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Titre : La chanson des gueux : gueux des champs, gueux de Paris, nous autres gueux (2e édition) / Jean Richepin

Auteur : Richepin, Jean (1849-1926). Auteur du texte

Éditeur : Librarie illustrée (Paris)

Date d'édition : 1876

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31212986k

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (248 p.) ; in-12

Format : Nombre total de vues : 261

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57802151

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, YE-32185

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 30/11/2009

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LA

CHANSON DES GUEUX


r. Avnr.kV. — twn»i:Mi:'. me LAOS»


JEAN RICHEPIN

LA

ucu us ouirs. - MEM K MUS. - m% AIIUS IIEN

DEUXIÈME ÉDITION

PARIS

LIBRAIRIE ILLUSTRÉE

16, RUE DU CROISSANT

tAnciKi bûUl Colbcrti.



BALLADE DU ROI DES GUEUX

Four servir de prologue au présent livre

Venez à moi, claqucpatins, Loqueteux, joueurs de musettes, Clampins, toujours, voyous, catins. Et marmousets, et marmouscttes, Tas de tmmc-cul-les-liouscltes, Race d'indépendants fougueux! Je suis du pays dont vous êtes, Le poète est le lïoi ^es Gueux,

i


BALLADE DU ROI DES GUEUX

Vous que la bise des matins, Que la pluie aux âpres sagellcs, Que les gendarmes, les mâtins, Les coups, les fièvres, les disettes Prennent toujours pour amuselles, Vous dont l'habit mince cl fongueux Paraît fait de vieilles gazettes, Le poète est le Roi des Gueux.

Vous que le chaud soleil a teints, llurlubicrs dont les peaux biseltes Ressemblent à l'or des gratins, Gouges au front plein de frisettes, Momignards nus sans chemisettes, Vieux à l'oeil cave, au nez rugueux, Au menton en casse-noisettes Le poêle est le Roi des Gueux.

Envoi

O Gueux, mes suicls, mes suîelïes, •le serai votre mattre queux. Tu vivras, monde qui végètes! Le poète est le Roi des Gueux.


PREMIÈRE PARTIE

GUEUX DES CHAMPS

AU FORGERON FERNAND



CHANSONS DE MENDIANTS

I

LE8 PETIOTS

Ouvrez la porte Aux petiots qui ont bien froid. Les petiots claquent des dents. Ohé! ils vous écoulent! S'il fait chaud là-dedans,

Bonnes gens, 11 fait froid sur la route.


LA CHANSON DES GUEUX

Ouvrez la porte Aux petiots qui ont bien faim. Les petiots claquent des dents. Ohé! il faut qu'ils entrent! Vous mangez là-dedans,

Bonnes gens, Eux n'ont rien dans le ventre.

Ouvrez la porte Aux petiots qui ont sommeil. Les petiots claquent des dents. Ohé ! leur faut la grange! Vous dormez là-dedans,

Bonnes gens, Eux, les yeux leur démangent.

Ouvrez la porte Aux petiots qu'ont un briquet. Les petiots grincent des dents. Ohé! les durs d:orcille! Nous verrons là-dedans,

Bonnes gens, Si le feu vou» réveille 1


GUEUX DES CHAMPS

n

LES GRANDS

Dans le ciel clair, à tire-d'ailo,

Les hirondelles

De l'autre année Reviennent à leurs cheminées.

Et nous, nous revenons aussi,

Et nous voici.

Par les chemins, Lc3 va-nu-pieds tendant la main.


LA CHANSON DES GUEUX

Après le pain et la piquette

Toujours en quête;

Nous ons la gorge Plus rouge qu'un brûlant de forge.

Donnez du pain, donnez des sous!

Car nous sons soûls

D'aller à pied Sans avoir rien dans le gésier.

Du pain de son! des sous de cuivre!

C'est pour nou3 vivre.

Mais va-t'-fair'fichc! On nous prend pour des merliflehes,

Des sous! Des sous! Ou nous volons

Les beaux p'tiots blonds,

Les beaux amours, Qu'on les vend cher aux (aiseux d"tours»


OUEUX DES CHAMPS

m

LE VIEUX

Me» brave» bons messieurs et dames, Par ftUuto-Marlc-Notre-Dame, Voyez. !e pauvre vieux stropiat. Pater notUr! Ave Maria! Ayez pi lié î

Mes brave» bons messieurs et dames, La charité do» bonne» Ames! Uu p'ift mm, Dieu vous lu rendra. Vatcr nodvrl Ave Mark! Ayez pitié I


If LA CHANSON DES GUEUX

Mes braves bons mer-sieurs et dames, Chez ceux qui ne voient pas les larmes, Quand Dieu le veut, grêle il y a. Pater notter! Ave Maria! Ayez pitié!

Mes braves bons messieurs et dames, La vache qui vêle, ou la femme, Si je le dis, son fruit mourra. Pater noster! Ave Maria! Ayez pitié!

Mes braves bons messieurs et dames, Au jetcu d'sorts, au preneu d'Ames, Donnez un p'tit sou, qui qu'en a. Pater noster! Ave Marin ! Ayez pitié 1


GUEUX DBS CHAMPS 11

17

L'ENFANT DE BOHÊME

L'épine est en fleurs; à l'épine blanche, En me promenant, j'ai pris une branche. J'avais emporté mon petit couteau, Oh! Oh! Avec mon couteau J*ai coupé la branche Bien haut.


12 LA CHANSON DES GUEbX

Je vais aans le ru pécher à la ligne.

Beaux poissons d'argent, je vous ferai signe.

Voyez au soleil briller mon couteau,

Oh! Oh!

Avec mon couteau

Je vous ferai signe

Dans l'eau.

Quand je serai grand, pour gagner des sommes. J'en ferai ma lance et tûrai les hommes. Pour fer elle aura le fer du couteau, Oh! Oh! Avec mon couteau Je troûrai aux hommes La peau.

Quand je serai vieux et la barbe blanche, Pour béquille alors je prendrai ma branche. Pour manche clic aura le bois du couteau, Oh! Oh! Avec mon couteau Finira ma branche. Hcho !


GUEUX DES CHAMPS «

V

LE FOU

Ah! qui donc m'achètera

Mon joli piège,

Mon joli piège?

Ah I qui donc m'achètera

Mon joli piège à rat?

Je suis un ficu né en Flandre,

Je ne sais où. On m'a trouvé dans la coudre

Comme vm grillou. MA naissance fil esclandre,

Car j'étais fou.


14 LA CHANSON DES GUEUX

Ah! qui donc m'achètera Mon joli piégç, Mon joli piège? Ah ! qui donc m'achètera Mon joli piège à rat?

Fou, fou, en venant au inonde,

Le roi des fous! Ma mère n'étant pas blonde,

Moi je fus roux. Et l'on me dit à la ronde :

D'où venez-vous ?

Ah ! qui donc m'achètera

Mon joli piège,

Mon joli piège? Ah! qui donc m'achètera Mon joli piège à rat?

D'où je viens, moi petit homme? *

Je n'en sais rien. Là-bas, plus haut que la Somme,

On n'est pas bien, Car le ciel y est froid comme

Le nez d'un chien.

Ah! qui donc m'achètera Mon joli piége, Mon joli piège?


GUEUX DES CHAMPS 1S

Ah ! qui donc m'achètera Mon joli piége à rat?

Je viens d'un lieu où l'on entre

Et djoù l'on sort. C'est au plus creux de cet antre

Qu'est notre sort. Quand ma mère ouvrit son ventre,

Je pris l'essor.

è

Ah! qui donc n'achètera

Mon joli piége,

Mon joli piége? Ah ! qui donc m'achètera Mon joli piége à rat?

Je pris l'essor, et mes ailes

Dans le ciel bleu Ont fondu comme chandelles

Qu'on jette au feu. Aussi nulle entre les belles

Me m'aime un peu.

Ah ! qui donc m'achètera

Mon joli piége,

Mon joli piége? Ah! qui donc m'achètera Mon joli piége à rat?


LA CHANSON 1>KS GUEUX

Mais à l'amaut qui assiège

Eu soupirant Leur coeur, plus léger qu'un liège

Sur uu torrent, Je vends pour deux liards uu piège

f.rac ! qui les prend!

Ah ! qui donc m'achètera

Mon joli piège,

Mon joli piège? Ah ! qui donc m'achètera Mon joli piège à rat?

Mon piège est uu sac en serge

Noir comme un trou, Où chante uu papillon vierge

Piqué d'un clou, Et où flamhe comme uu cierge

Le coeur d'un fou.

Ah! qui donc m'achèleia

Mon joli piège,

Mou joli piège? Ah! qui donc m'achètera Mou joli piège à rat?


LES PLANTES, LES CHOSES, LES BÊTE:

I

LA FLUTE

Je n'étais qu'une plante inutile, un roseau, Aussi je végétais, si frêle, qu'un oiseau En se posant sur moi pouvait briser ma vie. Maintenant je suis flûte et l'on me porte envie. Car un vieux vagabond, voyant que je pleurais, lu matin, en passant, m'arracha du marais, Démon coeur, qu'il vida, fit un tuyau sonore, l.c mil sécher un an, puis, le creusant encore,

2.


1S LA CHANSON DES GUEUX

Il y fixa la gamme avec huit trous égaux;

Et depuis, quand sa lèvre aux souffles musicaux

Eveille les chansons au creux de mou silence,

Je tressaille, je vibre, et la acte s'élance;

Lo chapelet des sons va s'égrcnant dans l'air;

On dirait le babil d'une source au flot clair;

Et dans ce flot chantant qu'un vague écho répète,

Je sais noyer le coeur de l'homme et de la bote.


«JUEUI DE8 CHAMPS 1»

II

LA PLAINTE DU BOIS

Bans l'âtro flamboyant lo feu siffle et détone, Et le vieux bois gémit d'une voix monotone.

Il dit qu'il était né pour vivre dans Tau* pur,* Pour se nourrir de terre et s'abreuver d'azur, Pour grandir lentement et pousser chaque année Plus haut, toujours plus haut, sa tête couronnée, Pour parfumer avril de ses grappes de fleurs, Pour abriter les nids et les oiseaux siffleurs, Pour jeter dans le vent mille chansons joyeuses, Pour vêtir tour à tour ses robes merveilleuses,


S* LA CHANSON DES fiUEUX

Son manteau de printemps de fii bourgeons couvert, Et la pourpre en automne, et l'hermine en hiver. Il dit que l'homme est dur, avare et sans entrailles, D'avoir à coups de hache et par d'âpres entailles Tué l'arbre, car l'arbre est u * être vivaut. Il dit comme il fut bon pour l'homme bien souvent, Qu'à nos jeunes amours et nos baisers sans nombre Il a prêté l'alcôve obscure de son ombre, Qu'il nous couvrait le jour de ses frais parasols Et nous berçait la nuit aux chants des rossignols, Et qu'ingrats, oubliant notre amour, notre enfance, Nous coupons sans pitié le géant sans défense.

Et dans l'atrc en brasier le bois geint et se* tord.

O bois, tu n'es pas sage cl tu te plains à tort.

Nos mains en te coupant ne sont pas assassines.

Enchaîné, subissant l'entrave des racines,

Tu végétais au même endroit, sans mouvement,

Et conjoint à la terre inséparablement.

Toi qui veux être libre et qui proclames l'arbre

Vivant, tu demeurais cloué là comme un marbre,

Captif en. ton écorce ainsi qu'en un réseau,

Et tu ne devinais l'essor que par l'oiseau.

Nous t'avons délivré du sol où tu te rives,

Et te voilà flottant sur l'eau, voyant des rives

Avec leurs bateliers, leurs maisons, leurs chevaux.

O les cieux dilîércnts ! les horizons nouveaux I

Que de biens iuconnus tu vas enfin connaître!

Quel souffle d'aventure étrange te pénètre !


GUEUX DES CHAMPS SI

Mais tout cela n'est rien. Car tu rampes cncor. •

Qu'on le fende et le brûle, et qu'il prenne l'essor I

Et le feu furieux te dévore la fibre.

Ah! tu vis maintenant, tu vis, te voilà libre!

Plus haut que les parfums printaniers de tes fleurs,

Plus haut que les chansons de tes oiseaux sifflcurs,

Plus haut que tes soupirs, plus haut que mes parole-,

Dans la nue et l'espace infini tu t'envoles,

Et toi qui regrettais le grand ciel et l'air pur,

O vieux bois, tu deviens un morceau de l'azur.


LA CHANSON DES GUEUX

1U

VIEILLE STATUE

Oubliée en un coin du parc, seule, abattue, Sous le lierre qui ronge une vieille statue Gisait. Pauvre statue 1 elle me fit pitié. Je suis do ces rêveurs qui dans leur amitié Donnent aussi sa part à l'inerte matière Et partagent leur coeur à la nature entière. Je relevai le mort, et pour qu'il fût content, Pour qu'il eût le bonheur de revivre un instant Gomme si nous étions aux époques anciennes OU parmi les chansons il avait eu les siennes,


GUEUX DES CHAMPS 93

Je fil semblant de croire à sa divinité,

Et je lui dis ces vers où son los est chanté :

O Pan, gardien sacré de cette grotte obscure

D'où sort le ruisseau clair qui sous tes pieds murmure,

Toi qu'un lierre, en festons à l'entour de ton flanc,

De son feuillage noir fait paraître plus blanc,

To^uiris d'un air bon dans ta barbe de pierre,

Et^spmles, clignant un oeil sous ta paupière,

Si quelque blonde enfant vient par le bois profond,

Portant de ses bras nus une urne sur son front,

O Pan, je poserai mes lèvres arrondies

Sur la flûte dorée aux douces mélodies

Et je te chanterai ma plus belle chanson,

Et, comme à Jupiter le divin échanson

Verse le saint nectar qui parfume les lèvres,

Je verserai pour toi le lait pur de mes chèvres,

Et mon bouc t'offrira, sous le couteau sacré,

De sa gorge velue un flot de sang pourpré,

Si tu veux bienjemplir à la saison nouvelle

De mon troupeau bêlant la traînante mamelle,

Si tu fais que mon mâle aux amoureux travaux

Donne à chaque femelle un couple de chevreaux,

O Pan, dieu des bergers, dieu revêtu de liene,

Toi qui ris d'un air bon dans ta barbe de pierre.


St LA CHANSON DES GUEUX

IV

LE MERLE A LA GLU

Merle, merle, joyeux merle, Ton bec jaune est une fleur, Ton oeil blanc est une perle, Merle, merle, oiseau siffleur.

Hier tu vins dans ce chêne, Parce qu'hier il a plu. Reste, reste dans la plaine. Pluie.ou vent vaut mieux que glu.


GUEUX DES CHAMP*

Hier vint dans le bocage

Le petit vaurien d'Eioi

Qui voudrait te mettre en cage.

Prends garde, prends garde à toi!

H va t'attraper peut-être. Iras-tu dans sa maison, Prisonnier à sa fenêtre, Chanter pour lui ta chanson?

Mais tandis que je m'indigne, O merle, merle goulu, Tu mords à ses grains de vigne, Ses grains de vigne à la glu.

Voici que ton aile est prise Voici le petit Eloi! Siffle, siffle ta bêtise, Dans ta prison siffle-toi!

Adieu, merle, joyeux merle, Dont le bec jaune est en fleur, Dont l'oeil blanc est une perle, Merle, merle, oiseau siffleur.


LA CHANSON DES GUBUX

V

ÉPITAPHE POUR UN LIÈVRE

Au temps où les buissons flambent de fleurs Vermeilles,

Quand déjà le bout noir de mes longues oreilles

Se voyait par-dessus les seigles encor verts

Dont je broutais les brins en jouant au travers,

Un jour que fatigué je dormais dans mon gite,

La petite Margot me surprit. Je m'agite,

Je veux fuir. Mais j'étais si faible, si craintif!

Elle me tint dans ses deux bras : je fus captif.

Certe elle m'aimait bien, la gentille maîtresse.

Quelle bonté pour moi, que de soins, de tendresse!


GUEUX DES CHAMPS »

Comme elle me prenait sur ses petits genoux

Et me baisait! Combien ses baisers m'étaient doux!

Je me rappelle cncor la mignonne cachette

Qu'elle m'avait bâtie auprès de sa couchette,

Pleine d'herbes, de fleurs, de soleil, de printemps, .

Pour me faire oublier les champs, les libres champs.

Mais quoi! l'herbe coupée, est-co donc l'herbo fraîche?

Mieux vaut l'épine au bois que les fleurs dans la crèche.

Mieux vaut l'indépendance et l'incessant péril

Que l'esclavage avec un éternel avril.

Le vague souvenir de ma première vie

M'obsédant, je sentais je ne sais quelle envie,

J'étais triste, et malgré Margot et sa fconté,

Je suis mort dans ses bras, faute de liberté.


LA CHANSON DES GUEUX

yi

LES VIEUX PAPILLONS

Un mois s'ensauve, un autre arrive. Le temps court comme un lévrier. Déjà le roux genévrier A grisé la première grive. -

Bon soleil, laissez-vou3 prier,

Faites l'aumône! Donnez pour un sou de rayons.

Faites l'aumône A deux pauvres vieux papillons.


GUEUX DES CHAMPS

La poudre d'or qui nous décore N'a pas perdu toutes couleurs, Et malgré l'averse et ses pleurs Nous aimerions à faire encore Un petit tour parmi les fleurs.

Faites l'aumône! Donnez pour uu sou de rayons.

Faites l'aumône A deux pauvres vieux papillons.

Qu'un bout de soleil aiguillonne Et chauffe notre corps tremblant, On verra le papillon blanc Baiser sa blanche papillonne, Papillonner papillotant.

Faites l'aumône! Donnez pour un sou de rayons.

Faites l'aumône A deux pauvres vieux papillons.

Mais, hélas! les vcDt» iioniques Emportent notre aile en lambeaux. Ah ! du luoins, loin des escarbots, O violettes véroniques, Servez à nos coeurs de tombeaux.

Faites l'aumône ! Gardez-nous des vers, des grillons.

Fuites l'aumône A deux pauvres vieux papillons.

I.


30 LA CHANSON DES GUEUX.

VII

LE BOUC AUX ENFANTS

Sous bois, dans le pré vert dont il a brouté l'herbe,

Uu grand bouc est couché pacifique et superbe.

De ses cornes en pointe, aux noeuds superposés,

La base est forte et large et les bouts sont usés,

Car le combat jadis était son habitude.

Le poil, soyeux à l'oeil, mais au toucher plus rude,

Noir tout le long du dos, blanc au ventre, à flots gri3

Couvre sans les cacher les deux flancs amaigris.

Et les genoux calleux et la jambe tortue,

La croupe en .pente abrupte cl l'échiné pointue,


GUEUX DES CHAMPS 31

La barbe raide et blanche et les grands cils des yeux,

Et le nez long, font voir que ce boue est très-vieux.

Aussi, connaissant bien que la vieillesse est douce,

Deux petits mendiants s'approchent, sur la mousse,

Du dormeur qui, l'oeil clos, semble ne pas les voi:\

Des cornes doucement ils touchent le bout noir.

Puis, bientôt enhardis et certains qu'il sommeille,

Ils lui tirent la barbe en riant. Lui, s'éveille,

Se dresse lentement sur ses jarrets noueux,

Et les regarde rire, et rit presque avec eux.

De feuilles et de fleurs ornant sa tète blanche,

Ils lui mettent un mors taillé dans une branche,

Et chassent devant eux à grands coups de rameau

Le vénérable chef des chèvres du hameau.

Avec les sarments verts d'une vigne sauvage

Ils ajustent au mors des rênes de feuillage.

Puis, non contents, malgré les pointes de ses os,

Ils montent tous les deux à cheval sur son dos,

Et se tiennent aux poils, et de leurs jambes nues

Font sonner les talons sur ses côtes velues.

On entend dans le bois, de plus en plus lointains,

Les voix, les cris peureux, les rires argentins;

Et l'on voit, quand ils vont passer sous une branche,

Vers la tète du bouc leur tête qui se penche,

Tandis que sous leurs coups et sans presser son pas,

Lui va tout doucement pour qu'ils ne tombent pas.


M LA CHANSON DES GUEUX

VIII

LA GLOIRE DES INSECTES

C'est avril. (Test midi. La terre a mis son châle De verdure et de fleurs au dessin ondoyant, Et le ciel »"nd sur elle un dais de velours pâle Que le : -'loi- retient d'un clou d'or flamboyant

La nature fredonne un vieux chant de nourrice Et brode une layette en merveilleux feslous;. Car elle sent les fruits germer dans sa matrice Et le lait de la sève arrondir ses tétons.


GUEUX DES CHAMPS 3?

Nous, ses fils orgueilleux, les chefs de la famille, Nous croyons être seuls berces sur ses genoux, Et nous publions trop que son giron fourmille De plus petits enfants aussi choyés que nous.

Si parfois nous pensons à nos frères, les brutes, Qui devraient être rois, étant les premiers-nés, C'est pour nous souvenir qu'après d'ardentes luttes Nous volâmes leur droit d'ainesse à ces aines

Si nous pensons aux soins que prend d'eux la nature, C'est pour nous figurer qu'à nous, ses Benjamins. Comme une ménagère apprêtant la pâture, Elle veut les offrir engraissés par ses mains.

Mais quant au peuple obscur des petits, des insectes, Qu'elle les aime ou non, nul ne veut le savoir. Poussière d'avortons nés de larves infectes, Nous les méprisons trop pour chercher à les voir.

Or, comme je rêvais ainsi, couché dans l'herbe, Voulant que de moi seul la nature eût souci, Tandis que je cuvais le vin de nia superbe, Une petite voix m'a bourdonné ceci :


31 LA CHANSON DES GUEUX

Es-tu poète? Mets ensemble

Le plus clair cristal qui te semble

Un pleur du ciel, L'opale dont l'éclat se gaze Sous un lait trouble, la topaze

Couleur de miel,

L'émeraude qui dans sa flamme A l'air de faire brûler l'âme

Du printemps vert, L'escarboucle de sang trempée Qui semble une goutte échappée

D'un coeur ouvert,

Le saphir profond qui scintille Plus que les yeux bleus d'une fille

Près d'un amant, Mets le roi de toutes ces pierres, Devant qui tu clos tes paupières, Le diamant,

Que pour toi ce trésor s!arrange En une mosaïque étrange

Aux tons divers, Que ces belles choses sans nombre De leurs feux illuminent l'ombre

De tous tes vers,


GUEUX DES CHAMPS 35

Combine d'une main savante, Imagine, compose, invente,

Refais, refonds, Sers-toi des poinçons et des limes, Et que tes dessins soient sublimes

Et soient profonds,

Quand ton oeuvre sera finie, Malgré l'effort de ton génie^

Tous tes cadeaux Ne pourront remplacer encore Ceux dont la nature décore

Mon petit dos.

Je fais mon nid dans une feuille. Un enfant, pour peu qu'il le veuille,

Du bout du doigt Peut briser ma feuille et ma vie. Pourtant je suis digue d'envie,

Même pour toi.

La nature, la mère auguste, N'est pas une marâtre injuste

Comme tu dis, Et pour d'autres que pour les hommes Elle a fait du monde où nous sommes

Un paradis.


3fi LA CHANSON DES GUEUX

A qui donc sont les bois, la mousse,

Les champs, les prés, le grain qui pousse,

L'herbe qui poind? Est-ce à toi, né dans une ville, A toi dont la charogne est vile

Et ne sert point?

Ou bien aux bêles mes compagnes, Les seuls hôtes qui des campagnes

Soient coutumiciâ, Elles qui vivent des prairies Et qui les font toutes fleuries

De leurs fumiers?

Ou bien est-ce a moi, le gueux libre, Soûl d'azur, et dont l'aile vibre

En plein soleil, Moi qui l'été m'amuse et rôde, Qui l'hiver sous la terre chaude

Dors mon sommeil,

Et qui cours joyeux par la plaine, Mangeant à ma guise, sans peine

Et sans remords, Suivant la Mort épouvantable Qui partout dresse sur ma table

La chair des morts?


GUEUX DES CHAMPS 37

Lorsque je vis à ne rien faire, Toi tu travailles, pauvre hère,

Jusqu'au tombeau. La sueur te brûle et te sale. Ton corps est laid, ton corps est sale,

Moi je suis beau.

Et je vis, sur ma main, bourdonnant de colère, Un être merveilleux et pourtant tout petit. Ce rien du tout luisait comme un spectre solaire. C'était un scarabée. Il eut peur et partit.


55 LA CHANSON DES GUEUX

IZ

TRISTESSE DES BÊTES

Lé soleil est tombé derrière la forêt.

Dans le ciel, qu'un couchant rose et vert décorait,

Brille encore un grenat au faite d'une branché.

La lune à l'opposé montre sa corne Manche.

Vers les puits, dont l'eau coule aux rigoles de bois,

C'est l'heure où les barbets avec de grands abois

Font, devant le berger lourd sous sa gibecière,

Se hâter les brebis dans des flots de poussière.

Les bêtes, les oiseaux des champs sont au repos.

Seuls, le long du chemin, compagnons des troupeaux,


GUEUX DES CHAMPS .35

Sautant de motte en motte après la mouche bleue,

On entend pépier les brusques hoche-queue.

Puis ils s'en vont aussi. La nuit de plus en plus

Monte, noyant dans l'ombre épaisse le talus

Où les grillons plaintifs chantent leur bucolique

En couplets alternés d'un ton mélancolique.

Le vieux berger, soufflant dans ses pipeaux faussés,

Fait pâmer les crapauds râlant dans les fossés.

Or, le bélier pensif baisse plus bas ses cornes ;

Les brebis, se serrant, ouvrent de grands yeux mornes

Et les chiens en hurlant s'arrêtent pour s'asseoir.

Oh! vous avez raison d'être tristes le soir! Elle a raison, berger, ta chanson monotone Qui pleure. Il a raison, l'animal qui s'étonne De l'ombre épouvantable et de la nuit sans fond. Hélas! l'ombre et lanuit, sait-on ce qu'elles font? S?'*t-on quel oeil vous guette et quel bras vous menace Dans cette chose noire? Ah! la nuit! C'est la nasse Que la mort tous les soirs tend par où nous passons.. Et qui tous les matins est pleine de poissons.

Vive le bon soleil ! Sa lumière est sacrée.

Vive le clair soleil! Car c'est lui seul qui crée;

C'est lui qui verse l'or au calice des fleurs,

Et fait les diamants de la rosée en pleurs;

C'est lui qui donne a mars ses bourgeons d'émeraude,

A mai son frais parfum qui par les brises rôde,


40 LA CHANSON DES GUEUX

A juin son souffle ardent qui chante dans les blés, A l'automne jauni ses cieux roux et troublés; C'est lui q'-ui pour chauffer nos corps froids en décembre Unit au boAs flambant les vins dp pourpre et d'ambre; C'est lui qui met du sang dans nos veines ; c'est lui Qui dans les yeux charmants des femmes dort et luit C'est lui qui de 5cs feux par l'amour nous enivre; Et quand il n'est pas là, j'ai peur de ne. plus vivre.

Vous comprenez cela, vous, bêtes, n'est-ce pas? Puisque le soir venu, ralentissant le pas, Dans votre âme, par l'homme oublieux abolie, Vous sentez je ne sais quelle mélancolie.


GUEUX DES CHAMPS 41

X

OISEAUX DE PASSAGE

C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange : Sur les flancs, l'écurie et retable aux toits bas; Ici près, la maison; là-bas, au fond, la grange Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire, Dans sa berge de bois est immobile et dort. Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.

4.


42 LA CHANSON DES GUEUX

Loin de l'endroit humide où gil la couche grasse, Au milieu de la cour, où le crottin plus sec Riche de grains d'avoine en poussière s'crtasse, La poule l'éparpillé à coups d'ongle et de bec.

Plus haut, entre les deux brancards d une charrette, Un irros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi, Hérissé, l'oeil mi-clos recouvert par la crête, Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase. On dirait des rêveurs, quand soudain, s'arrêtant, Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.

Sur le laite du toit, dont les grises ardoises

Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,

Des pigeons violets aux reflets de turquoises

De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre, Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail, Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre, Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies, Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers. Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joie». Rentiers, faiseurs de lard, philistins, épiciers?


GUEUX DES CHAAIPS «

Ovie heureuse des bourgeois! Qu'avril bourgeonne Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contenta Ge pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne, Ça lui suffit; il sait que l'amour n'a qu'un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée. Et quand vient le moment de mourir, il faut voir Cette jeune oie en pleurs : « C'est là que je suis née, Je meurs près de ma mère et j'ai lait mon devoir. »

Son devoir! C'est-à-dire elle blâmait les choses Inutiles, car elle était d'esprit zélé, Et quand des papillons s'attardaient sur des roses, Elle cassait la fleur et mangeait l'être ailé.

Elle a l'ait son devoir! C'est-à-dire queoneque Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil. Pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume Et mourir au matin sur le coeur du soleil.

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie Toujours, pour ces gens-là cela n'est point hideux. Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie Ou de n'es plus avoir ou bien d'en avoir deux.


44 LA CHANSON DES GUEUX

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse ! Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonués, Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse, De ne pas voir plus loin que le bout de son nez!

X 'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres, Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants, Posséder pour tout coeur un viscère sans lièvres, Un coucou régulier et garanti dix ans 1

Oli ! les gens bienheureux !...Tout à coup, dans l'espace, Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol En forme de triangle arriv?, plane et passe. Où vont-ils? Qui sont-ils? Comme ils sont loin du sol!

Lss pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte Qui brise les soupirs de leur col redressé, Et sautent dans le vide avec une culbute. Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tète. Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant, Clignant de l'oeil en l'air et secouant la crête, Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.

Qu'est-ce que vous avez, bourgeois? Soyez donc calmes! Pourquoi les appeler, sot? Ils n'entendront pas. Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des pannes, Jrois-tu que ton fumier ait pour eux des appas?


GUEUX DES CHAMPS M

lîegardez-les passer! Eux, ce sont les sauvages. Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts, t Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages. L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.

Ke£ardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère, Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux, Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère, Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère, Ils pouvaient devenir volailles comme vous. Mais ils sont avant tout les fils de la chimère, Des assoiflés d'azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe! Là-haut chante pour eux un mystère profond. A l'haleine du vent inconnu qui les porte Us ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont!

La bise contre leur poitrail siffle avec rage. L'averse les inonde et pèse sur leur dos. Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage; Us vont, loin de la terre, au-dessus des badauds.

Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace. Là-bas ils trouveront de l'amour, du nouveau. Là-bas un bon soleil chauffera leur carcasse Et fera resplendir les fleurs de leur cerveau.


46 LA CHANSON DES GUEUX

Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rôve, C'est l'horizon perdu par delà les sommets, C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève Où votre espoir banal n'abordera jamais.

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante ! Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux, Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiento. Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.


L'ODYSSÉE DU VAGABOND

1

PREMIER DÉPART

Quand s'entr'ouvrentles yeux des marguerites blanches,

Quand la feuille en tremblant palpite au bout des branches,

Quand les lapins frileux commencent, le matin,

A sortir du terrier pour courir dans le thym,

Quand les premiers oiseaux chantant leurs chansonnettes,

Font dans le ciel plus pur vibrer leurs voix plus nettes,


48 LA CHANSON DES GUEUX

.A l'époque où le monde heureux se rajeunit,

Les petits mendiauls doivent quitter leur nid.

Ils sortent de la hutte où, comme des marmottes,

Us ont dormi l'hiver auprès d'uu feu de mottes,

Cependant que la mère attisait le brasier

Et tressait en chantant des corbillons d'osier.

Cest en vendant ces blancs hochets aux verts losanges

Qu'ils vout gagner leur pain, les pauvres petits anges.

Le père est mort depuis quatre mois. La maison

Est trop chère à louer, et pour cette raison

La mère chez autrui va devenir servante.

On se retrouvera pour la saison suivante,

Quand on aura gagné quelque argent cet été.

En attendant, chacun s'en va de son côté.

Le3 petits prennent leur baluchon sur l'épaule

Et mettent leurs sabots au bout garni de tôle;

Et quand la mère, avec des sanglots dans la voix,

A baisé le dernier une dernière fois,

Us partent, se tenant par la main, d'un air grave.

L'alné siffle un refrain pour paraître plus brave;

Mais il sent de gros pleurs lui rouler dans les yeux.

n ne pleurera pas, car c'est lui le plus vieux,

Car le long des chemins voici qu'ils sont en marche,

Et l'enfant de douze ans devient un patriarche.


GUEUX DES CHAMPS 49

II

PREMIER RETOUR

Toujours tout droit, sans rien regarder, ils cheminent Les paysans hargneux de coin les examinent, Et les enfants poltrons se mettent sur un rang Pour les voir. Car ces gueux n'ont pas l'air rassurant. Et pourtant ils ne sont que trois, ces trouble-fôte, Et le plus vieux des trois, celui qui marche en tête, N'a pas treize ans. Mais comme ils sont fauves, hagards ! Une implacable horreur habite leurs regards. On sent qu'ils ont souffert, jeûné, veillé. Leurs membres Disent la laim, la soif, le froid noir des décembres,


S» LA CHANSON DES GUEUX

Le soleil lourd, l'averse à flots pointus crevant, L'étape interminable, et les nuits en plein veut. On comprend qu'ils ont bu la brume qui pénètre, Et râlé quelquefois au pied d'une fenêtre

.Où chantaient et flambaient des rires de catin. Il leur est arrivé de marcher du matin Au soir et puis du soir au matin sans entendre Le son que fait un sou dans la main qu'il faut tendm. Il leur est arrivé, le ventre creux, de voir Des gens repus qui leur refusaient du pain noir. Et c'est pourquoi leurs coeurs sont des fourneaux de haine. Mais la maison où vit leur mère étant prochaine, Les voilà doux. Près d'elle ils seront apaisés, Et leur bouche d'enfant rapprendra les baisera. Hélas! la mère est morte à la tâche. Sa bière Git sans nom dans uu coin perdu du cimetière Us ne trouveront pas ce soir à leur retour, Pour consoler leur jeûne amer, le pain d'amour. Et demain il faudra repartir par les routes, Et mendier encore, et se nourrir des croûtes,

•Des restes, des vieux os que l'on dispute aux chiens. Mais les chers innocents, du coup, sont des vauriens. Us ne pleureront pas, car l'orgueil les commande, Et l'enfant de douze ans devient un chef de bande.


GUEUX DES CHAMPS 51

m

IDYLLE DE PAUVRES

L'hiver vient de tousser son dernier coup de rhume

Et fuit, emmitouflé dans sa ouate de brume.

On ne reverra plus, avant qu'il soit longtemps,

Sur la Vitre, allumée en prismes éclatants,

Fleurir là fleur du givrp aux étoiles d'aiguilles.

Voici qu'un frisson monte à la gorge des filles!

Cest le printemps. Salut, bois verts, oiseaux chanteurs,

Ciel délicat ! La brise, où flottent des senteurs,

Apporte on ne sait d'où les amoureuses fièvres,

Et des baisers, errants dans l'air, cherchent des lèvres.


52 LA CHANSON DES GUEUX

Mais le dur paysan retourne à ses travaux.

Pour lui, qu'importe avril et ses désirs nouveaux !

Ce qu'il sait seulement, c'est qu'il faut quitter l'atre,

Qu'il faut recommencer la lutte opiniâtre.

Contre la terre en rut, buveuse de sueurs.

Et le chant des oiseaux, l'aube aux fraîches lueurs,

Les papillons, l'azur, lui disent : — Prends ta blouse

Et travaille. La terre est ta femme jalouse

Et veut que tu sois tout à elle, et tout le jour.

Féconde-la, vilain, sans penser à l'amour.

— Et le dur paysan baise la terre grise

Sans humer les senteurs qui flottent dans la brise,

Sans ouvrir sa poitrine aux souffles embrasés.

Où vous poserez-vous, vols errants de baisers, Essaim tourbillonnant des amoureuses fièvres?

Heureusement pour vous que les gueux ont des lèvres


(iUEUX DLS CHAMPS


LA CHANSON DES GUEUX

O gueux, enivrez-vous de l'amour printanière!

Allez, sous le buisson qui vous sert de tanière,

Personne ne vous voit que le bois et le ciel.

L'abeille, qui butine en bourdonnant son miel.

Ne racontera pas les choses que vous faites.

Le papillon, joyeux de voir les champs en fêtes,

Vole sans bruit parmi la plaine aux cent couleurs,

Et pour vous imiter conte fleurette aux fleurs.

Seul, un oiseau, perché sur la plus haute feuille,

Entend les mots qu'on dit et les baisers qu'on cueille,

Et semble se moquer de vous, le polisson !

Mais tout ce qu'il îaconte en l'air n'est que chanson.

Aimez-vous ! Savourez, loin du monde et des hommes,

Ce qu'on a de meilleur sur la terre où nous sommes!

Pâmez-vous dans les bras l'un de l'autre sans fin!

Abreuvez votre soif d'aimer! A votre laim

Repaissez-vous longtemps de caresses trop brèves !

Vivez cette minute ainsi qu'on vit en rêves!

Dans le débordement de ce fleuve vermeil

Noyez les jours sans pain, elles nuits sans sommeil,

Et tout ce qui vous reste à vivre dans la dure!

O gueux, soyez heureux ! L'amour vous transfigure.


GUEUX DES CHAMPS W

Malgré vos pauvretés, vous êtes riches, beaux. De l'amour éternel vous portez les flambeaux. Oui, l'amour qui fait battre à l'instant votre artère C'est celui qui féconde autour de vous la terre, C'est celui dont la brise apporte les senteurs, C'est celui des bois verts et des oiseaux chanteurs Celui qui fait gonfler les seins comme des voiles, Celui qui dans les cieux fait rouler les étoiles, C'est l'amour éternel et jamais apaisé Par qui tout l'univers n'est qu'un vaste baiser.


LA CHANSON DES GUEUX

IV

SOMMET BIOORME

[ *ROOT CLASSIQUE)

Luysard estampillait six plombes Mezigo roulait le trimard, Et jusqu'au fond du coquemart Le dardant riflaudait ses lombes.

Lubre, il honnissait aux palombes :

« Vous grublcz comme un guichcmard. »

Puis au sabri : « Birbe camard,

« Comme un ord champignon tu plombes. S


GUEUX DES CHAMPS S?

Lors aboula dans le sabri Une fignole gosseline. Mezig rivancha la frâline,

Et dit : « Pellard, dans mon abri c Tu baumes ma tigne d'asièque; « O volants, vous goualez d'altèque. >


63 LA CHANSON DES GUEUX

SOMMET ARGOTIQUE

TRADUCTION


GUEUX DES CHAMPS


LA CHANSON DES GUEUX

V

BALLADE DU RODEUR DES CHAMPS

Nul ne peut dire où je juche ;

Je n'ai ni lit ni hamac.

Je ne connais d'autre huche

Si ce n'est mon estomac.

Mais j'ai planté mon bivac

Dans le pays de maraude,

Où sans lois, sans droits, sans trac,

Je suis le bon gueux qui rôde.


GUEUX DES CHAMPS «t

Le loup poursuivi débuche. Quand la faim me poursuit, crac ! Aux oeufs je tends une embûche; Les poules font cotcodac Et pondent dans mon bissac. Puis dans une cave en fraude Je bois vin, cidre ou cognac, le suis le bon gueux qui rôde.

Quand j'ai sifflé litre ou cruche, Ma cervelle est en mic-mac ; Bourdonnant comme une ruche, Mon sang fait tic-tac tic-tac. Alors je descends au bac Où chante quelque faraude Qui me prend pour son vcrrac. Je suis le bon gueux qui rôde.

ENVOI

Sous le ciel bleu comme un lac, Aux champs couleur d'émcraude Hop ! fouette, cocher! clic! clac Je suis le bon gueux qui rôde.


«2 LA CHANSON DES GUEUX

YI

LE CHEMIlf CREUX

.je long d'un chemin creux que nul arbre n'égaie,

Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s'endort,

Et le haut du talus, couronné d'une haie,

Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d'or.

De la haie au chemin tombe une pente herbeuse ijne la taupe soulève en sommets inégaux, Et que les grillons noirs à la chanson verbeuse Font pétiller de leurs monotones échos.


GUEUX DES CHAMPS «3

Passe un insecte bleu vibrant dans la lumière, Et le lézard s'éveille et file, étincelant, Et près des flaques d'eau qui luisent dans l'ornière La grenouille coasse un chant rauque en râlant.

Ce chemin est très-loin du bourg et des grand'routes. Comme il est mal commode, on ne s'y risque pas, Et du matin au soir les heures passent toutes Sans qu'on voie un visage ou qu'on entende un pas.

C'est là, le front couvert par une épine blanche, Au murmure endormeur des champs silencieux, Sous cette urne de paix dont la liqueur s'épanche Comme un vin de soleil dans le saphir des cieux,

C'est là que vient le gueux, en bête poursuivie, Parmi l'acre senteur de3 herbes et des blés, Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie Dans le repos brûlant de ses sens accablés.

Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants, Comme une mère émue «t qui retient son souffle Le nature se tait pour qu'il dorme longtemps.


«I LA CHANSON DES GUEUX

VII

GRAND-PERE SANS ENFANTS

Dans un large filet de pur chanvre tressé Comme l'enfant dormait, doucement balancé A la branche flexible et sous l'ombre d'un chêne, Sa mère travaillant à la lorèt prochaine, Un vieux mendiant chauve apparaît tout à coup, • Regarde, et tout joyeux s'approche à pas de loup. Il baise de l'entant la figure vermeille, Et l'enfant, l'oeil mi-clos, croyant rêver, s'éveille. Et soudain, quand il voit cette bouche sans dents Qui rit d'un rire énorme avec un trou dedans,


GUEUX DES CHAMPS 65

Ce nez gros et camus pourpré du jus des treiUes, Et le double éventail de ces larges oreilles, Il a peur, il s'écrie, il pleure. Mais le vieux Avec un air si bon cligne ses petits yeux, Et dans sa grosse voix met un accent si tendre, Que l'enfant s'apprivoise et se laisse enfin prendre, Et doucement frissonne au poitrail inconnu Qui chatouille du poil son petit pied tout nu. Avec ses doigts mignons, dans cette toison grise, Il s'amuse à tirer chaque boucle qui frise Pour la voir revenir sur elle brusquement. Puis, montrant le gros nez, avec un bégaiement Il rit, l'admire, y met les deux mains, et s'en joue, Et pour souffler dedans gonfle, déjà sa joue. Mais le vieux se détourne, et par coups alternés Lui frotte malgré lui sa barbe sur le nez, Jusqu'à ce que, saisi par l'oreille, il s'arrête. Alors aux coups mutins il présente sa tête, Et l'enfant, de ses poings qui tombent tour à tour, Tape sur le front nu comme sur un tambour. Le vieillard cependant crie en riant sous cape, Et lui paie en baisers les coups dont il le frappe, Et le presse sur lui plus amoureusement, Heureux d'être vaincu dans ce combat charmant Qui se fait sans colère et qu'il perd sans défense, Car toujours la vieillesse est bonne pour l'enfance.

Mais quel est le plaisir qui ne soit pas "amer? Dans le coeur du vieillard soudain, comme une mer,


66 LA CHANSON DES GUEUX

Montent mille regrets qui s'épanchent en larmes.

Du bonheur qu'a n'eut pas lisent trop tard les charmes.

Lui qui n'a jamais eu famille ni foyer,

Ni de femme à chérir, ni d'enfants à choyer,

Lui qui depuis longtemps ne connut d'autre envie

Que d'errer sans rien faire au hasard de la vie,

Il se prend à songer, tout bas, avec douleur,

Que le travail est bon, alors qu'il a pour fleur

Un enfant dont on veut rendre le sort prospère.

C'est triste pour un vieux de n'être pas grand-père.


GUEUX DES CHAMPS 67

VIII

LE MORT MAUDIT

La pauvre antique baraque Juchée en haut du coteau A toutes les bises craque Et par tous les joints fait eau.

La porte sans gonds, ballante, Gémit comme un chat-huant. C'était la maison roulante Où couchait le vieux truand.


68 LA CHANSON DES GUEUX

Le vieux truand à la brune Jetait des sorts a\ix troupeaux, Et savait au clair de lune Faire chanter les crapauds.

Une nuit de grand tonnerre, Mystérieusement seul Il est mort, le centenaire, Sans prière et sans linceul.

Ne le voyant plus paraître, On est venu chez le vieux. On a su sa mort. Le prêtre A dit que c'était tant mieux.

Pour mettre son corps en terre Nul n'osa franchir le seuil. . Le cadavre solitaire Eut la hutte pour cercueil.

Aussi, sur la lande bleue /

Quand vient l'ombre, épouvante Le plus fier fait une lieue Pour fuir le coteau hanté.

Car on sait que le. fantôme Mort sans un de Trofundis Vous demande tin bout de psaume Pour entrer eu paradis,


GUEUX DES CHAMPS 6f

Et l'on veut avec rancune Lui laisser pour tout repos La chanson du clair de lune Qu'il apprenait aux crapaud*.


7» LA CHANSON DES GUEUX

IX

UN VIEUX LAPIN

Ce vieux, poilu comme un lapin, Qui s'en va mendiant son pain, Clopin-clopant, clopant-clopin,

Où va-t-il? D'où vient-il? Qu'importel Suivant le hasard qui l'emporte Il chemine de porte en porte.

Un pied nu, l'autre sans soulier, Sur son bâton de cornouiller Il fait plus de pas qu'un routier*


GUEUX DES CHAMPS

H dévore ei rêvant les lieues Sur les routes à longues queues Qui vont vers les collines bleue3,

Là-bas, là-bas, dans ce lointain

Qui recule chaque matin

Et qui le soir n'est pas atteint.

U semble sans halte ni trêve Poucsuivre un impossible rêve. Toujours, toujours, tant qu'il en crèro.

Alors, sur le bord du chemin, Meurt, sans qu'on lui presse la main, Cet affamé de lendemain.

Etendu sur le dos dans l'herbe, Il regarde le ciel superbe Avec ses étoiles en gerbe.

Ah là-haut, c'est peut-être là ■Qiie son espérance exila Le but qui toujours reculai

Ahl là-haut, c'est peut-être l'arche Vers laquelle ce patriarche Guidait son éternelle marche 1


71 LA CHANSON DES GUEUX

Quand le dimanche il défilait Sous un portail son chapelet, Cest là-haut que son coeur allait!

Là-haut, c'est la terre promise 1 Là-haut pour les gueux sans chemise Le lit est fait, la table est mise !

Et sans doute ce vagabond

Va s'envoler là-haut d'un bond,

Et ce moment lui semble bon !

Eh bien ! non. Tordu comme un saule, Ce prisonnier tient à sa geôle. Il ne veut pas mourir, le drôle I

Il lutte, il hu. le comme un fol, Cambre ses reins, tourne son col, Et de ses baisers mord le sol.

Il n'a point de céleste envie, Kt dans sa soif inassouvie Il veut boire encore à la vie.

Sur ce lft de mort sans chevet

11 se rappelle qu'il avait

De bons moments quand il vivait,


GUEUX DES CHAMPS 73

Que dans son enfance première Il dormait chez une fermière Près de l'âtre de la chaumière,

Que plus tard dans les verts sentiers Il a passé des jours entiers A défleurir les églantiers,

Qu'au mois de mars, mois des pervenches, Il a souvent pris par les hanches De belles filles aux chairs blanches,

Que le hasard avait grand soiu De lui garder toujours un coin Bien chaud dans les meules de foin,

Qu'il avalait à pleine tasse

Le vin frais, si doux quand il passe,

Et la bonne soupe bien grasse,

Et qu'il avait beau voyager, Lui l'inconnu, lui l'étranger, Chacun lui donnait à manger,

Et que les gens sont charitables D'ouvrir au pauvre leurs é tables, De lui donner place à leurs tables.


74 LA CHANSON DES GUEUX

Et que nulle part, même aux cieux, Les misérables ne sont mieux Que sur terre ; et le pauvre vieux

Voudrait voir la prochaine aurore, Et ne pas s'en aller encore Vers l'autre monde qu'il ignore ;

Et la vie est un si grand bien

Que ce vieillard, ce gueux, ce chien*

Regrette tout, lui qui n'eut rien.


DEUXIÈME PARTIE

GUEUX DE PARIS

A RAOUL PONCHON



A RAOUL PONCHON

Tu sens le vin, ô pâte exquise sans levait». Salut, Ponchon! Salut, trogne, crinière, vcntie! Ta bouche, dans le foin de ta barbe, est un antre Où gloussent les chansons de la bière et du vin.

Aux roses de ton nez jamais l'hiver ne vint. Tu bouffes comme un ogre et pintes comme un chantre. Tous les péchés gourmands ont ton nombril pour centre. Dans Paris, ce grand bois, lu vis tel qu'un sylvaiu,

7.


78 LA CHANSON DES GUEUX

Sachant tous les sentiers, mais fuyant les fontaines, Flairant les carrefours, les ruelles lointaines, Où les bons mas troquet s versent le bleu pivois.

Et j'aime ton plastron d'habit bardé de taches, Et l'odeur de boisson qui fume à tes moustaches, Et l'âme des pavés qui fleurit dans ta voix.


PRINTEMPS

î

LES VIOLETTES

Adieu, mars ! Déjà l'on peut voir Le soleil dorer le trottoir. Avril sourit dans les toilettes. Et sur le-devant des cafés Les messieurs fument décoiffés. ~ Achetez mes Mies violettes!


80 LA CHANSON DES GUEUX

Le pierrot flâneur et bavard Dit que le long du boulevard Les arbres ne sont plus squelettes. La feuille pousse,'je l'entends. La poussière sent le printemps. — Achetez mes belles violettes!

Les amoureux cherchent un nid. Les femmes, boursicot garni, Vont aux printanières emplettes. Tout le monde sans y penser A bien deux sous à dépenser.

— Achetez mes bdleti violettes !

Fleurissez-vous, les beaux messieurs! Me3 bouquets sont couleur des deux. Mesdames, levez vos voilettes, Fleurez-moi ça, comme c'est doux 1 Fleurez-moi ça, fleurissez-vous 1

— Acheta mes belles violettes!


GUEUX DE PARIS S*

II

SU MOURON POUR LES P'TITS OISEAUX

Grand'mère, fillette et garçon Chantent tour à tour la chanson. Tous trois s'en vont levant la tête, La vieille à la jaune binette, Les enfants aux roses museaux. Que la voix soit rude ou jolie, L'air est plein de mélancolie : bu mouron pour les p'tits oiseaux!

Le mouron vert est ramassé Dans la haie et dans le fossé.


*8 LA CHANSON DES GUEUX

Au bout de sa tige qui bouge

La fleur mignonne est blanche ou rouge.

Il sent la verdure et les eaux ;

Il sent les champs et l'azur libre

Où l'alouette vole et vibre.

Du mouron pour les p'tits oiseaux!

Cest ce matin avant le jour Que la vieille a lait son grand tour. Elle a fait trois ou quatre lieues Hors du faubourg, dans les banlieues, Jusqu'à Clamart ou jusqu'à Sceaux. Elle est bien lasse sous sa hotte! Et l'on ne vend qu'un sou la botte Le mouron pour les p'tits oiseaux.

Les petits trouvant le temps long Traînent en marchant leur talon. La soeur fait la grimace au frère, Oui, sans la voir, pour se distraire Trempe ses pieds dans les ruisseaux, Tandis qu'au cinquième peut-être On demande par la fenêtre Du mouron pour les p'tits oiseaux.

Mais la graud'mère a vu cela. Un sou par-ci, deux sous par-là! C'est elle encor, la pauvre vieille, «Qui le mieux des trois tend l'oreille,


GUEUX DE PARIS 83

Et dont les jambes en fuseaux,

Quand à monter quelqu'un l'invite,

Savent apporter le plus vite

Du mouron pour les p'tits oiseaux. •

Un sou par-là, deux sous par-cil La bonne femme dit merci. C'est avec les gros sous de cuivre Que l'on achète de quoi vivre, Et qu'elle, la peau sur les os, Peut donner, à l'heure où l'on dine, A son bambin, à sa bambine, Du mouron pour les p'tits oiseaux.


«I LA CHANSON DES GUEUX

III

LARMES D'ARBOUILLB

Les voyous les plus noirs sont fous de la campagne.

L'hiver, ils vivent dans Paris ainsi qu'au bagne, Captifs. La liberté pour eux c'est le printemps. Aussi, lorsque l'hiver les lâche, ils sont contents. Pour recevoir avril, plus d'un se débarbouille, Et le nouveau soleil illumine l'arsouille. H va, droit devant lui, rêveur, sans savoir où, Gambadant comme un chien et chantant comme un fou Rien qu'à voir les talus, les fossés et les buttes. Cest là que, tout gamin, il faisait des culbutes;


GUEUX DE PARIS «*

Cest là, les soirs d'été, qu'il se gavait de flan; C'est là qu'il enleva son premier cerf-volant ; C'est là qu'il vint un jour avec Jeanne, la sienne, Du temps qu'elle portait un tablier d'indienne; Cest là qu'en rougissant ils s'assirent, très-las, Et que leur amour frais fleurit comme un lilas.

Or l'on a beau, depuis, avoir oubli* Jeanne,

Vivre comme un cochon, s'abrutir comme un âne,

Après tout on n'est pas un sans-coeur, n'est-ce pas?

Et le méchant vaurien retrouve à chaque pas

Un nid de souvenirs qui chante dans son âme.

Oh I la bonne chanson, qui regrette et réclame !

Ainsi le rossignol n?a qu'à parler, sa voix

Fait taire autour de lui tous les oiseaux des bois,

Ainsi le doux passé plein de mélancolie

Fait taire le présent de l'arsouille. Il oublie

La noire glu du vice où son coeur est collé,

Les réveils lourds des soirs où l'on a rigolé

Dans la crapule grasse et sale des barrières,

Pour aller s'échouer ivre-mort aux carrières,

Les jours entiers passés à ne rien faire, et ceux

Ensanglantés parmi des coups de poing poisseux,

Et les pierreuses dont on va piquer l'assiette

En trempant une soupe au fond de leur cuvette,

Et ce tas de marée immonde, vase à flot

Dans laquelle on s'endort comme un poisson dans l'eau*

Arrière, cet égoutl Loin d'ici, mauvais rêve! Le pauvre diable vit cette minute brève


S6 LA CHANSON DES GUEUX

Où le bonheur passé qui vous remont o au coeur Vous griso d'une amère et suave liqueur; Et sans honte de sa faiblesse, sans scrupule, Sans penser qu'on pourrait le trouver ridicule, Il pleure doucement, l'arsouille, et dans ses yeux Ces pleurs inattendus sont plus délicieux Que si da*as une fleur du soleil embrasée Un oiseau déposait des gouttes de rosée.


GUEUX DE PARIS SI

IV

VARIATIONS DE PRINTEMPS SUR L'ORGUE

DE BARBARIE

Bonne consolatrice, ô fée, ô Mélodie, Soupir mélancolique aux sonores langueurs, Comme au lit des mourants l'homme qui psalmodie Toi qui verses le baume et la paix à nos coeurs,

Tu sais tout embrasser dans tes formes si vagues

Et merveilleusement revêtir de tessons,

A la fois ondoyants et forts comme les vagues,

Nos secrets les plus chers que seuls nous connaissons.


«8 LA CHANSON DES GUEUX

Dans l'air qu'il composa, triste ou gai, rude ou tendre, Qui sait ce que pour nous met le musicien? Mais dans l'enivrement que j'éprouve à l'entendre Qui sait ce que je mets? Lui-même il n'en sait rien.

Il a chanté l'amour peut-être sans maîtresse, Parlé de désespoirs sans en avoir aucun. Qu'importe? Si sa voix exprime ma détresso, . Sans le savoir, sa voix a chanté pour quelqu'un.

Souvent il a jeté quelques notes joyeuses, Et pourtant ma douleur tristement s'y complaît. J'entends rire ou pleurer des voix mystérieuses Dans un accord banal, dans un air incomplet.

Puis, que de souvenirs, que de choses passées, De jours évanouis et de bonheurs perdus, P.enaissent brusquement du fond de nos pensées A des sons oubliés tout à coup entendus !

Il suffit d'un entant qui chante et qui mendie, D'un violon criard ou d'un orgue aux nbois, Pour nous remémorer la vieille mélodie Escortée aussitôt des choses d'autrefois.

C'est ainsi que ce soir, de loin, par ma fenêtre, Un air d'orgue arrivant sur le vent printanier, A son refrain vulgaire, et qui fut gai peut-être, Triste, je me souviens'd'un jour, l'hiver dernier.


GUEUX DE PARIS 89

Malgré les arbres verts aux feuilles d'émeraude Et les cris des oiseaux fusant dans le ciel bleu, Je revois devaut moi la chambx*e i-traite et chaude Où j'étais ce jour-là, près du lit, près du feu.

Ce jour-là, je pleurais, oh ! comme un enfant pleure, Comme on pleure à vingt aus d'une douleur d'amour. J'écoutais lentement couler, heure par heure, Au bruit de mes sanglots la longueur de ce jour.

Tout à couà } abimé daus ma pensée anière, J'entendis uu chant doux au dehors murmurer. O douleur, commo nous qui souffrons, éphémère t C'en fut assez, hélas ! pour cesser de pleurer.

Le coeur gros mais calmé, je dus quitter ma place Pour aller entr'ouvrir les rideaux. Il neigeait. Sous la porte cochère, humide et noire, en face, Etait un pauvre vieux que la bise assiégeait.

Ses doigts tout grelottants, raidis par la froidure Qui flagellait ce corps de ses coups sans répit, Tournaient d'un orgue faux la manivelle dure, Et lo son m'arrivait par la neige assoupi.

Je jetai dans la rue une aumône au vieil homme, Qui s'en alla, mettant son orgue sur son dos. Puis, sans savoir quel air il jouait, quelle somme J'avais pu lui jeter, je fermai les rideaux.

s.


30- LA CHANSON DES GUEUX

Qu'il était loin de moi, ce pauvre air! Ma maîtresse Ne m'ayant fait soutlrir que pour m'en aimer mieux, J'avais tout oublié, l'air, le jour, ma détresse, Orat'o passager dans l'azur de mes cieux.

Et voilà qu'aujourd'hui soudain je me rappelle, En entendant cet air, que jo lavais en moi. Tu reviens me trouver, ancienne ritournelle, Et tout le passé mort ressuscite avec toi.

Oh ! chaule, chaule encor par ma fenêtre ouverte, O vieil orgue banal, et criard, et pointu ! Chante! Dans le ciel bleu, dans la ramure verte, Je n'entends que toi seul, et je t'aime, vois-tu !

Oui, je t'aime, pauvre air qu'on traîne par les rues,

Et celui qui t'a fait ne t'aime pas ainsi.

Car dans le souvenir de tes notes perdues

Il n'avait mis qu'un air; j'y mets mon coeur aussi.


tiTÊ

1

LA PÊCHE A LA LIONS

Un chapeau de paille jaune Dont les bords n'ont pas d'ourlet, Au bout de sa pointe en cône Une plume de poulet,


M LA CHANSON DES T.UEl'X

Un chapeau de paille encore, Un troisième, un autre! Ainsi J.« rivage se décore Du Point-du-Jour à Bercy.

Sous ces éteignons sans nombre lïien ne bouge. On ne peut voir Oue les pas lents de leur ombre Oui s'allonge avec le soir.

Pourtant de chaque statue

Sort un grand sceptre eu roseau,

Et ce peuple s'évertue

A tremper du fil dans l'eau.

Tout le long de la journée, O destin, tu leur promets La douce proie ajournée Qu'ils n'attraperont jamais.

Et pas un ne s'en indigne, Pas un ne songe à partir ! Car le pécheur à la ligne Vit et meurt vierge et martyr.


GUEUX DE l'AillS fS.

II

LES TERRAINS VAGUES

Quand juillet a roussi l'heibe des terrains vagues,

Us ont l'air de grands lacs de rouille, dont les vague»

Portent pour immobile écume des gravats.

C'est là pourtant, ô gueux de Paris, que tu vas Dans ce lugubre champ qui pour fleur a l'ovdure, Quand tu veux par hasard prendre un bain de verdure» La campagne est trop loin. L'omnibus est trop cLer. Et toi, le Juif-Errant, toi qui marchais hier, Qui marcheras demain, qui dois marcher sans trêve, Tu veux Taire aujourd'hui ta promenade brève,


Si LA CHANSON DES GUEUX

Et tout le long du jour, oubliaut ta rancoeur, Au verre du repos l'enivrer à plein coeur.

Dans les jardins publics on n'est pas à son aise : Trop de monde! D'ailleurs il faut payer sa chaise Commo à l'église. 11 faut être un richard. Ou bien Si l'on dort allongé sur un banc, un gardien Surgit, chasse le rêve à sa voix de rogomme, De son poignet brutal étrangle votre somme, lit, parmi les badauds dont une meute accourt, Vous haine par le col en criant comme un sourd : « Il faut dormir chez soi quand on est soûl, crapule, i Et ce gros propre à rien vous ilauque sans scrupule A la porte, et la foule eu liant dit merci.

Toi donc qui veux dormir sans gène et sans souci, La face vers le ciel et le dos sur la terre, Tu vas dans un terrain vague, bien so'itairo. Pas de cris. Pas de bruit. Pas de bonne d'enfant. Pas de gardien. Personne ici ne te défend De donner à ton corps, qui souflre, un peu de fôte, ICI tu peux à ton gré dormir comme une bète. Dos hôtes, en ellet, chats morts ou chiens galeux, Sont tes seuls compagnons, ô coucheur scandaleux Qui pour buen retiro prends celte place immonde Du gisent les débris honteux de tout le inonde. Que t'importe? Les pieds fourbus, les membres las, Tu ne sens nul dégoût* d'avoir pour matelas


GUEUX DE PAH1S H

La cuvette où vomit la cité colossale.

Un lit est toujours doux, même quand il est sale.

Au beau milieu du champ, tu choisis un bon creux,

Où les tessons pointus soient un peu moins nombreux,

OU le sol n'ait pas trop de durillons, où l'herbe

Ne prenne pas un air absolumen t imberbe ;

Dans ce trou, lentement, comme dans un hamac,

Tu te couches, les bras croisés sur l'estomac,

Les jambes en compas, la figure couverte

De ta casquette; et là, barbe au vent, bouche ouverte,

Dans ce coin de nature où tu te sens chez toi,

Tu goûtes le bonheur de n'avoir point de toit.


LA CHANSON DES GUEUX

111

PLEINE EAU

Les bain' à quat'sous, Voyez-vous, C'est bon pour les gens riches. Moi qu'a pas l'moyen, Nom d'un chien ! Quand j'veux tremper mes guiches, Gratis fu'O Deo Sans bateau J'm'en vas faire un'olcine eau.


GUEUX DE PARIS

Les bain* à quat'sous, Voyez-vous, C'est pleiu qu'ça en débonde. L'goujon qu'on y j'tfrait Y crèv'rait. Gna pas d'eau pour tout l'mondo. C'est pour ça qu'c'est cher :

On a l'air D'y nager dans d'ia chair.

Les bain' à quat'sous, Voyez-vous. Chacun y laiss'sa trace. C'est pas drôl', ma foi, Quand on boit, D'gober un bouillon d'crasse. Ça vous met dans l'coeur Une odeur Comm'd'égout collecteur.

Les bain' à quat'sous,

Voyez-vous, On n'y trouv'pas d'vcrdure. Moi j'aime en plein air,

Comme un ver, Êt'vu par la nature. Lorsqu'entre deux eaux

J'vas suTdos, J'aim'sentir les roseaux,


IM LttANbON u&g GUEUX

Les bain* à quat'sous,

Voyez-vous, Ont un fond d'bois qu'est *raltre. Moi qui prends mon bain Chaqu'matin, Et qui m'y noierai p't'ètre, J'veux pour mon sommeil

L'fond vermeil Où miroite i'soleU.


AUTOMNE

I

SOLEIL COUCHANT

Dans les forêts dépouillées Déjà les feuilles rouillées Font un tapis de velours, Et l'on entend de l'automne Gémir le chant monotone Coupé par des sanglots lourds.


100 LA CHANSON DES GUEUX

Les frileuses hirondelles, Rasant le sol à coups d'ailes, Se rassemblent à grands cris, Et tous les oiseaux sauvages S'appellent sur les rivages Près des étangs déucuris.

C'est la saison triste et douce Où l'on rêve, où sur la mousse En pleurant on vient s'asseoir, Pour voir le soleil oblique Dans le ciel mélancolique Verser les joyaux du soir.

Ici, pas de forêt rousse,

Pas d'étangs et pas de mousse,

Pas de cadre au beau tableau!

Il n'y â que Notre-Dame

Qui dans le couchant s'enflamme,

Empourprée au bord de l'eau.

Mais ailleurs, le long des rues Où vont des foules bourrues, Où tout brise l'horizon, Qui donc dans la nue ouverte Voit ta robe rose et verte, O douloureuse saison?


GUEUX DE PARIS tOi

C'est en vain que tu te pare3 De tes couleurs les plus rares. Pour le gouapcur parisien Le ciel d'automne ressemble, Etant rouge et vert ensemble, Aux bocaux d'un pharmacien.


«I LA CHANSON DES GUEUX

il

UN VIEIL HABIT

Déilié à Co31-EUN CADET qui a joué ce poûinc |).irloul et ailleurs.

Ô vieil habit, vestige amer de temps anciens,

Quel Nestor des marchands d'habits sait d'où tu viens?

Quel centenaire nous contera les années

Que tu passas parmi les bardes surannées

D'une arrière-boutique, où de fades parfums

S'entassent dans les plis des vêtements défunts?

Et quel Homère cnûn, dénombreur de batailles,

Dira les abdomens, les dos, les reins, les tailles

Qui luttèrent avec ta laine, et les assauts

Que tu subis, depuis les baisers roux et chauds


GUEUX DE PARIS 103

Du soleil qui mûrit le drap, jusqu'à l'averse Aiguisée en aiguille insensible qui perce ? Qui sait les froids grêlons et les rayons ardents Dont sur ton cuir tanné s'ébréchèrent les dents? Qui sait le nom des vents dont la farouche horde Pour se suicider s'est pendue à ta corde? O vieil habit, vestige amer de temps anciens, Te rappellerais-tu toi-même d'où tu viens?

A coup sûr, ce n'est pas de cette maison neuve

Qui vend pour vingt-neuf francs des complets à l'épreuve,

Qui par les voix de la réclame a convoqué

La basse gomme, et qui N'EST PAS au coin du quai.

Non, non, vieil habit, toi dont la coupe est austère

Tu n'eus pas pour berceau ce banal phalanstère

Qui fait sur l'acheteur planer comme un condor

Son Calicot d'argent dans une écharpe d'or.

Non, tu viens du bon temps où le tailleur sincère,

Tirant le fil, soignant le noeud sage qui serre,

Ignorant la machine à coudre et les tramés

Laine et coton, faisait des pantalons aimés,

Et lui-même cousait jusqu'aux ourlets futiles,

Et repliait sous lui ses jambes inutiles.

Ah 1 je voudrais les voir nos habits nouveau-nés, Faits sur mesure en vingt-quatre heures, façonnés Sans Ame, comme on fait la cuisine à prix fixe, Eux dont l'étoffe est brève et l'affiche prolixe,


UVV LA CHANSON DES GUEUX

Oui, je voudrais les voir souffrir ainsi que toi, Vivre en plein air au dos d'un vagabond sans toit, Avoir des entretiens avec la belle étoile, Des souffles de l'hiver s'enfler comme une voile, Se soûler de printemps mouillé, d'été cuisant, Je voudrais les y voir, nos habits d'à présent, Les voir durer le temps qu'on a mis à les faire, Et se fondre, noyés dans ce bain d'atmosphère! Car vous ne supportez ni le froid, ni le chaud, O Belle Jardinière, ô Pont-N,cuf, ô Godchau !

Mais toi, sublime habit, toi, malgré tes reprises, Tes lambeaux reliés par des ficelles grises, Tes pans déchiquetés en se'.e, et tes revers Où des taches sans nom font des ordres divers, Malgré ton bras qui, pris de spleen, baille à l'aisselle, Malgré ta couleur vague aux tons d'eau de vaisselle, Malgré tout, tu sais vivre encore, et lu tiens bon, Aïeul de vêtement, tissu chauve et barbon, Cuit dans des Sahara?, gelé dans des Islandes, Vétéran, éternel honneur des houppelandes 1 Cambronne des habits, en face du trépas, Tu lui diras : Je meurs, mais je ne me rends pasl

Et je tt'ai salué, triste mais toujours digne, Sur le dos incliné d'un pêcheur à la ligne.


GUEUX DE PARIS 1K

m

VARIATIONS D'AUTOMNE SUR L'ORGUE

DE BARBARIE

La voix lamentable et meurtrie Des vieux orgues de Barbarie, Qui tour à tour chatouille et mord, Semble la voix triste et falote D'un fou qui ricane et sanglote Sur son lit de mort,


4M LA CHANSON DES GUEUX

D'un fou qui raie et qui plaisante. Et qui, sans voir la mort présente, Pense à ses amours de jadis, Et de plaintes ou de blasphèmes Interrompt les adieux suprêmes Du de Profundis.

De la lugubre mélopée Soudain la mesure est coupée. Est-ce un hoquet? est-ce un soupir? Un cri s'enfle et brusquement crève, Comme un flot, hurlant vers la grève, S'y vient assoupir.

Lentement la voix recommence, Et dit d'une ancienne romance Le long refrain chargé d'ennuis. Obscure, tremblotante et douce, C'est comme une poule qui glousse Dans le fond d'un puits.

On se sent venir une larme. Mais le mélancolique charme, Douloureux et sentimental, A l'angle d'un couplet cocasse Violemment accroche et casse Sa voix de cristal.


GUEUX DE PARIS «07

Et la voix saute, saute, saute, Toujours plus rapide et plus haute, Par cris durs, pointus et stridents, Qui vous font à leur chant farouche Fermer les yeux, ouvrir la bouche, Et grincer des dents.

Oh ! quelle diabolique verve l Plus vite 1 plus haut ! On s'énerve, Ou souffre, on bâille. Tout à coup Un rire de rage et de fièvre Vient vous mordre au coin de la lèvre Et vous tord le cou.

Car la voix, jetant un sarcasme, Etouffe dans un accès d'asthme Bidicule, et le son pâmé A l'air d'avaler des arêtes Avec les étranglements bête» D'un chat enrhumé.

Mais le fou sait jouer son rôle. Et, s'apercevant qu'il est drôle» Se met à pleurer et se plaint. Cette plainte d'abord est telle Qu'une mouche qui bat de l'aile Dans un nez trop plein.


IBS LA CHANSON DES GUEUX

Peu à peu pourtant elle chante Sur une note si touchante Qu'elle éteint le rire moqueur; Et d'amères rancoeurs remplie Sa navrante mélancolie Vous va droit au coeur.

Oubliant ce qu'on vient d'entendre, On s'apitoie, on devient tendre Pour le fou qui pleure toujours. Nos peines ont été les siennes, Et nous songeons à nos anciennes Et tristes amours.

Notre voix à sa voix unie Chante la lente litanie Du souvenir et du regret, Chanson lointaine, monotone, Et qui ressemble au vent d'automne Dans une forêt.

Et quand le pauvre fou s'arrête, Et meurt en renversant sa tète Dans un sanglot original, Quand, tandis que la voix trépasse, Le de Profundis fait la basse De l'accord final,


GUEUX DE PARI8 109

Quelque chose en nous se resserre, Une larme douce et sincère De nos yeux pensifs a coulé. Et l'orgue en s'en allant nous laisseLa* délicieuse tristesse D'un rêve envolé.

to


110 LA CHANSON DES GUEUX

IV

A MON AMI SANS-NOM

CANICHE ERRANT SANS PROFESSION

Je t'ai beaucoup aimé, grand voyou de caniche, Et j'offris bien souvent la pâtée et la niche

A ton existence sans but. Mais, par le rire obscur de ta prunelle bleue, Par le geste éloquent et voulu de ta queue,

Toujours tu me répondais zut!


GUEUX DE PARIS lit

Pourtant tu m'aimais bien aussi, toi, je l'avoue. Par le soleil, on par la pluie, ou par la boue,

Quand tu voyais l'ami Chepin, Pour venir avec lui causer de balivernes, Tu quittais même la'grand'porte des casernes

OU fumait la soupe de pain.

Et cela n'était pas, quoique Bouchor en dise, Un calcul d'intérêt fait par ta gourmandise;

Car tu savais bien, pauvre vieux, Que je ne possédais souvent pas une guigne, Et qu'en quittant pour moi la soupe de la ligne

Tu trouverais ois et non mieux.

Mais qu'importe 1 C'était mon coeur et non ma bourse Que tu cherchais*, non pas la soupe, mais la source

Où se rafraîchit l'amitié, Les longs épanchements qu'on veut toujours entendre, Souvenirs, voeux, regrets, consolation tendre.

On souffre, on jouit de moitié.

— Moi, je fais un gros drame, et j'en suis tout en nage, Mon cher toutou, car mon principal personnage

Ne se dessine pas très-bien.

— Moi, je suis plus joyeux qu'un poète lyrique. J'ai découvert un trou derrière une barrique,

Juste de quoi loger un chien.


US LA CHANSON DES GUEUX

Et les amours? — Mon bon caniche, je suis triste. Caria femme, vois-tu, n'aime pas bien l'artiste

Trop plein de désirs superflus. — A qui le dis-tu, va? La femelle nous triche. Si le poCte soutire, hélas ! pour le caniche

Tout n'est pas de rose non plus.

Ainsi, tiens, j'adorais une jeune épagneule,

Mais comme un fou, tu sais. J'en perdais nez et gueule;

J'aurais mis pour elle un collier; Je me serais fait chien d'aveugle ou chien de garde. Eh bien ! elle n'a pas voulu de moi, regarde,

Par peur de se mésallier.

Que de fois j'ai manqué, pour l'attendre, ia soupel Mais je n'y pensais guère, et je suivais la troupe

De ses soupirants, l'oeil en feu. Or, un jour que pour elle à tous je tenais tête, Elle m'a planté là pour un lévrier bête

Qui portait un paletot bleu.

— Et tu me faisais part ainsi de tes détresses.

Nous mêlions tous les deux les noms de nos maîtresses,

Vantant leurs charmes, leur baiser. Et nous allions. La rue était pour nous fleurie De conversation chère, de flânerie.

Nous passions le jour à causer.


GUEUX DE PARIS 113

Où donc es-tu, mon doux ami, mon bon caniche? Pourquoi n'as-tu pas pris la pâtée et la niche

Que je t'offrais pour être mien? Franchement, nous étions si bien faits l'un pour l'autre! Quelle amitié jamais aura valu la nôtre ?

Où donc es-tu, mon pauvre chien ?

Où donc es-tu ? Voilà plus d'un an que je traîne Dans tout Paris, errant ainsi qu'une âme en peine,

Te cherchant sans l'apercevoir, Avec ta laine blanche et ta prunelle bleue, Avec le télégraphe amusant de ta queue

Qu'ornait un petit pompon noir.

Où donc es-tu? Vis-tu prisonnier, à l'attache? A-t-on mis les ciseaux dans ta vierge moustache?

Ah ! vis-tu seulement! Ou bien... Ou bien habites-tu, mort, le pays des songes, Où la femme et la chienne aimeront sans mensonges

Le bon poète et le bon chien ?

Quel que soit ton destin, je garde ta mémoire, Et si mes vers un jour ont des lueurs de gloire,

Je veux que ton image y soit, Comme ces médaillons bordés de pierreries, Qui font vivre à jamais les figures chéries

Des gens qu'on aimait comme soi.

10.


HIVER

1

PRBMIBRB OBLtB

Voici venir l'Hiver, tueur des pauvres gens.

Ainsi qu'un dur baron précédé de sergents,

11 fait, pour l'annoncer, courir le long des rues

La gelée aux doigts blancs et les bises bourrues.

On entend haleter le souffle des gamins

Qui se sauvent, collant leurs lèvres à leurs maint,

Et tapent fortement du pied la terre sèche.

Le chien, sans rien flairer, file comme une flèche.


GUEUX DE PARIS 111

Les messieurs en chapeau, raides et boutonnés, Font le dos rond, et dans leur col plongent leur nez. Les femmes, comme des coureurs daus la carrière, Ont la gorge en avant, les coudes en arrière, Les reins cambrés. Leur pas, d'un mouvement coquin, Fait onduler sur leur croupe leur troussequin.

Voici venir l'Hiver dans son manteau de glace.

Place au Roi qui s'avance en grondant, place, place! Et la bise, à grands coups de fouet dans les mollets, Fait courir le gamin. Le veut dans les collets Des messieurs boutonnés fourre des cents d'épingles. Les chiens au bout du dos semblent traîner des tringles. Et les femmes, sentant de petits doigts fripons Grimper sournoisement sous leurs derniers jupons, Se cognent les genoux pour mieux serrer les cuisses. Les maisons dans le ciel fument comme des Suisses. Près des chenets joyeux les messieurs en chapeau Vont s'asseoir; la chaleur leur détendra la peau. Les femmes, relevant leurs jupes à mi-jambe, Pour garantir leur teint de la bûche qui flambe Étendront leurs deux mains longues, aux doigts rosés, Qu'un tondre amant fera mollir sous les baisers. Heureux ceux-là, qu'attend la bonne chambre chaude ! Mais le gamin qui court, mais le vieux chien qui rode, Mais les gueux, les petits, le tas des indigents...

Voici venu* l'Hiver, tueur des pauvres gens.


«16 LA CHANSON DES GUEUX

U

JOUR DES MORTS

Ou n'a pas TU le ciel aujourd'hui. Gris, opaque, El tr* ' is„ le brouillard est resté suspendu. Les i c.t.ds se brisaient au froid de cette plaque, Métal terni que sut rayon d'or n'a fendu.

Vers le soir seulement, au bord du lourd couvercle Une lueur, ainsi qu'un fil de sang vermeil, f?r; glisse, creuse un trou, puis s'élargit en cercle. Le brouillard est trempé de goûtas de soleil.


GUEUX DE PARIS 117

11 sVIlïauge. Il se fond en chauds reflets d'opale. Kt l'on voit vers le sol languissamment neiger Des flocons de vapeur, ouate de pourpre pâle Qui vole en tourbillon lumineux et léger.

Deux petits mendiants, blottis sous une porte, Ouvrent leurs grands yeux bleus vaguement éblouis. Songeant au cimetière où glt leur mère morte, Du beau tapis qui tombe ils sont tout réjouis.

Car ces flottants flocons de pourpre sont les roses Qui parfument du ciel les printemps toujours verts, Kt que le bon soleil jette en ces soirs moroses Sur la terre, endormie au tombeau des hivers.


US LA CHANSON DBS GUEUX

111

HOBL MHÊRABLB

Noël! Noël! à l'indigent Il faudrait bien un peu d'argent, Pour acheter du pain, des nippes. Petits enfants, petits Jésus, Des argents que vous avez eus Il aurait bourré bien des pipes.

Noël! Noeil Les amoureux

Sont bien heureux, car c'est pour eux

Qu'est fait le manteau gris des brumes


GUEUX DE PARIS tt»

donnes, ciocnesi ciocues, sonnes i Le pauvre diable dans son nex Entend carillonner les rhumes.

Noël ! Nofil! les bons dévots S'en vont chanter comme des veaux, Près de l'âne, au pied de la crèche. Notre homme trouverait plus neuf De manger un morceau du boeuf, Et dit que ça sent la chair fraîche.

Nofil ! ça sent les réveillons,

Les bons grands feux pleins de .rayons,

Et la boustlfaille, et la joie,

Le jambon rose au bord tremblant,

Le boudin noir et le via blanc,

Et les marrons pondus par l'oie.

Et le misérable là-bas Yoit la crèche comme un cabas Bondé de viande et de ripaille, Et dans lequel surtout lui plait Un beau petit cochon de lait... Cest l'enfant Jésus sur sa paille.

NoCUNoSl! Le prêtre dit Que Dieu parmi nous descendit Pour consoler le pauvre hère.


fM LA CHANSON .DES GUEUX

Celui-ci voudrait bien un peu Boira à la santé du bon Dieu. Mais Dieu n'a rien mis dans son verre.

Noël! on ferme. Allons, va-t'en! Heureux encore si Satan, Quiches nous ces jours-là s'ég<w* Te fait trouver dans le ruisseau Quelque os où reste un bon morceau Et quelque moitié de cigare !


GUEUX DE PARIS U\

vr

LA rarra QUI TOUSSE

Les aiguilles des vents froids Prennent les nez et les doigts

Pour pelote. Quel est, sur le trottoir blanc, Cet être noir et tremblant

Qui sanglote!

La pauvre enfant 1 Regardes. La toux, par coups saccadés, T.» «w—i».

il


m LA CHANSON DBS GUEUX

Et la bise qui la mord Met les roses de la mort Sur sa joue.

Les violettes sont moins Violettes que les coins

De sa lèvre, Que le dessous de ses yeux Meurtri par les baisers bleus De la fièvre.

Tousse! tousse! Eucor! Tantôt On croit ouïr le marteau

D'une forge; Tau tôt le raie plus clair Comme un clairon sonne un air

Dans sa gorge.

Tousse! tousse! tousse! Encor! Oh ! le rauque et dur accord

Qui ricane. Ce clairon large et profond Sonne pour ceux qui s'en vont La diane.

Tousse ! C'est le cri perçant Du noyé lourd qui descend Sous l'écume.


GUEUX DE PARIS 1»

Tousse! Cest lointain, lointain, Ainsi qu'un glas qui s'éteint Dans la brume.

Tousse 1 tousse ! un dernier coup t Elle laisse sur son cou

Choir sa tète, Tel sous la bise un flambeau; Et pour la paix du tombeau

Elle est prête.

Elle épousera ce soir,

Sans bouquet, sans encensoir,

Sans musiques, Plus tôt qu'on n'aurait pensé, L'Hiver, ce vieux fiancé

Des phthisiques.


l/ÉGOUT

I

LES MOMES

'Les marchands de marrons allument leurs fourneaux Aux encoignures des mastroquets, dans les brumes. Voici le cri de la vendeuse de cerneaux • Annonçant l'hiver et ses rhumes.


GUEUX DE PARIS ISS

Les petits va-nu-pieds qui n'ont pas de logis Aux fourneaux à marrons viennent chaufler leurs pattes, Et la porte de feu met sur leurs nez rougis Des rayonnements de tomates.

Quand le vieux Savoyard tourne ses gros yeux ronds Pour voir ce qui se passe au fond de la boutique Les petits effrontés lui chipent des marrons A la barbe de la pratique.

Puis ils vont, 6 vendeuse aux regards peu subtils, Te filouter, pendant qu'à causer tu t'arrêtes, Des cerneaux qui leur font les doigts noirs, comme s'ils Avaient fumé cent cigarettes.

Entre eux, ils sont un peu frères, un peu cousins; Aussi dénichent-ils des gosses, des petites, Qu'ils envoient mendier, en guettant les roussius, Pour se payer deux sous de frites.

Cest leur dîner. Et comme il faut boire en mangeant, Comme ils adorent boire à la fraîche, à la glace, Comme ils ne veulent pas dépenser leur argent, Ils s'ingurgitent du Wallace.

Car ils ont de l'argent, les mômes sans taudis. Comment? C'est leur affaire. Ils se fichent du Code, Et volent, pour pouvoir, du haut du paradis, Rigoler au drame à la mode.

il.


«S LA CHANSON DES GUEUX

Non qu'ils déboursent rien pour entrer, car ils font Leur contre-marque aux gens qui sortent; maisleurbraise Leur sert à se payer un vague carafon De limonade calabraise.

A minuit, l'estomac creusé, les yeux pesants, Refumant les mégots jetés près du théâtre, Ils iront retrouver leurs femmes de douze ans Qui couchent dans les fours à plâtre.

Ces mômes corrompus, ces avortons flétris, Cette écume d'égout, c'est la levure immonde Se ce grand pain vivant qui s'appelle Paris Et qui sert de pâturo au monde.


GUEUX DE PARIS 1*7

H

EAU-TORTS

Il tonnait. B pleuvait. Les ruisseaux soulevés Rebondissaient en boue aux angles des pavés. Calme, un voyou sifflant recevait l'avalanche, La casquette collée au front, la face blanche, La pipe retournée et rouge par-dessous. H avait vu sauter une pièce cent sous Se cognant au trottoir dans un bruit de cymbales, Un écu flambant neuf! un blafard de cinq balles ! H le pigea d'un bond, et le petit truand fit un grand pied de nés au ciel tonitruant.


ISS LA CHANSON DES GUEUX

TU

FILS DE FILLE


GUEUX DE PAttlS 139


ttt LA CHANSON DES GUEUX

1Y

VOYOU

J'ai dix ans. Quoi ! ça vous épate? Ben! c'est comm'ça, na! j'suis voyou, Et dans mon Paris j'earapale Comme un asticot dan'un mou.

Sous l'bord noir et gras d'ma casquette, Avec mes doigts aux ong'u' en deuil, J'sais rien m'collcr eun' roufflaquette Tout Tlong d'ia temp', là, jusqu'à l'^il.


GUEUX DE PARIS «1

J'peux m'parler tout ba* à l'oreille Sans qu'personne entend'rien du tout. Quand j'rigol', ma gueule est pareille A cell'd'un four ou d'un égout.

Mes jamb's sont fait's comm'dcs trombones. Oui, mais j'sais tirer— gar'là-d'ssous ! — La savate, avec mes guibonnes Comm'cell's d'un canard eud'quinz'sous.

J'ai l'piton eamard en trompette. Aussi, soj'/£ pa' étonnés Si j'ai rien qu'du vent dans la tète : C'est pac'que j'ai pas d'poils dans l'nez.

Près des théâtres, dans les gares, Entre les arpions des sergots C'est moi que j'cueill'les bouts d'cigarcs, Les culots d'pipe et les mégots.

Ben, moi, c't'existenc'-là m'assomme I J'voudrais posséder un chapeau. L'est vraiment temps d'dev'nir un homme. J'en ai plein l'dos d'être un crapaud.

Les pant's doiv'nt me prend'pour vin pitre, Quand, avec les zigs, sur cul'siiiic, J'ai pas d'brais'pour me fend'd'un litre, Pas mêm'd'un mêlé-cas' à cinq.


1T? LA CHANSON DES GUEUX


GUEUX DE PARIS 133

V

BALLADE DES LOUPEUR8

Cest nous qu'est les ch'valiers d'ia loupe. Pour ne rien fair'nous nous hâtons. Sans penser à tremper nol'soupe, N'importe où nous nous empâtons D'arlequins, d'briffe et d'rogalons, Quéqu'fois d'saucisse.el d'attignoles. Quand nous somm's pleins, nous éclatons Du cabochard aux trottignolles.

is


134 LA CHANSON DES GUEUX

Nous somm's dans c'goût-là toute eun'troups. Des lapins, droits comm'des bâtons, Avec un rideau sur la croupe. Un grimpant et des ripatons, Eun'Deflbux quand nous nous gâtons. Et v'iâ! D'Montmartre aux Batignolles, Nous somm's rien bat' ! Nous épatons Du cabochard aux trottignolles.

D'temps en temps nous tirons not'coupe SuTgrand boul'vard. Des vrais chatons Quand nous naviguons l'vent en poupe! Les galup's qu'a des ducatons Nous rinc'nt la dent. Nous les battons Qu'les murs leur en rend'nt des torgnioles. L'soir nous somm's soûls comm'des hann'tons Du cabochard aux trottignolles.

BNVOI

On dit comm'ça qu'y a des mich'tons Qui nous prenn'nt pour des carmagnoles. Ben! c'est pas vrai. Nous lichotons Du cabochard aux trottignolles.


GUEUX DE PARIS 13S

S

BALLADE DU RODEUR DE PARIS

Bon sang d'bon Dieu! quel turbin 1 J'viens d'mctt'mon pied dan'eun'flaque : C'est l'hasard qui m'offre un bain. Vlan 1 v'ià l'vent qui m'ficlie eun'claque. Fait vraiment un froid d'attaque. Quand j'pens'que j'suis pas couvert, Et qu'j'ai pas d'poils comme un braque 1 C'est pas rigolo l'hiver.


I LA CHANSON DES GUEUX

li'mouchez-moi un peu clarbin Sous sa fourrure ed'cosaque. Comme i'pu' bon l'eau d'Lubin 1 l's'gour'dans son col qui craque Comme un'areng dans sa caque. Oh 1 la ! la ! cVhabillé d'vert ! Oui, mais moi, v'ià que j'me plaque. C'est pas rigolo l'hiver.

Et ç'uîla, Test pas lambin. Nom de nom! comme i's'détraque, Avec son bec-ed'-corbin Et son londrès neuf qu'i'sacque. Tiens ! i'rent'dans sa baraque. La mienne est à ciel ouvert, Avec un parquet d'déflaque. C'est pas rigolo l'hiver.

ENVOI

Il fait nuit. L'ciel est opaque. Minc'que j'vas poisser dTauber. Au bagn'j'aurai eun'easaque ! C'est pas rigolo l'hiver.


cancx-DE PARIS »

yn

LA MARSEILLAISE DES BENOITS

Vlà les fanand's qui radinent

Ohé! tas d'poch'tés, Les goncicrs qui nous jardinent

I's'ront vraiment j'tés. Nous la rlevons rien qu'dans l'riche,

Malgré nos rideaux. Gare au bataillon d'ia guiche!

C'est nous qu'est les dos.

li,


«s LA CHANSON DES GUEUX

Quand on paie en monuai'd'singe

Nous aut'marloupins, Les sal's mteh'tons qu'a pas d'iingc,

On les pass'chez paings. Et si la p'tit'ponifrtrichc

SuTcompt'dcs rouleaux, G'arc au bataillon d'ia guichet

C'est nous qu'est les dos.

Si nos doch'étaicnl moins vieilles,

On les Trait plaîscr. Mais les'pauv'louffoqu's balaient

Les gras d'nos laisés. - Quand qu'all'rappliqu'â la niche,

Et qu'nous sommes poivrots, Gare au bataillon d'ia guichc !

C'est nous qu'est les dos.

Bref, tout ça s'rait d'ia choquotte.

Mais c'qu'cst triste, hélas ! C'est qû'pour crever à coups d'botte

Des gens pas palas, On vous envoie en péniche

A Cayenn'-les-eaux. Vlà dans l'halaillon de la gniche,

Comment craps'nt les dos.

Vous savez, laplifcoterie, L'couplct d'à coté,


GUEUX DE PARIS 139

Cest d'ia colle et d'ia coll'rie ;

La vrai'vérité, Cest qu'les Benoits toujours lichent,

Et s'graiss'nt les balots. Vive eul'bataillon d'ia guichel

C'est nous qu'est les dos.


■m LA CHANSON DES GUEUX

VIII

UN VÉNÉRABLE

Certes, ce n'était pas un banquier, un notaire, Un avocat. Pourtant, je ne saurais m'en taire, 11 était respectable et grave, étant très-vieux.

Malgré ce que pouvaient dire les envieux, Quoiqu'il fût de ces gens sans habit3 de dimanche, .Qui, se peignant des doigts, se mouchent delà manche ; Quoiqu'il portât parmi sa barbe et ses haillons Une odeur de sueur ancienne et de graillons ; Quoiqu'il eût pour garni l'hôtel de la Grande-Ourse, Cet égorgeur de poche et dégraisseur de bourse;


GUEUX DE PARIS 141

Quoiqu'il fût d'un aspect sinistre et scandaleux, Marin iteux, vermineux, teigneux, rogneux, galeux, Itougc comme un abcès, rongé comme une dartre, Il récoltait des coups de chapeau dans Montmartre.

C'était un vieux soublard, un antique marlou.

Jadis on l'avait vu, denté blanc comme un loup, Vivre pendant trente ans de marmite en marmite. Plus d'un des jeunes dos, et des plus verts, l'imite. Il leur parle comme aux chefs grecs parlait Nestor. Et celui-là qui suit ses conseils n'a pas tort. Car il est au courant de toutes les histoires, Sait les aboutissants des femmes méritoires, Se feuillette comme un dictionnaire entier, Et vous enseigne à fond tous les trucs du métier.

Aussi, quand il mourra, car il faut que tout tombe, On souscrira pour lui décerner une tombe; Les plus durs pousseront des soupirs superflus, Et Ton ira disant que le grand art n'est plus.

En attendant, s'il vit sous ces sales défroques, C'est qu'il le veut ainsi, c'est qu'il chérit ses loques, C'est qu'il tient à porter son uniforme ancien, Comme un vieux général aime à montrer le sien,


fit LA CHANSON DES GUEUX

C'est qu'il est fier de voir, devant sa triste mise, Les modernes marlousà la fine chemise, Au col cassé rayé de lignes en couleur, Aux pantalons pattus, aux cravates en ileur, Soulever en passant leur casquette de soie. Etre ainsi salué, c'est sa gloire et sa joie. Se sentir un aïeul adoré, quel bonheur! N'est-ce pas comme qui dirait sa croix d'honneur?

O vénérable 1 On l'aime, on le gave, on le soûle, Pour montrer aux enfants, aux femmes, à la foule, Qu'un vieillard a toujours tout ce qu'il doit avoir Longue dans sa partie il a fait son devoir.


TROISIÈME PARTIE

NOUS AUTRES GUEUX

A MAURICE BOUCHOR



NOS GAIETÉS

I

Quand, soûls, nous braillons un chant, D'aucuns vont nous reprochant Notre dignité partie. Laissez-nous! les jours sont courts. ' On n'est pas gai tous les jours Dans notre partie.


4M LA CHANSON DES GUEUX

Vous nous appelez des fous. Mais, braves gens, savez-vous Que pour vous jouer ce rôle Nous crevons de faim souvent? Et dîner avee du vent Ce n'est pas très-drôle.

La faim, la soif et le froid Sont les sujets de ce roi Qui s'intitule poêle. Pauvre roi, qui plus d'un jour Donnerait toute sa cour Pour une omelette.

C'est entendu, c'est certain, Nous aurons quelque matin Notre colonne Trajane. En attendant ce moment, Nous la changerions vraiment Pour un inac-iarlane.

L'auréole et ses rayons, Sacrebleu i nous les payons Eu misère avec usure. Nous célébrons notre los. Quel hymne ! Mais nos sanglots Battent la mesure.


. NOUS AUTRES GUEUX 14T

Vous qui buvez sans témoins, Et qui mangea pour le moins Trois fois par jour à votte heure, Taisez-vous quand par hasard Nous attrapons une part De 1 assiette au beurre.

Ne faites pas les méchants. N'ayez pas, grâce à nos chants, Des digestions moins calmes. Ventres creux et gosiers secs, Nous aimons vins et biftecks Autant que les- palmes.

Laissez-nous donc rire un peu. Aujourd'hui le ciel est bleu, Notre tristesse est partie. Laissez-nous! les jours sont courts* On n*cst pas gai tous les jours Dans notre partie.


US LA CHANSON PES GUEUX

Jl

CHANSON DES CLOCHES DE BAPTEME

Oltéuu, BtMffWkty,

Tioue-lhuue Clery, Vendùaa.

VMdÙM*!

0«*1 »o«ei, qwri maai, D* «Maptcr tout* U u&

LH tour»»,

Las tours»!

Philistins, épiciers, Alors que vous caressies

Vos femmes,

Vos femmes.


NOUS Al THES GUEUX 149

En songeant aux petits Que vos grossiers appétits

Engendrent,

Engendrent,

Vous disiez : ils seront, Menton rasé, ventre rond,

Notaires,

Notaires.

Mais pour bien vous punir, Un jour vous voyez venir

Au monde,

Au monde.

Des enfants non voulus Qui deviennent chevelus

Poètes,

Poètes.

Car toujours ils naîtront Gomme naissent d'un étron

Des roses,

Des roses.

13.


M» LA CHANSON DES GUEUX

lit

MAUDISSONS BOOROSTl

Malgré le chocolat trop raffiné du Canne, J'ai fait un déjeuner très-faible chez Bou-get. Il n'avait pas de vin ! Et, plein d'un -somd vacarme, Comme mon estomac,- noyé d'eau, s'insurgeait,

4

Je me suis rappelé, du profond de mon jeûne,

Un quatrain de Kheyam, le poste persan.

Ce vieux sage a chanté le vin fumeux et jeune."

Ses vers sonnaient en moi comme un clairon perçant


NOUS AUTRES GUEUX 4SI

Us disent : — Vin joyeux, vin couleur d'amarante, Si les grands monts buvaient ton sang trempé de miel lis auraient sous leur neige une tôle odorante, Et ces bons vieillards soûls bondiraient daus le ciel.

Et j'ai pensé : les monts seraient bien plus sublimes S'ils nous ofl raient soudain cet énorme tableau. Et j'ai maudit Bourget, pauvre faiseur de rimes Qui, me prenant pour un sommet, m'abreuvait d'eau-


LA CHANSON DES GUEUX

LE NES VIOLET

A BAOUL PONCHO*

Comparer toujours nos ne»

Bourgeonnes A des rubis, je condamne) Cette comparaison-là.

Changeons-la ! Qui n'a qu'un cri n'est qu'un âne.


NOUS AUTRES GUEUX 153

Aux nez rubis rubiconds

Nous piquons La couleur du sang; c'est triste. J'aime le mien quand il est

Violet Comme une douce améthyste.

Vois ce nez rouge et camard.

Quel homard ! Compare-le donc avecque Le tendre et clair demi-ton

Du piton Habillé comme un évoque.

Quand je lorgne en tapinois

Son minois, Il sourit comme un augure. Ah! quel bon évoque j'ai

Bien logé Au initan de ma figure

Pour qu'il soit bien enchanté,

En santé, Mes mains de lui sont voisines. Mes dix doigts sont ses valets. ,

Mon palais Flambe au feu de ses cuisines.


LA CHANSON DES GUEUX

Mais il me rend bien mon dû.

Rond, dodu, Il semble un roi do kermesse, Et jamais mon verre plein

Ne se plaint . Quand au fond il dit la messe.

Tu me diras que le tien

Est chrétien Ni plus ni moins que le nôtre, Et qu'un rouge cardinal,

Moins banal, Comme évoque en vaut un autre.

Moi, je te soutiens que non,

Nom de nom ! Car un cardinal peut être Un monsieur laïque, au lieu,

Nom de Dieu! Qu'un évoque est toujours prêtre.

Te voilà par le clergé

Submergé, Ponchon, grand nez-culottistel Nez de rubis, singe-nous f

A genoux Devant le nez d'améthyste I


NOUS AUTRES GUEUX ts»

IVRES-MORTS

Si nous-faisions une orgie, Trognou, qu'en dis-tu?

Lit défait, nappe rougie, ■ Zut à la vertu !

Notre amour qui vient de naître

Demain sera mort peut-être

Avec cette nuit d'été.

Pour qu'il voie au moins l'aurora

Il faut boire, et boire encore, Boire à sa santé.


LA CHANSON DES GUEUX

Le vin coule, coule, coule. *

Coulons comme lui. Sous le large flot qu'il roule

Roulons notre ennui. Dans sa pourpre qui ruisselle Flambe une longue étincelle, Rayon du couchant vermeil. Afin d'égorger ma peine, Prends ma poitrine pour gaine,

Poignard de soleil.

Le vin glousse une romance Dans les longs goulots.

Les flacons à large panse Versent des sanglots.

Le flot chantant diminue.

La bouteille toute nue

Tombe en pâmoison;

Et dans ce cristal spleudide,

Comme moi sonore et vide, Dort notre raison.

Tiens ! je bois. Passez, muscadet Toi, les doigts tremblants,

Ton vin tombe et fait cascade Entre tes seins blancs.

Comme il s'éparpille en route 1

Au tétin rose une goutte


NOUS AUTRES GUEUX 15?

Forme un rubis rouge et clair. Flacon qu'un joyau décore, Je veux mordre et mordre encore Ton eoulot de chair.

Comme des boeufs à Tétable Laissant choir nos fronts,

Mignonne, entrons sous la table; Nous y dormirons.

Loin du fauve éclat des lampes

Nous rafraîchirons nos tempes

Dans les flaques du parquet,

Et sur ta lèvre pâlie

Je boirai jusqu'à la lie Ton dernier hoqueL

f*


<SS LA CHANSON DES GUEUX

VI

FRÈRE, IL FAUT VIVRE.

A IIAVRICE BOUCHOR

J'ai pleuré, j'ai souflert d'un long amour déçu, Et je me suis repu de larmes et de lièvres. .Cela ne nourrit pas, je m'en suis aperçu. Frère, bois à plein verre et baise à pleines lèvres.


NOUS AUTRES GUEUX 15»

Oui, je pleurais hier et j'en voulais mourir.

Frère, étais-je assez bête! Ah! j'aime mieut être ivre!

Et tout de suite! Mieux vaut tenir que courir.

Verse moi du vieux vin beaucoup. Frère, il faut vivre!

Verse ! J'ai le gosier meurtri par les sanglots,

J'ai la luette sèche et j'ai la langue rêche. i

Verse ! verse du vin ! Encore ! Et que ses flots

Au ruisseau de mon cou chantent leur chanson fraîche.

Et fais-nous apporter des viandes, du jambon Rose comme une joue en fleur de miss anglaise, Et du roastbeef saignant. Frère, le sang est bon. Et déboutonnons nos gilets tout à notre aise 1

Le saucisson non plus, frère, n'est pas mauvais. Cest l'éperon à boire. Ohé ! qu'on nous l'amène I Nous lutterons avec la ripaille, et je vais Enterrer son armée au creux de ma bedaine.


1.50 NOUS AUTRES GUEUX

Frère, veux-tu dormir sur ce bon matelas? Jusqu'à l'heure où le ciel est bleu comme du soufre Qui flambe, nous ferons un long somme, étant las. Nous ne rêverons point, car en rêvant on souffre.

Et demain, au réveil, nous serons frais et gais, Nous aurons ce beau teint fleuri que l'on révère, Nous chanterons; et quand nous serons fatigués, Nous recommencerons à vider notre verre.

Et nous irons ainsi demain, après-demain, Toujours. Si quelqu'un dit que l'on se déshonoro A ce jeu, nous ferons, en nous tenant la main, Au nez de sa vertu ronfler un ;ût sonore.

L'honneur, c'est de bien vivre et d'être très-heureux. Ventre libre, pieds chauds, coeur vide, et tête froide. A u diable les prêcheurs rigides ! Bran pour eux ! C'est l'affaire d'un mort de se montrer si roide.

Nous, nous sommes vivants, et très-vivants, morbleu! Nous trouvons le vin bon et les femmes bien faites, Et nous ne voulons pas mettre un crêpe au ciel bleu, Ni penser qu'il y a des lendemains aux fêles.


NOUS AUTRES GUEUX 161

Quels lendemains, d'ailleurs? La mort n'en est pas un. Ce n'est pas un coucher qui promette une aurore, C'est le retour d'un peu de rien au tout commun, Sous un aspect nouveau c'est de la vie encore.

Mais voilà ! Quelle vie? Est-ce ma vie à moi? Non. Quand je serai mort j'aurai fini ma vie. Tu ris? Tu me crois soûl, n'est-ce pas? Et pourquoi? Ma phrase à La Palice aurait pu faire envie,

Soit! Mais ce La Palice était un incompris. On a dit un grand mot en disant qu'un quart d'heure Avant sa mort... Tu sais le reste; il a son prix, Et dit qu'il fait bon vivre avant que l'on ne meure.

Donc, frère, encore un coup, mangeons, buvons, baisons,. Vivons, pleins d'une faim de vivre inassouvie I Et quand la mort clora nos mâchoires, faisons Du hoquet de la mort un salut à la vie I

ft.


161 LA CHANSON DES GUEUX

VII

SoNNET BIGORNE

(AWOOT cmwwi)

Ho I les Merchors, Ponciers, Bouchons, Dévalons donc dans cette piole * Où nous aquigcrons riole, Et sans débrider nos pouchons.

Gy, marpaux, gy, nous remouchons Tes rouillantes, et la criolc Qui parfume ta cambriole. Uol salivergnes et bouchons


NOUS AUTRES GUEUX 163

Et si teztg tient à sa boule, Fonce ta largue, et qu'elle aboule Sans limace nous cambrouser.

NouzaiUcs patrons notre proie

A ta marquise d'un baiser,

A toi d'un coup d'arpion au proye.


164 LA CHANSON DES GUEUX

SONNET ARGOTIQUE

(lliADCCfNKl)


NOUS AUTRES GUEUX 16f


4M LA CHANSON DES GUEUX

vm

o TI AI* Trxfl

Autrefois chez Paul Niquot Fumait un vaste baquet

Sur la devanture. Pour un ou deux sous, je crois. On y plongeait les deux doigts.

Deux, à l'aventure. Les mets les plus différents Etaient là, mêlés, errants,

Sans couleur, sans forme, Et Ton péchait, sans fouiller, Aussi bien un vieux soulier

Qu'une truffe énorme.


NOUS AUTRES GUEUX «67

Faut-il hésiter? C'est sot. Bisquons nos deux sous, Lisette De Platon je tiens un mot Qu'avec Platon je répète : Bast! zut! S'nàt'znyStl A l'hasard de la fourchette ! Bast ! zut! S -ci 3b/ -vjyS» ! J'vas fourrer mes doigts dans l'pot.

Que la vie est bien celai On pèche, on tire, et voilà

Misère ou bombance. Chacun n'a payé qu'un sou; L'un part à jeun, l'autre soûl.

Ainsi va la chance. Au plus affamé parfois Bien ne reste entre les doigts

Qu'une asperge à l'huile. Un vieux qui n'a qu'une dent Au bout d'un tendon pendant

Tire un os fossile.

Faut-il en pleurer? C'est sot.

Que j'aie os ou vinaigrette,

De Platon je tiens un mot

Qu'avec Platon je répète :

Bast ! zut i 5-rt Sv TW/W!

A l'hasard de la fourchette!

Bast ! zut ! 5 et Sv TJ-/& !

J'vas fourrer mes doigts dans l'pot.


itt LA CHANSON DES GUEUX

Comme un autre j'eus mon jour Où je croyais à l'amour

Sans fin et sincère. J'ai vu depuis ce que c'est. Il dure le temps qu'on met

A vider un verre. Ta maîtresse, si tu veux, Sur un signe de tes yeux

A tes pieds se vautre. Vile esclave, à deux genoux Elle t'aime... Tournons-nous,

Elle en baise un autre.

Faut-il en pleurer? Cest sot. La femme se vend. Achète! De Platon je tiens un mot Qu'avec Platon je répète : Bast! zut! StiSc* vr/&\ A l'hasard de la fourchette 1 Bast ! zut ! S -zi Sv cu/jû ! J'vas fourrer mes doigts dans l'pot.

J'ai fait, quand j'avais quinze ans, Des rêves éblouissants

Qui parlaient de gloire. Dans ma tète j'avais mis Que j'étais grand ; mes amis

Me disaient d'y croire.


NOUS AUTRES GUEUX 1C9

Aujourd'hui j'écris ces vers. Us vont droit ou de travers,

Lequel? peu m'importe. Ça m'amuse qu'ils soient lus Hais à qui me promet plus Je ferme ma porte.

Faut-il en pleurer? C'est sot. Que je sois ou non poète, De Platon je tiens un mot Qu'avec Platon je répète : Bast! zut! Sn 5v ■&*/€>{ A l'hasard de la fourchette! Bast! zut I S v. âv xwjrô ! J'vas fourrer mes doigts dans l'pot.

J'ai passé plusieurs hivers A lire en jargons divers

Plus d'un philosophe. Us sont de noir habillés, Et leurs habits sont taillés

Dans la même étoffe. Des mots, des mots et des mots! Nous sommes des animaux,

Voilà mon système. Qu'on le prenne par un bout Ou par l'autre, le grand tout

Est toujours le même.

1*


170 LA CHANSON DES GUEUX

Faut-il tant penser? C'est sot, Et ça fait mal à la tète. De Platon je tiens un mot Qu'avec Platon je répèle : Bast! zut! 5-nâvTu/ô! A l'hasard de la fourchette! Bast! zut! Sn Sv Tjy&l J'vas fourrer mes doigts dans l'poL


NOUS AUTRES GUEUX 171

IX

BALLADE DE JOYEUSE VIE


17» LA CHANSON DES GUEUX

SNVOl


NOUS AUTRES GUEUX 173

X

FLEURS DE BOISSON

▲ RAOUL PONCHO*

Ouf! j'ai soit comme si je mâchais de la laine... Allons ! donne l'avoine à mon gosier fourbu. Du vin ! nous faut du vin ! Je veux que mon haleine Suffise pour soûler ceux qui n'auront pas bu.

Je veux qu'en me voyant le Panthéon recule, Craignant d'être écrasé par mon choc, et je veux Faire ce soir le jour après le crépuscule, Grâce au soleil dont les rayons sont mes cheveux.


174 LA CHANSON DES GUEUX

Tiens! prenons l'omnibus, tout couvert de gens ternesQui par mon flamboiement vont être illuminés. Le vieux cocher, prenant mes yeux pour ses lanternes, Allumera sa pipe aux braises de mon nez.

De l'Odéon pensif aux tristes Batignollcs Nous irons. Telle va la comète qui luit! Chez le mas troquet gras qui vend des attignoles, Nous boirons du vin doux qui fait pisser la nuit.

Nous pisserons, très-beaux, très-heureux et très-dignes. Nous appuyant du front au mur éclaboussé, Et les Batignollais verront un jour des vignes Fleurir le long du mur où nous aurons pissé.


NOUS AUTRES GUEUX 17*

XI

PROLOGUE FANTAISISTE

Le 9 août 1873, dans la salle de la Toiir-d'Au vcrgne, M. Jean Itichepin offrit à la presse et au Paris littéraire une curieuse représentation composée de trois actes en vers : Le Duel aux Lanterna, comédie de Paul Arène; VEtoile, drame d'André GiU et Jean Hichepin; la Ronde de nuit, comédie d'Ernest d'Hervilly. Les trois pièces furent jouées avec un grand succé» par les poètes eux-mêmes et une troupe de leurs amis.

(Note de redite».)

Mesdames et Messieurs, c'est comme un fait exprès, Bien ne marche. Tantôt nous pensions être prêts.. On avait répété, chacun savait son rôle, Celui-ci très-tragique, et celui-là très-drôle.


176 LA CHANSON DES GUEUX

Au son du piano plaquant de doux accords

Nous étions à notre aise, au milieu des décor

Comme un poisson dans l'eau, comme une fleur dans l'herbe

C'était charmant. C'était parfait. C'était superbe.

Tout à coup, au moment de lever le rideau,

La scène nous parait un horrible radeau

Ballotté par les vents, battu par la tempête,

Et nous ne savons plus où donner de la tête.

Notre premier comique a le toupet tout droit

De frayeur. L'amoureux, transi, reste si froid

Qu'en les touchant à peine il frappe les carafes.

Le père noble fait des sourcils en paraphes,

Et roule de gros yeux blancs et dépareillés.

Bref, nous hésitons tous, slupides, effrayés,

Ahuris, et craignant la colique ou la crampe

Devant la formidable aurore de la rampe.

Ah ! lorsqu'on se sent là pour la première fois, Près d'affronter ces yeux braqués, et sous le poids De ce silence affreux qu'il faut bien que l'on trouble, (in regarde ce gouffre en tremblant, on voit double, On voudrait fuir, se taire, et ne plus se montrer. Ou sent là connue un chat qui ne veut pas rentrer. Que faire cependant? Il faut lever la toile. Oh! comme on resterait volontiers sous ce voile! Mais le public murmure et déjà fait : Ah! ah! Il faut se décider. Alors un brouhaha S'élève : on cric, on court, on s'appelle, on se cherche, On embrasse un portant, on enlace une perche,


NOUS AUTRES GUEUX 177

On se serre la main en tombant dans des trous,

On pleure dans le sein des pompiers qui sont doux,

On passe son pourpoint en guise de culotte,

On laisse sa perruque au fond de sa calotte,

On se colle une barbe au front avec orgueil,

Et l'on se met du rouge avec le doigt dans l'oeil.

Donc, Messieurs, sur vos fronts n'amassez pas de rides.

Vous qui vîntes ici, sous ces climats torrides,

Soyez bons jusqu'au bout. QUe si, sur quelque point,

Nous nous sommes trompés un peu, ne riez point.

Que vos bouches, enfin, n'affectent pas des formes

Circonflexes, devant nos sottises énormes.

Et, tenez, nous jouons dans nu drame écossais

Et très-féroce, avec des costumes français,

Et parmi les splendeurs d'un ex-palais tragique.

Nous donnons un grand bal, qui doit être magique,

Dans un petit jardin de guinguette, avec dix

Ou quinze lampions qui servirent jadis.

Nous avons une pièce en un décor de ville

Qui doit représenter l'espagnole Séville,

Et sur lequel, comme un dos de caméléon,

On voit s'enfler le dôme allier du Panthéon.

Bastt tout cela n'est rien. Dites-vous que Shakespeare Se jouait sans décors et n'en était pas pire. Certes, nous n'avons pas l'outrecuidance, non, De comparer nos noms obscurs à ce grand nom; Mais enfin, si nos vers disent ce qu'il faut dire, Si nous faisons sonner les sanglots et le rire


178 LA CHANSON DES GUEUX

Si notre jeu traduit dans sa naïveté,

Ou l'âpre passion ou la franche gaité,

Si vous vous sentez pris aux mailles de la rime,

C'est tout! Vous n'oserez vraiment nous faire un crime.

Des mille petits riens que verront les railleurs.

C'est dans vos'coeurs que sont nos décors les meilleurs.

Je vous ai fait, messieurs, des aveux très-honnêtes; Tenez-m'en compte. Allons, essuyez vos lorgnettes; Allumez dans vos yeux un indulgent flambeau; Tâchez, ce qui sera laid, de le voir en beau. Songez que cette chose aura ceci pour elle Qu'elle est hardie et jeune, et quelque peu nouvelle. Donc, soyez bons!

Et vouSj ô rois, 6 potentats, Critiques influents tout couverts d'attentats, O tigres que la presse abrite dans ses jungles, N'aiguisez pas vos crocs, n'allongez pas vos ongles, Et, comme de bons chats faisant un gros dos rond, -—Sans trop vous endormir pourtant — faites ronron.'


NOUS AUTRES GUEUX 179

XII

NOS REVANCHES

Le bourgeois digère, gavé, Ses trois repas et son bien-être, Et rit de voir sur le pavé Les poètes traincr la guêtre.

Mais que vienne enfin notre jour, Parmi le public idolâtre Nous sourions à notre tour Quand il fait la queue au théâtre.


180 LA CHANSON DES GUEUX

Là, nous le menons par le nez, Comme un enfant dont on s'amuse. Dans ses deux gros yeux étonnés Nous faisons pleurer notre Muse.

Même avant le succès, d'ailleurs, Nous avons contre cette engeance, Sans compter les bons mots railleurs, Plus d'une arme et d'une vengeance.

Nous avons le chant, la gaité, L'esprit qui guérit bien des choses, Et le grand orgueil indompté Qui nous fait des apothéoses.

Nous avons deux divins flambeaux Dont la gloire les tarabuste: C'est d'être jeunes, d'être beaux! Nous avons l'air de notre buste.

Ils disent en se rengorgeant : — c Vous n'êtes pas de ma famille. « Sans-le-sou, voyez mon argent. « Tope! Vous n'aurez pas ma fille. »

Mais tes filles sont mal en chair, Nous n'aimons pas les pommes aigres, Et tout l'or du monde, mon cher, Ne donne pas de gorge aux maigres.


NOUS AUTRES GUEUX 181

Près de ta fille, épouvantait Dont le nez pointu nous éborgne, Nous faisons sous son éventail Bougir ta femme qui nous lorgne.

Garde tes filles sans appas, Nous gardons notre épithalame. Non ! non ! nous ne les aurons pas, Mon vieux, mais nous avons ta femme.

19


NOS TRISTESSES

I

REMÈDE FÉROCE

Ma gaieté, tu as la colique

D'amour. Depuis le soir jusqu'au retour

Du jour, Tu geins comme un mélancolique

Tambour. .


VOUS AUTRES GUEUX 181

Ma vieille, si tu veux m'en croire,

Ce goût Ne me plait pas beaucoup, beaucoup,

Et tout •Ce que je peux pour toi, c'est boire

Un coup.

Nettoie avec la rouge lie

Des brocs, Loin des larmes et des sirops,

Tes crocs, Et lance à la mélancolie

Des rôts.

Et prends une purge, bégueule!

Du miel Ne tirait pas; prends du gros sel.

Duquel? Je m'en moque un peu! Mais dégueule

Ton flcl.

Puis bois! Et sans faire scandale,

Sans bruit, Éclaire avec le vin qui luit

Ta nuit, Et soûle, ivre-morte, ravale

L'ennui.


ISI LA CHANSON DES GUEUX

Nous allons lâcher d'un coup d'aile

Le sol. Monté sur un flacon sans col,

Ton vol Va planer dans l'air qui ruisselle D'alcool.

Et dans une ivresse sans tornes,

Sans but, Sur des cheveux de femme on rut

Pour luth, Nous dirons aux tristesses mornes :

Bran! zuti


NOUS AUTRES GUEUX t»5

11

LE VIN TRISTE

J'ai du sable a l'amygdale. Ohé! ho! buvons un coup, Un, deux, trois, longtemps, beaucoupl Il faut s'arroser la dalle Du cou.

J'ai le coeur en marmelade, Les membres froids, l'esprit lourd. Hé! ho ! crions comme un sourd Pour étourdir co malade D'amour.

is.


ts» LA 'CHANSON DES GUEUX

J'ai le nez blanc, l'oeil qui rentre, Le teint couleur de citron, Le corps sec comme un mitron. Je veux trogne muge et ventre Tout rond.

J'ai, pour guérir ma folie, Pris un remède, dix, vingt; Et puisque tout fut en vain, Je veux être une outre emplie De viu. ,

Que les verres soient mes armes, Moi je serai leur fourreau. Nous tuerons l'amour bourreau Qui met dans mou viu mes lannei Pour eau.

Je ne bois pas, je me panse. Au bruit du glouglou moqueur Je fais taire ma rancoeur, Et j'enterre dans ma panse Mon coeur.


KOUS AUTRES GUEUX «7

III

PALE ET BLONDE

Pale et blonde, très-pâle et très-blonde, ô mon coeur,

(Test ainsi que tu l'aimes, Lorsque sur toi l'ennui comme un condor vainqueur

Etend ses ailes blêmes,

Lorsque tu sens en toi monter lo goût amer

Des voluptés passées, Lorsque lu voudrais bien boire toute la mer

Pour noyer tes pensées,


18» LA CHANSON DES GUEUX

Lorsqu'un désir te prend, frénétique et moqueur,

De t'en aller du monde, Pâle et blonde, très-pâle et très-blonde, ô mon coeur.

Tu l'aimes pâle et blonde,

Pâle et blonde, comme est la fille d'un vieillard

Née au mois de décembre, Aussi pâle qu'un clair de lune en un brouillard,

Aussi blonde que l'ambre,

Pâle et blonde, et laissant autour d'elle neiger,

Plus blancs que de la hv>e, Ses cheveux d'argent fin, clair, mousseux et léger,

Que dissipe une haleine. .

Pâle et blonde, très-pâle et très-blonde, elle est là

Qui sanglote à ta porte. Li.lisse-la donc entrer chez toi, va, laisse-la,

Laisse qu'elle t'emporte!

C'est elle, la bonne aie. Allons, tends-lui ton cou,

Ouvre ta bouche entière, Et mets la bière en toi ! Tu mets du même coup

Ton ennui dans la bièro.


NOUS AUTRES GUEUX W*

IV

MON TERRE EST VIDE

Daus un verre de Bohême

Creux comme un ravin, J'ai versé du vin que j'aime,

J'ai versé du vin. Mon estomac peu sévère

S'en est inondé. J'avais du vin plein mon verre.

Mon verre est vidé.


1W LA CHANSON DES GUEUX

Le vin fumeux de la gloire

Tenta mon cerveau, El je voulus aussi boire

De ce vin nouveau. Ce vieux tonneau qu'on révère,

Je l'ai débondé. En songe il remplit mon verre.

Mon verre est vidé.

L'amour est une piquette

Qui mord le palais. Or je m'en suis mis en quête

Du bouge au palais. Effeuillant la primevère

Dans ce vin fraudé, J'ai bu l'amour à plein verre.

Mon verre est vidé.

Loin des chants et des vacarmes,

Dans un coin bien clos, J'ai fait du vin de mes larmes

Et de mes sanglots. Mis en croix sur un calvaire,

De fiel transsudé J'ai bu sans pâlir un verre.

Mon verre est vidé.

Après tant de boissons vaincs. Que boire à présent?


fiOUS AUTRES fiUElX m

Reste le saug de mes veiues.

C'est du mauvais saug. N'importe! je persévère.

De mon coeur ridé Le saug pleure daus mon verre.

Mou verre est vidé.


191 LA CHANSON DES («VEUX

y

POLICHINELLE

De leur dôme parfumé Les promenades couvertes, Près de l'Odéon fermé Montrent leurs fouilles ouvertes.

Je vais sous leur parasol M'asseoir sur les chaises blanches, Aux premières de Guignol Oui monte en plein veut ses planche».


NOUS AUTRES «ilELÎ IPï

C'est Colombiuc, Arlequin, Pierrot et Polichinelle, Cassamire, vieux inauuequin, La comédie éternelle!

Racleur de grinçants accords, Un violoniste maigre Semble railler les décors Que fait frémir sa note aigre.

Colombine en ses atours Aime, selon qu'elle y pense, Arlequin qui fait des tours, Pierrot qui garnit sa'pause.

Pour le mal rendant le bien, Cassandre toujours pardonne. Cassandre n'y gagne rien Sinon les coups qu'on lui donne.

Polichinelle à la fin Nasillant daus sa pratique Vient annoncer d'un air fin Qu'on va fermer la l>outique.

11 trouve que c'en est trop De Colombine fantasque, De l'enfariné Pierrot Et d'Arlequin sous son masque.


1»| LA CHANSON DES <.IKUX

Il trouve que l'acte est long, Kt vite, vite, il le* coupe, Il le coupe pour que l'on S'en aille manger la soupe.

3>aus notre esprit habité Par des illusions brèves, Ainsi la réalité Vient teruiiucr tous nos rêves.

Ou faisait un doux roman Sur rautiijiie ritournelle, Quand arrive au beau moment Le couic de Polichinelle.

Couic! il faut te déranger, Dit la pause inassouvie. Couic! rêver est uu danger Quaud on doit gagner sa vie.

Couic! travaille, va, viens, cours! Le reste n'est que mensonge. Et les instants sont trop courts Pour les dépenser en songe.

O vie âpre qui noua tords Connue un grain dans uue roue, Vie aux yeux creux, aux pieds tors, Aux doigts crochus pleins de boue,.-


NOUS AUTRES GUEUX m

Polichinelle moqueur, Ventre, amour, chose infernale Qui viens nous percer le eojur De ta pratique banale,

Pour ton vulgaire souci, Pour tes stlipides services, Comme on te haïrait, — si Tu n'avais pas tant de vjceal


**> LA CHANSON DES GUEUX

VI

BOUT DE SPLEEN

Sur notre ridicule sphère, Tous les instituts sont dépensés A des regrets ou des pensers. Somme toute, mauvaise affaire!

Et voilà pourquoi nous allons Comme Ton fait un mauvais rêve, Pourquoi, la vie étant si brève, Les jours semblent souvent trop long*.


*OU8 AUTRES GUEUX «97

vit

ÉPITAPHE POUR N'IMPORTE QUI

On ne sait pas pourquoi cet homme prit naissance. Et pourquoi mourut-il? on ne l'a pas connu. Il vint nu dans ce monde, et, pour comble de chancer Partit comme il était venu.

La galté. le chagrin, l'espérance, la crainte, Ensemble ou tour à tour ont fait battre son coeur. Ses lèvres n'ignoraient le rire ni la plainte, Son oeil fut sincère et moqueur.

il.


498 LA CHANSON DES VEUX

Il mangeait, il buvait, il dormait; puis, morose, Recommençait cncor dormir, boire et manger, Et chaque jour c'était toujours la même chose, La même chose pour changer.

Il fit le bien, et vit que c'était des chimères. Il fit le mal, le mal le laissa sans remords. Il avait des amis, amitiés-éphémères! Des ennemis, mais ils sont morts.

Il aima. Son amour d'une autre fut suivie, Et de plusieurs. Sur tout le dégoût vint s'asseoir. Et cet homme a passé comme passe la vie. Entrez! sortez! et puis bonsoirl


NOUS AUTRES GUEUX 199

VIII

MON PETIT TOUTOU

P&ck, Buchon, Buchasson, Buchinier, dom Buchet, Il me plait d'évoquer ce soir dans un poème Le temps où votre maître au sixième perchait, Le temps où nous avons vécu notre bohème.

Nous avons passé là, mon petit Buchinier, D'octobre à février cinq mois durs comme roche, Pour moi surtout, pour moi poète de grenier Qui n'entendais sonner que du vent clans ma poche.

Tons, vous étiez heureux, toutou blanc au nez noir. Vous avez toujours eu bon gîte et panse pleine. Plus souvent qu'à mon tour je déjeunais d'espoir; Mais je vous achetais trois sous de madeleine.


2*0 LA CHANSON DES GUEUX

Vous étiez tout petit, étant enfantelct, Et, pour que vous n'eussiez pas trop froid dans les rues, Je vous portais, mignon, au creux de mon gilet, Où vous fîtes parfois des choses incongrues.

Vous étiez tout frisé, tout soyeux et tout blanc, Un peu café-au-lait derrière chaque oreille. Vous aviez, vos cheveux aux brises s'cnvolant, Un air ébouriffé de fille qui s'éveille.

Vous n'étiez pas gourmand, sinon d'un plat nouveau.

Ainsi je me souviens que vous fûtes malade

Pour avoir trop goûté de la tôle de veau.

Aussi, pourquoi manger de la viande en salade?

Très-brave, vous traitiez comme des épiciers Les dogues les plus gros, les plus fauves cerbères. Vous boitiez du derrière à gauche, et vous pissiez Tout droit la tête en bas le long des réverbères.

Vous étiez curieux comme une femme, et quand, Vouscroyant endormi, je rimais quelques phrases, Si je vous regardais, je vous trouvais braquant Vos petits yeux malins pareils à deux topazes.

Vous aimiez voir, savoir. Vous n'étiez pas un chien, Mais un petit quelqu'un pas comme tous les autres. On comprenait que vous étiez Parisien, Au courant de Paris, et presque l'un des nôtres.


•NOUS AUTRES GUEUX *M

Vous aviez ce qu'il faut pour vieillir avec nous. Mais je rêvais pour vous plus douce destinée, Mes parents vous berçant le soir sur leurs genoux, Leur jardin, leur grand lit, leur large cheminée.

O province! pays des gens trop bien nourris! Je me disais : Dont Bûche y vivra comme un prince. Et je vous emportai là-bas, loin de Paris, Et vous en êtes mort d'avoir vu la province.

Car vous n'étiez pas fait pour ces tranquillités. 11 vous fallait Paris, et ses bruits, et ses fièvres. Vous êtes mort du mal des enfants trop gâtés, Qui sous trop de baisers sentent pâlir leurs lèvres.

Vous donnez maintenant dans tin coin du jardin, Au pied d'un rosier vert qui vous couvre de roses. Et je n'ai pas reçu vos adieux, quand soudain Sur vos yeux grands ouverts la mortmi t ses mains closes.

Votre regard humain dans l'ombre me cherchait. Me voici, mon petit ami, dans un poSme. Pûck, Buchon, Bûchas son, Buchinier, dom Buchet, Compagnon avec qui j'ai vécu ma bohème,

Je me souviens de vous, et je n'oublierai pas Votre esprit, votre coeur, votre mine Manchette. Cest pourquoi j'ai sauvé tous vos noms du trépas, Pûck, Buchon, Buchasson, Buchinier, dom Bûchette.


4M LA CHANSON DES GUEUX

IX

CIMETIÈRE INTIME

J'ai déjà vu plus d'une année, Belle fille aux fraîches couleurs, Mourir vieille, jaune, fanée, Et perdre son chapeau de fleurs.

Adieu, adieu, rose qui tombes! Adieu, adieu, beau mois de mai! Mon coeur est le pays des tombes Où mon bonheur est enfermé.


NOUS AUTRES GUEUX 203

Espoirs, illusions vermeilles, Voeux de gloire, pensera d'amour, Ainsi qu'un jeune essaim d'abeilles, S'envolèrent au point du jour.

Mais, comme ils montaient vers la nie, Un tourbillon les emporta, Et le vent à l'haleine aiguë* Brutalement les souffleta.

Tombez! tombez! et sur la terre Je les ramassais, étouffant. Je- les mis dans mon cimetière Couchés dans des cercueils d'enfant.

.Et tous les soirs, lorsque vient l'heure Où loin du monde je suis seul, J'ouvre chaque bière, et je pleure En déployant chaque linceul.

Quand j'ai fini, d'une main lente Je clos mon coeur, morne cité, Cimetière, cité dolente, Où pas un n'est ressuscité.

J'ai déjà vu plus d'une année, Belle fille aux fraîches couleurs, Mourir vieille, jaune, fanée, Et perdre son chapeau de fleura.


SU . LA CHANSON DES GUEUX

Adieu, adieu, rose qui tombes! Adieu, adieu, beau mois de mail Mon coeur est le pays des tombes OU mon bonheur est enfermé.


NOS GLOIRES

1

BALLADE VILLOM

Roi des poStcs en guenilles, O gueux, maître François Villon, Buveur de vin, coureur de filles, Sonneur de joyeux carillon, Grand mélancolique en paillon, Tes vers sur la tète honnie Font flamber le sacré rayon, Escroc, truand, marlou, génie 1

is


206 LA CHANSON DES GUEUX

Tu fus le père des ]>;>us drilles Dont tu remplis le corbillon; Et pour de telles peccadilles Tu faillis, quittant le sillon, Au gibet comme échantillon Pendre, figure racornie Dont la pluie eût fait un bouillon, Escroc, truand, marlou, génie I

Laisse les chercheurs de vétilles Te piquer de leur aiguillon. Sur leurs sermons lu dégobilles. Amant de Margot la souillon, Tu sus, même à son cotillon, Allumer l'étoile bénie Qui fait resplendir ton haillon, Escroc, truand, marlou, génie 1

KNVOI

Prince, arbore ton pavillon, Et tant pis pour qui te renie, Bol des poêles sans billon, Escroc; truand, marlou, géniel


JIOUS AUTRE.8 GUEUX M?

II

A MAURICE BOUCHOB

Mon coeur porte plus d'une entaille. Très-peu vieux, j'ai beaucoup vécu. La vie, âpre et rouge bataille, M'étrcint, mais ne m'a pas vaincu.

Or, toi, tu connais moins les hommes, Etant le plus jeune parmi Tous les poètes que nous sommes, Maurice Bouchor, mon ami.


SM LA CHANSON DES GUEUX

Tu sais, frère, combien je t'aime. Cest pourquoi je veux tépargner, En l'avertissant, le baptême De l'expérience à gagner.

Dans l'humaine et noire atmosphère, Je te dirai comment, par où, Tu dois entrer, afin de faire Jusqu'à l'horizon bleu ton trou.

Le monde est composé de lâches Et de faibles. Toi qui te sens Hardi, fait pour les grandes tâches, Le cerveau plein, les reins puissants,

Ne leur laisse pa> voir ton torse Avant d'être bien aguerri. Leur masse écraserait ta force, Leur clameur couvrirait ton cri.

Entre ainsi qu'un grain dans un crible,' Perdu, petit, ratatiné. Que le lion fauve et terrible Ait l'air d'un ruminant mort-né!

Comme leur race n'est pas tendre, Ils riront autour de toi. Bien ! II le faut. Pour se faire entendre Etre grotesque est un moyen.


NOUS AUTRES GUEUX 20»

Vois! Ils s'assemblent. Sois fantasque, Barbouillé, grimaçant, moqueur. Sur ta figure colle un masque; Mets un faux nez; montre un faux coeur.

N'embouche pas une trompette De cuivre à l'éclatant reflet. Ce qu'on entend dans la tempête Par-dessus tout, c'est un sifflet.

Fi du glaive! prends une batte, Bats quelqu'un, et si le battu S'indigne et t'appelle acrobate, Réponds zut ou turlutulu!

Chante des chansons ridicules. Prêche l'absurde à plein gosier. Dis, en voyant des renoncules, Qu'elles poussent sur un rosier.

Dis que la nue est la fumée

De ta pipe, que le jasmin

Est une fleur moins parfumée

Qu'un gueux se torchant dans sa main.

Dis qu'il est des têtes sans nuque, Des vers sans rime, et qu'un enfant Peut être fai t par un eunuque, Car nul décret ne le défend.

fs.


LA CHANSON DES GUEUX

Dis que le poète est Une huitrc, La perle étant le philistin. Dis que ton père était bélître, Que ta grand'mèrc était câlin.

Braille, blague, monte des scies, Sois blanc, noir, jaune, rouge, bleu; Fais-leur prendre enfin tes vessies Pour des lanternes, sacreblcu!

Alors, quand le grand rire bête Aura bien secoué leurs flancs, Gonflé leur col, rougi leur tête, Et fait rouler leurs gros yeux blancs,

Quand leurs bouches seront des antres, Et quand, le derrière aux talons, Ils feront craquer sur leurs ventres Epanouis leurs pantalons,

Alors, dressant ta haute taille, Combats sans merci, sans repos, Frappe d'estoc, frappe de taille, Et fais des haillons de leurs peaux.

Et s'ils te demandent des grâces, Frappe toujours, n'en donne point. Et crève leurs bedaines grasses, A coups de pied, à coups de poing.


NOUS AUTRES GUEUX «1

Et grandis, grandis comme un songe A leurs regards épouvantés, Et que leur oeil dans ton oeil plonge Comme dans un puits de clartés.

Que tes cheveux soient une queue De comète, et royalement Ouvre au vent la bannière bleue Découpée eu plein firmament.

Monte plus haut, comme un grand aigle, Plus haut toujours, comme un condor; Monte sans frein, sans loi, sans règle, Et perds-toi dans le couchant d'or.

Et vogue enfin à pleines voiles, Loin du monde, loin de céans; Que tes larmes soient des étoiles, Et tes sueurs des océans.

Et là-haut, dans le libre espace, Sur ton corps glorieux et beau Si tu vois qu'il reste une trace De la bataille ou du tréteau,

Sur ton front si tu vois encore De la boue et du sang vermeil, Débarbouille-toi dans l'aurore Et sèche-toi dans le soleil.


fit LA CHANSON DES GUEUX

m

BALLADE P«XQ«0«

Vous pouvez être tin grand savant, Savoir tout ce qu'on imagine, Avoir noirci fort et souvent Votre papier de plombagine, Mettre votre esprit en gésinc Pour vous bourrer le cabochon, Vous ne serex qu'une autierglne SI vous n'avez pas vu Pouchon.


NOUS AUTRES GUEUX âia

Allez où vous pousse le vent, En France, en Amérique, en Chine, Allez du ponant au levant, Du nord au sud, ployant l'échiné, Voyez le salon, la cuisine, Vous ne serez qu'un cornichon, Cornichon comme à l'origine, Si vous n'avez pas vu Ponchon.

De Ponchon je suis le fervent. Ponchon est grand comme une usine. Ponchon est le seul vrai vivant. Et j'attraperais une angine, Criant comme une merlusine, Pour que, du palais au bouchon, Chacun pût dire à sa voisine : Si vous n'avez pas vu Ponchon!

«sïvoi

Prince, homme ou femme ou androgyne, Vous ne valez pas un torchon Xt n'aurez jamais bonne mine Si vous n'avez pas vu Ponchon.


SU LA CHANSON (.ES GUEUX

IV

A ADRIEN JUVIOMT

(IL PRÉPARAIT ALORS SA LICENCK KS LETTRES)

O candidat! trappeur des verbes grecs, fumiste, Quel problème ète^-vous? Quel profond alchimiste En vous décomposant pourra réiiondre au point D'interrogation qui dans ma tète poind ? Quel abîme êtcs-vous de noire indifférence? Je sais, pour mon malheur, que l'optatif est rance, Que le discours latin pue et sent le moisi, Et que vous en mangez. Or je suis cramoisi


NOUS AUTRES GUEUX ti*

Quand je vois que depuis trois mois jamais vous n'eûtes

Le courage de leur ravir quelques inimités

Pour venir de mon air me prendre la moitié,

Et respirer la fleur de ma jeune amitié.

J'ai besoin de vous voir, mon cher, car je vous aime.

Je voudrais vous montrer un peu ce que je sème,

Quel arbre ou quel légume est nt ÛPUS mon jardin.

Mais vous lisez Pierrot-Deseilligny, Chardin,

Les compilations d'expressions Iriées

Daus 1 ignoble latin moderne expatriées;

Vous vivez d'une vie absurde, consumant

Vos jours à des discoure où quelque consul ment,

A coups de Quicherat battant la poésie.

Ah! quelle servitude! Et que la Boëtie

A mal fait de ne point la mettre en son traité !

Voyons, mon cher ami, serez-vous arrêté

Scmpiternellement dans cette obscure ornière?

La semaine qui vient est-elle la dernière?

Quand aurez-vous fini? Quand peut-on vous avoir?

Quand donc laisserez-vous cette crasse au lavoir?

Quand nous reviendrez-nous, nettoyé de l'antique,

Revêtu d'un manteau de pourpre romantique,

Portant l'étoile au front ainsi qu'lthuriel,

Chanteur, rêveur et lou, c'est-à-dire réel?

Oh! venez, ce jour-là! Près de la cheminée

La causerie est longue et jamais terminée.

Nous causerons, devant quelque verre avalé,

De ceci, de cela, de tout, de rien. Vaki. .- "


«« LA CHANSON DES «itEUX

V

A ADRIEN JOVIONT

QUATJIB ANS APRÈS

G pauvie Juvigny, pauvre être solitaire, Le i*lus graud de tous ceux que j'ai connus sur terrel Je retrouve aujourd'hui ces vers gais et railleurs Ecrits voilà quatre ans. J'en ai fait de meilleurs. Mais ceux-ci me sont chers plus qu'un parfait poème, Parce que tu m'as dit autrefois : « Je les aime. » Parce qu'ils t'ont fait rire, éternel malheureux, Parce que ton graud front s'est incliné sur eux.


NOUS AUTRES G VEUX *i:

Oh t je ne savais pas alors à quel poète J'écrivais. Les trésors enfouis dans ta tête, Ta.science profonde à faire peur aux vieux, Les astres inconnus qui roulaient dans tes yeux. L'éclair de ta pensée illuminant un monde, Etaient un océan ignoré de ma sonde. Je te prenais pour un de nous, tout simplement, liais depuis, ton soleil emplit mon firmament, Et je vis sur ton front flamboyer le génie.

Hélas 1 tu nous quittas ton oeuvre non finie. Accablé sous le poids trop lourd de ton cerveau, Tu mourus, emportant tout un secret nouveau. Qui sait les horizons aux lueurs immortelles Où t'aurait enlevé l'essor de tes deux aileâî Car tu connaissais tout, ayant tout embrassé, Et pour toi l'avenir s'éclairait du passé. Tu t'étais abreuvé chez les auteurs antiques, Sages et fous, païens et chrétiens, et mystiques, Et chez ceux de la France et ceux de l'étranger, Et tout cela chez toi venait se mélanger, Ainsi que des torrents tombaut dans quelque Averne, Dans le lac insondable où bout l'esprit moderne. O la modtmUii pour prendre un de tes mots, Gomme tu la savais, aves ses biens, ses maux! A pleins poumons saignants comme tu l'as humée I . Tu i'aimais, ton Paris, charogne parfumée Pleine tout à la fois d'essences et de vers; Pourriture aux odeurs subtiles, aux tons verts, J

■: -■ : * ■.' . . M • ■■'


tt» LA CHANSON DES GUEUX

Où poussent les poisons mêlés avec les roses, Où rôde le troupeau ténébreux des névroses; Musique où l'on entend sangloter des grelots Et liutinuabuler le hoquet des sauglols; Gai carnaval hanté de visions farouches; Alcôve où les baisers qui se collent aux bouches, Yoraees, fout des trous comme le vitriol ; Absinthe à l'opium, délicieux alcool, Dont tu bus eu gourmand la plus atroce lie, Et dont tu le grisas jusques à la iolie.

De ce lac iufernal, de ce gouffre rongeur, Tu sortis haletant, pale, ainsi qu'un plongeur. Mais tes deux mains étaient toutes pleines de-perles. O flots, écartez-vous! Va-t'en, mer qui déferles! laissez donc aborder chez nous ce conquérant! Mais les flots sont jaloux et la mer te reprend; Et dans la mort sans fond, avant d'être serties, Tes perles avec toi retombent englouties.

Nous avons entrevu ces trésors. Tu fus grandi

A nous entendre ainsi t'admirer eu pleurant,

Les gens qui ne t'ont pas connu peuvent sourire.

TU fus grand! Nous serons deux ou trois pour le dire.

Non, tu n'as rien misse pour attester ton nom.

liais si tu ne l'as pas frappé, ee tympanon

Qu'on appelle la globe et qui sonne si vide,

©est que tu fus trop grand pour t'en sentir avide.


JiOUS AUTRES GUEUX SM

Sans parents, s? as amis presque (car, toujours seul, Tu t'enfermais en toi comme daus un linceul), Ton coeur, fleur merveilleuse à la tige élancée, Sécha dans le désert brûlant de la pensée; Et, sans essayer rien, trop sûr de ton pouvoir, Dégoûté des désirs avant de les avoir, Tu mourus. On eût dit un dieu lassé des choses, Portant daus son esprit les effets et les causes, Les ayant vus en songe assez pour en jouir, N'ayant qu'à dire un moi pour faire épanouir Tous les germes obscurs de la matière immense, N'ayant qu'à le vouloir pour que le temps commence, Et qui meurt, dédaigneux d'agir, et satisfait D'avoir rêvé le monde entier sans l'avoir fait.


LA CUANSOS DES GLCî/X

VI

A rRËDÉlUCK-L>EMAITlUil

La p!«t fff»ao> parti* 4* <■• pu H— Ait 4tu par M. Mo«M«>8«lljr Mr 1K fo*«*FriAérick-LMMiin. )• rnumH Si. jaavkr 1876

Salut, maître! Salut, géant! Salut, génie! ' Tu ne me connais pas. Hais nous te connaissons. Nous venons saluer ta gloire non finie, Toi qui ne mourras pas, nous autres qui naissons.

- •

Nous venons saluer l'art même en ta personne, Nous venons couronner l'artiste surhumain, Et dire, dans des vers où ton grand nom résonne, lias souvenirs d'hier aux vivants de demain!


NOUS AUTRES GUEUX fit

On saura quelle était l'ampleur de ton domaine, Et que les passions des gueux comme des rois, Tous les cris, tous les voeux de la pauvre âme humaine Ont chanté tour à tour et pleuré par ta voix.

Triste ou gai, formidable ou bon, tendre ou farouche, Due de fois tu nous fis plier les deux genoux, Et voir, comme eu rêvant, suspendus à ta bouche, Les mondes inconnus que tu créais pour nous.

lià-bas, quelle ombre langoureuse

S'approche de nous à pas lents?

Ah! voici venir l'amoureuse.

Tu mets ta main dans ses doigts blancs,

Tu mêles ton âme A son âme;

Elle rit, et pleure, et se pâme,

Et se sent brûler à la flamme

Que font les soleils de tes yeux;

Et l'aigle avec la tourterelle

Chante la chanson éternelle,

Et nous emporte d'un coup d'aile

Ivres d'amour au fond des deux.

Puis, tout à coup, rugit le drame, Qui, lion fauve, par les bois Trame la passion qui brame Ainsi qu'une biche aux abois.

If.


LA CHANSON DES GUEUX

Alors, entraut dans sa lauiere, Les bras nus, comme un belluaire, Tu prends le monstre à la eriuière, Tu te roules sur lui, vainqueur; Et serrant la bête domptée Comme Hercule faisait d'Antée, Devaut la foule é]>ouvautée Tu brises ses reins sur ton coeur.

Mais il faut que tu te reposes Et des soupirs et des sanglots. Vas-tu donc effeuiller des roses Ou bien secouer des grelots? Non. Ton rire, énorme et fantasque. Se tord aux rides de ton masque, Et l'on dirait une bourrasque Qui lutte avec des flots grondants. Fi du sourire fin et mièvre! Cest l'ironie et c'est la fièvre Qui met dans le coin de ta lèvre Le pli des sarcasmes stridents.

Et comment pourrais-tu ne pas être ironique? Ainsi qu'un carrefour, ton esprit communique Aux ruelles sans nombre, aux passages obscurs, D'où l'on voit déboudier, grouillant entre les murs,


NOUS AUTRES GUEIX

Ceux-ci pieds nus, ceux-là-faisant sonner leurs bottes, Brandissant des poignards, agilaut des nuwottes, Criant, riant, priant, et se tordaut les mains, Le troupeau des vertus et des vices humains.

Vous représentez-vous tout ce que fut cet homme, Et ce qu'il a vécu d'existences, en somme? Etre Napoléon, Othello, Buridau, Kean, Méphistophélës, don César de Bazan, Et passer, oubliant ce qu'on était naguère, De Paillasse à Vautrin, de Ruy-Blas à Maeaire! Rendre tout! Sentir tout! Avoir autant de voix Qu'il est d'astres au ciel et de feuilles aux bois! S'incarner tous les jours, prendre cent effigies, Comme les anciens dieux dans les niythologies! Se dire que tout l'homme habite ce front-là, Et n'avoir qu'un seul coeur pour porter tout cela!

Ah! le monde qui vient au théâtre et s'amuse, Ne sait pas ce que coûte un baiser de la muse, Quelle amertume il laisse, et quels déchirements Bans les grands coeurs blessés qu'elle a pris pour amants. Non, vous ne savez pas qu'à son front de monarque, Sous ht couronne d'or l'épine a fait sa marque, Et que son grand manteau de pourpre éblouissant Est rouge d'avoir bu le plus pur de son sang. Non, vous ne savez pas qu'il taut souffrir sans trêve Pour donner une iorme, une vie, à son rêve,


tii LA CHANSON DES GUEUX

Que la fleur idéale a pour sève les pleurs,

Que les enfantements sont toujours des douleurs.

Et maintenant, qui donc te jettera la pierre, Disant que tu devais courber ta tête altière, Et vivre comme nous, pris sous un joug étroit? O génie! après tout n'avais-tu pas le droit, Pour apaiser ta faim de vivre inassouvie, Toi qui donnais ton coeur, de dépenser ta vie ? A-t-on vu les lions ramper sur les genoux? Et les dieux sont-ils faits pour vivre comme nous?

Va donc, dors ton sommeil dans un linceul de gloire, Puisque te voilà mort, bien qu'on ne puisse y croire. Toi qui roulais ainsi qu'un fleuve aux larges flots, • Avec un bruit d'éclats de rire et de sanglots, Tu te perds dans la mort, dans cette mer immense. Pour la première fois en toi la paix commence, liais avec le repos ne viendra pas l'oubli. Notre regard de ta lumière est tout rempli, Et l'on en gardera l'éternelle mémoire. Cestenvain que la nuit jette son ombre noire Sur les derniers rayons d'un beau soleil couchant. Aux franges d'un nuage il s'arrête, accrochant Banni les lointains bleus de l'horizon qui bouge De grands lambeaux'dc pourpre et des hunes d'or ronge.


NOUS AUTRES GUEUX *»

La nuit a beau gonfler sa robe, obscure, il luit. Quand l'ombre l'a voilé, nos yeux, tout pleins de lui, Sous le ciel ténébreux croient l'admirer encore; Et demain, quand naîtra la pointe de l'aurore, Dans l'azur du matin qui va se déployer C'est son dernier reflet qu'on verra flamboyer.


Z*B LA CHANSON DES GUEUX

VII

NOCTAMBULES

Par les quais, les places, les rues, Après minuit, «avant le jour, Lorsque les foules disparues Donnent leur somme épais et lourd,

Quand l'ombre sur les ridicules Jette son manteau ténébreux, Ils vaguent, les bons noctambules, Et sous le ciel causent entre eux.


NOUS AUTRES GUEUX SS7

Ils ont pour cravate une loque; Leurs habits sont vieux et souillés; Et leur pantalon s'effiloque Sur le rire de leurs souliers.

niais ils se moquent de la pluie Qui rafraîchit leur crâne en feu, Et de la bise qui s'essuie Sur leur nez qu'elle peint en bleu;

Et d'un pas digne et philosophe Ils se promènent bravement, Mouchoirs humains de mince étoile Trempés des pleurs du firmament.

Leurs poches vides sur leurs cuisses Ont beau prendre l'air par les trous, Ils vont, fumant comme des Suisses, Gesticulant comme des fous.

Ce sont des rêveurs, des poètes, Des peintres, des musiciens, Des gueux, un tas de jeunes tètes Sous des chapeaux très-anciens.

Au fond de vagues brasseries Ils ont bu tout le soir à l'oeil. Aussi leurs âmes sont fleuries De vert espoir, de rouge orgueil


SB LA CHANSON DES GUEUX

« Nous savons bien ce que nous sommes, Notre avenu* n'est pas suspect! * Et ces pauvres futurs grands hommes Se parlent d'eux avec respect.

L'un refondra la poésie, Et du moule de son cerveau Dans le ciel de sa fantaisie Fera jaillir l'astre nouveau;

L'autre pétrira îa lumière * Sur sa toile; l'autre, levant

Son rude marteau sur la pierre, Y tordra son rêve vivant ;

Ceiui-ci doit trouver la gamme Des airs qu'on chantera demain; Celui-là cherche l'amalgame D'où naîtra 1?» bonheur humain;

Tous avec une voix certaine Escomptent l'avenir douteux; La postérité si lointaine A l'air de marcher devant eux;

Et tous ces inventeurs de pôles, Tous ces bâtisseurs de Babel, Pensent porter sur leurs én-vUcs Ainsi qu'Atlas le poids d'un ciel.


NOUS AUTRES GUEUX

Jlélas! les rêveurs noctambules A qui l'on jetterait deux sous! En les voyant enfler leurs bulles On les prend pour des hommes soûls.

Soûls, en effet, les pauvres diables, Et plus soûls que vous lie pensez 1 Car leurs gosiers insatiables Ont bu des alcools insensés.

Ils ont bu le désir qui trouble, La foi pour qui tout est quitté, L'orgueil âpre qui fait voir double, L'idéal et la liberté.

Ils ont bu, bu à pleines lèvres, Bu à pleins yeux, bu à pleins coeurs, Cet alcool qui guérit leurs fièvres : L'assurance d'être vainqueurs.

Ces bavards, qui semblent des drôles, Hâchcurs de mots, sculpteurs de bruit, Ces cabotins jouant leurs rôles Sur les quais déserts dans la nuit,

Ces loqueteux qui par la fange Traînent leurs pieds las et raidis, Et près des tonneaux de vidange Parlent tout haut du Paradis,


ltt LA CHANSON DES GUEUX

Ces gueux qui d'espoir vain se grisent, Ces fantoches, ces chiens errants, Seront peut-être ce qu'ils disent, Et c'est pour cela qu'ils sont grands.

Qui sait? ces formes peu vêtues Qui grelottent au vent d'hiver, Seront peut-être des statues Immobiles sous le ciel clair.

Et sur les quais, et dans les rues, Après minuit, avant le jour, Lorsque les foules disparues Dorment leur somme épais et lourd,

Leur marbre blanc dans la nuit sombre Dira leur gloire et votre erreur. Quand ils se dresseront dans l'ombre Avec un geste d'empereur.


ÉPILOGUE

LA FIN DES GUEUX

A ANDRÉ GILL.



LA FIN DES GUEUX

Cette nuit-là, la nuit semblait encor plus noire. Le ciel avait voilé les astres et leur gloire Dans des nuages bas, lugubres et crevant. Parfois, lorsque sautait un brusque coup de vent Sifflant d'une voix rauque au bois mort d'un vieil arbre, Le plafond ténébreux se fendait comme un marbre, Et dans l'obscurité qui s'ouvrait tout à coup La lune apparaissait ainsi qu'un chef sans cou. Mais cette clarté pâle aussitôt disparue Epaississait la nuit de son absence accrue. Il faisait un froid mol, opaque, humide et gris. Par moment, mes souliers dans la boue étant pris,


«34 LA CHANSON DES GUEUX

Je m'arrêtais, tendant vers l'ombre mes mains gourde:}, Les pieds crispés, les reins rompus, les jambes lourdes, Ayant soif de trouver sur ma route un vivant. Car j'étais seul, perdu; car, derrière cl devant, Partout, je me heurtais à dos murs de ténèbres; Et mes yeux, embrumés de visions funèbres, Contemplaient fixement dans le brouillard trompeur Le troupeau monstrueux des choses qui font peur.

Où suis-je? Vais-je donc marcher la nuit entière?

Où suis-je?... Allons toujours... Horreur! un cimetière!

Est-ce un rêve? Mes yeux voient-ils ce qu'ils croient voir?

Quelle est cette lueur qui déchire le noir?

Non! ce n'est pas un feu foll-ït. C'est un feu rouge.

Palpitant, animé, comme un haillon qui bouge,

Tantôt droit, tantôt courbe, il se tord dans le vent.

La terreur de la nuit me poussait en avant. C'était trop noir derrière. Approchons de la haie! Ainsi sur un cadavre un trou saignant de plaie, Sur une tombe en pierre ainsi ce feu luisait. Une-grande ombre était devant qui l'attisait. Elle se retourna, m'ayant senti, surprise. C'était un long vieillard, front chauve, barbe grise, Le corps maigre dans un manteau dépenaillé, La tournure rigide ainsi qu'un empaillé. Point terrible, malgré sa face de carême ! Car le nez souriait dans la figure blême, Et mettait sur ce blanc un beau ton violet.


LA FIN DES GUEUX 231

On eût dit un meuron oublié dans du lait.

Mais l'affreux cauchemar est quelquefois grotesque,

Et j'avais beau le voir comique, en rire presque,

Je n'étais pas encor rassuré. Car le vieux

Faisait une besogne à vous troubler les yeux.

Il avait ramassé, parmi les tombes vertes,

Les pommes de sapin dont elles sont couvertes;

Dans les petits enclos ravagés et fouillés,

Il avait pris les bois de croix les moins mouillés;

Puis, pour faire son feu se construisant un âtre

Avec des os pour pierre et du sable pour plâtre,

Il avait en chenets appuyé contre un mur

Deux tibias posés en travers d'un fémur;

Et, comme s'il était l'esprit du cimetière

11 se chauffait, assis sur le dos d'une bière.

— Eh ! là-bas, cria-t-il, en voyant mon effroi, Que fais-tu, camarade? Il fait noir, il fait froid, Approche donc! Voici la lumière etla flamme. Je ne suis pas un spectre, un revenant, une âme. Si tu veux regarder, tu seras convaincu

Que je Bais un vivant qui se chauffe le cul.

Quand on est eu! on tremble ; à deux, toute peur tombe» Donc, franchissant la haie, enjambant une tombe, Je fus bientôt assis les pieds près des tisons.

Çà, me dit-il alors en souriant, causons! De quel métier es-tu? — Du métier de poêle.


2f« LA CHANSON DES GUEUX

Le vieux me contempla, triste. Puis dans sa tête

Il rumina longtemps tout bas, je ne sais quoi,

Avec un air navré qui me rendait tout coi.

Il semblait accablé de souvenirs moroses,

Et marmottait les mots de printemps cl de roses.

Soudain je vis rouler des larmes dans son oeil.

Son maigre poing cogna la planche du cercueil.

Et le vieillard parla. Dans lés jets de fumée

Qu'il tirait à flocons de sa pipe allumée,

Sa voix rauque et mordante en sons aigres siffla.

Tandis qur j'écoutais, voici comme il parla :

Il fut un temps, mon camarade, Un temps qui ne reviendra point, Où je vivais en rigolade, La main au pot, le verre au poing,

Où sous mes joyeuses guenilles Battait un coeur plein de printemps, Où j'ai biscoté bien des filles Que je payais de mes vingt ans,

Un temps où j'étais passé maître Comme ferlampier, franc luron,


LA FIN DES GUEUX t3?

A qui le monde semblait être Une fête où l'on danse en rond.

Las! las! jeunesse disparue, Tu t'en vas, songe décevant, Ainsi que la tête bourrue D'un chardon s'échevèle au vent.

Las! las! mes pauvres fleurs fanées! Comme un chat maigre le temps court Et ce qui dura des années Comme un jour d'hiver parait court.

Et pourtant que de bonnes choses Ont tenu dans ce jour d'hiver! O gais printemps, mois pleins de roses. Ciel bleu, terre en fête, bois vert!

Que j'en ai goûté de délices! Mais tout a passé sur mon coeur Ainsi que sur des pierres lisses File une source au flot moqueur.

J'ai vu de bons vins dans ma coupe Et dans mon plat de bons morceaux, Et j'ai trempé plus d'une soupe Avec la charité des sots.


Siô LA CHANSON DES GUEUX

Que m'en reste-t-il à cette heure? En suis-je plus gras d'un seul grain? Pas même un parfum ne demeure Des branches de mon romarin.

Au château comme à la guinguette On laissait asseoir mes haillons, Et dans les plis de ma braguette J'ai pris de jolis papillons.

J'ai fait sur ma route inconnue Bien des enfants, fils de l'exil; Déjà ma vieillesse chenue A reverdi daus leur avril.

Mais où sont-ils? Hélas! que sais-je? Faits hier, oubliés demain! Retrouveras-tu sous la neige Ce que tu semais en chemin?

Et maintenant, moi le vieux mâle, Qui dois être au moins trisaïeul, Quand me viendra l'heure où l'on râle, .Comme un chien je crèverai seul.

Fils, la jeunesse n'est pas sage. On rit, on s'amuse, et l'on croit


LA FIN DES GUEUX 239

Que la vie, oiseau e passage, Va revenir après le froid.

Nos jours ne sont pas hirondelles. . Partis, ils reviendront au temps Où les crapauds auront des ailes, Où les poules auront des dents.

On suit son coeur, on suit son ventre, On va!... Puis, en tournant les jeux, On voit que c'est là-bas, au diantre, Qu'est la jeunesse, — et l'on est vieux.

Et quand on est vieux, camarade, C'est fait! Alors on Se sent las. Le teint verdit comme salade. Le corps sèche comme échalas.

On a le nez long et l'oeil terne, De l'étoupe jaune au menton, Et plus d'huile dans la lanterne. On crache blanc comme coton.

Et l'échiné qui se détraque!

Et les jambes! les reins! le cou!

Pour jeter à bas la baraque,

Il ne faut plus un bien grand coup.


Si» LA CHANSON DES GUEUX

Cest alors qu'une ménagère Tous serait bonne, et de l'argent; Ça vous rendrait la mort légère. Mais va-t'en voir s'ils viennent, Jean!

Cest fait, c'est bien fini, te dis-je. Toi, le beau vaillant compagnon Dont la galté fut un prodige, Te voilà vieux, laid et grognon.

Et les fillettes printanières Ont peur de tes.longs doigts poilus; Les enfauts te jettent des pierres; Personne ne te connaît plus.

Qu'à mendier tu te hasardes, Tremblotant comme un homme soûl. Combien auras-tu de nasardes Pour gagner un malheureux sou!

Chanteras-tu? Mais ta voix veule A plus de hoquets que de sons; Et, n'ayant plus de dents en gueule, Tu bredouiller**» Ma chansons.

N'importe! fais 'a bouche en fraise! Grimace avec ton front trop grand! Comme un coq dansant sur la braise» Ta dois faire rire en souffrant.


LA FIN DES GUEUX Ht

Et si tu n'as rien dans le ventre, Chante plus fort, d'un ton plus creux. Sois la cornemuse où l'air entre Et d'où sortent des chants heureux.

O cornemuse trop gonflée Dont la peau pète sous le bras, Un jour dans ta chauson sifflée Gomme un son faux tu partiras.

Tu partiras sans qu'on en pleure 1 De ceux que tu pus amuser, Pas uu seul à ta dernière heure Qui ferme tes yeux d'un baiser.

Sans drap de toile ou de percale, Pour tout linceul tes pauvres os N'auront que ta chemise sale, S'il t'en reste une sur le dos.

Pourris dans la fosse commune, O fou, ton dernier cabanon ! Personne, pas un et pas une, Ne se souviendra de ton nom.

Voilà ma vie, ô camarade ! Elle ne vaut pas un radis. Ça commence par une aubade, Ça finit en D* Profundis.

si


•ii LA CHANSON DES GUEUX

La morale de cette histoire, C'est que mou feu meurt. On t'attend, La bise est aigre, la nuit noire; Donne-moi deux sous, et va-t'en.

J'ai mal fait. Tu feras de même. J'ai bien tort de te conseiller. A l'âge où Ton chante, où l'on aime, Mange ton pain blanc le premier.

Vouloir mettre une martingale Aux jeunes, pour qui tout est ncui, Autaut ferrer une cigale, Plumer un chat, ou tondre un oeuf.

Leur offrir la pauvre sagesse

Quand de folie ils ont les biens,

Qu'est-ce, sinon faire largesse

De soupe aux boeufs, d'avoine aux chiens?

Il disait vrai. Sa vie, hélas! aéra ht mienne. Comme lui, j'ai tenté la route bohémienne. Je m'en vais enchantant dès le lever du jour, Par les prés de l'espoir, par ks bols de l'amour,


LA FIN DES GUEUX 213

Et le long de tet haie en fleurs, verte jeunesse. Quand un plaisir est mort, j'attends qu'un autre naisse, Et prends celui qui vient sans voir celui qui part. A maint joyeux banquet j'ai bonne et large pari, Et d'espoirs capiteux à loisir je m'enivre. La rime est un japon: je m'amuse à la suivre. Je l'accoste; la fille eu route se défend ; Bast! demère un taillis je lui lais un enfant. Et je m'en vais après vers une autre chimère Laissant sur mon chemin et l'enfant et la mère. Je suis jeune aujourd'hui, gai, fautasque, fougueux. Mitis je sais que je dois finir comme ce gueux. Notre sentier fleuri s'achève en pente rude Dans un désert peuplé d'amère solitude. Et peut-être qu'un jour, lorsque l'âge outrageant A mes cheveux d'ébène aura mêlé l'argent, Quand je n'aurai plus rien à jouer de mon rôle, Quand les hommes, après m'avoir trouvé très-drôle Ou très-grand, trouveront que je suis ennuyeux, Quand mes rimes aussi diront que je suis vieux, Alors, sans feu ni lieu, courbant ma tète altière, J'irai m'asseoir tout seul dans quelque cimetière, Par une nuit sans lune et par un temps glacé, Et la, je raillerai moi-même mon passé; EVparlant d'une voix cyniquement mordante Sous le vent du malheur à l'haleine stridente, Las d'avoir tant marché, triste d'avoir vécu, De mes espoirs défunts je chaufferai mon euL



MLB

BAï.ï.âDB DU ROI DBS GUBUX

GUEUX DES CHAMPS

CHAirSOHS SB MENDIANTS

1. Les petiots 5

H. Les grands. 7

III. Le vieux 9

IV. L'enfant de Bohème . . . . il

V. Le fou «

LBS PLANTES, LES CHOSBS, US BETES

1. La flûle. 17

IL La plainte du bois 19

III. Vieille statue. . . »3


SIS TABLE DES MATIERES

IV. Le Merle à la glu . SI

V. Epitaphe pour uu lièvre S6

Al. Les vieux papillons 2*

Vil. Le bouc aux enfants 3»

VI11. La gloire des insectes 33

IX. Tri&tesse des bêtes ..?... 3*

X. Oiseaux de passage 41

L'ODYSSÉE DU VAGABOND

I. Premier départ :*.... 47

II. Premier retour * 49

lit. Idylle de pauvres. . . 51

IV. Sonnet bigorne. ..%.*" ^ M

-V. Ballade du rôdeur des champs 6»

J^—-VI. Le chemin creux 63

Vil. Grand-père sans enfants SI

V1I1. Le mort maudit 67

IX. Un vieux lapin 7S

GUEUX DE PARIS

S BAOCX roNcaon. £77

PRINTEMPS

I. Les violettes. . 79

.,11. Du mouron pour les ptits oiseaux. ...... SI

im. Larmes d'arsoullle S4

. ;. IV. Variations de printemps sur l'orgue de Barbarie. 17

L La pèche à la ligne si

H. Les terrains vagues ta

HL Pleine eau ta


TABLE DES MATIÈRES 347

AUTOMNE

I. Soleil-couchant. . . . . m

II. Mon vieil habit. ....... 10»

III. Variations d'automne sur l'orgue d,e Barbarie. . loi

IV. A mon ami Sans-Nom, caniche errant sans profession

profession . . 110

HIVER

I. Première gelée . . . il*

H. Jour des Morts. tic

III. Noël misérable.- lis

IV. La petite qui tousse .....,* 121

Ii'ÉGOUT .

I. Les Mômes a\

IL Eau-Forte 157

III. Fils defllle lâs

IV. Voyou -I3i>

V. Ballade des Loupeurs 133

VI, Ballade du rôdeur de Paris 135

VII. La Marseillaise des Benoits. 137

VIII. Un Vénérable lie

NOUS AUTRES GUEUX

NOSOAIETBS

I. Nos gaietés. .................. us

IL Chanson des cloches de Baptême ....... «8

III. Maudissons Bourget iso

IV. Le nez violet. 152

V. Ivres-morts. . 155

VI. Frère, il faut vivre IM


SIS TABLE DES MATIÊltES

VIL Sonnet bigorne .... ist

V11I. * -n m* T»X*« 166

IX. Ballade de joyeuse vie 171

X. Fleurs de boisson i?â

XI. Prologue fantaisiste 17S

XII. Nos revanches 179

MOS TRISTESSES

I. Remède féroce is»

II. Le vin triste its

III. Pâle et blonde 187

IV. Mon verre est vidé 119

V. Polichinelle. . 49»

VI. Bout de spleen 196

VIL Kpilaphc pour n'importe qui 197

VIII. Mon petit toutou 199

IX. Cimetière intime. . set

NOS GLOIRES

I. Ballade Villon ses

IL A Maurice ttouchor 397

III. Ballade Ponction .....' SIS

IV. A Adrien Juvigny SU

V. A Adrien Juvignr. quatre ans après. .....* Sic

VI. A Fredcrkk-Lciualtre sas

VIL Noctambules

ÉPILOGUE

LA FIN DES GUEUX S3S

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