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Titre : Recueil de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Tarn-et-Garonne

Auteur : Académie des sciences, des lettres et des arts de Montauban. Auteur du texte

Éditeur : Imprimerie et lithographie Forestié (Montauban)

Date d'édition : 1896

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb389432035

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb389432035/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 7884

Description : 1896

Description : 1896 (SER2,T12).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : Fonds régional : Midi-Pyrénées

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5701523q

Source : Académie de Montauban, 2008-276925

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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RECUEIL

DE

L'ACADÉMIE

DES

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE TARN-ET-GARONNE.

2e SERIE. — TOME XII. ANNÉE 1896.

MONTAUBAN,

IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE FORESTIE.

1896



RECUEIL

DE

L'ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS

DE TARN-ET-GARONNE



RECUEIL

DE

L'ACADÉMIE

DES

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS

DE TARN-ET-GARONNE.

2e SÉRIE. — TOME XII. ANNÉE 1896.

MONTAUBAN,

IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE FORESTIE.

1896.



ACADEMIE

DES

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS

DE TARN-ET-GARONNE.

Membres du Bureau pour 1896-97.

MM.

Chanoine SOULIÉ, *, Président,

MlLA DE CABARIEU, O. $r, I. f|,

Vice-Président.

MM. SEMEZIES, Secrétaire-général. BUSCON, Secret. des séances. Ed. FORESTIÉ. Archiviste. CORONE, ||, Trésorier.

Membres-nés.

Le Préfet du département. Le Maire de Montauban.

Membres honoraires.

M. GUIRAUD, %$, docteur-médecin, professeur a la Faculté de médecine.

MM.

DOUMERC, Jean, *. ingénieur civil des mines.

FORESTIÉ, Émerand, ancien archiviste municipal.


- 6 -

Membres résidants en 1896 (40).

ALIBERT, !$, médecin en chef de l'hôpital de Montauban.

BEDEL, médecin militaire en retraite.

BOISSIÈRE (de), ancien officier.

BELLEGARDE (de), général, O. ^, commandant la 17e brigade de

cavalerie. BORIES, docteur-médecin.

BRUN, Albert, directeur du Musée d'histoire naturelle. BRUSTON, I. ||, doyen de la faculté protestante. BUFFA, avocat.

BUSCON, avocat, adjoint au maire de Montauban. CAPDEPIC, p, avocat.

CHÉNIN, professeur de rhétorique au Lycée. CONTENSOU (Abbé), maître de chapelle de la Cathédrale. CORONE, II, professeur de physique au Lycée. COUGOUREUX, docteur-médecin. DARDENNE, ^, trésorier payeur général. DELBRU, chanoine honoraire, curé de Saint-Jacques. DELOCHE, ingénieur civil, directeur du gaz. DUBREUILH, ^, O. M. A., ||, profess. d'agricult. du département. DUMAS DE RAULY, ||, archiviste du département. FORESTIÉ, Edouard, imprimeur, correspondant du Ministère des

Beaux-Arts. FRANCE, Henry (de). GARRISSON, Gustave, ||, sénateur, conseiller général, ancien

maire de Montauban. GARRISSON, Charles, secrétaire d'ambassade. GIRONDE (comte Léopold de), ancien conseiller général. GOULARD, juge suppléant au tribunal civil. GUIBAL, ^, ingénieur en chef du département. LACAZE, docteur-médecin.

LEENHARDT, *, professeur à la Faculté de théologie protestante, MILA DE CABARIEU, O. *, I. ||, ancien préfet. MONOD, *, professeur à la Faculté de théologie protestante. MONZIÈS, ||, bibliothécaire de la ville de Montauban. POUVILLON, Emile, £, avocat.


— 7 —

QUERCY, Augustin, |f, négociant.

ROLLAND, ^, docteur-médecin, sénateur, conseiller général.

ROQUES, ^, commandant de recrutement.

SCORBIAC, Etienne (de), C. tgt.

SÉMÉZIES, Marcel, avocat.

SOULIÉ, II, chanoine, vicaire-général honoraire.

TACHARD, •$■, médecin principal.

VIELLES, directeur du Séminaire protestant.

Membres non résidants.

BESSE, ancien juge de paix, à Caussade.

BOUDOU, docteur-médecin, à Montech.

CASSAIGNEAU, *, médecin, au Cauzé.

CASTÉLA, félibre majorai, à Loubéjac.

CHABRIÉ, ||, ancien député, à Moissac.

DELTHIL, Camille, maire de Moissac.

FONTANIÉ, Paul, docteur en droit, à Castelsarrasin.

GALABERT (abbé), curé à Aucam ville.

LEVET. conseiller général, à Montaigu.

MARTIEL (abbé), à Laguépie.

MAUVOISIN (de), conseiller général, à Lachapelle.

MONBRISON (G. de), à Saint-Roch.

PÉLISSIÉ DU RAUZAS, à Saint-Vincent.

PEUJADE, ancien conseiller général, docteur-médecin, à Caylus.

ROLLAND, docteur-médecin, à Montpezat.

ROQUES, docteur-médecin, à Monclar.

ROSSEL, Clement, à Lamothe-Cumont.

RUBLE (baron de), à Beaumont.

SOUBIES, Albert, ^, I. ||, à Beaumont et Paris.

TARDY, à Lafrancaise.

Associés correspondants.

ALLIÉS, professeur, à Paris.

BAZAILLAS, professeur, à Paris.

BÈS DE BERC, conseiller à la Cour d'appel de Bourges.


— 8 -

BOUIC, Albert, ancien magistrat, Avignon.

BOURBON, ||, archiviste a Évreux.

CAPELLA (de), Arthur, à Puylaurens.

CARRIEU, docteur en droit, à Toulouse.

CASTAGNE, agent-voyer, à Cahors.

DAUNASSANS, *. ancien préfet, a Tours.

DOUMERC. Paul, ingénieur civil, à Toulouse.

FONSEGRIVE, professeur, à Paris.

FREYCINET (de), O. î$j, sénateur, anc. min. de la guerre, Paris.

GIRON, Aimé, au Puy.

HÉBRARD, Adrien, sénateur, à Paris.

HÉBRARD, Jacques, sénateur, à Paris.

LANDRIN, II, ancien inspecteur d'académie, à Angers

LEWAL, G. C. *, ancien ministre de la guerre, à Paris,

LOEWY, *, membre de l'Institut, à Paris.

MAILLÉ, ingénieur, à Toulouse.

MARTIN-DUPONT, inspecteur des enfants assistés, à Montpellier.

MARTRES, O. *, médecin militaire en retraite, à Falaise.

MERCADIER, *, directeur des études à l'Ecole polytechnique, à

Paris. MONOD, Gabriel, à Paris. MOULIN, ||, proviseur du Lycée, à Poitiers. PÉRON, *, intendant, à Bourges.

RIOLS DE FONCLARE, *, capitaine, à l'école de Saint-Cyr. SAYOUS, *, professeur à la Faculté, à Besançon. STROWSKI, professeur, à Bourges. VALÉRY-MONBARLET, à Saint-Seurin (Dordogne). VERDIER, II, proviseur du Lycée, à La Rochelle. WARNET, G. O. ^, général de division en retraite, à Perpignan. VILLARET (de), $fe, chef de bataillon, à Avignon.


RAPPORT

SUR

LES CONCOURS DE POÉSIE ET DE PROSE

DE 1896

PAR

M. Marcel SÉMÉZIES

SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL.

CHAPITRE PREMIER

L'EXORDE

MESDAMES, MESSIEURS,

Suivant l'antique et solennel usage, j'ai l'honneur de vous présenter le Rapport sur les concours de 1896.

Cette cérémonieuse phrase d'introduction tracée sur une belle feuille blanche, je reste coi et tourmente fiévreusement ma plume. L'inspiration n'y est pas, rien ne vient. C'est que des difficultés plus considérables que ne se l'imaginent les indolents auditeurs sont inhérentes à la rédaction des travaux de cette nature. Il ne serait ni académique ni bienséant d'entrer ex abrupto dans le vif du sujet, et de vous donner d'une haleine la liste des lauréats et des pièces couronnées, tout aussi sèchement que le fait un directeur d'institution clamant son palmarès un jour de distribution de prix. Je le voudrais pouvoir. Comme ce 1896. 2.


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serait plus simple pour moi et plus aimable pour vous ! Ma paresse s'en pâmerait d'aise, et vous auriez votre liberté trente bonnes minutes plus tôt. Mais, dans les sociétés humaines débordantes de civilisation, il est de règle de proscrire le simple et d'exalter le compliqué. Ennuyonsnous les uns les autres, mais soyons solennels, gourmés; encombrons-nous de formes, surchargeons-nous d'inutilités, tel est l'éternel mot d'ordre... « La Fo...o...ôrme, » disait Brid'oison. Hélas! elle est partout, la Forme, nonseulement dans les comédies satyriques et dans les compendieuses procédures juridiques, mais encore dans les actes les plus modestes des Académies de province ou d'ailleurs. Et c'est à cette terrible Forme, qui s'appuie sur une non moins terrible Tradition, que je dois obéir une fois de plus en vous affligeant d'une classique entrée en matière, comme aussi de verbeux commentaires sur chacune des pièces laurées. Les commentaires ne m'inquiètent pas, ils naîtront d'eux-mêmes à l'étude des oeuvres; mais c'est l'exorde qui me gêne, cet insupportable exorde. Car il faut non-seulement que j'en trouve un, mais encore que je le trouve différent de ceux de tous mes précédents rapports. Dans ceux-ci, il me souvient d'avoir traité déjà de tous les sujets de ton en pareilles circonstances. Successivement, d'année en année, je vous entretins du passé de l'Académie, de l'utilité de son rôle, de mes prédécesseurs au secrétariat-général, de la poésie ancienne et de l'énigmatique poésie nouvelle, de quelques-uns des poètes devenus célèbres que l'Académie couronna en de très anciens concours. En désespoir de cause, je vous parlai même un jour de la Métempsycose et un autre jour de la Décentralisation, ce qui commençait à s'éloigner tout-à-fait de la question. Je ne puis ni recommencer la série des sujets de


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circonstance ni divaguer davantage, et vous conter par exemple l'assassinat d'Henri IV ou la prise de Constantinople par les Turcs. Ce serait commode, mais ce n'est pas possible.

Je lisais récemment, dans des Mémoires, que l'un des plus grands soucis d'un souverain de ce siècle fut la rédaction de la réponse annuelle à l'annuelle adresse des Chambres, ce que l'on appelait le discours du trône. Le bon monarque se faisait apporter une belle plume d'oie, une belle feuille de papier-ministre, et de sa grosse écriture solide traçait triomphalement ces premiers mots, chaque fois les mêmes : « Messieurs les Pairs, c'est toujours avec un nouveau plaisir... » Après quoi, il s'arrêtait net, l'inspiration n'y étant pas, et rongeait la plume d'oie jusqu'à la dernière de ses barbilles. Généralement un secrétaire intime achevait le discours du trône. Heureux monarque !

N'ayant jamais régné que sur un peuple obscur et fidèle fait de quelques bons chiens, de quelques douzaines de poulets et de quelques milliers de volumes, je ne connus jamais ce souci royal. Mes dociles sujets ne me demandent ni réformes progressives, ni libertés nouvelles, ni bureaux de tabac, ni discours du trône. Malheureusement le Destin est jaloux de la paix des hommes et ne leur permet pas de la garder longue et complète. Un jour, quelque petit et modeste que j'aie le goût de me faire, le farouche Destin me découvrit en mon obscurité. Sans doute, il m'aperçut, par une claire journée de printemps, assis à l'ombre de mon clos, dans l'herbe parfumée de fleurettes et lisant Sénèque, Platon, Montaigne ou Virgile, devant les ondes peu claires du Tescou, pendant qu'autour de moi butinaient les diligentes abeilles et pico-


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raient les jeunes poussins. « Tiens, tiens! dit le Destin, voilà un homme qui ne fut jamais ni roi, ni président de République, ni ministre, ni même conseiller municipal. C'est un trop insolent mépris des grandeurs humaines. Il faut que lui aussi porte sa croix ; je veux qu'il ait, dès demain, quelque obligation officiellement ennuyeuse. » Et il suscita aussitôt contre moi les suffrages de mes trente-neuf confrères en Immortalité montalbanaise, à qui vint l'idée néfaste de faire de moi leur secrétaire-général. Depuis lors ma paix sereine est morte, et je connais à mon tour les annuelles angoisses du discours du trône. Seulement on a négligé de me munir d'un secrétaire intime, et je dois moi-même achever ma besogne.

Mais, tout en bavardant à tort et à travers, j'ai déjà écrit cinquante lignes au moins. Cinquante lignes ! C'est un exorde suffisant. Ce n'est pas de jeu, me direz-vous. Un exorde doit être solennel et pompeux, et le vôtre est aussi familier qu'extraordinaire. Pardon. Ouvrez, au chapitre des Sis. parties du Discours, ces vieux traités de rhétorique qui se piquaient d'arguties et de définitions subtiles, et vous y verrez que l'exorde familier est prévu. Je suis en règle; me voilà sauvé! Et je puis, sans plus errer, attaquer le dossier que m'a remis la Commission.

Mais, à ce propos, je ferai encore une réserve. Chaque année, après mon Rapport, je reçois de poètes mécontents une liasse de récriminations le plus souvent peu aimables. Je sais combien est irritable la race des poètes et me garde de leur en conserver rancune. Cependant c'est désagréable. Les uns ne trouvent pas digne d'eux leur récompense; les autres, non couronnés, me reprochent de ne pas savoir un mot de mon métier et de juger au petit


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bonheur. D'autres veulent absolument lire entre les lignes de mon malheureux Rapport des allusions subtiles à des gens ou à des choses que j'ignore tout-à-fait, et m'accablent de reproches amers. J'en passe. Je voulais simplement faire observer aux poètes fâchés que je ne suis pas le juge unique du concours, mais seulement le porte-paroles d'une commission de sept membres. Par suite, je me refuse à accepter une responsabilité totale, et je demande à ce que les condamnés, à qui je ne songe pas à enlever les vingt-quatre heures habituellement laissées pour maudire les juges, veuillent bien ne m'adresser personnellement qu'un septième de leur colère, — ma juste part.

CHAPITRE II

LA PHYSIONOMIE DU CONCOURS

Ceux d'entre vous qui montrèrent l'indulgente patience d'écouter jusqu'au bout mes précédents Rapports se rappellent peut-être mes lamentations devant le petit nombre de pièces que nous apportèrent les deux ou trois dernières années. 20 à 25 poètes, 30 à 40 morceaux; nous ne nous élevions pas au-dessus de ces chiffres dérisoires. Cette fois mes cris de détresse paraissent avoir été entendus. Le Concours a fait un bond superbe en avant, quant à la quantité, et le dossier actuel réunit exactement 103 pièces de 67 poètes différents. Résultat très honorable et que l'Académie serait ingrate de ne pas applaudir. II semble qu'un élan nouveau se dessine; que les esprits, dégoûtés des marais matérialistes où ils se vautraient depuis des années, aient senti passer sur eux le souffle précurseur des


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grands réveils idéalistes. Les jeunes générations se sentent comme oppressées dans l'air épais de l'époque ; l'on dirait qu'elles commencent à s'agiter dans leur prison morale pour y faire entrer un air plus pur, plus vivifiant, plus sain. Cette tendance d'inquiétude et de fatigue, d'aspiration vers l'on ne sait quoi d'autre et de meilleur, ressort de nombreuses pièces de ce Concours. On y entend sonner vraiment une note plus grave et plus haute : ici des accents de tristesse et là des accents de généreuse révolte. La Pensée. l'Idée philosophique ont pris dans le Concours une place qu'elles n'y tenaient pas autrefois, et lui constituent ainsi une physionomie spéciale qu'il était juste de faire ressortir. En dehors des 11 pièces couronnées ou mentionnées, que nous allons tantôt étudier, je cite, en preuves de ce que j'avance, des fragments, des noms, des titres :

La, qu'il doit faire bon dormir au sein des mousses,

Dormir ce bon sommeil qu'une fois seule on dort,

Avec, sur soi, ce rêve étrange de la mort

Vous berçant de sou aile en dos caresses douces!

dit M. Paul Ouagne, de Bornet (Nièvre), dans une pièce un peu longue, mais point banale, intitulée : Vieux Cimetière :

Je vous offre, ô mon Dieu ! mes dernières douleurs... Si longtemps j'ai souffert au contact des maudits!

dit un auteur demeuré inconnu, dans une pièce, Pleurs de Poète, où la forme reste infiniment au-dessous du sentiment.


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Plus loin, je note ce cri de Mme Marie Le Bellec, de Bordeaux :

Ah ! ne brisez pas nos idoles ! Qu'elles soient sublimes ou folles, Passez, marteaux, sans les toucher, Laissez-nous croire à quelque chose

Dans le même ordre d'idées, une autre pièce, qui, très haut cotée par certains juges, très bas cotée par d'autres, doit à cette inégalité de notes, en même temps qu'à des irrégularités de poésie, de n'avoir pas été distinguée, s'impose pourtant par l'énergie avec laquelle elle clame une farouche douleur de vivre et un vibrant dégoût du temps présent. Ecoutez quelques-unes de ces strophes vraiment désespérées :

Je souhaitai toujours de ne pas vivre vieux, Car je trouve à la vie un mauvais goût amer, Salé, fade à la fois, comme l'eau de la mer, Et j'ai cueilli le pire en recherchant le mieux

Étoiles, arbres, fleurs, mers, plantes, animaux, Vous êtes toujours beaux, toujours sereins et forts: Vers des buts non changeants vous tendez vos efforts, Et ce n'est pas de vous que nous viennent les maux. Le grand coupable et le grand fou, c'est l'homme

Oh ! s'en aller ! partir ! quitter l'horrible vie ! Fuir vers des paradis féeriques et roses, Fuir vers des lendemains et des métamorphoses, Monter dans l'éther bleu, l'âme libre et ravie!

Oh! mourir! Échapper à ce monde méchant, Aux hommes trop menteurs, aux peuples ivres d'or; Monter vers quelques cieux inconnus où l'on dort, Tel Seipion, bercé par l'on ne sait quel chant


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Ces beaux vers, — je les appelle beaux quoique incorrects et exagérés, parce qu'ils ont ce qui manque à tant d'autres, de la force et du souffle, — ces vers font partie d'une pièce significativement intitulée Ad Mortem, et signée de ce seul prénom, que l'adorable et si triste roman de Fromentin a pour jamais teinté de mélancolie : Dominique.

Avec la Nuit des Morts, de Mlle Berthe Thorel, de Gaillon (Eure), nous ne sortons pas de l'élégie, pas plus d'ailleurs qu'avec son autre pièce, Deux Soeurs. Nous y restons toujours avec une pièce vigoureuse, mais inexpérimentée de M. André Papin, de Bayonne, Autour de Nous. Les vers y roulent, sonores et hardis, parfois excellents, parfois très mauvais, et surtout l'on reconnaît trop l'inspiration directe. M. Papin doit être un très jeune homme, plein de Hugo et de Musset, dont les deux vins l'ont enivré. Ce n'est pas un mal, loin de là! mieux vaut croire en Hugo, Musset et Vigny qu'en Mallarmé, Verlaine ou Montesquiou, et, lorsque M. Papin se sera un peu délivré de la trop vive empreinte laissée sur lui par ses maîtres, je ne serai pas étonné de le retrouver vraiment poète. Ecoutez ces quelques vers, désenchantés et fougueux, je vous ai prévenus :

Notre siècle s'enfuit, le front déjà dans l'ombre... Part bafoué, maudit, au milieu des huées... O siècle, que ton oeuvre est une oeuvre fatale ! Prostitué de l'or, l'homme au grand jour s'étale Pour vendre sans rougir son âme à prix d'argent... Vous tous, soyez flétris, vendeurs, acheteurs d'âmes, Juifs qui recelez l'or de ces marchés infâmes, Or souillé qu'on fondit dans le feu de l'enfer, Or hideux dans lequel s'est vautré Lucifer!


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Mais, après tout, pour vous, c'est de l'or, et qu'importe ? Vous le prenez toujours, de quelque main qu'il sorte. Judas, dans cette voie, a fait le premier pas, Et Judas était juif comme vous, n'est-ce pas?

Cette éternelle impression de lassitude et d'angoisse, nous la retrouvons encore dans la pièce très sage intitulée Faites autre Chose ! de M. Maurice Joret, du Mas-d'Agenais, et en d'autres et d'autres vers. Mais je m'arrête là, ne voulant pas faire défiler devant vous une grosse part du Concours. J'ai tenu simplement, jugeant qu'il y avait là comme un intérêt philosophique, j'ai tenu à vous faire toucher du doigt cette impression de mélancolie, de malaise, de fatigue irritée, qui constitue au Concours un curieux caractère d'ensemble. Impression semblable à celle que nous ressentons tous plus ou moins vivement, dans des sphères différentes, mais à laquelle aucun ne saurait échapper. Il y aurait mauvaise foi à le nier, la société actuelle est malade ; elle traverse une crise d'effarement et de dissolution dont on ne saurait dire encore si elle sera passagère ou mortelle, et il émane de ce douloureux état social une tristesse dont les poètes eux-mêmes sont atteints. « Faites autre chose! » nous disait tantôt M. Maurice Joret :

Vous tous qui vous plaignez, vous tous qui souffrez, faites, Faites cette autre chose, artistes et poètes

Eh ! oui, Messieurs, le conseil est bon ; faisons autre chose que ce que nous faisons actuellement. Au lieu de compliquer notre vie de mille besoins vaniteux, simplifionsla; au lieu de nous humilier devant le veau d'or, renversons-le; au lieu de nous enfoncer de plus en plus dans les malfaisants artifices des civilisations énervées, revenons à la bonne Nature. Nous avons remplacé le principe Hon-


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neur par le principe Argent, le principe Idéal par le principe Matière, le principe Foi par le principe Doute ; tout est là. Revenons aux principes oubliés, aux simples vertus et aux simples désirs des vieux âges, et la joie, la santé, le bonheur nous reviendront d'eux-mêmes, et les poètes chanteront autre chose que la désespérance et l'amertume. Soyons simples, soyons désintéressés et soyons vrais. Le salut est là et n'est que là. Les poètes déjà le sentent et le disent, et nous devons les en applaudir et les y encourager.

CHAPITRE III

LES MÉDAILLÉS

En tête de liste, nous retrouvons un habitué fidèle de notre Académie, M. Georges Bonnans, président du tribunal de Gaillac. M. Bonnans nous avait envoyé, cette année, six pièces de couleurs différentes, mais toutes d'une note parfaitement distinguée. La meilleure est, sans contredit, celle sur les Larmes, quelques strophes courtes et vibrantes qui rappellent la manière et le faire de SullyPrudhomme

Chère, allons dans le port déserl, Ce soir, voir flotter sous les voiles Les larmes d'azur de la mer Et les larmes d'or des étoiles.

Et suit une invocation aux larmes sous toutes leurs formes, larmes de la rosée et larmes de la sève pour la Nature, et pour l'Homme, larmes de deuil, larmes de colère, larmes d'amour. C'est d'une jolie musique et d'une heureuse inspiration, mais le développement est mince, et


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deux ou trois strophes de plus n'auraient rien gâté. Du reste, on vous lira tantôt le morceau dans son entier, en même temps que cet autre, d'une grâce galante, Temps passé :

Penchez ce profil de marquise, Dont Boucher eût fait le dessin, Et réveillez-nous, chère Élise, Quelque vieil air de clavecin

Avec la troisième pièce, Amour en Cage, M. Bonnans, nous montrant ainsi toute la souplesse de son talent, passe du genre philosophique et du genre galant au genre grec. Sa petite idylle est incontestablement inspirée, sinon imitée, d'Anacréon :

Amour fut pris et mis en cage,

Un jour, par des bergers méchants

Les trois autres morceaux, Soir de Juin, Libellules, Lettre au Procureur, sont des fantaisies de nature ou de tribunal, inférieures à l'autre partie de l'envoi, mais cependant fort aimables encore. M. Bonnans mérite largement la médaille de vermeil que lui a votée la Commission.

Lorsque Murât s'élevait au duché de Berg, puis au trône de Naples, ses cavaliers disaient : « Il a passé grand-duc, il a passé roi. » M. Bonnans joue, au Murat avec l'Académie. Rapidement, d'année en année, il a gagné chez nous ses galons : citation, mention, médaille de bronze, médaille d'argent. Aujourd'hui il a passé vermeil, c'est son grand-duché; l'an prochain, certainement, il passera or, ce sera son trône de Naples. Et si nous ne lui avons pas donné, dès maintenant, cette couronne suprême,


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le poète a déjà compris que c'était chez nous égoïsme et non pas avarice. Nous avons voulu nous ménager le plaisir de revoir, une fois encore, M. Georges Bonnans.

Les quatre envois qui suivaient celui de M. Bonnans, dans l'ordre de mérite, se serraient de si près, qu'il a paru impossible à la Commission de les distinguer en médailles d'argent et médailles de bronze, ainsi qu'elle procédait habituellement. Et, trop peu riches pour les tous médailler d'argent, nous les avons tous médaillés de bronze.

Une première médaille de bronze est donc décernée à M. F. de Larousilhe, de Cahors, pour l'ensemble de son envoi. Cet envoi, assez considérable, comprend six sonnets, une ode à Jeanne d'Arc et un rondeau. L'inspiration patriotique domine dans cet ensemble. Le meilleur sonnet, La Patrie, vous sera lu tantôt. En voici un autre, Les Quatre Cordes, qui vaut aussi d'être cité :

O mon sonnet, si d'un oeil triomphant, Sur l'oreiller de soie et de guipure, La jeune mère adore sou enfant, Fais-toi caresse et doucement murmure.

O mon sonnet, si, couché sur la dure, Le pauvre est seul et de froid grelottant, Pour son malheur, que raille la nature, Aux fortunés mendie en sanglotant.

O mon sonnet, à l'or des pâquerettes Si l'Avril met de blanches collerettes, Dans les roseaux prends l'air de ta chanson.

Mais, sans pitié pour la grande meurtrie,

Si l'étranger insulte à la Patrie,

O mon sonnet, sonne comme un clairon!


— 29 — L'ode à Jeanne d'Arc procède de la même inspiration :

O France! souviens-toi de Jeanne,

Fille de la Lorraine en deuil.

Exalte cette paysanne

Avec amour, avec orgueil.

Dis au vainqueur que son outrage

Nous le sentons sur le visage

Aussi brûlant qu'aux premiers jours,

Que la patrie humiliée

De nul de nous n'est oubliée,

Et que nous y songeons toujours

On ne saurait refuser à ces vers vifs et rapides un généreux élan. Il passe là une flamme qui court et qui brûle. Le poète, c'est aisé à voir, n'a pas songé à aligner de belles rimes au bout de vers bien frappés ; simplement il a laissé parler son coeur, dans un instant de noble exaltation. Et si de tels sentiments s'exprimaient avec fréquence dans les dix ans qui ont suivi la Défaite, et composaient alors la note habituelle des concours et des recueils, depuis lors ils se sont faits plus rares, et l'on ne saurait trop louer M. de Larousilhe de les entretenir encore dans un coin perdu du vieux pays gaulois et de les rendre avec tant de chaleur. Cette note patriotique paraît d'ailleurs être la caractéristique du talent de M. de Larousilhe. Dans sa dernière pièce, Rondeau à Yvonne, il est gracieux et vif toujours, mais un peu inférieur.

Avec M. Marcel Coulloy, de Fourchambault (Nièvre), à qui la Commission décerne la deuxième médaille de bronze pour ses treize sonnets sur Michel-Ange, nous passons à l'art pur. L'oeuvre de M. Coulloy est délicate à juger. Elle s'impose au respect par sa solide érudition, par une profonde connaissance de Michel-Ange, de son temps, de


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son art, de son pays. Elle s'impose encore par de belles et savantes évocations de Florence et de Rome, enfin par de beaux vers descriptifs comme ceux-ci :

Il évoque les bords de l'Arno toujours verts,

Le San-Miniato qui garde sa Florence, Le Fiesole abrupt du doux Angelico, Et Santa-Maria-Novella dont l'écho Redit pieusement le nom sacré du Dante

ou mieux encore :

La Sixtine, le soir, prend des airs radieux,

L'ombre s'y glisse et joue avec les demi-dieux. Puis cherche à dérider le sombre Jérémie. Nul bruit ne vient troubler la solitude amie Du peintre fasciné qui caresse des yeux Ses tiers Adolescents et ses Enfants joyeux, Son Eve gracieuse et sa Vierge endormie.

Oui, tout cela indique un artiste profond et un esprit d'une rare hauteur; mais aussi toute cette érudition, tous ces noms propres, tous ces titres de chefs-d'oeuvre alourdissent et gâtent le vers, le rendent parfois rude, heurté, coupé, et l'on se demande si la prose n'eût pas été à la fois plus brillante et plus souple pour une étude de ce genre. Il y a longtemps, longtemps, l'un des doyens de notre Académie, M. Gustave Garrisson, qui fut aussi ardemment épris de Michel-Ange, nous a montré quelles charmantes et nobles pages de prose on pouvait écrire sur ce sujet. L'oeuvre, trop oubliée, est perdue dans de très anciens cahiers d'une revue défunte; elle vaut qu'on aille l'y chercher .

(1) Et hier encore, notre distingué collègue, l'honorable M. de Scorbiac, que vous aurez le plaisir d'applaudir tout-à-l'heure, dans une très complète étude, également en prose, nous montrait à côté du Michel-


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A Mme Cléontine Fitte, de Tonneins, la Commission décerne la troisième médaille de bronze pour ses deux jolies pièces, Nuit de Noël et Epître à ma Chatte. Voici quelques fragments de la première :

Mon bien-aimé, dors un peu plus,

Il n'est pas né, le bon Jésus

J'ai placé dans le coin du feu

Tes sabots... Le petit bon Dieu Va descendre dans le mystère. Demain, comme il sera joyeux, Quand il ouvrira ses yeux bleus, Le petit amour de grand'mère.

Cela continue ainsi sur ce ton familier et charmant, et, peu à peu, l'émotion croît jusqu'à être intense. Dans la solitude de cette nuit de Noël, tout en veillant son petit-fils, la bonne grand'mère nous apprend que ce petit est orphelin, que le père et la mère du bébé sont morts tout jeunes, qu'elle reste seule avec cet innocent, et, comme il arrive dans la vie, la solitude en une date solennelle ravive ses cruels souvenirs, et elle pleure auprès du petit lit :

Mon ange, ne t'éveille pas,

Pour ne pas voir pleurer grand'mère

Mais l'enfant s'est réveillé, et il demande :

— Bonne maman, je ne dors plus. Dans mes sabots le bon Jésus N'a-t-il pas mis petite mère?

N'est-ce pas que cela est délicieux d'émotion vraie, et que, dans sa simplicité et son absence absolue de prétenAnge,

prétenAnge, et peintre, un Michel-Ange moins connu, tendre poète, ciseleur de sonnets précieux à la belle Vittoria Colonna.


— 32 — tion, cette petite chose triste et douce vaut autant qu'un poème?

La deuxième pièce de Mme Fitte, Épître à ma Chatte, offre les mêmes qualités de simplicité, de naïveté et de charme, mais est dans la note gaie :

J'aime ma chatte a la folie. Mais ma Mounette est si jolie, Si doux est son miaulement! Elle comprend le moindre signe, Et si parfois elle égratigne, Elle, au moins, le fait franchement.

Vous avez raison, Madame, les bêtes valent mieux que les hommes, et leur intimité est chose exquise. Ceux qui ne sont pas accoutumés à vivre avec elles ne peuvent s'imaginer quelles apaisantes consolations et quels doux plaisirs elles mettent dans la vie.

Avec M. Pierre Mieusset, de Belfort, à qui est offerte la quatrième médaille de bronze pour sa légende, Le Pont d'Avignon, nous changeons encore une fois de genre. En des vers alertes, faciles, courants, et d'une jolie manière simple, le poète nous conte comment :

Vers onze cent septante-huit, à Burzet, Benoît, petit berger, surnommé Bénézet,

reçut de Dieu l'ordre direct d'aller droit au Rhône et, à tel endroit, de construire un pont :

— Le Rhône ! mais, Seigneur, je ne le connais pas.

— Rassure-toi, mon fils, je guiderai tes pas.

— Mais comment faire un pont?

— Vas hardiment, te dis-je, C'est par toi que je veux opérer ce prodige.

— Seigneur, qui gardera mes chèvres, mes brebis?

— Ne crains rien, n'ai-je pas les saints du Paradis?


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Et Benoit part, arrive à Avignon, voit l'évéque, mendie, demande, implore, est bafoué, raillé, chassé, mais garde courage et obtient enfin de l'évêque qu'on le croira vraiment envoyé par Dieu s'il accomplit un miracle. Le miracle a lieu, et le peuple enthousiaste construit son pont, ce fameux pont d'Avignon, où les chansons d'enfants nous apprennent « qu'on danse tout en rond. »

CHAPITRE IV

LES MENTIONS

M. Michel Monnet, de Nantua, — un nom déjà connu de nous, — obtient la première mention honorable pour sa pièce, Le Nouveau Combat. Touchant un peu à la politique par quelques vers indignés contre l'assassin du président Çarnot, touchant à la Morale par les hauts conseils qu'elle donne, cette pièce pourrait être classée dans ce genre oublié qui s'appelait l'épître philosophique. N'imaginez pas, en effet, d'après le titre, quelque sujet militaire, un développement théorique sur les nouveaux armements, fusil à répétition et poudre sans fumée. Rien de semblable : M.Monnet est un moraliste et peut-être un sociologue, point du tout un soldat. Le combat auquel il nous engage est le combat contre les révoltés de la société, contre ces égarés qu'entraînent l'orgueil, la haine et l'envie, et ce combat, tel que le veut le poète, est plus un apostolat qu'une lutte :

Pour ramener au bien ces sombres égarés

Vous ouvrirez tout grands vos coeurs à la bonté,

Vous aimerez la pauvre et le déshérité;

Vous donnerez à ceux que la misère enflamme

Le pain qu'il faut au corps, le pain qu'il faut à l'âme,

Et, rendus plus heureux, il deviendront meilleurs

1896. 3.


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Belles paroles assurément et noble idéal! Mais ce nouveau combat n'a rien que de très ancien. M. Monnet est d'accord avec l'Évangile.

L'armée, Mesdames, tient à ne pas se faire oublier de vous, et chaque printemps elle vient, empressée, chercher ici vos suffrages. Elle a même cette coquetterie de ne jamais se rappeler à vous que sous des uniformes variés. Voici deux ans, nous couronnions un capitaine de hussards, l'an dernier un lieutenant de dragons, aujourd'hui c'est le tour d'un officier d'administration. M. Auguste Chatain obtient la deuxième mention honorable pour un sonnet grave et pur, Stabat Mater.

La troisième mention appartient à M. Louis Mercier, de Besançon. Ses trois jolis sonnets, de tendre allure, sont réunis sous ce titre : Dans la Lande. M. Mercier y chante aimablement

Aline,

Ma blonde vierge de Chaplin, Aline, l'espiègle bouvière, Dont, enfant, j'adorais naguère Les yeux couleur de fleur de lin.

Bouvière et vierge de Chaplin ? Je ne sais si les deux choses vont souvent ensemble, et je ne me rappelle pas avoir vu beaucoup de bouvières dont les attraits eussent tenté le délicat Chaplin. Je soupçonne fort cette Aline de tenir de plus près à la chimère qu'à la réalité. N'importe! Ses yeux « couleur de fleur de lin » sont loin de me déplaire, et j'ai voté des deux mains pour la mention qui la touche.

La quatrième mention honorable est plus que due à M. Guirondet, de Montauban, pour ses deux poèmes


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classiques, La Mort d'Antigone et Le Gamoëns. M. Guirondet, qui conserve dans un âge avancé l'enthousiasme et le beau feu de la jeunesse, donne le rassurant spectacle d'un poète qui ne vieillit pas. Tout récemment encore, il réunissait dans un nouveau volume ses dernières poésies, et celles qu'il a bien voulu nous envoyer cette année nous montrent qu'il n'a pas dit son dernier mot. Souhaitons à M. Guirondet un autre volume et un autre encore.

J'aurais aimé à citer de ces deux poèmes quelques nobles vers et quelques belles images, mais les sujets traités sont de ceux qui ne souffrent pas qu'on les morcelle, et à citer tout entier l'un des deux poèmes, je dépasserais facilement les limites de ce Rapport.

Mlle Berthe Thorel, de Gaillon (Eure), obtient la cinquième mention honorable pour quelques aimables pièces révélant une grande facilité, dont la plus séduisante est celle portant le titre : Au Clair de Lune. Elle y chante avec grâce les

Rayons bleus, rayons d'or

Qui rendent plus troublants les grands lis endormis.

La sixième mention honorable est décernée à M. Armand Dupeyron, de Castandet (Landes), pour sa pièce les Pyrénées. Il y a là de très beaux vers de tout-à-fait grand style, beaucoup de couleur et de verve, et M. Dupeyron chante les Pyrénées aussi bien qu'il sait les aimer. Malheureusement il ne s'est pas borné à s'adresser aux Pyrénées, et il a cru devoir mêler à ce qui s'annonçait comme une ode une sorte de banal drame rustique, où l'on voit une bergère amoureuse se laisser choir dans un torrent


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pendant un mauvais orage. Cela gâte le sujet, l'alourdit, le rend confus et coupé, et l'on ne sait plus si la pièce a été faite en l'honneur de la bergère, de l'orage ou des Pyrénées. De là un malentendu fâcheux pour M. Dupeyron, dont le talent est au-dessus de ce succès modeste. Nous l'avons connu mieux inspiré dans d'anciens concours, et nous espérons le retrouver tel au prochain rendez-vous... Soepe bonus dormitat Homerus.

CHAPITRE V

QUELQUES AUTRES CITATIONS

A la rigueur, Messieurs, ma tâche serait ici terminée. Je vous ai rendu compte de l'ensemble du Concours, des médailles et des mentions, et je pourrais m'en tenir à ce programme. Mais permettez-moi de vous importuner encore quelques minutes; faites un effort, Mesdames, et rappelez à vous votre patience défaillante. Je voudrais vous parler aussi des humbles, des malheureux du Concours. Pour moi, ma sympathie s'en fut toujours plus vive aux malchanceux et aux obscurs. Les pâles étoiles m'ont toujours plus attiré que les radieux soleils. Je professe que rien n'est dédaignable. Je sais, dans les rangs les plus infimes de la société, des âmes exquises et des esprits charmants perdus dans la masse, à qui il n'a manqué peut-être qu'un bon vent gonflant leur voile et qu'une heureuse occasion pour monter aux sommets, comme aussi je connais aux plus brillantes places des laideurs vulgaires et des sottises triomphantes. Ce


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sont là les mystérieuses destinées que Dieu dirige vers des buts ignorés. De même, dans les poésies les plus humbles, il est peut-être des perles méconnues et des détails charmants perdus dans un médiocre ensemble. D'ailleurs, dès qu'ils rendent des sentences, les juges consciencieux ne se sentent pas sans inquiétudes. Ne se laisse-t-on pas égarer par des apparences? Quel que soit le désir de bien prononcer, ne se trompe-t-on pas? Ne se laisse-t-on pas séduire par la sympathie d'un sujet, d'un souvenir, d'une ressemblance? Qui sait? Tout est heur et malheur. Les refusés d'aujourd'hui seront peut-être les élus de demain... Non, no dédaignons, ne décourageons personne. En tête des lois de la Critique, j'ai toujours pensé qu'il faudrait inscrire cette règle généreuse : large indulgence et charitable bonté.

Par exemple, je manquerais de courtoisie et de justice envers M. Alphonse Artozoul, d'Uzès, et M. Xavier Peyre, ancien maire de Bédarieux, si je ne leur donnais le motif de l'indifférence apparente de l'Académie à leur égard. Ces messieurs nous ont envoyé des poésies en langue languedocienne, dont la place n'a pas été prévue dans le Concours. Sauf quelques-uns d'entre nous, le félibre M. Quercy, d'universels érudits comme M. Forestié, nous ne sommes pas compétents dans la matière. Nous avions bien songé un instant à créer pour la poésie patoise une section spéciale, mais la modicité de nos ressources nous a fait dès longtemps abandonner le projet.

Parmi les pièces non couronnées qui, pour certaines de leurs qualités, méritent l'intérêt, je citerai en première ligne Orphée, poème antique de M. Paul Ouagne, de Beaumont-la-Ferrière (Nièvre), et, du même auteur, dix sonnets, intitulés En Vendange, pleins de couleur et de


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verve, mais que dépare un style trop familier. Je citerai encore : l'Exilé, de M. Octave Loubens, de l'Isle-enDodon ; le Gros Lot, de M. Jules Lemaire, de Corbeil, conte moral, où ne manque pas l'esprit; plusieurs pièces de Mlle Marie François, de Ligny (Meuse), que nous avons distinguée en d'anciens concours; le Vertige, de M. Gaston Sorbets, de Paris, morceau de belle allure et de réelle distinction, mais où plusieurs juges ont signalé une inspiration trop directe de Longfellow ; enfin deux poèmes de Mlle Marguerite Rouché, de Préchac-sur-Adour (Gers), Avant et après le Bal, la Boucle de Cheveux, intéressants l'un et l'autre par beaucoup de fraîcheur et de grâce, une jolie note d'attendrissement, mais péchant par je ne sais quoi de banal et d'incomplet dans le style et dans la forme. Mettez dans vos vers, Mademoiselle, dans vos rimes, dans votre tour de phrase, un peu de la coquetterie que vous avez dans le sentiment et dans la pensée, et je vous prédis de meilleurs destins. N'oublions pas non plus le groupe de poésies patriotiques et morales de M. Max Tiple, de Saint-Vaize (Charente-Inférieure), dont la petite ode, Au Drapeau, est d'un réel mérite. J'ai gardé pour la fin M. Henry Jauvert, de Verdun-sur-Garonne, qui m'a fait l'honneur de me dédier en hommage personnel un galant sonnet, Anthémis. Je suis très reconnaissant à M. Jauvert de cette aimable pensée, et je lui en exprime ici mon remerciement, mais cette dédicace a été fatale au poète. Pour éviter, dans des débats toujours un peu délicats, toute difficulté possible, il est, depuis longtemps, de règle chez nous que les pièces portant dédicace à l'un des membres de la Commission sont, de ce fait seul, mises hors concours. Ainsi en a-t-il été pour M. Jauvert, à qui je ne me console pas d'avoir porté malheur.


- 39 — CHAPITRE VI

LE CONCOURS DE PROSE ET LES CONCLUSIONS

Que mon auditoire se rassure, ce n'est point un second discours qui commence, et le concours de prose ne nous retiendra pas longtemps. Comme presque toujours, il est à peu près sans importance, et les trois études qui le composent ne seront pas longues à examiner.

Le, sujet du concours de prose était et est toujours celui-ci : Une monographie sur un sujet d'histoire, de littérature ou d'art intéressant le département de Tarnet-Garonne. Sujet suffisamment vaste, il me semble, où la variété d'inspiration ne fait pas défaut. Eh bien, cette variété d'inspiration, nos clients ne la sentent pas. Ils s'obstinent à ne pas sortir du même chemin tant de fois parcouru : Ingres. Je ne prétends certes pas m'inscrire contre la pure gloire du grand Ingres, mais il a été, dans de nombreux concours, tant et tant de fois étudié, qu'il devient difficile de nous présenter sur lui quelque chose d'un peu original et d'un peu nouveau. Ainsi en est-il de l'étude de M. Octave Loubens. Consciensieusement conçue et développée, honnêtement écrite, elle n'est pas sans intérêt; mais elle manque de critique personnelle, et se présente plutôt comme une biographie bien faite que comme une étude originale.

Les deux autres envois sont tous deux de M. Xavier Peyre, ancien maire de Bédarieux. Le premier, intitulé : Les Femmes poètes célèbres dans l'Antiquité et chez les Modernes, nous parle de Sapho, d'Erynne de Lesbos, de la comtesse de Die de Clara d'Anduze, de Louise Labbé


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et de Carmen Sylva, la noble reine Roumaine, et ces titres mêmes, quel que soit d'ailleurs le mérite d'érudition de l'oeuvre, vous indiquent suffisamment qu'un tel ensemble ne saurait entrer dans le cadre de notre concours montalbanais. Si Clara d'Anduze et la comtesse de Die furent nos voisines relativement proches, elles ne nous appartiennent nullement, et, dans tous les cas, Montauban n'eut jamais le moindre rapport avec Bukharest ou Lesbos.

Le même reproche ne saurait être adressé au deuxième envoi de M. Peyre. Avec son étude sur Olympe de Gouges il rentre tout-à-fait dans le sujet. Vous savez tous qui fut Olympe de Gouges, et vous, Messieurs les Anciens de l'Académie, vous le savez d'autant mieux que vous devez vous souvenir d'une belle étude faite autrefois sur elle par l'un des nôtres aujourd'hui disparu, M. Auguste Pouvillon, le père de notre éminent confrère. Ce sont là peut-être choses bien vieilles pour la plupart d'entre vous, mais j'entends encore la voix un peu railleuse de ce fin lettré nous lisant, ici même, ces deux jolies choses : Olympe de Gouges et l'Epître à un jeune Poète. Le jeune poète d'alors n'était autre que son fils, aujourd'hui célèbre. Ah ! Messieurs, comme le temps marche, court, vole ! Pour un uien, je me croirais presque le contemporain de la belle Olympe elle-même.

Sans doute, vous vous rappelez les aventures de cette jolie fille, qui fut avant tout une exaltée, et que M. Auguste Pouvillon, s'il m'en souvient bien, appelait « une belle guerrière. " Belle? Oui. Guerrière? Oui encore, puisqu'on l'appela aussi la « générale des tricoteuses. » Généreuse? Certes oui, car, dans l'affollement de son existence, elle montra de la bonté et de la grandeur d'âme, et sut mourir très dignement de la main même de ceux qu'elle avait


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d'abord encouragés et suivis. Non, Olympe de Gouges ne fut certainement pas banale et restera comme une figure intéressante de ces sanglantes heures ; mais de là à en faire une Muse et une Gloire il y a loin, et en cela je ne partage pas l'avis de M. Peyre. Je confesse n'avoir lu d'Olympe de Gouges qu'une seule pièce, qui me parut un chaos d'absurdités, Le Général Dumouriez à Bruxelles. Je m'en suis tenu là, et j'avoue me rapprocher plus volontiers de M. Henri Baudrillart, qui, dans son beau livre, Du Luxe sous la Révolution, l'appelle « une pythonisse enthousiaste, » et conte que, ne doutant de rien, elle écrivait ceci sur elle-même : « On ne m'a rien appris, je ne connais pas les principes du français, je dicte avec mon âme, et le cachet du génie est dans toutes mes productions. » Arrêtons-nous sur ce cri de fatuité, qui juge définitivement la belle Olympe, au moins comme auteur.

Mais revenons à M. Peyre, son biographe. Tout en rendant justice à la nouveauté de son sujet et à sa consciencieuse érudition, la Commission n'a pas cru pourtant lui devoir une récompense. Ces quelques pages, brèves et concises, ont leur valeur comme notice biographique, mais comme étude monographique ne présentent pas assez d'ampleur.

Retenons pourtant l'idée de M. Peyre, et montrons-la comme exemple aux prosateurs du futur Concours. Certes, la gloire d'Ingres est indiscutable, et son nom illumine le passé de notre ville; mais, en dehors de lui, les sujets originaux de monographie ne manquent pas. Nous avons eu dans le territoire le poète Lefranc de Pompignan, nous avons eu les généraux de Guibert, Doumerc, dont nos casernes portent les noms, le mathématicien Fermat, Mary-Lafon, d'autres encore. Le pays, sinon la ville elle-


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même, a tenu son rôle dans la guerre de Cent-Ans, dans les guerres de religion, sous Louis XIII, sous la Révolution même. Pour les sujets historiques ou biographiques, le choix ne manque pas. Il ne manque pas davantage pour les sujets d'art. Par exemple, ne serait-il pas intéressant de limiter l'étude d'Ingres, puisqu'on y revient toujours, à celle de ses dessins contenus dans notre Musée? Il me paraît qu'on trouverait là le motif d'une étude aussi curieuse qu'inédite. Par exemple encore, pourquoi ne pas étudier en détail certains de nos vieux monuments, le Pont du Tarn, l'Hôtel-de-Ville, Saint-Jacques, quelques châteaux, le cloître de Moissac et son merveilleux portail? Ou encore, dans un autre ordre d'idées, certains jolis côtés montagneux de notre pays, Bruniquel, Saint-Antonin, Caylus, Vaour, Puylaroque, Lauzerte même? Je ne fais qu'indiquer à grands traits, au hasard de la plume. A l'an prochain, Messieurs les Prosateurs, et je souhaite que vous vouliez bien répondre nombreux à mon appel. Le programme reste le même : Une monographie sur un sujet d'art, de littérature ou d'histoire intéressant le département. Même programme aussi pour les poètes, c'est-à-dire liberté absolue du sujet et du genre.

Mesdames, Messieurs, j'ai terminé ma tâche. Ne me gardez pas rancune de l'avoir voulue consciencieusement faite. Une mauvaise demi-heure est bientôt passée.


ÉTUDES D'ART ET D'HISTOIRE

LE CARACTÈRE ET LA PHYSIONOMIE

DU

ROI LOUIS XIII

PAR

M. Marcel SEMÉZIES.

SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL

I

Dans la longue théorie des monarques ou des chefs d'état de la France, de Pharamond à Casimir-Périer, — quel abîme entre ces deux noms ! — trois figures de souverains m'ont, avant toutes, attiré et séduit. J'eus toujours pour elles je ne sais quelle sympathie à la fois familière et respectueuse, je les aime comme si je les avais réellement connues et servies, et en vérité, à certaines heures de rêve où m'inquiètent de vagues soupçons de métempsycose, je me demande si je n'ai pas déjà vécu à leurs âges héroïques et si mon sentiment n'est pas fait surtout d'obscures et incertaines réminiscences. Que sait-on?...

Nul ne s'étonnera, je le pense, de me voir confesser ces


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trois noms : Henri IV, Louis XIII, Napoléon. A dessein je laisse de côté Louis XIV qui fut plus grand par son entourage et par les circonstances, par les hommes et les choses de son temps que par lui-même. Ce gros seigneur, bouffi d'orgueil et gonflé de vice, étroitement autoritaire et violemment tyrannique, qui débuta par martyriser la douce La Vallière pour finir en de séniles amours avec l'hypocrite Maintenon, me répugna toujours. Imméritée ou juste je le laisse à sa gloire. Plus que l'éclatant soleil m'attirent les tremblantes et lointaines étoiles.

Pour le Béarnais et pour le Corse la question n'est plus à juger, l'apologie n'est plus à faire. Si profonds sont les sillons qu'ils creusèrent, l'un dans la France, l'autre dans le monde, que les traces en sont encore visibles et sensibles. Leurs noms sont restés populaires et lorsque, un demi siècle à peine après eux, on parle très peu de LouisPhilippe et pas du tout de Charles X, Henri IV et Napoléon sont encore vivants par le théâtre, par la chanson, par la légende, par le livre. Ils seront immortels comme Alexandre et comme César. La France chantera toujours la gaie poule au pot de l'un, les aigles radieux de l'autre.

Mais Louis XIII? Louis le Chaste, Louis le Juste? Qui donc songe encore à faire revivre sa noble et pâle figure? Il semble qu'un voile d'oubli ait été noué à jamais sur lui, que dans l'âme française sa mémoire personnelle soit éteinte. Alexandre Dumas, avec sa palpitante trilogie populaire ; Victor Hugo, avec l'un des plus beaux de ses drames ; Alfred de Vigny, avec son magnifique Cinq-Mars, des historiens contemporains, avec de consciencieuses études sur son règne, ont réveillé, le goût de son époque, mais dans la trilogie, comme dans le drame, comme dans le roman, comme dans les annales, ce sont des person-


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nages secondaires qui s'agitent au-devant de la scène, c'est surtout Richelieu qui s'impose, inondant le théâtre des plis de sa terrible robe rouge, et le Roi, le pauvre Roi, passe au second plan, silencieux, effacé, mélancolique, sombre, malade, ployé en deux sous le poids' sa lourde couronne, comme écrasé par l'ombre de l'accapareuse Eminence. L'on dirait que dans l'Histoire comme dans la Vie son destin fut d'être méconnu. D'ailleurs Hugo, Dumas, Vigny, Bazin, tout cela est loin déjà, demain ce sera d'un autre siècle, et de nos jours aucun souvenir ne se réveille. On écrit sur Louis XI, sur Louis XII, sur François Ier, sur Henri IV, sur Louis XIV, sur Louis XV, c'est par torrents que se précipitent aux vitrines des libraires les mémoires et les traités sur Napoléon Ier, voici même que l'indécise silhouette de Napoléon III commence à se préciser, à s'affirmer, mais Louis XIII reste aussi dédaigné que les lointains Chilpéric et Lothaire.

Ce roi qui fut juste, qui fut sage, chaste, pieux, brave et très noble, dont le règne fut des plus grands, mériterait pourtant d'autres destins Après une vie malheureuse il ne possède qu'une gloire effacée, il fut digne de plus de bonheur, il vaut qu'on lui rende un hommage.

II

J'ai sous les yeux le portrait de Louis XIII peint par De Lestang. Le buste est mince et droit, en une armure de guerre dont des manchettes et un col en dentelles et une écharpe en sautoir atténuent la dureté. Les longs cheveux tombant sur les épaules encadrent et accentuent l'ovale d'un visage long et fin. Entre les moustaches et la


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royale les lèvres dessinent un sourire triste et résigné. Le nez est droit et d'un pur dessin. Les yeux grands et rêveurs ont, sous des sourcils bien arqués, une expression lasse et douce. L'ensemble est pein d'élégance, de noblesse, de distinction, de simplicité et de tristesse. Un autre portrait gravé par De Larmessin, en 1714, donne exactement la même impression.

C'est bien la physionomie qui convient à cette pauvre grande âme faible qui ne s'appartient jamais, dont la destinée fut d'être toujours le jouet douloureux d'une autre âme plus forte, Concini d'abord, le bellâtre amant de sa mère, Albert de Luynes ensuite, puis Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu, et un moment Cinq-Mars. Pauvre âme aimante que tous ceux qu'il eût voulu aimer s'acharnèrent à torturer : sa mère d'abord qu'il fut obligé d'exiler ; sa femme qu'il eut tout lieu de croire complice de la conspiration de Chalais, dans le dessein d'épouser Monsieur après sa mort, comme l'indiquent les mémoires de M. de la Rochefoucauld ; son frère qu'il soupçonna d'intelligence avec sa femme et qui fut d'ailleurs en lutte ouverte contre lui ; ses soeurs même, qui lui furent hostiles, la reine d'Angleterre surtout, accueillant à bras ouverts tous les mécontents! Pauvre âme troublée qui, aimant la paix, dut passer ses trente-trois ans de règne en des guerres continuelles et de toute nature, guerres civiles, guerres de religion, guerres étrangères, et qui, aimant la pitié, dut être inflexible et laisser le Cardinal faire tomber des têtes d'importance : Montmorency, Damville, Marillac, Saint-Preuil, Soissons, d'Effiat et autres! L'historien Le Laboureur, assure tenir de la bouche de Monsieur le Prince, que Louis XIII ne consentait à ces exécutions qu'avec un vrai désespoir et des crises de


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sanglots, mais Richelieu l'exigeait et Richelieu avait quelquefois raison. Ce furent souvent des nécessités politiques. Jamais aucun temps ne fut aussi fertile en troubles et en velléités d'indépendance, les grands seigneurs s'habituaient par trop aux conspirations, aux révoltes, aux exigences formulées les armes à la main. Le roi le comprenait, il sentait bien qu'il était lui-même trop bon et trop faible pour se défendre, que livré à lui-même il verrait vite le duc d'Orléans lui prendre à la fois sa couronne et sa femme, et n'aimant pas le Cardinal, il le garda toujours parce qu'il le croyait utile à la France et à son règne.

Pauvre âme pieuse enfin qui, fervemment religieuse, par disposition naturelle, par la direction dominée à son éducation, et peut-être aussi un peu, — car il ne faut négliger aucun élément humain dans l'étude d'un homme, — par suite de ce fanatisme particulier aux fils de convertis, haïssait les Réformés, leur faisait la guerre au dedans, et fut obligée au dehors de s'allier avec la Hollande et la Suède, ces huguenotes, contre la catholique Espagne et la catholique Autriche ! O les éternelles contradictions et les éternelles surprises de la Politique ! Cette alliance d'un roi ultra-catholique massacrant les Protestants chez lui et s'unissant au-dehors avec eux contre des catholiques n'est-elle pas aussi singulière que l'amitié actuelle de notre ultra-démocratique République et de l'ultra-absolue monarchie slave? Mais la raison d'Etat fut toujours fertile en bizarres conciliations. Là encore Louis XIII n'agit qu'à contre-coeur et poussé par le Cardinal qui lui rendit cet autre signalé service de le décider à sa politique étrangère ou plutôt de la décider pour lui. Le roi, tout le prouve, résista longtemps. Pour


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lever ses scrupules il fallut convoquer une assemblée de docteurs qui le rassura et le Journal des Savants, du 26 Janvier 1688 (édition de Hollande), cite même à ce sujet un très curieuse lettre, secrète et de sa main, de Louis XIII au pape Urbain VIII.

Louis XIII était en effet fort pieux. Le Père Cotton le dit expressément dans une lettre retrouvée et citée en 1771 par M. de Bonnegarde. « Il entend la messe tous les matins, même lorsqu'il doit partir avant le jour pour une chasse. Il est fort dévôt aux SS. Côme et Damien en la fête desquels il est né, et à son patron et à son grand aïeul Saint-Louis. Quand les gentilshommes parlent à la messe et y causent en sa présence il s'en fâche et il les en fait avertir. Il ne leur permet pas de jurer devant lui. » Un autre jésuite, également attaché à la Cour, le Père Millepied écrit de même le 8 octobre 1613, au Père Louis Richomme à Rome : « Il est fort religieux, il dit que ce n'est pas assez d'aimer Dieu, qu'il faut aussi aimer l'Eglise. Il ne veut jamais ouïr mal parler, ni médire, disant que ce n'est pas chrétien. Il demande tous les jours à Dieu pendant la messe la grâce d'être un saint et bon roi. » Sa piété d'ailleurs s'affirme tout entière dans sa déclaration du 10 février 1638 vouant la France à la Vierge. « Nous avons déclaré et déclarons que prenant la T. S. et glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de nostre royaume, nous lui consacrons particulièrement nostre personne, nostre estat, nostre couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une sainte conduite et défendre avec tant de soin ce royaume contre tout l'effort de tous ses ennemis que, soit qu'il souffre le fléau de la guerre ou jouisse de la douceur de la paix, il ne sorte point des voies de la justice qui conduisent à celles de la


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grâce... » Pure et patriotique prière d'une âme sainte et noble, soucieuse de son pays, honorable élan de foi que Ingres a immortalisé dans son grand tableau de la cathédrale de Montauban, le Voeu de Louis XIII. Ce roi prosterné dans les plis de son manteau royal, bleu fleurdelisé d'or, élevant vers l'autel en un geste fervent son sceptre et sa couronne, est bien celui du portrait de De Lestang. C'est la même figure, maigre, ardente et triste, qu'encadrent de sombres cheveux tombants. Et, — l'histoire est pleine de curieuses coïncidences, — il est piquant de retrouver l'un des plus vivants souvenirs de ce roi dans le temple catholique de la seule ville huguenote qui jadis sut lui résister. Car dans l'étude de ce règne l'on retrouve un Montauban rebelle vraiment héroïque et superbe; le siège de 1621 fut une des plus glorieuses et des plus honorables défenses de place de l'histoire militaire. Dans sa Relation du Siège de Montauban, De Puységur a écrit cette phrase qui, pour conserver aux Montalbanais un peu de vertu militaire et de fierté locale, devrait être écrite en lettres d'or aux briques rouges de leurs derniers remparts : « Montauban fut aussi bravement défendu qu'il le pouvoit être : de tous les sièges que j'ai vus en ma vie je puis dire qu'il n'y a pas de gens au inonde qui les aient mieux soutenus. Les femmes faisaient aussi bien que les soldats, elles combattaient avec un courage incroyable. »

La chasteté de Louis XIII fut sans doute une conséquence de sa piété. Rare entre les rois il apparaît d'une vertu parfaite, et la chose est d'autant plus curieuse qu'il tient sa place dans l'Histoire entre deux debauchés de haut renom, Henri IV et Louis XIV. Son goût sentimental pour Mme de Hautefort et pour Mlle de la Fayette ne sau1806. 1.


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rait, en effet, être taxé d'inconduite, il les aima en toute pureté et sans trouble des sens comme une âme souffrante aime de douces amies qui savent consoler et plaindre. Il ne les entretenait guères, dit Mme de Motteville, que de chiens, d'oiseaux et de chasse. Il disait lui-même un jour, avec de grands effarouchements, « qu'il aimait Mme de Hautefort jusqu'à la ceinture seulement. » A quoi le maréchal de Bassompierre, qui, lui, ne se piquait pas de vertu, riposta avec sa brutalité coutumière par une leste boutade, délicieuse assurément, mais qui pour être historique n'en est pas moins d'une excessive raideur et assez difficile à répéter.

Sur cette réserve auprès des femmes aucun doute ne saurait s'admettre. Chroniqueurs et historiens sont à ce sujet d'une rare unanimité. « Il n'aimait les femmes que comme on aime les fleurs. » Ce mot charmant est de Dreux du Radier l'auteur des Anecdotes des Reines et Régentes de France. Ces deux uniques amours de Louis XIII furent d'une belle sentimentalité très simple et très touchante, des passionnettes, dirait-on aujourd'hui tout en tendres confidences et en élégiaques soupirs. Et tandis que j'en étudiais les détails dans quelques mémoires du temps, je songeais au joli roman psychologique que l'on pourrait en écrire, mais de quelle plume délicate il faudrait en noter les nuances fugitives !

Cette sagesse était d'ailleurs en lui, pour une bonne part du moins, de nature et d'instînct. L'on conte qu'à peine âgé de trois ans, encore Dauphin, il fit à Mathurine, la folle de la Reine, une réponse bien caractéristique : « Viens ça, petit, — lui dit-elle avec la familiarité que se permirent de tous temps les bouffons de cour, — serastu aussi ribaud que ton père? » L'enfant songea un instant


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et répondit gravement : « Non. » Ceci se passait le 9 juin 1604. Il ne mentit jamais à cette promesse. Vous m'objecterez qu'il n'avait pas compris la question et y répondait au hasard. C'est possible, mais en cette cour d'Henri IV les enfants entendaient et voyaient tant de choses qu'ils devenaient facilement précoces. Henri IV fut le meilleur des pères et chacun sait combien il aimait ses enfants, s'occupait d'eux, jouait avec eux. Il s'opposa formellement à toute appellation cérémonieuse de leur part et voulut uniquement être nommé par eux : Papa. Le médecin Héroard, attaché pendant près de trente ans à la personne de Louis XIII, dauphin ou roi, a tenu un journal quotidien de son enfance et de sa jeunesse, livre confus et oiseux trop souvent, rempli de menus détails d'hygiène et de santé, que Michelet appelle dédaigneusement « le Journal des digestions de Louis XIII » et dont Tallemant des Reaux s'était le premier bien plus cruellement raillé encore, mais qui n'en donne pas moins de précieuses indications sur les caractères et les habitudes des uns et des autres, sur la vie intime à Saint-Germain, à Fontainebleau, au Louvre. Dans ce journal il n'est presque pas de jour où ne soit notée une visite, longue ou courte, d'Henri IV. Il arrivait chez ses enfants tantôt seul, tantôt avec la Reine, tantôt avec Mme de Verneuil ou la comtesse de Moret, ses dernières maîtresses, mais il arrivait chaque jour et « s'esbattoit » avec les petits. Mais ses plaisanteries ne s'accusaient pas du meilleur goût, il en est de si brutales et si grossières que les seuls écrivains naturalistes en pourraient tirer profit. M. Zola, s'il eût vécu de ce temps, aurait eu beau jeu à décrire la vie privée d'Henri IV entre ses deux femmes, Marguerite et Marie, la première et la seconde, et ses deux ou trois maîtresses. Le 11 août


1605, Héroard écrit dans son journal : « Mené à neuf heures trois quarts le Dauphin au bastiment neuf trouver le Roi et la Reine; la Reine était au lit, le Roi assis dessus et la Reine Marguerite à ses genoux appuyée contre le lit. » Si l'on rapproche cet extraordinaire tableau de famille d'une lettre gaillarde d'Henri IV à M. de la Force à la même date : « J'ai' ici près de moi la Reine Marguerite qui me donne beaucoup de contentement... », on ne peut s'empêcher déjuger plus qu'étrange l'intimité de ce ménage royal. Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement Louis XIII, le pauvre petit Dauphin se trouvait à' singulière école. Sa gouvernante, Mme de Monglat, ne se gênait point pour lui et quanti il ne dormait pas, pour le faire tenir en paix, elle le prenait sans façon dans son lit et le couchait des nuits entières entre M. de Monglat et elle, où l'enfant assistait, aux intimités du ménage. Héroard se lamentait sur ce genre d'éducation, sur ce manque d'égards pour un futur roi de France, et lorsqu'il raconte la chose il n'oublie pas de la faire suivre d'une exclamation indignée: insignis impudentia !

Toujours est-il que le Dauphin se montra de bonne heure fort instruit. En 1608, comme on voulait le faire jouer avec ses demi-frères, les enfants de Gabrielle d'Estrées et d'Henriette de Verneuil, le Dauphin se courrouça : « Non, non, s'écria-t-il, les valets ne jouent pas avec leurs maîtres. Ce ne sont pas mes frères. Ils n'ont pas été comme moi dans le ventre de maman. » Il manifesta toujours la même antipathie pour tous les bâtards de son père. Un jour où M. de Vendôme lui baisait la main par surprise, « àl'impourvu, » il la frotta vivement contre sa robe en disant d'un air indigné : « Ha ! vous baisez ma main ? Non, non, je ne veux pas. » (10 juin


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1604). Le lendemain voyant Mlle de Vendome qui priait Dieu à genoux sur un coussin, il le lui enleva en grondant : « Otez, ôtez de là, pas pour vous. » On avait beau le fouetter, — Mme de Monglat était passée maîtresse en cet exercice, — quoique craignant le fouet, il ne cédait pas, il gardait de sa situation d'héritier du trône une dignité instinctive, très nette, curieuse à noter, et n'entendait rien partager avec tous ces enfants demi-royaux, nés des amours changeants de son père. « Mais, Monsieur, lui disait-on, M. de Verneuil et M. de Vendôme sont les fils du roi. — Non, non, faisait-il, fils du roi c'est moi ! »

Pourtant sa bonté fut réelle et le Père Cotton nous donne de précieux renseignements sur elle dans la lettre déjà citée : « Il est doué d'une excellente disposition au bien et à la vérité, et a une telle aversion du mal et du vice que si quelqu'un est assez hardi de dire en sa présence quelque parole malveillante ou malhonnête, il entre incontinent en grosse colère contre lui. Il ne peut supporter qu'on batte quelque chien ou autre bête en sa présence. Le 24 juin 1604 il demanda grâce pour des chats qu'on allait brûler dans le bûcher de la Saint-Jean... Il n'est jamais oisif. Il apprend parfaitement bien les mathématiques, la géographie et les fortifications. Il crayonne à la perfection, il peint sans aucun maître... Il se plaît à la fauconnerie, au vol de oiseaux de proie et à tirer de l'arquebuse sur ces oiseaux, ce qu'il fait à la perfection, les tuant avec beaucoup d'adresse. En chassant il commande qu'on n'aille point par les champs semés, afin de ne faire tort aux pauvres villageois .. » Cette bonté pour les humbles lui venait de son père. On sait combien Henri IV s'intéressait aux paysans qu'il tenait avec Sully pour le vrai sang de la France. De bonne heure il s'efforça


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de faire partager ce goût à son fils ; le 12 avril 1607, « malgré son âge tout foiblet », dit le Père Dan, il lui fit laver les pieds à treize pauvres et lui expliqua en un digne langage l'importance de ce symbole.

Plein d'affection pour les soldats, Louis XIII allait souvent se mêler à leurs rangs et causer avec eux. « Il se familiarisoit de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec toute autre sorte de personnes, faisant du pair et compagnon avec eux, » écrit Héroard. Un jour, encore tout enfant, en 1606, il eut pour l'un deux, un garde de la compagnie de Mansan, nommé Descluzeaux, qu'il aimait particulièrement, une attention naïve et charmante. Il semait de feuilles de rose le banc où était assis Descluzeaux et comme celui-ci s'en étonnait, le petit Dauphin de lui répondre gentiment. « C'est afin que votre place sente bon. » Vraiment, cette invention ne vient-elle pas d'une âme exquise ?

Cette humanité, cette attention pour les pauvres gens, il ne devait les oublier qu'une seule fois en sa vie. Ce fut au siège de Saint-Antonin, le 16 juin 1622. Il s'amusa à jouer au simple artilleur, « artillier, » comme on disait alors, et pointant lui-même une couleuvrine il visa soigneusement et tua froidement deux paysans qui passaient sur les remparts, comme à la chasse il aurait fait pour des oiseaux. C'est le seul trait cruel que j'aie pu relever contre lui. Il est vrai d'ajouter qu'en cette occasion sa bonté naturelle dut céder le pas à son amour-propre d'habile pointeur.

Louis XIII aima peu la lecture. On l'en avait dégoûté tout enfant en lui faisant lire malgré lui un livre qu'avec raison il trouvait déplaisant, les Antiquités, de Fauchet, compilation indigeste, histoire écrite, dit le Ménagiana


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(p. 219), avec un mauvait goût et une lourdeur inconcevables. Son premier précepteur, Des Yveteaux, semble du reste avoit conduit toute cette éducation avec le même goût. Le 6 mars 1609, l'enfant n'ayant pas huit ans, Des Yveteaux lui donnait ce sujet de méditation : « S'il faut que les ecclésiastiques soient appelées au Conseil des princes et ce qu'en pense Monseigneur. » Monseigneur réfléchit longuement, s'énerva, pleura et ne trouva à répondre que ceci : « Je ne sais pas. » Richelieu et le Père Joseph devaient se charger de lui faire savoir.

Quoique l'on ait imprimé sous son nom en 1612 un livre in-8° intitulé : Les Préceptes d'Agapétus à Justinian, mis en français par le roi Louis XIII, il n'aima jamais les Lettres. Ce livre est d'ailleurs apocryphe, cela ne fait aucun doute, et ne fut qu'une flatterie stupide de son deuxième précepteur Nicolas le Febvre, car en 1612 Louis XIII n'avait que onze ans. Il détestait surtout les harangues et prétendait que si ses cheveux avaient blanchi de bonne heure, la faute en était aux innombrables discours ennuyeux qu'il dut entendre. Cependant, il était délicat d'esprit comme il le fut de coeur, et s'il goûta peu les lettres il les laissa du moins fleurir en paix. Corneille, Molière, Descartes, Malherbe, furent ses contemporains, l'hôtel de Rambouillet ouvrit ses portes à côté du Louvre et l'Académie Française date de son règne, l'Académie qui se parait alors d'autres noms moins simples. On disait : Académie des Beaux-Esprits, ou bien Académie Eminente, ou même la Compagnie Eminente. En cela du moins il laissa volontiers agir Richelieu.

Ce mélancolique plaisantait rarement. Cependant, détail singulier et en contradiction avec tant de gravité, il s'amusait volontiers à jouer sur les mots et sur les noms.


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C'est ainsi qu'il se plaisait à appeler Arc-en-ciel le poète académicien Racan. De Racan, avec une transposition de lettres, il faisait Arcan et ajoutait ciel. Et s'attaquant au même poète il disait : « M. Racan fait des vers par la bouche, mais Joly, mon petit chien, est bien plus habile, il les fait par le c... ». De même encore il changeait invariablement en Troussepet le nom d'un page de la Reine qui s'appelait Retrousse. Futilités de clown moderne qui étonnent dans cette austère physionomie royale mais l'éclairent de loin en loin d'un passager sourire.

III

Il est peu de contestations sur la personnalité de Louis XIII. Histoires, Chroniques, et Mémoires nous montrent le même homme d'âme grande mais faible, d'esprit droit et sage mais timide, brave au feu comme le fut son père, car il paya de sa personne et affronta vingt fois la mort, au Pas-de-Suze et à l'Ile-de-Ré, aux sièges de Royan et de la Rochelle, mais hésitant dans sa vie privée, ne sachant pas dire non ; ils nous le montrent encore tous de santé délicate, bègue par instants à la suite d'une petite opération manquée par un chirurgien maladroit, mélancolique et résigné, malheureux au possible dans son règne glorieux comme si vraiment ce chiffre XIII que portait sa couronne eût jeté sur sa vie un ombre d'infortune. Un rêveur maladif, souvent absent de luimême, ayant l'air de quelqu'un dont l'esprit court ailleurs, ce que son habituel annaliste Héroard traduisait assez exactement par trois mots latins : quasi aliud agens.

Dans Marion de Lorme, Victor Hugo place dans la


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bouche de l'amoureux Didier ces vers pénétrants de tristesse :

Je vis les hommes, et j'en pris En haine quelques uns et le reste en mépris, Car je ne vis qu'orgueil, que misère et que peine Sur ce miroir terni qu'on nomme face humaine. Si bien que me voici jeune encore et pourtant Vieux, et du monde las comme on l'est en sortant, Ne me heurtant à rien où je ne me déchire, Trouvant le monde mal, mais trouvant l'homme pire.

Il semble que ces paroles sonneraient plus juste dans la bouche du roi que, dans le même drame, on voit un peu plus loin s'accouder à la fenêtre de son palais, regarder tomber la pluie et dire à M. de Bellegarde ;

Et toujours de la pluie !

Je m'ennuie.

Ah ! la vie est bien sombre et la tombe est sereine.

Oui, la vie fut sombre en effet à ce royal méconnu qui, aimant, ne fut pas aimé; vertueux, fut à peine honoré; indulgent et bon, dut se montrer cruel ; dont tous les actes durent par rigueur politique être en contradiction absolue avec ses goûts; qui fit à la grandeur de son pays le plus dur des sacrifices, celui de sa vive antipathie pour un ministre nécessaire. L'on dit que dans les derniers temps de sa vie il aimait à répéter la parole de Job : Toedet anima mea vitoe meoe, mon âme s'ennuie de ma vie, plainte pénétrante et touchante qu'il eût pu adopter pour devise.

Alfred de Vigny, qui fit pour son livre sur Cinq-Mars les plus conciencieuses recherches matérielles, — car pour 1896 5


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le reste c'est un roman, — a tracé un magistral portrait de Louis XIII, présenté avec la gravité et la couleur sobre d'un portrait historique. II restera comme définitif et à ce titre je le donne ici : « Devant une très petite table entourée de fauteuils dorés était debout le roi Louis XIII, environné des grands officiers de la couronne ; son costume était fort élégant : une sorte de veste couleur chamois, avec les manches ouvertes et ornées d'aiguillettes et de rubans bleus, le couvrait jusqu'à la ceinture. Un hautde-chausses large et flottant, ne lui tombait qu'aux genoux, et son étoffe jaune et rayée de rouge était ornée en bas de rubans bleus. Ses bottes à l'écuyère, ne s'élevant guère à plus de trois pouces au-dessus de la cheville du pied, étaient doublées d'une profusion de dentelles, et si larges, qu'elles semblaient les porter comme un vase porte des fleurs. Un petit manteau de velours bleu, où la croix du Saint-Esprit était brodée, couvrait le bras gauche du Roi appuyé sur le pommeau de son épée. Il avait la tête découverte et l'on voyait parfaitement sa figure pâle et noble, éclairée par le soleil que le haut de la tente laissait pénétrer. La petite barbe pointue que l'on portait alors augmentait encore la maigreur de son visage, mais en accroissait l'expression mélancolique ; à son front élevé, à son profil antique, à son nez aquilin on reconnaissait un prince de la grande race des Bourbons ; il avait tout de ses ancêtres, hormis la force du regard : ses yeux semblaient rougis par des larmes et voilés par un sommeil perpétuel. »

Je ne sais si je me trompe et si quelque flottante sentimentalité ne m'égare, mais ce portrait, en ses dernières lignes surtout, me fait songer d'un autre souverain plus moderne et presque aussi malheureux que Louis XIII, je


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veux parler de Napoléon III. Lorsqu'en de brumeuses rêveries du passé j'évoque l'un et j'évoque l'autre, il me semble que ces deux destinées navrantes furent presque soeurs, qu'à deux siècles de distance ces deux figures se reflètent et, à de certains côtés du moins, accusent une parenté tantôt précise, tantôt lointaine. Je crois pouvoir dire qu'ils furent de la même race, non pas comme sang, certes! ni comme gloire, mais comme infortune et comme physionomie. Voyez chez le dernier Napoléon ce masque énigmatique, impassible et blême; ces moustaches alourdies voilant le pli d'un perpétuel, d'un vague et ironique sourire plein de souffrance et de muet mépris ; ces yeux éteints, mais si doux pourtant, où luisaient des éclairs de bonté et de noblesse. Car Napoléon III ne fut ni un banal, ni un rustre. Je me rappelle encore ce mot d'un vieux républicain sincère, que je vénère pour son fier esprit et son talent trop tôt endormi, et qui me disait un jour : « L'empereur était un gentilhomme et un galant homme. » Et, tout en lançant la fumée de sa cigarette vers la voûte de branches et de fleurs de son humble retraite, il répétait deux ou trois fois sa courte phrase comme l'on fait lorsqu'on pense avec force. Un gentilhomme, en effet, sous un triple voile de mélancolie, de silence et de rêve, une âme incomplète et grande d'aventurier dépaysé dans notre âge. Il était grand vraiment dans son manteau d'empereur, autant que Louis XIII en son manteau de roi. Il fut grand surtout dans les désastres, grand dans son agonie de trois ans sous la pluie des injures. Il ne lui manqua peut-être, pour mourir sur un Rocroy au lieu de s'exiler sur un Sedan, il ne lui manqua que de savoir comme Louis XIII, sinon se défendre lui-même, du moins se laisser défendre et contre les factieux, et contre sa fatale Espagnole, il


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ne lui manqua, qui sait? qu'un Richelieu. Mais, des Morny, des Persigny, des Magne et des Rouher au Cardinal-Duc il y a loin, comme aujourd'hui encore il y a loin de Poincarré et de Guérin à Rouher et Morny. Il semble qu'après avoir gravi quelques rares et éclatants sommets, la Renaissance, le siècle de Louis XIV, l'Empire, notre destinée ne soit plus que de descendre, descendre toujours aux plaines marécageuses où s'effondrent les Memphis, les Babylone, les Carthage et les Byzance, dans la pourriture des civilisations extrêmes et dès puissances éteintes. Oh ! la lente et si triste agonie en laquelle s'en va la France démocratique, la France sans grands hommes et sans grands desseins ! Progrès des choses, déclin des hommes, c'est la formule de cette seconde moitié du siècle. De là l'âpre plaisir que l'on trouve à s'isoler de la vie contemporaine et à revivre les époques mortes.

Mais ce n'est pas cette formule que je cherchais, j'en voulais une autre qui me permît, pour terminer cette esquisse, de caractériser d'un mot la figure de Louis XIII. De tout ce que j'ai dit de lui une impression dominante se dégage : mélancolie. Mais cela ne me contente pas, il y eut en lui mélancolie mais il y eut autre chose. Et, m'irritant de mon impuissance à exprimer mon sentiment, pesant les mots de notre langue sans y trouver ce que je veux, cherchant clans les langues voisines souvent plus expressives, voici qu'il me revient à l'esprit un mot de Camoëns qui n'a d'équivalent dans aucun langage, un mot qui veut dire à la fois : angoisse, solitude, rêve, désir, regret, — Saudade.

Et Saudade, cela veut dire encore : la scabieuse. Fleur des veuves, fleur de tristesse, en ta robe tantôt d'un


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pourpre assombri, tantôt d'un violet pâli,, fleur de deuil, tu parerais bien ce roi douloureux ! Comme l'on donne l'abeille à Napoléon ou le soleil à Louis le Grand, donnons la triste scabieuse en emblème au sombre Louis le Chaste.

31 novembre 1894.



DE LA

LANGUE FRANÇAISE

ET DE SON ORTHOGRAPHE

LECTURE Faite à l'Académie dans la séance de juillet 1896

PAR

M. DE MILA DE CABARIEU

VICE-PRÉSIDENT

MESSIEURS,

Lorsque vous avez bien voulu m'honorer de vos suffrages et m'appeler à siéger au milieu de vous, je me suis vivement félicité de pouvoir participer à vos travaux, plutôt, j'ai hâte de l'ajouter, pour en profiter que pour vous apporter mon faible concours. Les enseignements ne manquent pas, en effet, dans votre Compagnie : depuis qu'elle existe, elle a conservé, elle a maintenu, sans défaillance et non sans gloire, pendant plus de cent cinquante ans, les traditions d'érudition et de bien dire


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que lui ont leguées ses fondateurs et que se sont transmises, sans interruption, ceux qui leur ont succédé.

Mais là ne s'est pas borné votre rôle. S'enquérir des progrès, des tendances nouvelles, accueillir, favoriser ces progrès après en avoir reconnu les avantages, diriger ces tendances, les endiguer au besoin, ne se laisser jamais dominer par elles, tel est aussi le but de l'institution des corps académiques, telle doit être leur préoccupation, aussi bien pour les sciences que pour la littérature ou les beaux-arts, et, en ce qui vous concerne, vous n'avez pas non plus failli à ce devoir. Aujourd'hui, surtout, en présence des modifications qui s'introduisent dans notre langage et qui pourraient l'altérer, sous le prétexte de secouer le joug de nos devanciers, de se soustraire aux règles que nos auteurs classiques avaient tracées ou qui, plutôt, ressortent naturellement de leurs immortels ouvrages, il est nécessaire, il est devenu indispensable de combattre et d'arrêter d'aussi fâcheuses entreprises. A Dieu ne plaise que nous n'admettions pas l'avancement de la science, sous toutes ses faces, en toute chose, que nous n'en reconnaissions pas les bienfaits quand ils sont positifs, évidents; mais est-il bien utile de modifier ce qui n'en a pas besoin? Notre langue, par exemple, si claire, si précise, est acceptée, appréciée par les nations étrangères, si bien qu'elle est le plus souvent employée et officiellement clans les relations internationales, comme autrefois le latin. D'où lui vient cette faveur exceptionnelle, cette suprématie? Ne devons-nous pas redouter qu'elle la perde? Ce sont là des questions graves. Elles méritent d'être étudiées et, sans vouloir faire un cours de philologie, ce dont je n'ai pas la prétention, permettez-moi, Messieurs, d'appeler quelques instants votre attention sur la formation


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et le développement du français et aussi sur le maintien si controversé aujourd'hui de notre orthographe.

L'orthographe, pour en parler d'abord, est, comme on l'a justement dit, une sorte de pacte, de contrat en matière d'écriture. Pour arriver à la conclusion de ce contrat on cherche à reproduire le son de la voix, à la peindre en quelque sorte. C'est ce qui se produit au commencement de toutes les langues. Pour apprécier comment s'est fixée à la longue l'orthographe du français, il faut donc remonter en arrière, jusqu'aux premiers temps de notre histoire, et rechercher les éléments constitutifs de notre langue.

A la suite de la conquête de la Gaule par Jules César, le latin était devenu dans notre pays la langue légale, la langue civile et administrative, tout comme, d'ailleurs, dans les autres régions, dans les autres provinces sur lesquelles s'était successivement étendue la domination toute puissante de Rome. Lorsque, quelques siècles plus tard, des hordes étrangères venues du fond de la Germanie, du Nord, même de l'Asie, se ruèrent à la fois sur le monde qui relevait de la ville éternelle, et qui, en subissant ses lois, en avait en même temps reçu la civilisation, la langue latine fut en quelque sorte envahie comme le sol et submergée par les langues barbares. De là date l'origine des langues modernes en Europe; mais le latin, notamment en Gaule, avait trop pénétré dans l'usage de la vie commune pour qu'il fût possible de le faire disparaître.

Le celtique n'avait pas eu la même force de résistance, parce que les Gaulois, qui le parlaient primitivement, n'ayant jamais eu d'histoire écrite, ni même de littérature, avaient subi et fini par accepter entièrement la langue de


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leurs vainqueurs, bien autrement complète, bien autrement riche que la leur. Afin, d'ailleurs, de favoriser, de propager cette intrusion du latin, si je puis m'exprimer ainsi, les empereurs avaient fait établir clans les principales cités de notre pays des écoles qui ne tardèrent pas à être très fréquentées, qui acquirent une importance considérable, même de la célébrité, et exercèrent une influence décisive pour amener et assurer l'entière assimilation entre eux, sans distinction de race, de tous les habitants de la Gaule. Sous ce rapport, comme sous bien d'autres, les Romains auraient dû rester nos maîtres et nous servir d'exemple ; les gouvernements qui se sont succédé en France n'auraient pas laissé subsister une langue étrangère dans les provinces qui nous ont été si malheureusement ravies, sous le fallacieux prétexte d'une origine commune avec les spoliateurs.

La majesté du nom romain avait jeté au loin un tel éclat que les Francs, apportant à leur arrivée en Gaule la plus haute idée des institutions impériales, au lieu de songer à les détruire, laissèrent généralement subsister une organisation politique et administrative qu'ils admiraient, et, au lieu d'imposer leur langage, cherchèrent à s'initier à celui des Gallo-Romains. Bientôt après, lorsqu'ils se convertirent au christianisme, ils cessèrent de parler teuton. Leurs relations habituelles avec les prêtres qui les instruisaient les amenèrent naturellement à comprendre et à parler le latin. Ils ne conservèrent guère que les mots plus particulièrement afférents à leurs habitudes, aux usages ordinaires de leur vie de guerriers et de chasseurs.

En résumé, le français se compose surtout de trois éléments nettement distincts : celtique, germanique et


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latin, mais ce dernier est de beaucoup le plus considérable. On ne compte pas en français plus de mille mots germaniques et il y en a bien moins de celtiques.

Il convient toutefois d'observer, en ce qui touche l'élément latin, que le langage employé par les GalloRomains était loin de ressembler au latin classique. Il était issu de l'idiome vulgaire en usage parmi le peuple de Rome, et cet idiome qui renfermait de nombreuses expressions triviales, se distinguait en outre par ce fait tout à fait typique que c'était l'ordre simple, l'ordre naturel qui était suivi dans la construction des phrases : les sujets avant les verbes, les verbes avant les adverbes, les noms avant les adjectifs. L'ordre inverse, et c'est ce qui est aujourd'hui unanimement reconnu, n'était guère employé que par les écrivains auxquels la désignation de classiques est plus particulièrement appliquée, et ce ne fut même que pour un temps ; Quintilien qui vivait à la fin du premier siècle de notre ère, se plaignait déjà de la tendance de certains auteurs à abandonner « l'élégant et harmonieux édifice des constructions transpositives. »

« Se servir de cet ordre simple, observe Cicéron, c'est parler directe, sicut natura ipsa tulerit, directement comme la nature le comporte. » L'autre est artificiel et ne saurait être sensible pour la foule, pour des gens ignorants, qui parlent une langue sans en connaître le mécanisme, uniquement parce que c'est celle du pays où ils sont nés. C'est pour ce motif qu'un autre auteur, Denys d'Halicarnasse, analysant les règles de l'art oratoire, préconise l'ordre naturel. Comment se fait-il, nous ne pourrions assez le déplorer, que certains novateurs affectent d'abandonner, pour des inversions bizarres et souvent peu compréhensibles, ce qui constitue la clarté, la précision


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si remarquable de notre langue et ne permet aucune amphibologie?

Tandis que le latin vulgaire, le latin des classes inférieures, après avoir été adopté par les Gaulois, devenait aussi l'idiome usuel des nouveaux dominateurs de notre pays, le latin classique était ravivé par les premiers pères de l'Eglise, qui comprirent de bonne heure la nécessité de constituer l'unité religieuse et de la consolider par l'unité de langage. Le latin devint ainsi une sorte de langue sacrée, dont la connaissance exigea une étude scientifique. Toutefois, dans certaines circonstances, par exemple au concile de Rheims, en 813, le clergé fut obligé de décider que les prédications seraient faites en langue rustique romane, afin que le peuple pût comprendre les exhortations et les enseignements qui lui étaient adressés.

Le clergé n'était pas seul, au surplus, à faire usage du latin classique. Il fut aussi plus ou moins conservé dans les actes de l'autorité, même pour les actes destinés à établir les transactions entre particuliers. Il en résulta ainsi un fait étrange, probablement unique dans l'histoire des peuples, deux langages, l'un vulgaire, employé à l'expression des besoins usuels, des besoins ordinaires de l'existence, un autre se rapportant plus particulièrement à la vie intellectuelle. C'est seulement sous François Ier que la suprématie du français fut reconnue, et ce monarque décrétant une émancipation tardive, mais définitive, ordonna que tous les actes publics seraient, à l'avenir, rédigés en langue vulgaire.

Il y avait toutefois longtemps, dès le commencement du Moyen-Age, qu'avaient paru les premiers essais de littérature nationale, dûs aux troubadours dans


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le Midi, aux trouvères dans le Nord, et écrits dans l'un ou l'autre des deux dialectes entre lesquels s'était divisée la langue gallo-romaine. Dans ces compositions, et c'est là leur caractère distinctif, le génie du peuple s'exerce dans la plénitude de son indépendance sans que l'influence des maîtres de l'antiquité se fasse sentir, quoique pourtant les troubadours témoignent plus d'art que leurs rivaux. Au milieu de la tourmente de l'invasion, les souvenirs de la civilisation disparue avaient surnagé dans le Midi et s'étaient mieux conservés que dans le Nord. C'est en tout cas ce vieux langage, transformé successivement dans le cours du temps en ce qu'il avait de rnde et d'incorrect, qui a constitué la littérature essentiellement française de Rabelais à Molière, de Regnard à Voltaire. Qu'est-ce qui a rendu si populaire notre bon Lafontaine? C'est d'avoir employé, d'avoir fait revivre la naïve façon de parler de nos pères.

Revenant à l'orthographe, que nous n'avons paru délaisser que pour mieux y revenir, nous constaterons que, avant l'invention de l'imprimerie, elle n'avait aucune règle précise. Elle varie comme la prononciation et avec elle puisqu'elle en était le calque. Aussi peut-on l'affirmer hautement, il n'y avait au Moyen-Age qu'une orthographe arbitraire, à la portée de tout le monde. On n'exigeait que la représentation des sons, en quoi chacun suivait ses connaissances, son instinct. Seuls, les clercs, les lettrés se conformaient à l'orthographe latine dont ils avaient étudié les éléments, tandis que des scribes moins instruits écrivaient suivant leur caprice. C'est pour ce motif que certains manuscrits d'une même époque et dont l'écriture est pourtant bien formée, offrent sous ce rapport une irrégularité qu'on ne saurait autrement expliquer. On en


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trouve un exemple frappant dans le livre dit Des Métiers, d'Etienne Boileau, prévôt des marchands de Paris, écrit de 1260 à 1290. Le mot guet ou surveillance de police que les bourgeois étaient tenus d'exercer plus particulièrement la nuit, est écrit, dans le même manuscrit, tantôt guiet, tantôt gait, ou bien guait ou encore gueit.

D'autres complications résultaient des variations de la langue française dans les différentes provinces où elle était parlée, et empêchaient aussi de parvenir à fixer l'orthographe. Il n'existait, en effet, aucune règle positive de prononciation et la première grammaire française, — il n'y en avait eu, jusqu'à cette époque, que pour le dialecte méridional ou provençal. — fut écrite au XVIe siècle, par un Anglais, John Palsgrave. Cet ouvrage, imprimé à Londres, était destiné à enseigner aux Anglais la langue française, sans la connaissance de laquelle nul ne pouvait être admis, dans la Grande Bretagne, aux fonctions publiques. Palsgrave signale, entre autres observations curieuses, la prononciation bizarre rapportée des premières guerres d'Italie et en usage à la cour des Valois. Il paraît que les habitants de Paris s'appelaient les Pazisiens; on prononçait Mazie au lieu de Marie, etc. Palsgrave conclut en s'opposant à ce que l'orthographe puisse varier avec la prononciation, et insiste au contraire sur l'utilité de garder la véritable manière d'écrire, c'està-dire celle qui, pour chaque mot, est conforme à la tradition et à l'étymologie.

Cette même question agitée plus tard par le chancelier Bacon est résolue dans le même sens par cet illustre écrivain, ainsi qu'il ressort du passage suivant de son Novum Organum : « Faut-il, se demande-t-il, écrire comme on prononce, ou ne vaut-il pas mieux se conformer


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à l'usage? L'écriture, que l'on prétend réformer en suivant la prononciation, est une subtilité, car la prononciation varie à chaque instant et n'a rien de fixe, ce qui a l'inconvénient de faire disparaître entièrement la dérivation des mots, surtout de ceux qui sont tirés des langues étrangères. » N'y aurait-il pas cet autre inconvénient, qui ne tarderait pas à se produire, de voir, dans un même pays, les habitants de régions éloignées finir par ne plus comprendre l'écriture de leurs concitoyens?

Les grammairiens français, venus après l'anglais Palsgrave, n'ont exercé qu'une faible action sur notre langage, et nous devons nous en féliciter, car, tandis qu'un étranger donnait des règles rationnelles, Jacques Pelletier, Louis Maigret, Pierre Ramus, voulaient tout changer et prétendaient, comme ils le disaient, fere qadrer lè lettres è l'ècritur a la prononciacion sans avoer egart ao loès sofistiqes dè derivezons aoqèles se soumetet aocuns dè nostres corne boeufs ao jou. Tout cet échafaudage de mauvais goût s'écroula devant la juste influence de grands écrivains, tels que Henri Estienne, Blaise de Montluc, Marguerite de Valois, Brantôme, Montaigne et Malherbe.

Ces auteurs réagirent en même temps et contre l'italianisme et contre l'hellénisme qui étaient devenus à la mode, le premier, comme nous l'avons déjà vu, à la suite des guerres d'Italie, sous Charles VIII, Louis XII et François Ier; le second presque à la même époque, au moment de la Renaissance, au moment où la connaissance, jusques là incomplète, des écrits qui avaient fait la gloire de la Grèce, se propagea et entraîna des poètes tels que Ronsard à se faire les imitateurs serviles de l'antiquité, et à introduire dans le français une phraséologie archaïque, qui heureusement n'a pas été acceptée, parce qu'elle était contraire


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au génie de notre langue. Ce génie avait été, presque à la même époque, autrement représenté par un autre poète, par Clément Marot, qui s'était inspiré des troubadours et des trouvères ; aussi son nom est resté plus connu et ses oeuvres mieux goûtées que celles de Ronsard.

Il est à remarquer, à ce sujet, qu'en France, tandis que pour les beaux-arts il était fait une saine, une judicieuse application des théories antiques, surtout de l'idée du beau telle qu'elle était conçue à Athènes et plus tard à Rome, il n'en a pas été de même pour l'épuration et la réforme du style ; c'est sans doute parce que le français manquait de la qualité instinctive, innée chez les Grecs et chez les Romains, de revêtir la pensée d'expressions nobles et majestueuses. Notre littérature ne parvint que très tard à acquérir cette qualité, mais aux dépens de son originalité, en s'appropriant, en s'assimilant les chefsd'oeuvre de l'antiquité, dont on peut dire que procèdent et Corneille et Racine.

Une autre influence a apporté, a introduit quelques heureuses modifications dans la langue française : c'est celle du cénacle de l'hôtel de Rambouillet, c'est l'influence des Précieuses, que le cardinal de Richelieu appelait des amazones et auxquelles il voulut opposer l'Académie qui lui doit son institution. La manie de rechercher des expressions élevées, soi disant nobles, mais parfois ampoulées, et de rejeter tout terme bas et trivial, créa le style précieux qui ne fut pas pourtant toujours ridicule, quoi que son exagération lui ait fait appliquer cette épithète malsonnante. Si ce style était, en effet, souvent peu naturel, il avait d'un autre côté le mérite d'être chaste, sévère, et il prescrivit ainsi des limites au jargon des halles, qui avait précédemment tout envahi, et la cour


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et la ville. Les Précieuses provoquèrent une autre réforme utile et logique en proposant de supprimer les lettres qui ne sonnaient pas dans la prononciation de certaiens mots, et d'écrire avocat au lieu d'advocat, jeune au lieu de jeusne, tempête au lieu de tempeste, etc..

Ces suppressions changeaient peu de chose à la physionomie des mots et n'en faisaient pas disparaître l'étymologie ; aussi l'Académie naissante ne tarda pas à adopter et à préconiser une partie des réformes dues à l'initiative des beaux esprits du célèbre hôtel de la famille d'Augennes. D'autres modifications, d'autres réformes ont été successivement introduites, soit dans certaines locutions, soit dans l'orthographe, par nos grands écrivains, notamment au XVIIIe siècle par Voltaire et il serait trop long de les énumérer.

En reportant maintenant nos regards en arrière, en parcourant la longue histoire de la formation, des vicissitudes, des progrès de la langue française, n'en tireronsnous aucun enseignement? Ne respecterons-nous pas ce que nos prédécesseurs nous ont transmis comme un riche héritage, ce que nous devrions religieusement conserver ? Pourquoi, en effet, comme le voudraient certains philologues, même des maîtres des plus autorisés, apporter brusquement des modifications dans l'orthographe, sans que le besoin en soit généralement reconnu? C'est sous le prétexte de rendre plus aisée l'écriture du français, d'en faciliter la connaissance, de la mettre à la portée du plus grand nombre dont l'instruction est naturellement peu développée. N'est-ce pas vouloir favoriser la paresse et faire une concession fâcheuse à l'ignorance ? Est-il bien utile de rétrograder jusqu'à l'orthographe fantaisiste de certains scribes du Moyen-Age, ou de renouveler la tentative 1896 6


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ridicule, mais heureusement infructueuse et avortée des grammairiens du XVIe siècle ? Pourquoi, au lieu de décréter arbitrairement des réformes quelconques, ne pas, comme nos prédécesseurs clans leur sagesse, laisser faire le temps et s'en tenir aux changements qui pourraient être proposés, ou indiqués tout au moins dans leurs ouvrages, par nos meilleurs écrivains? Les modifications qu'ils auront adoptées, non sans motif sans doute, si elles sont reconnues opportunes, entreront insensiblement dans l'usage habituel ; procéder autrement serait aussi inadmissible que désastreux. Encore une fois, laissons aux mots leur physionomie naturelle, connue. Agir avec précipitation, avec irréflexion, serait jeter dans les esprits une confusion regrettable et, en réalité, sans aucun profit, sans aucun avantage appréciable.

N'oublions pas, d'ailleurs, que, tout comme à d'autres époques, ce n'est pas le seul danger qui menace notre langue. De même que nous avons aujourd'hui des impressionnistes en peinture, nous avons en littérature des décadens qui, s'ils devaient jamais réussir, toucheraient outrageusement au dépôt que nous ont laissé les siècles précédents, que nous ont légué nos auteurs les plus populaires et dont le mérite est le moins contesté. Faudrait-il, non seulement bouleverser l'orthographe, mais aussi dénaturer notre vieille langue, « si ennemie des équivoques et de toute sorte d'obscurité, comme il est dit si bien dans un récent écrit de M. Michel Bréal, de notre langue si propre pour toute sorte de style, si judicieuse en ses figures, et qui, tout en aimant plus que toute autre l'élégance, craint surtout l'affectation? » Ce serait bien la décadence ainsi que l'ont rêvée ceux qui se sont si bizarrement rangés sous la bannière de l'incohérence,


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pour employer encore un vocable à la mode mais sur lequel on pourrait discuter indéfiniment sans le comprendre et sans être plus avancé. Aussi, est-ce contre cette double tendance que devraient lutter et lutter incessament tous ceux qui, comme vous, Messieurs, ont un véritable souci, un véritable culte des saines traditions. Mais est-il besoin d'insister auprès de votre Compagnie pour lui recommander ce qu'elle a toujours pratiqué et avec tant de sagesse et tant d'autorité? Vous comptez, d'ailleurs, parmi vous des maîtres et nous n'avons qu'à nous incliner devant eux et à suivre leur exemple.

Sans doute, aucune langue n'est jamais fixée pour toujours ; une langue est vivante comme le peuple qui la parle, et elle doit, en conséquence, se plier aux nouveaux usages, aux nouveaux besoins qui se manifestent ; elle doit pouvoir reproduire les idées nouvelles, mais, comme le fait remarquer un philologue éminent, M. Wey, « les éléments nouveaux doivent s'ajouter aux principes fondamentaux de l'ancien langage sans le modifier. Ces superfétations doivent se grouper autour de l'ancien idiôme, mais sans l'étouffer. »

Rappelerons-nous, en terminant et à l'appui des observations que nous venons de vous soumettre, que, dans une récente et mémorable discussion qui a eu lieu à l'Alliance française, la réforme orthographique a été combattue et formellement écartée par les membres de cette Association d'un esprit essentiellement pratique? De toutes les orthographes, ont-ils dit, la plus compliquée est l'orthographe anglaise, et cependant nous trouvons les Anglais établis sur tous les points du globe. Leur langue y est partout parlée et plus de deux cents millions d'hommes l'ont successivement apprise.


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Respectons donc, et dans sa contexture grammaticale et dans sa représentation écrite, le merveilleux instrument que nos grands écrivains ont, les uns après les autres, amené à sa perfection. N'oublions pas surtout que, même à la suite de nos malheurs, lorsque notre gloire semblait éclipsée, notre langue n'a jamais cessé de contribuer, et dans la plus large mesure, à maintenir, à étendre notre influence, notre suprématie intellectuelle, non seulement chez nos voisins, mais dans le monde entier. Pourquoi toucher, répéterons-nous encore, à ce qui est apprécié, admiré même, partout et par tous?


UN

ANCIEN DRAME SÉMITIQUE

LECTURE Faite à l'Académie dans la séance de juin 1866

PAR

M. Charles BRUSTON

Doyen de la Faculté de théologie de Montauban

MEMBRE RÉSIDANT

MESSIEURS,

C'est au génie grec qu'on a de tout temps attribué la gloire de l'invention de l'art dramatique. Je ne viens pas m'inscrire en faux contre cette opinion ; je ferai observer seulement que la même invention peut être faite simultanément par plusieurs personnes, ou au sein de plusieurs nations, sans aucun rapport les unes avec les autres.

Homère a été considéré longtemps comme le premier en date des poètes épiques. Cependant, le sol de l'Assyrie nous a livré récemment les débris d'un poème épique, certainement antérieur à l'époque d'Homère, qui raconte les aventures d'un héros nommé, dit-on, Ghilgamès, et qu'on pourrait donc appeler la Ghilgaméide.


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N'en serait-il pas de la poésie dramatique à peu près comme de la poésie épique? N'aurait-elle pas été cultivée, et cultivée avec succès, en Orient, en même temps, peutêtre même avant, que dans la Grèce? Telle est la question sur laquelle je désire vous présenter quelques observations.

I

Le fait est que la Bible renferme un poème dont le caractère dramatique, déjà reconnu par Origène, n'est pas sérieusement contestable. La plupart des commentateurs le reconnaissent aujourd'hui, et l'opinion contraire vient se briser contre les nombreux passages qui expriment clairement une question et une réponse.

Ce qui est plus curieux encore, c'est que ce drame se divise facilement en cinq actes très distincts, dont trois, les deux premiers et le quatrième, ont la même conclusion :

Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs : N'éveillez pas, n'excitez pas l'amour jusqu'à ce qu'il désire,

et dont les deux autres ont le même début : Qui est celle-ci qui monte du désert !

Le sujet et le but de ce drame ne sont pas moins remarquables que sa forme. Ce n'est ni une tragédie ni une comédie; il faut le ranger plutôt clans un genre intermédiaire, à la foi sérieux et gai.

De tous les nombreux commentateurs qui ont essayé de


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l'expliquer, c'est incontestablement le célèbre orientaliste H. Ewald qui y a le mieux réussi. D'après lui, une belle jeune fille du village de Sulem a été, malgré elle, cédée par ses frères à Salomon, qui l'a amenée à Jérusalem dans son palais. Au premier acte, le roi essaie d'inspirer de l'amour à la Sulammite. qui repousse sans hésitation ses avances. Alors, désespérant de parvenir autrement à ses fins, il se résout à l'élever à la dignité de reine favorite et fait tout préparer pour son mariage avec elle. — Le troisième acte décrit, en effet, un mariage de Salomon ; et il semble bien qu'il s'agit d'un mariage réel, puisque la nouvelle épouse répond à l'époux, à Salomon, qui vient de la comparer à un jardin et de l'appeler même « mon jardin : »

Que mon bien-aimé vienne à son jardin,

Et qu'il en mange les fruits délicieux. (IV, 16.)

Telle n'est pourtant pas la pensée d'Ewald. D'après lui, la Sulammite refuse l'honneur que le roi veut lui faire, résiste à toutes ses tentatives et obtient enfin par sa fermeté, par son attachement invincible au berger qu'elle aime, d'être rendue à la liberté.

On la voit, en conséquence, au dernier acte, revenir dans son village, appuyée au bras de celui qu'elle aime et à qui elle sera bientôt définitivement unie.

Cette interprétation est certainement la meilleure de toutes celles qui ont été proposées, et elle renferme de nombreux éléments de vérité. Mais, nous venons de le dire, elle se heurte à une grave difficulté. Elle suppose que le mariage du troisième acte est un mariage fictif, tandis que, d'après la fin de l'acte, c'est manifestement un mariage réel. Ewald se débat en vain contre cette diffi-


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La difficulté est-elle donc insurmontable ? Je ne le pense pas. Qu'est-ce qui force à identifier l'épouse du troisième acte avec la Sulammite? Absolument rien. Non seulement rien ne force à identifier ces deux personnages, mais plusieurs détails du texte nous obligent au contraire à les distinguer.

Ainsi, Salomon appelle sa nouvelle épouse « ma soeur. » Est-il bien vraisemblable qu'il ait appelé ainsi une fille des champs brûlée par le soleil et dont les frères étaient ses vignerons ?

Au reste, il dit lui-même fort clairement d'où elle vient : elle ne vient pas de Sulem, située au centre de la Palestine, mais du Liban et des montagnes voisines :

Avec moi du Liban, épouse,

avec moi du Liban tu viens :

Tu t'avances loin du sommet de l'Amana,

du sommet du Senir et de l'Hermon,

Des repaires des lionnes,

des monts des léopards. (IV, 8.)

On comprend maintenant la raison de la nombreuse escorte qui l'accompagne : dans cette région montagneuse, infestée de bêtes féroces, soixante guerriers l'épée au flanc n'étaient pas trop pour protéger un si précieux trésor.

Voilà vingt ans que, appuyé sur ces considérations et sur quelques autres du même genre 1, j'enseigne aux élèves de la Faculté de théologie que le troisième acte du Cantique des cantiques représente le mariage de Salomon, non

1 V. La Sulammite, poème dramatique en cinq actes, 3e édit., 1894.


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avec la Sulammite, mais avec une princesse étrangère, probablement phénicienne, celle-là même à qui l'auteur du Psaume XLV s'adressait en ces termes :

Ecoute, jeune fille.. . :

Oublie ton peuple et la maison de ton père... ;

Et, fille de Tyr, avec un présent

les riches du peuple te rendront hommage.

Quelques auteurs anciens paraissent avoir eu déjà cette idée, car on lit dans le commentaire de dom Calmet : « Quelques-uns ont prétendu que c'était une fille de Tyr dont Salomon chante ici l'épithalame... Il invite ici l'épouse à venir du Liban... (IV, 8.) Le psalmiste dit que les filles (?) de Tyr étaient de la noce de Salomon et qu'elles (?) offrirent des présents à l'épouse. (Ps. XLIV, 13.) Tout cela pourrait faire croire, ajoute dom Calmet, qu'elle était tyrienne. » Qui sont ces quelques-uns qui ont soutenu que l'épouse du Cantique était une fille de Tyr? Je serais charmé de l'apprendre, car je crois qu'ils avaient raison, du moins en ce qui concerne le troisième acte.

On nous a objecté qu'il n'était pas naturel qu'au moment où il cherchait à inspirer de l'amour à la jeune Sulammite, Salomon eût conclu un nouveau mariage politique.

Ceux qui ont formulé cette objection jugent sans doute dos sentiments de Salomon d'après les leurs, et je suis tout prêt à reconnaître que de nos jours, suivant toute vraisemblance, aucun roi ou empereur d'Occident n'agirait ainsi. Mais un roi d'Orient, qui possédait déjà à ce moment soixante reines, c'est-à-dire soixante femmes légitimes, et quatre-vingts concubines, sans compter des jeunes femmes sans nombre (VI, 8), n'était probablement pas arrêté par les mêmes scrupules; en tout cas, le poète


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ne l'a pas pensé ; et, tant qu'une objection plus sérieuse n'aura pas été formulée contre notre opinion, nous nous croirons autorisé à affirmer que le troisième acte ne décrit pas le mariage de Salomon avec la Sulammite, mais avec une princesse étrangère.

II

La marche du drame est alors d'une admirable simplicité.

Au premier acte, les femmes de Salomon lui témoignent leur amour et se déclarent prêtes à obéir avec empressement à tous ses désirs. La jeune fille, les entendant parler ainsi, comprend bientôt le danger qu'elle court. Alors, pour s'y soustraire, elle déprécie elle-même sa beauté et déclare qu'elle aime un berger de son pays. (I, 5-7.) Les femmes du harem se moquent de sa simplicité (v. 8). Salomon lui-même lui adresse un compliment banal (v. 9 et 10) et se retire un moment. Pendant son absence, ses femmes offrent à la jeune Israélite de lui faire un collier en or (v. 11 et 12a) : elle ne répond rien. On la parfume de nard, on met sur son sein un sachet de myrrhe, à son corsage une fleur de cypre : elle laisse faire, mais en déclarant que celui qu'elle aime lui tient lieu de tout cela. (12h-14.) — Salomon revient et lui répète qu'elle est belle (v. 15) ; ses femmes essaient de lui faire sentir le prix de tout ce qu'elle refuse en refusant l'amour du roi. (16h et 17.) Tout est inutile : c'est son bien-aimé seul qu'elle désire ; elle le compare à un arbre fruitier à l'ombre duquel elle aime à s'asseoir et dont le fruit est doux à son palais ; au lieu de la salle du festin royal, où


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l'on se trouve, qu'on la mène 1 plutôt à cette salle de festin 2 ! Au lieu des gâteaux et des fruits de la table royale, qu'on lui donne plutôt, pour la ranimer, ces gâteaux et ces fruits, car elle est « malade d'amour, » c'est à-dire triste, jusqu'à en être malade, d'être ainsi séparée de celui qu'elle aime. (II, 1-5.)

C'est sa main gauche qui enveloppera3 ma tête, [s'écrie-t-elle], et sa droite qui m'embrassera ! (v. 6)

c'est-à-dire : lui seul sera mon époux, — et aucun autre, par conséquent pas Salomon. Et elle termine en conjurant les filles de Jérusalem, c'est-à-dire les femmes du harem, « par les gazelles ou par les biches des champs, » c'està-dire par les plus gracieuses et les plus nobles, mais aussi les plus fières, les plus timides, les plus réservées et, s'il est permis de s'exprimer ainsi, les plus chastes des femelles d'animaux, de « ne pas éveiller, de ne pas exciter l'amour » d'une manière factice, soit en elles-mêmes, soit dans le coeur des hommes, comme elles le faisaient au début de l'acte en s'adressant à Salomon, —

jusqu'à ce qu'il désire (v. 7), — non « jusqu'à ce qu'il [le] désire, » comme s'il pouvait

1 Avec les LXX, nous lisons ; ij^3n et Y°)%1 et nous traduisons :

Menez-moi à cette salle de festin, et signalez (ainsi) envers moi l'amour (ou l'amitié),

c'est-à-dire, c'est ainsi que vous me témoignerez une amitié signalée, — et non en me faisant des compliments.

2 Une « maison de vin » est une maison ou une salle de festin. Cf. Esther, VII, 8. — Nous donnons à l'article le sens démonstratif, qu'il a dans VIII, 5, 11, 13 et ailleurs.

3 Je lis : vnnn parce que T\T]Pi n'est jamais suivi de ^ et parce que le vers parallèle exige un futur, — non on présent ni un optatif.


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venir un moment dans la vie, — surtout dans la vie d'une femme ! — où il fût permis d'éveiller, d'exciter ainsi l'amour (!), — mais « jusqu'à ce qu'il désire, » c'est-àdire jusqu'à ce que ou au point que, étant ainsi excité, il désire (au sens absolu) ou éprouve des désirs voluptueux.

L'intention morale du poète commence à se. dessiner ici nettement dans cette exhortation à la chasteté, qui se retrouve à la fin du deuxième et du quatrième actes, exhortation destinée sans doute spécialement aux femmes, puisque la pure et chaste jeune fille l'adresse aux femmes du harem royal, mais dont Salomon, qui est présent, c'est-à-dire les hommes, peuvent aussi faire leur profit.

Ce premier acte représente donc une première tentative de Salomon auprès de la jeune Israélite, tentative énergiquement repoussée par elle et qui demeure sans résultat. — Il renferme quelques difficultés de détail, dont je ne puis donner ici l'explication, mais qui ne sauraient obscurcir l'idée générale, — qui est très claire.

Le deuxième acte (II, 8 — III, 5) se compose d'un double récit de la jeune fille, qui a pour but de montrer toute la profondeur et la pureté de l'amour dont elle est l'objet de la part du berger et de celui qu'elle éprouve ellemême pour lui.

Le troisième décrit, comme nous l'avons montré, le mariage de Salomon avec une nouvelle princesse, qu'il n'a jamais vue et à laquelle il n'en adresse pas moins les louanges les plus hyperboliques. Le poète oppose ainsi au tableau touchant d'un pur amour celui d'un amour factice et sensuel, (III, 6 — V, 1.)

A la suite d'une telle description, les tentatives de Salomon auprès de la jeune Israélite, si elles se reproduisent, paraîtront doublement odieuses.


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Or, elles se reproduisent : le quatrième acte (V, 2 — VIII, 4) représente un second et suprême effort de Salomon pour triompher de la résistance de sa belle prisonnière. Au moment où elle vient de raconter à ses compagnes un rêve qu'elle a fait la nuit précédente et qui montre toute la profondeur de son amour pour le jeune berger dont elle est séparée, le roi paraît et lui répète de fades compliments, les mêmes, en grande partie, que ceux qu'il adressait naguère à sa nouvelle épouse ! (VI, 4 et suiv.) Mais la fière et courageuse jeune fille le regarde d'un air indigné, qui le déconcerte. (Cf. v. 4 et 5.) Reprenant pourtant un peu d'assurance, il la proclame supérieure de beaucoup aux soixante reines, aux quatre-vingts concubines et aux jeunes femmes sans nombre qui sont dans son palais, et cela de leur propre aveu (v. 8-10). Elle répond modestement que quand elle fut vue ainsi et admirée, elle était simplement descendue au verger, pour voir où en était la végétation printanière, sans s'apercevoir qu'elle s'approchait d'une famille de prince (v. 11 et 12); et elle fait quelques pas pour s'en aller. Les femmes de Salomon la rappellent (VII, 1a) :

Reviens, reviens, la Sulammite! reviens, reviens, que nous te regardions. — Pourquoi regarderiez-vous la Sulammite comme la danse de Makhanaïm ? (v. 1 h)

c'est-à-dire probablement : comme un objet curieux, — leur dit-elle en se retournant. Là-dessus, le roi voluptueux se met à énumérer tous les charmes de la jeune fille et à exprimer très clairement, — trop clairement! — ses intentions (v. 2-10); mais celle-ci lui coupe la parole (v. 103), déclare qu'elle appartient à celui qui l'aime, s'adresse à


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lui, quoïqu'absent, dans les termes de la plus vive et de la plus pure affection, déclare encore, comme à la fin du premier acte, que lui seul sera son époux et adresse une dernière fois aux femmes du harem la même exhortation à la réserve et à la chasteté (v. 11 — VIII, 4).

Après un tel refus, Salomon n'a plus qu'à envoyer la jeune fille à la mort ou à la remettre en liberté ; mais quoi qu'il fasse, il est vaincu et elle triomphe. Heureusement pour elle, Salomon, qui était un roi voluptueux, n'était pas un tyran sombre et farouche. Nous la voyons en conséquence, au cinquième et dernier acte, revenir à la maison paternelle, appuyée sur le bras de celui qu'elle aime, et dont elle ne veut plus être séparée. (VIII, 5 et 6a.)

Et l'un des assistants exprime en ces termes la moralité de la pièce :

C'est qu'un amour est aussi fort que la mort,

une affection est aussi résistante que le Sheôl

Ses ardeurs sont des ardeurs de feu,

une flamme de l'Eternel.

De grandes eaux ne pourraient éteindre cet amour,

et des fleuves ne l'engloutiraient pas.

Si un homme donnait toute la richesse de sa maison

on se moquerait de lui !... (6|3-7.) [pour cet amour,

Les deux derniers de ces quatre distiques sont très clairs, et l'on aperçoit facilement le rapport de la double idée qu'ils expriment avec le sujet du poème. Rien, en effet, n'a pu éteindre l'amour des deux jeunes gens l'un pour l'autre : ni le rude accueil des frères de la Sulammite (II, 15), ni l'absence n'ont éteint celui du jeune homme ; ni l'opposition de ses frères, ni la séparation, ni un séjour prolongé dans le palais royal n'ont éteint celui de la jeune


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fille. — Elle, a résisté aussi à toutes les sollicitations, à toutes les offres de Salomon : il aurait pu offrir toutes les richesses de son palais, il n'en aurait pas moins été repoussé avec mépris. C'est l'une des nombreuses preuves, et non la moins frappante, de l'indissoluble unité du poème.

Mais si ces deux distiques sont aisés à comprendre, il n'en est pas de même des deux premiers. Que signifient exactement ces paroles :

Un amour est aussi fort que la mort,

une affection est aussi résistante que le Sheôl ? etc..

La plupart des interprètes pensent qu'ils ont pour but d'exprimer la violence irrésistible avec laquelle l'amour s'empare d'un coeur, et la ténacité avec laquelle il le garde une fois qu'il s'en est emparé. Cela voudrait dire qu'il est aussi impossible de résister à l'amour qu'à la mort, quand l'heure a sonné, et aussi impossible de lui échapper que de sortir du séjour des morts, quand on y est descendu.

A quoi l'on peut objecter d'abord que cela n'est pas vrai : on peut résister à ce qu'on a nommé le coup de foudre, et il est des cas où on le doit; l'opinion contraire est une idée païenne, indigne de l'antiquité hébraïque et du beau poème destiné à glorifier l'amour vrai et fidèle.

On peut objecter aussi à cette interprétation qu'il est invraisemblable au suprême degré que la force d'un tel amour ait été comparée à celle de la mort et du Sheôl. Ce sont les effets de l'amour impur qui sont comparés ailleurs 1, et à bon droit, à ceux de ces puissances funestes ; mais

1 Prov., II, 8.


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l'amour, tel que Dieu l'a voulu, ne saurait à aucun degré ni dans aucun sens leur être assimilé.

Il faut objecter enfin à cette interprétation qu'il n'y a aucun rapport entre une telle idée et l'ensemble du poème : nulle part on ne voit que l'amour de la Sulammite et du jeune berger ait eu une telle origine ou un tel caractère. Or, ce rapport étant manifeste pour les deux derniers distiques, il serait bien étonnant qu'il n'existât pas aussi pour les deux premiers.

L'amour est aussi fort que la mort

signifie, à mon avis, que l'amour, un amour vrai, résiste à tout, même à la mort, — non dans ce sens qu'il survit à la mort : c'est là une idée moderne, que nous n'avons pas le droit d'introduire dans cet antique poème et qui n'aurait pas plus de rapport que l'interprétation ordinaire avec l'ensemble de l'oeuvre; — mais dans ce sens qu'il brave la mort, qu'il n'est pas vaincu par la crainte de la mort, qu'il résiste même à un péril ou à des menaces de mort.

N'est-ce pas là, en effet, ce que montre l'exemple de la Sulammite? Enfermée dans le palais d'un roi absolu et qui pouvait faire d'elle ce qu'il voulait, elle n'a pas craint de résister à toutes ses instances, au péril de sa vie. Pour demeurer fidèle à celui qu'elle aimait, elle a bravé, regardé avec indignation le monarque qui, d'un mot, pouvait l'envoyer à la mort, la faire descendre au Sheôl. Son amour a donc été aussi fort que la mort; il a résisté au Sheôl, c'est-à-dire à la crainte du Sheôl. La mort et le Sheôl n'ont pu éteindre, cette flamme divine; des fleuves débordés ne l'éteindraient pas. On voit que les deux pre-


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miers distiques, ainsi compris, se rattachent intimement au troisième et ont essentiellement le même sens.

Voilà ce que doit être l'amour; voilà ce qu'est l'amour vrai : il résiste à tout, même à la mort; il est fidèle jusqu'à s'exposer à la mort plutôt que de renoncer à son objet. — Et de même, on pourrait lui offrir tous les trésors du monde, il les refuserait avec dédain : l'amour vrai ne se vend ni ne s'achète, il se donne à un amour égal. — En deux mots, il ne cède ni à la crainte ni à l'intérêt. C'est ce qu'a montré clairement l'exemple de la jeune Israélite. Un amour qui se laisse vaincre par la crainte ou par l'intérêt n'est pas digne de ce nom.

Et c'est le livre qui exprime une aussi haute notion de l'amour qu'on a pendant des siècles accusé d'immoralité ! C'est lui dont les Juifs et les Chrétiens ont rougi et dont ils n'ont cru pouvoir maintenir le caractère sacré qu'en recourant à l'interprétation allégorique!... — Nous ne craignons pas de l'affirmer, la moralité de ce drame est élevée désormais au-dessus de tout soupçon.

Cette magnifique conclusion morale du drame n'en forme pas cependant la conclusion réelle. La jeune fille a un compte à régler avec ses frères, — avec ses frères, qui lui avaient fait un crime d'avoir dit un jour à celui qu'elle aimait :

Fais-moi connaître, ô toi qu'aime mon àme,

où tu pais ton troupeau,

où tu le fais reposer au milieu du jour;

Car pourquoi resemblerais-je à une effrontée (?)

près des troupeaux de tes compagnons ? (I, 7)

— qui, irrités contre elle à cause de cette légèreté supposée,

l'avaient mise à garder les vignes (avec eux, cf. VIII, 11

1890 7


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et 12), prétendant que, en tenant un tel langage, elle n'avait pas gardé sa propre vigne (I, 6), c'est-à-dire qu'elle avait manqué de la réserve et de la retenue qui conviennent à une jeune fille, — qui, en conséquence, quelques jours après, quand le berger était venu savoir ce que devenait sa belle, — qu'il n'avait pas vue paraître au pâturage avec son troupeau de chevrettes (cf. I, 8), — l'avaient rudement éconduit, en criant à leurs voisins :

Prenez-nous les renards,

les petits renards,

Qui ravagent les vignes,

et nos vignes sont en fleuri (II, 15)

et qui, peu après, avaient eux-mêmes livré leur soeur à Salomon en échange du vignoble royal dont ils étaient les gardiens! (Cf. VIII, 11.) La Sulammite se présente donc à l'improviste devant eux, leur déclare qu'elle a résisté victorieusement à toutes les entreprises de Salomon et qu'elle rompt le marché odieux qu'ils avaient conclu. (VIII, 8-14.)

La voilà donc justifiée aux yeux de ses frères: ils l'avaient crue légère ou du moins imprudente, pour une parole innocente, prononcée dans la naïveté d'un coeur qui ne connaissait point le mal ; ils sont obligés maintenant de reconnaître à quel point ils l'avaient mal jugée : elle a montré dans les circonstances les plus critiques qu'elle connaissait ses devoirs et ne manquait ni de sagesse ni de courage. Elle n'est pas une porte facile à ouvrir, comme ils le craignaient sans raison, mais un mur, un rempart inexpugnable. (Cf. VIII, 9 et 10.)

Ainsi compris, ce drame ne manque pas plus d'unité et de grandeur morale que de beauté poétique. Il ne viendra


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sans cloute à la pensée de personne de supposer qu'il soit une imitation des poèmes dramatiques grecs. D'abord, il est vraisemblablement antérieur à l'époque des grands poètes tragiques et comiques de la Grèce; mais, fût-il plus récent que nous ne le pensons, ni le genre ni le style ni le sujet ni le but poursuivi ne permettent de le considérer comme une oeuvre d'imitation.

La conclusion s'impose donc : les Hébreux (et peut-être aussi d'autres peuples sémitiques) ont connu et pratiqué avec succès l'art dramatique, longtemps avant les Grecs ; et ils s'en sont servis, du moins dans l'unique spécimen parvenu jusqu'à nous, pour exprimer les plus hautes et les plus pures idées sur l'amour et le mariage.



APERÇU

DE

LEGISLATION MODERNE

PAR

M. GOUL.ARD

Juge suppléant au Tribunal civil

MEMBRE RÉSIDANT

Un brave représentant de l'autorité, et non des moindres, — il portait la légendaire sardine blanche, — appelé tout récemment à parler, devant le tribunal correctionnel, de la disposition légale qui défend de troubler l'eau pour s'y livrer à la pêche, expliquait, d'une voix sonore, qu'à ses yeux elle équivalait à l'interdiction de pêcher dans toute eau trouble, quelle que fût la cause de son défaut de limpidité. Cette proposition, plutôt téméraire, énoncée avec l'assurance propre aux âmes sereines, provoqua clans l'auditoire un mouvement prolongé. Les pêcheurs surtout, gens paisibles d'habitude, mais non moins avides des émotions de l'audience, ne purent dissimuler une réelle stupeur. Car le moyen, je le demande, de dresser avec certitude la gamme des couleurs, en cette matière par-


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ticulièrement fugitive? Pour moi, qu'un destin rigoureux n'a pas initié aux mystères de ce sport entraînant, le coup fut moins rude; mais il suffit à attirer mon attention sur l'abîme qui divise la théorie pure de la réalité. Eh quoi ! celui-là même ignore la loi — et quelle loi ! — qui a mission de l'appliquer ! Ex uno disce omnes. Que sont donc les autres? Et que vaut la règle qui a inscrit au frontispice de nos codes le principe de la connaissance de la loi par tous les citoyens?

Simple présomption, entends-je dire, impérieusement commandée par l'intérêt social. Sans doute, et me voilà prêt à faire la part des choses. Je consens que les moyens de divulgation sont insuffisants. Le Journal officiel? Un mythe. Les affiches administratives? Hélas! pâlissantes, chétives, au milieu de leurs soeurs industrielles ou commerciales, aux robes polychromes, véritables chefs-d'oeuvre d'art et de réclame, peuvent-elles lutter avec avantage, et ne sont-elles pas condamnées à disparaître avant d'avoir vécu, ensevelies, noyées sous le flot chatoyant? Les organes de la presse? Mais qui de nous, dans cette quotidienne pâture, sentant sa curiosité de tous côtés aiguisée par des événements aussi inattendus que sensationnels, qui de nous, dis-je, s'attarde à la publicité légale, obstacle importun, hâtivement franchi pour voler en troisième page aux dépêches de dernière heure?

Tout cela est imparfait, d'accord, et je me prends à regretter qu'il n'en aille pas chez nous comme en Chine, où des fonctionnaires ont pour tâche spéciale de préparer le peuple à la connaissance de ses lois. Cette imperfection pourtant ne saurait, à elle seule, expliquer leur peu de diffusion dans notre pays. La raison, la vraie, à mon avis, tient à l'opinion communément admise que leur


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étude est aride entre toutes, conjecturale et de nature à séduire les seuls professionnels, mandarins à globule rouge, assez audacieux pour en considérer sans effroi les insondables profondeurs.

Cette réputation n'est pas, en apparence, sans quelque fondement. Les indéniables difficultés de pratique, les dissentions d'écoles, la glose et les gloseurs, suivant le mot de Dupin, ne sont pas assurément pour donner à leur initiation un attrait particulier. Mais, en bonne foi, me peut-on citer une connaissance humaine dont les débuts soient exempts d'amertume? Et faudrait-il renoncer à marcher, de ce que les premiers pas sont malhabiles et chancelants?

Certes, je n'entends pas refaire, en ce grave sujet, la scène classique du Bourgeois Gentilhomme. Je n'ai garde de soutenir, — il m'en pourrait coûter, comme au maître de philosophie, — la préexcellence sur toutes les autres de la science des lois. Mais il me sera loisible, j'espère, de faire valoir deux aspects par où elle se peut recommander à l'attention générale. L'un, d'ordre purement privé, tenant au soin des intérêts matériels qu'à toute minute la loi met en jeu dans son expression concrète. L'autre, spéculatif, dédié aux amoureux de l'abstraction, aux contempteurs de la guenille. Par delà la formule, au-dessus de l'application, plane l'essence, l'esprit de la loi. Ici, la zone est vaste assez pour que chacun y trouve matière à curieuses et fécondes observations.

Les lois, en effet, expriment avec une parfaite fidélité les coutumes, les moeurs, Montesquieu dit même le climat et le terrain du pays où elles prennent jour. Elles se moulent sur lui, changeant avec ses évolutions, se modifiant selon ses besoins. Elles en sont le reflet, tranchons


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le mot, puisqu'aussi bien la chose est à la mode, la photographie. A ce titre, elles intéressent à un égal degré le juriste et l'historien, le philosophe et l'économiste.

La preuve en est aisée. Elle s'évince, lumineuse, de l'examen des transformations subies par notre législation au cours de ce dernier quart de siècle.

Par une antithèse digne de remarque, au milieu des soucis toujours plus graves, des luttes sans cesse plus âpres de l'existence, la génération nouvelle, comme soudainement touchée de la grâce, s'est éprise d'un idéal d'égalité et de justice. Protection des faibles, assistance aux petits et aux déshérités, réparation des iniquités et des abus, régénération de l'homme et de la nation, tel est le rêve dont elle se grise éperdue, enfiévrée, au point d'oublier parfois la saine limite qui sépare le monde des choses du monde des idées. Le législateur s'en inspire. Et comme les formules passées sont impuissantes à le réaliser, il les sape sans merci. L'oeuvre napoléonienne, palladium jusqu'alors inviolable, chancelle à ses assauts répétés. La nouvelle va traduire sa préoccupation. Sous ses formes diverses, qu'il s'agisse d'individus ou de collectivités, se retrouve, ainsi qu'un leit-motive préféré, la pensée maîtresse d'où elle procède.

Suivons-la rapidement dans les solutions qu'elle a données aux principaux de ces problèmes.

Le mineur y devait naturellement tenir la première place. Mal défendu par les lois antérieures, il se voyait souvent dans des mains sans scrupule, victime de la plus odieuse des spéculations, celle de l'enfance. Sa fortune presque entière, sa personne étaient à la discrétion d'un tuteur négligent, infidèle ou rapace. Il était temps d'y mettre ordre et d'organiser autour de lui un système


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complet et efficace de protection. Une première loi du

23 décembre 1873 place la vie et la santé des enfants en bas âge, et en particulier des nourrissons, sous la surveillance directe et permanente de l'autorité publique. Après elle, les lois des 19 mai et 7 décembre 1874 et 2 novembre 1892 réglementent la condition des jeunes travailleurs de l'industrie. Elles édictent la défense absolue de travailler au-dessous de douze ans, prohibent le travail de nuit, limitent les heures du travail de jour et prescrivent le repos hebdomadaire. Interdiction est faite, en outre, d'exiger des enfants âgés de moins de seize ans employés dans les professions ambulantes aucun exercice dangereux. La violation de ces diverses injonctions est sévèrement réprimée par des peines pécuniaires et même corporelles.

Mais ce n'est pas encore assez, car, assurée dans ce que j'appellerai sa vie extérieure, la situation de l'enfant est toujours incertaine dans ses rapports avec sa famille même. Or, il y trouve parfois, avec les plus mauvais traitements, de déplorables exemples qui risquent de compromettre à tout jamais sa moralité. Le législateur en est justement indigné. Il répète la belle maxime de Juvénal :

Maxima debetur puero reverentia, si quid Turpe paras ne tu pueri contempseris annos.

Et c'est par un acte de vigueur qu'il rappelle au devoir ceux qui y ont si gravement manqué. Par la loi du

24 juillet 1889, il confère aux tribunaux le pouvoir de prononcer, suivant les cas, contre les ascendants coupables, la déchéance de la puissance paternelle; il organise de toutes pièces la tutelle qui résulte de cette pénalité.


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Entre temps, la loi du 27 janvier 1880 a prescrit l'enseignement de la gymnastique, tandis que celle du 28 mars 1882 a posé le grand principe de l'instruction primaire obligatoire, à laquelle rien, pas même l'instruction professionnelle, ne peut faire échec.

Enfin, rétablissant la parité de garanties entre les biens immobiliers du mineur ou de l'interdit et sa fortune mobilière jusque là négligée, comme si elle portait encore le poids de la défaveur antique, la loi du 27 février 1880 entoure son aliénation de formalités étroites et impose au tuteur l'obligation expresse de l'emploi.

Du mineur à la femme, il n'y a qu'un pas. Comme lui, elle compte au nombre des incapables; comme lui, elle est présumée hors d'état de prendre part, avec ses seules forces, aux batailles de la vie. Théorie discutable, à mon sens, dont la meilleure recommandation est peut-être d'avoir traversé les siècles sous le couvert de l'estampille romaine, et que je demande la permission de ne point partager. Loin, de moi la pensée de rééditer les appréciations dont la femme a, de tout temps, fait les frais. De même que les variations d'Ésope sur la langue, il y en a pour tous les goûts, depuis l'opinion du grand Salomon, qui la trouve plus amère que la mort, jusqu'à celle moins tragique du Roi-Chevalier, qui ne voit en elle qu'une plume au gré du vent. Mais la majorité est plutôt sévère, si souvent spirituelle. Frivolité, coquetterie, inconséquence, duplicité, inaptitude au bien et à toute tâche utile, tels seraient ses moindres défauts. En vérité, voilà de bien gros mots! si gros que je les soupçonne fort, entre nous, de ne dire, comme en politique, autre chose qu'une simple divergence de vues. Et vous qui les prononcez, ô bons besaciers, mes frères, pensez-vous qu'il


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serait malaisé de rencontrer, sur la plupart de ces points,

Bon nombre d'hommes qui sont femmes?

Vous sentez-vous assez d'indépendance pour juger sans passion un procès qui, au demeurant, est le vôtre? Je n'y ajoute, quant à moi, qu'une médiocre confiance, et j'imagine que si la femme savait peindre, elle aurait tôt fait d'apporter à ce tableau des retouches peu flatteuses pour votre amour-propre d'auteurs. En attendant ce moment, qui est proche, soyons justes. A côté de la faiblesse physique, reconnaissons à la femme une remarquable puissance d'assimilation, une incomparable souplesse d'esprit, une profonde pénétration, une immuable ténacité dans ses résolutions. Avec ce bagage, l'être, quel qu'il soit, n'est pas en état d'infériorité, parce qu'en dépit de sa souveraineté apparente, l'ultima ratio finit toujours par céder à la force morale. Et la femme le fait bien voir en s'élevant, quand il convient, à la hauteur des circonstances, en sachant, mieux que l'homme, faire tête à la mauvaise fortune. A celui-ci j'accorde la suprématie dans le mariage, parce que je considère l'union conjugale comme une société de vies et d'intérêts, à la prospérité de laquelle il importe d'avoir une direction et une responsabilité uniques. Mais, cette réserve faite, je trouve bon que la femme ait sa part d'activité. Lui donner, dans une sage limite, cette émancipation qu'elle réclame par la bouche de ses ardentes protagonistes, me semble la réparation d'une injustice trop longtemps prolongée. L'essentiel est de ne pas obéir plus que de raison au vent de fronde qui souffle aussi de ce côté. Il y a si loin des paisibles conceptions de Chrysale à l'évangile selon


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Mlle Hubertine Auclerc ! Question de mesure ; rien de plus.

Ainsi l'a compris le législateur. Après avoir sacrifié à la faiblesse, en lui rendant applicables les dispositions de la loi sur le travail du 2 novembre 1892, dont j'ai parlé plus haut, il fait la part de l'émancipation avec la loi du 6 février 1893. Même après la séparation de corps, la communauté d'existences rompue, l'association conjugale dissoute, la femme demeurait tributaire du mari pour tous les actes de disposition de ses biens. Il y avait là une intolérable sujétion. C'était vraie, vécue, la situation spirituellement décrite en quelques coups de crayon par un de nos maîtres caricaturistes, et qui me revient à la mémoire. Deux époux, la séparation prononcée, quittent la salle d'audience par des portes opposées. A leurs pieds sont rivées les deux extrémités d'une chaîne solide, dont les anneaux se déroulent entre eux en interminables méandres. Au-dessous, ces simples mots : « Allez ! vous êtes libres. » Ironie saisissante de réalisme! merveilleuse de comique ! cruelle à faire pleurer! car je laisse à penser les luttes navrantes, les calculs misérables qu'occasionnait ce lien odieux. La nouvelle législation, hardie comme Alexandre, n'hésite pas à le trancher et rend à la femme la plénitude de sa capacité civile. De la sorte encore sera effacée la fâcheuse inégalité de traitement faite à la femme simplement séparée, par rapport à celle que des scrupules, d'ailleurs respectables, n'auront point arrêtée dans la voie du divorce.

Car le divorce, aboli en 1816, a été solennellement rétabli par les lois des 27 juillet 1884 et 18 avril 1886. L'indissolubilité du mariage n'est plus civilement un


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dogme intangible. Singulier retour aux moeurs du commencement du siècle, prouvant, une fois de plus, que rien n'est nouveau sous le soleil, et que tout, autour de nous comme en nous, n'est qu'un perpétuel recommencement !

Je passe sans commentaires. La question est du domaine religieux autant que civil, et je n'oublie pas que l'article 2 de notre règlement interdit toute discussion de cette nature. Aussi bien trouvé-je sous la main sujet moins passionnant : je parle de la loi du 9 mars 1891, qui attribue à l'époux survivant, non divorcé ou séparé, même en présence d'héritiers naturels, une partie de la succession de son conjoint, au cas où aucune disposition testamentaire ou entre-vifs n'a été prise en sa faveur. Ici, plus de divergences. La mesure est à louer sans restriction. Elle répare pour le survivant les conséquences de l'oubli ou de la négligence du prédécédé, surpris en pleine vie, si même il n'a pas reculé devant la simple pensée de la mort. Elle consacre et récompense l'affection discrète de celui qui demeure. Elle le laisse, le plus souvent, clans le milieu plein des souvenirs du cher disparu; si bien qu'à ce contact familier il peut avoir l'illusion que la chaîne, douce celle-ci, s'est seulement entr'ouverte et va bientôt se refermer.

Un mot encore, en ce qui touche la femme, d'une disposition de la loi organique de la Caisse nationale d'Épargne du 9 avril 1881, confirmée par celle du 20 juillet 1895. Sous l'article 6, elle confère à la femme le droit de se faire ouvrir des livrets et d'en retirer, sauf opposition, le montant sans l'assistance du mari. Par là même se trouve consacré le principe de son droit à la propriété des fonds déposés présumés provenir de son


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travail personnel ou de ses économies. Dois-je dire, pour parler franc, que, tout en rendant hommage à l'intention qui l'a dictée, je n'approuve qu'à demi cette innovation, où je vois une atteinte grave à la suprématie maritale et une incitation pour la femme à détourner ses bénéfices de leur but naturel : la famille.

Le surplus de ces deux lois est d'ordre plus élevé. Il a pour objet d'abord de développer, dans les masses populaires, le goût de l'épargne; ensuite d'en perfectionner les voies et moyens, au double point de vue de la sécurité du déposant et de la responsabilité de l'État dépositaire. La loi du 20 juillet 1895 répond à cette dernière préoccupation en réduisant, dans une proportion sensible, le maximum des dépôts.

Mais, en vérité, que servirait de réglementer l'épargne, qui implique la satisfaction des besoins légitimes, si ces besoins même n'étaient point l'objet d'une sollicitude spéciale.

Voici, en effet, que de graves perturbations s'accusent dans les masses profondes de la nation, ramenant à la surface une classe ignorée de tous, surtout d'elle-même : j'ai nommé le prolétariat. D'autant plus jaloux d'affirmer son existence et son droit au soleil qu'il est venu le dernier, il s'approprie le mot de Sieyès, il double les étapes, car les temps sont venus, lui a-t-on dit! Et aussitôt le novateur de lui faire fête. Une personnalité? Il la lui donne sous les espèces des syndicats professionnels créés par la loi du 21 mars 1884, tour à tour fécond instrument de travail et arme puissante de lutte contre le patronat, auquel il oppose le faisceau des forces individuelles. Il est mal logé? La loi du 30 novembre 1884 met à sa disposition, moyennant de faibles prélèvements sur ses


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salaires, des habitations salubres et à bon marché. Il vit au milieu des dangers? La loi du 8 juillet 1890 institue, clans l'intérêt de l'ouvrier des mînes, un contrôle permanent des conditions de sécurité du travail souterrain, contrôle étendu à l'hygiène, à la sécurité et aux accidents des ouvriers industriels par la loi du 12 juin 1893. Il lutte contre les difficultés et la cherté croissantes de la vie? La loi du 27 janvier 1890 détermine, dans le sens le plus favorable, les règles du louage de ses services et 'dissipe l'insécurité du lendemain; celle du 25 juillet 1891 lui concède pour ses salaires, sur les sommes dues aux entrepreneurs, un privilège qui prime même celui du fournisseur; celle du 15 juillet 1893 lui procure, en cas de maladie, l'assistance médicale gratuite; celle du 12 janvier 1895, déclarant incessibles et insaisissables, pour la presque totalité, les salaires et petits traitements, garantit au travailleur modeste le droit au pain, en même temps qu'elle le protège contre sa propre faiblesse. Un conflit surgit-il entre lui et le patron? Il use, de par la loi du 27 décembre 1892, de la conciliation et de l'arbitrage, c'est-à-dire d'une procédure rapide et économique. Ses vieux jours enfin sont assurés : la loi du 20 juillet 1886 a déjà créé la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse; mais elle risque d'être illusoire par la faculté même des versements. II faut les rendre obligatoires. Telle est l'injonction de la loi du 29 juin 1894, qui fait participer l'ouvrier et le patron à la formation de la masse. Tentative hardie, quoique restreinte encore à la population minière, susceptible d'ouvrir les voies à la fusion pacifique, mais nécessaire, de ces deux grandes forces sociales : le travail et le capital.

Le prolétariat peut, à bon droit, être fier du chemin


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parcouru. Ses revendications, étroitements liées à celles de la démocratie tout entière, ont été entendues, que disje ! devancées. Il aspire à une plus équitable répartition des charges, à une plus large conception de la liberté? L'oeuvre est commencée. Tandis que les lois des 23 octobre 1884 et 26 janvier 1892 apportent dans les frais de justice une réduction notable, celles des 30 juin et 29 juillet 1881 et 15 novembre 1887 proclament coup sur coup la liberté des réunion, la liberté de la presse, la liberté des funérailles. Bien d'autres, — je dis des plus importantes, — sont à l'étude. Elles visent la suppression des octrois, la réforme de la procédure, le droit de coalition, les successions, l'impôt sur le revenu... Je m'arrête. Incedo per ignes !

Mieux vaut revenir à ces lois d'humanité, qui sont la perle de l'écrin.

Dans le domaine commercial se présente la loi du 4 mars 1889, qui épargne au commerçant malheureux et de bonne foi la flétrissure de la faillite, en lui substituant le régime de la liquidation judiciaire. Plus de dessaisissement brutal de l'administration des biens, plus de privation du droit de vote, plus de prison.

Prison ! Voilà que ce mot me place de plain-pied sur le terrain pénal, où se révèlent de si intéressantes réformes.

La nouvelle législation en cette matière procède de deux courants opposés : la mansuétude qui est au fond du coeur de l'homme; mollissima corda, dit, je crois, le poète; la rigueur qu'exige la sécurité sociale. Tandis que la criminalité progresse, — rien ne sert, hélas! de le dissimuler, — dans des proportions alarmantes, faut-il recourir à un redoublement de sévérité? Au contraire,


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convient-il, plaçant miséricorde au-dessus de justice, de faire appel aux sentiments généreux que l'âme la plus corrompue peut cacher clans ses intimes replis? Cruelle énigme! Après de longues réflexions, qui témoignent de sa perplexité, le législateur adopte un système mixte. Il ne jette pas aux criminels le fameux : « Commencez! » Non; c'est la société qui va faire le premier pas, mais armée et résolue à sévir si ses avances sont méconnues. Et voici comment se traduisent ses dispositions :

Ainsi que la vertu, le vice a ses degrés,

a dit un vers célèbre. Ainsi y a-t-il lieu d'établir, parmi les criminels, des catégories bien distinctes. L'une composée des endurcis, malfaiteurs d'habitude, fléau redoutable des temps modernes, trop engagés dans la voie du mal pour être susceptibles d'amendement : les récidivistes, puisqu'il faut les appeler par son nom. De ceux-là, rien à attendre. Les moyens de coercition, même renforcés, demeurent sans effet. Il n'y a plus qu'à en purger le pays. Tel est le but de la loi du 27 mai 1885 sur la rélégation.

La part du feu est faite. La clémence peut maintenant se donner carrière. A ceux qui, moins pervertis, font preuve, pendant leur détention, de bonne conduite et de travail, la loi du 14 août 1885 accorde la libération anticipée, à la seule charge d'y persister jusqu'à l'expiration de la condamnation. C'est une prime au repentir et à la persévérance dans le bien. Elle encourage la réhabilitation, d'ailleurs facilitée par des sociétés ou institutions de patronage, toujours plus nombreuses, que l'État aide de ses subventions.

Pour celui, enfin, qu'une minute d'égarement, un ins1896 8


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tant d'oubli ont détourné de la route et fait tomber pour la première fois, la loi du 26 mars 1891, plus connue du nom de son zélé promoteur, M. le sénateur Bérenger, institue un régime spécial. Elle suspend l'exécution de la peine. Si, pendant les cinq années qui suivent la condamnation, aucune peine nouvelle n'est encourue, cette condamnation est résolue, évanouie. La tare n'a jamais existé. Dans le cas contraire, la justice reprend ses droits. Comme le passant de la fable, soufflant le chaud et le froid, la même loi édicté la rigueur, après avoir décrété l'indulgence. Aussi la voyons-nous, sans préjudice de l'accomplissement de la peine antérieure, appliquer à la seconde l'aggravation de la récidive. N'est-elle pas admirable cette morale qui fait également état des faiblesses de l'être et des nécessités de la société ? qui s'attache surtout à prévenir le retour au mal? Et l'équité, forme suprême de la justice, est-elle enfin satisfaite, quand cette grande loi de pardon et d'effacement vient se grossir de deux dispositions considérables : l'imputation de la prison préventive sur la durée des peines prononcées (loi du 15 novembre 1892) et la révision des procès criminels, offrant à l'innocent, injustement flétri par une de ces erreurs inévitables avec la justice humaine, la possibilité de retrouver, dans tous les cas, l'honneur perdu et la fortune compromise. (Loi du 8 juin 1895.)

Pourquoi faut-il qu'à côté d'elles se glissent, ombre sinistre en ce tableau de paix, les lois des 2 avril 1892, 18 décembre 1893 et 28 juillet 1894, relatives aux attentats par explosifs, aux associations de malfaiteurs et aux menées anarchistes, où nous revivons des heures inoubliables de désolation et de deuil !

L'examen des lois touchant la défense nationale, dont


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je dois faire mention en terminant, vient heureusement dissiper cette douloureuse impression Leur imposante théorie, de 1872 à ces derniers jours, marque l'incessant et patriotique labeur de nos dirigeants. Grâce à leurs efforts, la puissance du pays croît avec la conscience de sa force. Et peut-être est-il proche l'instant où il nous sera permis enfin de parler tout haut de l'objet de nos longues pensées.

Telle est, dans ses grandes lignes, l'oeuvre législative contemporaine, envisagée au point de vue spécial où je me suis cantonné, c'est-à-dire en négligeant — son étude serait par trop vaste — tout ce qui est du domaine purement économique ou politique. Mais, pour restreint qu'en soit le cadre, est-elle assez suggestive, et avais-je raison d'avancer qu'il existait entre elle et l'état d'âme du Pays une intime corrélation? Témérités et hésitations, retraites et charges folles, déceptions et espoirs, jours heureux, marqués d'une pierre blanche, et heures sombres, tout s'y répercute et s'y grave. Sous ses dispositions passe, comme dans les veines, le frisson de la vie d'un peuple. Chacune d'elles accuse une de ses pulsations. Leur caractéristique est d'avoir fait plus large, au foyer de la justice, la place de l'humanité. Ce n'est pas leur moindre mérite. Quelles que soient leurs destinées, elles attesteront qu'il fut une heure où le coeur s'unit à la raison. C'est par là qu'elles rompent nettement avec les traditions passées, par là qu'elles s'imposent, malgré leurs imperfections, à l'estime et à la connaissance de tous.

Aussi bien est-il téméraire à nous de porter à leur sujet un jugement éclairé. C'est à nos successeurs, dans les lointains de l'histoire, qu'il appartient, toutes choses mises au point, de statuer en dernier ressort. Mais leur


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impartialité ne saurait rester indifférente à cet élan vers le mieux, où s'accuse un côté de notre âge. Et c'est pourquoi j'ai confiance qu'en dépit de ses erreurs et de ses défaillances, trompant la prophétie du poète, ils ne diront pas, en nous montrant du doigt :

Que notre siècle d'or fut un siècle d'airain.


UN LIVRE MONTALBANAIS DU DÉBUT DU XVIIe SIÈCLE

LES PREMIERES OEUVRES POÉTIQUES

DE PAUL FERRY, MESSIN

LECTURE Faite à l'Académie dans la séance de juillet 1896

PAR

M. Charles GARRISSON

MEMBRE RÉSIDANT

Permettez-moi de vous parler aujourd'hui, Messieurs et chers collègues, d'un petit livre montalbanais imprimé dans nos murs, il y a de longues années déjà, et qui m'a paru avoir pour vous le double intérêt de la curiosité littéraire et du charme local.

Je n'insisterai pas sur l'auteur, Paul Ferry, Messin. Plus tard, devenu pasteur de sa ville natale, il se rendit célèbre par de nombreux ouvrages, des sermons, des études, des traités de controverse. Tout ce bagage théologique un peu suranné n'offrirait pour notre compagnie


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qu'un mince attrait aujourd'hui. J'ai hâte d'arriver au au petit volume que Paul Ferry composa, simple étudiant à l'Académie de Montauban, vers l'année 1610.

Des détracteurs, des envieux, ont reproché à l'homme qui devait devenir un grave ministre, ces premiers vers, ces libres essais de l'adolescence, ont voulu lui faire un crime, avant de s'être enfoncé sur les routes un peu arides de la théologie, d'avoir ainsi laisser chanter sa jeunesse et vibrer ses vingt ans.

Cela peut vous paraître un peu étrange, Messieurs, et cependant en 1610, plus et mieux que maintenant encore, on savait être jeune, aimer la vie et la trouver belle ; bien d'autres, dont les noms vous en disent assez, les Bèze, les Desporte, les Michel, de Marolles, les Mellin de Saint-Gelais, ont laissé couler de leur plume bien des vers qui n'avaient pas seulement la gloire du ciel pour objet.

A y regarder de près, du reste, nous verrons que Paul Ferry ne mérite guère ces critiques, si faibles seraientelles, surtout en nous transportant à l'heure où il écrivait, à la fin de ce XVIe siècle, où une sévère retenue n'était guère de mise en littérature, même sous la plume des reines.

Voici le titre exact du petit recueil :

Les premières OEuvres poectiques de Paul Ferry, Messin. Où sous la douce diversité de ses conceptions se rencontrent les honnestes libertés d'une jeunesse. (A Lyon, 1610, par Pierre Coderc.)

Paul Ferry était né en 1591 : il avait donc dix-neuf ans quand son livre parut. Le nom de Lyon, donné comme lieu d'impression, est ici une erreur voulue. Pierre


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Coderc est un imprimeur montalbanais, alors l'associé d'un des membres de la grande famille des Haultin, si célèbres par la netteté et la pureté de leurs caractères, et l'ouvrage de Ferry est sorti sans conteste des presses de notre ville. Lyon est simplement mis là pour faciliter la vente. Hélas, au XVIe siècle comme au XIXe, il fallait l'étiquette d'une grande ville pour s'imposer à la curiosité du lecteur, et les petites cités étaient déjà méprisées. A vous de juger, Messieurs, si depuis lors le mal a cessé de croître.

Un homme fort versé dans toutes les questions historiques et bibliographiques m'assurait avoir vu passer des exemplaires portant le nom de Montauban comme lieu d'impression ; mais l'ouvrage est des plus rares à rencontrer et je ne puis parler de visu de l'exception qui m'était citée.

En tête, selon la coutume du siècle, les pièces adressées à l'auteur, sur le mérite de son oeuvre.

J'en retiendrai une : elle est assez curieuse, elle sort de la plume d'un Montalbanais. Bien qu'il signât de Sedan, Samuel Tenans était simplement né dans cette ville, où son père avait résidé quelques années; toute la famille appartient bien à notre pays. Sa pièce est un sonnet, et la facture particulière prouve assez que Tenans se trouvait au courant des modes et des engoûments littéraires du temps.

Vers 1600 Honorat Laugier de Porchères, un futur académicien, avait adressé au roi Henri IV un sonnet sur les beaux yeux de Mme de Beaufort, sonnet qui transporta les contemporains d'admiration et règna sans conteste sur les esprits pendant vingt années. Moins heureux les sonnets fameux de Job et d'Uranie ne devaient jamais


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atteindre à cette royauté incontestée, sans cesse vaincus l'un par l'autre.

Voici ce sonnet — divin — de Honorat Laugier :

Ce ne sont pas des yeux, ce sont plus tôt des dieux, Ils ont dessus les rois la puissance absolue, Dieux? non, ce sont des cieux, ils ont la couleur blue Et le mouvement prompt comme celui des cieux.

Cieux? non, mais doux soleils clairement radieux Dont les rayons brillants nous offusquent la vue, Soleils? non, mais éclairs de puissance inconnue. Des foudres de l'amour, signes présagieux.

Car s'ils étaient, des dieux, feraient-ils tant de mal; Si des cieux, ils auraient leur mouvement égal. Des soleils, ne se peut, le soleil est unique.

Eclairs? non, car ceux-ci durent trop et trop clairs;

Toutefois je les nomme afin que je m'explique ;

Des yeux, des dieux, des cieux, des soleils, des éclairs.

Voici maintenant le sonnet de Samuel Tenans, adressé à son ami. On y reconnaîtra aisément l'influence du premier :

Ta voix, cher nourrisson des vierges de l'errnesse, Nous transporte en l'azur des cercles porte-feux ; Mais non, je me trompais, car pour le dire mieux Go ne sont les accens de ta voix charmeresse.

C'est plutôt le nectar qui distille sans cesse

Dans tes vers qui seront à jamais précieux

Four ce qu'ils auront eu les douces mains des cieux

Pour élever les jours de leur tendre jeunesse.


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J'erre, car ce n'est pas ni ta voix, ni tes vers, Soigneux de faire voir à tout cet univers L'agréable liqueur de ta veine immortelle.

Sont plutôt les beaux traits et les charmants appâts De ta chaste Isabelle, oh! non, ce ne l'est pas, Mais c'est ta voix, tes vers et ta chaste Isabelle.

A la suite de ces vers qui ne manquent pas de talent, vient une pièce digne de remarque à un autre titre. Celui qui la signa s'appelait Pierre Béraud, Rochelais. J'ignorais, je l'avoue, que l'auteur de l'Epluchement de soimême et de la Froissure de Joseph, l'ardent pamphlétaire de ce curieux Estat de Montauban, condamné à la fois par les puissances catholiques et par les synodes réformés, eût aussi sacrifié à la Muse. C'est encore un sonnet, peutêtre pas très bon, mais probablement très inconnu de tous ceux qui ont écrit sur le pasteur montalbanais.

L'oeuvre elle-même de Paul Ferry débute par une pastorale : Isabelle ou le desdain de l'amour, qui rappelle immédiatement, en un autre cadre et sous d'autres cieux, l'influence toute puissante de l'Aminta du Tasse, dont la première édition avait paru vingt-sept ans auparavant, chez les Aide de Venise :

Chi crederia che sotto umane forme E sotto queste pastorali spoglie Fosso nascoto un Dio?

La scène se passe « en bas Quercy, sur les douces rives du Tar, » où Isabelle, princesse dérobée au desçu de ses parents, est amenée par Silure et Clamène, villageois, ses parents putatifs. Elle y méprise toutes les passions


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qu'elle fait naître, y dédaigne tous les bergers qui l'adorent; puis, retrouvée par sa propre famille, elle part pour se retirer auprès d'elle. Cléandre, son malheureux amant, en son désespoir se retire du monde et va se faire ermite sur les bords fleuris du Tescou.

Le poète de dix-neuf ans ajoute dans sa préface : « Dans la suite de cette feinte se trouvent des extrêmes violences d'amour et un enseignement aux âmes libres d'en éviter curieusement l'apprentissage. »

Je ne veux pas vous faire connaître tous les détails du poème, vous forcer à écouter tous les soupirs des bergers amoureux qu'Isabelle elle-même se refuse à entendre ; quelques vers suffiront pour apprécier la façon d'écrire et le talent de Paul Ferry.

Ici le berger Calianthe, un des soupirants, raconte comment il a entrevu sa belle :

Tantôt je l'ai trouvée alors que du Midy, Phoebus plombait en terre un rayon attiédi, Et que du plus haut point sa chevelure blonde Epandue, flottait par le milieu du monde. C'était en cette part où le Tar coule doux Après s'estre disjoint un peu de temps pour nous, Retrouvant peu plus bas ses belles ondes jointes Fait une petite île en forme de deux pointes, Tout près où le Tescou y rend ses basses eaux, Le lieu est tout mêlé de touffes d'arbrisseaux Qui rampent contre terre, et d'autres plus superbes Ne frappent que du pied les verdissantes herbes. Là j'étais tout transi étendu sur le bord...

Vous le voyez, Messieurs, la belle Isabelle était notre compatriote et ne dédaignait pas de s'aller promener sur les bords fleuris du Tescou et du Tarn, presque sous les


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fenêtres de votre docte Académie, qui, malgré son très grand âge, n'existait point encore aux temps heureux d'Isabelle et des pastorales.

Quelle était donc cette Isabelle? un rêve, une chimère, un produit de l'imagination et de la poésie, un fantôme créé à la ressemblance de l'héroïne de cette Aminta de Torquato Tasso, dont je parlais tout à l'heure, héroïne aussi cruelle à l'amour ;

Ho visto al pianto mio Risponder per pretate i sassi e l'onde

E sospirar le fronde, Ho visto al pianto mio.

Ma non ho visto mai

Ne spero di vedere Compassion nella crudele e bella Che non so sio mi chiami o donno o fera,

Ma niega desser donna,

Poiché niega pietate

A chi non la negaro

Le cose inanimate...

J'ai vu à mes soupirs répondre par pitié et les rochers et l'onde...

Peut-être aussi Isabelle existait-elle réellement. Peutêtre était-ce quelque fille du Nord, venue passer dans nos murs de brèves années de jeunesse et qui repartit, emportant bien des coeurs avec elle. Il n'y a là rien d'impossible, et Paul Ferry avait vingt ans !

Sans doute, si cette dernière supposition est vraie, les hôtes du baron de Montbartier, dans sa vieille demeure de la rue Cour-de-Toulouse, murmurèrent tout bas le vrai nom d'Isabelle, le 24 mars 1610, pendant la représentation dramatique où Paul Ferry fit jouer sa pastorale


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devant le tout Montauban de l'époque; mais ce nom, s'il a été connu ou soupçonné des contemporains, n'est point parvenu jusqu'à nous.

Montauban se présente, en ces premières saisons du XVIIe siècle, comme un curieux et vivace centre de vie littéraire. A la fin du siècle Mme de Mornay se plaint de la pauvreté de ressources de notre ville, où elle ne peut se procurer une sphère, mais quelques années de « la paix du roi Henri » suffisent à tout changer. Ceux quiont combattu par l'épée, vont combattre par la plume.

Pendant la période de calme qui va de 1594 à 1610 les oeuvres nouvelles se succèdent chez les Haultin, et chaque année voit paraître un poème, une apologie, un essai d'étude scientifique. Faut-il citer Béraud et sa Briesve et claire défense de la vocation des Ministres, en 1598 ; Philibert de Fresne-Canaye avec ses Discours, 1597 ; la Réplique, de Bernard de Sonis ; l'Espitola, de Jean Gardésy ; les Excelens proverbes, de Guillaume de Nautonier ; les trois petites pièces dernièrement citées paf ce grand chercheur qu'est M. Forestié Neveu : l'Arrest contre Jean Chastel, le Tardoe aselloe testamentun et l'Epître de Guillaume de Corneille ?

La mine est loin d'être épuisée. Il faudrait rappeler encore Jean Constans et ses Remèdes contre la peste, 1608, Grifolet et ses Stances, 1610, Jean d'Escorbiac, dont un de nos collègues nous parlait l'an passé d'une façon si attachante et sa Christiade, poète protestant, neveu de Du Bartas, prédécesseur de la Baume-Desdossat en France, de Klopstock en Allemagne.

Il y a encore, entre bien d'autres, la Déclaration de Lazare-Maillard, 1604, le charmant petit ouvrage qui


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s'appelle le Paradis de ceux qui aiment Dieu, fait par stances chrétiennes.

On le voit, le. nombre était grand dans notre cité de ceux qui s'intéressaient aux choses de l'esprit et la grande salle des d'Astorg, de Montbartier, un nom qu'allait bientôt illustrer le génie d'un de ceux qui le portèrent, pouvait être brillamment remplie pour entendre la pastorale de Paul Ferry. Mais nous nous en sommes déjà trop longtemps écartés.

Si le berger Colianthe soupire seul sur les rives du Tarn et sous les saulaies du Tescou, ses amours et ses peines, un de ses rivaux, plus fortuné, Dorel, ose demander aux parents présumés de la belle Isabelle la main de cette princesse déguisée. La déclaration est lestement enlevée; c'est le morceau le plus long que je citerai :

Quel aise, quel soulas pensez-vous que j'aurai

Lorsque sur le matin nous irons voir ensemble,

Liés bras entre bras la cerise qui tremble

Pourprée sous le vent et pliant le guinier

Tous deux en fournirions notre petit panier

Ou lorsque après dîner nous ferions des revues

En nos champs, sur nos près et dessus nos charrues,

Et puis un peu lassés d'un bon trait de chemin

Nous viendrons sur le soir entrepris par la main,

Nous donnant à tous pas, idolâtres avares,

Mille moites baisers, cent mignardises rares,

Au son de cent flageols où cent bergers marchants

Conduisent leurs troupeaux qu'ils ramènent des champs,

Faisant de leurs discords un accord délectable,

Nous viendrions, dis-je, prendre un souper agréable

Et, vous y conviant, manger à la maison

Un gras canard sauvage en face d'un oison,

Où, après tout cela, nous aurions pour desserte

De guignes et cerneaux notre table couverte,


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Et au partir de là, sans souci, sans émoi, Vous ayant dit bon soir, mon Isabelle et moi Nous nous retirerions et dans son sein d'ivoire Je prendrais, amoureux, mon repos et ma gloire. Sinon qu'auparavant nous fussions avec vous Humer l'air frais du Tarn sur ses rivages doux Ou voir en ses viviers les bandes écailleuses Bondir à petits sauts sur les eaux sommeilleuses... ... Voilà nos passe-temps...

Ce n'est plus ici l'amoureux Dorel qui parle, ce n'est plus la fable, ni la fiction, c'est Paul Ferry lui-même, racontant, entre deux guerres civiles, la tranquille vie de nos aïeux. Le jour, la paisible promenade à la maison rustique, à la métairie, où l'on va cueillir les cerises au guinier pliant sous les fruits mûrs, le repas champêtre dont l'oison de la basse-cour et le canard sauvage font les frais, le dessert agreste, et après le souper la promenade mélancolique sous la lune, au long de ce Tarn, aux rivages doux, aux pieds des vieux remparts ou sous les saulaies de ces bords qui, dix années plus tard devaient être inondés de tant de sang.

Dorel cependant en est pour sa demande et ses beaux rêves, Colianthe pour ses soupirs, et le tendre Cléandre, le plus épris de tous, n'obtenant pas même un regard, songe à se suicider :

Irai-je, résolu, d'un funeste licol Pour m'étouffer le vent, m'entortiller le col? Irai-je d'un poignard détrancher, homicide, Mon coeur tout palpitant, vomir mon sang fluide Sur ces bizarres fleurs qui de cent teints divers Passementent déjà les beaux dédales verts? Du Tar serpente bas ; irai-je sous son onde Noyer les avortons de ma peine féconde?


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Irai-je d'un rocher qui saille, audacieux, Perdre bien escarpé sa cime dans les cieux M'élancer contre bas et d'une mort cruelle Les cornes de ce mont battre de ma cervelle...

Mais Cléandre ne choisira ni les uns, ni les autres de ces genres de mort. Entre temps, en bon imitateur de l'Aminte, Paul Ferry a introduit les sylvains et les satyres qui, eux aussi, se plaignent du dédain d'Isabelle et de ses compagnes..,

Languirons-nous toujours Dans le fer malheureux de nos tristes amours, Amours désespérés de deux simples bergères, Nous qui faisons l'amour aux nymphes bocagères...

Naturellement Isabelle échappe aux tentatives malhonnêtes des satyres et des sylvains du Tar serpente bas, et pour comble de bonheur la belle cruelle retrouve ses parents, son nom, et son rang et quitte pour jamais le pays. Cléandre ne pouvant se consoler et vaincre sa passion, se fait ermite, et la pastorale se termine par ces vers qu'il prononce...

Attendant que la main d'une douce Atropos Mette mon corps en terre et mon âme en repos, Tandis je veux dresser pour urne de ma flamme Deux vers que j'écrirai moi-même en une lame, Que tous les amoureux qui passeront ici Verront après ma mort et y liront ceci « Céans gît un amant qui pour être fidèle Mourut par les rigueurs d'une belle Isabelle, »

Telle est cette pastorale, inspirée certainement par le grand succés de l'Aminte, dont les traces se remarquent à chaque instant, mais intéressante cependant par la douceur


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du vers, des passages bien tournés, l'harmonie de l'épi— thète à la Ronsard, doublement précieuse pour nous, Montalbanais, dont les campagnes furent choisies pour laisser dérouler ces naïves et idylliques amours.

Je n'insiste pas sur la seconde partie du livre : Les gloires d'Isabelle, sous quelques traits d'une parfaite beauté, qui paraît la plus faible, et j'arrive à la troisième et dernière qui a pour titre : Les diverses Poésies.

Parmi les personnes à qui Paul Ferry les a dédiées, se retrouvent bien des noms connus. M. Gardesy, ministre du Saint-Evangile à Mauvezin; Mlle Souveraine de Darassus ; M. de Cruvel, bourgeois et syndic de la police en la ville de Montauban ; Mlle Marie de Constans, sa femme ; M. Gasc, avocat; M. Fournes ; M. de Séguin, sieur de Pierrefiche, etc.

Une pièce est dédiée à la ville de Metz, patrie de l'auteur, à qui il était réservé d'écrire un jour son histoire :

Soutiendrai-je les droits qu'a la maison de France A te faire arrêter en sa douce puissance Et loin des Allemands et des lorraines croix Aimer l'écharpe blanche et les lys de françois.

Belle pensée patriotique, qu'on est heureux de retrouver sous la plume d'un Messin. Une très jolie pièce que je citerai pour terminer ce trop long compte-rendu, a été écrite :

Sur la mort de Magdeleine de Sonis, fille de M. Sonis, ministre et professeur de théologie.

On ne peut s'empêcher de songer, en la lisant, à ce pur chef-d'oeuvre de la langue française, datant à peu près de la même époque, qui a nom Consolations à M. du Périer.

Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle !


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Enfin ce jeune esprit déchargé de la terre Par un faible soupir s'est exhalé aux cieux, Et ne s'àvisant pas qu'il nous laissait la guerre, Il a choisi pour soi un repos glorieux.

Ce bouton tendrelet qui au point de son aube Promettait, à la terre une si belle fleur Fanissant aussitôt, trompeuse, nous dérobe Ce que nous nourrissions d'espoir en sa faveur.

Pourquoi, jeune beauté, paraissais-tu si tendre Et pourquoi avais-tu l'oeil si chastement doux, Si tu voulais si tôt changer tes feux en cendre Et pour prendre le ciel, te séquestrer de nous.

Non tu ne devais pas encommencer ta montre Et découvrir tout ce que tu as de beau, Si tu devais ainsi, malheureuse rencontre, Voir aboutir ton bers aux ombres du tombeau !

Pourtant tu as paru, comme l'on voit paraître Sous un ciel nuageux un rayonneux éclair Et auquel on a pu facilement connaître Au passer d'un moment ce qu'un jour a de clair.

Et vous aviez aussi trop parfaite l'essence, Beaux yeux qui promettiez la vie à tant d'amours Pour encor plus avant porter votre naissance, Car la perfection est la fin de nos jours.

Reposez doucement, amoureuses merveilles, Petits flambeaux éteints sitôt qu'on vous a vus, Nous savons que le ciel est plein d'âmes pareilles Et qu'il se pare mieux avec de petits feux. 1896 9


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(Test pourquoi notre coeur n'envie point, féconde, L'aise que vous avez heureusement parfait, Et que nous connaissons qu'au sortir de ce monde On monte dans le ciel par le chemin de lait.

Paul Ferry quitta bientôt notre ville, appelé à une plus lourde charge et à de plus sérieux travaux. Du reste, la mort de Henri IV, la minorité de son fils, les troubles d'une régence, précurseurs des dernières guerres de religion, si terribles dans notre Montalbanais, ébranlèrent et dissipèrent le petit noyau littéraire qui se formait entre les murs de notre ville. Il y eut là une poussée vivace soudain arrêtée, une promesse d'éclosion de fleurs qui ne devaient jamais s'épanouir.

L'oeuvre que je viens d'analyser est un symptôme caractéristique de cette heure brève de halte et de repos entre les partis, de cette floraison momentanée sur divers points de notre France de littératures locales, avant qu'avec Richelieu et Louis XIV commençât le grand mouvement centralisateur dont est morte la province littéraire : à ce titre j'ai tenu à disputer à l'oubli ces Premières OEuvres, dignes d'un souvenir de notre Académie, gardienne de toutes nos gloires, jalouse de toutes les grandeurs de notre passé.


CONSIDÉRATIONS

SUR LA

MUSIQUE SACRÉE

LECTURE

Faite à l'Académie dans la séance de décembre 1896

PAR

M. le Chanoine CONTENSOU

MEMBRE RÉSIDANT

C'est une vérité admise par tous les esprits versés dans les questions d'art, que le suprême degré de beauté ne consiste pas seulement à flatter les sens, ravir l'imagination et toucher le coeur, mais plutôt à élever l'âme audessus des horizons bornés de ce monde, et jusqu'aux régions célestes, pour lui faire entrevoir la perfection infinie, qui est Dieu. Ainsi les suaves figures de saints du bienheureux Angelico de Fiesole et des peintres de l'école ombrienne, le Moïse presque vivant de MichelAnge, le Requiem inspiré de Mozart, par exemple, sont des oeuvres de premier ordre, parce qu'elles produisent sur l'âme une profonde et salutaire impression.


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Or, si tous les arts peuvent atteindre, quoique rarement, à ces sublimes hauteurs, la musique le fait mieux encore que les autres. C'est la conséquence même de sa nature. Elle est, en effet, de tous les arts le plus pénétrant, le plus profond, le plus intime. Son vrai domaine, c'est le sentiment : quand elle s'arrête aux sens pour leur faire ressentir des sensations plus ou moins agréables, sans aller au-delà, elle n'est pas dans son caractère distinctif, et elle ne diffère pas alors des autres formes artistiques. Elle n'est elle-même que lorsqu'elle va jusqu'au plus intime de l'être humain, pour le fouiller jusque dans ses moindres replis, pour y provoquer les plus vives et les plus profondes impressions, et avec les nuances les plus variées et les plus subtiles.

« Elle n'est pas faite, dit Victor Cousin, pour exprimer les sentiments complexes et factices, ou terrestres et vulgaires. Son charme singulier est do faire songer à l'Infini. Elle s'allie donc naturellement à la Religion, surtout à cette Religion de l'Infini, qui est en même temps la religion du coeur : elle excelle à transporter aux pieds de l'éternelle miséricorde l'âme tremblante sur les ailes du repentir, de l'espérance et de l'amour. Heureux, ajoutet-il, ceux qui à Rome, dans les solennités du culte catholique, ont entendu les sublimes compositions de Leo, de Durante, de Palestrina sur le vieux latin consacré; ils ont un moment entrevu le ciel, et leur âme a pu y monter, sans distinction de rang, de pays, de croyances même, par ces degrés invisibles et mystérieux, composés pour ainsi dire de tous les sentiments simples, naturels, universels, qui, sur tons les points de la terre, tirent du sein de la créature humaine un soupir vers un autre monde. »


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Oui, tel est le caractère-propre de la musique. Lamartine se demandait d'où lui venait une pareille puissance :

Comment l'air modulé par la fibre sonore Peut-il créer en nous ces sublimes transports?

Et ailleurs il donne la solution du problème : Et de l'hymne éternel, le mot unique est Dieu.

C'est qu'en réalité il semble impossible que pareils effets puissent être produits par un génie créé, s'il ne reçoit l'inspiration de Celui-là même qui a jeté à son gré les génies dans le monde, comme Il a jeté clans l'espace les astres qui roulent sur nos têtes.

Est-ce à dire pourtant que toute musique jouit de cette puissance? Loin de là. Il y a, tout le monde le sait, deux genres de musique : la musique profane et la musique religieuse ; c'est-à-dire celle dont l'objet se borne à dépeindre la nature, et les divers sentiments du coeur humain à l'égard des êtres ou des choses visibles qui l'entourent, et celle qui a directement pour but Dieu et les hommages à lui rendre. L'une et l'autre peuvent prétendre au suprême degré de la beauté artistique, mais dans des conditions différentes, et en rapport avec leur objet, la seconde évidemment dans un ordre.plus élevé et plus parfait que la première.

Que dans le domaine de la musique profane il y ait. des productions absolument belles, ce n'est pas douteux. Que de chefs-d'oeuvre sont là pour le démontrer. Et les Saisons d'Haydn, qui sont la peinture la plus ravissante de la nature dans ses moindres détails et de l'amour pastoral dans toute sa fraîcheur; et le Don Juan de Mozart, le chef-


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d'oeuvre des chefs-d'oeuvre dans l'art dramatique, où les basses passions sont représentées sous les couleurs les plus repoussantes; et le Guillaume Tell de Rossini, où l'on respire à chaque note l'amour sacré, héroïque de la patrie; et les Symphonies inimitables de Beethoven et de Berlioz, qui, par la sublimité de leur conception, font rêver de l'immensité; et les splendides Oratorios d'Haendel et de Mendelsohnn, dont les mélodies larges et les harmonies puissantes ouvrent des horizons sans limites, et certains opéras de Wagner, qui, par leur caractère grave et leur facture savante et grandiose, laissent dans l'âme une impression profonde de foi et de religion; ce sont là, parmi tant d'autres qu'on pourrait citer, des merveilles enfantées par la musique profane, devant lesquelles l'admiration des esprits d'élite ne tarira jamais, quelques variations qui se produisent dans le goût artistique, durant le cours des siècles. Or, ce qui assure à ces oeuvres l'immortalité, c'est qu'elles parlent à l'âme plus encore qu'aux sens.

Mais c'est surtout dans le domaine de la Musique sacrée que doit se trouver réalisée la suprême beauté. Il ne peut en être autrement, soit à cause de son objet immédiat qui est la divinité, soit par la source même de ses inspirations qui est encore la divinité sinon exclusivement, au moins pour une part considérable. Or, voyez de quels moyens la musique sacrée va se servir pour atteindre aux hauteurs où elle est appelée. Sans doute elle devra employer des effets qui frapperont l'oreille, l'intermédiaire entre l'âme et elle, mais son langage aura quelque chose d'indéfini, d'indéterminé qui fera perdre à l'esprit humain le sentiment des choses terrestres pour le porter vers l'Infini. Elle fera luire à ses yeux un rayon


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céleste qui lui dévoilera les charmes de la Beauté idéale, et sous cette influence l'âme ravie et comme à son insu se répandra en un double sentiment d'adoration et d'amour. Ne nous étonnons pas dès lors que la Religion ait eu pour la musique sacrée des tendresses particulières, qu'elle en ait fait son amie privilégiée, qu'elle ait lié sa vie à la sienne, et que toutes deux aient voulu, comme des soeurs inséparables, traverser ensemble les âges, la .main dans la main, se prêtant un mutuel appui.

Voyez, en effet : au lendemain de leur mystérieuse alliance, on les rencontre sous le ciel de l'Inde, sur les bords du Nil, dans le pays d'Homère, partout enfin où des autels viennent d'être élevés en l'honneur de quelque divinité. Plus tard, toujours fidèles l'une à l'autre, on les voit, sous le regard de Jehovah, au sein du peuple élu, cimentant par des règles plus parfaites leur antique union, et devenant l'une pour l'autre un puissant auxiliaire. Pendant plus de mille ans le temple ancien jouit de leur harmonieuse amitié; quand un temple nouveau est érigé à la place du premier, vingt siècles passés sous ses voûtes n'ont pas encore épuisé leurs réciproques effusions, et l'éternité même du temple céleste ne verra pas la fin des épanchements mutuels de la Religion et de la musique sacrée. Quand tous les autres arts, n'ayant plus de raison d'être auront disparu, la musique continuera ses chants de triomphe clans les régions du bonheur inaltérable et sans fin.

Oh ! quelle est donc noble et sainte la mission de la musique sacrée, et comme elle doit veiller à la remplir ici bas dignement.

Or, toutes les formes musicales désignées sous le nom de Musique sacrée, y apportent-elles les mêmes soins et


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les mêmes délicatesses? sont-elles toutes également fidèles à leur vocation ?

C'est ce que nous allons voir en les examinant tour à tour à tour : cet examen impartial déterminera la part qu'il convient de faire à chacune d'elles.

Il y a deux sortes de musique sacrée : le Plain-Chant et le Chant mesuré. Les artistes chrétiens se sont divisés souvent et encore aujourd'hui au sujet de la supériorité de l'une et de l'autre de ces deux formes de musique religieuse, les uns excluant la musique mesurée, surtout celle qui est écrite dans la tonalité moderne, comme opposée, par son manque de simplicité et sa trop grande abondance de modulations, à la gravité du culte divin; les autres traitant le plain-chant de l'orme trop primitive, froide, surannée et trop dure à nos oreilles habituées aux charmes de la tonalité moderne. Je ne puis traiter ici à fond cette question, qui serait plutôt du domaine d'une académie spéciale de musique ; cependant je veux dire où me parait être la vérité.

Je commence par le plain-chant : honneur à la vieillesse !

Le plain-chant se présente à nous sous le cachet spécial de tranquillité et de pleine possession de soi-même dans l'expression. Cela tient à plusieurs causes, d'abord à son échelle mélodique qui est peu étendue, ensuite à sa marche diatonique le plus souvent, et en tout cas à ses intervalles très rapprochés, et par ce double moyen il sert admirablement la prière qui doit monter avec calme et confiance. De plus par l'inégalité de valeur dans les sons, inégalité qui ne provient pas d'une divison mathématique des périodes et des mesures, ce qui enfanterait plus ou moins la raideur, mais d'une appréciation numérique seu-


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lement approximative, il acquiert de la suavité, de la grâce qui encourage l'âme dans ses élans. Et comme le chant est fait pour les paroles et non point les paroles pour le chant, c'est le sens de celles-ci et le rythme oratoire qui sont le point de départ et donnent les principales règles d'exécution ; la phrase mélodique se dessine ainsi librement et sans contrainte dans son ensemble, elle s'explique, elle s'éclaire en traduisant le texte, elle s'orne par les neumes qui se succèdent plus ou moins nombreux, suivant le degré du sentiment à produire, et ces neumes ne sont jamais une surcharge, mais au contraire, comme des élégantes vocalises, ils complètent et ornent la pensée : tout le chant prend ainsi de la souplesse, de la légèreté, sans rien perdre de la gravité et de l'accent religieux qui doivent en être les principaux caractères.

Pour produire la variété dans l'expression, le plainchant emploie huit modes ou huit échelles mélodiques. Par la constitution même de ces huit modes très différents les uns des autres la mélodie de chaque morceau se déroule autour d'une note qui revient souvent, qui est la dominante du mode, elle se soutient de préférence entre cette dominante et la note fondamentale par lequelle se termine toujours la phrase musicale, et les différents morceaux prennent ainsi une physionomie particulière selon la volonté du compositeur.

A l'aide de tous ces procédés, il n'est pas de sentiment qui ne puisse être exprimé avec une saisissante vérité : joie et douleur, confiance et terreur, humiliations et triomphe, paix et remords, force et faiblesse, toutes les impressions de l'âme trouvent dans le plain-chant un interprète, surtout lorsque pour les traduire en langage mélodique, il fait appel à des esprits vertueux autant


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qu'habiles tels que Charlemagne, Robert-le-Pieux, Jacopone, Rotbert, et tant d'autres; mais surtout à des saints, comme saint Ambroise, saint Grégoire, saint Odon de Cluny, saint Benoît d'Aniane, saint Thomas d'Aquin, et quantité d'autres.

Voilà en quelques mots le secret de la puissance d'expression du plain-chant. A ceux qui le dédaignent, et qui prétendent qu'il a fait son temps, il n'y a qu'une seule réponse à faire : c'est qu'ils l'ignorent. Sans doute il faut bien convenir que la manière habituelle de l'interpréter ne démontre guère pratiquement sa beauté et sa richesse ; mais si cette excuse peut avoir sa valeur pour la masse des auditeurs qui ne peuvent point en faire une étude approfondie, ce n'en est pas une pour le musicien qui. par vocation ou profession, devrait s'en instruire.

Après ce plaidoyer en faveur du plain-chant, dois-je conclure que seule, cette forme de musique sacrée a droit d'entrée dans les cérémonies religieuses, et qu'il n'y a pas de place pour aucune autre? C'est ce qu'ont prétendu à plusieurs époques certains esprits trop absolus, et cette doctrine a encore de nos jours quelques partisans. Il est rare qu'en toute matière, quand une réaction se produit, elle ne manque pas de mesure. Pour réfuter cette doctrine exagérée, il me suffirait d'apporter les décisions de l'Eglise, intéressée toute la première dans cette question, et possédant en cela, comme pour toutes les choses qui la touchent de près, les lumières les plus certaines pour en apprécier. Or, les Souverains Pontifes, et dans leurs décrets en diverses circonstances, et dans ce qui se pratique à Rome sous leurs yeux, sans donner à la musique mesurée leurs-préférences, lui ont toujours fait une part, sinon prépondérante du moins considérable.


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D'ailleurs, je le dis hardiment, il semble que la proscrire serait une injustice, car elle possède, si elle le veut, les qualités nécessaires pour élever l'âme; ce serait une ingratitude car, si elle a parfois mérité des reproches par les scandales qu'elle a pu produire, elle a souvent aussi rendu service à la religion, et enfin ce serait, au point de vue de l'art même, une faute très regrettable, car ce serait se priver, de parti pris, de salutaires jouissances dont elle peut être la source.

Par musique mesurée , on entend celle qui est assujettie à des divisions absolument mathématiques du temps : elle est donc sous ce rapport le contraire du plain-chant dont la phrase, comme nous l'avons dit plus haut, se meut dans un rythme libre. Cet assujettissement de la phrase musicale à la mesure commença au XIe siècle. Vers cette même époque l'accompagnement des mélodies, déjà en usage, sous la forme de ce qu'on appelait déchant, c'est-àdire la reproduction de la même mélodie suivant à divers intervalles dans le même sens, note pour note, le motif donné, l'accompagnement, dis-je, par certains procédés qu'il serait trop long d'expliquer ici, devint plus personnel et marcha plus librement. Dès le XIIe siècle, on était en pleine possession de tous les éléments de cette harmonie qu'on appelle consonnante parce qu'elle présente une succession d'accords sur lesquels l'oreille peut également se reposer, harmonie bien différente de l'harmonie moderne qui fut adoptée plus tard, et dans laquelle on emploie des accords dissonants qui rendent plus agréables les consonnances qui les suivent.

Le plus grand compositeur de musique religieuse qui écrivit d'après l'ancienne harmonie, parut vers le XIVe siècle, c'est le grand, l'immortel Palestrina, le prince de la


— 132 — musique, Princeps musicoe, comme le proclame l'épi — taphe son tombeau à Rome. Il l'a en quelque sorte révélée. Nul n'a jeté plus d'éclat que lui, De l'avis de tous, Palestrina posséda un génie indépendant et pieux qui exerça sur la musique de son temps un irrésistible ascendant. Il donna au chant sacré une splendeur et une dignité auparavant inconnues : il agrandit les sphères de l'art chrétien, et créa des oeuvres d'une idéale beauté. Nul n'a possédé aussi bien que lui la sûreté de coup d'oeil à saisir le caractère propre d'un morceau et l'habileté à trouver dos notes et des accords en harmonie avec les plus sublimes prières de l'Eglise; il a une profondeur de pensée et une majesté d'expression incomparables, Partout cette evpression est gracieuse, spiritualisée, pénétrante, selon que le réclame le sujet traité, et cela avec des moyens de facture très restreints. Ses Improperia, son Stabat, ses Litanies, ses Magnificats, ses Messes et spécialement sa Messe du pape Marcel qui sauva la musique de la proscription déjà décrétée, sont les témoignages immortels de la fécondité et de la variété de son génie. Depuis quelques années nous assistons à un heureux retour vers ce maître auquel l'admiration du monde artistique n'avait, sans doute, jamais fait défaut, mais dont les oeuvres étaient délaissées à cause de leur trop grande difficulté.

Pourquoi faut-il que le malheur des temps laisse nos pauvres maîtrises de province dans des conditions d'organisation telles qu'il leur est impossible de les aborder. Certes, ce ne sont pas ceux qui ont le bonheur de les entendre interprétées par les habiles chanteurs de SaintGervais de Paris qui auront jamais la tentation de regretter que la musique ait été conservée dans le culte catholique.


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Après cet astre à la splendeur incomparable qui est Palestrina, il ne faut pas croire que le firmament de la musique sacrée soit rentré dans l'obscurité. D'autres étoiles parurent qui jetèrent de brillants rayons ; ces étoiles s'appellent : Carissimi, avec ses motets d'une suavité pénétrante; Marcello, avec ses psaumes, d'un style pur, noble, puissant et très varié; le grand Sébastien Bach, avec ses nombreuses et si belles compositions; Durante, au langage sévère et à l'harmonie savante, Leo avec son charme si touchant, et si pénétré de dévotion. Et plus près de nous, mais à un degré moindre pourtant, peut-être parce qu'ils ont écrit dans la tonalité moderne, Haydn, Mozart, avec leur foi naïve, spontanée, leur dévotion tendre et vive, qui ont inspiré à l'un la Création et les Paroles du Christ, à l'autre le Requiem et l'Ave verum dont on a pu dire qu'on le croirait écrit avec une plume dérobée à l'aile d'un archange. Et plus près encore Gounod, avec sa messe du Sacré-Coeur et sa Rédemption; Niedermeyer, avec ses messes et ses motets; César Franck, avec ses Béatitudes, et tant d'autres qui prouvent que la fécondité de la muse religieuse n'est pas encore tarie. Et si je voulais fouiller dans nos villes de province, que d'artistes profondément chrétiens je pourrais nommer. Qu'il soit permis à mon coeur de rappeler, en passant, la mémoire de J.-B. Labat, notre ancien confrère qui a laissé le souvenir d'un compositeur de grande science en même temps que de profonde foi.

N'est-ce pas assez d'exemples pour démontrer que la musique mesurée a droit de cité dans le culte divin.

Mais il est temps de terminer ce modeste travail. La conclusion qui découle tout naturellement des considérations qui précèdent, c'est que l'absolutisme d'opinion en


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cette matière n'a pas sa raison d'être, et qu'il faut faire place dans les cérémonies saintes et au plain-chant et à la musique, l'un et l'autre ayant droit à notre estime, comme j'ai essayé de le démontrer.

Place au plain-chant et la place la plus importante; il a mérité d'être et de rester la langue officielle de l'Eglise par sa constitution mélodique et son caractère de recueillement et de prière; mais qu'il soit traité avec les délicatesses de détails qu'il mérite à ce double point de vue ; sans cela il ne serait pas compris et il manquerait son but.

Place aussi à la musique, mais une place secondaire, et dans certaines circonstances plus solennelles seulement ; son usage habituel laisserait trop la masse des fidèles étrangère à la prière publique : même alors que ce soit la science, qui ne doit pas cependant être négligée; que le souci du respect religieux, qui préside au choix des oeuvres offertes à l'assemblée chrétienne ; que ces productions n'aient rien qui ressemble, ni par leur facture, ni par leurs effets aux oeuvres profanes et surtout aux productions théâtrales.

J'ai fini; je vous demande pardon, Messieurs, de vous avoir retenu si longtemps sur une question qui ne vous intéresse peut-être que médiocrement, mais dont en tout cas la pratique ne vous incombe guère. Quand il m'arrive d'entendre vos travaux remarquables, je ne me retire jamais sans emporter une satisfaction nouvelle pour mon esprit. Veuillez m'excuser si aujourd'hui je ne vous ai pas payés de retour.


MICHEL-ANGE ET SES POÉSIES

LECTURE

Faite à l'Académie dans la séance de juin 1896

PAR

M. Etienne de SCORBIAC

MEMBRE RÉSIDANT

Michel-Ange ne fut pas seulement un incomparable sculpteur, un architecte savant, un dessinateur sans rival, un peintre éclairé par la vision des choses célestes ; ce grand artiste cultiva aussi les lettres, les muses vinrent parfois le consoler de ses chagrins, le distraire de son rude labeur. Nourri de la lecture des poésies italiennes, admirateur de Dante et de Pétrarque, il composa un grand nombre de sonnets, empreints d'une suave mélancolie.

Un critique moderne, dans une de ses dernières études littéraires, le place au premier rang des poètes de son siècle. D'autres n'ont pas craint de le surnommer : l'homme aux quatre âmes, tant il est rare de trouver un mortel orné d'aussi nombreuses et brillantes facultés.


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Elever des monuments fameux, tenir le pinceau, creuser le marbre, faire vibrer la lyre, voilà la vie de celui que tous reconnaissent comme le roi des statuaires, le maître des peintres, le géant de l'architecture, en un mot, le prince de tous les arts. Le nimbe de gloire qui entoure son front semble grandir avec le temps. Les figures moins pures que la sienne s'effacent de la mémoire des hommes, tandis que chaque siècle parait apporter aux pieds de ce génie un nouveau tribut d'hommage et d'admiration. C'est qu'à vrai dire, les années s'écoulent et chaque génération cherche en vain, parmi ses fils les plus célèbres, un émule de ce grand inspiré.

Michel-Ange reste debout devant la postérité, je ne dis pas le premier, ni le plus grand des artistes, mais le seul dont le nom évoque à la fois la gloire des Apelles et des Phidias, celle des architectes les plus hardis et des poètes les plus charmants, sans que toutes ces gloires puissent faire pâlir la sienne.

Le paganisme l'eût certainement placé au rang des dieux. Pour nous, admirons ses oeuvres, saluons le peintre de la chapelle Sixtine, l'auteur de Moïse, l'architecte de la coupole de Saint-Pierre et des fortifications de SanMiniato, étudiées et admirées par Vauban, mais n'oublions pas ses compositions littéraires, goûtons-en le charme et tâchons de découvrir les secrets d'une âme aussi noble que tendre et délicate.

Dès l'âge de quinze ans, Michel-Ange surpassait ses maîtres, il corrigeait les oeuvres de Ghirlandaio et celuici s'écriait : « L'enfant en sait plus que nous tous. » Laurent de Médicis dit Le Magnifique, ne tarda pas à prendre sous sa protection le jeune artiste, lui assigna un logement dans son palais et le traita comme son enfant.


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Malheureusement la mort ne tarda pas à priver Buonarotti de son bienfaiteur. Il en ressentit un grand chagrin, car Pierre de Médicis ne partagea point les goûts de son père et les biographes nous le représentent occupant Michel-Ange à faire des statues de neige.

On comprend que le jeune homme, appelé à un brillant avenir, ne voulut pas rester auprès de Pierre pour le divertir. Il alla d'abord à Bologne, revint à Florence et s'établit enfin à Rome.

La singulière méprise qui fit attribuer son Cupidon endormi à l'un des plus fameux sculpteurs de l'antiquité, attira sur lui tous les regards, et son célèbre groupe délia Pieta, acheva de le placer au premier rang des statuaires.

Les figures du Christ et de la Vierge avec le reflet de la beauté céleste du fils et de la mère, expriment des sentiments d'une noblesse infinie. Comme dit Michel-Ange lui-même dans un de ses sonnets : « Tout ce qu'un artiste peut concevoir, le marbre le renferme en son sein, mais il n'y a qu'une main obéissante et la pensée qui puissent l'en faire éclore. » On raconte que Condivi s'étonnant que la Vierge fût représentée avec un air de trop grande jeunesse, à côté de son fils, dont le visage est vieilli par la douleur, Michel-Ange lui dit : « Ne sais-tu pas que les femmes chastes se conservent plus longtemps jeunes que celles qui ne le sont point? Il en est tout autrement pour le fils de Dieu, qui a supporté toutes les misères humaines, excepté le péché. » On voit par cette réponse, que l'auteur cherchait avant tout à traduire une pensée chrétienne.

Dans le Moïse, nous trouvons une puissance merveilleuse et une originalité surprenante. La pureté des formes et la 1896 10


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majesté de ce colosse inspirent l'admiration, le respect et presque la terreur ; on croit entendre l'oracle du Sinaï au milieu des éclairs et du bruit de la foudre. Gustave Planche n'a trouvé dans toute l'antiquité que le Jupiter de Phidias qui puisse être comparé à ce chef-d'oeuvre. Cependant la gloire du sculpteur n'efface pas celle du peintre de la chapelle Sixtine ; là encore Michel-Ange nous révèle tout son génie. Écoutons la description que donne Lanau Rolland du Jugement dernier. Le Christ sévère et menaçant domine la scène : les anges, groupés sous ses pieds, jettent aux échos des mondes éteints le son des trompettes fatales; la Vierge, à genoux, implore son fils. Aux deux sommets de la fresque, deux vols d'anges portent la croix et le pilier de la flagellation ; autour du Christ des milliers d'élus et de martyrs; au-dessus d'eux, à droite, les bienheureux s'élèvent de la terre vers le côté des bons, et à gauche, les réprouvés que les démons entraînent ou précipitent aux enfers, roulent au travers de l'espace; au bas du tableau, les morts surgissent de leurs tombeaux dont ils soulèvent la pierre et quittent la terre pour monter vers le juge redoutable; enfin, Caron, sous la forme d'un diable et armé d'une fourche, emporte dans sa barque mythologique d'innombrables damnés qu'il jette pêle-mêle sur le rivage incandescent de l'enfer. Tous ces corps nus, musculeux, dessinés avec une vigueur indescriptible; tous ces anges lancés dans l'azur la tête en bas, couchés, penchés, flottants ; tous ces damnés grimaçants, disloqués, écrasés, contournés, tordus, culbutés, affreux ; tous ces êtres confondus dans les attitudes les plus diverses et les plus étranges forment un ensemble tellement audacieux que l'esprit reste saisi d'étonnement. »


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Tous ceux d'entre nous qui ont vu cette oeuvre superbe, la reconnaissent dans ces quelques lignes, bien qu'elles n'en donnent qu'une imparfaite idée à ceux qui n'ont pas eu la bonne fortune de l'admirer. Il est impossible d'imaginer une plus grande perfection dans la peinture de ces corps humains si étrangement confondus. Michel-Ange étudia l'anatomie avec le plus grand soin, ne reculant pas devant les séances de dissection auxquelles des amis le convièrent, pour le faire arriver à la plus exacte représentation de la nature. Et si l'on a pu critiquer l'abus des nudités, surtout dans un temple religieux, il faut reconnaître que dans ces poses bizarres si merveilleusement représentées, l'artiste est arrivé à une perfection que nul avant lui ne pût jamais atteindre.

Après le sculpteur et le peintre, il faudrait, pour louer l'architecte, parler de la coupole de Saint-Pierre. Les livres et les gravures ne manquent pas pour faire connaître ce qu'il y a de prodigieux dans cet édifice, le plus vaste du monde, mais ce que ne diront pas les livres, ajoute l'auteur que je citais tout-à-l'heure, c'est l'admiration qui s'empare de l'âme lorsqu'après avoir franchi la placé circulaire qui précède l'église et la colonnade élevée autour de la nef, le voyageur entre sous ces voûtes jetées à quatre cents pieds au-dessus de sa tête et se trouve en présence de ce temple, élevé par toute la chrétienté.

L'homme qui foule les dalles nues et sonores se trouve alors si petit, il voit tant de siècles passés, dont les noms semblent écrits sur les blocs qui l'entourent, l'immensité de l'idée divine s'empare si fortement de sa pensée, qu'il se sent saisi de vertige.. l'âme s'élève... la vision grandit, qu'il soit catholique ou musulman... croyant


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ou sceptique, il s'écrie alors comme Stendhal : « On ne peut qu'adorer celui qui inspire de telles choses. . . »

C'est après avoir mis la dernière main à tous ces chefs-d'oeuvres que le grand artiste, âgé de cinquante ans, dans tout l'éclat de sa gloire, se sentit pris d'une profonde admiration pour les poésies de la belle Vittoria Colonna. L'homme austère, à l'esprit élevé, ennemi des frivolités, tourné vers le beau idéal dont il parle sans cesse, fut subjugué par le grand caractère, les pensées sublimes et les nobles sentiments de la jeune veuve encore dans tout l'éclat de la beauté.

Comme Dante et Pétrarque célèbrent dans leurs chants harmonieux Béatrice et Laure, Michel-Ange voulut, à son tour, exprimer dans ses charmants sonnets, l'admiration qu'il éprouvait pour cette femme, son premier, son dernier et son unique amour.

Vittoria Colonna avait épousé Ferdinand-François d'Avalos, marquis de Pescara, qui après avoir combattu les Français à Marignan, avait refusé la couronne de Naples, que lui offraient à la fois le duc de Milan et le Souverain-Pontife. Vittoria était célèbre dans toute l'Italie, par les belles élégies où elle exhalait son chagrin.

Tout entière à la douleur, elle tirait de sa lyre des méditations et des harmonies poétiques, objet d'admiration pour ses contemporains et qui ne laissent pas à travers les âges de charmer les érudits.

Voici un fragment des stances qu'elle adresse à son mari trop tôt ravi à son amour :

« Soleil tout rayonnant de gloire, vision céleste dont l'éclat réchauffe l'âme et la féconde ! Où sont-ils les beaux jours d'Ischia, lorsque le bien-aimé rentrait victo-


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rieux de ses campagnes ? Hélas! Maintenant tout est douleur et chagrin.

« Vainement, j'avais espéré que le temps apaiserait ma douleur ardente. Ce n'est point seulement mon âme qui souffre. Combien le cruel chagrin m'a défigurée, toimême ne me reconnais qu'à ma voix, car de mes yeux, de mon visage et de mes cheveux s'est enfui ce que tu nommais ma beauté. J'étais si fière de croire à tes discours, de voir à quel point j'étais chère à ton coeur! Aussi maintenant peu m'importe que cette beauté se soit à jamais évanouie, puisque toi tu me manques, toi pour qui seul je me sentais heureuse d'être belle. Qu'importe la beauté, que me font tous les autres biens, dès que je ne puis plus les partager avec toi. »

Tels étaient les sentiments de Vittoria lorsqu'elle reçut de Michel-Ange les premiers aveux d'un amour si pur et si élevé qu'il ne lui parut pas pouvoir la détourner du souvenir du marquis d'Avalos.

Quelle femme n'eût pas été fière de voir à ses pieds celui dont les rois, les empereurs et les papes se disputaient les faveurs et l'amitié? Ce front couronné de gloire s'inclinait devant elle, le coeur affranchi jusque là des chaînes de l'amour se donnait tout entier. Vittoria en accepta l'hommage. Encouragé par quelques paroles gracieuses, le poète lui adressa des sonnets charmants :

« Un artiste éminent, dit-il, ne conçoit aucun sujet qu'un marbre ne puisse renfermer dans son sein... ainsi se cachent en toi, femme charmante altière et divine; le mal que je fuis et le bien que je me promets.

« La puissance d'un beau visage, me transporte vers le


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ciel, car il n'est rien sur la terre qui pour moi ait autant de charmes, et, je m'élève, vivant, parmi les élus, faveur rarement accordée à un mortel !

« La créature s'harmonise si bien avec le Créateur, que par cette divine comparaison, je remonte jusqu'à lui, et toutes mes pensées et mes paroles s'inspirent de lui, pendant que je brûle d'amour pour une noble femme. Si je ne puis détourner mon regard de ses yeux, c'est que j'y reconnais la lumière qui me montre le chemin conduisant à Dieu, si je brûle enflammé par l'éclat de tes yeux, je sens au fond de ma noble passion rayonner, ineffable, la joie éternelle qui rit dans le Ciel... »

Ces quelques vers suffiraient déjà pour nous fairejuger la nature des sentiments de ce grand artiste; l'amour du Créateur et de la créature se confondent et expliquent comment il a su si merveilleusement représenter à nos yeux les sujets les plus mystiques sous des formes sensibles, mais idéalement belles; il nous a fait connaître en quelque sorte la beauté divine par l'expression et la grâce de la beauté humaine. C'était tout son art, toute sa pensée, sa vie et ce fut encore le rêve de sa vieillesse.

Un prêtre lui demandait un jour pourquoi il ne s'était pas marié. J'ai une femme de trop, dit-il, elle m'a toujours persécuté, c'est mon art, et mes enfants sont mes ouvrages.

Renfermé dans l'amour austère de son travail, il craignait de ne trouver dans une femme que la beauté fragile et l'inconstante amitié.

Dans un de ses madrigaux, il nous révèle le fond de son âme :

« Il me fut accordé en naissant comme un gage assuré


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de ma vocation : cet amour du beau qui dans deux arts me guide et m'éclaire. Jamais je ne contemplai la beauté que pour élever ma pensée avant de peindre ou de sculpter. Ce n'est pas à des regards infimes qu'il est donné de s'élever de l'homme jusqu'à Dieu. »

Dans ses poésies, Michel-Ange a suivi la trace de Dante, célébrant les charmes et les vertus de Béatrix. mais toujours comme une beauté éthérée, mystique, céleste. La lecture de la Vie nouvelle avait imprégné son âme, il semble que ces deux génies aient bu à la même source et que l'amour du bien, du beau et du vrai, se soit révélé à eux sous les mêmes formes, tant leurs sonnets se ressemblent. Ce qui caractérise les poésies de Michel-Ange, c'est qu'elles ne sont point le fruit d'un travail continu, mais bien des pensées jetées çà et là ou tombées des hauteurs de son génie, comme les éclats de marbre que le ciseau faisait voler à ses pieds.

C'est ainsi que s'adressant à son amie il lui dit :

« La vie de mon amour n'est pas mon coeur, cet amour tend vers un but où ne peuvent exister ni affections mortelles remplies d'erreurs, ni coupables pensées...

« De même que le feu ne peut pas être séparé de la chaleur, le beau ne peut pas être séparé de l'Etre éternel, et je glorifie tout ce qui descend de lui, tout ce qui lui ressemble.

« Voyant le paradis dans tes yeux et impatient de revenir là-haut où pour la première fois je t'aimai, je cours, tout brûlant d'amour sous tes paupières. »

Ici, par une fiction qui découle de l'impression que l'on reçoit, lorsqu'apparaît une beauté qui répond à l'idéal que


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chacun de nous a rêvé dans sa jeunesse, Michel-Ange semble avoir connu Vittoria dans un monde meilleur. C'est elle qui est le type de la beauté physique et morale. N'est-ce pas le plus bel éloge qu'un aussi grand juge en esthétique puisse faire de la grâce et des traits d'une créature humaine ?

Aussi veut-il la rendre immortelle par ses oeuvres, et lui demande-t il la permission de peindre ses traits, de reproduire son image; elle le rendra joyeux, et lui la fera belle :

Far lieto me, perch'io lei facia bella.

Malheureusement pour la postérité, la jeune femme refusa de condescendre à ses désirs. Soit vertu, soit pruderie, elle ne voulut pas laisser immortaliser la preuve d'un amour qui devait rester élevé au-dessus des passions vulgaires, comme l'astre éclaire dans la splendeur des cieux, mais rie descend pas jusqu'à nous.

Jamais Vittoria ne consacra une seule de ses poésies au grand homme qui lui faisait hommage de son coeur. Elle avait aimé si fortement son mari, qu'elle ne pouvait avouer ses sentiments pour Michel-Ange et celui-ci se demandait avec amertume d'où venait sa froideur. Peut-être le recevait-elle seulement comme un grand homme, de même qu'elle avait reçu Charles-Quint, pour l'honneur qui lui revenait de ses relations avec cet empereur et avec toutes les célébrités de son temps?

Le poète ne se rebutait pas, l'indifférence de son amie augmentait sa flamme et il s'écriait :

« Un grand amour pour une immense beauté n'est pas toujours une faute impie et mortelle, s'il laisse le coeur tellement attendri qu'un trait divin le pénètre.


— 145 — « L'amour ranime, redresse et déploie nos ailes pour un vol sublime et son ardeur est souvent le premier degré duquel l'âme affligée ici-bas, s'élance vers son Créateur. »

C'est dans le texte italien que l'on voit toute la beauté de cette harmonieuse langue :

Non e colpa mai sempre empia e mortale, per immensa bellezza un grande amore, se poi si lascia rammollito il cruore, etc..

Non content d'offrir ses sonnets, l'artiste envoyait à son amie des peintures représentant des sujets graves et même religieux. Ce n'était ni son célèbre Cupidon, ni sa voluptueuse Léda, mais le Christ mort sur les genoux de sa mère ou enseignant sur la margelle du puits de la Samaritaine.

Çà et là Michel-Ange jetait sur ses esquisses des fragments de stances, indices charmants des pensées poétiques qui au milieu de ses travaux illuminaient son âme, laissant leurs traces parmi les lignes sévères et les suaves contours de ses oeuvres superbes.

Tout le monde connaît les vers qu'il composa au sujet de sa magnifique statue de la Nuit.

On voit une femme d'une grande beauté, endormie et mollement étendue. La jambe s'étire un peu, le bras s'appuie dessus et sur le dos la main ployée s'incline sur le visage aux yeux clos. Une tresse de cheveux s'épand du cou et des épaules sur la poitrine.

A la vue de cette oeuvre du maître un poète grava audessous les vers suivants :

La nuit, si mollement à tes yeux révélée

O passant ! dans le marbre, un ange l'a taillée ;

Elle est vivante et dort; éveille-la

Si lu m'en crois, elle te parlera.


— 146 — Michel-Ange répond en faisant dire au marbre :

Oui bien me prend d'être endormie, Et mieux d'être pierre, aussi longtemps, hélas ! Que chez nous régneront la honte et l'infamie N'entendre et ne voir rien est tout ce que j'envie. Qui que tu sois, passant, ne me réveille pas, Et si tu m'as comprise, parle bas !

On peut juger, par cette réponse, du dégoût qu'éprouvait Michel-Ange pour les luttes dont il était le témoin et quelle soif de paix, de repos et de concorde il éprouvait. ..

Cette époque est bien éloignée do nous, les révolutions se sont succédé, le calme n'est pas revenu et beaucoup voudraient dormir comme la statue de la Nuit, pour ne pas voir la honte et l'infamie dont parle le poète.

Comme Chateaubriand et Mme Récamier, Michel-Ange et Vittoria s'aimaient, ils s'admiraient dans une intimité pleine de douceur, oubliant les luttes politiques et religieuses de leur temps. De même que Mme Récamier se plaisait à rapprocher, pour les concilier, les hommes des opinions les plus opposées et n'employait son crédit qu'à soulager l'infortune à protéger le mérite ou à servir l'amitié, ainsi Vittoria Colonna recevait les hommes de tous les partis, cultivait les lettres et poussait la charité jusqu'à fonder un refuge pour les jeunes filles pauvres dont elle prenait le plus grand soin.

Les grandes âmes de tous les siècles se ressemblent et sont faites pour s'aimer et se comprendre lorsqu'elles se rencontrent.

Michel-Ange eut la douleur de perdre son amie au


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commencement de l'année 1547. On comprend que son chagrin fut sans égal :

« Ce premier amour, dit-il, qui était mon repos et mon but, est, dans mon malheur un grand accablement pour mon âme abattue. Je gis glacé comme un homme auquel reste à peine un peu de vie.

« Ah! cruelle mort, combien ce coup aurait été doux, si, l'un des amants étant frappé, tu eusses aussi entraîné l'autre à sa dernière heure !

« Je ne traînerais pas aujourd'hui ma vie dans les pleurs, et délivré de la pensée qui me désole, je ne remplirais pas l'air de tant de soupirs. »

On voit par ces lamentations la place qu'occupait Vittoria dans le coeur de Michel-Ange, dont tous les sonnets après la mort de son amie, se résument en ce vers de Victor Hugo :

Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu !

Le poète avait aussi chanté le bonheur de la vie champêtre :

« Un plaisir plein de charmes, dit-il, c'est de voir les chèvres hardies grimper aux rochers, paissant tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre cime ; c'est de voir en bas le berger qui joue, tantôt immobile, tantôt en marchant pour soulager son coeur par les notes rudes de sa chanson rustique ; c'est de voir sa belle, dont le coeur est de fer, lui tenir rigueur en gardant ses troupeaux sous un chêne.

« C'est plaisir encore de voir sur une hauteur une demeure champêtre couverte de terre ou de chaume. Ici,


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on dresse la table, là, au dehors, s'allume le feu sous un rocher. Le vieillard se réjouit à l'aspect de son industrieuse famille et s'asseyant au soleil, devant le seuil de sa porte, il goûte la joie de vivre encore.

« Il honore, il craint, il aime Dieu, le prie pour son troupeau, pour ses labours. Ni le doute, ni les peut-être, ni les comment, ni les pourquoi ne peuvent le rendre mauvais, car ils n'existent pas pour lui. Il conçoit Dieu avec la vérité, avec simplicité et rend le ciel propice à ses désirs. »

Ici, se révèlent des goûts simples; une âme qui a besoin de repos, de foi et d'espérance. C'est une églogue de Virgile devenu chrétien :

Deus nobis hoec otia fecit.

Fortunale senex ! hic inter flumina nota Et fontes sacros, frigus captabis opacum.

On pourrait citer de nombreux vers des deux poètes nés sous le ciel de l'Italie, et après quinze siècles on retrouverait clans Michel-Ange la fraîcheur, la simplicité et la grâce du chantre de Mantoue.

Cependant, la vieillesse, cette voyageuse de nuit, comme l'appelle Chateaubriand, arrive à grand pas et ajoute au chagrin de Michel-Ange l'inséparable cortège des misères physiques, ce qui a fait dire à Barbier :

Quand tu parvins à ta saison dernière Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière, Tu mourus longuement, plein de gloire et d'ennui!

Plein de gloire, oui certes, mais d'ennui non ; car le


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poète, à mesure que la terre se dérobait sous ses pas, tournait ses regards vers la patrie d'en haut :

« Sur un esquif fragile, chante-t-il, au travers d'une mer orageuse, le cours de ma vie est déjà parvenu à ce port commun où l'on va rendre un compte sévère de toute oeuvre bonne ou mauvaise,

« Je connais combien était chargée d'erreur cette amoureuse fantaisie qui se fit de l'art une idole et un tyran; tout ce. que l'homme désire ici-bas est mensonge.

« Ni la peinture, ni la sculpture ne charmeront plus mon âme tournée maintenant vers cet amour divin qui ouvrit ses bras sur la croix pour nous recevoir. »

Dans ses sonnets enflammés, Michel-Ange a, tour à tour, exalté les charmes de son amie, on l'a accablée de reproches ; il a chanté, il a pleuré, mystère d'ivresses étranges et dé déchirements. Cet austère génie nous a révélé toutes les agitations de son coeur, c'est là ce qui donne à ses chants un attrait particulier, à ses derniers accents une profonde mélancolie.

Peu à peu les. illusions sont tombées, la gloire, l'amour tout s'enfuit, mais l'aigle en mourant regarde le soleil. Comme le plus grand physicien des temps modernes rendait naguère hommage au grand architecte de l'univers, du haut de la tour superbe qui domine Paris; ainsi, il y a trois siècles, après avoir gravi les plus inaccessibles hauteurs de l'art, le grand Michel-Ange proclamait la gloire et la puissance de celui qui inspira son incontestable génie.



LES

COUTUMES DE MONTAGNAC

EN ARMAGNAC

( 1260)

PAR

M. Edouard FORESTIÉ

ARCHIVISTE

Les recherches relatives aux textes inédits de chartes de coutumes ont été mises en honneur depuis quelques années, et le programme des réunions des Sociétés savantes n'a pas peu contribué à les stimuler. C'est là une oeuvre vraiement patriotique dont on ne saurait trop louer l'initiative. N'est-il pas, en effet, très avantageux pour la science historique, qui de nos jours ne se paie plus de légendes et de traditions, n'est-il pas indispensable de posséder le corpus des textes, des privilèges et libertés concédées pendant le Moyen-Age, soit par les rois ou les princes, soit par les seigneurs ou les couvents, aux agglomérations d'hommes qui formèrent les premières communautés.

Ce n'est pas ici l'heure ni le lieu d'étudier comment se produisit et se développa ce mouvement communal, qu'on a eu le tort de synthétiser et de localiser à une époque


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ou à un règne. Il nous sera permis de dire seulement, en passant, que dans bien des cas les chartes ne furent que la codification, l'enregistrement, la confirmation d'usages et de droits fort anciens, dont quelques uns pouvaient même remonter au plus haut Moyen-Age.

Toutefois, la charte que nous avons l'honneur de publier aujourd'hui est relative à une bastide, c'est-à-dire à un village à créer, et par conséquent il est curieux de connaître par ce document l'état social, au point de vue du droit et des rapports entre seigneurs et vassaux à la fin du XIIIe siècle, dans une partie de notre Sud-Ouest.

La charte de Montagnac, Montaghac ou Montanhac — les trois noms figurent sur les actes relatifs à cette localité, — se trouvait dans les papiers de la famille de Cardaillac, jadis seigneurs dudit lieu, qui sont conservés parmi les riches archives de M. de Montesquiou. Nous avons eu la bonne fortune de l'y découvrir, à la suite de la gracieuse communication qui en avait été faite par leur possesseur à M. le baron Fernand de Cardaillac, conseiller à la Cour d'appel d'Agen, qui recueille avec un soin éclairé tout ce qui intéresse l'histoire de ses ancêtres.

Nous la croyons inédite, n'en ayant trouvé mention dans aucun des ouvrages dont nous pouvons disposer. Avant d'en donner le texte, nous la ferons précéder de quelques détails historiques sur Montagnac et ses seigneurs.

A la fin du XIII'' siècle, l'abbaye de Grandselve, qui avait acquis depuis sa fondation, en 1114, d'immenses


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domaines dans cette partie de la Lomagne et du pays de Verdun, où Geraud de Salles avait placé ce monastère, se préoccupait de répandre autour d'elle les bienfaits de cette civilisation dont les moines furent les pionniers durant le Moyen-Age. Aussi, voyons-nous l'un de ses abbés fonder la bastide de Gilhac, en paréage avec le Roi, en 1274, puis transporter à Beaumont-de-Lomagne cette création '. Nous constaterons, tout à l'heure, que cette mesure ne fut pas isolée, et que les moines cisterciens ne manquèrent aucune occasion de faciliter l'expansion communale en même temps que la culture des terres.

Vers l'année 1260, Ayceline de Lastours et ses fils Odon et Gautier de Lastours possédaient le château de Montagnac, situé aux environs de Mauvezin, dans le diocèse de Lombez, au comté d'Armagnac 2.

Ils voulurent favoriser l'éclosion d'une bastide autour de leur château, castellare, bâti de pierre, et pour entraîner les habitants de la contrée à venir se mettre sous leur protection et leur directe, ils leur concédèrent les avantages énumérés dans la charte dont nous publions plus loin le texte. On remarquera que les seigneurs donnent aux nouveaux citoyens de Montagnac un terrain pour bâtir leur maison, des terres pour blé, pré et vignes, sans compter les autres avantages et droits tels que celui de four et de pacage.

Nous ne croyons pas que la bastide de Montaignac ait jamais eu un grand développement, et son histoire n'est guère brillante ; elle présente cependant un intérêt, c'est l'ingérence de l'abbaye de Grandselve.

1 Ces coutumes ont été publiées dans le Livre juratoire de Beaumont-deLomagne, par M. Babinet de Rencogne. Montauban, 1888.

2 Montagnac n'est qu'un petit hameau de quelques maisons.

1890 11


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En effet, en 1270, frère Guillaume d'Aux, convers de Grandselve, grangier de Bagnols, et Gaillard Fortina, chevalier, arbitres et amiables compositeurs pour le litige pendant, relatif au château de Montagnac et à ses dépendances, rendirent une sentence arbitrale entre Pierre de Radulphi ou Raoul, syndic de Grandselve et Pierre de Fradils, syndic de Gimont d'une part, et Ayceline, Gautier et Odon de Lastours, agissant sur le conseil d'Aude, épouse d'Odon.

Les arbitres déclarèrent et décidèrent : « Quod dictum « castellare seu castrum de Montanhaco, prout est inter « fossata seu varata que circuiunt dictum castrum cum « hominibus et feminis intra dicta fossata seu varata dicti « castri seu castellarii habitantibus, cum justiciis, person«

person« et criminalibus que intra dictum castrum

« pro bono pacis et concordie et amicabilis compositionis « sint prefatae Dne Ayceline et heredum suorum predic« torum Galterii videlicet et Odonis et eorum ordinis « extra fossata predicta seu varata habeant juxta castrum « predictum unam cartonatam terre liberam pro facienda « sua et heredum suorum omnimoda voluntate, et in sex « aliis quartonatis terrae ipsa domina Ayselina cum suis « hoeredibus predictis medietatem pro indiviso habeat pleno « jure predicti vero domini abbatis monasteriorum Gran« dissilve pariter et Gimondi cum conventibus eorum pre« sentibus et futuris, unam aliam quartonatam terrae « habeant liberam pro indiviso vel divisim prout eis pla« cuerit juxta fossata vel varata castri vel castelarii « superius nominati pro facienda eorum dictorum abba« tium ac conventuum (etc.) omnimodo voluntate... et in « praefatis sex quartonatis dicti abbatis etc.. habeant « medietatem pro indiviso et possideant in perpetuum pleno


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« jure honores vero alii terre culte et inculte, barte, pascue « aque nemora, molendina et loca molendinorum...excepto « quod dictum castrum et habitatores ejusdem habeant « mediam quartonatam terre de universo territorio dicti « castri ad opus padoenchi. »

Les arbitres réglèrent la part de chacun des contractants dans certaines terres et, en outre, certains droits de justice : Si quelqu'un des habitants était poursuivi pour un forfait, tous ses biens seraient attribués à Ayceline et à ses héritiers, sauf que ce fût question féodale, qui se diviserait alors selon la division réglée par la sentence. Si quelqu'un veut construire une maison dans les six quartonats précités, la moitié des droits appartiendra à chaque partie ; dans les autres terres il sera fait suivant les droits attribués à chaque partie. Pour les abeilles, le forestage et les autres droits, il en est de même; la justice sur le padouenc appartiendra aux seigneurs.

Cet acte, dont une copie existe aux archives de M. de Montesquiou 1, fut passé le 19 février 1270-71, et retenu par Bernard de Sarrade, notaire de Gimont.

Quelques années après, en 1291, le paréage était en plein fonctionnement, puisque Gaillard de Cirac, chevalier, et Geraud de Fite, chevalier, tuteurs de Bernard de Montagnac, fils de feu Odon de Lastours, chevalier, suivant testament de ce dernier, retenu par Bernard Grandi, notaire de Gimont, d'une part, et frère Guillaume de Guillamote, syndic et procureur de l'abbaye de Granselve, et Dominique de Vivecure, infirmier, syndic et procureur du monastère de Gimont, donnent en fief à Pons, fils de Vital d'en Pons, habitant de Lastours, 12 conquades de

1 Archives de Montesquiou. Titres de Montagnac. Liasse 1re, n° 28.


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terres à Montagnac, sous la rente de la neuvième partie du blé récolté, dont quatre parts pour le seigneur et trois pour les couvents, plus une oublie annuelle de 1 denier tournois par conquade et 8 deniers de Toulouse de réacapte par conquade à chaque mutation de seigneur ou à la mort de l'abbé, plus 4 deniers de justice 1.

Des premiers seigneurs de la famille de Lastours, Montagnac passa à celle de Polastron. En 1422, le 30 avril, noble George de Polastron de Segreville rend hommage au vicomte de Fézensac, pour Montagnac, avec juridiction basse 2.

Son descendant, noble Arnaud-Guillaume de Polastron, dénombra également la terre de Montagnac devant Jean de Goullar, baron de Lisle, chambellan du roi et de la reine de Navarre, comte et comtesse d'Armagnac, et leur sénéchal, le 21 mai 1552 3.

Noble Antoine de Polastron avait, en 1539, fait le même dénombrement4.

Bernard de Cardaillac, troisième du nom, écuyer, seigneur de Lomné, épousa, le 31 janvier 1566, Jeanne de Polastron, qui lui apporta la seigneurie de Montagnac; en cette qualité il fit hommage, le 5 décembre 1609 5, devant le sénéchal d'Armagnac pour la dite seigneurie, qui passa momentanément sur la tête de Raymond de Cardaillac, son fils cadet, et à la mort de celui-ci, survenue avant 1622, son frère aîné Jean-Jacques de Cardaillac en devint seigneur.

1 Arch. de Montesquiou. Tit. de Montagnac. L. 1re, n° 30.

2 Ib. L. 2, n° 1. 3 Ib. L. 2, n° 2. 4 Ib L. 2, n° 4. 5 Ib. L. 2, n° 3.


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Jean-Jacques de Cardaillac, seigneur de Lomné, baron d'Esparos, avait épousé, le 25 avril 1611, Marguerite de Sédillac de Saint-Léonard; il mourut vers 1623. La seigneurie de Montagnac fut donnée en usufruit à cette dame jusqu'à ce qu'elle fût payée de sa dot.

Marguerite de Sédillac en fit hommage au roi, le 4 juillet 1634 1, et son second mari Hugues de Cazaux en fit également le dénombrement en 16392.

Bernard IV, soigneur de Montagnac, fils de JeanJacques fit son dénombrement en 1662 3 ; Paul de Cardaillac en 1671 ; Arnaud comte de Cardaillac en 1741 ; Bernard V en 1779, et en 1785 elle fut saisie faute par lui d'avoir rendu hommage pour ladite terre.

En décembre 1665, les consuls et syndic du lieu de Montagnac adressent à M. de Viney, chevalier, conseiller du roi, trésorier de France, député par le roi pour la révision des tarifs et liquidation des dettes des communautés de l'élection d'Armagnac, une requête disant qu'ils avaient, fait procéder à l'arpentement et vérification des biens dudit lieu par des experts; ils demandent d'être déchargés, suivant ledit arpentement. Ils eurent gain de cause.

L'arpentement est intéressant à parcourir. Il fut fait par François et Bernard Sabatié, du Cauzé, assistés de Jean Figuadère et suivant délibération des consuls, en 1664.

On y relève le détail des mesures agraires alors en usage. La contenance totale des terres était de 107 conquades, 31 places, 12 escats (la conquade de 36 places, la place 24 escats, l'escat 14 pans carrés).

1 Arch. de Montesquiou. Tit. de Montagnac. L. 2, n° 5.

2 Ib. L. 2, n° 6.

3 Ib. L. 2, nos 7, 8 et suiv.


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La conquade du 1er degré fut taxée à 4 livres. Celle du 2e degré à 2 livres et la 3e à 1 livre. Le total de l'imposition était de 287 livres 12 s. Les consuls de Montagnac eurent à soutenir un procès avec messire Gabriel de Roquette, seigneur, évêque d'Autun, abbé de Granselve, qui leur réclamait la reconnaissance générale comme prétendant être leur seigneur direct, quoiqu'ils n'aient jamais reconnu que les seigneurs portant ce nom.

L'abbé prétendait que Montagnac dépendait de l'abbaye. La cause fut plaidée devant le sénéchal de Toulouse, à l'audience du 23 novembre 1676 1.

L'issue du procès n'était pas douteuse, les consuls produisirent divers hommages faits uniquement au seigneur laïque, notamment celui de 1563 fait à Bernard de Cardaillac.

Ajoutons que dans les dénombrements faits par les Polastron ceux-ci ne déclaraient que la basse justice de Montagnac pour 60 sols, tandis que des Cardaillac le dernier déclare posséder haute et basse justice sur le lieu de Montagnac.

De deux comptes conservés dans les archives de M. de Montesquiou, il résulte que la terre de Montagnac, pour l'année 1783 2, avait donné un produit

(sans y comprendre le vin), de 3.685 1 5 s

La dépense y compris la réparation du château 1.0321 9s 4

Produit net.. 2.652 15s

1 Arch. de Montesquiou. Tit. de Montagnac. L. 1re, n° 31. 2 Ib. L. 2, n. 29.


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L'année suivante, y compris le vin, donna 3.205 6 s 3d net.

Après avoir ainsi indiqué sommairement l'histoire, peu importante d'ailleurs de cette localité, il nous reste à faire connaître les coutumes du XIIIe siècle.

Le texte des coutumes de la bastide de Montagnac nous est fourni :

1° Par une copie sur parchemin du XIIIe siècle, probablement contemporaine de l'original; cette copie, en très mauvais état, est non seulement déchirée, mais elle présente des trous faits par les rats et quelques parties assez effacées. La cote est triple : au XVe siècle on écrivit le mot : de Montanhac, au dos; au XVIe : n° 468, Instrument des coutumes des manans et habitans de Montanhac ; enfin, au siècle dernier, on écrivit encore au dos : 1260, Coutumes de Montagnac.

Le texte a cinquante-deux lignes de belle écriture gothique très régulière et très serrée. Le copiste n'a pas mentionné la date de l'acte, ni le nom du notaire; les témoins du vidimus ou le copiste ont placé, au bas, des signes très curieux en cinq figures, subdivisées ellesmêmes :

Le premier rectangle comprend quatre carrés : le premier portant une sorte de fleur de lys florencée, accostée de deux points; le second en chef un bâton terminé par deux boules, et formant avec la figure inférieure une sorte de portique; au centre la figure de l'écu d'or, soit un delta grec renversé v ; les doux autres carrés reproduisent les mêmes figures, sauf le dernier, où le v n'existe pas.


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Le deuxième rectangle est simplement orné de figures linéaires : un double triangle à chaque bout et au centre une double croix de saint André.

Le troisième rectangle contient cinq carrés, avec les figures suivantes : une faucille, un fléau, une hache, une serpe, six points sur deux lignes parallèles.

Le quatrième rectangle figure un peigne de tisserand.

La cinquième figure est une paire de ciseaux.

De l'examen de ces dessins, nous pouvons induire que ce vidimus fut fait en présence : 1° des deux consuls, dont les signes semi-héraldiques sont reproduits dans le premier rectangle ; 2° du juge, qui avait adopté un dessin assez emblématique; 3° des conseillers, qui devaient être deux paysans, un charpentier, un bûcheron et un tavernier; puis 4° du tisserand et du tailleur de l'endroit.

2° Au XVIe siècle, une copie de cet instrument fut faite par Pierre de Marsan, notaire de Gimont, avant que le parchemin du texte n° 1 fût détérioré; c'est ce qui nous a permis de rétablir dans son intégrité le document en entier, en le collationnant et en rectifiant quelques légères erreurs commises par le notaire de Gimont.

3° Une traduction en français — traduction peu exacte quant aux détails — faite au XVIIe siècle sur la copie de P. de Marsan.

4° Enfin un extrait ou brevet de ces coutumes dressé au siècle dernier sur le texte n° 1 après sa détérioration.


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ANALYSE DES COUTUMES

Les coutumes sont concédées aux habitants de Montanhac, ou plutôt à ceux qui voudront habiter cette localité, par noble Enceline de Lastours, Oddon et Gautier, ses enfants.

Les seigneurs octroient à tous ceux qui voudront bâtir une maison à Montagnac ou dans son faubourg, sous l'oublie de 2 deniers toulousains ou doubles tournois, un

emplacement de 11 rases ou coudées de large sur

(11 1 de long) (art. 1). Chaque habitant aura une carterée de terre pour la cultiver en jardin, borde ou ayral, sous l'oublie de 3 deniers tournois (art. 2).

De plus, ils auront droit à 2 carterées de terre à mettre en pré sous l'oublie de 3 deniers toulousains ou tournois (art. 3), et 2 autres pour planter en vigne sous la même rente (art. 4). Les droits de fiefs, ventes, engagements, acaptes et réacaptes, à chaque mutation, sont conservés au seigneur, ainsi que le droit de 4 deniers toulousains pour la justice, si le feudataire est justement inculpé (art. 5).

Chaque carterée de terre, pré, vigne, etc., doit avoir

1 Dans le texte latin il y a un .a. à la place du chiffre romain ; est-ce xL qu'on a voulu mettre? La copie du XVIe siècle ne porte pas de chiffre, et celle du XVIIIe indique qu'on ne peut pas lire, tandis que la traduction porte 11 coudées.


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8 perjons de large et 22 de long; le perjon ayant 7 coudées ou rases (art. 6). Le droit d'affitage ou d'emparence, a payer par chaque habitant est de 1 denier toulousain (art. 7).

Le passage et le pacage dans les terres du seigneur est libre et gratuit (art. 8). Un padouenc ou pâturage commun est concédé aux habitants (art. 9).

Les seigneurs concèdent également toutes les terres que l'on pourra défricher, sous la réserve du neuvième du blé, la moitié des noix ; les autres fruits restant la propriété du cultivateur (art. 10). Chacun a le droit d'avoir un four (art 11), une bergerie et une porcherie de vingt porcs libres de tout forestage, et deux génisses. Ceux qui auront plus de vingt porcs paieront le forestage comme dans les localités voisines (art. 12).

Les portes de la ville seront gardées et entretenues par la communauté (art. 13). La forge sera communale, sous l'oublie de 2 sols toulousains; le forgeron étant nommé et révocable chaque année par les consuls (art. 14).

Les habitants ont le droit de vendre et d'engager leurs terres et maisons, sauf aux chevaliers, clercs, hôpitaux, léproseries, etc., sous réserve de 1 denier par sol de vente et de 1 obole par sol d'engagement (art. 15). Toute personne qui quitte Montagnac devra être protégée avec ses meubles pendant un jour, durant son voyage, par les seigneurs; il pourra vendre ou garder ses biens en payant les droits seigneuriaux; s'il ne le peut, qu'ils soient saisis et reviennent au seigneur (art. 16). L'office du méseguier ou garde appartient à la communauté, sauf redevance d'un tiers aux seigneurs. Les amendes sont ainsi fixées : boeuf ou vache, jument, roussin surpris dans les taillis, 1 denier toulousain; si la bête est entravée ou attachée, 2 deniers;


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un porc, âne ou ânesse, six brebis ou six chèvres, 1 obole (art. 17).

Les clameurs sont fixées à 4 deniers toulousains chaque; les vêtements et le lit, les petites armes, les provisions, le blé préparé pour le moulin ne peuvent être saisis (art. 18).

Voici le tarif des crimes et délits : une blessure légale, 60 sols, et l'amende fixée par les consuls et le seigneur (art. 19). Un coup de bâton, de poing, de pierre ou d'os sans effusion de sang, 2 sols toulousains (art. 20). Un coup de pied ou de poing avec effusion de sang, 5 sols toulousains. Avec le fer, la pierre, la brique, l'os ou le bois, 7 sols (art. 21). La mort entraîne la saisie de tous les biens, dont la moitié est au seigneur et l'autre aux parents de la victime, après paiement des dettes et de la dot de la femme du meurtrier. Quant à celui-ci, il est mis en jugement (art. 22). Tout homme qui sortira l'épée ou le couteau, ou menacera de la lance même sans frapper, soit avec une poutre, une pierre ou du bois, 5 sols (art. 23). L'épithète de vilain, trompeur, traître, meurtrier, voleur, lépreux, 5 sols (art. 24). Celles de courtisane, voleuse, sorcière adressées à une femme, veuve ou fille, 2 sols (art. 25). Le viol d'une femme ou fille est puni de la perte de tous les biens ; cependant la moitié des biens appartiendra au seigneur et à la victime, et le coupable sera remis au seigneur. Si c'est une fille, il épousera sa victime ou lui donnera cent sols toulousains pour se marier et un marc d'argent au seigneur (art. 26). Le maraudage de fruits et de raisins, 6 deniers avec restitution des fruits, si c'est de jour; le vol. la nuit, sans tablier, mante, cape, capuce ou autre moyen, 10 sols; ceux qui emploieront, la nuit, les moyens ci-dessus, 60 sols (art. 27).


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Le vol de gerbes à la main, 5 sols (art. 28); de nuit, avec une bête de somme, 60 sols (art. 29), et celui qui aura constaté le délit recevra le cinquième de l'amende.

Les adultères sont promenés nus par la ville et paient 30 sols toulousains (art. 30).

La police des boucheries est réglée : chaque mazel ou étal doit payer, de chaque porc tué, un jambon au seigneur ou 1 denier de leude (art. 31); celui qui vend des viandes ladres, de la truie pour du porc, de la brebis pour du mouton, sans prévenir préalablement l'acheteur, est puni de 5 sols toulousains d'amende (art. 32).

Les taverniers sont tenus de faire crier le vin, suivant la coutume ; s'ils tiennent fausses mesures, ils perdront tout le vin qui pourra couler du robinet sans pouvoir retourner ou déplacer le fût (art. 33). Tout détenteur de faux poids ou de fausses mesures paiera, la première fois, 5 sols ; en récidive, 5 sols, et pour la troisième fois, 60 sols (art. 34).

Les habitants doivent suivre le seigneur pendant un jour ou diète à la guerre; pour plus de temps, les seigneurs paieront les frais nécessaires (art. 35).

Ceux-ci se réservent l'achat des comestibles nécessaires à leur maison ou à leurs hôtes étrangers et non à demeure. La vente sera faite pendant une nuit et le matin suivant : une paire de poules, 2 deniers; un poulet, 2 deniers; un oison, 3 deniers, s'il n'est pas engraissé ; les moutons, porcs, boeufs, vaches, le vin et l'avoine, au prix fixé par les consuls. Les gages donnés par le seigneur seront conservés un mois; après ce délai, celui-ci sera prié de payer ; s'il ne peut, le gage sera vendu (art. 36) Les essaims d'abeilles appartiennent moitié au seigneur, ainsi que les éperviers et les plus beaux des autours. Le chas-


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seur qui tue un chevreuil ou un cerf doit le cuissot au seigneur (art. 37); si c'est un sauglier ou une laie, l'épaule revient au seigneur. La chasse des abeilles et des oiseaux de proie est réglementée (art. 38).

Tout laboureur possédant boeufs, vaches, ânes, mulets, roussins ou juments est tenu de payer au seigneur, pour sa chevalerie, 18 deniers; et la même somme, pour la croisade, ou pour son rachat, s'il est fait prisonnier (art. 39). Pour les mêmes cas, tout brassier doit donner 12 deniers, et les laboureurs de petite charrue la même somme (art. 40).

Il est établi dans la ville deux consuls, deux conseillers et un juge chargé de gouverner pour les seigneurs et les consuls. Les consuls sont changés et réélus chaque année par les seigneurs et leurs prédécesseurs. Ils jurent fidélité aux seigneurs et à la communauté; les consuls ont avec le baile du seigneur la connaissance des causes ; s'il est besoin, ils ont recours à un jurisconsulte pour rendre la sentence (art. 41).

Les pailles d'avoine, de maïs, etc., pourront être cueillies par les habitants ou leurs envoyés avec la volonté du propriétaire (art. 42). Liberté est donnée d'emporter les denrées pour les vendre, sauf le cas où le seigneur voudrait les payer au cours (art. 43). Le juge règle les prestations, et celui qui refuse de s'y soumettre est puni de 4 deniers toulousains d'amende; le juge a le droit, dans ce cas, de saisir plus ou moins pour les travaux, et il aura de chaque saisie, pour lui et la communauté, 4 deniers toulousains (art. 44).

Si quelqu'un meurt intestat et sans héritiers légitimes, ses biens sont gardés un an et un jour, et si, passé ce délai, il n'y a pas d'héritier légitime, ses biens sont


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partagés : moitié pour le rachat de son âme et l'autre au seigneur, et s'il survient un enfant naturel ou bâtard, il aura le tiers de l'héritage s'il habite la ville, un tiers restera au seigneur et le troisième tiers en aumônes (art. 45).

Les personnes poursuivies doivent donner caution, de même que les poursuivants; en cas de refus, 5 sols d'amende par jour de retard (art. 46). En cas de crime, l'accusé doit donner caution sans retard, de même pour les voyageurs (art. 47). Celui qui aura pris en fief une vigne à planter doit l'avoir fait avant cinq ans, en grande partie, sous peine de 5 sols tournois d'amende pour le seigneur, et les oublies sont doublées jusqu'à exécution (art. 48). De même pour les terres à mettre en pré sous trois ans (art. 49).

Celui qui entre dans une maison pour quereller ou insulter quelqu'un de la maison sera condamné à une amende de 10 sols pour le seigneur (art. 50); s'il est armé, ou l'épée nue et s'il frappe, la peine est de 1 marc d'argent, quoiqu'il n'y ait pas effusion de sang (art. 51).

Si quelqu'un trouve une bête sauvage prise ou dévorée par les loups, il en a la moitié et le seigneur l'autre moitié (art. 52).


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TEXTE DES COUTUMES DE MONTAGNAC

Notum sit cunctis quod nobiles Encelina et Oddo de Turribus et Gauterius 2 fratres, filii dicte domine dederunt et concesserunt imperpetuum bas libertates, immunitates et consuetudines universis et siugulis hominibus et mulieribus venientibus in Castro de Montanhaco, causa morandi et habitandi in dicto Castro, scilicet :

1. — Quod quilibet homo vel mulier, habitantes in dicto Castro, habeat imum locale ad domum edifficandam in Castro predicto vel in barrio ipsius, pro duobus denariis tolosanis obliarum in festo Omnium Sanctorum solvendis predictis dominis et eorum heredibus, vel turonensibus dupl. et bonorum, quodquidem locale habeant, et contineat in se XI razas seu cubitos in latitudine et teneat in longitudine .a. 3.

2. — Item voluerunt quod quilibet homo vel mulier habeat et teneat unam carteriatam terre ad opus orti, borde, et eire 4 ibi faciende et tenende in feudum pro tribus denariis turonensibus bonorum obliarum in predicto festo dictis dominis solvendarum et eorum heredibus et hoc sine plure.

3. — Item quilibet homo vel mulier in dicto castro habitans habeat et teneat in eodem castro ad feudum duas carteriatas

1 Le vidimus du XIIIe siècle porte la date de 1260 à la cote.

2 La copie porte Quaternis, ce qui est un non sens. On lit assez bien Gauterius.

3 Voir note, p. 161.

4 Aire, eire, ayral : sol de maison.


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terre ad pratum faciendum et lenendum pro tribus denariis tol. bonorum obliarum annuatim in dicto festo dictis dominis et eorum heredibus solvendorum sine plure.

4. — Item quilibet homo vel mulier in dicto Castro habitans habeat et teneat duas carteriatas terre ad vineam ibi faciendam pro tribus denariis toi. bonorum vel turonensibus duplorum annuatim obliarum predictis dominis et eorum heredibus in futurum solvendorum sine plure.

5. — Item predicti domini retinuerunt sibi et suis heredibus in predictum feudum vendas et impignorationes et omnes alias dominationes et retrocapita medietatis obliarum uniuscujusque feodi quando evenerit ad dominum mutantem et quatuor denarios tol. justicie in quolibet feudo si feudatarius racione feudi juste fuerit inculpatus.

6. — Item qualibst carteriata terre, vinee et prati habet et habere debet VIII perjones in latitudine et XXII perjone; in longitudine, et quilibet perjonus habet et habere debet septem cubitos sive rasas.

7. — Item quilibet homo vel mulier in dicto castro habitans det et solvat annuatim in predicto festo Omnium Sanctorum predictis dominis et eorum heredibus racione affitagii unum dena rium tol. sine plure.

8. — Item predicti domini pro se et suis heredibus dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus et mulieribus et eorum ordinis iu dicto castro permanentibus in omnibus suis terris cultis et incultis ingressum et egressum talium et pascua animalibus suis et eorum pastoribus et hoc sine tala.

9. — Item predicti domini dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus et mulieribus et eorum ordinis mediam carteriatam terre pro padoenc inter viam publicam que vadit versus Insulam Jordani et cumbam seu gutam de Montanhaco.

10. — Item predicti domini dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus et mulieribus in dicto castro existentibus omnes alias suas terras quas extirpaverint vel extirpare potuerint ad agrarium, scilicet ad novenam partem totius bladi, reddant annuatim predictis dominis et eorum heredibus, in


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granis vel in bladis, ad electionem dictorum dominorum; et de nucibus in terris agrariis existentibus habeant domini feudi medietatem et feudatarii aliam medietatem, et habeant, percipiant omnes fructus aliarum arborum sine contradictione dominorum predictorum et eorum heredum.

11. — Item predicti domini pro se et suis heredibus dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus et mulieribus in dicto Castro existentibus furnum seu furnos, ita tamen quod quilibet possit facere et tenere suum proprium furnum in quo possit quoquere suum panem.

12. — Item predicti domini dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus in dicto castro existentibus ovelhariam et porcariam, ita tamen quod quilibet existens in dicto Castro possit tenere usque ad viginti porcos liberos de omni forestagio, et si plus tenuerit de plure teneatur dare forestagium dominis sicut in aliis locis circumvicinis datur, et quilibet existens in dicto castro possit tenere duas vaccas indomitas usque ad porcarias (?) absque forestagio.

13. — Item predicti domini dederunt et concesserunt predictis et singulis hominibus et mulieribus in dicto castro existentibus portam dicti castri sub tali condicione quod dicta universitas teneat portam directam et pontem bonum ad suam missionem cum bona clavatura et bono custode.

14. — Item predicti domini dederunt et concesserunt universitati de Montanhaco fabricant totam ex integro, sub tali condicione quod universitas dicti castri vel alter universitatis reddat et faciat dominis supradictis et eorum heredibus annuatim in festo Nativitatis Domini duos solidos tol. bonorum, racione obliarum dum faber ibi extiterit operando; et quod predicta universitas possit in dicta fabrica mittere fabrum qui reddat dictis dominis supradictas oblias, et eum anno peracto extrahere quotiens eis videbitur expedire et iterato alium fabrum ponere ibidem.

15. — Item predicti domini dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus et mulieribus in dicto castro existentibus quod quilibet possit vendere et impignorare suas domos, ortos, vineas, prata, et alias terras et honores omnibus

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hominibus et mulieribus in dicto castro morantibus, exceptis militibus, et clericis, hospitalariis, et leprosis, et aliis in quibus predicti domini vel eorum heredes possint inde perdere suos paxs aut aliquid suarum dominationum, et si venderetur aut impignoraretur fiat hoc de consilio dominorum et assensu qui laudent illud et habeant inde de uno quocumque solido vendicionis unum denarium et de uno quocumque solido impignoracionis unum obolum.

10. — Item predicti domini dederunt et concesserunt unicuinque predictorum hominum de Montanhaco arnparansarn et guidagium per unam dietam si de predicto castro discedere voluerit; et quod ille qui rescesserit cum omnibus suis rebus mobilibus sit in custodia et protectione dictorum dominorum per unam dietam sicut alii remanentes ; et si forte domos, vineas, prata, ortos vel terras agrarii vendere, tenere stando in alio loco per tres annos continuos et complelos, dura tamen dominis et communitati pro eis fecerit debitum suum et cetera solverit; et si infra tres annos predictos vendere quod possit omnia illa tenere stando in alio loco per tres annos continuos et completos dum tamen dominis et communitati pro eis fecerit debitum suum et cetera solverit, et si infra tres annos predictos vendere non poterit quod impignoret ea et quod ex transgressione predictorum trium annorum ea cadant in incursum.

17. — Item predicti domini dederunt et concesserunt communitati dicti castri messegariam sub tali condicione quod custodia habeat tertiam partem et alie due partes ponantur in opere communi predicti castri, et hoc cum consilio domini vel ejus bajuli cum quo colligantur, et Justicia mesegarie sit talis : quod bos vel vacca in tala deprehensus per custodiam solvat unum denarium tolosanum, et equa vel rossinus unum denarium tolosanum. Si vero fuerit trabata vel imferreata illa bestia solvat duos denarios, porcus unum obolum, asinus vel asina unum obolum et sex oves vel sex capre unum obolum.

18. — Item predicti domini retinuerunt sibi et suis in dicto castro clamores et quod pro quolibet clamore domini habeant fizansams et quatuor denarios tol. justicie pro clamore simplici; et panni, lecti, non debent pignorari, nec arma nec alia muni-


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mina nec bladum paratum ire ad molendinum nec indumentum hominum nec mulierum in dicto castro existentium.

19. — Item predicti domini retinuerunt sibi et suis in quolibet vulnere legali sexaginta solidos tol., et si clamor vel denunciacio inde fiat dominis vel ejus bajulo dura certum fuerit et probatum, et quod emenda fiat vulnerato cognicione domini et consulum dicti loci.

20. — Item si quis in dicto castro existens percussent aliquem cum pugno vel baculo, vel osse, vel lapide, ita quod sanguis non exeat, nec os brisetur, in duobus solidis tol. puniatur dominis solvendis, si clamor vel denunciacio fiat dum certum fuerit et probatum vel certum domino aut ejus bajulo, licet percussus non faciat clamorem vel denunciacionem.

21. — Item si quis de dicto castro aliquem percussent cum manu vel pede ita quod sanguis exeat, in quinque solidis tol. puniatur dominis solvendis. Si vero cum ferro, vel lapide, vel teula, vel osse, vel ligno ita quod sanguis exeat, in septem solidis tol. puniatur dominis solvendis, si clamor vel denumciacio fiat, vel in conspectu domini vel ejus bajuli fiat, dum tamen certum fuerit et probatum.

22. — Item si quis aliquem interfecerit corpus ejus, qui interfecerit et bona sua omnia domino incurrantur, ita tamen quod dominus de bonis ipsius habeat medietatem et ordinium mortui seu parentes habeant aliam medietatem, debitis persolutis et dote mulieris si fuerit uxoratus; corpus vero ejus secundum rectum judicium judicetur.

23. — Item si quis de dicto castro contra aliquem cultello evaginato aut ense vel cum lancea irruerit licet eum non percuciat nec trabem, nec lapidem, nec lignum, in quinque solidis tol. puniatur dominis solvendis ut supra.

24. — Item si quis aliquem vocaverit : vilanum, falsum, proditorem vel multrerium aut latronem, vel leprosum in quinque solidis tol. puniatur dominis solvendis, dum certum fuerit et probatum, vel fiat in conspectu domini vel ejus bajuli.

25. — Item si quis aliquam uxoratam, virginem vel viduam vocaverit : meretricem, latronem, sortilleriam, in duobus solidis tol. puniatur ut supra dominis solvendis.


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20. — Item si quis aliquam uxoratam vel virginem par vim violaverit. corpus violantis et sua bona cuncta domino incurrantur; ita tamen quod corpus ejus sit in voluntate domini et bona ipsius equis partibus domino et violate dividantur, dum certum fuerit et probatum. Si vero aliam violaverit, ducat eam in uxorem vel det ei centum solidos tolosanos pro marito, et domino unam marcam argenti dum tamen certum fuerit et probatum.

27. — Item si quis in dicto castro permanens intraverit ortum vel vineam alterius sine voluntate illius cujus est et ceperit inde fructus aliquos, in sex denariis tolosanis puniatur dominis solvendis dum certum fuerit et probatum, et fructus reddantur ei oui ablati fuerint, et hoc tantum de die. Si vero de nocte sive sacco, l'aida, manta, cappa vel capucio calato vel portaderia indecem solidis tol. puniatur dominis solvendis ut supra. Si vero aliquis de nocte intraverit ortum vel vineam sine voluntate illius cujus est et arreperit inde fructus vel vindemiatn in manta, cappa, capucio, falda, sacco calato, portaderia, in sexaginta solidis tol. puniatur dominis solvendis, et ille qui talem invenerit reddat eum domino et habeat quartam partem de predictis sexaginta solidis.

28. — Item si quis de die garbas furatus fuerit sine saumerio in quinque solidis tol. puniatur ut supra.

29. — Item si de nocte furatus fuerit garbas aut de die cum saumerio in sexaginta solidis tol. puniatur et ille qui invenerit ut supra solvendis.

30. — Item si quis in adulterio captus fuerit cum aliqua uxorata de die vel de nocte, quod currant villam nudus cum nuda vel solvant dominis trigenta solidos tol. bonorum.

31. — Item si quis in dicto castro existens macellum ibi tenuerit, de quolibet porco vel sue iu macello posito det dominis et suis heredibus unam tibiam ultimam racione leude, vel unum denarium tol. pro tibia.

32. — Item quilibet carnifex in dicto castro [qui] carnes leprosas vendiderit pro sanis, suem pro porco, ovem pro crastone, nisi manifestaverit emptoribus eas taies quales sunt ante


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venditionem, in quinque solidis tol. puniatur solvendictis dominis.

33. — Item si quis in dicto castro permanens tabernam ibi tenuerit, faciat inde vinum preconisari secundum forum terre, et si forte tenuerit falsam mensuram, perdat totum vinum quod poterit exire de dosillo de quo vendebat, et hoc sine revolucione et incurvamento ipsius doli sive tonelli.

34. — Item si quis in dicto castro habitans falsam mensuram vel falsum pondus tenuerit [puniatur] iu quinque solidis toi. solvendis, et hoc semel. Si secundo falsam mensuram vel falsum pondus tenuerit, in quinque solidis tol. solvendis puniatur. dominis solvendis. Si vero aliquis tertio falsum pondus vel falsam mensuram tenuerit et in hoc deprehensus fuerit, in sexaginta solidis tol. puniatur dominis solvendis.

35. — Item predicti domini retinuerunt sibi et suis in dicto Castro exercitum contra illum qui voluerit eis facere jura vel facere racionem vel contra illos per unum diem vel per unam ditam communitas dicti castri sequatur et associetur in exercitus vel in cavalgata ad suam mesionem dominos supra dictos, et si forte predicti domini communitatem dicti castri ultra unum diem tenuerint, faciant dictae communitati praedicti domini expensam competentem.

36. — Item predicti domini retinuerunt sibi et suis in dicto Castro vendam rerum comestibilium ro suis hospitibus per unam noctem mane sequenti, et pro se ipsis si ipsi metipsi ibi hospites fuerint aliunde venientes et tamen hoc dum ipsimet hospites non tenuerint ibi captennium, ita tamen quod donet eis communitas dicti castri gallinas quot erunt eis necessaria, unamquamque pro duobus denariis tol. bonorum, et gallinatum pro uno denario tolosano, et donet eis anserem pro tribus denariis tolosanis, si vendere voluerit ille cujus erit, nisi fuerit anser impignoratus; porcum vero et arietem et bovem et vaccam unam et avenam vendat eis communitas cognitione consulum dicti castri, et hoc cum bonis pignoribus vel fidejussoribus bonis; que pignora teneantur et conserventur per unum mensem, et ad caput illius mensis ille vel illi qui tenuerint pignora veniant ad dominum et requirant eum si vult ea solvere quod solvat, sin


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autem impignorent predicta pignora si possunt; si non possunt, vendant illa et recuperato sibi pretio residuum reddat domino si fuerit; si vero minus acceperit ille minus sibi per dominum restituatur.

37. — Item predicti domini retinuerunt sibi et suis in dicto castro et in pertinenciis ejusdem cemerium et medietatem apium, inde inventarum et austurconum et de nisis pulchriorem, ita tamen quod quilibet venator qui cervum vel cerviam in pertinenciis dicti castri ceperit, teneatur dare ancam dominis dicti castri, et de capriolo vel capriola similiter.

38. — Item de apro et senglaressa ibi capto det dominis spalatam. Item de apibus ibi inventis habeant domini medietatem et de austuronibus si tamen cum consilio domini vel ejus bajule fuerint recepti; si vero aliquis presumpserit accipere austurcones de nido, apes incrusas in arbore virido vel sicco (sic) sine voluntate domini vel ejus bajuli et eis nichil certificaverit, ille qui ita faciendo inventus fuerit vel repertus? in sexaginta solidis tol. et uno denario puniatur dominis surpradictis solvendis.

39. — Item retinuerunt predicti domini sibi et suis in dicto castro quod si dominus dicti castri fecerit se militem quod quilibet laborator habens par boum, vaccarum, vel asinorum, saumarum, vel roucinorum aut equarum vel plus quod teneatur dare decem octo denarios tol. pro sua militia, et totidem pro passagio ultra marino si dominus dicti castri mare transfretaret, et si dominus dicti castri esset captus quod absit predictus laborator teneatur dare domino decem octo denarios tol. pro redemptione ipsius et hoc totum sine plure.

40. — Item pro quolibet accidente predictorum quilibet bracerius teneatur dare domino duodecim denarios tol. exsolvendos et laborator medii ararii solvat domino pro quolibet duodecim denarios tol. dum tamen evenerit.

41. — Item voluerunt predicti domini quod in dicto castro sint duo consules et duo consiliarii et unus justicia pro dominis et cousulibus qui omnes insimul regant et custodiant predictum castrum et homines et mulieres ibi existentes ; consules vero et consiliarii et justicia de anno in annum mutentur et eligantur


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per dominos et consules precedentes. Et quod dicti consules et consiliarii et justicia in presentia dominorum et universitatis jurent fidelitatem erga dominos et vicinos; qui consules et consiliarii una cum domino vel ejus bajulo audiant causas dicti castri et judicent seu diffiniant eas si sciunt. Si non sciunt ad missionem partium, querant consilium et habito sapientum consilio sententiam ferant partibus diffinitivam.

42. — Item predicti domini dederunt et concesserunt universis et singulis hominibus et mulieribus quod fenum vel paliam avene vel milii vel mosene per ipsos vel per eorum nuncios capiatur aut per nuncios suorum hospitum paleam vero frumenti capiant et hoc cum voluntate illius cujus est.

43. — Item si quis in dicto castro permanens bladum vel res comestibiles ad aliquod forum deportaverit vel portare voluerit, occasione nummorum sibi necessariorum, quod dominus dicti castri non possit illud habere nec retinere ad opus sui vel alterius, nisi cum denariis ibidem ei solvendis secundum commure forum terre.

44. — Item justicia constituta per dominum et per consules dicti castri mandet operam vicinalem et ille qui mandato ipsius fuerit rebellis in quatuor denariis tol. puniatur ei et communitate solvendis. Et ille qui erit justicia habeat licentiam et plenariam potestatem pignorandi majorem et minorera pro opere vicinali. Et habeat ad opus sui et communitatis de quolibet pignore per eum facto quatuor denarios tol.

45. — Item si quis in dicto castro habitans obiret intestatus et absque herede legitimo consules dicti loci de asseusu domini teneant bona ipsius per unum annum et per unum diem. Et si infra illud tempus heres ipsius legitimus non apparuerit quod bona predicta providentur per medium et quod una medietas detur pro redemptione anime deffuncti. Et alia medietas dominis dicti castri, et si forte spurius vel ortigerius dicti mortui intestati ibi aparuerit habeat tertiam partem predictorum bonorum dum tamen in dicto castro habitaverit. et se vicinam et tertiam partem domini ac pro eleemosyna tertia pars tribuatur.

46. — Item si quis, de aliquo conquestus fuerit domino vel ejus bajulo quod dominus vel ejus bajulus habeant ab utroque


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cautionem, et ille qui non daret ad requisitionem domini vel ejus bajuli si dare potuerit in quinque sol. tolosanis puniatur dominis solvendis et hoc semel in quolibet die quousque plenarie fidejusserit.

47. — Item si fiat clamor de facto criminali accusatus non habeat aliquam dilationem dandi cautionem dominis supradictis, idem fiat de clamore facto per hominem viandantem (sic).

48. — Item si quis receperit in feudum terram ad vineam faciendam quod infra quinque annos plantet eam vel majorera partem, et si non fecerit in quinque solidis turonensibus puniatur dominis solvendis; et deinde dupplicentur oblie ipsius vinee quousque pro majore parte fuerit plantata.

49. — Item si quis receperit terram ad pratum ibi faciendum quod infra tres annos ibi pratum faciat aut in predicta pena senciat se incidisse.

50. — Item si quis in dicto castro permanens intraverit ? dominium allerius aut aliqua rixando et dicendo verba contumelie alicui persone domus in decem solidis puniatur dominis solvendis.

51. — Item si quis armatus vel gladio evaginato intraverit domum alterius et percussent aliquem de domo, in marcha argenti puniatur dominis solvenda, licet propter percussionem ejus non fiat sanguis effusio.

52. — Item si quis in dicto castro permanens invenerit aliquam feram captam seu deboratam per lupos vel luppo in pertinentiis de Montanhaco, quod ille qui invenerit habeat medietatem et dominus dicti loci aliam medietatem.

Universa et singula supradicta mandaverunt et, convenerunt predicti domini tenere et complere universitati dicti castri et cuilibet de uuiversitate et eorum ordine prout superius melius est districtum (sic) et ut omnia supradicta majori gaudentia et firmitate supradicta domina Aycelina juravit super sancta Dei evangelia ab ea corporaliter tacta ; Et Oddo de Turribus et Gauterius, fratres, filii dicte domine, juraverunt super sancta Dei evangelia ab eis corporaliter tacta tenere et complere universa et singula supradicta et observare et nunquam contravenire pro se nec pro aliquam aliam interpositam personam


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contra predicta vel aliquid de predictis. Et hoc firmum promiserunt supradicti domini sub omni renunciatione et cauthela.

Hoc fuit factum hec est coppia instrumenti consuetudinum castride Montanhaco eisdem verbis nichil addito vel remoto facta.

(Place des signets.)

La copie du XVIe siècle porte, en outre :

Hujusmodi consuetudinum coppia fuit ab copia abstracta et cum eadem correcta per me Petrum de Marsano, publicum auctoritate nobilium virorum dominorum de Cappitulo Tolose notarium ville Gimontis habitans et signo meo manuale infra posito signata. P. de Marsano, not.



DISCOURS

PRONONCE

LE LUNDI 16 MARS 1896

Aux Obsèques de M. J. JORDAN ET

MEMBRE HONORAIRE

Le lundi 16 mars 1896 ont eu lieu, à Montauban, les obsèques de M. Julien Jordanet, ancien conseiller général et ancien maire de Lafrançaise, membre honoraire de l'Académie.

Une foule considérable d'amis personnels du défunt et de notabilités assistaient à cette cérémonie.

Le deuil était conduit par M. Hubert Desmons, gendre du défunt.

Parmi les nombreux draps qui suivaient le convoi, on remarquait celui de l'Académie de Montauban, porté par MM. de Mila de Cabarieu, vice-président; Sémézies, secrétaire général; Dumas de Rauly et de France.

Une délégation de Lafrançaise, composée de M. le Maire, du juge de paix et de deux notabilités, portaient un drap.


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Des draps étaient portés aussi par d'anciens officiers de mobiles, collègues du défunt, et des officiers de l'armée.

La messe a été dite par M. le chanoine Soulié, président de l'Académie, ami personnel de la famille, et qui avait assisté le défunt dans ses derniers moments.

Au cimetière, M. DE MILA DE CABARIEU s'est fait, en ces termes, l'interprète de ses confrères de l'Académie :

« MESSIEURS,

« Avant que la triste cérémonie qui nous réunit ne s'achève, avant que cette foule nombreuse de parents et d'amis ne s'écoule, et que le silence se fasse autour de la tombe où reposent les restes mortels de Julien Jordanet, permettez-moi de rendre un dernier hommage à sa mémoire au nom de l'Académie de Montauban, qui s'est honorée de le compter au nombre de ses membres et qui déplore sa perte prématurée.

« En remplissant la suprême, la douloureuse mission qui m'a été confiée, il est un souvenir personnel que je ne puis m'empêcherde rappeler. C'était, il y a déjà longtemps, à Moissac, dans des jours moins sombres, — une alliance où toutes les convenances mondaines étaient réunies rapprochait deux familles justement estimées. M. Jordanet obtenait la main d'une jeune fille accomplie, dont j'avais l'avantage d'être le témoin. Tout souriait aux nouveaux époux. Aujourd'hui, l'un n'est plus, arraché brusquement à l'affection des siens; l'autre, une femme profondément chrétienne, qui joint toutes les qualités à toutes les vertus, voit son union brisée avant le temps. Il est, comme le


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sien, des deuils inconsolables. Qu'elle nous laisse pourtant, de même que nous lui avions autrefois exprimé nos félicitations, lui dire en ce moment nos sentiments de respectueuse condoléance et de bien vive sympathie ! Puisse cet hommage apporter quelque soulagement à son affliction, à celle de sa fille, à celle de son gendre !

« Rien n'avait, au surplus, manqué à M. Jordanet pendant son existence : aux joies de la famille (et n'est-ce pas une des plus précieuses bénédictions du Ciel!) s'ajoutaient, pour lui, et la fortune et la considération. Mais, si tous les avantages lui avaient été accordés sans mesure, il ne s'était pas renfermé dans un étroit égoïsme et il avait su se rendre utile à son pays.

« Après avoir, pendant nos désastres, pris une part active et honorable à la défense nationale, il fut successivement appelé par la confiance de ses concitoyens à administrer la commune de Lafrançaise et à siéger au Conseil général du département. Partout, il se fit remarquer par une juste connaissance des affaires, par son désintéressement et son souci du bien public.

« Entre temps, il ne restait étranger à rien de ce qui touche les choses de l'esprit; la lecture était une de ses occupations favorites, et toute notre littérature lui était familière. Écrivain à ses heures, il avait le mérite de faire profiter de son érudition ceux qui l'approchaient, et savait les captiver par ses observations, souvent piquantes, humorisques, toujours marquées au coin du bon sens.

« Et tout ce qui constituait cette personnalité d'élite (si nous devions en croire une doctrine désespérante) serait à jamais détruit par la mort ! Ce serait pour aboutir au néant que se produiraient tant de brillantes manifestations de l'intelligence ! Ce serait une lueur qui sillonnerait


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l'espace pour l'éclairer un instant et disparaître ! Non, il ne saurait en être ainsi. Si la figure du monde passe comme une ombre, il est dans l'homme, fait à l'image de Dieu, une étincelle impérissable qui persiste, qui demeure, quand sa carrière terrestre est achevée et que la poudre est retournée à la poudre.

« Aussi, après la fin chrétienne de celui à qui nous venons de rendre les derniers devoirs, ce n'est pas un froid, un glacial adieu que nous lui adresserons : c'est « Au revoir ! » que nous lui dirons, au revoir dans un monde meilleur, où iront, un jour, le rejoindre ceux dont il a été si cruellement séparé, ceux qui le pleurent, ceux qu'il a aimés ! »


DISCOURS

PRONONCÉS LIS VENDREDI 1er MAI 1896

Aux Obsèques de M. É. DE CAPELLA

MEMBRE HONORAIRE

Discours prononcé par M. MARCEL SÉMÉZIES, secrétaire général de l'Académie :

« MESSIEURS,

« Durant les cent soixante années qu'elle compte d'âge, l'Académie de Montauban n'a jamais manqué au pieux devoir d'envoyer l'un de ses officiers saluer le cercueil de ceux de ses membres que Dieu rappelle. Il n'y a pas un mois, notre vénérable vice-président, M. de Mila, rendait ce suprême hommage à M. Julien Jordanet. Aujourd'hui, les autres dignitaires empêchés, le Secrétaire général a le douloureux honneur de venir apporter à M. de Capella, hier encore le doyen de l'Académie, le dernier salut de ses confrères. La Société d'archéologie, dont il était aussi le doyen, se joint à l'Académie pour cet hommage.

« Un membre distingué de ce corps d'élite, dont M. de Capella fut l'une des sommités, vient de vous dire, bien


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mieux que je n'aurais su le faire, ce que fut le savant et ce que fut l'homme. Des bancs de Sorèze, à l'heure dernière, il vous a retracé tout entière cette noble vie, si digne et si pleine. Après lui je ne saurais que reprendre inutilement un éloge accompli et je ne vous apprendrais rien que vous ne sachiez déjà.

« M. de Capella prit longtemps une part active aux travaux de l'Académie et de la Société d'archéologie. Il y apportait, en même temps que ses profondes connaissances, une courtoisie et une simplicité charmantes, les curiosités d'un esprit toujours actif et tendu, et, si depuis quelques années il avait abandonné l'assiduité aux séances pour les loisirs de l'honorariat, de temps à autre il nous revenait encore, en bienveillant auditeur, et nous étonnait d'une jeunesse d'allures et d'esprit merveilleusement gardée à un âge rarement atteint. Cette flamme, qui brillait hier encore si vive et si claire, s'est éteinte tout d'un coup au vent froid de la mort. Elle s'est éteinte, mais pour se rallumer demain et pour jamais, dans un air plus radieux et plus pur que ne trouble plus aucun vent. Car la mort n'est terrible que dans l'imagination des hommes. Elle n'est que le passage d'une vie incertaine, tourmentée, douloureuse et fragile, à une existence supérieure et éternellement durable, faite de paix et de félicité, et au delà des raides murailles des tombeaux j'aperçois Dieu tendant à ceux qu'il appelle des bras chargés de miséricorde.

« C'est surtout pour des ames comme celle dont nous honorons en ce moment le départ que l'avenir de l'Au Delà ne saurait être douteux. M. de Capella fut bon, fut honnête et vaillant, il a bien rempli sa journée, et une telle mort, après une telle vie, me paraît vraiment être douce


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et belle comme la fin d'un beau jour Aussi le salut que j'adresse en partant, au nom de ses confrères des deux Sociétés savantes, n'a rien de la tristesse amère d'un définitif adieu : c'est plutôt l'au revoir simplement, voilé de regret, que l'on jette à l'ami qui s'en va et que l'on doit un jour rejoindre.

« Puissent de telles pensées adoucir le juste deuil de tous ceux qui l'aimèrent et qui lui survivent ; de ceux surtout qui gardent l'héritage d'un nom digne de tous les respects ! »

Voici le texte du discours prononcé par M. GUIBAL, ingénieur des Ponts et chaussées :

« MESSIEURS,

« Fidèle à une pieuse tradition, je me fais un devoir et un honneur d'apporter, sur cette tombe entr'ouverte, les regrets émus et la respectueuse sympathie de tout le Corps des Ponts et chaussées, dont M. l'inspecteur général de Capella a été l'un des membres les plus éminents.

« Des voix plus autorisées que la mienne vous diront ce qu'était l'homme. Ceux qui l'ont counu l'ont aimé. N'estce pas, en quelques mots, le plus bel éloge que l'on puisse faire des rares qualités de coeur et d'esprit dont il était orné !

« Né à Castelnaudary en 1806, de Capella, après de brillantes études littéraires au collège de Sorèze, se laissait attirer, comme bien d'autres membres de sa famille, 1896 13


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par le charme spécial des sciences exactes qui lui ouvrait à vingt ans les portos de l'Ecole polytechnique.

« Elève ingénieur deux ans après, il fut successivement attaché comme ingénieur ordinaire à Perpignan, SaintGaudens, Mont-de-Marsan, Montauban; puis comme ingénieur en chef à Constantine, à Cette, à Cahors et au Mans, qu'il dut quitter enfin pour aller occuper dans le Conseil général des ponts et chaussées une place réservée depuis longtemps à ses mérites.

« Partout où les hasards d'une carrière si remplie l'ont conduit, de Capella a laissé des traces utiles et profondes de son ardeur au travail, de l'étendue de ses connaissances, de la rectitude de son jugement et de l'aménité de son caractère.

« Dans les Landes, il apporte son concours fécond à l'oeuvre humanitaire et grandiose de Brémontier; dans le Tarn-et-Garonne, la construction de nombreux barrages sur la rivière du Tarn, l'édification du quai de Villebourbon resteront des preuves vivantes de son savoir et de son activité intelligente.

« Plus tard, ce sont les questions de viabilité, d'assainissement des villes et d'améliorations agricoles qui absorbent tour à tour sa sollicitude. La province de Constantine, territoire presque vierge et dépourvu jusque-là de voies publiques indispensables à sa colonisation, bénéficie, dans une large mesure, du sens économique qu'il avait acquis à un si haut degré au contact de Michel Chevalier, dont il était un des fervents disciples.

« Grâce à lui, enfin, les villes de Cahors, du Mans et bien d'autres qui m'échappent sont les premières à goûter les avantages, à cette époque fort rares, d'une alimentation d'eau pure et abondante.


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« Mais je ne puis ici qu'effleurer à peine l'oeuvre de de Capella : ingénieur habile, administrateur éclairé, il a dû se placer parmi les premiers dans un corps qui n'a cessé de compter le dévouement à la chose publique au nombre de ses premiers devoirs.

« Après quarante-cinq ans d'une existence si laborieuse l'heure du repos avait sonné.

« C'est vers le soleil du Midi, sur les bords riants du Tarn qu'il avait connus et aimés, dans cette ville pittoresque et pleine de charmes où il n'avait laissé que des sympathies et des affections, qu'abandonnant la vie fiévreuse de la capitale, de Capella voulut venir chercher les douceurs d'une retraite noblement gagnée, illuminée par les souvenirs réconfortants d'une vie de travail et de désintéressement.

« Au cours de sa verte et longue vieillesse, l'agrément de son esprit, la douceur de son caractère et la générosité de son coeur ont attiré à lui toutes les sympathies en lui donnant droit de cité dans son pays d'adoption.

« Il s'est éteint peu à peu au milieu de l'estime et de l'affection de tous, plein de confiance dans une nouvelle vie, dans une vie meilleure !

« Puisse ce dernier hommage rendu à sa mémoire par le Corps des Ponts et chaussées adoucir, s'il se peut, la cruelle douleur de son fils et de tous ceux qui lui étaient chers. »



A PROPOS

DES

« LETTRES PERSANES »

LECTURE Faite à l'Académie dans la séance de mars 1896

PAR

M. le Docteur TACHARD

MEMBRE RÉSIDANT

Chacun sait que, depuis Molière jusqu'à Gyp, on a toujours plaisanté la médecine et les médecins. Tous les types y ont passé. Cette gymnastique innocente, loin d'entraver la marche du progrès, paraît, au contraire, en assurer le cours régulier, en aidant les médecins à se connaître eux-mêmes.

J'eus la curiosité, il y a peu de temps, de rechercher ce que pouvait bien dire de nous, dans ses Lettres persanes, notre presque compatriote le président à mortier de Bordeaux, pince-sans-rire des défauts de son temps. Montesquieu, s'occupant plus volontiers des eunuques que des médecins, ne donna pas grande satisfaction à ma


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curiosité médicale, mais m'intéressa par ses critiques, semées sans ordre et au courant de sa plume. Armé d'un crayon, remplaçant le scalpel, je fis la dissection de l'oeuvre, et dans le procès-verbal d'autopsie, je constatai que les hommes de notre époque ressemblent à leurs aïeux, et qu'en l'espace de deux siècles environ, l'évolution des Français dans l'ordre moral n'avait fait que d'insensibles progrès.

Si Montesquieu nous parle à peine des médecins, il réserve au moins toute sa verve contre les charlatans, et, sous couleur médicale, vise sans ménagements les Jésuites. Je n'ai pas grand sujet de m'en plaindre, car, si j'ai bonne mémoire, c'était bien un Jésuite, le Père La Chaise, qui fut l'auteur de certaines mesures dont la France éprouva un très violent malaise, dont les effets se font sentir encore de nos jours.

Quoi qu'il en soit de la valeur de cette appréciation personnelle, voici une formule de purgatif violent dont l'usage n'a pas prévalu : « Prenez dix arrêts du conseil concernant la bulle et la constitution des Jésuites, faitesles distiller au bain-marie; mortifiez une goutte de l'humeur âcre et piquante qui en viendra dans un verre d'eau commune; avalez le tout avec confiance. »

La formule du vomitif est assez identique : « Prenez une feuille de papier marbré qui ait servi à couvrir un recueil des pièces des Jésuites français; faites-la infuser l'espace de trois minutes ; faites chauffer une cuillerée de cette infusion et avalez. »

Pour faire cesser l'insomnie, il suffit de lire les oeuvres des Jésuites.

Il n'en faut pas davantage pour montrer que Montesquieu n'aimait pas les Jésuites, et pour affirmer aussi que,


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s'il se fût borné à ce genre de critique, sa renommée ne serait pas arrivée jusqu'à nous. A le juger sur ce morceau, d'un goût douteux, il faut reconnaître aussi qu'il a parfois la plaisanterie un peu lourde, qu'il est malhabile dans le genre badin, et qu'on peut sans hésiter lui appliquer le précepte :

No forcez point votre talent

On ne saurait faire la même critique du passage suivant, qui renferme une charmante leçon que devraient mettre à profit nos classiques contemporains : « Les livres de médecine, ces monuments de la fragilité de la nature et de la puissance de l'art, qui font trembler quand ils parlent des maladies même les plus légères, tant ils nous rendent la mort présente, mais qui nous mettent dans une sécurité entière quand ils parlent de la vertu des remèdes, comme si nous étions devenus immortels. »

Ces documents et quelques autres sont décidément trop pauvres pour nous faire connaître, suivant Montesquieu, l'état moral de la corporation médicale à son époque ; mais, puisque j'ai en main les Lettres persanes, je ne les laisserai pas tomber sans y cueillir à l'aventure de quoi faire un bouquet multicolore, dont nous effeuillerons quelques fleurs.

Ce qui fait, à mon sens, le charme piquant des Lettres persanes, c'est leur persistante actualité, qu'une mise au point aisée permet d'appliquer à notre époque ; elles nous éclairent sur les maux dont nous sourirons; elles contribuent aussi à nous faire reconnaître que nous sommes moins mauvais qu'on n'a l'habitude de le dire dans les romans, et qu'enfin les plaies que nous étalons au plein


— 192 — jour ne sont que des ulcères chroniques lents à guérir comme toutes les maladies héréditaires.

J'ai pris plaisir à cette lecture, étant incapable de suivre à son allure rapide la jeune littérature actuelle, pensant à sa manière et écrivant à sa façon, et je me suis appliqué cette pensée de Montesquieu : « Jusqu'à ce qu'un homme ait lu tous les livres anciens, il n'a aucune raison de leur préférer les nouveaux. »

Il en est au fond de la lecture comme des voyages; il faut les varier pour perdre les préjugés.

Des esprits moroses se plaisent souvent à déclarer que nous sommes un peuple fini, dégénéré, sans avenir, qu'autrefois. ...

Les admirateurs du passé me semblent aussi plaisants que les détracteurs irréductibles de leur époque; pour moi, le passé est trop court; l'avenir, je l'ignore, et je me réjouis en disant qu'il vaut mieux être qu'avoir été.

En bonne justice, faut-il autant que cela rougir d'être les enfants du XIXe siècle? Non, certainement, et, de bonne foi, la lecture des oeuvres de nos devanciers démontre que nous portons en nous le fardeau de notre hérédité. Il en est clans l'ordre moral comme dans l'ordre physique; les maladies organiques s'y perpétuent quoi qu'on fasse.

Ne faut-il pas, du reste, une forte dose de fatuité pour croire que, tandis que les arbres s'obstinent à porter toujours les mêmes fruits, l'homme, quoique raisonnable, puisse, à son gré, se perfectionner indéfiniment dans l'espace de quelques siècles rapides?

De Montesquieu à nous, les progrès sont à peine sensibles. Entendez plutôt les médecins. A notre époque, ils se plaignent des empiriques et des réclames de la presse;


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à les en croire, ce mal aurait fait de nos jours d'affreux ravaces. Ces doléances, aussi justes qu'inutiles, du reste, sont très anciennes, et Montesquieu nous dit qu'à Paris « on ne peut mourir que subitement; la mort ne saurait autrement exercer son empire; car il y a dans tous les coins des gens qui ont des remèdes infaillibles contre toutes les maladies imaginables. »

L'orgueil professionnel me force à souligner qu'il n'est pas ici question des médecins, et que le qualificatif ne s'adresse qu'aux charlatans.

Montesquieu, dans son oeuvre touffue, ne s'est pas préoccupé des transitions d'un sujet à un autre; j'en trouve une toute naturelle entre les médecins et les pompes funèbres: ne sont-ils pas les fournisseurs patentés de cette administration, et, par suite, la cause indirecte de ce luxe de fleurs de rhétorique et autres, sans lesquelles on ne saurait porter convenablement un mort en terre.

J'ai entendu souvent mes contemporains se plaindre et critiquer les habitudes actuelles, encouragées par la vanité des survivants, qui, après un discours funèbre, espèrent qu'un jour il leur sera fait aussi large et bonne mesure.

Nos Persans en voyage ont naturellement saisi ce travers de notre caractère, et l'un d'eux écrit : « Dès qu'un grand est mort, on s'assemble dans une mosquée, et l'on fait son oraison funèbre, qui est un discours à sa louange, avec lequel on serait bien embarrassé de décider au juste du mérite du défunt. Je voudrais bannir les pompes funèbres. »

Qu'aurait dit Rica aux obsèques de Victor Hugo, ou à celles de tant d'illustres inconnus menés en terre à grand fracas !

Ne serait-il pas urgent de fonder un nouveau syndicat


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sous le vocable de « Ligue de l'humilité après décès? » Les académiciens de Montauban pourraient décréter qu'il ne sera déposé sur leur tombeau de fleurs d'aucune qualité.

Mais laissons de côté ces macabres pensées et, au hasard, recherchons l'opinion de Montesquieu sur là question toujours palpitante de l'avancement dans l'armée.

Vous avez vécu, sans doute, dans l'intimité de quelques officiers, et vous avez remarqué qu'il y a des malheureux qui n'avancent guère, tandis que d'autres se hissent par les sentiers jusqu'aux plus hauts sommets. Il n'est pas rare d'entendre dire : « On veut rajeunir les cadres; on m'a trouvé trop vieux. » Consolez-vous, mes chers camarades, c'est un principe ancien en France de « n'élever jamais les officiers dont la patience a langui dans les

emplois subalternes Nous croyons qu'un homme qui

n'a pas les qualités d'un général à trente ans ne les aura jamais. »

De Montesquieu à nos ministres actuels, il n'y a pas eu de notable changement, à moins que ce ne soit cependant en politique.

L'opinion suivante me paraît de nature à faire réfléchir sur la valeur intrinsèque du suffrage universel et sur les décisions qu'il prononce sans appel.

« Dans ce tribunal, on prend les voix à la majeure; mais on a reconnu, par expérience, qu'il vaudrait mieux les recueillir à la mineure; et cela est bien naturel, car il y a très peu d'esprits justes, et tout le monde convient qu'il y en a une infinité de faux. »

Puisqu'on politique le suffrage universel est infaillible, je m'étonne qu'on ne fasse pas élire les amiraux par les paysans limousins, dont l'impartialité et l'ignorance des choses de la mer sont indiscutables.


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C'est, sans doute, parce que je me trouve privé de mes droits politiques, que je n'arrive pas à comprendre qu'une absurdité reconnue puisse faire une vérité irréfutable, parce qu'elle aura été multipliée par autant de millions de voix qu'on voudra.

A côté de ce mal, qu'on dit incurable, et qu'un simple décret parviendrait à guérir, nous portons, paraît-il, au flanc une lèpre nouvelle : la question juive. Un journaliste parisien, très documenté, et auquel sa modestie m'empêche de faire une réclame, a cru la découvrir. Voyez plutôt l'étonnement d'Usbek :

« Tu me demandes s'il y a des juifs en France? Sache que partout où il y a de l'argent, il y a des juifs. Tu me demandes ce qu'ils y font? Précisément ce qu'ils font en Perse; rien ne ressemble plus à un juif d'Asie qu'un juif européen. »

Ayant eu le privilège de voir des juifs à Strasbourg, à Amsterdam, en Algérie, je crois que, malgré tout, Montesquieu ne connaît qu'imparfaitement cette race; il nous dit bien que les juifs regardent les chrétiens comme des hérétiques ayant changé la loi, mais il n'a pas remarqué que, par orgueil de race, ils n'ont pour les chrétiens que la considération due à de vulgaires parvenus sans naissance, et que la jeune noblesse, faisant remonter ses aïeux aux croisades, n'est rien à côté de celle qui peut se réclamer du grand-prêtre Aaron.

Pour moi, qui ne sais rien de mes aïeux inconnus, je crois que c'est par atavisme que les juifs prêtent toujours à la petite semaine, Moïse leur ayant ordonné de ne prêter aux étrangers que sur gage. Que pourrions-nous leur demander de plus? L'aloès épineux nous donne-t-il des dattes?


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Ces critiques sur les juifs, que nous n'aimons pas, et qui nous le rendent avec usure, suivant leurs habitudes, sontelles, dans le fond, justes et équitables? L'orgueil de race ne serait-il pas seul en jeu?

C'est un sentiment si général, si humain !

Demandez, par exemple, à un militaire ce qu'il pense d'un bourgeois, à un journaliste son avis sur la magistrature, à un polytechnicien son opinion sur le reste du monde. Ces rivalités de classes sont aussi respectables qu'anciennes, ainsi que le prouve cette remarque d'Usbek :

« Il y a en France trois sortes d'états : l'Église, l'épée et la robe. Chacune a un mépris souverain pour les deux

autres Il n'y a pas jusqu'aux plus vils artisans qui ne

disputent sur l'excellence de l'art qu'ils ont choisi. »

Il faut vraiment être Persan pour s'étonner ainsi et critiquer de pareils sentiments. Le monde serait vraiment joli si chacun enviait le métier de son voisin et n'exerçait le sien qu'à regret. Si je n'étais convaincu jusqu'au fond de l'âme de l'incontestable supériorité de la chirurgie sur tous les autres arts, je ne saurais me résigner à faire un si cruel métier.

On peut m'accuser, il est vrai, de faire quelques infidélités à mon art, et d'oublier dans la photographie ou l'archéologie ce que Montesquieu appelle le ridicule de ma profession; mais il est vrai que ce sont là des travers dont on ne se flatte pas, surtout lorsqu'on connaît l'opinion de Rica sur les collectionneurs. Il n'est vraiment pas possible de parler plus irrévérencieusement d'un goût si prisé de nos jours :

« Lorsque mon oncle eut fermé les yeux, dit Rica, j'aurais fort souhaité de le faire enterrer avec les cérémonies observées par les anciens Grecs et Romains; mais


— 197 — je n'avais pour lors ni lacrymatoire, ni urne, ni lampes antiques; mais, depuis, je me suis bien pourvu de ces précieuses raretés. Il y a quelques jours que je vendis ma vaisselle d'argent pour acheter une lampe de terre qui avait servi à un philosophe stoïcien. Je me suis défait de toutes les glaces dont mon oncle avait couvert presque tous les murs de ses appartements, pour avoir un petit miroir un peu fêlé qui fut autrefois à l'usage de Virgile... J'ai acheté cent louis d'or cinq ou six pièces d'une monnaie de cuivre qui avait cours il y a deux mille ans. »

Ce pauvre Rica devait être un peu fêlé, comme le miroir de son amateur, et je l'engage à garder cette mauvaise histoire pour son sérail.

Si je fais peu de cas des plaisanteries de Rica, il faut bien convenir que son ami Rhédi est un très clairvoyant, ne semblant pas goûter beaucoup les avantages des armées nationales permanentes :

« J'ai ouï dire que la seule invention des bombes avait ôté la liberté à tous les peuples d'Europe. Les princes, ne pouvant alors confier la garde des places aux bourgeois, qui, à la première bombe, se seraient rendus, ont eu un prétexte pour entretenir de gros corps de troupe réglés, avec lesquels ils ont, dans la suite, opprimé leurs sujets...

« J'ai ouï parler à des gens sensés des ravages de la chimie. Il semble que ce soit un quatrième fléau qui ruine les hommes et les détruit en détail, mais continuellement, tandis que la guerre, la peste, la famine, les détruisent en gros, mais par intervalles. »

Pour un Persan, ce n'est pas mal de prévoir de si loin toutes les fraudes alimentaires dues à la chimie, la mélinite, dont les louanges ne sont plus à faire, et de si bien définir les prudentes vertus bourgeoises capitulant à la


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première bombe. Il est heureux que le soldat soit naturellement destiné à se faire tuer à la place des bourgeois; mais comme de nos jours tous les soldats sont fournis par l'élément civil, on remarque que les guerres deviennent extrêmement rares, et ne semblent pas un fléau aussi grave que ceux qu'ont fait fondre sur nous les conquêtes de la chimie et l'invasion de l'alcool.

Certains critiques contemporains semblent disposés à attribuer nos défaillances morales à une maladie nouvelle : celle du pot-de-vin. A les en croire, ce mal serait né sur le fumier de notre constitution politique. Fort heureusement pour nous, Rica a pénétré dans les alcôves du grand monde, et nous dit sans garer ce qu'il y a vu :

« Crois-tu, Ibben, qu'une femme s'avise d'être la maîtresse d'un ministre pour coucher avec lui? Quelle idée? C'est pour lui présenter cinq ou six placets tous les matins ; et la bonté de leur naturel paraît dans l'empressement qu'elles ont de faire du bien à une infinité de gens malheureux qui leur procurent cent mille livres de rente. »

C'est étonnant combien, au fond, nous sommes vertueux aujourd'hui, car la plus vulgaire feuille de choux n'hésite pas à mettre au pilori ceux-là même qui n'ont rien touché. Au lieu de crier à son de trompe qu'il n'y a que des voleurs, nous devrions pousser des cris de joie sur la vertu et le désintéressement général de nos contemporains.

On m'objectera que les ministres sont seuls coupables ; mais j'aime mieux laisser la parole à Usbeck :

« Un particulier, dit-il, peut jouir de l'obscurité où il se trouve : il ne se décrédite que devant quelques gens; il se tient couvert devant les autres; mais un ministre qui manque à la probité, a autant de témoins, autant de juges qu'il y a de gens qu'il gouverne. »


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Si nous n'avons pas là l'explication de la fragilité ministérielle, nous sommes difficiles à convaincre, surtout si nous voulons bien tenir compte de la puissance aveugle de la presse à un sou. C'est là un torrent qui désagrège tout, et ce serait un miracle qu'un ministre roulé et broyé quotidiennement ne fût pas rapidement transformé en une boule ronde évoluant comme une bille de billard. Il faut se résigner à cette situation, car les forces aveugles détruisent sans savoir rien mettre à la place. Quand le torrent aura fini de couler impétueusement, il faudra remonter à la source et reboiser la montagne pour préserver les plaines ensablées, où la nature toujours en travail aura déjà fait repousser les gazons arrachés.

Quand reviendront ces jours de calme? Quelles luttes gigantesques auront encore à soutenir nos descendants?

La situation actuelle ressemblant à celle du temps de Montesquieu, au lieu de chercher à lire dans l'avenir, j'aime mieux donner la parole à Rica :

« Les ministres se succèdent et se détruisent ici comme les saisons; depuis trois ans, j'ai vu changer quatre fois de système sur les finances..... Il faut que de grands génies travaillent nuit et jour, qu'il enfantent sans cesse

et avec douleur de nouveaux projets Un étranger est

venu tous ceux qui étaient riches il y a six mois sont

à présent dans la pauvreté, et ceux qui n'avaient point

de pain regorgent de richesses Comme un frippier

tourne un habit, il fait paraître dessus ce qui était

dessous Quel désordre dans l'État ! quelle confusion

dans les rangs! On ne voit que des inconnus faire fortune! Je te promets que ceux-ci prendront bien leur revanche sur ceux qui viendront après eux, et que, dans trente ans, ces gens de qualité feront bien du bruit. »


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Ce sinistre tableau n'est-il pas celui de notre situation sociale et financière? Il me semble confirmer cette thèse que, de même que les arbres portent toujours les mêmes fruits, les hommes de même ne varient guère d'un siècle à un autre, malgré les révolutions et les guerres, et bien que les formes du gouvernement ne se ressemblent pas.

J'ai abusé de votre patience ; malgré le plaisir que j'aurais à relire avec vous Montesquieu, il vaut mieux ne pas le travestir plus longtemps, afin de rester convaincu que le grand succès des Lettres persanes fut très légitime, non à cause de ces histoires d'eunuques, mais en raison de la netteté des critiques, qui s'adressaient aussi bien aux contemporains de l'auteur qu'aux hommes de tous les temps.

Ce livre a été vécu, pensé et si mûrement réfléchi, que le voeu des libraires du temps était insensé et irréalisable, lorsqu'ils disaient aux folliculaires d'alors : « Faites-nous des Lettres persanes. »


A LA CAPURLO

(Hymne trimphal.)

Dins las clarous naissentos del mati, Que l'Albo, birginelo, en saile de sati, Tinto fresquetomen d'une coulou rousado, Cantaouturenc tuffat, joyo del tèrradou, Campaneto des camps, pe'l rustenc oubradou, En sus, fay tintina ta fanfarenco aoubado. Tre que lou lum pares as astrals ourizous, L'aousan, boux de la tèrro, y dis sas ourasous, E la flou l'ennol de sas douços alesous. A plec de ganidèl, brabe aousèlet, canturlo ! Degruno flèromen tous refrèns clars è francs; L'indoundable guerrier cèltic, pairi des Franks, As aigles de Cesar, oupousèt la Capurlo.

E l'ardit cantairol, Cado journ, à punt d'albo, alèrto, prenio bol, Per canta lou gales al mèj de l'aire libre... Ai las!...

Morto? B'es pas. Coussi l'escoutan plus? « N'aout ! Pus naout ! Toutjoun may ! Mountas debès la Nous quirdo, en s'albouren, lou Capurlat Gallus. [Lus!!! » Lou libèrtari alad, es la croux del felibre.

Cantalboulaire symboulic, Es l'image de nostro raço pouderouso,

De nostre Mètjourn pouetic,

De la joubenço sanitouso E dei trabal rustic. 1896 14


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Enflambes nostris cors!!! Sono, balento ourgueno ;

Clarouno cranomen al mitan de l'azur!

Toun bel hymne trimfal, cantaouriboul, sereno,

Es un rousinomen de pèrlos, que semeno,

Amourousomen, toun gargalhol coumoul d'ur,

Dins la lus del mati cassairo de l'escur.

Oc, canto, noble aousèl, tu, que l'espèr neporto!

Capurlo, enlairo te, bay, bolo, pren l'essorto,

Part cap à l'idèyal, las clarous, la bertad!

De las serenitats airalos, dei cèl linde,

Affogo santos fes, franquisos è flèrtad !..

E sus moun Grand Pays, oh! fay que toutjourn tinde.

De las albos d'amour, toun cant de Libèrtad !!!

A. QUERCY.


AL CLOUQUIÈR DE LA PÈRROQUIO

(Sounet.)

As may de siès cents ans. Desplègues, coumo' no alo, Ta flècho punjirico, as funses despitads; Es drech, malgrat lou Temps, castiaire de Citads, E malgrat lous boulets de l'armado rèyalo.

As bist rasa las tours de nostro cathedralo ; Dous cops, as bist l'Angles sus rampars assietads: As bist Mountfort, nada dins sas atroucitads; Dins tas parets, se prechèt la guèrro frairalo...

Oh bièl Temple chrestia, criblad per las ourrous

Que jetèt sus la bilo un siège rigourous,

Laisso tous rents asclads s'alanda dins lous aires:

Laisso lous, en plen journ, crebassadis de traoucs... Se jamay plus calcun nous butado entre fraires, Muds è lou cor doulent y moustrarian tous blaous.

A. QUERGY.



RESUME

DES

PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

(ANNEE 1896)

Séance du 11 janvier. — Présidence de M. le chanoine Soulié.

Lecture du procès-verbal.

M. le Président remercie l'Académie de son élection et paie un juste tribut d'éloges à son prédécesseur, M. Vielles.

Dépouillement de la correspondance : lettres d'excuses; lettres ministérielles sur les congrès de la Sorbonne; nomination de délégués.

Le Président souhaite la bienvenue à M. Dardenne, trésorierpayeur général, dont il rappelle la brillante conduite pendant la guerre de 1870, et les titres littéraires et historiques.

M. Dardenne, en quelques mots très bien pensés et fort bien dits, remercie l'Académie.

La réception de M. Chenin, professeur de rhétorique au lycée, agrégé des lettres, donne l'occasion au Président de louer le génie grec, qui est l'objet des études du nouvel académicien.

Celui-ci, à son tour, remercie ses nouveaux collègues par une courte réponse marquée au coin des meilleures traditions classiques.

M. Charles Garrisson lit une étude fort intéressante sur deux poètes canadiens, dont il montre d'une façon très vibrante les sentiments français.

La séance est levée à 10 heures.


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Séance du 1er février. — Présidence de M. le chanoine Soulié, président.

M. Buscon donne lecture du procès-verbal de janvier qui est adopté.

M. le Président souhaite la bienvenue au général de Bellegarde, récemment élu. M. de Bellegarde remercie l'Académie.

Au nom de la commission des candidatures, M. le Président et M. le Secrétaire général présentent le rapport sur ces propositions.

M. le chanoine Delbru, curé de Saint-Jean-Villenouvelle, et M. Albert Brun, conservateur du musée d'histoire naturelle, sont élus membres titulaires.

M. Quercy donne lecture de plusieurs poésies en langue d'oc.

L'Académie décide l'impression au Recueil des pièces ayant pour titre lou Clouquiè de Sent-Jacques et la Capurlo.

La séance est levée à 10 heures.

Séance du 28 mars (en remplacement de la séance du mois d'avril). — Présidence de M. le chanoine Soulié, président.

M. Buscon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

M. le Secrétaire général dépouille la correspondance, et énumère les publications reçues dans le courant du mois de mars.

La parole est ensuite donnée à M. le docteur Tachard et à M. le professeur Chenin, pour faire leurs lectures réglementaires.

La séance est levée à 10 heures.

Séance du 9 mai. — Président : M. le chanoine Soulié.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Secrétaire général communique diverses correspondances et fait connaître les ouvrages reçus depuis la dernière séance.

M. le Secrétaire général, rapporteur de la commission des candidatures, prend la parole et demande que le fauteuil de M. Bouïc, parti de Montauban, soit donné à M. le docteur


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Bories. Cette candidature est adoptée à l'unanimité. M. Bouïc est nommé membre correspondant.

Au nom de la Commission du Concours de poésie, M. Sémézies fait connaître les propositions de récompenses. Les conclusions contenues dans son rapport sont adoptées.

La séance est levée à 10 heures et demie.

Séance du 6 juin. — Président : M. le chanoine Soulié.

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance par M. Buscon, et l'énumération des ouvrages reçus, l'Académie procède à la réception de M. le docteur Bories. M. le Président lui adresse un compliment de bienvenue, auquel répond le nouveau, récipiendaire.

Trois lectures sont ensuite faites par M. Bruston, doyen de la Faculté de Théologie; par M. Etienne de Scorbiac et par M. Deloche.

La séance publique est fixée au jeudi 11 juin.

La séance est levée à 10 heures et demie.

Séance publique du 11 juin. — M. le chanoine Soulié, président, avait à ses côtés M. Marty, maire de Montauban, membre-né de l'Académie, et le général de Bellegarde, M. Moll, président du tribunal, ainsi que les membres de la Compagnie.

M. le Président a ouvert la séance en regrettant que le quatuor Prunet, par suite de l'indisposition de deux de ses membres, n'ait pu donner à la séance la note musicale accoutumée.

Puis, dans un discours marqué au coin de la plus fine littérature, il fait l'historique de l'Académie de Montauban, qui a commencé son second siècle. Il s'étend surtout sur les origines de cette Société, et retrace la sympathique figure de Lefranc de Pompignan. Il rappelle plusieurs anecdotes relatives à notre illustre compatriote. Ce discours a été très apprécié et très applaudi

La parole est ensuite donnée au Secrétaire général, M. Sémézies, qui, avec sa verve, sa délicatesse et son talent habituels, a fait le rapport du concours annuel de la Société. M. Sémézies


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a donné à son rapport un tour original et nouveau, qui a été très goûté.

M. Etienne de Scorbiac présente une très littéraire et très intéressante étude sur la Vie nouvelle du Dante, dans laquelle il fait revivre, avec beaucoup de charme, les premières années du grand poète.

M. Ch. Garrisson donne quelques pages où court un souffle très patriotique sur le Canada, qu'il a parcouru, naguère, et dont il a rapporté de délicats souvenirs.

Le félibre Quercy a charmé l'auditoire par ses deux pièces de vers : La Capurlo et Lou Clouquiè de La Perroquio, dans lesquelles sa verve primesautière et son esprit d'observation se sont donné libre carrière.

Le commandant Roques et M. Buscon ont donné lecture des pièces couronnées : Temps passé, Sonnet, Nuit de Noël.

Ces pièces ont été fort applaudies.

La séance a été terminée à 10 heures et demie.

Séance du 4 juillet. — Présidence de M. le chanoine Soulié.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Secrétaire général, parmi les volumes envoyés à l'Académie depuis la dernière séance, signale le don de M. Amalric, de Toulouse : Bric à brac et Menu fretin.

M. le Ministre de l'Instruction publique envoie le programme du Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne, en 1897.

M. de Laroussilhe, lauréat du dernier concours, adresse ses remerciements à l'Académie.

MM. le général de Bellegarde, Monod et Goulard s'excusent par lettre de ne pouvoir assister à la séance.

M. le président adresse, au nom de l'Académie, ses félicitations à notre confrère M. Delbru, qui vient d'être promu curé de Saint-Jacques.

L'ordre du jour appelle les lectures de MM. Quercy, Dubreuilh, Pouvillon et Gustave Garrisson, qui ne répondent pas à l'appel.

M. de Mila de Cabarieu lit une étude sur l'étymologie du nom de la rue des Doreurs, à Montauban.

M. Forestié père communique à l'Académie une plaquette


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retrouvée dans ses papiers : « Éloge du général Dumas, prononcé dans la séance publique de l'année 1802, par M. de FranceLagravière. » M. le Secrétaire général donne lecture des principaux passages de cette notice.

La séance mensuelle d'août est fixée au 25 juillet.

La séance est levée à 9 heures trois quarts.

Séance du 25 juillet. — Président : M. le chanoine Soulié.

M. Buscon ayant lu le procès verbal de la séance du 4 juillet, M. le Secrétaire général dépouille la correspondance et fait connaître les oeuvres reçues.

La parole est ensuite donnée à M. Deloche, qui continue sa lecture commencée dans une séance précédente.

Viennent ensuite M. Mila de Cabarieu et M. Charles Garrisson.

La séance est levée à 10 heures un quart.

Séance du 7 novembre. — La séance est ouverte sous la présidence de M. le chanoine Soulié.

M. le chanoine Delbru, MM. Vielles, Monod et Goulard se font excuser de ne pouvoir assister à la séance.

M. le Secrétaire général signale l'envoi de 65 ouvrages nouveaux.

M. Sémézies a la parole et lit un travail des plus intéressants sur la bastille d'Eylau.

L'assemblée procède ensuite au tirage au sort pour les lectures de l'année 1897, qui donne les résultats suivants :

Janvier : de France, Dubreuilh, Guibal, Leenhard :

Février : Pouvillon, Lacaze, de Bellegarde, Bories ;

Mars : de Scorbiac, Dardenne, Monziès, Buscon ;

Avril : Delbru, Cougoureux, Gustave Garrisson, Capdepic;

Mai : Quercy, Alibert, Dumas de Rauly, Chenin ;

Juin : Monod, Tachard, Buffa, Bruston ;

Juillet : Bedel, le comte de Gironde, de Boissières, Vielles;

Août : Soulié, Roques, Rolland, Éd. Forestié ;

Novembre : Garrisson, Sémézies, Contensou, Mila de Cabarieu ;

Décembre : Coroue, Buscon, Goulard, Deloche.


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Séance du 5 décembre. — Président : M le chanoine Soulié.

M Brun ayant lu le procès-verbal de la dernière séance, et M. le Secrétaire général ayant énuméré les ouvrages reçus, l'Académie procède au renouvellement du Bureau pour l'année 1897 :

Président : M. le chanoine Soulié. Vice-président : M. Mila de Cabarieu. Secrétaire général : M Marcel Sémézies. Secrétaire des séances : M. Buscon. Bibliothécaire : M. Edouard Forestié. Trésorier : M. Buscon.

Elle nomme ensuite les trois commissions : celle des candidatures, celle des comptes et celle du concours pour l'année 1897.

La parole est ensuite donnée à M. Bruston, doyen de la Faculté, et à M. l'abbé Contensou, pour faire leur lecture réglementaire.

La séance est levée à 10 heures et demie.


ACADEMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS

DE TARN-ET-GARONNE

PROGRAMME

DES

CONCOURS DE 1897

L'Académie décernera une médaille d'or, des médailles d'argent, de vermeil et de bronze, et des mentions honorables aux meilleures poésies présentées, sans distinction de sujet et de genre.

Elle décernera une médaille d'or à la meilleure étude en prose sur un sujet d'art intéressant le pays montalbanais.

Le Concours reste ouvert jusqu'au 28 février 1897. Les manuscrits, pourvus d'une devise qui sera répétée sur une enveloppe cachetée contenant les nom et adresse des candidats, devront être envoyés avant cette date au Secrétaire général de l'Académie.


La distribution des médailles aura lieu dans la Séance publique annuelle, dont la date sera fixée ultérieurement. Les lauréats qui ne viendront pas recevoir eux-mêmes leurs médailles à cette séance devront les faire retirer à leurs frais chez le Secrétaire général.

Montauban, le 8 octobre 1896.

Le Secrétaire général, Le Président,

MARCEL SÉMÉZIES. SOULIÉ, chanoine.


TABLE DES MATIERES

Pages.

Liste des membres de la Société 5

Discours prononcé dans la séance publique du 11 juin 1896. par M. le chanoine Soulié, président de l'Académie... 9

Rapport, sur les Concours de poésie et de prose de 1996, par M. Marcel Sémézies 17

Le Caractère et la Physionomie du Roi Louis XIII (Études d'art et d'histoire), par M. Marcel Sémézies.. 43

De la Langue française et de son Orthographe, par M de Mila de Cabarieu 63

Un ancien Drame sémitique, par M. Charles Bruston... 77

Aperçu de Législation moderne, par M. Goulard 93

Les premières OEuvres poétiques de Paul Ferry, Messin, par M. Charles Garrisson 109

Considérations sur la Musique sacrée, par M. le chanoine Contensou 123

Michel-Ange et ses Poésies, par M. Etienne de Scorbiac. 135

Les Coutumes de Montagnac en Armagnac (1260), par M. Edouard Forestié 151

Discours prononcé, le lundi 16 mars 1896, aux obsèques de M. J. Jordanet, par M. de Mila de Cabarieu 179

Discours prononcé le vendredi 1er mai 1896, aux obsèques de M. É. de Capella, par MM. Marcel Sémézies et Guibal 183


— 214 —

A propos des Lettres persanes, par M. le docteur Tachard. 189

A la Capurlo (hymne trimfa!), et Al Clouquier de la

Pérroquio (sounet), par A. Quercy 201 203

Résumé des procès-verbaux des séances 205

Programme des Concours de 1897 211

Table des matières 213