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Titre : La Correspondance historique et archéologique : organe d'informations mutuelles entre archéologues et historiens / Fernand Bournon et F. Mazerolle, directeurs

Éditeur : Imprimerie H. Bouillant (Saint-Denis)

Éditeur : A. FontemoingA. Fontemoing (Paris)

Éditeur : E. ChampionE. Champion (Paris)

Date d'édition : 1902

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32748836t

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32748836t/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1902

Description : 1902 (A9).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57094990

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-57197

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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LA

CORRESPONDANCE

HISTORIQUE

ET

ARCHÉOLOGIQUE



LA

CORRESPONDANCE

HISTORIQUE

ET

ARCHEOLOGIQUE

Organe d'Informations mutuelles entre Historiens et Archéologues

PARAISSANT TOUS LES MOIS

FERNAND BOURNON ET F. MAZEROLLE

DIREOTBCES

9e ANNÉE - 1 902

PARIS

LIBRAIRIE A. FONTEMOING

4, RUE LE GOFF, 4 1902



JANVIER 1902.

RENSEIGNEMENTS ADMINISTRATIFS

~ A la suite des soutenances de thèses qui ont eu lieu à l'École des Chartes les 27, 28 et 29 janvier dernier, le Conseil de perfectionnement a arrêté la liste suivante d'archivistes-paléographes :

MM. 1. Périnelle. —2. Levallois. — 3. Giard. — 4. Lavollée. — 5. Prévost. — 6. Guignard. — 7. Le Pelletier. — 8. Huard.

Et comme appartenant à des promotions antérieures, dans l'ordre alphabétique :

MM. Cochin; — de Dampierre; — Knight.

MÉLANGES ET RECHERCHES CRITIQUES

JOURNAL D'UN BOURGEOIS DE POPINCOURT

AVOCAT AU PARLEMENT (1784-1787)

Publié par H. VIAL et G. CAPON (Suite)

Les demoiselles Burette, actrices, l'une à l'Opéra, l'autre à la Comédie-Italienne, avoient loué l'été dernier aux Prés-SaintGervais une très belle maison de campagne qu'elles ont subitement quittée sur la nouvelle des recherches que faisoit de toute part M. Doigny, l'un des administrateurs des postes, instruit des dépenses considérables auxquelles se livroit pour l'une d'elles son fils, connu pour être son amant en titre, autrement pour le Français son « milord pot-au-feu » ; c'est la demoiselle Burette la

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cadette, actrice du Théâtre Italien, (1) qui joue le rôle de sultane favorite auprès du jeune M. Doigny, fils de l'intendant des postes; vieillard qui ne prêche d'exemple puisqu'il a lui-même une maîtresse pour laquelle il fait une dépense énorme et qui probablement finira, tôt ou tard, par le ruiner de fond en comble, événement pour lequel il ne veut pas que son fils contribue pour sa part ou pour son compte. — I, 33 verso.

Quelques-uns de nos lecteurs pourroient être fort émerveillés si nous nous avisions de leur faire confidence de certaines anecdotes qui nous ont été tout récemment communiquées sur le compte de Madame Le Prince de Beaumont, cette fameuse inslitutrice, auteur de différens ouvrages estimés sur l'éducation des jeunes demoiselles (2), mais nous croyons superflu de nous étendre ici sur des particularités qui tendent presque toutes à représenter cette dame née à Rouen le...., morte à Paris depuis 7 ou 8 ans, comme un peu moins estimable par les qualités du coeur que par celles de l'esprit (3). — I, 43.

Il est d'autres cas où l'on pêche, au contraire, par excès de linesse et de raffinement. Il nous souvient encore d'un catalogue de livres dans lequel, par un singulier trait d'ignorance déguisé

(1) Marie Babin de Grandmaison, dite Burette, née à Blois vers 1776, de parents aisés qui lui firent donner une bonne éducation musicale. Elle se lit entendre la première fois à Paris au Concert Spirituel. La jeune actrice sut conquérir les suffrages de son auditoire, et, peu après, elle obtint un ordre de réception à la Comédie-Italienne où elle débuta le 2 décembre 1782, par le rôle de Marine dans la Colonie, comédie en deux actes, traduite de l'italien par Framery, musique de Sacchini. (Voir plus loin une autre note sur cette actrice). Campardon, les Comédiens du roi de la troupe italienne, Paris, 1880, II, 81).

(2.) Madame Marie Leprince de Beaumont, soeur du peiatre J.-B. Leprince, écrivain moraliste; née à Rouen, le 26 avril 1711 : elle a vécu plusieurs années à Londres, et est morte à Chavanod, près d'Annecy, où elle s'occupait d'éducation en 1780. Quérard, La France littéraire. V, 1.97. Firmin Didot, 1833.

(3) Madame Leprince, qui est connue ici pour beaucoup de mauvaises petites brochures, vient d'en publier une un peu plus passable sous le nom de « Triomphe de la Vérité. » Le sujet en est assez agréable, il méritait de tomber dans de. meilleures mains. Maurice Tourneux, Correspondance de Grimm, Diderot, etc., Paris, 1877, I, 201.


sous un air de purisme ou d'exactitude, on désignoit une certaine femme de lettres sous le titre de Madame la princesse de Beaumont, substitué par l'auteur du catalogue ou par le correcteur d'imprimerie à celui de madame Le Prince de Beaumont véritable nom de cette dame, comme veuve du sieur Le Prince de Beaumont. Ceci va nous fournir l'occasion de parler un peu d'une autre femme du même nom comme épouse d'un sieur Le Prince de Beaumont, frère cadet du mari de la première. Celle dont il s'agit en cet endroit, aidée des ouvrages et des conseils de sa belle-soeur, avoit établi, rue de Popincourt, faubourg SaintAntoine, un pensionnat de jeunes demoiselles, établissement d'abord couronné du plus heureux succès, malgré les oppositions presque continuelles du grand chantre de Notre-Dame et des maîtres soumis à sa juridiction, ceux-ci, par là, vouloient la déterminer à prendre leur attache indispensable, à ce qu'ils prétendent, et sur ses refus constants après plusieurs poursuites et procédures faites contre elle, l'ont enfin contrainte à se retirer en cédant son fonds à l'une de leurs protégées de qui le nom ne fait rien du tout à l'affaire. Cette retraite forcée a, dit-on, tellement chagriné madame Le Prince de Beaumont qu'elle est tombée dans une maladie de langueur qui l'a conduite en peu de tems au tombeau. — I, 51.

Il avait été question de démolir les bâtimens et l'église du monastère des Dames Annonciades(1),situés rue Popincourt, et dernièrement supprimés; il ne s'agit plus à présent que du projet d'ériger cette dernière en aide ou succursale de Sainte(1)

Sainte(1) communauté des Annonciades du Saint-Esprit s'installa dans le faubourg Saint-Antoine, le 12 août 1636. En 1782, la communauté fut dispersée. Dans son curieux journal, Gautier, le dernier organiste de l'abbaye de Saint-Denis, relate que : « Le mardi 28 mai 1782, les Annonciades de Popincourt à Paris ont quitté leur maison qui menaçoit ruine. » (Bibl. nat. mss. fr. 11687, p. 49.) Leur église, établie sous le vocable de Notre Dame de la Protection, fut conservée, la Révolution en fit une paroisse, succursale de Sainte-Marguerite, sous le titre de Saint-Ambroise ; cette église resta debout jusqu'au moment où le percement du boulevard du Prince-Eugène (aujourd'hui Voltaire) fît qu'on la démolit pour la remplacer par l'église actuelle, (Fernaud Bournon, Rectifications et additions de l'Histoire de la Ville et du diocèce de Paris, par l'abbé Leboeuf. 1890, 374.)


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Marguerite, faubourg Saint-Antoine (1); projet conçu, dit-on, par M. de Beaurecueil (2), curé de cette paroisse, et fortement appuyé par quelques bourgeois du quartier qui désireroient que les anciennes fondations continuassent d'être acquittées au même lieu, ce que nous n'empêchons ni pour le roy, ni pour le public, ni pour notre compte, ni pour celui de nos voisins qui nous avoient invités à signer avec eux un placet à Mgr l'archevêque, relatif à cette affaire. — I, 69.

Au reste, du grand nombre d'anecdotes et de nouvelles, que, successivement, ces Mémoires offrent presque à chaque page, on auroit tort assurément de conclure qu'apparemment nous passons les trois quarts de notre vie aux clubbes ou sanédrins (sic) politiques qui, chaque jour, tiennent régulièrement leurs assises, les uns à couvert dans les cafés, dans les tavernes à bière, sous les portiques ou sous les arcades de nos places publiques, dans les salles ou les galeries du palais marchand ou de justice; les autres, à découvert, en plein air, aux boulevards, au Luxembourg, aux Tuileries... Nous ne parlons point ici de ce. jardin du Palais-Royal, depuis quelque tems devenu, pour ainsi dire, le rendez-vous des libertins et le théâtre des désordres en plus d'une espèce sous la protection et les auspices d'un prince du sang; où les appartemens et les logis sont en quelque sorte distribués par égales portions en mesdames et mesdemoiselles

les catins, les ma et nos seigneurs les chevaliers-profès du

nombreux ordre de la manchette... non certes, ce n'est point là que nous coulons nos jours, c'est autre part, (où donc enfin) (sic) : c'est loin de la cohue, du bruit qui ne nous conviennent plus à tant de titres ; c'est tantôt au sein de notre famille, auprès de nos foyers domestiques, dans l'intérieur ou dans les jardins dépendans de notre maison, rue de Popincourt; tantôt chez des amis d'élite, sûrs, honnêtes, suffisamment instruits pour nous communiquer en tems et lieu, tous les éclaircissemens néces(1)

néces(1) 1787, le roi acheta les terrains où se trouvaient l'église et diversbâtiments, afin d'y établir un hôpital devant contenir trente-six lits pour la garde de Paris. Mais les habitants du quartier obtinrent l'érection de cette chapelle en une paroisse (L'abbé Gaudreau, Mélanges, 1857; partie intitulée : Notice sur Saint-Ambroise).

(2) Charles Bernardin de Laugier de Beaurecueil (F. Bournon, ibid.).


saires relativement à nos vues générales ou particulières, tantôt dans notre cabinet, parmi nos papiers [au milieu] des livres de tous les tems, comme de tous les pays, sur toutes sortes de matières. — I, 89-91.

Devons-nous, après cela, nous émerveiller ou nous scandaliser des propos malins que l'on tient de nos jours sur une honnête bourgeoise logée depuis quelque tems dans notre voisinage, femme d'esprit et fort instruite, comme l'ayant été dans sa jeuAncienne

jeuAncienne des Annonciades de Popincourt, devenue église SaintAmbroise, 1791-1868. Dessin de H. Vial, d'après une lithographie anonyme de 1825. (Bibl.Nat. Cabinet des Estampes. Topog. de la France. Ve XIe arrt.)


nesse par M. Le Cat, célèbre médecin chirurgien de Rouen, dont elle est native, épouse séparée du sieur Pérard de Montreuil(I), architecte, âgée d'environ 40 ans, à qui l'on prête ou l'on donne pour amant clandestin M. Hue de Miromesnil (2), garde des sceaux, notre ancien camarade d'études au collège Mazarin; tout ce que nous savons personnellement à ce sujet, c'est que la dame reçoit de tems en tems des lettres de Monseigneur le vicechancelier. — I, 159.

N'oublions point, à ce propos, de faire ici mention d'un placard satirique, un jour ou plutôt une nuit, affiché sur l'hôtel, aujourd'hui de Montalembert, ci-devant occupé par Mgr le comte de Clermont, et plus anciennement encore par l'illustre M. de Réaumur, rue de la Roquette, faubourg Saint-Antoine (3),

(1) François-Victor Pérard de Montreuil, architecte; sa femme dont il est question se nommait Marie-Marguerite Fro (Archives de la Seine, hypothèques, P 1, f° 18).

(2) Nicolas-Thomas Hue de Miromesnil (Arch.de la Seine, ibid., M 7 f° 122). Pérard de Montreuil fit faillite le 3o juin 1784; son bilan est aux Archives

de la Seine (bilans, carton 63, 3459); sa femme figure parmi l'état de sescréanciers pour une somme de 18,000 livres, somme qui lui restait due sur son contrat de mariage . « On observe que Mme de Montreuil répète contre son mari des sommes exhorbitantes, tels que les intérêts de sa dot depuis son mariage, le prix des meubles, qu'elle a emportés et dont elle jouit; mais qu'à cet égard, les parties sont en arbitrage à la décision de MM. Dufour et Martineau, avocats. Il est important de remarquer encore à l'égard de Mme de Montreuil que son mari, au moment de leur séparation, a eu la facilité de lui souscrire pour 10,000 livres de billets au porteur, à compte de sa dot; ainsi, si elle exige ces billets, le montant en sera à déduire sur ses créances. » (Ibid. Etat de l'actif et du passif de M. Pérard de Montreuil, architecte du Grand Prieuré de France).

(3) Cet hôtel avait été bâti en 1708, par l'architecte Dulin, pour Dunoyer, intéressé dans les vivres et plus tard greffier au parlement. Dunoyer légua sa maison par testament aux enfants de son frère. Sa mère, la baronne de Winterfeld, la loua à l'illustre savant M. de Réaumur, qui l'occupait encore en 1752. Le naturaliste établit dans les huit pièces du premier étage de l'hôtel son riche musée d'histoire naturelle, libéralement ouvert au public studieux; il organisa, dans les jardins et dans les basses-cours, des serres pour les plantes exotiques, des laboratoires, des ateliers, des appareils pour l'incubation artificielle; enfin, il s'installa pour le mieux afin de poursuivre, à l'abri des visites indiscrètes, les études et les découvertes qui ont immortalisé son nom. C'est en cet état que le comte de Clermont trouva la maison de Dunoyer; en 1-53, il remit les choses en leur ancien état. La salle de spectacle s'éleva sur l'emplacement des laboratoires, les cabinets d'étude devinrent des boudoirs coquets. Après la mort du comte de Clermont survenue en 1771, son hôtel fut acheté par M. de Montalembert, maréchal des-


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faisant allusion sans- doute, à l'aventure peu glorieuse pour Mi le marquis de Montalembert avec M. le chevalier de Roufinac, conçu dans ces termes : lâche au théâtre, au lieu de relâche au théâtre, probablement à cause de la comédie (1) que de tems eu tems on y joue en société. — I, 171, recto et verso.

De l'une ou de l'autre cabale dont, il est ici question, n'est assurément point la dame Galabre, veuve, d'un particulier du même nom, secrétaire du roy, décédé vers le milieu de l'année dernière (1784.), logée à Paris, rue de Popincourt, dans, notre voisinage, et passant la plus grande partie à Saint-Sulpice, aux environs de Senlis, dans une maison qui servoit autrefois de résidence à quelques moines Brrgitains, aujourd'hui dispersés on supprimas de fait et non de droit (2), actuellement âgée de 50 à 55 ans, se plaisant toujours à courir « la calabre » (sic) à cheval (3), vêtue en amazone; depuis longtemps maîtresse en

camps; la comédie s'y donna ainsi qu'an temps du comte. La Révolution fut néfaste à lîhôtel de Montalembert, les jardins et les. bâtiments furent occupés par des industriels; en 1847, MM. Outrebon et Langronne, propriétaires du terrain, ouvrirent sur cet emplacement l'avenue de la Roquette. Le percement du boulevard du Prince Eugène, aujourd'hui Voltaire, a fait disparaîtra jusqu'au dernier vestigede cette maison de plaisance. Voir : Cousin, 1867, Le comte de Clermont.

(1) Outre ses ouvrages scientifiques sur la fortification, le marquis de Montalembert fit aussi des comédies, pour son théâtre particulier de .Dhôtel de la rue de la Roquette; parmi ces pièces, trois ont été imprimées à un petit nombre d'exemplaires :

La Bergère de qualité, 1786, in-8° ; La Bohémienne supposée, 1786,111—8° La Statue, 1786, in-8° (Quérard. La France Littéraire, VI, 229).

La Statue (musique de Cambini) fut représentée pour la première fois sur le théâtre de l'hôtel de Montalembert au mois d'août 1784.

La Bergère de qualité (musique de Cambini), représentée pour la première fois sur le même théâtre le 24 janvier 1786.

La Bohémienne supposée (musique de Theoménis) représentée pour la première fois le 7 mars 1776. (Dinaux, Les Sociétés badines, littéraires, etc., 1867,11,62).

(2) L'ordre de Sainte-Brigitte, confirmé par Urbain VI en 1370, comprend des moines et des religieuses sous la direction de l'Abbesse, qui représente la Vierge dont il a pour mission spéciale de protéger le culte. Cet ordre, très répandu dans le nord de l'Europe, a jeté quelques rameaux dans le sud et donné OEcolampade à la Réforme. Encyclopédie des Sciences Religieuses, Lichtenberger, Paris, 1877, II, 435.

(3) L'auteur veut sans doute dire la « calade, » terme de manège. La pente d'un terrain par lequel on fait descendre un cheval au petit galop, pour donnen de la souplesse à ses tranches. Dict. de Littré.


titre de M. de Salornoi, lieutenant-colonel au régiment de..., mère d'un jeune homme de 18 ans (M. de Breure), qui peut très bien être son fils et non celui du feu sieur Calabre. — I, 183.

Dans le pavillon dépendant du petit domaine situé rue de Popincourt près celle des Amandiers, fauxbourg Saint-Antoine, appartenant à l'auteur de ces mémoires et dont il occupe et fait valoir une partie, avec sa famille, logent depuis quelques mois ensemble durant le peu de séjour qu'elles font à Paris deux jeunes soeurs qui passent en province le reste de l'année, orphelines de père et de mère, toutes deux filles majeures et très honnêtes, l'une, âgée d'environ 21 ans et de figure assez aimable; l'autre, extrêmement contrefaite et d'une stature haute à peine de trois pieds quoique actuellement âgée de 29 à 30 ans... Eh bien ! les bonnes gens du fauxbourg, l'on ne sait trop à propos de quoi, se sont mis dans la tête et vont sans cesse publiant partout, que celle-ci vraisemblablement est la fille puinée du maître et de la maîtresse du logis, qu'à cause de sa difformité, la mère refusant de l'allaiter comme elle avait déjà fait à l'égard de son fils aîné et l'auroit impitoyablement reléguée à la campagne jusqu'à ces derniers tems, qu'enfin le père, ennuyé de l'absence d'un enfant qu'il chérit, malgré tous ses défauts naturels, avoit fait usage de son autorité pour la rappeler auprès de sa personne, à quoi les mêmes narrateurs à l'occasion d'une visite depuis peu rendue par les deux soeurs à l'une de nos voisines Madame de M..., cultivant avec succès l'histoire naturelle, connue pour posséder une curieuse collection de papillons et d'autres animaux rares, conservés avec le plus grand soin suivant les procédés ordinaires, ajoute que cette dame travestie par eux en peintre, avoit fait exprès venir chez elle la plus petite pour faire son portrait et pour le placer ensuite dans son cabinet parmi ses autres raretés en tous genres. — I, 184.

Revenons à Paris pour assister au moins en idée au panégyrique de Saint-Vincent-de-Paul, fondateur de l'hôpital des


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Enfants-Trouvés, composé par l'abbé Maury (1) nouvel académicien françois, et par lui prononcé successivement dans différentes églises spécialement dans celle des Enfans-Trouvés du fauxbourg Saint-Antoine (2) le mardi 19 juillet 1785; dans ce discours, fort estimé des connoisseurs les plus difficiles, l'éloquent orateur fait une mention très honorable de plusieurs personnages illustres du XVIIe siècle, avec lesquels son saint héros avait eu des relations plus ou moins directes. — I, 213.

Il existe à Paris sur le boulevard du Temple un très singulier personnage appelé le comte de Cagliostro (3) le même dont le portrait vient de paraître dessiné d'après nature par Christophe Guérin, à Strasbourg, où M. le comte de Cagliostro a demeuré quelque tems (en marge dans le manuscrit). Dans le fait, espagnol de naissance, âgé de 65 à 70 ans, quoique plusieurs affectent de publier que l'on ne sait de quel pays il vient et que son origine se perd dans la nuit des tems ; l'un de ses domestiques, ajoute-t-on, interrogé sur l'âge de son maître, répondit un jour

(1) Panégyrique de saint Vincent-de-Paul prêché dans la chapelle du château de Versailles, par ordre et en présence du roi Louis XVI, le quatrième dimanche de carême, 4 mars 1785, publié sur le manuscrit autographe de l'auteur, par L. Siffrein-Maury, son neveu. (Paris, imp. de Casimir, 1827, in-8° de 160 pages. Bibl. nat. Ln. 27 20,595). Ce panégyrique passe pour un excellent morceau d'éloquence.

(2) Dans cette église fut inhumée Elisabeth Luillier, femme d'Etienne d'Aligre, chancelier de France, fondatrice de l'hôpital des Enfants-Trouvés. L'église consacrée sous le nom de Notre-Dame de la Miséricorde existe encore de nos jours ainsi qu'une partie de l'hôpital.

L'établissement des Enfants-Trouvés devint l'hôpital des Orphelins et des Enfants de la Patrie, puis jusqu'en 1853, il fut dénommé Sainte-Marguerite et affecté aux malades adultes. A cette époque on le destina à l'hospitalisation des Enfants Malades, sous le vocable de Sainte-Eugénie, l'impératrice Eugénie étant l'instigatrice de cette oeuvre de bienfaisance. On a donné de nos jours le nom du docteur Trousseau à l'ancien hôpital récemment désaffecté. La chapelle existe encore, environnée d'un jardin magnifique, dont la Société des Amis des Monuments, sur la proposition de M. Coyecque, sousarchivistede la Ville de Paris et du département, a voté le voeu de conservation, dans le but de garder un coin verdoyant dans ce quartier industriel.

(3) Joseph Balsamo, dit le comte de Cagliostro, demeurait dans l'hôtel de Savigny, rue Saint-Claude-au-Marais, tout près du Cardinal de Rohan qui occupait son hôtel de Strasbourg, rue Vieille-du-Temple, et de Madame De La Motte qui habitait rue Neuve-Saint-Gilles. Voir pour Cagliostro l'ouvrage si documenté de M. Campardon intitulé : (Marie-Antoinette et le procès du Collier, 1863. Pièces justificatives, 410 et suiv.).


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que tout ce qu'il savoit, c'est qu'il étoit à son service depuis150 ans. L'on annonce d'ailleurs cet homme extraordinaire comme un adepte possédant la pierre philosophale, la panacée universelle, l'élixir d'immortalité et comme ayant été le contemporain de Melchissédec, avec lequel il se vante d'avoir eu des relations plus ou moins directes, ainsi qu'avec le Christ et le Messie, qu'il prétend avoir connu personnellement, auquel il se souvient en tems et lieux d'avoir fait entendre amicalement qu'il prêchoit une excellente morale, il est vrai que tôt ou tard il en serait mauvais marchand et feroit une triste fin ; l'on assure aujourd'hui que M. le comte de Cagliostro vient d'être arrêté et conduit à la Bastille (1) comme véhémentement suspect d'être l'un des complices de Madame la baronne La Motte, dansla fameuse affaire du collier, ou comme témoin contre le prince Louis, qui très souvent alloit dîner chez ce comte à qui, dit-on, le cardinal avoit plus d'une fois montré mystérieusement le bijou dont il s'agit. — I, 220 verso.

Le sieur Gavoty de Berthe, d'une famille originaire de Gênes, natif de.... près Toulon en Provence, entrepreneur d'une manufacture de sparterie (rue de Popincourt, faubourg SaintAntoine), à laquelle il s'est vu contraint de renoncer par l'inconséquence, plutôt que par l'irrégularité de sa conduite, mais qui continue de subsister toujours par les soins et sous la direction d'un autre particulier de qui l'on ignore absolument le nom (2). I, 221 verso.

(1) Procès-verbal de capture des sieurs et dame de Cagliostro : «L'an 1785 le mardi 23 août 1785, à sept heures du matin, nous Marie-Joseph Chenon fils, avocat en parlement, conseiller du Roi, commissaire au Châtelet de Paris, en vertu des ordres à nous adressés à l'effet de faire perquisition chez les sieurs et dame de Cagliostro, nous sommes transportés accompagnés du sieur de Brugnières, inspecteur de police, rue Saint-Claude au Marais, dans une maison appelée l'hôtel de Savigny, où étant et montés au premier étage et entrés dans un appartement, nous y avons trouvé le sieur de Cagliostro dans la chambre à coucher nous lui avons fait entendre le sujet de notre transport, etc. (Campardon, ibid. 39.)

(2) Il s'est établi depuis quelques années, rue de Popincourt, une manufacture de corde et de lacets de sparterie qui se fait avec du spart et du genêt d'Espagne. Cet établissement mérite d'être encouragé puisque c'est une branche nouvelle d'industrie. Watin, 1788, Etat actuel de Paris. Quartier du Temple, 147.


Nous venons d'apprendre que Monsieur de Berthe, lundi dernier 19 septembre, est arrivé de Londres à Paris, et rentré dans sa maison, bien résolu de mettre juridiquement tout en oeuvre pour se faire réintégrer dans ses droits relatifs, soit à ses effets vendus, soit à l'exploitation de sa manufacture, envahie dans un tems où sans doute il avoit perdu la tête, qu'il paroît avoir recouvrée (note en marge du ms.)

Mademoiselle Burette (1), l'aînée, avant que d'entrer à l'Opéra, a, durant quelque temps, joué la comédie sur le Théâtre bourgeois de Popincourt. C'est là qu'elle a fait connaissance du sieur Férousa, l'un des associés (fils d'un riche particulier, intéressé dans l'exploitation des fours à plâtre situés au-dessus de Belleville et de Ménilmontant), qui conçut dès lors pour elle le plus violent amour, et qui prit un beau jour la poste avec elle pour aller l'épouser à Londres.

Mlle Burette, la cadette, d'abord membre de la même société dramatique, est aujourd'hui comédienne au théâtre Italien — I. 240.

Nous n'avons pas besoin d'aller chercher si loin les anecdotes suivantes que nous avons trouvées sous notre main, pour ainsi

(1) Mlle Buret ou Burette (Mlle Babin de Grandmaison) débutèrent toutes deux à l'Académie royale de musique, la cadette le 17 mai 1781 et l'aînée le 20 novembre suivant.

Mlle Burette aînée resta à l'Opéra et s'y fit remarquer par son zèle et son talent réel et y était encore attachée en 1789.

La cadette y resta peu de temps et quitta l'Opéra pour entrer à la Comédie Italienne, où elle parut pour la première lois le 2 décembre 1782. La fin de cette jeune actrice fut prématurée et tragique : en 1793, elle fut arrêtée à cause de sa liaison intime avec le baron de Balz, dont elle partageait les idées, et par jugement du tribunal révolutionnaire, en date du 27 prairial an II, elle fut condamnée à mort, convaincue « de s'être rendue l'ennemie du peuple en participant à la conjuration de l'étranger et tentant par l'assassinat, la famine, la fabrication de faux assignats et fausse monnaie, la dépravation de la morale et de l'esprit public, le soulèvement des prisons, de faire éclater la guerre civile, dissoudre la représentation nationale, rétablir la royauté ou toute domination tyrannique. » Mlle Burette fut exécutée le même jour, et sur le même échafaud qu'elle, monta et périt également sa suivante, Marie-Nicole-Bouchard, âgée de dix-huit ans.

Campardon, l'Opéra au XVIII° siècle, 1885; —les Comédiens italiens, 1885. I 83.


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dire et sans sortir de notre quartier, ni même de notre rue. C'est vers la barrière précédemment dite de la Roulette (1), non loin du logis de Mme de Turvois, comme autrefois sous le nom de Mlle Leduc (2), ancienne maîtresse de Monseigneur le comte de Clermont, prince du sang, mort en 1771, que demeure Mme Brimont (3), née de parents peu riches, soi-disant épouse ou veuve d'un peintre, actuellement âgée de 30 à 35 ans, femme d'esprit, aimable, de caractère autant que de figure, cy-devant maîtresse de Monseigneur le prince de Conti, décédé vers 1778 (4), auquel on prétend qu'elle a constamment été fidèle, en personne qui se pique l'afficher l'ordre au sein même du désordre, se soumettant avec douceur et sans murmurer à tous ses caprices, quelque bizarres qu'ils pussent être. En effet, jusqu'à la mort de ce prince, elle a, pour lui complaire, vécu plusieurs années confinée dans une profonde retraite et réduite même à la plus étroite clôture, dans une fort belle maison située rue Popincourt, sur le coin de la rue Saint-Sébastien, immédiatement contiguë à celle qui naguère appartenait a feu M. Thomas de Pange (5), trésorier à l'extraordinaire des

(1) Une partie de la rue Ménilmontaut, comprise entre les rues de Popincourt et Saint-Maur, porta le nom de la rue Roulette; on appelait Roulettes les bureaux ambulants des commis des Fermes préposés pour empêcher la fraude. Jaillot fait figurer cette voie sur le plan de 1773, mais il n'indique pas exactement l'emplacement de cette ancienne barrière que l'on peut placer sans doute au coin de la rue de Popincourt.

(2) Mme la marquise de Tourvoye, rue de Popincourt, Almanach de Paris, 1785. Bibl. nat., LC 31 372, autrefois Mlle Leduc, danseuse à l'Opéra. On lit dans le journal de Barbier, mars 1782 : « M. le comte de Clermont, abbé de Saint-Germain-des-Prés, avait depuis sept à huit ans pour maîtresse Mlle Camargo, fameuse danseuse à l'Opéra. M. le comte de Clermont a changé de maîtresse, on dit même que la Camargo y a donné les mains pour sortir de l'esclavage où elle était. Ce prince a pris Mlle Leduc, autre danseuse de l'Opéra, qui n'est pas jolie mais bien faite. Le Journal de police de l'inspecteur Meusnier nous la dépeint ainsi : « Elle est grande, brune, bien faite, point jolie, en revanche on lui donne de l'esprit. » Elle était fille d'un suisse du Luxembourg de la porte d'Enfer, et débuta toute jeune dans la galanterie. Après s'être fait prier longtemps, elle quitta le président de Rieux pour vivre avec le comte de Clermont. J. Cousin, le Comte de Clermont, sa cour et ses maîtresses, 1867, I. 147.

(3) Le prince de Conti mourut le 2 août 1776.

(4) Mme de Brémont, rue de Popincourt (Almanach de Paris, 1776).

(5) Thomas de Pange, trésorier à l'extraordinaire des guerres de 1750 à 1776, époque où il se retira de la rue Vieille-du-Temple pour venir rue de Popincourt. Almanachs royaux (1749-1775.)

Reconnaissons pareillement, au coin de la rue Saint-Sébastien, quelque chose d'une propriété dont les trois corps de logis et le jardin ne mesuraient pas moins de 3 arpents. Ce lieu fut vendu à l'abbé de Lanne par le mar-


guerres, homme extrêmement charitable, qui n'a laissé qu'une fortune médiocre ou beaucoup moins considérable qu'on ne l'aurait pensé, ce qui porterait à croire qu'à force de faire du bien aux autres, il a fini par se faire du mal à lui-même, ou plutôt à ses héritiers, respectueusement obligés de s'en tenir dans sa succession à des parts inférieures au moins de deux tiers à celles qu'ils pouvaient raisonnablement espérer. Dans cette même maison toujours occupée par Mme de B. (1) en partie logeait aussi M. Roslin de Livry (2) maître des requêtes, mort depuis quelques jours d'une phtisie pulmonaire à l'âge de ...ans (fils d'un fermier général du même nom), qui de son vivant rendait de fréquentes visites à sa jolie voisine, de laquelle, en conséquence, on le croyait passionnément amoureux. — I, 246.

A quelques pas plus loin, vers la rue des Amandiers et celle du Chemin-Vert, loge un lettré sexagénaire, moins occupé des jouissances du présent que des souvenirs du passé,

Sua cuique voluptas

AEtati...

partageant le peu de loisirs qui lui restent entre sa famille, ses livres et ses amis... ayant depuis plusieurs années adopté le régime ou pris l'habitude d'avaler un grand verre d'eau le matin pour se guérir ou se préserver d'une infinité de maux ou d'incommodités, se mêlant ou s'embarrassant de ses propres affaires beaucoup plus que de celles d'autrui, croyant en général le bien plus volontiers que le mal sur le compte de son prochain... eh bien! nous demandons s'il est possible, comme on s'en avise quelquefois, de soupçonner un tel personnage d'avoir formé le projet de composer la Chronique scandaleuse (3) de ses contemquis

contemquis Pange, qui en avait acquis un tiers de Caumont, médecin ordinaire du roi en 1737, un tiers de Malderie, seigneur de Quatreville, et le reste de Bezodis, marchand bonnetier. Les Anciennes maisons de Paris. — Lefeuve, Paris, 1875, IV, 286.

(1) Mme de Brémont.

(2) Roslin d'Ivry, maître des Requêtes, 1772-1785, rue Contrescarpe, faubourg Saint-Antoine. Almanach Royal.

(3) La Chronique scandaleuse ou Mémoires pour servir à l'histoire des moeurs de la génération présente à Paris, dans nn coin où l'on voit tout, 1783, 1 vol, augmenté en 1876 de 2 vol., et en 1791, 5 volumes, par Guillaume Imbert de Boudeaux, né à Limoges, mort à Paris, le 19 mai 1803. Il fut le principal auteur de la Correspondance secrète, dite de Métra.


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porains et de ses compatriotes, dont en effet il n'a que le dessein d'esquisser l'histoire ou le tableau moral, politique, civil, littéraire, en les peignant avec des couleurs et sous des traits plus ou moins propres à les caractériser, à les faire, en un mot, distinguer des hommes de tout autre siècle et de tout autre pays. — I, 247.

Il est question d'une intrigue galante de Mme la marquise de Montalembert (1), demeurant toujours avec le marquis son époux, rue de la Roquette, faux bourg Saint-Antoine, intrigue plus ou moins secrète que la médisance ou la calomnie imputent à cette jeune dame avec le célèbre virtuose M. de Saint-Georges (2), riche créole américain; l'on parle même d'un enfant né de ce commerce illégitime, mort quelque temps après sa naissance d'une maladie dont on aurait pu, mais dont sans doute on ne soucioit point de le guérir, conformement sans doute aux vues du père putatif qui profita de cette circonstance pour se défaire sans éclat, d'un fils qu'il avait tout lieu de croire n'être pas le sien. — I. 248 verso.

Cette anecdote, au moins, n'est pas du nombre de celles que nous communique de temps en temps l'auteur de la Théorie du luxe (3), ou dont celui de la Chercheuse d'esprit nous fait

(1) Le marquis de Montalembert avait épousé, le 13 avril 1770, Marie-Joséphine de Commarieu, fille d'un inspecteur général des Domaines de la Couronne de Bordeaux. Abandonnée par son mari à Londres en 1792, elle ne rentra en France qu'après la mort du marquis qui avait fait prononcer son divorce et s'était remarié avec une dame Cadet, de la famille du célèbre apothicaire Cadet de Gassicourt.

Mme de Montalembert a laissé deux romans, dont l'un eut quelque succès. Elle mourut en 1832, le 3 juillet, à Paris. De la Chesnaye-Desbois. Dict. de la Noblesse, 1859. XIV, 31. Prud'homme. Répertoire des femmes célèbres, 1826. II, 183.

(2) Mûlâtre plus célèbre par son prodigieux talent pour l'escrime, et par la manière très distinguée dont il joue du violon, que par la musique de deux opéras comiques : Ernestine et la Chasse, qui ne survécurent pas à leur première représentation.

Grimm. Diderot, etc., Correspondance littéraire. Edit. M. Tourneux, 1877. XV, 132.

(3) George-Marie Butel-Dumont, jurisconsulte et publiciste français, né à Paris, le 28 octobre 1725; d'abord avocat, il devint censeur, secrétaire d'ambassade de France en Russie, puis, directeur du dépôt du contrôle central.


part dans les conversations que nous avons souvent ensemble la pipe en bouche (1), car M. Favar père(2), à qui feu M.le duc de Choiseul avait plusieurs fois parmis, sans jamais lui tenir parole, soit un terrain, soit une maison dans la rue et près du café qui porte son nom, comme chacun le sait, aux environs de la nouvelle Comédie Italienne (3), est un des plus intrépides fumeurs qui soient au monde. — I. 252 verso.

Quant au fameux Cupis dont on parlait tant et dont on ne parle plus, actuellement âgé de 77 ans, il vit toujours retiré dans un petit bien d'un arpent et demi qu'il possède à Montreuil, près de cette capitale, et qu'il fait très avantageusement valoir par lui-même, au point d'en retirer par an neuf ou dix mille livres en fruits de toutes espèces qu'il envoie vendre à Paris par ses préposés ; c'est ainsi que dans sa vieillesse il est devenu cultivateur intelligent, après avoir été, durant sa jeunesse, excellent violon, sçavant compositeur de musique ; témoin le menuet qui porte son nom; et même écuyer habile comme le prouve assez l'aventure que nous allons rapporter : un homme de sa connaissance avoit un cheval fougueux, indomptable, qu'il propose de lui vendre et qu'il lui vend en effet; maître une fois du coursier, Cupis monte lestement dessus et sort pour aller faire un tour de promenade dans la campagne, mais, en traversant le Pont-Royal,

(1) Favart était un enragé fumeur, l'abbé Voisenon lui avait donné les surnoms de Brûle-gueule ou Fumichon. Mém. et corr. de C.-S. Favart. III, 129.

(2) Charles-Simon Favart, l'auteur de nombreuses pièces qui firent le succès de l'Opéra-Comique, fils d'un pâtissier qui se vantait d'avoir inventé les échaudés.

Après la mort du maréchal de Saxe (30 novembre 1780), qui poursuivait Mme Favart de ses assiduités, les époux Favart se retirèrent à Belleville, « grande rue du lieu. » Pendant vingt-deux années de bonheur, de succès et de l'union la plus intime, aucun nuage ne troubla les plaisirs que leur procurèrent l'amitié, les arts et l'éducation de leurs enfants. Leur maison de Belleville devint le centre d'une société d'inséparables amis. L'illustre Crébillon, l'abbé de Voisenon, Lourdet de Santerre, l'aimable chansonnier Lanjon, l'abbé Cosson, MM. de la Place et Goldoni, tels furent les amis dont la mort seule put les séparer.

Mémoires et Correspondance de C.-S. Favart, publiés par A.-P.-C. Favart, son petit-fils, et précédés d'une notice historique, par M. H. Dumolard. Paris, Léopold Col-lin, 1808, t. LXIX. (3) Aujourd'hui l'Opéra-Comique.


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il est emporté par ce quinteux animal par-dessus le parapet au milieu de la rivière. L'intrépide cavalier, sans perdre ni la tête, ni les arçons, toujours la bride en main, gagne tranquillement, avec son indocile monture, le bord de l'eau sans aucun accident ; en homme également propre au poil, comme à la plume, ainsi qu'à l'archet (1). — I, 251 recto et verso.

Notre voisin, Monsieur Gavoty de Berthe, créateur d'une manufacture de sparterie, établie depuis ou neuf ans, rue de Popincourt (2), doué comme presque tous les gens de son pays d'une imagination vive, ardente et singulièrement exaltée, jusqu'à lui faire volontairement sacrifier son tems, sa santé même, et sa propre fortune à l'intérêt public en se livrant aux

(I) François Cupis, alias Camargo, né à Bruxelles, le 10 mars 1719 (Registres de baptême de la paroisse Sainte-Gudule) fils de Ferdinand-Joseph Cupis. Il eut pour maître de violon son père qui lui fit faire de rapides progrès. Il n'avait que 19 ans, lorsqu'il se fit entendre à Paris pour la première fois; néanmoins son talent y produit beaucoup d'effet. Le Mercure de France (juin 1708, p. 1116) lui accorde de grands éloges. Le père Caffiaux, dans l'Histoire de la musique, dit : « Qu'il joignait le tendre et le doux de Leclaire au brillant de Guignon. » En 1761, il entra à l'orchestre de l'Opéra comme premier violon; il occupait encore cette place en 1761, mais il cessa de vivre peu de temps après car son nom disparaît de la Musique du Roi et de l'Académie Royale de musique en 1764. Il a publié deux livres de sonates à violon seul et un livre de quatuors pour deux violons, alto et basse. Il a eu deux fils attachés à l'Opéra et qu'on désignait sous les noms de Cupis l'aîné et Cupis le cadet. J.-F. Fétis. Biographie universelle des musiciens. 1861. II, 404,405.

Fétis et les autres biographes, voyant le nom de François Cupis disparaître de la nomenclature des musiciens de l'Opéra, en 1764, en concluent qu'il dût mourir peu de temps après; on voit que le violoniste vivait encore en 1786, et qu'il avait à cette époque 77 ans, ce qui concorde à peu près avec la date de naissance donnée par Fétis. Il ne saurait être question de François Cupis, frère du précèdent, né le 10 novembre 1732, baptisé à Saint-Sauveur et tenu sur les fonts baptismaux par sa soeur Marie-Anne de Cupis, alias Camargo, la fameuse danseuse de l'Opéra. Voir le petit essai généalogique ci-contre.

(2) Gavoty écrivit un livre relatif à son industrie sous-le titre de Manuel du fileur-cordier, 1810, in-10. (Bibl. nat. V 25654). Ce manuel fut lu en séance de l'Institut de France, classe des sciences physiques et mathématiques; Gavoty y revendique le titre de fondateur des sparteries en France. Il termine sa préface en ces termes: « On ne doit pas être surpris que j'aie pu dans un cours d'instruction de 5 mois consécutifs à la corderie impériale du port de Toulon, en 1800, sous la préfecture maritime de M. le général Emeriau, rendre les élèves capables de répondre aux demandes qui vont leur être faites. »


Essai généalogique. FAMILLE CUPIS, alias CAMARGO, D'ORIGINE BELGE.


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travaux les plus utiles au plus grand nombre des individus de son espèce, auteur d'un ouvrage sans titre encore manuscrit sur l'administration du Mont-de-Piété dont il a personnellement à se plaindre ; parent d'une dame presque aveugle depuis quelques années, fille de M. N... Le Noir et veuve de feu Monsieur Cogorde, secrétaire du directeur de l'ancienne compagnie des Indes, soeur de M. Lenoir de Mézières, payeur de rentes (1), et sa créancière pour une somme d'environ 50 mille livres. Créancière dont il se plaint encore plus amèrement par rapport à ses mauvais procédés, surtout quant aux déprédations vraies ou prétendues, commises par elle ou par ses préposés, affidés, prête-nom, dans sa manufacture (2) et dans sa maison sous le spécieux prétexte, pour son plus grand bien, de le soustraire aux poursuites de ses autres créanciers en faisant saisir et vendre, au nom de la dite dame, la plus grande partie des effets appartenans au sieur de Berthe, sans se piquer d'observer trop scrupuleusement les formalités strictement requises en pareil cas : sur quoi ce dernier à peine revenu tout exprès de Londres où d'autres affaires l'avaient appelé, se propose, tout malade qu'il est, d'intenter au premier jour un procès fort sérieux à son impitoyable parente, procès très long et très dispendieux dont l'issue ne sçauroit qu'être encore plus incertaine. — I. 259 verso.

N'oublions pas de dire que le sieur Audinot et son associé le sieur Arnoult ont été depuis quelque tems réintégrés dans la jouissance de leur privilège dont ils avaient été, pendant près de dix mois entiers, privés, depuis le commencement de la présente année 1785 ; réintégration toutefois achetée par le sacrifice de 18 mille livres par an au lieu de 30 mille d'abord exigées d'eux par l'Académie royale de musique ou par les sieurs Gaillard et d'Orfeuil en son nom; les directeurs de l'AmbiguComique ont signalé la nouvelle inauguration de leur ancienne

(1) M. Le Noir de Mézières, dont une fille a depuis quelque temps épousé M. Dupré de Saint-Maure, cy-devant intendant de Bordeaux, fils de M. D. de Saint-Maure, maître des comptes, de l'Académie Française, auteur d'une traduction du Paradis perdu de Milton, mort depuis environ 8 ou 9 ans. (Note en marge du mss).

(2) La manufacture de sparterie, rue de Popincourt. Thiéry, Almanach du voyageur à Paris, 1784, 41 1. Cf. édit. 1785, 319.


salle, située sur le boulevard du Temple, par la représentation solennelle d'une pièce pantomime intitulée : Le maréchal des

Jogis, dont le principal héros est le sieur Louis Gillet, retiré maintenant à l'Hôtel Royal des Invalides, peint par le sieur DevilJe dans un des tableaux exposés cette année au salon du Louvre; représentation à laquelle ont assisté : le sieur Gillet

actuellement âgé de 76 ans, et quarante de ses vieux camarades, le tout gratis pour eux, après avoir été splendidement régalés le

même jour parles sieur Audinot et compagnie (1). — I, 278 recto

et verso.

Il vient de s'établir depuis quelque tems sur le même boulevard un nouveau théâtre sous le titre de Délassemens-Comiques, sur lequel on a déjà joué plusieurs pièces nouvelles assez goûtées intitulées : Le financier, poète sans le savoir; Les deux babillardes ou rechange des deux valets; Le chat perdu et retrouvé (2), etc. — I, 280.

Il en est tout autrement de la véritable cause du procès plus que civil, prêt à devenir criminel, dont nous avons parlé quelques lignes plus haut entre la dame de Cogorde et M. Gavoty

(1) En juillet 1769, Audinot s'établit sur le boulevard du Temple et substitua aux marionnettes une troupe à qui il fit représenter des petites pièces. Son succès alla croissant jusqu'en 1784, époque où l'Opéra eut le privilège exclusif des petits spectacles. Audinot se révolta et voulut lutter, mais il fut évincé et, le 1er janvier 1785, il dut se retirer. Incapable de rester sans occupation il monta un théâtre dans le Bois de Boulogne, au Ranelagh; mais le souvenir de son ancien théâtre ne le quittait pas. Il plaida, entassa mémoires sur mémoires et prouva d'une façon péremptoire que les droits étaient de son côté. Rien n'y fit et il fallut bien en finir par où il aurait dû commencer, par un arrangement pécuniaire. II reprit alors en société avec le sieur Arnould Mussot, la direction de l'Ambigu (octobre 1785) et continua avec la même habileté jusqu'en 1795, époque où il se retira définitivement. Il demeurait rue des Fossés-du-Temple (Paroisse Saint-Laurent). Campardon! Les Spectacles de la Foire. I, 31-7 3.

(2) Petit théâtre fondé sur le boulevard du Temple en 1785, par PhilippeLoùis-Pierre Plancher Valcour, comédien de province qui y remplissait les triples fonctions d'auteur, d'acteur et de directeur. Incendié à la fin de 1787, il fut reconstruit et ouvert de nouveau en 1788. Il eut un moment de vogue et excita la jalousie des grands théâtres, ce qui provoqua de leur part la défense au directeur de jouer autre chose que des pantomimes et d'avoir sur scène plus de trois acteurs à la fois, qui devaient être séparés du public par un rideau de gaze. Le 14 juillet 17X9, jour de la prise de la Bastille, Plancher-Valcour creva la gaze en poussant le cri de : " Vive la liberté! » Campardon. Spectacles de la foire. I, 236.


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de Berthe, procès qui, suivant quelques-uns, provient en effet d'un dépit amoureux, quoiqu'aujourd'hui la dame soit âgée de 76 ans (1). — I, 287.

Les affaires personnelles de notre voisin M. Gavoty de Berthe, s'il faut en croire quelques-uns, paraissent aujourd'hui prendre une tournure plus favorable; en effet, ce galant homme vient, dit-on, de trouver dans les sieur et dame Lacaille, associés pour leur part dans l'acquisition des bâtiments et terrains jadis appartenans aux Dames Annonciades de Popincourt (2), ainsi que

(1) Marguerite Lenoir, veuve d'André Cogorde, conseiller du roi en ses conseils, secrétaire de ses finances, et greffier du conseil d'Etat. Arch. de la Seine. Hyp. Rep°. 1152, 114 v°.

(2) Nous donnons ici quelques documents relatifs à la vente des terrains du couvent :

« Vente par Jacques-Jean Le Couteulx, administrateur de l'Hôpital Royal des Quinze-Vingts demeurant à Paris, rue Montorgueil, et demoiselle Jeanne Laudumiey, fille mineure et à demoiselle Anne-Marguerite Laudumiey, receveuse de la Loterie de France, demeurant ensemble rue de Richelieu, et a Monsieur Bon, Gilbert, Perrot de Chezelles, procureur du roy, demeurant à Paris, rue de Popincourt: de deux portions de terrain contenant 1746 toises ou environ, ensemble les batiments construits sur iccluy en l'état où ils se trouvent, faisant partie de l'ancien couvent et enclos de Popincourt, formant cy-devant le couvent des Dames Annonciades du Saint-Esprit, dites de Popincourt. Moyennant la somme de soixante mille livres appartenantes au dit vendeur comme en ayant fait l'acquisition par acte passé devant M° Monnot, notaire, le jour d'hier, insinué le 16 février 1787. » Arch. de la Seine. Reg. d'insinuations de vente, 130 f° 122. « Par acte contenant transport passé devant Giltard et son confrère, notaires à Paris, le 10 mars 1789, il a été cédé et transporté à Jean-Baptiste Simonnot, bourgeois de Paris, y demeurant, cul-de-sac Pecquet, paroisse Saint-Jean-en-Grève, par le fondé de procuration de Bénigne Poret, chevalier vicomte de Blosseville, chatelain du Boisherout, Baroy, Du Buchy, seigneur d'Enfreville-la-Campagne, SaintAmand des Hautes-Terres, de Boudeville, près Fécamp, Vattelot-sur-Mer et autres lieux; cinq mille cinq cent soixante-dix livres de rente annuelle et perpétuelle, exempte de toute retenue d'impositions présentes et futures au principal de 111.400 livres constitué par Jean Chéradame, adjudicataire de j'enlèvement des boues et de l'entretien du pavé de Paris, et Marie-Marguerite Bourgeois, son épouse, au profit dudit sieur vicomte de Blosseville; de Bon Gilbert Perrot de Chamelles, directeur général du Bureau Royal de correspondance nationale et étrangère et de Louis-Antoine Valentin, ancien contrôleur des guerres, par contrat passé devant Aleaume, notaire à Paris, le 17 novembre 1785, pour le prix de trois portions de terrain vendues par le dit contrat par les dits sieurs de Blosseville et Perrot de Chazelles tant en leurs noms que comme s'étant fait et portés fort du dit sieur Valentin au dit sieur et dame Chéradame, lesquels faisaient partie et étaient à prendre dans l'enclos et terrain formant cy-devant le couvent des Annonciades du SaintEsprit, dites de Popincourt, acquis conjointement par les susnommés du fondé de procuration des dites Dames par acte passé devant Lagrenée, notaire à Paris, le 15 may 1781. Le dit transport fait moyennant la somme de


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dans le célèbre Caron de Beaumarchais, des personnes entièrement disposées à lui rendre les plus grands services, soit en l'aidant de leurs conseils, de leur crédit ou de leur plume, soit en lui fournissant tous les fonds nécessaires, non seulement pour élever des manufactures nouvelles de sparterie, tant à Paris que dans les provinces, mais encore pour former dans quelques-unes de celles-ci des plantations de spart, de cette même plante que l'on étoit oblige cy-devant d'aller chercher à grands frais en Espagne; du reste, Monsieur de Berthe ne redoute, ou semble n'avoir plus à redouter maintenant que l'abus du crédit des parens et des amis de sa partie adverse : Madame de Cogorde, crédit dont cette dernière pourroit s'armer contre sa personne en obtenant des ordres supérieurs pour le faire arbitrairement renfermera l'Hôtel de la Force, à Saint-Lazare, à la Bastille.— I, 300.

Un trait véritable et non pas imaginaire concernant le prince Louis et qui semble annoncer en luy plus d'intelligence qu'on en suppose ordinairement, est celui que l'on va lire : l'Hôtel des Mousquetaires Noirs, Faubourg Saint-Antoine, construit vers la fin du dix-septième siècle aux dépens des bourgeois et des autres habitans de ce quartier qui se cotisèrent tous à cet effet pour s'exempter du logement de cette milice turbulente, auquel ils avaient été jusqu'alors assujettis (1). Ce bel et vaste hôtel étant devenu vacant par la suppression des deux compagnies, opérée sous le ministère et par les soins de feu Monsieur le Comte de Saint-Germain. Le bureau de la Ville, con11

con11 livres, pour en jouir en toute propriété ses hoirs et ayans causes (etc.). (Archives de la Seine, Hypoth. Lettres de ratification, 3802).

(1) Après la Fronde, la deuxième compagnie des mousquetaires noirs (ainsi nommés parce que tous les chevaux de cette compagnie étaient de cette couleur) qui tenait quartier à Charenton, vint dans le faubourg SaintAntoine; les officiers demeuraient rue de Reuilly, en face la manufacture de glaces; les écuries se trouvaient petite rue de Reuilly (aujourd'hui rue Erard); les mousquetaires logeaient chez l'habitant qui devaient en outre leur fournir « les ustensiles et le paquet » c'est-à-dire : les fournitures nécessaires à la cuisson des aliments et le billet de logement ou l'équivalent en espèces; cette obligation vexatoire dura jusqu'en 1699. Louis XIV fit construire en 1700, pour ses soldats d'élite, ce magnifique hôtel qui subsiste encore, et où furent hospitalisés en 1778, les aveugles des Quinze-Vingts. Lorsque la caserne fut construite sous la direction de l'habile architecte Robert de Cotte sur un grand terrain, rue de Charenton, on dut lever une taxe de 150.000 livres sur les propriétaires de la rue du Faubourg SaintAntoine; en 1711, les échevins de Paris demandèrent encore aux habitants de la région une nouvelle taxe de 20.000 livres pour réparations des dégâts


jointement avec le chef de la police, passèrent le bail de tous les batimens et terrains en dépendant, à quelqu'un de notre con-- noissance : à monsieur Legrand, ancien premier commis dans les bureaux du vingtième, pour en jouir ainsi qu'il le jugerait à propos ; le parti que prit en conséquence ce dernier fut d'en céder en détail à loyer plusieurs appartemens, jardins, écuries, etc.; quelques-unes de celles-ci restaient encore à louer, Monsieur le cardinal de Rohan l'apprend par les Petites Affiches, s'y transporte aussitôt dans sa voiture, examine le tout avec attention, rencontre sur ses pas le sieur Legrand avec lequel il raisonne longtems à ce sujet et l'engage à venir le lendemain le visiter dans son hôtel, en lui promettant de lui communiquer une idée que la vue des lieux vient de lui suggérer. Le sieur Legrand ne manque pas au rendez-vous, le cardinal alors lui développe le nouveau projet qu'il a conçu dit-il, et digéré dans sa tête pendant la nuit, consistant à faire lui-même, comme grand aumônier de France et comme administrateur en chef à ce titre de la maison royale des Quinze-Vingts, l'acquisition de tout l'hôtel en question pour y transférer l'utile établissement fondé par Louis IX; projet que son Eminence ne tarda point à réaliser comme on l'a vu depuis en agissant sans relâche et très efficacement soit auprès du magistrat de la police soit auprès du corps municipal.

C'est ainsi qu'entre les personnes de la même classe ou de la même espèce :

« Il est des noeuds secrets, il est des sympathies. »

C'est ainsi que par une attraction singulière (pour le dire en passant) nos malheureux confrères sont redevenus encore nos voisins, à peu près comme ils l'avoient autrefois été lorsque nous demeurions au centre de la ville avant que de venir loger dans un de ses faubourgs.

Similis simili gaudet...

Eh ! ne vous déplaise, voilà ce que c'est que de n'être pas seul, de sa bande à l'instar du pauvre sigma de l'alphabet grec. — I. 303, 304. (A suivre).

causés dans l'hôtel des Mousquetaires par la Seine débordée, qui eut l'indiscrétion de venir jusqu'à la rue de Charenton, exploit renouvelé en 1740, ainsi qu'en font toi deux inscriptions dans cette rue; M. E. Coyecque, sousarchiviste du département de la Seine, a signalé à la Société de l'Histoire de Paris ces deux inscriptions commémoratives, le 17 février 1891 et le 14 mars 1893. ( Voir le Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris. 1893,33)


TRANSPORT A TITRE DE RENTE

Fait par GERMAINE DURAND, veuve de GERMAIN PILLON

à EUSTACHE DOGUET, maître boulanger à Mantes,

pour une maison située dans la dite Ville

Vers 1612

Jai, dans son Dictionnaire critique de géographie et d'histoire, a donné de précieux renseignements sur la famille de Germain Pillon ; le célèbre sculpteur avait épousé vers 1557 ou 1558, en premières noces, Madeleine Beaudoux, fille d'un boulanger parisien; celle-ci étant morte en 1567, il se remaria avec Germaine Durant, fille d'un procureur au Parlement, qui, peu de mois après son mariage, mit au monde une fille, Lucrèce. Cette nouvelle union fut loin d'être stérile, puisque Germaine Durant eut douze enfants. Germain Pillon en avait eu trois de son premier mariage : un fils, Raphaël, et deux filles, Claude et Jeanne.

M. E. Grave, archiviste de la ville de Mantes, a trouvé, dans une liasse conservée dans les archives confiées à ses soins éclairés, un document où le nom de la seconde femme de Germain Pillon se trouve mentionné. Il s'agit d'un transport fait par Germaine Durant, vers 1612, à un boulanger de Mantes, d'une maison sise audit lieu. La famille des Durant était-elle originaire de Mantes ? Cette maison appartenait-elle à Germaine Durant par héritage paternel ? Cela serait possible et rattacherait ainsi, par alliance, le grand artiste à la ville de Mantes.

M.

Par devant Claude Embreulard, tabelion juré, ordonné et estably au marquisat de Rosny pour Monseigneur le duc de Sully, pair de France et marquis dudict Rosny, fut présent en personne Noble homme Maistre Philippes Chantier, advocat en Parlement à Paris, y demeurant rue de la Bièvre, paroisse de la Madalaingne, estant de présent aux faulbourc Sainct Lazare de Mante, procureur spéciallement fondé de (et ?) procuré de procuration à l'effect de présent, de honorable femme Germaine Durant, veufve de feu Maistre Germain Pillon, vivant sculpteur du Roy et contrerolleur général des monnoyes de France, tant en son nom que comme tutrice des enfans dudict deffunct et d'elle, soy faisant et portant d'eux, passée par devant Chauvin et Parque, notaires au Chastellet dé Paris, le unziesme jour des présents mois et an, demeurée vers ledict Chantier et transcrite vers la fin des présentes (1). Lequel sieur Chantier recongneu et

(1) Cette copie de procuration manque.


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confessa et par ces présentes recongnoist et confesse avoir baillé, ceddé, quitté, transporté et délaissé à tittre de rente annuelle et perpétuelle, du tout dès maintenant et à tousjours, et promect oudict nom garantir des faictz et promesse de ladicte veuve Pilon, esdicts noms, à Eustache Doguet, marchand et maistre boullenger à Mante, y demeurant, et Christine Neslet, sa femme.... une maison de fond en comble, size en ceste ville de Mante, rue de la Madelaine, ainsy qu'elle se poursuit et comporte, etc., etc.

(Contrat passé vers 1612; extrait des Archives de la ville de Mantes, liasse du fief de Guiry ; copié par M. E. GRAVE, Archiviste de la ville de Mantes.)

UN SCEAU MATRICE INCRUSTE D'ARGENT

Ce sceau matrice est de forme ogivée et d'assez grande dimension : 0m07 sur 0m045. Il représente saint Pierre tenant de la main droite une grande clef à double panneton et, de la main gauche, un livre fermé, encadré dans un édicule architectural à pénacles de lourde allure.

Au-dessous, un écusson à trois tourteaux : 2 et 1, placé sur un bourdon à double pomme entre deux branches feuillées.

La légende, en caractères gothiques carrés, court entre deux rangs de grénetis; elle est ainsi conçue :

S : DNI IOHTS DE PETRA LATA DECANI CAIRIACI

(sceau de Monseigneur Jean de Peyralade, doyen de Cayrac).

Mgr Barbier de Montault a publié, dans le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques (1), une description de ce sceau, description qui n'est pas complète parce qu'elle passe sous silence un détail important de la plus grande rareté.

Tous les sceaux matrices que nous connaissons sont exclusivement formés d'un seul métal cuivre, bronze, argent ou or. Ni M. Delaborde, ni Douet d'Arcq, ni Demay n'ont signalé d'exception à cette règle. Il y en a cependant, car une des matrices de la collection Dongé présentait un assez curieux essai de polychromie métallique par incrustation d'argent sur cuivre rouge. La figure de saint Antoine qui y était représentée avait la tête taillée dans un petit bloc d'argent (2).

(1) Année 1884, p. 58.

(2) Catalogue Charvet, n° 68.


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Une incrustation analogue caractérise le sceau de Jean de Peyralade et lui donne un aspect somptueux qu'on n'est pas habitué à trouver dans cette classe d'objets. L'écusson aux armes du doyen de Cayrac est en argent et ressort ainsi vigoureusement parmi les autres ornements gravés sur un champ de cuivre rouge.

Mgr Barbier de Montault dit que le saint Pierre placé sur ce sceau doit être le titulaire de l'église décanale. Rien de plus vrai. Le doyené de Cayrac (commune de Réalville, canton de Caussade, Tarn-et-Garonne) était en effet placé sous l'invocation de saint Pierre et de saint Géraud, comte d'Aurillac, qui l'avait fondé et doté. Il n'en reste plus rien aujourd'hui qu'une mauvaise grange abritant une fontaine qui donne lieu à de curieuses superstitions.

A l'aube du moyen-âge, ce prieuré eut une réelle importance. Sigebert III, d'Austrasie, en donna l'église et les terres, vers 650, à l'évêque de Cahors (1). L'abbé de Fouilhac, l'ami et l'agent de l'intendant Foucault, déclare, dans son histoire manuscrite du Quercy, y avoir vu les ruines d'un grand édifice dont les murs construits en petit appareil lui parurent d'origine romaine (2).

Son opinion mérite d'être prise en considération, car nul ne connaissait mieux les constructions antiques de Cahors, dont il parle avec une intelligence des choses remarquable pour l'époque.

Quant à la famille de Peyralade, elle a laissé quelques traces dans l'histoire du Quercy. Son plus ancien représentant connu, servait, en 1355, sous les ordres du comte d'Armagnac, comme capitaine de Puylaroque (3). Les plus récents jouèrent un certain rôle pendant les guerres de religion, et furent pendus en juin 1562, comme coupable, de trahison, à Montauban, par les ordres de Marchastel (4).

J. MOMMÉJA.

(1) Histoire du Languedoc (Édition du Mège), 1. II, p. 20.

(2) Manuscrit en ma possession, t. 1, p. no.

(3) Parfouru et de Carsalade, les Sceaux gascons du moyen-âge, t. II, p. 441.

(4) Guillaume Lacoste, Hist. gén. de la province de Quercy, t. IV, p. 154. — La terre de Guillaynes, dans la commune de Monteil, fut longtemps la propriété de cette famille, avant d'être celle de l'auteur de cette note. Les débris d'un très ancien château y ont remplacé une station de l'âge du

bronze, avec enceinte surélevée en terres gazonnées, cachettes souterraines, haches en bronze, percuteurs et polissoirs, etc.


RÉPONSE

Archéologie sociale : Les médailles de mendicité à Lodève (220). — M. R. de Beauchamp a publié dans le Bulletin de numismatique (1901, n° de décembre), une notice sur une médaille de mendiant de Bordeaux ; cette pièce a été faite, en 1803, à la suite d'une réglementation, dont l'auteur donne le texte. M.

CHRONIQUE

~ Nous enregistrons avec de vifs regrets la mort de M. JacquesGabriel Bulliot, correspondant de l'Institut, archéologue à Autun,. l'homme qui a fait le plus pour le progrès des sciences historiques dans le Morvan; — de M. Georges Bourbon, ancien archiviste de Tarn-et-Garonne et de l'Eure, à peine âgé de cinquante ans.

~~ A l'occasion du Ier janvier, M. Bernard Prost, inspecteur général des bibliothèques, a été nommé chevalier de la Légion d'Honneur.

~~ Le musicien Jean Van Ockeghem. — L'article publié dans notre numéro de décembre 1900 par M. Antoine Thomas sous ce titre : " Le musicien Ockeghem ; une date nouvelle pour sa biographie » a attiré l'attention des historiens de la musique. Sont à noter les déclarations suivantes de M. Michel Brenet, parues dans le n° 2 (février 1901) de la Revue d'histoire et de critique musicales : « Je ne mets pas en doute que le personnage appelé, dans le compte de l'argentier du duc de Bourbon, Johannes Obreghan, ne soit bien réellement Ockeghem. C'est une variante de plus à ajouter aux vingtsept que j'ai énumérées. Celle qui orthographie le nom Obreghem, et dont M. Thomas me reproche de n'avoir pas indiqué la provenance, est fournie par un « aveu rendu le 6 novembre 1483 à Jean de Obreghem, trésorier de Saint-Martin de Tours, par Geoffroi Chiron, chambrier de cette église, » aveu dont le texte a été publié par Carré de Busseroles, Dict. g.éogr. hist. et biogr. d'Indre-et-Loire, t. II, p. 163, art. Chdteauneuf... Deux ans après moi, en 1895, M. le comte de Marsy fit paraître dans les Annales du cercle archéologique de l'a ville et de l'ancien pays de Termonde, 2e série, t. VI,. une nouvelle notice sur Jean de Ockeghem, dans laquelle il ne fit pas mention du compte


découvert par M. Vayssière et des communications de M. Thomas.. Il est donc très heureux que M. Thomas ait de nouveau « repris l'affaire » et l'ait portée, dans une Revue exclusivement musicale, à la connaissance immédiate de ceux qu'elle intéresse le plus. »

Dans ces dernières lignes, M. Brenet fait allusion à l'article intitulé : « Le maître de chapelle de Charles VII, » qui a paru dans le n° I (janvier 1901), p. 18-21, de la Revue d'histoire et de critique musicales sous la signature : A. THOMAS, et qui est identique, comme fond, à celui que nous avons publié. Cet article vient S'être réimprimé avec les observations de M. Brenet, dans les Annales du Cercle archéologique de la ville et de l'ancien pays de Termonde, 2e série, t. IX, sous ce titre : Jean Van Ockeghem ; sa carrière de 14,44 à 1453 (8 pagesin-8°, tiré à 25 exemplaires.)

Notre collaborateur nous prie de déclarer que le seul texte dont il ait corrigé les épreuves et dont il accepte la pleine responsabilité est celui qui a paru dans la Correspondance historique et archéologique.

~~~ Société nationale des Antiquaires de France. —

Séance du 8 janvier 1002. — M. Michon signale, de la part du R. P. Germer-Durand, des inscriptions trouvées en Palestine. — M. Lafaye entretient la Société de deux découvertes faites dans le département du Vaucluse, par M. Franki Moulin, correspondant à Toulon. — M. Michon soumet quelques documents relatifs au buste de La Tour d'Auvergne, qui orne la salle des séances. — M. le comte Delaborde fait une communication sur les différents locaux occupés successivement par le Trésor des Chartes, avant d'arriver à l'Hôtel de Soubise. — M. Héron de Villefosse signale de la part de M. Bizot, une nouvelle mosaïque qu'on découvre en ce morn ent à SainteColombe (Enlèvement d'Hylas).— Séance du 22 janvier.— M. Cagnat entretient la Société d'une plaque de plomb, à formules magiques, récemment entrée au Musée de Tunis ; il y signale quelques particularités onomastiques. — M. Monceau étudie une inscription africaine trouvée à Henchir Djottana: c'est une épitaphe qui renferme de curieuses analogies avec des versets de l'Ancien Testament et avec des formules lues sur des tombes juives d'Italie. — Séance du 20 janvier. — M. H. Martin met sous les yeux de ses confrères quelques portraits tirés de manuscrits et émet le voeu qu'il soit fait un inventaire des documents iconographiques de cette sorte, qui existent encore, afin d'arriver ultérieurement à Former un corpus iconun pour le moyen âge français. — M. Omont communique un petit lexique d'abréviations latines imprimé à Brescia en 1534; il le considère comme le plus ancien lexique de ce genre qui ait été composé à l'usage des étudiants. — M. Héron de Villefosse annonce de la part de M Berthelé, la découverte à Poitiers d'une Minerve en marbre blanc il fait ensuite circuler la photographie d'une patène d'argent, trouvée


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en Syrie ; enfin il signale l'entrée au Louvre d'un monument byzantin, offert par M. W.-R. Paton. — M. Michon signale au nom du R. P. Germer-Durand, la découverte de nouveaux blocs du canal dit de Salomon, à Jérusalem, portant des inscriptions romaines. — M. le capitaine Espérandieu entretient la Société des nouvelles mosaïques récemment exhumées à Sainte-Colombe (Isère) et d'un mur formé entièrement d'amphores romaines, qu'on vient de mettre au jour sur la même terrasse. — Séance du S février. — M. Martin a reçu de M. Ginot une photographie de la Minerve en marbre, récemment trouvée à Poitiers ; il en fait circuler la photographie. — M. P. Girard montre la photographie du même objet qu'il a reçue de son côté, de M. Audouin, professeur à l'Université de Poitiers. — M. P. Durrieu signale l'existence dans des manuscrits de La Haye de deux miniatures remarquables qui présentent les caractères distinctifs des oeuvres de Jean Fouquet. — M. J. Gauthier soumet à la Société trois petits bronzes : un satyre et deux écussons avec blasons.

Comptes-rendus :

~~ Beaumont (Cte CH. DE) : Les jetons tourangeaux; — Châlonsur-Saône, Em. Bertrand, 1901, 97 pp. et 5 pl. (Extr. de la Gazette numismatique française.)

Voici une monographie qui rendra de réels services aux érudits tourangeaux. L'orateur a étudié et décrit successivement les jetons des maires de Tours, des gouverneurs de Touraine, des archevêques de Tours, du chapitre de Saint-Martin, des notaires, des sociétés diverses, des familles et des jetons anonymes. Des renseignements biographiques très précis sont donnés sur chaque personnage, et les nombreuses reproductions ajoutent encore à l'intérêt et à l'utilité de ce travail, qui devra figurer dans toutes les bibliothèques tourangelles.

M.

~~ Bouillet (l'abbé A.) : L'art religieux à l'Exposition rétrospective du Petit-Palais en 1900; — Paris, A. Picard et fils; Caen, H. Delesques, 1901, in-8°, [2]—71 pages, avec 37 planches hors texte en similigravure (Extr. du Bulletin monumental, 1901).

M. l'abbé Bouillet a fait tirer à part les très intéressants articles qu'il avait consacrés dans le Bulletin monumental aux différentes séries d'objets réunis au Petit-Palais. Ces articles étaient eux-mêmes la réédition, sous une forme plus méthodique et avec quelques nouvelles remarques techniques, d'articles publiés dans le journal la France illustrée. A son tour, le tirage à part est augmenté, de choses de peu d'importance comme texte, mais de plusieurs planches nou-


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velles dont la présence doit être signalée (tau en ivoire du musée de Chartres; ivoire du Martyre de saint Barthélémy, au musée d'Albi; châsse de Saint-Bonnet-Avalouze (Corrèze); tryptique-reliquaire de Sainghin (Nord); buste-reliquaire de saint Baudime, à Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme); reliquaire de saint Vivien, à Bruyères (Seine-et-Oise); Vierge de Beaulieu (Corrèze); scyphus, dit Sainte-Coupe, de la cathédrale de Sens; ostensoir de Plougasnou (Finistère); croix processionnelle d'Ahetze (Basses-Pyrénées) ; instrument de paix de la cathédrale de Nice).

L. R.

~ Planchenault (Adr.) : Les jetons angevins; — Chalon-surSaône, Em. Bertrand, 1901, 116 pp. et 6 pl. (Extr. de la Galette numismatique française).

Nous signalons plus haut une monographie tourangelle; un travail analogue, concernant l'Anjou, a été fait par M. Adr. Planchenault. C'est une importante étude, que la publication de nombreux documents, extraits des archives municipales d'Angers, a rendu des plus intéressantes. On ne saurait trop louer des ouvrages de ce genre, écrits avec une méthode scientifique que nous souhaitons de voir appliquer par tous les auteurs de travaux analogues.

M.

~~ Quarré-Reybourdon (L.) : Congrès archéologique à Agen (Lot-et-Garonne) et Auch (Gers), du 11 au 18 juin 1901; — Lille, L. Danel, 1902, 58 pp. et pl. (Extr. du Bull, de la Société de géographie de Lille, 1901).

Compte-rendu détaillé des excursions du Congrès ; une bonne planche reproduit le curieux château de Bonaguil (Lot-et-Garonne), construit en 1480 par Bérengerde Roquefouil; d'intéressants renseignements historiques complètent les descriptions des divers monuments, consciencieusement étudiés par M. L. Quarré-Reybourbon.

M.

Périodiques :

~~~ Bulletin de la Société des amis des arts du département de l'Eure, XVI, 1900 : S. Cauët. Un peintre normand au XVIIIe siècle, Sixc et son oeuvre (suite et fin), pp. 37 à 113 et 2 pl. [portraits de Godefroy-Charles-Henry de la Tour d'Auvergne, prince de Turenne, plus tard duc de Bouillon, et de Gabrielle de Lorraine, sa femme].

~ Bulletin de la Société d'archéologie lorraine, 1901, n° de nov. : E. Duvernoy, Sentence arbitrale prononcée par René II, en 1488, pp. 242 à 245. — L. Germain, Taque de foyer aux armoi-


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ries du duc Charles III, pp. 245 à 248 et grav. — J. Nicolas, Inscriptions funéraires dans l'église de Vigneulles-lès-Hattonchàtel, pp. 248 à 251. — L. Germain, Identification de quelques localités pour la liste des vassaux du comté de Bar en 1311, pp. 251 à 256. — Du même, Fondeurs de cloches lorrains en Artois et en Picardie, d'après un travail récent, pp. 256 à 263. — E. D[uvernoy], Chartes d'Antoine et de Ferry II, comte de Vaudémont, note additionnelle, p. 263. — L. G[ermain], Une question sur Jean d'Arc, frère de la Pucelle, pp. 263-264.

N° de déc. — Ch. Guyot, Les Cloches de Mirecourt, pp. 269 à 272.

— J. Beaupré, Le briquetage de la Seille et les fouilles faites en 1901 à l'occasion du Congrès d'anthropologie de Metz (suite), pp. 272 à 276 et 2 pl. — L. Germain, Les cloches de fondeurs lorrains dans le canton de Beine (Marne), pp. 276 à 282. — L. G[ermain], Portraits de princes lorrains à Florence, pp. 282-283. — H. Labourasse, Note sur Jean d'Arc, frère de la Pucelle, pp. 283-284.

~ Bulletin de l'Institut international de bibliographie, 1901, fasc. 1-3 : H. Lafontaine, Bibliographia bibliographica, répertoire annuel des travaux de bibliographie, année 1899, pp. 5 à 84. — P. Otlet, Comment classer les pièces et documents des sociétés industrielles, pp. 85 à 124. — M. Mourlon, Sur l'état d'avancement du répertoire universel des travaux concernant les sciences géologiques, pp. 125 à 128. — H. Field, Sur l'état d'avancement du Concilium bibliographicum de Zurich, pp. 129 à 135.

— Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, 6° série, t. X, 1899 [1901] : E. Pottier, Note sur des poteries rapportées du Caucase par M. le baron de Baye, pp. 1 à 16. pl. et grav. — A. Pallu de Lessert, De la compétence respective du proconsul et du vicaire d'Afrique dans les démélés donatistes, pp. 17 à 32. — Baron de Baye, Les oiseaux emplovés dans l'ornementation de l'époque des invasions barbares, pp. 33 à 52, 2 pl. et grav. — Cte Delaborde, Le plus ancien acte de Philippe-Auguste, pp. 53 à 62.

— R. Cagnat, Les mines de Leptis Magna à la fin du XVIIe siècle, pp. 63 à 78, pl. et grav. — E. Michon., Statues antiques trouvées en France., au Musée du Louvre ; la cession des villes d'Arles, Nîmes et Vienne en 1822, pp. 79 à 173, 2 pl. et grav. — H. Stein, Un fragment de tapisseries des victoires de Charles VII au château de Fontainebleau, pp. 174 à 188 et pl. — Adr. Blanchet, Étude sur les figurines de terre cuite de la Gaule romaine, pp. 189 à 272 et 6 pl. — J. Maurice, Détermination de l'époque où furent frappées les monnaies qui portent au revers l'inscription : Constantiniana Dafne, et de. la localité de Dafne désignée par cette légende, pp. 279 à 288. — U. Robert,


Le tombeau et les portraits de Philibert de Chalon, prince d'Orange, pp. 289 à 304. — G. de Manteyer, Le sceau-matrice du comte d'Anjou, Foulques le Jeune (1109-1144), pp. 305 à 338 et grav. — L. Poinssot, Inscriptions de Bulgarie, pp. 339 à 381.

~~ Revue de l'Art chrétien, 1901, 6e livr. : J. Helbig, Godefroid-Egide Guffens [peintre, mort à Bruxelles, le 11 juillet 1901], pp. 455 à 462 et pl. — J. Bilson, Les origines de l'architecture gothique; les premières croisées d'ogives en Angleterre, pp. 463 à 480 et grav. — L. Cloquet, Essai sur la décoration architectonique (5e article), pp. 481 à 487 et grav. — Em. Lambin, Du rôle de l'arum dans la flore gothique, pp. 488 à 497 et grav. — L. Cloquet, La restauration des monuments anciens, pp. 498 à 503.

1902, Ire livr. — W.-H. James Weale, La dernière peinture de Jean Van Eyck, pp. 1 à 6 et 3 pl. — L. M.aitre, Le culte des Saints sous terre et au grand jour, pp. 7 à 20 et grav. — A. Ledieu, La bibliothèque d'Abbeyille à l'Exposition Universelle de 1900, pp. 21 à 30 et grav. — F. et N. Thiollier, L'ancien clocher de la cathédrale de Valence, pp. 31 à 40 et grav. — L. Cloquet, La restauration des monuments anciens, pp. 41 à 45. — Mélanges : J.-H., Le symbolisme des couleurs liturgiques. — Em. Lambin, La peinture sur verre au Moyen Age. — L. de Farcy, La tube du tertre Saint-Laurent [lanterne des morts]. — L. de Farcy, L'ordre de la Croix.

~~ Souvenirs et Mémoires, n° 24 (juin 1900) : Le maréchal de Saint-Arnaud, lettres inédites, pp. 481 à 517. — Lettres.

N° 25 (juillet 1900) : F. Bouvier, Un amour de Napoléon [Mme TurTeau de Linières], pp. 1 à 38. — F. de Castegent, Mémoires d'un ancien officier de l'armée de Condé [Camille Deleuz.e], pp. 39 à 71. — Dr Lécuyer, Le colonel Belly de Bussy et la bataille de Craonne (8 mars 1814), pp. 72 à 77. — Lettres inédites du maréchal de SaintArnaud (suite), pp. 78 à 91. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 92 à go. — Pages 33 à 48 du Journal de Louis XVI.

N° 26 (août 1900) : F. de Castegent, Mémoires d'un ancien officier de l'armée de Cöndé (suite), pp. 132 à 157. — F. Bouvier, Un amour de Napoléon (fin), pp. 151 à 184. — Une délibération contre les ducs fantaisie, 1717], pp. 185 à 187. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 188 à 192. — Pages 34 à 80 du Journal de Louis XVI.

N° 27 (sept. 1900) : Gaston Duval et Marc Furcy — Raynaud, Souvenirs de Mme Mole sur le théâtre de Paris (1796-1815), pp. 193 à 218 •document intéressant pour l'hist. de la Comédie-Française pendant la Révolution; Mme Mole auteur dramatique]. — Mémoires d'un ancien officier de l'armée de Condé (suite), pp. 220 à 256. — Les dispenses


du service militaire [en 1804], pp. 279-280. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 283 à 288. — Pages 81 à 96 du Journal de Louis XVI.

N° 28 (oct. 1900) : Nouvelles de Rome : Un tableau de la cour papale [avant 1798]; Lettres inédites de Mgr. de Salamon [1807]; Rome en 1817 : La succession du cardinal d'York; La mort du pape Léon XII, pp. 289 à 325. — Lettres inédites du maréchal de Saint-Arnaud suite], pp. 347 à 378. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 379 à 384. — Pages 97 à 112 du Journal de Louis XVI.

N° 29 (nov. 1900) : Saint-Paul, Journal du siège de Pondichéry en 1778, pp. 385 à 418. — Les mémoires de Mme d'Épinay (suite), pp. 418 à 439. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 474 à 480. — Pages 113 à 128 du Journal de Louis XVI.

N° 30 (déc. 1900) : Le siège d'Ehrenbretstein en 1706 et les funérailles de Marceau, journal d'un officier français, pp. 481 à 512. — Le duc de Choiseul, le cardinal de Bernis et les Jésuites [2 dépêches inéd. de C. et de B., 1769], pp. 522 à 536. — Lettres inédites du maréchal de Saint-Arnaud (suite), pp. 537 à 571. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 572 à 576.

N° 31 (janv. 1901): L.-G. Pélissier, Interrogatoires par le commissaire Caire sur les actes de Masséna et de Pons de l'Hérault pendant les Cent-jours, pp. 1 à 34 [arch. des Bouches-du-Rhône]. — Mémoires d'un soldat de l'ancien régime, pp. 35 à 60 [1716, campagne du Levant, Bibl. Arsenal, ms, 3825]. — Une requête de StéphanieLouise de Bourbon-Conti [3 pluviôse an VIII], pp. 61 à 66. — La correspondance de Fiévée avec Napoléon, pp. 67 à 71 [note de F. luimême]. — Une lettre du cardinal Maury [à Arnaud de Montor, 3 janvier 1806], pp. 71 à 74. — Les mémoires de Mme d'Épinay (suite), pp. 75 à 90. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 91 à 96.— Pages 129 à 144 du Journal de Louis XVI.

N ° 32 (février 1901) : Napoléon, Murat et le roi de Prusse : lettres inédites (1812), pp. 97 à 125. — Mémoires d'un soldat sous l'ancien régime (suite), pp 126 à 155. — Lettres inédites de Millin, de François (de Neufchâteau) et de Chardon de la Rochette, pp. 156 à 163. — Lettres inédites du Mal de Saint-Arnaud (suite), pp. 164 à 187. — P. B., Les livres d'histoire, pp. 188 à 192.— Pages 145 à 160 du Journal de Louis XVI.

Les Directeurs-Gérants : F. BOURNON et F. MAZEROLLE.

SAINT-DENIS. — IMPRIMERIE H. BOUILLANT, 20. RUE DE PARIS. — 14219


FEVRIER 1902.

RENSEIGNEMENTS ADMINISTRATIFS

~~ Par arrêté en date du Ier mars, ont été nommés :

Officiers de l'Instruction Publique : MM. V.-E. d'Auriac, bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. — C. Bloch, archiviste du Loiret. — G. Bonhoure, conservateur de la Bibliothèque de Vendôme. — A. Bonneau, bibliothécaire de la bibliothèque de Saint-Germain-enLaye. — Drot, archiviste-adjoint de l'Yonne. — C. Enlart, sous-bibliothécaire à la bibliothèque de l'École des Beaux-Arts. — Goudard, conservateur du cabinet numismatique de Nîmes. — José-Maria de Heredia, administrateur de la bibliothèque de l'Arsenal. — A. Judas, conservateur de la bibliothèque de Soissons. — Paul Latieule, conservateur de la bibliothèque d'Autun. — Ed. Pouzadoux, attaché au Musée de sculpture comparée au Trocadéro. — Ch. Sellier, inspecteur des fouilles archéologiques, attaché au Musée Carnavalet, à Paris.

Officiers d'Académie : MM. C. Anchier, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. — Et. Barbarin, sous-bibliothécaire à la bibliothèque Sainte-Geneviève. — J. Blochet, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. — M. Bonnal, archiviste au Ministère de la Guerre. — T. Bourguignon, bibliothécaire de la bibliothèque de Mézières. — A. Chapuis, bibliothécaire de la bibliothèque populaire de Besançon. — Chareton, bibliothécaire à Langres. — Dunoyer, archiviste aux Archives nationales. — G. Duval, attaché à la bibliothèque de l'Arsenal. — E. Laurain, archiviste de la Mayenne. — Lebrethon, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. — J.-J. Marquet de Vasselot, attaché au Musée de Versailles. — A. Petit, archiviste du département de la Corrèze. — Fr. Soehnée, archiviste aux Archives nationales. — L. Tesson, secrétaire de la commission municipale du Vieux-Paris. — G. Trouillard, archiviste de Loir-et-Cher. —


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MÉLANGES ET RECHERCHES CRITIQUES

UNE MAISON DE DISCIPLINE, A PARIS, EN 1777.

SOPHIE D E M O N N I E R CHEZ MADEMOISELLE D O U A Y

d'après des documents inédits (1).

Arrêtés à Amsterdam le 14 mai 1777, par l'inspecteur de police Debruguières, Mirabeau et Mme de Monnier arrivèrent, sous sa conduite, à Paris, quelques jours après.

Le lendemain, Sophie entrait dans une maison de discipline surveillée par la police, tenue par une demoiselle Douay, et située rue de Bellefond, quartier Montmartre.

Les émotions des jours précédents, jointes au déchirement de la séparation et aux fatigues du voyage, les avaient fort éprouvés. Au moment du baiser d'adieu, Mirabeau fut pris d'une hémorrhagie qui remplit de sang la « calèche », de son amie. « Je t'ai rendue bien malheureuse! » s'écria-t-il. Trop troublée pour répondre et se sentant prête à défaillir, elle s'éloigna sans se retourner; mais sa première lettre relèvera le propos et demandera si ses récentes douleurs peuvent se comparer au bonheur qu'il lui a donné!

L'ordre d'arrestation portait que Mme de Monnier serait enfermée à Sainte-Pélagie. Cependant, sur sa protestation, appuyée par le duc de la Vauguyon, ambassadeur de France, qui avait visité les prisonniers à Amsterdam, par Debruguières, et même, ensuite, par M. et Mme de Ruffey (2), le lieutenant général de police Le Noir consentit, en raison du rang et de l'état de grossesse de la jeune femme, à la faire entrer-provisoirement dans la maison de refuge précitée.

Sophie nous donne la description de cet établissement, qui passait pour un des plus convenables du genre : les chambres,

(1) Archives de M. Lucas de Montigny : lettres de Mirabeau à Mme de Monnier, et de Mme de Monnier à Mirabeau. — Cf, Mémoires de Mirabeau, par Lucas de Montigny (Paris, Chapelle, 1841); Les Mirabeau, tome III, par M. Charles de Loménie (Paris, Dentu, 1889).

(2) Père et mère de Mme de Monnier.


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peu spacieuses, reçoivent jusqu'à sept pensionnaires; elle en a quatre dans la sienne. Les portes sont verrouillées en dehors, les fenêtres garnies de barreaux. De la plus élevée, qui' donne sur Ménilmontant, on aperçoit le couvent de Popincourt, où se trouve Mme de Cabris, soeur de Mirabeau. Quel parti ne tirerait-elle point de ce voisinage, sans la brouille qui les sépare !

On parle, dit-elle, d'un prochain déménagement, d'un transport à la « Nouvelle France », (1) c'est à dire à l'ancienne « petite maison » du comte de Charolais (2), que Mlle Douay se propose d'acquérir, et dans laquelle on lui promet un appartement « charmant », comme s'il en pouvait exister pour elle sans Gabriel!

La promenade n'est point libre; on ne s'y livre, en raison du peu d'élévation des murs, que sous l'oeil vigilant des domestiques : ils ont la haute main partout, entrent à toute heure de la nuit chez les pensionnaires, et les traitent avec la dernière brutalité, quand ils ne les trouvent pas couchées. Deux d'entre eux font « les délices de ces dames, qui jouent et badinent avec eux», parce qu'ils font leurs commissions. Dût-on la taxer de fierté, elle s'abstiendra de les imiter. Elle n'est, d'ailleurs, point de celles qui songent à la fuite : où irait-elle, sans son ami ? Toutes ses compagnes n'ont point la même sagesse, et les tentatives d'évasion sont, parfois, suivies de scènes terribles avec le personnel de la maison. Les filles et les aliénées sont en majorité. Les folles d'amour sont, généralement, d'humeur douce, mais il y a de " vrais démons», en querelle, du matin au soir, et qui font un vacarme affreux. Une nommée Julie, qui loge avec Mme de Monnier, est du nombre : elle est malpropre et «fait enrager tout le quartier». Une autre est «tourmentée de vapeurs affreuses, ne parle que de tuer ou de brûler ».

Autrefois, dit Sophie, on y admettait les hommes. A cette pensée, une lueur de gaîté traverse son esprit: « C'eût été trop joli, cher fanfan, si l'on nous avait mis ensemble! Il n'y en a plus qu'un, qui est imbécile, mais ils ne l'ont pas tous été; c'est pourquoi il n'y en aura plus !»

Ce qui lui plaît; c'est l'absence de " bigoterie ». On va à la messe et à vêpres, le dimanche, et c'est tout !

(1) Endroit qui tirait son nom d'une guinguette où se réunissaient les hommes partant pour le Canada ou Nouvelle France. La caserne de la " Nouveile France» qui existe encore, a été construite en 1762.

(2) Maison spacieuse, en réalité, et que Sophie qualifie de «château »


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Au milieu de ce monde répugnant, elle a fini par trouver une amie dont la situation se rapproche de la sienne, car elle a été, l'année précédente, arrêtée et enfermée au moment où elle prenait la fuite avec son amant. Alexandrine (c'est son nom) travaille pour vivre, et sa misère est lamentable. Par un hasard singulier, il se trouve que son mari est avocat du marquis de Mirabeau (1), dont elle connaît toute la famille, y compris le fils aîné a qui a beaucoup d'esprit » et qu'elle a vu, quelquefois, chez son mari. — « Est-ce bien quelquefois, mimi ? » insinue la soupçonneuse Sophie.

Sans se douter de l'intérêt que ses paroles inspirent à son interlocutrice, Alexandrine lui apprend que le comte est un homme « grand, gros et mal de figure !... »

Sophie va tâcher d'obtenir qu'elle couche dans sa chambre ; toutefois, elle s'abstiendra de confidences, se gardera, surtout, de lui montrer l'Inséparable, petit buste de son amant, qui ne la quitte jamais : il faut qu'on ignore son identité!

Elle trouve encore une société passable chez la femme d'un limonadier, folle six mois de l'année, mais « qui a le ton fort honnête », la mère d'une marchande de modes, et la personne qui la sert. Celles-ci représentent « la crème de la pension ! » Par contre, il y a une femme qui a passé trois ans à l'Hôpital, « avec l'habit », deux autres qui sortent de Sainte-Pélagie, des femmes de sergents du Guet, des tapissières, des ouvrières en linge, des couturières, des marchandes en détail, trois anciennes pensionnaires de la Montigny, une femme entretenue « la femme du peintre du roi Vernet », qui est folle, enfin une tante de Lekain, dont la manie est de prendre les cailloux pour des diamants !

Quant à la directrice de la maison, elle est aimable et Sophie n'a qu'à s'en louer : elle ne l'a point fait fouiller, comme la règle l'exige, le jour de son arrivée, et se montre pleine d'attentions — intéressées, peut-être, mais dont il ne faut pas moins lui savoir gré.

Mme de Monnier a l'autorisation d'écrire à M. Le Noir, lieutenant général de police, quand bon lui semble; c'est luimême qui en a expédié l'ordre : faveur grande, car c'est à peine si l'on permet aux autres pensionnaires de donner signe de vie à

(1) Mme de Monnier ne le nomme point, mais il s'agit évidemment d'Aved de Loizerolles : il est question de lui dans les Lettres de Vincennes.


leurs familles quatre fois l'an. Il l'a, de plus, recommandée à Mlle Douay, a prescrit de ne rien lui refuser et de se fier à sa parole d'honneur. On l'a inscrite sous le nom de « Madame de Courvière », nom d'un fief de son mari, mais on l'appelle, communément, « Madame Sophie ».

Dès son arrivée, son premier soin a été de s'informer du sort de son amant. Malheureusement Debruguières, dont le caractère est peu malléable, mais qui, séduit, comme tant d'autres, par le prestige de Mirabeau, est devenu son ami, et un ami désireux de lui être utile, a quitté Paris. Chargé de fréquentes missions, il reste quelquefois de longs jours hors de la capitale. Lui seul peut leur donner des nouvelles, et il le fera, sans doute, à son retour, d'autant mieux que, chargé de la police du quartier Montmartre, il demeure dans le voisinage. Quant aux serviteurs de la maison, on ne peut songer à les corrompre: celles qui l'ont tenté ont toujours été découvertes et sévèrement punies.

En attendant, elle prépare des lettres pour son amant. Opération peu aisée, car, pour écrire, comme pour lire, elle a besoin de solitude, et n'en trouve que dans sa chambre (encore faut-il qu'il n'y ait point de malades !) aux heures des repas.

Elle fabrique de l'encre avec des clous trempés dans du vinaigre, recette qu'elle recommande à Mirabeau, comme préférable au café, dont elle s'était d'abord servie. Tremblant d'être surprise, elle écrit sur des livres qu'elle appuie sur ses genoux. Mais où serrer ses lettres, son encre, son papier ? Debruguières lui a promis soit une cassette, qui passera pour apportée d'Amsterdam, soit une commode à secret, mais il demeure invisible, et, en attendant, elle reste en proie à l'embarras !

Revenu enfin de « campagne » le 10 juin, le policier lui déclare que Mirabeau est, depuis trois jours, à Vincennes, et que sa santé ne laisse point à désirer. Cependant elle se rappelle l'état dans lequel il l'a quittée, et n'en veut rien croire: « Debruguières, écrit-elle, fit ce qu'il put pour m'assurer sur ta santé, et me dit que tu n'avais encore rien mangé, mais que tu souperais. Je suis bien inquiète de ce que ton saignement de nez est si long ! Cela doit beaucoup t'affaiblir, surtout ne mangeant rien ! » Elle ne se trompait point : il était sérieusement souffrant.

Le premier billet de Mirabeau transmis par Debruguières à Sophie, est succinct. Il s'en excuse sur le grand nombre de lettres qu'il est obligé d'écrire, par exemple à sa mère, qui a


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besoin de consolation, et à Briançon, l'amant de sa soeur Mme de Cabris, avec laquelle il est en froid, mais dont il croit politique de se rapprocher.

Mme de Monnier lui répond qu'elle l'approuve et regrette de ne pouvoir, de son côté, écrire à la marquise, mais sa lettre, ne pouvant être transmise que par lui, dévoilerait le secret de leur correspondance! Quant à Briançon, elle ne saurait trop l'en, détourner : « Je suis bien loin, dit-elle, de te gronder de ta grande bonté, qui a fait tant de fois mon bonheur, mais tu l'as assez connu pour savoir, à présent, le fonds que tu peux faire sur lui. Ainsi, ne lui fais pas de grands sacrifices, bien sûr de n'en recevoir jamais de lui ! »

Un des premiers soins de Mirabeau, à sa sortie de prison, n'en sera pas moins de faire des avances à Briançon : homme pratique avant tout, sans haine comme sans rancune, il s'efforce et s'efforcera toujours de rester en bon termes avec les gens dont il peut avoir besoin.

Tout à coup, Debruguières disparaît : voilà la correspondance interrompue pour plusieurs semaines et le trouble jeté dans leurs âmes, où il est assez curieux de constater les mêmes appréhensions, les mêmes conjectures : chacun d'eux craint que l'autre n'ait été l'objet d'un déplacement, et s'inquiète de ce qu'il pourra penser de son silence : « Si la tranquillité est le symptôme d'une âme ferme, écrit Mirabeau, que la mienne l'est peu ! » Chacun, cependant, se console en songeant que l'autre ne peut « douter de son coeur ! »

Cependant Sophie, ne sachant à quelle cause attribuer l'absence de Debruguières, prie Mlle Douay de porter une lettre à M. le Noir et de lui demander des nouvelles du policier. Elle s'y rend, en effet, mais, à son retour, déclare que le lieutenant général de police n'a cessé d'éluder la question : « Ce n'est pas le moyen de me rassurer! » s'écrie-t-elle. Jamais, même dans les moments les plus difficiles, elle n'a eu à subir un pareil contre-temps !

Debruguières reparaît le 4 juillet, et, interrogé par Sophie sur le motif de son absence, lui affirme que Mirabeau n'en a point été la cause; qu'il se porte et se conduit bien; que sa seule crainte est de rester enfermé au moins un an — perspective dont Sophie se désole — au donjon, dont le commandant, M. de Rougemont, n'a, d'ailleurs, que des éloges à lui décerner. C'est ce même M. de Rougemont que Mirabeau malmènera


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dans ses Lettres de cachet, et qui se vengera en publiant des lettres où le comte lui exprimait « sa reconnaissance ». Il le peint à Sophie comme un être inflexible, esclave de la consigne, ce qui ne laisse point d'inquiéter son amie : « Ce commandant, écrit-elle, est-il toujours aussi sévère? Toi qui adoucirais des tigres, qui avais gagné Saint-Mauris (1) avant que je t'aimasse, ne feras-tu rien de celui-ci? Est-il donc encore plus ours? Que j'en ai mauvaise idée, si tu ne peux rien sur lui! Enfin, il n'est pas plus prévenu que Bruguières : tu as bien changé celui-ci !»

Elle veut savoir — simple curiosité — s'il est marié, s'il y a des femmes au château. Et comme Debruguières a fini par avouer qu'à son arrivée le comte avait été sérieusement atteint de fièvre : « Je m'en doutais bien, s'écrie-t-elle, et on me disait que non ! Dis vite que tu te portes mieux ! Dans quel horrible cachot on t'a mis ! » Suit une série de plaintes sur la rigueur de son traitement : A quelles heures ridicules on le fait manger! Que les meubles dont il donne la description sont « révoltants ! » On ne peut continuer à le servir « dans de l'étain ! » Il faut qu'il demande à Debruguières un couvert d'argent! Puis, revenant à sa santé, elle en attribue le dérangement à leur séparation : « Ah ! dit-elle, je ne le devinais que trop, ton désespoir! Il centuplait le mien! Dans quel abandon tu t'es trouvé, dans, ces premiers jours, et combien la mort serait douce ! Mais, cher enfant, pensons souvent que tu n'as que vingt-sept ans, moi vingt-trois, qu'il est impossible que nous ne survivions pas, et beaucoup, à nos persécuteurs. Patientons donc, conservons nous l'un pour l'autre et pour notre cher enfant ! »

Le chagrin, la maladie avaient donc abattu l'âme, pourtant énergique, de Mirabeau. La dernière ne devait guère le quitter, pendant son séjour à Vincennes ; quant au chagrin, les consolations de sa maîtresse l'aidèrent à le supporter.

Son plaisir était de parler d'elle à son entourage, fonctionnaires et porte-clefs ; attention dont elle lui savait gré : « Cher ami, qui ne s'occupe que de sa Sophie, et qui leur en parle à tous ! » Déjà sous le charme, les braves gens lui apportèrent des fleurs qu'il conserva dans l'espoir de les faire passer par Debruguières à son amie. Mais celui-ci ne venait pas, et elles s'étiolaient dans leur

( 1 ) Commandant du fort de Joux, près Pontarlier, où Mirabeau avait été enfermé en 1775.


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vase : « J'espérais, écrit-il à Mme de Monnier, te les envoyer par Debruguières, couvertes de mes baisers! Mais, hélas ! ces fleurs sont fanées et mes voeux déçus ! Je ne veux plus les regarder, à présent! » Ton mélancolique, expressions dont la simplicité contraste avec les phrases ampoulées des Lettres de Vincennes ! Ce style se rapproche de celui de Sophie, dont la grande qualité est le naturel : ses premières lettres (celles de Pontarlier) ont un parfum de jeunesse, parfois même de naïveté. Les secondes (celles de Paris) révèlent un commencement d'expérience à laquelle Mirabeau n'était, certes, point étranger; les dernières (celles de Gien) sont d'une femme en possession de tous ses moyens.

On formerait un volume des passages tendres ou touchants de cette longue correspondance. Voici des extraits de lettres écrites chez Mlle Douay: « Nous sommes trop malheureux! A moitié endormie, je te cherche près de moi, ma bouche cherche la tienne, ton beau col pour le baiser! Et le réveil est affreux! Et tous les moments que nous passerons ainsi le seront autant ! » — « Gabriel, je sens trop que tu ne résisteras pas! Que notre sort est affreux, ô Dieux! Et quel crime avons-nous commis? Celui de nous aimer, de nous adorer! Ah ! ce n'en est pas un, et je le commettrai toute ma vie, dussé-je en mourir mille fois ! » Elle a un carnet, sur lequel elle a noté les « anniversaires », c'est-à-dire les jours remarquables de leur vie : Elle les rappelle, à l'occasion, à son ami. Une autre fois, le sachant ombrageux et jaloux, elle le prie de l'avertir quand il trouvera des phrases « louches », dans ses lettres, et de ne point la condamner sans l'entendre !

Elle travaille pour lui, confectionne, à son intention, une bourse et des manchettes; cherche une distraction dans la lecture de ses oeuvres, dont quelques-unes ne la quittent point, et dont elle se procure les autres; lui donne des nouvelles de l'enfant qu'elle porte dans son sein, et, prenant ses désirs pour la réalité, parle de son fils : « Le petit ne remue pas, mais il grossit! » Ou: « Je promène ton fils. Il ne grandit guère vite ! » C'est lui qui la soutient dans ses peines : « Je pleure continuellement; je me contrains pour ne pas nuire à ton fils. Pauvre petit! qu'on lui prépare de maux! » Et cette préoccupation ne la quittant point, elle s'en ouvre à Mlle Douay, qui la rassure et affirme que, pour soustraire l'enfant aux malveillants, s'il en existe réellement, elle n'aura qu'à le confier à des mains


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sûres. De son côté, M. Le Noir l'engage à tranquilliser sa pensionnaire et promet de tout arranger à « sa satisfaction ».

Une de ses compagnes ayant demandé et obtenu l'autorisation de nourrir son enfant, elle brûle d'en faire autant : cependant elle y renonce, à la pensée qu'il lui faudrait rester chez Mlle Douay, où elle ne pourrait recevoir son ami, ce qui lui sera plus facile dans un couvent.

Il y a des enfants dans la maison; elle les aime, et, pourtant, leur vue ne laisse pas de l'affliger : « Ces dames ont, ici, une petite parente qui n'a que deux ans. Cette enfant est charmante! Elle s'est endormie, pendant Vêpres, dans les bras de sa tante, à côté de moi. Cela m'a fait penser que nous n'aurions pas le bonheur de tenir, comme cela, notre enfant, de le faire dormir dans nos bras, reposer sur notre sein, le couvrir de nos baisers et de larmes de joie! Cette idée m'a tout serré le coeur. J'ai pleuré! »

Si Sophie s'annonce comme une tendre mère, elle se montre, par contre, fille ingrate : elle ne cessera, d'ailleurs, pendant toute la durée de ses relations avec Mirabeau, de calomnier Mme de Ruffey, et cela, parfois, au moment où celle-ci lui donne des preuves de son affection, où, par exemple, elle prend sur sa cassette particulière de quoi porter à 900 livres la pension de 600 livres à laquelle son mari entend se borner. Il est vrai que Sophie juge encore la somme insuffisante, à cause des dépenses nécessitées par sa situation. Elle pousse Mlle Douay à réclamer, et prie sa mère de reprendre « ses hardes » à M. de Monnier, à cause de la pauvreté de sa garde-robe. Mme de Ruffey fait ressortir l'impossibilité de la démarche, et lui envoie une partie de ses propres effets. Puis elle écrit secrètement à Mlle Douay pour la prier de la tenir au courant des besoins de sa fille, et aussi pour lui recommander de ne point lui laisser d'argent.

Mlle Douay fait part de la lettre à Sophie, qui s'en déclare choquée, et regrette que le prix des ouvrages de femme (6 liards l'aune) soit si peu rémunérateur : même à ce taux, elle consentirait à travailler pour son amant, pour son enfant; pour ellemême, jamais!

Elle ne se résigne point davantage à retourner chez son mari, comme le lui « propose agréablement » sa mère : « Non ! écritelle à Mirabeau, Sophie ne s'avilira point; elle sera malheureuse loin de toi, mais ne sera jamais vile! »

Il faut [reconnaître qu'au moment de l'arrestation à Ams-


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terdam, Mme de Ruffey était (non sans cause) très irritée contre sa fille. Dans sa colère, elle écrit à M. Le Noir qu'elle approuve le choix de Sainte-Pélagie. Sophie s'en émeut — non que l'existence y soit pénible (les détails fournis par ses camarades prouvent qu'elle ne l'est point), mais parce que ce serait lui infliger une tare imméritée. Elle juge avec raison, que, quelque opinion qu'on ait de sa conduite, on ne peut, sans injustice, aller jusqu'à la confondre avec les prostituées. Elle écrit, à ce sujet, à M.de Monnier, une lettre fort digne, qui se trouve dans le recueil de Manuel.

Semblable requête fut-elle adressée à Mme de Ruffey? Toujours est-il qu'elle change brusquement d'avis, et demande que sa fille soit transférée, après ses couches, non à Sainte-Pélagie, mais chez les Bénédictines de Conflans (1), quoique sa vraie place soit, dit-elle, non au couvent, mais dans un asile d'aliénées!

Debruguières communique à Sophie cette lettre, qui n'est point du style habituel de Mme de Ruffey : elle y traite sa fille de sacrilège et la menace du feu; assure qu'en se tuant elle ferait un acte agréable à sa famille (2), enfin déclare que deux lettres reçues d'elle, et dont elle attribue la rédaction à Mirabeau, lui vaudront un supplément de séjour au couvent, après ses couches. Sophie est outrée; l'inspecteur de police ne l'en engage pas moins à répondre, pour remercier sa mère du choix de Conflans.

Non sans hésitation, elle prend la plume, exprime l'indignation que lui a inspirée le projet de Sainte-Pélagie, et la satisfaction avec laquelle elle entrera dans un couvent en quittant Mlle Douay, dont la maison lui paraît, d'ailleurs, « décente ». Puis, s'élevant avec énergie contre les accusations dont sa mère charge Mirabeau : « On ne fait point, écrit-elle, pour un homme, la démarche que j'ai faite, sans avoir pour lui la plus haute estime, et sans être décidée à l'aimer toujours! J'en ai fait mon idole. Je ne changerai jamais! Il m'a tout sacrifié, a tout fait pour moi, travaillait en Hollande pour me faire vivre. J'ai trop appris à le connaître pour qu'un propos sur lui me fasse impression! Je ne prétends pas vous faire, ici, son éloge, mais

(1) Prieuré établi dans le palais de Bourgogne, à Conflans, village situé, non loin des barrières du faubourg Saint-Antoine.

(2) La colère de Mme de Ruffey ne dura point : on la voit, à quelque temps de là, mettre sa fille en garde contre des imprudences qui pourraient compromettre sa vie.


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seulement vous prier qu'il ne soit plus parlé de lui dans nos lettres! »

Elle a, d'autre part, appris avec joie que M. de Monnier ignore sa grossesse, et que l'intention de Mme de Ruffey n'est point de remettre son enfant entre ses mains. Ses vues sont plus modestes : « Confondu dans la foule des malheureux fruits de l'amour, dit-elle, je ne demande que l'oubli pour lui! »

Si, en ce qui là concerne personnellement, sa mère ne lui accorde point son estime, elle aura le regret de ne la point suivre dans cette voie, et s'en remettra au temps pour la justifier : « Il est mille femmes à qui il réussit plus heureusement de ne pas s'afficher ouvertement avec un amant, mais d'en avoir plusieurs ! Sans vouloir censurer personne, j'en pourrais trouver des exemples dans ma famille! » Et elle cite un nom.

Le duc de la Vauguyon a été plus juste : il lui a donné, dans sa prison d'Amsterdam, des marques de considération. Indigné du projet de Sainte-Pélagie, il a écrit à M. Le Noir pour l'en dissuader. On peut d'ailleurs, aisément, s'informer de sa conduite en Hollande, auprès des consuls français en ce pays.

Elle n'en remercie pas moins sa mère et son père, de s'être faits sa «caution » lorsqu'il s'est agi de révoquer l'ordre donné pour Sainte-Pélagie. Adoucissement mérité, car elle ne songe ni à s'évader, ni à correspondre avec Mirabeau. Les seules démarches qu'elle ait tentées ont eu pour but l'obtention d'un couvent et l'anéantissement de la procédure.

Elle ne tient pas à jouir, après ses couches, d'une liberté dont elle n'a que faire. Rentrer chez son mari ? L'acte ne serait ni loyal, ni digne; elle préférerait l'échafaud! Retourner dans sa famille? Elle ne pourrait ni vivre en bonne intelligence avec ses membres, ni leur être de la moindre utilité. Dans l'intérêt de ceux-ci, comme dans le sien, un couvent convenable lui paraît être le seul endroit désormais habitable par elle.

Quant à l'arrêt qui l'a frappée, il faut qu'il soit ou ratifié par le Parlement, ou anéanti : dans le premier cas, sa dot sera confisquée; dans le second, elle reprendra ses droits et recouvrera la liberté de voir celui dont elle a été séparée.

Sans approuver le style trop peu respectueux de cette lettre, à la rédaction de laquelle Mirabeau n'a eu aucune part (elle lui en avait envoyé le texte, mais n'avait pu attendre son adhésion pour en faire usage), on doit convenir que rien ne peint mieux l'énergique franchise de la jeune femme. Debruguières la


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désapprouva, mais ne l'en remit pas moins à M. Le Noir, avec un mot dans lequel Sophie faisait ressortir la dureté de sa mère, qui, disait-elle, s'annonçait, pourtant, comme la personne la plus douce de sa famille!

Le lieutenant général de police en décida l'envoi.

La réplique de Mme de Ruffey n'arriva qu'un mois après : elle est remarquable par la justesse des vues, l'élévation des idées; elle réfute les allégations de Sophie au sujet de M. de la Vauguyon : s'il est allé les voir, à Amsterdam, c'est par égard pour leurs familles, et peut-être aussi par curiosité, car une « héroïne de roman » en éveille toujours. On ne lui fera point violence pour rentrer chez ses père et mère, qui ont toujours bien agi envers elle, dont la seule faute a été de craindre un éclat, et qui auraient dû, malgré son mari, l'enfermer dans un couvent, et faire conduire son séducteur dans un lieu sûr. Alors, sans doute, obéissant à de mauvais conseils, elle se serait évadée, mais elle eût passé pour folle, et c'eût été, pour elle, tout profit!

Le grand tort de M. de Monnier a été son excessive indulgence. M. de Ruffey n'a point voulu d'explications, parce que, dans l'état d'indignation où il se trouvait, il a craint de ne pouvoir se contenir. Ses frères et sa soeur ont d'abord essayé de lui parler le langage de l'amitié, et c'est seulement quand ils ont reconnu l'inutilité de leurs efforts qu'ils se sont opposés ouvertement à ses desseins. Elle a abusé de la confiance de son mari pour les éloigner, et, dès qu'elle s'est sentie libre, elle a pris la fuite!

Suit une énergique protestation contre la crainte exprimée par Sophie de voir ses parents introduire son enfant chez M. de Monnier, comme « un voleur dans des droits qu'il ne peut avoir! » Ils ont de l'honneur, de la religion, de la probité; en l'oubliant, elle leur fait une injure qu'ils n'ont point méritée!

Dans ce tournoi épistolaire, Sophie veut ne point avoir le dessous : à l'entendre, les mobiles qui ont fait agir M. de la Vauguyon ne sont point ceux que sa mère lui prête, car le marquis de Mirabeau a perdu toute considération depuis son procès contre sa femme, et il en est de même de M. de Monnier, depuis son procès contre sa fille, et depuis sa négligence à défendre les droits de sa compagnie (1). D'autre part, il se peut que l'am(1)

l'am(1) président honoraire de la Chambre des Comptes de Dôle, le marquis de Monnier avait été accusé de ne s'être point opposé assez énergiquement à sa suppression, lors des querelles du parlement Maupeou.


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bassadeur de France soit curieux de héros de roman, mais il n'est pas moins vrai qu'il les oblige!

Personne ne lui a conseillé d'esclandre. Quant à l'indulgence et à la bonté dont Mme de Ruffey se targue, elle oublie le passé : c'est grâce à elle que M. de Monnier l'a resserrée au point d'en faire une esclave, que Mirabeau a été arrêté à Dijon et a failli être transféré à Doullens, ce qui l'a décidé à passer la frontière; que, profitant de sa douleur, son frère et sa soeur l'ont persécutée, décriée dans tout Pontarlier, ont découragé ceux qui la servaient, cherché à la mettre dans une maison de force, parlé de la faire attacher comme folle, tandis que son mari lui rendait la vie intolérable et la menaçait d'une lettre de cachet : « L'avenir, dit-elle, ne m'offrait que trois perspectives : la mort, l'esclavage accompagné de désespoir — et le bonheur. J'ai choisi celui-ci : qui aurait pu hésiter? »

Jugeant inutile de prolonger le débat, Mme de Ruffey ne répondit point.

Le 7 janvier 1778, Sophie accoucha, à la Nouvelle-France, d'une fille qui reçut les prénoms de « Sophie-Gabrielle, fille de Marie-Thérèse Sophie Richard de Ruffey, épouse de messire Claude-François, marquis de Monnier, » et qui mourut à l'âge de deux ans, au moment où le marquis venait d'introduire une action en désaveu de paternité.

Six mois après, le 18 juin 1778, Mme de Monnier quitta Mlle Douay et fut conduite, par l'inspecteur de police Quidor, non au couvent de Conflans, qu'on avait sans doute jugé trop voisin de Vincennes, mais dans celui des Saintes-Claires de Gien.

PAUL COTTIN.

COMMENTAIRE ARCHEOLOGIQUE

SUR UN VERS DE VICTOR HUGO

Victor Hugo fut, on ne le sait peut-être pas assez aujourd'hui, un des premiers membres du Comité des Arts et Monuments, où il siégea assidûment, dès 1835, en compagnie de Victor Cousin, Vitet, Auguste Le Prévost, Prosper Mérimée, Charles Lenormand, Albert Lenoir et Didron. Sainte-Beuve a raconté


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jadis quelques séances de ce comité où l'archéologie et la littérature allaient d'un pas égal. Il a dit aussi la griserie d'archaïsme qui monta à toutes les têtes littéraires, la passion gloutonne et désordonnée de vieux textes et de vieux monuments dont furent saisis à la fois tous les disciples du grand poète. Le vieux critique ne se défend pas d'avoir fait comme tous les autres; même à la fin de sa vie, il conservait un souvenir presque reconnaissant aux vieux édifices gothiques devant les naïves sculptures desquels il s'était senti un instant archéologue. Mais bien vite il s'empressait de déclarer qu'en cela encore ils avaient tous subi, sans s'en apercevoir, l'irrésistible ascendant du maître et que, dans toute cette phalange d'artistes et de poètes, il n'y avait qu'un seul antiquaire véritable : l'auteur de Notre-Dame de Paris, le prestigieux évocateur qui, dans la Légende des Siècles, a fait surgir des limbes de l'oubli, les fantômes démesurés de toutes les civilisations mortes.

Partout et toujours, en effet, Victor Hugo se montre ce qu'il fut en réalité, un passionné de vieux monuments et de vieux souvenirs. Le rappel des siècles passés éclate en fanfares mélancoliques ou sonores à toutes les pages de ses oeuvres, alors même que sa plume semble surtout préoccupée de questions et de figures toutes contemporaines. Ainsi ces détails d'érudition minuscule qui envahissent toute la préface du Paris-Guide ; ainsi cette description à la fois technique et rabelaisienne de la curieuse majolique aperçue dans le pauvre mobilier de l'évêque Myriel. Edmond de Goncourt a signalé la constante petite note moyenageuse, la friandise de détails piquants et peu connus, même des érudits de carrière, dont le vieux maître agrémentait ses causeries au moment où la passion politique semblait plus entièrement le dominer.

Il serait à désirer qu'un écrivain à la fois archéologue et lettré, étudiât l'oeuvre et la vie du grand poète à ce point de vue particulier, montrant ce que celui-ci dût à ses goûts d'antiquaire, montrant aussi ce dont lui est redevable, et c'est énorme, l'archéologie française.

A celui-là, s'il se présente un jour, on peut signaler par avance le passage suivant de la pièce des Rayons et des Ombres, datée du mois de mars 1809, et dont le titre est une simple dédicace : A M. le D. d'e *** :


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Jules, votre château, tour vieille et maison neuve, Se mire dans la Loire, à l'endroit où le fleuve, Sous Blois, élargissant son splendide bassin, Comme une mère presse un enfant sur son sein, En lui parlant tout bas, d'une voix recueillie, Serre une île charmante en ses bras qu'il replie.

Et puis vous m'écrivez que votre cheminée

Surcharge en ce moment sa frise blasonnée

D'un tas d'anciens débris autrefois triomphants,

De glaives, de cimiers essayés des enfants,

Qui souillent les doigts blancs de vos belles duchesses,

Et qu'enfin, — et c'est là d'où viennent vos richesses, —

Vos paysans, piquant les boeufs de l'aiguillon,

Ont ouvert un sépulcre en creusant un sillon.

Votre camp de César a subi leur entaille,

Car vous avez à vous tout un champ de bataille,

Et vos durs bûcherons, tout hâlés par le vent,

Du bruit de leur cognée ont troublé bien souvent,

Avec les noirs corbeaux s'enfuyant par volées,

Les ombres des héros à vos chênes mêlées.

Car les temps sont venus qu'a prédits le poète ! Aujourd'hui dans ces champs, vaste plaine muette, Parfois le laboureur, vers le sillon courbé, Trouve un noir javelot qu'il croit des cieux tombé, Puis heurte pêle-mêle, au fond du sol qu'il fouille, Casques vides, vieux dards qu'amalgame la rouille, Et, rouvrant des tombeaux pleins de débris humains, Pâlit de la grandeur des ossements romains.

Le morceau tout entier demanderait nn commentaire très serré et très compendieux, j'entends un commentaire archéologique venant en aide aux glossateurs futurs dont l'oeuvre de Victor Hugo ne pâtira pas. Ce duc quelque peu antiquaire, ce Camp de César aux environs de Blois, ces sépultures, probablement mérovingiennes, pourraient entraîner pas mal de recherches. On trouverait aisément des noms propres et des faits précis pour illustrer ces beaux alexandrins, et peut-être que déjà quelque érudit du bord de la Loire a mené à bonne fin ce travail d'exégèse. De même, on pourrait s'amuser fort agréablement à


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comparer les diverses adaptations françaises des admirables vers de Virgile que Victor Hugo a si magistralement interprétés, et relever les applications plus ou moins heureuses que trop d'archéologues en ont tenté. Nous nous bornerons à appeler l'attention sur les deux vers suivants :

Parfois le laboureur, sur le sillon courbé, Trouve un noir javelot, qu'il croit des cieux tombé.

J'imagine que l'on embarrasserait assez sérieusement un professeur de rhétoriquesi on le priait d'expliquerles faits auxquels le poète a fait allusion. Il verrait là sans doute, une de ces images vagues, pour ne pas dire une de ces négligences imposées par les exigences de la rime, digne tout au plus d'un Delile ou d'un Esménard. Ce serait une grave erreur. Victor Hugo avait en lui, je le répète, l'âme d'un véritable archéologue et, à ce titre, ne savait pas se défendre contre le plaisir d'une allusion dont les seuls initiés pouvaient comprendre le sens véritable. Pour lui, ce noir javelot que le laboureur croit des cieux tombé, est un objet bien connu depuis des siècles, des antiquaires, des naturalistes anciens et surtout des simples paysans. C'est une pointe de flèche en silex taillé, ou peut-être une hache en pierre polie, que, dans les campagnes reculées, on considère encore comme des pierres de foudre, suivant une croyance répandue dans le monde entier et qui était déjà en vigueur au temps des romains.

M. Emile Cartaillac a publié, dans son livre intitulé L'Age de la pierre dans les Souvenirs et superstitions populaires (1), une très importante étude sur cette curieuse superstition. A ceux que le sujet intéresserait, nous recommandons ce qu'en disent sir John Evans, dans les Ages de la pierre; Instruments, armes et ornements de la Grande-Bretagne (2), M. Salomon Reinach, dans sa Description raisonnée du Musée de Saint-Germain-enLaye (3), et M. Georges Perrot, dans l'Histoire de l'Art dans l'Antiquité (4). Je résumerai les faits acquis, et j'ajouterai quelques références qui ont échappé à ces éminents travailleurs. Les hommes primitifs, de même que les sauvages modernes, effrayés parles effets destructeurs de la foudre, ont cru tout natu(1)

natu(1) Reinwald, 1878, gr. in-8.

(2) Traduction E. Barbier. Paris, Baillière, 1878, p. 58-67.

(3) Paris, Didot, s. d. (1889), p. 78-80.

(4) Tome IV. (Paris, Hachette, 1883. p. 118-120.


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Tellement à l'existence d'un dieu du tonnerre armé de haches analogues à celles dont ils se servaient eux-mêmes, c'est à-dire en pierre, et qu'il lançait sur les arbres, les cabanes, les troupeaux, avec une force irrésistible, tuant et détruisant tout sur leur passage, puis disparaissant dans la terre, où on pouvait parfois les retrouver, comme c'était le cas pour les aérolithes.

Cette croyance a subsisté comme tant d'autres, alors que les instruments de pierre, remplacés par des instruments de bronze et de fer étaient oubliés. Le culte antique de Jupiter Labanda, la croyance au marteau de Thor et au marteau d'Indra en sont des témoignages, de même la croyance aux Céraunies dont Pline nous entretient. «Sotacos, dit-il, distingue deux autres variétés de céraunies, une noire et une rouge. Il dit qu'elles ressemblent à des haches, que parmi ces pierres celles qui sont noires et rondes sont sacrées... On prétend qu'il y a encore une autre espèce de céraunies extrêmement rares et recherchées par les magiciens pour leurs opérations, attendu qu'elle ne se trouve que dans un lieu frappé de la foudre (1). Jusqu'au XVIIIe siècle, les lettrés ont cru aux pierres du tonnerre et on a identifié ces pierres avec les haches et les pointes de flèches en silex que le hasard faisait trouver. Les amateurs les classaient dans leurs cabinets, comme Borilly d'Aix, l'ami de Peiresc qui possédait « une pierre de foudre» et un « couteau de pierre d'izade, garni d'argent... Cette pierre, dit-il, a une grande vertu contre la gravelle, dite en latin lapis neffreticus (2), comme Pierre Borrel, dont le cabinet s'enorgueillissait de « deux pierres de tonnerre ", sans compter les pierres de picote, les pierres judaïques, etc. (3); comme le chanoine Le Chantre de Tours, etc. (4). Les lapidaires en faisaient le commerce, et à ce sujet Boèce de Boot s'exprime ainsi: «Or, parce que toutes ces pierres ressemblent à la masse d'un marteau, d'un coin, d'une hache, d'un soc, ou semblables instruments qui ont des trous poury passer des manches, quelques-uns ont cru que ce ne sont pas des flèches de foudre,

(1) Pline. Hist-nat, XXXVII, 51, édit. et trad. Littré.

(2) Ph. Tamizey de Larroque, Boniface Borilly. Aix, 1891, in-8, p. 49 et 50. — Voir Correspondance de Peiresc, IV, p. 49 et 54.

(3) Chroniques du Languedoc, Montpellier, 1877, L. 3. p. 107.

(4) Jodocus Sincerus, Itinerarium Gallioe. Amsterdam, 1655, p. 67. Monconys signale parmi les Raretés du Cabinet du Duc de Saxe «plusieurs pétrifications de bois, et divers poissons imprimés sur la pierre, des pierres de foudre de grandeur démesurée, etc. Journal du Voyage de M. de Monconys, Lyon, 1665, 2° partie, p. 247.


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mais des instruments de fer changes en pierre par le temps. Je baillerois pour dire la vérité, mon suffrage à cette opinion, si plusieurs personnages dignes de foi ne réclamaient, qui assurent d'avoir trouvé de semblables pierres après que les maisons ou les arbres ont été frappés de foudre, à l'endroit et au lieu du coup (1) », Détail peu connu, les fourbisseurs s'en servaient pour brunir les dorures appliquées sur la lame des épées. L'usage en est révélé, dès 1555, par un curieux inventaire découvert par M.. J.-B. Guiraud, conservateur des musées archéologiques de Lyon (2); on le retrouve tout entier dans un article de l' Encyclopédie méthodique en 1791: « On retire le lingot et on le fouette de nouveau pour en détacher les cendres du ruban, et quand il est bien net, on le brunit avec une pierre de foudre montée au milieu d'un morceau de bois assez long pour qu'on puisse le conduire avec les deux mains... (3) » Les poètes y font allusion; par exemple Shakespeare ; écoutez ses paroles: c'est dans la nuit troublée qui précède l'assassinat de César; un orage effrayant s'est déchaîné, des prodiges extraordinaires ont épouvanté la ville. Cassius dit à Casca : « ... Pour ma part j'ai erré à travers les rues, me soumettant aux périls de cette nuit: mes vêtements ouverts comme vous voyez, Casca, j'ai offert ma poitrine nue à la pierre du tonnerre ; et lorsque l'éclair au bleu zig-zag semblait fendre le sein du ciel, je me suis présenté comme point de mire dans la direction de la flamme... (4)»

Butler n'a pas oublié de mentionner les « cailloux tombés du cycle sidéral » parmi les « petites choses bizarres » que le valet d'Hudibras a dérobées au sorcier Sidrophel.

Le poème burlesque du bilieux poète n'est pas à ma portée, existe-t-il un seul exemplaire d'Hudibras dans tout le Midi? et j'emprunte cette citation à une traduction très quelconque de l'Antiquaire de Walter Scott ; mais j'ai conservé un souvenir assez précis du texte original pour croire qu'il n'y a pas d'erreur trop grossière.

Les pierres de foudre, d'ailleurs, jouaient un assez grand rôle dans l'ancienne sorcellerie, et puisque le hasard des citations a conduit sous notre plume le nom du grand romancier écossais,

(1) Boéce de Boot, Le parfait joailler. Lyon, 1664, p. 619.

(2) Bulletin archéolog. du Comité des travaux historiques, 1894, p. 24.

(3) Encyclopédie Méthodique (Paris, Panckoucke 1791), L. XIII, p. 118.

(4) Jules César, acte 1, scène m.


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nous emprunterons à ses oeuvres quelques renseignements sur cette partie du sujet.

Tout d'abord, un simple rappel, dans la description de la vieille masure norse où Norna, l'étrange et dramatique sorcière du Pirate, avait installé son pittoresque laboratoire. «... On voyait épars sur le plancher, ou suspendus à la cheminée grossière et mal construite, une vieille cotte de maille, un casque, une hache d'armes et une lance. Sur un rayon étaient déposées avec ordre plusieurs de ces curieuses haches de granit vert, telles qu'on en trouve souvent dans ces îles (les Orcades), où les gens du peuple les appellent pierres de foudre, et les conservent comme des charmes, propres à garantir des éclairs. Là se trouvait encore un couteau de sacrifice, également en pierre, qui avait servi peut-être à immoler des victimes humaines (1)... »

L'auteur de Quentin Durward, de même que Victor Hugo, plus encore peut-être, était un ardent zélateur des sciences historiques et archéologiques. La fantaisie n'entrait que pour une faible part dans ses descriptions ; dans celle qui précède, surtout, on peut le croire sur parole : nul ne connaissait mieux les usages des sorciers que l'auteur de La Démonologie. Nous reviendrons plus tard sur ce livre précieux dans une étude spéciale sur Walter Scott, et ce qu'il savait du préhistorique avant les Thomsen et les Nilsson, mais nous mentionnerons ici une note caractéristique du génial romancier sur les haches de pierre. Elle se trouve dans un de ses opuscules peu lus en France et que nous nous réservons de citer plus explicitement dans le travail dont nous venons de parler. « Les premiers celts, ou haches, sont en pierre polie, façonnés quelquefois en forme de coins... On les trouve en nombre considérable dans les îles Shetland qui furent évidemment occupées tout d'abord par les Scandinaves. Les natifs supposent que ce sont des foudres (thunder bolts) et considèrent la possession d'une d'elles comme un charme. »

Je demanderai une dernière référence à un autre littérateur, Emile Souvestre ; son sourcier manseau des Derniers Paysans, avait dans son carnier une baguette de coudrier, une noix percée servant de cage à une araignée vivante, un couteau portant sur

(1) Walter Scott, Le Pirate, chap. XIV.


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la lame le nom cabalistique de Raphaël et « des fragments d'aérolithes qui devaient garantir du tonnerre (1). »

Les archéologues avaient depuis longtemps reconnu la véritable nature des pierres de foudre. Mercati paraît être le premier en date. Dès 168 5 Montfaucon étudiait les haches « des nations barbares du nord », et publiait en 1719 lé résultat de ses recherches. En 1723, Jussieu entretenait l'Académie des Sciences de l'Origine et des usages de la pierre de foudre, et Mahudet en 1730 présenta à la même Société un mémoire sur les Prétendues pierres de foudre (2). Dès lors là croyance aux pierres du tonnerre n'eut plus cours que chez les paysans où on la retrouve toujours vivante. Buffon le constate en passant, et le P. Cotte en dit un mot dans son Traité de Météorologie (1774). Ce n'était plus dès lors qu'une curiosité pour les antiquaires, et, comme tel, Victor Hugo s'en est emparé.

On pourrait cueillir quelques allusions du même genre dans ses poèmes ; je ne retiendrai que celle contenue dans le vers suivant :

Le champ de Galgala plein de couteaux de pierre,

vers qui se trouve dans Le Cèdre de la Légende des Siècles ; et celle encore qu'on trouve dans les Trois cents (Nouvelle série de la Légende des Siècles) :

Les Abrods avaient l'air farouche des démons, Et l'arc de bois de palme et la hache de pierre.

Il serait certainement agréable d'étendre cette petite enquête et d'étoffer chaque trouvaille d'un commentaire abondant et nourri de citations. Nous laissons ce soin à de plus jeunes, à de moins occupés, estimant que nous en avons assez dit pour l'honneur de la thèse posée.

JULES MOMMÉJA.

(1) Emile Souvestre, Les Derniers Paysans, Paris, Michel Lévy, 1851, t. I, p. 182 (in-8°).

(2) J. Momméja, Dom Bernard de Montfaucon et l'archéologie préhistorique, Revue de Gascogne, 1898 (Tome XXXIX), p. 21 et suiv.


JOURNAL D'UN BOURGEOIS DE POPINCOURT

AVOCAT AU PARLEMENT (1784-1787)

Publié par H. VIAL et G. CAPON (Suite)

Nous ne sçaurions imaginer ou soupçonner qu'à la dame Lacaille, à peine âgée de 28 ans, qui naguère tenoit un bureau de loterie et dont nous avons déjà touché quelques mots à l'occasion du sieur Gavoty de Berthe, on puisse jamais imputer rien de pareil, quoique cette femme passe pour une intrigante de premier ordre et pour une faiseuse d'affaires en plus d'un genre sur le pavé de Paris; affaires dans lesquelles son bonhomme de mari n'entre absolument pour rien, pas plus que dans ses amusemens personnels ou particuliers qu'elle est accoutumée depuis longtems à partager avec d'autres. — I, 310 verso et 31 1.

Le sieur de Cagliostro, qui n'est point Espagnol comme nous l'avons dit plus haut d'après des rapports fidèles, est né de parens juifs, dans une des îles de l'Archipel, dont on n'a pu nous apprendre le nom (1). Entré de bonne heure comme simple frère dans un monastère de caloyers grecs, situé dans cette île, il parvint à gagner l'amitié du frère apothicaire qui lui donna quelques connoissances de pharmacie et lui montra la composition de quelques médicamens; il était à peine âgé de 20 ans, lorsqu'il eut l'occasion de connoître un vieux négociaqt arménien appelé dans le pays pour des raisons de commerce. Ce dernier tomba malade et se fit transporter dans la maison des caloyers où le jeune Cagliostro le garde, le veille, le soulage, le traite et réussit à le guérir. Revenu par ses soins à la vie, le reconnoissant Arménien prêt à partir, propose et persuade au charitable frère de quitter le couvent dans lequel il végète obs(1)

obs(1) de Beauvray venait de se faire lire les « Mémoires authentiques pour servir à l'histoire du comte de Cagliostro", in-8, publiés par le marquis de Luchet en 1785; c'est dans ce livre qu'il trouve le récit vrai ou faux des aventures de Joseph Balsamo.


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curément pour le suivre dans ses courses, en lui faisant espérer une brillante fortune.

Ils vont ensemble à Venise où le vieux commerçant meurt au bout de quelque tems, et laisse par son testament, tous ses biens à son compagnon. Après avoir recueilli cette riche succession, Cagliostro prend le chemin de Rome; il y vit une jeune et jolie veuve, Génoise de naissance, pour laquelle il conçoit un violent amour, qu'il recherche avec ardeur, et que bientôt il épouse (actuellement âgée de 29 à 30 ans). Les nouveaux mariés partirent pour la Russie ; arrivés dans la capitale de cet empire, Cagliostro s'annonce hautement comme un médecin et fait, aidé des premières instructions qu'il avoit reçues dans sa jeunesse, quelques cures qui lui valurent en peu de tems la plus grande célébrité. Il est question d'une cure merveilleuse opérée par le même personnage à Basle en 1762, au moyen de certaines gouttes médicinales, dans le Journal de Paris, N° 27 (1783), (note en marge). Séduite et éblouie par tous ces succès, une dame de la Cour s'adresse à lui pour la guérison de son fils unique, attaqué d'une maladie jugée mortelle par tous les gens de l'art. Il ne balance point à l'entreprendre pourvu que la dame lui laissât emmener l'enfant dans sa propre maison pour le soigner plus commodément, elle y consent, elle passe 8 ou 15 jours partagée sans cesse par les craintes et l'espérance que lui font tour à tour éprouver les différentes nouvelles qui lui sont communiquées d'un jour à l'autre par notre empirique... Enfin, Cagliostro remet, parfaitement guéri, sain et sauf, ce cher fils entre les mains de sa tendre mère qui récompense un si grand service par le don de 2,000 roubles. Quelque tems après, le bruit court que l'enfant rendu n'est pas le fils de la dame, mais celui d'une autre qu'il a su se procurer ; bref, il se voit forcé, pour se dérober aux poursuites, de quitter Saint-Pétersbourg, après avoir toutefois reçu, l'on ne sait trop pourquoi, de l'impératrice une gratification considérable. Il se retire d'abord à Varsovie où ne trouvant ni pratiques, ni dupes, ni victimes, il ne demeure pas longtemps ; il en sort précipitamment et sans bruit, pour se rendre à Strasbourg où notre aventurier ne tarde pas à s'introduire chez le cardinal de Rohan, évêque de cette ville, avec lequel il vint ensuite à Paris. — I, 308, 309, recto et verso.

Une autre affaire qui chaque jour s'embrouille et se crimina-


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lise de plus en plus, nous voulons parler de celle du sieur Gavoty de Berthe avec la dame épouse du sieur de Cogorde, qui de son vivant était non pas directeur de l'ancienne compagnie des Indes, mais l'un des quatre secrétaires-greffiers du Conseil privé, tout ainsi que Monsieur Lemaitre dont on parle tant depuis quelques jours à cause de son imprimerie clandestine. Le sieur de Berthe surtout se plaint amèrement, de vive voix et par écrit, d'avoir été dépouillé cruellement, déshabillé nu et cru par la susdite dame de C..., aidée dans cette étrange affaire par le sieur Gaillard, son secrétaire, et par le sieur Bouet, son valet de chambre, les accusant tout haut d'être en quelque sorte trois têtes dans un bonnet, d'intelligence, et ligués tous trois ensemble pour le ruiner enfin de fond en comble. — I, 322.

Un docteur en médecine, le sieur Guibert de Préval (1), naguère acquit plus de gloire que de bien soit en inventant un préservatif contre la syphilis, soit en l'essayant lui-même par des épreuves multipliées sur des sujets duement préparés pour l'art par la nature. En présence de plusieurs princes et seigneurs de la Cour, entr'autres M. le duc d'Orléans alors duc de Chartres, à propos de quoi peut-être il est bon de sçavoir que la première de toutes ces épreuves a été faite dans le faubourg Saint-Antoine dans un logis qui fait face au nôtre, rue de Popincourt, logis occupé pour lors par le sieur de Saint-Laurent (2), riche et

(1) Préval (Claude-Thomas-Guillaume-Guilbert de), médecin consultant du roi de Danemark, à Paris, exclu de la Faculté de Médecine en 3773. Il a publié de nombreux factums pour protester contre cette exclusion. Cf. A. Corda. Catalogue des factums et d'autres documents judiciaires. 1896, IV, 563. Au sujet des expériences de Guilbert de Préval, voir G. Capon, Les petites maisons galantes de Paris. Daragon, 1902, 24, 25.

(2) Le sieur de Saint-Laurent, premier commis à la guerre, qui veut entreprendre la fourniture du drap pour l'habillement des troupes. Il a deux marchands attitrés qui lui donnent quarante mille livres de rentes. Il a voulu exercer la même chose pour l'infanterie, mais tout s'y est révolté et s'y est soustrait; on'en est aujourd'hui à la cavalerie qui souffre impatiemment ce nouveau joug, et c'est pour assouvir l'avarice de ce commis et de ces marchands qu'on change l'habillement, qu'on donne des habits sans, plis et comme des scapulaires et des manteaux au lieu des redingotes, le drap qu'on fournit du bureau est très mauvais et très cher. Ce sieur SaintLaurent est un chevalier d'industrie, qui est venu à Paris avec rien et qui est aujourd'hui fort riche. Il a fait créer quatre inspecteurs des habillements des troupes à deux mille livres de gages chacun. (Journal et mémoires du marquis d'Argenson, I. J. B. Rathery, Paris, 1864. VI, 381.


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voluptueux célibataire, à titre de petite maison, sur la porte duquel naguère on lisait encore cette inscription italienne : Son piccola magabarta. (1) — I, 323 verso.

C'est dans le même quartier que demeure encore le sieur Gavoty de Berthe, logé depuis quelques jours dans un des bâtimens jadis dépendant du monastère des dames Annonciades de Popincourt ; le sieur Gavoty de Berthe, inventeur d'une nouvelle machine propre à faire élever les eaux à la plus grande hauteur au moyen d'une méthode presque semblable à celle du sieur Vera, commis au bureau des postes, sans recourir à celle des pompes à feu tout récemment employées à Paris par les sieurs Perrier pour le même usage ; machine dans laquelle tout s'opère par l'entremise du vide à peu près comme dans celle de Papin, si connue en physique sous le nom de machine pneumatique, et que le sieur de Berthe a déjà même exécutée en petit durant son séjour à Londres, qui fut assez court ; il n'eut que le temps d'y rendre une visite en courant et de communiquer verbalement son projet à M. le comte, fils du marquis de Mirabeau, son compatriote en qualité de Provençal, qui se trouvoit alors dans la même ville. — I, p. 323.

On ignore parfaitement en quel pays ou sur quel théâtre étranger le sieur de Saint-Georges (2) est allé jouer encore la

(1) Il faut lire :

« Son piccola ma garbata » Je suis petite, mais jolie.

(2) « Le chevalier de Saint-Georges naquit à la Guadeloupe, le 25 décembre 1745, et, à l'âge de dix ans, fut amené en France par son père. A treize ans, il fut mis en pension chez M. La Boessière, où il resta six ans. On l'occupoit le matin à son éducation, et le reste de la journée était employé à la salle d'armes. A quinze ans, ses progrès avoient été si rapides qu'il battoit les plus forts tireurs. A dix-sept ans, il avoit acquis la plus grande vitesse. Avec le tems, il joignit encore à sa prompte exécution des connoissances qui achevèrent de le rendre inimitable. Organisé d'une manière délicate et sensible, tous les arts eurent de puissants attraits pour lui; celui de la musique le touchoit plus particulièrement; il s'y fit connoitre par des compositions heureuses, notamment par des concertos de violon qui eurent la plus grande vogue. Son talent moelleux sur cet instrument lui faisoit quelquefois donner la préférence sur les plus habiles artistes de son temps. Recherché dans toutes les sociétés, il fut redevable


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comédie qu'il ne joue plus, soit en public, soit en particulier, avec Madame la marquise de Montalembert sur celui de son bizarre époux, rue de la Roquette, faux bourg Saint-Antoine, dans l'hôtel ci-devant occupé par Monseigneur le comte de Clermont, et, plus anciennement encore, par Monsieur de Réaumur, théâtre aux nobles représentations duquel monsieur le marquis persiste toujours à ne vouloir point admettre les roturiers ou les bourgeois dont, en général et pour des causes assez connues, il n'est guère plus estimé que de ses illustres confrères : messieurs les gens de condition (1).

Nous ne saurions positivement assurer que du grand nombre de virtuoses qui figurent sur cette scène privée ou domestique, soit le sieur Richer, frère de l'épouse du fameux musicien monsieur Philidor (2), page de la musique du Roy dans le temps de son enfance ou de sa première jeunesse, tems où le sieur Richer possédoit une voix très sonore et fort étendue, qu'il a tout à coup perdue vers l'âge de puberté sans avoir jamais pu la recouvrer depuis, quoiqu'il continue de chanter encore avec un goût exquis (3). — I, 027 verso et 328.

Passer du grave au doux, du plaisant au sévère; l'une de nos

souvent à la musique de liaisons où l'amour entra pour quelque chose. Doué d'une expression vive, il aimoit et se faisoit aimer. » Notice historique sur Saint-Georges en tête du traité de l'Art des Armes. De la Boessière, 1818. Bibl. nat., V 43 247.

(1) Jamais le fameux hôtel de Rambouillet ne rassembla un choix plus distingué, en savants et en femmes, recommandables sous les rapports de l'instruction et d'agrément pendant plusieurs années. L'on n'était point réputé à Paris, homme de bon ton, si l'on n'étoit point de la société de l'hôtel de Montalembert (J. de l'Isle de Salle et Imbert de la Plâtrière, 1801, 70).

(2) Philidor (François-André Danican), compositeur de musique et marchand mercier, avait épousé le mercredi 13 février 1760, Angélique-Elisabeth Richer, fille de défunt François-Joseph Richer, ordinaire de la musique du roy et surintendant de la musique du duc de Chartres. Voir Jal. Dict. critique, 963.

(3) Richer (Louis-Augustin) naquit à Versailles, le 26 juillet 1740; à l'âge de huit ans, il entra chez les pages de la Chapelle du roi, et il en sortit en 1756. Dès sa neuvième année, il s'était fait entendre dans quelques motets et la beauté de sa voix lui avait fait accorder une pension par Louis XV. Son début au Concert Spirituel fut brillant : on admira sa belle voix de ténor et son goût naturel. Le roi lui accorda en 1779 la survivance de la charge de maître de musique des enfants de France. La Révolution l'ayant privé de ses emplois et de ses pensions, il trouva, pour compensation, une place de professeur de chant au Conservatoire de musique. Il mourut à Paris, le 6 juillet 1819. Fétis. Dictionnaire universel de musique, VII, 24.6.


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courtisanes modernes qui, durant le cours de sa vie, ait sçu réunir l'un et l'autre avec le plus de succès, est la dame ou la demoiselle Fleury (1), notre ancienne voisine, rue de Popincourt, actuellement âgée d'environ 45 ans et depuis quelque temps privée de la vue, par une suite de cette révolution trop

(1) La dame Fleury dont il est question ici était une ancienne actrice; les mémoires secrets dits de Bachaumont en font mention à la date du 28 avril 1768 en ces termes : « Une actrice doit débuter dans le rôle de Médée, c'est une demoiselle Fleury, surnommée « La Belle ou la Bête » car elle est susceptible des deux surnoms. Elle fut initiée au théâtre par le chevalier de la Morlière, auteur très connu par ses aventures et ses escroqueries. » Elle débuta en octobre 1768, très médiocrement; elle était, disent les contemporains, assez remarquable par sa belle tête mais trop grosse de corps et pas assez jeune pour faire honneur à son professeur; on l'appelait la bête pour la distinguer des autres courtisanes de ce nom. Le prince de Nassau vécut quelque temps avec elle et en eut un enfant.

La dame Fleury est citée dans un rapport de police de 1766 : « Monsieur Dumetz, maréchal de camp, ne voit plus la demoiselle Fleury. C'est présentement monsieur Childer, Livonien, logé rue Jacob, à l'hôtel du PortMahon, qui l'entretient; il lui a donné une très belle montre le premier jour des noces et lui fait présent de cinquante louis par mois. En considération de cette aubaine que lui a procuré le sieur Toqueny avec qui elle a vécu, elle greluchonne avec lui au lieu et place du sieur Sabatier qu'elle a expulsé (21 février 1766) Journal de police. Bibl. Nat. mss. 1136O, 35.

Dans un registre de commerçant failli conservé aux Archives de la Seine (faillite de Chapuy, tapissier, rue du Bac) un compte est ouvert à la dame Fleury, demeurant rue Verte-Popincourt. Il s'agit évidemment de la voisine de Lefebre de Beauvray. Le tapissier Chapuy fournit à cette dame en décembre 1778 : « Un feu à griffé et sa paire de bras à trois branches pour la somme de 300 livres ; une garniture d'écran à main de 18 livres ; du taffetas blanc pour doubler des rideaux de damas jaune et blanc. La fourniture de ces étoffes s'élève à la somme de 527 livres. (Archives de la Seine, Registre 2038, bilan 2955.) La même année elle figure parmi les abonnés de l'Opéra : 3e Rang : Thérèse Fleury, demeurant, rue des Amandiers. Pont-aux-Choux, Paroisse Sainte-Marguerite, demi-loge de six places... 625 livres. Vicomte de Grouchy, Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris, 1891, p. 149. Un document judiciaire que nous avons entre les mains nous permet d'établir que la fameuse actrice Raucourt fréquentait chez elle :

« Le mardi de la dernière fête de Pentecôte, étant à Vaugirard avec mademoiselle de Raucourt, madame Fleury, demeurant rue Verte, est venue dîner avec elle ; que, pendant le cours, un domestique est venu de la part du maréchal de Richelieu faire dire à mademoiselle de Raucourt de se trouver chez lui à quatre heures de l'après-diné; que, ayant rendu compte à sa maîtresse, elle le chargea de dire de sa part qu'elle ne pouvait s'y rendre attendu qu'elle avoit une entorse et le pied enveloppé ; que, ce domestique étant retiré, elle dit au déposant d'aller mettre les chevaux au carrosse attendu qu'elle n'avoit pas de cocher; qu'il la conduisit avec Madame Fleury à. l'hôtel de ladite dame, rue Verte, qu'un des chevaux étant malade, il ôta les chevaux et les mit dans l'écurie de la dame Fleury; et le carrosse resta dans la cour. »

Déposition d'un domestique de la demoiselle Raucourt (1776) H. Vial et G. Capon. Une actrice au XVIIIe siècle : La Raucourt. (Ouvrage en préparation).


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ordinaire aux femmes parvenues à cet âge, sans parler ici d'autres causes plus particulières ou personnelles à celle dont il s'agit; maîtresse d'abord de M. le prince de Nassau-Siegen et successivement de plusieurs autres gens de fortune ou de condition qui l'avoient très bien payée, la demoiselle Fleury s'est enfin vue forcée à son tour de payer des amans, des gréludions, des farfadais (sic) à bons deniers comptans, tel que le sieur Piron, jadis intendant de monseigneur le comte d'Artois, attaché maintenante monsieur le duc d'Orléans (1); monsieur de Blesac, ancien officier au régiment des gardes françaises; selon la louable coutume des personnes de son état qui font circuler ainsi l'argent de mains en mains et vérifie l'antique proverbe : «Ce qui vient de la flûte retourne au tambour ». — I, 367.

(A suivre.)

QUESTIONS

234. — Le Palais et le Châtelet de Paris. — J'ai l'intention de publier la traduction annotée de la relation d'un voyage en France fait en 1664-1665 par un prêtre bolonnais, Sébastien Locatelli. Elle contient le passage suivant, dont nous donnons la traduction.

« Le grand et le petit Châtelet... Là siège aujourd'hui la cour de justice. On appelle cette cour le Châtelet parce qu'il y a de très vastes prisons dont nul ne s'évada jamais. A travers de hautes grilles qui ferment les arcades d'une longue galerie située au-dessus des librairies et des autres boutiques du Palais, on peut voir les prisonniers ou les prisonnières, car à des heures déterminées, hommes et femmes sont alternativement laissés dans la grande cour ou renfermés. On voit parfois un homme de la justice reconnaissable à son hoqueton bleu,

(1) Pyron de Chaboulon, Jean-Baptiste-Pierre-Julien, avocat au Parlement, et intendant des Domaines de M. le comte d'Artois, et Barbe Steck, son épouse, demeurant rue Basse-du-Rempart (Arch. de la Seine. Hyp. 1202 f° 88). II était propriétaire d'une maison dans cette rue. maison numérotée 14, qu'il vendit à sa femme, le 10 janvier 1788, devant Coupery, notaire (Ibid, lettre n° 774).


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aborder un de ces malheureux en train de se promener ou de manger gaiement à une auberge située dans cette cour et lui dire que le lieutenant criminel a quelque chose à lui communiquer de la part du Roi. A cette funeste nouvelle, le pauvre homme se rend immédiatement de lui-même à la chapelle des condamnés à mort, où les Pères jésuites, informés de la sentence par le Lieutenant criminel, exhortent le condamné jusqu'au coucher du soleil. En lui mettant la corde au cou, le bourreau lui dit : « Le roi vous salue et vous exhorte à mourir de bon coeur pour satisfaire la justice. » Voilà ce qu'avait à faire savoir à ce malheureux l'homme qui l'a pris à la promenade ou à l'hôtellerie. On est souvent témoin de cette cérémonie, nullement belle pour le pauvre patient, car il se pend ou il se roue à l'ordinaire deux ou trois condamnés par jour. »

1° Il semble bien difficile que d'une des galeries du Palais on ait pu voir les prisonniers du Châtelet. Locatelli n'a-t-il pas confondu ici le Châtelet et la Conciergerie ?

2° Quelle était cette galerie ? N'était-ce pas la galerie des prisonniers ?

3° Les détails que Locatelli donne sur la préparation des condamnés à mort et sur leur exécution sont-ils exacts? Les condamnés n'étaient-ils pas généralement assistés par les docteurs de la Sorbonne?

A. VAUTIER.

CHRONIQUE

Comptes-rendus :

~~ Arnould ( Louis) : Racan en Touraine. Paris, FeronVrau, 1902, in 8° de 23 pp. et 12 grav. (Extr. du Mois littéraire et pittoresque, août 1901).

Brochure de propagande qui est la quintessence des deux importants ouvages que M. Arnould a consacrés à Racan, et que tout le monde connaît.

~~ Beaumont (Cte Charles de) : Un mortier de veille du XVIe siècle. Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1901, in 8° de 8 pp. 1 pl. et 1 grav.

Etude d'un petit objet assez rare, une veilleuse de la Renaissance, bien française de style; et à cette occasion, réunion de notes sur les


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mortiers de veilles, mortiers,de cire,lumières et veilleuses. Une planche représente l'objet en question et un autre mortier de la collection Sauvageot au Louvre; une gravure dans le texte reproduit une pièce analogue d'après les stalles de la cathédrale d'Auch.

~~ Boutineau(F. Em.): Les Triumphes et Magnificences faictes à l'entrée de Monseigneur, fils de France et frère unicque du Roi en la ville de Tours, le vingthuictième iour d'Aoust M. D. LXXVI par les Maire, Eschevins, manans et habitans.de lacdite ville de Tours, par Nicolas de Nancel. médecin à Tours (1869-1587). Nouvelle édition publiée et annotée, Tours, Deslis frères, 1902. in-8°de XVI-39 pp. et 3 grav.

Réimpression à petit nombre d'une rarissime plaquette. En véritable bibliophile, M. B. a tenu à se rapprocher le plus possible de l'original, et à en donner une reproduction page pour page et ligne pour ligne. G. B.

~~ Donnet (Ferrand) : Une Congrégation aérienne. Anvers, veuve de Backer, 1901, in-8° de 16 pp. et 1 pl. (Extr. du Bull, de l'Académie royale d'Archéologie de Belgique.)

Il s'agit d'une association composée de sept fonctionnaires communaux de la ville d'Anvers, qui, sous la protection de Saint-Donat, se réunissait en haut de la tour de la cathédrale... d'où le nom donné par l'auteur à cette étude. Cette congrégation, fondée en 1630, était formée : des quatres trompettes de la ville, du timbalier, de l'horloger de la tour et du portier de l'église.

~~ Froger (L'abbé L.) : Histoire de Saint-Calais, Mayenne, Poirier-Béalu, 1901, in-8° de 567 pp., pl. et grav.

Bonne et sérieuse étude, bien documentée sur une petite ville du département de la Sarthe, qui a eu un passé intéressant, et qui en a conservé, entre autres, les restes d'un donjon fort ancien.

~~ Ghellinck-Vaernewyck (Vte de) : Un complot contre le duc d'Albe en 1568. Anvers, veuve de Backer, 1901, in-40 de 37 pp.

Intéressante étude sur ce complot où faillit périr le duc d'Albe, avec nombreux détails sur les principaux conjurés, tableaux généalogiques et huit pièces justificatives ; parmi celles-ci des lettres patentes de Grand Veneur du duché de Brabant, en date du 21 février 1582, accordées à Jean Hinckaert, seigneur d'Ohain par « François, filz de France, frère unique du Roi, duc de Lothier Brabant, LembourgGueldres, Anjou, Touraine, Berry, Evreux, Chantierry, (pour ChâteauThierry) comte de Flandres... »

~~ Granges de Surgères (Marquis de) : Le Duel et la Noblesse, du Languedoc, avec deux lettres de Louis XIV (1654-1655), Paris, 1902, in-8° de II pp.


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Curieuse étude donnant deux lettres de Louis XIV au prince de Conti, gouverneur du Languedoc, une lettre dudit prince de Conti à Louis XIV, et les signatures des membres de la Noblesse du Languedoc, au nombre de plus de cinquante-six, déclarant « qu'ils refuseront toutes sortes d'Appels. »

~~ Granges de Surgères (Marquis de) : Répertoire historique et biographique de la Galette de France, depuis l'origine, jusqu'à la Révolution, 1631-1790, t. Ier, Paris, Henri Leclerc, 1902, in-4° de XXVIII p. et 832 col.

Le premier volume de cet important recueil depuis longtemps attendu et désiré par le public savant, vient de paraître ; il comprend un Avant-propos, le Plan général et les dispositions particulières de l'ouvrage, la Liste des abréviations, et enfin l'ouvrage lui-même depuis Abancourt jusqu'à Clairville. S'il s'est servi de la Table de la Galette, — ce Journal officiel de l'ancienne monarchie, — publiée en 1766 par Genêt, M. le marquis Granges de Surgères, dont nous avons eu si souvent occasion de citer ici même les remarquables travaux, l'a sensiblement améliorée et complétée. Le système employé est des plus simple : étant donné un nom propre, trouver sous quelles dates il se rencontre dans la Galette. Le but est rempli avec cette précision que son auteur apporte à tous ses travaux, ce qui en fait des instruments d'étude de premier ordre ; le nouveau volume est en cela le digne successeur de ses devanciers ; aussi tous les chercheurs ne pourront-ils se dispenser d'en meubler leur bibliothèque.

CTe CHARLES DE BEAUMONT.

~~ Quarré-Reybourbon (L.). — Un retable du XVIe siècle à Wattignies (Nord); — Paris, Plon-Nourit, 1901, 7 pp. et 3 pl. (Extr. du volume de la Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des départements).

Ce retable sculpté et peint a été acheté, il y a une cinquantaine d'années, à un antiquaire de Lille, qui l'avait acquis à une vente publique à Anvers ; il fut placé dans une chapelle de l'église de Wattignies; la date 1588 se trouve sur le côté gauche de l'encadrement et fixe ainsi l'époque où cette oeuvre d'art a été exécutée.

M.

~~ Raadt (J.-Th. de): Sceaux armoriés des Pays-Bas et des Pays avoisinants (Belgique, Royaume des Pays-Bas, Luxembourg, Allemagne, France). Recueil historique et héraldique. Bruxelles, Schepens, 1901.

Voici le 2e fascicule du tome IV de cet important ouvrage, paru. Il comprend la lettre V depuis Virton et la lettre W jusqu'à Winsberghe, avec 25 planches donnant la reproduction de 43 sceaux, plus deux planches avec 60 écussons gravés au trait d'après les Sceaux.


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~~ Roumejoux (A. de): Congrès archéologique d'Agen, 11-18 juin 1901, Périgueux, impr. de la Dordogne, 1901, in-8° de 7 pp. (Extr. du Bull, de la Soc. hist. et arch. du Périgord).

Relation plus restreinte que celle de M. Quarré-Reybourbon. Elle porte à trois, en comptant celui paru ici-même (1), les récits publiés

(1) Cf. (Correspondance historique et archéologique, juin 1901, p. 161 à 172 ; janvier 1902, p. 29. de cet intéressant Congrès.

~~ Du même : Excursion archéologqiue des 15 et 16 juillet 1901. Savignac-Lédrier, Ségur, Arnac, Lubqrsac. Périgueux, impr. de la Dordogne, 1902, in-8° de 8 pp. et 3 pl. (Extr. du Bull, de la Soc. hist. et arch. du Périgord).

L'auteur parcourt rapidement quelques sites intéressants du Périgord, et chemin faisant, en étudie avec soin les vieux monuments. Les trois planches, d'ailleurs parfaites, représentent: une belle porte, renaissance dans le parc du château de Savignac-Ledrier ; la maison dite du Roi de Navarre à Ségur (fin du XVe siècle) ; et le plan très spécial de l'église de Lubersac.

Périodiques :

~~ Bulletin du Bibliophile, 1902, n° 1 : E. Griselle, A propos d'une plaquette ancienne, pp. 1 à 10. — H. Buffenoir, Jean-Jacques Rousseau et Henriette, jeune Parisienne inconnue; manuscrit inédit du XVIIIe siècle, pp. 11 à 27. — L. L., A propos du prix Pellechet, pp. 28 à 31.

~~ La Cité, bulletin de la Société historique et archéologique du IVe arrondissement de Paris, 1902, n° de janv.-avril : Ch. Sellier, l'Hôtel du prévôt de Paris, pp. 29 à 50 et grav. — A travers le IVe arrondissement, le Café de la Garde Nationale, pp. 51 à 53 et grav. — Maison à pignon du XVe siècle, au coin des rues . ClochePerce et François-Miron ; anciens pavages du quai Henri IV et de la rue de Brissac; la porte Saint-Antoine ; le logis de Rabelais, pp. 53 à 56 et grav.— L. Lambeau, Un vieux logis parisien, l'Hôtel de la Vieuville, pp. 57 à 62 et grav.

~ Bulletin de la Société d'archéologie lorraine, 1902, n° de janv. : L'abbé Ed. Charron, La terre de Saint-Denis au XIIe siècle (commune de Moriviller), pp. 5 à 13. — V. Wiener, Portraits lorrains à la galerie des Offices de Florence, pp. 13 à 17. — E. Duvernoy, Chartes lorraines pour l'abbaye de Cluny, pp. 17 à 22. — A. Poirot, Note sur la mise à jour des restes d'une villa-romaine à Pont-Saint-Vincent, pp. 22 à 23. — E. Duvernoy, Le fondeur de cloches Pierre Huart (1637), pp. 23 et 24.


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~~~ Revue historique ardennaise (Paris, librairie Alphonse Picard) 1901, livr. de juillet à décembre : Dr H. Vincent, Les biens de l'abbaye de Gorze, dans le Pagus Vongensis, pp. 209 à 216. — Ch. Gailly de Taurines, La conscription de 1813, pp. 217 à 226. — Paul Laurent, Les sobriquets militaires à Sedan, de 1775 à 1782, pp. 227 à 231. — Paul Pellot, La sonnerie des cloches à Rethel, en 1607, pp. 231 à 234. — Variétés révolutionnaires : Cahiers de doléances de Rocroi, pp. 235 à 238; de Maubert-Fontaine, pp. 239 à 243; d'Ecordal,pp. 243 à 247; de Dommery, pp. 247 à 252. — Chronique : H. Jadart, Une inscription rethéloise à Pontavert, pp. 253 à 255 ; — E. Peltier, Une inscription de l'église de Montcy-Saint-Pierre, pp. 255 à 258. — Bibliographie ardennaise, pp. 259 à 264. — N. Hubignon, Les ardoisières de Rimogne et des environs depuis le XIIe siècle, pp. 265 à 277. — Numa Albot, Les chronogrammes dans les Ardennes, pp. 278 à 302. — Alfred Chevallier, Notes sur quelques fonts baptismaux des Ardennes, pp. 303 à 305 et 1 planche de 7 fig.— Chronique et bibliographie ardcnnaises, pp. 306 à 312. — Arthur Chuquet, Le colonel Bertèche, de Sedan (1764-1841), pp. 313 à 327. — Dr O. Guelliot, Les localités ardennaises disparues: Fonteneau, pp. 328 à 333. — Numa Albot, Une redevance féodale à Donchery, pp. 333 à 336. — Variétés révolutionnaires : Une vente de tableaux artistiques à Rethel, en l'an IV, pp. 337 à 344. — Chronique : A. Bouillet et Dr Beugnies, A propos d'une « Hagiographie franciscaine et dominicaine en sculptures sur bois», pp. 342 à 344 ; — H. Jadart, Une vente d'antiquités à Herpy, pp. 344-345. — Bibliographie ardennaise, pp. 346 à 355. — Table des matières du tome huitième de la Revue historique ardennaise (année 1901), pp. 356 à 359.

1902, livr. de janv. à avril : Léon Brétaudeau, Les oeuvres de Saint-Vincent de Paul dans le Rethelois, pp. 1 à 38. — Un établissement de vers à soie à Givet, pp. 39-40. — Une arrestation arbitraire à Rocroi, p. 40. — L'aéronaute Blanchard dans les Ardennes, pp. 40 à 43. — P. Laurent, Le bonnet de la Liberté sur les bornes milliaires, pp. 44-45. — Bibliographie ardennaise, pp. 46 à 48. — J. Villette, Deux Sedanais oubliés: Le colonel Esdras Bauda (1608-1673) et le capitaine de vaisseau Isaac Bauda (1633-1682), pp. 49 à 84. — H. Moranvillé, Un compte de nouveaux acquêts dans le Porcien et le Rethelois (1329-1330), pp. 85 à 90. — Henri Jadart, Mauvaises années de la fin du XVIIe siècle, p. 90. — P. Laurent, La garde départementale des Ardennes près le Corps législatif, en 1795, pp. 91 à 95. — Dr H. Vincent, Une trouvaille à Singly, p. 96.

Les Directeurs-Gérants : F. BOURNON et F. MAZEEOLLK.

SAINT-DENIS. — IMPRIMERIE H. BOUILLANT, 20, RUE DE PARIS. — 14268


MARS 1902.

RENSEIGNEMENTS ADMINISTRATIFS

~~~ Par décret en date du 31 mars, M.. Dejean (Etienne), agrégé d'histoire, chef du cabinet du Ministre de l'Instruction Publique, est nommé directeur des Archives, en remplacement de M. Servois, admis à la retraite.

~~ Par décret en date du 11 mars, M. Gaston Migeon, conservateur-adjoint au Musée du Louvre, a été nommé conservateur du département des objets d'art du Moyen-âge et de la Renaissance, en remplacement de M. Emile Molinier.

MÉLANGES ET RECHERCHES CRITIQUES

LES AGES DE LA PIERRE, DU BRONZE ET DU FER

DANS LES ÉCRITS ANTÉRIEURS AUX PUBLICATIONS DES PRÉHISTORIENS SCANDINAVES.

Humphry Davy, Buffon, Caylus, etc.

M. de Mortillet, dans l'introduction de l'ouvrage intitulé Le Préhistorique, origine et antiquité de l'homme (1), esquisse une rapide histoire de la science nouvelle, dans laquelle paraissant ignorer ou dédaigner les belles recherches de sir John Evans et de M. Emile Cartaillac, il attribue exclusivement aux savants suédois et norvégiens l'honneur de s'être occupés les premiers des hommes antérieurs à l'histoire. Pour les précurseurs de ces émi(1)

émi(1) des Sciences contemporaines. — Paris, Reinwald. 1900 in-12 (2e édition).


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nents antiquaires, il les traite assez dédaigneusement : « Une grande découverte ne se produit jamais spontanément, dit-il : elle est précédée de divers aperçus, de divers faits qui s'en rapprochent plus ou moins, qui en sont les précurseurs, les jalons d'attente. Le besoin de faire de l'érudition pousse toujours aussi quelques fureteurs de livres à relever ces faits, ces aperçus, et à prouver que le véritable inventeur n'a rien inventé du tout. L'amourpropre national, le chauvinisme s'empare alors de la question et démontre que l'invention doit bel et bien être imputée à un compatriote. Il n'y a pas de découverte un peu importante qui ne soit ainsi revendiquée par trois ou quatre nations. C'est ce qui est arrivé pour la classification si nette et si exacte des temps préhistoriques divisés en trois âges (1). »

Viennent ensuite quelques maigres indications que terminent les lignes suivantes : « Nous pourrions encore multiplier ces citations, mais c'est inutile. A part Lucrèce, qui eut un éclair de génie dans l'antiquité, toutes ces citations... ne datent que du dix-huitième siècle. Elles furent les germes qui amenèrent la conception du savant danois, etc. (2). »

Présenter ainsi les faits, c'est les travestir, c'est être injuste envers tous ceux — et ils furent légion, — qui, de 1750 à 1830, s'occupèrent d'études archéologiques. Ce ne furent pas seulement des germes que ces précurseurs apportèrent à Thomsen, mais un corps de doctrine très complet dans son ensemble et qu'il dut simplement mettre en oeuvre, de même qu'Ampère coordonna et rendit pratiques les découvertes de Volta, de Galvani, et de bien d'autres. Au moment où l'illustre directeur des musées ethnographiques et archéologiques de Copenhague publiait son premier travail sur les antiquités de pierre ( 1833), en attendant de mettre au jour sa classification des temps préhistoriques ( 1836), il n'était plus guère d'antiquaire en Europe qui ne fût fermement persuadé que l'usage de la pierre avait précédé celui du bronze, et que celui-ci était de beaucoup antérieur à celui du fer. Et c'était non seulement l'opinion des antiquaires, mais encore celle de la plupart des penseurs, naturalistes, chimistes, explorateurs, collectionneurs, dont la pensée avait été appelée à méditer sur l'origine des arts, comme l'on disait alors.

Réservant pour un travail d'ensemble les écrits des archéolo(1)

archéolo(1) cit. p. 5.

(2) Ibid., p. 7.


gués sur cette matière, nous choisirons dans mes portefeuilles quelques opinions d'hommes n'ayant rien de commun pas plus avec l'Académie des Inscriptions et belles-lettres qu'avec l'Académie Celtique ; elles suffiront pour mettre hors déboute ce que nous venons d'avancer.

Notre premier document est emprunté à la dernière production de l'illustre chimiste anglais, Sir Humphry Davy : Les derniers jours d'un philosophe; entretiens sur la Nature, la Science, les Métamorphoses de la terre et du ciel, l'humanité, l'âme et la vie éternelle (1). Cuvier a dit que c'était « l'ouvrage de Platon mourant », et je ne doute pas que ceux qui l'ont lu ne ratifient cette haute appréciation.

Rappelons que Consolations in Travel, on the lait days of a philosophie, furent écrits à Florence et à Rome, dans l'hiver de 1828-1829, et que leur auteur s'éteignit à Genève le 30 mai 1829, laissant à son frère John, le soin de publier ses oeuvres inédites, qui ne tardèrent pas à paraître. Elles eurent un immense retentissement dans l'Europe entière; seule, la France les ignora, en dehors de quelques-uns des rares hommes d'élite qui étaient alors capables de lire un ouvrage écrit en anglais. Sir Humphry Davy en tête de son premier dialogue, intitulé La Vision, raconte que se trouvant à Rome en 1814 et en 1818, il s'était lié avec deux compatriotes de haute culture intellectuelle, mais d'opinions diamétralement opposées, dans la bouche desquels il place l'apologie et la critique des systèmes philosophiques qu'il expose, comme dans un dialogue de Platon.

Or, un soir, après une longue discussion qui avait eu pour théâtre les ruines du Colisée, laissé par ses amis seul avec ses pensées, il a une vision. Il se sentit emporté dans l'espace, comme sur un fleuve d'air, et un génie inconnu fit apparaître devant ses yeux les divers états par lesquels l'humanité était passée. Je vais reproduire les paroles de l'illustre chimiste, tout en exprimant le vif regret de n'avoir pu me procurer le texte anglais, dont la transcription intégrale n'eût pas été inutile.

« ...et petit à petit, je remarquai qu'une vaste campagne couverte de forêts et de marais se développait devant moi. J'aperçus des animaux sauvages paissant au sein d'immenses savanes, et des bêtes fauves, comme des lions et des tigres, venant les combattre et les dévorer. Je vis des sauvages nus, se nourrissant des fruits de la terre et

(1) Traduction de M. Camille Flammarion. Paris, Didier, 1872, in-12.


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dévorant des crustacés, se disputant à coups de bâton les restes d'une baleine jetée sur le rivage. J'observai qu'ils n'avaient aucune habitation, qu'ils se cachaient dans les cavernes ou s'abritaient sous des palmiers. Les dattes et les noix de cacao étaient la seule nourriture agréable que la nature paraissait leur avoir donnés; elles n'étaient qu'en petite quantité et formaient un objet de convoitise. Je reconnus qu'un certain nombre de ces malheureux êtres humains, qui habitaient la vaste étendue ouverte devant moi, avaient des armes garnies de silex ou d'arêtes de poisson; ils s'en servaient pour détruire des oiseaux, des quadrupèdes et des poissons, dont ils se nourissaient sans les préparer par la cuisson. Leur plus grand régal semblait être certains vers, ou larves, qu'ils cherchaient avec une grande patience dans les bourgeons des palmiers.

Quand mes regards tombèrent sur les aspects de cette scène mélancolique, qui était alors éclairée par un soleil levant, j'entendis de nouveau la même voix qui m'avait surpris au Colysée. Elle me disait : « Contemple la naissance des temps. Considère l'homme dans son [état nouvellement créé, plein de jeunesse et de vigueur. Admires-tu ou envies-tu quelque chose de cet état? »

Le prodigieux rêveur, un instant arrêté devant cette belle évocation des âges primitifs, se sent de nouveau emporté sur le fleuve du temps, puis le jour se fait de nouveau devant ses yeux étonnés, et voici ce qu'il aperçoit :

« ...et un vaste pays m'apparut, en partie inculte et en partie cultivé. Il y avait moins de bois et de marécages que dans la scène précédente. Les hommes étaient couverts de peaux de bêtes, et faisaient paître les bestiaux dans des pâturages fermés. Ici on voyait les cultivateurs occupés à la moisson, là on voyait des moulins occupés à broyer le blé en farine; plus loin, on devinait la fabrication et la cuisson du pain. Les chaumières étaient fournies de toutes les commodités de la vie champêtre. Ce peuple était dans cet état de progrès pastoral et agricole que les poètes ont imaginé comme appartenant à l'âge d'or. La même voix, que j'appellerai celle du Génie, ajouta : « Regarde ces groupes d'hommes qui sont sortis de l'état d'enfance; ils doivent leur propre avancement à quelques esprits supérieurs existant au milieu d'eux. Cet homme vénérable que tu observes là-bas, entouré d'une foule, leur enseigne à bâtir des chaumières; de cet autre, ils ont appris la domestication de certaines races animales; d'autres, ils ont appris à conserver le blé et à le semer ainsi que les graines et les semences des fruits. Ces arts ne se perdront jamais, une autre génération les verra se perfectionnant; les maisons seront, dans un siècle, plus vastes et plus commodes, les troupeaux plus nombreux, les sillons d'or plus étendus, les marais seront desséchés et le nombre des arbres fruitiers augmenté...


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Le Génie poursuit en déclarant au chimiste qu'il est emporté sur le fleuve qui descend de la période de la création jusqu'à l'époque actuelle et qu'il lui sera donné de contempler d'autres divisions de la succession des âges.

« Dans le tableau qui suivit celui du peuple pasteur et agricole, je vis une vaste étendue de plaines cultivées, d'importantes cités assises au bord de la mer, ornées de palais, de forums et de temples ; des troupes de cavaliers étaient occupées à des exercices militaires; des galères étaient conduites par les rames sur l'Océan; les routes se croisant dans le pays étaient couvertes de voyageurs et de véhicules traînés, soit par des hommes, soit par des chevaux.

Le Génie prenant la parole : « Tu vois l'état primitif de la civilisation humaine, me dit-il; les chaumières de la race précédente sont devenues des habitations perfectionnées et spacieuses, des palais et des temples. Les hommes, en petit nombre, auxquels, comme je l'ai dit plus haut, on doit ces progrès, ont vu leur mémoire couronnée de honneurs divins. Les outils dont se sert cette génération sont uniquement composés de cuivre. La voix des hommes parlant aux foules qui les environnent, et d'autres qui distraient la foule en chantant ou en récitant des actes ; ce sont là les premiers bardes et les plus anciens orateurs; mais toutes ces manifestations de leur pensée sont orales, car le langage écrit n'existe pas encore.

La scène qui vint ensuitre m'offrit à la fois les oeuvres de l'imagination et du travail matériel. Un homme tenait entre ses mains les mêmes instruments que ceux de la serrurerie de l'art moderne; il portait un vase qui parut être de fer, au milieu des acclamations d'une multitude assemblée s'avançant en procession triomphale vers des autels consacrés par le nom d'Apollon à Delphes. Dans la même place, on voyait des hommes munis de rouleaux de papyrus et écrivant avec des roseaux imbibés d'encre faite de suie de bois mélangée avec une solution de colle. « Contemple, dit le Génie, l'immense transformation produite dans la condition de la société par ces deux arts dont tu vois l'origine : l'un, celui de rendre le fer malléable, qui est dû à un Grec obscur; l'autre, celui de fixer les pensées sur des caractères écrits, art qui progressera graduellement depuis les hyéroglyphes que tu distingues sur ces pyramides. Désormais, la vie humaine t'apparaîtra plus puissante et plus active...

Un nouveau spectacle succéda de nouveau à ma vision. Je m'aperçus qu'on avait mis de côté les instruments de bronze, qui avaient appartenu au premier état social; le fer malléable avait été converti en acier trempé et cet acier était appliqué à mille usages de la vie civilisée; des troupes s'en servaient pour les armures défensives et pour les armes offensives. Ces hommes, bardés de fer, quoique en petit nombre, sub-


juguaient des milliers de sauvages et établissaient parmi eux les arts et les institutions... (1).

La vision se poursuit, faisant apparaître de larges tableaux de la civilisation depuis les Grecs jusqu'à la renaissance, accusant l'inflexible loi de progrès que l'auteur voulait mettre en pleine évidence.

Dans le dialogue suivant, il revient sur l'état primitif de l'homme. L'un des interlocuteurs critique vivement : « Vous vous représentez, dit-il, l'homme dans son état primitif de création, comme un sauvage semblable à l'aborigène de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, qui, par le pauvre exercice d'une •faible intelligence, acquiert simplement le pouvoir d'alimenter et de perpétuer sa vie... » Il condamne ce point de vue comme contraire au bon sens et à la révélation, ce qui lui amène une réplique dans laquelle s'affirme la méthode comparative qui consiste à étudier les sauvages modernes pour comprendre l'état primitif de l'humanité, et cette pensée revient plusieurs fois au cours du volume, surtout vers la fin, où l'auteur expose sa pensée constante sur la science, origine des arts. Tout en serait à retenir, particulièrement le parallèle entre l'homme civilisé, en possession de toutes les connaissances scientifiques qui ont transformé la face du monde, et l'homme primitif étudié dans « l'aborigène de l'Australie ou de la Nouvelle-Hollande .., tout nu se défendant contre les bêtes fauves, ou les tuant par des armes de bois durci au feu, affilé par des pierres ou des arêtes de poisson... n'habitant que des trous creusés dans la terre, ou des cabanes grossièrement construites de quelques branches d'arbres couvertes d'herbe... (2) »

Dégageons la pensée de l'auteur des descriptions dont il l'a ornée :

L'humanité a franchi quatre grandes étapes, quatre périodes successives, nettement tranchées.

Dans la première, les êtres humains, armés de silex et d'arêtes de poisson sont dans un état comparable à celui des Canaques océaniens, au temps où Cook découvrit leurs terres; essentielle(1)

essentielle(1) Humphry Davy, Les derniers jours d'un philosophe, traduction de M. Camille Flammarion. (Paris, Didier, 1872, in-12), pp. 22 à 28.

(2) Ibid., p. 299. La traduction est évidemment défectueuse, même et surtout dans sa forme grammaticale. La langue originale en est, certes, un peu fruste, l'auteur courant au but sans s'inquiéter de la forme, mais cette forme n'en arrive jamais à un tel point de négligence rustique et incorrecte.


ment chasseurs et pêcheurs, ils ignorent l'art de cuire les aliments.

Un second degré est gravi; l'homme est devenu pasteur et agriculteur de pêcheur et chasseur, sédentaire de nomade qu'il était. Ce sont encore la pierre et l'os qui fournissent la matière des armes et des instruments. Davy ne le dit pas, mais cela résulte clairement du troisième tableau où il nous montre le cuivre comme matière unique et nouvelle de l'industrie. Donc, le grand penseur non seulement admettait un âge de la pierre au début de la civilisation, mais même, devançant de loin les préhistoriens, il divisait cet âge en deux grandes périodes qui correspondent au paléolithique et au néolithique, à la pierre éclatée, concordant avec la condition des chasseurs, et à la pierre polie, caractérisant les premiers rudiments de la civilisation pastorale et agricole.

Une troisième évolution conduit les hordes humaines de la barbarie néolithique à la civilisation de l'âge du bronze. « Les outils de cette génération sont uniquement composés de cuivre, » dit l'auteur; était-ce bien cuivre qu'il fallait dire? Bronze eût été mieux, mais n'eût pas plus nettement caractérisé cette civilisation nouvelle qui est décrite, non telle qu'elle peut apparaître dans les Gaules et les pays du Nord, où elle avait été importée, mais comme elle était apparemment, dans les régions méditerranéennes, qui sont ici visées.

Enfin, le fer apparaît, le fer malléable, et avec lui nous touchons aux temps purement historiques. Notons d'ailleurs que le chimiste ne confond pas la découverte du fer avec la diffusion de son usage. « La découverte du fer, dit-il, a été faite mille ans au moins avant qu'on ne le rende malléable (1). »

Donc Humphry Davy admet les trois âges de la pierre, du bronze et du fer, même il subdivise celui de la pierre en deux périodes. Or les pages de The last days of a philosopher furent écrites en 1828, peut-être plus tôt (2), et leur auteur s'éteignit à Genève le 3o mai 1829; Thomsen ne devait publier son premier travail sur les antiquités de pierre (3) qu'en 1833 et sa classification des temps préhistoriques qu'en 1836. Que les hommes dégagés de tout parti-pris, apprécient.

(1) Ibid., p. 305.

(2) L'auteur déclare d'ailleurs que ces pages sont le fruit de méditations remontant à bien des années en arrière.

(3) Voir G. et A., de Mortillet, Le Préhistorique, Paris, Reinwald, 1900, in-12, p. 3 et note.


Mais on répondra peut-être que ce fut là, comme pour Lucrèce, un éclair de génie, surtout parce que le chimiste anglais, chrétien convaincu pourtant, comme le prouve tout le livre dont nous venons de reproduire quelques passages, se refusait à introduire des considérations religieuses dans ses enquêtes scientifiques. Que ne peut-on décerner la même louange aux écrivains qui, sous prétexte d'archéologie et de préhistorique, prétendent faire adopter au lecteur leur profession de foi matérialiste! Et quand donc la science sera-t-elle cultivée pour elle-même, sans préoccupations de religion ou de parti!

Certes, s'il fut un homme exceptionnel au début du XIXe siècle, ce fut assurément l'éminent chimiste dont Cuvier disait : « On lui demandait une découverte comme à d'autres une fourniture»; mais ses idées sur la tripartition des temps antérieurs à l'histoire selon l'emploi de la pierre, du bronze et du fer, ne lui est pas spéciale. S'il a devancé le grand antiquaire Thomsen de quelques années, il avait été devancé de plus d'un demi-siècle par le père de l'histoire naturelle en France, Buffon, qui, lui-même se bornait à exprimer les idées communes à tous ceux qui s'occupaient alors de ces questions abstruses dont se repaissaient seuls de rares antiquaires et de non moins rares philosophes.

M. Flammarion, dans sa préface à l'amusant volume de du Cleusiou, La Création de l'homme et les premiers âges de l'humanité (1), a relevé quelques passages de Buffon allusifs à l'homme primitif, mais ces citations sont trop écourtées pour qu'on puisse se faire d'après elles une idée un peu complète de la doctrine du grand naturaliste en cette matière. Nous reprendrons pour notre propre compte cette analyse tout en rougissant de honte pour notre génération, qui semble ne plus connaître que par des morceaux choisis les pères de langue, de la pensée et de la science française.

C'est d'abord une grande page empruntée à la Septième des Epoques de la Nature: « Lorsque la puissance de l'homme a secondé celle de la nature. » Il n'était pas, jadis, de collégien qui ne la sût par coeur.

« Les premiers hommes, témoins des mouvements convulsifs de la terre, encore récens et très fréquens, n'ayant que les montagnes pour asile contre les inondations, chassés souvent de ces mêmes asiles par les feux des volcans, tremblans sur une terre qui tremblait sous leurs

(1) Paris, Marpon et Flammarion, 1887, in-8°. Introduction, p. 22.


pieds, nuds d'esprits et de corps, exposés aux injures de tous les élémens, victimes de la fureur des animaux féroces, dont ils ne pouvaient éviter de devenir la proie, tous également pénétrés du sentiment commun d'une terreur funeste, tous également poussés par la nécessité, n'ont-ils pas très promptement cherché à se réunir, d'abord pour se défendre par le nombre, ensuite pour s'aider et travailler de concerta se faire un domicile et des armes? Ils ont commencé par aiguiser en forme de haches en cailloux durs, ces jades, ces Pierres de Foudre, que l'on a crues tombées des nuées et formées par le tonnerre, et qui néanmoins ne sont que les premiers monuments de l'art de l'homme dans l'état de pure nature ; il aura bientôt tiré du feu de ces mêmes cailloux en les frappant les uns contre les autres; il aura saisi la flamme des volcans ou profité du feu des laves brûlantes pour le communiquer, pour se faire jour dans les forêts, les broussailles, car avec le secours de ce puissant élément, il a nettoyé, assaini, purifié les terrains qu'il voulait habiter; avec la hache de pierre il a tranché, coupé les arbres, menuisé le bois, façonné ses armes et les instruments de première nécessité. Et, après s'être munis de massues et d'autres armes pesantes et défensives, ces premiers hommes n'ont-ils pas trouvé le moyen d'en faire d'offensives plus légères, pour atteindre de loin? Un nerf, un tendon d'animal, du fil d'aloès, ou l'écorce coupée d'une plante ligneuse, leur ont servi de corde pour réunir les deux extrémités d'une branche élastique dont ils ont fait leur arc ; ils ont aiguisé d'autres petits cailloux pour armer les flèches. Bientôt ils auront eu des filets, des radeaux, des canots, et s'en sont tenus là tant qu'ils n'ont formé que de petites nations composées de quelques familles, ou plutôt de parens issus d'une même famille, comme nous le voyons encore aujourd'hui chez les sauvages, qui veulent demeurer sauvages, et qui le peuvent, dans les lieux où l'espace libre ne leur manque pas plus que le gibier, le poisson, et les fruits. Mais, dans tous ceux où l'espace s'est trouvé confiné par les eaux, ou resserré par les hautes montagnes, ces petites nations devenues trop nombreuses ont été forcées de partager leur terrain entre elles ; et c'est de ce moment que la terre est devenue le domaine de l'homme : il en a pris possession par ses travaux de culture, et l'attachement à la patrie a suivi de près les premiers actes de sa propriété. L'intérêt particulier faisant partie de l'intérêt national, l'ordre, la police et les lois ont dû succéder, et la société prendre de la consistance et des forces (1).

N'est-ce pas l'âge de la pierre tel qu'on pouvait le décrire, par les seules forces de l'induction et de la comparaison avec l'état social des peuplades inférieures que les grands voyageurs

(1) Des époques de la nature. OEuvres complètes de Buffon. Édition. Abel Ledoux, Paris, 1846. In-8, t. II p. 173.


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du XVIIIe siècle venaient de révéler aux philosophes étonnés, avant que se fût ruée à la curée des haches polies et des silex taillés la horde confuse des préhistoriens provinciaux?

Buffon divise, lui aussi, l'âge de la pierre en deux périodes, non pas d'après l'état de l'outillage, car il n'avait pas deviné les hachettes chelléennes et moustériennes, mais d'après l'état social : vague troupeau humain de chasseurs nomades d'abord, puis tribus nettement constituées de pasteurs et d'agriculteurs. Mieux que le chimiste anglais, il caractérise les armes de pierre, les petits cailloux aiguisés qui servaient à armer les flèches, surtout les haches de pierre, avec lesquelles l'homme primitif a tranché, coupé les arbres, menuisé le bois, et façonné d'autres armes pesantes et défensives, c'est-à-dire des massues. Il a constaté que ces primitifs instruments furent faits de cailloux durs, de jade aiguisés; il voit très bien, que ces pierres de foudre que l'on a crues tombées des nuées et formées par le tonnerre ne sont que les premiers monuments de l'art de l'homme dans l'état de pure nature, et, en ce dernier point, il devance de beaucoup les paléoethnographes auxquels M. Emile Cartaillac a révélé assez tard les croyances superstitieuses qui s'attachent dans le monde entier aux mystérieux instruments des premiers maîtres du sol.

Cette question des haches en pierre polie a particulièrement attiré l'attention du naturaliste. Non content d'avoir vu les pierres de foudre françaises, il avait étudié leurs similaires américaines ou asiatiques, en notant l'état social de lenrs auteurs (1).

(1) Disons à ce sujet que le comte de Caylus préconise fortement ce qu'il appelle la méthode comparalive. « ... Je voudrais qu'on cherchât moins à éblouir qu'à instruire, et qu'on joignît plus souvent aux témoignages des Anciens la voie de comparaison, qui est pour l'Antiquaire ce que les observations et les expériences sont pour le Physicien. L'inspection de plusieurs monuments rapprochés avec soin en découvre l'usage, comme l'examen de plusieurs effets de la nature combinés avec ordre en dévoile le principe, et telle est la beauté de cette méthode, que la meilleure façon de convaincre d'erreur l'Antiquaire et le Physicien, c'est d'opposer au premier de nouveaux monuments et au second de nouvelles expériences... etc. »

(Recueil d'Antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines. Paris, 1732, in 4°, t. I, Avertissement, p. jjj.

Lui-même s'en est quelquefois servi; par exemple, il reproduit pl. LXI, fig. 2 du même volume, une « hache de bronze très bien fondue et très bien évuidée en dedans » qui « est un ouvrage des anciens habitants du Pérou. M. Godin l'envoya de Quito en 1727, à M. le comte de Maure pas. » " On verra plus bas, ajouta-t-il, les raisons pour lesquelles je l'ai inséré dans ce Recueil; et j'ose me natter que cette petite licence me sera pardonnée en faveur de la singularité du morceau et des conséquences que je


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On n'a trouvé aux habitants de toutes ces îles, entre l'Asie et l'Amérique, d'autres outils que des haches de pierre, des cailloux taillés en scalpel (1) et des omoplates d'animaux aiguisées pour couper l'herbe; ils ont aussi des dards, qu'ils lancent à la main à l'aide d'une palette, et desquels la pointe est armée de caillou pointu et artistement taillé ; aujourd'hui ils ont beaucoup de ferrailles volées ou enlevées aux Russes (2).

Il est intéressant de constater l'état d'indécision où le laisse la vue des bracelets et des bijoux en jadéide de l'Amérique du Sud. Dans l'impossibilité où il se trouve de comprendre les moyens, pourtant très simples, employés par les anciens Caraïbes pour tailler et façonner des roches d'une telle dureté, il en arrive à croire que le jade...

« ...n'est pas un produit immédiat de la nature et... que ce n'est qu'après l'avoir travaillé qu'on lui a donné, par le moyen du feu, sa très grande dureté; car de toutes les pierres vitreuses, le jade est la plus dure; les meilleures limes ne l'entament pas, et l'on prétend qu'on ne peut le travailler qu'avec la poudre de diamant : néanmoins, les anciens Américains en avaient fait des haches, et sans doute ils ne s'étaient pas servis de poudre de diamant pour donner au jade cette forme triangulaire et régulière. J'ai vu plusieurs de ces haches de jade olivâtre de différentes grandeurs; j'ai vu d'autres morceaux travaillés en forme de cylindres et percés d'un bout à l'autre, ce qui suppose l'action d'un instrument plus dur que la pierre. Or les Américains n'avaient aucun outil de fer, et ceux de notre acier ne peuvent percer le jade dans l'état où nous le connaissons ; on doit donc penser qu'au sortir de la terre le jade est moins dur que quand il a perdu toute son humidité par le dessèchement à l'air, et que c'est dans cet état humide que les sauvages de l'Amérique l'ont travaillé...

« ... En attendant ce supplément a nos connaissances, je crois qu'on peut présumer avec fondement que le jade, tel que nous le connaissons, est autant un produit de l'art que de la nature; que quand les sauvages l'ont travaillé, percé et figuré, c'étoit une matière tendre, qui n'a acquis cette grande dureté et sa pleine densité que par l'action

dois en tirer. » (Ibid. p. 168.) — Quelques pages plus loin, en effet, (p. 250-251) il s'en sert comme d'argument dans sa grande discussion sur j'emploi des armes de cuivre qu'il généralise trop. Il est même surprenant qu'ayant étudié ce curieux morceau, il ne s'en soit pas servi pour reconnaître le véritable usage des haches à aileron, douille et talon qu'il reproduit aux planches XCII et XCIV du tome II, sans pouvoir émettre une hypothèse plausible à leur égard.

(1) bir John Lubbock a décrit et reproduit de ces cailloux tailles en scalpel des peuplades septentrionales et qui sont simplement des racloirs. (L'Homme préhistorique, trad. Barbier, Paris, Germer-Baillière, 1876,p.88.)

(2) Buffon, OEuvres, t. II, p. 172.


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du feu auquel ils ont exposé leurs haches et autres morceaux qu'ils avaient percés ou gravés dans leur état de mollesse ou de moindre dureté. J'appuie cette présomption sur plusieurs raisons et sur quelques faits (1).

1° J'ai vu une petite hache de jade olivâtre, d'environ quatre pouces de longueur sur deux et demi de largeur et un pour l'épaisseur à la base, venant des terres voisines de la rivière des Amazones, et cette hache n'avait pas, à beaucoup près, la dureté des autres haches de jade; on pouvait l'entamer au couteau, et dans cet état, elle n'aurait pu servir à l'usage auquel sa forme de hache démontroit qu'elle était destinée : je me suis persuadé qu'il ne lui manquait que d'avoir été chauffée, et que par la seule action du feu, elle seroit devenue aussi dure que les autres morceaux de jade qui ont la même forme...

Que l'on ne se moque pas de cette étrange supposition : la science en a vu de bien plus étranges, mais qu'on veuille bien considérer la stupéfaction profonde du naturaliste constatant que des pierres d'une dureté défiant presque le burin des lapidaires avaient été admirablement taillées par de misérables sauvages, ignorant complètement l'usage des métaux. S'il faut s'étonner de quelque chose, c'est de voir que ces difficultés de travail n'aient pas fait admettre une origine naturelle, un jeu des forces inconnues de la nature. Du reste, les lecteurs, qui ne seraient pas plus renseignés sur les méthodes de travail en usage tant chez les Indiens des Amazones, que chez les protoceltes des Gaules, trouveront tous les renseignements désirables dans Les Ages de la Pierre de sir John Evans (2), oeuvre admirable de conscience,de saine raison et de scrupuleuse critique, comme la France n'en possède malheureusement pas qu'on puisse lui opposer.

Revenons à Buffon. Il ne faudrait pas croire que le tableau de l'humanité primitive qu'il avait si magistralement tracé, fût localisé en un point spécial du globe, berceau des races et des civilisations. Le passage suivant des Epoques de la Nature prouve surabondamment qu'il ne faisait aucune exception. Pour lui, l'Europe, comme l'Asie, avait vu les efforts de l'homme nouveau venu pour se faire sa place sur la terre.

« Ce n'est pas même en Europe, qui n'a reçu que fort tard les lumières de l'Orient, que se sont établis les premiers hommes civilisés, puis(1)

puis(1) OEuvres, t. III, p. 140-141.

(2) Traduction de M. Barbier. — Paris, H. Baillère, 1878, in-8°, p. 45 et suivantes.


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que avant la fondation de Rome, les contrées les plus heureuses de cette partie du monde, telles que l'Italie, la France et l'Allemagne, n'étaient encore peuplées que d'hommes plus qu'à demi-sauvages. Lisez Tacite, sur les moeurs des Germains; c'est le tableau de celles des Hurons, ou plutôt des habitudes de l'espèce humaine entière sortant de l'état de nature (1).

On pourrait glaner çà et là dans les Epoques de la Nature et l'Histoire naturelle de l'homme quelques traits nouveaux pour compléter le tableau que se faisait Buffon de l'homme au temps sauvage des âges de la pierre. Ce serait peut-être abuser de la patience du lecteur qui voudra bien prêter toute son attention aux passages suivants sur l'emploi du cuivre, suivant celui de l'a pierre et précédant celui du fer.

« ...Ce cuivre rétabli dans son état de métal par la cémentation, aussi bien que le cuivre primitif qui subsiste en masses métalliques, s'est offert le premier à la recherche des hommes; et comme ce métal est moins difficile à fondre que le fer, il a été employé longtemps auparavant pour fabriquer les. armes et les instruments d'agriculture. Nos premiers pères ont donc usé, consommé le premier cuivre de l'ancienne nature; c'est, ce me semble, par cette raison que nous ne trouvons presque plus de ce cuivre primitif dans notre Europe, non plus qu'en Asie... (2).

« Le cuivre de première formation étant dans un état métallique-, et ayant été sublimé ou fondu par le feu primitif, se refond aisément à nos feux; mais le cuivre minéralisé, qui est de seconde formation, demande plus de travail que tout autre minerai pour être réduit en métal : il est donc à présumer que, comme le cuivre a été employé plus anciennement que le fer, ce n'est que de ce premier cuivre de nature que les Égyptiens, les Grecs et les Romains ont fait usage pour leurs instruments et leurs armes, et qu'ils n'ont pas tenté de fondre les; rainerais cuivreux, qui demandent encore plus d'art et de travail que les mines de fer; ils savaient donner au cuivre un grand degré de dureté; soit par la trempe, soit par le mélange de l'étain ou de quelque autre minerai, et ils rendaient leurs instruments et leurs armes de cuivre propres à tous les usages auxquels nous employons le fer (3).

Il serait superflu de souligner ces précises déclarations sur l'antériorité de l'usage du cuivre sur celui du fer. Au lieu de

(1) Buffon, OEuvres, t. II, p. 174.

(2) Buffon, t.. III, p. I.

(3) Buffon, t. III, p. 3 et 4. Il semble que Buffon fait allusion dans ce passage aux célèbres expériences du comte de Caylus, lors de sa grande

discussion contre l'abbé Barthélémy à propos des épées en bronze de Gensac-


cuivre, mettez bronze, et mettez avant le mot âge du, qui correspond aux formules générales dans lesquelles s'est tenu l'auteur, et vous aurez la terminologie moderne avec les faits auxquelles elle s'applique.

Voyons maintenant l'âge du fer, si tant est qu'il faille conserver ce mot suranné, bon tout au plus pour ces forcenés de nomenclatures bizarres qui ne veulent rien savoir de la civilisation romaine si elle n'est pas appelée Champdolienne ou Lugdunienne.

« Que de difficultés à vaincre ! que de problèmes à résoudre ! combien d'arts accumulés les uns sur les autres ne faut-il pas pour faire ce clou ou cette épingle dont nous faisons si peu de cas ! D'abord, de toutes les substances métalliques, la mine de fer est la plus difficile à fondre ; il s'est passé bien des siècles avant qu'on en ait trouvé le moyen. On sait que les Péruviens et les Mexicains n'avoient en ouvrages travaillés que de l'or, de l'argent, du cuivre et point de fer ; on sait que les armes des anciens peuples de l'Asie n'étoient que de cuivre, et tous les auteurs s'accordent à donner l'importante découverte de la fusion de la mine de fer aux habitants de l'île de Crète, qui, les premiers, parvinrent à forger le fer dans les cavernes du mont Ida, quatorze cents ans environ avant l'ère chrétienne. Il faut, en effet, un feu violent et en grand volume pour fondre la mine de fer et la faire couler en lingots, et il faut un second feu tout aussi violent pour ramollir cette fonte ; il faut, en même temps, la travailler avec des ringards de fer avant de la porter sous le marteau pour la forger et eu faire du fer; en sorte qu'on n'imagine pas trop comment ces Cretois, ces premiers inventeurs du fer forgé, ont pu travailler leurs fontes puisqu'ils n'avaient pas encore d'outils de fer. Il est à croire qu'après avoir ramolli les fontes au feu, ils les ont ensuite portées sous le marteau, où elles n'auront donné d'abord qu'un fer très impur, dont ils auront fabriqué leurs premiers instrumens ou ringards.., Que de temps, que de travaux successifs ce petit exposé ne nous offre-t-il pas ! Le cuivre, qui, de tous les métaux après le fer, est le plus difficile à traiter, n'exige pas, à beaucoup près, autant de travaux et de machines combinées : comme plus ductile et plus souple, il se prête à toutes les formes qu'on veut lui donner; mais on sera toujours étonné que d'une terre métallique, dont on ne peut faire avec le feu le plus violent qu'une fonte aigre et cassante, on soit parvenu, à force d'autres feux et de machines appropriées, à tirer et réduire en fils déliés, cette matière revêche, qui ne devient métal et ne prend de la ductibilité que sous les efforts de nos mains (1).

(1) Buffon. OEuvres, t. II, p. 435.

C'est presque textuellement l'opinion exprimée par le comte de Caylus.


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Buffon, qui si éloquemment, a démontré les difficultés presque invincibles qu'eurent à surmonter les primitifs métallurges, Dactyles et Curetés Idéens, pour obtenir les premiers lingots-de fer ductile, ne manque pas de constater que c'est à ces difficultés qu'est dû l'usage prolongé du bronze dans les diverses civilisations méditerranéennes; celles de l'Amérique Centrale et Méridionale lui en fournissent l'occasion.

« Suivant les voyageurs, on a aussi trouvé des minerais de fer dans les climats plus septentrionaux de ce nouveau continent, comme à Saint-Domingue, au Mexique, au Pérou, au Chili, à la Guiane et au Brésil; et cependant les Mexicains et les Péruviens, qui étaient les peuples les plus policés de ce continent, ne faisaient aucun usage du fer. Quoiqu'ils eussent trouvé l'art de fondre les autres métaux, ce qui ne doit pas étonner puisque, dans l'ancien continent, il existait des peuples bien plus anciennement civilisés que ne sauraient l'être les Américains, et que néanmoins, il n'y a pas trois mille cinq cents ans que les Grecs ont, les premiers, trouvé le moyen de fondre la mine de fer, et de fabriquer ce métal dans l'île de Crète (1).

Tous les écrivains spéciaux ont été unanimes à déclarer que si le bronze ou le cuivre avait devancé le fer pour la fabrication des instruments, l'or avait dû être remarqué longtemps avant ; on le trouve à l'état natif dans beaucoup de rivières « et sa brillante couleur a dû certainement attirer l'attention des plos grossiers sauvages, toujours passionnés pour les ornements », dit sir John Lubbock (2). Il est au moins intéressant de constater que Buffon pensait exactement de même.

« Le cuivre se tire de terre avec facilité, et on l'y trouve en parties fort étendues. Il se met aisément en fusion, et aucun métal ne prend mieux le moule. Aussi l'Histoire nous apprend qu'il a été le premier et le plus généralement employé. Le fer, au contraire, n'est point du tout apparent dans la mine ; on ne le trouve qu'en très petite partie, qu'une première fonte ne sert qu'à réunir. Il faut au moins deux fois plus d'opérations pour le mettre en état d'être mis en oeuvre, parce que l'on ne peut le jeter au moule que pour des ouvrages grossiers... » (Recueil d'Antiquités égyptiennes, étrusques grecques et romaines. Paris, 1752, t. I. p. 239 Et plus loin, à propos de ce qu'il croit être un couteau pour les sacrifices : « Le cuivre, que les Anciens regardaient de sa nature comme ayant été toujours consacré aux dieux, et pouvant, selon eux, par une vertu secrète, chasser les spectres et les esprits impurs. Ce qui confirme les preuves que j'ai données de l'antiquité du cuivre, qui est un des premiers métaux qu l'on ait employés, et dont, pour cette raison, l'on a continué à se servir dans les cérémonies religieuses. (Ibid. t. I, p. 261).

(1) Buffon, t, II, p. 424.

(2) L'homme préhistorique (traduction Ed. Barbier), Paris, Baillère, 1876, in-8° p. 3.


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« Les mines d'or les plus riches, dit-il, sont dans les pays les plus chauds, et particulièrement dans ceux où les hommes ne sont pas anciennement établis en société policée, comme en Afrique et en Amérique, car il est très probable que l'or est le premier métal dont on se soit servi: plus remarquable par son poids qu'aucun autre, et plus fusible que le cuivre et le fer, il aura bientôt été reconnu, fondu, travaillé: on peut citer pour preuve les Péruviens et les Mexicains, dont les vases et les instruments étaient d'or, et qui n'en avaient que peu de cuivre et point du tout de fer, quoique ces métaux soient abondans dans leur pays;leurs arts n'étaient pour ainsi dire qu'ébauchés, parce qu'eux-mêmes étaient des hommes nouveaux, et qui n'étaient qu'à demi policés depuis cinq ou six siècles. Ainsi, dans les premiers temps de la civilisation de l'espèce humaine, l'or, qui, de tous les métaux, s'est présenté le premier à la surface de la terre, ou à de petites profondeurs, a été recueilli, employé et travaillé, en sorte que dans les pays peuplés et civilisés plus anciennement que les autres, c'est-à-dire dans les régions septentrionales et tempérées, il n'est resté pour la postérité que le petit excédent de ce qui n'a pas été consommé (1). »

(A suivre.) JULES MOMMÉJA.

JOURNAL D'UN BOURGEOIS DE POPINCOURT

AVOCAT AU PARLEMENT (1784-1 787)

Publié par H. VIAL et G. CAPON (Suite)

Le samedi 18 février 1786, le sieur N..., cy-devant épicier à Dijon, sa patrie, meurtrier d'une soeur avec laquelle il logeait et vivait même dans une sorte de commerce illicite depuis quelque tems, rue de Laval, derrière l'Arquebuse (2), faubourg Saint(1)

Saint(1) OEuvres, t. II, p. 461.

(2) Le terrain sur lequel l'hôtel royal de l'Arquebuse était situé à l'entrée de la rue de la Roquette, fut donné aux Chevaliers de l'Arquebuse, pour s'entretenir dans leurs exercices, par lettres patentes de Louis XIV, du mois de décembre 1684, en échange d'un autre terrain qu'ils occupaient près le


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Antoine ; après avoir avec un couteau dont il s'était ensuite donné plusieurs coups sans se blesser mortellement ; après avoir, disons-nous, commis ce forfait motivé, dit-on, par la rage où le mettoit la seule idée du mariage prochain de cette soeur avec un jeune homme, le sieur N..., pour se soustraire aux vives poursuites des personnes accourues au bruit pour l'arrêter, gagne comme il peut les toits voisins ; de là, le malheureux, désespérant de se sauver des mains de la justice et malgré toutes les promesses qu'on lui faisoit du contraire, se précipite en bas la tête la première et se brise le crâne en mille morceaux, non sans avoir auparavant crié : « gare » au monde assemblé dans la rue. — I, 379-380.

Combien d'autres crimes, tendant à troubler le bien-être des, particuliers, ou celui des familles, sont plus ou moins dignes par eux-mêmes et par leur conséquence de provoquer toute la rigueur des loix pénales. L'on peut entr'autres ranger dans cette classe l'affreuse machination d'un procureur au Parlement, Me Mignon, frère du directeur d'une manufacture de terre d'Angleterre, près du Pont-aux-Choux (1). Cet abominable époux, pour jouir à sa fantaisie des biens considérables de sa femme, petite-fille du célèbre peintre Mignard et nièce de feue madame la marquise de Feuquières (2), entreprend de la diffamer et de

moulin d'Ardoise, qui fut pris pour la continuation des boulevards. L'uniforme des Chevaliers de l'Arquebuse était écarlate, galonné d'er, avec parements et revers de velours bleu de ciel, le bouton doré, avec arquebuse et arbalète en sautoir, couronnées. Ils étaient tenus de s'entretenir dans les exercices militaires, parce que, dans les cas urgents, ils étaient mandés pour prendre les armes et faire le service comme les troupes régulières. Leurs exercices commençaient le premier dimanche de mai et se continuaient jusqu'au jour de la Saint-Denis inclusivement (Thiéry, Guide des Etrangers voyageurs à Paris, 1787, 644).

(1) La manufacture royale de terre d'Angleterre. Cette manufacture de terres à l'instar de celles d'Angleterre, est établie sur le boulevard, à l'angle de la rue Saint-Sébastien. On y trouve des services complets en plats, assiettes, et l'on y exécute toutes les commandes. (Thiéry, ouv. cit. 1 787, 642). Le directeur de cette manufacture se nommait en effet Adrien-Pierre Mignon. (Arch. de la Seine, hyp., lettres, 4372).

(2) La marquise de Feuquières : Catherine-Marguerite Mignard, née à Rome en 1657, était morte le 27 septembre 1737 dans son hôtel, grande rue hors la porte Saint-Honoré (cf. Jal. Dict. critique... ; Archives de la Seine, Test. Reg. 229, f° 117). Sa petite-nièce se nommait Gabrielle-Adélaïde Mignard, fille de Gabriel Mignard, lui-même fils de Rodolphe Mignard, l'un des fils du grand peintre, et frère, par conséquent, de la marquise de Feuquières ; la mère de Gabrielle-Adélaïde était dame Charlotte-Victoire Dejean.


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la perdre, en l'accusant d'avoir voulu l'empoisonner : mais il eut le chagrin de ne point réussir dans une telle accusation; chagrin qui le conduisit misérablement au tombeau quelques mois après la perte de cet étrange procès...

... Quo non mortalia pectora cogis Auri sacra famés ! (Virg.) — I, 408.

Éloignons-nous de Dammartin et de Compans-la-Ville, pour nous rapprocher un peu de Paris, et pour nous arrêter pendant quelques minutes aux environs de Longchamp, rendez-vous presque universel des élégans et des élégantes de cette capitale qui, tous les ans, à certain jour de la semaine sainte, vont à l'envy

Les parents de cette jeune tille durent obtenir une dispense pour la marier à l'âge de treize ans et un mois! avec Me Adrien Mignon, procureur au Parlement, fils majeur de Pierre Mignon et de Louise Gerbaut, le 31 août 1763, à l'église Saint-Benoît. C'était une nature très précoce. (Arch. de la Seine, Etat-civil parisien reconstitué). Lorsque son mari mourut, madame veuve Mignon convola à nouveau en justes noces avec Jacques-François-PelageAlexandre, baron de Lefèvre-Graintheville, gouverneur de la ville et port de Barfleur; elle était séparée de biens avec son second époux lorsqu'elle vendit, le 21 août 1787, une rente de 1250 livres qui provenait de la substitution portée au testament de sa grand'tante Catherine-Marguerite (Arch. de la Seine, hyp. lettres 1431 ). Vente par la même au même de 835 livres de rente à prendre par privilège sur une maison au coin des rues du Petit-Bac (rue Dupin actuelle) et de Sèvres (Arch. de la Seine, ibid. lettres, 680). Le 12 décembre 1785, elle vendit à Charles Portier, bourgeois de Paris, une maison rue de Richelieu, appelée l'Hôtel de Richelieu ; cette maison appartenait à Gabrielle-Adélaïde Mignard, comme héritière de son père : Gabriel Mignard, héritier lui-même de Rodolphe Mignard, fils du peintre Mignard. (Arch. de la Seine, ibid., lettres, 17961). L'Hôtel de Richelieu, appartenait au premier peintre de Louis XIV, il est représenté aujourd'hui par la maison portant le n° 21 de la rue de Richelieu. En 1889, l'édilité parisienne fit apposer l'inscription suivante sur cet immeuble : « Le peintre Mignard, né à Troyes en 1603, est mort dans cette maison, le 30 mai 1695. (Le Vayer, Recueil des inscriptions parisiennes, 1893, 201).

La petite-nièce de la marquise, deux fois mariée, est l'objet des remarques critiques de notre auteur dans un autre passage de son journal : « La veuve de Me Mignon, remariée depuis au baron de Granville [lire : Graintheville] dont elle est séparée de corps et de biens, logée rue de Sève, faubourg SaintGermain, non loin des Incurables, assez jeune encore, passe assez généralement pour avoir des inclinations semblables à celles de la demoiselle Raucourt : inclinations en conséquence desquelles, sans cesse partout, elle traîne à sa suite, deux ou trois nymphes à peu près du même âge et comme elles enrôlées, non dans, le régiment d'Anjou, mais bien dans celui de la Fricarelle, ainsi que le nomme assez plaisamment le bon Brantôme, dans ses mémoires un peu gaillards sur les Dames galantes de son tems. » I, 408 verso.


faire un très peu dévôt pélerinage dans des voitures lestes et décorées avec la plus grande magnificence. Entre tous les personnages qui, cette année, ont paru sur ce fameux théâtre, s'est distingué surtout par le luxe recherché de son équipage et de son ajustement, outre un jeune et riche Américain que l'on ne nomme pas, la demoiselle Adeline, aimable et jeune actrice de la Comédie Italienne, qui, sans doute, n'a point manqué d'y faire de nouvelles conquêtes plus ou moins brillantes que tant d'autres, qu'antérieurement elle avait déjà faites et qui suivait la foule dans son char de triomphe ; on se souvient encore qu'en pareil jour, à pareil lieu, la demoiselle Leduc, d'abord figurante à l'Académie royale de musique, aujourd'hui madame de Turvois (1), (Turvoy (2), nom d'une terre voisine de Sceaux et de Bourg-la-Reine (3), dont elle a joui pendant quelques années et qu'elle a prudemment vendue quelque tems avant le décès de son illustre amant en 1771, dans la crainte d'être, lors de cet événement, inquiétée par les héritiers même ou par les créanciers de ce prince). (Note en marge) : Fit autrefois celle de feu monseigneur le comte de Clermont, qui pour lors avoit pour maîtresse en titre la demoiselle Camargo, danseuse au même théâtre, qu'il échangea volontairement contre l'autre, entretenue en ce tems-là par M. le président Bernard de Rieux ; l'un des fils du célèbre Samuel Bernard, ex-israëlite, comte de Coubert (4) ; avec cette différence remarquable entre le procédé du prince et celui du magistrat : que le premier reprit mesquinement à son ancienne favorite la plupart des présens dont il l'avoit comblée,

(1) Voir sur mademoiselle Leduc, l'ouvrage documenté que publia Jules Cousin, en 1867, sur le comte de Clermont, en deux volumes in-8°. L'érudit fondateur du musée Carnavalet et de la Bibliothèque de la ville de Paris n'a pas connu certains détails que donne notre auteur sur la dame de Tourvoye ; on verra plus loin ceux qui sont relatifs à la fin de la vie de cette per sonne, ainsi que plusieurs renseignements particuliers que nous avons pu découvrir.

(2) Exactement Tourvoie, commune de Fresne-Ies-Rungis, à 2 kilomètres d'Antony (Dictionnaire des Postes, 1900).

(3) Sur la seigneurie de Tourvoie, on trouvera beaucoup de renseignements dans l'ouvrage de Jules Cousin et dans la monographie de Fresnes, publiée en 1897 par M. Fernand Bournon. Consulter également aux Archives nationales, le très beau terrier de cette seigneurie en 1699, conservé sous la cote S. 3091.

(4) Samuel Bernard était protestant. Les registres du temple de Charenton, détruitsen 1871, contenaient de précieux renseignements sur sa famille. Il fut baptisé le 3 décembre 1651. Cf. l'article de Charles Read dans l'Encyclopédie des Sciences religieuses, ouv. cit., II, 227.


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et que le second laissa généreusement à la sienne tous ceux qu'il avoit pu lui faire.

La dame de Turvoy toujours vivante et logée, rue de Popincourt, faubourg Saint-Antoine, en face de l'ancien monastère des Religieuses Annonciades (1), est fille du sieur Leduc, jadis

l'un des suisses du Luxembourg, à la porte du jardin, vis-à-vis celle des Carmes Déchaussés. C'était un suisse qui n'entendait, point raillerie sur l'honneur des filles et qui même un jour appliqua publiquement sur la joue de la sienne un très rude soufflet pour la punir d'une indécence ou d'une incongruité qu'elle venait de commettre, soumet que celle-ci, sans doute, n'a jamais pu lui pardonner, si l'on doit en juger par l'anecdote suivante. Quelque temps après son installation dans la couche ou dans le harem de son Altesse sérénissisme, la demoiselle Leduc voit arriver dans son appartement son père tout effarouché, qui lui fait les reproches les plus piquants et les plus amers sur le

(1) Ce que les historiens du comte de Clermont. J. Cousin et Sainte-Beuve, ont ignoré et que Lefebvre de Beauvray nous apprend, c'est que la demoiselle Leduc avait survécu vingt-deux années à son noble amant. La dame de Tourvoie ayant prudemment vendu son fief, comme on l'apprendra plus loin, se retira, loin du bruit et du faste dans une retraite charmante du faubourg Saint-Antoine. Ainsi qu'il appert de l'acte qui suit, elle était propriétaire rue de Popincourt, depuis 1766:

« Par acte devant Boulard, notaite au Châtelet de Paris, le dix-huit décembre mil- sept-cent-soixante-cinq, apert Me Jacques-Charles-André de la Guerche, colonel d'infanterie, avoir vendu à demoiselle Elisabeth-Claire

Armes parlantes de Mlle Leduc, marquise de Tourvoie.


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scandale de sa conduite, reproches impatiemment écoutés par sa superbe fille qui, du ton le plus aigre et le moins respectueux, lui commande de se retirer sui -le-champ, appelle ses gens, et leur enjoint impérieusement de ne plus laisser entrer cet homme, lorsqu'il osera se présenter chez elle. Un instant ensuite, survient le prince qui, paisiblement, lui demande le sujet de tout ce vacarme et du courroux extrême dont il la voit animée ; elle se hâte de l'en instruire et de lui déclarer formellement qu'elle sera bientôt forcée de renoncer à tout commerce avec lui, s'il ne la défait pas au plus vite de ce fâcheux Censeur dont elle ne sauroit plus supporter les continuelles incartades; en vain, Monsieur le comte de Clermont, avec tout le sang-froid dont il est capable, dit que la douceur seroit préférable, en ce cas-là, à la rigueur, combien surtout il lui importait d'éviter un éclat qui lui feroit le plus grand tort et la feroit considérer à l'égard de son père comme une fille dénaturée; elle insiste, lui fait entendre que sa place de suisse au Luxembourg exposait depuis longtemps le sieur Leduc au soupçon de faire la contrebande, soupçon dont aisément on pourrait profiter pour le desservir auprès du gouvernement. A force de criailleries, de larmes et de menaces, elle détermine enfin son trop faible amant à faire usage de cet infâme moyen, il obtient en conséquence et sur la délation de sa propre fille, un ordre supérieur en vertu duquel le pauvre diable est mené à Bicêtre, où sans doute il est mort au sein de la misère et de l'opprobre. Nous ignorons si réellement est douée d'une nature aussi perverse une soeur de la demoiselle Leduc qui vit encore, originairement aussi peu réglée dans ses moeurs, et mariée avec un cordon bleu de la finance nommé Desforges.—1,411.

Le Duc de Tourvoye, fille majeure, demeurant rue de Popincourt, faubourg Saint Antoine, une maison sise en cette ville, susdite rue de Popincourt, faubourg Saint-Antoine, tenante aux Religieuses Annonciades et par derrière à une ruelle commune moyennant 48.000 livres. » Insinuations de Ventes, Archives de la Seine. Reg. 114, f° 225, verso.

Dans cette solitude, la danseuse vécut de façon à faire oublier sa conduite d'autrefois; peut-être partageait-elle ses loisirs entre les pratiques de la dévotion et sa hibliothèque dont l'inventaire est venu jusqu'à nous. Il est conservé à l'Arsenal; c'est un volume manuscrit (coté 4636). Il est ainsi décrit dans l'ouvrage de J. Cousin sur le comte de Clermont : « Volume in-4° maroquin rouge estampé d'une riche dentelle encadrant aux quatre angles les armes parlantes de la marquise de Tourvoie : une tour soutenue d'une terrasse abaissée qui symbolise sans doute une voie. » Les rapports de police qui documentèrent Cousin sur cette dame sont également conservés à la bibliothèque de l'Arsenal : Papiers de la Bastille, mss. 10237-10238. Ils sont datés de 1752 et donnent à mademoiselle Leduc l'âge de 36 à 35 ans.


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Quelle fut la vie de la dame de Tourvoie pendant ces vingt-deux années ? C'est ce que la chronique ne nous apprend pas, cependant il est curieux de constater ici que l'ancienne maîtresse du comte de Clermont, en venant habiter le faubourg Saint-Antoine, y devint presque révolutionnaire ; ne la vit-on pas, en 1790, offrir un drapeau au district de Popincourt? il figure, ce drapeau aux fraîches couleurs, dans une planche de l'ouvrage du comte de Coetlogon : Les Armoiries de la Ville de Paris 1885, II, 76, avec le nom de la donatrice.

Sans préciser la date d'une façon absolue, nous pouvons, grâce à la pièce suivante, dire que Mlle Leduc mourut vers la fin de 1792, ou au commencement de 1793. Le document que nous avons trouvé dans le précieux fonds des Hypothèques, aux Archives de la Seine, est une opposition à la vente de l'immeuble de la défunte, immeuble appartenant à son héritier le citoyen Cailleux, procureur de la Commune : « Du 25e jour de mars 1703.

Opposition à la requête du citoyen Pierre Lattre, ci-devant cocher au service de défunte Marie-Elisabeth-Claire Leduc de Tourvoie, demeurant à Paris, rue Saint-Louis au Marais, n° 92.

Sur le citoyen Cailleux, commissaire de la Commune, demeurant à Paris, rue de Popincourt, au nom et comme seul héritier de la citoyenne Leduc de Tourvoie.

Pour sûreté de la pension annuelle et viagère de 500 livres de rente constituée à son profit par la dite défunte. » Arch. de la Seine. Hyp. Reg. L. 10, f° 173.

M. Favart, au reste, qui jouit toujours de la meilleure santé pour son âge, aujourd'hui d'environ 76 ans comme étant né vers la fin de 17 10, c'est-à-dire dans le même temps que naquit le feu roi Louis XV, possède une bibliothèque fort bien choisie, assez considérable pour celle d'un particulier, pleine de livres rares et curieux en plus d'un genre, livres entre lesquels nous avons remarqué surtout les deux suivans que nous ne connaissions point du tout, ayant pour titre l'un : Nicodemus Frichlinus facetiae, 1651 (1), l'autre : Quatrains anatomiques des os et des muscles, ensemble le Discours de la circulation du sang, par Claude Binet, chirurgien-juré de la ville de Lyon, avec l'épigraphe : « Virtus sibimet pulcherrima merces ». Lyon. 1664.(2).

(1) Frichlini et Henr. Bebelii facetiae, accessere sales seu facetiae ex Poggii libro selectae; nec non Alphonsi et Adelphi facetise, etc., Argentorati, 1600, 1603, 1609 ou 1625, et aussi Amstel. 651, in-12°, 3 à 5 francs [17796]. J.-C. Brunet. Manuel du libraire, 1861, II, 1400.

(2) Cet ouvrage de Claude Binet est à la Bibliothèque Nationale, cote : Ye 15537.


Dans ce deuxième ouvrage on trouve en particulier des vers assez bien tournés, supérieurs pour le moins, quand au mérite de la difficulté vaincue, à ces vers techniques employés, soit par le janséniste Lancelot dans ses Racines grecques, soit par le jésuite Buffier dans les méthodes artificielles pour apprendre la chronologie, l'histoire, la géographie, etc. — II, 6.

Dans notre voisinage, rue de Popincourt, vit paisiblement un riche bourgeois d'environ 63 ans, attaché notoirement au même parti, mais un peu plus charitable et plus indulgent pour les faiblesses de son prochain. M. Joignot (1), c'est ainsi qu'on le nomme, ancien cy-devant maître-sculpteur marbrier et marié depuis 1774 avec une jeune femme fort aimable et plus honnête encore, âgée tout au plus aujourd'hui de 22 à 30 ans (2), qui ne

(1) Plus exactement Gaspard-Elisabeth Jonniaux, ancien sculpteur-marbrier du roi, membre de l'Académie de Saint-Luc, héritier pour un tiers de Jean-Nicolas Jonniaux, son frère, aussi sculpteur-marbrier, d'une maison sise rue de Popincourt, vis-à-vis celle Saint-Sébastien, adjugée, le 2 janvier 1782, à Nicolas-Thomas Gervais, bourgeois de Paris, demeurant rue de Charenton. Arch. de la Seine. Hypothèques. Lettres de Ratit°n n° 13010.

(2) L'épouse du sculpteur Jonniaux se nommait Marie-Josèphe Coulliard; son mari mourut en 1793, et nous voyons, dans le même fond des Hypothèques que Suzanne-Geneviève Jonniaux, belle-soeur de la dite dame, vend le tiers à elle appartenant dans plusieurs maisons situées à Paris, rues de Popincourt, Saint-Maur et de Ménilmontant, en qualité d'héritière de défunt Gaspard-Elisabeth Jonniaux, ancien sculpteur-marbrier du Roi. Arch. de la Seine, ibid. Lettres, 7147. Jonniaux fut l'associé du sculpteur Jacques Adam avec lequel il acheta un terrain aux Religieuses Annonciades, pour y entreprendre de grands travaux.

« Le sieur Jonniaux, sculpteur, supplie le roi de lui accorder des lettres de confirmation d'un contrat passé devant notaires à Paris, le 21 juillet 1769, par lequel les prieures et religieuses du couvent des Annonciades, établi rue de Popincourt, lui ont cédé à titre de rente foncière et de bail d'héritage non rachetable, un morceau de terre labourable contenant environ un terceau, situé sur le terrain de Ménilmontant; la rente stipulée par et cacte est de la somme de 12 livres. »

Lettres-patentes qui confirment un bail à rente passé par les dites religieuses au profit du sieur Jonniaux, sculpteur, données à Versailles, juin 1773.

28 avril 1769. Lettres et mémoires concernant une aliénation faite par les dites religieuses, desquels il résulte qu'elles ont abandonné devant notaires, le 28 avril 1769, six arpents onze perches aux nommés Jonniaux et Adam, sculpteurs-marbriers, à la charge d'une rente de 855 livres 8 sous, au denier 25 du principal de 21,385 livres. Archives nationales, Q' 1237.

Lorsque Gaspard-Elisabeth Jonniaux mourut en son domicile rue de Popincourt, au mois de brumaire an II (octobre-novembre 1790). Ses héritiers passant dans le quartier pour avoir émigré, la nation saisit les immeu-


sort et ne va jamais dîner en ville qu'en sa compagnie, qui coopère de très bonne grâce à tous ses actes de bienfaisance envers les pauvres ; du bonheur de laquelle ne l'empêchent point de s'occuper avec le plus grand soin ses pratiques ou ses lectures pieuses et presque continuelles, pour laquelle il a bien voulu même louer une loge à l'année dans une salle voisine de la Comédie-Bourgeoise où jamais il ne se rend en personne, qui fait elle-même la barbe à son vieil époux après avoir appris exprès à manier le razoir par pure complaisance pour le sieur Joignot, qui, depuis la mort de son ancien barbier, a toujours eu de la répugnance à se laisser razer par un autre. On ne risquerait rien du tout à parier cent ou mille contre un, qu'il est à Paris peu de ménages où règne une si parfaite union. — 11,3.

Sans doute il est possible, dans cet état comme dans d'autres [celui d'acteur], de rencontrer des gens estimables ; c'est dans la compagnie de ces derniers que de tems en tems nous nous trouvons volontiers avec les auteurs de Ninette à la Cour (1), de la Femme jalouse (2) et celui de Richard Coeur-de-Lion; qui n'est pas, comme il n'a jamais été l'époux d'une comédienne,' ainsi que chacun des deux premiers. Quant à M. Sedaine, il est marié depuis longtems avec la fille d'un avocat au Conseil, feu Me de Serigny, nièce par sa mère de feu Me Dains, alias Me Olivier Le Dain, bâtonnier de l'ordre des avocats; (3) mariage

bles appartenant au sculpteur. Un des héritiers, Antoine Gensanne, qui était officier municipal à l'île de la Réunion, parvint à rentrer en possession des biens de son parent ainsi que les autres co-héritiers. (Archives de la Seine. Domaines, csrton 5 18, dossier 223).

(1) Ninette à la Cour, par Favart, musique de Saint-Amans, représentée à la Comédie Italienne, le 12 février 1753. (Clément et Larousse, Dict. des Opéras. 1897. 779).

(2) La Femme jalouse, comédie en 5 actes et en vers de M. Desforges, représentée le 15 février 1785, à la Comédie Italienne. (M. Tourneux, Corr. de Grimm et Diderot. XIV, 119.)

(3) Sedaine avait épousé à Saint-Paul, le 4 avril 1769, Suzanne-Charlotte de Sériny (Jal, Dictionnaire critique, 1117).

« Sedaine s'était bâti une petite maison rue de la Roquette. (Elle existait encore du temps de Jal, au numéro 13). Lorsque Régnier, le peintre de paysages, recueillit les éléments de l'ouvrage qu'il publia avec Champin le lithographe sous ce titre : Habitations des personnages les plus célèbres de France, la maison de Sedaine appartenait à Mme de la Sable qui l'avait acquise des héritiers de notre auteur. Cette dame fit remarquer à Régnier, qui m'a rapporté ces détails, outre la décoration et le plan général de ce petit logis assez singulier, un cadran solaire porté sur un pied en pierre


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auquel M. Sedaine ne se détermina qu'après avoir, durant plusieurs années, très jeune encore, joué le rôle de complaisant ou d'ami de la maison, chez la dame Lecomte, veuve du lieutenantcriminel, laquelle, par son testament, l'a gratifié d'un legs particulier de trente mille livres. Quoi qu'il en soit, voilà donc enfin M. Sedaine admis dans l'illustre corps de l'Académie Françoise, jeudi dernier, 27 avril 1786; Académie à laquelle, dans son discours de réception, il s'est permis, sur ce qu'elle l'avoit fait un peu trop attendre, d'adresser des reproches indirects très ingénieusement tournés, mais vivement sentis, plus malignement encore applaudis par les assistans de tout sexe et de toute condition. L'on raconte à ce sujet que Sa Majesté s'étant informée du nom de l'académicien chargé de répondre au discours du nouveau récipiendaire et sçachant que c'était M. Lemierre, en qualité de directeur, elle s'était mise aussitôt à chanter un couplet tiré d'une pièce de cet auteur, qui finit à peu près ainsi :

« Quand les deux boeufs sont bien d'accord, C'est tant mieux pour le labourage. » — II, 9.

O combien plus prudente et plus sensée n'est point la conduite de ce paisible penseur demeurant au faubourg Saint-Antoine, qui bonnement et sans affectation vient de se joindre à ses honnêtes voisins, pour signer une requête adressée par eux à Mgr l'archevêque de Paris, déjà munie de la signature des plus notables du lieu, sçavoir : M. Le Mérat, président à la Chambre

sculpté d'après un dessin de Sedaine, et, dans le fond du jardin, au milieu d'un bosquet, une sorte de cabinet rustique revêtu de troncs et de branches d'arbres. Au bas de cette maisonnette était la chambre de travail du dramaturge. C'est dans cette retraite que Sedaine composa son Philosophe ; Mme de la Sable fit voir à Régnier une porte assez éloignée du kiosque et lui dit : « Voici la porte à laquelle Sedaine fit frapper, pour en essayer l'effet, les trois coups qui produisent une si vive impression à la représentation du Philosophe sans le savoir ». Jal, Dictionnaire critique et biographique. 1117.

On sait que la maison de Sedaine fut habitée par le grand historien Michelet. Celui-ci alla habiter rue de la Roquette le 17 juin 1818, et y demeura dix années. Cette maison, qui fut démolie en 1884, faisait partie du n° 49 ; une cité industrielle occupait la place du jardin spacieux, autrefois : « plein de roses et ombragé de sycomores ». (Cf. le journal La Liberté, 12 janvier 1884).


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(1) Monsieur Antoine-Hilaire-Laurent Le Mairat, rue et près les religieuses de Popincourt, président à la Chambre des Comptes de Paris. (Almanach royal, 1787).

(2) Pierre de Lattaignant, conseiller de Grand-Chambre, commandeur de l'ordre de Saint-Lazare, figure sur l'acte de décès de Gabriel-Charles de Lattaignant, l'auteur des Poésies dérobées, 4 vol. in-12°; il y est qualifié d'arrière-cousin de l'abbé poète-épicurien. (Jal. Dict. critique, 745). Il demeurait en 1787, rue Saint-Sébastien, Pont-aux-Choux. (Almanach Royal).

(3) Marc-René, marquis de Montalembert, général et ingénieur, et JeanCharles, baron de Montalembert, son frère, qui mourut dans l'île de la Trinité en 1810. (Jal. Ibid).

(4) Du Codic. rue des Amandiers (Almanach de Paris, 1789).

(5) M. et Mme Hébert, rue des Amandiers (ibid. 1789).

(6) Bon Gilbert Perrot de Chazelles, l'un des associés pour l'acquisition du terrain des couvents de Popincourt, demeurait rue de Popincourt.

(7) Colin de Cancey, Auditeur des Comptes, rue de Popincourt, 14. {Almanach de Paris, 1789). Il devint chef de bataillon de la garde nationale et commanda le bataillon de Popincourt. Accusé en 1791 et dégradé pour tentative de réaction, il essaie de se disculper dans une lettre conservée aux Archives de la Seine. La femme de Colin de Cancey, qui se nommait Antoinette-Sophie Piètre, avait formulé, en 1792, une demande en divorce; elle habitait à cette époque à Marly, la maison dite de Coeur volant, appartenant avant la Révolution à la maison Rohan-Soubise, devenue propriété nationale et à ce titre louée aux époux Colin de Cancey depuis 1789. Le mari s'était réfugiée à Thiais, auprès de sa mère qui mourut en 1792. Archives de la Seine. Hyp. Reg. 1152 f° 127 V et Domaines : Carton 510, (Dossier Rohan-Soubise).

(8) De Salverte père, administrateur général des Domaines et droits domaniaux, rue des Amandiers-Popincourt. (Almanach Royal, 1787). De Salverte fils, même adresse (Ibid.)

(9) Guillemot D'Alby, avocat au Parlement, rué des Amandiers (Almanach de Paris), 1780. (Arch. de la Seine. Hyp. Reg. 11.17, 5 verso).

(10) Nicolas-Sébastien Adam, sculpteur-marbrier, avait fait construire une maison, rue des Amandiers, sur un terrain acquis le 16 mai 1 753. Cette maison, dont héritèrent ses fils : Jean-Charles Adam jeune, peintre, et Gaspard-Louis-Charles Adam, sculpteur-marbrier, le 22 novembre 1786, fut vendue par eux, le 30 juillet 1791, à Jean-Népomucène Hermancel Nast. fabricant de porcelaines. (Arch. de la Seine, Hyp. Lettres 737, 3° série). Aujourd'hui, 68, rue du Chemin-Vert, maison dans laquelle est mort Parmentier, le propagateur de la pomme de terre en France.


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Saint-Sébastien, de Popincourt, des Amandiers ; requête par laquelle on supplie ce prélat d'ériger en succursale de l'église Sainte-Marguerite l'église des anciens couvents des Annonciades de Popincourt pour l'avantage moral et spirituel des nombreux et pauvres habitans de ce quartier. — II, 14 verso.

A ce parti-là (Janséniste), selon toutes les apparences, ne tient ni de près ni de loin l'abbé Mongin, grand chantre de la cathédrale de Narbonne, bénéficier à simple tonsure, d'environ quinze mille livres de rente dont il jouit dans cette capitale en vrai moliniste-épicurien, âgé de trente-six à quarante ans, prétendu fils naturel et soi-disant filleul de M. le prince de Soubise, cy-devant logé commodément chez M. le marquis de Vignoles dont il s'apprête à quitter la maison, depuis la mort [de ce dernier] arrivée le mercredi 17 mai 1786, rue des Amandiers, sur la paroisse Sainte-Marguerite. (1).— II, 20.

Il n'est pas possible de compter davantage sur l'assertion des personnes qui nous faisaient entendre que Louis XVI avait fait don à M. de Calonne d'une terre voisine de Sceaux et du Bourgla-Reine, appelée Berny, dont feu monseigneur le comte de Clermont jouissait autrefois à titre d'abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés et dont M. le contrôleur général jouit maintenant en vertu d'un bail à lui fait par les économats; Berny n'est pas loin d'une autre terre nommée Tourvoy, de laquelle est aujourd'hui propriétaire un médecin, M. Dideron, âgé de vingt-huit ans, époux d'une femme très riche, âgée de cinquante ans, terre qu'a possédée pendant quelque temps la demoiselle Le Duc, maîtresse du même prince, et de laquelle elle porte encore le nom (2), dont le château communique avec

(1) Nous n'avons trouvé aucun renseignement sur le marquis de Vignolles. Il sera encore question de ce personnage un peu plus loin.

(2) L'ex-danseuse de l'Opéra, dit Jules Cousin, débuta dans les châtelaines avec un aplomb remarquable. Il n'y avait pas trois ans que son nom était rayé des registres de l'Opéra quand elle le fit incrire sur ceux de sa paroisse à titre de fondation pieuse : le 15 janvier 1745, lisons-nous dans l'Histoire du Diocèse de Paris, a été faite par la veuve Lauval une fondation pour deux soeurs de charité. M. Fernand Bournon dans son érudite monographie de la commune de Fresnes, parue en 1897 (Etat des communes à la


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celui de Berny par une galerie pratiquée sous terre et sous la petite rivière de la Bièvre. Cette dernière anecdote peut-être

fin du XIXe siècle, publié sous les auspices du Conseil général) n'a point manqué de signaler le rôle important joué par la maîtresse du comte de Clermont, dame de Tourvoie: «On se scandaliserait plus aujourd'hui qu'autrefois de la publicité d'une pareille liaison. II est vrai de dire qu'elle était consacrée par sa notoriété même, et qu'un mariage secret fut, paraît-il, consacré entre le prince et la dame de Tourvoie. Les habitants de Fresnes auraient eu mauvaise grâce à s'en montrer choqués. » M. Bournon a découvert dans les archives de la commune l'expédition de l'acte daté du 25 janvier 1755, par lequel la maison dont parle l'abbé Leboeuf fut donnée à la communauté des habitants. Cet acte est publié intégralement dans la notice historique dont nous parlons. Ce ne sont pas les seules libéralités dont la paroisse ait eu à bénéficier de la part de ces puissants voisins, qui semblaient vouloir faire oublier par leur dévotion le mystère de leur conduite. Dès 1749, ils avait tenu à servir de parrain et de marraine à une des nouvelles cloches de l'église. Cette cloche existe encore aujourd'hui avec l'inscription qui fut gravée alors ; M. Bournon reproduit dans sa brochure l'inscription de la cloche, elle avait été déjà publiée par Guilhermy et Lasteyrie en 1877. (Inscriptions de la France, III, 62 1.):

+ AU MOIS DE NOVEMBRE 1749 TAY ÉTÉ BÉNITE

PAR M. LAURENT FRESNEAU PRESTRE CURÉ DE

CETTE PAROISSE ET NOMMÉE LOUISE ELIZABETH

PAR TRÈS HAULT TRÈS PUISSANT ET TRÈS EXCELLENT

PRINCE MONSEIGNEUR LOUIS DEBOURBON

DE CLERMONT PRINCE DU SANG ABBÉ COMMENDA

TAIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT GERMAIN DES PRÉS

LES PARIS ET EN CETTE QUALITÉ SEIGNEUR DE CE

LIEU ET PAR ELIZABETH LE DUC DAME DU

CHATEAU ET SEIGNEURIE DE TOURVOIS

LACQUES HAVARD ET PIERRE CHAILLOUX. MARG.

NICOLAS JOSEPH GUILLAUME RECEVEUR ET PROCUREUR

FISCAL HE CETTE SEIGNEURIE

L. GAUDIVEAU ET SES FILS M'ONT FAITE.

Les registres paroissiaux de Fresnes, dit M. Bournon, portent à plusieurs reprises la signature de Louis de Bourbon et d'Elisabeth Leduc, comme parrain et marraine d'enfants de Fresnes; il cite plusieurs de ces baptêmes et continue en ces termes: « Cette brillante époque prit fin après la mort du comte de Clermont, qui survint le 7 juin 1771, son successeur à l'abbaye de Saint-Germain des Prés n'étant pas de la même humeur que lui; puis la Révolution éclata et Berny fut vendu comme bien ecclésiastique. De cette fastueuse résidence il ne reste plus aujourd'hui qu'une aile transformée en moulin; le parc a été morcelé, et la plus grande partie de son terrain est devenue le haras de Berny. Après la mort de Mlle Leduc (M. Bournon ignorait que cette dame avait vécu jusqu'en 1793), la terre de Tourvoie fut acquise par M. Dideron* (on voit que Lefebvre de Beauvray était bien ren*

ren* ce médecin dont parle Lefebvre de Beauvray, qui succéda à Mlle Leduc comme seigneur de Tourvoie faillit devenir maire de Fresnes lors de la constitution de la première municipalité en 1790. Mais il se vit préférer un laboureur: Guillaume Moulinot. Le châtelain de Tourvoie eut plus tard des difficultés avec les autorités municipales: c'est ainsi que le 30 floréal an II (19 mai 1794), le conseil entendit la lecture d'une lettre où le citoyen Dideron proteste qu'il n'était pas seigneur de Tourvoie, qu'il n'a


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ignorée de bien des gens; nous l'avons nouvellement apprise en nous promenant dans le parc même de Berny. — II, 31.

(A suivre.)

QUESTIONS

233. — Marie Leczinska au château de Bondy. — Le

château de Bondy, appartenant aux Taillepied, avait, vers le milieu du XVIIIe siècle, été loué par un fermier général Gauthier

seigné), docteur en médecine de la Faculté de Paris. Elle passa ensuite à la famille Darblay qui en est encore propriétaire, mais sans l'occuper. Une fabriquede colle y avait été installée en 1826; elle a été remplacée par une fabrique de ciment. Les anciens du pays se rappellent encore avoir vu le petit château avec ses deux tourelles et le fossé qui l'entourait. » En 1867, Jules Cousin visita Tourvoie, il vit encore debout: «le petit castel de Tourvoie au milieu de son enclos à peu près intact; il a conservé ses pièces d'eau et même sa tourelle pigeonnière, mais une haute cheminée empanachée de fumée annonce au loin que l'industrie a pris possession de ce domaine. Une briqueterie à vapeur y est établie. Des deux grilles du parc, encore solides, l'une s'ouvre du coté de Berny; elle est ornée pour le moment de ce singulier écriteau: «Défense de pénétrer dans cette propriété, sous quelque prétexte que ce soit. » Elle était jadis moins revêche ; c'est par là que Mlle Le Duc se rendait au château et recevait son amant. » Nous voulions refaire de nos jours le même pélerinage, mais M. Bournon qui le fit il y a quatre ans. nous en dissuade dans la notice historique de Fresnes : «Les choses ont encore changé en trente ans ; le petit castel a disparu ; ses grilles aussi, et avec elle l'inscription rébarbative; mais le carrefour des routes existera sans doute encore longtemps avec son aspect d'autrefois, et peut suffire à faire naître des reflexions philosophiques sur une époque de moeurs si différente du temps présent ». (Cf. F. Bournon. Monographie de Fresnes. 1898,13, 14, 15.

pas de titres de féodalité relatifs à sa propriété et qu'il s'offre à faire visiter ses papiers si la commune ne se trouve pas assez éclairée. Le conseil en délibéra en ces termes . « L'assemblée, considérant qu'il est à sa connaissance qu'il y a eu autrefois haute, moyenne basse justice à Tourvoie, mais avant que Dideron en fut propriétaire, arrête qu'il sera demandé au citoyen Dideron ce que sont devenus ces titres. » On ignore, comme la municipalité d'alors ce que sont devenus les titres seigneuriaux de Tourvoie. Cependant M. F. Bournona vu un document sur parchemin, appartenant à une collection privée aux termes duquel, le 1er juillet 1749, « Elisabeth Claire Le Duc, fille majeure, dame de la terre et seigneurie de Tourvoie en franc-alleu, ayant seule la haute, moyenne et basse justice et la voirie de la dite terre de Tourvoie », concède l'office de greffier de la justice de Tourvoie à Antoine Bellegeulle Caron. F. Bournon, Ibid., 21.


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des Préaux, alors veuf de Jacqueline Lenoir, parente du lieutenant de Police.

Il y habitait avec ses enfants, en particulier sa fille aînée, femme de M. Pasquier de Poulans, conseiller au Parlement qui tenait sa maison.

Dans ses Mémoires, le chancelier Pasquier, petit-fils de Gauthier des Préaux, en parle à propos de sa visite aux princes alliés en 1814, probablement avec Talleyrand.

Gauthier des Préaux y reçut la reine Marie Leczinska à son retour d'un voyage à Nancy. Le fait est rapporté par Gauthier de Brécy dans ses Mémoires et par Bernard Gauthier, baron d'Hauteserve, dans un manuscrit que j'ai.

Gauthier de Brécy était cousin et B. d'Hauteserve, petit-fils de ce Gauthier des Préaux.

Pourrait-on trouver des détails sur cette réception et un dessin, un plan ou une description du château?

P. de B.

CHRONIQUE

~~ La Société de l'École des Chartes, désireuse d'exprimer sa gratitude à M. Léopold Delisle, d'une collaboration ininterrompue de cinquante années à son comité de publication, ouvre une souscription qui permettra d'offrir au maître, le 6 mai prochain, la « reproduction d'un célèbre manuscrit, d'origine française, mais appartenant à une bibliothèque étrangère ».

~~~ Vient de paraître, l'Annuaire de la Société d'archéologie de Bruxelles, pour l'année 1902 (in-8°, 126 pp.).

~~~ Société nationale des Antiquaires de France. —

Séance du 12 février 1902. — M. Valois entretient la Société d'une photographie d'un Christ en croix de Fra Angelico, provenant de la collection Timbal. — M. Cagnat lit, de la part de M. Gauckler, une note sur une inscription qui vient d'être trouvée à Medjez-el-Balb (Tunisie) et qu'il a fait apporter au musée du Bardo. — Séances des 19 février et 5 mars. — M. H. Martin communique à la Société un


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portrait de Jeanne de Guenes, femme de Jean III de Brienne, comte d'Eu, tué à la bataille de Courtray.— M. Monceaux lit une notice sur la vie et les oeuvres de Maxime Deloche. — M. d'Arbois de Jubainville lit une note sur le mot avot, qui figure sur des poteries gauloises; il établit que c'est l'abréviation du mot avotis, substantif qui signifierait fabricant.— M. le baron de Baye entretient la Société d'une plaque émaillée du XIIe siècle, conservée dans la sacristie de la cathédrale de Vladimir (Russie). — M. Blanchet communique le résultat de l'examen qu'il a fait d'une photographie de moule antique envoyée par M. Aveneau de la Grancière. — M. Ravaisson explique que sur l'autel astrologique de Gabies, c'est bien Vénus qui est à gauche de Mars et non Junon. — Séance du 12 mars. — M. Durrieu signale la persistance à l'époque actuelle, dans l'église de Bascons (département des Landes), de certaines pratiques traditionnelles qui étaient déjà en l'honneur dès les premiers siècles de l'Église. — M. J. Maurice entretient la Société d'un détail curieux relatif à l'iconographie du IVe siècle de notre ère. Les têtes et les bustes gravés sur les monnaies sont des portraits exacts d'empereurs régnants, mais ne sont pas le plus souvent ceux des empereurs dont les noms sont inscrits sur les pièces. — M. Héron de Villefosse fait connaître, de la part du R. P. Delattre, la découverte d'un dé à jouer prismatique portant des chiffres sur ses différentes faces. — Séance du 10 mars. — M. Guiffrey communique à la Société les photographies de tapisseries appartenant au Musée de Florence; on y voit des fêtes données sous Henri III, où figurent les principaux personnages de la cour. — M. Monceau entretient la Compagnie de documents relatifs au culte de saint Menas en Afrique.— M. Ulysse Robert signale la découverte à Mandeur, dans une villa romaine, de différentes antiquités, principalement de petits bronzes représentant Mercure et Mars. — M. Stein fait circuler l'empreinte d'un sceau inédit de Philippe le Bel, conservé aux archives de la Haute-Marne.

Comptes-rendus :

~~~ Deslandre (°) : L'Église et le rachat des captifs. Paris, B. Bloud, 1902, petit in-8°, 61 pp. (Publié dans les auspices de la Société bibliographique).

Cet opuscule fait partie de la collection : Science et Religion. De nombreux ouvrages avaient été écrits jusqu'à présent sur les rédemptions de captifs opérées par les ordres religieux de la Trinité et de la Merci, ainsi que sur la Congrégation de la Mission, fondée par saint Vincent de Paul. Il n'y avait pas encore de résumé de ce qui avait été fait pour les captifs depuis le début de l'ère chrétienne. Dès les premiers siècles de l'Église, des missions temporaires seules


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soulagèrent la captivité des chrétiens. Au XIIIe siècle, au milieu des croisades, naquirent les ordres rédempteurs proprement dits. Lorsqu'au XVIe siècle, les besoins des chrétiens devinrent plus grands, toute une milice dévouée se partagea le rachat des captifs et l'assistance à ceux qu'on ne put racheter. Des hôpitaux se fondèrent, notamment à Alger et à Tunis. C'est ainsi que les captifs attendirent grâce à la charité française, l'expédition de 1830 qui mit fin à la piraterie.

M.

~~ Simond (Charles). — La vie parisienne au XIXe siècle. Paris de 1800 à 1900. Paris, Plon, 1901, 3 vol. gr. in-8.

Voici qu'est terminée l'entreprise d'une publication dont nous avions annoncé le début, il y a quelque quatre ans et dont chaque fascicule, attendu avec impatience, fut accueilli avec un vif plaisir. L'idée était ingénieuse par la nouveauté de reconstituer la vie de Paris au XIXe siècle en annales, en éphémérides, accompagnées de ce commentaire aussi attrayant qu'indispensable, l'image. M. Ch. Simond et ses collaborateurs s'en sont acquittés avec tous les soins qu'exigeait un aussi vaste labeur. La tâche leur fut facilitée, d'ailleurs, par un devancier dont nul historiographe parisien ne saurait, sans ingratitude, oublier la mémoire : Les richesses si habilement réunies par Jules Cousin et qui remplissent aujourd'hui les deux hôtels de la rue de Sévigné ont été largement mises à contribution pour la confection de ces trois beaux volumes; sans elles, l'oeuvre eût été d'une réalisation bien plus ardue, elle en eût aussi singulièrement appauvrie; mais il fauts avoir grand gré à M. Ch. Simond de la part d'inédit qu'il a tenu à y introduire, notamment par des plans de restitution tout à fait précieux.

Les critiques de détail seraient hors de saison; nous nous serions botné à exprimer le regret de ne pas trouver à la fin du tome III une sorte de table analytique, complément nécessaire d'un répertoire où les faits sont classés dans l'ordre de leur enchaînement chronologique ; or, précisément la librairie Plon annonce comme très prochaine la publication de cette sorte de table, sous le titre de Centennales parisiennes, volume où le XIXe siècle parisien sera présenté en une série de tableaux groupés méthodiquement.

B.

Les Directeurs-Gérants : F. BOURNON et F. MAZEROLLE.

SAINT-DENIS. — IMPRIMERIE H. BOUILLANT, 20, RUE DE PARIS. — 14313


AVRIL 1902.

RENSEIGNEMENTS ADMINISTRATIFS

~~~ A l'occasion du Congrès des Sociétés savantes, ont été nommés : Officiers de l'Instruction Publique, MM. Borellide Serres, membre de la Société de l'histoire de Paris; — R. de Delachenal, archivistepaléographe; — A. Decaunès-Duval, archiviste de la ville de Bordeaux; — Ch. Ecckman, administrateur des muses de Lille; — L. de Grandmaison, archiviste d'Indre-et-Loire; — Officiers d'Académie, MM. L. Courmontagne, conservateur du musée de Lambèze ; — l'abbé Danicourt, archéologue; — J. Périn, archéologue; — R. Plancouard, archéologue; — L. Régnier, archéologue.

MÉLANGES ET RECHERCHES CRITIQUES

UN MEMOIRE INEDIT SUR LES RELATIONS FRANCO-ALGÉRIENNES A LA FIN DU XVIIe SIÈCLE

Le manuscrit français 19019 de la Bibliothèque Nationale renferme aux fol. 21-28, un mémoire intitulé : De l'état présent d'Alger et de ses intérêts avec la France.

L'auteur ne s'est pas nommé, mais il est bien vraisemblablement un négociant : il est allé lui-même dans les forêts de Gigeri, où l'on coupait du bois pour construire les navires corsaires. Il ne peut être un consul de France, car il n'oserait parler au ministre de la marine sur un ton aussi impérieux, de ceux qui trompent Sa Majesté. Quel qu'il soit, c'est un esprit clair, méthodique et véritablement patriote.

Après avoir lu ce mémoire, l'on comprend à merveille le gouvernement d'Alger : un pacha qui n'est toléré qu'à condition de ne rien faire — un dey qui ne peut rien décider que d'accord avec le divan —

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une milice qui n'est pas payée régulièrement, et qui ne peut vivre que par la guerre.

A qui les Algériens feront-ils la guerre ? Les principales nations maritimes sont la France, l'Angleterre et la Hollande.

La France ne sait pas faire le commerce à Alger ; elle n'y apporte point ce qui est nécessaire, donc les Algériens n'ont rien à gagner avec elle. D'autre part, par leurs croisières, ils tiennent tout le commerce français méditerranéen et même celui de l'Atlantique.

Les Anglais et les Hollandais, au contraire, apportent aux Algériens des objets qui leur sont de première nécessité, ceux-ci ne peuvent donc se passer d'eux. Il faut donc qu'ils fassent la guerre à la France.

Les Algériens l'ont donc faite plusieurs fois, et avec succès. Louis XIV, en effet, a dû céder, puisque les articles secrets des conventions conclues avec le dey admettent la délivrance des esclaves avec rançon. Il ne faut pas croire que les bombardements de 1683 et de 1688 aient fait beaucoup d'effet sur les Algériens : ils ont fait plus de mal aux chrétiens qu'aux Algériens. Ces bombardements sont des « épouvantails à faire peur aux seuls enfants ».

Ce qu'il faudrait à la France pour lutter avec avantage contre les corsaires, c'est une marine plus légère, moins chargée d'agrès de rechange et de provisions de bouche surabondantes, prenant exemple sur les Algériens même. Dans la marine française, les chefs sont jaloux de leur autorité, ne laissent aucun navire s'écarter pour ne pas perdre la gloire du succès, et aussi la flotte française ne garde que très peu de pays, et les dépenses immenses du roi ne servent à rien.

La France est mal servie à Alger : ses ennemis y sont nombreux, riches et puissants. Ce sont surtout les Juifs « ennemis capitaux de la France » qui, liés avec les Anglais et les Hollandais, excitent la milice d'Alger à nous déclarer la guerre. La France sera malheureusement peu en état de surveiller les corsaires, encore excités par le prince d'Orange, à cause de la grande guerre qui l'occupe maintenant. C'est la guerre de la Ligue d'Augsbourg ; une concordance de dates nous prouve que le mémoire a été écrit en 1690. Guillaume III, roi d'Angleterre., depuis la Révolution de 1688, excitait la haine de l'Europe, et même celle des Algériens, contre Louis XIV.

Cette dernière idée est la plus intéressante du Mémoire. Les relations des Religieux rédempteurs nous prouvent toute l'importance qu'ont les Juifs à Alger; ils y font la paix et la guerre, et sont les intermédiaires nécessaires, quoique méprisés. Il est singulier que ce soit la créance des Juifs Bacri et Busnach, réclamée en vain au Dey, qui ait amené l'expédition française de 1930 qui mit fin à la iraterie, et justifié la vue exprimée dans le Mémoire.

En terminant, l'auteur incrimine la diplomatie française, en l'accu-


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sant d'impéritie et de mauvaise foi, ce qui n'est que trop prouvé par la correspondance de Colbert. Bref, ces quelques pages sont l'oeuvre d'un bon Français, intelligent, perspicace, sincèrement patriote, et d'une lecture profitable pour les maîtres actuels de l'Algérie.

Paul DESLANDRES.

DE LA VILLE D'ALGER, DE SON GOUVERNEMENT ET DE SES INTÉRESTZ AVEC LA FRANCE

MÉMOIRE ANONYME. BIBLIOTHEQUE NATIONALE MANUSCRIT FRANÇAIS, 19,019), FOL. 21 A 28, 169O ENVIRON (1)l

Alger est nord et sud (2) avec les isles de Mayorque et Minorque.

Sa scituation est en amphitéatre sur la pente d'une montagne autour d'un port qui forme un croissant en sorte qu'il y a peu de villes au monde plus bombardable (3) que celle-là.

L'entrée de son port est très bien fortiffiée, de deux châteaux et d'un bon fanal sur un môle garny de bonne artillerie.

Il y a à la partie supérieure de la ville un bonnet quarré (sic) bâti par Charles-Quint, qui n'est bon que pour le coupt (sic) de main et quelques autres petits forts de moindre conséquence.

Le reste de la ville n'est enfermé que d'une simple enveloppe de murailles, avec des tours de distance en distance.

Les habitans de cette ville sont Turcs, Mores du pays, Mores d'Espagne qu'on nomme vulgairement Tagarins et Juifs.

Les Turcs seuls ont part au gouvernement, qui est absolument populaire sous le nom de milice. Car le dey ou gouverneur que cette milice se donne n'est fait que pour l'exécution des choses dont le Divan a pris la résolution, et ce divan est composé des anciens de la milice, qui néantmoins ne décide d'aucune affaire de conséquence qu'en sa présence et par son consentement.

La ville d'Alger est sous la protection du Grand Seigneur, qui présentement y a très peu de crédit. Depuis que cette ville s'est enrichie par la course, et particulièrement par les guerres contre la France, le Grand Seigneur y tient un pacha que les Algériens

(1) Je pense justifier cette date par quelques concordances dans le cours du Mémoire.

(2) Directement au sud.

(3) Mais cette tentation de la bombarder est fallacieuse, comme on le verra plus loin.


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y souffrent à condition qu'il ne se mesle de rien. Il assiste au Divan comme le procureur général fait au Parlement, c'est-àdire sans voix délibérative.

La milice d'Alger est ordinairement composée de 10 à 12,000 hommes qui servent par terre à tour de rolles, et à la mer à leur volonté quand ils ne sont pas nommez pour la terre.

Par dessus ces troupes qui tirent paye actuelle de la République, ilz ont des soldats Maures qu'ils nomment Zouavis quand ils sont fantassins et spahis quand ils sont cavaliers. Ces soldats Maures ne sont levez que suivant les occasions, et n'ont aucune solde ordinaire; mais il y en a une très grande quantité qui vont à la mer.

La ville d'Alger peut mètre dans une pressante occasion 40,000 hommes de bonnes troupes sur pied sans les milices de la Campagne.

La domination de cette ville est très considérable et s'estand de l'est à l'ouest, de Constantine à Oran où il y a près de 300 lieues françaises et dans les terres, une partie du Bil-dulgerit en dépend, qui est sous la Tropique (sic).

Tous les sujets de cette ville, tant du dehors que du dedans, à l'exception des Turcs, paye carache, qui est proprement la taille sur les biens, et pour en faire la perception, il sort tous les ans trois petits corps d'armée de la ville, qui vont l'un à l'est, l'autre à l'ouest, et le troisiesme au Bildulgérit, ce qui fait qu'avec les trouppes qui gardent la forteresse du Royaume et qui vont à la mer. Alger a toujours 25 à 30,000 hommes de bonnes trouppes réglées.

Le revenu de cette ville peut monter en tout à trois millions de livres françoises par an, qui sont uniquement employées à payer la solde des Turcs, et au bien de l'Estat.

Leurs guerres de mer ne sont qu'accidentelles (1); les principalles sont contre les François, les Hollandois et les Anglois; il y a bien des temps qu'ils sont en paix avec tous (2), et pour lors ils ne peuvent croiser que contre les Espagnols qui ne naviguent point, ou contre les Italiens qui n'abandonnent presque jamais les costes. Ainsi ils ne prennent presque rien dans ces temps. Le commerce d'Alger se fait par les Juifs d'Italie, d'Angle(1)

d'Angle(1) la suite, l'auteur montrera qu'elles sont plutôt chroniques qu'accidentelles.

(2) C'est donc écrit après le second bombardement d'Alger qui eut lieu en 1688.


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terre et d'Hôlande, qui y ont leurs maisons, et par les Tagarins ou Maures d'Espagne. Le commerce n'y est jamais bon que lorsqu'il y a une guerre avec une des trois nations sus nommées, et il est admirable lorsque c'est avec la Françoise (1).

La République n'a ny marine, ny arcenal, mais chaque particulier peut faire bâtir des vaisseaux à ses dépens et les faire conmander par qui bon luy semble. Les ayant avitaillés (sic) et mis en état de naviguer, on y met un pavillon, qu'ilz nomment d'armement, et ceux des Turcs ou Maures qui veullent y faire la campagne, y viennent avec leurs armes, s'embarquent sans solde et partagent les prises qu'ilz font selon un usage receu parmieux. Il y a peu de lieu au monde où l'on construise des vaisseaux et où on les arme avec plus de facilité qu'à Alger. Les forests de Gigery et de Bougie leur fournissent les plus beaux et les meilleurs bois de Gabaris qu'il y ait au monde (j'ay esté dans ces forests et j'en ay veu coupper). Et les Anglois et les Holandois leur portent en abondance des bordages, mâts, toiles de voille, cordages, canons, poudres, boulets, et tout ce qui peut servir à l'équipement d'un navire, ce que ne font pas nos marchans françois par un motif de religion qui est très préjudiciable aux sujets du Roy.

La plus importante attention qui doit estre faite sur Alger, et que personne n'a encore envisagée (2), est que c'est proprement les Juifs d'Italie, d'Hôlande et d'Angleterre qui font les guerres d'Alger, par leurs maisons qu'ils y ont establyes. La République n'ayant jamais eu de vaisseau, ny les particuliers de la milice aucuns moyens d'en faire construire, ny armer (estans de simples soldats qui n'ont pour tous biens que leur solde) ce ne peut estre que [les Juifs et quelques Tagarins (3) qui puissent fournir les moyens de faire la guerre en faisant les avances nécessaires pour les arméniens.

Ces armateurs y trouvent des profits exhorbitans, car pardessus la portion qu'ils ont à la prise pour leur vaisseau armé, personne qu'eux ne peut acheter les effets pris qu'ils ont presque pour rien, et qu'ils renvoient dans les lieux où les propriétaires des dits effets les renvoyoient.

(1) Les raisons en seront admirablement déduites tout à l'heure.

(2) Cette vue suffirait à faire l'originalité du Mémoire.

(3) Ce sont des Maures expulsés d'Espagne, par conséquent très hostiles aux chrétiens.


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Une marque certaine et évidente de cette vérité, c'est que lorsque les Algériens commencèrent la guerre contre la France en 1681 (1), ils n'avoient que 14 à 15 frégattes dont les plus grosses n'avoient que 30 canons, et ilz en ont présentement près de 40., touttes presque de 30 à 40 pièces de canon.

Ce ne peut donc estre que pour les grands proffits que les armateurs ont faits dans les guerres que les Algériens ont fait (sic) a la France depuis dix ans qui les ont obligez à augmenter leurs forces maritimes pour augmenter les proffits.

De toutes les places maritimes qui sont au monde, Alger est la mieux située pour faire la course. Elle se trouve au lieu où il semble que l'Europe et l'Affrique commancent à se resserrer pour former le détroit de Gibraltar, en sorte que l'espace qu'il y a entre ces deux partyes du monde n'est plus qu'une espèce de canal au milieu duquel sont les Isles de Mayorque et de Minorque, où l'on trouve une quantité de portz ouverts et déserts (2), qui servent de retraitte à ces corsaires et à tous les bâtiments qui passent de la Méditerannée (sic) dans l'Océan.

Cette heureuse disposition de lieux fait que les Algériens avec dix; vaisseaux de guerre ferment le passage de la Méditerannée et cela à la bouche de leur port.

Dix autres de leurs vaisseaux peuvent garder les isles de Saint-Pierre en Sardaigne, et le canal de Malthe, où passent tous les marchands qui vont et viennent du Levant.

Une pareille escadre va croiser au cap Saint-Vincent ou Finisterre (3), et par le travers, ou à la hauteur des Canaries.

Le reste de leurs navires peut estre dispersé sur les costes de France (4) et d'Italie.

Par ces dispositions, ils sont maistres de tout le commerce, et notamment de celuy de France. Ils gardent celuy de Levant par l'escadre qu'ilz ont dans le canal de Malthe ; celuy qui se fait dans l'Océan, par celle qui croise près du détroit; et celuy des isles de l'Amérique et les marchands qui veullent passer de l'Océan dans la Méditerannée par les vaisseaux qu'ils tiennent au cap de Finisterre et de Saint-Vincent, et à la hauteur des Canaries.

(1) L'auteur dira tout à l'heure : il y a dix ans de cela : voilà notre date.

(2) Cela explique, peut-être la défiance de certains habitants des Baléares à permettre la relâche des vaisseaux rédempteurs.

(3) Les Rédempteurs s'embarquant au Hâvre pour le Maroc les rencontraient parfois.

(4) Saint Vincent de Paul fut pris entre Marseille et Cette.


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Sur quoy il faut observer que de tous les corsaires, les Algériens naviguent le plus finement; ilz n'ont aucun commande ment les uns sur les autres. Quoy que le plus ancien capitaine parmi eux soit reconnu comme un espèce (sic) d'amiral, c'est sans aucune prérogative. Et quand on dit qu'un (sic) escadre de dix vaisseaux d'Alger croise dans le canal de Malthe, il ne s'ensuit pas, comme en France, que ces dix vaisseaux soient tousjours ensemble, et qu'aucun ne puisse quitter son général sans que le capitaine coure risque d'être cassé. Mais les Algériens, infiniment plus avisez, se postent de dix lieues en dix lieues et gardent, par ce moyen, cent lieues de mer, où aucun bâtiment ne peut passer sans estre veu et pris.

C'est par ces moyens qu'auparavant qu'on scache à la cour qu'Alger a déclaré la guerre à la France, ces armateurs ont pris quatre-vingts ou cent bâtiments sur les Français et 7 à 800 matelots.

Pour résumer le simple récit qui a été fait jusques icy, il faut dire :

1° Que le gouvernement d'Alger est populaire et entre les mains d'une milice brutale, violente et emportée, qui se fait des chefs suivant ses caprices, lesquelz n'y ont d'authorité qu'autant qu'ilz ont d'habilité (sic) ; ou, pour mieux dire, que autant-que leur conduite est conforme aux interests de 10 à 12,000 hommes, qui, ne pouvant subsister de leur solde, n'ont aucune ressource qu'à la guerre, qu'il faut absolument qu'ilz fassent de temps en temps aux François, aux Anglois ou aux Holandois.

2° Qu'il ne leur manque jamais de moyens de faire la guerre puisque les juifs poussez par leurs propres interests leur en fournissent plus qu'il ne leur en faut.

3° Qu'il est de l'interest des puissances qui commandent à Alger que cette Milice tumultueuse soit occuppée par la guerre, pour être délivrée des séditions où la fainéantise et la nécessité où elle est toujours, en temps de paix, les portent ordinairement.

Il faut présentement examiner, s'il est plus avantageux aux Algériens d'attaquer la France que l'Angleterre, ou la Hollande, et quelz peuvent estre les motifs qui les doivent porter à la guerre plustost contre un estat que contre l'autre.

A l'égard du commerce qui se fait à Alger, les François n'y en font que très peu, il y peut aller 8 à 10 bâtimens par an, chargés de fruits de Provence, de quelques vins et des eaues(sic)


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de vie, mais cela est sylpeu de conséquence qu'on n'y doit faire aucune attention.

Au lieu que les Anglois et les Holandois y portent du goudron, des mâts, des planches, des canons de fonte et de fer, des cordages, des armes, de la pouldre, des boulets, des toilles de voilles, et tout ce qui peut servir à la guerre de mer et de terre, comme il a esté remarqué cy devant, sans toutes sortes de marchandises ordinaires.

Par-dessus l'utilité générale qu'Alger reçoit de ce commerce, la République y trouve son avantage par les droits de douane exhorbitans (sic) qu'elle lève sur ces marchandises.

Ainsy, suivant ces faits certains, ce n'est pas par des raisons de commerce que les Algériens attaqueront les Anglois et les Hollandois préférablement aux François. Au contraire, la France ne leur estant d'aucune utilité pendant la paix, et ne se pouvant passer que pendant très peu de temps des Anglois et des Holandois, il est incontestable que les Algériens ne pouvant se soutenir sans guerre, ilz la feront préférablement à la France, qu'à l'Angleterre et à la Holànde.

De plus, le nombre des bastimens françois estant beaucoup supérieur sur la Méditerranée à celuy des autres nations, et leurs manières de naviguer estant très différentes, les Algériens font le triple plus de prises sur les François que sur les autres.

Les Provenceaux(sic) ne peuvent s'accoutumer à naviguer en convoys, et les Anglois et les Hollandois ne naviguent jamais autrement, en temps de guerre.

Les Provenceaux ne naviguent presque qu'avec des barques à cause du cotimo de la ville de Marseille, et ce bâtiment estant le plus mauvais de la mer, dès qu'il ne peut porter ses voilles latines, les Algériens en prennent autant qu'ilz en découvrent. D'ailleurs, il n'est d'aucune deffance ; et un vaisseau qui portera pareille quantité de marchandise qu'une barque sera mené par 7 à 8 hommes, au lieu qu'il en faut au moins 20 pour mener une barque, ce qui fait que les Algériens prennent au Roy le triple de matelots de plus qu'ils ne font aux Anglois et aux Holandois.

Une preuve certaine de cette vérité, c'est que, lors de la dernière paix des Anglois avec Alger, ils ne retirèrent que 350 esclaves, et que nous n'avons jamais fait de paix que nous n'en ayons eu à retirer 1,000 à 12.000 (sic) au moins. Joint à ces raisonnements que les juifs d'Alger ayant d'es-


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troictes correspondances avec ceux d'Hôlande et d'Angleterre, avec lesquels mesme ils sont assossiez, le prince d'Orange (1), qui est attentif à tout ce qui peut nuire à la France, ne manque pas de se servir de ces derniers pour obliger leurs correspondans qui sont à Alger de fomenter parmy la milice l'envie de faire la guerre à la France, dans l'occasion de la présente (2) qui l'occupe sy fort d'ailleurs qu'elle ne pourra, en aucune manière, s'opposer à leurs courses.

Il est indubitable que la France n'a jamais sy bien fait la guerre à Alger que les Anglois ; ces derniers leur ont fait périr ou pris en 14 mois de temps près de trente navires en guerre ouverte, et si les François leur en ont pris cinq ou six, ç'a été sans dire gare (3) et lors que les Algériens ne se mesfioient pas. Et il y a deux raisons convaincantes pour cela : La première est que les Anglois leur ont fait la guerre comme ils la font eux mesmes (4) et c'est le secret. Au lieu que les François la leur font en escadre assemblée. Les commandans jaloux de leurs commandemens (5) ne permettent pas qu'aucun de leurs vaisseaux s'écarte d'eux, affin d'avoir la gloire de touttes les actions que pourra faire leur escadre; de ceste manière ils ne gardent jamais que dix lieues de pays ; et s'ilz découvrent par hasard les ennemys, ilz les ont plustost perdus de veue qu'ilz ne sont en chasse, parce que les Algériens les reconnoissent d'abord à leurs voilles grises et fuyent. Cette remarque mérite une très sérieuse attention, n'y ayant rien de si préjudiciable au service du Roy que de rendre inutiles par une mauvaise navigation les horribles dépenses que Sa Majesté fait en armemens pendant les guerres d'Alger.

La seconde raison est que les Algériens sont infiniment plus fins de voille que les François; ce n'est pas que leurs vaisseaux soient mieux construits ny mieux menés. Au contraire, mais c'est qu'ils les bâtissent exprès pour la course, c'est-à-dire extrêmement légers de bois, les chargent très peu de canons, et n'ont jamais dedans qu'un jeu de voilles entier, deux greslins, un gros câble et trois ancres au plus ; ils ne prennent jamais

(1) Guillaume III devenu roi d'Angleterre en 1688.

(2) La guerre contre la ligue d'Angsbourg (1689-1696).

(3) Dans tout le XVIIe siècle, il'y eut en effet des actes de mauvaise foi des Français à l'égard des Algériens.

(4) Ils battent les corsaires par leur propre tactique, et c'est là le secret de la victoire des Anglais.

(5) Qui oserait soutenir que l'esprit de la marine française a changé ?


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Alger, lesquelz estant poussez par leurs interestz particulier et, dans l'occasion présente, par le prince d'Orange, n'épargnent d'eaue que pour quarante jours. Ils n'embarquent pour tout vivre que du biscuit et quelques olives, ils matent leurs navires extrêmement haut, affin de donner plus de chute à leurs voilles qu'ils ne font que de cotonnine, qui par ce moyen prennent beaucoup plus de vent.

Au lieu que les François ont des navires pesans de bois, chargés de gros canons; ilz les remplissent de double rechange de tous leurs agrès, comme s'ils allaient faire le voyage de Siam,. ilz les chargent d'une grosse quantité d'eaue, de vin, de toutes sortes de vivres et de rafraîchissemens, comme sy pour bien faire la guerre il failloit (sic) faire bonne chère. Joinct à cela que les François ne sortant des ports qu'en escadre, et n'estans pas possible de pouvoir radouber et espalmer tant de navires à la fois, les premiers prest (sic) deviennent demy salles et perdent leur suif en attendant les autres. Les Algériens ne font pas de mesme, leurs navires sortent à mesure qu'ils sont prests, et il est sans exemple qu'ils demeurent cinq jours dans le port après qu'ilssont espalmez, supposé que le temps ne leur soit pas contraire.

Ne s'agissant dans ce mémoire que des idées généralles des sujets qui y sont traittez, on n'entrera pas dans un plus grand détail qui ne seroit assurément pas approuvé des gens qui, sous prétexte du service du Roy, ne travaillent qu'à leur utilité particulière. Mais, s'il est nécessaire, on prouvera démonstrativement à Monseigneur des faits qui pourraient seulz illustrer un ministère.

On a prouvé suffisamment que les Algériens feront plustost la guerre à la France qu'à l'Angleterre et la Holande.

1° Par la raison de commerce; celuy de France estant absolument inutile aux Algériens, lesquelz ne se peuvent passer de ceux d'Angleterre et d'Hôlande ;

2° Par le nombre des prises et leur valeur beaucoup plus considérable sur les François que sur les autres nations, sans conter le triple plus d'esclaves qui fait un très grand bien aux Algériens et un très grand mal à l'estât ;

3° Par les juifs ennemys capitaux de la France depuis leur expulsion (1) qui, par leur richesse, sont d'un très grand crédit à

(1) Et c'est écrit il y a deux siècles! L'allusion se rapporte aux persécutions dont les Juifs furent victimes au début du XIVe siècle.


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ny argent ni sollicitations pour obliger la milice d'Alger à demander au divan la guerre contre la France;

4° Par le peu de mal que la France fait aux Algériens à la mer, l'essentiel de cette guerre estant d'intimider la milice et en la mettant aux fers, les bombes n'estant qu'un vray épouventail à petits enfans ;

5° Par la hauteur et la mauvaise foy avec lesquelles on a traitté jusques à présent avec les Algériens, ne s'estans servis dans les négociations que de gens, ou odieux à ces gens-là, ou qui, ayant des veues fort eloignéez du service du Roy (1), ont trompé et la Cour et Alger, prévenant le ministre d'un costé et assurant Alger de l'autre, ce qui a fait que dans l'exécution des traittez il s'est trouvé des difficultés qui ont engendré des deffiances qui seront éternelles (2).

LES AGES DE LA PIERRE, DU BRONZE ET DU FER

DANS LES ÉCRITS ANTÉRIEURS AUX PUBLICATIONS DES PRÉHISTORIENS SCANDINAVES.

Humphry Davy, Buffon, Caylus, etc.

(Suite.)

Après ces pages capitales qui ne laissent subsister aucun doute sur la croyance bien arrêtée aux trois âges de la pierre, du bronze et du fer, qu'ont professée,depuis le milieu du XVIIe siècle tout au moins, tous les savants qui se sont préoccupés de nos origines, je me. permettrai de donner une petite place à deux observations de Buffon, l'une sur les arbres des tourbières portant des traces non équivoques de travail humain, l'autre sur une amulette antique qui se rattache aux superstitions préhistoriques. Elles prouveront, une fois de plus, la conscience avec laquelle l'immortel naturaliste avait étudié tout ce qu'il jugeait être de son domaine, et elles ne seront peut-être pas inutiles à

(1) L'amiral protestant Duquesne, par exemple. (2) Prédiction trop pessimiste.


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ceux qui, plus tard voudront écrire l'histoire des sciences archéologique et préhistorique.

Voici le passage sur les tourbières; nous serions heureux si quelque lecteur anglais pouvait nous apprendre le nom de l'ouvrage auquel Buffon avait eu recours, et si les instruments dont il parle étaient de bronze ou de fer :

« On trouve des bois souterrains ordinairement dans tous les marais, dans les fondrières, et dans la plupart des endroits marécageux, dans les provinces de Somerset, de Chester, de Lancastre, de Staffort. Il y a de certains endroits où l'on trouve des arbres sous terre, qui ont été coupés, sciés, équarris, et travaillés par les hommes : on y a même trouvé des cognées et des serpes

« Dans les marais de Lincoln, le long de la rivière de l'Ouse, et dans la province d'York en Hatfieldcheare, ces arbres sont droits et plantés comme on les voit dans une forêt. Les chênes sont fort durs, et on les emploie dans les bâtisses où ils durent fort longtemps : les frênes sont tendres et tombent en poussière, aussi bien que les saules. On en trouve qui ont été équarris, d'autres sciés, d'autres percés, avec des cognées rompues, et des haches dont la forme ressemble à celle des couteaux de sacrifices » (1).

Ces « haches dont la forme ressemble à celle des couteaux de sacrifice » sont faites pour étonner, et nous croyons qu'on chercherait en vain une explication rationnelle à cette description étrange, si on n'avait que son texte sous les yeux. Par son étrangeté même, elle nous a rappelé deux grandes haches de bronze à tranchant circulaire et à queue très allongée représentées avec deux patères de même métal sur une des planches de l'Antiquité expliquée de Montfaucon (2). La légende placée au-dessous dit que ce sont des instruments de sacrifice. Patères et haches reproduites d'après un mémoire de Mahudel. Le texte explicatif porte la description suivante : « Les deux autres instruments de la même planche ont une longue queue, et un tranchant arrondi : ils sont faits comme un tranchet, et servaient. selon toutes les apparences, à découper la chair des victimes. Nous n'en n'avons pourtant jamais vu de cette forme sur les médailles et les autres monuments (3). » Buffon, comme tous les lettrés de son temps, connaissait l'oeuvre du docte bénédictin; il est donc très probable qu'il avait en vue les haches données par

(1) Buffon, OEuvres, t. I, p. 281.

(2) Supplément, t. II, pl. XVI.

(3) Ibid. p. 61.


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Montfaucon d'après Mahudel comme des espèces de couteaux employés dans les sacrifices, quand il caractérisait si étrangement les cognées trouvées dans les tourbières anglaises. D'où la conclusion que ces cognées n'étaient autre chose que des haches de bronze.

M. Emile Cartaillac, dans son très curieux livre sur l'Age de pierre dans les souvenirs et superstitions populaires (1), a appelé l'attention des chercheurs sur les amulettes gauloises formées d'un petit caillou ou d'un fragment de pyrite de fer sertis dans une monture en bronze. La collection Devais, au Musée de Montauban, présente un de ces curieux objets ; un autre, au Musée d'Agen, a été recueilli sur l'emplacement de l'antique oppidum des Nitiobriges. Buffon, enfin, nous en fait connaître un dernier, plus somptueux, que tous ceux que nous con naissions déjà.

« Les Romains, dit-il, ont connu la véritable pierre variolite. J'en ai vu une très belle, dit M. Faujas de Saint-Fond, entourée d'un cercle d'or, qui fut trouvée en Dauphiné, dans un tombeau antique entre Suse et Saint-Paul-Trois-Châteaux; elle gavait été regardée probablement comme une espèce d'amulette propre à garantir de la maladie avec laquelle elle a une sorte de ressemblance. Quelques peuplades des Indes Occidentales, ayant la même croyance, portent cette pierre suspendue à leur cou (2). »

Il n'est pas possible de conserver le moindre doute sur la ferme croyance de Buffon aux trois âges industriels inventés de toutes pièces, nous assure-t-on, par les archéologues Scandinaves. Mais on peut objecter que ce sont là, comme pour Lucrèce, des vues d'hommes exceptionnels, de génies supérieurs dont la haute pensée n'a pas d'influence sur les masses. Qu'on se détrompe. Tous ceux qui, de près ou de loin, ont eu à s'occuper des origines de la civilisation, ont exactement pensé de même, et les vulgarisateurs ont suivi leur exemple. Quelques citations le prouveront, et nous n'avons vraiment que l'embarras du choix.

Si j'ouvre la si intéressante Conchyliologie de d'Argenville (3), j'y remarque le passage suivant : « Lister est du sentiment, que les coquillages fossiles ne sont que des ressemblances et de pures

(1) Paris, Reinwald, 1878, in-8, p. 91 et 92, fig. 64 et 65.

(2) Buffon, OEuvres, t. III, p. 271.

(3) L'histoire naturelle éclaircie dans une de ses parties principales, la Conchyliologie. Paris, 1767, in-4°, p. 52.


pierres que la terre a produites, auxquelles elle a donné cette forme. Son opinion va si loin qu'elle s'étend sur tout ce que l'on trouve en terre, urnes, armes de pierre, pierres magiques, talismans, et pourrait bien aller jusqu'aux médailles et monnaies fabriquées que les fouilles de la terre font appercevoir. »

Lister était le dernier tenant des jeux de la nature (1). Pour qu'en cette époque déjà si lointaine, où la science d'observation avait encore si peu d'acquit, d'Argenville lui opposât le fait des armes de pierres, il fallait que, depuis longtemps déjà, les esprits cultivés eussent fait table rase bien complète de toutes les billevesées dont s'étaient si longtemps contentés leurs devanciers.

Pour la croyance à l'antériorité de l'usage du bronze sur celui du fer (2), nous n'avons qu'à ouvrir le plantureux recueil des Ana, bien ignoré des préhistoriens, pour en trouver de nombreuses manifestations. Nous nous bornons à celle du Chevroeana. Chevreau, si oublié aujourd'hui, fut un historien érudit qui embrassa dans ses recherches les annales du monde entier, et qu'il y a grand intérêt à relire. Raisonnant un jour sur l'anomalie de langage bien connue qui fait continuer à donner à un objet le nom de la matière dont il fut fait à l'origine, il en arrive à dire que : « Dans les premiers tems, toutes les armes estoient D'AIRAIN, et les Grecs, à l'imitation d'Homère, ne laissèrent pas d'appeler D'AIRAIN les armes de fer, quand on eut trouvé l'art de le fondre et de forger et de lui donner la forme selon l'usage qu'on en voulait faire (3).

L'abbé Barthélémy, dans son classique Voyage d'Anacharsis, dont la limpide prose a si prodigieusement ennuyé notre jeunesse, savait fort bien que l'usage du cuivre avait remplacé celui de la pierre, et qu'on devait l'invention de l'airain aux habitants de l'ile d'Eubée (4).

(1) Voir John Evans : Les Ages de la pierre, p. 64.

(2) J. Alsterphius, dans son traité De hastis Veterum (Amsterdam, 1757, in-4°, p. 5) affirme, lui aussi, que l'usage de l'airain est plus ancien que celui du fer : « Nnnc quoniam ut ait Lucretius, Lib. V, V. 1288 :

Prior oeris erat quam ferri cognitus usus.

et aerariam artem ante ferrariam inventam, probant Pausanias, Lib. III, et in Arcad. L. 8, p. 438. Plinus, L. VII, ch. 56 et L. XXXIV, ch. 1, etc.

(3) Chevroeana, ou pensées ingénieuses et bons mots de M. Chevreau, dans le recueil des Ana. Amsterdam, M. DCC. XCI, t. 9, p. 10. (La première édition est de 1697).

(A) Voyage d'Anacharsis, t. II, p. 67.


Voici enfin ce qu'on publiait à l'usage des collégiens au commencement du XIXe siècle :

« Airain. Les premiers hommes se servoient beaucoup plus de ce métal que du fer, qu'ils ne connoissoient pas encore, au rapport d'Hésiode, L. I des OEuvres et des Jours, vers 149 et 15. Lucrèce dit la même chose. L. V, v. 1285. Les premières armes étoient les mains les pierres :

Posterius ferri vis est, oerisque repentis

Et prior oeris erat quant ferri cognitus usus.

C'est pour cela qu'Homère donne à ses héros des armes d'airain. Les anciens lui donnoient une certaine trempe qui le rendoit fort tranchant, et ils en faisoient des couteaux, des faucilles, des coutres de charrue, d'autres ustensiles, et même des cuirasses » (1).

Un distingué travailleur quercinois,Delpon, publiait, en 1831, sa précieuse Statistique du département du Lot (2), où, après de longues fouilles dans les dolmens et les tumuli du Causse, il écrivait ce qui suit (3) :

« On sait que la découverte du cuivre a précédé celle du fer; et il est plus que probable que les Gaulois connaissaient ce dernier métal avant qu'ils fussent asservis par Jules César. Ainsi, ces dolmens, bien que plus récens que ceux où l'on remarque des flèches et des haches en pierre, doivent cependant être antérieurs à la conquête des Gaules. »

Jouannet publia, dans le troisième volume du Musée d'Aquitaine un assez long mémoire sur les armes de pierre et de bronze découvertes dans la région bordelaise. Je n'ai pas ce mémoire à ma disposition, mais j'ai découvert, dans les papiers de l'antiquaire agenais Florimond Boudon de Saint-Amans, une Notice inédite sur les armes gauloises, écrite en 1828, par un certain G.-J. Durand. Je la reproduirai ici en entier comme exemple remarquable de l'important mouvement qui entraînait la plupart des hommes d'étude vers les antiquités préhistoriques, dès avant l'époque à laquelle les savants Scandinaves prirent la haute direction scientifique de cette science nouvelle qui s'ébauchait dans l'ombre de toutes parts.

(A suivre.) JULES MOMMÉJA.

(1) Furgault; Nouveau dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, 3° édition, Paris, 1809, in-8°, p. 11.

(2) Paris (Cahors), 1831, gr. in-4°, deux vol.

(3) Ibid., t. I, p. 390.


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JOURNAL D'UN BOURGEOIS DE POPINCOURT

AVOCAT AU PARLEMENT (4784-1787)

Publié par H. VIAL et G. CAPON (Suite)

L'on ne s'entretient, on ne s'occupe presque plus actuellement à Paris que du nouveau globe aérostatique à rames avec direction, construit par le sieur Têtu, lancé le 18 juin, dans le jardin du Luxembourg, à quatre heures après dîner, aperçu dans notre jardin, rue de Popincourt, vers les cinq heures, sur lequel s'est embarqué l'auteur seul, et sans compagnon; globe, dit-on, bien têtu et bien opiniâtre à se tenir en l'air, attendu que depuis trois ou quatre jours, on n'a pu recevoir encore aucune nouvelle précise de l'heure et du lieu de sa descente. Enfin, par des lettres tout nouvellement reçues de Montdidier, en Picardie, et lues par quelques personnes de notre connaissance, on apprend que l'aérostat dont il s'agit est tombé, non descendu, près de cette ville, et que l'on a trouvé dans la galerie ou dans la gondole, le sieur Têtu, tout froissé, presque sans sentiment, évanoui, bref dans un état qui fait désespérer pour sa vie (1). — II, 35 recto et verso.

(1) Son ballon était muni de rames en forme de roues de bateau. Sa première ascension, faite à Paris en 1785, présenta une circonstance assez curieuse. Il était descendu dans la plaine de Montmorency avec son ballon. Un grand nombre de curieux, qui étaient accourus, l'empêchèrent de repartir et saisirent le ballon par les cordes qui descendaient à terre. Le propriétaire du champ où l'aérostat était tombé arriva avec d'autres paysans; il voulut lui faire payer le dégât, et l'on traîna son ballon par les cordes de sa nacelle : « Ne pouvant leur résister par la force, je résolus alors, dit l'aéronaute Testu-Brissy, de leur échapper par adresse. Je leur proposai de me conduire partout où ils voudraient, en me remorquant avec une corde. L'abandon que je fis de mes ailes brisées et devenues inutiles, persuada que je ne pouvais plus m'envoler; vingt personnes se lièrent à cette corde en la passant autour de leur corps, le ballon s'éleva d'une vingtaine de pieds, et je fus ainsi traîné vers le village. Ce fut alors que je pesai mon lest, et, après avoir reconnu que j'avais encore beaucoup de lègèreté spécifique, je coupai la corde et je pris congé de mes villageois, dont les exclamations d'étonnement me divertirent beaucoup, lorsque la corde par laquelle ils croyaient me retenir leur retomba sur le nez. " Le même Testu-Brissy exécuta plus tard une ascension équestre. Il s'éleva, monté sur un cheval qu'aucun lien ne retenait au plateau de la nacelle. Dans cette audacieuse ascension, Testu-Brissy put se convaincre que le sang des grands animaux


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Sans être, à beaucoup près, aussi préjudiciable à la société que l'ont réellement été-celles [actions] dont s'était rendu coupable le sieur Poulailler, ce malfaiteur trop célèbre (1) qui vient, malgré toutes les espérances d'un meilleur sort, d'être enfin jugé criminel, condamné comme tel, et, le lundy 3 juillet 1786, pendu publiquement à la porte Saint-Antoine, où le pauvre diable a, dit-on, fait la plus triste figure, tenant les yeux toujours baissés vers la terre, n'Osant les lever un instant vers le ciel, depuis la prison du Châtelet jusqu'au lieu de l'exécution. — 11,48 verso.

Jusqu'à quand ce triste globe, où nous vivons, sera-t-il en proye aux ravages du plus triste des fléaux? Assurément, il ne tient pas aux philosophes modernes qu'il n'en soit plus ou moins exempt pour le plus grand bonheur de l'espèce humaine, surtout à monsieur Gavoty, qui vient de proposer tous les expédiens ou les remèdes imaginables pour l'en préserver à l'avenir, dans un livre en 3 volumes, nouvellement publié sous ce titre : Etat naturel des peuples ou essai sur les points les plus importans de

s'extravase par leurs artères et coule par les naseaux et les oreilles à une hauteur à laquelle l'homme n'est nullement incommodé. Il s'occupa, un des premiers, de la direction des ballons sans y réussir. Figuier, Les Merveilles de la Science, 1868, in-8°, II, 488.

(1) Les Mémoires secrets consacrent à cet individu les passages suivants :

« 25 mai 1486. — II y a deux ans environ que l'on parle d'un fameux voleur, nommé par sobriquet Poulailler, à cause du ravage qu'il causoit dans les fermes, théâtres principaux de ses exploits. On en contoit des aventures merveilleuses, et il étoit surtout la matière des conversations du peuple. Il est arrêté depuis plus de six mois et se défend si bien que, sans doute, on ne trouve point de preuves suffisantes pour le condamner. Quoiqu'il en soit, il devient spectacle aujourd'hui, et, moyennant 12 sols, on a la liberté d'aller le voir dans les prisons du Châtelet. »

Deux mois après, Poulailler était enfin condamné, et on relate son exécution à la date du 4 juillet 1786.

« Hier, le fameux Poulailler a été pendu enfin à la porte Saint-Antoine : il avoit un secrétaire et un valet de chambre, contre lesquels apparemment il ne s'est pas trouvé assez de preuves. Quoi qu'il en soit, tout le peuple s'est empressé d'aller le voir à la potence. Il n'y a point témoigné cette fermeté qu'on s'attendoit à lui trouver, et il est mort comme le vulgaire, ce qui a beaucoup diminué la haute opinion qu'on en avoit conçue. Enfin, il n'a point répondu à sa renommée. Cependant on a gravé sou portrait; on a fait des complaintes sur son compte, et il occupera encore quelques jours le souvenir des Parisiens. » (Mémoires secrets, tome XXXII, pages 69, 168).


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la société civile et de la société générale des nations, etc. (1). Cet auteur, ancien négociant de Toulon, sa patrie, est l'un des frères de monsieur Gavoty de Berthe, premier entrepreneur d'une manufacture de spart, établie depuis environ neuf ans, rue de Popincourt, au faubourg Saint-Antoine, en attendant qu'un si louable projet et celui du respectable abbé de Saint-Pierre, renouvelé par le célèbre J.-J. Rousseau de Genève, puisse enfin se réaliser pour la paix perpétuelle de l'Europe. On annonce un traité de commerce entre les cours de France et d'Angleterre, signé le 23 septembre 1786. — II, 69.

C'est ici le lieu de placer une courte digression sur une vieille demoiselle de très bonne famille et d'un mérite distingué, parente de monsieur Rigoley de Juvigny, conseiller au Parlement de Metz (2), nouvel éditeur des bibliothèques de Duverdier et de La Croix du Maine ; du fameux Nanteuil, graveur; du feu sieur Lalande, célèbre musicien; de l'illustre Néricault-Destouches(3), auteur du « Philosophe marié», du « Glorieux», etc.; domicilié dans la petite ville de Saint-Denis en France et que nous ne manquons point d'y visiter à chacune de nos courses annuelles dans les cantons circonvoisins. Cette demoiselle, quoique affligée elle-même d'une surdité qui ne fait qu'augmenter chaque jour, s'est depuis longtems consacrée à l'éducation des jeunes personnes de son sexe : emploi dont elle s'acquitte avec beaucoup de zèle et d'intelligence. Au reste, ces courses, constamment réservées pour la belle saison, nous procurent régulièrement, chaque année, une moisson plus ou moins ample d'idées et d'observations, puisées tour à tour, dans des sociétés que nous

(1) Quérard attribue cet ouvrage à Gavoty de Berthe, directeur de la manufacture de sparterie; on voit, par ce lragment des mémoires de

Lefebvre de Beauvray, que ce livre en 3 volumes, paru en 1786, fut écrit par le frère de cet industriel, lequel était négociant à Toulon.

(2) Rigoley de Juvigny, d'abord avocat au Parlement de Paris, puis conseiller à celui de Metz, littérateur médiocre, mort le 2 1 février 1788 ; comme auteur, il fit plusieurs mémoires, et comme éditeur on lui doit la publica tion des oeuvres choisies de Bernard de la Monnoye et l'édition de La Croix Du Maine et de Du Verdier. Quérard, La France Littéraire, 1837, VIII, 51.

(3) Néricault-Destouches, né en 1680, mort en 1754. Sa vanité lui avait attiré pendant sa vie bon nombre d'épigrammes, et son épitaphe avait été faite avant sa mort : « Ci-gît le glorieux à coté de la gloire ». On l'appelait aussi le comique larmoyant. — (M. Tourneux, Corr. de Grimm., II, 333, 379.)


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varions le plus qu'il nous est possible : matériaux qu'ensuite, dans le cours de l'hiver, nous mettons en oeuvre sous différentes formes, soit en vers, soit en prose, et c'est ainsi, qu'assez heureusement nous réussissons à n'être pas plus à charge aux autres qu'à nous-même, par le soin attentif que nous ayons de les quitter une minute avant que de leur causer ou d'éprouver, de leur part, quelque ennui, presque inévitable à la longue. Joignez à cela la gaieté si naturelle, en général, aux aveugles ; à laquelle on nous verrait, en particulier, nous livrer avec plus de franchise encore, si nous en trouvions un peu davantage dans la plupart de ceux avec qui nous vivons habituellement. — II, 71 recto et verso.

Telle est, probablement, le principe des noeuds qui, depuis plusieurs années, nous unissent à M. Favart père, distingué par tant de succès qu'il a constamment obtenus dans un genre si différent de celui que nous cultivons : succès si glorieusement couronnés par le dernier qu'il vient tout récemment d'obtenir, à l'âge de soixante-seize ans, au théâtre Italien, où le public a très favorablement accueilli la pièce intitulée : L'Amitié à l'épreuve; mise au théâtre en deux actes vers 1775, et remise en trois actes, cette année 1786, avec des changemens considérables tant pour le fond que pour la forme; aussi les spectateurs, ontils, à grands cris, demandé l'auteur des paroles, qui s'est présenté devant eux avec M. Grétry, l'auteur de la musique, et de qui (M. Favart) l'on a, depuis peu, placé, dans le foyer du même spectacle, le buste exécuté d'abord en plâtre pour l'être bientôt en marbre par M. Caffieri, fameux artiste, originaire d'Italie, membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture; l'on ajoute que ce buste dont, en total, le prix pourra monter à mille écus, est un présent fait par cet honnête sculpteur aux Comédiens-Italiens, qui ne manqueront pas de le récompenser en lui donnant ses entrées franches à ce théâtre (1).— II, 74.

(1) Dans son curieux et très documenté ouvrage sur les Caffieri, M. Guiffrey dit n'avoir rien trouvé relativement à ce buste : « J'ai vainement cherché, dans les auteurs du temps, un mot sur le buste de Favart. Caffieri était en relations intimes avec la famille Favart. » Guiffrey. Les Caffieri, 1878, in-8°, 333. Dans le livret du Salon de 1783, on voit que le buste de Favart en terre cuite fut exposé par l'artiste en même temps que la statue de Molière, le buste de Rotrou en marbre, et ceux en terre cuite de Thomas Corneille et d'une dame.


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Nous venons d'apprendre à l'instant même que Beaujon, d'abord négociant armateur à Bordeaux, ensuite banquier de la Cour, après M. De La Borde, son compatriote, lequel avoit succédé dans cette place à feu M. Paris de Montmàrtel, successeur du fameux Samuel Bernard, comte de Coubert, avait deux frères, dont l'un vit retiré dans la capitale de la Guyenne, leur patrie commune, et qu'il les a concurremment nommés légataires universels de tous ses biens, substitués seulement à ses neveux et nièces par un testament dont l'exécuteur testamentaire est M. le Président de Lamoignon, gratifié même, à ce titre, d'un diamant de cent mille livres (1). Ce testament (2) contient encore plusieurs legs particuliers pour la valeur d'un million, spécialement de deux cent quarante mille livres au sieur Guillaume (3), son agent ou son homme de confiance, de différentes sommes aux femmes si connues à Paris sous le nom de ses " Berceuses » ou « Sunamites » (4), sçavoir, de 150 mille

(1) Voir aux Archives de la Seine, l'insinuation de ce testament copié quasi-intégralement (Registre 263 f° 188) : « Je prie Monsieur de Lamoignon, président du Parlement, de se charger de l'exécution de mon présent testament et d'accepter mon beau service de porcelaine avec les cuvettes en argent sans la plus légère exception.

« Je prie Monsieur et Madame de Lamoignon de vouloir bien agréer le legs que je fais à Mademoiselle Constance de Lamoignon, leur fille, d'un diamant de cent mille livres, lequel sera remis à Monsieur et à Madame de Lamoignon pour en jouir par eux et le survivant d'eux leur vie durant. Je prie encore Monsieur de Lamoignon d'agréer la nomination que je fais de monsieur Guillaume, mon caissier, et d'une autre personne que je me propose de nommer pour exécuter conjointement, avec monsieur le Président. mon présent testament et les codicilles que je pourrai faire par la suite ». (Arch. de la Seine, ibid. f° 195). Maître Griveau, notaire, fut le troisième exécuteur testamentaire de Beaujon. (Ibid. Codicille Beaujon, f° 195).

(2) Nous devons remarquer ici que Jal, ordinairement si bien renseigné, se trompe dans son article Beaujon. Il dit : « Les biographes paraissent n'avoir point connu l'époque de la mort du respectable Jean-Nicolas Beaujon; je vais sur ce point compléter leurs renseignements. Beaujon mourut le 8 ventose de l'an VIII, 29 décembre 1799, rue du Montparnasse, 1543. L'acte de son décès inscrit au registre de l'ancien onzième arrondissement de Paris, dit que le défunt était âgé de soixante-dix-sept ans. » Il confond le fondateur de l'hôpital mort en 1787 avec un de ses frères qui mourut en 1799. Jal, Dict. critique, 146.

(3) Je donne à monsieur Guillaume, mon caissier, la somme de deux cent cinquante mille livres une fois payées. » (Ibid., Test. Beaujon, f° 195).

(4) Le sieur Beaujon se couche ordinairement sur les neuf heures; alors il admet ce qu'il appelle ses berceuses. Ce sont de jeunes et jolies femmes, qui viennent le caresser, lui faire des contes et l'endormir. Elles sont au nombre de cinq ou six, toutes femmes comme il faut (entr'autres madame Du


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livres à la baronne de*** (1), épouse du sieur Fenouillot de Falbert (2), auteur du drame en vers en cinq actes intitulé : « L'honnête criminel », de 200 mille à la dame épouse ou veuve de M. Têtard Du Lys, ancien lieutenant-criminel (3), de douze mille à chacune des demoiselles B***, P***, et G*** (4), actrices ou danseuses de l'Académie Royale; à quoi l'on ajoute que M. le Président de Lamoignon, avant la mort du testateur, avait heureusement interposé ses bons offices pourle réconcilier avec ses deux frères et pour l'engager à s'intéresser pour un de ses neveux (5), au point d'acheter une charge de conseiller à la Cour

Lys, femme du lieutenant-criminel ; la baronne de Cangé [corr. Quingey]), mais bien payées pour cela et cette dépense coûte au financier 200.000 livres de rentes. Quand il est assoupi, on descend, on sert un splendide souper et l'on s'amuse quelquefois jusqu'au réveil du sieur Beaujon qui se lève à quatre ou cinq heures du matin. (Espion anelais. I, 257).

(1) Baronne de Quingey.

(2) Fenouillot de Falbaire de Quingey, (Charles-Georges), auteur dramatique, né à Salins, le 16 juillet 1727, mort à Sainte-Menehould le 28 octobre 1800, selon les uns, et en mai 1801 selon les autres. Débuta au théâtre en 1767 par L'Honnête Criminel, drame en cinq actes et en vers, inspiré par les malheurs et le dévouement de Jean Fabre. Cette pièce fut accueillie avec enthousiasme et c'est à elle que Jean Favre dut son entière [réhabilitation; en 1772, Fenouillot de Falbaire obtint, dit-on, par l'influence de sa femme, la baronnie de Quingey dont il prit le nom et la place lucrative d'inspecteur des salines de l'Est, Nouvelle Biographie générale, FirminDidot, 1858, XVII, 346. Le testament de Beaujon ne contient aucun legs attribué aux époux de Quingey, peut-être y eut-il une donation antérieure?

(3) " Je déclare que c'est par invitation particulière que Monsieur et Madame Du Lys sont venus loger chez moy à l'hôtel d'Évreux; mon intention a toujours été, en les invitant d'accepter les appartemens qu'ils occupent de ne prendre aucuns loyers pour eux ny pour leurs gens, encore moins aucune pension; j'ai confirmé cette disposition par acte passé devant notaire. Néanmoins, pour éviter jusqu'à l'ombre d'une discussion, je déclare formellement que mon intention est qu'il ne soit rien exigé par mes représentans et légataires contre Monsieur et Madame Dulys pour loyer et pensions pour eux et leurs gens. J'entends que sur le fonds de ma succession il soit placé en rentes de la nature de celles qu'il est permis aux gens de mainmorte de posséder une somme de cent cinquante mille livres. Je donne la rente que produira ce capital à Monsieur et Madame Dulys pour par eux et le survivant d'eux en jouir en usufruit leur vie durant. » Arch. de la Seine (Test. Beaujon, ibid.f° 192 verso).

(4) Il n'est pas question de legs à des actrices dans le testament dont nous avons vu la copie aux Archives Nationales (V. 62 f° 62) et aux Archives de la Seine (R. 263 f° 188). Il y a cependant un legs de douze mille livres à mademoiselle Brousse, demeurant chez Madame Watar.

(5) » Je donne à Monsieur Balan, mon neveu, et à Mademoiselle Carteau, sa soeur, à chacun cent cinquante mille livres une fois payé sous charge de substitution que je vais établir : j'entends que les cent cinquante mille livres par moy léguées à chacun des sieur Balan et dame Carteau et les cent mille livres léguées à chacun de Messieurs Beaujon, soient et demeurent substituées par les degrés de substitution autorisés. » (Ibid., Test. Beaujon,


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des Aydes de Paris pour ce jeune homme fort honnête qu'il a, depuis, avantagé d'un million, soit en argent, soit en papier en le mariant avec l'une des filles de M. le Président. Au surplus, la fortune entière laissée par ce matador de la finance, moins considérable que le public ne la suppose s'il faut en croire M. Guillaume, son ancien caissier, est évaluée par les uns à deux millions de rente et par d'autres à 41 millions de principal; aussi son enterrement fait à Paris, le 22 décembre, avec une pompe extraordinaire, a-t-il été pris, par la populace accourue sur son passage, pour le convoi d'un prince de qui l'on transportait les froides reliques dans un corbillard superbement orné (1). — II, 105 recto et verso.

Nous pouvons, dès cet instant même et sans en attendre unautre plus favorable, rapporter au moins quelques particularités sur deux illustres membres de l'Académie Française, moins recommandables, peut-être, par les qualités du coeur que par celles de l'esprit. L'un est M. l'abbé de Voisenon, mort en 1775, comme il avoit vécu, c'est-à-dire aussi peu conséquent dans sa théorie que dans sa pratique; l'autre est M. le comte de Buffon, vivant encore, âgé d'environ quatre-vingts ans, de qui la tête commence à baisser considérablement, au rapport de quelques personnes qui l'approchent et qui le voyent très fréquemment. Aurions-nous donc un si grand tort d'attribuer à cet affaissement l'espèce de variité qu'on lui reproche et qui l'a fait consentir à ce que, de son vivant, on érigeât en son honneur un monument placé dans un des édifices dépendans du Jardin des Simples où l'on voit son buste avec cette inscription fastueuse : Ingenii Majestas par Majestati Naturae (2). Ce jardin reçoit

(1) On remarquera ici combien l'avocat aveugle était exactement renseigné. Sauf les legs à la baronne de Quingey et aux actrices tous les chiffres contrôlés sont à peu près exacts, et encore nous ne saurions affirmer qu'il n'existe pas de donations particulières en dehors du testament. Le minutier de l'ancien notaire à la mode au XVIIIe siècle, celui de maître Lepot d'Auteuil éluciderait sans doute cette question. (Le minutier de M° Le Pot D'Auteuil du 16 mars 1759 au 13 sept. 1783, est conservé aujourd'hui dans l'étude de M° Bertrand-Taillet, notaire, rue Pierre-Charron, 66).— Cf. la remarquable monographie de l'hôpital Beaujon, publiée en 1884, (E. Dentu, édit.), par le docteur Charles Fournel; cet auteur fut le premier à découvrir l'erreur commise par Jal et il donne dans son livre le testament du financier, dont l'original lui fut obligeamment communiqué par M° Martin Deslandes, prédécesseur de M° Bertrand-Taillet.

(2) Jean-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), intendant du Jardin du Roi. — Statue. — Marbre. — H. 2 m. 90, par Pajou (Augustin). Debout,


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tous les jours des accroissemens avec des embellissemens nouveaux; tout cela s'exécute par les soins et sous les ordres de l'intendant en chef de M. le comte de Buffon qui, pour ceux-ci, continue de prodiguer le fer toujours fourni par ses forges de Montbard et qui projette une augmentation nouvelle en achetant, des deniers du Roy, l'hôtel de Vauvray pour lui servir de nouveau logement au lieu de l'ancien qu'il destine à l'agrandissement du cabinet de Sa Majesté.

le torse nu et drapé, perruque tombant sur les épaules, il tient un style de la main droite et, de l'autre main, une tablette posée verticalement sur, une mappemonde. Aux pieds du personnage, un lion, un chien, un serpent, des madrépores, etc. ; sur le revers de la tablette que soutient Buffon est gravé : PAJOU 1776. Sur la face antérieure du socle se lit l'inscription : MAJESTATI NATURAE PAR INGEMUM. Une seconde inscription gravée sur un morceau de marbre de forme rectangulaire a été fixée sur le devant du piédestal. Elle porte : Le cervelet de Buffon, offert au Muséum par MM. Faujas de SaintFond et Nadaud (sic) de Buffon, a été déposé dans ce piédestal le 17 octobre 1870. L'inauguration de la statue de Buffon eut lieu avant l'ouverture du Salon de 1777, car nous lisons au livret de cette exposition (p. 41) : « On voit du même artiste (Pajou) au cabinet d'Histoire naturelle au Jardin du Roi, la statue de M. de Buffon, exécutée en marbre, aux dépens de Sa Majesté. » On lit au sujet de cette statue dans les Mémoires de Bachaumont, sous la date du 29 mars 1777 : « On commence à voir au Jardin du Roi une statue de M. le comte de Buffon, dont l'anecdote est curieuse à conserver. M. le comte d'Angiviller, longtemps avant d'être nommé à la dignité qu'il occupe et présider aux arts, juste admirateur du premier (le comte de Buffon) et son ami, avait, à son insu, demandé au feu Roi la permission d'ériger une statue à ce grand homme. Sa Majesté voulut s'en réserver la gloire, et elle fut sur-le-champ commandée à ses frais. Mais, en même temps, il fut convenu avec l'artiste de garder à cet égard le plus grand secret. Le mystère n'a point été trahi, et le monument a été placé au lieu de sa destination en l'absence de M. de Buffon. » Mém. secrets, édit. 1784, X, 80-81. L'hommage rendu à Buffon, s'il faut en croire ses biographes, n'aurait pas été, de la part de M. D'Angiviller, absolument désintéressé. Pendant une longue et douloureuse maladie du grand naturaliste, en février 1771, on avait, paraît-il, disposé de sa survivance en faveur du comte d'Angiviller qui n'avait aucun titre scientifique lui permettant de succéder à ce grand homme. Louis XV, pour réparer en quelque sorte la mauvaise impression produite par cette nouvelle, érigea les terres du naturaliste en comté (juillet 1772) et commanda sa statue au sculpteur Pajou. Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (T. Ier, p. 1391, 3° col). La statue fut terminée vers la fin de 1776, car Buffon, le 13 janvier 1777, remercie le président de Ruffey des compliments que celui-ci a jugé convenable de lui adresser au sujet de l'oeuvre de Pajou. Buffon se montre au surplus assez peu flatté de l'honneur qui lui est fait : « Je vous remercie, écrit-il à son correspondant, de la part que vous avez la bonté de prendre à ma statue, que je n'ai, en effet, ni mendiée ni sollicitée, et qu'on m'aurait fait plus de plaisir de ne placer qu'après mon décès. J'ai toujours pensé qu'un homme sage doit plus craindre l'envie que faire cas de la gloire; et tout cela s'est fait sans qu'on m'ait consulté. » H. Jouin et H. Stein, Le Jardin des Plantes et le Muséum d'Histoire naturelle, 1886-1887, dans l'Inventaire des Richesses d'Art de la France, II, 97, 103. Ce buste est aujourd'hui dans la salle des poissons au Muséum.


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Cet hôtel de Vauvray, dont Mme de Staal, cy-devant Mlle de De Launay, si galamment chantée par l'aimable abbé de Chaulieu, parle beaucoup dans ses agréables Mémoires, situé comme on le sçait, à l'encoignure des rues de Seine et de Saint-Victor (1), est actuellement occupé par un maître de pension, le sieur Verdier, connu par quelques ouvrages relatifs à sa profession. Ce dernier, désirant profiter du voisinage de ce beau jardin, va trouver un jour monsieur l'intendant pour lui demander avec instance la permission d'aller quelquefois s'y promener avec ses écoliers; M. de Buffon, pour se débarrasser enfin de ses importunités qui commençaient à l'ennuyer, à lui donner de l'humeur, ordonne d'un ton moitié plaisant, moitié sérieux, au carabin qui le razait alors, d'éconduire sans façon l'incommode solliciteur dont il pourroit aussi bien, blanchir l'habit noir avec son habit de poudre. — II, 119 verso et 120 recto et verso.

L'intention de M. le curé de Sainte-Marguerite, faubourg Saint-Antoine, en effet est de se conformer à cette règle de conduite, soit en consentant, soit en se prêtant de bonne grâce à l'érection qui vient d'être enfin décidée à la grande satisfaction des habitans circonvoisins.

Quorum pars non magno sumus....,

L'érection de l'église située rue de Popincourt, aujourd'hui vacante par la suppression des Religieuses Annonciades, en succursale de sa paroisse (2). Succursale à la desserte de laquelle sont destinés trois ou quatre prêtres habitués cy-devant à la paroisse des Saints-Innocents et qui n'ont pu trouver place dans le nouveau clergé de Saint-Jacques-de-la-Boucherie.— II, 118.

(1) L'hôtel de Vauvray était situé sur l'emplacement des bâtiments de l'administration actuelle du Muséum.

(2) Les archives des religieuses Annonciades de Popincourt supprimées, sont dispersées en trois dépôts différents. Deux cartons sont conservés aux Archives nationales sous la cote L 1040. Titres de rentes, quittances 16211790, H. 4201, ibid. Aux Archives de la Seine : H 2, Annonciades de Popincourt (228 pièces concernant statuts, propriétés, droits; églises Saint-Paul, Saint-Mandé, etc.; 7 registres dont 4 in-folio de recettes et de dépenses de 1632 à 1782).

A la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Annonciades de Popincourt. Titres relatifs à ce couvent: indulgences accordées par les papes; baux et acquisitions, construction et reconstruction des bâtiments, dédicace de l'église, procès-verbaux de visites, etc. Comptes de recettes et dépenses de 1654 à 1782 avec des lacunes XVII et XVIIIe, 5 vol. in-fol. et environ 300 pièces originales dans un portefeuille in-fol. (27261).

(A suivre.)


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CHRONIQUE

~~ Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des Départements; 1er au 4 avril. —Liste des Lectures.

M. Advielle ( Victor), Dominique Doncre, peintre d'Arras.

M. de Beaumont (Charles), Les oeuvres de l'église Saint-Etienne de Chigny (Indre-et-Loire).

M. de Berluc-Pérussis, L'architecte Le Doux et le sculpteur Chardigny, à Aix.

M. Biais (Emile), Monuments augoumoisins du temps de la Renaissance.

M. l'abbé Bosseboeuf, I° Le tombeau de Henri de Bourbon-Montpensier à Champigny-sur-Veude ; 2° Jouvenet chez le duc de Mazarin.

M. Braquehaye (Charles), I° Dessins de monuments funèbres élevés à. Bordeaux, à la fin du XVIe siècle; 2° Les peintres de l'hôtel de ville de Bordeaux (1780).

M. l'abbé Brune, Une peinture flamande dans l'église de Sirod (Jura).

M. de Clérambault (Gatian), Peintures du château de Tournoël (Puy-de-Dôme).

M. le comte Couret (A.), Médaillons amulettes des Syriennes de Bethléem (XVIIe siècle).

M. Delignières (Emile), J.- M. Delattre, graveur abbevillois (1745-1840).

M. Gautier (Jules), Donat Nonnotte, portraitiste (1708-1785).

M. de Grandmaison (Louis), L'arc de triomphe élevé à Tours en l'honneur de Louis XIV (1688-1692).

M. Grave, L'architecte Antoine et son élève Vivenel.

M. Guigue (Georges), Van Loo, négociant.

M. Hérault (Maurice), Le sculpteur Gillet et sa famille.

M. Herluison (H.), Les débuts de la lithographie, à Orléans. M. Jacquot (Albert), Essai de répertoire des artistes lorrains : les luthiers.

M. Jadart (Henri), Croix et candélabres des églises et du musée de Reims.

M. Lafond (Paul), Cartons de Rubens pour les tapisseries de l'histoire d'Achille.

M. Leroy (Paul), Un portrait d'Henriette-Anne d'Angleterre.

M. Lex (Léonce.), Les anciens mausolées de l'église de Pierrre-enBresse(Saône-et-Loire)

M. Leymarie (Camille), La renaissance de la faïence architecturale en France au XIXe siècle.


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M. Morin (Louis), Quelques sculpteurs troyens des XVIIe et XVIIIe siècles.

M. Ponsonailhe (Charles), Une peinture d'Angelica Kauffmapn : le portrait d'Henri Reboul.

M. l'abbé Porée, Les statues de l'ancienne collégiale d'Écouis (Eure).

M. l'abbé Pottier, Une enseigne de débit de tabac au XVIIIe siècle»

M. Quarré-Reybourbon (L,), André-Corneille Lens et ses tableaux conservés à Lille.

M. l'abbé Requin, Une oeuvre de Nicolas Froment.

M. Roserot (A.), L'église du collège des Jésuites à Chaumont-enBassigny.

M. Tessier (Octave), Pierre Mignard en Provence.

M. Thoison (Eugène), De quelques artistes se rattachant au Gâtinais.

M. de Velsy (Léon), Le château du Belley à Hénouville-sur-Seine.

M. Veuclin (V.-E.), 1° Une miniature du XVIe siècle; 2° J.-F. Carteaux, peintre.

~~ Variété forezienne. (Notes sur les fouilles faites en creusant les égouts de la ville de Saint-Rambert-en-Forez (Loire). Février et mars). — Les travaux de construction des égouts de la ville de SaintRambert-sur-Loire que l'on croyait devoir nous révéler bien des mystères, nous apprennent bien peu de choses d'un passé dont les vieux parchemins de notre bibliothèque forezienne nous conservent, cependant, l'histoire si intéressante.

Le sol défoncé jusqu'à quatre mètres de profondeur, sur une longueur de 500 mètres et sur deux mètres de largeur, offre un terrain meuble rempli de cailloux roulés, comme si de grands courants d'eaux avaient, à une lointaine époque, traversé cette partie du Forez, voisine de la Loire. A de rares intervalles, quelques couches de terreargileuse, et presque partout, au bas de la colline sur laquelle s'étalent les maisons de la ville, des infiltrations d'eaux très abondantes. La terre, à la profondeur de deux à quatre mètres, paraît n'avoir jamais été remuée. Et s'il y a eu, à diverses époques inconnues, quelques défonçages du terrain sur lequel est tracée la grande rue de notre cité, le pic qui a fait ce travail n'a certainement pas atteint la profondeur de 1m50. C'est donc un terrain neuf, un sol vierge que l'on fouille actuellement, et nous n'avons pas à redouter que nos ancêtres, nous devançant dans des travaux semblables à ceux que l'on fait aujourd'hui, se soient, à nos dépens, enrichis des dépouilles opimes d'un âge, dont nous serions bien curieux de retrouver quelques vestiges importants.

A la date du 9 mars, les ouvriers terrassiers trouvaient un peu en aval de la fontaine dite de la 0 Chanal » et quelques mètres plus bas que le grand portail du jardin de M. Aug. Montet, notaire, et à 1m50.


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de profondeur, un certain nombre d'épingles en cuivre, de la longueur et de la grosseur de celles dont se servent les couturières.

Ces épingles, dispersées sur un espace de 15 à 20 mètres dans un terrain mouvant et noir, rappelant la vase des marais, sont absolument indemnes d'oxydation et assez brillantes, pour faire croire qu'elles ont été enfouies hier seulement. Leur tête est tournée en laiton, à l'instar de nos vieilles épingles de cuivre, dont elles ont, du reste, la forme et la silhouette.

Ces épingles font penser aux guerriers du moyen-âge dont la monture richement carapaçonnée était ornée de somptueuses étoffes soutenues par des épingles de ce genre. Et ce qui donnerait à cette hypothèse une grande probabilité, c'est que le semis d'épingles dont nous parlons, a été trouvé précisément dans la ligne des fossés qui entouraient les murailles de la ville, sous lesquelles, sans aucun doute, de nombreux combats ont été livrés pendant la guerre de Cent ans.

A la date approximative du 9 au 12 mars, dans un terrain également noir et vaseux, à deux mètres de profondeur, et toujours sur la ligne des anciens fossés, non loin de la fontaine de la Chanal, on a d'abord découvert neuf grosses dents d'animaux. Ces dents munies de trois ou quatre racines, sont longues de six à neuf centimètres, et semblent être des dents molaires. Elles forment, les unes et les autres, à leur partie supérieure, un carré de 0,03 centimètres de développement; leur longueur moyenne est de 0,07 centim. Et encore, une autre dent à deux racines formant la fourche, d'un volume plus réduit que les précédentes, et qui paraît appartenir à la catégorie des dents molaires secondaires.

L'émail de ces dents est devenu noir sous l'action de l'humidité. Elles sont très dures et fort pesantes, relativement à leur volume. Une d'entre elles porte, encore, autour de son émail, une partie de la mâchoire ayant formé son alvéole.

Qui sait si ces dents, d'un volume peu ordinaire, ne seraient point les dents de quelque animal étranger à notre région et transporté de l'Orient dans nos contrées, pour y aider les armées dans les travaux difficiles que nécessitait le siège d'une ville? Tué dans les fossés autour" de notre ville, cet animal y aurait été laissé.

Quelques jours après, les ouvriers continuant leurs travaux de défonçage pour les mêmes égouts, nous ont permis de faire une constatation qui ne nous a pas peu étonné.

En effet, arrivé à la hauteur de l'ancienne porte dite de la Chanal ou « de Saint-Rambert », celle précisément que l'on démolissait il y a trois ans, après avoir fait creuser le sol à deux mètres de profondeur, nous n'avons trouvé aucune fondation de la dite porte de la Chanal. Les deux murs, d'une épaisseur de plus de deux mètres, qui supportaient l'arceau ogival de cette porte ouverte déjà en 1367, ne reposaient absolument que sur un fort béton extrêmement dur, posé lui-


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même tout simplement sur terre. L'espace vide sous l'arceau de la porte était privé de toute maçonnerie propre à relier les deux pieds droits et capable d'en maintenir l'écartement normal.

Nous pensons qu'à l'époque où notre région souffrait, au XIVe siècle, des irruptions subites et fréquentes des « Grandes Compagnies » les habitants de Saint-Rambert, jugeant cette porte trop faible pour résister à leurs terribles assauts, la reconstruisirent plus épaisse, mais à la hâte et sans avoir le temps de lui donner de solides fondements, parce que l'ennemi était là.

Remarquons, en passant, que l'appareil de cette porte était une fois plus épais que le reste des murs d'enceinte.

Mais ce qui a été le plus souvent découvert par la pioche des travailleurs, ce sont des ossements humains. La quantité relativement grande de ces restes macabres blanchis par le temps, a fait croire que la place de la mairie où ils ont été trouvés, fut autrefois un cimetière. Nous croyons, en effet, qu'à une époque très lointaine, alors que la seule enceinte du prieuré existait, et que l'agglomération de quelques maisons formait l'ancien bourg de Saint-André-les-Olmes, nous croyons que cette place actuelle de la mairie de Saint-Rambert, dont le plan était situé, alors, au dehors des murailles priorales, a bien pu servir de cimetière. Mais, pour faire de notre hypothèse un fait accompli, il faudrait remonter aux siècles qui ontprécédé l'an mil. Nous savons, en effet, par une Charte de Conrad le Pacifique, roi de Bourgogne, datée de l'an 971, qu'à cette déjà lointaine époque, le prieuré de Saint-André-les-Olmes était un ancien monastère de bénédictin.

La position horizontale de plusieurs squelettes rencontrés sur la ligne des égouts à 0,45 ou 0,50 de profondeur n'a rien qui nous étonne. Mais la position verticale de plusieurs corps trouvés près les uns des autres dans deux caves dont les parois sont contiguës aux égouts, a piqué notre curiosité et nous a fait demander le pourquoi de cette position anormale de squelettes.

CH. SIGNERIN.

Comptes-rendus :

~~~ Mélanges d'Histoire du Moyen âge, publiés sous la direction de M. le professeur LUCHAIRE, I vol. gr. in-8° de la Bibliothèque de la Faculté des lettres de l'Université de Paris (Fasc. XIII), 6 fr. Paris, Alcan(1901).

Cet ouvrage, qui débute par une note additionnelle de M. LUCHAIRE aux Études sur quelques manuscrits de Rome et de Paris publiées par lui dans la même collection (fasc. VIII), contient deux remarquables travaux d'érudition dus à des élèves de M. Luchaire.

L'étude de M. Louis HALPHEN sur l'authenticité du fragment de. chronique attribué à Foulque le Réchin dénote chez son auteur, élève


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de l'Ecole des Chartes, un esprit critique particulièrement pénétrant On s'était souvent demandé si une partie de la chronique des comtes d'Anjou publiée autrefois par Marchegay et Salmon (avec préface de Mabille) était l'oeuvre de Foulque ou d'un faussaire. M. H. a repris la question et en étudiant minutieusement le texte dans son fond et dans sa forme, il semble en avoir définitivement établi l'authenticité. Il montre que les textes historiques et diplomatiques ne contredisent aucun des nombreux et très précis renseignements que nous avons ici, notamment sur Foulque le Réchin et sa famille; et d'autre part il n'existe aucune raison qui ait pu amener un faussaire à fabriquer ce document; enfin c'est le style d'un homme peu habitué à manier la langue latine et racontant des souvenirs personnels. Si on laisse de côté la dernière partie, qui est une addition postérieure consacrée à la première croisade, il semble donc bien que c'est Foulque le Réchin, qui, contrairement à l'opinion de Mabille, est l'auteur de ce morceau; et cette conclusion s'accorde parfaitement avec ce que nous savons sur le goût de la cour d'Angers pour les belles-lettres.

Dans un autre genre, le travail de M. G.-A HÜCHEL sur Les poèmes satiriques d'Adalbéron, évéque de Laon est tout aussi important. C'est une excellente publication critique de textes du XIe siècle qui étaient jusqu'ici particulièrement obscurs et que M. H. replace dans leur véritable cadre historique.

Hugues Capet et surtout Robert le Pieux se sont appuyés sur le clergé régulier, transformant les moines en véritables agents du pouvoir royal, donnant les sièges épiscopaux à des clercs de basse extraction. Cette politique a eu pour effet de rejeter dans l'opposition les hauts dignitaires du clergé séculier, qui prennent ainsi parti contre la réforme clunisienne, défendent les prérogatives de l'église gallicane contre la cour de Rome et s'efforcent par des intrigues, par des pamphlets, de remettre la main sur la direction de la politique royale. L'un de ces opposants est l'évêque de Laon, Adalbéron; quoique, après avoir trahi les Carolingiens en livrant Charles de Lorraine à Hugues Capet, il eût ensuite essayé de trahir les Capétiens au profit d'Otton III en 995, il n'en tient pas moins à la cour une place considérable. C'est à lui très probablement qu'il faut attribuer le Rythmus satiricus de temporibus Rotberti regis, dont M. H. nous donne le texte accompagné d'une traduction, et qui, grâce à sa nouvelle et judicieuse interprétation, nous renseigne sur une de ces intrigues de la cour : il s'agit d'une tentative de Landry, comte de Nevers, du parti novateur qui, profitant d'une absence de la Reine Constance, essaie, sans succès d'ailleurs, d'amener un rapprochement entre Robert et Berthe pour replacer celle-ci sur le trône, à rencontre du parti conservateur représenté par Adalbéron (1019-1023). — Dans le Carmen ad Robertum regem, au lieu d'une satire de circonstance, nous avons, sous la forme d'un dialogue fort obscur entre le


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roi et Adalbéron, l'expression des revendications générales du clergé opposant, dont l'auteur trace comme une sorte de programme, tout en se livrant à de violentes diatribes contre Odilon, abbé de Cluny, contre les moeurs de la société clunisienne et les idées nouvelles. C'est la théorie de l'indépendance de l'Eglise vis-à-vis la loi humaine, de la primauté de l'ordre ecclésiastique sur l'ordre laïc; la politique suivie jusque-là par le roi, écartant le haut clergé pour s'appuyer sur les humbles, ne peut, d'après Adalbéron, amener que l'anarchie, la ruine de l'État, « le règne de la débauche, de l'inceste, du vol, du crime. » Il ne faut voir là (c'est ce qu'Abbon et Helgaud permettent de constater), que des exagérations d'un prélat irréductible. En réalité, le clergé séculier, devenu plus libéral avec Fulbert de Chartres, abandonne bientôt son opposition; « l'oeuvre de paix de la fin du règne de Robert, dit M. H, a été le résultat du concours du pouvoir royal et du clergé séculier, » — A la suite du Carmen ad Rotbertum, dont il n'existait jusqu'ici que l'édition très défectueuse d'A. de Valois reproduite par les Historiens de France, M. H. publie en appendice, d'après le manuscrit unique de Valenciennes, un poème théologique inédit d'Adalbéron à Robert intitulé De Summa Fidei, et un dialogue philosophique d'Adalberon et de Foulques, évêque d'Amiens, d'après un manuscrit non encore utilisé du fonds de la reine Christine au

Vatican.

FR. GALABERT.

~~~ Vitry (P.). Michel Colombe et lasculpture de son temps. Paris, Librairie Centrale des Beaux-Arts, 1901, in-4° de 531 pp., 16 pl. et 203 grav.

Voici un ouvrage appelé à faire époque dans l'histoire de l'art ; tous ceux que passionnent les débuts de la Renaissance française doivent s'en pénétrer. Après avoir placé son artiste dans le milieu où il a vécu ses premières années, après avoir examiné les influences artistiques qui ont présidé au développement moral de Colombe, M. Vitry passe en revue les oeuvres qui sont sûrement due à son ciseau, et celles qui lui sont attribuées ; il discute ces attributions, souvent trop hasardées ou basées sur des preuves bien fragiles, et, très courageusement, avec confiance dans son sens artistique, il en rejette un grand nombre, sans souci des adversaires que ses doctrines pourront lui susciter. Le livre de M. Vitry est donc un travail très original et personnel, très consciencieusement fait et très documenté, tel enfin qu'un savant peut et doit le comprendre.

Ctc CHARLES DE BEAUMONT.

Périodiques :

~ Bibliothèque de l'École des Chartes, livr. de septembredécembre 19.01 : A. Levillain, Étude sur les lettres de Loup de Fer-


rières, pp. 445 à 509. — René Giard, Catalogue des actes des rois d'Aquitaine Pépin Ier et Pépin II, pp. 510 à 531. — R. Poupardin, Deux ouvrages inconnus de Fernand de Cordoue, pp. 532 à 542. — L. Delisle, Origine frauduleuse du ms. 191 Ashburnham-Barrois, pp. 543 à 554. — H. Omont, Catalogue des mss. Ashburnham-Barrois récemment acquis par la Bibliothèque nationale, pp. 555 à 610. — P. Lecacheux, Les statuts synodaux de Coutances de l'année 1479, pp. 611 à 617. — H. Moranvillé, Il n'y a pas de croix de Lorraine, pp. 618 à 621. — H. Wallon, Notice historique sur la vie et les travaux de Auguste-Siméon Luce, pp. 622 à 649.

~~ Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 1901, 5e et 6e livr. : C. Couderc, Complainte inédite sur la mort de Semblançay, pp. 136 à 141. — A. Babeau, Les musées de départements et les objets d'art et d'archéologie relatifs à Paris (musées de Lisieux et de Reims), pp. 142 à 143.— H. Vial, Une visite à la colonie indienne de Thieux en 1786, pp. 143 à 144.— A. Vidier, Inventaire des reliques et liste des sépultures des rois de France qui se trouvaient dans l'abbaye de Saint-Denis au XIVe siècle, pp. 145 à 148. — H. Maïstre, Chronique de l'année 1901, pp. 149 à 156.

~~ Bulletin du bibliophile, 1902, n° 2 : L'abbé Urbain, Notes sur l'histoire de la défense de la déclaration de 1682, pp. 49 à 62. — H. Buffenoir, Jean-Jacques Rousseau et Henriette, jeune Parisienne inconnue, pp. 63 à 80. — E. Griselle, Une lettre autographe de Naudé à P.-D. Huet, p. 81 à 85.

~~~ Bulletin de la Soeiété des Antiquaires de Picardie,

1900, 4e trim. — Baron de Calonne, Notice biographique sur M. Janvier, pp. 664 à 672. — Milvoy, A propos de la cathédrale d'Amiens, pp. 673 à 705 et 6 grav. — Duhamel-Decéjean, Notice biographique sur M. Darsy, pp. 748 à 769.

1901, 1er et 2e trim. — L. Goudailler, La peste à Amiens en 1636. Une gravure de Blasset. — Le père Michel-Ange, capucin, pp. 33 à 97 et 1 pl.

~ Le Carnet (ancien Carnet historique et littéraire), n° d'avril : Comte d'Haussonville, La dernière maladie de Mme de Maintenon souvenirs inédits de Mlle d'Aumale, pp. 5 à 11. — Vicomte de Reiset, L'assassinat du duc de Berry, pp. 18 à 39. — Victor du Bled, Les diplomates et la Société française, pp. 40 à 59. — Comte Ch. de Beaumont, Journal de Laurence, député aux États-Généraux de 1789, pp. 60 à 86.

~~ Mémoires de la Société académique d'archéologie, sciences et arts de l'Oise, t. XVIII, impartie, 1901 : L'abbé L. Meister, Un neveu de Boileau, Gilles Dongois, conseiller et aumônier


— 128 —

du roi, prieur de Pont-Sainte-Maxence et chanoine de la Sainte-Chapelle (1636-1708), pp. 5 à 30. — A. Groult, Excursion au camp de Catenoy, pp. 41 à 45. — L. Thiot, Historique de l'ancienne télégraphie aérienne, particulièrement dans le département de l'Oise, pp. 46 à 57. — L. Régnier, Un document relatif à l'histoire de la Ligue à Beauvais, pp. 58 à 60. — L'abbé Renet, Monument du Mont-Capron [à Beauvais ; temple élevé à Bacchus sous les Antonins], pp. 61 à 84, avec un plan. — Le même, Le Mercure barbu de Beauvais, pp. 85 à 114 et 2 pl. — L. Vuilhorgne, Notice biographique sur Jean Pillet, historien de Gerberoy, 1615-1691, pp. 115 à 130. — A. Groult, Station préhistorique de Fouquenies-Montmille, pp. 131 à 139 et 4 pl. — L'abbé Eug. Muller, A propos de quelques stations préhistoriques des environs de Senlis, pp. 140 à 150 et 2 pl. — Dr V. Leblond, Quelques mots sur le château de Rebetz-en-Vexin et son poète Jean Loret(1622), pp. 151 à 137. — Comte d'Elbée, Notice historique et archéologique sur l'Épine, [fief à Warluis (Oise), ayant appartenu aux d'Avesnes, Aubert, de Micault, de Mailly, de Gaudechart,] pp. 158 à 245.

~~ La Province du Maine, t. X, 1902, janvier. — A. Ledru, La procession des rameaux au Mans ou « le mistaire de la. Croix Aourée, pp. 17 à 39. — G. Fleury, La légende d'un portrait (celui de Marie Prullay). pp. 60 à 45. — E. T. Chambois, Le Boeuf ville de Montfort-le-Rotrou en 1729, pp. 46 à 48.

Février. — A. Ledru, La procession des Rameaux au Mans ou le mistaire de la Croix Aourée, (suite), pp. 49 à 66. — Comte B. de Broussillon, lettre écrite en 1612 par Richelieu à David Rivault de Florence, pp. 66 à 69. — A. Coutard et R. Jaguelin, Les seigneurs manceaux à la troisième croisade, 1190-1192. pp. 71 à 74. — L. Froger, Une réception d'évêque à la Ferté-Bernard en 1520, pp. 75 à 78. — Ledru. Note sur Saint René, p. 79.

~ Revue historique et archéologique du Maine, t. LI,

1re livr. — Mis de Beauchesne, Le Bois de Maine (Mayenne), pp. 31 à 52 et 3 pl. — G. Fleury, Le rôle du commissaire du Directoire exécutif près de l'administration municipale du canton rural de Mamers; mémoire présenté au Congrès des Sociétés savantes, à Nancy en 1901, pp. 54 à 80. — H. Roquet, Moncé-en-Belin (fin), pp. 81 à 98 et 2 grav. — R. Deschamps La Rivière, Le théâtre au Mans, (suite) pp. 99 à 114.

Les Directeurs-Gérants : F. BOURNON et F. MAZEROLLE.

SAINT-DENIS. — IMPRIMERIE H. BOUILLANT, 20, RUE DE PARIS. — 11368


MAI 1902.

RENSEIGNEMENTS ADMINISTRATIFS

~~ Par décret en date du 9 mai, M. Pol Neveux, chef-adjoint du Cabinet du Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts, a été nommé inspecteur général des bibliothèques.

~~ Les différents objets trouvés dans les fouilles faites cette année à Antinoé (Egypte), par M. H. Gayet seront exposés au Musée Guimet, à partir du 6 juin.

MELANGES ET RECHERCHES CRITIQUES

ACTES D'ETAT-CIVIL DE QUELQUES

BLÉSOIS CÉLÈBRES

(Documents communiqués par M. Fernand Bournon)

JEAN MOSNIER, peintre.

« Le XIe jour de mars 1600, a été baptise' Jehan, fils de Jean

Mosnier le jeune et de Susanne Pattin, pour ses parrains Jean

Mousnier l'aysney, maistre Jean Guirionnet, procureur à Blois .

et la marraine Jeudy (sic) Mousnier.

Guyronnet.

Le Gouest, 1600 (prieur). Jehan Monier. Judicth Monier. » (Reg. de la paroisse Saint-Honoré)

JEAN BERNIER, historien de Blois.

« Ce jour d'huy dix neufième jour d'Apvril mil six cents vingtsept, a été baptisé Jehan, fils de deffunt Mathurin Bernier, en son vivant marchant à Bloys et de Françoise Tieri, ses père et mère. Le parrain est honneste homme Jehan Daudin, marchant

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nudict Bloys, la marraine est Marie Porreau, femme de Monsieur Renier, maistre appoticaire audict Bloys, lesquels ont signés avec nous, presbtre aussi soubsigné.

Jehan Daudin. Marie Pohoreau.

Le Monnier, 1627. » (Reg. de la paroisse Saint-Martin)

PARDESSUS, Jurisconsulte.

« L'an mil sept cent soixante douze, le douziesme jour du mois d'Aoust, a esté par nous soussigné baptisé Jean-Marie, né d'hier du légitime mariage du sieur Jean-Thomas Pardessus, avocat au Parlement et au Conseil supérieur, et de dame Catherine Bergevin. Le parrain, le sieur François Pardessus, la marraine, dame Marie-Anne Bergevin, femme Dufay, lesquels ont signé avec nous, ainsi que le père présent.

Marie-Anne Bergevin, femme Dufay. François Pardessus.

Pardessus; de la Roche-Negly, prieur Saint-Honoré ». [Reg. de la paroisse Saint-Honoré)

AUGUSTIN THIERRY

« Aujourd'hui, vingt-deux floréal de l'an troisième de la République française, une et indivisible, à trois heures du soir, par devant moi Augustin-François Gaudichon de Lestre, membre du Conseil général de la commune de Blois, élu le quinze nivôse, pour recevoir les actes destinés à constater les naissances des citoyens, est comparu en la salle publique de la maison commune de Blois, Jacques Thierry, employé au district de Blois, y demeurant rue des Rouillis, section de l'Indivisibilité, lequel était assisté de Marie Robert, veuve de Denis Leroux, sa belle-soeur, et de Nicolas Forest, son oncle, tous les deux demeurants à Blois et âgés de plus de vingt et un ans, lequel m'a déclaré que Catherine Le Roux, son épouse en légitime mariage, est accouchée hyer, à neuf heures du soir, d'un enfant mâle qu'il m'a présenté et auquel il a donné les prénoms de Jacques-Nicolas-Augustin... »

AMÉDÉE THIERRY « Aujourd'hui, seizième jour de thermidor, l'an cinquième de


la République française, une et indivisible, à six heures du soir, par devant moi Augustin-François Gaudichon-Delestre, membre de l'administration municipale en la commune de Blois, département de Loir-et-Cher, élu pour recevoir les actes destinés à consacrer les naissances des citoyens, est comparu le citoyen Jacques Thierry, employé au département, demeurant rue Fontaine-des-Elus, section du Palais, lequel assisté de Jacques-Simon Boy, gantier, et de Catherine-Marie Métivié demeurant en cette commune, âgés de plus de 21 ans, a déclaré à moi, Gaudichon de Lestre, que Catherine Leroux, son épouse en légitime mariage, est accouchée hier, dix heures du matin, d'un enfant mâle qu'il m'a présenté et auquel il a donné les noms d'Amédée-Simon-Dominique » (Signatures).

LOUIS DE LA SAUSSAYE, historien.

Du seizième jour du mois de ventôse, l'an neuf de la République française. Acte de naissance de Jean-François-Louis l'a Saussaye, né le jour d'hier, à deux heures du malin, fils de François de Paule La Saussaye, propriétaire demeurant en cette commune sur la levée des Groix, et de Anne-Louise La Saussaye, son épouse. Le sexe de l'enfant a été reconnu être masculin. Premier témoin : Charles Henry Léonard Vallon, officier de santé; second témoin : Jean Fortin, concierge de la mairie, sur la réquisition à nous faite par le père ci-présent qui a signé, ainsi que le premier témoin ; le second a déclaré ne le savoir... »

ARMAND BASCHET, historien.

2 décembre 1829 : Acte de naissance de Armand JacquesEtienne Baschet, né la veille à sept heures du soir, fils d'Etienne-Paulin Baschet, médecin à Blois, rue Porte-Côté, et de dame Antoinette-Louise-Adélaïde Pinault, son épouse.

27 janvier 1886: Acte de décès de « Armand-Jacques-Etienne Baschet, décédé le 26 janvier à quatre heures du soir, célibataire, âgé de cinquante-six ans, publiciste, chevalier de la Légion d'honneur, demeurant à Paris, mort à Blois en la maison de sa mère, rue d'Angleterre. »


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LES AGES DE LA PIERRE, DU BRONZE ET DU FER

DANS LES ÉCRITS ANTÉRIEURS AUX PUBLICATIONS DES PRÉHISTORIENS SCANDINAVES

Humphry Davy, Buffon, Cayhts, etc.

(Suite et fin.)

« Les tribus gauloises qui habitaient l'Aquitaine avant la conquête de César sont peu connues, et à peine des lueurs rares et douteuses éclairent-elles, en quelques endroits, la nuit profonde qui couvre encore leur histoire. Dans ses Commentaires, le conquérant des Gaules parle peu des usages de leurs habitants, mais il vante leur courage et, sur ce point, on peut le croire sur parole, car il en fit souvent la dure expérience, et il ne put en triompher qu'en opposant des Gaulois à des Gaulois, la ruse et les supplices au patriotisme et à la vaillance d'un peuple généreux qui défendait sa patrie contre une injuste agression.

Les seules traces matérielles que les peuplades aquitaniques ayent laissé de leur existence se réduisent à des collines artificielles, dont l'usage n'est point connu d'une manière certaine, et à des instruments en pierre que l'on trouve encore quelquefois, notamment sur les bords des ravins qui sillonnent nos landes.

Déjà, messieurs, notre collègue M. Jouannet a publié, dans le 3° volume du Musée d'Aquitaine, un travail fort remarquable sur ces divers instruments, et il les a décrits avec une exactitude trop grande pour qu'il soit utile d'y rien ajouter. Je vais rappeler ceux de ces instruments auxquels est applicable le travail que j'ai l'honneur de vous présenter (1).

D'abord, des pointes en silex, dont la forme, semblable à celles des pointes en métal dont on armait anciennement les flèches, autorise suffisamment à croire qu'elles furent appliquées au même usage. M. Jouannet a indiqué la manière dont ces pointes avaient dû être fixées au bois, et je mets sous vos yeux une flèche construite d'après ces indications (2).

Elle me paraît d'autant plus propre à son usage que, pour peu que

(1) La Notice de M. Durand est rédigée sous la forme d'un rapport à l'Académie de Bordeaux.

(2) Les habitants de nos Landes les appellent Peyres d'acuradjé; ils disent qu'elles sont lancées par l'orage et qu'elles pénètrent dans le sol à la surface duquel elles reviennent ensuite peu à peu : quelques-uns d'entre eux les font bénir et leur attribuent des propriétés merveilleuses. La même origine est attribuée en Suède aux haches de pierre. Voyez le bel ouvrage intitulé : Suecia antiqua et hodierna (Note de G.-J. Durand).


la blessure fût profonde, au moment où on voulait en retirer cette arme, sa pointe devait nécessairement se détacher du bois et demeurer au fond de la plaie, d'où il devait être aussi difficile que douloureux de la détacher; or, des flèches des sauvages de nos jours, armées de pointes d'os ou de bois, présentent une disposition entièrement analogue, et il me semble vraisemblable que des peuplades, au même degré de civilisation, ayent à peu près les mêmes idées et employent les mêmes moyens.

M. Jouannet décrit ensuite les instruments connus sous le nom de haches gauloises, les unes en pierre, les autres en bronze; l'usage de ces instruments n'est encore connu que par conjecture, et je viens en ajouter une nouvelle à celles qui sont déjà publiées; j'ai l'honneur de vous présenter à l'appui de mon opinion trois modèles et leurs dessins.

Le mémoire déjà cité décrit plusieurs de ces haches dont le tranchant a été brisé, d'autres dont il a été refait à neuf; mais pour qu'un instrument d'une nature aussi dure et aussi propre par sa forme à opposer une grande résistance ait été brisé, il faut admettre un choc très violent et qu'on ne peut bien concevoir qu'en supposant la hache emmanchée au bout d'une hampe; c'est là que gît la difficulté; en effet, il paraît difficile de fixer solidement à un manche en bois un caillou poli et arrondi sur toutes ses faces ; c'est néanmoins ce que j'ai tenté de faire. Pour obtenir ce résultat, j'ai pratiqué vers un bout de la hampe, un trou de même forme que la pierre et propre à la recevoir jusqu'au tiers environ de sa longueur et avant l'endroit où elle a le plus de grosseur, puis, une forte ligature a consolidé le tout sans l'emploi d'aucun gluten. La forme conoïde du caillou le fait tendre, à chaque coup, à rentrer davantage dans la hampe et à la fendre, mais les ligatures s'opposant à cette action, il ne peut résulter de la répétijion des chocs qu'une union plus intime entre les deux parties de la hache, jusqu'à ce qu'enfin l'une d'elles soit brisée. On sait avec quelle adresse les sauvages actuels exécutent les instruments dont ils se servent, et il est vraisemblable que les anciens Gaulois, tout aussi industrieux, eussent exécuté ce que j'ai l'honneur de mettre sous vos yeux, d'une manière plus parfaite que je n'ai pu le faire; telle qu'elle est cependant, cette hache me semble propre à résister à des collisions violentes et répétées, et, par conséquent, à servir pour une foule d'usages domestiques et guerriers. Pour ce dernier emploi, elle serait au moins aussi commode que ces épées gauloises citées par Polybe et qui se faussaient dès le premier coup, de sorte qu'il fallait les redresser pour en frapper un second; d'ailleurs, toute arme est terrible dans la main d'un brave, et, certes, la vaillance gauloise n'a jamais été mise en question.

Le troisième modèle est une de ces haches en bronze trouvées près de Pauillac, et que M. Jouannet croit avec beaucoup de vraisemblance


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avoir succédé aux haches de pierre, lorsque l'usage des métaux se répandit en Aquitaine; elle est emmanchée à peu près comme le caillou, mais avec plus de solidité, parce que sa forme se prêtait mieux à cet usage.

Le quatrième modèle a beaucoup d'analogie avec le précédent, dont il diffère, néanmoins, sur plusieurs points notables : d'abord, la hache n'est pas en bronze, mais en rosette pure, ou très peu alliée, et c'est le seul exemple que je connaisse de l'emploi de ce métal pour cet usage; ensuite, elle est moins allongée que les haches de bronze, et elle n'a pas, comme celles-ci, des bords saillants et relevés; enfin, son tranchant paraît avoir été formé ou refait, non par frottement, mais par une suite de coups frappés pour cet objet; la douceur du métal rend cette conjecture, sinon vraisemblable, du moins probable. Cette hache a été trouvée à Saucats dans les fouilles faites pour arracher un vieux chêne.

Je ne dirai rien de ces haches en bronze qui portent un épaulement vers le milieu de leur longueur, si ce n'est qu'elles me semblent également propres à être fixées au bout d'une hampe, à peu près comme les pointes de flèche et à servir de lances ou de javelots.

Telles sont, messieurs, mes conjectures et leur sujet me semble important parce qu'il remonte à une haute antiquité et qu'il se rattache à l'existence de peuples peu connus, mais qui n'ont laissé que de grands souvenirs. Je suis bien loin de prétendre que les Aquitains fabriquassent leurs haches et flèches précisément comme je l'ai expliqué, mais il me semble, du moins',' que s'il s'y étaient pris ainsi que je l'indique, ils auraient pu attendre de ces intruments les services qu'ils devaient en désirer dans l'état de leur civilisation.

A Bordeaux, le 30 janvier 1828. G. J. DURAND.

« Depuis la rédaction de ce rapport, l'auteur a acquis plusieurs flèches de sauvages armées d'une pointe en silex fixée sur le bois au moyen d'une ligature qui diffère peu de celle ci-dessus indiquée et qui est faite avec des tendons d'animaux : cette circonstance paraît confirmer les conjectures contenues dans cet écrit.

Volontairement, nous avons négligé de reproduire les opinions concordantes qui ont été émises sur le même sujet par une infinité d'antiquaires, d'érudits, de philosophes, même de poètes; (1) ce n'est pas l'histoire de l'origine et des développe(1)

développe(1) nous voulions recueillir l'opinion des antiquaires anglais, la tâche serait plus longue et la moisson plus abondante. Nous nous bornerons à quelques indications empruntées aux Ages de la Pierre, de sir John Evans.

William Dudgale, au milieu du XVIIe siècle, dans son History of Warvickshire (p. 778) « parle aussi des haches en pierre comme d'armes employées par


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ments de la science préhistorique que. nous avons voulu écrire ici. Quelques cousultations prises un peu au hasard auprès des écrivains du genre les plus divers, suffisent amplement a constater que si Thomsen a recherché et trouvé la base d'une, chronologie relative daus le développement de l'industrie primitive, que si les savants Scandinaves appliquèrent la méthode comparative à l'étude de cette industrie, c'est-à-dire demandèrent aux coutumes des sauvages modernes l'explication des énigmes posées par les restes industriels des barbaries préhistoriques, ils ne faisaient que répéter ce qui, dans ses grandes lignes, était dans la pensée de tous depuis un siècle au moins. Et ceci nous remet en mémoire une judicieuse remarque du comte de Caylus sur la manière dont l'homme invente. « On peut avancer, dit-il, qu'il n'a jamais rien trouve de complet en premier lieu; et qu'une bagatelle présentée par le hasard, adoptée par une convenance souvent très éloignée de son premier objet, s'étend, s'accroît, et devient considérable presque toujours sans aucun dessein, et sans qu'on puisse se rendre compte des moyens précédemment employés. Cependant l'homme s'en glorifie; sa vanité en est flattée; il se regarde comme inventeur, et il l'est en général, mais comment? L'amour-propre devrait-il se repaître d'un pareil mérite, dont cependant il fait bien de profiter? » La gloire véritable des Nilsonn, des Thomsen et de tous leurs successeurs, n'est pas d'avoir inventé une terminologie nouvelle -pou des faits; déjà notoires, mais d'avoir consacré toutes leurs forces intellectuelles à l'étude de ces ancêtres inconnus qui ont précédé les temps de l'histoire écrite, et dont jusqu'à eux on ne s'était guère préorcnpé dans le monde des antiquaires, parce que

les Bretons avant qu'ils connussent l'art de fabriquer les armes en bronzcou enfer. » En 1686, « le docteur Plot, dans son History of Staffoardhire (p. 097) signale aussi le caractère de ces armes»; il ajoure qu'en «visitant le musée Ashmoleanum on peut s'assurer de la façon dont on les fixait à; un manche, car on trouve dans ce musée plusieurs haches indiennes de la même espèce exactement dans l'état où elles étaient quand on s'en est servi. "

En 1766, l'êvêque Lyttelton publiait ses Observations sur les haches en pierre, où il disait : On ne saurait douter que ces instruments en pierre aient été fabriqués pendant la plus haute antiquité par des peuples Barbares avant qu'ils connussent le fer et les autres métaux.; pour la même cause, les lances et les flèches avaient des pointes en silex ou en autres pierres dures... (Archoeologia. II, p. 118.)

On peut se borner, enfin, à signaler le travail du Rev. John Hodgson : An inqury into tlie AEera when Brass was itsed. in purposes, towhich Inon applied, publiéen.1816 dans le Ier vol. des Archoeologia AEliana (Voir John Evans ; loc. cit, ,p..3, 4, 64, etc.)


l'archéologie classique n'avait pas fait encore assez de progrès. On ne peut passer à l'inconnu que du connu ; avant d'aborder l'étude des civilisations antérieures aux peuples classiques, il était indispensable de bien connaître celles-ci. Chaque fois que l'archéologie a erré, c'était pour s'être aventurée trop prématurément. Les préhistoriens eux-mêmes, ne devraient jamais perdre de vue cette leçon du bon sens et de l'expérience journalière, soit dit sans déprécier leurs vaillants efforts et leurs éblouissants succès que, plus que tout autre, nous admirons bien sincèrement.

JULES MOMMÉJA.

JOURNAL D'UN BOURGEOIS DE POPINCOURT

AVOCAT AU PARLEMENT (1784-1787)

Publié par H. VIAL et G. CAPON (Suite)

Cette bonne foy dont jamais on ne doit s'écarter ou se dispenser dans aucune affaire, soit publique, soit privée, paraît avoir été totalement oubliée par les parties adverses de M. le marquis et Mme la marquise de Cabris, dans le procès qu'ils ont gagné vers le mois d'août 1786, contre ces mêmes parties qui sont le père, la mère de l'un, beau-frère, et les soeurs de l'autre dont elles provoquaient l'interdiction sous prétexte de folie; cette interdiction avait d'abord été prononcée par le juge de Grasse en Provence, ensuite par une sentence du Châtelet de Paris, auquel l'affaire avait été spécialement renvoyée par un arrêt du Conseil des Dépêches : seule infirmée par l'arrêt du

Parlement en date du qui charge la marquise de veiller

seule, à la santé du marquis son époux, relativement au corps comme à l'esprit (1). Ils sont actuellement logés l'un et l'autre

(1) La marquise de Cabris était la soeur de Mirabeau l'orateur; on voulait faire interdire le mari de Mme de Cabris sous l'instigation du marquis de Mirabeau dont elle était la fille : « Quand je vois le marquis de


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dans une maison, sise rue des Amandiers, faubourg SaintAntoine, appartenant à M. G. d'Alby, notre confrère, comme avocat au Parlement (1), propriétaire également d'une maison voisine dans la même rue, ainsi que de cinq autres sous les piliers des Halles et d'une partie du fief d'Alby dont tous les édifices et masures viennent d'être abattus avec le pilory (2), sans qu'il en ait reçu l'indemnité qu'il réclame et qu'il fait monter à plus de 80,000 livres. — II, 121 verso.

Non loin de M. d'Alby, dans la rue des Amandiers, a longtems demeuré M. le marquis de Vignolles, mort vers la fin de 1786, avec une certaine demoiselle Tery, aujourd'hui presque sexagénaire laquelle a vécu trente ans avec lui comme son épouse légitime, ou présumée telle par tout le monde, jusqu'à l'époque du scellé mis sur les effets du marquis après l'instant de son décès : scellé, sous lequel ne fut trouvée aucune espèce de titre, acte de célébration ou contrat de mariage, mais avant

Mirabeau formant le plan d'interdiction de son gendre, en haine de l'intérêt qu'il avait témoigné à sa belle-mère, quand je le vois chargeant le bailli de Mirabeau, son frère, de faire exécuter ce plan par la dame Lombard dont la volonté était à ses ordres... » De Sèze, OEuvres, 1786, I, 652. " Mme de Cabris, troisième fille du marquis de Mirabeau, jeune, belle, éloquente, passionnée, audacieuse, remuante, obstinée. » De Loménie, Les Mirabeau, 1879, II, 607.

Voir sur cette affaire à la Bibliothèque Nationale, le Répertoire des Facturas de M. Corda, et notamment : Mémoire à consulter pour Mme la marquise de Cabris, 1779, in-4. (4° Fm 4880); Mémoire pour Mme la marquise de Cabris, appelante d'une sentence qui la déclare non recevable dans sa demande pour faire constater l'état d'abandon de son mari, (signé : Charpentier, De Beaumont, De La Croix) 20 décembre 1782, (4° Fm 4881). Mémoire pour la dame de Cabris contre la dame Lombard, marquise douairière de Cabris, poursuivant l'interdiction de son fils pour cause de démence, (signé: Duveyrier, 1785), (4° Fm 4882). Ibid, (4° Fm 4883). Mémoire pour la marquise de Cabris sur une demande qui a pour objet de préserver son mari de l'interdiction, de lui donner ses soins et de présider à l'éducation de sa fille, (signé : De La Croix, 1786), (4° Fm 4884). Plaidoyer pour le marquis de Cabris appelant d'une sentence du Châtelet du 12 avril 1786, qui prononce son interdiction contre la dame Lombard, sa mère (signé : De Sèze) (4° Inv. F. 14325). Réplique pour le marquis de Cabris contre la dame Lombard, sa mère, (signé: De Sèze) (1786, 4° Inv. F. 14.226).

(1) Guillemot D'Alby, avocat au Parlement, et dame Parmentier, sa femme, rue des Amandiers (Archives de la Seine, Hyp. 1137, 5 verso).

(2) Lettres-patentes du Roi qui ordonnent la démolition du pilori, données à Saint-Cloud, le 24 janvier 1786 (Archives Nationales, Publications du Châtelet, Y 62, f° 6).


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lequel la susdite demoiselle avait eu tout le temps défaire sa pelote, comme l'on dit vulgairement : ce qu'on a du moins conjecturé par l'inspection de quelques renseignemens relatifs au remboursement de diverses sommes montant ensemble à. peu près de cent mille livres : sommes dont elle jouit maintenant en paix, ainsi que du reste, dans une maison qu'elle occupe, rue Saint-Maur, dans le même quartier, avec le sieur abbé***(I), dont il a plus d'une fois été question dans ces mémoires. — II, 1 22.

Ce couvent, au reste, ne sçaurait bien certainement être celui des Religieuses Annonciades de Popincourt supprimés depuis quatre ou cinq ans, duquel on se propose de convertir l'église en une succursale de la paroisse Sainte-Marguerite, et dont l'emplacement en partie doit servir à l'établissement d'un hôpital pour le guet de cette capitale (2). On destine à différens usages économiques le surplus du terrain ; de l'enclos et des édifices en dépendans, acheté par une compagnie de capitalistes au nombre desquels on trouve entre autres: M. le comte d'Hosseville (3), M. Perrot, ancien directeur de la correspondance générale, et M. Valentin, maître en chirurgie, l'un des correspondants du sieur Linguet. (4) [février 1787]. — II, 127.

Un attentat a été commis, rue de Jouy, le dimanche 14 jan(1)

jan(1) doute l'abbé Mougin, lequel habitait chez le marquis de Vignolles.

(2) Le roi acheta en 1787, lorsque les acquéreurs cédèrent des parties de cette vaste propriété, celle où se trouvait l'église et divers bâtiments afin d'y établir un hôpital qui devait contenir 36 lits pour la Garde de Paris. Il fut alors question d'ouvrir sur ce terrain trois rues qui faciliteraient l'accroissement de valeur de la propriété. L'hôpital aurait été borné par ces trois rues au sud et à l'est et au nord. La rue sur le nord existe encore sous le nom de Saint-Ambroise, la rue sur l'est a existé sous le nom de Beauharnais, l'autre n'a jamais été ouverte; la rue de Beauharnais fut supprimée par décision ministérielle du 9 octobre. 1818 (Abbé Gaudreau, 1847, in-8. Mélanges. Notice sur Saint-Ambroise. Cf. Hypp. Cocheris, 1867. Hist. de la Ville et du Diocèse de Paris de l'abbé Lebeuf, III, 567).

(3) Bénigne Poret, chevalier, vicomte de Blosseville.

(4) Dans différents actes de vente, cet acquéreur est désigné comme exerçant la charge de commissaire des guerres; nous laissons à notre auteur la responsabilité de cette assertion que nous n'avons pu vérifier.


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vier 1787, par un nommé Létant, fils d'un vitrier, âge de 17 ans, sur la femme d'un faiseur ou marchand de baromètres, pour la voler; cet assassin, jugé promptement, fut, le vendredy suivant, exécuté publiquement à la porte Saint-Antoine (1), malgré les plus vives sollicitations du père auprès des juges pour sauver son fils, arrêté le même jour chez sa soeur. Le jeune Létant, lorsqu'on vint le prendre chez sa soeur, une heure après la consommation de son forfait, s'occupoit gaiement à répéter un rôle de soldat qu'il devoit incessamment jouer dans une certaine pièce pour son début au théâtre chez Nicolet ou chez Audinot. — II, 129 et 132.

Il paraît que le doyen des curés de Paris, celui de Sainte-Marguerite, monsieur Beaurécueil, se prête de bonne grâce à l'érection de l'église des Annonciades, rue de Popincourt, en succursale de sa paroisse ; église dont l'acquisition s'est faite au nom des marguillers et des fabriciens de Sainte-Marguerite, lesquels ont dû payer le prix aux propriétaires actuels des batimens et terrains dépendans de l'ancien monastère supprimé ; on travaille en ce moment à disposer cette église pour y commencer, dès le dimanche de la Pentecôte prochaine, la célébration de l'office paroissial, de laquelle sont chargés les prêtres à la nomination de ce même pasteur (2). L'on a préalablement procédé à l'exhu(1)

l'exhu(1) exécutait assez souvent les criminels à la porte Saint-Antoine; on a déjà vu, au cours de ce journal, que le fameux Poulailler y avait été pendu.

(2) Cette église, de proportions assez vastes et d'une extrême simplicité, fut conservée après la disparition de la communauté. Elle fut érigée en église paroissiale, par la loi du 4 février 1791, sous le titre de Saint-Ambroise, par suite du démembrement de la paroisse Sainte-Marguerite, puis vendue comme propriété nationale; elle fut rouverte au culte en 1802. La ville de Paris, qui en avait fait l'acquisition en 1811, la fit restaurer et agran dir sous la direction de l'abbé Godde en 1818. Elle fut démolie en 1862 pour dégager les abords d'une autre église paroissiale du même nom, mais beaucoup plus grande, que l'on édifiait alors sur une partie des terrains de l'ancien couvent. — Raunié, Épitaphier du Vieux Paris, 1890, 107.

Une curieuse photographie de 1868 est conservée au département des Estampes de la Bibliothèque nationale dans la collection topographique. — (V°, 296, Seine, XIe arrt, quartier Saint-Ambroise). Cette photographie représente l'actuelle église Saint-Ambroise entièrement construite, alors que l'ancienne église des Annonciades de Popincourt subsiste encore an premier plan. On voit, dans le même recueil, deux photographies intérieures de l'ancienne église Saint-Ambroise.


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mation des cadavres inhumés en différents lieux et qui doivent tous être déposés dans un endroit particulier: opération légalement exécutée le mercredy onze août 1787, avec toutes les cérémonies et toutes les précautions accoutumées, sous les yeux des officiers publics dont la présence est requise en pareil cas, car il ne seroit ni juste ni convenable, pour la purification des âmes dans l'une et l'autre vie d'empoisonner aujourd'huy les corps vivans exposés tout à coup à l'action meurtrière des miasmes méphytiques et pestilentiels, miasmes toujours prêts à s'exhaler des individus quelconques livrés depuis longtems à la putréfaction, quoique ceux dont il s'agit, soyent, dit-on, dans un sol aride ou sablonneux et qu'il fut conséquemment possible d'y trouver quelques-uns d'entre eux assez bien conservés (1). — II, 2 13 verso.

(1) Les journaux du temps, consultés, ne font aucune mention de ces exhumations ; l'ouvrage de M. Raunié : L'Épitaphier du Vieux Paris, à l'article : Annonciades de Popincourt, renferme les renseignements qui suivent: « Dans le choeur était gravée l'inscription suivante : « Messire et dame Mallet ont choisy icy leur sépulture, afin que les prêtres montants à l'autel se souviennent de prier pour le repos de leurs âmes. Requiescant in pace. » Dans une chapelle latérale, qu'un sieur François Petit, conseiller et secrétaire d'Etat, avait fait construire, on lisait son épitaphe. Auprès de lui reposaient François, Michel, et Elisabeth Petit; ainsi que Madeleine de Louvencourt. Au mur de la nef, du côté de l'Évangile, près de la grille du sanctuaire, était placée l'épitaphe de demoiselle Marie-Anne Le Picard, fille de messire François Le Picard, chevalier, seigneur d'Ambercourt, conseiller du roi; c'était une ancienne pensionnaire des religieuses, morte en 1697, âgée de 26 ans. Une inscription sur cuivre, placée sur un cercueil, avait été découverte lors de la démolition de la vieille église : « Plusieurs dalles funéraires, observait à ce propos Guilhermy, ont été retrouvées sous le carrelage moderne de la chapelle. Il paraît que ces pierres ont été emportées avec les autres matériaux par l'entrepreneur de la démolition. La suite des fouilles amena la découverte de quelques bières de plomb ; c'est sur un de ces cercueils qu'était fixée la plaque de cuivre portant l'inscription de dame Catherine Brigard. Ce cercueil fut tiré de terre le lundi 23 septembre 1868. En détachant la plaque, on s'aperçut qu'avant de recevoir une destination funéraire, elle en avait eu une toute différente; une gravure y représentait sur le revers Turenne au siège du Quesnoy, en 1654.... La plaque était déposée dans un des bureaux de l'Hôtel de Ville, au moment de l'incendie de mai 1871 ; on l'a retrouvée parmi les épaves, mais soudée à un autre morceau de métal, et dans un tel état que toute lecture en est devenue impossible. » Cette autre plaque de métal était l'inscription funéraire de MarieAnne Le Picard, ainsi que nous l'apprend M. de Lasteyrie. Le texte dont personne n'avait gardé copie, ajoute-t-il, est resté inédit : « Depuis, on a réussi à disjoindre les deux plaques soudées par l'incendie, et, malgré quelques boursouflures causées par les adhérences du métal, elles sont faciles à déchiffrer... Remarquons, en terminant, que c'est au dos de cette plaque et non derrière celle de Catherine Brigeard, comme on l'a dit par erreur, qu'avait été gravée une estampe représentant Turenne au siège du Quesnoy, en 1654. » — (Guilhermy et R. de Lasteyrie, Inscriptions de l'ancien diocèse


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Cette annonce, disons-nous, nous conduit naturellement à rapporter par occasion quelques traits singuliers d'un vieux cocher de feu monsieur Titon, conseiller de Grand-Chambre au Parlement de Paris(1): traits vraiment dignes d'un valet de comédie et dont un poète dramatique pourrait au besoin tirer quelque parti : « Eh ! mais, lui disait un jour son maître, eh ! mais, qui est-ce donc qui t'a permis d'emmener à ma campagne ton fils et de l'installer sans façon dans ma cuisine ? — Vouliezvous, répond froidement l'ancien serviteur, vouliez-vous que je le laissasse ronger encore par la vermine dans une misérable pension ? — Suis-je donc obligé de nourrir un enfant qui m'est étranger?— Pardi!... vous en nourrissez bien d'autres. — Je suis las enfin d'essuyer tant d'impertinences.... et tu viendras me trouver, après dîner, dans mon cabinet. — Pourquoi ? — Pour y faire et recevoir ton compte — Je ne sçais point compter, et puis, je ne suis pas homme de cabinet... je ne connois que mon écurie ». Une autre fois, il refusait obstinément de conduire à l'Opéra le fils de monsieur Titon (2) dans la voiture du père dont il avoit reçu des ordres tout différents : « Oh bien !... lui dit assez vivement le jeune monsieur Titon, puisque tu le prends sur ce ton-là, je te ferai chasser de la maison. — Qui ?...

de Paris, t. I, p. 643 et t. V, p. 161). — Emile Raunié, Épitaphier du Vieux Paris, 1800, t. I, p. 107-108'

(1) Jean-Baptiste-Maximilien Titon de Villotran, seigneur du Plessis et de La Neuville, conseiller au Parlement de Paris en la cinquième chambre des enquêtes, fils de Jean-Jacques Titon, maître ordinaire des Comptes et d'Hélène de Saint-Mesmin, épousa, le 22 janvier 1717, Marie-Louise Oudailles, boiteuse et morte en couches. J.-B.-M. Titon fut un zélé défenseur des libertés de l'église gallicane contre la bulle Unigenitus ; arrêté en raison de son attitude, on l'emprisonna en 1732 au château de Ham en Picardie; il partagea L'exil du Parlement, en 1753, étant doyen de sa chambre; puis monta à la Grand-Chambre en octobre 1766 ; ce fut l'un des rapporteurs du procès du régicide Damiens (5 janvier 1756). Il avait eu de sa première femme un fils nommé Jean-Baptiste-Maximilien Titon ; il épousa en secondes noces Antoinette-Brochette Poucin, dont il n'eut point d'enfants. J.-B.-M. Titon mourut le 26 mars 1766. —(Cf. Testament, aux Archives de la Seine, Reg. 250,92 recto à 93 recto.)

(2) Jean-Baptiste-Maximilien Titon, seigneur de Villotran et de la Neuville, fils du précédent, conseiller au Parlement, reçu en 1744 par la cinquième chambre des Enquêtes, exilé à Chalons en 1753, épousa Marié-Anne Benserot, dont il eut quatre enfants. Ce descendant de la nombreuse dynastie des Titon monta sur l'échafaud révolutionnaire, le 26 prairial an. II. — (Archives de la Seine. Domaines, carton 466, n° 5697.) (Notes extraites d'un ouvrage inédit de H.. Vial: Une famille parisienne, Les. Titon.)


vous ! répliqua le vieux cocher, me faire chasser d'une maison dans laquelle je puis me vanter d'être plus ancien que vous de plusieurs années ? » (1). — II, 260.

Un jeune commis aux fermes, et son épouse, à peu près du même âge, occupoient depuis quelques mois un appartement honnête dans une maison située rue de la Roquette, faubourg Saint-Antoine ; surviennent alors un nouveau locataire et sa femme avec qui les anciens se pressent de former une liaison, qui devient chaque jour plus intime. Au bout de quelque tems, le mari de la première disparoît tout à coup avec l'épouse du second, emportant avec lui quelques pièces d'argenterie, ses contrats de rentes, tout son argent comptant. L'époux délaissé, loin de chercher, comme à sa place tant d'autres auroient pu faire, à se consoler, avec la dame abandonnée, de leur malheur commun, trop constaté par la nouvelle qu'ils reçoivent bientôt de la fuite du couple infidèle dans les pays étrangers, congédie un jour sa domestique, sort de chez lui, se rend au Bois de Boulogne, dîne tranquillement à la porte Maillot et se tire ensuite un coup de pistolet, dont il meurt sur-le-champ. L'épouse du fugitif, âgée de 26 ans, jouissant d'une fortune assez médiocre et chargée de deux ou trois enfants, a pris, de son côté, le parti de se retirer avec eux chez la dame, sa soeur, femme du sieur de La Bazanerie (2), maître-charpentier, logé maintenant, rue de Popincourt, en face la rue Saint-Sébastien. — II, 260.

Sans compter deux autres théâtres établis depuis quelque tems, celui-là, rue Saint-Antoine, celui-ci, rue de Popincourt,

(1) Le cocher dont il est question ici, n'eut pas, malgré sa familière insolence, à se plaindre de son maître, puisque celui-ci, par son testament, laissait à chaque domestique qui servait chez lui au jour de son décès, femme de chambre, cocher, laquais, portier, valet de chambre: une année de gages pour leur deuil, et à chacun cent livres de rente viagère par chaque année, pour ceux qui se trouvaient à son service depuis quatre ans, et ceux qui l'étaient depuis plus de quatre ans reçurent six livres de rente d'augmentation par chaque année de service, de sorte que deux ans de plus firent 12 livres et trois ans 18 livres. — Cf. Test. cit.

(2) Archives de la Seine. Hypothèques. Répertoire chron. Reg. 1141. f° 35 : « Etienne-Laurent Bazenerie, maître-charpentier, demeurant rue Verte. »


par des sociétés de spéculateurs ou de virtuoses chez qui l'on s'abonne pour avoir ses entrées moyennant telle somme par mois ou par an, où l'on ne joue publiquement qu'une fois tous les quinze jours ou deux fois par semaine (1). — II, 261.

Les particularités précédentes et qui concernent un quartier assez voisin du nôtre ne sont que depuis quelques jours parvenues à notre connaissance, ainsi que celles qu'on va lire rela(1)

rela(1) lit dans les Mémoires de Joseph-Jean-Baptiste Dazincourt : « C'est à cette école, c'est à celle de l'abbé de Voisenon, et des hommes les plus instruits comme les plus aimables, qui tous regardaient comme une faveur d'être admis dans la société du maréchal de Richelieu, qu'Albouy acheva de se former. Il eût été trop heureux, si, jeté dans cette immense Babylone, il avait pu résister, avec le goût inné qu'il avait pour la comédie, au plaisir de la jouer sur quelques théâtres particuliers. Il en existait un alors, rue de Popincourt, qui méritait d'être distingué des autres. Les sociétaires, tous jeunes gens bien nés et très riches, avaient pour spectateurs la meilleure compagnie de Paris, en femmes, comme en hommes. Cette réunion était une véritable assemblée de famille. Les comtes de Sabran, de Gouffier, de Lomesnil, etc., etc., la jeune marquise de Folville et sa soeur, etc., y développaient des talents qui, véritablement, auraient été applaudis au Théâtre Français. Albouy, lié d'amitié avec les comtes de Sabran et Gouffier, leur marqua quelque désir d'être admis dans leur société théâtrale. Sa gaîté naturelle, la finesse de ses réparties, sa manière de raisonner différents rôles de comédies, étaient, sinon l'annonce du talent, au moins l'indication qu'il

Carte d'entrée au Théâtre de Popincourt.


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tives à des lieux moins éloignés encore de celui où nous habitons depuis plus de quinze ans ; nous avions, en effet, ignoré jusqu'ici, que, vers 1781, pendant quelques mois, nous avons eu pour voisin M. le comte de Mirabeau, nouvellement alors sorti du donjon de Vincennes et demeurant rue de la Roquette, dans laquelle aboutit celle de Popincourt. C'est du major ou carabin qui dans ce tems-là le razait et qui nous raze encore aujourd'hui, que nous apprenons dans l'instant même qu'a l'exemple de Jules César qui tout à la fois :

Dictait à quatre en styles différents...

(GRESSET, Vert-Vert) »

Il a plus d'une fois, soit avant, soit après, soit durant ses fonctions, entendu M. de Mirabeau dicter en même tems ses diverses pensées sur différentes matières, avec le secours d'une carte, servant, tour à tour, à lui rappeler en gros chacune d'elles (1). — II, 270 recto et verso.

ne pouvait pas être en dissonance avec l'esprit du rôle dont il se chargeait. On lui laissa le choix de celui qu'il voudrait jouer, et huit jours après il parut dans le Crispin des Folies amoureuses, rôle dans lequel il mérita les applaudissements qui lui ont été depuis prodigués avec justice.. Mémoires de J. J. B. Albouy-Dazincourt par H. A K.*** 1809, 6. Ce renseignement sur le théâtre de Popincourt est donné par Lefeuve, Les Anciennes maisons de Paris, 1873, IV, 285, et par Girault de Saint-Fargeau, Dictionnaire géographique de la France, 1847, III, 247, sans indication de source, suivant la fâcheuse habitude de ces deux historiens.

Le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque nationale par M. H. Omont, Nouvelles acquisitions françaises, mentionne deux pièces de théâtre. qui furent jouées sur cette scène particulière : mss 2851, Lanouvelle isle des esclaves ou l'école de l'humanité, comédie lyrique en trois actes par le chevalier Person de Berainville, musique de M. Goblin... représentée sur le théâtre des amateurs connu sous le nom de Popincourt en 1782 (fol. 1). Du même auteur, sur le même théâtre, avait été joué en 1775 : Pégase gros lot ou la loterie des métromanes, pièce emblèmati-critique, folie en deux actes (fol. 93). Le ms. 2851 est un recueil manuscrit des pièces de Person de Berainville, jouées sur différents théâtres d'amateurs. Nous reproduisons ci-contre une carte d'entrée au théâtre bourgeois de Popincourt, conservée aux Archives de la Seine dans une collection de publicité ancienne formée par M. Lucien Lazard, sous-archiviste du département de la Seine. Pour l'emplacement exact de ce théâtre, voir la monographie et le plan de la rue de Popincourt qui suit la publication du journal de Beauvray.

(1) En sortant du donjon de Vincennes, Mirabeau alla demeurer chez son ami Boucher, secrétaire de Lenoir, lieutenant de police, demeurant rue de Grammont. Le biographe de Mirabeau, M. de Loménie, est muet sur ce passage du grand orateur, rue de la Roquette. — Cf. De Loménie, Les Mirabeau, IV,... et Almanach royal, 1781, pour vérification du domicile de Boucher.


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Il n'en est pas ainsi des têtes parlantes réellement inventées à peu près vers: la même époque par M.l'abbé Mical que nous avons l'honneur de connaître personnellement, comme étant, depuis quelques jours, notre voisin, notre locataire même, dans notre maison, sise rue de Popincourt, faubourg Saint-Antoine; natif du Dauphiné, maintenant âgé de 50 à 55 ans, chanoine honoraire depuis l'âge de sept ans du chapitre de... au Languedoc (1) : têtes parlantes organisées pour cet effet, ainsi que le

(1) « Quelque curieuse que soit la poupée qui parle, elle n'approche pas, au gré des connoisseurs, des tètes pariantes annoncées de l'abbé Mical ; mais comme c'est un homme simple, modeste, mais qui ne travaille point pour faire bruit ou pour gagner de l'argent, on n'en dit mot. Cependant le témoignage que les commissaires de l'Académie des Sciences qu'il avait invités à venir examiner ses automates, lui ont rendu, est bien glorieux ; suivant leur rapport, ils ont découvert dans son ouvrage la même simplicité de plan, les mêmes ressorts, les mêmes résultats qu'on admire en disséquant dans l'homme l'organe de la voix. » Mémoires secrets, 1787, 243. L'abbé Mical, mécanicien français, né vers 1730, mort en 1789. Pourvu d'un bénéfice et de quelques revenus personnels, il consacra tous ses instants à la mécanique et construisit d'abord des automates joueurs de flûte et des têtes parlantes. En juillet 1783, il présenta à l'Académie des Sciences de Paris, deux de ces dernières qui articulaient assez distinctement, quoique imparfaitement, de petites phrases. L'appareil vibratoire se composait essentiellement de glottes artificielles disposées sur des membranes et traversées par l'air qui frappait ensuite les membranes. (Grande Encyclopédie, XXIII, 907.) Vicq d'Azir fut chargé de faire un rapport à l'Académie surces deux têtes qui étaient posées sur des boîtes. Rivarol nous apprend en outre que ces deux têtes parlaient au moyen de deux claviers, l'un cylindrique, donnant un nombre déterminé de phrases avec les intervalles des mots et la prosodie marquée correctement, l'autre contenant dans l'étendue d'un ravalement toutes les syllabes de la langue française réduites à un petit nombre par une méthode ingénieuse. L'abbé Mical était parti de ce principe que l'organe vocal était dans la. glotte comme un instrument à vent qui aurait son clavier dans la bouche; qu'en soufflant du dehors au dedans, comme dans une flûte, on obtenait des sons filés, mais que pour articuler des mots, il fallait souffler du dedans au dehors; que l'air sortant des poumons se change en sons dans le gosier, et que ce son est morcelé en syllabes par les lèvres et la langue, aidés du palais et des dents. L'inventeur n'était sans doute pas très riche, car il fut poursuivi en 1784, précisément par l'artiste qui avait sculpte les deux têtes.:

« Mémoire de sculpture faite année 1782 pour monsieur l'abbé Mical par Frederick Wiffel,. sculpteur, demeurant rue Plumet, à Paris. En juillet de la dite année fait et livré deux têtes en bois de chêne creuse pour y mettre de la mécanique, prix convenu à cinquante-quatre livres pièce, pour les deux : 108 livres. En septembre fait et livré deux chapiteaux en bois de chêne socle, ordre corinthien, proportion de 6 pouces 9 lignes, convenu à soixantequinze livres, les deux font : 150 livres. »

L'abbé Mical à l'époque de cette procédure demeurait rue Marivaux, puis faubourg Saint-Denis n° 16. Archives de la Seine. Domaines Carton 620,


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sont les horloges pour indiquer ou sonner l'heure, et les serinettes pour exécuter différens airs notés mis en jeu par des moyens purement mécaniques, tels que des fils et des ressorts-, des leviers et des poids, des balanciers et des rouages, des tuyaux, des soufflets, etc.. d'où résultent des sons très distinctement articulés, comme par exemple les paroles suivantes avec d'autres que nous ne nous rappelons point en ce moment. [Les paroles manquent (1)] — II, 283 verso.

Tandis que notre jeune monarque se pique ainsi de donner à tous ses sujets l'exemple d'une économie raisonnable, il s'en faut de beaucoup qu'il inspire comme il le souhaiterait ardemment à chacun d'eux le noble désir de l'imiter, en ce moment, où l'on voit le sieur Caron de Beaumarchais, affecter, pour ainsi dire, une conduite opposée en faisant ou se préparant à faire la plus grande dépense de luxe ou de pure décoration sur un terrain fort étendu situé sur les boulevards près de la Porte-SaintAntoine qu'il vient d'acquérir pour un prix très considérable. On raconte à ce sujet une anecdote bien digne du caractère étrange du personnage ; le sieur de Beaumarchais se promenoit un jour dans son nouveau domaine où gravement il donnoit des ordres à quelques ouvriers; un particulier s'avance vers lui, l'aborde sans le connoître, et se met à lui parler de l'acquéreur qu'il traite sans façon : « d'impudent, de fripon, de coquin, de scélérat qui sera pendu tôt ou tard à la place de. Grève. » A chacun de ces propos, peu flatteurs pour celui qui l'écoutait, le sieur de Beaumarchais, d'un ton froid, d'un air indifférent, ne répond que par ces mots : « On le dit! » Le particulier enfin se retire : à quelques pas de l'enclos, il rencontre un de ses amis qui l'étonné beaucoup en lui disant, avec un sourire malin, qu'il devait parfaitement être instruit de toute cette affaire, puisqu'il venoit de converser avec le sieur de Beaumarchais lui-même. On vient, par hasard, de nous apprendre que le sieur Caron de

Dr 6102. Le dictionnaire de Chaudon raconte que l'abbé Mical brisa ses chefs-d'oeuvre dans un moment de désespoir; il mourut très pauvre, en 1789. Montucla, Nouvelle biographie générale.

(1) " Le roi fait le bonheur de ses peuples, et le bonheur de ses peuples fait celui de ses rois. » Mémoires secrets, XI, p. 255.


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Beaumarchais, pour d'excellentes raisons, a depuis revendu le même terrain, sur le prix originaire duquel il a fait un gain de cent mille livres ( 1). — II, 311.

(A suivre.)

(1) La fin de cette anecdote n'est pas véritable : nous avons vu aux Archives de la Seine un dossier des Domaines relatif à la vente de ce terrain; il renferme la copie de l'adjudication faite à l'auteur du « Mariage de Figaro » le 26 juin 1787 : » Nous, attendu les précédentes publications et en vertu du pouvoir à nous donné par le Roi, par ses lettres-patentes du mois de mai mil sept cent soixante-dix-sept, registrées au Parlement, le trente un juillet aud. an, et par sa déclaration et l'article 1er du règlement, arrêté au Conseil d'État du vingt trois août mil sept cent quatre vingt trois, aussi registrées au Parlement, le cinq septembre suivant, avons, du consentement du Procureur du Roi et de la Ville, vendu et adjugé, vendons et adjugeons, purement, simplement et définitivement par ces présentes, à Jean-BaptisteCharles Mlgnonville, procureur en ce bureau, demeurant orme et paroisse Saint-Gervais, comme plus offrant et dernier enchérisseur, à ce présent et acceptant, le grand bâtiment ou pavillon et le terrein ensuite, appartenans à la ville et situés à l'entrée et sur le rempart Saint-Antoine, icelui bâtiment donnant sur la rue et place Saint-Antoine et ledit terrein faisant partie du quinconce et s'étendant jusques à la communication de la rue d'Aval à celle du Pas-de-la-Mule. Ces bâtiments et terrein, murs de terrasses compris, lesquels font partie de la présente vente, composant une superficie de dix neuf cent quatre vingt-dix-sept toises deux pieds, ou environ; savoir : le bâtiment, cent trente sept toises; la petite partie au-devant non plantée, soixante-treize toises, trois pieds; et la partie ensuite en quinconce, dixsept cent quatre-vingt six toises cinq pieds. Et tiennent par ladite maison à la dite rue et place Saint-Antoine, à droite à la rue Amelot, à gauche à la contre-allée du rempart et au bout à la dite communication de la rue d'Aval à celle du Pas-de-la-Mule. Le dit bâtiment construit en pierre de tailles, composé au rez-de-chaussée, sur la rue Saint-Antoine et sur la rampe du Boulevard, de huit boutiques et autant d'arrière-boutiques, cheminées, fosses d'aisances, caves dessous et entre-sol au dessus et sur le terre-plein du rempart formant le premier étage du côté de la rue Saint-Antoine ; d'un grand perron avec palier, occupant toute la profondeur et largeur de l'arrière-corps, d'un grand salon ou galerie de soixante dix-huit-pieds de long sur vingt-quatre de large, ouvert sur le rempart par cinq grandes portes croisées et pavé en carreaux de liais et marbre noir. Ce même étage est encore composé d'une grande cage d'escalier, de trois pièces à cheminées dont une fort grande, d'une cuisine et de deux escaliers et dégagement sur les dites pièces, en sont pratiqués plusieurs autres d'entre sol ; et au-dessus du tout, un grand grenier lambrissé, ainsi que le tout est, se poursuit et comporte. Et, le vendredi six juillet au dit an mil sept cent quatre-vingt-sept, est comparu au greffe de l'hôtel de ladite ville, le dit M° Jean-BaptisteCharles Mignonville, procureur au bureau d'icelle, demeurant orme et paroisse Saint Gervais, lequel a déclaré que la vente et adjudication à lui faite par la sentence ci-dessus et des autres parts, du 26 juin, dernier des dits grand bâtiment et terrein ensuite à l'entrée et sur le rempart SaintAntoine, moyennant la somme de deux cent quatre mille livres et aux avantages, charges clauses et conditions énoncées en la dite sentence est pour et au profit de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écuyer, ancien secré-


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QUESTIONS

236. — Mathurin-Guillaume Recoquillé de Bainville, conseiller à la Cour des Monnaies. — Je désirerais connaître le blason de Mathurin-Guillaume Recoquillé de Bainville, écuyer, seigneur de Fosse-Malitourne, conseiller du Roi en sa Cour des Monnaies, en 1789. La terre de Fosse-Malitourne est située dans le Vendômois ou plutôt dans le pays chartrain. Je ne crois pas que les Recoquillé de Bainville soient une ancienne famille du pays. Elle a dû être anoblie à la fin du XVIIe siècle ou au commencement du XVIIIe.

STORELLI.

RÉPONSES

Le Sauvage du Roi (77).— Le dossier de l'enquête sur cette intéressante question, mise à l'étude par la Correspondance en 1895 (voyez pp. 85, III, 112, 143, 218 et 296), vient de s'augmenter à l'improviste d'un document de premier ordre. Parmi les poésies du troubadour Bertran d'Alamanon, récemment publiées par M. Salverda De Grave, (Toulouse, Privat, 1902, tome VII de la 2° série de la Bibliothèque méridionale), figure un sirventés, où le poète se moque des avatars d'un certain Guigne qui avait fini par être cavalier salvatje à la

taire du roi, lieutenant général des chasses de sa Majesté, demeurant Vieille rue du Temple, paroisse Saint-Paul, (etc.)»

A sa mort, Beaumarchais redevait encore 30,246 francs sur le prix d'achat du terrain sur lequel il édifia sa maison; le 25 avril 1812, le directeur des Domaines, M. Eparvier, réclamait cette somme à ses héritiers; ceux-ci furent invités à solder ce reliquat (Archives de la Seine), carton 512, dossier 48).

Le texte de cette vente du terrain de la porte Saint-Antoine ne figure pas dans le livre de M. Lintilhac (Beaumarchais et ses oeuvres, 1887, in-8°) parmi les pièces justificatives; c'est pourquoi nous l'avons publié ici. On peut constater qu'un bâtiment s'élevait déjà au coin du boulevard; il serait intéressant de savoir si l'architecte Bellanger employa cette construction dans la maison qu'il édifia pour Beaumarchais sur le terrain acheté à la Ville (Cf. Adrien Marcel, Les bas-reliefs de la Porte Saint-Antoine, Bulletin de la Société historique : Le Faubourg Saint-Antoine, fascicule I, 1899).


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cour du comte de Provence, après avoir été successivement trotteur, sergent et jongleur :

Ar iest projatz a major onramen, Quel coms ti a fag cavaier salvatje.

L'éditeur n'y a vu que du feu (p. 76 et 79). Il résulte de la strophe suivante que le cavalier salvatje était une espèce de héraut.

Je profite de l'occasion pour signaler l'existence de cette fonction à la cour de Bourgogne en 1370. Voici, en effet, ce qu'on lit dans les comptes du duc de Berry à la date du 13 août de cette année :

« A Guillaume, chevalier sauvage de Monseigneur de Bourgoigne, et aus menesterels du conte de Savoye, pour don de Monseigneur fait a eulz de grace especial pour ceste foiz tarif seulement, c'est assavoir : audit chevalier sauvage x frans, et ausdiz menesterelz, XXX francs. (Arch. nat. KK 251, f° 70 v°).

ANTOINE THOMAS.

CHRONIQUE

~~ Nous avions annoncé que les Sociétés de l'École des Chartes, de l'histoire de France et de l'histoire de Paris se proposaient d'offrir à M. Delisle un présent pour le remercier de sa longue et dévouée collaboration à leurs travaux. La remise de ce présent a été faite le 6 mai; c'est la reproduction photographique des livres VII et VIII de l'Histoire ecclésiastique d'Orderic Vital, manuscrit conservé au Vatican, et de l'un des livres d'heures de Jean, duc de Berry, conservé à la Bibliothèque royale de Turin.

D'autre part, le Congrès international des bibliothécaires a résolu d'offrir au même savant la bibliographie complète de ses innombrables travaux; la rédaction en a été confiée à notre collaborateur M. Paul Lacombe, dont la compétence est si éprouvée en matière bibliographique. L'ouvrage paraîtra au mois de novembre prochain; le prix en est fixé à cinq francs pour les souscripteurs, dont le nom figurera dans le volume. Les souscriptions sont centralisées chez M. Henry Martin, conservateur de la Bibliothèque de l'Arsenal, rue de Sully, I.


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~ Un comité dont l'initiative appartient à M. Louis Léger, membre de l'Institut, vient de se créer pour restaurer la " Croix de Bohême », monument très dégradé aujourd'hui qui avait été élevé sur le champ de bataille de Crécy en l'honneur du roi de Bohême, Jean de Luxembourg, qui y reçut la mort le 26 août 1346.

M. Lair, membre de l'Institut, veut bien se charger de recueillir les souscriptions II, rue des Petits-Champs, à Paris. Elles sont reçues également à Amiens, chez M. Dournel, notaire honoraire, et à Abbeville, chez M. l'abbé Mille.

~~~ A l'Institut. — Dans sa séance du 25 mai, l'Académie des inscriptions et belles-lettres a élu membre ordinaire M. Noël Valois, en remplacement de M. Jules Girard, décédé.

~~~ Dans sa séance du 5 mai, l'Académie française a décerné le premier prix Gobert (9,000 francs) à M. Camille Jullian, correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur à l'Université de Bordeaux, pour son livre sur Vercingétorix. Le second prix, de la valeur de mille francs, a été attribué à M. Cultru, pour son ouvrage sur Dupleix, ses plans politiques, sa disgrâce.

Dans sa séance du 15 mai, elle a réparti le prix Berger de la façon suivante :

6,000 fr. à M. Ducoudray pour son livre sur le Parlement de Paris ;

4,000 fr. à M. Gosselin-Lenôtre pour ses ouvrages sur Paris pendant la Révolution ;

2,000 fr. à M. Alfred Franklin pour ses travaux sur Paris;

2,000 fr. à M. Chevalier pour son livre sur l'l'Hôtel-Dieu de Paris;

1,000 fr. à M. Gautreau pour son livre sur le Fort d'Issy.

Le 27 mai, elle a attribué sur le prix Fabien une somme de mille francs à M. Martin Saint-Léon pour son Histoire des corporations de métiers et le compagnonnage, — et partagé également le prix. Charles Blanc, de la valeur de 2,400 francs entre MM. Lapauze (Les dessins d'Ingres), Victor Champier et Sandoz (Le Palais Royal) et Dimier (Le Primatice).

L'Académie des Beaux-Arts a, le 3 mai, décerné le prix Bordin (3,000 francs) à l'ouvrage de M. Paul Vitry : Michel Colombe et la sculpture de son temps.

~~ L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a, durant le mois de mai, décerné les prix suivants :

Premier prix Gobert (9,000 francs), à M. P. Guilhermoz pour son ouvrage sur les Origines de la noblesse française ; deuxième prix Gobert à M. René Poupardin pour son ouvrage sur le royaume de Provence;

Prix Fould (5,000 francs), partagé également entre M. Georges Durand pour le tome I de sa Monographie de l'église cathédrale d'Amiens