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Titre : La Science sociale suivant la méthode de F. Le Play

Éditeur : la Science sociale (Paris)

Date d'édition : 1928

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32865965j

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32865965j/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1928

Description : 1928 (A43,FASC10).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5667196h

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-R-8061

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/12/2010

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LA

SCIENCE SOCIALE

SUIVANT LA MÉTHODE D'OBSERVATION

Fondateur : EDMOND DEMOLINS

43e Année — Quatrième Période — 10e Fascicule.

JOURNAL

DE

L'ÉCOLE DES ROCHES

PAR

LES PROFESSEURS ET LES ÉLÈVES

PARIS

BUREAUX DE LA SCIENCE SOCIALE

56, RUE JACOB, 56

Prix : 9 fr.


LA SCIENCE SOCIALE

REVUE PARAISSANT CHAQUE TRIMESTRE

On peut s'abonner sans frais dans tous les Bureaux de poste

SOCIETE INTERNATIONALE DE SCIENCE SOCIALE

But de la Société. — La Société a pour but de favoriser les travaux de science sociale, par des bourses de voyage ou d'études, par des subventions à des publications ou à des cours, par des enquêtes locales en vue d'établir la carte sociale des divers pays. Elle crée des comités locaux pour l'étude des questions sociales. Il entre dans son programme de tenir des Congrès sur tous les points de la France, ou de l'étranger, les plus favorables pour faire des observations sociales, ou pour propager la méthode et les conclusions de la science. Elle s'intéresse au mouvement de réforme scolaire qui est sorti de la Science sociale et dont l'École des Roches a été l'application directe.

Enseignement. — L'enseignement de la Science sociale comprend actuellement les Cours suivants :

EN PROVINCE : 1° celui de M. G. Melin, à la Faculté de droit, à Nancy; 2° celui de M. de Calan, à la Faculté de droit, à Angers.

Conditions d'admission. - La Société comprend trois catégories de membres, dont la cotisation annuelle est fixée ainsi :

1° Pour les membres titulaires : 30 fr; (40 fr. pour l'étranger) ;

2° Pour les membres donateurs : 100 fr.,

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Les membres de la Société reçoivent la Revue en échange de leur cotisation.


ANNÉE 1928

3° PÉRIODE, 10e LIVRAISON

BULLETIN

SOGIÉTÉ INTERNATIONALE

DE SCIENCE SOCIALE

SOMMAIRE : La question du blé et ses aspects sociaux, par le Ve E. de FELCOURT. — La culture de la banane aux îles Canaries et ses répercussions sociales, par JOUON DES LONGRAIS. — Le comte de Gobineau descendant des Vikings, par P. DESCAMPS. — Les réunions mensuelles : Séance du 4 novembre 1927 (Les îles Canaries) ; — Séance du 2 décembre 1927 (L'effort des réfugiés russes, vers l'ascension sociale, par P. DESCAMPS); — Séance du 9 février 1928 (L'organisation sociale des indigènes du Dahomey, par le P. AUPIAIS); — Séance du 3 mars 1928 (La Question du blé). — Bibliographie. Livres et Revues.

LA QUESTION DU BLÉ ET SES ASPECTS SOCIAUX

Dès que l'on aborde au point de vue mondial, et c'est exclusivement celui auquel nous nous placerons, le problème du blé on est conduit à cette première constatation que presque toute la race blanche se nourrit de ce précieux pain blanc que seul donne le blé, et cependant, nombreux sont à la surface du globe, les hommes qui ne mangent pas ou fort peu de pain. C'est que d'autres céréales sont plus nourrissantes : à rendement égal, un hectare de blé peut fournir à cinq personnes une nourriture saine et substantielle, tandis qu'un hectare de riz en nourrit huit environ, et pourtant, même dans les régions les plus favorables au riz, l'homme blanc lui préférera toujours le pain de blé.

Et ceci s'explique parce que le blé présente sur le riz et sur beaucoup de plantes pouvant servir de nourriture à l'homme l'avantage, que son aire de culture est très étendue et par là même les possibilités de progrès de sa production.

Cette aire va de la zone tropicale jusqu'à la zone arctique. Si l'on considère les

diverses espèces de blé, les blés de « printemps » peuvent se semer jusqu'au 65° de latitude ; les blés d' « hiver » peuvent eux-même réussir très haut vers le nord si une couche de neige suffisante couvre le sol pendant la saison froide. Les blés « durs " conviennent aux pays demisecs, les blés « tendres » aux pays humides. Tout ce que le blé demande c'est un été ensoleillé, un printemps assez humide, un sol assez profond et assez riche. Or, ces sols, il y en a beaucoup de par le monde : la grande zone des limons qui traverse d'Est en Ouest les vastes plaines de l'Europe occidentale et centrale ; les terres noires de Russie et de Sibérie; le loess de la Chine du Nord; les alluvions de la plaine indogangétique ; l'humus des prairies nord-américaines et la Pampa du Sud-amérique ; les plaines du Sud-Est de l'Australie; voilà autant de terrains qui conviennent au blé, si le climat y est suffisamment humide et ensoleillé.

Mais c'est avant tout le bassin de la Méditerranée qui remplit tant au point de vue du sol qu'à celui du climat, les conditions les plus favorables à la culture du blé.

C'est sur les bords orientaux de ce grand lac, berceau des civilisations successives les plus perfectionnées de l'anti1

l'anti1


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quité, que l'on a pu fixer l'origine du blé. Il y a peu de temps encore, ce lieu d'origine était ignoré et nul n'avait rencontré cette plante à l'état sauvage. Ce n'est qu'en 1906 près du lac de Tibériade que, pour la première fois, un épi de blé fut aperçu par un botaniste israélite, M. AARONSHON, sans qu'on put supposer qu'il se fût échappé des cultures.

Il était nécessaire de rappeler toutes ces choses pour comprendre comment cette culture a pu suivre pas à pas l'expansion de la race blanche dans le monde et par là même celle de la civilisation.

Le blé a donc été dès son origine une plante naturellement adaptée au climat particulier des bords de la Méditerranée ; c'est là encore qu'il donne ses meilleurs rendements; à égalité de sol, avec les mêmes engrais il produit plus que sous nos climats tempérés. Aussi, n'est-il pas rare de voir dans les pays méditerranéens des champs de blé sur des terres pierreuses, que nul, dans le nord de la France par exemple, ne songerait à ensemencer. Il y est plus riche en gluten et l'on peut tirer de sa farine plus de pain.

Aussi tous les pays anciens des bords de la Méditerranée ont-ils cultivé le blé : on le retrouve dans les sarcophages des pharaons; pour les anciens grecs l'usage de la farine de froment, du vin et de l'huile, était un critérium de civilisation. Sophocle voyait dans la richesse de blé de l'Italie une marque de faveur des dieux. Enfin Rome surtout dont les conquêtes eurent avant tout pour but de faire du bassin de la Méditerranée le vaste grenier de l'Empire; sous son l'impulsion l'Afrique du Nord était devenue grâce à de remarquables travaux d'aménagements et d'irrigation, dont les vestiges se voient encore, le grand réservoir de blé de la Capitale du Monde Antique.

Puis survint l'effondrement de l'Empire sous la ruée des barbares. Cette vague de destruction qui déferle sur le monde civilisé ruine d'abord et avant tout les cultures : c'est le recul du blé.

Ce phénomène est encore surtout sensible en Afrique du Nord où les deux invasions arabes font disparaître l'admirable

l'admirable Romaine il ne pouvait en être autrement devant ces hordes de pasteurs auxquelles le Prophète, dans sa fureur destructrice, avait dépeint la charrue comme un instrument de perdition; il l'avait maudite car elle attachait l'homme au sol et le détournait de la conquête.

Nous arrivons ainsi au moyen âge qui pour tout le nord de l'Europe en particulier apparaît sous l'aspect d'une période de recueillement et de travail agricole.

Après la conquête franque et sous l'impulsion des ordres monastiques, les forêts de la Gaule et de la Germanie sont successivement défrichées et les terres livrées à la culture des céréales. Les grands domaines francs se constituent et le blé semé dans des terres encore vierges gagne peu à peu vers le Nord et vers l'Est suivant toujours année par année les progrès de la Civilisation, ainsi jusqu'à la fin du XVIIIe siècle où il commencera à s'établir dans les plaines fertiles de la terre noire de Russie.

Mais précisément parce que le blé est la nourriture par excellence de la race supérieure de l'humanité donne-t-il lieu, de tout temps, à un trafic intense et cette étude serait incomplète si nous n'examinions les grands courants commerciaux qu'il a créés. Non seulement il fournit le pain le meilleur, mais il est aussi l'une des denrées les plus faciles à transporter et à conserver. Il remplit en effet les cales des navires sans laisser de vides, sans réclamer d'emballage spécial ; il est dur, ne se brise pas et ne s'altère pas. Ses deux seuls ennemis sont l'humidité et les parasites, aussi doit-il être emmagasiné à l'abri de la pluie et des rongeurs. Il constitue donc la denrée idéale à transporter. Aussi pendant toute l'antiquité le blé a été dans la Méditerranée l'objet d'un commerce singulièrement actif, et cette mer était périodiquement sillonnée de galères chargées de cette précieuse céréale et convergeant toutes vers l'Italie. Le commerce se maintint encore pendant une grande partie du moyen âge, les villes marchandes d'Italie notamment firent longtemps appel aux échelles du Levant


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pour leur ravitaillement. Mais, peu à peu, la piraterie barbaresque arrêta ce trafic, la Méditerranée n'est plus sûre, et singulière coïncidence, c'est au moment où la civilisation va se développer en Europe occidentale que le commerce du blé va s'orienter vers la Baltique et que ses riverains fourniront non seulement l'Italie et l'Espagne, mais aussi pour une bonne part de leur consommation, la France et l'Angleterre.

C'est alors que le commerce du blé fit tour à tour la fortune de Stettin, puis après sa décadence, dans la seconde moitié du XVIe siècle, celle de Hambourg; enfin au XVIIe siècle après la déchéance de Hambourg, celle de Dantzig, de Riga et même de Königsberg.

Ce trafic fut d'abord au pouvoir de la Hanse, puis il fut accaparé par les Hollandais, maîtres incontestés de la navigation du XVIIe et XVIIIe siècle, car le commerce de la Baltique était alors plus important pour eux que celui des Indes mômes. Bruges, puis Anvers et enfin Amsterdam furent à cette époque les grands entrepôts de céréales du nord de l'Europe.

Ce trafic cesse au XIXe siècle, à la suite des événements considérables qui se sont produits dans l'ordre politique, économique et social. Ces événements sont trop connus dans leurs détails, bornons-nous à les rappeler sommairement.

C'est d'abord le blocus continental qui bouleverse et arrête partiellement tous les grands courants commerciaux maritimes. Puis l'Angleterre vient de créer son immense empire colonial qu'elle accroît chaque jour et opère sa transformation complète de pays agricole en pays industriel. Si bien qu'à la fin du XIXe siècle elle.' devra faire venir tout son ravitaillement de l'extérieur, n'ayant jamais pour plus de trois semaines d'approvisionnements sur son territoire.

L'Europe occidentale, elle aussi évolue vers l'industrie, et bien que cette évolution ne soit que partielle, elle ne l'oblige pas moins à devenir à son tour une grosse importatrice de blé.

En même temps s'ouvrent outre-mer de vastes territoires sur lesquels la race blanche

blanche d'importantes colonies de peuplement composées de familles pour la plupart d'origine rurale.

Sur ces terres neuves se pratique une culture extensive qui, sans engrais, donne des récoltes rémunératrices. Et nous allons voir les Etats-Unis, le Canada, les Indes, toutes colonies ou anciennes colonies anglaises, jeter sur le marché du Vieux Continent des blés à bas prix, qui mettront en danger son agriculture et provoqueront des crises dont, entre 1880 et 1900, l'agriculture française en particulier a tant souffert, et dont elle commençait seulement à se relever lorsqu'éclata la guerre de 1914.

Nous pourrions également citer en Europe orientale des phénomènes analogues se produisant en Russie méridionale pour laquelle, étant donné la fertilité du sol, la culture et l'exportation du blé de viennent une source importante de richesse.

Mais les répercussions de ces grands événements économiques que furent l'évolution industrielle de l'Europe occidentale et l'ouverture dans des pays neufs de champs immenses de blé ne se seraient certainement pas fait sentir avec la même intensité, si, pendant la même période, les moyens de communication n'avaient, sous l'influence des découvertes scientifiques, subi, eux aussi, une véritable révolution. La marine à vapeur et les chemins de fer qui vainquent les distances, rapprochent les lieux éloignés et réduisent les frais de transport, ont ainsi exercé une influence prépondérante sur l'extension des cultures de blé et l'intensification de son commerce.

Nous avons vu que pendant toute l'antiquité, le moyen âge et l'époque moderne, ce commerce était avant tout maritime et il l'est encore aujourd'hui. Le rôle des chemins de fer a pourtant été lui aussi considérable. Ceux-ci transportent des lieux de production aux côtes souvent éloignées le produit de territoires qui sans leur passage seraient restés incultes.

Aux Etats-Unis notamment, le développement des champs de blé a été dans bien des cas parallèle à celui du rail. L'Inde n'a pu exporter que lorsqu'un réseau ferré a permis aux céréales d'atteindre la mer;


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par contre en Russie le manque de voies ferrées a provoqué des famines entravant la répartition des céréales au sein du pays même ; tout récemment encore il était plus facile de faire venir à Pétrograd le blé des Etats-Unis que celui de l'Ukraine.

Ainsi donc au seuil du XXe siècle le monde était divisé en deux grandes catégories de nations : celles qui ne produisaient pas de blé du tout ou qui n'en produisaient qu'insuffisamment pour leur population devenue trop dense, et celles dont la production surabondante et la population faible obligeaient à exporter l'excédent ou la presque totalité de leurs récoltes et qui devenaient ainsi les pourvoyeuses des premières. Et comme nous l'avons déjà' indiqué, ces nations importatrices étaient précisément les principales nations industrielles de l'Europe occidentale, c'est donc vers cette Europe occidentale que se dirigent les nouveaux grands courants commerciaux partant de cinq principaux foyers de production.

Ces foyers sont les suivants :

L'Europe orientale (Russie, Roumanie, Hongrie et Bulgarie) qui pendant la période 1909-1913 a exporté une moyenne annuelle de 73.403.000 quintaux métriques de blé.

L'Amérique du Nord (Canada et EtatsUnis), 54.909.000 quintaux.

L'Amérique du Sud, 26.876.000 quintaux.

L'Australasie, 13.657.000 quintaux.

Les Indes, 13.496.000 quintaux.

Seul, le foyer de l'Europe orientale touche les pays importateurs ; encore n'envoie-t-il que très peu de blé par voie ferrée. Aussi tout le commerce de blé se fait-il, par mer et les grandes routes qu'il suit partant des grands foyers de production sont-elles les suivantes :

Route de l'Amérique du Nord (Canada, Etats-Unis) vers l'Europe.

Route de l'Amérique du Sud à l'Europe.

Route de l'Australie à l'Europe occidentale.

Route des Indes à l'Europe.

En 1914, d'après l'Institut international d'Agriculture de Rome, ce trafic du blé (en estimant à 3.000 tonnes en portée lourde le tonnage moyen d'un vapeur) représentait

représentait 4.200 voyages et la distance totale ainsi couverte s'élevait à environ 18.500.000 milles marins.

A cette époque également la superficie cultivée en blé dans le monde atteignait 110 millions d'hectares avec une production totale moyenne annuelle de 1 milliard de quintaux de blé, dont 1/5, soit 210 millions, sillonne les mers et fait l'objet d'un commerce considérable.

Grâce à cette intercommunication, un certain équilibre s'est établi entre la production et la consommation, et comme la production s'étend sur les deux hémisphères, ce sont deux récoltes annuelles qui se répartissent dans le monde et qui, grâce aux progrès techniques de la culture et des transports, assurent pour ainsi dire sans discontinuité le pain quotidien aux pays déficitaires. Il semble que la race blanche ne devrait plus connaître la famine; et pourtant quelques années seulement plus tard, au lendemain de la guerre, son spectre planait sur l'Europe centrale où des hommes sont morts de faim.

Si maintenant avant d'aller plus avant dans l'histoire du blé, nous nous arrêtons un instant pour jeter un coup d'oeil en arrière, nous constatons que la culture du blé s'est développée et étendue parallèlement à l'expansion de la race blanche et que, suivant la forte expression de Vidal de La Blache : « Le blé est une plante de civilisation et la civilisai ion qu'il représente est la civilisation européenne. »

Mais la race blanche va subir une secousse terrible; pendant plus de quatre années, elle va se livrer à un immense carnage; sa vie économique est suspendue et toutes ses forces vives sont absorbées par une lutte sanglante dont sa civilisation même est l'enjeu. Il n'est donc pas surprenant que la question du blé ait joué un rôle considérable au cours de ces événements et que les problèmes que pose sa production et son commerce en aient subi les contrecoups.

Il ne faut jamais oublier que dans ce conflit sans précédents dans l'histoire, la victoire est restée aux alliés, parce qu'ils ont pu conserver la liberté des mers et continuer à s'approvisionner au delà des océans.


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La guerre a fermé aux nations occidentales de l'Europe les centres de production de l'Est.

Tous les belligérants virent leurs cultures infiniment réduites, soit du fait des opérations de guerre, qui pour certaines nations comme la France en particulier dévastent leurs plus riches terres à blé, soit du fait de la mobilisation qui arrache à la culture tous les bras valides.

C'est aux pays et spécialement à l'Amérique du Nord que les Alliés font appel pour leur ravitaillement en blé, ce qui va provoquer dans ces pays une extension considérable de cultures de blé. L'Allemagne, elle, va porter d'abord son principal effort contre la Russie, et elle n'hésitera pas pour la vaincre à déclancher la pire des révolutions afin de mettre la main sur le riche grenier qu'est l'Ukraine. Mais le manque de voies de communications et l'anarchie même dans laquelle est plongée la Russie, rendent cette victoire allemande inutile; et les empires centraux à la veille de la famine sont obligés à capituler. Leur situation est devenue tellement critique, que pendant plusieurs années après la cessation des hostilités, les vainqueurs devront nourrir les vaincus.

Les conséquences de cet état de choses sont considérables et on les a trop négligées; bien des événements auxquels nous avons assisté et auxquels nous assistons encore ont là leur origine réelle.

A partir de 1919, la Russie, par suite des bouleversements intérieurs qu'elle a subis et qui ont fait d'elle la grande vaincue de cette guerre, a disparu du marché mondial et elle a cessé totalement ses exportations de blé. Ce sont les Etats-Unis qui l'ont supplantée sur les marchés de la vieille Europe ; et, cette puissance qui actuellement possède la majeure partie de l'or du monde, créancière des anciens belligérants, se voit malgré son extraordinaire prospérité et par suite des circonstances, obligée d'écouler coûte que coûte sur les pays qui ne peuvent que difficilement la payer en monnaie dépréciée, le surplus de ses récoltes. Et c'est ainsi que la question du blé se trouve liée aux problèmes les plus graves qu'ont à résoudre

aujourd'hui les anciens belligérants : le problème de la monnaie et celui des dettes de guerre.

Fatalement les puissances débitrices, pour secouer le joug insupportable que fait ainsi peser sur leur économie l'Amérique, sont-elles tentées de se retourner vers la Russie où le blé est moins cher et dont la monnaie, fortement dépréciée, facilite le paiement.

Mais, la Russie est-elle en état de reprendre ses exportations? Quelles conséquences auront ensuite pour ces États sur leur vie politique et leur évolution sociale la reprise de relations commerciales avec un gouvernement qui fait de la propagande communiste le premier article de son expansion commerciale?

Autant de questions que soulève le ravitaillement en blé de l'Europe occidentale et dont vous percevez facilement l'importance.

Ainsi donc, les Etats-Unis sont devenus pendant la guerre les principaux pourvoyeurs en blé de l'Europe. La conclusion de la paix, loin d'arrêter leurs exportations, les a au contraire accélérées et l'agriculteur américain a connu, pendant toute cette période, une prospérité qui l'a incité à augmenter considérablement ses emblavures du blé. Puis peu à peu la vie normale a repris son cours. Les demandes de l'Europe se sont restreintes et alors s'est produite aux Etats-Unis une crise qui est à l'origine de bien des manifestations, qui, au premier abord, nous paraissent difficilement explicables.

Pour bien saisir l'évolution de cette crise, il est nécessaire de jeter un coup d'oeil en arrière.

Avant la guerre, en effet, les Etats-Unis semblaient tendre vers une position d'équilibre entre la consommation d'une population toujours croissante et une production agricole dont les exportations ne cessaient de diminuer.

C'est ainsi que les exportations de blé qui avaient passé de 1870 à 1900 de 35 millions de boisseaux à 230 millions (dont 88 % pour l'Europe, et qui constituaient pour cette dernière une véritable menace), étaient par contre tombées entre 1901 et


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1914 de 235 millions de boisseaux à 149 millions; et le boisseau valait à peine 1 dollar 5.

En 1915 les exportations remontent subitement, elles atteignent 332.462.000 boisseaux et se maintiennent à ce niveau jusqu'en 1919, époque à laquelle l'on constate un premier fléchissement, soit 287.402.000 boisseaux pour cette même année.

Quant aux prix ils suivent une courbe analogue pour dépasser 5 dollars le boisseau. Ainsi, à partir de 1915, le fermier américain enregistre d'importants bénéfices; car à la demande croissante de l'Europe était venue s'ajouter celle du marché intérieur due à une hausse générale des salaires qui avaient elle-même entraîné une augmentation de la consommation.

En conséquence les emblavures de blé passèrent de 47 millions d'acres (moyenne 1909-1913) à 59.200.000 acres en 1918. Mais il convient de bien noter ce fait, et nous aurons l'occasion d'y revenir, que l'extension des cultures de blé s'est produite au détriment des autres cultures par suite des conditions artificielles de la demande et des prix.

Ce courant d'exportation se continua même après l'armistice, parce que non seulement la crise financière qui sévit en Europe ne fit pas immédiatement sentir ses effets, mais parce que le gouvernement fédéral lui-même inaugurait sa politique de « relief crédits » et consentait des avances à certains Etats européens, afin de leur permettre d'acheter les céréales et les produits alimentaires qui leur faisaient alors défaut. Ainsi le fermier américain put croire à la durée de ces exportations du blé et loin de prévoir leur arrêt, il maintint sa production.

Mais la crise approchait, l'Australie et l'Argentine jetaient sur le marché des stocks longtemps accumulés. Les Gouvernements Européens liquidaient leurs réserves de guerre, enfin la production ellemême reprenait peu à peu sur le Continent. En même temps s'organisait aux Etats-Unis une campagne contre la vie chère et, en 1921, le blé tombait de 5 à

1 dollar. A la fin de 1921 la situation paraissait très compromise, elle ne s'est pas améliorée depuis.

Par surcroît les récoltes de 1921 et des deux années qui suivirent furent particulièrement abondantes; il eût alors paru sage et normal de la part des fermiers de réduire la surface ensemencée en blé, mais, soit par inexpérience, soit par manque d'organisation, soit par incompréhension de la situation, loin de restreindre la production, ils cherchèrent à l'augmenter pour trouver de nouvelles ressources. En voulant ainsi lutter contre la baisse des prix, ils la précipitèrent. Et " le National Industrial Conférence Board », dans son étude sur l'agriculture aux EtatsUnis, arrive à cette constatation quelque peu paradoxale : « C'est qu'en résumé la production agricole par tête d'habitant pendant les années 1915-1919, n'a pas augmenté par rapport à celle d'avantguerre La caractéristique de la période

de guerre a été l'extension de la superficie utilisée pour le blé au détriment des autres cultures, par suite des conditions artificielles de la demande et des prix. »

La guerre n'a donc pas eu pour conséquence de pousser à l'augmentation de la production agricole des Etats-Unis; elle a simplement développé d'une façon exagérée l'une de ses branches au détriment des autres. Il n'est donc pas étonnant qu'à mesure que l'on s'éloigne de la période des hostilités et que l'on cherche à rétablir l'équilibre normal rompu, de telles situations se résolvent finalement par des crises.

Or, pour vaincre cette crise, il n'apparaît pas d'autre remède que l'exportation ; l'agriculteur américain doit coûte que coûte exporter et exporter à un prix élevé parce que renoncer à ce prix élevé ce serait renoncer à ce « standard of living » dont l'Américain est si fier, et tout abaissement de ce niveau de bien-être, constituerait un véritable crime contre la nation tout entière.

Et cette crise du blé aux Etat-Uniss a deux conséquences politiques :

La première est due au fait que la population agricole représente encore 43 % de


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DE SCIENCE SOCIALE.

la population totale des Etats-Unis; cette population se considère actuellement comme malheureuse alors que la culture du blé n'est plus rémunératrice, c'est pourquoi les impôts qu'elle paye, qui sont les conséquences de la guerre, lui paraissent lourds et c'est elle qui jusqu'ici a entretenu ce courant d'opinion hostile à la remise des dettes de guerre contractées par les Alliés.

La deuxième conséquence est que cette population agricole américaine redoute une reprise de la concurrence russe.

En effet, pour bien mettre en évidence les répercussions de la révolution russe sur la production du blé, je ne vous citerai que quatre chiffres empruntés aux statistiques de l'Office International, d'agriculture de Rome, je crois qu'ils suffiront à vous convaincre.

De 1909 à 1913 la Russie avait produit une moyenne annuelle de 186.200.000 quintaux de blé et elle en avait exporté annuellement 43.419.476.

De 1921 à 1925 la moyenne de la production annuelle est tombée à 95.584.000 de quintaux, l'exportation à 7.201.000 et il fallut importer durant cette période une moyenne de 2.590.000 quintaux.

Comment ce pays qui était le principal grenier de l'Europe orientale et dont la fertilité de ses fameuses terres noires était légendaire, en est-il venu à une telle décadence de la culture du blé?

Sans entrer dans tous les détails de cette lamentable aventure qui sont cependant des plus instructifs tant au point de vue économique que social, je me bornerai à rappeler la succession chronologique des événements qui est à elle seule déjà suffisamment démonstrative.

Le 26 octobre 1917, la propriété foncière noble est déclarée abolie à jamais.

Le 19 février 1918 toute propriété foncière est supprimée, la terre appartient à l'Etat, elle est remise en jouissance aux travailleurs qui la cultivent de leurs propres mains. Pendant toute l'année 1918 et une partie de 1919, les Soviets locaux répartissent les terres des anciens propriétaires, de l'Eglise, de l'Etat, selon la norme du travail de la famille. Le nivellement

nivellement fait par village. La plupart du temps les terres confisquées aux propriétaires sont simplement ajoutées à celles que le paysan exploitait déjà.

En trois ans, dans 32 gouvernements de la Russie centrale, 20 millions de déciatines sont remises en » possession » aux paysans dont le domaine fut ainsi augmenté de 19,5 %, donc ceux-ci ont aujourd'hui en jouissance 96,8 % de toutes les terres arables.

Mais les cultivateurs qui travaillent ainsi les « terres de l'Etat » n'ont pas droit de disposer du produit de leur travail. L'État se réserve d'abord le monopole d'achat des denrées à des prix fixés par lui. Puis en 1919 cet Etat qui s'est chargé de nourrir tout le monde, a le droit de prélever gratuitement sur les récoltes le contingent des produits nécessaires aux besoins des villes, des usines, de l'armée (décret du 11 janvier 1919). Le » volost » est responsable collectivement du versement de ce contingent.

Jusqu'au printemps 1921, la Russie s'est nourrie de produits réquisitionnés enlevés aux paysans, sans contrepartie pour eux. Aussi la réaction se fit-elle rapidement sentir : la production agricole se limita aux besoins personnels du paysan et la quantité de terre ensemencée tomba de 90 millions de déciatines à 61 millions en 1920.

« Les perspectives étaient telles, disait RIKOFF, en 1921, que même si nous avions pris tous les excédents de produits agricoles, cela ne nous aurait pas suffi pour nourrir la population urbaine, l'armée, les ouvriers. »

Le système de réquisitions, appliqué outrance, là où le pouvoir était en force, ruinait la population rurale et détruisait l'agriculture. Les champs restaient en friches, la famine croissait ; la sécheresse aidant, la récolte de 1921 n'atteignait même plus la moitié de celle d'avantguerre.

Le régime soviétique s'était heurté à la résistance de l'agriculteur et l'expansion du communisme russe était obligée de marquer un premier arrêt.

Le 23 mars 1921, les Soviets, en promul-


BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE (FASC.

guant le décret sur l'impôt en nature, portaient eux-mêmes un coup fatal à leur système. Ce décret, base de la réforme qui inaugurait la fameuse « Nep », consistait à donner aux cultivateurs le droit de disposer librement des produits du sol après versement de l'impôt en nature. Cet impôt fixé à 240 millions de pouds de céréales, était étendu ensuite à tous les produits agricoles, y compris la laine, les fourrures, le poisson. La responsabilité des cultivateurs devenait individuelle. Par corrélation, l'Etat se déchargeait de l'obligation de nourrir gratuitement la population (Décret du 6 septembre 1921).

La perception de l'impôt n'alla d'ailleurs pas sans difficultés.

Il est vrai que la famine vint ajouter son hideux cortège à celui des tribunaux spéciaux et des moyens de contrainte si bien que l'impôt rapporta à peine 133 millions de pouds.

Pour la récolte de 1922, on établit l'impôt unique calculé en équivalentde seigle.

En 1923 l'impôt devait être payé en argent et en nature.

En 1924, il ne devait plus être perçu qu'en argent. Ce simple fait permet à lui seul de mesurer toute l'étendue de l'évolution imposée par la masse rurale au bolchevisme.

Mais, c'est en 1925 que l'échec subi par les Soviets fut encore plus sensible. La récolte du blé s'annonçait comme devant être particulièrement abondante. Le gouvernement de Moscou escomptait déjà les avantages qu'il pourrait retirer de l'exportation du surplus de cette récolte et il entrevoyait ainsi le moyen de se procurer au dehors les disponibilités financières qui lui faisaient de plus en plus défaut.

Mais cet espoir fut déçu et la mobilisation de la récolte échoua totalement pour les raisons suivantes :

En premier lieu, les pluies d'été diminuèrent sensiblement les rendements.

Puis l'organisation défectueuse des achats mit en présence plusieurs organismes gouvernementaux qui se firent eux-mêmes concurrence, provoquant ainsi une hausse des prix telle que le blé ainsi

acheté atteignait des prix supérieurs à ceux du cours mondial. D'autre part le Gouvernement russe, trop pressé de réaliser la récolte, entreprenait sa campagne d'achats à un moment où le paysan ne tenait pas ou ne pouvait pas vendre.

Enfin et surtout parce que les Soviets, manquant d'argent ne purent se procurer à l'extérieur les produits manufacturés que les paysans exigeaient en échange de leur récolte. Finalement ces derniers préférèrent garder leur blé et l'employer soit à nourrir leur bétail, soit à le distiller et en faire de l'alcool, soit enfin à le consommer eux-mêmes. Car il convient de noter qu'une des conséquences les plus curieuses de la guerre a été, du fait du passage à l'armée de millions d'hommes, d'habituer ceux-ci à consommer du pain de blé, alors que chez eux ils se nourrissaient surtout de pain de seigle comme en Allemagne ou de bouillies de féculents comme en Russie.

C'est même là l'une des raisons pour lesquelles, jamais les exportations de blé en Russie ne reprendront dans l'avenu; leur ancienne importance; des millions de paysans consomment aujourd'hui leur récolte de blé.

Mais le paysan en refusant de livrer son blé a imposé au Gouvernement des Soviets un nouvel échec ; il est en train d'en infliger un autre plus grave à l'édifice marxiste tout entier.

En obligeant le gouvernement de Moscou, sous peine de le réduire par la ■famine sinon à reconnaître, mais du moins tolérer, la propriété individuelle par la force même des choses, le paysan russe allait provoquer la renaissance des inégalités sociales. C'est ainsi que dans le pays avant la révolution, la population rurale était avant tout communautaire, nous voyons apparaître une sorte de bourgeoisie rurale dont le type est le " Koulak », qui, plus prévoyant que ses congénères, a su se constituer un capital immobilier, et dont l'influence croissante est, à l'heure actuelle, l'occasion de graves soucis pour le gouvernement des Soviets,


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Ces dernières considérations nous ont quelque peu écarté de la question que posait la concurrence entre les États-Unis et la Russie; cette dernière pourra-t-elle reprendre ses exportations de blé.

D'après ce qui précède et dans les circonstances actuelles, je pense que cette réponse n'est pas douteuse, et qu'on peut affirmer sans trop de risques que d'ici un certain temps nous ne reverrons pas le blé russe apparaître en quantités importantes sur le marché mondial.

Il me reste maintenant à examiner avec vous un dernier cas concret des problèmes que pose la production du blé. C'est celui de la France.

Avant la guerre la superficie ensemencée en blé en France était de 6.500.000 hectares, soit 1/10e du territoire national. La production moyenne était de 85 millions de quintaux métriques, soit un rendement moyen de 14 quintaux à l'hectare, et son prix de vente de 25 francs le quintal, soit 5 dollars 10 cens.

La consommation s'élevait à 267 kg 86 par tête d'habitant soit 83 millions de quintaux par an. Cependant nous importions bon an mal an 6 à 7 millions de quintaux, principalement de blé dur que nous ne produisons pas, destiné à la féculerie. à la semoulerie et à l'industrie des pâtes.

Après la guerre, Alsace-Lorraine comprise, les surfaces cultivées n'ont plus été que 5.140 000 hectares, soit une diminution de 1.400.000 hectares en chiffres ronds. La production tombait à 70 millions de quintaux en moyenne, soit un déficit de 13 millions de quintaux, qu'il fallut combler en faisant appel à l'étranger. C'est donc une charge d'environ 3 milliards de francs que font peser sur notre économie nationale les importations de blé auxquelles nous contraint le déficit de notre production, car notre consommation a sensiblement peu varié comparée à celle d'avant guerre.

Quelles sont les origines d'une telle situation?

En premier lieu, c'est la guerre qui avec son cortège de dévastations a bouleversé

nos plus riches régions agricoles, qui a pris à l'agriculture française plus de 1 million de ses meilleurs travailleurs, entraînant ainsi une crise de main-d'oeuvre paysanne et qui est et reste la raison réelle et profonde du recul de la culture du blé dans notre pays.

A cette première cause est venue s'ajouter la hausse des salaires, beaucoup plus accentuée dans l'industrie que dans l'agriculture, puis les travaux de reconstruction de nos régions ont également réclamé un nombre considérable de bras qui trouvèrent à s'employer, pendant un certain temps du moins, à des conditions particulièrement avantageuses. Il s'est créé ainsi un appel de la main-d'oeuvre rurale que la main-d'oeuvre étrangère n'est point parvenue à combler. Vide d'autant plus regrettable qu'il est avéré que l'ouvrier qui a quitté la terre pour l'usine ou la ville ne retourne pas à la terre.

Il est une autre cause de regression de la culture du blé, qui surprendra peut-être, mais qui est cependant strictement exacte, c'est que cette culture considérée en elle-même, est une culture généralement déficitaire, qui ne paye pas.

Cette vérité a été mise très nettement en évidence en 1921 par les travaux de la « Semaine Nationale du Blé », où (sauf pour la région du Nord avec des rendements de 40 quintaux), partout ailleurs il a été établi que le prix de revient d'un quintal de blé était supérieur aux prix de vente. Il est vrai qu'en vue d'établir ce prix de revient, les enquêteurs ont isolé la culture du blé. Or vous savez que le blé fait partie d'un cycle triennal appelé assolement, dont il est un facteur essentiel et que, de plus, le bénéfice de l'agriculteur ne peut s'établir que sur l'ensemble des produits d'exploitation, mais non sur une seule culture, et c'est là même la raison de la nécessité du maintien de la culture du blé dans la plupart des exploitations françaises, malgré son absence de bénéfice.

Si l'on constate en outre que la culture des céréales est de toutes les productions celle dont le cycle est le plus long, qui comporte les risques et les aléas les plus


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étendus et que ces risques ne sont pas couverts par une rémunération suffisante du capital engagé, on comprendra facilement l'abandon de la culture du blé et l'évolution du paysan français vers l'élevage qui nécessite moins de main-d'oeuvre, assume un gain plus régulier, surtout lorsqu'il s'agit de la production du lait dont l'écoulement est certain et l'emploi industrialisé. C'est ainsi que s'explique, partout où cela est. possible, la transformation en prairies des terres de culture.

De nombreux remèdes ont été préconisés et tentés pour parer à cette menace alarmante. Remèdes techniques d'abord, tendant tous à augmenter le rendement : tels que sélection de semences; créations de variétés plus productives et mieux adaptées aux conditions de sols si variés par toute la France; façons culturales plus méthodiques et plus perfectionnées; intensification de l'emploi des engrais. Moyens moraux ensuite, tels que mouvement en faveur de l'intensification de la culture. Enfin appel à la main-d'oeuvre étrangère. Moyens tous excellents en eux-mêmes et qui certainement ont donné des résultats partiels, mais dont l'efficacité est limitée, parce qu'en France la crise du blé est surtout la résultante d'une crise de maind'oeuvre agricole, conséquence elle-même d'une évolution sociale et que cette crise ne saurait être entièrement résolue par les remèdes que nous venons d'énumérer. Et la gravité de cette crise doit d'autant plus retenir notre attention, qu'en renonçant à la culture du blé la famille rurale française est appelée à évoluer socialement en perdant ses admirables qualités de prévoyance, d'endurance au travail et de discipline que nécessite la production de cette céréale indispensable à notre existence.

Cet exposé de la situation de la culture du blé en France qui nous conduit à de telles constatations paraît donc bien devoir être le complément d'une étude des répercussions sociales, du problème du blé. Mais je voudrais le compléter en terminant en indiquant comment ce problème est dominé par une des plus grandes et plus dures lois qui courbent l'humanité

tout entière; je me permets d'y insister parce qu'on a trop tendance aujourd'hui à l'enfreindre et que son infraction peut engendrer les pires désordres sociaux.

Consentez donc à me suivre dans nos campagnes par une de ces belles soirées d'été à l'approche de la moisson. Le soleil a disparu derrière l'horizon, le calme règne partout; sous la lumière estompée du crépuscule, l'atmosphère est encore chaude et saturée de cette odeur si prenante des blés mûrs. Les grands épis lourds et dorés ondulent sous une brise tiède et légère et la vieille terre nourricière nous apparaît alors infiniment riche et féconde.

Mais quelle somme de travail et combien de risques courus cache cette apparente abondance. Que d'efforts a réclamé cette terre depuis le moment où le grain de blé fut déposé dans ses sillons. Nul autre produit du travail de l'homme n'a demandé une attente aussi longue depuis ce jour jusqu'à celui où il pourra être réalisé en sacs rugueux et pesants et où il viendra payer le paysan de ses peines. Que d'aléas lui ont fait courir les parasites, les rongeurs, les intempéries, l'excès d'humidité ou de sécheresse. Et encore suffirait-il aujourd'hui d'un de ces gros nuages jaunâtres chargés de grêle pour anéantir les espérances d'une année de labeur continu, d'efforts soutenus et de prévoyance attentive!

Et c'est alors seulement, sous l'emprise de ce calme qui nous environne, que, réalisant le néant possible de tant d'efforts, et leur fragilité en face des forces de la nature, l'antique loi qui pèse sur l'humanité depuis son origine revient à notre mémoire et, évoquée dans cette ambiance, elle nous apparaît alors comme synthétisant encore le mieux tout l'aspect social du problème du blé :

« Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. »

Etienne DE FELCOURT.


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LA CULTURE DE LA BANANE AUX ILES CANARIES ET SES REPERCUSSIONS SOCIALES

On verrait à tort dans les îles Canaries quelques îlots perdus dans l'Atlantique, indignes de retenir l'attention; ces îles nous ont paru au cours d'un récent voyage présenter à côté de grandes beautés naturelles, un exemple d'activité économique et d'indomptable énergie. Je ne sais pourquoi ces traits ne semblent pas au premier abord inhérents au caractère espagnol, aussi j'ai cru qu'il pouvait être utile à notre société de connaître les efforts exécutés par cette race dans ces îles et les répercussions sociales qui en ont résulté.

De la première des Canaries, Lanzarote (973 kilomètres carrés et 21.000 habitants), on voit l'Afrique, le cap Juby à l'extrême horizon; puis apparaît tout de suite la silhouette allongée de Fuerteventura (2.019 kilomètres carrés et 13.000 habitants); puis, après un grand espace de mer, la Grande Canarie (1.623 kilomètres carrés et 164.000 habitants), massif montagneux dont la capitale est le port de Las Palmas; assez proche de la précédente, bien en vue grâce à son pic neigeux, l'île de Ténériffe (3.252 kilomètres carrés et 184.000 habitants) dont la capitale est le port de Santa Cruz, et tout à côté l'île satellite de Gomera (440 kilomètres carrés et 19.700 habitants) ; au sud-ouest l'îlot de Hierro (312 kilomètres carrés et 7.600 habitants), au nord-ouest l'île élevée de La Palma (814 kilomètres carrés et 40.400 habitants) dont la capitale s'appelle également Santa Cruz. Soit en tout 8.533 kilomètres carrés surtout de montagnes et 450.000 habitants presque exclusivement Espagnols.

A la différence de Madère, les Canaries ont été connues de l'antiquité grecque et romaine et des Arabes, mais l'histoire moderne des " îles fortunées » commence avec le XVe siècle, quand un gentilhomme normand, Jean de Béthencourt, parvient successivement à conquérir pour le compté d'Henri III de Castille : Lanzarote, Fuerteventura, Gomera et Hierro. Après de nombreux essais infructueux, les Espagnols

finissent par occuper les trois grandes îles : la Grande Canarie en 1483, La Palma en 1491, et enfin Ténériffe en 1496, mais ils ne purent triompher de la résistance des indigènes ou Gouanches qu'au prix de guerres coûteuses. Cette race Gouanche, vraisemblablement d'origine ibérienne, peut-être apparentée aux Basques ou aux Celtes d'Irlande, vivait en tribus et connaissait même une certaine féodalité ; elle possédait une religion curieuse et un art rudimentaire, mais très original; sa langue malheureusement demeure obscure, bien que beaucoup de noms gouanches se soient conservés parmi les noms propres (Guanarteme, Imobac, Guasimara, Dacil). Ces noms n'indiquent plus d'ailleurs chez ceux qui les portent le maintien d'un type spécial. L'ensemble de la race Canariote d'aujourd'hui paraît essentiellement espagnol, même dans les endroits des îles où comme par exemple à Atalaya, l'on prétend qu'un fond Gouanche s'est conservé. En tout cas n'y voit-on pas cette haute et belle race, aux sourcils proéminents, le type gouanche par essence; les nombreux enfants blonds aux yeux bleus descendent d'émigrants espagnols venus de Galice, ceci pour répondre par avance à ceux qui voudraient attribuer une trop grande part dans l'évolution ultérieure des îles à ce premier fond de race indigène. Les îles présentent d'ailleurs aujourd'hui un cadre essentiellement moderne, infiniment détaché de tout passé, de tout halo de légende, bref de tout ce que les Anglais appellent « romance » : ce sont des îles pratiques, modernes, avides de gagner, voici comment.

L'histoire agricole et économique des îles Canaries est une suite d'innovations hardies suivies d'années de prospérité considérable et terminées le plus souvent par un coup fatal qui semble réduire à néant les grands espoirs un instant formés. On pourrait intituler cette histoire : Les drames de la monoculture.

Le sucre commence. Dès 1490, la plus grande partie cultivable des îles, grâce à l'intervention espagnole, se couvre de cannes à sucre. Celles-ci y poussent jusqu'à l'altitude de 400 mètres, et produisent de


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10 à 13 % de sucre; plantées sous forme de boutures dans un sol arrosé, deux ans après elles sont bonnes à couper et pendant sept ans il est inutile de les repiquer. Les grands propriétaires espagnols utilisaient pour mettre en valeur leurs larges domaines des esclaves noirs amenés d'Afrique ; ici comme aux Antilles culture de la canne à sucre et esclavage marchent de pair. Les Canaries rivalisaient alors avec Madère principale productrice de sucre ainsi que le Maroc. En 1533 les marchands de Londres avaient déjà des représentants chargés d'acheter du sucre à la Grande Canarie, et les grands propriétaires des Canaries durent par suite de ce commerce réaliser au XVIe siècle d'énormes fortunes. François Bacon, le futur chancelier, écrit vers 1600: «Etre le premier à inventer quelque chose est parfois la cause d'une prodigieuse multiplication de richesses et tel fut le cas des hommes qui eurent les premiers l'idée de planter du sucre aux îles Canaries (first sugarmen in the Canaries).» Quelque grandes qu'aient pu être les richesses et les espérances à la fin du XVIe siècle, tout d'un coup tout sombra. Les îles Canaries s'essoufflaient à lutter contre les « Indes orientales " tellement plus favorisées. Elles renoncèrent à la lutte et subitement en coup de tête se dégoûtèrent du sucre, si bien qu'à l'heure actuelle on n'en voit pour ainsi dire plus.

La vigne remplaça la canne. Les plants originaux avaient été introduits aux îles Canaries en même temps qu'à Madère, avant la fin du XVe siècle; fournis par le prince Henri de Portugal, ils provenaient du cepage fameux de Napoli di Malvasia en Morée. Le sol et le climat de l'île sont particulièrement favorables à cette culture : la vigne y est surtout plantée sur des pentes abruptes, qui ne sont pas irriguées, où elle s'accommode du sol volcanique, cendre noire ou lave, où rien d'autre ne pousserait. L'engrais traditionnel consiste à planter du lupin entre les ceps et à retourner le sol au printemps, ce qui contribue à donner aux vignes une apparence de mauvais entretien Dès le XVe siècle le malvoisie des Canaries était bu très communément en Angleterre où beaucoup, à l'exemple

l'exemple Falstaff, s'adonnaient au Canary sack (vino seco). La dernière moitié du XVe siècle marque en tout cas dans les îles la victoire des vignobles et le début d'une ère de profits sinon exagérés, du moins réguliers, loyaux et solides. Pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècle le vin continua de jouer dans la vie économique et sociale des îles un rôle capital. L'aisance répandue pendant cette phase vinicole se traduit encore à nos yeux, par ces charmantes maisons de campagne, ces beaux hôtels urbains, vieilles maisons fraîches et spacieuses, aux grands escaliers, à l'entour du patio rempli d'ombre fraîche : un décor vieille Espagne rendu plus idéal par l'exubérance de la végétation En 1764 on exportait de Ténériffe chaque année, 15.000 pipes de vin (7 millions de litres). Le commerce avec l'Angleterre était alors entre les mains de catholiques Irlandais qui le vendaient couramment 36 livres la pipe de 476 litres. En 1804, la production atteignait 48.000 pipes (23 millions de litres). Mais, en 1845, le phyloxera porta aux vignes de Malvoisie un coup mortel : jusqu'en 1850 la production tomba à 10 millions de litres puis, à partir de cette date, par bonds plus rapides encore, acheva de s'anéantir. Toute exportation disparut et les Canariotes arrachant leurs ceps desséchés furent une fois de plus obligés de changer de culture. Depuis 1885, l'on a tenté, mais timidement, quelques nouveaux essais, par exemple, à Tafira (Grande Canarie) et a lcod (Ténériffe), mais les vignobles des Canaries n'ont pas du tout connu, faute du soutien anglais, une résurrection comparable à celle de Madère. Leur reconstitution sur le plan antérieur ne pouvait d'ailleurs être tentée, d'autres cultures absorbant presque exclusivement l'attention des indigènes; c'est grand dommage, car le vin des Canaries, même ordinaire, est de très haute qualité, et très différent de celui de Madère; d'autre part, l'île y trouverait une source de profit moins précaire que dans la culture de la banane.

A la veille de la crise vinicole, la Ficoide glaciale (Mesembryanthemum cristallinum) eut aux Canaries son heure de faveur. Sa culture méthodique existait déjà dans


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les îles de l'est où elle fut implantée par un curé de Lanzarote, don José Garcia Duran, qui capturé par les Maures avait appris d'eux pendant son esclavage, l'art d'extraire la soude des cendres de la ficoide. La culture semble avoir été lucrative, la ficoide étant spécialement bien adaptée au climat brûlant des îles les plus sèches, et poussant sur le rocher lui-même. En 1810, il était vendu dans une seule île 150.000 quintaux à raison de 90 réaux le quintal. L'importation européenne s'intéressait à ce commerce, quand la découverte de procédés scientifiques d'extraction de la soude de l'eau de mer, surtout par le procédé Solvay, découvert en 1838, vint encore irrémédiablement anéantir cette culture.

Malgré ces précédents déboires, les Canariotes ne semblent pas lassés des productions spéciales et toute leur activité décuplée par le fait de la disparition de la vigne se reporta sur la cochenille qui eut son ère de vogue supérieure encore à celle du vin. La cochenille apparaît dans les îles en 1826, non sans résistance par crainte de voir l'insecte s'attaquer aux fruits comestibles de certains cactus. On y remédia en développantle «tunera » (nopalea coccinellifera), variété de cactus, qui pousse librement dans l'île et qui se révéla spécialement adéquate à l'entretien de l'insecte. Pour faire adhérer la cochenille au cactus tantôt, à la saison sèche, on se borne à saupoudrer la feuille comme d'une poussière de l'insecte à l'état d'embryon, tantôt on attache une pièce de mousseline pendant quelques minutes sur une boîte remplie de mères, que l'on porte dans une pièce close à une température de 28 degrés, l'oeuf déposé sur la mousseline, celle-ci est alors attachée comme un petit capuchon sur la feuille du cactus au moyen de longues épines empruntées à une autre espèce de cactus à fruits. La femelle n'a pas d'ailes et son corps rond et gras comme un grain de cassis, une fois accroché à la feuille du cactus par ses hameçons n'en peut plus bouger. On la récolte en la mettant en vrac dans des sacs qu'on secoue, c'est la cochenille noire, ou en l'asphyxiant aux vapeurs de soufre, c'est alors la cochenille

cochenille ou argentée, mais dans les deux cas, on en tire également la même teinture rouge magnifique dont dérivent le carmin et les laques carminées. La première exportation de cochenille des Canaries en 1831 fut de 8 livres, en 1840 on atteignait déjà 100.500 livres; en 1850, 780 000 livres; en 1860, 2.500.000 livres; en 1869, année où le plus haut chiffre fut atteint, on dépassa 6 millions de livres, ce qui, bien que le prix de la cochenille eût baissé jusqu'à 3 pesetas 25 la livre, représentait encore une valeur d'environ 20 millions de pesetas.

Les résultats économiques de l'époque de la cochenille ont marqué les îles Canaries d'une empreinte profonde encore loin d'être effacée. Sur les habitants des îles qui n'excédaient guère alors, 250.000, se répandit soudain et moyennant peu d'efforts un grand bien-être dont profitèrent également commerçants, grands propriétaires, et paysans. Tout le monde voulait acheter, personne ne voulait vendre et la population aiguillonnée par le gain, tentait de toutes manières d'accroître son sol : les anciens torrents de laves étaient convertis en terrasses et l'on exhumait le sol sousjacent, les collines les plus abruptes étaient assaillies par les cultures en soutènement comme par une mai ée montante ; quelles que fussent les dépenses avancées, la terre, grâce à la cochenille rémunératrice, payait tout. L'Espagne alors ne connaissait rien de tel et cette phase propre aux Canaries eut pour conséquence de faire perdre de bonne heure à ces îles cette couleur locale que tant de provinces espagnoles conservent encore. L'île ne vivait plus guère que d'importation : arbres fruitiers, maïs et même le blé avaient fait place aux cactus. Les enrichis faisaient venir par cargaisons d'Europe d'innombrables objets d'un luxe de mauvais aloi. Ils se faisaient construire ces demeures du plus parfait mauvais goût dont les îles restent parsemées, chacun voulait éblouir; un certain style d'exposition, surchargé de stucatures, triomphait. La décadence de l'art espagnol si frappante dans ces îles, remonte à cette phase et s'est depuis lors poursuivie par habitude. Soudain la ruine s'abattit sur le


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pays avec une rapidité vraiment terrifiante : la découverte des couleurs d'aniline apparut dès le début comme le coup de mort de la cochenille. Dès 1874 la livre de cochenille tomba à 1 peseta 75, et dans les années qui suivirent la meilleure qualité ne valait plus qu'un prix infime. Les Canaries avaient vainement entrepris de défendre leur cochenille contre le reste du monde coalisé contre elles, une Union Agricola de Ténériffe s'efforça inutilement à un placement méthodique et gradué du produit national, quelque chose comme un plan Stevenson de la cochenille, tout fut vain et les Canariotes désespérés virent qu'il n'y avait pas d'autre alternative que de supprimer les encombrants cactus, sinon de mourir de faim. A l'heure actuelle les îles ont abjuré la cochenille ; à peine dans la région d'Arucas et de Guia dans la Grande Canarie, peut-on voir encore quelques champs de cactus auxquels les indigènes dispensent des soins méticuleux, et le passant se demande quel travail ridicule et absorbant ils peuvent bien faire. Il semble grand dommage que l'on ait aussi totalement abandonné et non sans beaucoup de rancune la cochenille, car cette seule teinture rouge naturelle, résistant également à l'usage, au soleil, à la pluie et au blanchissage moderne connaîtra certainement un jour une revanche. Quoi qu'il en soit, la phase de la cochenille a été la raison directe de la mise en valeur de toute cette région des îles située entre le niveau de la mer et 500 mètres d'altitude, région absolument ingrate et desséchée qui n'avait jusqu'alors jamais été cultivée et qui doit à cette époque d'avoir été défrichée et mise en valeur ; par exemple, toutes les pentes pelées qui dominent Las Palmas et Santa Cruz de Ténériffe. Il est intéressant de savoir que cette région est exactement celle où aujourd'hui même on cultive la banane mais que ce n'est pas la banane qui l'a fait naître.

Profondément atterrée par la débâcle de la cochenille, l'économie canarienne connut des heures pitoyables. Le tabac, qui croît fort bien aux îles et est de très belle qualité, sembla un instant fournir une culture de remplacement, malheureusement

malheureusement peu après, aliénait son monopole à une compagnie représentant surtout les intérêts cubains et philippins, qui s'empressa de refuser les échantillons de tabac fournis par les îles. Il y eut là encore un échec qui paracheva la ruine de l'agriculture canarienne de 1880 à 1890. Depuis 1898 l'Espagne, privée de ses colonies, a recommencé à s'intéresser au tabac de Ténériffe qui conserve la perfection des procédés et du goût espagnols et échappe à la standardisation américaine. A dater de 1885 les Canaries se mettent à exporter en Europe et principalement en Angleterre, toutes sortes de fruits et de primeurs : pommes de terre dont il se fait sur certains terrains jusqu'à trois récoltes par an, oignons, dont la graine est très appréciée, figues, tomates, etc. Mais pour beaucoup de ces produits la concurrence espagnole ou étrangère gênait ; aussi les îles se trouvèrent-elles entraînées à cultiver de plus en plus la banane qui pousse bien dans les îles jusqu'à une altitude de 300 mètres au moins, à condition d'être bien arrosée. La variété cultivée est la banane chinoise (musa cavendishii), espèce qui ramassée verte mûrit bien en régimes, mais reste un peu sèche même mangée mûre sur place et est en tout cas d'une saveur inférieure à certaines bananes que l'on consomme dans les pays tropicaux. Dès la fin du XIXe siècle, ce commerce croît dans des proportions considérables et son développement à peine entravé par la guerre ne s'est depuis lors jamais arrêté dans sa progression. Ainsi les Canaries sont entrées dans leur plus récent avatar économique, la phase de la banane, qui vaut d'être examinée de près.

La production de la banane accapare toutes les terres basses, une ceinture de bananiers entoure toutes les îles comme une couronne verte parfois étroite, quand la pente montagneuse est rapide. Il faut dix-huit mois pour qu'une bananeraie rapporte : les troncs sont plantés à 4 mètres de distance en sillons écartés de 4 mètres, parfois de moins, ce qui donne environ, 400 « cepas » ou de 1.200 à 1.500 troncs pour une fanegada canarienne, à peu près


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3.000 pieds à l'hectare. Ces 3,000 pieds produiront environ 1.600 régimes par an, ce qui, a raison du prix moyen de 50 francs par régime, donne un rapport brut de 80.000 francs à l'hectare, soit 133 fois plus que la même terre plantée en céréales. Dès que le régime du tronc principal ou racimo est récolté, on ne laisse subsister que trois rejetons échelonnés pour porter leurs régimes à tour de rôle. Les feuilles fournissent une litière, qui pourrit lentement mais forme un bon engrais ; on emploie donc peu d'engrais chimique, et la banane, si on lui donne suffisamment d'eau, croît sans qu'on s'en occupe guère. Quelques insectes parasites, par exemple la punaise à coton apparue vers 1905, ne constituent pas encore un danger sérieux.

En raison de la demande constante la terre atteint aux Canaries des prix élevés. La première classe bien irriguée se vend au moins de 25.000 à 30.000 pesetas la fanegada de 52 ares, soit 250.000 francs l'hectare. Mais le consul anglais citait en 1921 des exemples de bonne terre vendue jusqu'à 3.000 livres l'acre anglais de 40 ares et demi, soit 930.000 francs l'hectare, prix, exagéré n'assurant plus même dans les meilleures conditions de vente, qu'un revenu brut de 10 % insuffisant en raison des frais d'eau. Le consul de France en 1926, considérait le prix comme variant de 200.000 à 500.000 francs l'hectare selon la mauvaise situation ou la bonne irrigation. On conçoit qu'en raison de ces prix, il y ait peu de ventes et que les propriétaires aient repris pour accroître leur sol les mêmes travaux qu'à l'époque de la cochenille.

Cette production est l'oeuvre de gros propriétaires espagnols, qui d'abord méfiants ont été aujourd'hui entièrement séduits par cette nouvelle pluie d'or. Ils vendent le fruit sur place au cours du jour ou emballé sur les quais des Canaries, ce qui est la combinaison la plus avantageuse ; elle n'est point toujours possible en été quand la production augmente, il faut envoyer en consignation en Angleterre, en France ou en Allemagne. Les petits propriétaires canariotes sont également nombreux, l'achat de terres et de

maisons dans les îles est l'ambition de tout enrichi. Eux aussi sont entièrement gagnés à' ce genre de culture et négligent tous autres petits gains jugés par eux insuffisamment rémunérateurs. Ils vendent le plus souvent leurs fruits non emballés aux grosses maisons exportatrices. Les grosses maisons d'exportation sont également locataires à long terme de nombreux terrains où elles cultivent la banane. Ce phénomène date de la guerre sous-marine : une baisse provisoire permit dans les îles l'ingérence des capitaux anglo-américains. Une maison anglaise, Fyffes et C°, qui n'est d'ailleurs qu'une filiale de la formidable United Fruit C°, au capital de plus de 100 millions de dollars, profita du défaut de prévoyance des agriculteurs des Canaries pour affermer le plu? grand nombre de terrains à des prix extrêmement avantageux. C'est pour elle fort lucratif, car elle paie la main-d'oeuvre, l'homme de 4 à 5 pesetas, la femme de 3 à 4, et il ne faut jamais plus de 3 hommes par hectare. Ainsi la maison Fyffes a pu acquérir à La Palma un monopole effectif et à Ténériffe un quasi-monopole. Actuellement les propriétaires ne veulent plus faire de semblables affermages et préfèrent se mettre du syndicat, qui groupe de nombreux propriétaires vendant directement en Europe; la maison Fyffes n'en contrôle pas moins d'une façon presque absolue le marché de la banane dans les îles et peut à son gré effondrer les cours.

Il y a aussi dans les îles des fermiers espagnols, qui louent la fanegada de 1.500 à 3.000 pesetas, c'est-à-dire de 13.000 à 30.000 francs l'hectare. Les locations se font pour 10 ans, mais le locataire a la faculté d'abandonner son affermage au bout de la deuxième année après préavis de 6 mois. Beaucoup d'ailleurs ne tiennent pas la terre à titre de simples locataires, mais conformément à l'ancien système du medianero, variété de métayage qui prévaut encore dans les îles. Le plus souvent l'arrangement est ainsi conçu : le propriétaire met une demeure à la disposition du medianero et de sa famille ; il paie la moitié des semences pour


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les cultures réputées faciles et en sus la moitié de la dépense pour préparer la terre et la planter s'il s'agit de cultures onéreuses, comme la banane; il paie également les engrais chimiques, la moitié de l'eau, l'achat et le remplacement du cheptel, les deux tiers des impôts. Le medianero apporte son travail manuel (sauf au cas d'élevage de la cochenille où le propriétaire lui rembourse la moitié de son travail). Il nourrit le troupeau, conserve les engrais naturels, paie la moitié de l'eau, mais est exclusivement chargé d'entretenir les canalisations et de procéder à l'arrosage ; il paie aussi un tiers des impôts. Les bénéfices de la récolte et le croît des troupeaux sont également divisés entre le propriétaire et le medianero, ainsi d'ailleurs que les pertes Le medianero qui se retire est remboursé de ses améliorations. Il faut rapprocher ce régime agricole du système coutumier de Madère : la Bemfeitoria, que l'on pourrait traduire à la mode franque en disant « le bénéfice », mais qui se rapproche plutôt du domaine congéable. Le Senhorio ou Seigneur possède en propre le sol et est chargé de l'irrigation, le colono, ou domanier, porte le nom de caseiro (casanier) s'il a une maison sur le sol, ou de meyro s'il n'en a pas. Il est propriétaire de tout ce qui sur le bien est l'ouvrage de l'homme, et ne peut être congédié sans en recevoir remboursement d'après l'estimation d'évaluateurs officiels appelés Avaliadores. Comme le medianero des Canaries, le colono de Madère prend la moitié 'du produit de la terre, mais autant le système des Canaries s'est montré favorable à une culture moderne, autant le système de Madère semble y entretenir une agriculture rudimentaire et pousser plutôt le colon à multiplier les superfices : terrasses et aqueducs, en vue d'exproprier pratiquement les propriétaires, souvent en fait démunis de capitaux, et qui voient naturellement ce régime d'un très mauvais oeil.

Pour la culture de la banane aux Canaries, la question de l'eau prime toute autre. Au-dessus de 500 mètres les pluies sont fréquentes et le sol humide, mais au-dessous,

au-dessous, région où pousse la banane est normalement sèche, dure et dénudée, et l'eau, sur les pentes rapides, ne s'y arrête pas dans sa course à la mer pendant la courte saison pluvieuse. La Grande Canarie qui a des sommets élevés, a assez bien aménagé la conservation de son eau, dans des réservoirs. Ténériffe, malgré son pic, est dans l'ensemble moins bien pourvue et ne pourra jamais, semble-t-il, trouver sur elle-même assez d'eau pour son entière mise en valeur. La Palma, l'île de l'ouest, est plus favorisée. Les autres îles sont pauvres d'eau, et celles de l'est ont même un climat nettement africain.

La lutte pour l'eau est tout une entreprise. D'abord il faut la capter; la manière la plus simple consiste en une série de rigoles en bordure des routes, des jardins, ou des haies, formant tout un lacis chevelu dans la région humide et aboutissant à un réservoir central ou à un canal unique, qui emmène l'eau très loin. Ce canal, couvert pour éviter l'évaporation, en pierres, ou parfois en tuyaux de ciment, contourne les vallées où souvent les franchit par des tuyaux en U extrême-: ment hardis et s'en va très loin, parfois à une soixantaine de kilomètres. Un autre procédé de captation consiste à percer de longs tunnels au flanc de la montagne en vue de rencontrer les sources. Quelques personnes forment une société de cent à trois cents actions, chacune versant une mensualité variable de 5 à 25 pesetas selon que la perforation est plus ou moins rapide. Jadis on forait à la main, maintenant on se sert de perforatrices à air comprimé Ingersoll-Rand. Vers 300 mètres l'on peut trouver l'eau, mais il existe des galeries de plus de 1 000 mètres toujours sèches; la plus longue mesure 2.300 mètres et l'on a déjà dû débourser 1.500 pesetas par actions. Si l'on ne finit pas par trouver l'eau, c'est de l'argent désastreusement perdu ; dans le cas contraire, c'est une excellente affaire. La juridiction de la paroisse où les travaux sont entrepris peut demander le remplacement du débit des sources taries, et en plus, pour son bénéfice propre, le quart du nouveau courant


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Un autre procédé, plus dispendieux encore, consiste à remonter l'eau déjà parvenue presque au niveau de la mer. Cette eau plus ou moins saumâtre est refoulée au moyen de pompes puissantes à 200 mètres d'altitude; une installation semblable revient à environ 150.000 pesetas et la dépense en combustible est d'environ 10 centimes par heure et par cheval-vapeur.

L'eau captée, il faut la conserver, ce qui ne pourrait se faire par de simples barrages de rivière. Généralement on utilise des réservoirs spéciaux couverts, carrés ou ronds, construits en pierre et entièrement enduits de ciment hydraulique. La construction d'un réservoir de près de 500 mètres cubes, revient à environ 10.000 pesetas, soit 20 pesetas ou 85 francs par mètre cube. Il existe aussi des réservoirs d'eau en plein air, spécialement aménagés et enduits d'une argile grasse imperméable, spécialement recherchée. Les bords sont des levées de terre artificielles inclinées de 40 degrés au plus, et recouvertes d'herbe. On n'y peut planter d'arbres pour éviter l'évaporation en raison des racines, car le grand danger de ces réservoirs est de se vider tout d'un coup. Ils sont d'ailleurs mal vus encore, en raison de la superficie de terre qu'ils occupent.

L'eau ainsi conservée, est répartie avec des soins minutieux par un nouveau lacis de tuyaux dont l'établissement revient de 8 à 20 pesetas par mètre selon la nature du sol. Les autorités judiciaires contraignent par voie d'expropriation, tout propriétaire à laisser passer la canalisation. Rendue sur place, l'eau est distribuée aux sillons, qui sont successivement remplis. La vente de l'eau, qui souvent a lieu aux enchères, atteint des prix qui semblent au premier abord fantastiques : un simple arrosage superficiel, d'une durée d'une heure, coûtera 50 francs et plus pour une fanegada; à Telde dans Grand Canarie, la quantité d'eau suffisante pour arroser une fanegada une fois tous les 15 jours a été achetée plus de 3 000 francs. Quand le prix n'est pas affermé pour l'année, l'eau se vend par heure pour un nombre de mètres cubes donné, de 25 centimos à 60 centimos

le mètre cube, et souvent beaucoup plus ; pour arroser une fanegada, il faut au moins 20 mètres cubes par heure soit de 40 à 100 francs pour arroser une heure un hectare. Ce sont les prix normaux, mais la sécheresse amène parfois des prix absolument prohibitifs; lors de mon passage il n'avait pas plu de l'année dans les îles de l'est et à Fuerteventura, le mètre cube d'eau valait 30 francs et le bidon d'essence de 16 litres se vendait 50 centimes. On comprend que, dans ces conditions, la question de l'eau donne lieu, aux îles Canaries, à une spéculation pour ainsi dire journalière.

Voici maintenant le régime d'exportation. La banane est empaquetée d'abord dans un grand papier, puis dans ces grandes caisses octogonales ou huacaies qui contiennent généralement un gros régime ou trois petits étroitement calés. Le poids moyen du huacal est de 50 à 65 kilos et son prix, très variable, est en moyenne de 25 à 30 pesetas (105 à 125 francs). Les caisses préparées sous d'énormes hangars, par des femmes et des enfants, sont marquées au fer rouge puis envoyées au port par d'énormes camions automobiles à pleine surcharge, qui défoncent lamentablement les routes des îles. Ces expéditions ne sont guère faites qu'au moment de l'embarquement pour éviter l'emmagasinage coûteux sur les quais étroits de Las Palmas et de Santa Cruz, aussi le chargement des bateaux coïncide-t-il dans les ports avec un va-etvient de tracteurs, et un encombrement bruyant et fiévreux au delà du possible. Jadis, les charbonniers anglais prenaient les bananes comme fret de retour. Ce commerce en est resté surtout orienté vers l'Angleterre, mais aujourd'hui, plusieurs lignes de navigation se consacrent exclusivement à cette exportation. La banane canarienne est en effet délicate à transporter et il est nécessaire d'avoir des bateaux spécialement aménagés, avec cheminée d'aération, pour ce transport. Les compagnies qui trustent l'exportation sont les suivantes, sur l'Angleterre : la ligne Elder Fyffes au capital anglo-américain, la ligne Yeoward au capital anglais, qui

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assure un service hebdomadaire sur Madère et Liverpool et prend également des passagers, touristes anglais ou hivernants, la ligne Fred Olsen au capital norvégien, qui assure un service bi-hebdomadaire sur Londres et prend également des passagers, la ligne Iberica enfin, au capital anglais. Sur la France : la ligne Fred Olsen au capital norvégien, assuré un service hebdomadaire sur Dieppe, la ligne Smat au capital' français fait un service hebdomadaire sur Bassens, et prend le fret directement des Canaries pour Paris. Sur l'Allemagne deux, lignes régulières à capital allemand se sont arrangées pour ne pas se faire concurrence. Sur l'Espagne, la Compania Transmediterranea assure le service vers Cadix et Barcelone. De plus, des vapeurs divers, faisant escale aux Canaries, chargent en supplément du fruit en pontée à destination de tous pays.

Les Canaries sont sous le régime du port franc, il n'y a donc aucune taxe à l'exportation. Les bananes ne paient que le tarif douanier propre aux pays où elles sont importées. Pendant l'année 1926, l'exportation des bananes canariotes a donné les chiffres suivants : de Ténériffe 2.479.800 huacales, dont pour l'Angleterre 1.490.000, pour la France, 405 000, pour l'Espagne 431.000, pour l'Allemagne 125 000. De la Grande Canarie, 2.160.000 huacales, dont pour l'Angleterre, 863.000 pour la France, 465.000, pour l'Espagne 170.000, pour l'Allemagne 579.000. Si on ajoute la production plus limitée des autres îles, on arrive à un total d'exportation de 5 millions de caisses de bananes des Canaries, représentant environ 250.000 tonnes et au moins 125.000.000 de pesetas (526 000.000 de francs stabilisés). Il est à noter que les îles Canaries n'importent pas particulièrement les produits des pays où elles exportent surtout leurs bananes. Le haut chiffre du tonnage anglais n'est dû qu'au charbon, par ailleurs les importations proviennent surtout des États-Unis qui n'achètent pas de bananes, de Hollande, d'Allemagne et de Belgique. La France et l'Espagne y comptent peu; la situation de l'Allemagne, comme pays importateur, est

très forte et ce pays a repris plus que jamais ses efforts d'avant guerre pour s'implanter dans les îles.

Quel avenir ce qui précède permet-il d'envisager? Au point de vue mondial, il semble que la consommation de la banane soit entrée dans les moeurs, et que celle-ci ne puisse que progresser. L'Américain mange cent bananes par an, l'Européen seulement quinze, la farine de banane fait à peine chez nous son apparition; les Canaries n'ont donc pas de ce chef à craindre la surproduction. Mais le prix élevé de la banane se maintiendra-t-il longtemps pour la plus grande prospérité des îles. Il ne faut pas trop vite répondre non. L'Angleterre a, depuis longtemps, l'attention en éveil sur ce problème et, bien qu'en profitant, s'exaspère parfois de voir la richesse des Canaries fondée en partie sur ce fait qu'on paie la banane deux pence et demi à Londres, ce qui est beaucoup pour quelque chose qui, en certains pays, n'a presque aucune espèce de valeur. L'Angleterre a, cependant, de nombreuses colonies où croit la banane. Déjà, l'influence des bananes des Antilles anglaises ou de Porto Rico est importante et cette banane plus résistante a la grande supériorité de pouvoir voyager en vrac. Néanmoins, à l'heure actuelle, la maison Fyffes ayant en fait presque exclusivement entre ses mains l'exportation des bananes des Antilles et étant, d'autre part, la principale intéressée sur le marché au placement des bananes canariotes, il est à supposer qu'elle défendra ces dernières envers et contre tout, tout en se réservant d'effondrer à son gré le cours des bananes aux Canaries, en jetant sur le marché des quantités anormales de bananes des Antilles. Tout sera fait pour que l'opinion considère la banane des Canaries comme bien supérieure à toute autre, le fruit des gourmets et des délicats. Il est peu probable qu'à la Gold Coast une entreprise anglaise s'élève en dehors de la Fyffe Cy. Enfin, les Canaries gardent cette supériorité d'être le seul pays à proximité de l'Europe où l'on puisse cultiver la banane, puisqu'elle croît mal dans le bassin mé-


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diterranéen, sauf peut-être en Syrie.

Du point de vue français il est intéressant de noter que notre consommation de bananes qui s'est élevée de 44 000 tonnes en 1924, à 68.000 tonnes en 1927, provient seulement pour 2.000 tonnes de nos colonies. De ce côté, pourtant, de grands espoirs nous sont permis. La Guinée au long du chemin de fer de Conakry au Niger contient des régions très propices à la Culture de la banane, sol, eau, maind'oeuvre ; les difficultés ne sont pas là mais dans l'insuffisance des transports, tant par chemin de fer que par bateau, et dans les mauvaises conditions jusqu'ici du stockage à Conakry. Mais cette colonie a pris elle-même l'initiative de construire un entrepôt frigorifique, qui sera vraisemblablement plus tard accru, et une société s'est formée pour assurer le transport régulier des bananes de Guinée en France par bateau à cale aérée, à raison de sept voyages par an, le premier devant avoir lieu en octobre 1928. L'expérience des Canaries montre en effet la nécessité absolue de spécialiser les bateaux, qui font ce genre de transport. Ce sont là encore des essais bien timides, néanmoins, la colonie garantit déjà un minimum de fret de 55.000 caisses, et ce chiffre ne pourra que croître, à la condition toutefois, que les exportateurs aient soin de bien placer leurs produits dans l'opinion française. La Guinée, malgré la distance double, s'annonce pour les Canaries une concurrente redoutable si nous savons le vouloir.

Du point de vue des îles Canaries l'étonnante richesse actuelle et tous les luxes qu'elle octroie à tous, ne tiennent qu'au haut prix de la banane ; c'est ce prix élevé qui permet à l'heure actuelle la réussite en ce pays de combinaisons agricoles vraiment abracadabrantes. Des opérations d'apparence ruineuses se révèlent fructueuses, mais cette agriculture forcenée à l'en contre des possibilités naturelles du sol a quelque chose d'artificiel, qui rappelle les procédés américains en Californie ou à Honolulu. Tous ces moyens luxueux de produire peuvent, en raison de leur coût énorme, se trouver d'un jour à l'autre dépassés, si, comme il faut le souhaiter

pour le bon équilibre économique, des pays plus favorisés par la nature, arrivent à produire à meilleur compte. Ce jour-là les innombrables Gomez et Martinez des îles feront triste figure et les Canaries connaîtront à nouveau une crise commerciale d'autant plus épouvantable qu'elles auront plus adoré la banane. Mais quelle que soit cette nouvelle révolution agricole, nous croyons l'esprit des Canariotes assez ingénieux et assez actif pour pouvoir en sortir. Qu'adopteront-ils? la pomme de terre, la tomate, peut-être quelque nouveau produit tout à fait imprévisible Mais le succès et la fortune des îles Canaries ne me semblent pas une chose provisoire et accidentelle. C'est une série d'accidents heureux que leur sagacité a su à plusieurs reprises successives renouveler en dépit de toute prévision contraire. Malgré les hauts et les bas de ce pays, ma conviction certaine est que, dans l'avenir, une série de hasards heureux, dont les habitants doivent bien un peu récolter la gloire, maintiendra aux îles Canaries leur réputation et leur nom d' " Iles fortunées ».

JOÜON DES LONGRAIS.

LE COMTE DE GOBINEAU DESCENDANT DES VIKINGS

Il a été beaucoup question du comte de Gobineau dans ces derniers temps. Il est surtout connu par ses théories sur la hiérarchie des races, en haut de laquelle il place la race aryenne qu'il identifie avec la race nordique. Ses théories diffèrent de celles de la Science sociale en ce qu'il donne une importance plus grande à l'hérédité. Pour nous, par exemple, la formation particulariste, issue de certaines conditions de vie, se transmet surtout par l'éducation. Il est donc facile de comprendre que le comte de Gobineau est très fier de ses ancêtres, d'autant plus qu'il est parvenu à faire remonter l'arbre généalogique de sa famille jusqu'aux Vikings, mieux encore jusqu'aux Ases, je n'ose dire jusqu'aux dieux mêmes. Il aconsacré


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un livre à cette démonstration 4, mais c'est l'un de ses ouvrages dont on parle le moins, car le grand public incline à y voir surtout une affaire personnelle. Peut-être un jour quelque sociologue ou historien sera-t-il tenté d'analyser cette histoire, d'une famille noble à travers les âges? Il y aurait bien des choses à glaner, mais, dans cette brève notice, nous devons nous en tenir aux plus lointains de ses ancêtres. Snorri Sturluson, le chroniqueur islandais qui écrivit l'Edda prosaïque (ou seconde Edda), vers 1241, est probablement l'auteur de la Heimskringlâ Saga2, dans laquelle il fait l'histoire des rois de Norvège jusqu'en 1179, et dont le premier chapitre, intitulé Ynglinga Saga, fait l'histoire de la dynastie des Ynglingar. Pour faire ce chapitre il s'est surtout documenté sur d'anciens écrits et dans l'Ynglingatal de Thiodolf de Huin, poète qui vivait à la Cour de Harald à la Belle Chevelure, qui règne en Norvège de 860 à 930 et qui, pour plaire à son mécène mit en vers les exploits de ses ancêtres.

Les Ynglingar sont les descendants d'Yngvi, l'un des compagnons d'Odin, qui le suivirent de Scythie en Suède, un peu avant l'ère chrétienne; son petit-fils, Ingunar Frey, fut le fondateur d'Upsal, et ses descendants régnèrent sur cette ville pendant une vingtaine de générations, jusqu'à Ingjald, qui serait mort vers 669. Son fils Olaf fut contraint de se sauver dans les forêts du Vermland (au nord du lac Vener), dont il entreprit le défrichement. Halfdan aux Jambes blanches, qui lui succéda, fit la conquête de la Raumarikie et du Vestfold vers le sud-est de la Norvège, contrée dans laquelle un Ass 3 pénétrait pour la première fois, et il fit établir un temple et une foire à Skiringssal, vers 8094. Comme les Ynglingar avaient coutume de partager leurs États entre leurs fils, ceux-ci cherchaient à étendre leurs

conquêtes pour ne pas déchoir ou sinon luttaient les uns contre les autres comme les Mérovingiens. Au début de leur arrivée en Norvège, les Ynglingar ont de l'espace devant eux et l'on voit s'établir plusieurs États. Les premiers Ynglingar qui furent chefs d'un petit État, en Suède, portèrent d'abord le titre de drottnar (seigneur) ; Rig fut le premier à se dire konung (roi). En Norvège, les membres de la branche principale prirent le titre de konung, et ceux des petits États celui de Iarl, qui dans l'Edda désigne simplement les guerriers nobles. Notons en passant que chez les Ynglingar, les garçons étaient éduqués par leur grand-père maternel, après quoi ils revenaient près de leur père.

A l'époque du roi Harald à la Belle Chevelure, il y avait parmi les Ynglingar restés indépendants, un Iarl qui s'appelait Ottar et qui régnait sur le Halogaland, c'est-à-dire sur le pays qui s'étend au nord de Nidaros ou Trondhjem ; c'est de lui que descendent les Gobineau.

Ottar Iarl possédait 600 rennes, dont 6 étaient dressés pour capturer les rennes sauvages ; il avait en outre 20 vaches, 20 moutons, 20 porcs et des chevaux de labour. Sur son gaard on cultivait des céréales, sans doute de l'avoine et du seigle. Il péchait en outre la baleine, les.cachalots et les phoques (parfois soixante dans une journée). Les Lapons du Halogaland devaient lui payer la dîme de leur péché (saumons, peaux et ivoire de morses), de leur chasse (fourrures) et de leur récolte de plumes d'eider ; le plus taxé d'entre eux donnait annuellement 15 martres, 1 peau d'ours, 5 têtes de rennes, 10 mesures de plumes sans compter les dépouilles des morses 5.

Ottar Iarl allait vendre ses produits à la foire de Skirringssal, où il possédait un autre domaine, il fallait un mois pour s'y rendre par mer. Là il rencontrait des marchands danois, suédois et wendes, qui écoulaient ensuite les marchandises vers les autres marchés européens. Il faut croire qu'Ottar était enclin à étendre ses affaires, et notamment les expéditions de

1. Comte de Gobineau, Histoire d'Ottar Iarl et de ses descendants (Didier, 1879).

2. Beim = intérieur (angl. home) ; - Kringl = autour. — Heitmkringl = autour du pays.

3. On prononce Ause. — En français, on écrit souvent Ase. — C'est un être divin, mais peut-être plus véridiquement un prince.

4. Boyesen, A history of Norway (London, 1900), p. 46.

6. Gobineau, loc. cit., p. 7-8.


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pêche, car il fut le premier Norvégien à découvrir le cap Nord, la mer Blanche et la Dvina septentrionale, où il entre en contact avec les Biarmiens ou Permiens, de race finnoise 1.

Il fut aussi un Viking notoire : en 845, il aurait commencé à piller sur les rives de la Loire, pour continuer ensuite dans différentes régions de la France et de l'Angleterre 2. C'était, on le voit, à la fois un prince, un traitant, un bandit, un éleveur, un armateur et un propriétaire. Menacé par le roi Harald qui voulait établir sa domination sur toute la Norvège, Ottar lui abandonna le Halogaland : en 870, il va voir le roi Alfred d'Angleterre et se convertit au christianisme 3. ce qui clôt pour lui la vie de pillages, mais lui permet de s'installer paisiblement sur un domaine, au confluent de la Seine et de l'Ahdelle, qu'il avait conquis.

Il ne cessa toutefois pas sa vie guerrière, car il fut tué en 911 sur les bords de la Severn 4, en combattant contre Edouard, fils d'Alfred, son ancien allié. Son fils, Roald Iarl, ou Ragnvald, s'établit à Gournay, sur l'Epte (entre Rouen et Beauvais) où il se créa un domaine plus important, dont son fils aîné hérita après sa mort, tandis que le cadet obtenait les domaines plus petits de la Ferté et de Gaillefontaine 5. Ils appartiennent à l'histoire de la Normandie : dans les écrits de l'époque, Ragnvald est appelé Renaud; ses fils Hauk (Corbeau) et Gaïter deviennent Hugues et Gautier. Du reste, dès 888, Ottar Iarl, comme les autres chefs Scandinaves dispersés dans la Normandie, avait fait alliance avec Rolf (Rollon).

Hugues Ier (Hauk) eut deux fils : Hugues II, qui hérita du domaine de Gournay, et Nigel, qui profita des luttes entre les Danois et les Anglo-Saxons pour aller conquérir un domaine dans le Somerset. Dans les générations suivantes, nous avons d'autres exemples de transmission de biens. Ainsi Hugues II et sa femme se

retirent dans un monastère pour laisser leurs propriétés à leurs fils : Raoul de Gournay (f 1103) et Gérard, celui-ci ayant une partie du domaine primitif, qui comprenait plusieurs paroisses et des bois. La coutume des conquérants Scandinaves était de laisser les anciens habitants s'administrer à leur guise; se contentant de prélever une redevance et de cultiver une certaine étendue en régie, qui constituait le domaine proprement dit ; il était facile à un cadet de se créer un domaine à part, vassal du premier, dans les parties inoccupées; les propriétés s'accroissent aussi parfois à la suite de guerres.

Mais, chose curieuse, le désir de voir le domaine passer aux descendants n'est pas très développé; il est moins développé que le désir des descendants de rentrer en possession de l'héritage primitif. Ainsi on voit Gérard' vendre ses propriétés pour prendre part à la première croisade avec sa femme (p. 75), mais l'un de ses fils, Hugues III, arrive à le reconquérir en 1130, après avoir longtemps lutté, menant une véritable vie de bandit dans les bois (p. 80). De ses deux frères, l'un arrive à s'installer dans le Beauvaisis, tandis que l'autre profite de l'une des nombreuses rivalités entre les rois de France et d'Angleterre pour obtenir un domaine dans le Norfolk vers 1140 (p. 153). D'un autre côté, nous voyons le domaine de Gaïter (Gautier), donné à un monastère en 1036, par l'un de ses descendants, qui du reste se fait moine. Jusque-là, le christianisme de la lignée de Gaïter était resté superficiel, n'empêchant pas de continuer en même temps, d'une façon plus ou moins occasionnelle, les anciennes pratiques païennes. L'histoire de Hugues II, dont nous avons parlé plus haut, montre en outre le rôle éducatif des monastères au point de vue agricole : les moines nous apparaissent comme de bien plus grands défricheurs que les vikings; ainsi Hugues II se borne à faire cultiver le domaine qu'il a hérité, tandis que, devenu moine, il fait déboiser et laboure par ordre de son supérieur et cela pour le seul profit collectif (p. 71).

Mais revenons à Hugues III; il reconquiert non seulement l'ancienne propriété

1. Id., p. 9 et 11.

2. Id., p. 16.

3. Id., p. 6.

4. Id., p. 14-15.

5. Id., p. 13, 27 et 32.


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de Gournay, mais y ajoute 24 paroisses. Il a donc de quoi caser ses trois fils. Le domaine de Gournay fut pris par Philippe Auguste en 1202, quand il rattacha la Normandie à la Couronne, et le propriétaire principal émigra en Angleterre, tandis que ses frères ou leurs descendants finissent par créer des souches nouvelles dans le Beauvaisis et en Normandie

Notons que dans toute cette époque, les noms de famille sont à peine connus, et même les armoiries qui apparaissent au XIIe siècle, ne jouent un rôle important qu'au XIVe siècle.

Paul DESCAMPS.

LES RÉUNIONS MENSUELLES (Séance du 4 novembre 1927).

La culture de la banane aux îles Canaries et ses répercussions.

M. JOUON DES LONGRAIS, qui a eu l'occasion de faire un voyage aux îles Canaries, a recueilli sur place un certain nombre de données intéressantes. Une série de projections lumineuses bien choisies complètent l'exposé et aident à faire connaître un pays que fréquentent peu les touristes français.

On trouvera plus haut le compte rendu détaillé de la conférence.

M. DE ROUSIERS insiste sur la faculté prédominante des Canariotes, la faculté de se retourner aux époques de crise, qui ressort de l'exposé que l'on vient d'entendre. En ce qui concerne la culture du bananier, des comparaisons fructueuses pourraient être faites avec les autres pays producteurs.

Le P. AUPIAIS donne quelques détails sur la culture du bananier au Dahomey, dont les conditions naturelles sont plus favorables qu'aux îles Canaries dans certaines zones, mais où l'exportation est grevée de frais de transport plus lourds jusqu'au port d'embarquement,

Séance du 2 décembre 1927.

L'effort des réfugiés russes vers l'ascension sociale.

M. DESCAMPS rend compte des résultats de la continuation de son enquête sur les réfugiés russes à Paris. Aux deux monographies de l'année dernière il ajoute celle d'un ingénieur de Pétersbourg. Cette monographie a l'avantage de montrer un jeune Russe isolé aux prises avec toutes les difficultés de la vie : instabilité des situations, insuffisance du logement, manque de nourriture à certains moments, maladie, tentative de suicide, etc. Cet ingénieur a dû travailler' au hasard dans les bureaux, les usines, les studios, etc. Au début il a surtout été employé par des oeuvres russes où l'on préparait la rénovation du pays, et qui avaient conservé les méthodes de travail des administrations russes où l'on flâne à certaines périodes pour se rattraper ensuite par des journées invraisemblables qu'un Occidental serait incapable de supporter.

Cette monographie révèle encore le grand effort d'élévation sociale de beaucoup de réfugiés russes. Il se manifeste par une chasse intensive aux diplômes qui permettront d'exercer une profession libérale en France ; on voit des personnes de tout âge commencer de nouvelles études tout en travaillant, puis en recommencer d'autres s'il se trouve que la profession est encombrée ou ne répond pas aux aspirations, intimes. C'est ainsi que le Cosaque observé l'année dernière, après avoir terminé ses études de prospecteur, est actuellement à une école de pétrole. L'ingénieur dont il est question cette année a suivi à Paris les cours des Arts décoratifs, dans des conditions particulièrement difficiles, parce que ses goûts personnels le portent vers les beaux-arts beaucoup plus que vers les arts mécaniques. On trouve ainsi aujourd'hui autant d'ouvriers-étudiants à Paris qu'il y avait d'étudiants-ouvriers en Russie. Dans la Russie d'avant-guerre l'ascension sociale était loin d'être impossible et se faisait surtout à l'aide de diplômes.

Un autre mode d'ascension sociale, plus


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inattendu, à la portée des réfugiés russes est le mariage. Il y a d'abord les mariages entre de riches Américaines et des Russes titrés, car parmi ceux-ci nombreux sont les comtes et même les princes et il n'est pas impossible de trouver des descendants tout à fait authentiques de Rurik ou de saint.Vladimir. Avec la liberté des moeurs américaines la rencontre se fait facilement dans un dancing ou un théâtre de nuit, d'autant plus que les filles de l'oncle Sam sont vraiment à la recherche des nobles titrés. Comme dans beaucoup de mariages de ce genre, les divorces, futurs sont à craindre. Moins lucratifs, mais plus stables sont les mariages franco-russes Les plus nombreux sont ceux qui se font entre Russes et Françaises, à cause de l'excédent de jeunes filles en France. Ce sont aussi les plus heureux, la Française a toute liberté d'arranger son ménage à sa guise, le Russe aimant mieux ne pas s'en occuper du tout. Les unions inverses sont moins heureuses, la femme russe étant trop gaspilleuse et le mari français trop occupé à compter les dépenses inutiles.

La colonie russe tend à reformer des cadres complets ; c'est ainsi qu'on trouve des églises, des séminaires, des écoles. Parmi les établissements visités par M. Descamps se trouve une école secondaire mixte, dont la raison d'être est le manque de ressources pour faire des écoles séparées. Il y a beaucoup plus de garçons que de filles pour le même motif : bien des familles ne peuvent supporter la charge de faire instruire qu'un seul enfant et c'est un fils qui en profite. Pour les filles, en effet, elles font l'apprentissage des travaux ménagers en aidant leur mère et en cas de gêne elles entreprennent des travaux à domicile : broderies, etc. Il en est quelques-unes qui travaillent dans les bureaux, magasins et même dans les usines au pisaller. Seules les plus douées font des études secondaires et supérieures. Ces écoles sont des externats et ne sont pas exclusivement réservées aux Russes. Ces derniers brillent généralement aux examens pour deux motifs: d'abord parce que, appartenant à des familles dans la gêne, ils font un effort sérieux; ensuite parce que beaucoup

de Russes sont curieux : curiosité gênante chez certains mais qui devient une qualité quand elle développe la soif du savoir. En-' tout cas il se forme dans ces écoles une génération mieux assimilée au milieu français.

Les idées de suicide germent-elles plus facilement chez les Russes que chez les autres? Il y a d'abord les cas de suicide qui sont de tous les pays : gêne d'argent, déboires familiaux, maladie; les réfugiés sont dans une situation anormale au point de vue des difficultés de la vie Il y a peutêtre en outre une cause plus spécifiquement russe, à savoir que ceux qui sont isolés supportent mal leur situation et ressentent un accroissement de souffrances morales.

En ce qui concerne l'imprévoyance russe, elle ne résulte pas de l'insouciance, comme chez le manoeuvre occidental, mais d'un esprit plus occupé de choses lointaines que des choses immédiates : le « matter of fact man », l'homme des faits positifs, est plutôt rare en Russie.

M. FERRAND constate d'abord que les réfugiés ont perdu du temps au début à cause de l'illusion où ils étaient d'un retour rapide en Russie. Ses expériences personnelles ne lui ont fait connaître que les Russes d'avant-guerre; les Occidentaux leur reprochaient généralement leur irrégularité dans l'effort.

M. DE ROUSIERS demande si l'on ne cons. tate pas un relèvement par le commerce?

M. DESCAMPS cite le cas d'anciens nobles qui ont réussi en utilisant certaines compétences spéciales : connaissance des arts, des antiquités, horticulture, aviculture. Quelques princes ont trouvé une situation lucrative dans des magasins sélects qui visent la clientèle américaine. Un ancien médecin qu'un mariage avait mis à, la tête d'un grand magasin en Russie, a voulu faire un commerce analogue à Paris, escomptant l'appui de ses anciens fournisseurs français. Il n'a pas réussi ayant vu trop grand avec un capital trop faible. Il semble que la classe des commerçants proprement dits ait fourni peu de réfugiés et se soit adaptée tant bien que mal du régime bolchévik.


24 BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE (FASC.

Séance du 3 février 1928.

L'organisation sociale des indigènes du Dahomey.

Le P. AUPIAIS, des Missions du Dahomey, fait un tableau plutôt favorable de l'état social des indigènes au milieu desquels il vit habituellement depuis un grand nombre d'années. Ce sont des paysans qui vivent directement des produits du sol. La famille est fortement organisée, sur le type patriarcal.

A ces deux constatations actuelles, le P. Aupiais en ajoute une troisième d'ordre historique en ce qui concerne l'organisation politique avant la conquête française et qui était remarquable, avec un pouvoir très fort.

La civilisation noire avait ses traits propres, susceptibles de se développer sur un plan particulier et dont la colonisation européenne est venue entraver l'essor. C'est un fait qu'on peut regretter à certains égards, lés indigènes ayant plutôt perdu que gagné au contact des Blancs.

Le P. Aupiais ne cache pas la grande sympathie qu'il a pour les Noirs, très bons et très affectueux. Sa conférence très intéressante est agrémentée de projections lumineuses qui contribuent à faire connaître le pays et ses habitants.

M. TAUXIER ne connaît pas le Dahomey, mais les pays voisins où il a résidé (Soudan, Côte d'Ivoire) ont un état social assez semblable à celui décrit par le P. Aupiais. Il fait toutefois des réserves en ce qui concerne la civilisation noire. L'Etat était organisé d'une façon despotique et la religion comportait des pratiques inhumaines et immorales. D'autre part, les Dahoméens ont emprunté la culture du maïs aux Portugais au XVIe siècle. Auparavant ils cultivaient probablement surtout l'igname et l'on ignore quel était alors leur état social.

Séance du 3 mars 1928.

La question du blé et ses aspects sociaux.

M. DE FELCOURT expose avec une grande compétence la question du blé et ses aspects sociaux.

Nous publions cette étude ci-dessus inextenso.

M. DESCAMPS indique, outre les causes énumérées, un autre fait qui a amené la régression de la culture du blé aux ÉtatsUnis, à savoir l'épuisement des terres du nord-ouest par la monoculture. Les méthodes nouvelles d'exploitation ont pour résultat d'étendre l'aire du maïs et d'augmenter le cheptel.

M. Pierre LYAUTEY rappelle l'influence qu'a eu, au XIXe siècle, le phénomène de la concentration industrielle sur le développement de l'agriculture. Il y aurait lieu d'étudier quels ont été les effets de la crise financière d'après guerre : inflation, stabilisation La dépréciation monétaire a enrichi le paysan ; le rendement à l'hectare a augmenté en France à cause de l'inflation. Le cultivateur investit en moyenne 2 à 300 fr. à l'hectare.

Il serait aussi nécessaire de faire des monographies régionales, car la situation varie beaucoup d'un endroit à l'autre.

Avant la guerre le paysan français était sous le régime du minimum de bénéfices. Aujourd'hui il a une puissance d'achat plus grande qui lui permet l'acquisition de machines, l'emploi de l'électricité, etc. Il faut donc prévoir pour lui un régime économique basé sur une marge de bénéfices plus grande, en ce qui concerne le blé.

M. FIRMIN-DIDOT, appuyant la thèse soutenue par M. Lyautey sur le rôle de l'inflation, fait remarquer que 100 kg. de blé valent toujours 1 £ au minimum.

M. DE ROUSIERS, sans nier l'influence de l'inflation, dit que d'autres causes ont agi depuis la guerre, car les Etats-Unis qui ont échappé à l'inflation n'ont pas échappé à la variation des prix du blé. Les cultivateurs ont pris l'habitude des gros bénéfices, mais le blé ne permet pas une grande marge de bénéfices. Il faut donc en arriver à ce que les paysans se contentent d'un moindre profit.

En ce qui concerne le rôle commercial du blé, M. de Rousiers rappelle que le blé a été la première marchandise lourde qu'on ait eue à transporter, d'où son influence sur la transformation de la


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DE SCIENCE SOCIALE.

marine. Le grand développement que prennent actuellement certains ports est dû au blé : Mannheim, Montréal, etc.

M. de FELCOURT dit qu'on peut étudier en Allemagne les effets de la crise monétaire. Enrichissement des agriculteurs par l'inflation, puis crise résultant de la stabilisation Mais une bonne organisation du crédit rural a permis de surmonter la crise.

BIBLIOGRAPHIE

La vie et l'oeuvre de Robert Pinot, par

André François Poncet. Un vol. in-8°

(Librairie Armand Colin), 1927.

Si l'arbre se juge par ses fruits, le nom de Robert Pinot restera l'un des plus beaux titres de gloire de l'École de la Science sociale. Sa vie, intimement mêlée à l'histoire de l'industrie française durant les quarante dernières années, en rappelle les grandes phases, principalement dans ses rapports avec le développement de l'industrie métallurgique qui y a joué un rôle de premier plan. Dans ce rôle, le groupement syndical constituait un rouage essentiel, dont l'organisation et la féconde action ne peuvent être séparées de l'oeuvre de son secrétaire général. Il faut lire, dans le livre si attrayant et si documenté que M. François Poncet lui a consacré, comment, depuis 1899, date de son entrée à la Chambre syndicale des Fabricants et Constructeurs de matériel de chemins de fer et de tramways, Robert Pinot sut, grâce à son intelligence des problèmes à résoudre, à ses aptitudes d'organisateur, à son activité et à son énergie, faire de cet organisme le groupement le plus représentatif, non seulement de l'industrie métallurgique, mais de toute la grande industrie française, et l'un des principaux rouages qui, par ses conseils ou ses informations, par ses divers services centralisateurs, permit au gouvernement de mener à bonne fin, pendant la guerre, la tâche formidable du ravitaillement et de la production des usines de munitions.

L'ouvrage de M. François Poncet n'a pas seulement le mérite de retracer, d'une

façon lumineuse et vivante, ce que fut l'oeuvre de Robert Pinot dans ces diverses circonstances, depuis ses études, ses premiers essais de la vie politique et administrative, son passage au Musée social, jusqu'à la carrière qu'il remplit si pleinement au Comité des Forges et à l'influence qu'il exerça après la guerre dans la vie économique et sociale du pays. Il en a encore un autre, qui touchera particulièrement les amis de la Science sociale : il a su discerner tout ce que cette oeuvre si pleine, si féconde, devait à la méthode et à la formation acquises à l'École de Demolins et d'H. de Tourville, sans lesquelles des résultats aussi extraordinaires ne se seraient sans doute pas produits. Mis sur la voie de la source où Pinot puisait les éléments qui informaient son intelligence et son activité et leur imprimaient une orientation tout à fait caractéristique, il a interrogé, lui aussi, cette méthode tourvillienne qui occupait une telle place dans le sujet qu'il étudiait; il a lu, non seulement les études publiées par Pinot dans la Revue, mais aussi celles qui donnent les notions essentielles de l'objet, de la méthode et de l'esprit de la Science sociale, notamment celles de l'abbé de Tourville ; il a compris ce que cette oeuvre a de vraiment scientifique, de fécond et de sûr pour l'intelligence de l'organisme social si complexe et pour l'orientation des activités qui la prennent pour guide ; il a été séduit à son tour, par l'attrait de l'analyse à la fois si rigoureuse et si vivante du fait social, et il demeurera, n'en doutons pas, un ami fidèle de l'École.

Le chapitre qu'il consacre à la Science sociale, nous fait revivre les temps, déjà lointains, du début, lorsque Henri de Tourville élabora la Méthode et fonda la Revue. M; François Poncet a très bien indiqué comment l'insuffisance de l'oeuvre de Le Play conduisit l'un de ses meilleurs disciples à perfectionner l'instrument d'analyse et d'observation, à en créer un autre qui fût à la fois plus souple, plus complet et plus rigoureux. Que la perspective de l'immense progrès accompli par le disciple, devenu maître à son tour, ne nous rende pas injustes envers le


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BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE (FASC.

fondateur de la science sociale, et ne nous associons pas trop facilement aux libertés d'allure et de langage que les jeunes d'alors, dans l'enthousiasme des premiers succès, se permettaient à son égard. Sa méthode a pu se révéler trop sommaire et improductive; ses classifications sociales ont pu être hàtives ; beaucoup de ses conclusions ont pu être démenties par une observation plus rigoureuse ou plus étendue ; surtout, son oeuvre de réformateur, viciée par l'insuffisance scientifique de ses conclusions et par l'ardeur à repousser des tendances dont la nature pernicieuse était par trop apparente, doit être soigneusement séparée de son oeuvre scientifique. Celle-ci n'en reste pas moins à la base des progrès effectués par ses successeurs : d'abord, parce que c'est elle qui, la première, s'est inspirée de la notion de l'existence d'une science sociale et du souci d'observation méthodique des faits ; ensuite, parce que les monographies rédigées par Le Play ou sous sa direction ont servi et servent encore de matière première et documentaire à un grand nombre des travaux de la Science sociale. Les Ouvriers Européens et les Ouvriers des DeuxMondes demeureront, avec la collection de la Science sociale, non seulement un monument des premières études scientifiques accomplies dans le domaine social, mais une mine de documentation des plus riches, et des plus utiles. Parmi les conclusions de la Réforme sociale en France elles-mêmes, plusieurs survivront sans doute au verdict prononcé contre elles au nom de la Science sociale, et se révéleront, à la lumière de l'observation de faits nouveaux, plus profondes et plus vraies que certaines conclusions ne le laissaient entendre.

La reconnaissance et l'admiration que la Science sociale doit à l'oeuvre de Le Play ne diminuent en rien, au surplus, le mérite et la gloire de son disciple et successeur. La méthode tourvillienne restera, pour tous ceux qui l'ont comprise et mise en pratique, le grand bienfait intellectuel de leur vie, le guide grâce auquel ils ont vu clair dans l'enchevêtrement des faits Sociaux et qui leur a procuré la jouissance

incomparable d'éviter les erreurs accumulées autour d'eux, l'instrument qui a donné à toutes leurs oeuvres ce cachet vivant et plein d'attrait si souvent remarqué par les lecteurs même les plus étrangers à ces travaux. Quant à l'action personnelle exercée par l'abbé de Tourville sur ceux qui l'approchaient, elle reste, pour tous ceux qui en ont été l'objet, l'impérissable souvenir d'un lumineux épanouissement de l'intelligence et de la vie. M. François Poncet note avec une grande exactitude et délicatesse de touche combien cette action, obscure et désintéressée, de cet « éveilleur d'intelligences », de ce « sculpteur d'âmes », a été profonde et a laissé de traces : » Dans les travaux publiés par ses élèves, son inspiration se retrouve partout; la toile n'est pas signée de lui, mais le genre de la composition, l'allure du dessin, la vigueur du coloris trahissent sa marque.

« Rencontrer une petite élite, la révéler à elle-même,lui communiquer la lumière et l'énergie qu'il sentait en lui, lui apprendre à faire l'épreuve de ses propres forces, lui donner enfin le désir et les moyens de transmettre à d'autres le flambeau qu'elle avait reçu de ses mains, tel fut le rôle dans lequel Henri de Tourville se confina, la mission qu'il voulut remplir.

« Il n'y gagna ni charges, ni honneurs... Il n'en a pas moins atteint son but et réalisé une oeuvre considérable. L'essentiel de cette oeuvre, ce sont ses disciples, les jeunes-gens que, comme Robert Pinot, il a imprégnés de sa substance, nourris de sa moelle et qui, plus tard, répandus dans le monde, y ont porté et représenté sa pensée et sont devenus, aux postes qu'ils ont occupés, non seulement des hommes éminents, mais des chefs, exerçant à leur tour une influence, attirant à eux et instruisant la jeunesse. OEuvre imprimée dans le vif, combien plus vivante que mainte autre, qui n'est imprimée que dans les livres et qui y reste enfermée! »

C'est que la préoccupation scientifique, chez lui, s'alliait à un but pratique. M. François-Poncet l'a encoree très bien compris ; H. de Tourville était prêtre, et


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un saint prêtre ; comme Le Play, il avait pour objectif de mettre la science au service de la vérité et du bien ; il estimait que la société pouvait être remise sur le chemin d'un fonctionnement harmonique et prospère de ses rouages, à commencer par ceux qui touchent à la moralité : mais il ne voyait pas qu'on pût y arriver en dehors d'une connaissance exacte des lois de leur fonctionnement normal. C'est cette préoccupation morale qui donnait aux disciples de cette époque cette ardeur de néophytes, cet enthousiasme de la vérité découverte « de croisés impatients de chevaucher à travers le monde pour gagner les peuples à leur évangile ». La perspective d'un tel ordonnancement des lois sociales, que leur procuraient les nouvelles conclusions obtenues des magnifiques harmonies que l'abbé de Tourville dégageait de l'évolution des peuples modernes, se traduisait par un optimisme qui avait tout au moins l'avantage d'éveiller l'ardeur et d'exciter l'activité. Il s'y, ajoutait, avec le sentiment d'être en possession de la vérité, seuls au milieu de l'erreur générale, un certain dédain pour toutes ces vaines théories et un ton quelque peu suffisant et cassant qu'on leur reprochait parfois.

Une telle atmosphère devait captiver une nature comme celle de Robert Pinot : intelligence exceptionnelle, embrassant d'un premier coup d'oeil la question dans son ensemble, en saisissant tous les éléments en même temps que la solution, prompte à les classer et à éliminer les points faibles ; énergie et activité inlassables qui devaient se trouver dans leur élément parmi les tendances de l'Ecole à exalter l'initiative individuelle et l'aptitude à se tirer d'affaire dans la lutte pour la vie. Sans doute, il était doué supérieurement sous ce double rapport. Mais ces facultés naturelles, pour si éminentes qu'elles fussent, n'auraient jamais donné leur mesure si elles n'avaient rencontré un milieu aussi favorable pour leur développement. Les qualités si remarquables d'organisateur dont il fit preuve, tant au Musée social qu'au Comité des Forges, l'aptitude, exceptionnelle à saisir dès l'abord

l'abord possibilité de réalisation d'une entreprise quelconque, avaient été exercées par l'orientation vers la vie pratique, vers les carrières lucratives, par l'aptitude aux affaires, que prêchait la Science sociale, et qui faisaient de tout initié un business man éventuel. Dès les premières leçons, Robert Pinot fut gagné à l'Ecole, dont il devint bientôt l'une des lumières. Sa monographie du Jura Bernois et son cours de méthode furent des oeuvres de premier ordre, qui donnent une idée de celles qu'il aurait données à la Science sociale si ses occupations lui en avaient laissé le loisir. Il continuait à en appliquer la méthode dans sa vie si active; son exemple a été la plus haute et la plus efficace leçon qu'il fût possible d'en donner.

G. OLPHE-GALLIARD.

Pascal mis au service de ceux qui cherchent. Essai de coordination des « Pensées », d'après la méthode d'observations, par le R. P. MarieAndré Dieux, de l'Oratoire. 1 vol. 285 pages (Libr. Bloud et Gay. Prix, 15 francs).

Parmi les esprits qu'une affinité, soit naturelle, soit logique, entraîne dans le sillon de la pensée pascalienne, il faut ranger, peut-être en première ligne, les amis de la Science sociale. Déjà prédisposés, par une claire notion de la diversité des objets de la connaissance humaine et de la méthode d'investigation applicable à chacune d'elles, à faire à la religion sa place, irréductible à aucun autre domaine, ils trouvent, dans les « Pensées », une conception de l'objet du sens religieux et de la méthode à suivre pour en rendre compte qui, en scandalisant l'intellectualisme des traditionalistes, enchante toutes les âmes éprises de vérité et,de vie. Sans doute, l'Ecole de la Science sociale n'a pas la pensée d'accaparer Pascal ni de le compter parmi ses adeptes anticipés : malgré l'esprit profondément scientifique dont témoignent ses travaux de physique et le mépris qu'il affecte pour le rationalisme sous toutes ses formes, — nous serions tentés de dire : en raison de son aversion à l'égard du rationa-


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BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE (FASC

lisme, — il ne paraît pas avoir songé à employer, dans le sujet des " Pensées », une méthode d'observation et d'analyse analogue à celle des sciences physiques ; » l'esprit de finesse », qu'il oppose à la raison logique, fait appel à la volonté bien plus qu'à la raison, et ne consiste pas dans un autre mode d'emploi de celle-ci Qu'il ait eu, pour cela, à mettre en oeuvre» en fait, la méthode d'observation et non le raisonnement déductif ; qu'il ait employé ce procédé avec une telle maîtrise qu'il reste l'un des plus profonds observateurs de la conscience humaine, ce qui fait des « Pensées », la grande apologie des temps modernes, c'est précisément qu'en dégageant le sens véritable et l'objet propre de la religion, il lui assigne sa place à part parmi les divers objets des facultés humaines, et qu'il exige, pour l'acquérir, la mise en oeuvre de toutes ces facultés, à commencer par le coeur et la volonté, et non pas seulement celle de la raison. C'est par là que son oeuvre répond au sens le plus intime et le plus essentiel de l'âme humaine, et qu'elle fournit un aliment adéquat à ce besoin. D'un sujet de déduction logique, elle fait — ce qu'elle est en réalité — une force de vie capable de déterminer notre volonté.

Cet objectif dictait à Pascal le plan général de l'oeuvre qu'il méditait. Nous connaissons ce plan par la notion même de l'objectif poursuivi qui se dégage de la lecture des " Pensées » et, d'une manière plus directe, par l'exposé reproduit par ses parents et amis dans le « Discours sur les Pensées de M. Pascal ». Prenant pour point de départ l'insuffisance de l'apologétique traditionnelle, dont les raisonnements logiques, pas plus que les preuves naturelles et physiques, n'ont d'action sur l'esprit des incroyants, il s'agissait de montrer ce qu'est cette nature humaine qui ne trouve, ni en elle-même, ni dans la raison, sa propre explication, contradiction de grandeur et d'abjection qui ne se résout qu'en Dieu fait homme. L'évangile, annoncé par les prophètes, continué providentiellement par l'Église, renferme la justification des besoins de l'âme et le remède à ses misères,

Pour tous ceux qui, se rendant compte de la beauté et de la fécondité de ce programme, déplorent que la réalisation en soit restée à l'état de notes éparses, incomplètes et classées jusqu'ici par les éditeurs d'une façon bien incertaine, c'est une étude captivante que de chercher à reconstituer l'ordre qui y aurait été mis par l'auteur lui-même s'il avait pu entreprendre le travail de composition de son ouvrage. C'est à cette étude que s'est livré le R. P. Dieux, et il nous en offre le résultat dans l' « Essai de coordination des " Pensées » d'après la méthode d'observation. » L'emploi de la méthode d'observation dans cette recherche, telle est l'originalité de cette nouvelle édition des « Pensées ». Laissant de côté toute opinion préconçue, tout lien purement déductif, le R. P. Dieux s'est appliqué à dégager la méthode d'investigation et celle d'exposition chères à Pascal. Ayant acquis la conviction que la méthode de connaître de Pascal n'était autre que la méthode d'observation scientifique, il en a conclu que le plandes « Pensées » ne pouvait être que celui résultant des divers ordres d'objets en passant de l'ordre le plus matériel, le plus accessible aux sens extérieurs, la matière, les sens, à un ordre plus spirituel, l'esprit d'abord, puis la charité et la grâce, pour arriver à Dieu.

Il est intéressant de noter que le classement ainsi obtenu se rapproche beaucoup, dans ses grandes lignes, du plan exposé dans le « Discours ». Sans doute, pour qui cherche à pénétrer dans l'intention réelle de notes isolées, il ne peut être question de certitude, et l'on pourra discuter éternellement sur le rang et la portée de tel ou tel passage, cela en raison, tant de l'absence de développement de l'idée, que des lacunes et des défauts de proportions entre les diverses parties, non moins que des répétitions d'idées plus apparentes peut-être que réelles. Puisque l'intention de l'auteur était seulement, ainsi qu'il le déclare, « de coordonner les Pensées pour les mieux comprendre et s'en mieux servir » et, ajoutons-le, pour les mieux faire com-


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prendre au lecteur, il faut reconnaître que cet objet est parfaitement réalisé. Grâce au « Pascal » du R P. Dieux, les Pensées qui se présentaient jusqu'ici sous la forme de notes détachées, parfois sans lien apparent, d'une lecture difficile, retrouvent une suite naturelle qui, grâce aux sous-titres rétablissant les enchaînements de la pensée et aux notes qui l'éclairent et qu'on voudrait voir plus nombreuses, permet une lecture suivie de l'ouvrage et donne une idée de ce qu'il aurait été une fois terminé. Ajoutons que l'emploi de la méthode, aidé de rapprochements avec les notes de l'abbé de Tourville, permet d'entrer plus avant dans la pensée de Pascal et de mieux comprendre certains passages. Le " Pascal mis au service de ceux qui cherchent » rendra incontestablement de grands services à tous ceux qui s'efforcent de saisir toute la profondeur des Pensées et de s'en pénétrer. C'est, au surplus, une étude entièrement originale, qui découvre aux critiques littéraires et historiques de nouveaux horizons dans l'utilisation de la méthode d'observation à l'objet de leurs études.

G. OLPHE-GALLIARD.

Précis de la doctrine catholique,

exposée suivant la méthode d'observation d'après les notes de l'abbé H. de Tourville, par l'abbé Georges Picard, Aumônier honoraire du Lycée Louis le Grand. Introduction pour le R. P. André-Marie Dieux, de l'Oratoire. Un vol. in-16. (Libr. Bloudet Gay).

L'exposé de la doctrine catholique que le R. P. Dieux a eu l'excellente idée de publier, fit l'objet de conférences par l'abbé Picard, il y a un certain nombre d'années, devant un public de catholiques instruits et, pour la plupart, amis de la Science sociale. C'était le fruit d'un long échange de correspondance entre l'abbé de Tourville et l'auteur et, si l'on en juge par les nombreuses citations insérées dans le texte et, par les pages correspondantes de Lumière et Vie auxquelles il renvoie, on peut la considérer comme l'expression de

la pensée du fondateur de la Science Sociale.

La pensée qui l'inspirait était nouvelle. Il s'agissait d'appliquer la méthode d'observation, non seulement à l'exposé de la doctrine catholique, mais aussi à la démonstration de son caractère divin et surnaturel. Dans une note de Lumière et Vie (p. 2), l'abbé de Tourville écrivait : « La religion est observable, au moins par beaucoup de côtés, puisqu'elle existe sur terre. Si elle est observée avec une méthode précise (analyse et classification), elle est observée scientifiquement. Cette observation aboutit à établir irréfutablement la réalité objective de la religion. »

A cet effet, après avoir défini le domaine de la science religieuse, après avoir établi rationnellement les rapports de connaissance naturelle, de conscience, de société, qui nous unissent à Dieu, l'abbé Picard expose sa méthode d'investigation à l'égard de la doctrine révélée, qui constitue la substance du christianisme. Il s'agit d'abord de préciser la croyance du catholique, telle que la définit l'autorité enseignante de l'Église et que s'en inspirent les manifestations usuelles de la foi, dans les symboles et la liturgie, en marquant l'accord entre ces deux aspects de la croyance ; d'en chercher l'origine dans l'Écriture Sainte et dans les autres modes de transmission de la tradition divine; le développement dans les travaux des théologiens. C'est sur ces données que s'exerce le contrôle scientifique, par une double critique, interne et externe : l'accord de la théorie avec elle-même, avec ses différentes parties et avec les énoncés qui en ont été déjà faits; l'accord de la théorie avec les faits. Ce second contrôle montre : 1° la transcendance absolue du révélé par rapport à l'esprit humain ; 2° sa concordance avec les attributs de Dieu; 3° la satisfaction qu'il procure aux besoins religieux de l'homme et sa portée bienfaisante à l'égard de ses besoins sociaux; 4°.le caractère providentiel et miraculeux du mode d'émission et du mode de conservation de la doctrine.

A la lumière de cette méthode, sont examinés successivement : la vie divine


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en elle-même ou la Trinité; la vie divine dans l'Homme-Dieu ou l'incarnation; la vie divine dans les hommes ou la grâce, tant dans son régime individuel que dans l'Eglise; les fins dernières de l'homme. On conçoit comment une telle analyse, menée avec l'esprit d'objectivité, de clarté, avec le sens critique, avec la connaissance des faits sociaux et de leurs répercussions, que procure la pratique de la méthode d'observation, aboutit à élever un monument aux assises solides, aux proportions harmonieuses qui lui donnent le caractère et la portée d'un enseignement vraiment nouveau et éminemment instructif. Le chrétien qui cherche à s'instruire sur l'objet de sa foi y trouvera un aliment substantiel en même temps qu'une démonstration claire et vivante.

En dehors de son objet doctrinal, cet ouvrage présente un autre intérêt de premier ordre pour les adeptes de la Science Sociale : atteint-il le but qu'il s'était proposé d'étude scientifique de la religion? Telle est la question qui poursuit invinciblement l'esprit pendant cette lecture si attrayante par ailleurs. Si l'on entend par l'emploi de la méthode scientifique l'application à tout objet de connaissance de la méthode qui convient à sa nature propre, la réponse sera pleinement affirmative. La religion, qui répond aux besoins surnaturels de l'homme et qui s'adresse à cet effet à ses diverses facultés psychologiques et principalement à son libre arbitre, est avant tout un phénomène subjectif dont l'examen comporte la confrontation avec les exigences de ces diverses facultés. Tel est essentiellement la méthode pascalienne et, pour une bonne part, celle qu'emploie le Précis. L'examen de la doctrine, principalement au regard de la raison, est conduit dans ces pages avec une rare maîtrise; tout esprit sérieux qui désire s'instruire sur le sens véritable de la foi catholique y trouvera tous les éclaircissements désirables, en même temps que de nouveaux motifs d'adhésion de la raison la plus exigeante.

Le Précis se propose plus qu'une application de la méthode psychologique et

rationnelle. Faisant rentrer celle-ci dans le cadre de la méthode d'observation des faits extérieurs, il entend, par le moyen de celle-ci, atteindre indirectement le caractère surnaturel et l'objet divin de la foi. « Nous affirmons, lisons-nous à la page 13; qu'il y a une manière d'appliquer au surnaturel révélé la méthode d'observation scientifique avec des résultats certains. Nous affirmons que, par la constatation stricte de faits directement observables, on peut prouver que les énoncés de la foi catholique expriment des réalités divinement révélées. » Cette proposition est soulignée par l'auteur, qui exprime en cela la pensée d'Henri de Tourville, reproduite à la page 64 : « Nous étudions la religion par le moyen de l'observation aussi directe que possible. Cette preuve consiste à montrer la divinité de la révélation par l'énoncé même de la révélation. Chacun peut aisément connaître par l'Église cet énoncé, et en contrôlant cet énoncé par des faits dont on peut se rendre compte par soi-même, on constate qu'il ne peut venir que de Dieu. »

Ce contrôle, nous l'avons déjà indiqué, consiste à constater la transcendance de la doctrine par rapport à la raison humaine, incapable de concevoir par ses seules forces les faits religieux d'un.ordre aussi élevé et d'un caractère aussi satisfaisant tant à l'égard de la nature de Dieu que de celle de l'homme ; et, en outre, la transcendance du mode d'émission et du mode de conservation de cette doctrine par rapport aux conditions normales et même possibles d'émission et de conservation de toute doctrine humaine. Il y a là, hâtons-nous de le dire, une démonstration du plus haut intérêt qui, pour tout chrétien réfléchi, emporte une conviction absolue et complète lumineusement l'édifice si imposant que constitue par luimême l'ensemble admirable, disons adorable, de la vérité révélée. Nous conseillons tout spécialement la lecture et la méditation de cet exposé véritablement impressionnant de faits si remarquables et auxquels on ne réfléchit pas assez.

En dehors de cet intérêt, assez important par lui-même pour justifier ample-


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DE SCIENCE SOCIALE. 31

ment la méthode et l'exposé du Précis, le lecteur soucieux de la portée de la méthode d'observation appliquée aux faits sociaux, est amené à se demander si l'application d'une méthode analogue aux faits religieux est vraiment scientifique. Elle dépasse certainement l'emploi qui en avait été fait jusqu'ici, où l'on s'attachait à envisager l'objectivité des phénomènes observés, indépendamment de toute considération de valeur interne, comme une condition essentielle du caractère scientifique de l'observation. La religion envisagée comme fait social, c'est-à-dire comme facteur d'organisation sociale et comme sujet de répercussions de cette organisation, tel était l'angle sous lequel la Science sociale la faisait rentrer dans le champ de ses études, et tous ses adeptes ont présentes à l'esprit les pages admirables, soit de la Revue, soit de Lumière et Vie, dans lesquelles Henri de Tourville, avec son génie si lumineux, examine ces diverses répercussions. Ici, il s'agit, au delà et par le moyen des faits observés, d'atteindre le divin, c'est-à-dire de porter un jugement de valeur sur la nature de la cause des faits, de conclure que cette cause est d'ordre surnaturel et non naturel.

Eh bien! malgré toute l'autorité qui s'attache aux noms d'Henri de Tourville, de l'abbé Picard et du R. P. Dieux, malgré le respect et la vénération que nous professons pour leur pensée, nous ne pouvons taire la crainte que nous éprouvons ici pour une confusion possible entre la métaphysique et la science. De même qu'on a légitimement dénié à la première toute compétence dans l'étude objective des faits de l'ordre naturel, de même et inversement toutes les conclusions de la seconde ne tendent-elles pas à exclure de son domaine la constatation des causes premières, et tous les efforts, tant des chrétiens réfléchis que des savants dignes de ce nom, depuis une trentaine d'années et à la suite de discussions qui ont fait éclater le danger de la confusion des deux domaines, ne convergent-ils pas vers une séparation dans l'étude de deux ordres de connaissances ayant chacun

son objet propre et sa méthode propre, de telle sorte que toute théorie scientifique puisse être examinée et professée par le savant, quelles que soient ses conceptions religieuses et sans crainte des atteintes éventuelles de celles-là sur sa foi, et qu'inversement une théorie métaphysique ne puisse être une fin de non-recevoir ou la raison d'être d'une hypothèse dans l'étude des faits de l'ordre naturel ? N'estil pas aussi souhaitable, dans l'intérêt de la conservation de la foi, que conforme à l'objet et à la nature de la recherche scientifique, celle-ci soit contrainte de s'arrêter aux limites de l'ordre naturel — qu'au surplus elle n'atteindra jamais — sans avoir le droit de s'aventurer dans le surnaturel?

Le retour en arrière que constituerait l'objectif du Précis dans la voie de la séparation des deux ordres ne nous apparaît pas seulement comme fâcheux : qu'importe, s'il est justifié? Il ne nous paraît pas non plus emporter l'assentiment de l'esprit. La transcendance surnaturelle de la révélation et de son contenu peut être certaine aux yeux de notre foi sans avoir pour cela le caractère de loi scientifique. Elle aura même sans doute ce caractère de certitude beaucoup plus intense et profond que s'il s'agissait de loi scientifique, dont la nature relative et provisoire n'emporte jamais l'assentiment que sous réserve de vérifications ou de rectifications ultérieures. Que le croyant soit frappé de son évidence, il ne s'ensuit pas que celle-ci s'impose au non-croyant, pas plus que la conviction qui peut exister dans son esprit au sujet de ses relations d'ordre surnaturel, de miracle par exemple, ne peut être l'objet d'une démonstration scientifique. Le contrôle dont il s'agit dans le Précis nous apparaît d'un ordre assez comparable à la méthode employée par beaucoup de critiques en matière d'exégèse, qui décident de l'authenticité d'un texte par des motifs de convenance plus ou moins fondés et discutables, et d'une valeur scientifique des plus contestables.

Dira-t-on que l'assentiment de l'esprit est indépendant de l'existence de la vérité et de sa démonstration ? Dans la note


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BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE DE SCIENCE SOCIALE, (FASC. 1 0)

déjà citée de Lumière et Vie (page 2), Henri de Tourville entend par démonstration irréfutable « un résultat impersonnel, indépendant de la question d'acquiescement de la personne à qui s'adresse la preuve ». Mais qu'est-ce qu'une démonstration, pour si irréfutable qu'elle soit, qui n'atteint pas l'esprit ? A ce compte, toute vérité existant en soi et indépendamment de sa reconnaissance par l'esprit, peu importerait qu'elle soit reconnue ou non ni par quels procédés elle pourrait l'être, ce qui est la négation de toute méthode scientifique. Qu'on ne dise pas que l'acquiescement de l'esprit supposant la détermination de la volonté, qui est autonome et indépendante de la vérité de l'objet, c'est l'existence ou l'absence de cette condition qui commande l'adhésion de l'esprit, en dehors de la valeur de la démonstration. Mais cet acte de la volonté existe, au moins à titre de condition préalable et de postulat, à tout acquiescement de l'esprit, qu'il s'agisse d'une notion scientifique ou de toute autre nature. La question est, qu'en dehors des cas de répulsion à priori résultant d'une détermination préétablie du sujet, pour des motifs d'ordre moral ou d'ordre intellectuel n'ayant rien à voir avec l'emploi d'une méthode scientifique quelconque, la nature de la démonstration soit telle qu'elle emporte cet acquiescement de la volonté et, par suite, de l'intelligence, dans le domaine dont il s'agit ici comme en matière de faits sociaux ou naturels quelconques. Nous ne croyons vraiment pas que tel soit le cas. La démonstration dont il s'agit peut apparaître avec un caractère d'évidence lumineuse à l'esprit du croyant, et même à celui d'un incrédule se trouvant dans les dispositions particulières propres à déterminer en lui la foi, quelle que soit la valeur des arguments employés, sans frapper du même caractère de certitude tout esprit sincère et dégagé d'à priorisme : à ce dernier, elle apparaîtra comme un ensemble de concordances et de convenances impressionnant, comme une présomption de vraisemblance, non comme une vérité

scientifique. Et nous ne parlons pas ici des preuves ontologiques de l'existence de Dieu par la raison, la conscience et le sens religieux, qui font l'objet de la deuxième partie de l'ouvrage et qui, du moins sous leur forme purement logique, sont définitivement rejetées, croyons-nous, non seulement par tous les rationalistes, mais aussi par bien des chrétiens convaincus.

Nous espérons qu'on nous excusera d'insister sur ce grave sujet, malgré notre incompétence au regard des esprits supérieurs dont nous avons discuté la pensée. Dans un domaine qui, pour notre très modeste part, est un peu nôtre, au double titre de chrétien et d'élève de la Science sociale, nous voyons un danger très réel à présenter la démonstration des vérités religieuses avec un caractère qui ne saurait lui être reconnu par les esprits à qui elle s'adresse, ne fût-ce que celui de présenter certains aspects de ce rationalisme dans l'enseignement religieux qui, depuis bien des siècles déjà, a fait tant de ravages dans les âmes. Ces objections, d'ordre exclusivement spéculatif, n'enlèvent rien, au surplus, à l'intérêt puissant du Précis de la doctrine catholique, pas plus qu'au bien qu'il a déjà fait et à celui qu'il est appelé à faire, et nous en souhaitons la plus large diffusion.

G. OLPHE-GALLIARD.

LIVRES ET REVUES

Précis de philosophie fondamentale, par Henri de Tourville, avec introd. par Pierre Mesnard (Bloud et Gay, 1928).

Henri de Tourville d'après ses lettres, Introd. et Notes par le R. P. Marie-André Dieux (Bloud et Gay, 1928)

Les origines du Totémisme collectif, par P Descamps (Rev. Inst. sociol., oct. 1927).

La lutte entre la livre et le dollar, par G. Olphe-Galliard (L'Econ. Nouv., mars et mai 1928).

Le féminisme de Schéhérazade, par P. Descamps (L'Egyptienne, oct. 1927).

TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie. — MESNIL (EURE). — 1928.


ÉCOLE DES ROCHES

VERNEUIL-SUR-AVRE (Eure) Juillet 1928

Chaque livraison : 7 fr.


SOMMAIRE

I. L'ECOLE DANS SON ACTIVITÉ INTELLECTUELLE ET ARTIS TIQUE, p. 3.

L'éducation intellectuelle à l'École des Roches, par M. G. BERTIER. — L'enseignement des humanités dans la classe de seconde, par M. A. CHARLIER. — La classe de troisième : la liaison des programmes et le professeur principal, par M. A. MEYER. — Ma classe de quatrième, par M. .J. O. GRANDJOUAN. — Notre laboratoire d'histoire naturelle, par M. A. IMCHENETZKY. — La rédaction en sixième II, par Mlle F. DE COMMINGES. — La classe enfantine, par Mlle Y. BRAGUET. — Le mouvement intellectuel en dehors des classes, par M. M. MONTASSUT. —Les Arts à LÉcole, par M. M. MONTASSUT. — La Musique à l'École.

II. L'ANNÉE SPORTIVE, p. 09.

III. PERSONNEL DE L'ÉCOLE, LISTE DES ÉLÈVES, RÉSULTATS

DES EXAMENS ET DES CONCOURS, p. 74.

IV. AUTORITÉ ET ÉDUCATION, p. 93.

Extraits d'une étude de M. G. MONOD.


PREMIÈRE PARTIE

L'ÉCOLE DANS SON ACTIVITÉ INTELLECTUELLE ET SOCIALE

L'ÉDUCATION INTELLECTUELLE A L'ÉCOLE DES ROCHES.

L'an, dernier, notre Journal des Roches fut consacré surtout à l'éducation physique ; en 1929, nous étudierons les problèmes de l'éducation morale et religieuse; cette année, nous cherchons à montrer comment, au moyen des diverses disciplines, le Rocheux devient plus cultivé et plus intelligent.

I. — LE PROGRAMME DES ÉCOLES NOUVELLES

Mes lecteurs savent ce qu'est une école nouvelle et qu'il ne suffit pas, pour la caractériser, de dire : vie familiale à la campagne. L'école nouvelle (new school dans les pays anglosaxons, Landerziehungsheim dans les pays germaniques) a un programme d'éducation intégrale qui, sur tous les points, s'ingénie à se conformer à la science actuelle.

Lorsqu'il s'agit de la formation d'une intelligence d'enfant, elle cherche à établir les intérêts du jeune âge et y adapter ses programmes et ses méthodes. Le terme général d'école active indique la volonté de mettre l'enseignement en harmonie avec le besoin de mouvement et de vie expansive qui caractérise l'enfant, de maintenir sans cesse en éveil son attention et le


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pouvoir créateur de son imagination, de faire converger vers l'acquisition du savoir toutes les puissances de son jeune être : sens, raison, habileté manuelle. Le mot d'ordre est celui qu'a donné Dewey : c'est l'action qui mène à la science — learning by doing.

L'objet des études, ce ne sera plus les pâles images ni les froides abstractions des livres, mais bien les êtres vivants étudiés directement dans leur milieu réel : le vrai livre, c'est celui de la Nature.

Les sciences expérimentales, faites de sensations toutes chaudes et palpitantes de vie, sont donc au premier plan du programme.

Les mathématiques elles-mêmes partiront des faits et des figures concrètes pour aboutir aux applications pratiques qui sont d'ailleurs leur vraie raison d'être : c'est parce que les crues du Nil bouleversaient incessamment leurs champs que les Égyptiens ont été de grands géomètres et c'est la conduite de leurs troupeaux qui a incité les Chaldéens à l'étude minutieuse du Ciel.

Les observations recueillies dans les promenades, les dissections, le jardin de l'École,l'élevage, serviront d'exercices spontanés pour la langue maternelle. La grammaire s'enseignera par la pratique orale et écrite. De même, les langues étrangères seront des véhicules de vie : on les emploiera à traduire des sensations, des émotions, des souvenirs réels. Toutes les fois que ce sera possible, elles seront apprises dans le pays même, et leur enseignement, à l'École, sera confié à un professeur de ce pays qui donnera à l'enfant une impression de: spontanéité et de vérité.

Le latin, qui est une culture de luxe, sera, lui aussi, appris par la pratique et la méthode inductive. Il me souvient d'avoir vu, chez le D'Decroly à Bruxelles, de gentils petits hommes de 6° jouer au latin une heure par semaine et d'autres, en 5°, deux heures. Decroly m'affirma qu'ils étaient de même force que leurs camarades de l'Athénée. J'expose, je jugerai tout à l'heure. Dans une autre École nouvelle, nous avons vu cette année un


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jeune agrégé enseigner le latin en 4e par des jeux variés où un intelligent loto tenait la première place.

Pour la géographie, l'idéal serait de l'apprendre en faisant le tour du monde ; l'École de Bures transporte le monde dans l'École en construisant (c'est le terme exact) un immense planisphère en béton armé où l'on peut, en canotant, étudier les côtes et esquisser de grands voyages.

L'enseignement de l'histoire fera appel à tous les documents réels qu'il sera possible de recueillir : nous avons vu, chez Decroly, d'admirables cahiers d'histoire égyptienne où la vie sociale était présentée sous ses aspects les plus divers à l'aide de reproductions authentiques d'une richesse qui nous a vraiment émerveillés.

C'est la méthode d'observation qui règne en maîtresse souveraine dans cette éducation intellectuelle, et, dans ses formes les plus hautes, elle apparaît encore avec son rythme unique : observer, faire une hypothèse, expérimenter, induire. Même en mathématiques, c'est à l'induction qu'on fait appel beaucoup plus qu'à la déduction.

Les programmes officiels sont en flagrante contradiction avec ce plan idéal de travail des Écoles nouvelles : en aucun pays du monde, je n'ai vu de directeur d'école nouvelle qui ne se lamente à la pensée d'être obligé de subir le carcan des examens et de la préparation aux grandes écoles — en aucun pays du monde, sauf en France, et mon lecteur, à la fin de cette étude, comprendra, je l'espère, pourquoi.

Les jeunes hommes qui auront appris la science humaine en. ces joyeux ébats, n'iront guère vers les travaux de spéculation pure : ils passeront tout de go de la sensation à l'action; ils continueront, dans la vie, à n'apprendre qu'en agissant et pour agir.

L'École des Roches, qui veut être une école nouvelle, doitelle adopter tout ce programme?

Elle doit d'abord le saluer avec reconnaissance pour tout ce qu'il a apporté de jeunesse et de fraîcheur, de vérité et de vie, à notre enseignement. Ceux de mes lecteurs qui connaissent le


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scoutisme peuvent se rendre compte que, sur la plupart des points, il ferait siens l'objet, les méthodes et le but de cette formation de l'intelligence. Ce sont des moyens analogues que louvetiers et chefs emploient pour « ouvrir les yeux » de leurs petits loups ou de leurs Éclaireurs.

Ils reposent sur cette vérité psychologique que le nombre et la qualité des idées sont conditionnés par le nombre et la qualité des sensations : nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, disaient les psychologues d'hier — et c'est encore l'avis de ces philosophes up to date, de ces behavioristes américains (les philosophes du « comportement ») qui affirment que nous n'apprenons pas, que nous ne pensons pas seulement avec notre cerveau, mais avec notre corps tout entier. Mieux un enfant ou un homme saura observer le monde, plus riches seront les éléments sur lesquels s'exercera sa raison.

Mais ces méthodes concrètes d'enseignement ne sont vraiment adaptées qu'à un âge déterminé : souveraines au jardin d'enfants, indispensables encore jusqu'à l'âge de huit ans, très utiles même jusqu'à l'adolescence, elles sont incapables, à elles seules, de donner la culture intellectuelle complète à laquelle le jeune Français doit prétendre : c'est ce que je voudrais démontrer maintenant.

II LA CULTURE FRANÇAISE TRADITIONNELLE

Observer avec des yeux avides le monde extérieur est chose excellente, mais il est tout aussi nécessaire, même pour des tout petits, d'étudier l'admirable monde qui déroule en nous ses richesses et d'où dérive toute vie intellectuelle, morale et religieuse.

Je crois volontiers que les enfants des autres pays se passionnent moins que les nôtres pour les idées et les manient plus gauchement : chez nous, l'idée abstraite est le pain quotidien de l'enfant comme il l'est de l'homme; nous sommes faits ainsi et je pense qu'il y a là une très précieuse faculté qu'il faut


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savoir garder et développer — à condition, bien entendu, d'en contrôler l'exercice par la claire vue des réalités.

Au début du mois de juin, M. Bezard est venu inspecter en latin nos classes de 6e, 5e et 4e. Il avait demandé aux professeurs de 6e et de 5e de donner aux élèves une vue générale de la syntaxe. Oui, Messieurs, à des enfants de dix, onze et douze ans ! MM. Garrone et Meyer s'ingénièrent à voir ce programme qui me paraissait, à moi, franchement inaccessible, pendant le mois de mai et les tout premiers jours de juin. Eh bien! le résultat fut merveilleux. J'ai assisté avec surprise — et, mon Dieu, oui, je l'avoue, avec de l'admiration pour maîtres et enfants — à cet examen de deux heures où l'on vit ces petits bouts d'hommes jongler avec les propositions subordonnées et choisir avec finesse de nouveaux exemples de cause, de but, de conséquence, etc.. Veuillez croire qu'ils n'avaient pas l'air de s'ennuyer, bien au contraire : les mains se levaient nombreuses, quand l'élève interrogé ne trouvait pas assez vite son exemple et le sourire éclairait tous les visages.

Cet amour des idées existe dans le peuple comme dans la classe cultivée : dans son dernier livre de Belleville, notre ami Robert Garric dit l'enthousiasme des jeunes ouvriers qui l'entourent pour les grandes abstractions qui couvrent nos murs et qui parfois font sourire les sceptiques : justice, égalité, liberté, fraternité. Ceux qui ont pu suivre, en France, des luttes politiques savent que les gens du peuple se battent souvent pour des idées générales et non pas seulement pour des hommes ou des intérêts.

Il est donc vrai de dire que le Français, si jeune qu'il soit, a la tête abstraite et si nous savons les dangers possibles d'une telle prédisposition lorsqu'elle se dirige vers des idées creuses, nous savons aussi sa puissance, pour la science et la morale, lorsqu'elle va vers des idées pleines, génératrices de vérité et de vertu.

Voilà pourquoi nous n'accepterons que pour de jeunes enfants l'enseignement concret des sciences, tel qu'on nous le prônait tout à l'heure : aux plus grands, nous exposerons les lois, les


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grandes synthèses, les systèmes et les vues d'ensemble, les hypothèses qui font avancer la science et, même lorsqu'elles sont fausses ou incomplètes, provoquent les découvertes.

Comptons sur le réalisme d'après guerre de nos fils pour les mener, toutes les fois que ce sera nécessaire, aux vérifications expérimentales, aux applications pratiques, à la confrontation avec les faits.

Ne truquons pas les mathématiques en les ramenant à des sciences d'observation et d'induction : ne rejetons certes, ni leur point de départ réel et vivant, ni leur valeur finale pour la pratique, mais enseignons-les telles qu'elles sont, comme des sciences déductives dont le raisonnement syllogistique, tout à fait différent de la méthode d'observation, a sa beauté, sa perfection et sa réelle valeur pour la formation de l'intelligence.

De même, en géographie et en histoire, ne nous contentons pas de chercher des faits, si expressifs et intéressants qu'ils soient.

Le petits hommes de tout à l'heure, ceux qui jonglaient avec la syntaxe latine, s'intéresseront, je le sais par expérience, aux lois de la géographie physique, de la science sociale, de la géographie humaine, à la psychologie des peuples, aux larges synthèses historiques. C'est ici surtout que se formera l'esprit de finesse et le sens du relatif : un fait n'a ni la même signification ni les mêmes répercussions en Angleterre qu'en Allemagne ou en France et nous n'avons pas le droit de juger les événements de l'histoire avec notre logique d'aujourd'hui. Voilà une certitude plus précieuse pour un jeune homme que les plus merveilleux souvenirs de canotage sur des mers de béton armé.

Enseigner les langues vivantes par la pratique et pour la pratique a son incontestable intérêt, et que l'on négligeait trop autrefois mais cet enseignement ne devient un élément de culture que si la réflexion intervient, l'analyse de la langue et, par elle, l'étude de l'histoire d'un peuple et de l'évolution de sa pensée, la comparaison avec la morphologie et la syntaxe


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françaises ou avec des formes verbales de même origine et hnique que la langue étudiée, en un mot, qu'après un travail prolongé d'abstraction et de généralisation qui est admirablement fait pour intéresser et pour former de petits Français.

Aux Roches, le latin n'est pas un enseignement de luxe mais fait partie intégrante de la culture générale : par là encore, nous nous séparons nettement de l'ensemble des écoles nouvelles pour rejoindre la tradition française. Nous avons abandonné résolument et définitivement l'enseignement du latin par la méthode d'observation et la pure pratique et le jeu de loto nous apparaît comme un test exceptionnel et amusant mais non pas comme un moyen régulier et rapide d'enseignement. Si l'on veut tayloriser les méthodes — et c'est possible très souvent — que l'on étudie les résultats pratiques des jeux de latin, on sera vite édifié : surtout après l'expérience de la méthode Bezard, nous croyons à la possibilité d'enseigner le latin par l'étude logique de la structure de la langue, tout en gardant à la classe une allure vivante et pleine d'intérêt. A vrai dire, l'intérêt doit, ici comme partout, jaillir de l'objet même de l'étude et non pas d'amusements surajoutés et sans valeur éducative.

La comparaison permanente entre le latin et le français comme entre les diverses langues modernes est une initiation très féconde à l'étude de la psychologie. A vrai dire, si les professeurs de lettres et les professeurs de langues (je parle des premiers cours) tirent de leur enseignement toute la culture dont il est capable, un rhétoricien doit entrer en Philosophie avec des données très utiles et sur les termes psychologiques : sensations, images, sentiments, passions, etc., et sur maint problème de la science psychologique.

La classe de Philosophie, à laquelle nous attachons tant d'importance pour la formation de l'intelligence de nos élèves et de leur âme tout entière, peut et doit être préparée par une série d'initiations qui relèvent surtout du professeur principal de chaque classe. Quoi de plus propre à préparer à la logique formelle, qui paraît toujours un peu sèche et abstraite, que


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d'enseigner la grammaire non pas comme une gymnastique inintelligente mais comme l'expression logique de toute la vie intérieure? Les différentes propositions apparaissent alors comme l'expression verbale de jugements, chacune d'elles ayant une structure adéquate à une affirmation déterminée, et leur enchaînement dans la phrase exprimant l'ordre même des idées dans l'esprit.

De même, la logique appliquée apparaîtra comme une réalité vivante et non comme un ensemble de cadres d'une valeur discutable et d'un intérêt problématique si les professeurs de sciences, ne se contentant plus de la méthode d'observation, ni d'accumuler des faits, amènent les grands élèves à réfléchir sur la découverte et la signification des lois et leur expliquent, par des exemples bien choisis, la marche et la valeur de l'induction, de l'analogie, de la déduction.

Il n'est pas une partie du programme de Philosophie qui ne puisse et ne doive être préparée par les études antérieures. Bien des questions de morale et même de métaphysique apparaîtront au cours des explications françaises, grecques ou latines, voire même anglaises ou allemandes. Il n'y a pas à les écarter mais bien à en dire ce que l'élève peut alors en comprendre : jamais l'un d'entre nous ne doit laisser passer une occasion d'élever une intelligence et de former une conscience. Et en trouverons-nous jamais de plus belle que le commentaire d'une page de Bossuet ou de Pascal?

Dans le milieu des écoles nouvelles, on reproche assez volontiers aux Roches l'esprit chrétien qui en pénètre l'enseignement et la vie. Il semble que nous restions inféodés à la barbarie intellectuelle et à la morale désuète du Moyen Age. Ce n'est pas le lieu d'aborder ce problème. Je veux dire seulement aujourd'hui quel enrichissement intellectuel apporte aux Rocheux l'étude des problèmes religieux.

J'ai trouvé souvent l'élève des écoles nouvelles étrangères étroitement borné dans ses préoccupations, dans son idéal, dans toute sa vie spirituelle. Il n'applique les principes de causalité et de finalité qu'aux problèmes terre à terre de la vie


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quotidienne et de la science des phénomènes les plus simples tandis que le christianisme est, pour un Rocheux, la « grande paire d'ailes » (Taine) qui l'élève au-dessus des lois de détail et l'entraîne vers la Cause et la Fin suprêmes, le libérant d'un égoïsme mesquin et d'un lourd matérialisme. La philosophie chrétienne, que le petit élève de 7e commence à apprendre dans son catéchisme et que le tout petit du Jardin d'enfants vit déjà dans sa prière, n'est pas seulement le plus clair et le plus actif des enseignements moraux : elle est bien le ferment le plus fécond de la plus haute culture intellectuelle. Ne craignons pas de le dire — et surtout sachons en user.

Je résume cette étude déjà trop longue mais qui m'a paru nécessaire.

L'éducation de l'intelligence se compose, aux Roches, de deux parties, l'une, qui lui est commune avec les autres écoles nouvelles et qui utilise surtout la méthode d'observation; l'autre, qui rejoint la grande tradition française et chrétienne et fait appel à la réflexion et à la raison. La première a pour objet le monde sensible, la seconde le monde intelligible.

Les richesses incomparables de la seconde ne doivent pas faire oublier les acquisitions utiles et trop souvent négligées en France, de la première. Il importe seulement de les laisser à leur rang et de maintenir à l'intelligence et au spirituel leur primauté.

Le vrai Rocheux sera celui qui, après avoir observé le monde, voudra agir sur lui d'un effort énergique non pour en posséder une part en maître égoïste, mais pour y faire régner l'Esprit, l'Esprit de Vérité, de Justice et d'Amour.

Georges BERTIER.


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L'ENSEIGNEMENT DES, HUMANITÉS DANS LA CLASSE DE SECONDE

Ces simples réflexions n'ont nullement la prétention d'apprendre rien à qui que ce soit : elles ne feront sans doute que constater ce que tous les professeurs auront été à même de remarquer aussi bien que moi. Si les maux et les insuffisances que nous déplorons sont à peu près toujours les mêmes, les remèdes aussi ont été trouvés depuis longtemps. Mais il paraît qu'un arbre qui penche a bien du mal à être redressé.

Il est assurément triste de constater que, de tous les élèves qui passent par nos mains et s'en vont avec un diplôme de bachelier, il en est beaucoup qui ne seront pas ce qu'on appelle « des hommes cultivés » ; — je n'ose pas fixer une proportion. Aux Roches, malgré une rigoureuse sélection qui nous permet d'atteindre des résultats meilleurs dans leur ensemble que ceux de l'Université, il faut avouer que nos déceptions sont souvent bien grandes! Nous sommes victimes, je le sais, des conditions générales de la vie moderne : de multiples voix, plus autorisées que la mienne, ont dit les causes de cet état de choses. Je ne céderai pas non plus à la tentation facile de médire des programmes : je voudrais seulement essayer de montrer de quel côté doit porter notre effort si nous voulons sauver quelque chose de la vraie culture.

Quelqu'un rappelait avec force l'an dernier, dans le Journal de l'École, ce que c'est que la culture. Pour reprendre les mots de Montaigne, c'est avoir la tête « bien faite » plutôt que « bien pleine ». J'ajouterai que cela revient peut-être simplement à avoir acquis l'habitude des idées. Or, c'est là, précisément le point essentiel d'une bonne formation intellectuelle. Jusqu'à la classe de seconde, l'élève n'a jamais eu à quitter le monde concret; c'est dans ce monde concret qu'on l'a habitué à exercer ses facultés d'observation et de réflexion. En seconde, l'élève va devoir s'accoutumer à l'abstraction, au jeu des idées. L'expli-


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cation des textes restera toujours le principal exercice de la classe de français ; mais il lui faudra maintenant saisir toute l'oeuvre d'un auteur dans son ensemble, discerner, au long des siècles, les grands mouvements d'idées. Naturellement, ce passage à l'abstraction ne doit pas être un saut brusque : il doit se faire sans que l'élève s'en aperçoive, — de même qu'il devrait passer, après une bonne rhétorique, dans le monde de la philosophie ou des idées pures sans nulle difficulté, la formation littéraire étant le prélude normal et nécessaire de la formation philosophique. Or, il faut bien dire que la majorité des élèves entrant en seconde semblent y découvrir des terres insoupçonnées; ils ne savent pas développer l'idée la plus simple; la recherche des idées est pour eux une difficulté insurmontable. Sans doute, les mieux doués plieront leur esprit à cette nouvelle discipline. Mais pour beaucoup, hélas! tout consistera à « apprendre » la littérature, c'est-à-dire à résumer un manuel, faire des listes de dates, se loger dans la cervelle des plans d'ouvrages dont ils n'ont pas lu la première ligne ! N'oublions pas l'importance que prennent, en seconde et en première, les matières scientifiques. Pour qu'un élève trouve le temps de lire à l'école, il lui faut, pour la lecture, un attrait particulier que, je l'avoue, il est rare de rencontrer. De même plus tard, ils « apprendront » la philosophie, c'est-à-dire ils essayeront de se rappeler combien exactement les philosophes ont échafaudé de théories sur ceci ou sur cela. Et n'ont-ils pas raison puisque, malgré cet inepte gavage, ils sont reçus bacheliers?

Si l'abstraction offre aux élèves tant de difficultés, c'est qu'ils y sont mal préparés ; et, môme aux Roches, nous sommes victimes du mal général, parce qu'une grande partie de nos élèves ont commencé leurs études ailleurs. Ils se révèlent à l'entrée de la seconde, et même souvent, à la veille de l'examen, incapables d'analyser le moindre texte français. Cela provient de ce que l'explication des textes, qui est l'exercice essentiel de la classe de français, le plus difficile et aussi le plus profitable, a été souvent trop superficielle. La plupart du temps, on se contente de lire en classe, le professeur demande le sens de certains mots difficiles.


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Lorsqu'on « explique », on résume vaguement le passage qui a été lu, et c'est à peu près tout. Aussi les élèves se figurent, après plusieurs années de ce régime, qu' « expliquer », c'est « résumer ». Lorsque j'étais au lycée, on m'a donné bien souvent à « analyser » une pièce entière, acte par acte, de Corneille, Racine et Molière : « Hermione dit que... Or este répond que... ». Je ne connais pas d'exercice plus nuisible et plus propre à vous dégoûter à tout jamais du théâtre classique. En réalité, je crois bien que toute la formation intellectuelle de l'enfant dépend de la manière dont on a arrêté son esprit sur les textes expliqués. L'explication française est très difficile, non seulement pour l'élève, mais pour le professeur. Même à la Sorbonne, j'ai entendu de bien tristes explications, faites par des professeurs renommés. Car il ne s'agit pas seulement d'énoncer des règles de grammaire ou de chercher le sens d'un mot. Il n'est même pas suffisant d'analyser les idées, tâche souvent délicate et subtile. Il faut encore, et c'est peut-être le point capital, faire sentir à l'élève ce qu'est la forme propre à tel écrivain et à telle oeuvre. Car une belle oeuvre n'est pas toujours remarquable par la qualité des idées, qui peut être commune, mais elle l'est toujours par celle de la forme, qui est unique. Ainsi la véritable explication ne consiste pas à donner une sorte de pâle équivalent du texte, à en tirer une formule plus accessible, mais à saisir la pensée de fauteur dans sa forme même. N'est-ce pas la seule manière d'apprendre soi-même à penser?

Si les élèves avaient été habitués de bonne heure à l'explications des textes, ils ne seraient pas aussi désemparés qu'ils le sont, en entrant en seconde, devant trois lignes de français. Et il va falloir que ces élèves arrivent rapidement à bâtir une dissertation qui se tienne! On voit qu'il y a là un problème difficile à résoudre; aussi comprend-on que tant de candidats bacheliers arrivent à l'examen sans savoir ce que c'est qu'une dissertation, car les élèves médiocres sont incapables de refaire en quelques mois ce qui aurait dû être fait les années précédentes. A mon avis, la seule chance d'obtenir un résultat est, ici encore, de partir de l'analyse des textes. Je ne crois pas beaucoup à la


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vertu de ces sujets mi-narratifs, mi-littéraires, où l'élève, à propos d'une oeuvre, d'un écrivain, ou d'un fait historique, doit composer une narration dont on lui donne le canevas. De même ces lettres, de La Fontaine à Patru, ou de Voltaire à Mlle Corneille, ou de Vercingétorix à Ramsès II. Il y a là un nouveau genre littéraire inventé par les professeurs, obéissant à des règles inflexibles, et qui est tout ce qu'il y a de plus artificiel (je crois bien que cette nouveauté date des Romains qui excellaient dans ce genre de rhétorique). Gardons-nous avant tout de l'artificiel, qui rebute l'élève. Mettons-le plutôt en contact avec une grande pensée : voilà du réel. L'explication de Montaigne, au début de la seconde, soumet son esprit à une discipline vigoureuse et délicate en même temps. Les premiers devoirs que je donne sont généralement des analyses littéraires qui, portant d'abord sur des textes concrets, passent progressivement à un degré d'abstraction plus élevé. Quant aux dissertations proprement dites, je dicte toujours un plan, en corrigeant les devoirs, car il n'est guère possible de donner pour la dissertation que des principes très généraux : chaque sujet exige un ordre particulier. Ainsi, il faut viser à une discipline rigoureuse de l'intelligence, et le résultat me paraît dépendre avant tout de la manière dont se pratique l'explication des textes. C'est un fait qu'entre quatorze et seize ans — l'âge ingrat — les enfants ont à peu près perdu leur imagination ; j'en excepte naturellement ceux, assez rares, qui sont particulièrement doués de ce côté. Il faut, sans retard, remplacer le charme éphémère du jeune âge par une richesse plus solide.

Être une pensée qui perçoit son mouvement propre, qui prend conscience avec joie de ce secret ressort qui la fait avancer vers le vrai; nul doute que le latin ne nous aide puissamment à acquérir cette maîtrise de nos pensées. Il fait pénétrer l'enfant dans les rouages de cette mécanique délicate ; il lui enseigne peu à peu cette logique, qui n'est pas le tout de la pensée, mais qui en est tout de même l'indispensable soutien. La base de la culture latine, c'est naturellement la grammaire. Quand donc la grammaire sera-t-elle apprise et définitivement sue dans les


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classes dites « de grammaire »? Les élèves perdent presque tout le profit et l'intérêt qu'ils pourraient tirer de leurs études latines parce qu'on ne fait pas à temps ce qu'il faut faire. On ne devrait plus avoir besoin, en seconde, de revenir sur des questions grammaticales élémentaires, mais se borner à signaler les exceptions dans les auteurs difficiles. On pourrait alors faire des auteurs latins une explication littéraire : tandis que nous passons notre temps à demander le mode voulu par telle conjonction ou la raison d'un subjonctif. Et alors les beautés littéraires s'évanouissent. C'est l'ennui, et pour le professeur et pour les élèves. Car il faut bien confesser la vérité : nous ennuyons les élèves avec le latin. Pourquoi ? Ce n'est pas toujours notre faute. Les élèves de première ignorent des notions élémentaires de grammaire, non spécialement latine, niais générale : la différence entre un mode et un temps, entre une préposition et une conjonction. Alors le latin nous fournit l'occasion de com bler ces graves lacunes.

La littérature latine, il est vrai, est esthétiquement beaucoup moins intéressante que la grecque. On a peine à comprendre comment un aussi plat poète qu'Ovide a pu en imposer à ce point à la postérité. Le grand Cicéron lui-même est souvent plein d'une rhétorique creuse et redondante : Montaigne et' Pascal avaient bien raison de signaler ses « fausses beautés ». Les Latins n'ont été ni de grands artistes ni de grands penseurs. Mais tout de même, si nous pouvions au moins, en seconde, expliquer littérairement les textes latins, nos élèves bailleraient certainement moins : ils devraient savoir saisir d'un coup d'oeil la construction d'une phrase ordinaire. Lorsque j'étais élève de première, j'ai profondément dormi sur Tite-Live : ces récits de combats qui recommencent toujours à peu près lès mêmes deviennent, à la fin, fastidieux. Mais nous pourrions expliquer autre chose que Trasimène et Cannes et, sans être un très grand artiste, Tite-Live n'en possède pas moins un don de peintre très réel : je ne me rappelle pourtant pas qu'aucun de mes professeurs m'ait jamais fait sentir l'art de Tite-Live. J'ai également dormi sur le VIe chant de l'Enéide — qu'on veuille


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bien excuser ces confessions dont je ne tire aucune gloire. Il y a bien des longueurs dans Virgile, mais il lui suffit d'un mot pour vous consoler d'une armée d'hexamètres arides et vous révéler d'un seul coup son génie. Seulement, pourquoi nous faire toujours admirer ces fameuses images virgiliennes, Camille comparée au faucon ou Pyrrhus au serpent? Si bien venues soient-elles, elles sont apprêtées, elles veulent l'aire de l'effet. Au lieu qu'il y a souvent dans Virgile une intense poésie, qui va d'autant plus loin qu'elle est plus simple. Chose étonnante, de distingués commentateurs — c'est une gent terrible ! — se sont acharnés à la détruire. Dans un admirable passage du livre IV de l'Enéide, Virgile nous peint le désespoir de Didon : c'est la nuit; les forêts et les eaux sont calmes, la campagne se tait, les oiseaux au bord des lacs ou dans les plaines sont silencieux.

At non infelix animi Phoenissa, neque aquatn Solvitur in somnos oculisve aut pectore noctem Accipit.

Mais, dit le poète, « la Phénicienne n'accueille point la nuit dans ses yeux ni dans son coeur ». Au mot noctem les éditions classiques portent à peu près toutes la même note : « Traduisez comme s'il y avait somnum. » Et ainsi toute la poésie s'en va, car noctem est bien plus que somnum! Ce seul mot contient tous les êtres que le poète vient d'évoquer, dont le silence même parle au coeur de l'homme et y fait descendre la paix, cette paix que Didon ne peut accueillir! Veut-on un autre exemple? Au livre VI, lorsque Enée descend aux Enfers en compagnie de la Sibylle, Virgile s'exprime ainsi :

Ibant obscuri sola sub nocte per umbram.

Naturellement des notes obligeantes conseillent : « Traduisez obscur a soli.» Sans doute, ce sont les voyageurs qui sont seuls et la nuit qui est obscure! Mais la poésie n'est pas toujours la logique et ici encore vous détruisez la poésie! Dira-t-on que les affaires d'épithètes n'ont aucune importance et que les élèves n'y entendent goutte? Je répondrai qu'elles ont de l'importance si elles comptent, comme j'en suis persuadé, parmi les plus

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grandes beautés poétiques, et qu'on ne doit pas les gâcher; d'autre part, que les élèves sentent et comprennent si on leur explique : mais pour avoir le temps de le faire, il faudrait être débarrassé de la grammaire! Cela me rappelle ce que conte quelque part. Valéry. Il se trouvait un jour dans la compagnie de Mallarmé et de Huysmans; ceux-ci déchiffraient ensemble un manuscrit inédit de Villiers de l'Isle Adam qui venait de mourir et les deux écrivains s'extasiaient sur cette expression : « la clarté déserte de la lune ». Et Valéry ajoute à peu près ceci : « Combien y a-t-il encore de gens capables de se réjouir d'une épithète? » La clarté déserte de la lune— Sola sub nocte. Ce rapprochement par dessus les siècles m'éclaire sur la poésie de Virgile plus que toutes les éditions critiques.

Abstraire d'un vers la qualité d'une épithète! Voilà sans doute qui est du raffinement. Cela nous parait extraordinaire parce que la vraie culture n'est plus guère qu'un nom. Mais si nous voulons en restaurer quelque chose, ne fût-ce qu'une ombre, nous ne devons pas craindre de viser très haut. Chaque élève prend la nourriture qu'il est capable de prendre : il faut, en tous cas, que cette nourriture soit substantielle. Dans une classe où les élèves ont déjà des programmes très chargés et n'ont qu'un temps relativement restreint à consacrer aux lettres, il faudrait qu'ils fussent en possession de tous les moyens qui leur sont nécessaires pour tirer des grandes oeuvres « la substantifique moelle ». Il faudrait qu'à l'entrée de la seconde, leur esprit fût déjà entraîné à l'abstraction par l'analyse des textes. Je n'ignore pas d'ailleurs toutes les difficultés d'ordre divers qui viennent paralyser l'action d'un professeur. Cette question de la « culture » soulève une foule de problèmes. Mais je crois que nous devons la regarder en face si nous prétendons essayer de former des esprits cultivés.

André CHARLIER


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LA CLASSE DE TROISIÈME (La liaison des programmes et le professeur principal).

Quand j'eus le grand honneur d'être introduit comme professeur à l'École des Roches, je croyais aux spécialités; je croyais avec simplicité, formé que j'étais par la vieille Université française, que l'homme le plus qualifié pour enseigner l'histoire était celui qui avait passé une plus grande part de sa jeunesse dans la familiarité des archives poudreuses ; je croyais qu'au plus brillant littérateur, on devait confier les classes de littérature française et de rédaction; et que le meilleur professeur de latin était un spécialiste de la langue de Cicéron et de Virgile.

Et je m'étonnai d'abord du système que me proposait M. Bertier, système dont les résultats pourtant prouvaient la valeur : au point qu'on en parle, maintenant, dans les sphères officielles et que ce sont principalement des difficultés pratiques qui en empêchent la réalisation dans les lycées de l'Etat. Je me hâte d'avouer que je fus vite conquis moi-même; et je restai depuis partisan déterminé du « professeur principal ». Je n'en parlerai cependant qu'au point de vue de l'enseignement littéraire, puisque c'est là-dessus que porte mon expérience personnelle.

Ce système consiste, aux Roches, à confier au même maître l'enseignement de toutes les branches littéraires pour les mêmes élèves : le français, le latin, l'histoire et la géographie. On lui confierait aussi le grec, mais trop peu de nos élèves apprennent actuellement cette langue. Le maître peut ainsi, et doit coordonner les programmes de ces différentes branches. Exceptionnellement, un de mes collègues aux aptitudes remarquablement variées et brillantes a pu joindre aux branches citées plus haut toutes les matières scientifiques; il donnait ainsi à une petite bande d'élèves privilégiés, âgés de douze ans, une éducation complète. C'était l'idéal : nos capacités moins


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étendues ne nous ont pas permis de rééditer ce chef-d'oeuvre. Mais, depuis dix ans, voici à peu près ce que nous avons pu faire dans cet ordre d'idées.

Nos élèves de troisième ont étudié en quatrième la géographie, l'histoire et la littérature de la Grèce, et commencé, en classe de latin, l'histoire Romaine : nous continuons cette dernière pendant tout le premier trimestre, et c'est le centre d'intérêt autour duquel se groupent en quelque sorte les autres études. C'est le moment privilégié de jeter un coup d'oeil systématique sur la littérature latine, d'en avoir une vue d'ensemble, quoique superficielle (il ne faut pas trop exiger). On en étudie des échantillons au moment d'aborder, en classe de latin, l'explication d'un auteur nouveau. (En troisième, après César, on étudie Cicéron à propos des Catilinaires, Ovide dans les Métamorphoses, et Salluste avec des extraits de Catilina et de Jugurtha). C'est le moment de grouper ces notions éparses, à la lumière de l'histoire, qui fait comprendre le sens des dates et l'évolution des genres. Elle est donc incorporée par fragments, encore cette année, en prenant occasion des versions latines données en devoirs. Mais elle s'insère aussi, à sa place chronologique, dans certains chapitres d'histoire : la conquête de la Grèce, précisément très importante et se rattachant au cours de l'année précédente; la conquête des Gaules (avec l'explication des « Commentaires » de César), le siècle d'Auguste, voire même la prédication des Pères de l'Église... en maint endroit, l'histoire littéraire subit les répercussions de l'histoire proprement dite. Il faut les marquer par l'ordre même des leçons entrelacées. Comme géographie, nous étudions d'abord l'Italie moderne, comparée bien entendu avec la carte de l'Italie ancienne ; puis, de proche en proche, et au fur et à mesure, les régions que les légions consulaires et impériales conquièrent ou entament : les Balkans, l'Espagne, la Suisse, la Grande-Bretagne; puis la Germanie et la Scythie (ou Russie). Le reste de l'Europe suit à son tour, pendant que s'avance l'histoire du Moyen Age qui termine l'année ; car, partout et toujours, l'étude de la géographie d'un pays doit précéder l'histoire de la nation qui l'habite et dont les


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moeurs et les tendances sont modifiées par l'habitat et le genre de vie. Les exigences des examens officiels ne permettent pas toujours un parfait parallélisme. D'autre part, le programme de géographie moderne, que nos élèves doivent parcourir, ne peut pas se lier aussi étroitement au programme d'histoire moderne. Il suffit, car notre théorie doit, pour être pratique, montrer quelque souplesse, il suffit que le professeur pense toujours à exposer la situation et les caractères du lieu 1 qu'habita un peuple avant de. décrire les moyens d'existence de ce peuple ; à décrire ceux-ci avant de parler de son mode d'existence et des phases de son développement. Cet ordre logique que nous enseigne la Science sociale, est trop scientifique et trop pédagogique pour qu'un professeur moderne puisse se permettre de s'en priver.

Les classes de français de ce trimestre seront résolument orientées du même côté. Sans qu'on ait besoin de forcer la note, nous choisirons comme textes à lire et à commenter les oeuvres , qui touchent à l'histoire romaine : parmi les chefs-d'oeuvre de Corneille, « Horace » évoquera la Rome des rois belliqueux de la période légendaire; « Cinna, ou la Clémence d'Auguste » éclairera la leçon sur la transformation de la République en Empire. Et nous laisserons « le Cid » pour plus tard. De Racine, on peut expliquer « Britannicus », illustration de la période sombre et cruelle de Néron, de préférence à Andromaque et aux autres pièces. On pourra lire, dans Molière, « l'Avare », et le comparer à l'Aulularia de Plaute dont notre grand comique s'est inspiré et dont on lira des extraits dans le texte latin.

Les récitations à apprendre par coeur seront tirées de ces auteurs ou de pages de tel écrivain évoquant la période en question.

Les sujets de devoirs écrits seront aussi, souvent, des narra.

narra. physique : sol et eaux; reliefs et contours; superficie.

Géologie : sous-sol.

Météorologie : saisons, accidents atmosphériques.

Botanique : productions végétales, steppes, forêts, etc

Zoologie : productions animales

de la terre, des eaux.


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tions orientées de ce côté. (Non pas toujours; encore une fois, notre système n'est pas rigide et intransigeant, c'est une tendance, une combinaison qu'il faut rendre aussi adroite que possible.)

Voici, à titre d'exemple, quelques sujets de ce genre.

1° Après avoir traduit Tite-Live et lu Corneille, faire un récit vivant du Combat des Horaces et des Curiaces : décrire les armées en présence (cf. les gravures du livre d'histoire); analyser leurs sentiments : angoisses, espoir. Les champions : leurs attitudes, leurs armes. Acclamations. A chaque phase du combat, peindre les cris, les gestes, les émotions des spectateurs.

2° Le Siège de Carthage, par Scipion Emilien.

3° Virgile lit les « Géorgiques » à Auguste. Choisissez l'épisode qui vous plaira en soulignant l'attitude des personnages : timidité du poète, admiration et douce émotion des auditeurs. A la fin, Auguste remercie le poète, loue sa sensibilité, son amour de la nature, son patriotisme.

4° Lettre d'Horace à Virgile pour lui dire sa joie d'avoir lu le quatrième chant des Géorgiques. Il loue le sujet (allusions aux principaux passages). En remerciement, il n'ose envoyer des vers de son cru, mais du miel, moins bon sans doute que celui d'Aristée.

5° Philémon et Baucis. D'après l'explication faite dans Ovide, raconter cette gracieuse légende. Portrait des dieux voyageurs; description du village peu hospitalier. L'accueil cordial des deux ions vieux. Le miracle. Le châtiment des villageois. Le voeu des époux et leur métamorphose en arbres devant le temple qu'ils ne quitteront plus. Concluez par de courtes réflexions.

Bien entendu, tout cet effort combiné s'appuie également sur le choix des versions latines : on peut extraire de Virgile, de Sénèque, de Tite-Live, sources d'inspiration des classiques précités, les pages d'où sont tirés les sujets des pièces lues. Rien de plus facile, et il n'y a là aucun inconvénient pour les progrès propres au latin. Je dirai même que cette gerbe constitue la meilleure introduction à la véritable étude du latin.


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Et je note pour mémoire qu'on peut demander au professeur d'anglais de faire traduire à ce moment-là le Jules César de Shakespeare.

Au second trimestre, on passe, par la Gaule Romaine, à Clovis et Charlemagne. (On doit arriver au bout de l'année à la Renaissance.) Là encore, toujours la géographie est apprise, ou rappelée, comme préface à l'histoire. Et l'occasion vient vite d'étudier les origines de la langue romane, et comment le latin se décomposa pour donner, par évolution, le français. Et, de suite, on s'initie, en classe de français, aux plus vieux textes de notre littérature balbutiante. On s'attarde, en apprenant l'histoire du IXe siècle, à comparer histoire et légende, et l'on étudie la chanson de Roland, les chansons de geste, les chefsd'oeuvre du Moyen Age, qui font toujours vibrer l'âme chevaleresque de nos adolescents. On cherche à démêler l'influence des invasions arabes sur la poésie des troubadours du XIIe siècle ; de la conquête de l'Angleterre par Guillaume, duc de Normandie, sur notre poésie épique (légendes celtiques du roi Arthur et des chevaliers de la Table-Ronde) ; des croisades, qui mirent notre élite sociale en rapports, pour la première fois, avec les élites européennes, leurs compagnons d'armes, et surtout avec la civilisation byzantine, si éclatante alors, et leur révélèrent une antiquité si naïvement défigurée, etc.

Enfin, quand on étudie l'histoire de la guerre de Cent Ans, on se reporte aux textes des vieux chroniqueurs (Froissart); pour saint Louis, on lit des extraits des mémoires de son ami Joinville; on comprend Louis XI en lisant dans son historiographe Commines, quelques pages caractéristiques. Et comme il faut aussi faire quelques explications françaises d'auteurs modernes, on n'a pas de peine à trouver dans Chateaubriand (Les Martyrs), Flaubert (Salammbô), Banville (Gringoire), Bouchor (Roland), Sienkiewicz (Quo Vadis), Anatole France (Le Jongleur de NotreDame), Victor Hugo (Aymerillot), G. Paris (Récits épiques), etc., des passages illustrant la période étudiée.

De même, le professeur d'allemand pourra faire lire dans le texte la « Jeanne d'Arc » de Schiller, au moment qui coïncide


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avec le cours d'histoire. Et je note comme sujets de devoirs écrits, pour cette période de l'année, trois exemples :

1° Un tournoi. Le décrire à l'aide de votre livre d'histoire (pour les armes, les costumes, les moeurs) et aussi de votre imagination, ou de ce que vous avez pu observer en réalité (piste, tribunes, foule, fanfare, galop de chevaux, luttes).

Plan : A. Les préparatifs : jongleurs, acrobates, rôtisseries en plein air; les rues pavoisées; les spectateurs accourus de partout.

fi. La lice : l'estrade et les seigneurs ; le peuple sur des charrettes, dans les arbres. Les ménestrels.

C. Le tournoi. Les champions arrivent. Les arbitres les examinent. Les paris s'engagent. Le choc. Angoisses et sentiments des uns et des autres.

D. Le couronnement du vainqueur par la « Reine du tournoi ». Acclamations. Festins et jeux. Parfois départ pour la croisade.

2° Roland part pour l'Espagne.

A. L'armée de Charlemagne, à Aix-la-Chapelle.

R. Roland est armé de pied en cap. Ses adieux à la belle Aude.

C. L'armée se met en marche pour la lointaine Espagne.

3° Visite d'un jongleur dans un château, etc.

Contre cette liaison de l'enseignement historique et de l'enseignement littéraire, on ne saurait trou ver aucune objection sérieuse. Eh fait, tout professeur aimant son métier fera d'instinct, même s'il était très spécialisé dans sa partie, des allusions à l'autre matière, chaque fois qu'il en aura l'occasion. Et quelles facilités n'aura pas le professeur principal, chargé de toutes les branches littéraires d'une classe donnée, pour appliquer cette méthode de concordance. Disposant d'un nombre total d'heures déterminé, il en organisera librement l'emploi. Il réservera quelques heures à l'étude spéciale du français (et encore avec une certaine élasticité qui lui sera souvent bien précieuse). Quant au reste de son temps, il le distribuera selon l'acquis antérieur des élèves et les nécessités du moment : tan-


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tôt on poussera la géographie, forte base, racine des sociétés humaines, puis ce sera l'histoire; la littérature venant en dernier lieu, comme la fleur née d'une plante. Les limites de temps ne seront pas rigides. Et il suffira d'un peu de bon sens au professeur principal pour équilibrer harmonieusement les efforts de ses élèves et pour éviter que l'étude d'une matière ne se fasse au détriment d'une autre.

Peut-être n'est-il pas inutile de faire remarquer que notre méthode se base sur le principe psychologique de l'association des idées. La grande découverte des pédagogues modernes est qu'il importe de faire saisir à l'enfant la liaison entre les sciences diverses auxquelles on initie son jeune esprit : les centres d'intérêt doivent faciliter l'emmagasinement des connaissances, comme il a été maintes fois prouvé dans les travaux faits sur les jardins d'enfants et classes pour tout-petits. Les applications de ce fameux principe deviennent de plus en plus difficiles à mesure que la culture doit s'approfondir (donc se spécialiser) avec des étudiants plus âgés. Nous n'y pouvons arriver aux Roches que grâce à la concordance des programmes, et nous y sommes puissamment aidés par l'institution du professeur principal.

La supériorité de ce dernier sur le savant spécialiste pour la formation intellectuelle de nos élèves nous a été prouvée par l'expérience. Évidemment, et c'est par là qu'il faut conclure, n'importe qui ne peut pas enseigner n'importe quoi. Il faut au pédagogue un minimum déjà assez élevé de connaissances, et aussi le désir d'enrichir, année après année, ce premier stock pour devenir de plus en plus compétent dans les branches auxquelles il a mission d'initier ses élèves. Mais ce minimum de science est loin de suffire, et serait-elle un maximum extraordinaire, elle ne serait rien sans un je ne sais quoi qui constitue le talent naturel d'enseigner, et, pour tout dire, la vocation. Nous avons connu de très grands savants, des agrégés et des


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docteurs, des écrivains ayant publié d'excellents travaux cotés très haut par leurs lecteurs les plus qualifiés, et qui se révélaient à l'usage de très médiocres « enseigneurs ». Il faut au pédagogue, pour réussir dans sa tâche, la plus belle et la plus importante au monde, quand l'esprit l'anime, il faut l'amour du métier lui-même, stimulé par un grain d'enthousiasme pour ce qu'il enseigne; il lui faut la clarté d'esprit, le goût d'expliquer, d'intéresser, la curiosité sans cesse en éveil, et aussi, essentiellement, un certain don psychologique, la compréhension intuitive, et qui ne s'apprend guère, de la mentalité des enfants.

Notre professeur principal, qui retrouve tous les jours ses élèves, les connaît davantage, les comprend plus aisément et plus vite; de plus, il juge plus équitablement de leurs aptitudes puisqu'il les voit aux prises successivement avec les problèmes et difficultés diverses inhérentes à chaque matière. Pour peu qu'il ait les talents naturels analysés plus haut, pour peu qu'il ait reçu le minimum de préparation technique suffisant, on peut lui confier, hardiment une classe et l'exhorter à marcher en avant, avec les forces qu'il a; ses élèves en profiteront.

A. MEYER.

P. S. — Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la concordance des programmes d'histoire et d'histoire littéraire avec l'âge de l'écolier. Je veux dire que les élèves de ma classe ont quatorze ou quinze ans au moment où ils étudient le Moyen Age. C'est l'âge en effet qui correspond psychologiquement, en général, aux caractéristiques de cette période. Période bouillonnante où tout est remis en question, où l'âge moderne (et adulte) s'élabore. Tous les problèmes, intellectuels et vitaux, se posent. Il y a des hauts et des bas avant d'arriver à la période plus stable et plus calme de la « Renaissance » du XVIe siècle et du XVIIe siècle classique (qu'on étudiera à seize ans). Il est bon de se plonger alors de toute son âme sur les siècles constructeurs des cathédrales et créateurs de la scolastique, à l'âge où les dispositions de l'âme coïncident avec les tendances moyenâgeuses.


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MA CLASSE DE QUATRIÈME UN COMPROMIS

M. Bertier, en m'appelant si aimablement aux Roches pour une année d'enseignement, m'a annoncé que j'aurais une classe de quatrième pour le français, le latin, l'histoire et la géographie. D'accord avec le Directeur des Études, il me donnait carte blanche pour la conduite de ma classe, à condition que je reste dans les limites exactes du programme, et que mes élèves subissent sans insuccès marquant les interrogations périodiques.

Il n'est pas juste de dire que cette classe est une classe d'essai. Nous ne nous serions pas permis de faire des expériences sur les élèves des Roches. Nous avons simplement essayé de voir si un peu d'assouplissement, d'élargissement , n'était pas possible dans le travail scolaire.

Ce n'est pas la première année que l'on peut répondre, surtout quand on écrit avant, que l'année scolaire soit même terminée.

On peut faire le point cependant.

POUR ET CONTRE

J'avais, pour moi, la bienveillance libérale qui me laissait les mains libres, une dizaine d'années de pratique en éducation scoute, des ambitions téméraires (je ne les ai pas perdues) et les possibilités des garçons eux-mêmes.

Contre moi, le fait que nul de ces garçons n'avait déjà subi l'influence des Roches et de leur discipline. Tous venus d'établissements de Paris, inégaux, mais également routiniers. Des nouveaux sont arrivés pendant tout le cours de l'année; de longues absences ont tenu certains écartés de la vie de la classe.


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LES DEUX INCONCILIABLES

Il me fallait trouver un compromis entre les nécessités du programme (enseignement à peu près uniforme, régulier, limité), et ce qui était mon idéal.

Cet idéal? L'enseignement différent pour chacun, sans discipline imposée (discipline intellectuelle ou discipline matérielle), l'enseignement sans livres ni cahiers, social, actif, naturel, joyeux, fécond parce que spontané.

Une utopie...

Comme il était impossible d'employer vraiment la méthode active dans son fond (enseignement « sur mesure », fondé sur l'intérêt et l'effort volontaire de chaque individu) et dans sa forme (jeux, travaux par équipe, travaux manuels, improvisation, etc.), j'ai résolu d'adopter de la forme tout ce qui serait possible sans déroger au programme, et de n'agir en profondeur que si l'occasion s'en présentait.

Donc, un « plaquage » de méthodes' actives sur un programme très classique.

LES BUTS FIXÉS

Voici une série de buts que j'aurais voulu atteindre, et voici pourquoi. (Nous verrons ensuite s'il a fallu s'arrêter en route.)

Discipline. — Pas de discipline imposée. Ni par les punitions, — ni par la crainte de voir le professeur furieux, — ni par le désir de lui faire plaisir, — ni parle prestige du professeur, actif constamment devant une classe de spectateurs. Discipline venue de l'intérieur, et discipline sociale de la communauté.

Joie..— Le plus de jeux possibles. Jeux éducatifs, mais ayant toujours un caractère de récréation et un caractère de compétition.

Hygiène. — Du mouvement dans la classe. Peu écrire. Se détendre par le bruit ou le silence.

Sens du beau. — Travaux artistiques mêlés à la vie de la classe. Écriture. Orthographe.


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Esprit d'équipe. — Tout le travail possible par équipes, équipes au chef élu.

Imagination. — Ne pas la réfréner, l'encourager, l'éduquer.

Élocution. — Parler plus qu'écrire. Histoire, théâtre, poésies.

Sens des réalités. — Voir des choses, ne pas savoir de seconde main. Faible usage des manuels.

Bon sens. — Discussions ouvertes.

Travail actif. — Le professeur surveille, mais ne dicte pas (dicter pris au sens large).

ECHECS ET REUSSITES

A) La discipline sans punitions n'a été possible que grâce au petit nombre des élèves (douze à quinze). Encore maintenant, il faut passer de longues minutes à rappeler à l'ordre, à la courtoisie, à l'attention, à la propreté, des garçons qui ne savent pas se dominer. Étourdis, apathiques, agités, taquins (surtout par temps chaud et après plus de trois heures de classe), les garçons ne sont pas maîtres d'eux-mêmes. Certains abusent volontairement de la liberté, « font les pitres » ou paressent.

Une ou deux « notes de conduite » remettraient tout dans l'ordre.

Oui, mais on y perdrait quelque chose qui, à mon sens, est infiniment plus précieux, le naturel des garçons, qui sont en classe presque exactement comme ils sont entre eux, critiques, simples, vivants, changeants, sincères au moins autant que dans leurs maisons ou peut-être même dans leurs familles.

Encore a-t-il fallu employer trois procédés ressemblant de bien près à des punitions : demander au garçon agité d'aller prendre l'air; donner à certains garçons des travaux supplémentaires, utiles ou humoristiques ; enfin demander aux chefs de maisons d'être sévères pour tel ou tel garçon. Sans parler des reproches en classe ou après la classe. Actuellement, il n'y a plus rien qui ressemble à du désordre. L'agitation pure a disparu. Mais les discussions et le travail collectif sont encore


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lents et confus. Quant à la paresse en classe, elle ne se cache pas. Rapports infiniment plus agréables du professeur et des élèves.

B) Les jeux sont ce qui caractérise extérieurement cette classe. De ce côté-là, réussite instructive. On ne peut presque rien apprendre au moyen de jeux. Mais on peut vérifier presque toutes les connaissances. Toutes les leçons, sauf les textes (et encore!), sont « récitées » au moyen de jeux, compétitions chiffrées ou non. Jeux de la « Phrase vivante », du « Cercle des Prépositions », du « Dictionnaire ambulant », du « Loto des Verbes », du « Manuscrit déchiré », des « Flèches », de « Magister venerabilis », et bien d'autres, pour le latin. Jeux multiples aux variantes innombrables pour le vocabulaire, l'histoire, la géographie. Jeux de langage, d'adresse, d'attention, de mémoire, de maîtrise de soi. Jeux par équipe et jeux individuels. Jeux où il faut parler, remuer, dessiner.

J'ai déjà adapté une cinquantaine de jeux à cet usage, et la liste s'allongerait facilement.

Non seulement le professeur vérifie les connaissances, — le bagage de la pensée, — mais il sonde la pensée elle-même, sa souplesse et sa vigueur; entraîne déduction, attention, mémoire, bon sens.

L'écueil? Le voici. On lèche la confiture et on jette la tartine. On joue pour gagner et non parce qu'on sait jouer. On préfère les jeux faciles et passionnés aux jeux ardus sans compétition vive. Le but est dépassé, le moyen a été pris pour la fin.

Cet écueil serait évitable si le programme de leurs études n'était pas imposé aux garçons.

C) Pour ce qui est du mouvement dans la classe, la réussite a été facile et assez agréable. Les garçons choisissent leur place et leur posture, se déplacent en causant à voix basse sans que j'aie à m'en mêler. Ils se groupent spontanément autour de la chaire ou autour de l'un d'entre eux. Les jeux où il faut bouger servent aux mêmes fins. On change quelquefois la disposition des lieux.

J'ai seulement à critiquer parfois des gambades trop fantai-


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sistes, ou des attroupements importuns. C'est l'occasion de voir combien les garçons sont naturellement impulsifs, girouettes à tous les vents de la pensée et du corps.

D) Médiocre réussite dans le domaine esthétique. Encouragements de toutes sortes au dessin; succès partiel. Classeurs renfermant tout le travail du terme, classeurs qui devraient être le chef-d'oeuvre illustré, poncé, fignolé, de chacun. Grand succès au début, puis ralentissement. Présentation artistique des devoirs ; peu de résultats. Adoption d'une écriture claire. Succès éclatant dans certains cas; répugnance marquée dans d'autres. Le seul point où la réussite soit brillante, c'est le travail des cartes géographiques. Nous avons eu des merveilles ; peut-être don spécial chez certains garçons. Orthographe toujours déplorable.

E) Le travail d'équipe n'a pas été réellement possible. Les garçons ne se voient pas assez, fût-ce dans la même maison, pour collaborer de près. Deux ou trois garçons ont su s'aider — par exemple pour les exposés dont je parle plus loin — mais ç'a été très irrégulier. Je reste convaincu que c'est très possible, et que cela doit être infiniment fructueux. Dans certains jeux en classe, en revanche, l'esprit d'équique s'est brillamment manifesté, et sans chauvinisme excessif — élections heureuses; chef toujours obéi.

F) Il a fallu un gros effort pour que les garçons se laissent aller à leur naturel, cèdent à leur imagination ou la cultivent. Le « cliché » continue à fleurir. Ceux même qui sont les plus humains en classe sont figés dans leur composition et leur style. On leur a peut-être inculqué — sans le vouloir — que ce qui est spontané est honteux? En revanche, chez certains, une floraison un peu déconcertante, mais qui nourrit tous les espoirs.

G) La récitation devait être comprise comme une déclamation. Texte en main, on « dit » devant toute la classe. Une défaillance de mémoire est pardonnable, une faute de goût, non.


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Le système s'est mal maintenu — on est retombé à la serinette plus ou moins amendée. — Un effort chez les meilleurs diseurs pour ressusciter cette habitude que la veulerie générale abandonne. Récitation latine très poussée — sans grand succès.

On raconte beaucoup d'histoires, inventées ou non. Ce sont, en somme, des « rédactions orales » que chacun vient faire à volonté. Honneur pour lui, plaisir pour les autres. Réussite ambiguë. Ce sont toujours les mêmes qui racontent. Les autres ont peur de ne pas savoir, ou préfèrent écouter; et ce sont eux qui en auraient le plus besoin. On met en scène les histoires. De temps en temps, l'on essaie du théâtre. Efforts embryonnaires encore. De même, la création d'un cirque.

H) J'aurais voulu éviter les manuels, et mettre entre les mains des garçons des documents de première main. C'est difficile aux Roches, et j'envie les trésors patiemment amassés par certains de mes collègues. Les garçons et moi, mettant nos ressources en commun, nous avons pu remonter un peu aux sources. Évidemment, cela passionne les élèves : photographies originales, documents en couleur, produits exotiques, fac-similés de toute sorte, autant de richesses. Quelques-uns ont voyagé, ils racontent ce qu'ils ont vu. C'est là le centre véritable de la classe, — l'échange, — mais c'est un si si petit noyau ! Les manuels viennent boucher tous les trous.

Je tenais à ce principe, qu'il est plus utile d'étudier une question à fond que de voir vingt questions superficiellement. Mon programme disait le contraire. Comment concilier? J'ai demandé à tous les élèves d'avoir sur tous les points d'histoire et de géographie que nous étudions cette année des connaissances schématiques, un résumé très succinct, tableau clair et aéré dans leur classeur. Et à chacun d'entre eux, je devais indiquer tous les documents — documents de première main, livres pour adultes — utiles pour l'étude d'une question. Cette question étudiée à fond, il l'exposait brièvement devant ses camarades. Et même si eux l'écoutaient peu, lui profitait pleinement de ce triple travail d'étude, de résumé, d'exposition.


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C'était toujours cela de gagné sur l'enseignement superficiel. Réussite ambiguë aussi. J'ai réussi, en tous cas, à ne pas faire moi-même une seule classe d'histoire ou de géographie, me bornant à interrompre, à rectifier, à compléter le conférencier, ou a introduire un échange de vues. Malheureusement, chacun n'a pas su, dès le début, quelle question lui plairait. C'est entre les équipes qu'on a réparti ces tâches irrégulières (qu'elles se disputent avec ardeur) ; mais à l'intérieur de l'équipe, ce sont toujours les mêmes qui ont pris l'affaire en main. Certains garçons n'ont jamais fait un seul exposé.

I) On est toujours libre de questionner. La plupart des questions sont examinées sur-le-champ. On discute la marche de la classe, on parle librement de soi et des autres. Résultats satisfaisants; sans doute, il y a d'absurdes « mouvements d'opinion », mais cette coutume est plutôt féconde.

J) Nous croyons voir, par tout cela, que cette classe, maintenue cependant par les horaires et les programmes, est le domaine de la fantaisie souriante, et progresse sans encombre dans sa marche flottante. La réalité est plus terne. Assurément, je ne m'impose pas aux élèves, je leur laisse le premier rôle le plus souvent possible. Malheureusement, leur faiblesse extrême en latin et en orthographe, leur mollesse, leur manque de méthode, mes lacunes personnelles et mes erreurs fréquentes me forcent souvent à assumer le triste rôle de tyran. Ni eux ni moi n'avons jamais été préparés à tirer d'une classe de ce genre tout ce qu'elle peut donner. Si, du moins, nous ne sommes pas du tout arrivés à en faire un modèle, nous sommes arrivés, je crois, gauchement mais avec bonne humeur, à en faire une classe comme les autres — moyenne, mais en progrès.

J. O. GRANDJOUAN,

Agrégé de l'Université.


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NOTRE LABORATOIRE D'HISTOIRE NATURELLE

De 14 heures à 16 heures, l'activité de l'Ecole est consacrée, pour une moitié des élèves, aux " travaux pratiques ». Parmi ces travaux pratiques, certains garçons choisissent ceux d'Histoire naturelle. Pourquoi? Les uns, parce qu'ils préparent leur baccalauréat de philosophie, et qu'ils ont besoin de manipulations et d'expériences déterminées pour illustrer leur programme. Les autres, élèves des différentes classes, parce que leurs goûts ou le désir de leurs parents les y ont décidés.

Pour les premiers, ces travaux pratiques sont obligatoires, et sont limités par les exigences du programme.

Pour les seconds, ils sont facultatifs (c'est-à-dire qu'au début de chaque année, les garçons ont le choix entre eux et d'autres, comme forge, jardinage, etc.). Le programme, par conséquent, est beaucoup plus vaste et plus souple pour eux.

C'est seulement de cette seconde catégorie que je me propose de parler ici.

Disons tout de suite que le Laboratoire d'Histoire naturelle est évidemment pour eux l'occasion de mieux comprendre leurs classes d'Histoire naturelle (Sixième: les Vertébrés; Cinquième : les Invertébrés (Insectes surtout) ; pour les uns et les autres : Botanique ; Quatrième : Géologie ; Troisième moderne : Anatomie, Physiologie, Hygiène). De plus, tous peuvent travailler d'autres matières que celles de leur programme, et s'occuper de dissection, d'élevage, de minéralogie, des herbiers ou des collections, suivant que la vie commune du Laboratoire le demandera ou le permettra. C'est ainsi qu'on voit au Laboratoire des garçons qui n'ont actuellement aucune heure de classe d'Histoire naturelle, mais qui continuent à s'intéresser à cette science, ou qui veulent dès maintenant s'y initier.

Les rôles sont interchangeables, et n'importe quel garçon a la possibilité, en un an, de se faire une idée, par son travail et celui des autres, qu'il a sous les yeux, de toutes les branches de l'Histoire naturelle.


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Pourquoi attacher une telle importance à l'Histoire naturelle, et tout particulièrement aux Travaux pratiques ?

1° C'est que ces travaux constituent une formation complète. Nous le verrons plus loin, l'élève a là l'occasion de voir et de sentir, d'agir et de travailler manuellement, de se reposer l'esprit, et pourtant d'apprendre, de comparer, de réfléchir : de penser. De plus, le travail au Laboratoire contribue à l'éducation morale.

2° Ils constituent, avons-nous dit, une formation fondamentale. En effet, l'éducation se fonde sur l'observation, et l'observation personnelle ; l'enfant doit se rendre compte par lui-même des choses; où peut-il mieux le faire qu'au Laboratoire?

Le travail au Laboratoire éveille la curiosité de l'élève et lui donne confiance en lui-même. Il l'encourage aussi à élargir le domaine de ses observations, et à appliquer son expérience, acquise pendant les travaux pratiques, à la fois à tous les objets que lui offre si généreusement la Nature, et à tous les faits de sa vie en société.

Cette habitude de l'observation impartiale, prudente, méthodique, doit forcément l'aider dans le reste de ses études. L'étourderie de nos garçons désespère mes collègues quand ils corrigent une version latine ou un problème de mathématiques. Or, la prudence qu'il faut mettre dans la dissection d'un Épervier, d'un Hérisson, d'un Crapaud, et surtout des Insectes (Dytique, Hanneton) par exemple, sous peine de gâcher tout le travail, et d'abandonner tout espoir de rien voir, apprend forcément le soin et la prudence. Et la dissection est un exemple entre cent.

3° Le travail du Laboratoire ne profite pas seulement au garçon qui s'y livre. Toute l'École y est intéressée. Le Laboratoire lui est ouvert 1 : elle vient y voir les animaux vivants, les

1. L'entrée au Laboratoire est payante : dix vers ou vingt mouches, pour la nourriture des animaux.


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collections. (Beaucoup de visiteurs l'ont fait pendant l'exposition de la Pentecôte.) Toutes les classes d'Histoire naturelle profitent et profiteront de plus en plus des richesses amassées au Laboratoire par leurs camarades actifs (collections, animaux vivants, appareils, expériences, tableaux de démonstration). D'autre part, tout élève peut beaucoup pour aider le Laboratoire, en lui apportant, de ses courses autour de l'École, ou même de chez lui-, des sujets d'études et d'expériences. Le Laboratoire est un admirable champ d'action concertée et réponds à une des vues les plus chères du fondateur des Roches.

Les garçons apprennent à observer, ai-je dit. C'est en effet le

but principal de l'Histoire naturelle, particulièrement dans les

travaux pratiques. Observer. Que faut-il entendre par là? Voir

d'abord, ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure. Contempler ne

suffit pas. Admirer le cadre naturel des Roches, les arbres, les

fleurs, les horizons, ce n'est pas réellement voir. Il faut voir de

tout près. Se promener dans le bois du Vallon est une joie;

c'en est une autre que de connaître chacun des arbres ou arbustes

qui le composent, s'en faire des amis intimes, voir le détail des

bourgeons, dés fleurs, des fruits; se réjouir du chant des oiseaux, mais aussi connaître, distinguer ; comparer le gazouillis de la Fauvette aux trilles du Merle. Que voit-on d'une mare en passant à côté d'elle ? Toute la vie merveilleuse se dissimule au fond, ou bien se masque : ainsi la face supérieure des Insectes est souvent sombre pour se confondre avec les ténèbres du fond, la Nèpe est couleur de vase, les larves de bien des Diptères, des Crustacés inférieurs (Daphnies, Cyclops) sont transparents, invisibles sur fond sombre. Il faut pêcher tout cela, le transporter dans des aquariums, de petits aquariums, pour voir leurs détails et pouvoir les admirer. La Rainette se cache dans le feuillage, le Grillon sur la terre, la Locuste verte dans le gazon. Qui saura les voir s'il n'a pas appris à voir? Il faut savoir voir, ne rien laisser passer, concentrer son attention, guetter les détails, tout voir.


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Celui qui voit tout a déjà presque compris. Et le désir de connaître, la curiosité naturelle à tous nos garçons va les y aider. Le Laboratoire éveille la curiosité, l'excite, l'encourage : l'observation est née. Par l'analogie, la comparaison, les élèves supposent, imaginent, inventent. Cette imagination créatrice, redressée par l'examen scrupuleux des réalités, conduit à l'étude sérieuse et à l'observation intelligente.

C'est en comprenant les plantes et les bêtes, en sympathisant avec toutes les formes de la vie qui l'entourent, que l'enfant commencera à aimer cette vie, à sentir son coeur s'élever et s'élargir.

On pourrait penser qu'un garçon qui n'aimerait vraiment pas plantes ou bêtes, risquerait de mal travailler ; mais cette antipathie vient presque toujours de l'incompréhension, de l'ignorance. Celui qui arrive au Laboratoire avec un préjugé, un parti pris contre les insectes ou les crapauds, par exemple, perd vite cette appréhension en les étudiant de près.

Pour apprendre à voir, faut-il avoir déjà l'esprit scientifique? Mais non. Il suffit d'avoir de la bonne volonté. Il faut seulement se donner la peine d'essayer de voir et d'observer sans parti pris ce que l'on voit.

Nous sommes merveilleusement placés aux Roches pour apprendre ainsi l'A B C du Livre de la Nature. Nous sommes entourés ici de prairies, de bois, de mares, qui peuvent nous donner — si seulement nous voulons bien chercher — quantité de sujets variés, fort intéressants à étudier. La flore et la faune de la région sont très riches. C'est ainsi que notre Vivarium, dont je vais parler dans un instant et qui n'existe que depuis environ un an, réunit déjà, à peu de chose près, tous les habitants des mares que comprend le fameux Vivarium du Muséum de Paris. Dans le Laboratoire, les cinq classes de Vertébrés sont représentées constamment par des sujets vivants (Mammifères : Hérissons, Taupes, Chauves-souris, Souris, Campagnols; Oiseaux : Corneilles, Pies, Geais, Grives; Reptiles: Lézards, Couleuvres, Orvets, Tortues; Batraciens : Tritons, Salamandres, Crapauds, Grenouilles, Rainettes; Poissons : Épinoches). Nous attachons


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une très grande importance à ce Vivarium (Aquariums, « Terrariums », Volière). Qui peut mieux nous raconter la vie d'un animal que l'animal lui-même, qui se trouve toujours devant nos yeux, et, autant que possible, dans son milieu naturel? La Nature elle-même décrit et enseigne mieux que n'importe quel professeur. Le Laboratoire est un Laboratoire de vie, où les garçons n'ont pas à regarder des animaux empaillés, des plantes séchées, mais où ils sentent bêtes et plantes vivre, et où ils vivent avec la Nature.

Cette vie du Laboratoire réclame des garçons un travail manuel sérieux.

C'est un travail très varié; chaque garçon pourra donc faire le travail qui lui convient le mieux — et pourra, d'autre part, changer plusieurs fois son genre de travail dans le courant du terme — et même pendant la séance, pour peu que la vie commune du Laboratoire le permette ou le demande. Chacun montrera son initiative, travaillera en coopération ou en émulation avec les autres et sera, parfois, utilement abandonné à lui-mème. On lui donne alors sa tâche, ses outils, les livres nécessaires s'il y a lieu, et à la besogne ! Qu'il ne demande pas d'aide, et qu'il ne gêne pas le travail de son voisin.

Voici un aperçu des différents travaux :

I. CONSTRUCTION ET AMÉNAGEMENT DES « DOMICILES » (Cages, Vivariums, Aquariums, Terrariums). — Ce seront les logements des futurs sujets d'observation, logements qui permettent l'observation d'êtres vivants. C'est ainsi que, celte année, ont été aménagés :

Un grand aquarium (Plantes aquatiques, Epinoches, Limnées, Ranâtres).

Six petits aquariums (Tritons, Têtards, Dytiques et Dyticidés, Hémiptères aquatiques — Nèpes, Notonectes, Naucores, etc.. Larves de Dytiques, de Libellules, de Phryganes, d'Ephémères, d'Hémiptères et de Diptères, surtout de Moustiques). Il a fallu les


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installer ; il a fallu aussi les remplir : eau, vase, plantes aquatiques — et apporter les sujets mêmes.

Un concours entre les élèves a produit lé plan de nos terrariums.

Deux terrariums à trois compartiments, à portes glissantes, mur de face en verre, les autres en toile métallique (Grenouilles, Crapauds, Salamandres, Tortues, Couleuvres, Souris, Campagnols, Hannetons).

L'aménagement des terrariums diffère suivant leurs habitants. Ce n'est pas toujours facile à bien adapter aux préférences de l'animal.

Un bon nombre de cages de différents modèles (bois, verre, toile métallique) pour les Hérissons, les Taupes, les Orvets, les Rainettes, les Carabes, les Méloés, les Grillons, les Lampyres, différentes Chenilles.

Une volière à deux étages aménagée en encorbellement sur la fenêtre (Pies, Geais, Grives).

II. ENTRETIEN. — Tout cela doit être constamment entretenu. If faut nettoyer, débarrasser, renouveler la terre ou l'eau, enlever souvent des cadavres ou des débris, etc

III. PÊCHE ET CHASSE. — Il faut procurer des habitants à ces logements. Trouver des plantes, des graines (oignons, tubercules, etc..) est facile; d'ailleurs, les plantes peuvent être observées dehors sans qu'on ait à les garder près de soi (excursions, déterminations sur le terrain). Mais trouver les animaux est une plus grosse besogne. Les garçons s'en vont, chacun à leur tour, pour pêcher, chasser les insectes ou découvrir leurs larves ou leurs nymphes, se procurer des oiseaux. Il faut entretenir filets et boites en bon état, et connaître les bons terrains de pêche ou de chasse. Il faut quelquefois se fabriquer des outils de fortune.

IV. ORSERVATION ET EXPÉRIMENTATION. — Il faut apprendre à manier les animaux sans danger, à donner à chaque animal les aliments qui lui conviennent, et à l'heure qu'il faut; il faut éviter les batailles, veiller à ce que chacun se nourrisse et vive; voir comment l'animal réagit, et diriger ces réactions. L'intel-


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ligence humaine est ici activement aux prises avec l'instinct animal. De même pour les plantes.

V. DISSECTION ET TAXIDERMIE. — La dissection est toute une technique, la taxidermie est tout un art. Les garçons ne peuvent évidemment apprendre ici que les éléments, mais ils ont tout ce qu'il faut pour cela. On dissèque au hasard des sujets apportés morts ou décédés au Laboratoire. En général, ce sont des grenouilles, des crapauds, des taupes, des hérissons, des souris, des oiseaux surtout, des poissons et des insectes (particulièrement les dytiques). Certaines dissections ont un objet spécial : les élèves de sixième, par exemple, ont disséqué des yeux de boeuf, des reins de lapin, au moment de l'étude de l'anatomie humaine. Avant de disséquer, on tâche que les animaux soient exactement déterminés, ce qui rend le travail de dissection plus facile. Les dissections réussies sont conservées et exposées.

Les squelettes sont utilisés aussi pour être montés, et la peau est toute prête pour l'empaillage. Si on ne peut monter les squelettes, on peut au moins les coller sur un tableau pour étudier l'ostéologie.

VI. DESSIN. — Les dessins sont de trois catégories :

1° Dessins qui peuvent illustrer ou détailler les matières apprises en classe. (Dessins d'après les livres, dessins d'après les collections, dessins d'après nature, ou d'après les préparations microscopiques.)

2° Dessins d'après les animaux vivant actuellement dans les vivariums ou dans les aquariums, à l'oeil nu et avec une forte loupe.

3° Dessins de certaines phases des dissections ou des étudessous l'objectif du microscope.

Les meilleurs dessinateurs du Laboratoire préparent les tableaux de démonstration qui serviront au Laboratoire et surtout en classe. Cette année, par exemple, tableaux morphologiques et biologiques décrivant Épeire diadème, Lombric, Seiche, Amibe, Foraminifère, Radiolaire.

VIL EXPÉRIENCES ET APPAREILS. — Pour l'étude de certaines questions de biologie et de physiologie' végétale ou animale,.


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pour la démonstration de certains phénomènes géologiques, des expériences sont utiles, et il faut les préparer, ainsi que monter les appareils nécessaires. Cette année, par exemple, expériences sur le gaz carbonique, sur la respiration de l'homme et des plantes, sur la transpiration des plantes, sur l'assimilation chlorophyllienne, la germination et l'héliotropisme, sur la cristallisation, l'action des acides sur les roches, les puits artésiens et les geysers.

VIII. COLLECTIONS, HERBIERS, TABLEAUX. — Collection d'Insectes (tous les ordres); collection de Mollusques; collection minéralogique. Collections morphologiques de plantes. Herbier systématique en général; petit herbier sur le bois du Vallon. Restauration et correction des vieilles collections de l'Ecole (géologique et paléontologique). Il a été parlé plus haut des tableaux de récapitulation ou de démonstration.

Chacune de ces collections demande un travail de détermination, de préparation minutieuse, d'étiquetage.

Tous les animaux qu'il y a intérêt à conserver, soit pour une collection actuelle ou future, soit comme souvenir d'une étude faite au Laboratoire (éléments d'une collection biologique — mues des larves, dépouilles nymphales, insectes parfaits — plus instructive qu'une vaste collection systématique), soit enfin comme réserve de pièces à disséquer, en cas d'absence de sujets récents, sont mis en bocaux dans l'alcool.

IX. PRÉPARATIONS MICROSCOPIQUES. —Étude des cellules et des tissus — animaux et surtout végétaux. Écailles des ailes des papillons, squelettes d'Épongés, Infusoires, poussière de craie, sang humain, sang de grenouille, etc..

X.. SOINS. — Tous les êtres vivants du Laboratoire demandent des soins. Il faut s'occuper des plantes, les protéger, les arroser. Il faut nourrir et abreuver les animaux, les nettoyer. Vider et remplir l'aquarium sans dommages pour les hôtes. Aller chercher les vers, les insectes, les limaces, réclamés par les carnivores; aller même quêter des nourritures plus « humaines ».

C'est un travail délicat, qui demande non seulement de] la


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méthode et du doigté, mais même des efforts matériels : il faut bêcher, piocher, fouiller, porter, etc.

XI. ENTRETIEN GÉNÉRAL. — Enfin l'ensemble du Laboratoire réclame tout un travail d'ordre et de nettoyage, demandé à tous les garçons.

Ce sont des tâches quelquefois ingrates en apparence, pénibles, humbles ou salissantes; mais c'est l'occasion pour les élèves de se dévouer à la communauté, de rendre service, de voir comment les plus belles découvertes scientifiques sont subordonnées souvent à des détails matériels, et l'occasion aussi d'apprendre du nouveau. Celui qui cherche à remplir sans peine ou à vider un aquarium, emploiera la pipette ou le siphon ; celui qui est allé fouiller le sol pour trouver des vers s'initiera à des mystères souterrains et ramènera larves ou nymphes. Rien dans ces besognes matérielles qui ne soit utile. Relisons d'ailleurs les lignes que M. Bertier consacrait l'année dernière aux travaux scientifiques des Roches : adresse, initiative, habileté, souplesse, précision de l'oeil et de la main, voilà ce qui se forme au Laboratoire.

Il est évident que le profit que les garçons tirent de ces travaux pratiques ne se limite pas à l'étude de quelques plantes ou de quelques animaux, à l'acquisition d'une certaine dextérité et de quelques connaissances. Au laboratoire, ils apprennent aussi à penser.

Le travail lent, méthodique, et qui peut paraître monotone, de la détermination d'une espèce au moyen des tableaux dichotomiques, n'apprend pas seulement à procéder par ordre et prudemment, mais aussi à comparer, à confronter, à sérier. A force de voir défiler genres et espèces dans son livre, l'élève ne sera pas surpris de les rencontrer dans la réalité ; ce seront pour lui de vieux amis. Il connaîtra déjà l'extraordinaire multiplicité des espèces vivantes.

L'étude des phénomènes de physiologie végétale ou de


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physique minéralogique (cristallisation, dépôt, fusion) lui donneront le sentiment des grandes lois naturelles.

Celle des animaux et des végétaux microscopiques lui feront percevoir l'immense gamme des organisations vivantes. Son émerveillement même le ramènera à considérer la place de l'Homme dans la Nature.

Les moeurs des animaux, leur adaptation à l'entourage ou au milieu, leurs particularités peu connues, tout cela est plein de grandes leçons. Que de pensées peut suggérer la patiente observation d'un aquarium! L'aquarium, c'est un bouquet toujours frais. Là, les plantes et les bêtes sont dans leur milieu naturel. On voit les animaux flâner, se nourrir, se reproduire, s'entredévorer, comme s'ils étaient dans leur mare natale, comme s'ils n'étaient pas guettés par l'oeil attentif du jeune observateur qui les voit dans les mouvements les plus naturels, sous toutes les faces, à toutes les étapes de leur croissance. Il voit la voracité des Épinoches prenant bientôt le dessus sur leur prudence. Au début, elles fuient de toutes parts, quand on leur jette à manger. Plus tard, il suffit de poser le doigt sur l'eau pour les voir se rassembler là. Les Dytiques, et surtout leurs grandes larves à l'air terrible, sont les tigres de cette jungle, et vont jusqu'à se dévorer les uns les autres.

Au fond de l'eau, les Ranâtres restent immobiles, confondus avec la vase, les deux premières pattes prêtes à une détente foudroyante si quelque proie passe à leur portée ; si on les sort de l'eau, ils font le mort et se raidissent dans la main qui les a saisis. Les grosses larves de Libellule portent sur leur tête un masque étrange et compliqué, puissant appareil de préhension.

Chacun respire à sa manière. Dytiques ou Notonectes remontent un instant à l'air pour faire leur provision. La larve de la Libellule rétrécit et dilate constamment la dernière parti» de son abdomen; la larve d'Éphémère a des branchies externes, celle du Moustique monte et descend sans cesse, ayant toujours la tête en bas, tandis que sa nymphe tient toujours la tête en haut.

Variété aussi dans l'aspect. Les larves des Diptères sont trans-


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parentes et laissent voir tous les organes. Les Nèpes, les Ranâtres se confondent absolument avec la vase ou avec les branches de plantes aquatiques. Le mimétisme de certaines espèces les met à l'abri du danger, en les faisant passer inaperçues ou en leur donnant l'aspect terrible.

D'ailleurs, les formes changent. D'un paquet d'ceufs gélatineux sortent de petites Limnées qu'on voit bientôt ramper sur les plantes ou la paroi vitrée. D'un autre, sortent des têtards, qui changeront bientôt, pousseront des pattes, deviendront de petites Grenouilles à queue, puis de vraies Grenouilles. D'un autre, sortent des Tritons, munis d'abord de branchies externes, puis grandissant et les perdant, et finissant par grimper sur les parois de l'aquarium.

Une larve qu'on a toujours vu vivre dans l'eau se décide à en sortir; elle grimpe sur une branche, une paroi, puis s'immobilise; on voit sa peau se fendre, et de cette larve sort peu à peu, les ailes encore fripées et humides, une Libellule parfaite qui y reste accrochée quelques heures, attendant pour prendre son essor que les nervures de ses ailes, charpente délicate et puissante, aient pris force et consistance. Même métamorphose aussi chez l'Éphémère, qui, comme la Libellule, ne passe pas par le stade nymphal, et passe sans intermédiaire de sa vie de larve, qui a duré trois ans, à sa vie ailée qui durera quelques heures. Sur l'eau flottent les dépouilles des nymphes de Moustique, où les insectes parfaits voguent encore cramponnés, en attendant de pouvoir prendre leur vol.

Les formes changent aussi suivant les saisons. Au printemps, pendant que les Épinoches femelles gardent le même costume terne, les mâles prennent une nuance bleu-violet, pendant que leur gorge devient rouge-orange, et leurs yeux d'émeraude, que leurs opercules et leurs nageoires vibrent de façon caractéristique. Le dimorphisme sexuel s'accentue à la saison des amours.

Adaptation, mimétisme, reproduction, dimorphisme, métamorphoses, autant de grands problèmes biologiques qui se posent ici.


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Pendant bien des jours, on n'ajoute rien à l'aquarium. Comment plantes et bêtes vivent-elles? Les bêtes prennent dans l'eau l'oxygène qu'y rejettent les plantes, et les plantes absorbent l'acide carbonique produit par les bêtes. Les herbivores mangent les plantes et sont mangés par les carnivores: les débris sont soigneusement engloutis par les Limnées, grâce à qui l'eau reste propre. Sans presque aucun apport de l'extérieur, l'aquarium se suffit à lui-même. Les êtres qui vivent là en symbiose forment un tout complet, un cycle fermé de vie collective, où tout est échange réciproque.

Comment le garçon qui a cet exemple constamment sous les yeux, et qui vit au Laboratoire en communauté, ne serait-il pas amené à réfléchir à son propre rôle, à la place qui lui est ou lui sera dévolue dans les échanges sociaux? Savoir tenir sa place ! Il est temps qu'il y songe.

L'élève qui a ainsi passé des heures et des heures à observer, à observer non l'être isolé, arraché à son milieu naturel, étiqueté et mort, mais le Triton dans sa mare, la Pie avec son nid, la Couleuvre avec ses feuilles sèches et son eau; qui aura non pas regardé de loin et vite, mais à la loupe, point par point, examinant les yeux de la Libellule, les antennes du Hanneton, les pattes de l'Abeille, corbeilles, râteaux, pinces et brosses ; ce garçon-là ne sera plus un observateur abstrait ou superficiel. Initié d'abord, à l'aide de choses vues, très proches de lui, habitué, grâce à des observations faciles, à percevoir des faits et à raisonner sur eux, il ne passera plus devant les spectacles de la vie en simple touriste qui ne sait ni comprendre, ni goûter. L'habitude d'observer et de raisonner sur des faits le suivra partout, dans ses promenades, dans ses voyages, dans les affaires, aux champs, aux Colonies. Peut-être y a-t-il en germe parmi ces garçons un grand explorateur, un inventeur, un grand médecin... qui sait? En tout cas, à voir l'intérêt que les garçons prennent à leurs travaux pratiques, les


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explications qu'ils savent déjà donner à leurs cadets ou à des visiteurs au sujet de leurs travaux, on peut être sûr que ces heures ont été utilement employées.

Je voudrais, pour terminer, exprimer quelques voeux. J'ai peur que, pour bien des professeurs, l'Histoire naturelle ne soit qu'une branche accessoire. Je voudrais qu'on s'habituât dans l'École à la considérer comme fondamentale au même titre que la Littérature ou les Mathématiques. L'Histoire naturelle, comprise comme on doit la comprendre, c'est-à-dire, s'inspirant directement de la Nature, est un merveilleux facteur de développement intellectuel et de formation morale, spirituelle et pratique. J'espère que tous mes collègues voudront bien le reconnaître sincèrement et de bon coeur.

Il faudrait peut-être, pour cela, que les programmes fissent une plus grande place à l'Histoire naturelle. Que, par exemple, elle fût au programme, de la 7° inclusivement jusqu'à la 3°; qu'il y en eût deux heures par semaine, pendant tous les termes, dans toutes les divisions de 4° et de 3° (et non pas seulement en 4e et en 3e « modernes »).

Il faudrait aussi — et cela est peut-être plus facile à réaliser — que le Laboratoire fonctionnât sans interruption, même pendant les vacances (les observations étant continues, les travaux précédents ne seraient pas perdus), et, pour cela, il faudrait y attacher un préparateur. Il faudrait aussi agrandir les aménagements, établir, entre autres, un vaste vivarium de plein air pour y renfermer toute la faune « des Roches » et de la région. Tout cela peut se réaliser bientôt, et ce que nous avons déjà réussi à faire nous encourage à espérer.

A. IMCHENETZKY,

Docteur es Sciences naturelles. Juin 1928, École des Roches.


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LA RÉDACTION EN SIXIÈME II

L'activité préférée de la sixième II, c'est sans contredit l'a rédaction. Mais nous ne nous risquons pas dans le domaine des dissertations morales ou littéraires ; prudemment, nous laissons à nos aînés les vastes sujets, les plans rigoureux, les périodes savamment balancées. La sixième II a sa spécialité, dont elle n'est pas médiocrement fière : l'instantané.

« L'instantané » est né d'une réaction contre cette erreur si commune qui consiste à confondre la qualité et la quantité. Les nouveaux avaient eu tant de peine à croire que dix lignes suffisaient, que quinze constituaient un maximum dangereux à dépasser ! Je crains bien que dans leur for intérieur certains n'aient accusé leur professeur de vouloir les mystifier.

Mais à la première correction, leurs camarades anciens leur ont vite signalé leurs déficiences. Répétitions, verbes ternes... ou absents, emploi enthousiaste du passé simple, phrases désespérément allongées à l'aide de pronoms relatifs qui s'enchevêtrent, ont trouvé, non pas un, mais huit ou dix censeurs impitoyables. En comprenant alors tout ce qu'il leur fallait bannir d'habitudes de langage, de négligences, d'imprécisions, nos petits incrédules se sont rendu compte qu'à rédaction plus brève ne correspondait pas moindre effort. Seulement, ils s'encombraient encore de débuts interminables, et le sujet lui-même n'arrivait pas à se dégager de sa gangue. Ce n'est que lorsque « l'instantané » a supprimé d'un coup introduction et conclusion que les devoirs, en diminuant sensiblement de longueur, ont gagné en précision et en clarté, et l'on a vu des « chefsd'oeuvre » de deux ou trois lignes que leurs auteurs remettaient avec cette réflexion modeste : « J'ai eu beau chercher, je n'ai pas pu en trouver plus : mais je crois que c'est très bien... »

C'est très bien!... Entendons-nous : cela veut dire : «Mon « instantané » ne dure pas cinq minutes, pas même une : ce n'est que le déclic de mon kodak. Chacun de mes verbes cherche


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à faire image; chacun de mes adjectifs correspond à une sensation précise que j'ai cru ressentir. » Telle serait en effet, dans ses grandes lignes, la « méthode » de l'instantané, si ce mot docte pouvait s'appliquer sans quelque ridicule à l'ensemble de trois actes si simples : se transporter en imagination au moment précis que l'on doit décrire, sans s'attarder à ce qui le précède, sans anticiper sur ce qui le suit ; intensifier en soi cette représentation par une revue sincère et complète de ses cinq sens ; exprimer enfin par écrit le maximum de sensations à l'aide du minimum de mots.

Il semble, à première vue, que, dans des sujets si délimités, la variété soit difficile. Et il en est ainsi chaque fois que « l'instantané » ne fait guère appel qu'à un seul sens. Les mêmes mots reviennent dans presque toutes les bonnes copies, lorsqu'il s'agit, par exemple, de décrire une bicyclette à un tournant rapide. Pourtant, la différence de tempérament est déjà sensible. « Comme une balle, le cycliste passe : un coup de

frein, il dérape et disparaît dans un nuage de poussière »

(E. V.). « Le cycliste, les dents serrées, courbé sur son guidon, vire et se penche pendant une seconde dans un tourbillon de poussière » ( A. P.).

Dès que plusieurs sens entrent en jeu, les dissemblances s'accentuent. Quoi de plus divers, à part l'inévitable coup de sifflet du début, que ces deux trains entrant en gare? « Un sifflement retentit; le train entre en tempête dans la gare qui résonne. Soudain, il souffle, il crache, il s'arrête haletant, comme furieux » (P. W.). « Un sifflement lugubre retentit. La locomotive avance lentement en lâchant d'épaisses bouffées de vapeur qui inondent la foule grouillante » (G. de St-S.).

Nous avons eu des rédactions étranges où, dans un tunnel, l'auteur ne s'apercevait pas qu'il faisait noir, mais les bruits étaient observés à merveille; un autre, au moment de traverser une rue mouvementée, n'avait rien entendu. Il reste toujours que, suivant les natures, tel ordre de sensations prendra plus ou moins de relief. Voici deux effets de brouillard : « Une nuée blanche m'enveloppe, me rafraîchit, m'empêche de voir au


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loin. Dans ce brouillard épais, le silence règne et je n'entends que les pierres que je fais rouler en marchant » (J. M.). « La buée grise et opaque m'entoure comme un manteau d'ouate humide, tandis qu'une petite pluie fine me mouille jusqu'à la moelle des os » (J. L. de M.).

Intégrer à l'expérience partielle de chacun celle de tous, c'est le rôle de la correction en classe : les photographies tirées, il reste à les juger. Parfois, le professeur se réserve ce droit : car il faut bien, n'est-ce pas, tenir compte de ces ennuyeuses choses :

l'orthographe, la ponctuation Même alors, les copies sont

soumises au jugement de la classe ; mais celui-ci s'exerce moins librement et moins efficacement qu'aux jours bienheureux de lecture publique. Ces jours-là, le carnet bleu restera vide ; mais chaque lecteur n'aura guère moins de vingt notes, puisque tous ses camarades, oreilles tendues, sourcils froncés, crayon en main, se disposent à le juger. Pour moins de monotonie, la classe s'est partagée en trois divisions, traitant de sujets différents, et c'est après cinq ou six lectures que vient le moment passionnant de la discussion des notes où chacun peut réclamer en faveur de l'ordre de sensations qui le frappe davantage.

Les premières discussions ont été difficiles, longues, presque dépourvues d'intérêt. Les oublis passaient inaperçus de la grande majorité du jury à qui une phrase bien rythmée voilait aisément l'indigence du fond. Il ne faudrait pas se risquer maintenant à parler d'un tunnel où il ne ferait pas noir! Dernièrement, un « train dans la nuit » assez joliment tourné n'a guère récolté que des notes au-dessous de la moyenne pour n'avoir pas nettement formé contraste avec l'obscurité environnante. La première division, à qui sont réservés les sujets plus difficiles, manifestait avec violence son regret et son indignation.

Quant à la forme, elle est jugée par ce jury enthousiaste et absolu avec une sévérité telle que c'est parfois au professeur de plaider pour le malheureux insuffisamment entraîné qui a laissé — crime inconcevable! — un « il y a », un « se trouve », dans ces deux ou trois lignes dont chaque mot doit porter. Chacun tient aussi à justifier son classement. Alors qu'au début, la seule

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justification obtenue était « je trouve que c'est très bien... », maintenant, un certain mot, une certaine tournure, a ses adversaires et ses partisans, et, le plus souvent, ces louanges ou ces critiques, même exagérées, ont leur portée et sont curieusement significatives des tempéraments divers.

Percevant chaque détail de façon plus précise, adversaires et partisans dominent mieux l'ensemble. L'écart des notes attribuées à une même rédaction a considérablement diminué, sans qu'aucune remarque ait été faite dans ce sens, et quelques minutes de discussion suffisent d'habitude à épuiser le sujet.

Il nous reste à tenter maintenant le grand passage de « l'instantané » au film. La transition se fait facilement en décomposant le sujet en ses moments successifs. Les giboulées de mars nous ont fourni une commode matière : l'une des trois divisions devait traiter : « le vent dans les arbres », — la seconde : « l'averse » — la troisième : « l'éclaircie ». En juxtaposant les trois meilleurs essais, nous avons disposé d'une giboulée de longueur raisonnable que n'encombrait aucune inutilité, aucune négligence. Et voici pour finir sur le sujet classique « Une promenade en auto », une « longue » rédaction où règne en maître, non sans quelque maladresse encore, le principe de l'instantané :

« Le paysage aride, avec seulement quelques touffes de lavande, se déroule monotone et chaud. Seul, le cri continu des cigales règne sur cette solitude; le ciel bleu presque foncé n'est caché que par des montagnes rondes, au sommet pelé. Mais nous approchons d'une montagne, je vois les maigres sapins se détacher sur la pierraille grise.

« Brusquement, un tournant se présente à nous ; un flot d'ombre

nous submerge ; la voiture descend maintenant Un nouveau

tournant où une petite ferme grise nous voit passer en se disant peut-être : « Comme on est mieux sur le flanc de la montagne qu'à Vagabonder sur les routes ! » (J. J. F.).

M. F. DE COMMINGES.


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LA CLASSE ENFANTINE

Nous avons trouvé, au début de l'année, un petit groupe d'enfants peu homogène. Les uns n'avaient encore aucune notion scolaire, les autres avaient reçu, chacun de leur côté, une instruction différente; tous étaient d'un niveau inégal.

Notre but a été de les préparer à suivre, normalement, l'an prochain, une neuvième. Il fallait, pour cela, compléter leurs connaissances, conduire leur développement et les amener au même niveau. Mais nous avons voulu que cette égalisation soit lente et progressive, et, pour y conduire chaque enfant, nous avons cru bon d'adopter un enseignement individuel afin d'atteindre le plus possible chacun d'eux.

Le visiteur qui serait entré dans notre classe pendant le premier terme, aurait vu chacun de ces enfants, occupé à un travail particulier : l'un, à l'aide de lettres mobiles, composait quelques mots tandis que son voisin lisait dans un livre ; deux plus grands faisaient un devoir se rapportant à la leçon précédente ; les autres s'occupaient à quelque jeu.

Les jeux ont un rôle essentiel dans cet enseignement individuel et simultané de plusieurs enfants. Grâce à eux, l'élève, tout en alignant des cartons de couleurs différentes sur lesquels sont inscrits des mots, compose un exercice de grammaire, de lecture ou de vocabulaire, avec la réflexion que demande un devoir, et le plaisir que procure un jeu. Le professeur n'intervient que de temps à autre pour contrôler, pour donner des notions que le jeu concrétise et fixe.

Ceux qui connaissent la méthode Montessori l'ont déjà reconnue sans doute, dans certains détails de ce tableau de notre classe. Nous nous en sommes, il est vrai, beaucoup inspirés. Nous avons été guidés en cela, par notre désir d'obtenir des élèves, le plus d'activité possible. Tel est, en effet, notre but essentiel, et il nous a paru que ces jeux qui permettent à un enfant de comprendre une règle de grammaire, d'acquérir un


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vocabulaire avec lé seul secours de son initiative et de sa réflexion, étaient un procédé tout indiqué.

C'est pour atteindre ce but aussi, que nous continuons à consacrer plusieurs heures par semaine au travail libre et individuel, bien que nous soyons arrivés, en augmentant insensiblement les leçons collectives, à une classe organisée.

Au début, la difficulté était, pendant ces heures de liberté, d'aider les enfants à trouver une occupation. Mais bientôt, nous les vîmes choisir sans hésiter, finir un devoir inachevé, prendre un cahier de dessin et représenter une scène de la dernière histoire racontée, commencer un jeu de lecture ou un travail manuel. Ce choix sans hésitation nous prouvait que cette heure de liberté avait été. organisée d'avance par l'enfant, selon ses goûts.

Nous avons cherché à étendre davantage cette éducation de l'initiative et du sens de l'organisation. Au commencement d'une journée, les enfants sont parfois appelés à donner leur avis sur l'emploi du temps qui sera adopté, emploi du temps qui n'est jamais fixé d'une manière rigoureuse, mais qui s'adapte à la saison, à l'état du ciel et aux circonstances.

Quelques-uns proposent même des sujets de leçon : les têtards de la mare, les lapins ; les canards de la basse-cour proche étant l'objet de leur admiration, ils demandent qu'on parle d'eux en leçons de choses, et leurs souhaits sont immédiatement satisfaits.

Enfin, nous voulons qu'ils sentent que leur classe est une petite société organisée par eux. Nous voudrions qu'ils commencent là l'éducation que tout, par ailleurs, dans l'école, contribue à leur donner : l'éducation du sens social uni au développement maximum de chaque personnalité.

Mais ces enfants sont aussi en classe pour « apprendre » ; et il est des connaissances qu'ils ne peuvent trouver seuls. Cependant, même dans ce cas, une très large part peut être faite à leur activité personnelle en adoptant un enseignement concret, en plaçant l'enfant en face des choses, en l'aidant à les comprendre par lui-même.


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Devons-nous apprendre les termes géographiques se rapportant à la mer? Nous faisons le tour de la mare, nous suivons les accidents de la côte, et quand l'un d'eux a été constaté et que l'attention est fixée sur lui, alors seulement, son nom est prononcé: c'est un golfe, une presqu'île... Nous avons appris de même ce qu'est une montagne, un col, un versant en faisant une excursion autour de quelques roches situées près de notre classe.

Nos leçons d'histoire naturelle se passent, quand il fait beau, en plein air : nous allons observer les fourmis dans leur fourmilière, les abeilles auprès de leur ruche. Un jour de pluie, un enfant apporte un escargot : nous le laissons sur la pelouse où nous allons le voir pendant les récréations. Au moment des bourgeons, des petits vases contenant chacun un bourgeon, sont rangés sur l'étagère, chaque enfant a le sien, le soigne et surveille tous ses changements tandis qu'il s'ouvre. Au terme d'été, chaque enfant aura son jardin qu'il travaillera lui-même et où il sèmera les plantes qu'il verra pousser.

Le rôle du professeur, dans tout ceci, consiste à suivre les élèves dans leurs découvertes et leurs étonnements, à satisfaire leur curiosité en donnant, au moment opportun, les explications nécessaires. Il est vrai que, le plus souvent, il a préparé et provoqué cet étonnement, il a éveillé lui-même cette curiosité; mais il ne laisse pas deviner ce travail de préparation et il partage la curiosité et la joie de la découverte. Il veut être, pour ses élèves, un grand camarade et un collaborateur avisé.

Cette attitude du professeur donne à la leçon un caractère plus attrayant et laisse à l'élève toute sa liberté. Elle lui permet surtout d'observer la personnalité qui se manifeste ainsi librement et avec confiance, et d'en redresser, sans raideur toujours, les côtés défectueux.

En somme, ce que nous voulons surtout pendant cette année, c'est que l'enfant prenne contact avec la réalité. Le bagage de connaissances qu'il emportera en neuvième sera extrêmement léger; mais, sous chaque mot acquis, il mettra une idée précise que ses sens auront contrôlée. Ce contact avec la réalité se prolongeant, l'enfant continuera à acquérir une base solide


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qui sera le point de départ d'un enseignement plus intellectuel et plus riche.

Enfin, nous voulons que nos élèves quittent leur classe l'esprit ouvert, et prêts à s'instruire par eux-mêmes. Nous voulons qu'ils emportent surtout des habitudes :

1) L'habitude de travailler avec plaisir,

2) L'habitude d'observer,

3) L'habitude de comprendre les mots employés et de contrôler toute notion par le contact avec la réalité.

4) A défaut d'une discipline, l'habitude d'une liberté bien employée.

Cette liberté sera ainsi le procédé naturel pour aboutir aux règles, les créer spontanément, peu à peu en reconnaître la nécessité et, finalement, en sentir tout le bienfait.

Mlle Y. BRAGUET.

MOUVEMENT INTELLECTUEL DE L'ÉCOLE EN DEHORS DES CLASSES

Comme chaque année, nos inspecteurs sont venus apporter à la fois leur contrôle et leurs conseils. La trace de leur passage ne se marque pas seulement par des notes et des appréciations, mais par un véritable enseignement. Plus libres ici que partout ailleurs d'exprimer leurs idées personnelles, ils transforment leurs inspections en des classes modèles, des classes types, dont profitent tous leurs auditeurs, maîtres et élèves. M. Dortel pour l'enseignement préparatoire, M. Jean Brunhes pour la géographie, M. Bourguignon pour la physique, M. Lagrange pour les mathématiques, M. Chauvenet pour la chimie, M. C. M. Des Granges pour la littérature française, M. Bezard et M. Maille pour le latin, M. Porchez pour l'histoire, ont, chacun dans leur spécialité, fait bénéficier nos élèves de leur savoir et de leur expérience.

Les conférences se sont succédé toujours nombreuses, les unes réunissant toute l'Ecole dans le hall du Bâtiment des classes,


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les autres s'adressant à un groupe restreint, au Cercle des Professeurs, dans le salon d'une maison ou dans une salle particulière. La variété des sujets traités montre le souci du Directeur d'ajouter à la vie régulière des Roches tout ce qui peut l'enrichir, l'étendre, la rattacher au monde qui pense et travaille.

D'abord, dans le domaine religieux, des conférenciers ont apporté aux élèves des classes supérieures de précieuses leçons. M. l'Abbé Gavand a expliqué le sens symbolique des cérémonies de la Messe, M. l'Abbé Aubé a fait de la liturgie un exposé d'ensemble, M. l'Abbé Audoin sur la Morale, M. l'Abbé Marie sur la Prière ont rappelé la vraie doctrine; M. Charlier a mis toute sa foi et tout son talent à affirmer la primauté du Spirituel ; le Révérend Père Dieux, avec sa parole persuasive et ses vues personnelles, a montré ce que pouvait être un enseignement religieux selon l'esprit et la méthode d'Henri de Tourville ; M. l'Abbé Viollet parlant de la pureté, de l'Union Saint-Pierre Saint-Paul, de la Basilique de la Famille a défendu ses idées et son apostolat avec autant de force qu'en a mis Monseigneur Henry à plaider la cause de sa chère oeuvre de Saint-François de Sales.

Dans le genre profane, les sujets traditionnels ont été repris mais renouvelés. M. de Rousiers a parlé des Etats-Unis qu'il a depuis longtemps étudiés et dont il explique avec tant de méthode, décrit avec tant de clarté la vie intense. M. Jean Brunhes, revenant d'une mission au Canada, a fait voyager les Rocheux du Saint-Laurent à l'Alaska, grâce à de magnifiques projections, commentées avec autant de science que de spirituelle bonne humeur. Mme Brunhes-Delamarre, dans sa causerie sur une région célèbre de la province de Québec, a montré qu'elle n'était pas simplement la Secrétaire d'un membre de l'Institut, mais aussi une collaboratrice et un disciple digne du Maître.

Quelques célébrités de la littérature contemporaine ont été présentées par des professeurs de l'École, Marcel Proust par M. Rivet, Paul Claudel par M. Charlier, Paul Valéry par M. Guichard, Léon Bloy par M. Garrone, Hippolyte Taine par


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M. Tavernier, André Maurois par M. Marty. Comme les conférenciers avaient choisi l'auteur qu'ils connaissaient déjà le mieux ou qu'ils pouvaient étudier le plus volontiers, ils ont également réussi à faire valoir des personnalités et des oeuvres fort différentes.

Ce furent, à leur manière, des conférences de littérature, de morale et d'art que les cinq représentations données sur la scène des Roches au cours de l'année. Le théâtre, à l'École, se pique d'offrir, sous la forme la plus aimable, à la fois le plaisir et la leçon. Si les Sablons ont joué « Embrassons-nous Folleville » d'E. Labiche, le Vallon, « Crainquebille » d'Anatole France, le Coteau, « Bava l'Africain » de B. Zimmer, la Guichardière, « l'abbé Constantin » de L. Halévy ; la Prairie, « le Chat botté » d'H. Ghéon, ce n'est pas seulement pour amuser et se faire applaudir, c'est aussi pour laisser dans les esprits une idée juste, au besoin profonde, dans les coeurs une belle émotion, et porter même jusque dans la conscience un peu de droiture et de bonté. C'est du théâtre scolaire, éducatif, sans être pour cela banal, incolore ni ennuyeux.

Continuant par Durer, Holbein et les Maîtres flamands, ses études sur les peintres, M. de La Varende y a apporté cette érudition si spéciale, cette critique d'art si nuancée qui donnent à ses causeries tant de prix.

Le capitaine Py racontant la guerre des Sapeurs avec l'enthousiasme d'un ancien combattant, Mlle Kopp, des Dames Françaises, traitant des maladies transmissibles à l'homme par les insectes et les animaux, MM. Devinat et Brown parlant, l'un en français, l'autre en anglais, au nom du bureau de l'organisation scientifique du travail à la Société des Nations, n'ont détourné leur auditoire des Roches de ses préoccupations ordinaires que pour l'instruire utilement.

Destinés seulement aux chefs de maison et aux professeurs, les entretiens des délégués du bureau international d'Éducation ont été du plus haut intérêt. Que M. Adolphe Ferrière décrive une Ecole sereine au Tessin et Miss Butts les écoles nouvelles aux Etats-Unis, que M. Dotrens, avec documents à


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l'appui, révèle la rapide et profonde transformation des écoles à Vienne, ces trois conférenciers ont appris au personnel des Roches où en est le mouvement de réforme pédagogique qui, dans l'Europe centrale et en Amérique, va s'accélérant chaque année. De ce mouvement,, à la fois raisonné et aventureux, l'École doit tirer des directives avec prudence, mais aussi avec l'ambition de servir de guide aux établissements français, officiels ou libres, trop attachés à des traditions vieillies.

De toutes ces conférences, faites sans prétention, ni artifices, il ressort qu'aux Roches, si quelqu'un prend souvent la parole devant une partie ou la totalité de l'École, ce n'est jamais sans motif sérieux, ni intention précise. Les classes avec leur cadre restreint, leur programme limité, leur discipline nécessaire, ne permettent pas aux maîtres de tout enseigner, ni aux élèves de tout apprendre. Les lectures particulières demandent beaucoup de temps et beaucoup de livres. Les conférences faites par des spécialistes compétents qui exposent avec suite et clarté les résultats de leurs travaux viennent donc compléter les classes et suppléer aux lectures. Elles contribuent amsi, sous la forme la plus vivante, au mouvement intellectuel dans l'École.

M. MONTASSUT.

LES ARTS A L'ÉCOLE

L'enfant est doué d'aptitudes multiples: Aucune n'est à négliger, toutes sontàmettre en valeur. Pourvu qu'elles soient dirigées et contrôlées par l'intelligence, ces impulsions maladroites et hésitantes deviennent des forces créatrices. Moins puissantes que celles de l'adulte, ces aptitudes sont néanmoins capables d'aboutir à des résultats heureux.

Sans efforts, avec des sens que les ans n'ont point affaiblis, une imagination toute fraîche où s'entassent et se transforment les souvenirs, une étonnante adresse manuelle, l'enfant est dessinateur, peintre, modeleur, architecte, à la fois un artisan et un


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artiste. D'instinct, il fabrique et construit : c'est sa grande ambition, sa joie. On dirait qu'il veut, avec des preuves visibles de sa personnalité méconnue, remplir l'espace limité où l'on enferme sa petite vie. Il n'a que des idées simples, un vocabulaire pauvre ; il ne peut s'affirmer victorieusement ni par ce qu'il dit, ni par ce qu'il pense, ni par ce qu'il écrit. Il montrera donc volontiers ce dont il est capable par les ouvrages de ses mains qu'aura conçus et organisés son esprit inventif. Sur quel ton de joyeuse fierté il dira : « Regarde ce que j'ai fait ! » et son humble travail lui semblera une merveille qui l'égale aux grandes personnes. Ce n'est pas de l'orgueil qu'il éprouvera, c'est la naturelle satisfaction de quiconque est parvenu à réaliser son rêve.

Les travaux artistiques et manuels de l'enfant ne méritent donc pas le dédain de certains intellectuels, uniquement soucieux d'études livresques, de cours et d'examens. Ce ne sont pas, comme souvent on le dit, des arts d'agrément, d'intelligentes récréations, des distractions permises mais d'importance secondaire. Dans la vie de l'enfant, ces formes d'activité tiennent une grande place, peut-être la plus grande, et y sont, comme dit la pédagogie nouvelle, des centres d'intérêt. Il ne faut pas les contrarier, ni les restreindre, mais les aider et les organiser, les associer surtout à l'activité intellectuelle pour le profit des unes et des autres. Plus la main sera adroite, plus elle aidera l'esprit à donner corps et vie à ses conceptions, à prolonger dans l'action l'idée pure ; plus, à son tour, l'esprit sera cultivé et vif, plus il aidera la main à produire des oeuvres qui aient un sens et une valeur.

C'est pour aboutir à ce rapprochement, à cette influence réciproque, à cette véritable collaboration des arts et des études que notre École s'efforcera de plus en plus de perfectionner ce que d'un terme général et un peu vague, elle appelle ses travaux pratiques. Elle est loin encore du but, mais elle s'achemine progressivement vers lui. Il suffit de parcourir ses ateliers, de voir les élèves au travail, d'évaluer ce qu'arrive à produire leur activité, pour se rendre compte des efforts dépensés et des résultats obtenus.


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Entrons dans l'atelier Dupire; des enfants de tous les âges, surtout des petits et des moyens le fréquentent : regardons-les à l'oeuvre. Les plus jeunes, les débutants, dessinent une feuille, une fleur, une plante, modèles naturels et simples, cueillis sur la pelouse ou dans le jardin voisins. Ils ont à observer la forme et les proportions, à trouver les deux ou trois détails caractéristiques. Si, aux lignes, ils peuvent ajouter la couleur, il le font en teinte uniforme et plate. Plus tard, ils distingueront toute la gamme des nuances. Il suffit, pour l'instant, qu'ils découvrent les différentes sortes d'une même couleur.

Cette copie du réel, qui des végétaux peut s'étendre à tous les objets familiers aux enfants, prépare les exercices de composition décorative. Il ne suffit plus ici de regarder et de reproduire, il faut, par un effort d'intelligence et de goût, combiner, ordonner les éléments de son dessin pour les adapter à la forme qu'on veut orner. On commencera par des motifs de carrelage qui se répondent symétriquement, des frises, pour continuer par la décoration sur papier d'aquarelle de profils de vases, d'empreintes d'assiettes, de tasses, de corps de lampe, de surfaces d'abat-jour, de tout ce qui peut être joli en même temps que d'un emploi commode.

Dans ce travail d'ensemble, les plus habiles, ceux qui ont à la fois l'oeil observateur, la main adroite, l'imagination féconde, se distinguent bien vite. A ceux-là, on peut discrètement permettre des essais de composition personnelle sur un thème donné ou d'après des impressions, des souvenirs : ils reproduiront des scènes vécues, des paysages, imagineront une scène historique.

Même laissés à leur naïve inspiration, ces petits peintres originaux reçoivent les conseils du maître. Ils se voient ramenés par lui à des règles, à une discipline sans lesquelles leur inexpérience s'égarerait ou se lasserait très vite. Ici comme en toute étude, il faut que l'élève, sans rien perdre de ses dons personnels, s'éduque dans un sens précis et, par des exercices répétés, se fortifie.

Aussi doit-il en venir à l'enseignement traditionnel, au des


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sin classique, s'il y a vraiment en lui un futur artiste. L'objet usuel, le modèle vivant ne sauraient lui suffire; il faut que patiemment, docilement, il copie en blanc et noir, avec des crayons et sur papier, les plâtres qui reproduisent les chefsd'oeuvre de l'art plastique. C'est à ce prix qu'il apprendra les proportions, les valeurs, les mouvements des lignes et leur déformation en perspective, les effets de lumière et les harmonies des formes, qu'il atteindra le beau sans sortir du domaine de la vérité. L'erreur pédagogique avait été de soumettre pendant des mois à cette discipline sévère, à cet entraînement difficile, tous les élèves sans distinction, même ceux qui ne pouvaient ni compreridre, ni sentir, ni exécuter. Ce travail, à la mode d'autrefois, à la mode de Michel-Ange, comme du Poussin, d'Ingres, ou de Puvis de Chavannes, réservé à une très petite élite, transformé presque en leçon particulière individuelle, sera une exception dans nos ateliers d'école, mais il y réapparaîtra toujours pour acheminer vers le grand art des garçons exceptionnellement doués.

Ceux qui ne peuvent aller aussi loin ont une ressource inappréciable dans la gravure sur cuivre, l'eau-forte. Cette innovation récente de l'atelier Dupire parait appelée à un prompt développement. Elle a des avantages auxquels la jeunesse ne saurait rester insensible. Une gravure de débutant ne peut pas être de grandes dimensions, ce n'est pas une tâche monotone à poursuivre pendant des semaines. C'est un travail varié qui se décompose en opérations successives : croquis sur papier, décalquage, gravure à la pointe sur la plaque enduite de vernis, trempes répétées et minutieuses dans l'acide, et, une fois la plaque terminée, toutes les phases du tirage. Le tout constitue une technique active, presque amusante, avec des surprises, des trouvailles plus ou moins ingénieuses, des procédés plus ou moins adroits, une part d'invention qui stimulent l'initiative et permettent l'originalité. Il s'y joint encore l'attrait de reproduire son oeuvre à de multiples exemplaires, de transformer son savoirfaire en moyen d'être agréable à parents ou amis et, à l'occasion, de tirer un profit de son travail. Cette satisfaction est si grande


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que le jeune graveur ne s'aperçoit plus qu'à creuser ainsi sa plaque de cuivre, il perfectionne son dessin, se familiarise de mieux en mieux avec les lignes, les plans, les valeurs, et, ce qui a aussi son prix, qu'il s'habitue au travail minutieux, fini et parfaitement achevé. Ce coin des graveurs des Roches n'est point une. distraction de plus pour école où l'on s'amuse, c'est un coin de labeur intelligent et d'éducation véritable. Il n'en sortira pas chaque année des adolescents qui, comme leur Maître et son premier disciple Lindenkrone, exposent aux Artistes français, mais quelques Rocheux capables d'occuper leurs loisirs à des oeuvres d'intelligence et de beauté, auront fait là leur apprentissage.

Sur ce qui se fait à l'atelier Vignetey, rien ne nous renseignera mieux que ce qu'il expose au salon annuel de l'École. Sans doute, il n'y a là qu'un petit choix des travaux les mieux réussis, mais leurs qualités mêmes attestent avec plus de netteté les buts poursuivis par ce second groupement de jeunes artistes.

Comme dans le premier, nous retrouvons les essais plus ou moins adroits des débutants, à côté des oeuvres plus achevées de ceux qu'une méthode précise mais non tyrannique a développés dans le sens de leurs aptitudes. Toutefois, la fermeté du dessin, la vérité et la vie du coloris, jamais terne, ni fade, se remarquent chez presque tous les élèves. Ce sont ici les qualités fondamentales; elles donnent naissance à des oeuvres non point aimables et jolies, mais fortes. En cet atelier dirigé par une femme, le travail, comme la discipline, est d'une jeune virilité.

Arrêtons-nous d'abord devant ces silhouettes d'Égyptiens, découpées dans du carton et coloriées en teintes plates blanc, brun et noir. Elles se détachent dans leurs attitudes un peu hiératiques sur un fond de paysage, en quelque sorte synthétisé, où le jaune d'or du sable, le bleu cru du ciel, le rouge des pyramides, le vert du palmier suffisent à évoquer le pays des Pharaons. Tout ce pittoresque a été obtenu avec du papier découpé et collé, rehaussé de quelques coups de crayon ou de pinceau. De jeunes garçons inspirés par le programme historique de leur classe ont uni leur savoir-faire et, avec les conseils de leur professeur, ont exécuté, non sans plaisir, cette cons-


62 LE JOURNAL (FASC.

traction animée qui relève à la fois de la classe de quatrième et de l'atelier d'art.

Les essais de composition décorative sont très variés : ils se distinguent par l'originalité du sujet et sa disposition, mais ils se ressemblent par la solidité et l'éclat de la facture. Ici ou là, une maladresse de dessin ou une faute de coloris témoignent que le jeune garçon a travaillé par lui-même. L'étude directe d'après nature de plantes, d'animaux, d'objets, a toujours servi de point de départ, puis, par le travail combiné de l'imagination, du raisonnement, du goût, elle s'est transformée en un motif de décoration. Tel élève a reproduit d'abord, au pinceau des campanules, des champignons qu'il stylisera par la suite, tel autre, des souris qui deviendront un détail amusant d'une bande décorative, tel autre, des jouets qui donnent le sujet principal d'une affiche de voyage ou d'une couverture de catalogue. D'autres, plus âgés, après avoir dessiné et peint des étoiles, des livres, des natures mortes, adaptent leurs études à un panneau décoratif. C'est ainsi que la copie au crayon du moulage de la célèbre tête de nègre de la cathédrale de Strasbourg se change en un portrait au pastel de farouche soudanais. La fantaisie n'intervient qu'à la suite de l'étude sérieuse du réel; elle crée mais d'après des données exactes.

La même progression méthodique achemine les jeunes modeleurs du travail d'après nature, oiseaux, animaux ou maisons vers l'oeuvre d'imagination. C'est par la copie soignée et patiente que chacun se prépare à la création libre sans se perdre dans l'étrange. Si ce vautour au repos, cette oie naïve, ce moineau peureux, ce pierrot qui rêve accroupi, cet autre qui marche avec désinvolture, cette femme qui tend les bras à son enfant ont, malgré la jeunesse des auteurs, tant de vérité et de simplicité, c'est que la main a été guidée par l'intelligence déjà disciplinée.

Les travaux de gravure sur bois et de poterie ajoutent aux qualités précédentes, — la même méthode progressive étant suivie partout, — un autre intérêt : ce sont des travaux en collaboration. Le sujet à graver a été trouvé et composé par un élève, quelquefois par deux, et souvent, c'est un autre qui,


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 63

d'après ce dessin primitif, a creusé dans la tablette de poirier, l'image à reproduire. Le technicien s'est associé à l'artiste. Plus effective encore, puisqu'ici elle est constante, est la collaboration dans la poterie. Les tourneurs sont des spécialistes; de la terre, leurs doigts agiles font sortir un vase dont la forme, suggérée par le professeur, garde toujours de l'imprévu. Sur l'objet séché, un ou deux camarades exécuteront des ornements décoratifs de leur invention. La division du travail, d'après les capacités personnelles, se fait tout naturellement entre nos jeunes potiers qui, d'instinct, se rapprochent des procédés industriels.

Notre étude portant spécialement sur l'art à l'Ecole, nous ne décrirons pas les autres ateliers où l'habileté manuelle tient la première place. Mais là aussi, qu'il s'agisse de la reliure de Mme Dupire ou de Mme Meyer, de la vannerie de Mme Rousselin, du cuirde Mlle de Bonvillers, de la forge de M. Malavielle, de la menuiserie de M. Léger, nous trouverons partout le souci d'occuper l'élève au travail de son choix, parce que celui-ci répond à ses aptitudes propres, et de l'amener, par un apprentissage méthodique, où l'intelligence garde un rôle actif, à produire ce qu'il a conçu et voulu. C'est bien par là que l'artisan se rapproche de l'artiste et se distingue du simple ouvrier.

Il ressort de cette activité assez étendue de nos classes d'art des conclusions qui font honneur à l'École. Sur ce point comme sur d'autres, les Roches sont novatrices et peuvent servir d'exemple.

I. — La première conclusion, c'est que, dès le début, nos élèves trouvent à exercer leurs aptitudes et leur adresse dans les sens les plus divers. Rien ne va paralyser leur épanouissement. On ne leur laisse point faire simplement ce qui leur plaît, mais on ne leur impose pas non plus de faire ce qui ne répondrait ni à leurs dons, ni à leur ambition naïve. Ils font ce dont ils sont naturellement capables et désireux. Ce respect de leur personnalité naissante n'empêche pas de les discipliner. On oriente le choix de l'enfant, on lui enseigne des procédés, on l'habitue à des méthodes. On ne tue pas en lui l'inspiration, on l'aide à s'exprimer par les moyens que les adultes ont découverts et


64 LE JOURNAL (FASC.

perfectionnés. Tel jeune garçon a la vision rapide des lignes et des plans; on le dirigera vers le dessin à main levée, le croquis au crayon ou à la plume et, plus tard, vers la gravure. Tel autre a la vive impression des couleurs, l'intuition des valeurs qui s'harmonisent ou s'opposent : on le fera peindre avec des crayons, des pastels, des couleurs, sur le papier, l'étoffe ou le bois. Tel autre encore a le sens des proportions, du mouvement, et ses mains souples sont fort adroites : on le mettra au modelage qui, de l'enfantin pétrissage de terre glaise, va jusqu'à la sculpture d'art.

Ainsi l'aptitude respectée, dirigée, satisfaite, prépare la découverte de la vocation et l'orientation professionnelle. Ce n'est pas de l'art pour l'amusement, ni de l'art pour l'art, mais de l'art pour la formation complète et harmonieuse de la personnalité.

II. —La seconde conclusion, c'est que cet ensemble de travaux artistiques se rattache, malgré ses techniques spéciales, à notre plan général d'éducation : s'inspirant des mêmes principes, tendant au même but, il n'est ni un supplément, ni un accessoire, mais une partie indispensable d'un tout.

D'abord, cette liberté bien surveillée, qui permet à l'enfant de trouver en lui-même le point de départ de ses actes, mais qui l'empêche de s'égarer, qui favorise son initiative et le préserve, des entreprises hasardeuses, se retrouve ici comme dans toute la vie de l'École.

Il s'y joint encore, ce qui est plus difficile dans les classes, la possibilité du travail collectif, la collaboration d'activités diverses pour aboutir à une oeuvre d'ensemble. Le temps n'est pas venu où l'on pourra se mettre à deux pour trouver la traduction d'un texte qui soit la plus exacte et la plus élégante, ou se mettre à trois ou quatre pour découvrir, sans de longues et vaines recherches, la solution d'un problème. Notre conception traditionnelle du travail scolaire y répugne : il faudrait renoncer aux notes, aux places, aux sanctions. Mais rien n'empêche l'étroite collaboration du dessinateur, du constructeur, du modeleur, du peintre pour créer une oeuvre qui soit belle


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 65

et qui, de plus, réponde à un besoin de l'École et en complète l'ornementation. Si, à cette union active des spécialistes en tous genres, y compris les relieurs, les menuisiers, les ferronniers et forgerons, on donne des occasions fréquentes de se manifester, on aura non seulement stimulé l'effort artistique des élèves, mais encore affermi en eux le bon esprit de l'École.

III. — Un progrès déjà ébauché,—c'est la troisième conclusion, — reste à poursuivre et à mettre au point : la coopération réelle des travaux pratiques avec les classes, l'étroite union des arts et des études par un emploi du temps qui les rapproche et surtout par des occupations manuelles qui s'inspirent des enseignements littéraires ou scientifiques, les traduisent, les interprètent et, les vivifiant, les renforcent. Puisque l'histoire, en ses périodes successives, donne aux classes leur centre d'intérêt, elle peut trouver, dans tous les ateliers, un complément, une illustration constante. Les constructeurs d'Egypte et d'Assyrie, les sculpteurs de la Grèce et de Rome, les bâtisseurs d'églises romanes et gothiques, de châteaux féodaux et de palais Renaissance, les décorateurs et les peintres des XVIIe et XVIIIe siècles, appartiennent à l'histoire, sont étudiés dans les manuels et les cours. Mais, en même temps, ils sont sous les formes les plus diverses, des réalisateurs de beauté sensible et, dans les ateliers d'art, par les procédés ils sont des maîtres, par les oeuvres, ils sont des modèles. Ici, on étudie leurs vies, là, on imite leurs travaux et ce double contact les fait mieux connaître. Les élèves en apprendront donc plus sur l'Étrurie si, aux détails de leurs livres, s'ajoute le dessin, le modelage ou la décoration d'un vase étrusque ; ils en sauront plus sur les idées de grandeur d'un Louis XIV, les goûts raffinés d'une Pompadour, le libertinage de la Régence, s'ils apprennent à la menuiserie à distinguer la lourde élégance d'un bahut de Boule du galbe gracieux d'un bureau de Riesener, si, à l'atelier de peinture, ils copient un motif décoratif de Lebrun ou de Bérain avant une chinoiserie de Boucher ou une fantaisie du style rocaille. Et à ceux dont les yeux verront mal les lignes et les couleurs, qui manqueront d'imagination ou d'adresse manuelle, restera la ressource de

5


66 LE JOURNAL (FASC.

regarder des albums, d'analyser de belles images, de se préparer à la visite des musées qui sont, en même temps que des temples du goût, des témoins de l'Histoire. A nos ateliers d'art doivent être un jour annexées une bibliothèque spéciale et des collections de documents.

De cette collaboration étroite et raisonnée, les études ne seront pas seules à bénéficier, les arts en profiteront également. Nous avons déjà vu combien ils acquéraient de valeur pédagogique en contribuant par leur technique et leur discipline à la formation du caractère, ils ne peuvent que l'augmenter encore en evenant des moyens d'études, des instruments du savoir. L'art, en s'intellectualisant, ne sort pas de son domaine propre qui est le beau, mais aux impressions de la sensibilité, aux émotions du sentiment, il ajoute la force rayonnante des idées. Nos travaux pratiques qui, même sous leur forme la plus modeste, tendent aux travaux artistiques, ont donc tout à gagner à rattacher toujours l'habileté manuelle à la suprématie de l'intelligence. Ils se développeront ainsi dans la manière bien française. N'est-ce pas un besoin de notre race, comme une tradition de notre pays, de mettre, à la base de toutes nos formes d'activité, l'idée qui, après les avoir conçues, les dirige et les maintient sous la tutelle de la raison?

M. MONTASSUT.

LA MUSIQUE A L'ÉCOLE

Musique instrumentale et vocale n'ont pas été moins cultivées que les années précédentes. Par les classes régulières de solfège dans l'enseignement préparatoire, par les leçons particulières de piano, violon et violoncelle, les élèves peuvent, s'ils ont des aptitudes et de la bonne volonté, acquérir une véritable culture musicale. L'orchestre d'autre part, le club des chanteurs, les professeurs des divers instruments s'unissent pour donner des concerts où les morceaux d'ensemble alternent avec les solistes. A la chapelle catholique une schola, spécialement formée au


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 67

plain-chant rehausse les cérémonies et entraine peu à peu au chant général. Les chants au temple protestant ne sont pas préparés avec moins de soin.

Les programmes des séances de musique ont été établis de manière à faire connaître aux élèves des Roches des oeuvres classiques dont la perfection est depuis longtemps reconnue et des oeuvres modernes françaises ou étrangères, dont l'originalité, même hardie, reste accessible à un auditoire jeune. Comme toute institution de l'École, la musique, sans perdre de son prestige d'art, est un moyen d'éducation.

I. — CONCERT DU 12 NOVEMBRE

Séance de chant avec le gracieux concours de Mlle Nathalie Cellérier dans des chansons anciennes et modernes. Pendant les intermèdes : Polonaise en ut de Chopin. — Sérénade espagnole de Glazounow. —Pavane de Ravel exécutée au violoncelle par Guillaume Albaret.

IL — CONCERT DU 14 NOVEMRRE

Séance de musique de chambre consacrée aux Romantiques allemands, avec le concours de Mme Cellérier et des Professeurs de l'École. M. Jacquemin au piano, M. Marré au violon, Mlle Clément au violoncelle.

Trio en sol mineur de Weber. —Sonate en fa dièse pour piano de Schumann. — Deux mélodies de Schumann. — Trio en mi bémol de Schubert. — Deux mélodies de Schubert.

III. CONCERT DU 12 DÉCEMBRE

Quatuor à cordes avec le concours de M. et de Mme Courbin, de Mme Zaleska et de Mlle Clément.

Trio à cordes de Jean Cras. — Toccata en fa pour piano de Saint-Saens. —Petrouchkade Stravinsky. — Études pour piano de Chopin. — Quatuor à cordes de Beethoven.


S8 LE JOURNAL (FASC. 101

IV. — CONCERT DU 6 FÉVRIER

Séance consacrée à César Franck et à Edouard Lalo avec commentaires de M. Charlier.

Trio en la mineur de Lalo. — Pastorale en mi de Franck transcrite pour piano). — Sonate en la pour piano et violon de Franck.

V. CONCERT DU 5 MARS

Séance donnée par l'orchestre de l'École.

Symphonie en sol mineur de Mozart. — Andante pour violonselle et orchestre de Chabrier. — Bourrée fantasque. — Mabanera.

VI. CONCERT DU 19 MAI

Séance d'orchestre et de chant d'ensemble sur des thèmes populaires avec le concours de Mme Speranza Calo, soliste des concerts Colonne et Lamoureux.

Thèmes juifs de Prokofieff. — Chants populaires grecs. — Petite suite arménienne d'Alexaniau. — Vieilles chansons françaises de Lassus et d'auteurs inconnus. — Chants populaires persans harmonisés par Bair Fourchild. —La fête du Zakinouko, de Grassi. — Chants populaires écossais de Beethoven. — Chants populaires russes de Liadow.

VII. CONCERT DU 11 JUIN

Séance de musique de chambre consacrée à la musique russe.

VIII. CONCERT DU 2 JUILLET

Séance de musique de chambre consacrée à la musique française contemporaine par Mlle Clément, MM. Mare et Jacquemin.

Sonate pour violon et violoncelle de Ravel. — Pièces pour piano de Debussy. — Sonatine pour piano et violon de J. Huré. — Sonate fa # mineur pour piano et violoncelle de J. Huré. — Shants breton", piano, violon et violoncelle de J. Huré.


DEUXIÈME PARTIE

L'ANNÉE SPORTIVE

VIE SPORTIVE

FOOT-BALL. 1re ÉQUIPE.

1er terme.

L'École des Roches bat le P. U. C 4 à 2,

L'École des Roches et le C. A. P. font match nul 0 à C

L'École des Roches bat l'École Normale d'Évreux 4 à 3

L'École des Roches bat le Cercle Sportif de l'Yonne 8 à 9

L'École des Roches bat le Lycée d'Évreux 4 à 1

L'École des Roches bat le Collège d'Argentan 2 à 3

L'École des Roches bat le Collège de Normandie 0 à 1

Le Standard-Club bat l'École des Roches 7 à 2.

2e terme.

Le Stade Malherbe Caennais bat l'École des Roches 6 à 9

Le Stade Vernolien bat l'École des Roches 4 à 1

L'École des Roches bat la 2e équipe du Stade Vernolien 7 à6

L'École des Roches bat le Stade Vernolien 3 à 4

L'École des Roches bat la réserve du Stade Français 8 à 4

L'École des Roches bat le C. A. P 7 à 2.

Le Collège Ste-Croix de Neuilly bat l'École des Roches 5 à. 6

Les « Anciens » battent l'École des Roches 6 à 2

L'École des Roches bat le Collège de Normandie 12 à 3

2e ÉQUIPE.

L'École des Roches bat Tïllières 5 à

La « Jeunesse Vernolienne » bat l'École des Roche? 2 à


10 LE JOURNAL (FASC.

HOCKEY.

1re ÉQUIPE.

1er terme.

L'École des Roches bat « le Foot-Ball-Club Rouennais » 5 à 1

L'École des Roches et l' «Union Sportive Argenteuillaise» font match

nul 0 à 0

Le P. U. C. bat l'École des Roches 2 à 1

L'École des Roches bat la 2° équipe du « Sporting-Club de Colombes » 10 à 1

Le " Deauville-Athlétic-Club » bat l'École des Roche» 7 à 3

2e terme.

L'École des Roches bat le Racing-Club de Colombes » 8 à 0

Le P. U. C. bat l'École des Roches 3 à 4

L' « École de l'Ile de France » bat l'École des Roches 2 à 1

MATCHES DE MAISONS :

FOOT-BALL.

Prairie-Sablons match nul 2à2

Pins bat Coteau 4 à 1

Vallon bat Guichardière 5 à 1

Prairie bat Sablons 2 à 1

Prairie bat Pins 1 à 0

Finale : Prairie bat Vallon 4 à 2

HOCKEY.

Prairie bat Sablons 11 à 0

Pins bat Coteau 4 à 1

Guichardière bat Vallon 2 à 0

Pins bat Guichardière 4 à 3

Finale : Prairie bat Pins 5 à 1

BASKET-BALL.

Guichardière bat Vallon 10 à 9

Prairie bat Sablons 22 à 5

Pins bat Coteau 11 à 4

Prairie bat Pins 22 à 18

Finale Prairie bat Guichardière 25 à 6

TENNIS.

Sablons bat Pins 2 victoires à 0

Guichardière bat Coteau 2 victoires à 0

Vallon bat Prairie 2 victoires à 0

Sablons bat Vallon 2 victoires à 0

Finale : Sablons bat Guichardière.


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES 71

CRICKET.

Coteau bat Sablons. Vallon bat Guichardière. Pins bat Prairie. Coteau bal Vallon. Finale : Pins bat Coteau.

FÊTE DE L'ÉCOLE I. RÉSULTATS DBS PERFORMANCES (Seniors)

Saut en hauteur

1 Y. Castelli 1 m. 88

2 Boutelleau 1. m 57

3 Tim Jahard 1 m. 57

4 Navarre 1 m. 56

Lancer du poids (5 kilogs)

1 Max Cormouls-Houlès 19,70

2 Y. Castelli 19,39

3 Nogrette 17,75

4 F. Latham 17,32

83 mètres haies

1 Y. Castelli 11 4/5

2 J. Pascalis

3 Tim Jahard

4 Gaston Jahard

Record de l'École battu par Castelli.

100 mètres plat

1 Max Cormouls-Houlès 12"

2 Tim Jahard

3 C. de Lestapis

4 G. Gascheau

Lancer de la balle de cricket

1 A. Graillot 63 m. 55

2 C. Chantala

3 Y. Castelli

4 Max Cormouls-Houlès

300 mètres plat

1 J. Pascalis 40"

2 Max Cormouls-Houlès

3 P. Argod

4 H. Thierry-Mieg

1.500 mètres plat

1 P. Argod 4' 96"

2 J. Pascalis

3 S. Edgington

4 H. Thierry-Mieg

Lancer du disque

1 Y. Castelli 25 m.

2 C. Piat 23 m. 10

3 H. Thierry-Mieg 22 m. 34

4 Max Cormouls Houles 22 m. 30

Saut en longueur

1 Y. Castelli 6 m. 30

2 J. Pascalis 5 m. 49

3 B. de Shlumberger 5 m. 46

4 Tim Jahard


72 LE JOURNAL (FASC.

800 mètres plat

1 P. Argod 2' 15''

2 S. Edgington

3 H. Thierry-Mieg

4 E. de Moltke

Relais

1 Sablons (record battu) 42" 1/5

2 Pins

3 Coteau

II - RÉSULTATS DES PERFORMANCES (Juniors)

Lancer du poids (4 kilogs)

1 E. Sandoz 18 m. 04

2 A. Bullinger 17 m. 26

3 Liebermann 16 m. 81

4 Stoecklin 15 m. 79

Saut en hauteur

1 V. Spalaïkovitch 1 m. 50

2 S. Pérony

3 Verley

4 J. Cohades

65 mètres haies

1 Jousse 10"

2 Pérony

3 J. de Beaumarchais

4 Claude

Saut en longueur

1 R. Stoecklin 5 m. 40

2 Liebermann. 5 m. 17

3 Marcos 4 m. 34

4 Sandoz

80 mètres plat

1 Sandoz 9" 4/5

2 Jousse

3 Liebermann

4 R. Mönick

600 mètres plat

1 Thullier 1'41" 2/5

2 R. Molenaar

3 J. de Beaumarchais

4 R. Stoecklin

III. — RÉSULTATS DES PERFORMANCES minimes)

Saut en hauteur

1 H. Argod 1,35

2 Chamonard 1,33

3 L. Van Hamel 1,32

4 F. de Beaumarchais 1,30

Lancer de la grenade.

1 H. Argod (record battu) 29 m. 09

2 Notéris

3 Walbaum

4 R. de Liedekerke

Saut en longueur

1 de Paniagua 4,60

2 F. de Beaumarchais 3 H. Argod

4 Ph. de Liedekerke


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 73

60 mètres plat

1 Paniagua 8" 4/5

2 F. de Beaumarchais

3 Chamonard

4 Meyer

Relais

1 Vallon 29" 1/5

2 Pins

3 Coteau

RÉSULTAT FINAL :

1er Pins 86 points

2° Sablons 82 points

3e Vallon 81 points

4e Prairie. 5e Coteau. 6e Guichardière.

La coupe des Anciens est gagnée par les Pins.

La plaquette individuelle est gagnée par Yves Castelli.

RENCONTRE D'ATHLÉTISME AVEC LE COLLÈGE DE NORMANDIE

La coupe Seniors ne s'est pas disputée cette année, le Collège de Normandie ayant déclaré forfait.

La Coupe Minimes fut gagnée par l'École des Roches de justesse :

École des Roches 36 points, Collège de Normandie 35.

La coupe Juniors fut gagnée par l'École des Roches.

Ecole des Roches 49 points; Collège de Normandie 33.

Au cours de cette rencontre, nous signalons la belle performance de Pérony qui sauta en hauteur 1 m. 58.


TROISIÈME PARTIE

LE PERSONNEL DE L'ÉCOLE

Fondateur: M. Edmond DEMOLINS f.

Conseil d'Administration : MM.

Paul DE ROUSIERS (•$£), secrétaire général du Comité central des Armateurs de France, professeur à l'École des sciences politiques, président.

Gaston BRETON (0. %), membre du Conseil supérieur de la Marine marchande, vice-président.

Madame DEMOLINS.

AUGUSTIN-NORMAND (^£), industriel.

Serge ANDRÉ (H), industriel.

Marcel AUBE (^ et U), agent de change.

Georges BERTIER (%, tH, 0. ||), administrateur-directeur.

Maurice HERVEY ($ et tU), sénateur de l'Eure, vice-président du Sénat.

René LOUBET (ê et #), administrateur de la Société de Contrexéville.

Pierre LYAUTEY (ifi), directeur de l'Association de l'Industrie et de l'Agriculture françaises.

Pierre MONOD, banquier.

Emmanuel SAUTTER (0. Q), directeur général des Foyers.


FASC. 10) LE JOURNAL DE L'ÉCOLE DES ROCHES 75

Comité de Direction : MM. DE ROUSIERS (%), président. G. BRETON (0. ^i), vice-président. A. AUGUSTIN-NORMAND. Marcel AUBÉ (^t #). G. BERTIER (% t§i). M. HERVEY (^ttii). R. LOURET (ê t§i).

ADMINISTRATION

Directeur :

M. Georges BERTIER (% #), licencié ès lettres et en philosophie (janvier 1901).

Sous-Directeurs :

M H. TROCMÉ, licencié es lettres, chef de la Maison des

Sablons (octobre 1902). M. H. MARTY (0), licencié es lettres, chef de la Maison du

Vallon (mai 1908).

Aumôniers :

M. l'abbé GAVAND (@).

M. l'abbé LEGENDRE, chanoine honoraire, curé de Notre-Dame

de Verneuil. M. l'abbé COMMAUCHE, licencié es lettres (février 1920). M. le pasteur CELLÉRIER (mai 1913).

Médecin :

M. le Dr FARRE (tH), ancien interne des hôpitaux de Paris (octobre 1911).

Econome :

M. Edmond VALODE (®) (août 1921).


76 LE JOURNAL (FASC.

Chef du Secrétariat : M. LOUIS DE LAJARTE.

DIRECTION DES MAISONS

Chefs de Maisons : MM.

Henri TROCMÉ, licencié es lettres, chef de la Maison des Sablons (octobre 1902).

Henri MARTY (t§i), licencié es lettres, chef de la Maison du Vallon.

Maurice MONTASSUT, licencié es lettres, ancien directeur de l'École de l'Ile-de-France, chef de la Maison de la Prairie (octobre 1914).

Mlle Elisabeth HUGUENIN, directrice de la Maison du Coteau (octobre 1921).

Paul BELMONT, licencié es lettres, chef de la maison de la Guichardière.

Francis CAHOUR, licencié es lettres, chef de la maison des Pins.

Edmond OUINET, brevet supérieur, certificat d'aptitude pédagogique, chef de la maison de Pullay.

Albert MEYER, licencié es lettres, chef du Pavillon Gamble.

Georges AUGST, licencié es sciences, chef de la Maison des Champs.

Pierre MARRÉ, chef de la maison de l'Iton.

Maîtresses de Maison :

Mmes

Georges BERTIER, maîtresse de, maison du Coteau.

Henri TROCMÉ, maîtresse de maison des Sablons.

Henri MARTY, maîtresse de maison du Vallon.

Mlle LESADE, maîtresse de maison de la Guichardière,

Mlle CHAPUIS, maîtresse de maison de la Prairie,

Francis CAHOUR, maîtresse de maison des Pins.

Mesdames OUINET, AUGST, MEYER, MARRÉ.

Professeurs : Mlle BILLION, brevet supérieur


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 77

Mlle BRAGUET, brevet supérieur. Certificat d'aptitude pédagogique.

Mlle CLÉMENT, premier prix du Conservatoire de Paris, professeur de violoncelle.

Mlle DE COMMINGES, licenciée es lettres (octobre 1923).

Mlle DUPAU, certificat d'aptitude à l'enseignement de l'anglais, diplômée de l'Université de Birmingham (novembre 1916).

Mme DUPIRE (reliure) (octobre 1918).

Mlle DUPLATRE, diplôme de fin d'études secondaires (octobre 1917).

Mlle HIRLER, certificat d'aptitude à l'enseignement de l'allemand dans les lycées et collèges (octobre 1920).

Mlle Elisabeth HUGUENIN, licenciée es lettres de l'Université de Neufchatel (octobre 1921).

Mlle JACQUEMIN, brevet supérieur.

Mlle MARY, licenciée es sciences, ingénieur-chimiste.

Mme ROUSSELIN, vannerie.

Mlle VIGNETEY, diplôme de professeur de dessin dans les lycées et collèges (octobre 1917).

MM.

AUGST, licencié es sciences, ingénieur diplômé d'études supérieures agronomiques (novembre 1924).

D. BERGER (Sfe t§i), chef d'escadron de cavalerie breveté, en retraite (octobre 1924).

P. BELMONT, licencié es lettres, diplômé d'études supérieures en

philosophie. A. BLANCHETIÈRE, licencié es lettres (octobre 1917). C. BODÉ (3fct§i), licencié es sciences, ingénieur électricien de

l'Institut électro-technique de Nancy, ex-préparateur à la

Faculté de Nancy (octobre 1907).

E. BOUCHET, brevet supérieur, certificat d'aptitude pédagogique, certificat d'aptitude à l'enseignement gymnastique (degré supérieur).

F. BRUNET-BELLVER, professeur de langue et littérature espagnoles (novembre 1920).


78 LE JOURNAL (FASC.

CAHOUR, licencié es lettres, diplômé d'études supérieures.

CASTÉRÈS, diplômé de l'Institut de Paris, boxe et escrime (octobre 1918).

André CHARLIER, licencié es lettres, diplômé d'études supérieures de langues classiques (octobre 1924).

Jean COURBiN, professeur de piano à l'École Niedermeyer (mail 911 ).

L'abbé COMMAUCHE, licencié es lettres (février 1920).

G. DUPIRE, sociétaire des Artistes français, ancien élève de l'École des Arts décoratifs (octobre 1899).

L. GARRONE, licencié es lettres, diplômé d'études supérieures de philosophie.

R. DES GRANGES, licencié es lettres (octobre 1902).

J. O. GRANDJOUAN, agrégé de l'Université.

L. GUICHARD, licencié es lettres, diplômé d'études supérieures.

P. JACQUEMIN (H), premier prix de piano du Conservatoire de. Strasbourg (octobre 1926).

G. LANGE, licencié es sciences, ancien professeur de l'Université (octobre 1901).

L. MALAVIEILLE, ingénieur des Arts et Métiers (octobre 1908).

R. MALHER, certificat de fin d'études secondaires, diplôme d'honneur d'éducation physique (Ministère de la Guerre).

C. MENTREL (tu), brevet supérieur, certificat d'aptitude pédagogique, diplôme d'honneur de l'U. S. F. S. A. (novembre 1917).

MÉNIÉ, licencié ès sciences, professeur de l'Université (octobre 1926).

A. MEYER, licencié es lettres (mai 1919).

C. MONNIER (#), licencié es lettres (mai 1919).

M. MOUCHET, banquier à Verneuil.

E. OUINET, ancien professeur de l'Université, diplômé du brevet supérieur et du certificat d'aptitude pédagogique (nov. 1905).

PLANTEY, licencié es lettres, professeur de l'Université (janv. 1927).

A. IMCHENETZKY, diplômé (1er degré supérieur) de la Faculté des sciences de Moscou, docteur es sciences naturelles (diplôme d'Etat français) (octobre 1926).

ROTHMAN, diplômé de l'Institut de Stockholm, professeur de gymnastique (octobre 1923).


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 79

J. TAVERNIER, licencié es lettres, diplômé d'études supérieures de philosophie (octobre 1924).

R. TAYLOR.

L. VIGUIER, ingénieur diplômé de l'Université de Grenoble (section d'électricité)..

Secrétaires : Mlle DE VAUGELET, Mlle FIÉVET et Mme CARGOET.

Comptable : M. Henri BARÉ. Régisseur : M. Fernand ROUSSELIN (^ #). Infirmier : M. MINIER (septembre 1900). Infirmière : Mlle FRÉCHIN.

LISTE DES ÉLÈVES

Capitaine général : Robert ENCELHARD.

I. — MAISON DU COTEAU.

1. Jacques DE BEAUMARCHAIS, parle anglais.

2. François DE BEAUMARCHAIS, parle anglais.

3. Francis BERNIER, a passé deux mois en Angleterre.

4. Paul BERTIER, a passé trois mois en Angleterre.

5. Jacques BERTIER, a passé six mois en Angleterre.

6. Bernard BOUTS.

7. Henri BRUN.

8. René BRUN.

9. Hubert CHARLES-ROUX.

10. Jean-Paul CROUZET.

11. André DOMINICÉ.

12. Maurice FAUX.

13. René FAUX.

14. Jean-Jacques FAVRE-MORIN.

15. François FERREIRA.

16. Oscar FERREIRA.

17. Hartley FLETCHER, a passé trois ans en Angleterre

18. Cyril FLURY-HÉRARD.

19. Jean-Pierre FOURNEAU.

20. Jean GAUSSEN.

21. Frédéric HAVILAND, parle anglais.

22. Robert HINE.


80 LE JOURNAL (FASC.

23. Philippe JODOT.

24. André LANGE.

25. François LATHAM, parle anglais, a passé un mois en Angleterre. .

26. Daniel LATUNE, parle anglais.

27. Alexandre LIERERMANN, parle anglais et russe, a passé six ans

en Angleterre.

28. Pierre MERCADÉ, parle anglais, a passé deux ans en Angleterre.

29. Franck METTETAL.

30. Jean MEYER.

31. Jean MYNHARDT, parle allemand et anglais, a passé un an en Angleterre.

32. Antoine PALLE, a passé trois mois en Angleterre.

33. Albert PALLE.

34. Antoine DE LA PANOUSE.

35 Jacques PY, a passé cinq mois en Angleterre.

36. Max RENIER, a passé quatre mois en Angleterre.

37. Georges DE Roo, parle portugais, a passé trois mois en Angleterre.

Angleterre.

38. Jean STROEHLIN, a passé trois mois en Angleterre.

39. Henry THIERRY-MIEG, parle anglais, a passé quatre mois en

Angleterre.

40. Bernard TRINITÉ, a passé deux mois et demi en Autriche.

41. Jacques VIKCENOT, parle anglais.

II. — MAISON DE LA GUICHARDIÈRE,

1. Gérard DE BEAUGRENIER.

2. Pierre BINDSCHEDLER.

3. Paul BRANDT.

4. Roger BRÈGRE.

5. Maxwell BRIGIIT. 6. Pierre BURGER.

7. Gérard CLARON.

8. Daniel COLIN-OLIVIER.

9. Hardy COOMBS.

10. Paul CUCHET-CHÉRUZEL.

11. Maurice DAROUSSIN.

12. Hubert DRARER, a passé trois mois en Angleterre.

13. Jean DUMENY.

14. Pierre GUICHARD.

15. Jules HARCHELON.

16. Jean HOCHSTETTER.


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 81

17. Paul-André JACQUEL.

18. Louis MAEGHT, a passé trois mois en Angleterre.

19. André MAEGHT.

20. Maurice DE MAGONDEAUX. 21. Paul DE MAGONDEAUX.

22. Jean-Louis DE MAIGRET.

23. Emile MARQUET-ELLIS, parle anglais.

24. François NOTÉRIS. 2-3. Jacques PFEIFFER.

26. Robert RANDEL a passé trois mois en Allemagne.

27. Pierre ROUDY.

28. Michel SABATIER.

29. Bernard DE SCHLUMBERGER, parle allemand.

30. Henri TERNYNCK, a passé un mois et demi en Angleterre.

31. Bernard TOLLON, a passé deux mois en Angleterre.

32. Bernard TOUSSAINT, a passé trois mois et demi en Angleterre.

33. Louis TRIPET.

34. Félix VEJARANO, parle espagnol et anglais.

35. Xavier DE VIENNE, a passé trois mois et demi en Angleterre.

36. Guy VIENNET.

37. Jules WATTEL, a passé deux mois en Angleterre.

38. Maurice WORTH, parle anglais.

III. — MAISON DES PINS.

1. Henri ALARD.

2. André BESANÇON, a fait un stage en Angleterre.

3. Amaury DE BOISGELIN, parle anglais.

4. Bruno DE BOISGELIN, parle anglais.

5. Frédéric DE BOISGELIN, parle anglais.

6. Georges DE BOISGELIN, parle anglais et allemand.

7. André BOTH.

8. Gérard BOUTELLEAU.

9. Claude CAPELLE.

10. Nicolas CAPITANÉANU, parle allemand, anglais et roumain.

11. Jacques CARPENTIER.

12. Pierre CHAMONARD.

13. Jean CHAMPAGNE, a fait un stage en Allemagne.

14. Jean-Louis CHARPENTIER.

15. Etienne CLAUDE, parle allemand.

16. Roger CLAUDE, parle anglais et allemand.

17. Eric COLCOMBET, parle allemand.

6


82 LE JOURNAL (FASC.

18. Guy COLCOMBET, parle allemand.

19. Hilaire COLCOMBET, parle allemand.

20. Philippe COLLIGNON.

21. Antoine DE COSSÉ-BRISSAC.

22. Jean DELVICHE.

23. Pierre DE DOUVILLE, a fait un stage en Angleterre.

24. James DUVAL, parle anglais.

25. André ESCOUFLAIRE, a fait des stages en Allemagne et Angleterre,

26. Henri GANTÉS, a fait un stage en Angleterre.

27. Raymond GASTAMBIDE.

28. Henri GÉRARD, a fait un stage en Autriche.

29. Christian GÉRARD.

30. Louis-Pierre GOUPY.

31. André GRAILLOT, a fait un stage en Angleterre.

32. Jean-Claude HATT.

33. Jean HECHT.

34. Gaston JAHARD, parle anglais.

35. Tim JAHARD, parle anglais.

36. Edgard LATHAM, a fait un stage en Angleterre.

37. Henri LAVERNE, a fait un stage en Angleterre.

38. François DE LIANCOURT.

39. Jean-Daniel LUCIUS.

40. Gilbert MÉNAGE, a fait un stage en Angleterre.

41. André MICHENOT.

42. Eiler DE MOLTKE, a fait un stage en Angleterre.

43. Raoul MONSÉGUR.

44. Alain ODIER.

45. François DE PANIAGUA.

46. Jean PARIS, parle espagnol.

47. Jean PASCALIS, a fait un stage en Angleterre.

48. Claude PLANSON.

49. Jean ROUTTAND, a fait un stage en Angleterre.

50. Pierre TAWILL.

51. Jean THIRRY DE LESPINASSE DE LANCEAC.

52. Denis TORTEL.

53. Emile VACCARO.

IV. — MAISON DE LA PRAIRIE.

1. Michel ANDRÉ, a passé deux mois en Angleterre.

2. Pierre ANDRÉ.

3. Antoine D'ARGENT, a passé deux mois et demi en Angleterre.


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 83

4. Jacques ARNAUD.

5. Albert BEAUVILLAIN.

6. Lucien BODARD.

7. Serge CASTELLI.

8. Yves CASTELLI, a passé quatre mois en Angleterre.

9. François CHAUCHAT.

10. Paul CHAUCHAT, a passé six mois en Angleterre.

11. Raymond CHAUCHAT, a passé six mois en Angleterre.

12. Jean COHADES.

13. Claude COLIN.

14. Jean-Paul COURT-PICON.

15. François DAUMET.

16. Jacques DÉGREMONT.

17. Christian DEHOLLAIN.

18. Alain DOMIN.

19. Victor DUCHESNE, a passé deux mois et demi en Angleterre.

20. Robert ENGELHARD, a passé neuf ans en Angleterre.

21. Alexis FAILLIOT, a passé six mois en Suisse allemande.

22. Robert GIROS, a fait deux stages en Angleterre.

23. Nicolas GRIGORCEA, parle roumain et allemand.

24. Max HEURTEMATTE, parle espagnol.

25. Robert JUNG.

26. Trafford KLOTS.

27. Jean LAHAYE, a passé un mois et demi en Angleterre.

28. Etienne LE BAUBE.

29. Francis LEFEBVRE.

30. Paul LEFEBVRE.

31. Bernard LEJEUNE, a passé deux mois en Angleterre.

32. Guy LEJEUNE.

33. Jean-Pierre MAHÉ.

34. Charles MARTIN.

35. Raymond MAUTIN.

36. Yves METTETAL, a passé deux mois et demi en Angleterre.

37. Gérard MIELLET.

38. Edgar MOLENAAR, parle espagnol.

39. Roland MOLENAAR.

40. Jean NAVARRE.

41. Jean NOGRETTE.

42. Bernard D'ONCIEU.

43. Jacques POIRIER.

44. Alain RENAUD.

45. Maurice REYNAUD, a passé quatre mois en Angleterre.


84 LE JOURNAL (FASC.

46. Carlos SAAVEDRA, parle espagnol, a passé six mois en Angleterre.

47. Amédée de SIGALAS.

48. Claude SOULÉ, a passé neuf mois en Angleterre.

49. Voïn SPALAIKOVITCH.

50. Henri TOUPET.

51. Christian WALBAUM.

52. Patrice WALBAUM.

53. Jacques WILBOIS, a passé deux mois en Angleterre.

V. — MAISON DES SABLONS.

1. Charles AHRENFELDT, parle anglais.

2. Pierre BENOIST.

3. Michel BROT.

4. Antoine DE CASTEX.

5. Gérard DE CASTEX.

G. Jean CELLÉRIER, a passé deux mois et demi en Angleterre.

I. Roland CHANTALA, a passé quatre mois et demi en Angleterre et

un mois et demi en Espagne. 8. Pierre de CHEVIGNY.

9. Hubert CORMOULS-HOULÈS, a passé un mois et demi en Espagne. 20. Max CORMOULS HOULES, a passé six mois en Angleterre.

11. Bernard DAUVERNÉ.

12. Jean DAUVERNÉ.

13. Eugène DAVAINE.

14. Pierre DOLLFUS, parle anglais.

15. Henri FAUX.

16. Philippe GALL, a passé six mois en Angleterre.

17. Jean GEMAHLING, a passé six mois en Angleterre.

18. Didier JORDAN, a passé deux mois en Angleterre.

59. Jean-Pierre KIENER, a passé trois mois en Angleterre.

20. Guy LAGNEAU.

21. Roger LAGNEAU.

22. Henri LOMBARD, parle espagnol.

23. Antonio MARCOS, parle espagnol, a passé un mois en Angleterre.

24. Gérald MONOD, a passé six mois en Angleterre.

25. Serge PÉRONY.

26. Pierre POCHET.

27. Jules POZE.

28. Mario RIST.

29. Jacques ROSE, a passé un an en Angleterre.

30. Jacques DE ROUSIERS.


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 85

31. Etienne SANDOZ.

32. Bernard SEYDOUX.

33. François THAON.

34. François THULLIER.

35. Léopold VARCIN.

36. Gérard VOISIN.

37. Charles YTURBE, parle anglais et espagnol.

38. José YTURBE, parle anglais et espagnol.

39. Louis YTURBE, parle anglais et espagnol.

VI. — MAISON DU VALLON.

1. Bernard ARGOD.

2. Hubert ARGOD.

3. Pierre ARGOD, a passé deux mois en Angleterre.

4. Yves AUBE.

5. Jacques AUGUSTIN-NORMAND, parle anglais.

6. Georges DE BRASSOW, parle russe et anglais.

7. Jacques BRETON.

8. Alain BROCA, a passé trois mois en Angleterre.

9. Albert BULLINGER.

10. Jean-Pierre CAZELLES.

11. Claude CELLÉRIER.

12. Alain DE CHAVAGNAC.

13. Michel CLIFTON.

14. Philippe COLOMB.

15. Hugh EDGINGTON.

16. Spenser EDGINGTON.

17. André FLORIN.

18. Claude GASCHEAU.

19. Gérard GOULDEN.

20. René GROS, parle allemand.

21. Amédée HUYGHUES-DESPOINTES.

22. Edouard HUYGHUES DESPOINTES.

23. Xavier KERHUEL.

24. René KRESSMANN.

25. Georges KRESSMANN.

26. Emmanuel LAMOTTE.

27. André LE CESNE.

28. Robert LE CESNE, a passé deux mois en Angleterre.

29. Claude DE LESTAPIS.

30. Pierre LETHIAIS.


86 LE JOURNAL (FASC.

31. Philippe DE LIEDEKERKE, parle anglais.

32. Roger LIENHARDT, parle allemand.

33. Claude DE MARCILLY, parle anglais.

34. Jean DE MARCILLY.

35. Daniel MICHELIN.

36. Marc MICHELIN.

37. Roland MONICK.

38. Arthur DE MONTALEMBERT, parle anglais.

39. Charles DE MONTALEMBERT, parle anglais.

40. Jacques MURE.

41. André MYNHARDT, a passé un an en Angleterre.

42. Jean-François DE NOÉ.

43. Roland DU PASQUIER.

44. Charles PIAT, a passé deux mois en Angleterre.

45. Ronan SEGALEN, a passé trois mois en Angleterre.

46. Henri SÉVENET.

47. Pierre SPOERRY, parle allemand.

48. René STOECKLIN.

49. René VALODE.

50. Gérard VAN HAMEL, parle anglais.

51. Ludovic VAN HAMEL, parle anglais.

52. François DE WATTEVILLE, parle anglais.

53. Robert DE WITT, parle anglais.

54. Edouart ZIEGLER, a passé trois mois en Angleterre.

VII. — MAISON DES CHAMPS.

1. Georges BAZAILLE.

2. Tony CRENDI.

3. Albert CROUTZET.

4. Louis CROUTZET.

5. André JOUSSE.

6. Roland KUENEGEL, parle anglais.

7. Maurice Pons, a passé deux mois en Angleterre

8. Didier RAGUENET

VIII. — MAISON DE L'ITON.

1. Anne-Henri DE BIÉVILLE, parle anglais.

2. Paul LEHOuX.

3. GUY DE SAINT-SERNIN.

4. René DE SAINT-SERNIN, a passé deux mois et demi en Angleterre.


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 87

IX. — PAVILLON GAMBLE.

1. JULES DESURMONT.

2. Albert LAISNÉ.

3. Daniel MONICK.

4. Philippe OBERKAMPF.

X. — MAISON DE PULLAY.

1. Emile BONNET, parle anglais, arabe et espagnol.

2. Ernest CLAUDE, parle allemand.

3. André EYCHENNE.

4. Pierre GOUTAL, a fait un stage en Angleterre.

5. Pierre NOLF.

6. Jean PEIGNON.

7. Roger VERLEY.

XI. — EXTERNES OU ENFANTS DE L'ÉCOLE SUIVANT DES COURS ET NON COMPRIS DANS L'EFFECTIF DES MAISONS.

1. Andrée BLANCHETIÈRE,

2. Geneviève BLANCHETIÈRE.

3. Raymond BLANCHETIÈRE.

4. Françoise CAHOUR.

5. Odile CAHOUR.

6. Pierre CAHOUR.

7. Nicole CELLÉRIER.

8. Jean-Louis FABRE.

9. Robert GAUTIER.

10. André LANGE.

11. Jacques LANGE.

12. Henry MALAVIELLE.

13. Jacques DE MARTEL.

14. Annie MARTY.

15. Bernard MARTY.

16. Françoise MARTY.

17. Marivonne MARTY.

18. Xavier MARTY.

19. Jean MINIER.

20. Michel MINIER.

21. Olga MINIER.

22. Jacques ROUSSELIN.


88 LE JOURNAL (FASC.

23. Pierre ROUSSELIN.

24. Geneviève TROCMÉ.

25. Robert TROCMÉ.

26. Suzanne TROCMÉ.

27. Robert VALODE.

ÉLÈVES AYANT ACCOMPLI OU ACCOMPLISSANT DES STAGES EN PAYS ÉTRANGERS PENDANT. L'ANNÉE 1927-1928.

Vacances de l'été 1027.

1. Guillaume ALBARET, en Angleterre.

2. Antoine D'ARGENT, —

3. Pierre ARGOD,

4. Victor DUCHESNE, —

5. Bernard FAUQUET, —

6. Robert GIROS, —

7. Didier JORDAN, —

8. Jean LAHAYE, —

9. François LATUAM, —

10. Bernard LEJEUNE, —

11. Louis MAEGHT, —

12. Yves METTETAL, —

13. Eiler DE MOLTKE, —

14. Philippe OBERKAMPF, —

15. Jean PASCALIS, —

16. Maurice PONS, —

17. Jean ROUTTAND, —

18. Robert VALODE, —

Slages du 1er et du 2e terme.

1. Annie MARTY, à Chesterfield.

2. Georges BOESPFLUG, à Southampton.

3. Alexis FAILLOT, à Gais (canton d'Appenzell).

Vacances de Pâques.

1. Yves CASTELLI, à Canterbury.

2. Antonio MARCOS, à Southsea.


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 89

Stages du 3e terme.

1. Georges Decoux, à Robert May's Grammar School (Odiham).

2. Bernard FAUQUET, en Angleterre.

3. Christian HINE, à Solihull School (Birmingham).

4. Jean LAVAL, à Harpenden.

5. Bertrand MURE, à Cordewalle School.


ÉCOLE DES ROCHES

Année scolaire 1926-1927

RÉSULTATS DES EXAMENS

BACCALAURÉATS

Mathématiques élémentaires : 9 candidats : 8 reçus.

1 admissible, 3 mentions.

Henri Brun. Marc Roederer. Hubert de Turckeim.

(Mention Assez Bien).

Robert Engelhard. J.-P. Fourneau. Pierre Latune. Yves Roche. François Thierry-Mieg.

Philippe Join-Lambert, Admissible, mais n'a pas passé l'oral (Boursier de voyage en Extrême-Orient des Chargeurs Réunis). Philosophie, 11 candidats : 8 reçus, 1 admissible.

3 mentions.

Eric de Carbonnel. Germain Laguette. Rernard Lelong.

(Mention Assez bien).

François Charles-Roux.


(FASC. 10) LE JOURNAL DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 91

Francis Dollfus. Philippe Gall. Charles Rey. Yves Roche.

André Lange, Admissible, n'a pu se présenter aux épreuves orales à la session d'octobre, pour raison de santé.

Première A, 1 candidat : reçu. Jean du Merle.

Première B, 9 candidats : 9 reçus, 3 mentions.

André Escouflaire. Claude Gascheau. Félix Vérajano.

(Mention Assez Bien).

Anne de Riéville. Raymond Chauchat. André Galiatzatos. René Gros. Robert Le Cesne. Gérard Peugeot.

Première C, 9 candidats : 8 reçus, 3 mentions.

Jacques Breton Jacques Pfeiffer

(Mention Assez Bien).

Carlos Saavedra.

Philippe Colomb.

Edouard Huyghues-Despointes.

Raymond Gastambide.

Jean de Marcilly.

Luis Yturbe.

Première D, 15 candidats : 14 reçus, 3 mentions bien, une mention assez bien.

Jacques Rose Thomas de Strahlborn Suzanne Trocmé

(Mention Bien).

Jean Bley (Mention Assez Bien).

Gérald Dollfus.

Pierre de Douville.

André Graillot.

Pierre Guichard.

Edgard Latham.

Gérald Monod.

Bernard Seydoux.

Howard de Talleyrand-Périgord.


92 LE JOURNAL DE L'ÉCOLE DES ROCHES. (FASC. 10

Henry Thierry-Mieg. Bernard Toussaint. Institut Chimique de Caen, 2 candidats : reçus.

Georges Mahé.

Fred Pain.

RÉSULTATS DES BACCALAURÉATS AUX DEUX SESSIONS

Présentés 54 : Admis aux épreuves orales, 50; moyenne 92 %. Admis définitivement. . . . 48 ; moyenne 90 %. Mentions obtenues : 16, dont 3 bien et 13 assez bien.


QUATRIEME PARTIE

AUTORITÉ ET ÉDUCATION

Nous avons, cette année, le privilège d'insérer dans le Journal de l'Ecole des Roches un travail qui nous parait d'une importance exceptionnelle. Son auteur, M. Gustave Monod, professeur agrégé de philosophie au Lycée de Marseille, a été jadis professeur et chef de maison à l'École des Roches : quand il a dû nous quitter, il a laissé parmi nous des regrets unanimes et des amitiés ferventes.

Il a bien voulu nous autoriser à reproduire ces pages si fortement pensées, nourries de la science du psychologue comme de l'expérience personnelle de l'éducateur et du père de famille. On y trouvera, croyons-nous, une justification originale de quelques-uns des principes qui sont à la base de l'École des Roches, en même temps que, pour les collaborateurs immédiats de cette École, des raisons nouvelles de travailler avec conviction et avec joie.

Nous résumerons la première partie de ce travail qui pose le problème et la deuxième qui cherche à, en définir exactement les deux termes. Nous reproduirons in-extenso la troisième qui, présentant la question sous son côté pratique, est une magnifique leçon de pédagogie vécue.

I

Le Problème. — M. Monod n'a pas en vue une théorie de l'éducation. Il part d'une constatation; il ne peut y avoir d'édu-


94 LE JOURNAL (FASC

cation sans autorité. La guerre en a révélé la nécessité et à ceux qui l'ont vécue et à ceux qui ont grandi dans le désarroi du bouleversement mondial.

La conscience de cette nécessité amène tout naturellement à la question : Comment instaurer l'autorité dans l'éducation? Comment et à quelles conditions une éducation peut-elle avoir autorité ?

Ce qui fait, à première vue, la difficulté et la gravité du problème, c'est que ce sont les conditions sociales contemporaines qui compromettent le plus dangereusement pour les éducateurs l'exercice de l'autorité. Nous sentons confusément que l'autorité s'épuise si elle est dispersée et intermittente. Or l'enfant, dans notre monde moderne, est soumis à des influences multiples et parfois même contradictoires; le rôle éducateur de la famille s'est amoindri avec les nécessités de la vie économique, il a diminué en étendue avec l'accroissement des autorités scolaires, elles-mêmes très dispersées ; avec l'influence grandissante des, associations sportives, politiques ou autres où l'enfant est inscrit.

Nous savons bien aussi que l'unité et la continuité dans l'exercice de l'autorité ne sont rien si cette autorité est inefficace. Or, là encore, la vie contemporaine ne facilite pas la tâche de l'éducateur. Notre civilisation est si passionnante pour une imagination de jeune garçon ou de jeune homme! Pour que les forces éducatrices dominent, pour qu'elles puissent s'opposer aux autres ou plus exactement les ordonner, il leur faudrait une très grande puissance de séduction. Le sport, le cinéma, le moteur, la T. S. F. sont des facteurs précieux.

Par conséquent, la solution du problème ne sera pas seulement d'ordre psychologique; mais aussi d'ordre social.

II

La question est assez grave pour que l'on s'arrête à préciser les termes mêmes du problème. Qu'est-ce donc que l'éducation? qu'est-ce que l'autorité?


10) DE L'ÉCOLE DES ROCHES. 95

Éduquer, ce n'est ni développer exclusivement des personnalités, ni exclusivement soumettre l'enfant à une discipline sociale. C'est développer la personnalité en vue d'une discipline sociale; c'est provoquer la libre adhésion à la vie sociale ; c'est préparer une société à la vie de laquelle des personnalités participent de toute la puissance de leur personnalité.

On exprimerait la même idée en disant que l'éducation n'a pas d'autre fin que de soumettre l'enfant à l'obligation morale. Car l'obligation morale ne s'adresse qu'à des êtres libres, à des personnes qui sont aussi les sujets de cette loi obligatoire.

Si donc l'éducation ne consiste pas en autre chose qu'à amener l'enfant à accepter l'obligation, on pourra, à partir des caractères de l'obligation, déduire les caractères de l'autorité éducatrice.

1) L'obligation se reconnaît aux sentiments de respect qu'elle provoque.

Il doit en être de même de l'autorité éducatrice. Elle doit provoquer le respect, c'est-à-dire de la crainte, mais de la crainte reconnue comme bonne ou vénérée. Si elle provoque de la crainte seulement, vous savez ce qui advient : d'un côté, il n'y a plus d'éducateurs mais un pion, un caporal, un gendarme, un dictateur; de l'autre, des potaches, des enfants qui tremblent, des humanités vagues mais soumises. Qui de nous, parmi les éducateurs, n'a senti, à certains moments, son autorité se dégrader en despotisme? Qui de nous n'a surpris, dans les yeux de l'enfant qu'on gronde ou qu'on rudoie, le regard de terreur de l'animal fouetté, de l'esclave. C'est que l'autorité n'est plus alors que violence de ce qu'il y a d'inférieur en nous. Elle , n'est plus respectable. Inversement, l'autorité se dégradera aussi si elle se fait trop familière, si elle abuse des sourires indulgents et bénisseurs. Combien de maîtres ont compromis leur autorité pour avoir voulu être trop aimables? Ceux d'entre vous qui dirigent des groupes de lycéens ou d'étudiants doivent savoir combien il est difficile d'accorder camaraderie et fonctions de direction. Il y a là une harmonie très difficile à réaliser, impossible même, si l'individu qui cherche à assurer


96 LE JOURNAL (FASC.

son autorité ne représente pas quelque chose de plus que luimême. Mais ceci est une autre histoire que nous aborderons plus loin.

2) Si l'obligation morale est respectable, c'est qu'elle oblige au nom d'une fin dont la valeur dépasse toutes les fins concevables, c'est qu'elle est le commandement de l'Idéal, d'un Idéal éminemment désirable.

III

Eh bien! Messieurs, l'autorité, toutes proportions gardées, doit apporter les mêmes révélations que l'obligation morale. Je dis toutes proportions gardées, car l'autorité s'adresse à des enfants. Mais il n'en reste pas moins que l'autorité éducatrice doit révéler à l'enfant la fin qu'elle poursuit, et que cette fin doit être comprise et aimée par celui auquel elle est proposée. Elle doit être comprise. Que votre autorité ne provoque jamais, parmi vos administrés, la phrase irritée : il ne faut pas chercher à comprendre. L'autorité incomprise devient despotisme autant que l'autorité terrifiante. Je suis toujours étonné de constater à quel point, dans les établissements scolaires, les éducateurs méconnaissent ce fait. La liste des interdictions est longue et s'allonge en cours d'année, mais elle n'est jamais, ou rarement, accompagnée d'un commentaire explicatif. Certes, je ne veux pas dire que l'autorité doive toujours tolérer la discussion; c'est une question d'espèce. Mais ce qu'elle ne doit pas faire, c'est de plier les volontés sans raison aperçue, sans adhésion intérieure. Car ici encore, ce ne sont pas les volontés que l'on pliera, mais les corps.

Or, le moyen le plus sûr d'éviter de pareils abus, c'est pour l'autorité d'intéresser l'enfant à l'objet qu'elle poursuit. J'énonce là une condition très difficile à réaliser. Certes, il n'est pas malaisé d'inscrire sur les murs des maximes générales telles que : « Sois un homme, un bon citoyen, un bon Français, etc.. », et de les commenter par d'impressionnants discours.


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Mais ces formules générales restent des formules et n'empoignent guère l'enfant. Il faut leur communiquer de la vie et de l'intérêt. Et je le répète, c'est là une entreprise laborieuse car, comme l'obligation morale, l'autorité doit définir un objet qui, tout en étant transcendant par rapport à l'activité spontanée de l'enfaut, soit quand même en relation étroite avec ses intérêts ou ses tendances. Il faut qu'il puisse se passionner pour l'Idéal, c'est-à-dire dépenser pour lui toutes les forces de son être. Illusion, me dira-t-on, car l'Idéal change d'un âge à l'autre et l'Idéal de l'éducation est trop lointain, trop abstrait pour pouvoir se réaliser concrètement, aux divers moments du développement, en images adaptées au caractère de l'enfant. — Je ne conteste pas ces difficultés qui sont d'ordre pratique, mais je formule ici des conditions théoriques : l'autorité ne sera admise, n'aura d'efficacité que si, comme l'obligation morale, elle exprime aux consciences les exigences de l'Idéal; si c'est au nom de cet Idéal rendu vivant par des moyens à définir, qu'elle discipline les volontés. Si vous voulez, on pourrait dire, en employant le langage de Kant, que l'autorité éducatrice doit formuler ses impératifs sous forme d'impératifs hypothétiques d'un certain type : si tu veux être... non pas un homme, car pour un gamin de huit ou même de douze ans, c'est un idéal trop lointain, mais un « louveteau », un éclaireur, un écolier digne de ton École, agis ainsi.

Si l'enfant sent comme un Bien l'Idéal à poursuivre, s'il en subit la séduction, si vous l'enthousiasmez, l'emballez, il acceptera librement la discipline que vous lui imposez. Il se soumettra de lui-même à la loi, et le jour où vous l'abandonnerez à ses propres forces, il apercevra la continuité de l'action éducatrice et de la vie morale. La première sera pour lui l'anticipation de l'autre.

Enfin, il est un caractère que doit revêtir l'autorité éducatrice et qui, celui-là, la différencie de l'obligation morale, c'est qu'elle doit être sentie à la fois comme autorité et comme secours ou collaboration. Vous conaissez le type de l'éducateur rigide qui ne parle qu loi ou règlement. Il peut être le


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devoir incarné; et de ce fait, il exerce une incontestable action sur l'enfant. Il est un modèle vivants Mais s'il n'est que cela, il ne remplit qu'une partie de sa tâche. Pour l'enfant qui peine en silence, se soumet à la loi, mais n'arrive pas à la réaliser, un tel maître n'est jamais un allié, il est quelquefois un ennemi. Or, c'est un allié qu'il cherche et qu'il doit trouver : un allié qui lui explique le caractère des punitions, qui lui montre qu'elles sont des épreuves dont le but est de l'amener plus haut. Il est clair que la collaboration sera d'autant plus efficace que l'autorité sera plus respectée, mieux comprise et. plus aimée.

Jusqu'à présent, nous avons lait de la théorie. Il est temps d'abandonner ce portrait de l'éducateur-type, qui évoque irrésistiblement le genre « portrait du sage » qu'on trouve dans les vieux manuels de morale.

Passons donc à la pratique et passons-y en nous posant le problème que je signalais au début. Que doit être le sujet de l'autorité, qui doit l'assurer?

Je vous propose tout de suite ma thèse qui rejoint celle que j'ai exposée à propos de l'éducation intellectuelle : l'autorité éducatrice ne peut pas émaner de l'individu comme tel, mais de la société, ou plus exactement de groupements sociaux, famille, école, organisée en vue de l'éducation. L'individu est, évidemment, indispensable à l'éducation, mais il n'a d'autorité que dans la mesure où il la puise dans le groupement où vit l'enfant-, dans la mesure où il y remplit une fonction.

Cette thèse n'a rien de très original, ni de paradoxal. Cependant, elle va contre certains préjugés individualistes très répandus dans le public" français. Le public français est assez facilement persuadé que l'éducation idéale est celle qui est assurée par l'action de l'individu sur l'individu, celle qui est réalisée clans une merveilleuse institution : le préceptorat. Je suis convaincu que si elles en avaient les moyens, la plupart des familles de la bourgeoisie française feraient élever leurs fils par des


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précepteurs. Il y a là une tradition qui remonte très haut, qui vient de l'ancien régime et que Tarde expliquerait par l'imitation des classes supérieures par les inférieures : les fils et les petits-fils de rois ne pouvaient être mêlés au commun; à des ducs de Bourgogne, il fallait des Fénelon. Plus on monte dans l'échelle sociale, et plus on tâche d'imiter la formule de l'éducation des princes. Beaucoup de nos contemporains en sont encore là. Certains sont convaincus que pour leur duc de Bourgogne, il faut un Fénelon; mais beaucoup d'autres sont des snobs : le précepteur est à l'enfant ce que le collier de perles est à la mère et la 40 CV au père. Il fait partie des signes extérieurs de richesse, à côté des pianos à queue, des livres et des tableaux. Il est pour le fisc un indice d'opulence de vie

Peut-il être autre chose? Je ne le crois pas.

Supposons qu'il soit un éducateur. Les circonstances dans lesquelles il se trouve ne vont-elles pas risquer de compromettre sa tâche? Son autorité, en vertu même du fait qu'elle émane d'un individu pour s'exercer sur un individu, ne va-t-elle pas se trouver fatalement en défaut? Je crois qu'on peut poser en principe, et l'expérience le confirme, que cette autorité aura une peine infinie à se maintenir. Elle est peu intelligible d'abord : la science et la moralité d'un homme de 20 à 25 ans peuvent éblouir un enfant, mais elles sont trop loin de lui pour qu'il saisisse en elles l'image d'un modèle à réaliser. Bien vite., l'enfant prendra son parti d'une supériorité trop distante de ses ambitions présentes. Il me semble entendre certaines phrases de ces enfants « sous préceptorat » : « Ah! oui, M. X. est épatant et puis, très vite, « mais tout le monde ne peut pas être épatant comme lui » et, dans cette boutade, l'enfant avoue qu'il juge inaccessible pour lui-même l'idéal proposé, mais aussi que cet idéal lui paraît trop dépendre d'une individualité; si M. X. y a atteint, c'est par un tour de force qui lui est propre, c'est parce que ses goûts l'y portaient, etc.. Et c'est là une des tares de l'autorité qui émane de l'individu isolé; le modèle qu'elle cherche à imposer peut paraître arbitraire; l'enfant, s'il a quelque intelligence, sent confusément qu'il y a d'autres formes


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d'humanité auxquelles il pourrait prétendre. Il ne saisit pas cet idéal à l'oeuvre dans le groupement social, attirant et façonnant des hommes comme lui. Replacez-le, au contraire, ce garçon, parmi les autres garçons, ses frères; soumettez-les tous à une loi unique et qu'ils puissent aimer, et vous aurez mille chances de plus pour que cette loi ne soit pas contestée et qu'elle puisse les entraîner.

Car, pour en revenir à notre précepteur, comment s'y prendrat-il pour rendre son autorité efficace, c'est-à-dire entraînante? Il sera réduit au discours, à l'exhortation, aux commentaires aussi émouvants que vous le voudrez de la vie de tous les chevaliers sans peur ni reproche dont l'Histoire se trouve si merveilleusement pourvue qu'on vous l'enseigne à 10 ou 12 ans. Et l'enfant, dans tout ceci, cueillera des images; mais la vie n'en fournit-elle pas de plus obsédantes et de plus agissantes que celles du parfait Bayard? Notez que nous nous sommes placés dans l'hypothèse la plus favorable, admettant que le maître est capable de maintenir, en face de son élève, un idéal et d'assumer ainsi sans défaillance une certaine forme d'autorité. Mais ne sommes-nous pas trop bon prince ? En fait, quel est le grand danger de ce tête à tête constant de l'homme et de l'enfant? C'est précisément que s'use par mille accidents quotidiens un prestige laborieusement soutenu. C'est que la pauvre humanité que nous sommes, avec toutes ses misères, ne fasse grimacer de temps en temps le masque derrière lequel nous la dérobons. Et je ne parle pas ici des défaillances morales. Mais de ces inévitables moments de lassitude où nous tombons tous, du fait même de la vie, de cette amertume que connaissent bien les éducateurs et qu'entraîne à certaines heures le sentiment des différences d'âge, de l'isolement, de l'imperméabilité des consciences. Il faut être fort pour échapper à ces crises où s'altère l'autorité. Et c'est encore une des grandes tares de l'éducation par l'individu que l'obligation où se trouve presque nécessairement le précepteur d'avoir à suppléer par des mots, des exhortations, à ce que la vie et l'action n'ont pas été capables de fournir. Remarquez, qu'en substituant à la formule du préceptorat


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celle de l'éducation par plusieurs individus exerçant simultanément ou successivement leur action sur un ou plusieurs enfants, nous ne sortirons guère des difficultés précédentes et nous tomberons dans celles que je signalais au début de ma causerie. C'est la formule des filets entre lesquels le poisson passe sans grande peine s'il a quelque agilité naturelle...

Il faut que l'autorité soit continue, il faut qu'elle soit une, il faut qu'elle soit constamment entraînante, c'est-à-dire qu'elle présente à l'enfant un idéal sensible à son coeur. Il faut qu'elle puise sa force dans une réalité plus large que la volonté individuelle, c'est dire de plusieurs façons qu'elle doit avoir une origine sociale. Et nous voici venus à la thèse que j'indiquais plus haut.

— Mais ici une parenthèse s'impose. Nous allons nous ratta cher à une conception sociologique de l'éducation morale et nous ne pouvons marquer le rôle qu'y joue la notion d'autorité, sans rappeler quelques principes essentiels.

La conception sociologique de l'éducation commence à être connue en France, mais elle n'y est pas pratiquée. C'est qu'elle va contre des tendances profondes des intelligences françaises.

l'individualisme nous fait fermer les yeux sur les bénéfices à tirer de la vie collective organisée. L'intellectualisme fait que, pour un Français, l'éducation comporte toujours plus une formation de l'intelligence qu'une formation de la volonté. Aussi, chez nous, enseigne-t-on la morale par des cours ou des discours. C'est notre faiblesse. La moralité est une certaine manière de vivre; elle implique l'établissement en nous de systèmes d'habitudes très définies. Par suite, elle suppose une technique, et une technique ne s'acquiert que par apprentissage. Vérités premières sur lesquelles nous fermons les yeux : nous nous obstinons à croire que le petit Français ne pourra être initié à la morale qu'à la suite d'entretiens ennuyeux sur la sincérité ou sur l'altruisme. Nous nous hypnotisons sur ces images du XVIIIe siècle : Emile et son précepteur, assis au pied d'un arbre, perdus en méditations sur la morale. Au contraire, faisons agir


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l'enfant et dans le milieu même où il aura à se vaincre lui-même et à vivre pour les autres, dans le milieu social. Créons des groupes sociaux et organisons-les de telle manière que l'enfant y puisse faire des expériences affectives qui lui apprendront ce que sont et combien coûtent la responsabilité, l'initiative, l'action concertée. Faisons-lui vivre la solidarité au lieu de la lui décrire; faisons-lui éprouver par des joies et des déceptions réelles, que le bonheur de chacun est lié au bonheur de tous, qu'il n'y a guère de progrès individuel sans progrès de tous, et que, sans doute, le salut même de l'individu est lié au salut de la société. Il sentira alors, au sens le plus affectif de ce mot, que nul ne vit pour soi-même, que l'activité individuelle ne trouve son sens, sa signification, que dans l'activité collective et, plus largement encore, dans cette vaste entreprise qui est celle de l'Humanité travaillant au cours des âges à sa rédemption. Vous pourrez ensuite faire des leçons sur l'intérêt général, la valeur de la personnalité, etc.. Vous serez compris, suivi : vous ne ferez que résumer des expériences.

Tels sont les grands principes de ce que j'appelais la conception sociologique de l'éducation. Vous les connaissez bien, et je n'ai pas à insister : ce sont ceux-là mêmes qui sont à la base du système éducatif des Éclaireurs. Ce sont eux qui sont pratiqués clans les Écoles nouvelles, que l'Allemagne et l'Angleterre utilisent en grand, et que nous ignorons ou méconnaissons en très grand dans nos établissements officiels.

Eh bien! je voudrais vous montrer que ce n'est que dans ses groupements pédagogiquement organisés (groupe familial, scolaire, éclaireurs) que peut naître, s'exercer, se faire sentir l'autorité éducatrice, c'est-à-dire celle qui conduit à la vie morale.

Prenons quelques exemples : considérons d'abord la famille et l'autorité dans la famille. La Sagesse des Nations la considère avec raison comme le milieu éducatif par excellence. C'est en


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elle que doivent s'exercer les disciplines diverses qui formeront l'enfant. Mais à quelles conditions ces disciplines seront-elles senties par l'enfant comme ayant autorité? Dira-t-on qu'elles tirent toute leur force du père de famille, par exemple? Peutêtre, mais à condition de prendre dans toute sa rigueur ce titre, car c'en est bien un. C'est en tant que remplissant sa fonction de chef de famille que le père a autorité, et c'est dans l'exacte mesure où il remplit l'une, qu'il conserve l'autre. Autant dire que l'individu qu'il est n'a pas comme tel autorité, mais qu'il la reçoit de l'institution familiale et ceci nous ramène sous une forme particulière à une proposition énoncée plus haut : il n'y a droit à l'autorité paternelle que là où il y a devoir à l'égard de la famille. L'institution familiale est la réalité supérieure qui, communiquant quelque chose d'elle-même aux individus, leur donne, pour commander ou interdire, le prestige nécessaire. Cette réalité supérieure, l'enfant doit la sentir ; s'il ne la sent pas, pas d'autorité et pas d'éducation. Mais tout organisme familial est-il capable de la faire sentir?

Il y a trois types de familles : la famille-pension. On y trouve vivre, couvert, vêtements : c'est-à-dire la vie matérielle assurée; mais il n'y a pas beaucoup plus. Le père est entièrement absorbé par la profession, la mère par mille occupations extérieures, mondaines, sociales, etc. Alors, c'est pour les enfants le régime des gouvernantes et précepteurs, ou bien le régime de l'école, du lycée, avec l'internat le plus tôt possible. Ici, par l'abdication, réfléchie ou non, de sa fonction éducative, la famille n'est rien aux yeux de l'enfant, je veux dire que la vie familiale ne lui impose aucune représentation directrice; que l'institution familiale n'est pas sentie...

Un autre type de famille est la famille « pédocratique ». Je m'excuse d'employer ce mot, qui ne doit pas être de mon invention, car il correspond à une réalité trop courante. C'est le régime où la fonction éducatrice est assumée par les enfants et vise les parents. C'est un régime sonore, où l'éducateur entre en charge dès qu'il a une voix suffisante, et vous savez que celle-ci n'attend pas le nombre des années : je n'insiste pas


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sur ce type, car il est très répandu et abondamment décrit par le théâtre et la littérature contemporaine.

Le troisième type est le type idéal, je devrais dire le type normal. Il se définirait par le fait que le groupe familial est senti comme ayant une âme, un principe spirituel d'unité. La famille est d'abord sentie comme une unité matérielle ou économique, à la vie de laquelle tous collaborent parce que tous perçoivent un certain nombre d'intérêts communs qui réclament leurs soins. Puis, elle est sentie comme unité morale, comme représentative d'un certain idéal qui pourra se symboliser sous forme d'honneur du nom, de tradition à maintenir. Enfin,- la famille peut être sentie comme le foyer spirituel où se crée de l'humanité, le creuset où le métal pur de l'âme de l'enfant s'isole du reste. Elle devient alors effectivement la cellule dont la vitalité se communique à l'ensemble de l'organisme social.

L'institution familiale, si elle peut se représenter à ceux qu'elle groupe sous ces images diverses, devient effectivement pour eux une réalité vivante. Reste à l'organiser dans ce but : c'est l'oeuvre des parents. Organisation progressive, car elle doit s'adapter à l'âge, c'est-à-dire aux intérêts de l'enfant : organisation matérielle et économique d'abord : la propreté, l'ordre, la tenue, le confort de la maison, c'est de l'idéal bien humble si vous voulez, mais c'est l'idéal accessible à l'humilité de l'enfant ; faites-lui sentir que cet ordre et cette tenue dépendent de l'effort de tous : confiez-lui une tâche précise, c'est-àdire une responsabilité en rapport avec ce qu'il peut faire. Du même coup, vous l'intéressez à la vie de la maison et vous l'obligez vis-à-vis d'elle, car on n'aime pas sa maison, on ne respecte pas l'ordre qui doit y régner et auquel on participe, sans se soumettre à une certaine discipline, sans reconnaître déjà une certaine autorité. Je pense, par exemple, à la propreté et à la tenue personnelles : elles peuvent devenir ainsi moins un devoir envers soi-même qu'un devoir envers le foyer, envers la table de famille, qui ne doit pas être déparée par des mainssales ou une tenue débraillée.

Mais il faut monter plus haut, évidemment, et puiser à


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d'autres sources : je signalais tout à l'heure l'honneur du nom, c'est-à-dire, au fond, certaines habitudes familiales. Pour une conscience débile, capable encore de céder au mensonge, l'idée que, « dans la famille, quand on porte tel nom, on ne ment pas », peut être un frein plus puissant que bien des conseils et admonestations. D'une manière générale, en cultivant l'esprit de famille, en développant le sentiment que la famille actuelle a pris en charge un trésor d'honneur qu'il faut garder intact, on attache l'enfant à un idéal dont il vénère la discipline. Si vous en doutez, évoquez devant des garçons de 14-15 ans le grand vers de Corneille :

Je rendrai mon sang pur comme je l'ai reçu,

et vous percevrez des frémissements, des résonnances que vous n'attendiez pas. Remarquez-le, Messieurs, nous descendons tousdes Croisés; nous avons tous dans notre passé des modèles de travail, de vie courageuse et sereine, de loyauté à la profession, de fidélité à des convictions politiques et religieuses; c'est notre trésor à tous et nous n'avons pas besoin qu'il s'inscrive sur champ de gueules ou d'azur. Je sais bien que l'esprit de famille a ses défauis, qu'il développe parfois une manière d'individualisme assez pénible. Mais ce sont défauts d'une qualité. Car l'esprit de famille, je dirai même l'esprit de la famille, en donnant à ce mot « esprit » un sens quasi mystique, peut acquérir sur l'enfant une autorité qu'aucun éducateur n'aura jamais. Il l'arrachera à lui-même et pourra l'élever assez haut.

Et ce n'est pas tout : avez-vous remarqué que, dans les familles nombreuses, les aînés assument parfois d'eux-mêmes, et sans que personne les y pousse, la fonction éducatrice des parents à l'égard des plus petits? C'est que, peu à peu, l'âge et la réflexion aidant, ils ont senti « à quoi sert » la famille et sa fonction dans l'organisme social et dans l'organisme humain, en général. Ils saisissent qu'elle est créatrice d'humanité et, dès lors, l'institution familiale peut prendre à leurs yeux une valeur, une dignité que, jusqu'alors, ils ne soupçonnaient pas, car ils entrevoient peut-être, derrière l'institution familiale, la majesté de


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l'ordre humain, dont parlait Comte. La Famille travaillant pour la Société, la Société travaillant pour l'Humanité, l'Humanité pour le Grand Être.

Si la famille est ainsi organisée « pédagogiquement », elle réunira bien les conditions de l'autorité que nous analysions plus haut. Du même coup, l'autorité des parents reçoit ce qui, dans d'autres conditions, paraît lui manquer. On parle beaucoup aujourd'hui de l'affaiblissement de l'autorité paternelle. Allez au fond des choses : je crois que vous verrez qu'elle dérive d'un affaiblissement, d'une absence d'organisation, de l'institution familiale. Dans une famille où l'éducation se fait au dehors et par des étrangers, le père ne représente plus rien que luimême. Or, l'individu seul ne peut soutenir la fonction éducatrice. Replacez-le, au contraire, dans le cercle de la famille normale : le père devient alors le défenseur de l'ordre, du nom, de la tradition ; il remplit, comme éducateur, une fonction qui déborde le cadre familial, l'inscrit même clans le vaste cadre social. Par suite, il peut commander et obtenir parfois cette obéissance libre qui est déjà de l'obéissance morale. Je suppose qu'il ait à interdire telles fréquentations, telles habitudes comme le jeu, qu'il ait à commander un effort. Il peut briser par la violence la volonté de l'enfant; mais c'est une victoire précaire qui aboutit aux catastrophes. Il peut parler le langage de la raison et de l'intérêt, mais c'est un langage abstrait, qui ne touche guère. Il peut parler en père, évoquer des traditions, des responsabilités, mais surtout, me semble-t-il, il peut faire appel au foyer familial et à la longue suite d'efforts tendus vers ce but : faire une âme d'homme. Il peut parler des petits, ceux pour qui l'aîné doit être un exemple et qui risqueront d'être atteints eux-mêmes par la faute commise. Bref, le père sera ici investi d'autorité parce que c'est au nom de l'institution et de la fonction familiales qu'il interviendra, et les sanctions qu'il prendra, si elles sont nécessaires, dériveront d'une autorité plus large que la sienne.

Nous n'avons, jusqu'ici, parlé que du père. Mais il faudrait évidemment parler de l'autorité de là mère au foyer familial.


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Vous savez ce qui se passe dans la famille non organisée : les parents, au lieu de se partager l'autorité, s'opposent l'un à l'autre et l'enfant ne sait plus à quel saint se vouer, ou bien, par une diplomatie savante, il échappe à toute contrainte. Dans la famille organisée, les parents n'ont qu'à se diviser une tâche commune. Et vous devinez quelle sera celle de la mère. Elle représentera cet aspect de l'autorité que nous analysions plus haut : elle sera l'alliée, l'auxiliatrice, celle qui, plus près du coeur de l'enfant, collabore avec son effort et lui rend plus sensible, plus proche, l'idéal à atteindre. Et cette tâche va évidemment très loin; nous ne tenons pas assez compte en éducation des « refoulements » imposés à l'enfant par nos ordres et nos interdictions. La psychologie de la vie intérieure de l'enfant est à faire. Nous croyons par trop qu'elle se développe d'ellemême, à la manière d'un germe. En réalité, cette vie intérieure, qui est du discours intérieur, il me semble que je la vois se constituer, que je la constitue moi-même, chez mon enfant, à propos de toute défense, de toute gronderie qui refoule un acte mauvais, une parole qui ne convient pas, ou simplement un trop-plein d'exubérance. Nous oublions que ce qui ne s'exprime pas extérieurement s'exprime, se joue, se parle intérieurement. Songez au mensonge : il naît d'un conflit entre la pensée et son expression sociale. Mentir; c'est se conformer à la discipline extérieure, au prix d'une contradiction avec soi-même. En ce sens, tout mensonge replie l'enfant sur lui-même et renforce sa vie intérieure. Celle-ci s'édifie ainsi progressivement par opposition et en opposition avec la discipline éducative. Ce que l'enfant pense intérieurement, c'est tout ce qu'il n'a pas le droit de dire on de faire. Ce que vous développez ainsi par votre discipline, si vous n'y prenez garde, c'est l'esprit de révolte qui un jour fera explosion. Eh bien, Messieurs, une des fonctions de la mère au foyer, me paraît être de surveiller les refoulements, d'être la gardienne et l'animatrice de la vie intérieure de son enfant. Elle est celle qui décharge ces forces comprimées, sublimise ces mauvais rêves et par opposition avec le présent (puisqu'après tout la vie intérieure s'oppose toujours à l'actuel et


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nous porte en avant), insinue l'idéal de la pensée pure et de la volonté droite. Ainsi s'affirme l'autorité maternelle. Elle est, pour le coeur de l'enfant, la voix même de l'idéal, la voix du dedans qui purifie et qui oriente. Et c'est ce qui explique que cette autorité soit celle dont l'action se prolonge pendant la vie de l'homme, car elle a façonné ce qu'il y a de plus profond en lui.

Je passe maintenant à l'autorité qui s'exerce en dehors du groupe familial. Autorité nécessaire, car l'autorité familiale ne suffit pas pour préparer un enfant à la vie morale. Nous nous faisons souvent illusion là-dessus, nous nous figurons qu'en maintenant l'enfant dans la serre chaude de l'atmosphère familiale, nous le préserverons. Mais il est trop clair qu'il y a une préparation à la vie sociale que la famille est incapable d'assurer, parce qu'elle est un groupe trop restreint: Durkheim, dans son Cours d'éducation morale, insistait sur ce point, combattant le préjugé d'après lequel l'éducation morale ressortirait avant tout à la famille. « Elle n'est pas constituée, disait-il, de « manière à pouvoir former l'enfant en vue de la vie sociale. " Par définition, elle est un organe impropre à une telle fonction ».

Comment donc concevoir l'autorité dans le milieu scolaire?" En oubliant à peu près tout ce qui se passe dans la plupart des milieux scolaires existants. Là, l'autorité émane en sommede deux sources : le règlement d'une part, les individus de l'autre. Le règlement vise l'ordre, mais un ordre extérieur qui ne fixe que des habitudes et des attitudes : heures de travail, temps de récréation, sorties, rentrées, sanctions en cas d'infraction. Le règlement est ce qu'il peut être : règlement de police, neutre au point de vue éducatif. D'autre part, des individus, dont beaucoup se désintéressent d'avoir une autre autorité qu'intellectuelle; les autres, trop peu nombreux, isolés dansleur action, exercent une influence intermittente, trop lointaine, de trop courte durée pour être profonde.

Et le résultat ? Interrogez le lycéen interne qui est le produit le plus représentatif du système. Il vous dira en général que le


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règlement est brutal, slupide et inintelligible, que « Messieurs A, B, C, sont très forts, mais qu'ils se fichent pas mal de nous », que Messieurs X, Y, Z., sont des types épatants, mais « on ne les a eus qu'un an et deux heures par semaine », qu'ils ont eu des proviseurs et censeurs excellents, mais « trop bons pour nous : on les a nommés ailleurs ».

Telles sont les impressions disparates, confuses qui restent du séjour au lycée. La « vieille maison », comme on dit dans les discours de distribution des prix, n'a laissé aucune empreinte, parce qu'en elle, par elle, aucune autorité éducatrice ne s'est exercée. Et le lycéen sent bien que quelque chose qu'on lui devait lui a manqué. Ne le diminuez pas trop cependant : il sait, ce garçon, ce que c'est qu'être un homme : sept années de culture secondaire, d'histoire, de littérature, de philosophie, finissent quand même par imprimer dans l'esprit quelques traits de l'image idéale, mais il sent qu'aucune autorité ne l'a lui-même •entraîné, soutenu, pour l'élever au-dessus de lui-même. Or, le remède existe : il est dans l'organisation pédagogique du milieu scolaire dont la formule est celle que je ne cesse de répéter : instituer un groupe social dont l'enfant comprenne l'orientation, avec lequel il sympathise et à la vie duquel il participe.

Songez à la vertu de l'esprit de corps, à la discipline qu'il crée, aux actes désintéressés qu'il suscite. Nous paraissons le redouter en France, comme une atteinte à l'égalité et nous calquons si rigoureusement nos établissements scolaires les uns sur les autres, qu'ils sont interchangeables. Et pourtant quelle autorité, quel prestige sur les élèves auraient nos établissements, s'ils voulaient bien parler de leur histoire, s'en enorgueillir un peu, si l'on célébrait, même avec quelque indiscrétion, le patrimoine de travail et de courage qui est inscrit dans des archives oubliées ! Et ce n'est pas seulement le passé qu'il faudrait évoquer, c'est aussi l'avenir, l'idéal de demain. Quand un lycée choisit un totem, c'est-à-dire symbolise l'idéal, il va en général chercher dans son passé un austère membre de l'Institut, bien vénérable, qu'il propose à l'admiration universelle. Il y a mieux, pour échauffer des imaginations de 15 ans, et les entraî-


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ner à la conquête de l'avenir. Il y a mieux même que Descartes, Corneille ou Ampère, il y a l'image d'un garçon de 15 ans qui vous regarde droit dans les yeux, qui est intelligent et sportif, cultivé et pratique et dont on dit, dont on proclame qu'il ne ment pas, qu'il ne copie ni devoir, ni composition, et qu'il a l'esprit et le corps aussi nets que le regard.

Et voici le second dogme essentiel de cet organisme scolaire : participation directe des élèves à son fonctionnement, prise en charge par eux de ce patrimoine, de cet idéal. Ceux-ci n'apprendront les responsabilités, l'initiative, la vie morale, en un mot, que si, ayant compris l'idéal, ils en deviennent les défenseurs, c'est-à-dire les serviteurs. Ils ne se soumettront librement au règlement que s'ils en sont les gardiens. Faites donc des grands élèves, comme dans les Écoles nouvelles, des moniteurs, des capitaines, des chefs, le nom importe peu, qui, sous contrôle, bien entendu, dirigeront les petits et leur apprendront la loi du groupe, l'adapteront aux nécessités du moment; en un mot, par leur vigilance, leur fidélité aux traditions, feront la santé, l'équilibre, la prospérité de leur École.

Dans celle-ci comme dans la famille décrite plus haut, le problème de l'autorité éducatrice est résolu. Il y a une autorité puisqu'il y a une réalité supérieure aux individus et qu'ils respectent. Elle est éducatrice puisque ce respect n'est pas contrainte, mais suscite une obéissance libre qui est en même temps le meilleur apprentissage qui soit à la vie sociale.

Et sur cette autorité, directeurs et professeurs peuvent s'appuyer sans danger. Parlant au nom de l'École, de ses traditions, de son idéal, ils se feront entendre et suivre. Privez-les de ces appuis, réduisez l'autorité à celle qui peut résulter de leur personne, de leur fonction administrative, de leur savoir, leur tâche risquera de les écraser. Je prends un exemple : vous connaissez tous cette maladie scolaire qui s'appelle le copiage. On copie les devoirs; des étudiants de 20 ans, candidats à de grandes écoles, me remettent des devoirs où, sans guillemets, ils reproduisent des paragraphes entiers de manuels. On copie en composition, on copie aux examens, aux concours. Le scan-


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dale est constant, il éclate chaque année. On essaie de réagir par des sanctions, mais elles sont inefficaces, n'atteignent que quelques fraudeurs, les plus maladroits. Je fais à mes élèves de philosophie sur ce sujet les discours que vous devinez. Cette année, ils m'ont répondu : « On aurait dû nous dire cela plus tôt, maintenant c'est fini. » Et le fait est que nous sommes impuissants, que l'autorité universitaire n'a pas prise sur cette habitude. Pourquoi? parce qu'elle n'est pas armée pour la combattre. Le règlement est sans force, l'autorité individuelle est débordée. Supposez, au contraire, que cette notion de l'Honnêteté du Travail soit solidement inscrite dans l'idéal de l'École, qu'elle fasse partie de ses traditions, qu'on puisse proclamer bien haut, comme on le fait à l'École des Roches : Un Rocheux ne copie pas. Supposez que les aînés, les élèves dirigeants se fassent les hérauts et les défenseurs vigilants de cet Idéal. Dans un pareil terrain la mauvaise herbe ne poussera pas. L'on rivalisera de loyauté et non de diplomatie sournoise.

Le mécanisme qui crée l'autorité est donc partout et toujours le même. C'est lui qu'il faut monter dans tous les groupements extra-scolaires, s'ils veulent être éducatifs, auxquels participe l'enfant : Éclaireurs, Sections de Ligues diverses.

Pour conclure sur ce problème de l'Autorité en matière d'Éducation morale, je crois qu'il est nécessaire de revenir en arrière et de réfléchir à nouveau aux rapports de l'Obligation morale et de l'Autorité éducatrice.

Nous avons dit que l'objet de l'éducation était de soumettre l'enfant à l'Obligation morale, que l'Autorité Éducatrice devait se muer un jour pour lui en obligation morale, l'une étant l'anticipation de l'autre. Et nous venons de découvrir que l'autorité éducatrice est, quoiqu'on fasse, une autorité sociale, qu'elle n'émane pas des individus, mais de réalités plus hautes qui dépassent les individus : institution familiale ou scolaire.

Ne va-t-elle pas, par là, s'opposer en nature à l'Autorité Morale que tant d'esprits considèrent comme strictement individuelle, voix de la conscience ou voix de la Raison?


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Je ne le crois pas. Certes, je ne songe pas à me lancer dans une discussion théorique sur l'Obligation morale. Mais je ne heurterai personne en disant que l'Obligation morale ne prend de valeur humaine, qu'elle n'est une voix chaleureuse qui parle à nos âmes que parce qu'elle a pour elle l'expérience des siècles. Que serait, en effet, pour nous l'Obligation morale si nous ne pouvions nous reporter par la pensée à cette longue suite d'efforts accumulés au cours des âges pour faire surgir de la meute des instincts brutaux, le coeur et l'intelligence de l'homme? Que serait-elle pour nous sans le trésor d'expériences morales du passé auquel tous les jours nous puisons à pleines mains? Que vaudrait-elle si elle n'avait animé des vies peineuses, douloureuses comme les nôtres, mais tout entières orientées vers la victoire sur soi-même et le dévouement aux autres. Cette persistance de l'effort au cours de l'Histoire, cette résistance historique de l'espérance humaine à la misère humaine, c'est bien là ce qui donne au Devoir moral comme un ton de réminiscence, en tous cas ce qui lui confère son incomparable autorité. Autorité essentiellement sociale, car ce que je sens dans le Devoir Moral, tel qu'il se formule à ma conscience, c'est finalement l'invitation à la grande aventure dans laquelle les hommes se sont jetés pour garder et sauver leurs âmes, c'est l'appel de la race venu du fond des coeurs, et venu du fond des âges. Vivre moralement, c'est donc bien s'associer, puisque c'est prendre sa place, sa fonction dans une entreprise qui dépasse infiniment l'individu dans le temps comme dans l'espace.

S'il en est ainsi, l'affirmation que l'autorité éducatrice a un caractère social devient moins étrange, moins paradoxale.

Si l'éducation, cherchant à fonder son autorité, la trouve dans du social, c'est qu'elle vise au fond à révéler une autorité sociale d'un certain type, l'autorité morale. Et ses procédés, par cela même, s'éclairent : arracher l'enfant à l'égoïsme, à la barbarie primitive, le faire participer activement à la vie de cercles sociaux, étroits d'abord — ceux-là que peuvent mesurer une imagination et un coeur d'enfant — puis, de proche en proche, élargir l'horizon, en élargissant le cercle, jusqu'à lui faire aper-


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ce voir l'horizon spirituel aux perspectives illimitées, vers lequel tend l'Humanité en marche.

A ce moment, l'Autorité Éducatrice s'efface devant l'Autorité Morale.

Cette notion d'autorité morale, sous ses diverses formes, rejoint celle que nous avons dégagée de notre analyse de l'Éducation intellectuelle.

Au fond, éducation intellectuelle et éducation morale doivent aboutir progressivement à mettre l'enfant en présence de ce que Comte appelait l' « Ordre Humain », « l'ensemble des êtres passés, futurs et présents qui concourent librement à perfectionner l'Ordre Universel », ou encore à le mettre à l'École du « vieil homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement ».

Car c'est en lui qu'Autorité et Éducation trouvent leur unité, leur formule d'harmonie.

Cette école, c'est l'école de la discipline, mais c'est aussi celle de la liberté. Car l'ordre humain ne vit et ne se maintient que par l'effort énergique des individus. C'est avec de l'héroïsme, avec des sacrifices, avec de la vaillance individuelle que s'est constituée l'Expérience Morale dont nous vivons tous. C'est par l'initiative et l'énergie que l'individu se conformera.

Et de même cette école, c'est celle du passé, mais c'est aussi celle de l'avenir. Voyez ce que Pascal dit du Vieil Homme qui subsiste toujours : « Il apprend continuellement », c'est-à-dire que son horizon s'élargit sans cesse. C'est un patriarche, mais c'est aussi un prophète. Il a les yeux tournés vers l'Avenir, et ne vous semble-t-il pas qu'en un temps comme le nôtre, où la conscience humaine cherche à briser ses cadres traditionnels, jusqu'à comprendre en elle tout ce qui effectivement est humain, il murmure la prière de Zarathustra : « O hommes, une statue sommeille pour moi dans la pierre, la statue de mes statues... Vous devez être des éducateurs, des semeurs de l'avenir. J'aime

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le pays de mes enfants, la terre inconnue parmi les mers lointaines : c'est elle que ma voile doit chercher sans cesse. »

Enfin, placer des hommes, placer des jeunes gens en présence de l'Humanité, leur rendre sensible le tourment qui, de siècle en siècle, la travaille et l'emporte malgré les chutes et les retours, vers les hauteurs de la Connaissance et de l'Action, c'est poser en termes plus poignants même que la contemplation des deux infinis, le problème de la destinée. A considérer l'histoire tragique de notre race, la seule, parmi les espèces vivantes, qui ait une histoire, la seule qui s'arrache à la nature pour la dépasser et parfois la dominer, l'âme humaine ne peut pas ne , pas s'inquiéter et s'effrayer d'elle-même. Pour moi, il me semble que, dans nos moments de doute et de désarroi, c'est dans le spectacle de l'Humanité, si vieille, mais toujours jeune, que nous trouvons le plus sûr pressentiment que « le monde suhsiste pour exercer miséricorde et jugement ».

Gustave-A. MONOD, Professeur au Lycée de Marseille.

L'Administrateur-Gérant : Paul DESCAMPS.

TYP. FIRMIN-DIDOT & Cie. — PARIS. — 1928.




BIBLIOTHÈQUE DE LA SCIENCE SOCIALE

La Production, le travail et le problème social dans tous les pays, au début du XXe siècle,

par Léon POINSARD (2 vol., 16 fr.). Alcan, édit. (Épuisé).

La Question ouvrière en Angleterre, par Paul DE ROUSIERS (1 vol., 15 fr.). FirminDidot, édit. 1895.

Le Trade-Unionisme en Angleterre, par Paul DE ROUSIERS (l vol., 6 fr.50).Colin, édit. 1904.

Les Industries monopolisées aux ÉtatsUnis, par Paul DE ROUSIERS (1 vol., 4 fr.). Colin, édit. (Épuisé).

La Guerre de classes peut-elle être évitée ?

par Léon POINSARD (3 fr.). Le Soudier, édit.

Introduction à la Science sociale. Les origines, la méthode, la classification (9 fr.). Bureaux de la Science sociale.

Le Homestead, ou l'insaisissabilité de la petite propriété foncière, par Paul BUREAU (1 vol., 7 fr. 50). Rousseau, édit.

Le Contrat de travail, par Paul BUREAU (1 vol., 8 fr. 40). Alcan, édit.

La Participation aux bénéfices, par Paul BUREAU (1 vol., 12 fr.). Rousseau, édit. 1898.

La Diminution du revenu, par Paul BUREAU (1 vol., 4 fr.). Firmin-Didot, édit.

Le Paysan des fjords de Norvège, par Paul BUREAU (1 vol., 9 fr.). Bureaux de la Science sociale.

A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons?

par Edmond DEMOLINS (25° mille, 1 vol., 6 fr.). Firmin-Didot, édit.

La Vie américaine, par Paul DE ROUSIERS (2 vol., 6 fr. chaque). Firmin-Didot, édit.

Les Grandes Routes des peuples. Gomment la route crée le type social, par Edmond DEMOLINS (3° mille, 2 vol., 7 fr.chaque). FirminDidot, édit.

Les Français d'aujourd'hui; les types sociaux du midi et du centre, par Edmond DEMOLINS (9e mille, 1 vol., 6fr.). Firmin-Didot, édit.

A-t-on intérêt à s'emparer du pouvoir? par

Edmond DEMOLINS (1 vol., 6 fr.). FirminDidot, édit.

L'Organisation des forces ouvrières, par

G. OLPHE-GALLURD (1 vol., 16 fr.). V. Giard et Brière, édit. 1911.

Les Sociétés africaines, par A. DE PRÉVILLE (1 vol., 7 fr.). Firmin-Didot, édit.

Le Noir du Soudan (Pays Mossi et Gourounsi), par Louis TAUXIER (1 vol., 15 fr.), Larose, 1912.

Le Noir du Yatenga, par L. TAUXIER (1 vol., 20 fr.), Larose, 1917.

Le Noir de Bondoukou, par L. TAUXIER ( l vol., 52 fr.), Leroux, 1921.

L'Éducation nouvelle, l'École des Roches,

par Edmond DEMOLINS (9e mille, 1 vol., 6 fr.) Firmin-Didot, édit.

Hambourg et l'Allemagne contemporaine, par

Paul DE ROUSIERS (1 vol., 3 fr. 50).Colin, édit., 1902. Introduction à la Méthode sociologique, par

Paul BUREAU (1 vol., 15 fr.), Blond et Gay, 1923.

Histoire économique et financière de la guerre (1914-1918), par G. OLPHE-GALLIARD (1 vol., 30 fr.),M. Rivière, 1925.

Les grandes industries modernes, par P. DE

ROUSIERS, A. Colin, édit. TOME I. — L'industrie houillère; l'industrie

pétrolifère ; l'industrie hydro-électrique

(1924), 7 fr. 50. TOME II. — La Métallurgie (1925), 9 fr. TOME III. — Les industries textiles (1925), 9 fr. TOME IV. — Les Transports Maritimes (1926).

Vers la ruine, par Léon POINSARD (l vol., 1. fr. 50). Pichon, édit.

La Grèce ancienne, par G. D'AZAMBUJA (1 vol., 7 fr. 50). Bureaux de la Science sociale.

Phéniciens et Grecs en Italie, d'après l' " Odyssée », par Ph. CHAMPAULT (1 vol.,6fr.). Ernest Leroux, édit.


Les Syndicats industriels de producteurs en France et à l'Etranger, par Paul DE ROUSIERS (2e édit. 1 vol., 5 fr. 75). Colin, édit., 1912.

Histoire de la formation particulariste; L'origine des grands peuples actuels,

par Henri DE TOURVILLE (1 vol., 20 fr.). Firmin-Didot, édit.

Le Problème des Retraites ouvrières, par

G. OLPHE-GALLIARD (1 vol., 6 fr.). Bloud et Cie, édit., 1909.

L'Erreur révolutionnaire et notre état social,

par A. MAGLOIRE. Imprimerie-Librairie du Matin, Port-au-Prince (Haïti). 1909.

Les Grands Ports de France, par Paul, DE ROUSIERS (f vol., 5 fr. 75). Colin, édit., 1909.

One Vallée pyrénéenne : Ossau, par F. BUTEL (1 vol., 4 fr. 50). Firmin-Didot, édit.

Les Parisiens d'aujourd'hui, par J. DURIEU (1 vol., 10 fr.). Giard et Brière, édit., 1910.

L'Organisation de la vie privée (l'orientation particulariste), par G. MELIN (1 vol., 2 fr. 50). Bloud et Cie, édit., 1910 (Épuisé).

La Question agraire en Italie ; le latifundium romain, par Paul Roux (1 vol., 3 fr. 50), Alcan, édit.

La Vie privée du peuple juif à l'époque de Jésus-Christ, par le R. P. M.-B. SCHWALM (1 vol., 4 fr.).. J. Gabalda et Cie, édit., 1910 (Épuisé.)

Les Caisses de prêts sur l'honneur, par

G. OLPHE-GALLIARD (1 vol.,8 fr.). Giard et Brière, édit.

La Notion de prospérité et de supériorité sociales, par Gabriel MELIN (1 vol., 1 fr.), Bloud et Cie, édit.

La Formation sociale de l'Anglais moderne,

par Paul DESCAMPS (l.vol., 6 fr. 50). Colin, édit., 1914.

La Formation sociale du Prussien moderne,

par P. DESCAMPS (1 vol.,6 fr. 50), À. Colin, 1915.

L'Élite dans la société moderne; son rôle,

par P. DE ROUSIERS (1 vol., 5 fr. 75). Colin; édit., 1914.

La Crise rurale : le rôle social du propriétaire rural, par Paul Roux et Georges DE FONTENOUILLE (1 vol., 4 fr.). Laveur, édit., 1910.

Précis de Science sociale, par Paul Roux (1 vol., 7 fr.). Giard et Brière, 1914.

La Morale des Nations, par G. OLPHE-GALLIARD (1 vol. 14 fr.). Giard et Brière, 1920.

La Force motrice au point de vue économique

et social, par G. OLPHE-GALLIARD (lvol., 14fr.). Giard et Brière, 1915.

Nègres Gouro et Gagou, par L. TAUXIER (1 vol.), Geuthner, 1924.

Nouvelles notes sur les Mossi et les Gourounsi, par L. TAUXIER (1 vol.), Larose, 1924.

Science sociale, 1re période (1886-1903), 30 vol. avec le Mouvement social (1892-1903).

N.-B. — La Tabla des matières (1 broch.-séparée, 3 fr.) est en vente au Siège social, 56, rue Jacob.

Science sociale, 2e période (1901-1924), 141 fascicules, avec le Bulletin de la Société Internationale de Science sociale.

Le Cours de méthode de Science sociale, par Paul DESCAMPS, comprend les fascicules

suivants : 98° FASC. (nov. 1912). — Exposé général de la méthode, 3 fr. 110° FASC. (nov. 1913). — Le Lieu, le Travail, la Propriété, 3 fr. 122° FASC. (déc. 1911). — Biens mobiliers, Salaire, Epargne, Famille, 3 fr. 136° FASC. (mai 1918). — Mode d'existence, Phases de l'existence, Patronage, 3 fr. 50. 139° FASC. (nov. 1919). — Commerce, Cultures intellectuelles, Voisinage, Corporation, 3 fr. 50.

Exemple d'application de la méthode :

3° per. 2e FASC. (,1925) . - Etudes sociales sur Lyon et la soierie, 5 fr.

TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie. — PARIS. — 1928.