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Titre : Bulletin de la Société académique du Centre : archéologie, littérature, science, histoire et beaux-arts

Auteur : Académie du Centre. Auteur du texte

Éditeur : Champion (Paris)

Éditeur : P. Langlois (Châteauroux)

Date d'édition : 1905-07-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34422153c

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34422153c/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 3911

Description : 01 juillet 1905

Description : 1905/07/01 (A11,N3)-1905/09/30.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5686657c

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-266725

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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11me Année N° 3 Juillet-Septemb. 1905

BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

A nos Lecteurs

L'union annoncée de la Revue du Berry et du Bulletin de la Société académique du Centre, sous le titre de Revue du Berry et du Centre, organe et Bulletin de la Société académique est définitivement conclue.

La nécessité de terminer à la satisfaction des lecteurs de chaque recueil, les publications en cours, fera reculer jusqu'en décembre l'apparition du premier numéro commun. Ce fascicule sera distribué à tous nos abonnés.

Pour préparer la fusion, l'administration des deux recueils consent pour cette année un sacrifice qui permettra à ceux de nos abonnés qui ne le sont pas en même temps à la Revue du Berry de recevoir, sur leur demande, tous les numéros de 1905 de cette Revue, moyennant un modique supplément de 4 francs à envoyer à l'Administration, rue Gutenberg, 5, à Châteauroux.

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Le Général A. FABRE

Grand'Croix de la Légion d'honneur

Ancien Commandant du 17e corps d'armée

Président d'honneur de la Société Académique du Centre

SES CAMPAGNES (1854-1871) D'APRÈS SES NOTES ET SA CORRESPONDANCE

(Suite)

CAMPAGNE DU MEXIQUE

(suite et fin)

« 21 juin.

» Nous avons fait hier une agréable promenade en voiture jusqu'à la petite ville de Guadalupe Hidalgo située au Nord et à deux lieues de Mexico. C'est là qu'eût lieu en 1531 la fameuse apparition où la vierge a déclaré prendre le Mexique sous sa protection. Aussi, NotreDame de Guadalupe est-elle la patronne vénérée de tout je pays et Guadalupe même, comme la ville sainte du Mexique où l'on vient en pèlerinage de tous côtés.

» Pour gagner la guarritta de Péralvillo nous avons traversé des quartiers de Mexico affreusement sales. Les ressorts de notre voiture étaient solides, heureusement, car nos roues enfonçaient jusqu'aux moyeux dans des fondrières et des bourbiers infects. A la guarrita commence une chaussée qui mène en ligne droite à Guada


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lupe. On voit au loin sur la droite le lac de Tezcusco précédé de larges marais, et on côtoie le chemin de fer de Mexico à Guadalupe, le seul, qui, avec celui de VeraCruz à la Tejeria, existe au Mexique.

» L'église de Guadalupe est belle et fort riche. Les balustrades du choeur, les rampes d'escaliers, une foule d'ornements sont en argent massif. Sur le sommet d'une colline qui domine la ville, au lieu même de l'apparition, se dresse une jolie petite chapelle ».

« 23 juin.

» La question politique marche à grands pas. La junte de 35 notables nommée par le général en chef a délégué le pouvoir exécutif à trois de ses membres qui forment le gouvernement provisoire. En définitive cette junte reste le vrai gouvernement. Elle est une sorte de Conseil d'Etat divisé en sections correspondant aux divers départements ministériels et qui, pour la prompte expédition des affaires, donnent le droit de signature aux trois citoyens qu'elle a élus.

» Ces pouvoirs néanmoins ne sont que factices puisque rien ne peut se faire sans l'approbation du général en chef. Seulement ce contrôle tout puissant reste dans l'ombre et le bon peuple ne se doute pas que c'est uniquement la main de la France qui le dirige. La junte des 35 notables nommera cette semaine 215 citoyens pris dans toutes les classes de la société et se les adjoindra pour former ainsi une assemblée de 250 membres qui sera une Assemblée Constituante.

» Elle aura pour première mission de se prononcer sur la forme définitive du gouvernement qui convient au Mexique. Sans aucun doute la monarchie sera demandée


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à une forte majorité. En mon âme et conscience, je crois que les aspirations de ce peuple sont monarchiques, que la masse de la nation est fatiguée du régime républicain qui ne lui a procuré qu'une suite non interrompue de guerres intestines. Mais il est non moins certain que les nominations de l'assemblée se sont faites en conformité des projets du gouvernement français ; même pour compléter la comédie on a eu soin d'y mettre quelques opposants. C'est donc la monarchie qui sera votée, et, pour témoigner à notre Empereur toute la gratitude du peuple mexicain, l'Assemblée lui laissera le choix du souverain qui devra porter la couronne du Mexique. D'après ce que je sais de meilleure source, ce souverain sera l'archiduc Maximilien. Je regrette vivement cette solution dans laquelle je n'ai qu'une confiance médiocre. Tout ira pour le mieux tant qu'il y aura ici un corps d'occupation français, mais, du jour où nos troupes quitteront le pays, et où le nouveau roi sera abandonné à ses seules forces, je prévois que l'édifice construit par nos mains ne tardera pas à s'écrouler. Je voudrais, ce que j'avais supposé à mon arrivée au Mexique, je voudrais que nous gardions pour nous ce pays qui, sous notre domination, deviendrait une source inépuisable de richesse pour la France. Je le voudrais d'autant plus, que cette solution serait acceptée avec bonheur par un grand nombre de Mexicains. Si nous en avions manifesté le désir, je suis intimement convaincu que l'empereur Napoléon aurait été proclamé par acclamation Empereur des Mexicains. On aurait envoyé ici un membre de la famille impériale comme ViceRoi, et nous aurions eu une colonie bien autrement riche et importante que l'Algérie.

» Le temps est exécrable, la pluie ne cesse plus; c'est agaçant sous tous les rapports ; on se sent mal à l'aise quand, avant la pluie l'atmosphère est étouffante, et


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quand, après, l'humidité se fait glaciale, lien sera ainsi jusqu'à la fin de l'hivernage au mois de septembre.

» Nous sortons en voiture de temps en temps pour nous promener sur l'unique et éternelle chaussée de Tacubaya. On traverse pour y arriver le Paseo-Nuevo, sorte d'avenue des Champs-Elysées ornée à son entrée de la statue équestre du roi Charles IV et parsemée de ronds points avec des statues allégoriques en fort mauvais état. Les arbres y sont chétifs, la chaussée mal entretenue ; en somme ces soi-disant Champs-Elysées demanderaient une réfection complète. Vers cinq heures au moment où la promenade est le plus fréquentée, on y rencontre à peine une trentaine de voitures, quelques cavaliers, et jamais un piéton.

» Nous assisterons ce soir à une représentation théâtrale que la troupe espagnole offre au général en chef ; demain nous irons au théâtre français, heureux de ces occasions qui rompent un peu la monotonie de notre existence.

» Je plains bien sincèrement le souverain qui va venir habiter ce maudit pays ; il regrettera plus d'une fois, sous cet inhospitalier climat, et au milieu du triste peuple qu'il aura à gouverner, la brillante situation qu'il occupe à la Cour de Vienne ».

« 24 juin.

» Anniversaire de Solférino. — ll y a quatre ans à pareille heure je venais de recevoir l'atroce blessure dont j'ai tant souffert encore dernièrement.

Ce matin le général Forey est monté à cheval pour aller visiter la citadelle de Mexico, qui est en même temps le grand arsenal du Mexique. C'est un bel établissement, mais qui, comme toute chose en ce pays, a besoin d'être mis en état.


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» Juarez en s'enfuyant a abandonné là une quantité prodigieuse de munitions. Les inscriptions existant sur les caisses qui les contenaient indiquent qu'elles ont été fournies par les Américains du Nord si hostiles à notre intervention. Parmi les 101 bouches à feu que l'ennemi a laissées à Mexico, nous avons trouvé une pièce française fondue à Douay en 1744, et que les Espagnols nous ont sans doute prise dans les guerres du règne de Louis XV. Bien entendu, ce canon figurera au premier rang parmi ceux que nous ramènerons en France en souvenir de la campagne.

» A midi j'ai assisté du balcon du Palais à la proclamation sur la place publique, de l'installation du nouvel Ayuntamiento. Cette proclamation s'est faite avec une certaine solennité. Les troupes mexicaines seules y assistaient et les salves de réjouissance ont été tirées par l'artillerie mexicaine.

» Ce spectacle m'a rappelé un souvenir douloureux pour nous. Le général Forey, près duquel je me trouvais sur le balcon, me représentait l'Empereur de Russie en 1815 et le Palais de Mexico remplaçait l'hôtel de Talleyrand à l'angle de la rue de Rivoli et de la rue Saint-Florentin. Je voyais Alexandre regardant de sa fenêtre le peuple de Paris, assistant sur la place de la Concorde au rétablissement du gouvernement de Louis XVIII.

» La politique a des roueries et des machinations auxquelles je n'aurais jamais cru avant d'en être le témoin. Est-ce bon, est-ce mauvais pour moi d'avoir assisté à ces tripotages diplomatiques? J'ai appris beaucoup, il est vrai, mais comment conserver l'ombre d'une illusion sur ce qui se passe dans les sphères gouvernementales ?

» Après ce que je sais, ce que j'ai vu, je ne pourrai


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plus jamais croire à aucune déclaration faite par un gouvernement.

» Lorsqu'en 1862, M. Billault, au Corps législatif, s'écriait sur tous les tons qu'on n'avait jamais songé à l'archiduc Maximilien, et que l'affirmation contraire était un mensonge inventé par les ennemis du gouvernement, une correspondance chiffrée très active s'échangeait entre l'empereur Napoléon et l'archiduc, je puis le certifier.

» Sans connaître l'avis des Mexicains, on a toujours eu à Paris l'idée de fonder ici une monarchie, et on a fait mentir le général Forey, qui a sans cesse répété dans ses proclamations que nous ne venions pas imposer un gouvernement. Par le fait, nous ne l'imposons pas ; mais nous nous sommes arrangés pour que la monarchie soit établie. Si les Mexicains s'en contentent, tant mieux ; si elle ne leur convient pas, c'est la même chose. Pour ma part, je crois toujours sincèrement que cette solution est la meilleure pour ce pays ; mais pourquoi avoir constamment prétendu que ce n'était pas notre intention? En politique, est-il donc indispensable de mentir et de dissimuler? La comédie va continuer: demain, le général en chef instituera officiellement le pouvoir exécutif et lui remettra tous les pouvoirs. Du moins, il le dira bien haut pour que les journaux le répètent et que le peuple le croie ; en réalité, le pouvoir restera dans les mains du général, qui ne laissera faire au gouvernement provisoire que ce qui lui conviendra. Bon peuple, c'est ainsi qu'on te gouverne... et qu'on te berne !... »

« 25 juin.

» Le général Forey dont la conscience est si droite et la loyauté si habile, n'est pas fâché de se mettre un peu


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à l'écart de la comédie que M. de Saligny fait jouer en ce moment à la France. Il a écrit hier aux membres du gouvernement provisoire qu'il allait quitter le Palais national pour qu'eux puissent en prendre possession immédiatement. De cette façon, dans l'opinion publique, il passe au second rang, et il n'est pas fâché que les Mexicains, qui ont pour lui une profonde sympathie ne mêlent pas son nom aux mesures qui seront prises.

» On nous dispose en ville le plus bel hôtel de Mexico et on va en outre préparer pour nous, comme maison de campagne, le palais de l'archevêque à Tacubaya. Nous attendrons dans cette sorte de retraite, où cependant résidera la volonté toute puissante, que l'Empereur à l'automne veuille bien rappeler le « Maréchal » Forey qui n'aurait plus ici une situation proportionnée à la dignité dont il sera revêtu.

» Une colonne expéditionnaire part demain matin pour Tlascala où le général Negrete a réuni quelques troupes dans l'intention d'inquiéter Puebla et notre ligne de communication. D'autres colonnes ne tarderont pas à être envoyées dans un rayon de 20 lieues autour de la capitale pour purger le pays et gagner ensuite du terrain après la saison des pluies. Chaque colonne est accompagnée d'une cour martiale qui fera fusiller séance tenante tous les guérilleros et brigands pris les armes à la main ».

« 28 juin.

» Le général a définitivement fixé son choix sur l'hôtel qu'il doit occuper. Cet hôtel est situé dans le quartier aristocratique de Mexico, quartier excentrique et voisin de la guarrita de San-Cosme. D'un côté, il donne par le




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parc et le jardin sur le Paseo-Nuevo et, de l'autre, sur la chaussée de San-Cosme. L'hôtel est entièrement meublé d'une manière somptueuse, moins le salon que la municipalité va organiser immédiatement.

» Une compagnie du génie travaille à en réparer les abords et à mettre en état le parc et le jardin. Je ne crois pas que nous puissions y entrer avant le 15 juillet.

En ce moment, la société mexicaine ne songe qu'au grand bal qui aura lieu demain dans la salle du Théâtre National. A ce propos on cite quelques anecdotes qui peignent le clergé mexicain sous un jour particulier.

» Quelques femmes prises de scrupules hésitaient à se rendre à ce bal, donné dans un théâtre ; pour les décider, il a suffi de leurs dépêcher leurs confesseurs qui leur ont prescrit d'y assister.

» Plusieurs prêtres, et notamment trois évêques ont sollicité pour eux-mêmes des invitations qu'on leur a immédiatement adressées. Ils prétendent ainsi calmer les craintes de leurs ouailles.

» Enfin les églises prêtent leurs tentures et différents ornements pour servir à la décoration de la salle de théâtre. Cette alliance du sacré et du profane nous étonne un peu.

» Le gouvernement provisoire du Mexique est en pleine activité. Il a publié à la nation un manifeste conçu dans un excellent esprit. Ce manifeste a été rédigé par le père Miranda, qu'on représentait jusqu'alors comme un réactionnaire forcené, mais qui, bien au contraire, paraît avoir des idées de progrès, et serait rangé chez nous dans le clergé Gallican.

» Les différentes sections de la Junte supérieure, sous notre impulsion, montrent une grande activité. Jamais on n'avait travaillé aussi sérieusement au Mexique. Pendant que nous tâchons de fonder à Mexico quelque


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chose de stable, Juarez se débat comme un diable à San-Luis-de-Potosi et lance force décrets contre les citoyens qui acceptent l'Intervention. Il a nommé Bériozabal, commandant en chef de son débris d'armée et a envoyé de la Fuente, un de ses ministres, aux Etats-Unis, pour demander la protection et l'appui du gouvernement de Washington ; le moment ne parait guère propice, quand le Sud a des avantages constants sur le Nord, qui bientôt ne pourra plus continuer la guerre. Ortéga est à San-Luis-Potosi, La Llave qui l'accompagnait a été blessé en route par son escorte, qui de plus lui a volé son argent.

» Bériozabal s'est établi à Queretaro. Il n'y restera pas longtemps, car le général en chef va envoyer prochainement un régiment français avec 3.000 hommes des troupes du général Méjia, très influent dans ce pays où il a tenu la campagne pendant trois ans contre Juarez.

» En attendant ce mouvement qui portera des troupes à 50 lieues de la capitale le général s'occupe de nettoyer toute la vallée de Mexico. Le 27, le 18e bataillon de chasseurs à pied est parti pour Chalco, et le 1er juillet le 51e de ligne se rendra à Toluca. Des troupes mexicaines occupent au Nord Huéhuétoca et Zumpango, et au Sud la route de Cuernavaca. Avec ce système aidé des cours martiales, nous arriverons promptement à rétablir la sécurité que nous étendrons peu à peu, après la saison des pluies et au fur et à mesure de l'organisation de la nouvelle armée mexicaine. »

« 29 juin.

» Nous sommes montés à cheval hier à 4 heures ; et avons fait une charmante promenade à Chapultepec. Chapultepec est un château bâti sur une colline escarpée


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qui s'élève brusquement au milieu de la plaine noyée de Mexico. Il était anciennement la résidence d'été de Montézuma, qui y a d'ailleurs été enterré ; il a servi aussi aux vice-rois d'Espagne et, depuis l'Indépendance Mexicaine, est devenu un établissement militaire auquel on a ajouté des annexes. C'est là que se trouve l'Ecole militaire qui n'a, depuis plusieurs années, pas reçu un seul élève, Juarez nommant d'emblée officiers des portefaix ou des brigands. A côté, se trouve une belle fonderie de canons, à Molino-del-Re, et une poudrerie à Casa-Nata.

» Le château que nous n'avons pas eu le temps de visiter paraît délabré, mais nous avons parcouru le parc qui contient certainement les arbres les plus curieux du globe. Ce sont des sapins de dimensions gigantesques avec des pendentifs de parasites qui tombent des branches en girandoles et produisent un effet romantico-diabolique.

» Ce matin, une autre promenade à cheval m'a vivement intéressé, en me reportant aux vieux temps Indiens antérieurs à la conquête de Fernand Cortez. Nous avons longé le canal de Las Vigas jusqu'au village de SantaAnita. Ce canal, dont l'origine est inconnue, unit le lac Xochimilco au lac deTezcuco. Il n'est pas bien entretenu, mais suffit parfaitement au transport des marchandises que les Indiens amènent à Mexico. Ce matin, il était couvert d'embarcations descendant vers la capitale et portant des légumes, du bois et des fourrages. Outre ces embarcations à fond plat et d'une certaine dimension, il y en a de toutes petites qui se composent d'un tronc d'arbre creusé et qui servent à porter des familles entières des bords des lacs à Mexico. Cette barque primitive exige l'immobilité complète des passagers, sous peine de chavirer; les Indiens la dirigent avec une adresse remarquable et une rapidité merveilleuse.


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» Une magnifique allée plantée de saules côtoie le canal. En la suivant nous avions le coup d'oeil très pitto resque de ce panorama mouvant qui glisse sur la surface de l'eau. On le contemple avec d'autant plus d'attention qu'on surprend ainsi dans son existence un peuple tel qu'il vivait avant la découverte de l'Amérique. »

« 1er juillet.

» Le grand bal donné au Théâtre National a eu le succès le plus complet. L'élite de la société s'y est rendue et plus de 3.000 personnes se pressaient dans la vaste salle splendidement décorée. Trois musiques militaires servaient d'orchestre, et un très beau souper était préparé dans le foyer. A 10 heures et demie, le général en chef a fait son entrée, puis le tour de salle, comme l'Empereur aux Tuileries ; il a ensuite ouvert le bal par le quadrille d'honneur composé de dix couples. Le général Forey avait pour vis-à-vis le général Almonte et pour danseuse Mme Gargallo, de l'une des plus riches familles mexicaines.

» De la loge du général, située au milieu faisant face à la scène, le spectacle était ravissant. La majorité des femmes mexicaines est vraiment belle, leurs cheveux noirs sont remarquablement abondants, leurs yeux grands et vifs, leur peau d'une blancheur mate, leur gorge d'un développement appétissant ; seule la bouche trop grande laisse à désirer. Mais, ô malheur, ce sexe charmant ne se contente pas de ses attraits naturels, et, pour en augmenter le charme, a la sottise de se peindre le visage d'une façon déplorable. On fait ici un abus immodéré du fard et de la poudre de riz. Les modes sont entièrement françaises, et d'ailleurs les Mexicaines por-


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tent la toilette avec une désinvolture très séduisante. Le bal s'est prolongé jusqu'à 7 heures du matin, et les journaux comme les individus ne tarissent pas en éloges sur cette fête sans pareille au Mexique. Ce bal est encore un événement politique ; en y prenant part, la société s'est ralliée par le fait à l'intervention française, et Juarez aura peine à croire que nous ayons obtenu un succès semblable un mois après son départ.

» La junte supérieure a arrêté avant-hier la liste des notables qui formeront l'assemblée chargée de demander la monarchie. Elle doit se réunir le 6 ou le 7 pour se prononcer à ce sujet. Cette solution qui n'est un mystère pour personne est vivement désirée. Ce sera le coup de grâce pour le gouvernement de Juarez.

» Pour témoigner sa reconnaissance au général Forey, le pouvoir exécutif va lui décerner prochainement, au nom de la nation mexicaine le grand cordon de l'ordre de Guadalupe qui jusqu'alors n'était donné qu'aux souverains. Cet ordre a été fondé par Iturbide aussitôt après la proclamation de l'Indépendance. Il jouit ici d'une grande considération. »

« 4 juillet.

» Les pluies périodiques et régulières qui doivent durer jusqu'à la fin de septembre sont maintenant parfaitement réglées. Le matin, temps superbe; à midi, le ciel se couvre ; à deux heures, l'orage éclate, puis, il pleut jusqu'à six heures. Ce temps se présente chaque jour avec tant de régularité qu'on a coutume de se donner rendez-vous avant ou après l'orage sans indiquer l'heure. Il devient presque impossible de sortir l'aprèsmidi.


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» De la fenêtre de ma chambre, je vois le marché qui est d'une grande animation ; je l'ai visité avant-hier avec un intérêt très vif. Ce marché se compose d'une succession de petites maisons en pierres, où les Indiens vendent les fruits et les légumes que seuls ils cultivent au Mexique, sur les Chinompas, anciens jardins flottants au temps de Montézuma, et qui, depuis le retrait de l'eau des lacs, se sont fixés et forment le seul terrain solide au milieu des marais qui entourent Mexico.

» Derniers échos du bal du 29 juin. 150 couverts en argent ont été volés au restaurateur qui a fourni le souper ; en outre, on a coupé des bracelets aux bras des femmes et une notable quantité de dragonnes aux sabres des officiers. Quel pays !

» La Llave a succombé à la blessure qu'il avait reçue sur le chemin de Gualaxuato à San-Luis-Potosi. Ortéga a été investi par Juarez du commandement de quelques bandes de Guérillas et continue à perdre le prestige que lui avait valu la défense de Puebla.

» Le bruit court à Mexico que Juarez va quitter SanLuis-Potosi pour aller plus au Nord à Monterey et à Zacatecas. Je ne sais jusqu'à quel point ce bruit est fondé, mais on l'explique par la conduite mystérieuse de Doblado, gouverneur de l'Etat de Gualaxuato, qui, après avoir soutenu le parti démagogique, semble vouloir venir à nous avec son corps d'armée de 8.000 hommes. Ainsi Doblado a refusé de faire sortir ses troupes de sa province et a fait afficher sur les murs de Gualaxuato le manifeste du général Forey. Mais si quelques-uns des amis de Juarez l'abandonnent, il lui reste quelques sicaires, écume de la société, qui commettent toutes sortes d'atrocités et de crimes. A Guadalajara, les frères Maldonade avaient organisé une contre-guérilla pour s'opposer aux déprédations de Rojas. Ce monstre les a battus,


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leur a fait arracher les yeux et les a fait ensuite fusiller après les avoir exposés aux outrages de la populace. » Dans un autre genre, à Toluco où le général de Bertier arrive aujourd'hui, les autorités Juaristes se sont enfuies à l'approche de nos troupes après avoir frappé la ville d'une forte imposition et avoir perquisitionné dans toutes les maisons pour y détruire les toilettes des femmes qu'on savait favorables à notre intervention ».

« 7 juillet.

» Quelques compagnies de tirailleurs algériens sont parties hier pour aller occuper Tezcuco, pendant qu'un corps mexicain chassait l'ennemi d'Apan après un léger engagement. Le bassin et les environs de Mexico sont donc maintenant très bien protégés, et les Guérillas disparaîtraient complètement, si les populations montraient quelque énergie pour se défendre. Ce n'est malheureusement pas le cas.

» L'alcade d'Ayotla, bourg de 3.000 habitants, écrit dernièrement que quatre bandits désolent la commune et réclame notre appui. A chaque instant, le général en chef reçoit des demandes de ce genre ; aussi, disait-il ce matin, qu'il lui faudrait une armée de 400.000 hommes pour y satisfaire. Que veut-on fonder dans un pays où il y a si peu de ressources, et comment sera-t-il possible au gouvernement de Mexico de rétablir et de maintenir avec ses seules troupes la tranquillité dans une contrée qui a quatre fois la superficie de la France et dont certaines parties sont encore inexplorées? Une dictature militaire exercée par nous, puis l'annexion à la France étaient les seuls moyens de tirer le Mexique de l'abîme.

» M. de Saligny en juge autrement : eh bien, on ne


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fera ici rien de solide, l'édifice croulera dans un temps plus ou moins long. Je réponds que l'avenir me donnera raison ».

« 11 juillet.

» Un courrier extraordinaire part dans quelques minutes pour Vera-Cruz. On l'expédie sans délai, pour que le paquebot du 17 porte en Europe la proclamation de la Monarchie mexicaine. L'Assemblée a émis son vote hier, a élu comme Empereur l'archiduc Maximilien, et dans le cas où ce prince n'accepterait pas, prie Napoléon III de choisir le souverain qui peut leur convenir ».

« 12 juillet.

» La proclamation de la Monarchie et la nomination du souverain se sont faites à l'unanimité des membres de l'Assemblée des Notables, moins deux opposants.

» L'Assemblée a nommé hier un Conseil de régence qui gouvernera jusqu'à l'arrivée de Maximilien. Ce Conseil est d'ailleurs composé des anciens membres du Gouvernement provisoire. On a ensuite désigné une députation, qui va partir pour l'Europe afin de porter à Maximilien les voeux de la nation mexicaine, et pour remercier notre Empereur du secours et de l'appui qu'il a si généreusement offert au Mexique.

» Baissons maintenant le rideau, la farce est jouée.

» Je ne puis toujours pas m'empêcher de regretter amèrement que nous n'ayons pas profité de nos succès pour nous créer une Algérie américaine qui aurait été pour la France une mine d'or et un grenier inépuisable.

» A la suite de la proclamation de la Monarchie, le


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général Forey a fait une dernière invitation très chaleureuse aux dissidents civils et militaires, pour les engager à se rallier au nouveau gouvernement, leur promettant en échange l'oubli du passé. Je ne serais pas étonné que cet appel fût entendu, les partisans de Juarez me paraissent dans un désarroi complet.

» La semaine dernière, Antonio Diaz a fait sa soumission au colonel Aymard, à Pachuca, avec 170 cavaliers, et Valdrès a fait la sienne au général de Bertier, à Toluco, avec 800. On dit même ce matin que Juarez, reconnaissant l'impossibilité de la résistance, a transmis ses pouvoirs à Doblado. Or on sait que ce dernier est tout disposé à se rallier. Ce serait donc une manière honorable et adroite de terminer de suite les affaires.

» En attendant de plus amples informations, le général Forey vient de décider la réoccupation du port de Tampico par lequel le parti Juariste communique avec les Etats-Unis et d'où il tire une énorme quantité d'argent par la perception des droits de douane. Les deux bataillons d'infanterie de marine commandés par le colonel Hennique sont désignés pour s'embarquer à VeraCruz dans les premiers jours d'août et aller s'emparer de Tampico. Nous étendons en même temps notre rayon d'action sur nos derrières de manière à détruire les dernières bandes de Guérillas.

» Le 7e de ligne a l'ordre de se rendre à Huatusco à moitié chemin d'Orizaba à Jalapa et le bataillon de tirailleurs algériens, qui a pour première mission de garder les passages des Cumbrès, ne tardera pas à s'étendre jusqu'à Téhuacan sur la route d'Oajaca. »

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« 17 juillet.

» A la suite de la proclamation de la monarchie, les nouvelles politiques chôment un peu. Celles que nous recevons de l'intérieur du Mexique sont souvent bien contradictoires ; et il est très difficile de démêler le vrai du faux. Bien qu'on prête à Juarez le projet de se replier sur Durango et Chihuahua, puis de là aux ÉtatsUnis dès que nos troupes marcheront sur San-Luis-dePotosi ; bien qu'on prétende que sa famille et ses principaux bagages sont partis pour New-York, je doute fort qu'il abandonne la partie aussi facilement. Son ministre de la guerre, Berriozabal, lance contre nous des proclamations fulminantes ; son ministre des finances, Nunez, lève des impôts extraordinaires pour pouvoir recruter des soldats ; son ministre de l'intérieur change presque tous les gouverneurs des provinces du Nord et les remplace par des bandits tels que Epitacio Huerta et Garcia Leone qui a passé sept années de sa vie au bagne de Chapala. Son ministre des affaires étrangères appelle à grands cris la protection du gouvernement de Washington et nomme même des ambassadeurs auprès de certaines cours européennes. Tout cela n'indique pas que le parti démagogique soit disposé à prendre la fuite. Nous savons de plus que 16.000 fusils lui sont expédiés d'Angleterre et doivent arriver par le port de Matamores ; notre marine prévenue fait bonne garde. Puis encore, certains prêtres juaristes prêchent contre nous la guerre sainte et cherchent à exciter le fanatisme religieux des populations : le curé de Zamova, dans le Michoacan, nommé Pinzon, s'écrie que l'armée française composée de mahométans et de protestants, vient détruire la religion catholique au Mexique. Mais si les par-


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tisans entêtés de Juarez tiennent encore sous leur domination les provinces septentrionales, la cause de l'intervention française fait de grands progrès dans toutes les provinces du Sud.

» Une expédition a quitté Vera Cruz le 8 de ce mois pour se rendre à Minatitlan à l'embouchure du Rio Cozacoalcos, fleuve qui traverse l'isthme de Téhuantepec dans presque toute son étendue. L'occupation de cette ville, suivie bientôt de celle des ponts de Tampico et de Matamoros nous donnera la possession complète de tous les ports du golfe du Mexique, et isolera d'une façon absolue le parti juariste de l'Europe et du reste de l'Amérique. »

« 20 juillet.

» Le général Forey est au cinquième ciel. Il a reçu de l'Empereur et du ministre, des lettres qui l'accablent de compliments et reconnaissent enfin combien était fondée la prudence avec laquelle il a conduit les opérations. Sa Majesté termine sa lettre en faisant allusion au bâton de maréchal. On a d'ailleurs écrit au général, que sa nomination était à la signature et qu'un officier d'ordonnance de l'Empereur allait arriver au Mexique pour lui apporter l'emblème de la plus haute dignité qu'un homme puisse ambitionner dans notre pays. Je crois qu'en ce moment le ministre de la guerre est dans ses petits souliers, l'incurie dont il a fait preuve étant évidente. Aussi, le ton amer et désagréable dont il se servait jadis devientil le plus mielleux du monde. Il nous expédie, maintenant que nous n'en avons plus besoin, une énorme quantité de bouches à feu et de munitions qui nous ont tant manqué à Puebla.


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» Mon ami C... est malade depuis huit jours et garde le lit. Du reste, je le vois très peu quand il se porte bien. Je le fuis, car il est devenu absurde avec son admiration passionnée pour M. de Saligny, cet homme qui a induit notre gouvernement en erreur et a lancé la France dans cette expédition de telle manière qu'elle ne lui rapportera rien quand elle aurait pu être si fructueuse. »

« 22 juillet.

» Le courrier d'hier avait apporté l'ordre de rappel en France de M. de Saligny. Nous considérons tous cet ordre comme une disgrâce provoquée par la résistance de Puebla. M. de Saligny a toujours écrit qu'on ne trouverait pas l'ombre d'un obstacle jusqu'à Mexico, et qu'avec un bataillon de zouaves, on pourrait parcourir tout le Mexique. Ses lettres ont fait naître et entretenu les illusions du gouvernement. Le général Forey, fort heureusement, n'a tenu aucun compte de ces appréciations et l'événement a montré qui des deux avait raison.

» Ce rappel ne faisait pas les affaires de M. de Saligny, qui a supplié le général en chef de le conserver, et notre général est si bon qu'il y a consenti. C'est une grande faute et un grand malheur. Toute l'armée déplore cette décision. Poussé par tous mes camarades et mû d'ailleurs par ma propre inspiration, j'ai cru remplir un devoir d'honnête homme et d'aide de camp dévoué en me rendant auprès du général pour lui exposer les mille motifs qui devaient le décider à laisser partir M. de Saligny. J'ai dit tout ce que je savais, et j'ai exprimé vertement mon opinion sur le compte de ce personnage qui a trompé son pays dans un intérêt tout personnel et qui par ailleurs a constamment cherché à nuire au général.


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A mon arrivée au Mexique, j'avais été un peu séduit par M. de Saligny, qui a précisément le don de plaire, mais j'ai bientôt vu clair et me suis retiré peu à peu de lui. Je m'étais promis depuis longtemps de dévoiler au général tous ses agissements, mais seulement en quittant le Mexique, pensant que je ne devais pas troubler ici l'harmonie qui était nécessaire à la réalisation du but de l'expédition. La circonstance du rappel m'a semblé opportune et j'ai fait connaître et sa conduite et les diatribes par lesquelles il n'a cessé d'attaquer le général en chef et l'armée. Le général m'a vivement remercié de mon dévouement pour sa personne, et a regretté d'avoir pris avec M. de Saligny un engagement sur lequel il ne pouvait revenir. Je le regrette beaucoup aussi, mais au moins je sais que le général ne s'abusera plus sur le compte du ministre et agira en conséquence.

» Je ferai quelque jour l'historique de cet homme, et l'on verra le rôle étrange joué par un de nos camarades qu'on dirait vraiment être plutôt l'aide de camp de Saligny que celui du général en chef. »

« 23 juillet.

» Ma démarche d'hier a porté ses fruits. Le général en chef m'a appelé à 4 heures et m'a remis le registre de correspondance avec le ministre des affaires étrangères, pour y transcrire une lettre qu'il venait de rédiger. Dans cette lettre, le général met le ministre au courant de ce qu'il sait sur M. de Saligny, se plaint amèrement de sa conduite et termine en marquant avec netteté qu'il ne le conserve que pour l'expédition des affaires politiques dans lesquelles lui-même est peu versé, et qu'il verrait arriver ici avec grand contentement un autre agent diplomatique.


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» Nous venons de recevoir une bonne nouvelle : Le général juariste Leyva, qui opérait dans les montagnes du Sud de la vallée de Mexico, a été surpris avant-hier par la troupe mexicaine de Vicario à la Cruz del Marquès. On lui a pris 300 hommes, dont 20 officiers, 50 chevaux et 2 canons. Le reste de la bande a été dispersé. Cette brillante affaire va nous permettre d'occuper Cuernavaca, au centre d'une contrée difficile dans laquelle Vicario a une grande influence. Tout autour de nous, soit dans la vallée de Mexico, soit sur la ligne de Vera-Cruz, la tranquillité et la sécurité renaissent ; les populations envoient de tous côtés des actes d'adhésion à la monarchie. Notre marine a capturé le bâtiment anglais qui portait les fusils à Matamoros ; c'est une fameuse affaire et qui gênera beaucoup Juarez. Un corps de 800 volontaires, organisé dernièrement à San-Luis-dePotosi, a dû être licencié faute de fusils pour les armer.

En ce moment, nous possédons une troupe italienne qui nous donne, tant bien que mal, le répertoire d'opéra. Elle fait la joie de nos soirées, d'autant plus que les femmes mexicaines, en grande toilette de bal, ne manquent pas une représentation.

» Je suis allé dernièrement, avec le général, voir le théâtre des Titerès, genre de spectacle qui n'existe pas en France. On y représente des opéras joués par des marionnettes et chantés par des personnes cachées derrière la scène. Ces pantins sont mus par un mécanisme fort ingénieux et nous ont beaucoup amusés.

» Le général donne deux grands dîners par semaine, le mercredi et le samedi. Le mercredi est consacré aux Mexicains et le samedi aux officiers de l'armée. Hier j'avais à côté de moi Mgr Sollano, évêque de Léon, qui m'a fait mourir de rire, tant sa conversation était gaie et peu monastique. J'ai parlé espagnol avec un aplomb qui


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m'a très bien réussi ; il veut à toutes forces que j'aille le voir souvent. »

« 25 juillet.

» Le général Forey vient de montrer les dents au Conseil de régence, qui, malgré son mauvais vouloir, a dû céder. Le Conseil avait rendu, de sa propre autorité, un décret qui contraignait les Mexicains à l'observation rigoureuse du dimanche et des jours fériés, ordonnait la fermeture des magasins et punissait de un à cinquante jours de prison ceux qui se mettraient en contravention. On ne pouvait travailler le dimanche qu'avec la permission de son curé et après avoir entendu la messe. En lisant ce décret, le général a bondi sur sa chaise et a écrit immédiatement à la Régence, que si elle ne retirait pas cette élucubration du seizième siècle, il allait faire afficher un décret qui l'abolirait.

» La Régence, après quelques difficultés, finit par se soumettre. A ce propos, le général a engagé le gouvernement à ne plus recommencer de pareilles prouesses ; il exige que tout lui soit présenté avant d'être publié et a laissé entendre que, ne voulant à aucun prix de réaction, il ne reculerait pas devant un coup d'Etat, si on l'y forçait.

» Bravo! Il faut avoir l'oeil sur ces fantoches qui, dirigés par M. de Saligny, nous gagneraient vite à la main et pourraient nous causer de sérieux embarras.

» Le vol, qui est mis en pratique dans tous les rangs de la société mexicaine, sévit avec la même intensité dans l'armée.

» Les 10.000 hommes qui composent aujourd'hui cette armée nous coûtent les yeux de la tête, 3 ou 4 millions par mois ; mais les officiers subalternes ne touchent


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que la moitié de leur solde, et les soldats, le plus souvent, ne reçoivent rien. Les généraux volent l'argent et s'enrichissent ainsi aux dépens des malheureux. On veut tenter d'arrêter ces rapines. Y réussira-t-on ? Je ne le crois pas. La société mexicaine est tellement gangrenée qu'on ne pourrait espérer la transformer qu'en anéantissant tout ce qui existe pour créer, par une force magique, une autre génération. Un autre moyen cependant eût peut-être réussi avec cette race, aussi poltronne que méprisable : l'établissement du régime du sabre, avec l'exil, la bastonnade, voire même la fusillade. »

« 28 juillet.

» Nous venons de quitter le palais du gouvernement pour nous installer dans le bel hôtel qui nous servira de résidence jusqu'à ce qu'il plaise à notre Empereur de nous rappeler en France. — J'ai, pour ma part, un charmant petit appartement de deux pièces, meublées très convenablement.

» Avant-hier, nous avons visité l'Hôtel de la Monnaie, intéressant surtout par ce fait que les trois quarts de l'argent en circulation dans le monde, en sont sortis. De là, nous nous sommes rendus au Musée de peinture et de sculpture, qui ne renferme guère que des copies, mais des copies de valeur, toutes signées de noms mexicains.

» Les colonnes mobiles continuent à rayonner avec succès. Le colonel Aymard, du 62e, s'est emparé de Tulamingo, dont il a chassé l'ennemi Le colonel Garnier, du 51e, s'est rendu de Toluca jusqu'à Tenancingo, où il a été reçu avec acclamations. Sur nos derrières, on réoccupe Thuacan et Huatusco. Par ces


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mesures, la tranquillité la plus complète règne sur la route de Mexico à Vera-Cruz, le télégraphe électrique est rétabli jusqu'à Puebla, et la diligence marche régu lièrement, ce qui va nous permettre d'organiser un système de courriers plus rapide. Dans les terres chaudes, on travaille activement au chemin de fer qui, dans le courant d'août, sera mis en exploitation jusqu'à la Soledad. C'est déjà un pas énorme ; et quand, un peu plus tard, il ira jusqu'au Chiquihuite, où cesse le terrible climat des côtes, les étrangers pouvant, en trois heures, s'y rendre de Vera-Cruz, n'auront plus rien à craindre d'un pays dont le nom seul est un épouvantail. Le vomito est très fort cette année et la mortalité plus grande que l'an dernier. A Mexico et à Puebla, au contraire, l'état sanitaire devient excellent : nous n'avons qu'un millier d'hommes aux hôpitaux.

» Le général Miramon, venant du Texas, est arrivé hier à Mexico et a fait ce matin une visite au général Forey. Rallier au nouveau gouvernement un ex-président de la République, est une conquête importante ; mais j'aimerais mieux voir venir à nous Doblado, dont la conduite est toujours mystérieuse, et qui reste maintenant le seul homme vraiment capable de nous susciter des embarras et obstacles. »

« 31 juillet.

» La nouvelle de l'élévation du général Forey à la dignité de maréchal de France nous est arrivée hier à 6 heures du soir. Elle nous a été apportée par un officier de la légion étrangère qui est parti, le 27, de Vera-Cruz, aussitôt l'arrivée du courrier anglais, et qui, voyageant à franc étrier, n'a mis que trois jours pour faire cette longue route. Avec quelle joie mon brave général a reçu


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cette nouvelle ! Pour mon compte, je lui ai sauté au cou et je l'ai embrassé avec toute l'affection que je lui porte.

» Le maréchal a reçu une lettre de l'Empereur, une de l'Impératrice, même une du Prince Impérial, qui le comblent d'éloges et prouvent qu'en ce moment il est en cour aussi parfaitement que possible.

» Le Ministre de la Guerre lui a également écrit pour le complimenter et lui annoncer que l'Empereur acceptait toutes ses propositions pour l'avancement.

» Le même courrier nous apporte la nouvelle officieuse de la nomination du colonel d'Auvergne au grade de général.

» La députation chargée d'offrir la couronne à Maximilien qui devait partir le 1er août ne part plus que le 15 par le paquebot français. Elle comprend seulement deux membres; le père Miranda et M. Aguilar. Le trésor de la Régence est vide à ce point que ces messieurs doivent voyager à leurs frais. »

« 4 août.

» Le gros événement du jour est la publication d'un manifeste de Doblado aux habitants de la province de Guadalaxuato dont il est gouverneur. Après avoir hésité longtemps ; après avoir attendu, sans doute, que le maréchal lui fît des propositions d'accomodement, Doblado vient de se déclarer ouvertement contre nous, disant que tout ce que nous faisons à Mexico n'était qu'une comédie et que notre intention secrète était de faire du Mexique une colonie française. Mais il oublie totalement de parler de Juarez. On voit qu'il veut travailler pour son compte et tente d'exploiter la situation à son profit.

Doblado commande à une armée de 8.000 hommes,


LE GENERAL A. FABRE 155

qui est relativement bonne. Par cette force, par son influence et par ses grandes richesses, fruits de ses dilapidations, il est le seul homme qui puisse nous opposer quelque résistance. Nous en viendrons à bout facilement, mais je suis intimement convaincu qu'il se serait rallié à nous si M. de Saligny n'était là pour éloigner tous les libéraux, qui le connaissent trop pour avoir en lui la moindre confiance.

» L'expédition envoyée dans l'isthme de Tehuantepec a parfaitement réussi. Elle a débarqué sans coup férir et s'est emparée de l'importante ville de Minatitlan. Malheureusement le pilote qui dirigeait le navire à l'entrée du Rio Cozacoalcos a fait échouer la frégate le Montézuma ; on espère néanmoins que ce bâtiment pourra être relevé. La colonne dirigée sur Cuernavaca y est arrivée le 1er août et a été admirablement reçue, comme il advient partout où nous nous présentons.

Lorsque la campagne sera ouverte dans le nord, je parie bien que Querataro, Guadalaxusco San-Luis-Potosi et les autres villes feront à nos soldats un accueil aussi chaleureux que celui dont j'ai été le témoin à Mexico.

» Pour se rendre intéressant, M. de Saligny, qui est souffrant depuis quelques jours, veut faire croire qu'on a tenté de l'empoisonner, comme il a fait courir le bruit, un peu avant la déclaration de la guerre, que Juarez avait fait tirer sur lui deux coups de fusil. Le docteur A..., qui l'a soigné, assure que c'était absolument faux !... »

« 6 août.

» Le Maréchal avait à dîner hier huit généraux et quatre colonels de l'armée mexicaine, les principaux


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naturellement : Marquez, Mejia, Andrade, Guttierez Tubouder, etc.. Leurs uniformes étaient resplendis sants. A les voir ainsi couverts de broderies et constellés de décorations, on les prendrait pour des foudres de guerre si on ne savait... — Pour se donner sans doute un air plus martial, les officiers mexicains cherchent à nous copier en tout : si seulement, au lieu de se borner à imiter notre tenue, ils cherchaient à puiser chez nous le sentiment de l'honneur et du devoir, cela leur serait plus profitable et leur vaudrait un peu plus de considération. — On s'occupe de former un bataillon et un escadron présentables, qui prendront le nom pompeux de garde impériale, et feront le service auprès du nouvel empereur, auquel on cachera probablement les guenilles et les haillons des autres troupes. »

« 9 août.

» Promenade ravissante hier matin. A cinq heures et demie, nous quittions Mexico par la garrita de San-Antonio ; puis nous gagnions Tlaspan, petite ville située à quatre kilomètres dans le nord, où commence un affreux chemin qui contourne un vaste espèce de terrain volcanique appelé le Pedregal. A Coutreras, se retrouve une bonne route, sur laquelle nous avons si bien marché qu'à dix heures nous étions arrivés au dernier village de San-Angel, ayant parcouru près de neuf lieues. Tout ce pays est d'une beauté remarquable, admirablement cultivé et arrosé par des canaux si bien aménagés, qu'on est étonné de les rencontrer au Mexique. — Tlaspan et San-Angel fournissent les fruits qu'on mange à Mexico et les fleurs qu'on y vend en si grande abondance. SanAngel est un joli village d'aspect européen, exclusive-


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ment composé de maisons de campagne. C'est un lieu de plaisir où se rendent volontiers les habitants de la capitale, on y joue beaucoup au fameux jeu du monte.

» Le Pedregal est un immense champ de lave provenant des déjections volcaniques des montagnes voisines ; la nature est si riche en ce pays qu'une teinte de verdure recouvre en maints endroits, les blocs calcinés, parmi lesquels on circule si difficilement que les Américains qui s'y sont aventurés durant leur guerre de 1847, ont failli y rester tous. Le Pedregal a toujours été un repaire de bandits.

» Notre promenade a été favorisée par un temps superbe. Depuis quelques jours, les pluies font trêve et sont remplacées par un été d'une semaine, qu'on appelle ici l'été de Santiago. Mais nous voilà déjà étouffés par la chaleur et la poussière. Nous jouissons d'autant plus de notre beau jardin, rempli de fleurs et d'une myriade d'oiseaux-mouches, aux brillantes couleurs.

» Le général de Bertier, qui commande à Toluca, vient d'être renforcé par le 7e bataillon de chasseurs à pied, ce qui va lui permettre d'étendre son rayon d'action et de pacifier tout le pays jusqu'à Maravatio, à la frontière du Michoacan. Toute la partie du Mexique que nous occupons, se pacifie d'ailleurs ; tour à tour, les chefs de Guerillas font leur soumission, Adama et Honorato Dominguez, dans les terres chaudes ; Leyva, dans la vallée de Mexico.

» La députation qui part pour l'Europe est augmentée de deux membres, le général Woll et M. Velasquez de Léon. Elle quitte Mexico demain. Qu'elle se dépêche et qu'elle revienne promptement avec un empereur, qui ne tardera pas à regretter son acceptation ; mais c'est son affaire ! »


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« 12 août.

» Je travaille depuis trois jours comme un mercenaire à la confection des cartes d'invitation pour le grand bal que le Maréchal donnera le 22 août. Je suis le grand chambellan de la circonstance ; c'est moi qui appose ma griffe au bas des cartes. J'ai lancé cinq cents invitations, dont cent cinquante pour le sexe féminin. J'envoie en outre des invitations pour un dîner de cinquante couverts, offert par le Maréchal à l'occasion du 15 août. La fête de notre Empereur sera célébrée avec grande pompe ; l'artillerie a préparé un splendide feu d'artifice, que les pluies, espérons-le du moins, n'empêcheront pas de tirer.

« 13 août.

» Le parti juariste continue à perdre du terrain. Le général O'Loran, qui commandait un corps de cavalerie, a été battu du côté de Queretaro par le colonel Chavez, de notre parti. Vicario, qui est à Cuernavaca avec un bataillon du 99e de ligne, envoie ses troupes très loin dans la nuit contre les guérillas. L'occupation de Tula nuingo par le colonel Aymard, éloigne les bandes juaristes, que la prise de Tampico, où nos troupes ont dû débarquer vers le 10 de ce mois, contraindra à se retirer sur San-Luis-de-Potosi. — La situation militaire s'améliore donc, même pendant cette mauvaise saison qui nous immobilise ; et au mois d'octobre, ce ne seront ni les quelques mille hommes de Juarez et de Doblado, ni les faibles fortifications que l'ennemi veut établir à Guadalaxara, qui arrêteront la marche de notre armée. Le parti démagogique s'évanouira et rien n'entravera plus


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les manifestations enthousiastes des populations, qui saluent partout avec tant de bonheur notre drapeau protecteur. »

« 16 août.

» La journée d'hier a débuté par une messe, dite, sur sa demande expresse, par l'évêque de Queretaro, et suivie du Te Deum. Le maréchal a ensuite passé sur la place d'armes, la revue des troupes présentes à Mexico. Dans l'après-midi, nous avons assisté à une course de taureaux offerte à l'armée par l'ayuntamiento ; et, le soir, un dîner de cinquante couverts réunissait chez le maréchal, les principales autorités mexicaines, les généraux et les colonels du corps expéditionnaire. Le feu d'artifice confectionné par l'artillerie, a été splendide ; et l'illumination de la cathédrale par des feux de bengale a excité au plus haut point l'admiration de la foule, serrée là en masse compacte.

» Deux incidents, qui nous ont tous fortement exaspérés, ont marqué cette journée.

» D'abord, à la messe le général Almonte a manifesté la prétention de reléguer le maréchal au second rang et de prendre, lui, la place d'honneur en sa qualité de président du conseil de régence. Le maréchal, toujours conciliant, proposait qu'Almonte et lui fussent sur le même rang : Almonte a refusé et n'a pas assisté à la messe. — Le maréchal est mille fois trop bon ; il aurait dû exiger, même par la force, qu'un gouvernement placé sous notre protection et qui ne vivrait pas une heure si nous lui retirions notre appui, fût présent à la cérémonie.

» Le second incident a été provoqué par M. de Saligny. Chargé d'inviter pour le Te Deum les consuls des diverses puissances, mais en mauvais termes personnels


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avec la grande majorité du corps consulaire, ne s'est-il pas imaginé d'inviter seulement ses « amis », les consuls de Hollande, d'Espagne et de l'Equateur. L'absence du corps consulaire avait d'abord étonné et courroucé le maréchal, qui resta stupéfait quand je lui donnai le mot de l'énigme. J'aime à croire qu'il va tirer cette affaire au clair et rendre compte à l'Empereur de la conduite d'un homme qui, pour satisfaire une vengeance personnelle, peut laisser croire que les consuls de Mexico ont voulu faire une démonstration hostile à la France. Les journaux de San-Luis-de-Potosi ne manqueront pas d'en tirer satisfaction et d'en faire des gorges chaudes. »

« 19 août.

» L'occupation permanente de Tuhermingo par un bataillon du 62e de ligne et celle de Tlascala et de Huamantla par le 81e a rejeté les bandes de Cuellard et de Carbajal dans la Sierra Madre, d'où les montagnards indiens les ont chassés à coup de fusil. Elles ont alors traversé les lignes mexicaines du général Liceaga entre Apan et Otumba et se sont dirigées vers le sud. II est vraiment déplorable que nous ne puissions absolument pas compter sur des auxiliaires qui nous coûtent si cher. Le maréchal était exaspéré; mais au demeurant, quel résultat peut-on attendre de la semonce qu'il a administrée à Liceaga? Rien, absolument rien; tout le système suivi est mauvais, parlant, également mauvais tout ce qui en dérive. Le maréchal a envoyé immédiatement à la poursuite de Cuellard et de Carbajal deux escadrons de chasseurs d'Afrique qui auront bien de la peine à les atteindre. — Dans le nord-ouest, Vicario s'est avancé jusqu'à Iguala, dans la province de Guerrero ; mais il n'a


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pas osé attaquer une force ennemie égale à la sienne et a battu en retraite sur Cuermavaca ; et cependant c'est un des meilleurs généraux mexicains! Il faudrait que nos soldats fussent partout et fissent toute la besogne. Alors, pourquoi ne pas prendre le Mexique pour nous ? J'enrage quand je pense à tout ce que la France pouvait faire ici et à ce qu'elle ne fait pas à cause de la direction imprimée aux affaires par l'aveuglement très conscient de M. de Saligny.

» J'apprends à l'instant que Cuellard avec cinq cents cavaliers a glissé entre nos mains et s'est jeté sur Atlisco par le sentier qui franchit la chaîne de montagnes entre l'Iztreismalt et le Popocatepelt. En revanche, nous avons pris à Pachuca, un nommé Cisneros, secrétaire intime d'Aurelhano Rivera, et un journaliste juariste très connu et très influent, Constantino Escalante. Au Rio Frio, on a saisi et fusillé le bandit le plus redouté de la montagne, connu sous le sobriquet de « Diable rouge ». — Du côté de Toluca, le colonel Valdès, qui s'est dernièrement rallié à nous, a détruit la bande de Ballesteros, qui infestait le district de Sultepec. Sur nos derrières, Jalapa, où commande le chef de guerillas Milan, est le seul point important où notre autorité ne soit pas reconnue.

» Depuis quelque temps, on n'a pas de nouvelles de Juarez, que l'on prétend être en pourparlers avec Doblado, par l'intermédiaire du général Uraga, pour adopter contre nous, une ligne de conduite commune. Ceci mérite créance mais ce qui est certain, c'est la levée d'impôts extraordinaires qui se continue sans interruption dans les provinces qui ont encore la chance d'être sous la domination de ces excellents libéraux. Juarez sait la population tellement craintive qu'il a eu l'audace d'envoyer à Mexico même des agents pour recouvrer les


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impôts qu'il avait décrétés à San-Luis-Potosi. Les malheureux trembleurs commençaient à s'exécuter quand la police, prévenue de ce fait incroyable, s'est mise à la piste des agents juaristes, qui ont spontanément disparu. » Le vomito commence à diminuer à Vera-Cruz ; il a fait plus de victimes cette année que l'an dernier. Le nombre des personnes atteintes a été moindre, mais les cas presque toujours foudroyants. »

« 22 août.

» On a déjà des nouvelles du paquebot français arrivé le 15 de ce mois; quelques négociants de Mexico ont reçu des dépêches apportées par des Indiens qui font le trajet en trois jours. Le bruit court de la rentrée immédiate en France du maréchal Forey et de sa succession donnée au général Bazaine. On dit aussi que le maréchal Forey prendrait à son retour le ministère de la guerre ; je ne demande pas mieux !

» Une conspiration s'ourdissait depuis quelque temps à Mexico contre nous et le gouvernement, sous la direction de l'ambassadeur du Pérou. Dans la nuit du 20 au 21, on a arrêté les principaux meneurs, qui vont partir pour la France ; et on a remis à l'ambassadeur du Pérou ses passeports, avec injonction de quitter immédiatement le Mexique. Voilà une bonne mesure et comme il faudrait en prendre constamment ici.

» Hier, nous avons appris que Ruiz, qui commande la garde urbaine de Chalco, s'était mis à la poursuite de Cuellard et avait détruit son arrière-garde. Un des officiers de Cuellard aurait même fait sa soumission et offert de livrer son ancien chef. S'il faut attendre la confirmation de cette nouvelle excellente, il est dès à présent cer-


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tain que Rodriguez, chef d'une bande de quatre cents cavaliers, qui opérait entre Nopahica et Perote, est venu à Puebla pour se rallier à notre intervention.

» Un bataillon du 3e de zouaves a quitté Mexico hier pour aller occuper au nord, sur la route de Queretaro, les points de Cuantitlan, Ualnepantla, Huehuetoca et Zumpango, où les troupes marquésiennes sont impuissantes à maintenir l'ordre ».

« 24 août.

» Le Maréchal a reçu ce matin, des dépêches officielles : l'Empereur l'autorise à rentrer en France dès qu'il le jugera convenable. En nous faisant part de cet événement inespéré, le Maréchal a ajouté que sa présence était encore nécessaire ici pour le mois de septembre et que nous nous embarquerions dans les premiers jours d'octobre. Nous partirons par un bâtiment de la marine impériale qui, soumis aux ordres du Maréchal, nous conduira à la Havane et à New-York.

» M. de Saligny quitte également le Mexique, mais j'espère que, pour lui, ce départ a le caractère d'une disgrâce.

» Le général Bazaine prendra le commandement en chef de l'armée au départ du général Forey, mais sans avoir les pouvoirs politiques; on enverra de France un ministre plénipotentiaire. Le maréchal rentre seul de sa personne avec ses officiers ; toute l'armée est maintenue au Mexique, y compris l'état-major général, le général d'Auvergne en tête».


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« 25 août.

» Nous ne parlons plus que de notre départ, qui fait ici bien des envieux et cause de grandes désillusions. On supposait généralement qu'à la rentrée du Maréchal en France le corps d'armée subirait une diminution ; au contraire, l'effectif est maintenu en son entier, et même on parle de l'arrivée de nouvelles troupes. Le départ du Maréchal et la disgrâce de M. de Saligny arrivant simultanément, je me demande si notre gouvernement ne va pas changer de politique et en arriver à ce que je souhaiterais tant, la conquête pure et simple du Mexique. M. de Montholon, actuellement consul général à New-York, est nommé ministre plénipotentiaire ici.

» Le Maréchal écrit au contre-amiral Bosse, commandant la marine à Vera-Cruz, au sujet de notre départ. Il est probable que nous prendrons passage à bord du Darien, frégate à vapeur ; et qu'après New-York, nous irons jusqu'au Canada. Le Maréchal voudrait aussi relâcher à Lisbonne si nous devons débarquer à Toulon ou visiter Londres, si, au contraire, nous naviguons sur Cherbourg.

» Les mannequins qui composent le conseil de régence se sentent si peu solides que ce pauvre Almonte est arrivé hier tout pâle et tout essoufflé, se croyant perdu parce que le Maréchal était autorisé à rentrer en France. Pour le rassurer, il a fallu que le Maréchal lui démontrât longuement que sa personne seule était changée et que la situation resterait bien la même. Malgré cela, tout le monde ici regrette le départ du Maréchal qui avait su conquérir l'estime publique par sa droiture et sa loyauté. Il laissera au général Bazaine un état de choses très net et très clair; aussi la mission de son successeur sera très


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simple et facile. Néanmoins, j'attends celui-ci à l'oeuvre pour qu'on puisse établir la comparaison : c'est quand il sera parti que la France et l'armée apprécieront surtout les qualités du Maréchal.

» Le bal du 22 a été magnifique et a eu tant de succès que le Maréchal songe à en donner un autre avant de quitter Mexico, dans la seconde quinzaine de septembre ».

« 26 août.

» La bande de Negrete, qui est actuellement dans la vallée de Mixteca, a brûlé dernièrement le village de SanAntonio qui cherchait à lui résister. Cet acte barbare a soulevé les indiens qui, soutenus par un détachement français, se sont armés contre les brigands et les ont mis en fuite. Balthazar Tellez, qui commandait à une troupe de bandits du côté de Tulancingo, a été pris et fusillé. Rodriguez donne la chasse à Quesada. Avec l'aide de quelques compagnies du 81e ligne, il s'est emparé de San juan de los Slamos et a refoulé Quesada dans la sierra. Prieto, le bras droit de Cuellard a fait sa soumission, en amenant deux cents hommes. Nous avons enfin des nouvelles précises du colonel Hennique, qui s'est emparé facilement de Tampico. Un fort situé à l'entrée de la rivière a tiré quelques coups de canon ; puis la garnison s'est enfuie ».

« 1er septembre.

» Stoecklin, chef de contre-guérilla, qui avait été décoré de la Légion d'honneur pour son dévouement et sa fidélité à notre cause, vient malheureusement d'être tué dans l'isthme de Téhuantepec. La perte est grande et le colonel


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Dupin va sans doute partir pour Minatitlan, afin de prendre le commandement de toutes les bandes que nous entretenons à notre solde dans ces parages.

« 3 septembre.

» M. de Saligny tente l'impossible pour se maintenir ici, où le retiennent un tas de spéculations en cours, et d'autres qu'il méditait pour le moment où viendront le règlement des indemnités à accorder à nos nationaux et la révision de la vente des biens ecclésiastiques. Les journaux de Mexico sont entre ses mains et il s'en sert pour répéter chaque jour sur tous les tons que sa présence ici est indispensable ; que, s'il s'en va, tout est compromis; que l'Empereur n'a prononcé son rappel que par suite d'un malentendu et que cette mesure sera révoquée. Il fait circuler dans le public une pétition qui demande son maintien au Mexique. Beaucoup commencent à croire qu'il ne s'en ira pas ; qu'au besoin, il simulera une maladie pour rester après le départ du maréchal. Mais alors que ferait le général Bazaine qui a l'ordre de prendre les archives de la légation jusqu'à l'arrivée de M. de Montholon ? Quel gâchis ! — En attendant, le conseil de régence et les habitants notables de Mexico continuent à témoigner leurs regrets de voir partir le maréchal. Il est bien certain que c'est une mesure impolitique, qui compliquera encore la situation et produira un mauvais effet dans le pays.

» Notre gouvernement n'a jamais vu clair dans la question mexicaine ; et cette malheureuse expédition, qui a déjà causé tant de déceptions, coûté tant de sang et d'argent, n'aboutira à aucun résultat et ne nous rapportera aucun profit ».


LE GÉNÉRAL A. FABRE 167

« 7 septembre.

» Le maréchal vient de me faire lire un passage d'une lettre qu'il écrit à l'Empereur et qui me concerne. Il demande pour moi l'épaulette de chef d'escadron, et en termes qui m'ont profondément ému par toute l'affection et l'intérêt dont ils témoignent à mon sujet. Mon amourpropre aussi est doucement flatté, d'autant plus que je n'ai jamais fait la moindre démarche, indiqué la moindre sollicitation. « C'est, conclut le maréchal après une longue page élogieuse, par un sentiment de délicatesse poussé à l'excès et pour ne pas être accusé de partialité que je n'ai pas voulu profiter de mes pouvoirs pour nommer un jeune officier, dont les titres valaient cependant ceux des deux que j'ai promus... »

» Quel brave coeur et combien je lui suis reconnaissant ! »

« 9 septembre.

» Je vais recevoir, ainsi que plusieurs de mes camarades, la croix de chevalier de l'ordre de Guadalupe. J'en serais enchanté, car le bijou est fort joli, si l'obtention de cette croix n'était le corollaire de l'exemple donné par le maréchal, qui distribue dimanche prochain quatre croix d'officier et cinq de chevalier de la légion d'honneur à neuf officiers de l'armée mexicaine.

» Comment le maréchal consent-il à accorder le signe de l'honneur à des Mexicains dont plusieurs ont une réputation de chenapans, bien établie ? C'est une mesure blâmée par toute l'armée.

» Nous entrons dans la période des fêtes nationales du Mexique: le 16 est l'anniversaire du premier mouvement


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de l'indépendance provoqué en 1810 par le curé Hidalgo, à Dolorès ; et le 27, celui de l'entrée à Mexico, en 1821, de l'armée libératrice, commandée par Iturbide. Nous sortirons des Te Deum, revues, banquets, discours patriotiques et feux d'artifice juste pour prendre le chemin de Vera-Cruz. Notre départ est fixé aux premiers jours du mois d'octobre ; nous nous embarquerons vers le 18 ».

« 13 septembre.

» Décidément, M. de Saligny ne s'en va pas. Il simule une maladie depuis quelques jours. Ce sera un grave embarras pour le général Bazaine qui n'avait certes pas besoin de celui-là ajouté à tant d'autres. Sans doute pour s'y soustraire en partie, et éviter de prendre part à une politique semée d'écueils, le général Bazaine songe à quitter Mexico après le départ du maréchal. Il a résolu de diriger en personne l'expédition qui se fera dans le nord dès que la fin de la saison des pluies le permettra. Je comprends ce sentiment, mais n'est-ce pas faire acte de faiblesse et d'incapacité, et se soucier fort peu de nos intérêts ? Une fois le général en chef parti, le Conseil de régence, qu'on doit tenir en bride et surveiller à chaque instant, pourra donner libre carrière à ses idées de réaction et compromettre ainsi le peu de bien qu'a pu faire la sagesse du maréchal.

» Juarez a changé son ministère et a pris auprès de lui Doblado, Comonfortet Nûnez. Il a donné le commandement des troupes de l'état deMichoacan à Uraga qui vient d'arriver à Morelia et celui des troupes de l'état de Queretaro à Porfirio Diaz. Morelia et Queretaro sont, en effet, les deux villes sur lesquelles se dirigeront nos troupes pour arriver d'une part à Guadalajara et d'autre part


LE GÉNÉRAL A. FABRE 169

à San-Luis-Potosi. Les troupes mexicaines seront promptement bousculées, là n'est pas la question, et si nous le voulons nous irons planter le drapeau tricolore, sur les bords du Rio Bravo ; la difficulté est et sera de tenir cet immense pays avec le peu de monde dont nous disposons. Quand nous aurons passé sur un point, les bandes se reformeront derrière nous et couperont les communications.

» La fièvre jaune est en pleine décroissance à VeraCruz ; mais notre malheureux régiment d'infanterie de marine est décimé à Tampico. A la date du 16 août, on signalait déjà 40 morts et plus d'une centaine d'entrées à l'hôpital ».

« 16 septembre.

» Les fêtes ont commencé hier soir par un concert donné au grand théâtre national et précédé d'un long et ennuyeux discours. Le matin, messe avec Te Deum ; après quoi nous avons été condamnés à nous rendre à l'Alameida où un autre avocat, tout aussi filandreux et assommant que celui d'hier, nous a débité une tirade à perte de vue sur les vertus du peuple mexicain. Ce soir à 6 heures et demie, grand dîner au palais de la régence, puis feu d'artifice et enfin représentation du Trouvère. Bien entendu le canon a tonné toute la journée et les sonneries des églises ne discontinuent pas. Ouf! et dire qu'il faudra se livrer aux mêmes distractions les 27 et 28.

» L'illustre malade de Saligny n'a pas assisté à la cérémonie d'aujourd'hui. On raconte un nouvel exploit de ce fin diplomate. Il aurait lancé quelques-unes de ses créatures qui ont mis en avant le projet d'une récompense nationale de un million que lui décernerait le gouverne-


170 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

ment mexicain. Est-il croyable qu'un représentant de l'Empereur puisse se faire donner de l'argent par une puissance étrangère? Nous sommes dans l'indignation. Nous espérons que l'Empereur n'autorisera pas un marché aussi scandaleux.

» Nous avons appris hier par un télégramme de SanFrancisco que Maximilien accepte la couronne du Mexique. Tout en plaignant ce malheureux archiduc, qui ne se doute pas du guêpier où il va se fourrer, je suis très content de cette circonstance qui nous permettra de nous tirer honorablement d'ici, et cela aussi vite que possible. »

« 23 septembre.

» Le contre-amiral Bosse a enfin répondu au maréchal et lui a offert le choix entre trois navires : le Panama, le Forfait et la Drôme. Le maréchal a choisi le Panama, magnifique frégate à vapeur, marchant bien, tenant bien la mer et convenablement aménagée.

A cause des temps mauvais qui régnent dans la Manche à la fin de novembre, le maréchal a décidé que nous débarquerions à Saint-Nazaire. »

« 28 septembre.

» Notre départ est irrévocablement fixé au dimanche 4 octobre ; nous ferons le voyage à cheval jusqu'à la Soledad, escortés par un escadron de hussards. Nous y arriverons le 16, après séjour de vingt-quatre heures à Puebla et à Orizaba. De la Soledal, le chemin de fer nous conduira à Vera-Cruz et le 19, nous nous embarquerons sur le Panama.


LE GENERAL A. FABRE 171

» Je n'ai donc plus qu'une semaine à passer à Mexico, et elle sera fort occupée par les nombreuses visites pour lesquelles j'accompagnerai le maréchal et par les préparatifs de notre longue route.

» Le bal du 24 a encore surpassé en éclat celui du 22 août. Le maréchal a fait là des adieux princiers à la société mexicaine.

« 1er octobre.

» Dieu sait si le nombre des visites d'adieu à faire ici est considérable! Les Mexicains embrassent le maréchal en pleurant et se croient perdus, leur confiance dans le général Bazaine étant médiocre. On ne peut se faire idée de l'affection que ce digne homme a su conquérir ; et, tout content que je sois de partir, je persiste à penser que son rappel est impolitique.

» Le maréchal vient d'adresser au peuple mexicain une proclamation comme lui seul en a le secret, éloquente et toute empreinte de sentiments élevés. Il a également fait ses adieux à l'armée par un ordre du jour fort remarquable. A dater d'aujourd'hui, le général Bazaine prend le commandement en chef de l'armée. »

« 3 octobre.

» Hier, M. Budin, commissaire extraordinaire des finances, a offert un grand dîner au maréchal ; aujourd'hui, c'est le tour du général Bazaine.

» Les manifestations de sympathie et de regrets se renouvellent et s'accentuent chaque jour, de la part de l'armée comme de la part des Mexicains. Vraiment, si Maximilien n'acceptait pas la couronne, je ne serais pas étonné que les Mexicains l'offrissent au maréchal ! »


172 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

« Vera-Cruz, 20 octobre.

» Voyage excellent sous tous les rapports. Je me porte à merveille, en dépit de la chaleur effrayante des terres chaudes.

» Nous nous embarquons demain matin à dix heures ; et en route pour New-York, le Canada, les chutes du Niagara, d'abord ; Lisbonne ensuite. Quel beau et intéressant voyage de retour ! »

« A bord du Panama, en rade de la Havane, » 29 octobre.

» La Havane est une ville ravissante et nous y recevons un accueil très cordial. Le général Dulie, gouverneur de l'île, nous a offert un banquet somptueux et a été pour nous d'une amabilité exquise.

» Notre traversée s'est bien effectuée jusqu'ici, à part un petit coup de vent du nord qui, pendant quelques heures, a fait danser le Panama plus que de raison. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu le mal de mer ; j'en ai beaucoup souffert ; et je redoute un peu le reste de mon long voyage, d'autant plus qu'en avançant vers le nord, nous sommes assurés d'avoir une grosse mer.

» Nous quittons la Havane demain, à destination de New-York. »

« En rade de New-York, 6 novembre.

» Le mal de mer ne m'a pas quitté durant cette traversée, pourtant aussi belle qu'on pouvait le souhaiter. Je ne


LE GÉNÉRAL A. FABRE 17 3

me reconnais plus et prends en aversion l'existence maritime.

» Nous avons enfin quitté les pays chauds où nous avons tant souffert ; à notre grande joie, nous retrouvons le climat d'Europe et nous supportons, sans nous plaindre, un peu de froid. »

« 11 novembre.

» Tout ce que je vois dans ce pays m'intéresse au plus haut point ; mais que dirai-je surtout des chutes du Niagara ?... Rien dans la nature ne m'avait encore si profondément impressionné.

» Le maréchal garde l'incognito. La politique et notre préférence bien marquée pour les Confédérés du sud s'opposent à ce qu'il paraisse d'une manière officielle. Autrement, il n'aurait tenu qu'à lui d'être comblé d'honneurs et de prévenances ; et le président Lincoln désirait vivement le recevoir à Washington.

» Les fièvres dont j'ai si constamment souffert à Mexico m'ont encore repris hier : sale pays que ce Mexique !

» Demain matin, nous reprenons notre longue route pour Lisbonne, où nous n'arriverons certainement pas avant le 1er décembre, à moins de trouver des vents favorables qui augmentent notre vitesse. »

« En rade de Lisbonne, 3 décembre.

» Nous arrivons enfin, après une traversée de 20 jours, qui m'ont paru autant de siècles ! Nous avons eu presque sans interruption un temps détestable et une mer démontée. Le bâtiment était secoué avec une telle violence que


174 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

j'ai dû rester une semaine entière, couché sur mon lit, au fond de ma sombre cabine. Quel supplice ! Bien entendu, j'ai été malade du premier jour jusqu'au dernier. » Je salue avec joie la terre ferme et la vieille Europe ; et je tressaille de bonheur en songeant que deux centquarante lieues seulement me séparent de St Nazaire. de la chère et bien-aimée patrie !»

» Adolphe FABRE. »


MÉMORIAL

DE LA

Commune et Paroisse de Glémont

Depuis le XIe siècle

ET DE LA

Terre et Seigneurie de Lauroy

Depuis le XIVe siècle

Etabli en 1902 d'après les Archives de la municipalité et de la paroisse

de Clémont.

des Châteaux d'Argent et de Lauroy. de l'Etude d'Argent

et d'après les traditions locales

TERRE ET SEIGNEURIE DE LAUROY

(Suite)

Les du Buc du Périgord, de la Martinique, sortent-ils de la même souche que ceux de Lauroy? Nous sommes porté à le croire, vu la similitude d'origine du pays normand. La différence d'écriture du nom n'en doit pas éloigner ; les archives de Lauroy portent soit Dubuc, soit du Buc. De plus, de ce côté, comme de l'autre, on a conservé les mêmes traditions, avec les mêmes impressions et appréciations, au sujet d'une autre branche que nous avons été surpris de ne pas voir nommée parmi les descendants de Pierre le duelliste. Les journaux, vers 1867 et 1895, l'ont assez mise en relief à propos d'une histoire assez étrange. L'exactitude de cette romanesque histoire n'a pas encore été absolument démontrée, maison


176 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

pourrait peut-être, dit-on, la prouver facilement au moyen des notes confidentielles conservées au ministère des Affaires étrangères. Le souvenir de cette aventure n'était pas agréablement goûté d'une part comme de l'autre, mais il a été conservé aussi bien par les du Buc du Périgord que par ceux de Lauroy. Nous voulons parler de la branche des du Buc de Rivery, dont une jeune fille serait devenue « sultane Validé » à la fin du XVIIIe siècle.

Aimée du Buc de Rivery était née en 1766 à la Martinique, à la Pointe Royale, quartier du Robert, où son père possédait une sucrerie. Envoyée en France, à l'âge de 10 ans, pour compléter son éducation, elle passa huit années à Nantes, au couvent des Dames de la Visitation. (Les lettres des 4 bonnes soeurs » ne tarissaient point sur le « vif esprit et les accomplissements » de la jeune fille). Elle quittait Nantes en 1784, accompagnée d'une vieille gouvernante; le navire qui la transportait, atteint d'une voie d'eau, prêt à sombrer, fut recueilli par un bâtiment espagnol, qui était attaqué et capturé, quelques jours plus tard, près de Majorque, par un corsaire d'Alger. Aimée du Buc fut conduite au sérail d'Alger; sa beauté et sa vive intelligence frappèrent le Dey. Celui-ci voulut faire sa cour au Grand Seigneur. Suivant en cela les moeurs orientales des pirates barbaresques, il lui expédia en présent la jeune captive. Une légende, conservée encore dans quelques grands harems de Stamboul rapporte que Mlle de Rivery, à la vue du « Capou agassi, chef des ennuques blancs, » si tristement significative du sort qui la menaçait, manifesta un tel sentiment d'horreur, que celui-ci dut se retirer et renoncer à remplir directement et sur le moment, vis à-vis de la captive, son rôle de... Chambellan. Elle était arrivée à Constantinople vers la fin de 1784. Subissant à regret son étrange destin, elle devint la sultane favorite du Grand Seigneur Abd-ul-


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Hamid, dont la tendresse la conduisit en 1808, au rang de « sultane validé (sultane mère) » (1).

Aimée du Buc aurait exercé une influence considérable, non seulement plus tard sur son fils, né en 1785, qui prit, le 11 août 1808, les rênes de l'empire turc sous le nom de Mahmoud II (Histoire de la Martinique, par Sidney-Daney, T. IV, p. 235), mais aussi auparavant sur Sélim III, neveu et successeur d'Abd-ul-Hamid (Encyclopédie Glaire, et Walsh, article Turquie). Dès 1786, elle aurait mis Sélim en relation avec le comte de Choiseul, ambassadeur à Constantinople. (La famille de Rivery compte parmi ses membres, un Jean-Baptiste du Buc, qui fut chef du Bureau des colonies sous M. de Choiseul). Elle n'aurait pas été étrangère à la formation de l'étroite alliance qui succéda à l'état de guerre précédemment créé entre la France et l'empire ottoman par l'expédition d'Egypte. Des officiers français, parmi lesquels le général Doubet et le général Marmont, instruisirent les nouveaux corps de troupes créés par Sélim III, dirigèrent ses arsenaux, etc.. Les feuilles anglaises attribuèrent à la future sultane validé l'entente du Sultan (1802 1803) avec le général Sébastiani, après la paix d'Amiens (27 mars 1802). Quand la flotte britannique vint menacer Constantinople, en février 1807, ce fut ce même général Sébastiani, alors ambassadeur de France, qui, secondé par des officiers français, fit établir les batteries et força les bâtiments anglais à battre en retraite.

Aimée aurait conçu elle-même tout le plan des réformes que s'épuisèrent à réaliser ses fils et petit-fils, les

(1) Les traditions des serviteurs du Palais de Constantinople ont aussi gardé le souvenir de la — sultane franque. — Des ouvriers français avaient été appelés pour la restauration du Sérail. Une fontaine, avec vasque et encadrement, de style très mélangé, arabe le plus pur, renaissance, Louis XV et Louis XVI, lui était encore attribuée en ces dernières années.

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178 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

trois sultans, Mahmoud II, Abd-ul-Medjid et Mourad V. Ce dernier, petit fils de Mahmoud et frère du sultan régnant, Abd-ul Hamid II, déclarait lui-même « devoir ses » sympathies françaises, son goût pour notre littérature » et notre langue, au sang français qui coulait dans ses » veines ». (Lettre du docteur Paul Régla, du 18 décembre 1896, publiée par la Chronique médicale d'octobre 1901).

Aimée du Buc de Rivery mourut en 1817. « Elle était restée fidèle à sa foi chrétienne », écrivait son petit-neveu, M. le comte de M... Mahmoud permit qu'un prêtre catholique, le P. Chrysostome, supérieur du couvent de Saint-Antoine à Constantinople, l'assistât à ses derniers moments, dont le récit parut vers cette époque dans une publication pieuse. (La Semaine religieuse de Bourges a donné ce récit, ou du moins un récit identique, extrait du Messager catholique, dans son numéro du 17 juillet 1867).

On a dit aussi que les du Buc de Rivery étaient parents avec les Tascher de la Pagerie. Cette parenté est assez probable, toutes les familles anciennes de l'île ayant été unies par de multiples alliances. Aimée naquit la même année et le même mois que Joséphine, future impératrice à quelques pas de sa maison. Il faut reconnaître, il est vrai, que le baron Prévost, intermédiaire secret de la correspondance confidentielle qui existait entre Sélim III et Napoléon 1er, dans les notes qu'il a publiées, ne fait aucune allusion à Mlle du Bue de Rivery ; mais il faut aussi considérer que l'intermédiaire secret a pu garder intentionnellement le silence par crainte de déplaire à l'empereur, qui, en plus d'autres motifs, devait être désireux, sa correspondance étant confidentielle, de tenir secrète la parenté de la sultane avec l'impératrice Joséphine.

Cette étrange aventure, considérée par plusieurs uniquement comme un prétendu roman, est-elle absolument


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conforme à la vérité? Elle fut du moins l'objet d'un grand intérêt, sous le second empire, une première fois au moment de la guerre d'Orient, puis en 1867 à propos du voyage du sultan Abd-ul-Azis, à Paris, pendant l'Exposition. Le journal La Turquie, journal officiel de Constantinople, prenait prétexte de cette parenté pour célébrer « les liens qui unissaient les deux dynasties », et faisait remonter « à la cousine des Tascher de la Pagerie, l'honneur d'avoir « lancé la Sublime Porte dans la voie des réformes ». L'académicien, M. de Jouy, en 1821, avait fait de cette romanesque histoire, qu'il disait tenir d'un armateur du Havre, M. Dub..., le sujet d'une de ses causeries de « l'Hermite de la Chaussée d'Antin ». Les journaux anglais en avaient parlé les premiers en 1807 et 1808.

Dans la famille du Buc du Périgord, les opinions étaient diverses. Pour tous, une demoiselle du Bue, de la famille, a disparu dans le cours d'une traversée. Pour les uns, elle a péri dans un naufrage ; pour les autres, prise par les barbaresques, elle est devenue sultane validé. Les traditions du couvent de la Visitation de Nantes s'accordent avec la deuxième opinion. Aimée Dubuc, originaire de la Martinique, venue en France faire ses études entre 1750 et 1780, quitta le pensionnat ; le navire qui la portait fut capturé par les corsaires ; prisonnière, elle fut livrée au sultan qui en fit son épouse ; elle garda jusqu'au bout sa foi chrétienne ; elle eut un fils qui devint sultan à son tour. « C'était, écrivait la supérieure du couvent en 1897, la tradition racontée lors de mon entrée au couvent».

Mme de Gaudart d'Allaines, née en 1758, et sa soeur Mme Lancelot du Lac, fille de Claude-Joseph Dubuc, dont nous parlerons plus loin, racontaient ce fait, d'après leurs souvenirs, dans les mêmes conditions que la tradition du couvent de Nantes. A Lauroy, comme dans le Pé-


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rigord, on était peu sensible au fait d'avoir une cousine dans le sérail, même au rang de sultane validé.

Cette conformité de souvenirs, d'appréciations, d'impressions, malgré la distance qui séparait les divers opinants, ne semble-t elle pas établir, avec le fait de l'origine commune, l'authenticité même de l'étrange histoire ? Le mot de Mourad V, au docteur Paul de Régla, n'infirme pas cette authenticité.

1° Premier Dubuc

Messire CLAUDE DUBUC, chevalier, seigneur de Lauroy, Colommier, Vilaines et autres lieux, succéda à sa mère Marie-Marguerite Le Sueur de Mitry dans la possession de Lauroy, par indivis avec sa soeur Marguerite (voir ci-dessous, la foy et hommage de 1718). Il avait été pourvu,par lettres du 12 décembre 1711, de l'office d'inspecteur des fermes générales des Gabelles... dont son père avait fait l'acquisition. Dans une quittance du 14 janvier 1720, il reconnaissait avoir été remboursé par le roy d'une somme de 32.475 livres, jadis payée par son père, Nicolas du Buc, pour l'acquisition dudit office. (Bibliothèque nationale. Pièces originales, registre 545, cote 72.310).

Il rendit foy et hommage le 12 janvier 1718 à Messire Jacques de Gauville, tant pour lui que pour damoiselle Marguerite, sa soeur puînée.

Le 27 octobre 1719, il agissait, conjointement avec elle encore, contre Euverte Fontaine au sujet de la destruction d'un fossé. (Arch. dép., B. 4.011).

Par contrat du 17 mai 1719, il avait épousé en premières noces damoiselle Marie-Catherine Huby, fille de messire Jacques Pierre, avocat au Parlement, cy-devant


MÉMORIAL DE LA COMMUNE ET PAROISSE DE CLÉMONT 181

principal commis des décrets et « tenant le plumitif des « audiances du parquet des requestes du Palais », et de défunte dame Marie Breteau. Le 25 juillet 1729, il épousait en deuxièmes noces damoiselle Françoise de Ramaceul, fille de noble homme Joseph, sieur des Landes, lieutenant-colonel de la milice des villes et faux-bourgs de Nantes, et de dame Marie Frell.

Le 23 novembre 1723, il recevait du bailliage de Concorsault la décision que « les terres et châtellenies d'Ar» gent et de Clemon, bien que sises au pays et duché de » Berry, sont néanmoins régies, de toute ancienneté, par » la coutume de Loris (admis par Marie d'Albret en 1531, » comtesse de Nevers et dame de plusieurs terres en » Berry). »

Le 29 juillet précédent, en retour d'une somme de 11.800 livres, il avait acquis de messire Jacques de Gauville, la terre et seigneurie de Clemon, et le 23 août, à sa requête « Jacques Henri Boucé, garde en la connestablie » et maréchaussée de France, transporté au domicile de » Jean Drais, greffier et syndicq du bourg et paroisse de » Clemon, lui signifiait et faisait savoir, tant pour lui » que pour MM. les officiers de la justice et terre de Cle» mon, et générallement les habitans dudit bourg et pa» roisse, le contrat d'acquisition, fait par mondit seigneur » Dubuc, de la terre et justice de Clemon ». ( Arch. dép., B. 4.011). Mais le 7 février 1727, pour des motifs qui nous sont restés inconnus, il dut signer un acte de « dé» guerpissement » (Arch. d'Argent. Procédure de la vente de la seigneurie d'Argent, Clemon et Villezon, 1735). Dans l'intervalle il porta le titre de — seigneur marquis de Clemon, Lauroy (3 janvier 1724); — seigneur de Clemon, Lauroy (9 janvier 172,. — Arch. dép., B. 4.012) ; — seigneur chastellin de Clemon (26 may 1727). — Arch., Etude d'Argent).


182 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

Les deux écussons qui décorent le doubleau de la chapelle Notre-Dame-de-Pitié avaient été peints entre 1717 et 1722, années de la mort de Marguerite Le Sueur de Mitry et de sa fille Marguerite ; l'écusson de cette dernière porte la forme losangée ; Claude Dubuc, après 1723, fit surmonter le sien de la couronne de Marquis.

Le 3 avril 1727 il vendait, pour la somme de 22 mille livres « payable, le tout, en espèces d'or et d'argent », les immeubles qui lui provenaient de la succession de sa soeur Marguerite. Ces immeubles, situés en la paroisse du Thil, élection d'Arques, généralité de Rouen, consistaient en un « pavillon quarré » de bâtiments,... entouré d'une terrasse avec deux portes « à barreaux de fer doré » pour descendre au parterre, au milieu duquel était « une » statue, peinte et dorée, sur son piédestal de grés, repré» sentant la déesse Vénus... » ; — de deux grands jardins, l'un clos de murs, l'autre, sans clôture, orné d'allées et de charmes, dont la principale allée était ornée, à son milieu, d'une « piramide dorée sur son pied de grés... », et, à ses deux extrémités, d'une « grande grille de fer » dorée, portant au-dessus les armes du feu sr Dubuc, père » dudit sr vendeur ». Avec ces terres labourables, trois grands clos remplis d'arbres fruitiers, et deux petits bois, la maison du fermier, le pressoir, deux granges, plusieurs celliers, remises de carrosses fermées, écuries, le tout composait « cinquante acres (40 hectares) de terres bailliées moyennant 900 livres de loyer par chacun an ».

Messire Claude Dubuc mourut au commencement de février 1743 à Orléans, paroisse de Notre-Dame-du-Chemin. (L'inventaire de sa succession est daté du 6 février). Il avait eu trois enfants : 1° de son premier mariage, Claude-Joseph, qui va suivre; 2° de son second, une fille, Elisabeth-Françoise, qui fut inhumée, âgée de 16 ans, dans la chapelle de Notre-Dame-de-Pitié, le


MÉMORIAL DE LA COMMUNE ET PAROISSE DE CLÉMONT 183

5 décembre 1748, et un fils, Alexandre-Michel, qui fut aussi inhumé dans la même chapelle, à l'âge de 14 mois, le 17 avril 1742 (actes paroissiaux).

2° Deuxième Dubuc

Messire CLAUDE-JOSEPH DUBUC, fils de Claude, et de dame Marie-Catherine Huby, chevalier, seigneur de Lauroy,

Lauroy, et Colomiers, de la Brossette et Glatignies (acte de mariage du 22 octobre 1776), né en 1721, épousa le 19 septembre 1755 damoiselle Louise David de Conflans, fille de messire Louis, chevalier, seigneur de la MotteEnnordres, et de dame MarieThérèse d'Orléans (1).

Ce mariage lui donnait rang dans la parenté du chevalier Jacques-Marie d'Estampes, seigneur

seigneur la Motte-Ennordres, de la Parace, de la Brossette et autres lieux, qui avait été premier gentilhomme de la chambre de monseigneur le prince de Dombes. Sa deuxième fille, Marie-Joseph-Françoise, devait un jour, par suite de cette parenté, posséder le château d'Ennordres avec une partie de ses dépendances.

Au contrat du mariage de Louis David de Conflans, 23 avril 1722, avec Marie-Thérèse d'Orléans, fille de

(1) D'Orléans portait: d'argent, à 3 fasces de sinople accompagnées de 7 tourteaux de gueules, 3, 3 et 1. (d'Hozier). Supports : deux anges. Cimier : un ange. Devise: Cunctis nota fides.

(La Th.)

David de Conflans portait : d'azur à la croix

ancrée d'argent. (Chartrier français, généalogie d'Allaines).


184 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DU CENTRE

Jacques, seigneur de Rère, paroisse de Theillay, et de dame Elisabeth de Berthereau, M. d'Estampes avait fait donation au futur époux, son neveu à la mode de Bretagne, de tous ses biens meubles et immeubles, sous la réserve de l'usufruit jusqu'à son décès, à la condition de transmettre, par préciput, à l'aîné « des enfants malles qui naîtront de » ce futur mariage », les fiefs de la Motte-Ennordres, de la Parace et de la Brossette. Cette clause ne put avoir son effet ; Louis David de

Conflans ne laissa que trois filles: Françoise Thérèse, qui mourut peu après lui ; Louise, dame Claude-Joseph Dubuc; et Marie-Thérèse, à qui sa soeur laissa la jouissance et la propriété de tous ses droits (Arch. de Lauroy, 11 août 1784).

Messire Jacques-Marie d'Estampes avait fait partie, au titre de gouverneur, de la maison militaire que le duc du Maine voulut constituer à son fils aîné, LouisAuguste de Bourbon, prince de Dombes, lorsque ce jeune prince, âgé de 17 ans, partit sous la direction du comte d'Estrade, au commencement de 1717, pour aller servir en Hongrie contre les Turcs sous les ordres du célèbre prince Eugène. Le jeune prince se distinguait au siège de Belgrade, où le comte d'Estrade, 5 août 1717, fut mortellement blessé par un obus à ses côtés. A son départ, il avait reçu de son père de longues et intéressantes instructions, fort circonstanciées, dans lesquelles le chevalier d'Estampes est désigné comme son « pre» mier gentilhomme de la chambre et son gouverneur, à » qui la porta du jeune prince sera toujours ouverte».

D'Estampes portait: d'azur, à deux pointes de giron d'or, au chef d'argent, chargé de 3 couronnes de gueules.

(La Th.)


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Un an plus tard, le duc du Maine était compromis dans la conspiration de Cellamare ; arrêté le 25 décembre 1718, il fut enfermé, par les ordres du Régent, au château de Doullens. M. d'Estampes demeura personnellement attaché au jeune prince de Dombes, et à son frère, Louis-Charles de Bourbon, comte d'Eu. Parmi les gentilshommes qui devaient composer la maison des deux princes, il occupa le premier rang dans les instructions qui leur furent données par le comte de Toulouse, leur oncle.

Les Instructions du duc du Maine ont été publiées par Etienne Charavay dans la Revue des documents historiques, livraison de mars et avril 1879, p. 43, avec le mémoire complémentaire qu'avait fait, de son côté, le comte de Luc, ambassadeur de Vienne. L'original de ces deux documents avait été communiqué par M. Armand Dufour qui le possède en son château de Lauroy, la possession lui en étant demeurée par suite du mariage de son ancêtre Claude-Joseph Dubuc.

Le 6 septembre 1741, Claude-Joseph et sa soeur Elisabeth-Françoise avaient représenté Claude Dubuc, leur père, et dame Françoise de Ramaceul, son épouse, pour la bénédiction de la petite cloche de l'église de Clemon. Cette cloche devait être brisée, 50 ans après, en octobre 1793, en exécution d'un ordre venu du district d'Aubigny.

Un titre de l'année 1746 dit Claude-Joseph « mousquetaire noir de la garde du Roy ».

En 1764, au rôle des nobles et privilégiés, pour l'imposition du vingtième, art. 3, le sr du Buc de Lauroy était taxé à la somme de 90 livres sur un revenu estimé 1800 livres, pour « sa terre, seigneurie, château, droits » seigneuriaux, domaines, etc.. ». Cependant le contrôleur observait que — la terre de Lauroy ne produisant


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annuellement que 1630 livres de revenu, 10 septiers de seigle étant marqués à faux comme rentes seigneuriales, 30 septiers de bled noir étant portés indûment sur le rôle, ces divers objets montant à 100 livres de revenu, — il paraîtrait juste de réduire cette imposition à la somme de 85 livres par chaque vingtième (Arch. dép. C. 248).

Le 9 mai 1771, il était qualifié « chevalier, seigneur » de Lauroy, ancien capitaine au régiment mestre-de» camp général cavalerie », sur l'acte du mariage de François Berton et Marguerite-Louise Vergnault ; ses filles y signaient, l'une « Adélaïde de Lauroy », l'autre « Joséphine de Glatignies ».

Le 29 juin 1778 il protestait, et faisait admettre sa protestation, contre les administrateurs du collège royal de Blois qui étaient propriétaires et détenteurs, sur le prieuré de Framé, paroisse de Brinon, de divers héritages, sis paroisse de Clemon, formant ensemble 71 septrées de terre, ces héritages étant tenus et chargés, envers les propriétaires du château de Lauroy (autrefois Louray), de l'obligation confirmée le 6 avril 1621, en faveur de Jean Midou.

Le 16 mars 1789 il prit part, à Bourges, à l'élection des délégués de la noblesse du Berry aux États Généraux.

Au rôle des impositions de l'exercice 1790 il était inscrit pour la somme totale de 238 livres 11 sols 3 deniers (93"7S pour l'imposition principale, 47'V pour les impositions accessoires, 74"218 pour la capitation, 23" 1817 pour la prestation des chemins). — Arch. dép. C. 248.

Le 23 janvier 1791, il recevait des officiers municipaux de Clemon la demande de justifier de sa déclaration patriotique ; en réponse il leur envoyait le numéro 1047 (de sa déclaration) qu'il avait reçu de la municipalité d'Orléans, sans marquer (ce dont on se plaignait au district), le montant de sa déclaration. — Arch. dép. L. 509.


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Le 25 avril 1792, la question de son droit de propriété sur la chapelle de Notre-Dame-de-Pitié, dans l'église de Clemon, sous le prétexte que « les privilèges étaient abolis », était soumise à l'assemblée communale. Dans une délibération, cette assemblée déclarait avoir reçu communication des titres qui mentionnent la propriété foncière, et non seigneuriale, de la terre de Lauroy sur cette chapelle (voir page 103).

Cette même année 1792, messire Claude-Joseph Dubuc mourut à Lauroy et fut inhumé, le 1er octobre, dans le cimetière près de sa défunte épouse qui l'y avait précédé le 28 octobre 1783. (Arch. de Lauroy. Actes paroissiaux). Il laissait deux filles: Adélaïde-Louise-Victoire, qui va suivre ; et Marie-Joseph-Françoise.

Alors que, durant leur jeunesse, sa soeur aînée signait, dans les actes, Adélaïde de Lauroy, la seconde, nous venons de le dire, signait Joséphine de Glatignies, à cause du fief de Glatignies, situé à l'extrémité de la paroisse de Brinon (proche celle de Chaon, diocèse de Blois), qui était alors en la possession de la famille Dubuc. (Le 14 juin 1768, messire Dubuc donnait à bail la terre de Glatigny pour la somme de 1600 livres.— Etude d'Argent). Marie-Joseph-Françoise reçut en partage le château d'Ennordres et une partie des terres qui en dépendaient, le surplus restant alors rattaché à la terre de Lauroy. (Plus tard, Marie-Françoise, étant dame du Lac, vendit cette propriété à la famille de la Ronde qui l'occupe encore). Elle fut unie, le 9 septembre 1783 (le contrat est daté du 6 août), dans l'église de Clemon à messire Amable-Joseph Lancelot du Lac, seigneur de Montisambert, chevalier de l'ordre royal et militaire de saint Louis, lieutenant des vaisseaux du roy, capitaine au corps royal de marine, inspecteur résident de la manufacture royale d'armes à feu de Tulle. Leur seconde


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fille, Agathe-Thérêse-Joséphine, née à Sully-sur-Loire, vint habiter Clémont dès l'âge de 18 à 20 ans; elle y décéda le 26 juin 1870, âgée de 82 ans, ayant pris plusieurs dispositions bienfaisantes pour l'église et pour les pauvres de la paroisse.

3°. — Troisième Dubuc

Damoiselle Adélaïde-Louise-Victoire Dubuc, fille aînée de Claude-Joseph et de dame Louise David de Conflans, née à Lauroy, en janvier 1758, eut pour parrain messire Louis David de Conflans, son aïeul maternel, et pour marraine dame Louise-Magdeleine de Pouzay, épouse de messire Jacques Huby, chevalier, seigneur de Lagny, président-trésorier de France du bureau de Paris, son grand-oncle.

Elle épousa en premières noces, le 14 mai 1782, en l'église de Clemon, messire Jean-Baptiste Langlois de Ramentiêres, chevalier, officier au régiment du roy cavallerie, fils de messire Michel, chevalier, seigneur de Chareil, en Bourbonnois (diocèse de Clermont), Lemay et autres lieux ; elle en était veuve après quelques mois. — Le 6 juin 1791, elle épousa en deuxièmes noces, en ladite église (1), messire Antoine-Margueritte de Gaudart d'Allaines, cy-devant chevalier, seigneur des Champarts d'Allaines et Sainte-Croix, né le 4 avril 1762, fils des défunts messire François-Maximilien, chevalier, seigneur deMaurepart, des Champarts d'Allaines, de Montgirault, de Sainte-Croix et de Rouvray, capitaine au ré(1)

ré(1) les signataires de l'acte étaient : damoiselle Marie-Thérèse David de Conflans, tante; Marie-Hector de Loynes de Milbert , Alexandre-lean-Louis-Anne de Loynes de Mazères. — Le contrat était daté du 12 mai.


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giment Royal de Roussillon, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis (Chartrier Français, 1868, généalogie d'Allaines), et dame Marie-Magdeleine d'Orléans, damoiselle dame de Tracy, de la paroisse épiscopale d'Orléans. Messire Antoine-Marguerittede Gaudart d'Allaines était petit-fils, par sa mère, de messire François d'Orléans, chevalier, seigneur de Tracy, et de Marie de Lamirault. Reçu, sur ses preuves en noblesse, à l'école royale militaire de La Flèche, le 19 octobre 1770, il était présent à ladite école le 14 Octobre 1771 et le 16 février 1773 ; il assista, le 16 mai 1789, à l'assemblée de la noblesse du bailliage d'Orléans (Catalogue des gentilshommes en 1789, par Louis de la Roque et Edouard Barthélémy. Tome II. Orléanais, p. 38. Bailliage d'Orléans. Procès-verbal de l'assemblée générale des Trois Ordres, 16 mai 1789). Lieutenant en premier au régiment de la Sarre infanterie, il démissionnait le 4 mai 1791. Il fut chevalier du Lys le 30 juin 1815.

Le 7 juillet 1793, il écrivait au district d'Aubigny, demandant levée du sequestre d'un pré, sur Dampierre-enCrot, qui appartenait à son cousin d'Orléans, capitaine au régiment de Limosin. « L'envoi du certificat de rési» dence militaire en Corse avait été demandé à Orléans ; » — cet envoi était difficile ; — il devait subir des retards, » vu la distance et les troubles qui régnent en Corse. » Arch. dép. L. 508.

L'an 1802, Mme de Gaudard d'Allaines avait été marraine, avec son mari, de la petite cloche qui existe encore (1904).

Elle mourut à Lauroy le mois d'avril 1831 ; son mari était mort le 31 décembre précédent. Ils laissaient deux enfants : une fille, Célestine-Adelaïde, qui va suivre ; deux fils, Etienne-Maximilien, qui avait épousé en 1824 sa cousine germaine, Antoinette de Gaudart de Tracy.


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Lors du partage qu'il fit, avec sa soeur, des biens de la terre de Lauroy, Etienne-Maximilien reçut les terres d'Ennordres qui étaient demeurées à leur mère. Jusqu'alors, il avait signé Gaudart de Lauroy. Après ce partage, il signa Gaudart de Tracy, à cause de sa résidence dans la terre de Tracy (paroisse de Nouan-le-Fuzelier, département de Loir-et-Cher), il eut deux fils qui reprirent le nom de Gaudart d'Allaines, que leurs ancêtres avaient porté. Le premier, Alfred-Etienne-Antoine, épousa en 1848 damoiselle Louise d'Alès de Corbet ; il en eut huit enfants, dont l'aîné, Mr l'abbé Henri-Maximilien d'Allaines, est vicaire général de l'évêché d'Orléans. Le second, Léon-Maximilien-François, qui possède encore une partie des terres d'Ennordres, épousa en 1855, damoiselle Marie-Hélène de Costé de Bagneaux.

M. de Gaudart d'Allaines, durant la période révolutionnaire, dut, par prudence, transférer sa demeure habituelle, puis son domicile officiel, à Clemon ; son affabilité, sa complaisance à se rendre utile, y furent très appréciées ; il put ainsi traverser, dans une paix relative, au château de Lauroy, cette période si périlleuse pour les représentants de l'ancien régime administratif. Nous avons vu, dans l'article du Régime communal consacré aux faits municipaux, comment il sut y prendre une part active aux intérêts de la vie communale, faisant partie des commissions municipales, — offrant, à l'occasion, des dons patriotiques pour les armées, soit en nature, soit en argent, — s'inscrivant dans les souscriptions qui étaient votées pour fournir des subsistances dans les époques de plus grande disette. En retour, nous l'avons dit plus amplement, en donnant la Vie municipale de la commune, de 1790 à 1795, (pages 107, 108, 112 à 119, 147, 172), la municipalité le garantissait contre toute suspicion d'incivisme, affirmait ses bons services d'agriculteur


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exploitant de ses mains son bien de Lauroy, et lui délivrait avec empressement le certificat de résidence (voir p. 118) qui avait été rendu indispensable par son inscription sur la liste des émigrés du département d'Eure etLoir, dans lequel était situé l'ancien fief d'Allaines. Le 15 brumaire an IV (5 novembre 1795), lors de la suppression des municipalités communales, l'assemblée générale le nommait encore agent municipal de la commune. Il en était nommé maire, par arrêté du préfet du Cher, du 12 germinal an XI (1er avril 1803), en place du « citoyen François Brière » qui avait démissionné le 15 prairial an X (3Juin 1802); Il prêtait serment, en cette qualité, au commencement de juin, pardevant le « citoyen Pierre Rousseau », maire deBrinon (Archives deBrinon). Nous avons vu quelle part active il a prise, pour assurer le service du culte, en traitant la question de la location, puis de la réacquisition de l'ancienne propriété paroissiale du presbytère. Sous son administration, l'an 1815, fut refondue et bénite la grosse cloche de la paroisse qui eut pour « parrains les époux Jacques-Victor Jullien et » dame Marguerite Coeur, propriétaires ; étant Potier, » adjoint, Farnault et Vasnier, fabriciens ». — Il demeura maire de la commune de Clémont jusqu'à son décès, 31 décembre 1830.

Extraction d'Allaines

D'après une étude publiée par le Chartrier français (2e année 1868) la famille de Gaudart d'Allaines descend de la très ancienne maison de Gaudart, que de nombreux actes orthographient indistinctement Godart, Godard, Gaudart et Gaudard. Les preuves faites pour les écoles militaires, le 9 octobre 1770, par Antoine-Margueritte font


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remonter les ascendants de sa maison à Claude de Gaudart qui épousa Hélène de la Beschière, le 9 novembre 1534, et qui était petit-fils de Guillaume de Gaudart, né en 1414.

Le titre d'Allaines, qui plus tard fut ajouté au nom patronymique de Gaudart, a été confirmé par des jugements en date du 21 décembre 1864 et 18 janvier 1865. Il provenait du fief des Champarts d'Allaines, apporté en mariage à Jean de Gaudart, le 8 novembre 1637, par dame Louise de Villereau, pour sa demi-part ; à cette demi-part vint se joindre plus tard celle de sa soeur Suzanne, veuve de Jean de Bombel, écuyer, seigneur de Cossolles. Les Champarts d'Allaines se composaient de la douzième gerbe de tous grains, pris sur l'étendue du fief, ou des terres relevant de la seigneurie de GrandCour et Allaines.

Parmi ses illustrations, la branche des Gaudart, seigneurs des Champarts d'Allaines, peut compter de nombreux officiers au service de France, quatre chevaliers de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, un gentilhomme ordinaire de la Chambre du roy en 1571, un maréchaldes-logis général en 1653, et un chevalier du Lys en 1815.

(à suivre) A. DUPLAIX

Le Gérant: P. LANGLOIS.

Châteauroux. — Imp. Langlois