Rappel de votre demande:


Format de téléchargement: : Texte

Vues 1 à 26 sur 26

Nombre de pages: 26

Notice complète:

Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1910-06-19

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 42932

Description : 19 juin 1910

Description : 1910/06/19 (A28,T54,N1408).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57229140

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 100%.


TEXTE

Notes de la Semaine :

L'Angoisse LE BONHOMME CHRYSALE

Silhouettes Littéraires : L'Auteur de Manon Lescaut . . ALFRED MEZIÈRES

Poèmes en Pross : Les Roses. ABEL BONNARD

Les Échos de Paris SERGINES

Revue des Livres : Le Prix National de Poésie ; les Poètes Lauréats de l'Académie AUGUSTE DORCHAIN

Poésies : L'Essor MAURICE LEVAILLANT

— Sonnet ERNEST GAUBERT

— Réveil HÉLÈNE SEGUIN

— L'Aigle W. CHAPMAN

— Renoncement .... JACQUES CHENEVIERE

— Ce Coeur qui t'a

choisie. .... . ROBERT VALLERY-RADOT

— Quelque Soir. . . ALEXANDRE ARNOUX

— Le Lierre. HENRI ALLORGE

— Le Premier Soir . . GAUTHIER-FERRIERES

— La Chimère .... FRANCE DARGET

Sommaire du N° 1408.

Musique: Manon; la Damnation

Damnation Faust ALBERT DAYROLLES

Les Deux Fils et les Deux Grands Amis de Victor Hugo PAUL GINISTY

Le Maharajah de Kapourthala HENRI LABROUE

La « Season » Londonienne;

La Société , RAYMOND SECOULY

La Fête de l'Université des

Annales SERGINES

Le Château de Meudon . . . VICOMTE DE GROUCHY

Histoire de la Semaine . . . JACQUES LARDY

Mouvement Scientifique : La Gloire d'un Savant Pauvre ; Un Nouveau BateauSalon

BateauSalon DURAND

Pages Oubliées : Les Romans

de Mme de Ségur. . MARCEL PRÉVOST — La Comtesse de Ségur

racontée par sa fille. VICOMTESSE DE PITRAY - Le Général Dourakine COMTESSE DE SÉGUR

19 JUIN 1910.

La Vie Féminine :

Les Étudiantes de Paris. . . YVONNE SARCEY

Menus Propos SERGINETTE

Les Mode COUSINE FRANÇOISE

Les Cercles des Annales . .

Boman : La Mort de la Terre (suite) J.-H. ROSNY aîné

Revue Financière de la Semaine

ILLUSTRATIONS

Composition de Maurice Leloir.—OEuvres de Denys Puech, Chapu, J.-C. Çhapiain et Jean Boucher. — A Kapourthala. — Les Beautés Anglaises. — La Fête de l'Universite' des Annales. — Portraits et photographies d'actualité.

MUSIQUE Manon Lescaut. Version française de. . MAURICE VAUCAIRE — Musique de. G. PUCCINI

Notes de la Semaine

L'Angoisse

N os imaginations et nos coeurs ne; peuvent se détourner de la catastrophe. Chaque matin, nous dévorons les journaux qui retracent les péripéties de cet héroïque sauvetage. Nous frémissons de pitié et d'horreur. Comment n'être pas touché de tant de dévouement, d'une énergie si stoïque, d'un courage si calme! Entre tous, le docteur Savidan est admirable ; il lutte désespérément pour arracher au cercueil du Pluviôse ses derniers débris; il brave, l'asphyxie, l'empoisonnement; il se précipite, avec une froide résolution, vers la mort; et, quand il reparaît, émergeant de ce lieu d'épouvante, il n'a qu'un désir : s'y replonger. Le pêcheur de cadavres poursuit sa tâche sublime. Rien ne l'arrête, ni la fatigue, ni les ordres de ses chefs, soucieux de le défendre contre lui-même, ni l'effroi qu'il lit dans les yeux des assistants; au contraire, cette inquiétude l'aiguillonne, l'exalte; il veut aller jusqu'au bout de la mission qu'il s'est imposée. On se demande s'il ne souhaite pas secrètement y laisser sa vie, pareil aux soldats qui, dans la folie de la bataille, vont au-devant des coups meurtriers. Tout cela, il l'accomplit simplement; il ne parle, point; il fuit les témoignages de sympathie; il ne paraît pas jouir des sentiments qu'il inspire, ni obéir à l'impulsion d'une vanité fanfaronne. L'opinion de la galerie semble lui être indifférente; a supposer que l' « amour de soi », qui! gouverne, prétend La Rochefoucauld, la conduite des hommes, existe au fond de lui, cet égoïsme s'y trouve réduit à une dose, infinitésimale et, vraiment, ne serait

visible qu'au microscope. Le docteur Savidan réhabilite l'espèce humaine, calomniée par le moraliste.

« Alors, écrit le correspondant du Temps, se hisse hors du capot le docteur qui, impassible, mouillé jusqu'au cou et ganté de blanc, se rend dans une embarcation où un infirmier procède à sa désinfection en lui passant du coton sur le visage... Cette, scène cause une émotion profonde. »

Que d'autres épisodes impressionnants ont été décrits! Nos confrères, chargés du reportage dans la presse quotidienne, sont les Homères de cette Iliade. Ils racontent ce qu'ils voient; leurs artides improvisés, télégraphiés en hâte au journal, se haussent, sans prétention littéraire, à la grandeur; ils ont l'éloquence de la sincérité, de la réalité; ils ne nous apportent pas de vaines phrases, mais des faits, des sensations tragiques, immédiatement fixées, palpitantes.

« Voici (dit le rédacteur anonyme du Matin), voici un scaphandrier qui remonte à son tour à la surface. Celui-là m'a point réussi. Pourtant, chacun l'entoure, le félicite. Qu'art-il donc fait?... De sa main gantée de caoutchouc, il a tendu à l'amiral un chiffon ruisselant, une pauvre petite loque déchirée. Cette loque est tricolore. C'est le pavillon arrière du Pluviôse.

» — Puisqu'on ne peut sauver les marins, sauvons toujours le pavillon! s'était dit cet homme.

» Gravement, pieusement, l'amiral a pris la petite flamme aux couleurs de France. Autour de lui, maintenant, les! marins se taisent. Un petit brun, tout jeune et imberbe, a retiré son béret et reste là, tête nue, devant le drapeau au service duquel vingt-sept hommes sont morts. Une lueur de respect attendri brille dans tous les regards. »

Il y a plus de beauté dans ces lignes que dans les vers du plus savant des poètes. On les sent véridiques. On est sûr que les choses se sont passées ainsi et que le témoin qui les rapporte en a été remué. Etant de bonne foi, il nous communique son frisson... Ah! les pauvres gens ! Depuis quinze jours, une question se pose, terrible... Combien de temps a duré leur agonie? Furent-ils noyés, aussitôt après la collision, ou bien, l'eau pénétrant par infiltration dans la coque du navire, eurent-ils l'angoisse de se voir lentement mourir? Il est à présumer que, pour la plupart d'entre eux, le dénouement fut bref et qu'ils ne souffrirent que peu d'instants. Seul, le quartier-maître Le Breton, captif entre les cloisons du kiosque, isolé de ses camarades, protégé par de robustes hublots contre l'inondation, a survécu — pendant combien d'heures? — à l'accident... Quelle torture!... On se représente le malheureux dans sa prison vitrée, impuissant à sauver ses compagnons, à se sauver, conscient de sa fin atroce, inévitable. Les fanaux sont éteints. La nuit s'est faite. Autour de lui, le clapotement sinistre des vagues, puis le brusque enfoncement à pic, et — beaucoup plus terrible — le silence... Ses doigts se crispent contre les parois de verre. Son coeur bat comme le tic tac d'une montre affolée. Sa poitrine s'oppresse... Peu à' peu, l'air se raréfie... L'angoisse augmente. La pensée du marin va vers le coin de village où il croyait bientôt revenir, vers les chères créatures qu'il y a laissées, une vieille maman, peut-être une fiancée, ses; frères, ses soeurs, petits gars que guettent l'abandon et la misère... Ses prunelles, dilatées par la terreur, se convulsent... Un sourd gémissement sort de ses lèvres tuméfiées... Puis, les paupières se ferment. Le râle s'éteint. C'est la délivrance!

Et, maintenant, la lugubre fesogne est


596

LES ANNALES

N° 1408

achevée... Ce qui reste de ces corps défigurés, ces lamentables dépouilles, pieusement recueillies, vont reposer en paix... N'eût-il pas mieux valu les laisser dormir au fond de l'océan? Eh quoi! exposer des marins, dont la vie est précieuse, à de tels périls, exiger d'eux une telle dépense de force morale et physique, pour ramener au soleil de hideux lambeaux de chair, n'est-ce pas absurde? N'est-il pas criminel de sacrifier les vivants aux morts? Oui, considéré au point de vue positif, cet acte est déraisonnable. Par, là, justement, il est noble et nous émeut... Il y a des moments où le sentiment l'emporte sur le calcul, et l'oubli de soi sur la prudence. C'est dans ces minutes que nous nous élevons au-dessus de nousmême. En honorant les victimes du Pluviôse, en leur assurant, au prix du plus douloureux effort, une sépulture, la France donne un magnifique exemple de solidarité, de piété maternelle, de gratitude envers ceux qui l'ont servie. Je voudrais que tous les petits Français pussent assister à ces obsèques. Cela leur formerait une âme virile et généreuse. Cela leur enseignerait ce que c'est que la Patrie...

LE BONHOMME CHRYSALE.

Silhouettes Littéraires

L'AUTEUR DE «MANON LESCAUT»

On se plaint, aujourd'hui, quel les articles de presse ne ménagent personne. Les nouvellistes de l'avant-dernier siècle n'épargnaient pas plus la vie privée des hommes connus que) ne le font certains journalistes de nos jours. Ils nous étaient même très supérieurs en noirceurs d'invention. Aucun de nos! contemporains n'a encore été accusé, comme le fut l'abbé Prévost, d'avoir tué son père en le jetant en bas d'un escalier. Si l'on en croyait les gazettes, l'auteur de Manon Lescaut aurait épousé deux femmes en Hollande, serait devenu, à Amsterdam, garçon de café, puis directeur de théâtre, se serait enfui, de là, en Angleterre avec une fille, y aurait fabriqué de fausses lettres de change et n'aurait échappé à la potence que par le plus grand des hasards.

C'est là un simple tissu de calomnies que son historiographe, M. Harrisse, n'a pas eu de peine à réfuter. L'abbé Prévost ne ressemble pas davantage au libertin que certains biographes nous représentent assis dans un café borgne de la rue Christine, écrivant sur le coin d'une table, au milieu d'un groupe de filles, quelques-unes des pages les plus émouvantes de la littérature française. Il eut l'imagination mobile, l'humeur vagabonde et le coeur tendre ; mais il était trop honnête homme, il restait trop sincèrement religieux, même à travers ses erreurs, pour vivre dans la basse débauche ou pour Commettre des crimes. Il y ai, dans sa vie, de l'imprévu, des péripéties, des fantaisies et des passions, il n'y a rien de déshonorant.

Comme beaucoup de ses contemporains, même des moins pieux, ce descendant d'une vieille famille bourgeoise de l'Artois Commence ses études chez les jésuites et se destine à entrer dans leur compagnie. Est-ce déjà la mobilité de son esprit qui se manifeste? Les pères ont-ils deviné

son peu de vocation? A l'âge de dixneuf ans, au lieu de se faire jésuite, il se fait soldat. Revenu du service au bout de deux années, il pensait, ou, plutôt, sa famille pensait pour lui, à l'ordre de Malte, lorsque lui arriva la terrible aventure d'amour qu'il a immortalisée dans le plus pathétique des romans. Le coeur brisé, il chercha et trouva un refuge au monastère de Saint-Wandrille. Il ne s'agit point, ici, d'une vocation religieuse irrésistible. L'abbé Prévost ne dissimule ni les causes profanes qui le jettent dans le Cloître ni les souvenirs mondains qui l'y poursuivent.

En somme, tout en restant dans l'ordre jusqu'à sa mort, Prévost fut le plus inconstant et le plus tiède des bénédictins. D'abord, impatienté de ne pas recevoir assez tôt l'autorisation de passer dans une observance moins sévère de l'ordre de saint Benoît, il se sauva en Angleterre, puis en Hollande, puis, une seconde fois, en Angleterre, et il attendit six ans hors de Francs que sa situation fût régularisée.

Quand elle le fut, il trouva encore moyen d'échapper à l'obligation de résider dans le monastère qui lui avait été assigné. en devenant aumônier du prince de Conti. C'était la plus commode des sinécures.

Ce religieux de moeurs libres n'en fut pas moins un des hommes les plus laborieux de son temps. On en jugera par les cent douze volumes qu'il a publiés. Aucune de ses oeuvres n'est sans mérite. Si elles n'en ont pas davantage, n'oublions pas que Prévost vivait de sa plume, qu'il fut un des premiers à donner cet exemple d'indépendance et qu'en se condamnant à un travail quotidien, il courait tous les dangers d'une improvisation hâtive. Tout improvisateur qu'il fût par nécessité, il a, du moins, charmé son siècle. Les Mémoires d'un Homme de Qualité, Cleveland, le Doyen de Killerine, ont fait verser des flots de larmes à ses belles contemporaines, ont inspiré de l'admiration à La Harpe et à Marmontel, attendri Diderot et J.-J. Rousseau.

C'est grâce à lui, grâce à l'aimable traductiom qu'il ai donnée de Paméla, de Clarisse Harlowe, de Grandisson, que les) romans de Richardson se sont naturalisés; en France, en Allemagne, en Hollande.

L'aisance, cette qualité suprême du dixhuitième siècle, personne, après Voltaire, ne la possède à un plus haut degré que Prévost. Ceux qui n'entendent rien au style, ceux qui croient, par exemple, qu'il y a un style indépendant du fond des choses, lui reprochent quelquefois de mal écrire. Cela veut simplement dire, dans! leur pensée, qu'il n'agence pas ses phrases! avec assez de coquetterie, qu'il ne se préoccupe pais, de faire un sort à chaque] mot, de placer au bon endroit l'épithète voyante, et d'attirer l'oeil du public. Non, en effet, ce n'est pas là sa manière. On ne surprend, chez lui, aucune trace de] procédé. Tout coule de source, tantôt avec une grâce aimable, tantôt avec l'accent profond et pénétré d'un coeur remué tout entier par lai passion. Comme l'a très finement observé Brunetière, il y ai beaucoup de belles choses, dans les Mémoires d'un Homme de Qualité, dans Cleveland, dans le Doyen de Killerine. Ce qui fait l'infériorité de ces romans trop longs et trop compliqués, ce n'est jamais la surcharge du style, c'est l'abus des inventions romanesques. Le jour où, par un coup; de génie, Prévost parvient à se débarrasser de sa prédilection pour les péripéties et pour les complications de l'intrigue, lorsqu'il écrit Manon Lescaut, son chefd'oeuvre, il n'a rien à changer aux habitudes de son style. Il écrit comme il faut écrire, c'est-à-dire ce qu'il pense et Ce qu'il sent, sans essayer de parer sa; pensée d'ornements inutiles ou de relever l'expression du sentiment par des grâces littéraires.

Aucun roman ne nous touche plus profondément que Manon Lescaut, aucun ne nous révèle à un plus haut degré la toutepuissance de l'amour. Ce n'est rien de; dire que le chevalier Des Grieux est amoureux, il est l'amour même; dès le premier instant, aussitôt qu'il aperçoit le délicieux Visage de Manon, ce jeune homme, qui n'avait jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, se trouve enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. Désormais, il sera

L'abbé Prévost (1697-1763).

La première rencontre de Manon et de Des Grieux, composition de Maurice Leloir.


N° 1408

LES ANNALES

597

la proie de sa passion ; rien n'aura plus lie prise sur lui, ni la famille, ni l'amitié, ni la patrie, ni l'honneur. Ne le jugeons pas, comme on le fait quelquefois, en expliquant et en atténuant ses actions par l'exemple des moeurs du temps. S'il triche au jeu, s'il accepte, à certaines heures, de vivre aux dépens d'une fille ou de ses protecteurs, si au besoin, même, il assassine un geôlier qui se trouve sur sa toute, ce n'est pas du tout qu'il s'y croie autorisé par ce qu'ont fait de son temps quelques gentilshommes. Sa seule excuse, au fond, la seule qu'il invoque lui-même auprès de son père et auprès de Tiberge, c'est l'impossibilité où il est de se passer de Manon.

Et, chose merveilleuse, presque unique en son genre, ces transports, ces émotions poignantes, si souvent répétés, ces courses dans Paris, ces recherches dans les prisons, ces rencontres à main armée sur a grande route, le spectacle de Manon dans l'infamante charrette assise sur une poignée de paille, enchaînée par le milieu du corps avec une douzaine de filles de oie, conduite et surveillée par des archers, sous les yeux de Des Grieux qui mendie et qui paie quelques minutes d'entretien avec la malheureuse, tout cela est décrit dans le langage le plus simple, le plus uni, sans aucune surcharge de couleurs, avec une sobriété et une mesure d'expression admirables. Aucun de ces mots excessifs, aucune de ces épithètes sonores que le mauvais goût moderne applique aux situations fortes, comme si elles avaient besoin d'être signalées au lecteur par la violence des expressions. L'auteur obtient les effets les plus puissants par es moyens les plus modestes. Est-ce bien l'auteur qu'il faut dire? Ce not ne s'applique guère à Prévost. En isant Manon Lescaut, on ne pense pas une minute à l'écrivain, on croit entendre a confession exquise et douloureuse d'une victime réelle de l'amour. L'histoire du chevalier Des Grieux est-elle l'histoire même de Prévost? Personne ne le sait Bu juste. Mais, si quelques incidents romanesques ont été inventés pour la cironstance, comme dans d'autres romans de Prévost, ce qui lui appartient en prore, ce qui sort du plus profond de sort oeur, c'est l'amour tel qu'il le dépeint, out-puissant et irrésistible. Il en a cerainement connu les délices et les torures. S'il en a dispersé l'expression dans es autres romans, il l'a, ici, concentrée t résumée avec une force extraordinaire. e n'ai pas besoin de savoir jusqu'où va concordance des aventures du chevalier des Grieux avec les incidents de la vie e Prévost. Tout ce que je sais, c'est u'on n'exprime pas l'amour comme il fait, avec une telle intensité et un et feu, sans en avoir subi soi-même les ■teintes. C'est parce qu'il en a personnelment éprouvé toute la douceur et toutes s angoisses, qu'il en parle si peu en crivain, avec une indifférence si complète our les procédés littéraires. Il s'agit bien our lui de disposer des mots et de donner sa pensée un tour piquant ou un tour ratoire! C'est l'ivresse de l'amour saSfait ou le désespoir de l'amour malheueux, que l'homme tire du plus profond de ses entrailles, dont il ne peut exprimer vérité à ce degré que s'il a commencé ar les éprouver.

Brunetière fait remarquer, très justeent et très ingénieusement à ce sujet,

que Prévost a proclamé le premier, dans le roman, le droit divin de la passion. Des Grieux en fait un dogme et comme une doctrine. Non seulement on ne voit percer chez lui aucune trace de regret ni de repentir, mais il se justifie constamment lui-même en se réclamant de ce qu'il y a die plus fort et de plus sacré dans la nature. Que d'autres ont invoque le même droit, à commencer par J.-J. Rousseau pour finir par George Sand, en ne citant que les principaux! Mais même dans la comparaison qu'on ne peut s'empêcher de faire entre lui et des esprits si vigoureux, des. écrivains si éloquents, Prévost conserve un incontestable avantage : celui du naturel, de la simplicité des moyens, de la sincérité absolue des sentiments. Lui seul n'a jamais traité la passion comme un exercice oratoire ou comme un thème de littérature. Il y a plus de rhétorique dans une page de la Nouvelle Héloïse ou de Lélia que dans tout Manon Lescaut. C'est ce qu'Alfred de Musset exprime admirablement lorsqu'il écrit ces vers si profonds :

Pourquoi Manon Lescaut, dès la première scène, Est-elle si vivante, et si vraiment humaine Qu'il semble qu'on l'a vue, et que c'est un portrait ? Et pourquoi l'Héloïse est-elle une ombre vaine Qu'on aime sans y croire et que nul ne connaît?

Ce grand connaisseur des choses du sentiment a tout de suite signalé la différence essentielle. Il nous indique d'un trait, avec sa pénétration et sa précision ordinaires, pour quels motifs le roman de Prévost a gagné dans l'admiration du monde lettré tout ce que perdait le roman de Rousseau. S'il avait connu Manon, il confesse qu'il serait devenu infailliblement amoureux d'elle, malgré ses vices, tandis que, malgré ses vertus, il n'aurait jamais été tenté de disputer Julie à l'amour de Saint-Preux. Un être réel, composé de chair et d'os, dont la ressemblance avec la nature humaine se reconnaît à sa faiblesse même et à son incapacité de s'en corriger, sera toujours un personnage plus romanesque, plus dramatique que de très nobles et de très fières abstractions. Lorsqu'on veut les fixer, les figures de Julie et de Saint-Preux s'idéalisent et s'évaporent dans le vague des conceptions abstraites; les traits de Des Grieux et de Manon sont, au contraire, si nettement, si fortement marqués que l'esprit recompose sans effort, comme si les yeux les voyaient, des physionomies si vivantes.

ALFRED MÉZIÈRES,

de l'Académie française.

Poèmes en Prose

Les Roses

Les roses ! On dirait le feu de l'hiver qui reparaît dans les jardins, on dirait les lèvres innombrables de la belle saison, on dirait des bouches dont chacune parle une couleur: celle-ci dit timidement du blanc, cette autre bavarde du rose, cette autre, éloquente, pérore du pourpre. Il en est de toutes petites, nombreuses et gaies, qui éclatent ensemble, au bout de la canne de leur rosier, comme un feu d'artifice en plein jour; celles-ci, blanches, menues, ne prétendent point exister séparément, mais, à elles toutes, elles ont l'air d'un pensionnat, d'une famille de roses à marier, de roses rosières. Celle-ci, jaune,

rayonne d'une telle paix qu'on la mettrait près de son livre, le soir, comme une lampe. Il y en a de diaphanes, faites pour les jardins des couvents; on dirait qu'elles ont jeûné, qu'elles se sont mortifiées, pour que leur beauté ne fût plus charnelle. D'autres, claires et légères, caressent à peine l'âme de leur parfum délicat; elles sont faites pour être données aux malades, pour apporter prudemment le premier plaisir aux convalescents que fêlerait un émoi trop fort. Mais celles-ci, gorgées de force, et dont le parfum renverse les coeurs, ce sont les roses des amants. Appuyées sur leur lit de feuilles, elles font un concile de reines et d'odalisques; l'air les contourne avec respect, elles ont mis leur plus belle parure de gouttes d'eau. On leur a donné des noms, et, parfois, c'est celui d'une grande dame, ou d'un artiste, ou d'un héros; c'est fort bien fait et je ne pense pas qu'il puisse y avoir de plus charmante forme de gloire; mais, parfois, le baptême fut moins heureux, et ce n'est pas une petite surprise, quand on s'approche d'une de ces princesses pleines de baumes, de découvrir qu'elle est affublée d'un nom de bourgeois. Mais qu'importe ? Ce qui rend les roses incomparables, c'est que chacune d'elles est l'analogie d'un type de femme et qu'on peut Voir en eues la métempsycose de toutes les amoureuses. Celle-là qui retombe avec une lassitude si captivante, c'est une jeune femme solitaire qui pleure souvent; cette orangée qui s'entête à nous parfumer si violemment, c'est une furieuse brune; cette autre, d'un rouge caillé, coagulé, et d'un désespoir si opulent, je ne peux croire, malgré son écriteau, qu'elle s'appelle « M. le notaire Un Tel », — c'est Didon sur son bûcher; sa voisine, d'an rose un peu faux, d'un parfum un peu frelaté, c'est Emma Bovary; celle-ci, pâle et divine, c'est la reine Bérénice.

ABEL BONNARD.

LES ECHOS DE PARIS

Chez Puccini, l'auteur de Manon Lescaut.

J'ai toujours envié les musiciens pour leur extraordinaire précocité : c'est parmi eux que se recrutent la plupart de ces enfants qu'on appelle des enfants phénomènes. On ne cite point de peintre ayant peint, au sortir de nourrice, un paysage ou un portrait, ni de sculpteur ayant pétri, à peine sevré, une Vénus ou une Diane, ni de romancier ayant écrit, ses dents de lait poussées, une émouvante histoire d'amour. Mais on cite Mozart qui, à six ans, composait un concerto ; Mendelssohn qui, vers le même âge, lisait à première vue une partition, si compliquée fût-elle; Haendel, qui n'attendit pas sa majorité pour livrer au public son premier opéra. M. Puccini, raconte M. Paul Acker, n'a pas failli à cette tradition : à cinq ans, il jouait en maître de l'orgue; à dix, il devenait organiste d'une église de Lucques; à dix-huit, il publiait un hymne fameux : I Figli dell' Italia Bella; à vingt, enfin, il faisait représenter, avec un grand succès, son premier opéra, les Villé. M. Puccini, cependant, ne tire pas vanité de ces prouesses. Il les conte simplement et souriant, avec l'accent de la péninsule, mêlant son discours de mots italiens, d'une voix chaude et agréable.

— Oui, m'a-t-il dit, depuis le dix-huitième siècle, cinq générations de musiciens se sont succédé dans ma famille, et j'ai appris la musique, comme on apprend à lire, sans m'en rendre compte. J'étudiai d'abord avec Ange-


598

LES ANNALES

N° 1408

loni, puis j'allai au Conservatoire de Milan, où j'eus pendant trois ans, comme professeurs, Razzeni et Ponchielli. Un beau jour, en 1884, Sonzogno organise un concours S'Opéra : je lui envoie les Villé ; il me les retourne sans les lire. Quelques amis se cotisent, réunissent six cents francs. Les élèves du. Conservatoire s'emparent des rôles, on monte la pièce, elle: a du succès, beaucoup de succès, et, l'année suivante, je donne Edgar, que j'avais tiré de la Coupe et les Lèvres et qui fut très discuté. Il ajouta :

— C'est seulement après avoir écrit Manon Lescaut que je compris vraiment le théâtre, ce qu'il était et ce qu'il exigeait. Dès lors, je choisis moi-même mes sujets.

De temps en temps, même, son vocabulaire épuisé, Puccini jetait rapidement de longues phrases italiennes. Et je me souvenais qu'à notre première rencontre il avait près de lui un ami fidèle, M. Passigli, le « cavalier Passigli », comme se présentait lui-même M. Passigli, et cet ami fidèle traduisait les mots que je ne comprenais pas, épelait les noms propres, donnait des renseignements. M. Puccini s'inquiétait, cette année-là, des critiques. Catulle Mendès l'effrayait, et le seul nom de M. Debussy, d'un talent si différent du sien, suscitait en son esprit une vive inquiétude. Il m'avait fallu le rassurer sur le jugement de M. Henry Gauthier-Villars. Et, du coup, plus confiant dans le succès, il s'était courbé et, touchant son mollet avec familiarité :

— Ah! c'est ma cassure que je touche, avait-il fait, ma cassure de l'automobile... Oui, il y a quelques années, je suis tombé dans un précipice de plus de cent mètres, avec ma femme et mon fils. Ma femme et mon fils n'ont rien eu, le chauffeur a eu une jambe brisée; moi, j'ai eu le tibia cassé. Mais ça ne fait rien, j'adore l'automobile!

Alors, d'un mouvement leste, il avait rejeté la couverture et montré sa jambe, la jambe de Puccini, et, profondément remué d'un si grand honneur, je l'avais contemplée respectueusement, jusqu'à la minute où une main délicate et affectueuse avait noué autour d'elle l'appareil qui devait lui rendre sa force et sa beauté premières. Inoubliable faveur et émotion inoubliable! Combien de jaloux me vaudront-elles? Souvenir pieux que ma mémoire gardait! Maintenant, dans ce hall d'hôtel, je ne pouvais m'empêcher de regarder cette jambe. M. Puccini suivit mon regard, comprit, sourit. Obligeamment, il la remua.

— Vous voyez, tout à fait guérie, tout à fait.

Et, abandonnant la musique :

— Figurez-vous, commença-t-il, que j'avais commandé une voiturette électrique... Je devais l'avoir demain...

Nous avons donné, dans l'avant-dernier numéro, des documents sur Berlioz et la Damnation. Ajoutons-y quelques détails sur cette oeuvre.

Ce fut M. Raoul Ounsbourg qui entreprit, le premier, de la mettre sur la scène, au théâtre de Monte-Carlo, le 18 février 1893. Malgré l'exiguïté du cadre (moins de cinq mètres de profondeur), la tentative réussit, grâce à l'interprétation rare de M. Jean de Reszké (Faust), acclamé dans l'Invocation à la Nature, de M. Melchissédec (Méphistophélès), et de M. Louis Jehin, le remarquable chef d'orchestre. On put constater ainsi que l'oeuvre est très théâtrale, quoique Berlioz, faute d'un directeur pour avoir confiance en lui, l'ait traitée en symphonie, probablement à regret. Comment s'étonner, d'ailleurs, qu'une telle musique soit dramatique, puisqu'elle est née de

l'impression directe produite sur un puissant cerveau, par un chef-d'oeuvre de la scène ?

La Damnation de Faust, devenue drame lyrique, fut, ensuite, plusieurs fois reprise sur le théâtre de Monte-Carlo, mais elle mit plus de dix ans pour arriver à Paris, encore avec M. Gunsbourg. Du 7 au 21 mai 1903, sous les auspices de la Société des Grandes Auditions Musicales de France, on en donna une série de brillantes représentations au Théâtre-Sarah-Bernhardt, avec MM. Alvarez (Faust), Renaud (Méphistophélès), et Mlle Emma Calvé (Marguerite), comme première distribution. Ce fut Edouard Colonne qui dirigea l'orchestre, et il pouvait conduire la partition par coeur. L'ancien triomphe se retrouva. On admira la profonde composition! de M. Renaud et la physionomie infiniment curieuse de son Méphistophélès. On goûta aussi beaucoup, et on redemanda chaque soir, presque tout entière, la scène bachique de la taverne d'Auerbach, où les buveurs, grossièrement gais, entonnent en choeur la fameuse fugue, pour enterrer dignement le Rat de la chanson.

Voici, maintenant, la Damnation de Faust auprès de Faust, à l'Opéra. Elle ne lui fera pas de tort, mais n'y perdra rien non plus. D'ailleurs, on l'y a déjà chantée intégralement, jadis, sous sa forme symphonique, pendant l'année où l'Opéra a essayé, de donner des concerts dominicaux. Les plus fervents admirateurs de Berlioz ne pourront pas crier à la profanation, puisque l'oeuvre ne sera altérée que par de discrètes suppressions, et qu'il s'agit seulement, en somme, de procurer la vie matérielle de la scène à une musique si scénique.

On vous dit, plus loin, l'accueil fait par le public à cette reprise.

Le marquis de Ségur, de l'Académie française, est le petit-fils de la célèbre Mme de Ségur, à qui on élève, aujourd'hui, un monument

monument qui écrivit, comme vous savez, tant de volumes à couverture rose, parmi lesquels ces fameux Malheurs de Sophie, le Général Dourakine, l'Auberge de l'Ange Gardien, qui charmèrent notre jeunesse.

Parmi les personnages qui y évoluent, il en est un qui revient dans chaque ouvrage, celui de Petit Pierre, le petit garçon studieux

que l'auteur oppose sans cesse aux turbulents et aux gourmands.

Or, sait-on quel fut l'enfant qui servit de modèle pour Petit Pierre? Le petit-fils de Mme de Ségur, l'académicien.

Petit Pierre a fait son chemin... Voilà ce que c'est que de bien travailler!

Petits vers trouvés dans la boîte du journal :

Il n'a pas plu le jour de la Saint-Médard. (LES JOURNAUX.)

Enfin, elle est donc ajournée,

La journée Où nul autant que saint Médard

Ne met l'art A nous faire tomber à verse

Une averse ! Par un cruel raffinement,

Finement, Il choisissait souvent sa fête,

Très mal faite, Pour arroser de beaux seaux d'eau

Nos sots dos. Seuls, les marchands de parapluies,

Fiers des pluies, Bénissaient dans une oraison,

O raison ! Cette aubaine mystérieuse

Et rieuse ! Les autres, navrés, haletants,

Ah ! le temps ! Le nez en l'air, surveillant l'heure,

— Ardent leurre, — Guettaient les nuagelets pleins.

Je les plains. Car si Médard réclame orage,

Avec rage, A Barnabé réparateur,

Pas rateur, Il faudrait faire la neuvaine

Jamais vaine !

PUCK.

A propos de saint Médard, rappelons qu'il y eut, à Paris, un jardin célèbre, aujourd'hui presque détruit, qui portait ce nom.

Ce jardin n'est autre, en effet, que l'ancien cimetière du village de Richebourg, et l'on y enterra, au commencement du dix-huitième siècle, le fameux diacre Pâris. Janséniste exalté, mais par ailleurs doux, bon, charitable, Pâris jouissait, dans son quartier, d'une heureuse réputation. On l'y vénérait comme un saint, et, lorsqu'il mourut, les pauvres lui firent de glorieuses funérailles. Puis, bientôt, le bruit se répandit que des miracles s'accomplissaient sur sa tombe. Les jansénistes accréditèrent ce bruit, et le peuple se rendit en foule au cimetière.

Le petit enclos de Saint-Médard devint, alors, le théâtre de scènes singulières. Des détraqués y furent soudain saisis de délire extatique; des malades se dirent guéris pouf avoir touché la pierre tombale; aux guérisons succédèrent les transports prophétiques, les convulsions; on vit des malheureux se jeter sur la tombe, s'emparer avidement d'un peu de terre du cimetière, manger même de cette terre... Ces scènes ridicules — et douloureuses — occupèrent tout Paris pendant plusieurs années. A la fin, le scandale devint si grand qu'en 1732 le cimetière fut, à la demande du clergé, fermé « dans l'intérêt de l'ordre et de la morale publique ». Les amis des convulsionnaires s'en vengèrent par l'épigramme. connue :

De par le roy, défense a Dieu De faire miracle en ce lieu.

Question d'étiquette.

Je reçois le billet suivant :

Dans le compte rendu des funérailles d'Edouard VII vous mentionnez les rois qui suivaient le corps et disant que le protocole n'avait pas facilement régle l'ordre dans lequel ils étaient placés. Pourriez-vous

Buste de la comtesse de Ségur, par Jean Boucher, inauguré au Luxembourg le 19 juin.


N° 1408

LES ANNALES

599

donner à un cousin belge l'explication de cet ordre et pourquoi notre roi Albert arrivait après d'autres rois de pays inférieurs en étendue, population, et importance?

Car, à part l'Espagne, il n'est pas douteux que la Belgique, avec ses six millions d'habitants, sa vaste colonie et sa puissance intellectuelle et industrielle, doit arriver avant la Norvège, la Grèce, la Bulgarie, le Danemark et le jeune Portugal.

Un mot dans votre intéressant magazine instruirait et charmerait plusieurs de vos cousins belges.

L. CARTOL.

Je suis tout à fait incapable de répondre... Le protocole et moi, nous n'avons jamais passé par la même porte... Mais il est bien étonnant qu'en Angleterre, pays monarchique et traditionnel, de telles erreurs aient pu se produire... Je crois que la susceptibilité patriotique de notre abonné s'est trop promptement effarouchée.

Sur le boulevard :

— Comment va ce pauvre L...?

— Toujours la même chose. Il est dans les; Pyrénées.

— En effet, il ne lui reste que Pau et les

eaux.

SERGINES.

REVUE DES LIVRES

Le Prix National de Poésie

C'est à M. Maurice Levaillant, le poète du Temple Intérieur, qu'il vient d'être décerné par la Commission de la Bourse Nationale de Voyage Littéraire.

On sait quelle surprise il y eut, dans; le monde des lettres, lorsque, en 1906, On apprit la fondation d'une sorte de Prix de Rome en faveur des écrivains. Quoi! l'Etat n'encouragerait donc plus seulement, à leurs débuts, les peintres, les sculpteurs et les musiciens! Quoi! l'Etat penserait donc aussi à ces jeunes gens qui, n'ayant pour outil qu'une plume, rêvent, non moins que leurs frères les artistes, d'ajouter un peu de beauté, de noblesse et de gloire au trésor imprimé de nos chefs-d'oeuvre, mais qui, faute d'un peu de loisir et de sécurité matérielle, sont exposés à ne pouvoir poursuivre, après un premier effort, la réalisation de leur rêve! Vous pensez bien que l'Etat n'y aurait point songé tout seul; il avait fallu qu'un poète au grand coeur, Emile Blémont, qui présidait la Société des Poètes Français, lançât l'idée et cherchât des appuis officiels; qu'un ministre très cultivé, M. Bienvenu-Martin, se trouvât favorable, et que, pour enlever le vote du Parlement, un parlementaire se rencontrât, qui fût aussi bon orateur que bon porte-lyre, M. Couyba, lequel n'est autre, comme ton sait, que Maurice Boukay, descendu de Montmartre, c'est-à-dire du Parnasse, dont a Butte sacrée est l'une des deux cimes. Primitivement, c'est aux poètes seuls que levait revenir la manne obtenue ; mais les poètes, ayant remporté cette victoire, donnèrent un bel exemple d'abnégation oonraternelle : ils demandèrent que la bourse le voyage, votée par les Chambres, ne ût pas uniquement réservée aux rimeurs, nais attribuée, une année sur deux, aux impies prosateurs, et le ministre établit e règlement en conséquence. Je tiens à appeler ce joli détail, au moment où, pour la troisième fois, le tour de la poésie st revenu.

Les deux premières fois, l'opinion des lettrés a confirmé le jugement de la Commission : MM. Abel Bonnard et Gabriel Volland, les lauréats de 1906 et de 1908, Ont prouvé, par des oeuvres ultérieures, qu'ils savaient tenir et dépasser même les promesses de leurs débuts. Il en sera de même, cette fois, avec le délicieux, le pur, l'émouvant poète qu'est M. Maurice LeVaillant.

Le Temple Intérieur est son second ouvrage; dès 1908, il avait concouru et obtenu des voix avec un premier recueil, le Miroir d'Etain, dont les rares qualités, avaient frappé le jury; mais, si harmonieux que fût ce livre, il fut trouvé un peu trop livresque encore; c'était une exquise fleur de culture, — de haute culture hellénique et latine, du reste, — mais où se divertissait l'humaniste, plutôt que ne s'exprimait l'homme; c'était un peu écrit ayant la vie, mais au seuil de ces années où, après la discipline des études, on va s'émanciper, se dilater, s'ouvrir à tous les souffles qui passent, vivre double. Années inoubliables, dont on se souvient plus tard en pleurant, moins de mélancolie que de joie, car ce sont celles où l'on la fait la découverte du monde, celles! où l'on a construit ce « temple intérieur », dont les dieux vous protégeront jusques à la mort, si vous avez su, bien après la; jeunesse passée, leur rester pieux et fidèle:

Au fronton, son doigt courbe à sa lèvre arrêté, La Méditation, qu'une Victoire acclame, Erige gravement sa tacitumité; Sur la porte, comme un emblème, j'ai sculpté, Entre les myrtes, l'arc, la torchère et la flamme.

La pénombre, au dedans, est pleine de lueurs Hors du foyer mystique, à l'autel exhalées ; Sur des socles, autour, j'ai mis l'Amour en pleurs, L'Angoisse, la Pudeur inquiète, ses soeurs, Le Doute, le Désir aux formes long voilées,

Et toi, déesse intime, à qui vole ma foi, Dont nul ne sait encor le nom ni le visage, Dont le sourire ami m'abrite comme un toit, Tour à tour ma pensée et ma volupté, toi, Unique et variée ainsi qu'un paysage,

Tu règnes au milieu du silence; tes yeux Ont des clartés que le mystère perpétue; C'est toi qui m'enseignas le culte de mes dieux; Et chaque soir, baissant mon front religieux, Je vais ployer mon rêve aux pieds de ta statue.

Grave est cette Muse et déesse, noble; est ce temple aux statues allégoriques, — et telle se présente à nous la poésie de M. Maurice Levaillant; mais il nous dit aussi que la colonnade de l'édifice est rose et que des vents heureux, accourus du fond de l'horizon, passent entre les branches qui en dominent le faîte. Si rien n'est frivole dans son oeuvre, la gravité n'en est point austère, elle se tempère, partout, de tendresse et de grâce. Quoi de plus exquis, au commencement du volume, que les évocations d'une enfance Choyée, en province, ou des retours que, adolescent, on a faits, quand revenaient les vacances, à la chère petite ville maternelle? O charme des beaux dimanches, lorsque, croisant les jeunes filles en promenade, on a, au passage de l'une d'elles, tressailli d'un premier pressentiment d'amour! Souvenir attendri de l'école (où l'on a appris à lire; des processions qui se déroulaient parmi les fleurs des reposoirs ; du vieil ami qui, ouvrant son vieux cahier de vers, vous a révélé le délice merveilleux du rythme!... Puis, l'on est parti pour Paris, et l'on a connu les « vaines errances », les médiocres apparences de l'amour; et la vie s'est attristée,

et l'on a traversé ces jours de « torpeur » où s'enlize une âme hésitante; jet l'on s'est cru, parfois, déjà blasé :

Je voudrais être un autre et sortir de moi-même,

Et vivre d'une vie où je m'ignorerais,

Où tout serait naïf et neuf, où j'aimerais

Sans connaître d'abord pourquoi je hais où t'aime !

Et l'on souffre du mal de l'analyse, à cause d'un excès momentané de labeur cérébral. Mais une femme apparaît; pour la première fois, on aime; toute la jeunesse, toute la fraîcheur reparaît alors, ayant rejeté tout ce vieillissement factice et d'une heure ; et le Chant de Mai monte vers le ciel avec allégresse :

J'ai prié le printemps de refermer ses roses, Et de dire au soleil qu'il garde ses rayons : Nous n'avons pas besoin de leurs apothéoses Puisque nous nous aimons et que nous sourions; J'ai prié le printemps de refermer ses roses...

Nos yeux, en le mirant, créent la splendeur du monde ; L'orbe de nos regards circonscrit l'horizon, L'espace n'est immense et l'aurore n'est blonde Qu'autant que nous prêtons une âme à la saison ; Nos yeux, en le mirant, créent la splendeur du monde.

Et tout un collier de « dizains » d'amour, d'une perfection entière et d'une tendresse infinie, va s'égrener au long des pages; et l'on redirait volontiers de son livre ce que le poète dit d'un autre livre à sa bien-aimée. :

Prends le livre. Les vers sont doux quand tu les lis. Déroule sans un heurt la phrase aux lents replis; Prolonge mollement les rimes ; et module Les strophes dont l'écho mieux qu'une vague ondule; Je veux, pour apaiser l'angoisse où tu me vois, Baigner ce soir mon rêve au ruisseau de ta voix.

L'angoisse, pourtant, renaît au fond du bonheur :

Au milieu de la paix qui nous ensevelit,

Si tu vois que mon front s'incline ou qu'il pâlit,

Ne crois pas un instant que mon amour décroisse;

Mais sa félicité me devient une angoisse.

Nous sommes, désormais, trop heureux pour avoir

Quelque nouveau désir ou quelque jeune espoir.

Cachons-nous bien dans notre extase intérieure;

Car, tandis que, parmi le dédale de l'heure,

L'avance, masquant sa face et son dessein,

J'ai peur de l'avenir comme d'un assassin.

Plus loin, la douleur de l'absence, la crainte de l'oubli... Mais le coeur est viril, et, après un hymne à la volonté, le poète chante un hymne à la douleur elle-même :

A GENOUX

Douleur, il fut un temps, ô Douleur inconnue, Où je te redoutais dans mon âme ingénue; Mais j'accepte, aujourd'hui, tes bras et ton dessein. Ne crains plus que ma voix contre toi retentisse; Comme l'enfant lassé pleure vers sa nourrice, De moi-même j'accours à la paix de ton sein.

Je t'abandonne tout : voici mon coeur qui saigne, Mon esprit vaniteux pour que ta loi l'enseigne, Ma gorge pour tes cris, mon front pour ta pâleur. Voici pour ton baiser mes yeux; voici mes joues; Et voici mes deux mains afin que tu les cloues Sur ton gibet, Douleur.

Je ne te subis point comme une suzeraine.

Vois : mon regard est droit et ma lèvre est sereine.

Je ne regrette point les jours que tu m'as pris;

Si d'autres, en secret, te lancent Panathème,

Moi, c'est comme un amant que je t'accepte et t'aime,

Et je suis souriant parce que j'ai compris.

La joie endort. Mais toi, les coeurs que tu domines Tu les fouilles d'un pic rugueux, comme des mines; Leurs fibres, tu les tords en un chaînon sacré; L'une à l'autre liant leurs subtiles attaches, Tu les fais plus vaillants pour les viriles tâches... Et le mien te bénit de l'avoir déchiré.

Ai-je tout montré de la Variété des inspirations de M. Maurice Levaillant, de


600

LES ANNALES

N° 1408

leur générosité? Non, puisque je n'ai point parlé du poète philosophe qui est aussi en lui, inquiet des grands problèmes de la destinée, n'ayant pas la prétention folle de les résoudre, mais la piété de

s'incliner devant leur mystère, devant celui de l'immortalité, par exemple :

Car, dans notre ignorance et parmi nos mensonges, Pour nier que nos morts s'inclinent sur nos songes, Nous, qu'un fuyant reflet des vérités conduit, Qu'est-ce que nous savons des choses de la nuit ?

Mais le doute ne lui suffit pas, ni le] respect de l'inconnu, qui est peut-être l'inconnaissable; il faut à sa jeunesse l'aile hardie de l'espoir et l'essor. L'Essor! Ce] mot est le titre du poème final, qui touche à la plus pure beauté lyrique. Il est reproduit ci-dessous, et l'on conviendra qu'il aurait mérité, à lui seul, la haute récompense qui vient d'être décernée au poète de ce Temple Intérieur, devant les mobles dieux duquel de pareilles strophes étaient dignes d'être chantées.

AUGUSTE DORCHOIN.

L'ESSOR

La terre est laide, Amour. Fuyons loin de ses fanges; L'homme libre a ravi leur aile aux fiers archanges;

Il dompte les vents vagabonds Et, dressé sur le bord des cimes titaniques, Courbai t sous le calcul les anciennes paniques, Il fie au large éther la rigueur de ses bonds. Viens : l'étrange coursier frémit sous les haleines Des souffles asservis qui s'élèvent des plaines;

Il glisse; il monte par degrés. Loin du sol! Loin du sol ! La terre diminue; Perçons l'espace; entrons, au delà de la nue, Dans la concavité des deux inexplorés.

Sens-tu déjà ton corps qui flotte, impondérable, Dissous dans la candeur d'un air inaltérable?

Sens-tu fleurir ton sang épais? Cieux profonds! Coupe immense où tiédit l'allégresse! Azur! Alacrité divine.! Pure ivresse! Mer bienfaisante aux flots de lumière et de paix ! La brume qui voilait l'inconnu se dérobe; Derrière nous, regarde au front de notre globe

L'ombre à l'ombre se mélanger... Plus haut ! Enfuyons-nous vers d'autres atmosphères! Fluide harmonieux où se meuvent les sphères, C'est dans ton coeur profond que nous voulons nager!

Là, sans marbre, sans toit, sans cric, sans statuaire, La nature érigea l'éternel Sanctuaire

Aux piliers de flamme et de foi; [brase, Mieux qu'aux autels humains qu'un feu mortel emNous offrirons, Amour, à notre propre extase L'holocauste affranchi du temps et de la loi.

Puis, nous promènerons notre ardeur enfiévrée, Sans effroi, dans les noirs déserts de l'empyrée

Où les comètes ont leurs nids, Jusqu'à ce que l'aérion qui nous entraîne S'abïme, ayant brûlé, gigantesque phalène, Sa tournoyante audace aux foyers infinis;

Ou peut-être, au delà des cieux et de ce monde, Plus loin que le domaine où notre univers fonde

L'axe de ses obscurs pivots, Pour arrêter enfin notre course éperdue, Nous trouverons, Amour, dans une autre étendue, Des dieux apitoyés et des soleils nouveaux.

MAURICE LEVAILLANT.

Les Poètes Lauréats de l'Académie

Je ne commettrai point d'indiscrétion grave en révélant que, cette année, les membres du jury de la Bourse de Voyage étaient navrés de ne pouvoir donner qu'un prix, quand il aurait fallu, pour être juste, décerner des couronnes à quatre ou cinq poètes d'un mérite à peu près égal. Heureuse, l'Académie française qui, plus riche, a pu, le même jour, faire une abondante et légitime distribution de lauriers! Quelques mots sur chacun des lauréats académiques.

On connaît le but du prix Maillé-Latour-Landry, celui qui fut, un jour, attribué si malencontreusement à Alfred de Musset, lorsqu'il eut écrit tous ses chefsd'oeuvre : il est « destiné à un jeune écrivain dont le talent, déjà remarquable, paraîtra mériter d'être encouragé à poursuivre sa carrière dans les lettres ». Ce; prix vient d'échoir à M. Ernest Gaubert, qui en était digne autant que personne. S'il a écrit deux ou trois romans, M. Gaubert est, avant tout, un poète, le poète de ides Roses Latines (1), que j'ai louées ici, naguère, et qu'on dirait cueillies au pied d'un temple de Vénus, à la lumière méditerranéenne, sur quelque colline de la Gaule narbonnaise. Et ses autres travaux, tels qu'une pénétrante étude sur François Coppée (2) et une excellente Anthologie de l'Amour Provençal, qu'il vient de publier, en collaboration avec M. Jules Véran, sont encore d'un poète. Quatre lauréats se sont partagé le prix Archon-Despérouses, destiné, tous les ans, « à des oeuvres de poésie », et, en' tête, l'Académie a voulu nommer Mlle Hélène Seguin, l'auteur du Réseau Fragile (3). Comme sous un voile de pudeur, une âme de jeune fille s'ouvre et s'épanche en ce livre délicieux, une âme grave et tendre, fraîche et profonde, que l'existence n'a point gâtée, qui lui sait gré des moindres joies, qui ne lui demande rien que pour son coeur, jet qui attend d'elle ou les biens ou les maux en ne lui offrant, pour les recevoir, que sérénité, que bonté, que! courage. Cette vie intérieure est une harmonie; mélodieux sont les vers qui l'expriment, avec une simplicité, une sincérité absolues et un art, pourtant, déjà sans reproches. Qu'à cette nouvelle venue aillent, dès à présent, toutes nos sympathies!

M. W. Chapman, l'auteur des Rayons du Nord (4), est le célèbre poète canadien dont l'Académie a couronné, en 1907, un précédent recueil, les Aspirations. J'ai, naguère, appelé l'attention sur le beau mouvement poétique de la Nouvelle-France, et j'y reviendrai prochainement. M. W. Chapman représente, avant tout, sur les bords du Saint-Laurent et du Montmorency, la poésie oratoire, éloquente, propre à

développer en plein air, et devant les foules assemblées, les grands thèmes religieux, patriotiques et civiques. Les vastes; paysages de son pays, les moeurs originales de ses « traversiers » et de ses chasseurs de bisons, lui dictent aussi de; larges et pittoresques alexandrins. Il continue avec honneur la lignée des Octave Crémazie et des Louis Fréchette.

Je n'aurais pas tardé à signaler l'adorable petit recueil de M. Jacques Chenevière, les Beaux Jours (5), une révélation. C'est le livre d'amour, ou, plutôt, de pressentiment d'amour, — d'un adolescent très pur et très câlin, tout ensemble, à l'heure où la puberté s'éveille, où l'on sent monter en soi, avec des larmes délicieuses, un vague et chaste besoin] de caresses qu'on ne sait pas encore être; le premier appel du, désir. Il y a deux ou trois ans, les Petites Ames, de M. Paul Géraldy, nous avaient charmé en quelques pages, donné des impressions analogues; mais c'était d'un Chérubin déjà plus averti, un peu perverti même, ou qui va l'être. Ici, la délicatesse morale est exquise, d'un bout à l'autre, comme exquise est la) délicatesse formelle qui! en traduit les moindres nuances. Jeunes gens et jeunes filles de seize ans, qu'aucune mauvaise pensée n'effleure, mais qui, sans comprendre pourquoi, vous cherchez, vous appelez, trouvez tant de douceur à rêver ensemble, voilà toute votre ravissante histoire.

On se souvient de quelques vers émouvants et vraiment admirables, écrits pour, sa mère morte, par M. Robert ValleryRadot, que j'ai cités ici, naguère. On les retrouvera dans le beau livre, l'Eau du Puits, qu'une part du prix Archon-Despérouses récompense. A la suite, on lirai des psaumes de douleur, d'espérance et d'aspiration chrétiennes, des vers qui font songer, tour à tour, au saint Augustin des Confessions et au moine inconnu de l'Imitation. Puis, une figure de jeune fille apparaît, retrouvée dans la ville où, autrefois, la mère tant pleurée l'a connue et chérie. Ce souvenir les rapproche, et voici l'amour, — un amour qui semble, plutôt qu'une passion, une piété, avec tout ce que ce mot renferme de tendresse unie au respect et à une religieuse conception de la vie, chez deux êtres qui se; sentent unis, non seulement jusqu'à la mort, mais au delà même de la mort. Cet amour-là semble continuer l'amour maternel par la mystérieuse protection jet Volonté de la morte; et ce livre en est le noble et grave poème.

Une fondation, toute récente, je crois, le prix Davaine, a enfin été attribuée aux poètes, et quatre poètes, aussi, s'en sont partagé les arrérages et les honneurs. Nous avions déjà une grande estimes pour M. Alexandre Arnoux depuis son premier recueil : l'Allée des Mortes ; nous avions applaudi, à l'Odéon, son drame lyrique, la Mort de Pan, et savouré, récemment, dans la Petite Bibliothèque Surannée, de l'éditeur Sansot, la jolie étude] qu'il avait mise en tête d'un choix des: poésies de Voiture. Son second recueil, Au Grand Vent (6), est d'une poésie étrange, originale, — celle d'un lettré sensitif et savant, et l'on y trouve un chefd'oeuvre : Port-Royal des Champs, une sorte de méditation sur Racine, que je] recommande à l'admiration de tous les Raciniens.

(1) et (2) Un volume in-12, 3 froncs.

(3) Un volume in-12, 3 francs.

(4) Un volume in-12, 3 fr. 80,

(5) Un volume in-12, 3 francs.

(6) Un volume in-12, 3 francs.

Maurice Levaillant. (Phot. Femina.)


N° 1408

LES ANNALES

601

M. Henri Allorge, l'auteur du Clavier des Harmonies et de l'Ame Géométrique, deux livres très curieux, très artistes, mais écrits un peu trop sur programme pour émouvoir la sensibilité profonde, se moutre, dans l'Essor Eternel (7), un inspiré véritable, montant très, haut dans le domaine de la pensée comme dans celui du sentiment, chantant la nature et l'homme avec un égal bonheur, en beaux rythmes.

M. Gauthier-Ferrières, dont on connaît les poèmes des Jours d'Orage, et une étude de tout premier ordre, sur Gérard de Nerval, a chanté, cette fois, la Romance à Madame (8), la « madame » très moderne, très Parisienne, d'un amoureux qui serait, à la fois, un romantique désinvolte et impertinent du Cénacle, à la manière du Musset des Contes d'Espagne, non sans être aussi, quelque peu, un mélancolique bohème du Pays Latin, à la façon d'Henri Murger, mais d'un Murger qui connaîtrait mieux sa langue, qui serait plus expert en fantaisies rythmiques, jet qui aurait, ce que Murger n'eut pas, la maîtrise des rimes imprévues et sonores.

Les Matinales (9), enfin, de Mme France Darget, reçurent une de ces flatteuses couronnes, que le poète avait commencé de mériter à l'âge où, sur les bancs de l'école, ce ne sont encore que des couronnes de fleurs en papier qu'on reçoit, le jour de la distribution des prix. La petite France, à treize ans, écrivait déjà des vers qui jetaient dans la stupéfaction Sully Prudhomme. Mais cette enfant prodige n'a pas été, comme tant d'autres, arrêtée dans son développement, et ce dernier recueil, si varié, où de robustes pages épiques alternent avec de féeriques dialogues faits pour le théâtre, ou quelques odes, tour à tour larges ou familières, en est la preuve la meilleure.

Félicitons l'Académie, et citons ces poètes.

AUGUSTE DORCHAIN.

Voici des fragments détachés des divers volumes couronnés par l'Académie et dont il est question ci-dessus :

Sonnet

où le poète se console de n'avoir pas fait une oeuvre papfaite Pour fixer le contour divin de ta beauté, Vainement, cette nuit, j'ai façonné l'argile; A mon constant effort la matière indocile, Sous mes doigts, cette fois, muette, a résisté !

Et, sage, comprenant mon labeur inutile, De la glaise j'ai fait une amphore où, l'été, Alors que j'y boirai le falerne chanté, Je croirai voir l'éclat de ton torse mobile.

La blancheur de tes seins, la douceur de tes chairs, Couleront sous ma lèvre et l'or de tes yeux clairs Emplira de reflet et ma coupe et mes rêves.

Et, savourant ainsi l'arôme de ton corps,

Dans les parfums aimés du breuvage, à pleins bords

J'enivrerai mon coeur du vin des heures brèves.

ERNEST GAUBERT.

(Prix Maillé-Latour-Landry, 1,200 francs.)

Réveil

Aux fentes des volets se glisse le matin Que pose, curieux, ses yeux d'or dans mon rêve. L'ombre s'efface..., ma paupière se soulève..., El chaque meuble accuse un contour plus distinct.

Entre mon livre et la veilleuse qui s'éteint,

Près d'un sonnet boiteux qu'en m'éveillant j'achève,

Un ruban traîne... Hier, dont la douceur fut brève, Me semble emprisonné dans ce noeud de satin.

Pourquoi, dans ce ruban dont j'ai paré ma tête,

Reste-t-il tout l'éclat de la nocturne fête

Jusqu'à faire en mon coeur naître un émoi joyeux ?

Si ce n'est que, tandis que se mourait la danse Et que votre pensée emplissait mon silence, Le bleu de ce ruban sut arrêter vos yeux.

HÉLÈNE SEGUIN.

(Prix Arcbon-Despérouses, 1,000 francs.)

L'Aigle

L'aigle, du haut d'un cap qui domine la mer, Jette au zénith l'éclair de sa glauque prunelle, Gonfle son col, frémit, s'agite, ouvre son aile, Et, fier et radieux, s'élance vers l'éther.

Il monte, il monte, il monte, et le noble oiseau râle De plaisir au-dessus du nuage vermeil ; Et déjà pour son oeil, altéré de soleil, L'océan lumineux n'est plus qu'un étang pâle.

Comme le roi des airs fixant l'astre qui luit, Le poète inspiré de la terre s'enlève, Emporté par le vol harmonieux du Rêve... Et sous lui tout décroît, sombre et s'évanouit.

Il plane sans frayeur, sans contrainte, sans règles; Et, les yeux sur le ciel de l'Art qui le ravit, Tout baigné des rayons de l'Idéal, il vit Dans la communion des anges et des aigles.

W. CHAPMAN.

(Prix Arcbon-Despérouses, 500 francs.)

Renoncement

Vous ne me comprendrez jamais. Je m'y résigne : Je vous aime sans fièvre et ne suis pas jaloux. Un autre, quelque jour, s'approchera de vous, Plus heureux sûrement et peut-être plus digne... Et moi qui vous parlais pourtant de tout mon coeur! Je ne me plaindrai pas... Adieu... N'ayez pas peur, Je veux que vous soyez paisible et je vous laisse. Mais, malgré moi, je songe à celui qui, plus tard, Saura prendre vos yeux charmés dans son regard Et connaîtra vos mains, vos bras, votre faiblesse ! Je vous aime... Il sera l'angoisse et le plaisir De vos vingt ans soumis, caressants et crédules. Je vous aime... N'ayez ni regrets ni scrupules ; Il viendra, vous croirez l'aimer et le choisir. Je ne veux pas que mon chagrin vous importune ; Je ne veux pas qu'un seul ennui, même lointain, Trouble mon souvenir en vous d'une rancune ; Je suis dans l'ombre... Allez vers votre clair destin! je souffrirai peut-être un peu sans qu'on le voie : Ne me trahissez pas. Soyez bonne. Sachez Que mes pauvres espoirs demeureront cachés Et que je fais des voeux navrés pour votre joie.

JACQUES CHENEVIERE.

(Prix Arcbon-Despérouses, 500 francs.)

Ce Coeur qui t'a choisie

Ah ! comme il vit de toi, le coeur qui t'a choisie ! Que ta grâce l'enivre et qu'il se rassasie A ton sourire, à ton regard, à ton accent! Enfantin et profond à la fois, il ressent, Avec tout le candide étonnement de naître, La révélation de tout qui le pénètre ! Il s'ignorait soi-même avant que de te voir ! Souvent, il s'enfuit loin de toi pour mieux t'a voir, Et, jaloux de t'aimer sans que le tien s'en doute, Il se tait, se souvient, te contemple et t'écoute... Il ne se doutait pas que le ciel fût si près Et qu'il serait comblé dès que tu paraîtrais, Lui qui, hanté par l'Etre où tout amour abonde, Pour le mieux posséder voulait quitter le monde ! Sachant tout l'imparfait de la Terre, il s'émeut De retrouver en toi ce qu'il aime en son Dieu C'est la première fois que son amour se pose : Et, tremblant d'aimer moins s'il s'abandonne, il n'ose Approcher que de loin de son bonheur futur ; Et, pourtant, il sent bien que son désir est pur

Et que tout l'infini vivant vers toi le porte !...

O mon amour, combien sa sève est vierge et forte,

Comme il a de jeunesse et comme il a de feu

Ce coeur qui jusqu'à toi n'a battu que pour Dieu!

ROBERT VALLERY-RADOT. (Prix Arcbon-Despérouses, 500 francs.)

Quelque Soir...

Quelque soir tu fuiras de mon âme, ô jeunesse,

Comme le sable fin Fuit du sablier que l'heure impitoyable presse.

Et le cri de ma voix, et l'appel de ma main,

Sans que tu les écoutes, Frapperont le silence et la nuit du jardin.

Mon regard te suivra jusqu'au seuil ; et, sans doute,

Tu te retourneras Avant de disparaître au tournant de la route.

Le rythme restera, dans mon coeur, de ton pas;

Et je croirai peut-être Que tu rôdes parfois derrière les lilas.

Je saurai, ma jeunesse ardente, reconnaître

Ta joie et ta beauté Dans l'ardeur et la joie et la beauté des êtres;

Et je te saluerai comme un hôte fêté, Lorsque ta chère image Flottera dans les nuits transparentes d'été,

Et tu me souriras dans chaque beau visage.

ALEXANDRE ARNOUX.

(Prix Davaine, 1,000 francs.)

Le Lierre

Jadis, on couronnait de lierre Le poète, au front de clarté; Pour tous, ce diadème austère Voulait dire : Immortalité.

Mais la gloire est bien peu de chose; Mieux vaut, certes, le bonheur fier De garder dans son âme close Un rêve à jamais doux et cher.

Quand, sur une muraille grise, Je vois ton frissonnant réseau, Lierre, je pense à ta devise, Et le sens m'en paraît plus beau.

Je songe à tes fortes racines, O toi qui, même desséché, Restes fidèle à tes ruines Et meurs où tu t'es attaché !

Plutôt que la gloire immortelle, Puisse-je avoir l'obscur honneur De te rester toujours fidèle, Rêve à qui j'ai donné mon coeur !

HENRI ALLONGE.

(Prix Davaine, 500 francs.)

Le Premier Soir

Dix-neuf juin. Tu portais un chapeau de bergère, En paille brune, avec des roses tout autour, Et, dans la robe bleue accusant ton contour, Tu t'avançais, le rire aux dents, fine et légère.

Moi, malgré la saison, j'étais de noir vêtu, Car j'étais triste et désoeuvré, sans rien à faire ; Pourtant, l'amour de vivre emplissait l'atmosphère, Il faisait chaud, l'air embaumait : t'en souviens-tu?

J'aurais voulu parler; mais, comme un fait exprès, Tous les mots, en tremblant, s'arrêtaient sur ma lèvre; Je pâlissais, j'étais ému, j'avais la fièvre, J'étais comme effrayé de te sentir si près.

Depuis, comme en un vase une claire liqueur, Ta pensée est en moi, chaude et pure en mes veines, Et partout, même au sein confus des choses vaines, Je te sens dans tous les battements de mon coeur.

GAUTHIER-FERRIERES. (Prix Davaine, 500 francs.)

(7) Un volume in-12, 3 fr. 50. (8) Un volume in-12, 3 francs. (9) Un volume in-12, 3 fr. 50.


602

LES ANNALES

N° 1408

La Chimère

Enfant qui passas, un jour, en ces lieux, J'ai voulu revoir ta beauté royale. J'ai cherché tes yeux dans notre ciel pâle, Mais l'azur m'a dit : « Ils étaient plus bleus. »

Brûlé d'un amour prompt comme la flèche, J'ai cherché ta voix éteinte aux échos Parmi tous les chants de toutes les eaux... Les sources m'ont dit : « Elle était plus fraîche. »

Errant dans les bois au deuil des saisons J'ai comparé, fauve et lente couronne, L'or de tes cheveux à l'or de l'automne. Les feuilles m'ont dit : « Ils étaient plus blonds. »

Alors épuisé, las, l'âme saisie

Du désir qui doit ne mourir jamais,

J'ai voulu savoir qui je poursuivais,

Et les vents du soir m'ont dit : « Poésie! »

FRANCE DARGET. (Prix Davaine, 500 francs.)

Pour recevoir sans frais ces volumes (contre mandat ou timbres), ou tout autre ouvrage, ancien ou nouveau; ou pour obtenir tous renseignements concernant les questions de librairie, nos abonnés et lecteurs sont priés de s'adresser ou d'écrire à la Direction de la Librairie des « Annales », 51, rue SaintGeorges. Il leur sera immédiatement donné satisfaction.

MUSIQUE

CHATELET : Saison italienne. Première représentation de la Manon, de Puccini. — OPÉRA : Adaptation théâtrale de la Damnation de Faust, de Berlioz.

Un très vif attrait de curiosité s'attachait, pour le Parisien, à la représentation de la Manon de Puccini, qui figure au nombre des pièces jouées pendant la saison italienne du théâtre du Châtelet. Cette Manon n'a encore para sur aucune scène parisienne. On était anxieux de la comparer à celle de Massenet, demeurée une des oeuvres favorites des dilettantes.

Disons tout de suite qu'il est indispensable, en pareil cas, afin d'éviter toute injustice, de tenir compte de la nationalité des auteurs, de leurs tendances, de leurs habitudes d'esprit, et des usages et coutumes en faveur dans le public pour lequel ils écrivent.

On sait que, pour les compositeurs italiens, Un sujet d'opéra n'est nullement une oeuvre comportant une étude minutieuse et patiente, où chaque détail est scruté, médité, combiné Se façon à faire valoir le caractère des personnages. C'est surtout un prétexte à musique théâtrale. Pour eux, la tâche du librettiste consiste à disposer, à arranger une série de scènes, de tableaux aptes à faire valoir leur tempérament mélodique. Ce n'est pas l'âme des personnages, leur psychologie, qui les préoccupent; c'est l'effet plus ou moins favorable de certaines situations.

Je n'ai pas à rappeler que tout autre est le but poursuivi par les auteurs français, surtout depuis la révolution wagnérienne. Inutile même de faire observer que le défaut dominant des partitions jouées en ces dernières années est un excès de complication) dans l'écriture, de subtilité dans la pensée, jet de raffinement dans l'exécution générale.

Les compositeurs italiens, et, en particulier, ceux qui appartiennent à l'Ecole vériste actuellement en vogue, recherchent la rapidité] d'action, tendent vers la simplification des formes mélodiques, et ne redoutent nullement la banalité de l'expression.

Un des exemples les plus frappants est lai

Tosca, de M. Puccini. Le drame de Sardou, qui était pourtant de vive allure, et visait à produire, de façon pressante, de violentes commotions théâtrales, a été raccourci, amputé, pressuré par les librettistes italiens pour ne laisser subsister que les passages les plus saillants, conformément au désir du musicien de ne pas s'attarder en longs propos.

La Manon Lescaut, du même compositeur, fort antérieure à sa Tosca, ne se présente pas tout à fait avec ce caractère d'excessive brièveté. Mais elle nous offre bien plutôt des tableaux, qu'elle ne cherche à pénétrer dans l'intimité des personnages.

Au premier acte, nous voyons des jeunes gens attablés dans une hôtellerie d'Amiens. L'un d'eux, Edmond, ami de Des Orieux, favorise sa fuite avec Manon, tandis que le gentilhomme qui courtisait la belle, devenu

la risée de ces joyeux étudiants, s'élance vers Paris sur le conseil de Lescaut, le frère de Manon.

Le second acte nous présente Manon dans un salon des plus luxueux. Pendant l'entr'acte, elle a abandonné Des Orieux pour suivre le riche seigneur.

Mais Des Orieux vient la revoir, et tous deux sont surpris par le protecteur de Manon, lequel n'hésite pas à faire appel à des archers et à obtenir contre elle un arrêt d'emprisonnement.

Au tableau suivant (au troisième acte), nous sommes au Havre, sur une place, près du port. Manon nous apparaît derrière les grilles du cachot où elle est enfermée. Elle va être dirigée sur la Nouvelle-Orléans. Des Grieux veut s'opposer à son embarquement. Mais c'est en vain. Il obtient, cependant, de la pitié du commandant du vaisseau de partir avec Manon, et le dernier acte nous montre les deux malheureux amants seuls dans une vaste plaine. Manon, désespérée, exténuée de fatigue, meurt dans les bras de Des Grieux.

Cet exposé sommaire de ces quatre actes suffit, je crois, à indiquer que la tendance générale de l'auteur est moins de nous dépeindre le milieu spécial où a pris naissance la passion de Des Grieux pour Manon, que de favoriser l'apparition de tableaux pittoresques et variés. II est visible, en outre, que, pour M. Puccini, Manon et Des Grieux sont bien plus des personnages de théâtre fournissant l'occasion de duos agréables et faciles, que des êtres de nature particulière, que des individualités nettement déterminées dont l'expression passionnée doit offrir une différence marquée avec celle d'amoureux quelconques.

Je me bornerai, faute de place, à cette observation d'ensemble sur l'ouvrage. Elle permettra au lecteur de saisir les points capables de susciter des comparaisons avec les autres oeuvres de M. Puccini, ou avec les compositeurs qui se sont inspirés de mêmes sujets.

M. Caruso a entraîné ses auditeurs par l'éclat de ses notes aiguës, qui ont fait merveille dans ses duos du premier et du deuxième actes avec Manon, et dans son imploration du troisième acte. Mlle Lucrezia Bori est une charmante cantatrice, qui incarne une Manon fort vibrante. Le baryton Amato est un fougueux Lescaut et l'incomparable chef d'orchestre Arturo Toscanini mérite les plus grands éloges pour l'intensité de vie dont il anime l'interprétation de chacune des oeuvres qu'il dirige.

Je constatais, dans le précédent numéro, la prédilection témoignée par les maîtres de ballets russes pour l'adaptation chorégraphique de compositions musicales célèbres, comme le Carnaval de Schumann, la Schéhérazade de Rimsky-Korsakow, ou, encore, comme les valses de Chopin dans les Sylphides, qui avaient été dansées, la saison dernière, au Châtelet, et viennent de réapparaître à l'Opéra.

C'est, également, l'adaptation scénique d'une oeuvre célèbre au concert qu'ont cherché à réaliser les directeurs de l'Opéra, en adjoignant à leur répertoire la Damnation de Faust, de Berlioz. Il convient de les louer, ainsi que M. Gunsbourg, du soin qu'ils ont montré dans une entreprise si ardue. Ils ont procédé avec tact et mesure et n'ont point cédé à la tentation de forcer le succès par l'exagération de l'effet. Les tableaux sont composés avec goût, et avec sobriété dans les moyens employés. Parmi les mieux réussis, je citerai ceux de la taverne et de Faust endormi.

Les physionomies ingénieusement variées, comme la mimique et les attitudes diverses des buveurs avinés dans la cave d'Auerbach, sont tout à fait réussies. De plus, les choristes ont chanté avec beaucoup de verve.

Les scènes qui nous font assister à la rêverie de Faust endormi ont été présentées de façon charmante. Le ballet des Sylphes a beaucoup plu. On a aussi fort applaudi le menuet des follets.

Le rôle de Méphistophélès, qui est, comme on sait, prépondérant dans l'oeuvre de Berlioz, a trouvé, en M. Renaud, un artiste à la fois consommé dans l'art du chant et sachant admirablement composer ses personnages. Son Méphistophélès peut compter (parmi ses meilleures créations. Merveilleusement grimé, il a témoigné de beaucoup de finesse dans son effort à mettre en valeur les moindres intentions de l'auteur. Son interprétation donne l'impression d'un travail poursuivi avec une intelligence scrupuleuse et patiente, soucieuse de ne rien laisser d'inachevé.

Mme Grandjean, qui incarne Marguerite, mérite, au point de vue spécial de l'art vocal, les plus grands éloges. Elle montre, dans sa manière de phraser, une science du chant qui lui attirera les suffrages de tous les amateurs.

M. Franz possède d'excellents dons, une voix très agréable, et il personnifie Faust avec distinction.

L'orchestre a magistralement exécuté cette difficile partition, et M. Rabaud a montré, dans sa direction, une fermeté, une décision, Une autorité et une précision rythmique des plus remarquables.

ALBERT DAYROLLES.

G. Puccini.

(Phot. H. Manuel)


N°1408

LES ANNALES

603

Les Deux Fils et les Deux Grands Amis

de Victor Hugo

L'idée était jolie d'associer, devant la postérité, à la gloire de Victor Hugo, ses deux fils et les deux fervents amis, Vacquerie et Meurice, qui remplacèrent ceux-ci auprès du poète, quand, à deux ans de distance, une mort prématurée eut enlevé Charles et François-Victor.

Vacquerie et Meurice incarnèrent la fidélité et la piété envers une grande mémoire. Charles et François-Victor avaient donné leur jeunesse à leur père, en le suivant dans l'exil. Ils lui avaient d'abord donné leur liberté en défendant par la plume les idées généreuses, et qui semblèrent alors téméraires, qu'ils avaient apprises de lui. C'est pour avoir attaqué la peine de mort qu'ils furent condamnés à la prison. La haine de l'échafaud, c'était la pensée prédominante de Victor Hugo! Ce fut la foi des générations qui le suivirent... Combien il faut que les événements aient donné de tragiques démentis aux théories, pour qu'on soit revenu, depuis, à une autre conception du droit de punir et de se défendre !

— Ces deux frères, disait Hugo en parlant de ses fils, sont comme le complément l'un de l'autre : l'aîné est le rayonnant; le plus jeune est l'austère.

L'un se prodigua, en effet, en des oeuvres diverses, en des romans tendres et charmants, Comme la Chaise de Paille, en des études Comme les Hommes de l'Exil; l'autre se

voua à un labeur immense, avec sa forte traduction de Shakespeare.

Charles Hugo était expansif, volontiers de belle humeur; il était de ceux qui répandent la sympathie autour d'eux. Le poète subissait cet ascendant de son entrain, s'il se rapprochait plus, par la pensée, de son second fils. Dans les commencements de l'exil, en 1852, à Bruxelles, la vie était difficile pour Hugo, soudain privé de ses ressources habituelles. Il fallait compter, et le proscrit avait pour ce grand fils de vingt-quatre ans des tendresses charmantes de « papa ». C'est ainsi que, voulant que Charles écrivît le récit des événements qui avaient motivé sa condamnation, il faisait avec lu un petit marché: Charles s'installerait à côté de lui, tous les matins, pour travailler pendant trois heures; en échange, Victor Hugo lui fournissait son menu argent de poche, qui ne dépassait pas cinquante francs par mois, et le grand homme confessait que cette dépense le gênerait fort!

Puis, ce fut l'installation à Jersey.

Vacquerie était venu rejoindre Hugo. La vie à Marine-Terrace était laborieuse, chacun travaillait.

— Ici, disait Hugo, il faut travailler ou périr de néant.

Charles avait l'inspiration capricieuse et interrompait une nouvelle ou un roman pour faire de la photographie. François-Victor, dont la chambre était située au-dessous de celle de son père, était réveillé, de grand matin, par les allées et venues de celui-ci, et se battait corps à corps avec la pensée de Shakespeare.

Mais Jersey cessa d'accorder son libre asile; Jersey, « ce radeau héroïque qui avait recueilli les naufragés de toutes les tourmentes », abandonna ses traditions hospitalières, et il fallut aller chercher refuge à Guernesey.

C'est François-Victor qui a raconté, dans une des lettres les plus émouvantes qui se puissent lire, ce départ, le dernier jour d'octobre 1853, à six heures du matin, pour l'autre île. Le petit paquebot, le Dispatch, était secoué par une furieuse bourrasque, tournant bientôt en tempête.

— A un moment donné, un flot plus haut que les autres arriva sur nous et me jeta contre mon père, qui m'embrassa.

Ce fut François-Victor (car on ne pouvait débarquer à quai, à Saint-Pierre) qui se chargea de la précieuse malle qui contenait tous les manuscrits d'Hugo, jetée comme un ballot dans un canot...

La vie familiale reprit dans cette maison, soi-disant hantée, que Victor Hugo avait achetée et qu'il avait transformée en une sorte de manoir romantique. Aux heures de délassement, le poète avait la curiosité des expériences spirites, et Charles Hugo tenait le registre des communications avec les esprits. Mais peut-être, avec quelque verve malicieuse, prêtait-il aux « esprits » un peu de sa propre imagination, comme il prêtait, à son chien Lux, une intelligence extraordinaire.

Avec Charles, Victor Hugo passa la mer, revit la Hollande et la Belgique, puis rentra dans son île. Dans la dernière année, de l'Empire, les deux fils de Victor Hugo redevinrent les polémistes ardents qu'ils avaient été vingt ans auparavant.

Le 5 septembre 1870, les portes de la patrie se rouvraient pour Hugo, et c'est avec ses fils qu'il rentrait à Paris...

Puis, par une cruelle ironie de la destinée, six mois plus tard, en pleine force, en plein bonheur, Charles Hugo mourait subitement, dans un fiacre, à Bordeaux, alors qu'il se rendait à un dîner d'adieu offert par son père,

qui venait de donner sa démission de membre de l'Assemblée nationale.

Charles Hugo eut des funérailles solennelles. Son corps était arrivé à Paris le jour même de la révolution du 18 mars, et tous les bataillons parisiens étaient en armes. Sans mot d'ordre, sans qu'on se fût consulté, par déférence pour le poète, les gardes nationaux qui gardaient les barricades présentèrent les armes devant le char funèbre, et d'autres, spontanément, l'escortèrent jusqu'au cimetière.

En septembre 1873, c'était François-Victor qui s'en allait à son tour, ayant seulement un peu plus de quarante ans. La maladie le minait depuis longtemps. Les deuils accablaient le poète et l'horreur de cette vision : la maison sans enfants, se réalisait! Il y avait tant de disparus, autour de lui, qu'il n'y avait plus de place pour ce nouveau mort dans le caveau familial. Ce fut Louis Blanc qui dit, sur sa tombe, tout ce qu'il y avait de noblesse et de chaleur de coeur sous le sourire pensif et les manières réservées du second fils d'Hugo... Naguère, à Jersey, parmi les proscrits du coup d'Etat, s'était introduit un misérable qui dénonçait leurs actes et leurs propos. Sa félonie fut révélée, et on songea à de terribles représailles : ce fut François-Victor qui le sauva.

Les médaillons des deux fils du poète seront bien à leur place auprès de sa statue. Dans une page magnifique, qui est un testament de foi et de sérénité, un sublime cri d'espoir vers les rencontres, par delà la monde terrestre, avec ceux qui nous furent chers ici-bas, Victor Hugo n'a-t-il pas adressé un émouvant et tendre appel à ses « bienaimés »?

PAUL GINISTY.

François-Victor Hugo, par Denys Puech.

Auguste Vacquerie, par Chapu.

Charles Hugo, par Denys Puech.

Paul Meurice, par J.-C. Chaplain.


LES ANNALES

N° 1408

Le Maharajah de Kapourthala

Les écrivains et les artistes font maintenant volontiers le tour du monde... Brieux revient de ce long voyage. Notre collaborateur, Henri Labroue, qui nous envoya de si jolis articles de Chine et du Japon, a rencontré dans les Indes un ami de la France et le présente aujourd'hui à nos lecteurs :

Nul n'ignore, hélas! le monde où l'on s'ennuie. Mais on connaît peut-être moins le monde où l'on s'enrajhe, où l'on s'enrajhe délicieusement.

Si le coeur vous en dit, transportez-vous, avec moi, par le 75° de longitude Est et le 32° de latitude Nord. Y êtes-vous? Oui. Eh bien! regardez. Que voyez-vous?

— Je vois un vaste palais de marbre blanc, précédé de longs escaliers, de colonnes, de pilastres et de galeries, percé de larges baies et surmonté de terrasses, le tout assis dans un parc aux allées rectilignes, aux jets d'eau retombant dans des vasques de pierre ou de bronze, aux arbres soigneusement émondés, et je me demande si nous ne sommes point à Versailles. Mais, par delà la plaine immense, où le vent du Nord fait onduler la blonde draperie des moissons, j'aperçois une rangée de prés dentelés et de hautes croupes neigeuses : énorme bourrelet montagneux, qui barre au loin l'horizon. Ne serions-nous point à Lucerne, face à face avec l'Oberland bernois? Mais voici des maisons jaunes, bleues, roses, polychromes, et telles qu'on n'en voit qu'à Lisbonne ou qu'à Macao. Voici une rivière coulant à pleins bords entre de vertes prairies et des saules gracieusement inclinés : est-ce la Marne, et serions-nous à Joinville? Et je vois aussi des mosquées et des temples, des pins et des palmiers, des chevaux et des éléphants, des hommes blancs, bruns et noirs, des fez et des turbans. Où suis-je? Où suis-je?

— Calmez-vous, l'ami. Vous ne rêvez pas. Le panorama où vous embrassez d'un coup d'oeil tant de merveilles existe bel et bien

en un coin de la terre. Mais vous ne vous trouvez ni à Versailles, ni à Lisbonne, ni en Suisse, ni à Joinville. Ces blondes moissons sont des champs de cannes à sucre; ces hommes blancs, bruns et noirs, sont des touristes européens, des Sikhs, des Hindous; ces fez et ces turbans coiffent des Musulmans et des Brahmes; ces éléphants furent capturés dans la jungle voisine, et votre Oberland géant, c'est l'Himalaya. Vous voilà au nordouest de l'Inde, dans un vieil Etat sikh, protégé de l'Angleterre. Vous êtes l'hôte de Son Altesse le Maharajah-aï-rajgan Jagatjit Singh, Bahadour de Kapourthala.

Nombreuses sont les principautés de l'Inde sur lesquelles la règle britannique étend sa suzeraineté. Grands ou minuscules, bien ou mal gouvernés, Hindous ou Musulmans, amis ou douteux, les Etats feudataires occupent une superficie de six cent quatre-vingt mille milles carrés, avec une population de soixantedeux millions d'habitants. Et le problème des rapports de leurs chefs avec la métropole, qu'ils s'appellent nizams, rajahs ou maharajahs, n'est pas de ceux qui sollicitent le moins la vigilance et l'habileté des agents de l'Angleterre dans l'Inde.

Si, de tous ces princes, le maharajah de Kapourthala mérite notre spéciale attention, ce n'est pas qu'il règne sur le territoire le plus vaste, le plus riche ou le plus peuplé, ni qu'il orne son diadème des joyaux les plus rares ou les plus gros, ni même qu'il mette son orgueil, comme son « cousin » d'Haïderabad, à posséder douze automobiles, cent éléphants et trois cents femmes... Non; mais c'est en raison de l'amitié et de l'intérêt qu'Elle porte à la France, que Son Altesse Jagatjit excite notre intérêt et notre amitié.

Lorsque, remontant, de Calcutta à Péchawer, la longue et grasse vallée indo-gangétique, vous avez visité Bénarès, la ville sainte, Allahabad aux somptueux mausolées, Cawnpoure, riche en souvenirs de la guerre des Cipayes, Agra, que son Taj de marbre suffirait à immortaliser, Delhi, où tant de races, de religions et d'arts ont déposé leurs alluvions successives, poursuivez votre route

vers le Nord. Quittez, par une transition insensible, le bassin du Gange pour celui de l'Indus. Prenez le chemin de Lahore, et arrêtez-vous à la station de Kartarpoure. C'est là qu'un moto-car attend les hôtes de Son Altesse, pour les conduire, en coup de vent, à douze kilomètres, à la capitale: Kapourthala.

Kapourthala est une petite ville de cinquante à soixante mille habitants, propre, coquette, avec ses maisons de briques multicolores, habitée par des Musulmans et des Sikhs brahmaniques. Quand je vis des Sikhs pour la première fois, c'était sur la concession anglaisé de Tien-Tsin, où les Anglais les emploient comme policemen. Et, vraiment, ils avaient grande allure, ces beaux hommes, hauts, bruits, au regard droit, aux traits réguliers et, parfois, d'une extrême finesse, au collier de barbe noire élégamment calamistré, et dont le urban de lin blanc ou rose ajoutait à leur raille déjà imposante. Je ne pensais point alors que d'heureuses circonstances m'amèneraient, si loin de là, dans leur pays d'origine.

Tels je les avais vus là-bas, tels je les retrouve ici. Peuple fier, ardent, longtemps belliqueux, qui couvrit de ses exploits les vastes plaines du Pendjab et apporta aux Anglais un secours précieux pendant la guerre des Cipayes, la vie des camps lui a fait adopter des pratiques religieuses plus simples et un régime social plus égalitaire que ne le comporte le brahmanisme traditionnel. Chez eux, peint de ces innombrables rites superstitieux qui fleurissent à Bénarès, peu d'idoles, point de castes. Ils vivent, aujourd'hui, tranquilles, moins malheureux que beaucoup d'autres populations de l'Inde, sous la paternelle autorité de leurs princes, que contrôle à leur tour, mais de loin, le gouvernement anglais.

Qu'on ne se représente point, en effet, ces princes des divers Etats sikhs de l'Inde comme des despotes « asiatiques », imprégnés de préjugés d'un autre âge, inhabiles à gouverner autrement que par la crainte qu'ils inspirent et la force dont ils disposent, ignorants du monde moderne, rebelles au progrès. Rien ne serait moins exact. De cette surL'éléphant

surL'éléphant promenade des hôtes du Maharajah, devant le Palais de Justice de Kapourthala.


N° 1408

LES ANNALES

605

prenante européanisation, le maharajah de Kapourthala est la preuve la plus éclatante. Son. Altesse — puisqu'il faut l'appeler par son titre — le maharajah Jagatjit est montée sur le trône à l'âge de vingt ans. Elle en à,' aujourd'hui, trente-huit. On peut dire que, durant ces dix-huit années, son peuple n'a pas eu d'histoire, ce qui est, paraît-il, le privilège des peuples heureux. Tout au plus, au cours d'une des dernières guerres que l'Angleterre eut à soutenir contre les : Afghans, les troupes de Kapourthala eurent-elles à intervenir : aujourd'hui, sur une des places de la capitale, une colonne de marbre blanc Commémore leur héroïsme légendaire et la preuve qu'elles donnèrent alors de leur attachement loyal à la cause britannique. Cependant, le maharajah ne s'est point endormi sur ses lauriers. Il n'est pas de ces princes qui, pareils au roi d'Yvetot, se lèvent tard, se couchent tôt, et se bornent à vivoter dans une oisiveté stérile. Il n'a cessé de donner une égale attention aux affaires de ses Sujets et au progrès de sa propre culture.

Elevé par un précepteur français, dans la connaissance et l'amour des choses de France, le maharajah de Kapourthala a souvent été l'hôte de notre pays. Les loisirs que lui laisse le gouvernement de ses trois cent mille sujets, il les consacre à de longs et fructueux voyages à travers le monde : il en a rapporté, Outre un livre de route des plus captivants, un surcroît d'expérience et une variété de connaissances que sa conversation décèle bien Vite. Mais, comme tous les chemins conduisent à Paris, c'est vers ce pôle d'attraction des esprits délicats que le ramènent toujours ses plus lointaines odyssées.

Il est de ces gracieuses hirondelles d'hiver que chaque season voit reparaître sur les rives de la Seine. Maints Parisiens se rappellent sa taille élancée, sa figure brune, au nez droit, aux traits fins, encadrés d'une barbe noire, sa voix souple et sonore, parlant le français le plus pur. Notre société mondaine et même demi-mondaine, nos théâtres et même nos cabarets, nos acteurs et même nos actrices, nos boulevards et surtout les « grands boulevards », les salons où l'on cause et même ceux où l'on s'amuse, milieux artistiques et sportifs, musées, expositions, grands événements et petits potins, modes de demain et derniers romans à succès : il est peu de traits de la vie parisienne dont Son Altesse ignore. Et, dans son palais, comme dans ses somptueuses résidences de Buona-Vista, de l'Elysée, du Château, c'est le goût français qui règne en maître. Tableaux ou statues, revues ou livres, voitures ou vaisselle, tapis ou ameublement, récent palais dû à deux architectes français, comme aussi ces mille bibelots de prix élaborés par nos joailliers, nos orfèvres, nos décorateurs : bien peu manquent à l'appel, des éléments qui constituent l'essentiel de notre culture et de nos passe-temps les plus relevés. De notre fleur de civilisation une brise propice a porté jusqu'au pied de l'Himalaya les plus suaves parfums.

Ce n'est pas tout. Des quatre fils du maharajah, trois sont élevés au Collège de Normandie, ; près Rouen. L'autre, le prince héritier, après avoir, comme tout bon sujet anglais, consacré, en Angleterre, la majeure partie de sa jeunesse au cricket, au polo' et au footing, viendra incessamment achever, dans un lycée de Paris, son éducation occidentale.

Ami de la France, comment le maharajah n'eût-il point aimé les Françaises? Et qui s'étonnerait qu'il vienne d'associer à son existence une jeune Européenne, Espagnole par sa naissance et ses beaux yeux noirs veloutés,

mais Française par la connaissance de notre langue et le parisianisme de son goût exquis? Cependant si, à Kapourthala, le visiteur est enveloppé et comme baigné de l'atmosphère de la France, il y trouve aussi, à chaque pas, les traces de la vieille et riche civilisation hindoue.

Que diriez-vous, mesdames, si je vous conduisais au palais qui recèle les inestimables trésors du prince, et où art hindou et art occidental sont aussi richement réprésentés l'un que l'autre? Je vois déjà vos yeux briller de curiosité et d'envie. Voici la salle des pierres précieuses. Ah! je vous en souhaite, mesdames, des bijoux comme ceux du maharajah! Que merveilleux est son grand costume de gala, et comme vous l'aimeriez, — je veux dire le costume, sinon le prince, — les jours où Jagatjit apparaît, éblouissant, aux yeux de son peuple étonné! Haute couronne en diamants, qui se moule sur le turban et se rehausse du scintillement innombrable d'une aigrette triomphale; colliers de grosses perles, qui s'enroulent huit et dix fois autour du cou, pour retomber à profusion sur la poitrine, sautoirs d'or, de jade et d'émeraude, plaques de ceintures, criblées de larges rubis : que sais-je encore? On s'y perd, dans le flamboiement de tant de feux!

Voici la salle des bagues : les vitrines de tous les joailliers de l'avenue de l'Opéra n'en rempliraient pas la moitié. Puis, ce sont les salles de l'argenterie; puis, la vaisselle eh or massif sculpté; puis, la salle des cloisonnés; puis, la salle des tentures, des tapis, des mousselines, des châles et des velours, sur le fond desquels se détachent, en filigranes d'or, les armes du prince : un éléphant et un cheval affrontés, surmontés d'un sabre, avec la devise : Pro rege et Patria. Puis, c'est la salle des armes de l'ancien temps, poignards, sabres recourbés, fusils démesurément longs, tout incrustés de pierres précieuses. On va d'étonnement en étonnement, d'admiration en admiration. Venez donc, mesdames, faire, avec la permission du prince, — qui ne vous

sera certainement point refusée, — une visite à ces nouveaux trésors de Golconde, et vous verrez si j'exagère !

Ce ne sont point là les seules surprises que le maharajah réserve à ses hôtes. Ecuries où plus de cent chevaux de race n'attendent qu'un signe pour être montés; calèches, victorias, coupés, breaks, chars de gala, landaus et autos; parc aux éléphants, énormes bêtes qui font toujours ma joie, et qui, fastueusement caparaçonnées, iront vous bercer, à travers la jungle, du roulis des grands paquebots; chasse au canard sauvage, du haut d'une chaloupe à vapeur qui vous fait pénétrer au coeur de la forêt vierge : on se demande quelle baguette magique a pu pourvoir si pleinement à la joie des yeux, à la détente du corps, au repos de l'esprit

Aussi, comprend-on que les hôtes affluent en ce lieu béni de l'hospitalité. A l'heure de ta sieste, dans la Guest-house, je me suis amusé à feuilleter le « livre des hôtes », où ceux-ci sont priés d'inscrire, avec leur nom et leur adresse, les pensées que leur suggère le moment présent. J'eus la joie d'y rencontrer un certain nombre de noms français, attestant, par leur présence, que, si le maharajah n'oubliait point Paris, les Français, de leur côté, n'oubliaient point Kapourthala. Et leurs réflexions étaient souvent pleines d'esprit et d'à-propos, depuis la note émerveillée d'une comtesse française, qui croyait retrouver, au coeur de l'Inde, l'un des quartiers les plus select de Paris, jusqu'à la note souriante d'un compatriote déclarant que, si quelque chose pouvait réconcilier un républicain français avec la monarchie, ce serait l'accueil si vraiment princier et si cordial de Son Altesse. Mais partout, sous la variété des formules, transparaissait, avec la même sincérité, le même sentiment de gratitude et d'admiration.

Je fermais ce livre d'or de l'hospitalité, quand mon regard fut attiré par une gravure qui pendait au mur : elle avait été offerte au maharajah par un monarque d'Occident Au-dessous de la gravure s'étalait la signature de ce monarque, qui s'était fait représenter au premier rang, sous les traits d'un archange. Il menait le choeur des nations européennes et, de son épée flamboyante, leur montrait l'Asie qui s'éveillait, menaçante, dominée par un grand Bouddha accroupi. Il dénonçait le péril jaune, les hommes de couleur, les infidèles... Avouons-le! offrir à un prince asiatique cette déclaration... d'amitié à l'Asie; présenter à un chef hindou une scène en tranche-bouddhisme, de ce bouddhisme qui naquit dans l'Inde, pour essaimer de là en Extrême-Orient; se donner des allures de Croisé chrétien devant un sectateur de Vichnou : n'est-ce point là une forme très particulière de l'esprit d'à-propos, et ne pourrait-on appliquer au monarque paladin, comme au seigneur Tancrède, dans la tragédie de Voltaire, le mot fameux : le billet manquait d'adresse?...

Ainsi, tout contribue, dans cette Capoue asiatique, à mettre en relief la grâce mesurée et le charme souverain des choses de France.

Et, par l'exemple de ce lointain Etat, qu'on eût pu croire immobilisé dans des traditions séculaires ou submergé par la vague britannique, il n'était sans doute pas superflu de prouver une fois de plus aux Français, trop prompts à douter, combien notre pays, ne fût-ce que par le rayonnement de sa haute culture, exerce chaque jour davantage, à travers le monde, le prosélytisme de la sympathie et l'empire de la séduction.

HENRI LABROUE.

Une beauté sikh de Kapourthala.


606

LES ANNALES

N° 1408

QUELQUES GRANDES DAMES DE L'ARISTOCRATIE ANGLAISE

La « Season » Londonienne

Quoique attristée par le deuil de la Cour, la « saison » présente cette année, à Londres, beaucoup de mouvement et d'éclat. Nous en trouvons un tableau très animé dans le volume récemment publié par M. Raymond Recouly et intitulé : En Angleterre (in-18, 3 fr. Sol. M. Recouly est un psychologue pénétrant, un narrateur aimable, un observateur bien informé, qui a fait, si l'on peut dire, le tour de la vie anglaise, l'envisageant sous tous ses aspects. A son récit, nous joignons et offrons à nos lectrices les portraits de quelques femmes de la haute société, en qui s'incarnent l'élégance et la beauté de l'aristocratie britannique,

LA SOCIÉTÉ

J'ai pris Mme B... dans un coin du galon, et je lui ai dit :

— De grâce, ma chère madame, montrez-moi le joli petit carnet dans lequel vous inscrivez vos appointments, les thés, garden-parties, matinées, bazars, kermesses, fêtes de charité, lunchs, réceptions, bals, soupers, invitations au théâtre, bref toutes les diverses réunions que vous avez en perspective pour les deux ou trois semaines qui vont s'écouler. De grâce, de grâce, montrez-le-moi!

Mme B... est une petite femme très jolie, qui paraît grande, presque imposante quand elle est assise; dès qu'elle quitte son siège, on est tout étonné et un peu mécontent de la découvrir petite; mais elle a tant de vivacité, tant de grâce dans sa démarche, qu'on lui pardonne bien vite l'exiguïté de sa taille.

Je suis devenu l'ami de Mme B..., qui est frottée de parisianisme et qui adore parler français; pas de semaine qu'elle ne m'invite; j'allais la voir, cet hiver, durant la quinzaine qu'elle passa à Londres, dans un appartement de Charles street ; je la revis, un peu avant Pâques, alors qu'elle se préparait à partir pour le Midi; chose extraordinaire, chose inouïe pour une Anglaise, elle habitait alors sa propre demeure, une fort jolie maison de Lowndes Square,

pleine de vieilles estampes et de tableaux de prix; je l'ai retrouvée au commencement de la saison, et, dès les premiers mots, Mme B... m'a dit :

— Je vous attends à ma prochaine réception, mais n'allez pas vous casser le nez à Lowndes Square, j'ai « pris » pour deux mois un petit appartement dans Brutton street.

La petite Mme B... a donc réalisé ce tour, de force : elle a changé trois fois de logis! en six mois. A Paris, cela serait très mal vu; seuls, les étudiants du Quartier Latin et les rapins de Montmartre peuvent, sans se déconsidérer, donner tous les mois une adresse nouvelle à leurs amis.

Je connais la soeur de Mme B..., lady M..., qui vit presque toujours à Rome, son autre soeur mariée à un officier de l'armée d'Egypte; je connais aussi ses nombreuses cousines et la plupart de ses amis, hommes ou femmes. La seule personne que je ne connaisse pas dans son entourage, c'est... le mari. Il paraît être celui qui tient le moins de place dans la vie de son épouse. Que fait-il, où vit-il, cet être invisible dont la seule chose que je sache, c'est qu'il respire en quelque endroit de l'univers? Quels sont ses goûts, quelle est la couleur de sai moustache, à supposer qu'il en ait une? Aujourd'hui, pas plus qu'il y a deux ans, je ne pourrais répondre à ces questions; et même, si je restais dix ans à Londres, je sais bien que je ne serais pas plus qu'aujourd'hui en état d'y répondre.

Mais, revenons à Mme B... et à la liste de ses invitations mondaines.

Elle refusa de me le montrer tout d'abord; elle me disait :

— Je sais que vous allez vous moquer de moi, que vous m'accuserez de mener une existence bien frivole.

Je la suppliai, de n'en rien croire; je l'assurai que, seul, le désir de m'instruire sur la grande vie anglaise inspirait ma demande, en même temps qu'un sentiment très vif d'admiration envers une jolie personne que je soupçonne de vivre cette vie avec une extraordinaire intensité. Mme B... se rendit à ma raison.

— Eh bien! puisque vous désirez tant le savoir, je vais très franchement tout vous dire. Voici : J'ai déjeuné chez lord T..., Great Stanhope street, vous savez, ce jeune homme de si fraîche mine et encore imberbe, qu'on vient de nommer quelque chose dans le ministère; un déjeuner amusant au possible, parce qu'il n'y avait que nous deux de femmes, mon amie miss Irène M..., à qui je vous ai présenté, et moi. C'est une chose que vous avez dû déjà remarquer : quand il y a, dans un repas, autant de femmes que d'hommes, quand la maîtresse de maison a, avec une adresse déplorable, pourvu chaque mâle d'une cavalière et rigoureusement équilibré les sexes, eh bien! l'on s'ennuie à mourir; chacun se croit tenu de parler à sa voisine, ou à ses Voisins, et de ne parler qu'à elle. Et il ne lui dit que des banalités. Il n'y a aucune conversation générale, aucun excitement.

— Et qu'avez-vous fait, ensuite? murmurai-je, en ramenant Mme B... sur le sujet qui m'intéressait.

— Après le lunch, nous sommes allées, mon amie et moi, très loin, très loin, à Holland.

Duchesse de Sutherland.

(Phot. Rita Martin.)

Lady Dalmeny.

Vicomtesse Tiverton.

(Phot. Rita Martin.)

( Phot. Rita Martin.)


N° 1408

LES ANNALES

House, voir les fleurs magnifiques qu'exhibe ord I... et assister au commencement de la

ente de charité ouverte par la duchesse de Connaught. Oh! si vous n'avez pas vu les

leurs, les serres et les parcs de Holland House, allez-y sans faute; la fête dure encore demain et vous serez émerveillé. Il y avait me garden-party chez M. O..., le riche banquier de la Cité, dans son parc de Notting Hill Gate. Connaissez-vous M. O...? Vous savez qu'il est quaker et, comme tous les quakers, extrêmement fort en affaires, possesseur d'une énorme fortune. Son parc est magnifique (la maison date de l'époque géorgienne) ; nous avons fait le tour des pelouses ; nous avons vu des groupes de ravissantes fillettes qui, toutes vêtues de blanc, dansaient gracieusement sur le gazon très vert.

— Et après?

— Après, nous avons, en passant, jeté un coup d'oeil à l'exposition de broderies et de dentelles, dans la maison de Mme H..., l'authoress célèbre. Mme H... a fondé des écoles pour les orphelins et les enfants abandonnés et elle montre, tous les ans, les ouvrages de ses protégés.

— Et après?

— Eh bien! mais je suis venue ici prendre le thé, chez mon excellente amie, et je serais déjà partie sans vos questions indiscrètes; car j'ai encore une visite à faire, une importante visite. Il faut aussi que je dépose trois Ou quatre cartes, sur mon chemin. Mais cela ne me retardera guère. Le temps de m'habiller et nous allons dîner avec maman chez les S..., qui nous conduisent, ensuite, dans leur loge, à l'Opéra. Vous y viendrez, sans doute : la Cavalieri débute dans la Tosca; on dit qu'elle va montrer, au deuxième acte, pour plus de deux millions de diamants. Tout le monde sera là : il est certain que le roi et la reine ne manqueront pas la représentation.

— Je parie que vous n'irez pas vous coucher après cela. Dieu sait, pourtant, si vous aurez gagné le repos.

— Bien sûr que non, dit en souriant Mme B..., c'est ce soir le premier des quatre at home de la duchesse de S..., une chose toute nouvelle à Londres. C'est un essai de salon littéraire : il y aura des artistes, des hommes de lettres, des politiciens, des gens du monde; je tiens beaucoup à voir cela.

— Récapitulons, fis-je en comptant sur mes doigts : Lord T..., Great Stanhope street; les fleurs de Holiand House; la garden-party du quaker; les dentelles de l'authoress; le thé chez votre amie; la visite et les courses avant le dîner; le dîner en ville et l'Opéra; l'at home littéraire de la duchesse; en tout, huit social fonctions, comme vous dites. Et encore ne m'avez-vous point parlé de votre matinée. Comment l'avez-vous employée?

— Oh! pas la peine d'en parler, seulement deux petites visites à des vernissages d'expositions particulières dans Bond street.

— C'est, en effet, peu de chose. Et vous recommencez demain?

— Sans doute; et, même, je crois me souvenir que demain est une journée terriblement chargée, beaucoup plus qu'aujourd'hui. Surce, je me sauve; vous m'avez fait trop longtemps bavarder.

Il y a, à Londres, quelques milliers de personnes qui, du commencement de mai à la fin de juillet, mènent une existence toute pareille à celle de Mme B..., qui, comme elle, se multiplient et se fatiguent comme elle.

Heureusement, la saison proprement ■ dite ne dure pas au delà de sept à huit semaines, si l'on en déduit les quelques jours de repos de la Whitsuntide (Pentecôte), qui forme comme l'entr'acte de cette longue représentation. Sans cela, il n'est aucune de ces jeunes femmes, fût-elle la plus résistante, qui fût capable d'y résister.

Les Anglais, en matière de réunions et de divertissements sociaux, pratiquent la méthode employée dans quelques-unes de leurs établissements scolaires, celle du cramming (bourrage); elle consiste à entasser, à accumuler dans un mois ou deux assez de dîners, de réceptions et de bals pour occuper ailleurs une année entière.

L'Anglais des hautes classes n'aime pas à vivre dans sa capitale; il préfère de beaucoup le séjour à la campagne ou les voyages. Mais les exigences de la vie sociale, la nécessité de rencontrer les gens de son monde, l'obligent à venir à Londres, cependant. Il s'arrange donc pour profiter le plus qu'il peut de ce séjour obligatoire.

La saison londonienne s'explique aussi par autre chose qui, en Angleterre plus encore que partout ailleurs, est la saison suprême de tout : une question d'argent. L'existence dans une grande ville, telle que les riches Anglais la conçoivent, avec tout ce qu'elle entraîne de dîners, de réceptions, de concerts, coûte effroyablement cher. Il est donc nécessaire d'en abréger le plus possible la durée. On peut ainsi dépenser plus largement, puisqu'on dépense en quelques semaines une partie des revenus de l'année.

Bien des familles de la société se dispensent ainsi d'entretenir à Londres une maison coûteuse. Elles en louent, elles en prennent une, comme on dit ici, seulement pour la durée de la saison.

RAYMOND RECOULY.

QUELQUES GRANDES DAMES DE L'ARISTOCRATIE ANGLAISE

Lady Evelyn Guinness.

(Phot. Rita Martin.)

Lady Béatrice Herbert.

(Phot. Rita Martin.)

Duchesse de Marlborough.

(Phot. Lallie Charles.)

607


Version Française

DE

MAURICE VAUCAIRE

MANON LESCAUT

Menuet de Manon

Musique

DE

G, PUCCINI

Publié avec l'autorisation de G. Ricordi et Cie, éditeurs, 62. boulevard Malesherbes, Paris. Copyright 1906 by G. Ricordi et Cie.


N° 1408

LES ANNALES

609

LA FÊTE

de l' " Université des Annales »

C'est à Bellevue, dans les Orangeries du dauphin, à deux pas de cet Observatoire dont M. Deslandres est le savant directeur, que — grâce à la généreuse hospitalité de M. Deslandres, autorisé par M. le ministre de l'instruction publique — fut donnée la fête annuelle de l'Université des Annales, fête intime, disait l'invitation, et ce fut vrai, car les huit cents personnes qui s'engouffrèrent sous les tentes de coutil rose semblaient toutes se connaître et sympathiser. Le soleil, par hasard, fut de la fête et éclairait de ses rayons un jardin dessiné à la française, au milieu duquel un bassin paisible reflétait délicieusement les pivoines épanouies fleurissant les allées.

...Des autos, des grands breaks, ne cessent d'amener des convives. Les nommer tous, il n'y faut pas songer. Tout Paris est là... La charmante Mme Deslandres aide Mme Brisson à faire les honneurs; des académiciens : Paul Hervieu, Jean Richepin, Jean Aicard, Marcel Prévost; des membres de l'Institut : Henry Roujon, Anatole Leroy-Beaulieu, Denys Puech, Henri Welschinger, Carpentier; des littérateurs : le toujours jeune et spirituel Adrien Hebrard, Joseph Reinach, Bailby, René Baschet, Quinton, Zamacoïs, Fernand Vandérem, M. Sylvain, ministre plénipotentiaire

plénipotentiaire Paul Adam, Funck-Brentano, Georges et Henri Cain, Henry Lapauze, Mme Daniel Lesueur, la charmante baronne de Pierrebourg, Gaston Rageot, Paul Ginisty, Gaston Deschamps, Mmes Alphonse Daudet, Gustave Mesureur, Hélène Vacaresco; MM. Adrien Bernheim, Léopold Mabilleau, Pierre Wolff, Gabriel Nigond, Henry Marcel, Gaston Berardi, Johanidès, André Mesureur; des poètes: Auguste Dorchain, Fernand Gregh, et le jeune et célèbre Abel Bonnard, et des éditeurs: Fasquelle, Taillandier, Richet, Grasset, Mirville; et des musiciens : Raoul Pugno, Diémer, Alfred Bruneau, Alexandre Georges; Mmes Leygues, Th. Delcassé, Ambroise Thomas, Lafont, Hochon, Dettelbach, Orosdi, de Teffé, Lazare Weiller, la vaillante Mme Poilpot avec tout son essaim de filles, de l'Orphelinat des Arts; Franck-Puaux, la présidente des Colonies de Vacances. Et Montmartre, venu à Meudon avec Fursy, Dominique Bonnaud, Jules Moy; et le théâtre représenté par les plus jolies artistes et les meilleurs comédiens de Paris, depuis le cher doyen Mounet-Sully jusqu'au premier prix de l'an dernier.

Je renonce à citer les célébrités. Parmi les huit cents personnes présentes, il n'en était pas une qui n'évoquât dans les lettres, les arts ou le monde, l'idée de quelque gloire. Les jeunes Universitaires semblaient réjouies d'un voisinage aussi illustre, et en perdirent un peu la notion de la discrétion. Elles firent, sans scrupule, la chasse à l'autographe.

Le président de la République du Brésil,

le maréchal Hermès de Fonseca, avait bien voulu honorer de sa présence cette réunion, et témoigner ainsi de l'intérêt qu'il prenait aux Lettres françaises. Il était accompagné de sa suite : M. le docteur A. de Vasconcellos, son neveu; de M. de Teffé von Hoonholtz et de sa ravissante femme, Mme de Teffé.

M. de Teffé eut la bonté de nous dire que l'Université des Annales était très connue et appréciée au Brésil, et que c'était la raisou pour laquelle le maréchal Hermès de Fonseca avait daigné accepter l'invitation faite par l'Université.

Après le déjeuner, très animé, et pendant lequel le quatuor vocal de Desgranges se fit entendre, les invités passèrent sous des chemins ombragés jusqu'au théâtre de verdure, où Jean Richepin fit applaudir une magnifique

Les breaks attendant l'heure du départ.

Devant l'hôtel des Annales.

Le nouveau château, devenu l'Observatoire.

L'ancien château, datant de 1803.

L'Orangerie et les parterres.

LES CHATEAUX DE MEUDON

L'Orangerie de Monseigneur le Dauphin.


610

LES. ANNALES

N° 1408

conférence sur les hôtes illustres de Meudon. On l'acclama. Les Universitaires, qui ont pour lui une admiration sans bornes, lui témoignèrent, par des applaudissements enthousiastes, toute leur gratitude. Puis, Mlle Lifraud, de sa voix ingénue et charmante, lui débita un « compliment », qui parut le toucher, et le concert improvisé commença.

C'est, d'abord, la spirituelle Marie Leconte, de la Comédie, et M. Weisweiller, un amateur exquis, qui chantent des duos du dix-huttièmej siècle; puis Louise Balthy, émouvante dans) la Chanson de la Glu, de Jean Richepin, impayable dans la Tyrolienne, bissée d'enthousiasme. C'est encore Mlles Géniat et Robinne, qui dansent, le plus gracieusement du monde, un menuet ancien ; Mme Adiny-Millet, qui fait frissonner tout le public par le splendide Hymne au Soleil de Jean Richepin,

mis en musique par Alexandre Georges, et le beau cri de la Walkyrie, dans la fameuse) Chevauchée. Puis, Fursy chante une amusante chanson. Galipaux dit une « galipette », et; comme l'heure s'avance, on va goûter sous de beaux ombrages.

A ce moment, M. Lazare Weiller annonce] une nouvelle qui est accueillie avec des transjoie. Au lieu de rentrer directement à Paris, on va traverser, en voiture, les bois de Villebon et se diriger sur le champ d'aviation de la Compagnie de Navigation Aérienne, sis à Villacoublay, où l'aimable directeur, M. Géo Tharel, nous attend, et si les vents sont favorables, nous promet le comte de Lambert.

Les jeunes Universitaires courent en farandoles,

farandoles, breaks, les prennent d'assaut, et rien n'est plus joli et gracieux que

cette théorie de jeunes filles, vêtues de robes claires, fuyant sur les pelouses vertes, dans un décor de féerie.

Quoique l'aviation soit la passion, la fureur de l'an 1910, peu de personnes avaient eu le spectacle réel d'un vol dans l'espace. Ce fut une révélation soudaine, et comme une griserie.

Quand on vit le comte de Lambert s'élancer dans la nue et glisser sur un chemin invisible, un cri d'admiration sortit de toutes les poitrines. On courait à la poursuite de cet oiseau enchanté, qui, fier et léger, éployait ses ailes dans le ciel.

MM. Lazare Weiller, Deutsch de la Meurthe, Quinton (les apôtres de l'aviation), semblaient ravis de l'initiation enthousiaste de ce jeune public. Jean Richepin, Jean Aicard, MounetSully, ne s'extasiaient pas moins de cette conquête inouïe qui transforme jusqu'aux rêves, et réalise un des plus beaux qui soient sur terre : avoir des ailes.

L'enchantement fut complet. Les « Vive Lambert! » accueillirent les vols en hauteur, les vols planés et toutes les prouesses du jeune héros, et, quoiqu'il volât bien haut, bien loin au-dessus de nous, il semblait qu'un lien électrique le mît tout près de nos coeurs. Quand, partis à regret, et remontés dans nos guimbardes vieillottes et cahotantes, nous vîmes le bel oiseau fendre les airs et suivre, souple, gracieux, nos convois démodés, nous eûmes la vision d'un monde nouveau regardant triomphalement les vestiges de l'ancien.

Un poète de Haïti, M. Edmond Laforest, flous écrivait, au lendemain de la fête, ses impressions :

« L'apothéose finale, où le comte de Lambert, en des vols savants, déployant des ailes audacieuses vers le soleil, me paraissait symboliser avec éclat vos efforts et ceux de vos éminents collaborateurs pour élever l'âme de la jeunesse française, l'âme collective de la grande France, à un idéal de beauté lumineuse et virile. »

On ne saurait mieux exprimer nos sentiments, et nous sommes heureux que notre fête ait eu le succès que nous espérions. C'est-à-dire l'amitié sincère des illustres amis qui ont bien voulu en être l'éclat.

SERGINES.

L'arrivée sur la terrasse de Meudon.

Après le déjeuner. — Vue générale prise de la terrasse.

Le déjeuner. — Un coin de la tente devant l'Orangerie.


N° 1408

LES ANNALES

611

Le Château de Meudon

Le cadre où se donnait, cette année, la fête de l'Université des Annales, évoque mille souvenirs. Les ombres de Louis XIV et de son fils, le Dauphin, habitent encore ces lieux charmants. Avant le Dauphin, le ministre Louvois y avait fixé sa rési-' dence, et construit un château aujourd'hui disparu. La Bruyère fréquentait chez Louvois. Lorsqu'il écrit : « Je dînai hier à Tivoli, j'y soupe aujourd'hui ", il entend parler de Meudon. Victor Hugo nous le fait comprendre quand, dans les Voix Intérieures, il s'adresse à Virgile :

Et quand je dis Meudon, supposez Tivoli.

Après la mort du ministre, son domaine fut acquis par Louis, dauphin de France, fils unique du roi et de Marie-Thérèse. Le Nôtre redessina tes jardins. Louis XIV meubla magnifiquement les appartements, où le prince venait se délasser de l'étiquette de Versailles... Bientôt ils devinrent trop petits. Un nouveau palais fut construit par Mansard. Ce sont les bâtiments dans lesquels est installé, aujourd'hui, l'Observatoire. M. le vicomte de Grouchy en a conté l'histoire attachante et curieuse. Nous empruntons au livre qu'il a consacré aux sites de Meudon et Bellevue ces détails intéressants. .. Le château, jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, demeura intact :

Le petit château avait échappé au vandalisme révolutionnaire. L'empereur le fit restaurer. Un de ses projets avait été d'y fonder une école de rois, où il aurait fait élever ensemble les héritiers des trônes de l'Europe.

l'Europe. ne sait que trop pourquoi ce projet n'eut pas de suites.

Napoléon établit, en septembre 1806, sur les hauteurs de Trivaux, un camp de 10,000 hommes destinés à l'instruction de son beaufrère, le prince Borghèse, qui, pourtant, n'avait rien de militaire, et qui logea au château.

A son retour de Prague, Marie-Louise s'y, installa avec son fils et y resta jusqu'au mois de mai 1812. Le roi de Rome se promenait dans le parc, dans une petite voiture, que traînaient des chèvres aux cornes dorées, présent de la reine de Naples.

Catherine de Wurtemberg, reine de Westphalie, chassée de Cassel par les événements, se réfugia à Meudon en août 1813.

En 1814, cet endroit-ci eut à loger un grand nombre d'alliés. Du 11 avril au 30 mai, il fut réquisitionné par les soldats de Barclay de Tolly. Les cosaques et les grenadiers russes s'y installèrent et s'y conduisirent forf mal.

L'année suivante, le pays eut à souffrir des Prussiens. Blücher, qui opérait sur la rive gauche de la Seine, éprouva une vive résistance de la part des débris de nos troupes,

François Rabelais.

Mlle Marie Leconte.

(Phot. H. Manuel..

Mme Balthy. (Phot. Reutlinger.)

Mlle Géniat.

(Phot. Reutlinger.)

Mlle Robinne.

(Phot. Blutlinger.)

Pendant la causerie de M. Jean Richepin.

M. Léopold Mabilleau.

M. Pierre Wolff. M. Paul Hervieu.

{Instantanés de M. René Thorel.)

Mlle Lifraud. (Phot. Reutlinger.,

Mme Adiny-Millet.

(Phot. Nadar.)

M. Fursy.

(Phot. Sartony.)

M. Galicaux.

(Ph t. Nadar.)


612 *

LES ANNALES

N° 1408

commandés par les généraux Vandamme, Exelmans et Labédoyère. Le 3 juillet, les hauteurs de Meudon et de Saint-Cloud furent le théâtre d'une fusillade meurtrière; les ennemis ne purent être délogés de la terrasse où ils s'étaient retranchés ; ce même jour, on signa la convention qui mettait fin aux hostilités. Cependant, les habitants furent désarmés et le village pillé par les Anglais.

En sortant de la Malmaison, pour se rendre à Rochefort, l'empereur monta incognito la grande avenue du château de Meudon, suivit la petite route derrière l'ancienne sablonnière

de la verrerie de Sèvres et traversa la forêt jusqu'au Petit-Bicêtre, où il rejoignit la route de Rambouillet.

A la Restauration, aucun des princes n'habita le palais, que le comte d'Artois et le duc de Berry, qui ne le prirent que comme rendez-vous de chasse.

En août 1831, durant la guerre civile qui désolait le Portugal, Dom Pedro et sa fille Dona Maria da Gloria y reçurent l'hospitalité. Le duc d'Orléans fut, plusieurs fois, mis aux arrêts par Louis-Philippe, au château, à cause des fredaines amoureuses de ce prince trop charmant.

Le docteur Robert a publié, en 1843, une étude sur Meudon; selon lui, dans la commune, ont habité le général Schérer, le maréchal

maréchal le maréchal Berthier, et, plus tard, le comte Bresson, celui qui fit les mariages espagnols, et dont le frère était curé de Meudon.

Redouté, le délicat peintre de fleurs, et Michelot, du Théâtre-Français, vécurent à Fleury.

Meudon réclame encore le général de Montserrat, le député Méchin et le général Lejeune, qui maniait si bien le pinceau, malgré la cruelle blessure qu'un braconnier, dans le parc de Grosbois, lui avait faite à la main droite.

A Bellevue sont venus en villégiature M. Lemaire, auteur des classiques latins; Mlle Rachel, M. Montrose, M. Rogier, ambassadeur de Belgique, et M. le baron de Bussière, qui représenta la France à la Cour de Saxe et dont la maison avait été celle du médecin de « Mesdames ».

Il y a toujours eu, on le voit, fort bonne compagnie en ces lieux.

Au second Empire, le château devint Tapanage de l'ex-roi de Westphalie Jérôme, et, après sa mort, à Vilgenis, en 1860, du prince

Napoléon, son fils, par les ordres duquel on changea fort malencontreusement l'ordonnance des quinconces de la terrasse. Mme la princesse Clotilde y habita aussi avec ses enfants, dont l'un, le prince Louis, y naquit le 16 juillet 1864.

Pendant la fatale année 1870, après le combat de Châtillon, on organisa un simulacre de défense à Meudon. Les Allemands en délogèrent facilement nos troupes, s'y installèrent et accumulèrent sur la terrasse une grande force d'artillerie, qui bombarda Paris.

Ce fut lors de ce premier siège que le château fut incendie.

A la Commune, l'armée de Versailles occupa les hauteurs et utilisa les travaux allemands.

Pendant ces deux périodes, il se livra par ici de nombreuses escarmouches.

Ensuite, un camp fut élevé sur la terrasse et au haras; une chapelle de bois, datant d'alors, existe encore près des bâtiments incendiés.

Ce qui reste du château construit par le grand dauphin est devenu un observatoire sous l'habile direction de M. Janssen, à qui a succédé l'éminent M. Deslandres.

Vicomte DE GROUCHY.

M. Lazare Weiller.

M. Louis Diémer.

Un vol du comte de Lambert, en présence des invités des Annales, au champ d'aviation de Villacoublay.

Le comte de Lambert.

M. Raoul Pugno.


N° 1408

LES ANNALES

613

Histoire

de la Semaine

ETRANGER

Le Désastre Italien

Notre soeur latine est de nouveau crucifiée dans sa population, de nouveau atteinte dans sa prospérité. Pour la quatrième fois depuis cinq ans, un tremblement de terre ruine le sol italien. Après la Calabre, c'est au tour de la Campanie, ce jardin de la péninsule, d'être secouée par un mouvement sismique. Les trois villes de Calitri, d'Avellino et de Bénévent ont particulièrement souffert. Déjà, en 1885, la première avait été endommagée par une convulsion du Vésuve, mais sans accidents de personnes, tandis qu'aujourd'hui les morts et les blessés sont nombreux. Partout, ce fut un lamentable exode vers la campagne; et, comme le grotesque voisine toujours avec le tragique, on raconte qu'à Bénévent quelques braves gens, dans leur affolement, se ruèrent hors de leurs maisons en un costume tout adamique. Faut-il ajouter que le roi et la reine d'Italie étaient dès le lendemain sur le lieu de la catastrophe, apportant à tous le réconfort de leur présence et de leur bonne parole?

Victor-Emmanuel voulait partir seul; mais la souveraine représenta qu'étant la première aux fêtes, elle devait être la première aussi là où l'on meurt, là où l'on pleure. Belles paroles, qui accroissent encore les sympathies de l'Europe pour l'Italie en ce deuil.

FRANCE

Le Roi de Bulgarie en France

Le roi Ferdinand de Bulgarie sera, dans une dizaine de jours au plus, l'hôte de la France, et son hôte bienvenu et fêté. Comment en pourrait-il être différemment, puisque son premier voyage, après les visites à SaintPétersbourg et à Constantinople, où l'appelaient des raisons particulières, est pour nous? Puis, en dehors d'une intention si marquée, toutes les sympathies ne vont-elles pas à ce petit-fils de Louis-Philippe, à ce prince si français lui-même et qui ne perd aucune occasion de rappeler les liens qui l'attachent à notre pays? Il aime à parler français, et, de toutes les décorations qu'il possède, celle qu'il prise le plus, qu'il porte de préférence, est celle de la Légion d'honneur. C'est lui qui, à Ccbourg, le matin de l'enterrement de sa mère, la princesse Clémentine, montrait au duc de Luynes, sous son uniforme, chamarré d'ordres saxons, le grand cordon de la Légion d'honneur, celui que son père avait jadis porté aux Tuileries, en ajoutant:

— Comme cela, elle aura toujours quelque chose de là-bas.

Là-bas, c'est la France, c'est notre Paris, qui, ces journées prochaines, n'oubliera pas ce propos d'un souverain si intimement resté de coeur avec nous sur un trône étranger, qui le lui montrera dans son accueil et ses acclamations.

Un Triomphe de l'Aviation utilitaire

L'aviation militaire n'est plus une vague promesse, la chose incertaine et seulement sur le papier que d'aucuns prétendaient. Elle Vient d'entrer, d'une manière absolument magnifique, et à vrai dire glorieuse, dans le domaine de la réalité.

Deux officiers, le lieutenant Féquant et le capitaine Marconnet, ont accompli cet exploit prodigieux — et le premier, sans doute, d'une

série — d'aller en aéroplane du camp de Châlons au polygone de Vincennes, d'un seul vol, sans dévier, couvrant les 160 kilomètres qui séparent Mourmelon-le-Grand du vieux donjon parisien en deux heures et demie, et battant ainsi le record du monde. Certes, Je raid Londres-Manchester fut de beaucoup plus long; mais on sait que l'heureux Paulhan l'accomplit en deux étapes.

Très prudemment et très inutilement, d'ailleurs, Féquant et Marconnet avaient installé un poste de ravitaillement vers le milieu de leur parcours, à Rebais. Tout marcha, ainsi qu'ils le déclarèrent joyeusement à leur descente, « comme sur des roulettes », et c'est à regret que le chef de bord « coupa l'allumage ».

Du reste, comment n'auraient-ils pas réussi, puisque, sur leur route, ce n'était qu'un tas de noms de victoires françaises : Champaubert, Vauchamps, Montmirail, dont le cher souvenir leur soufflait l'énergie et l'audace?

Cette randonnée sensationnelle, ils la projetaient depuis longtemps. Et même l'eussent-ils tentée dès le mois dernier, si l'appareil qu'ils montaient n'avait été d'un type un peu lourd et trop ancien. Ils préférèrent attendre d'être en possession d'un biplan nouveau, muni des derniers perfectionnements, et, après deux vols d'essai, l'un autour du camp de Châlons, l'autre de Bouy à Reims, avec retour par la vallée de la Vesle, ils n'attendaient plus qu'une embellie du ciel pour partir. Le but de leur voyage n'était pas simplement sportif, mais essentiellement militaire.

Et, en effet, il apporte la preuve que l' « observateur» (ce fut, en l'espèce, le capitaine Marconnet) peut, sans aucune gêne, reconnaître le terrain au-dessus duquel il passe, et même photographier des endroits convenus.

Pour indiquer en toute aisance à son pilote la route à suivre, le capitaine Marconnet avait, détail amusant, disposé sa carte sur le dos même du lieutenant Féquant, et un ingénieux dispositif la déroulait au fur et à mesure du chemin.

Enfin, les deux officiers communiquaient au moyen de deux « écouteurs » très habilement imaginés et fixés au képi du lieutenant Féquant. Le moteur avait beau ronfler, une petite tresse conductrice, en gomme laquée, apportait à l'oreille du « pilote » les indications du « voyeur ».

Le lieutenant Féquant n'a que vingt-quatre ans; et c'est lui qui, déjà, la semaine dernière, avait piloté le ministre de la guerre en aéroplane. Ni lui ni le capitaine Marconnet ne gagnent, à leur exploit, les belles bourses que vous savez; mais la Légion d'honneur leur est officiellement promise et, vraiment, ils l'ont bien méritée.

Le Pluviôse

La mer s'est enfin laissé arracher sa proie! Mais après quelle bataille entre elle et les sauveteurs! Tour à tour sournoise ou brutale, elle détruisait en une seconde le résultat de longues journées de travail et d'efforts, et, à vrai dire, l'horrible lutte aura duré dixsept jours. Par deux fois encore, les chaînes si péniblement maillées sur le long sarcophage d'acier se rompirent, et, comme la première fois, tout fut à refaire.

Il fallut le dévouement inlassable des scaphandriers, l'héroïsme de braves gens comme les maîtres vétérans Alix et Dorange, comme le quartier-maître Huet, et comme leurs camarades Callou, Rousseville, Rumal, Giacolette et Corlouer, il fallut toute l'obstination de l'amiral Bellue et du commandant Amet pour reprendre à la « gueuse » la douloureuse épave.

Cette longue lutte, ces ruptures perpétuelles de chaînes, s'expliquent, d'ailleurs, par la continuité du « gros temps » et par la nature même du terrain où le submersible s'était de nouveau enlizé. Dans l'eau bourbeuse, les scaphandriers travaillaient à l'aveuglette, et les chaînes, maillées de manière imparfaite, se cassaient à la moindre tension.

Enfin, au moment où la population de Calais commençait à désespérer, un dernier effort permit de soulever définitivement le Pluviôse et de l'amener dans l'avant-port.

Mais de quelle angoisse, de quelle émotion ne fut pas chargée l'heure que dura cette suprême étape! Un accident banal, la plus petite fausse manoeuvre, n'allaient-iis pas tout compromettre encore une fois?

Ce fut dans un silence accablant, dans un silence presque douloureux, que la foule vit la flottille émerger des brumes de la nuit, gagner, atteindre le chenal, le traverser, puis amener à quai la dépouille du petit destroyer. Le spectacle était si émouvant que des femmes se jetèrent à genoux en pleuLes

pleuLes de terre en Italie. Autel improvisé à Vallata ; les paysans prient devant les ornements de l'église, transportés au dehors.


614 *

LES ANNALES

N° 1408

rant. Et jamais, comme on l'a dit, la pompe des plus éclatantes funérailles n'égala peutêtre en majesté l'entrée, dans le port de Calais, de ce long convoi funéraire de remorqueurs et de chalands, de ce « corbillard dont le drap mortuaire était fait de flots mouvants ».

La minute ne fut pas moins impressionnante pour tout le monde quand, à la marée basse, le flot découvrit le long et grêle fuseau d'acier aux plaques enfoncées, crevées, et pareil à une bête morte.

Hors la coque, tout est détruit. Il n'y a plus ni brise-lame, ni gouvernail. Une des brèches ne mesure pas moins de quatre mètres et l'on devine quelle a pu être, par cette blessure, la ruée de la mer.

Quant à la triste et lugubre besogne, la sinistre manutention qui consiste à extraire les victimes, il faudrait, pour la décrire, la plume d'un Baudelaire. Le premier cadavre sorti de l'horrible charnier fut celui du quartier-maître timonier Le Breton, pauvre mathurin qui en était à sa première plongée le jour de la catastrophe et que l'on a retrouvé dans le capot, auprès de la roue de gouvernail, à son poste. Le second fut celui de l'enseigne Engel, qui ne put être reconnu qu'à ses deux galons. Il était, lui aussi, à son poste. Après le malheureux et jeune officier, les infirmiers, dont le dévouement n'est pas à dire, ont retiré les restes informes du quartier-maître torpilleur Liot, du second maître mécanicien Manach, puis ceux du commandant Callot, que l'on a retrouvé également à son poste, les deux mains sur le levier de manoeuvre du périscope.

Au fur et à mesure que les malheureuses victimes, dont une partie reposait dans la chambre de manoeuvre, étaient sorties de leur tombe de boue, un officier recouvrait leur cercueil du drapeau tricolore, premier hommage du pays, en attendant celui, plus éclatant encore, des funérailles.

S'il est, au milieu de ces tristesses, une consolation, c'est de savoir que l'infortuné équipage du Pluviôse n'a pas longtemps souffert. Des constatations des médecins, il résulte, en effet, que la mort est venue rapide, par immersion. La preuve en est fournie, d'ailleurs, par la montre elle-même de l'enseigne Engel, qui s'est arrêtée à deux heures dix,

c'est-à-dire douze minutes après la catastrophe.

la Déclaration Ministérielle

La nouvelle Chambre est, aujourd'hui, une grande personne, une Assemblée qui s'est non seulement définitivement constituée, mais avec laquelle le gouvernement a pris contact, une Assemblée qui, déjà, discute et interpelle. Ce n'est pas une tâche facile que d'aborder cet instrument imprécis et délicat qu'est une Chambre fraîchement élue, et le président du Conseil y a dépensé toute la prodigieuse souplesse de sa parole. Il est d'ailleurs resté, dans ses déclarations, fidèle à ses précédents discours de Périgueux et de Saint-Chamond. Il y a renouvelé son désir d'apaisement et sa volonté de faire de la République un gouvernement de justice et de liberté toujours plus large, où celles-ci ne soient pas « l'apanage de quelques-uns ». Ce qu'il allait dire de la réforme électorale était très attendu et sans doute qu'il a satisfait les proportionnalistes les plus déterminés. Il lui paraît urgent d'élargir le scrutin et de

faire passer l'intérêt général avant les intérêts particuliers; car, dit-il, « le scrutin d'arrondissement, pour avoir trop rétréci le champ de vision des élus et des électeurs, a fini par engendrer des abus dont la prolongation serait dangereuse pour le régime ».

Il ne prétend, d'ailleurs, aborder le scrutin de liste qu'avec beaucoup de prudence et en restant fidèle au principe majoritaire. Son programme comporte aussi une simplification notable de l'administration et l'accès de la propriété aux moins fortunés.

Attaché à la paix extérieure comme à la paix intérieure, M. Briand, enfin, veut une France militairement forte.

« La France, a-t-il déclaré, a contracté une alliance et des amitiés; mais de telles ententes supposent qu'elle est elle-même capable de tenir son rang dans le monde. La valeur de son concours se mesure à sa force, et c'est de sa part un devoir de loyauté vis-à-vis de son allié et de ses amis que de garder cette force intacte. » .

JACQUES LARDY.

L'épave du Pluviôse et les travaux pour sortir les cadavres, en présence des amiraux Boue de Lapeyrère et Bellue.

Les scaphandriers Caillou, Alix, Huet et Giacollette, que le ministre a récompensés.


N° 148

LES ANNALES

615

Mouvement

Scientifique

ACTUALITÉS

La Gloire a un Savant Pauvre

Une noble fête vient d'avoir lieu... C'est le banquet que le comité des Forges de France et diverses chambres syndicales offraient, sous la présidence du ministre des travaux publics, au métallurgiste Pierre Martin.

M. Pierre Martin, qui ne pouvait, en raison de ses quatre-vingt-cinq ans, assister à ce banquet, y fut reçu par des applaudissements prolongés au moment des toasts. Une médaille d'honneur lui fut remise par M. Eugène Schneider, au nom du comité des Forges de France, au nom des chambres syndicales des constructeurs et métallurgistes, des chemins de fer, du matériel de guerre et des constructions navales, et au nom des groupements métallurgistes de France, d'Angleterre, de Belgique, d'Allemagne, d'Autriche, de Hongrie et d'Italie.

M. Le Chatelier, membre de l'Institut, fit l'historique de la découverte, et le docteur Schroedter, directeur général du Verein Deutscher Eisenhüttenleute, parla ensuite au nom des Aciéries d'Allemagne. M. Lloyd, secrétaire de l'iron and Steel Institute; M. Greiner, directeur du Comptoir des Aciéries Belges, leur succédèrent.

M. Millerand, ministre des travaux publics, prit enfin la parole.

« Le gouvernement, dit-il, ne pouvait être absent de ce banquet. II se devait d'associer la France à la touchante et significative cérémonie qui réunit ce soir les représentants de la métallurgie française et étrangère autour du doyen illustre et vénérable, qui,, voici tantôt un demi-siècle, a révolutionné, par son génie, la production de l'acier.

» L'acier Martin, même aux oreilles profanes, ces mots sonnent, tant nous avons coutume de les entendre répéter avec l'éclat

d'une grande et puissante découverte. Plus importante, en effet, qu'on ne saurait l'imaginer, si l'on songe qu'en trente années seulement, de 1880 à 1910, la production de l'acier Martin a passé, en France, de 160,000 tonnes à près de 1 million de tonnes; en Allemagne, de 36,000 tonnes à près de 4 millions de tonnes; en Angleterre, de 225,000 tonnes au même chiffre de 4 millions de tonnes; aux Etats-Unis, de 102,000 tonnes

à 8 millions de tonnes, et, pour la production universelle, de 642,000 tonnes à 18,925,000 tonnes. Si bien qu'en 1908, l'acier Martin représentait 51 % de l'acier de toutes catégories produit dans le monde entier.

» Devant ces chiffres éloquents, comment les compatriotes de Pierre Martin, et plus encore ses collègues, se défendraient-ils d'une légitime fierté ?

» La grande famille des ingénieurs français revendique, en effet, Pierre Martin pour un des siens; il lui appartenait, si j'ose dire, par droit de naissance.

» Ses grands-pères paternel et maternel, son père, son oncle, eurent leurs noms associés en tête de notre Ecole polytechnique, comme au développement de quelques-unes de nos plus grandes entreprises industrielles, telles que le P.-L.-M. et Fourchambault.

» Ce n'est pas diminuer le mérite du grand inventeur que nous fêtons ce soir, c'est, j'en suis sûr, répondre à ses voeux intimes, qu'associer à sa gloire ceux qui portèrent le nom qu'il a illustré, et qui, soit par leur influence directe, soit par les vents mystérieux de l'hérédité, contribuèrent à former son génie.

» Le pays, monsieur, vous est reconnaissant, moins encore des profits énormes que lui a, sous toutes ses formes, apportés votre découverte, que du surcroît de gloire qu'elle lui a valu, et dont la présence à cette fête des représentants de l'industrie étrangère nous est un précieux témoignage.

» Aussi, est-ce avec la conviction d'acquitter une dette nationale que j'ai la joie, au nom de M. le président de la République, de vous remettre, monsieur, la croix d'officier de la Légion d'honneur. »

Ajoutons quelques mots à ce discours.

Pierre Martin, qui fit gagner des centaines de millions aux métallurgistes, vit dans une condition voisine de la gêne... Pourquoi? C'est la faute de la législation expropriatrice dite de la propriété industrielle en matière de brevets d'invention. Pierre Martin n'était pas riche; le peu qu'il possédait, il l'employa, voici plus de vingt-cinq ans, à essayer de défendre ses droits; mais, n'ayant pu parvenir à faire reconnaître la validité des brevets qu'il avait pris, il alla s'appauvrissant, tandis que s'enrichissaient les industries métallurgiques qui pratiquaient ses procédés.

Tel est, d'après M. Jean Lecoq, sous la législation actuelle, le sort de l'inventeur.

D'abord, il faut qu'il paye un impôt, une amende à l'Etat; mais cet impôt n'est pas unique. Dans tous les pays où l'inventeur veut garantir son invention, il faut payer encore, et, s'il n'est pas assez riche pour dépenser 25,000 francs de brevets et autant de frais d'agences, il est sûr d'être dépouillé de son idée.

Ce n'est pas tout : si, au bout de trois années, il n'a pas exploité, il est déchu, même s'il a payé la totalité de ses brevets.

D'autre part, les brevets accordés sont toujours sans garantie de priorité : de ce fait, ils peuvent être contestés judiciairement, et ils sont susceptibles de contrefaçons contre lesquelles l'inventeur ne pourra se défendre s'il n'a pas une fortune suffisante pour faire face à d'énormes frais de procédure... Vous voyez combien de tristes chances a l'inventeur d'être ruiné et spolié, même si sa cause est juste et ses droits indiscutables.

Voilà pourquoi Pierre Martin est pauvre, et pourquoi tant d'autres inventeurs sont morts de misère après s'être ruinés et avoir ruiné leurs familles pour payer des brevets qui ne les protégeaient pas contre les entreprises des spoliateurs.

NAVIGATION

Un Nouveau Bateau-Salon

La Compagnie Générale de Navigation sur. le lac Léman vient de lancer un vapeur qui dépassera de beaucoup, par ses diimensions, sa vitesse, sa stabilité et son confort, tous ceux qui naviguent actuellement dans les eaux suisses.

Ce bateau-salon a les dimensions suivantes : longueur sur le pont, 74 mètres; largeur au maître-bau, 8 mètres 50. La puissance de

sa machine est de 1,400 chevaux indiqués et sa vitesse atteint 29 kilomètres à l'heure. Il peut transporter 1,500 voyageurs. Quant à l'intérieur, il est aménagé avec tout le confort possible. Le salon de première classe, en particulier, du plus pur style Louis XVI, avec ses tapisseries d'Aubusson, ses boiseries en sycomore, avec incrustations en bois de rose et ses lustres en bronze ciselé, est d'un goût charmant.

Ce vapeur sera affecté au service express; desservant les stations principales de la côte suisse et de la rive savoisienne.

MAX DURAND.

PAGES OUBLIÉES

LES ROMANS DE Mme DE SEGUR

Il y a des raisons valables à tout grand succès, surtout quand ce succès va se continuant, se confirmant au cours des années, La comtesse de Ségur s'enrôlait tard dans la phalange des conteurs pour enfants; beaucoup d'autres y ont pris leurs grades après elle. Elle a éclipsé la renommée de tous ses prédécesseurs, et, sans vouloir contrister des imitateurs honorables, on peut affirmer hardiment que personne, depuis, ne l'a égalée,. Quelle est donc la qualité singulière de ces volumes roses, pour que tous nous les ayons dévorés dans notre enfance, que beaucoup d'entre nous les relisent, aujourd'hui, en même temps que leurs enfants, sans le moindre ennui, et que ceux mêmes qui ne les ont pas relus depuis l'époque des grands cols et des mollets nus ne les aient pas oubliés?. Récemment, deux auteurs célèbres discutaient devant moi sur les mérites de la bien-disante aïeule. L'un tenait Pauvre Blaise pour un chef-d'oeuvre; l'autre préférait Dourakine : mais tous deux, à quarante ans passés, citaient les noms des personnages et se rappelaient l'intrigue... N'est-ce pas merveilleux?

Ce serait inexplicable si ces récits de grand'mère ne participaient pas, en quelque manière, à la littérature. Et, d'abord, ils sont écrits en une langue excellente. Assurément,

L'inventeur Pierre Martin.

Le nouveau bateau du lac Léman : La Suisse.


616

LES ANNALES

N° 1408

aucune prétention au style artiste. A l'encontre des Concourt, elle dit même quelque part dans sa correspondance que l'épithète doit être, non pas rare, mais « modérée ». En somme, le français classique, appris dans les auteurs de la grande époque : les censeurs des jeunes revues ne glaneraient pas, chez la comtesse de Ségur, ces lourdes fautes qu'ils découvrent chez la plupart de nos contemporains. Outre qu'elle écrivait clair et correctla vertu positive de son style était un sens naturel du mouvement. Les phrases varient bien de ton et de coupe selon ce qu'elles expriment. Mme de Ségur est même si sensible à cette nécessité d'adaptation qu'elle a inauguré un procédé fort ingénieux, imité depuis : le passage du récit au dialogue, et réciproquement, sans prévenir le lecteur par de fastidieuses habiletés. Ne supposez pas, d'ailleurs, qu'elle ignorât la difficulté de bien écrire ! Sa correspondance nous renseigne sur ce point: elle se relisait, se corrigeait beaucoup.

Ce bon style français était mis au service d'une véritable imagination de conteur, d'inventeur de fables et de péripéties. Et ceci n'est commun à aucune époque. Les inventions de la comtesse de Ségur, jamais banales, témoignent d'une ingéniosité fertile. Notamment l'Auberge de l'Ange Gardien et le Général Dourakine sont habilement combinés et construits de la meilleure façon pour suspendre l'intérêt jusqu'à la conclusion, toujours adroite. Dans les Mémoires d'un Ane, l'aisance avec laquelle est soutenue, du commencement à la fin, l'hypothèse de Cadichou narrateur mérite l'admiration de quiconque a tenté ces récits « médiatisés », sans même avoir pris pour intermédiaire un récitant quadrupède... Oui, vraiment, l'auteur se joue des difficultés avec une facilité et une élégance qui confondent... Cela tenait peut-être à ce qu'elle écrivait pour un public qui ne l'intimidait pas. Elle utilisait à chaque instant tous, ses moyens : combien d'écrivains apparaissent gênés, guindés, parce qu'ils redoutent leur public! Mais elle n'en avait pas moins le don, le don divin sans lequel les conteurs S'embarrassent, s'essoufflent, perdent le fil...

Elle avait un autre don encore, qui fait d'elle plus qu'un conteur et presque un romancier : elle pouvait créer de la vie. Il y a beaucoup plus de réalité et d'observation dans son oeuvre, destinée à l'enfance, que dans certains romans de la même époque, destinés aux lecteurs adultes. Mme Bonbeck dans les Deux Nigauds, Paolo dans François le Bossu, Mme Fichini dans les Petites Tilles Modèles, et, enfin, l'inimitable Dourakine sont des personnages très observés, très vivants. Dans le Général Dourakine, vous rappelezvous, entre une certaine Mme Papofski et un capitaine Ispravnik (lequel vole pour son grade), une scène d'un comique rude qui rappelle Gogol ?... Et, naturellement, tout cela est entremélé de bien des caractères de convention et de quelques incidents dépourvus de vraisemblance : peut-être la poétique et, surtout, la morale du genre exigent-elles cela! Il n'en demeure pas moins que n'importe quel romancier se contenterait d'avoir campé un personnage comme Mme Papofski...

N'en doutons pas, c'est, avec l'excellence Simple du langage, cette part de réalité, de vérité, qui a fait le succès immédiat de la comtesse de Ségur, et qui l'a rendu durable. Son oeuvre, après quarante ans, n'a pas du tout vieilli par le fonds. Et quant au style, il sera encore compris en France dans deux cents ans. On ne saurait en dire autant de beaucoup de contemporains !

MARCEL PRÉVOST,

de l'Académie française.

Ajoutons, à l'intéressante étude de Marcel Prévost, une page écrite par la propre fille de Mme de Ségur, Mme de Pitray, et dans laquelle revit la physionomie intime de la romancière des petits enfants ;

LA COMTESSE DE SÉGUR

RACONTÉE PAR SA FILLE

LA grande modestie de ma mère l'empêchait d'attacher de l'importance à ses livres; aussi préféra-t-elle en vendre la propriété au fur et à mesure à la maison Hachette. Les premiers lui furent peu payés : cinq cents francs. Leur succès fit porter les suivants à mille francs, puis deux mille, puis, enfin, trois mille cour les derniers. Je sais cela par ma mère elle-même; le manuscrit des Mémoires d'un Ane, entre autres, fut payé mille francs. On doit, à l'esprit si fin et si charmant de M. Emile Templier, une heureuse adjonction à la fin de ce' délicieux ouvrage que ma mère faisait finir à la chute d'Auguste dans le fossé, chute provoquée par la malice hostile de Cadichou.

M. Templier pria ma mère de ne pas terminer ainsi son volume, qui laissait triompher une aversion rancuneuse; ma mère lui répliqua qu'elle n'avait jamais eu l'intention de faire un âne chrétien. M. Templier rit, mais persista, et nous lui devons les ravissantes pages du repentir et de la conversion de Cadichou.

Ma mère avait une telle défiance de sa valeur littéraire qu'elle m'appelait pour me lire tout haut les premières pages d'un manuscrit nouveau.

— Est-ce bien? me demandait-elle avec Inquiétude.

— Oui, très bien, chère maman.

— Ce n'est pas bête, commun?

— Du tout.

— Alors, je puis continuer?

— Mais, certainement!

— Sophie, lui dit un jour mon père avec conviction, les Mémoires d'un Ane sont votre Iliade.

Nous acquiesçâmes en famille à ce jugement, et je crois que le public a fait comme nous. Louis Veuillot écrivit de ma mère qu'elle était le plus puissant inventeur littéraire de son temps. Il ajoutait qu'elle portait le nom le plus russe de la Russie et le nom le plus français de la France.

L'âge seul força ma mère à quitter ses Nouettes bien-aimées. Sa santé, déjà altérée en 1870, reçut une seconde et rude secousse dans cette année néfaste, qui la vit trembler pour la première fois de sa vie. La mère souffrait d'être séparée de la plupart de ses enfants; la grand'mère souffrait du même mal!

L'auteur ne se releva pas de ce coup cruel. La Vie des Saints n'eut, hélas! que trois pages d'écrites..., et la plume faiblit dans ses mains défaillantes, sans toutefois s'en échapper tout à fait, car sa Correspondance continuée atteste que son esprit était toujours aussi fin, aussi gai, aussi alerte. La force, seule, faisait défaut, et ma mère ne devait pas la retrouver.

Stoïque devant la vieillesse, elle en constatait les progrès avec un calme qui nous confondait. Son amour pour Dieu grandissant chaque jour, lui faisait accepter la perspective d'une séparation dont l'idée seule nous déchirait le coeur...

Voilà ce que fut « grand'mère », dont la dépouille mortelle repose dans le cimetière de Pluneret, près de Sainte-Anned'Auray, en Bretagne. « Dieu et mes

enfants », porte la croix qui se dresse sur sa tombe. Ce fut le cri de son coeur et la règle de sa vie.

Vicomtesse DE PITRAY, née SEGUR.

Donnons, enfin, pour raviver les souvenirs de nos lecteurs, ce petit portrait du fameux général Dourakine:

LE GÉNÉRAL DOURAKINE

LES heures s'écoulaient lentement; le général Dourakine sommeillait toujours. Mme Dérigny se tenait près de lui dans une immobilité complète. En face, étaient Jacques et Paul, qui ne dormaient pas et qui s'ennuyaient. Paul bâillait; Jacques étouffait, avec sa main, le bruit des bâillements de son frère. Mme Dérigny souriait et leur faisait des chut à voix basse. Paul voulut parler; les chut de Mme Dérigny et les efforts de Jacques, entremêlés de rires comprimés, devinrent si fréquents et si prononcés, que le général s'éveilla.

— Quoi ? qu'est-ce ? dit-il. Pourquoi empêche-t-on cet enfant de parler? Pourquoi l'empêche-t-on de remuer?

Mme DÉRIGNY. — Vous dormiez, général; j'avais peur qu'il ne vous éveillât.

LE GÉNÉRAL. — Et quand je me serais Éveillé, quel mal aurais-je ressenti? On me prend donc pour un tigre, pour un Ogre? J'ai beau me faire doux comme un agneau, vous êtes tous frémissants et tremblants. Craindre quoi? Suis-je un monstre, un diable?

Mme Dérigny regarda, en souriant, le général, dont les yeux brillaient d'une Colère mal contenue.

Mme DÉRIGNY. — Mon bon général, il est bien juste que nous vous tourmentions le moins possible, que nous respections votre sommeil.

LE GÉNÉRAL. — Laissez donc! je ne veux pas de tout cela, moi. Jacques, pourquoi empêchais-tu ton frère de parler?

JACQUES. — Général, parce que j'avais peur que vous ne vous missiez en colère. Paul est petit, il a peur, quand vous vous fâchez; il oublie alors que vous êtes bon; et comme, en voiture, il ne peut pas se sauver ou se cacher, il me fait trop pitié.

Le général devenait fort rouge; ses veines se gonflaient, ses yeux brillaient; Mme Dérigny s'attendait à une explosion terrible, lorsque Paul, qui le regardait avec inquiétude, lui dit en joignant les mains :

— Monsieur le général, je vous en prie, ne soyez pas rouge : ça fait si peur! C'est que c'est très dangereux, un homme en colère : il crie, il bat, il jure. Vous vous rappelez, quand vous avez tant battu Torchonnet? Après, vous étiez bien honteux. Voulez-vous qu'on vous donne quelque chose pour vous amuser? Une tranche de jambon, ou un pâté, ou du malaga? Papa en a plein les poches du siège.

A mesure que Paul parlait, le général redevenait calme; il finit par sourire et même par rire de bon coeur. Il prit Paul, l'embrassa, lui passa amicalement la main sur la tête.

— Pauvre petit! c'est qu'il a raison. Oui, mon ami, tu dis vrai; je ne veux plus me mettre en colère : c'est trop vilain.

Comtesse DE SÉGUR.


N° 1408

LES ANNALES

La

vie Féminine

« AIDONS-NOUS LES UNS LES AUTRES » Les Étudiantes de Paris

Les étudiantes des Facultés de Médecine, de Droit, de. Sciences, de Lettres et de Langues étrangères, c'est-à-dire toutes les jeunes et gentilles intellectuelles de dix-huit à vingtcinq ans qui gravitent autour de la Sorbonne, possèdent depuis dimanche, grâce à l'initiative du Conseil National des Femmes Françaises et aux efforts de Mme Louise Cruppi, leur maison. Entre deux séances ou deux cours, maintenant, elles seront sûres de trouver un asile aimable où elles connaîtront la douceur de travailler en paix: bibliothèque, salon, salle de thé, tout est aménagé avec un souci d'élégance vraiment délicieux. Les salles sont claires, l'ameublement plaisant, et, sur les murs, — Dieu me pardonne! — on peut contempler des toiles de maîtres offertes par des peintres généreux. Les pauvres enfants qui, poussées par la nécessité de gagner leur vie, quittent tristement leur famille et s'en viennent à Paris à la conquête des brevets indispensables, retrouvent, à l'abri de ces murs hospitaliers, un peu de la chaleur du foyer, et c'est là le côté charmant de cette création et pourquoi j'admire Mme Louise Cruppi de l'avoir entreprise. On sait que l'isolement moral est, parmi tous les maux, celui dont souffrent le plus cruellement des jeunes filles arrachées à leurs habitudes d'enfance. Il est contre nature qu'à l'âge où tout en elles s'épanouit : l'intelligence, le savoir, la beauté, seule l'âme soit privée d'épanchement et de tendresse.

Les mamans, qui font le sacrifice cruel de se séparer de « leur petite » pour la gloire de son avenir, redoutent, par-dessus tout, la solitude dans quelque chambrette triste, les repas pris on ne sait où, souvent en mauvaise compagnie, et le vague à l'âme spécial aux filles honnêtes qui se sentent dépaysées, inquiètes, et, pour tout dire, malheureuses.

Or, justement, l'Association des étudiantes ouvre ses portes toutes grandes à ces gentilles et courageuses abandonnées; elle leur offre un asile affectueux et maternel ; elle leur dit :

— Ici, vous êtes chez vous; travaillez, dévalisez la bibliothèque, lisez de bons livres, et, aussi, reposez-vous, détendez vos nerfs, causez avec des amies, et mêlez à vos heures studieuses le sourire d'une récréation, la douceur d'un home, et retenez bien que, si vous avez quelque peine, on vous consolera, on vous aidera.

Mme Louise Cruppi, avec un dévouement intrépide et une volonté victorieuse, en moins de trois mois a mis cette Association sur pied; le 13 mars, elle en lançait l'idée à la Sorbonne, et, dimanche, elle inaugurait le local devant un public de jeunesse émerveillée. C'est ce qui s'appelle abattre de la besogne, — et quelle jolie besogne!

J'ai visité l'appartement ou, plutôt, les appartements, car le rez-de-chaussée, formant restaurant, comporte deux vastes salles à manger dans lesquelles, pour une somme modique, les étudiantes pourront se faire servir une nourriture saine et bien cuite.

Au premier sont groupées les salles de travail et de réception.

— Comme vous avez dû dépenser de l'argent pour une installation si confortable? demandai-je à Mme Louise Cruppi, Elle se prit à sourire.

— Non, dit-elle, il s'est produit un fait singulier. Quand je suis allée chez des industriels demander les meubles de mes étudiantes, on m'a tout donné..., pour leurs beaux yeux. Voilà un mois que je passe mon temps à acheter sans payer. C'est très agréable... Il faudra que je tâche d'en perdre l'habitude, ajoute-t-elle en manière de plaisanterie. C'est ainsi que Mme Rigaut, l'admirable ébéniste, nous a offert toutes nos bibliothèques; M. Darras, toutes les chaises; MM. Janselme et Mercier, des meubles charmants; M. Pinard, les appareils de chauffage; MM. Rouart et Linzeler, le matériel de notre salle de thé, etc.. Et ce n'est pas tout. Le Musée du Louvre nous a fait don de ces beaux moulages antiques que vous admirez, et des peintres tels que Jean-Paul Laurens, Rixens, Cormon, Jacques Blanche, Léandre,Saint-Germier, Granié, Cappiello, ont voulu répandre un peu de beauté sur nos murs, et réjouir le regard de nos jeunes filles.

C'est bien là un signe des temps, pensai-je, et de l'évolution morale qui nous hausse dans l'histoire du Progrès, et dont la preuve fut si unanime et touchante au moment des catastrophes causées par les inondations. Il entre, maintenant, dans l'esprit de chacun que nous sommes tous solidaires les uns des autres et que, dans la petite part de nos moyens, nous devons contribuer au bonheur commun. Il y a une vingtaine d'années, on se souciait fort peu, dans le monde, du sort de la « demoiselle qui a besoin de travailler ». Les dames distinguées daignaient leur marquer une condescendance un peu hautaine et très distante, et ne se fussent point avisées que certaines bontés délicates et prévoyantes touchent le coeur et rendent la tâche moins rude.

Aujourd'hui, il a suffi qu'une volonté bienfaisante se dressât pour qu'aussitôt vinssent se ranger à son appel d'autres volontés désireuses de suivre l'élan et d'apporter une petite pierre à l'édifice, et c'est ainsi que se créent rapidement des oeuvres admirables, dont on s'étonne qu'elles ne soient pas nées plus tôt, tant elles étaient nécessaires.

Je ne saurais dire combien, moi qui m'intéresse passionnément au sort de la jeune fille, et qui ai tant de respect et d'amour pour celles qui travaillent, j'ai éprouvé de douceur à parcourir les salles aimables et fleuries qui lui sont destinées. Par une pensée charmante, Mme Louise Cruppi avait voulu que la Maison des Etudiantes fût inaugurée dans la joie, et c'est ainsi qu'elle offrit aux étudiantes des cinq Facultés, aux élèves de Sèvres et de Fontenay et aux élèves des sixièmes des lycées, le régal d'un peu de musique. Elle commença, avec une grande simplicité, par souhaiter la bienvenue à toute cette élite de travailleuses, et leur dit — ce qui fit beaucoup rire — qu'elle n'entendait point être une présidente, mais seulement une « femme de ménage » prenant grand soin de l'installation qu'on avait bien voulu lui confier. Elle expliqua, en termes clairs, avec une voix d'une jeunesse extraordinaire, que l'Association aurait bientôt des filiales à Toulouse et à Lille, avec lesquelles elle se tiendrait en rapports constants, puis qu'elle espérait beaucoup de son Secrétariat de Placement Féminin, dont le but était de procurer aux jeunes filles instruites des débouchés de toutes sortes, dans l'enseignement, dans le commerce, dans les oeuvres d'assistance, dans les administrations de l'Etat. Elle conta

comment l'Association, de ce fait, serait appelée à devenir l'amie qui protège, qui console, qui trace la voie à ses fidèles — et ne les abandonne jamais.

— Le Secrétariat de Placement Féminin n'a que quelques semaines d'existence, dit-elle, et, déjà, sous l'impulsion intelligente de Mmes Rolland et Aron, il a rendu des services signalés. Il constitue, en ce moment, la fédération d'une vingtaine de Sociétés s'occupant également de placement, si bien qu'avec ces nombreuses ramifications, le Secrétariat de Placement pourra presque toujours dénicher à une étudiante la situation lucrative qu'elle cherche en province ou à l'étranger.

On applaudit très fort ces paroles réconfortantes, et la matinée intime se termina, le plus joliment du monde, par un concert.

Mlle Rose Féart chanta, avec un sentiment profond et délicat, des mélodies de Gabriel Fauré, accompagnées par l'auteur; le ténor Altchewski obtint un gros succès dans des chants russes, d'une couleur très originale; enfin, Ricardo Vinès charma l'auditoire avec des Variations de Fauré.

Ce fut un moment exquis, et je ne cloute pas que le souhait de Mme Louise Cruppi ne se trouve réalisé :

« Nous souhaitons qu'un jour vous aimiez cet appartement modeste. Aimer quelque chose en commun, fût-ce des murs et des meubles, cela constitue déjà un lien fraternel. »

Ai-je dit que cet asile charmant — les habituées l'appellent déjà l'A des Etudiantes de Paris — est situé 55, rue Saint-Jacques, et que, pour en faire partie, il suffit d'être inscrite à l'une des Facultés, ou à Sèvres, ou. à Fontenay, ou à la sixième des lycées, et de payer l'invraisemblable somme annuelle de cinq francs?

J'ai pensé que, nous qui comptons tant de jeunes filles parmi nos cousines, nous avions le devoir de leur apprendre, ainsi qu'à leurs mères, ce que l'on venait de créer pour elles avec autant de coeur que d'intelligence.

Je ne forme plus qu'un voeu : c'est que la Maison devienne tout de suite trop petite et que l'A des E de Paris possède bientôt, au lieu d'un appartement en location, une vraie maison qui, bel et bien, lui appartienne.

On a vu de ces miracles, et Mme Louise Cruppi est là pour les accomplir.

YVONNE SARCEY.

MENUS PROPOS

La Conjuration des Fleurs

C'est à Bruxelles que cette conjuration a éclaté, et pour le plus grand bonheur des malheureux.

En effet, une soirée de gala avait été organisée par les grandes dames de Bruxelles pour venir en aide aux pauvres, et on y joua une oeuvre délicieuse, et presque inédite, de notre grand ami Bourgault-Ducoudray. On y admira la Fleur des Landes, le Coquelicot, le sévère Souci et bien d'autres fleurs, qui inspirèrent au maître de bien jolies plages. Chants, musique, choeurs, orchestre, rivalisèrent d'ensemble, de zèle, d'intelligence artistique et obtinrent un énorme succès; Bourgault-Ducoudray fut acclamé.

Vieux Airs Militaires Français

Le général Niox a invité les membres de la Société des Amis du Musée de l'Armée. à une audition bien intéressante de ces vieux airs qui entraînaient nos aïeux au combat, ou saluaient leurs victoires. Le public a été ravi de cette reconstitution si curieuse de


618

LES ANNALES

N° 3408

nos marches françaises : la Marche des Dragons du Roi, composée par Jean-Baptiste Lulli, extraite du recueil de Philidor; le Pas redoublé de la Garde Impériale, composé par David Buhl, jadis exécuté par les tambours et fifres de la Garde. La célèbre marche des grenadiers, connue sous le nom de Fanfan la Tulipe; la Marche du Roi Henri-René, dite Marche dei Rei, vieil air provençal, recueilli par Nicolas Saboly, toutes ces marches, évocatrices de gloire et de batailles, furent écoutées avec une réelle émotion. Il faut remercier le général Niox de nous avoir procuré ce plaisir, et M. Chomel, chef de musique du 31e régiment d'infanterie, qui rendit l'exécution de ces morceaux parfaite.

l'Epoque oit l'on se marie le plus

C'est le mois de juin, car, d'après un dicton très ancien :

Mariages en mai, Mariages mauvais.

Beaucoup de jeunes filles superstitieuses préfèrent attendre juin et juillet, qui, paraît-il, sont des mois éminemment favorables au bonheur conjugal.

Sait-on que c'est à Paris qu'on se marie le plus?

Les nouveaux conjoints représentent 184 pour cent de la population. Et c'est pour répondre, avec l'éloquence des chiffres, aux accusations de moralité relâchée, en matière d'union, dans notre capitale.

Par contre, c'est en Corse que l'on se marie le moins.

C'est que les jeunes Corses abandonnent leur île pour venir chercher en France des postes de fonctionnaires, et les Colomba de là-bas n'ont plus de fiancés.

Les " Homes » Français

Pour répondre à notre désir de connaître tous les homes, grâce auxquels nos institutrices peuvent aller eu toute sécurité à l'étranger, certaines d'y trouver un abri sûr et une aide de placement, une abonnée, Mlle Emmé Freisleben, nous envoie ces adresses dont elle a éprouvé la sécurité et où l'on parle français :

A Prague : Deutsches Lehrerinnen heim Krakauergasse, 20.

A Dresde : Altstadt, Carolastrasse, 14.

A Cologne : Heimat. Waisenhaustrasse, 36.

A Florence : Marienheim fur Lehrerinnen, via dei Sereglia, 110.

A Vienne : Home Français, Schönbomgasse.

Les Fouilles d'Antinoë

M. Gayet est infatigable, les trésors qu'il rapporte d'Antinoë sont miraculeux. Sa campagne de 1910 a été particulièrement fructueuse. Qu'on en juge par cette nomenclature trop sèche, qui fait songer à quelque beau roman d'Anatole France :

La Fée au Masque d'Or et les Oiseaux du Printemps; les Voiles d'Isis et les Figures des Mystères d'Eleusis; les Cahiers Scolaires de l'élève Flavius Coluthus, — et bien d'autres merveilles encore : enveloppes de momies, costumes de femmes, figurines, poteries.

C'est toute une civilisation disparue et d'un

intérêt passionnant, qu'évoque

M. Gayet au Musée d'Ennery, dans cette avenue du Bois (59) si moderne. SERGINETTE.

LES MODES Robe de Printemps

Robe de printemps en foulard vieux rose, à pastilles blanches. Corsage d'une seule pièce, garni, autour du décolleté, d'une bande de tussor vieux rose assorti, et brodée de soie et de soutache. Guimpe et bas des manches en tulle crème froncé; jupe coulissée autour de la taille. L'ampleur est reprise dans le bas, dans un large biais de tussor rose uni.

Petite jaquette assortie en tus sor rose, croisée de côté; la manche tient avec les côtés. Plissés de lingerie autour de l'encolure et des manches.

Veste en shantung blé, orné de biais de satin noir, boutons satin noir, ceinture satin noir également pour mettre sur des robes. Claires.

COUSINE FRANCOISE.

LES CERCLES DES " ANNALES » A Auteuil-Passy (29, rue de l'Yvette)

M. de Nion a donné, au Cercle d'Auteuil, une conférence des plus intéressantes, sur la vie et l'oeuvre d'Alphonse Daudet. Le Cercle était tout réjoui de l'honneur charmant que lui faisait M. de Nion, en lui consacrant son talent, et la présence de Mme Alphonse Daudet rehaussa l'éclat de cette soirée. On fit une ovation au brillant orateur.

A Strasbourg (14, rue de la Toussaint)

Soirée de gala, le lundi 27 juin, au Cercle des Annales. Outre la conférence promise de M. Adolphe Brisson, une artiste de la Comédie-Française viendra dire des vers de Victor Hugo. La conférence de M. Brisson a pour sujet : la Première d' " Hernani ", et cela lui sera une occasion de parler du grand romantique qu'était Victor Hugo.

A Tours (8, rue de la Barre)

Mlle Perny organise une conférence-promenade le dimanche 26 juin. La place nous manque pour les détails. Pour tous renseignements, s'adresser, 8, rue de la Barre, Cercle des Annales.

La Mort

de la Terre

V AU FOND DES ABIMES

Un choc l'arrêta. Non le choc raide de la chute sur le granit, mais un choc élastique, assez violent, toutefois, pour l'étourdir. Quand il reprit conscience, il se trouva suspendu dans la pénombre et, se tâtant, il découvrit qu'une saillie avait accroché son sac d'outils. Les courroies du sac, rattachées à son torse, le retenaient : faites, comme son échelle, en fibres d'arcum, il savait qu'elles ne céderaient point. En revanche, le sac pouvait se détacher de la saillie.

Targ se sentait étrangement calme. Il calcula, sans hâte, ses chances de perte et de salut : le sac embrassait la saillie près de l'attache des courroies, en sorte que la prise était bonne. L'explorateur tâta la paroi rocheuse-. Outre la saillie, sa main rencontra des surfaces raboteuses, puis le vide; ses pieds trouvèrent, vers la gauche, un appui que, après quelques tâtonnements, il jugea être une petite plate-forme. En empoignant la saillie d'une part, en s'étayant, d'autre part, sur la plate-forme, il pouvait se passer d'autre soutien.

Quand il eut choisi la position qu'il estima la plus commode, il réussit à détacher le sac. Plus libre alors de ses. gestes, il darda de toutes parts les rais de sa radiatrice. La plate-forme était assez large pour qu'un homme s'y tînt debout et même exécutât de faibles mouvements, Au-dessus, une rainure du roc permettait, à la rigueur, de fixer les crochets de l'échelle; ensuite, l'ascension semblait pra(1)

pra(1) droits de reproduction et traduction réserves pour tous pays. Copyright by J.-H. Rosny ainé, 1910. Voir les Annales depuis le 29 mai 1910.

Toilette de printemps.


N° 1408

LES ANNALES

619

ticable, jusqu'à l'endroit d'où l'Oasite était tombé. Au-dessous, rien que le gouffre, avec des murailles verticales.

— Je puis remonter, conclut le jeune homme... Mais la descente est impossible...

Il ne songeait plus qu'il venait d'échapper à la mort : seul, le dépit de l'effort vain agitait son âme. Avec un long soupir, il lâche la, saillie et, s'accrochant aux aspérités, il réussit à s'établir sur la plate-forme. Ses tempes bourdonnaient, une torpeur tenait ses membres et son cerveau; son découragement était si lourd qu'il se sentait peu à peu succomber à l'appel vertigineux de l'abîme. Quand il se ranima, il promena instinctivement ses doigts sur la muraille granitique et s'aperçut de nouveau qu'elle se dérobait, vers la moitié de sa hauteur. Il se baissa alors, il poussa un faible cri : la plate-forme se trouvait à l'entrée d'une cavité, que les rais de la radiatrice révélèrent considérable.

Il eut un rire silencieux. S'il allait à la' défaite, du moins n'aurait-il pas couru une aventure: qui ne valait pas la peine d'être tentée!

S'assurant qu'aucun outil ne lui manquait et surtout que l'échelle d'arcum était en bon ordre, il s'engagea dans la caverne. Elle étalait une voûte de cristal de roche et de gemmes. A chaque mouvement de la lampe, des éclairs rebondissaient, mystérieux et féeriques. Les innombrables âmes des cristaux s'éveillaient à la lumière: c'était un crépuscule souterrain, éblouissant et furtif, une grêle infinitésimale de lueurs écarlates, orangées, jonquille, hyacinthe ou sinople. Targ y voyait un reflet de la vie minérale, de cette vie Vaste et minuscule, menaçante et profonde, qui avait le dernier mot avec les hommes, qui aurait, un jour, le dernier mot avec le règne ferromagnétique.

Dans ce moment, il ne la redoutait pas. Il considérait, pourtant, la caverne avec le respect que les Derniers Hommes vouent aux existences sourdes qui, ayant présidé aux Origines, gardent intactes leurs formes et leurs énergies.

Un vague mysticisme fut en lui, non point le mysticisme sans espérance des Oasites déchus, mais le mysticisme qui conduisit, jadis, les coeurs hasardeux. S'il se défiait toujours des pièges de la terre, il avait, du moins, cette foi qui succède, aux efforts heureux et qui transporte dans l'avenir les victoires du passé.

Après la caverne vint un couloir aux pentes capricieuses. Plusieurs fois encore il fallut ramper, pour franchir des passes. Puis, le couloir reprit; la pente devint raide au point que Targ craignit un nouveau gouffre. Cette pente s'adoucit. Elle se fit presque aussi commode qu'une route. Et le veilleur descendait avec sécurité, lorsque, les pièges reprirent. Sans que le couloir se fût rétréci en hauteur ni en largeur, il se ferma. Un mur de gneiss était là, qui luisait sournoisement aux lueurs de la lampe. En vain l'Oasite le sondait en tous sens ; aucune grosse fissure ne se révéla.

— C'est la fin logique de l'aventure! gémit-il... L'abîme, qui s'est joué des efforts du génie et des appareils de toute l'humanité, ne pouvait être favorable à un petit animal solitaire!

Il s'assit, recru de fatigue et de tristesse. La route serait dure, maintenant!

Abattu par la défaite, aurait-il seulement la force d'aller jusqu'au bout?

Il demeura là longtemps, écrasé sous sa détresse. Il ne pouvait se décider à repartir. Par intervalles, il dardait sa lampe sur la muraille blafarde... Enfin, il se releva. Mais alors, saisi d'une sorte de fureur, il introduisit ses poings dans toutes les menues fissures, il tira, désespérément sur les saillies...

Son coeur se mit à battre : quelque chose avait bougé

Quelque chose avait bougé. Un pan de la paroi oscillait. Avec un han sourd, et de toute sa vigueur, Targ attaqua la pierre. Elle bascula; elle faillit écraser l'homme; un trou apparut, triangulaire: l'aventure n'était pas finie encore!

Haletant, plein de méfiance, Targ pénétra dans le roc, courbé d'abord, puis debout, car la fissure s'agrandissait à chaque pas. Et il avançait dans une sorte de somnambulisme, s'attendant à de nouveaux obstacles, lorsqu'il crut revoir uni gouffre.

Il ne se trompait point. La fissure aboutissait au vide; mais, vers la droite, une masse déclive se détachait, énorme. Pour y atteindre, Targ dut se pencher au dehors; et se hisser à la force des poignets.

La pente était praticable. Lorsque le veilleur eut parcouru une vingtaine de mètres, une sensation étrange le saisit et découvrant son hygroscope, il le tendit

tendit le gouffre. Alors, il sentit positivement la pâleur et le froid se déposée sur son visage...

Dans l'atmosphère souterraine, une vapeur flottait, invisible encore à la lumière. L'eau était venue!

Targ poussa une clameur de triomphe ; il dut s'asseoir, paralysé par la surprise et la joie de la victoire. Puis, l'incertitude le reprit. Sans doute, le fluide vivant était là, il allait apparaître; mais, la déception serait plus insupportable, s'il n'y avait qu'une source insignifiante ou une faible nappe. A pas lents, plein de crainte, le veilleur reprit la descente... Les preuves se multiplièrent; un miroitement s'apercevait par intervalles, et, brusquement, tandis que Targ contournait une saillie verticale, l'eau se révéla.

VI

LES FERROMAGNÉTAUX

Deux heures avant l'aube, Targ se retrouva dans la plaine, au bord de la crevasse où avait débuté son voyage au pays des ombres. Affreusement las, il contemplait, au fond de l'horizon, la lune écarlate, pareille à une fournaise ronde jet prête à s'éteindre. Elle disparut. Dans la nuit immense, les étoiles se ranimèrent.

Alors, le veilleur voulut se remettre en route... Ses, jambes semblaient de pierre, ses épaules s'affaissaient douloureusement et, par tout son corps, passait une telle langueur qu'il se laissa choir sur un bloc. Les paupières entrecloses, il revécut les heures qu'il venait de passer dans les abîmes. Le retour avait été épouvantable. Malgré qu'il eût pris soin d'accumuler les traces de son passage, il s'était égaré. Puis, déjà épuisé par les efforts précédents, il avait failli s'évanouir. Le temps semblait d'une longueur incommensurable; Targ était comme un mineur qui aurait passé de longs mois dans la terre cruelle...

Tout de même, le voici revenu; sur la surface où vivent encore ses frères, voici les astres qui, à travers les âges, exaltèrent les rêves de l'homme; bientôt, l'aube divine va reparaître dans l'étendue.

— L'aube! balbutia le jeune homme... Le jour!

Il étendit les bras vers l'orient, dans un geste d'extase; puis, ses yeux se refermèrent, et, sans qu'il en eût conscience, il s'étendit sur le sol.

Une lueur rouge le réveilla. Soulevant avec peine les paupières, il aperçut, au fond de l'horizon, l'orbe immense du soleil.

— Allons! debout..., se dit-il.

Mais une torpeur invincible le clouait au sol; ses pensées flottaient engourdies, la fatigue lui prêchait le renoncement. Il allait se rendormir, lorsqu'il sentit un léger picotement par tout l'épiderme. Et il vit, sur sa main, à côté des écorchures qu'il s'était faites aux pierres, des points rouges caractéristiques.

— Les, ferromagnétaux, murmura-t-il. Ils boivent ma vie!

Dans sa lassitude, l'aventure ne l'effraya guère. C'était comme une chose lointaine, étrangère, presque symbolique. Non seulement il ne ressentait aucune souffrance, mais la sensation se révélait presque agréable; c'était une sorte de vertige, une griserie légère et lente qui devait ressembler à l'euthanasie.., Soudain.

II darda de toutes parts les rais de sa radiatrice...


620

LES ANNALES

N° 1408

les limages d'Erê et 'd'Arva traversèrent sa mémoire, suivies d'un ressaut d'énergie.

— Je ne veux pas mourir! gémit-il. Je ne veux pas!

If revécut obscurément sa lutte, ses souffrances, sa victoire. Là-bas, aux TerresRouges, la vie l'attirait, fraîche et charmante. Non, il ne voulait pas périr; il voulait voir longtemps encore les aurores et tes crépuscules; il voulait combattre les forces mystérieuses.

Et, rappelant sa volonté dormante, d'un effort terrible, il tenta de (se redresser.

VII

L'EAU, MÈRE DE LA VIE

Au matin, Arva ne soupçonna point l'absence de Targ. Il s'était surmené la veine: sans doute, recru de fatigue, prolongeait-il son repos. Pourtant, après deux heures d'attente, elle s'étonna. Et elle finit par frapper à la cloison de la chambre que le veilleur avait choisie. Rien ne répondit. Peut-être était-il sorti alors qu'elle dormait? Elle frappa encore, puis elle poussa sur le commutateur de la porte : celle-ci, en s'enroulant, découvrit une chambre Vide.

La jeune fille y entra et vit toutes choses disposées en bon ordre : le lit d'arcum était relevé contre la muraille, les objets de toilette intacts; rien n'annonçait la présence récente d'un homme. Et quelque appréhension serra le coeur de la visiteuse.

Elle alla trouver Manô; tous deux interrogèrent les oiseaux et les hommes, sans obtenir une réponse utile. C'était anormal, et peut-être inquiétant. Car l'oasis, après te tremblement de terre, demeurait pleine de pièges. Targ pouvait être tombé dans une fissure ou avoir été surpris par un éboulement.

— Plutôt est-il sorti de grand matin, fit l'optimiste Manô. Et, comme il est homme d'ordre, il aura d'abord rangé sa chambre... Allons à la découverte!

Arva restait anxieuse. Comme les communications étaient devenues incertaines, que beaucoup d'ondifères avaient été renversés, malgré l'aide des oiseaux, les recherches n'avançaient point. Et, vers midi, Arva errait tristement, parmi des décombres, aux confins de l'oasis et du désert, lorsqu'un essaim d'oiseaux parut, avec de longs cris : Targ était retrouvé!

Elle n'eut qu'à monter sur l'enceinte, elle le vit qui venait, lointain encore, d'un pas lourd...

Son. vêtement était déchiré, des estafilades lui balafraient le cou, le visage et les mains ; tout son corps exprimait la fatigue; le regard, seul, conservait sa fraîcheur.

— D'où viens-tu? cria Arva. Il répondit :

— Je viens de la terre profonde. Mais il n'en voulut pas dire davantage.

Le bruit de son retour s'étant répandu, ses compagnons de voyage vinrent audevant de lui. Et l'un d'eux, lui ayant reproché d'avoir retardé leur départ, il repartit :

— Ne me le reprochez pas, car j'apporte de grandes nouvelles.

Cette réponse surprit et choqua les auditeurs. Comment un homme pouvait-il apporter des nouvelles qui ne fussent a la connaissance des autres hommes? De telles paroles avaient un sens, jadis, lorsque la terre était inconnue et pleine de

ressources, lorsque le hasard demeurait parmi les êtres, et que les peuples ou les individus opposaient leurs destins. Mais, à présent que la planète est tarie, que les hommes ne peuvent plus lutter entre eux, que toute chose est résolue par des lois inflexibles, et que personne ne prévoit les périls avant les oiseaux et les instruments, ce sont des propos ineptes.

— De grandes nouvelles! répéta dédaigneusement celui qui avait fait les reproches... Etes-vous devenu fou, veilleur?

— Vous verrez bientôt si je suis devenu fou! Allons trouver le Conseil des TerresRouges.

— Vous l'avez fait attendre!

Targ ne répondit plus. II se tourna vers sa soeur et lui dit :

— Va, et ramène celle que j'ai sauvée hier... Sa présence est nécessaire.

Le Grand Conseil des Terres-Rouges était réuni, au centre de l'oasis. Il n'était pas au complet, plusieurs de ses membres ayant succombé dans le désastre. Rien n'annonçait la douleur, à peine la résignation, dans l'attitude des survivants. La fatalité était en eux, présente comme la vie même.

Ils accueillirent les Neuf avec un calme presque Inerte. Et Cimor, qui présidait, dit d'une voix uniforme :

— Vous nous apportiez le secours des Hautes-Sources et les Hautes-Sources sont frappées elles-mêmes. La fin des hommes paraît très proche... Les oasis ne savent plus même quelles sont celles qui pourront secourir les autres...

— Elles ne doivent même plus se secourir, ajouta Rem, le premier chef des Eaux. La loi le défend. Il est équitable, lorsque les eaux ont tari, que la solidarité disparaisse. Chaque oasis réglera son sort.

Targ s'avança au-devant des Neuf et affirma :

— Les eaux peuvent reparaître.

Rem le considéra avec un mépris tranquille :

— Tout peut reparaître, jeune homme. Mais elles ont disparu.

Alors, le veilleur, ayant jeté un regard au fond de la salle et aperçu la chevelure de lumière, reprit avec tremblement :

— Les eaux reparaîtront pour les Terres-Rouges.

Une réprobation paisible parut sur quelques faces; tout le monde garda le silence.

— Elles reparaîtront, s'écria Targ avec force. Et je puis le dire, puisque je les ai vues.

Cette fois, une faible émotion, née de la seule image qui pût agiter les Derniers Hommes, l'image d'une eau jaillissante, passa de proche en proche. Et le ton de Targ, par sa véhémence et sa sincérité, fit presque naître un espoir. Mais le doute revint vite. Ces yeux trop vivants, les blessures, le vêtement déchiré, encourageaient les méfiances : quoique rares, les fous n'avaient pas encore disparu de la planète.

Cimor fit un signe léger. Quelques hommes cernèrent lentement le veilleur. Il vit ce mouvement et en comprit la signification. Mais, sans trouble, il ouvrit sa boîte à outils, saisit son mince appareil chromographique et, déroulant une feuille, il fit apparaître les épreuves qu'il avait prises dans les entrailles du sol.

C'étaient des images aussi précises que la réalité même. Dès qu'elles eurent frappé les. yeux des plus proches, les

exclamations se heurtèrent. Un saisissement véritable, presque une exaltation, s'empara des assistants. Car tous reconnaissaient le fluide redoutable et sacré.

Manô, plus impressionnable que les autres, clama d'une voix retentissante. Le cri, répercuté par les ondifères, se répandit au dehors; une multitude rapide cerna le hall; l'unique délire qui pouvait encore soulever les Derniers Hommes enivra la masse.

Targ se transfigura; il fut presque; dieu; les âmes, pareilles aux âmes anciennes, élevaient vers lui un enthousiasme mystique; des faces déferlaient, des yeux mornes s'emplissaient de feu, une espérance démesurée rompait le long atavisme de la résignation. Et les membres du Grand Conseil eux-mêmes, perdus dans l'être collectif, s'abandonnaient au tumulte.

Targ seul pouvait obtenir le silence. Il fit signe à la foule qu'il voulait parler; les voix s'éteignirent, la houle des têtes s'apaisa; une attention ardente dilatait les. visages.

Le veilleur, se tournant vers cette lueur blonde qu'Ere mêlait aux chevelures sombres, déclara :

— Peuple des Terres-Rouges, l'eau que j'ai découverte est sur votre territoire : elle vous appartient. Mais la loi humaine me donne un droit sur elle; avant de vous la céder, je réclame mon privilège!

— Vous serez le premier d'entre nous! dit Cimor. C'est la règle.

— Ce n'est pas cela que je demande, répondit doucement le veilleur.

Il fit signe à la foule qu'on lui livrât passage. Puis, il se dirigea vers Erê. Quand il fut près d'elle, il s'inclina et dit d'une voix ardente:

— C'est entre vos mains que je remets] les eaux, maîtresse de mon destin!... Vous; seule pouvez me donner ma récompense!

Elle écoutait, surprise et palpitante. Car de telles paroles ne s'entendaient jamais; plus. Dans un autre moment, à peine si elle les eût comprises. Mais au milieu de l'exaltation des coeurs, et avec la vision féerique des sources souterraines, tout son; être se troubla: l'émotion magnifique qui agitait le veilleur se, refléta sur le visage nacré de la vierge.

(A suivre.) J.-H. ROSNY aîné.

UNIVERSITÉ DES "ANNALES "

SOMMAIRE DU NUMÉRO 13

du Journal de l'Université des Annales

64 pages — 48 gravures

Le Salon de Mme Geoffrin, conférence du marquis de SÉGUR.—Leurs Filles, conférence de M. PAUL GINISTY;

scènes de la Demoiselle à marier, de SCRIBE, du Monde où L'on s'ennuie, de PAILLERON. et de Catherine, d'HENRI LAVEDAN. — Mozart, conférence de M. CRÉRAMY. — La Fête de l'Université des Annales.

Ce numéro contient la table des matières du tome Ier de l'année scolaire 1909-1910.

Nombreuses illustrations, reproduction de vieilles estampes.

Le Journal de l'Université

reproduit le texte complet des conférences faites

à l'Université ainsi que celles faites au cours des

promenades dans les châteaux et dans les musées.

Abonnement aux 25 numéros de l'année scolaire : 10 francs.

Tout nouvel abonné reçoit les 13 numéros déjà parut et une

Prime : La Guirlande de Thalie au XVIIIe Siècle,

un volume in-16 raisin de 200 pages.