de fait. Bien que fort puissants eux-mêmes, celui de Nupé surtout, ils reconnaissent pour la plupart la suzeraineté nominale des successeurs d'Othman dan Fodio.
Les destinées de la partie de l'héritage de ce dernier, échue à son neveu Mohammed ben Abd Allah, ont été analogues. Gandho où s'était fixé le prophète Peul, pendant les dernières années de son existence, est devenue la capitale du royaume, qui au milieu du siècle, comprenait outre le Kebbi et le Yauri sur la rive gauche du Niger, une partie du Borgou et du Yorouba. Ces derniers États sont aujourd'hui indépendants au même titre que le Nupé. Les sultans de Gandho ont d'ailleurs reconnu la suprématie de ceux de Wornou, depuis une époque récente, bien que conservant leur apanage propre.
Dès la mort d'Othman dan Fodio, les Peul du Gandho s'étendaient assez loin sur la route du Niger, vers le Nord-Ouest. Leurs progrès avaient été arrêtés à l'Ouest par les Mossi qui réussirent à repousser leurs attaques. Ils s'étaient alors avancés dans le Iagha et le Libtako,. du côté des monts Hombori, en pays Songhaï. Au delà, toute la contrée appartenait aux Bambara de Ségou,
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maîtres du Niger jusqu'au Macina. Pendant les dernière! années du XVIIIe siècle, sous le règne du roi Ngolo, les Peul dv. Dirma et quelques fractions de Zoghofan avaient essayé d'envahir le Macina. Mais ils avaient été battus en plusieurs rencontres, et Ngolo, passant sur la rive gauche, avait même obligé leurs tribus nomades de Bakhounou à reconnaître son autorité.
Toute cette partie de la population musulmane n'en aspirait pas moins à secouer le joug des Bambara fétichistes, à les réduire'eux-mêmes.
L'occasion favorable se présenta à la mort de Ngolo, dont plusieurs prétendants se disputèrentla succession. Le Kaarta formait alors un État indépendant de Ségou, sous une dynastie de Kouloubali. Après quelques luttes, le pouvoir resta dans le second pays, à Mansong, dont le dernier rival se réfugia au Kaarta. Il l'y poursuivit, et les Bambara de l'Ouest, ayant pris parti contre lui, il entreprit de les soumettre. La victoire lui resta en effet, et il revint sur la rive droite du Niger, maître de tout l'ancien patrimoine de sa race.
Mais pendant ce temps, les Peul du Nord s'étaient soulevés de nouveau, en demandant l'aide de leurs frères de Gandho. Un des lieutenants d'Othman dan Fodio, alors au début de ses conquêtes, Ahmadou Ahmed Lebbo, opérait à ce moment dans le pays Songhaï. Il entra dans le Macina et abandonnant la cause de son maître, s'y fit reconnaître comme almamy. Mansong n'osa pas l'attaquer et jusqu'à sa mort en 1808, Peul et Bambara vécurent en bonne intelligence, bien que leurs diverses fractions se trouvassent mélangées sur un territoire étendu.
Cette entente cessa en 1810, sous le règne de Da, fils et successeur de Mansong. Un fils d'Ahmadou s'étant rendu à Ségou, y fut maltraité par les habitants dont il avait tourné en dérision les pratiques fétichistes. La guerre éclata aussitôt. Elle fut tout
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d'abord défavorable aux Peul, qui devinrent de nouveau tributaires des Bambara.
Mais la puissance des rois de Ségou déclinait rapidement. Le Kaarta s'était rendu indépendant, de tous côtés les révoltes se multipliaient. En 1819, Ahmadou Ahmed Lebbo recommença la lutte et fut cette fois vainqueur. Dès 1822, il put se considérer comme seul maître du Macina, et après avoir établi sa capitale à Hamd'Allahi, commença vers le Nord de nouvelles conquêtes. Elles l'amenèrent à occuper Timbouctou que ses milices prirent en 1826. Mais quoique depuis lors les Peul aient conservé, jusqu'au dernier triomphe des Touareg, une assez grande influence dans ces parages, ils ne purent garder la ville.
Dès lors, l'histoire du Macina est surtout celle d'incursions répétées contre les nomades de la rive gauche du Niger, jusqu'en 1862, date de la prise d'Hamd'Allahi par El Hadj Omar, sous Je règne d'Ahmadi Ahmadou, petit-fils d'Ahmed Lebbo, mort luimême en 1846.
Mossi et peuplades secondaires.
Dans l'est du Soudan, la race Mandé se trouve séparée du Niger par des populations qui lui sont étrangères ainsi qu'aux Peul, et dont la plus importante est celle des indigènes du Mossi, qui se désignent eux-mêmes sous les noms de Moro et de Mossi.
Leur origine est incertaine. Mais déjà au XIVe siècle, ils occupaient un territoire soudanien, ayant alors mis Timbouctou à sac. Au XVIe siècle, on constate qu'ils avaient des rapports avec les Portugais établis au sud sur la côte. Mais le trait le plus caractéristique de leurs anciennes affinités, que Binger met nettement en lumière, est l'adoption par eux de nombreuses particularités des moeurs Touareg. Comme ceux-ci, ils se voilent parfois la figure et ont lé sabre droit à poignée en forme de croix. D'au-
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 121
tre part, le harnachement de leurs chevaux rappelle un peu celui qui est en usage au Bornou. Enfin leurs chefs, les Naba, seuls de tous les roitelets nègres du Soudan, ont des eunuques et ils attribuent à cette coutume une provenance orientale, égyptienne. Somme toute, les Mossi représentent dans le peuplement soudanien le cas unique d'une race ayant eu un certain développement historique, et cantonnée depuis plusieurs siècles au moins dans son habitat actuel, sans y avoir subi d'atteintes graves à son organisation politique. Il est remarquable de constater d'autre part que malgré des rapports assez suivis avec les Touareg pour qu'ils leur aient emprunté des caractères apparents, les Mossi ne se sont pas laissé entraîner dans les voies de l'Islam.
Leur pays compte cependant une forte proportion de musulmans, Mandé Dioula, et Peul depuis le XVIIIe siècle. Mais ceuxci, considérés comme étrangers, ne participent pas officiellement au gouvernement, conservé tout entier par le Naba, chef, avec droits de souveraineté plus ou moins absolue, de principautés plus ou moins indépendantes, relevant en droit du Naba d'Ouaghadougou. Ils n'en ont pas moins une influence telle, qu'au moment de la conquête française, elle pouvait paraître sur le point de devenir prépondérante. Tout en acceptant ainsi les mahométans, chez eux, en subissant leur ascendant, les Mossi, n'en restent pas moins fétichistes dans la masse de la population, par traditions plus peut-être que par tendances, en dehors de l'élément souverain qui ne peut pas méconnaître son intérêt au maintien du fétichisme.
Cependant quelques fractions de Mossi, émigrés danslarégion de Kong sont musulmanes et c'est là une preuve que leur race n'est pas restée complètement homogène, qu'elle a eu des destinées diverses.
Autour du pays même des Mossi, on peut rattacher au même groupe ethnique le fond de la population du Yatanga et du Gou-
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rounsi, avec cette nuance que les habitants de ce dernier pays forment comme une confédération de vassaux libres, à l'égard des Mossi.
Mais dans ces deux pays, outre quelques Songhaï, des Mandé en petit nombre et des Peul, d'autres races s'ajoutent aux Mossi : les Tomba plus localisés à l'est du Niger, et les Bobo, dont les peuplades- se succèdent avec des dénominations diverses jusqu'à Salaga et Kong d'une part, jusqu'au Ouassoulou de l'autre. Quoique nombreux encore, et formant une population à caractères spécifiques accusés, les Bobo semblent n'avoir joué, dans l'histoire du Soudan, qu'un rôle secondaire et passif, comme s'ils n'avaient formé, vis-à-vis des autres peuples, que des tribus asservies, ou sauvages, inférieures. Sans être dominé d'une façon absolue par les Mandé et par les Peul, et tout en restant fétichistes, en masse, ils n'en supportent pas moins à côté de leurs propres villages des centres musulmans ; quoique pour la plupart attachés aux idées fétichistes même avec une hostilité accusée contre les mahométans dans quelques cantons, ils subissent cependant comme évolution générale l'ascendant des Mandé surtout, puis des Peul.
A côté de ces groupes principaux de populations aborigènes, une énumération complète des races soudaniennes devrait comprendre beaucoup d'autres petites tribus : des Séniéré de la région de Kong; les Falafillé, les Mabi et leurs congénères du groupe Pakhalla et sur la lisière des pays Agni et Aschanti, entre les centres commerciaux, un peu cosmopolites de Salaga, Bondoukou et Kong, quelques peuplades qui ne se rattachent ni aux uns ni aux autres; mais ces exceptions intéressantes, au point de vue ethnographique, sont sans influence sur l'évolution générale du pays, et il suffit de les mentionner pour mémoire.
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 123
Juifs.
L'étude des races du Soudan, au point de vue de leur développement social, ne serait pas complète, si on ne signalait, au moins à titre d'hypothèse curieuse,la possibilité de l'existence antérieure d'éléments juifs dans le Sahel soudanien. A l'époque moderne, il y a eu, de temps à autre, des juifs marocains, à Timbouctou et à Oualata, et la conquête des Rouma T explique de reste.
Mais il semble en outre qu'un élément juif ait figuré sur la lisière du Soudan, à une époque reculée.
Quelques indices généraux permettent tout d'abord de le supposer. — Parmi ceux-ci, il en est d'ethnographiques : les tribus maures qui avoisinent le Sénégal présentent de nombreux individus chez lesquels le type hébraïque est fort accusé. Les jeunes hommes et'.les vieillards rappellent très fréquemment et d'une manière frappante les juifs d'Orient, de Tunisie ou d'Algérie avant la conquête, et du Maroc. Seul l'habillement diffère. Même faciès, même musculature. En outre, il est remarquable que les noms patronymiques d'origine juive prédominent dans quelques fractions. Tels Ely au lieu d'Ali, Abraham au lieu d'Ibrahim ou Brahim, Yakoub, Youcef, Ishacq, Miriem, etc.
Cette double remarque s'applique précisément à une tribu semi-arabe, semi-berbère, celle des Ahl Azzi, aujourd'hui dispersée dans les oasis du Sahara septentrional et qui, elle aussi, paraît d'origine hébraïque. Ce ne seraient là néanmoins que des indices sans valeur absolue par eux-mêmes.
Mais on trouve la confirmation absolue de l'hypothèse qu'ils
justifient dans le Roudh el Kartas de l'imam Abou Mohammed
Salah ben Abd el Halim, Histoire des souverains du Maghreb et
annales de la ville de Fez, écrite en i326 à Fez même.
Après avoir mentionné les premières entreprises des Sanhadja
124 TERRES. PEUPLES. CROYANCES
sur le Soudan, l'auteur arrive au prédécesseur de Yahia ben Ibrahim, le chef des Almoravides, à l'émir Mohamed Tarsyna el Lemtouni.
« Il gouverna, dit-il, les Sanhadja pendant trois ans, et fut tué « dans une razzia sur les tribus du Soudan, à l'endroit appelé « Bkara. Ces tribus habitaient les environs de la ville de « Téklessyn; elles étaient arabes et pratiquaient la religion juive. « Téklessyn est habitée par la tribu Sanhadja des Béni Ouarith « qui sont gens de bien, et suivent la sounna. »
Ainsi au commencement du Ve siècle de l'Hégire (XIe de l'ère chrétienne) il existait encore sur les confins du Soudan, un groupe de populations originaires d'Arabie et pratiquant la religion juive, assez nombreuses pour tenir tête aux Lemtouna alors ralliés sous un seul chef. La position de Téklessyn ne peut être identifiée d'une façon précise. Elle se trouvait en tout cas entre le Niger septentrional et le littoral atlantique, sur la lisière des pays nègres.
La provenance de ces tribus juives est d'une détermination plus aisée. Après l'échec de leur révolte contre l'empereur Adrien, un grand nombre de juifs de la Palestine, déjà en relations suivies avec les Bédouins du Sud, avaient trouvé un asile en Arabie. Ils s'étaient concentrés surtout dans le Hedjaz et dans le Yémen et différentes tribus arabes avaient embrassé leur religion. Au moment où Mahomet commença ses prédications, le mosaïsme régnait seul dans le Yémen, avec le christianisme localisé dans la ville de Nadjran, mais professé par le chef du pays.
Lorsqu'après l'insuccès de ses tentatives pour se concilier les chrétiens et les juifs, le prophète tourna ses armes contre eux, la plupart des Arabes, convertis à l'une ou l'autre religion, embrassèrent assez rapidement l'Islam. Au contraire, les adeptes du christianisme et du mosaïsme étrangers au pays, émigrèrent. Il
LES RACES ET LEUR HISTOIRE 125
en fut ainsi des derniers surtout, dont l'exode prit d'imporrantes proportions.
Déjà un certain nombre de leurs coreligionnaires, traversant la mer Rouge, s'étaient établis en Afrique, les Falasha de Gondar, en Abyssinie, notamment, dont l'émigration serait antérieure à l'ère chrétienne. Des relations suivies s'étaient maintenues entre ces colonies hébraïques et celles de la péninsule Arabique.
Ce fut donc vers la haute Egypte que se dirigèrent les juifs du Yémen. Quelques-uns sans doute allèrent rejoindre leurs alliés naturels dans les plateaux abyssins ; d'autres remontèrent au Nord jusqu'en Tripolitaine, où on trouve encore, dans le Djebel Nefousa, des sépultures à inscriptions hébraïques. Enfin un groupe, sans doute considérable, suivant la route que prirent plus tard les Oudaïa pour arriver au Niger septentrional, ou passant même plus au Sud, vint s'établir dans les parages de Téklessyn, là où, quatre cents ans plus tard, vint périr le chef des Lemtouna. Cette colonie comprenait, il est permis de le supposer, non seulement des juifs de race pure, mais aussi des Bédouins hymiarites fidèles à leur cause. Ainsi s'explique d'une façon fort naturelle l'expression employée par l'auteur du Roudh el Kartas. '
On voit d'autre part comment il se trouve aujourd'hui encore, chez les Béni Hassan des bords du Sénégal, de nombreux types de la race juive. Hymiarites eux-mêmes, originaires du Yémen, ces Arabes se sont facilement mélangés avec les émigrés de leur propre pays, auxquels les rattachaient des traditions communes. Rien ne permet d'indiquer à quelle époque remonte ainsi la conversion des adeptes du mosaïsme, émigrés au début de l'Hégire dans l'Afrique occidentale. Pour ceux de Téklessyn, des pays limitrophes du Sahara et du Soudan, on peut estimer avec une quasi-certitude qu'elle n'est pas postérieure au
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XIIIe siècle, et remonte au plus tard à l'invasion arabe qui achevait alors de s'accomplir.
Mais il ne serait pas impossible, qu'outre ceux-ci, d'autres juifs se trouvassent dispersés çà et là, qui purent plus longtemps conserver leurs croyances, et continuèrent pendant un certain temps à jouer un rôle marquant dans les États soudaniens. Ogane, le souverain nègre que Barth regarde comme un roi des Mossi, et auquel les Portugais envoyèrent une ambassade par le golfe du Bénin, en 1484, le prenant pour le Prêtre Jean, pourrait avoir dû simplement ce titre à la présence des israélites dans son entourage.
En tout cas, il est hors de doute, que la race hébraïque a laissé son empreinte chez les Béni Hassan du désert ; hors de doute aussi que jusqu'au XIe siècle de notre ère, une colonie juive venue du Yémen, conserva une situation considérable entre le Niger et l'Atlantique.
On pourrait se demander si ce n'est pas là une des principales raisons d'être des traditions indigènes qui font venir du continent asiatique la plupart des nations du Soudan, Peul ou Malinké. Tout au moins, conçoit-on ainsi que les légendes juives se soient répandues dans l'Afrique occidentale avec une persistance qu'on ne trouve presque nulle part aussi accusée en pays musulman.
CHAPITRE III
L'AVÈNEMENT DE L'ISLAM ET SES CONQUÊTES AVANT LA PÉRIODE MODERNE
.,'.' Pendant que Amrou ibn Naas achevait la conquête de l'Egypte, six hommes du pays des Berbères vinrent se présenter à lui. Leur dessein, suivant Chaab ed Dine, qui rapporte ce fait dans le Livre des Perles, était d'embrasser l'Islamisme. Présentés au calife Omar, ils repartirent chargés de présents, avec la mission de propager la foi musulmane dans leur patrie.
Sans attacher aux détails de ce récit plus de valeur qu'ils ne le méritent, on peut, semble-t-il, en conclure que la propagande islamique chez les Berbères eut pour premiers agents quelquesuns d'entre eux, dont la conversion remonte au début de l'invasion arabe en Egypte. Cette propagande fut toute pacifique sous cette forme. Mais en même temps qu'elle s'effectuait, Sidi Okba ibn Nafi poursuivait la conquête du Maghreb, et bientôt il ouvrit dans le Sahara l'ère des guerres saintes, par son expédition contre les Masoufa Lemta, au sud de l'Oued Drâa.
Les résultats de cette tentative ne furent pas durables. A peine Sidi Okba eut-il quitté le pays après une courte occupation, que les Masoufa recouvrèrent leur indépendance et rejetèrent la foi nouvelle pour suivre leurs croyances primitives.
Au Sud au contraire, le mahométisme avait fait des progrès rapides. Aux missionnaires berbères s'étaient joints sans doute quelques Arabes,qui s'enfonçant dans le désert de la Tripolitaine, atteignirent la frontière du Soudan, et la longèrent jusqu'au
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Sahara occidental, prêchant partout la religion du Prophète. Dès l'an 60 de l'Hégire (67g J.-C), Ghana comprenait ainsi un quartier musulman où s'élevaient douze mosquées, si on en croit Ahmed Baba, l'historien des Songhaï.
Ce n'est cependant qu'au bout d'un siècle et demi que l'Islam paraît s'implanter définitivement chez les Sanhadja du Sud, par la conversion de Tiboutan, le chef des Lemtouna, qui, à sa mort, en 222 H. (837 J.-C), avait déjà commencé à imposer par les armes aux tribus nègres du voisinage, le dogme koranique. A cette époque, il existait entre les villes du Niger septentrional et celles du sud du Maghreb des relations suivies. De petites colonies de négociants musulmans s'étaient établies dans les premières. C'est ainsi que naquit à Gogo, où son père, marchand de Tozer, était venu passer quelque temps, Abou Yézid Makhlad ben Kaïdad, l'agitateur religieux qui fut chef de la grande insurrection des Zénata contre la dynastie des Obéidites, au commencement au IVe siècle de l'Hégire.
Outre Gogo et Ghana, les autres centres des pays Songhaï et Sanhadja, tels que Koukia et Aoudaghost, avaient aussi de nombreux habitants mahométans. Le dernier devait d'ailleurs à ses rapports avec Sidjilmassa, des progrès plus rapides dans le domaine religieux, et les Sanhadja comptaient une beaucoup plus forte proportion d'adeptes de l'Islam que les Songhaï. C'est sans doute l'esprit de prosélytisme qui les poussa dès lors à ces guerres contre les nègres fétichistes, qui réunirent vingt rois soudaniens sous la domination de leur chef Tinézoua.
Néanmoins les Songhaï commencèrent peu à peu à se convertir de leur côté et en 400 H. (1009 J.-C), leur roi Za Kasi, quinzième prince de la première dynastie, embrassa la foi musulmane. Chez leurs voisins les Takrour, un apôtre du nom de Ouarjabi entreprenait en même temps des prédications couronnées de succès et qui décidèrent notamment les gens de Silla,
G.STEINHEIL Éditeur,
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L'AVÈNEMENT DE L'ISLAM ET SES CONQUÊTES I 29
devenus plus tard, sous ce nom, une importante fraction des Soni-nké, à renoncer aux traditions fétichistes.
Vers le milieu du Ve siècle de l'Hégire, Gogo avait déjà un quartier exclusivement musulman et la prédominance de l'Islam était telle chez les Songhaï, que la qualité de musulman était indispensable dans leur pays pour prétendre au pouvoir suprême. Parmi les emblèmes de la royauté figurait un Koran, envoyé à une époque antérieure par un calife d'Egypte et qui était remis solennellement à chaque nouveau souverain, comme insigne de son autorité temporelle et spirituelle. C'est en champion de la « Vraie foi » que le souverain devait exercer sa puissance. Il était dès lors «Emir el Mouménin », commandeur des croyants. Mais c'est surtout chez les Sanhadja que le Ve siècle de l'Hégire vit s'accomplir un mouvement religieux d'une importance capitale.
On a vu qu'après une période d'anarchie qui prit fin dans les premières années du siècle, les Lemtouna avaient choisi pour chef Abou Mohammed ben Tifat. Fervent musulman, il avait fait le pèlerinage et fut tué en guerre sainte, dans une expédition contre les tribus juives de Téklessyn. A sa mort le gouvernement passa aux mains de Yahia ben Ibrahim, des Djeddala, qui, en 427 H. (io35 J.-C), partit pour la Mecque, laissant à sa place son fils Ibrahim ben Yahia. En revenant du Hedjaz, il s'arrêta à Kairouan et y fit la connaissance d'un docteur de Fez, Abou Amrou Moussa ben Hadj el Fassyqui jouissait d'un grand renom de piété et de savoir. Abou Amrou était venu une première fois dans la ville pour suivre les leçons d'Abou et Hassan el Kaboussy et s'était rendu ensuite à Bagdad, pour se perfectionner dans les sciences religieuses, à l'école du savant Abou Beker ben elThaieb. L'école d'elDjoneidi était alors dans tout son éclat, dans la capitale des califes d'Orient, qui était devenue un centre d'enseignement et de rénovation religieuse pour l'Islam
ISLAM. 9
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entier. Diverses doctrines s'y étaient d'ailleurs développées, et l'histoire ne dit pas à laquelle d'entre elles s'était rallié Abou Amrou el Fassy. En tout cas'il était à Kairouan le chef d'une de ces écoles mystiques si nombreuses dans le mahométisme, dès les premiers âges, et qui suivant leurs tendances conservaient ce simple caractère ou se transformaient soit en sectes schismatiques, soit en ces associations plus orthodoxes, dont on a fait à l'époque moderne les confréries musulmanes.
Yahia ben Ibrahim, fort ignorant des préceptes de la religion, car il ne connaissait du Koran et de la Sounna que quelques préceptes généraux, mais très désireux de s'instruire et de fortifier les croyances de ses compatriotes, demanda au marabout de Kairouan, un de ses disciples pour l'accompagner au désert. Dans son entourage même, Abou Amrou ne trouva personne qui acceptât cette mission; mais il adressa le néophyte à un de ses anciens élèves, Ou-Aggag ben Zellou el Lamthy, qui habitait dans le Maghreb de l'Ouest, à Néfyr. Celui-ci désigna un de ses propres adeptes, Abd Allah ben Yacin el Djezouly, homme instruit, pieux et austère, pour partir avec le chef des Lemtouna.
A son arrivée dans leur pays, il constata chez tous ces Berbères une profonde ignorance des règles et des dogmes koraniques. Beaucoup d'ailleurs professaient encore les anciennes croyances de leur race, bien que la majorité fût déjà Sunnite du rite Malékite. Commençant sans retard les réformes, il entreprit de soumettre les mariages, alors fort libres, à la loi musulmane. Chacun épousait autant de femmes qu'il voulait, cinq, six, dix ou même, davantage, au gré de ses désirs et de ses moyens. L'Islam ne permettant de prendre que quatre femmes libres, puis des esclaves sans limite, Abd Allah tint à faire respecter ce principe tout d'abord. Mais il l'entendait pour son compte personnel dans un sens spécial. Très passionné lui-même, il épousait une
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femme chaque mois pour la répudier ensuite, sans étendre aux autres cette largesse d'interprétation de la loi. Il en résulta un certain mécontentement qui s'accrut encore lorsque développant son programme, le maître spirituel de Yahia ben Ibrahim, commença à mettre en pratique un système de pénitence destiné à purifier les Sanhadja de leurs erreurs passées. Il exigeait que tout nouveau converti, volontaire ou non, lui fît abandon du tiers de ses biens, pour légitimer la possession du reste, mal acquis à ses yeux. Puis tous les manquements aux préceptes de la religion étaient sévèrement punis : l'adultère de 100 coups de fouet, le mensonge de 200 coups, de même l'usage des liqueurs fermentées. Manquer à la prière valait 20 coups de fouet, et omettre une Rikah, 5 coups. En même temps les pratiques se trouvaient multipliées à l'excès. Le nombre des ablutions avant la prière fut, par exemple, porté à quatre.
Toutes ces innovations n'étaient point faites pour plaire aux Berbères du Sahara, jusqu'alors musulmans à leur manière, quoique peut-être tout aussi orthodoxes. Un de leurs cadi, Djanhar, et deux autres des principaux chefs des Lemtouna refusèrent de se soumettre au nouveau régime, et, les Djeddala en tête, tous se soulevèrent à la fois contre leur ancien chef et contre Abd Allah ben Yacin.
Bien que présentant des innovations contraires à la Sounna, la doctrine qu'avaient prétendu établir ceux-ci n'était qu'une application plus étroite et rigoureuse comme pratiques surtout des traditions Sunnites. Ils étaient d'ailleurs tous deux pénétrés de leur mission et profondément imbus de l'esprit de fanatisme, bien que ne dédaignant par les compensations que l'Islam offre à ses fervents, en les mesurant souvent au degré de leur austérité.
Chassés par les peuplades Sanhadja, tous deux allèrent vivre dans la retraite ej: l'asile de prière qu'ils avaient choisi, leur
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Rabath devint le rendez-vous des quelques prosélytes qu'ils avaient déjà faits.
Bien que les historiens arabes soient très sobres de détails à cet égard, on ne peut douter qu'Abd Allah ait dès lors constitué entre ses partisans une association tout à fait analogue à celle des Khouan de quelques confréries religieuses du Nord. « Il les « nomma Morabethyn (liés) parce qu'ils ne quittaient pas sa « Rabath. »
Bientôt le-nombre de ses disciples augmenta de jour en jour. « Il leur enseigna le Koran, le Sounna, les ablutions, la prière, « l'aumône etles devoirs que Dieuimpose.» Puis quandil les vit pénétrés de ces principes et assez nombreux, il arriva à proclamer la guerre sainte contre ceux des Sanhadja qui refuseraient de le suivre dans la vraie foi. Toutefois, avant de la déclarer, il envoya dans leurs tribus des émissaires (moqaddem) pour prêcher la bonne parole, puis essaya lui-même d'entraîner leurs chefs. Tout fut inutile. Réunissant donc les Morabethyn au nombre de 2.000, il alla attaquer les Djeddala qui durent se soumettre et accepter une pénitence d'initiation de 100 coups de fouet. Tour à tour les Massoufa et les Sanhadja eurent le même sort.
Abd Allah institua alors un Bît-el-Mâl pour réunir les produits de la dîme, de l'aumône et du butin, dont le cinquième lui revenait, afin de subvenir aux frais de la guerre. Il acheva ainsi de réduire tous les Berbères sahariens, et s'occupa ensuite de donner une nouvelle organisation à leurs tribus, en désignant pour les commander les plus religieux de ses disciples. Lui-même il conserva le pouvoir suprême comme chef de la religion, mais restreignant ses attributions au domaine spirituel, à la perception de la dîme et de l'aumône, il donna le commandement militaire, l'autorité executive à Yahia ben Abd Allah.
Le développement que prit par la suite la puissance des Almo-
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ravides a déjà été étudié. Il est inutile d'y revenir, d'insister à nouveau sur les événements, conquêtes et révoltes, qui se déroulèrent par la suite. Ce qu'il importait surtout d'établir, c'est le caractère essentiel de leur domination toute théocratique et la nature de leurs doctrines, qui tout en prétendant à la seule application de laloi,la transgressait en l'exagérant. Il n'y eut plus dès lors dans l'Afrique occidentale, en pays musulman, d'autres souverains que des « commandeurs des croyants ». des Émir el Moumenin, à commencer par les rois Songhaï, ainsi qu'on l'a vu. Ceux-ci d'ailleurs n'en succombèrent pas moins sous les coups des Almoravides qui, jusqu'au VIIe siècle de l'Hégire, restèrent maîtres de la plus grande partie du Soudan septentrional.
C'est ainsi que Gogo devint une ville exclusivement musulmane, comme Djenné, fondée en 435 H. parles Soni-nké, et toutes les provinces voisines. Les Mali-nké du Nord étaient de même convertis déjà, ou le furent bientôt, lorsque se substituant aux Sousou, ils fondèrent leur empire de Mali, au temps de la décadence des Sanhadja. Dès 610 H. (i2i3 J.-C.) leur roi Baramindana professe l'Islam et fait le pèlerinage, exemple que suivirent ses successeurs, dont l'un se trouva ainsi en relations avec le sultan Beibars, et un autre avec El Malik en Naser.
Les doctrines des Morabethyn paraissent avoir alors perdu tout crédit. Non seulement le Soudan musulman, prenait le contact avec l'Egypte, mais de nombreuses caravanes y amenaient des Arabes, des Berbères musulmans de tout le nord de l'Afrique, de l'Espagne même. Mansa Moussa, le plus grand roi de la dynastie de Mali, eut entre autres à sa cour un poète espagnol, architecte à ses heures, Abou Ishak Ibrahim el Sabeli, qui se fixa plus tard à Oualata, et par lequel il fit bâtir une mosquée à Gogo, et„une autre à Timbouctou, la Djamat el Kebira, connue - aussi sous le nom de Djengérébèr. Outre celle-ci, la ville en
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possédait une seconde plus ancienne, celle de Sankoré, dans le quartier Nord.
Si l'Islam était devenu dans ces conditions la seule religion des peuples établis sur la frontière du Soudan, il n'en était pas de même de ceux de l'intérieur, et les Mossi notamment furent pour lui des ennemis déterminés. On a vu que vers l'année 730 H. (1329 J.-C), ils prirent et dévastèrent Timbouctou. Cependant leur triomphe dans ces parages ne fut que momentané. Bien que l'empire de Mali commençât à décliner, toutes les populations fixées au nord du Sénégal et du Baoulé, et sur le Niger septentrional, de Djenné au Kebbi, étaient et restèrent musulmanes.
Il existait même, dans les villes, un mouvement intellectuel et religieux assez développé. Ibn Batouta, qui visita le pays vers le milieu du VIIIe siècle de l'Hégire (XIVe J.-C), ne laisse pas que de se montrer surpris de quelques coutumes locales conservées en dépit des traditions musulmanes. Il reproche notamment aux nègres de laisser leurs femmes et leurs filles sortir non seulement sans voiles, mais même nues, et aux Berbères de tolérer, comme les Touareg actuels, que leurs épouses contractent avec d'autres hommes des relations suspectes. Mais il constate d'autre part le zèle que tous apportent à l'accomplissement des pratiques du culte. « Les nègres mêmes, dit-il, font exactement les prières ; ils les célèbrent avec assiduité dans les réunions des fidèles et frappent leurs enfants s'ils manquent à ces obligations. Ils ont un grand zèle pour apprendre le Koran. Quiconque, le vendredi, ne se rend point de bonne heure à la mosquée ne trouve pas une place pour y prier, tant la foule est grande. »
Il existait au reste, à ce moment, une distinction très grande entre, les deux éléments de la population : la race nègre et la race blanche. Les Berbères et les Arabes venus du Nord, qui repré-
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sentaient celle-ci, formaient la classe élevée delà société. C'est parmi eux que se recrutaient la plupart des imam, des cadi, des féky, et les chefs des écoles, où se donnait l'enseignement populaire. Quelques-uns avaient une instruction étendue, _ ainsi le Muphti de Ghana, cheikh Othman, et le cheikh Ibn Ouaçoul, ancien cadi de Koukia, qui fournirent à Ibn Khaldonn de précieux renseignements pour son Histoire des rois du Soudan, et son Histoire des Berbères àlafin du VIIIe siècle deVHégire (XIVe J.-C).
La renommée des savants soudaniens devint même assez grande pour qu'ils aient alors pris place dans la pléiade des docteurs de l'Orient, témoin Ahmed ben Abderrahman, des Takrour, qui professait au Caire, vers le commencement du IXe siècle (H.). Un de ses compatriotes, dont Djelal ed Dine el Soyouthi a cru devoir conserver le nom, faisait peu après l'admiration des chefs de la religion dans la métropole de l'Afrique musulmane, en citant sans commettre d'erreur toutes les sources où Sidi Khelil avait puisé pour la composition de son Traité de Jurisprudence malékite.
Malgré le développement qu'avaient ainsi pris les études doctrinaires au Soudan, il ne paraît pas que pendant cette période, l'esprit d'intolérance se soit manifesté très vivement. Ibn Batoutah trouva en effet une colonie Ibâdhite, venue probablement de Ouargla, à Oualata, où elle vivait sans être molestée. Elle ne tarda pas, il est vrai, à disparaître. Ce fut probablement dans le courant du IXe siècle H. (XV J.-C).
A cette époque, vivait au Touat un représentant des doctrines les plus intransigeantes de l'Islam, Mohammed ben Abdelkerim ben Mohammed el Moghouli, qui avait acquis une influence prépondérante sur les notables du pays. Il les excita à persécuter les juifs fort nombreux et dont la présence avait toujours été tolérée. Un cadi du Touat qui réprouvait ces agissements, saisit
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de la question les Ouléma de Fez, de Tunis et de Tlemcen, qui donnèrent raison à El Moghouli. L'un d'eux, dont les ouvrages ont conservé une très grande réputation au Soudan, Mohammed ben Choaib es Senoussi, adressa même à ce dernier une longue lettre où il exaltait son zèle. Dès que ces décisions furent connues, les Touatiya massacrèrent les juifs, et pour encourager leur ardeur, Mohammed Abdel Kerim mit à prix la tête de ces infidèles, offrant sept mitkals, environ ioo francs, pour chacune.
Il se rendit ensuite au Soudan, faisant successivement des séjours de quelque durée chez les Tekrour, dans le Haoussa, à Kachéna, où il convertit le roi Ibrahim Madji, et à Kano. Son éloquence entraînante lui valut rapidement, non seulement une grande renommée, mais de grands succès dans la propagation de la foi en pays infidèle et de l'esprit d'intolérance en pays musulman. C'est à la suite de ses prédications que paraît remonter la première manifestation des tendances qui distinguèrent ensuite les populations sahariennes, de leur hostilité implacable contre tous les infidèles et les schismatiques.
Le mouvement qu'il détermina ainsi eut pour premier effet de resserrer plus encore que par le passé les liens des mahométans soudaniens avec l'Orient. En 899 H. (1493 J-C), le souverain Takrour de Gogo, El Hadj Mohammed Sokoya, se rendant en pèlerinage, se fit donner l'investiture temporelle par le Khalife El Moteoukkel, et l'investiture spirituelle par le Cheikh el Islam, Djehlal ed Dine es Soyouthï.
Peu après, un autre chef Nigritien, appartenant à la race Mandé, Mour Salah Diour el Ouakori, et le grand roi Songhaï El Hadj Mohammed Askia, suivirent ce double exemple.
La seconde invasion arabe achevait au reste à ce moment d'infuser aux tribus berbères un sang nouveau, de répandre par le désert jusqu'à l'Atlantique l'influence des idées, des traditions
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dominantes en Egypte. Elle contribua largement ainsi et par une action plus générale, à imprimer au mahométisme, dans l'Ouest africain, une marche nouvelle. Les désordres qui la signalèrent ne diminuèrent à aucun moment l'ardeur de la foi dans ces parages. Une des plus grandes mosquées de Tïmbouctou fut bâtie sous le vocable d'un Ouali du Tadelet par le gouverneur Sanhadji qu'y avaient mis les Touareg, lorsqu'ils s'en emparèrent au moment de la chute de l'empire de Mali.
Aux prédications de Mohammed ben Abd el Kerim el Moghouli et à l'invasion arabe se rattache un autre fait qui eut une importance capitale sur les destinées de l'Islam au Soudan. On a vu que les Zénata du Touat émigrèrent en masse au moment de l'arrivée des Arabes, aimant mieux s'enfoncer au désert pour s'y livrer en paix à leurs pratiques pieuses, que lutter contre les derniers venus pour la défense de leur pays. Parmi ces émigrants se trouvait une grande tribu Zaouiya, les Kountah, dont une famille déjà puissante parmi eux était apparentée aux Lemtouna. Cette famille était celle des Bekkayqui devaient plus tard devenir les maîtres de Timbouctou. Elle avait alors pour chef Sid Admed el Bekkay, dont le père Sid Ahmed el Kounti, né d'une mère Lemtouna, vint se fixer dans l'Adrar où il mourut près de Chinguit. Sid Ahmed el Bekkay alla lui-même ensuite s'établir à Oualata. Il y acquit une grande réputation de savoir et de sainteté. A sa mort, ses fidèles bâtirent sur son tombeau une grande Koubba qui existe encore et est restée dans le pays un lieu de pèlerinage. Son fils Omar était jeune encore, quand Mohamme Abd del Kerim arriva au Soudan. Celui-ci le prit en affection, et en fit un de ses disciples les plus zélés. Il l'emmena même en Egypte, dans un voyage qu'il entreprit pour aller en pèlerinage et aussi pourvoir Djehlal ed Dine es Soyouthi, avec lequel il avait eu une longue correspondance en prose et enVers sur la science qui enseigne à raisonner.
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•-' '• wrJ. Ce fut à l'enseignement qu'il reçut ainsi, que Omar ben Admed
el Bekkay, alors fort jeune, dut de devenir plus tard le premier chef du puissant parti religieux et politique que dirige encore sa famille. Djehlal ed Dine es Soyouthi était lui-même un des représentants attitrés des doctrines Chadelyennes au Caire, de l'école fondée par Sidi Abou el Hassen el Chadeli, deux siècles auparavant. Mais comme tous les adeptes des doctrines mystiques, il professait aussi d'autres règles, notamment celles de la confrérie plus stricte dans les pratiques extatiques, dont Sidi Abd el Kader el Djilani avait été le chef à Bagdad. Sid Omar el Bekkay revint dans son pays très pénétré de l'excellence des dévotions auxquelles il avait été initié par ses deux maîtres et qui étaient alors particulièrement en honneur au Caire. Il avait rapporté surtout le goût du Dhîkr, de ces longues litanies où une récitation mécanique tient lieu des méditations pieuses, et incite l'esprit aux manifestations extrêmes de la croyance, en se complétant par une gymnastique toute physiologique, propre à développer les tendances extatiques. Le culte des saints qui s'introduisait alors dans Je mahométisme, ajoutant aux actes de foi envers la divinité, les sentiments d'une dévotion profonde pour ses serviteurs mystiques, l'avait également séduit.
A son retour dans son pays natal, Cheikh Omar s'adonna ainsi aux exercices d'une variante du culte primitif de l'Islam et parmi tous les élus qu'il avait appris à connaître, Sidi Abd el Kader el Djilani fut celui auquel il rattacha de préférence Tins» piration de la voie qu'il choisissait.
Quittant bientôt Oualata, il entreprit alors de nouveaux voyages dans le Maghreb, résida quelque temps au nord de la patrie de ses ancêtres, au Gourara, où, après sa mort, on éleva une mosquée sous son vocable, et se fit autant remarquer par sa piété, son zèle à réciter les Dhîkr, que par l'indépendance dont il fit preuve en plusieurs occasions vis-à-vis des sultans de Fez.
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En dernier lieu, il s'était retiré dans les solitudes de l'Iguidi, où de nombreux Kountah, Berbères et Arabes, des Oulad Delim notamment, se groupèrent autour de lui. A sa mort, en 960 H. (i552 J.-C), il avait la réputation d'un Ouali investi entre tous de la bénédiction divine, de la Baraka, et dès lors ses fils devinrent les chefs d'un véritable clan religieux qui devait, au commencement du XIXe siècle, devenir maître de Timbouctou, de tout le Sahara oriental.
L'action des nouvelles doctrines introduites dans l'Islam soudanien ne s'y fit pas sentir tout d'abord profondément. Aucune autre école illustre ne date de cette époque. Cependant les nombreux disciples que Djehlal ed Dine es Soyouthi forma parmi les docteurs du pays, y répandirent les croyances des Soufi, le Tessaouf, et leurs pratiques, au moins dans la classe lettrée. Quelques controverses eurent lieu à ce sujet, soulevées par un cadi de Ceuta, Abd Er Rahman ben AH ben Ahmed, qui séjourna quelque temps à Kanô et dans les villes voisines. Il se prononça énergiquement contre l'usage du Dhîkr et paraît avoir eu une certaine autorité. Le sultan de Kanô, surtout l'avait pris en affection et lui fit une fois cadeau de cent jeunes négresses, dont le savant docteur — qui le confesse dans sa biographie — prit tour à tour les faveurs. En dépit de cette opposition, le soufisme continua de se propager, et il eut d'illustres représentants, notamment Ahmed Baba, dont le père était lui-même partisan convaincu et adepte pratiquant du mysticisme religieux.
Pendant que le mahométisme s'affermissait ainsi sur le Niger et dans les pays occupés par les Berbères, les Mali, les Songhaï, il progressait également le long de la côte. C'est au règne de Mansa Moussa, roi des Mali au commencement du XIVe siècle, que remontent, semble-t-il, les premières conversions, ou l'apparition des premiers musulmans sur le littoral. Lorsque les Por-
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tugais arrivèrent au Sénégal, ils trouvèrent déjà de nombreux mahométans, même dans les pays qu'occupent aujourd'hui les Ouolof. Là s'étaient fondées deux colonies musulmanes de Mali. Mais elles ne tardèrent pas à disparaître dans le mouvement que provoqua, à la fin du siècle, la mort de Sonni Ali. Déjà les Sousou avaient chassé les Ouolof du Galam,du moyen Sénégal. Ils les poussèrent de nouveau vers la côte, en se déplaçant eux-mêmes, et l'invasion qui établit ainsi dans le Cayor, le Oualo, le Djolof, leurs habitants actuels, y retarda le triomphe définitif de l'Islam. Peu à peu, au contact des Maures, les Ouolof commencèrent à se convertir isolément et, au commencement du XVII 0 siècle, le mahométisme était déjà professé, tout au moins par une importante fraction de la population. Mais les Damel, les Bour, les chefs du pays étaient restés attachés aux croyances de leurs ancêtres. Ce fut en 1682 que le pouvoir passa pour la première fois aux mains du parti musulman dans le Cayor. Le Damel Ditchiou-Maram ayant ôté le titre de Linguère, et le commandement territorial qui en dépendait, à la princesse Yacine, mère de son prédécesseur, elle s'offrit en mariage à un marabout Ndiay Sal, à condition qu'il soulèverait ses disciples, fort nombreux, contre le Damel. Ellemême avait quelques partisans. Une rencontre eut lieu entre le roi Ouolof et ses adversaires, bientôt après. Il y périt et fut remplacé par son frère, sous le patronage de Ndiay Sal. Mais les Talibé ayant un jour surpris le nouveau souverain à boire de l'eau-de-vie, ils l'assassinèrent par ordre de leur propre chef.
L'intervention du Bour Saloum amena peu après la destruction du parti des marabouts qui ne releva la tête qu'au XVIIIe siècle. A deux reprises différentes, les Torodo du Foutah vinrent faire la guerre sainte dans les pays Ouolof. Le Cayor fut ainsi envahi une première fois, en 1720, par les musulmans
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du Foutah,qu'avaient appelés les compétiteurs du Damel en 1719 Plus tard, l'almamy Abd el Kader y revint à son tour, après avoir saccagé le Oualo, où son intervention avait de même été sollicitée. Là, il arriva au moment d'une fête donnée par le Brak Fara Penda, et le trouvant ivre-mort ainsi que les chefs de son entourage, il fit raser la tête de tous les prisonniers, comme gage d'une conversion obligatoire. Pendant quatre ans en effet, Fara Penda parut vouloir rester fidèle à la religion qui lui avait été imposée. Puis il se souleva et périt dans une rencontre contre l'almamy.
L'histoire du développement de l'Islam dans les pays Ouolof est ainsi celle de leurs luttes intestines. Les conversions individuelles s'y multiplièrent d'abord lentement. Mais les compétitions pour le pouvoir y amenèrent les Maures et les Toucouleurs, au contact desquels les croyances musulmanes se répandirent d'autant plus rapidement qu'elles se trouvèrent souvent imposées par eux, à leurs alliés comme à leurs vaincus. Dès la fin du XVIII 0 siècle, la masse de la population était devenue musulmane au Oualo et dans quelques cantons du Cayor, celui de Ndiambour entre autres. Une seule classe de la société indigène, celle qui représente la noblesse guerrière, resta réfractaire au mahométisme, jusqu'à notre conquête. C'est dans le Djolof seulement que les Ouolof gardèrent l'intégrité de leurs traditions religieuses. Encore l'Islam y a-t-il fait beaucoup de progrès depuis El Hadj Omar. Aujourd'hui il y représente plus particulièrement les tendances opposées à notre domination et, à ce titre, comptait parmi ses adeptes le Bour, avec presque tous les chefs du pays.
Pendant que le fétichisme perdait peu à peu, dans la région du Sénégal, tout le terrain qu'il avait gagné après la chute de l'empire de Mali, il disparaissait aussi dans la vallée de la Basse Gambie où s'étaient fixés les Socé. Au Sud, au contraire, les
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musulmans, absorbés par l'invasion des Sousou fétichistes et plus tard des Djallonké, ne conservèrent plus, jusqu'au moment des conquêtes des Peul du Foutah-Djallon, qu'un rôle très effacé. D'après Isaac Lemaire, le mahométisme n'aurait même plus eu de représentants sur la côte entre la Gambie et Sierra Leonej au commencement du XVIIe siècle.
Cette indication ne paraît pas devoir être prise au sens absolu. Deux fractions des Sousou musulmans, les Kisi-Kisi, au nord des Scarcies, et les Solima au sud, formaient déjà de nouvelles colonies mahométanes dans ces parages. Toutefois le mouvement religieux qui s'y développe à l'époque actuelle ne se rattache pas à leur arrivée près de l'Atlantique. Il remonte à la conversion du Foutah-Djallon qui l'a précédé et déterminé.
Avant d'étudier les progrès de l'Islam dans cette région, il convient de revenir à l'examen de sa situation dans les pays du Niger moyen.
Les guerres entreprises par Sonni Ali ne paraissent avoir eu aucun caractère religieux. Tout au contraire, il s'appuya sur l'élément infidèle et personnifia même, dans les légendes soudaniennes, la cause du paganisme. Il était cependant musulman et dans les États Songhaï proprement dits, resta dévoué aux intérêts du mahométisme, en dépit de sa cruauté qui s'exerça indistinctement contre les vrais croyants et les idolâtres. A Timbouctou, les excès auxquels donna lieu le pillage de la ville quand il la reprit sur les Touareg, dépassèrent tous ceux auxquels s'étaient livrés les Mossi, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir dans son entourage de nombreux marabouts, dont l'un surtout, Makha N'diambérité des Soni-nké, est resté célèbre.
Après sa mort, sous le règne de son fils Abou Beker Daou, il se produisit une réaction du parti religieux qui amena au pouvoir un de ses anciens lieutenants, Mohammed ben Abou
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Beker, avec le titre d'Émir el Moumenin, de Khalifat el Moslemin, et sous la désignation dynastique d'Askia.
Le nouveau souverain ne tarda pas à donner des preuves d'une piété profonde, et après avoir consolidé son autorité, il partit pour la Mecque. Son voyage le mit en relations avec les hommes les plus instruits et les plus distingués de l'Orient, notamment le Chérif el Abbasi, Cheikh el Islam du Caire, auquel il demanda l'investiture spirituelle, et Djelal ed Dine Soyouthi.
El Hadj Mohammed Askia dut une grande renommée à ce pèlerinage où il s'était fait accompagner par les personnages marquants de tous les pays placés sous son autorité, entre autres un Ouali illustre des Mandé Ouakoré, Mour Salah Djour, originaire de Tindirma. Quinze cents hommes d'escorte, dont cinq cents cavaliers, le suivaient et la dépense totale du voyage s'éleva à plus de 450,000 mitkals (9,000,000 de francs).
A son retour, Askia entreprit une guerre sainte contre les Mossi, auxquels il avait tout d'abord envoyé Mour Salah Djour • pour les convertir, tentative qui resta infructueuse. L'expédition elle-même n'eut pour résultat que la dévastation du pays.
D'autres campagnes étendirent l'empire Songhaï jusqu'au Haoussa vers l'Est, jusqu'au Borgou et au Yorouba au Sud. Mais il ne paraît pas que, dans ces régions, la propagande à main armée de l'Islam ait eu de résultats sérieux.
Il y aurait certainement une relation à établir entre cette période d'expansion du mahométisme, sous le règne d'El Hadj Askia, et le se'jour d'Abd el Kerim el Moghouli, son contemporain, au Soudan. Mais les données historiques nécessaires font défaut. On sait seulement qu'un des disciples du célèbre apôtre Touati, El Aakib ben Abd Allah el Ansamoudi, originaire des Messoufa et né à Tékra, fut souvent consulté par le souverain Songhaï, sur des questions de droit et de religion. •
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La fin du règne d'El Hadj Askia fut marquée par de nombreuses révoltes de ses fils qui le forcèrent d'abdiquer en 935 H. (1528 J.-C), après lui avoir successivement enlevé ses plus riches provinces. Son oeuvre de propagande dans les contrées nègres se trouva ainsi compromise de son vivant même. Bientôt les guerres intestines qui continuèrent à diviser les Songhaï jusqu'à l'arrivée des Marocains, les luttes que ceux-ci eurent à soutenir sur le Niger, achevèrent d'enrayer, dans le Soudan occidental, les progrès de l'Islam. Pendant deux siècles il resta presque stationnaire, jusqu'au moment où les Peul prirent l'initiative d'un nouveau mouvement qui devait en même temps assurer le triomphe de leur race et de leur foi, au Foutah-Toro, au Foutah-Djallon et au Haoussa.
Bien que les renseignements nécessaires pour l'établir fassent défaut, il ne paraît pas douteux que la triple révolution politique et religieuse, accomplie du XVIIIe au XIXe siècle, par l'almamy Abd el Kader, par AliphaBâ et par OthmandanFodio ait eu une origine commune. Elle paraît se rattacher très directement à la rénovation entreprise par Abd el Kerim el Moghouli, et à l'introduction du soufisme, ou plus exactement des doctrines mystiques, au Soudan, par ses continuateurs. En même temps que se formait l'école Kadriya des Bekkaya, d'autres se créaient ailleurs, telles que celle de Sidi Mohammed Ali el Baghdadi à Daura dans le Haoussa. Suivant une loi générale, ces écoles tombèrent en décadence après une courte période de développement. Mais l'idée qu'elles personnifiaient subsistait toujours et restait féconde. C'est elle qui devait, sous l'influence du culte hagiologique, introduit dans l'Islam soudanien, des pratiques extatiques, susciter de nouvelle missions. Les élus qui, reprenant l'oeuvre des Morabethyn Lemtouna, allaient, après les chefs d'empires, Mansa Moussa, El. Hadj Askia, devenir les défenseurs attitrés du mahométisme, étaient, eux aussi, des initia-
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G.STEtHfteri Éditeur
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teurs de voies mystiques, quoique dans un sens moins absolu que pour les pays arabes.
Si on voulait conserver au terme consacré d'ordres religieux ]a signification trop restreinte qu'il a reçue parfois, une telle hypothèse n'aurait assurément qu'une valeur douteuse. Mais il ne faut pas oublier que d'une école ouverte, sans organisation, comme celle des Chadeliya, à une association nettement définie, comme celle des Senoussiya, les nuances transitoires sont nombreuses. Les premiers disciples des trois apôtres Peul leur étaient unis par des liens plus étroits que ceux d'une simple communauté de croyance générale, de religion. Ils étaient bien leurs adeptes personnels. Tous trois à ce titre peuvent être considérés comme des chefs d'ordres. Leur carrière les a plus tard amenés à créer des états temporels. Ils sont devenus eux-mêmes Almamy, commandeurs des croyants. Les associations qui s'étaient formées entre leurs partisans ont cessé d'exister parce que les circonstances ne les imposaient plus, et les doctrines qu'ils avaient professées se sont diffusées dans l'enseignement général. Mais c'est là l'histoire même des Ismaéliya Fathimistes dans le passé, celle des Kadriya de Khartoum aujourd'hui, et ce sera celle des Senoussiya, tôt ou tard.
En un mot, on ne saurait considérer les chefs du triple mouvement de la race de Peul aux XVIIIe et XIXe siècles, comme de simples marabouts, au sens vulgaire du mot. Ils étaient, eux aussi, Morabethyn, liés par les pratiques de la Rabath, de la retraite, de la prière, et avec eux leurs premiers partisans, leur disciples immédiats. L'obscurité de leurs devanciers ne permet pas d'indiquer leur filiation spirituelle, oubliée d'ailleurs pour deux d'entre eux, au Foutah-Toro et au Foutah-Djallon, sous l'empire d'une nouvelle révolution religieuse. Mais cette filiation se rattache très certainement à l'école personnelle d'Abd el Kerim el Moghouli, tout en ayant subi, au Haoussa, et au
ISLAM, IO
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Foutah-Toro surtout, l'influence de conditions de milieu toutes spéciales. Enfin l'origine commune des trois missions paraît les reliera celle des Kadriya Bekkaya, issue elle-même à certains égards de l'enseignement d'El Moghouli. En ce qui concerne les Peul du Foutah-Djallon tout au moins, aucun doute n'est possible. Le premier mouvement d'expansion religieuse et politique de la race, appelée ainsi à prendre la direction de l'évolution moderne de l'Islam, au Soudan occidental, est celui qui, au commencement du XVIIIe siècle, substitua dans le Toro la domination des Torodo à celle des Dénianké. Les Torodo euxmêmes étaient d'origine Ouolof. Mais lors de leur émigration, ils s'étaient mélangés aux Maures de la rive droite, pendant que d'autres fractions de leur groupe se dispersaient chez les Peul de l'Est. A leur retour au Toro, ils se mêlèrent de même aux Dénianké, et par la suite se confondirent entièrement comme langue, comme tendances générales, avec les Peul proprement dits, auxquels ils firent même remonter leur descendance, en s'appuyant sur de nombreuses alliances.
Le soulèvement qui devait rendre les Torodo maîtres du Toro commença vers 1750. Ils étaient déjà assez puissants pour avoir tenté à plusieurs reprises de prendre part aux affaires publiques ou, du moins, montraient peu de respect pour les lois du pays. Dans l'une des principales villes cependant, ils étaient encore traités en simples serfs parle chef local. Celui-ci ayant un jour maltraité publiquement un de leurs cheikh les plus vénérés, Baba, ils prirent les armes dans tout le Toro.
Pendant deux ans, Baba, aidé de nombreux partisans, tint en échec les Dénianké. A sa mort il eut pour successeur, pour Khalifat, un de ses disciples préférés, Souleiman Ba, qui, ayant remporté de nouveaux succès, prit le titre d'Emir el Moumenin, d'Almamy. Pendant sept années il continua la guerre sans venir à bout des fétichistes, dont le parti conservait une force égale à
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celle des musulmans. Après lui l'almamy Abd el Kader fut plus heureux. Il jouissait d'un ascendant personnel qui manquait à ses prédécesseurs, grâce à une foi ardente, à une extrême énergie. Ses partisans se plièrent sous ses ordres à une discipline qui finit par assurer leur triomphe. Après dix années de nouvelles luttes, les Dénianké vaincus durent se soumettre. Continuant alors la guerre sainte contré les infidèles des pays voisins, Abd el Kader envahit successivement le Oualo et le Djolof à l'Ouest, le Boundou et le Bambouk à l'Est. Ces derniers pays devinrent dès lors musulmans sous la domination d'almamys, mais ne s'en montrèrent pas moins hostiles au chef du Foutah Peul. Celui-ci fit d'ailleurs assassiner l'almamy Ségo du Boundou, dont le frère le tua à son tour en 1788.
La révolution accomplie par les Torodo eut donc pour effet de substituer la domination théorique des Peul musulmans à celle des Dénianké fétichistes dans toute la région comprise entre le Foutah-Djallon et le Sénégal pendant la seconde moitié du XVIII 0 siècle. Il est probable que les Torodo, souvent considérés comme une caste religieuse, représentaient en réalité, non seulement une classe ethnique, mais un groupe religieux, une école ou confrérie spéciale. Devenus presque exclusivement Tidjaniya, au temps d'El Hadj Omar, ils ont délaissé leurs anciennes traditions doctrinaires, de même qu'ils renient leur origine Ouolof. On ne saurait déterminer les liens qui peuvent et doivent rattacher, sans doute, l'enseignement de Baba et de l'almamy Abd el Kader à une école antérieure. Mais on trouve dans le Foutah-Toro jusqu'à l'arrivée du prophète Tid' jane, les traces de croyances mystiques très exaltées, et d'une forme toute spéciale.
Le représentant le plus remarquable en a été le Mahdi de Podor, Mohammed ben Amar ben Ahmed. Né vers i8o3 à Souimah, près de Podor, dans la province même de Toro, il s'était
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de bonne heure distingué dans l'étude des sciences religieuses, à l'école de deux Tholba révérés, El Hassan Tierno, et Abou Beker, imam du Dimar, puis ensuite avait été compléter son éducation dans le Sahara, où les cheikh des tribus Zaôuiya et Tholba donnaient un enseignement plus développé.
Revenu dans son pays,.Mohammed ben Ahmed se livra avec une telle ardeur aux pratiques extatiques, que ses compatriotes le crurent tout d'abord plutôt fou qu'en état de Touhidisme, d'illumination mystique. Ils lui construisirent une case en dehors de son village pour l'isoler. Mais après une retraite de douze jours, on le vit revenir à Souimah et, se rendant à la mosquée, il annonça sa révélation, se proclama Mahdi. Ses prédications prophétiques eurent un rapide succès. Toutes les personnalités religieuses du pays se prononcèrent pour lui, et acceptèrent la réforme qu'il prétendit imposer à ses partisans.
Peu de temps auparavant, l'almamy Ibrahim avait été supplanté par un compétiteur, Youcef ben Siry.
Le Mahdi prit parti pour le premier, mais échoua dans une première rencontre. Il disparut alors pendant deux mois, puis tout à coup reparut à Souimah. Vêtu de pagnes blancs et portant sur son bras gauche un de ses fils, encore à la mamelle, il s'avança au milieu du village dont toute la population fut bientôt assemblée autour de lui.
Après avoir alors rappelé ses promesses antérieures d'un rapide triomphe de sa cause et sa défaite, il annonça qu'une rêvé- . lation lui avait appris la cause de cet insuccès, et dévoilé l'expiation nécessaire. Pour effacer les souillures du pays, de simples prières ne suffisaient pas. Le Mahdi devait offrir son propre sang, renouveler le sacrifice d'Abraham.
En effet, saisissant son enfant, Mohammed ben Ahmed l'égorgea, puis jetant son cadavre à terre, alla se prosterner en oraisons qu'il prolongea jusqu'à la nuit.
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Parmi la masse de la population cette tragédie excita un enthousiasme général, et bientôt le Mahdi se trouva à la tête d'une nouvelle armée.
Mais le cours de ses nouveaux exploits ne tarda pas à être interrompu. Fait prisonnier dans une rencontre avec nos troupes près de Dagana, il fut pendu en i83o, à Richard Toll.
Cet exemple n'en est pas moins caractéristique. Il montre quelle fut, de bonne heure, l'action des croyances mystiques, extatiques au Foutah-Toro, et en même temps indique l'influence persistante des traditions juives chez les musulmans Peul.
Il est intéressant à cet égard de mentionner qu'une Kacida d'Othman dan Fodio, rapportée par Barth, cite Adam, Noé, Abraham, Moïse parmi les prophètes, en exaltant leur gloire. Les origines de l'Islam au Foutah-Djallon sont nettement kadryennes, et se rattachent par une filiation indiscutable à l'oeuvre de rénovation entreprise par El Moghouli. Elles remontent en effet à la formation dans le village de Kankan sur le Milo, affluent du haut Niger, d'une colonie de Soni-nké métis deKountah. L'époque de cet essaimage est incertaine, mais ne paraît pas en tout cas éloignée de la fin du XVIIe siècle. A cette époque l'ère des grandes migrations, ouverte deux cents ans auparavant, était close. De nombreux marchands Soni-nké, tous musulmans, parcouraient librement les marchés du Soudan, achetant des esclaves, de la poudre d'or. Kankan, place de commerce d'une certaine importance, était souvent visitée par eux et quelques-uns s'y fixèrent.
Apparentés aux Kountah par des alliances de famille, ils se disaient d'origine chérifienne, et leurs descendants passent encore pour Chorfa.
Au moment où Alipha Bâ, quittant le Kouranko, alla s'établir au Foutah-Djallon, ces Soni-nké avaient pour chef un cheikh Kadry Sanounou qui appartenait par les Kountah à
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l'école des Bekkaya. Ce fut lui qui convertit le conquérant Peul. Quelques chefs de clans, tels qu'Alpha Foukoumba, avaient déjà embrassé l'Islam. Mais il fallut l'exemple d'Alipha Bâpour entraîner tous les autres : Alpha Omar Labbé, Alpha Bouria, Tierno Balla, Tierno Makoladé, Alpha Siré, etc.. Rapidement le mahométisme se propagea dans toutes les tribus Peul, qui se groupèrent alors, à l'exception des Houbous, sous l'autorité d'Alipha Bâ. Les Djallonké ne tardèrent pas à être réduits au rang de vassaux et à adopter la foi musulmane, que de nombreuses guerres saintes propagèrent en même temps vers l'Ouest. Mais de ce côté, jusqu'au règne de l'almamy Omar, et à la période d'expansion qui suivit l'arrivée d'El Hadj Omar, les résultats obtenus ne furent que temporaires. Le Djehad conserva surtout le caractère de razzia d'esclaves en pays fétichiste, qu'il a encore maintenant.
Les Djallonké du Foutah même acceptèrent au contraire définitivement les croyances qui leur étaient imposées et se montrèrent par la suite aussi fervents que leurs maîtres.
Après la mort d'Alipha Bâ, d'heureuses expéditions maintinrent le pouvoir dans sa famille pendant quelques générations, jusqu'à la mort de l'almamy Sory, tué chez les Houbous. Il se forma alors deux partis politiques, les Soriya et les Alfaya qui partagèrent l'autorité par l'accession alternative de leurs chefs à la dignité d'Almamy.
En même temps ces deux partis représentaient une scission dans les tendances religieuses. Aux Soriya s'étaient ralliés les Djallonké, tous les Peul originaires du Ouassoulou. Les Alfaiya comprenaient au contraire les Hirnanké et quelques autres fractions apparentées aux gens du Macina.
Chez eux, l'influence des doctrines mystiques paraît avoir été moindre. Ils s'attachèrent davantage à la tradition Sunnite. Les premiers ne tardèrent pas non plus à oublier l'origine Kadryenne
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de leur foi, mais en restant plus disposées à accepter de nouvelles croyances de même nature. Ce fut donc chez eux qu'El Hadj Omar trouva ses premiers adeptes. Les Alfaya lui opposèrent unecertaine résistance, tandis que, dès le début, les Soriya se montré rent favorables à sa cause.
Le mouvement dont Othman dan Fodio fut le chef dans le Haoussa, au commencement du XIXe siècle, a eu, plus encore que la conversion du Foutah-Djallon, le caractère d'une oeuvre préparée et développée par une association de doctrinaires. Le rôle de Sidi Mohammed ben Ali el Baghdadi au Haoussa, paraît avoir été considérable, à en juger par la célébrité de son Makam. Il est fort possible que Cheikh Othman n'ait été qu'un représentant de sa règle. En tout cas, les renseignements fournis sur lui par Clapperton, qui arriva dans le pays du temps de son fils, le sultan Bello, montrent bien qu'il pétait lui-même Cheikh el Triqâ, chef d'ordre et mystique extatique au premier chef.
« Dan Fodio, dit le voyageur anglais, croyait fermement qu'il était prophète. Cette opinion continue à être en vogue et acquiert d'autant plus de force que les Arabes deviennent plus puissants. Il sortit des forêts de l'Ader ou Tadéla, s'établit et bâtit une ville dans la province de Gouber ; les Fellatah commencèrent à s'y réunir autour de lui. »
Puis plus loin, après son expulsion de Gouber : « Dan Fodio s'établit de nouveau dans l'Ader, mais ne rentra pas dans les bois ; il fonda une ville ; les Fellatah de tous les pays s'étant rassemblés autour de lui, il les partagea sous différents chefs à chacun desquels il remit un drapeau blanc. Indépendamment les Fellatah devaient porter un tobi blanc comme un symbole de leur pureté. » Enfin : « L'an de l'Hégire 1218, le vieux Malem Cheikh Othman dari Fodio devint fou. Cette aliénation mentale, dont le fanatisme religieux était cause, dura jusqu'à sa mort... Les Fellatah avaient une si grande vénération pour leur chef,
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que lorsqu'on lui rasait la tête, ses cheveux étaient ramassés soigneusement et conservés dans des boîtes d'or et d'argent. » Barth insiste d'autre part sur le caractère réformateur de l'enseignement du futur maître du Haoussa, au début de ses prédications. .
On voit donc que, initiateur de doctrines personnelles, et extatique jusqu'au Touhidisme, Othman dan Fodio avait de bonne heure réuni ses disciples en Zaouiya, et qu'il leur faisait porter la Khirka Soufia, un emblème des Soufi. Plus tard il devint pour eux le saint dépositaire de la Baraka divine. A défaut de documents plus précis, ces indices suffisent pour définir son rôle véritable. Il a, lui aussi, été le représentant, l'élu d'une mission mystique, et comme chez les héritiers d'El Hadj Omar, la tradition s'en est conservée chez ses successeurs. C'est en qualité de Khalifat du Cheikh, que le sultan de Sokoto conserve sur les chefs des États voisins une suprématie toute spirituelle.
Les indications déjà données sur le développement de l'empire des Peul du Haoussa, suffisent pour montrer'4'les résultats qu'ils ont obtenus dans le domaine religieux. Par eux, l'Islam qui avait commencé, au temps d'El Hadj Mahommed Askia, à pénétrer dans la vallée du Bas-Niger, s'est définitivement implanté dans le Borgou, le Yorouba,le Nupé, progressant aussi vers l'Ouest, où les Mandé Dioula de Salaga, Bondoukou et Kong accueillirent avec empressement leurs coreligionnaires, en même temps que sur la rive gauche du Niger il s'étendait à la vallée de la Bénoué et au delà dans l'Aadamaoua.
Ce rôle de la race Peul qui, du milieu du XVIIIe siècle aux premières années du XIXe, devient ainsi le principal agent de propagation de l'Islam, à l'est et à l'ouest du bassin du Niger, est tout particulièrement remarquable. Cinquante ans plus tard, deux des groupes ethniques mis en mouvement, les Peul du
L'AVÈNEMENT DE L'ISLAM ET SES CONQUÊTES 153
Foutah-Toro, et ceux du Foutah-Djallon, devaient s'unir dans une nouvelle entreprise de propagande sous la direction d'El Hadj Omar, dont Baba, l'almamy Abd el Kader et le Mahdi de Podor, Alipha Bâ et ses compagnons, puis Cheikh Othman avaient été les précurseurs.
En même temps que se fondait l'empire de ce dernier, Timbouctou était le siège d'une autre révolution religieuse. La confrérie princière des Bekkay y arrivait au pouvoir. Après la mort de Cheikh Omar, l'élève d'Abdel Kerim el Moghouli, ses disciples formèrent un ordre religieux au sens le plus étroit du mot. Il eut pour successeur spirituel son fils second Ouafa, l'autorité temporelle que la famille possédait sur les Kountah restant aux mains de l'aîné Sid el Mokhtar. Celui-ci paraît s'être plus particulièrement attaché à la tradition d'El Moghouli. Il se fixa à Bou Ali dans le Touat, où résidaient les enfants de ce dernier, et y mourut dans la Zaouiyat el Kounti.
Omar avait un autre fils, Sid Ahmed el Reggani, du nom du Ksar de Reggan où il s'était établi de son côté. Sous le nom de Regganiya, les descendants d'Ahmed vinrent plus tard se fixer à Oualata, où ils supplantèrent complètement les Bekkaya proprement dits, qu'ils ont même réussi à chasser depuis peu.
Après la mort d'El Ouafa, la confrérie, dont cependant la tradition restait représentée chez les Kountah du Touat et du Sahara par de nombreux cheikh, s'éteignit. Ses descendants Sid Habib Allah, Sid Mohammed, Abou Beker, Baba Ahmed furent des Ouali sans avoir la dignité de Khalifat, de chefs d'ordre.
Ce fut seulement à la fin du XVIIIe siècle, que les Bekkaya se trouvèrent de nouveau réunis en confrérie, en association religieuse, par un membre d'une branche cadette de la famille, Sid Mokhtar el Kebir. Il vivait au milieu des Kountah qui le reconnurent les premiers pour chef spirituel et temporel. Avec
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leur concours et celui des Mechdouf qui se joignirent à eux par la suite, il put, en 1787, réduire les Oulad-Billah qui s'étaient déclarés ses adversaires. Bientôt, à la suite d'une révélation extatique qu'il proclama en 1793, toutes les tribus sahariennes où prédominait l'élément berbère, embrassèrent sa cause. Il devint le maître religieux et politique de tout le désert, de l'Adrar des Lemtouna à l'Adrar des Aouelimmiden. Ceux-ci d'ailleurs se rallièrent aussi au nouveau parti des Bekkay.
Au moment où Sid el Mokhtar achevait d'affirmer son autorité dans ces parages, Othman dan Fodio commençait de son côté la lutte contre les fétichistes de Gouber. D'étroites relations s'établirent entre les deux cheikh et c'est là un nouvel indice de l'affinité de leurs doctrines.
Saints mystiques l'un et l'autre, ils abandonnèrent à peu près en même temps la direction des affaires à leurs successeurs. Sid el Mokhtar fut ainsi remplacé vers 1809, deux ans avant sa mort, par son fils Sidi Mohammed, qui, comme lui, se fixa dans l'Azaouad.
Les progrès des Peul du Macina à Timbouctou rompirent peu après les liens qui s'étaient formés entre leur race et les Bekkay. Et lorsque Ahmadou Lebbo s'empara de Timbouctou en 1826, les contingents de ces derniers se réunirent pour les en chasser. Mais une fièvre contagieuse enleva Sidi Mohammed dans le courant de l'année, et ce fut son fils Cheikh el Mokhtar qui, en 1827, rétablit momentanément dans la capitale saharienne la domination berbère. Quatre ans plus tard, les Peul revinrent en force et réoccupèrent Timbouctou pendant quelques mois. Cependant, jusqu'à sa mort, en 1848, Cheikh el Mokhtar y conserva une autorité prédominante. Avec sx>n fils Sid Ahmed el Bekkay commença, peu après le voyage de Barth, la décadence de la famille. Chassée de Timbouctou par les Tidjaniya d'El Hadj Omar, elle se divisa en branches isolées,
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qui ne représentent plus aujourd'hui que des influences locales. II s'était d'ailleurs produit déjà à la mort de Sid el Mokhtar el Kebir, une désagrégation de la confrérie même dont les principales fractions sont, depuis cette époque, indépendantes des Bekkay.
Si courte qu'ait été ainsi la période pendant laquelle 'les descendants de Cheikh Omar exercèrent sur les peuplades sahariennes leur double ascendant, elle n'en a pas moins été féconde pour la propagation de l'Islam chez les fétichistes, ainsi qu'on le verra en étudiant la situation religieuse et l'histoire moderne du Soudan.
La succession des événements qui ont, depuis les origines historiques, déterminé la formation des peuples actuels dans l'Afrique occidentale et marqué les étapes de leur évolution politique ou religieuse peut se résumer en quelques traits essentiels. Les tribus berbères, maîtresses du Sahara, embrassent librement l'Islam et l'imposent aux nations voisines, Mali et Songhaï. Celles-ci à leur tour le développent sous l'influence de la renaissance sociale qu'elles doivent à leur nouvelle foi, et par elles, le mahométisme pénètre le long du littoral, puis dans la vallée inférieure du Niger. Mais les empires qui s'étaient successivement fondés après la décadence des Almoravides, aux confins du Soudan, s'écroulent à leur tour, et les peuplades nègres de l'intérieur restent adonnées au fétichisme là où elles -'n'ont pas été subjuguées, rejettent ailleurs les dogmes qu'elles ont dû subir.
Après trois périodes d'expansion, l'Islam perd en grande partie le terrain qu'il avait conquis. Mais à la fin de la seconde invasion arabe qui introduit un nouvel élément dans les foyers de propagande du mahométisme, correspond une ère de renaissance religieuse.
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Les croyances mystiques de l'Egypte, de l'Orient se répandent alors dans le monde musulman de l'Afrique occidentale. Malgré une longue période de guerres politiques, la semence germe et se développe. Au XVIIe siècle commence ainsi un dernier mouvement qui a pour représentants trois groupes d'une race jusqu'alors effacée : au Foutah-Toro, au Foutah-Djallon, au Haoussa, les Peul deviennent conquérants et apôtres, apôtres de l'Islam mystique, qui compte en même temps parmi ses adeptes les Bekkay de Timbouctou.
Prédominance de l'élément Peul dans le monde musulman, avènement des doctrines extatiques et hagiologiques, telle est l'évolution finale qui ouvre la période moderne au Soudan
DEUXIEME PARTIE
RENAISSANCE ET PROPAGATION DE L'ISLAM A L'ÉPOQUE MODERNE
La renaissance religieuse, due au développement des croyances mystiques ou hagiologiques et qui marque la fin du XVIIIe siècle, le commencement du XIXe dans l'Afrique occidentale, n'a eu tout d'abord que des effets locaux. Elle a favorisé le développement, des pays du Bas-Niger, conquis par Othman dan Fodio : le Haoussa, le Gando, le Borgou, le Yorouba, le Nupé, etc.. Dans l'Ouest, elle a établi les Peul sur le Niger moyen, au Macina, au Foutah-Toro, au Foutah-Djallon et dans les régions avoisinantes, en même temps qu'au Nord elle créait chez les nomades sahariens la domination spirituelle d'une famille.
Ces révolutions accomplies, les forces mises en mouvement ont poursuivi leur oeuvre. Les Peul de Sokoto ont vu leur empire territorial se diviser, s'amoindrir; mais'î idée musulmane n'en a pas moins continué à progresser dans tout leur domaine primitif. Toute la population du Wornou, du Haoussa est mahométane. Dans le Borgou, le Yorouba, le Nupé, les fétichistes forment une classe inférieure, vassale ou sujette, sinon des Peul chassés de ces régions, du moins des dynasties locales, musulmanes elles aussi. A l'Est, dans le Bornou et le Baghirmi,!au Sud-Est dans l'Adamaoua, les progrès de l'Islam n'ont pas été
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moindres, et, de ce dernier État, un courant de propagande active se dirige vers le Congo.
Ces faits sont à rappeler seulement, l'étude de l'Islam dans le bassin du Bas-Niger ne se rattachant pas au programme de • recherches entreprises au Sénégal, au Soudan Français. Mais ils ont leur pendant de ces côtés.
Bien que la puissance politique des Bekkay se soit effondrée, bien que leur famille ait perdu sa suprématie spirituelle, ou l'ait tout au moins partagée, Sid el Mokhtar el Kebir a encore des continuateurs, qui exercent une influence religieuse prépondérante sur toutes les peuplades sahariennes et dont les disciples travaillent activement au triomphe du mahométisme chez les Soudaniens de l'Ouest. Ce sont les Cheikh Kadriya qui, dans l'évolution moderne de l'Islam,personnifient à la fois un groupe ethnique, celui des peuplades Arabo-Berbères et une tendance politique : celle de la paix. A de rares exceptions près, tout en travaillant au développement de la foi chez les infidèles, tout en leur appliquant les principes de l'ostracisme Koranique, ils agissent plutôt par la persuasion, par la diffusion de l'enseignement, par l'exemple, que par la conquête. Tout autre est le cas des Peul du Foutah-Toro, du Foutah-Djallon, du Macina, pour lesquels leur triomphe, au temps de l'almamy Abd el Kader, d'Alipha Bâ, d'Ahmadou Lebbo, n'a été que le prélude de nouvelles victoires. La renaissance religieuse a eu chez eux, non seulement une action persistante, mais une seconde période de culmination. Unis au milieu du siècle en un grand parti doctrinaire par El Hadj Omar, ils ont été un moment maîtres du Soudan, de Timbouctou aux abord de l'Atlantique. Devenus Tidjaniya, ils ont,malgré leur déchéance actuelle dans le domaine politique, conservé leurs instincts propres et agissent surtout comme missionnaires du mahométisme. Kadriya et Tidjaniya, tels sont ainsi les deux partis à étudier
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pour suivre le développement de l'Islam, à l'ouest du méridien de Timbouctou, pendant la période récente.
KADRIYA
Cheikh el Mokhtar elKebir avait dans sa zaouiya del'Azaouad, réuni autour de lui de nombreux disciples appartenant, les uns à sa famille, les autres aux Kountah ou à quelques autres tribus maraboutiques. A sa mort, la plupart se dispersèrent, son fils Sidi Mohammed n'ayant hérité qu'en partie de son ascendant. Cependant, jusque sous le cheikhat de Sid el Mokhtar, la confrérie conserva son unité première. Elle se divisa alors en trois groupes : Sid el Mokhtar et après lui son fils, Sid Ahmed el Bekkay restèrent chefs de tous les Kadriya Bekkaya chez les Aouelimmiden, à Timbouctou, dans l'Azaouad et lès districts voisins. Une branche indépendante fut fondée chez les Douaïch, par Cheikh Sidia, disciple de Sid el Mokhtar, une autre dans l'Adrar, par Mohammed el Fadel. Enfin les descendants d'Ahmed el Reggani fixés à Oualata, se séparent de leur côté de la famille à laquelle ils étaient apparentés par leur ancêtre commun Cheikh Omar. Cette dernière défection fut particulièrement grave pour les Bekkay de l'Est. Elle leur enleva en effet les Mechdouf et toutes les tribus d'El Hodh.
Ainsi à l'époque où Barth vint à Timbouctou, Sid Ahmed el Bekkay ne disposait déjà plus que d'une partie de l'influence de son aïeul. Lorsqu'en i855, la prise de la ville par les Peul d'El Hadj Omar le décida à aller combattre le conquérant dans le Macina, il laissa derrière lui son frère Baba Ahmed Ould Cheikh Sid el Mokhtar et son fils El Abidin Ould Sid Ahmed. A sa mort ce dernier vit se détacher de lui presque tous les serviteurs religieux de son père qui se rattachèrent à Baba Ahmed. Ses propres luttes contre le neveu et successeur d'El Hadj Omar au
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Macina, Tidiani, l'absorbèrent d'ailleurs exclusivement etil cessa de s'occuper activement de son domaine spirituel. En même temps, d'autres descendants de Sid el Mokhtar el Kebir se détachaient avec leur clientèle personnelle, chez les Aouelimmiden du Nord, à El Hodh, dans le Tagant.
Les Kadriya Bekkaya se trouvent ainsi représentés aujourd'hui par des branches multiples, de l'Atlantique au Niger septentrional, sur lequel s'est fixé Baba Ahmed, dans l'Aribinda, à l'est de Timbouctou.
A première vue cette désagrégation ne semblerait pas favorable à l'extension de l'influence de l'ordre au Soudan et dans les pays nègres. Elle y a cependant contribué dans une certaine mesure.
Dès le XVIIe siècle, il s'était formé à Kankan une colonie de Soni-nké métis des Kountah et professant les rites Kadriya. Cette colonie se développa rapidement et à l'époque du voyage de Caillé, la ville était déjà un centre musulman important. Mais en dehors des pays Djallonké voisins du Foutah,etqueles Peul convertirent, c'était encore au XVIIIe siècle le seul foyer de propagande au sud des villes mahométanes du Niger moyen : Bammako, Djenné, Sansanding, etc., si l'on excepte le pays de Monsardou, dans la vallée supérieure de la rivière Saint-Paul, sur les frontières de Libéria, où s'étaient établis de nombreux émigrants de Kankan.
Au XIXe siècle, du vivant même de Sid el Mokhtar el Kebir, et après sa mort, il se produisit de nouveaux essaimages, qui multiplièrent rapidement les établissement des Kadriya au Soudan, et qui aujourd'hui même contribuent dans une large mesure à la propagation de l'Islam dans le bassin du Haut-Niger.
Avant d'étudier ce mouvement plus en détail, il convient de donner quelques indications complémentaires sur l'histoire de Kankan.
KADRIYA I 6 I
Les premiers habitants musulmans eurent pour chef un Cheikh Kadry Sanounou, dont la famille représenta, seule tout d'abord, l'élément islamique. Les régions avoisinantes, Sangaran, Toron, Ouassoulou, primitivement habitées par les Bambara, furent envahies vers l'époque où arrivèrent dans la ville les premiers Soni-nké, par les Peul fétichistes. Néanmoins, l'élément Soni-nké s'accrut rapidement. Parmi les nouveaux venus, dans le courant du XVIIIe siècle, se trouvait un Hadji de la tribu des Kaba, dont le fils Fodé Modou, acquit une certaine réputation et groupa autour de lui de nombreux indigènes de sa fraction. A une époque récente, cette famille est devenue la tige d'une nouvelle branche de Kadriya, son chef Alpha Kalabinné, petit-fils du précédent, ayant reçu l'initiation des Bekkay du Nord.
Mais du vivant même de Fodé Modou, la ville naissante fut un moment menacée de disparaître. Un Peul fétichiste du Ouassoulou, Kondé Birama, ayant réuni sous ses ordres les Sidi Bé, Diakhité, Diallo et Sangaré du pays, entreprit la conquête des pays voisins. Il s'empara de Kankan, dont les habitants musulmans se dispersèrent. Les uns, Mandé de la descendance de Mali et qui avaient quitté les pays idolâtres du Djallon septentrional, pour venir rejoindre les Soni-nké, émigrèrent au Foutah-Djallon, où ils fondèrent plusieurs villages. Après la mort de Kondé Birama, défait et tué par l'almamy ' Sori dans une tentative d'invasion du Foutah, ils quittèrent le pays pour se rendre au Tamisso, puis au Sangaran et au Firia, d'où beaucoup revinrent dans la ville reconstruite.
Les autres, Soni-nké en majorité, gagnèrent par le Sangaran et le Kouranko, la vallée supérieure de la rivière Saint-Paul, ou 'ls formèrent un établissement très important. Cette région était encore peu peuplée. Ils s'y développèrent librement et reçurent d'ailleurs de nouveaux appoints, par l'arrivée des MaliISLAM.
MaliISLAM.
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nké musulmans du Borgou, de la région de Kong, à l'époqu d'Othman dan Fodio, et de Sousou musulmans du Solim^ chassés aussi par Kondé Birama.
Les centres mahométans qui se sont ainsi formés dans L. hauts plateaux de Libéria, ont rapidement acquis une grand importance. Us comptent plusieurs villes populeuses réparti, en petits Etats : Médina, Mousardou, Billallah, Mohammedoi;, Ballallah, DhakiraJIah, etc.. Les noms mêmes de ces ville, montrent combien est exclusive l'influence qu'exerce l'espr religieux sur leurs habitants, et quelles sont leurs tendance-;, dominantes. Dirigés par des Cheikh Kadriya, ils sont resti - fidèles aux rites de l'ordre, et il est à cet égard tout particulièrement remarquable de trouver la désignation de Dhakirallah. appliquée à un village. Benjamin Anderson, qui a visité ]:< contrée à deux reprises, insiste d'ailleurs sur la ferveur qu'il y •. constatée. C'est delà que vinrent,pendant la première moitié diï XIXe siècle, les missionnaires qui ont peu à peu converti la grande tribu Mandé des Véï sur le territoire même de Libérir Pendant que la nouvelle colonie musulmane de la rivièrt Saint-Paul se développait, Kankan se relevait de ses ruines. En 1827, au moment du voyage de Caillé, elle était déjà redevenue un marché important et une véritable ville. Non seulement le:: Soni-nké du Nord, mais aussi quelques Maures, y venaient en caravanes et beaucoup s'y fixaient. A cette période, correspond un nouvel essaimage, qui assura la prédominance définitive des Kadriya, jusqu'au moment où avec El Hadj Omar, les Tidjaniya intervinrent.
On ne saurait d'ailleurs entendre par là que les gens de Kankan aient été à aucun moment des Khouan, au sens habituel du mot. Les confréries musulmanes ne comptent en réalité que très peu d'adeptes dans le Sahara méridional et le Soudan. Mais il y existe dans le monde musulman, une sorte de hiérarchie
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ecclésiastique, dont les Cheikh el Triqâ forment la tête. C'est à leurs écoles que vont se perfectionner les Tholba de tous les pays. Quelques-uns seulement de ceux-ci, les plus instruits et les plus pieux, deviennent adeptes de leurs maîtres spirituels, comme disciples de leurs confréries. Tous cependant conservent le respect de l'enseignement qu'ils ont reçu et, en le transmettant, conservent son caractère essentiel, sans faire de prosélytisme en faveur de l'ordre dont ils ne relèvent souvent qu'à litre de souvenir.
Quelques Kadriya, affiliés aux confréries du Nord, quelques marabouts élevés dans leurs écoles, représentaient donc seuls, d'une façon directe, à Kankan, les doctrines de Sid el Mokhtar el Kebir ou de ses précurseurs. Mais ils occupaient dans la société religieuse la première place. C'est à ce point de vue qu'il est vrai de dire, que tout ce centre musulman se rattachait aux traditions Kadryennes.
Il en fut ainsi jusqu'à l'arrivée d'El Hadj Omar au Foutah. Un de ses disciples, originaire de Kankan, Mahmadou, entraîna ses compatriotes à la guerre sainte contre le Ouassoulou, et, devenu leur chef reconnu, assura la prédominance du Tidjanisme.
Pendant le demi-siècle qui précéda cet événement, l'influence des Bekkaya ou de leurs disciples s'était répandue, de divers côtés et sous diverses formes, en pays nègres. Les confréries locales fondées chez les Douaïch par Cheikh Sidia et dans l'Adrar, par Mohammed el Fadel, comptèrent bientôt de nombreux représentants dans les pays limitrophes du Sénégal, sauf au Foutah. Les Peul du Toro ne paraissent pas avoir jamais reconnu leur autorité. Mais chez les Soni-nké du Guoy et du Guidimakha, les Ouolof du Oualo et du Cayor, les progrès de leur influence furent rapides. Il était là aussi de tradition que les Thalibé, les Tholba indigènes se rendissent aux écoles des
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Cheikh Sahariens pour y compléter leurs études, longtemps avant la formation des nouvelles confréries Kadryennes. Cheikh Sidia, Mohammed el Fadel et leurs principaux disciples acquirent, en peu de temps, une réputation qui leur valut la clientèle presque exclusive des Thalibé nègres, lesquels, à leur tour, propagèrent chez eux l'enseignement et la doctrine de leurs maîtres. Le Cayor, le Oualo, et les districts Soni-nké du Galam ou des régions voisines, devinrent ainsi Kadriya dès la première moitié du XIXe siècle, dans les mêmes conditions que Kankan Ce fut toutefois un mouvement local et qui, sauf dans h Ripp où les Mandé non Socé et les Ouolof formaient une partie de la population, ne s'étendit pas au delà de ces territoires.
D'autre part, il existait dans toutes les villes du Niger, de Timbouctou à Bammako, dans le Macina, le Bakhounou e>. le Kaarta de nombreux Soni-nké et des Mandé Dioula, très fervents musulmans et marchands pour la plupart. Ils parcouraient le Soudan tout entier, suivant tantôt une route, tantôt l'autre, au gré des guerres locales, pour y acheter des esclaveen échange du sel, des chevaux du Sahara. Beaucoup faisaient de longs séjours dans les centres importants, s'y créaient des relations qui peu à peu décidèrent quelques-uns à s'y fixer, j partir de l'époque où la révolution du Haoussa faisant suite aux conquêtes des Torodo et des Peul du Foutah-Djallon, ache- > de consacrer la supériorité de l'Islam aux yeux des Soudanie;-F de l'Ouest. Or, tous ces Soni-nké s'étaient, malgré le triomp'•'* d'Ahmadou Lebbo, rangés du côté des Bekkay. Ils comptaient parmi eux de nombreux adeptes du Kadérisme, et par leur:> propres écoles étaient dévoués à sa cause, partisans de ses doctrines. Les nouvelles colonies qu'ils fondèrent dans les ancien^ 1 villes du Soudan,se trouvèrent ainsi, comme Kankan, rattachée': à l'école de Sid el Mokhtar el Kebir, quelques-unes par ck--
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liens immédiats, toutes, au moins par des relations indirectes. La désagrégation de l'ordre n'eut d'ailleurs sur ce mouvement aucune influence défavorable. Elle détruisit l'autorité politique de la famille même des Bekkay, mais sans nuire à la propagation des croyances auxquels ceux-ci avaient dû leur pouvoir spirituel.
Outre Kankan, les centres musulmans qui se trouvèrent ainsi fondés dans le bassin supérieur du Niger, avant le milieu du siècle actuel, sont ceux de Touba, le plus important, de Ténétou, Kankari et Kona. Un autre se forma en même temps à Samatiguila, près de Oughadougou, où avait émigré un Kounti de Timbouctou. Ce dernier centre et Touba étaient de véritables colonies Kadryennes, et ont encore des Cheihk Kadriya très influents. Au Sud-Est enfin, l'Islam s'était aussi développé à Kong, à Bondoukou, à Salaga sous l'influence originelle de l'émigration des Mandé-Dioula, puis après la conversion du Borgou par Othman dan Fodio, par l'arrivée des éléments Peul. Mais ce dernier mouvement ne fit que rendre plus actives des tendances anciennes déjà, puisqu'elles remontaient à l'époque où le fétichisme triompha de l'Islam dans la vallée du Bas-Niger, après la conquête d'El Hadj Askia.
Ces villes et les précédentes, sauf Samatiguila, étaient des marchés fréquentés, des centres populeux. La formation des premières colonies musulmanes s'explique par ce fait que les Soudaniens, en contact depuis longtemps avec les musulmans, reconnaissaient volontiers leur supériorité individuelle. Tout en tenant à leurs traditions fétichistes, ils n'étaient disposés à lutter contre l'Islam que pour défendre leur indépendance et se montraient animés d'un très large esprit de tolérance à l'égard de ses adeptes, tant que ceux-ci ne jouaient pas un rôle politique.
Ces mêmes sentiments eurent une grande influence sur un
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autre mouvement d'expansion du mahométisme à une époque récente. Pendant les luttes qui marquèrent la chute des royaumes Bambara de Ségou et du Kaarta, le triomphe des Peul dans le Niger moyen, les Soni-nké émigrèrent en grand nombre, soit isolément, soit par groupes de quelque importance. Les uns vinrent se fixer à Kankan et dans les centres musulmans déjà formés, ou même au Foutah-Djallon. Les autres allèrent rejoindre les fractions de leurs anciennes tribus, dispersées dans les pays Djallonké. Au confluent du Tin-kisso,les Sakho reconstruisirent ainsi le village de Tiguiberi que les leurs avaient autrefois occupé et qui ne comptait plus que quelques cases. Dans le Oulada, sur le cours supérieur de cette rivière, les Silla et les Bérété étendirent considérablement Nono, la capitale du pays.
Mais en outre, les Mandé-Dioula, marchands et voyageurs, se dispersèrent çà et là. Quelques-uns allèrent dans le Bouré, où se trouvaient des Kamara musulmans. Beaucoup préférant s'isoler s'installèrent avec leurs esclaves en territoire vacant, défrichèrent et formèrent de petits villages de culture. Au sud des pays Djallonké, entre le Niger d'une part, le Kouranko et le Soulimah de l'autre, ces établissements devinrent bientôt assez nombreux, sans que leur création ait jamais soulevé d'opposition chez les fétichistes du voisinage. Peu importants par eux-mêmes, ils représentaient cependant un appoint notable aux forces islamiques dans ces parages, et de même que les Soni-nké fixés dans les marchés soudaniens, ces Mandé-Dioula appartenaient originairement à l'école des Kadriya.
Tout le mouvement religieux du Soudan occidental se trouva ainsi dirigé par les influences kadriyennes, pendant la première moitié du siècle. Il y a lieu de tenir compte à cet égard des réserves faites précédemment, de ne pas perdre de vue que les Kadriya eux-mêmes étaient en petit nombre, et qu'ils se trou-
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vaient représentés seulement en dehors de quelques points, par les Thalibé, les élèves formés dans leurs écoles. Mais les tendances générales de leurs doctrines n'en restèrent pas moins prédominantes jusqu'à la venue d'El Hadj Omar. Sidi Mohammed, le fils de Cheikh el Mokhtar el Kebir, avait le premier donné l'exemple d'une remarquable tolérance, en accueillant Laing, comme plus tard Sid Ahmed el Bekkay et son neveu Sidi Mohammed reçurent, le premier Barth à Timbouctou, et le second, Duveyrier chez les Touareg Azdjer. Le zèle très religieux, mais tout pacifique qui les animait continua à inspirer les disciples immédiats ou indirects de l'ordre. Fidèles à sa règle politique, les Kadriya du Soudan, sauf les Peul du Foutah-Djallon, ne cessèrent de se montrer partisans d'une propagande modérée, que le jour où, à côté, prirent place les Tidjaniya.
TIDJANIYA
El Hadj Omar, le chef de la branche soudanienne de l'école fondée par Sid Ahmed Tedjini, à la fin du XVIIIe siècle, naquit en 1797 à Alvar, village du Dimar, province du Foutah sénégalais, près de Podor. Il était d'une famille de Torodo. Son père, Seïdou, marabout fort instruit, lui donna une solide éducation religieuse, et l'envoya compléter son instruction chez les Maures, puis à Oualata, où iL passa deux ans. Il revint ensuite dans son pays, et partit pour La Mecque en 1827. Déjà, son savoir étendu et sa piété exaltée, lui avaient valu une grande réputation chez les Peul du Sénégal. Il était d'ailleurs des amis d'enfance du Mahdi de Podor, qui fut son condisciple à Oualata, chez un marabout maure nommé Maouloud Fall.
Après avoir traversé rapidement le Bornou et le Haoussa, le Ouadaï et le Darfour, il se rendit au Caire, puis à La Mecque,
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où il arriva en 1828, et à Médine. Dans cette dernière ville, il fit connaissance d'un disciple de Si Ahmed Tedjini, Mohammed el Ghâli, qui devint chef de la Zaouiya de Fez, aujourd'hui encore dirigée par son fils.
El Hadj Omar s'attacha à Mohammed el Ghâli, et resta avec lui jusqu'en I83I, tantôt à La Mecque, tantôt à Médine. Initié par lui au rituel des Tidjaniya, il reprit au départ de son maître pour Fez, le chemin du Caire.
Sid Ahmed Tedjini avait été lui-même, avant de fonder l'ordre qui prit son nom, Khelouati de la branche des Semmaniya, dont il avait connu le chef, Cheikh es Semman, à Médine, et de la branche des Hafnaouiya, à laquelle l'avait affilié^ au Caire, Sidi Mahmoud el Kordi.
De même à Médine, El Hadj Omar, avant de prendre l'Ouerd Tidjani, s'était fait affilier aux Khelouatiya. A son retour en Egypte, il se créa de nombreuses relations parmi les Cheikh d'El Azhar, la grande université religieuse du Caire, dont les plus savants professeurs étaient eux-mêmes Hafnaouiya, ou tout au moins professaient la doctrine de Sidi Mostefa el Bekri, le rénovateur des Khelouatiya au XVIIe siècle.
Continuant ensuite son voyage, il arriva en i833 au Bornou puis au Haoussa, précédé d'une réputation de science et de sainteté qui s'accrut encore pendant un long séjour dans ce dernier pays. Ce fut là qu'il commença ses prédications, qui prirent de suite un caractère de réforme très accusé.
El Hadj Omar, dans cette première partie de son apostolat, se donna seulement comme Khalifat, représentant de l'ordre des Tidjaniya au Soudan. Mais il apporta dans son enseignement une ardeur et une âpreté extrêmes, contre les représentants attitrés de l'Islam dans la contrée, leur reprochant leur ignorance,leur tiédeur. Les Kadriya notamment ne trouvèrent pas grâce devant lui. A double titre, comme confrérie rivale et adeptes de doc-
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trines tolérantes, il les attaqua très vivement en toute occasion et s'en fit dès lors des ennemis implacables.
Le bruit de sa renommée s'étant répandu jusqu'au Foutah sénégalais, un de ses frères, Alpha Ahmadou, vint le chercher, et ils repartirent tous deux pour l'Ouest, en i838. A leur arrivée au Macina, des accidents graves arrêtèrent momentanément leur voyage. Les Bambara, peu disposés à tolérer chez eux aucune propagande religieuse, bien qu'ils vécussent en bonne intelligence avec les Soni-nké musulmans du pays, s'ameutèrent contre l'apôtre qui se montrait disposé à braver leurs croyances, et leur roi Tiefolo le jeta en prison. Il en sortit bientôt cependant. Mais de nouvaux dangers l'attendaient. Quelques Soui-nké Kadriya de Ségou cherchèrent à le-faire assassiner ; puis les autres marabouts du pays s'opposèrent à leur projet, et il put enfin continuer sa route.
Son premier dessein avait été de se rendre directement au Foutah-Toro. L'attitude des Bambara du Kaarta et des Malinké du Manding l'en empêcha. Modifiant donc son itinéraire primitif, il continua à remonter la vallée du Niger, et se rendit à Kankan, où il fit un court séjour. A la fin de l'année 1840, quittant le Soudan, il partit pour le Foutah-Djallon par Bagaréya sur le Tin-Kisso.
Jusqu'alors, El Hadj Omar s'était borné à propager les règles du Tidjanisme tel qui l'entendait, c'est-à-dire avec un caractère d'intolérance très marquée, qu'il avait emprunté aux doctrines des Khelouatiya, tout en conservant à ses disciples le nom de Tidjaniya. De son séjour au Foutah-Djallon, date la propagation de la foi chez les infidèles, par la guerre sainte, le Djehad. Kankan même, après son départ, eut pour chef un jeune marabout de la ville, Mahmadou, qui le suivit quelque temps, puis revint, à son exemple, prêcher la conversion à main armée, des fétichistes. Entraînée par Mahmadou, toute la population
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musulmane du pays s'arma et envahit le Ouassoulou. Les États environnants eurent le même sort. Mais un roi Bambara du Sud, nommé Diéri, arrêta cet élan. Entrant à son tour dans le Ouassoulou, il en chassa les Tidjaniya et vint mettre le siège devant Kankan. Il eût peut-être réussi à mettre fin à leurs entreprises, mais il fut tué en donnant l'assaut à la -ville et Mahmadou put aisément reconquérir le Ouassoulou. S'occupant dès lors de répandre l'Islam dans son royaume et de l'organiser sans songer à de nouvelles conquêtes, il régna paisiblement jusqu'à sa mort, vers i865. C'est de cette période que date la conversion des Peul Ouassoulonké. Seuls les Bambara et les Mali-nké conservèrent encore leur indépendance religieuse.
A son arrivée au Foutah-Djallon, El Hadj Omar rencontra tout d'abord une certaine résistance à ses projets. Sur tout son passage dans le Soudan central, il avait été traité comme un nouveau prophète. Déjà au Haoussa, lors de son départ il avait épousé une femme du pays,qui le suivit au Hedjaz.A son retour, le sultan du Bornou lui en donna une autre, et à Sokoto, le sultan Bello lui fit épouser une de ses parentes. Celle-ci resta dans le pays, mais les deux premières suivirent leur mari et avec elles de nombreux disciples, une foule d'esclaves, chargés de richesses de tout genre, qu'il devait aux chefs du Haoussa et à leurs sujets.
C'est avec un tel cortège qu'El Hadj Omar était arrivé chez les Bambara. Il repartit de Ségou après son emprisonnement avec une suite beaucoup plus modeste, mais qui s'était grossie de nouveau à Kankan.
Au Foutah-Djallon, il crut pouvoir s'imposer par sa seule présence à la population musulmane. Mais son attitude même, fort différente de celle d'un missionnaire de confrérie religieuse, excita les méfiances des habitants qui le reçurent mal. Pour les punir il fit piller par ses disciples quelques Roundé, quelques
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hameaux de la province de Fodé-Hadji où il était entré. Les indigènes du voisinage se réunirent aussitôt pour l'attaquer, et la situation parut un moment critique.
Mais les Djallonké, qui voyaient là une occasion de secouer le joug des Peul, se déclarèrent pour lui. Leur adhésion entraîna celle de tout le parti des Soriya, dont le chef, l'almamy Omar, se montra bientôt entièrement dévoué à la cause de l'apôtre Tidiane. Suivant un récit populaire, il aurait un jour déposé, devant ce dernier, sur l'ordre qu'il en reçut, son turban d'investiture, pour lui faire acte d'obédience.
Seuls les Alfaiya, et surtout leur chef l'almamy Bokari, continuèrent à garder une certaine réserve. Néanmoins, El Hadj Omar s'installa à Diégouroukô dans le Léidi, canton de Koundi Madhiya, près de Timbo. Ses prédications exaltées le firent bientôt mieux connaître, et, sauf dans quelques clans nobiliaires, il ne tarda pas à faire accepter son autorité spirituelle par tout le pays.
Tout en s'attachant à former des disciples, il commença, dès que leur nombre devint assez grand, à organiser ses forces. De tous côtés, les offrandes affluaient, soit du Foutah même, soit des Etats musulmans voisins, où les nouveaux Thalibé Tidjaniya allaient prêcher et quêter. Grâce à ces dons de toute sorte, aux produits de grandes cultures faites à Diégouroukô, d'un commerce actif, El Hadj Omar réunit en peu de temps une grande quantité d'armes et de munitions. Enrôlant alors ses adeptes, deux ans après son arrivée au Foutah, il forma une petite armée et partit à sa tête vers le Nord, pour guerroyer contre les infidèles. Il s'arrêta quelque temps dans le Labbé, où sa présence acheva de lui concilier la majorité des Alfaiya, qui, de ce côté, se montraient encore hésitants, puis descendit dans le Gabou, entre la Gambie et le Rio-Grande. Là vivaient au milieu de Mali-nké fétichistes, quelques fractions des anciens Hirnanké, conver-
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ties, mais d'un zèle peu fervent. El Hadj Omar y séjourna une année presque entière, endoctrinant les uns, convertissant les autres. C'est à cette époque que remonte la fondation de l'État Peul du Firdou. Le père de Moussa Molo, son chef actuel, avait des premiers embrassé la cause des Tidjaniya. Les conquêtes que firent ceu x-ci devinrent son apanage. Poursuivant son oeuvre, son fils a continué d'étendre jusqu'à l'époque actuelle les domaines de sa famille. Il est maître aujourd'hui d'un vaste royaume qui longe la Gambie de Yartabenda à Niocolo, atteint la Cazamance au sud du Pakao, pénètre dans la Guinée portugaise, et dépasse le Rio-Grande.
Toutefois, après le départ d'El Hadj Omar, ses traditions n'ont pas tardé à tomber dans l'oubli, et dans ces derniers temps, Moussa Molo, quoique musulman, s'est montré aussi dévoué à notre parti, qu'hostile à celui des marabouts de la Gambie.
En quittant le Gabou, où restèrent beaucoup de ses compagnons, El Hadj Omar se dirigea vers le Oulli, au sud-ouest du Boundou. Là, sur les rives de la Gambie, vivait une population, mahométane depuis longtemps, les Socé, qui l'accueillit avec enthousiasme. Il y fonda dans les cantons voisins de l'île MacCarthy, une colonie Tidjanienne qui, jusqu'à ces derniers temps, s'est montrée absolument dévouée aux doctrines les plus exaltées. C'est là que les indigènes compromis dans les insurrections religieuses du Ripp, en 1864 et 1887, vinrent chercher asile, de même que Mahmadou Lamine. Aux Socé se joignirent dès lors un certain nombre de Soni-nké dispersés dans le Boundou. Cependant, El Hadj Omar échoua dans une tentative qu'il fit pour se rallier ceux du Dentilia, pays situé entre la Gambie et la Falémé. Ils étaient Kadriya et, tout en répondant à ses ouvertures, comme à celles d'un illustre défenseur de la foi, refusèrent de se joindre à lui. A une époque plus récente néanmoins, le Dentilia est devenu le théâtre d'une agitation religieuse assez accen-
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tué e. Un marabout, nommé Cheikh el Mokhtar, qui s'y est fait connaître vers 1885, paraît, tout en protestant des meilleurs sentiments à notre égard, disposé, si les circonstances s'y prêtent, à se lancer dans la carrière du Djehad, Il est Kadry, mais se montre à cet égard animé du même esprit que les Tidjaniya. Vers l'Ouest, El Hadj Omar était entré en relations plus suivies avec les Socé du Diara, du Kian, du Fogny et du Badibou, sur les deux rives de la basse Gambie. Tous se rallièrent à son ordre et comme ceux du Oulli, du Niani, la province de cette région où il s'était arrêté le plus longtemps, comptèrent dès lors parmi ses partisans les plus convaincus.
Cette propagande resta sans effet sur les populations fétichistes des deux derniers pays, du Oulli ou du Niani. Beaucoup de leurs villages furent dévastés, mais bientôt après reconstruits et en dehors de la zone riveraine du fleuve, l'Islam ne fit aucun progrès nouveau. lien fut de même au Badibou, limitrophe du Ripp qu'il sépare de la Gambie, et au Sud, du Fogny, du Diara, du Kian. Mais l'exaltation religieuse des Socé s'était accrue à un degré extrême. Bientôt elle provoqua dans le Ripp un soulèvement général des musulmans.
Ce pays se trouvait alors dominé par les Sérères du Saloum. Le parti marabout, en opposition au parti Tiédo, et qui comprenait outre les Socé, quelques tribus Ouolof, était opprimé par les maîtres du pays, sans avoir encore songé à secouer leur joug. Son importance et l'audace de ses chefs ne tardèrent pas à se développer. Ne se sentant pas encore assez forts, ils attendirent cependant quelques années, puis, en 1860, une révolte locale fomentée par Cheikh Othman Djioub, Moqaddem et représentant direct d'El Hadj Omar, donna un signal longtemps attendu. Tous les musulmans prirent les armes, et sous la conduite d'un autre Tidiane, Maba, qui devint leur chef de guerre, conquirent un moment tout le Saloum et une partie du Sine.
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Ce mouvement, dont l'histoire détaillée trouvera sa place ailleurs, prit fin à la suite de notre intervention en 1864 et de la mort de Maba, tué, en 1867, dans une expédition contre les Sérères du Sine. Mais les ferments d'agitation religieuse, ainsi déposés dans le pays, n'ont pas encore disparu. En 1886, Saërmaty, un fils de Maba, reprit la campagne et l'annexion même du Ripp, en 1887, ne suffit pas à établir complètement la paix. Peu après, les agissements d'un des chefs que nous avions maintenus, Biram Cissé, et qui appartenait au parti des Tidjaniya, motivèrent son arrestation. Enfin, en même temps que Saërmaty essayait de se rendre maître du Ripp, deux autres agitateurs, Ibrahim N'diaye, dans le Fogny, et Fodé Kaba, dans le Kian et le Diara, levaient l'étendard de la guerre sainte, toujours au nom du Tidjanisme. Mahmadou Lamine, ayant de son côté choisi comme refuge le Niani où il a été tué en décembre 1887, on voit que l'oeuvre d'El Hadj Omar fut particulièrement féconde dans ces régions.
Après y avoir solidement établi son influence, le Prophète prit la route du Cayor, en longeant les frontières du Saloum. du Sine et du Baol. Des populations dont il parcourut ainsi le territoire, les unes étaient Sérères, les autres Ouolof; les premières exclusivement fétichistes, les secondes musulmanes en majorité. Dans ce voyage, El Hadj Omar ne conserva avec lui qu'un petit nombre de partisans. Presque tous les Peul qui l'avaient suivi jusqu'à la Gambie, le quittèrent de son propre consentement. Il ne pouvait en effet songer, avec les forces dont il disposait à cette époque, à s'attaquer aux Sérères qui le laissèrent passer comme voyageur isolé, et l'eussent aisément vaincu s'il s'était présenté en conquérant.
Les Ouolof, qui dans le Baol étaient encore fétichistes sur quelques points, appartenaient dans tous leurs cantons musulmans à l'école des Kadriya. Dans le Ripp, ils se rallièrent
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aux Tidjaniya, mais momentanément. Après Maba, ils se montrèrent toujours partisans de la paix et Saërmaty les traita en adversaires, au même titre que les Sérères.
De même au Cayor, El Hadj Omar compta pendant quelque temps de nombreux adeptes parmi Ouolof. Othman Djoub en était originaire et Maba y avait été élevé. Aujourd'hui encore on y trouve un certain nombre de Tidjaniya. Cependant l'élément Kadry conserve la supériorité, de beaucoup.
El Hadj Omar ne fit d'ailleurs que traverser le pays ainsi que le Oualo et, en 1846, il arriva chez lui près de Podor.
Bien que sa carrière se trouvât déjà dessinée par d'importantes conquêtes et par une propagande qui n'eût dû laisser aucun doute sur ses projets, il réussit assez facilement à en imposer aux autorités du Sénégal, qui ne virent en lui qu'un personnage influent et dévoué à nos intérêts. Dès son arrivée à Podor, M. Caille, directeur des affaires politiques, le reçut et eut avec lui de longs entretiens. El Hadj Omar s'était fait fort de pacifier le Sénégal, de le soumettre entièrement à notre autorité, de développer le commerce et ses offres lui valurent de nombreux cadeaux. L'année suivante, ces pourparlers furent repris directement par le gouverneur, M. de Grammont, à Bakel. Ce fort était alors commandé par Hecquard qui se préparait à son prochain voyage au Foutah-Djallon, et reçut, pendant plusieurs jours, le chef d'un mouvement religieux, dont on méconnaissait alors toute la gravité.
Grâce à cet accueil, El Hadj Omar réussit sans peine à faire reconnaître son autorité non seulement au Foutah, mais dans tQus les postes du fleuve. De tous côtés, les traitants rivalisèrent pour lui faire les plus riches présents. A Podor, l'un d'eux lui envoya, entre autres, une balle de guinées tout entière, pour sa contribution personnelle. !
Ces nouvelles ressources servirent à acheter des armes, de la
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poudre, des chevaux, et, àla fin de 1847, 'e Prophète reprit, avec des contingents assez forts, la route du Foutah-Djallon. De Bakel, il gagna le Boundou, où l'Almamy, père de notre fidèle allié Boubakar Saada, le reçut avec un empressement plus affecté que réel. Néanmoins, il y recruta quelques adhérents, et se rendit ensuite dans le Bambouk septentrional,où l'enthousiasme fut plus général. Après un court séjour dans ce pays, où les dons volontaires affluèrent, il traversa la Falémé et se dirigea vers Niocolo, sur la Gambie, en brûlant çà et là quelques villages d'infidèles. Son objectif avait été tout d'abord de remonter la Falémé en traversant le Tambaoura, où se trouvait un État fétichiste assez puissant. Mais ses forces n'étaient pas encore suffisantes.
Au Foutah-Djallon, El Hadj Omar eut de nouveau quelques difficultés à surmonter. L'Almamy régnant, qui était du parti des Alfaiya, voulut s'opposer à son entrée dans le pays. Mais l'attitude de la masse de la population lui permit de passer outre, et il revint s'installera Diégouroukô, où étaient restés ses femmes et ses enfants. Là, pendant un séjour de dix-huit mois, il reprit son oeuvre de propagande locale et extérieure, tout en s'occupant de préparer de nouvelles conquêtes.
II convient de dire, avant d'énumérer ces guerres, qu'au Foutah-Djallon, la personnalité même d'ElHadj Omar est restée peu sympathique. Ses doctrines ont presque partout supplanté les traditions des Kadriya. Sorya ou Alfaiya, les chefs du pays, tous les marabouts influents, tiennent à honneur de se dire Tidjaniya et les seules influences religieuses qui existent actuellement chez les Peul des hauts plateaux, sont celles de quelques moqaddem, disciples directs du fondateur de l'ordre. A peine trouve-t-on»à côté de ceux-ci quelques Kadriya, dont le rôle est fort effacé, Mais fort indépendants, vivant isolés dans leurs montagnes, les habitants du Foutah-Djallon sont hostiles à toute domination étrangère, même d'origine religieuse, du moment qu'elle s'exerce
1-éocuclo
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G.STEINHEIL Editeur.
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aussi dans le domaine politique. La réception faite par deux reprises à El Hadj Omar, en est une preuve certaine, et malgré la ferveur développée par ses prédications, malgré les nombreux dévouements personnels qu'il sut inspirer, cène fut pas sans un certain soulagement qu'on le vit partir en 1849.
Pendant la durée de son séjour, il avait envoyé de nombreux émissaires dans la zone littorale, et organisé quelques expéditions qui contribuèrent beaucoup au développement de l'Islam dans ces parages, en même temps du reste qu'à l'extension de la domination Peul. Le Benna, dans la vallée de la grande Scarcie, le Kissi-Kissi et le Bemba près de la Mellacorée, le Moréah entre cette lagune et la Dubreka, devinrent de véritables colonies de Tidjaniya. Dans le dernier pays surtout, l'esprit qui s'est ainsi développé chez une population autrefois pacifique, est devenu de plus en plus' hostile à notre cause, comme le montrent les révoltes qui ont nécessité notre intervention et une répression énergique en 1888 à Manéah et à Forécariah.
A une époque antérieure, les Peul étaient déjà venus faire le Djehad de ces côtés avec Alipha Bâ, l'almamy Sory et son lieutenant Bâ Dembah. Mais ils ne s'étaient pas avancés aussi loin vers le Sud,s'étendant surtout dans les vallées du Rio-Grande supérieur, du Rio-Nunez, du Rio-PongoetduKonkouray. Entre le Rio-Nunez et le Rio-Pongo notamment, d'importantes enclaves musulmanes s'étaient fondées depuis l'époque de l'almamy Sory, au Consotomi, à Bambaya. Elles se développèrent alors notablement, et l'Islam pénétra même jusque chez les Landouman du Rio-Nunez. Sans avoir dirigé ce mouvement d'une façon aussi exclusive que celui du Moréah, les émissaires d'El Hadj Omar y contribuèrent pour une grande part ; Consotomi, Bambaya devinrent ainsi, et sont restés des centres Tidjaniya d'une certaine importance,, où
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l'exaltation religieuse tend plutôt à s'aggraver qu'à s'affaiblir. Ce furent, semble-tril, les dispositions toujours hostiles de l'Almamy qui décidèrent El Hadj Omar à quitter le FoutahDjallon en 1849. Il alla s'établira Dinguiray près du Tin-kisso et y fit construire une citadelle remarquable, pour le pays, par sa force défensive. Ses projets de Djehad, qu'il proclama plus ouvertement encore que par le passé, firent accourir auprès de lui toute la jeunesse turbulente des pays musulmans du voisinage, du Foutah, de Kankan et des quelques villages Soni-nké du Djallon.
Au nord-est du Dinguiray, s'étendait alors le royaume fétichiste du Djallonkadougou, dont le Bouré subissait la suzeraineté bien qu'il s'y trouvât quelques musulmans. Cet État devint le premier objectif d'El Hadj Omar.
Averti de ses desseins, le roi de Tamba, capitale du royaume, vint mettre le siège devant Dinguiray, mais sans pouvoir prendre la citadelle. L'armée des Tidjaniya, forte à peine de 700 fusils, les suivit dans leur retraite, et après avoir brûlé quelques villages, arriva devant Tamba.
La tactique des peuplades nègres, dans leurs guerres locales, est presque toujours la même, déterminée par leur organisation politique. Attaquer par surprise le village de l'ennemi ou se défendre dans le sien contre son agression, telle est la forme générale des luttes. Le nombre des assaillants ou des défenseurs est d'autre part toujours restreint. En effet, même quand ils dépendent d'un seul État, les différents villages sont souvent hostiles les uns aux autres. Leurs contingents ne se réunissent que rarement à la voix d'un chef commun. A plus forte raison, le concours des provinces vassales est-il en général douteux. Le roi de Tamba n'avait donc avec lui que peu de monde, deux ou trois mille guerriers tout au plus. II résista néanmoins pendant six mois aux attaques des Tidjaniya, et ce fut seulement après avoir
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dispersé une petite armée de secours, venue du Ménien, au nordouest du Bouré, que les Thalibé d'El Hadj Omar emportèrent la place.
Cette victoire, suivie du massacre de tous les habitants mâles et adultes de la place, grossit immédiatement l'armée de Dinguiray. Aux musulmans, vinrent se joindre enfouie des fétichistes de tous les pays Djallonké, attirés par l'appât du butin, ou poussés par la crainte d'un sort pareil.
Moins d'un an après, le Ménien était conquis à son tour et Gonfondé, sa capitale, brûlée après l'exécution de tous les hommes. Le Bouré se soumit aussitôt.
Quelques mois plus tard, El Hadj Omar rentrait en campagne. Suivant la vallée du Bafing, il envahit l'État du même nom, puis arriva à Koundian, qui ouvrit ses portes. Se rapprochant alors delà Falémé, il s'établit à Dialafara, au sud du Bambouk, pendant qu'une colonne détachée allait ravager le Diébédougou. Cette opération terminée, l'armée reprit sa marche, et, longeant la grande falaise du Tambaoura, arriva à Farabannah, d'où une seconde colonne se rendit à Makhannah qui fut pris et brûlé ainsi que de nombreux villages sur le trajet.
A Farabannah, les contingents des provinces du Bambouk et du Foutah Sénégalais vinrent rejoindre El Hadj Omar. Mais au même moment, les Bambara du Kaarta, prévoyant que leur pays serait bientôt envahi, avaient réuni une armée et s'avançaient. Ils campèrent sur la rive droite du Sénégal, à Kholon, et se préparaient à le passer lorsqu'ils furent ^eux-mêmes attaqués.
Les Tidjaniya avaient traversé le fleuve en deux corps, en
amont et en aval de Kholon. Pris entre deux feux, les Bambara
se débandèrent et Koniakari tomba quelques jours après aux
mains du vainqueur. 1
Peu de temps avant ces derniers événements, une députation
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de traitants musulmans de Bakel était venue à Farabannah, demander à El Hadj Omar, auquel ils apportaient de riches présents, de respecter leurs biens et leur commerce. Ils étaient repartis avec une promesse favorable. Tous les convois des négociants sénégalais n'en furent pas moins pillés de Bakel à Médine, au moment même où les envoyés de la première ville rentraient chez eux, sous prétexte d'une vente d'armes aux Bambara.
El Hadj Omar s'attaquait à la fois à nos sujets et au Kaarta, confiant en l'avenir de son oeuvre. De Koniakari, il essaya de fomenter des troubles jusqu'à Saint-Louis même, en envoyant aux musulmans de la ville, un mandement où il les exhortait à la guerre sainte.
Le Diafounou, situé au nord-ouest de Koniakari, et où les Soni-nké étaient en majorité, se soumit, presque aussitôt la ville prise. En peu de temps, le Diombokho, le Sorma, le Guidioumi, toutes les provinces du Kaarta, comprises entre le Sénégal et le canton de Nioro, la capitale, tombèrent de même au pouvoir de l'envahisseur. Comprenant que toute résistance devenait inutile, le roi du pays et les chefs des différentes tribus, les Bambara Kouloubali, Kogorota et Diaouara, ainsi que ceux des Peul du Bakhounou, prirent les devants et vinrent se rendre.
El Hadj Omar s'installa alors à Nioro, en 1854, laissant ses Tbalibé parcourir la contrée et la dévaster. Leurs pillages provoquèrent une insurrection générale. Beaucoup furent massacrés et de nombreuses bandes vinrent en même temps assiéger Nioro, puis Kolomina, où s'était établi le second corps de l'armée musulmane, sous les ordres d'Alpha Oumar Boëlo, récemment arrivé du Foutah-Toro.
A Nioro, les Thalibé qui craignaient la famine, égorgèrent presque tous les Bambara de la ville, mais bien qu'El Hadj Omar eut réussi à faire sortir une troupe de quinze cents Sofa, qui
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dégagèrent Alpha Oumar à Kolomina, les Bambara, tenant toujours la campagne, empêchaient les vivres d'arriver. Une autre sortie, dirigée par le Prophète, lui-même, fut moins heureuse. Il laissa 5oo hommes à l'attaque du village fortifié de Kandiari,et dut rentrer dans Nioro, après un second combat/ncertain contre les Bambara.
C'étaient surtout les Kouloubali Massassi, les sujets immédiats du roi du Kaarta, qui avaient pris part à la révolte, devenue fort menaçante. Pour en finir avec eux, El Hadj Omar réunit toutes ses forces, en prit le commandement, et quittant Nioro, se porta contre l'ennemi. Mais celui-ci, malgré ses succès partiels, ne l'attendit pas. Au lieu de lutte, il n'y eut qu'une poursuite, au cours de laquelle périrent une. grande partie des fuyards. Les autres se dispersèrent et quittèrent le Kaarta, pour aller soit à Ségou, soit dans la vallée du Bakhoy et même jusqu'au Boundou.
Les autres habitants du pays rentrèrent dans l'ordre, mais pour peu de temps. Bientôt les Diaouara qui occupaient le Kingui autour de Nioro, se mirent à pilîèr les convois et les troupeaux de l'armée. Leur résistance ne fut pas d'ailleurs de longue durée. Presque tous les villages du Kingui furent brûlés le même jour et les bandes un moment réunies s'enfuirent.
Quelques-unes s'étaient réfugiées à Diangounté qui dépendait de Ségou. Néanmoins El Hadj Omar les y suivit et, après avoir brûlé le village, laissa quinze cents Thalibé pour le reconstruire et l'occuper.
Au même moment, arrivait une armée de Peul du Macina, qui inquiétés dans leurs projets de conquête par les progrès des Tidjania, avaient pensé en avoir facilement raison.
Ils se trouvaient déjà dans le Bakhounou, lorsque leur arrivée fut signalée. Alpha Oumar se porta aussitôt à leur rencontre et les battit. Cet événement n'en eut pas moins des résultats d'au-
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tant plus graves pour la cause des vainqueurs, qu'ils se trouvaient ainsi engagés dans une lutte imprévue contre leurs coreligionnaires, en même temps qu'après les Bambara du Kaarta, ils allaient trouver devant eux ceux de Ségou.
El Hadj Omar s'en rendit compte et essaya d'éviter le danger immédiat que provoquait l'occupation de Diangounté. Il envoya un émissaire au fils de Mansong, Torocoro Mary, qui venait de monter sur le trône et, semble-t-il, un accord intervint entre eux. Les Bambara de Ségou ne l'entendaient pas ainsi et Torocoro paya de sa,vie cette compromission.
La diversion n'en permit pas moins à El Hadj Omar de s'occuper d'autres soins. Plusieurs colonnes allèrent ravager tout le pays compris entre le Bafing et le Bakhoy, ainsi que la rive droite de cette rivière jusqu'au Manding. Son autorité s'étendit ainsi aux enclaves indépendantes, du Sénégal au Tinkisso. Sur le premier fleuve, un autre pays, le Khasso, avait déjà subi quelques incursions des Thalibé, mais n'était pas entièrement soumis. En mars 1857, l'armée du Prophète, qu'il commandait en personne, y apparut de nouveau, et, après avoir brûlé tous les villages qui résistèrent, elle vint mettre le siège devant Médine, le 27 avril.
On sait ce que fut l'héroïque résistance de Paul Holl, le commandant du fort construit l'année précédente, et au prix de quels prodiges d'audace, d'énergie, le général Faidherbe parvint à débloquer la place avec une poignée d'hommes, le 18 juillet. Pendant le combat, El Hadj Omar était resté àSaboucirésur la rive droite, où se trouvait son camp. Les fuyards vinrent l'y rejoindre, mais des désertions en masse réduisirent de plus de moitié son armée qui manquait de tout. Il se décida alors, sur les instances des principaux chefs, à passer sur la rive gauche pour se ravitailler, en traversant le Bamboukhou et vint s'établir à Koundian.
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Après un séjour de cinq mois, employés à la construction d'une citadelle comme celles de Dinguiray, Koniakari et Nioro, il se rendit dans le Boundou, dont l'Almamy avait décidément abandonné sa cause pour se rallier à nous. Après avoir brûlé quelques villages et décidé les Peul Sissibédu pays à partir pour Nioro. il traversa tout le Boundou, sans s'attaquer à l'Almamy qui s'était d'ailleurs retiré dans l'Ouest, et entra dans le Foutah Sénégalais où il resta jusqu'au milieu de i859.
Bien que la population nous fût profondément hostile, El Hadj Omar eut d'assez graves difficultés avec ses compatriotes, et ne pouvant comme il l'eût souhaité dévaster leur territoire, en raison de la composition de ses troupes, il se décida à repartir pour le Kaarta qui venait de se révolter. Pendant son séjour au Foutah, il avait fait contre le fort de Matam une tentative sans succès et, à son départ, défila près de Bakel sans riposter à la canonnade engagée contre ses gens.
A Nioro, Alpha Oumar avait eu à soutenir une lutte assez longue contre les Maures du Bakhounou, et lorsque l'armée, suivie d'une foule de femmes, d'enfants, après avoir traversé le Sénégal, s'engagea sur la rive droite, une de ses colonnes fut attaquée par les Douaïch. Les Diaouara du Kingui s'étaient d'autre part révoltés de nouveau. Enfin, de fortes bandes ennemies s'étaient formées dans le Bélédougou, au sud-est du Kaarta. Composées de déserteurs des troupes mêmes du Prophète, de Maures, de Bambara, de Mali-nké de tout pays, elles tenaient la campagne avec une audace croissante. La situation était donc mauvaise. Mais l'arrivée d'El Hadj Omar et de ses contingents, formidablement grossis au Foutah, mit rapidement fin à tous ces mouvements. A la fin de l'année i85g, la prise de Marcoïa, capitale du Bélédougou et centre de la résistance, acheva la pacification du pays, terrorisé par d'impitoyables massacres. Presqu'à la même date, Alpha Outhman achevait la conquête du
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Foulàdougou, entre le Bélédougou et la vallée du Bakhoy. Mais dans le Foutah Sénégalais, les événements ne se montraient pas aussi favorables à la cause des Tidjaniya. Une attaque dirigée contre Bakel, par les contingents du pays, avait été repoussée, et peu après, la prise de Guémou par une colonne à laquelle s'étaient joints de nombreux volontaires de Saint-Louis et des postes du fleuve, mit fin à leurs entreprises.
Pendant cinq mois, El Hadj Omar resta à Marcoïa, envoyant ses bandes ravager le Bélédougou pour nourrir tout son monde. Durant cette période lesBambarade Ségou, où Ali avait succédé à Toroco-Mari assassiné, vinrent, à trois reprises, attaquer les troupes du marabout, mais sans succès. Pressé alors par le manque de vivres, celui-ci se décida à commencer les opérations contre ces nouveaux ennemis. Quelques combats meurtriers, puis une dernière victoire sur une double armée Bambara qu'il avait réussi à traverser, et par laquelle il se laissa poursuivre avant de l'attaquer à son tour, le menèrent rapidement au Niger. En avril 1860, il entra ainsi dans Nyamina, évacuée par ses habitants.
Là encore, il fit un séjour de cinq mois, et les approvisionnements réunis par le pillage du pays, épuisés, l'armée se remit en marche. Tout le Ségou prit alors les armes et se concentra sur la rive gauche du Niger à Oïtala. Après quelques escarmouches, où il perdit beaucoup de monde, El Hadj Omar fit donner l'assaut, sans succès tout d'abord. LesThalibé se débandèrent et un désastre complet parut un moment imminent. Mais deux obusiers abandonnés par une petite colonne dans le Bambouk, où il les avait trouvés, lui servirent à canonner le village dont les défenseurs effrayés prirent la fuite. Un fils d'Ali, Tata, qui commandait les Bambara, périt dans l'assaut final que suivit un massacre général. Cette victoire amena la soumission de Sansanding, dont les
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habitants, Soni-nké et musulmans, appelèrent d'eux-mêmes le Prophète. Ils ne furent d'ailleurs guère plus épargnés que les fétichistes vaincus, et pendant plusieurs mois durent nourrir tous les Thalibé, au nombre de 10 ou i5,ooo, sans compter les femmes et les enfants.
Le Macina, gouverné par Ahmadou Ahmadou, petit-fils d'Ahmed Lebbo, était alors au point culminant de sa puissance. Une expédition heureuse venait, en 1855, de lui rendre la possession de Timbouctou. Ce fut vers lui que se tourna le roi de Ségou, qui s'engagea, tant en son nom qu'en celui de ses sujets, à embrasser le mahométisme. Ahmadou en profita pour intervenir de nouveau. Il écrivit tout d'abord à El Hadj Omar, pour lui demander d'évacuer le pays comme soumis à sa propre autorité, et sur un refus peu déguisé, le menaça de marcher sans plus tarder sur Sansanding, s'il n'en sortait aussitôt.
Les deux armées se concentrèrent immédiatement : sur la rive gauche, à Sansanding, les Thalibé; sur la rive droite en face les Peul du Macina, auxquels vinrent se joindre les dernières troupes de Ségou. Pendant deux mois, les pourparlers continuèrent, mais des escarmouches isolées qui furent défavorables aux Tidjaniya, ne tardèrent pas à s'engager. Renouvelant alors la tactique qui lui avait réussi à son entrée dans le Kaarta, El Hadj Omar fit passer ses gens en deux colonnes et vint attaquer l'ennemi de front et de dos. Les Bambara plièrent les premiers, puis les Peul et après une lutte sanglante, la victoire resta aux assaillants.
Peu de jours après, El Hadj Omar faisait son entrée à Ségou, d'où Ali venait de se sauver quelques heures auparavant. Dans tout le SoudCii, cet événement eut un grand retentissement. Les populations se hâtèrent «l'envoyer des messages au vainqueur, offrant leur soumission. Il en vïïït même de Tengrela, à l'est du Ouassoulou. ■'•
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Cependant le Macina, où Ali s'était réfugié après la chute de Ségou, se préparait à recommencer la guerre. Une armée qui comptait, dit-on, 3o,ooo hommes, dont plus de 10,000 cavaliers, vint camper près de Ségou et après quelques engagements préparatoires, un choc général se produisit. Les Maciniens, battus une seconde fois, s'enfuirent.
Laissant alors son fils Ahmadou Cheikhou, qu'il avait eu de sa première femme et qui était depuis peu revenu du Dinguiray, pour commander Ségou, El Hadj Omar entra dans le Macina à la tête de toutes ses forces, plus de 3o,ooo hommes, et marcha sur la capitale. Ham'd Allahi.
Ahmadou Ahmadou, sur la demande de quelques chefs de son entourage et de nombreuses fractions Peul, auxquels répugnait cette guerre entre musulmans, essaya d'obtenir un accord. Mais il s'y prit de manière à exciter l'hostilité de son adversaire et la lutte continua. Elle se termina par une rencontre générale dans laquelle les Maciniens eurent d'abord l'avantage. Les Tidjaniya, qui ne devaient leur supériorité qu'à leurs fusils, épuisèrenttoutes leurs munitions, et ils semblaientperdus, lorsque Ahmadou Ahmadou eut la fatale idée de vouloir profiter de l'avantage du nombre pour les prendre par la famine. El Hadj Omar en profita pour faire refondre des balles, et préparer une dernière attaque. Quand il fut prêt, illança ses troupes fanatisées et exaspérées par leurs pertes, contre l'ennemi. Celuici avait de nombreuses bandes de cavaliers armés de lances qui firent un véritable carnage des Thalibé. Ils durent néanmoins reculer sous la fusillade, et leur déroute détermina celle de l'armée entière. Le soir même, El Hadj Omar entrait à Hamd Allahi. Quelques jours après, Ahmadou Ahmadou et Ali étaient faits prisonniers. Le premier fut aussitôt décapité, et le second jeté dans une prison dont il ne sprat plus (avril 1862). Tout le Macina vint faire ,ç& soumission, reconnaissant d'au-
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■ tant plus facilement l'autorité du Prophète, que son triomphe était surtout celui d'un parti religieux sur un autre parti d'affinités communes.
Dans les dépendances du pays, se trouvaient toute la vallée du Niger jusqu'à Timbouctou et la ville même. Une colonne alla v faire reconnaître ladomination d'El Hadj Omar qui commença à s'occuper de l'organisation de son immense empire.
Mais quelques chefs Maciniens, qui avaient espéré se partager la succession de leur ancien maître, ne tardèrent pas à s'agiter. Par l'intermédiaire des Soni-nkédu Niger, restés, malgré leur soumission, hostiles aux Tidjaniya, ils entraînèrent dans leur cause les Bekkay, que l'expédition de Timbouctou avait achevé de ranger parmi les adversaires du conquérant. Il se forma ainsi un vaste complot, où entrèrent également les Bambara de Ségou.
Quelques soulèvements partiels dans cette région, et la trahison d'un émissaire de Sid Ahmed el Bekkaï, firent découvrir ce qui se préparait. Mais malgré une répression énergique, l'insurrection ne tarda pas à devenir générale. Pendant qu'Ahmadou Cheikhou essayait sans succès de faire rentrer les Bambara dans le devoir, El Hadj Omar avait à faire face à l'invasion des Kountah, des tribus maures ou berbères du Bakhounou, du Niger, auxquels s'étaient joints les Maciniens. Les communications se trouvèrent bientôt coupées entre Ségou et Hamd Allahi. Divisée en deux tronçons, l'armée tidiane eut à soutenir une double lutte.
Dans le Macina, le sort des armes lui fut presque immédiatement fatal. Les Maciniens avaient pour chefs deux oncles du dernier roi, Abdoul Salam et Balobo. Ils s'attaquèrent tout d'abord àl'armée d'Alpha Oumar, qui après avoir occupé quelque temps et pillé Timbouctou, revenait en hâte à la nouvelle des événements. De leur côté, les Kountah arrivèrent sur les der-
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rières de la colonne. Après deux combats victorieux, elle fut écrasée par le nombre. Alpha Oumar périt, et quelques hommes à peine rentrèrent à Hamd Allahi.
El Hadj Omar n'avaitplus assez de monde pour lutter en rase campagne. II dut se retrancher derrière les murailles de la ville. L'ennemi essaya de donner l'assau', mais sans succès et eut alors recours à un étroit blocus. Les assiégés, qui avaient toujours vécu sur le pays, manquèrent de vivres après quelques semaines de siège. Beaucoup se sauvèrent, ou du moins essayèrent ; mais la plupart tombèrent entre les mains de Balobo qui les fit décapiter. Enfin, voyant la place réduite à la dernière extrémité, les Maciniens et les Kountah essayèrent de nouveau de l'enlever par vive force et en emportèrent toute l'enceinte extérieure. Il restait encore à El Hadj Omar un tata, une citadelle extérieure où ses plus fidèles Thalibé continuèrent avec lui une résistance désespérée. Mais ils furent [trahis et une surprise de nuit permit aux Bambara, en avril i865, d'entrer en assez grand nombre, avant que l'alarme eût été donnée. Presque tous les défenseurs de la place lâchèrent pied et s'enfuirent.
El Hadj Omar, accompagné de quelques serviteurs seulement, dut les imiter. Il alla tomber dans les campements de Sid Ahmed el Bekkay, dont les troupes n'avaient pas pris part à l'attaque. Après une poursuite acharnée, se voyant sur le point d'être capturé, il essaya de dépister les cavaliers lancés sur ses traces, en s'enfonçant'dans une sorte de terrier, de trou creusé dans un épais fourré.
On l'y retrouva bientôt, et ne pouvant le faire sortir, un parent de Sid Ahmed, qui dirigeait la poursuite, fit allumer devant l'entrée un grand feu d'herbes sèches. Lorsqu'il fut éteint, on retira du terrier le cadavre du fugitif, mort asphyxié, et après l'avoir dépecé et mutilé, les Kountah jetèrent ses restes dans la brousse,
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La fin d'El Hadj Omar, fut ainsi celle des innombrables victimes qu'il avait sacrifiées au triomphe de ses croyances.
Telle est du moins la tradition la plus accréditée dans les pays Mali-nké et Soni-nké sur la tragédie qui termina la vie du premier chef des Tidjaniya. Ceux-ci ont adopté des légendes plus conformes aux intérêts de leur cause, moins pénibles pour leur amour-propre.
Quoi qu'il en soit, le siège d'Hamd Allahi se termina par le massacre des derniers Thalibé d'El Hadj et par sa. mort. Il ne fit pas cependant cesser la lutte.
Tidiani. — Un neveu du Prophète, Tidiani, avait réussi à se maintenir sur les limites du pays, près du territoire Songhaï, et les bandes de son oncle, dispersées dans les campagnes, au moment de la destruction de l'armée d'Alpha Oumar, étaient venues le rejoindre.
Il en forma le noyau d'une troupe que grossit'un parti de Maciniens, les Guiladjo, qui avant l'arrivée d'Ahmadou Lebbo, exerçaient, sous l'autorité des rois Bambara, la suprématie sur les autres tribus Peul.
D'autre part, Baloboet SidAhmed elBekkaï ne réussirent pas à s'entendre pour le partage des pays reconquis sur les Tidjaniya. Chacun d'eux prétendait en rester seul maître. Leur rivalité dégénéra bientôt en lutte ouverte.
Mettant alors à profit son éloignement au moment du siège d'Hamd Allahi, Tidiani se rapprocha des Bekkay et s'unit à eux pour combattre leur adversaire commun, dont ils triomphèrent d'autant plus aisément, que dans sa propre famille, Balobo avait vu s'élever contre lui d'autres compétiteurs.
Les hostilités entre les deux partis avaient commencé moins d'un an après la fin du siège d'Hamd Allahi. Elles se prolongèrent jusque vers l'année 1870, époque à partir de laquelle il cessa définitivement d'être question de la dynastie issue d'Ahma-
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dou Lebbo. Tous ses partisans se rallièrent peu à peu à Tidiani, Ce fut alors entre lui et les Bekkay que la lutte se poursuivit. Sid Ahmed el Bekkaï était mort depuis quelque temps déjà, et son fils Sid el Abidin avait quitté Timbouctou pour essayer de reprendre l'héritage de son père au Macina.
Mais il était alors fort jeune, et son humeur batailleuse avait .détaché de lui les plus anciens partisans de sa famille. Presque tous reconnaissaient déjà pour chef spirituel un de ses parents, descendant aussi de Sid el MokhtarelKebir, par la lignée directe, Baba Ahmed.
Sid el Abidin ne réussit à conserver avec lui que quelques fractions de Kountah ou de tribus maures du Sahara. A plusieurs reprises cependant, avec des contingents très faibles, il essaya d'entrer dans le Macina et réussit au moins à exécuter sur les Peul quelques razzias heureuses. Mais il dut renoncer à ses tentatives pour renverser Tidiani, dont le pouvoir s'affermissait rapidement, et essaya alors de rester à Timbouctou.
Bien que tous les Touareg se refusassent à le reconnaître comme héritier spirituel de son père, il put, pendant quelques années, se maintenir soit dans la ville, soit dans l'Azaouad, grâce au concours des Berabich et des autres tribus semi-arabes. Puis, en i883,à la suite de razzias exécutées tour à tour par ses partisans et ses ennemis, les uns sur les autres, il se rapprocha de nouveau du Macina, sans pouvoir cette fois y entrer, et se fixa définitivement à Gherdja, sur la rive gauche du Niger, entre le lac Debo et Timbouctou. Il y est resté jusqu'à l'occupation de Timbouctou par nos troupes, n'ayant d'ailleurs autour de lui que quelques bandes, dont la principale occupation était de rançonner les voyageurs sur le fleuve, ou sur les routes du désert. Depuis, il a continué à vivre en chef de clan de nomades, sans rôle religieux. Cependant en 1886, son autorité politique sembla tendre à se développer chez les Soni-nké riverains du Niger qui
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sont toujours restés hostiles aux Tidjaniya de la famille d'El Hadj Omar. A la mort de Tidiani, à la fin de 1887, il parut même un moment vouloir entrer en compétition contre son successeur. Quelques tribus Peul, celles qui avaient les premières renié la cause de Balobo, se montrèrent disposées à prendre part à un mouvement en sa faveur. Mais ses tentatives avortèrent et maintenant, campant tantôt avec les Touareg Kêl Immiden, tantôt avec les Kountah ou les Kêl es Soûk, il ne se signale plus que par des razzias, dont la dernière remonte à 1894.
Tidiani s'était installé un peu au sud d'Hamd Allahi, à Bandjagara. Sur toute la partie méridionale du Macina et le long du fleuve jusqu'aux frontières du pays, son autorité n'a pas cessé d'être presque absolue jusqu'à sa mort. Dans le Nord, la plupart des Peul, et même les Bambara, quoique vassaux, étaient peu à peu redevenus presque indépendants. L'histoire de son règne offre d'ailleurs peu de particularités notables. Elle est surtout caractérisée par la décadence graduelle du pouvoir du parti qu'il représentait, mais au point de vue politique principalement, car sous sa domination au contraire, Bandjagara a acquis une importance considérable comme centre religieux.
Depuis l'occupation du Soudan Français, Tidiani s'est trouvé en relations assez suivies avec nous. Son attitude semble extérieurement avoir toujours été correcte. Cependant il paraît prouvé que malgré l'accueil qu'il a fait à la mission de M. le lieutenant de vaisseau Caron, et bien que son rival Ahmadou Cheikhou l'ait fait empoisonner à la suite du passage de la mission, ses agissements secrets n'avaient pas été étrangers à l'insuccès de cette tentative sur Timbouctou, non plus qu'à l'hostilité très vive manifestée parles riverains, au retour de la canonnière. Le premier voyage exécuté par M. le lieutenant devaisseau Davoust, s'était, au point de vue des rapports avec les mdigènes, effectué dans des conditions beaucoup plus favorables.
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Peut-être le séjour du voyageur allemand Krause, à Bandjagara, dans l'intervalle des deux expéditions, ne fut-il pas étranger au revirement d'opinion qu'aurait alors manifesté Tidiani. En tout cas, pour caractériser son attitude générale à notre égard dans les derniers temps, on peut dire qu'elle resta celle du souverain d'un petit Etat, désireux d'éviter toute rupture ouverte avec un voisin beaucoup plus puissant, mais animé, avec les formes que lui dictait la prudence, d'un esprit hostile et décidé à résister aux empiétements. Les mêmes sentiments inspiraient certainement la population musulmane du Macina, et Bandjagara, par son importance au point de vue religieux, resta jusqu'à l'occupation, un foyer d'agitation contre nous.
Quelques compétitions s'élevèrent à la mort de Tidiani entre deux petit-fils d'Ed Hadj Omar, dont l'un, Seydou Ali Tamsir, l'emporta d'abord, puis fut remplacé par l'autre, Ahmed el Madani Monirou, que son frère Ahmadou Cheikhou ne tarda pas à renverser.
Ahmadou Cheikhou. — Pendant qu'El Hadj Omar se trouvait bloqué dans Hamd Allahi, son fils Ahmadou Cheikhou avait de son côté à réprimer l'insurrection des Bambara de Ségou. Peu de temps avant les premières révoltes, il s'était rendu à Hamd Allahi, puis était revenu dans la première ville. Prévenu déjà dés projets des Bambara, il donna, le lendemain de son retour, une fête à laquelle furent conviés tous les chefs du complot. Ils se rendirent sans défiance à cette invitation. Mais Ahmadou les fit saisir et les envoya à son père qui ordonna aussitôt de les mettre à mort.
L'ordre se trouva momentanément rétabli dans tout le pays de Ségou. Ce ne fut pas d'ailleurs pour longtemps. A l'occasion de la mise en recouvrement de nouveaux impôts, deux bandes importantes, l'une de Bambara, l'autre de Peul, se formèrent dans les environs de Sansanding, dont les habitants se mirent
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ouvertement en insurrection. Tous les Thalibé qui y tenaient o-arnison furent massacrés, et la ville devint le centre de résistance contre Ahmadou. Celui-ci rappela alors toutes ses troupes, dispersées jusque dans le Kaarta, où quelques soulèvements locaux venaient d'être châtiés. Après plusieurs engagements heureux contre les Bambara, que leurs alliés Peul avaient bientôt abandonnés, il alla attaquer Sansanding et la prit presque sans résistance. Mais pendant que les Thalibé se dispersaient pour piller, les Bambara, firent un retour offensif et, en dernier lieu, la victoire leur resta. Toute l'armée d'Ahmadou s'enfuit en désordre.
Telle était la situation au mois de décembre i'863. L'échec des Thalibé avait eu, en grande partie, pour cause les rivalités qui les divisaient eux-mêmes en plusieurs partis. El Hadj Omar avait recruté ses troupes pour le plus grand nombre dans son pays d'origine, le Foutah Sénégalais. Mais entre le Foutah central, le Toro et le Damga, qui forment les trois provinces du pays, il existait de nombreux ferments de haine, des antagonismes de race, remontant aux anciennes luttes des Denianké et des Torodo. Grâce à son ascendant personnel, le Prophète avait réussi à maintenir un équilibre suffisant entre les uns et les autres, à se faire obéir par tous indistinctement.
Il n'en était pas de même d'Ahmadou, qui avait laissé prendre aux Torodo une influence presque exclusive. De là chez les Denianké et quelques autres tribus, Lao, Ebiabé, Irlabé, un mécontentement général. Il s'accentua rapidement et dès le commencement de 1864, force fut au fils d'El Hadj de compter avec le mauvais vouloir de ses Thalibé. Il lui devint impossible de se faire obéir sans de constantes difficultés. Souvent même beaucoup se refusèrent à exécuter ses ordres, quels qu'ils fussent. '
Ce fut ainsi qu'en février 1864 une seconde expédition
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dirigée contre Sansanding aboutit à un échec complet. A peine engagée, une partie de l'armée lâcha pied.
Toute une année s'écoula encore en rencontres sans résultats entre les Thalibé et les Bambara. Puis, au mois de février i865, une victoire importante parut devoir porter à ceux-ci un dernier coup. Attaqués dans Toghou, où ils s'étaient retranchés en grand nombre, ils furent mis en déroute malgré une vive résistance. Après le massacre des hommes, il resta encore 3,5oo captifs,femmes et enfants, comme butin de combat. Néanmoins, une nouvelle tentative contre Sansanding aboutit aussi à un échec. Après plusieurs engagements partiels, heureux pour ses armes, Ahmadou dut se résigner, au mois de septembre, à lever le siège, en présence de l'inimitié croissante de ses sofas et des Thalibé. Il revint à Ségou avec une armée nombreuse toujours, mais débandée, sans cohésion, telle, que poursuivre l'expédition eût été courir au-devant d'un échec. .
Force lui fut, à partir de ce moment, d'abandonner tous ses projets contre les grandes villes riveraines du Niger que son père avait un moment soumises. Sur les Bambara mêmes, son autorité se maintint avec des alternatives de révoltes, comprimées ou apaisées à la longue. Mais partout où il se trouvait en nombre, l'élément Soni-nké réussit à sauvegarder, dès cette époque, son indépendance.
Bientôt, au reste, des difficultés d'ordre intérieur commencèrent à nécessiter tous les soins d'Ahmadou. Ses frères fort nombreux et qui jusqu'à la mort de leur père l'avaient reconnu comme son lieutenant, voulurent avoir leur part de l'héritage et tous ceux d'entre eux qui purent réunir quelques partisans, se soulevèrent.
Le premier fut Moult Aga, qui dès son enfance avait donné l'exemple d'une grande exaltation religieuse. Sous prétexte de faire la guerre sainte aux Mali-nké des pays situés entre le Bafing
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elle Ba-Oulé, il s'empara, en 1869, de Mourgoula, et se mita piller les régions voisines.
Peu après, en février 1870, Mokhtar, un autre fils d'El Hadj, aidé par plusieurs de ses frères cadets, entra de même à Koniakary, puis à Nioro. C'est là que se trouvait la plus grande partie des richesses accumulées par le Prophète pendant ses premières guerres. Elles étaient confiées à un vieux captif, Moustapha, qui n'essaya pas de lutter contre le fils de son maître, et lui remit la ville, mais en faisant prévenir Ahmadou.
Celui-ci se hâta d'arriver avec une armée, et pendant que Mokhtar se rendait à Koniakary, réoccupa Nioro. Il fit alors venir tous ceux de ses frères qui se trouvaient dans la région et exigea d'eux qu'ils le reconnussent pour maître. Plusieurs s'y résignèrent sans hésiter. Mais Mokhtar et quelques autres s'y refusèrent et prirent la campagne, en appelant à leur secours leur aîné Alibou, qui était resté à Dinguiray où il commandait seul depuis i865.
Il arriva en effet dans le Kaarta en 1870, mais tomba bientôt malade et retourna chez lui, laissant ses alliés à Koniakary, où il vint les rejoindre en 1872. Leurs forces étaient peu importantes, hors d'état de lutter contre celles d'Ahmadou. Après un premier échec, ils acceptèrent les ouvertures que leur fit celui-ci et se rendirent auprès de lui. Cette imprudence leur coûta la liberté. Ils furent, Mokhtar et Alibou du moins, jetés aux fers.
Débarrassé de ses compétiteurs, Ahmadou rentra à Ségou en août 1874, après une absence de trois ans. Au moment de son départ, il avait eu à réprimer une nouvelle révolte des Bambara de Nioro, et pour parer à toute éventualité de ce côté, crut prudent de transporter dans sa nouvelle capitale le trésor de son père. 1
Ces quelques années de paix relative et les succès qui les
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avaient terminées, grandirent sa situation. Il prit alors le titre d'Emir el Moumenin, et organisa dans toutce qui restait de l'empire d'El Hadj, plusieurs lieutenances qu'il confia à ceux de ses frères restés fidèles à son parti. Moult Aga avec lequel, il s'était réconcilié, eut Nioro ; Bassirou fut nommé à Koniakary, Seïdou au Dinguiray, etc.
A la même époque, une partie du Khasso qui s'était soulevée, se soumit volontairement. Enfin, la renommée de l'almamy Tidiane s'étendit assez loin, pour que les Tidjaniya de Fez soient alors entrés en relations directes avec lui.
Mais, ce qui était facile à prévoir, l'organisation qu'Ahmadou avait donnée à ses Etats n'eut pas les résultats qu'il en attendait. Les royaumes tributaires se rendirent indépendants, ou tout au moins se détachèrent peu à peu de Ségou. Le premier cas fut particulièrement celui du Dinguiray.
Le Kaarta au contraire resta plus directement vassal du sucesseur légitime d'El Hadj, sans cependant subir exclusivement son autorité. A la suite de soulèvements des Bambara et des Maures du Kaarta, Bassirou perdit toute influence à Koniakary et dut accepter la suprématie de Moult Aga qui, dès 1877, était ainsi devenu maître des pays à l'ouest du Bakhounou. Mais très pieux, s'occupant beaucoup plus de religion que de gouvernement, celui-ci laissa les tribus Bambara, Peul ou Maures du pays à peu près libres de toute autre charge que le paiement d'impôts, recueillis de temps à autre par quelques colonnes. Il finit même par accepter la suzeraineté directe de son frère Ahmadou.
Au moment où nos conquêtes du Haut Fleuve nous mirent en contact avec l'empire du fils d'El Hadj Omar, sa situation était ainsi devenue fort précaire, malgré son étendue. Maître de Ségou, Ahmadou y commandait seul, ainsi que dans le Bakhounou, sans exercer aucune autorité en aval de la première ville, vers Sansanding, et en amont plus loin que Nyamina. Au
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I sud du Bakhounou, les Bambara du Bélédougou avaient déjà il en partie secoué son joug, ou du moins ne lui obéissaient que très irrégulièrement. Une province du Kaarta, le Bine, s'était rendue indépendante. Les autres, maintenues par le quadrilatère de Nioro, Koniakary, Diara et Dianghirté, étaient plus soumises. Cependant en dehors de ces places, les Thalibé étaient exposés à de fréquentes attaques. Enfin, Moult Aga, tout en étant vassal de son frère, ne laissait pas que de lui témoigner des sentiments d'hostilité peu cachés, et réciproques d'ailleurs. Au sud du Sénégal et du Ba-Oulé, les deux citadelles de Koundian et de Mourgoula maintenaient dans le devoir les petits districts de leur voisinage. Mais la plupart des peuplades Mandé de la région comprise entre le Bafing et le Ba-Oulé, au nord du Manding, avaient recouvré leur autonomie. Au Sud, le Dinguirayconstituaitun Etat complètement indépendant,sous le gouvernement d'un autre fils d'El Hadj Omar, Aguibou, qui avait succédé à Seïdou et nous était résolument dévoué.
C'était, on le voit, une décadence presque complète de la puissance politique un moment formidable des Tidjaniya. Depuis notre installation entre le Sénégal et le Niger, elle s'est affirmée plus rapidement encore. Un premier coup avait été porté, dès i883,à l'occupation des Thalibé, dans les pays Mali-nké, par la destruction de Mourgoula, dont tous les habitants musulmans durent partir pour le Kaarta. A partir de cette époque, Ahmadou cessa d'exercer aucune action au sud du Sénégal et du Ba-Oulé. Il conservait encore Koundian, sans y avoir de garnison, et une tentative faite en 1888 pour en restaurer les murailles, aboutit à la destruction définitive de la citadelle.
En même temps que les Tidjaniya se voyaient refouler au nord-est du Sénégal, ils subissaient dans cette région de gravé.s échecs politiques. Sans entrer dans le détail de toutes les révoltes
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qui se succédèrent au Kaarta et au Bakhounou, il suffit de dire qu'appuyés par une suite de démonstrations militaires, les Bambara fétichistes du Bélédougou avaient recouvré leur autonomie dès 1888. Ceux du Kaarta se rendirent également indépendants pour la plupart.
En outre, chez les Soni-nké et les Peul mêmes, les rivalités des enfants d'El Hadj Omar avaient eu leur contre-coup.
Néanmoins, tout le pays du Kaarta et du Bélédougou, où les Bambara fétichistes se trouvaient dominés et opprimés par les Toucouleurs musulmans, restait sous l'autorité diminuée et divisée de la famille d'El Hadj Omar, un centre d'agitations religieuses et politiques, dangereuses. La politique pacifique du colonel Frey et du colonel Galliéni, efficace pour ajourner une crise prévue, n'en avait pas fait disparaître la menace. Dès le commencement de 1889, il devint nécessaire de couper court à une situation qui ne pouvait plus se prolonger, les Bambara fétichistes du Bélédougou paraissant sur le point de faire cause commune avec les Tidiane, si nousnelesen délivrions pas. Après avoir fait empoisonner Tidiani à Bandjagara, Ahmadou s'était débarrassé de Mounirou avec le concours des Peul Habbés, hostiles au Toucouleurs, sur lesquels celui-ci s'était appuyé. Il avait ainsi été un moment le maître de Bandjagara, de Djenné, de Nioro, de Ségou, avec le Kaarta et le Bélédougou. Mais ses frères n'étaient pas pour lui des lieutenants fidèles. Moult Aga ayant cherché à se rendre indépendant à Nioro, il dut retourner dans cette ville et s'y trouva bloqué en 1888 par la révolte de Bélédougou, appuyée, au commencement de 1889, par la prise de Koundian.
Notre nouvelle politique, énergiquement dirigée par le colonel Archinard, se dessinait ainsi, divisant en deux les Etats Tidiane, entre Nioro et Ségou. Ahmadou avait cependant réussi à maintenir son autorité sur
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Ségou, où son fils, Madani, commandait pour lui. Une seconde campagne lui enleva cette place, en mars 1890, puis, l'année suivante, Nioro tomba à son tour entre nos mains, le ior janvier 1891.
Les Toucouleurs avaient essayé, dans l'intervalle, de faire une diversion, en attaquant le poste de Koniakary, en même temps que leurs frères du Foutah-Toro Sénégalais se révoltaient sous la conduite d'Abdoul Boubakar. Tout un mouvement de soulèvement général, auquel Samory devait se joindre dans le Sud, se dessinait ; mais en même temps que la colonne Dodds pacifiait le Foutah Sénégalais, la colonne Archinard arrivait devant Nioro. Sur sa route elle avait eu à culbuter les contingents d'Ahmadou, conduits par Ali Bouri, l'ancien chef de l'insurrection du Djolof. Ahmadou Cheikhou lui-même s'était enfui de Nioro, dans la direction de Oualata, avec le secours des Mechdouf, pour se réfugiera Bandjagara, et le Kaarta entier se trouva délivré de la domination du fils d'El Hadj Omar. Malgré la leçon qu'il venait de recevoir, Ahmadou continua la lutte, telle que la lui permettaient les ressources d'un caractère plus habile aux négociations diplomatiques qu'à la lutte. Nous avions à ce moment, comme on vient de le voir, à compter, dans le sud de notre ligne d'occupation du Niger, avec Samory et Thiéba, son ancien ennemi et notre allié, devenu hésitant à notre égard. Malgré tous les antécédents politiques et religieux qui le séparaient d'eux, Ahmadou, en même temps qu'il soulevait contre nous les Toucouleurs et les Soni-nké de Kaarta et du Foutah-Toro, avait cherché à propager, à défaut de la notion musulmane de la résistance religieuse, celle de la résistance politique, collective, de toutes les races du Soudan, contre la conquête française.
Il devenait nécessaire de l'éliminer définitivement du Soudan, et à la fin de 1892, le colonel Archinard reprit les opérations
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qui devaient rapidement aboutir à sa fuite dans l'est du Niger. Djenné, l'ancienne capitale musulmane du Niger, fut enlevée après un brillant assaut, au milieu d'avril 1893, et à la fin du mois la colonne entrait à Bandjagara, abandonnée par Ahmadou, malgré l'énergique attaque par laquelle Ali Bouri avait encore tenté de barrer la route à nos troupes.
Au point de vue politique, cette conquête rapide et vigoureuse du Macina. constituaitTavant-dernière étape de la conquête du Soudan. La première avait été marquée par l'arrivée de la colonne Borgnis-Desbordes à Bammakou. Puis ensuite un nouveau pas décisif fut franchi par l'annexion pacifique du Foutah-Djallon, sous les ordres du colonel Galliéni, et par la jonction pacifique du Soudan à la Côte d'Ivoire, grâce au voyage de Binger. L'occupation de Timbouctou esquissa un autre progrès décisif, que réalisait l'annexion du Macina. Dès lors, il ne restait plus au Soudan, pour compléter son évolution, qu'à attendre la destruction de Samory, ce qui devait être l'oeuvre du colonel Audéoud, en même temps que les bénéfices de la politique suivie de 1890 à^i 893, s'affirmaient par le développement de l'organisation de la Boucle du Niger, basée sur l'occupation du Macina, et grâce à laquelle il fut possible, en 1897-1899, de prévenir en partie les tentatives des Anglais contre notre grande colonie de l'Ouest Africain, tout en achevant sa pacification.
Malgré toute l'astuce et la ténacité, sinon courageuses, du moins habiles, dont il n'avait cessé de faire preuve, le rôle d'Ahmadou était terminé, à partir du moment où la campagne de 1893 le rejeta hors du Macina, et, aveclui, celui des Tidiane militants de l'école d'El Hadj Omar, en tant que souverains soudaniens. Son frère Aguibou, qui commandait déjà pour nous le Dinguiray où il personnifiait les Tidiane ralliés à la conquête française, devint Fama de Bandjagara, et malgré quelques tentatives isolées, et impuissantes, de révoltes locales, chez
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les Toucouleurs, il semble que de ce côté, l'oeuvre politique dont El Hadj Omar avait été l'instigateur soit définitivement close, dans sa forme primitive.
Ses adeptes subsistent nombreux encore, mais dispersés et d'autant plus impuissants, qu'à deux reprises ils ont été l'objet d'émigrations administratives vers le Foutah-Toro, à portée du Sénégal, où le colonel Archinard renvoya, après la prise de Ségou et de Nioro, les Toucouleurs, qui en étaient originaires. Ahmadou Cheikhou, lui-même, après s'être réfugié d'abord à Dori, dans le Liptakou, à 400 kilom. de Bandjagara, a dû ensuite passer le Niger, n'ayant plus avec lui que son fils Madani et une dizaine de Délia de Nioro. Ali Bouri, resté de l'école Kadryenne, malgré ses antécédents turbulents, s'est séparé de lui, et tout en conservant l'autorité religieuse qui s'attache à sa descendance familiale,à sa filiation religieuse, le fils d'El Hadj Omar n'estplus actuellement qu'un personnage religieux, encore en relations avec beaucoup de musulmans du Soudan Français, mais dont l'hostilité se manifeste seulement loin de notre zone d'occupation. Il y a là, au nord du Sokoto, une région où les Peul, les Arabes soudaniens et les Touareg ont, à notre égard, les mêmes sentiments qui se firent jour dans le Macina et sur nos frontières. Il ne serait pas surprenant, quoiqu'au point de vue religieux les influences kadryennes de Sokoto soient presque exclusives de ce côté, qu'un jour ou l'autre il se produise quelque tentative de résurrection de l'ancien Tidjanisme soudanien dans ces parages. Tout au moins faut-il compter la présence d'Ahmadou Cheikhou chez nos voisins de l'Est, comme un facteur appréciable du mouvement religieux. Mais pour le moment son autorité politique étant détruite tout entière, il n'a plus d'autre ascendant que celui de l'influence religieuse, vaincue, dont il personnifie seul le souvenir. Les Tidjaniya du Dinguiray. — Bien que le rôle de la famille
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d'El Hadj Omar à Dinguiray soit devenu très secondaire dès l'occupation française du Moyen Niger, il est nécessaire d'en dire quelques mots, pour mieux mettre en lumière l'évolution du Tidianisme.
Dès le début des luttes qui amenèrentla séparation du Macina et du pays de Ségou, par la défaite et la mort d'El Hadj Omar, le Dinguiray s'était rendu indépendant sous les ordres d'Alibou. /jj>),. Lorsque celui-ci fut fait prisonnier par Ahmadou et remplacé par Seïdou, cette province put, pendant quelque temps, compter de nouveau dans les dépendances de Ségou. Mais elle ne tarda pas à s'en séparer une fois de plus.
Seïdou, peu après son arrivée à Dinguiray, entreprit une guerre sainte" contre les Djallonké du Kolonkalan sur le Niger. Après avoir brûlé quelques villages, il alla attaquer Nora, le plus important de la région et réussit à l'emporter d'assaut. L'hivernage commençait alors. Les habitants de Nora avaient réussi à se sauver pour la plupart. Ils se réunirent à ceux de Dogoura, autre centre important situé à un jour de marche, et firent, contre l'armée de Seïdou, un retour offensif, au moment où prenant la route de Dinguiray, elle traversait, à quelques kilomètres de la première place, une rivière très encaissée et profonde, le Ninokô. Le combat fut désastreux pour les Tidjaniya, dont quelquesuns seulement échappèrent au carnage. Seïdou lui-même se noya.
Il fut remplacé par un de ses frères, Aguibou, qui avait déjà gouverné Ségou, pendant trois ans, de 1871 à 1874, et dont la popularité inquiétait Ahmadou. Sous les ordres de son nouveau chef, le Dinguiray recouvra une prospérité compromise par l'affaire du Nino. Néanmoins, là aussi, les conquêtes d'El Hadj Oniar se sont trouvées fort amoindries. Le Bouré, où s'était formée une population musulmane, se détacha peu à peu, et en dernier lieu notre autorité s'y est définitivement établie. Dès
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la fin de 1887, les habitants avaient non seulement accepté notre protectorat, mais aussi consenti à nous payer un tribut annuel. Du côté du Foutah-Djallon, Aguibou eut aussi d'assez graves difficultés. De 1878 à 1885, il est resté en hostilités ouvertes avec les Almamy régnants, et bien qu'il n'y ait pas eu de lutte directe entre eux, il n'en a pas moins vu le Konkadougou échapper à son autorité, à la suite d'incursions répétées des Peul.
Au Sud, au contraire, Aguibou a remporté quelques succès dans le Oulada et le Baléya, où, en 1882, il alla opérer de concert avec Samory, pillant et dévastant le pays.
Malgré cette campagne heureuse, son royaume fictif se trouvait réduit à la région même du Dinguiray, que limitent au sud le Tin-kisso, à l'est le Ménien, à l'ouest le Foutah-Djallon, au nordleDjallon-Kadougou, lorsqu'il se décida à s'attacher définitivement à notre cause. En dehors de la ville même de Dinguiray, il n'avait d'autorité que sur une partie fort restreinte des pays conquis de ce côté par son père. Mais très affectionné de ses Sofa, de ses Thalibé, de tous les habitants, il a réussi à provoquer un courant d'immigration qui a notablement augmenté l'ancienne population de la région.
L'importance relative du Dinguiray est ainsi devenue plus grande qu'il ne semblerait au premier abord, mais comme province française plutôt que comme apanage indépendant, et ce caractère est devenu définitif par la nomination d'Aguibou à Bandjagara.
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Le Ripp. — Dans l'Ouest, sur la Gambie, El Hadj Omar avait laissé, au cours de son premier voyage du Foutah-Djallon au Foutah Sénégalais, des continuateurs de son oeuvre, qui jouèrent un rôle local important au point de vue religieux et politique.
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On a vu que dans le Niani, sur la Gambie moyenne, il s'était formé un foyer musulman représenté en amont et en aval de Mac Carthy par plusieurs villages où dominait l'élément Soni-nké. C'est là qu'en dernier lieu s'est concentrée la résistance au mouvement anti-islamique que représente notre politique actuelle au Sénégal. Cependant ce fut dans le Ripp même, en plein pays fétichiste, que débuta le mouvement de propagande religieuse.
Du Saloum à la Gambie, s'étendait alors un royaume Sérère, qui englobait quelques tribus Ouolof, déjà musulmanes en grande partie et toute la population Socé des bords du fleuve. Celle-ci professait tout entière l'Islam depuis plusieurs siècles.
Le passage d'El Hadj Omar eut presque immédiatement pour effet, chez les Socé, une recrudescence très prononcée des sentiments religieux. S'unissant aux Ouolof, ils formèrent, en opposition à leurs maîtres fétichistes, aux Tiédo, un parti marabout, qui ne tarda pas à engager la lutte contre ceux-ci. Ses premiers chefs, Tamsir Matarcallah, Tamsir Amar, Tamsir Matar Penda et quelques autres, notamment Andallah Bouri, connu surtout comme faiseur d'amulettes, cherchèrent principalement à réagir contre l'oppression des Tiédo, sans défendre une cause spéciale. Mais ils ne tardèrent pas à subir l'ascendant exclusif d'un disciple, d'un moqaddem direct d'El Hadj Omar, Othman Djoub.
Appartenant lui-même aux Ouolof du Ripp, ce dernier, né à Balagnar, sur un affluent de la Gambie, avait été élevé dans le Cayor, puis de là s'était rendu dans le Foutah, où il se trouvait, lorsque le Prophète Tidiane y arriva. Bientôt rattaché à sa cause, affilié à son ordre, Cheikh Othman rentra dans son pays et vint s'établir dans le canton de Pacala, district méridional du Saloum. Là, il acquit une influence prédominante, et, dès 1857, se mit à prêcher le Djehad. Le meurtre du chef du village de Passi, qui
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était Tiédo, servit de signal à ses partisans. A leur tête il envahit le canton de Sandjal sur la Gambie et s'en rendit maître, pendant qu'un de ses principaux disciples, Sambo Oumané, prenait Balagnar, au nord de Pacala. Réunissant tous deux leurs forces, ils marchèrent ensuite vers Sabakh, sur les confins du Baol et du Saloum, puis envahirent le canton de Caïmar, presqu'au centre du dernier royaume. Sur ces entrefaites, l'ancien roi du pays, Makodou, que nous avions dépossédé au profit de son fils, Samba Laoubé, se tourna du côté des marabouts et conclut avec Othman Djoub une alliance qui permit à celui-ci d'étendre ses conquêtes à toute la région comprise entre le Saloum et la Gambie, sur la frontière orientale du Ripp, en débordant le premier fleuve vers le Nord.
Telle était déjà-la situation, lorsqu'à leur tour les Socé du Ripp entrèrent en ligne. Le roi fétichiste et Sérère du pays Djéréba avait un fils, Mar Diarer, qui, en toute occasion, pillait et pressurait les marabouts. L'un d'eux, Tamsir Malik, s'étant opposé à ses déprédations, les autres se soulevèrent en masse, en i858, et appelèrent à leur aide Cheikh Othman. Avant que celui-ci eût pu arriver à leur secours, un engagement avait eu lieu entre eux et Mar Diarer,.dont le village fut pris et brûlé et qui périt lui-même dans l'affaire.
L'attaque avait été dirigée par le chef d'une des principales familles musulmanes du pays, Maba, qui, lui-même d'origine Peul, avait été élevé dans le Baol, à M'Bakol, chez un marabout, le Sérigné Longar, et était venu s'établir chez les Socé du Ripp.
A la suite de la victoire remportée sur les Tiédo, les marabouts lé reconnurent pour chef de guerre, en même temps qu'ils choisissaient comme chef suprême, Tamsir Matarcallah.
L'arrivée d'Othman Djoub leur permit de résister aux attaques de Djéréba, qui, réunissant tous ses gens, avait voulu venger
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la mort de son fils. Battu lui-même dans plusieurs rencontres, il se sauva dans les marigots du littoral, au Niom, mais y fut poursuivi et tué.
Ce dernier succès assura aux musulmans la possession de tout le pays compris entre le Saloum et la Gambie, jusqu'au Niani. Mais ils restèrent tout d'abord divisés en deux partis : celui de Maba dans l'Ouest, celui d'Othman Djoub dans l'Est.
Inquiétés par ces rapides progrès, tous les Sérères du Saloum se réunirent, Makodou s'étant réconcilié avec son fils, et marchèrent contre Cheikh Othman, qui fut battu tout d'abord. Mais à leur tour, les marabouts du Ripp accoururent à l'aide de leurs alliés, et, battu dans une rencontre générale à Thiket, Samba Laoubé s'enfuit au Sine.
Pendant quelque temps, à la suite de ces événements, toutes les forces du parti marabout restèrent groupées et l'influence religieuse d'Othman Djoub s'établit sur les Socé du Ripp, aussi complètement que sur les Ouolof de l'Est. Maba, Tamsir Matarcallah, Matar Penda, tous les chefs du premier groupe s'affilièrent au Tidjanisme, ou en admirent tout au moins la supériorité. Mais des dissentiments politiques ne tardèrent pas à s'élever entre Maba et Othman Djoub. Le premier par ses succès militaires avait acquis un ascendant personnel qui attira auprès de lui toute la jeunesse turbulente du pays, et de nombreuses défections diminuèrent ainsi le nombre des partisans du second, sans cependant porter atteinte à son prestige religieux.
Il s'agissait, en effet, de populations, musulmanes depuis longtemps en grande partie, mais chez lesquelles la foi n'était pas confirmée par une longue pratique des études doctrinaires, et aux yeux desquelles les victoires et le pillage valaient mieux que tout autre argument.
Presque en même temps qu'il se séparait d'Othman Djoub, Maba réduisait aussi les anciens chefs de son propre parti à un
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rang secondaire. Illaissaà Tamsir Matarcallah le titre d'Almamy mais le prit de son côté, et devint en fait le véritable souverain du Ripp.
Il eut à cette époque quelques démêlés avec les Anglais de la Gambie. Ceux-ci, dès l'origine, avaient entretenu des relations suivies avec les marabouts, les appuyant dans leur lutte contre les Tiédo Sérères, que nous soutenions nous-mêmes. Leurs secours en armes, en munitions, avaient été fort utiles à Maba. Il se crut cependant assez fort pour se passer de leur concours et les attaquer à leur tour, comme chrétiens. Albréda devint ainsi l'objectif d'une forte colonne qui vint camper près de ses murs, à deux reprisés. Une première fois, ce furent des troupes et un aviso français, envoyés à la hâte de Gorée, qui délivrèrent le poste, occupé d'ailleurs en majeure partie par des négociants du Sénégal et qui n'avait aucune garnison. Puis lors d'une seconde attaque, le gouverneur de Bathurst, s'appuyant cette fois sur des renforts venus d'Angleterre, réussit à obtenir de Maba qu'il s'éloignât, moyennant un tribut, sous forme de présents.
Le nouvel Almamy se tourna alors contre ses premiers ennemis, les Sérères du Saloum, où Samba Laoubé venait de revenir, le roi du Sine s'étant refusé à lui donner plus longtemps l'hospitalité. Déjà en 1861, nous avions dû intervenir dans le cours supérieur du fleuve pour protéger notre comptoir de la partie voisine de la mer, Foundioun et celui de Fatik. A la suite de cette expédition, un poste avait été construit à Kaolakh, à quelques kilomètres de Kahone où résidait le roi.
Après avoir détruit la résidence de ce dernier et dispersé ses bandes réunies à la hâte, Maba marcha sur Kaolakh où s'était réfugié Samba Laoubé ; mais, il ne put ni surprendre, ni réduire de vive force la petite garnison, et dut à son tour battre en retraite. Sur ces entrefaites, Macodou mourut après s'être récon-
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cilié avec son fils. Sa défection affaiblit sensiblement les forces de Maba, qui tenta alors d'entrer en arrangements avec nous. Il y réussit en effet, et, en 1864, se fit reconnaître par le gouvernement du Sénégal, comme Almamy du Ripp et du Saloum, s'engageant en retour à rester fidèle à notre cause.
Dès l'année suivante néanmoins, il s'alliait à un de nos adversaires les plus résolus, Lat Dior, contre lequel nous étions entrés en lutte, à la suite de compétitions pour la souveraineté au Cayor, et que nous avions chassé du pays. En juin i865, ils opérèrent tous deux leur jonction, et formèrent le projet de marcher sur Saint-Louis en entraînant tout le Baol, où Lat Dior avait une influence prépondérante. Ce mouvement nécessitait une action immédiate et énergique.
A la fin de l'hivernage, une expédition comprenant, avec les contingents indigènes, 4,000 fantassins et 2,000 cavaliers, dont une forte proportion de troupes blanches, fut réunie à Kaolakh et s'avança dans le Ripp. Maba essaya tout d'abord de fuir, mais il fut atteint près de Ngapak, à peu de distance du poste actuel de Nioro, et complètement battu, dans une rencontre fort chaude, car le commandant Pinet-Laprade, gouverneur du Sénégal, qui dirigeait l'opération, fut lui-même blessé assez grièvement.
Après cette défaite, Maba cessa complètement ses tentatives contre nous. Il eut d'ailleurs à faire face, dans le Ripp même, à d'autres ennemis.
Peu de temps avant l'arrivée de Lat Dior, un des principaux moqaddem d'Othman Djoub avait fait défection pour se ranger du côté de son rival. Cheikh Othman que cette perte avait mis hors d'état de rien entreprendre, par suite delà révolte du Pacala qu'elle avait entraînée, était parti pour le Foutah Sénégalais, lien revint avec un certain nombre de Peul et de Torodo, et reprit la campagne. Au môme moment Maba et Lat Dior, dessi-
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nant leur mouvement contre le Bas Sénégal, s'avançaient dans le Djolo. Pendant quelques mois et jusqu'après l'affaire de Ngapak, Cheikh Othman put impunément ravager tout le Ripp oriental. Mais libre de notre côté, après sa défaite, Maba se retourna contre son ancien maître spirituel, devenu son ennemi. L'intervention de Tamsir Matarcallah amena tout d'abord entre eux une réconciliation apparente, qui ne fut pas de longue durée. Battu en plusieurs rencontres, Cheikh Othman fut refoulé en dehors du Ripp et des cantons méridionaux ~du Saloum. Il entreprit alors, à la fin de 1866, une expédition contre les Tiédo du Niani, et de ce côté trouva quelques compensations dans un facile succès'. Mais à son retour, un de ses captifs, chargé de la garde de ses troupeaux, auquel il reprochait divers vols, le frappa, dans cette discussion, d'un coup de faucille, et la blessure s'envenimant, amena sa mort.
Maba périt de son côté peu après. Sa domination était devenue assez lourde pour le pays, et à l'instigation du fils de Tamsir Matarcallah, quelques symptômes d'hostilité commencèrent à se manifester contre lui, dans le Ripp même. Pour en avoir plus, facilement raison, il entreprit contre le Sine une nouvelle guerre dont les pillages auraient pu, en effet, lui rendre sa popularité. Mais ses bandes, levées de force, en partie, s'entendirent pour ne pas seconder ses efforts.
Les premiers engagements avec les Sérères furent ainsi malheureux et plusieurs des lieutenants de Maba y périrent. Néanmoins, il réussit à mettre en fuite le roi du Sine, qui, blessé, put à peine s'échapper. L'armée lâcha pied quand même, et l'Aimamy tomba en se sauvant dans une embuscade préparée de connivence avec ses propres troupes. Il fut égorgé et la guerre cessa aussitôt.
Tamsir Matarcallah déjà vieux n'essaya pas de profiter de la circonstance pour ressaisir la province. Maba avait laissé, outre
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son fils Saërmaty, deux frères, Abdou Ba et Mahmoundari. Ce fut ce dernier qui lui succéda, non sans luttes toutefois. Othman Djoub avait, de son côté, eu pour successeurs deux de ses principaux disciples, Mahmoud Samba N'diobaye et Morsini, tous deux moqaddem directs d'El Hadj Omar.
Le premier prit fait et cause pour Tamsir Matarcallah, malgré son abstention, et entra en campagne contre Mahmoundari, que de premiers revers obligèrent à abandonner tous les cantons situés à l'ouest du Ripp proprement dit. Un arrangement intervint alors entre eux, et il fut convenu que chacun conserverait les provinces de l'héritage de Maba, qu'il occupait. Mais une autre fraction de l'ancien parti des marabouts, représentée par Biram Cissé, fils du faiseur d'amulettes Andallah Bouri, s'agita à son tour. Au début, la victoire resta aux nouveaux insurgés qui occupèrent toute la partie sud-est du Ripp, le Badibou oriental et le canton de Sandjal. Mahmoundari reprit cependant l'offensive, et, profitant de l'absence de Biram Cissé, envoya une expédition attaquer Tamsir Matarcallah, chef nominal du parti adverse. Parmi les chefs de cette colonne se trouvait Bourougad, qui, plus tard, devint un des lieute-^ nants de Saërmaty et fut un des principaux auteurs de l'assassinat du lieutenant Minet, officier d'ordonnance du gouverneur du Sénégal, dans le Baol, en 1887.
Attiré dans un guet-apens, Matarcallah périt, victime de sa trop grande confiance dans les promesses qui lui avaient été faites, pour le décider à sortir du village où il était retranché, et ses gens se dispersèrent. Biram Cissé revint alors en hâte du Niani où il était allé faire des razzias, et grâce à quelques contingents du Foutah Sénégalais envoyés par l'almamy Abdoul Boubakar, il réussit, en 1878 et 1879, à faire subir de nombreux échecs à ses adversaires. Mais Mahmoundari, avec le concours de Saërmaty et d'Abdou Ba, finit par l'emporter. Successive-
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nient, la plupart des villages du parti de Biram furent pris et brûlés. Surpris lui-même de nuit et entouré par des forces supérieures, il ne réussit à s'enfuir qu'après un long combat, et grièvement blessé.
A la suite de cette victoire, Mahmoundari resta pendant deux ans maître en paix de tout le Ripp. Mais il était déjà fort avancé en âge, et en vieillissant devenait trop partisan de la tranquillité, pour pouvoir aisément contenir dans le devoir la population turbulente du pays. Peu à peu, il laissa son neveu Saërmaty s'emparer d'une partie de son autorité, et, en i885, force lui fut de songer à défendre, non pas seulement son pouvoir, mais même sa vie, à la suite de l'assassinat du chef des cantons Ouolof, Ali Kadja, par le fils de Maba.
En 1886, Saërmaty, qui avait déjà recherché l'appui des Anglais de Bathurst et reçu d'eux des secours importants, entraîna dans son parti Biram Cissé, et quelques autres mécontents, avec lesquels il entra en lutte ouverte contre son oncle. Celui-ci était toujours resté fidèle à notre cause. En présence du nouveau mouvement qui se dessinait ainsi, et menaçait également le roi du Saloum, notre protégé et allié dévoué, notre intervention devenait nécessaire. Au printemps de 1887, une colonne partit pour le Ripp, et en quelques semaines le pays put paraître complètement pacifié, Saërmaty ayant été rejeté surAlbréda, où il resta interné, pendant que ses compagnons se dispersaient. Une petite garnison avait en même temps été installée à Nioro au centre du Ripp. Toutefois, Biram Cissé qui avait réussi à nous en imposer par ses protestations de dévouement, et auquel on avait donné quelques cantons prélevés sur la part de Mahmoundari, reprit bientôt ses menées hostiles. Devenu représentant attitré du parti du fils de Maba et de celui des anciens marabouts du Ripp, il recevait des subsides du gouverneur de Bathurst et préparait un mouvement général
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contre nous et Mahmoundari, au commencement de 1888. A la suite d'une enquête faite sur les lieux et que diverses circonstances administratives empêchèrent d'aboutir aussitôt qu'il eût été nécessaire, il fut un peu plus tard arrêté et interné à Gorée, puis déporté.
Dans le Ripp même, l'agitation religieuse, fomentée par Othman Djoub et Maba, paraît ainsi calmée par l'occupation du pays et les mesures qui l'ont suivie. Cependant, il y a lieu de considérer tous les Socé riverains de la Gambie, et une partie des Ouolof, comme fidèles encore au parti des Tidiane et subissant l'influence des adeptes de l'ordre, nombreux parmi eux. Il en est de même des cantons musulmans du Saloum méridional, qui lui ont été rendus depuis 1887.
On a vu qu'après la mort d'Othman Djoub., un de ses deux principaux disciples, Mahmoud Samba N'diobaye, s'était fixé dans cette dernière région, où il mourut au bout de quelques années. Le second, Morsini, avait été s'établir dans le Niani, à Karentaba. Il y fut rejoint par plusieurs des anciens partisans de Maba et des autres marabouts du Ripp, et le foyer de propagande musulmane qu'El Hadj Omar avait développé dans cette région, reprit quelque importance.
Toutefois, jusqu'à ces derniers temps, des guerres contre les fétichistes du Niani septentrional et du Ouli, occupèrent presque exclusivement tous les Tidianes de ce groupe. Ce fut seulement lorsque Mahmadou Lamine, chassé de Bakel et battu en . 1885 puis en 1886, par nos colonnes, vint se réfugier près de la Gambie, que le rôle de ce parti local, bientôt grossi par l'arrivée des compagnons de Saërmaty, devint plus général.
Avant d'étudier ces derniers événements, il convient de revenir à l'histoire des Tidjaniya du Nord. Elle avait été marquée par des incidents d'une gravité particulière, dans la vallée même du Sénégal.
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Ahmadou Cheikhou de Podor. — Parmi les anciens compagnons d'El Hadj Omar, se trouvait un fils du Mahdi de Podor, Ahmadou Cheikhou, beaucoup plus jeune, mais qui cependant l'avait déjà connu à Oualata, avant son départ pour La Mecque. De bonne heure, Ahmadou compta parmi les partisans les plus convaincus du Prophète dans le Foutah. Torodo comme lui et imbu dans son enfance des mêmes doctrines, il devint son principal moqaddem dans la région de Podor. Pendant toute la durée de ses guerres au Kaarta et au Macina, El Hadj n'eut pas de plus fidèle représentant dans leur pays commun. Mais à la mort de son maître spirituel, Ahmadou Cheikhou, qui, comme laplupartdes habitants du Foutah, étaithostile à son homonyme de Ségou, refusa de reconnaître sa suprématie spirituelle. Il se prétendit désigné par El Hadj Omar pour lui succéder comme Cheikh el Triqâ, et, grâce au concours des anciens partisans de son père, réussit à se faire accepter comme tel, dans une grande partie du Toro et des districts voisins. Jusqu'en 1869, cependant, il se borna à asseoir son autorité .dans le Foutah même, achevant de le détacher de la cause des iils du Prophète. Mais à la suite de la famine et du choléra de 1868, une grande exaltation religieuse s'était développée parmi les indigènes du Cayor, du Oualo et des régions voisines, Baol et Djolof. Ahmadou en profita pour étendre ses prédications jusque-là. Ses émissaires se mirent à parcourir toute la contrée que Lat Dior agitait de son côté.
Ancien Daniel, révolté contré nous, chassé du Cayor, puis allié du Maba et vaincu avec lui, ce dernier avait réussi, au commencement de 1869, à obtenir du gouverneur Pinet-Laprade, l'autorisation de rentrer dans son pays comme chef de canton. Mais, toujours poursuivi par l'ambition de recouvrer son ancien pouvoir, en l'étendant à tous les pays Ouôlof, il n'avait pas tardé 'à oublier ses engagements vis-à-vis de nous.
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Pour couper court aux menées des deux adversaires qui se déclaraient ainsi contre notre cause, le gouverneur envoya, au mois de juin, une petite colonne détruire le village qu'habitait Ahmadou Cheikhou et qui avait pris le nom de son père Ouoro Mahdiou.
Mais en même temps, un des moqaddem du Cheikh Tidiane pénétrait dans le Cayor, à la tête de bandes nombreuses, et massacrait deux de nos chefs de canton. Une autre colonne partit aussitôt de ce côté. Une reconnaissance comprenant l'escadron de spahis et les contingents indigènes vint s'échouer contre une enceinte de troncs d'arbres, où l'ennemi s'était retranché. Les volontaires nègres se débandèrent, et l'escadron se fit presque détruire en chargeant contre des obstacles qu'il ne pouvait franchir. La colonne dut rentrer à Saint-Louis.
Reformée deux mois après, elle réussit, en août, à refouler Lat Dior qui était venu attaquer le poste de Louga, à peu de distance de Saint-Louis. Mais ce fut au prix de pertes sanglantes, et le Daniel révolté n'en continua pas moins à tenir la campagne jusqu'au mois de décembre, où une nouvelle expédition, dirigée par le capitaine Canard, le força à s'enfuir une seconde fois dans le Ripp. Dès le milieu de l'été, Ahmadou Cheikhou, inquiété à plusieurs reprises par de petites colonnes de débarquement, qui, grâce aux hautes eaux, avaient pu être envoyées sur divers points du Foutah, avait rappelé à lui tous ses partisans. Il employa les derniers mois de l'année à organiser plus complètement le soulèvement du Toro et du Dimar. Mais après la retraite de Lat Dior, toutes les troupes du Cayor furent dirigées sur le Toro. Battu à plusieurs reprises dans des rencontres où les deux partis subirent des pertes assez graves, il dut s'enfuir dans le Ferlo, puis au Djolof.
A la suite des événements de 1870, le-gouverneur Vallière crut devoir autoriser le retour de Lat Dior dans le Cayor, et
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même le reconnaître comme Damel. Il nous resta en effet fidèle tout d'abord. La situation semblait donc bonne. Mais Ahmadou Cheikhou avait entrepris une propagande religieuse méthodiquement suivie, qui lui assura, comme chef des Tidjaniya de l'Ouest, de nombreux adeptes, jusque dans la ville de SaintLouis. Au commencement de 1875, se croyant assez fort, il se mita prêcher ouvertement la guerre sainte et l'extermination des blancs, comptant sur un mouvement populaire dans la capitale de la colonie. Tout au contraire, son irruption dans le Cayor décida Lat Dior à tenir ses promesses, et à se joindre à nous pour combattre l'agitateur.
Partie le 4 février de Saint-Louis, une colonne de 600 hommes, sous les ordres du lieutenant-colonel Bégin, rallia, quelques jours après, les contingents du Damel et l'expédition se porta aussitôt contre Ahmadou Cheikhou qui avait massé ses forces à Coki. Attaquée pendant la route, elle eut à soutenir un combat très vif, pendant lequel les Tidjaniya réussirent à aborder à 5o mètres, nos troupes massées en carré. Une charge de cavalerie, vigoureusement menée par l'escadron de spahis, la mit cependant en déroute et Coki put être occupé sans nouvel engagement. Dans la poursuite à laquelle les gens de Lat Dior prirent une large part, Ahmadou Cheikhou périt avec ses principaux lieutenants.
Le mouvement dont il avait été le chef n'eut ainsi qu'une durée éphémère, après avoir produit une agitation très vive du Foutah au Bas Sénégal. Son principal effet fut de déterminer un schisme dans l'ordre fondé par El Hadj Omar, de substituer au successeur naturel du Prophète un autre héritier spirituel, d'accentuer l'opposition momentanée du Foutah contre Ségou. Mais c'était précisément en 1875 que la puissance d'Ahmadou Cheikhou, fils et successeur d'El Hadj Omar, atteignait son apogée. Il n'eut pas de peine, son compétiteur mort, à rétablir
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dans le Foutah, sinon son autorité politique qui n'y ajamais été admise, du moins sa suprématie religieuse.
Pendant les dix années qui suivirent, l'histoire des Tidjaniya ne fut plus marquée par d'autres événements que leurs luttes intestines et notre conquête du Haut Fleuve, jusqu'à l'époque de l'apparition de Mahmadou Lamine, et des soulèvements du Fogny, du Diara, entre la Cazamance et la Gambie.
Mahmadou Lamine. — Mahmadou Lamine, fils de Mahmadou Dlâmé, appartenait aux tribus Soni-nké qui, refoulées par les Songhaï, vinrent s'établir sur le Sénégal dans le Guidimakha et les districts voisins de la rive gauche. Il naquit luimême vers i835, dans le Khasso, près de Khayes, et après avoir figuré dans les contingents d'El Hadj Omar, lors de ses opérations dans le Foutah et contre Médine, le suivit dans le Kaarta, puis à Ségou. De là, il partit pour la Mecque vers l'époque de la mort de son maître. Elevé à Bakel et fort instruit déjà, il s'arrêta dans tous les centres religieux de sa route, au Gando, au Wornou, au Bornou. Il arriva ainsi au Ouadaï et y fit un séjour prolongé, pendant lequel un Thalibé des Senoussiya, Fakir Ali ibn Fakir Barouala, qui tenait école à Noumero, lui donna en mariage sa fille Miriem.
Après s'être encore arrêté quelque temps au Caire, Mahmadou Lamine se rendit au Hedjaz et alla se fixer à Médine, puis à La Mecque pendant trois ans. Il en repartit vers 1878 et arriva en 1880 à Ségou.
Affilié au Tidjanisme et membre pratiquant de l'ordre, dès son départ du Sénégal, il avait suivi l'exemple d'El Hadj Omar, en entrant en relations avec la Zaouiya de la confrérie au Hedjaz, celle du moins qui représentait la branche marocaine et, en particulier, à La Mecque, celle de Sid Soliman el Kebir que fréquentent les Abid, les Barabra, tous les Tidjaniya de race nègre.
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S'appuyant sur ces antécédents, Mahmadou Lamine se posa à Ségou, en héritier spirituel d'El Hadj, et ne craignit pas d'afficher ses prétentions devant Ahmadou Cheikhou, auquel il reprocha publiquement les désordres de sa vie privée. Sa hardiesse faillit lui coûter la vie et il resta plusieurs années prisonnier du sultan, ou tout au moins soumis à une étroite surveillance et exposé à des traitements rigoureux.
Cependant sa piété, son zèle fanatique lui avaient valu de nombreux partisans, et Ahmadou se décida à le remettre en liberté, à condition qu'il quitterait immédiatement ses États. Son départ ressembla presque à une fuite. Mais dès qu'il eut atteint les pays Soni-nké du Sénégal, une foule de disciples enthousiastes se groupèrent à sa suite. Lorsqu'en i885, il en fut question pour la première fois, dans la région de Bakel, où il se fixa, son ascendant était déjà assez considérable pour que les autorités locales dussent compter avec lui. Vers la fin de l'année, le capitaine de Fromental, commandant du poste, et qui, fort ancien au Sénégal, se rendait compte des dangers que devait inévitablement amener sa présence, demanda par télégraphe l'autorisation de l'exécuter sommairement, en profitant d'une occasion, favorable, pour s'en emparer ; mais une politique différente avait déjà prévalu à son égard.
Comme El Hadj Omar, Mahmadou Lamine s'était répandu en protestations de dévouement à notre cause, et lorsqu'au mois de novembre i885, le commandant supérieur du Haut Fleuve, inquiet de voir ses progrès, le manda à Khayes, il ne fit nulle difficulté de s'y rendre. Dans cette entrevue, il insista sur son désir de nous voir entrer en lutte contre Ahmadou de Ségou, promettant de s'unir à nous, et grâce à l'appui du vieux roi du Khasso. fétichiste cependant, notre allié fidèle, il revint avec l'autorisation de se rendre à Tuabo, village distant de Bakel de douze kilomètres, en aval, avec une escorte de cinquante hommes
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non armés. Ce fut en réalité avec toute une bande de partisans, en armes et très exaltés, qu'il traversa la ville, et c'est alors que le commandant local avait voulu s'en défaire.
Sa demande étant restée sans réponse, Mahmadou Lamine passa sans être inquiété, et arriva à l'embouchure de la Falémé, près de Balou. Ses contingents s'élevaient déjà à près de 2,000 hommes, recrutés en grande partie parmi la population flottante des escales, laptots, tirailleurs et mariniers, congédiés du service de l'Etat ou des particuliers.
Il existait alors dans le Boundou, que traverse la Falémé, deux partis politiques, depuis la mort de l'Almamy Boubakar Saada, un de nos plus anciens partisans. Son frère Omar Penda lui succéda, mais il avait de nombreux adversaires. Mahmadou Lamine résolut de les attirer dans son parti et pour entrer dans le pays sans risquer tout d'abord une lutte inégale, demanda au nouvel Almamy l'autorisation de traverser ses Etats, en vue d'une expédition contre les infidèles du Gabou.
Malgré un refus, le temps qu'il gagna ainsi avait été mis à profit, et ses bandes, grossies de quelques contingents locaux, s'avancèrent dans la vallée de la Falémé. Elles arrivèrent bientôt à Senoudébou que venait d'évacuer Omar, et y entrèrent après avoir pillé les environs, puis marchèrent contre l'Almamy lui-même. Celui-ci dut s'enfuir dans le Damga, province limitrophe du Foutah.
Une petite colonne fut réunie à la hâte à Khayes. Mais 'déjà l'agitateur s'était déclaré ouvertement contre nous, à la suite d'un premier coup de main sur Tuabo, où il avait laissé ses captifs et sa famille. Au commencement de mars 1886, ses partisans se réunirent à Kounguel, à six kilomètres de Bakel. Quelques jours après, la garnison vint l'attaquer, et subit un échec par la trahison de l'interprète Alpha Séga, qui fit donner le détachement dans une embuscade.
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Cette victoire grossit immédiatement les contingents de Mahmadou Lamine, d'une foule de Soni-nké du Guoy, du Guidimakha, des districts voisins, déjà favorables à sa cause, mais qui ne lui avaient fourni que peu d'hommes. Le 3 avril, il tenta, contre le village même de Bakel, une première attaque qui fut repoussée, elle lendemain un nouvel assaut contre le fort.
L'interprète Alpha Séga, celui-là même qui avait accompagné la mission Galliéni et venait de trahir à Kounguel, devait faire sauter la poudrière du fort. Il fut surpris au moment où il allait le tenter et exécuté. Les troupes de Mahmadou Lamine vinrent ainsi se heurter contre les murailles du fort, dont elles s'attendaient à trouver les portes ouvertes, et furent repoussées en subissant des pertes graves. Néanmoins, Bakel resta bloqué quelques jours encore, jusqu'à l'arrivée à Tambokhané, à mi-chemin de Khayes, de la colonne de secours que le colonel Frey, commandant supérieur du Haut-Fleuve avait achevé de réunir, non sans difficultés. Presque toutes les troupes étaient, en effet, échelonnées de Khayes à Bammako, après une récente campagne contre les bandes de Samory.
Sur toute la route de Khayes à Tambokhané, les villages révoltés avaient été vigoureusement châtiés et Mahmadou Lamine dut se porter au-devant de la colonne avec la moitié de ses contingents, forts alors de 12 à i5,ooo hommes.
Le combat eut lieu le 19 avril, et bien qu'ayant fait preuve d'une très grande hardiesse dans l'attaque, les Tidjaniya subirent un échec complet. Mahmadou Lamine s'enfuit au Boundou, suivi des fuyards qui commençaient à peine à se reformer, lorsque nos troupes l'atteignirent de nouveau. Deux colonnes, l'une sous les ordres du commandant Combes, l'autre sous ceux du colonel Frey, opéraient alors de conserve. La première poursuivit directement l'agitateur, pendant que la seconde marchait sur Sénoudébou. Ce fut celle-ci qui le rejoignit à Kydira, à peu
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de distance de ce point. Peu s'en fallut que Mahmadou Lamine tombât lui-même entre nos mains, en même temps que ses femmes, ses bagages, ses captifs. Il réussit cependant à se sauver, pendant que quelques-uns de ses disciples se faisaient bravement tuer, et alla se réfugier dans le Diakha, près de la Gambie, à l'est du Niani.
Les 6 ou 7,000 hommes qui bloquaient encore Bakel se hâtèrent de lever le siège et de passer sur la rive droite. Mais ils y furent rejoints par la colonne Frey qui les dispersa.
La fin de la campagne fut consacrée au châtiment de tous les territoires Soni-nké voisins du Sénégal, qui s'étaient soulevés, et grâce à une répression énergique, qui nécessita encore quelques engagements sérieux, on put considérer le mouvement religieux comme définitivement arrêté dans toute la région, où il s'était développé.
Mahmadou Lamine n'avait pas cependant perdu courage. Au mois d'août, après avoir écrit aux autorités françaises, aux chefs du Foutah Sénégalais, à ceux de tous les États musulmans, des lettres où, reprenant sa thèse de l'année précédente, il prétendait n'avoir en vue que la lutte contre Ahmadou de Ségou, et qualifiait même l'attaque de Bakel de simple malentendu, il reprit la campagne.
Sénoudébou venait d'être réoccupé. Dès le mois d'août, les bandes de l'agitateur réapparaissant dans le Boundou, se jetaient sur le village de l'almamy Omar Penda qui périt dans l'affaire, puis attaquaient presque à l'improviste Sénoudébou, le 23 septembre. Grâce à une énergique résistance et aux habiles dispositions prises par le sous-lieutenant indigène, YoroKoumbo,qui commandait le poste, cette tentative aboutit à un échec, qui rejeta définitivement Mahmadou Lamine vers le Sud.
Avec la saison sèche, à l'automne, une nouvelle campagne, résolument offensive, s'ouvrit contre lui. Adoptant une politique
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nette et résolue, le colonel Galliéni, qui venait de prendre le commandement du Haut-Fleuve, répandit dans toute la région limitrophe de la Gambie, où Mahmadou Lamine s'était une seconde fois réfugié, une proclamation remarquable. « Nous avons juré, disait-il, la perte de Mahmadou Lamine et quoi qu'il arrive nous le détruirons. Quiconque est avec lui, devient notre ennemi et périra aussi. » La sûreté de vues, l'énergie et la méthode avec lesquelles a été accompli de tous points, le programme ainsi tracé, a plus fait assurément en deux années pour l'affermissement de notre autorité, que ne l'eussent pu des victoires brillantes, répondant à un plan moins précis.
Après l'achèvement de la pacification du Guidimakha et du Guoy, que la présence d'Àhmadou Cheikhou, avec une forte armée à Koniakary, avait un moment agités légèrement, les opérations proprement dites commencèrent contre Mahmadou Lamine. Il s'était réinstallé dans le Diakha, près de la Gambie, entre le Ouli à l'Ouest et le Boundou au Nord, et fortifié dans Dianna, la capitale du pays. Là aussi s'était formé comme dans le Niani, à la suite des prédications d'El Hadj Omar, un centre religieux de quelque importance, où s'étaient établis beaucoup de Peul venus du Foutah-Djallon. Ils avaient accueilli avec empressement l'ancien disciple de leur maître, et, grâce à leur concours, Dianna était devenue une citadelle assez forte, défendue par plusieurs milliers d'hommes bien armés.
Deux colonnes organisées, l'une à Sénoudébou, l'autre à Diamou, entre Médine et Bafoulabé, se mirent eh marche le 11 décembre, et le 24 se concentrèrent à quelques kilomètres de Dianna qui fut attaquée le lendemain. Mais l'ennemi venait de l'évacuer et s'était enfui vers le Ouli. Il y fut poursuivi jusqu'à peu de distance du poste anglais de Mac Carthy, au delà duquel nos troupes ne purent pousser. Elles avaient cependant pris une fois le contact des fuyards, en leur tuant une cinquantaine
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d'hommes. Puis à leur tour, les fétichistes du Ouli, ralliés à notre parti par la proclamation du colonel Galliéni, se jetèrent sur notre adversaire et lui firent subir de nouvelles pertes.
Mahmadou Lamine dut alors se réfugier à l'ouest du Ouli, dans le Niani. Là, il trouva l'ancien moqaddem d'Othman Djoub, Cheikh el Morsini, et quelques-uns des représentants du parti des premiers marabouts du Ripp. Tout ce groupe se montra au premier abord favorablement disposé à l'égard du fugitif. Il en fut de même des chefs de quelques petits États musulmans du pays même, Bouré Matandi, Lammarou, Fodé Issa, Fodé Ka'ïali, N'diabo Kabé, etc..
Toute la zone riveraine de la Gambie, en amont et en aval de Mac Carthy, sur une étendue de cent kilomètres, se trouva ainsi réunie pendant quelque temps, en une sorte de confédération religieuse, essentiellement Tidiane, dont Mahmadou Lamine était sinon le chef, du moins l'inspirateur. Puis, après l'expédition du Ripp, arrivèrent, à la fin du printemps, les nombreux fugitifs du parti de Saërmaty et notamment deux de ses plus fidèles compagnons, Sarokimati et Matar Penda. Les nouveaux venus se groupèrent presque tous autour du marabout Soni-nké. Mais bientôt les habitants mêmes du pays se détachèrent de lui. En effet, une petite colonne sous les ordres de M. le capitaine Fortin, était restée dans le Ouli pour préparer l'exécution complète du programme adopté au début de la campagne. D'habiles négociations nous assurèrent le concours des contingents du Boundou, du Ouli et même du Firdou, le grand État de la rive gauche de la Gambie que gouvernait Moussa Molo. En présence de cette concentration, Bouré Matandi, Fodé Issa et tous les chefs de leur groupe abandonnèrent Mahmadou Lamine. Morsini lui-même, bien qu'hésitant, paraissait disposé à suivre leur exemple, lorsqu'à la fin de l'hivernage, la nouvelle expédition s'avança dans le Niani.
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Presque seuls,les partisans de Saërmaty restèrent alors fidèles à notre adversaire. Néanmoins, celui-ci disposait encore d'une force d'autant plus respectable comme valeur absolue, que la fuite n'était plus possible. Il lui fallut combattre et en désespéré. Mahmadou Lamine avait construit à Toubacouta, un double tata avec une enceinte de pierres. Malgré une résistance énergique, cette citadelle fut rapidement enlevée et ses défenseurs périrent pour la plupart, soit sur place, soit en cherchant à s'enfuir quoique cernés.
Après une courte poursuite, les contingents du Ouli rapportèrent au capitaine Fortin, la tête de Mahmadou Lamine, tué lui-même au milieu des siens et bientôt reconnu.
Ainsi prit fin, au mois de décembre 1887, le troisième mouvement religieux et politique fomenté par les Tidjaniya du Sénégal.
En même temps qu'il commençait à se dessiner dans la région de Bakel, deux autres s'accomplissaient au sud de la Gambie. Le premier eut pour chef un autre Soni-nké. apparenté à Mahmadou Lamine, et nommé Fodé Kaba. Après avoir essayé sans succès de se créer une situation comme Tidiane dans le Guidimakha et le Guoy, il était venu s'établir au Ripp, dans le canton de Paos, près de Nioro. Là, dès 1880, il avait acquis une assez grande influence. Prêchant la guerre sainte, sans se proposer pour chef de mouvement, il passa au même titre dans le Diara, pays, qui sur la rive droite de la Gambie, fait face au Badibou. La population exclusivement Socé, l'accueillit mieux encore que celle du Ripp et, en peu de temps, il devint le véritable maître de la région.
Passant alors de la parole aux actes, il envahit le Kéian, à l'Est, où les fétichistes étaient nombreux. Mais de ce côté, il trouva devant lui Moussa Molo qui arrêta ses progrès. A ce moment Saërmaty entrait en lutte ouverte contre nous.'Fodé
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Kaba s'occupa activement à le soutenir, lui envoyant des armes et des hommes. Puis pendant l'été de 1887, il fournit de même à Mahmadou Lamine de nombreux secours. Mais après la défaite et la mort de ce dernier, Moussa Molo à son tour envahit le Diara. Bien qu'appuyé par les Anglais de la Gambie qui n'ont cessé de favoriser les entreprises des agitateurs hostiles à notre cause, Fodé Kaba ne pouvait lutter contre un tel ennemi et se trouva bientôt refoulé dans le Fogny.
Là, s'était installé vers la même époque un autre Tidiane, mais dont les origines offrent une particularité unique. Avant de devenir prêcheur de Djehad, celui-ci, Ibrahim N'diaye, qui était Ouolof de Saint-Louis, et apparenté, dit-on, par sa mère, à une des principales familles mulâtres de la colonie, avait été pendant longtemps au service d'une maison de commerce de la Cazamance. Intelligent et actif, il jouissait d'un certain crédit, dont il profita pour se procurer une grande quantité d'armes et de munitions. Puis en i885, jetant le masque, il entra dans le -Fogny à la tête de quelques partisans recrutés çà et là, et dont le nombre grossit bientôt. Favorablement traité par les Anglais de Bathurst, il se posa au contraire en adversaire résolu des Français et l'assassinat du lieutenant Truche, chef du poste de Sédhiou, qu'il réussit à attirer, en 1886, dans un guet-apens, lui valut une grande renommée dans tout le pays.
Comme Fodé Kaba, il prit, en 1887, le parti de Saërmaty et lui envoya quelques secours. Néanmoins, il ne cessa de se montrer hostile à son voisin de l'Est et voulut le combattre,' lorsque chassé par Moussa Molo, celui-ci se réfugia dans le Fogny.
Au cours de cette lutte, des soulèvement locaux, fomentés par les fétichistes des régions comprises entre la Gambie et la Cazamance, qu'Ibrahim N'diaye avait soumises, éclatèrent sur plusieurs points. Il périt lui-même dans une rencontre avec les
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révoltés. De son côté, Fodé Kaba, abandonné par ses anciens partisans, dut quitter le pays.
Le double mouvement Tidiane du Sud, a donc pris fin presque au même moment que celui de Mahmadou Lamine.
Samory. — Bien que la surprenante épopée, que représente Samory, n'intéresse pas directement le développement dé l'Islam au Soudan, par ses conséquences, elle n'en est pas moins un exemple remarquable des conditions d'évolution sociale du mahométisme dans les pays nègres, et mérite à ce titre d'être rappelée.
D'ailleurs, si Samory, qui nous a précédés au Soudan, était venu vingt ans plus tôt, il eût été l'instrument d'une islamisation générale des contrées, où il a guerroyé en destructeur, avant de tomber devant notre conquête. Il ne faut donc pas perdre de vue ce qu'il aurait pu être, en n'envisageant que ce qu'il a été. On se rappelle qu'après le passage d'El Hadj Omar à Kankan, un de ses disciples, natif de la ville, Mahmadou, avait créé un royaume Tidiane qui s'étendit un moment fort loin. A sa mort, ses fils luttèrent entre eux, et le soulèvement du Ouassoulou détermina celui dès autres provinces. Mais un de ses propres disciples, Sori Ibrahima, se rendit indépendant, en conservant sous ses ordres le Konia, le Gankouma, le Toroukoto et le Kabadougou. Parmi ses chefs de bandes, se trouvait un Mandé de Saninkoro, Samory, qui appartenait aux Touré par son père, aux Kamara par sa mère. Fort mal avec son père qui, Mandé Dioula, s'occupait de commerce, Samory s'était fait chasseur d'éléphants et avait acquis une certaine réputation. Sa mère ayant été prise dans une razzia par Sory Ibrahima, il alla s'offrir à sa place pour la racheter de la captivité. L'échange futaccepté, et il ne tarda pas à se créer par sa bravoure une influence personnelle. Devenu assez puissant lui-même pour n'avoir rien à redouter
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de son maître, il offrit ses services au roi du Toron, Bitiké, auquel il ne tarda pas à se substituer en le réduisant en captivité. Bientôt le Konadougou et le Konia tombèrent entre ses mains, et, avec une troupe grossie par la défection de contingents des États voisins, il vint assiéger Saninkoro, sa ville natale, qu'il réussit à enlever.
Samory marcha ensuite sur le Ouassoulou et s'en empara sans résistance, puis s'allia au chef du Manding, qui tenait les deux rives du Niger, dans la région du Soudan Français.
A ce moment, le dernier successeur de Mahmadou, Modi, contre lequel s'était soulevée sa dernière province, le Sangaran, demanda à son puissant voisin de lui venir en aide. Celui-ci se rendit à cet appel, mais il se fit la part du lion, gardant tout le Diouma, région qui s'étend au nord de la ville jusqu'au Manding et exigeant la moitié de la population d'une autre province conquise en même temps, le Baté-Makhana. Les nombreux captifs qu'il se procura ainsi lui servirent à acheter des chevaux qui lui manquaient.
Sur ces entrefaites, le Konia ayant été repris par Sori Ibrahima, Samory alla combattre son ancien maître en 1879, et le fit prisonnier. Débarrassé de toute difficulté de ce côté, il se tourna vers Modi, qui avait refusé de l'aider dans la dernière campagne, etvint l'investir dans Kankan. Après un siège de dix mois, la ville se rendit en 1880, et, sauf quelques marabouts, toute la population fut massacrée.
En effet, fétichiste tout d'abord, puis converti pendant qu'il était au service de Sori Ibrahima, et revenu aux croyances de sa race, Samory venait en dernier lieu d'embrasser définitivement l'Islam pendant la campagne du Konia. Il avait suivi les enseignements d'un marabout Diallo du Foutah-Djallon, Alpha Outhman, affilié aux Kadriya du Nord et qui, à la suite des prédications d'El Hadj Omar, était venu s'établir dans ce pays à
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Lilinko. Dès lors, Alpha Outhman ne cessa de le suivre dans toutes ses expéditions. A son instigation, Samory prit, après le siège de Kankan, le titre d'Almamy.
A partir de ce moment, toutes les nouvelles régions qu'il conquit durent embrasser l'Islam, et créant une sorte de religion d'État, ce fut surtout aux marabouts Kadriya qu'il confia le soin d'enseigner, d'affermir la religion chez les nouveaux convertis. Bissandougou, la véritable capitale de ses États, devint ainsi un centre religieux important, où s'établit une branche de la famille des anciens Chorfa Kadriya de Kankan. Son chef d'alors, Cheikh Seddik Tiramodi, donna lui-même l'Ouerd Kadry à Samory, qui bien que converti par Alpha Outhman, traita par la suite le premier comme son Cheikh, au sens technique du mot dans le Tessaouf.
Outre ces deux marabouts, il avait dans son entourage immédiat, d'autres marabouts Kadriya, Cheikh Seddik Sanoro et Amara Kaba, ce dernier élève et disciple de Cheikh Saadibou, et enfin comme secrétaire arabe, un adepte de la même école, Omar ben Mohammed el Fade], Cheikh Sakad. Peut-être le concours de ce secrétaire n'aurait-il pas été étranger en 1886 au succès de la mission française envoyée auprès de Samory, à en croire un membre indigène de son personnel, fort dévoué luimême à Cheikh Saadibou.
En tout cas, dès la prise de Kankan, Samory doit être considéré comme définitivement musulman, et, converti sous les auspices des Kadriya, ce fut à eux qu'il abandonna la direction des affaires religieuses, tout en s'occupant personnellement avec activité, suivant les usages soudaniens, d'assurer la conversion des pays conquis.
Soit en opérant lui-même, soit au moyen de colonnes dirigées par ses lieutenants, le maître du nouvel empire en étendit, en quelques années, fort loin les frontières. Dès 1881, il était
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maître de tout le bassin du Haut Niger et les Soni-nké de Mousardou, Médina, etc.. dans la vallée supérieure de la rivière Saint-Paul, s'étaient alliés à lui pour la guerre contre les fétichistes. A l'Est, les frontières de ses États dépassaient le Bagoé et englobaient le Ourodougou avec Tengréla. Au Nord, tout le Manding en faisait partie, ainsi que les pays Djallonké jusqu'au Dinguiray. A l'Ouest enfin, après la conquête du Soulima et du Kouranko, étaient venues celles du pays des Houbous, du Limbo, d'une partie du territoire des Timéné de Sierra-Leone jusqu'à Lokko, à quelques jours de marche de Free Town.
C'est au moment où sa puissance se trouvait ainsi à son apogée, et semblait définitivementconsolidée, que notre intervention dans le Haut Fleuve vint créer pour Samory un danger nouveau. En arrivant dans le Manding, nous avions facilement rallié à notre cause toute la partie nord-ouest du pays, celle de Niagassola, mais nous prenions ainsi directement le contact des États de l'Almamy, dont tout le Manding oriental, celui de Kangaba, reconnaissait l'autorité.
Un officier indigène, M. Alakamessa, fut envoyé au commencement de la campagne de 1881-82, à Samory, sur le compte duquel nous n'avions que peu de renseignements.
Mal reçu et menacé de mort, il réussit à s'échapper, mais non sans danger. Une expédition fut alors jugée nécessaire pour punir cet accueil fait à un parlementaire. Elle avait en même temps pour objectif dCdébloquer Kéniéra, ville de la rive droite du Niger, qui, assiégée par Samory en personne, avait invoqué notre secours.
Le 26 février 1882. une petite colonne de 221 combattants arriva devant la place déjà rendue depuis cinq jours. Après avoir culbuté et dispersé l'armée ennemie qui occupait quatre camps à enceintes palissadées, quatre sagnés,elle revint par une marche forcée au Niger, suivie de près par l'adversaire remis de sa panique
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L'année suivante, l'occupation de Bammako amena un nouveau contact avec les troupes de Samory, mais ce fut lui cette fois qui, faisant franchir le Niger par ses gens, commença l'attaque.
A Bammako même, tout le parti musulman paraissait lui être dévoué, et ce furent en effet les menées des chefs de la fraction hostile à notre installation qui provoquèrent le mouvement. Une première colonne des bandes ennemies passant le fleuve, en aval de notre nouveau fort, coupait, au commencement d'avril 1883, la route de Koundou, en même temps qu'une seconde colonne, venant du Manding de Kangaba, débouchait devant la place par la vallée du fleuve.
Une petite expédition était partie dès le 3i mars pour le Bëlédougou sous les ordres du capitaine Piétri, qui, en dix jours, réussit à disperser l'ennemi, après l'avoir battu plusieurs fois en l'abordant avec autant de hardiesse que d'énergie.
De son côté, la garnison de Bammako, réduite à l'effectif de 242 combattants, était obligée de battre en retraite sur le fort, le 2 avril, après un engagement très vif contre le frère de Samory, Fabou, qui commandait la colonne du Niger.
Dix jours après, au retour du capitaine Piétri, une seconde marche offensive fut plus heureuse. Les gens de Fabou s'enfuirent après une résistance très molle. Mais ses bandes se reformèrent, et il fallut pour les disperser encore une nouvelle opération, sous les ordres du capitaine Piétri. Elle eut pour résultat la destruction de Nafodié, sur la route de Niagassola, où l'ennemi s'était retranché.
D'autre part, une colonne partant de Kita sous les ordres du
commandant Montségur, se dirigea au commencement de mai,
vers le Manding de Kangaba où elle acheva de refouler les troupes
de Samory vers le Niger. I
L'année suivante se passa sans nouvelle attaque de l'Almamy.
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Mais au commencement de i885, il reprit l'offensive pendant la construction du fort de Niagassola, et son frère Malinkamory réussit à surprendre, le ier juin, à Nafodié une petite colonne, chargée de protéger la vallée du Bakhoy. Pendant huit jours, ce détachement, composé d'une seule compagnie de tirailleurs, resta étroitement bloqué. Il fut à grand'peine dégagé par le commandant Combes. Encore eut-il à livrer au retour un combat sanglant à Koroko, pour rallier Niagassola. Malinkamory le suivit et sous le fort même, vint brûler le village, puis s'avança dans le Gangaran et vint prendre ses quartiers d'hivernage à Gale, en face de Kita.
Ce fut seulement dans les premiers mois de 1886 que le colonel Frey put définitivement chasser l'ennemi au delà du Niger. Après avoir battu Malinkamory à Gale et débloqué Niagassola qui était encore entouré, il détruisit l'armée qui avait envahi notre territoire au marigot de Farako Djingo. A la suite de cette victoire, Samory qui, pris de panique, s'était enfui de Sanankoro où il résidait, demanda la paix et l'envoi d'une mission pour en discuter les conditions.
Cette mission, sous les ordres du capitaine Tournier, et celle que dirigea en 1887 le capitaine Péroz, placèrent tout l'empire de notre voisin sous notre protectorat, en nous donnant comme frontières le Niger et le Tinkisso.
Dès lors, nos relations avec Samory restèrent d'autant meilleures qu'il eut bientôt à faire face à d'autres difficultés, celles d'une lutte opiniâtre contre le chef d'un empire rival du sien , et qui achevait de se fonder dans l'Est.
Au point de vue politique, l'occupation temporaire d'une partie de la vallée du Bakhoy par l'Almamy du Ouassoulou, n'eut que peu de résultats. Il en fut de même au point de vue religieux, ainsi que pour les régions limitrophes du Niger, le Baléya, le Oulada, le Kolonkalan, qui sont échelonnées sur la
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rive droite du Tinkisso et que Samory avait dévastées dès 1878. Dans tous ces pays, bien que les fétichistes aient dû embrasser l'Islam ou tout au moins le pratiquer extérieurement, les pillages, les ruines qui accompagnèrent leur conversion augmentèrent, comme au temps d'El Hadj Omar, leur répulsion pour la foi musulmane. Ainsi que la population des territoires plus voisins du Sénégal, ils admettaient assurément en grande partie les principales traditions du mahométisme, mais leur hostilité contre son application devint, en quelque sorte, pour eux une question nationale.
Dès 1886, le nouvel adversaire de Samory, Thiéba, avait commencé à étendre les limites de son apanage primitif, le Kanadougou. Né à Fendéréla, important village que sa famille commandait depuis plusieurs générations, il avait été envoyé comme otage à Ségou, dans son enfance, au temps d'El Hadj Omar, et depuis était resté avec Ahmadou Cheikhou, lorsqu'en 1880, il apprit la mort de son frère Fakoro, chef de sa famille. Il partit aussitôt et vint prendre sa succession. Habitué à l'organisation presque régulière des Sofa de Ségou, il forma de même quelques corps de combattants avec ses captifs, ses gens, et étendit son autorité à tout le Kanadougou.
Au sud de ce pays se trouve le Oughadougou, qui était déjà occupé par Samory. Profitant, au moment de la conquête française..des embarras qu'elle suscitait à son voisin, Thiéba envahit le Oughadougou dont la prise deKoussan, sa capitale, le rendit maître après un combat acharné. Presque toutes les bandes ennemies furent détruites. Les deux chefs qui les commandaient, Nounké et Amara, se sauvèrent à peu près seuls.
Traouré lui-même, Thiéba avait dû ses succès en grande partie au concours des indigènes de son Diamou, nombreux dans le Kanadougou et le Oughadougou. Dans ce dernier pays vivait, à Samatiguila, un marabout fort influent, Kogno Mambi,
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descendant des Kountah par son grand-père. Il avait entrepris plusieurs guerres saintes qui, dirigées par son chef de guerre, Kaba Serno Ahmadou, lui avaient donné un petit royaume. Bien que Kadri, il se rangea des premiers du côté de Thiéba, en haine des atrocités qui avaient marqué la conquête de Samory, et ce fut son intervention qui décida l'adhésion des Traouré au mouvement de révolte contre ce dernier. Avec les forces qui grossirent ainsi les siennes, Thiéba
s'avança vers la frontière occidentale du pays et, à Maninian, attaqua une seconde fois les troupes de son adversaire commandées par Tore Moudou et Amara Yéli. La victoire lui resta encore, ainsi que dans une troisième rencontre à Kané, où Kémé Bourama, frère de l'Almamy du Ouassoulou, fut mis en déroute avec tous ses gens.
Mais une autre armée, sous les ordres d'un fils de Samory, Managné Mahmadi, s'avançait par le Sud. Kémé Bourama alla le rejoindre et, prenant l'offensive, ils vinrent se jeter sur Thiéba à Fotéré. La bataille fut indécise et, des deux côtés, les troupes, engagées se retirèrent pour se reformer pendant l'hivernage de 1886.
Déjà Samory avait perdu tout le cours du Bagoé, affluent du Mahel Balével, qui était devenu la frontière des deux royaumes, tracée auparavant par le Kana, autre affluent de la seconde rivière.
Les provinces qui dépendaient encore de son empire se trouvaient placées sous les ordres d'un de ses frères et de ses fils, secondés par des chefs vigoureux : Noumougué, Amara Yéli, Managué Mahmadi, etGuélé Mahmadi, qui avait remplacéToré Moudou, tué dans la précédente campagne.
Ils levèrent tous les guerriers du pays et reçurent en outre des renforts du Ouassoulou, des régions voisines, aussitôt la paix conclue avec nous. Mais de son côté, Thiéba avait obtenu des
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Tidianede Ségou, de nombreux secours en armes et en chevaux. En outre, beaucoup des Thalibé, des Sofa d'Ahmadou vinrent le rejoindre. A ce moment, le Soudan se trouva donc partagé, malgré l'attitudeprisepar Kogno Mambi, en deux grands partis : d'un côté Samory avec les Kadriya, de l'autre Thiéba avec les Tidjaniya.
La nouvelle campagne fut tout entière favorable à ce dernier. Au sud, il prit Tengréla, et entraîna dans son alliance les Bambara qui habitent entre le Ouassoulou et la ceinture méridionale du bassin du Niger, jusqu'au Toron. Puis, après une bataille, où toutes les forces des deux adversaires furent engagées, et où Managné Mahmadi, le fils de Samory fut tué, il poursuivit les fuyards jusqu'aux abords du Ouassoulou. Dans cette retraite, un grand nombre de ces derniers périt de faim et de soif.
L'été venu, avec la saison des pluies, Thiéba rentra au Kanadougou.il eut alors quelques difficultés avec Ahmadou Cheikhou dont les Thalibé s'étaient organisés en bandes pour venir piller le pays, et à la suite de mesures répressives prises pour rétablir l'ordre de ce côté, rompit définitivement avec son ancien maître. Cependant ses relations avec les habitants même du Macina continuèrent à rester bonnes. D'autre part, ses voisins de l'Est, les Mossi, lui envoyèrent Un certain nombre de chevaux. Enfin, soit à Kong, soit dans les villes du Niger, il put se procurer des armes en quantité suffisante pour augmenter considérablement son armée.
Il eût pu, en outre, disposer également des forces de sa soeur qui, en même temps qu'il s'étendait dans le Sud-Ouest, s'était formé un royaume dans le nord-ouest du Kanadougou, Tout d'abord cependant, il n'eut pas recours à ce nouvel appoint. A la fin de l'hivernage de 1887, Samory, qui de son côté avait réuni le ban et l'arrière-ban de ses troupes, se mit de sa personne à leur tête pour aller attaquer Thiéba chez lui. Il reprit
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d'abord Tengréla, puis franchit le Bagoé, brûla les villages de Dioumarna, Tioula, Kourala et enfin Fendéréla, ancien pays de son adversaire. Pendant ce temps, celui-ci avait exécuté un mouvement tournant et pris position à Sikasso, sur les derrières de l'ennemi. Samory, revenant en arrière, essaya de déloger Thiéba. Mais trois assauts successifs ayant été infructueux, il continua sa route et après avoir brûlé Natia, s'établit lui-même tout près de Sikasso, à Bananko.
Là, après s'être réorganisé, il recommença l'attaque qui n'eut pas plus de succès que la première fois. Un mois s'écoula ainsi, pendant lequel les deux partis restèrent en présence, à peu de distance l'un de l'autre. Chaque semaine, après avoir reformé ses bandes, Samory retournait à Sikasso, puis battu, revenait à Bananko.
Ses forces s'étant épuisées, il se décida, après le quatrième assaut, à construire des retranchements pour se défendre lui-même. Neuf grands sagnés — des enceintes palissadées — formèrent autant de camps où s'installa son armée.
A peine ses dispositions étaient-elles prises, que Thiéba arrivant en effet, éleva de son côté, tout autour, d'autres sagnés pour bloquer l'ennemi. Dès qu'il eut terminé, il engagea une attaque générale qui dura trois jours, mais n'eut pas de résultats, et il fut lui-même forcé de se retirer à Sikasso, pour reconstituer ses bandes, laissant seulement devant Bananko ses meilleurs guerriers.
Bientôt après, Thiéba revint à la charge et réussit mieux cette fois. Après une succession d'attaques échelonnées et séparées par des périodes de repos, il avait réussi, au mois de mai 1888, à s'emparer de six des neuf sagnés de Samory.
La situation de l'Almamy devenait d'autant plus critique que les provinces centrales de son empire, refusaient de lui venir en aide. Pour se procurer des chevaux, des armes, il
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avait mis la population de cantons entiers en coupe réglée, vendant les femmes et les enfants comme esclaves, après avoir fait massacrer les hommes. Il alla même jusqu'à faire monnaie de quelques corps de Sofa, les vendant aussi aux négriers du Niger.
Profitant de son éloignement et de ses revers, les populations riveraines du fleuve commencèrent à se soulever dès le début de l'été. Déjà le Soulimah, le Kouranko et les pays limitrophes de Sierra-Leone avaient recouvré leur autonomie. Au mois d'août, la révolte s'étendit jusqu'au Ouassoulou, à l'annonce d'une nouvelle défaite de Samory, dans laquelle son frère Malinkamory et plusieurs de ses lieutenants avaient été tués.
Son fils Karamoko Bile, essayant à ce moment de faire passer un convoi de vivres par le Ouassoulou, où déjà, au mois de mars, une troupe de 25o cavaliers avait été détruite, en partie par la soif et la faim, en partie dans des embuscades, n'y put réussir. Pour punir les rebelles, il détruisit quelques-uns de leurs villages, Moussala, Santiguilla, Noumousala, Diloue et Guimbala, après avoir massacré tous les habitants mâles. Mais les autres peuplades du pays se réunirent sous les ordres d'un chef nommé Damou, et devant leur résistance, Karamoko dut se replier sur Bissandougou.
Presque en même temps, toutes les femmes de Samory qu'il avait renvoyées de Sikasso, étaient arrêtées par les habitants du Sadougou et amenées à Siguiri.
Thiéba, jugea le moment venu de reprendre des ouvertures qu'il nous avait déjà faites. Ses émissaires arrivés à Bammako en juin, en repariaient le mois suivant avec un traité de protectorat, et peu après Samory, ne pouvant plus ravitailler et renforcer ses bandes, devenu assiégea son tour, était forcé d'abandonner l'attaque de Sikasso pour se réfugier dans le Ouassoulou. , C'était la fin de la période ascendante de ses conquêtes,
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l'échec définitif d'une cause qui, sans être celle de l'Islam même l'avait jusqu'alors représenté. Avant de voir ce que devinrent alors les destinées du Soudan, il est utile d'examiner ce qu'était à ce moment la situation du mouvement musulman, au sud du Moyen Niger.
Thiéba, quoique musulman et Tidiane par les premières traditions de son enfance, par ses anciennes alliances, s'était en dernier lieu désintéressé de la question religieuse. Sauf dans le Oughadougou, dont la population entièrement musulmane se rattachait par ses affinités aux Kadriya, la plus grande partie de ses nouveaux pays appartenait au parti fétichiste. Tels étaient aussi ses alliés de l'Est, les Mossi. Tout en professant l'Islam depuis une époque plus reculée que Samory, il n'avait jamais cherché à l'imposer par la force, ni même par persuasion. Cependant, au début de ses conquêtes, l'intervention des Thalibé de Ségou et du Macina se traduisit par une propagande à main armée, qui s'étendit jusqu'au Kanadougou. Mais, ils durent renoncer à leurs incursions et la situation devint assez i tendue entre Thiéba d. Ahmadou, pour que les émissaires ! que le premier nous envoyait à Bammako fussent arrêtés à leur retour par les Sofas du second.
Il n'en était pas de même des relations du Macina avec notre nouvel allié. Elles se maintenaient bonnes; les Thalibé de Tidiani et de son successeur, ne cessèrent pas d'être bien accueillis au Kanadougou, au Oughadougou. Le centre de propagande de Samatiguila cessa ainsi d'être le seul du pays. A côté des Kadriya, les Tidjaniya s'assurèrent droit de cité dans la région de Sikasso, sans que, en raison de l'indifférence religieuse de Thiéba., il en résultât un développement des influences islamiques. La pénétration de l'Islam s'accentua par l'ingérence politique d'un nouvel élément; il ne réalisa pas de nouveaux progrès chez les fétichistes.
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L'oeuvre religieuse de Samory avait été plus complexe. On a vu que dans la vallée du Bakhoy, sur le territoire du Soudan Français, son intervention avait eu pour effet d'augmenter la répulsion politique des habitants contre l'Islam. Il en fut de même au Baléya, au Oulada, dans les pays Djallonké qu'il avait pillés de concert avec Aguibou. Cependant, dans ces régions où existait déjà un noyau de population musulmane, celle-ci vit son importance relative s'accroître, par suite du massacre des fétichistes. Des villages entiers disparurent. A ce point de vue, on peut admettre que l'Islam progressa de ce côté, non qu'il ait dû à la conquête plus d'adhérents, mais parce que le nombre de ses adversaires diminua.
Ailleurs, comme au Manding, dont toute la population était fétichiste, Samory n'intervint pas directement dans la question religieuse. Le pays, ou du moins son chef, le Mambi, avait volontairement embrassé le parti de l'Almamy qui, en retour, ne chercha pas à imposer ses croyances à des alliés dont il ne pouvait suspecter la fidélité. Néanmoins, de ce côté, l'Islam qui se trouvait personnifier une cause politique, fit par cela même des progrès réels. II est incontestable que durant les années qui précédèrent le siège de Sikasso, le nombre de ses adeptes s'était sensiblement accru, sur la rive droite du Niger notamment, où se retira le Mambi, au moment de notre occupation de la rive gauche. Ce mouvement répondait d'ailleurs à une idée de protestation contre notre conquête. Dans tout le Soudan Français, nous représentions alors la cause du fétichisme. Il n'en fallut pas plus, pour que l'ancien parti national du Manding embrassât celle de l'Islam, sinon dans la pratique, du moins nominalement. Dans le pays des Houbous, le Soulimah, le Kouranko, la grande majorité de la population était déjà musulmane, lorsque les lieutenants de Samory s'en rendirent maîtres. De ce côté, sa domination n'eut donc pas de résultats appréciables au point
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de vue religieux, si ce n'est par la destruction des peuplades fétichistes. Ce sont elles, qui, sauf chez les Houbous, tous mahométans, résistèrent avec le plus d'acharnement à la conquête, dans le Soulimah notamment, où existaient quelques cantons idolâtres. Elles furent décimées par de nombreux massacres 'et presque tous les survivants se trouvèrent vendus comme esclaves. Il s'est ainsi produit, dans la partie occidentale de l'empire de Samory, le même mouvement qu'au nord du Niger, dans le pays Djallonké. Sans accroissement de l'élément musulman, l'Islam a réalisé des progrès considérables par la ruine du parti adverse. Le mahométisme s'y est substitué au fétichisme, sans conversions, par élimination. Il n'en fut autrement qu'à l'ouest du Soulimah, sur le territoire limitrophe de Sierra-Leone, où existaient des groupes importants de tribus' idolâtres, celles des Timéné notamment. Dans ces parages, les résultats de l'occupation momentanée du pays restèrent peu appréciables. Elle se traduisit par un dépeuplement qui n'a pas eu pour corollaire la formation de centres musulmans. Tout au contraire, comme au Soudan Français, les tendances à une réaction politique contre l'Islam, se sont plutôt développées.
Mais c'est surtout dans la région centrale de son empire que les conquêtes de Samory, dans la première période, ont largement contribué à répandre, à affermir la religion musulmane. Là, en effet, il abandonna le soin de la propagande aux marabouts Kadriya, qui, tout en profitant de l'obligation imposée aux anciens fétichistes, de pratiquer le culte islamique, surent se montrer partisans du développement pacifique de leur foi. Grâce à leur influence sur l'Almamy, ils réussirent à faire triompher en quelques occasions les idées de justice, à obtenir l'application de la loi koranique dans l'établissement des impôts, dans l'organisation politique des principaux centres.
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Toutes les haines populaires s'amassèrent sur la seule tête de Samory. L'Islam devint plutôt un refuge, une consolation pour ses sujets, dans le Ouassoulou, le Sangaran et les régions avoisinantes.
Pendant longtemps, au reste, ces provinces fournirent la plus grande partie des Sofa de l'armée, et à ce titre elles bénéficièrent d'une tolérance qui acheva d'enlever à la propagation du mahométisme, le caractère particulièrement odieux qu'elle avait ailleurs. Puis, Kankan était déjà un centre musulman important. Sous Mahmadou et Sori Ibrahima, les conversions avaient été nombreuses. Il ne s'agissait que d'achever l'oeuvre déjà commencée.
Aux villes où le mahométisme existait antérieurement, s'ajoutèrent ainsi de nombreux centres religieux, parmi lesquels on peut citer en première ligne Bissandougou, Baninkoro, Makhonou.- Bissandougou surtout prit une grande extension. Jusqu'en 1887, il resta la capitale officielle de l'empire. Les Chorfa Kadriya de Kankan vinrent s'y installer, et avec eux, dès 1882, les Touré de Saninkoro et quelques Soni-nké émigrés du Niger Moyen. Ces derniers forment également l'élément maraboutique du Makhonou, tandis qu'à Baninkoro, il resta représenté par des Peul du Foutah-Djallon.
Dans toutes ces villes ainsi qu'à Kankan, Kona, Ténétou, Kankari et dans les autres centres musulmans, qui existaient déjà avant Samory, quelques Tidjaniya se mêlèrent aux Kadriya. A Kankan notamment, l'influence des premiers était restée prépondérante depuis l'époque des Djehad de Mahmadou. Quoique cette absorption tendît à se généraliser, les doctrines des seconds se répandirent davantage dans l'ensemble des pays du Haut Niger. Cependant elles subirent, au point de vue politique, l'action de ce contact, en ce sens que si l'on en excepte quelques individualités, telles que les cheikh de l'entourage de Samory qui
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avaient été élevés dans les écoles du Nord, le mahométisme conserva dans son extension un caractère très accusé d'hostilité contre la domination chrétienne, contre nous. C'est seulement dans l'oeuvre de la propagande locale, que les principes de tolérance propres aux Kadriya continuèrent à se faire sentir.
Indépendamment du fait même du développement de l'Islam dans les parages de Kankan, de Bissandougou, au Sangaran, au Ouassoulou et dans les provinces avoisinantes, il convient de signaler les progrès très rapides de l'instruction religieuse. Les marabouts de ce pays ne le cédaient guère, en 1888, à ceux du Moyen Niger, de Sansanding, Ségou, Bandjagara, comme savoir et comme science. Les manuscrits de tout genre étaient devenus fort nombreux chez eux. Ils ne s'en tenaient plus, ni pour euxmêmes, ni pour leurs disciples, à l'étude du Koran, des rudiments de la doctrine, mais tenaient école au sens large du mot, et formaient des élèves presque aussi avancés dans la scolastique, dans toutes les branches de la théologie musulmane, que peuvent l'être ceux des cheikh Kadriya ou Tidjaniya du Sahara et du Macina.
Ce mouvement intellectuel remontait d'ailleurs à l'époque de Mahmadou ; il était la conséquence directe de la rénovation religieuse dont El Hadj Omar fut l'inspirateur. Mais les premières années de la domination de Samory contribuèrent à l'étendre, à le développer dans une large mesure.
Au sud et au sud-est du Ouassoulou, cette période ne paraît pas avoir été aussi féconde pour l'établissement de l'Islam. Dans le Toron et à l'Est, les Bambara et les Peul fétichistes durent accepter la foi officielle de l'empire. Mais leur révolte lors des conquêtes de Thiéba en 1886, leur permit de recouvrer leur indépendance religieuse, en même temps que leur autonomie politique. Chez eux, comme au Soudan Français, les conversions à main armée n'ont pas été.durables, elles ont soulevé une
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aiiimosité profonde contre la conquête musulmane, quel qu'en pût être le caractère immédiat.
La retraite de Samory après son insuccès devant Sikasso, marque le point de départ d'une nouvelle politique au Soudan Français.
Aux négociations que Thiéba avait entamées avec le colonel Galliéni répondit l'envoi de la mission Quiquandon à Sikasso et du docteur Crozat au Mossi, en même temps que la politique d'expansion pacifique qui prévalut alors, en raison des dispositions des Chambres dans les questions coloniales, nous amenait à prendre, à l'égard de Samory, une attitude conciliante. En février 1889, il nous abandonna, par le traité deNiako, la rive gauche du Niger, acceptant d'être isolé du Foutah-Djallon et de Sierra-Leone.
Mais bientôt ses tentatives pour se rapprocher des Anglais, malgré ce traité, les efforts de nos voisins de Sierra-Leone pour prendre pied au Soudan, par son intermédiaire, nous obligèrent à le couper de la frontière britannique. En même temps que notre intervention à l'est de son territoire s'affirmait plus active, nous dûmes pourchasser ses Sofas dans l'Ouest et les forcer à se réfugier dans le Sud.
Puis, les rivalités latentes, entre l'Angleterre et la France, pour la possession du Soudan, prenant un caractère aigu, les besoins de la pénétration dans l'Hinterland de la Côte d'Ivoire et dans la haute vallée du Niger, nous amenèrent à poursuivre directement la lutte contre Samory, devenu l'allié officieux des Anglais. Il avait lui-même donné le signal de la reprise des hostilités en nous renvoyant au bout de quelques mois le traité de Niako. Refoulé hors du territoire de Kong et de la région voisine, où il avait un moment tenu tête à nos colonnes; rejeté vers les frontières de Libéria, il réussit, par un dernier effort, à grouper dans une entente commune nos
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anciens adversaires Tidianes de la famille d'El Hadj Omar, ses propres adversaires de Sikasso, où Thiéba avait été remplacé à sa mort par son frère Bademba, Tidiane résolu— et au moment même où le conflit avec l'Angleterre était dans la période critique, à devenir pour notre domination un danger plus grand qu'il ne l'avait jamais été.
Déjà à Bammako, les marabouts Soni-nké et les Dioula parlaient du moment prochain où les Français seraient rejetés à la mer, lorsque le gouverneur du Soudan, sentant le moment venu d'une action décisive, enleva Sikasso.
On n'a pas sur le moment assez rendu justice à ce beau fait d'armes, dû à l'énergie, à l'ascendant personnel du colonel Audéoud sur les troupes du Soudan, habituées cependant à toutes les bravoures. Sikasso était la clef de la position, d'où dépendait dans le présent la liquidation rapide de nos dissentiments avec les Anglais, dans l'avenir, la pacification du Soudan, ou la continuation dans une forme plus grave des troubles antérieurs. En enlevant ce dernier refuge de nos adversaires, le colonel Audéoud résolut la question depuis si longtemps pendante, comme il avait résolu sur l'Ouémé la question de la guerre dahoméenne, en enlevant à la baïonnette les guerriers de Béhanzin.
Sikasso pris, la capture de Samory ne dépendait plus que de l'habileté et de la vigueur des colonnes lancées à sa poursuite. Confiée à un officier tel que le commandant de Lartigue, cette dernière opération, conclusion de près de vingt années de guerre, n'était plus qu'une affaire de semaines et de jours. Le 28 septembre 1898, Samory, enlevé à la course par le capitaine Gouraud, devenait le captif de la colonne de Lartigue, et prenait le chemin de l'exil, loin du Soudan, qu'avait ensanglanté si longtemps son oeuvre destructive. Bien que la dernière partie de l'épopée de Samory, depuis le
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moment, où franchissant le Niger, nos colonnes prirent son contact, n'intéresse pas directement la question Islamique, ainsi qu'il vient d'être indiqué, il est cependant utile de rappeler géoçraphiquement ce que fut la lutte d'échiquier ainsi engagée, afin de préciser ses conséquences indirectes sur le mouvement musulman.
En passant chez Samory, au moment du siège de Sikasso, Binger l'avait laissé aux prises avec des préoccupations politiques qui excluaient de sa part, toute arrière-pensée religieuse. Il n'était plus déjà le chef de guerre, musulman par circonstances, et partisan du Djehad à l'occasion, que le capitaine Péroz avait naguère vu entouré d'une pompe religieuse caractéristique, sous ses apparences indifférentes. Déjà les griots de confiance l'emportaient dans ses conseils sur les marabouts, dont beaucoup, comme le vieux pèlerin libéral de Ténétou, El Hadj Mahmadou El Aminé qui recommandait Binger à ses amis de Kong, se souciaient peu des préférences de l'Almamy.
En s'adjugeant la qualité d'Emir el Moumenin, de commandeur des croyants — en exerçant par conséquent son autorité, sous le symbole islamique, Samory était alors le maître de fait des pays compris entre le Niger Français et les États Tidianes de Ségou et du Macina, au Nord, ceux de Thiéba à l'Est, les frontières de Sierra-Leone à l'Ouest, les abords du pays de Libéria et de Kong au Sud. De ce côté, sans occuper les territoires qui le reconnaissaient comme Almamy, il en était au moins le suzerain, par une sorte de protectorat tacite. Maître ainsi, directement ou indirectement, de 3oo,ooo kilomètres carrés, Samory comptait comme provinces, possédées en propre : Entre le Niger et le Milo, le Sankaran, le Kissi et le pays de Falaba ; le Balé, le Sabé et le Banan, au nord du Ouassoulou ; le Diouma, le Kourbaridougou et le Kouroulami, à l'ouest dû Ouassoulou ; le Ouassoulou, avec le Gouana, le Gouanediakha,
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le Baniakha, le Leuguésoro et le Bodougou ; au sud du Ouassoulou : le Toron, Bissandougou, Komo, le Konia, Sanankoro et le Ouorocoro ; enfin à l'ouest du Ouassoulou, le Ganadougou, avec le Tiankadougou, le Tiéméla, le Gakhalou, le Tiénédougou, le Foulala, le Siondougou, le Mpéla et le Gantiédougou.
Au Sud, il exerçait son protectorat sur le Toukoro, le Toma, le Gankouna, le Ouorodougou, groupe important de cantons confinant d'une part à la région de Kong, de l'autre à l'Hinterland de Libéria.
Dans ces derniers pays, il prélevait seulement des contingents de temps à autre sans percevoir d'impôts, les traitant en quelque sorte comme une réserve, a'iors que les autres, occupés régulièrement, par une sorte d'administration militaire et civile, étaient traités comme des fiefs imposables à merci.
Divisés en grandes provinces, répondant chacune à l'organisation de bandes qui constituaient autant d'armées, ils relevaient du chef du groupe militaire correspondant, groupe fractionné lui-même en corps de Sofas réguliers, outre les contingents irréguliers. Puis dans chaque village, à côté du chef local, indigène, se trouvait un Dougoukoumarigui chargé delà perception des impôts, de la surveillance générale. Enfin j'Almamy, indépendamment des dîmes qui lui revenaient, s'était réservé partout en pays conquis, une partie des cultures dont ses captifs étaient chargés sous la direction du Dougoukoumarigui.
Dans le Nord-Ouest et l'Ouest, cet empire de conquête, uni ainsi par les liens d'une organisation relativement solide, ne comptait guère que des musulmans, Soni-nké, Peul ou Djallonké. Dans le Sud-Est, confinant aux pays presque exclusivement fétichistes des Bobos et des Mossi, la population Mandé était, comme dans le Nord, en majorité fétichiste de fait. Mais parmi elle se trouvaient, dans le Nord et au centre, puis au Sud surtout, de nombreux musulmans, Mandé Traouré, Mandé
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Dioula, Soni-nké et Peul, qui constituaient une sorte d'aristocratie locale disséminée dans les principaux centres, comme Kankan, Bissandougou, etc.
La région n'était pas devenue musulmane, quoique l'Islam fût la religion officielle et eût à l'origine été imposé obligatoirement. Mais les mahométans tenaient le premier rang.
Thiéba, musulman et Tidiane lui-même d'origine, d'affinités premières, était un Mandé Dioula Traouré, dont les débuts ressemblaient à ceux de Samory, avec la nuance d'antécédents personnels : son père, Daoula, s'était en effet constitué un fief propre dans le Kénédougou, après avoir été chef du village de Doualabougou.
Thiéba avait d'abord commencé à guerroyer pour son compte, sans s'occuper de Samory, à l'est du Bagoé, qui séparait leurs provinces respectives. Il était devenu maître de Sikasso et du Kénédougou, puis du Menguéra, du Samokhodougou, du pays de Tengréla et de Kinian, chez les Bambara voisins du Macina, confinant ainsi : aux Etats de Samory qui le séparaient du Niger, du Macina; au Mossi, et dans le Sud, par les pays Bobo, à la région de Kong.
En dehors du Kénédougou, son autorité était moins absolue que celle de Samory sur ses propres territoires, mais Sikasso, gros centre très bien fortifié pour le Soudan, donnait à sa puissance une importance très réelle et le jour où passant le Bagoé ses bandes se heurtèrent à celles de Samory, il devint nécessaire pour celui-ci d'en finir avec un voisin entreprenant et dangereux. Telle fut donc la cause du siège de Sikasso qui mettait aux prises une force, de tendances musulmanes malgré une origine fétichiste, avec une force, de tendances fétichistes malgré ses origines musulmanes.
Thiéba, en effet, quoique musulman, malgré ses affinités Tidianes, comptait surtout parmi ses partisans les plus dévoués,
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des Mandé Mali-nké et Bambara fétichistes. Il s'appuyait politiquement sur les Mossi et les Bobo, fétichistes également. Et sans proscrire l'Islam, tout en faisant bon accueil aux Peul comme aux Mandé Dioula, aux Toucouleurs comme aux Soni-nké, il se trouva nécessairement personnifier, au moment du choc de sa puissance contre celle de Samory, l'idée fétichiste contre l'idée musulmane.
Après l'insuccès de Samory devant Sikasso, et pendant qu'il se retirait dans le Ouassoulou, un double mouvement se dessina contre lui. D'une part, notre occupation du Niger s'étendit rapidement et facilement jusqu'au Milo, pendant la fin du commandement du colonel Galliéni; d'autre part, le Sankaran, le Kissi et le pays de Falaba, vers lesquels les Anglais de SierraLeone commençaient à dessiner un mouvement par l'envoi de la mission Festhing, furent annexés peu après.
En même temps, l'arrivée de la mission Quiquandon à Sikasso. chez Thiéba, changeait ses bonnes dispositions en alliance définitive pendant que le docteur Crozat se rendait au Mossi et nous en ouvrait l'accès.
Nous refoulions ainsi Samory lentement, tout en nous étendant sur son flanc Est, de manière à neutraliser pacifiquement les efforts qu'il pouvait faire pour reprendre l'offensive.
Dès l'occupation de Ségou en 1890, il avait fallu donner de l'air à nos postes avancés du Moyen Niger par de courtes démonstrations. L'année suivante, au moment où la colonne Archinard achevait, par la prise deNioro, la conquête du Kaarta, en même temps que la colonne Dodds battait Abdoul Boubakar au Foutah Sénégalais, la colonne Combes, par une rapide et brillante offensive, allait au-devant de l'attaque de Samory combinée avec les mouvements des Tidianes, en enlevant Kankan, sur le Haut Niger et en refoulant l'Almamy vers Bissandougou.
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A ce moment, les Anglais de Sierra-Leone, que l'occupation de Kankan coupait définitivement du Soudan, commencèrent à entrer plus activement en relations avec Samory, qui recevait entre autres, en mai 1891, un envoi de 200 fusils à tir rapide de Free Town.
Grâce aux efforts intelligents et heureux du capitaine Quiquandon et du docteur Crozat, nous restions libres de toute inquiétude dans l'Est, bien que Thiéba ne nous prêtât pas le concours effectif qu'il nous avait promis et se montrât même, réservé à notre égard. Ce fut alors l'oeuvre du colonel Humbert de porter à la puissance militaire de Samory un coup dont elle ne devait pas se relever. Battu et mis en déroute à Bissandougou, au commencement de 1892, il dut reculer jusqu'au delà de Kérouané où se trouvèrent ainsi reportés nos avant-postes, assez loin de la frontière de Sierra-Leone, pour que la coopération des Anglais à la résistance de Samory ne pût plus garder le caractère inquiétant qu'elle avait revêtu d'abord.
L'année suivante (i8g3), pendant que le colonel Archinard achevait de liquider la question du Macina, le colonel Combes accentuait efficacement le mouvement déjà commencé dans le Haut Niger, en refoulant Samory vers l'Est jusqu'au Baoulé et à la Haute Cavally.
Puis, longeant la frontière même de Sierra-Leone., où Samory avait conservé à Erimankono un camp d'instruction, surveillé sinon dirigé par des Anglais de.la force de police de SierraLeone, il acheva de nettoyer ces parages, en en chassant les Sofas et leurs alliés, avant de rentrer à Konakry par la route qui limite dans le Nord la colonie anglaise.
Les Etats de l'Almamy se trouvaient ainsi isolés politiquement de Sierra-Leone. Mais s'étendant vers l'est de Kong, il reprenait le contact des Anglais par leur colonie de Cap Cokst. Puis Thiéba étant mort dans le courant de l'année, il avait pro-
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fité des incertitudes de son successeur Babemba pour se rapprocher de Sikasso. Enfin, après le départ de la colonne Combes, ses bandes reparurent à l'ouest du Haut Niger, en même temps qu'elles menaçaient la région de Siguiri par le Sud et l'Ouest. Une nouvelle colonne, celle du colonel Bonnier, le refoula encore à la fin de l'année, en dégageant complètement la rive droite du Niger.
A ce moment, la pénétration de la Côte d'Ivoire vers le Soudan, préparée par le voyage de Binger, six ans auparavant, devenue nécessaire par l'entente des Anglais avec Samory, par leurs efforts pour nous enlever au Soudan, grâce à son alliance, le terrain que nous y avions gagné, s'organisait plus activement.
Plusieurs missions avaient tenté sans succès de s'avancer hors des limites mêmes de la Côte d'Ivoire, sans y réussir faute d'une force suffisante. Tout l'intérieur de la colonie était en effet divisé en zones commerciales parallèles à la côte, formant en quelque sorte des barrières douanières, que les populations de chaque zone s'efforçaient de préserver d'une pénétration appelée à les détruire, malgré les résultats obtenus de nouveau par Binger dans un second voyage à Kong. Puis dans l'intérieur, les bandes de Samory opposaient un autre obstacle insurmontable aux tentatives pacifiques.
Dès le commencement de 1893, le capitaine Marchand avait été chargé de poursuivre l'exécution d'un programme pratique et définitif de jonction de la Côte d'Ivoire au Soudan. A la fin de l'année il se heurtait dans le Bandama aux Sofas de Samory et, en juin 1894, retrouvait à Kong ses émissaires qui préparaient les voies à l'Almamy. Refoulé dans l'Ouest, repoussé du Nord, Samory se jetait vers le Sud, menaçant directement les abords de notre colonie de Grand-Bassam. Arrêté par la colonne Monteil, il s'étendit vers l'Est, et au milieu de 1895
MOUVEMENTS LOCAUX 249
restait encore maître du Haut Bagoé, du Bouna,du Bondoukou, de Satama, de Bouaké et de Sakala, avec les provinces du Djimini et de Kong.
Les possessions de l'Almamy s'étaient ainsi déplacées perpendiculairement à leur axe primitif. Elles ne comprenaient pas la vallée du Niger, mais s'étendaient presque parallèlement à la côte de la fronrière extrême de Libéria à la colonie de Cap Coast, par Kong et le Bondoukou. Après les pays fétichistes, c'étaient maintenant les pays musulmans des Mandé Dioula qui se trouvaient envahis, dans des conditions d'oppression qui ne pouvaient que rendre leurs habitants hostiles au conquérant, bien que ses premiers rapports directs avec Kong eussent été précédés de la demande adressée par lui aux chefs de la ville, de recevoir 200 Sofas comme étudiants dans leurs écoles.
Si la Côte d'Ivoire, protégée par de nouveaux postes, si le Soudan de son côté, étaient maintenant à l'abri des incursions de l'Almamy, sa présence à proximité de Cap Coast n'en constituait pas moins un danger d'autant plus grave, qu'à peu près au même moment où il refusait de recevoir le capitaine Braulot, envoyé vers lui pour connaître ses intentions, il demandait au gouverneur de Cap Coast le protectorat de l'Angleterre.
Déjà à ce moment, la lutte de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre pour l'occupation des régions vacantes du Soudan était entrée dans la période aiguë. Pendant que nous nous efforcions de gagner de vitesse les Anglais entre le Haut Dahomey et le Niger inférieur, les Allemands au nord et à l'est du Togo, ceux-ci de leur côté multipliaient leurs missions.
Mais pendant ce temps, l'active impulsion donnée, dès 1895, par le commandant Destenave à la pénétration au Ouaghadougou et au Mossi, modifiait considérablement la situation en notre faveur. Nous occupions méthodiquement et pacifiquement mais solidement, outre le Mossi, le Gourma et le Gourounsi. Samory
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alors essaya de s'avancer dans l'arrière-pays de Cap Coast. Mais là, sa présence n'offrait plus d'avantages politiques aux Anglais qui ne virent en lui qu'un voisin pillard et dangereux. Et menacé d'être attaqué par une colonne anglaise, il rentra sur notre territoire par la Haute Volta, en nous faisant des ouvertures de paix, dont il montra bientôt la valeur en faisant assassiner, au milieu de 1897, ^e capitaine Braulot, envoyé auprès de lui pour le recevoir. Une nouvelle mission pacifique fut cependant encore envoyée à Samory par la colonie de la Côte d'Ivoire ; elle échoua. Mais Bondoukou avait été occupé à la fin de l'année, en même temps que la colonne du commandant Caudrelier arrivait à Bouna, isolant ainsi l'Almamy de ses communications avec Cap Coast. Peu après, la signature de la convention francoanglaise mettait, en avril 1898, fin aux préoccupations qui pendant les dernières années nous avaient empêchés de poursuivre contre Samory les campagnes actives auxquelles avait été dû son départ pour le sud du Soudan.
A ce moment la situation était devenue grave au Soudan même, dégarni de troupes, par la formation des colonnes qui opéraient dans les territoires en litige avec l'Angleterre. Babemba le chef de Sikasso, avait fini par se ranger du côté de Samory et de nos adversaires. Jusqu'à Bammako les indigènes commençaient à s'agiter, et dans les milieux musulmans on sentait la propagation d'un mot d'ordre, rappelant les groupements des Tidianes, sur l'incitation d'Ahmadou Cheikhou. Cette fois Samory, représenté à Sikasso par un de ses familiers, Fô, était l'instigateur du mouvement qu'il préparait déjà lors du voyage de la mission Nebout, à la fin de 1897. De son côté, Babemba avait subi l'influence de son neveu Ahmadou, homonyme du fils d'El Hadj Omar et musulman exalté.
L'arrivée rapide de la colonne formée en hâte par le colonel Audéoud, avec ce qui lui restait sous la main de troupes dispo-
MOUVEMENTS LOCAUX 25 I
nibles et avec des anciens tirailleurs enrôlés pour l'expédition, coupa court à ces velléités et le ier mai, avec Sikasso enlevé brillamment disparaissait le dernier obstacle à la pacification du Soudan. Samory n'en était plus un, malgré tout son passé. En fuite devant les colonnes convergentes lancées à sa poursuite, il essaya de gagner la frontière de Libéria. Mais traînant avec lui une multitude de Sofas, de captifs, de femmes,, d'enfants, dont les cadavres jalonnaient sa route, engagé dans une immense forêt dont les rares habitants, des Bobo, lui étaient hostiles, il ne tarda pas à être rejoint par la colonne de Lartigue et pris par la compagnie Gouraud.
Ce qui caractérise surtout, aupoint de vue Islamique, la seconde partie de l'histoire de Samory, depuis le moment où l'occupation de Kankan marque la fin de ses conquêtes d'expansion, c'est la réaction qui s'opéra parmi les fétichistes des pays qu'il dévastait, contre l'idée musulmane, personnifiée par leur vainqueur. Resté lui-même pratiquant, fervent même jusqu'au bout, il avait un peu délaissé ses anciens conseillers en faveur des griots. Néanmoins, à Kong, à Bondoukou, comme naguère à Kankan, à Bissandougou, il était resté Almamy, chef musulman et autour de lui la profession de foi mahométane ne cessa pas d'être obligatoire.
Les ruines amoncelées sur son passage, et ses défaites, laissèrent tout entiers les sentiments d'exécration qu'il inspirait aux vaincus et qui devaient nécessairement se retourner contre la religion nominalement en cause. Si parmi les Mandé du Kénédougou, les Peul du Ouassoulou, cette influence peut être contestée, elle se manifesta au contraire d'une façon caractérisée chez les fétichistes des pays Bobo et du Mossi.
Parmi les musulmans mêmes, il est certain que beaucoup des Mandé Dioula et des Traouré, des Soni-nké du Sangaran, des pays de Kong et de Bondoukou, virent d'abord sans défaveur
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les progrès de l'Almamy. Leurs tendances, hostiles à notre cause politiquement, répondaient aux siennes. Mais quand leur tour vint d'être pillés par les Sofas, de voir des milliers des leurs égorgés ou vendus comme captifs, les intérêts sociaux et individuels l'emportèrent sur l'instinct religieux, et la capture de notre adversaire de vingt années, fut pour eux un soulagement aussi grand que pour les. fétichistes.
Samory a laissé cependant derrière lui des fanatiques, des exaltés, qui, sans le regretter, regrettent la cause qu'il personnifiait pour eux. Il a semé sur sa route quelques ferments individuels de recrudescence islamique. Mais en même temps, il a rapproché de nous la masse des musulmans, et comme El Hadj Askia, surexcité l'esprit fétichiste contre l'Islam. Chef deguerre, pillard et égorgeur, traqueur de captifs, il ne laisse pas de sillage personnel dans le mouvement musulman. Sa trace y subsiste Dlutôt comme un obstacle durable, dans les régions qu'il a msanglantées, au triomphe de la cause politique qu'El Hadj 3mar avait défendue au point de vue religieux, et qu'il n'a faite ui-même religieuse à quelques égards, qu'au point de vue poliique.
TROISIEME PARTIE
SITUATION ACTUELLE DE L'ISLAM
CHAPITRE PREMIER
RÉPARTITION DES MUSULMANS. — CARACTÈRES LOCAUX DES INFLUENCES RELIGIEUSES
En jetant un coup d'oeil d'ensemble sur la succession des événements qui se sont déroulés au Soudan et dans les pays qui forment sa bordure maritime, avant l'époque actuelle, on voit que l'évolution de l'Islam s'y trouve caractérisée par une suite de mouvements en avant et de reculs, comme autant d'étapes vers une conquête définitive.
Ce sont tout d'abord les Berbères qui, sur les limites de leur habitat, étendent la foi musulmane jusqu'au Moyen Niger et au Sénégal. Après eux les Mandé de Mali et les Songhaï donnent au domaine du mahométisme de nouvelles limites. Les premiers le propagent au sud du Sénégal, le long de l'Atlantique, et les seconds, dans la vallée du Niger inférieur, vers le golfe de Bénin. A la décadence de leurs empires, correspond une période de retrait du flot islamique.
Les fétichistes l'emportent à l'Ouest sur le littoral, et dans l'Est, refoulent les musulmans jusqu'au territoire occupé par la race Songhaï. Le Soudan proprement dit, toute la contrée qu'occupent les races nègres, échappe momentanément à l'invasion. Mais la dispersion des Mandé du Nord et des Soni-nké répand
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au loin les traditions koraniques dans les pays idolâtres, en même temps que les tribus des deux peuples forment çà et là quelques colonies mahométanes. Déjà le contact des deux croyances s'établit sur des points multiples.
Puis un mouvement de renaissance doctrinaire, contemporain de l'invasion arabe, se produit chez les musulmans des confins du Soudan. Il se propage au delà parmi les peuplades Peul et détermine l'expansion politique de leur race. Sous la domination de ce nouvel élément ethnique, les régions du Moyen Sénégal, le Foutah-Djallon, et bientôt après la vallée du Bas Niger vers le Sokoto, celle de la Bénoué, deviennent définitivement la proie du croissant.
En même temps commence sous les auspices des Kadriya une oeuvre de propagande pacifique. Par l'instruction qu'ils donnent à leurs disciples, par les colonies qu'ils fondent de tout côté, les adeptes de l'Islam mystique multiplient dans le Soudan païen leurs centres d'action. Une autre école, rivale de la leur, celle des Tidjaniya, intervient bientôt, pour appliquer les formules belliqueuses qu'elle a empruntées à la réforme moderne. Revenant aux traditions des Songhaï, le mahométisme se crée alors, par la force, un vaste empire, qui de Timbouctou s'étend à tout le Niger supérieur et déborde vers l'Océan. Mais, il s'écroule ne laissant que des ruines.
Cependant, malgré la réaction que provoque bientôt après la conquête française, jusqu'au Soudan, la recrudescence du fanatisme pendant cette courte période suffit pour rendre des forces à l'Islam.
Suivant la voie tracée par leur chef, les Tidjaniya continuent encore les guerres saintes sur les confins du Foutah-Djallon, sur la Gambie, après avoir sur le Niger même fondé des royaumes. Entrecefleuve et le Haut Sénégal, notre occupation établit, il est vrai, une barrière aux progrès politiques du mahométisme; mais au delà, le mouvement dessiné par les Kadriya et les Tidjaniya
RÉPARTITION DES MUSULMANS 255
se propage librement. Avec Samory il aboutit à la prépondérance momentanée de la foi musulmane, soit par la destruction en masse des populations fétichistes, soit par la libre extension des anciennes colonies Kadriyennes.
Mais la puissance des Tidianes s'effondre avec Ahmadou ; Samory disparaît à son tour après avoir joué son rôle final en chef de bandits, plutôt qu'en commandeur des croyants. Et l'Islam se trouve en présence d'un facteur désormais immuable de son évolution : l'occupation européenne.
Pour percevoir ce qu'est l'état actuel de cette évolution, ce qu'elle peut devenir, il faut envisager isolément la situation des différents pays qui constituent le Soudan et ses abords. On ne peut guère éviter dans cet examen une énumération, forcément aride. Mais elle est nécessaire pour préciser les faits et leurs conséquences.
Par son voisinage du Sénégal, la zone saharienne exerce une action particulière sur l'évolution religieuse dans notre colonie du bas fleuve. Les populations arabo-berbères qui l'habitent sont musulmanes depuis les débuts de la période historique, et quelques remarques sont à faire, en ce qui les concerne. Par la prédominance de l'élément guerrier, on peut les considérer comme étant absolument hostiles à la domination chrétienne. La plupart des tentatives faites par des Européens pour pénétrer sur leur territoire ont abouti à des insuccès, ou sont tout au moins devenues périlleuses pour leurs auteurs : telles, celles de Vincent, de Mage, de Bourrel,du capitaine espagnol Cerviera. Depuis, diverses missions ont facilement atteint l'Adrar. M.Coppolania même pu atteindre Araouan et Taodanï, nouer avec les nomades d'utiles relations. Mais il ne faut pas s'exagérer la portée de ces résultats comme durée. Facilités par les circonstances, ils sont aussi oeuvres personnelles. La réalité est qu'au sud comme au nord du Sahara, les tendances sociales
256 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
et religieuses des nomades nous sont plutôt hostiles, ou plus exactement, opposées en elles-mêmes.
Il faut en effet constater que, depuis plusieurs siècles, les tribus sahariennes de l'Ouest ne manifestent pas d'ambitions expansives et se désintéressent de la propagande extérieure par voie de Djehad. Nos récentes conquêtes n'ont pas modifié leur attitude. Elles restent cantonnées sur leurs territoires, n'interviennent pas au delà.
Peut-être à l'époque actuelle, cette abstention apparente, dans le mouvement religieux, est-elle due en partie à la prédominance spirituelle des Kadriya. Depuis le commencement du siècle, les confréries issues directement de celle des Bekkaï, se sont multipliées dans tout le pays, de l'Azaouad à l'Adrar et Temar. Ce sont leurs Cheikh qui occupent la première place dans la société maraboutique. Bien qu'il existe de nombreuses tribus Tholba ou Zaouiya qui ne reconnaissent pas leur suprématie, ils dirigent, dans l'ensemble de la contrée, l'évolution doctrinaire, et fidèles aux traditions de Sid Mokhtar el Kebir. s'attachent à faire triompher un programme sinon tolérant, du moins pacifique. Tel est le cas de Cheikh Sidia, des Oulad Mohammed el Fadel.
Une exception est à faire cependant en ce qui concerne Oualata. Il y a quelques années surtout, cette ville, qui est un point d'arrivage des caravanes marocaines, en même temps qu'un centre religieux fort important et fort ancien, était devenue un véritable foyer de propagande hostile à notre cause. Toutes les agitations qui se produisaient dans le sud du Maroc, au Touat, s'y répercutaient. Bien que les Kadriya, d'une branche autre, d'ailleurs, que celle des Bekkaïj y soient^en majorité, ses habitants avaient un peu à l'égard du Sénégal les allures des gens du Touat à l'égard de l'Algérie.
Leurs relations avec notre territoire sont limitées aux pays
G.STEMHEIL^diteur.-
Imp. aOffTOCC.3roeSujer.fira.
RÉPARTITION DES MUSULMANS 257
Soni-nké et Peul du Moyen Sénégal. Mais c'est là précisément qu'ont pris naissance les agitations les plus graves depuis un demi-siècle.
Les rapports des autres Kadriya sahariens avec nos sujets du Sénégal sont beaucoup plus étendus. Il est de tradition que tous les Tholba du Cayor, du Ripp, du Boundou, et nombre de ceux du Foutah, des régions voisines, aillent se perfectionner à leur école dans l'étude des sciences religieuses. On trouve maintenant quelques-uns de leurs élèves jusqu'à Sierra-Leone, dans le Foutah-Djallon, sur le Haut Niger. Or, il est incontestable que l'enseignement ainsi répandu ne nous est pas hostile. Cheikh Sidia, qui a autrefois combattu contre nous, est aujourd'hui revenu à d'autres sentiments. Cheikh Saadibou, le plus connu des Oulad Mohammed el Fadel, est venu plusieurs fois à SaintLouis, et entretient avec nous les meilleures relations.
L'action islamique de tous les membres de ce groupe n'en est pas moins considérable. Ils contribuent puissamment à la propagation de l'enseignement, étanteux-mêmes, quoique nomades, fort instruits. A ce point de vue, leur influence sur la marche de l'Islam doit être prise en sérieuse considération. Leurs adeptes, leurs disciples, parcourent toutes nos provinces musulmanes, se livrant à un actif prosélytisme en vue des offrandes qu'ils recueillent. Il s'établit entre eux et nos sujets ou nos voisins musulmans, des relations suivies, relations qui tendent plutôt à se multiplier qu'à s'affaiblir.
En résumé, pour le Sahara de l'Ouest, l'obstruction du pays à tout Européen a été longtemps la formule générale du mouvement religieux moderne. Cette formule tend à s'atténuer sans avoir encore disparu. D'autre part, le Sahara renferme de nombreux foyers de propagande extérieure. Un seul, celui de Oualata, nous a été franchement hostile jusqu'à ces derniers temps et l'est sans doute encore, au fond. Mais tous contribuent à la
ISLAM. 17
258 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
diffusion de l'enseignement, et leur importance à cet égard, qui s'est accrue au moment de notre expansion dans l'Afrique occidentale, n'est pas en recul. Bien que les doctrines pacifiques des Kadriya Bekkayà donnent à cet enseignement sa note caractéristique, il suffit qu'il s'étende pour qu'on ne doive pas négliger d'en suivre le mouvement.
Il est peu d'endroits où cet état de choses se soit manifesté d'une façon aussi sensible qu'à Saint-Louis. La capitale de la colonie renferme une population indigène relativement cultivée et qui, au contact de nos nationaux, a acquis non seulement une certaine ouverture d'esprit, mais aussi une instruction remarquable. C'est elle qui fournit tous les traitants noirs, employés par les maisons de commerce. Tous savent lire et écrire l'arabe, quelques-uns le français et la plupart possèdent au moins les mots usuels de notre langue. Ces traitants font parfois un chiffre considérable d'affaires, s'occupent d'opérations étendues. D'autre part, leur classe fournit presque tous les fonctionnaires indigènes, interprètes, télégraphistes, etc..
Il semblerait donc qu'ils aient dû se rapprocher beaucoup de nous, et cela d'autant plus qu'électeurs et éligibles, ils sont appelés à intervenir dans les questions publiques. On peut, en effet, constater chez beaucoup une tendance à adopter, dans la partie matérielle de l'existence, certaines de nos habitudes. Us se font construire des maisons à étages, avec portes et fenêtres ; ils ont des lits, du mobilier, de la vaisselle.
Cependant, on est forcé de reconnaître, dès qu'on cherche à déterminer les sentiments que cachent ces apparences, que dans toute lafraction musulmane de cette classe, le sentiment religieux a progressé fort rapidement depuis cinquante ans. Les débuts de ce mouvement, tout moderne, remontent à l'époque d'El Hadj Omar, et on peut dire qu'il a été favorisé artificiellement par les mesures administratives prises à cette époque. La
RÉPARTITION DES MUSULMANS 2 5Q
colonie était alors entraînée depuis quelques années dans les luttes contre les Maures. Les rapports fréquents qu'on avait avec eux, ont amené à donner une situation privilégiée à ceux de nos agents indigènes qui connaissaient bien l'arabe et, à défaut d'interprètes européens, pouvaient servir utilement de secrétaires, d'interprètes. Cette habitude prise s'est conservée. L'arabe est devenu la langue officielle dans nos relations avec toutes les populations indigènes, quelles qu'elles fussent. De là un premier élan donné à l'instruction populaire dans le sens même des traditions musulmanes.
Puis on a cru pouvoir faire échec au parti Tidiane, en lui opposant un Islam officiel, favorable à nos intérêts. C'est ainsi que Bou el Moghdad, représentant attitré de la nouvelle école, est devenu un personnage fort influent, non seulement parmi ses coreligionnaires, mais même dans les sphères gouvernementales. Après lui, il en a été de même de ses successeurs dans les fonctions d'Imam d'une mosquée construite à sa demande; de Cadi, charge dont il fut le premier titulaire.
En un mot, depuis i85o, nous n'avons cessé de donner en quelque sorte une prime au développement des croyances religieuses, d'encourager l'enseignement de toutes les sciences islamiques.
Pendant les premiers temps, les effets de ce système sont restés peu sensibles. Les habitants de Saint-Louis, comme tous les indigènes de la contrée, n'étaient pas eux-mêmes portés vers un travail intellectuel, un perfectionnement moral, fort étrangers à leurs tendances naturelles. Mais il est devenu dans ces conditions, de bon ton, pour employer une expression typique en l'espèce, de suivre l'exemple de Bou el Moghdad, des Cadi, des interprètes indigènes. Les pratiques pieuses, la connaissance du droit musulman, des Hadits, des Commentaires, ont, peu à peu, pris la première place dans le monde des traitants musulmans,
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après les occupations professionnelles, et les mêmes errements se sont répandus dans la foule.
Sinon indifférente en matière religieuse, du moins peu zélée et en général ignorante, toute la population musulmane de Saint-Louis a ainsi acquis, en moins de cinquante ans, les aptitudes, les qualités spéciales aux nations mahométanes. Sous l'influence des luttes contre les Maures, qui menaçaient directement ses intérêts, elle est pendant longtemps restée dévouée à notre csnse. En mainte circonstance, elle a fourni à nos colonnes de nombreux auxiliaires, qui ont bravement combattu à nos côtés. Mais avec l'affermissement de la paix, l'extension des relations extérieures de la colonie, les musulmans de la capitale se sont habitués à d'autres horizons. Il suffit de les étudier même superficiellement, pour se rendre compte qu'une barrière chaque jour plus difficile à renverser, s'élève entre eux et nous. Ils ont conscience de leur rôle comme fraction de la société islamique, en opposition à la société chrétienne Sans en être encore arrivés à prétendre nous appliquer les formules réformistes, beaucoup envisagent dès maintenant l'éventualité d'une révolution politique, pouvant donnera leur parti l'hégémonie du pays. L'achèvement de la conquête du Soudan a rendu ces sentiments plus latents. Ils n'en subsistent pas moins.
El Hadj Omar, à son départ pour La Mecque, recevait des subsides de Saint-Louis, et voyait ensuite les mêmes traitants qui, à Bakel, à Podor, avaient rivalisé pour lui apporter de riches offrandes, se déclarer résolument contre lui. A l'époque actuelle, Saint-Louis fournit au Tidianisme des chefs comme Ibrahim N'Diaye, l'agitateur du Fogny.
Cette recrudescence du fanatisme au Bas Sénégal a été très accusée de 1880 à 1895 surtout. L'origine en coïncida avec le début de l'occupation du Haut Fleuve, soit qu'elle ait été provoquée par cette conquête sur le domaine de l'Islam, soit qu'elle
RÉPARTITION DES MUSULMANS 20 r
ait eu pour cause déterminante l'épidémie de fièvre jaune qui s'est déclarée à la même époque, et qui, comme toujours en pareil cas, a servi de thème à des prédications exaltées. Elle s'est apaisée après l'affaire du Foutah-Toro, l'insurrection de Fodé Kaba, mais peut se réveiller.
Sans revenir sur les indications qui précèdent, on peut ajouter que le nombre des écoles indigènes musulmanes a au moins doublé à Saint-Louis et dans la banlieue en dix ans, de 1880 à 1890. D'autre part, les marchands marocains, assez nombreux dans la ville, ont vu leur commerce se transformer complètement. Us ne vendaient autrefois que des lainages, des chéchias, des cuirs ouvrés de leur pays. Aujourd'hui, leurs boutiques sont devenues en grande partie des librairies, où se trouvent côte à côte, les manuscrits de Fez, les livres imprimés de Boulaq, de Smyrne, de Beyrouth. Les Delaïl el Kheïrat de l'Imam Sliman el Djazôuli, ont plus de valeur maintenant comme cadeau qu'un fusil, qu'une arme de luxe.
Ce sont là des preuves non discutables de la diffusion de l'instruction arabe, mahométane, des progrès de l'enseignement religieux, par le nombre des élèves qui le reçoivent et par l'importance des matières auxquelles il s'étend.
En résumé, le caractère actuel du mouvement islamique est, à Saint-Louis, une incontestable activité, un peu calmée depuis quelques années, mais qui n'en tend pas moins à donner à la question religieuse au chef-lieu de la colonie, une portée qu'elle n'avait pas jadis.
Chez les populations Ouolof, dont les territoires avoisinent la capitale, Oualo, Cayor, Baol et Djolof, la situation est analogue. Dans le Oualo et le Cayor, les écoles se multiplient. Nous y avons détruit l'ancienne féodalité indigène qui nous était ouvertement hostile. Avec ses chefs ont disparu les derniers défenseurs du fétichisme. Tous les habitants du Oualo
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sont musulmans. Quelques villages du Cayor ont encore conservé les croyances idolâtres, mais leur nombre diminue de jour en jour. On peut considérer le pays, dans son ensemble, comme rattaché au domaine du mahométisme.
De même qu'au Oualo, deux influences prédominantes s'y font sentir : celle des Kadriya sahariens et celle de Saint-Louis. Leurs tendances sont les mêmes ; sans revenir sur ce fait, il est bon de noter cependant, qu'au Cayor surtout, les foyers d'effervescence religieuse augmentent comme les écoles. En 1882, un un marabout de N'gor, à quelques kilomètres de Dakar, prêchait ouvertement la révolte contre notre autorité. Depuis, Ali Bouri a eu beaucoup de partisans dans tout le pays. Çà et là, il existe des centres de pèlerinage fréquentés, comme à Ndoud, où s'est établie une famille de Kountah, qui a même gardé le nom de Bekkaï. De tous côtés, on vient visiter son chef, lui apporter les Hédia, les Ziara. En outre, Cheikh Saadibou est représenté par plusieurs moqaddem qui quêtent, prêchent, font sinon de l'agitation, du moins de la propagande. C'est déjà l'Islam vivant.
Dans ces régions, il n'en est encore qu'à la période d'organisation. Ahmadou Cheikhou de Podor y a eu des adeptes, mais qui ne représentaient qu'une faible minorité. On ne peut dire que le mouvement religieux, malgré quelques incidents comme celui de N'gor, ait atteint un développement suffisant pour paraître absolu. Cependant, la destruction de la classe nobiliaire fétichiste, sous l'influence des musulmans de Saint-Louis, des interprètes, a créé une situation de fait qui ne doit pas être méconnue.
LeBaoletleDjolof ne peuvent être, au point de vue de l'Islam, confondus avec les autres pays Ouolof. Dans la première région l'élément Sérère est en majorité. Il était encore presque exclusivement fétichiste, lorsque la politique des rattachements a,
RÉPARTITION DES MUSULMANS 263
comme dans le Cayor, porté une atteinte irrémédiable aux anciennes croyances locales.
Dans ses cantons Ouolof, la situation ressemble davantage à celle du Cayor. Les conversions ont été beaucoup plus nombreuse depuis vingt ans, que chez les Sérères. L'ivrognerie invétérée des Tiédo constituait chez ceux-ci un obstacle absolu, et dans l'entourage du chef du pays, du Thègne notamment, ainsi quedansles classes aisées,les conquêtes du mahométisme étaient rares, avant que, pour combattre ces penchants d'un peuple de buveurs, on ait un peu favorisé l'Islam, utile aussi en vue de combinaisons administratives momentanées.
Il n'en a pas fallu davantage, pour donner un vigoureux élan à la propagation du mahométisme, qui s'est affirmée d'abord par la disparition des anciennes croyances nationales, par la faveur dont jouissaient les amulettes des marabouts locaux, puis peu à peu par de véritables conversions.
Le Baol, quoique Etat fétichiste par essence, doit donc être considéré maintenant comme territoire de propagande active. L'établissement général de l'Islam n'y est plus qu'une question d'années, et sa marche ne peut que suivre une progression croissante, dont le terminus se trouvera sans doute atteint, le jour prochain où disparaîtront, devant une organisation administrative, les derniers vestiges de la royauté locale.
Au Djolof, pays Ouolof et où cependant les fétichistes formaient encore une fraction notable de la population, les circonstances ont étroitement lié la cause de la dynastie indigène à celle des agitateurs musulmans du Sud et de l'Est. Depuis surtout que les destinées de notre colonie l'ont amené à entrer dans la voie des conquêtes territoriales, le Djolof s'est senti menacé dans son indépendance. Il s'est appuyé sur nos ennemis. L'Islam, qui avait commencé à y pénétrer au temps des luttes contre les Maures, y a eu, à l'époque moderne, pour prin-
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cipaux agents, les marabouts du Foutah, les Peul, les Tidiane. L'oeuvre de la conversion a d'ailleurs progressé d'autant plu s rapidement que, jusqu'en 1890, le chef du pays, Ali Bouri, avait pris la direction du mouvement. En relations non seulement avec Abdoul Boubakar, l'Almamy du Foutah, qui y personnifiait le parti anti-français, mais avec Ahmadou Cheikhou de Ségou, et avec Mahmadou Lamine et Saërmaty, fervent des doctrines Tidianes, il a donné sa mesure après sa fuite du Djolof en restant jusqu'au bout le défenseur le plus acharné et le plus énergique du patrimoine soudanien d'El Hadj Omar.
Conquête presque accomplie, et sous les auspices du parti Tidiane, telle a donc été l'étape actuelle de l'évolution islamique au Djolof. La crise suscitée par Ali Bouri a pris fin ; la grande majorité des indigènes n'en est pas moins restée musulmane, et la zone islamique qui s'est créée autour de Saint-Louis depuis le milieu du siècle, s'est étendue au Djolof.
Au sud du Baol, se trouvent les Etats Sérères proprement dits : Sine, Saloum, et le district côtier des Dioba. Celui-ci est indemne jusqu'ici. Il en était de même du Sine naguère. Voici une quinzaine d'années, à en croire les anecdotes locales, un marabout surpris à faire le Salam, en territoire Sine, était forcé de creuser la place où il venait de prier, puis enterré vif dans cette fosse. Depuis, les mêmes tendances administratives, qui ont bouleversé l'ancienne organisation politique du Bas Sénégal, ont modifié sensiblement cette situation. Si les Dioba n'ont guère varié dans leur manière de voir à l'égard des musulmans, leurs congénères du Sine n'en sont plus là.
Dès avant 1890 on trouvait déjà dans leur pays quelques marabouts dont les conseils étaient souvent suivis dans les discussions d'intérêts, dont les amulettes étaient recherchées par tout le monde. Mais Tiédos et grands buveurs, les Sérères ne pratiquaient pas pour eux-mêmes. Actuellement, si on compte
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encore parmi eux une forte proportion de fétichistes, ceux-ci ne constituent même plus la majorité.
Dans le Saloum, la population se trouvait moins homogène. Plusieurs cantons Ouolof et Socé, tous musulmans, en dépendent. Les conquêtes de Maba, la révolte du Ripp, provoquèrent entre les deux groupes un antagonisme politique très accentué de 1870 à i885. Mais après la mort de Maba, ces divisions s'effacèrent, sauf dans les districts voisins de la Gambie. Sur le Saloum même, le parti marabout se contenta d'abord de vivre en bonne intelligence avec le parti Tiédo. Il en résultait une pénétration assez active, sinon des croyances, du moins des traditions islamiques. Le Bour, le roi, alors d'origine Mandé, mais de famille essentiellement fétichiste, subissait ainsi d'une façon caractéristique l'influence de quelques conseillers musulmans, sans s'être fait musulman lui-même. Les adeptes de l'Islam, fort bien vus et très considérés, n'avaient réalisé que quelques conversions isolées il y a dix ans. Depuis, le mouvement s'est prononcé comme dans le Baol. On ne peut pas dire encore que le Saloum soit un pays musulman. Il est en train de le devenir.
Sur la Gambie, dans le Ripp, -le Badibou, en pays Socé ou Ouolof, on se trouve au contraire en présence d'un élément exclusivement mahométan, et à peu d'exceptions près Tidiane. Le Kadérisme n'est répandu que chez les Ouolof. Tous les Socé sont de l'école des guerres saintes. Les indications déjà données rendent inutiles de nouveaux détails à ce sujet. Il suffit d'ajouter que cet état de choses n'a pas pour corrélatif un développement particulier de l'instruction. Le nombre des indigènes lettrés est fort restreint. Il s'agit, en quelque sorte, d'une tendance nationale et traditionnelle, instinctive.
En remontant la vallée de la Gambie, sur la rive droite, on trouve tout d'abord au delà des cantons musulmans du Saloum,
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plusieurs petits États Tiédo : dans le Niani occidental, ceux de Diambour, Kantia, Kounguel. La population est en partie Ouolof, en partie Mandé d'une branche voisine des Socé. Politiquement, tout ce groupe est hostile aux Tidianes, et se rattache au Saloum par des affinités communes.
Au point de vue religieux, la situation est analogue dans les deux régions. Cependant les Sérères semblent aujourd'hui encore plus réfractaires à l'Islam que leurs voisins. Chez ceux-ci, à défaut de conversions fréquentes, on constate de longue date une prédominance, de plus en plus marquée, de l'élément marabout, encore que la direction des affaires ne lui appartienne pas. Pour ces Tiédo, l'hostilité contre le mahométisme est surtout d'ordre politique. Les croyances koraniques ne rencontreraient chez eux que peu d'opposition, si leurs progrès ne se trouvaient pas liés à ceux des dominations étrangères.
Au delà de notre enclave fétichiste, s'étend de nouveau le domaine propre de l'Islam, qui se prolonge sur la Gambie sans interruption. Aux cantons musulmans du Saloum, fait suite sur le fleuve un petit État Peul, celui de Diakha que commandait, en 1887, un marabout indigène, Tourandoumbé. A l'Est, se succèdent jusqu'au Ouli, les districts de Bouré Matandi, Fodé Issa, Fodé Lammaran, puis Karentaba où s'était fixé Morsini, Toubakouta, le dernier asile de Mahmadou Lamine, le Demba, Koussala, etc.. Les habitants d'origine Soni-nké et apparentés aux Socé, sont, a-t-il été dit, musulmans depuis longtemps. L'ensemble du pays est Tidiane et, malgré la défaite de Mahmadou Lamine, malgré l'apaisement qui l'a suivie, reste tout entier Tidiane de tendances. Là non plus il n'existe aucun mouvement intellectuel. Bien que chaque village ait son école, l'instruction ne se développe ni ne s'élève. Mais pendant quarante ans, jusqu'à l'occupation, l'exaltation religieuse n'a cessé de suivre une marche progressive. Comme les Socé du
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Ripp, les marabouts de la moyenne Gambie étaient acquis d'avance à tout agitateur qui saurait lui inspirer quelque confiance en sa force. L'accalmie actuelle peut se prolonger ; elle ne restera pas définitive.
Après le Ouli, qui se rattache au Boundou, au point de vue politique, ethnique, et sur lequel on reviendra plus loin, le Diakha, le Tenda. le Badou,le Dentilia, se succèdent le long de la Gambie et au nord du Foutah-Djallon jusqu'à la Falémé.
Sauf le Diakha, où s'était installé tout d'abord Mahmadou Lamine, et qui est pays Tidiane, ces États sont plutôt du groupe Kadri. Il en est ainsi surtout du Dentilia, où un marabout qui faisait profession de dévouement à notre cause, Cheikh el Mokhtar, a exercé une influence presque absolue. A côté de Soni-nké et de Peul musulmans, le Tenda et le Badou, ce dernier pays surtout, comptent encore de nombreux fétichistes Mandé. Mais ils jouent vis-à-vis des mahométans le rôle de vassaux, sont constamment pillés soit par les maîtres du pays, soit par les Peul du Foutah. Leur conversion obligatoire doit être à peu près terminée, et du Diakha au Dentilia s'étendra ainsi un territoire exclusivement musulman, de tendances intermédiaires entre le Tidjanisme et le Kadérisme.
Au nord de cette région s'étend le Boundou et à l'ouest le Ouli. Ce dernier pays était, il y a moins d'un demi-siècle, habité par des Mandé fétichistes qui sont restés en majorité jusqu'au moment où Mahmadou Lamine est venu s'installer au Diakha. Avec lui a commencé une invasion Peul accompagnée de guerres de dévastations. Plus de la moitié de la population a disparu. Puis le Boundou, qui déjà autrefois y avait fait de nombreuses razzias, est intervenu à son tour, comme allié, mais presque en maître. Il en est résulté, sinon la disparition des traditions païennes, du moins l'établissement de la suprématie de l'Islam. Les anciens Mandé subissent maintenant la suzeraineté des
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Peul. Avant qu'il soit longtemps, ils auront tous adopté leur religion.
Le cas du Boundou est analogue, en ce sens que la population primitive, qui était Mandé et idolâtre, a été subjuguée par les Peul du Foutah Sénégalais et s'est presque partout convertie. Mais l'origine de ce mouvement remonte à la victoire des Torodo sur les Dénianké, et dès le début, le Boundou s'est trouvé en guerre contre le Foutah. L'Almamy Abd el Kader l'avait envahi et la lutte qu'il avait engagée s'est poursuivie jusqu'à sa mort. Depuis cette époque, le Boundou s'est toujours rangé de notre côté. Il a tour à tour été dévasté par El Hadj Omar et par Mahmadou Lamine, sans cesser de combattre les agitateurs Tidiane. On ne peut donc le considérer comme, rallié au parti islamique actif. Peut-être cependant, en même temps que l'Islam achevait de s'y établir par la conversion des Mandé, aujourd'hui presque terminée, s'est-il opéré un changement dans l'opinion publique. Actuellement, il y a encore une différence fort notable entre le mouvement religieux du Boundou et celui du Foutah. Mais beaucoup d'indices donnent à croire qu'un rapprochement n'est pas impossible entre les deux pays, sinon dans le domaine politique, du moins au point de vue doctrinaire. Depuis la mort de Boubakar Saada, les gens du Boundou semblent plus disposés à admettre les idées rétrogrades. Sans l'insurrection de Mahmadou Lamine, qui leur a fait perdre ce qu'elles avaient gagné depuis quelques années, elles se trouveraient plus répandues, et elles paraissent devoir l'emporter en fin de compte. La caractéristique de la situation au Ouli et au Boundou serait ainsi l'affermissement rapide de l'Islam, avec une tendance vers le Tidjanisme, auquel font seules échec les circonstances politiques. Toute l'histoire du Foutah définit assez complètement le mouvement religieux du pays, pour qu'il soit inutile d'insister longuement à son égard. Les différentes provinces : Damga,
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Toro, Dimar et Ferlo, sont exclusivement Tidiane. Ce n'est pas que les Kadriya n'aient quelques adeptes, dans le Dimar surtout. Mais l'ensemble de la population subit l'influence dominante et très directe des Tidjaniya. Tout au plus peut-on, pour déterminer ses tendances, tenir compte de quelques divergences, remontant à des rivalités ethniques. Après la mort d'El Hadj Omar, il s'est formé plusieurs partis locaux. Dans le Dimar, l'école d'Ahmadou Cheikhou dePodor l'a emporté, alors qu'au Toro et au Damga, son homonyme de Ségou conservait tout l'ascendant spirituel de l'héritage paterne]. Soni-nké, Mahmadou Lamine n'a guère eu de partisans chez les Peul de la région. Aussi semblent-ils se rattacher en grande majorité à l'école issue directement de celle d'El Hadj Omar. Son fils Ahmadou Cheikhou était presque partout considéré comme le Khalifat el Ouokht avant sa défaite au Macina. C'est ainsi qu'Abdoul Boubakar a pu facilement soulever le pays. Depuis, le retour des Toucouleurs du Kaarta a accru le nombre des Tidianes, rendu leur influence plus puissante, quoique latente, effacée, comme il convient après la défaite.
Le mouvement religieux du Foutah est ainsi tout entier hostile, au fond, à notre cause. Il offre d'ailleurs une importance d'autant plus grande, qu'il ne s'agit pas là seulement de tendances, de sentiments. Depuis l'époque d'El Hadj Omar, l'instruction musulmane s'est fort développée, dans le Toro et le Dimar surtout. Tous les villages avaient déjà des écoles. Mais beaucoup d'entre elles sont devenues presque célèbres. Tel est le cas de celles de Dimat, Aéré, Saldé, M'Poumba, Boki-Diabé, N'diouto, etc.. L'enseignement qui s'y donne comprend non seulement la langue arabe, les Hadits, mais aussi la jurisprudence, la scolastique, le Tessaouf même. Il en sort de véritables lettrés, qui commencent à produire eux-mêmes, à fonder une littérature indigène. Parmi les plus connus on peut citer Cheikh Mohammed.
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el Aminé, de Saldé, et Mohammed Alem, de Baki-Diabé. Sous ce rapport, on peut appliquer au Foutah ce qui a été dit de Saint-Louis, avec cette nuance, qu'hostile dès l'origine à la domination chrétienne et Tidiane depuis l'époque d'El Hadj Omar, ce mouvement conserve un caractère rétrograde qui s'accentue d'autant plus, qu'il se propage lui-même davantage. En un mot, pour tout le Bas Sénégal, le Foutah représente un foyer d'agitation permanente, dont l'influence s'étend, et, malgré quelques progrès politiques, quelques périodes de calme, reste toujours suspect.
Le Guoye elle Kaméra sur la rive gauche, le Guidimakha sur la rive droite, prolongentversl'amont du fleuve cette zone Tidiane. Soni-nké, les habitants des trois provinces sont fort anciennement musulmans. Us ne paraissent pas cependant s'être ralliés' au parti de la Réforme avant la conquête d'El Hadj Omar. Marchands, sédentaires, pillés par les Peul et les Maures, ils s'étaient jusqu'alors montrés favorales à notre cause. Mais depuis i85o, ils sont entrés dans une voie tout autre. On a vu qu'ils ont suivi Mahmadou Lamine, formant un schisme dans l'école Tidiane. Il existe en effet, et la situation est la même dans les villes Soninké du Niger, un antagonisme politique très prononcé entre eux et les Tidjaniya de la branche principale. Leurs sentiments religieux n'en sont pas moins exaltés. Us peuvent être, sous ce rapport, assimilés aux Socé de la Gambie, avec cette différence que chez eux l'enseignement n'est pas moins en progrès que dans le Foutah.
Depuis 1886, ils ont dû renoncera soutenir ouvertement la cause de Mahmadou Lamine, dont la mort a achevé de calmer l'agitation qu'il avait fomentée. Mais à la suite de ces événements, le Guidimakha et le Guoye, peut-être aussi le Kaméra, ont pris un nouveau mot d'ordre à Oualata. Un Cheikh Kadri, Sidi Mohammed Ould Mouley Ali, qui, comme beaucoup des
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adeptes de l'ordre, s'attribue également une filiation Tidiane, pour augmenter le nombre de ses disciples, y jouait, il y a quelques années, un rôle tout à fait analogue à celui de l'ancien Mahi de Podor. On lui donnait déjà couramment le titre de Mahdi, et ses partisans annonçaient ouvertement qu'il ne tarderait pas à proclamer sa mission, comme Kadri pour les tribus sahariennes et Tidiane pour les Soni-nké, lorsque la liquidation de la révolte d'Abdoul Boubakar a momentanément terminé cette agitation.
Avec les territoires Soni-nké, cesse dans ces parages, sur la rive gauche du fleuve, le domaine proprement dit de l'Islam. Sauf les enclaves du Dinguiray et du Bouré d'une part, les abords du Foutah-Djallon de l'autre, où les villages musulmans deviennent nombreux en pays Djallonké, près du Niger, la conquête française a fait perdre au mahométisme tout le terrain qu'il avait gagné depuis un demi-siècle. Sous réserve des exceptions qui viennent d'être citées, toute la région comprise entre la Falémé à l'ouest, le Tinkisso et le Niger au sud, puis ce dernier fleuve à l'est jusqu'à Bammako, enfin leBaoulé et le Sénégal au nord— toute cette région, qui constitue l'ancien Soudan Français, est redevenue fétichiste, après avoir subi une conversion momentanée. La zone idolâtre déborde même au nord-est dans le Bélédougou jusqu'à hauteur de Sansanding, depuis la défaite des Tidiane Toucouleurs.
Il en est ainsi du Bambouk, du Khasso, du Gangaran. du Fouladougou, du Bélédougou, du Birgo, du Manding, du Konkadougou, etc.. Conquis par El Hadj Omar, pillés dans l'Ouest par les Peul du Foutah, au Sud par les Thalibé du Dinguiray, au Nord et à l'Est par ceux du Kaarta et de Ségou, tous ces pays avaient dû se soumettre à l'obligation du Salam, renoncer à leur ancien culte du Nama. Mais les ruines amoncelées par la conquête musulmane n'étaient pas faites pour les disposer
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favorablement envers ses pratiques. Presque partout, ils avaient secoué le joug religieux de leurs anciens maîtres, au moment de la décadence d'El Hadj Omar. Assurée de notre protection, la réaction contre l'Islam s'est accentuée rapidement. Il en a été ainsi, d'autant plus facilement, que Mandé ou Peul métissés, ces populations sont réparties en confédérations très nombreuses, qui, même les plus petites, sont jalouses à l'extrême de leur autonomie. Elles se faisaient entre elles des guerres perpétuelles, les isolant en petits groupes, accentuant partout un particularisme étroit.
Cette constitution sociale se prêtait peu à la propagation collective d'une nouvelle doctrine. L'hostilité politique des indigènes contre l'Islam qui s'est présenté en conquérant, en maître, s'est donc accrue, s'il est possible, pendant son occupation temporaire.
Néanmoins, on ne peut méconnaître qu'à certains égards il a réalisé des progrès notables dans tout le pays. La disparition des anciennes croyances nationales en est une première preuve. Dans la plupart des villages, l'autorité des anciens sorciers tombe en discrédit, les bois sacrés de Nama disparaissent. Nous y avons d'ailleurs contribué en ridiculisant, en réprimant même ces traditions. D'autre part, les légendes islamiques sont partout admises. Il n'est pas un Mandé du Bambouk, du Gangaran, du Manding, du Birgo, qui ne reconnaisse la mission de Mahomet, n'attache une valeur réelle à la formule fondamentale de la religion islamique. Enfin, le seul droit civil qui ne prête nulle part matière à contestation, est celui du Koran. Même au Manding, dans le foyer ethnique de la race locale, toutes les contestations sont tranchées, commentaires en main, par des marabouts Soni-nké. A Kita, dans le Bambouk, de tous les côtés, ce sont eux qui font la circoncision.
Puis, si l'occupation française a eu pour effet de développer
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dans la population la tendance à la réaction politique contre le mahométisme, elle a, d'un autre côté, permis aux musulmans, marchands ou autres, de s'installer dans le pays en toute sécurité. Elle a favorisé une pénétration individuelle assez active.
De là une situation qui n'est pas entièrement celle qu'on pourrait supposer. L'Islam, et surtout l'Islam Tidiane, est profondément haï dans l'ancien Soudan Français, du Sénégal au Niger. Mais il n'est pas moins certain que les croyances musulmanes y sont en progrès. On ne peut craindre actuellement une conversion brusque, mais on se trouve en présence d'un mouvement religieux, qui tend lentement à aboutir au triomphe du mahométisme. Nous le préparons d'ailleurs de mille manières: par la considération plus grande avec laquelle nous traitons les indigènes lettrés, par notre manque d'énergie à l'égard des marchands Peul, Soni-nké, marocains, par notre mépris peu dissimule pour les habitudes d'ivrognerie des fétichistes.
Un jour ou l'autre, notre conquête excitera des mécontentements, et ses adversaires se tourneront nécessairement du côté du parti adverse, du parti musulman. Peut-être même, à défaut de cette éventualité, suffirait-il que quelque Cheikh Kadri entreprenne une propagande conçue dans un esprit de tolérance, pour que les sentiments encore vagues, indécis, se transforment en convictions définitives, arrêtées. Sous une forme ou sous une autre, et en dépit de l'antagonisme actuel de nos sujets soudaniens, contre nos ennemis mahométans, leur rapprochement est inévitable, au point de vue dogmatique, et dans un avenir peut-être moins lointain qu'il ne semblerait.
La partie du Soudan comprise entre Kayes et Bamako, se divise d'ailleurs en plusieurs zones, au point de vue de la répartition locale du mahométisme.
Dans la région de Kayes, la religion musulmane est nette- , ment dominante. Plus de la moitié de la population est mahomé1SLAM
mahomé1SLAM
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tante. Sur 75,000 indigènes, on compte dans les cercles de Kayes et de Bakel environ 20,000 Soni-nké, 2,5oo Maures, 5,000 Toucôuleurs et i5,ooo Mandé de divers Diamous, musulmans.
D'une façon générale, l'influence dominante de ce côté est celle de Saint-Louis, représentée par les traitants de Kayes, de Médine et de Bakel. Mais plus particulièrement, les Tidiane se recrutent parmi les Toucouleurs et les Ouolof, tandis que les Soni-nké du pays hostiles à El Hadj Omar, sont Kadriya avec les Maures. Dans toute cette région les seules influences personnelles sontencore celles de Cheikh Saadibou et des Oulad Fadel, d'une part, et du groupe de Cheikh Sidia, de l'autre, quoique les enseignements de la Zaouiya de Chinguit soient aussi recherchés par les Soni-nké.
Au delà de Kayes, dans les parages de Bafoulabé et de Kita, jusque près de Bammako, on se trouve au contraire en pays nettement fétichiste. C'est à Kita que la mission Galliéni se rendant à Ségou, avant la conquête du Soudan Français, avait été attaquée par les indigènes, en haine de l'Islam Tidiane. Leurs sentiments à l'égard du mahométisme n'ont guère changé. Les musulmans sont cantonnés dans les cantons Soni-nké de Dialafara, où les Diaouaras étaient et sont encore Tidianes, de Soringa et de Tringa, où à côté des Soni-nké se trouvent quelques Mandé Mali-nké fétichistes. Près de Kita deux petites colonies d'anciens Thalibé d'El Hadj Omar subsistent encore à Boulouli et à Maribougou, sans rôle extérieur.
A l'est et au nord du Haut Sénégal, jusqu'au Niger, de Nyamina à Timbouctou, s'étend la région de bordure du Sahara, qui a conservé administrativement comme nom, sa désignation en arabe, le Sahel.
Dans sa partie septentrionale, elle est saharienne avec les tribus arabes, et dans la partie méridionale, soudanienne avec les peuplades nègres.
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Oulad Sidi Mohammed, Mechdouf, Oulad Allouch, Oulad Ifmbareck, les tribus arabes, nomades dans leur ensemble, quoique possédant quelques centres de culture, et quelques villages, se rattachent au même groupement que les Trarzas et les Baaknas du Bas Sénégal. Ethniquement, elles procèdent un peu des Berbères dans l'Est, davantage des Maures, nom qui répond à une spécialisation marquée, dans l'Ouest, avec prédominance du caractère arabe, chez les Oulad Embareck par exemple.
Avant l'occupation française, nous étions pour les nomades farouches et pillards, l'inconnu, d'autant plus nuisible que notre présence rendait plus difficiles les razzias d'esclaves, destinées à alimenter par Oualata les caravanes du Maroc. Sauf avec les Oulad Nacer des Oulad Sidi Mohammed, qui fréquentaient Bakel et Médine, que nous tenions un peu par le commerce des gommes, nous eûmes d'abord avec eux les plus mauvaises relations.
Au moment de la prise de Nioro, c'est grâce aux Mechdouf qu'Ahmadou put se sauver. Un peu plus tard, en arrivant à Sokolo, nous eûmes à compter avec les Oulad Allouch d'une fraction maraboutique, les Deïlouba, et à lutter contre une petite coalition d'un çof de cette tribu, celui de Cheikh Ould Sidi, qui avec ses alliés les Mechdouf, avec N'Gouna des Kel Antassar Touareg et El Hadj Bougouni des Peu! Bouaros, mena vivement la campagne contre nous. Peu à peu cette effervescence s'est calmée, et l'occupation du Macina, en supprimant la cause locale, a rendu la situation plus normale. Elle est assez comparable à celle qu'on constate dans le Bas-Fleuve, pour les Braknas et les Trarzas.
Ce qui caractérise surtout l'état intérieur de ces tribus, c'est leur division en clans, en çofs perpétuellement en luttes les , uns contre les autres. Elles ont trop à faire dans leurs guerres
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sahariennes, intérieures, pour avoir un rôle général actif. Mais d'autre part, ce sont leurs Tholba qui sont, comme ceux des Maures pour le Cayor et le Ouolof, les éducateurs attitrés de la population nègre, musulmane, au nord du Niger, et leur action s'exerce d'autant plus facilement à cet égard, que nous n'avons pas encore du côté du Sahel, comme du côté du Bas-Fleuve, établi une frontière saharienne. Sauf lorsque leur tribu, leur fraction a quelque méfait en litige à se reprocher, tous ces Arabes peuvent circuler sur notre territoire : leur contact s'exerce ainsi plus directement qu'au Sénégal même. Au lieu d'aller s'installer chez des marabouts dont ils deviennent les élèves dans leurs ksours, ou de camper avec eux, les futurs Thalibés reçoivent leurs leçons chez eux, à Nioro, à Sokolo, à Goumbou, dans tous les centres musulmans.
De là un mouvement général, dans le sens des idées dominantes, parmi les tribus arabes. Au point de vue religieux, celles-ci sont groupées exclusivement dans la dépendance du groupe de Mohammed el Fadel, c'est-à-dire Kadriya, de la branche des Mokhtariya Bekkaiya, et relèvent plus spécialement de Cheikh Saadibou. Cependant aux rivalités de çofs, correspondent des divergences religieuses, et on compte ainsi, parmi les Oulad Nacer et les Oulad Allouch. surtout, un certain nombre de Tidjaniya prenant leur mot d'ordre auprès des moqaddem Tidianes qui représentent encore Ahmadou Cheikhou, chez les Soni-nké du Bossé, ou auprès de Mohammed el Aminé, moqaddem- originaire du Maroc qui est fixé chez les Oulad Nacer. D'autre part, quelques fractions des Oulad Allouch et des Oulad Embareck sont restées ralliées à Sid el Abidine qui personnifie parmi les Bekkaiya la caste nobiliaire ; enfin un autre descendant de Cheikh el Mokhtar, Sid el Hadrami, fixé à Oualata, compte encore parmi eux, quoique sans influence religieuse, quelques Khoddem.
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D'une manière générale, il faut ainsi considérer les tribus arabes, de la lisière du Sahel, comme constituant sur la frontière du Soudan un groupe exclusivement musulman, et qui exerce sur les Soudaniens voisins, la même action initiatrice que les Maures de l'Ouest sur les indigènes du Sénégal, d'après les mêmes tendances essentielles et avec plus de facilités. Ces tribus sont en outre plus farouches, moins rapprochées de nous que celles de l'Ouest, et on compte parmi elles des représentants attitrés des influences qui nous sont organiquement hostiles. Mais les conséquences que pourrait avoir cet état de choses, sont atténuées par l'anarchie perpétuelle où vivent les Sahariens, que leurs guerres de tribu à tribu, de fraction à fraction, absorbent plus que les questions religieuses.
En outre, tout un élément considérable de la population du Sahel est, par traditions politiques et sociales, nettement et exclusivement fétichiste, celui des Mandé Bammana ou Bambara, qui représentent un peu plus du tiers des habitants. Quelques petits groupes de cette famille, notamment dans le Kingui, descendant des Bambara islamisés au temps de l'histoire Songhaï, ou des mêmes Diamous, convertis à l'époque d'EJ Hadj Omar, sont des adeptes fervents de l'Islam. Mais ils ne sont pas au nombre de plus de 5,ooo sur une population Bambara totale de 75,000 âmes. D'autre part, tout un groupe nombreux de la population Soni-nké, celui qu'on désigne en général sous le nom de Saracolets (Séra-Koulé), est en réalité d'origine Bambara en majeure partie, et quoique musulmans les indigènes qui le composent, ont plutôt, par leurs rapports avec les fétichistes, des tendances Kadriya que Tidianes.
L'Islam n'a pas ainsi dans le Sahel les mêmes facilités d'expansion que dans le Bas-Sénégal. S'il compte une majorité, d'adeptes convaincus, il a des ennemis résolus, en minorité
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respectable, et parmi ses partisans mêmes, beaucoup n'appartiennent pas aux doctrines combatives.
La répartition générale de la population est sensiblement la suivante : au Nord, 35o,ooo musulmans de race arabe, dont 25o,000 exclusivement nomades et vivant dans des parcours lointains, avec 100,000 semi-nomades, semi-sédentaires, fixés dans quelques villages, sur les terres de culture, à la lisière du Sahel, dans une zone déjà semi-saharienne, d'une centaine de kilomètres de large. Au sud de cette zone, près de 3oo,ooo sédentaires soudaniens se décomposant ainsi:
Dans la région de Nioro : environ i3o,ooo musulmans, dont 60,000 Soni-nké purs et 20,000 Soni-nké apparentés aux Bambara, 40,000 Peul, 2,000 Ouolof émigrés du Sénégal, 4,000 Bambara et 4,000 Maures, puis 10,000 fétichistes Bambara. Dans la région de Goumbou :
35,ooo Soni-nké purs ou d'origine Bambara, 10,000 Peul et 5,ooo Maures musulmans, soit 5o,ooo musulmans, contre 45,000 Bambara fétichistes.
Enfin dans la région de Sokolo : 3o,ooo musulmans, dont 5,ooo Soni-nké, 20,000 Peul et 5,000 Maures, contre 20,000 Bambara fétichistes.
Les musulmans de diverses races seraient donc, dans la région soudanienne, au nombre d'un peu plus de 200,000, contre 75,000 fétichistes.
Envisagée dans son ensemble, cette population est très mélangée comme répartition géographique ; elle présente cependant quelques groupements principaux.
Les Soni-nké dominent dans la région du Nioro, dans le nord du Kaarta et vers Goumbou, dans le Ouagadou; et les Peul, dans l'Est, vers Sokolo, tandis que les Bambara forment le fond de la population, au sud de Kaarta et du Ouagadou, dans
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le Bélédougou. C'est-à-dire que la population reste en majorité musulmane au voisinage des pays arabes et du Macina, et fétichiste au voisinage du Soudan nègre.
Au point de vue des influences religieuses, on peut considérer les tendances Tidianes comme dominant nettement dans la région de Sokolo et dans l'est de la région de Goumbou, les tendances Kadriya l'emportant au contraire vers le Kaarta.
Au sud du Kaarta et des pays de Sokolo, s'étend, de Ségou, à Bandiagara, le grand foyer de l'Islam soudanien, tel que l'avait constitué El Hadj Omar et que ses fils l'ont maintenu jusqu'en i893.
Là vivent côte à côte des populations très diverses dont les noms rappellent l'histoire entière du Soudan, comme si elle avait eu pour centre unique cette partie de la vallée du Niger.
Aux représentants indigènes des races du Nord, berbères ou arabes du Sahel, s'ajoutent les descendants des Rouma marocains, et quelques émigrés du Touat, soit même de temps à autre des Chorfa du Maroc, ou du moins des Marocains venant s'adonner au métier lucratif de Chérif, puis quelques groupes de Songhaï isolés; d'assez nombreux Mali-nké restés ou revenus dans le pays avec une situation effacée, des Mandé Dioula plus influents que nombreux dans les villes et comme fond de la population, les Bambara, les Soni-nké et les Peul, ceux-ci dominants dans le Macina, et les précédents, dans le Bossé et vers Sansanding.
Au nord et à l'est de cette région, les Touareg et quelques tribus arabes qui vivent parmi eux, jouent à l'égard de ses habitants un rôle autre que les nomades arabes : ils pillent au nom de l'Islam, et comptent quelques fractions maraboutiques dont les Tholbas ne sont pas sans influence. . ',
Mais en général, toute l'impulsion du mouvement musulman
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appartient aux Soni-nké lettrés des grandes villes du Niger, puis aux Peul.
Nyamina, Ségou, Sansanding, Mopti sur le Niger même, San, Djenné, Bandjagara sur le Mahel Balével, sont, comme Hamdallahi avant sa destruction et quelques autres centres secondaires, d'anciennes cités qui ont eu un rôle historique et commercial considérable. Depuis l'avènement de l'Islam au Soudan, depuis la conversion des rois Songhaï de la première dynastie, c'est dans leurs murs que s'est concentrée toute l'activité intellectuelle de l'idée musulmane. Mais son évolution et sa situation diffèrent pour chacune, suivant les conditions locales. A Ségou, comme à Nyamina et Sansanding, l'Islam est resté • cantonné dans la ville jusqu'à la conquête d'El Hadj Omar. Toute la population Bambara du pays était restée fétichiste, et dominant politiquement la région, elle avait conservé sur les Soni-nké urbains, sauf à Sansanding, où ils étaient les maîtres, une supériorité permettant au fétichiste de vivre côte à côte avec l'Islam. Même à Sansanding, il y avait un quartier fétichiste; à Nyamina et à Ségou, les quartiers musulmans étaient surtout, au contraire, ceux du commerce. L'occupation du pays par El Hadj Omar rendit la prédominance à l'élément Soni-nké musulman, appuyé par une forte immigration Peul.
Au moment de notre occupation, il y avait ainsi en présence trois partis ethniques différents dont deux groupés ensemble : les Soni-nké et les Peul musulmans avec quelques Touatiya, Marocains, etc., puis les Bambara et quelques Mali-nké fétichistes.
Notre politique tendit d'abord à s'appuyer dans cette région, comme dans le Kaarta, uniquement sur l'élément fétichiste, sur les Bambara, et après la prise de Ségou, ce fut un de leurs chefs, le Fama Bodian, qui en reçut le commandement. Mais divisés eux-mêmes en fractions rivales, les Bambara manquaient de
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cohésion, et n'étaient d'ailleurs pas assez forts numériquement pour faire équilibre aux éléments musulmans. On fut bientôt forcé de renoncer à cette expérience. Elle est à rappeler, surtout, pour préciser la situation d'une région confinant par Nyamina au Bélédougou Bambara, par Sansanding au Markadougou Soni-nké, et dans le Sud par Ségou au Miniankala Bambara. L'Islam, malgré El Hadj Omar, est dans l'ensemble du pays tenu en respect par le fétichisme ; il ne l'emporte nettement que dans les villes principales, sauf à Sansanding. Cependant, hors de ces villes, il compte quelques centres d'enseignement à Baroeli, Markadougou,Tako et Boadié, dans les cantons Soni-nké. Au temps d'El Hadj Omar, le Tidianisme était naturellement devenu la religion officielle, exclusive, aussi bien chez les Soninké que chez les Peul. Depuis, les Kadriya, plus nombreux chez les premiers, ont repris plus d'influence, sans cependant contrebalancer l'école Tidiane à Ségou même, comme à Nyamina et à Sansanding.
Le terme de religion s'applique d'ailleurs si bien à ces traditions d'école, que les représentants des deux doctrines sont en même temps ceux de l'Islam même. A Ségou le moqaddem Tidiane, Abdoul Kadri Tiédani, est imam de la mosquée, de même qu'à Boadié, Alpha Mahmadou Sampara.
Au sud-est de Ségou, dans le Miniankala confinant au Kénédougou, Mali-nké et fétichistes en majorité, les Bambara formaient un canton exclusivement fétichiste, qu'El Hadj Omar n'avait jamais pu réduire, et qui limitait ainsi aux abords mêmes du Niger, le domaine de l'Islam, en face des Peul et des Mandé Dioula.
Ces derniers, comme les autres races soudaniennes, avaient leur capitale nigérienne: San, ville libre commerciale, comme Sansanding, Nyamina, Ségou, mais plus exclusivement musul-; mane et dominée par le parti des Mandé Dioula.
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Tout en acceptant la suzeraineté d'El Hadj Omar, elle avait conservé une indépendance relative, et moins engagée dans les aventures Tidianes, elle montra, dès le passage de Monteil, des tendances pacifiques.
Deux influences religieuses s'y faisaient et s'y font encore sentir : celle des Soni-nké et des Peul Tidianes, et celle des Mandé Dioula, Kadriya, ceux-ci en majorité et s'appuyant sur leurs frères du Dafina.
Là, les Mandé Dioula ont formé une de leurs principales colonies qui sépare le pays des Mossi, du Kénédougou Mali-nké. A l'époque où les Soni-nké du Niger se dispersèrent, ceux des Mandé Dioula, relevant de la dynastie Songhaï de Za, qui étaient restés avec eux, vinrent s'installer sur la frontière des pays fétichistes voisins et formèrent ainsi, dans le Dafina, une colonie qui sut vivre en bonne intelligence avec les peuplades limitrophes. El Hadj Omar n'avait pas poussé ses conquêtes jusque-là et l'Islam y resta Kadri avec les tendances générales des Kadriya soudaniens.
C'est le vieil Ahmadou Baba Karamoko, le marabout de Lanfiéra, hôte accueillant du docteur Crozat, qui depuis plus d'un quart de siècle personnifiait et dirigeait le mouvement local, tout pacifique, de l'Islam, jusqu'aux fâcheux événements qui, en ces derniers temps, ont inopinément et dans des conditions si regrettables, récompensé ses services par un meurtre injustifié. Il exerçait une influence considérable à San, où, lui vivant, les Tidiane n'eurent qu'un rôle de second plan. Sa mort peut n'être pas sans modifier ces dispositions, d'autant qu'il existait une école rivale, encore prospère.
Celle-ci est actuellement représentée par un marabout Koulkou Soulbé, appartenant à la tribu d'Assalmi, un de nos adversaires acharnés de la Boucle du Niger, les Irregénaten. Par elle, les influences directes des Mokhtariya Bekkaïya pénè-
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trent jusque-là : localisées plus particulièrement chez les habitants d'origine non soudanienne, s'étendant cependant chez les Soni-nké, au moins comme doctrine religieuse, et pouvant par les conséquences du meurtre d'Ahmed Baba Karamoko, profiter de la surprise légitime des musulmans paisibles du Dafina.
Au nord du Dafina et à l'est de San commence la région où dominaient exclusivement les tendances Tidianes, à l'époque d'El Hadj Omar. Elles se rattachent actuellement, en dehors des villes du Niger qui ont leur rôle propre, à deux groupes distincts : celui des Peul du Macina et celui des Soni-nké du Bossé. Ceux-ci forment dans le monde musulman de cette partie du Soudan, une exception remarquable, non seulement par leur attitude politique, mais par leur intransigeance et leur rigorisme doctrinaire.
Politiquement, les Soni-nké du Bossé ont été, à un moment donné, les alliés dévoués d'El Hadj Bougouni, lorsqu'il tenait campagne contre nous dans le pays de Sokolo, à l'instigation de leur chef Ali Kouri, un des derniers partisans d'Ahmadou Cheikhou.
On voit ainsi poindre chez eux une affinité étrangère à la doctrine Tidiane pure, tout en procédant du même esprit exclusif. Il semble en effet qu'il existe dans le Bossé un mouvement religieux procédant nettement des doctrines et de l'organisation des confréries musulmanes proprement dites. Ali Kouri, plus connu sous le nom d'El Hadj Bossé, avait été à La Mecque et à son retour avait fait un long séjour en Egypte. Il semble qu'il y ait été adepte de la même école dont procédait Mahmadou Lamine, dont Samory, à un moment au moins, subit l'inspiration, celle des Khelouatiya de Si Mostefa el Bekri. En effet, tout en se disant de la voie des Kadriya, il avait introduit, comme complément de la prière obligatoire, des récitatifs de Dhikre ; il évitait de se laisser voir aux
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fidèles et, dans les cérémonies du culte, se mettait parmi les plus humbles des croyants.
Appartenant en tout cas aux Kadriya, il avait en même temps des points de contact directs avec les Tidjaniya Omariya, avec l'école d'El Hadj Omar.
Moins influent que lui, son frère El Hadj Koumbasa habitait chez les Samos au sud de Lanfiéra, étendant de ce côté les ramifications d'un groupe isolé, peu nombreux, mais actif et encore exalté, malgré la conquête de leur pays et la dispersion de leurs chefs.
Au nord de San et du Bossé, commencent les pays Peul qui forment la frontière du Macina. Toutefois Djenné y constitue encore une enclave qui mérite une mention spéciale. Avec ses 12,000 habitants, elle constituait sinon la ville la plus populeuse du Soudan, du moins la plus importante et la plus prospère, en même temps que la mieux construite, au moment de notre conquête. Seule, elle avait réellement le caractère et l'aspect d'une ville, tous les autres centres du Niger ne différant guère eux-mêmes des villages ordinaires du Soudan, que par leur étendue et leur nom.
Sa population, au siècle dernier, était encore essentiellement Soni-nké, avec une forte proportion de Rouma, qui lui ont donné un caractère très spécial, par l'infusion du sang marocain. Beaucoup d'étrangers : voyageurs marocains, Berbères et Arabes du Nord, Soudaniens de l'Est, s'y rencontraient aussi. Puis les Peul d'Ahmed Ba Lobo y arrivèrent au commencement du XIXe siècle, vers i8i5. A cette époque, les Bambara des Diamous apparentés aux Soni-nké, Kogorotas et Fofana, étaient encore nombreux dans le' voisinage, et quoique fétichistes conservaient avec les gens de Djenné d'assez bonnes relations pour occuper tout un quartier de la ville. Accueilli sans grande résistance par.les musulmans, Ahmed
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Ba Lobo eut au contraire longtemps à guerroyer contre les Bambara, sans parvenir à les islamiser complètement.
Lorsque maître du pays, il fonda Hamd Allahi, il laissa dans Djenné une forte colonie Peul.
Les nouveaux venus étaient Kadriya, non du groupe soudanien, mais de la branche distincte d'Othman dan Fodio. Ils trouvèrent à Djenné un double courant tout autre : chez les Soni-nké, les Kadriya relevant de Mohamed el Fadel, dominaient, tandis que chez les étrangers ouïes descendants d'Arabes et Berbères du Nord, les Bekkaiya l'emportaient, comme parmi tous les musulmans soudaniens de même origine : conséquence nécessaire du fait que les tribus arabes et berbères, alors dévouées aux Oulad Bekkaï sans exception, étaient maîtresses des routes d'accès au Soudan.
Ces divergences de croyances correspondant non seulement à des différences de races, mais aussi à des dissentiments politiques, faillirent un moment compromettre la domination des Peul. Ahmadou Ahmadou, successeur de Ba Lobo, était presque en lutte ouverte avec les Bekkaï, qu'avaient suivis les Kadriya soudaniens, au moment de l'arrivée des Tidianes avec El Hadj Omar. Mais alors tous les Kadriya, aussi bien ceux qui relevaient des Fadeliya, que ceux des Bekkaï et ceux d'Othman dan Fodio, se réunirent contre le conquérant. Et c'est uniquement à leur coalition, à l'entente des Kadriya, sans distinction d'école, contre les Tidianes, que fut due sa défaite et sa mort à Hamd Allahi, qu'il avait facilement enlevée aux Peul seuls.
Ahmadou Cheikhou, plus habile négociateur que son père, réussit au contraire, par ses avances aux Peul et aux Soni-nké, à neutraliser l'opposition des Kadriya et à se maintenir ainsi. Mais les concessions mêmes auxquelles il fut obligé, l'empêchèrent de faire progresser son propre parti religieux. Après sa chute, Djenné, qu'Ahmadou sut associer à sa résistance, se i
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retrouva divisée comme naguère, entre Bekkaiya et Fadeliya chez les Soni-nké et les autres musulmans non Peul, les Peul euxmêmes restant Kadriya de l'Est. En même temps l'élément fétichiste, un moment islamisé, revenait en partie à ses anciennes traditions chez les Bambara et leurs alliés les Bobos, un peu moins nombreux qu'eux.
On compte ainsi actuellement dans le canton de Djenné, environ 45,000 musulmans dont 5,ooo Bambara contre 25,000 fétichistes dont i5,ooo Bambara et 5,000 Bobos, Samos et Mandé. Parmi les musulmans il n'y a pas plus de 5,000 Tidianes : Toucouleurs, Soni-nké et Dioula: tous les autres sont Kadriya. Ces proportions sont les mêmes pour la ville, sauf en ce qui concerne les Tidianes, relativement assez nombreux pour qu'un tiers des écoles et des mosquées leur appartienne.
Dans le Macina, la situation est tout autre de longue date. Au moment de l'arrivée des Peul d'Ahmed Ba Lobo, les Touareg y incursionnaient fort loin, au milieu d'une population de Bambara, de Mali-nké et de Bobos, fétichistes; de Soni-nké, à Bandjagara et sur le Niger. Peu à peu, il se forma chez les Peul deux grands partis : celui des Peul proprement dit, et celui des Habés, composé de leurs anciens captifs, des habitants primitifs qui après leur conquête se rallièrent à eux et se firent Peul eux-mêmes, pour mieux se défendre des Berbères. Puis El Hadj Omar avait amené avec lui de nombreux Toucouleurs qui se fixèrent dans le pays. Mal reçus par les Peul de race, ils se mêlèrent davantage aux Habés. Ceux-ci devinrent ainsi Tidianes de fait à plusieurs reprises, tout en se détachant du parti d'El Hadj Omar, puis de celui de ses fils, suivant que la politique Tidiane s'appuyait sur eux ou sur leurs anciens maîtres.
Au moment de la destruction de la puissance d'Ahmadou Cheikhou, les Peul étaient ainsi hostiles au parti Tidiane qui comprenait les Habés et les Toucouleurs.
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Depuis, ceux-ci, restés au Macina en petit nombre, et avec eux la plupart des Habés, principalement ceux d'origine Mali-nké, forment encore un noyau assez actif de Tidianes, sans dépendance religieuse directe pour la plupart, mais dont les Thalibé sont en partie Tidjaniya au sens propre du mot et reconnaissent Ahmadou Cheikhou, non seulement comme chef politique, mais comme Cheikh et Triqâ, comme chef spirituel.
Tous les Peul purs au contraire, et avec eux les Soni-nké, se disent Kadriya. Mais l'influence des Fadeliya ne s'étend pas jusque-là et il n'y a à proprement parler de Kadriya que les Peul, ceux qui conservent les affinités primitives de l'Est, et reconnaissent pour chef religieux l'AImamy de Sokoto, successeur rituel d'Othman dan Fodio. Les autres avec les Soni-nké, sont Kadriya Bekkaiya. Les premiers relèvent principalement de l'Amirou de Dovenza, marabout influent, de la famille même d'Othman dan Fodio et de la descendance de Ba Lobo, dont l'autorité religieuse est assez grande pour que son école soit fréquentée même par les Tholba de sang arabe.
Les seconds sont en majorité disciples d'Alpha Raha, moqaddem des Kadriya Bekkaiya, à Bandjagara, et lui-même ancien Mourid de la Zaouiya des Bekkaï à Timbouctou. Deux autres centres religieux, celui de Saréforé, à l'entrée du Koli-Koli, et celui de Dari-Salam dans le Foutouka, ont aussi une certaine importance parmi les Kadriya.
Pour compléter cette énumération, il faut ajouter que depuis la nomination d'Aguibou comme Fama du Macina, il existe à Bandjagara, une Zaouiya Tidiane, tenue par des Thalibé du Dinguiray. Mais cette création, toute officielle, ne paraît pas avoir eu une influence marquée sur les anciens Tidianes.
Il reste à signaler dans le Macina, l'existence d'une curieuse secte musulmane, dont le centre est le village de Sassa. Son
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fondateur, Kaïrou el Dine, qui la dirige encore, a cherche à simplifier l'Islam et à le purifier par une initiation progressive, par l'enseignement exclusif de trois livres, résumant tous les principes de la foi et réservés à trois catégories d'adeptes ; les enfants ne sont admis qu'à la lecture du premier, qui paraît être le Koran, la connaissance du second, résumé des Hadits, étant le privilège des vieillards. Enfin le troisième, qui paraît être l'exposé d'une doctrine soufique particulière, n'est confié qu'aux Thalibé ou aux disciples qui aspirent à le devenir et en sont jugés dignes. Ceux-ci seuls font la prière entière, les deux autres catégories de fidèles étant réduites à un abrégé des Salaouat obligatoires.
En dehors de Sassa, cette doctrine schismatique compte, paraît-il, d'assez nombreux partisans chez les Peul du Guilguidi, de Ouididi, du N'Doundi, du Dallo et chez ceux des Mossi, parmi lesquels elle a pris naissance.
On trouve encore dans le Macina quelques fétichistes Bambara et Mali-nké, Habés, Bobos et Samos, et même Peul, qui, au contact des premiers, ont renoncé aux pratiques puis à la foi de leur race. Au Nord et à l'Est, la population berbère et arabe redevient exclusivement musulmane.
La région de Timbouctou, limite du Sahel et du Sahara avec son régime de lacs au milieu des collines sableuses, présente ce caractère sociologique très spécial, d'être, à l'égard du Soudan, le point de pénétration des influences du nord de l'Afrique. A côté d'une population soudanienne, composée de Songhaï, de Bambara et de Soni-nké apparentés à ceux de Djenné, de captifs et descendants de captifs, représentant dans un mélange héréditaire toutes les peuplades qui payaient naguère leur dîme au grand marché d'esclaves, les Peul seuls figurent un élément indépendant des éléments arabes et berbères. Peu nombreux d'ailleurs, sauf dans le Gourma méridional, ils n'ont guère joué
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qu'un rôle intermittent dans la zone que traverse la Boucle.septentrionale du Niger, au temps d'Ahmed Ba Lobo et d'El Hadj Omar. Tout le pays est en réalité dans la dépendance générale des Touareg et des Arabes, moins nombreux au sud du fleuve que les Soudaniens nègres, mais leurs maîtres.
Ce serait une erreur qu'attribuer dans cette région une valeur ethnographique trop absolue aux termes Touareg et Arabes. Tandis qu'au Nord, s'étend dans la partie centrale du Sahara, celle dont l'Atakor n'Ahaggar forme un centre géographique, le domaine de la race berbère pure, il s'est produit un double mouvement de la race arabe, du Nord au Sud, parallèlement à la côte Atlantique, et de l'Est à l'Ouest, parallèlement au Soudan. Dans quelques cantons, les Arabes se sont peu mélangés aux Berbères, et c'est le cas par exemple des tribus connues sous la dénomination générale et vague de Maures. Ailleurs, comme dans le pays de Timbouctou,ilyaeu, au gré des alliances momentanées, de nombreux mélanges de sang, de langues, de coutumes. Telle tribu qui revendique des origines arabes, porte un nom'berbère, parle sinon le Tifinagh. du moins une langue fortement berbérisée et a adopté jusqu'au vêtement, aux coutumes sociales des Touareg. Telle autre, réputée berbère, ne l'est que par convenance ou préférence politique. On trouve cependant quelques distinctions nettement caractérisées. Mais d'une manière générale, les mélanges s'étendent jusque dans l'intérieur de la tribu, où on trouve côte à côte les éléments arabes et berbères, répartis en fractions d'un même groupement.
D'autre part, le nom général que s'attribuent les diverses fractions d'une même tribu, ne représente, souvent aussi, qu'un groupement partiel, historique ou géographique et non ethnique. Il faudra donc attendre que des études plus complètes, portant à la fois sur l'histoire et sur l'ethnologie du pays, aient complètement éclairci une classification encore provisoire, pour se proISLAM.
proISLAM.
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noncer avec certitude sur la répartition des diverses tribus. Actuellement, on peut considérer d'une façon générale la région de Timbouctou, comme comptant dans le groupe Berbère, avec lequel elle est en contact : les Kêl Immiden ou AouelimmidenderAdghagh, les Irregenaten et les Igouadaren comme Berbères purs ; les Berabich, les Kountah et les Allouch comme Arabes purs, les autres tribus étant mélangées. Mais cette répartition ne répond pas au groupement apparent qui semble être le suivant :
Aux Touareg, se rattachent, sous la formule imprécise de confédération des Tademeket, les Tenguérériff, campés dans l'ouest de Timbouctou vers la région du lac Faguibine, jusqu'au Niger, et dont dépendent comme alliés les Imidedgen ; les Kêl Temoulaï qui occupent les deux rives du fleuve vers Kabara ; puis les Irregenaten, habitants de l'Aribinda ou Gourma, au sud et à l'est du fleuve.
Au nord du Niger, on trouve les Igouadaren, dont quelques fractions vivent dans l'Aribinda, et auxquels confinent les Kêl Immiden.
Parmi les Arabes, les Berabich, peut-être d'origine berbère, mais politiquement arabisés, ne viennent jusqu'à Timbouctou de l'Azaouad et de la région saharienne du Nord, qu'isolément, de même que les Oulad Allouch du Sahel, à la lisière duquel campent des Tormoz des Berabich, et les Deïlouha des Oulad Allouch, fractions indépendantes de ces deux tribus. — Puis les Kountah, venus du sud du Maroc, s'étendent sur les deux rives du fleuve, à l'est de Timbouctou, de l'Adghagh au Gourma ; les Kêl Antassar, divisés en nombreuses fractions dont le territoire situé au nord du Niger, a Timbouctou pour limite occidentale et qui, sous le nom commun de Kêl Iguellad, peuvent sembler se rattacher à la famille berbère ; les Kêl es Souk de l'est du Niger, qui malgré leurs prétentions à une origine
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arabe font partie de la famille berbère des Tademeket ; enfin quelques petites tribus maraboutiques, berbères de race, mais nominalement arabes, comme les Chorfiga, disséminés çà et là au milieu des autres peuplades.
Sauf les Kountah et quelques fractions maraboutiques, relativement paisibles, par tradition, toutes ces tribus forment à notre égard, un parti général de résistance, d'opposition, indépendamment de toute question religieuse. Ce parti se divise d'ailleurs en çofs, dont l'un ou l'autre peut se rapprocher de nous momentanément, sans qu'il en résulte de modification dans ses tendances nécessaires, qui répondent à ce fait que notre occupation équivaut pour les tribus à un bouleversement complet de leurs conditions d'existence antérieure. Elles arriveront peu à peu à transformer leurs procédés commerciaux, à substituer les transports, l'élève, au pillage et au trafic des esclaves. Mais ce n'est pas du jour au lendemain que les races se transforment. Il faut, en dehors de tout mouvement islamique, s'attendre au maintien sur nos frontières sahariennes du Soudan, d'un état de choses comparable à celui qui s'est maintenu pendant cinquante ans sur les frontières méridionales de l'Algérie, avec cette différence toutefois que les influences soudaniennes de sang, de rapports séculaires, qui se font sentir chez les nomades de ces parages, les ont mieux préparés que ne l'étaient ceux du Sud Algérien, à se plier aux lois des conquêtes étrangères.
Puis, l'extrême division de leurs tribus, en çofs hostiles les uns aux autres, l'absence d'éléments favorables à la constitution des grands groupements, les met plus facilement à notre merci En ce qui concerne la question religieuse proprement dite, il ne faut pas perdre de vue que Timbouctou, avant de devenir un poste français, était une' cité cosmopolite, où, à côté d'une population soudanienne, Soni-nké en majeure partie comme élément libre, setrouvaient représentés nonseulement les Berbères et les
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Arabes de la région, mais aussi les Berbères et les Arabes du nord du Sahara. Il y venait parfois des Tripolitains de Mourzouk, par Agadès, des Tunisiens du Nefzaoua. Le sud de l'Algériey a été représenté, voici une vingtaine d'années, par quelques Chaamba. Les gens du Touat y étaient relativement nombreux ainsi que les Marocains de toute provenance : commerçants, acheteurs d'esclaves et chérifs à destination du Soudan. Dans ces contrées lointaines, au milieu de races crédules, les voyageurs s'affublent volontiers de qualités qu'ils n'ont pas.
Chacun tend facilement à grandir son rôle ; puis dans ce milieu, les spécialités religieuses deviennent aisément un complément commode de passeport. Il était donc logique de considérer naguère Timbouctou comme un point de concentration des diverses influences islamiques, en mouvement dans le Nord. De même que les Chorfa y abondaient, les moqaddem étaient nombreux. Actuellement encore, en fouillant un peu sous la surface des apparences, on trouverait sans doute, tel Thaleb indifférent, tel commerçant paisible, qui se complaît à ses propres yeux, se grandit aux regards de quelques initiés, en faisant profession de moqaddem, ou aussi quelque Khouan convaincu, Thaleb émigré, par suite d'aventures en son pays.
Mais hormis ces exceptions sans conséquence, la seule confrérie du Nord, réellement représentée à Timbouctou, serait celle des Derkaoua, avec une quinzaine de Khouan relevant, ces dernières années, d'un moqaddem originaire du Tadjakant, Si Mohammed Ali.
Seuls les Kadryia et les Tidjaniya comptent réellement avec les Bekkaiya comme influence locale.
M. l'interprète Marchand mentionne un autre groupe de Kadriya, dont la filiation remonterait au XVIe siècle de notre ère et dont le premier Cheikh local aurait été Sidi Ali ben Nedjib, de la tribu maraboutique des Ahl Sidi Ali. Peut-être faut-il
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voir dans cette provenance une affinité avec les Bekkaiya. D'après le même auteur, les Kadriya de la région de Timbouctou, comprenant la plupart des noirs et quelques Touareg, auraient pour moqaddem DaoumaKoy, cadi du Kissou. Ils se réuniraient indifféremment dans les trois mosquées de la ville, comme c'est souvent le cas des Khouan en pays musulmans. Daouma Koy avait eu lui-même pour Cheikh, Alpha Salif Bouyé, marabout Peul de Goùndam, très influent, et que ses affinités de race rattachent au groupe de Sokoto. . ;
Il est fort probable qu'en réalité, les Kadriya de la région de Timbouctou sont, les uns de l'école de Mohammed el Fadel,. par conséquent un peu Bekkaiya ; les autres de l'école de Sokoto, et qu'étant données les relations delà ville avec le Nord, il a dû souvent se mêler aux uns et aux autres des Kadriya de fractions différentes.
Les Tidjaniya, suivant les mêmes renseignements, relèveraient d'un Soni-nké, El Hadj ben Zerrouk, revenu de La Mecque en 1888, et par conséquent étranger aux Tidjaniya du Soudan. En quittantTimbouctou, El Hadj ben Zerrouk s'est retiré à Djenné. Beaucoup plus nombreux et importants comme influence que les Kadriya et les Tidjaniya, les Bekkaiya sont en réalité les véritables maîtres spirituels du pays, mais avec les réserves qui résultent de leur rôle et de leurs échecs politiques.
De même que Mohammed el Fadel naguère, beaucoup de serviteurs religieux de cette famille l'ont abandonnée en tant que Khoddem, tout en restant Bekkaiya de doctrine, ou plus exactement Kadriya de l'école de Sid el Bekkaï. Seuls, quelques membres de la famille, dispersés çà et là, conservent une clientèle locale : tels sont probablement les moqaddem que mentionne M. Marchand : Sidi el Bey ben Amar, à Talala dans l'Adrar, et Sidi Alouata ould Hamadi, à El Eula dans l'Aribinda.
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Mais le véritable chef de la famille, est Sid el Abidine, fils de Sid Ahmed el Bekkaï, qui, depuis la mort de son père, il y a une trentaine d'années, erre de tribu en tribu dans le Sahara, tantôt chez les Kêl Immiden, tantôt chez les Irregenaten, allant même au Ahaggar et au Touat, toujours en quête de compagnons de pillage pour former un rezzou, attaquant d'ailleurs indifféremment les uns et les autres.
Il rappelle tout à fait Si Kaddour, des Oulad Sidi Cheikh, pendant la période agitée de son existence, et est comme lui un coupeur de route dangereux, sans avoir d'ailleurs plus d'importance générale que celle qu'on accorde au bruit qu'il fait.
La véritable influence religieuse de sa famille est passée aux mains de son cousin Baba'Ahmed Ould Cheikh el Mokhtar qui, après la mort de son oncle Sid Ahmed el Bekkaï, devint le chef des Bekkaiya de la région. Installé d'abord dans l'Aribinda, il a ensuite passé le Niger pour aller chez les Kountah et les Irregenaten. Autant que le permettait l'état d'anarchie des tribus arabes et berbères de la région; l'influence religieuse qu'il représentait s'est maintenue assez respectée, mais en perdant tout caractère politique actif.
Une fraction des Irregenaten, de caste Zaouiya, les Chioukh, les Ahl Sidi Ali des Iguellad ; les Kel Aoussa ; les Cheurfiga et les Kêl es Souk des Tademeket, constituent, avec les Kountah, la clientèle religieuse des Bekkaï. Mais ces tribus sont fractionnées en çofs religieux, se rattachant à différents membres de son ancienne lignée, et quoique Sid el Abidine soit reconnu d'une part comme chef seigneurial de la famille, et son cousin Baba Ahmed Ould Cheikh el Mokhtar d'autre part, comme plus spécialement héritier de la Baraka familiale, il s'en faut de beaucoup qu'il y ait unité de vues, entente entre tous les groupes des Bekkaiya. Cela ne veut pas dire que leur réunion en un faisceau commun soit impossible. Mais de même que chez les
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Oulad Sidi Cheikh, à plusieurs reprises, ce groupement n'existe pas, et il faudrait se garder, en prenant le contact des Bekkaiya, d'imiter ce qui s'est passé en Algérie pour le Oulad Sidi Cheikh. Au lieu de profiter de leurs divisions, au lieu de chercher à les fractionner davantage, pour les affaiblir, nous avons souvent contribué à rendre leur famille plus puissante en la groupant, par l'attribution à tel ou tel de ses membres d'une autorité générale qu'il n'avait pas.
A l'est du Niger, nos relations avec les Kountah, les Kêl Immiden, les Irregenaten, les Kêl es Souk, sont de telle nature, qu'il est actuellement difficile de démêler leurs affinités d'une façon précise. Aussi longtemps que nous n'aurons pas, à l'égard des nomades arabes et berbères de la rive gauche du fleuve, une politique d'abstention, de progression lente, comme dans le Bas-Sénégal, aussi longtemps que l'attrait du contact si intéressant de ces nomades, que le sport des rezzous l'emporteront dans nos relations avec eux, il faut s'attendre à les voir guerroyer contre nous, comme nous-mêmes contre eux, indépendamment de toute influence générale ou locale.
Aussi sans s'astreindre à démêler ce qui peut en être de leurs tendances, la portée que peut avoir la présence parmi les uns d'Ahmadou Cheikhou, et d'Ali Kouri chez les autres, de nos adversaires chassés du Soudan chez tous, semble-t-il sage seulement, de considérer que les traités diplomatiques, tels qu'ils sont, réservent au^Anglais à l'est du Niger, les pays soudaniens, ceux des populations sédentaires et maniables, nous laissant non pas le sol sablonneux de Lord Salisbury, mais le Sahel, fertile et riche en lui-même, difficile à pacifier et à occuper, par ses habitants. Au lieu de l'avoir devant nous en largeur, nous l'avons en longueur : notre situation de ce côté est celle que nous aurions au nord de Saint-Louis, de Nioro, si nos voisins du Sahel s'échelonnaient avec la même densité qu'à la fron- >
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tière du Soudan, sur un millier de kilomètres. Elle ne comporte qu'une attitude sage, en l'absence d'une pénétration définitive par voie ferrée ou par moyens d'une puissance analogue : l'abstention.
Au sud-est de la Boucle du Niger, jusque vers Say, les Touareg restent dominants sur les deux rives du fleuve : Tademekêt d'abord, puis Kêl Immiden, mélangés de quelques fractions de Kêl es Souk, et pénétrés de Peul, qui, d'abord vassaux, deviennent indépendants à la limite du territoire des Kêl Immiden de Madidou, jusqu'à la région des rapides. Comme dans les autres contrées soudaniennes, les races sont de ce côté très mélangées. En suivant le fleuve de Gao à Say, on rencontre des Tademekêt, des Tenguéreriff, des Kêl Immiden, des Kêl es Souk, des Peul Habés et Rémabés, des Songhaï, voire même des Toucouleurs d'Ahmadou Cheikhou, sans compter les Mossi, les Bobos, les Samos et les Mandé de toute souche; vers l'intérieur, sur la rive droite, tout le pays est d'abord musulman dans toute là largeur de la Boucle du Niger, avec le Macina, le Bossé, l'Aribinda. Puis le domaine de l'Islam se rétrécit, limité par la vaste région fétichiste dont le Mossi est le centre, pour se trouver au sud de Say, réduit à une bande de peu de largeur le long du fleuve, par le Gourma et les pays Bariba, fétichistes.
Dans ces pays musulmans de la rive droite du Niger, deux grandes influences principales se font sentir : celles des Kêl es Souk et des Peul de Sokoto. Leurs principaux centres religieux sont Dori et Say. D'une façon générale tous les adeptes de l'Islam mystique sont, de ce côté, Kadriya, quoique on compte quelques Tidjaniya émigrés avec Ahmadou Cheikhou, chez les Kêl es Souk. Mais ce sont des Kadriya Bekkaiya ou des Kadriya de Sokoto, les uns et les autres très différents parleurs tendances des Kadriya du Soudan,
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_ A Dôri, tous, Kêl es Souk et Peul, font facilement preuve d'une certaine exaltation. C'est là que s'était d'abord réfugie, après la prise de Macina, Ahmadou Cheikhou, qui à Say, avant l'occupation, avant sa fuite dans l'Est, avait avec ses Toucouleurs et grâce au concours d'Ali Bouri, réuni déjà plusieurs milliers de combattants sous son autorité.
Le mouvement Tidiane n'a pas cependant de racines profondes dans le pays, mais d'une part, les Kêl es Souk de là région semblent obéir à des influences extérieures, encore mal définies, auxquelles il faut peut-être encore attribuer quelque origine tripolitaine, et beaucoup plus que tous leurs congénères semblent inféodés avec réflexion, au parti de la réforme moderne de l'Islam, de la résistance quand même à la conquête chrétienne. D'autre part, les Kadriya de Sokoto, soit qu'ils subissent des influences anglaises, soit pour toute autre cause, nous sont nettement défavorables, sinon hostiles. Or leur pénétration entre le Mossi, le Gourma et les pays Bariba, quoique limitée, comme cantons indépendants, à quelques enclaves soit de Peul Habés, soit de Peul Rémabés, a une très grande importance par sa diffusion commerciale. On les retrouve au Mossi et au Gourounsi, comme au Yatanga, au Gourma, et plus au sud, vers le Haut-Dahomey, comme commerçants et voyageurs, dans tous les centres populeux.
Au Yatanga, les trois mosquées qui existent leur appartiennent. Dans le Mossi ils se montrent plus intrigants que les Mandé Dioula: partout, ils représentent un élément activement religieux et qui malgré sa faiblesse numérique, son isolement, n'en est pas moins à surveiller. Les Foulbés musulmans du Dahomey fournissent un exemple assez caractéristique de leurs tendances : contre Béhanzin fétichiste, ils se sont appuyés sur
nous, nous offrantleurs services d'intermédiaires ; mais en même
V temps ils renseignaient les Dahoméens sur nos mouvements et
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nos projets, et empêchaient les musulmans indigènes de la frontière de nous fournir des auxiliaires.
Il importait donc de mettre nettement en lumière ce fait que d'une façon générale, peut-être simplement par suite de conditions politiques étrangères à la question religieuse, les Kadriya de l'Est, ceux qui relèvent de l'Almamy, de l'Emir de Sokoto, des Peul Haoussas, ont une attitude tout autre que celle des Kadriya de l'Ouest, relevant des Oulad Mohammed el Fadel.
A ceux-ci, on peut rattacher une partie des Bekkaiya arabes ; aux premiers, presque tous les Bekkaiya berbères et tous les Tidianes.
Si le Soudan se trouve ainsi islamisé avec des tendances diverses sur toute sa ceinture, la région centrale est restée fétichiste dans la vaste zone occupée par le Mossi, le Gourounsi, le Yatanga, le Gourma, les pays Baribas, les pays Bobos et Séniéré. Là, l'Islam est numériquement en très faible minorité : non sans influence cependant.
Le Mossi ne compte que quelques mosquées : une à Ouagadougou, une à Mané; puis dans quelques villages de Mandé Dioula, de Soni-nké ou de Peul, on trouve des Makam de prières. Mais l'élément musulman est en même temps l'élément commerçant, et riche par conséquent : quoique les Naba, les souverains locaux et toute la petite aristocratie locale, leur soient opposés, ils sont subis et respectés et c'est là le cas général.
Quelques cantons seuls les excluent. Dans d'autres, au contraire, chez leurs captifs de culture, ils ont une clientèle dévouée. Somme toute, avec un rôle secondaire dans le présent, ils peuvent à un moment donné acquérir, dans les mêmes conditions qu'au Djolof, au Oualo, une situation beaucoup plus importante.
Quoique tous, Mandé Dioula, Soni-nké Djenanké, c'est-à-dire Djenné, ou Soni-nké Samos du Bossé; Peul Haoussa du Sokoto,
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ou Peul Habé, Hirmabé et Sambourou du Macina vivent en bonne intelligence et groupés, les influences dominantes varient d'une région à l'autre.
Au Yatanga et au Gourma, les tendances des musulmans sont celles de Dori et de Saï, c'est-à-dire du Sokoto. Dans le Gourounsi, au nord du Mossi et des pays Bobos, ce sont celles de Djenné et de San. Au sud du Mossi et dans les pays Baribas, celles de Salaga, qui procèdent du mouvement Haoussa, l'emportent. Dans l'ouest du Mossi et dans les pays Bobos du sud, Kong domine.
On peut, au point de vue du mouvement musulman, diviser en deux groupes principaux les régions qui restent à examiner, pour terminer cette revue de l'Islam soudanien : les pays Mandé jusqu'à Kong et Bondoukou, puis le Foutah-Djallon et ses abords.
On a vu qu'entre le Sénégal et le Niger, les Mandé, quoique présentant quelques petits centres islamisés, sont en très grande majorité fétichistes, sur la ligne de Kayes à Bammako.
A Bammako même, les conditions commerciales étant les mêmes que dans les autres villes du Niger, il y a, à côté d'une population indigène fétichiste, un élément musulman cosmopolite, assez nombreux et influent. On y trouve des Soni-nké de Sansanding et de Djenné, des Mandé Dioula, des Maures du Sénégal, des Tholba du Sahel, de passage. Parmi les musulmans résidants, deux influences dominent : celle des Kadriya soudaniens et celle des Tidiane, mais plutôt des Tidiane du Dinguiray que du Macina.
Ce sont d'ailleurs les Soni-nké Traouré qui l'emportent et leur chef, le cadi de la ville, est précisément Tidiane.
Dans le Manding, qui, couvrant les deux rives du fleuve, s'étend jusqu'au Kénédougou, la majorité des habitants, Malinké, sont fétichistes. 1
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- Convertis officiellement au temps de Samory, sauf dans quelques cantons comme le Kangaba, ils n'ont pas tardé à revenir au Dolo, à l'ivrognerie, et au fétichisme par conséquent, une fois délivrés de lui. Cependant comme dans tous les pays Mandé, suivant le Diamou, suivant le Tenné ou le village, l'Islam est plus ou moins dédaigné.
La situation est à peu près la même dans le Kénédougou, où, bien que les chefs de Sikasso fussent eux-mêmes musulmans, d'origine Tidiane, et en dernier lieu, Tidianes pratiquant, les musulmans sont peu nombreux parmi la population même du
pays. --•■ - - •-
En se rapprochant au contraire du Foutah-Djallon, l'ensemble des pays Djallonké est en majorité, sinon islamisé, du moins soumis à l'influence prépondérante des musulmans.
C'est le cas par exemple du Kanadougou, entre le Dentilia et Dinguiray, tous deux complètement musulmans, le premier suivant les influences que représentait Mahmadou Lamine et le second suivant les influences Tidianes officielles. Le Kanadougou même, avec 7 à 8,000 musulmans contre 60,000 fétichistes, n'en est pas moins dominé par les premiers. Chez les Djallonké proprement dits, dans le Oulada et le Baléia, il en est de même. La plupart des villages actuels ont été fondés par des Soni-nké Silla et Kaba, réfugiés dans ces parages et autour desquels se sont groupés des Djallonké ou les réfugiés Mandé, fétichistes ou non.
-Tel est le cas par exemple de Nono, nouveau centre de 2 à 3,000 habitants, où les musulmans, au nombre de 5 à 600 seulement, sont cependant les maîtres de la ville.
Dans le pays de Kourouma, le Sangaran et le Kissidougou, les Mali-nké l'emportent au contraire et, malgré les conversions imposées par Samory, le fétichisme n'a pas perdu beaucoup de partisans. Cependant, sauf dans le Kissidougou, où les indigènes
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sont plus nettement réfractaires à l'Islam, il est certain que, comme dans la plupart des cantons Mali-nké, les musulmans ont une autorité, une influence générale prépondérantes, à bien des égards. Ils sont considérés, traités par leurs voisins comme s'ils appartenaient à une classe supérieure, et c'est là un signe dont il faut tenir compte en envisageant l'évolution locale.
Plus loin, vers le Sud, la situation ne se modifie pas dans le Toukoro et les cantons limitrophes.
En suivant la frontière de Libéria, on arrive ensuite à une colonie de Mali-nké, émigrés à l'époque de la conquête, qui est au contraire exclusivement musulmane, localisée d'ailleurs au milieu de peuplades apparentées à celles de la côte, les Tomas, qui sont exclusivement et fermement fétichistes.
Ces Mali-nké du même groupe que les Veï ont subi à une époque antérieure une influence religieuse caractérisée par les noms de quelques-uns de leurs villages groupés autour de Mousardou et de Beyla : Dhakir Allah, Billallah, Médina, comme si ieur fondateur eût été quelque pèlerin familier du Dhikre. On retrouve cette même influence perpétuée par le Cheikh de Beyla, marabout Kadri, respecté et célèbre dans toute cette petite province.
Mais déjà, quand Anderson visita Mousardou, il y a trentecinq ans, les Mali-nké de Beyla s'occupaient beaucoup plus de leurs rivalités intérieures que du mouvement musulman et, fait remarquable, ils restèrent complètement étrangers et indifférents à la tentative de renaissance musulmane d'El Hadj Omar.
D'après M. Marchand ils récitent le Dhikre des Kadriya après la Fatiha, ce qui confirmerait l'impression donnée par le choix des noms de leurs villages et l'hypothèse de l'installation dans ces parages reculés d'un essaim Kadriya, non au sens soudanien, mais au sens algérien du mot.
Sur le Niger même, le grand centre musulman était Kankan,
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célèbre déjà à l'époque des historiens arabes par son illustration religieuse et qui fut un moment la capitale musulmane de Samory. Toute la partie du pays Mandé qui s'étend au sud du Kénédougou et du Manding, entre le Niger et les pays Bobos, au nord du Ouassoulou, compte une forte proportion de Mandé Dioula tous musulmans, vivant au milieu de Mali-nké plus nombreux et fétichistes. C'est ainsi que Kankan, Kérouané, Ténétou et une vingtaine d'autres villages secondaires sont des centres islamiques. Mais pour bien se rendre compte de leur importance, il ne faut pas perdre de vue ce qui vient d'être dit pour les pays Djallonké. Quelques Mandé Dioula se groupant d'abord autour de l'un d'eux forment un petit noyau de musulmans. Us ont un Makam. de prières, plus tard une mosquée, hutte aux murs de terre avec toit de chaume, autour de laquelle l'imam fait profession de Thaleb. L'école créée en même temps, est une Zaouiya si l'on veut, le lieu de réunion des fidèles.
Puis, peu à peu. le noyau grossit de nouveaux arrivants; quelques fétichistes attirés par les uns ou par les autres « font Salam » à leur tour, conversion sommaire consistant à ne plus s'enivrer avec le dolo, à porter un turban blanc ou une chéchia et un pagne blanc. A la deuxième génération, quelques enfants vont à l'école, apprennent le Koran, la lecture et l'écriture. Puis 2 ou 3, sur 5o ou loof se rendent à Kong ou à Djenné, San, etc. : les voilà Thalibé. Hommes libres ou captifs, c'est ainsi que les fétichistes deviennent musulmans dans les régions où il n'y a pas un antagonisme absolu entre l'Islam et le fétichisme ; les véritables musulmans sont peu nombreux ; autour d'eux il y a une classe plus importante de musulmans de carrière, par goût social, intermédiaire entre les populations indigènes, et les étrangers, adeptes éclairés de l'Islam.
Sur 1,000 indigènes, dans le pays Mandé, au nord de Kong, il
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peut y avoir en moyenne 10 véritables musulmans et ioo Malinké qui les imitent.
D'autre part, soit pour raison de commerce, comme à Kankan ut Kérouané, soit à cause de l'influence de tel marabout, terme qu'il faut prendre ici au sens de personnage plus riche que ses voisins, ayant plus de captifs et plus pieux, comme à Ténétou, quelques villages sont exclusivement musulmans. De même certains cantons d'un Diamou, hostile aux Diamou fétichistes, restent uniquement mahométans.
Il semblerait que, somme toute, la résultante du mouvement caractérisé de la sorte doive être une. progression de l'Islam, et il en eût été ainsi naguère, si les guerres perpétuelles, de village à village, de peuplade à peuplade, n'eussent maintenu plutôt un état général d'équilibre. Presque toujours, en effet, les guerres, en dehors des grands bouleversements commeceuxd'El Hadj Omar, de Samory, avaient pour cause quelque tentative de conquêtes d'un chef musulman, contre lequel se liguaient les fétichistes. Progression de l'Islam dans la paix, réaction du fétichisme à l'occasion des guerres, telle était donc l'allure générale du mouvement islamique avant Samory.
Celui-ci s'était d'abord appuyé uniquement sur les musulmans, avait voulu islamiser les fétichistes. Puis en dernier lieu, il en est venu à n'envisager comme considération politique que la levée des impôts, le recrutement de ses Sofas, à se montrer aussi impitoyable pour les uns que pour les autres. Il n'a laissé derrière lui que des ruines, et cette horrible tourmente a évidemment déterminé chez les fétichistes un sentiment de répulsion profonde envers l'Islam, somme toute, en cause.
Mais la conquête française est intervenue, assurant la pacification définitive du pays : les anciens partis ont repris leurs situations respectives et bien que la politique actuelle soit plutôt favorable au fétichisme, bien que les musulmans moins nombreux
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aient perdu plus que les fétichistes, il est inévitable que l'Islam bénéficiera du calme pour les mêmes raisons qui l'ont si activement développé dans le Bas-Sénégal : parce que les interprètes, les agents de l'administration, appelés à se servir de la langue arabe, seule langue écrite du pays, parce que les indigènes qui forment les troupes régulières, sont en grande majorité musulmans. Pour le moment la question religieuse n'existe pas dans les pays Mandé. Elle ne serait d'ailleurs pas inquiétante quant à présent, les influences Kadriya pacifiques, intervenant seules ; mais il faut prévoir l'islamisation lente, progressive de la région.
Il n'en est autrement qu'aux abords de Kong et de Bondoukou, foyers anciens du mahométisme et qu'avoisinent des provinces fétichistes politiquement : le Ouassoulou méridional, les pays Séniéré'et Bobos. Les derniers se rattachent au groupe des pays Mossi, les premiers à celui des Tormoz de Libéria, voisins des Veï et leurs ennemis invétérés. Il existe dans ces parages quelques petits centres uniquement musulmans : la diffusion du mahométisme ne se produit pas par pénétration individuelle.
A Kong et à Bondoukou,on est au contraire complètement en pays musulman. Avant Samory,qui adévasté ces villes et a massacré une partie de la population, c'étaient, Kong surtout, des centres musulmans, parce que commerciaux, aussi importants qu'anciens.
Sans emprunter à une situation géographique, telle que celle des villes du Niger, leur rôle d'entrepôts, elles ne l'en jouaient pas moins à la limite du Soudan et de la zone côtière. Avec un fond de population Mandé Dioula et Soni-nké, elles comptaient beaucoup d'étrangers, des Peul de l'Est surtout, participant ainsi du mouvement Kadriya, qui a son origine à Sokoto, et du mouvement mixte du Niger Djennanké.
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Il est probable que les mêmes éléments, dispersés' en partie, ne tarderont pas à se retrouver en présence tels qu'ils étaient, sous les influences dominantes des Mandé Dioula et des Peul Haoussa, influences matériellement commerciales; spirituellement plutôt défavorables à la domination européenne.
Tout autre est le cas du Foutah-Djallon, pays exclusivement musulman et où l'élément étranger, voyageur, n'a qu'un rôle très effacé.
Plus encore qu'au Foutah Sénégalais, et au même degré qu'à Ségou, Bandjagara, Sansanding, l'ensemble de la population y offre l'exemple d'une culture intellectuelle assez élevée. Outre les capitales des principales provinces, Labbé, Timbo, Foukomba, Dongol-Fellah, Timbé, etc.... qui sont tous des lieux d'enseignement fréquentés, Foukomba surtout, la métropole religieuse de tout le pays, outre ces centres, il en est un certain nombre qui, moins populeux, jouissent comme écoles d'une réputation presque égale : tels sont Bambaya, Siguira dans le Fogny, Dentari, Ko Langue et surtout Baofello dans le Kohin où réside le Khalifat des Tidjaniya affiliés à la branche de Ségou. Partout d'ailleurs où se trouvent groupés quelques Roundé, des hameaux de cultures, une mosquée, hutte de chaume comme les autres habitations mais plus grande, occupe un point culminant ou central et les enclos voisins sont invariablement habités par des Tholba qui tiennent école.
Le Foutah étant, d'autre part, isolé par sa configuration géographique, par toute son histoire, le développement qu'y prennent les études religieuses a un caractère local. C'est sur leur propre fonds que travaillent les Alpha, Tierno, Fodé, les marabouts delà région. Ils ont relativement peu d'ouvrages originaux venus du dehors : les commentaires d'Ibn el Malek, Sid el Bokhari, Sidi Khelil et quelques traités fondamentaux. Mais ils produisent eux-mêmes une foule de commentaires relatifs à
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ces livres, ou se rapportant à ceux que quelques-uns d'entre eux ont pu voir à Ségou, sur le Moyen Niger, à Kankan, etc.
Il s'est ainsi formé au Foutah-Djallon une église nationale en quelque sorte, et ce fait contribue à expliquer comment El Hadj Omar a perdu en peu de temps toute l'influence qu'il avait acquise. Les habitants du pays ont été Kadriya à l'origine, puis Tidiane. Bien qu'ils comptent encore quelques adeptes des deux confréries et d'une manière générale se rattachent au parti de la seconde, on ne peut les considérer comme en formant un groupe direct au même titre que les Peul du Foutah Sénégalais ou du Macina. Leur évolution religieuse est en quelque sorte personnelle, indépendante. Ils professent la doctrine du Djehad, mais sur les limites de leur territoire et sans s'intéresser au mouvement musulman extérieur.
Ce serait d'ailleurs une erreur d'inférer de cette situation que l'Islam ait au Foutah-Djallon des tendances plus libérales qu'ailleurs.
L'élément européen n'y était pas avant l'annexion accueilli avec une hostilité aussi accentuée qu'au Foutah Sénégalais. Mais c'était à condition qu'il se pliât à des exigences multiples, celles que tout chrétien doit admettre des musulmans, dansle domaine particulier de leur religion.
Il y a lieu, au reste, d'établir une distinction entre les deux fractions de la population. Chez les Peul proprement dits, l'instruction est moins générale, moins développée. Ils forment encore une caste nobiliaire dont les familles affectent de se désintéresser des choses de l'enseignement. Beaucoup ne savent ni lire ni écrire l'arabe, et possèdent à peine quelques passages du Koran. Néanmoins, et pour des raisons analogues à celles qui ont créé un même état de choses chez les Berbères sahariens, ce sont les partisans les plus exaltés de l'indépendance religieuse du pays.
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Les études théologiques de tout genre sont plus généralement en honneur parmi les tribus Mandé, celles qui forment l'élément Djallon-ké nombreux au Foutah même. Ce sont elles qui aujourd'hui fournissent la majorité des docteurs indigènes. Tels étaient, il y a quelques années, Karamoko Sori Karéya, à Bambaya ; Tierno Alimou Tiéfouri ; Mahmadou Ouri. à Siguira; Mohdi Mokhtar, à Dentari ; Mohdi Sourakata, à Ko Longue; Alpha Yéréma à Cagni. Parmi les Alem de race Peul pure, on ne pouvait guère compter à la même époque, que Tierno Sounounou, mort depuis chez les Massi du Rio-Grande supérieur, et un de ses élèves Tierno Gando Massi.
En résumé, le Foutah-Djallon est un pays musulman dans toute la force du terme, Tidiane avec une nuance de modération, et où le mouvement religieux de la période récente s'affirme par une production intellectuelle assez remarquable. Mais il est isolé des autres régions mahométanes tant au point de vue ethnique et politique qu'au point de vue géographique et suit dans le domaine spirituel son évolution propre.
Vers l'Est, son action est presque nulle. Elle se bornait naguère à des pillages, à des razzias périodiques sur les fétichistes du Djallonkadougou, du Konkadougou. Cependant le Oulada, le Baléya, le Amana, petits districts Djallonké, situés entre le Niger et la province de Fodé Hadji, ont dû à leur proximité de cette partie du Foutah, de voir accroître dans leurs villages le nombre des musulmans par l'immigration de nombreux musulmans. A Nono principalement, dans le Oulada, s'est établie ainsi pendant les quinze dernières années, une population originaire du Foutah, qui a contribué dans une large mesure à la propagation de l'Islam dans ces parages.
Mais c'est surtout à l'Ouest, dans la zone littorale que se fait sentir l'influence religieuse du Foutah-Djallon. Il est inutile de revenir sur ce qui a été déjà dit du Djehad entrepris au temps
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d'AliphaBâ, de l'almamy Sory, de l'almamy Omar. L'almamy Ibrahima a continué jusqu'en 1887 à suivre l'exemple de ses prédécesseurs. Toutefois, les résultats acquis dans cette voie ne sont pas aussi considérables et absolus qu'on pourrait le supposer. Ainsi le grand État Peul de Moussa Molo, qui s'étend de la Gambie au Rio-Grande, n'est rien moins que Tidiane, quoique fondé par El Hadj Omar, ou du moins sous ses auspices. Outre le Firdou, il embrasse de nombreuses provinces : Diaga, Kollah, Kameko, Birassi, Diamara, Sama, Patiana, Diaoubé, Guia, Kbbada, Patin, Kanadougou, Karési, Maïsonnah, Dioladougou, Badoura, Birkana, Dandou, Gabousara, Koyada, Diara, etc.. Primitivement Mandé, ces territoires contiennent aujourd'hui une forte proportion de Peul et, sans être exclusivement musulmans, achèvent rapidement de se convertir. Mais il semble que ce soit plutôt sous l'égide du parti Kadri que suivant les formules Tidiane. Tout au moins l'hostilité contre la pénétration européennne y est beaucoup moins vive qu'ailleurs. Moussa Molo est même entré en lutte directe et active contre les agitateurs du Diakha et du Kéian, Mahmadou Lamine et Fodé Kaba. Cependant on ne peut méconnaître qu'il s'agit là, somme toute, d'un mouvement d'expansion de l'Islam, et sa forme actuelle n'atténue aucune des conséquences possibles de ce fait. Entre le Rio-Grande et le Rio-Pongo, le pays peut être considéré comme une dépendance presque directe du Foutah-Djallon. Il y existe encore de nombreuses enclaves fétichistes, mais jusqu'à la région côtière où sont cantonnées les populations aborigènes, l'influence de l'élément Peul est prédominante parmi les Mandé. On a vu qu'il s'est formé de ces côtés quelques centres de propagande actifs, tels que Consotomi, Bambaya, Médina. Il suffit d'ajouter que plus qu'au Foutah même, les tendances Tidiane y sont presque absolues. Tel est aussi le cas du plus grand nombre des districts mu-
RÉPARTITION DES MUSULMANS 3og
sulmansdu Sud,jusqu'à Sierra-Leone. Parmi ceux-ci cependant, on doit distinguer deux catégories. Dans quelques-uns, et par une anomalie qu'expliquent les anciennes migrations des Mandé soudaniens — ce sont les plus voisins du Foutah — quelques-uns n'offrent qu'une minorité de mahomélans. Il en est ainsi du Salou, du Sandou, du Soulouma, dans la vallée de la grande Scarcie. Au milieu de peuplades fétichistes, existent seulement quelques groupes de marabouts Djallonké venus du Foutah. Les deux éléments sont cantonnés par villages. Mais actuellement les progrès du second sont fort rapides et il est permis de prévoir qu'avant peu d'années, ces États en seront au même point que ceux du Bannah,du Kissi Kissi, du Moréah, du Forekariah. Dès l'époque d'Alipha Bâ et de ses premiers successeurs, ces derniers pays étaient entrés dans le mouvement Djehadiste et à partir de l'arrivée d'El Hadj Omar, ils sont devenus Tidiane sans exception.
Les Kissi Kissi comptent ainsi pour chefs, depuis le commencement du siècle, des prêcheurs de guerre sainte, Fodé Traouré, Fodé Youssef et Fodé Sako Ba.
Ils ont, d'autre part, suivi, vers 1860, un agitateur venu du Foutah-Djallon, Modi el Hadji, de Laïa, avec lequel ils ont converti le Bannah et le Soumbouiya.
A Fodé Kariah et dans le Moréab, l'almamy Omar et l'almamy Bokari, chefs du pays de i83o à 1870, ont même entrepris de nombreuses expéditions contre les fétichistes.
Il existe cependant dans la même région quelques petits États encore idolâtres : tels le Caniah, le Tala, et, plus au Nord, le Takoubéiah, etc. . En un mot, la conversion de tout le territoire Mandé qui borde le Foutah-Djallon n'est pas'dès maintenant un fait accompli. Mais elle s'avance et s'effectue dans le sens des traditions de la Réforme islamique contemporaine. A défaut d'autres preuves, il suffit de rappeler les difficultés qu'ont provo-
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quéesles expéditions de 1887 contre le Manéah et le Forékariah. Seule, la zone qui avoisine immédiatement la mer et où ont été refoulées les anciennes peuplades de la contrée, Féloup, Balantes, Landouman, etc., est encore à peu près indemne. Cependant au Nord, sur la Gambie, le Fogny et le Kian, sont, on l'a vu, entrés dans le mouvement Tidiane avec Fodé Kaba et Ibrahim N'diaye. Les autochtones n'y ontpas'embrassé l'Islam; mais ils se sont vu réduire au rang de vassaux, de captifs des Socé et Mandé de toute origine, qui ont embrassé la cause des deux agitateurs. Malgré la disparition de ces derniers, ce sont des pays conquis presque définitivement par l'Islam. Au Sud, il n'y a guère que chez les Nalou qu'on retrouve de nombreux musulmans, et surtout chez ceux de la Guinée Portugaise. Dans la région des rivières du Sud, les missionnaires du mahométisme sont à l'oeuvre et la conquête Peul a certainement menacé l'indépendance religieuse des riverains de l'Océan. Mais l'affermissement de notre autorité leur a permis de résister. Le nombre desmusulmans augmente, ilestvrai,pardes immigrations importantes, par l'établissement de Dioula Djallonké ou Soni-nkédans tous les villages commerçants des fleuves côtiers. Mais le mouvement général de conversion semble enrayé. Il n'en était autrement que chez les Sousou du Sud, dont le territoire s'est trouvé de bonne heure absorbé par les colonies du Moréah, de Fodé Kariah, etc.. Peut-être là aussi notre intervention déterminerat-elle un recul dans cette conquête.
Cependant on ne peut compter avec certitude que la répulsion ethnique des autochtones suffira, avec notre appui, pour les préserver d'une absorption lente.
Au sud de notre territoire, l'Islam se répand également dans la région littorale de Sierra-Leone, Mais là, c'est surtout par immigrations. Les relations commerciales de la colonie anglaise avec tout le Soudan, y amènent de nombreux marchands Soni-nké,
RÉPARTITION DES MUSULMANS 3 I I
Peul, Mandé, Dioula, tous musulmans, qui se fixent dans le pays pendant des années, ou même s'y établissent définitivement. Parmi ceux qui reviennent chez eux, il en est au Foutah-Djallon et même jusque sur le Niger qui parlent couramment l'anglais.
Free Town a ainsi une colonie mahométane de 3,ooo habitants; à Port Lokko et dans tous les autres centres il en existe aussi.
A Libéria, au contraire, le mouvement religieux conserve un caractère de conversions. Il a été au début dirigé presque exclusivement par les Mali-nké de Mousardou et des villes voisines. Ce sont eux qui, peu à peu, ont islamisé la grande tribu des Veï. Peut-être, dans les deux derniers pays, les progrès du mahométisme sont-ils, tout compte fait, moins rapides que dans la Sénégambie méridionale. En effet, à Sierra-Leone et Libéria, il existe une importante population nègre, venue d'Aménique, et protestante. Elle joue naturellement, au point de vue religieux, un rôle actif et contrebalance l'influence de l'élément musulman. Néanmoins, il semble que, là aussi, l'avenir réserve à l'Islam une victoire presque générale. En contact avec la civilisation européenne, toutes les peuplades de l'Ouest Africain, éprouvent, consciemment ou non, le besoin de substituer à leurs anciennes croyances une religion plus élevée. Le xhristanisme de toute confession est trop perfectionné, trop absolu. SeulT'Islam, répond pour toutes, aux nécessités du moment.
CHAPITRE II
RITES ET DOCTRINES
PARTICULARITÉS DE LA RELIGION MUSULMANE
On pourrait s'attendre à voir l'Islam conserver beaucoup des traditions, des pratiques propres au fétichisme, sur le domaine duquel il s'étend dans l'Afrique occidentale. Il n'en est cependant pas ainsi. Presque partout, la lutte engagée entre les deux religions amène la disparition complète de la seconde, dès que se termine la période transitoire de la conversion. Chez les Soni-nké, les Peul, on trouve aujourd'hui fort peu de traces de leurs anciennes croyances.
Ce n'est pas cependant que les coutumes qui en viennent se perdent entièrement. Ainsi la fête du Mouloud en Nebi, s'est, dans tout le Bas Fleuve, et partout où vont les traitants de Saint-Louis, confondue, sous le nom de Tabaski, avec une ancienne fête des Ouolof fétichistes. La plupart des Mali-nké musulmans, dont la conversion s'est effectuée au siècle actuel, conservent la pratique de l'excision pour les femmes. Elle est, du reste, admise même par les autres. Ainsi dans le Manding et les régions voisines, ce sont les marabouts Soni-nké qui font la circoncision et l'excision chez les fétichistes.
Sous le nom de Gris-gris, les amulettes sont partout fort en honneur. Mais il n'en est pas autrement dans tout le monde musulman. On peut cependant mentionner cette particularité que les marabouts en font indistinctement pour leurs coreligionnaires ou pour les idolâtres. Enfin, ils ne s'en tiennent pas
RITES ET DOCTRINES 3 I 3
aux amulettes proprement dites, mais font commerce d'objets bénits en quelque sorte. Chez les Sérères par exemple, et cet usage se rattache aux habitudes d'ivrognerie de la race, beaucoup de Tiédo portent des bouteilles d'eau, à laquelle le lavage de versets du Koran, d'amulettes, a donné une vertu particulière, et ils s'en servent soit pour leurs ablutions, soit comme boisson.
A l'institution des sorciers, se rattachent d'autre part de nombreux procédés de consultations du sort, analogues à l'Istikhara, mais qui ont pris un caractère spécial. Tel le Weckal des Ouolof, pour lequel, après avoir tracé sur le sable des caractères cabalistiques, le marabout fait cracher à cet endroit par l'indivu dont il veut connaître la pensée. L'opération ressemble évidemment aux différentes incantations admises chez les Sousou fétichistes, les adeptes du culte de Nama ou de Simo.
Dans le même ordre d'idées il convient de signaler une pratique fort remarquable, qui s'est développée surtout chez les Peul et qui a été empruntée aux Kadriya d'Orient, mais s'est modifiée au contact du fétichisme nègre : celle du magnétisme, de l'hypnotisme. Beaucoup de marabouts, comme complément à la thérapeutique koranique, endorment leurs malades par fixation du regard, ou par passes, et sans aller aussi loin que ceux de l'école hindoue, obtiennent des résultats parfois curieux. L'hystérie, sous diverses formes, est d'ailleurs commune chez les noirs, et on trouve exactement les mêmes usages chez les Simo des rivières du Sud.
En tout cas, il ne s'agit là que de pratiques. L'Islam, qui doit ses succès surtout à sa malléabilité, s'est plié aux coutumes du pays, dans une certaine mesure. Mais sa doctrine n'a pu être influencée par les croyances fétichistes, qui n'existant que comme culte, comme tradition, n'ont rien d'un système philosophique.
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Tout au contraire, on trouve dans le mahométisme soudanien des traces nombreuses du judaïsme qui, comme on l'a vu, l'a probablement précédé dans ces contrées. Des rites juifs, rien n'a subsisté. Mais toute l'histoire religieuse des musulmans du Sénégal et du Niger s'appuie sur celle des Hébreux. Ainsi parmi les lieutenants de Soundjata, les légendes populaires mentionnent Nebidiou Moussa, Nouah et les autres prophètes de l'ancien testament. Beaucoup de tribus Soni-nké ou Mandé font remonter leur origine aux Pharaons, ou aux chefs des tribus de la Palestine.
Enfin, la conquête du Foutah par les Peul a donné lieu à une autre légende, fort compliquée, dans laquelle figure Ali Bedra (Ali ibn Abi Thaleb, le gendre du Prophète, dont la femme, Lallah Fathma Zohra, avait eu, en douaire, le bourg juif de Bèdre) comme époux de Miriem, la Vierge, et lieutenant de Moïse, envoyé lui-même par Sidna Aïssa, au nom du Prophète. Cette tradition est répandue dans le Kaarta surtout.
Ce ne sont là que des réminiscences. Elles sont néanmoins intéressantes à constater, et expliquent ce fait que, dans la littérature musulmane du Soudan, les souvenirs juifs ou chrétiens tiennent une très large place.
Parmi les ouvrages répandus dans le pays, se trouve ainsi un volumineux travail d'un Soni-nké de Sansanding, sur les chapitres du Koran où il est question des deux religions et qui reproduit les réponses des juifs de Timbouctou, aux questions posées par l'auteur. Au Foutah-Djallon, la sourate Miriem a de même été l'objet de commentaires particulièrement étendus. L'organisation matérielle du culte musulman prête aussi à quelques remarques.
En premier lieu, suivant une coutume antique des peuplades nègres, les sépultures sont restées, chez les musulmans, de simples enfouissements. Sauf à Saint-Louis, où Bou el Moghdad a
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rapporté cet usage du Maroc, chez les Maures et dans les villes du Moyen Niger, on ne trouve presque nulle part de tombeau orienté vers La Mecque avec ses deux compartiments et les deux plaques ou pierres tumulaires delà tête et des pieds. Au FoutahDjallon,les corps sont ensevelis dans des buissons épais, comme au temps de Nama chez les Djallonké. Les Ouolof, les Peul du Foutah, enterrent de même leurs morts au hasard dans la brousse. Donc pas de cimetières, pas de koubba, à moins que l'on ne considère comme telles, les cases où les Mandé ensevelissent les défunts des castes libres, qu'ils soient fétichistes ou musulmans.
On ne trouve guère plus de Makam, de ronds de prières, élevés dans les endroits où les marabouts célèbres s'arrêtent pour faire leurs dévotions. En 1888., sur la route de Médine et Bafoulabé,il n'en existait qu'un seul. Encore ce Makam provenait-il d'un chérif marocain de passage.
A Ségou, Sansanding, Timbouctou, Oualata, les mosquées sont bâties comme celles du nord du Maroc. Mais partout ailleurs, sauf à Saint-Louis, où nous en avons construit une à la française, elles appartiennent à deux types invariables.
L'un est spécial au Foutah-Djallon, où l'autre est d'ailleurs également répandu. A proprement parler, la mosquée n'est dans ce type qu'une variante du Makam. Elle consiste en une aire découverte, tantôt battue, tantôt sablée, avec une enceinte linéaire. A Dongol Fellah, résidence d'été de l'almamy des Soriah, cette enceinte circulaire est faite de pierres au ras du sol, comme l'assise inférieure d'un mur. A Sokotoro, où habitaient les fils de l'almamy Omar, une première clôture est figurée par de gros orangers plantés circulairement autour d'une place polygonale, presque circulaire, limitée par des poutres couchées sur le sol. Au dedans se trouve une autre enceinte carrée faite
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de bûches rondes, en saillie de om,2o, sauf au Mirab, où elles ont om,5o de relief.
Le second type est beaucoup plus répandu. Les mosquées consistent simplement en cases de dimensions plus grandes que celles des villages, avec un mur en pisé de im,oo environ de haut et un toit de chaume. Quelquefois, il y a deux murs séparés par un couloir de im,5o à 2 mètres. Les plus grandes dimensions sont de i5 à 20 mètres pour le diamètre de la case et de 10 à 15 mètres pour la hauteur du toit. Mais il est rare que ce maximum soit atteint.
Au dedans, ces mosquées ont un mirab de maçonnerie, des nattes, des lampes même.
Les écoles n'offrent rien de particulier. Elles peuvent être assimilées à celles des Ksour du sud de l'Algérie.
Cependant le persqnnel qui les dirige, et de même toute la cléricature musulmane, se trouve divisé en plusieurs catégories. Il existe en un mot, dans l'Islam soudanien, une hiérarchie, très fermée, très définie et qui rappelle tout à fait les castes indigènes, auxquelles elle doit assurément son origine.
Au rang inférieur, se trouve le Thalibé dans tous les pays. C'est le disciple, l'élève, qui, déjà musulman, aborde l'étude de la langue arabe, la lecture, l'écriture. Ce titre est générique, il n'implique pas une qualification personnelle.
A un degré plus élevé, vient, en pays Ouolof, le Moor, auquel s'applique le nom de Tierno, chez les Peul et chez quelques ' Mandé.
Moor, Tierno, deviennent des titres personnels. On dit Tierno Youssef, Moor Ahmadou. Pour mériter cette désignation, il faut connaître déjà la langue écrite, savoir quelques chapitres du Koran.
Quand on le possède complètement, on est Forié, ou Fodé, suivant les régions, Presque toujours le Fodé, en pays Peul ou
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Mandé, le Forié chez les Ouolof. porte un signé distinctif, son chapelet à l'oreille par exemple, lorsqu'il veut se faire reconnaître.
Au-dessus vient le Tamsir, ou, pour les Peul, l'Alpha, qui seul porte la chéchia rouge et le turban blanc, sauf à SaintLouis, où les prend qui veut. Le Tamsir est le véritable éducateur, le chef d'école. C'est lui qui remplit les fonctions d'imam, de cadi. Ainsi le cadi de Saint-Louis est Tamsir. Peut-être le nom d'Alpha implique-t-il en outre la situation spéciale de doctrinaire, de maître religieux dans un sens plus absolu que celui de chef d'école. En tout cas, comme Tamsir, comme Alpha, on doit non seulement posséder entièrement le Koran et les Hadits, mais les commentaires, la grammaire. Il faut, en un mot, pour atteindre ce degré, avoir terminé l'étude des sciences religieuses. Parfois, cette hiérarchie, qui est générale, se confond avec celle des confréries proprement dites. Le Thalibé n'est qu'un Thalemid, un aspirant; le Tierno est Mourid ; le Fodé, Moqaddem ; le Tamsir, Khalifat ou Naquib.
Partout au reste, au-dessus du Tamsir, de l'Alpha, se trouve le Cheikh, le Cheikhou, suivant la forme indigène, qui, toujours Alem, est quelquefois en même temps l'Imam el Triqâ.
La confrérie, la « voie » n'a pas d'organisation définie : son vocable ne constitue qu'une enseigne doctrinaire, un patronat. Mais tout musulman soudanien est Kadri ou Tidiane, quand il n'est pas Rhedem de Sid el Mokhtar. Le saint Ouali qu'il revendique comme patron était « Cheikh el Triqâ ». Sans s'embarrasser des règles du Tessaouf, il donne à son chef spirituel vivant, le même titre, avec la même portée commémorative, suivant en même temps la tendance instinctive du nègre aux amplifications glorieuses, et celle du croyant de l'Islam mystique.
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SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
LES ORDRES RELIGIEUX
Deux ordres religieux seulement, celui des Kadriya et celui de Tidjaniya, ont un rôle effectif dans l'éovlution de l'Islam au Soudan occidental. Quelques autres doctrines cependant y sont représentées ; mais elles n'ont qu'un rang très effacé et ne méritent d'être citées que pour mémoire.
En première ligne, viennent les Chadeliya. Comme école ils ont une certaine importance. On sait, en effet, que leur enseignement confine d'une part à l'Islam orthodoxe, d'autre part au mysticisme et figure une nuance intermédiaire. Tel est le cas surtout des Djazouliya, des adeptes du rituel, auquel les Delaïl el Kheïrat de l'Imam Sliman el Djazouli servent de base. Pour ceux-ci les liens hagiologiques n'existent pas. Ils ne forment ni un ordre, ni une association quelconque. Ils s'astreignent seulement à suivre un formulaire de prières, un code de morale religieuse, dont les Delaïl sont l'expression. Dans tous les pays de langue arabe, ces disciples du spiritualisme islamique sont nombreux. Au Sahara, au Sénégal, au Soudan, la société cultivée en compte beaucoup.
Mais ils n'ont aucune action propre, ne peuvent être considérés comme un élément particulier.
Autre est le cas des Chadeliya de confrérie. Il en existe aussi quelques groupes dans l'Ouest africain. Les uns comme congrégations indépendantes ; les autres comme branches des grands ordres.
La plupart des Cheikh el Triqâ, tout en se ralliant à une doctrine déterminée, appuient en effet leur règle sur des filiations multiples. Chefs d'un ordre donné, ils sont initiés à plusieurs autres et à l'occasion en transmettent aussi les dogmes. C'est ainsi que Cheikh Saadibou, le chef des Kadriya de PAdrar
RITES ET DOCTRINES 3lQ
de l'Ouest, donne également l'Ahd des Chadeliya, Debbaghiya et Tidjaniya.
Sans insister à cet égard, il convient de dire que les Chadeliya de cette origine ne forment qu'un fort petit groupe. Outre quelques Tholba sahariens, ils se recrutent surtout parmi les . musulmans les plus lettrés du. Bas Sénégal. Cheikh Saadibou avait à Saint-Louis, un moqaddem Chadeli, Cheikh Moussa Thiam.
D'autres congrégations du même ordre, mais indépendantes, existent dans diverses régions du Sahara, mais ne sontpas représentées au dehors. Ainsi dans PAftouh, un Cheikh Chadeli, nommé Ahmed el Hadrami, a quelques disciples. Dansle Tagant à Tidjidat, d'autres Chadeliya ont pour chef local Sidi Abd Allah ould el Hadj Brahim, dont l'influence paraît croître depuis quelques années, sans cependant s'étendre au loin. A Oualata, des Chorfa Idrissiin, arrivés depuis peu dans le pays, représentent une branche marocaine, mais dans la ville seulement.
Outre les Chadeliya, on peut mentionner les Debbaghiya, de Sidi Abd el Aziz el Debbagh, plus connus sous le nom de Khadiriya, comme comptant dans le monde des Khouan de l'Ouest Africain. Mais c'est à titre exceptionnel et par filiation des Oulad Mohammed el Fadel.
Enfin, à Timbouctou, Sansanding et les autres villes du Niger, ainsi qu'à Oualata, les Marocains et Touatiya ont introduit quelques autres ordres : Derkaoua, Rachidiya, Aroussiya, etc.. qui tous relèvent par origines du Chadélisme. Ils ne font pas de prosélytes, n'ont aucune action sur la marche générale de l'Islam.
Seuls les Kadriya et les Tidjaniya ont un rôle effectif dans le mouvement religieux ; seuls, ils comptent des adeptes chez les races noires, avec les Chadeliya de Saint-Louis.
320
SITUATION ACTUELLE DE L ISLAM
KADRIYA
Les Kadriya appartiennent à des branches issues d'une même souche, mais aujourd'hui multiples, isolées.
Le premier groupe, le plus important, est celui des Bekkaiya. Avant de l'étudier, il convient de mentionner quelques congrégations locales qui en sont indépendantes ou s'en sont détachées depuis longtemps. Leur principal centre est à Oualata, où s'était établi le premier chef delà famille des Bekkai sous ce nom, Sid Ahmed el Bekkai. Après la mort de Cheikh Omar, en i552, l'influence de sa lignée se répandit surtout au Touat et dans la région septentrionale du Sahara. Ce fut longtemps après, seulement, qu'elle s'imposa définitivement de nouveau à Oualata, par l'intermédiaire des descendants de son quatrième fils, Sid Ahmed el Reggani. Celui-ci s'était fixé à Reggan, d'où son nom, .:et devint le chef d'un groupe local de Kadriya, qui sous Sidi Abd el Malek el Reggani, acquit au XVIIe siècle une grande importance.
Après samort, les Chorfa Mouley Abd el Hadi et Ahl Mouley Chérif, de Oualata, apparentés à ceux de Reggan, sollicitèrent un de ses fils de venir s'établir parmi eux. Depuis lors, la famille est restée représentée dans la ville par une tige directe, dont le chef actuel est Sidi Abd el Malek el Reggani, homonyme de son aïeul. Outre cette branche, deux autres se partagent les Kadriya Regganiya, et toutes deux sont issues de Sid Ahmed. Elles ont pour chefs Mohammed Ould el Mokhtar Ould Thaleb, et Cheikh OuldBrahimel Khalil.
Ce dernier n'a de disciples que chez les Deiboussat d'El Haoh, tandis que ses deux rivaux recrutent leurs partisans dans les trois tribus Tholba (arabes ou berbères) de OuaJata même : El Ghelal, Idé Ilba, El Bârtil ; ainsi que chez les Tafoullalelt, Gue-
G.STEINHEIL Editeur.
Iny. MOHItOCQ.S rueSuyw.frris.
RITES ET DOCTRINES 321
lagma, Oulad Guélal, Tadjakant, et autres tribus Tholba d'El
Haoh.
L'action des Regganiya est ainsi limitée aux populations
parmi lesquelles ils sont fixés, toutes de race arabe ou berbère. Mais à côté d'eux, il existe à Oualata un autre groupe de Kadriya, dont l'influence se développait, il y a quelques années, grâce à son chef, un Chérif, nommé Sidi Mohammed, qui se prétendait issu de la descendance directe de Sidi Alb el Kader el Djilani.
A l'inverse des précédents, tous Batheniya ou Intérioristes, c'est-à-dire qui n'exigent que la récitation mentale du Dhikre, Sidi Mohammed appartient à l'école des Zaheriya ou Extérioristes, ceux qui font le Dhikre mécanique, suivant la méthode orientale. Comme toujours, c'est là une caractéristique des tendances extatiques. Fort développées chez Sidi Mohammed, elles l'ont fait regarder comme prédestiné à une haute mission. Ses adeptes lui donnèrent le titre de Mahdiou, sous lequel il était généralement connu en 1888, et le considéraient comme devant, dans un avenir prochain, prendre la direction d'un grand mouvement religieux. Il est probable que depuis, comme beaucoup de Chorfa Kadriya, il s'est contenté de la prébende acquise, car le silence semble s'être fait autour de son nom.
Outre les nomades Tholba d'El Haoh, non Regganiya, il comptait, en 1888, de nombreux partisans chez les Soni-nké du Bakhounou, du Guoy et du Guidimakha, puis tout près de Khayes, chez les Askeur, fraction métisse d'une tribu du Haoh, qui est venue s'établir sur la rive gauche du fleuve.
De tous les Kadriya indépendants des Bekkay, cette congrégation est la seule qui ait contact avec la partie centrale de notre territoire.
Quelques autres, beaucoup moins importantes que celle de \ Oualata, peuvent être également mentionnées dans les diverses
ISLAM. 21 ',
322 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
régions du Sahara : chez les Brakna Idjeïbi, une branche isolée peut être rattachée à la confrérie de Sid el Mokhtar el Kebir par son chef Cheikh el Kadi, qui a aujourd'hui pour successeur son petit-fils, Cheikh Ahmed Mahmoud. Dans le Tagant, un autre groupe local relève d'un Kadri marocain, Sidi Mohammed Ould Menni, etc.
Toutes ces congrégations, sauf celle de Sidi Mohammed el Mahdiou, sont peu intéressantes, et méritent seulement d'être citées rapidement. Autre est le cas des Bekkay proprement dits.
Jusqu'à la mort de Sid Ahmed el Bekkay, il y a une trentaine d'années, on peut les considérer comme encore rattachés à une seule tige. Déjà cependant leur dissémination avait commencé par la formation de clans, qui subissaient la suprématie religieuse de Sid Ahmed sans relever directement de lui. Aujourd'hui tous ces clans sont isolés. Le principal, celui qui représente à proprement parler la lignée religieuse de Sid el Mokhtar el Kebir, a pour chef Baba Ahmed Ould Cheikh Sid el Mokhtar, neveu de Sid Ahmed et plus connu sous le nom de Baba Ahmed Ould Badi, chez les Touareg.
A la mort de son oncle, il entra en compétition avec le fils de celui-ci, Sid el Abidine qui, appelé dans le Macina, pour recueillir l'héritage paternel, quitta Timbouctou. Déjà la plupart des Kadriya de la région s'étaient ralliés à Baba Ahmed. Les aventures d'El Abidine achevèrent de lui faire perdre toute sa clientèle religieuse. Aujourd'hui Baba Ahmed est en fait le seul chef des Kadriya Bekkaiya Mokhtariya, à Timbouctou et dans la région avoisinante. Fixé d'abord dans le paysd'Aribenda, à deux jours de marche est de la ville, ensuite à l'est du Niger, il étend son influence chez les Kêl Immiden de l'Adrar, les Irregenaten, les Berabich, etc. de l'Araouan au Macina oriental et vers l'Est, jusque dans l'Aghélé. Mais il est surtout considéré comme
RITES ET DOCTRINES 323
Ouali, comme saint, et sauf chez quelques petites tribus de marabouts, tels que les Touareg Iguellad, il s'en faut de beaucoup que son ascendant politique, nobiliaire, soit admis. Souvent, des bandes d'Irregenaten venaient piller ses troupeaux dans l'Aribenda.
Tous les Kadriya du Niger septentrional, ne l'en reconnaissent pas moins comme Cheikh el Triqâ, comme héritier direct de Sid el Mokhtar el Kebir, et sous le nom de Ahl ech Cheikh, ils représentent une force qui a pu naguère être imposante. Ce sont ses tendances personnelles, surtout, qui l'ont empêché de jouer un autre rôle. Peut-être pouvait-il aspirer à l'héritage temporel des anciens Bekkaiya, de même qu'il fut leur héritier spirituel. Mais plongé dans les pratiques d'une dévotion austère, il semble avoir fait du « Terk el Dénia », du renoncement aux biens du monde, la principale règle de sa doctrine.
Tout autre est le rôle de Sid el Abidine qui, cantonné d'abord à Gherdja, campant ensuite avec les Kêl Immiden, n'est à proprement parler, comme on l'a vu, qu'un chef de bandes. Pour définir la situation qu'il occupe, parmi les Kadriya, on peut le comparer, a-t-il été dit déjà, à Si Kaddour, chez les Oulad Sid Cheikh. Outre lui et son oncle, il existe encore deux descendants directs de Sid Mokhtar el Kebir, ce sont Sidi Mohammed Ould Sidi Haïb Allah, fixé aussi chez les Touareg Kêl Immiden de l'Est, sur lesquels il paraît avoir un certain ascendant; puis Bakké Ould Sidi Alouata,le seul des Bekkay qui soit resté àTimbouctou jusqu'à la conquête française. Il y vivait d'ailleurs très retiré, et malgré un certain prestige héréditaire, n'avait pas de disciples.
Mais la famille des Bekkay est en outre représentée par de nombreux membres, issus des autres branches. Quelques-uns ont encore une certaine situation dans le monde musulman. Ce sont :
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i°Khalifat Ould Abidine Ould Sidi Mohammed, et Sidi Mohammed Ould Baba Ahmed, qui tous deux représentaient la lignée de Sid el Bekkay el Kebir, dans le Haoh, jusqu'à ces dernières années. Entourés d'un certain nombre de Kountah, ils vivaient en chefs de clans maraboutiques beaucoup plus qu'en Cheikh el Triqâ.
A la suite de discussions déjà anciennes et qui engendrèrent des luttes répétées, les Mechdouf les ont chassés en 1884 et ils ont été s'établir, avec leurs partisans, dans l'Adrar et Temar. Leur rôle y est resté le même qu'à Oualata. Ils ne comptent pas parmi les chefs des Kadriya, n'ont pas d'influence religieuse et d'ailleurs, bien qu'ayant eu les mêmes destinées, sont ennemis. 20 Abidine Ould Sidi Mohammed, cousin de Khalifat Ould Abidine, et Baba Ould el Bekkay, proche parent de Sidi Mohammed Ould Baba, sont les chefs de ces deux mêmes branches dans les parages de Timbouctou. Ils ont dû tous deux s'établir chez les Kêl Immiden de l'Est.
Indépendamment des Bekkay mêmes, on pouvait rattacher à leur groupe leur Chorfa de Kankan, c'est-à-dire Sanounou et sa descendance, jusqu'à Chérif Seddik Tiramadi, leur chef à Bissandougou du temps de Samory, puis le marabout de Samatiguila, Kogno Mambi Ould Seddiki. Du moins les Kadriya de ces régions, procèdent-ils de la lignée spirituelle Sid el Mokhtar el Kebir, par essaimages directs.
Mais les représentants les plus illustres de son école sont ceux qui procèdent de Cheikh Sidia, ou des Oulad Mohammed el Fadel. Ce sont eux aussi qui, tant dans le Sénégal que dans le bassin du Haut Niger et au Foutah, ont le rôle le plus considérable.
Cheikh Sidia. — La branche de Cheikh Sidia eut pour premier chef, un_Kounti de l'entourage de Sid el Mokhtar el Kebir, Heïba, qui ne paraît pas avoir joué un rôle particulièrement
RITES ET DOCTRINES 32 5
, remarquable. C'est avec son fils Sid el Mokhtar Ould Heïba,
. que commence à se dessiner l'indépendance de la confrérie, et surtout avec son petit-fils Cheikh Sidia qui la fonda véritablement, aujtemps de Sidi Mohammed ech Cheikh. M.-ti-r ■ i; *■•- &-**■'■
Cheikh Sidia eut pour successeur son fils Mohammed Khalifat, qui a été lui-même remplacé par le Cheikh Sidia actuel, son fils.
Ce dernier, outre son père, eut pour chef spirituel un Bekkay proche parent de Sid Ahmed, Miloud Mourtada, connu dans le Sahara sous le nom de Chérif Timbouctaoui. Il peut ainsi revendiquer une double filiation, se rattachant aux deux plus illustres chefs de la famille des Bekkay au siècle actuel.
Fixé chez les Trarza,au nord de Podor, Cheikh Sidia campe toujours sous la tente et, suivant les époques, s'établit avec un
camp nombreux de disciples, tantôt à Tindoudja, tantôt à Boutilimet.
Boutilimet. compte, au Nord, des Talemid jusque dans le Tagant. A
l'Est, son influence s'étend, à l'exclusion des Doui el Hadj et de
leur groupe, dans la plupart des tribus maures, Douaïch, etc..
jusqu'à El Haoh,et chez les Soni-nké du Kaarta, jusqu'à Nioro.
Ses représentants directs, étaient en 1888 :
i° A Saint-Louis : Moqaddem : El Hadj Gamara, Mohammedou
Mohammedou ; 20 Dans le Dimar : Moqaddem : El Imam Deïmat, dont les
disciples devenaient presque aussi nombreux que les Tidjaniya
depuis quelque temps ; 3° A Podor : Moqaddem : Cheikh Aomar el Kebir qui était
Khalifat Kernel, pour les pays de la rive gauche du Sénégal.
C'est lui qui centralise toutes les offrandes, toutes les affaires
de l'ordre dans le Sénégal proprement dit ; 40 Dans le Foutah : Moqaddem : Saïd N'dougo à Diouto,
près de Boki Diabé ; 1
5° Au Boundou : Moqaddem : Cheikh Saloum ;
3 2,6 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
6° Dans le Khasso, à Médine : Cheikh Mohammed el Ouagne.
En résumé, outre Saint-Louis, l'influence de Cheikh Sidia s'étend sur la rive gauche du Sénégal, du Dimar àMédine. Mais, en dehors du monde des traitants, où son ascendant paraît d'autant plus grand qu'il est favorisé par des intérêts particuliers, ses Talmid sont relativement peu nombreux chez les habitants' mêmes du pays. Il n'en est autrement que dans le Dimar de l'Ouest et chez les Soni-nké de Bakel, de Médine. Encore de ce côté les Tidjaniya ont-ils, durant les dernières années, fait, ainsi que les Kadriya du Mahdiou de Oualata, de grands progrès au détriment des Kadriya de Cheikh Sidia. Dans le Foutah et le Boundou, les Moqaddem de celui-ci le représentent presque seuls.
Sa confrérie semble d'ailleurs en décadence. Son grand-père et homonyme, est resté l'objet d'une vénération générale, dont on trouve le souvenir jusqu'au Foutah-Djallon. Mais il est luimême peu considéré.
Son attitude, comme celle de tous les Kadriya de l'Ouest, n'est pas hostile à notre cause. En général, ils sont partisans de la paix avec nous et leur enseignement officiel est toujours dirigé dans ce sens. Cheikh Sidia n'a cependant pas toujours suivi ces errements. Il a été à plusieurs reprises en relations suivies avec Ibrahim N'Diaye qui avait été affilié à sa règle comme traitant, et qui, comme agitateur Tidiane au Fogny, a continué à lui envoyer de riches Hédia.
D'autre part, son père, que nous connaissions sous le même nom générique, a beaucoup contribué à entretenir les Brakna dans leurs sentiments hostiles à notre égard au milieu du siècle. Il a personnellement assisté à plusieurs engagements contre nos colonnes, notamment à l'attaque du camp de Mohammed Sidi, le 6 juin i856, et sa présence parmi les Oulad Ahmed paraît
RITES ET DOCTRINES 327
avoir été l'une des causes de l'échec qui nous fut alors infligé. Mais depuis la conclusion de la paix avec les Maures, l'attitude de la famille a toujours été correcte. En aucune circonstance ses représentants n'ont provoqué de désordres. Tout au contraire, leurs prédications ont conservé, en l'accentuant à toutes les époques de troubles, le caractère pacifique du Kadérisme soudanien.
Outre Cheikh Sidia, sa famille est représentée par son frère Cheikh el Aïni, qui n'a aucun rôle religieux.
Mohammed el Fadel. — La branche des Kadriya de Mohammed el Fadel a pour principal centre, la région comprise entre le Tagant et l'Atlantique, c'est-à-dire l'Adrar et Temar et le Tirés. Elle est beaucoup plus importante que la précédente, d'une manière générale, et pour nous en particulier. Cela tient à plusieurs causes. Mohammed el Fadel était d'origine chérifienne de Oualata,etles Chorfa comptent beaucoup dans la région saharienne ou soudanienne. Il a, d'autre part, laissé la réputation d'un jurisconsulte et théologien éminent, assez connu pour que Cheikh Senoussi l'ait cité à plusieurs reprises dans sa Faharassat. Après lui, ses enfants se sont efforcés de l'imiter, et plusieurs d'entre eux sont auteurs de nombreux écrits. Enfin il a laissé une postérité considérable et en se dispersant, ses fils ont propagé au loin l'influence de l'ordre paternel, sans d'ailleurs cesser de conserver d'étroites relations.
De même que les Kadriya de Cheikh Sidia, ceux de Mohammed el Fadel n'ont pas formé une branche distincte dès la mort de Sid el Mokhtar el Kebir. C'est avec Mohammed el Fadel même qu'ils se sont séparés des Bekkaya du Tagant et de l'Adrar, représentés encore par des membres de la famille moins connus que ceux qui ont été déjà cités : savoir Baba Ould Sidi Ould el Bekkay Ould Cheikh Sidi el Mokhtar, chez les Brakna ; Baha; Ould el Khatari Ould el Bekkay Ould Cheikh Sidi el Mokhtar,
328 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
chez les Trarza ; Sidi Mohammed Ould el Mokhtar, chez les Douaïch du Tagant.
Les chefs actuels de la confrérie, sont les fils mêmes de Mohammed el Fadel : Cheikh Mohammed Taki Allah, Cheikh el Hadrami, Cheikh Mouley Aïnine et Cheik Saadibou.
Deux autres sont morts, Mohammed el Mahmoun, à La Mecque, et Sidi Boui, à Oualata.
Cheikh El Hadrami est fixé à Oualata, mais n'a ni disciples, ni influence, sauf chez les Oulad en Naceur des Oulad Sidi Mohammed du Sud-Est. Il paraît faire exception aux traditions de sa famille et peu s'intéresser aux choses religieuses. Mohammed Taki Allah est également resté longtemps à Oualata. Il comptait de nombreux partisans chez les Mechdouf mêmes et dans quelques autres tribus. Mais quoique n'ayant pas eu les mêmes difficultés avec les habitants du pays que les Bekkay, il l'a quitté, lui aussi, pour se fixer dans la partie méridionale du Tagant. Il représente la principale influence religieuse dans la région comprise entre l'Adrar, le Djouf, El Haoh et le pays des Douaïch.
Cheikh Mouley Aïnine, qui est allé deux fois à La Mecque et jouit au Maroc d'une grande réputation, habite tantôt l'Oued Noun, tantôt la partie méridionale du Tirés.
Enfin, Cheikh Saadibou va de Tichit sur la limite du Tagant et du Oualata, au Tirés méridional.
L'ensemble des territoires au nord du Sénégal, sur lesquels s'étend l'influence des Kadriya de Mohammed el Fadel, se trouverait ainsi limité: au Sud, par le fleuve, de l'Océan à Bakel;,à l'Est, par le Sahel, El Haoh, le Djouf et l'Iguidi ; au Nord, par la partie septentrionale de l'Oued Noun,
Il s'en faut de beaucoup que dans ces régions leur ascendant soit exclusif. Outre la zone comprise entre El Haoh et le fleuve, où Cheikh Sidia est établi, il existe un grand nombre
RITES ET DOCTRINES
329
de marabouts, de Cheikh, dans le Tagant, l'Adrar et, chez les nomades, des tribus Tholba entières qui leur sont hostiles. Mais aucune influence n'est aussi étendue, aussi générale, dans le Sahara occidental.
Les principales tribus, où l'on trouve ainsi des Kadriya Fadeliya, sont les suivantes :
Trarza
Oulad Haïem el Othman
Douaïch
Brakna
Od Delim
Od en Naceur
Reguibat
OdSba
Tekena
Od Bou Achra
Azouafid
Haïtous
Od Bou Aïta
Ait el Hassen
Aït bou Mebgoud
Ait Brahim
Aït Messaoud
Aït Bill ah
Ait Djemel
Zerguiin
El Aroussiin
0" Tidrarin
Aït Moussa ou Ali
Od Ghilan
Djaafria
Od Mechrou f
Od el Haouilah
Aïdou Ali
Idou Bellel
Joggant
Tadjakant
Taggant
Od Sidi Mahmoud, etc.
Dans la région sénégalaise, l'influence des Kadriya Fadeliya est exclusive, ou du moins seule représentée par des groupes Importants deTalemid, à l'ouest du Foutah (Saint-Louis excepté).
Cheikh Saadibou est, du reste, seul connu dans la région et c'est à lui seul que s'adressent les offrandes religieuses qui y sont recueillies. D'après des listes fournies par son fils aîné Mohammed el Fadel, ses moqaddem particuliers, tant dans Je Sahara qu'en pays nègres, étaient les suivants, en 1888 :
33o SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
I° Sahara:
Mouley el Mahdi .' à Tichit
Chérif Hama Allah id.
Sid el Mokhtar Berabich
Cheikh el Abidine Azaouad
Ch. Mohammed el Fadel Ould Ch. Mohammed. Oudan
Ould Choa'ib Atta (Adrar)
Ahmed Abi Sidi Baba id.
Cheikh Semassi id.
Sidi Mohammed Ould Boubeker Seddik El Meddah (Adrar)
Mohammed Abd Allah Ould Ahmed El Igref (Adrar)
Ould Domin Touizekt
Hamiada Ould el Koury Chiri
Abba Ould Zemeragna Tirés
Mohammed Seghir Adrar
Allien Ould Mohammed Abd el Kader Tizerit
Abderrahim Taziès
Sid el Mokhtar Ould el Bokhari Zefia
Ch. Sid Ahmed Ould Hanietou Teggant
Mohammed el Amin Ould el Aïa Aggou
Hamouadi Ould el Bachir Aggou
Ali Ould Mohammed Embarck..:. Nsilit
Mohammed Ould Chaba ' Iguita
Mohammed el Amin Ould el Hamira Taggant
Ch. Mohammed Mahmoun Ould el Horma Aoukar
Ch. Sidi el Mokhtar Amouchti
Ch. Mohammed el Mokhtar Ould Ouaou El Biar
Ch. Mohammed el Aka Reguibal Tagant
Ch. Abderrahman el Amar Bebam, Aftouh
Ch. Mohammdou Ould Aloumia Tazagert
Abdallah Ould Moussa '. Tazagert
Ch. Mohammed Abdallah Ould Ab'd el Ghafour. BraknaCh.
BraknaCh. Mahmoud Ould el Hassen id.
Ch. Mohammed el Aked Douaïch
RITES ET DOCTRINES 33 I
Ch. Mohammed el Mokhtar Ould Ahmed el Nozi. Douaïch
Ould Tahar Deka
Ch. Benou Hambel. Trarza
Ch. Mokhtar Ould Salmoun Aguenitir (Trarza)
Mohammed el Emir Ould Ahmed Lemma Aguenitîr
El Feki Ould Ahmadou Aguenitir
Ch. Mohammed Legga Tared
Mahmouden Iguidi
Ch. Ould Abmed En Zei '. Zba
2° Pays nègres.
A Saint-Louis : Cheikh Ali Oumané, Socé d'origine et qui habitait primitivement dans le Niom Bato, à l'Ouest du Ripp. Noumar Cissé, chargé de la centralisation des offrandes. Mohammed Khaled, originaire de Foutah et agent religieux.
Cayor :
Ch. Mohammed Ould Mohammed... à Tiouaouan
Ch. Othman Barro N'dande
Mohammed Abdallahi (Diambour) à N'Koki
Ch. Massamba Dakar
Ch. Diouga Djioub
Mohammed Mahmoud Ould Mustapha près de Rufisque, à Tenguigé
Djolof :
Ahmadou Beidani à Sebit
Il est fort influent et compte beaucoup de disciples. A son instigation, Ali Bouri, le Bour Djolof, quoique Tidiane, envoyait tous les ans une Hédia de ioo boeufs à Ch. Saadibou.
Baol :
Boubakar Cissé à N'diabi
Sine :
\ i Sérigné N'boussa à Afia '
332 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
Ripp:
Mohammed Cissé.
Foutah Toro :
Ch. Mohammedou Ould Mahmoud.
Ch. Abderrahman Ould Lala à Nekhila
Foutah-Djallon : Boubakar Kounti.
Niom Bato :
Ch. Othman Djoub.
Outre ces moqaddem, Ch. Saadibou aurait eu un représentant à La Mecque, Ch. Mohammed el Mahmoun, probablement un Hadji qui s'est fixé dans la ville sainte.
En tout cas, c'est là, on le voit, une grande et lointaine influence.
Dans le Cayor, on peut rattacher à la même école une congrégation toute locale qui remonte à Ch. Bou Nama, disciple de Sid el Mokhtar el Kebir et a pour chef Ch. el Bekkay, de N'dand. Elle était indépendante jusqu'à ces derniers temps, mais paraît se rattacher maintenant aux Fadeliya..
Le caractère généralement pacifique des Kadriya s'affirme surtout chez les Fadeliya, ceux de notre territoire du moins. Ch. Mouley Aïnine paraît, lors du voyage de la mission espagnole à l'Adrar, avoir fait son possible pour lui susciter de graves difficultés. Parcontre, Ch. Saadibou, dontle père s'était montré favorable au capitaine Vincent, a lui-même reçu avec empressement Soleillet. En toute circonstance ses agents se montrent opposés aux agitateurs religieux et, en 1887, leur intervention dans le Ripp a 'détaché du parti de Biram Cissé quelques-uns de ses anciens adhérents.
Organisation et règle des Kadriya. — L'organisation des Kadriya, comme, au reste, celle des Tidjaniya, n'est pas ce
RITES ET DOCTRINES 33 3
qu'on pourrait supposer, quand on donne au terme de confrérie, d'ordre religieux, la signification qu'il revêt en Algérie. Au Sahara, au Soudan, par ordre religieux il faut surtout entendre une « voie mystique » et nullement une association. A la vérité, Ch. Saadibou et ses frères, de même Ch. Sidia, ont un certain nombre d'adeptes, d'agents affiliés par le pacte de l'Ahd. Ils sont Khalifat el Ouokht, de Khouan, de Moqaddem. Mais l'immense majorité des Kadriya ne mérite ce titre que par une simple filiation d'enseignement, exclusive de tout lien hiérarchique défini.
En un mot, Ch. Saadibou, pour prendre un exemple, a dans son entourage immédiat, quelques Khouan. Il est représenté par des agents attitrés, des moqaddem. Mais presque tous ses disciples ne relèvent de lui que par préférence, par tradition et sans obligation contractée.
Le rituel des ordres religieux du Soudan est d'ailleurs fort simple. Il ne comprend aucun des symboles usités en Orient, la Kherga et tous ses dérivés, Terk, etc., non plus que la classification mystique des Talmidin, Mouridin, Touhidin, Mohammedin, etc.. que connaissent seuls de nom les Tholba versés dans la science du Tessaouf.
De plus, sauf chez Ahmadou Cheikhou, Sidi Mohammed el Mahdiou, Ch. Saadibou et Ch. Mouley Aïnine, puis dans le Bossé et à Mousardou, le Dhikre est partout Batheni. Il ne consiste qu'en une litanie mentale, récitée comme toute prière surérogatoire. Seuls, les Cheikh précités, font faire à leurs campements, le Dhikre el Djellala Zaheri. Chez Ch. Saadibou, chaque jour, tous les hommes du campement se réunissent pour l'exécuter sous sa direction, avec les flexions de corps et de tête en usage pour Textatisme provoqué. De même à Ségou, il était de tradition dans la principale mosquée au temps d'Ahmadou. Mais ce sont là des exceptions. Au commun des adeptes
334 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
Khouan ou non, le Dhikre mental est seul demandé. On sait que, contrairement à une opinion accréditée en Algérie, le Dhikre ne représente nullement une formule cachée et invariable. Les Kadriya de l'Ouest africain en comptent un grand nombre.
Voici, par exemple, celui de Ch. Saadibou que récitent ses disciples de l'entourage de Samory :
Estarfer Allah el Azim 200 fois
Allah ill'Allah el Melik el haq roo »
Hasb Allah houa nefs el Oukil 200 »
Soli âla Sidouna Mohammed ou âla Alii ou
Sahabii ou Sellem tesellim 100 »
Au premier abord les formules de ce genre n'ont pas grande signification. Elles résument cependant la doctrine à laquelle elles se rattachent. Celles-ci indiquent que pour les Kadriya Fadeliya de Ch. Saadibou, les fondements de la voie sont :
i° Le pardon Estarfer
20 La vérité el Haq
3° Le secours Nefs (le souffle).
40 L'invocation au Prophète.
Ch. Sidia recommande plus particulièrement le Dhikre suivant :
Dieu me suffit et il est le meilleur défenseur.. 200 fois
Je demande pardon à Dieu 200 »
Il n'y a de Dieu que Dieu, maître de la vérité
évidente 100 »
L'invocation au Prophète 100 »
On voit que celui-ci diffère peu du précédent : les fondements de la voie sont les mêmes.
Une Ouassia du même Ch. Sidia donne un certain nombre d'indications dont quelques-unes sont à faire connaître.
RITES ET DOCTRINES 335
Tout d'abord elle prescrit une prière aux Cheikh de la voie, à répéter sept fois chaque jour : « O mon Dieu, écoute l'intercession de nos Cheikh, de notre Cheikh et Seigneur, l'élu, El Kounti, et de son fils Sid Mohammed el Khalifat (père du Ch.
Sidia actuel) et de notre Seigneur et maître Abd elKader
el Djilani. »
Cette Ouassia assez longue, comprend ensuite une série d'Ouerd, et d'hezb, de prières et d'invocations. Puis elle résume sous forme de Kacida, de poème rythmé, les éléments essentiels de la doctrine Kadriya.
Dieu me suffit pour ma foi.
— pour ma vie.
— contre la persécution.
— contre l'oppression.
— contre la tyrannie.
— contre les méchants.
— à l'heure de la mort.
— à l'heure de la résurrection.
— à l'heure du compte.
— à l'heure de la balance.
— dans la vie.
— Il n'y a de Dieu que lui.
Je me suis fié à lui. Il est le Seigneur maître des mondes. Dieu me suffit dans les difficultés de l'obéissance.
— pour le jeûne et la prière.
— pour le pèlerinage et l'aumône.
•— lors de la vérification de la croyance.
— lors de la peine à accepter.
— pour la correction des intentions.
— dans les bonnes situations. .
— dans la souffrance.
336 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
Dieu me suffit dans le célibat.
— dans l'inconnu.
—= dans le progrès ou l'abaissement.
— pour le recueillement mystique.
— pour la paix et les combats.
— pour l'étude des sciences inconnues.
— pour la résignation.
Sans continuer plus loin cette Kacida, qui se poursuit par des paraphrases des mêmes données, on voit qu'elle résume une doctrine toute de résignation et d'abandon à Dieu, exclusive de luttes, de combats. C'est en effet, comme il a été. dit, le caractère essentiel du Kadérisme soudanien.
Telle est encore la note d'un formulaire sommaire d'initiation :
« Le Cheikh de la voie a dit : les modes d'initiation à la voie des Ouali sont nombreux; la prière pour le Prophète; l'abandon de tous les Ouerd pour celui-ci (Kadri) ; l'abandon des noms (autres que ceux des Cheikh Kadriya) ; l'abandon des pratiques démoniaques, de la thériaque, du Bourmi ; l'abandon de tout travail mondain et religieux, de la fréquentation des hommes qui est damnation, peine et repentir à la fin des temps. »
En un mot, l'Estarfer, le Salouat en Nebi, les Aourad Kadriya et l'Azlet an en Nas, tels sont les Oussoul el Triqâ. Il est assez remarquable d'y voir ajouter l'exclusion des pratiques empruntées à l'Orient d'une part, aux sorciers fétichistes de l'autre, et qui sont répandues chez les nègres Tidjaniya.
TIDJANIYA
Les indications données en ce qui concerne l'organisation des Kadriya, s'appliquent aussi aux Tidjaniya. Ce serait interpréter
RITES ET DOCTRINES 337
fort inexactement la réalité, que considérer ceux-ci comme ayant une constitution analogue à celle des Senoussiya, encore qu'ils jouent le même rôle. El Hadj Omar, au début de ses prédications, avait formé incontestablement une association effective des adeptes de sa règle. Mais l'extension de son empire, le soin de ses conquêtes lui ont rapidement fait délaisser ces détails de hiérarchie. Son fils, Ahmadou, ne peut pas davantage être considéré comme un véritable Khalifat el Triqâ ; il est beaucoup plus Imam el Triqâ, directeur spirituel d'une voie, que maître religieux d'un clan de Khouan. Cependant, sur le Niger, dans le Macina, il en comptait quelques-uns et de différents côtés, au Foutah Sénégalais notamment, ses agents n'étaient pas seulement des émissaires politiques, mais aussi des réprésentants attitrés de l'ordre. Depuis sa fuite, il aurait pris plus nettement le caractère de Cheikh el Triqâ.
Il est inutile de revenir sur les indications déjà données en ce qui concerne l'histoire, l'évolution du Tidjanisme. Mais il peut être intéressant de rappeler quels étaient ses centres d'action au Sénégal, avant la dernière insurrection et ses représentants dont les principaux résidaient au Toro; la liste à peu près complète en était, en 1888:
Mohdi Ahmedou à Aéré
Baba Sidi, de Ségou id.
Mohammed Lamine à Saldé
Mohammed Alpha à Galoya
Mohammed Alem à Boki Diabé
(Il est le Khalifat Kernel du Foutah.)
El Mokhtar à Matam
Boubou Ouarkan à N'Diouto
Tierno Khiar dans le Damga
(Nommé par Ahmadou en 1887.) Tierno Demba Thiang dans le Ferlo
ISLAM.
338 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
Tierno Boudéoul "..'.'. dans le Boundou
Mokhtar Ahmadi à Senoudébou
Tierno Diaouando à Sansanding de la Faléme
Morsini dans le Niani
N'diang Assi à N'diao (Saloum)
. Morantou Foddi à Ouonar (Saloum)
. Morabdou Niass dans le Fogny
Matar Penda dans le Diakha
Karamoko Mohammedou.. à Baofella, dans le Foutah-Djallon
Tous ces Tidjaniya étaient gens connus et de haute situation, non point de simples moqaddem comme les représentants de Ch. Saadibou. A côté d'eux circulaient dans les divers pays, une foule d'agents inférieurs, dont le rôle moins brillant était peut-être cependant plus actif.
C'est à eux que fut due, au moins en partie, l'émigration des Peul du Cayor et du Oualo en 1887. Dans toutes les affaires du Ripp, on les trouve mêlés aux désordres locaux ; de même lors de la révolte d'Abdoul Boubakar, et de celle d'Ali Bouri. L'histoire générale des Tidianes montre d'ailleurs assez complètement quelles sont leurs tendances générales pour qu'il soit inutile d'insister à cet égard.
En ce qui concerne leurs pratiques et les fondements de leur ordre, on peut citer quelques indications contenues dans une Ouassia en forme de Kacida, très répandue au Foutah-Djallon. La donnée la plus intéressante que renferme cette Ouassia, est l'établissement d'une double filiation des Tidjaniya Ornariya, celle de Ibnel Arabi el Khatimi et de Sidi Mostefa el Bekri. Ce dernier fut, comme on le sait, le chef des Khelouatiya de la la renaissance moderne en Egypte. Son souvenir s'est plus particulièrement conservé dans l'ordre, et El Hadj Omar recommandait tout spécialement la récitation de ses prières, les Aourad Bekriya. Quant à Ibn el Arabi, il fut le chef d'une
RITES ET DOCTRINES 339
école mystique de Syrie, restée toute philosophique, mais fort influente chez les savants musulmans de tous les pays, école exaltée et révolutionnaire, qui a toujours cherché à propager les doctrines les plus intransigeantes.
On trouve là en germe, les tendances propres aux Tidjaniya du Soudan, si différents de ceux du nord-est de l'Afrique.
La Ouassia en question tend à établir la prédestination de Sid Ahmed Tidjani, la révélation de sa mission par ses deux précurseurs, le second surtout. Elle lui donne comme Ouali, dépositaire de la Baraka, une puissance exceptionnelle et met dans sa bouche à ce sujet, les paroles suivantes :
a Avec l'aide Dieu, le feu n'attaquera jamais mon compagnon, quand bien même il aurait commis 70 meurtres, à condition qu'il se repente après. Aucun Ouali ne peut faire entrer au Paradis tous ses compagnons sans compte, ni punition, s'ils ont commis des fautes. Seul je le puis. Gloire à celui qui accorde ses faveurs à qui lui plaît. »
C'est là un attribut qui ne paraît pas admis par les Tidjaniya du Nord. Comme ces derniers, d'ailleurs, ceux de l'Ouest africain proclament la supériorité de leur saint, proscrivent l'affiliation à tout autre ordre.
Sans insister sur les Dhikre, qui sont fort nombreux (l'Ouassia du Foutah-Djallon en contient plus de trente, les uns obligatoires, les autres surérogatoires) et renferment toujours comme élément le verset du pardon, les Salaouat en Nebi, et l'attestation de l'Unité, puis l'invocation au Cheikh, ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est que la différence fondamentale des deux règles, l'une pacifique, l'autre Djehadiste, ne semble pas d'origine doctrinaire.
Nulle part le principe du combat contre les infidèles, ne semble affirmé, sauf en un passage : « Celui qui a ouvert ce qui est \ fermé, et le parti d'El Seifi dispensent de tous les Dhikre. » El
340 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
Seifi n'est que le prophète, considéré comme l'épée de Dieu, comme armé pour la lutte contre les ennemis de la foi.
Il semblerait donc que la forme donnée à la propagande Tidjanienne, soit surtout l'oeuvre personnelle d'El Hadj Omar : aucune étiquette ne peut mieux en caractériser les. tendances nécessaires.
CHAPITRE III
AVENIR DE L'ISLAM SOUDANIEN
En considérant dans le passé l'Islam au Soudan, on voit qu'il y a une existence fort ancienne. Sur la frontière du Sahara, dans la zone, encore accessible comme habitat permanent aux tribus de race blanche, où se sont massés les Berbères et les Arabes, il est devenu la loi suprême, presqu'aù début de l'Hégire, pour se fortifier cinq siècles plus tard, au moment de la seconde invasion. Quand les tribus arabes vinrent se mêler aux tribus berbères, déjà entamées par la propagation de la foi nouvelle, les peuplades nègres des pays limitrophes du Sahara s'islamisèrent alors plus complètement. Mais par réaction politique, les populations fétichistes refoulèrent à plusieurs reprises les conquérants musulmans, déterminant chez leurs alliés soudaniens des mouvements de dispersion, d'émigration, qui répandirent l'Islam plus loin que ses conquêtes. De nouveaux succès lui permirent de fortifier ses positions, et par une succession de remous, musulmans et fétichistes se trouvèrent mélangés dans toute l'Afrique occidentale, comme les races, les peuplades et les tribus.
Puis avant que l'Europe eût pris le contact définitif de ces régions, alors que ses comptoirs restaient confinés sur le littoral une nouvelle race entre en scène, musulmane et conquérante, victorieuse d'abord, puis disséminée à son tour.
Aux causes politiques de la diffusion de l'Islam, s'ajoutèrent \ les causes commerciales; en présence de peuplades d'une civi-
342 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
lisation rudimentaire, sans langue écrite, les musulmans, supérieurs par le reflet des notions de morale qu'ils empruntent au Koran, par le sentiment d'une solidarité humaine dépassant pour eux les limites de leur habitat, sachant écrire et compter, deviennent les marchands attitrés de l'Afrique occidentale. Là où ils n'ont pas droit de cité comme adeptes d'une foi étrangère ils sont reçus comme négociants et se groupent ainsi, en dehors des pays où ils dominent, dans les centres où s'effectuent les échanges, suivant, la loi géographique du commerce. Ils en sont les maîtres par droit de conquête économique, respectés d'ailleurs, parce que nécessaires, en dehors des pays où le souci des anciennes traditions l'emporte [encore sur les besoins de l'existence matérielle.
Au moment où commence la pénétration européenne, l'Islam est ainsi la seule inspiration des tribus nomades, guerrières et turbulentes, qui s'étendent dans le Nord, sur la bordure du Soudan. Dans l'intérieur il s'est infiltré partout, sauf en quelques cantons : souverain dans un petit nombre, qu'occupent des races soudaniennes islamisées, toléré ailleurs, à de rares exceptions près. Il domine les grandes artères commerciales, le Niger, le Sénégal, la Haute Volta, où s'effectue le transit des produits locaux, de même que les grands marchés et les routes qui y aboutissent.
Cette situation générale ne semble pas sensiblement modifiée en apparence, lorsque s'achève la conquête européenne. Au nord du Sénégal, du Sahel, sur les deux rives du Niger, dans son parcours hors du Soudan même, s'échelonnent les Brakna, les Trarza, les Oulad Allouch, Mechdouf, Berabich, Kountah et autres tribus arabes, nombreuses, divisées en fractions rivales, après aux pillages isolés; et les Touareg : Tademekket, Kêl Immiden, Irregenaten, mieux groupés, en clans plus compacts, non moins désunis par l'anarchie de leur race : c'est là lé
AVENIR DE L'iSLAM SOUDANIEN 343
domaine propre et exclusif de l'Islam, d'un Islam batailleur et provocant, insaisissable et menaçant.
Sur ses confins, les Ouolof du Cayor, les Toucouleurs du Foutah, les Sarakolets du Guidimaka, leurs frères du Kaarta, les Peul du Sahel et du Macina constituent comme l'avant-garde soudanienne du mahométisme. Appuyé dans l'Est sur la forte position du Foutah-Djallon Peul ; au centre, sur la citadelle des Soni-nké Samos du Bossé ; sur celle des Soni-nké de Dori, et quelques autres enclaves ; maître du Niger de Timbouctou à Bissandougou, par Bandjagara. sur l'affluent riverain, par Djenné, Sansanding, Ségou, Nymina, Kankan; comme en aval jusqu'à la barrière des chutes, par Gao, Sansané Haoussa et Say; maître aussi de la bordure des pays côtiersdu Sud, par Kong, Bondoukou, Salaga, il s'est établi partout où s'est installé un commerçant, où pénètrent les relations commerciales.
Au centre cependant et dans quelques cantons réservés, où il se défend résolument : dans le Mossi et la vaste confédération qui englobe en une tendance commune le Gourounsi, le Yatanga, les pays Bobos et Séniéré, dans les pays Bambara et dans une partie des pays Mali-nké, jusqu'au contact de la zone arabe, dans les pays Sousou, et tout le long de la côte, le fétichisme résiste et conserve son avantage. Mais dans l'intervalle, de sanglantes révolutions se sont produites, qui rappellent les épopées des souverains Songhaï : El Hadj Omar, fondateur et apôtre du parti musulman de la résistance aux conquérants chrétiens; Samory, prototype de la lutte du Soudanien contre le blanc, musulman, lui aussi, ont bouleversé, dévasté, ruiné ces contrées.
La trace de leurs pas est restée, sanglante et leurs victoires, suivies de défaites, ont réveillé les sentiments hostiles des fétichistes, sûrs aujourd'hui d'un appui efficace. Mais, en même, temps, leurs carnages ont sonné le réveil de l'Islam, qui, sui-
344 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
vant sa loi générale, invariable, s'agite et menace là où il est à l'abri des représailles, s'insinue, souple et dangereux là où ses forces sont inefficaces.
Cette loi générale doit s'imposer aux réflexions, aux précautions vigilantes : partout où l'Islam est attaqué, il se redresse et mord, tortueusement, inopinément. Écrasé, il renaît inattendu, et ses convulsions se prolongent, périodiques et toujours inquiétantes. Une double nécessité semble donc devoir dicter les principes généraux de notre politique soudanienne : notre occupation du Soudan n'a pas eu pour but la conquête géographique et militaire d'immenses territoires inféconds ; elle ne doit pas s'aventurer dans le Dar el Islam saharien hors de propos, y poursuivre, sans motifs graves, absolus, la guerre des rezzou, des harkas, des coups de main, propices pour éterniser la révolte du mahométisme, attaqué dans son domaine.
Vis-à-vis de ces nomades turbulents, incapables de se grouper d'eux-mêmes, naturellement portés aux divisions, aux luttes intestines, il est nécessaire, il est urgent de se borner à bien connaître les rouages politiques et religieux dont relèvent leurs çofs, pour les diviser davantage encore, les opposer les uns aux autres, contenir ceux-ci par ceux-là, tout en n'hésitant pas à réprimer impitoyablement, durement, sans faiblesses ni ménagements, les incursions, les tentatives de leurs bandes sur notre territoire ; il faut leur donner la sensation, de fait, qu'au delà d'une limite définie, celle qui leur est utile pour vivre, elles sont chez elles, libres d'agir à leur guise, au mieux de leurs passions locales ; qu'en deçà de cette limite, ce n'est plus l'Islam qui est le maître, mais la loi du plus fort.
Au sud de ces territoires — Dar el Islam — reconnus tels par nous et respectés, mais sans timidité, s'étendent les contrées qui, seules, sont notre raison d'être au Soudan : celles des pays nègres, populeux et productifs.
AVENIR DE L'iSLAM SOUDANIEN 345
Là, notre rôle est plus complexe. Il doit être préventif d'abord : préjuger de l'avenir par le présent est puéril et naïf. Avant Saërmaty, Mahmadou Lamine, Ali Bouri, Boubakar Saada, comme avant El Hadj Omar, les pays, un jour bouleversés au nom de l'Islam, étaient paisibles. La paix du jour ne doit pas faire oublier les troublés de la veille, ni conjecturer un lendemain sans aléa.
Force est donc de pénétrer complètement le mécanisme délicat de l'Islam soudanien, pour n'en point voir seulement la surface.
Il apparaît Tidiane ici, ardent aux guerres saintes, et là Kadri, pacifique et débonnaire, ailleurs Kadri encore, mais sous l'influence nuisible du Sokoto anglais, ou des Bekkay turbulents et variables.
En même temps, il est tantôt Soni-nké, tantôt Mandé Dioula, Mali-nké ou Peul, non point seulement par grands groupements de races, mais avec l'empreinte des divisions historiques auxquelles remontent, dans chaque race, les affinités de ses peuplades. Tel Mali-nké sera fétichiste parce que son Diamou, sa tribu remonte aux gens de Mali qui chassèrent les musulmans, et tel Bambara musulman, parce que les ancêtres dont il suit l'impulsion devinrent adeptes du Koran au temps des Songhaï. Ici les Soni-nké seront fanatiques et suspects, ailleurs malléables et paisibles, au gré des affinités historiques dont ils procèdent. De même les Peul, tantôt inspirés par Sokoto et tantôt libres d'attaches étrangères.
Pour suivre la filière compliquée de cet organisme multiple, il ne suffit pas d'une esquisse générale et surtout imprécise, comme celle que nous venons de tenter, il faut la base préalable d'un catalogue définitif des groupements historiques el religieux avec leur correspondance. Toute la carte de l'Islam souda- j nien est à faire ainsi, nécessaire comme plan d'opérations
346 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
pour l'administration de ces contrées, si elle veut être efficace. . Il ne suffit pas d'apprendre par une expérience, souvent désobligeante et regrettée, pourquoi tel Mandé Dipula, colporteur, n'est qu'un marchand inoffensif, et tel autre, forcément, un agitateur à surveiller.
Ces notions ne peuvent s'acquérir dans les quelques mois d'un commandement passager. Elles ne peuvent résulter que d'études successives, approfondies, dont l'apparente complication, l'érudition de convention, ne sauraient faire méconnaître la portée pratique.
Pour comprendre le travail à accomplir par mises au point progressives, et son utilité, il faut se figurer l'administrateur, le commandant militaire, arrivant à son tour de service dans un pays nouveau pour lui, en présence de populations qui lui sont inconnues.
S'il a pour s'initier les rapports périodiques de ses prédécesseurs, il y verra, notées avec soin, accomplies avec zèle, les besognes de chaque jour. Mais qu'un inconnu passe sur son territoire, signalé par un interprète douteux comme agitateur dangereux, il le traitera presque nécessairement comme tel et risquera de s'aliéner des sympathies précieuses. Qui ne se souvient, parmi ceux qui connaissent le Soudan, du Marabout de Lanfiera, grâce auquel nous sommes entrés au Mossi sans luttes, grâce auquel nous avons pu par le Mossi neutraliser l'alliance de Samory et d'Ahmadou; de ce musulman libéral chez lequel Monteil rencontra le même accueil que Binger chez le marabout de Ténétou. Or des amis que nous avions à Lanfiera, des alliés qui nous étaient si indispensables entre Dori et le Bossé, un acte de folie, inspiré par l'ignorance d'une situation politique, non point personnelle, mais traditionnelle, statutaire en quelque sorte, a fait, par un meurtre inexplicable, des adversaires probablement et justement acharnés.
. AVENIR DE L'iSLAM SOUDANIEN 347
Réciproquement, il était évident que Mahmadou Lamine, Maba, Saërmaty et tant d'autres étaient dangereux dès le jour où, dans un milieu hostile par tradition historique, par affinités religieuses, ils s'élevaient, au nom del'Islam, au-dessus de lafoule, dans leurs prédications. Deux tirailleurs eussent, au moment où ils commençaient à percer, suffi pour couper court à leur carrière mystique; or après les avoir comblés de présents, d'honneurs, il a fallu mettre en branle des colonnes coûteuses pour en venir à bout.
Il est impossible qu'il en soit autrement, aussi longtemps que l'histoire, l'organisation politique, la répartition sociale de nos peuplades africaines, n'auront pas fait l'objet d'études complètes pouvant se résumer en une courte notice précise, qui définisse dans leur ensemble les origines historiques des races, et pour chacune son fractionnement, les causes et les conséquences de son éparpillement, les localisations des influences et l'orientation essentielle des tendances.
C'est le travail commencé par Binger, au point de vue ethnographique sur les Diamou et les Tenné, sur les tribus et leurs fractions, à compléter et à mettre au point, par l'examen des contacts d'une race à l'autre, par la distinction à établir, suivant la localisation géographique, d'un même élément, entre les résultantes diverses, d'origines historiques distinctes ; puis par l'application d'études plus approfondies sur les affinités religieuses. Le jour où ces notions, sans lesquelles il ne peut pas exister de police politique efficace et sûre, se trouveront résumées en un manuel d'une cinquantaine de pages, il aura été fait un grand pas vers l'établissement, dans le gouvernement de nos possessions de l'Afrique occidentale, d'une ligne de conduite invariable et raisonnée, sans laquelle tout l'ordre public dépendra fatalement d'impressions individuelles. A côté de ce problème, défini et limité, qui n'intéresse que
348 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
l'administration même, se pose un autre problème autrement délicat par sa généralité impondérable.
Lorsqu'on -aborde l'étude des races africaines, lorsqu'on les fréquente, on ne peut pas ne pas être frappé de la supériorité du musulman sur le fétichiste ; le premier est parfois grand égorgeur, traqueur de captifs, insurgé ; il est toujours d'une intelligence plus ouverte, d'une civilisation moins primitive ; qu'on le traite en ennemi, ce n'est pas moins vers lui que vont les préférences.
A un moment donné, les nécessités politiques, obligent à prendre appui sur les fétichistes ; lorsque leur concours n'est plus nécessaire, on les voit tels qu'ils sont : ivrognes et brutes, dégradés et inférieurs.
C'est alors le musulman, obligatoire d'ailleurs par sa possession d'une langue écrite, qui devient l'aide, le familier, l'intermédiaire du commandement, de l'administration. En même temps, dans un but moral, sous l'empire de sentiments élevés, on porte atteinte à l'organisation sociale du fétichiste, pour détruire les obstables qui l'empêchent de s'élever, lui aussi, dans l'humanité. Et c'est ainsi que du Cayor, du Ripp, du Oualo, du Djolof, nous avons fait des pays musulmans, comme nous sommes en train, au fond et en fait, malgré la protection politique donnée aux pays fétichistes, de faire de toute l'Afrique occidentale une vaste contrée musulmane.
La loi de ce mouvement est d'ailleurs si générale que partout, au fur et à mesure que l'Afrique nègre prend le contact plus intime de la civilisation européenne, les mêmes besoins des races fétichistes en présence d'une société civilisée, les portent à progresser, et leur progression s'arrête à une étape uniforme : celle que leur offre l'Islam, prêt à accueillir leurs aspirations, à y répondre, dans une forme adéquate aux aspirations instinctives qui l'évoquent.
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On peut contester ce mouvement par localisation irréfléchie dans le temps et l'espace. On ne peut le révoquer en doute quand on envisage, non le cas particulier, mais le cas général et nécessaire.
Et une question, grave, controversée, se pose ainsi : convientil de favoriser le mouvement musulman, comme beaucoup de bons esprits, le préconisent à un point de vue administratif limité ? Faut-il au contraire s'y opposer, comme le désirent les alarmistes et le peut-on, comme quelques-uns l'assurent.
Sans nous prononcer avec une entière précision sur ce problème difficile, nous pensons qu'on serait assurément dans la voie de la vérité, en constatant le fait du développement progressif, souvent rapide de l'Islam, et en ne méconnaissant pas les précautions qu'il comporte, comme études attentives et. exactes d'une situation, non inquiétante dans le présent, mais dont l'avenir ne peut être envisagé sans le souvenir du passé. Puis un autre fait nous frappe : l'inefficacité des mesures prises jusqu'ici contre l'Islam. On a cherché en Algérie, comme au Sénégal, aie rapprocher par des attentions, des ménagements, qui n'ont eu d'autre résultat que de le grandir contre nous.
Saint-Louis était avant Bou el Moghdad, avant l'ère de la politique musulmane inaugurée par le général Faidherbe, une ville de commerçants, indifférents en matière religieuse; c'est aujourd'hui un centre islamique, lettré, dévot, remuant.
Nous n'hésitons donc pas à penser que pour les mêmes motifs qui, dans nos contrées, empêchent que la question religieuse soit traitée par les gouvernements qui s'en préoccupent, par le régime des faveurs, sous prétexte de conciliation, le même régime ne doit pas être préconisé dans les pays musulmans, ou à la veille de le devenir, si on ne veut pas donner des armes à la religion qu'on redoute. Il ne s'agit pas, bien entendu, ni de l'opprimer, ni de la me-
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riacer : le sentiment religieux ne peut que se fortifier par tout ce qui l'exalte ou l'attaque. Il s'agit seulement de le laisser évoluer sur lui-même, avec une neutralité poussée aussi loin qu'il peut être prudent, mais sans imprudence : de ne lui donner ni d'aliments positifs, ni d'aliments négatifs.
En pays nègre, là où la race orgueilleuse et puérile attache tant de prix, d'importance aux moindres distinctions officielles, cela est plus vrai encore qu'en Algérie. La règle fondamentale de notre politique africaine, à l'égard de l'Islam soudaniên dans son ensemble, sur la côte comme dans l'intérieur, devrait donc être une extrême réserve, une action déterminée par l'indifférence apparente, par un sentiment raisonné de tolérance, ni aggressive, ni tyrannique, mais attentive et énergique sans hésitation, préventivement plutôt que par réaction.
On pourrait assurément limiter ainsi dans une large mesure les inconvénients, les dangers d'une islamisation progressive, mais sans arrêter le mouvement même, ni en modifier les conséquences sociales.
Est-il possible d'espérer, par quelque méthode de relèvement social des races nègres, de réels progrès à cet égard.
Une première conjecture vient naturellement à l'esprit : ce résultat doit être précisément l'objectif, l'oeuvre des missions catholiques et protestantes.
Or, si on examine cette oeuvre dans le passé en Afrique, on reconnaît qu'elle s'entoure d'une auréole de dévouements admirables, de sacrifices énormes, dont l'abnégation mérite un respect sans réserve, mais dont les résultats sont complètement disproportionnés avec les efforts qu'ils représentent. En en suivant l'histoire, on voit dans l'Ouganda, par exemple, le mahométisme progresser plus rapidement que le christianisme : partout où il y a action simultanée de la force chrétienne et de la force musulmane, celle-ci l'emportera.
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Cela tient à une grande cause, générale, absolue. Aux nègres, dont le développement intellectuel et social est très inférieur à celui des peuples de la Judée, de la Grèce, de l'Italie, de la Gaule, du nord de l'Afrique, au moment où la morale du Christ commença à rénover nos sociétés, la foi chrétienne du XIX 0 siècle, du XXe bientôt, apporte des croyances, affinées par la progression même des notions qui les représentent, pendant 1900 ans. Entre ce qui convient à l'âme nègre, ce \ qui lui est assimilable, et ce qui répond aux aspirations de / l'âme européenne, il existe un abîme de cinquante, cent siècles/ peut-être.
Au nègre, pour lequel la femme répond à une nécessité physiologique et domestique, qui ne voit en elle que l'accouplement, la culture des lougans, la procréation des enfants dont il a besoin pour vivre, qu'il lui faut nombreux avant tout, le christianisme vient parler d'égalité, de respect, de monogamie. En même temps l'Islam lui murmure : « la femme était ta captive, elle restera ta captive, variable et changeante à ton gré ».
Le christianisme impose au néophyte la résignation au devoir, la pitié ; il lui crée des obligations de rites et de dévotions. Et l'Islam lui dit : Tu seras le plus fort.— Il est plus près de son animalité et l'emporte.
Sa supériorité est autre encore : Tandis que Kadry et Tidiane, Soni-nké et Mandé Dioula répètent uniformément au fétichiste grossier et d'intelligence bornée la même phrase sur laquelle il ne peut se tromper : « Il n'y a de Dieu que Dieu, un Dieu plus fort que le tien, puisque nous sommes plus forts que toi ; déclare que tu le reconnais pour tien, mets un boubou blanc, ne bois plus de dolo, au moins en public et trop souvent, et tu seras des nôtres » ; voici le protestant qui déclare, au nom de Calvin, des guerres de la Réforme et de l'esprit philosophique, '
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que le catholique est méprisable et dangereux, et celui-ci proclame son concurrent damnable et coupable.
Des deux côtés, le nègre voit un danger, une incertitude , il a peur et ne comprend pas, et, changement pour changement, s'en va vers l'Islam, où il se sent sur un terrain sûr et confortable. Et cependant, malgré ces infériorités dans les cultes, la supériorité de la race blanche, la constatation matérielle de sa puissance, le progrès matériel de la civilisation qu'elle représente, l'emporteraient, non pas toujours, mais souvent, si l'absolutisme de l'idée religieuse n'annulait en partie ces forces incontestables.
Il ne s'agit pas, pour le missionnaire directement, immédiatement, de transformer l'être primitif, en un être socialement plus perfectionné, d'en faire un forgeron, un charpentier, un agriculteur, un commerçant, de suivre pas à pas la succession des étapes humaines, qui par le progrès matériel lui donneront la conscience de l'humanité, qui lui inspireront, par la notion des besoins de l'espèce, le sentiment de la loi sociale, le respect de la morale religieuse : il s'agit d'accomplir à son égard un rite, de lui appliquer les mérites surhumains qu'il ignore.
Certes il existe de hautes intelligences parmi les hommes de dévouement que leur foi disperse en Afrique, en proie aux privations, aux souffrances de la maladie, à celles plus grandes du doute dans l'efficacité du labeur accompli, qui comprennent la nécessité des méthodes progressives et lentes, qui se contentent du résultat partiel de chaque jour, et savent attendre le bénéfice de l'avenir.
Mais il en est d'autres qui n'admettent pas la subordination des possibilités matérielles au but unique, dont la piété ardente apprécie l'enseignement mécanique de psaumes latins à de jeunes, enfants, lesquels n'aspirent qu'à devenir grands, pour
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empoisonner le chef de village, parce qu'ils ont été condamnés à ces mystères.
D'autres bornent leurs ambitions à distribuer des tracts bibliques, acceptés avec reconnaissance comme bourres de fusils.
L'oeuvre généreuse de tous, excellente de quelques-uns, impuissante de beaucoup, reste dans son ensemble inefficace, stérile, comme résultats durables, parce qu'elle applique à une situation définie, une action qui ne répond pas à cette situation. Quand on suit l'évolution des races nègres, on constate cependant deux cas où la civilisation européenne s'est manifestée dans des conditions telles que toute autre civilisation serait impuissante devant elle : ceux des colonies portugaises du Sud et des colonies anglaises.
Dans les premières, l'indigène a été traité de parti pris comme un être inférieur, incapable d'assimilation, susceptible d'être dominé et devant l'être. Il a reçu ainsi une empreinte profonde ineffaçable. Maintenu à un rang social très subalterne, il a cependant un rang social, une fonction organique ; il est le serviteur de ses maîtres et d'eux seuls : insolent pour tout autre, esclave soumis devant eux. Cette méthode de civilisation répond à un des caractères distinctifs des races africaines : la passiveté. Politiquement, elle peut avoir sa valeur. Moralement, elle est la négation évidente du rôle social et économique de l'Europe en Afrique.
L'autre cas est celui des colonies anglaises, où les relations de la race blanche et de la race noire procèdent de tendances exactement inverses. Comme point de départ, même dédain du noir. Mais dédain limité à son étatindigène. Dèsqu'il se rapproche du blanc, par le costume, par l'apparence des moeurs, par un progrès social quelconque, il se classe à ses propres yeux, parce \ qu'il est effectivement classé par le maître au-dessus du milieu
ISLAM . 23'
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d'origine. Quelle que soit la cause de ces tendances dans la domination anglaise, soit qu'elles résultent d'une conception raisonnée, soit qu'elles tiennent seulement au sentiment personnel, qu'a l'Anglais de ses devoirs envers lui-même et de ses droits, les noirs trouvent auprès de lui, sous son autorité, toutes les satisfactions auxquelles aspire sa vanité native, s'il fait un effort pour s'élever. Il voit toujours, sans un oubli, sans une hésitation, son maître traiter l'Ashantee, le Timéné, restés indigènes, non civilisés, en êtres de caste infime.
Lui-même, dès qu'il a pris la vêture, l'allure du blanc, par le seul fait qu'il a cherché à s'européaniser, il se voit classé très au-dessus de ses congénères.
Les progrès moraux sont plus encouragés encore : si une ligne de démarcation profonde, absolue, subsiste toujours entre le nègre, si réelle que soit devenue sa valeur personnelle, et l'Anglais, du moins le noir se sent-il apprécié et rehaussé aux yeux des siens par des égards caractérisés.
La transformation qui s'effectue ainsi parmi les noirs des colonies anglaises, si frappante quand on les étudie comparativementà Sierra-Leone, Cap Coast,Lagos, a d'ailleurs été puissamment aidée par le concours des noirs américains qui, de Libéria, ont essaimé dans toutes les colonies anglaises. Mais elle est due aussi à un tempérament spécial, à une conscience particulière des rapports nécessaires du blanc et du nègre. Tout en le mentionnant comme un exemple des conditions dans lesquelles la société indigène peut progresser, de manière à ne pas s'arrêter à l'étape du progrès que représente l'Islam, à la dépasser, il est évident qu'elle ne peut être appliquée dans les territoires français parce que notre tempérament, nos tendances dans nos rapports avec les indigènes, y créent une situation de fait qui en exclut la modalité. Tout en cherchant résolument, sincèrement à assurer à nos
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sujets le bénéfice d'une civilisation plus développée,nous sommes limités dans notre effort, par l'indifférence avec laquelle nous accueillons les premiers progrès. Nous préférons d'instinct, l'indigène dans son cadre normal, à celui qui commence à en sortir. Vêtu d'une jaquette, le noir nous semble un déclassé et par cela même nous le déclassons, alors que si, avec une instruction moindre, il conserve son boubou national, nous lui tenons largement compte de son effort. Nous le voulons civilisé, en progrès, mais dans son milieu et non dans le nôtre.
Tout en désirant que ces errements puissent se modifier, tout en formulant le voeu par exemple, qu'au lieu de nous servir comme interprètes, agents, intermédiaires auprès des indigènes du Soudan, de nos colonies de l'Afrique occidentale, d'indigènes instruits mais maintenus dans la société indigène, nous cherchions au contraire à donner une prime aux noirs européanisés, en les employant de préférence, il faut bien constater que cette réforme est difficile.
Elle l'est, parce que ne répondant pas à nos tendances, elle soulèvera des objections presque invincibles, puis parce que l'application déjà ancienne de nos méthodes, nous prive de la classe intermédiaire des noirs européanisés, dont disposent les Anglais. Cette classe est à créer ; elle n'existe qu'à l'état d'exceptions, d'autant plus louables d'ailleurs,qu'elles sont moins encouragées. A défaut et pour s'en tenir au cas précis et limité de l'Islam, il semble qu'il y ait un progrès relativement facile et considérable à réaliser.
Comme le montre toute l'histoire moderne de l'Islam, ce qui constitue sa grande force, ce qui assure sa pénétration, c'est la puissance commerciale que lui donne sa langue. Que l'arabe devienne inutile dans les transactions, qu'il soit abandonné, les huit dixièmes des Soni-nké et des Mandé Dioula qui fréquentent les écoles des Tholba les déserteront, parce que, la
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foi religieuse seule les y poussera, sans avantages matériels'. Or, il ne semble pas que la réalisation de ce desideratum fondamental doive être très difficile. Si on prend le cas du Cayor, par exemple, il est certain que, dès maintenant, on pourrait imposer administrativement aux chefs locaux de cantons, l'emploi du français seul, dans les correspondances officielles. Quelques-uns pourraient se passer de secrétaires, tous en trouveraient facilement. Et du jour, où il sera acquis que les privilèges du commandement comportent l'obligation de la connaissance du français, l'extrême facilité des nègres pour arriver à un certain degré d'instruction, assurera rapidement une réforme déjà importante.
Mais on pourrait aller plus loin, n'accepter que le français comme langue commerciale : presque tous les traitants le connaissent assez pour s'en servir. Il est certainement d'un usage plus fréquent que l'arabe, pour la plupart des maisons de commerce.
Ce double mouvement, réalisable déjà, peut-être avec quelques tiraillements, mais pratiquement, dans une partie du Bas-Sénégal, aurait pour résultat incontestable, nécessaire,une atteinte sérieuse à l'Islam, dans sa forme nuisible, en diminuant dans une très forte proportion la diffusion de sa langue.
Ce serait lui faire une concurrence ruineuse pour lui, pour ses adeptes, sur le terrain même où il triomphe, sans d'ailleurs porter à son essence religieuse, une atteinte dont ceux que cette réforme toucherait directement, puissent se plaindre. Elle ne toucherait pas les Tholba actuels, mais limiterait seulement les perspectives offertes aux Tholba futurs*
Si du Bas-Sénégal on passe au Soudan, on voit de suite qu'il ne pourrait être question pour le moment d'aucun progrès aussi radical.
Mais que l'on suppose les primes allouées aux différents éta-
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blissements des missions, basées uniquement sur le nombre des élèves en état d'écrire convenablement le français ; que dans les écoles officielles l'enseignement soit dirigé exclusivement dans le même sens, avec le même but, qu'on admette l'attribution d'avantages, même simplement honorifiques d'abord, aux Fama, aux Naba, aux chefs indigènes disposant d'un secrétaire qui leur permette de faire leur correspondance en français ; qu'aux négociants de Bamako, de Ségou, de Djenné, Bandjagara, Timbouctou, Kong, on attribue les avantages matériels par diminution ou suppression d'impôts personnels, de patentes, pour l'emploi du français dans la tenue de leurs comptes, que d'une manière générale, invariable, on tende à donner la prééminence, morale d'abord, pratique ensuite, au français, comme langue officielle et commerciale, l'arabe perdra rapidement du terrain, et dégagé de l'influence des Tholba, l'Islam demeurera ce qu'il peut être, inoffensif.
Le problème du développement de l'instruction au Soudan, dans l'Afrique occidentale, a été pris autrement jusqu'ici : des besoins immédiats, la croyance que la transformation économique des indigènes par l'apprentissage des métiers manuels suffirait pour les rapprocher de nous, ont fait donner aux efforts actifs, intelligents, tentés pour la diffusion de l'instruction, une impulsion qui, faute d'objectif précis, limité, ne peut aboutir à des résultats décisifs.
La neutralité obligatoire dans nos propres écoles n'est pas admise dans celles de l'Afrique : à l'école des otages de Kayes, par exemple, institution excellente comme principe, on apprend aux fils de chefs, l'arabe en même temps que le français ; ils ont un marabout confessionnel. D'une part ainsi, on leur présente l'étude du français comme un luxe intellectuel, et d'autre
part celle de l'arabe comme une nécessité telle, qu'elle s'impose
i : a nous-mêmes.
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Ce n'est pas notre rôle. Nous n'avons pas à intervenir dans les affaires de conscience. Nous n'avons qu'une tâche à remplir : donner à nos sujets le développement intellectuel le plus conforme à nos intérêts, qui doivent être les leurs. Nous ne remplirons cette tâche qu'en la limitant, en la précisant, en choisissant pour l'accomplir un terrain défini et pratique. L'instrument mental de la propagande musulmane est l'arabe. Il ne peut y avoir d'autres instruments efficaces de la propagation des idées européennes, que les langues européennes. Or l'arabe a la supériorité matérielle de l'emploi exclusif, qui est de fait, en matière de gouvernement, d'administration, de commerce. Et le français n'offre en regard à ses initiés que des avantages vagues, incertains, douteux. Que la situation se modifie; que l'arabe cesse d'être la langue commune, d'assurer une carrière à ses adeptes, que le français de son côté devienne une nécessité productive, il battra aisément son rival.
Cela ne peut se faire en un jour, ni en une année, par un simple arrêté. C'est une oeuvre à accomplir progressivement, mais méthodiquement, avec la perception nette du but à atteindre. Comment serait-il possible que les Mali-nké de Sikasso, fétichistes, obligés, s'ils ont une demande à faire parvenir à Bamako, à Kayes, de s'adresser à un marabout, n'aient pas conscience de la prééminence de sa civilisation. N'est-il pas évident que le jour où un homme intelligent, comme Aguibou, trouvera un intérêt pratique, défini, à supprimer l'arabe dans sa correspondance avec nous, il y aura autour de lui bien des gens qui songeront qu'en passant deux ou trois ans dans nos écoles, leurs enfants s'assureront des emplois que ne leur vaudra pas un séjour chez les marabouts indigènes.
Lorsque dans une grande place commerciale comme Kong, il sera acquis que les négociants, qui en cas de contestations vien - dront s'adresser à l'autorité locale ou voisine, en employant le
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français, trouveront meilleur accueil, une solution plus rapide: à côté des Mandé Dioula et des Peul, il viendra se fixer dans la ville des interprètes qui représenteront un élément nouveau.
Il y a tout un progrès considérable, à réaliser rapidement en ce sens. Nous multiplions nos écoles, mais avec une forme administrative qui en limite l'essor. Déjà la création de petites écoles de cercles, tenues par des sous-officiers, est une mesure fort importante, mais on pourrait aller beaucoup plus loin en cette voie.
Voici le Mossi, par exemple, où, du fait de notre occupation, les Naba fétichistes sont obligés de comprendre l'emploi d'une langue écrite dans leurs besoins. C'est au Mandé Dioula qu'ils s'adresseront, au musulman.
Que l'on admette, au contraire, l'envoi à titre gracieux auprès du Naba de Ouradougou d'un interprète connaissant le Mandé et le français pour lui permettre de se passer du marabout, ce n'est pas lui qui s'en plaindra. Si en même temps, sur l'impôt local, on remet au Naba même, un nombre de boeufs proportionnel à celui des élèves d'une petite école d'écriture et de parler, tenue par cet interprète, si à celui-ci on donne également un petit avantage matériel proportionné à ses résultats : ce seront cinq élèves d'abord, vingt ensuite qui contrebalanceront d'autant d'élèves de langue arabe. Ces élèves seront des captifs, des gens de classe inférieure ; qu'importe, si à leur tour ils arrivent à écrire.
A Kong même, comme à Djenné, comme à Kankan, comme partout où il existe un mouvement commercial, qu'on offre aux négociants, sans pénalités, sans tracasseries contre l'emploi de l'arabe, des avantages pour l'emploi du français, qu'on leur donne en même temps la possibilité de l'employer par la présence d'un interprète, et la possibilité de faire acquérir par leurs enfants le bénéfice de son usage, il eh sera de même :
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au début, deux, trois élèves, plus tard davantage ; et par la suite, en présence du clan, musulman par l'arabe, il se créera un clan indifférent à l'Islam, par le français.
C'est en ce sens surtout qu'il faut tendre, parce que l'école administrative, par son appareil même effraye l'indigène et parce que l'effort considérable qu'elle représente, est nécessairement localisé.
La diffusion de la connaissance du français n'est possible que par la diffusion de son enseignement, et celui-ci s'adressera d'autant plus utilement aux populations qu'il sera plus près d'elles.
Le maître d'école arabe n'effraye pas ses auditeurs, il est l'un d'eux, vit avec eux. Que de même le maître d'école français soit près de la race, vive avec elle et près d'elle.
Si dans la théorie cette méthode est évidemment la meilleure et ne peut être discutée, elle peut soulever bien des objections dans la pratique.
Une première, celle qui a été souvent invoquée en faveur de l'emploi des langues indigènes, est à écarter. Il ne saurait s'agir de porter atteinte aux moeurs, de s'attaquer à l'Islam, de ne pas professer à son égard un absolu respect d'indifférence, mais seulement d'appliquer cette notion simple, répondant exactement, à tous les égards, au concept indigène : « Nous sommes les maîtres. Il nous est plus commode d'employer le français que l'arabe et nous l'employons parce qu'il est notre langue ; mais en même temps, nous vous donnons les moyens de vous en servir, sans qu'il vous en coûte rien, et au contraire en en retirant honneur et profit. Nous respectons infiniment le Koran, l'Islam et apprécions tellement l'arabe que nous le faisons apprendre par nos savants. Mais nos administrateurs, nos commandants ne parlent pas l'arabe, ne l'écrivent pas, nos secrétaires arabes peuvent nous tromper à votre détriment. Et comme cela est
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meilleur pour vous, plus commode pour nous, comme cela nous convient et parce que nous le voulons, c'est du'français que nous nous servirons le plus possible. »
Qu'à Djenné, à Bandjagara, à Kong même, les commandants locaux réunissent sur la place publique toutes les personnalités locales, et leur tiennent quelque discours de ce genre en posant nettement la question du respect absolu de la religion, en portant le débat uniquement et limitativement sur le terrain administratif et commercial, en faisant sentir la volonté durable, tout en montrant les avantages immédiats d'ordre pratique : pas une protestation ne se fera entendre. Il n'est pas un indigène Thaleb ou autre qui puisse, dans ces limites, protester et désapprouver, pas plus qu'en Algérie, dans les cercles où en se donnant la peine de bien connaître l'indigène par sa langue, par sa tradition, on lui crée une obligation de donner le pas au français sur l'arabe, en lui en fournissant les moyens, en lui assurant des avantages.
Ce n'est pas là une question musulmane : c'est une question de gouvernement et d'affaires, qui avec cet unique caractère ne peut éveiller aucune susceptibilité.
Une autre objection plus sérieuse, tient à l'insuffisance du personnel indigène apte à servir à la propagation de notre langue. Peut-être, en cherchant bien, en ne se montrant pas trop difficile au début sur le choix des sujets, trouverait-on entre Saint-Louis, la côte et l'intérieur, un nombre plus considérable de candidats qu'on ne penserait au premier abord. En 1893, l'État indépendant du Congo a réussi à enrôler en un seul contrat une cinquantaine de secrétaires sénégalais. Pour les pays du littoral, il y aurait plutôt pléthore qu'insuffisance de personnel.
Il en sera sans doute autrement, au début, pour l'intérieur, encore que les écoles du Soudan depuis leur fondation qui remonte
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déjà à une quinzaine d'années aient pu fournir quelques éléments. Rien n'empêche de les compléter avec des éléments empruntés au Bas-Fleuve. Avec ses merveilleuses aptitudes linguistiques, le noir a bien vite fait d'apprendre une langue voisine de la sienne. Le jeune interprète du Cayor qui arrivera à Sansanding, dépaysé d'abord, aura vite fait, par les quelques mots de sarracolet qu'il connaît, d'arriver à parler Soni-nké.
Il ne saurait d'ailleurs s'agir, pour commencer, de multiplier les essais outre mesure : au Soudan par exemple, une vingtaine de postes d'interprètes maîtres d'école, seraient tout ce que les conditions locales permettent quant à présent. Dans ces limites, les ressources disponibles sont plus que suffisantes.
Beaucoup plus grave est l'objection, tenant aux inconvénients qu'il peut y avoir à disséminer dans le pays des agents, qui avec une situation au moins officieuse, avec les prétentions que leur donneront leur rôle, seront tentés, sûrement, d'abuser de l'autorité dont ils jouiront, par ce fait même, auprès des indigènes. Seront-ils plus compromettants, plus nuisibles que le caporal de tirailleurs soudaniens envoyé en mission hors des postes : assurément non. Cependant il est évident que le bon fonctionnement de cette organisation ne s'établira pas du jour au lendemain. Il faudra une surveillance éclairée et de la patience pour obtenir peu à peu un tassement convenable, pour que le rôle nouveau ainsi créé se trouve défini, limité par l'expérience de quelques années, pour que l'interprète maître d'école arrivant à Ouagadougou par exemple, sache d'avance qu'il aura uniquement à faire oeuvre de scribe et d'éducateur. Que s'il a lui-même des captifs, des lougans, s'il se crée une petite situation locale : tant mieux, il s'attachera davantage au pays et sera mieux compris des habitants. Mais il s'immiscera d'abord dans la politique locale, sera encombrant, parfois dangereux : ce sera affaire à l'autorité dont il relèvera, de le ramener à son rôle ; et la difficulté ne sera pas
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sensiblement plus grande, une fois la tradition créée, que pour maintenir à sa place le subalterne militaire, agissant isolément. A cet égard d'ailleurs, une influence considérable, très puissante, peut être facilement exercée, par un changement nécessaire dans l'attitude du blanc à l'égard du noir européanisé. Le jour où le commandant de cercle, l'administrateur en tournée, traiteront le maître d'école d'un village perdu dans la brousse, non en sujet nègre, nais en homme d'une classe déjà voisine de la leur, par le seul fait de sa mission, de son instruction, d'autant plus voisine même qu'il s'en montrera moralement plus digne, il y aura un grand pas de fait vers l'abaissement des barrières qui existent pour nous, et qui ne gênent pas nos voisins anglais.
Cette réforme des moeurs, des tendances, ne peut pas, elle, s'accomplir gouvernementalement, administrativement; mais elle sera singulièrement facilitée par l'oeuvre qui incombe au gouvernement, à l'administration, oeuvre positive et pratique qui résulte urgente de l'exposé des faits : celle de la substitution progressive, mais résolue du français à l'arabe, comme langue officielle et commerciale.
Cette oeuvre est nécessaire, parce que, pour les mêmes motifs qu'au Sénégal, dans des conditions analogues, l'extension de notre domination, dans l'Afrique occidentale, entraînera le développement rapide de l'Islam. Elle est urgente, parce que nous ne sommes pas venus en Afrique, au Soudan, pour y guerroyer sans cesse, mais pour y faire de la colonisation, du commerce ; parce que le développement de l'Islam a pour corollaire inévitable, des troubles, des désordres, des guerres, dont il faut atténuer préventivement la gravité, éloigner le plus possible les retours périodiques.
Or il est impossible, parce que dangereux, de s'attaquer direc- 1 tement à l'Islam, de le persécuter : la persécution ne peut que
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redonner plus d'élan à ses éléments turbulents. On peut bien, à un moment donné, temporairement, s'appuyer localement sur les Bambara fétichistes du Bélédougou, contre les Soni-nké du Bakhounou— opposer une race à une autre —mais proscrire le Mandé-Dioula du Mossi, les Peul des pays Djallonké, entraînerait des inévitables représailles, par contre-coup.
Il est plus dangereux encore d'entourer l'Islam de faveurs, d'honneurs, de le rendre religion d'Etat, parce que c'est le fortifier, et que seul juge de ses intérêts, il n'usera de sa puissance grandie qu'à son gré et non au nôtre.
Une seule attitude convient à son égard sur le terrain religieux et politique : l'indifférence religieuse et la prudence politique, la surveillance active et l'énergie sans hésitations, quand le besoin s'en fait sentir.
Mais en dehors du terrain religieux, il est un terrain sur lequel, sans porter aucune atteinte à ce qui doit être ménagé et respecté, nous pouvons lutter activement et efficacement contre lui : le terrain de la propagande économique par la langue.
Le jour où l'arabe aura cessé d'être la langue officielle et commerciale, dans l'Afrique occidentale, l'Islam n'y sera plus dangereux, parce que ses écoles seront désertées : tel est le but précis vers lequel doivent tendre résolument nos efforts.
C'est là un but pratique, mesuré, tendant à un résultat concret, réalisable par conséquent.
Que si on veut conjecturer ce que produira dans le mouvement sociologique, un tel déplacement de l'infiuencedominante, celle de la langue, il est facile de s'en rendre compte. On n'a qu'à regarder ce qui se passe aux Indes, en Perse, en Egypte, en Syrie, en Turquie, en Tunisie, en Algérie, partout où à côté du musulman de langue arabe, progresse le musulman de langue européenne. Dans tous ces pays la société musulmane est divisée en deux classes nettement distinctes : celle où la pensée reste exclusiveW
exclusiveW
AVENIR DE L'iSLAM SOUDANIEN 365
ment koranique, par l'emploi exclusif de la langue religieuse, arabe, persane ou turque — et celle où l'esprit s'éveille aux civilisations occidentales, par la perception de leurs idées, dansle langage qui en est le véhicule.
De même, dans l'Afrique occidentale, l'Islam de langue arabe, qu'il soit Kadri, Tidiane ou neutre, restera fatalement étranger, réfractaire aux progrès européens.
Il ne cessera d'être suspect, inquiétant, que par la pénétration des langages répondant à notre conception du développement de l'humanité.
Notre tâche africaine, soudanienne, est donc toute tracée : sans nous préoccuper des accessoires de la civilisation, des modalités qui peuvent individuellement complaire à chacun, nous devons, à peine de voir un jour, prochain peut-être, l'Islam introduire dans l'évolution des pays nègres un facteur redoutable, lui barrer la route; sans le menacer, sans le combattre inutilement, nous devons substituer à l'instrument de son développement, l'instrument de la propagation de nos propres vues : à l'arabe, le français.
Il ne suffit pas pour réaliser cette tâche, d'une doctrine platonique, d'aspirations et de désirs. L'arabe ne se répand pas par intentions ; il se répand parce qu'il est la langue officielle et commerciale. Laissons-le dans ses Zaouiya, dans ses mosquées, complaire aux âmes des fervents du Koran, et ne bornons pas nos efforts à des statistiques d'écoles administratives : à côté du Thaleb qui l'enseigne, du Khodjà qui l'écrit, du Dioula qui s'en sert pour ses comptes, plaçons le maître d'école noir qui enseignera à ses élèves ce qu'il sait, ce qui leur suffit : écrire et compter. Au-dessus du Khodjà, mettons l'interprète obligatoire et productif. Au Dioula, au Soni-nké marchand, donnons le moyen de réaliser une bonne affaire, par des privilèges, des' avantages positifs, en délaissant l'arabe pour le français. i-
366 SITUATION ACTUELLE DE L'iSLAM
Puis, n'oublions pas que nous nous devons à nous-mêmes, aux yeux des sujets nègres, de faire respecter et pratiquer ce qui est nous-mêmes : notre langue ; n'oublions pas que savoir commander, non suivant ses propres conjectures, mais suivant les notions de l'autorité qu'ont ceux qui doivent obéir, est la base essentielle d'une saine politique. Et surtout ne perdons pas de vue que le plus sûr moyen de discréditer notre effort, serait ne pas témoigner par les égards qu'ils méritent, à ceux qui nous secondent, la satisfaction, la reconnaissance que nous inspire leur zèle.
Dix ans d'une politique locale ainsi conçue, tendant comme but immédiat, indépendamment de toute idéologie, par des procédés pratiques, efficaces, à la substitution du français à l'arabe, comme langue internationale, dans l'Afrique occidentale française, modifieraient singulièrement les destinées qui s'y préparent : celles de l'Islam du XXe siècle.
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Au lieu de préciser les sources,'en détail, il a paru préférable pour ne pas compliquer une étude de lecture aride, de les mentionner globalement, sous forme de bibliographie pratique.
Tel est le but des deux index qui suivent.
Le premier donne la liste alphabétique de ceux des ouvrages, consultés à l'occasion des études résumées dans ce volume, dont les renseignements ont été utilisés.
Le second mentionne, pour chaque question en particulier, ceux de ces ouvrages qui ont été mis à contribution., de manière à préciser les sources et à fournir en même temps la bibliographie de chaque sujet.
Les archives dont i! est fait mention, sont celles du gouvernement du Sénégal ("Rapports politiques et correspondances), consultées à Saint-Louis en 1887 et 1893, et celles du Soudan (Rapports politiques), consultées à Kayes et Bamako en 1887-1888.
INDEX ALPHABÉTIQUE .
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ISLAM S4
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JNDEX ANALYTIQUE 371
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INDEX ANALYTIQUE (;)
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E. RECLUS. Géographie universelle, t. XII.
C. GUY. Les résultats géographiques et économiques des explorations du Niger. \
(1) Les noms eu égyptiennes indiquent les ouvrages qui ont été particulièrement utilisés.
i 72 BIBLIOGRAPHIE
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INDEX ANALYTIQUE 3/3
KRAUSE. Fulischen Spracke.
Dr L. QUINTIN, ]> L. TAUTAIN, Dr BAYOL. LOC. cit.
CLAPPERTON. Deuxième voyage dans l'intérieur de l'Afrique.
H. AZAN. Notice sur le Oualo.
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Avènement de l'islam et ses conquêtes avant la période moderne, p. 127-156:
R. Basset, Barth. Loc. cit.
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BERLIOUX, FOURNEL, Général FAIDHER.BE, CLAPPERTON, FOURNEL,
MERCIER, GODART, KRAUSE, MAGE, L. QUINTTN, L. TAUTAIN,
J. BAYOL. Loc. cit.
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BARTH, BINGER, TAUTAIN, QUINTIN, BAYOL, FAIDHIÏRBE. LOC. cit.
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Mage. FAIDHKRBE, H. AZAN, BOUR, E.' BAYOL.
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Kadriya, p. 320-024. ?"•' '.'■•'.''■.
BARTH. .Lot. cil. [ ;;-■ /,•.;, '.'■'.;
RINN. Marabouts ci Khouan. . s 'c ■ .'• ;■■ j: ,;'.','
MARCHAND, DE LARTIGUE. Loc. cit. \ . .
.■ .- * • . • •
Tidjaniya, p. 336-3_io. ' . -.M "• ";.
MARCHAND, DE LARTIGUE. Loc. cit.
TABLE DES MATIÈRES
Pages AVANT-PROPOS i
PRÉFACE •" 3
PREMIÈRE PARTIE : TERRES, PEUPLES, CROTAKCES >g
CHAPITIIM I. — Pays et sol 19
Région saharienne : . ■ J9
Région côtière '■* 1
Région des Hauts-Plateaux 23
Région du Haut-Fleuve '. 25
Région Soudauienne 27
1) Vallée et bassin du Niger moyen 27
2) Bassi a du Haut-Niger ' 29
Région méridionale 3i
CHAI'ITKE 1). — Les races et leur histoire 33
!. — Répartition et histoire générale 33
II. ••- Soiigha; 35
III. — Berbères , 3g
IV. — Arabes 52
V. — Races soudaniennos 63
Ouolof 64
Sévères 67
Peuples du. littoral - 69
Mandé „■ 74
Définition de la race 74
Histoire ." , 76
Fractionnement actuel des Mandé 93
Peu] '. 107
Mossi et peuples secondaires...' 120
Juifs 123
CHAPITRE III. — L'avènement de l'Islam et ses conquêtes ayant la
période moderne 127
DEUXIÈME PARTIE : RENAISSANCE ET PKOPAGATION DE L'ISLAM A
L'ÉPOQUE MODERNE i56
Kadriya. ? 3 5g' :
Tidjaniya 167;
El Hadj Omar 167; '
3y-'5 TABLE DES MATIERES
Pages
Tidiani., i8çi
Ahmadou Gheilchou : 192
Les Tidjaniya du Dinguiray 201
Mouvements locaux.
Le Ripp ÏO3
Âhmadou Chcikhou de Podor 2i3
Madm adou I. an> ine 216
Samory 225
TROISIÈME PARTIE : SITUATION ACTUELLE DE L'ISLAM • 253
CHAPITRE 1. — Répartition des musulmans. Caractères locaux des
influences religieuses 2 53 .
CHAPITRE II. — Rites et doctrines , 3i2
. Particularités de la Religion musulmane 31 2
Les ordres religieux 318
, Kadriya 3:o
Cheihk Sidia 324
Mohammed e! Fadel 327
Organisation et règle des Kadriya 33s.
Tidjaniya 336
CHAPITRE III. — Avenir de l'Islam Soudanien. . 341
BIBLIOGRAPHIE 367
INDEX . ALPHADÉT I QUE 368
INDEX ANALYTIQUE 37!
TABLE DES CARTES
I. — Pays Mandé -, 80
II. — Pays Peul ; 112
III. —• Propagation de l'Islam par migrations 12&
IV. — Pays musulmans au XVJÎT siècle avant la conversion des Peu!.. 144V.
144V. El Hadj Omar et Samory 176
VI. — Pays musulmans à la fin du XIX." siècle 256
VII. — Répartition des influences religieuses 320
V1IL— Pénétration européenne au milieu et à la fin du Xi-X,! siècle... 352
IMPRIMERIE A.-G. LJÎMALE, HA/VtÇ'E
Texte détérioré — reliure défectueuse NF Z 43-120-11
Contraste insuffisant IMF Z 43-120-14