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Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1886-05-02

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 42932

Description : 02 mai 1886

Description : 1886/05/02 (A4,N149).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5705836m

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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SOMMAIRE

Chronique politique JULES BRISSON.

Notes de la semaine... FRANCISQUE SARCEY.

Portraits contemporains: Le duc

d'Audiffret-Pasquier VICTOR FOURNEL.

Echos de Paris SERGINES.

La France juive EDOUARD DRUMONT.

L'Aigle P. CHAPPELLET.

Avril JULES SOUREIL.

Causerie théâtrale . ADOLPHE BRISSON.

Pages Onbliées: Un duel épique. VIGEANT. Mouvement scientifique. — Les

Comètes CAMILLE FLAMMARION .

Correspondance

Le Village (comédie) OCTAVE FEUILLET ,

Livres et Revues AD. BRISSON.

Raymonde ANDRÉ THEURIET.

Chronique du Palais JULES MOINAUX.

Le Salon-Artiste

Cmmunications des Editeurs.... Bulletin de la Ménagère......

Les jeux du dimanche TIRÉSIAS .

Petit Courrier

SUPPLÉMENT ILLUSTRÉ

EXPOSITION DE NEUVILLE. — Chasseur à pied,

d'après le tableau de A. de Neuville. SALON DE 1886. — Portraits de MM. Puvis de

Chavannes, Français, Harpignies, Aimé Morot,

Gervex. L'ART DES JARDINS. — Villa d'Este, le Parc de

Versailles, Square des Batignolles. MUSIQUE : Promenons-nous dans les bois,

ronde de L. Duvanchel, musique d'Angèle Blot.

CHRONIQUE POLITIQUE

Une élection législative va avoir lieu à Paris le 2 mai, pour nommer un député en remplacement de M. Henri Rochefort, démissionnaire. Cette élection, comme les précédentes, montre de nouveau les profondes divisions du parti républicain. Les intransigeants n'ont pas manqué de saisir cette occasion, pour protester contre le respect des lois et contre le fonctionnement de tout gouvernement régulier. Ils auraient pu, prendre dans leurs rangs un candidat quelconque ; ils ont mieux aimé le choisir parmi ceux qui ont été récemment frappés par la justice.

Le tribunal de Villefranche, en condamnant à quinze mois de prison MM. DucQuercy et Ernest Roche, leur avait indiqué d'avance de quel côté ils devaient diriger leur recherches. Ne sachant auquel des deux ils devaient accorder leurs préférences, ils ont tiré au sort : c'est M. Ernest Roche que le hasard a favorisé. Ce dernier sera donc le candidat du parti révolutionnaire. Une campagne des plus actives est menée en ce moment pour assurer son triomphe. On espère que les Parisiens qui ont donné deux cent mille

voix à MM. Basly et Camélinat, n'hésiteront pas à donner à M. Roche le concours de leurs suffrages. Pourquoi non, après tout ? M. Roche a tout autant que ses devanciers préché la guerre sociale, et il leur est assurément supérieur comme capacité et comme intelligence. Le suffrage universel a donc là une occasion excellente de prouver avec quel instinct, avec quel profond discernement, il sait choisir les hommes auxquels il veut confier le mandat de diriger les affaires de la République.

Le choix du parti révolutionnaire n'a cependant pas été du goût de tout le monde. M. Clémenceau, qui prévoit le moment où il pourrait entrer au ministère, a cru devoir rompre, dès aujourd'hui, avec des alliés si compromettants. Il s'est donc séparé avec éclat de ses amis de la veille, et contre la candidature de M. Roche, il a dressé celle de M. Gaulier. La nuance entre les deux candidats n'est peut-être pas énorme, et il suffirait certainement d'un incident de peu d'importance pour faire asseoir un jour M. Gaulier sur les mêmes bancs que M. Roche. Mais M. Gaulier appartient à la rédaction du Rappel ; il y représente encore la politique de M. Lockroy, avant que ce dernier n'entrât au pouvoir. Sa candidature a donc quelque chose de ministériel, qui atténue les angles trop accentués de son opinion. Il a été accepté sans difficultés par le parti radical, dont il représente assez bien les tendances exclusives et l'esprit étroit.

M. Ernest Roche est vivement appuyé par M. Henri Rochefort. En adoptant la candidature de M. Gaulier, M. Clemenceau s'est attiré la haine du célèbre pamphlétaire. A partir de ce jour, le député de Montmartre est rais à l'index du parti avancé, qui lui reproche sa trahison. Jamais Gambetta, aux jours de sa puissance, n'a été plus vilipendé que ne l'est aujourd'hui M. Clémenceau par ses anciens alliés. Cette petite guerre d'influence prêterait beaucoup à rire, s'il ne s'agissait pas des affaires publiques, et si l'avenir de la France n'était pas en jeu. Malheureusement, derrière ces mesquines querelles de parti, nous voyons les grands intérêts du peuple gravement compromis. La situation électorale à Paris est arrivée à ce point qu'une candidature modérée n'est plus possible. Paris a beau être la capitale intellectuelle de la France, il a beau représenter des intérêts immenses,il est désormais forcé d'aller chercher ses députés dans les basfonds du journalisme. Aucun homme important par son nom, par son intelligence,

intelligence, l'éclat de ses services, n'ose plus affronter la lutte électorale, car il est certain d'avance d'être battu par un politicien de bas étage. Tout cela est grave, tout cela est inquiétant. L'absence d'un candidat républicain modéré aux élections du 2 mai, est un des indices les plus caractéristiques du désordre moral qui règne actuellement dans les esprits.

Maintenant, quel sera le résultat du scrutin? Au fond, cela importe peu. Le succès de M. Gaulier vaudrait assurément mieux que celui de son adversaire, mais ce n'est qu'un acheminement vers les idées les plus extrêmes. Il est probable que ce qui distinguera l'élection de ce jour, c'est l'abstention de plus en plus prononcée des électeurs. Cela dénote un découragement, une lassitude inexprimables. Il faudrait un événement des plus graves pour faire sortir les esprits parisiens de cette espèce de torpeur qui les paralyse.

La situation politique en Orient vient de recevoir une solution inattendue. On sait que, depuis deux mois, l'Europe demandait à la Grèce de mettre bas les armes, et la menaçait en cas de résistance, de mettre ses côtes en état de blocus. La France seule, se souvenant de ses vieilles relations d'amitié avec la Grèce, avait refusé de s'associer aux mesures coercitives des grandes puissances, qui avaient choisi le lundi de Pâques pour envoyer un ultimatum au cabinet d'Athènes.

Quelques jours avant la remise de l'ultimatum, le cabinet français a fait faire près du gouvernement grec une démarche amicale. Cette démarche a été couronnée d'un plein succès. Le cabinet d'Athènes a accordé à l'intervention pacifique de la France ce qu'il avait refusé aux menaces de l'Europe. La Grèce a promis de désarmer; il était donc permis de considérer la question comme définitivement résolue. Une pareille solution n'a pas été à du goût des autres puissances. Elles se sout montrées froissées de la prépondérance de notre influence en Grèce, et dans un accès de jalousie injustifiable, elles ont envoyé au jour convenu l'ultimatum devenu inutile. Cette mesure, qui avait l'intention d'être blessante pour le peuple grec, n'a rien changé aux dispositions du cabinet d'Athènes, qui a maintenu les déclarations pacifiques déjà faites à notre ambassadeur.

On peut donc regarder cette question d'Orient close encore une fois, sans que la guerre ait éclaté. Malgré le mauvais


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

vouloir de l'Angleterre et de l'Allemagne, qui ont entraîné à leur suite l'Autriche et l'Italie, il est constaté que la diplomatie française a obtenu en un jour un succès que les autres nations de l'Europe poursuivaient en vain depuis trois mois. Cet événement devait naturellement déplaire à ceux qui aiment à proclamer la déchéance de notre pays, mais c'est avec un vif sentiment de satisfaction qu'il a été accueilli par l'opinion publique. Cela prouve que, malgré les désastres de 1870, la France compte encore en dehors. Elle n'a qu'à persévérer dans cette attitude prudente et pacifique, qu'à se montrer en toute circonstance le défenseur de la justice et du bon droit, elle aura bientôt repris en Europe la prépondérance qu'elle a possédée à d'autres époques. Les gouvernements étrangers en éprouveront peut-être quelque ennui, mais les peuples nous en sauront gré, et cela vaudra mieux, car les gouvernements passent, mais les peuples restent.

Pendant que la politique pacifique de l'Europe triomphe en Orient, il se fait dans les régions officielles de l'Allemagne un travail contraire. Il vient en effet de paraître à Berlin une brochure, qu'on croit inspirée par le gouvernement

prussien, et qui annonce comme proable une prochaine prise d'armes entre la France et l'empire allemand. Cette brochure a pour titre : Avant la Bataille. Si les brochures et les articles de journaux décidaient de la paix et de la guerre, on devrait se croire à la veille de la bataille. Mais l'observateur de sang-froid qui se défie des longues tirades plus ou moins sonores et étudie l'opinion publique sur le vif, dans la vie même du peuple, ne partage pas ces craintes. Pour lui une chose est certaine : si l'excitation des esprits n'est pas plus forte en France qu'elle ne l'est en Allemagne, la génération actuelle verra plus d'une guerre encore avant de voir une nouvelle guerre franco-allemande.

Il n'existe pas d'excitation en Allemagne contre la France et les Français.

Une preuve, c'est qu'à la première de Jean de Lorraine, à l'Opéra de Berlin, le 17 avril, Victorin Joncières, le compositeur' français, parisien, a été rappelé après chaque acte par le public, qui lui a prodigué ses applaudissements.

Une autre preuve, ce sont les démarches faites par l'Académie des BeauxArts de Berlin — sans succès, il est vrai, —pour obtenir le concours des artistes français à l'Exposition internationale des Beaux-Arts, qui sera ouverte le 15 mai.

Ce sont là, si l'on veut, deux faits isolés. Mais pour qui sait voir et entendre, c'est beaucoup. Comme baromètre de l'opinion publique, l'attitude du public d'une première vis-à-vis d'un compositeur étranger, en dit plus long que dix colonnes imprimées.

L'opinion publique en Allemagne est donc loin d'être favorable à une nouvelle guerre. Elle n'est nullement désireuse d'affronter de nouveau les hasards des batailles. Elle sait que la France est aujourd'hui armée d'une façon formidable, et qu'elle ne reculerait pas devant une lutte où son honneur serait en jeu. La situation politique et économique de l'Allemagne ne lui permet pas de longtemps encore de renoncer à la politique pacifique,

pacifique, le grand-chancelier semble s'être imposée depuis 1870.

JULES BRISSON.

P.-S. — On annonce au dernier moment que tout est remis en question à Athènes, et qu'en présence de l'ultimatum des puissances, les idées de guerre ont repris le dessus. Malgré ces velléités de résistance, nous croyons que la Grèce finira par désarmer. J. B.

NOTE DE LA SEMAINE

ous n'êtes pas sans savoir, car on ne parle guère d'autre chose à Paris pour le moment, qu'un des

rédacteurs du Monde, M. Edouard

Drumont, vient de publier sous ce titre : la France juive, un pamphlet en deux volumes contre les israélites.

On assure que l'auteur y travaillait depuis dix années. Oui, depuis dix ans, il colligeait avec une extraordinaire ténacité de passion tous les faits, petits ou grands, vrais ou faux, probables ou absurdes, qu'il rencontrait soit dans les journaux, soit dans les conversations, soit dans les hasards de la vie; tous lui étaient bons, pourvu qu'ils incriminassent un juif authentique, ou un homme ayant quelques gouttes de sang juif dans les veines, ou même simplement le premier venu, qui aurait fait une affaire avec un juif, dîné avec un juif, dit du bien d'un juif; qui aurait entendu ce mot de juif sans témoigner aussitôt de toute sou horreur.

Je n'ai pas lu tout entiers ces deux volumes; la lecture n'en est pas soutenable. C'est le ramassis le plus étrange de toutes les histoires, de tous les racontars de journaux, de tous les commérages de portières, de tous les potins, de tous les ragots d'antichambre, qui depuis trente ou quarante ans ont couru dans Paris sur tous les israélites, sans distinction, depuis les plus grands financiers, jusqu'aux plus infimes marchands de lorgnettes.

Et tout cela jeté pêle-mêle, sans esprit de discernement ni de critique. Les billevesées les plus invraisemblables et les plus ridicules, les calomnies les plus grossières succédent à des accusations dont nous savons tous la justesse, les unes faisant tort aux autres, mais toutes mises sur le même rang et tenues pour aussi certaines, par une sorte d'halluciné, qui ne voit plus le inonde extérieur qu'au travers de sa passion.

Qu'il fût toujours de bonne foi, cela n'était pas douteux. Le livre respire la sincérité. Mais les gens qui ont le délire des persécutions croient, eux aussi, aux histoires qu'ils racontent ; ils en sont profondément convaincus, et il ne servirait de rien de leur en démontrer l'inanité ou la folie.

Il y eut dans Paris comme un moment de stupeur à l'apparition de ce pamphlet. Nous avions bien ouï parler des scènes farouches qui avaient jadis animé juifs et chrétiens les uns contre les autres; nous avions même tout récemment lu dans les journaux que là-bas, tout là-bas, au fond de la Russie et de l'Allemagne, des populations entières, animées de passions furieuses, avaient couru sus aux juifs, les avaient pillés, égorgés, brûlés. Mais nous nous croyions, nous, en France, à l'abri de ces explosions de haine antisémitique. C'était pour nous comme une

révélation d'apprendre que dans certaines âmes flambait encore, aussi vivace qu'aux temps passés, cette haine légendaire du chrétien contre le juif, et réciproquement.

L'important était de savoir si M, Edouard Drumont n'exprimait que des sentiments qui lui étaient personnels, ou s'il parlait au nom d'un parti, d'un groupe. M. Drumont était un des rédacteurs attitrés du Monde, et personne n'ignore que le Monde est l'organe officieux de l'archevêché de Paris. On ignorait si ce livre avait été lancé comme un ballon d'essai.

Et savez-vous que les conclusions n'en étaient pas rassurantes? M. Drumont ne parlait de rien moins que de confisquer les biens des juifs, de les partager et de jeter les anciens propriétaires à la porte. Il croyait sans doute leur faire encore beaucoup de grâce, en les envoyant à la frontière plutôt qu'au bûcher. N'étaient-ce -là que des fantaisies d'un illuminé solitaire, ou bien étaient-ce les espérances et les projets d'un parti tout entier ?

La réponse, heureusement, ne tarda point à se produire. L'archevêché désavoua très nettement l'auteur du pamphlet, et le journal même, en termes courtois, mais précis, se sépara de son collaborateur.

M. Drumont n'avait parlé qu'en son nom; il n'avait qu'une haine personnelle.

Et cependant, ce livre ne m'en inspirait pas moins une certaine inquiétude. Il trahissait certaines préoccupations que je vois depuis tantôt vingt-cinq ou trente ans sourdre confusément dans les esprits. Au temps de ma jeunesse, les idées de tolérance s'étaientsi fortement établies dans les âmes, que dans les lycées, c'est à peine si nous savions que tel de nos camarades appartenait à la religion israélite. Personne ne prenait garde à cette différence de religions. Nous vivions tous sur un pied de bonne amitié. Je ne sais comment les choses se passaient en province, je ne parle que de ce que j'ai vu à Paris. Sur ce point, mes souvenirs sont très exacts. C'était parmi les jeunes gens, qui reflétaient les opinions de leurs pères, une indifférence profonde pour cette question. Le mot même d'antisémitisme n'existait pas; il n'était point, eu tout cas, d'usage courant.

Voilà quinze ou vingt ans, au contraire, que je vois, non sans surprise, non sans chagrin, percer chez beaucoup d'hommes moins âgés que moi je ne sais quelle aversion, mêlée dé dépit, contre le nom juif. Il y a dans les âmes des générations qui nous ont suivis je ne sais quelle méfiance de la richesse que les juifs ont accumulée, de l'importance qu'ils ont prise dans le monde, du bruit qu'ils y font. J'ai été bien souvent frappé de retrouver sur les livres de Parisiens, et de Parisiens sceptiques, l'expression plus ou moins nette et vive de ces sentiments.

Le livre de M. Drumont n'est donc pas à vrai dire une manifestation isolée. Il rassemble en quelque sorte une haine éparse et flottante dans la population ; il lui donne un corps et une voix. A ce point de vue, ce livre est un symptôme grave, et il serait bien imprudent de ne pas en tenir grand compte.

Evidemment les idées de tolérance perdent du terrain en France ; et peut-être en perdent-elles aussi dans toute l'Europe. Serions-nous destinés à revoir dans peu de temps les guerres de religion, les plus abominables de toutes les guerres ?

Comprenez bien ma pensée. Je n'accuse point M. Drumont d'en sonner le tocsin. Je n'accorde pas tant d'importance à un pam-


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phlet où le faux se mêle si souvent au vrai. Et puis, un pamphlet en deux volumes ne pénètre jamais bien avant dans la foule, et n'y peut faire de grands ravages. Non, c'est comme symptôme de l'opinion publique que cela m'inquiète. Il a fait se dresser dans tous les esprits clairvoyants un noir point d'interrogation. :

L'apparition de ces deux volumes a été suivie d'incidents, qui relèvent de cette chronique : car ils ont posé un de ces cas de conscience que nous nous plaisons à débattre ensemble dans ces Notes de la semaine.

M". Drumont avait lancé contre des gens très connus des accusations, qui portaient atteinte à leur considération dans le monde. Quelques-uns ont pris la mouche, et ont envoyé demander réparation à l'auteur.

Notre confrère s'est tout aussitôt mis à leur disposition. Il a été légèrement égratigné dans un premier duel, et sérieusement blessé dans le second.

Là dessus la presse s'est divisée en deux camps.

Les journaux religieux, et en particulier le Monde dont M. Drumont était le collaborateur, ont vertement blâmé la conduite de l'écrivain. Le duel est défendu par les lois de l'Eglise; il est considéré par tous les docteurs comme un des péchés les plus gros qui puissent être commis. M. Drumont est un journaliste catholique. Il devait donc, à leur sens, refuser tout cartel et répondre tout uniment à ceux qui se plaignaient : Vous vous prétendez calomniés; il y a des juges à Berlin. Envoyez-moi du papier timbré; ma religion me défend de me battre autrement que par ministère d'huissier.

Tous les autres journaux ont regardé comme très crâne l'attitude de M. Edouard Drumont, et ont estimé qu'il s'était conduit en cette affaire en galant homme. On peut même affirmer que ses deux duels lui ont ramené la sympathie du grand public. On avait commencé par lui en vouloir de son inconcevable légèreté à jeter au nez d'honnêtes gens de vilaines calomnies ; on avait vu avec déplaisir certains noms, celui d'Emile Augier par exemple, qui est si respecté de nous tous, éclaboussé de la boue qu'il lançait à tort et à travers. Si, à la suite de cette campagne, il se fût dérobé; s'il se fût couvert de scrupules religieux pour ne pas rendre raison des offenses gratuitement faites par lui, on l'eût tenu pour le dernier des pleutres. C'était un homme perdu, un homme à l'eau.

Du moment qu'il en revendiquait la responsabilité, qu'il offrait galamment et vaillamment à ses adversaires les réparations exigées, il y a eu comme un retour d'approbation en sa faveur. Derrière l'écrivain, il y avait un homme, et un homme à qui l'on eût été bien aise de serrer la main.

Ces deux courants d'opinion se sont accusés, toute cette semaine, dans la presse, avec une vivacité rare.

Et ce qu'il y a de plus étrange, c'est que des deux côtés on a raison. Le duel est un péché, cela est certain, et nous pouvons ajouter même qu'en regard de la simple morale, le duel est une bêtise.

Oui, mais le duel, étant donnés nos préjugés et nos moeurs, est une nécessité. Il est aussi difficile de l'absoudre que de ne pas l'approuver.

C'est une antinomie de plus dans ce pauvre monde où les contradictions ont abondé de tout temps; et les antinomies ont cela de particulier, qu'il est impossible de les résoudre à l'aide du seul bon sens.

FRANCISQUE SARCEY.

PORTRAITS CONTEMPORAINS

LE DUC D'AUDIFFRET-PASQUlER

M. le duc d'Audiffret-Pasquier est, dans l'acception la plus littérale du mot, une figure du jour. Mais c'est aussi une figure d'hier et une figure de demain. Surtout, au physique et au moral, c'est une figure!

Qui ne connaît cette physionomie énergique et fine, qu'on pourrait prendre, sans les favoris, pour une tête de moine ombrien? Dès qu'on l'a rencontré une fois, on ne l'oublie plus. Chaplin en a fait un excellent portrait à l'exposition de 1877, et, au salon précédent, M. Aclocque, député et peintre, nous l'avait montré, entouré de collègues non moins notoires, dans la salle des conférences de l'Assemblée nationale. Il a figuré souvent aux vitrines des photographes et dans la galerie des journaux illustrés. L'oeil est vif, l'orbite profondément marquée, la taille petite, le geste expressif et net, la main de race. Sans l'avoir jamais vu, vous le reconnaîtrez du premier coup.

Au moral, le portrait serait plus long, si nous voulions le peindre tout d'abord de pied en cap. Mais nous le compléterons peu à peu. Qu'il nous suffise d'en esquisser maintenant les traits essentiels et caractéristiques. Nature franche, cordiale, un peu brusque, M. le duc d'Audiffret-Pasquier a, comme on dit vulgairement, le coeur sur la main, et la main largement ouverte. Quand il le veut, c'est un charmeur. Il" est vrai que ses coups de boutoir sont rudes, mais ils ne durent pas. Il a des colères plutôt que des haines. Il n'est point de ceux qui couvent et mâchent longuement leur rancune ; lui, il faut qu'il décharge la sienne.

Grand liseur, marcheur infatigable, très laborieux, très actif de corps et d'esprit, le duc n'est pas un homme d'un autre âge égaré dans notre siècle. Ne croyez pas qu'il émigré jamais, même à l'intérieur. Il n'a point le patriotisme platonique et contemplatif de quelques grands seigneurs, et n'est pas homme à lever les bras au ciel pendant la bataille, comme Moïse sur la montagne. Il croit aux classes dirigeantes, étant à la fois très aristocrate et très libéral, parlementaire jusqu'à la moelle des os, comme un Anglais, bien que personne ne soit moins Anglais que lui par l'allure et le tempérament.

Le supplément de Vapereau fait naître M. d'Audiffret-Pasquier vers 1815; le supplément de Larousse, en 1811, ce qui lui donnerait aujourd'hui soixante-neuf ans; mais il ne les prend pas. Il est né en 1823 : la différence est assez notable, comme vous le voyez. Son père était le comte d'Audiffret, receveur général; sa mère, femme de la plus haute distinction, était fille de M. Auguste Pasquier, directeur général de l'administration des tabacs, et nièce du chancelier. C'est Mme d'Audiffret qui faisait les honneurs des soirées du Luxembourg, pendant la vieillesse impotente de Mme Pasquier, qui mourut en 1844, à l'âge de quatre-vingts ans.

Quelques mois après, le chancelier adoptait son petit-neveu, qui avait pour ainsi dire grandi à côté de lui et qu'il avait depuis longtemps appris à connaître. Cette adoption coïncida avec le mariage du jeune homme qui, à peine

âgé de vingt et un ans, épousa Mlle Fontenillat, belle-soeur de M. Casimir Perier. Vous pouvez lire les circonstances de cette adoption et de ce mariage dans le livre de M. Louis Favre sur Etienne-Denis Pasquier, chancelier de France.

Les premières années du jeune ménage furent attristées par de cruels deuils de famille. M. d'Audiffret-Pasquier perdit - successivement quatre enfants. Il lui en reste trois : un fils, attaché d'ambassade; deux filles, dont l'une a épousé M. d'Imécourt, et l'autre, M. de Néverlée.

Pour l'occuper, le chancelier l'avait fait entrer au Conseil d'Etat. Il donna sa démission après la révolution de Février. Sous l'empire, il imita Bernis, à qui le cardinal Fleury déclarait qu'il n'avait rien à espérer de son vivant, et qui répondit : « J'attendrai. » Il attendit, mais en faisant de son mieux pour remplir et occuper ces longues années d'expectative. Son domaine de Sassy lui donnait une imposition considérable dans le département de l'Orne. En 1853, les électeurs l'envoyèrent siéger au conseil général, qu'il ne quitta plus et où il fit l'apprentissage de la vie politique et de la parole publique, de même qu'il se dressait à la connaissance et à la langue des affaires dans les conseils d'administration des grandes compagnies industrielles. Sur ce petit théâtre, il se préparait avec ardeur au rôle qu'il devait jouer un jour et rendait la vie très dure à M. le préfet. Il étàit l'âme et la voix de l'opposition; elle se composait d'abord de trois membres, mais les trois étaient devenus trente à la fin de l'empire, comme les cinq du Corps législatif étaient devenus les cent vingt. Et dans les élections générales, il commençait à serrer de très près le candidat officiel, quand l'empire disparut dans l'effondrement de la France.

Le 8 février 1871, M. le duc d'AudiffretPasquier fut nommé représentant de l'Orne par plus de 60,000 voix, en tête de la liste. Le voilà maintenant en pleine lumière, et il s'y dessine au premier planQui ne se rappelle son discours du 22 mai 1872, en réponse à M. Rouher? Ce fut un coup d'éclat, quelque chose comme le Cid de la tribune républicaine. La veille, M. le duc d'Audiffret-Pasquier était encore inconnu du public; le lendemain, lorsque les journaux eurent portée, tous les coins de la France cette foudroyante harangue, il se réveilla célèbre. Avec la vaillance de son tempérament oratoire, il avait pris la renommée d'assaut, et il était monté à la tribune comme Mac-Mahon à la tour Malakoff.

Nous avons encore dans l'oreille les frémissements et les vibrations de cette voix indignée, et il nous semble entendre retentir en ce moment les grands coups sous lesquels il écrasa l'avocat imprudent de l'empire. Tout ce que le citoyen condamné pendant vingt ans à l'inaction et au silence, tout ce que le patriote ulcéré par un legs d'effroyables désastres, avait amassé de haines ardentes et de généreuses colères, fit explosion dans cette magnifique et véhémente invective, où il prêta sa voix à l'âme du pays. Je l'entends encore, parlant de la retraite du brave général Vinoy : « Toute sa préoccupation, il vous l'a dit, messieurs, était de ne pas rencontrer l'ennemi. Entendez-vous? un général français qui brûle de ne pas rencontrer l'ennemi ! C'est qu'il n'avait pas de cartouches ! » Je le vois toujours, secouant l'Assemblée comme sous une dé-


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

charge électrique en jetant le cri d'Auguste à l'AugustuIe de Sedan : Vare, legiones redde.

Nous n'avons pas à suivre le reste de sa carrière. On la connaît. Après avoir été président de la Chambre et président du Sénat, M. d'Audiffret-Pasquier n'est plus aujourd'hui qu'un simple sénateur inamovible.

Fils et petit-fils, neveu et petit-neveu de financiers, élevé dans les grandes affaires, M. d'Audiffret-Pasquier a toujours montré, comme orateur, à la tribune ou dans les commissions, l'alliance d'une précision rigoureuse à une fougue irrésistible. Un de ses oncles, receveur général et homme d'affaires de premier ordre, était renommé pour sa vivacité pétulante et irascible. C'est justement dans des questions techniques, en parlant au nom de la commission des marchés, qu'il s'est montré le plus éloquent. Il sait manier le chiffre à la flamme. Doué d'une grande faculté d'assimilation, il s'appropria rapidement les notions les plus techniques. Elles s'animent en passant par sa bouche ; il les revêt d'une forme nerveuse et leur souffle sa passion. Il a donné, dans l'éloquence de la tribune, une note bien personnelle, qui n'est qu'à lui, et qui ne permettrait pas de l'oublier, malgré le silence qu'il garde depuis trop longtemps, dans un nouveau Livre des orateurs.

Le fils adoptif du chancelier Pasquier est un homme de moeurs simples, haïssant l'apparat, n'ayant aucun goût pour le faste et la représentation, n'aimant que la vie intime et la vie de famille. Il traite en grand seigneur, mais personnellement il se contenterait du. dîner le plus bourgeois. Il a beaucoup aimé la chasse, qu'il pratique encore un peu, mais uniquement pour l'exercice qu'elle procure et non pour le plaisir de déployer ses meutes et ses équipages. Ce n'est point un sportsman. A-t-il une écurie et des voitures? En tout cas, son plaisir est de s'en passer. Chaque jour, son parapluie sous le bras, il part pour le Luxembourg en prenant le plus long comme La Fontaine lorsqu'il allait à l'Académie. Vous avez dû le rencontrer bien souvent bouquinant le long des quais. Tous les etalagistes le connaissent.Il lui est arrivé plus d'une fois d'oublier l'heure de la séance et de ne s'arrêter qu'après le pont Saint-Michel.

Causeur brillant et plein de traits, il porte dans la conversation le geste et l'accent de la tribune. Combien n'a-t-il pas improvisé, dans un salon, à table, au coin du feu, sous le choc d'une discussion ou dans l'entraînement d'une causerie familière, de ces monologues éclatants qu'on voudrait recueillir par la sténographie ! Il est de ceux dont on dit : « Ce n'est pas eux qui prennent la parole, c'est la parole ? qui les prend. " Jamais, toutefois, aucune emphase, ni aucun apprêt. Sa conversation est mêlée d'images vives et pittoresques, et une pointe de gauloiserie s'y glisse aisément. Au temps des voyages à Versailles, on le recherchait dans les wagons d'humeur gaie, et l'une de ses parties fines est d'aller se dérider aux bouffonneries de Labiche dans une baignoire du Palais-Royal.

M. le duc d'Audiffret-Pasquier a vendu, il y a quelques années, son grand hôtel des Champs-Elysées à un membre de la gauche, M. Récipon, et il habite aujourd'hui un charmant petit hôtel de l'avenue Marceau, qu'il a acheté à un marchand

de musique, M. Grus. Les fenêtres aux vitres étroites imitent celles du temps passé. L'escalier avec sa rampe de bois est d'une physionomie tout à fait originale. En entrant dans le cabinet du duc, on se sent dans la maîtresse pièce de la maison. Le buste du chancelier en grand costume, par Crauck, domine le manteau de la cheminée. Une vaste bibliothèque recouvre tout le mur du fond. Le bureau, flanqué de candélabres, orné d'un encrier monumental, est tout recouvert délivres, de journaux et de brochures.

Ce n'est point un collectionneur, pas même ce qu'on appelle ordinairement un bibliophile, ayant le culte des belles reliures, des grandes marges, des papiers de luxe, des éditions rares. Mais il a au plus haut point l'amour du livre. Il est friand surtout de mémoires et d'ouvrages historiques. D'ailleurs, la plupart des nouveautés lui passent par les mains. Il a réuni dans son château de Sassy une bibliothèque de trente mille volumes.

C'est là qu'il va s'enfouir dès que le Sénat lui laisse seulement quarante-huit heures de répit. Sassy est son séjour de prédilection : il y passerait volontiers son existence entière. Le château a grande mine, avec sa masse imposante de pierres et de briques perchées sur trois terrasses. Le duc y mène la vie de gentleman farmer, au milieu de ses vacheries, de ses laiteries, de ses porcheries, de ses bergeries, de ses basses-cours, de ses haras. Il y partage ses jours entre de longues promenades, en veston de velours et le bâton à la main, à travers ses forêts, et de longues lectures dans sa bibliothèque.

VICTOR FOURNEL.

La semaine a été signalée par la publication d'un livre qui fait en ce moment un grand tapage, la France juive de M. Drumont. Ce livre qui dit brutalement de grosses vérités, a déjà valu deux duels à l'auteur. Le premier avec M. Charles Laurent, directeur du Paris, n'a pas eu de suites graves. Le second, avec M. Arthur Meyer, directeur du Gaulois, a été signalé par toutes sortes de péripéties.

Les témoins de M. Drumont étaient MM. Duruy et Alphonse Daudet; ceux de M. Meyer étaient M. BOyer de Caduset et Paul Ferrier.

Voici le procès-verbal qui a été signé par les témoins :

« A la suite de la publication, par M. Drumont, d'un livre où se trouvaient des personnalités dirigées contre M. Arthur Meyer, une rencontre ayant été jugée indispensable par les témoins des deux parties, cette rencontre a eu lieu aujourd'hui, à trois heures, dans les bois près de Versailles.

» Au premier engagement, M. Drumont ayant attaqué son adversaire avec une grande vivacité, il en est résulté un corps à corps dans lequel les témoins, malgré la convention qui avait été faite entre eux de ne pas intervenir, se sont vus dans la nécessité de le faire, à la suite d'un mouvement involontaire dans lequel la main gauche de M. Meyer avait touché l'épée de M. Drumont.

» Les témoins ont alors, sur le regret exprimé par M. Meyer et sur l'instance de M. Drumont; remis les adversaires en place.

» Le combat a repris avec la même vivacité et il s'en est suivi, comme à la première reprise, un nouveau corps à corps qui a duré une demi-minute et où les témoins ont encore été obligés d'intervenir, la main gauche de M. Meyer s'étant de nouveau abattue sur l'épée de M. Drumont presque en même temps que celui-ci recevait une blessure profonde à la cuisse gauche.

» Le combat s'étant alors arrêté, M. Meyer s'est approché des témoins de M. Drumont et leur a exprimé tous ses regrets et fait ses excuses pour les mouvements inconscients dont ses nerfs n'avaient pas été maîtres. »

Nous avouons que les mouvements inconscients des nerfs de M. Meyer arrêtant d'une main l'épée de M. Drumont, et lui plongeant de l'autre son épée dans la cuisse, nous paraissent terriblement compromettants. Lorsqu'on a des nerfs aussi inconscients que cela on ne se bat pas en duel; nous sommes surpris que les témoins se montrent aussi indulgents pour de pareils procédés.

La blessure de M. Drumont est très douloureuse et inspire des inquiétudes.

Les clients de M. Pasteur deviennent chaque jour plus nombreux. Il y en a maintenant de toute nationalité, et, à certaines heures, le laboratoire de la rue d'Ulm semble être une succursale de la tour de Babel.

Jusqu'à ce jour, les résultats obtenus démontrent victorieusement l'efficacité du traitement du grand savant. Le remède antirabique est maintenant absolument trouvé. C'est un fait indéniable. Aussi croyons-nous absolument inutile de dissimuler les cas d'insuccès qui proviennent certainement du retard apporté au traitement curatif.

Hier, une veuve, Jovanovoa Schtcherbakoff, âgée de cinquante ans, qui était venue à Paris pour se faire soigner de la morsure d'un chien enragé, est morte à la Salpêtrière. Cette malheureuse femme avait été amenée, il y a deux jours, du laboratoire de la rue d'Ulm dans le service de chirurgie du docteur Terrillon. Il y a quinze jours seulement qu'elle avait pu être soumise au traitement de M. Pasteur, et les morsures remontaient à plus de six semaines. Elle est morte asphyxiée à la suite des spasmes nerveux occasionnés par la constrictiqn de la gorge.

Dans le projet de l'Exposition universelle voté par la Chambre, M. Lockroy vient de décider la construction d'une tour colossale de 300 mètres, qui sera certainement la grandes curiosité et la principale.attraction de cette Exposition de 1889.

Cette tour gigantesque, tout? entière construite en fer, partira du sol par quatre piliers qui iront en se rapprochant suivant une courbe calculée de manière à fournir le maximum de résistance au vent. Les quatre arêtes de cette pyramide iront ainsi en se rapprochant jusqu'au sommet où seront installés un phare et une coupole vitrée avec balcon pour les visiteurs.

Car il y aura des visiteurs ; un ascenseur les transportera jusqu'à cette plate-forme supérieure d'où l'on découvrira tout simplement un panorama de 130 kilomètres d'étendue. Quant au phare, on pourra, par une belle nuit, l'apercevoir de Dijon ou du Mans!

En outre, sur une plate-forme placée à 70 mètres de hauteur, c'est-à-dire 10 mètres au-dessus des tours de Notre-Dame, on doit installer un restaurant. Enfoncés les repas légendaires dans l'arbre de Robinson !

Mais cette tour métallique ne servira pas


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seulement aux curieux : elle rendra surtout à la science de réels services.

On pourra entreprendre au sommet des observations de météorologie et d'astronomie dans des conditions absolument nouvelles, et exécuter des expériences de physique, notamment sur le mouvement de rotation de la terre, en renouvelant, sur des dimensions gigantesques, celles qui avait été tentées jadis au Panthéon.

Le poids de cette tour ne dépasserait pas 6 milliors de kilogrammes. La dépense de construction est évaluée à 3 millions.

M. Eiffel, le savant ingénieur des Arts et Manufactures qui a inventé cette oeuvre colossale, a demandé, pour couvrir la dépense, le droit de percevoir le prix des entrées dans la tour pendant les dix premières années, car cet édifice doit rester, bien entendu, après la célébration du centenaire de 89.

Cette pyramide gigantesque, deux fois plus élevée que celles d'Egypte, décorera l'entrée principale de la grande façade du Champ de Mars.

M. Granet, ministre des postes et télégraphes, vient d'engager des pourparlers avec les compagnies de chemins de fer, dans le but d'élever de 3 à 5 kilogr. le poids maximum des colis postaux.

Quant au prix de transport du colis postal, il serait légèrement augmenté sans dépasser, en aucun cas, un franc.

Le comité des Arènes de Lutèce s'est réuni récemment à l'Hôtel de Ville pour entendre le rapport de M. Maurice Du Seigneur sur de nouvelles et intéressantes découvertes faites ces jours derniers.

Une tranchée ouverte à travers le sol de l'Arène avait amené, le 27 mars, la découverte d'une sépulture dans laquelle gisait, les pieds appuyés sur une pierre informe, un squelette. Le corps, à l'étroit dans la fosse, orienté les pieds à l'est, avait la tête un peu inclinée à droite. Aucune trace de vêtements, d'armes, de cercueil ne fut relevée.

Les fouilles continuant, le 2 avril, à 1 m. 70 au-dessous du sol vierge de l'Arène et à 7 mètres environ au-dessous du sol de l'ancien couvent, dans l'épaisseur de la couche d'argile à four qui constitue le terrain supérieur du mont Lucotitius, on rencontra une autre sépulture. Le squelette, couché sur le dos, avait un bras plié, le coude en avant, l'avant-bras sous la tête. Le lendemain, à côté de lui, dans la même fosse, on découvrit un second squelette, dans une posture plus calme. Le bras gauche du squelette précédent reposait sur le thorax du second, qui avait été évidemment inhumé le premier.

Deux jours après, on trouva une autre sépulture double. Sur l'un des squelettes, la bouche est grande ouverte comme pour faire entendre un suprême appel. Dans cette fosse, comme dans les autres, nulle trace de vases, de vêtements, d'ornements, pas une monnaie, rien qui puisse servir à fixer la date de ces inhumations.

En 1870, on découvrit sous la portion de l'Arène occupée aujourd'hui par la Compagnie des omnibus des sépultures analogues. Il y avait donc sur ce point de la colline quelque chose comme un cimetière, dont nous nous abstiendrons jusqu'à plus ample information de préciser l'âge et l'origine.

M. de Quatrefages a visité toutes les fouilles et, après avoir vu les crânes des squelettes, il a déclaré que, si sa mémoire le servait

bien, ils ressemblaient aux crânes de Gaulois qu'il avait examinés à Alise.

Ainsi que l'ont annoncé MM. Deloche et Duruy à l'Académie des inscriptions, le comité des Arènes a visité les fouilles de la rue de Navarre pour se rendre compte des découvertes. Les cinq squelettes, tous très exactement orientés, apparaissent en relief sur la couche d'argile où ils sont couchés. Ces sépultures soulèvent plus d'un problème qu'il n'est pas facile de résoudre. L'absence complète de tout objet, la nudité absolue des cadavres inhumés, d'autre part, leur orientation, qui semble répondre à une idée religieuse, la présence de deux corps dans les mêmes fosses, l'attitude étrange de l'un des squelettes, tout cela suggère et détruit une foule de conjectures, relativement à l'âge et à l'origine de ces sépultures. Les uns pensent qu'elles sont postérieures à l'établissement de l'Arène et en donnent des raisons plausibles; les autres croient reconnaître à la forme sous-dolichocéphalique du crâne des individus de race germanique et les font descendre de l'époque mérovingienne ; d'autres les font remonter à une époque antérieure à la conquête, quelques-uns même jusqu'à l'âge de la pierre polie. Quoi qu'il en soit, la trouvaille est intéressante et mérite d'être conservée. M. Hovelacque et d'autres conseillers municipaux, qui assistaient à la visite, ont témoigné de leur intérêt pour ces recherches, pour le dégagement complet du terrain et l'aménagement du square projeté. Il faut avant tout procéder à quelques travaux urgents de consolidation des murs.

Le jury de l'Exposition n'a reçu cette année que 2,5oo tableaux environ sur 8,000 qui lui avaient été adressés. On assure que parmi les tableaux quelques-uns feront sensation.

Si on manque aujourd'hui de respect envers les vivants, il paraît qu'on n'est guère plus respecteux envers les morts, si du moins on en juge par le récit suivant d'un visiteur du tombeau de Victor Hugo, au Panthéon :

Les troupes de curieux qui arrivent, dit-il, conduites par un gardien administratif, devant le tombeau du grand homme, m'ont scandalisé par leur attitude irrespectueuse, pour ne pas employer un qualificatif plus sévère. Chacun se permet de parler haut, de tenir des propos déplacés et même de rire ; les hommes ne croient pas devoir se découvrir et s'approchent, le chapeau sur la tête, de ce cercueil qui devrait être l'objet d'une religion universelle.

Les gardiens ne rappellent jamais ces visiteurs indécents au respect de la mort et du génie ; bien plus, ils donnent l'exemple en restant eux-mêmes couverts ; eh bien, je prétends, moi, qu'on devrait forcer tous ceux qui sont admis à l'honneur d'entrer dans la crypte où repose le plus illustre et le plus vénérable des Français, à se découvrir comme dans une église, à ne parler qu'à voix basse et à ne se départir, en aucun cas, d'une gravité commandée par les plus vulgaires convenances. On ne va pas au tombeau de Victor Hugo comme on va au spectacle. Ce devrait être, pour tout Français soucieux des gloires de son pays, non un objet de curiosité, mais un but de pèlerinage.

La conférence Scientia organise'" pour le mardi 11 mai, dans la salle du Trocadéro, un grand festival au profit de l'Institut Pasteur.

Le comité de patronage et d'organisation de ce festival se compose de :

MM. Chevreul, F. de Lesseps, Léon Say, général de Nansouty, Berthelot, Renan, S. de Brazza, Janssenn, Dr A. Richet, Dr A. Verneuil, présidents d'honneur de la Société Scientia.

M. l'amiral Jurien de la Gravière, président de l'Académie des sciences et du comité de souscription pour l'Institut Pasteur.

MM. Emile Augier, A. Dumas, V. Sardou, membres de l'Académie française.

MM. Ambroise Thomas,* Ch. Gounod, Reyer, Massenet, C. Saint-Saëns, Léo Delibes, membres de l'Académie des beauxarts.

MM. Ritt et Gailhard, directeurs de l'Opéra; J. Claretie, administrateur de la ComédieFrançaise ; Carvalho, directeur de l'OpéraComique; Porel, directeur de l'Odéon.

Cette liste est une garantie de succès certain pour le festival projeté.

SERGINES.

LA FRANCE JUIVE

Il n'est bruit, cette semaine, que du pamphlet de M. Drumont, la France juive. Cet ouvrage est animé des sentiments les plus haineux contre les juifs, mais rempli de sanglantes révélations. L'actualité nous fait une loi d'en détacher un fragment que nos abonnés liront avec intérêt :

L'INVASION DES JUIFS

A partir de 1865, tout est envahi par le juif allemand; le juif allemand est le maître en tous les endroits où la vie sociale se manifeste. Le juif Offenbach, uni au juif Halévy, raille dans le général Boum les chefs de l'armée française. L'excellent père Kugelmann tient cette imprimerie incessamment traversée par les allants et venants qui causent tout haut et qui livrent toujours à des oreilles tendues, une nouvelle intéressante, un renseignement utile. Son voisin Schiller a à lui les organes plus sérieux, comme le Temps. Wittersheim a l'Officiel; Dollingen et Cerf, deux juifs, tiennent les journaux par les annonces. Les correspondants juifs, les Lewita, les Lewisohn, les Deutch, les Jacob-Erdan, arrivent à l'heure de la mise en page dans les cabinets de rédaction, s'installent dans un bon fauteuil, lisent les épreuves avant les. écrivains et recueillent tranquillement sur leurs carnets tout ce qu'on dit de vive voix et ce qu'on n'écrit pas.

Regardez vers le quartier où l'on travaille : le juif Germain Sée, en dépit des courageuses pétitions de M. Giraud au Sénat, démoralise la génération qui grandit, en enseignant le matérialisme, à la jeunesse. Tournezvous vers les endroits où l'on s'amuse, et, sous les palmiers en zinc de Mabille, vous apercevez le juif Albert Wolf, causant familièrement avec le colonel Dupin et se faisant expliquer, par l'ancien chef des guerrilleros au Mexique, sur lesquels il a publié un intéressant article, les côtés faibles de l'armée française.

Entrez aux Tuileries, c'est Adrien Marx qui occupe l'emploi de Racine et qui est historiographe de France ; c'est Jules Cohen qui dirige la musique de la chapelle, c'est Wadteufeul qui conduit l'orchestre des bals de la cour. Les Archives israélites demandent qu'on nomme professeur de mathématiques


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du prince impérial un juif de Bohême nommé Philippe Koralek.

Pénétrez dans la retraite sacrée dont nul, pas même l'empereur, ne franchit le seuil, vous y verrez une femme agenouillée devant un prêtre et lui confiant ses anxiétés de souveraine et de mère à propos de la guerre qui se prépare.

Ce prêtre est le juif allemand Jean-Marie Bauer. Jamais, depuis Cagliostro, l'interlopisme juif, qui produit cependant de si curieuses figures, n'a produit un type aussi complet, aussi digne d'intéresser l'écrivain qui, plus tard, s'efforcera de peindre notre siècle étrange.

Un beau matin, ce converti suspect arrive dans cette France dont le clergé, par la hauteur de son esprit, la profondeur de sa science, la dignité de sa vie, est l'admiration du monde entier ; il se met en tête de supplanter le vénérable abbé Deguerry, aumônier de l'impératrice depuis de longues années, d'occuper ce poste de confiance de préférence à tous les prêtres du pays et il réussit....

Parvient-il à son but à force d'hypocrisie, en affichant d'apparentes vertus ? Nullement, sa devise à lui, comme à tous les juifs, est qu'on peut tout se permettre avec les Français; il organise ces fameux lunchs ecclésiastiques où assistent les futurs conseillers de Paul Bert, ceux qui chantent sans doute avec un prélat connu pour son républicanisme :

Notre paradis est un sein chéri.

Habillé par Worth, il porte un costume de charlatan, il étale un luxe de dentelles qui fait rêver les femmes.

Le siège commence : cet acrobate à bas violets chausse les bottes à l'écuyère, il est aumônier général des ambulances, il galope aux avant-postes, et ses cavalcades l'entraînent toujours si près de l'ennemi, qu'il aurait le temps de lui jeter quelques renseignements utiles sur la ville assiégée.

Quand tout est fini, il éclate de rire au nez de ceux qu'il a dupés; il jette sa robe de monsignor dans les coulisses d'un petit théâtre; il inspire des publications pornographiques sur les cocodettes du second Empire; il parade à l'Opéra où les plus grands seigneurs admettent ce prêtre indigne dans leur loge ; l'après-midi, vous le rencontrez, à cheval, au bois de Boulogne, où il fait le salut de militaire à Galliffet qui' d'un geste de la main, lui renvoie une bénédiction épiscopale. Enfin, légèrement démonétisé, il finit par aller se marier à Bruxelles.

En choisissant un pareil intrigant pour confesseur, la pauvre femme, qui a payé si cruellement tant d'imprévoyance, obéit au sentiment général, qui éloigne de plus en plus ceux qui ont une action sur les affaires du pays de tout ce qui est Français, de tout ce qui sort du sol.

Vous connaissez le mot de d'Aurevilly. Quelqu'un disait devant lui : « Oh ! moi, si je me confessais, je ne voudrais me confesser qu'à Lacordaire. » — Monsieur a la prétention d'avoir des remords distingués ? s'écrie l'illustre écrivain catholique.

L'infortunée avait, elle aussi, des remords distingués.

Vous avez vu le colonel Dupin, regardez le colonel Stoffel. Lui aussi il reçoit la visite d'un juif qui vient en sondeur comme on dit dans l'argot des voleurs. Lisez ce que le colonel mande à Piétri et vous verrez à l'oeuvre le juif entremetteur, tâteur de terrain, moitié espion et moitié négociateur.

La confiance de tout ce monde vis-à-vis du

juif était inimaginable. Savez-vous à qui le colonel Stoffel, qui cependant connaît les juifs, s'adressait pour faire parvenir aux Tuileries ses dépêches secrètes ? au juif prussien Bleichroeder.

Dans de telles- conditions, l'écroulement n'a rien qui puisse surprendre; il fut un coup de Bourse comme la catastrophe de de l'Union générale. Tous les appuis étaient sciés d'avance,et la juiverie européenne étant d'un côté et la France de l'autre, il était facile de prévoir qui succomberait.

Tout faillit cependant manquer au dernier moment. Souverain humanitaire, être doué d'une faculté de voyant que neutralisait l'absence de volonté aggravée, cette fois, par une maladie terrible, Napoléon III résistait tant qu'il pouvait à la pression de l'Impératrice qui, aiguillonnée par le juif Bauer, s'écriait : « C'est ma guerre ! « Monarque chrétien, Guillaume sentait sa conscience troublée en pensant aux cent mille hommes qui, aujourd'hui, cultivaient la terre tranquillement, et qui, dans un mois, quand une parois aurait été prononcée, seraient couchés morts, sur les champs de bataille. Jusqu'à l'heure suprême, l'impératrice- Augusta fut près de lui, une suppliante de la paix; on dit même qu'elle se jeta une dernière fois aux pieds de son mari, quand tout semblait fini, pour le conjurer de tenter un dernier effort.

Guillaume fit ce que certes l'Empereur n'aurait pas fait, ou plutôt n'aurait pu faire à sa place, la candidature du prince de Hohenzollern au trône d'Espagne fut retirée.

Les juifs allemands désespérés tentèrent le coup de la fausse nouvelle, qui leur a toujours réussi, le coup du Tartare, comme on dit chez Rothschild. Une agence juive, l'agence Wolff, annonça que notre ambassadeur avait été grossièrement insulté par le roi de Prusse, et vous voyez d'ici l'entrain avec lequel la presse juive française renvoya le volant.

« On a manqué de respect à notre ambassadeur, on a souffleté la France, mon sang bout dans mes veines! » Ainsi s'écriaient ces républicains qui, aujourd'hui, reçoivent tous les coups de pied diplomatiques, en disant grand merci !

Quoi qu'il ne soit que le prélude des choses étonnantes que nous allons désormais recueillir à chaque instant dans cette histoire de France, qui n'est plus que l'histoire juive en France, le fait de cette guerre, déclarée sur une dépêche de Bourse, mérite d'attirer l'attention. Il dit bien l'état psychologique de ce pays, qui n'a plus pour base des institutions traditionnelles, qui est en l'air, soumis à toutes les influences atmosphériques, tantôt montant en haut comme un ballon que le vent soulève, tantôt tombant à plat comme une baudruche dégonflée...

LE BARON HIRSCH

Ce n'est pas un des spectacles les moins intéressants de notre époque que celui de M. Hirsch, ce baron de contrebande.

Après nos officiers, ce que le baron Hirsch déteste le plus, ce sont nos ouvriers. Il prend nos capitaux, mais il proteste avec indignation, dans la Gazette de Cologne, contre le soupçon même d'avoir fourni du travail à un seul Français.

Ces sentiments si français ont naturellement concilié au baron et à la baronne de Hirsch la sympathie de notre aristocratie. C'est le prince de Sagan qui fait les honneurs

honneurs cette demeure dans laquelle le général d'Alzac et le comte de Chabot jouent: le rôle de chambellans. Le comte de FitzJames, avant son mariage, était employé dans la maison à cinq mille francs, par mois. Le comte d'Andigné brigue l'avantage de conduire le cotillon dans les fêtes, tandis que le marquis de Massa se charge des intermèdes, et fait représenter là des petites pièces comme la Cicatrice.

Hirsch occupe à Paris une situation relativement supérieure à celle des Rothschild. Il est le baron comme les autres sont les barons. Au rebours des Rothschild, qui. tiennent à personnifier une collectivité, le baron tient à être seul et laisse toute sa famille dans un demi-jour dédaigneux. Il n'a point la morgue et la hauteur des Rothschild, que; l'on ose à peine aborder maintenant dans un salon; parvenu réjoui, il est infiniment plus ouvert, plus rond que les princes d'Israël, et, somme toute, moins ridicule qu'eux. Il, est insolent sans doute, mais son insolence est goguenarde et familière. Haut en couleur, les narines ouvertes, heureux de vivre quand il ne se roule pas dans d'atroces douleurs hépathiques, il est volontiers bonhomme avec une pointe de raillerie; il dit, par exemple, à de grands seigneurs qui viennent quêter chez lui pour des blessés carlistes: « Je veux bien vous donner quelques billets de mille francs, mais êtes-vous bien sûrs que cet argent ira aux carlistes ? »

Cette différence d'allures avec les Rothschild s'explique facilement. Les Rothschildont hérité d'une situation sociale déjà Créée par leurs parents, qui ont essuyé les premières rebuffades; ils croient, jusqu'à un certain point, appartenir à l'aristocratie. Hirsch, au contraire, croit que l'aristocratie lui appartient.

Cette place dans le monde élégant, qui lui faisait tant envie, Hirsch, en effet, l'a conquise petit à petit, par lui-même ; il sait le tarif de chaque scrupule et le prix marchand dechaque conscience. Avec Bismarck et Gambetta, c'est un des trois grands mépriseurs. d'hommes de l'époque, mais le mépris chez lui n'est tempéré par rien. Si Bismarck a pu apprécier toute la lâcheté humaine dans les diplomates et les politiques à genoux devant sa fortune, il ne peut méconnaître les; beaux côtés de l'humanité quand il songe à tant d'obscurs héros qui se sont sacrifiés pour la gloire de l'Allemagne. S'il avait dans son entourage les plus effrayants échantillons de la servilité, Gambetta pouvait se rappeler, qu'au commencement de sa carrière, beaucoup d'êtres désintéressés et naïfs l'avaient soutenu en croyant aider au triomphe d'un principe. Hirsch n'a jamais vu dans sa vie un être humain qui se soit adressé à lui autrement que pour lui demander de l'argent. Il a grandi à mesure que la France s'abaissait. Il y a quelques années, à peine, les déclassés du monde eux-mêmes refusaient ses invitations; aujourd'hui les plus qualifiés sont heureux de monter le fameux escalier. Cet escalier, disons-le en passant, ne justifie guère la bruyante admiration dont il est l'objet. L'architecte l'a signé comme Raphaël aurait signé un de ses tableaux : Emile Peyre, fec. Véritablement, il n'y a pas de quoi être si content de soi. On ne peut imaginer rien de plus incohérent et de plus disproportionné que cet escalier; il est assez large à sa base pour qu'un régiment puisse y défiler, il est si étroit au sommet qu'on croirait qu'il ressemble au reste de la maison et que c'est un escalier dérobé.

C'est du haut de cet escalier que le baron dit un jour à son fils, eu regardant monter


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les ducs, les princes et les marquis : « Vous voyez tous ces gens-là, dans vingt ans, ils seront tous nos gendres ou nos concierges. » L'été, les visiteurs se pressent à Beauregard. Qui ne voudrait pénétrer dans la salle à manger?

C'est, dit l'Evénement, qui se connaît en raffinements mondains presque autant que le Gaulois, une pièce absolument remarquable, dont les portes et les boiseries de noyersculpté sont des merveilles. Quatre grandes baies vitrées versent le jour et découvrent de toutes parts l'horizon qui se reflète dans l'immense glace formant le panneau du fond. En sorte que,

pendant qu'on dîne, les yeux sont charmés par le spectacle féerique et toujours renaissant donné par la nature.

Le Dressing room « blottie entre la serre et la chambre à coucher de la baronne » n'est pas mal non plus.

D'un style Louis XV très pur, il a été très exactement copié sur celui qu'une électrice de Bavière s'était aménagé au palais de Nymphenbourg. Les tentures sont azur et argent, et, afin d'harmoniser les plafonds, la baronne, ne trouvant pas en France d'ouvriers compétents, a dû en amener de Bavière pour argenter tous les reliefs des moulures.

- De vieux fauteuils en soie blonde fondent leur coloris très doux dans ces tons pâles. Mais la merveille, c'est la, toilette toute recouverte de vieilles aubes d'Argentan, supportant un miroir dont le cadre en argent ciselé est un véritable joyau. Au-dessus de ce miroir, une glace de Venise est suspendue au mur, pareille à un bloc de pierreries. Le cadre de cette glace est une pièce unique, tout en cristal de roche, orné de guirlandes dont chaque grappe est formée d'améthystes, de grenats, de topazes, et autres pierres incrustées dans le cristal.

Les chambres d'amis sont fort avenantes.

Le luxe de ces pièces est la fraîcheur qui est la grâce de la campagne. Dans chacune, un petit thé en argent ciselé ou en vermeil, de style et de ciselures différentes, met un grain de faste élégant. Les draps de batiste, tout garnis de vieilles dentelles flamandes, floconnent sur la cretonns claire. C'est doux, c'est gai, cela enchante et cela retient.

Que ne ferait-on pas pour coucher dans des draps qui floconnent et qui retiennent? « Aussi est-ce une joie très enviée de compter parmi les invités de la baronne, et les séries se succèdent à Beauregard comme jadis à Compiègne. Parmi les plus assidus : la duchesse Decazes, la duchesse de Castries, la marquise de Beauvoir, la comtesse de la Ferronays, la marquise d'Hervey de Saint-Denis, la comtesse de Chavagnac (aujourd'hui la comtesse de Pontevès), le marquis de Scepéaux, le comte de Béthune, le marquis de Fontenilles, la princesse Hohenlohe, la comtesse de Divonne, la marquise d'Aoust, le comte de Beust, etc., etc. »

Dans ces fêtes d'ostentation, le juif encore se révèle. Toute la chasse est vendue d'avance à des marchands de comestibles; les hôtes du châtelain ne viennent guère faire là que le métier de tueurs, de garçons bouchers.

A ces parodies de la vie d'autrefois, il faut ajouter la chasse à courre avec un cerf en boîte. On entretient un malheureux cerf dans un parc, puis on le met dans une boîte, on le transporte dans un lieu déterminé, on le poursuit avec fureur; au moment où il est près d'expirer, on s'arrête, non par humanité, mais par avarice; on ranime l'animal en lui faisant boire de l'eau-de-vie et on le réintègre dans sa boîte. N'est-ce pas tout un monde, cette chasse économique avec des habits rouges et des boutons de vénerie ?

En toutes, ces charges qui rappellent l'ancienne vénerie, comme Croquefer rappelait les chansons de gestes, figurent des noms de gentilshommes authentiques, qui font un singulier effet. Comme ils doivent s'étonner d'être là !

EDOUARD DRUMONT.

L'AIGLE

Il a pris son vol avec majesté. Il monte, l'audace a trempé son âme ; Son fauve regard luit comme la flamme. Gloire à l'aigle, au roi de l'immensité!

Il plane au-dessus des forêts profondes, Des antiques monts au front colossal; Seul dans l'éther bleu, tout fier, sans rival, Il vole au delà des terres, des mondes.

Alors se mouvant à l'aise, éperdu, Comme s'il tenait quelque noble proie, Il jette un long cri d'orgueil et de joie, Qui dans l'infini vibre, inattendu,

A ce cri puissant sorti des nuées, Des milliers d'oisons au coeur envieux, Sans force dans l'aile et sans flamme aux yeux, Ont répondu par d'infimes buées.

Du fond de l'espace, autours et hiboux, Eperviers, corbeaux, noire valetaille, Trop faibles, trop vils pour livrer bataille, Viennent insulter le grand aigle roux.

Mais l'oiseau divin, dépassant les nues, Monte, monte encor, sublime, indompté, S'enivrant d'air pur et de liberté Dans les régions de lui seul connues.

P. CHAPPELLET.

AVRIL

Vous dites qu'il est mort le tronc noueux du chêne, Que ses rameaux flétris jamais ne verdiront, Et qu'on ne verra plus, à la moisson prochaine, Sous son feuillage épais les gars danser en rond.

Vous dites que jamais les fleurs ne pencheront Leurs corolles d'azur sur la claire fontaine, Et que, du sombre hiver portant la dure chaîne, Les champs humiliés dans leur deuil resteront.

Détrompez-vous, avril fait fleurir la pervenche, Il ramène la feuille et l'oiseau sur la branche, Et l'hiver fuit devant son aspect triomphant.

Mais ce qui reste mort, c'est le coeur de la mère, Qui, malgré les beaux jours, pleure et se désespère Devant le herceau vide où jouait son enfant.

JULES SOUREIL.

CAUSERIE THEATRALE

ODÉON. — Le Songe d'une Nuit d'été, adaptation française par M. Paul Meurice.

Voici deux féeries. L'une est moderne, signée de deux Parisiens connus MM. Ernest Blum et Raoul Toché. Cela s'appelle les Aventures de M. de Crac, et comme les auteurs ont beaucoup d'esprit, ils ont enrichi leur pièce de quadrilles obscènes, dansés par des gamins de douze ans. Grand succès, grand triomphe ! M. de Crac atteindra victorieusement sa centième, peut-être sa deux centième représentation. Pendant des mois nos enfants iront s'abreuver à la

source de cette saine littérature, savourer les attiques calembours de M. de Crac et de Munchausen, puiser en cet édifiant spectacle des notions de morale, y recevoir des leçons de bonne éducation et de maintien.

L'autre féerie est bien vieille, elle n'est que de Shakespeare. Elle s'appelle le Songe d'une Nuit d'été, elle est assurément beaucoup moins parisienne que M. de Crac. On l'a accueillie très froidement. Le public des premières s'est ennuyé ferme en l'écoutant, et plus d'un Parisien du Tout-Paris a dû murmurer dans son argot distingué : « Quel raseur que ce Shakespeare ! » Le fait est que cette féerie est simple comme le jour; les machinistes n'y jouent qu'un rôle très secondaire. Point de. trucs compliqués, points de changements à vue, point de clous. Tout est poésie dans cette oeuvre printanière, où toutes les mythologies se mêlent comme en un rêve bizarre et confus, où les ombres grecques d'Hippolyte et de Thésée peuplent les forêts mystérieuses de Titania et d'Obéron et dansent au clair de la lune, entourées d'une cour de gnomes et de lutins. Shakespeare s'abandonne à la plus gracieuse fantaisie dans ce conte de jeunesse. Mais il s'y montre psychologue autant que poète. Il y juge l'amour avec un sourire indulgent, le sourire d'un philosophe qui le connaît, qui a peut-être souffert de ses erreurs, de ses surprises, mais qui s'en souvient sans colère et sans amertume. Les Méprises de l'amour, tel est le vrai titre de cette poétique féerie. Le conte qu'elle met en scène n'est qu'un symbole, et Shakespeare a soin lui-même de nous l'expliquer en cette tirade un peu précieuse, écrite dans le goût du temps :

L'amour peut transformer les choses les plus viles, le néant même, et leur donner de la grâce et du prix. L'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'âme; et voilà pourquoi l'ailé Cupidon est peint aveugle; l'âme de l'amour n'a aucune idée de jugement : dès ailes et point d'yeux, voilà l'emblème d'une précipitation inconsidérée; et c'est parce qu'il est si souvent trompé dans son choix, qu'on dit que l'amour est un enfant. Comme les folâtres enfants se parjurent dans leurs jeux, l'enfant amour se parjure en tous lieux.

Oui, l'amour est inconstant, volage. On ne sait trop ce qui le fait naître ou l'anéantit, il est enfant du caprice et mobile comme lui. Démétrius adore Hermia, Hermia l'adore. Que faut-il pour que toute cette passion tombe et change d'objet? Rien, moins que rien. Il suffit qu'Obéron prenne une fleur magique, en exprime le suc sur les yeux des deux amants endormis, pour qu'à leur réveil ils se détestent autant qu'ils se sont aimés. La fleur mystérieuse, cette fleur symbolique s'appelle dans la vie jalousie, trahison, inconstance, fantaisie. Oui, l'amour est ondoyant comme l'onde, il est aveugle, surtout. Il fait bien souvent des choix indignes, et ne consulte jamais la raison : « Quoi ! vous aimez ce monstre? — Je l'aime. » Cela est absurde et sans réplique. Et Shakespeare imagine, pour exprimer cette idée, un, épisode piquant ; il met en scène un personnage grotesque, Bottom, tisserand de son état, manière de bel esprit, acteur par occasion. Il doit jouer une très « lamentable com édie, la tragique Mort de Pyrame et Thisbé » pour divertir le duc d'Athènes ; mais Puck, le lutin, le vif, le gracieux, le malicieux fol-


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LES ANNALES, POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

let, veut s'amuser du pauvre Bottom, et d'un coup de sa baguette il l'affuble d'une tête d'âne. Il le conduit devant le lit de mousse où repose la divine Titania. Il exprime sur les yeux clos de la reine le suc de sa fleur, merveilleuse. Titania, en s'éveillant, doit tomber amoureuse du premier être qui s'offrira à sa vue. Elle s'éveille en effet. Qui aperçoit-elle ? le gracieux Bottom orné de sa tête de baudet. Elle l'accable de prévenances et de compliments, elle lui déclare sa flamme, elle l'entoure de ses bras délicats, elle caresse amoureusement ses longues oreilles. Bottom se laisse choyer, dorloter ; il s'accoutume à son rôle. Il s'épanouit d'aise ; il commence à se croire sérieusement le roi des fées ; il commande en maître. Shakespeare a placé là une scène vraiment charmante, et que M. Paul Meurice, nous ne savons trop pourquoi, a laissée de côté dans sa traduction :

TITANIA, à Bottom. — Viens, assieds-toi sur ce lit de fleurs; pendant que je caresse tes charmantes joues.; je veux attacher des roses musquées sur ta tête douce et lisse, et baiser tés belles et longues oreilles, toi la joie de mon coeur.

BOTTOM. — Où est Fleur-des-Pois ?

FLEUR-DES-POIS. — Me voici.

BOTTOM. — Grattez-moi la tête, Fleur-desPois. — Où est M. Toile-d'Araignée ?

TOILE D'ARAIGNÉE. — Me voici.

BOTTOM. — Monsieur Toile-d'Araignée, mon cher monsieur, prenez vos armes, et tuez-moi ce bourdon aux cuisses rouges, qui est sur la fleur de chardon ; puis, mon cher monsieur, apportez moi son sac de miel. Ne vous échauffez pas trop dans l'opération, monsieur, et ayez soin, mon bon monsieur, de ne pas crever le sac au miel; je n'aimerais pas à vous voir tout inondé de miel, seigneur. — Où est M. Grain-de-Moutarde ?

GRAIN-DE-MOUTARDE. — Me voici.

BOTTOM. — Donnez-moi votre poing, monsieur Grain-de-Moutarde. — Je vous prie, cessez vos compliments, monsieur Grain-deMoutarde?

GRAIN-DE-MOUTARDE. — Que désirez - vous?

BOTTOM. — Rien, monsieur, rien de plus que d'aider au cavalier Fleur-des-Pois à me gratter la tête : il faudra que j'aille trouver le barbier, monsieur; car il me semble que j'ai furieusement de poil à la figure, et je suis un âne si délicat que, pour peu que mon poil me démange, il faut que je me gratte.

TITANU. — Mon doux ami, voulez-vous entendre un peu de musique ?

BOTTOM. - J'ai une assez bonne oreille en musique. Allons, faites venir les pincettes et la clef.

TITANIA. — Où ? dites, cher amour, ce qui vous ferait plaisir à manger.

BOTTOM — A dire vrai, un picotin d'avoine : je pourrais mâcher votre bonne avoine sèche; il me semble que j'aurais grande envie d'une botte de foin; du bon foin, du foin parfumé, il n'y a rien d'égal à cela.

TITANIA.— J'ai une fée déterminée qui ira fouiller dans le magasin de l'écureuil, et qui nous apportera des noix nouvelles.

BOTTOM. — Je préférerais une poignée ou deux de pois secs ; mais, je vous prie, que personne de vos. gens ne me dérange ; je sens une certaine disposition au sommeil qui me vient.

TITANIA. — Dors, et je vais t'enlacer dans mes bras. — Fées, partez, et dispersez-vous dans toutes les directions. Ainsi, le chèvrefeuille parfumé s'entrelace amoureusement ; ainsi, le lierre femelle entoure de ses anneaux les bras d'écorce de l'ormeau. Oh ! comme je t'aime ! oh ! comme je t'adore !

Avouez que cet scène est tout simplement exquise. L'ironie en est bien fine, bien amusante; il s'en dégage une profonde philosophie. Imagination que ta

magie est puissante ! Tu fais briller dans l'objet aimé des qualités illusoires, tu dissimules des défauts réels ! Combien de fois dans la vie Titania dédaigne Obéron pour aimer Bottom ! En vain Obéron lui reproche-t-il la monstruosité de son choix, c'est Bottom qu'elle préfère, qu'elle adore ; elle aime tout en lui, jusqu'à ses longues oreilles et à sa laideur ! La féerie de Shakespeare présente donc un sens symbolique ingénieux et profond. Nous regrettons de n'en pouvoir dire autant de M. de Crac. Le seul qui se puisse dégager de cette dernièce pièce ne serait pas très agréable à ses auteurs. On pourrait considérer cette féerie ratée comme un parfait symbole de l'état d'abaissement où l'art du dramaturge est tombé. Ce n'est plus qu'un métier, fait de réminiscences et de procédés ; l'esprit, le goût, le talent, n'y jouent qu'un rôle très infime, et passent au rang de quantités négligeables. Et voilà pourquoi je préfère le Songe d'une Nuit d'été avec ses gaucheries, ses préciosités de dialogues, la simplicité naïve de sa mise en scène, aux splendeurs niaises, au luxe exaspérant de M. de Crac. Il y a une idée, au moins, dans la féerie Shakespearienne; on y sent enfin la plume délicate d'un poète. Il est évident que l'action n'est pas attachante, que les histoires d'amour qui la remplissent sont d'une enfantine simplicité ; on ne prend au sérieux aucun de ces personnages; ils s'agitent dans l'azur, ils flottent entre ciel et terre; on est lancé en plein conte bleu. Mais les contes bleus ont leur charme. On respire les rafraîchissants parfums qui s'exhalent de la forêt ; le regard se perd avec délices dans ses allées mystérieuses, et dans ses sombres bosquets. Elle est peuplée par le

poète d'une légion insaisissable et légère, ont on croit entendre le vol au milieu des fleurs, dont on croit saisir l'ombre furtive : gnomes, mutins, sylvains moqueurs, lutins espiègles, fées fluettes, formes vagues et flottantes, hôtes adorables des verdoyantes retraites.

Pour les apercevoir, pour les deviner, pour goûter leur charme, il faut être un peu voyant, un peu poète soi-même. L'imagination, pour ces plaisirs délicats, est un auxiliaire plus sûr que les jeux. Le livre lui ouvre des horizons bien plus vastes que la scène. Le Songe d'une Nuit d'été fait partie du grand répertoire du « spectacle dans un fauteuil ». Lorsque nous lisons la féerie de Shakespeare, nous nous envolons au-dessus des pages, nous inventons la forêt qu'il anime de ses créations ; ces créations mêmes nous leur prêtons des physionomies tout idéales. À Titania nous accordons une beauté surhumaine que Mlle Weber ne peut pas réaliser; Obéron a une prestance toute divine, il est plus noble que M. Mounet, et Puck l'espiègle est autrement léger et spirituel que Mlle de Cerny. Nous apprécions ces artistes ; leurs efforts sont consciencieux, mais ils restent bien au-dessous des rêves de notre imagination. Mlle Nancy Martel est une gracieuse Hippolyte. mais celle que nous nous figurons est autrement belle. De même, M. Porel a des décorateurs très habiles, des costumiers pleins de goût; mais que leurs ressources sont mesquines, à côté de celles que nous possédons et qui sont en nous. Certes, la forêt que nous montre l'Odéon est charmante ; les arbres touffus, les buissons épais, les vertes pelouses y étalent leurs splendeurs. La lumière

électrique étincelle au travers des branches et figure à merveille la blonde lumière de Phoebé. Mais combien est plus mystérieux, plus profond, plus parfumé, le bois sacré que nous découvrons dans les pages délicieuses de Shakespeare, lorsque le livre est simplement posé sur nos genoux, et notre front dans nos mains !

Il est des oeuvres qui s'accommoderont toujours mieux du livre que du théâtre. M. Paul Meurice en adaptant le Songe d'une Nuit d'été, M. Porel en le montant avec goût, ont fait oeuvre d'artistes, de lettrés, mais leur tentative est ingrate. Les amateurs de spectacles pimentés et vulgaires mourront d'ennui en écoutant la féerie shakespearienne ; les délicats aimeront toujours mieux la savourer à la lecture que la voir jouer.

_ Il est vrai que M. Porel, toujours ingénieux, a appelé un magicien à son aide. C'est M. Colonne, dont la baguette puissante fait vibrer les mélodieux accords de Mendelssohn. C'est un régal, un délice pour l'oreille. Avec quelle fraîcheur d'inspiration, le musicien: interprète le poète ; tous les bruits de la nature, les gazouillements d'oiseaux, le chant des eaux murmurantes palpitent dans l'introduction du second acte, dans cette symphonie exquise où le rire frais des sylphes égrène ses perles et se mêle par instants à la douce plainte des roseaux.

Nous plaignons sincèrement ceux que ce divin plaisir laisse insensibles, et qui, aux accords de cette gracieuse harmonie, soupirent, bâillent et regrettent les grimaces de M. de Crac et les calembredaines de l'ogre Bouf-Bouf !

ADOLPHE BRISSON.

PAGES OUBLIÉES

Les duels qui ont eu lieu cette semaine; donnent un intérêt d'actualité au récit suivant, où M. Vigeant raconte une des prouesses légendaires d'un des plus célèbres maîtres d'armes français.

UN DUEL EPIQUE

l'époque où se passa l'histoire que nous allons raconter, c'est-àdire en 1814, Jean-Louis n'avait jamais quitté l'armée ; il avait

assiste à plus de trente batailles ou combats, en Egypte, en Italie, en Prusse et en Russie.

C'est en Espagne que nous allons le retrouver, en cette désastreuse année 1814, qui vit le suprême effort de Napoléon contre l'invasion de l'Europe.

La 3e division de l'armée d'Espagne, qui comprenait le 32e régiment dont Jean-Louis faisait partie, comprenait également le Ier régiment. Celui-ci se composait presque exclusivement d'Italiens, incorporés de gré ou de force dans le système militaire impérial. Quelques-uns de ces hommes s'étaient répandus dans les faubourgs de Madrid, pour y boire et s'y divertir. Soudain, le bruit d'une discussion violente parvient jusqu'à une posada dans laquelle chantent joyeusement des Français. Ceux-ci dressent l'oreille : « Ce sont ces coglioni d'Italiens ! — Mais c'est avec les nôtres qu'il sont aux prises ! »


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

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Le bruit redouble. Bientôt s'y mêlent les cliquetis de l'acier, un tumulte de meubles bouleversés, des hurlements de menaces, des appels farouches :

« A nous les Français !

— Les Francesi, à mort. » En un clin d'oeil, les Français s'élancent dans la rue, courant du côté où se passe la bagarre, engageant leurs camarades à se joindre à eux. Mais d'autres Italiens, occupés à boire dans une autre posada, ont entendu, de leur côté, l'appel de leurs amis et se portent à leur secours. Bientôt plus de cent hommes du 32e régiment sont aux prises avec autant du Ier. C'est une bataille en règle. Le sang coule, les bléssés gisent sur le pavé, et il faut l'arrivée de deux compagnies, baïonnettes au canon, pour mettre fin à une lutte qui commence à dégénérer en tuerie.

On arrête les plus enragés et les chefs s'assemblent immédiatement en conseil. Cette fois, il n'y a pas hésiter, un exemple décisif est nécessaire, sinon l'ordre, déjà ébranlé, est à jamais compromis.Des soldats, publiant l'uniforme qu'ils portent, se sont rués les uns sur les autres. La discipline exige une réparation éclatante.

A l'unanimité, le conseil décide que les maîtres et les prévôts des régiments compromis assumeront sur eux la responsabilité de la querelle et se battront en duel pour la vider honorablement, jusqu'à impossibilité reconnue de continuer le combat.

De part et d'autre, quinze tireurs sont désignés.

Jean-Louis est le premier maître du 32e régiment.

Le premier maître du Ier régiment se nomme Giacomo Ferrari. C'est un homme de près de six pieds de haut, énergique et d'une bravoure incontestée. Il a pratiqué dès l'enfance la science dès armes, à cette école italienne, encore si florissante aujourd'hui. Avant d'entrer dans l'armée en qualité de premier maître, Giacomo Ferrari a même tenu à Florence une académie d'armes qui a porté le bruit de sa renommée jusqu'au bout de la péninsule.

C'est à cet adversaire redoutable que va avoir affaire Jean-Louis.

Depuis le célèbre combat des Trente, je ne crains pas de l'affirmer, l'histoire militaire n'offre pas le spectacle d'une rencontre plus terrible que celle de ces soldats, tous rompus à l'exercice de leur art, tous habitués à considérer sans sourciller la mort en face, tous résolus à soutenir l'honneur de leur régiment jusqu'au dernier souffle de la vie.

Le cadre de ce combat épique n'était pas inférieur à la lande bretonne qui entendit le cri sublime : « Bois ton sang, Beaumanoir, et ta soif passera ! »

Qu'on se figure une armée entière rangée en bataille dans une de ces plaines qui entourent Madrid. Au centre de ce déploiement solennel de troupes, étincelant sous le ciel bleu sombre de la Nouvelle-Castille, un large espace vide a été réservé. On a choisi pour cet espace un léger accident de terrain s'élevant un peu au-dessus du sol environnant, et présentant une sorte de plate-forme naturelle qui domine ; lorsque, tout à l'heure, les combattants désignés s'y présenteront l'épée à la main, le buste nu, pas un seul des spectateurs de la scène tragique, soldats alignés et impassibles, population madrilène haletante comme elle l'est à l'approche d'un combat de taureaux, pas un regard ne perdra un seul détail de ce qui va se passer. C'est en présence de dix mille témoins que l'honneur d'une armée va se laver dans le sang de ces trente braves.

Un roulement de tambour retentit. Des commandements sonores et brefs se succèdent. Les crosses des fusils, d'un mouvement unique, reposent sur le sol durci et le font tressaillir comme un grondement de tonnerre. Deux hommes, d'un pas rapide et sûr, viennent d'apparaître sur le petit tertre, tout à l'heure désert. L'un de ces deux hommes, grand et fort, l'oeil noir, la bouche dédaigneuse, promène un regard circulaire, plein de fierté et de confiance, sur la foule qui le considère, enfiévrée de curiosité : c'est Giacomo Ferrari. Le second, grand aussi, le teint bistré, aux muscles qui semblent d'acier bruni, se tient immobile, attendant : c'est Jean-Louis.

Les parrains des deux combattants se sont placés chacun de leur côté.

Un silence de mort a succédé soudain au murmure de curiosité qui a couru comme le bruit du vent précédant l'orage. Et, au milieu de ce silence, éclate se seul mot entendu des dix mille spectateurs : « En garde ! »

Les deux maîtres croisent le fer. Dès le premier moment, Giacomo Ferrari essaie de fondre sur Jean-Louis, mais en vain : à toutes ses attaques il rencontre la lame de son adversaire. Il rompt et se résout à la patience. Il caresse, il taquine l'épée. JeanLouis, calme et attentif, se prête à ses fioritures. Tout à coup, l'Italien pousse un de ces rugissements familiers aux tireurs de sa race, et fait un petit saut de côté, suivi d'une attaque basse foudroyante. C'est une ruse florentine qui lui a souvent réussi. Mais au même instant un cri de colère, plus encore que de douleur, jaillit de la bouche de Giacomo Ferrari : avec une prestesse inouïe, Jean-Louis a paré, et son épée marquant un temps d'arrêt sur la parade pour empêcher la remise, développe, sur le maître italien qui se relève en se rasant, une riposte rapide qui a pénétré dans l'épaule. « Ce n'est rien ! crie Giacomo. » Ils reprennent, et, presque aussitôt, il se sent frappé au-dessus du sein. Cette fois, l'épée de Jean-Louis qui attaque à son tour est entrée profondément. Une pâleur livide se répand sur le visage de Giacomo : son épée lui échappe, et il tombé lourdement sur le sol. On se précipite : il est mort. Jean-Louis a déjà repris sa position première. Il essuie son épée et, tenant la pointe à terre, il attend.

Le premier maître du Ier régiment vient d'être emporté mort: mais rien n'est fini. Quatorze adversaires, maîtres et prévôts sont là, debout, au bas du tertre, impatients de se mesurer avec le vainqueur, avides maintetenant de venger le chef qu'ils avaient cru invincible.

Jean-Louis a pris à peine deux minutes de repos. Il est prêt : un nouvel adversaire bondit devant lui : les épées se croisent. Un cliquetis sinistre, un cri, un soupir : JeanLouis s'est fendu et se redresse, abaissant son épée. Un second cadavre est étendu devant lui.

Le troisième adversaire se présente : il faut l'intervention des juges du camp pour l'empêcher de se précipiter sur Jean-Louis qui, l'oeil enflammé, de plus en plus sûr de luimême, et sans songer à se reposer, était déjà prêt à poursuivre.

« Je ne suis pas fatigué », dit-il simplement.

Le signal est donné ; l'Italien est un homme de haute taille, comme le premier maître dont le cadavre gît là-bas, recouvert d'un

manteau militaire. Il a suivi attentivement le jeu du mulâtre; il croit en avoir surpris les moyens. Il multiplie les bonds, les feintes, les surprises. Enfin, s'écrasant, pour ainsi dire, à terre, comme un tigre à l'affût, il porte au mulâtre un coup terrible en dessous. Un nouveau cri de douleur suit bientôt cette attaque. C'est le fer de Jean-Louis qui, après une parade fulgurante, disparaît dans la poitrine de l'Italien. On l'emporte évanoui.

Poursuivrai-je le détail de ces duels épiques ? Non. Qu'il me suffise de rappeler que ce que j'écris ici est de l'authentique histoire, que je n'invente rien, que cette rencontre est consignée dans un bulletin officiel de l'armée, et que j'en ai recueilli le récit de témoins le tenant de Jean-Louis en personne. Cela dit, j'achèverai en quelques mots : dix adversaires nouveaux succédèrent aux trois premiers, tous prévôts d'armes expérimentés, ayant fait leurs preuves. Tous les dix tombèrent devant Jean-Louis. Le numéro treize fut emporté sans connaissance, au milieu d'un brouhaha qui ressemblait à de la terreur.

Arrivé à ce chiffre de victoires sans précédent dans l'histoire du duel, on pouvait croire à une lassitude du maître français. Dans cette lutte inouïe qui avait duré, montre en main, à peine quarante minutes, JeanLouis avait donné vingt-sept coups d'épée, dont trois mortels. Deux prévôts seulement restaient au bas du tertre, des quinze qui au début y attendaient si impatiemment l'occasion de croiser le fer. Certes, ces deux hommes n'étaient pas moins braves que leurs devanciers, mais si forte que soit la volonté humaine, comment la leur ne se fût-elle pas ébranlée au choc successif de tant d'émotions poignantes ? Cependant, ni l'un ni l'autre de laissaient voir la morne angoisse qui leur étreignait le coeur. Pâles, mais résolus, ils se tenaient droits, frémissants, prêts à gravir le tertre fatal.

Une sorte de trêve momentanée était résultée de ce moment de terreur chez les uns, d'enthousiasme et d'orgueil satisfait chez les autres. Le colonel, vieux soldat bronzé par vingt-cinq ans de campagnes, jugea que la leçon terrible, mais nécessaire, avait atteint son entier effet. On pouvait, sans que l'honneur désormais sauf eût à en souffrir, arrêter à ces treize poitrines trouées et sanglantes la réparation exigée.

Le colonel alla droit à Jean-Louis qui, dans son immobilité de bronze, ressemblait à la statue de l'épouvante.

« Maître, dit-il, tu as vaillamment soutenu l'honneur du régiment. Au nom dn 32e tout entier, je te remercie. Mais treize combats successifs ont dû briser tes muscles. Retiretoi : si tes prévôts jugent bon d'achever la lutte avec les deux adversaires qui restent, ils sont libres. »

Jean-Louis eut une explosion, comme si ces paroles eussent contenu un doute et comme s'il eût éprouvé une sorte de volupté âpre à jeter dans une exclamation ardente le trop-plein qui l'oppressait :

« Non ! s'écria-t-il, non, je ne quitterai pas le poste que m'a assigné la confiance du 32e régiment ; j'y resterai et j'y combattrai tant que je pourrai tenir une épée. »

En achevant ces mots, Jean-Louis fit un geste énergique. Dans la surexcitation de ses nerfs, il ne s'aperçut pas que le cercle des témoins qui l'entouraient venait de se resserrer, par suite de l'intervention du colonel. Il en résulta que l'épée que Jean-Louis avait


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

à la main décrivit un demi-cercle rapide, et,

en s'abaissant, blessa légèrement à la jambe

un des propres camarades du maître d'armes.

Jean-Louis s'aperçut de l'accident avant même que le blessé eût proféré une plainte ; instantanément son ardeur fiévreuse tomba. Il s'élança vers son ami et l'on vit des larmes rouler dans les yeux de cet homme, qui, sans éprouver ni regret ni faiblesse, venait de faire couler le sang de treize adversaires.

« Ah ! s'écria-t-il, il n'y a qu'un seul homme du 32e qui ait été blessé dans cette journée, et c'est par moi ! »

Le colonel voulut profiter de l'incident pour clore la lutte.

« Jean-Louis, dit-il, c'est un avertissement. Il y a assez de sang répandu. Tous se sont conduits en braves ; me croyez-vous bon juge en matière d'honneur ? — Oh ! mon colonel !

— Eh bien ! je déclare que l'honneur est satisfait et que le 32e n'a plus qu'une chose à faire : tendre loyalement la main au Ier. » Une clameur enthousiaste s'éleva. Les deux prévôts du Ier régiment, toujours immobiles, gardaient le silence. Le colonel les désigna à Jean-Louis et dit :

« Il ne peuvent pas venir à toi. »

Jean-Louis était enfin vaincu. Il jeta son épée et, s'avançant vers les deux prévôts, leur tendit les deux mains.

« Vive Jean-Louis ! vive le 32e ! » s'écrièrent mille voix.

« Vive le Ier ! cria Jean-Louis. Nous ne sommes tous qu'une même famille. Vive l'armée ! »

Ce fut le signal de la réconciliation définitive ; elle fut sincère et complète. En une seconde, adversaires et amis entourèrent JeanLouis, le complimentèrent, réclamant l'honneur de lui toucher la main. Très ému, le maître d'armes se dégagea difficilement en rappelant qu'il avait le devoir d'aller prendre sans retard des nouvelles des blessés. Cette marque de sympathie acheva de lui gagner tous les coeurs. A partir de ce moment, toute animosité cessa entre les deux régiments, et il va de soi que le vin de Xérès, le soir même, arrosa copieusement le traité de paix. - Ainsi se termina ce duel, ou plutôt ce brelan de duels qui renouvela au dix-neuvième siècle les aventures légendaires de l'ancienne

chevalerie. VIGEANT

Maître d'armes.

MOUVEMENT SCIENTIFIQUE

LES COMÈTES

Nous venons de recevoir une visite céleste assez agréable. La petite comète télescopique découverte par M. Fabry, à l'Observatoire de Paris, le 1er décembre dernier, s'est approchée de la terre jusqu'à quarante millions de kilomètres ces jours derniers ; aujourd'hui elle n'en est qu'à 35 millions, et le vendredi 30 avril, elle est passée à sa plus grande proximité de nous, à 29 millions de kilomètres, pour glisser obliquement dans l'espace et s'éloigner ensuite dans la nuit infinie. Grâce à ce rapprochement, à sa grandeur et à sa constitution, elle a été visible à l'oeil nu depuis une quinzaine de jours ; mais aujourd'hui elle s'abaisse au-dessous de notre horizon, pour se diriger vers l'hémisphère austral. Son passage n'aura pas beaucoup frappé les regards, d'abord parce que son éclat est resté très faible, incomparablement au-dessous de celui des brillantes comètes, par exemple de celle de 1882, ensuite

ensuite qu'il fallait se lever à trois heures du matin pour l'observer. Cependant les observations qui ont été faites à son propos n'auront pas été inutiles à la science.

La comète est,devenue visible à l'oeil nu pour les vues excellentes, et à la jumelle pour les vues ordinaires, les premiers jours de ce mois ; son éclat était égal à celui des plus petites étoiles visibles à l'oeil nu, celles de sixième grandeur faible. Elle a atteint vers le 10 l'éclat des étoiles de cinquième grandeur; la queue, assez apparente, mesurait environ 3 degrés de longueur, c'est-àdire six fois environ le diamètre de la lune. Du 19 au 24 on l'a vue s'élever rapidement dans l'ordre de la quatrième grandeur. Elle avait atteint l'ordre des étoiles de troisième grandeur lorsqu'elle disparut de notre horizon.

Les nombreuses observations faites sur cette comète depuis le 1er décembre dernier dans les divers observatoires ont permis de calculer son orbite et de déterminer exactemant la route qu'elle suit dans l'espace. Cette orbite n'est pas une courbe fermée, c'est-à-dire qu'elle n'est jamais venue dans la région de l'espace où nous sommes et qu'elle n'y reviendra plus. C'est, du reste, là le cas général des comètes. Elles errent à travers l'immensité sans se fixer nulle part. Pour qu'une comète devienne périodique et se fixe dans le système planétaire, il faut qu'elle ait été capturée au passage par l'attraction d'une planète et incorporée par elle dans notre grande famille planétaire.

En même temps que cette comète, les astronomes en suivent, depuis plusieurs mois aussi, une autre au télescope, la Barnard, découverte le 5 décembre aux Etats-Unis. Comme la précédente, elle a augmenté graduellement d'éclat ; mais je n'ai encore pu l'apercevoir ni à l'oeil nu ni à la jumelle, sans doute à cause du clair de lune. Cependant, il est probable qu'elle va devenir visible à la jumelle, et même à l'oeil nu, mais en restant toujours assez faible.

Elle passe dans la même région céleste que la première et doit être cherchée à la même lieure, — un peu plus tôt, parce que, d'une part, elle est un peu plus élevée dans le ciel, et que, d'autre part, l'aurore avance chaque jour, — soit de 2 h. 1/2 à 3 h. 1/2 du matin, au nord-est. Les enthousiastes de l'astronomie qui voudraient se donner le plaisir de la trouver devront attendre que le clair de lune soit fiui, c'est-à-dire au 30. Du 30 avril au 10 mai, ils pourront la chercher à la jumelle, à la droite de l'étoile Gamma d'Andromède, qui brille au nord-est, étoile jaune d'or très belle au-dessous de Cassiopée. L'éclat de cette petite comète va aussi en augmentant. Malheureusement, comme la précédente, elle descend à notre horizon pour se diriger vers l'hémisphère austral au moment de son plus grand éclat et pour se perdre dans le rayonnement du soleil. Décidément, ni cette comète ni la précédente ne pourront devenir populaires, malgré la meilleure volonté du monde.

Ces deux comètes sont les sixième et septième des comètes découvertes ou observées l'année dernière, année dans laquelle les comètes observées s'élèvent en effet à sept. L'astronomie cométaire constitue maintenant un chapitre très important dans l'ensemble de la science du ciel.

Qu'est-ce qu'une comète ?

C'est une masse nébuleuse extrêmement légère dont le noyau peut être solide ou formé d'aérolithes solides portés jusqu'à l'incandescence au périhélie, mais dont l'étendue principale est formée de gaz.

Isolées dans les profondeurs de l'espace, ces masses prennent naturellement la forme sphérique, sont dépourvues de queues, d'aigrettes et de chevelure irrégulière. Lorsqu'elles arrivent dans les régions ensoleillées, elles sont plus sensibles que les massives planètes à l'action calorifique, lumineuse,

lumineuse, magnétique du soleil. La comète se dilate, ses vapeurs se développent et s'échappent en jets vers l'astre radieux, puis on les voit repoussées de chaque côté de la tête et commencer, la traînée caudale. Souvent des aigrettes hérissent la tête et, parfois, il se forme un voile multiple formé d'une série d'enveloppes successives. Ces gaz sont ensuite refoulés en arrière, tandis que la comète avance rapidement dans son cours. C'est l'électricité qui paraît jouer le principal rôle dans ces effets. La comète cesse, dès lors, d'être sphérique et devient ovale, allongée dans la direction du soleil. L'analyse spectrale a démontré que ces astres sont surtout composés de vapeurs de carbone, de charbon volatilisé.

Que sont les comètes et d'où viennentelles ?

Les unes peuvent être de petites nébuleuses attirées au passage par l'attraction du soleil dans son cours intersidéral vers la constellation d'Hercule, des amas cosmiques voyageant à travers l'espace et arrivant dans la sphère d'attraction solaire ; d'autres peuvent être les résultats d'explosions projetées d'une étoile; d'autres peuvent être projetées par notre foyer solaire lui-même; d'autres aussi peuvent être des débris de mondes détruits, tombant dans la nuit éternelle jusqu'à ce qu'une attraction nouvelle les saisisse au passage et les rejette dans les creusets de la vie. Tout invite à penser qu'il existe çà et là, disséminées sur les plages planétaires flottantes sur les vagues éthérées quelques comètes disloquées, restes des naufrages qu'ont pu subir tant de millions de mondes ; ce sont les épaves de ces navires, impuissants la plupart à accomplir leur traversée sans avarie. Toutefois, de tels fragments plus ou moins désagrégés n'errent point au hasard dans l'espace ; ils se meuvent dans des orbites dont la forme dépend des modifications que les actions perturbatrices ont apportées à leur vitesse première. Le nombre des comètes qui pénètrent dans notre système est, selon toutes probabilités, si immensément grand, que, depuis les centaines de millions d'années qu'il est permis d'assigner à la durée écoulée de ce système, les espaces interplanétaires doivent être sillonnés d'une multitude prodigieuse de courants, de matières de comètes désagrégées, de fragments de comètes, que les planètes ne peuvent manquer de rencontrer fréquemment. Des millions de comètes nagent sans cesse autour de nous dans l'océan éthéré. Képler les appelait « les poissons de l'océan céleste ».

On voit quel intérêt inattendu présente l'étude de ces astres, qui jadis étaient la terreur de l'humanité et qui, aux yeux de plusieurs astronomes modernes, étaient tout à coup tombés au-dessous de zéro, ceux-ci les appelant des " riens visibles»— Ils sont sans doute destinés à nous révéler bien des mystères au sujet de l'origine et de la fin des

choses

CAMILLE FLAMMARION,

CORRESPONDANCE

Nos abonnés savent avec quel soin nous cherchons à éviter dans les Annales les querelles et les polémiques irritantes, et tout ce qui nous paraît de nature à blesser les croyances philosophiques et religieuses d'une partie de nos lecteurs.

Malgré tous nos efforts, nous n'y réussissons pas toujours. Ce qui le prouve, c'est la lettre suivante d'un de nos abonnés, qui proteste en termes très vifs contre un des derniers articles parus dans notre revue. Nous publions cette lettre, volontiers, pour rester fidèles aux règles d'indépendance


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

283

et d'impartialité que nous nous sommes toujours imposées. J. B.

Angers, 25 avril 1886. Monsieur le directeur,

Si les Annales politiques et littéraires ne sont pas ouvertes aux polémiques, et cela avec raison, peut-être sera-t-il permis cependant à l'un de vos plus anciens abonnés de solliciter leur hospitalité pour quelques réflexions suggérées par la dernière chronique, celle du 25 avril, de votre collaborateur, M. Sarcey.

Celui-ci prétend établir, en s'appuyant sur l'admiration qu'ont fait naître les belles découvertes de M. Pasteur, que l'homme a le culte du fétiche, et que ce culte lui vient des grands singes dont il serait descendu. « La croyance au fétiche date, dit-il, du jour où il (l'homme) se détacha de l'anthropoïde qui l'avait précédé et annoncé ».

Je ne savais pas que le singe fût fétichiste et qu'en vertu des lois de l'hérédité il ait transmis cette tendance à l'homme, son descendant. Mais cela est probable puisque M. Sarcey le déclare. Je ne savais pas non plus que les savants eussent établi d'une façon si péremptoire la parenté du singe et de l'homme, pour qu'on l'affirmât sans restriction, sans hésitation, comme un fait si bien établi qu'il n'y a pas y revenir, et cela dans une revue littéraire qui s'adresse à tant de lecteurs d'opinions si diverses. Je savais seulement que l'on avait trouvé dans certaines couches des terrains tertiaires des ossements de singes, tels que le dryopithèque, le pliopithèque, etc., et d'autre part, des silex, apparemment taillés par une main intelligente ; mais c'est tout, et cela peut bien ne pas paraître suffisant pour conclure que les derniers sont l'oeuvre des premiers.

Nous sommes donc autorisés à regarder l'affirmation de M. Sarcey comme non avenue, jusqu'à ce que la publication de ses études spéciales sur ce grave sujet vienne lever tous nos doutes.

Donc, pour en revenir à la thèse soutenue dans les Annales, votre collaborateur prétend que le fétichisme est tellement ancré au coeur de l'homme, que sur cent personnes qui viennent trouver M. Pasteur à son laboratoire de la rue d'Ulm, pour lui demander ses soins, 97 ou 98 au moins le considèrent « non pas comme un simple savant... mais comme un sorcier, un être surnaturel, génie ou fée, en possession de secrets magiques », que ce sont, en quelque sorte, autant de pèlerins, surtout « les Russes avec leurs longs cheveux et leurs regards noyés », qui rappelent tout à fait « les processions de dévots du Morbihan, sur la route de SainteAnne-d'Auray, allant accomplir un voeu sacré » : ce qui, pour M. Sarcey, est évidemment le comble du fétichisme.

Votre rédacteur a vraiment une trop triste opinion des autres êtres faits à son image et à sa ressemblance. Est-il donc besoin d'invoquer les idées fétichistes transmises à l'homme par « l'anthropoïde, son ancêtre », pour donner la raison de l'empressement avec lequel on accourt vers la rue d'Ulm ? N'est-il pas bien clair que celui-ci a son point de départ dans un des meilleurs et des plus honorables sentiments de la nature humaine, à savoir la foi que nous accordons à nos semblables quand nous n'avons pas de raisons de douter de leur honnêteté ? Le paysan le plus illettré, mordu par un chien enragé, sent fort bien que son médecin qui l'engage à aller trouver le célèbre professeur ne veut aucunement le tromper et qu'il est animé du seul désir de lui être utile. Il lui accorde sa foi et il n'hésite pas, sur son simple avis, devant les fatigues du voyage et la dépense. Et c'est avec une confiance égale qu'il aborde celui dont il attend la santé. Où voir du fétichisme dans tout ceci ? A ce compte, toutes les croyance de l'homme pourraient être rangées sous la rubrique « fétichisme ».

Toutes nos croyances n'ont-elles pas, en effet, un point de départ analogue, depuis les enseignements du Christ, devant lesquels

les chrétiens s'inclinent, jusqu'aux plus simples rudiments d'histoire, qui ne sont venus jusqu'à nous, les premiers comme les seconds, qu'en reposant sur la bonne foi des hommes ?

Tout cela doit-il donc être rejeté de par l'accusation du fétichisme? Sommes-nous donc entachés de fétichisme toutes les fois que nous accordons notre confiance, que nous donnons notre foi au récit d'un fait, alors qu'il nous est impossible de vérifier par nous-mêmes s'il s'est passé do la façon dont il nous est raconté? Assurément, personne ne saurait le soutenir, et chacun sait qu'il suffit, en effet, d'avoir des raisons de croire à la véracité des témoins. Ceci est élémentaire.

Mais, hélas ! il n'est que trop certain que ce noble sentiment de confiance de l'homme pour l'homme est souvent exploité par des ambitieux et des gens de mauvaise foi, ainsi que les commis-voyageurs en grève nous en donnent depuis quelque temps de si fâcheux exemples ; fétiches, eux aussi, suivant la théorie de M. Sarcey, mais fétiches qui perdront ceux qui auront eu la naïveté d'avoir confiance dans leurs promesses mensongères. Qu'ils sont donc misérables ceux qui emploient leur autorité, leur science, leur talent de parole ou d'écrivain à tromper les braves gens dont ils usurpent la confiance à leur profit, dont ils flattent les passions et excitent les mauvais appétits, pour s'en faire une sorte de piédestal qui les élèvera à la fortune ou aux honneurs.

Toute la petite chronique de M. Sarcey me paraît donc, cette fois encore, reposer sur un sophisme et rien de plus.

Veuillez agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération distinguée.

Dr P. MAISONNEUVE.

LE VILLAGE( 1)

SCENES PROVINCIALES

LES MÊMES, DUPUIS, MARIANNE DUPUIS, à Marianne Vous êtes une maladroite! taisez-vous! Ne diraiton pas que cette malle pleine de linge est une montagne à porter ? (A sa femme.) Figure-toi, ma chère, que cette fille ne trouve rien de si plaisant que de laisser rouler ma malle du haut en bas de l'escalier.

MARIANNE

Dame! monsieur, depuis que vous m'avez dit que vous alliez à Rome, je ne sens plus ni bras ni jambes, moi ! je n'ai plus de forces ! Aller à Rome ! ma foi, voilà du nouveau... et du beau !

DUPUIS

Cette fille est folle !... De quoi vous mêlez-vous, s'il vous plaît ?

MARIANNE

De rien. — Mais c'est une drôle d'idée tout de même qui vous prend de laisser madame toute seule, — à son âge, — pour aller à Home ! Bien heureux si vous la retrouvez !... je n'en réponds pas... DUPUIS, se contenant

Marianne, prenez garde ! vous voyez que je ne suis pas content !

MARIANNE

Je crois bien... Vous n'êtes pas content des autres, parce que vous n'êtes pas content de vous ; c'est l'usage.

DUPUIS, éclatant

Je vous chasse, Marianne !

MADAME DUPUIS, sévèrement

Allez vite en bas, ma fille.

DUPUIS

Je vous chasse ! Quand ce serait le dernier mot que je dirais dans ma maison, il sera obéi! je vous chasse !

Marianno sort. — Dupuis à sa femme.) C'est votre faute aussi, ma chère amie. Vous laissez vos domestiques se mettre vis-à-vis de vous sur le pied d'une familiarité déplacée, et voilà ce qui arrive ! Vous avez entendu que j'ai chasse cette fille ?

MADAME DUPUIS

Oui, mon ami. Je lui ferai son compte demain matin, — si lu ne reviens pas sur ton arrêt.

DUPUIS

Si je ne reviens pas? Est-ce ma coutume de changer d'avis toutes les cinq minutes ? suis-je une girouette ? ou me juge-t-on assez affaibli par l'âge pour me laisser faire la leçon chez moi par mes valets ?

MADAME DUPUIS

De grâce, mon ami, pas un mot de plus là-dessus : elle sortira demain, (Parlant vite.) Mais je voudrais savoir, George, si lu as bien tout ce qu'il te faut... Permets-moi de jeter un coup d'oeil sur cette malle, veux-tu? Les hommes ne sont pas grands connaisseurs en matière de nippes, et il suffit en voyage d'une niaiserie qu'on ne retrouve pas pour vous irriter toute une journée... Je sais bien qu'on peut acheter ce qui manque ; mais à quoi bon, si on peut s'en dispenser?... (Gaiement.) Et puis cela vous fera penser à moi le long de la route, vagabond !

DUPUIS

A ta guise, ma chère... Voici les clefs. (Madame

Dupuis sort. )

DUPUIS, ROUVIÈRE

DUPUIS, changeant de ton et de visage dès que sa femme est sortie

Dis-moi donc, mon ami, il me semble qu'elle a très bien pris cela ?

ROUVIÈRE, sérieux

Parfaitement.— Sais-tu, George, qu'elle a du bon, ta femme ?

DUPUIS, le regardant avec attention

N'est-ce pas ?

ROUVIÈRE

Elle est timide, modeste à l'excès; cela lui fait tort.

DUPUIS

Je le le disais bien, mon ami... Elle avait peur de toi... Tiens, je gagerais qu'une fois la glace rompue entre vous deux, tu auras eu peine à la reconnaître ?

ROUVIÈRE

C'est la vérité. Sous le coup de l'émotion,— car je ne le cache pas qu'elle a été vivement émue, — elle a trouvé dans son coeur des accents... qui m'ont surpris.

DUPUIS

Oh! pour du coeur, elle en al

ROUVIÈRE

Tu pourrais ajouter qu'elle a de l'esprit, et du plus délicat, et du plus élevé, au besoin !

DUTOIS, radieux Eh ! mon ami, je le sais bien ! je ne suis pas moimême une bête, n'est-ce pas ? L'aurais-je épousée, je le le demande, si je n'avais compris qu'il y avait là quelque chose ?... Aussi, ce serait à refaire, je te le dis la main sur la conscience, je le referais;... et non seulement, Tom, je suis heureux de mon choix, mais j'en suis fier !... Eh! mon Dieu, elle a des travers,... je les vois mieux que personne ; mais, de bonne foi, qu'est-ce que c'est qu'un peu de gaucherie, de jargon local, — quelques préoccupations de clocher, — lorsqu'à côté de ces taches on voit éclater chez une femme la tendresse la plus dévouée et la plus ferme, le sens le plus droit et le plus exquis, la piété la plus ardente et en même temps la plus discrète,... toutes les vertus enfin qui peuvent captiver un honnête

homme.

ROUVIÈRE, riant et lui touchant l'épaule

Ah ! ah ! l'honnête homme ! je te vois venir !... Allons, c'est bien.

DUPUIS

Comment ?

ROUVIÈRE

Bon ! la conclusion de ce discours est assez claire : en y songeant mieux, en évaluant plus à loisir tout le

(1) Voir les numéros du 4, 11, 18 et 25 avril.


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

prix du trésor qu'on a dans sa maison, on a perdu le courage de le quitter. Tu me laisses partir seul enfin... Au surplus, je le comprends.

DUPUIS

Je te jure, mon ami...

ROUVIÈRE

Assez, assez !... je le comprends, te dis-je.

DUPUIS, avec humeur Eh ! tu le comprends mal... Je n'ai jamais mis en oubli les qualités de ma femme ; mais, fut-elle dix fois une sainte, il n'en demeure pas moins vrai que j'ai vécu, moi, comme un colimaçon ! Eh ! pardié, ses vertus, je n'en jouirai que mieux quand le sentiment de ma gradation intellectuelle ne se mêlera plus, comme la voix de l'insulteur romain, à mes plus douces émotions !

ROUVIÈRE, haussant les épaules Il me fait rire, ma parole, avec sa dégradation intellectuelle l

DUPUIS

Tu ne riais pas, il n'y a qu'un instant, quand tu me lit dépeignais avec des couleurs — dont ton amitié tempérait à peine l'énergie !

ROUVIÈRE

Comment ! tu n'as pas vu que je plaisantais ?... Tous les gens d'esprit qui habitent la province s'imaginent qu'ils y deviennent idiots. Je pressentais chez toi cette manie, et je m'amusais à l'irriter... après boire !

DUPUIS

Quoi qu'il en soit, je tiens à ce voyage plus que

jamais : j'ai eu un moment d'hésitation, il est passé;

j'ai pu craindre, je l'avoue, l'impression de ce départ

sur l'esprit de ma femme ; mais sa contenance vient de

dissiper mes derniers scrupules.

ROUVIÈRE

Ecoute, George ; tu te fies trop aux apparences : pour ne pas te contrarier, ta femme affecte une fermeté qui est bien loin de son coeur. Je sais, moi...

DUPUIS, avec colère Tu sais, toi ! tu sais que tu tu as réfléchi, que je te gênerais, et que tu me plantes là, voilà!

ROUVIÈRE

Mais non, George !... c'est un malentendu, — rien de plus. J'ai cru sincèrement, à ton langage, que lu avais changé de visée... J'ai cru aller au-devant de tes voeux en te rendant ta parole... Dès que tu persistes, il suffit ; j'en suis ravi.

MARIANNE, ouvrant la porte

Voilà les chevaux! (Elle referme.la porte brusquement)

ROUVIÈRE

Hon! elle m'égorgerait, si elle pouvait, cette vieillelà. Or çà, ceignons nos reins. (Il s'enveloppe de son manteau en piaffant sur le parquet.) A propos,. . . diable !. . . je crois me souvenir que tu ne dors pas en voiture, toi ?

DUPUIS

Je te demande pardon ! le mieux du monde.

ROUVIÈRE

Bon, tant mieux... C'est attelé, je pense?... Cette fenêtre donne-t-elle sur la rue ? (Il l'ent'rouve et la referme aussitôt,) Oh ! oh ! quelle brise infernale !... c'est à fendre les pierres !... Ah çà ! j'y songe... j'ai une glace brisée... j'ai peur que tu ne gèles là dedans, mon pauvre ami?

DUPUIS, taisant sa toilette de voyage

Ne crains rien ; je supporte le froid comme un Lapon.

ROUVIÈRE

Oui ?. . . Allons, bravo I (Neuf heures sonnent. Entre madame Dupuis portant un chàle.)

OCTAVE FEUILLET. (A suivre.)

Les abonnes des ANNALES sont prévenus que toute demande de changement d'adresse doit être accompagnée d'un timbre de 20 centimes, pour les frais d'impression d'une nouvelle bande.

LIVRES ET REVUES

La France juive, par M. Drumont. — L'Art des Jardins, de M. Alphand.

Peu de livres ont fait autant de bruit à leur naissance que la France juive de M. Drumont (1). Imaginez un Don Quichotte, armé de pied en cap, tenant une plume acérée en guise de lance, à cheval non plus sur Rossinante, mais sur deux gros volumes de douze cents pages, et lançant à droite, à gauche, de grands coups d'estoc et de taille à pourfendre les montagnes. Savez-vous que la comparaison est moins fantaisiste qu'elle ne le paraît au premier abord? Il y a du Don Quichotte en M. Drumont. Comme l'hidalgo de la Manche, l'auteur de la France juive est sincère, de parfaite bonne foi; comme lui il est pénétré de l'importance de son rôle, de la sainteté de sa mission; mais la ressemblance ne s'arrête pas en chemin. Comme Don Quichotte M. Drumont a la cervelle hantée par de fantasques visions; de même que le héros de Cervantès était sans esprit en toutes choses hormis sur un point, de même, si M. Drumont nous parle littérature, beaux-arts, morale, il est spirituel, sensé, raisonnable; mais que la question des juifs surgisse, aussitôt son esprit s'exalte, s'enflamme, c'est un lion déchaîné. Il s'élance dans la mêlée l'oriflamme au poing. Tant pis s'il rencontre sur son chemin des moulins à vent inoffensifs. Il les attaque avec furie, et passe tout ce qui s'offre à lui au fil de l'épée.

Nous qui sommes désintéressés dans la question, nous pouvons juger ce livre avec calme, et nous dirons sincèrement à M. Drumont qu'il s'y montre vraiment trop exalté ; il affaiblit par sa violence la cause qu'il prétend servir ; on devine l'esprit de système, là où ne devrait régner que la justice. En englobant tous les juifs indistinctement dans son anathème furieux, M. Drumont rallie quelque sympathie à ses adversaires. Nous admettons avec M. Drumont que beaucoup de juifs, que presque tous ces petits juifs allemands, tripoteurs d'affaires, qui encombrent les marches de la Bourse, sont des individus peu recommandables, fort méprisables, sans patrie, dépourvus de conscience et de sens moral, qui nous exploitent en temps de paix, nous trahissent en temps de guerre, et haïssent en. tout temps ceux qui les font vivre. Mais pourquoi n'admet il pas que certains israélites soient d'honnêtes gens probes et intègres ? M. Drumont va trop loin dans sa haine, et surtout il ne vérifie pas assez la valeur des armes qu'il ramasse pour la servir. Lorsqu'on accuse quelqu'un d'une infamie, il faut être bien sûr de ce qu'on dit, et ne pas ramasser l'injure dans le ruisseau; c'est là bien souvent, dans des potins de journaux et des bruits de coulisse mal contrôlés, que M. Drumont cherche des armes, Cela est un peu léger, de la part d'un homme de lettres respectable et respecté.

Ces réserves faites, il faut convenir que lorsque M. Drumont frappe juste, ce qui lui arrive souvent, il frappe très fort. Au point de vue littéraire, son ouvrage est plein de talent ; il contient des pages d'une âpre éloquence et d'un entrain, endiablé. Vous avez vu plus haut avec quelle verve M. Drumont fouaille certains loups-cerviers de cette aristocratie d'argent qui nous éclabousse de son luxe ! Il n'est pas moins sanglant dans les invectives qu'il adresse aux hommes de sou

parti, à ces grands seigneurs qui, selon lui, prostituent leur nom, en peuplant les salons dorés des gros barons allemands. M. Drumont est d'une intrépidité qui frise la témérité. Mais il ne se cache pas ; il soutient l'attaque avec vaillance, et offre sa poitrine aux coups. En France on aime les braves, même lorsqu'ils sont un peu fous. M. Drumont dit tout ce qu'il pense, sans ménagements. Cela est remarquable, à une époque où tant de gens ne pensent pas ce qu'ils disent. M. Drumont est un paladin qui tombe dans une réunion de diplomates; il fait voler au loin leurs paperasses, casse en mille miettes leurs encriers, arrache leurs perruques, les tire par la barbe sans aucun respect et les regarde bien en face le poing sur la hanche, à la grande joie de la galerie. La galerie, c'est vous, c'est nous, c'est le public, qui contemple avec intérêt, et non sans une certaine joie maligne, ce curieux spectacle.

Il y a beaucoup à élaguer dans ce livre, beaucoup à atténuer, à modifier ; mais il lui reste une part de vérité suffisante pour qu'il soit édifiant, et M. Drumont pourra quand il le voudra, lorsque sa fougue se sera calmée, et par un travail de revision consciencieux, tirer un livre d'histoire de ce pamphlet.

Quittons ces régions tumultueuses et troublées; pénétrons avec M. Alphand, l'éminent ingénieur, dans le calme domaine qui est le sien, dans le domaine des parcs, des promenades et des jardins.

Vous savez ce que M. Alphand a fait de Paris, par quelle transformation miraculeuse, il a tiré des anciens cloaques de la vieille cité, une ville neuve, aérée, luxueuse, splendide. Les vieux quartiers avaient bien leur charme. M. Alphand, qui est un artiste en même temps qu'un ingénieur, a dû bien souvent gémir lorsque les antiques maisons, les tourelles suspendues, les rues tortueuses sont tombées sous la pioche des démolisseurs. Mais un intérêt supérieur l'exigeait. L'hygiène, les soins de la santé publique faisaient de ces sacrifices un devoir. M. Alphand a voulu du moins nous fournir une agréable compensation, et il a remplacé les curiosités pittoresques d'autrefois, par l'attrait de somptueuses promenades et de magnifiques jardins. M. Alphand a cru être utile aux ingénieurs, agréable aux gens du monde en consacrant au bel art des jardins un ouvrage digne de lui. M. le baron Ernouf lui a prêté son concours ; le superbe volume qui vient de paraître (1) est un des plus intéressants qui aient été publiés sur cette matière.

Les annales de l'Art des Jardins en France offrent deux périodes mémorables. Le Nôtre avait inauguré la première en donnant à ses créations un caractère essentiellement aristocratique; Paris a vu commencer la seconde, il y a quelques années.

Ses nouvelles promenades ont obtenu, comme jadis les oeuvres de Le Nôtre, un succès cosmopolite et cette impulsion s'est étendue jusqu'aux jardins particuliers. C'est donc la ville de Paris qui a eu l'initiative de cette évolution, conforme aux tendances de l'esprit moderne.

La question d'art joue désormais un rôle considérable en toute chose; des monuments, elle s'est étendue à la décoration intérieure, aux appartements. Chaque fondation, chaque conception publique ou privée,

(I). L'Art des Jardins. —Parcs, Jardins et Promenades. Publication do luxe in-4% ornée de 512 vignettes. Un tort volume in-4°, imprimé avec luxe sur papier teinté tort et sous-couverture peau d'àne en couleur, 20 fr. — Paris, J, Rothschild, éditeur, 13, rue des Saint-Pères.

(1) 2 vol., 7 fr., (Marpon).


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

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doit en porter le cachet et attester cette préoccupation; elle se reflète partout, à tous les degrés de l'échelle sociale.

Les jardins, soit au point de vue du plan général, soit à celui de leur aménagement dé détail, de la couleur, de l'harmonie et du dessin, devaient aussi participer dans une large mesure à ce mouvement progressif. On peut dire, en effet, que toutes les branches de l'art trouvent leur emploi dans leur création : — l'architecture, dont ils furent, à l'origine, une dérivation immédiate; — la sculpture, qui concourut de tout temps à leur décoration ; la peinture qui fournit surtout des enseignements indispensables pour les jardins du genre dit irrégulier. Comment, en effet, composer des scènes dans le style paysager, si l'on ne sait pas d'abord ce que c'est qu'un paysage?

Un dernier chapitre, consacré aux squares et promenades, contient des renseignements techniques qui pourront être utiles aux administrations municipales disposées à suivre de loin l'exemple de Paris et aux propriétaires qui voudraient exécuter, sur une échelle moins vaste, des travaux analogues, tels que la transformation d'un bois ordinaire eu parc ou jardin paysager.

L'art des jardins est bien un art en effet. Il en présente tous les caractères. Nous le voyons se développer en même temps que notre école de paysagistes. Au début, avec Poussin, avec Le Lorrain, le paysage est noble et majestueux; l'architecture y tient une grande place. De son côté, Le Nôtre apporte le même goût de décoration apprêtée et sévère dans l'aménagement des jardins. Bientôt, le paysage s'émancipe, devient plus libre, plus large. La nature y reprend ses droits, on la copie avec une fidélité de plus en plus grande; l'artiste l'interprète, l'arrange encore, mais s'inspire d'elle. Les jardins suivent une voie toujours parallèle. On commence à trouver que les allées sinueuses sont moins grandes que les allées droites; on renonce peu à peu à l'architecture verte; l'idée d'imiter la nature dans ses beaux endroits prévaut sur celle des combinaisons géométriques.

Sans doute, il ne faut pas que l'amour du pittoresque aille trop loin et peuple les plus petits jardins de grottes postiches, de ponts minuscules, de fausses rivières et de rochers rococos. C'est une question de tact, de goût, de mesure, et à ce triple point de vue on ne saurait trouver de guide plus éclairé que M. Alphand, — ce Le Nôtre moderne, plein d'imagination et de talent.

AD. BRISSON.

RAYMONDE

Antoine laissa retomber sa tête dans ses mains. — Vous avez raison, soupira-t-il, mais votre raison me fait froid au coeur. Je sens en moi quelque chose de mort que rien ne ressuscitera plus : la, foi dans la parole des autres. J'ai là une plaie qui sera éternellement saignante...

—Ta plaie se fermera, mon pauvre garçon! répondit M. Noël, qui s'était levé et lui serrait tendrement les deux mains.

Antoine hochait la tête. - Tu guériras, sacrebleu, s'écria le bonhomme, tu n'es pas d'une autre pâte que tes semblables !... Regarde-moi, j'ai cruellement souffert dans un temps, et d'une blessure plus envenimée que la tienne. J'avais, comme toi, le sang chaud, le coeur tendre et des nerfs de sensitive... J'ai oublié pourtant C'est la loi de nature ; elle nous donne l'oubli pour assoupir nos

peines, comme le sommeil pour défatiguer nos corps. Il étend petit à petit sur nos blessures ses minces toiles d'araignée, puis un jour le sang ne coule plus, la déchirure est cicatrisée. On se demande : qu'est devenue ma jalousie? où est ma colère? où est ma rancune? Il n'y a plus rien, l'oubli a tout endormi.

Il y eut un moment de silence. La pluie fouettait toujours les carreaux avec rage, et le vent geignait dans l'escalier. Entre deux rafales on entendit des coups précipités résonner à la porte de la maison.

— On a frappé ! dit Antoine en prêtant l'oreille.

— Bon ! c'est le vent qui fait battre les volets.

Un nouveau coup plus distinct leur arriva, répercuté par les parois sonores de la cuisine, et Vagabonde, reveillée en sursaut, se mit à aboyer furieusement.

— Je vous assure qu'on a heurté à la porte ! reprit le jeune homme, qui s'était levé.

'— Sans doute quelque camp-volant qui prend ma maison pour une auberge ! grommela M. Noël en allumant sa lanterne, sois tranquille, je vais l'expédier...

Il laissa Antoine en tête-à-tête avec Vagabonde, et descendit lestement le petit escalier qui menait à la cuisine. — Qui est là? cria-t-il avant de tirer les verrous.

Pas de réponse, ou du moins, s'il y en eut une, elle était si faible qu'elle se confondit avec la plainte du veut. Impatienté, M. Noël déverrouilla la porte, qui s'ouvrit toute grande sous la pression d'une rafale humide, et fit vaciller la lumière de la lanterne ; en même temps, le vent poussa dans la cuisine une femme aux vêtements ruisselants, et le vieux professeur, soulevant son falot, reconnut Raymonde.

Une idée traversa tout d'abord le cerveau du bonhomme et accrut sa mauvaise humeur.

— Elle sait qu'Antoine est au Chânois, pensa-t-il, et elle a l'audace de venir l'y relancer...

— Celui que vous cherchez n'est pas ici ! cria-t-il eu repoussant la jeune fille, passez votre chemin !

— Je ne cherche personne que vous, monsieur Noël. C'est à vous que je veux parler.

— Qu'avez-vous à me dire ? continua-t-il sur le même ton bourru, en persistant à lui barrer la porte, parlez donc... j'écoute.

— Me laisserez-vous dehors par un temps pareil? répliqua Raymonde d'une voix si triste que le bonhomme sentit sa rudesse s'amollir.

Il souleva de nouveau sa lanterne et considéra ce joli visage battu par le vent et la pluie ; la jeune fille grelottait, sa robe mouillée lui collait au corps, et ses cheveux, à peine protégés par un fichu noué en fanchon, étaient tout ébouriffés. M. Noël recula peu à peu et laissa l'importune visiteuse franchir le seuil du Chânois. — Au fait, murmurait-il, elle est trempée comme si elle sortait de la rivière... Hum !... Et ces dents claquent de froid... Entrez donc, puisque vous voilà... Surtout pas de cris, j'ai horreur de ces simagrées-là ! Entrez et fermez la porte.

Pendant ce temps, on entendait Vagabonde aboyer et se démener comme une possédée. Tout en bougonnant, le vieillard avait empoigné dans un coin une bourrée de ramilles et l'avait jetée sur les landiers de la cheminée. Il l'alluma, et en un clin d'oeil une belle flamme vive pétilla dans l'âtre.— Voilà le feu qui claire, poursuivit-il sans regarder Raymonde; il faut avoir le diable au corps pour courir les champs par ce vent déchaîné ! Enfin, bien rusé qui empêchera une femme de faire des folies. — Il poussa une chaise devant le foyer. — Asseyez-vous et séchezvous !

— Merci, murmura-t-elle.

Il haussa les épaules d'un air dépité : — Ne me remerciez pas; j'agis comme contraint et forcé... Cette chienne maudite ne se taira donc pas ? Attendez-moi, je vais revenir.

Il entrebâilla la porte de l'escalier et gagna

à tâtons la bibliothèque où Antoine se promenait, inquiet. — Ce n'est rien, balbutia le vieux professeur, essoufflé, c'est la fermière qui vient pour les provisions... Ne t'impatiente pas.

— Je vais descendre avec vous, dit le jeune homme, intrigué des façons mystérieuses de M.Noël.

— A d'autres ! pensa le bonhomme aux abois, il ne manquerait plus qu'ils se rencontrassent.— Non, non, s'écria-t-il, tu ne me déranges pas et j'ai à te parler. Prends un livre, j'aurai tôt fait.

Il ouvrit un placard, en tira une bouteille poudreuse qu'il cacha sous sa redingote, puis, donnant une rebuffade à Vagabonde, qui voulait le suivre, il s'esquiva, tandis qu'Antoine l'examinait d'un oeil soupçonneux.

Quand il rentra dans la cuisine, Raymonde, les coudes sur ses genoux, la tête dans ses mains, regardait fixement la flamme. Elle avait dénoué sa fanchon; ses cheveux en désordre, baignés par la clarté dorée du foyer, formaient comme une auréole autour de sa tête, ses vêtements fumaient. M. Noël prit un verre dans la huche, l'emplit à demi du vieux vin qu'il avait apporté et le tendit à la jeune fille. — Tenez, fit-il de son même ton bourru, buvez cela pour vous réchauffer le sang.

Elle porta le verre à ses lèvres et but une gorgée, tandis que le vieillard jetait une nouvelle bourrée dans l'âtre. — Dites-moi votre histoire, reprit-il et soyez brève, je n'ai pas de temps à perdre.

Il continuait à arpenter la salle d'un pas nerveux. Un grillon, réveillé par la chaleur du brasier, poussait son petit cri derrière? la platine. Raymonde, peu encouragée par l'attitude de son hôte, remuait les lèvres sans trouver une parole. — Vous vous imaginiez? qu'Antoine était au Chânois? Soyez franche! murmura-t-il avec humeur.

— Non, répondit-elle, j'étais partie dans l'intention de lui parler, c'est vrai; mais quand j'ai été devant sa maison et que j'ai vu de la lumière aux vitres, je n'ai plus osé entrer... Alors j'ai pensé à vous, et l'idée m'est venue d'aller frapper à votre porte.

— Hum ! singulière idée !... Et pourquoi avez-vous pensé à moi, s'il vous plaît !

— Parce que je sais qu'Antoine vous aime et vous respecte comme un père.. Si je parviens à vous convaincre que je ne suis pas coupable, vous le lui redirez et il vous croira.

— Savoir ! grogna-t-il, un peu apaisé néanmoins ; — supposez-vous que je sois si facile à embobeliner? Ce n'est pas moi qu'on prend avec des comédies de sentiment et des faussetés enveloppées de câlineries !

— Je ne suis pas fausse, s'écria Raymonde, jamais je n'ai parlé autrement que je ne, pense.

— Ne criez pas si haut, répliqua rudement M. Noël, qui tremblait qu'Antoine ne reconnût la voix de Raymonde.

— Je n'ai jamais joué la comédie ! répétat-elle en le regardant droit dans les yeux.

— Pas même avec Antoine ?

— Est-ce que c'était possible?... Je l'aimais.

— Et avec M. de Préfontaine?

— Pas même avec M. de Préfontaine !... Elle s'arrêta, il lui semblait avoir entendu

un bruit de pas et un soupir derrière une cloison : mais c'était sans doute une hallucination de ses oreilles, où bourdonnaient encore le ruissellement de la pluie et les rumeurs du vent. Dans la salle, le grillon accompagnait seul de son cri régulier le va-etvient du bonhomme, qui arpentait la cuisine. — Est-ce-tout? demanda celui-ci en s'arrêtant tout à coup devant Raymonde.

— Non, répondit-elle avec un accent de prière, soyez patient avec moi. Antoine m'a souvent dit que vos façons sévères cachaient un bon coeur. Montrez-vous bon pour moi et écoutez-moi sans me rudoyer. Vous avez nommé M. de Préfontaine ; eh bien ! oui, on a voulu, me marier avec lui. Ma mère désirait ce mariage, et mon père pensait comme

Voir les numér. des 24,31 janv., 7, 14, 21, 28 févr., 14, 21, 28 mars, 4, 11, 18 et 25 avril.


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

elle. Je n'avais pas rencontré Antoine, je ne savais pas ce que c'était qu'aimer, et M. de Préfontaine m'était indifférent ; mais on prétendait que c'était le seul parti qui s'offrit pour moi, et ma mère employa toute son influence pour me pousser à ce mariage...

M. Noël lança une sourde imprécation ; puis, voyant que la jeune fille s'arrêtait, interdite : — Allez, allez, murmura-t-il, j'écoute.

— Et puis, continua-t-elle, j'étais si lasse de la vie que je menais ! Je ne sais si tous les intérieurs ressemblent au nôtre ; il y a chez nous je ne sais quelle contrainte mystérieuse qui glace le coeur et empêche toute intimité. Dans ses rares moments de bonne santé, mon père me gâte et se laisse câliner, mais il a l'air parfois si ennuyé, il semble tramer sa vie comme un boulet... Je vous dis toutes ces choses pour que vous compreniez bien ma situation. Ma mère ne m'a jamais aimée, on dirait qu'elle m'en veut d'être venue au monde, et moi-même, quand je descends au fond de mon coeur, je n'y trouve pas cette tendresse que les autres enfants ont pour leur mère... Je dois vous paraître un monstre ?

— Non, fit-il avec un soupir de soulagement... Ainsi vous n'étiez pas heureuse chez vous?

— J'y étais tantôt triste, tantôt folle, jamais je n'y étais à l'aise. Cela vous explique comment l'idée d'épouser un homme que je n'aimais pas ne m'a point effrayée tout d'abord. ..M. de Préfontaine m'a offert sa main ! je ne l'ai ni acceptée ni repoussée, et c'a été mon tort, car il a pris mon indifférence pour de la timidité et il s'est imaginé que j'avais du goût pour lui. Il s'est absenté, et Antoine est venu à la maison. Dès le premier jour, il a eu mon coeur, et M. de Préfontaine n'a plus existé pour moi.

— Mais pourquoi avez-vous caché à Antoine ce qui s'était passé ? Pourquoi n'avezvous pas rompu tout net avec Préfontaine ? s'cria le bonhomme, dont la pétulance trahissait un intérêt croissant.

— Pourquoi?.. Ah! je ne sais pas si vous allez me comprendre, mais il me semble que je comprendrais si bien ce scrupule-là, si on me le confiait.. J'étais tellement heureuse d'aimer, tellement fière d'être aimée par Antoine, je l'estimais si haut, que mon bonheur m'effrayait. A chaque instant j'avais peur de le voir s'évanouir comme dans un rêve. Je me disais : Si je parle, Antoine ne m'aimera peut-être plus, et si je le perds, adieu la joie de ma vie !... Et alors, voyez-vous, j'étais lâche, j'ajournais mes confidences au lendemain en songeant qu'après tout c'était encore un jour heureux de gagné. J'en ai été cruellement punie. Le soir même où je me promettais de tout avouer et où j'étais décidée à rompre avec M. de Préfontaine, il est revenu,.et avant que j'aie pu rien expliquer, c'est lui qui s'est chargé de tout révéler à Antoine. Voilà comment je me suis rendue malheureuse pour toujours,

M. Noël, debout devant l'âtre, une main posée en abat-jour sur ses yeux, regardait Raymonde avec une attention mélangée de surprise et d'attendrissement. Une magique influence avait encore une fois fait jouer la serrure rétive de la mystérieuse cachette enfermée dans son coeur. Les souvenirs de sa jeunesse lui envoyaient au cerveau leurs odeurs pénétrantes. Il songeait : — J'ai été ainsi, j'ai senti de même, au temps où j'aimais. — Et toutes ses méfiances, toutes ses préventions, étaient comme neutralisées par ce parfum de l'amour vrai que rien ne détruit dans les âmes qu'il a une fois imprégnéés.

— Je vous ai tout dit, reprit Raymonde en se levant, me croyez-vous sincère ?

—Je vous crois, murmura-t-il d'une voix qui n'avait plus rien d'acerbe. — Il lui prit les mains, et, tandis qu'il les lui serrait fortement, elle sentit quelque chose de chaud et d'humide rouler sur ses doigts. Elle releva la tête: et, à la clarté du brasier, elle vit scintiller les yeux mouillés de M. Noël. —

Pardon, fit-il eu bredouillant, je suis nerveux, je suis bête !

— Ah! s'écria Raymonde, vous êtes bon. Antoine me l'avait bien dit!... Pourquoi n'est-il pas là pour m'entendre, comme vous ?

— Il y est, balbutia le bonhomme.

— Oui, et il vous a entendue ! répéta derrière eux une voix vibrante.

La porte de la bibliothèque était ouverte, et Antoine s'était précipité au milieu de la salle. Raymonde poussa un cri et devint pâle.

— M'en voulez-vous d'avoir écouté aux portes ? dit le jeune homme en lui envoyant son regard le plus caressant; dès que j'ai distingué votre voix, j'ai enfermé Vagabonde dans le capharnaüm où l'on m'avait relégué, et je me suis glissé jusqu'au bas de l'escalier.

La jeune fille était si tremblante qu'elle pouvait à peine parler.

— Vous me pardonnez, dit-elle enfin, vous m'aimez toujours ?

— Je vous aimais quand même... Demandez à M. Noël! Il a vu combien j'étais misérable tantôt.

— Et maintenant ?

— Maintenant je suis heureux comme un roi et léger comme une plume, s'écria-t-il en sautant au cou de M. Noël... heureux, bien heureux ! balbutiait-il en le serrant à l'étouffer.

— Lâche-moi ! grommela le bonhomme ; parce que tu es fou, ce n'est pas une raison pour asphyxier ton prochain. — Ne sachant plus comment cacher son émotion, M. Noël plongea tout à coup dans l'escalier, grimpa au capharnaüm et alla délivrer Vagabonde qui se précipita dans la cuisine en se tortillant et en poussant de petits cris étouffés, tant et si bien qu'elle réveilla le corbeau perché sur la crédence, et qu'à eux d'eux ils souhaitèrent à leur façon la bienvenue aux amoureux. M. Noël, ne pouvant tenir en place, jetait sur le brasier des brassées de menu bois, et cette flambée libérale donnait un air de fête à la vieille salle enfumée. La clarté courait des flancs de la huche aux épis de maïs des solives; elle dansait au fond des assiettes, lançait des éclairs aux casseroles de cuivre, aux vitres poudreuses, et enveloppait d'un nimbe radieux la jolie tête échevelée de Raymonde. Antoine, qui avait repris un peu de sang-froid, remarqua tout à coup le désordre de la toilette de la jeune fille. — Dans quel état cette pluie vous a mise, s'écria-t-il; et comment avez-vous pu quitter la Maison Verte à une pareille heure ?

Elle tressaillit, et sa figure reprit une expression inquiète. Elle leur raconta sa rupture avec Osmin, sa querelle avec sa mère et la violence qui avait précipité le dénouement. M. Noël ouvrait de grands yeux et reniflait bruyamment. Antoine était redevenu pensif, son front se plissait et son regard s'était assombri.

— J'irai, dit-il, trouver demain votre père et le supplier... Peut-être se laissera-t-il toucher?

Raymonde secoua la tête. — Mon père n'est pas le maître, répondit-elle, et de sa vie il n'a eu une volonté. Il est dominé par ma mère et il lui obéira. Dieu sait ce qu'elle lui conseillera, car elle vous déteste et ne m'aime guère ! Mon obstination l'a exaspérée, elle parlait de m'enfermer dans un couvent, et il est certain qu'elle tentera tout pour m'intimider... Mais j'ai une volonté, moi, et rien ne me fera plier.

— Vous êtes mineure et par conséquent sous sa dépendance... Elle peut vous cloîtrer dans un couvent jusqu'à votre majorité.

— Oh ! s'exclama-t-elle avec un accent de révolte, j'aimerais mieux me jeter au fond de l'eau !

— Raymonde !... — Antoine allait et venait d'un air agité,

— Eh quoi ! s'écria-t-il avec une rage passionnée; ne vousaurai-je retrouvée que pour vous perdre?... Demain, ce soir peut-être,

ils viendront vous arracher d'ici et nous séparer pour des années... Ils le peuvent, la loi est pour eux.

Pendant cet entretien, M. Noël était resté concentré en lui-même, il piétinait avec impatience et marquait son émotion par de formidables grimaces. Aux derniers mots d'Antoine, il éclata.

— La loi ?... murmura-t-il, hum ! c'est à savoir, et si on parlait... Eh bien, oui, sacrebleu ! je parlerai... Vous vous marierez, c'est moi qui m'en charge.

— Vous, monsieur Noël? — Antoine restait interdit, Raymonde regardait le bonhomme gesticuler et se demandait s'il ne devenait pas fou.

— Moi-même.. .Il y a eu un temps où le silence était bon, maintenant il faut parler... Je te dis que tout ira bien, continua-t-il en prenant Antoine par le bras, tu ne comprends pas, hein?... Bah! tu n'as pas besoin de comprendre. Tu vas redescendre à Auberive et t'y tenir coi jusqu'à demain soir;, Quant à mademoiselle?...

Il s'arrêta et regarda Raymonde d'un air embarrassé. L'idée d'héberger une femme au Chânois le contrariait visiblement.

— Diantre ! grommela-t-il

. — Il ouvrit la porte d'entrée, jeta un coup d'oeil sur le ciel :

— Elle ne peut pourtant pas coucher à là belle étoile, reprit-il comme en réponse à une objection intérieure; d'ailleurs, il faut qu'elle reste ici jusqu'à demain ... Il se retourna vers Antoine :

— Vois, étourneau, à quelles extrémités me poussent tes folies ! Où vais-je loger mademoiselle ?

— Je puis dormir sur un fauteuil, hasarda?: Raymonde en souriant.

— Allons donc ! grogna le bonhomme d'un air incrédule, est-ce que vous êtes habituées à dormir sur un fauteuil ?

Il alla jusqu'à sa chambre à coucher, entrebâilla la porte, resta un moment sur le seuil, la mine perplexe : Enfin, le vin est tiré !... murmura-t-il ; — puis, revenant? vers Antoine :

— En descendant, tu passeras à la ferme, on ne doit pas y être encore couché, et tu diras à la fermière qne j'ai besoin d'elle pour cette nuit... Et maintenant décampe! s'écria-t-il en poussant le jeune homme dehors.

— Mais, monsieur Noël...

— Va-t'en, et n'oublie pas ma commission!

Lorsque Antoine eut disparu, le vieillard ? se retourna vers Raymonde, qui restait immobile et l'examinait curieusement.

— Je vous donnerai mon lit, reprit-il d'un ton moitié grognon, moitié plaisant; honni soit qui mal y pense!

Il fouilla au fond d'un placard, en tira des draps blancs, garnit le lit et bordales couvertures. Sur ces entrefaites, la fermière arriva tout.essouflée. Sans tenir compte de ses effarements et de ses! exclamations, le bonhomme se contenta de murmurer:

— Mademoiselle couchera ici cette nuit, je compte sur vous pour lui servir de chambrière... Vous étendrez un matelas au pied du lit... Quant à moi, je dormirai dans mon fauteuil.

Une heure après, tout était rentré dans l'ordre. On n'entendait plus que là clameur du vent dans l'escalier et le cri du grillonderrière la platine. M. Noël s'installa dans son fauteuil, tandis que Vagabonde, postée en face de lui, la queue en mouvement et les oreilles couchées, semblait lui poser une muette interrogatien. — Eh bien!.quand tu me regarderas avec des yeux ronds-? grogna le bonhomme impatienté. Oui, il y a une femme ici... Il y en a même deux... C'est comme cela!

Laissez-leur prendre un pied chez vous,

Ils en auront bientôt pris quatre.

Suffit, dormons! — Et, il souffla sa lanterne. ANDRE THEURIET A suivre.)


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

287

Chronique du Palais

UNE FÊTE DE FAMILLE

La fête de Pageon a commencé, comme toutes les fêtes, par des bouquets, des embrassades, des compliments et des santés portées le verre en main ; elle s'est terminée de la façon qu'on va connaître :

Deux ménages, le ménage Bureau et le ménage Drouillot, viennent s'asseoir au banc des prévenus. Le ménage Pageon va s'asseoir au banc de la partie civile.

M. le Président (à Pageon,) — Vous autorisez votre femme à porter plainte ?

Pageon. — Comme ayant reçu un morceau de tarte à la frangipane en pleine figure, et son bonnet déchiré.

M. le président. — Enfin, vous l'autorisez?

Pageon. — Des deux mains.

M. le Président. — Combien demandezvous de dommagee-intérêts ?

Pageon. — On m'a dit de demander 500 fr. pour en avoir 25. (Rires.) Je demande 500 fr.

La femme Pageon (à demi-voix.) — Imbécile!

M. le Président. — Dites ce dont vous vous plaigniez.

Pageon. — Etant le jour de ma fête, nous avions invité M. et Mme Bureau, ainsi que le sieur Drouillot et son épouse, qui se sont contentés de s'enivrer, mais qui se sont maintenus en gens distingués, tandis que le sieur Bureau et sa femme, ainsi que le sieur Drouillot et la sienne, se sont conduits comme des gens de classe la plus inférieure. C'est M. Drouillot qui, étant en ribote, commence par prendre des libertés avec mon épouse, que là-dessus voilà sa femme qui se met à faire une scène de jalousie à la mienne, qui lui répond : « Il en a fait bien plus avec mam' Bureau, que vous ne dites rien ; » là-dessus, v'là mam' Bureau qui entreprend ma femme, dont moi je prends son parti. Voyant ça, Bureau prend le parti de sa femme; que, pour lors, les voilà tous les quatre contre nous, des gens que nous avions invités, monsieur, dont j'avais fait des frais de vin, de gâteaux et de liqueurs, jusqu'à de la chartreuse et de l'anisette pour les dames, qui n'aiment pas le fort...

M. le Président. — Voyons, quels coups avez-vous reçus ?

Pageon. — C'a a commencé par Bureau, qui m'a envoyé une bouteille à la tête, dont je me suis effacé, et que la bouteille a été casser un pot à l'eau et une cuvette de quarante-cinq sous; ma femme, là-dessus, lui repasse une gifle; mais Bureau lui arrache son bonnet; moi, j' veux me défendre contre Bureau; j'attrape Drouillot par mégarde, qui m'envoie un coup de chandelier ; ma femme va pour sauter sur lui, mais la sienne envoie à la mienne un morceau de tarte qui lui bouche tout le visage, et elle lui arrache son bonnet, si bien que nous, voilà tous les six que nous sautons les uns sur les autres; on renverse la table, v'là les assiettes, les verres, les bouteilles qui tombent, patatras ! et nous par-dessus, les jambes en l'air, enfin une orgie.

M. le Président. — On s'amuse singulièrement à votre fête.

Pageon. — Avec des gens pareils, comment voulez-vous? Les autres, voyez, ils se sont contentés de s'endormir ; ils ont tombé avec la table, et ils sont restés par terre sans rien dire.

M. le Président. -— Asseyez-vous. Bureau, qu'avez-vous à dire?

Bureau. — Mais, vous voyez, le sieur Pageon vous a dit la chose, nous nous sommes attrapés tous, on ne sait pas qui est-ce qui a commencé.

M. le Président. — Et vous, Drouillot ?

Drouillot. — Moi? si jamais je resouhaite la fête au sieur Pageon, il fera chaud ; comment ! il vous invite, et on se fiche des peignées chez lui, que toute la maison en était en l'air; est-ce que je sais seulement comment c'est venu? Nous étions tous en ribote; on s'était attrapé, c'est bien, le lendemain on n'y pense plus; et pas du tout, il s'en va chez le commissaire, et nous voilà ici, moi que je suis pressé, que j'ai quatorze grosses de procédés à livrer à un cafetier, c'est dégoûtant.

La femme Drouillot. — Et ils nous demandent des dommages-intérêts pour payer leur tarte et leur vin, qu'ils peuvent bien les garder une autre fois.

La femme Bureau.— Ah! voui!... et se souhaiter leur fête sans nous ; merci, c'est du propre.

La femme Pageon. — Vous n'avez pas besoin de le dire, mam' Bureau.

Le tribunal, sur l'avis du ministère public, a renvoyé les prévenus de la plainte et condamné la partie civile aux dépens.

JULES MOINAUX.

LE SALON-ARTISTE 1886

Album grand in-8°, contenant 200 dessins originaux d'après les oeuvres exposées, exécutées exclusivement pour cet ouvrage, avec une couverture en deux tons, dessinée par M. Luc-Olivier Merson.

Les collaborateurs du Salon-Artiste ont donné exclusivement à ce recueil les dessins de leurs oeuvres exposées. Le défaut de place ne nous permet pas de donner ici la liste des signatures que nous relevons sur ces dessins ; nous nous contenterons de dire que la plupart sont de nos principaux peintres et sculpteurs, et qu'un tel groupement donne à cet album une valeur artistique sans égale.

L'administration des Annales s'est entendue avec l'éditeur, pour donner cet albura EN PRIME à ses abonnés, moyennant le prix de 4 FRANCS, pris au bureau.

Grâce à cet album, nos abonnés des départements pourront parcourir les galeries de l'Exposition, sans sortir de chez eux.

Envoyer un mandat de 4 francs à M. le directeur des Annales.— (Ajouter 75 centimes, pour frais de port et emballage.)

COMMUNICATIONS DES ÉDITEURS

L'Edition nationale, 40, rue de Coudé, met en vente le fascicule 26 des OEuvres complètes de Victor Hugo (n° 1 des Contemplations, tome II —Aujourd'hui).

A signaler une délicieuse composition de M. Adrien Moreau, tirée de la poésie intitulée « Pauca Meoe ».

Pendant que le berger, l'oeil plein de visions, Cherche au milieu des bois son étoile et sa roule,

Ce tableau a été traduit à l'eau-forte par M. Deblois.

Les illustrations à mi-page de M. Urbain Bourgeois sont remarquables de style et d'exécution.

Bigarreau, nouvelles par André Theuriet, paraît aujourd'hui chez A. Lemerre, éditeur Bigarreau, histoire poignante des aventures et de la mort d'un jeune détenu que l'amour réhabilite, retrouvera certainement sous la forme du livre le grand succès qu'il a obtenu dans la Revue des Deux-Mondes. Il en sera de même des autres récits qui composent ce nouveau volume de l'auteur du Péché mortel.

Chez Ollendorff, Ecrivains et penseurs, essais critiques de M. Jean-Paul Clarens, précédés d'une lettre de M. Sully Prudhomme. Disons des monologues, recueil de monologues en vers, très finement écrits par M. Paul Lheureux.

La Revue littéraire de Touraine poursuit avec le plus grand succès l'exécution de son programme.

Elle offre aux auteurs un sûr moyen de se faire connaître et organise chaque année des concours trimestriels et un grand concours annuel.

Le deuxième concours trimestriel de 1886 — poésie — sera ouvert du 1er au 31 mai 1886.

Il sera décerné, s'il y a lieu, des palmes d'argent et de bronze et des mentions honorables.

Demander le programme, en envoyant un timbre pour la réponse, à M. Auguste Chauvigné, rédacteur en chef, rue George-Sand, 4, à Tours (Indre-et-Loire).

Sous ce titre : l'Amour de Babel, qui est à lui tout seul un poème, — Pierre Véron vient de faire paraître à la librairie Dentu un des livres les plus amusants qui soient sortis de sa plume humoristique. L'oeuvre est illustrée de deux cent-seize dessins de Draner, et l'on sait que ce crayon populaire, qui excelle à la fois dans le genre comique et dans le genre gracieux, n'est pas fait pour jamais rien gâter.

BULLETIN DE LA MÉNAGÈRE

Dîner du 2 Mai

Potage aux jaunes d'oeufs.

Abatis de dindon à la bourgeoise.

Filet de mouton à la Régence.

Champignons farcis.

Baba au rhum.

Abalis de dindons à la bourgeoise. — Après avoir échaudé et épluché les abatis, les mettre dans une casserole avec du beurre, une gousse d'ail, quelques champignons, deux ou trois clous de girolle, du thym, du laurier et du basilic ; passer sur le feu, ajouter une bonne pincée de farine ; mouiller avec du bouillon, ajouter sel, gros poivre, puis quelques navets convenablement roussis à la poêle ; faire cuire, dégraisser, et que la sauce soit courte.

LES JEUX DU DIMANCHE

431. — Contruction

Par Ali Aîné à Moras (Drôme)

Mes dix mots à trouver ont cela de commun, Qu'ils ont dix lettres tous, et qu'on a dans chacun Cinq lettres à la fin, toutes invariables ; Et leurs terminaisons exactement semblables Rappellent par le rythme un fauve du désert

— Deux villes près d'un fleuve et deux près de la mer.

— Philosophe moderne, — et pays d'Allemagne ;

— Un poète fameux de la Grande-Bretagne ;

— Puis le surnom d'un roi, — le nom d'un empereur — Et celui d'une mer, sont les dix mots, lecteur, Qui sont encore formés avec les cinq premières Mais c'est tout, ne cherchez plus rien dans les dernières Car si de mon avis vous vouliez faire fi,

Vous n'auriez plus qu'un mot de cinq lettres : nenni !


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

432. — Charade Lecteur, sachez qu'on peut, passant sur mon premier, Traverser mon second qui fuit vers mon dernier. Mon tout, petite ville, est assez bien bâtie Au milieu d'un vallon. Cherchez en Normandie.

SOLUTIONS

426.— Acrostiche horizontal

Par Petiton à Chanas (Isère).

JCLBJ PCCVKBM

ULORTJ ÉLÉI IRE

LOUIS PASTEUR

EUICT I I A A U N R S D S E E N R R L L O Y

427. — Mot carré

Par Le Rubour à Valence.

BAR

ARA

RAT

428. — Mathématiques Par M. Paul Dubois. La première personne aura 3 tonneaux pleins, 1 tonneau plein à demi et 3 tonneaux vides; les deux autres, chacune 2 tonneaux pleins, 3 tonneaux pleins à demi et 2 tonneaux vides ; de cette manière, chaque personne aura une égale quantité de vin et un égal nombre de tonneaux.

TIRESIAS.

Adresser les solutions à TIRESIAS, à l'administration du Journal, 8, rue Hèrold.

ONT TROUVÉ :

1° Trois problèmes :

Turniche. — Bichette. — 3 mairies dion âle D. pay zé. — Le Beau sue à Saint-Antoine. — Lary à Bonneville. — Grand'Mère à Marcel. — Un inconnu à Neuilly. — Un Ramageois. - Un R venant de La Mastre. — Louis d'Or. — L'abbé I de Thélene à Rouen. — Mac Kauney. — De Lagaytahudyot. — Famille Byrrh à Rouen. — Un Lavoursien. — La Pito, _ Bois 100 soif. — Deux chats gris nés d'amour.

2° Deux problèmes :

Le Père chlorure de fer. — 2 ans ployés (ogre et chan). — Un A bon nez aval long. — C. M. C. de Moulins. — N. R. à N. R. Clos. — Le Rubour à Valence. — Un ami de Louise Georges. — Le Merle de la Côte Ramée. — Cercle de Saint-Sylvain. Ali aîné. — Rulak appelle sans sèze.

3° un problème:

Trois canotiers de l'Orne. — Jeanne Desf. — L'abbé Rézina. — Léon Amédée. — 1 Belleux riz

voit, Z. Y. X. — Deux fiscaux du Clos Poulet.

— 'Marius Marseille. — E. M. à Montmirey. — Marinette et Gaston. — Gers Maine au lit G. de 9 vers, — Pie! — Un réthoricien au Lycée de Vendôme.

Rébus n° 32.

Cassard. — Une Brésilienne. — Ba Ta Klan. — Morin. — Grand'Mère à Marcel. — De Lagaytahudyot. — Pie 1

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UiSiPI PERFECTIONNE

Grossissant 40® fois en surface, renfermé dans une jolie boîte eu acajou verni

Point de spectacle plus curieux et plus étrange que celui dont on jouit, en appliquant l'oeil au petit verre de cet instrument d'optique, après avoir déposé sur le carré de la lentille une gouttelette d'eau dans laquelle ont séjourné des fleurs, un atome de colle de pâte fermentée, un grain de farine avariée, de la mite de fromage, du vinaigre et cent autres substances, où l'on voit s'agiter un fouillis de monstres bizarres et inconnus.

Grâce à ce merveilleux instrument, la nature invisible n'a plus de secrets pour l'observateur.

Prix du microscope : francs.

(Ajouter 50 centimes pour le recevoir franco.)

MANUEL DE CUISINE

1 volume de 415 pages relié (82e édit.)

Contenant le service de la table, la carte des mets et des vins pour chaque service, la manière de découper, 1,000 recettes gastronomiques, un résumé général des cuisines française, italienne, anglaise, la pâtisserie, les sirops et les glaces, et l'Art d'accommoder les restes, suivi d'instruction sur la cave et les vins.

Orné de 300 gravusres.

Prix du Manuel : 2 fr. 50.

(Ajouter 60 centimes pour le recevoir franco.)

UNE COUVERTURE MOBILE

est toile maroquinée

Cet élégant passe-partout, portant en lettres d'or le titre des Annales, est très commode pour collectionner et mettre à l'abri les numéros de chaque semestre.

Il peut être laissé sur la table d'un salon ou placé dans une bibliothèque. Le prix n'est que de 2 fr. 25 (port compris)

CHEMINS DE FER DE

PARIS A LYON ET A LA MÉDITERRANËE

Billets d'aller et retour de

Paris à Turin

1re classe: 170 fr. — 2e classe: 123 fr.

Paris à Milan

1re classe : 172 fr. — 2e classe : 125 fr.

(viâ Dijon — Mâcon — Mont- Cenis )

valables pendant 15 jours

— Billets délivrés toute l'année et donnant accès dans tous les trains (express et rapides compris) qui comportent des voitures de la classe

du billet, sous conditions indiquées dans les affiches de marche de trains.

— La durée totale de la validité de ces billets pourra être portée de 15 à 45 jours, au moyen d'une mention spéciale, si les voyageurs prennent à Turin ou à Milan un billet de voyage circulaire italien.

— Droit d'arrêt : en France, toutes les gares du parcours; en Italie, deux gares à choisir à l'aller et au retour.

— Franchise de bagages de 30 kilog. en France ; rien en Italie.

— On peut se procurer des billets à la gare de Paris, dans les bureaux succursales de la Compagnie et dans les bureaux des agences : Lubia, boulevard Haussmann, 36 ; Cook et fils, rue Scribe, 9, et Grand-Hôtel, boulevard des Capucines; Vagons-Lits, place de l'Opéra, 3 ; Gaze et fils, rue Scribe, 7, et rue Duphot, 8.

Le Gérant : VINSONAU.

Paris. — Imp. Dubuisson et Cie, rue Coq-Héron, 5.