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Titre : Influence de l'esclavage sur le caractère, l'intelligence et le sens moral des nègres, des blancs et hommes de toute couleur dans nos colonies des Antilles : esquisses coloniales historiques et humanitaires / par M. Pelouze, père

Auteur : Pelouze, Edmond. Auteur du texte

Éditeur : l'auteur (Paris)

Date d'édition : 1847

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31076902k

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (193 p.) ; in-8

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Description : Collection numérique : Caraïbes, Amazonie, Guyanes

Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique

Description : Collection numérique : Zone géographique : Amérique - Caraïbe

Description : Collection numérique : Thème : Les droits de l'homme

Description : Collection numérique : Caraïbe

Description : Collection numérique : Sciences sociales

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5679814z

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK12-47

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/08/2009

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ESQ0ISSE5 COLOniALES

ICISTOBICJUKS lit HUJUMTAIRIS.

INFLUENCE DE L'ESCLAVAGE

M II

LE OAIIACTÈUi;, L'iMl'tlLLUihNCI- l"i l,t. SttNS MUIUL

MES NKCKES, ni;s RLAXC.S, i:r HOMMF.S ru. roi n: i.oi 1.1.1 n DANS NOS COLONIES DES ANTILLES.

Vi> lousjll cxi'co moto nul MIJ: Vint tenii>craUm l'ii nuiiquc l'nuriiun In ti)3jil> : iiill'IU odiro »îr«.*>« (•mm* i.t'l.i» miiiiio m»\iMilr>.

PALUS,

l'HFZ l/Al'TUR, 11ÔTKL UKS MOXX-\fKS, -QUAI « O.NT! ,

CHEZ IL COUSIN, LIKJUIIU:,

l.lill'RR Ht JvU'KVVL IMlOfMIfU.UKK,

Hnc*JîU'tJλ, n" il ; LOUIS LKCLIÇRU, LI1UIAIÏU:, ...^

»! <!'<v li.« pritripauv l.iliraifto Ht'miuiwJ'itwiit>'fii l.:fo«irii\


ESQUISSES COLONIALES

HisTOiiigrKs I:T IIUMA.MT.UHKS.

INFLUENCE DE LESCI.AVACK

M II

I.I. i;\i'.Ai.fnii., .."I.M'I.I.I.UJI.M.I ir 11 SF.N> \ioi;y, HF.S M-:i;i;i.s, ni.s IÏIAMS, I. r HUM .MI: s m. coi ir i.nrj.i i t\

DANS NOS COLONIES DES ANTILLES.

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Vix ntlV-lll i\|e|-> lUitio Util <1Ù;

Yhukiiijtr-niUni Dii <j|ii«.tqiia< |iioYi'îiimt,n»ijii>: ii'1<Ti> ixlitc >iivtliiilu' Mcfas aiMiiiii iinsveiiUs.

PAKIS,

dir-/ L'AM'I i ri. IHVH i. DKS MIIVMIFS, ni. AI U>XU CHEZ 11. COL S IN, El 11 15 Al HE,

H'IIHKIH MÏI'AW |i'll"Ultt t l.llht,

Hue j.-inib. u' ,Jl ;

LOI:is I.I:CLEIU:, i-1ÎÎJIAIiti:.

J'I.nr 'k' 1 K«-«»l..-*i- -Mi ikrirn:. ti ri -.



ESQUISSES COLONIALES,

v (Partie détachée de l'Histoire de ta Marine Militaire de ta République et de l'Empire, par le même auteur, et actuellementsous presse, — 'Svol.inS». avec un bel atlasJ,



ESQUISSES COLONIALES

IIISTOKIQIIKS Kl* IIIWAMI'AlltKS.

INFLUENCE DE L'ESCLAVAGE

MR

I.K «'.XliACIKIIK, l/lNTELLlGENCE HT LE SENS MOIUI." DKS NÈGRES, Mi S RLANCÇ, ET HOMMES DE TOUTE COI'I.F.I II

DANS NOS COLONIES DES ANTILLES.

Vis consill e\pers mole mit sua ; ^ V.im leiiipcratam Dit .<jUoque j>io\rtiiiti( lu jiwjus-.iidetii otNievim Oiiine ncf.ii aniino inovciitcs.

PARIS,

CHEZ L'AUTEUR , HÔTEL DES MONNAIES, QUAI CONTI.,

CHEZ IL COUSINv LI13UA1REV

ÉD1TÉIR 1)U JOIRNAL I.'uOUTtCll Tl KE,

Hue Jacob, n° 21;

LOUIS LECLERC, LIBRAIRE;

l'Iacc del'Ecolc-dc-Mcdecinc,'ni' 12;

cl chez les ;iniifip,aiis Libraires k Commissionnaires en LihrairiV.



Qui nonliberè^eritalcm pronunliattproditor ed veritatis.

■■"*;■, ■'.■;•'.;/ :.-' ■ ;-^:-,.

Pour l'Histoire de la Marine, l'auteur a dû naturellement solliciter des documents dans les bureaux ministériels ; - mais* il croit devoir déclarer formellement ici, qu'en ce qui se rattache à la question de l'esclavageV et en général pour tout ce qui touche aux événements des colonies et a la part qu'ont pu y prendre les diverses fractions de la population, les opinions soutenues et les sentiments exprimes par l'auteur lui appartiennent exclusivement; qu'il en accepte personnellement la responsabilité, et qu'il ignore quelles sont les vues et les dispositions du gouvernement: par conséquent, on ne doit conclure de ce qu'il a écrit, rien qui indique de près ni do loin le triomphe momentané des idées Coloniales, ou celui plus durable de l'humanité et de la jus.iee.

Au surplus, malgré les meilleures intentions, les gouvernements subissent quelquefois l'intlcxible loi delà nécessité.

Mais qu'aux colonies on n'oublie pas que :

Haro antecedeutem scetcslum Desernerit ppde poena claudo.

Itou.



SITUATION

DES

ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE,

CI-DEVANT COLON IL DE SUNT-DOMINGtIK.

Après la guerre si désastreuse pour l'Angleterre, qui avait abouti au traité de Paris, cette orgueilleuse puissance, momentanément mais profondément humiliée, retrouva le repos avec tous les éléments de prospérité qui no lui faisaient pas encore défaut, et qui furent fécondée par le génie de son peuple, son patriotisme, le grand courage, la persévérance do ses hommes d'état, si éminents. Jamais le caractèro anglais, jamais cet admirable esprit de nationalité ne se manifesta chez aucun peuple d'une manière plus digne du respect des nations rivales comme des nations amies.

Dans l'année 1781, le nuago do l'adversité commença à s'éclaircir graduellement. Ses précieuses et vastes colonies du continent américain venaient d'être à jamais ravies à la mère-patrie par les efforts combinés de ses sujets rebelles cl des puissances européennes, jalouses do sa ■■:.: ■ t..-':'-"-:- "■'■'■'..l ■■■'■.'■


2-■■,:.:.:,'■■,"■ ETADtilSSEMENTS COLOSIAliX.

prospérité, inquiètes de l'étendue de sa domination. La France surtout, réclamait la plus large part dans ce résultat, dont elle attendait, comme conséquence certaine, un long abaissement de son éternelle rivale. L'on pouvait, en clVet, présager avec toute probabilité que l'Angleterre ne - se relèverait que difficilement d'un tel échec, et que tout co qu'elle allait perdre, en puissance et en richesse, deviendrait le lot de l'auteur principal de ses malheurs.

L'événement a en grande partie, donné un démenti à ces prévisions; du moins, si l'on np considère le résultat qu'au point de vue d'agrandissement territorial, d'extension de commerce et d'accumulation de richesses ; si l'on ne compte pour rien l'émancipation des castes opprimées, l'essor donné a la pensée, l'acquisition de la liberté.

Kn effet, si l'on dédaigne ces derniers résultats, beaucoup de personnes concluront que l'appui donné auxeolonsanglaisinsurgés est déplorable, parce qu'il est retombé sur le monarque français ; et ceux qui, dans un état, ne voient que le monarque, sa cour et les privilégiés, ayant seuls part aux faveurs, peuvent, a bon droit, regretter qu'il existe une république des États-Unis.

Quoi qu'il en soit do la moralité, de l'humanité de ces opinions influencées par l'intérêt de caste, il n'est pas douteux que la part active prise par Louis XVI à l'émartcipation descolonies anglaises, n'ait été de nature a InUcr la révolution française et notre propre émancipation, dans les limites oùello s'est arrêtée. Mais lors môme que e cabinet do Vcrsaill es serait resté immobile a la'vue des efforts faits par les colonies anglaises pour briser le joug do la métropole, pciise*t-on que cette inaction aurait, pendant bien longtemps encore, étouffé le germo des


BÉPODLIQUE HAÏTIENNE. 3

idées libérales en Franco?Tout n'était-il pas mur pour uno régénération de la société ?

On a dit, répété, et une foule d'écrivains, se traînant à la suite les uns des autres, ont reproduit et commenté les reproches faits au cabinet do Versailles. On a dit que la noblesse française, appelée à servir dans l'armée do Washington, avait rapporté en France des idées de liberté auxquelles il fallait attribuer le mécontentement qui so propageait en Franco contre la cour.Pctit motif dans une grande cause ! Était-ce donc l'opinion de quelques gentilshommes qui pesait beaucoup ? ello n'était qu'imperceptible dans le flot des griefs de 25 millions de Français gémissant sous le poids dés abus et des outrages. Éh ! quelle opposition quo celle des guerriers revenus d'Amérique? Combien en est-il resté de fidèles au premier élan de liberté qu'ils avaient manifesté? C'est à peine si l'on peut compter une demi-douzaine d'amis persévérants do la réforme sociale. Voyez jeu Actes des ÉtatsCénôraux, de rassemblée Constituante et de la première Législature ; c'est chez ces prétendus patriotes, de noble origine, que vous trouverez les opinions les plus fougueuses, les plus désordonnées, les plus hostiles à la cause du peuple.

El comme l'hypocrisie vient toujours en aide à la mauvaise foi, les vitupéraleurs de rinlcrvcnlion française dans les affaires des colonies anglaises, ont appelé au soutien de leur système, ce qu'ils ont qualifie déconsidération morale. Louis XVI, ont-ils dit, ne pouvait, sans manquer aux devoirs imposés à la royauté, miner la puissance du souverain légitime de la Grande-Bretagne,

S'adressant auroij ils lui faisaient dire, par un écrivain favorable A l'Angleterre : « Vous armez, monarque imprudent ; oublieZ'Yous dans quel siècle, dans quelles cir-


4 ETABLISSEMENTS COLONIAUX.

constances et sur quelle nation vous régnez? Les artifices de votre diplomatie ne peuvent plus nous le déguiser; vous armez pour soutenir l'indépendance de l'Amérique et les maximes du Congrès. Il est une puissance qui s'élève aujourd'hui au-dessus des lois : c'est celle des raisonnements ambitieux; elle conduit une révolution en Amérique : peut-être elle en prépare une en France. Les législateurs de l'Amérique s'annoncent en disciples des philosophes français; ils exécutent ce quo ceux-ci ont rêvé. Les philosophes français n'aspirent-ils point à être législateurs dans leur propre pays? Des principes qui ne peuvent se plier aux lois anglaises, s'accorderont-ils mieux avec les bases de votre monarchie? Quel danger n'y at-il point à mettre l'élite de vos olïlciers en communication avec des hommes enthousiastes de liberté? Vous vous inquiéterez, niais trop tard, quand vous entendrez répéter dans votre cour des axiomes vagues et spécieux qu'ils auront médités dans les forêts d'Amérique. Comment après avoir Yersé leur sang pour une cause qu'on nomme celle de la liberté, iront-ils respecter vos ordres absolus ? D'où vous vient celte sécurité, quand on brise, en Amérique, la statue du roi de la Grande-Bretagne, quand on dévoue son nom à l'outrage? L'Angleterre ne sera que trop vengée de vos desseins hostiles, quand votre gouvernement sera examiné, jugé, condamné d'après les principes qu'on professe à Philadelphie, et qu'on applaudit dans votre capitale. »

A coup sur, des conseils adressés sur ce ton à Louis XVI étaient, dans l'état do l'esprit public en France, bien mal imaginés; parler au monarque do la nécessité pour lui de maintenir lo systèmo des ordres absolus, c'était appeler l'intérêt des quatre-vingt-dix-neuf centièmes do la nation


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE. 5

sur l'insurrection américaine dont lo but unique et avoué était de secouer lé joug de fer des mômes principes ; c'était provoquer en faveur des Américains Une manifestation à laquelle le faible Louis XVI et son entourage débilo et corrompu j n'auraient eu aucun moyen de résister si le monarque n'avait pas pris le sage parti de céder au torrent de l'opinion publique.

On conçoit bien que Louis no céda qu'à contre-coeur. On conçoit encore mif ^ucPprgueîl autrichien delà reine* lui fit dévorer avec la rage dans lo. cceurv les;soucis qui, dit-on, flétrirent presque subitement les charmes de sa personne, et la firent tout à coup passer de l'amour immodéré des plaisirs, des folles et ruineuses dissipations de sa Courra des pensées haineuses contré le peuple sur lequel elle avait été appelée à régner dans toute l'étendue d'un pouvoir sans limites et sans contrôlé. C'est alors, diton^ que Marie-Antoinette voua dans son coeur à La Fayette, le promoteur de la liberté américaine, cette haine implacable et persévérante qui, plus tard, no sut pas fléchir un seul instant, môme pour le salut du roi, de ses enfants et pour le sien propre, lorsque le général, encoro plùsdiévouô à Louis XVI qu'à la liberté, voulut lui offrir l'appui do son influence.

La Fayette s'embarqua pour l'Amérique, il avait vingtdeux ans ; il quittait une jeune épouse cl ses deux enfants. Entré dans les rangs des insurgés, il fut blessé à BrandyWine dans l'affaire du II septembre 1777, où d'autres volontaires français et polonais se distinguèrent.

Louis XVI hésitait encore. Dans sa politique faible et temporisatrice, il cherchait en quelque sorte quelqu'un auquel il pût abandonner la responsabilité d'une décision aussi importante, et d'avance il tenait beaucoup à ce que


6 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

l'opinion publique, en France, et encore plus celle des cabinets de l'Europe ne pût la lui attribuer absolument. Il trouva son éditeur responsable dans M. de Vcrgenncs, secondé par le vieux Maurepas. Ils mirent tout on couvre pour calmer les scrupules du monarque. Ils remontrèrent qu'il ne s'agissait que designer un traitédo commerce avec les colonisiez américains : ce traité, avantageux auxdeux états, devait laisser subsister la neutralité de la France. L'Angleterre ne pouvait avoir la présomption de priver la France du droit de signer un traité do commerce; si cependant elle osait le méconnaître, et en venait a une rupture, ce serait le cabinet de Saint-James et non celui de Versailles qui serait responsable des conséquences; mais la prudence commandant de prévoir une irritation aussi déraisonnable do la part de l'Angleterre, en môme temps que le traité de commerce, le ministère français signerait avec les envoyés des colonisles Francklin, Arthur Lee et Silas Deane, un traité éventuel d'alliance défensive, par lequel les contractants des deux parts, s'engageraient dans le cas d'une guerro entre la France et l'Angleterre, à se porter mutuellement secours, à ne point accepter de paix séparée, et à ne poser les armes qu'après que l'indépendance des États Unis aurait été formellement ou tacitement reconnue et assurée. Louis XVI, toujours disposé à se faire illusion, comme il s'est montre plus lard; toujours content, pourvu qu'un résultat quelconque ne se présentât que dans réioignement, crut désormais sa responsabilité morale à couvert, se tint pour satisfait du biais adopté par ses ministres pour vaincre ses répugnances, et le 0 février 1778 ii signa un traité, qui, en réalité, dans l'état actuel des choses, pouvait être considéré comme une décjaralioh de guerre à l'Angleterre. Lcsenvojés des co-


IlépUBLIQUE HAÏTIENNE, 7

Ionistes l'envisagèrent sous ce point de vue, et ils ne se trompaient pas. Aussitôt que le cabinet de Saint-James eut connaissance du traité, il s'empressa do rappeler son ambassadeur a Paris.

Cependant on ne donnait pas d'ordre en France pour aucun armement; les secours qui partaient de nos ports pour l'Amérique, quoique favorisés par M. de Vcrgenncs, no consistaient encore qu'en expéditions de commerce, en munitions et en volontaires qui allaient servir la cause de la liberté américaine.

Mais les événements se pressaient, et le peuple tout entier en France demandait à grands cris des mesures efficaces; les envoyés colonistcs, de leur côté, s'appuyant sur le traité du 6 février, pressaient le cabinet de sortir de l'inaction.

Enfin, une flotte forte de douze vaisseaux et de quatre frégates, partit de Toulon pour l'Amérique, le 13 avril 1778, sous la conduite du comte d'Kslaing; une autre flotte se forma dans le port de Brest pour combattre sur la mer Ans Antilles. En môme temps, sur les côtes de France, le ministère ordonnait la réunion d'une armôo avec l'intention avouée de tenter une invasion en Angleterre.

L'amiral anglais Keppel, chargé de surveiller les mouvements du port de Brest, appareilla dcPiymoulh avec une escadre, et somma des frégates françaises qu'il rencontra dans ces parages, de se ranger en poupe du vaisseau amiral pour être arraisonnées, ('/était le 17 juin. Lo commandant do la frégate française la Helle - Poule, Chaudeau de la Clochelerie, refusa d'obéir à cette insolente injonction, et riposta a un coup de en no m tiré du vaisseau anglais, par une bordée pleine de tous ses canons.


8 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

La fyllêfPoule engagea immédiatement la frégate àttglaisevVArèUime qu'elle forçage s'éloigner à moitié démâtée. Cette action eut Heu en présence do deux vaisseaux anglais contrariés par le vent, et qui ne purent soutenir VArèthuse* < ,.à

Le 8 juillet suivant, le comte d'Orvilliers sortit de Brest avec trîMite-deux: vaisseaux; le combat s'engagea entré la flotte de d'Orvilliers et celle de Keppel, le 27 juillet, i\ la VÙé ïlie d'OuessànL Cet engagement^ quoique très? vif, n'eut cependant pas de résultat décisif. L'amiral Keppei fat gènéralêhienl censuré eh Àhglèterro et traduit devant une cour martiale.

Cependant l'escadre du comte d'Estaing^ sortie de Toulon le 18 avril précédent, parutsur les côtes d'Amérique. On convint de tenter une descente dans la province de Rhode-Island, et celte tentative n'eut pas de succès. Une violente tempête dispersa la flotte française qui allait livrer combat à l'escadre aux ordres de lord Howc. Elle parvint cependant à se rallier, et le débarquement sur la côté de Bhodc-Island aurait pu s'effectuer; mais le comte d'Estaing, résistant à toutes lés sollicitations de M. de La Fayette, s'y refusa absolument. H se dirigea sur l'Ile de Sainte-Lucie, dont les Anglais venaient do s'emparer, au grand détriment de nôtre commerce. M. d'Estaing mettait lé plus grand prix à ravir à l'ennemi cette clef des Antilles. Arrivé sous lo feu des batteries anglaises, il fut impossible de les démonter, et après avoir tenté trois assauts successifs et lrÔs«meurtriers, l'amiral français, qui perdit beaucoup de monde dans cette expédition, se vit contraint d'y renoncer et rentra à la Martinique.

L'année suivante (1779), le cabinet britannique ayant refusé l'offre de médiation de la cour d'Espagne, qui pro-


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE. 0

posait une trêve entre les parties belligérentes, et le comte de Vcrgcnnes usant de toute son influence sur le cabinet de Madrid, auquel il représenta que le moment était favorable pour recouvrer Gibraltar, Minorquo, et pour reconquérir les Florides, le roi d'Espagne déclara la guerre à l'Angleterre. Les deux marines française et espagnole se réunirent pour former une massede soixante-six vaisseaux de ligne avec une multitude de frégates- et do bâtiments de moindre force. La jonction se fit le 25 juin. Cette formidable escadre fut mise aux ordres du comte d'Orvillicrs, cl destinée à une descente en Angleterre,

Le 15 août, les flottes combinées de France et d'Espagne se prcsentèrcntdcvantPlymoutb. L'amiral anglais, vu l'infériorité de ses forces, n'osait pas venir défendre ce point important. Les opérations étaient prêtes à commencer. Déjà les alliés s'étaient emparés, à la vue de Plymouth, d'un vaisseau de Ci canons sorti de Portsmoulh pour rallier l'escadre anglaise. Mais cette fois encore les éléments conspirèrent en faveur de l'Angleterre; il s'élève une tempôte qui disperse les vaisseaux de ses ennemis. Leur amiral, Charles Hardy, profite de cette espèce d'ouragan pour pénétrer dans la rade de Plymouth, où sa flotte désormais en sûreté, délie toute tentative de débarquement.

Le comto d'Orvilliers rentra à Brest, et les galions espagnols, en arrivant en Europe, devinrent pour les Anglais une proie riche autant (pie facile.

Dans les mers des Antilles, la France obtint quelques succès, bientôt suivis de revers. Le comte d'Estaing avait reçu des renforts qui élevaient la flotte sous ses ordres à vingt-cinq vaisseaux de haut-bord, et son antagoniste, l'amiral anglais Byron, n'avait à lui opposer que vingt-un


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vaisseaux à peu près d'égale force. Aidé des Caraïbes de ITle Saint-Vincent, soulevés contre les Anglais, d'Estaing s'empara facilement de celle Ile else porta sur la Grenade. Le 2 juillet, il y opéra un débarquement do deux mille trois cents hommes, et ordonna l'assaut du fort principal, défendu par le général Macarlney. D'Estaing fut un des premiers qui s'élancèrent dans les retranchements ennemis; ses grenadiers le suivirent avec enthousiasme, et les Anglais se rendirent à discrétion. Ce beau fait d'armes excita en France autant d'admiration que de joie.

Cependant d'Estaing, pressé par les sollicitations de Washington, lit voile pour lo continent; il arriva devant Savanha en Géorgie. Lcscolonistes attendaient de celte expédition un résultat décisif pour la cause de l'insurrection : si l'on réussissait à s'emparer deSavanha, principale place-forte cl dépôt général des armes et des munitions de l'armée anglaise, c'était pour celle-ci un échec d'une immense portée, et les insurgents devaient y attacher un grand prix, car dans celte partie du théâtre delà guerre ils avaient a lutter contre de nombreuses troupes de royalistes, et sous l'empire de circonstances très-critiques; puisque Washington était alors fort occupé, sur un point éloigné, à étouffer des semences de divisions intestines, en môme temps qu'il lui fallait faire tôle aux troupes anglaises très-nombreuses dans les provinces de New-York et de Hhode-lsland,

. Le général américain Lincoln, qui avait reçu avis de la prochaine apparition de l'escadre française devant Savanha, se présenta avec un corps peu nombreux pour protéger le débarquement, qui eut lieu sans obstacle, à une lieue de la ville, le 15 septembre. Cinq mille hommes


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de troupes françaises se réunirent à trois mille insurgents. Dans les rangs de ces derniers on voyait le brave polonais Pulawski et nombre de ses compatriotes. Le général anglais Prévost, commandant de Savanha, ne répondit à la première sommation des assiégeants qu'avec une apparence de timidité cl d'hésitation, eu termes vagues qui semblaient annoncer uuo disposition à capituler aussitôt qu'il pourrait le faire sans déshonneur. Ce n'était qu'un piége, duquel l'humanité cl la loyauté de d'Estaing ne lui permirent pas de se défendre, et qui llrentoblcnir à Prévost une trêve, qu'il eut môme l'art de prolonger en attendant un renfort considérable qui lui avait été annoncé. A l'aide de ce renfort et de l'armement d'un corps de nègres, il pût compléter les ouvrages de défense de la place, dont l'investissement si funestement différé, offrait désormais beaucoup de difficultés. Ce manque do foi envers un loyal cl généreux ennemi, exaspéra d'Estaing au plus haut degré et lui suggéra des mesures violentes et peu compatibles avec son humanité accoutumée : il lit pleuvoir des bombes sur .Savanha, et les Anglais, impassibles, assistaient sans regrets à la destruction d'une ville américaine. Leurs ouvrages avancés n'avaient encore que peu souffert, et l'ancrage de la flotte française n'était rien moins que sûr. On louchait à une saison où il allait devenir encore plus dangereux. Les inquiétudes de d'Estaing, comme marin, le firent retomber dans une faute dont le souvenir de son désastre a Sainte-Lucie aurait di\ le garantir : il se hâta trop d'attaquer, et avant qu'il y eût brèche suffisante faite aux murs de la place, il voulut tenter intempeslivément l'assaut, le 9 octobre, sous le feu de l'artillerie anglaise dirigée avec la plus grande précision cl une


12 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

remarquante habileté. Nous passons sur les affligeants détails de ce conflit sanglant. D'Estaing y reçut une blèssuro, ainsi que les vicomtes do Fontango et do Néthisy, etlo baron do Stèding. Mais ce qui excita principalement la douleur sympathique des assiégeants, ce fat la mort du bravo Pulawski, frappé mortellement d'une ballo, au pied de la muraille où il s'était précipité à la tête do deux cents cavaliers pour dégager quolques grenadiers français qui s'étaient élancés dans la place,

L'amiral français diU se rembarquer. Le triste résultat de l'affaire deSavanhamit les insurgent s à deux doigts de leur perte, Leur arméo so débanda par défaut de solde, et Washington déclara que la causé de la liberté était irrévocablement perdue, si la France no lui accordait pas des subsides et uno nouvelle expédition. Le cabinet de Versailles donna dix millions, sept vaisseaux et six mille hommes do trpupo d'ôlito aux ordres du général Itochambeaué

Dans l'année 1781, le comte de Grasse, après s'être emparé do Tabago, cingla avec la flotte à ses ordres vers la baie do Chesapeako, afin do seconder les opérations de Washington étde uoehambeauj qui cernaient l'armêo art? glaise dans York-Tovvn, Do Grasse força la flotte anglaise à sortir do la baie, et transporta à York-Town l'armée de Washington, Cornwallis, attaqué do tous côtés par Rochariibeau| Washington et La Fayetto, capitula je 11 octobre 1781^ avec sept mille hommes, six vaisseaux do guerre et cinquante bâtim,ehts marcliarids, C'était une victoire absolument décisive. De ce moment, les Anglais cessèrent toute tentative pour se remettre en possession d'aucun dés Houx dont ils avaient été expulsés/ Renfer-


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mes dans les villes do New-York» Charlestciwif|||§ayanha» Us y restèrent inactifs jusqu'au moment do là^signaturo dos préliminaires do paix.

Pans l'année précédonto (1780}, les Anglais, en apprenant que la Hollando était sur le point d'accéder à la coalition des puissances européennes sous lo nom de neutralité armée (dont il n'entro pas daps notre plan d'oxpliquer l'origino et les conséquences), se jetèrent sans déclaration prôalablo sur les possessions hollandaises, Dans les mers dos Antilles, l'amiral Rpdney s'empara sans coup férir do la petite Ile hollandaise de Saint-Eustacho, et enlova soixante-quinze millions do marchandises en entrepôt dans cette lie,

Mais lo 96 novembre 1781, lo marquis do Bouille, gouverneur do la Martinique, reprit aux Anglais l'Ilo do SaintEustacho.

En 1783 (lo 12 avril), entro la Guadeloupo et la petite lie des Saintes, les escadres do l'amiral anglais Rodney et du comte do Grasse, so livrèrent bataillo.CeUo affairo fut une déàplus funestes de toute la guerre à la marine française. Le comte doGrasso y perdit presque totalement la flotte avec l'honneur du pavillon, et so rendit prisonnior aux! Anglais;'-: : '

Eh 1783, signature des préliminaires de paix. Reconnaissance par 1'Angleterro des treizo États-Unis dé i'Amôriquo ; délimitation des frontièros , qui laisse aux Américains le vaste pays connu sous lé nom dé Western-Terri tory. Déclaration dé la jouissance commune des pêcheries de Terre-Neuve et do la navigation du Mississipi. j/

Lé cabinet do Versailles conçut d'abord quelque inquiétude do la soudaineté do ces préliminaires do paix entre


14 ÉrABLISSEMBNTS COLONIAUX,

les colouwljjnsuigées et la mère-patrio, et cetto inquiétude trouvait un motif dans le -projet, bien connu du parti influent à la lôlo duquel était en Angleterre le duc do Richemond, qui nourrissait l'espoir de détacher les ÉtatsUnis do l'alliance française cl do les jeter dans les bras do rAnglcterio. Mais la loyauté do Fraucklin et l'habileté du comto do Vorgennes n'eurent p:ts i\o pejno à déjouer un aussi odieux complot. Les envoyas américains, lors du traité du 6 février, avaient stipulé qu'aucun traité avec rAngleterro no serait définitivement signé par les ÉtatsUnis qu'après la conclusion do la paix entre la GrartdeBretàgno et la France.

Enfin, lo 20 janvier 1783, l'Angleterre signa les préliminaires do paix avec la Franco, l'Espagne et la Hollande,-'.;.

Voici les principales, stipulations : « Suppression do l'arv ticledu traité d'Utrccht relatif à Dunkerquo,

» En AméHquo, restitution do toutes les prises : Sainte> Lucio a la France ; la Grenade, Saint-Vincent, la DûmU v nique, Montserrat etNévis à l'Angleterre.Çession do » l'Ile do Tabago à la France,

» En Afrique, restitution à. là France de Goréo; acqui» sition du Sénégal ; garantie du fort Saint-James et do » Gambio à l'Angleterre, .

» Aux Indes-Orientales, restitution do toutes les prises : » à la France, do Chandernagor, Pôndichéri, Karical, » Mahé, Surate; agrandissement du territoire dé Pondi» chéri et de Kurical; invitation aux alliés do la France, » et notamment à Hyder^Alij d'accéder au traité.

> A Terre-Neuve, admission des Français aux,.pêche» ries, et acquisition pour eux des deux petites Iles do » Saint-Pierre et Miquelpii.


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» Promesse réciproque do concluro dansù^ux uns un w traité dp commerce. ^

Traité entre VAngleterre cl l'Espagne : » Conservation do Gibraltar par l'Angleterre; restitù» lion dp Minorque û l'Espagne ; acquisition par elle des » deux Floridos; rostitution réciproque des autres prises; » les Iles Bahama rendues à l'Angleterre, et acquisition »par elio d'un territoiro dans la baio do Honduras pour » l'exploitation du bois do Campôchc;

Traité entre l'Angleterre et ta Hollande :

» Cession do Negapalnam aux Anglais, avec faculté' » pour les Hollandais do le reprendre contre un équivalent; restitution réciproquo dos autres prises ; liberté » de navigation pour les Anglais sur toutes les mers » des Indes. »

Le traité définitif avec la Franco no fut signé que lo 3 septembre 1783 ; celui avec la Hollande no lo fut que le 20 mai 178t.

Par suite do négociations entro la Franco et la Suède, a laquelle il était dû un arriéré do subsides, la petite Ho française de Saint-Barthélémy, située dans lo voisinage do là Guadoloupc, fut cédée à la Suède.

Il est facilo d'apercevoir, à la manière cursivo et sommaire dont nous venons de rendre compte des événements dolaguerro, terminée en 1783, que nous n'avons nullement eu la prétention do nous en fairo l'historien. Los quelques lignes que nous avons consacrées au récit des faits no so rattachent plus ou moins directement qu'aux colonies. C'était une préface obligée et un point de départ pour la notice qui va suivre des événements qui les concernent.


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Nous aYÇÎns uuo triste pago à dérouler, pago arrosée de sang, inondéo do larmes, et qui aurait pu Otro écrito À la lueur des torches do l'inçendio, avec des monceaux do cadavres humains pour pupitre

Commençons par la colonio jadis la plus importante entro toutes celtes do toutes les nations modernes. Saint-Domingue, la reino des Antilles, le trésor du commerce français, lo trôno delà richesso, et du luxe, mais hélas! aussi lo siégo do l'injustice et do la cruauté; la sentino des vices et do la dégradation humaine, compagnes inséparables de l'esclavage, do la domination de Thommo sur l'homme.

11 est presquo superflu do rappoler co qui est généralement connu, c'est qu'aux Antilles tous les individus se rangeaient sous trois grandes classes ; 1° Les blancs; 2° Los mulâtres, métis et nègres esclaves ; 3° Les mulâtres, métis et nègres libres, dits gens de couleur ou sang mêlé.

Dans la premièro de ces trois classes (celle des blancs en général) il importe de distinguer. Les uns, eteo n'était pas à beaucoup près le plus grand nombre, étaient les propriétaires do terres et d'esclaves, ou d'usines, et de maisons; les négociants et armateurs do vaisseaux, les gérants du commerce; enfin les gérants des plantations et fondés do pouvoirs des riches propriétaires absents. A Saint-Dominguo eh particulier, la catégorie des gérants était nombreuse, car la majeuro partie des plus riches colons habitaient Paris : tel grand propriétaire à SaintDomingue n'y était jamais allé et ne connaissait quo bien imparfaitement la situation coloniale. Ces gérants, affranchis de toute surveillance de leurs maîtres, nageant dans l'opulence, jouissant d'émoluments qui paraîtraient fabuleux si l'on en racontait le chiffre, étaient puissants par


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leur richosso, et c'était dans leurs palais quo sô déployait lé lu*p dans tout son fasto colonial et de mauvais goût ; il s'en fallait Won en général que l'esprit, l'éducation et la raison de ces ylsirs fassent do niveau avec leur opulence, Aussi les plus entêtés, les plus déraisonnables, les moins conciliateurs^ les plus opposés aux progrès do là libierté} les plus rebelles aux leçons dp la philosophie et de l'humanité, entre tous les colons, faisaient partie de MM/les gérants. •

Quoi qu'il eh fût do ce mélange confus et hétérogène d'hommes h peau blanche, il n'a jatnais cessé do régner, parmi eux le. plus parfait accord sur Je point qu'ils coi# sidéraient commo essentiel ft leur prospérité : lo maintiendef l'esclavage dans toute son étendue, dans toutes ses rigueurs : c'était pour eux le noeud vital; ils n'avaient plus qu'une Ame, qu'un coeur/quand la question de l'émàncipation so présentait à leur imagination effrayée/

Uno conséquence naturello de cette cmahcipopliobie, s'appuyait d'ailleurs sur un raisonnement erroné et qui faisait chercher aux colons blancs leurs moyens de salut hors do la seule voie qui pouvait les conduire à l'accomplissement do leur voeu d'esçlàvâgo des nègres ; c'était leur infatuation de cette idée/ qu'il fallait tenir, dans un état d'abaissement continuel les gens de couleur libres, dans les veines desquels ils voyaient avec effroi couler du sang africain; et loin do considérer avec raison quo cette classe intermédiaire qui comptait do nombreux propriétaires d'esclaves, ci qui était d'ailleurs fort disposée par orgueil autant que par intérêt à faire cause commune avec les blancs pour opprimer les noirs esclaves, devait être ménagée, les Colons privilégiés regardaient fatalement tous les sang-mêlés comme leurs ennemis naturels.

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Nous n'avons tien & remarquer dans ce moment sur la classe des esclaves, Co seul mot d'esclave dit tout. Aux yeux dos colons et dans l'organisation sociale de la colonie, ils étaient commo s'ils n'avaient pas existé; co n'étaient pas des hommes ; à l'instar des mulets ot des boeufs d'attelngo pour les cabrouets sur les plantations, co n'était qu'un instrument de travail, uno machine palpitante.

Quant aux sang-mêlès ou gons de couleur libres, en parlant do la classe blanche nous venons d'en dire assez pour faire conunltre quel était leur sort,

Mais il nous reste, en revenant encoro à la classo des blancs, à caractériser cette seconde catégorie, dite c/es petits blancs, ou blancs non propriétaires; à nous occuper pour un moment de cet éternel fléau des colonies, de cet opprobre dé l'humanité, de ces tigres à figure humaine. C'est principalement aux lies du Vent ou Petites Antilles que leur, affreuse présenco s'est fait sontir do la manière la plus désastreuse : nous n'aurons donc que trop d'occasions d'en esquisser l'odieux portrait dans le récit des événements qui appartiennent à la notice sur la Martinique, la Guadeloupe et Sainte-Liicio. Dans ce moment nous n'avons qu'à dire co que c'étaient que ces petits blancs : unrau.as confus d'hommes de toutes les nations, Français, Génois, Maltais, Vénitiens, Flamands, Portugais, Espagnols, Canadiens, tombés comme des nues dans nos colonies, sans aveu, sans patronage aucun, étrangers à tout seniihunt do nationalité comme d'hommes; les uns pour y vivre dans la paressé favorisée par un climat sans hiver et sans frimats, où les premiers besoins de la vie étaient satisfaits presque sans frais; les autres pour y cacher leur existence à la justice : tous vivant dans la crapule, la débauchp et l'ivrognerie; acteurs et soutiens des


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plus vils tripotât exerçant tout au plus et passagèrement, comme industrie et je plus souvent comme prétoxtë^ le colportage dans les campagnes ou de bourg en bourg; dévorés d'envié à la vue des riches profu jetés ; portant dans lé coeur une haine frénétique contre la classé des hommesdo couleur laborieux et propriétaires ; appelant do tous leurs voeux les bouleversements, les conflagrations, pour obtenir du pillage et dé la dévastation l'argent qu'ils no savaient gagner par aucun moyen jipnnôté. Et qui pourrait l'imaginer 1 voilà les hommes que los colons blancs, dans leur fantastique système de compression de la racé noiro, plaçaient fort au-dessus des hommes de couleur ! Aveuglos Côlons qui s'imaginaient qu'en cas de soulèvement des mulâtres ou des hoirs, les bandits h peàù blanche resteraient fidèles à la mémo nuancé et seraient pour elle do sûrs auxiliaires! L'événement a prouvé dans toutes lés colonies cequo valait"un tel appui.

Lo système dé gouvernement de la mère-patrio et de l'exercico de l'autorité civile et militaire dans les colonies françaises était aussi cruel et aussi absurde que l'imagination puisse le concevoir. C'était un système monV strueu*, contre naturo, s'appuyant sur là base exécrable de l'esclavage ; l'oppression en.était lo fruit ; aucun ordre delà société ne pouvait, se diro véritablement libre : l'unique privilège dés uns, était d'insulter et do vexer leurs inférieurs. Les nègres, soumis à la Volonté arbitraire, au moindre caprice do leurs maîtres^ n'étaient guère plus à plaindre que les gens do couleur affranchis. Ces infortunés mulâtres, quoiqu'ils né fussent, dans urt sens absolu; là propriété do personne, avaient bien souvent sujet d'envier le Sort de ceux qui avaient un maître, Nonseulèment ils étaient pour l'éternité des générations,


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privés de Tombre mémo dé là liberté politique, et toute profession libérale leur était interdito, mais ils étaient considérés commo appartenant à Uno espèce inférieure, pou au-dessus do la brute» Ils étaient soumis aux vexations, aux corvées lés plus intolérables, Les lois dé la colonie autorisaient les insultes qui incessamment leur étaient offertes : un blanc pouvait les battro avec Une sorte d'impunité ; ils n'avaient pas mémo, comme les nègres esclaves, la ressource d'être protégés par uh maître pôrson-» nellémént intéressé à leur conservation : ils étaient donc sans cesse opprimes par tout jo monde. *

Le nègre, abruti et privé naturellemen t d'intelligence, ne ressentait guère l'injure que par; la douleur physique causée par lés coups de fouet dont son corps était déchiré, tandis que riioihiné de couleur, lo mulâtre, lé métis* plus éclairé en général, d'un esprit plus développé, recevait des injures une .atteinte bien plus profonde,

Les blancs eux-mêmes n'avaient guère à se vanter de leur liberté et dé leur ihdépcndàrico, ils gémissaient sous les coup? du despotisme gouvernemental de la métropole, L'autoritéila plus absolue reposait entré les mains d'un gouverneur-général et d'un intendant nommés par lo roi do France, et dont Içs pouvoirs étaient sans aucun contrôle dans les colonies do leur résidence. Hs décrétaient les lois ei les faisaient exécuter ; ils lovaient des taxés à volonté et avaient le commandement militaire. Les arrêts dé toutes les cours do justice de la colonie restaient soumisà l'appel devant eux, et ils n'ont été que trop souyent accusés et quelquefois coriYalncusd'ôfrè accessibles à la corruption vénale. Là victoire du prosécuteUr en justice, tout çpihmo celle du défendeur, dépendait beaucoup plug du poids de la bourse que dé la'justice de la causé. 11


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n'existait • donc en réalité aucune propriété inviolable, ïjué disjo? aucpno oxlstonco qui pût se croiro à l'abri de la rapacité ou du caprice de l'autorité supérieure. On a eu dé trop fréquents oxemples do cet arbitraire, Les sources mêmes do la justice étaient empoisonnées, et il ne pouvait s'en écouler quo des eaux corrompues et pestilentielles/ *

Sous un système aussi déraisonnable et aussi oppressif, les colonies étaient cependant restées dans lo calme léthargique, jusqu'à l'année 1789» Mais il est diltlcHo dp croire que coçalmo fût celuiducontentement; que dans bien des coeurs il ne couvât pas un levain, qu'il n'y eût pas dé secrets murmures contreJo despotisme jdes soupirs éxljalés pour Un autre ordro do choses. Cette feinté aCquiescence à un système d'oppression, n'empêchait pas qu'on ne pût prévoir qu'il no serait pas renversé sans une effroyable convulsion ; toute autorité usûrpéo né saurait être que temporaire, et la confusion qui aecompagno les révolutions est toujours proportionnée aux déviations du principo dé justice et de liberté. Cet échafaudage politique si monstrueux qui a pesé sur le sol colonial jusqu'en 1789, a dû être nécessairement miné depuis do longues années : maintenant il tremblait jusque dans ses fondements* et sa chute était imminênto, Les souffrances dé tputës les classes dé la société avaient semé lo mécontentement partout, et partout on était impatient do réforme/

Lés nègres, sans instruction et abrutis, continuaient leurs accablants travaux sans penser beaucoup à ce qu'il y avait d'injustice à Ies;leur imposer sans rémunération; mais mémo parmi" eux il comr-jonçait à se manifester ùii esprit d'insubordination. Des livres composés pour leurs


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faibles capacités et bien propres à enflammer leur imagination contre leurs maîtres, à les exciter à la révolte, avaient été adroitement répandus parmi eux, Des médailles furent frappées pour'suppléer à rignoranco des moins intelligents ; ces médailles parlaient à leurs yeux, et leur représentaient leur avilissement, leurs chaînes et leur misère, On les initiait ainsi à leurs droits si longtemps méconnus, à ceux do l'humanité si cruellement oûtragèo,

Los gons do couleur, parmi lesquels il y avait des hommos,riches et bien élevés, n'étaient plus étrangers aux matières politiques. Déjà ils s'étaient trouvés malheureux ; maintenant ils apprenaient quo co malheur était injuste,' Ils apprécièrent enfin l'étendue do leurs griefs, et jusqu'au dernier d'entre eux l'indignation fit do rapidos progrès ; ils no respirèrent plus que vengeance contre leurs oppresseurs. Les écrits des philosophes s'étaient fait jour dans les colonies : naturellement ils durent y produire l'effet qu'on" en pouvait attendre.

De leur côté, les blancs avançaient dans leurs idées de liberté ei d'indépendance, autant qu'on le faisait en Europe : ils apprenaient à détester le pouvoir arbitraire. Ils étaient indignés et humiliés de ce quo jusqu'alors ils avaient souffert sans se plaindre. Ils so considéraient comme faisant partie intégrante de l'cmpiro français, et ne so croyaient plus tenus d'obéir qu'aux lois à la formation desquelles ils auraient concouru, i

C'est ainsi qu'une révolution promplo était dans les désirs do toqs; tous la considéraient comme l'aurore d'une félicité si longtemps attendue. Mais malheureusement il existait dans les colonies deux causes permanentes qui ne pouvaient manquer de tourner en fléau le bienfait de la li-


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berlé, Chacuno des classes do la société no Voyait qu'ellemême, qu'elle seule. Les nôgros attendaient leur émancipation complète, sans conditions et sans délai. Les mulâtres ne rabattaient pas un iota de l'égalité absolue avec la classé des blancs; et ceux-ci, dans leurs visions insensées, n'apercevaient de révolution possible qu'en leur faveur et au bénéfice de leurs préjugés les plus enracinés. Étrango aveuglement ! Qu'est-ce qui pouvait faire espérer que quand tous les liens do la subordination so trouveraient rompus, lopins grand nombre laisserait manger l'huître au petit nombro, et se contenterait do l'écaillé?

Un esprit d'égoïsme étroit présidait à toutes les demandes; nulle philantrhopie, nulle bipnyejllanco pour autrui* nulle sympathie pour les souffrances du prochain, Les blancs appelaient à grands cris la liberté pour eux, et dans ce festin splendido, ils no voulaient pas laisser tomber une miette aux mulâtres. Le malheureux nègre, dé son côté, continuait à gémir sous le fouet et du blanc et du mulâtre, et ce dernier ho mettait aucuno borne à ses prétentions.

Celle tempête, renfermée dans un nuage qui était resté suspendu sur la tête dés colons, allait enfin éclater : quand la nuée se déchira, l'orgueil du pouvoir d'un côté, le sentiment do l'injustice do l'autre, grossirent un torrent dévastateur qui entraîna tout avec lui. Plus d'humanité, pas de pitié, tout disparut, richesses, travail, industrie et commerce 5 il no resta plus que misère, champs dévastés, habitations brûlées.

Malheureusement l'esprit qui animait à cette époque la mère-patrie, et les évônements; dont elle était ellcmêmp le théâtre, ne lui permettaient guère aucuno mesure efficace pour rétablir le calme et chasser la discorde


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dans ses colonies. Le sort do la population blanche do ces possessions lointaines était loin d'ailleurs d'inspirer beaucoup d'intérêt en Franco, Relativement aux colonies linp spulé idéo semblait dominer généralement dans la métropole, c'était l'abolition immédiate de l'esclavage et l'établissomont d'un ordre do choses qui placerait absolument toutes les populations sur lo pied de la plus parlaite égalité, Dans le hut d'amoner co résultat, il s'était jbrnié à Paris une société qui prit le titre Garnis dès noirs. Elle fat infatigaplo et persévérante dans Ses efforts, et elle trouva do nombreux échos dans toute l'Europe, principalement en Angleterre parmi lés personnages les plus honorables ot les plus puissants, Les mombres les i -plûç jnhùén|^'.4Q;lâ''^oci^té n*jDpai^iiôrèht;iii' les 'dîscôiirBV - ' ni les pamphlets pour instiller dans les esprits la nécessité do l'émancipation des noirs.

Les premiers symptômes révolutionnaires se manifestèrent à Saint-Domingue dès l'ànnéo 17S9, peu do temps après que lo rojdo Franco put pris la mémorable résolution de convoquer les Éfats>Géhéràux du royaunie. A la première nouvelle de cet événement, les habitants blancs, malgré l'injonction Contraire et formelle du gouverneur générai, se réuniront dans toutes les paroisses de l'Ile en assemblées délibérantes; ils prirent dés résolutions, proclamèrent leurs droits, et le résultat ultime de ces assemblées fa tH'élccl^ dix-huit députés dé là colonie, Jtoiit entière, qui fareqt dépêchés vers la Franco pour reprôseiUér Saint-Domingue dans lp grand congrès nàtior

naL :•■;■-■ >v/,::-:;;/ .-,'-. ■:,'■■.:"/; v ;- -■; '.;-■:;'/ :-" ■:■"'-.'■ Néanmoins, après je départ des députés, lès choses demeurèrent pendant quelque temps assez \calmcs.- Mais chaque jour lès planteurs s'àflligeaiènt de plus enplùset


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s'alarmaient des dispositions qu'on témoignait en Franco à leur égard, où il était pour eux pjen éyidont quo la cause des mulâtres inspirait généralement beaucoup plus d'intérêt que celle des blancs.

L'état trompeur do tranquillité dans la colonio no tarda pas & être troublé par l'avis qu'on y reçut do la célèbre déclaration des droits do l'homme, votéo par rassemblée nationale Constituante lp 20 août. Les principes et la doctrine impliqués dans cette déclaration sembleront aux colons blancs tout à fait incompatibles avec les condilions do la société telle qu'elle était, constituée dans les colonies. Et du effet, on trouve dans cette fameuso déclaration des droits, parmi d'autres axiomes do la mémo naturcvqUo• • tous les hommes naissent et vivent libres et égaux en droits >. H fallait conclure do celte reconnaissance, suivant les planteurs, que lés nègres aussi avaient droit à la liberté (ce qui était vrai), mais encoro qu'ils étaient appolés au partage des biens do leurs ci-devant maîtres (co qui était une conclusion évidemment forcée et pxagérée). -.' ';-'.■: . :.,-',;■

Ce no fut pas exclusivement à Saint-Domingue qUe la déciaration des droits fit naître la plus vive émotion; la fermentation fat généralo dans toutes les colonies françaises. On y voyait déjà la guerre civile allumée/

Quant aux mulâtres, la déclaration les plongeait dans l'enthousiasme, et excitait au. plus haut degré leur joie et leur ivresse. Ils avaient en perspèclivo et dans un avenir très-prochain la réalisation do leur plus chère espérance : leur rôvo dé complète égalité leur semblait désormais un fait accompli ; ils crurent que cette longue nuit si triste et si profonde se dissipait enfin aux premiers rayons d'un soleil radieux, brillant et pur; que le voilo


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Opaque des préjugés allait se déchirer et laisser exposée à leurs yeux enchantés la statue de la Liberté; que dorénavant un homme ne serait plus traité qu'en homme.

Mais du côté des blancs, lo ressentiment, la consternation, lès cris d'indignation, les trépignements de la fureur étaient véritablement effrayants. A SainUDomingup-les planteurs proclamèrent hautement que cctlo déclaration des droits no pouvait avoir été dictée que par le fanatisme politique ou par ta scélératesse la plus consommée; qu'elle ne pouvait avoir d'autre résultat quo do plonger les colonies dans l'anarchie et ta confusion.

Les planteurs blancs se convoquèrent immédiatement en assemblées provinciales dans chacune des trois provinces de la colonie, afin de délibérer sur les moyens les plus propres à se garantir des empiétements des mulâtres t mais les opinions ni les actes de ces trois assethblées provinciales n'ourirent d'accord ni d'ensemble : il n'y eut d'unanimité que sur un seul point, l'expression passionnée et exagérée de leur mécontentement de ce quo la France avait montré de la disposition à s'immiscer dans les alïaires intérieures de la colonie. A ce sujet les colons assemblés prirent un ton impérieux cl hautain; ils parlèrent de leur droit exclusif et incontestable en celte matière : il semblait qu'ils voulussent délier la puissance de la métropole.

Cependant les hommes do couleur.libres, exaspérés enfin par tous ces actes, et de la conduite des blancs qui manifestaient hautement leur immuable résolution de no jamais admellre la validité do leurs réclamations, devinrent turbulents et séditieux, et ils so préparèrent à soutenir leurs demandes par tes armes t ils se réunirent en bandes nombreuses sur différents points et publièrent


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des manifestesdans lesquels ils exposaient leurs prétentions, leurs vues et leurs déterminations. Mais privés d'un chef assez habile pour les diriger, manquant surtout de concert entre eux,>et n'ayant pas de plan d'opération arrêté, il no fut pas difficile aux blancs do déjouer leurs projets pour le moment* :

A cette époque, la cause des mulâtres semblait désespérée. Comprimés dans la coionie, en Franco ils paralssaient abandonnés par la législature. En apprenant les dispositions des planteurs blancs envers la métropole, et les sentiments do rage et d'indignation excités à Saint-Domingue et partagés par tontes les autres colonies, notamment par la Martinique, les villes de commerce et encoro plus les cités manufacturières en France, avaient pris sérieusement l'alarme; elles crurent quo les planteurs Voulaient renoncer à leur dépendance de la métropole et peut-être se jeter dans les bras d'une puissance étrangère* -. Ces villes, qui ne subsistaient que par le commerce des Colonies, voyaient déjà source do leur prospérité tario ou coulant dans un autre canal. Elles poussèrent les hauts cris, et rassemblée nationale Constituante se vil contrainte d'avoir égard à leurs clameurs; elle délibéra sur les moyens do calmer les esprits des colons. Après un débat long et animé, l'assemblée rendit un décret portant que la législature de France n'intervenait pas dans les règlements intérieurs do commerce des colonies, et quo la constitution particulière dé chacune d'elles pourrait être telle que la colonie elle-même la désirerait, pourvu que cette constitution n'eût rien d'incompatible avec la subordination nécessaire et la dépendance envers la métropole.

Chez les mulâtres, à leur tour, rien ne peut rendre ce


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que co décret occasionna de clameurs; et en effet c'était inévitablement une sanction donnée à leur assujettissement envers les blancs. Dans la société des amis des noirs, le mécontentement se manifesta presque aussi énergiquement. Cette société improuva lo décret de l'assemblée nationale comme un fruit do la tyrannie, comme une source d'oppression ; c'était consacrer tous les abus existants dans les colonies, et ouvrir la porto inévitablement à des abus plus grands encore. Co fatal décret manqua donc totalement le but de ceux qui l'avaient rendu comme moyen d'assurer la tranquillité; s'il satisfaisait un parti, il mécontentait l'autre et le rendait furieux.

Vers le commencement do 1790, il arriva à Saint-Domingue un ordre du roi pour la convocation d'une assemblée générale de la colonie. Mais déjà à celte époque l'autorité royale était tellement affaiblie en France et dans les colonies, que cet ordre n'inspira aucun respect. Les membres de l'assemblée lurent élus d'une manière toute différente de celle prescrite par l'ordonnance royatc. Le point do réunion prescrit ne fut môme pas observé, pas plus quo l'époque fixée pour la réunion.

Celte assemblée, sur laquelle devaient reposer les destinées de la colonie, se réunit enfin à Saint'Marc lo 10 avril. D'abord elle montra un grand esprit de modération; ses délibérations furent calmes et conduites avec prudence; ses actes furent empreints de la plus grande sagesse. On entrevoyait la perspective do la paix et du bonheur restitués à la colonie par des décrets justes cl équitables.

Dans l'administration de la justice, un grand nombre d'abus furent réformés; son sanctuaire devait désormais s'ouvrir pour tous tes hommes sans distinction


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do couleur. Los mulâtres étaient affranchis de toutes prohibitions, n'étaient plus assujettis aux exceptions injurieuses et vexatoires souslesquelles ils avaient jusqu'alors gémi; et quoiqu'ils ne fassent cependant pas encore placés avec les blancs sur. lo pied de l'égalité, cette amélioration dans leur sort leur était offerte comme un gage dé plus grandes faveurs pour l'avenir.

Ces mesures conciliatrices curent tout l'effet désiré sur les gens do couleur. Ils commencèrent dès lors à écarter tous leurs projets do violence et de résistance : ils conçurent qu'il fallait espérer do la loi lo redressement des torts;1,' " ;■'■ ;..

Mais il existait malheureusement dans la colonie Une espèce d'hommes aux intérêts desquels co bon accord semblait devoir être préjudiciable : c'étaient les individus qui avaient exercé des emplois sous l'ancien gouvernement, et aux désirs desquels rien ne pouvait ôtro plus contraire que les succès d'une assemblée qui rétablissait lo bon ordre dans la colonie sur la base permanente d'une sage liberté. Co succès était la perle de tous ces titulaires d'offices, do tous ces collecteurs do taxes/ do tous ces commissaires, do tons ces juges qui jusque là avalent vécu do violenco et do corruption, et s'étalent engraissés des dépouilles do l'innocenco : ils voyaient leurs richesses anéanties avec leur pouvoir, et pour toujours. À la tèto de cette foule de mécontents, se trouvait M. do Mauduyt, le colonel du régiment du Port-au-Prince, homme de grands talents et de manières très-insinuantes, dévoué à l'ancien ordre de choses. Cependant sa réputation était moins mauvaise que celle de beaucoup de ses adhérents; niais il avait le tort, aux yeux des honnêtes gens, d'agir do concert avec eux. Il fit à cette époque d'incroyables efforts


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pour.détacher des blancs les mulâtres; il se déclara ouvertement le protecteur de ces derniers, à qui il laissa 1 entrevoir qu'ils pourraient ôtro soutenus par la France; il leur persuada quo les planteurs blancs n'étaient pas sincères, et leur promit que si les mulâtres voulaient se joindre à lui, il ferait accueillir toutes leurs demandes par le gouverneur. Ces artifices réussirent au-delà des espérances de M. de Mauduyt : c'est ainsi qu'il sema la discorde entre les deux classes. Dès-lors les mulâtres se montrèrent exigeants et défiants, ctso dévouèrent aux intérêts de M. de Mauduyt.

Dans cette circonstance critique, la conduite des planteurs fut impolitique, et témoigna chez eux d'une faiblesse extrême. Au lieu de la modération et de l'unanimité qui pouvaient les faire triompher, ils so divisèrent et donnèrent à leurs ennemis de justes sujets de se plaindre do leur ambition et de leur extravagance.

Pour surcroît d'embarras et do confusion, l'assemblée provinciale du Nord suscita à l'assemblée généralo toute sorte d'entraves; 1<Ï 28 mai elle passa le fameux décret de la nouvelle constitution, qui porta lo dernier coup à la cause «les blancs. Plusieurs articles de co décret étaient tout à fait subversifs do la subordination coloniale, Ce décret no fat pas plus tôt promulgué, quo le gouverneur Peynier, le colonel Mauduyt et autres de la faction, affirmèrent hardiment que l'assemblée générale, à l'imitation des Américains, visait à se soustraire à toute autorité de la France et à l'établissement d'une complète indépendance. Mais l'improbabilité d'une telle imputation ne permit pas qu'elle obtint le moindre crédit. Alors ces messieurs imaginèrent do propager comme chose certaine, que la colonie avait été vendue aux Anglais, et que


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pour prix ùp cette trahison, l'assemblée générale avait reçu quarante millions. Quelque étrange que cela^ùisso sembler, il n'est pas moins certain quo cette accusation calomnieuse et d'ailleurs tout à fait i|^raisemblable, : trouva dans toute la colonie des gens disposés à y ajouter foi; ce qui jeta un grand odieux sur l'assemblée générale. Plusieurs paroisses rappelèrent leurs députés, et les habitants en général ne virent plus l'assemblée qu'avec crainto et avec méfiance*

Lo gouverneur Peynier, encouragé par le succès do colle odîouso manoeuvre, se détermina, d'après MU du colonel Mauduyt, à prendre des mesures violentes pour assurer sa suprématie. Par proclamation il prononça la dissolution dé l'àssenibléo générale, et à la tête d'une force armée, il arrêta plusieurs députés d'une réunion provinciale, qui avaient osé contrarier sa volonté. De tous côtés il rassembla des troupes dans l'Ile, établit des magasins militaires, et fil avec beaucoup.d'activité ses préparatifs de guerre.

Cependant, do leur côté, les membres do rassemblée générale ne restaient pas dans l'inaction Y ils sommèrent les habitants do venir à Saint-Marc défendre leurs députés; ils lovèrent des troupes et parvinrent à ranger de leur côté réquipagod'nn vaisseau de ligue français qui jusque là avait été sous le commandement d'un partisan de Peynier et de Mauduyt. Tout était anxiété et alarme; les hostilités semblaient prêtes à commencer ; on s'attendait à tout instant avoir frapper un coup important ; et tout menaçait d'une lutte obstinée et sanglante.

Mais le sang humain ne devait pas encore couler dans celte circonstance. Un événement inattendu, et dont aujourd'hui encore on ne peut so rendre compte, en prévint


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l'effusion» Les membres de l'assemblée générale, cédant jrune impulsion soudaine, décidèrent de se rendre tous en France pour y justifierléur conduite aux yeux de l'autorité sU^mp. En peu de jours* tous ces .députés, au nombre ,dc 83* abandonnèrent leur pays natal pour exécuter un plan hardi et patriotique. Cette conduite désintéressée frappa d'étonnement et d'admiration tous les partis dans la colonie. Tous parurent disposés à s'en rapporter à la décision du roi et do l'assemblée nationale; de ces dispositions il résulta un calme passager, bientôt troublé par d'autres événements et par les actes d'autres hommes professant des principes bien différents. Tant il est vrai que l'anarchie et lo despotisme ont été également funestes à la colonie- do Saint-Domingue! elle venait de souffrir par l'anarchie ; elle eut maintenant à gémir sous le despotisme., v-.Vv. ,>>-v

Le parti dominant en Franco dans l'assemblée nationale, s'appuyant sur Péthion, Brjssot et Robespierre, avait vu avec un déplaisir extrême la conduite paisible des gens do Couleur, et souffrait do l'accord qui semblait prêt à renaître entre eux et les blancs : une telle coalition aurait renversé tous leurs projets; its tirent donc les dôrV niers efforts pour l'empêcher ; et quand le mensonge et la calomnie ne purent plus rien, lo parti so détermina à des mesures plus audacieuses.

Parmi les mulâtres qui résidaient à celte époque à Paris, se trouvait Jacques Ogô, de Saint-Domtnguo; jeune homme do grands moyens, à l'imagination ardente, au tempérament bouillant. Les niveleurs jetèrent les yeux sur lui et trouvèrent effectivement en lut la personne la plus propre à l'accomplissement de leur projet : ils l'introduisirent aux séances do la société des amis des


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Noirs, où il apprit à connaître ses droits et à ressentir les injures souffertesparSes frères; là on lui peignitjjusles couleurs les plus vives l'injustice et la cruauté des blancs, et lés maux auxquols sa race demeurait exposée; là il se pénétra do l'absurdité et de la monstruosité du préjugé qui ne faisait juger d'un homme, quels que fussent d'ailleurs son mérite et sa capacité, que par la couleur do sa peau, Ogé fut enflammé par ces discours, au point d'en perdre presque la raison : on n'eut pas dp peine à lui persuader de se charger d'uno mission tendante à affranchir sa race do l'oppression, à là faire sortir de l'abjection.

Bien fourni d'argent et do lettrés de crédit, l'enthousiaste Ogé s'embarqua en juillet 1790 pour les États-Unis; il y acheta des armes et des munitions qu'il trouva les moyens d'introduire furtivement à Saint-Domingue. Mais à son arrivée, quel no fat pas son désappointement l Ses amis de Franco l'avaient assuré quo lo peuple de couleur accourrait pour se joindre à lui; et pendant plusieurs semaines, c'est à peino si tous ses efforts purent le mettre à même de passer en revue deux cents jeunes gens sans expérience ni capacité ; et sur ceux-ci encore 11 n'avait qu'une autorité très-limitée/Malgré toutes ses exhortations, cette bande turbulehlo et indisciplinée se livra aux plps atroces énormités/Tous ceux de leur caste qui rc* fusaient de se joindre immédiatement à eux étaient inhumainement égorgés. Un mulâtre, pour faire excuser son retard démarcher avec eux, montrait sa femmo et ses six petits enfants : on mit fin à ses hésitations en massacrant toute la famille jusqu'au dernier.

L'issue de cette tèmérairo expédition fat telle qu'on pouvait j'attendro s bientôt parut uno force supérieure,


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dirigée contre elle, et la petite armée d'Ogé fut complèteméiiy^truité. Quant à lui* suivi d'un petit nombre de ses àdprents, il réussit à gagner la partie espagnole de l'Ile; mais l'asile qu'il y trouva d'abord no fat que d'une bien courte durée'*, bientôt le gouverneur espagnol, sur la réclamation de M. Peynier, lé livra aux blancs, et il fut conduit au Cap-Français, jugé, condamné ; il périt sur la roue. Néanmoins, cette tentative màlheureuso eut des suites importantes et durables. Lo supplice affreux subi par Ogé fournit aux Amis des Noirs en Franco un motif do déclamations passionnées, et à Saint-Domingue il s'éleva une barrière désormais infranchissable entre les blancs et les mulâtres.

Si nous reportons nos regards, sur ce qui se passait alors en France, nous y trouvons que tout était contraire aux vues des planteurs blancs, devenus odieux à tous les partis : aux royalistes, à cause de leurs chimériques idées de résistance aux ordres du roi; aux hommes modérés, à cause dé IcUrs préjugés absurdes et dé leurs vengeances cruelles envers les hommes de couleur; aux démocrates et aux jacobins surtout, à cause do leurs idées sur la nécessité de l'esclavage perpétuel des nègres.

Dans celte révolte de toutes les opinions contre les colons blancs, les députés de la colonie, à leur débarquement en Franco y furent fort mal accueillis. A peine dans l'assemblée Natlonalo leur fut-il permis d'essayer une apologie des actes de rassemblée générale do la colonie, dont la conduite fut censurée avec la plus grande àpretô: tous ses actes furent infirmés, et les députés furent mis en état d'arrestation provisoire. L'assemblée Nationale demanda au roi des ordres pour là formation d'une nou-


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velle assemblée coloniale, et l'envoi à Saint-Domingue d'une force imposante pour le maintien de l'âutorftô do la métropole.

Le langage ne saurait suffire à peindre ce qui se passa à Saint-Domingue quand ph y connut ce qui se passait à Paris, et qu'y arriva le décret de l'assemblée Nationale : l'étonnement et la consternation des blancs farcnt à leur comblé. Jamais, disaient-ils* mémo au temps du pouvoir absolu et sous lo règno do Louis XIV, il n'avait rien été fait d'aussi tyranniquo. C'était le rétablissement, avec aggravation* do l'ancien régime monarchiqueI les blancs se voyaient désormais voués à une inévitable destruction, placés entre les mulâtres d'Une part et Mauduyt avec ses adhérents de l'autre. Considéré comme l'auteur de tant de calamités, la rago do la population presqu'entièroso tourna contre M. do Mauduyt; elle franchit toutes les bornes, et les soldats do son propre régiment ne tardèrent pas à partager l'exaltation dos sentiments de la multitude : ils avaient idolâtré leur colonel, et passant rapidement aux fureurs do la haine la plus barbare, ils le massacrèrent avec la dernière férocité.

Maintenant, enhardis par l'état de trouble dans lequel était plongée la malheureuse colonie de Saint-Dominguo, Drissot,Robcspîerro et tous les chefs de la faction des Jacobins se concertèrent pour proposer à l'assemblée Nationale les mesures les plus terribles contre les colons blancs. Mais à l'exécution des projets de la Société des Amis des Noirs il se présentait un obstacle en apparence insurmontable. On peut se rappeler que l'assemblée avait, par son décret du 8 mars 1790, renoncé à toute intervention dans les affaires intérieures des colonies t ce-


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pendant les meneurs no désespéraient pas encore; mais ils jugèrent bien qu'il fallait, auparavant d'agir ouverten#nt, préparer par tous les moyens l'esprit public. Toute l'argumentation raisonneuse do Brissot, tquto là sciehco métaphysiquede*Condorcet, toute l'éloquence passionnéo do l'abbé Grégoire, furent mises en oeuvre pour imprimer lesccau de la réprobation sur le front des colons propriétaires, d'esclaves, et inculquer dans tous les esprits l'équité autant que la nécessité et la saine politique de rendre aux mulâtres leurs droits civils : c'est à ce moment que parvint en Franco la nouvello du supplice infligé au malheureux Ogé : rimprossion terrible et douloureuso que causa presque généralement en Franco cet événement, servit merveilleusement les projetsdes Amis des Noirs, et ils rexploitèrerit avec beaucoup d'habileté. Afin d'ajouter encoro à l'effet* Rôbèspicrro s'arrangea avec une troupe do comédiens pour fairo représenter sur la scène le dernier acte do co drame lugubre.. L'cflVoyablo pantomime couvrit do tant d'odieux les colons blancs aux yeux de la multitude, qu'ils n'osaient plus se montrer dans les rues. Pouvant maintenant compter sur lo succès, lo 15 mai 1791 l'abbé Grégoire fit à l'asscmbléo la motion do déclarer que tous les hommes de couleur des colonies, nés do parents libres, étaient aptes à jouir do tous les droits do cjtoycns français, et que parmi ces droits so rangeait en première ligne celui d'éligibte dans les assemblées de paroisses et à l'assemblée coloniale. Grégoire soutint cette motion do toute la puissance do son éloquence/H trouva cependant une vigoureuse opposition. Parmi ses antagonistes, les uns soutenaient que si un tel décret passait, c'était la ruine des colonies. C'est à cette occasion quo fat émise eclto fameuse maxime, qui a été attribuée tan-


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tôt à l'un, tantôt à l'autre parmi les négrophites : « Périssent plutôt les colonies quo de sacrifier un iota do » nos principes ! » Les avocats des blancs furent vaincus dans cette mémorable séance; le décret passa à une grande majorité, cl aux acclamations du peuple.

L'effet qu'il produisit parmi les colons blancs à Saint-Dominguo peut se concevoir plus facilement qu'on no peut le décrire. Ils se répandirent en effroyables imprécations; ils déclarèrent unanimement qu'ils ne reconnaissaient plus dans l'assemblée Nationale que des ennemis implacables. .

A celte époque, dans toute la colonie do Saint-Domingue les préparatifs avaient été faits pour la commémoration de la fédération du U juillet. Mais il fut unanimement résolu quo la prestation du serment civique serait refusée. On foula aux pieds la cocarde nationale.

Au Cap-Français, la motion fat faite do s'emparer de tous les vaisseaux qui étaient sur la rade, et de confisquer les propriétés des négociants français. Dans l'assemblée provinciale, on proposa d'abattre les couleurs françaises et d'arborer le pavillon d'Angleterre. L'autorité du gouverneur fat totalement méconnue : il fut mémo obligé, pour sa sûreté, do promettre qu'il protesterait contre lo décret par ses remontrances, et qu'en attendant il en suspendrait l'exécution.

Cependant les colonsju gèrent que, pou rassurer la tranquillité, lo moyen le plus convenable était la prompte convocation d'une assemblée générale de la colonie : les paroisses procédèrent à l'éleelion do leurs députés, qui uvaient pour mandat spécial do protester contre te décret do l'assemblée Nationale, Les députés, au nombre du 176, se réunirent à Léogane, le 9 août 1791, où s'étunt


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constitués eh assemblée générale de là partie française de Sâint-Doiningue, ils s'ajournèrent ensuito au 25 du mémo mois; Le 25, ils prirent la résplutipri de transporter au Cap-Français le siégé dé Passent

Mais avant le jour fixé pour cette nouvelle réunion, les plainesfiést. plus fertiles et les plus peuplées de la Colonie étaient dpveimés le théâtre de la dévastatioh; de l'inêendie, du massacre des blancs, delà terreur etde |à;dés.p> latipfi'universelle/''^v .:y:-/V;-'''-'/.:-'■■':'/'.''':-'.L'v

Depuis longtemps les gens de couleur restaient dans un état d'irréconciliable inimitié envers les blancs. Quand; après ja défaite d'Ogé, ils avaient mis bas les armes, il s'en fallait bien que ce fût saris rartcune et dans des dispô* sitions pacifiques : ils n'avaient fait que céder à la nécessité, et leurs ressentiments n'avaient depuis perdu rien dé leur force. Le décret du 15 mai doyint le brandon; qui Cnfiammales éléments combustibles mis en réserve dans leurs coeurs. Les mulâtres, convaincus de l'iniihutabilité des dispositions dés blancs à; leur égard et dé leur détermination dé refuser à tout jamais la reconnaissance de leurs droits, durent profiler du trouble et de la confusion causés par le décret, pour forcer leurs antagonistes à leur donner satisfaction, et pour obtenir par l'épéo ce qu'on refusait à la justice et àla raison. Us s'élancèrent donc en armes do tous les points de la colonie, résolus à Vaincre ou mourir. La mort sur un champ de bataille, criaient-ils, est préférable à la mort sur un échàlaud ou à j'égorgement de sang-froid.

D'abord, cri effet* ils ne pouvaient guère espérer qu'une mort honorable ; pour le nombre, ils étaient de beaucoup inférieurs aux blancsi ils relaient encore plus pour la capacité et la discipline.


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Les blancs avaient vu la tempête s'approcher, mais so méprenant sur son degré do violence, ils en avaient méprisé l'effet; ils doutaient peu de la facilité avec laquelle l'insurrection des mulâtres serait étouffée.

Dans ce moment critique et fatal pour les hommes do couleur, ils ne virent plus d'autro chance do salut que d'appeler à leur aide l'insurrection des noirs esclaves.

D'abord co projet no semblait pas d'uno exécution trèsfacile. Les gens do couleur n'a valent, jnasJTajntecJ^^jos nègres ; ils étaient générâîë^nS connus comme des maîtres jjeaucQuu plus sévères quoTes Dlancs* Cette durôtô était môme devenue proverbiale ; le maître mécontent de spn esclave no trouvait rien dé mieux pour l'effrayer que dé lui dire :'-j Je te vendrai à un■'mulâtre. V D'ailleurs, les nègres trouvaient plus durs les mauvais traitements infligés par des gens dont ils so croyaient plus rapprochés que dos blancs par l'origine moitié africaine des gens dé couleur. La rancune et j'animositè entre nègre et mulâtre, était en un mot do vieille date. Cependant il y avait aussi dans la situation présente bien des motifs pour espérer, et qui pouvaient çontre-balancer puissamment les affections des nègres. Depuis longtemps ceux-ci nourrissaient l'espoir de s'affranchir, et le concours des mulâtres leur offrait une chance de réussite qui no s'était encore jamais présentée; car toujours les gens de couleur avaient puissamment secondé les blancs pour river les chaînes des nègres.

L'appui do la société des Amis des Noirs, la présence de ses apôtres à Saint-bomingue, la lecture des pamphlets répandus par les nêgrophiles, avalent mûri les nègres pour l'émancipation. Malheureusement en leur apprenant qu'ils étaient des hommes appelés à jouir des droits de


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l'humanité, on no leur en ayait pas inculqué les principes : ou n'avait fait (pie démuseler la bête féroco,

Quoi qu'il en soit, les nègres prirent leur parti avec une unanimité, un enscmblo qu'on n'aurait pu attendre mémo d'êtres moins abrutis. Tout à coup ils abandonnent les plantations, ils offrent leur coopération aux mulâtres, et se répandant comme un torrent débordé, la torche d'une main, lo glaivo de l'autro, bientôt la fertile plainp des environs du Cap n'offre plus qu'un monceau do cendres arrosé du sang des blancs. Les neuf-dixièmes do tous les esclaves u^lj^royin^eduiiord de Saint-Domingue prirent instantanément part à cetto terrible insurrection.

Les deux castes, nègres et mulâtres, avaient fait entre, elles un pacte horrible; elles s'étaient mutuellement promis alliance et fidélité pour la destruction des blancs. Un plan fut concerté entre elles, pour une insurrection générale dans toute Filo, et ou avait arrêté qu'ello éclaterait lo 23 août.

Peu après l'heure do minuit, la révolte commença dans la paroisso de PAcul, et en quelques heures ello fat générale dans toute la province. Le modo de procéder était systématique autant quo sanglant. Sur chaquo plantation les nègres commencèrent par regorgement des blancs qui étaient endormis et sans défiance ; ensuito chaquo atelier allait so joindre aux confédérés. On a calculé quo le nombre des insurgés ne pouvait guère être, dans la provinco du nord, au-dessous do cent mille. Tous lés blancs qu'ils purent atteindre furent égorgés sans distinction. Aucune miséricorde ni pour le sexe, ni pour la vieillesse, ni pour l'enfance Les édifices ot les plantations furent également incendiés; ou peu d'heures, le pays entier n'offrit plus qu'une vaste conflagration.


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Au Cap-Français tout était confusion, horreur et cousternation; d'énormes colonnes d'une fuméo rougo entouraientla villo et s'élevaient jusqu'au ciel. A chaquo instant quelque blanc fugitif l'oeil égaré, muet do terreur, couvert do sang, venait tomber sur le pavé.

On s'attendait dans la villo du Cap à uno attaquo furieuso, et elle aurait pu facilement réussir aux nègres, car on était presque sans troupes, et la position n'était pas défendue Lo massacre do toute la population blanche semblait inôyitablo et prochain.

Heureusement les noirs, enivrés du succès do leur entreprise, se vautrant dans losang des victimes et s'abreuvant do Yins et de liqueurs dans les caves des planteurs, ne poursuivirent pas leur marche : ils laissèrent aux habitants du Cap |o temps de revenir dp leur stupéfaction et do pourvoir à quelques moyens do défense Les habitants envoyèrent leurs femmes et leurs entants à bord des vaisseaux, et à la hâte ils élevèrent quelques fortifications à l'entour do la villo, Les blancs so disciplinèrent et bientôt il leur fut possible do tenter des sorties contre les insurgés.

Pour l'objet quo nous avons en vue dans cette notice sur les affaires coloniales, il n'entre pas dans notre cadre étroit de raconter avec détails tout co qui s'est passé à Saint-Domingue depuis la première insurrection dés nègres. Cette affreuse guerre a offert uno suite de sanglants épisodes qu'il nous faut passer sous silence.

Malgré tous les efforts des blancs, les nègres purent pendant longtemps leur disputer lo terrain/ Un -jour ils étaient mis en complôto dérouté, et le lendemain ils reparaissaient dans leur état de sauvage nudité, mais plus


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nombreux ot plus enragés que jamais. La rébellion s'étendit aux autres provinces, et lo Port-au-Princo se vit en danger d'être réduit en cendres,

On a calculé quo pendant cette première insurrection, et on moins do deux mois, 180 plantations à sucre, 900 caféteries, cotonnories et indigoteries furent incendiées', et détruites." Douzo cents familles blanches tombèrent de l'opulcnco dans un tel état do misère et de dénûment, qu'elles no pouvaient plus subsister qu'aux dépens do la charité publique.

Los chefs mulâtres, parmi lesquels il so trouvait un grand nombre de propriétaires accoutumés aux jouissances de la fortune, s'aperçurent enfin quo des droits politiques acquis au prix do l'incendie et do la dévastation; qu'une guerre qui les forçait de passer leur vio au sein d'une horde de cannibales, n'étaient d'aucun avantage, et que l'exercice môme do ces droits no pouvait avoir lieu dans un tel état do désorganisation sociale : ils so lassèrent de prendre part à ces scènes d'horreur et do sauvagerie. D'ailleurs, ils voyaient peu à pou s'évanouir leur autorité sur les nègres; ils perdaient chaque jour do leur triste influenco. Ils craignirent mémo que bientôt les nègres no les enveloppassent avec les blancs dans une commune proscription, n'ayant plus besoin d'eux pour rompre leurs chaînes.

Les mulâtres en vinrent à désirer uno réconciliation avec les blancs, et ils leur envoyèrent des émissaires pour en stipuler les conditions : ils protestèrent quo jamais ils n'avaient eu on vue lé massacre des blànCs et la destruction de la propriété, au maintien de laquelle un grand nombre d'entre eux étaient personnellement intè-


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ressés : mais ils persistaient dans là réclamation des droits quo leur assurait |e décret do l'assemblée Nationale du 15 mai.

Ces ouvertures furent accueillies avec joio par les blancs, Ces Hors despotes sentaient maintenant quo leurs violences et leur injustice leur avaient été bien funestes, L'assemblée colonialo, par un décret eh date du 20 septembre, déclara qu'elle no s'opposerait pas plus longtomps à la pleine et entière exécution du décret do rassemblée Nationalo du 15 mai, et qu'elle était prête à admettre les gens do couleur à uno libre participation à tous les privilèges des blancs, La proclamation do cette sage résolution amena la dislocation générale des bandes d'insurgés, Mais il s'on faut bien quo tous les nègres soient rentrés sur les habitations do leurs maîtres, Un très-grand nombre d'entre eux furent chercher un refuge dans les bois, dans les montagnes et autres lieux difficilement accessibles.

C'est ainsi que pendant un certain temps furent étouffées les flammes dp la guerro civile. Mais la défiance et la haino couvaient encore dans bien des coeurs; elles étaient prêtes à se faire jour à la moindre issue, et la cendre recelait l'étincelle qui devait plus tard rallumer l'incendie. Peu de jours après l'arrivée à Saint-Dominguodu décret do rassemblée Nationale du 15 mai, le gouverneur général do la colonie avait dépêché en Franco un aviso pour faire connaître au gouvernement le terrible et menaçant effet qu'avait produit ce décret sur les blancs, II apprenait au mii\istire la résistance des colons et la fureur do leur indignation; il prédisait que ce décret du 15 mai serait l'arrêt de mort de milliers d'individus et la cause inévitable de la perte de la colonie pour la Franco, Les meneurs du parti jacobin à Paris, si fiers do ce qu'ils avaient obte-


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nu, tombèrent bientôt dans la disgrâce, furent accablés do reproches et presque traités avec outrage. Do tous côtés, et principalement des villes maritimes el do commerce, il pleuvait sur lo bureau do l'assemblée Nationale des pétitions pour obtenir lo rapport do tous les décrets qui avaient pu être préjudiciables aux intérêts des planteurs. On suppliait l'assembléo de no négliger aucuno mesure propre à calmer l'irritation des blancs propriétaires d'esclaves dans les colonies.

A la fin (lo 24 septembre) il y eut dans l'assemblée Nationale uno motion faite pour l'annulation du fatal décret du 15 mai. L'assemblée Constituante, sur le point dé so dissoudre, désirait tout laisser après elle dans un état de tranquillité, et le rapport du fatal décret fut voté à une grando majorité.

filais l'avis do cette nouvelle résolution ne fut pas plutôt donné à Saint-Domingue, quo la guerre y reparut avec son cortégo accoutumé d'horreurs et do dévastations. Même avant le rapport du décret du 15 mai, les gens do couleur avaient commencé à entretenir des doutes sur la sincérité des blancs. Maintenant convaincus quo c'étaient eux qui avaient provoqué les pétitions et qu'ils étaient virtuellement la cause du rapport, ils reprochèrent aux blancs ce qu'ils qualifiaient, avec quelque raison peut-être, do monstrueuse duplicité, do manque de foi honteux, do trahison odieuse. Exaspérés jusqu'à la rago, de toutes parts les mulâtres coururent aux armes, et jurèrent de ne les déposer qu'après l'entière extermination des blancs.

Et vraiment co fut bien uno guerre d'extermination I tout mouvement de compassion, tout sentiment d'humanité fut banni do tous les coeurs; mulâtre ou blanc, blanc ou mulâtre, fat également sourd au cri de la pitié; la


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frénésie la plus barbare guidait les coups; jamais plus diabolique émulation do cruautés n'avait encore dégradé l'espèce humaine.

Les partis so livrèrent bataille dans un lieu appelé lo Cul-de*sac; inais co combat no fut pas décisif, quoiquel'arméo des blancs parût avoir quelque avantage. Rs tuèrent deux mille hommes et firent quelques prisonniers: on oxcrçà sur ces malheureux tous les raffinements do cruauté qu'uno imagination en délire peut inventer. Plusieurs des prisonniers périrent par le supplice do la roue; d'autres furent jetés tout vifs dans des brasiers ardents. Il est superflu de dire quo les mêmes fureurs, la mémo férocité animaient les mulâtres.

Effrayéodo l'état dans lequel se trouvailSaint-Dominguo, dès l'automne précédent, rassemblée Nationale française avait désigné trois commissaires spéciaux et extraordinaires qui devaient prendre lo gouvernement de cette colonie : ils avaient été investis do pouvoirs illimités, et ils arrivèrent à Saint-Domingue vers les fêtes de Noël. Ils n'inspirèrent dans la colonie quo peu do respect; c'est à peine si l'on accorda quelque attention à leur arrivée; et Co qu'il y avait do pis, c'est qu'ils arrivaient sans ètro soutenus par aucunes troupes. Bientôt ils tombèrent au' dernier degré do l'avilissement et. du mépris, Ils firent publier le décret qui ordonnait lo rapport de celui du 15 mai 1791, ce qui les rendit odieux aux mulâtres.

Ils essayèrent ensuite do ranimer leurs forces en proclamant uno amnistio généralo, offerte à tous ceux qui mettraient bas les armes dans un délai donné ; et c'est ainsi que d'un autre côté ils s'aliénèrent le parti des blancs, qui considéraient cette amnistie comme la justification des crimes horribles qU'ils reprochaient aux mulâ-


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très, et comme offrant un dangereux oxemplo au petit nombre d'esclaves restés fidèles à leurs maîtres.

Après avoir fait plusieurs tournées dans les différentes paroisses de la colonio, sans rien obtenir/ sans rien pouvoir faire d'utile, et se voyant égalemont haïs et méprisés, ils revinrent séparément en Franco dans lés mois do mars et d'avril 1792,

Pendant quolques mois l'état des affaires n'offrit aucun changement important. Les blancs continuaient d'être les maîtres au Cap-Français, au Port-au-Princo et dans la plupart des forts et autres places dé la colonio. Les mulâtres et le* nègres étaient en possession do tout lo pays découvert daps tes provinces du Nord et de l'Ouest, et ils avaient fortifié plusieurs de leurs camps, particuliôment dans un lieu appelé la Croix des Bouquets, Au surplus, toute culture, tout commerce, toiito industrie avaient entièrement disparu.

Mais, pendant cette première période; dés troubles de Saint-Domingue, des événements bien importants avaient changé radicalement l'ordre des choses en Franco. Les républicains y triomphaient; lo souverain avait été détrôné, La Société des Amis des Noirs, dans cette conjoncture, né pouvait manquer do revenir, à son thtmo favori, l'émancipation des nègres dans les colonies françaises, et spécialement à Saint-Domingue, Elle se mit à l'oeuvre sans perte de temps.

Les décrets qui rétablissaient les gens do couleur libres dans l'excrcico de leurs droits, n'étaient que la préfacp de l'émancipation générale : do nouveaux l$)mmissaires furent institués, pour y aller travailler à SaintDomingue ; ils furent revêtus des pouvoirs absolus do l'assemblée. H leur était très-spécialement recommandé

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do faire tout co qui pourrait tendre à l'émancipation des esclaves. On leur disait qu'il no fallait reculer dovant aucun sacrifico pour atteindre à co but. L'insurrection môme et Panarchio étaient préférables au maintien do l'esclavage, portaient leurs instructions.

Les commissaires envoyés à Saint-Dominguo étaient $onthonax* Polvérel et Ailhaud, tous trois professant le républicanisme lo plus ardent, Pour assurer le respect dû à leur caractère do plénipotentiaires, on leur donnait 8,000 hommes do troupes. On pensait qu'une telle force imposerait à tous les partis, et intimiderait surtout les côlons blancs, qui se mettraient à la merci des commissaires.

Ceux-ci arrivèrent avec leur suite au Cap-Français, le 13 septembre, Lo premier acte de leur autorité fui la dissolution do l'assemblée générale do la colonio, qui siégeait alors dans cette ville, et le renvoi en France, du gouvernour Blanchejando, où, peu do temps après, il fat guillotiné,

L'arrivée des commissaires avait terrassé le parti des colons blancs. On ne les voyait dans co parti que comme des démons suscités par Tango des ténèbres, pour aggraver la misère des planteurs blancs. Chacun, au surplus, soupirait après la convocation d'une nouvéllo assembléo générale coloniale, et cette convocation fut vivement sollicitée ; mais les commissaires restèrent sourds à co voeu si formellement exprimé.

ils dirigèrent d'abord leur attention sur rétablissement do leur propre autorité, et ils instituèrent une gardo spéciale pour leur sûreté personnelle. D'abord, les troupes avaient montré quelques dispositions à la résistance, mais par des largesses les commissaires s'en rendirent maîtres.


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Jouissant maintenant d'un pouvoir sans contrôle dans la colonio, et solidement assis sur lo siège de leur gouvernement , les planteurs assurent qu'ils so lancèrent dans une carrière do tyranuip, qui jamais n'avait encore eu d'exemplo ; qu'ils firent les règlements les plus arbitraires; qu'ils imposèrent des taxes oppressives; qu'ils levèrent avec la dernière rigueur d'exorbitantes contributions ; qu'ils firent jeter clans les cachots quiconque tenta do modérer la fougue do leurs passions désordonnées; que les prisons se trouvèrent encombrées, indépendamment des nombreuses victimes do leurs fureurs qu'ils firent arrêter et qu'ils envoyèrent en France en les recommandant comme do dangereux conspirateurs à juger et à punir. Au nombre do ces déportés so trouvait M, Desparbès, le commandant militaire qui avait succédé en cette qualité à M. do Blanchelande.

Malheureusement, dans co conflit de tant d'intérêts froissés, do tant do passions déchaînées, il est bien difficile do prononcer sur la vérité do tant do graves accusations.

Cependant le pays continuait d'être infesté par des bandes errantes de nègres, insurgés, qui, sortis des retraites où ils s'étaient tenus dans les montagnes, se répandaient dans la plaine pour se livrer au pillage journalier et souvent au meurtre.

Tel était l'état des choses à Saint-Domingue vers la fin del792.

La position des hommes de couleur était désormais assuréo, et dès l'arrivée des commissaires Po)tâJ$l/.et vSonthonax,les mulâtres s'étaient joints aux troupes qu'ils avaient amenées à Saint-Domingue, abandonnant les noirs révoltés. Les chefs mulâtres furent confirmés dans leurs


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grades et d'autres appelés à des emplois importants. Mais cependant les commissaires avaient proclamé, en débarquant, là légalité do l'esclavage, et si les blancs avaient été inspirés do quelque prudence, joints aux mulâtres, ils auraient peut-ôtro pu encore longtemps maintenir leur domination sur les nègres ; mais ces fiers colons no purent s'accoutumor à l'égalité qu'on leur imposait avec -lés hommes 4o couleur. Déjà ils avaient tonte un mouvement contre-révolutionnaire à la nouvelle du 10 août ; la fermeté des commissaires l'avait promptement comprimé; mais lo 25 janvier 1793, un chevalier do Saint-LoUis, nommé Corel, qui s'était fait nommer commandant do la gardo nàtlonalo au Port-au-Princo, souleva do nouveau cette villo turbulente,

Après des négociations infructueuses, les commissaires se virent forcés d'attaquer le Port-au-Prince par mer et par terre, La ville ne se rendit qu'après avoir reçu 5,000 ■■'boulets/.''

Dans le sud, les blancs do la paroisse de la Grande-Anse imitèrent la révolte du Port-au-Prince/Les officiers mulâtres Rigaud et Pinchinat furent envoyés contré ces nouveaux rébelles. $>î

Quant à; l'insurrection! des nègres, elle fut aussi viment combattue. Lo général Layaux marcha contre leurs chefs Jean-François et Biassou, et détruisit leurs camps retranchés.

Cependant la Franco venait de déclarer la guerre à rAngJetérro. Telle était la situation des affaires au mois de mai 1793, quand le général Galbaud, nouveau gouverneur envoyé par la France, débarqua au Cap-Françàis, animé de sentiments hostiles contré les commissaires,


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en sa (pialité do colon et propriétaire à Saint-Domingue. , Sur ces entrefaites, un officier do marine so prend de [querelle dans la villo avec un mulâtre. Lo marin retourne j à son bord, et soiTf^cTtlenflamme la colère do tout l'équipago. Les commissaires, à qui on demande do sévir contre le mulâtre, répondent qu'ils no peuvent juger sans entendre la défense do l'accusé. «Quoi! s'écrie le prétendu »» offensé, vous voulez qu'un officier do mariné se mette » en présencod'un mulâtre ! avant votre arrivée il eût été * pendul—? Co sont ces injustices, répondit Polvèrel, qui «nous ont conduits à Saint-Domingue, et nous ferons » tous nos efforts pour qu'elles ho se renouvellent plus /désormais. »

Les officiers du vaisseau sont exaspérés do cette réponse; ils oxcitent les marins à la révolte ; les déportés du Port-auTprinco y prennent part ; on prépare déjà les cordes qui doivent pendro les commissaires; ils ne peu 4 vent presquo plus compter sur la fidélité des troupos , travaillées par l'influence coloniale ; ils, j)e„ sont pIu^JfiQytenusefllcac^mônt.quoparies dragons d'Orléans unis au mulâtres. Sors commenco uno affreuse mêlée, que la nuTTsTule vint inter|§jnpro. Au point du jour, le lendemain, lo combat recommenco; mais les commissaires sont vainqueurs. Les marins fuient et se rembarquent} mais en abandonnant Je champ de bataille, ils se livrent au meurtre et au pillage.

Cependant ^p^iPiLiiu combat, les, baude^-iasurgées dejiêgres avaient mis à profit ce terrible éyénçmonjt ;

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leurs frères qui y élaient détends. Les nègres se livrèrent


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à des excès impossibles à décrire, jjte mirent le feu J la geôle, puis aux autres maisons, llicnlôt la villoTtoui entière cstèriluWimeT,"""^^"^"^^"^^^^ V

Galbaud, retiré sur les navires avec les équipages battus et les malheureux blancs qui avaient follement provoqué ces scènes de désolation, Ht voilo pour les États-Unis, avec deux vaisseaux de ligne et trois cents bâtiments chargés de blossés et de réfugiés.

La victoire ne laissait donc aux commissaires que des ruines. Ils manquaient également et de munitions do guerre et do vivres, Mais, étrango épisodo de cette lutte chaotique 1 ces mêmes nègres, qui avaient brûlé la villo, viennent offrir les secours do leurs bras pour en déblayer les décombres et so font les pourvoyeurs de ce qui y restait de leurs victimes ; ils leur apportent des vivres, qu'ils so procurent dans la plaine.

La position do Sonthonax au Cap était des plus difficiles ; Polvérel était retiré aux Cayes, où tout était calme, tandis que son collègue, qui n'avait auprès de lui quo mille soldats avec sept à huit cents mulâtres, so trouvait ..cerné do toutes parts par trente mille noirs insurgés. Dans celte extrémité, d'après les pouvoirs éventuels qu'il tenait de la Convention* il prit \0au\ parti que pouvait conseiller la prudence; lo 29 août il prononça l'affranchissement général des noirs,

Les blancs.députèrent vers le gouverneur de la Jamaïquo un riche planteur, le sieur Vincent do Charmiffy, pour offrir leur soumission à l'Angleterre.

Une escadre anglaise, partie do la Jamaïque, ne tarda pas à paraître, et avait débarqué des troupes à Jérémio, le 22 septembre, sous le commandement du colonel Wbitcloko, Le môle Saint-Nicolas* Saint-Marc, l'Arcahaye,


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Léogano, lo Grand-Goavo et plusieurs autres quartiers du sud accueillirent aussi los Anglais comme des libérateurs. Nous croyons devoir donner ici in extenso, la proclamation de monsieur Whiteloke : c'esti'archétypo de toutes celles quo les agents anglais ont répandues dans toutes nos colonies, à diverses époques; il n'y a que la dato et quelques mots à changer, selon les localités, et on aura les proclamations du major Cuyler aux habitants français do Ta», bago; celles do l'amiral Gardner à la Martinique; plus tard, colles do sir Charles Groy, dans la môme colonie, du major-général Dundas à la Guadeloupe, do sir Ralph Abercrombie à Sainte-Lucie. Npus n'imputons pas à crimo ces actes des chefs britanniques; sans doute ils obéissaient aux ordres do leur gouvernement, et si ces belles promesses n'avaient été bientôt indignement violées par eux, s'ils n'avaient pas fait peser sur les Français, détournés do leur devoir do fidélité à la mère-patrie, la plus odieuso tyrannie, nous n'aurions pas à les accuser. Mais n'anticipons pas, C'est quand nous raconterons véridiquement co qui s'est passé aux lies du Vent, qu'on pourra juger la conduite des chcls anglais. \

Voici la traduction li|téralo do la proclamation Wlriteïoké, telle que nous là* trouvons dans les State Pdpers do lamômo année,

Proclamation du lieutenant-colonel Whiteloke, à son arrivée :-■ àJèrcmic, :

Vu qu'il a plu à son Excellence Adam Williamson, lieutenant-gouverneur et commandant en chef à la Jamaïque, elc, etc., de me choisir, moi John Whiteloke, IieUtenànt^colohcl du j5« régiment d'infanterie au service de


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE, 53

sa s Majesté* pour commander les forcos envoyées pour prendro possession d'uno partie do la colonio de SaintDomingue; et vu jes ordres que j'ai reçus de son Excellence pour la publication de la proclamation suivarito;

AUX HABITANTS DE SAINTrBOMINGUEI

Le roi do la Grande-ljÉrctagno a, depuis longtemps* déploré rhorriblodétresso à laquelle vous avez été en proio; sa protection, itérativement sollicitéo par un grand nombre d'entre vous, no l'aurait pas été si longtemps en vain, si les rois pouvaient dans toutosies circonstances se livrer à l'impulsion do leur sensibilité. Enfin le teriips est venu où sa Majesté peut s'abandonner aux émotions dé son çoeUr, et vous recevoir au nombre ûc ses sujets; en vous y adoptant comme faisant partie do sa grande famille. y

Sa Majesté Britannique ayant, avec sa bonté accoutumée, accueilli les prières d'urio grande partie do vos coni* patriotes, qui lui ont présenté une pétition lo 25cjour du mois dé février dernier, a donné des ordres au major-général Adam Willianison, son iieuteharit-gouvernèur à la Jamaïque, pour qu'il ait à détacher immédiatoriiént lès forcés nécessaires sur Saint-Domingue, à l'effet do prendre possession do là colonio, ou d'une partie d'icello, jusqu'à ce qu'une paix générale entre les puissances alliées et le gouvernement français établisse une souveraineté décidée dans la colonie, >

Cette expédition m'a été confiée, Ce n'est pas à titre de conquérant* mais comme un père, qu'il a plu à sa Majesté de prendre possession de ce territoire. Dans cette vue, sa Majesté iri'a confié je commandement d'un corps dp troupes suffisant pour assurer le respect dû au pavillon britannique; et en même temps pour 'punir ceux qui


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pourraient persister à troubler votre tranquillité. C'est par la persuasion plutôt que par la forco, que je désire conquérir. Un escadron plus formidablo, un corps plus nombreux de soldats, aurait réduit toute la colonio; mais je serais resté dans lo douto sur la sincérité do ceux qui se seraient rendus. Sa Majesté ho veut avoir pour sujets quo ceux qui sont dignes de sa protection et des faveurs et des avantages quo le gouvernement britannique leur assuro. Voilà pourquoi j'épuiserai tons les moyens do conviction, avant d'employer les forces quo j'ai sous mon commandement, ou d'en demander d'autres qui son* prêtes à ssembarguer, pour réduiro ceux tiut résistoront et punir les auteurs et agents do la révolte.

Peuple de Saint-Domingue ! l'objet de toutes les institutions politiques étant les intérêts généraux de la société, et lo bien-ôtro do ses membres, la stricto observation des lois pèpt seule atteindre co but.

Il est nécessaire que vous soyez convaincu do cette incontestable vérité, dont l'oubli a été la cause do toutes vos infortunes; c'est quo lorsque nous désirons obtenir d'autrui la plus abjecte soumission, il ne nous faudrait pasjourncllemcnt donner des exemples d'insubordination par notre propre conduite. L'union vous est nécessaire ; elle doublera votrejorce.

Une bien longue expérience doit vous avoir uppris que la chaîne la plus efficace pour contenir vos esclaves, c'est l'exemple (tue doivent donner les blancs de l'obéissance à leurs supérieurs. Rappelez-vous l'état florissant do Saint-Domingue sous cet ordre do choses régulier, et comparez à cela les horreurs dont cette Ho est depuis devenue lo théâtre par la négligence des lois qui vous gouvernaient jadis.


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Les colonies n'ont pas été fondées dans les Indes occidentales dans la vuo d'en faire le théâtre dos vertus républicaines et d'y faire parado des* connaissances humaines. La prospérité réelle d'une colonie repose sûr la quantité do ses produits; et l'objet do la mère-patrie no doit être quo d'accroître ses exportations avec le moins de frais possible. Une colonie qui dépend de la métropole pour tes avantages do son commerce, pour sa protection et pour sa défense, ne peut par conséquent point avoir de politique extérieure, et jamais elle no devrait affecter rien do ce qui constitue la souveraineté.

Lo voto des impôts et la surveillance de leur emploi, voilà la seule part dans la souveraineté que prilsso exercer une colonie; elle doit passer des lois utiles à la communauté, et ne pas disputer celles de la mère-patrie qui la protège.

Pénétrée do cette vérité si simplo, sa Majesté veut vous conserver tou9 vos droits. Je vous déclare, en conséquence, au nom de sa royalo Majesté, qu'aussitôt que la paix sera rétablie, vous aurez une assemblée coloniale, à l'effet do régler, d'établir et do vous mettre à môme d'exercer ces droits,—En attendant, toutes les anciennes lois françaises seront en vigueur, en tant cependant qu'elles no seront pus jugées incompatibles avec les mesures propres au rétablissement de là paix.

Chaque individu jouira do ses droits civils et les lois qui garantissent la propriété seront maintenues dans toute leur force.

Sa Majesté désire assurer aux créanciers le paiement de leurs créances. Mais profondément touchée des causes qui ont contribué à plonger la colonie dans ta détresse, et de la dévastation do vos propriétés; voulant favoriser vos


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56 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

efforts pour le rétablissement do vos fort unes ébranlées, elle m'a autorisé à vous déclarer, qu'à la sollicitation oxpresso des habitants et des planteurs, il lui à plu d'accorder une suspension do toutes les poursuites ppùr recouvrement dp créances, avec égale interruption des intérêts do toute detto, à compter du premier jour d'août 1791 et jusqu'au complément do la douzièmo année à daiôVd.udiijbu

Les taxes locales pour les. frais de la protection qui vous est accordée* et pour l'administration gouvernementale, seront, jusqu'à nouvel ordre, sur lé mémo pied qu'en 1789. L'Angleterro fera les avances nécessaires pour subvenir au déficit; lesquelles avances seront plus tard remboursées parla colonio.

Les taxes municipales pour frais do culte * do la garde Intérieure des paroisses, cl. pour la punition des nègres, resteront aussi sur lo mémo pied qu'en Ï78£, sauf les dé* charges à donner aux individus dont les habitations ont été incendiées.

Les .habitante, jouiront du privilège d'exporter leurs sucres terrés, qui seront cependant assujettis à tels droite; qu'on jugera nécessaire do fixer.

La religion catholique romaine sera malntcnuo, sans préjudice d'aucune autre forme do culte, dont Toxcrcico est également permis.

Vos ports seront ouverts aux vaisseaux dos États-Unis.

Si quelqu'un des habitants apprend qu'une partie quelconque do sa propriété a été enlevée et portée dans des pays étrangers, il peut s'adresser à mol librement, et au nom de sa Majesté Britannique je la réclamerai comme proprtètédo tun de ses sujets.

Vous voyoz, peuple infortuné, que vos intérêts sont


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chers à sa Majesté Britannique. En accédant aux prières do vos compatriotes* elle ne désire pas vous assujettir tout de suite à des lois auxquelles vous êtes étranger. Elle vous conserve vos anciennes coutumes, quand celles-ci ne sont pas contraires àj'ordrp civil et à l'intérêt général. Elle veut seulement qu'il soit pris toute espèce dé mesures pour forcer les esclaves à une duo soumission et à l'obéissance V et ■ pour opposer une barrière insurmontable à l'esprit d'Innovation et aux mesures que vos ennemis conspirent pour votre ruine.

Telles sont, envers vous, les bénignes intentions du roi do la Grandc-Drclàgne. Comparez avec elles les actes atroces des trois individus qui sont vos oppresseurs, avec les actes des hommes qui ont usurpé une autorité qui ne pourrait leur avoir été confiée quo dans lo dessein de votre destruction. Réduisez-les tout d'un coup à cette nullité d'où ils sont sortis, et qui les attend; sans illustration de naissance, nouveaux Éroslrates, on ne les connaît que par leurs crimes, et ceux qui les ont délégués, étonnés do votro patience et tremblants devant les forces combinées qui se pressent do tous cotés, les abandonnent à votre vengeance.

Hommes dé couleur! avez-vous pu vous laisser duper par les déclamations do ces traîtres, qui sont venus vous vanter la liberté et l'égalité? No vous ont-ils pas abusé en vous les faisant partoger avec vos propres esclaves? Abjurez promptement vos erreurs i accourez et obtenez do vos pères et do Vos bienfaiteurs l'oubli do ces maux dont vous avez été cause, et qui, sans cela, vous conduiraient à voire ruine.

Pouvez-vous imaginer que des esclaves, subitement appelés à l'affranchissement, à la liberté et à l'égalité,


58 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

souffrent patiemment celte supériorité que vous voulez oxercer sur/eux, et à laquelle vous n'avez d'autre titre que celui qui est fondé sur la générosité de Ceux qui vous ont vous-mêmes affranchis? Non l bientôt accablés par le nombre, vos crimes recevraient leur juste punition, des mains mêmes dans lesquelles vous avez placé dès armés, ■..'■,:■■ \

Consentez à jouir des privilèges que notre constitution accorde aux gens do votre espèco dans les colonies, ou recevez lo châtiment dû à vos offenses.

Déposez ces amies qu'on vous a mises aux mains pour votre propre destruction, reprenez là conduite de vos plantations; ou bien, venez, ralliez-vous à notre étendard* pour racheter lo pardon de vos fautes * eu aidant nos troupes à réduire les esclaves rebelles à l'obéissance. Alors, sous notre gouvernement, vous trouverez une protection assurée; — c'est -alors que vous jouirez des douceurs, do l'aisance et du calme qui no résultent jamais que d'urie bonne conduite.

Enfin, obéissez à la voix do la nature et do la raison ; profitez du moment do l'Indulgence et de la lônlté ; co moment passera rapidement, et si le jour do la vengeance arrivo, le repentir ne pourra plus vous garantir du chàthnent.

Nègres employés à la culture des terres 1 Vous qui êtes restés fidèles à vos maîtres, qui avez méprisé les avances des traîtres et de leurs agents; vous qui avez bien vu que les hommes de couleur n'ont pas accordé à leurs esclaves cette liberté qu'on voulait vous faire espérer, comptez sur notre faveur et notre protection. Mais quant à ces nègres qui continueront la vie do fugitifs quinze jours après la promulgation de ta présente proclamation, ils


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sont indignes du pardon que je désiro pouvoir accorder au nom de mon souverain ; ils seront punis comme des rebelles. ;.•;'/' .;■'-.-.\v

Planteurs do toutes les classes! je dois vous montrer, sous des couleurs convenables, ce que vous avez à espérer et coque vous avez à.craindre.

Insulaires, vous avez besoin de la protection d'une puissance maritime. Y en a-t-il de plus formidable que l'Angleterro? Ses vaisseaux couvrent les mers, et lui apportent annuellement do tous les coins du inonde, des richesses qui sont l'âme mente de son commerce national. Ses flottes vous garantiront des attaques des puissances étrangères. Vos propriétés cesseront d'être la proie des corsaires.

Les immenses ressources qu'offre le commerco do la Grande-Bretagne, rendront la vie à vos plantations.—Ces ressources vous arrivent en ce moment pour réparer les ravagés faits par le meurtre, la rapine et l'incendie; car la confiance renaît avec l'empire des lois. — Plaçoz-vous donc sous leur empire Cessez d'arroser vos champs ovec du sang. Livrez-moi les traîtres, et ceux qui vous ont ravi vos propriétés, Désignez-moi, vous-mêmes, les victimes quêta justice réclame, désignezdes mol ; en les abandonnant, et en vous joignant immédiatement aux troupes sous mes ordres, faites que jo n'aie rien à regretter dans cette punition exemplairô que je pourrai ôtro forcé d'infliger.

SignèilOHH WMîKLOKIîv

Jèiémlts le 23 sp^temUe 1793.

Traduit littéralement sur l'acte officiel public à Londres ■en 179t.


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Les commissaires français, environnés de trahisons* prirent des mesures rigoureuses. Sonthonax fit élever la guillotihesur la place du Port-au-Prince. Un blanc y fut seul exécuté. Co spectacle inusité avait causé uno telle horreur, même au sein do toutes les horreurs, quo la machine fatale fat enlevée pour ne plus reparaître. Mais tous les'blancs furent désarmés et les noirs mis en réquisition..

Une nouvelle escadre anglaise v aux ordres du Commodore John Ford, se présenta lo 2 février 1791 dervant le Port-au-Princo; Irois officiers envoyés à Sonthonax en parlementaires, demandèrent à lui parler en particulier. « Des Anglais, reprit celui-ci, ne peuvent rien » avoir de secret à me dire; qu'ils parlent en public, ou » qu'ils so retirent/-- Jo viens, dit un des officiers, vous » sommer do la part du roi d'Angleterre do lui rendre » cette ville et les bâtiments qui sont dans le port, — » Monsieur, dit Sonthonax, si nous étions jamais forcés • d'abandonner cette place, Vous n auriez do ces bâti» ments que la famée ; car les cendres en appartienVdraientàlamer/»

Des cris de Vive la république l accompagnèrent cette réponse.

Le lendemain Ford fit une nouvello sommation, en menaçant, en cas de refus, de bombarder la ville.

n Commencez, lui écrit Sonthonax; nos boulets sont » rouges, et nos canonnlers à leurs postes, »

Les Anglais n'osèrent rien tenter, et se retirèrent confas.

Mais de nouveaux troubles vinrent ensanglanter la ville. Et voyez les misères do l'orgueil l les mulâtres avaient pour les nègres libres autant de haine et de mépris


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que les blancs pour les mulâtres. Le général Montbrun, mulâtre, que Polvércl avait rovôtu d'uno grande autorité, mécontent des recrues de noirs que faisait Sonthonax, son collègue, avait attaqué avec la légion dite Égalité, un bataillon du 48r régiment, presqU'Cntièremcrit composé do nouveaux affranchis. Leurs frères descendirent dé la montagne et mirent tout à feu et à sang. •

Peu de temps après, une nouvelle escadre anglaise, composée de quatre vaisseaux de ligne et d'un nombre considérable de; bâtiments de toutes grandeurs, vint prendre position dans la rade du Port-au-Prince. Les forces do terro anglaises, commandées par le général Whito* débarquèrent sur la côtodu Lamentin; elles se composaient surtout do Français émigrés de la colonie, et do légions d'autres émigrés, venus d'Angleterre et qui n'avaient pu joindre l'armée do Condè.

Pendant la nuit, la trahison leur livra le fort Bizolton, poste très-important, et le désordre [se mit parmi les soldats do la légion française de Montbrun. Les commissaires Polvércl et Sohthonàx, voyant l'inutilité do toute résistance, se retirèrent à Jacmel.

Peu do jours après leur retraite, ils reçurent lo décret d'accusation rendu contre eux par la Convention /sur les plaintes des colons habitant Paris. Ils so constituèrent prisonniers à bord du bâtiment qui avait upporlé lo décret d'accusation. Ils laissèrent la souveraineté de la France représentée par les généraux do couleur, Beauvais à Jacmel, Rigaud aux Caves, et Villâlte au Cap Français. Le général Luvaux, blanc, était investi du titre do gouverneur delà colonio par intérim,

Lavaux, jugeant que la position du Cap * chef-lieu du gouvernement, était mauvaise, se retira à Port de-Paix,


62 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

dont il fortifia la place, et où il résista à tous les efforts des Anglais, qui étaient maîtres du môle Saint-Nicolas, et des Espagnols qui lo pressaient à l'est,

Cependant ja prise du Port-au-Prince, par les Anglais, avait été suivie des plus horribles cruautés. La légion d'émigrés de >Iontal6mbert se signala particulièrement par une féroeîti jusqu'alors sans exemple parmi les peuplçs policés. . ;

Les Anglais, en envahissant Saint-Domingue* étaient convenus avec les Espagnole do se contenter dos proylni ces du SUd et do l'Ouest; tout le Nord éta|t livré à l'Espagne. Le succès do leurs projets semblait assuré. Secondés par les blancs, par leurs troupes européennes, par les légions d'émigrés, parles Espagnols, qui ravageaient le nord* ils devaient accabler Lavaux t mais celui-ci so maintint avec vigueur, et les généraux mulâtres Rigaud, Pétlon et Beauvais, reprenant l'offensive, réoccupèrent Léoganc, se rendirent maîtres du Cap Tiburon, et bloquèrent les Anglais, dans la Grande-Anse.

Les Anglais, fidèles à leur constanto pratique, tentèrent de séduire Rigaud, qu'ils redoutaient lo plus, en lui offrant une somme de trois millions :, lo mulâtre so montra incorruptible. Monsieur Whitctoko fat encore moins heureux auprès du général Lavaux, qui lui répondit par un cartel terminé par ces mots: «Votre qualité d'ennemi no vous » donnait pas, au nom de votre nation, le droit de me » faire uno insulte personnelle; comme particulier, jo » vous démande satisfaction d'une injure que vous tri'a*vez faite Connue mdividu.» Monsieur Whiteloke jugea prudent de foire la sourde oreille. *

Quand Lavaux accueillait ainsi les offres anglaises, il manquait littéralement de tout, et il voyait le moment où


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toute résistance serait vaine désormais, lorsqu'un vieux nègre vint changer là face des affaires : c'était le Célèbre toUssaint-Louverture/ r

Un grand liomme, oui certainement un grand hommo I était resté pendant quarante-cinq ans caché soUsl'écorCe d'un csèlavè. Jusqu'alors Toussaint n'avait eu qukUh rôle très-secondaire ; on né le connaissait gUôro quo cpmtrio un homme qui avait autant qu'il lui avait été possible, opposé une digue aux excès des noirs contre leurs anciens .maîtres. Lui-même avait été ïô sauveur et ensuito le très-généreux bienfaiteur du sien. Il avait appris un pou à lire, un pou d'arithmétique, un poil do géométrib môme, à-t-on dit; il avait vécu chastement, sobrement; marié à la mère do ses enfants, il chérissait tendrement toute sa famille.

Pendant la première insurrection, Il avait servi avec le tilré de médecin d'armée, parce qu'il connaissait lé nom et'l'emploi vulgaire do quelques plantes médicinales. Mais l'amour de la liberté brûlait, son âme ) l'espoir do voir sa ràco affranchie occupait toutes ses pensées. Ses frères les noirs rie lui trouvaient pas assez d'exaltation* ni surtout assez do férocité envers les blancs, et cependant sa vue les fascinait, leur Inspirait du respect et imposait quelquefois un frein à leurs fareurs. ~ Lavaux sut apprécier l'ancien esclave et lut offrit le grade de chef do brigade. Toussaint accepta; mais avant d'en revêtir les insignes, il alla se jeter aux pieds des autels, entendit la messe avec ferveur, reçut les Sacrements et dêiuànda Immédio tement après à marcher contre les Espagnols. Les bandes do noirs ne le surent'pas plus tôt fait général sous les ordres do Lavaux* qu'elles accoururent les unes après les autres se ranger sons sa bannière/


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Du moment de l'exaltation de Toussaint, les affaires désespérées de Lavaux commencèrent à changer dé face: c'est alors quo Toussaint prit lo nom do l'Ouverture, « pour annoncer, disait-il, à la colonio, et surtout aux » noirs, qu'il allait ouvrir la porto d'un meilleur avenir à » sa race. »

. La paix de Bàle, en écartant les Espagnols do la lutte, porta un assez rudo coup aux Anglais à Saint-Domingue. Cependant ils faisaient encore, et avec des dépenses immenses, des efforts désespérés pour so maintenir dans cette colonie, dont ils avaient rêvé avec tant do cupidité la possession. Une nouvelle escadro, partie de Cork en Irlande, arriva au Cap Saint-Nicolas au mois de décembre Elle débarqua trois mille hommes frais, qui assiégèrent Léogane, déjà bloquée du côté do la mer par l'amiral Parker : la résistance opiniâtre des Français, nègres et mulâtres, força l'ennemi à la retraite.

Mais toujours dès dissensions Intestines dans ce malheureux Saint-Domtnguô.l Les succès do Toussaint et le crédit dont il jouissait auprès du général Lavaux, excitaient la jalousie dés chefs hommes do couleur. < Lavaux était rentré au Cap Français.. Le général Villattc, oxcité par nigaud, fit soulever les mulâtres, qui arrêtèrent lo général Lavaux et lo jetèrent dans un cachot. Toussaint apprend cette révolte; il accourt avec ses noirs : il n'ignore pas les motifs do la haine de Rigaud; à la tète do 10,000 hommes, il délivre Lavaux, et force Villatto et ses partisans à so réfugier au Camp do la Martilière. Lavaux reconnaissant, nomme Toussaint son lieutenant général au gouvernement do Saint-Domingue.

Do ce moment, l'ordre régna dans la colonie. Les nègres étaient glorieux d'v voir un des leurs occuper le second


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rang : ils obéissaient à Louvcrluro avec une soumission aveugle et un dévouement sans bornes/Partout à sa voix les cultivateurs rentrèrent sur les habitations do leurs anciens maîtres. Toussaint décida qu'ils devaient travailler commo par lo passé ; mais qu'étant aujourd'hui et pour jamais affranchis, ils n'avaient plus à redouter l'ignoble cjtàtiment du fpuet ; qu'ils seraient fusillés comme dos hommes libres s'ils refusaient le travail ou rémuriérés do leurs labeurs, Là confiance renaissait, les blancs n'étalent plus suspects aux noirs.

Sur ces entrefaites, Sonthonax déchargé des accusations portées contro lui, débarqua à Saint-Dominguo, accompaghô do quatre nouveaux collègues, au nombre desquels se trouvait Raymond* mulâtre do- Saint-Domiriguo. .\ ■.':■:'/.■;

Émerveillés do l'état dans lequel ils trouvaient la colonio, les commissaires, au nom de la Convention nationale, nommèrent Louvcrturo général do division et mirent Villatto hors la loi.

Rigaud, avec ses mulâtres, furieux de la tournure que prenaient les choses, manifesta une opposition décidée aux ordres do Toussaint, et Sonthonax so trouva ainsi placé entre doux ambitions rivales; qui no lut laissaient plus qu'une ombre d'autorité. Cependant Rigaud no pouvait être définitivement vainqueur dans cette lutte; il y apportait du courage militaire, mais l'orgueil do la personnalité) tandis quo Louvorturo était Inspiré do plus hautes, do plus nobles pensées. Le triomphe de sa race était son seul but» et ce point do miro exclusif je reridait également capable d'héroïques efforts sur les champs do bataille* et do braver les coups du hasard et de l'udvorsltô.

Cependant, les mulâtres et les nègres, malgré leurs


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divisions intestines* se mettaient toujours d'accord pour repousser les Anglais. Tandis que Rigaud les pressait dans JoSud* Toussaint leur\enlevait tousles postes de l'ouest. Chaque jour la vérité ses sentiments lui attirait les bandée de noirs qUé les Anglais, dans la folle inlatuatiori inspirée par les émigrés français à leur solde, leur avait -fa|t,6Vganider» :.- '^.v ^ï/^Qy-i^y'^-rl^

Les CQnunissaircs dp la Cpriventiort, comprenant bioh la situation des choses et jugeant sainement dès sentlhvents do là race riohp, résolurent, pour concourir auix; éftbrts do Toussaint* dé lui conforcr le titre de général en/chéf'des armées de Sàiht-Donilngué. C'était un ripùyeàu sujeide mèconteuteih^

c'étaitassurérdôlinilivenient lp ''tripmpiiçt;ilè la Friiti:cû 'sîir.: ses ènnemis^politiques, ;

Néanmoins Sorttlipnax jugea prudemment que désormais sou rôle à Saint-Domingue ne serait plus que très* secondaire > pour en sortir avec hphrtéur, il so lit nommer député près là Convention et ojiïlta là colonio.

j'pussàlnt conservait i>oUr lo général Lavaux mi tendre et reconnaissant attachement; il avait coutume do dire, dans sort patois créole S « AprÇs bpnDtèti, àest Lavaux* » Mais pour parvenir à la règénéraltori complété qui occu* paït toutes ses penàécs^ il voyait bien o^o toute influencé collatérale nuirait à la sienne, et que désormais c'était aux nègres exclusivement qu'il fallait confier lo soin de leur liberté. Il se rendit auprès du général blanc, avec un grand apparat de déférence et d*affection, le 20 août 1797* et accompagné de son nombreux état-major, il remontra à Lavaux quo lo plus slgnulé service qu'il put rendre à la Franco, dans la conjoncture présente* était d'aller le plus tôt, possible plaider auprès dii Directoire là cause do l'hu-


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manilé et déféndrp les intérêts de la colonio, de concert avec le député Sohthoriax.

Toussaint les chargea pour 10 Directoire d'uno adroite apologie de tous ses actes * et pour preuve do sa sincérité et de sa soumission aux lois do la métropole, il confia à Lavaux deux do ses < enfants qui devaient achever eh Franco leur éducation.

Quoi qu'il en soit do la confiance que cet acte pût inspirer en Franco, lo Directoire fit bientôt partir pour Saint-Domingue le général llédouvillo, revêtu du titré de commissaire spécial. '

Les succès diplomatiques de Toussaint ne firent qu'ajouter à l'ardeur avec laquelle il combattait l'envahissement do la Colonie par les Anglais. Il commença par s'emparer des plaines et des mornes qui avoisinaient les places dont ils restaient en possession.

Des combats continuels qui faisaient perdre à l'ennemi beaucoup do monde* les ravages de l'épidémie, la terreur qu'inspirait Toussaint* resté seul maître à Saint-Domiugup, portèrent lo découragement parmi les généraux anglais : ils eurent do nouveau recours à là ruso et aux moyens do séduction, Le général en chef des forces britanniques lit offrir au chof africain des richesses immenses, des honneurs, un sort brillant, On a trouvé dans les dépôts de documents à Saint-Domingue, lo cahier des propositions secrètes faites à Toussaint; on lut offrait la royauté d'Haïti, l'alliance de la Grande-Bretagne, à la seule condition do signer sans délai un traité do commerce exclusif avec l'Angleterre» par loque) cette puissance aurait le droit d'exporter les produits coloniaux et de les payer avec ceux de ses manufactures. L'Angleterre s'obligeait, en retour, à maintenir constamment une forte


68 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

division do frégates sur les côtés dé Sàint-Dôminguc, pour la protection do Toussaint. M. Maitland connaissait bien peu l'âme du véritable patriote qu'il tentait de séduire, et le terrain sûr lequel il s'aventurait/

Cependant les Anglais attaqués dans lé Port-au-Prince durent capituler. Lé général Maitland remit à Toussaint do riches présents au nom du roi d'Angleterre.

L'entrée de.Toussaint ait Port-au-Prince rappelle les solennités des anciens triomphateurs à Rome. Quel enivrement pour la race noire I

Les dames blanches les plus élégantes briguèrent l'honneur d'aller offrir à leur général des couronnes ; ces fiers créoles qui naguôres avaient juré do s'ènsovclir sous les décombres plutôt que do consentir à l'égalité politique, mémo avec les mulâtres, So portèrent au-deVant du vieux chef nègre avec la croix, ta bannière, les encensoirs, et le supplièrent do se placer sous un dais porté par les quatre planteurs les plus considérables do là colonie.

Toussaint répondit qu'il ho connaissait d'autre siégo do triompho quo la selle do son cheval. Son costume était d'une simplicité sévère et républicaine.

Au môle Saint-Nicolas, les troupes anglaises lui rendirent lesplus grands honneurs.

Peu do jours après les Anglais signèrent une convention pour l'évacuation complète de toutes les places qu'ils occupaient encore à Saint-Domingue, et Monsieur Maitland se rembarqua avec les débris de son armée.

Le 10 octobre 1798 Toussaint Louverture Ht chanter un te beùM dans l'église du Port-au-Prince* il proclama les succès de là république française en Europe. Après que l'hymne fut terminée, il monta en chaire et prononça une amnistie complète en laveur de tous ceux qui avalent


# RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE. 69

appelé les Anglais ou combattu avec eux. Le commissaire llédouville voulutvprotester contre cette amnistie;,Toussaint no i'écpujaipas. v ' , v

Cependant Hédouvillo, la rage au coeur, On so rembarquant pour la.France, avait laissé à Saint-Domingue, une semence do guerre civile. Il avait écrit à Rigaud, le rival et l'ennemi de Toussaint : « Je vous dégage doJ'obéis;*v-'«> envers le général en chef do l'armée do Saint-Domii..; • Vous Commanderez en chef touto la partie du Sud. > ':■■; ■■;,.■;'-".';--"v'•-./; •-.-■'; ■"'-' ■.■;.-'\.'-:'//■

>. Les entêtés mulâtres, qui avaient vu peut-être avec encore plus d'horreur quo les blancs l'affranchissement des noirs elles triomphes do Toussaint, n'étaient guère disposés à l'obéissance envers lui, Rigaud surtout aspirait à un pouvoir indépendant, 11 résulta do ces mauvaises passlons, une guerre civile qui donna l'affreux spectacle do tout ce que la colère, l'orgueil offensé, l'ardeur de la vengeance peuvent inspirer do plus atroco, do plus barbare. Toussaint fat vainqueur, et désormais auranchi do touto entrave, do toute concurrence au pouvoir, il rétablit partout la paix et lo travail.

Saint-Domingue reprit une partie do son aiuiquo splendeur. Les blancs étaient éh parfaite sécurité, et mémo protégés avec uno prédilection marquée do la part du chef. .--..

Sur ces entrefaites, do nouveaux agents envoyés par la Franco débarquèrent au Cap; ils Informèrent Toussaint des changements survenus dans la métropole, et de l'établissement des consuls après le premier brumaire an VIII. DU reste, ils accablèrent Toussaint d'éloges et lui remirent le décret qui le confirmait dans ses fonctions do général eh chef à Saint-Domingue.


70 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX. #

.Toussaint accueillit avec le calme d'une froide indiffô? rencc.ces avances du premier Consul : il savait bien qu'on no lui accordait que co qu'on n'était plus maître dé lui reprendre : il témoigna même quelque surprise dp ce que lé général Bonaparte, personnellement, né lui eût pas écrit, ...M."-;...:: ,., ■.:.....■-...-',...--• •■■; >.... '

Lés nouveaux délégués do la Franco étaient les généraux Michel et Vincent, et l'ancien député mulAtro Raymond. Homme qui était toujours resté à Saint-Dominguo, à l'état do complèto nullité, était nommé gouverneur civil. Le général Michel ne tarda pas à retourner en Franco, blessé de l'accueil quo lui avait fait l'Africain. Lo générai Vincent alla signifier à Rigaud l'ordre de se soumettre. .■'.-.'■.- ■.■.'.-■': V--,.-

Cependant les nouveaux délégués étaient arrivés porteurs d'une proclamation adressée par les consuls dp la république aux habitants do Saint-Domingue, et cette proclamation, préludant à toutes les déceptions qui ont suivi, avait quelque chose do très-louche; elle déclarait quo les colonies seraient régies par des lois spéciales. Toussaint y vit une porto ouverte à des atteintes ultérieures à la liberté des noirs, et la proclamation ne fut pas publiée.

Là province du Sud, dévastée par toutes ces sanglantes collisions, fat remise en culture. Les cotons réfugiés soit aux États-Unis, soit à cuba ou dans les autres Antilles, furent Invités par Toussaint à venir se remettre en possession do leurs habitations. La liberté des noirs se trouvait si bien affermie, que les affranchis purent rappeler leurs anciens maîtres* et leur rendre les biens qu'ils avaient abandonnés. Les blancs, qui savaient aussi quelque gré aux noirs d'avoir exterminé la majeure partie des mulâtres* et qui recevaient, d'ailleurs, dès hiarquos toutes


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pavliculièros do déférenco do la part de Toussaint,- acceptèrent les bienfaits du vieil esclave / /

Cependant Toussaint, en Ifomme habile et prévoyantv np so dissimulait pas tout.ee qu'il y avait encore dé précaire danssa position, et surtout dans celle qui Serait faite à sa raCo quand il viendrait à lui manquer; il sentait le besoin pressant de lotit consolider par une constitu» tion sage et libérale. Mais il fallait auparavant quo la soumission do touto l'Ile à sa domination fat complôtoVét que son trésor fût rempli!

Malgré les stipulations du traité de Bàlo, toute la partie orientale restait encore au pouvoir des Espagnols, Toussaint se mit en mesuré do foire exécuter le traité do 1795. Pressé par lui, le gouverneur civil Rommo envoya le général Agé à Saint-Domingue pour exiger la remise de la partie cl-dovant espagnole.

Lo général Agé fat assez mal reçu du commandant espagnol, Toussaint, enflammé do ragé à cette nouvelle, écrivit à don Joachim Garcia, le gouverneur espagnol, pour lui demander raison do l'insulte faite aux couleurs do la France, et fit appuyer sa réclamation par rentrée sur le territoire espagnol d'une arméo de 10,000 hommes de ses troupes d'élite, Don Joachim ne tenta aucune résistance, et le 16 janvier 1801, le drapeau national flottait sur toutes les forteresses do l'Ile entière do Saint-Domingue.

Rien no pouvait plus ajouter à la gloire do ToussaintLouverture : il avait chassé les Anglais, soumis les Espagnols, dompté l'orgueil injuste et insensé des mulâtres; il so crut désormais assez fort pour proclamer une constitution.

Pour lut donner plus d'autorité aux yeux des peuples civilisés, eu législateur habile, et pour lui Imprimer le


72 ÉTABLISSEMENTS. COLONIAUX, "f

sceau du consentement général, il la soumit d'abord à l'examen et. à l'approbation do toutes les classes ; il en référa spécialement à l'opinion.des coloris blancs, ses anciens antagonistes : il les convoqua en comité spécial, discuta froidement avec eux; il leur laissa toute liberté d'objections, en accordant à co comité lo titre Rassemblée centrale à Saint-Domingue, rendant ainsi hommage à là propriété et aux iutnières'.« >, /

Etjly aençorp,des gens qui contestent à Toussaint le titro do grand hommo 1 .

La constitution fat proclamée lo 2 juin 1801; ello attribuait à la Franco lo droit do suzeraineté, niais réservait à Louvorjuro les fonctions do gouverneur et président à vie, avec le droit do désigner son successeur * et dé nommer à tous les emplois.

Lo général Vincent fat chargé d'aller présenter cette constitution aux consuls dp là République française.

À cette époque, la vie du vieil esclavp do l'habitation nreda, était collé d'un puissant monarque constitutionnel; et non-Seulement il figurait dignement dans son palais, mais avec aisance, joignant à uno hauto intelligence, dés manières affables et bienveillantes/ /

Il avait divisé ses audiences en grand et petit cercle, Au grand cercle, lorsqu'il so présentait, toutes les personnes réunies dans la salto se levaient sans distinction do sexe. Entoure d'un brillant état-major, personnellement II se faisait remarquer par l'extrême simplicité de sou coslumo ; pour la ténue et tes manières, il exhortait continuellement ses hoirs à se modeler sur les blancs.

Les petite cercles étaient des audiences publiques, qui avalent lieu tous les soirs ; il y portait le coslumo bourgeois des anciens propriétaires sur leurs plantations.


- RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE/ ' 73

Après'avoir foiW^^^

chacun; avec un regard bienveillant * il introduisait dans uno pièce voisine lés personnes avec lesquelles, il voulait passer la sbiréo» L'entretien prenait alors quelquefois un caractère très-serièux, et roulait sur jés matières administrative^, la réligionvragriculturp, le çpmmcr^^ lé moment était venu oùil désirait qu'on se retirât* lise loVàit et après aypiriait une profbndô révérenco, llàccompagnait jusqu'à la porto et assignait les rendez-vous aux personnes qui demandaient à l'entretenir en particulier. Puis 11 restait enfermé avec, ses secrétaires et travaillait ordinairement jusqu'assez avant dans la nuit, no consacrant jamais plus do deux heures au sommeil ; car il était parvenu à dompter les besoins do son corps comme à dissimuler les émotions do son âme. Sa sobriété était excessive, et il faisait avec orgueil paradé d'ùné excessive réseryo dans ses moeurs, renvoyant avec humeur et sévérité les femmes qui so présentaient au palais trop décoltéesiç'est au surplus auprès des blanches qu'il se montrait lo plus empressé et lo plus respectueux: il les qualifiait! toujours de madame, réservant lopom do citoyenne pour les noires et femmes de couleur.

Les noirs le considéraient comme un êtro supérieur 04 extraordinaires ses soldats le révéraient comme leur bon génie, et les cultivateurs se prosternaient dovant lui comme la divinité do leur race; ses officiers et ses généraux tremblaient au moindre de ses regards improbatcurs. .:.;'•'

Quels qu'aient pu être ses sentiments intimes à l'égard des blancs, il sentait tout le besoin qu'il en avait pour former l'éducation de son peuple nouveau. Jamais à l'égard delà race blanche, il n'a manifesté un seul mouvement


74 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

dé colère; ou do rancune, excepté contre ceux qui ép Franco s'étalent faits les apôtres do Tesclavago. Le seul nom do ceux-ci lui occasionnait des crispations norveusos, et il avàl^mômo défendu qu'on le prononçât jamais^éïï sàprésehcé. .■'..'■'-.-'.' ■''.*.'■; ;^-V

Toussaint attendait cependant avec anxiété quelèpremier Consul approuvât sa conduite, et certainement si la sagesse avait présidé aux détérntinpttons de Boitapûrto, il aurait trouve dans lo héros de Saint-Dominguo un ildèlo auxiliaire,

La; paix d'Amiens Venait d'être signée, et le premier Consul rie perdit pas un Instant pour mettre h exécution son projet d'asservissement do Salnt-Dominguo.lîriô armée màgnifiqUo composée dès vétérans de la république, fat Confiée ou général Leclerc, Irëau-frèré du consul* et une llotto considérable placée sous le commaridemeht do l'âriilrai Viliarét-Joyéûsc. Les chefs de l'expédition; endoctrinés par les incorrigibles colons résidant à paris, s'imaginftient(iu'illeursufilraitde so présenter pour commander l'obéissance do Toussaint, et pour rendre les fers d'un dur csclavago à une population do quatre ou cinq cent mille hoirs* aguerris par douze ans de combats sari^ giarits, vainqueurs des meilleures troupes do l'Angleterre soutenues par la population blanche et les Espagnols 1 quel funeste aveuglément 1

A la fin de décembre 1801, Toussaint ayant eu connaissance do ce qui se préparait contre lui, prit aussitôt ses mesures ; il fortifia ses places, concentra ses troupes, parcourut tes côtes et les points les plus importants do l'intérieur/ H attendait avec unefureur concentrée.

bans les derniers jours do janvier 1802, les premiers vaisseaux français parurent. A In vue de ces formidables


RÉPUBL1QUE HAÏTIfcNN E. 75

préparatifs, Toussaint sentit un moment défaillir son Indomptable courage : « Il faut périr, dit-il, la France entière » vient pour nous écraser : on l'a trompée ; elle veut assou» vîr des vengeances et nous asservir : il faut mourir! »

Mais cet.abattement passa comme une lueur, et l'on retrouva Toussaint, plus que jamais résolu et dévoue à la cause qu'il idolâtrait.

Après avoir donné ses instructions au général noir Henri Christophe, qui commandait au Cap, il regagna l'intérieur. H avait sous les armes plus de vingt mille noirs, et un millier d'hommes de couleur, sur lesquels il comptait beaucoup moins, ainsi quo trois cents blancs sur lesquels il ne comptait pas du tout : ceux-ci étaient un rcsjédes troupes d'infanterie de marine envoyées dans la colonio à diverses époques dp la guerre contre lesAnglais.

Toussaint partagea son armée eu trois divisions; celle du nord* forte de 4,800 hommes, était aux ordres de Christophe, au Cap-Français. Les divisions de l'ouest et du sud réunies, composées do 11,050 hommes, teriaient SalnUMarc; cello dé l'est, eonïmandéo par lo mulâtre Clalrvàux et par Paul Louvcrture, frôro de Toussaint, s'étendait dans lu partie ci-devant espagnole.

L'armée française était aussi formée eh trois divisions: la première, forte do 3,ooo hommes, aux ordres du général Rochathbcau» avait ordre d'attaquer d'abord à l'est le ForUbauphin.

La seconde, de 3,000 hommes, sous le général Boudet, fut dirtgéosur le Port-au-Prince.

Enfin, la troisième, composée de A,500 hommes, obéissait au général Hardy et était destinée à l'attaquoduCap.

Mais ce qui réridait surtout la position du chef noir très-critique, c'était la population blanche des villes*


76 ÉTABLISSEMENT* COLONIAUX.

qu'on devait supposer très-disposéo à se joindre aux attaquants. .

Quand le général Hardy so disposa à fairo débarquer sa division devant le Cap, Christophe lui fit savoir qu'en l'absence du général en chef de la colonie, il no pouvait permettro co débarquement. ' ^

La question soumise au général en chef Loclerc, celuici répondit par une lettre menaçante, à laqucllo Christophe n'eut aucun égard. ,■

Les habitants du Cap, justement alarmés, députèrent auprès do Christophe pour le conjurer do leur épargner les horreurs d'un siège. Pour toute réponse, il; ordonna quo tout co qui no serait pas en état do porter les armes aurait permission d'évacuer la villo. Un cordon do troupes noires s'avança do rue en ruo, dé maison en maison; pour faire exécuter cet ordre, et Christophe attendit l'événement, après avoir distribué à ses soldats, des torches incendiaires et des pièces d'artifice.

Un coup do vent força d'abord les vaisseaux français à gagner le large, ce qui procura un répit do Vingt-quatre heures. Mais quand ces vaisseaux revinrent au mouillage, à la chuto du jour, les canons des forts so firent entendre, et les noirs so répandant dans la villo, mirent le feu à tous les coins. Un immense incendie no tarda pas à éclairer la rade et à obscurcir lo ciel.

Quand Christophe so fat bien assuré que l'incendie no pourrait être éteint, il opéra sa retraite hors do la villo. La population blanche qui en avait été expulsée, et celle qui était restée, accueillirent les troupes françaises comme des libérateurs. Mais aucun effort no fut capable dé mattriscr le feu; les dernières malsons s'écroulèrent par l'explosion des dépôts de poudre,


HÉPUBIQUE HAÏTIENNE. 77

ATest* Rocliâmbeau avait été plus heureux ; il enlova lo A fort DaUppih, Saris coup ferir/ Clairvaux /aussi à SainHago, et Paul Louvèrtiiro à Sanlo-pomingo, dans là /partie ci-devant espagnole, 1 ivrèrcnt les places sans tirer un seul coup de cariom

Au Port-au-Prince, lé général Agé refusa dé remettre la ptacp au général Boudet, mais'ne la défondit que très?- mollement, et les troupes dp celui-ci s'y précipitèrent avec tant d'ardeur et do promplitudo, que les noirs en fuyant purent à peine le temps dé mettre lo feu à quelques maisons.-'; :-:■■:'■■/- " / -;, ',-:' .. '.-"..::--.

y Cos premiors revers avalent été bien prévus par Toussaint* et no le découragèrent pas. Il écrivit à un do ses généraux : « Défiez-vous des blancs; ils vous trahiront » s'ils lo peuvent. Tous leurs voeux, n'en doutez pas, sont » acquis au rétablissement do l'esclavage......... Levez en

y niasse les cultivateurs, et faites-leur bien comprendre » qu'ils n'out rien à attendre des blancs. » il no pouvait, en effet, en ôtro autrement do la conviction do Toussaint, Car les chefs do l'expédition françaiso et les colons revenus sur le$ vaisseaux avec eux avaient fait répandre partout des proclamations qui promettaient lo rétablissement de l'esclavage.

Mais lés mulâtres, éternellement ennemis des nègres, rejoignaient avec empresscmentlcs troupes françaises, et chaque jour rarméo expéditionnaire laisluFdo nouveaux

Lo général Lcclerc imagina do vaincre la résistanco du vieil Africain en intéressant ses sentiments paternels. Les deux fils do Toussaint avaient été embarqués sur l'escadro française, accompagnés de leur précepteur Coisnon. Le péré, profondément attendri, pleura amèrement sur


78 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

la tôlo doses enfants, reçut de l'un d'eux une botte en or contenant uno lettre du premier Consul. Mais après l'avoir lue avec beaucoup do calme et d'attention, il revint au rôle qui convenait à sa position, et s'adrcssant à ses fils, il leur laissa le choix ou do rester auprès de lui ou dô retourner vers Lcclérc. L'alné^ Isaac. après quelque

à l'instant il fut investi, par Toussaint, d'un comman-^ dément dans l'armée noiro.

La fureur de Lcclerc, en apprenant l'insuccès de la démarche sur laquelle il avait tant compté, fut telle qu'il mit Toussaint et ses généraux hors la loi. La guerre commença avec fureur.

Cependant, ô comblo do làcho perfidie! lo beau-frère du consul no cessait do faire dire aux noirs qu'on n'avait jamais songé à les remettre en cscràyage. Ces promesses, jointes aux premiers succès des Français, amenèrent à Lcclerc, chaquo jour, une foule do déserteurs. En peu do jours la division de Christophe ne comptait plus que 300 hommes, et Toussaint lui-même, battu par lo général Rochambcau, n'avait plus d'autre salut qu'une retraite dans tes montagnes. -

Sept mille hommes do troupes fraîches étaient arrivés do Franco pour renforcer t'arméo expéditionnaire; ils avaient été apportés par les escadres des amiraux Ganteaumeet Linois.

Le général noir Maurepas avait défendu en désespéré le Port-de-Paix et n'y avait laissé que des cendres.

A Saint-Marc, Dessalines imita Maurepas lorsque le général Bôudct s'avança contre celte ville. Lo chef noir mit lui-même le feu à sa maison, pleine do matières combusll-


REPUBLIQUE HAÏTIENNE. 79

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bips, distribua des; torches à tous ses officiers, et à la lueur de la conflagration générale, massacra saris pitié* sans distinction d'âge ni do sexe, tous les blancs qu'ilput rencontrer. Bpildet né trouva à Sairtt«Màrc* ni Uhôànte vivante, ni rine maison debout; il ne restait que deux à trote cents cadavres de blancs, à demi consommés.

Lpïigrp sp relira sur les hauteurs do la CrMc-à-Pierrot, qui commando l'cnlréo des mornes du Chaos. Il n'avait plus avec îuijquo 1000 à1200 hommes, tes Anglais avaient bâti là uno forteresse, dans laquelle il se retrancha. Celle position était tellement importante, quo Lcclerc là fit attaquer par son arméo presque tout entière. ■■:,-■';;■;■.;■.. ;;V4-":-/;;/":'-.;-':' .'.

Leâ gens du mêlieiv et entr'autres lé général PamplUto Lacroix, ont raconté l'admirable défense que le riionstro y fit. A cette affaire, le général Boudot reçut une grave blessure, et les Français y éprouvèrent une perte considérable, augmentée chaque jour par les hommes tués dans les sorties désespérées que faisait Dcssalincs.

Dans nos limites obligées, il nous faut abréger* considérablement les détails stratégiques do cette guerre meurtrière. Rappelons seulement un épisode caractéristique du pouvoir magique qu'exerçait Toussaint sur les noirs.

Le général noir Maurepas, après s'être si bien défendu à Port-dc-Paix, aVait été séduit par les promesses do Lcclerc, et avait passé du côté des Français avec sa division forte do 4,000 hommes. Ces troupes avalent été incorporées avec celles commandées par le général Desfourneaux. Celui-ci fat attaqué à Plaisance par Toussaint, et ses nouveaux auxiliaires faisaient merveille. Au plus fort de la mêlée, Toussaint s'avance seul et désarmé ; il


80 ETABLISSEMENTS COLONIAUX.

leur crie i Quoi!vous tires sur Papa, Zautres?'A l'instant les quatre mille noirs, sans en excepter un seul, se jettent à genoux, en implorant son pardon et sa bénédiction. Une nuée dé bailos est dirigée par lés Français sur Toussaint; aucuno no l'atteint.

Christophe, à cette époque, était dans le nord de l'Ho, où il disputait pied à pied le terrain malgré l'affaiblissement dosa division. Toussaint se mit en routé pour la rejoindre, il ramassa Sur son passage les cultivateurs, opéra sa réunion avec Christophe, et, suivi, do ces bandés, sans canons et presque sans fusils, vint investir lo Cap, où so trouvait lé général Leclerc. Ce fut dans le même temps que là pestilento fièvre jaune commença ses ravages dans l'armée française.

Leclerc fit de nouveau des proclamations pour convaincre les noirs qu'il ne voulait quo la paix, et nullement les remettre en esclavage. Qui croirait quo ces hommes crédules pussent être encore dupes d'un tel piégé? eh bien! ils le furent ; ils désertèrent cri masse l'armée noire pour régagner leurs travaux; Christophe et Toussaint, n'ayant plus do soldats, s© se;irrôrent, . Dé nouveaux renforts venus de France semblaient dévoir ôtèr tout espoir à Toussaint et à ses généraux. Mais c'était sur le concours des éléments et sur les ravages de la fièvre jaune dans l'armée française, qu'ils comptaient, et ils comptaient juste.

Constamméht harcelé par un ennemi insaisissable, Leclerc cntaihà une négociation avec Christophe, dont l'énèrgié n'était plus soutenue par là présence de Toussaint; On promettait à Christophe, la conservation et la confirmation de son grade dans l'armée française, et une amnistie sans exception pour toutes les troupes qu'il avait


KÉPURLIQUE HAÏtIENNE. SI

commandées. Christophe déposa les armes, et bientôt le féroco Dessalincs suivit son exemple. Paul Louverturé lui-même déserta son frère, et conduisit dans les rangs français les troupes sous ses ordres.

Toussaint restait seul. C'était lo roc contre lequel viennent se briser, sans effet, les vagues en furie. Avec un chef aussi actif, aussi dévoué à la causo de la liberté, aussi influent sur la population noire, la guerre pouvait être interminable. Lé l«r mars 1802 Lcclerc lui écrivit qu'il comptait assez sur son attachement à là colonie; pour espérer qu'il voudrait bien l'aider de ses conseils.

Toussaint répondit qu'il voulait bien consentir à traiter sous deux conditions : 1° « Liberté inviolable de ses » concitoycus; 2° maintien dans leurs fonctions de tous » les officiers civils et militaires'nomméâ pendant son ad» ministratjôn. «

H eut, en outre, la liberté dose retirer sur uno de ses plantations, avec tout son ci-devant état-major.

Toussaint se rendit le 5 mai au Cap auprès du général Leclerc. Au moment où il venait de signer la paix, son frère Paul s'avança vers lui pour l'embrasser : « Arrêtez, » lui dit-il, je ne puis recevoir les témoignages d'une » amitié vulgaire. Je n'aurais dû apprendre votre sou» mission qu'après l'entrevue que je viens d'avoir avec le » général français, vous deviez régler toute votre conduite « sur mes démarches, comme nous calculons les heures » sur le cours du soleil. » C'est Napoléon exigeant la soumission de ses frères I mais il faut l'avouer, tout l'avantage est du côté do l'africain. Ce n'était pas l'asservissement des peuples quo Toussaint commandait à sa famille; c'était la liberté de la race noire.

Retiré aux Gonaïvcs, dans uno habitation à laquelle il i. 6


82 ÉTABLISSEMENT* oei.OXlAUX.

avait donné lo nom de Louverture, il vivait entouré du rwpect des noirs, et même do la considération des blancs, lorsqu'un mois après sa retraite on saisit une lettre écrite par lui à un de ses anciens aides de camp, dans laquelle il s'informait si la fièvre jauno faisait de grands progrès dans l'armée française; ce prétoxte suffit. On lui tendit un odieux guet apens. Le général Brunet, avec un nombreux état-major, se rendit à son habitation sous prétexte de le consulter, et au moment où Toussaint les accueillait avec confiance, à un signal donné, tous les officiers se précipitèrent sur lui et le garrottèrent. H né prononça pas uno parole.

Embarqué aussitôt sur un navire d'avance équipé, il sut que sa femme et ses enfants seraient emmenés captifs comme lui, et pendant tout le voyage il demanda vainement qu'on lui permit de les embrasser. Co ne fut qu'à Brest qu'il put leur dire un dernier adieu.

il fut conduit au fort de Joux, et peu après transféré à

(Besançon; jeté dans un cachot humide et sombre: là, ce vieillard mourut lentement de froid; il expira en avril 1803. En écrivant ceci, on rougit presque d'être Français. Le salut de l'État est la loi suprême : si la présence de Toussaint, à St-Domingue, compromettait l'armée française, on conçoit qu'il fallait se résbudie à l'en éloigner. Mais lo faire périr dans un cul-de-basse-fosse ! lui, qui avait été la providence des blancs, qui les avait soustraits aux cruautés des cannibales, qui les avait comblés de bienfaits. 0 mânes du grand Napoléon I quelle tache à une glorieuse vie! Quel crime de lèse-humanité, et en même temps de lèse-politique! ici reçoit son application

la subtile distinction do M. de : « C'est plus qu'un

» crime, c'est une faute.»


RÉPUBLIQUE HAÏrjBNNB, 83

Toussaint était resté inconnu jusqu'à un âge déjà avancé ,esClâvo sur Une des habitations do M. do Noô, gérée par urt sieur Baillou de Libertas. Lors du premier soulèvement des noirs en 1791, il refusa d'abord d'y prendrepart, enchaîné qu'il était par là reconnaissance dont ii était pénétré envers M. Baillou, qui t'avait, traité avec humanité. II disposa mémo tout, au péril do sa propre vie, pour mettre son ancien maître en sûreté, et il l'a constamment comblé do bienfaits aux États-Unis, où le colon était parvenu à se réfugier.

Mais aussitôt le devoir de la reconnaissance satisfait, il so dévoua à la cause de sa caste. Ses vertus, dans l'accomplissement do cette noble tâché, brillèrent du plus vif éclat. Il était surtout d'une intégrité digne dès héros dé Piutarque. Les officiers anglais qui ont combattu contre lui, les créoles blancs eux-mêmes, avouent que jamais Toussaint, aux moments les plus critiques, ne manqua à sa parole. OU y avait une si g itido Confiance, qu'un grand nombre dp planteurs et de négociants qui s'étaient réfugiés aux États-Unis, n'hésitèrent pas à répondre à son appel bienveillant et revinrent se rahger à Saint-Domingue sous son drapeau : il leur rendit tout, biens et considération.

ToUssairitne fut pas plutôt revêtu du grade de général, que la guerre cessa entre les nègres et leurs anciens maîtres. Depuis cette époque, il se montra constamment dévoué aux intérêts de la France, malgré les nombreux changements que subiUe gouvernement de la métropole. Plusieurs fois les commissaires français, envoyés à SaintDomingue, tentèrent do s'enrichir en proscrivant, comme traîtres et .partisans de l'étranger, les anciens colons. Ceux-ci furent constamment protégés par Toussaint.


81 ÉTABLU$EME.\TS COLONIAUX.

Par sa prudence consommée, il savait réduire les proconsuls à un état de nullité, et tout en leur faisant rendre do grands honneurs en public, il leur signifiait, dans lo tôtc-à-tôto, qu'il, n'autoriserait ni rigueurs ni proscriptions.

Dans plusieurs occasions il donna des preuves d'humanité dont bien peu de rois en Europe seraient capables. Une fois, quatre Français qui avaient, conspiré contre sa vie, tombèrent en son pouvoir ; ils s'attendaient à une mort cruelle; Toussaint les laissa pendant quelques jours livrés à leur angoisse. Enfin, le dimanche suivant, il les fit conduire à l'église, et lorsqu'on en fut à ectto partie du service divin qui à rapport à l'oubli des injures, il les fit approcher de l'autel, les exhorta à prier, et ordonna de les mettre en liberté.

De cette intégrité, de ce respect pour le droit des gens, dont nous venons de parler, il donna une preuve bien remarquable au général Maitland. C'était à l'époque où se négociait l'évacuation de Saint-Domingue par les Anglais. Toussaint alla d'abord trouver Maitland à son quartier général, mais comme il restait encore à régler différents articles, le général anglais lui promit de l'aller, à son tour, visiter chez lui. En effet, Maitland y vint, accompagné seulement de ses aides de camp : le commissaire français Rommc, instruit de l'entrevue projetée, écrivit à Toussaint pour lui représenter qu'il ne fallait pas laisser échapper une si belle occasion d'obtenir de meilleures conditions, en s'emparant du général ennemi. Arrivé au quartier général de Toussaint, on dit à l'Anglais qu'il était pour le moment impossible do lui parler, et l'Anglais fat laissé sans cérémonie pendant quelque temps livré aux inquiétudes que ce sans-façon lui inspirait.


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE^ 85

Enfin parut Toussaint tenant à la main deux lettres ouvertes,* Lisez ceci, général, dit-il, en entrant, ensuite * nous parlerons de la capitulation. La première do ces » lettres est du commissaire Homme, l'autre est ma ré» ponsé. Je n'ai pas voulu vous voir avant de l'avoir ter«» minée : vous êtes en sûreté chez moi, autant que moi•» même/Ma vie appartient à la république française, mais » moiv honneur n'appartient qu'à moi. »

Délivré desfeoins do la gUerrpavec les Anglais en 1798, notre grand nègre s'appliqua à l'encoura .ement do tout ce qui est utile et noble. On peut admirer dans tous ses décrets cette haute prudence, cet amour do l'ordre, et môme ce sentiment exquis de toutes les convenances gouvernementales, dont poùrraità juste titre se faire honneur le plus éclairé des monarques européens. Ses premiers regards se tournèrent.vers la culture des terres. Pour suppléer au défaut d'autorité personnelle des anciens propriétaires blancs, il so chargea lui-mômo de la police des ateliers, qu'il faisait exercer par une maréchaussée continuellement ambulante. Les cultivateurs noirs et libres étaient rémunérés par un tiers du produit des récoltes. Des peines sévères furent prononcées contre le vagabondage et l'oisiveté. Lo vagabond oisif, disait Toussaint dans ses proclamations, est déserteur du travail et de la morale, comme le militaire est déserteur de son régiment : les mêmes peines doivent être appliquées à l'un comme à l'autre.

L'agriculture fit bientôt tant de progrès sous ce régime, que malgré les ravages d'une guerre de dix années d'iricèndic et d'extermination, lés récoltes en sucro et en café atteignirent au maximum des anciens produits.

Le luxe avait fait de grands progrès à Saint-Domingue


80 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

pendant cetto heureuse- période do cinq années, On y jouissait do tous les plaisirs que peuvent procurer lés richesses. Les maisons étaient meublées magnifiquement. ' Dans les sociétés la joie était peinte sur toutes les figures;

la galtô la plus franche présidait aux repas, li y était permis de parler de tout, excepté des malheurs passés. Làdessus Toussaint était inexorable ; défense la plus absolue de rappeler mémo indirectement les cruautés des blancs ni celles des noirs ou des mulâtres. Beaucoup d'Améri-, cains des États-Unis étaient venus s'établir dans la colonie ; plusieurs s'y étaient mariés.

C'est alors que Toussaint résolut de donner une constitution au peuple haïtien ; il fut secondé dans ce travail par plusieurs Européens d'un mérite distingué, dont les principaux étaient Pascal, de la famille de Biaise Pascal, l'abbé Molière et un ecclésiastique italien nommé Marinit. Nos limites ne nous permettent pas dé rapporter cette constitution.

Colons de Saint-Dominguei voilà ce que Vous avez voulu troquer contre le bonheur de fouetter vos anciens esclaves. •;'

Après la déportation de Toussaint, les colohs blancs s'imaginèrent follement, selon leur usage, que c'en était fait de liberté des noirs. Le général Leclerc lui-même; confident de la pensée de son beau-frère, n'attendait que le moment de rétablir l'esclavage.

Cependant les ravages de la fièvre jaune étaient effrayants/Les n-i es, exempts du fléau, donnaient des signes non équive mes d'hostilité. Leur désarmement général jUt ordonné, et fat bien loin d'avoir lé résultat qu'on s'en était promis. Les bandes de l'ouest cl du sud refusèrent de rendre leurs armes. D'autres bandes gagné-


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rent les mornes, ot commencèrent une guerre de partisans. Dans le nord ; le chef nojrjjylla, lo seul qm eût tenté

bientôt sa petito troupe s'augmenter prodigieusement. Un autre chef, nommé SamwÔiTCrporganisait de son côté la révolte, et l'affaissement do l'armée française, qui d'ailleurs périssait sans combattre, était tel que les survivants n'avaient plus assez d'énergio pour ciiicnvr les morts.

C'est alors que Leclerc adopta un système de cruautés combinées avec la fraude et la trahison pour détruire les noirs sans avoir besoin de les combattre. Le général noir Maurepas, qui avait fait défection à la cause des noirs, comme nous l'avons dit ci-devant, était soupçonne de ne plus jouer de franc jeu : Leclerc lui écrivit qu'il avait touto son estime et toute sa confiance; il l'invitait à venir conférer avec lui, et voulait lui confier le commandement du Cap.

Maurepas .s'en:largua à Port-dç:Pajx^Yjec^ et ses enfants, sur une frégate, emmenant avec lui quatre cents soldats noirs. A l'arrivée sur la rade diHlap^, on leur attacha des boulets aux pieds et on les jeta à la mer; on y jeta 'également la fariiille de MaurcjpasJ crjuwnènm s'y précipita. Voilà la version la moins affreuse; d'autres récits accusent des cruautés encore plus atroces. Le cadavre de Maurepas, à moitié dévoré par un requin, échoue sur la plage, où il est reconnu par son beau-frère Christophe, qui dès lors peut juger du sort réservé à la race noire. Mais il dissimule encore pour mieux assurer sa vengeance.

Il est plus facile d'imaginer que de peindre l'effet que produisit sur la population noire le supplice de Maurepas, celui de sa famille et de ses quatre cents soldats. Charles


88 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

Hélair, noveu de Toussaint, fut un des premiers qui courut aux armes; il rallia à sa cause toute la population de l'Artibonito et se retira avec elle dans les mornes du Chaos.

Lcclerc, faisant de la diplomatie atroce, ordonna à Dessalines de marcher contre Bélair, autant pour le compromettre avec sa race, quo pour ménager sa troupe malade et débile. Mais il ne connaissait pas l'âme do Dessalines, Ce sanguinaire, mais habile militaire, partait avec l'intention de se jondre aux révoltés s'il les avait trouvés eu force ; mais à son arrivée au Chaos, jugeant que la levée do boucliers avait été intempestive, il sacrifia Bélair. II l'invita à'une entrevue, se saisit de lui par trahison, on l'envoya à Leclerc au Cap, chargé de fers.

Une commission, toute composée do noirs et do mulâtres, fut appelée à juger Bélair cl sa femme. Ces juges, tout prêts à so rendre aussi coupables que celui qu'ils condamnaient, n'hésitèrent pas à sacrifier un des leurs. Les prisonniers furent condamnés à l'unanimité, et fusillés, l'homme et la femme, sans qu'il s'élevât un seul murmure dans les rangs des exécuteurs noirs.

En même temps Dessalincs, à l'Artibonito, massacrait trois cents révoltés noirs, qui avaient suivi l'exemple do Bélair.

Leclerc, effrayé de ses nouveaux alliés les noirs, voulut opérer lo désarmement de tou« ceux qu'il avait incorporés dans ses troupes européennes. Dans ce dessein, il eut en" core recours aux moyens les plus odieux comme les plus mal calculés.

Cependant de nouveaux renforts arrivaient encore do France à l'armée de Leclerc ; c'étaient des victimes ajoutées aux premières victimes do la déloyauté. Les nouvelles


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troupes arrivées do France apportaient avec elles le Ûfc ^^Mferi^iyâ mai 1802) qui déclarait Jtacjàvago maJLQtej^

Vainement Lcclerc, comprenant bien l'effet que co décret allait produire à Saint-Domingue; essaya de calmer l'effervescence dos noies, en leur disant que le décret ne's'appliquàit qu'aux nègres dont l'émancipation n'existait pas : ,0l/â^JiSM^at hiulàtres se tinreijt pour aYCrtisi et jugèrent^mrfe j]^pjîéDtJt?jt venu dé lever le masque. Le 11 septembre, pessalines ^e jeTt^'-^^^Jfô^&ojs^et ajSpiOE PèTTapres,- PtUion^ jusq^CjMre

jusq^CjMre Le mulâtre ciefvâuT,

lo môme qui avait présidé là commission militaire où Bélair avait été condamné, déserte le 16septembre avec sa troupe, et menaco le Cap commis la veille à sa garde.

La garnison française, réduite par la fièvre jaune à deux cents soldats et à quelques hommes de la garde nationale, so défendit avec résolution. Mais le génie des infernales cruautés soufflait avec un redoublement de violence : les soldats français, Dieu puissant ! faut-il le dire? massacrent â bord des vaisseaux où ils étaient restés en rade, douze cents prisonniers noirs qu'on y amène..... Ces hommes s'étaient rendus à discrétion î !

Clervaux, repousse du Cap, se retira sur la grande rivière. La huit suivante Christophe fit avec lui sa jonction.

L'insurrection était générale elles noirs avaient, par acclamation, appelé au commandement général le féroce Dessalines.

Sur trente-quatre mille combattants envoyés à plusieurs reprises par la France, déjà vingt-quatre mille avaient succombé dans les combats et surtout dans lès hôpitaux: huit autres mille étaient incapables de tenir un fusil. Il no


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restait pas à Leclerc plus do deux mille hommes valides.

Cet auxiliaire puissant des hoirs, la (lèvre jaune* dont ils néconnaissaient eux-mêmes pas les atteintes, leur assurait la victoire sans coup férir. Leclerc et ses généraux attendaient du refroidissement de la saison la cessation du fléau, quand le général en chef lui-même en fat atteint : il expira dans la nuit du V* au 2 novembre 1802,

Vers |é milieu d'octobre, le fort Dauphin, lo Port-dcPaix et plusieurs autres ports très-importants étaient tombés au pouvoir des noirs.

Après la mort de Leclerc, par droit d'ancienneté, le commandement en chef avait été dévolu au général Rochambeau, conformément d'ailleurs au désir exprimé par Leclerc.

ACcouru au Cap,Rochambeau, malgré l'activité herculéenne de sa puissante organisation, se trouva dans l'impossibilité de rien entreprendre. Quelques renforts qu'il reçut encore dû Havre et de Cherbourg, n'étaient composés que de conscrits levés dans lo Piémont, dans les PaysBas et autres provinces réunies, où ni lo dévouement ni Yimpetus des Français n'étaient connus.

Les noirs, au contraire, voyaient tous les jours augmenter leurs forces, et chaque jour il y avait pour eux quelque conquête nouvelle; tandis que les derniers succès de l'armée française étaient bornés à de petits avantages partiels, tels que la victoire dans la plaine de l'Artibonite et la repriso du Fort-Dauphin, par le général Clauzel.

Enfin, il né resta plus pour dernier refuge à cette puissante armée d'invasion que la villo du Cap; et là, Dessalines vint les assiéger avec vingt-sept mille hommes sous ses ordres.


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Rochambeau, ;bOUillaht do ragé, résolut do tenter un dornier effort, bien digrio do cet intrépido soldat; S'étant placé à la tête de toutes les, forces dont il pouvait encore disposer, il commanda l'attaque sur touto la ligne. D'abord les noirs, quoique combattant dix contré un, plièrent, Mais avant la fin de la journée ils étaient revenus à la chargé: lé nombre l'emporta enfin, et ils restèrent maîtres du champ do bataille.

Dans cette action désespérée, les Français avaient fait 500 prisonniers noirs, qui entrèrent en ville avec eux. Ces malheureux furent inhumainement mis à mort. Les représailles furent affreuses. Dessalines jouissait de l'occasion que l'aveuglement do la colère chez lés Français lui offrait de se baigner dans le sang dès blancs: pendant la 'huit* il fait élever, au front de bandièro du camp des assiégeants, une multitude de gibets, et au point du jour Rochambeau peut contempler, suspendus à ces gibets, les corps des oiïiciers français qui étaient tombés au pouvoir des noirs.

La faniino vint au Cap ajouter, à toutes les misères des débris de l'expédition française; mais l'intraitable énergie do Rochambeau le soutenait encore et se communiquait à la poignée dé braves dont il partageait le sort : il resta dans cette position pendant près d'un au. Mais tous les ouvrages extérieurs étaient occupés par les nègres, qui se préparaient déjà à un assaut général. Dans cette extrémité le général Rochambeau offrit de capituler, le 19 novembre 1803. H fut stipulé quo les Français évacueraient le Cap et les forts qui en dépendaient au bout de dix jours avec toute l'artillerie, les munitions et les magasins dans l'état où ils se trouvaient; qu'ils so retireraient sur leurs vaisseaux avec les honneurs de la guerre, et la ga-


M ÉTABLISSEMENTS (iOLONÏAyx.

ràïitie dé leurs propriétés particulières ; qu'ils laisseraient leurs malades et leurs blessés dans les hôpitaux; que les nègres en prendraient Soin jusqu'à leur guérisôh * et qu'alors ils seraient embarqués pour la France* dans des vaisseaux neutres/

H restait une bien autre difliculté à vaincre pour les malheureux Français! l'escadre anglaise était en vue; lé Commodore mit au départ do Rochambeau des Conditions auxquelles celui-ci ne voulut pas souscrire : il attendit. Cependant les dix jours accordés par Dessalines étaient écoulés, et les noirs insistaient sur l'évacuation. Oh leur remit là ville et les forts, mais les vaisseaux français sur lesquels étaient les débris de l'armée ne pouvaient sortir du port. Dessalines menaçait de les couler à fond, et déjà iffaisai! rougir dçs boulets. Une nouvelle capitulation fut donc prbmptement discutée, rédigée et acceptée enfin par le Commodore anglais/On convint que les Français sortiraient sous leurs couleurs, que leurs vaisseaux tireraient une seule bordée et amèneraient leur pavillon. Ce ne fut pas encore sans peine que l'affreuxDessaliiïcs fut amené à donner son consentement à cet arrangement.

Quelques jouis après, la ilollille française, composée de trois frégates eCdo dix-sept petits bâtiments, sortit du port, tira la bordée convenue et se rendit aux Anglais. Les prisonniers, au nombre de huit mille/ furent envoyés à la Jamaïque, excepté lé général Rochambeau avec ses principaux officiers* qui furent conduits en Angleterre.

Le général français, Noaillcs, resté en possession du môle Saint-Nicolas, ho se crut pas lié par la capitulation consentie par Rochambeau; ayant été sommé par le Commodore anglais de se rendre prisonnier / Noailles lui répondit qu'il avait encore pour cinq mois de vivres, et


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qu'il so défendrait jusqu'à la dernière oxtrémité. Le Commodore, ayant ses vaisseaux chargés de prisonniers, ho pouvait rester devant ta place; il se borna à faire bloquer le port par une frégate. Quand le Commodore anglais se fut éloigné, Noajlles arma six petits bâtiments et s'embarqua avec sa petite garnison, mais il ne put tromper la croisière anglaisé, à laquelle un seul des six bâtiments échappa, celui sur lequel était le général, qui put ainsi arriver en Franco.

Voilà comme a fini cette formidable et ruineuse expédition de Saint-Domingue, l'un des derniers fruits de l'cx';.• aganee et de la rage des colons. Le premier consul avait été trompé par eux sur l'état de Saint-Domingue, sur le caractère de la race noire; sur les moyens qu'elle, avait de résister à l'invasion; sur l'inévitabilité pour les Européens do tomber sous les coups de la fièvre jaune, s'ils échappaient au fer et au feu.

Nos pertes ont été grandes/bien grandes assurément^ Mais si nous n'avions perdu que do l'or, on pourrait s'en consoler; si môme nous n'avions perdu que quarante mille do nos frères, s'ils étaient morts avec honneur, de la mort des braves, comme ont péri depuis les soldats d'Austérliz, de Wagram, d'iéna, c'aurait été sans doute d'abondantes larmes à verser, mais qui auraient arrosé les lauriers de notre gloire militaire. Mais Saint-Domingue nous a ravi plus que cela ; il a porté atteinte à notre honneur, au caractère do générosité et d'humanité par lequel , dans tous les temps, dans tous les pays, sur toutes les plages, le soldat français s'était fait distinguer.

L'opprobre de celte expédition remonte bien haut/Le premier marqué du honteux stigmate, c'est le chef du


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gouvernement: il médite l'asservissement de laraco noire, et il n'a pas la magnanimité do l'avouer; il promet la liberté, et les fers sont cachés dans les bagages de son armée; il trompe indignement le chef des noirs, dont il pouvait se faire un chaud partisan, un utile auxiliaire, et un lieutenant qui aurait assuré à la France la paisible suzeraineté de Saint-Domingue et tous les avantages de son commerce exclusif, dégagé des charges de l'occupation et de la défense contre les Anglais; non-seulement il le trompe, mais il l'assassine; non-seulement il l'assassine, mais il lofait mourir dans les supplices d'un.infect et humide cachot, après s'en être emparé dans un guet apens!

H semble que la perfidie et la cruauté du maître/comme un miasme empesté, so soit répandue et ait gangrené tous les coeurs. On ne reconnaît plus le soldat français; ces braves%Arcolo et de Rivoli no font plus la guerre qu'en bourreaux; émules do Carrier, ils procèdent do sangfroid à des noyades de nègres; ils appellent comme auxiliaires les dogues dévoratcurs des colonies espagnoles; ils infligent des tortures par forme do passe-temps; ils semblent avoir oublié jusqu'à ta langue de la France pour se créer un argot de Lucifer qui soit l'expression du meurtre et do la'férocité.

On aime à se faire du moins une dernière illusion, si ce n'est toutefois qu'une illusion. On se demande si l'état d'irritation furieuse dans lequel se trouvait l'armée française, ne serait pas dû à une influence etimatérique et morbide; si la raison des Français n'était pas égarée? Dans lo fait. nous avpns pcrsnnncllnmnnt«mmi dt^ pffl. ejers civils cl militaires do ceUé nialheureuso-cxpfiilUjfln, àlm^blcii|l|iTr1liï^ lupus en avp;\s..vjiUfi>:çjjir


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quelques-uns,:,tous dans un état de prcs<mj^ ,

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Et quo dire du général qui avait succédé à Leclerc dans le commandeiuent en chef, de l'intrépide ' ochambcau, que toutes les voix accusent des actes les plus frénétiquement atroces à Saint-Domingue; lui que nous avions vu dans son gouvernement de la Martinique, aussi humain, aussi généreux, aussi bon qu'il était vaillant; lui qui, bravant les clameurs dés clubs et de la populace républicaine, au péril de sa vie, avait réussi à soustraire à la mort neuf cents planteurs faits prisonniers par lui, les armes à la main, dans divers combats pendant la guerre civile do 1793? (Voyes Martinique.)

Cependant, après le départ de Rochambeau et do ses troupes, il.reslait encore dans l'Ile quelques malheureux soldats français qui tenaient garnison dans la partie ci-devant espagnole, à Santo-Domingo. Ils étaient commandés par un brave, le général Ferrand. Ce petit corps de troupes vivait en très-bonno intelligence avec les Espagnols. Dans celte partie l'esclavage n'avait pas été aboli; mais la manière d'être des colons espagnols, vivant avec leurs nègres, non pas commo des maîtres, mais on quelque sorte comriie en famille, et presque sur le pied do l'égalité, rendait la position du général Ferrand très-supportable : il y attendait les ordres de la Mèrc-Pâtrio et des moyens de transport en France, Dessalines accourut pour l'assiéger, et toutes ses forces vinrent échouer contre l'indomptable courage d'une poignée de Français, Furieux de cette résistance inattendue, le féroce nègre rassembla devant Sâu-Domlngo tous ses soldats, et cet immense développement de forces allait peut-être enfin accabler


96 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

nos compatriotes, quand il arriva au général Ferrand; quelques bâtiments chargés de troupes françaises, Les noirs perdirent, dans différentes attaques un nombre immense des leurs ; Dessalines enfin no dut son salut qu'à une prompte et humiliante retraite. Mais les Français né pouvaient rien entreprendre, et désormais ils semblaient abandonnés de laMèrç-Patrie,quandcn 1809 il leur fallut, pour surcroît de maux x se défendre contre les Espagnols insurgés. Après la plus héroïque défense, lo brave Ferrand, battu dans une rencontre meurtrière, ne voulut pas survivre à sa défaite : il se brûla la cervelle, et le H juillet 1809, les Français furent définitivement expulsés de Vcst de Saint-Domingue.

Nous en avons fini avec ce funeste pays, dé ce jour, H n'a plus rien été pour. nous. Nous ne nous faisons pas l'historien des divers gouvernements qui s'y sont succédés : l'assassinat do Dessalines, l'empire macaronique do Christophe, son titre de Henri l«r,roi d'Haïti, ses palais do Sans-Souci et autres ; sa noblesse dorée ; ses créations de princes du sang, de duc do marmelade, de comte do limonade; l'étiquctlo do sa cour; toutes ses singeries calquées sur les aberrations do Napoléon.

D'un autre côté, le gouvernement plus raisonnable du républicain Pélion, do son successeur noyer et des successeurs de celui-ci ; les constitutions do Haïti ; sa diplomatie ; tout cela appelle un historien plus capable quo nous, qui ait plus de place pour écrire et surtout moins de dégoût et d'horreur pour son sujet,

H faut cependant achever d'esquisser par quelques traits le tableau des disgrâces apportées à la Franco par les colons do Saint-Domingue; its-nc se tenaient pas encore tranquilles. A l'avènement de Louis XVIII, ils firent une


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razzia, sur les Tuileries. A défout de quarante nouveaux vaisseaux à leur'livrer et do cinquante mille hommes à foire anéantir à Saint-Domingue, on imagina la voie des négociations insidieuses et des trahisons.

Le Gouvernement consulaire avait été cruel, il s'était rendu odieux : celui du roi atteignit seulement au sublime du ridicule.

Le Cabinet des Tuileries fit d'abord un choix fort judicieux en la personne de ses agents 11 !

Le premier-des trois diplomates qui allaient à la conquête pacifique de Saint-Domingue, était M. Dauxion, dit de Lavaïsse, revêtu du grade, disait-il, de colonel ;

Le second, un monsieurDravermann. On ne le connaît quo par celte mission.

Lé troisième s'appelait Franco-Médina, était-il espagnol ? ou n'était-ce, comme l'a dit le chef noir, qu'un ancien haïtien, qu'il a jeté dans les cachots, où il est mort. On lo considéra comme un transfago : ses deux collègues ne furent punis que par des huées.

Voici, sans commentaire, les instructions données à ces envoyés, au nom do Louis XVIII» et conlre*iguées Maloriot.// y a de tout dans ce ffoetimenf-tô, môme lo mot potir riro. C'est le patl-pata de l'avocat Reliant; cela nous délassera.

INSTRUCTIONS pour MM. DAUXION-LAVAISSE , DE MÉDINA et DRAVBRMÀNN.

i Les Intentions paternelles de S. M. étant do rétablir l'or dro et la paix dans toutes tes parties de ses États* par les moyens les plus doux, elle a résolu dé no déployer sa puissâhcooiuifolre rentrer les insurgés de Saint-Domingue


98 ÉTABLISSEMENTS COI ONUPXv

dans lé devoir * qu'après avoir épuisé toutes les mesures que lui inspire sa cléinence. C'est plein de cette pensée, que le roi a porté ses regardssur la colonie do Sajnttpomingue. En conséquence, quoiqu'il ait donné orcfrp de préparer des forces majeures et do lés tenir prêtes à agir, si leur emploi devenait nécessaire, il a autorisé son ministre dé la mariné et des colonies à envoyer à Saint-Dominguedes agents pour prendre Une connaissance exacte des dispositions de ceux qui y exercent actuellement un pouvoir quelconque, de même que de la situation où s'y trouvent les choses et les individus de toutes classes, S. M. est disposée à faire des concessions et des avantages à tous ceux qui se rangeront promptement à Yobéissànce qui lutestdue>d qui contribueront au rétablissement de la paix et do la prospérité de la colonie; c'est d'après le rapport quo lui fera son ministre de la^marine, lorsque ce ministre aura entendu Celui des agents ci-dessus désignés, qu'il déterminera la mesure de ses Concessions.

VMM. bauxion-Lavaïsse, de Médina et Dravermann, désignés au roi pour remplir cette mission, se rendront incessamment soit à Porto-Rico, soit à là Jamaïque, par un des paquebots anglais qui font voile de Falmouth régulièrement deux fois par mois. Do celle de ces Iles où ils auront débarqué, ils passeront à Saint-Domingue, et no s'y montreront d'abord que comme gens qui viennent préparer, pour leur compte ou pour celui do quelque maison de commerce, des opérations de ce genre, freux d'entre eux se mettront* lo plus tôt qu'ils pourront, mais avec beaucoup dé circonspection, en rapport avec Pétion et son second Borgella : le troisième fera de mémo à l'égard de Christophe. Ce ne sera qu'après avoir sondé adroitement les dispositions do ces chefs, après avoir pris con-


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naissance de leurs moyens intérieurs, de leur plus ou moins de prépondérance dans l'Ile, de l'esprit de toutes les classes subordonnées, qu'ils s'ouvriront davantage à eux; et. ils n'iront jusqu'à leur donner connaissance de leur lettre de créance, quo lorsqu'ils jugeront que lo moment en est venu. On ne saurait, à cet égard, leur tracer une marche précise; on s'en repose donc sur leur prudence.

» Lorsqu'ils en seront venus au point de traiter franchement avec ces chefs, ils discuteront un plan d'organisation politique qui leur agrée, et qui soit tel que le roi puisse consentir à l'accorder. Ils recevront de ces chefs l'assurance qu'ils adhéreront à ce plan, et que, protégés par la puissance royale, ils rangeront à l'obéissance tous leurs subordonnés. Do leur côté, les agents, sans signer aucun traité formel, chose qui ne serait pas de la dignité du roi, assureront aux chefs que Sa Majesté est disposée à accorder ce dont on aura été convenu, et qu'elle fera connaître aussitôt leur retour en Franco, par uno déclaration émanée de sa Grâce. Ils pénétreront en outre ces chefs do celle vérité, que co que lo roi aura une fois déclaré, sera irrévocablement et religieusement observé.

» Si les chefs sont, comme on l'assure, des gens instruits et éclairés (particulièrement Pétion et Borgella), ils sentiront qu'il ne suffit pas pour eux et les leurs, successivement en descendant, d'obtenir des avantages; mais qu'il fout aussi les rendre solides; ils reconnaîtront que,' pour être tels, ces avantages ne doivent être exagérés, ni eu mesure pour eux-mêmes, ni en extension à la généralité ; ils verront bien que si ta grande masse des noirs n'est pas remise cl tenue dans un état d'esclavage, ou tout au moins de soumission, semblable à celui où elle était avant


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les troubles, Il ho peut y avoir ni tranquillité ni prospérité pour la colonie, ni sûreté pour eux-mêmes; ils verront encore, que pourquo cette classe nombreuse qui constitue le peuple dans la colonie, demeure soumise à un régime exact quoique modéré* il faut que l'intervalle qui la sépare do Pautoritè suprême soit rempli par des intermédiaires, et que l'exemple d'une prééminence et d'une obéissance graduée, lui rende son infériorité moins frappante. D'après ces considérations, il est raisonnable do supposer quo Pétion et.Borgella, satisfaits d'obtenir faveur entière, pour eux et pour un petit nombre des leurs, qui sont les instruments nécessaires, consentiront* sans difficulté, à ce que leur caste, en acquérant la presquetotalité des droits politiques, resté pourtant, à quelques égards, un peu au-dessous do la caste blanche : car, d'uno autre part, l'assimilation totale à eux accôrdéo sera plus saillante et plus flatteuse; et do l'autre, leur caste sera d'autant plus assurée de maintenir la caste noire libre, et par celle-ci, les noirs non libres à la distance où il lui importe do les maintenir, qu'elle aura elle-même laissé subsister uno petite différence entre elle et les blancs. On insiste beaucoup sur ce point, parce qu'il doit être le premier pas dans la négociation. Il est bien important do conserver aux blancs uno prééminence quelconque sur les gens do couleur du premier ordre, sauf à admettre absolument et sans restriction aucune Pétion, Borgella et quelques autres, dès & présent parmi les blancs, et à donner, par la suite, sobrement, de temps à autre, des lettres de blancs à quelques Individus quo leur couleur éloignée du notrt leur fortune, leur éducation, leurs services auront rendus dignes de cette faveur, » Si Pétion tombe d'accord do placer l'homme do cou-


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leur* Jusqu'au mulâtre Inclusivement* un peu au-dessous du blanc, il devient beaucoup plus facile de restreindre les privilèges de la caste au-dessous de celle-là (composée do nuances entre le mulâtre et le nègre), et ceux des nègres libres, si l'on établit ces trois castes intermédiaires entre le blanc et te nègre esclave. Surtout il est singulièrement recommandé à MM. Dauxion-Lavaisso, do Médina et Dravermann, de se rapprocher, le plus qu'il leur sera possible, de l'ancien ordre de choses colonial, et de ne s'en écarter que là où il leur sera démontré impossible de faire autrement ; et toujours, dans leurs conférences avec les chefs sur ces matières, ils doivent partir de ce principe, que le roi ne concède que parce qu'il veut concéder •, et que, loin d'admettre des prétentions exagérées, il n'accordera rien et fera sentir sa puissance dans toute son étendue, si ses faveurs sont repoussées. En effet, qui doute quo si le roi de France voulait faire peser toutes ses forces sur une portion de sujets rebelles, qui sont à peino un centième de la population do ses Etats, qui n'ont en eux, ni chez eux, aucun des grands moyens militaires, moraux ou matériels do l'Europe, et qui seront prives dé tout secours extérieur ; qui doute, disons-nous, qu'il ne les réduisit, dût-il les exterminer? MM. DauxionLavàisse, de Médina et Dravermann, durant lo cours do leur négociation, doivent sans cesso avoir celte considération sous les yeux, la présenter sans affectation, sans menaces, à ces deux chefs* et placer toujours à côté do la bonté du roi* sa puissance. Il n'est, pour ainsi dire, pas douteux que, s'ils font bien usage de ces moyens, Ils no parviennent à prévenir la nécessité d'employer là forco; sans trop accordeis ils y réussiront, surtout s'ils font bien sentir à pétion et autres, quo leur situation actuelle, s'ils


102 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

sont abandonnés à eux-mêmes, est extrêmement précaire; que bientôt la caste des mulâtres, infiniment moins nombreuse que celle des noirs, sera écrasée par celle-ci ; que la colonie sera en proie à des factions dont les chefs seront successivement abattus par des compétiteurs plus heureux pour le moment; qu'une paix durablé étant conclue entre la France et toutes les puissances maritimes, nul pavillon étranger ne pourra aborder dans ' les ports de Saint-Domingue, cl qu'il suffira au roi de six vaisseaux pour interdire, aux habitants actuels de cette Ile, toute communication avec le dehors; que les habitante cultiveraient vainement les riches productions du sol, puisqu'ils ne pourraient pas les échanger contre lés objets qui leur manquent ; et qu'ils seraient bientôt réduits à vivre commodes sauvages, privés de tous les avantagés delà civilisation européenne. '

• Ces considérations doivent nécessairement frapper Pétion et Rorgclla ; et ils reconnaîtront que si le roi s'abstient actuellement des moyens de contrainte, c'est parce qu'il veut 10 bonheur de ses sujets de toutes les classes, et parce qu'il ne suppose pas que ses vues bienfaisantes trouveraient des obstacles qu'il faudrait renverser. Convaincue que les habitants actuels do Saint-Domingue, las des troubles qui les agitent depuis vingt-cinq ans, s'empresseront de jouir des avantages certains que leur offre son gouvernement paternel, S. M. suspend toute mesure de rigueur; elle n'envoie pas là plus petito force dans les parages Saint-Domingue ; elle n'abstient môme d'interdire, pour lo moment, lo commerce quo font les bâtiments étrangers dans celte colonie : mais, au retour des agents à qui ces Instructions sont données, et d'après leur rapport* S. M. fera partir des forces suffisantes pour proie"-


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE. 103

gér, ou, si cela devenait nécessaire, des forces auxquelles rien* dans l'Ile, hé saurait résister. ;

» Une fois d'accord avec Pétion et Borgclla, sur co qui les concerné èux-mômes, et sur ce qui regarde làpreinièré classé des gens de couleur, les agents établiront avec cUx la mesure moindre d'avantages à accorder à là seconde Classe/composée do ce" qui'est tnoins blanc que franc mulâtre, sans être tout à lait nègre, et à la troisième, composée de nègres libres.

» Pour celte fols, pourront être admis ( si Pétion et Borgcila le jugent eux-mêmes convenable) dans la première classe, indistinctement tous les mulâtres, anciennement libres dp droit, ou nouvellement libres de fait, soit nés en légitime mariage, soit bâtards; mais, à l'avenir, ceux nés en bâtardise rie participeront pas aux avantages deladite classe ou caste. Ils seront restreints à la seule jouissance des avantages des hommes de couleur libres avant 1789/ Néanmoins, en se mariant dans la première classe, ces bâtards y feront rentrer leurs enfants. Le .'mémo.-principe, devra être appliqué à la deuxième classe, Lés mariages d'un individu de classe supérieure avec un individu de la classé immédiatement en dessous, pourront élever à la première des deux les enfants qui en seront issus, soit à la première, soit à la secotulo génération; mais peut-être serait-il mieux d'établir que le mariage d'un individu do la première classe avec un de la troisième, porterait les enfants dans la classe intermédiaire. Les enfants nés do mères esclaves (ou censées telles) par le concubinage des blancs, mulâtres ou autres, suivront invariablement la condition de là mère, et appartiendront au inultrc deccUeci, Sur ce point, la résolution doit être invariable ; néanmoins , lesdits enfants pourront être affranchis, si lo père,


lOt ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

qui les avouera, paie au propriétaire uno somme de.,... et au fisc une autre somme, et s'il assure la subsistance dp l'enfant. La quotité dp ces sommés sera fixée par un règlement; lesditsaffranchis no jouiront que du privilège des hommes de couleur libres avant 1789. Leur mariage dans uno des classes ci-dessus désignées fera entrer leurs enfants dans cette classe.

» Quant à la classe la plus considérable en nombre, celle des noirs attachés à la culture et aux manufactures de sucre, d'indigo, etc., il est essentiel qu'elle demeuro ou i\vCelle rentre dans la situation où elle était avant 1789, sauf à faire des règlements sur la discipline à observer, tels que cette discipline soit suffisante au bon ordrç et à une somme de travail raisonnable, riiais n'ait rieri do trop sévère. Il faudra, de concert avec PétiOn, aviser aux moyens dé foire rentrer sur les habitations le plus grand nombre de noirs possible, afin de diminuer celui des noirs libres. Ceux quo l'on ne voudrait pas admettre dans cette dernière classe, et qui pourraient porter dans l'autre un esprit d'insurrection trop dangereux* devront être transportés à l'Ile do Râteau, ou ailleurs. Cette mesure doit entrer dànS l'idée dé Pétion, s'il veut assurer sa forlurip et les intérêts de sa caste; et nul, rie peut mieux quo lui disposer les choses pour son exécution, lorsque le moment en sera venu»

venu» avons dit que l'un des trois agents so rendra auprès de Christophe. Après l'avoir sondé, il s'entendra avec ses deux collègues* pour juger s'il convient de suivre uno négociation avec lut, et pour déterminer, sur quelles bases cette négociation aura lieu * de concert avec Pétion et Rorgclla, ou à leur Insu, ainsi que tes agents le trouveront convenable. Sur ce, l'on s'en râp-


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE. 105

porto à leur prudence. Autant qu'on en puisse juger d'ici, il parait que le point le plus important est de tomber d'accord avec parti de Pétion, et que, Cela fait, il serait facile de réduire celui de Christophe à l'obéissance, sans grande effusion de sang; mais, comme l'intention du roi est de prévenir autant que possible celte effusion, et do hâter la pacification générale de la colonie, MM. les agents ne négligeront aucun moyen convenable pour faire tomber les armes des mains des adhérents de Christophe, comme de celles des adhérents de Pétion.

» MM. les agents saisiront toutes les occasions sûres pour informer lo ministre de S. M. de leur arrivéo, du début et des progrès de leur négociation, et de toutes les connaissances certaines qu'ils auront acquises sur l'état des choses dans la colonie, lis se serviront d'un chiffre pour tout ce dont l'interception pourrait avoir des suites fâcheuses. Dès qu'ils auront conclu un arrangement, ils reviendront par la voie la plus prompte, rendre compte de leur mission. Toutefois, s'ils jugent important que l'un ou même deux demeurent sur les lieux et y attendent l'arrivée de l'armement destiné pour la Colonie, ils prendront ce parti -, mais il faudra, dans tous les cas, quel'iin des Irois au moins vienne porter verbalement les renseignements les plus détaillés.

» On n'a esquissé dans ces instructions un projet d'organisation politique à Saint-Domingue, que pour donner à MM. les agents une idée do co que le roi pourrait consentir à accorder : un travail définitif sur cette matière ne peut èlre que le résultai des connaissances que lo ministre du roi acquerra par eux. Ils doivent donc apporter le plus grand soin à resserrer les concessions dans les limites raisonnables; moins ces limites s'écarteront de celles précédemment établies, et mieux ce sera, lin résumé, ils


106 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

ne promettront rien au delà do ce qui va être énoncé, après avoir tout foit pour demeurer en deçà.

1° A Pétion, Borgella et quelques autres (toutefois si la couleur les rapproche de la caste blanche), assimilation entière aux blancs, avantages honorifiques ainsi que de fortune.

2° Au reste de leur caste actuellement existant, la jouissance des droits politiques des blancs, à quelques exceptions près, qui les placent un peu au-dessous des blancs.

3° A tout ce qui est moins rapproché du blanc que le franc mulâtre, ces droits politiques dans une moindre mesure.

4° Aux libres qui sont tout à fait noirs, encore un peu moins d'avantages.

5° Attacher à la glèbe, et rendre à leurs anciens propriétaires, non-seulement tous les noirs qui travaillent actuellement dans les habitations, mais encore le plus possible de ceux qui se sont affranchis de celte condition.

6° Purger l'tlo de tous les noirs qu'il ne conviendrait pas d'admettre parmi les libres, et qu'il serait dangereux de rejeter parmi ceux attachés aux habitations.

7» Restreindre la création de nouveaux libres, de la manière indiquée plus haut.

Lorsque les agents seront convenus de ces bases avec les chefs, ils ajouteront les conditions suivantes :

1" H est bien entendu «pic, pour quo fedre se rétablisse à Saint-Domingue, les lois de la propriété et tous les principes qui en assurent la garantie doivent être établis et respectes, de telle manière que chaque propriétaire, muni de ses titres d'acquisitions oit d'hérédité, ou de l'acte de notoriété qui la constate légalement, soit remis en possession de ses terres et bâtiments, dans l'état où Ils se trouveront, sans égard aux dispositions arbitraires qui


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pourraient en avoir été faites par ceux, qui, jusqu'à cette époque, avaient exercé quelque pouvoir public.

2° L'admission aux droits politiques do tous les gens de couleur, l'assimilation même des principaux propriétaires de la première classe qui pourrait en être faite aux blancs, laisse toujours à la disposition du roi et do ses représentants, le choix de ceux qui paraîtraient le plus susceptibles d'emplois supérieurs ou môme inférieurs dans les places civiles ou militaires, de telle sorte qu'aucun d'eux ne soit reconnu avoir un droit acquis, mais seulement éventuel, de môme que les blancs, aux emplois supérieurs et inférieurs. Quant à ceux qui sont actuellement investis des pouvoirs du gouvernement colonial, il est entendu que leur soumission entière à S. M. et le succès de leur influence sur la caste qui leur obéit, leur assureront les grâces du roi; mais sans aucune stipulation qui puisse engager, dans telle ou telle forme, l'autorité souveraine: tesdits chefs devant s'en rapporter entièrement à la volonté et à la bonté du roi.

•>Lorsquetous ces points auront été discutés et convenus avec les chefs, il en sera dressé procès-verbal et cel acte sera, après leur soumission écrite, leur garantie effective, en ce qu'il ne sera désormais lien exigé d'eux qui ne soit cou'orme aux présentes instructions, signées par moi secrétaire d'état, ministre do Sa Majesté.

» Il est bien recommandé à MM. Dauxion-Lavaïsse, de Médina et Dravermann, de relire plusieurs fois, durant la traversée, les présentes instructions, pour bien se pénétrer do leur esprit, afin de ne jamais s'en écarter dans le

cours de leur négociation. »

Signé MALOUKT, Ministre de la marine et des colonie?.

Hisum teneatis?


108 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

Il faut convenir que Louis XVIII avait un goût bien décidé pour les chartes octroyées.

Quid dicis de cette ingénieuse échelle do l'état social ? N'admirez-vous pas la justice distributivo? Commo c'est bien imaginé, de faire avec dos hommes hoirs/jaunes ou rouges, avec des blafards carteronnés ou des câpres et des griffes, à la peau brûlée, des blancs totallers, comme dirait un bas bleu anglais ; puis des moitiés do blanc, des cinquièmes de blanc, des 3/4, des 7/8 ! !

Le résultat de cette belle équipée put enfin convaincre le roi qu'il n'y aurait rien d'utile à faire pour les colons et pour lo commerce, qu'en jouant cartes sur table. Cetto fois ia mission fut honorable et confiée à un homme d'honneur éprouvé. On offrait au chef haïtien de reconnaître l'indépendanco de la ci-devant Saint-Domingue, en stipulant des avantages commerciaux et uno indemnité de 150 millions en faveur des anciens colons, ■

M. lo baron do Mackau, actuellement vice-amiral et ministre de la mariné, reçut du roi l'ordre d'aller porter à Saint-Dominguo l'ordonnance qui reconnaissait Haïti comme État souverain et indépendant.

Le dimanche 3 juillet 1825, les trois bâtiments aux ordres de M. do Mackau, vinrent mouiller sur là rade de Port-au-Prince. Voici lo discours quo prononça M, do Mackau, en délivrant l'ordonnance.

MONSIEUR LE PRÉSIBBNT,

Le roi a su qu'il existait sur une terre éloignée, autrefois dépendante de ses États, un chef.illustre qui né se servit jamais do son influence et de son autorité quo pour soulager le malheur, désarmer la guerre de ri-


RÉPUBLIQUE HAÏTIENNE. 109

gueurs inutiles, et couvrir les Français surtout do sa protection.

Lo roi m'a dit : « Allez yers cet homme célèbre ; offrez» lui la paix, et pour son pays la prospérité et lo bonheur. » J'ai obéi; j'ai rencontré le chef quo m'avait signalé mon » roi, et Haïti a pris son rang parmi les nations indépendantes,,» v '

Quello est aujourd'hui la situation d'Haïti, et quel avenir lui est-il réservé ?

L'état actuel est tout co qu'il y a do plus triste, Lo moule de Toussaint Louvcrturo a été brisé sans avoir fourni uno sccondo empreinte. Saint-Domingue, en 1789, comportait 800 sucreries, plus do 3,000 cafeteries, plus do 3,000 indigotories, 750 cotonneries.

Le mouvement d'affaires était prodigieux: 462 millions d'oxportations, et 260 millions d'importations. Sur cette, masse, lé gouvernement avait perçu 22 millions d'impôts. Dans la même ànnéo, la colonie avait reçu dans ses porte, navires français 515; étrangers 1063,

Produits : sucre terré, 120 millions de livres; sucre brut 250 millions de livres; café, 230 millions do livres; indigo, un million do livres ; coton, 8 millions de livres ; cuirs do boeufs, 20,000; sans parler des énormes quantités enlevées en contrebande par les Anglais, Hollandais et Américains; plus, des mêlasses vendues aux Américains pour 25 millions de francs, et du bois d'acajou, pour 2 millions.

Si l'on considère qu'à la même époque là totalité du mouvement commercial du royaume n'excédait pas

)¥é


110 ÉTABLISSEMENT* COLONIAUX.

1,100,000livres,oa Irouvera que Saint-Domingue seul représentait presque les deux tiers du commercé extérieur de la France. ^

M. Schaelchor, qui est allé visiter Saint-Domingue en observateur, et quo ses opinions bien connues no permettent pas dp ranger parmi lés ennemis do la liberté dès noirs» nous apprend qu'aujourd'hui les Haïtiens, sans en excepter les sénateurs, sont couverts do sales haillons ; quo dans toute la colonio il no so produit pas apsez dé sucre pour lo besoin des malades; qu'il est apporté d'Europo et so vend chez les apothicaires cinq francs la livre. Oh ne consommo généralement que do la mauvaise mélasse 1! etc., etc., etc.

L'AVENIR? Demain nous le dira. Mais c'est lo demain de l'histoire.

Si les Haïtiens sont devenus pauvres, ce n'est pas du moins en population. Ils pullulent et ils sont libres, Un peuple nombreux et dont l'indépendance est assurée, peut languir, mais il ne meurt pas. Saint-Domingue redeviendra florissant et opulent, 11 ne faut que savoir attendre,


LES ILES DU VENT

^mANÇAÏSÈS EN 1789.

Nous avons pu nous exprimer sur les événements de Saint*D0mingue, sans risquo do blesser beaucoup do suscepiibiiltés, parce que son changement de domination la range en quelquo sorte, pour nous, dans l'histoire* an*

ciénne, ■V'O-' ... ■?■•/.''/

Il n'en est pas tout à fait ainsi des colonies dont nous aljôns nous occuper ; en disant la vérité, rien que la Vérité, tnais toute la vérité', c'est bien à contrecoeur quo nousahligerbns peut-être dès personnes qui, malgré les torts qu'on peut leur reprocher, sont, sous d'autres rapports, dignes d'estime et de respect. Mais qu'y pouvonsnous? ,'V;

Nous avons aussi à raconlor les occupations anglaises, certes, nous aurons peu do chose do bien honorable à en dire. On trouvera peut-être mémo que, jouissant de la paix avec l'Angleterre, il est au moins superflu de rappelée la pesanteur do son joug, Cette opinion, fort commode pour ceux qui se sont déshonorés, n'influera pas sur notre récit. Bonis noect, quisquis pàperccrit nwtis,

LA MARTINIQUE, LA GUADELOUPE, Sulntc-laiclc et Tulxtgo.


Il'i ÉTAUMSShMENTS COLONIAUX'

Il est d'ailleurs utile quo chacun soit bien convaincu do cotto vérité, c'est quo lo plus grand des crimos politiques, cejui do livrer tout ou partio de son pays a l'ennemi, doit recovoir un.juste châtiment, et quo ceux qui ne participent pas à cotte trahison, doivent compter sur leur courage pour la combattre Toute faiblesso en pareille circonstance est coupable, et c'est justice qu'on en soit puni.

Sir John Jervis, le Qlorious Jervis, comme nous l'avons lu sur la médaille frappeo en son honneur, quand il a été créé lord Saint-Vincent, est jusliciablo de ses oeuvros, tout comme son acolyte, sir Charles Grcy ; il n'a pas plus de droit a un bill d'indemniUj pour ses vols, ses rapines, ses cruautés surtout, que nous n'en admettons pour Nolson, encore plus grand homme do guorro que lui, mais qui, aux yeux do l'humanité et do la,raison, restera toujours souillé du plus honteux des crimes qu'on puisso reprocher a un commandant supérieur, la violation d'uno capitulation qui épargnait la vio d'uno foule do malheureux, Lo bourreau du vieil amiral Caraccioli, qu'il a fait pondre, à la grando verguo du vaisseau amiral, par forme de passe-temps offert à uno honteuse prostituée, hyèno altérée de sang, aux genoux de laquelle il s'attachait avec autant do ridicule que d'odieux, ne trouve d'absolution ni à Aboukir, ni à Trafalgar. On est prince du Nil, on est du" dé Bronto, oh est l'idole do Caroline do Naples, mais on Ven. reste pas moins l'horreur du genre humain.

La postérité a commencé pour les grands coupables de lèse humanité. L'orgueilleuse deviso assuméo par "Nelson , lors de sa promotion à la pairie :. Palmàm qui meruit ferai, n'a pas émoussé le burin do ïhistoiro ; les


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palmés lui restent, mais co sont dos palmes oulacèes par les" serpents des Euménjdes.. ##

Il est du devoir do quiconque veut écrire inSprtiàloïnent do se livrer d'abord à un oxaiheri de conscienco, et je satisfais h cette équitablo loi. Suis-jo anima par la haine çontrol'AngieterroPLoiiidolàfj'aYouom^ inclination pour le peuple anglais. J'ai tant connu d'Anglais qui ont commande mon alTection | Assurément, si j'avaisà personnifier la nobiesso dés senUnients, la géflôv rosjtô, le dévouement,' la grandeur d'âme, je ferais poser pour modèle lo truet/içrough bred englïsh gentleman, L'Angleterre est une grande, bravé et noble nation, quo son intelligence, son admirable patriotisme, la générosité qu'elle a exercée envers les infortunés j les proscrits politiques, recommandent à tout co qui porte un coour d'homme, à tous les esprits droits et éclairés. Mais quand son gouvernement, qui est rarement l'expression du sentiment national, autorisé les" bassesses de quelques enfants indignes d'elle, faut-il acquiescer à ces turpitudes? Non, pas plus qu'a celles qui ont souillé nos glorieuses annales 1 Et nous aussi, nous avons donné un honteux spectacle d'écumeurs» de corsaires, courbant sous lo poids des décoratiônset des vols.: les palmes do la gloire ont parfois traîné dans régout fangeux do la rapine, or plus d'un beau laurier a tenu; dans lés fourgons* cômpagnio aux calicesj aux ciboires* etc.

Les mômes causés ont agi aux lies du Vent commo à Saint-Domingue pour y produire la résistance, d'abord plusoû moins dissimulée, aux lois do la métropole,- les fureurs des réactions, et* plus tôt du plus tard, là rébellion ouverte, la trahison, l'appel à l'étranger pour se soustraire a la domination do la France. Nous référons


fj4 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

donc en général à co que nous avons dit plus haut danV notro a||iplo sur Sainl-Dominguo, L'histoire dos troubles de la SÎarjiniquo n'est qu'une édition petit format dp l'in-folio Saint-Domingue : l'égalité des droits politiques entre blancs et hommes do couleur, Valwliflon do l'esclavago,fofitë niali labes$ et l'on n'aura pas de peine à so l'imaginer, si l'on observe ce qui sa passe ençoro aujourd'hui à la Martinique et $ la Guadeloupô, malgré tous les enseignements d'un© expirienco chèrement acquise.

.11 est cependant des nuancés. Quelques circonstances d'une influence majeure ont d'ailleurs fait varier los symptoines de la rébellion et modifié la marche des événements,-Il convient d'abord de signaler ces circonstances» ce qui rendra plus facile rintelligence dôs faits.

La première do ces dii^rencés entro Saiht-Dortiinguo: et les Iles du Vent so rattache à la position des hommes libres do couleur;. A Saint-Domingue, cette classé présentait un grand nombro (lo riçhesV propriétaires do nombreux esclaves, aVe| lesquels ils partageaient jusqu'à ; un certain point les'misôres do l'abjection civile et politique. Beaucoup de ces sang^niôïés avaient reçu en Europe une éducationqui nécessairement avait dûi en le? éclairant surles droits> imprescriptibles 4e l'humanité, modifier beaucoup les idées de servilo assujettissement. Aux lies du Vent * au contraire, a peiné; aurait-on ^pu compter parmi lès hommes do couleur quelques petits propriétaires d'esclaves, et en général l'ignorance était

D'autre'part^ une circonstance majeure tendait; dans les colonies dd Vent, à poser entré lés populations des villes et collés des càrnpagnes, entre, les planteurs eVles négociants, en un mot, une infranchissable barrière do


I.KS iLJ-S UU VKNT. 1)5

haines, do jalousies et do méfiauces, Les règlements do commerce défendaiont à tous vaisseaux, autres quo ceux du cabotage, l'abord do la céte, oxcepté dans les ports désignés par les ordonnances royales; A la Martinique, par oxempie, les seules villes de Saint-Pierre et du FortUoyal étaient Vemporium du commerce. De là là nécessité pour les planteurs do toutes les autres paroisses do la colonie, do diriger leurs produits sur ces villes et d'y avoir recours à des commissionnaires pour là vente et les recouvrements; et morne à la Martinique, lo seul port do Saint-Piorro jouissait do tous ces avantages} car l'insalubrité du Fort-Royal, en opposition avec les agréments et la commodité qu'offrait Saint-Pierro, attirait tout dans cette dernièro villo; lo bassin du Fort-ttoyal no recevait guère quo les vaisseaux qui y allaient passer la saison d1hivernage,. à cause des raz-de-marée do la rade de Saint • Pierre, et après avoir déchargé dans cette villo toutes leurs marchandises.

Cet ordre do choses avait donné naissance à une nombreuse classe de spéculateurs qui, sous le nom do commissionnaires spéciaux, forçaient moralement les planteurs à avoir recours à oux. Assurément ces règlements prohibitifs étaient vexatoires et extrêmement onéreux aux planteurs, autant qu'ils étaient favorables à la villo do Saint-Pierre* où les magasins pour la réception des produits coloniaux avaient atteint à un prix de location vraiment fabuleux.

Les planteurs se plaignaient amèrement; ils accusaient les commissionnaires do rapacité, d'oxactions, d'infidélité dans les comptes do ventes et d'achats de marchandises en retour.

Ils révèrent un moyon de redressement et de von-


I 10 KTAnMSSHMBNTii Cl)j<ONIAUX.

geanco qui no sourit qùo trop à tous les débiteurs en général» et surtout aux dérjitours Colons, dont ni lo fort ni lo faible n'est un désir immodéré do so libérer. On laissa pou à peu les commissionnaires à découvert do gràncles avances; et comme co qu'on appelait aux èolonies là saisie réelle, c'ost-à-diro l'expropriation des nègres, des mulets et dès instruments aratoires, était prohibée par la loj! là' ville do Saint:Pierro finit par so trouver créancière dos campagnes pour des sommés énormes. Ello fut punie par où elle avait péché, et pour avoir trop oublié lo dictum latin ; Boni paètoris est tondere pecus, non deglubère.

Du côté des planteurs, quand le jour des troubles politiques arriva, il est naturel d'imaginer bien des démangeaisons, vindicatives et des velléités de commode libération Si, par oxemple, ces impo^^ être considérés par jlés Anglais, nouveaux inallresde la colonie | comme des êtres ^angereux par; leur séjour à Saint-Pierre ; si l'on pouvait les en exclure, ce n'était pas journée tout à fait p^rduo ; et c'est, pour des cas nombreux, ce qui a effectivement eu lieu; Les trôs-honorâblés Jèrvis et Grey ont accepté la niission do régler et de solder bien des comptes. ^Moyennant bon droit do commission çepéndàntO ' . ;

Puisque nous tenons ces très-illustres et très-honorables, itous pouvons v sans inconvénient, anticiper chronolôgiquèmertt parlant* et faire connaître quelques-uns ij[|^iirs actes de protection tant vantée et si solennellement pronnW par leurspro^ plus tard sur les événements qui ont procure lo bonheur do les avoir pour maîtres. /

tfno foule d'émigrés français était accourus d'Europe, pour jouir do l'humiliation des patriotes aux colonies ;


LÉS ÎLES DU VENT. I 17

cela était beaucoup plus facile que d'obéir aux injonctions du duc do Brunswick et de venir droit à Paris pour n'y pas laisser pierre sur pierre; un grand nombre, d'ailleurs, étaient enrôlés dans les régiments étrangers pris à leur soldo par los Anglais et qui faisaient partie do l'expédition do Jervis et Grey. Mais les p! is enragés encoro, les plus insolents, les plus féroces réacteurs étaient ces colons qui avaient fui devant Hochambcau et qui étaient allés, avec MM. de Bébague et dé Hivièrc, conduire à l'Ile do la Trinité, aux Espagnols alors on guerre avec la Franco, lo vaisseau La Fermo et la frégate.La Calypso. Ces dignes Français se chargèrent de dresser les listes do proscription. Les généraux anglais firent embarquer sur des transports infects et pestiférés, tous ceux qui leur étaient ainsi désignés. Où nous envoyez-vous, demandaient les victimes? Nous n'en savons encoro rien nous-mêmes; nous prendrons les ordres do Sa Majesté. Et puis la circulation calculée des menaces les plus terribles : on va les envoyer dans les prisons de Portsmouth. Bah! vous ne savez pas, c'est à Bqtany-Bay qu'on doit les conduire : la Képubliq le Française n'est pas uno:puissance reconnue, il n'y a pas d'échange do prisonniers possible avec elle '; tous ses adhérents sont hors la loi et doivent être traités en forbans.

Quand la terreur fut à son comble; quand chaque personne embarquée se crut condamnée à périr dans la plus dure des captivités; quand les femmes et les enfants, qu'on avait séparés des chefs de famille en les- plaçant sur des bâtiments séparés, furent au désespoir, uno porto s'ouvrit : la porte d'argent. Quelques êtres infâmes, dignes agents des Grey, des Jervis, des Gordon, des Dundas ; des êtres en tête desquels on doit signaler un certain


118 KTABLISSeMUNTS COLONIAUX.

Blondel, négociant du Fort:Royal, allié cependant à tout ce qu'il y avait do plus considérable et de plus noble race à la Martinique, so rendirent à bord des transports. Corn* bien donnorez-yous? Si vous offrez assez, on vous débarquera, et il vous sera permis do vous embâfquer à vos frais pour los États-Unis bu autres lieux, en vous soumettant toutefois à étro pendus, si Vous reparaissez sur aucun point do la domination de Sa Majesté Britannique, Alors commença ouvertement, coram populo, un grand bazar de libération,

Des individus, très-riches çt tenant à la colonio par leurs propriétés, leurs affaires, avaient été embarqués. Pour ceux-là on pense bien que le tarif fut plus élevé ; il y avait d'ailleurs des gradations ; tant pour être autorisé à rester dans la colonie jusqu'à telle époquo fixée et fatale; tarit pour y êtro souffert indéfiniment.

Il est certaines choses qu'un honnête homme ne peut raconter qu'avec hésitation, el la rougeur au front, comme s'il était iui*mêmé coupable des turpitudes qu'il signale, C'est ce quo nous éprouvons dans ce moment, Nous aussi y rtot^avons capitulé ayee l'honorable lilondpli non pas pofpnous personnellement^ comme attaché à l'administration do la marino, nous étions do droit prisonnier do guerre ; niais i| s'agissait de libérer un frère athô, père do famille. Nous nous trouvions dansJe cabinet de sir Charles Gordon, le digne gouverneur laissé à Sainte-Lucie, où nj^ijûi remettions la facture des balles de colon; livrées en^ècharigo de la liberté do notre frère détenu siir les vaisseaux, quand il se présenta, en suppliante, une jeutlo fenfime dont le mari avait aussi été embarqué i « Combien donnez-vous, Madame? — Tout ce dont je puis disposer au monde; seize balles do coton. — Ce n'est pas àssêzî je ne


US iL.ES UU VENT. UU

puis libérer votre mari à co prix ; sortez. >» La malheureuse, éplorée, épcrduo, prenait déjà la rampo pour descendre, quand Gordon la rappela. Dans les colonies, toutes les femmes do la classo moyenne se chargent do chaînes d'Or, do pendants d'oreilles. •< J'accepte vos seize balles do coton. •> Et lo colonel sir Charles Gordon, sous l'uniforme de Sa Majesté JEfritanniqiio, décoré do plusieurs ordres, ajouto : « Voire mari sera débarqué; mais vous allez me remettre vos boucles d'oreilles et cetto chaîne quo vous avez au cou, » On no mo croira pas!!,., et je félicite mes lecteurs do no pouvoir me croire, ,

Au surplus, co filon do la mine, découvert par les généraux anglais, ne tarda pas à s'épuiser; il fallut avoir recours à uno plus savante exploitation. De ce moment je n'ai plus à caindre l'incrédulité de mes lecteurs; ce n'est plus moi qui vais parler; ce sont des actes authentiques, recueillis dans les stale papers, publiés à Londres.

t. PROCLAMATION. « Tous négociants, capitaines do navires, facteurs et autres, tant français qu'étrangers, ayant en leur possession des productions coloniales de quelque espèco et qualité quoeo puisso elro,sont, par ces présentes, obligés de remettre demain, entre onze heures et midi, sans nulle faille, entre les mains do M. Baillic, à l'hôtel do l'intendance, sous peine d'emprisonnement des délinquants et de confiscation des marchandises non déclarées, l'état exact, certifié et détaillé de ces produits coloniaux; et les personnes susdites doivent avoir attention, dans ladite spécification, do faire connaître lés noiris des propriétaires, les magasins et lieux de dépôt desdites marchandises; la rue où sont situés les magasins,

» A Sainl-Picrre-Marlinlque, le 19 février 1794.,

» Thomas DUNDAS, (State papers, vol. n, pag. 78, ) » Major-général, «


120 OTABMSSKMKiYrS COLONIAUX.

La confiscation n'est pas encore prononcée, comme on voit, on laisse mémo supposer qu'il serait possiblo d'y échappe! par des déclarations sincères. Il no s'agit encoro que do s'assurer des quantités et des lieux; de dépôt;

N° 2. PROCLAMATION. « Sir Charles Grofet sir John Jervis, commandants en chef des forces do térroet do mer do S. Mi Britannique aux Iles du Vont, ayant résolu que tous les produits et marchandises jusqu'ici déclarés seront publiquement vendus au profit do ceux qui s'en sont emparés ; toutes personnes qui ont fait les déclarations sont, par ces présentes, tenues, aussitôt qu'elles en sorônt requises par les agonts, do leur délivrer les susdites marchandises. Donné sous ma signatùro et lo sceau de mes armes.

» Ce 10 avril 1794,

»> Robert PRESCOTT.

» Par ordre du Gouverneur,

» B. CUFTON, Secrétaire, »

(State papers, vol, n, p. 90.)

# 3. PROCLAMATION. « Les agents préposés aux saisies do marchandises, dans la ville de Saint-Pierre, nous ayant représenté qu'il so trouvo des déficits considérables sur les quantités déclarées, il est ordonné par les présentes aux habitants do ladite ville de Saint-Pierre, de .délivrer aux susdits agents préposés aux saisies, le dimancho prochain 28 courant, uno spécification exacte des produits do la colonie actuellement existants dans leurs maisons; et ce, sous leur responsabilité et aux risques et périls des déclarants. Une vente générale aura Heu plus tard, et s'il était découvert qu'aucune partie de


LES iiçs nu VENT. 121

marchandises ait été soustraite à la connaissance des agents, les délinquants encourraient les peines les plus sévères, : :-//./'v., '■■&■/■.■ .■'"■

» Robert PRESCOTT.

» l'ar ordre du Gouverneur,

■■'; » B.tLiFTOS', Secrétaire, »

(State papers, vol, i.>|>ag. 91.)

N" 4. MÉMOIRE présenté par des Anglais sujets de Sa Mar jesté Britannique, en faveur des habitants français propriétaires à la Martinique,

A Sa Seigneurie le duc de Portland, secrétaire d'titat au département de T intérieur,

Représentent humblement, les soussignés, qu'ils sont autorisés par un grand nombre de respectables habitants et propriétaires do l'ilo do la Martinique, sujets loyaux do S; M. BritanniqUo, à représenter aux ministres do Sa Majesté rinjustico et l'oppression exercées envers tosdils habitants et propriétaires par lo général sir Charles Gréy, et le vice-amiral sir Jôlin Jervis, commandant^ en chef des forces de S. M. Britannique, employées dans la susdite lie.

Les personnes que nous représentons no sont point dés adhérents de là prétendue convention nationale/ et ne se sont point Opposées à la déclaration d'occupation donnée à bord dû vaisseau léBoyhe, lo 1er janvier 179i ; mais au contraire, nous sommes autorisés à établir comme des faits qui réposent sur ùrio notoriété telle qu'elle no peut laisser aucun doute, ou qu'on' peut prouver par des témoignages substantiels et évidents, quo lorsque le maire de la ville de Saint-Pierre, dans l'Ile do la Marti-


1 22 1ÎTABL1SSEMENTS COLONIAUX.

nique, a reçu lés premières sommations des éommandants en chef pour Sa Majesté, la ville et les forts étaient si absolument à la disposition des nègres et des gens de couleur, que les habitants blancs no pouvaient manifester leur désir do se rendre; mais qu'immédiatement après la retraite des gens do coùteur et des nègres hors de la viïle, ils se sont soumis paisiblement et tranquillement à l'autorité do Sa Majesté, et se sont placés sous sa royale

Jïi^tcclîoil*'------\:.;v:'';'.:;' ; i:^;- <■:■■■■■' ^.'■■r/--'^"-^:

Nous sommes en outre autorisés à établir que lésdits habitants et propriétaires avaient compté avec uno ïmplw cite confiance sur la sécurité qui jour avait été promise par ladite proclamution des commandants en chef, stipulant la jpuisssancé entière et inmiédlato de leurs propriétés légitimes ^ solennellement accordée et garantie.' ■ ; ; ■, i"' ï-: >,■

Nous sommes do plus autorisés à établir, qu'au mépris do la déclaration susdite, et par une violation flagrante dp la loi britannique, et contrairement à toutes les règles delà guerre» telles qu'elles sont pratiquées chez les nations civilisées, tous les produits et marchandises existants dans la ville de Saint-Pierre * ainsi que dahi les autres parties de la colonie, ont été peu après saisis |)ar ordre tles commandants cît chef, et ce, sans qu'aucune cour d'amirauté ait été préalablement constituée, et sans qu'au préalable H y ait eu aucune espèce do jugement ; et (lue ces marchandises ont été vendues au bénéfice

Nous appelons sérieusement l'attention des ministres do Sa Majesté sur lesi termes de la déçlaraliondul" janvier 1T04, et nous leur soumettons humblement, que la promesse solennelle faite dans ladite déclaration a été


LES ILES nu VERT. 123

directement adressée à do simples individus * et non point à la force armée qui tenait la colonie sons l'oppression; et que, si la soumission immédiate et volontaire des habitants de cette Ile n'est pas considérée comme leur assurant lin titre au bénéfice d'une promesse solennelle, cette déclaration des commandants en chef ne devient plusqu'uno cruelle moquerie ; et que, dons le fait, ce n'a été pour les habitants loyaux et sans défiance, qu'une injustifiable tromperie.

Nous supplions humblement, quo les ministres de Sa Majesté fassetit une immédiate justice et redressement de ces torts. 4

Signé Georges WOOMOUT TIIELLUSSON,

Président de la Chambre de Commerce. (State papers, vol. m. pag. 459.)

N°5. MtiMOIRb présenté par le commerce cl la ville de

Liverpool, A Sa Seigneurie le duc de Portlnnd, l*un des principaux

secrétaires délitai de Sa Majesté*

Représentent humblement, les soussignés, qu'ils ont des propriétés considérables représentées par les dettes contractées envers eux par les habitants dés différentes Iles aux Indes-Occidentales, qui dernièrement appartenaient à la couronno de France, et qui dans le cours des présentes hostilités sont tombées sous la puissance de Sa Majesté Britannique.

Que ces dettes et ces propriétés datent d'une époque antérieure au commencement de la guerre , par suite de transactions commerciales avec lesdiles Iles; transac-


I 2 1 ÉTAUL1SSEMEMÏS COLONIAUX.

lions autorisées et sanctionnées, particulièrement par le traité de commerce avec la Franco en 1787.

Que la récente saisie et la confiscation générale de tous les produits coloniaux trouvés dans l'Ile do la Martinique, et dans celle de la Guadeloupe et dépendances ; ainsi que les lourdes contributions imposées aux infortunés planteurs et négociants do l'Ile de Sainte-Lucie, qui s'étaient volontairement soumis à la première Sommation des commandants en chef des forces do terre et de mer de S. M. Britannique, est un sujet de la plus grande importance pour les soussignés, dont les intérêts se trouvent, par ces mesures, gravement compromis.

Les soussignés conçoivent que les horreurs do lu guerre, redoutables dans tous les temps, deviennent par de telles sévérités, doublement oppressives et cruelles. Ktdans le fait, les soussignés conçoivent que s'il est politique et humain pour les ministres de Sa Majesté, d'empècher la continuation de procédés aussi violents, et la levéo ultérieure de contributions illégales dans ces Iles, ce qui ne peut être douteux, il n'est pas moins urgent d'ordonner sans délai la restitution de ce butin honteux, fait par nos commandants en chef, et actuellement placé dans les mains de leurs agents aux Indes-Occidentales et en Kuropo, etc., etc., etc., etc., etc., etc.

Signé John SHAW,

Mqlrc de ta ville de Livcrpool t

lit tes Négociants et Armateurs de Livcrpool :

James Bold, Gcor, Imnbar, Wlll. Ridgcs, Wlll. Dobson, \Vm Kward, J. P. Richard, John llonghlon, Jos. Ward, Th. Twcmlour, J. Bollon, Ash. Byrom, \VM Leiglt,


LES ILES nu VENT. 125

Benj. Thomas, J. Lighbody, Job. Thomas, John Conway, Henry Brown, Geo. Mcrcer, Joh. Tornhill, Rich. lloughlon, James Quich, James, Pcrcival, Gleavcs, Th. Frankland, IL Moore, Pcaru Ashfeild, Dan. Bockhoun> Wm llarpcr, W. Neilson, Jos. Birch, Edw. Alhcrlon, Elijah Gobham, Thom. Harrison, Bcnsontarlcton et Backhouse, Joh. Backhouse, Joh. Tarleton, John llornby, John Sibbald, James Gatcott, W. Miller, Blacke Tharp, Harding Junior, And. Dodson, Jos. Lcay, Th. Rodic, Ellis llogson, Will. Begg.Thom. Carlwright, James Michell.

VA trente-neuf autres Signatures,

(Stalc pape», \ol. m.pag. 101.)

En vojlà-l-il assez? I.a couronne do messieurs Grey et Jervis n'est-elle pas bien tressée?

Au tour du cabinet de S. M. Britannique maintenant. Voici comme il a été fait droit.

0. COPIE d'une lettre du duc de Portland au Comité des Planteurs et Négociants des tndes'Occidentales,

Whlte-llall, SO avril 1705.

Gentlemen,

En réponse aux mémoires qui m'ont été transmis par les planteurs et négociants des Indes-Occidentales, au sujet do certaines proclamations publiées pendant le commandement de sir Charles Grey et de sir John Jervis dans les Indes-Occidentales, permettez-moi de vous informer qu'aussitôt'que les ministres de Sa 'Majesté ont été instruits de la nature de ces proclamations^ ils ont expédié


12G Jh'ABLISSbMKÇri'S COLONIAUX.

des ordres à cet égard, en conséquence desquels il n'y a plusété donné do suite; et depuis, nous avons été informés quo nos instructions ont été si clairement comprises que l'argent qui avait été payé à titre do contribution à déjà été restitué ; en sorlo quo lés proclamations en question no peuvent plus être considérées, comme elles no sont en effet considérées, que sous lo point do vue d'actes annulés.

Je suis, etc.. Signé POHTLAND.

(State papers, vol. in. pag. 103.)

Restitué U11 pas un sou, pas une obole, pas lin denier ; pas mémo les boucles d'oreilles et la chaîne do cou do madame Buffanlcr,

Et il est tellement certain qu'il n'a été fait aucune restitution, quo le 4 mai 1705, les mômes pétitionnaires ont renouvelé leur vive plainte. Voici leur nouvelto pétition.

No 7. MÉMOIRE des Planteurs et Négociants, daté de

ïjondres te 4 mai 1795, A Sa Seigneurie le due de Portland, Pun des principaux

secrétaires d'État de S» M, Britannique,

Remontrent,

Que les soussignés sont dans la plus grande alarme sur lo sort qui menace les colonies anglaises, etc.) etc.) etc., etc., etc.;

Quo les soussignés ne peuvent quo renouveler les représentations pressantes qu'ils ont précédemment adressées aux ministres de Sa Majesté sur les conséquences désastreuses qui peuvent résulter des actes sans exempte


LES ILES pu VENT. 127

et do la conduite de sir Gh. Groy et sir John Jervis lors do la pvise des colonies françaises. C'est cette conduite que les soussignés doivent considérer comme la cause efficiente des progrés faits par l'ennemi tout récemment, soit en récapturant une partie des colonies, soit en en attaquant d'autres. Les soussignés trouvent la confirmation de leur opinion dans les proclamations des commissaires français aux lies du Vent, et il y a tout sujet de craindre qu'une réaction des violents procédés des commandants anglais no vienne aggraver singulièrement la pénible position dés sujets «do Sa Majesté, etc., etc., etc., etc., etc. Les soussignés concluent en demandant que la conduite des commandants pour S. M. Britannique, qui se sont arrogé le droit do lever une lourde contribution sur les Des qui se sont soumises à Sa Majesté, et qui ont confisqué tes propriétés particulières, contrairement aux promesses do Sa Majesté, soit solennellement et publiquement désavouée.

(State papers, vol. ni. pdg. 107.)

8. LETTRE de Sa Seigneurie le duc de Porlland^ en réponse à la pétition ckkssus,

Gentlemen;

Relativement à un désaveu public des proclamations, je no peux que référer à ma lettre du 10 avril, et je no vois pas que ce desaveu puisse avoir d'autre clîet que do servir de prétexte pour les représailles que vous redoutez.

J'ajouterai ensuite, qu'une déclaration générale, de la


128 KTAHLISSEMENTS COLONIAUX.

nature de celle que vous demandez, impliquant des questions qui se rattachent au droit des gens, no peut, soiis aucun rapport, être du ressort des ministres de Sa Majesté, qui n'agissent point dans les limites d'une capacité judiciaire.

.Signé POMXAND.

^ (State papers, vol. m, pag» 100.)

N° 0. Nouvelle insistance des pétitionnaires. Nous sommes forcé d'omcltro cette secondo sério de pièces i nous remarquons seulement cette phrase d'une lettre du duc de Portland : « Je suis sûr que vous no » pouvez avoir aucune disposition à continuer des ré» clnmations qui n'auraient pour résultat que do blesser »' les sentiments d'onieiers de mérite, aux grands clîbrls » desquels te pays doit ses succès, spécialement dans »> celte partie du monde qui intéresse si vivement les >< planteurs et tes négociants des Indes » Occidcnta - » les. »

. (Sialc papers, vol. m, pag. 202.)

Nous voudrions bien pouvoir donner au moins, uno légère idée de l'encyclopédique factum publié par MM, Grey et Jervis en vindiçation do leur honneur, Mais cela est impossible : ce gros volume se dérobe à toute espèce d'analyse, et c'est dommage. Les temps anciens et modernes y sont passés en revue pour y chercher des exemples do rapines comparables à celles dont ils étaient convaincus. Mais se douterait-on du moyen péremptoiro pur lequel ils terminent leur très-singulier plaidoyer? Ce moyen victorieux consiste en un satisfecit qui leur est signé. . i »..,


LES ILES DU VENT. 129

éroyc/.-vous? par ces mêmes émigrés, ces mémos transfuges, auteurs dès listes de proscriptionqui leur avaient servi comme de matrices et de parcellaires pour leurs rôles do contributions voleuses l ! I

Dans ce curieux factum dès commandants en chef de S. M. Britannique, et que l'on croirait avoir été minuté par quelque clerc do procureur du Mans ou do Domfront, l'on peut compter jusqu'à quarante-trois fins de non-recevoir, opposées à la réclamation.

Ah! pour justifier leurs actes, Bayard, Duguesclin, Latrémouîlto, Turcnnej Catinat, n'avaient pas ou» comme MM. Jervis et Grey, besoin de recourir à un suppôt de la Basoche i

N° 10. No quittons cependant pas ce glorieux factum sans en traduire un court extrait, Ad usum Francorunu

Ces Messieurs s'adressent au duc do Portland, le 7 mars (795, et disent:

« La crainte exprimée par les pétitionnaires (anglais), » c'est qu'en cas d'un revers do fortune, le gouvernement » français viendrait à traiter les sujets de S. M. Brilan» nique comme ont été traités les sujets de la France. » A ceci,nous n'avonsaucuno réponse à faire, sinon sur » la nature particulière des ordres secrets quo nous avions » reçus, et qut ne laissaient rien à notre discrétion quant » au traitement à infliger à co gouvernement ou à ses » adhérents. En référant à nos instructions secrètes, » Votre Seigneurie remarquera que ce gouvernement était » qualifié d'usurpateur, n'ayant aucune autorité légale, » et ses adhérents de rebelles et do traîtres. Par uno lettre » confidentielle de l'un des fidèles sujets de Sa Majesté, i. 0


130 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

» on nous faisait clairement connaître l'intention du » gouvernement anglais de fairo sortir des lies conquises » toutes les personnes dont les principes seraient au » moindro degré suspects; et ce fidèle sujet do S. M. ajoutait î Pespère que vous avez chassé tous les individus de » cette espèce. Certainement nous n'avons fait qu'adhérer » à cette politique. Cela nous est tellement étranger, et » nous sommes tellement dégagés do responsabilité, que » les biens séquestrés des personnes que nous ayons expulsées, continuent d'être gérés au profit du gouver» nement do Sa Majesté : les remontrances des colons » nous semblent donc avec raison, être dirigées plutôt » contre les ministres do Sa Majesté quo contre nous. » 11 y a du vrai là-dedans. . » Fronçais l quand sur vos pas vous rencontrez quelqu'un de ces vieux, pauvres et nobles débris des guerres do la République, échappés, qui en perdant une jambe, qui en perdant un bras, qui en perdant un oeil, que vous devez vous incliner profondément! C'est à co prix qu'ils ont fait voir que le gouvernement français, s'il était usurpa* tcur, n'était pas du moins facile à enchaîner. Ah! si vos pères avaient été avaros de leur sang, co n'est pas seulement des marquis deCarabas quo vous auriez vu dans les Tuileries, mais aussi les caporaux scblagucurs de Coblentz. Nous en avons eu un échantillon dans les colonies!

Achevons enfin le récit de cette honorable affairo, en disant un mot de l'illustre sir Charles Gordon, gouverneur do Sainte-Lucie, Lorsqu'il eut mis à sec toutes les bourses, vidé tous les magasins des suspects, dont la liste no se fermait jamais, il ne se trouva pas encoro assez gorgé Î il avisa un riche propriétaire, planteur dans le


LES ÎLES OU VENT. 131

quartier du Grand clilde-sac, uiiisiçur Cools de Godcfroy; il lui fit signifier qu'il eùt^ verser une somme trôs-cphs^ déràbie> sans quoi, il serait déporté de là colonie. C'était chez Monsieur Gordon, une bien malheureuse inspirât jon. Le sieur Cools était apparente aux émigrés les plus considérables ; il était d'ailleurs bien connu comme ayant aspiré à la prise de possession de la colonie par les Anglais. Sa cause fut chaudement embrassée par tous les anglophiles, qui n'avaient fait que rire et se î^oUir des vé^itîons infligées à mille autres de leurs compatriotes. Nous abrégeons : soit que Gordon eût mécontenté ses complices dans lé partage des dépouilles, ou par tout autre motif; soit enfin que ce qui allait se passer ne fût qu'une comédie, sir Charles Gordon fut déféré à une cour martiale séant à la Martinique, sous la présidence du gouverneur Prcscott. Une multitude parmi les victimes de Gordon accoururent, croyant que do sa mise eh jugement il résulterait en leur faveur quelque restitution : on no leur restitua pas une obole; mais te brigand fut condamné et déclaré indigne deservir Sa Majesté Britunnique.

Quelquo chose do bien à remarquer, c'est que dans leur défense, les commandants Jerviset Grey n'ont fait aucune allusion à la miso en jugement de leur collègue; é'est qu'en outre, dans les sMe*papers on n'en trouve aucune trace. Gordon disparut do la scène, qu'cst-il devenu? Jumais je n'en al rien pu savoir.

Nous le demandons à quiconque aura donné quelque attention à ce qui précède, les Anglais ont ils droit do se plaindre do la déclaration do Victor Hugues, qu'ils ont représentée comme un tissu d'injurieuses calomnies, méritant la flétrissure par la main du bourreau? Ne jicnsera-t on pas plutôt, sons quelque jour qu'on envisage


132 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

l'auteur dé celte déclaration, que l'acte en lui-mémo n'était que l'effusion de la vérité, et qu'il fallait être doué do bien du coùrago, dans la situation où se trouvaient alors les Français à la Guadeloupe, en face do toutes les forces de terre et de mer des Anglais aux Indes Occidentales, pour tenir un pareil langage ? Quoi qu'il en soit, voici cette déclaration :

DÉCLARATION des Commissaires délégués par la Convention nationale de France aux lies du Vent, à toutes les nations neutres qui font le commerce avec lesdites îles. .

Huit cents républicains et deux frégates françaises ont conquis la Guadeloupe. Huit mille hommes d'élite, six vaisseaux de ligne etdouzo frégates ontdùso soumettre au courage, à la vertu, ut à cet amour de la liberté qui anime le coeur d'un républicain.

Avec des forces si peu considérables mais entièrement dévouées au triomphe do la liberté et do l'égalité, nous avons surmonté tous les obstacles, et nous avons fini par chasser do ce pays fertile et libre maintenant, les restes de cette horde pillarde dont les méfaits signalaient la présence du drapeau britannique. Les vils satellites de George, ces infâmes promoteurs, ces soutiens de toute espèce de vols, honteux de leurs défaites répétées et incapables do résister à un ennemi généreux, essaient de gorger leur insatiable avidité, en dévalisant les bâtiments neutres sous les prétextes les plus frivoles* Ils épuisent toutes les ressources do l'astuce et do la perfidie pour les voler avec impunité» et ils marchent sur les traces de Charles Gordon, gouverneur do Sainte* Lucie. John Vaughan de glo-


LES ÎLES DU VENT. 133

rieuse mémoire à Saint-Eustacho, et Benjamin Caldvollj prétendent colorer leurs rapines par utie insignifiante proclamation. Ils déclarent l'Ile do la Guadeloupe en état de blocus, comme s'il était possible d'y soumettre une telle étendue do côtes.

Quel moment ils choisissent pour une proclamation aussi extravagante! Nos sloops de guerre et autres vaisseaux armés n'ont-ils pas, dans l'intervalle do quelques mois, pris, coulé oU brûlé 88 de leur vaisseaux?— TOt ce qui peut être facilement vérifié par les jugements prononcés dans les cours d'amirauté de cette lie, et par les registres de mer et autres papiers appartenant aux susdites prises. Ne sommes-nous pas prêts à les attaquer dans leurs propres colonies, et là nous les convaincrons de l'Impossibilité d'un tel blocus?

Mats il faut qu'ils pillent, qu'ils volent ; c'est là le grand principe du service militaire des Anglais. Dans co gouvernement corrompu il n'y a d'avancement qu'à prix d'argent» et il faut se procurer de l'argent, n'importe par quels moyens ; si on ho peut pas en prendre à ses ennemis, il reste la basse ressource de so faire pirates et de rançonner les vaisseaux neutres qui sont hors d'état de se défendre.

D'après cette esquisse des sordides intentions des An* glais, la dignité et l'indépendance des puissances neutres exigent qu'elles so tiennent sur leurs gardes, et qu'elles so prémunissent contre l'odieuse'vexation dont ce prétendu blocus menaco leur commerce.

En conséquence, nous, de notre côté, déclarons que jamais nous no dévierons des principes d'équité cl de bienveillance qui ont dirigé toutes nos opérations pendant et après la reprise de cette lie, et que tous les bâtiments


134 ÉTAIJL18SEMÈNTS COLONIAUX.

neutres seront ici bien reçus et protégés, autant qu'il sera eh notre pouvoir. Nous assurons^ les neutres que les rodomontades anglaises ne nous inspirent qu'Un souverain mépris, et nous leur garantissons que nos ennemis ne tarderont pas à avoir sujet de se repentir de leur témérité et de leur insolence.

Cette présente déclaration sera olliciellement envoyée aux gouvernements respectifs neutres des Iles de SaintBarthélémy, Sainte-Croix et Saint-Thomas; et en outre, au congrès et aux législatures des différents États de l'Amérique du Nord, par l'intermédiaire du ministre de la Bépubliquo française a Philadelphie.

A Porl-dc-ïa-Liberté, lo àc jour du nîois de ventôse (le al février) l'an m de la BépubliqUe française une et indivisible. • \

Signet Victor HUGUES, GOYHAND, I,E BAS.

Voici un autre document qui témoigne do l'indomptable courage des républicains à la Guadeloupe. .

Adresse des Commissaires délégués par ta Convention nationale aux (les du Vent, ■

A Joseph Herbert, Hsqr., président de ta colonie anglaise de Montserrat, ,

Les citoyens Artaud père et fils accompagnent M. Çharnbers, président do votre llo, M. Goodall et divers autres prisonniers, que les chances de la guerre avaient fait tomber en notre pouvoir ,vnous les renvoyons sur leur parole d'honneur.

Quoique la conduite des commandants anglais de terre et de mer excite toute notre indignation ; quoiqu'ils aient mérité l'exécration de la postérité, la conduite des habi*


Litf ILES DU VENT. 135

tants et du gouverneur do Montscrrat est digne do notre estime ;rhumanitô avec laquello ils put traité a^SFran^ çais nous impose un devoir do réciprocité.

Les vrais Français, lés républicains* dont lo gouyor-, nement a pour bàso la vertu, surmontant tous les préjugés, prouveront aux habitants do Montscrratqu'ils sont des ennemis généreux. Ceux quo vous avez accueillis alors qu'ils étaient chassés de leur pays par, les royalistes, auraient bien désiré quo la guerre ne fût pas venuo briser les rapports entre lés deux colonies. Puisse la paix nous faire oublier les crimes des insolents conquérants des possessions françaises ! Mais la postérité pourra-t-cllo jamajs oublier la cruauté des généraux anglais, qui ont expulsé de leur pays des citoyens paisibles des deux Sexes? Ils ont signé de sang-froid leur arrêt de mort, dans le cas do retour dans leur pays. Pourra-t-on jamais oublier qu'après les avoir dépouillés de leurs propriétés ils les ont livrés aux soldats et aux matelots, qui ont complété leur ruino, qui leur ont enlevé jusqu'à leurs' vêlements ? Pourrons-nous encoro oublier qu'ils ont séparé les femmes "de leurs maris, qu'ils ont enlevé les enfants à leurs pères, pour les transporter à dix-huit cents lieues sur des prisons flottantes et pestiférées, où à peine on leur don* hait une nourriture sulllsanto au soutien de leur misérable existence? tintlti pourrons-nous oublier la froido barbarie avec laquelle ils ont livré à llerville les Infortunés qu'ils avaient séduits, n'ignorant pas que nos lois» comme celles de toutes les notions, les dévouaient inévitablement à la mort? Non, la nation anglaise, si éclairée, nous vengera elle-même des atrocités commises dans cet hémisphère : il y aura nécessairement une enquête sur ces faits.


I3G ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

C'est alors qu'une tardive mais sévère justico punira des crimes tels qu'il n'en a pas depuis des siècles été expié de semblables à Tyburn, C'est alors que Charles Grey, John Jervis, Thomas Dundas, Charles Graham, Charles Gordon, Thompson, Vaughan, Lindsay, Leigh, Stewart, Irviho, Laforey, Myers et Caldwell recevront la récompense due à leurs forfaits ; c'est encore alors que Baillye, Drummond, Dean, Malcolm, Boss, Campbell, etc., etc., auront lo mémo sort. Nous abrégeons la liste des subalternes, Il y a d'autres noms que nous ne saurions prononcer sans horreur; ils n'étaient faits quo pour conduire des hordes d'assassins et de pillards, plutôt quo les troupes d'une nation civilisée et polie. Le succès de leurs opérations a répondu au choix qu'on a fait de tels chefs!!!

Quant à nous, nous nous flattons que cetto circonstance nous a offert une occasion do prouver aux habitants et au président de Montscrrat, comment nous savons distinguer parmi nos ennemis, et comment nous savons concilier l'humanité et la générosité avec l'accom" plissement do nos devoirs et l'exécution des volontés d'un/gouvernement dont la sagesso ne tardera pas à guérir de leur folio ceux qui veulent s'opposer a son établissement.

Nous sommés avec une haute considération vos obéissants serviteurs.

Victor HUGUES, LE BAS.

A la Basse-Terre, tic de la Guadeloupe, le A germinal, (24 mars 1790), A*' dnn.ee de la République une et indivisible.

Nous n'hésitons pas à loredire encore, et nous sommes d'avanco assuré do l'assentiment de tous les Français


LES ILES DU MUT, 137

dignes de ce nom, les actes des commissaires do la Convention nationale quo nous venons do relater, étaient non-seulement des actes de courage, dans la position critique où ils se trouvaient, mais la plus rigoureuse justice les autorisait, après la conduite des généraux anglais, La vérité historiquo nous oblige à rapporter un autre acto, quo nous voudrions pouvoir eflacer des annales républicaines. Le respect du à la cendre des morts appelle l'animadversion de tous les gens de bien sur la proclamation qui suit, de Victor Hugues. Les crimes de Thomas Dundas ne devaient pas faire oublier à des Français qu'à Dieu seul est réservé lo châtiment des coupables qu'il a rappelés do ce monde.

PROCLAMATION.

Victor Hugues, commissaire délégué de la Convention nationale aux iles du Vent,

Vu les crimes commis par les olîiciors anglais; tant lors de la capture dés colonies françaises que lors de la défense desdites colonies contre les Français ; , Vu que ces actes ont offert le cachet d'une vilainic tellement odieuse qu'elle n'a pas d'exemple dans l'histoire; Vu que les lois do l'humanité, celles de la guerre et le droit dés gens, ont été violés par Charles Grey, général ; John Jervis, amiral; Thomas Dundas, major général et gouverneur delà Guadeloupe; Charles Gordon, officier général ; et autres subalternes qui les ont imités ;

Et vu aussi quo les vols, les meurtres, les assassinats et autres crimes par eux commis, doivent être dénoncés à la postérité : '$?


138 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

Il a été résolu quo le corps de Thomas Dundas, enterré à la Guadeloupe le 3 juin, sera exhumé et donné pour pâture aux oiseaux do proio ; quo sur le lieu mémo il t,era élevé, aux frais de la République, un monument, portant d'un côté le présent décret; et sur l'autre l'inscription suivante : « Co terrain, rendu à la liberté par la bravoure » des républicains, avait été pollué par le corps de Thomas » Dundas; major général et gouverneur do la Guadeloupe » pour Georges III. •— Au souvenir de ses crimes, l'indi» gnaiion publique l'a fait, exhumer; et ce monument a * été érigé pour en perpétuer la mémoire, v

Donné à Port-Liberté, co 20 frimaire (11 décembre 1794), 3e année do la République uno et indivisible.

Signé Victor HUGUES,

VIEL, Secrétaire,

VICTOR HUGUES. Ange? ou VétHon? Homme habile? ou heureux aventurier?

Il a humilié, exterminé les Anglais.

Est-ce par d'habiles combinaisons, soutenues par son incontestable audace, par son indomptable énergie ? Ou bien les circonstances dans lesquelles il était placé ontelles seules fait ses succès ? L'élan do la liberté, chez un peuple arraché au plus dur esclavage, n'aurait-il pas suffi, sous un chef quelconque, pourvu qu'il fût courageux, à vaincre des soldats soumis au régime de la bastonnade, et qui, pour soutenir leurs officiers, demandent à être gorgés de viande et d'eau-de-vie ?

Je n'essaierai pas de rèsoudro ces questions subsidiaires. J'ai vu l'effet; j'ignofe les causes.


LES ILES DU VENT, 139

Quant à la première question Î Ange ou démon ?si l'on nous connaissait bien, personne ne serait tenté d'imaginer quo nous voyons un ange dans celui qui n'a pas su trouver un moyen pour sauver les émigrés pris les armes à la main au camp de Berville 1

Extermine», grand Dieu, sur la terre où nous sommes, "■ Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes I

Ah t que n'imitait-il rexemplo donné à la Martinique par le brave, lo généreux Bochambcau? {le Bochambeau de la Martinique, ) , ;

Quand il y a tant do coupables, on ne doit plus voir que des innocents» C'était un cas exceptionnel ; du moins il devait être si doux de le considérer comme tel l

C'était donc un démon ? '

Comme vous voudrez. Mais cependant ce démon a arraché à là mort, aux tortures infligées par les Anglais, une multitude de Français ; il n'a rien négligé pour les sauver tous ; il a fait respecter le nom français partout, sur toutes les mers, depuis la Barboudo jusqu'à Cuba. Il a causé plus de pertes, plus de disgrâces auxV'Anglais que jamais lès plus formidables armées françaises no leur en avaient fait éprouver à aucune époque dans les mers dés Antilles. Dans l'histoire do la marine, qui se lie à tous les faits de cette guerre de Titans noirs, tous sans souliers et presque tous sans culottes, nous retrouverons Victor Hugues sur la brèche, toujours indomptable, inspirant la plus salutaire terreur à l'ennemi.

Nous ajouterons ici cette dernière considération, ba justice la commande. Des centaines de millions ont roulé dans les colfres de Victor Hugues. D'après l'organisation


140 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX,

do son gouvernement, il pouvait s'en approprier uno notable partie, et il est rentré en France avec extrêmement peu de fortune !

Pour terminer, qu'on nous permette une anecdote. Nous avons connu à Taris un ancien Commodore anglais qui avait fait partie de la station des Antilles. Il était fort curieux do détails sur l'existence actuello do Victor Hugues. «Qu'est-il devenu?— Mort à Cayenné et enterré sous un cocotier do sa plantation.— No possible 1 — Very possiblo,.since it is very truo. — C'était un homme bien eccentricl mais, god damnl il était bien brave. Il a fait monstrueusement du mal aux Anglais. S'il était né en Angleterre, lo Parlement lui aurait voté uno grande récompense, et il aurait.été enterré à côté de l'immortel Blake, » > La Guadeloupe et Sainte-Lucie étant les seules colonies où, sous la domination française, les noirs aient joui do la liberté proclamée par Victor Hugues et ses collègues, nous croyons que c'est ici lo lieu de dire uii mot do la question si vitale do l'affranchissement.

Les apôtres do l'esclavage triomphent do son maintien dans les provinces du sud des États-Unis, Voyez, disentils, celte Bépublique, patrio des Washington, des Franklin, des Jefferson î'.c'est aussi le pays aux esclaves noirs. Jonathan arrivant à Londres, veut vendre son fidèle Vendredi : on lui rit au nez; furieux il s'écrie : Curieuse liberté que celle dont on jouit en Angleterre, où il n'est seulement pas permis de vendre son esclave! Qu'est-co quo cela prouvo? c'est que de mémo qu'à PArtibonito et au Limbe il y avait des planteurs de cannes à sucre, il y. a aussi à Savanha et à Norfolk des planteurs de coton et de tabac. Mais ne calomniez pas l'immense majorité des


LES ILES pu VENT. 141

citoyens des États-Unis, Dans aucun pays peut-être l'esclavage n'inspiré autant d'horreur : ce sont les États-Unis qui ont pris l'initiative de la suppression du trafic do chair humaine, Cela est constaté par des actes authentiques; plus loin nous en rapportons les dates et les) circohstances.

Malheureusement pour cette puissance, la question s'est toujours compliquée et se compliqué encore do la juste résistance qu'elle oppose ait droit de visite do ses vaisseaux que s'arroge l'Angleterre,

Non^ il faut lo reconnaître, quoiqu'on en rougisse, c'est dans cette puissante France aux moeurs polies et doucesV que là plaie de l'esclavage no peut encoro so cicatriser : elle a dans cette question, l'honneur d'être soutenue.. ,, par quellonoble puissance?Par lo Portugal; petit Etat eh révolution permanente, où l'édifice social menace ruine, Là triomphé glorieusement le commerco des nègres; avec ses distinctions de côte au nord, de côte ausud de Péquàteur, il fait par lui-même uno traite barbare et favorise tous les brigands qui veulent s'y li;vrerrV^;;,;;;;;j:V;,^\:'^.-./

li;vrerrV^;;,;;;;;j:V;,^\:'^.-./ :.:■■)■ tl^ntas Foweiî Buxton, cet avocat éclairé, constant et

zélé dé l'àrtrahéhissement de la race humaine, déclare qu'en désespoir de cause il se retire de la lutte ; il avertit que ce qui était vrai en li830f l'est encore aujourd'hui^ et qu'il n'y a eu^ ert fait, aucun progrès vers la suppression du trafic des noirs; au contraire, co trafic a rapidement augmenté depuis que l'abolition a été prononcée, tant pour le nombre des victimes que pour là somme de leurs souffipancés. L'abolition, dit-Il, commo un effet do mirage dans lé désert africain, fuit à l'approche du voyageur et se dérobe à son étreinte. D'après des témoignages


142 mULISSBMKytS COLONIAUX.

concluants, àjoute-t-il, il est avéré quo de la côte orientale et de la cote occidentalo de l'Afriquo, il so transporte maintenant 150,000 noirs annuellement ; que les; armés et autres articles de traito sont encoro manufacturés sur la plus grande échollo en Angleterre ; quo la mortalité est horriblement augmentée par les précautions mêmes qui deviennent nécessaires pour échapper aux croiseurs, et qui décuplent les souffrances des victimes; que dans la construction et l'arrimage, on n'a plus d'autre but que d'obtenir une marché supérieure; que les bénéfices de la traite sont aujourd'hui énormes, et no peuvent être évalués à moins do 150 p. °/0 à chaque voyego, :— MM, Pitt et Fox, en 179*, n'évaluaient lo.produit de la traite, dans les mêmes parages, qu'à 80,000 têtes.

Louis XVIII était de tous les partisans do la traito des noirs le plus opiniâtre ; il aurait peut * être volontiers rendu Strasbourg à ses anciens maîtres et lo royaùmo d'Aquitaine aux successeurs d'Edouard, en échange de ce droit do traite si précieux à ses yeux; A sasecondo rentrée eh France, il trouva que le plus mauvais tour que lui eût joué Bonaparte.pendant les Ccnt-Jours, c'était d'avoir ex abrupto aboli la traite. Il n'était pas possible au roi do France de redemander à l'Angleterre, ce que celle-ci lui chicanait depuis longtemps. D'après les antécédents de Napoléon, au surplus, on ne peut guère lui supposer d'autres vues, dans cet acte soudain et si peu attendu, quo île so concilier l'Angleterre.

Au congrès do Vérone, M, tic Chateaubriand combattit unguibus et rostro pour qu'on fit du moins à son mailro l'aumône do cinq années de la traito des nègres ; tant pis pour M. de Chateaubriand, H n'y a pas cependant aujourd'hui le moindre grimaud anti-abolitionisto qui ne vous


LES ILES ou VENT. 143

jette au nez cette opinion ; Si M, dé Châtoaubriand Voulait obtenir la traito, à plus forte raison; dit-on, il est pour lo maintien de l'esclavage des nègres déjà traites*

Noblesse obligé, Cotte sentence ost belle. C'est là raison et l'honneur dé l'aristocratie. Nous rappellerons que co qui oblige M. do Chàteaurenaiid vicomte oblige encoro bien plus étroitement M. FRANÇOIS dé Chateaubriand. Quand on peut sans conteste se glorifier d'être le premier dos écrivains de son pays, chevalier, sans peur et sans reproche, pur, désintéressé, noblement dévoué dans la cause du malheur, fidèle à la royauté qu'on a pour culte; quand, en un mot, on fait justement l'admiration do toute l'Europo, on devrait plus d'égards à la vérité, qui est elle mémo encoro plus belle que tout ce qu'il y a de beau au jnondo : il faudrait surtout no pas calomnier son pays, en déclarant en plein congrès que lo peuple français Ycut l'es cl a va go des noirs.OùM, lo plénipotentiairoyoyaitil donc la nation ? Est-ce dans les colons de Saint-Domingue? Est-ce dans quelques propriétaires et armateurs do vaisseaux traitant sur la côte de Maniguetto? Mais quand les Van-dér-den-dur do Saardam et de Batavia vont au Japon chercher du musc et de la porcelaine, ils obéissent sans murmure aux Bonzes, aux Talapouins, et on les fait cracher sur le crucifix. Ah I si le Christianisme, dont M. de Chateaubriand a chanté lé génie, inspirait do tels sentiments, il faudrait retourner à Teutatèsl Mais non, le Christianisme n'impose pas l'esclavage : c'est lui qui à mis fin à d'afiréux sacrifices, c'est lui qui a dit à ses sectateurs : Vous êtes tous frères. L'émancipation n'est pas du goût des Français, dites-vous ! Consultez donc toutes les classes. Vous ho trouverez qu'une masso d'indifférents d'un côlé,


144 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

indifférents à la question, par ignorance, comme ils lo sont aux questions les plus vitales. Mais, do l'autre côté, trouVeroz-vous seulement un homme qui ose se dire partisan do l'esclavage? Non : dans les châteaux comme dans les chaumières, vous verriez frémir d'indignation ceux que vous soupçonneriez de cette barbarie;

Que faut-il donc conclure des efforts de M. de Chateaubriand au congrès de Vérone? C'est qu'entre ÏQdire et lo faire, il y a placo pour beaucoup de choses; et enfin, c'est quo totus mundus agit histrionem.

Les témoignages historiques les plus authentiques attestent comme faits notoires, que la traite des nègres a été faite par la nation anglaise pendant plus de deux siècles sous la protection do son gouvernement et la sanction de Chartes concédées pour ce monopole, et l'autorité do traités publics, non-seulement pour lès besoins des colonies britanniques, mais aussi pour ceux des colonies françaises et espagnoles. Sous lo règno des premiers > Stuarts, de telles chartes ont été accordées à des compagnies qui jouissaient ainsi du privilège exclusif do la traite humaine. Les opérations de ces compagnies ont été favorisées par tous les moyens au pouvoir du gouvernement anglais : c'est co qui résulte de nombreux actes législatifs et diplomatiques ( voyez notamment le traité d'Utrecht) qui réservaient ce commerce exclusif à la compagnie anglaise, pour l'exercer en introduisant les nègres esclaves dans diverses parties des possessions espagnoles de l'Amérique dans la proportion dé 4,800 nègres annuellement, et cependant trente ans. {El facto de el Asiento denegros.)

Les colons, alors anglais, des cinq États du sud de


LES ILES DU VENT. 145

l'Amérique septentrionalo, furent naturellement tentés par roxempro des planteurs anglais des Antilles, et voulurent substituer au travail libre des blancs, celui des Africains esclaves.

A l'avènement de Charles II, le gouvernement anglais invita formellement, par uno proclamation, tous ses sujets à souscrire pour la constitution d'une compagnie spécialement destinée à fairo lo commerce d'esclaves sur les côtes de Guinéo.

Les colonistes, dans les provinces du] Nord, dites do la Nouvelle-Angleterre, furent moins prompts que ceux du Sud à adopter cet inhumain et odieux trafic. Dès l'année 1645, on voit la législature de la province de Massachusetts, prohiber le commerce dos esclaves; mais il faut que cet acte prohibitif soit tombé en désuétude, car nous trouvons qu'en 1703, la législature impose des droits, très-élovés, à la vérité, et équivalant à une prohibition absolue, pour l'importation d'esclaves dans la colonie,

Les législatures de Pensylvanie et de New-Jerséy ne se montrèrent pas moins opposées à la traito des hoirs que celle do Massachusetts. Mais tous les actes honorables do ces législatures, d'abord contré-carrés par rinfluèrico dé la compagnie anglaise, furent enfin réjetés par la couronne. ~ L'indépendance des colonies ne fut pas plutôt proclamée en 1776, que le Congrès américain déclara que la venté dès esclaves provenant do la traite, on Afrique, était prohibée. Les pouvoirs constitutionnels du Congrès; à cette époque, ne lui conféraient pas lodroit de prohiber l'importation ni le commerce d'esclaves par les Américains dans les colonies des Européens aux lndes-OcçidQntales. Mais les différentes législatures particulières de la Virginie, de la Pensylvanie et des provinces de là Nouvelle-


I4C hTABLISSEMENTS COLONIAUX.

Angleterre, prononcèrent cette prohibition sous la sanction de peines très-graves,

Lors de rétablissement do la constitution fédérale actuellement en vigueur, le Congrès fut investi du pouvoir d'étendre la prohibition do la traito en Afrique à tous les États do l'union, immédiatement, et l'importation des esclaves dans tous les États do l'union, après le {"janvier 1808. L'abolition do la traito, en co qui concerne les citoyens américains, fut donc un acte du congrès, et devint loi fondamentale do l'État. Les pouvoirs dont était revêtu lo Congrès par la constitution, furent exercés par lui en vertu d'une loi du 22 mars 1794, qui défendit aux citoyens des États-Unis do prendre part au commerce étranger des esclaves, sous peine d'amende et d'emprisonnement.

Or, co n'est quo dans l'annéo 1807, que par un acte du parlement britannique la traito des noirs fut abolie, et qu'il fut défendu d'introduire des noirs esclaves dans les possessions anglaises après le Ier mars 1808.

Il est donc certain que c'est le gouvernement fédéral américain qui a interdit la traite treize ans avant les Anglais, et qui, sept ans avant l'Angleterre, l'a déclarée un crime punissable.

Dès l'année 1792, le gouvernement danois abolit la traîur et l'importation des esclaves dans ses colonies ; cette prohibition devait avoir son effet on i$0i.

Lo 20 avril 1818j un acte additionnel du Congrès américain ajouta à la pénalité de la loi antérieure, et le l«r mars 1819, un nouvel acte du Congrès prononça la peine do mort dans le cas de trafic d'esclaves.

Un acte du Congrès, en date du 15 mai 1820, assimila la traite au crime de piraterie.


LES ILES DU VENT. 147

Quoique la Grande*Bretagne continuât d'oxercer le droit do visite contro les puissances neutres, et d'exclure du commercé d'esclaves les vaisseaux do ses onuemis, on voit quo cet infâme' trafic» totalement interdit par les lois aux Anglais et aux citoyens dos États-Unis, continua doso faire avec un surcroît do barbarie jusqu'à la paix générale de 1814, non-seulement sous les pavillons d'Espagne, de Portugal et do Suède, mais aussi par des sujets anglais qui empruntaient ces pavillons et armaient des vaisseaux pour la traite dans les ports mômes do Londres etdeLiverpool.

L'Ile de la Guadeloupe, cédée aux Suédois, ne le fut que sous la condition expresse quo l'importation des esclaves dans cette fie et dans les autres colonies do la mémo puissance serait désormais interdite.

Par le traité do Kiel, conclu le 14 janvier 1814, le Danemarc, qui déjà avait pris l'initiative de l'abolition de la traite, s'engagea à la défendre à ses sujets sous des peines sévères.

Louis XVIII consentit, sur la demande de l'Angleterro, à interdire l'importation des esclaves dans les possessions françaises par des vaisseaux étrangers, immédiate* wc«^; mais il insista pour le maintien de la traito et l'importation par navires français pendant cinq ans encoro.

Par la convention du 13 août 181$, le gouvernement hollandais obtint la restitution do toutes ses colonies ( le Cap et la Guyano exceptés), sous condition do l'entière prohibition dé la traito.

Quand on considôro l'esclavage aux États-Unis, on est toujours prêt à no voir dans la population des divers États do l'union, qu'une masse homogène, sans réfléchir que do deux citoyens de cetto république* l'un peut appartenir


148 KrABLISSEMMTK COLONIAUX.

à Boston et l'autre à la Nouvelle-Orléans, ce qui met entre les deux uno distanco cinq fois plus grande quo celle do Paris à Bordeaux.

Co n'est donc qu'en forçant notre esprit à envisager la distance que nous venons do signaler, et la diversité infinie des circonstances locales, que nous pouvons défendro notre imagination de cette agglomération et d'une uniformité présumée dans la condition et lo degré do civilisation dans uno nation si éloignéo do la nôtre.

De fait, les difl'érents États de l'Amériquo varient essentiellement dans tout ce qu'il y a do caractéristique dans la civilisation, l'éducation, la richesse et les moeurs; il y a plus, les différentes parties d'un môme État ne sont pas toujours semblables sous aucun do ces rapports. C'est, en effet, co qu'on peut attendre raisonnablement^ et il serait fort extraordinaire qu'il n'en fût pasainsi. Chez nous, avec un territoire d'ailleurs beaucoup moins étendu j les routes et autres moyens do communication sont incomparablement meilleurs; ce qui apporte une énorme différence dans la condition dés habitants do différents districts dans l'une et Fautro contrée.

Quand nous parlons des États-Unis, nous devons donc nous garde? d'assimilations erronées, et nous défendre dé tirer des conclusions absolues.

Dans les provinces des États-Unis, exemptes de la plaie de l'esclavage, l'éducation nationale est en progrès, tandis que dans celles où l'humanité gémit encoro sous le poids des chaînes, l'éducation est tout à fait arriérée, Dans là plupart dés États à esclaves, non-seulèment rien n'est alloué pour l'éducation des enfants esclaves, mais la loi elle-même s'oppose à toute amélioration; sous des peines sévères, il est défendu de donner do l'instruction à la


LES ILES nu VENT. 140

population noiro et de couleur. La législature do la Louisiane, entre autres, vient de passer à ce sujet deux lois qui pourraient rivaliser do mohslrueuso barbario avec tout ce qu'on a vu de plus atroce dans l'inquisition d'Espagne. Chez un "peuple qui a la hardiesse de so qualifier do peuple libre, on trouve les deux dispositions suivantes dans ces lois infernales."

lu Toiito personuo qui enseignera ou qui pormetlnT qu'on enseiguo à lire et à écrire à un esclave, dans cet État, sera emprisonnée pendant un temps qui no pourra excéder une annéo ni être au-dessous d'un mois.

2° Quiconque, dans un discours public, soit à la tribune, au barreau, sur le théâtre ou dans la chaire; soit dans un lieu publie ou dans uno conversation particulière, se servira d'un langage ou so permettra des signes ou des actions ayant une tendance à produire du mécontentement chez la population libro de coideur, dans cet État ; ou à oxcitor do l'insubordination parmi les esclaves; ou quiconque sera en connaissance de cause un instrument pour l'introduction dans cet État d'aucun mémoire, pamphlet, ou livro ayant une telle tendance, sera, à la discrétion do là cour, condamné aux travaux forcés pendant trois années au moins, vingt ans au plus; ou à la peine ■ de mort.: ■;■':.■:■*.':

Nous reprenons lo récit des événements,

A-J'époqùe do la révolution (1789), les colonies françaises jouissaient do la plus profonde tranquillité.

Mais dès qu'on apprit aux Antilles les événements do Paris, l'agitation fut manifeste. Nous avons vu à l'article Saint-Domingue tous les symptômes des espérances exaltées chez les blancs, et un peu plus tard choz les hommes de couleur libres.


150 ÉTABLISSHMBRTS COLONIAUX.

La Guadeloupe fut des premières, aux lies du Vent, à solliciter dans lo sein de l'assemblée Constituante l'admission de ses députés! Un décret du 22 septembre 1789 fixa à deux lo nombre des députés de la Guadeloupe.

Les planteurs do toutes nos colonies, qui se trouvaient alors à Paris, ne mettaient pas do bornes à leurs prétentions, et témoignaient déjà l'intention la plus prononcée de contrc'Carrer les vues du gouvernement sur ses possessions transatlantiques, dans tout co qui s'écarterait de leurs idées coloniales.

Les colons so réunirent alors et fondèrent co fameux Club de Vhôtcl de Massiac où so sont élaborés depuis tant do projets de résistance.

Mais cet ordro d'idées appartenait spécialement aux grands planteurs, à ce qu'on pourrait appeler les oligarques; car la population des colonies en général so composait de nombreuses catégories fort éloignées de souscrire toutes implicitement aux pians du Club Massiac, Au contraire, à la première nouvelle de la prise do la Bastille, on vit aux Iles du Vent l'ivresse de la joie portée à son comble. On prit la cocarde avec enthousiasme. Toutes les autorités coloniales, forcées de céder au torrent, ne pensèrent même pas, du moins ostensiblement, à lui résister.

Dans le premier moment, les hommes de couleur regardaient faire les blancs, et la joie qu'ils témoignaient eux-mêmes semblait n'être que do la sympathie pour le bonheur de leurs anciens patrons; mais cette abnégation ne fut que do courte durée; bientôt Ils laissèrent percer leurs propres espérances.

Aux avocats des hommes île couleur libres, rassembler


LES ILES nu VENT. 151

Nationale ayant répondu ^aucune partie delà nation ne réclamerait en vain ses droits auprès des représentants du peupte français, aussitôt les nègres libres députèrent aussi vers rassemblée, et, chose étrange, mais bien caractéristique do l'org'teil Inné dans la race humaine, ils n'avaient encore rien obtenu quo déjà ils établissaient en leur faveur une ridicule distinction et des prétentions à la prééminence à l'égard des hommes do couleur ou sang-méiés. Ils se qualifiaient de véritables colons américains, à classer nécessairement avant la race bâtarde des muta"très. Pour s'assurer davantage la bienveillance do la mère-patrie, ils promettaient, à litre do faible don patriotique, qui pourrait être suivi d'offrandes encore plus fortes, une somme de douze millions.

Les planteurs résidant aux Antilles, en «'adressant à rassemblée Nationale, disaient :

« Les colons d'Amérique n'avaient jamais vu arriver » d'Kuropo quo des tyrans et des fers; enfapprenant que » lo peuple français, presque aussi malheureux qu'eux, » avait repris son ancienne puissance, ils ont voulu être » libres comme lui. »

Mais comme le mariage, les révolutions n'ont qu'une lune de miel. A la Guadeloupe, le commandant en second, un sieur Darrot, qui eut l'imprudence de vouloir réprimer l'élan de la joie publique, faillit payer de sa vie cette téméraire tentative. Cependant rellerveseence se calma sans clYusIon de sang. Les habitants de la Pohito»àPttre se bornèrent à demander que l'entrepôt du commerce des Américains, établi d'abord chez eux, et qu'une ordonnance du 38 décembre 1780 avait transporté à la Basse-Terre, revint à la Poinle*à-Pltre. La décision traîna en longueur; le gouverneur, M. de clugny, ayant con-


162 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

voquô l'assemblée coloniale pour la consulter, arrêta seulement que chaque paroisse nommerait des commissaires pour s'occuper do la rédaction des cahiers que la éôlonté enverrait à l'assemblée Nationale.

En général, toutes choses so passaient plus paisiblement à la Guadeloupo qu'à la Mariinlque> !

Dans cette dernière lie, l'assemblée coloniale, composée exclusivement do planteurs, était animée de vifs sentiments d'anlmoslté contro la population urbaine, et trouvait dans le gouverneur une grande partialité en sa faveur; par ses ordonnances, il faisait sans cesse peser sur la villo do Saint-Pierre les charges publiques, pour alléger d'autant les campagnes. Nous avons plus haut reconnu nous-mêmes'quo les planteurs étaient mal partagés dans les règlements pour le commerce ; ce défaut tlo justice distributivo a sans douto contribué aux violences do l'assemblée coloniale, en mémo temps qu'il lui assurait dés droits à la sympathie des gouverneurs. Mais comme les planteurs en ont depuis abusé 1

Quoi qu'il en soit sens le rapport d'équité, on doit bien juger que les planteurs chérissaient lo pouvoir arbitraire dont Ils disposaient à leur gré, et que les villes désiraient avec ardeur une révolution qui bornerait le pouvoir des gouverneurs.

La campagne, prépondérante, conserva sa mlllco;et ceux des ofilcicrs do cette millco pour lesquels 11 n'y avait pas do place dans rassemblée coloniale, allaient, en pleine paix, enflammer le ressentiment du gouverneur contre SainUPierre par lo spectacle d'un nombreux cortège militaire qu'il rencontrait toujours sur ses pas.

Mais ressemblée coloniale doutait encore de ses forces, et pour y ajouter, elle fit avec succès auprès des hommes


LES ILES nu VERT; 15a

do couleur des démarches insidieuses, des cajoleries qui ne réussirent que trop bien chez des hommes jusque là tenus dans l'infériorité. Voilà comme on a eu l'étrange spectacle de la conversion des hommes do couleur à une cause qui, par son élotgnemont des principes de la révolution française, semblait devoir être celte à laquelle no so rallieraient pas des hommes qui no pouvaient attendre pour eux que de ces mêmes principes l'égalité des droits politiques. v -

Les choses n'arrivaient pas encore cependant jusqu'à une rupture. Le gouverneur, M. le vlcomlo do Damas, était un homme doux j un peu faible peut-être, niais ami de la justteo et de la paix. Malheureusement il était cruellement atlligô do la pierre, et 11 fut forcé do demander un congé illimité pour aller se faire tailler en Franco.

A l'arrivée do son intérimaire tout s'envenima do la manière la plus cIVrayantc. Le nouveau gouverneur, M. de Vlomesnii, homme dur, emporté, violent, était bien selon le coeur do rassemblée coloniale.

Un outrage fait par deux ofiteiers du régiment de la Martinique (les sieurs de Malherbe» Contestet buboullay) à la cocarde nationale, en plein spectacle, excita l'indignation à Saint-Pierre; tes troupes menacèrent do faire feu sur les citoyens, et le sang aurait coulé sans nul doute, sirintendant, M.de Foulon, et M. Decours doThoumascau, le maire de la ville, ne s'étaient pas Jetés au-devant des baïonnettes. Les soldats se replièrent sur le Kort-tloyal, résidence du gouverneur,qui Ht des dispositions enrayantes pour aller venger, disait-il, l'honneur du régiment oflettsè.

La ville do Saint-Pierre, aux abois, eut recours à la Guadeloupe, t\ Sainte-Lucie, t\ Tabago. Toutes ces colonies


154 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

lui envoyèrent des citoyens armés et des armes. Parmi les habitants d'origine française, dans les colonies anglaises, Saint-Pierre trouva mémo do zélés volontaires qui vinrent lui offrir lo secours de leurs bras, avee un enthousiasme extrême.

L'assemblée colonialo de la Guadeloupe, siégeant à la Basse-Terre, à laquelle so présentèrent les députés de Saint-Pierre, agit avec beaucoup do prudence, do patriotisme et do dignité ; elle nomma quatre de ses membres avec la mission de tenter une conciliation. L'illustre Dugommier, la gloire do la Guadeloupe, y résidant alors, et riche propriétaire, rut appelé par acclamation au commandement, par une jeunesso ardente, qui ollVit d'accompagner les commissaires pacificateurs.

Le gouverneur, deClugny, votens notons, mats pressé par rassemblée de la Guadeloupe, ne crut pas pouvoir so dispenser de so joindre à cette mission paclllcomcnaçante.

Cette députation armée eut un succès complet ; justice fut rendue de part et d'autre; les esprits parurent se calmer. Vers la lin d'avril les volontaires de la Guadeloupe rentrèrent dans leurs foyers.

La Guadeloupe était en paix. Mais à la Martinique on n'en jouit pas longtemps. Le gouverneur Viomesnil céda sans beaucoup de peine sans doute aux obsessions de rassemblée coloniale, et bientôt tout fut à la guerre. Le l'ort-Boyal présenta uno réunion de planteurs en armes, commandés par tes officiers de la milice, ayant pour auxiliaires les mulâtres. La ville de Saint-Pierre, ouvertement menacée d'une imminente destruction, députa de nouveau vers la Guadeloupe, Sainte-Lucie, Tabago. Le succès fut encore plus grand quo la première fois. Il n'y avait qu'un


LES ILES bu VENT. i 55

cri d'indignation contre l'assemblée coloniale de la Martinique et contre je gouvernehrViomcshiL

bugommier commandait encore les Volontaires de la Guadeloup., et de nouveaux commissaires envoyés par l'assemblée de cetto colonie, purent encore décider le gouverneur, M* de Clugny, à les accompagner.

Cependant lo retour, do M. do Damas à la Martinique sembla pour un moment ralentir les préparatifs hostiles. Mais Cet infortuné gouverneur était plus soutirant quo jamais, et l'état moral dans lequel il se trouvait donnait beau jeu aux ennemis de Saint-Pierre, c - le plaçant entièrement sous leur dépendance,

Quoi qu'il en soit, les choses traînaient en longueur, et do guerre lasso les partis ennemis convinrent que, Sans rien rabattre de leurs prétentions respectives, ils resteraient de part et d'autre sur la défensive, en attendant le jugement do la métropole, Voilà tout ce que les pacificateurs purent obtenir, et les volontaires armés retournèrent citez eux encore une fois sans avoir combattu.

La plupart des mulAtres appartenant à la ville de SaintPierre y rentrèrent pendant cette espèce d'armistice. L'on sent qu'ils devaient èlro suspects aux blancs/

C'est ici que commence à figurer, sous les couleurs qui lui sont propres, cette afiVcuso caste des petits blancs dont nous avons esquisse le portrait à l'article Saint Domlnguo.

Ils abondaient à saint-Pierre. La suspension des hostilités entre la ville et la campagne déconcertait tontes leurs espérances do pillage; ils fraternisaient avec les équipages des vaisseaux marchands, et surtout avec les matelots marseillais, dont on connaît la férocité.

Le 3 juin iïOO, jour de la l'êto-Dieu, les mulâtres ré*


150 ÊTA1ILISSRMENTS COLONIAUX.

clamèrent'l'ancien privilège dont ils avaient joui, même avant la révolution, de porter le dais pendant la procession; Les jeunes gens blancs, irrités contré les gens de couleur, qui s'étaient montrés partisans de l'assemblée coloniale, leur disputèrent à tort ce droit d'antique tradition : il s'ensuivit uno rixo dans laquello il y eut de part et d'autre quelques blessures. Cependant, avec la fin du jour, la querelle s'apaisa, et chacun rentra chez soi.

Mais à l'heure, où chacun devait être plongé dans le sommeil, lo plus odieux de tous les crimes, le plus lâche attentat, porta la désolation et le déshonneur dans la ville de Saint-Pierre. Les petits blancs, accompagnés d'une foule de matelots des vaisseaux de commerce, enfoncèrent les portes, se saisirent do tous les mulâtres qui no purent échapper à leurs coups ; ils les traînèrent sur la batterie Desnos, et là quatorze de ces infortunés furent pondus aux fromagers dont ectto place est ombragée.

Toutes les informations qui ont été prises, toutes les enquêtes qui ont eu lieu, ont prouvé quo les véritables citoyens, les enfants do la ville, sont restés étrangers à cette scène do cannibales : c'est tout au plus si l'on a pu citer trois mauvais sujets, citoyens de Saint-Pierre, qui aient pris port au crime; et lo cas est même resté douteux, ce n'est qu'une suspicion.

Mais le coup fatal était porté à la ville. Qu'on juge du parti que ses ennemis surent tirer do ce funeste événement. La modération do M. de Damas rut désormais impuissante pour empêcher uno afiVcuse réaction : l'assemblée coloniale s'agita d'une manière furieuse; toutes les milices de la colonie se mirent en mouvement; on ne parlait plus de Saint-Pierre que comme d'un repaire de scélérats au sein duquel II fallait porter le fer et le feu :


LE8 ILES DU VENT, 157

et pour Saint-Pierre il n'y ciit plus do secours à attendre deà colonies yoisihes; chacun était honteux d'avoir deux Ibis répondu à l'appel do pareils monstres,

Saint-Pierre, livré à ses seules ressources, dut so soumettro à la plus duro loi, s'abreuver d'humiliations, passer sons les fourches cnudincs.

Pour donner uno Idée plus exacte de co qui s'ensuivit de la pendaison des mulâtres à Saint-Pierre, nous laisserons parler un habitant do la Guadeloupe. Malgré quelques inokactlUidcs dans la lettre qu'il écrivit à son correspondant à Paris, et qui a été publléo dans je Moniteur, n* 217, du 5 août 1790, nous lu donnons Verbatim,

Blocus de h ville de Saint-Pierre ( Martinique ) par M, de bamas,

Une lettre do la Guadeloupe, du 21 juin, contient les détails de la sévérité excessive avec laquelle M. do Damas, gouverneur de la Martinique, vient do traiter les habitants do la ville do Saint-Pierre t on en ignore le motif: on sait seulement que depuis longtemps ces habitants s'étalent soustraits à l'autorité do ce commandant, et lut avaient fait éprouver dinerenles humiliations; conduite qui avait été désapprouvée par les habitants des campagnes et do la ville du Fort-Boyal. D'un autre côté, Il s'était passé depuis peu à Saint-Pierre un événement aflVcux qui peut-être a occasionné facto do rigueur do M» do Damas. Le jour do la Fèted)iéu, les mulâtres, voulant, contre l'usage, monter sons les armes de la procession, il y avait eu entre eux et les habitants plusieurs attaques tres-mcurtrlères, dans lesquelles quelques blancs et un plus grand, nombre de mulâtres avalent été tués t plu-


158 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

sieurs de ceux-ci avaient été pris et pendus. Soit que le gouverneur ait voulu venger ces mulâtres, soit qu'il ait voulu se venger lui-même do l'insurrection qui lui avait ravi son autorité, et qu'il ait profité pour cela du ressentiment des mulâtres, voici co qui s'est passé.

M. dé Damas et M. do Pontevés, commandant la station, ont, au milieu do la nuit, investi par torro et par mer la vi|lo de. Saint-Pierro, composée do dix-sept à dix-huit cents mulâtres ot do beaucoup d'habitants de la colonie, formant ensemble cinq à six mille hommes. 11 s'est commis, dit-on, de grands excès; il y a eu du pillage. Les citoyens arrachés do leur lit et do leurs maisons, et Irainés à bord des vaisseaux sur la rade ; les femmes et les enfants fuyant.au milieu des ténèbres, et s'embarquant sur les navires marchands; les habitants désarmés, des canons de campagne pointés sur les issues de la ville, et enfin toutes les horreurs d'un siège dans les règles; voilà quel a été le tableau do la villo de Saint-Pierro pendant ce blocus. Plusieurs navires ont fait voilo pour la Franco comme fugitifs; entr'autres, un Provençal et un Bordelais. M. do Damas, en partant, a fait transférer uno quantité do citoyens au Fort-Boy al, les fers aux pieds. La municipalité a été détruite et l'ancien régime rétabli. Les mulâtres se sont ensuite campés en corps au Fort-Boyal, et il est resté à Saint-Pierre quatre cents hommes pour maintenir l'ordre. »

Cependant des listes do proscription se dressaient parmi les planteurs de la Martinique contre les malheureux habitants de Saint-Pierre; chacun y plaçait, au gré de ses passions ou de son intérêt, l'un son ennemi privé, l'autre son créancier. Trois cents hommes, à Saint-Pierre, arrachés à leurs femmes, à leurs enfants, furent jetés dans


LES ILES pu VENT. 159

les fers, transférés au Fort-Boyal, pour y être jugés par ceux-là mêmes qui avaient été leurs dénonciateurs.

Tant de rigueurs et d'injustices désarmèrent enfin les préventions des citoyens dans les autres colonies, SaintPierro so justifia d'ailleurs aux yeux du plus grand nombro d'avoir pris part à la scène du 3 juin; et pendant co temps lo parti des planteurs so couvrait de honte par des actes atroces. Dans les environs du Fort-Uoyal, les mulâtres avaient massacré des partisans ou prétendus partisans de Saint-Pierre.

Les sentiments de pitié et do bienveillance pour SaintPierre étaient revenus dans les autres colonies. La Guadeloupe accueillit à bras ouverts do nouveaux députés do la cité opprimée. Tous les quartiers réunis décidèrent d'y envoyer do prompts secours, et lo gouverneur Clugny no put refuser son approbation à celte délibération. Il partit do la Guadeloupe vingt-deux députés conciliateurs, appuyés par deux cent cinquante militaires et quatrevingts citoyens volontaires, sous les ordres do Dugommier. Dans celle circonstance, l'illustre patriote mit te sceau à la belle réputation qu'il s'était déjà laite. Dans cette guerre, dite du liras* Morne de la Martinique, ce fut à la prudence, à l'humanité, à l'esprit conciliant, au patriotisme sincère et vrai de Dugommier que les partis acharnés durent de no pas s'être entièrement détruits.

Les prisonniers do part et d'autre furent rendus à leurs familles et à leurs alVaircs.

D'aucun côté on ne désarma, mais les hostilités s'arrêtèrent; on se tint de part et d'autre sur la défensive i les Plerrolins dans leurs murs, ut lo gouverneur, l'assemblée coloniale et les principaux planteurs, dans leur camp du Gros-Morne.


IGO ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

Tout resta dans cet état jusqu'à l'époquo du 12 mars 1701, jour do l'arrivée au Fort-Boyal des commissaires .pacificateurs envoyés par la métropole, et dont il.sera parlé plus loin.

Jetons en attendant un coup d'oeil rapide sur la Guadeloupe.

ANNÉE 1790.

Lo déchaînement des passions cupides et haineuses a toujours été moins violent à la Guadeloupe qu'à la Martinique, l'orgueil colonial moins irascible, la propension à so soustraire à l'çmpiro de la métropole moins insolcnto ; les sentiments do confraternité coloniale plus puissants.

Pendant les premiers troubles do la Martinique, les motifs de discorde moins nombreux à la Guadeloupe, lui laissaient un plus libre exercice de la raison. — L'assemblée des électeurs, réunie à la Basse-Terre, dans lé courant de janvier 1700, était animée d'un sentiment do prudence qui lui offrait sous un point do vue rationnel les malheurs auxquels la Martinique était en proie.

Celte assemblée procéda avec calme, sagesse et promptitude cependant, à un plan do constitution conforme aux dispositions du décret do l'assemblée Nationale do Franco, du 8 mars 1700.

Par celte constitution, les anciennes milices de la colonie furent abolies. On avait élu et envoyé trois députés à l'assemblée Nationale, qui partirent delà Guadeloupe le i» septembre 1700.

L'assemblée arrêta l'institution des municipalités à la Basse-Terre et à la Poinle-à-Pitre. bans toutes les autres paroisses, rétablissement des justices de paix»

A peine ces travaux touchaient à leur fin quo l'assemblée eut à s'occuper des demandes de secours, faites par


LES ÎLES pli VENT. ICI

la ville do SaintrPiorre, dont nous avons parlé plus haut. ] Cependant tous les esprits n'étaient pas parfaitement calmés^ au retour fies volontaires et do M. de Clughy, le gouverneurV à la Guadeloupe. La Ville de la Basso-Tôrre crut reconnaître dans lo gouverneur (les tendances contrerévolutionnaires, conformés à celles dé l'assemblée colphialo do la Martinique et du gouverneur dé ectto dernière colonie. L'habitude invétérée dit commandement militaire, trop manifeste chez. M. do Clugny, et ses étroites relations avec M. do Damas, inspiraient beaucoup do

défiance. ■'\'''.:-\X-:-':']-':- "-'.;.■''■■■.■■'■■':'

La Basse-Terre devint ombrageuse à mesuro qu'elle s'aperçut do l'éloigncihent quo témoignait M. do, Clugny pour la formation do sa municipalité ; d'imprudents amis du gouverneur répandaient dés écrits dans lesquels Ils s'àp()csànlissatent avec affectation sûr lés dangers d'une somblabio organisaùoitdansi un pays d'esclaves. On vit d'ailleurs avec inquiétude que l'assemblée coloniale convoquée à la Basse-Terre pour le I» juin, n'était plus Composée quo des partisans exclusifs de M. do Clugny i il ne larda pas à perdre en grande pàrlio lo crédit et l'Inlluenco que jusqu'alors lui avait acquis sa modération.

À cet état do sourde fermentation, les soldats du régiment de la Guadeloupe, par leur intervention, en date du l*r septembre 1790, firent succéder un état de choses d'une couleur beaucoup plus prononcée. Ils sortirent en ordre du fort et vinrent renouveler à la municipalité leur serment chique, fraternisèrent avec les habitants doja; ville ;mais ièuiw olltciers manifestaient un vif dépit. ^

L'assemblée coloniale, prévoyant tons les malheurs dont était menacée la colonie» arrêta que toutes lés paroisses dé l'Ile seraient invitées à envoyer des de*

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102 UTAULtSSKMKNTS COLONIAUX.

pûtes extraordinaires pour assister à une fédération générale à laquelle seraient invités le gouverneur et tous lés corps civils et militaires.

Mais M. de Clugny, malgré la promesse solchnello qu'il avait faite à l'assemblée do no pas s'éloigner de la fiasseTerre, partit en secret pour la Pointc-à-Pilro. Là ses partisans lui préparaient une ovation., à son entrée dans la villo.

M. do Clugny s'établit à la Pointé-à-Pitro ; do sa propre autorité, il y transféra lo siège du gouvernement; il y convoqua l'asscmbléo coloniale, sur laquelle, en sa qualité de gouverneur et do très-grand propriétaire dans la colonie, il n'eut pas de peine à exercer bientôt la plus grande influence; et on le vit désormais correspondre ouvertement avec te gouverneur de la Martinique et l'assemblée coloniale de cette Ile, qui do leur camp du Gros-Morne lui demandaient des armes, des munitions, des vivres; et elle proposait une fédération avec les planteurs de la Guadeloupe.

L'ordre que M. do Clugny envoya à la Basse-Terre, pour en tirer des fusils et des munitions de guerre, mit le comble aux défiances : les soldats et toute la population de la ville, jugeant que ces munitions étaient destinées pour le Gros-Morne et pour servir contre les Gutideloupiens qui défendaient la ville de Saint-Pierre, résolurent de no pas laisser sortir ces munitions de l'arsenal de la Basse-Terre.

Do son coté le commerco dol'rancc à la Basse-Terre voyait avec clïrol l'envol o,u'oh faisait au Çros-Morno et à ta Martinique, de fusils et do munitions. Les matelots des bâtiments de commerce, armés seulement do bâtons, coururent au Fort Louis qui domino rentrée du port, et


LES ILES nu VENT. 163

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s'y logèrent. 400 planteurs, opposés à la révolution et bien armes, descendirent à la Pointc-à-PItro pour s'emparer du fort et en chasser tes matelots qui s'opposaient ail départ des armes pour le Gros-Morne. Le gouverneur Clugny, oïTrayê des conséquences de co cohfiit, consentit au débarquement de ces armes. Mais après l'évacuation du fort par tes matelots, les armes furent do nouveau embarquées et partirent pour la Martinique.

Nous allons nous arrêter un instant dans ce récit des événements do ta Martinique'et de la Guadeloupe, pour jeter un coup-d'oeil sur ce qui so passait à Tabago et à Sainte-Lucie.

TABAGO. —Les troubles qui ont cU lieu à Port-Louis do Tabago ont la mémo origine que ceux que l'on a éprouvés dans les autres colonies ; c'est l'effet de la commotion qui s'y est fait sentir lorsqu'on y a appris les événements do Franco au 11 juillet. D'après ce qui s'était passé en France et d'après co qui se passait dans les colonies voisines de Tabago, M. Bosqtio, avocat, invita tes Français à so réunir pour former un comité patriotique. Cette assemblée ne réunit le octobre; MM. Grésller et Guys furent élus l'un président, et l'autre vice-président. M. Bosquc rut élu secrétaire. Kilo envoya une dépntation aux administrateurs do la colonie pour les inviter à se joindre à elle, afin de travailler do concert à son bonheur. Celle Invitation rut rejetée par M. de Jobal, commandant. La Société patriotique arrêta qu'il serait fait des représentations à MM. les administrateurs sur les motifs qui avaient donné lieu à la réunion des Français à Tabago, et qukau cas d'un second désaveu, la société KO dissoudrait. La démarche eut du succès, et le commandant


164 ETABLISSEMENTS COLONIAUX.

approuva la formation do rassemblée. Cette association n'a duré quo six jours et n'a téuu quo sept séances. Ses membres Ont été constamment attachés aux principes d'ordrby difficiles à conserver dans les premiers moments d'Une révolution, mais bientôt les citoyens qui étalent à la tête de cello association sont devenus victimes de Finjustico la plus atrpec. À Tabago, comme en Franco* les officiers militaires,virent avec peine se déployerl'énergie do là liberté ; ils devinrent les ennemis de l'assemblée patriotlquo aussitôt qu'elle fut formée. MM. fiosquo, Grosîier et Guys furent bientôt en butte à la haino la plus activoVet, d'après les dépositions de quelques soldats reçues par leurs olficiers, ils furent dénoncés comme coupables d'avoir tend uho assemblée illégale, dans laquelle, disait-on, Ils avaient tramé une espèce de sédition. La dénonciation fut faite le 3 novembre j par M. Danglcberm'o, membre do la commission, et remise à M. de

Mîîl. Gresllcr, Guys et Bosquo, craignant pour leurs jours, obtinrent un congé du commandant de la colonie, et s'embarquèrent pour la Martinique; M. de Jobal les fit poursuivre par uno goélette qui les ramena à Tabago. MM. Guys et Creslicr rurent mis à terro en liberté, et M. fiosquo conduit en prison et mis ahx fors. — Le procès fut instruit en quatre jours, sur la dénon» èiation do M. banglencrmo et lo jugement cortdamna MM. Gréslier et Guys à une amende de 1000 livres chacun, pour avoir permis aux soldats de sa Majesté de prêter un serment dans lotir assemblée, « quoique (est-Il dit dans leur jugement)) ils né paraissent pas l'avoir (ait à tnauvatso intention. »

Quant à M. Bosquo, il est déclaré convaincu d'avoir


LES .ILES IVU VENta 105

méchamment et malicieusement aflaibli le gouvernement du roi dans l'lie> on déclarant à M. Garpt, soldat, que les soldats devaient être libres d'aller boire où ils voudraient; d'avoir fait signer le serment civique à plusieurs d'entre eux; d'avoir proposé un dîner à une cornpagnlodù régiment{eh garnison au FOri-Louis, etc.* et en consêquenco, condamné à être emprisonné pour six mois, et mis au carcan pendant uno heure, à nioirtSque|dans l'espace de six semaines » Il no coiisento à partir de là colonie pour n'y pas revenir. Ce jugement fut rendu, par sept juges, dont trois étaient les dénonciateurs doiï. )tosque auprès du commandant. Ce tribunal, à la même époque, renvoya absous do toute accusation, un gérant do plantation convaincu d'avoir blessé do plusieurs coups do couteau au visage, un nègre esclave, qu'il avait Uni par tuer en lui plongeant son couteau dans le coeur ; et afin do soustraire ce scélérat à l'indignation des nègres, ils lui ordonnèrent do sortir de la,colonie. — Pendant l'emprisonnamont de M. fiosque, sa maison a été totalement dévastée, et ses propriétés vendues à vil prix. M, Bosquo prêta, au bout do six semaines, serment de hé plus revenir dans l'Ile, et M. do Jobal lui déclara qu'il no pouvait cfiecluer sa retraite dans aucune colonie française. H choisit la Trinité espagnole, et le lendemain il fut embarqué avec un meurtrier anglais, et déposé à la pointe de Cumana, dans la partie de la Trinité espagnole habitée par lés sauvages. Plus do pitié l'attendait chez tes Caraïbes, qui le conduisirent dans une pirogue non pontée, à travers quarante lieues do mer, au port de la Trinité,

Quel élait lé crime de M. Bosquo ? d'avoir, d'après les ordres de l'assemblée, dont II était le secrétaire, reçu lo serment civique de quelques soldais. Quel était ce


166 ÉTABLISSEMENTS ÇQLOMAUX.

serment? d'être fidèle à la Nation, à là Loi et au Bol.

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«L'assemblée coloniale do Tabago; ayant, en vertu du décret de l'assemblée Nationale du; 8 mars; fixé les bases de la constitution qu'elle avait jugé, devoir lui conyonir, s'était séparée en chargeant un comité de la rédaction du plan. Par l'infidélité do quelques copistes, une expédition du plan était devenue publiquo, et les dispositions quelle contenait Ont donné lieu à des protestations ; le commandant, cher du pouvoir exécutif,dans la Colonie, et sans la sanction duquel l'assemblée colonialo ne pouvait rien mettre à exécution, a eu l'imprudence vraiment inconcevable de protester contre des arrêtés qui n'étalent encore qu'en projet^ et do se mettre ainsi, pa* cette ridicule protestation, dans l'impossibilité de sanctionner les opérations do rassemblée colonialo. Plus tard, lo caractère intrigant et pertido de M. do Jobal o exposé l'Ile de Tabago aux plus grands malheurs. Le roi avait fait passer à Tabago une pàrtio du régiment de la Sarre, ctM.de Jobal a cherché à désunir les habitants et les soldats, il disait à ceux-ci quo les habitants avaient beaucoup d'armes et ,15,000 cartouches^ et dans le môme temps il informait l'assemblée Coloniale quo là garnison menaçait là Colonie du pillage si lés habitants ne donnaient pas les sommés nécessaires pour payé* le prêt des troupes. Cette coupable ruso jeta le trouble et ralarmo dans l'assemblée, qui cessa de tenir sesièances à Fort-Louis. On ne tarda pas à s'éclairer, et lajcondulto do M. de lobai fut dévoilée aux yeux de rassemblée et de la garhisott.

» Le 16 féyrler 1700, les cinq compagnies du régiment dé la Guadeloupe furent chez lo commandant porter un long


LK8 ILES UU VEST. ,, 167

mémoire de plains. Cette réclamation fut présentée avec insubordination et avec audace; mais* à la honte do l'autorité, les plaintes des soldats étaient fondées. On pense bien que lo prlvllègo exclusif qu'on avait maintenu aux Cantines do vendre aux militaires, y tenait un long article. Trop faible pour imposer aux soldats, M. de Jobal leur lit donner quatre barriques de vin. » Celte indulgence linprudente apprit aux soldats qu'ils étaient redoutés, les plongea deux jours dans l'ivresse, et occasionna les excès de la journée du 18. Les soldats, ivres depuis deux jours, prirent les armes le matin, se rendirent sur la place, ôtèrent lo commandement a leurs olficiers, annulèrent des jugements militaires, et se livrèrent à tous les excès. Il y avait une compagnie de volontaires forniéo à Tabago ; le trésorier do la colonie, M. Saint-Léger, en était lo commandant. A Tabago, commo en Franco, la plus grande union régnait entre la garde nationale et la troupe de ligne; mais à Tabago comme en Franco, celte union déplaisait au commandant et aux olficiers. Les volontaires de Tabago partirent le 13 avril pour aller secourir les habitants do la ville do Saint-Pierre-Martinlqué. A leur retour lo p, les soldats qui toisaient l'exercice mirent leurs armes en faisceaux, et coururent au devant d'eux. Deux olficiers, MM. Depré et filosse, rencontrèrent les soldats qui descendaient des casernes, et leur ordonnèrent deretourher au fort. Cet ordre no fut pas exécuté sans murmure. Le lendemain ils se rendirent chez. M< de Saint-Léger, et lui déclarèrent qu'ils voulaient la tète de M. filosse. M. de saintLéger, avec beaucoup de peine, tés détourne dccetatiVcux projet, et les engage à se contenter de demander au commandant le renvoi de cet officier» Ils nomment une députatlon auprès de M. do Jobal, qui reçoit ces députés avec


168 ^ ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.

hauteur, leur prodigué des injurcsetso permet des gestes menaçants. Alors les autres soldats accourent en foule, arrachent M, Blosso au gouverneur, lui déehirent;$es épauleltes, et s'apprêtent à lut trancher la tête sur là place. Un chasseur nommé Chantaloux détourne lo coup, prend M. Blosso dans Ses bras; et, aidé do M. do Saint-Léger et de plusieurs citoyens, il entraîne et embarque cet officier. M» Blosso no veut pas partir sans régler la comptabilité du régiment, et se toit remottrq à terre. Co retour pensa lui coûter la vie; car à peine avait-il réglé ses comptes quo les soldats so portèrent sur lui avec fureur, pour le massacrer; les volontaires nu tlonaux lo liront évader, et il partit pour la Martinique.

M. filosse, dans cette fuite, abandonna tout Co qu'il possédait* Ses effets furent pillés, et ce qui a échappé à la fureur du soldat est devenu la proie des llammes. Dans la nuit du 2 au à mai, le feu a mis le comble aux malheurs de la colonie, en réduisant en cendres presque toute la ville do Kort-Louis. Les habitants s'empi-essèrent de réparer lemalheur ; ils se réunirent pour engager les soldats à repasser en Franco. Ceux-ci ne s'y dètcrminèréht que sous la condition que deux dé leurs officiels les accompagneraient ert otage, et que M. de Saint-Léger s'embarquerait avec eux, comme garant des promesses qu'on leur faisait. Co citoyen, laissant derrière lui do grands intérêts, les sacrifia tous* Il n'exigea que la conservation de sa place et de celle do son substitut, M. Dutoure, qûllul furent garanties par le commandant et par le comité colonial. Mais a pelno parti, M. de Jobal nomma à ces places, renvoya le substitut, et démentant tes certificats honorablés et mérités qu'il avait donnés a M. de Saint-Léger, il l'a calomnié auprès du minisire» Homme faible et sans ca*


LES ILES nu VENT. * 169

ractèro, M.HIç Jôfàl a occasionné tous les malheurs do Tabago et tous les troubles. Il réunissait la violence du despotisme avec une lâche pusillanimité. Sa dureté" a irrite les habitants, son défaut de fermeté a relâché les liens de la discipline militaire. On connaît les Vexations exercées contre M. fiosquo; mais co no sont pas les seules que so soit permises lo commandant do Tabago. Lo 10 juillet 1769, fi avait ordonné au trésorier do la colonie de lui remettre une pièce de comptabilité; ce dernier lui dit qu'il ne pouvait s'en dessaisir sans l'aveu do l'Ordonnateur; le commandant'le fit arrêter par ses soldats, et l'obligea avec violence à lui remettre la pièce qu'il avait exigée..;-; ...;',

L'assemblée ^ Nationale, instruite de ces toits, après avoir entendu son comité des colonies, et se référant à son décret du 8 mars dernier, déclare Î 1° que les jugements renduscontre MM. Bosquo, Crestîer, Ct|ys et Leborgno, les 10 novembre 1789 et o juillet 1790, n'emportent aucune note ni lâche d'infamie, et seront regardés Comme non avenus.

2° Qu'il n'y a pas lieu à inculpation contre M. lui m on d de Saint.Lèger, commandant de la garde nationale do Tabago. '

3* Décrète qu'il sera réintégré dans les places dont il a été dépouillé, depuis son départ de la colonie, par M* de Jobal, et que M. DUtourc, substitut de M. de Saint-Léger, sera également rétabli dans ses fonctions.

\° Que lo roi sera prié d'ordonner à M. do lob;il, commandant de Tabago, de se rendre à la Martinique pour rendre compte do sa conduite devant les commissaires qui y ont été délégués, et d'autoriser le commandant


I/O ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX.,

général des Iles du Vent à faire remplacer M. de Jobal, s'il lo jugé nécessaire pour le bien de la colonie. <

5° L'asscmbléo Nationale renvoie à l'oxàmen et à la discussion du ministre de la marine les demandes en paiement d'indemnitéset.d'appointements faites par MM. filosse, officier au régiment do la Guadeloupe, et Charnel, procureur-général do Tabago.

SAINTE-LUCIE. - Cette colonie est restée calme cl n'a eu qu'un rôle passif dans les premiers temps do la fiévolution Française. La Cocarde nationale y fut d'abord Saiuéo par des acclamations presque unanimes, auxquelles n'osèrent pas s'opposer le gouverneur, M. de Climat, et le commandant en second, M. do Manool. L'ordonnateur.do la marine, le contrôleur et tous les subalternes de celle administration, le sénéchal juge, le procureur du roi ci tous les gens de justice semblaient partager l'enthousiasme général. Dans la querelle entre la ville de SaintPierre et les planteurs do la Martinique, cette ville trouva d'ardentes sympathies dans la jeune population blanche do Sainte-Lucie, qui accourut à Saint-Pierre pour so joindre aux volontaires patriotes de ta Guadeloupe, Marie-Galante et Tabago. Les volontaires de Sainte-Lucie se rangèrent i'vec joie sous les ordres do Dugommier. De retour dans leurs foyers, les Sainte -Luciens attendirent avec Calme l'issue do la querelle Martiniquaise. 11 n'y a aucun événement à signaler jusqu'à l'arrivée des commissaires pacificateurs et du gouverneur Béhague à la Martinique.

Uevcnohs à la Guadeloupe.

La Basse-Terre était tranquille, lorsque le 10 décembre deux bâtiments du roi, faisant partie de la station des Antilles aux ordres do M. de fi rayes, vivront réclamer


LES ILES nu VENT. 171

des; vivres^ Les • équipages do ces bâtiments commirent quelques excès ; la municipalité dut intervenir Î l'intendant, M. Petit do Viévigno, so comporta avec hauteur et froissa la municipalité. Après quoi il se retira clandestinement à la Pointe-6-Pitro auprès do M. do Clugny/dans l'intention do so venger do la résistance do la munlclpaAinsi,

munlclpaAinsi, les chefs militaires, lés hauts agents do l'administration , eh un mot tous les gens du roi, so Coalisaient pour opposer.de la résistance; mémo aux,ordres du roi, émanés avec plus ou moins do sincérité do l'autorité royale, Ils étalent loin de s'attendre à la journée du 10 août ; et comptaient bien sur des remerclmcnts pour avoir désobéi.

Dans cet étot au moins très-équivoque des choses; la vérité n'échappa point à la sagacité de l'assemblée Nationale, éclairée d'ulllcurs par les députés confidentiels do la Ville de Saint-Pierre, MM. Arnaud de Corîo et Buste de Bèzeviile. Eh dépit des efforts do MM. do Dillon et Moreau do Saint-Mèry, députés de l'assemblée colonialo de la Martinique, le ministre de la Marine reçut l'ordre d'expédier aux liés du Vent une petite escadre, qui fut confiée au commandement de M. de Girardin, et qui portait à la Martinique, avec M. de Béhaguo pour remplacer M. de Damàà; quatre commissaires pacificateurs, MM. Lacoste, Magnytot, inconnus dans la colonie, et MM. de Montdcnolx et Linger, qui, antérieurement à la révolution, avaient occupé, des emplois dans l'administration aux Antilles.

Les commissaires emmenaient avec eux 6,000 hommes de troupes. •

Du choix do ces.commissaires on n'a fias beaucoup sujet de s'étonner. Mais pour aider à la pacification si diifi-


,172 ÉTAnLiSSEMENTS COLONIAUX.

cilo d'un pays où tant do mauvaises passions fermentaient, quel choix que celui d'un commandant militaire plus digno d'une logo à Charenlon que d'une mission raisonnable et paçjfiquel. >;'x:l, >;,^:,!,':-f-;. ^■■ï:^:-èï^':^y>::'

Lo 12 mars 179J, les commissaires débarquèrent à FortnoyûL

FortnoyûL ;.■ ■' ',.: • Vv< •',".■;. ; :xX::..';.:. :,X:-:-\(,:>

Leur premier soin fut de transmettre à la C.uadeloupe des exemplaires du décret do leur institution, en annonçant qu'aux termes de leurs instructions potentielles, ils allaient suspendre et l'assemblée coloniale et la muniçipalité dé la tiasso-Terre. M. do Clugny accourut 1 auprès d'eux, accompagné do plusieurs membres do l'assemblée. Ils déclaraient que la suspension de l'assemblée perdait irrévocablement;la colonie.

Lés coinmlssairès débutèrent par Un acte do grande faiblesse, en accédantà cette protestation.

M. de Clugny trodva dans M. do Béhagtio tout ce qjuo l'assenibléo coloniale et lui pouvaient désirer. Il n'eut pas de peine à obtenir de co gouverneur qu'il ne sciait détaché sur la Guadeloupe d'autres troupes quo le à* bataillon du 14» régiment, ci-devant Forez. , v

Se retournant ensuite vers les commissaires, il remontra qu'une foule d'ayenturlcrs chassés do la Martinique par M. de Damas, portaient le désordre à la Guadeloupe; bu ils s'étaient retirés. 11 so fit requérir par les Commissaires de prendre, toutes les mesures nécessaires pour les enfaire sortiry ci pour etopécheï quM né s'y en Inlro* dûtstt d'autres* i .<; ..)-..{

Un hommmo intègre et capable, M. Masse, ancien administrateur colonial^ avait été nommé ordonnateur à la Guadeloupe; M. de Clugny, d'accord avec l'assemblée coloniale, refusa obstinément do lo recevoir.


LES ILES nu VENT. 173

Les volontaires de diverses tics qui étaient accourus au secours de Saint-Pierre, et qui séjournaient à la Guadeloupe, eh furent outrageusement expulsés. i

Cependant les Guadeloupicns, revends de Saînt-Picrro avec leur digno commandant Dugommier à leur tète, furent, malgré lo mauvais Vouloir do M. de Clugny, splendidement fêtés à la Basse-Terre par la garde nationale. De vils agents de l'assemblée colonialo tes accusèrent d'avoir conspiré pour s'emparer du fort; un misérable caporal, do garde à là porte, dressa procès-verbal des prétendues insultes qui lui avaient été faites par une patrouille bourgeoise. Lo maire courageux do la villo exigea co rapport, le déféra comme un coupablo mensonge à' l'autorité judiciaire, et une procédure s'ensuivit. Cette marche légale déconcerta lès calomniateurs. Le caporal rétracta son rap-* port mensonger; mais le commandant prit sur lui de défendre à ses soldats de déposer dans cette afiairo. M. do Clugny eut la bassesse do solliciter des commissaires la suspension des poursuites, qui pouvaient jeter un grand jour sur les auteurs et le but do ectto horrible machination. A la honte du pouvoir judiciaire, malgré le refus des commissaires d'autoriser 'un pareil déni de justico, Il ne tut donné aucuno suite à Parfaire. Lo procès-verbal mensonger fut enseveli dans l'oubli.

C'est alors que l'illustre Dugommier, pour se soustraire à la rage des ennemis de son patriotisme et de son héroïque coUrage, vint se réfugier à Paris. Chacun sait quello a été depuis la glorieuse carrière de ce grand citoyen.

La frégate française la Catypso, commandée par M. do Mallevault, fui envoyée par M. de Béhague à la BasseTerre dans tes premiers jours de juillet, et y débarqua quelques bandits do son équipage, dont les excès mirent la


174 KTAULISSRMBNTS COLONIAUX.

ville en émoi- Les citoyens furent réveillés par les cris aux armes! qui so firent entendre. M. dé Mallevault fit charger ses cartons pour foudroyer la ville. C'est en vain que la municipalité, autorisée par les commissaires nationaux, dénonça ces délits aux tribunaux. On n'a mémo jamais Connu lo but véritable do l'envoi do cette frégate à la Guadeloupe. Cependant les officiers et les sous-olllciers du régiment do la Guadeloupe, armés do sabres et de bâtons; provoquaient outrageusement les paisibles habitants do la ï)a$se-Torre.

Ënfin,ie masque fut levé : on vit rovertir dans cette malheureuse.cité, lo gouverneur Clugny, porté comme en triomphe par un cortège de planteurs, qui criaient à s'égosiller vive Clugny ! vivent les aristocrates t '\ 'Les frégates la Gùlypsoat la Bidon vinrent de nouveau mouiller sur la rade de la fiassc-Tcrro. Tous les équipages débarquèrent et so livrèrent à d'cfiVoyâbles excès.

La municipalité, aux abois, crut encore pouvoir députer auprès du gouverneur. M, de Clugny répondit que puisque lu garde nationale était décidément vue do mauvais oeil par les colons, il n'y avait do tranquillité à attendre qu'au moyen do son licenciement et de son désarmement.

Il fallut se Soumettre à une mesure qui récompensait le dévouement par l'intliction d'une peine cruelle.

M. de Clugny était.désormais lancé sur la mer contfcréVolulIqnnalre; il écrivit aux commissaires nationaux à la Martinique pour demander lu suppression des municipalités.

Celte fols les yeux des commissaires parurent $o dessiller ; Ils refusèrent cette suppression.

La soldatesque triomphonte et enivrée de rhum et do tafia pénétra dans le domicile de plusieurs citoyens t les


LES ILES DU VENTI 175

sieurs Parontot autres fufent assaillis dans leur domicile, frappés, laissés pour morts, i'un avec une jambe cassée. Le sieur Négré, ainsi pris d'assaut dans sa maison, voulut se défendre j il tira un coup do pistolet, qui: no blessa personne ; on le traduisit en justice.

Les commissaires sortirent enfin du sommeil léthargique dans lequel ils restaient plongés à lu Martinique ; ils se portèrent à la Guadeloupe. Ils débarquèrent à la BasseTerre lo 25 août 1791 i D'un côté ils purent facilement remarquer la, joîq qu'y occasionnait leur arrivée chez les paisibles patriotes, et de l'autre les regards inquiets do leurs antagonistes. v

Ils ne furent pas peu étonnés do voir circuler à la BasseTerre, sous lo contre-seing do M. do Béhague ; gouverneur de la Martinique, copie des procès-Verbaux do là municipalité do la Basse-Terre qui avaient été adressés aux commissaires. Ils apprirent aussi qu'il avait été donné connaissance au régiment de la Guadeloupe du projet qu'ils avaient do faire partir pour Franco co turbulent régiment. VM.

VM. Clugny avait autorisé des fédérations entre les planteurs Î le premier soin des commissaires fut do révoquer ces autorisations illégales. Déjà l'une do ces fédérations avait eu lieu a Sainte-Anne, le 3 août, et une autre dans une autre commune, le 17 du même mois; la fédération de Sainte-Anne avait débuté, dès le premier jour de sa formation, en signant une liste do proscription d'une trentaine d'individus. Après plusieurs dispositions où Todionx égalait hnsoence et le ridicule, les confédérés terminaient par ces mots t « Après la fédéra» tton effectuée, il sera avisé aux moyens d'expulser* tant » delà Bassé'Tcrre que du reste de lacotonie, les gens qui


176 ÉTABLISSEMENTS COLONIAUX*

» seront reconnus dangereux cl perturbateurs:, efc.i etc., • etciiClc. » ■■'■..."■■

Tout cela était approuvé, sanctionné par le gouverneur Clughy. ■ o;.';.r■ -'.'"■■"-; ■V'.'V

Le pavillon blanc n'avait pas encoro été supprimé à cette époque ; mais les grenadiers du deuxième bataillon du 14* régiment, qui no partageaient pas les sentiments du régiment do la Cùadcloupo, arborèrent sur leur caserne le drapeau tricolore, malgré leurs officiers, et mémo malgré les efforts prudents de la municipalité.

Le gouverneur Clugny ordonna lo désàrmcmentctl'arrestation des grenadiers. On intenta un procès criminel à quatre habitants 0? la Basse-Terre, accusés d'avoir fomenté co mouvements - *

Les commissaires eurent a soutenir un long débat avec l'assemblée coloniale au sujet de l'ordonnateur Masse, que le gouverneur et l'assemblée persistaient à ne pas admettre à l'cxerclco des foivctions de sa place. M. Masse fut forcé do céder et do quitter la colonie* porteur ce* pendant d'un bon certificat délivré par l'assemblée coloniale, qui constatait que M. Masse était un homme do probité, capable, et contre lequel on ne pouvait articuler aucun grief. ♦

En Un mot, les commissaires ne purent ramener rassemblée à l'exécution d'aucune des lois do la métropole.

Do la Basse-Terre, les commissaires se portèrent à la Poinlc-à-Pilro, on ils no turent pas plus heureux dans leur mission do pacification. Le 17 septembre, ils requirent la séhêchàussèe de cette dernière ville de commencer une inslrtictiott contre les signataires dé la liste do prbscrlp* tlon formée par les confédérés do Sainte-Anne. b'assem* bièo-gènéralc coloniale^ non seulement refusa de laisser


LES ÎLKS DU VENT." 177

coursà la justice, mais elle, ajouta même quo la réquisition des commissaires l'avait fait frémir d'indignation i elle l'écrivit formellement aux commissaires.

Lassés enfin du rôlo humiliant qui leur était imposé, les commissaires nationaux retournèrent à la BasSc' Terre, où ils rédigèrent, Io20 septembre, une proclamation pour tâcher do faire prévaloir la loi, dont ils étaient les organesè Lo gouverneur Clugny, d'accord avec l'assemblée, opposa la résistance la plus opiniâtre à la publication do cette proclamation, dont les termes étaient cependant d'uno modération qui rendait presque douteuses les intentions métropolitaines.

Des troubles survenus à Saintc-Luclo y nécessitèrent, sur ces entrefaites, la présence do MM. Montdenoix et Lingcr. .

MM. Lacoste et Magnitot, restés seuls à la Basse-Terre, requirent de nouveau lo gouverneur de faire publier leur proclamation. Aussitôt les planteurs fédérés s'agitèrent violemment, et M. do Clugny, pour no pas faire droit, déclara se démettre de ses fonctions. Force fut aux commissaires de s'adresser alors au commandant en second do la colonie, qui leur signifia son immuablo résolution dedésobéir, à l'instar dit gouverneur, et de se démettre égatement si les commissaires persistaient.

L'assemblée coloniale s'afiVauchit désormais de toute contrainte. Kilo prit des arrêtés cohtre-révôlutionnaircs, écrivit des menaces aux commissaires; et défendit toulo publication quelconque qui ne serait pas formellement autorisée par elle, lin sergent-major ayant observé que respect était da aux commissaires de l'assemblée Nationale, lut arrêté, jeté dans un cachot, et embarqué de nuit pour être déporté en franco,- où l'on s'imaginait sans '■'.v---.ii:",''./-:-- '■' ■ là:'.--"■■'"■'■■


178 ÉTABLISSEMKNTS COLONIAUX.

doute que les choses devaient être dans un état tel quo le roi ordonnerait à son arrivée qu'il serait pendu ; co qui, en effet, aurait bien pu avoir lieu, sans la journée du 10 août.

L'assemblée colonialo de la Guadeloupo entretenait avec M. do Béhaguo, gouverneur de la Martinique, son lldèlo ami, une correspondance fort active. Ce gouverneur eut l'insolence d'écrire aux commissaires sans entrer dans aucune autre explication, qu'il avait ordonné à M. de Clugny do reprendre ses fonctions ; après vingt-quatre heures d'arrêts, cependant, pour les avoir quittées sans sa permission.

Les commissaires déclarèrent qu'ils devaient cesser leurs travaux à la Guadeloupe, et repartirent pour la Martinique, où ils arrivèrent le 20 octobre.

Ils y trouvèrent leurs deux collègues, revenus de Sainte-Lucie depuis quelques jours.

Trois députés de l'assemblée coloniale de la Guadeloupe auprès de M. de Béhaguo, les avaient devancés à la Martinique.

Tous ces personnages so trouvant réunis, M. Lacoste fil le rapport dé ce qui s'était passé, et il proposa à M. de Bèhague de faire partir pour la France M. de Clugny et son commandant en second, pour y rendre compte dé leur conduite au roi et à l'assembléeNationalé. MM. de Montderioix et Linger furent d'un avis contraire;M. de Béhàgue se rangea de leur côté, et on n'en parla plus.

MM. Lacoste et Magnitot se décidèrent peu après à revenir en France : ils étaient porteurs de toutes les pièces officielles de la mission des commissaires, et ces pièces étaient destinées à être remisés au ministre de la


LES ILES DU VENT. 179

marine. Mais au moment du départ, un lieutenant de vais* seau vint, par ordre de M. de Béhaguo, et sur la réquisition do MM. do Montdenois et Linger, se saisir de la cassette. Ces pièces importantes sont restées à la Martinique,

L'assemblée coloniale do la Guadeloupe arrêta que les quarante soldats du 2* bataillon du 14' régiment et les quatre citoyens emprisonnés pour avoir arboré le pavillon tricolore seraient envoyés en France pour être traduits devant la haute-cour nationale. Lo gouverneur sanctionna cet arrêté. Les prisonniers furent dirigés sur la Martinique, et M. do Béhaguo exécuta l'arrêté do déportation.

SAINTE-LUCIE ET TABAGO. — Nous avons dit plus haut quo quelque agitation s'étant manifestée à SainteLucie, MM. de Montdenoix et Linger avaient jugé à propos de s'y transporter. Mais cet incident avait été de trèspeu d'importance. Les deux colonies attendaient assez paisiblement l'issue des événements, lo résultat des luttes engagées à la Martinique et à la Guadeloupe, et des nouvelles do France. Nous n'aurons donc rien à dire de ces deux colonies secondaires, jusqu'au moment où la contre-révolution coloniale, ouvertement déclarée par l'assemblée coloniale de la Martinique et par M. de Béhaguo et consorts, appellera Sainte-Lucie principalement à prendre une part active au débat.

La contre-révolution ouvertement proclamée aux lies du Vent,

Le 2 juillet 1792, l'assemblée Nationale de France avait rendu un décrel, sanctionné par le roi le 4 du même mois, portant que MM. de Béhague, gouverneur de la Martinique; de Clugny, gouverneur de la Guadeloupe,


IBO ÊTADLISSliMnNTîi COÏOMAUX.

d'Arrot, commandant ert second, et Montdenoix; seraient mandés à sa barre pour y rendre compte de leur conduite. M. Linger, roslô à la Martinique avec M. de Montdehoix, y était mort.

Dans los derniers moments du règne do Louis XVI, lo général do division Donatien-Mario-Josepb, comte do luv chambeau, fils et compagnon d'armes aux États-Unis du vieux maréchal de Bochambeau,Tami do Washington, fut nommé commandant général des Iles du Vent, au siège et gouvernement de la Martinique; le général Collot au gouvernement particulier do la Guadeloupe, et le maréchal do camp de fiicard à celui de Sainte-Lucie ; tous trois en remplacement de MM. do Béhaguo, de Clugny et doGimat.

La frégate la Sémillante, capitaine BruiX, eut la mission d'escorter à la Martinique lo convoi qui partait, avec les trois ; nouveaux gouverneurs des colonies françaises du Vent, quatre commissaires civils, mille hommes do troupes de ligne, et mille hommes do gardes nationales européennes. L'expédition fit voilé de Lorient,lo 10 août,jour môme de la catastrophe des Tuileries, avant-coureur de la chute imminente de la royauté de Louis XVI.

Pendant que la flottille faisait route, M. de Clugny était mort do maladie à la Basse-Terre- Tel était, l'état de furibondie sous lequel gémissaient les colons restes fidèles à la Franco, que cet homme coupable do nombreux abus de pouvoir, de duplicité, et d'actes injustifiables aux yeux de la morale, laissa des regrets, quand on vint à comparer la feinte aménité de ses moeurs et la politesse exquise de ses manières avec les écarts fougueux et la rudesse du plus grand nombre de ceux dont il était entouré : avec Vioménil et Béhague, par exemple 1


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Le vicomto d'Arrot, à la mort de Clugny, avait pris en mains les rênes du gouvernement à la Guadeloupe : il eut pour successeur au commandement en second, le colonel Fitz-Maurice, du régiment do la Guadeloupo, et co régiment eut pour nouveau colonel le lieutenant-colonel marquis du Barrail.

A peiné ces nouveaux dignitaires étaient-ils installés, qu'une lettre écrite de l'ilo anglaise do Montserrat (on devine bien dansquello bénévolente intention) annonça aux habitants de la ( uadoloupo que les Prussiens et les Autrichiens étaient entrés a Paris; que la contre-révolution était faite en Franco.

M. do Mallevault, arrivant do x Martinique sur la frégate la Calypso, do menaçante mémoire, demanda à M. d'Arrot la permission d'arborer le pavillon blanc. Après quelque feinte hésitation de la part du gouverneur, la frégate hissa lo pavillon blanc, et bientôt il n'en flotta plus d'autre à la Guadeloupo.

M. de Mallevault se hàia d'aller rendre compte à M. de Béhaguo, et à la Martinique comme à la Guadeloupe, le pavillon blanc fut partout aboré. A Sainte-Lucie, lo gouverneurGimat avait quitté son gouvernement. Le lieutenant-colonel Montels, qui commandait en son absence, refusa lo drapeau blanc, et la petite colonie do MarieCalante suivit l'exemple do Sainte-Lucie.

C'est dans cet état des choses, quo l'expédition partie de Lorient parut devant la Martinique le 16 septembre. Le générât Bochambeau envoya ses dépêches à FortRoyal par son aide de camp Dancourt. Cet olficier fut mis en arrcstM«on par ordre de Béhaguo, au moment où il prenait terrt : on le renvoya peu do temps après au général Bochambeau, et le capitaine de la Calypso, Malle-


182 É^AJUSSBMEHTS ÇOLOflLAUX,

vault, vint signifior aux chefs do l'expédition, do la part do M. de Béhaguo, et do M. do fiivièro, commandant de la station, qu'ils eussent à s'éloigner, sans quoi ils seraient traités en ennemis, Et en effet, les forts tirèrent à boulets sur deux bâtiments du convoi. Il n'y avait pas do résistance possible de la part du général Bochambeau : sans parler des forts occupés par les rebelles, la station était composée du vaisseau de 74 la Ferme, capitaine de Rivière | des frégates la Çalysoetla Royaliste, etdes corvettes le Maréchal de Castries et le Balon, La flotte française dut reprendre le large j et voyant également flotter à Ja Guadeloupo lo pavillon blanc, Bochambeau passa outre et fit voile pour Saint-Domingue : la flotte mouilla sur la rade du Cap, le 28 septembre 1792. A quelque chose malheur est bon quelquefois. Ce fut au secours inespéré que l'arrivée de Roçhambeau apportait aux commissaires français àSaint-DOmingue, qu'ils durent de pouvoir déjouer le plan de contre-révolution dont ils allaient être victimes dans cette colonie. Ces commissaires invitèrent Bochambeau à prendre le gouvernement de Saint-Domingue, en attendant les ordres de la métropole.

Cependant l'assemblée Nationale législative avait mis fin à ses travaux, le 20 septembre 1792. Le gouvernement dit Révolutionnaire avait commencé en France, et la convention Nationale était réunie. Cette mémorable assemblée, qui a fait tant de mal, et tant de bien, et des choses si merveilleuses, marqua son début, le 21 septembre, par le décret d'abolition de la royauté.

En France, à cette époque, on ne pouvait encore connaître le résultat de l'expédition du général Roçhambeau ; mais le gouvernement révolutionnaire sentait la nécessité d'étonner les colonies par le bruit des victoires et des


LUS ILES DU VKNT. 183

changements qui venaient d'avoir lieu en Europe. La Convention chargea le capitaine do frégate Lacrosso, commandant de la Félicité, d'aller en porter la nouvelle aux Antilles du Vent, « afin d'empêcher (portaient ses instruc» lions) qu'on ,\eprlt le change sur tes événements du 10 QOÎU.

Cet officier eut ordro do répandre dans les Antilles, les décrets et les divers écrits qu'on lui confia ; d'éclairer tes nouveaux citoyens, gens de couleur libres, d'attacher les colonies à la métropole par la reconnaissance et la fraternité} d'employer tous les moyens que son patriotisme lui suggérerait pour faire aimer et respecter la République} et il lui était enjoint do rendre compte au ministre, de la conduite des agents civils et militaires dans les colonies.

M. do Lacrosso fit voile de Brest lo 24 octobre, et arriva le 1er décembre devant Saint-Pierre (Martinique), où il apprit l'insurrection royaliste de la colonie et celle de la Guadeloupe. Il fut informé de la retraite de Bochambeau à Saint-Domingue. Il écrivit à M. de Béhague pour tâcher de le ramener à ses devoirs envers la patrie. Sa lettre fut remise, ainsi que divers paquets qu'il avait pour la Martinique, à la corvette le Balon, qu'il trouva devant SaintPierre. Mais convaincu du danger qu'il courait en restant dans le voisinage du traître de Rivière, qui se tenait à FortRoyal , le capitaine Lacrosse fi t voile pour l'ile anglaise de la Dominique, où beaucoup de français fidèles de la Martinique et de la Guadeloupe étaient allés chercher un refuge contre les rigueurs de M. de Béhague et de M. d'Arrot.

La Félicité jeta l'ancre à Roseau-Dominique, le 2 décembre. M. de Lacrosse s'était abouché avec les réfugiés patriotes ; il so décidait à séjourner à la Dominique pour tenter de faire rentrer les rebelles sous l'obéissance à la


184 ÉTAaLtSSBMESiTS COLOAilAtX.

métropole, mais le gouverneur .anglais James firuco l'obligea à so retirer. M. do Lacrosso lit alors voilo pour Sainte-Lucie : dans lé trajet il fut inutilement poursuivi par le vaisseau ta Ferme,

Sainte-Lucio, alors justement nommée la Fidèle, accueillitLacrosso avec enthousiasme. A cetto époque, rassemblée coloniale do cette lie se montrait pure; elle requit le capitaine Lacrosso do s'y établir avec sa frégate : il obtempéra à cette invitation et expédia, par des avisos, les paquets dont il était porteur pour Tabago et pour les commissaires civils à Saint-Domingue.

Lo capitaine Lacrosse, écrivant à RochambèaU, l'invitait à mettre à ses ordres les vaisseaux dont il pourrait disposer.

L'arrivée inattendue de Lacrosse, dans un moment où l'on croyait la Convention trop embarrassée pour pouvoir s*occuper do ses colonies, porto le trouble et la terreur, dansT'àme des conspirateurs de la Martinique et de la Guadeloupe. Puis couvrant leur effroi par des mesures violentes et extrêmes, les assemblées de ces deux colonies publièrent une déclaration do guerre contre la France républicaine. A la Guadeloupe, la peine de mort fut. prononcée contre quiconque tenterait d'introduire les proclamations du capitaine Lacrosse. Mais en même temps les patriotes de Sainte-Lucie se recrutaient de tous les bons Fra is qui pouvaient s'échapper de la Martinique. A bord môme des vaisseaux de la station do M. de Rivière, il y avait nombreuse désertion chaque nuit, et ces matelots abordaient à Sainte-Lucie sur des canots enlevés aux bâtiments do leur station ou sur des bateaux de pêcheurs.

Tout faisait présumer une prochaine réaction, elle ne


LBS iLKS OU VBWTi 185

larda pas à so manifester. La villo do la Poiuto-à-PItre (Guadeloupe) ,n donna lo premier signal.

Le bataillon du régiment de Forez, qui y tenait garnison, refusa de prêter le serment qu'exigeait de lui rassemblée coloniale, et la plupart des habitants des deux villes do la Pointe-à-Pitre et Jo la Basse-Terre s'y refusèrent également.

C'étaient surtout les équipages des bâtiments do commerce français, mouillés, à la Guadeloupo, qui témoignaient do l'horreur pour le pavillon blanc et qui s'accusaient avec fureur d'avoir cédé à la violence pour l'arborer. Ces marins s'emparèrent du fort de Fleur-d'cpée, et y arborèrent avec do vives acclamations les couleurs nationales, le 28 décembre. M< do Béhague se hâta de renforcer lo parti royaliste à la Guadeloupe par l'envoi des frégates ta Calypso et la Royaliste, portant un train d'artillerie ; tout cela ne fit qu'ajouter à l'énergie des républicains : marins français et colons patriotes so réunirent, so formèrent en compagnies, fortifièrent quelques points avantageux, .armèrent des batteries, et parvinrent à repousser et à battre complètement les royalistes, qui étaient venus simultanément attaquer la Pointe-à-Pitre sur deux points différents.

Co noyau do républicains, désormais formidable, députa auprès du capitaine Lacrosse à Sainte-Lucie. On l'invitait à venir prendre le commandement. 11 arriva effectivement à la Pointe-à-Pitre, le 5 janvier 1793, et fut reçu avec une unanimité d'acclamations qui fit trembler M. d'Arrot.

L'exemple donné par la Pointe-à-Pitre entraîna bientôt toute la colonie; et il ne resta d'autre parti à prendre pour M. d'Arrot que de s'aller réfugier à la Trinité espa-


186 ETABLISSEMENTS COLONIAUX.

gnolo, où te suivirent la plupart des olficiers des troupes, et un grand nombre de planteurs.

Il n'y avait pas huit jours quo le capitaine Lacrosse était à la Guadeloupo, que déjà toutes les paroisses de l'Ile lui avaient envoyé des députations. Tout fut réorganisé, do nouvelles municipalités instituées, le séquestre fut mis sur les biens du clergé et des émigrés, en vertu des décrets de l'assemblée Nationale des 3 novembre 178!) et 25 août 1792.

Les représentants des paroisses réunis à la Pointe-àPitro, se constituèrent sous le titre do commission générale extraordinaire, Lo premier acte de cette commission fut de déférer au capitaine Lacrosso lo gouvernement provisoiro de la Guadeloupe.

Lo capitaine Lacrosse accepta, mais souS la condition qu'il pourrait, chaque fois qu'il jugerait à propos de s'absenter pour le bien de la république se faire représenter au gouvernement de la Guadeloupe, par le cidevant baron de Kermené, capitaine au 31* régiment (Aunis), qu'il avait connu à son arrivée à Sainte-Lucie, et qui était alors commandant militaire à Marie-Gâlânte. C'est ce même Kermené que nous verrons finir d'une manière si tragique à Sainte-Lucie.

La réaction républicaine ne tarda pas à gagner la Martinique. Les Français restés fidèles s'étaient ranimés; leur nombre ostensible s'augmentait tous les jours. M. de Béhague, perdant la tête, qui jamais chez lui n'avait été solidement soudée, s'embarqua le 11 janvier; et le lendemain il fit voile, avec tous les bâtiments delà station et un grand nombre do planteurs de la Martinique, pour l'Ile espagnole de la Trinité.

On se hâta de députer auprès du capitaine Lacrosse, à


la Guadeloupo, pour l'informer do cet événement et lui demander une règle de conduite} mais on même temps que cetlo députation, arrivaient à la Guadeloupe et débarquaient à la Basso-Terro, les généraux Bochambeau et Ricard.

M. de Bochambeau avait sollicité du ministre de la marine Monge, l'autorisation et les moyens do so mettre en possession de son gouvernement de la Martinique. Le ministre lui répondit par un ordre positif do retourner à la Martinique, et ordonna aux généraux Cofiot et Ricard d'en faire autant à la Guadeloupe et à Sainte-Lucio. Roçhambeau et Ricard, embarqués à Saint Dominguo sur le brick le Lutin, arrivèrent le 28 janvier 1793 à la BasseTerre, où leur présence inattendue occasionna quelque fermentation ; on ignorait qu'ils fussent porteurs de pouvoirs du nouveau gouvernement do la France, et les républicains faisaient mine de s'opposer à leur débarquement. Mais le capitaine Lacrosse, accouru dé la Pointe-à«Pitre, où il so trouvait alors, détrompa la population, et Roçhambeau fut dès-lors reconnu comme gouverneur général des lies du Vent, il confirma le capitaine Lacrosse dans ses fonctions de commandant militaire à la Guadeloupe, pour les exercer jusqu'à l'arrivée des commissaires de la convention Nationale et des forces do terre et de mer qui étaient annoncées.

Le général Roçhambeau lit voile pour la Martinique le 3 février, et il entra immédiatement en fonctions de gouverneur. Ce fut le capitaine Lacrosse qui l'y porta sur sa frégate, et qui de là fut déposer le général Ricard à SainteLucio. C'était cargaison bien mêlée : un brave, un bon patriote, avec un traître, un vieux fourbe, dont la présence a été bien funeste aux bons Français à Sainte-Lucie.

Cependant le général Collot, parti de Saint-Domingue


188 ÉrABLISSBMK^TS OOLONrAUX.

sur lo bâtiment l'Ardeur, arrivait le G février à la BassoTerre (Guadeloupe). Digne pendant do Ricard* il n'a paru non plus parmi les républicains que pour leur malheur. Les a-t-il trahis, ou iVétait-il qu'un lâche? lo résultat est à peu près lo mémo.

Tout d'abord les ennemis do la Franco parurent connaître lo prix pour eux du digne Cofiot, et montrèrent do l'insolenco et de la turbulence.

La commission générale extraordinaire était perplexe. Reconnaîtrait-ello les pouvoirs du général Cofiot, ou inviterait-elle lo capitaine Lacrosso à continuer ses fonctions ? Lo général Bochambeau, consulté en sa qualité de gouverneur-général, décida que \a commission générale n'avait pas lo droit d'infirmer la nomination du général Collot. Celte décision était de droit.

Cependant on venait d'apprendre aux Antilles que la Franco avait déclaré la guerre le P* février à l'Angleterre et à la Hollande. C'était un événement majeur. .

En terminant cetto esquisse de la révolution coloniale, nous éprouvons le besoin de protester contre toute mal interprétation de nos sentiments. A ceux qui verraient trop de vivacité dans certains reproches adressés aux hommes qui ont lâchement et traîtreusement déserté les couleurs de la France pour se ranger sous celles des ennemis de la patrie, nous dirons avec le calme amené par l'âge et de longues réflexions, que le souvenir des outrages qu'on a fait subir à notre famille, restée fidèle à ses devoirs, n'influe nullement sur lo jugement que nous portons des cruautés dont nous avons été victime. Nous n'ignorons pas les misères des révolutions, el nous sommes pénétré de cette vérité ,* c'est que s'il est impossible d'oublier, du moins faut-il savoir pardonner.

Nous sommes créole, de race blanche, et nous aimons


LES ÎLE8 W VENT. 189

sincèrement les créoles; non pas avec les vues étroites d'une fraternité purement locale, mais comme des hommes do race française commo nous, et qui, sous le beau ciel qui les éclaire, peuvent se rendre tout à fait dignes de leur noblo origine. * Né dans te sérail, j'en connais les détours. » Personne mieux quo nous peul-êlro, si nous étions appelé à en tracer le tableau, no pourrait rendre compte do tout ce qu'il y a do véritablement estimable, do séduisant et d'aimable chez le créole livré aux propres inspirations do son coeur, généralement bon, compatissant et généreux. Que par un effort de raison, plutôt que d'obéir aux lois de l'impérieuse nécessité qui lo lui commandera tôt ou tard, lo colon écarte enfin ce fatal bandeau qui obscurcit son intelligence, et il sera régénéré , pur et en paix avec lui-même le jour où la négrophobie disparaîtra à ses yeux comme un pénible cauchemar cesse aux premiers rayons du jour d'oppresser le patient qui en a été tourmenté pendant les longues heures d'une nuit agitée.

Mais que le colon se pénètre aussi de quelques vérités qui ne semblent pas jusqu'ici s'être bien profondément gravées dans son esprit. Qu'il apprenne que pour mériter de fairo partie de la grande famille française, en même temps qu'on participe à l'honneur de cetle illustre nationalité, on a des devoirs à remplir, même des sacrifices à s'imposer ; lo premier de tous c'est de ne pas croire que trentecinq millions d'hommes doivent se courber devant tes caprices d'un puéril amour-propre et sacrifier tous les intérêts nationaux aux prétentions d'une presque imperceptible fraction de la grande famille.

Quelescolonsenlinserappellentqu'uucerlainjargon pédantesqueet prétentieux chez ceux que leurs richesses placent sur lo chandelier de la société coloniale, ou que leurs


100 ÉTARLISSEMKNTS COLONIAUX.

fonctions appellent à prononcer sur le sort des individus, ne saurait tenir lieu des méditations de la jurisprudence et de l'équité des décisions ; qu'une phrasé peut-être très-^ sonore, mais fort peu concluante en matière de criminalité; et qu'on peut être véhémentement soupçonné d'un délit sansque s'ensuive nécessairement la condamnation qu'appelle co délit.

Enfin, je résume mes avis affectueux, en suppliant mes compatriotes de so ressouvenir d'eux-mêmes, de redove* nir ce que Jadis ils ont été lorsqu'ils se sont couverts de gloire à différentes époques en repoussant les étrangers, en prenant comme soldats volontaires part aux expéditions de Dostaing et de Bouille contre les colonies anglaises» Comment 1 est-ce qu'il ne reste pas des enfants de ces volontaires de la Martinique et do la Guadeloupe qui abandonnés à Sainte-Lucie par l'imbécilo Lowendal sous le feu meurtrier de la batterie de la vigie, se seraient fait tuer jusqu'au dernier, l'arme au bras, plutôt que d'abaisser leur drapeau, si l'humanité du colonel anglais Grant ne lui avait fait donner l'ordre aux artilleurs do la batterie de cesser le feu ! Voilà des titres de gloire, mes chers compatriotes t Cela vaut mieux pour vous que le dithyrambe de certain paladin gascon qui nous apprenait naguères, pour prouver que vous êtes tous des héros, qu'au moindre regard do travers vous n'hésitez pas à vous placer les uns contre les autres à cinq pas de distance pour vous fusiller à la carabine.

Quantum mutatus ab illo ! Qui se serait douté en 1779 qu'on verrait les créoles des Antilles françaises appeler de lotis leurs voeux les Grey, les Jervis ; servir dans leurs rangs et se faire leurs pourvoyeurs do butin en livrant leurs compatriotes à la rapacité britannique t

ta preuve, au surplus, de mon peu de rancune poli*


^$8 ItES DU VB^T. l(£l

tique, c'est la manière cursivo et peu incisive avec laquelle j'ai raconté la période do 1790 à 179$, pendant laquello la-Vfilo de Saint-Pierre et.ses adhérents dans diverses paroisses de la colonio, ont été aux prises avec l'assemblée coloniale séant au Gros-Morne. Mille faits odieux ont été passés sous silencoy ol ce qui est peutêtre plus méritoire de ma part, c'est que j'ai également renoncé à peindre les scènes où le ridicule le disputait à la férocité et à l'extravagance

Co fameux directoire permanent du Gros-Morne; ses arrêtés,ses publications,sa gazetto \ voire même ses poètes, ses chansons, ses odes en vers do dix-sept pieds I

Et Béhaguo avec.sa jactance et ses fureurs 1 et les parades du vaisseau ta Ferme et de la frégate la Calypso ; les vexationsde toute espèce contre les voyageurs des autres colonies ; les tributs imposés capricieusement au cabotage cpïohiàil

A la vérité, si j'étais entré dans cette voie, il m'aurait fallu en toute justice parier aussi des chansonniers Pierrotins, de la lourde gazetto de Thounens, des brûlots do Vauchot et de Buffardin d'Aix ; car Saint-Pierre aussi nous faisait voir de fort drôles do choses inillotempore.

Il est cependant une pièce sur laquelle tombent mes yeux en ce moment, et je no puis m'empecher d'en dire Un mot ; c'est une adresse do rassemblée coloniale au monde entier, qu'efio prend à témoin do ses griefs. Parlant des volontaires do la Guadeloupe, de Sainte-Lucie, de Tabago, qu'elle qualifie indistinctement do brigands accourus au secours do Saint-Pierre i ils étaient, dit l'assemblée coloniale, comOiandés par qui ? < . , PAB UN DÙGÔMMIEH!

Par un Dugommier ! insolents, glorifiez-vous plutôt


102 KI'AIILISSBMENTS COLONIAUX.

que le soleil de votre j>ays ait éclairé la naissance d'un héros dO courage, d'humanité et de sagesse, dont lesjrmV rijcs plaident pour le pardon do vos extravagances. ., ^ Je me suis demandé quelquefois si Waltcr Scott no so* . rait pas allé à la Martinique en 1.792. N'est-ce pas là qu'il aurait trouvé les typés enragés do Mucklewrath, de Balfour; de Burlcig; les types pillards de Beau Lcan ; les Children of thc tnist, l'original de Du gai d Dalguctty do Drumlh'Wacket. Ah! pourcchji dcCallumbeg, il n'aura pu avoir que l'embarras du choix. Mais c'est en vain que dans ma mémoire je cherche ceux de l'excellent baron do Bradwardine, do l'aimable comte de Mcnlcith, do Morton de Milnwood : je me squvicns do bien des rodonjonts, mais rùin no me rappelle même un Edgar de Havenswood.

B faut nous arrêter ici, puisque nous ne devons' pas cohfondre dans cette Situation des colonies, les faits de la guerre maritime avec l'Angleterre Mais bientôt en pariant dé ces hostilités, nous aurons de nouveau à dérouler une honteuse page de l'histoire coloniale britannique et du concours diabôHqué que l'ennemi a trouvé chez d'indignes Français, traîtres à leur patrie, infidèles à leurs serments et proscripteurs de leurs concitoyens;

L'ile de SaintcLuclè en particulier a offert à l'humanité en pleurs Un déplorable faisceau dé turpitudes et de cruautés. Nous n'éprouvons aucune hésitation à en présenter le tableau à l'indignation des gens de bien. Mais nous avouons que c'est toujours à contre-coeur que nous nous trouvons forcé de tracer des chefs anglais un portn.it où il est Imposslhlc de reconnaître cette nation généreuse qui s'est si souvent Illustrée par


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son humanité, son frat^courage, far l'élévation de son C!K radÉfc, etcljez jacruclle on est lier de compter un amj* Quelle estdonc la m^plto^hé|étlque influence d'uno casaque rouge,

.que ceux qui en sont affublés se transforment aussitôt en tigres et en dévastateurs I ;,

C'est au mois d'avril 1706 que Saintè*Lucic, après une très-' belle et très-honorable défense, est retombée au pouvoir des Anglais, qui y ont infligé des tortures et l'auraient convertie en un vaste sépulcre, si unjiornme qui leur inspirait la terreur de son nom victorieux et de son indomptable caractère ;ic les avait forcés, par la crainte des représailles, à mettre un frein à leurs excès. Victor Hugues, à la Guadeloupe, continuait de braver les Anglais et ne s'effrayait pas du formidable armement qui, aux ordres de sir Ralph Àbcrcrombie et de l'amiral anglais Christian, avait paru dans la mer rfejs Antilles. Malheureusement il ne Ait que trop tard informé des actes qui avaient suivi la capitulation de Sainte-Lucie, et * déjà bien des victimes avalent sucombé jjgals lorsqu'il apprit ce qui se passait, fi réclama ses concitoyens enchaînés sur les vaisseaux anglais : de nombreux prisonniers de cette nation, des prisonniers de marque, étaient détenus h la Guadeloupe, et l'on savait que Victor Hugues ne promettait jamais ni ne menaçait en vain : il se hâta d'envoyer auprès des chefs anglais pour leur signifier que le sort de leurs compatriotes dépendait absolument et irrévocablement de celui qu'on ferait subir aux Français à Sainte-Lucie. C'est ainsi qu'il y eut un terme à des persécutions inouïes dans les fastes des peuples

- civilisés. ■ 'V'. '*''■..'■

Mais n'anticipons pas sur ces récits, qui vont trouver place dans l'histoire de la guerre aux Antilles.