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Titre : Oeuvres lyriques de J. B. Rousseau (Édition classique précédée d'une notice littéraire)

Auteur : Rousseau, Jean-Baptiste (1670-1741). Auteur du texte

Éditeur : J. Delalain (Paris)

Date d'édition : 1861

Contributeur : Estienne, F. (1810-1858). Éditeur scientifique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31256981n

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (XVI-178 p.) ; in-12

Format : Nombre total de vues : 204

Description : Collection : Nouvelle collection des auteurs français

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5702656r

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, YE-32526

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 24/08/2009

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OEUVRE* lA'IlIQUKS

DE J. ]î. RPHSSK.AU.

KDÏTinN CI,ASSIQl!K

l'Ul'ciîill'K It'r.NK NOTICE MITl'llMItl"

Par F. Eslienne.

PARIS.

LIBRAIRIE'DE- JULES DELALAIN

IMPRIMEUR DF. I,'U\MVRHSlfB KfK iiïs fxoUS,-.vu"A-VIS IIB IA SOIH.Û.NXK.



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•NOUVELLE COLLECTION DES AUTEURS FRANÇAIS

Prescrits j.imr les classes et les examens du baccalauréat.

Ëtlilii m classiques publiées sans annotations

destinées spécialement aux élèves îles établissements

d'instruction publique et libre.

BOILKAU. OEuvres poétiques, édition classique précédée d'uno notice littéraire par P. Estienne; in-18.

UOSSUKT. Discours sur l'Histoire universelle, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

iiossuET. Oraisons funèbres, édition classique précédée d'une notice littéraire par P. Estienne; in-18.

CORNEILLE. Théâtre choisi, édition classique précédée d'une notice littéraire par P. Estienne; in-18.

FKNELQX. Aventures de Télémaque, édition classique précédéed'unenolicoHltéraireparF. Estienne; in-18,

FBNELOX. Dialogues sur l'Eloquence, édition classique, précédéed'uncnoticelittéraireparF. Estienne; in-18.

FKNELON. Lettre à l'Académie, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-i8.

LA FONTAINE, Fables, édition classique précédée d'une nolico littéraire par F. Estienne; in-18,

MASSHXON. Petit Carôme, édition classique précédée d'une notice-littéraire par P. Estienne; in-18.

MOUÈHE. Théâtre choisi, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

MONTESQUIEU. Considérations sur la grandeur el la décadence des Romains, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

RACINE. Théâtre choisi, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

ROUSSEAU (J. B.;. OEuvres lyriques, édition classique précédéed'unenoticelittéraireparF. Estienne; in-18.

VOLTAIRE. Histoire de Charles XII, édition classique précédée d'une nolicelittérairepar F. Estienne; in-18.

VOLTAIRE. Siècle de Louis XIV, édition classique conforme au teste adopté par le Conseil de l'instruction publique, précédée d'uno notice littéraire par P. Estienne; in-18.


IKUVUKS I.Y1UQUKS

DE i. Jî. ROUSSEAU.

oXIw$t>IT10N CLASSIQUE y ijlii^tDiîÊyj'f-M: NOTICE MTTÉKAIKE .)"£:&'-• ;.Par F. Estienne,-

PARIS.

LIBRAIRIE DE JULES DELALAIN

IMPRIMEUR DE L'OilVER: TÉ

hl'K IifiS IXOI.KS, VIS-A-Yf.» HE I.A SdlSUOÎiM'.

J r\ r- 1


Tout contrefacteur on débitant de contrefaçons de cette Edition sera poursuivi conformément aux lois; tais les ë-i emplâtres sont revêtus de ma yri/fe.

r.;ris, Imprimerie Di-lalaln, rue de Sorbonoe 1801.


NOTICE SU1U. B. ROUSSEAU.

N ^ le G avril 1671, à Paris, rue des Noyer», J, B. Rousseau, fils de Nicolas Rousseau, maitro cordonnier, et de Geneviève Fiac, sa femme, fut baptisé, peu de jours après, à la paroisse Saint-tilienne-du-Mont. Nous sommes si prompts à oublier ce qui c^cu^o nos liommes célèbres, que celle date de naissant», al'«('•.par les registres de l'état-civil encore existants, a te.plu souvent été méconnue.

Jamais époque ne ("■'■. plus considérable dans notre histoire littéraire; alors la plupart de nos grands écrivains étaient dans toute la force de leur âge, dans la pleine maturité de leur génie, dans la plus brillante.période de leurs chefs-d'oeuvre. Mais cette situation, en vertu même de ce qu'elle avait d'exceptionnel, no pouvait longtemps se prolonger. Parvenu à cette hauteur culminante, le dix-septième siècle, par le destin inévitable des choses de ce monde, élait près d'en descendre. Vingt ans à peine écoulés, au moment où Rousseau pouvait entrer dans la carrière des lettres, cette carrière commençait à être déserte. Pour prendre la place des talents sur le déclin, il ne s'en présentait que peu de nouveaux; et, pour la poésie surtout, le dix-huitième siècle ne semblait pas desiiné à hériter de la grandeur du dix-septième. La décadence s'annonçait en morale par des symptômes encore plus manifestes..La pensée, atteinte en quelque sorte dans son germe, allait perdre cette haute inspiration du spiritualisme dont elle avait tiré dans l'âge précédent sa dignité et sa force. Le goût du plaisir, poison des âmes, en s'infiltrant partout, avait partout relâché les liens sociaux qui ne devaient pas tarder à se briser. Plutôt que d'accuser avec amertume, comme on l'a fait, les hommes de cette, époque, plaignons-les donc d'avoir été exposés à ce courant funeste

J. U. Housseau. (I


■■<3- II ■£.- —

qui entraînait les consciences, alors que la littérature ne servait plus d'organe aux fermes convictions du passé. Kxpression d'une société qui avait perdu le frein salutaire des principes, elle devenait son propre buta clle-mèiue, tout entière appliquée à la recherche de l'effet, et n'aspirant qu'à prêter une forme plus ou moins heureuse à des sentiments factices.

Rousseau ne pouvait, échapper à celte influence, malgré la solidité de ses premières études. Il les lit, grâce aux sacrifices de son père, dans un des établissements les plus renommés de Paris, au Plessis, l'avait précédé de quelques aimées Kollin, qui lui rappelait par la suite ' « qu'ils étaient frères de lait, puisqu'ils avaient été nourris et élevés dans la même école; » cl tous deux professaient pour leurs anciens maîtres la plus vive reconnaissance.

Avec celle initiation commune, leur destinée devait être bien différente. Toutefois, lorsqu'il eut achevé de la manière la plus brillante ses humanités et sa philosophie, Rousseau eut le bon esprit de s'attacher à Doileau, l'arbitre sévère du goût, et il s'honora toujours du nom de son disciple. Car c'était à lui qu'après les anciens il déclarait « avoir obligation desavoir écrire 2. » Kn même temps, par malheur, il'fréquentait d'autres sociétés fort peu semblables à celle du satirique. Pour se faire applaudir de ce monde frivole et licencieux, dontle charme le séduisait, il composa quelques pièces peu réservées qui eurent un fâcheux succès et qui lui en firent attribuer bien d'autres de la même espèce. Un autre reproche qu'il encourut, et qui pesa sur toute sa carrière, fut d'avoir rougi de sa naissance et méconnu son père : bien différent d'Horace, « ce fds d'affranchi, » comme il le disait avec une noble fierté, « qui devait à son père tout ce qu'il était, à son père qui n'avait pas craint l'amener enfant à Rome, pour recevoir l'éducation que faisaient donner à leurs propres enfante les chevaliers el les sénateurss. » Aussi se faisait-il

1. Lettre, datée Uu 17 mars 1759. ». Lettre Ou 10 mai 1711. ■i. Sat., 1,6.


gloire par-dessus tout d'être bon fils, tandis que Rousseau avait besoin qu'un contemporain, poète comme lui, mais plus éclairé sur ses devoirs, les lui rappelât dans ces vers ' '

On ne se choisit pas son pero. Par un reproche populaire Le sage n'est point abattu.

Oui, quoi que le vulgaire en pense, Rousseau , ta plus vile naissance Donne du lustre h la vertu.

Au. lieu de prétendre à ce lustre, Rousseau cherchait la fortune par d'autres voies ; et pour ménager l'avenir, s'il délaissait sa famille, il briguait les suffrages des puissants, parmi lesquels il compta plusieurs protecteurs. L'un d'eux fut le directeur des finances Rouillé do Coudray ; et celui-ci, suivant l'usage du temps qui faisait désirer aux financiers d'avoir des poètes dans leur société et sous leur patronage, introduisit à la cour Rousseau, qui était homme à profiter des plaisirs que présentait ce séjour. Un autre appui, qui pouvait être très-effieaec, fut celui du ministre'Chamillard, qui lui offrit même une direction des fermes générales en province. Mais quelques vers malins de Chaulicu dissuadèrent " le nourrisson d'Horace de s'ensevelir dans un bureau

Pour liquider un compta ou dresser Jes état».

Vers ce moment, Rousseau, qui ne cherchait pas seulement la vogue, mais la gloire, mêlait aux plaisirs et à ses compositions légères des ouvrages d'une plus grande étendue. Il avait débuté au théâtre, en 1G9G, parla comédie en cinq actes du Flatteur, qui d'abord écrite en prose, puis eu vers, obtint sous cette double forme la faveur du public. A cette pièce, digne encore d'estime, plusieurs autres succédèrent, dont la succès fut beaucoup plus conteslé et devait l'être : le Capricieux, en cinq actes et en vers; le Café, et cinq actes et en prose; les Aïeux chimériques, en cinq actes

t. Odo do Uouilard de La Motte intitulée : le Mérita personnel.


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et en vers, qu'il regardait, avec une prédilection peu fondée, comme sa production la meilleure ', etc. Il donnait aussi des opéras, ce qu'il regretta par la suite, en condamnant dans des termes très-amers « ce pitoyable genre d'écrire 2, » parce que la musique, d'après lui 3, auxiliaire infidèle des paroles qu'elle allongeait ou resserrait selon son eaprke, était un obstacle absolu aux beaux vers. Kn somme, Rousseau n'avait pas le génie dramatique, et ce n'était pas sur la scène que l'attendait son véritable triomphe. Il le sentit, et, cherchant autour de lui un genre oit s'illustrer, il crut trouver dans la poésie lyrique celui où ses rares talents se déploieraient avec le plus d'originalité et d'éclat.

L'ode en effet, après les malheureuses tentatives du seizième siècle où pindarisait Ronsard, n'avait produit encore parmi nous, si l'on excepte les strophes sublimes des auteurs de Pohjcuctc et iVEsthcr, que quelques belles pages de Malherbe et de Uacau. Dans ce champ presque vierge, sur les traces des anciens, quelle riche moisson à cueillir! car, au moment où s'essayait Rousseau, ou ne citait guère, en fait d'ode proprement dite, que celle de la Prise de Nanmr, objet de sa complaisante admiration (1G93). D'ailleurs, pour les modèles comme pour les sujets, le sacré ne l'attirait pas moins que le profane. C'est qu'au dix-huitième siècle, dans cet âge éminemment critique, l'ode ne pouvait être qu'un genre de convention et une oeuvre d'imitation savante. Nous ne demanderons donc pas à Rousseau le souffle d'un poète inspiré (dans le sens où ce mot s'applique aux David et aux Pindare). Mais nous verrons en lui un écrivain plein d'art, un héritier direct de nos auteurs vraiment classiques, le dernier qui en représente parmi nous la tradition.

Plusieurs des belles odes de Rousseau, ses odes sacrées eu particulier, ont été composées avant 1711, c'est-à-dire avant qu'il eût atteint sa quarantième année, et il se proposait, di1.

di1. à Titon duTillet. t. Lettre du 24 août 1718. 3. Tctlrc du 2S octubre 1713.


-*0- V -E>"

sait-il, d'y donner mie idée des fougues de l'ode antique. Jusqu'à cet âge aussi, sa vie s'était doucement écoulée au sein de ces sociétés spirituelles et frivoles tient il faisait l'ornement. Les meilleures maisons, celles des plus grands seigneurs, lui étaient ouvertes, lorsque tout à coup un orage éclata sur sa tête. Les ennemis que lui avait faits son esprit caustique réussirent à le perdre dans des circonstances encore mal expliquées, que nous nous efforcerons d'éelaircir.

Au commencement de 1710, dans un des cafés récemment établis à Paris et fréquentés des gens de lettres (le café Laurent), circulèrent des couplets diffamatoires dirigés conlro plusieurs de ceux qui s'y réunissaient. Rien que des amis même de Rousseau et d'autres qui lui étaient indifférents ou inconnus n'y fussent pas épargnés, son ! -meiir redoutée le fit soupçonner tout d'abord de les avoir é . Ce qui prête aux soupçons un air de vraisemblance, c .t que Rousseau, depuis peu de temps, en homme qui eût appu hendé des représailles, avait cessé lui-même de se rendre dans ce café, Ricnlôt les rumeurs qui désignaient Rousseau comme coupable se traduisirent en une accusation manifeste. Le parlement, devant lequel il comparut, l'en déchargea toutefois après trois mois de poursuites; mais non content d'avoir repoussé le'coup, Rousseau, par une indignation réelle ou supposée, voulut te faire retomber sur un de ses principaux ennemis, surSaurin, en le citant à son tour devant la juridiction qui .venait de l'absoudre. Cette démarche inconsidérée ranima des haines et une querelle dont il devait être victime.

Saurin était, en effet, tin de ces hommes de beaucoup d'intrigue et de peu de scrupule dont il est très-dangereux de provoquer l'hostilité. Sa carrière avait été agitée ci sa réputation toujours équivoque. D'abord ministre protestant, il s'était fait connaître par quelque talent pour la prédication; mais quant à sa délicatesse, l'opinion en était si peu établie, qu'on l'avait inculpé de vol. Depuis il avait abjuré sa religion,

1. De» 1707, Rousseau, dans une lettre à Duché, se plaint que des couplets dflamaloires lui soient attribués.


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et, doué d'une aptitude peu commune pour les mathématiques, il avait obtenu une place à l'académie des sciences. Le crédit et les amis ne lui manquant pas plus que les ressources d'esprit, il triompha de son accusateur, qui n'en fut pas quilte pour cet échec. À l'instigation du parti qui voulait la perte de Rousseau, le procureur général lit casser l'arrêt de décharge prononcé en sa faveur et le poursuivit de nouveau pour les couplets incriminés.

Ici l'on ne peut se défendre d'un étonnement douloureux en voyant le seul poète éminent que possédât la France en butte à une procédure qui de son temps, et non sans raison, a été qualifiée de monstrueuse. Quel acharnement, et à cet acharnement quelle triste causet Que de détails honteux dans ce procès, et comme il éclaire l'état de notre sociétéI C'était l'époque l'es pamphlets et des vers injurieux, époque où l'agresseur, pour mieux frapper son adversaire, se cachait dans l'ombre. Aux nobles rivalités qui avaient régné dans l'âge précédent s'étaient .substituées l'intrigue cl l'envie. L'attachement aux doctrines avait cédé sa place au culte étroit de l'amour-proprc individuel, tant les passions s'étaient ra* petissées comme ies hommes. On su combattait non à visage découvert, par ces fortes et savantes polémiques qui honoraient même les vaincus, mais par des couplets injurieux également funestes à la réputation des auteurs présumes et des victimes. Quelle décadence surtout dans les moeurs littéraires, si on les compare à celles du temps de Roileau, de Racine, do Molière, de La Fontaine! Ce qui avait redoublé la violence des haines et des attaques contre Rousseau, c'est quo la mort de Boileau venait de laisser une place vide à l'Académie française, et qu'il aspirait à recueillir son liéri* loge (1711).

Celle position officielle, que Voltaire ambitionna lui-même avec tant d'ardeur pour se mettre à couvert de ses ennemis, était alors très-activement recherchée. De son coté, l'Académie française, après tant de perles qui l'avaient appauvrie, devait sentir le besoin d'appeler à elle quelqu'un do ces talents supérieurs, devenus très-rares dans sou sein.


—=3- Ml -OCependant

-OCependant qui avait été reçu précédemment a l'Académie des inscriptions, ne vit jamais s'ouvrir devant lui les portes de l'Académie française. Une candidature moins forte assurément que la sienne par les titres littéraires lui fut opposée avec succès, celle de La Molle; mais comme l'humeur de ce dernier était facile et aimable, comme il s'était soustrait avec le plus grand soin aux inimitiés et aux luttes, elle trouva autant de sympathie et d'appui que celle de son rival créa d'antipathie et d'obstacles.

Cependant Rousseau jugea prudent de ne pas attendre l'issue du procès. Un arrêt du parlement, rendu le 7 avril 1712, le déclara contumace et le condamna à un bannissement perpétuel, « comme dûment atteint et convaincu d'avoir composé et distribué les vers impurs, satiriques et diffamatoires » dont il s'était efforcé, « par une accusation calomnieuse, de faire retomber la faute sur autrui. » L'exécuteur public attacha sur un poteau, en place de Crève, un nom dont notre littérature devait se parer evec. orgueil. Chose incroyable! il y avait tant d'acharnement chez quelques-uns de ses juges, qu'ils avaient opiné à la mort.

Sans vouloir pénétrer dans les inextricables détails de cette mystérieuse affaire, où un savetier du nom d'Artioul joua un grand rôle, personnage bien digne d'une telle imputation et d'une telle querelle, ou' aura peine à s'expliquer une condamnation aussi grave. Dans ces vers, dont la richesse des rimes, disait-on, trahissait l'auteur, Rousseau était épargné, tandis que ses ennemis étaient sacrifiés. Tel fut l'argument dont se contenta la passion aveugle. En réalité, Rousseau, dont les épigramtnes avaient attaque tous les auteurs du temps, même les plus inoffensifs, expia cruellement ses torts, ces mêmes armes qu'il avait maniées imprudemment s'étant retournées contre lui.

Suivons-le maintenant à l'étranger, non sans appréhender pour son génie les suites de l'exil. Aux poètes, comme aux plantes, il ne finit pas enlever le sol natal.

Son premier soin, comme pour se protéger contre cette réprobation qui le frappait, fut de rassembler su litres à


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l'eslime publique, c'est-à-dire ses poésies. Ici encore il avait eti à souffrir de sa réputation, puisqu'elle avait fait altérer ses couvres, que la curiosité des lecteurs accueillait avec empressement, toutes défigurées qu'elles étaient, et, comme il s'en plaignait, « misérablement lardées de vers étrangers. « Que de pièces ne lui avait-on pas aussi prêtées dont il n'était pas l'auteur! Son plus grand intérêt était donc de faire imprimer une édition sincère de ses ouvrages; et cette résolution, qui l'occupait à Solcurc en 1711, reçut en effet son exécution au commencement de l'année suivante.

C'était en Suisse, on le voit, que le réfugie avait cherché un asile, n'emportant par malheur que ses talents et ses espérances de fortune. Dès lors commençait pour lui une vie précaire, instable, assujettie à autrui, peti favorable à l'inspiration, surtout à l'inspiration du poète, lyrique, celle qui réclame le plus d'air et de liberté. Toutefois il laissait dans son pays des amis dévoués qui comptaient bien s'employer activement pour son retour, en particulier des seigneurs dont il avait été le commensal, lois que le baron de Rrcleuil et le grand prieur de France, Philippe île Vendôme, frère .du célèbre duc decù nom. Joignez-y quelques hommes de lettres, mais en petit nombre, entre lesquels on peut signaler l'abbé d'Oiivct, l'un de ceux qui se sont montrés les plus convaincus de son innocence '.

Il est difficile aujourd'hui de ne pas partager ce sentiment, sans vouloir atténuer les torts de Rousseau, qui expliquent assez le nombre de ses ennemis. Rappelons à son éloge qu'en reconnaissant ce que sa conduite avait eu d'imprudent et de blâmable, il ne cessa de protcsler contre le jugement qui l'avait frappé et contre l'arrêt de la voix 'publique, au sujet des « infâmes couplets qui lui étaient attribues. » L'examen attentif des faits conduit à croire qu'il fut victime de l'envie, qui se prévalut de la mauvaise réputation de l'homme pour

i. t Rousseau dut sa disgrâce, a-t-il dit, à la supériorité de ses talents ; une espèce d'ostracisme fut le fruit d'une renommée trop éclatante. *


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en accabler l'écrivain. Ce qui est certain du moins, c'est qu'il ne sortit plus rien do sa plume que l'honnêteté pût désavouer; et il se consacra ainsi avec la plus louable persévérance au devoir de réhabiliter sou passé, se croyant eu droit de renvoyer le vulgaire, aveuglé par de faux préjugés, « à ceux avec qui il passait sa vie et qui étaient témoins directs de ses discours et de ses sentiments. »

L'un de ceux dont il pouvait à plus juste litre invoquer le témoignage était le comte de Luc, ambassadeur de France en Suisse, auprès de qui Rousseau avait trouvé un asile. On sait que l'hospitalité qu'il eu reçut, il la paya par une ode célèbre qui a rendu immortel le nom de ce seigneur, « l'un des plus honnêtes hommes dont la France put se glorifier. V Il avait assuré au poète le logement et la table, n'ayant pu lui faire accepter davantage. Mais dès ce moment l'amil'iè et la reconnaissance avaient étroitement uni le prolégè et le prolecteur. Aussi Rousseau acroinpagua-t-il ce diplomate lorsqu'il fut appelé au congrès de Bade, en 1714, pour négocier la paix avec l'Empire, et ce voyage lui fournil l'occasion d'être connu et goûté du prince Eugène. Comme l'illustre écrivain, ce grand général était éloigne tic la France qui l'avait méconnu : circonstance qui rapprocha les deux compatriotes par le lien d'une sympathie mutuelle. Eugène demanda à l'ambassadeur la permission d'attacher à sa personne Rousseau, qui n'accueillit toutefois ce nouveau patronage qu'avec l'agrément ou plutôt à l'instigation du comte de Luc. Peu après, à la suite de ce prince, en qui il s'applaudissait de trouver plus qu'en aucun autre « la grandeur jointe à la simplicité, « le poète devint habitant de Vienne, et sa vie subit un changement assez notable, puisqu'à la quiétude champêtre dont il avait contracté l'habitude en Suisse succédaient la dissipation d'une grande cité et le bruit d'une brillante compagnie. Car, sous les auspices d'Eugène, Rousseau fut bien vite recherché dans le plus grand monde. De nouvelles chances semblèrent aussi s'ouvrir à la fortune de l'exilé, cl l'on fit briller à ses yeux la perspective de places avantageuses que finalement il ne devait pas obtenir, Néanmoins tout no se


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borna pas à des promesses, le prince lui ayant fait plusieurs fois des présents d'une valeur considérable : l'avant-veillo de la bataille de Pêtervaradin, il lui envoya notamment un diamant de quatre mille livres. Rien d'autres se fussent d'ailleurs honorés de lui faire agréer leurs largesses, si son désintéressement et sa fierté ne les avaient repoussées.

Au nombre de ceux qui aspiraient à être ses bienfaiteurs, il faut placer le duc d'Orléans, régent de France. Non content de lui adresser des gratifications (La Farc, son capitaine des gardes, le lui avait vivement recommandé), il voulut lui rouvrir les portes de la patrie. Mais avec une certaine tirai* dite que cet esprit ardent incitait dans l'accomplissement de ses désirs les plus sages, redoutant la brigue contraire, it recula devant la révision d'un procès déjà assez scandaleux. De son coté, Rousseau fermait l'oreille à ces ouvertures d'un retour concédé par la faveur. Il ne voulait pas de lettres de grâce. La condition qu'il mettait lui-même à son retour, c'était qu'on lui accordât les moyens de se justifier. Quel que fût son désir de revoir son pays, il se refusait à faire le sacrifice de son honneur, ayant à coeur par-dessus tout, et non sans raison, que le gouvernement fut convaincu, et témoignât l'être, de son innocence et de l'injustice qui lui avait été faite. En un mot, il demandait non des patrons, mais des juges. Celte volonté bien arrêtée et proclamée hautement, il y demeura inébranlable : elle atteste une sécurité que repousse une conscience coupable.

A celte délicatesse de conscience se joignait, chez Rousseau, une certaine susceptibilité, qui nous explique comment il rompit avec plusieurs de ses protecteurs. Ses relations avec le prince Eugène ne se prolongèrent pas au delà de quelques années. Une contestation, dont le fameux comte de Ronneval l'ut le sujet, amena entre eux un refroidissement qui fut suivi d'une séparation. En faisant preuve d'un zèle compromettant pour ce personnage, Rousseau avait montré plus de générosité «pic de prudence. Néanmoins Eugène, en l'engageant à se rendre à Rruxelles, crut pouvoir lui promettre de nouveau qu'il y trouverait une place avantageuse. A défaut


dc la place, il trouva dans le duc d'Arcmbcrg un homme d'un grand nom et qui en soutenait dignement l'éclat par son mérite personnel. Grâce à l'influence de ce seigneur et à l'art que possédait le poète de se faire bien venir, sa situation dans ce nouveau séjour parut d'abord des plus dignes d'envie. On l'y voit, l'année 1722 et la suivante, en possession d'un logement à la cour et d'un revenu qui, pour le pays el le temps, répondait largement à tous ses besoins. Vers la même époque aussi, dans un voyage qu'if eut l'occasion de faire à Londres, il s'applaudissait de l'accueil favorable qu'il y recevait, « passant sa vie avec les principaux seigneurs de la cour; » cl il exprimait la pensée « qu'il ne serait jamais si bien en France. »

Celte médaille avait néanmoins son revers : c'était la sujétion. 11 fallait acheter ou payer ces protections, en se soumettant aux gênes de la vie de courtisan que Rousseau eut toujours à subir. Encore, la faveur dont il jouissait avait-elle ses éclipses inévitables. La présence de Voltaire à Rruxellcs, en faisant éclater peu après des inimitiés entre les deux poètes, amena des mécontentements pour Rousseau, qui jugea son rival trop bien accueilli par le due d'Aremberg et se plaignit. De là un refroidissement qui ne fut pas à ce moment le seul mécompte de Rousseau, il venait de donner en Angleterre une belle édition de ses oeuvres, qui ne fut pas pour lui d'un médiocre rapport. L'argent qu'il en relira, il le plaça sur la compagnie d'Osteiide, dont il conçut, avec l'engouement du temps pour les spéculations, de grandes espérances finalement trompées. Plusieurs do ses lettres nous entretiennent du sort très-variable de ces actions, dont la valeur, d'abord surexcitée par l'opinion, après des alternatives diverses, s'affaissa entièrement pour ne plus se relever.

Instruit et affermi par le malheur, Rousseau s'attacha de plus en plus aux idées graves et religieuses qui se peignent surtout dans ses lettres. H disait, comme Philippe de Cominines: « Dieu m'afflige, il a ses raisons; mais je préférerai toujours la condition d'être malheureux avec courage ù celle


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d'ctrc heureux avec infamie. » Malgré cette résignation qu'il professait hautement, plus il avançait en âge, plus il se lassait de monter, comme disait un autre poète, l'escalier de l'étranger. En outre, la mort de Saurin, arrivée à la fin de 1737, avait semblé lever un des-obstacles opposés à son retour. Rousseau montra donc quelque envie d'user du bénéfice des lettres de grâce qu'on lui avait jadis accordées : mais il n'était plus temps. Fortifiée par son absence, la cabale de ses ennemis lui fermait les portes de son pays avec un redoublement de rigueur. Le déclin de sa santé, alors fort marqué, réveilla plus que jamais en lui le désir de revoir sa pairie. Si'celte fermeté ou cette fierté d'autrefois semble un peu fléchir, il faut considérer que deux attaques d'apoplexie avaient coup sur coup affaibli en lui la vie morale comme la vigueur physique. Ricnlôl après, il fut atteint d'une maladie grave qui, suivant son affirmation, « lui ravit ses forces et fil de son corps la proie des plus fâcheuses infirmités. Ailleurs, par une vue plus haute, il s'exhorte à mettre à profil le peu de jours qui lui restent « pour une bonne préparation à la mort. i>

Ce fut sous la préoccupation de ces graves idées que, dans son envie de revoir Paris et de s'assurer par lui-même des chances de son rappel, il quitta Rrtixelles à la fin de novembre 173S. Mais dès l'abord, par les difficultés qu'il éprouva pour obtenir un sauf-conduit, « qui ne se refuse pas aux plus vils banqueroutiers, » il put juger que ses ennemis n'avaient rien 'perdu de leur haine ni de leur puissance. Forcé de garder l'incognito, il demeura quelque temps à Paris sous le nom de Richer, pris par lui, disait-il, « par rapport à quelques fables de cet auteur qu'il avait lut s avec plaisir. » Du reste, il ne relira de ce voyage, avec force déceptions et dégoûts, qu'une fatigue préjudiciable à sa santé déjà si compromise, cl il dut, au commencement de février 1739, revenir à Rrtixelles. Qui douterait cependant que Louis XV (mais on sait trop combien les sentiments généreux avaient peu d'accès auprès de lui) se lut honoré en rendant une patrie au poêle si cruellement éprouvé?

En tout cas, les derniers lemps de sa vie, très-chrétiens


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et très-êdifiants, suffiraient pour le protéger auprès de la postérité. De plus eu plus condamné à une existence précaire par la perte de ses ressources personnelles, il reconnut, dans les tribulations qu'il continuait à subir, des épreuves que lui imposait la Providence pour le sauver, et ne chercha ses consolations que dans la religion. Elles lui furent surtout nécessaires en 1740, lors de la perle du comte de Luc, son plus ancien, son plus dévoué protecteur, «qu'il ne devait plus songer désormais qu'à aller joindre le plus tôt qu'il plairait à Dieu dans le sein de l'éternité. »

Le terme de sa carrière était proche en effet, une nouvelle apoplexie ayant frappé Rousseau à son départ de la Haye, ville où il allait souvent et qu'il goûtait beaucoup, tant pour l'agrément de son site que parce qu'il y avait plusieurs excellents amis. Le mal l'avait saisi dans le bateau même où il faisait sa traversée. Transporté à Anvers, il ne put l'être qu'un mois après à Bruxelles, où il passa dans l'état le plus déplorable trois autres mois qui aboutirent à la mort. Co fut le 17 mars 1741 qu'il rendit le dernier soupir, déclarant jusqu'au bout qu'il était étranger aux vers qui avaient entraîné tous ses malheurs. Lorsque déjà en 1737 on avait désespéré de ses jours, en recevant les derniers sacrements, il avait également protesté de son innocence. Depuis il ne s'était éloigné de Paris qu'en laissant entre les mains de l'abbé d'Olivet une justification que celui-ci lut devant l'Académie française. Refusera-t-on sur ces garanties de croire à l'innocence de Rousseau? Le déguisement poussé jusqu'à la dernière heure, comme si l'on voulait en imposer à Dieu ainsi qu'aux hommes, no serait-il pas chose bien plus incroyable encore et hors de nature?

11 fut inhumé à Bruxelles dans l'église des Carmes déchaussés. Mais à peine ses yeux étaient-ils fermés que l'on parla plus cquitablement de lui qu'on ne l'avait fait durant sa vie. Le Franc de Pompignan le célébra dignement dans une des plus belles odes de notre langue; etRollin, dont l'amitié sincère pour Rousseau avait eu souvent à son égard un accent ferme et courageux, déplora par quelques paroles bien senties


-O XIV Ôla

Ôla de celui qu'il louait non-seulement comme un poète excellent, mais comme un homme plein de probité,

Ce témoignage de Rollin, alors âgé de quatre-vingts ans et qui devait mourir lui-même quelques mois après, est de la plus haute gravité, comme celui de L. Racine, qui y- est en tout point conforme. On peut l'opposer à bien d'autres portés sur le même personnage, qui a été, comme on l'a dit avec raison, « trop et trop peu connu. i> En réalité, une étude impartiale des qualités comme des défauts de Rousseau nous découvre la cause des opinions si diverses dont il a été l'objet. Après avoir été longtemps, à l'époque do sa prospérité, d'un amour-propre sans frein et d'une causticité impitoyable, il demeura, dans ses malheurs, d'une susceptibilité ombrageuse et d'une humeur amère par lesquelles il se rapprochait de l'autre Rousseau. Le pardon des injures ne fut jamais au nombre de ses vertus. 11 se donne quelque part ' « pour ressembler assez à la panthère de Phèdre, c'est-à-dire n'oublier ni le mal ni le bien qu'on lui fait. » Cela seul expliquerait à la fois le dévouement fidèle de ses amis et les haines opiniâtres de ses ennemis.

Le nom de la plupart de ces derniers, dont l'envie aiguillonnait la haine, a péri. Quant à la liste de ses amis, elle ne laisse pas d'être étendue et surtout très-honorable, puisqu'il faut y placer, comme on l'a vu, quelques-uns des plus honnêtes gens du dix-huitième siècle, de ceux qui dans cette époque avaient conservé les moeurs du siècle précédent. Lui-même, dans répitaphe en vers qu'il s'est consacrée, a établi entre ses amis et ses ennemis un contraste qui fait son éloge. H s'est félicité notamment, en parlant de Fénclon, d'avoir été « honoré de l'estime de ce grand homme, » qui a loué, outre sa personne, plusieurs de ses ouvrages. Les lettres de Rousseau, dont on a publié un volumineux recueil, plus estimable que piquant 2, nous font encore connaître parmi ses protecteurs

1. Lettre à Duchd du 16 novembre 1710.

S. Six petits tomes de ses lettres ont paru (Oenèu\ 1750), et lis sont bien loin de contenir toute sa correspondance.


-O- XV. €>-

l'archevêque de Paris, de Yintimille (c'était le frère du comte de Luc); parmi ses amis et correspondants les plus assidus, les pères Tournemine et Brumoy, qui joignaient la probité la plus exacte à l'esprit le plus éclairé et le plus cultivé.

Pour le talent comme pour le caractère de Rousseau, on refusera de s'attacher aux opinions extrêmes : car si beaucoup le rabaissèrent trop, d'autres par contradiction affectèrent de trop l'admirer. Nous ne lui ménagerons pas pour nous la critique plus que l'éloge. On a déjà vu que dans la poésie dramatique, de son temps même, il n'avait eu que des succès précaires, quoiqu'il n'ait jamais renoncé à ce genre de composition. Rousseau ne dépassa pas non plus le niveau du médiocre pour les épîtres, où il no cessa guère non plus de s'exercer, puisque ce ne fut qu'en 1737, et par une épître adressée à Louis Racine, dont il se montrait grand admirateur, que, suivant son expression, « il finit sa carrière épistolaire. » L'une de ses principales pièces do ce genre, dédiée à Rollin, roule sur la valeur des ouvrages d'esprit et sur le mérite personnel, en mémo temps que sur l'utilité de l'hisloire et des ennemis : mais si l'on écarte l'intérêt du sujet, écrite en vers de dix syllabes, mètre peu favorable à la concision et à la fermeté du style, elle est, comme les autres où Rousseau se vantait toutefois « d'avoir jeté toute la variété et tout te feu d'expression dont il était capable, » d'un tour généralement prosaïque. On le voit également prévenu en faveur de ses allégories, où il croyait avoir déployé le plus grand effort de son génie, déclarant ait sujet de celle où il explique la doctrine de Platon « qu'on lui assure qu'il n'a rien fait qui approche de cet ouvrage, et véritablement qu'il a été assez heureux pour trouver des expressions dignes de la grandeur de son sujet, autant que la stérilité de la langue humaine peut le permettre. » Cette invention trop su* petfieii'He n'a pas mérité de survivre à son auteur. Ses Épigrammcs ont de la concision, du mordant, de la finesse ; mais on y retrouve parfois ce manque de retenue, dont patte suite il « rougissait, a-t-il dit, devant Dieu et devant les hommes. »


—o- XVI -oEn

-oEn dans Rousseau, il ne reste plus pour nous que le poète lyrique, et encore faut-il excepter du recueil de ses oeuvres durables plus d'une de ses odes, celles par exemple qu'il a composées dans le déclin de l'âge. Il n'en fut pas moins, sans contredit, le premier poète lyrique de son temps, et il passa pour avoir fait le plus heureux usage de l'histoire et de la Fable. Sur ce dernier point la postérité, il est vrai, a modifié cet éloge : elle reproche à Rousseau de n'avoir pas su s'affranchir de ces formes vieillies qui, reposant sur des croyances depuis longtemps éteintes, excluent l'idée du véritable enthousiasme. C'est seulement dans les cantates, genre emprunté des Italiens, mais qu'il a du moins perfectionné, que cet emploi de la mythologie se montre avec un réel avantage. La cantate deCircé, entre autres, sera toujours citée comme un chef-d'oeuvre. Pour les odes du bon temps de Rousseau, il faut avec Rollin ' y signaler comme traits distinclifs « beaucoup de noblesse dans les pensées, de force et d'énergie dans les expressions, de richesse et de justesse dans les rimes. » Qu'il y ait eu d'ailleurs des poètes plus naturellement, plus souverainement inspirés, enfin plus subjugues par leur génie, on ne saurait le nier; cependant on se gardera de parler avec affectation d'enlhousiasme factice à l'égard d'un tel poète et de l'accuser en quelque sorte, parce que, maître de sa force, il à su dominer son talent. On a tellement abusé, à des époques récentes, de ce qu'on a appelé du nom de verve, qu'il est bon de revenir un peu, même chez les poètes, au culte delà raison. /■*^TrP''\

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1. Lellrcdu 10 septembre 1735. /."^' i. ,vf' ■> ~.fj\


ODES.

LIVRE PREMIER.

\v'-, ">£& '*?/ ODE 1

•^.^TlnEE DU PSAUME XIV 1.

Caractère de l'homme juste.

Seigneur, dans ta gloire adorable

Quel mortel est cligne d'entrer?

Qui pourra, grand Dieu, pénétrer

Ce sanctuaire impénétrable, Où tes saints inclinés, d'un oeil respectueux, Contemplent de ton front l'éclat majestueux?

Ce sera celui qui du vice

Évite le sentier impur;

Qui marche d'un pas ferme et sûr

Dans le chemin de la justice ; Attentif et fidèle à distinguer sa voix, Intrépide et sévère à maintenir ses lois.

Ce sera celui dont la bouche Rend hommage à la vérité ; Qui, sous un air d'humanité, No cache point un coeur farouche, .

t. Domine, quls habilabit in tabentaculo tuo? etc. /, ti. Housscau. 1


lOdes,!.} -o- 2 •©—■

Et qui, par des discours faux et calomnieux, Jamais à la vertu n'a fait baisser les yeux :

Celui devant qui le superbe, Enflé d'une vaine splendeur, Paraît plus bas, dans sa grandeur, Que l'insecte caché sous l'herbe ; Qui, bravant du méchant le faste couronné, Honore la vertu du juste infortuné :

Celui, dis-je, dont les promesses Sont un gage toujours certain : Celui qui d'un infâme gain Ne sait point grossir ses richesses ; Celui qui, sur les dons du coupable puissant, N'a jamais décidé du sort do l'innocent.

Qui marchera dans celle voie, Comblé d'un éternel bonheur, Un jour, des élus du Seigneur Partagera la sainte joie ; Et les frémissements de l'enfer irrité Ne pourront faire obstacle à sa félicité.

ODE II

TIIU''E DU PSAUME XVm'.

Vaille Relève à la connaissance de Dieu par la Contemplation de ses ouvrages.

Les deux instruisent la terré À révérer leur auteuri

ti doell enarrant glorlamuel, etc. "1. ■


-o- 3 •£>—

Tout co que leur globo enserre Célèbre un Dieu créateur. Quel plus sublime cantique Que co concert magnifique De tous les célestes corps? Quelle grandeur infinie! Quelle divine harmonie Résulte de leurs accords 1

Do sa puissance immortelle

Tout parle, tout nous instruit;

Le jour au jour la révèle,

La nuit l'annonce à la nuit.

Ce grand et superbe ouvrage

N'est point pour l'hommo un langage

Obscur et mystérieux :

Son admirable structure

Est la voix de la nature,

Qui se fait entendre aux yeux.

Dans une éclatante voûte 11 a placé de ses mains Ce soleil qui dans sa route Éclaire tous les humains. Environné do lumière, Il entre dans sa carrière Commo un époux glorieux, Qui, dès l'aube matinale, De sa couche nuptiale Sort brillant et radieux.

L'univers, à sa présence, Semble sortir du néant. Il prend sa course, il s'avance Comme un superbe géant. Bientôt sa marche féconde Embrasse le tour du monde


ÇOdes, —o- 4 «=—

Dans le cercle qu'il décrit; Et, par sa chaleur puissante, La naturo languissuulo Se ranimé et se nourrit,

0 que tes oeuvres sont belles, Grand Dieu 1 quels sont tes bienfaits t Que ceux qui te sont fidèles Sous ton joug trouvent d'attraits 1 Ta crainte inspire la joio ; Elle assure notre voie; Elle nous rend triomphants î Ello éclaire la jcuuesso, Et fait briller la sagesse Dans les plus faibles enfants.

Soutiens ma foi chancelante, Dieu puissant ; inspire-moi Celle crainte vigilante' ^ Qui fait pratiquer ta loi. Loi sainte, loi désirable, Ta richesse est préférable A la richesse de l'or; Et ta douceur est pareille Au miel dont la jeune abeille Compose son cher trésor.

Mais, sans tes clartés sacrées, Qui peut connaître, Seigneur, Les faiblesses égarées Dans les replis do son coeur? Prête-moi tes feux propices : Viens m'aidera fuir les vices Qui s'attachent à mes pas; Viens consumer par ta flamme Ceux que je vois dans mon ûme Et ceux que je n!y vois pas.


«-<3- 5 ■©"—

Si de leur triste esclavage Tu viens dégager nies sons, Si tu détruis leur ouvrago, Mes jours seront innocents, J'irai puiser sur ta traco Pans, les sources do ta grâce s Et, de ses eaux abreuvé, Ma gloiro fera connaître Quo le Dieu qui m'a fait naîtro Est le Dieu qui m'a sauvé.

ODE III

TIRÉE DU PSAUME XLVni 1,

Sur l'aveuglement des hommes du siècle,

Qu'aux accents de ma voix la terre so réveille : Rois, soyez attentifs ; peuples, ouvrez l'oreille : Que l'univers se taise, et m'écoute parler. Mes chants vont seconder les accords de ma lyro : L'esprit saint me pénètre : il m'échauffe et m inspire Les grandes vérités que je vais révéler.

L'homme en sa propre force a mis sa confiance ; Ivre de ses grandeurs et de son opulenco, L'éclat de sa fortune enfle sa vanité.- Mais ô moment terriblo, ô jour épouvantable, Où la mort saisira ce fortuné coupablo, Tout chargé des liens de son iniquité !

Que deviendront alors, répondez, grands du monde,' Que deviendront ces biens où votre espoir so fonde,

1. Audi te hacc, omnes génies, etc.


tOdcs, L] —cg- C •£>-

Et dont vous étalez l'orgueilleuse moisson? Sujets, amis, parenls, tout deviendra stcriloj Et, dans ce jour fatal, l'homme à l'homme inutile Ne paiera point à Dieu le prix de sa rançon.

Vous avez vu tomber les plus illustres tôtes ; Et vous pourriez encore, insensés que vous ôtes, Ignorer le tribut que l'on doit à la mort? Non, non, tout doit franchir ce terrible passage ; Le riche et l'indi»ent, l'imprudent et le sage, Sujets à môme loi, subissent mémo sort.

D'avides étrangers, transportés d'allégresse, Engloutissent déjà toute celte richesse, Ces terres, ces palais do vos noms ennoblis, Et que vous feste-t-il, en ces moments suprêmes? Un sépulcre funèbre, où vos noms, où vous-mêmes Dans l'éternelle nuit serez ensevelis.

Les hommes, éblouis de leurs honneurs frivoles, Et de leurs vains flatteurs écoutant les paroles, Ont do ces vérités perdu le souvenir : Pareils aux animaux farouches et stupides, Les lois de leur instinct sont leurs uniques guides Et pour eux le présent parait sans avenir.

Un précipice affreux dovant eux so présente; Mais toujours leur raison, soumise et complaisante, Au-devant de leurs yeux met un voile imposteur, Sous leurs pas cependant s'ouvrent les noirs abîmes, Où la cruelle mort, les prenant pour victimes, Frappe ces vils troupeaux, dont elle est le pasteur,

Là s'anéantiront ces titres magnifiques. Ce pouvoir usurpé, ces ressorts politiques, Dont le jtiste autrefois sentit le poids fatal ; Ce qui fit leur bonheur deviendra leur torture ;


-*o- 7 •e>—

Et Dieu, do sa justice apaisant le murmuro-, Livrera ces méchants au pouvoir infernal.

Justes, ne craignez point le vain pouvoir des hommes ; Quelque élevés qu'ils soient, ils sont ce que nous somSi vous êtes mortels, ils le sont comme vous, [mes : Nous avons beau vanter nos grandeurs passagères, Il faut mêler sa cendre aux cendres do ses pères ; Et c'est le même Dieu qui nous jugera tous.

ODE IV

TIRÉE DU PSAUME XLIS 1.

Sur les dispositions que l'homme doit apportera la prier*.

Le roi des cieux et do la terre Descend au milieu des éclairs : Sa voix, comme un bruyant tonnerre, S'est fait entendre dans les airs, Dieux mortels, c'est vous qu'il appelle. Il tient la balance éternelle Qui doit peser tons les humains : Dans ses yeux la flamme étincelle Et le glaive brille en ses mains.

Ministres do ses lois augustes, Esprits divins qui le sorvoz, Assemblez la troupe des justes Que les oeuvres ont éprouvés} Et do ces serviteurs utiles Séparez les émes servîtes Dont le zèle, oisif en sa foi, Par des holocaustes stériles À cru satisfaire à la loi,

i. Deus deorumdominus locutus est, etc.


[Odes, 1.3 —o- 8 -oAllez,

-oAllez, intelligences, Exécuter ses volontés: Tandis qu'à servir ses vengeances Les et'lux et la terre inviles, Par de<* prodiges innombrables Apprendront àeos misérables Quo le jour fatal est venu, Qui fera connaître aux coupables Lo juge qu'ils ont méconnu,

. Écoutez co jugo sévère ,..'■'

Hommes charnels, écoutez tous : Quand jo viendrai dans ma colèro Lancer mes jugements sur vous. Vous m'alléguerez les victimes Que sur mes autels légitimes Chaque jour vous sacrifiez ; Mais ne pensez pas quo vos crimes Par là puissent être expiés.

Quo m'importent vos sacrifices. Vos offrandes et vos troupeaux? Dieu boit-ii le sang des génisses? Mange-t-il la chair des taureaux? Ignorez-vous que son cmpiro Embrasse tout co qui respiro Et sur la teiro et dans les mers, Et quo son souffle seul inspiro L'àmo à tout ce vaste univers?

Offrez, à l'exemple des anges, A ce Dieu, voire unique appui, Un sacrifice de louanges , Lo seul qui soit digne do lui. Chantez, d'uno voix ferme et sùro, De cet auteur do la nature


Les bienfaits toujours renaissants : Mais sachez qu'une main impure Peut souiller lo plus pur encons.

Il a dit à l'hommo profano ; Oses-tu , pécheur criminel, D'un Dieu, dont la loi to condamne, Chanter lo pouvoir éternel; Toi qui, courant à la ruino, Fus toujours sourd à ma doctrino, Et .malgré mes secours puissants, Rejetant toute discipline, N'as pris conseil que de tes sens?

Si tu voyais un adultère, C'était lui que tu consultais : Tu respirais lo caractère Du voleur que tu fréquentais. Ta bouche abondait en malice ; Et ton coeur, pétri d'artifice, Contro ton frèro encouragé, S'applaudissait du précipico Où ta fraude l'avait plongé.

Contro une impiété si noire Mes foudres furent sans emploi ; Et voilà co qui t'a fait croire Quo ton Dieu pensait comme toi. Mais apprends, homme détestable, Quo ma justice formidable Ne se laisse point prévenir, Et n'en est pas moins redoutable Pour être tardive à punir.

Pensez-y donc, âmes grossières ; Commencez par régler vos moeurs.

l.


(Odes, l.j ^10 -es—

Moin.- de losto dans vos prières, Plus d'innocence dans vos coeurs, Sans une âme légitimée Par la pratique confirmée De mes préceptes immortels, Votre encens n'est qu'une fumée Qui dé?honore mes autels.

ODE V

•i ic (': y. i.u PSAUME LVII ',

*]'.-»ise les hypocrites.

Si la loi. du Seigneur vous touche, Si le mensonge vous fait peur, Si la justice en votre coeur Règne, aussi bien qu'en votre bouche ; Parlez, fils des hommes, pourquoi Faut-il qu'une haine farouche Préside aux. jugements que vous lancez sur moi?

C'est, vous, de qui les mains impures Trament le tissu détesté Qui fait trébucher l'équité Dans le piège des impostures ; Lâches, aux cabales vendus, Artisans de fourbes obscures, Habiles seulement à noircir les vertus,

L'hypocrite, eu fraudes fertile, Dès J'enfance est pétri de fard :

1. Si vereyiîque j>.î3tiUîmtoquimini,etc.


-o- il -i

Il sait colorer avec art . Lo fiel que sa bouche di«tiile ; Et la morsure du serpent Est moins aiguë" et moins nuiniie Que le venin cache que sa langue repu mi.

En vain le sage les conseilla Ils sont inflexibles et sourds : Leur coeur s'assoupit aux ili- •MH,- Do l'équité qui les réveille : Plus insensibles et plus froid.- ■ . Que l'aspic, qui fermo l'oveillrAux sons mélodieux d'une touchait!*' voir.

Mais de ces langues diffamant!'? Dieu saura venger l'innocent. Je le verrai, ce Dieu puïssaitr, Foudroyer leurs tètes fumante. Il vaincra ces lions ardents - Et dans leurs gueules écimiaiticIl plongera sa main, et brisera tem> dent.*-.

Ainsi que la vague rapide. D'un torrent qui roulo àgrânU hruif. Se dissipe et s'évanouit^ Dans le sein de la terre humide ; Ou comme l'airain enflammé Fait fondre la cire fluide Qui bouillonne à l'aspect du brader allumé.:

Ainsi leurs grandeurs éclip.-poS'anéantiront à nos ycu);:; Ainsi la justice des cicuv Confondra leurs lâches pensées. Leurs dards deviendront impui?.-&ot*, Et do leurs pointes emoussées Ne pénétreront plus le sein des innoov-uli.


[Odes, 1.] -o- 12 -s>-

Avant quo leurs tiges célèbres Puissent pousser des rejetons, Eux-mêmes, tristes avortons, Seront cachés dans les ténèbres ; Et leur sort deviendra pareil Au sort do ces oiseaux funèbres Qui n'osent soutenir les regards du soleil,

C'est, alors quo de leur disgrâce Les justes riront à leur tour : C'est alors quo viendra le jour Do punir leur superbe audace, Et que, sans paraître inhumains, Nous pourrons extirper leur raco, Et laver dans leur sang nos innocentes mains.

Ceux qui verront cette vengeance Pourront dire avec vérité Que l'injustice et l'équité Tour à tour ont leur récompense, Et qu'il est un Dieu dans les cieux, Dont le bras soutient l'innocence Et confond des méchants l'orgueil ambitieux.

ODE VI

TIRÉE DU PSAUME LXXl".

Idée de la véritable grandeur des rois.

O Dieu, qui, par un choix propice, Daignâtes élire entre tous Un homme qui fût parmi nous L'oracle do votre justice,

I.Deus, judicium tuum régi da, etc.


—<?• 13 -e3—

Inspirez à co jeune roi, Avec l'amour do votre loi Et l'horreur do la violence, Cotte clairvoyante équité Qui de la fausse vraisemblance Sait discerner la vérité.

Quo par des jugements sévères Sa voix assuro l'innocent : Quo do son peuple gémissant Sa main soulago les misères : Quo jamais lo mensonge obscur Des pas do l'homme libre et pur N'ose à ses yeux souiller la trace Et quo le vico fastueux No soit point assis à la place Du mérite humble et vertueux.

Ainsi du plus haut des montagnes La paix et tous les dons des cioux, Comme un fleuve délicieux, Viendront arroser nos campagnes. Son règne à ses peuples chéris Sera co qu'aux champs défleuris Est l'eau que lo ciel leur envoie ; Et, tant que luira lo soleil, L'homme, plein d'uno sainte joie, Le bénira dès son réveil.

Son trône deviendra l'asile De l'orphelin persécuté : Son équitablo austérité Soutiendra le faible pupille. Le pauvre, sous ce défenseur, Ne craindra plus que l'oppresseur


[Odes, I.] -o- 14 •£>-

Lui ravisse son héritage, Et le champ qu'il aura semé No deviendra plus le partago De l'usurpateur affamé.

Ses dons, versés avec justice, Du pâle calomniateur Ni du servile adulateur Ne nourriront point l'avarico; Pour eux son front sera glacé. Le zèle désintéressé, Seul digne do sa confidence, Fera renaître pour jamais Les délices et Vabondanco, Inséparables de la paix.

Alors sa juste renommée, Répandue au delà des mers, Jusqu'aux deux bouts de l'univers Avec éclat sera semée ; Ses ennemis humiliés Mettront leur orgueil à ses pies; Et des plus éloignés rivages Les rois, frappés de sa grandeur, Viendront par do riches hommages Briguer sa puissante faveur.

Ils diront : Voilà le modèle Que doivent suivre tous les rois; C'est do la sainteté dos lois Le protecteur le plus fidèle. L'ambitieux immodéré, Et des eaux du siècle enivré, N'ose paraître en sa présence ; Mais l'humble ressent son appui, Et les larmes do l'innocence. Sont précieuses devant lui.


—<$■ 15 •&—

De ses triomphantes années Lo temps respectera le cours ; Et d'un long ordro d'heureux jours Ses vertus seront couronnées, Ses vaisseaux, par les vents poussés, Vogueront des climats glacés Aux bords de l'ardente Libyo ; La mer enrichira ses ports ; Et pour lui l'heureuse Arabio Épuisera tous ses trésors.

Tel qu'on voit la têto chenue

D'un chêne, autrefois arbrisseau,

Égaler le plus haut rameau

Du cèdre caché dans la nuo :

Tel, croissant toujours en grandeur,

Il égalera la splendeur

Du potentat le plus superbe ;

Et ses redoutables sujets

Se multiplieront comme l'herbe

Autour des humides marais,

Qu'il vive, et que dans leur mémoire Les rois lui dressent des autels ; Que les coeurs de tous les mortels Soient les monuments do sa gloire I Et vous, ô maître des humains, Qui de vos bienfaisantes mains Formez les monarques célèbres, Montrez-vous à tout l'univers, Et daignez chasser les ténèbres Dont nos faibles veux sont couverts.


[Odes, I.) --o- J6 e>-

ODE VII

TIRÉE DU PSAUME LXX1I 1,

Inquiétudes de l'âme sur les voies de la Providence.

Quo la simplicité d'uno vertu paisible Est sûre d'être heureuse en suivant le Seigneur ! Dessillez-vous, mes yeux; console-toi, mon coeur: Les voiles sont levés : sa conduite est visible Sur le juste et sur lo pécheur.

Pardonne, Dieu puissant, pardonne à ma faiblesso: A l'aspect des méchants, confus, épouvanté, Le trouble m'a saisi, mes pas ont hésité : Mon zèle m'a trahi, Seigneur, jo le confesso, En voyant leur prospérité.

Cette mer d'abondance où leur âme so noie Ne craint ni les êcucils ni les vents rigoureux : Ils ne partagent point nos fléaux douloureux; Ils marchent sur les fleurs, ils nagent dans la joie : Le sort n'ose changer pour eux.

Voilà donc d'où leur vient cette audace intrépide Qui n'a jamais connu craintes ni repentirs ! Enveloppés d'orgueil, engraissés de plaisirs, Enivrés de bonheur, ils né prennent pour guides

Que leurs plus insensés désirs.

Leur boucho no vomit qu'injures, que blasphèmes, Et leur coeur ne nourrit que pensers vicieux :

i, Quara bonus Israël Deus, etc.


Ils affrontent la terre, ils attaquent les cieux, Et n'élèvent leurs voix quo pour vanter eux-mêmes Leurs forfaits les plus odieux.

Do là, je l'avouerai, naissait ma défianco, Si sur tous les mortels Dieu tient les yeux ouverls, Comment, sans les punir, voit-il ces coeurs pervers? Et, s'il ne les voit point, comment peut sa scienco Embrasser tout cet univers?

Tandis qu'un peuple entier les suit et les adore, Prêt à sacrifier ses jours mêmes aux leurs, Accablé de mépris, consumé do douleurs, Je n'ouvre plus mes yeux aux rayons de l'aurore Que pour faire placo à mes pleurs,

Ah ! c'est donc vainement qu'à ces âmes parjures J'ai toujours refusé l'encens que je te doi ! C'est donc en vain, Seigneur, que, m'attachantà toi, Je n'ai jamais lavé mes mains simples et pures Qu'avec ceux qui suivent ta loi !

C'était on ces discours que s'exhalait ma plainte : Mais, ô coupable erreur ! ô transports indiscrets! Quand je parlais ainsi, j'ignorais tes secrets; J'offensais tes élus, et jo portais aUeinto A l'équité do tes décrets,

Jo croyais pénétrer tes jugements augustes ; Mais, grand Dieu, mes efforts ont toujours été vains, Jusqu'à ce qu'éclairé du flambeau de tes saints, J'ai reconnu la fin qu'à ces hommes injustes Réservent tes puissantes mains.

J'ai vu que leurs honneurs, leur gloire, leur richesso, Ne sont quo des filets tendus à leur orgueil ;


[Odes, I.] -o- IS -e>-

Que le port n'est pour eux qu'un véritable écueil ;

Et que ces lits pompeux où s'endort leur mollesse

No couvrent qu'un affreux cercueil.

Comment tant de grandeur s'est-elîe évanouie? Qu'est devenuTéclat cle ce vaste appareil? Quoi ! leur clarté s'éteint aux clartés du soleil! Dans un sommeil profond ils ont passé leur vie ; Et la mort a fait leur réveil.

Insensé que j'étais de no pas voir leur chute Dans l'abus criminel de tes dons tout-puissants! De ma faible raison j'écoulais les accents; Et ma raison n'était que l'instinct d'une brute, Qui no juge que par les sons.

Cependant, ô mon Dieu, soutenu de ta grâce, Conduit par ta lumière, appuyé sur ton bras, J'ai conservé ma foï dans ces rudes combats : Mes pieds ont chancelé ; mais enfin de ta trace Je n*ai point écarté mes pas.

Pùis-je assez exalter l'adorable clémence Du Dieu qui m'a sauvé d'un si mortel danger? Sa main contre moi-même a Su mo protéger ; Et son divin amour m'offre un bonheur immense Pour un mal faible et passager.

Que me rcste-t-il donc à chérir sur la terre? Et qu'aUjc à désirer au céleste séjour? La nuit qui me couvrait cède aux clartés du jour} Mon esprit ni mes sens no me font plus la guerre; Tout est absorbé par l'amour.

Car enfin, je le vois, le bras de sa justice, Quoique lent à frapper, so tient toujours lové


î-O- 19 -Es—

Sur ces hommes charnels dont l'esprit dépravé Ose à do faux objets offrir le sacrifice D'un coeur pour lui seul réservé.

Laissons-les s'abîmer sous leurs propres ruines. Ne plaçons qu'en Dieu seul nos voeux el notre espoir: Faisons-nous de l'aimer un éternel devoir ; Et publions partout les merveilles divines De son infaillible pouvoir.

ODE VIII

TIRÉE DU PSAUME LXXV 1 ET WPLlûrfB A U BEtlStfttE CCEMtB DES îtfcM,

Quelle est ta véritable reconnaissance que Dieu exige des hommes.

Le Seigneur est connu dans nos climats paisibles i Il habite avec nous; et ses secours visibles Ont do son peuple heureux prévenu les souhaits. Ce Dieu, de ses faveurs nous comblant à toute heure >

À fait de sa demeure

La demeure de paix.

Du haut de la montagne où sa grandeur réside, Il a brisé la lance et l'épée homicide Sur qui l'impiété fondait son ferme appui. Le sang des étrangers a fait fumer la terre ;

Et le feu do la guerre

S'est éteint devant lui.

Une affreuse clarté dans les airs répandue A jeté la frayeur dans leur troupe éperdue t

L Notus tn iudscà toeils, etc.


[Odes, 1.] -o- 20 ■€>-

Par l'effroi de la mort ils so sont dissipés ; Et l'éclat foudroyant des lumières célestes

A dispersé leurs restes

Aux glaives échappés.

Insensés, qui, remplis d'uno vapeur légère. No prenez pour conseil qu'une ombre mensongère Qui vous peint des trésors chimériques et vains, Le réveil suit de près vos trompeuses ivresses;

Et toutes vos richesses

S'écoulent do vos mains.

L'ambition guidait vos escadrons rapides î Vous dévoriez déjà, dans vos courses avides, Toutes les régions qu'éclaire le soleil : Mais lo Seigneur so lève; il parle, et sa menace

Convertit votre audaco

En un morno sommeil.

O Dieu, quo ton pouvoir est grand et redoutable! Qui pourra se cacher au trait inévitable Dont tu poursuis l'impie au jour do ta fureur? A punir les méchants ta colère fidèlo

Fait marcher devant cllô

La mort et la terreur.

Contro ces inhumains tes jugements augustes S élèvent pour sauver tes humbles et les justes Dont le coeur devant toi s'abaisse avec respect. Ta justice parait, do feux étincelante;

Et la terre trcmblanto

S'arrête à ton aspect.

Mais ceux pour qui ton bras opère ces miracles N'en cueilleront le fruit, qu'en suivant tes oracles,


-o- 21 ©>-

En bénissant ton nom, en pratiquant ta loi.

Quel encens est plus pur qu'un si saint excrcicol Quel autre sacrilico Serait digno de toi 1 '

Co sont là les présents, grand Dieu, quo lu demandes. Peuples, co ne sont point vos pompeuses offrandes Qui lo peuvent payer do ses dons immortels : C'est par une humble foi, c'est par un amour tendre,

Quo l'homme peut prétendre

D'honorer ses autels.

Venez donc adorer le Dieu saint et terrible Qui vous a délivrés par sa forco invincible Du joug quo vous avez redouté tant do fois, Qui d'un souffle détruit l'orgueilleuse licence,

Relève l'innocence

Et terrasso les rois.

ODE IX

TIRÉE DU l'SAUME XO 1.

Que Henné peut troubler ta tranquillité de cents qui s'assurent en Dieu.

Celui qui mettra sa vie Sous la garde du Très-Haut Repoussera do l'envie Lo plus dangereux assaut. Il dira: Dieu redoutablo, C'est dans ta force indomptable Que mon espoir est remis : Mes jours sont ta propre cause}

i. Qui habitat hiadjutorlo Alllsslml, etc.


[Odes.L] -o- 22 e—

Et c'est toi seul que j'oppose A mes jaloux ennemis.

Pour moi, dans co seul asile, Par ses secours tout-puissants, Jo brave l'orgueil stérile Do mes rivaux frémissants. En vain leur fureur m'assiégo : Sa justice rompt le piège De ces chasseurs obstinés ; Elle confond leur adresse, Et garantit ma faiblesse Do leurs dards empoisonnés*

O toi, quo ces coeurs féroces Comblent de crainte et d'ennui, Contre leurs complots atroces No cherche point d'autro appui. Que sa vérité propice Soit contro leur artilico Ton plus invincible mur; Que son aito tutélairo Contro leur âpre colère Soit ton rempart le plus sur.

Ainsi, méprisant l'atteinte De leurs traits les plus perçants, Du froid poison do la crainte Tu verras tes jours exempts ; Soit que lo jour sur la terre Vienne éclairer do la guerre Les implacables fureurs ; Ou soit quo la nuit obscuro Répande dans la nature Ses ténébreuses horreurs,


—o 23 -s>-

Quels effroyables abîmes S'cntr'ouvrent autour de moi ! Quel déluge do victimes S'offre à mes yeux pleins d'effroi! Quelle épouvantable image De morts, de sang, do camago, Frappe mes regards tremblants ! Et quels glaives invisibles Percent de coups si terribles Ces corps pâles et sanglants?

Mon coeur, sois en assuranco, Dieu se souvient do ta foi ; Les fléaux de sa vengeance N'approcheront point do toi : Le juste est invulnérable : De son bonheur immuablo Les anges sont les garants ; Et toujours leurs mains propices A travers les précipices Conduisent ses pas errants.

Dans les routes ambiguës Du bois lo moins fréquenté, Parmi les ronces aiguës Il chemino eu liberté ; Nul obstacle ho larrèto\ Ses pieds écrasent ta lèto Du dragon et do l'aspic ; Il affronte avec courage La dent du lion sauvage Et les yeux du basilic.

Si quelques vaines faiblesses Troublent ses jours triomphants,


(Odes, L] -o- 24 -e>-

Il so souvient des promesses Que Dieu fait à ses enfants. A celui qui m'est fidèle, Dit la Sagesse éternelle, J'assurerai mes secours ; Jo raffermirai sa voie, Et dans des torrents de joio Je ferai couler ses jours.

Dans ses fortunes diverses Jo viendrai toujours à lui ; Jo serai dans ses traverses Son inséparable appui : Jo lo comblerai d'années Paisibles et fortunées ; Je bénirai ses desseins s 11 vivra dans ma mémoire, Kl partagera la gloire Que je réserve a mes saints.

ODE X

TtnÉE DU PSAUME XClll'.

Que la'justice divine est présente à toutes nos actions.

Paraissez, roi des rois ; vouez, juge suprême,

Faire éclater votre coin roux

Contre l'orgueil et le blasphème

De l'impie armé contre \oir<. Le Dieu de l'univers et-t le Dieu des vengeances : Lo pouvoir cl lo droit de punir hv, ollcnses

N'appartient qu'à ce Dieu jaloux.

L bous ultionum Domluus, etc.


-o- 25 €*— lusquesàquand, Seigneur, souffrirez-vous l'ivresse

De ces superbes criminels,

De qui la malice transgresse

Vos ordres les plus solennels, Et dont l'impiété barbare et tyrannique Au crime ajoute encor le mépris ironiquo

De vos préceptes éternels?

Ils ont sur votre peuple exercé leur furio;

Ils n'ont pensé qu'à l'affliger;

Ils ont semé dans leur patrie

L'horreur, lo trouble et le danger : Ils ont de l'orphelin envahi l'héritage; Et leur main sanguinaire a déployé sa rage

Sur la veuve et sur l'étranger.

No songeons, ont-ils dit, quelque prix qu'il en coûte, Qu'à nous ménager d'heureux jours : Du haut do la céleste voûte Dieu n'entendra pas nos discours;

Nos offenses par lui no seront point punies;

11 ne les verra point, et do nos tyrannies 11 n'arrêtera pas le cours.

Quel charme vous séduit, quel démon vous conseille,

Hommes imbéciles et fous?

Celui qui forma votre oreille

Sera sans oreilles pour vous ! Celui qui fit vos yeux no verra point vos crimes ! Et. celui (pti punit les rois les plus sublimes

Pour vous seuls retiendra ses coups 1

Il voit, n'en douiez plus, il entend touto chose; H lit jusqu'au fond do vos coeurs. L'artifice en vain se propose D'éluder ses arrêts vengeurs ;

J. I). Itoutteaiu 2


[Odes, I.] -o- 20 -esRien

-esRien aux regards do co juge sévère i Lo repentir lui seul peut calmer sa colère Et fléchir ses justes rigueurs.

Ouvrez. ouvrez les yeux, et laissez-vous conduire

Aux divins rayons do sa foi.

Heureux celui qu'il daigno instruire

Dans la science de sa loi ! C'est l'asile du juste ; et la simple innocence V trouve son repos, tandis quo la licence

N'y trouve qu'un sujet d'effroi.

Qui mo garantira des assauts do l'envie ?

Sa fureur n'a pu s'attendrir.

Si vous n'aviez sauvé ma vie,

Grand Dieu, j'étais près do périr, .lo vous ai dit: Seigneur, ma mort est infaillible,~ Jo succombe 1 Aussitôt votre bras invincible

S'est armé pour mo secourir,

Non, non, c'est vainement qu'une main sacrilège

Contre moi décoche ses traits;

Votre trône n'est point un siège

Souillé par d'injustes décrets : Vous no ressemblez point à ces rois implacables Qui ne font exercer leurs lois impraticables

Que pour accabler leurs sujets.

Toujours à vos élus l'envieuse malice

Tendra ses filets captieux :

Mais toujours votre loi propice

Confondra les audacieux. Vous anéantirez ceux qui nous font la guerre; fit si l'impiété nous juge sur la terre,

Vous ta jugerez dans les cieux.


-o- 27 -oODE XI

TIRÉE DU rSAUME XCVI 1

fr AtTUQt'ÊE AU JUGEMENT DEIÏMER.

Misère des réprouvés. Félicité des élus.

Peuples, élevez vos concerts ; Poussez des cris de joie et des chants do victoire.;

Voici lo roi de l'univers Qui vient faire éclater son triomphe et sa gloire.

La juslico et la vérité Servent do fondements ;\ son trôno terrible;

Une profonde obscurité Aux regards des humains lo rend inaccessible.

Les éclairs, les feux dévorants, Font luiro devant lui leur flamme étincelante;

Et ses ennemis expirants Tombent do toutes parts sous sa foudre brûlante.

Pleine d'horreur et do respect l La terre a tressailli sur ses voûtes brisées :

Les monts, fondus à son aspect, R'écoulcnt dans le sein des ondes embrasées.

De ses jugements redoutés La trompette célcslo a porté le message ;

Et dans les airs épouvantés En ces terribles mots sa voix s'ouvre un passage :

i. Dominas regnavlt : cxstiltcl terra, etc.


[Odes, l] .—o- 28 ■£=—..

Soyez à jamais confondus, Adorateurs impurs'do profanes idoles,

Vous qui, par des voeux défendus, Invoquez de v.>s mains les ouvrages frivoles.

Ministres de mes volontés, Anges, servez contre eux ma fureur vengeresse.

Vous, mortels que j'ai rachetés, Redoublez à ma voix vos concerts d'allégresse.

C'est moi qui, du plus haut des cieux, Du monde que j'ai fait règle les destinées :

C'est moi qui brise ses faux dieux, Misérables jouets des vents et des unnées.

Par ma présence raffermis, Méprisez du'méchant la bai no et l'artifice :

L'ennemi Ile vos ennemis. A détourné sur eux les traits de leur malice.

Conduits par mes vives clartés, Vous n'avez écouté que mes lois adorables t

Jouissez des félicités Qu'ont mérité pour vous mes bontés secourablcs.

Venez donc, venez on ce jour Signaler do vos coeurs l'humble recotu^tssance ;

lît, par un respect, plein d'amour, Sanctifiez en moi votre réjouissance.


-o- 29 •£>- ODE XII

TIRÉE DU PSAUME CXlX 1.

Contre les calomniateurs.

Dans ces jours destinés aux larmes, Où mes ennemis en fureur Aiguisaient contre moi les armes Do l'ini posture et do l'erreur, Lorsqu'une coupable licence Empoisonnait mon innocenco, Le Seigneur fut mon seul recours : J'implorai sa toute-puissance; Et sa main vint à mon secours.

O Dieu, qui punis les outrages

Que reçoit l'humble vérité,

Venge-toi ; détruis les ouvrages

De ces lèvres d'iniquité :

Et confonds cet homme parjure

Dont la bouche non moins impure

Publie avec légèreté

Les mensonges que l'imposture

Invente avec malignité.

Quel rempart, quelle autre barrière Pourra défendre l'innocent Contre la fraude meurtrière De l'impie adroit et puissant? Sa langue aux feintes préparée Ressemble à la flèche acérée

i. AlHoinlnum,qtiumtributarer.elamavl,oie.


[Odes, I.] -o- 30 -oQui

-oQui et frappe en un moment. C'est un feu léger dès l'entrée, Quo suit un long embrasement.

Hélas! dans quel climat sauvage Ai-je si longtemps habité t Quel exil ! quel affreux rivage ! Quels asiles d'impiété 1 Cédar, où la fourbe et l'envie Contro ma vertu poursuivie So déchaînèrent si longtemps, A quels maux ont livré ma vie Tes sacrilèges habitants 1

J'ignorais la trame invisible De leurs pernicieux forfaits ; Jo vivais tranquille et paisible Chez les ennemis de la paix : El, lorsqu'exempt d'inquiétude Je faisais mon unique élude Do ce qui pouvait ies flatter, Leur détestable ingratitude S'armait pour mo persécuter.

ODE XIII

TIRÉE DU PSAUME CXL11I '.

Image du bonheur temporel des mêchanit.

Béni soit lo Dieu des armées Qui donne la force à mon bras, Et par qui mes mains sont formées Dans l'art pénible des combats 1

i. hcnodlctus noniliuts Dcus meus, etc.


—o- 31 •£>-

De sa clémence inépuisable Le secours prompt et favorable A fini mes oppressions ; En lui j'ai trouvé mon asile ; Et par lui d'un peuple indocilo .l'ai dissipe les factions.

Qui suis-jo, vile créature?

Qui suis-jo, Seigneur? et pourquoi

Le souverain do la naluro

S'abaisso-t-il jusques à moi?

L'homme en sa course passagèro

N'est rien qu'une vapeur légère

Que lo soleil fait dissiper :

Sa clarté n'est qu'une nuit sombro;

Et ses jours passent comme une ombro

Quo l'oeil suit et voit échapper.

Mais quoi I les périls qui m'obsèdent

Ne sont point encore passés!

Do nouveaux ennemis succèdent

A mes ennemis terrassés I

Grand Dieu, c'est toi quo je réclame î

Lèvo ton bras, lance ta flamme,

Abaisse la hauteur des cieux ;

Et viens sur leur voûte enflamméo,

D'une main do foudres armée,

Frapper ces monts audacieux.

Objet de mes humbles cantiques, Seigneur, jo l'adresse ma voix t Toi dont les promesses antiques Furent toujours l'espoir des rois ; Toi de qui les secours propices, \ travers tant do précipices.


[Odes, I.] -o 32 •©—

M'ont toujours"garanti d'effroi, ' Conserve aujourd'hui ton ouvrage, Et daigne 'détourner l'orage Qui s'apprête à fondre sur moi.

Arrête cet affreux délugo Dont les (lois vont mo submerger; Sois mon vengeur, sois mon refuge Contre les fils de l'étranger : Venge-toi d'un peuple infidèle Do qui la bouche criminelle Ne s'ouvre qu'à l'impiété, Et dont la main vouée au crime Ne connaît rien de légitime Que le meurtre et l'iniquité,

Ces hommes qui n'ont point encore Eprouvé la main du Seigneur, Se flattent que Dieu les ignore, Et s'enivrent do leur bonheur. Leur postérité florissante, Ainsi qu'une tige naissante, Croît et s'élève sous leurs yeux : Leurs filles couronnent leurs têtes De tout ce qu'en nos jours de fêtes NoUs portons de plus précieux.

Do leurs grains les granges sont pleines ;

Leurs celliers regorgent de fruits t

Leurs troupeaux, tout chargés de laiftcs,

Sont incessamment reproduits :

Pour eux la fertile rosée

Tombant sur la lerro embrasée

Rafraîchit son sein altéré ;

E^ pour eux lo flambeau du monde

Nourrit d'une chaleur fécondo

Lo germe en ses flancs resserré.


Lo calme règne dans lourd villes; Nul bruit n'interrompt leur sommeil \ On no.voit point leurs toits fragiles Ouverts aux rayons du soleil. C'est ainsi qu'ils passent leur âge, Heureux, disent-ils, lo rivage Où l'on jouit d'un tel bonheur! Qu'ils restent dans leur rêverie : Heureuse la seule patrie Où l'on adore le Seigneur !

ODE XIV

TIRÉE DU PSAUME CXI.V1.'

Faiblesse des hommes. Grandeur de Dieu.

Mon Ame, louez le Seigneur : Rendez un légitime honneur

A l'objet éternel do vos justes louanges. Oui, mon Dieu, je veux désormais Partager la gloire des anges,

Et consacrer ma vie à chanter vos bienfaits.

Renonçons au stérile appui

Des grands qu'on implore aujourd'hui ; Xe fondons point sur eux une espérance folle.

Leur pompe, indigne do nos voeux,

N'est qu'un simulacre frivole ; Ht les solides biens no dépendent pas d'eux.

Comme nous, esclaves du sort, Comme nous, jouets do la mort, La terre engloutira leurs grandeurs insensées; Et périront en même jour

1. Lauda, atdma.t.wa, Dominum, etc.


[OfJcs, I.) -o- 34 -E>-

Ces vastes et hautes pensées Qu'adorent maintenant ceux qui leur font la cour,

Dieu seul doit faire notre espoir;

Dieu do qui l'immortel pouvoir Fit sortir du néant le ciel, la terre et l'onde,

Et qui, tranquille au haut des airs,

Anima d'une voix féconde Tous les êtres semés dans co vaste univers.

Heureux qui, du ciel occupé,

Et d'un faux éclat détrompé, Met de bonne heure en lui toute son espérance !

Il protège la vérité,

Et saura prendre la défenso Du juste quo l'impie aura persécuté.

C'est lo Seigneur qui nous nourrit ;

C'est le Soigneur qui nous guérit: Il prévient nos besoins, il adoucit nos gènes;

11 assure nos pas craintifs :

Il délie, il brise ncs chaînes ; Ht nos tyrans par lui deviennent nos captifs,

11 offre au timide étranger

Un bras prompt à le protéger; Et l'orphelin en lui retrouve un second père :

Do la veuve il devient l'époux ;

Et, par un châtiment sévère, I! confond les pécheurs conjurés contre nous.

Les jours des rois sont dans sa main.

Leur règne est un règne incertain, Dont le doigt du Seigneur a marqué les limites;

Mais do son règne illimité

Les bornes ne seront prescrites Ni par la fin des temps ni par l'éternité.


;«=* 35 •£>- ODE XV

TIRÉE DU CANTIQUE D*ÉZIîCIUAS.

tSAIE, CHAPITRE S8.

Pour une personne convalescente.

J'ai vu mes tristes journées Décliner vers leur penchant; Au midi do mes années Je touchais à mon couchant : La mort, déployant ses ailes, Couvrait d'ombres éternelles La clarté dont je jouis, Et, dans cette nuit funeste, Je cherchais en vain le reste Do mes jours évanouis.

Grand Dieu, votre main réclame Les dons que j'en ai reçus; Elle vient couper la trame Des jours qu'elle m'a tissus, Mon dernier soleil se love ; Et votre souffle m'enlève Do Ici terre des vivants, Comme feiiilJo séchéo Qui, de sa lige arrachée. Devient le jouet des vofils,

Comme un tigre impitoyable, Le mal à brisé mes os;

Et sa rage insatiable

Ne me laisse aurait reposa


lOdes, l] «* 3G -s>~

Viclimo faible ol tremblante, A cette imago sanglante, Jo soupire nuit et jour ; Et, dans ma crainte mortelle, Je suis comme l'hirondelle Sous les griffes du vautour.

Ainsi, do cris et d'alarmes Mon mal semblait se nourrir; Et mes yeux, noyés do larmes, Etaient lassés do s'ouvrir. Jo disais à la nuit sombro : O nuit, lu vas dans ton ombre ^l'ensevelir pour toujours! Je redisais à l'auroro : Lo jour que tu fais écloro Est le dernier do mes jours!

Mon àmo est dans les ténèbres, Mes sens sont glacés d'effroi ; Écoulez mes cris funèbres, Dieu juste, répondez-moi. Mais enfin sa main propice A comblé lo précipice Qui s'entr'ouvrait sous mes pas : Son secours mo fortifie, Et me fait trouver la vie Dans les horreurs du trépas.

Seigneur, il faut que la terro Connaisso en moi vos bienfaits : Vous no m'ayez fait la guerre Quo pour me donner la paix. Heureux l'homme à qui la grâce Départ co don efficace


Puisé dans ses saints trésors, Ht qui, rallumant sa llammo, Trouve la santé de l'àmo Dans les souffrances du corps!

C'est pour sauver la mémoiro De vos immortels secours, C'est pour vous, pour volro gloire, Que vous prolongez nos jours. Non, non, vos bontés sacrées No seront point célébrées Dans l'horreur des monuments : La mort, aveugle et muette, Ne sera point l'inlerprèlo Do vos saints commandements.

Mais ceux qui de sa menace, Comme moi, sont rachetés Annonceront à leur raco Vos célestes vérités. J'irai, Seigneur, dans vos temples Réchauffer par mes oxemples Les mortels les plus glacés, Et, vous offrant mon hommage, Leur montrer l'unique usage Des jours que vous leur laissez.


LIVRE SECOND.

ODE I

Sur la naissance de monseigneur le duc de Brelagni

Descends de la double colline, Nymphe dont le fils amoureux Du sombre époux de Proserpino Sut fléchir lo coeur rigoureux : Viens servir l'ardeur qui m'inspire ; Déesse, prèle-moi ta lyro, Ou celle do co Grec vante Dont l'impitoyable Alexandre, Au milieu de Thèbes en cendre, Respecta la postérité.

Quel Dieu propice nous ramène L'espoir que nous avions perdu? Un fils do Thétis ou d'Alcmèno Par le ciel nous est-il rendu? N'en doutons point, le ciel sensible Veut réparer le coup terrible Qui nous fit verser tant de pleurs. Hâtez-vous, ô chaste Lucine; Jamais plus illustre origine Ne fut digne de vos faveurs.

Peuples, voici le premier gage Des biens qui vous sont préparés :


—o- 39 ■€>-

Cet enfant est l'heureux présago Du repos que vcu» désirez, Les premiers instants de sa vie Do la discorde et do l'envio Verront éteindre le flambeau : Il renversera leurs trophées; Et leurs couleuvres étouffées Seront les jeux de son berceau.

Ainsi, durant la nuit obscure, De Vénus l'étoile nous luit, Favorable et brillant augure De l'éclat du jour qui la suit; Ainsi, dans le fort des tempêtes, Nous voyons briller sur nos tètes Ces feux amis des matelots, Présage do la paix profohdo Que le dieu qui règne sur l'ondo Va rendre à l'empire des flots.

Quel monstro de carnage avide

S'est emparé de l'univers?

Quelle impitoyable Euménide

Do ses feux infecte les airs?

Quel dieu souffle en tous lieux la guerre,

Et semble à dépeupler la terre

Exciter nos sanglantes mains?

Mégère, des enfers bannie,

Est-elle aujourd'hui le génie

Qui préside au sort des humains?

Arrête, Furie implacable ; Le ciol veut calmer ses rigueurs : Les feux d'une haine coupable N'ont que trop embrasé nos coeurs. Aimable Paix, vierge sacrée, Descends do la voùto azurée ;


{Odes, H,] -o- 40 o~

Viens voir tes temples relovés; Et ramôno au sein do nos villes Ces dieux bienfaisants et tranquilles . Que nos crimes ont soulevés.

Mais quel souffle divin m'enflamme? D'où naît cotto soudaine horreur? Un dieu vient échauffer mon Ame D'une prophétique fureur. Loin d'ici, profane vulgaire ! Apollon m'inspire et m'éclaire; C'est lui, jo le vois, je lo sons. Mon coeur cède à sa violence :' Mortels, respectez sa présence, Prêtez l'oreille à mes accents.

Les temps prédits par la Sibylle A leur terme sont parvenus : Nous touchons au règne tranquille Du vieux Saturne et de Janus : Voici la saison désirée Où Thémis et sa soeur Astréo, Rétablissant leurs saints autels, Vont ramener ces jours insignes Où nos vertus nous rendaient dignes Du commerce des immortels.

Où suis-jo? quel nouveau miracle Tient encor mes sons enchantés? Quel vaste, quel pompeux spectacle Frappe mes yeux épouvantes? Un nouveau monde vient d'éclore : L'univers se reforme encore Dans les abîmes du chaos ; Et pour réparer ses ruines, Je vois des demeures divines Descendre un peuple de héros.


-o- '11 -e>~

Les éléments cessent leur guerre, Les cieux ont repris leur azur ; Un feu sacré purgo la terre Do tout co qu'ello avait d'impur : On ne craint plus l'herbe mortelle; Et lo crocodilo infidèle Du Nil ne trouble plus les eaux; Les lions dépouillent leur rage, Et dans lo môme pàturago Bondissent avec les troupeaux.

C'est ainsi que la main des Parques Va nous filer ce siècle heureux, Qui du plus sage dos monarques Doit couronner les justes voeux. Espérons des jours plus paisibles : Les dieux ne sont point inflexibles, Puisqu'ils punissent nos forfaits. Dans leurs rigueurs les plus austères Souvent leurs fléaux salutaires Sont un gage do leurs bienfaits.

Le ciel dans une nuit profonde Se plaît à nous cacher ses lois : Les rois sont les maîtres du monde ; Les dieux sont les maîtres des rois. Valeur, activité, prudence, Des décrets do leur providence Rien ne change l'ordre arrêté; Et leur règle constante et sûre Fait seule ici-bas la mesure Des biens et de l'adversité.

Mais quo fais-tu, Muse insensée? Où tend ce vol ambitieux? Oses-tu porter la pensée Jusque dans le consolides dieux?


[Odes, II.) -o- 42 e>-

Réprime une ardeur périlleuse ; Ne va point, d'une aile orgueilleuse, Chercher la porto dans les airs; Et, par des roules inconnues Suivant Icaro au haut des nues, Crains do lombor au fond des mers,

Si pourtant quelque esprit timide, Du Pindo ignorant les détours, Opposait les règles d'Euclide Au désordre do mes discours ; Qu'il sache qu'autrefois Virgile Fit, même aux Muscs do Sicile, Approuver do pareils transports, Et qu'enfin cet heureux délire Peut seul des maîtres do la lyre Immortaliser les accords.

ODE II

A M. L'ABBÉ COURTIN.

Abbé chéri des neuf Soeurs, Qui dans ta philosophie Sais faire entrer les douceurs Du commerco do la vie, Taudis qu'en nombres impairs Je te traco ici les vers Quo m'a dictés mon caprice, Que fais-tu dans ces désorts Qu'enferme ton bénéfice?

Vas-tu dès l'aube du jour, Secondé d'un plomb rapide,


Ensanglanter le retour Do quelque lièvre timide? Ou chez tes moines tondus, A l'ennuyer assidus, Cherches-tu quelques vieux titres, Qui, dans ton trésor perdus, Se retrouvent sur leurs vitres?

Mais non, jo le connais mieux :

Tu sais trop bien que lo sago

De son loisir studieux

Doit faire un plus noble usage ,

Et, justement enchanté

Do la belle antiquité,

Chercher dans son sein fertile

La solide volupté,

Le vrai, l'honnête et l'utile.

Toutefois de ton esprit Bannis l'erreur générale Qui jadis en maint écrit Plaça la saino morale ; On abuse do son nom. Lo chantre d'Agamomnon Sut nous tracer dans son livre, Mieux quo Chrysippe et Zenon, Quel chemin nous devons suivre,

Homère adoucit mes moeurs Par ses riantes images ; Sénôquo aigrit mes humeurs Par ses préceptes sauvages, En vain, d'un ton do rhéteur, Epictole à son lecteur Précho le bonheur suprême ; J'y trouve un consolateur Plus affligé quo moi-môme.


[Ode*,11.] —s- Il oDans

oDans flegme simulé . Jo découvre sa colère; J'y vois un homme accablé Sous le poids do sa misère : Et dans tous ces beaux discours Fabriqués durant le cours Do sa fortune maudile, Vous reconnaissez toujours L'esclave d'Épaphrodite.

Mais je vois déjà d'ici Frémir tout lo zénonismo, D'entendre traiter ainsi Un des saints du paganisme. Pardon : mais, en vérité, Mon Apollon révolté Lui devait ce témoignage, Pour l'ennui que m'a coûté Son insupportable ouvrage.

Do tout semblable pédant Le commerce communique Je no sais quoi de mordant, De farouche et de cyniquo. O le plaisant avertin D'un fou du pays latin Qui se travaille et so gêne Pour devenir à la fin Sage comme Diogène!

Je no prends point pour vertu Les noirs accès de tristesse D'un loup-garou revêtu Des babils de la sagesse : Plus légère que lo vent, Elle fuit d'un faux savant La sombre mélancolie,


-o- 45 -o—

Et so sauve bien souvent Dans les bras de la Folie,

La vertu du vieux Caton, Chez les Romaiiis tant prônée, Etait souvent, nous dit-on, De falcrno enluminée Toujours ces sages hagards, Maigres, hideux et blafards, Sont souillés de quelque opprobre : Et du premier des Césars L'assassin fut homme sobre.

Dieu bénisse nos dévots! Leur âme est vraiment loyale. Mais jadis les grands pivots Do la ligue anti-royale, Les Lincestres, les Aubris, Qui contre les deux Henris Prêchaient tant la populace, S'occupaient peu des écrits D'Anacréon et d'Horace.

Crois-moi, fais do leurs chansons

Ta plus importante élude;

A leurs aimables leçons

Consacre la solitude ;

Et, par Sonning rappelé

Sur r.o rivage érnaiilé

Où Neuilly borde la Seine,

Reviens au vin d'Auvilé

Mêler les eaux d'IIippocrène.


[Odes, II.] -o- 40 ■&—

ODE III

A M. DE CAUMART1N, Conseiller d'État et intendant des finances.

Digne et noble héritier dos premières vertus Qtron adora jadis sous l'empire do Rhée; Vous qui dans lo palais do l'aveugle Plutus Osâtes introduire Astréo ;

Fils d'un père fameux, qui mémo à nos frondeurs Par sa dextérité fit respecter son zèle, Et, nouvel Atlicus, sut captiver leurs coeurs, En demeurant sujet fidèle :

Renoncez pour un temps aux travaux do Thémis t Venez voir ces coteaux enrichis do verdure, Et ces bois paternels où l'art, humble et soumis, Laisse encor régner la nature.

Les Hyadcs, Vertumne et l'humide Orion Sur la terre embrasée ont versé leurs largesses ; Et Bacchus, échappé des fureurs du Lion, Songo à vous tenir ses promesses.

O rivages chéris, vallons aimés des cicux, D'où jamais n'approcha la tristesse importune, Et dont lo possesseur, tranquille et glorieux, No rougit point do sa ibrluno !

Trop heureux qui du champ par ses pères laissé Peut parcourir au loin les limbes antiques, Sans redouter los cris do l'orphelin chassé Du sein do ses dieux domestiques !


Sous des lambris dorés l'injuste ravissem Entretient le vautour dont il est la victime. Combien peu do mortels connaissent la douceur D un bonheur pur et légitime !

Jouissez en repos do co lieu fortuné :

Lo calme et l'innocence y tiennent leur empire ;

Et des soucis affreux le souffle empoisonné

N'y corrompt point l'air qu'on respire.

Pan, Diane, Apollon, les Faunes, les Syîvaîns, Peuplent ici vos bois, vos vergers, vos montagnes. La ville est le séjour dos profanes humains ; " Los dieux rognent dans les campagnes.

C'est là que l'homme apprend leurs mystères secrets, Et que, contre lo sort munissant sa faiblesso, Il jouit de lui-même et s'abreuve à longs traits Dans les sources de la sagesse.

C'est là que ce Romain dont l'éloquente voix D'un joug presque certain sauva sa république Fortifiait son coeur dans l'étude des lots Et du Lycée et du Portique.

Libre dos soins publics qui lo faisaient rêver, Sa main du consulat laissait aller les rênes ; Et, courant à Tusculo, il allait cultiver Les fruits do l'école d'Athènes.


COdes, II.] —=3- 48 •€>-

ODE IV

A M. D USSÉ.

Esprit né pour servir d'exemple Aux coeurs de la vertu frappes, Qui sany guide as pu do son temple Franchir les chemins escarpés, Cher d'Ussé, quelle inquiétude Te fait une triste habitude Des ennuis et de la douleur? Et, ministre do ton supplice, Pourquoi, par un sombre caprice, Veux-tu seconder ton malheur?

Chasse cet ennui volontaire

Qui tient ton esprit dans les fers,

Et que dans une àmo vulgaire

Jette l'épreuve des revers;

Fais tète au malheur qui t'opprime :

Qu'une espérance légitime

Te munisse contre 16 sort.

L'air siffle, une horrible tempête

Aujourd'hui gronde sur la tôle;

Demain tu seras dans le port.

Toujours la mer n'est pas en butte

Aux ravages des aquilons ;

Toujours les torrents par leur chute

Ne désolent pas nos vallons.

Les disgrâces désespérées,

Et do niil espoir tempérées,

Sont affreuses à soutenir;

Mais leur charge est moins importune,


•—«s- 49 ■o—

Lorsqu'on gémit d'uno infortune Qu'on espère de voir finir,

Un jour, le souci qui to ronge, En un doux repos transformé, No sera plus pour toi qu'un songe Que le réveil aura calmé. Espère donc avec courago. Si lo pilote craint l'orage Quand Neptune enchaîne les flots, L'espoir du calme le rassuro Quand les vents et la nuo obscure Glacent lo coeur des matelots.

Jo sais qu'il est permis au sage, Par les disgrâces combattu, De souhaiter pour apanage La fortune après la vertu. Mais, dans un bonheur sans mélange, Souvent cette vertu se change En une honteuse langueur s Autour do l'avcu^lo richesse Marchent l'orgueil et la rudesse, Quo suit la dureté du coeur.

Non que ta sagesse, endormie Au temps do tes prospérités, Eût besoin d'être raffermie Par do dures fatalités; Ni quo ta vertu peu fidèle Eût jamais choisi pour modèle Ce fou superbe et ténébreux Qui, gonflé d'une fierté basse, N'a jamais eu d'autre disgràco Quo do ir*ètro point malheureux.

J. li> Itoustcau.


[Odes, H.) -o- 50 •&>*-

Maîs si les maux et la tristesse Nous sont des secours superflus, Quand des bornes do la sagesse Les biens ne nous ont point exclus, ils nous font trouver plus charmante Notre félicité présente, Comparée au malheur passé ; Et leur influence tragique Réveille un bonheur léthargique Que rien n'a jamais traversé.

Ainsi que lo cours des années Se forme des jours et des nuits,. Le cerclo do nos destinées Est marqué do joio et d'ennuis, Lo ciel, par un ordre équitable, Rend l'un à l'autre profitablo; Et, dans ces inégalités, Souvent sa sagesse suprême Sait tirer notre bonheur même Du sein de nos calamités,

Pourquoi d'une plainte importune Fatiguer vainement les airs? Aux jeux cruels de la fortune Tout est soumis dans l'univers. Jupiter fit l'homme semblable A ces deux jumeaux que ta fable Plaça jadis au rang des dieux; Couple de déités bizarre, Tantôt habitants du Ténare Et tantôt citoyens des cieux.

Ainsi de douceurs en supplices Elle nous promène à son gré. Lo seul remède à ses caprices C'est de s'y tenir préparé,


-o- 51 ■€>—

De la voir du mémo visage Qu'une courtisane volago, Indigne do nos moindres soins, Qui nous trahit par imprudence, Et qui revient, par inconstanco, Lorsque nous y pensons lo moins.

ODE V

A M. DUCHÉ Dans le temps qu'il travaillait à sa tragédie de Débor*.

Tandis que dans la solitude Où le destin m'a confiné, J'endors, par la douco habitude D'une oisive et facile élude, L'ennui dont je suis lutine,

Un sublime essor te ramène A la cour des soeurs d'Apollon ; Et bientôt avec Melpomône Tu vas d'un nouveau phénomène Éclairer le sacré vallon.

O que ne puis-je, sur les ailes Dont Dédale fut possesseur, Voler aux lieux où tu m*appelles, Et de tes chansons immortelles Partager l'aimable douceur!

Mais une invincible contrainte, Malgré moi. fixe ici mes pas \ Tu sais quel est ce labyrinthe, Et que, pour aller à Corinthe, Le désir seul ne suflU pas.


[Odes, II.] -o- 52 oToutefois

oToutefois froides soirées Commencent d'abréger le jour : Vertumne a changé ses livrées ; Et nos campagnes labourées Me flattent d'un prochain retour.

Déjà lo départ des Pléiades ■ A fait retirer les nochers; Et déjà les tristes Hyados Forcent les frileuses'Dryades De chercher l'abri des rochers.

Le volage amant de Clylio No caresse plus nos climats ; Et bientôt des monts de Scythie Lo fougueux époux d'Orithye Va nous ramener les frimas.

Ainsi, dès que le Sagittaire Viendra rendre nos champs déserts^

J'irai, secret dépositaire, Près do ton foyer solitaire Jouir de tes savants concerts.

En attendant, puissent leurs charmes, Apaisant lo mal qui t'aigrit, Dissiper tes vaines alarmes Et tarir la source des larmes D'une épouse qui te chéril l


—o- 53 ■©=— ODE VI

A LA l'ORTUNE.

Fortune, dont la main couronne Les forfaits les plus inouïs, Du faux éclat qui t'environne Serons-nous toujours éblouis? Jusqucs à quand, trompeuse idolo, D'un culto honteux et frivole Honorerons-nous tes autels? Verra-t-on toujours tes caprices Consacrés par les sacrifices Et par Phommago des mortels?

Le peuple, dans ton moindre ouvrage

Adorant la prospérité,

To nomme grandeur do courage,

Valeur, prudence, fermeté s

Du titre do vertu suprême

Il dépouille la vertu mémo

Pour lo vico que tu chéris ;

Et toujours ses fausses maximes

Érigent en héros sublimes

Tes plus coupables favoris.

Mais, do quelque superbe titre Dont ces héros soient revêtus, Prenons la raison pour arbitre Et cherchons en eux leurs vertus : Jo n'y trouve qu'oxtravaganco, Faiblesse, injustice, arrogance, Trahisons, fureurs, cruautés : Etrange vertu qui se forme


[Odes, II.] -o- 54 o-'

Souvent do l'assemblage énorme Des vices les plus détestés !

Apprends que la seule sagesse Peut faire les héros parfaits, Qu'elle voit toute la bassesse De ceux quo ta faveur a faits ; Qu'ello n'adopte point la gloire Qui naît d'uno injuste victoire Que le sort remporte pour eux, Et quo, devant ses yeux stoïques, Leurs vertus les plus héroïques Ne sont que des crimes heureux.

Quoi 1 Rome et l'Italie en cendre

Me feront honorer Sylta?

J'admirerai dans Alexandre

Co que j'abhorre en Attila?

J'appellerai vertu guerrière

Une vaillance meurtrière

Qui dans mon sang trompe ses mains?

Et jo pourrai forcer ma bouche

A louer un héros farouche,

Né pour lo malheur des humains?

Quels traits mo présentent vos fastes, Impitoyables conquérants? Des voeux outrés, des projets vastes, Des rois vaincus par des tyrans, Des murs que la flamme ravage, Des vainqueurs fumants de carnage, Un peuple au for abandonné, Des mères pâles et sanglantes, Arrachant leurs filles tremblantes Des bras d'un soldat effréné.


-o- 55 *>-'

luges insensés que nous sommes, Nous admirons de tels exploits! Est-ce donc le malheur des hommes Qui fait la vertu des grands rois? * Leur gloire, féconde en ruines, Sans le meurtre et sans les rapines No saurait-elto subsister? Images des dieux sur la terre, Est-ce par des coups de lonnerro Que leur grandeur doit éclater?

Mais je veux que daus les alarmes

Réside le solide honneur :

Quel vainqueur ne doit qu'à ses armes

Ses triomphes et son bonheur?

Tel qu'on nous vante dans l'histoire

Doit peut-être toute sa gloire

A la honte de son rival t

L'inexpérience indocile

Du compagnon de Paul Emile

Fit tout le succès d'Annibal.

Quel est donc le héros solide Dont la gloire ne soit qu'à lui? C'est un roi que l'équité guide, Et dont les vertus sont l'appui; Qui, prenant Titus pour modèle, Du bonheur d'un peuple fidèle Fait le plus cher do ses souhaits ; Qui fuit la basse flatterie, Et qui, père de sa patrie, Compte.ses jours par ses bienfaits.

Vous, chez qui la guerrière audace Tient lieu do toutes les vertus, Concevez Socratc à la place Du fier meurtrier de Ciitus t


[Odes, 11,] —<& 56 •£>-*

Vous verrez un roi respectable, Humain, généreux, équitable, Un roi digno do vos autels ; Mais, à la place de Socrato, Lo fameux vainqueur de l'Euphrato Sera le dernier des mortels.

Héros cruels et sanguinaires, Cessez de vous enorgueillir Do ces lauriers imaginaires Quo Bellono vous fit cueillir. En vain le destructeur rapide De Marc Antoino et do Lepido Remplissait l'univers d'horreurs ! Il n'eût point eu lo nom d'Auguste Sans cet empiro heureux et juste Qui fit oublier ses fureurs.

Montrez-nous, guerriers magnanimes, Votre vertu dans tout son jour t Voyons comment vos coeurs sublimes Du sort soutiendront lo retour, 'faut quo sa faveur vous seconde, Vous êtes les maîtres du monde, Votre gloire nous éblouit t Mais, au moindre rovers funesto, Le masque tombe; l'homme reste, Et lo héros s'évanouit.

L'effort d'uno vertu commune Suffit pour faire un conquérant ; Celui qui dompte la fortune Mérite seul le nom do grand. Il perd sa volage assistance Sans rien perdre de la constance


—<3- -il •€>—

Dont il vit ses honneurs accrus ; Et sa grande âme ne s'altôro Ni des triomphes do Tibère Ni des disgrâces do Varus.

La joie imprudente et légère Chez lui no trouve point d'accès, Et sa crainte active modère L'ivresse des heureux succès. Si la fortune lo traverse, Sa constante vertu s'exerce Dans ces obstacles passagers. Le bonheur peut avoir son terme ; Mais la Sagesse est toujours ferme, Et les destins toujours légers.

En vain une fièro déesse D'Énée a résolu la mort; Ton secours, puissante Sagesse, Triomphe des dieux et du sort. Par toi Rome, après son naufrago, Jusque dans tes murs do Carthage Vengea le sang de ses guerriers, Et, suivant tes divines traces, Vit, au plus fort de ses disgrâces, Changer ses cyprès en lauriers.

ODE VIH

A M. tAVB&Ë DE CtlAULlËU,

Tant qu'a duré l'influence D'un astre propice et doux, Malgré moi de ton absence J'ai supporté les dégoûts.


OjI«, IL] -O 5S €>-

Je disais : Jo lui pardonne De préférer les beautés De Paies et do Pomone Au tumulto des cités ;

Ainsi l'amant do Glycôre, Épris d'un repos obscur, Cherchait l'ombre solitaire Dos rivages do Tibur.

Mais aujourd'hui qu'en nos plaines Le chien brûlant de Procris De Flore aux douces haleines Dessèche les dons chéris,

Veux-tu d'un astre perfide Risquer les âpres chaleurs, Et, dans ton jardin aride, Sécher ainsi que tes fleurs?

Crois-moi, suis plutôt l'exemple , De tes amis casaniers, Et reviens goûter au Temple L'ombre de tes marronniers.

Dans ce salon pacifique, Où présiden t les ncu f Soeurs, Un loisir philosophique T'offre cneor d'autres douceurs :

Là, nous trouverons sans peine, Avec toi, le verre en main, L'homme après qui Diogène Courut si longtemps en vain;

Et, dans la douce allégresse Dont lu sais nous abreuver,


Nous puiserons la sagesse Qu'il chercha sans la trouver.

ODE IX

A M. LE MARQUIS DE LA PARE.

Dans la route que je me trace,

La Fare, daigne m'éclairer;

Toi qui dans les sentiers d'Horace

Marche sans jamais t'égarer ;

Qui, par les leçons d'Arislippe,

Do la sagesse do Chrysippo

As su corriger l'âprcté,

Et, telle qu aux beaux jours d'Astrée,

Nous montrer la vertu paréo

Des attraits de la volupté.

Co feu sacré que Prométhée

Osa dérober dans les deux,

La raison, à l'homme apportée,

Le rend presque semblable aux dieux.

So pourrait-il, sage La Fare,

Qu'un présent si noble et si rare

Do nos maux devint, l'instrument,

Et qu'une lumière divine

Pût jamais être l'origine

D'un déplorable aveuglement ?

Lorsqu'à l'époux de Pénélope Minerve accorde son secours, Les Lestrigons et le Cyclopo Ont beau s'armer contre ses jours i Aidé de cette intelligence, Il triomphe de la vengeance


|0|as,H.Î -o- 60 oDe

oDe en vain courroucé; Par elle il bravo les caresses De.-- sirènes enchanteresses El les breuvages de Circé.

De la vertu qui nous conserve C'est le symbolique tableau : Chaque mortel a sa Minerve, Qui doit lui servir do flambeau. Mais celte déité propice Marchait toujours devant Ulysse, Lui servant do guide oit d'appui; Au lieu que. par l'homme coniliiiio, Elle no va plus qu'à sa suite, Et se précipite avec lui,

Loin quo la raison nous éclairo Et conduise nos actions, Nous avons trouvé l'art d'en faire L'orateur do nos passions : C'est un sophiste qui nous joue; Un vil complaisant qui so loue A tous.les fous do l'univers, Qui, s'habillant du nom do sages, La tiennent sans cesse à leurs gages Pour autoriser leurs travers.

C*esl elle qui nous fait accroire

Que (oui cède à notre pouvoir;

Qui nourrit noire folle gloire

De l'ivresse d'un faux savoir ;

Qui, par cent nouveaux straiagèlîîeS»

Nous 'masquant sans cesse à nOUs-mé^es,

Parmi les vices nous endort:

Du furieux fait \m Achille,

Du fourbe un politique habile,

Et de l'athée un esprit fort.


—O- 61 ■©■—

Mais vous, mortels qui, dans lo monde Croyant, tenir les premiers rangs, Plaignez l'ignorance profonde De tant de peuples différents ; Qui confondez avec la brute Co Duron caché sous sa hutte, Au seul instinct presque réduit, Parlez : Quel est lo moins barbaro D'une raison qui vous égare Ou d'un instinct qui le conduit?

La nature, en trésors fertile, Lui fait abondamment trouver Tout co qui lui peut être utile, Soigneuse do lo 'conserver." Content du partage ijiodcsto Qu'il t|ei)t de )a bonté céleste j Il vit sans (roupie et sans ennui ; Et âj sbll climat lui refuse Quelques biens donU'jïurope abuse, Ce ne sont plus dés biens pour lui.

Coûéhé dans un antre rustique, pu .nord il bravo rigueur; Et lïè.t'rc luxé asiatique N'a point énervé s$ Vigueur : 11 ne Regrette point ja perte De ces arts dont là découverte A PliOinhiO a coûté tant de soins > ||lqui. dèyè/itfs héèossaires, N'ofjt fait qtniugùièhler îîos (njsèfos, ïîfi multipliant nos besoins,

Il méprise là value étude D'un pliilusoplie poiiitilletjx, Qui, bageuïU dansriticerlitude, Vahtp son savoir merveilleux :


[Odes, H.] -o- G2 H>-

Il no veut d'autro connaissance Que ce que la Toute-Puissance A bien voulu nous en donner; Et sait qu'elle créa les sages Pour profiter de ses ouvrages, Et non pour les examiner.

Ainsi d'uno erreur dangereuse Il n'avale point le poison ; Et notre clarté ténébreuse N'a point offusqué sa raison. Il no se tend point à lui-môme Le piège d'un adroit syslèmo Pour se cacher la vérité : Le crime à ses veux parait crime ; Et jamais rien d'illégitime Chez lui n'a pris l'air d'équité.

Maintenant, fertiles contrées, Sages mortels, peuples heureux, Des nations hyperborées Plaignez l'aveuglement affreux ; Vous qui, dans la vainc noblesse, Dans les honneurs, dans la mollesse, Fixez la gloire et les plaisirs ; Vous, de qui l'infâme avarice Promène au gré do son caprice Les insatiables désirs.

Oui, c'est toi, monstre détestable, Superbe tyran des humains, Qui seul du bonheur véritable A l'homme as fermé les chemins. Pour apaiser sa soif ardente, La torro, en trésors abondante,


-=» C3 :'•»—

Ferait germer l'or sous ses pas : Il brûle d'un feu sans remèdo, Moins riche do co qu'il possède Que pauvro de ce qu'il n'a pas.

Ah 1 si d'une pauvreté dure Nous cherchons à nous affranchir, Ràpprochons-nous do la nature, Qui seule peut nous enrichir. Forçons de funestes obstacles ; Réservons pour nos tabernacles Cet or, ces rubis, ces métaux ; Ou dans lo sein des mers avides Jetons ces richesses perfides, L'unique élément do nos maux.

Ce sont là les vrais sacrifices Par qui nous pouvons étouffer Les semences do tous les vices Qu'on voil ici*bas triompher. Otez l'intérêt de la terro '. Vous en exilerez la guerre, L'honneur rentrera dans ses droits ; Et, plus justes que nous ne sommes, Nous verrons régner chez les hommes Les moeurs à la place des lois.

Surtout réprimons les saillies Do notre curiosité, Source do toutes nos folies, Mère do notre vanité. Nous errons dans d'épaisses ombrés, Où souvent nos lumières sombres Ne servent qu'à nous éblouir. Soyons co que nous devons être ; Et ne perdons point à connaître Dos jours destinés à jouir.


fOdes, II.] -3G4e>-

ODEX

Sur la mort de S. A. S. monseigneur le prince de Conti.

Peuples, dont la douleur aux larmes obstinée De co princo chéri déplore lo trépas, Approchez, et voyez quelle est la destinée Des grandeurs d'ici-bas.

Conti n'est plus, ô ciel ! Ses vertus, son courage, La sublimo valeur, le zèle pour son roi, N'ont pu lo garantir, au milieu de son âge, Do la commune loi.

Il n'est plus; et les dieux, en des temps si funestes, N'ont fait quo lo montrer aux regards des mortels. Soumettons-nous. Allons porter ses tristes restes Au pied de leurs autels.

Élevons à sa cendro un monument célèbre : Que lo jour de la nuit emprunte les couleurs. Soupirons, gémissons sur co tombeau funèbre, Arrosé de nos pleurs.

Mais que dis-jè? ah ! plutôt à sa vertu suprême Consacrons un hommage et plus noble et plus doux. Ce héros n'est point mort; le plus beau de lui-même Vit encor parmi nous.

Ce qu'il eut do h)ortei s'éclipse à notre vue i Mais de §ès actions le visible (îambèau, Son nom, sa.fehommêo en cent Hôux épandue, triomphent du (pmbeaû.


—Or 05 •£>-

En dépit do la mort, l'imago do son âme, Ses talents, ses vertus vivantes dans nos coeurs, Y peignent co héros avec des traits de flamme, De la Parque vainqueurs.

Steinkerquo, où sa valeur rappela la victoire, Nervinde, où ses efforts guidèrent nos exploits. Éternisent sa vie, aussi bien qub la gloire Do l'empire françois.

No murmurons donc plus contro les destinées Qui livrent sa jeunesse au ciseau d'Atropos, Et ne mesurons point au nombro des années La course des héros,

Pour qui compto jes jours d'uno vio inutile, L'âge du vieux Priam passe celui d'Hector : Pour qui compto les faits, les ans du jeune Achille L'égalent à Nestor.

Voici, voici le temps où, libres de contrainte. Nos voix peuvent pour lui signaler leurs accents t Je puis, à mon héros, sans bassesse et sans crainte, Prodiguer mon encens.

Muses, préparez-lui votre plus riche offrande; Placez son nom fameux entre les plus grands noms i Rien no peut plus faner l'immortelle guirlande Dont nous le couronnons.

Oui, cher prince, ta mort, de tant do pleurs suivie, Met le comble aux grandeurs don* »u fus revêtu, Et sauve des êcueils d'une plus ,uiigue vie Ta gloire et ta vertu,

Au faîte des honneurs, un vainqueur indomptable Voit souvent ses lauriers se flétrir dans ses mains.


Liidos, if.] —o- CG -esLa

-esLa la seule mort met le sceau véritablo Aux grandeurs des humains.

Combien avons-nous vu d'éloges unanimes Condamnés, démentis par un honteux retour ! Et combien do héros glorieux, magnanimes, Ont vécu trop d'un jour!

Du Midi jusqu'à l'Ourse on vantait co monarque Qui remplit tout lo Nord de tumulte et do sang. II fuit ; sa gloire tombe, et lo destin lui marque Son véritablo rang.

Ce n'est plus ce héros, guidé par la victoire, Par qui tous les guerriers allaient être effacés t C'est un nouveau Pyrrhus, qui va grossir l'histoire Des fameux insensés. '

Ainsi de ses bienfaits la Fortune so venge. Mortels, défions-nous d'un sort toujours heureux, Et, de nos ennemis, songeons quo la louange Est le plus dangereux.

Jadis tous les humains, errant à l'aventure, A leur sauvage instinct vivaient abandonnés, Satisfaits d'assouvir do l'aveugle naturo Les besoins effrénés :

La raison, fléchissant leurs humeurs indociles, De la société vint former les liens, Et bientôt rassembla sous do communs asiles Les premiers citoyens.

Pour assurer outre eux la paix et l'innocence, Les lois firent alors éclater leur pouvoir ; Sur des tables d'airain l'audace 01 la licence Apprirent leur devoir.


»<3- 67 -e»-

Mais il fallait encor, pour étonner le crime, Toujours contro les lois prompt à se révolter, Quo des chefs, rovètus d'un pouvoir légitime, Les fissent respecter.

Ainsi, pour lo maintien de ces lois salutaires, Du peuple entre vos mains lo pouvoir fut remis, Rois; vous fûtes élus sacrés dépositaires Du glaivo de Thémis.

Puisse en vous la vertu faire luiro sans cesse De la divinité les rayons glorieux ! Partagez ces tributs' d'amour et de tendresse Que nous offrons aux dieux.

Mais chassez loin do vous la basse flatterie, Qui, cherchant à souiller la bonté do vos moeurs, Par cent détours obscurs s'onvro avec industrie La porte de vos coeurs.

Le pauvre est à couvert de ses ruses obliques : Orgueilleuse, elle suit la pourpre et les faisceaux : Serpent contagieux, qui des sources publiques Empoisonne les eaux.

Craignez que do sa voix les trompeuses délices N'assoupissent enfin votre faible raison; De cette enchanteresse Osez, nouveaux Ulysses, Rejeter le poison.

Némésis vous observe, et frémit des blasphèmes Dont rougit à vos yeux l'aimable vérité s N'attirez point sur vous, trop épris do vous-mêmes, Sa terrible équité.

C'est elle dont les yeux, certains, inévitables, Percent tous les replis de nos coeurs insensés;


[Odes, H.) -o- 68 oEt

oEt lui répondons des éloges coupables Qui nous sont adressés.

Des châtiments du ciel implacable minisire, De l'équité trahie elle venge les droits; Et voici les arrêts dont sa bouche sinistre Épouvante les rois :

Écoutez et tremblez, idoles de la terre : D'un encens usurpé Jupiter est jaloux; Vos flatteurs dans ses mains allument le tonnerre Qui s'élève sur vous.

Il détruira leur culte ; il brisera l'imago A qui sacrifiaient ces faux adorateurs, Et punira sur vous lo détestable hommage De vos adulateurs.

Moi, je préparerai les vengeances célestes : Je livrerai vos jours au démon de l'orgueil, Qui, par vos propres mains, de vos grandeurs funestes Creusera le cercueil.

Vous n'écouterez plus la voix de la sagesse i Et, dans tous vos conseils, l'aveugle vanité, L'esprit d'enchantement, de vertige et d'ivresse, Tiendra lieu de clarté.

Sous les noms spécieux de zèle et de justice Vous vous déguiserez les plus noirs attentats; Vous couvrirez do fleurs les bords du précipice Qui s'ouvre sous vos pas.

Mais enfin votre chute, à vos yeux déguisée, Aura ces mêmes yeux pour tristes spectateurs, Et votre abaissement servira do risée A vos propres flatteurs.


—«• 69 <»—

De cet oracle affreux tu n'as point à te plaindre, Cher prince ; ton éclat n'a point su t'abuser : Ennemi des flatteurs, à force de les craindre Tu sus les mépriser.

Aussi la renommée ? en publiant ta gloire, Ne sera point soumise à ces fameux rovers : Les dieux t'ont laissé vivre assez pour ta mémoire, Trop peu pour l'univers.

ODE XI

A PIULOMÈLË.

Pourquoi, plaintive Philomôle, Songer encore à vos malheurs, Quand, pour apaiser vos douleurs, Tout cherche à vous marquer son zèle? L'univers, à votre retour, Semble renaîtro pour vous plaire ; Les Dryades à votre amour Prêtent leur ombre solitaire : Loin de vous l'aquilon fougueux Souffle sa piquante froidure ; La terre reprend sa verdure; Le ciel brille des plus beaux feux : Pour vous l'amante de Céphale Enrichit Flore do ses pleurs ; Lo Zéphyr cueille sur les fleurs Les parfums que la terre exhale.

Pour entendre vos doux accents Les oiseaux cessent leur ramago, Et lo chasseur le plus sauvage Respecte vos jours innocents.


[Odes, H.] -o- 70 -e>-

Cependant votre âme, attendrie Par un douloureux souvenir, Des malheurs d'uno sceur chérie Semble toujours s'entretenir. Hélas 1 que mes tristes pensées M'offrent des maux bien plus cuisants ! Vous pleurez des peines passées ; Je pleure des ennuis présents : Et quand la nature attentive Cherche à calmer vos déplaisirs, 11 faut mémo quo jo mo prive De la douceur de mes soupirs.

ODE XII IMITÉE D'HOUACE (Ëpodes, vu).

AUX SUISSES

bVBANT LEUR Gl'EfchE CIVILE, t* 1118.

Où courez-vous, cruels? Quel démon parricide

Arme vos sacrilèges bras? Pour qui destinez-vous l'appareil homicide

De tant d'armes et do soldats?

Allez-vous réparer la honte encor nouvelle , Do vos passages violés?

Etes-vous résolus à venger la querelle De vos ancêtres immoles?

Non, vous voulez venger votre ennemi lui-même. Et faire voir aux fiers Germains

Leurs antiques rivaux, dans leur fureur extrême, Égorgés de leurs propres mains ;


'- -<3- 71 •£=—

Tigres, plus acharnés que le lion sauvage,

Qui, malgré sa férocité, Dans un autre lion respectant son imago,

Dépouille pour lui sa fierté.

Mais parlez; répondez: quels feux illégitimes Allument en vous co transport?

Est-ce un aveugle instinct ? Sont-ce vos propres crimes Ou la fatale loi du sort ?

Ils demeurent sans voix, que devient leur audace?

Je vois leurs visages pâlir : Le trouble les saisit, l'étonnement les glace.

Ali ! vos destins vont s'accomplir.

Vos pères ont péché t vous en portez la peine ;

Et Dieu sur votre nation Veut des profanateurs do sa loi souveraine

Expier la rébellion.


LIVRE TROISIEME. ODE I

A M. LE COMTE DU LUC.

Tel que lo vieux pasteur des troupeaux de Neptune, Proteo, à qui lo ciel, père do la Fortune,

Ne cache aucuns secrets ; Sous diverse figure, arbre, flamme, fontaine, S'efforce d'échapper à la vue incertaine

Dos mortels indiscrets ;

Ou tel que d'Apollon lo ministro terrible, Impatient du dieu dont lo souffle invincible

Agite tous ses sens, Le regard furieux, la tête écheveléo, Du temple fait mugir la demeure ébranlée

Par ses cris impuissants :

Tel, aux premiers accès d'une sainte manie, Mon esprit alarmé redoute du génie

L'assaut victorieux ; Il s'étonne, il combat l'ardeur qui le possède, Et voudrait secouer du démon qui l'oosôde

Lo joug impérieux.

Mais sitôt que, cédant à la fureur divine, Il reconnaît enfin du dieu qui lo domino

Les souveraines lois ; Alors, laut pénétré de sa vertu suprême, Co n'est plus un mortel, c'est Apollon lui-même

Qui parle par ma voix.


—n- 73 -fc—

Je n'ai point l'heureux don de ces esprits faciles Pour qui les doctes Soeurs, caressantes, dociles,

Ouvrent tous leurs trésors, Et qui, dans la douceur d'un tranquille délire, N'éprouvèrent jamais, en maniant la lyre,

Ni fureurs ni transports.

Des veilles, des travaux, un faible coeur s'étonne : Apprenons toutefois quo lo lils do Latono,

Dont nous suivons la cour, Ne nous vend qu'à ce prix ces traits do vivo flamme. Et ces ailes do feu qui ravissent une àmo

Au céleste séjour.

C'est par là qu'autrefois d'un prophète fidôlo L'esprit, s'affranchissant do sa chaîne mortelle

Par nu puissant effort, S'élançait dans les airs comme un aiglo intrépide, Et jusque chez les dieux ullait d'un vol rapide

Interroger le sort.

C'est par là qu'un mortel, forçant les rives sombres, Au superbe tyran qui règne sur les ombres

Fit respecter sa voîx : Heureux si, trop épris d'uno beauté rendue, Par un excès d'amour il no l'eût point perduo

Uno seconde fois l

Telle était do Phébusla Vertu souveraine, Tandis qu'il Fréquentait les bords de l'Hippocrèno

Et les sacrés vallons; Mais ce n'est plus le temps, depuis que l'avarice, Lo mensonge flatteur, l'orgueil et lo caprice

Sont nos seuls Apollons.

Ah ! si ce dieu sublime, échauffant mon génie, Ressuscitait pour moi do l'antique harmonie

.t. li. tlntttfcait. A


l»<!i\s!U.; --> 74 •&-

Les magiques accords ; Si je pouvais du ciel franchir les vastes routes, Ou percer par mes chants les infernales voûtes

De l'empire des morts ;

Jo n'irais point, des dieux profanant la retraite, Dérober aux destins, téméraire interprète,

Leurs augustes secrets; Je n'irais point chercher une amante ravie, Et, la lyre à la main, redemander sa vio

Au gendre de Cérès.

Enflammé d'uno ardeur plus noble et moins stérile J'irais, j'irais pour \ous, o mon illustre asile,

O mon fidèle espoir, Implorer aux enfers ces trois (ières déesses , Que jamais jusqu'ici nos .voeux et nos promesses

N'ont su l'art d'émouvoir.

Puissantes déliés qui peuplez cette rive, Préparez, leur dirais-je, une oreille attentive

Au bruit de mes concerts : Puisscr.t-iis amollir vos superbes courages En faveur d'un héros digue des premiers âges

Du naissant "univers !

Non, jamais sous les yeux do l'auguste Cybôle La terre ne fit naître un plus parfait modèle

Entre les dieux mortels; Et jamais la vertu n'a, dans un siècle avare, D'un plus riche parfum ni d'un encens plus rare

Vu fumer ses autels.

C'est lui, c'est lu pouvoir de cet heureux génie, Qui soudent l'équité contro la tyrannie


D'un aslro injurieux : L'aimable vérité, fugitive, importune, N'a trouvé qu'en lui seul sa gloire, sa fortune,

Sa patrie et ses dieux.

Corrigez donc pour lui vos rigoureux usages. Prenez tous les fuseaux qui, pour les plus longs ùvi

Tournent entre vos mains. C'est à vous que du Styx les dieux inexorables Ont confié les jours, liélas! trop peu durables,

Des fragiles humains.

Si ces dieux , dont un jour tout doit êlre ht proie, Se montrent trop jaloux de la fatale soio

Que vous leur reilevoz, Ne délibérez plus ; tranchez mes destinées, Et renouez leur fil à celui des années

Que vous lui réserve/,.

Ainsi daigne le ciel, toujours pur et tranquille, Verser sur tous les jours que votre main nous fi!';

■Un regard amoureux! Et puissent les mortels, amis do l'innocence, Mériter tous les soins quo votre vigilance

Daigne prendre pour eux !

C'est ainsi qu'au delà do la fatale barque

Mes chants adouciraient do l'orgueilleuse Parqu; 1

L'impitoyable loi ; Lachésis apprendrait à devenir sensible; Et le double ciseau de sa soeur inflexible

Tomberait devant tr-M.

Une santé dès lors florissante, ( u'-rnelle, Vous ferait recueillir d'une automne nouvelle


iOdos.Ilf,] —o- 76 e—

Les nombreu.-os moissons; Le ciel no serait plus fatigué do nos larmes, lit jo verrais enfin do mes froides alarmes

Fondre tous les glaçons,

Mais une dure loi, des dieux même suivie, Ordonne que le cours do la plus belle vie

Soit mêlé de travaux : Un partage inégal no leur fut jamais libre; El leur main lient toujours dans un juste équilibre

Tous nos biens et nos maux.

Ils ont sur vous, ces dieux, épuisé leur largesse : C'est d'eux quo vous tenez la raison, la sagesse,

Los sublimes talents; Vous tenez d'eux enfin cette magnificence Qui seule sait donner à la haute naissance

De solides brillants.

C'en était trop, hélas ! et leur tendresse avare, Vous refusant un bien dont la douceur répare

Tous les meus amassés, Prit sur votre santé, par un décret funeste, Le salaire des dons qu'à votre âme céleste

Elle avait dispensés.

Leciel nous vend toujours les biens qu'il nous prodigue; Vainement un mortel se plaint, et le fatigue

De ses eus superflus; L'âme.d'un vrai héros, tranquille, courageuse, Sait comme il faut souffrir d'une vie orageuse

Le flux et le reflux.

Il sait, et c'est par là qu'un grand coeur se console, Que son nom ne craint rien ni des fureurs d'Éole


-o- 77 -e>-

Ni des flots inconstants ; Et que, s'il est morte!, son immortelle gloire Bravera dans le sein des filles de mémoiro

fit la mort ot lo temps.

Tandis qu'entre des mains à sa gloire attentive.* La Franco confiera do ses saintes archives

Le dépôt solennel, L'avenir y verra le fiuit do vos journées Et vos heureux destins unis aux destinées

D'un empire éternel.

il saura par quels soins, tandis qu'à force ouverte L'Europe conjurée armait pour notre porto

Mille peuples fougueux, Sur des bords étrangers voire illustre assistance Sut ménager pour nous les coeurs et la constance

D un peuple belliqueux.

Il saura quel génie , au fort de nos tempêtes , Arrêta malgré nous, dans leurs vastes conquêtes,

Nos ennemis hautains, Et que vos seuls conseils, déconcertant leurs princes Guidèrent au secours de deux riches provinces

Nos guerriers incertains.

Mais quel peintre fameux, par de savantes veilles, Consacrant aux humains de tant d'autres merveilles

L'immorlcl souvenir, Pourra suivre lo fil d'une histoire si belle Et laisser un tableau digne des mains d'Apello

Aux siècles à venir!

Que ne puis-jo franchir cette noble barrière ! Mais, peu propre aux efforts d'une longue carrière ,


If.i'-, III.} —-s- 78 ■&--

Je vais jusqu'où je puis, Ml. semblable à l'abeille en nos jardins éclose, De différentes fleurs j'assemble et je compose

Lo miel que jo produis.

Sans cosse en divers lieux errant à l'aventure, Des spectacles nouveaux que m'offro la nature

Mes yeux sont égayés ; Kt tantôt dans les bois , tantôt dans les prairies, .le promène toujours mes douces rêveries

Loin des chemins frayés.

Celui qui, so livrant à des guides vulgaires, Ne détourne jamais des routes populaires

Ses pas infructueux, Marche plus, sûrement clans une humblo campagne Que ceux qui, plus hardis, percent do la montagne

Les senliers tortueux.

Toutefois c'est ainsi que nos maîtres célèbres Ont dérobé leur nom aux épairscs ténèbres

Do leur antiquité; Et ce n'est qu'en suivant leur périlleux exemple Que nous pouvons, commeoux.artïvorjusqu'au temple

Do l'immortalité.

ODE II.

A. S. MOXSKIGNT.lHl LH PltlXCB KUtiK.NE DR .SAVOIE,

Est-ce une illusion soudaine Qui trompe mes regards surpris? Est-ce un songe dont, l'ombre vaine Trouble mes timides esprits? Quelle est celle déesse énorme, Ou plutôt co monstre difforme ,


~* 70 oTout

oTout d'oreilles et d'yeux, Dont la voix ressemble au tonnerre Et" qui des pieds louchant la ferre, Caclto sa loto dans les cieux?

C'est l'inconstante Renommée. Qui, sans cesse les yeux ouverts, Fait sa revue accoutuinéo Dans tous les coins de l'univers. Toujours vaine, toujours errante, Et messagère indifférente Des vérités et de l'erreur, Sa voix, en merveilles fécondo, Va chez tous les peuples du monde Semer le bruit et la terreur.

Quelle est cette troupe sans nombre D'amants autour d'elle assidus, Qui viennent en foule à son ombre Rendre leurs hommages perdus? La vanité qui les enivre Sans relâche s'obstine à suivre L'éclat dont elle les séduit ;. Mais bientôt leur âme orgueilleuse Voit sa lumière frauduleuse Changée en éternelle nuit.

O toi qui, sans lui rendre hommage , Et sans redouter son pouvoir. Sus toujours do cette volage Fixer les soins et le devoir, Héros, des héros lo modèle, Était-ce pour cette infidèle Qu'on t'a vu , cherchant les hasards, lîraver mille morts toujours prêtes Et dans les feux et les tempêtes Défier la fureur de Mars?


lOdes, Itl.l —3- 80 ■&-

Non, non; ces lueurs passagères

N'ont jamais ébloui les sens ;

A des déités moins légères

Ta main prodiguo son encens :

Ami delà gloire solide,

Mais do la vérité rigido

Encor plus vivement épris,

Sous ses drapeaux seuls tu te ranges ;

Et co ne sont poin» les louanges,

C'est la vertu, que lu chéris,

Tu méprises l'orgueil frivole De tous ces héros imposteurs Dont, la fausse gloire, s'enwilo Avec la voix do" leurs llalteurs; Tu sais que l'équité sévère A cent fois du haut de leur sphère Précipité ces vains guerriers, Et qu'elle est l'unique déesso Dont l'incorruptible sagesso Puisse éterniser tes lauriers.

Ce vieillard qui d'un vol agilo Fuit sans jamais être arrêté, Lo Temps, celle imago mobile De l'immobile éternité, A peine du sein des ténèbres Fait éclore les faits célèbres, Qu'il les rçplongo dans la nuit : Auteur do tout ce qui doit être, Il détruit tout ce qu'il fait naître A mesure qu'il le produit.

Mais la déesso de mémoire, Favorable aux noms éclatants., Soulève l'équitable histoire Contro l'iniquité du temps;


~<N SI -r--;

Ut, dans le îvgistro des âges ('.onsacrant les" nobles images Quo la gloire lui vient offrir, Sans cesse en cet auguste livre Notre souvenir voit revivre Ce'que nos yeux ont vu périr.

C'est là que sa main immortelle, Mieux quo la déesse aux cent voix, Saura, dans un tableau fidèle , Immortaliser (es exploits : L'avenir, faisant son étude De celte vaste multitude D'incroyables événements, Dan- leurs vérités authentiqué?., "ttes fables les plus fantastiques' ttolrouvera les fondements.

Tous ces traits incompréhensibles.

Par les fictions ennoblis,

Dans l'ordre des choses possibles

Par là se verront rétablis.

Chez nos neveux moins incrédules,

Les vrais Césars, les faux Hercules,

Seront mis en même degré ;

Et tout, ce qu'on dit à leur gloire,

Et qu'on admire sans le croire,

Sera cru sans être admiré.

Guéris d'une vaine surprise, Ils concevront sans être émus Les faits du petit-fils d'Acrise Et tous les travaux de Cadrons, Ni le monstre du labyrinthe, Ni la triple Chimère éteinte, N'étonneront plus la raison ;


p'deMll.l —* 82 ■£> ■

Et l'esprit avouera sans honte Tout ce quo la Grèce raconto Des merveilles du fils d'Éson,

Et pourquoi traiter de prestiges Les aventures de Colchos ? Les dieux n'onl-its fait des prodiges Que dans Thèbes ou dans Argos? Que peuvent opposer les fables Aux prodiges inconcevables Qui, do nos jours exécutés, Ont cent fois dans la Germanie, Chez le Belgo, dans l'Ausonio, Frappé nos yeux épouvantés?

Mais ici ma lyre impuissante N'ose seconder mes efforts ; Une voix tîôro et menaçante Tout à coup glace mes transports : Arrête, insensé, mo dit-ello; Ne va pas d'une main mortelle Toucher un laurier immortel ; Arrête; cl, dans ta folle audace, Crains do reconnaître la trace Du sang dont fumo ton autel.

Lo terrible dieu de la guerre, Bellone et la fiôre Atropos N'ont que trop effrayé la terre Des triomphes do ton héros ; Ces dieux, ta patrie elle-même, Rendront à sa valeur suprême D'assez authentiques tributs : Admirateur plus légitime, Garde tes vers et ton estime Pour de plus tranquilles vertus.


—-3- 83 •€>-

Co n'est point d'un amas funeste Do massacres et do débris Qu'une vertu pure et céleste Tire son véritable prix : Un héros, qui de la victoire Emprunte son unique gloire, N'est héros que quelques moments ; Et, pour l'étro toute sa vie, Il doit opposer à l'envie De plus paisibles monuments.

En vain ses exploits mémorables Étonnent, les plus fiers vainqueurs ; Les seules conquêtes durables Sont celles qu'on fait s'ir les coeurs. Un tyran cruel et sauvage Dans les feux et dans le ravage N'acquiert qu'un honneur criminel : Un vainqueur qui sait toujours l'être Dans les coeurs dont il se rend maître S'élève un trophée étemel.

C'est par cette illustre conquête, Mieux encorque par ses travaux, Que ton prince élève sa tète ■ Au-dessus de tous ses rivaux : Grand par tout ce que l'on admire. Mais plus ent'or, j'ose le dire, Par cette héroïque bonté Et par cet abord plein do grâce Qui des premieis âges retraeo L'adorable simplicité.

Il sait qu'en ce vaste intervalle Où les destins nous ont placés, D'une fierté qui Ses ravale Les mortels sont toujours blessés:


lOdeMil.j .--s- 84 -e>

Que la grandeur ficre et hautaine N'attire souvent que leur haine Lorsqu'elle ne fait rien pour eux, Et quo , tandis qu'elle subsiste, Le parfait bonheur no consiste Qu'à rendre les hommes heureux.

Les dieux même, éternels arbitres Du sort des fragiles mortels, N'exigent qu'à ces mêmes titres Nos offrandes et nos autels. C'est leur puissance qu'on implore ; Mais c'est leur bonté qu'on adore Dans le bien qu'ils font aux humains Et, sans cctlc'bontô fertile , Leur foudre, souvent, inutile, Gronderait en vain dans leurs mains.

Prince, suis toujours les exemples De ces dieux dont tu tiens le jour : Avant de mériter nos temples", Us ont mérité notre amour. Tu le sais, l'aveugle Fortune Peut faire d'une âme commune Un héros partout admiré : La seule vertu, profitable, Généreuse, tendre, équitable, Peut faire un héros adoré,

Co potentat toujours auguste, Maître de tant de potentats, Dont la main si ferme et si juste Conduit tant de vastes Étals, Deviendra la gloire des princes, Lorsqu'en ses nombreuses provinces Rassemblant les plaisirs épars,


- -=-3- où ■£ •—

Sous sa féconde providence Tu foras fleurir l'abondance , Les délices et les beaux-arts.

Seconde les heureux auspices O'un monarque si renommé : Déjà, par les secours propices. .fanus voit son temple formé, Puisse la gloire toujours pure A toute la race ftiluro Servir do modèle et de loi, Et ton intégrité profonde Être à jamais l'amour du montl *, Comme ton liras en fut l'effroi ',

ODE III.

A M. LE COMTE DE D.INNEVAf,

lieutenant général des ointéesde l'empiTeti.".

Le soleil, dont la violenco Nous a fait languir si longtemps, Arme do feux moins éclatants Les rayons que son char nous lance, Et, plus paisible dans son cours, Laisse la céleste Balance Arbitre des nuits et des jours.

L'Aurore, désormais stérile Pour la divinité des fleurs, De l'heureux tribut do ses pleurs Enrichit un dieu plus utile; Et sur tous les coteaux voisins On voit briller l'ambre fertile Dont elle dore nos raisins.


iOdcî.IILl . -o- SG eC'est

eC'est cette saison si belle Que Bacchus prépare à nos yeu\ Do son triomphe glorieux La pompe la plus solennelle : Il vient de ses divines mains Sceller l'allianco éternelle Qu'il a faite avec les humains.

Autour de son char diaphane Les Bis, voltigeant dans les airs. Des soins quPlroublent l'univers Écartent la foule profane : Tel, sur des bords inhabités, 11 vint de la triste Ariane Calmer les esprits agités.

Les satyres tout hors d'haleine, Conduisant les nymphes des bois, Au son du fifre et du hautbois Dansent par troupes dans la plaine, Tandis quo les sylvaius lassés Portent l'immobile Silène Sur leurs Ihyrses entrelacés.

Leur plus vive ardeur se déploie Autour do ce dieu belliqueux : Cher comte, partage avec eux L'allégresse qu'il leur envoie; Et, plein d'une douce chaleur, Montre-toi rival do leur joie, Comme tu l'es de sa valeur.

Prends part à la juste louange Do co dieu si cher aux guerrier.* Qui, couvert de mille lauriers Moissonnés jusqu'aux bords du Gange, A trouvé millo lois plus grand


D'être lo dieu do la vendange Quo do n'ôtro qu'un conquérant.

Do ses ménades révoltées Craignons l'impétueux courroux : Tu sais jusqu'où ce dieu jaloux Porte ses fureurs irritées, Et quelles tragiques horreurs Des Lycurgues et des Penthées Payèrent les folles erreurs.

C'est lui qui, des fils de la terre Châtiant la rébellion, Sous la forme d'un fier lion Vengea le maître du tonnerro; Et par lui les os do Bhécus Furent brisés, comme le verre, Aux yeux de ses frères vaincus.

Ici, par l'aimable paresse Ce fameux vainqueur désarmé No so montre plus enflammé Que des feux d'une douce ivresse ; Et, cherchant de plus doux combats, Dans le temple de l'altégrcsso Il s'offre à conduire nos pas.

Là, sous une voûte sacrée, Peinte des plus riches couleurs, Ses prêtres, couronnant de fleurs La victime pour toi parée, Bientôt sur un autel divin Feront couler à ton entrée Des ruisseaux do lait et de vin.

Reçois co nectar adorable Versé par la main des plaisirs ;


lO(!o?, Ill.l -o- 88 e—

Et laisse, au gré de leurs désirs,

Par cotte liqueur favorable

Remplir tes esprits et tes yeux

Do cette joie inaltérable

Qui rend l'homme semblable aux dieux.

Par elle, en toutes ses disgrâce? ,

Un coeur d'audace revêtu

Sait asservir à sa vertu

Les ennuis qui suivent ses traces,

Et, tranquille jusqu'à la mort,

Conjurer toutes les menaces

Des dieux, et des rois, et du sort.

Par elle, bravant la puissance De son implacable démon, Lo \ aillant fils de félamon, Banni des lieux de sa naissance, Au fort de ses calamités Rendit le calme, et l'espérance A ses compagnons rebutés.

« Amis, la volage Fortune N'a, dit-il, nuls droits sur mon coeur ; Jo prétends, malgré sa rigueur, Fixer votre course importune : Passons ce jour dims les festins ; Dema'iu les zéphyrs et Neptune Ordonneront de nos destins. »

C'est sur cet illustre modèle Ou'à toi-même toujours égal Tu sus loin de ton iieu natal Triompher d'un astre infidèle %ii sous un ciel moins rigoureux . D'Une Halumiue nouvelle Jeter les fondements heureux.


-o- 89 •£>-

Une douleur pusillanime Touche peu les dieux immortels; On aborde en vain leurs autels Sans un coeur ferme et magnanime Quand nous venons les implorer, C'est par une joie unanime Que nous devons les honorer.

Telle est l'allégresse rustique De ces vendangeurs altérés Qu'on voit, à leurs yeux égarés, Saisis d'une ivresse mystique, Et qui, saintement furieux, Retracent de l'orgie antique L'emportement mystérieux.

Tandis que toute la campagne Retentit de leur doux transport, Allons travailler à l'accord Du tokaye avec le Champagne, Et, près de tes Lares assis, Des vins do rive et de montagno Juger le procès indécis.

Les juges, à ton arrivée, Se trouveront tous assemblés : La soif qui les tient désolés Brûle do se voir abreuvée; Et leur appétit importun A deux hi ures do relevée S'étonne d'être encore à jeu i.


MWCÏ.IU.1 --=3- 90.-ESODE

90.-ESODE

AUX PRINCES CIIIIKTIEXS

Sur l'armement des Turcs contre la république de Venise (1713).

Ce n'est donc point assez quo co peuple perfide, Do la sainte cité profanateur stupide, Ait dans tout l'Orient porté ses étendards, Et, paisible tyran de la Grèce abattue,

Partage à notre vue La plus belle moitié du trône des Césars?

Déjà, pour réveiller sa fureur assoupie. L'interprète effréné de son prophète impie Lui promet d'asservir l'Italie à sa loi; Et déjà son orgueil, plein de cette assurance,

Renverse en espéraneo ï.e siège de l'Empire cl celui de la foi.

A l'aspect des vaisseaux quo vomit le Bosphore, Sous un nouveau Xcrxès Thélis croit voir encore Au travers de ses flots promener les forêts ; Et le nombreux amas de lances hérissées.

Contro le ciel dressées, Égale les épis qui dorent nos guérets.

Princes, que pensez-vous à ces apprêts lenibles? .Uteudrez-vous encor, spectateurs insensibles, Quels seiont les décrets de l'aveugle destin, Comme eu ce jour affreux où, dans lo sang noyée,

Byzance foudroyée Vit périr sous ses murs le dernier Constantin?


0 honte ! ô de l'Europe infamie éternelle ! Un peuple do brigands, sous un chef infidèle, Do ses plus sainls remparts détruit la sûreté; Et le mensonge impur tranquillement repose

Où le grand Théodose Fit régner si longtemps l'auguste vérité.

.îadis, dans leur fureur non encor ralentie, Ces esclaves chassés des marais de Scylhio Portèrent chez le Parîlie et la mort cl l'effroi ; Et bientôt des Persans, ravisseurs moins barbares.

Leurs conducteurs avares Keçurcnt à la fois et le sceptre et la loi.

Dès lors courant toujours de victoire en victoire, Des califes déchus do leur antique gloire Le redoutable empire entre eux fut partage; Des bords de. riiullespont aux mes do l'Éuplirale,

Par Cette race ingrate Tout fut en même temps soumis ou ravagé.

Mais sitôt que leurs mains, en ruines fécondes, Osèrent, du Jourdain souillant le.s saintes ondes. Profaner le tombeau du fils do l'Eternel, L'Occident, réveillé par ce coup do tonnerre,

Arma toute la terre Pour laver ce forfait dans leur sang criminel.

En vain à celte ardeur si bouillante et si vive La folio ambition, la prudence craintive, Prétendaient opposer leurs conseils spécieux ; Chacun comprit alors, mieux qu'au siècle où nous souiQuc l'intérêt des hommes _ [mes,

Ne doit point balancer la querelle des cieux.

Comme un torrent fougueux qui, du haut des montagnes Précipitant ses eaux, traîne dans les campagnes


|U(!e.', III.] --C3- <J2 -o-'

Arbres, rochers, troupeaux , par son cours emportés : Ainsi de Godofroy les légions guerrières

Forcèrent tes barrières Quo l'Asie opposait à leurs bras indomptés.

La Palestine enfin, après tant do ravages, Vit fuir ses ennemis, comme on voit les nuages Dans le vague des airs fuir devant l'aquilon, Et des vents du midi la dévorante halciue

N'a consumé qu'à peine Leurs ossements blanchis dans les champs d'Ascalon.

De ses temples détruits et cachés sous les herbes Sion vit relever les portiques superbes, De notre délivrance augustes monuments; Et d'un nouveau David la valeur noble et sainte

Semblait dans leur cncciiito D'un royaume éternel jeter les fondements.

Mais chez ses successeurs la discorde insolente, Allumant lo flambeau d'une guerre sanglante, Énerva leur puissance en corrompant leurs moeurs; Elle ciel irrité, ressuscitant l'audace

D'unei coupable race, Se servit des vaincus pour punir les vainqueurs.

Rois, symboles mortels de la grandeur céleste, C'est à vous de prévoir dans leur chute funeste Do vos divisions les fruits infortunés : Assez et trop lom'fcmps, implacables Achillos,

Vos discordes civiles Do morts ont assouvi les enfers étonnés.

Tandis quo, de vos mains déchirant vos entrailles, Dans nos champs engraissés de tant de funérailles Vous semiez le carnage et le trouble et l'horreur,


~-& 93 -s>—

L'infidèle, tranquille au milieu des alarmes,

Forgeait ces mêmes armes Qu'aujourd'hui contro vous aiguise sa fureur.

Enfin l'heureuse paix , do l'amitié suivie,

A réuni les coeurs séparés par l'envie

Et banni loin do nous la crainte et le danger :

Paisible dans son champ, le laboureur moissonne;

Et les dons do l'automne Ne sont plus profanés par lo fer étranger.

Mais ce calme si doux que lo ciel vous renvoie N'est point le calme oisif d'une indolente joie, Ci' s'endort la vertu des plus fameux guerriers : Le démon des combats siffle encor sur vos tètes ;

Et de justes conquêtes Vous offrent à cueillir de plus nobles lauriers.

Il est temps de venger votre commune injure •. lïteignez dans le sang d'un ennemi parjure Du nom que vous portez l'opprobre injurieux; Et, sous leurs braves chefs assemblant vos cohortes,

Allez briser les portes D'un empire usurpé sur vos faibles aïeux.

Vous n'êtes plus au temps do ces craintes sorviles Qu'imprimaient dans le sein des peuples imbéciles De cruels ravisseurs, à leur perte animés : L'aigle de Jupiter, ministre de la foudre,

A cent fois mis en pou,Ire Ces géants orgueilleux, contro le ciel armés.

Belgrade, assujettie à leur joug tyrannique, Regrette encor ce jour où le fer germanique Renversa leur croissant du haut de ses remparts ; Et de Salankemen les plaines infeclées


lOiUv.llI.i -<*■ 94 •&-

Sont encore humectées Du sang de leurs soldats sur la poussière épais.

Sous lo fer abattus, consumés dans la flamme, Leur monarque insensé, lo désespoir dans l'âme, Pour la dernière fois osa lente;' le sort : Déjà, do sa fureur barbares émissaires,

Ses nombreux janissaires Portaient de toutes parts la terreur et la mort.

Arrêtez, troupe lâche et do pillage avide : D'un Hercule naissant la valeur intrépide Va bientôt démentir vos projets forcenés, lit, sur vos corps sanglants se traçant un passage,

Faire l'apprentissage Des triomphes fameux qui lui sont destinés.

Le Tibisque, effrayé de la digue profonde De tant de bataillons entassés dans son onde, De ses flots enchaînés interrompit le cours; Et le fier Ottoman, sans drapeaux et sans suite,

Précipitant sa fuite, Borna toute sa gloire au salut de ses jours.

« C'en est assez, dit-il ; retournons sur nos traces : Faibles et vils troupeaux, après tant de disgrâces, N'irritons plus en vain de superbes lions : Un prince nous poursuit, dont le fatal génie

Dans cette ignominie De notre antique gloire éteint tous les rayons.

Par une prompte paix, tant, do fois profanée, Conjurons la victoire à le suivre obstinée : Prévenons du destin les revers éclatants, Et sur d'autres climats détournons les tempêtes

Qui, déjà toutes prêtes, Menacent d'écraser l'empire dos sultans. »


—3- .95 o—

ODE V.

A MALUliUUU,

Contre les détracteurs de l'antiquité.

Si du tranquille Parnasse Les habitants renommés Y gardent encor leur place Lorsque leurs yeux sont fermés; Et si, contre l'apparence, Notre farouche ignorance Et nos insolents propos Dans ces demeures sacrées De leurs âmes épurées Troublent encor le repos ;

Que dis-tu, sage Malherbe, De voir tes maîtres proscrits Par une foule superbe De fanatiques esprits, Et dans la propre patrie Benaîtro la barbarie Do ces temps d'infirmité Dont Ion immortelle veine Jadis avec tant de peine Dissipa l'obscurité?

Peux-tu, malgré tant d'hommages,

D'encens, d'honneurs et d'autels,

Voir mutiler les images

De tous ces morts immortels,

Qui, jusqu'au siècle où nous sommes


tOdcs.Ul.l . -o- 98 *>-

Ont fait chez les plus grands hommes Naître les plus doux transports, Et dont les divins génies Do tes doctes symphonies Ont formé tous les accords?

Animé par leurs exemples, Soutenu par leurs leçons. Tu fis retentir nos temples De tes célestes chansons. Sur la montagne thébainc Ta lyre fière et haulaino Consacra l'illustre sort D'un roi vainqueur do l'envie, Vraiment roi pendant sa vio, Vraiment grand après sa mort,

Maintenant ton ombre heureuse, Au comble de ses désirs, De leur troupe généreuse Partage tous les plaisirs. Dans ces bocages tranquilles, Peuplés de myrtes fertiles Et de lauriers toujours verts, Tu mêles ta voix hardie A la douce mélodie Do leurs sublimes concerts.

Là, d'un dieu fier et barbare Orphée adoucit les lois; Ici le divin Pîndaro Charme l'oreille des rois : Dans tes douces promenades Tu vois les folles Ménades Biro autour d'Anaeréon, El les nymphes, plus modestes,


-o- 97 -e>-

Gémir des ardeurs funestes De l'amante do Phaon.

A la source d'Hippocrène, Homère, ouvrant ses rameaux, S'élève comme un vieux chêne Entre de jeunes ormeaux : Les savantes Immortelles, Tous les jours, de fleurs nouvelles Ont soin do parer son front; Et, par leur commun suffrage, Avec elles il partage Le sceptre du double mont.

Ainsi les chastes déesses, Dans ces bois verts et fleuris, Comblent do justes largesses Leurs antiques favoris. Mais pourquoi leur docto lyre Prendrait-elle un moindre empiro Sur les esprits des neuf Soeurs, Si de son pouvoir suprêmo Pluton, Cerbère lui-même, Ont pu sentir les douceurs?

Quelle est donc votre manio, Censeurs dont la vanité De ces rois de l'harmonie Dégrade la majesté, Et qui, par un double crimo , Contre l Olympe sublime Lançant vos traits venimeux, Osez, digues du tonnerre, ÀjlMUCrr-ca que la terre t ,Ê^fjàl^is^c*plus fameux? J. l)/fipusseuti? '■ ^\


[Odes, II1.1 -o 98 -e>-

ImpitoyablesZoïles, Plus sourds que lo noir Pluton, Souvenez-vous, âmes viles, Du sort de l'affreux Python t Chez les filles de mémoire Allez apprendre l'histoire De ce serpent abhorré, Dont l'haleine détesléo De sa vapeur empestée Souilla leur séjour sacré.

Lorsque la terrestre masse Du déluge eut bu les eaux, Il effraya le Parnasse Par des prodiges nouveaux î Lo ciel vit ce monstre impie, Né de la fange croupie Au pied du mont Pélion, Souffler son infecte rago Contre le naissant ouvrage Des mains de Deucalion.

Mais le bras sûr et terrible Du dieu qui donne le jour Lava dans son sang horrible L'honneur du docte séjour. Bientôt de la Thessalie, Par sa dépouille ennoblie, Les champs en furent baignés, Et du Céphisc rapide Son corps affreux et livide Grossit les flots indignés.

Do l'écume empoisonnée De ce reptile fatal Sur la terre profanée Naquit un germe infernal ; 5.


-o- 99 ■€>—

Et de là naissent les sectes De tous ces sales insectes De qui le souffle envieux Ose d'un venin critique Noircir do la Grèce antique Les célestes demi-dieux.

A peine, sur de vains titres, Intrus au sacré vallon, Ils s'érigent en arbitres Des oracles d'Apollon ; Sans cesse dans les ténèbres Insultant les morts célèbres, Ils sont comme ces corbeaux De qui la troupe affamée, Toujours de rage animée, Croasse auteur des tombeaux.

Cependant, à les entendre, Leurs ramages sont si doux, Qu'aux bords mêmes du Méandre Le cygne en serait jaloux ; Et quoiqu'on vain ils allument L'encens dont ils se parfument Dans leurs chants étudiés, Souvent de ceux qu'ils admirent, Lâches flatteurs, ils attirent Les éloges mendiés.

Une louango équitable, Dont l'honneur seul est le but, Du mérite véritable Est le plus juste tribut : Un esprit noble et sublime, Nourri de gloire et d'estime, Sent redoubler ses chaleurs,


roiioj.nr.) -o- ico «>-

Commo uno tigo élevée, D'uno ondo puro abreuvéo, Voit multiplier ses fleurs.

Mais cotto flatteuse amorce D'un hommago qu'on croit dû Souvent prôlo mémo force Au vice qu'à la vertu : Do la céleste rosée La torro fertilisée, Quand les frimas ont cessé, Fait égaloment écloro Et les doux parfums do Flore Et les poisons do Circé,

Cieux, gardez vos eaux fécondes Pour le myrte aimé des dieux ; No prodiguez plus vos ondes A cet if contagieux : fit vous, enfants des nuages, Vents, ministres des orages, Venez, fiers tyrans du nord, Do vos brûlantes froidures Sécher ces feuilles impures Dont l'ombro donne la mort.

ODE VI.

A S. EXC. M. LE COMTE DE SINZINDORF.

L'hiver, qui si longtemps a fait blanchir nos plaines, N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux; Et les jeunes Zéphyrs, do leurs chaudes haleines, Ont fondu 1 écorco des eaux,


~<& J01 ■&—

Los Iroupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques; Le laboureur commonco à lover ses guércls ; Les,arbres vont bientôt, de leurs têtes antiques. Ombrager les vertes forêts,

Déjà la terre s'ouvre ; et nous voyons écloro Les prémices heureux do ses dons bienfaisants ; Cérôs vient à pas lents, à la suito do Flore, Contempler ses nouveaux présents,

Do leurs douces chansons, instruits par la nature, Mille tendres oiseaux font résonner les airs; Et les nymphes dos bois, dépouillant leur ceinture t Dansent au bruit do leurs concerts,

Des objets si charmants, un séjour si tranquille, La verdure, les fleurs, les ruisseaux, les beaux jours r Tout invite lo sago à chercher un asile Contre le tumulte des cours.

Mais vous, à qui Minerve et les filles d'Astrée Ont confié le sort des terrestres humains, Vous, qui n'osez quitter la balance sacrée Dont Thémis a chargé vos mains;

Ministre dé la paix, qui gouvernez les rênes D'un empire puissant autant que glorieux, Vous ne pouvez longtemps vous dérober aux chaînes De vos omplois laborieux.

Bientôt l'État, privé d'uno do ses colonnes, So plaindrait d'un repos qui trahirait le sien; L'orphelin vous crierait : « Hélas 1 tu m'abandonnes l Je perds mon plus forme soutien !»

Vous ires donc revoir, mais pour peu do journées, Ces fertiles jardins, ces rivages si doux,


(Odes, !!I.] -«s- 102 oQue

oQue nature et l'ai s de leurs mains fortunées, Prennent soin d'embellir pour vous.

Dans ces immenses lieux dont le sort vous Ut maître, Vous verrez le soleil, cultivant leurs trésors, Se lever le matin, et lo soir disparaître, Sans sortir de leurs riches bords»

Tantôt vous tracerez la course dé votre Ol'jffô; Tantôtt d'un fer courbé dirigeant vos ormeaux, Vous ÎQfffl fimoûief leur séi'P vagabonde Paris de plus tiïmi radeaux,

Souvent, d'u/i pfôîpl) subtil <p£lo saîpétfe embrasé, Vous xtM 'mmWf k ^Bifgïiejr gloutoïi, Ou, nùijfMijîiipikfi frntù aïix oîséâûx du Phase Sûbîf fef '$6HPhiiûtim,

0 doux /imusernenfô î 6 charme inconcevable A ceux que du urhfift mon dit éblouit le chaos! Solitaires vallons»f felraiftf j»Vj6Jable De l'innocence et du repos;

Délices des aïeux d'une épouse adorée, Qui réunit l'éclat de foules leurs splendeurs, Et dans qui !a vertu, par les grâces paréo. Brille au>dcssus de leurs grandeurs i

Arbres verts et fleuris, bois paisibles et sombres, A votre possesseur si doux et si charmante, Puissicz-vous ne duiér que pouf pfôter vos ombres A ses nobles délassements 1

Mais la loi du devoir, qui lui parle sans cesse, Va bientôt l'enlever à ses heureux loisirs ;


-<?• 103 é~-

II n'écoutera plus que la voix qui le presse De s'arracher à vos plaisirs.

Bientôt vous le verrez ,• renonçant à lui-mènie, Reprendre jes liens dorif. il est échappé ; Toujours de l'intérêt d'un, monarque qu'il aïmê, Toujour^s dé sa gloire occupé.

Allez, illustre appui de ses vastes provinces, Allez; mais revenez, de leur amour épris, Organe des décrets du plus sage des princes, Veiller sur ses peuples chéris.

Cestpour eux qu'autrefois , loin de votre patrie, Consacré do bonne heure à de nobles travaux, Vous fîtes admirer votre heureuse industrie A ses plus illustres rivaux.

La France vit bigler' voire zèle intrépide Contre le feu naissant de JIOS dernier <Iébats : Le Batave vous vit opposer votre égide Au cruel démon des combats.

Vos voeux sont satisfaits i la discorde et Ja guerre N'osent plus rallumer leurs tragiques flambeaux ; Et les dieux apaisés redonnent à la tejre Des jours plus sereins et plus beaux.

Ce chef de tant d'États, à gui Je ciel dispense Tant de riches trésors, tarit de fameux bienfaits, A déjà do ces dieux fieçu la récompense Do sa tendresso p&ur la paix.

Il a vu naître enfin de son épouse aimée Un gage précieux de sa fécondité,


lottes, 111,] -o- IQI -e>-

lït qui va désormais do l'Kuropo charmée Affermir la tranquillité,

\rbitro tout-puissant d'un cmpiro invincible, Plus maître oncordu coeur do ses sujets heureux, Qu'a-l-il à désirer qu'un usago paisible Des jours qu'il a reçus pour eux?

\Ton, non ; il n'ira point, après tant do tempêtes, Ressusciter cnçor d'antiques différends : Il sait que trop souvent les plus belles conquêtes Sont la perte des conquérants.

Si toutefois l'ardeur do son noble courage F/engageait'quelquejour au delà de ses droits, Écoutez la leçon d'un Soerato sauvage, Faite au plus puissant do nos rois.

Pour la troisième fois, du superbe Versailles Il faisait agrandir le parc délicieux ; Un pounlo harassé, (te ses vastes murailles Creusait le contour spacieux.

Un seul, contro un vieux chêne appuyé sans mot dire, Semblait à ce travail ne prendre aucune part ; cf A quoi rôvcs'lu là? » dit lo princo, « Hélas ! sire, » Répond le champêtre vieillard,

« Pardonnez : je songeais que do votre héritage Vous avez beau vouloir élargir les confins ; •}uand vous l'agrandirioz trente fois davantage, Vous aurez toujours des voisins. »


—=3- |05 •&"- ODE VII,

PO0.1 S. A. MONSEIGNEUR LE PRINCE DE VENDÔME ,

Sur son retour de l'île de Malte en 1718.

Après que cette île guerrière, Si fatale aux fiers Ottomans, Eut mis sa puissanto barrière A couvert do leurs armements, Vendômo, qui, par sa prudence, Sut y rétablir l'abondance Et pourvoir à tous ses besoins, Voulut céder aux destinées Qui résorvaient à ses années D'autres climats et d'autres soins.

Mais dès que la célesto voûte Fut ouverte au jour radieux Qui devait éclairer la route De ce héros ami des dieux, Du fond do ses grottes profondes Neptune éleva sur les ondes Son char do tritons entouré ; Et ce dieu, prenant la parole, Aux superbes enfants d'Éole Adressa cet ordre sacré :

Allez, tyrans impitoyables Qui désolez tout l'univers, De vos tempêtes effroyables Troubler ailleurs lo se'in des mers : Sur les eaux qui baignent l'Afrique


[Gdw, «f.) —^: ICC *>-

C'est au Vultume pacifique Que j'ai destiné votre emploi : Partoz, et que votre furio Jusqu'à la iterniôro Hespérie Respecte et subisso sa loi*

Mais vous, aimables Néréides, Songez au sang du grand Henri, Lorsquo nos campagnes humides Porteront ce princo chéri : Aplanissez l'onde orageuse ; Secondez l'ardeur courageuse De ses fidèles matelots : Venez; et d'uno main agile Soutenez son vaisseau fragile, Quand il roulera sur mes flots.

Ce n'est pas la première grâce Qu'il oblient de notre secours : Dès l'enfanco, sa jeune audace Osa vous confier ses jours : C'est vous qui, sur ce moite empire, Au gré du volage Zéphyre Conduisiez au port son vaisseau, Lorsqu'il vint, plein d'un si beau zèle, Au secours do lîlo où Cybèle Sauva Jupiter au berceau.

Dès lors quels périls, quelle gloire, N'ont point signalé son grand coeur? Ils font le plus beau de l'hisloiro D'un héros en tous lieux vainqueur, D'un frère,... Mais lo ciel, avare De ce don si cher et si rare, L'a trop tôt repris aux humains.


-o- 107 •£=—

C'est à vous seuls do l'en absoudro, Trônes ébranlés par sa foudro, Sceptres raffermis par ses mains.

Non moins grand, non moins intrépide, On le vit, aux yeux do son roi, Traverser un fleuve rapide Et glacer ses rives d'etfroi. Tel que d'une ardeur sanguinaire Un jeune aiglon, loin do son aire Emporté plus prompt qu'un éclair, Fond sur tout ce qui se présente, Et d'un cri jotto l'épouvante Chez tous les habitants do l'air.

Bientôt sa valeur souveraino, Moins rebelle aux leçons do l'art, Dans l'école du grand Turenno Apprit à fixer le hasard. C est dans cotte source fertile Que son courage plus utile, Do sa gloire unique artisan , Acquit cetto hauteur suprême Qu'admira Bellonc elle-mêmo Dans les campagnes d'Orbassan,

Est-il quelque guerre fameuse Dont il n'ait partagé le poids? Le Rhin, le Pô, l'Ebro, la Meuse, Tour à tour ont vu ses exploits. France, tandis que tes armées De ses yeux furent animées, Mars n'osa jamais les trahir ; Et la Fortune permanente A son étoile dominante Fit toujours gloire d'obéir.


:Odw,HI.J ' —«• 108 •€>-

Mais quand do lâches artifices Teuront enlevé cet appui, Tes deslins, jadis si propices, S'oxilèrent tous avec lui : Un dieu plus puissant quo tes armes Frappa de paniques alarmes Tos plus intrépides guerriers ; , Et sur tos frontières célèbres Tu ne vis quo cyprès funèbres Succéder à tous tes lauriers.

0 détestablo calomnie,

Fille do l'obscuro fureur,

Compagno do la zizanio

Et mère do l'aveugle erreur !

C'est toi dont la languo aiguisée

De l'austère fils de Thésée

Osa déchirer les vertus ;

C'est par toi qu'une épouso indigne

Arma contre un héros insigne

La crédulité de Prétus.

Dans la nuit et dans le silence Tu conduis tes coups ténébreux : Du masque do la vraisemblance Tu couvres ton visage alfroux : Tu divises, lu désespères Les amis, les époux, les frères : Tu n'épargnes pas les autels ; Et.ta fureur envenimée, Contro les plus grands noms armée, Ne fait grâce qu'aux vils mortels.

Voilà de tes agents sinistres Quels sont les exploits odieux : Mais enfin ces lâches ministres


-o- 109 -ç>-

épuisent la bonté des dieux : En vain, chéris do la Fortuno, Ils cachent leur craiulo importune, Enveloppés dans leur orgueil ; Le remords déchiro leur âme, Et la honlo qui les diffame Les suit jusquo dans lo cercueil.

Vous rentrerez, monstres perfides, Dans la foule où vous êtes nés; Aux vengeances des Euménides Vos jours seront abandonnés : Vous verrez, pour comble do rage, Ce princo, après un vain orage, Paraître en sa première fleur Et, sous uno heureuse puissance, Jouir des droits quo la naissance Ajouto encore à sa valeur.

Mais déjà ses humides voiles Flottent dans mes vastes déserts : Lo soleil, vainqueur des étoiles, Monto sur lo trône des airs. Hâtez-vous, filles do Néréo ; Allez sur la niai noazurée Joindre vos Tritons dispersés : Il est temps de servir mon zèle ! Allez ; Vendôme vous appelle; Neptuno parle ; obéissez.

Il dit; et la mer, qui s'entr'ouvre, Déjà fait briller à ses yeux Do son palais qu'elle découvre L'or et le cristal précieux. Cependant la nef vagabonde ~ Au milieu des nymphes do l'onde


lOdes.lH.l -o- 110 -esVogue

-esVogue cours précipité, Telle qu'on voit rouler sur l'herbe Un char triomphant et superbe, Loin do la barrière emporté.

Enfin d'un prince que j'adore Les dieux sont devenus l'appui j Il revient éclairer encore Une cour plus digne do lui ; Déjà d'un nouveau phénomène Ij'hcureuso influenco y ramène Les jours d'Astrée et de Thémis, Les vertus n'y sont plus en proie A l'avare et brutale joie De leurs insolents ennemis,

Un instinct né chez tous les hommes, Et chez tous les hommes égal, Nous force tous, tant que nous sommes, D'aimer notre séjour natal ; Toutefois, quels que puissent être Pour les lieux qui nous ont vus naître Cos mouvements respectueux, La vertu no se sent point née Pour voir sa gloire profanée Par le vice présomptueux,

Ulysse, après vingt ans d'absence, De disgrâces et de travaux, Dans lo pays de sa naissance Vit finir le cours de ses maux. Mais il eût trouvé moins pénible De mourir à la cour paisible DU généreux Alcirious, . Que de vivre dans sa patrie, Toujours en proie à la furie D'Eurymaque ou d'Antinous.


-<* ni ■&*-

ODE VHI

A M. GIUMANI,

Ambassadeur de Venise a la coar de- Vienne.

Ils partent, ces coeurs magnanimes, Ces guerriers dont les noms chéris Vont être pour jamais écrits Entre les noms les plus sublimes : Ils vont en de nouveaux climats Chercher do nouvelles victimes Au terrible dieu des combats.

A leurs légions indomptables Bellone inspire sa fureur : Lo bruit, 1 épouvante et l'horreur Devancent leurs flots redoutables ; Et la mort remet dans leurs mains Ces tonnerres épouvantables Dont elle écrase les humains.

Un héros tout brillant de gloire Les conduit vers ces mêmes bords Où jadis ses premiers efforts Ont éternisé sa mémoire. Sous ses pas naît la liberté; Devant lui vole la Victoire, Et Pallas marche à son côté.

0 dieux 1 Quel favorable augure Pour ces généreux fils de Mars j J'entends déjà de toutes parts L'air frémir de leur doux murmure;


[Odes, III.] -»'llil*«

Je vois, sous leur chef applaudi, Lo Nord venger avco usure Toutes les pertes du Midi,

Quel triomphe pour ta patrie, Et pour toi quel illustre honneur, Ministre né pour le bonheur De cette mère si chérie, Toi do qui l'amour généreux, Toi do qui la sage industrie Ménagea ces secours heureux !

Cent fois nous avons vu ton zelo Porter les pleurs de ses enfants Jusquo sous les yeux triomphants Du prince qui s'arme pour elle, Et qui, plein d'estime pour toi, Attire encor dans ta querelle Cent princes soumis a sa loi.

C'est ainsi quo du jeune Atride On vit l'éloquente douleur Intéresser dans son malheur Les Grecs assemblés on Aulide, Et d'une noble ambition Armer leur colère intrépide. Pour la conquête d'Ilion.

En vain l'inflexible Neptune ' Leur oppose un calmo odieux; En vain l'interprète des dieux Fait parler sa crainte importune; Leur invincible fermeté Lasse enfin l'injuste Fortuno, Les vents et Neptune irrité.

La constance est le seul remède Aux obstacles du sort jaloux.


—o 113 e>-

Tôt ou tard, attendris pour nous, Los dieux nous accordent leur aide ,* Mais ils veulent être implorés, Et leur résistance no cèdo Qu'à nos efforts réitérés.

Ce no fut qu'après dix années D'épreuve et do travaux constants Que ces glorieux combattants Triomphèrent dos destinées, Et que, loin des bords phrygiens, Us emmenèrent enchaînées Les veuves dos héros troyons.

ODE IX

SUn LA BATAILLE DÉ PÉTERWABADIN.

Ainsi le glaive fidèle De Tango exterminateur Plongea dans l'ombre éternelle Un peuple profanateur, Quand l'Assyrien terrible Vit dans une nuit horrible Tous ses soldats égorgés De la fidèle Judée, Par ses armes obsédée, Couvrir les champs saccagés.

Où sont ces fils de la terre Dont les fiôres légions Devaient allumer la guerre Au sein de nos régions? La nuit les vit rassemblés ; Lo jour les voit écoulés,


[Odes, Ht.] -<*■ 114 -oComme

-oComme faibles ruisseaux, Qui, gonflés par quelque orage, Viennent inonder la plage Qui doit engloutir leurs eaux.

Déjà ces monstres sauvages, Qu'arma l'infidélité, Marchaient lo long des rivages Du Danube épouvanté : Leur chef, guidé par l'audace, Avait épuisé la Thrace D'armes et do combattants, El des bornes de l'Asie Jusqu'à la double Mésie Conduit leurs drapeaux flottants.

A ce déluge barbare D'effroyables bataillons L'infatigable Tarlare Joint encor ses pavillons. C'en est fait s leur insolence Peut rompre enfin lo silence ; L'effroi ne les retient plus : Ils peuvent, sans nulle crainte, D'une paix trompeuse et feinté Briser les noeuds superflus.

C'est en vain qu'à notre vue Un guerrier, par sa valeur, Do leur attaque imprévue A repoussé la chaleur : C'est peu qu'après leur défaite Sa triomphante rolraito Sur nos confins envahis Ait, avec sa renommée, Consacré dans leur armée La honte de leurs spahis.


-o- 115 -e>—

Ils s'aigrissent par leurs pertes : Et déjà de toutes parts Nos campagnes sont couvertes De leurs escadrons épars. Venez, troupe meurtrière| La nuit, qui, dans sa carrière, Fuit à pas précipités, Va bientôt laisser écloro Do votre dernière aurore Les foudroyantes clartés.

Un prince, dont le génie Fait le destin des combats, Veut do vôtre tyrannie Purger enfin nos Étals : Il lient cotte môme foudre Qui vous fit mordre la poudre En ce jour si glorieux, Où, par vingt mille victimes, La mort expia les crimes Do vos funestes aïeux.

Hé quoi 1 votre ardeur glacée Délibère à son aspect 1 Ah I la saison est passée D'un orgueil si circonspect. En vain de lâches tranchées Couvrent vos tètes cachées; Eugène est prêt d'avancer Î Il vient, il marche en personne; Le jour luit; la charge sonne; Lo combat va commencer.

Wirtemberg, sous sa conduite, A la tête do nos rangs, Déjà certain do leur fuite,


[Odes, III.] —«• 11G -G;—

Attaque leurs premiers flancs. Merci, qu'un même ordre enflamme, Parmi les feux et la flamme Qui tonnent aux environs, Force, dissipe, renverse, Détruit tout ce qui traverse L'effort de ses escadrons.

Nos soldats, dans la tempête, Par cet exemple affermis, Sans crainte oxposont leur tète A tous les feux ennemis; Et chacun, malgré l'orage, Suivant d'un même courage Le chef présent en tous lieux, Plein de joie et d'espérance, Combat avec l'assurance Do triompher à ses yeux.

De quelle ardeur redoublée Mille intrépides guerriers Viennent-ils dans la mêlée Chercher do sanglants lauriers ! 0 héros, à qui la gloire D'une si belle victoire Doit son plus ferme soutien, Qùè hd puis-jo, dans ces rimes Consacrant vos noms sublimes... ïhimôï'tatisèr le mien I

Mais quel désordre incroyable Pflffnj ces corps séparés Grossîf nue effroyable "files .éh'iïcmis rassurés? Près tic" leur moment suprême. ïls osent, en fuyant même, Tenter dô ftôùvèâtjx exploits ï


—Σ 117 •£>-

Le désespoir les excite; Et la crainte ressuscite Leur espérance aux abois.

Quel est ce nouvel Alcido, Qui seul, entouré do morts, De cette foule homicide Arrête tous les efforts? A peino un fer détestable Ouvre son flanc redoutable, Son sang est déjà payé; Et son ennemi, qui tombe, Do sa troupe qui succombe Voit fuir le reste effrayé.

Eugène a fait co miracle; Tout se rallie à sa voix : L'infidèle, à ce spectacle, Recule encore une fois. Arembcrg, dont lo courage De ces monstres pleins do rago Soutient le dernier effort D'un air que Bellono avoue, Les poursuit et les dévoue Au triomphe de la mort.

Tout fuit, tout cède à nos armes ; Le vizir, percé de coups, Va clans Belgrade en alarmes Rendre son âme en courroux. Le camp s'ouvre; et ses richesses, Lo fruit des vastes largesses De cent peuples asservis, Dans celte nouvelle Troio Vont être aujourd'huila proie De nos soldats assouvis.


t Odes, III.] -o- 118 •€>-

Rendons au Dieu des armées

Nos honneurs les plus touchants ;

Que ces voûtes parfumées

Retentissent de nos chants :

Et lorsqu'envers sa puissance

Notre humble reconnaissance

Aura rempli ce devoir,

Marchons, pleins d'un nouveau zèle,

A la victoire nouvelle

Qui flatte encor notre espoir.

Temeswar, de nos conquêtes Deux fois lo fatal écueil, Sous nos foudres toutes prêtes Va voir tomber son orgueil î Par toi seul, prince invincible, Ce rempart inaccessible Pouvait être renversé; Va, par son illustre attaque, Rompre les fers du Valaque Et du Hongrois oppressé.

Et toi qui, suivant les traces Du premier de tes aïeux, Éprouves par tant de grâces La bienveillance des deux, Monarque aussi grand que juste, Reconnais le prix auguste Dont le monarque des rois Paye avec tant de clémence Ta piété, ta constance Et ton zèle pour ses lois.


LIVRE QUATRIEME. ODE I

A L'EMPEREUR

AMlfcî Ik CONCtVSlO.X OE U QUADBUUB 1LIUKCLV

Dans sa carrière féconde Le soleil, sortant des eaux, Couvre d'une nuit profonde Tous les célestes flambeaux : Entre les causes premières Tout cèdo aux vives lumières Du feu créé pour les dieux; Et des dons quo nous étale La richesse orientalo, L'or est le plus radieux.

Telle, ô prince magnanime, Ta lumineuse clarté Offusque l'éclat sublime De toute autre majesté. Dans un roi d'un sang illustre Nous admirons le haut lustro Du premier do ses Etats t En toi la royauté môme Honore lo diadème Du premier des potentats.

Mais dis*nous quelle est la sourceDe cette auguste splendeur Qui du Midi jusqu'à l'Ourse


tOdes, IV.] -o- 120 -oFait

-oFait la grandeur. Est-ce cette antiquo race D'aïeux dont tu tiens la placo Sur lo trône des Romains? Est-ce cet amas do princes, De peuples et do provinces Dont le sort est dans tes mains ?

Du vaste empiro des mages Les fastueux héritiers S'applaudissaient des hommages De mille peuples ailiers : Du rivage do l'Aurore Jusqu'au delà du Bosphore Ils faisaient craindre leurs lois, Et, do l'univers arbitres, Ajoutaient à tous leurs titres Le titre do rois des rois.

Cependant la Grèco unie Avait déjà sur leurs fronts Imprimé l'ignominie Do mille sanglants affronts, Quand la colère céleste Fit naître, ou son sein funeste A ces tyrans amollis, Celui dont la main superbe Devait enterrer sous l'herbe Les murs do Pcrsépolis.

Non, non, la servîlo crainte Do cent peuples différents No mit jamais hors d'atteinte La gloire des conquérants : Les lauriers les plus fertiles, Sans l'art do les rendre utiles,


-O- 121 ■&—

Leur sont vainement promis; Et leur puissance n'est stable Qu'autant qu'elle est profitable Aux peuples qu'ils ont soumis.

C'est cette sainto maxime Qui, contre tous les revers, T'affermira sur la cime Des grandeurs do l'univers : Tes sujels, pleins d'allégresse, Des marques de ta tendresse Feront leur seul entretien ; Et leur amour sccourablo Do ta puissance durablo Sera l'étemel soutien.

Ton invincible courage, Signalé dans tous les temps, Fonda le pénible ouvrago De tes destins éclatants : C'est lui qui de la Fortune, De Bellone et rie Neptune Bravant les légèretés, Dans leurs épreuves diverses, T'a conduit par les traverses Au sein des prospérités.

Déjà l'horrible tourmente De cent tonnerres épars Do Barcelone fumante Avait brisé les remparts ; Et bientôt, si la constance N'eût armé la résistance De ses braves combattants, Tes rivaux sur ses murailles Auraient fait les funérailles Do ses derniers habitants.

j, B. Houstcau.


jOdrs, IV. i -o- (22 -o- -

En vain pour sauver ta tète La mer toffrait sur ses eaux, A ton secours toute prête, L'asile de ses vaisseaux : A tes amis plus fidèle, Tu voulus, malgré leur zèle, Vaincre ou mourir avec eux; Et ta vertu, toujours ferme, Les protégea jusqu'au terme Do leurs travaux belliqueux.

Mais sur le trône indomptable Où commandaient tes aïeux, Quel objet épouvantablo S'offrit encore à tes yeux, Quand l'implacable Furio, Qui sur ta triste patrie Déployait ses cruautés, Vint jusqu'en ta capitale Souffler la vapeur falale De ses venins empestés?

Dans sa courso dévoranto Rien n'arrêtait ce torrent : L'épouse tombait mourante Sur son époux expirant : Le fils aux bras de son père, La fille au sein de sa mère, S'arrachaient avec horreur; Et la mort » livide et blême, Remplissait ton palais même Do sa brûlante fureur,

Tu pouvais braver la foudre Sous un ciel moins dangereux; Mais rien no put te résoudre 6.


"O 123 -oA

-oA des malheureux. Rois, qui bornez vos tendresses, Dans ces publiques détresses, Au soin de vous épargner, Apprenez, à cetto marque, Qu'un prince n'est point monarque Pour vivre, mais pour régner.

Oui, j'ose encor le redire, Cette illustre fermeté Est de ton solide empire Ij'appui le plus redouté : C'est elle qui déconcerte L'envie obscure et couverte De les faibles ennemis ; C'est elle dont l'influence Fait l'indomptable défense De tes sujets affermis..

Do leur ardeur aguerrie l\ir son exemple éternel Tu laissas dans l'ibério Un monument solennel, s Quand, sur les rives do l'Ebro Cherchant le laurier célèbre A ta valeur réservé, Tes yeux devant Saragosso Virent tomber le colosso Contre ta gloire élevé»

Fléau de la tyrannie Des Thraces ambitieux, NVt-oh pas \ u" ton génie, Toujours protégé des cicux, Montrer à ces tiers esclaves Que les efforts les plus braves


[Odes, IV.] -o. 124 -e>~

Et les plus inespérés Deviennent bientôt possibles A des guerriers invincibles, Par les ordres inspirés?

Mais une vertu, plus rare . Chez les héros de nos jours, Dans tes voisins te prépare Encor do nouveaux secours ; C'est cette épreuve avérée Et cent fois réitérée De ton équitable foi ; Vertu, sans qui tout le resto N'est souvent qu'un don funeste Au bonheur du plus grand roi.

Vous qui, dans l'indépendance Des noeuds les plus respectés, Masquez du nom de prudence Toutes vos duplicités, ' Infidèles politiques, Qui nous cachez vos pratiques Sous tant de voiles épais, Cessez do troubler la terre, Moins terribles dans la guerre Que sinistres dans la paix.

* En vain sur-les artifices Et le faux déguisement De vos frêles édifices Vous posez le fondement i Contre vos sourdes intrigues Bientôt de plus justes ligues Joignent vos voisins nombreux, Et leur vengeance unanime Vous plonge enfin dans l'abîme Que vous creusâtes pour eux.


—o- 125 •€>—

C'est en suivant cette voie Que tes ennemis flattés Deviendront la juste proie De leurs complots avortés; Tandis qu'aux yeux du ciel même Par ton équité suprême Justifiant tes exploits, Les premiers princes du monde Armeront la terre et l'ondo Pour lo maintien de tes droits.

Ils savent quo ta justice, Sourde aux vaines passions, Est la seule directrice De toutes les actions, Et quo la vigueur austère De ton sage ministère, Toujours inspiré par toi, Inaccessible aux faiblesses, Lui fait des moindres promesses Une inviolable loi.

Ainsi jamais ni la crainte Ni les soupçons épineux, D'une alliance si sainte Ne pourront troubler les noeuds ; Et celte amitié durable, Qui d'un repos désirable Fonde en eux le ferme espoir, Leur rendra toujours sacrée L'incorruptible durée De ton suprême pouvoir.


lOdcs, IV.l -=& 126 «>••

ODE H

A S. A. S. MONSKIGNEUlt LE P1UNC1Ï EUGÎÏNE DK SAVOIE AP&ÈS 1A PAIX t>E PASSAhOWltl.

Les cruels oppresseurs de l'Asie indignée, Qui, violant la foi d'une paix dédaignée, Forgeaient déjà les fers qu'ils nous avaient promis, De leur coupable sang ont lavé cette injure,

Et payé leur parjure De trois vaslcs États par nos armes soumis.

Deux fois PHuropo a vu leur brutale furie, De trois cent mille bras armant la barbarie, Faire voler la mort au milieu de nos rangs; Et deux fois on a vu leurs corps sans sépulture

Devenir la pâture Des corbeaux affamés et des loups dévorants.

0 voufc qui, combattant sous les heureux auspices D'un monarque, du ciel l'amour et les délices, Avez rempli leurs champs de carnage et do morts; Vous, par qui lo Danube affranchi do sa chaîne

Peut désormais sans peine Du Tago débordé réprimer les efforts;

Prince, n'cst-il pas temps, après tant de fatigues, Do goûter un repos que les deslins prodigues, Pour prix do vos exploits, accordent aux humains? N'osez-vous profiter do vos travaux sans nombre,

Et vous asseoir à l'ombro Des paisibles lauriers moissonnés par vos mains?


—=3- 127 o-.

Non, ce serait en vain que la paix renaissante tiendrait à nos cités leur pompe florissante, Si ses charmes flatteurs vous pouvaient éblouir : Son bonheur, sa durée impose à votre zèle

Une charge nouvelle; Kt vous êtes le seul qui n'osez en jouir,

Mais quel heureux génie, au milieu de vos veilles, Vous rend encore épris des savantes merveilles Qui firent de tout temps l'objet de votre amour? Pouvez-vous des neuf Soeurs concilier les charmes

Avec le bruit des armes, Le poids du ministère et les soins de la cour?

Vous lo pouvez, sans doute; et cet accord illustre, Peu connu des héros sans éloge et sans lustre, Fut toujours réservé pour les héros fameux ; G'est aux grands hommes seuls à sentir le mérite

D'un art qui ressuscite L'héroïque vertu des grands hommes comme eux.

Leurs hauts faits peuvent seuls enflammer le génie De ces enfants chéris du dieu do l'harmonie., Dont l'immortelle voix se Consacre aux guerriers t Une gloire commune, un même honneur anime

Leur tendresse unanime; Et leur front fut toujours ceint dos mêmes lauriers.

Entre tous les mortels que l'univers voit naître, Peu doivent aux aïeux dont ils tiennent leur être Le respect de la terre et la faveur des roi%; Deux moyens seulement d'illustrer leur naissance

Sont mis en leur puissance : Les sublimes talents et les fameux exploits.

C'est par là qu'au travers de la foule importune Tahttniommes renommés, malgré leur infortune>


(Odes, IV.] -o- 128 •£>-

Se sont fait un destin illustre et glorieux. Et quo leurs noms, vainqueurs do la nuit la plussomOnt su dissiper Pombro (bro,

Dont les obscurcissait lo sort injtuieux.

Dans l'enfance du mondo encor tondre et fragile, Quand le souffle des dieux eut animé l'argilo Dont les premiers humains avaient été pétris, Leurs rangs n'étaient marqués d'aucune différence,

Et nullo préférence No distinguait encor leur mérite et leur prix.

Mais ceux qui, pénétrés de cetto ardeur divine, Sentiront les premiers leur sublimo origine, S'élevèrent bientôt par un vol généreux; Et ce céleste feu dont ils tenaient la vio

Leur fit naître l'envio D'éclairer l'univers et de le rendre heureux,

Do là ces arts divins, en tant do biens fertiles ; Do là ces saintes lois, dont les règles utiles Firent chérir la paix, honorer les autels ; Et do là ce respect des peuples du vieil âge,

Dont lo pieux hommago Plaça leurs bienfaiteurs au rang des immortels.

Lesdieuxdanslcurséjourreçurentcesgrandshomme;;: Le reste, confondus dans la foulo où nous sommes, Jouissaient dos travaux do leurs sages aïeux, Lorsque l'ambition, la discorde et la guerre,

* Vils enfants do la terre, Vinrent troubler la paix do ces enfants des dieux.

Alors, pour soutenir la débile innocenco, Pour réprimer l'audace et dompter la licence, fl fallut à la gloire immoler lo repos :


-o- 129 <>-'. .

Les vailles , les combats, les travaux mémorables,

Les périls honorables * Furent l'unique emploi des rois et des héros.

Mais combien do grands noms, couverts d'ombres funèSans les écrits divins qui les rendent célèbres, [bres, Dans l'éternel oubli languiraient inconnus ! 11 n'est rien que lo temps n'absorbe et ne dévore;

Et les faits qu'on ignore Sont bien pou différents des faits non avenus.

Non, non, sans le secours des filles de mémoire, Vous vous flattez en vain, partisans do la gloire, D'assurer à vos noms un heureux souvenir ; Si la main des neuf Soeurs ne paie vos trophées,

Vos vertus étouffées N'éclaireront jamais les yeux do l'avenir.

Vous arrosez le champ de ces nymphes sublimes : Mais vous savez aussi que vos faits magnanimes Ont besoin des lauriers cueillis dans leur vallon ; Ne cherchons point ailleurs la cause sympathiquo

Do l'alliance antique Des favoris de Mars avec ceux d'Apollon.

Co n'est point chez ce dieu qu'habite la fortune ;

Son art, peu profitable à la vertu commune,

Au vice qui le craint fut toujours odieux :

Il n'appartient qu'à ceux que leurs vertus suprêmes

Égalent aux dieux mômes De savoir estimer le langage des dieux.

Vous, qu'ils ont pénétré de leur plus vive flamme, Vous, qui leur ressemblez par tous les dons de l'âme, Non moins que par l'éclat de vos faits lumineux, No désavouez point uue muse fidèle,

0.


pidcMV.l -^ ISO -s>

, t Et souffrez que son zèle,

f'iiissrt honorer eu vous ce qu'elle admli'O en eux.

Souffrez qu'à vos iicveux elle laisse uiio imago jïo ce rju'piit do pjus grand l'héroïque courage, jj'jjlébfàhiablû foi, l'honneur, la probité, |!£ inllld ni] 1res vertus qui, mieux que vos victoires,

; Feront de nos histoires Le roodôîd éternel de la postérité»

Cependant* Pfcupé dp soins plus pacifiques. AcncVèz çi'piïibollir ces jardins magnifiques, l)p vos travaux guerriers nobles délassements; Ht rendez-nous encor, par vos doctes largesses,

Les savantes richesses Que vit périr l'Egypte en ses embrasements.

Dans nos arts florissants quelle adresse pompeuse, Dans nos doctes écrits quelle beauté trompeuse, Peuvent se dérober à vos vives clartés ? Et, dans l'obscurité des plus sombres retraites,

Quelles vertus secrètes, Quel mérite timide échappe à vos bontés?

Je n'en ressens quo trop l'influence féconde ; Tandis que votre bras faisait le sort du monde, Vos bienfaits ont daigné descendre jusqu'à moi, Et me rendre, peut-être à moi seul, chérissablé

La gloire périssable Des stériles travaux qui font tout mon emploi,

C'est ainsi qu'au milieu des palmes les plus belles Le vainqueur généreux du Graniquo et d'ArbèîIes Cultivait les talents, honorait le savoir, Et do Chérile même excusant la manie,

Au défaut du génio, Récompensait en lui le désir d'en avoir.


--<* 131 e>- ODE IV

AU tlOl (>K LA GlUNDE-DRETAGNE.

Tandis que l'Europe étonnée Voit ses peuples les plus puissants Traîner dans les besoins pressants Une importune destinée, Grand roi, loin de ton peuple heureux, Quel dieu propice et généreux, Détournant ces tristes nuages, Semble pour lui seul désormais Réserver tous les avantages De la victoire et do la paix?

Quelle inconcevable puissance Fait fleurir sa gloire au dehors? Quel amas d'immenses trésors J)ans son sein nourrit l'abondance? £a Tamise, reine des eaux, Voit ses innombrables vaisseaux Porter sa loi dans les doux mondes Et forcer jusqu'au dieu des mers D'enrichir ses rives fécondes Des tributs do tout l'univers.

j)e cette pompeuse largesse Ici tout partage le prix ; A l'aspect de ces murs chéris * La pauvreté devient richesse, Dieux ! quel déluge d'habitants Y brave depuis sHongtemps L'indigence, ailleurs si commune ! Quel prodige encore une fois


[Odes, IV.] -o- 132 o.

o. y faire de la fortune L'exécutrice do ses lois?

Peuples, vous devez lo connaître :

Ce comblo de félicité

N'est dû qu'à la sage équité

Du meilleur roi qu'on ait vu naître :

Do vos biens, comme do vos maux,

Les gouvernements inégaux

Ont toujours été la semenco ;

Vos rois sont, dans la main des dieux,

l,es instruments de la clémence

Ou do la colère des deux, '

Oui, grand prince, j'ose lo dire, Tes sujets, de biens si comblés, Languiraient peut-être accablés Sous le joug do tout autre empire : Le ciel, jaloux de leur grandeur, Pour en assurer la splendeur Leur devait un maître équitable, Qui préférât leurs libertés A la justice incontestable De ses droits les plus respectés.

Mais, grand roi, do ces droits sublimes Le sacrifice généreux T'assure d'autres droits sur eux, Bien plus forts et plus légitimes : Lcstfaveurs qu'ils tiennent de toi Sont des ressources de leur foi Toujours prêtes pour ta défense, Qui leur font chérir leur devoir, Et qui n'augmentent leur puissance Que pour affermir ton pouvoir.


«> 133 -oUn

-oUn qui ravit par contrainte Ce quo l'amour doit accorder, Et qui, content do commander, Ne veut régner quo par la crainte, Kn vain, fier de ses liants projets, Croit, en abaissant ses sujets, Relover son pouvoir suprême : Entouré d'esclaves soumis, Tôt ou tard il devient lui-mèmo Esclave do ses ennemis.

Combien plus sago et plus habile Est celui qui, par ses 'faveurs, Songe à s'élever dans les coeurs Un Irène durable et tranquille ; Qui no connaît point d'autres biens Que ceux quo ses vrais citoyens De sa bonté peuvent attendre, Et qui, prompt à les discerner, N'ouvre les mains quo pour répandre Kt no reçoit que pour donner !

Noble et généreuse industrie Des Antonins et des Titus, Source do toutes les vertus D'un vrai père do la patrie ! Hélas! par ce titre fameux Peu do princes ont su comme eux S'affranchir de la main des Parques ; Mais co nom si rare, grand roi, Qui jamais d'entre les monarques S'en rendit plus digne quo toi?

Qui jamais vit lo diadème

Armer contre ses ennemis

Un vengeur aux lois plus soumis


lOdcs.IV.) —o- 134 •€>--

Et plus détaché do soi-même ? La sûreté de tes Etats Peut bien, contre quelques ingrats, Changer ta clémence en justice; Mais ce mouvement étrangor Redevient clémence propico Quand tu n'as plus qu'à te venger.

Et c'est cette clémence auguste Qui souvent do l'autorité Etablit mieux la sûreté Que la vengeance la plus juste : Ainsi le plus grand des Romains, Do ses ennemis inhumains Confondant les noirs artifices, Trouva l'art de so faire aimer Do ceux quo l'horreur des supplices; N'avait encor pu désarmer.

Quo peut contre toi l'impuissance

Do quelques faibles mécontents,

Qui sur l'infortune des temps

Fondent leur dernière espérance,

Lorsque, contre leurs vains souhaits,

Tu réunis par tes bienfaits

La cour, les villes, les provinces,

Et lorsqu'aidésdo ton soutien,

Les plus grands rois, les plus grands princes,

Trouvent leur repos dans lo tion ?

Jusqu'à toi toujours désunie, L'Europe, par tes soins heureux, Voit ses chefs les plus généreux Inspirés du môme génie : Ils ont vu par ta bonne foi De leurs peuples troublés d'effroi


--<* 135 -esLa crainlo heureusementdéeuo, Et déracinée à jamais La haine si souvent reçue En survivance do la paix.

Poursuis, monarque magnanime : Achève do leur inspirer ï,o désir do persévérer Dans cctto concorde unanime; Commando à ta propre valeur D'éteindre on toi colle chaleur Qu'allume ton goût pour la gloire, Et donne au repos des humains Tous les lauriers quo la victoire Offre à tes invincibles mains.

Mais vous, peuples à sa puissance Associés par tant de droits, Songez que de toutes vos lois La plussainto est l'obéissance : Craignez lo zèlo séducteur Qui, sous lo prétexte flatteur D'une liberté plus durable, Plonge souvent, sans le vouloir, Dans le chaos inséparable De l'abus d'un trop grand pouvoir.

Athènes, l'honneur do la Grèce, Et, comme vous, reino des mers, Eût toujours rempli l'univers De sa gloire et de sa sagesse ; Mais son peuple, trop peu soumis. Ne put dans les termes permis Contenir sa puissance extrême, Et, trahi parla vanité, Trouva dans sa liberté même La perte de sa liberté.


[Odes, IV,] -o- J3li -e>-

ODE V

AU 1101 DE POLOGNE «>H IES VuEVV QUE LES PEUPIES DE SAXE EUôVlEn |>0lti SOS fiETOt'h.

C'est trop longtemps, grand roi, différer ta promesse, Et d'un peuple qui t'aimo épuiser les désirs ; Reviens de ta patrie, on proio à la tristesse, Calmer les déplaisirs.

Elle attend ton retour, comme uno tendre épouse Attend son jeune époux absent depuis un an, Et quo relient encor sur son onde jalouse L'infidèle Océan.

Plongée, à ton départ, dans uno nuit obscure, Ses yeux n'ont vu lever quo do tristes soleils; Rends-lui, par ta présence, uno clarté plus pure Et des jours plus vermeils.

Mais non ; jo vois l'erreur du zèle qui m'anime : Ta patrie est partout, grand roi, je le sais bien, Où peut do tes États le bonheur légitime Exiger ton soutien,

Les peuples nés aux bords que la Vistulo arrose Sont, par adoption, devenus tes enfants : • Tu leur dois compte enfin, lo devoir te l'impose, Do tes jours triomphants.

N'ont-ils pas vu ton bras, au milieu des alarmes, Même avant qu'à ta loi leur choix les eût soumis, Faire jadis l'essai de ses premières armes Contre leurs ennemis?


-o-' 137 •fi'—

Cent fois d'une puissance impio et sacrilège Leurs yeux t'ont vu braver les feux, les javelots, Et, lo fer à la main, briguer le privilège Do mourir en héros.

Ce n'est pas quo lo feu de ta valeur altiôro N'eût pour premier objet la gloire et les lauriers : Tu no cherchais alors qu'à l'ouvrir la barrière Du tempto des guerriers,

En mille autres combats, sous l'oeil de la Victoire, Des plus affreux dangers affrontant le concours, Tu semblais ne vouloir assurer ta mémoire Qu'aux dépens de tes jours.

Telle est de tes pareils l'ardeur héréditaire : Us savent qu'un héros, par son' rang exalté, No doit qu'à la vertu ce nue doit le vulgaire A la nécessité.

Mais le ciel protégeait une si bello vie : Il voulait voir sur. toi ses desseins accomplis, Et par toi relever au sein de ta patrio Ses honneurs abolis.

Un royaume fameux , fondé par tes ancêtres, Devait mettre en tes mains la suprême grandeur, Et ses peuples par toi voir de leurs premiers maîtres Revivre la splendeur,

En vain le Nord frémit, et fait gronder l'orage Qui sur eux tout à coup va fondre avec effroi : Le ciel t'offre un péril digue de ton courage; Mais il combat pour toi.

Ce superbe ennemi des princes do la terre, Contre eux, contrôleurs droits, si fièrement armé,


tOdcs.IV.] -o. 138 oTombo,

oTombo, meurt foudroyé par le même lomierro Qu'il avait allumé.

Tu règnes cependant; cl tes sujets tranquilles Vivent sous ion appui dans un calmo profond, A couvert des larcins et des courses agiles Du Scythe vagabond.

Les troupeaux rassurés broutent l'herbe sauvage, Lo laboureur content cultive ses guérets; I^e voyageur est libre, et, sans peur du pillage, Traverse les forêts.

Le peuple ne craint plus do tyran qui l'opprime; Le faible est soulagé, l'orgueilleux abattu ; La force craint la loi ; la peine suit lo crime; Le prix suit la vertu.

Grand roi, si le bonheur d'un royaumo paisible Fait la félicité d'un prince généreux, Quel héros couronné, quel monarque invincible Fut jamais plus heureux?

Quelle alliance enfin plus noble et plus sacrée, Éternisant ta gloire en ta postérité, Pouvait mieux aflermir l'infaillible durée De ta prospérité.

Ce sont là les faveurs dont la bonté céleste A payé ton retour au culte fortuné Que tes pères, séduits pnv un guide funeste, Avaient abandonné,

N'en doute point, grand roi;, c'est l'arbitre suprême Qui, pour mieux l'élever, voulut t'assujettir, Et qui couronne en loi les faveurs que lui-même Daigna te départir.


•r* J3D ■«>

C'est ainsi qu'autrefois clans les eaux de sa grâce Des fiers héros saxons il lava les forfaits, Afin de faire un jour éclater sur leur race Sa gloire et ses bienfaits.

L'Empire fut le prix de leur obéissance : Il choisit les Othons, et voulut par leurs mains Du joug des Albéiïcs et des fers de Crescence Affranchir les Romains,

Dès lors (que ne peut point un exemple sublime Transmis des souverains au reste des mortels ! ) I/univers vit partout un encens légitime Fumer sur ses autels.

Des héros de leur sang la piété soumise Triompha six cents ans avec le même éclat, Sans jamais séparer l'étendard do l'Église Des drapeaux de l'État.

Home enfin ne voyait dans ces augusles princes Que des fils généreux qui, fermes dans sa loi, Maintenaient la splendeur de leurs vastes provinces Par colle do la foi.

0 siècles lumineux l votre clarté célèbre Devait-elle à leurs yeux dérober son flambeau? Fallait-il que la nuit vint d'un voile funèbre Couvrir un jour si beau?

L'héritier de leur nom, l'héritier de leur gloire, Ose applaudir, que dis-je? ose appuvor l'erreur, Et d'un vil apostat, l'opprobre de l'histoire, Adopter la fureur,

L'auguste Vérité le voit s'armer contre elle, Et, sous le nom du ciel combattant pour l'enfer,


[Odes, IV.] -es- J.J0 ■&-

Tout lo Nord révolté soutenir sa querelle Par la flammo et lo fer.

Ah! c'en est trop! je cède à ma douleuramère; Retirons-nous, dit-elle, en de plus doux climats, Et cherchons des enfants qui du sang do leur môro Ne souillent point leurs bras,

Fils ingrat, c'est par toi quo mon malheur s'achève; Tu détruis mon pouvoir, mais le tien va finir; Un Dieu vengeur te suit : tremble, son bras se lève Tout prêt à te punir,

Je vois, jo vois lo trôno où ta fureur s'exerce Tomber sur tes neveux de sa chulo écrasés, Comme un chèno orgueilleux quo l'orage renverse Sur ses rameaux brisés.

Mais sur lo tronc aride uno branche élevée Doit un jour réparer ses débris éclatants, Par mes mains et pour moi nourrie et conservée Jusqu'à la fin des temps.

Rejeton fortuné do cette tige illustre, Un princo aimé des cieux rentrera sous mes lois; Et mes autels détruits reprendront tout lo lustre Qu'ils eurent autrefois.

Je régnerai par lui sur des peuples rebelles; H régnera par moi sur des peuples soumis; Et j'anéantirai les complots infidèles De tous leurs ennemis,

Peuples vraiment heureux I veuillent les destinée? De son empire aimablo éterniser le cours, Et, pour votre bonheur, prolonger ses années Aux dépens de vos jours !


'-o 141 -e>-

Puisse l'augusto fils qui marcho sur ses tracos, Et que lo ciel lui-même a pris soin d'éclairer, Conserver à jamais les vertus ot les grâces Qui lo font adorer !

Digne fruit d'une race en héros si féconde , Puisse-t-il égaler leur gloire et leurs exploits Et devenir, commo eux, les délices du monde Et l'exemple des rois !

ODE VI

SUR LES DIVINITÉS P01ÎTIQUES,

C'est vous encor que je réclame, Muses, dont les accords hardis Dans les sens les plus engourdis Versent cotte céleste flamme Qui dissipo leur sombre nuit, Et qui, flambeau sacré de l'âme, L'éclairé, l'échauffé et l'instruit.

Nymphes, à qui le ciel indique Ses mystères les plus secrets, Je viens chercher dans vos forêts L'origine et la source antique De ces dieux, fantômes charmants, De votre verve prophétique Indisputables éléments.

Jo la vois ; c'est l'ombre d'Alcée Qui me la découvre à l'instant, Et qui déjà, d'un oeil content, Dévoile à ma vue empressée


[Odes, IV.] -s- 142 €>-

Ces déités d'adoption, Synonymes de la pensée, Symboles do l'abstraction.

* C'est lui ; la foule qui l'admire

Voit encore, au son do ses vers, . ' ■ Fuir ces tyrans de l'univers Dont il extermina l'empire : Mais déjà, sur do nouveaux tons, Je l'entends accorder sa lyre : Il s'approche, il parle; écoutons.

Des sociétés temporelles

Le premier lien est la voix,

Qu'en divers sons l'homme, à son choix,

Modifie et fléchit pour elles; ' . ■

Signes communs et naturels,

Otvi les âmes incorporelles

Se tracent aux sens corporels.

Mais, pour poindre à l'intelligence Leurs immatériels objets, Ces signes, à l'erreur sujets, Ont besoin de son indulgence; Et, dans louis secours impuissants, Nous sentons toujours l'indigence Du ministère de nos sens.

Le fameux chantre d'Ionio Trouva dans ses tableaux heureux Le secret d'établir entre eux Une mutuelle harmonie : Et ce commerce leur apprit î.'arl inventé par Urunic Do peindre l'esprit à l'esprit.


—es- 143 -e>-

Sur la scène incompréhensible

De cet interprèle des dieux

Tout sentiment s'exprime aux yeux,

Tout devient image sensible;

Et, par un magique pouvoir,

Tout semble prendre un corps visible,

Vivre, parler et se mouvoir. .

Oui, c'est toi, peintre inestimable, Trompelto d'Achille, et d'Hector, Par qui do l'heureux siècle d'or L'homme entend lo langage aimable, Et voit dans la variété Des portraits menteurs do la fable Les rayons do la vérité.

Il voit l'arbitre du tonnerre Réglant le sort par ses arrêts : Il voit sous les yeux de Cérès Croître les trésoVs de la terro : 11 reconnaît le dieu des mers A ces sons qui calment la guerre Qu'Éolo excitait dans les airs.

Si dans un combat homicido Lo devoir engage ses jours, Pallas, volant à son secours, Vient le couvrir de son éiddo 4 S'il se voue au maintien des lois. C'est Thémis qui lui sert do guide Fît qui l'assiste en ses emplois.

Plus heureux si son coeur n'aspire Qu'aux douceurs de la liberté, Astréoest la divinité Qui lui l'ait chérir son empire ; S'il s'élève au sacré vallon,


[Odes, IV.l -o- 144 •€>-

Son enthousiasme est la lyre Qu'il reçoit des mains d'Apollon.

Ainsi consacrant le système Do la sublime fiction, Homère, nouvel Amphion, Change, par la vertu suprême Do ses accords doux et savants, Nos destins, nos passions même, En êtres réels et vivants.

Ço n'est plus l'homme qui pour plaire

Étale ses dons ingénus;

Ce sont les Grâces, c'est Vénus,

Sa divinité tutélaire :

La sagesso qui brille en lui.

C'est Minerve, dont l'oeil l'éclairé

Et dont lo bras lui sert d'appui.

L'ardente et fougueuse Rcllono Armo son courage- aveuglé : Les frayeurs dont il est troublé Sont lo flambeau do Tisiphone : Sa colère est Mars en fureur, Et ses remords sont la Gorgone Dont la tôle glace d'horreur.

Lo pinceau môme d'un Apello

Peut, dans les temples les plus saints,

Attacher les yeux des humains

A l'objet d'un culte fidèle,

Et peindre sans témérité

Sous une apparence mortelle

La divine immortalité.

Vous donc, réformateurs austères Do nos privilèges sacrés


—o- 145 o—

Et vous non encore éclairés Sur nos symboliques mystères, Éloignez-vous, pâles censeurs, Do ces retraites solitaires Qu'habitent les neuf doctes Soeurs.

No venez point, sur un rivage Consacré par leur plus bel art, Porter un aveuglo regard : Et loin d'elles tout triste sage Qui, voilé d'un sombre maintien, Sans avoir appris leur langage Veut jouir de leur entretien !

Ici l'ombre imposo silence Aux doctes accents de sa voix : Et déjà dans le fond des bois» Impétueuse, elle s'élance, Tandis que je cherçho des sons Dignes d'atteindre à l'excellence De ses immortelles leçons.

ODE VII

A LA PAIX,

O Paix, tranquille Paix, secourabîo immortelle, Fille do l'harmonie et mère des plaisirs, Que fais-tu dans les cicux, tandis quo de Cybôlo Les sujets désolés t'adressent leurs soupirs'?

Si, par l'ambition do la terre bannie» Tu crois devoir ta haine à tos profanateurs, \ Quo t'a fait l'innocence injustement punie i De l'inhumanité de ses persécuteurs?

J. *. Rousseau. ï


fOdes, IV.] -o- 140 ■£>-

Équitable déesse, entends nos voix plaintives ; Vois ces champs ravagés, vois ces temples brûlantsf Ces peuples éplorés, ces mères fugitives, Et ces enfants meurtris entre leurs bras sanglants.

De quels débordements do sang et de carnage La terre a-t-elle vu ses flancs plus engraisses? Et quel fleuve jamais vit border son rivage D'un plus horrible amas de mourants entassés ?

Telle autour d'Ilion la mort livide et blèmo Moissonnait les guerriers de Phrygie et d'Argos. Dans ces combats affreux où le dieu Mars lui-même De son sang immortel vit bouillonner les flots.

D'un cri pareil au bruit d'une armée invincible Qui s'avance au signal d'un combat furieux, 1\ ébranla du ciel la voûte inaccessible Et vint porter sa plainto au monarque des dieux,

Mais lo grand Jupiter, dont la présence augusto Fait rentrer d'un coup d'cdil l'audace en son devoir, Interrompant la voix de ce guerrier injuste, En ces mots foudroyants confondit son espoir t

Va, tyran des mortels, dieu barbare et funeste, Va faire retentir tes regrets loin do moi; Do tous les habitants de l'olympe céleste, Nul n'est à mes regards plus odieux que toi.

Tigre, à qui la pitié no peut se faire entendre, Tu n'aimes que le meurtre et les embrasements; Les remparts abattus, les palais mis en cendre » Sont de ta cruauté les plus doux monuments.

La frayeur et la mort vont sans cesse à ta suite, Monstre nourri de sang, coeur abreuvé de fiel,

7.


—=3- 147 ■€>-

Plus digne de régner sur les bords du Cocytc Que de tenir ta place entre les dieux du ciel.

Ah 1 lorsque ton orgueil languissait dans les chaînes Où les fils d'Aïolis te faisaient soupirer, Pourquoi, trop peu sensible aux misères humaines, Mercure, malgré moi, vint-il t'en délivrer?

La Discordo dès lors avec toi détrônée Eût été pour toujours reléguée aux enfers; Et l'altièro Bellone, au repos condamuéo, N'eût jamais exilé la Paix do l'univers,

La Paix, l'aimable PaiXj fait bénir son empire; Le bien de ses sujets fait son soin le plus cher; Et toi, fils de Junon, c'est cllo qui t'inspire La fureur de régner par la flamme et lo fer.

Chaste Paix, c'est ainsi que le maître du monde Du fier Mars et de toi sait discerner lo prix t Ton sceptre rend la terre en délices fécondo; Le sien ne fait régner que les pleurs et les cris.

Pourquoi donc aux malheurs de la terre affligée Refuser lo secours de tes divines mains ? Pourquoi, du roi des deux chérie et protégée, Céder à ton rival l'empire des humains?

Je t'entends : c'est en vain que nos voeux unanimes De l'Olympe irrité conjurent lo courroux, Avant que sa justice ait expié nos crimes, Il he t'est pas permis d'habiter parmi nous.

Et quel siècle jamais mérita mieux sa haine? Quel âge plus fécond en Titans orgueilleux? En quel temps a-t'Oit vu l'impiété hautaine Lover contre lo ciel un front plus sourcilleux?


COdcs, IV.] -=3- 14S -s=~

La peur de ses arrêts n'est plus qn'uno faiblesse; Le blasphème s'érige en noblo liberté, La fraudo au double front en prudente sagesse, Et lo mépris des lois en magnanimité.

Voilà, peuples, voilà ce qui sur vos provinces Du ciel inexorablo attire la rigueur; Voilà lo dieu fatal qui met à tant do princes La foudre dans les mains, la haino dans le coeur.

Des douceurs do la paix, des horreurs de la guerre, Un ordre indépendant détermine lo choix : C'est lo courroux des rois qui fait armer la terre; C'est le courroux des dieux qui fait armer les rois.

C'est par eux que sur nous la suprême vengeance Exerco les fléaux do ea sévérité, Lorsqu'après une longue et stérile indulgence Nos crimes ont du ciel épuisé la bonté.

Grands dieux, si la rigueur do vos coups légitimes N'est point encor lassée après tant do malheurs; Si tant do sang versé, tant d'illustres victimes. N'ont point fait do nos yeux couler assez de pleurs;

Inspirez-nous du moins ce repentir sincère, Cette douleur soumise et ces humbles regrets, Dont l'hommago peut seul, en ces temps de colèro, Fléchir l'austérito do vos justes décrets.

Échauffez notre zèle, attendrissez nos âmes; Élevez nos esprits au céleste séjour; Et remplisse* nos coeurs do ces ardentes flammes Qu'allument le devoir, le respect et l'amour.

Un monarque vainqueur, arbitre do la guerre, Arbitre du destin do ses plus ilers rivaux,


—o- 149 o—

N'attend que ce moment pour poser son tonnerre Et pour faire cesser la rigueur do nos maux.

Que dis-jo? ce moment de jour en jour s'avanco : Les dieux sont adoucis, nos voeux sont exaucés; D'un ministre adoré l'heureuse providence Veille à notre salut : il vit; c'en est assez.

Peuples, c'est par lui seul quo Bellono asservie Va se voir enchaîner d'un éternel lion : C'est à votre bonheur qu'il consacre sa vie; C'est à votre repos qu'il immolo lo sien.

Reviens donc, il est temps quo son voeu se consomme ; Reviens, divine Paix, en recueillir le fruit t Sur ton char lumineux fais monter ce grand hômrtio, Et laisse»loi conduire au dieu qui le conduit.

Ainsi, du ciel calmé rappelant la tendresso, Puissionâ-nous voir changer par ses dons souverains i<os peines en plaisirs, nos pleurs en allégresse , Et nos obscures nuits en jours purs et sereins t

ODE Vlîi

A LA PÛSÎlSlUÏÈ.

Déesse des héros » qu'adorent en idée Tant d'illustres amants dont l'ardeur hasardée Né consacre qu'à toi ses voeux et ses efforts i Toi qu'ils no verront point » que nul n'a jamais vue» Et dont pour les vivants la faveuii suspendue No s'accorde qu'aux morts;


lOdes, IV.J -o- 150 ■©—

Vierge non encor née, en qui tout doit renaître Quand le temps dévoilé viendra te donner l'être, Laisse-moi dans ces vers te tracer mes malheurs, Et ne refuse pas, arbitre vénérable, Un regard généreux au récit déplorable De mes longues douleurs.

Le ciel, qui me créa sous le plus dur auspico, Me donna pour tout bien l'amour de la justice. Un génie ennemi de tout art suborneur, Une pauvreté fière, une mâle franchise, Instruite à détester toute fortune acquise Aux dépens de l'honneur.

Infortuné trésor 1 importune largesse! Sans le superbe appui de l'heureuse richesse, Quel coeur impunément peut naître généreux? Et l'aride vertu, limitée en soi-même, Que sert-elle, qu'à rendre un malheureux qui l'aime Encor plus malheureux?

Craintive, dépendante, et toujours poursuivie Parla malignité, l'intérêt et renvie, Quel espoir de bonheur lui peut être permis » Si, pour avoir la paix, il faut qu'elle s'abàisso A toujours se contraindre et courtiser sans cesse Jusqu'à ses ennemis?

Je n'ai que trop appris qu'en ce monde où nous sommes Pour souverain mérite on ne demande aux hommes Qu'un vice complaisant do grâces revêtu; Et quo des ennemis que l'amour-propre inspire Les plus envenimés sont ceux que nous attire L'inflexible vertu.

C'est cet amour du vrai, ce zèle antipathique Contre tout faux brillant, tout éclat sophistique ;


—<3- 151 «>-

Où l'orgueil frauduleux va chercher ses atours, Qui lui seul suscita cette foule perverse D'ennemis forcenés, dont la rage traverse Le repos de mes jours.

Écartons, ont-ils dit, ce censeur intraitable, Que des plus beaux dehors l'attrait inévitable Ne fit jamais gauchir contre la vérité ; Détruisons un témoin qu'on ne saurait séduire; Et, pour la garantir, perdons ce qui peut nuire A notre vanité.

Inventons un venin dont la vapeur infâme, En soulevant l'esprit, pénètre jusqu'à l'àme ; Et sous son nom connu répandons ce poison : N'épargnons contre lui mensonge ni parjure; Chez le peuple troublé, la fureur et 1 injure Tiendront lieu de raison.

Imposteurs effrontés, c'est par cetto souplesse Que j'ai vu tant de fois votre scélératesse Jusque chez mes amis me chercher des censeurs, Et, des yeux les plus purs bravant le témoignage » Défigurer mes traits et souiller mon visage De vos propres noirceurs.

Toutefois, au milieu de l'horrible tempête Dont malgré ma candeur, pour écraser ma tète, L'auiorilé séduite arma leurs passions, La chaste vérité prit en main ma défenso Et fit luire en tout temps sur ma faiblo innocence L'éclat de ses rayons*

Aussi, marchant toujours sur mes antiques traces, Combien n'aide pas vu dans mes longues disgrâces. D illustres amitiés consoler mes ennuis,


[Odes, IV.] -<s-: 152 ■£>-

Constamment honoré de leur nobïo suffrage,

Sans employer d'autre art que lo fidèle usage

'D'être ce que je suis !

Telle est sur nous du ciel la sage providence, Qui, bornant à ces traits l'effet do sa vengeance, D'un plus âpre tourment m'épargnait les horreurs t Pouvait-elle acquitter par une moindre voie La dette des excès d'une jeunesse on proie A mes folles erreurs?

Objets de sa bonté, même dans sa colère, Enfants toujours chéris do cette tendre mère, Ce qui nous semble un fruit do son inimitié N'est fin nous que le prix d'une vie infidèle, Châtiment maternel, qui n'est jamais en elle Qu'un effet do pitié.

Révérons sa justice ; adorons sa clémence , Qui, jusque dans les maux que sa main nous dispense, Nous présente un moyen d'expier nos forfaits, Et qui, nous imposant ces peines salutaires, Nous donne en même temps les secours nécessaires Pour en porter le faix.

Justo postérité, qui me feras connaître Si mon nom vit encor quand tu viendras à naître, Donne-moi pour exemple à l'homme infortuné, Qui, courbé sous lé poids de son malheur extrême, Pour asile dernier 1 n'a que l'asile même Dont il fut détourné.

DÎS'lui qu'en mes écrits il contemple l'image D'un mortel qui, du monde embrassant l'esclavage, Trouva, cherchant lo bien, le mal qu'il haïssait» Et qui, dans ce trompeur et fatal labyrinthe,


-o- 153 «>—

De son miel le plus pur vit composer l'absinthe Que l'erreur lui versait.

Heureux encor pourtant, même dans son naufrage, Que le ciel l'ait toujours assisté d'un courage Qui de son seul devoir fit sa suprême loi, Des vils tempéraments combattant la mollesse, Sans s'exposer jamais, par la moindre faiblesse, A rougir devant toi,

Voilà quel fut celui qui t'adresse sa plainte, Victime abandonnée a l'envieuso feinte, Do sa seule innocence en vain accompagné ; Toujours persécuté, mais toujours calme et ferme» Et, surchargé de jours, n'aspirant plus qu'au terme A leur nombre assigné.

Le pinceau de Zeuxis, rival de la nature, A souvent de ses traits ébauché la pointure»' Mais du sage lecteur les équitables yeux, Libres de préjugés, de colère et d'envie, Verront que ses écrits, vrai tableau do sa vie, Lé peignent encor mieux.


CANTIQUE

TIRÉ DO PSAUME XLVll.

Action» de grâces pour tes bienfaits reçus de Dieu.

ia gloire du Seigneur, sa grandeur immortelle, m l'univers entier doit occuper le zèle i Mais, sur tous les humains qui vivent sous ses lois, Le peuple de Sion doit signaler sa voix.

Sion, montagne auguste et sainte, Formidable aux audacieux, Sion, séjour délicieux, C'est toi, c'est Ion heureuse enceinte Qui renferme le Dieu de la terre et des cieux,

O murs! ô séjour plein do gloire I Mont sacré, notre unique espoir» Où Dieu fait régner la victoire El manifeste son pouvoir 1

Cent rois, ligués eniro eux pour nous livrer la guerre* Étaient venus sur nous fondre de toutes parts ;

Ils ont VU nos sacrés remparts : Leur aspect foudroyant, tel qu'un affreux tonnerre, Los a précipités au centre do la terre.

Igneur dans leur camp a semé la terreur t H parle, et nous voyons leurs trônes mis en poudre» Leurs chefs aveuglés par l'erreur, Leurs soldats consternés d'horreur. Leurs vaisseaux submergés ou brisés par là foudre; Moiuments éternels de sa juste fureur.


'-<&• 155 -6>-\

Rien ne saurait troubler les lois inviolables Qui fondent le bonheur de ta sainte cité. Seigneur, toi-même en as jeté ' Les fondements inébranlables.

Au pied de tes autels humblement prosternés, Nos voeux par ta clémence ont été couronnés.

Des lieux chéris où le jour prend naissance, Jusqu'aux climats où finit sa splendeur, Tout l'univers révère ta puissance, Tous les mortels adorent ta grandeur.

Publions les bienfaits, célébrons la justice

Du souverain de l'univers. Que le bruit de nos chants vole au delà des mers;

Qu'avec nous la terre s'unisse ;

Que nos voix pénètrent les airs ; Élevons jusqu'à lui nos coeurs et nos concerts.

Vous, filles de Sion, florissante jeunesse, Joignez-vous à nos chants sacrés ;

Formez des pas et des sons d'allégresse Autour de ces murs révérés.

Venez offrir des voeux pleins de tendresse Au Seigneur que vous adorez.

Peuples» do qui l'appui sur sa bonté se fonde,

Allez tiaifs tous les coins du monde A son nom glorieux élever dès autels; Les siècles a venir béniront votre zèle,

. Et de ses bienfaits immortels L'Eternel comblera votre race fidèle.

Marquons-lui notre amour par des voeux éclatants;

C'est noire Dieu, c'est notre père,

C'est le roi que Siou révère. De son règne éternel les glorieux instants Dureront au delà des siècles et des temps.


EPOPÈ

tlRÉE PRINClt'ALÎijlENT DE;_8j UVRES DE SALpiKON, ,

IN PARTIE DE QDELQOES AUTRES ENDROITS DE L'ÉCRITURE

ET DES PRIÈRES DE L'ÉGLISE.

PRïMIBttE PAItTIE.

Vains mortels, que du monde endort la folio ivresse, Écoutez, il est temps, la voix de la Sagesse. Heureux, et seul heureux qui s'attache au Seigneur! ï*our trouver le repos, le bonheur et la joie, Il n'est qu'un seul chemin» c'est de suivre sa voie Dans la simplicité du coeur.

Le temps fuit, dites-vous ; c'est lui qui nous convie À saisir promptement les douceurs de la vie; L*avenir est douteux, le présent est certain ; Dans la rapidité d'uho course bornée Sommes-noUs assez sûrs de notre destinée Pour la remettre au lendemain ?

Notre esprit n'est qu'un souffle, une ombre passagère, Et le corps qu'il anime » une cendre légère Dont la mort chaque jour prouve l'infirmité; Étouffés tôt ou tard dans ses bras invincibles, Nous serons tous alors, cadavres insensibles, Comme n'ayant jamais été.

Songeons donc à jouir de nos belles années ; Lès roses d'aujourd'hui demain seront fanées.


-o- 157 e—

Dés biens de l'étranger cimentons nos plaisirs; • Et, du riche orphelin persécutant l'enfance, . Contentons aux dépens du vieillard sans défense Nos insatiables désirs.

Guéris de tout remords contraire à nos maximes, Nous no connaîtrons plus ni d'excès ni de crimes : De tout scrupule vain nous bannirons l'effroi; Soutenus de puissance, assistés d'artifice, Notre seul intérêt fera notre justice, Et notre force et notre loi.

Assiégeons l'innocent ; qu'il tremblé à notre approche: Ses regards sont pour nous un éternel reproche; De sa faiblesse même il se fait un appui ; H traite nos succès do fureur tyrannique : Dieu, dit'il, est son père et son refuge Unique ; Il no veut connaître que lui.

Voyons s'il est vraiment celui qu'il se dit être t S'il est fils do ce Dieu » comme il Veut le paraître, Au secours de son fils ce Dieu doit accourir; Essayons^on l'effet, consommons notre ouvrage; Et sachons quelles mains au bord de son naufrage Pourront l'empêcher de périr;

Ce sont là les discours » ce sont là les pensées De ces âmes de chair, victimes insensées De l'ange séducteur qui leur donne là mort. Qu'ils combattent sous lui, qu'ils suivent son exemple, Et qu'à lui seul voués, le zèle de son tèmplo Soit l'espoir de leur dernier sort l


IKpode.] —o- 158 ■€>-

DEUXIEME PARTIE.

Cependant les âmes qu'excite Le ciel à pratiquer sa loi Verront triompher le mérite De leur constance et de leur foi : Dans le sein d'un Dieu favorable Un bonheur à jamais durable Sera lo prix de leurs combats; Et de la mort inexorable Le fer ensanglanté ne les touchera pas.

Dieu, comme l'or dans la fournaise» Les éprouva dans les ennuis ; Mais leur patience l'apaise ; Les jours viennent après les nuits t Il a supputé les années De ceux dont les mains acharnées Nous ont si longtemps affligés ; Il règle enfin nos destinées, Et nos juges par lui sont eux-mêmes jugés.

Justes qui fîtes ma conquête Par vos larmes et vos travaux, Il est temps, dit-il, quo j'arrête L'insôlehce do vos rivaux 5 Parmi les célestes milices Venez prendre part aux délices De mes combattants épurés. Tandis qu'aux éternels supplices Des soldats du démon les jours seront livrés.

Assez la superbe licence Arma leur lâche impiété;


-o- 159 -s?—

Assez j'ai vu votre innocence En proie à leur férocité : Vengeons notre propre querellé ; Couvrons cette troupe rebelle D'horreur et de confusion ; Et quo la gloire du fidèle Consomme le malheur do la rébellion.

Et vous à qui ma voix divine Dicte ses ordres absolus, Anges, c'est vous quo je destine An service de mes élus; Allez, et dissipant la nue Qui, malgré leur foi reconnue, Me dérobe à leurs yeux amis, Faites-les jouir, dans ma vue,' Des biens illimités que je lour ai promis.

Voici, voici lo jour propice Où le Dieu pour qui j'ai souffert Va me tirer du précipice r le lo démon m'avait ouvert. >o l'imposture et do l'envie Contre ma vertu poursuivie Les traits ne seront plus lancés ; Et les soins mortels de ma vie De l'immortalité seront récompensés.

Loin do cette terre funeste Transporté sur l'ailo des vents, La main d'un ministre céleste M'ouvre la terre dos vivants; Près des saints j'y prendrai ma place J'y ressentirai ue la grâce L'intarissable écoulement ;


lEpode.î -o- ICO é»-»

Et, voyant mon Dieu face à face, L'éternité pour moi ne'sera qu'un moment.

Qui m'affranchira de l'empire Du monde où je suis enchaîné? ' De la délivrance où j'aspire Quand viendra le jour fortuné? Quand pourrai-je, rompant les charmes Où ce triste vallon de larmes De ma vie endort les instants, Trouver la fin do mes alarmes Et le commencement du bonheur que j'attends?

Quand pourrai-ie dire à l'impie i « Tremble, lâche, frémis d'effroi ; De ton Dieu la haine assoupie Est prête à s'éveiller sur toi t Dans ta criminelle carrière Tu ne mis jamais de barrière Entre sa crainte et. tes fureurs ; Puisse mon heureuse prière D'un châtiment trop dû t'épargner les horreurs I »

Puisse en moi la ferveur extrême D'une sainte compassion Des offenseurs du Dieu que j'aime Opérer la conversion I De ses vengeances redoutables Puissent mes ardeurs véritables Adoucir îâ sévère loi, Et pour mes ennemis coupables Obtenir lo pardon que j'en obtiens pour moîl

Seigneur, ta puissance invincible N'a rien d'égal que ta bonté ;


-o- ICI e—

Le miracle lo moins possible N'est qu'urt jeu de ta volonté Tu peux de ta lumière auguste Éclairer les yeux de l'injuste, Rendre saint un coeur dépravé, En cèdre transformer l'arbuste Et faire un vase élu d'un Vase réprouvé.

Grand Dieu, daigne sur ton esclave Jeter un regard paternel : Confonds lo crime qui te brave ; Mais épargne le criminel : Et s'il to faut un sacrifice, Si de ta suprême justice L'honneur doit être réparé, Venge-toi seulement du vice En le chassant des coeurs dont il s'est emparé.

C'est alors quo do ma victoire J'obtiendrai les fruits les plus doux, En chantant avec eux là gloire Du Dieu qui nous a sauvés tous. Agréable et sainte harmonie ! Pour moi quelle joie infinie I Quelle gloire de voir un jour Leur troupe avec moi réunie Dans les mômes concerts et dans le mémo amour!

Pendant qu'ils vivent sur la terre» Prépare du moins leur fierté, Par la crainte de ton tonnerre, A ce bien par eux souhaité; Et, les retirant des abîmes Où dans des noeuds illégitimes Languît leur courage abattu, Fais quo l'image de leurs crimes Introduise en leurs coeurs celle de la vertu.


IKpode.J —b- 1G2 -e>-

TROISIÈME PARTIE.

Tel, après le long orage Dont un fleuve débordé A désolé le rivage Par sa colère inondé, L'effort des vagues profondes Engloutissait dans les ondes Bergers, cabanes, troupeaux, Et, submergeant les campagnes» Sur le sommet des montagnes Faisait flotter les vaisseaux.

Mais la planète brillante Qui perce tout de ses traits Dans là nature tremblante A déjà remis la paix : L'onde en son Ht écoulée, A la terre consolée Rend ses premières Couleurs, Et d'une fraîcheur utile Pénétrant son sein fertile En augmenté les chaleurs.

Tel fera dans leurs pensées Germer un amour constant, De leurs offensés passées Lé souvenir phitèht. Ils diront ; « Dieu des fidèles, Dans nos ténèbres mortelles Pu nous as fait voir le jour ; Éternisé dans nos âmes Ces sacrés tôrrêntê dé flammés, Sources du divin àhïbùr» s


-o- 163 -esTon souffle, qui sut produire L'âme pour l'éternité t Peut faire en elle reluire Sa première pureté. De rien tu créas le monde : D'un mot de ta voix féconde Naquit ce vaste univers; Tu parlas, il reçut l'être : Parle, un instant verra naître Cent autres mondes divers.

Tu donnes à la matière L'âme et la légèreté j Tu fais naître Ta lumière Du sein de l'obscurité ; Sans toi la puissance humaine N'est qu'ignorance hautaino, Trouble et frivole entretien : En toi seul, cause des causes, Seigneur, je vois toutes choses; Hors dé toi je ne vois rien.

A quoi vous sert tant d'étude » Qu à nourrir le foi orgueil Où votre béatitude Trouva son premier écueil'? Grands hommes > sages célèbres, Vos éclairs dans les ténèbres Ne font que Vous égarer. Dieu seul connaît ses ouvrages \ L'homme, entouré dé nuages, N'est fait que pour l'honorer.

Curiosité funeste, C'est ton attrait criminel


lÉpode.} -o- 1G4 ■£>-

Qui du royaume céleste Chassa le premier mortel. Non content do son essence, Et d'avoir ert sa puissance Tout ce qu'il pouvait avoir, L'ingrat voulut, dieu lui-même, Partager du Dieu suprême La scienco et le pouvoir.

A ces hautes espérances Du changement de son sort Succédèrent les souffrances » L'aveuglement et la mort : Et, pour fermer tout asile A son espoir indocile, Bientôt 1 ange dans les airs, Sentinelle vigilante, De l'épèo étincelante Fit reluire les éclairs.

QUATRIÈME PARTIE.

Mais de cet homme exclu de son premier çartago La gloire est réservée à de plus hauts destins, Quand son Sauveur viendra d'un nouvel héritage Lui frayer les chemins.

Dieu, pour lui s'unissant à la nature humaine» Et partageant sa chair et ses infirmités, Se chargera pour lui du poids et do la peine De ses iniquités.

Ce Dieu médiateur. Fils» imago ts Père, Le Verbe, descendu do son trône éternel »


-<D- 1G5 -S>-' .

Des flancs immaculés d'une mortcllo mère Voudra naître mortel.

Pécheur, tu trouveras en lui ta délivrance; Et sa main, te fermant les portes do l'enfer, To fera perdre alors do ta juste souffrance Lo souvenir amer.

Eve règne à son tour, du dragon triomphante ; L'esclave de la mort produit son Rédempteur; Et, fillo du Très-Haut, la créature enfante Son propre Créateur.

O Vierge, qui du ciel assures la conquête, Gage sacré des dons que sur terre il répand, Tes pieds victorieux écraseront la tète Do l'horriblo serpent.

Les saints après ta mort t'ouvriront leurs demeures, NÔflvel astre du jour pour le ciel se levant ; Que dis-je, après la mort? se peut-il quo lu meures, Mère du Dieu vivant?

Non, tu ne mourras point; les régions sublimes Vivante t'admettront dans ton auguste rang, Et telle qu'au grand jour où, pour laver nos crimes, Ton fils versa son sang.

Dans co séjour de gloire où les divines flammes Font d'illustres élus do tous ses citoyens, Daigne prier co fils qu'il délivre nos âmes Des terrestres liens.

Obtiens dé sa pitié, protectrice immortelle, Qu'il renouvelle en nous les larmes, les sanglots De ce roi pénitent dont la douleur fidèle S'exhalait en ces mots i


lEpodc] —o- ICC ■©=—

O monarque éternel, Seigneur, Dieu de nos pères, Dieu des cieux, de la terre et de tout l'univers, Vous dont la voix soumet à ses ordres sévères Et les vents et les mers ;

Tout respecte, tout craint votre majesté sainte; Vos lois régnent partout, rien n'ose les trahir i Moi seul j'ai pu, Seigneur, résister à la crainte Do vous désobéir.

J'ai péché, j'ai suivi la lueur vaine et sombre Des charmes séduisants du monde et de la chair, Et mes nombreux forfaits ont surpassé le nombre Des sables de la mer.

Mais enfin votre amour, à qui tout amour cède, Surpasse encor l'excès des désordres humains. Où lo délit abonde, abonde lo remède ; Je l'attends de vos mains.

Quelle quo soit, Seigneur, la chaîne déplorable Où depuis si longtemps je languis arrêté, Quel espoir ne doit point inspirer au coupable Votre immense bonté l

Au bonheur do ses saints elle n'est point bornée. Si vous êtes lo Dieu de vos heureux amis, Vous ne l'êtes pas moins de l'àme infortunée Et des pécheurs soumis.

Vierge, flambeau du ciel, dont les démons farouches Craignent la sainte flamme et les rayons vainqueurs, Do ces humbles accents fais retentir nos bouches, Grave-les dans nos coeurs;

Afin qu'aux légions à ton Dieu consacrées Nous puissions, réunis sous ton puissant appui» Lui présenter un jour, victimes épurées, Des voeux dignes de lui,


CANTATES.

CANTATE I

CIRGÉ.

Sur un rocher désert, l'effroi de la nature, Dont l'aride sommet semble toucher les cieux, Circé, pâle» interdite, et la mort dans les yeux,

Pleurait sa funeste aventure.

Là ses yeux errants sur les flots D'Ulysse fugitif semblaient suivre la traco i Elle croit voir encor son volage héros; Et, cette illusion soulageant sa disgrâce,

Elle le rappelle en ces mots, Qu'interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots:

Cruel auteur des troubles de mon âme, Que la pitié retarde un peu tes pas t Tourne un moment tes yeux sur ces climats; Et, si ce n'est pour partager ma flamme, Reviens du moins pour hâter mon trépas.

Ce triste coeur, devenu ta victime, Chérit encor l'amour qui l'a surpris t Amour fatal! ta haine en est lo prix. Tant de tendresse » 6 dieux I est-elle un crime » , Pour mériter do si cruels mépris?

Cruel auteur des troubles de mon âme» Que la pitié retarde un peu tes pas :


^Cantates.] -o- 1G8 -e—

Tourne un moment tes yeux sur ces climats ; Et, si ce n'est pour partager ma flamme, Reviens du moins pour bâter mpn trépas.

C'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare; Mais bientôt, de son art employant lo secours Pour rappeler l'objet de ses tristes amours, Elle invoque à grands cris tous les dieux du Ténare, Les Parques, Némésis, Cerbère, Phlégéthon, Et l'inflexible Hécate, et l'horrible Alectoii. Sur un autel sanglant l'affreux bûcher s'allume, La foudre dévorante aussitôt le consume ; Mille noires vapeurs obscurcissent le jour; Los astres de la nuit interrompent leur course; Les fleuves étonnés remontent vers leur source; Et Pluton même tremble m son obscur séjour.

Sa voix redefï ^ble Trouble les eh l^rs: Un bruit formidable Gronde dans les airs ; Un voilé effroyable Couvre l'univers; La terre tremblante Frémit do terreur; L'ondo turbulente Mugit de fureur; La lune sanglante Recule d'horreur.

Dans lo sein de la mort ses noirs enchantements

Vont troubler le repos des ombres i Les mânes effrayés quittent leurs monuments : L'air retentit au loin do leurs longs hurlements ; Et les vents, échappés de leurs cavernes sombrer Mêlent à leurs clameurs d'horribles sifflements.


—& 1G9 e—

Inutiles effortsl amante infortunée, D'un dieu plus fort que toi dépend ta destinée : Tu peux faire trembler la terre sous tes pas, Des enfers déchaînés allumer la colère ; Mais tes fureurs no feront pas Co que tes attraits n'ont pu faire.

Co n'est point par effort qu'on aime, L'amour est jaloux do ses droits ; Il ne dépend que do lui-même, On ne l'obtient quo par son choix. Tout reconnaît sa loi suprême ; Lui seul no connaît point do lois.

Dans les champs quo l'hiver désolé Flore vient rétablir sa cour; L'alcyon fuit dovanl fiole ; Éolelo fuit à son tour: Mais sitôt quo l'amour s'envoie, Il ne connaît plus de retour.

CANTATE il

ItACCHUS.

C'c<- toi, divin Bacchus, dont je chanté la gloire. Nymphes, faites silence, écoulez mes concerts.

Qu'un autre apprenne à l'univers Du fier vainqueur d'Hector la glorieuse histoire ;

Qu'il ressuscite dans ses vers Des enfants do Pélops l'odieuse mémoire ; Puissant dieu des raisins, digne objet do nos voeux,

C'est à toi seul que je me livre ; De pampres» do festons, couronnant mes cheveux,

En tous lieux je prétends te suivre ;

Ji ft, lloiismm, 8


Miaulâtes.) --<s-~ 170 •€>-

C'est pour toi seul que je veux vivre» Parmi les festins et les jeux.

Des dons les plus rares Tu combles les deux; C'est toi qui prépares Lo nectar des dieux. La céleste troupo, Dans co jus vanté, Boit à pleine coupe L'immortalité.... Du fier Polyphonie Tu domptes les sens ; Et Phébus lui-même Te doit ses accents.

Mais quels transports involontaires Saisissent tout à coup mon esprit agité? Sur quel vallon sacré, dans quels bois solitaires

Suis-je en ce moment, transporté? Bacchus à mes regards dévoile ses mystères. Un mouvement confus de joie et de terreur

M'échauffe d'une sainto audace;

El les Ménades en fureur N'ont rien vu de pareil dans les antres de Thraco....

Profanes, fuyez de ces lieux. Je cède aux mouvements que ce grand jour m'inspire. Fidèles sectateurs du plus charmant des dieux, Ordonnez le festin, apportez-moi ma lyre; Célébrons entre nous un jour si glorieux. Mais, parmi les transports d'un aimablo délire, Eloignons loin d'ici ces bruits séditieux

Qu'une aveugle vapeur attire :

Laissons aux Scythes inhumains Mêler dans leurs banquets le meurtre et le carnage,


—,-g. 171 •€>-

Les dards du Centaure sauvage Ne doivent point souiller nos innocentes mains.

Bannissons l'affreuse Bellonc Do l'innocence des repas : Les satyres, Bacchus et Faune Délestent l'horreur des combats.

•Malheur aux mortels sanguinaires Qui, par de tragiques forfaits, Ensanglantent les doux mystères D'un dieu qui préside à la paix !

Bannissons l'affreuse Bellone Do l'innocence des repas : Les satyres, Bacchus et Faune Détestent l'horreur des combats.

Veu'-on quo jo fasse la guerre? Suivez-moi, mes amis; accourez, combattez, emplissons celte coupe ; entourons-nous do lierre. Bacchantes, prêtez-moi vos thyrses redoutés. Que d'athlètes soumis ! quo de rivaux par terre! O fils de Jupiter, nous ressentons enfin

Ton assistance souveraine. Je ne vois quo buveurs étendus sur l'arène,

Qui nagent dans des flots de un.

Triomphe ! victoire ! Honneur à Bacchus! Publions sa gloire. Triomphe! victoire! Buvons aux vaincus.

Bruyante trompette, Secondez nos voix.


ICinlaics.] ~o- 172 e—

Sonnez leur défaite. Bruyante trompette,. Chantez nos exploits.

Triomphe! victoire! Honneur à Bacchus! Publions sa gloire. Triomphe! victoire! Buvons aux vaincus.

CANTATE III

CONTRE 1,'niVEn.

Arbres dépouillés do verdure,

Malheureux cadavres des bois, Que devient aujourd'hui celte riche parure

Dont je' fus charmé tant de fois? Je cherche vainement dans cette triste plaine Les oiseaux, les zéphyrs, les ruisseaux argentés : Les oiseaux sont sans voix, les zéphyrs sans haleine,

Et les ruisseaux dans leur cours arrêtés. Les aquilons fougueux rognent seuls sur la terre,

Et mille horribles sifflements

Sont des trompettes de la guerre Que leur fureur déclare à tous les cléments.

Le soleil, qui voit l'insolenco De ces tyrans audacieux, N'oso étaler en leur présence L'or de ses rayons précieux.

L i crainte a glacé son courage : li est sans force et sans vigueur, Et la pâleur sur son visage Peint sa tristesse et sa langueur.


-o- 173 -oLe

-oLe qui voit l'insolence De ces tyrans audacieux, N'ose étaler en leur présence L'or do ses rayons précieux.

Du tribut que la mer reçoit de nos fontaines Indignés et jaloux, leur souffle mutiné

Tient les fleuves chargés de chaînes Et soulève contre eux l'Océan déchaîné. L'orme est brisé, le cèdre tombe, Le chêne le plus dur succombe Sous leurs efforts impérieux ; Et les saules couchés, étalant leurs ruines, Semblent baisser leur této et lever leurs racines Pour implorer la vengeance des cieux.

Bois paisibles et sombres, Qui prodiguiez vos ombres Aux larcins amoureux, Expiez tous vos crimes, Malheureuses victimes D'un hiver rigoureux ;

Tandis qu'assis à table Dans un réduit aimable, Sans soins et sans amour, Près d'un ami fidèle De la saison nouvelle J'attendrai le retour.


plantâtes,} -o- tM *=—

CANTATE IV

POUR 1/lllVBlî.

Vous dont le pinceau téméraire Ueprésento l'hiver sous l'imago vulgaire

D'un vieillard faible et languissant, Peintres injurieux, redoutez la colère

Do èo dieu terrible et puissant,

Sa vengeance est inexorable, Son pouvoir jusqu'aux cieux sait porter la terreur; Les efforts des Titans n'ont rien do comparable

Au moindre effet de sa fureur.

Plus forts que le fils d'Alcmènc, Il mot les fleuves aux fers ; Le seul vont de son haleine Fait trembler tout l'univers.

Il déchaîne sur la terre

Les aquilons furieux :

Il arrête le tonnerre

Dans la main du roi des dieux.

Plus fort que le fils d'Alcmène, Il met les fleuves aux fers; Le soûl vent do son haleine Fait trembler tout l'univers.

Mais si sa force est redoutable, Sa joie est encor plus aimable : C'est le père des doux loisirs ; 11 réunit les coeurs, il bannit les soupirs. Il invite aux festins, il anime la scène : Les plus belles saisons sont des saisons'de peine,


-*a- 175 -e>~

La sienne est colle des plaisirs. Flore peut so vanter des fleurs qu'elle nous donne,

Cérès des biens qu'elle produit; Bacchus peut s'applaudir des trésors do l'automne; Mais l'hiver, l'hiver seul en recueille le fruit.

Los dieux du ciel et do l'ondo, Le soleil, la terre et l'air, Tout travaille dans le monde Au triomphe de l'hiver.

C'est son pouvoir qui rassemble Bacchus, l'amour et les jeux : Ces dieux ne régnent ensemble Que quand il règne avec eux.

Les dieux du ciel et de l'onde, Le soleil, la terre et l'air, Tout travaille dans le monde Au triomphe do l'hiver.

CANTATE V

SUR UN ARBRISSEAU.

Jeune et tendre arbrisseau, l'espoir de mon verger Fcrlilo nourrisson de Vertumne et do Flore, Des faveurs do l'hiver redoutez le danger Et retenez vos fleurs qui se pressent d'eelore, Séduites par l'éclat d'un beau jour passager.

Imitez la sage anémone, Craignez Borée et ses retours; Attendez que Flore et Pomoné Vous puissent prêter leur secours.


jCanlate*.} ' -o-.170 -oPhilomèlo

-oPhilomèlo toujours muette , Progné craint de nouveaux frissons, Et la timide violette Se cache encor sous les gazons.

Imitez la sage anémone, Craignez Borée et ses retours; Attendez que Flore et Pomone Vous puissent prêter leur secours,

Soleil, père de la nature, Viens répandre en ces lieux tes fécondes chaleurs ; Dissipe les frimas, écarte la froidure

Qui brûle nos fruits et nos fleurs :

Cérès, pleine d'impatience, N'attend que ton retour pour enrichir nos bords,

El sur ta fertile présence Bacchus fonde l'espoir de ses nouveaux trésors.

Les lieux d'où tu prends ta course Virent ses premiers combats ; Mais loin des climats de l'Ourso irporta toujours ses pas,

Quand les Amours favorables Voulurent le rendre heureux, Ce fut sur des bords aimables Qu'échauffaient tes plus doux feux.

Les lieux d'où tu prends ta course Virent ses premiers combats;.^ Mais loin des climats de^P$urse/ ;X H porta toujours ses » ' & ''-'u;\ /£'v ç- l'i ;.\ ''*\


TAULE

DES OKUVltKS LYHlQUliS.

ODES. LIVRE PREMIER.

Caractère de l'homme juste, l L'âme s'élève à la connaissance de Dieu par la contemplalion

contemplalion ses ouvrages. 2

Suri'aveuglemcnt des hommes du siècle. 5 Sur les dispositions que l'homme doit apporter à la prière. 7

Contrôles hypocrites. 10

Idée do la véritable grandeur des rois.

Inquiétude de l'âme sur les voies de la Providence. 16 Quelle est la véritable reconnaissance que Dieu exige des

hommes. 19 Que rien ne peut troubler la tranquillité de ceux qui s'assurent en Dieu. 21 Que la justice divine est présente à toutes nos actions. 24 Misère des réprouvés. Félicité des élus. '27 Contre les calomniateurs. '29 Image du bonheur temporel des méchants. 30 Faiblesse des hommes. Grandeur de Dieu. 3îi Pour une personne convalescente. 35

LIVRE SECOND.

Sur la naissance de monseigneur le duc de llrclagiK*. 3S

A M. l'abbéCourtin. '*' 2

A M. de Caumarliu. '»*»

A M. d'Ussé. «

A M. Duché. &1

A la Fortuue. •>*

A M. l'abbé de Chaulieu. '<'


—<s- 178 €>—

A M. le marquis de la Fare, «0 Sur la mort de S. A. S. monseigneur le prince de Gunli. 05

A Phiiomèie. 09

Aux Suisses. 70

LIVRE TROISIÈME.

A M. le comte du Luc. ï'2

A S, A. S, monseigneur le prince Eugène de Savoie. 7S

A M. le comte de lionnovai. *%

Aux princes chrétiens. !Kt

A Malherbe. 05

A S. Exe, M. le comte de Sinzindorf. 10(1

Pour S. A. monseigneur le prince de Vendôme 105

A M. Grimani. lit

Sur la bataille dePéterwaradin. lia

LIVRE QUATRIÈME.

A l'Empereur. 119

A S. A, S. monseigneur le prinee Eugène de Savoie. 120

Au roi de la Grande-Bretagne. \M

Au roi de Pologne. 13»

Sur les divinités poétique*. li!

A la paix. lis

A la postérité. Ii!t

CtSTIQlF. 151

ÉPODF. lfiC

GANTATES.

Gircé. 167

Itacchus. 109

Gontre l'hiver. /t*" j jX !7-2

Pour l'hiver. ' ^ L ^\ 17*

Sur un arbrisseau. /iV" v v. "^A 175

FIN UE LA TABLER



NOUVELLE COLLECTION DES AUTEURS FRANÇAIS

Prescrits pour les classes et les examens du baccalauréat.

Editions classiques publiées sans annota'.ons

destinées spécialement aux élèves des établissements

d'Instruction publique et libro.

Boiuuu. OEuvres poétiques, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne: in-18.

UOSSUET. Discours sur l'Histoire universelle, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne; in-18.

ROSSUET. Oraisons funèbres, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne: in-18.

CORNEILLE. Théâtre choisi, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

FÉNEION. Aventures deTélémaque, édition classique précédéed'unenoticelittéraireparF. Estienne; in-18.

FÉNELON. Dialogues sur l'Eloquence, édition classique précédéed'unenoticeliltéraireparF. Estienne; in-18.

FÉNELON. Lettre à l'Académie, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne; in-18.

LA FONTAINE. Fables, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-i8. • MASSILLON. Petit Carême, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne; in-18.

MOUERE. Théâtre choisi, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

MONTESQUIEU. Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne; in-18.

RACINE. Théâtre choisi, édition classique précédée d'une notice littéraire par F. Estienne; in-18.

ROUSSEAU (J. II.). OEuvres lyriques, édition classique préeédécd'unenoticelittéraireparF. Estienne; in-18.

VOLTAIRE. Histoire de Charles XII, édition classique precédéed'unenoticelillérairepar F. Estienne; in-lS.

VOLTAIRE. Siècle de Louis XIV, édition classique conforme au lexte adopté par le Conseil de l'instruction publique, précédée d'une notice littéraire par F. Eslienne; in-18.