T-SEPTEMBRE NUMERO 32
de l'Institut français d'Histoire sociale
(Association reconnue d'utilité publique)
André Morizet . . . . . . . . . . . . . . . . . . J. RAYMOND
D'un balcon de l'île Saint-Louis , journal tenu par Mme Morizet de 1939 à 1945 (ex ¬ traits).
Journal d'André Morizet , 3 juin 1940-30 no ¬ vembre 1914 (extraits).
Un agent de la préfecture dans la Commis ¬ sion fédérale lyonnaire de la 1re Interna ¬ tionale . . . . . . . . . . . . . . . M. MOISSONNIER
Deux lettres de Max Nettlau présentées par. R. LAMBERET
Notes de lecture . . . . . . . . . . . . . . P. MARIE, D. FAUVEL-ROUIF
FAUVEL-ROUIF J. MAITRON
Vie de l'Institut . . . . . . . . . . J. MAITRON et J.
MARILLIER
INSTITUT FRANÇAIS D'HISTOIRE SOCIALE
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L'Institut possède les journaux tenus pendant la dernière guerre par Mme Morizet (D'un balcon de l'île Saint-Louis, 1939-1945) et par André Morizet, qui fut sénateur-maire de Boulogne-Billancourt (Notes prises au jour le jour du 3 juin 1940 au 30 novembre 1941). Ces manuscrits de témoins avertis intéressent un moment particu ¬ lièrement important de notre histoire. Ils sont tout brûlants d'actualité et, de ce fait, non encore intégralement publiables. Nous en présentons de courts extraits et nos lecteurs auront ainsi une idée de la qualité de ces documents qui nous ont été remis par Mme Morizet auprès de qui nous avons été introduit par M. Dorval-Hérard. Qu'ils veuillent bien trouver ici l'expression de notre reconnaissance. Nos remerciements vont également à Justinien Raymond, auteur de la biographie d'André Morizet:
Le manuscrit « D'un balcon de l'île Saint-Louis » n'est pas l'expression presque incontrôlée de sensations consignées aussitôt que ressenties. Le style a été travaillé mais ce que la littérature a gagné, on peut penser que l'histoire l'a perdu. Les notes d'André Morizet, homme politique et administrateur d'une grande cité, sont au contraire dépouillées de tout apprêt. Nous les donnons in extenso après nous être permis seulement de rétablir quelques abréviations et de corriger de rares lapsus. Témoignage vivant, perspicace, parfois' brutal, teinté de quelque amertume, non désespéré en dépit du faible écho de l'appel du 18 juin, il constitue, nous a-t-il semblé, un document de valeur pour l'historien.
Jean MAITRON.
La vie politique d'André Morizet présente une belle unité. Entré jeune dans les milieux d'étudiants socialistes du quartier Latin , il se donne à la propagande dans la Marne, son pays natal, et, s'il collabore. à la presse socialiste, affronte les batailles électorales, il reste, jusqu'à la première guerre mondiale un militant du rang. En 1919, il entre à la mairie de Boulogne-Billancourt : ce premier succès fixe son destin. Conseiller général quelques mois, plus de dix ans sénateur, il sera surtout et toujours maire, maire de Boulogne-Bil ¬ lancourt, grande ville de la banlieue de Paris où s'affirmera sa per ¬ sonnalité.
SES ORIGINES
André Morizet naquit à Reims le 23 janvier 1876 dans la bour ¬ geoisie républicaine. Son père Charles, issu de gros vignerons champenois, était notaire et siégea comme radical au conseil mu ¬ nicipal de sa cité. C'était un homme singulier, au physique avan ¬ tageux, à l'esprit brilant , au caractère primesautier et fantaisiste. En un temps où les conventions séparaient franchement les dif ¬ férentes catégories sociales et où les intérêts familiaux présidaient aux unions matrimoniales, le père de Morizet bouscula les « conve ¬ nances » et gagna le coeur d'une très riche héritière, Mlle Lucie Delius. Elle appartenait à une famille d'origine allemande, solide ¬ ment implantée depuis le XVIIIe siècle dans l'industrie du Cham ¬ pagne. La distance n'était pas seulement dans le degré de bour ¬ geoisie. Alors que le père de Morizet était détaché de toutes pra ¬ tiques religieuses. Mme Delius avait abjuré le catholicisme pour embrasser le culte réformé dans lequel elle élevait sa fille : indice certain d'un esprit de libre examen, mais aussi d'un vif sentiment religieux qu'aurait pu troubler et effaroucher le caractère Un peu fantasque du prétendant. Toutefois, les avis du coeur l'emportè ¬ rent et l'opulente famille Delius accueillit avec dignité un gendre fortuné et cultivé.
De cette double ascendance, André Morizet tenait sans doute certains contrastes de sa personnalité. Mme André Morizet (1) nous dit qu'il alliait « des gaîtés d'enfant à des sévérités de pasteur ».
(1) C'est à Mme André Morizet que nous devons les détails sur les familles ascendantes et sur les traits les plus secrets du caractère de son mari. Venant d'une compagne aussi distinguée' d'esprit et de coeur, ayant partagé avec tant d'intelligence et de dévouement l'idéal et les soucis de son mari, ce témoignage est d'un très haut prix. Nous remer ¬ cions très vivement ici Mme Morizet de nous l'avoir accordé.
M. Bruel (2), l'actuel secrétaire général de la mairie de Boulogne, qui, pendant vingt-cinq ans, fut son camarade, son ami et son pro ¬ che collaborateur, assure que son apparence froide, son abord un peu rude, cachaient un coeur extrêmement sensible et une nature très délicate. Quiconque l'a rencontré, ne serait-ce qu'une fois , n'a pu manquer d'être frappé par son aspect physique.
André Morizet était ce qu'il est convenu d'appeler un « bel homme », distingué d'allure, élégant de tenue sans affectation, avec un naturel qui lui permettait d'être partout à l'aise, aussi bien en compagnie du prolétaire de Boulogne qu'au contact du « monde ». Dans la riche galerie des portraits barbus et chevelus qui ornent les volumes d'avant 1914 de 1' « Encyclopédie socialiste » de Compère - Morel, André Morizet fait une figure originale avec sa chevelure soi ¬ gneusement plaquée, son visage rasé et sa boutonnière fleurie (3), Les traits distinctifs de ce portrait marqueront toujours son visage : front haut et large, oeil vif et impérieux, bouche volontaire, forte ¬ ment dessinée, dégageant une impression d'énergie, d'autorité. En somme, la physionomie d'A. Morizet était empreinte de cet air indé -. finissable que les Français disent être celui de leurs voisins de l'Est et que l'on retrouve, à n'en pas douter, sur le visage du fils de Mlle Delius.
ETUDES - VIE MILITANTE JUSQU'EN 1914
Après avoir achevé ses études secondaires au lycée de Reims, André Morizet vint à Paris pour suivre les cours de la Faculté de Droit en 1893. Il s'agissait de se préparer à recueillir l'étude pater ¬ nelle. Mais l'humeur vagabonde de son père lui ferma cet avenir de bourgeoise activité provinciale dans laquelle, à vrai dire, on à peine à se le représenter. Ayant connu des revers de fortune, le beau notaire rémois dut renoncer à sa charge et prendre une direction bien inattendue puisqu'il finit par se trouver à la tête du péni ¬ tencier colonial de Poulo-Condor en Indochine.
A. Morizet acheva avec brio le cycle de ses études de droit, li ¬ cence et doctorat (3 bis). Esprit ouvert, amateur d'art, il est rapide ¬ ment conquis par l'atmosphère intellectuelle et artistique exaltante de Paris. Mais il n'a rien d'un dilettante et, s'il est issu d'un milieu social très bien nanti, il y a respiré, au souffle maternel , une atmosphère de ferveur, d'idéalisme et, à l'exemple du père, l'amour
(2) C'est à M. Bruel , compagnon de toujours de Morizet , ami des bons et des mauvais jours du militant et de l'élu, que nous devons les renseignements les plus précieux sur l'activité de Morizet à Boulogne. Nous en remercions chaleureusement M. Bruel.
(3) « La France socialiste », tome I, par Hubert Rouzer, p. 156, in « Encyclopédie socialiste... », publiée sous la direction de Compère-Morel , Paris, Quillet édit., 1912.
(3 bis) Le sujet de sa thèse était : « Les secrétariats ouvriers en Allemagne ». Elle a été publiée aux Editions du « Mouvement socialiste » en 1903. (in-8 , 130 p., tableaux). On peut la lire à la Bibl. Nat. 8° F.14931.
de la liberté et de la République. Aussi, il fréquente tout de suite les milieux étudiants d'avant-garde et, dès 1895, renonçant à l'ave ¬ nir confortable que lui promettaient ses origines, il adhère aux groupes socialistes du quartier Latin (3 ter). En 1900, il est secrétaire des Etudiants collectivistes. Il connaît Péguy, Lagardelie. Avec toute l'ardeur du néophyte il porte là parole socialiste dans son pays natal, ce qui ne manqua pas d'effaroucher une partie de sa famille. Il est encore jeune étudiant à Paris quand, avec son compatriote Guernier (4) il fonde en 1898, à Reims, un groupe socialiste indépendant, l' « Union socialiste de la Marne ».
Le Parti Ouvrier Français était déjà solidement installé dans le département. Constitué en fédération en 1894, il tenait régulière ¬ ment des congrès départementaux annuels. A Reims même, il comp ¬ tait trois groupes d'adhérents : l' « Action », la « Défense des Tra - vailleurs », le « Drapeau rouge ».
Le groupe indépendant rémois, dont Morizet était le véritable animateur, créa quelques menus organismes frères, à Fismes et à Suippe notamment. Les deux fractions socialistes s'opposèrent l'une. à l'autre. Ce n'était pas, à cette époque de division, une originalité. Ce qui en serait plutôt une, c'est l'acte unitaire accompli par les groupes indépendants convoquant à un congrès les socialistes de la Marne sans distinction d'école. Réuni à Reims le 31 décembre 1900, ce congrès n'aboutit pas à la fusion espérée. Les groupes indépendants constituèrent alors une fédération autonome. Elle dut son succès surtout à l'action de Louis Revelin , professeur arrivé entre temps à Reims (5) et à André Morizet. Elle se trouvait sur les positions qui allaient être celles du Parti Socialiste Français sorti du congrès de Lyon en 1901. Mais alors, Morizet, qui avait combattu l'entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau, rejoignit les groupes dits d'Unité Révolutionnaire qui constituèrent en 1902 le Parti Socialiste de France. Et il continua à militer à Paris et dans la Marne. .
A partir de 1901 il est rédacteur au « Mouvement socialiste » de Lagardelie et deviendra bientôt secrétaire de sa rédaction. Sa collaboration est essentiellement politique. Ses articles figurent dans
(3 ter) Au cours du séjour qu'il fit en Russie en 1921, Morizet délégué au Congrès de la IIIe Internationale, visitant en compagnie de Victor Serge et de Naegelen les archives de l'Okhrana , eut la surprise de lire au fichier des dossiers : « Morizet, Paris (Dossier ouvert en 1898 ; Lettres, 1903). On chercha le dossier, il était détruit. Explication de Morizet : « 1898 ? J'appartenais au groupe des Etudiants Collectivistes, qui comp ¬ tait nombre de Russes. L'Okhrana nous surveillait sans doute. 1903 ? J'ai comme un souvenir d'avoir correspondu, avant le Congrès d'Amster ¬ dam , avec Plekhanov. » («Chez Lénine et Trotski », Moscou , 1921 », p. 35.)
(4) Actif militant syndicaliste, il sera secrétaire de la Bourse du. Travail et deviendra conseiller municipal de Reims.
(5) Candidat à une élection législative complémentaire le 3 décembre 1904, il groupera 3.800 voix.
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les chroniques : « Les partis socialistes », les « Faits politiques >. En 1904, les groupes de « Jeunesses » de la Seine le chargent de la rédaction du journal « Le Conscrit ». Dans la Marne il est au nombre des fondateurs de l' « Avant-Garde », hebdomadaire qui ne vécut que quelques mois en 1905.
Il ne semble pas qu'à partir de l'unité, Morizet ait appartenu à un groupe socialiste de la Marne, car il ne figure pas, et cela serait étrange, s'il était présent, dans les organismes fédéraux (6). Il dut alors s'inscrire à une section parisienne sans que nous puissions préciser laquelle.
Ses parents ont quitté Reims. Sa vie propre le retient à Paris puisque, ses études de droit achevées, il entre comme rédacteur, en qualité de bibliothécaire adjoint au ministère de la Justice. Depuis la fondation de « l'Humanité », en 1904 , il collabore assidûment au journal de Jaurès. En 1908, il collabore à l' « Action directe », organe syndicaliste où il côtoie Berth , Delesalle, Griffuelhes , Merr - rieim, Monatte (7). L'année précédente, il a été victime de la ré ¬ pression clémenciste et révoqué de son poste au ministère de la Justice (8). Son activité journalistique se fait, en conséquence, plus abondante. Elle s'étend à la presse socialiste étrangère , espagnole et argentine (9).
La vie militante de Morizet s'était bien concentrée dans la Seine puisque les élections du 26 avril 1914 le trouvent candidat dans la sixième circonscription de Saint-Denis. L'événement marqua sa vie. Cette première bataille au résultat très honorable le mit en vedette. Il recueillit 3.972 voix. Les autres candidats en totalisaient 13.548. Au second tour, bénéficiant du désistement du général Percin, il groupa 7.738 voix, talonnant le vainqueur qui en rassemblait 8.609 (10). Mais surtout, par cette joute électorale, il prenait un pre ¬ mier contact avec Boulogne qui allait devenir son fief d'adoption,
(6) « Les Fédérations socialistes » (2e volume, p. 379-380), par Hubert Rouger : in « Encyclopédie socialiste » de Compère-Morel.
e(7) Cet organe de défense de l'autonomie du mouvement syndical parut du 15 janvier au 30 septembre 1908.
(8) Sur l'autoritarisme de celui qu'on appela alors le « Premier flic de France », Morizet publia une brochure intitulée : « De l'incohérence à l'assassinat. 30 mois de ministère radical » (édition de « l'Humanité », 1909. In-8, 32 p., fig. Bibl. Nat. 8e Lb 57 15077. Cette brochure depuis long ¬ temps introuvable était préfacée par Sembat et accompagnée d'une lettre de Maurice Allard.
(9) Ces détails sur les débuts de la vie militante de Morizet sont dispersés dans l' « Encyclopédie socialiste » de Compère-Morel : « La France socialiste » : TT. I, par Hubert-Rouger (pp. 155-156) et , du même auteur, « Les Fédérations socialistes » (2e volume : pp. 374 à 380, passim.). On trouve quelques précisions aussi dans André Morizet : « Chez Lénine et Trotsky, Moscou 1921 », Paris, Renaissance du Livre, 1922, 300 pages (p. 35).
(10) « Les Fédérations socialistes » (3e volume), p. 153.
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sa ville. Premier contact interrompu par le drame qui fut celui de tous les hommes de sa génération. Mobilisé dans.l'infanterie, Morizet rejoignit le front où il gagna les croix de guerre française et belge (11). Blessé assez grièvement et évacué, il fut appelé au ministère de l'Armement par Albert Thomas qui aimait à s'entourer, d'hommes d'action, de réalisateurs.
SA VIE MILITANTE APRES LA GUERRE Et SES CONCEPTIONS
Au lendemain de la guerre, la vie politique de Morizet se fixe rapidement. Aux élections municipales de 1919, il prend la tête d'une liste de trente-quatre candidats à Boulogne-sur-Seine et la conduit à un succès total avec une moyenne de 3.000 voix (12). Aux élections législatives générales du 16 novembre, il figure sur la liste que Jean Longuet mène à la bataille dans la quatrième circonscription'de la. Seine, couvrant les arrondissements populeux de SaintDenis et de Sceaux. Sur 389.000 inscrits, il y eut plus de 276.000 suffrages exprimés. André Morizet, en douzième position sur la liste de quatorze candidats, se classe huitième avec 112.388 suffrages, distançant son chef de file de plus de 1.300 voix. Mais la loi électorale est telle qu'avec 150.000 voix de moyenne, la liste du Bloc National enlève tous les sièges.
Le sort en est fixé. Morizet ne sera jamais député. Mais il est installé à vie à la mairie de Boulogne et c'est de ce tremplin qu'il sera porté, au Sénat, quelques années plus tard, pour ne le plus quitter.
Mais entre temps, Morizet a vécu, avec tout le parti socialiste, la crise consécutive à la Révolution russe. Aux approches du congrès de Tours où il figurait parmi les représentants de la Fédération de la Seine (13), Morizet défendit devant la section de Boulogne la motion du « Comité pour la Reconstruction de l'Internationale » (13 bis). La section de Boulogne avait été certes, partagée, mais il y régnait une telle camaraderie et une si ferme volonté d'unité sur le plan local que, le congrès de Tours terminé, la section décida de passer en bloc, avec la majorité, au Parti communiste.
(11) Cette expérience lui inspira les ouvrages critiques : « Le plan XVII» (Etude sur l'incapacité de l'état major avant et pendant la guerre), paru aux Editions de « l'Humanité », 1916, in-16, 183 p., B. N. 8e Lb 19760, et « De l'incapacité des militaires à faire la guerre » (Editions» Clarté »).
(12) Dans la mairie qu'il venait de conquérir, il reçut en 1920 la première Conférence nationale des élus socialistes municipaux et canto ¬ naux de France. (« Les Fédérations socialistes » (H. Rouger), 3e vol. (p. 238) in « Encyclopédie socialiste » de Compère-Morel.
(13) Dix-huitième congrès national,tenu à Tours les 25, 26, 27, 28, 29 et 30 décembre 1920 : compte rendu sténographique (p. IX).
(13 bis) Morizet, en 1917, avait appartenu à la majorité de la C.A.P. qui allait être supplantée en octobre 1918 par les anciens minoritaires et les kienthaliens (« Les Fédérations socialistes » par Hubert Rouger, 3e vol. op. cit., pp. 480, 483, 549.)
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Pratiquement et momentanément l'unité était sauvegardée à Boulogne et dans son conseil municipal. Faut-il préciser que la personnalité de Morizet explique dans une large mesure cet état d'esprit particulier (14). Pendant la courte période où il fut maire communiste de Boulogne, Morizet se rendit en Russie. Il y séjourna deux mois au temps des difficultés et de la famine de 1921 et en rapporta un ouvrage que préfaça Trotski (15).
Peu après son retour il perdit son écharpe pendant un an. Invité comme maire à la revue du 14 juillet 1922, il refusa de façon si sèche qu'il fut révoqué. De juillet 1922 à juillet 1923, il céda sa place à son premier adjoint, le vieux militant ouvrier Jules Henripré (16).
L'année même où il reprenait possession de la mairie, Morizet quittait le Parti communiste; Celui-ci ayant interdit à ses adhérents d'appartenir aux organisations « bourgeoises », Ligue des Droits de l'Homme, F. M. le groupe de Boulogne bien que comptant peu de membres touchés par cette mesure, refusa de se conformer à cette décision et, sauf une petite minorité, se retira. Comme en 1920, la grande majorité restait unie autour de Morizet et, avec lui, adhéra au petit parti « socialiste-communiste » que Paul Louis fonda alors après avoir, lui aussi, quitté le Parti communiste (17).
C'est comme socialiste-communiste qu'en 1925, Morizet est élu conseiller général de la Seine pour le canton de Boulogne, battant le conseiller sortant Couergon, élu en 1919, avant la scission, et resté en 1923 au Parti communiste. C'est comme socialiste-communiste que, le 9 janvier 1927, il est élu sénateur de la Seine (18). Le 20 octobre 1935, il est renvoyé au Luxembourg, mais comme socialiste S.F.I.O. (19).
Avec tout son groupe socialiste-communiste, Morizet avait rejoint la petite section socialiste reconstituée à Boulogne à la veille des élections législatives de 1928. Les circonstances de sa première élection sénatoriale ne semblent pas étrangères à ce retour à la «vieille maison ». Avant le scrutin, les leaders communistes (Ca(14)
(Ca(14) fournis par M. Bruel.
(15) « Chez Lénine et Trotski - Moscou 19221 », Préface de Trotski, Paris, Renaissance du Livre, 1922, 300 pages. Arrivé à Moscou le 2 juin, Morizet en repartait le 1er août 1921.
(16) La plaque du grand hall de la mairie de Boulogne sur laquelle figurent les noms des maires successifs et les dates de leur mandat fait mention de cette interruption d'un an, la seule de 1919 à 1942.
(17) « Grand dictionnaire socialiste », par Compère-Morel, Paris, Pu ¬ blications sociales, 1924 (p. 554, 1re colonne, p. 620, 2' colonne) et surtout, précisions fournies par M. Bruel.
(18) Il donna alors sa démission de conseiller général dans le souci de ne pas détenir de mandats d'honneur qu'il ne puisse effectivement remplir, et dans l'espoir de laisser son siège à son adjoint Lagriffoul qui fut en effet, élu fin mai 1927.
(19) « Statistique des élections au Sénat de 1876 à 1937 dressée par le Service des procès verbaux du Sénat », Paris, Imprimerie du Sénat, 15 février 1937 (p. 60). Morizet fut pendant quatre ans secrétaire du Sénat, de 1931 à 1934 (id., p. 89.)
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chin parlant en leur nom) invitèrent leurs délégués sénatoriaux à abandonner dès le premier tour la liste communiste et à voter pour une liste composite comprenant Camélinat (tête de liste communiste), Voilin, Auray, Osmin, Dherbécourt (socialistes), Bachelet (socialiste-communiste), Fleurot (républicain-socialiste), Dominique, Mounié et Ranson (radicaux). Il s'agissait d'éliminer André Berthelot, ce qui fut fait, et Steeg, qui fut élu malgré tout (20). Morizet fut donc élu malgré la tactique communiste qui le sacrifiait (20 bis). Son évolution dut en être précipitée si nous en jugeons par sa vive réaction. « Proportionnaliste repenti et confessant son erreur » , il prononce dans « Le Soir » (21), une vigoureuse condamnation du scrutin de liste, « avec ou sans R. P. ». « La liste est... immorale doublement, écrit-il. Immorale parce qu'elle fait des colistiers des concurrents... Immorale parce qu'elle met le choix des élus à la disposition des adversaires, comme nous l'avons vu à l'élection sénatoriale du 9 janvier dans la Seine, où les communistes ont désigné comme ils l'ont voulu presque tous ceux des candidats que, pour leurs convenances propres, ils tenaient à faire triompher... »
Maire, sénateur, Morizet consacre l'essentiel de son activité à l'administration. Par tempérament, par goût, il était plus porté à l'action pratique, aux réalisations tangibles qu'au jeu de ce que l'on appelle la politique pure. Néanmoins il resta toujours ce qu'il avait été exclusivement jusqu'en 1914, un militant. Il s'est pleinement affirmé comme journaliste par la vigueur de son talent et l'indépendance de son jugement (22). Pendant son bref passage au
(20) « La Discussion » (Tribune libre réservée aux membres du Parti communiste), numéro du 1er février 1927 : article « Les incohérences bureaucratiques continuent », par Raymond Baranton qui fut le Seul à s'opposer publiquement à cette tactique au moment du vote public.
Par contre « Le Soir » (numéro 305 du lundi 10 janvier 1927, p. 1) affirme que la « manoeuvre communiste vise directement MM. Steeg, Henri Sellier et Morizet... »
(20 bis) Il occupait le huitième rang sur la liste des 10 candidats du Parti socialiste-communiste. En tête étaient Auriol et Bachelet. Au premier tour de scrutin, Bachelet venait en tête de sa liste avec 249 voix, et Morizet était deuxième avec 124 voix. Tous deux figurèrent sur ' la liste de cartel de 9 candidats (Laval ayant été élu au premier tour) constituée pour le second tour, par les socialistes-communistes,. les socialistes S.F. I.O, les républicains socialistes et les radicaux. Morizet occupait la sixième place.
(21) Numéro 357 de la 41e année, jeudi 3 mars 1927, p. 1.
(22) Jean Longuet, qui fut son compagnon à la rédaction-de « d'Hu ¬ manité » rappelle que Jaurès lisait tout ce que devait publier le journal du lendemain. Souvent le soir, il téléphonait à la. rédaction et demandait qu'on lui donnât lecture du papier de tel ou tel camarade. Et Jean Lon guet ajoute : « Que de soucis ne lui avez-vous ainsi souvent causés, mes amis André Morizet et Daniel Renoult ». (« La Nouvelle Revue Socia ¬ liste », 1re année, numéro 8, 15 juillet-15 août 1926, pp. 487-488.)
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Parti communiste, il s'est mêlé à sa vie intérieure et internationale. Il est parmi ses délégués au Congrès de la IIIe Internationale à Mos ¬ cou en 1921 (23). Rentré dans le Parti socialiste, il participa acti ¬ vement à la vie de sa section de Boulogne et de la Fédération de la Seine. Il fréquentait les congrès et les conseils nationaux du Parti , comme avant la guerre (24), quand il ne les accueillait pas dans son Hôtel de Ville de Boulogne comme en 1936 (25). Après son entrée au Luxembourg, il fut secrétaire, du groupe socialiste sénatorial et membre de la Délégation executive du groupe socialiste au Par ¬ lement.
Il ne fut pas, il est vrai, un habitué des tréteaux de réunions publiques à travers tout le pays. Il affrontait avec aisance, avec cou ¬ rage et avec succès les controverses électorales où sa parole directe, sa combattivité, son sens de la répartie faisaient merveille. Mais il n'était ni un tribun populaire, ni un orateur académique. Et les joutes oratoires ne le tentaient pas plus que ne l'attiraient les manifestations purement honorifiques de l'élu. A ces dernières il se faisait représenter chaque fois qu'il le pouvait, se réservant pour les tâches plus austères de son cabinet de travail, des salles de commission et des nombreux organismes qu'il animait (27). Son caractère, sa conception du socialisme, de ses chances, de son avenir, lui dictaient ce comportement. L'un et l'autre se lisent clairement dans l'ouvrage qu'il rapporta de Russie. Ouvrons-le un instant.
Ecrivant en 1921 et 1922, au moment où la Russie révolutionnaire fait face aux pires difficultés intérieures et se heurte au dehors à l'hostilité de l'opinion dominante, il ne se laisse pas aveugler par l'esprit systématique du partisan qu'il est et que pourrait à bon droit exaspérer l'incompréhension intéressée et systématique du monde bourgeois. En refermant l'ouvrage, le lecteur souscrira pleinement aux affirmations de l'auteur dans 1' « Avant-propos» : « Ce livre est un livre de bonne foi. » « Les impressions enregistrées dans ce volume, écrit-il, sont... celles d'un homme que ses convictions et son passé faisaient d'avance favorable à la Russie bolchevik. Sontelles d'un homme de parti-pris ? Je ne le crois pas. Il me paraît bien que j'ai apporté dans mon enquête toute l'impartialité qu'on est
(23)) Il est en compagnie de Lucie Colliard (déléguée à la propagande), Delagrange (adjoint au maire de Périgueux), Gaye (de Bordeaux), Ch.-A. Julien (délégué à la propagande en Algérie), Negelen Belfort), Vaillant-Couturier (député), Boris Souvarine et Tommasi.
Ce fut l'occasion du séjour de deux mois dont il rapporta l'ouvrage cité ci-dessus, « Chez Lénine et Trotsky - Moscou 1921 », qu'on lit au ¬ jourd'hui encore avec un grand intérêt.
(24) An Conseil national du 31 octobre 1909, c'est lui qui présenta la motion.votée, par, acclamations et condamnant l'exécution de Ferrer et les « flibustiers marocains » (Hubert Rouger : « La France socialiste », T. I, op, cit. p. 72.)
(,25) Congrès national extraordinaire des 1er et 2 février. (27). D'après des renseignements de Mme Morizet et de M. Bruel.
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en droit de me demander... L'indifférence sereine est impossible... Nul ne peut parler de ses péripéties de la Révolution] comme les historiens en parleront plus tard et ceux qui prétendent les exami ¬ ner du point de vue de Sirius se refusent simplement à avouer leur préférence. Je proclame, moi, la mienne... Ce que j'ai vu est triste et grand. Triste ? Parbleu ! Les révolutions ne ressemblent guère à des berquinades , et c'est dans la souffrance et la misère que le peuple des moujiks s'efforce aujourd'hui vers la liberté (28). Grand? Oui. Quand les hommes, les femmes vous disent : « Nous lès géné ¬ rations adultes, nous nous savons sacrifiées, mais nous travaillons pour les enfants, pour l'avenir », vous direz ce que vous voudrez, c'est beau. » (29).
Quand il dénonce les « bobards, de la presse française » (30), Morizet le fait minutieusement, méthodiquement. Il cherche tou ¬ jours à en expliquer l'origine, souligne parfois ce qui peut leur don ¬ ner un semblant de sérieux, une apparence de vérité. Il sait aussi les rejeter avec mépris, mais son ironie n'est pas à sens unique. Dès journaux de Paris ont écrit que les bolcheviks ont mesuré le crâne des délégués étrangers au Congrès de la IIIe Internationale pour connaître le degré de leur intelligence. Qu'on juge à la réaction de Morizet , la liberté de son jugement. : « Nos camarades, en France et ailleurs, ont accueilli cet intéressant canard comme il le méritait, j'en suis sûr. Mais il s'est certainement trouvé bon nombre de niais pour le déguster. D'aucuns ont dû s'indigner de ces procédés « dignes de la barbarie ». Je ne jurerais pas que quelque Pécuchet, par contre , n'ait éprouvé une certaine admiration pour « ces es ¬ prits audacieux qui ne reculent devant aucune innovation scienti - fique ». Nous, nous nous sommes tout simplement, comme on se l'imagine, bien amusés. » (31). Morizet se défend honnêtement d'avoir tout vu, tout compris au cours d'un rapide passage dans un pays vaste, divers, mystérieux et en pleine mutation. Comment s'en étonner ? Il faudrait plutôt souligner l'ampleur et la qualité d'une Information cueillie pendant un séjour de deux mois à Moscou et à Pétrograd. C'est que Morizet a côtoyé, écouté, interrogé à plusieurs reprises Lénine, Trotsky, Lunatcharski (32), Ràkovski. Tchitchérine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, l'a reçu quatre fois et lui a remis une déclaration pour l'extérieur qui fit quelque bruit (33). Cédant à son goût
(28) « Chez Lénine et Trotski », op. cit.. p. XIII.
(29) Id., p. XIV.
(30) Titre du dernier chapitre de la Première partie : « A travers Pétrograd et Moscou ».
(31) « Chez Lénine et Trotsky », op. cit., p. 50,
(32) Morizet constate le souci du Commissaire du peuple à l'Instruc ¬ tion publique et aux Arts « de sauver le legs intellectuel et artistique du passé russe, « les scrupules d'un barbare », écrit-il avec ironie et fierté. Il souligne avec chaleur les efforts accomplis pour l'instruction du peuple par un régime qui vient de naître et qu'assaillent tant de dangers mor
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personnel, Morizet étudie les institutions communales naissantes auprès de Kamenev, président du Soviet de Moscou, Il est reçu, en compagnie de Victor Serge, par Maxime Gorki, en juillet 1921, dans sa « datcha » de Leningrad, sur la rive gauche de la Néva. Gorki est alors en marge du Parti bolchevik, mais grand admira ¬ teur de Lénine. H organise la lutte contre la famine et sollicite l'aidé étrangère. Il remet à cet effet deux appels à Morziet, adressés « aux travailleurs français » et « au peuple français ». Morizet s'enquiert des vues de son hôte illustre sur l'avenir de la Révolution russe, et bien qu'elles ne soient pas orthodoxes, les rapporte sans fard (34).
Il conclut en deux chapitres éloquents dont les titres complémentaires attestent d'un souci de vérité : « Le Bolchevîsme a commis des erreurs », (35) et « La grandeur de l'oeuvre acomplie » (36). En tirant la conclusion de son enquête, en disant son attachement à la Révolution russe Morizet livre sa propre conception de l'action socialiste. Elle explique et son appartenance momentanée au Parti communiste et sa rupture ultérieure.
Un discours très « autocritique » de Lénine, le 17 octobre 1921, au congrès des « Comités d'éducation politique » l'amène au premier terme de sa conclusion qui, il le déclare tout de suite « sera moins sévère au bolchevisme que celle de Lénine » car si « la situation économique de la Russie est lamentable... ce n'est que dans une bien faible mesure la faute de ses dirigeants... » (37) Il voit plutôt leurs « erreurs » dans l'ordre politique. Ils ont cru que la possession du pouvoir résolvait tout, dit-il en substance. La Révolution russe s'est accomplie sans que le peuple ouvrier eût eu le temps de se doter d'institutions, comme les syndicats, les coopératives, qui ont l'avantage de parfaire l'éducation ouvrière et de faciliter « grandement la mise en route » d'une machinerie sociale nouvelle » (38). Il n'y avait pas de syndicats en Russie. Ceux qui naquirent en 1905 furent détruits par la police. Les bolchevicks « en rendant l'affitels.
l'affitels. oppose ce noble souci à l'abandon dans lequel le tsarisme laissa le peuple russe : « Je ne pense pas qu'on puisse découvrir au passif d'une classe quelque chose de plus lamentable que l'état d'abandon dans lequel les anciens maîtres de la Russie ont laissé le peuple dont ils vivaient et qu'ils prétendaient conduire. » (« Chez Lénine et Trotsky », op. cit p. 175.)
(33) C'était, en termes pesés, une sérieuse déclaration au monde capitaliste et à la France en particulier. A l'annonce de sa publication, Briand, ministre des Affaires étrangères, demanda à recevoir Morizet. Le Comité central du Parti l'autorisa à se rendre à cette invitation. « L'Humanité » ayant, entre temps, publié la déclaration, le 15 août 1921, l'audience n'eut pas lieu. Cette déclaration est reproduite dans Chez Lénine et Trotski », op. cit., pp. 144 à 155.
(34) « Chez Lénine et Trotsky », op. cit., pp. 240à243.
(35) Id., pp. 285-289.
(36) ïd., pp. 293-297.
(37) « Chez Lénine et Trotsky », op. cit., p. 285.
(38) Id., p. 287. ''
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liation au syndicat obligatoire... ont annihilé l'esprit syndicaliste qui aurait, probablement, au souffle des événements, merveilleusement fleuri pour le plus grand profit de la restauration industrielle » (39). Il s'était constitué, par contre, des coopératives importantes. Les bolcheviks « les ont négligées par défiance d'un personnel dirigeant dans lequel il n'aurait, sans doute, pas été impossible d'obtenir des changements » (39).
« J'incline à croire, poursuit Morizet, étant donné les hommes, qu'ils n'ont pas senti la nécessité qui s'imposait, pour que le régime communiste fonctionnât au plus vite, de l'étayer sur le roç inébranlable d'un mouvement ouvrier conscient. Presque tous sont des « intellectuels » dressés surtout au travail spéculatif. Tous ont vécu par la force des choses en conspirateurs et en exilés. Imbus de conceptions trop uniquement politiques, ils ont pensé que l'exercice jacobin de l'autorité suffirait pour fonder le socialisme. Ils ont cru que, dès décrets déterminants les principes, des administrations d'Etat, même composées en partie d'adversaires, pourraient assurer militairement l'application des volontés des dirigeants. Erreur manifeste... » (39) « Lénine... et ses camarades ont méconnu ,sous-estimé au moins, l'importance et la valeur des institutions prolétariennes sans lesquelles le mécanisme socialiste ne saurait fonctionner. » (40).
De cette « faute doctrinale » découlent les « erreurs pratiques ». Morizet en retient une qui lui semble grave. « En même temps qu'ils Iles bolcheviks] régularisaient dans la campagne, pour s'assurer les sympathies de la masse rurale, l'établissement provisoire de la propriété individuelle, ils installaient dans les villes le régime communiste. La difficulté des échanges qui résulte de cette situation contradictoire ne pouvait être vaincue que par une abondance de production industrielle qui aurait eu raison des résistances paysannes et cette abondance ne pouvait être espérée que grâce au concours d'un mouvement ouvrier puissant. » (40)
Malgré tout, Morizet conclut en définitive à « la grandeur de l'oeuvre accomplie >>. C'est que les difficultés lui semblent tenir bien davantage à l'état arriéré des choses et des hommes en Russie qu'aux fautes, avouées, des dirigeants. Terrible succession que celle du tzarisme ! « Les bolcheviks l'ont recueillie. Le choix de l'heure ne leur appartenait pas. » (41) Ecrivant en février 1922, il porte sur l'avenir de la Russie et du monde un jugement dont nous pouvons, après trente-cinq ans, mesurer la perspicacité. « Il faudra dix ans, vingt ans, et plus peut-être pour que soit réalisé le programme dont l'exécution commence seulement. » (41) « C'est un accouchement formidable tel que l'histoire n'en a pas encore connu. Il sera suivi d'autres, prophétise-t-il. On peut prévoir sans être grand clerc que de nouvelles masses qui s'éveillent vers l'Orient réclameront
(39) Id., p. 288.
(40) Id., p. 289.
(41) Id., p. 293.
(42) Id., p. 294.
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bientôt derrière les Russes, leur place dans le concert universel. » (42), Il mesure avec clairvoyance le caractère définitif de la rupture intervenue en Russie. « La crise russe... sera longue et pénible... La création ébauchée continuera, sans aucun doute. Les bolcheviks y présideront, comme ils l'ont fait, jusqu'ici... L'événement leur a remis les destinées de la nation et nulle lorgnette, si fine soit-elle, ne permet de découvrir un autre groupe qui puisse leur disputer leur mission... » (43).
Morizet attend avec confiance le jugement que l'avenir portera sur l'oeuvre des bolcheviks. « Il dira qu'ils ont pris en charge un pays que ses maîtres indignes avaient amené à une déliquescence complète... Il dira qu'ils ont tué la féodalité terrienne et détruit la suprématie d'une caste privilégiée méprisable entre toutes. Il dira qu'ils ont libéré le prolétariat des champs et des villes et qu'après avoir" brisé ses chaînes, ils l'ont affranchi de l'alcoolisme, ils ont commencé à l'instruire pour l'émanciper spirituellement... » (44).
SON OEUVRE MUNICIPALE ET PARLEMENTAIRE :
André Morizet ne marchande donc pas sa confiance, son admiration à la Révolution russe. Il croit à son épanouissement intérieur et pressent avec intelligence ses prolongements asiatiques. Mais au milieu des difficultés tragiques de 1921 il en mesure surtout la grandeur par rapport à l'état social de la Russie d'autrefois et au bénéfice des projets d'avenir du nouveau régime. Ses « faiblesses », ses « erreurs », il les impute surtout au lourd passif de l'héritage cueilli par les bolcheviks. Une révolution socialiste aurait, ailleurs, d'autres atouts, prendrait d'autres formes. Chaque peuple lui semble devoir l'accomplir avec son propre génie (45) et il ne cache pas ses
(43) Id., p. 294.
(44) Id., p. 296.
(45) Deux jours après son retour de Russie, évoquant les paysages qu'il a parcourus, il termine ainsi dans « l'Humanité » du 10 août 1921, un article reproduit dans l'ouvrage « Chez Lénine et Trotski » : « Des plaines aux bouleaux blancs, aux prairies sans fin, des anciens domaines teute niques ; des monotones étendues de la Prusse aux citadelles industrielles de Rhénanie, de la vallée de la Meuse à celle de l'Oise qui sourient même
dans leurs ruines, quelle richesse et quelle variété de couleurs ! Russie mystérieuse et captivante, « sainte Russie », qui ne t'offres jamais, qui ne fais rien pour séduire, mais au charme de laquelle nulle âme un peu tendre ne saurait résister ! Allemagne brutale et revêche, tout au long de.laquelle on demeure émerveillé de la méthode unique qu'un peuple a su t'appliquer pour faire de toi le plus étonnant des mécanismes producteurs ! France, mon pays, terre de finesse amiable, terre de généreuse douceur, pays exquis qu'on ne saurait ne pas aimer, quelles que soient ses erreurs et ses sottises !
« Est-ce que tous ces aspects de la beauté profonde ne se complètent pas comme les couleurs que décompose le prisme s'additionnent pour donner la blancheur immaculée ?
« Quand donc les peuples comprendront-ils qu'ils ont besoin les uns des autres et que la paix harmonieuse et sereine, qui naîtra dm socia13
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réserves sur les méthodes politiques du bolchevisme, sa conception du rôle de l'Etat prolétarien et de ses relations avec les organisations ouvrières. Pour Morizet, le socialisme ne peut naître, comme une génération spontanée, de la conquête du pouvoir politique. L'attitude blanquiste n'a jamais été la sienne .Il croit à la nécessité de la. conquête de l'Etat, à la fatalité de la dictature transitoire, du prolétariat (46), et il rejette catégoriquement l'idée que la conquête du Parlement puisse être le moyen de cette dépossession politique de la classe bourgeoise (47). Mais en attendant cet acte de rupture, Morizet pense que le militant, l'élu, par leur action, leurs réalisations, peuvent travailler à l'avenir du socialisme, en hâter l'heure, et en faciliter l'éclosion et l'épanouissement en y préparant les hommes, en imprégnant de son esprit là législation, les institutions communales et les cellules économiques.
Son oeuvre municipale et parlementaire témoigne de sa foi dans l'action quotidienne, dans l'accomplissement des tâchés créatrices.
Un bilan complet de ses réalisations édilitafres de Boulogne serait impressionnant. Les plus spectaculaires attestent de a hardiesse, de la générosité de ses conceptions sociales : agrandissement de l'Hospice des vieillards en 1927 ; mise en chantier en 1930
lisme seul, est comme la pure blancheur qui ne s'obtient que des couleurs juxtaposées !»
(« Chez Lénine et Trotsky », op. cit., pp. 6-7.)
(46) « Dictature du prolétariat », voilà des mots qui ont fait couler des flots d'encre dans toutes les polémiques sur la Russie révolution naire !.Comme s'ils étaient nouveaux ! Comme si Marx et Engels, lorsqu'ils lançaient le « Manifeste Communiste », ne les avaient pas, dès 1848, prononcés ! Comme si tous les partis qui depuis soixante-dix ans, se sont proclamés marxistes, ne les avaient pas toujours inscrits dans leurs programmes !
Sérieusement, peut-on concevoir le passage d'un régime à un autre sans une période de gouvernement provisoire ? Lorsqu'il s'agit surtout de changer, non plus un personnel politique, comme dans les révolutions du passé, mais les bases mêmes de l'ordre social, comme notre parti se le propose, peut-on ne pas prévoir que la prise du pouvoir, ce que nous appelons la Révolution, sera fatalement suivie d'une période de transition '. pendant laquelle des hommes investis de la confiance du prolétariat vainqueur exerceront le pouvoir avec des moyens dictororiaux ». ( «Chez Lénine et Trotski... » : op. cit. p. 26.)
(47) Dans l'article du « Soir ». cité ci-dessus (n° du 3 mars 1927) Morizet souhaite qu'on enterre le scrutin de liste, avec ou sans R.P. Il ajoute : « Je le souhaite en démocrate et socialiste qui, sans avoir jamais professé une foi aveugle dans le parlementarisme, voudrait cependant que le Parlement serve, dans la mesure du possible, pendant le temps que lui réserve l'évolution moderne, à préparer un monde nouveau » (« Chez Lénine et Trotski » : op. cit. p. 135.)
Remarquons que Morizet attribue ce rôle, limité dans ses objectifs et borné dans le temps, à l'institution parlementaire, au moment où il vient d'y prendre place. Sa conviction ne change pas selon les vicissitudes de sa vie politique.
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et en 1931 de deux groupes scolaires nouveaux (les groupes J.-B. Clément et Ferdinand Buisson) (48) ; édification, terminée en 1934, d'un Hôtel de. Ville spacieux et imposant (il se dresse aujourd'hui sur la large avenue Andrè-Morizet) ; en 1938, construction d'un Centre d'Hygiène, inachevée à cause des événements. Ces créations ne constituent pourtant pas l'essentiel de l'oeuvre de Morizet. C'est une véritable transfiguration de Boulogne qu'il a réalisée en un quart de siècle d'administration. OEuvre de construction immobilière, de voirie (réfection et élargissement des chaussées, des trottoirs) ; oeuvre d'éclairage ; suppresion des tramways, achevée fin 1935 et remplacés par des autobus, transforment la cité. Une bourgade grise, monotone, morne, se mue en une ville ordonnée et propre, se compose une physionomie originale et plaisante aux portes de la capitale et parmi ses soeurs de la banlieue industrielle (49).
Dans un domaine, alors moins exploré qu'aujourd'hui par les élus locaux, celui de l'hygiène et de la santé publique, Morizet fut un initiateur. Le docteur Bezançon a rendu un hommage éclatant au « plan d'hygiène scolaire très intéressant » d' « une municipalité animée d'un vaste désir de progrès social» (50). Une Polyclinique scolaire assure service dentaire, service O.R.L., consultations en liaison avec le « Dispensaire antituberculeux », séances de gymnastique orthopédique. Un Préventorium installé en 1924 aux « Peupliers », en bordure de la forêt domaniale de Fausses-Reposes, à 142 mètres d'altitude, exposé en plein midi, « fait honneur à la municipalité qui l'a fondé » (51) par la conception et la mise en oeuvre également heureuse qui ont présidé à sa naissance et à son développement.
Les colonies de vacances « permettent des conditions excellentes de séjour et assurent aux enfants un bénéfice réellement important et aux parents une sécurité complète » (51). Si Morizet a eu heureusement beaucoup d'imitateurs, il avait bien peu d'exemples quand il créa en 1920 1' « OEuvre municipale des colonies de vacances ». Chargée de 280 enfants à ses débuts, elle en reçoit 1.122 en 1935. D'après les indications médicales, elle répartissait ses petits colons, pendant deux mois d'été, entre la vie au grand, air dans la campagne nivernaise et le séjour en climat maritime sur la côte du Calvados (52).
(48) Sans compter l'entretien attentif des groupes existants et un troisième projet de construction que la guerre de 1939 fit avorter.
(49) Tous les vieux habitants de Boulogne, témoigne M. Bruel, même les moins attentifs à l'évolution des choses ont eu conscience de cette transfiguration. Et le style nouveau de leur cité est pour tous, amis ou adversaires politiques, le style Morizet.
(50). Long article de la « Revue Médico-sociale de l'Enfance », 3 année, n° 5, 1935.
(51) Dr Bezançon : article cité. : (52) « Bulletin Municipal officiel dé Boulogne-Billancourt » (septembre-octobre 1935 : pp. 4 et 5).
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Attentifs au sort des vieillards, à la santé, au développement intellectuel et physique des enfants de Boulogne, Morizet et son Conseil municipal s'efforcent d'atténuer pour toute la population prolétarienne de la ville les effets de la crise économiqeu. En 1934 ils créent la « Foire-Exposition » annuelle axée sur le confort ménager, l'hygiène et l'habitation. Ils assurent aux chômeurs dont le nombre passa de 1750 en mai 1934 à 3.600 à la fin de 1935, le soutien matériel et le réconfort de la solidarité communale. La Municipalité ajouté plus de 2.500.000 francs par an aux subsides de l'Etat, met à la disposiion des chômeurs un bureau de placement, une soupe populaire, leur assure la gratuité des cantines scolaires (53), de l'assistance médicale, des colonies de vacances, distribue des secours en nature pour les enfants (vêtements, chaussures) Elle loge le « Comité des chômeurs » et fait entrer deux sans-travail à la commission paritaire locale du chômage (54).
Enfin, c'est à l'ensemble de la population laborieuse atteinte par la crise économique que la municipalité Morizet, malgré les lourdes charges qu'elle assumait, fit, en 1936, la surprise inattendue et insolite d'une réduction de vingt-cinq centimes additionnels des impôts communaux. Elle y parvenait en instituant, comme l'y autorisait la loi du 13 août 1926, une taxe sur la valeur locative des établissements industriels et commerciaux, taxe fortement progressive, à peu près équivalente pour les petits commerçants et artisans au dégrèvement des vingt-cinq centimes, et frappant, pour les trois quarts des recettes attendues d'elle, les entreprises occupant un local industriel ou commercial dont le loyer annuel dépassait 40.000 francs (55). C'était un transfert des charges locales des salariés aux catégories aisées, transfert léger d'abord, on l'avouait, on le voulait ainsi par prudence administrative, mais on se promettait de le poursuivre et on le fit.
Si Morizet aimait voir s'ouvrir et bourdonner les chantiers, on peut constater que son administration ne perdait jamais de vue que la Commune est d'abord une collectivité humaine, et, quand il s'agit de Boulogne ouvrier, entre les deux guerres, au travers d'une grave crise économique, une communauté qui peine et qui souffre.
Le prestige légitime que lui valut cette oeuvre le porta à la présidence de 1' «.Association amicale des Maires de Banlieue ».
(53) Elle est la seule municipalité de la région parisienne à le faire, avec celle de Clichy, et, en raison de l'accroissement du chômage'elle a dû augmenter sa subvention à la « Caisse des Ecoles » qui assure
l'organisation des cantines, de 240 pour cent de 1931 à 1935. (Bull. Mun. officiel de Boulogne-Billancourt : nov.-déc. 1935 : p. 6.)
(54) Bull. Mun. officiel : nov.-déc. 1935 : pp. 6-7.
(55) Bull; Muni. officiel de Boulogne-Billancourt : nov.-déc. 1935 (p. 1).
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Il occupait ce poste quand il fut élu sénateur en 1927. Son entrée au Luxembourg, si elle étendit son champ dâ'ction et en accrut la portée, n'en modifia pas la nature. Elle resta centrée sur l'administration. Il siégea sans interruption à la « Commission d'Administration générale, départementale et communale », à la Commission de l'Armée de 1927 à 1933 et, à partir de 1933, à la Commission des Finances.
Morizet est le vrai père de la loi du 15 mai 1930. Il en a suscité le projet et l'a rapporté. Elle a permis la mise en viabilité, dès avant la guerre, de plus de la moitié des douze cents rues privées éparses dans les faubourgs parisiens. Une trentaine de villes de banlieue ont pu nettoyer leurs cloaques, paver des voies abandonnées, doter d'égouts, d'eau, de gaz et d'électricité leurs habitants, Morizet ayant obtenu que, par décret, la loi serait applicable aux communes qui eh feraient la demande.
Cm lui doit encore la loi du 12 mal 1932 étendant la compétence du Conseil général de la Seine, la loi du 20 avril 1932, communément appelée « loi Morizet » sur l'interdiction dès fumées industrielles, qui a éteint tant de foyers malodorants et préservé autant que faire se peut la pureté de l'atmosphère des centres industriels.
Mais, c'est à l'aménagement de la région parisienne qu'il s'est le plus passionnément consacré. En 1926, conseiller général, il obtient la création de la Conférence interdépartementale de Seine et Seine-et-Oise. En 1928, il fait aboutir, au Sénat, l'organisation du « Conseil Supérieur d'aménagement de la Région parisienne ». Il en préside la 2e commission, la plus importante, celle où les plans communaux viennent s'ordonner en un plan général. C'est là que fut élaborée la loi du 10 mai 1932 sur l'aménagement de la région parisienne, dont il fut un des rédacteurs, qu'il aida à faire voter et dont il suivit patiemment l'application. Un des résultats les plus Spectaculaires de cette loi est l'auto-route de l'Ouest. En octobre 1935, c'est Morizet qui présenta les résultats des premiers travaux à M. Laurent-Eynac, ministre des Travaux publics. Il rapporta en outre le projet de loi sur les plans régionaux d'urbanisme, voté en juillet 1935 et étendant à toute la France la législa tion dont bénéficiait la capitale.
Morizet prenait régulièrement une large part à la discussion du budget des Beaux-Arts et il déploya une activité inlassable pour préserver, mettre en valeur et étendre le patrimoine artistique de Paris et de la France. Il intervint maintes fois pour faire restituer aux Domaines des parties des châteaux de Vincennes, d'Angers, des terrains de l'Ecole Militaire et du Quai d'Orsay, et pour faire restaurer divers monuments. Il siégeait, et non comme figurant, aux Commissions du. Vieux-Paris, des Monuments historiques, des sites de France, des Perspectives parisiennes (56).
(56) Bull. Mun. officiel de B.-B. : sept.-oct. 1935 (pp. 1 et 2).
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La connaissance, approfondie qu'il possédait de ces problèmes, l'intérêt intelligent qu'il leur portait, éclatent dans l'ouvrage qu'il a consacré à Haussmann et à l'Histoire de Paris (57). Cette compétence faillit s'exercer à un poste où elle n'aurait pas manqué de faire quelque éclat. En 1936, Léon Blum songea à lui pour un ministère présidant à la réorganisation de l'agglomération parisienne. Les vastes projets qu'il avança et qui auraient bousculé bien des habitudes, heurté bien des intérêts, n'ont peut-être pas été étrangers à l'abandon de l'idée. Il regretta sûrement moins le « portefeuille » que l'occasion d'agir (58).
L'attachement de Morizet à Boulogne et à ses habitants, son courage et sa dignité allaient se manifester avec éclat dans les. sombres jours de l'invasion.
Il mit à honneur de ne pas quitter un instant sa ville, ce qui explique son absence à l'Assemblée de Vichy le 10 juillet 1940. Il refusa de faire « amener » le drapeau de sa mairie. Face aux difficultés de vie il déploya un zèle, un esprit de décision dont les Boulonnais restés sur place ont gardé le souvenir. Il fit réquisitionner les locaux commerciaux abandonnés, et distribuer, en en tenant un compte précis, les produits périssables. Il organisa des équipes qui allaient au loin chercher du lait, des légumes que les difficultés
des transports empêchaient d'arriver,
Face aux autorités de l'armée d'occupation, Morizet adopta
une attitude qui aurait pu lui coûter cher. Ainsi il reçut avec une
raideur qui l'ébahit l'officier allemand à la face balafrée venu lui
demander avec une hauteur qui n'avait d'égale que sa naïveté les
clés des établissements Renault (59).
Mais cet homme plein d'allant, jeune encore, et qui le paraissait plus qu'il ne l'était, fut terrassé en quelques mois par un mal inexorable. En décembre 1941, il s'alitait pour une courte agonie supportée avec courage. Huit jours avant sa mort, il refusait, par une lettre pleine de dignité, la démission de maire de Boulogne qu'on lui demandait.
Il mourut à Paris le 30 mars 1942.
(57) « Du vieux Paris au Paris moderne. Haussmann et ses prédécesseurs » (8 planches hors-texte et plan inédit des travaux de Paris prévu par Nap. III). Paris, Hachette, 1932, in-8°, 400 p. Bibl. Nat. : 8° LK 742972.
(58) Renseignements recueillis auprès de Mme Morizet et de M. Bruel.
(59) Nous devons tous ces détails à M. Bruel. 18
Morizet n'est pas de ceux qui, par l'écrit ou par la parole, ont donné à l'idéal socialiste les dimensions et la poésie du rêve. C'est par l'action, plus que par le verbe qu'il prétendait en démontrer la fécondité. Et cependant, on a pu le remarquer à quelques-uns de ses écrits, ce politique réaliste brûle d'une ferveur profonde (60), comme l'homme d'aspect plutôt froid qu'il est, cache un coeur sensible.
Justinien RAYMOND.
(60) Dans la préface du livre qu'il consacre à Haussmann, Morizet écrit : « Créer, produire ! Ces mots ne trouvent nulle part leur signification profonde plus qu'en un cabinet de maire. Bâtir un hôpital, construire une école entretiennent l'esprit mieux qu'une autre occupation dans une saine confiance en l'avenir, et ceux-là qui se sont appliqués au nèttoyage des quartiers malodorants savent goûter le charme .d'un candélabre, électrique ou la poésie d'un trottoir bitumé » (p. 8).
Notre Centre de documentation est installé au siège de l'Institut français d'Histoire sociale, Hôtel de Rohan, Archives Nationales, 87, rue Viéille-du-Temple, Paris (IIIe).
De 15 heures à 18 heures, Mme D. Fauvel-Rouif reçoit les mardis, jeudis et samedis, toutes les personnes souhaitant consulter nos collections ou obtenir des informations relatives à l'histoire sociale.
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Journal tenu par Mme Morizet de 1939 à 1945
(Extraits) Le 3 septembre 1939
Cracovie est prise. De France, nous ne savons rien, mais il doit se passer quelque chose puisqu'André a, sur Boulogne, deux morts, un marin et un artilleur.
A l'intérieur, refonte dés Ministères. Tout cela n'a plus guère d'importance. Seuls comptent les trains, qui défilent dans la plaine si longs que lorsque la queue de l'un disparaît à l'Est, la tête de l'autre apparaît à l'Ouest.
Et pendant ce temps, Déat, le patriote, crie bien haut qu'on ne se battra pas pour Dantzig.
On dit avec des mots très simples des choses monstrueuses. « On tâte la ligne Siegfried ». Nos troupes se sont heurtées aux armes automatiques. Bientôt, comme en 14, on apprendra : un tel est blessé, un tel est mort.
Des émissaires du Maire sont passés chez tous les habitants, ordonnant le bleuissement des ampoules et l'obturation des fenêtres par tentures.
Durant les jours qui suivent, la mobilisation continue. Les jeunes gens en vacances dans leurs propriétés tourangelles, les paysans au fond des vallées, reçoivent leur feuille de départ. Les uns interrompent leur partie de tennis pour boucler leurs valises, les autres abandonnent les fermes en grognant car les battages ne sont pas finis, les enfants trop jeunes pour les remplacer et leurs meilleurs chevaux réquisitionnés. Il ne. fait pas bon aller les trouver en ce moment. Nous, les gens des villes, sommes à leurs yeux responsables de ce qui arrive et les récriminations de la vieille qui, la chandelle en main, nous vend, un soir, un fromage de chèvre au fond de sa cave, semble, malgré les « on » anonymes, diriger sa vindicte contre nous.
Toute la France en vacances, interrompue dans ses divertissements estivaux s'agite en tous sens comme une fourmilière sur laquelle brusquement un pied s'est appesanti.
A la maison, j'ai une Anglaise et une Russe, c'est bien ma chance. En 1914, j'avais une Allemande et une Suédoise. Je sais donc la difficulté de ces départs in extremis. Il faut qu'elles filent vite avant que le passage soit impossible. A La Bretonnière, où ma fille se rend pour organiser ces départs, elle trouve Raoul Péret et sa femme qui, eux aussi, ont quitté en hâte le Midi pour remonter vers Paris.
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De la capitale, les nouvelles sont encore euphoriques, les lettres qui arrivent croient des négociations possibles. Paris est vraiment dans les nues.
A onze heures ce même jour, nous apprenons que l'Angleterre, ayant demandé à l'Allemagne la cessation des hostilités, faute de quoi la guerre serait déclarée — l'Allemagne ayant refusé — l'Angleterre déclare la guerre à l'Allemagne. Quelques heures après, à cinq heures de l'après-midi, à son tour la France lui déclare, elle aussi, la guerre.
Le 7 septembre
Toutes les propriétés étant surpeuplées, la Mairie m'envoie un général, attendrissant vieillard de 70 ans, tout éberlué d'être rappelé à l'activité, l'air bonasse d'un Joffre et l'élocution tremblotante de Pétain. Fatigué, tout ahuri d'être sans sa femme, porteur d'un héroïque parapluie, il s'affale dans un fauteuil, l'oeil craintif d'un enfant qui a perdu sa mère.
A quoi, Seigneur, va-t-il pouvoir servir ? Que vais-je en faire ? Comme il va regretter sa retraite provinciale, ses habitudes au café du coin, son journal et peut-être son banc dans le square entre une nourrice et des enfants -
3 janvier 1940
Paris n'ayant pas été bombardé, la drôle de guerre se poursuivant, nous rentrons à Paris. Il fait très froid, la neige, tombée abondamment, s'est gelée sur le sol en aspérités raides aux transparences de sucre cuit. Il serait intéressant de savoir ce que pensent les hommes en place de cette stagnation anormale. Nous allons donc tous en famille porter nos voeux au Sénat, à Jeanneney. Là, nous trouvons le vieux couple heureux et quiet. Tous deux portent sur leurs figures le calme d'une réussite sans combats. D'heureuses natures que le sort a comblées. Un fils très aimant la main dans la main de son père... une bonne table, une douce chaleur. Une honnête bourgeoisie, qui sait tout ce qui manque au bonheur des hommes, mais qui demande tranquillement au temps, sans impatience, l'évolution des sociétés. Malheureusement, sur la guerre, peu à apprendre. Jeanneney croit à un imprévu tout à fait exceptionnel... à une fin inopinée. C'est vague et ne compromet personne.
A 6 heures, nous sommes à la Présidence de la Chambre. Herriot est occupé, il reçoit Lebau, le gouverneur de l'Algérie. Nous l'attendons dans la spacieuse antichambre du rez-de-chaussée. Pour se distraire, les enfants ont envie de jouer à la marelle sur les parquets à la Vauban. A 7 heures enfin, nous accédons au premier par l'asc+enseur. La porte s'ouvre. Lebau passe des poignées de mains au valet de chambre et Herriot s'avance vers nous, souriant, splendide, majestueux, délicieusement éléphantiasique. Ses cheveux en brosse se tiennent comme toujours de côté en bonnet de police. Il est en pantoufles,' vêtu d'un veston bleu marine, col châle, une
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sorte de foulard gris ficelé autour du cou fait office de cravateaimable négligé.
Ses, larges mains grasses et moelleuses nous accueillent dans une poignée de mains douce et chaude, son ventre sourit autant que ses yeux affectueux de chien fidèle et que sa bouche, encore empreinte de la petite enfance. Il fait très chaud, les fauteuils sont douillets. Bien que nous soyons en guerre, lui développe toujours un point.d'histoire lointaine ; à propos de bottes, le voilà qui nous parle de Salvandy, le ministre de Louis-Philippe, une dame lui ayant donné les papiers de ce ministre, en remerciement d'un service rendu.
Dès qu'il revient au temps présent, sa figure s'attriste, s'il évoque Daladier, il devient amer. L'ingratitude ce ce dernier à son égard l'assombrit, alors il interroge J. K. sur son coin du front car, lui, est inquiet de l'avenir, non seulement pour le pays, mais pour la République elle-même. Il lui sent peu de vrais défenseurs. Hélas, la suite des jours lui donnera raison et c'est avec une grande mélancolie que nous nous séparons de lui, bien qu'il ait pour ma fille subtilisé quelques chocolats d'un énorme coeur d'argent, en attente dans l'antichambre...
Le lendemain, nous dirigeons nos pas vers le quai Bourbon où habite Blum. Il fait très Beau, le soleil brille sur la Seine et la neige. Paris est gai et lumineux. L'ombre de la guerre s'estompe devant la silhouette de Saint-Gervais. Le calme de la rue n'est troublé que par le bruit de moteur d'une vedette qui passe.
L'intérieur de Blum est sombre. Sur les murs, des tapisseries beiges et vert foncé. Les meubles, d'époque Louis XIII, sont vosgiens, très vernis et luisants, mais sans grand charme. Je l'imaginais dans un cadre Directoire, alliant une couleur de miel à la finesse de sveltes colonnettes... Quelques orchidées vertes et de savoureux bonbons sont plus en harmonie avec le personnage flexible et long qui nous reçoit.
Lui aussi est en négligé d'intérieur : robe de chambre bleu foncé, col châle, pantoufles à la poulaine. Près de lui se trouve Adler, socialiste autrichien aux cheveux flamboyants, de petite taille, il est de ceux qui, même s'ils n'en ont pas, semblent toujours porter avec eux des documents secrets, Il se lève et part à notre arrivée. Blùm se présente alors à nous, plus long, plus mince que jamais, dans son étroite robe de chambre, plus froid.aussi que jamais, très marionnette en fil de fer. Il a maigri, son teint est pâle. Le nez est si mince que son lorgnon branle à chacune de ses paroles et que, d'une longue main maigre, il l'assujettit constamment. Sa nervosité, ses gestes saccadés, s'immobilisent tout à coup dans une attitude figée et lointaine. Lui ne sait rien, ou ne veut rien savoir. Chose surprenante, il ne pose aucune question à Jacques K. Sa curiosité ne semble pas en éveil.
L'impression que donne cette visite est assez pénible. On comprend son échec passé. Non, ce n'est pas un chef, Il est fait pour caresser dans un boudoir raffiné la peau de cuir d'un livre précieux
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tout en tenant la main d'une femme, et non pour conduire des âmes et orienter des hommes, un parti, dès croyants dans la foulé. Il ignore absolument le peuple. Il plane dans d'autres sphères. Nous sortons déçus, tous, d'un même accord.
Heureusement, le soleil luit de plus belle sur le pont LouisPhilippe, la neige est blanche et lumineuse. Des mouettes passent et de leur long vol en chiffon, viennent s'abattre dans le courant qui les entraîne.
Journal d'André Morizet
3 juin 1940-30 novembre 1941
(Extraits)
Jeudi 13 juin 1940
En rentrant à la Mairie, hier à 21 h. 45, je vois, deux voitures devant la porte, moteurs en marche. « Qu'est-ce? » dis-je au gardien de nuit qui m'ouvre. — « Ce sont les guetteurs qui partent. On vient les chercher !» Bizarre ! J'écoute la radio anglaise à 10 heures et me couche.
Vers 2 h. 30, le téléphone m'éveille. La concierge me dit : « M. Lévy, le chef de la,Défense Passive, voudrait vous voir. — Qu'il vienne ! » Il arrive avec Montaut, l'architecte de là Défense Passive. « Je reçois l'ordre de rejoindre Janson-de-Sailly. Nous partons. Montaut me remplacera. — Que se passe-t-il ? — Je ne sais, mais toute la défense part. Les artilleurs du terrain de sport sont partis, laissant là leurs pièces... » Il paraît suffoqué et navré. Je ne le suis pas moins.
Je téléphone au Commissaire, qui couche à la Mairie. Il ne sait rien, mais me rappelle bientôt : « Je viens de recevoir deux affiches à coller, signées du Gouvernement militaire. » Il me les lit : Paris ville ouverte... Général Dentz remplace Général Héring, etc. Tout le monde reste à son poste. Alors, on nous livre ? Il a des larmes dans la voix. Je dis : « Je ne peux pas y croire. Qu'est-ce que Dentz ? Un Français ou un Allemand ? L'histoire des pièces abandonnées, l'évacuation des blessés des hôpitaux de Paris que j'ai vu hier s'accomplir, tout cela indique un ensemble de mesures préméditées. D'affreux soupçons de trahison, de 5e colonne, m'assaillent. Je dis : « Etes-vous sûr que ces affiches viennent bien de la Préfecture de Police ? Assurez-vous en, je vous eh prie. » Il monte dix minutes plus tard : « Pas d'erreur. Je viens de téléphoner, c'est mon collègue Boulanger qui m'a répondu. Nous causons un moment, désespérés de l'abandon de Paris, Il s'en va après- m'avoir dit qu'il attend l'ordre de partir avec ses hommes, qu'il a envie de désobéir...
Je lui fais envoyer un homme chez Bruel pour qu'il ne parte pas et téléphone au garage pour contremander le convoi.
Entre temps, l'ihgénieur-voyer Gaillard m'a téléphoné. Lui
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aussi couche à son bureau. Je le fais descendre. « Ordre de Bressot, tous les Ponts et Chaussées évacuent. Je pars, vous rends vos cantonniers et vous passe mon poste de désinfection. —Où allez-vous ? — Au sud, je crois, vers Etampes, où nous allons établir des défenses à Mondésir. —Au revoir, bonne chance !»
Je téléphone chez Sellier. Sa belle-soeur me répond, lui écoute, mais il n'a pas son' appareil et entend mal. Je dis ce que je sais, mes soupçons. Qu'en pense-t-il ? « Rien. Il est anéanti. »
4 heures. Je me recouche, me relève... Impossible, je m'habille. Au jour, je téléphone à Langeron, vers 8 h. 1/4. Il est nerveux. Je lui parle de Dentz. Qui est-ce ? Il répond : « Je ne puis pas entrer sur ce terrain. Téléphonez-moi quand vous serez de sang-froid. » Et il raccroche. Je le rappelle : « Je suis parfaitement de sang-froid, comme toujours, c'est vous qui me semblez nerveux. Ecoutez-moi. Je veux savoir ce qui se passe. Où en sommes-nous? — Dentz est l'adjoint de Héring. Celui-ci s'en va, il lui succède. Rien que de naturel. — Bon, vous le savez, vous, mais nous on l'ignore. Je viens de descendre devant la porte. Il y a là 50 personnes qui se posent la même question que moi et s'étonnent presque de ne pas voir un « Von » devant un nom à consonnance étrangère et qui pensent qu'il y a déjà un Gouverneur allemand à Paris. — Je vais faire une affiche à la population. — Expliquez-lui qui est Dentz. — Je ne peux pas sans en parler à Hering. — Parlez-lui en et expliquez. C'est important. Et votre police, que devient-elle ? — Elle reste, les pompiers, la garde mobile, la garde républicaine aussi. —Bon. »
J'ai compris, la frousse bourgeoise a livré la capitale, pour qu'on n'abîme rien, et les 15.000 agents, les 6.000 pompiers, presque tous jeunes, seront prisonniers. N'importe, pourvu que les maisons ne brûlent pas !
« D'ailleurs — m'a dit Langeron— j'ai l'impression que tout ira bien. Je n'ai eu aucun contact avec eux, ni Villey. Seul le Gouverneur militaire a dû en avoir. Mais je crois qu'ils se conduiront correctement. » Correctement ? Alors tout est pour le mieux...
« Quand seront-ils là ? » ai-je encore demandé. — Ce soir ou demain probablement. »
Je sors plusieurs fois, cause avec la foule qui se presse devant la Mairie, la rassure de mon mieux. La fuite éperdue continue par toutes les routes : voitures, charrettes à bras, vélos, voitures d'enfants surchargées, piétons...
J'ai demandé à tout hasard Nazelles, sans espoir. On me le donne et très vite de peur d'être coupé, j'annonce à ma femme : « Nous allons être occupés ce soir ou demain. C'est la dernière fois que je téléphone. Bon courage, espoir, patience. » La pauvre me demande encore une fois de partir, mais je la sens sans conviction et je lui dis très vite, car je me sens faiblir, que je l'aime infiniment et qu'elle passe l'appareil aux enfants pour que j'entende leur voix. Ma pauvre Yanie parle d'abord : « Surtout, papa, pas de forfanterie. — Sois tranquille. » Puis c'est Toustoune, qui me dit je ne sais pas quoi, mais sur un ton très tendre qui n'est pas celui
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que nous employons d'habitude, elle et moi. Cette fois, je ne puis plus. Je lui dis très vite : « À urevoir, ma chérie, je t'embrasse. A bientôt. » Et je raccroche. Il est temps, je sens que je vais m'effondrer.
Je réunis les trois adjoints qui restent : Lager, Le Gallo, Bédène, et leur demande à eux et aux chefs de service qui n'onf pu partir, de coucher ce soir à la Mairie, pour recevoir avec moi ces Messieurs quand ils arriveront. On montera des lits du poste de secours dans les bureaux.
Je voudrais faire une affiche, mais les trois imprimeurs de la ville sont partis. Heureusement, Sellier, à qui je téléphone, en a fait une et il a encore sa composition. « Fais m'en tirer, remplace Suresnes par Boulogne et ta signature par la mienne. — Attends que je te la lise ! — Je m'en f..., ton texte est le mien — Bon. Envoie dans une heure, ce sera prêt. » Je commande les afficheurs. A 13 heures, l'affiche sera posée. Malheureusement on ne peut en tirer que 250, faute de papier.
Je vais la chercher moi-même à Suresnes, où je trouve Sellier dégoûté parce que les médecins de la fondation Foch sont partis à 4 heures, laissant là 500 blessés dont plusieurs sont déjà morts faute de soins.
Je déjeune rapidement chez un des rares restaurateurs restés ouverts avec les adjoints, puis je reviens voir le Commissaire, qui se décuple pour organiser des boulangers. Peu restent là, les uns ont des garçons et pas de farine, les autres l'inverse. Nous les faisons venir, on répartit dans chaque quartier farine et personnel et nous commençons une série d'illégalités qui continuera dans les jours suivants. Le gros Hauriot, approvisionneur aux Halles (gendre de feu mon vieux copain Bouveri), elt Fabre, maire d'un petit patlein près d'Epernon, qui est ici dans la Défense Passive et qui a monté à Épernon la grosse tuerie de cochons qu'on voit en entrant dans la ville, se chargent de la boucherie. Il y a un dépôt de frigo aux Glacières de la Seine. Nous les chargeons de le répartir aux bouchers. On aura de quoi manger demain et nous savons tous deux que. c'est le principal pour éviter toute histoire. Je me souviens taujours de l'aspect de Boulogne il y a sept ou huit ans. un matin où une grève des boulangers s'annonçait et où la population entière, à la « pensée » qu'elle pourrait manquer de pain, manifestait déjà son émotion extrême. Et d'ailleurs tous les mouvements populaires né çômmencent-ils pas avec le manque de pain? Il n'y aura rien à. Boulogne.
Nous organisons notre campement : Bédène et Le Gallo coucheront dans le bureau des dactylos, Bruel et Dupuis chez Bruel, Lager chez lui. On leur monte des lits du poste de secours.
A 16 h. 30, je file chercher Sellier à son bureau, quai des Célestins. Grisoni m'a demander de venir avec lui à l'Hôtel de Ville pour rencontrer « par hasard » le Préfet afin que cessent ainsi nos difficultés avec lui, impossibles pour l'instant.
Je vais le chercher de peur qu'il ne vienne pas. Ce qui reste
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de son personnel s'accroche à lui, je l'emmène d'autorité et nous arrivons dans le bureau de Bodereau, malade, absent. Mounié, que nous croyions parti, nous rejoint et nous causons tous trois en regardant l'exode lamentable qui se poursuit sur la place et par la rue de Rivoli : camions surchargés, voitures à bras... Grison vient nous voir un instant sortant de la réunion qui se tient à côté, dans le bureau de la Commission du Vieux Paris, où le Préfet et diverses personnes discutaillent sur le ravitaillement. Cela menace d'être long. Sellier s'en va, puis Mounié et moi.
Sous la voûte en arrivant j'avais retrouvé Zyromski, qui m'avait téléphoné dans l'après-midi et qui m'avait demandé à me voir d'un ton si éploré que je lui avais donné rendez-vous là, faute de mieux. Il m'a attendu dans l'antichambre. Je l'emmène, car il me fait peine Sa femme est partie le matin dans une voiture qu'elle conduit et il est inquiet de ce qu'il entend dire de l'embouteillage des routes. Surtout il est effondré de la ruine de notre pauvre Parti, qui s'est volatilisé comme tant d'autres choses. Le Populaire n'a paru ni ce matin ni hier, je crois, et le secrétaire du Parti a filé sans un mot à ses sections. Il croyait encore, le pauvre Zyromski, à tout cela. Nous autres, on était fixé depuis longtemps sur les hommes et de ce côté; aucune émotion chez nous. J'apprends par lui avec: satisfaction que Blum est resté jusqu'à dimanche, lui qui de tous est le plus visé. Cela ne m'étonne pas, car je le sais physiquement courageux. Les autres...
Nous arrivons à Boulogne, où je lui fais monter un lit dans le bureau de Wagner. Nous cherchons en vain les adjoints, partis dîner. Il est 21 heures. Plus de restaurant ouvert. Place Sembat, nous achetons du pain et un fromage, que nous allons manger chez Mayoux, où l'on nous donne du vin et une magnifique tranché de jambon. Il y a une panne d'électricité et nous mangeons sur le trottoir aux dernières lueurs du jour.
Je constate avec plaisir que mon affiche est très lue.
Les gens me saluent avec un sourire grave, beaucoup s'approchent pour que je leur dise quelque chose, n'importe quoi. Zyromski paraît stupéfait. Je lui explique par l'exemple la différence qu'il y a entre notre socialisme pratique et le socialisme verbal dans lequel il a vécu. Il est homme à comprendre, mais il ne supposait pas que la confiance pût exister au point où il la constate. Moi non plus d'ailleurs. Je savais que mon attitude satisferait mes administrés et c'est pourquoi je l'ai prise, mais je ne soupçonnais pas la profondeur du désarroi où ils se seraient trouvés dans le cas contraire. Maintenant, je suis sûr que j'ai agi comme il fallait et les regards de reconnaissance que je rencontre m'émeuvent au plus profond.
Nous rentrons à la lueur de ma lampe de poche. Zyromski, se couche, mais il n'est guère calmé. Je saurai demain qu'il a tourné comme un ours en cage. Du moins s'est-il trouvé avec des amis, et c'est ce dont il avait surtout besoin.
La radio ne donne rien. Aucune nouvelle.
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Du moins on dormira cette nuit. Plus rien à craindre, évidemment. Et je suis éreinté, physiquement et moralement. Ereinté et dégoûtant, car les « huiles Renault », à Issy, ont sauté ou brûlé ce soir et la pluie grasse qui en est résultée a fixé sur nos visages comme sur nos pavés toute la poussière noire dans laquelle nous vivons depuis lundi. Et c'est tout juste si j'aurai le courage de me décrasser vaguement.
Mon pauvre Bédène constatait [contemplait?] tout à l'heure avec désespoir ses deux catalpas devant la Mairie, qui portaient de magnifiques grappes blanches ces jours-ci. Elles pendant maintenant toutes noires. Les salades de la banlieue doivent être jolies!
Vendredi 14 juin 1940
Je m'éveille de bonne heure, reposé. Je me rase et enfile un complet propre que j'ai pris à la maison la veille en allant chercher Sellier. Je prépare mon écharpe et mon insigne, et j'ai dit aux adjoints d'en faire autant. Nous supposons en effet que nous aurons une visite matinale. Quelle illusion ! Nous ne soupçonnons pas encore le mépris que les Allemands éprouvent pour nous et combien ils nous dédaignent.
Le Préfet me téléphone pour me dire qu'il a été touché de ma démarche de la veille et qu'il entend bien collaborer avec nous tous. Que n'a-t-il éprouvé ce désir plus tôt ! Nous tous ? C'est Sellier, Grisoni, Mounié et moi, je pense. Car j'ai entendu dire que Barthélémy, qu'Alessandri, et combien d'autres, ne sont plus là.
Le Préfet ne sait rien. Il n'a eu aucun contact. Je lui. retéléphonerai plus tard.
Deux ou trois fois, je descends dans la rue. Beaucoup de monde, pas mal d'anxiété. Les femmes me disent : Monsieur le Maire... sans pouvoir aller plus loin généralement. Les hommes disent : C'est bien, Morizet, ou : Bravo, Morizet! Le Commissaire est malade (appendicite) mais il tient le coup et boit du bouillon de légumes. Les hommes, jeunes pour la plupart, sont intérieurement furieux et l'un d'eux me dit : « C'est dégoûtant d'être là, nous autres, on est pourtant d'âge à se battre ! » J'explique à tous que ce n'est pas fini, qu'il y a encore une armée. J'ai l'impression que je bafouille, mais cela leur fait plaisir quand même. C'est inouï ce que les gens ont besoin d'être rassurés et combien il faut peu de chose...
— Ils sont là ! Le bruit se répand peu à peu jusque dans mon bureau, où je téléphone et où je m'occupe des détails du service, du ravitaillemnt, qu'il en est passé avenue Ed.-Vaillant et avenue J.-B. Clément. Je téléphone au Commissaire, qui confirme. A 10 h. 30, je lui propose d'aller voir. Nous partons dans la voiture de Forichon, que j'ai adoptée, conduite par Longère. Place Sembat, deux files de gens qui attendent, mais rien. Nous descendons au pont de Sèvres, où j'aperçois les deux premiers : deux fantassins près, d'une mitrailleuse. L'un d'eux est paisiblement assis sur le parapet. Sans doute font-ils la liaison avec une colonne déjà passée. Nous suivons le quai. Rien au pont de Saint-Cloud, mais
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dans l'avenue J.-B.-Clément, à partir de la Salle des Fêtes, une colonne motorisée stationne. Nous la longeons. Elle occupe la droite en allant vers le pont, des motos et des autos courent à toute allure du côté, droit dans les deux sens. Une trentaine de voitures petites, montées par 2, 3, 4 hommes, tous jeunes, tous blonds, calmes, fatigués, quelques mitrailleuses jumelées, des canons antichars, des fourgons métalliques, une ou deux cuisines. En calot, ou tête nue, casques et mousquetons accrochés. Ils ont l'air en balade, fument des cigarettes. Les gens, nombreux sur le trottoir, regardent, déjà familiarisés. Quelques-uns causent avec les soldats, surtout par gestes. C'est un peu choquant. Les jeunes Allemands répondent d'un air narquois, sobrement. On me racontera plus tard que l'un d'eux aurait dit : « Connaissez-vous Thorez ? Il va venir. C'est lui qui remplacera Lebrun », qu'un autre aurait dit : « Fini le capitalisme ! » Est-ce vrai ? Possible. C'est sans doute une. troupe de choc, comnosée de jeunes hitlériens. Les dernières voitures sont à la Grille du Bois, nous redescendons. Je dis au Commissaire : « Cela ne paraît pas terrible, c'est évidemment très mobile, très leste, mais cela ne semble pas représenter une force considérable. » Il répond: « Non, mais combien en ont-ils »? Nous rentrons par le boulevard Jean-Jaurès. Rien.
Je prépare un dernier départ : une voiture de tourisme à un de mes employés, avec Mme Schnecken et une autre infirmière, qui seraient utiles dans la Nièvre. Pendant qu'on les rassemble, nous écrivons tous des lettres pour nos familles, qu'on leur confiera. Hélas ! elles reviendront le soir, après avoir essayé tous les chemins que j'ai indiqués au chauffeur — le plus jeune de ceux qui nous restent —après avoir essuyé, après Athi's-Mons, les « Nein » furieux de quelques Allemands et entendu par là les mitrailleuses. Une heure plus tôt, elles seraient passées encore.
Nous allons déjeuner, toute mon équipe et moi, chez le restaurateur de la veille, où nous allons prendre pension. Il n'y a pas le choix d'ailleurs.
Vers 15 heures, je descends, au pont de Saint-Cloud, où je retrouve le Commissaire qui a éprouvé la même curiosité que moi. Des bataillons d'infanterie défilent à pied, les mains battantes, armes et sacs dans des voitures innombrables, la plupart prises à droite et à gauche, de toutes espèces.
Nous les comptons. Les compagnies n'ont pas plus de 50 hommes, les pelotons 25 cavaliers au maximum. Pourtant, ils sont bien en ordre de marche, les unités se suivent dans l'ordre : 4 compagnies, un peloton, cuisine, voiture téléphonique, voiture sanitaire. Des batteries intercalées, toutes incomplètes : 2 pièces ou 3. Une seule à 4 pièces, « Mais ils sont réduits au tiers ou au quart ! » dis-je à Saint-Royre. Et ils ont l'air fourbu », ajoute-t-il. Nous traversons le pont, devant lequel un canon antichar est installé. Pourquoi? Us montent l'avenue du Château, traversent le parc. Je constaté avec satisfaction que la palissade à l'entrée du tunnel de l'autorroute est fermée et. qu'ils paraissent ignorer que tunnel et route
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sont en état. S'ils vont vers le sud de la Seine pour prendre à revers nos troupes par là, ce serait le chemin le plus court pour eux et le plus facile. Quelle sinistre ironie si tous ces travaux qui m'ont donné tant de mal, qui sont enfin prêts et que nous n'avons utilisé ni pour la guerre ni pour l'évacuation, avaient dû leur servir. Heureusement non !
Je rentre et téléphone au Préfet : « Avez-vous eu leur visite ? — Hélas! mon pauvre ami, c'est moi qui ai dû y aller » et sa voix se brouille de larmes. « Où sont-ils ? — A l'hôtel Crillon. — J'irai vous voir demain matin. » Il ne sait rien.
Vers 17 heures, on m'annonce un officier. Je fais appeler les adjoints. Entre un commandant d'aviation, jeune, élégant, souriant, la main tendue. Je suis si stupéfait que je tends à moitié la mienne. Je la retire à temps tout de même et il n'insiste pas. Il ne recommencera pas en s'en allant. Un garçon d'une trentaine d'années l'accompagne comme interprète. C'est un Français qui parle assez bien allemand, et que nous supposons un ouvrier de Renault. Je leur fais signe de s'asseoir.
« Que désirez-vous ? — M. le Commandant voudrait savoir s'il y a ici des camions à vendre pour l'armée de l'air qui en a besoin », explique l'interprète. Je réponds : « Dites à M. le Commandant que la Municipalité est prête à collaborer avec l'autorité militaire allemande pour tout ce qui touche à l'organisation administrative, au ravitaillement et d'une manière générale aux intérêts communs de la population française ou allemande, mais qu'il est complètement inutile de lui" parler de questions militaires. Elle ne fera rien qui puisse gêner la défense nationale française. Les questions de cet ordre doivent être posées au Gouverneur militaire de Paris, qui siège toujours, je crois, aux Invalides, »
L'officier allemand me fait dire qu'il comprend très bien mes sentiments, qu'il dirait à ma place ce que j'ai dit et qu'au surplus il ne doutait pas de la réponse qui lui serait faite. Et il se retire après avoir salué d'un salut mi-hitlérien mi-militaire auquel je réponds en m'inclinant.
Cette scène, d'ailleurs rapide, n'a rien eu d'héroïque, mais la nouvelle, colportée au dehors, se répand aussitôt, et quand je sors un peu plus tard les gens me félicitent comme si j'avais accompli un exploit. J'entends dire : « Morizet, il est digne ! » On est héroïque, dans certaines circonstances, à peu de frais.
Avant que l'officier ne parte, je lui ai demandé si nous n'allions pas avoir ici un commandant de place avec qui on pourrait causer de façon régulière au lieu d'avoir affaire à des représentants dechaque corps, de passage. Il m'a répondu qu'un Général doit arriver demain probablement et j'apprends, je ne sais par qui, que celui-ci doit s'installer dans la maison qui se trouve à la Grille de Longchamp, en face de l'entrée du château de Rotschild, déjà occupé, je crois, par un état-major important. J'aimerais beaucoup, mieux une situation nette. Si une Kommandantur est créée ici, j'offrirai à son titulaire un côté de la
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Mairie pour ses bureaux. Il habitera si cela lui plaît près du Bois, mais nous serons en contact permanent avec ses représentants, de façon à régler au plus vite tous les incidents possibles.
SÉNAT— 14 juin — 13 heures (1)
Mon Chérie aimée,
J'envoie une voiture à Nevers avec Mme Schnecken et une infirmière dont ils doivent avoir besoin là-bas. Si elle réussit à passer, elle mettra ce mot à la poste quelque part. Depuis ce matin les B. défilent ici pour aller occuper les lisières de ce qu'on leur cède, au-delà de Versailles... où, je ne sais... Ils nous méprisent! J'ai fait coucher ici les adjoints et les chefs de service pour les attendre et les recevoir. Personne ne vient. Villey m'a téléphoné et j'ai téléphoné à Langeron. Aucun d'eux n'a vu personne.' Ils viendront quand ils auront rempli leurs objectifs militaires. Nous ne les intéressons pas. Ensuite, ils viendront nous .organiser et nous donner des leçons d'organisation. Ensuite seulement. Pour le moment ils nous traitent comme ils traitent nos soldats sur les routes. Us brisent leurs armes et les laissent aller en riant : « Partez Vous n'êtes pas de taille avec nous. F. le camp ! » Quelle humiliation ! C'est à pleurer.
Je parcours mon patelin, je rassure mes gens, je fais faire du pain, c'est l'essentiel pour l'instant. J'ai fait une affiche de fortune qui a amené le calme. Je suis là, on me voit, c'est tout ce. qu'il faut. Mais si j'étais parti, quelle pagaïe ! A Suresnes, à Courbevoie, idem. Ailleurs, je ne sais.
Qu'on tienne partout, comme on peut, mais nom de Dieu qu'on tienne ! Pour rien au monde, et dussions-nous tous y passer, qu'on ne lâche pas, que le gouvernement aille en Algérie, à Dakar, mais qu'on ne cède pas. Les Anglais nous remplaceront, les Américains après. Seul compte le dernier quart d'heure.
Il y avait ce matin une colonne d'autos avec des mitrailleuses, des canons antichars, un convoi de munitions et des cuisines: entre la salle des Fêtés et le bois de Boulogne par où ils sont venus. Des gosses, bien outillés, solides, fatigués mais joyeux. Us attendaient des ordres pour repartir plus loin. J'ai été les voir avec le Commissaire, qui m'aide beaucoup. Au pont de Sèvres, 2 hommes avec une mitrailleuse. La liaison avec ceux qui sont passés déjà. C'est tout.
Nous écoutons la radio allemande et nous attendons. Seule m'intéresse la question du pain et de la viande, mais nous en aurons plusieurs jours en réquisitionnant partout les stocks et le personnel disponibles et en les centralisant où il faut. Je ne m'occupe pas de la légalité. Tous d'ailleurs obéissent et ne demandent qu'à être commandés. Ensuite les Allemands s'en chargeront et tout ira bien.
(1) Lettre remise le. 14 juin à Mme Schnecken qui essaie en vain de passer à Juvisy.
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Je pense à vous sans cesse. Charles m'a téléphoné à midi.Tout (val) -bien chez eux, mais aucune nouvelle. Comme vous devez être anxieuses, mes chéries. Ma pauvre Yanie ! Dois-je te le dire ? Après notre coup de téléphone d'hier, après avoir entendu vos voix à tous trois, j'étais effondré. Mais dix minutes après, mes occupations m'avaient remis debout. J'ai été à Suresnes, je suis en liaison avec Sellier, Grisoni, avec Mounié, qui n'est pas parti, l'animal, avec les préfectures. Ça va, ça vient, ça tiendra. Il n'y a plus grand monde ici : 20, 25.000... heureusement. Tout a fichu le camp sur les routes. Qu'est-ce que cela devient, je ne sais, mais c'est autant de moins à nourrir. Moral bon. Des soldats qui passent, qu'on ravitaille et qu'on fait filer. Nous vivons dans la fumée des réservoirs qui brûlent à Nanterre, à Bonnieres, etc., le pavé est plein d'huile (les huiles Renault, à Issy, ont sauté hier) ; l'électricité a manqué cette nuit, mais elle remarche. On a démoli la centrale électrique Renault, qui commande l'usine. Rien n'a été préparé, comme toujours. On improvise. Us trouveront encore beaucoup de choses, mais pas trop. Je fais cambrioler les pharmacies pour ramasser le lait condensé, dont Bezançon dispose seul. Wagner a f... le camp, Fiers aussi. Je les considère comme démissionnaires, et nous révoquons les employés disparus. Forichon et Drodelot [?] sont à Nevers, en service. Les autres ici, avec moi. J'ai ramassé hier le pauvre Zyromski à la Préfecture, effondré de son isolement (femme partie, Parti envolé), je l'ai nourri et hébergé cette nuit. Il est reparti ce matin à son service, dopé et remonté. Plus tard, on fera le tri des gens.
Bruel est là, avec Dupuis, Goy, qui n'ont pu partir hier. Ils sont encore mobilisables, mais cela ne compte plus, et les Allemands, qui font une guerre de quelques semaines, s'en f... visiblement. Tous vivent ici l'équipe est bonne. Nous faisons popote et dortoir. N'ayez pour moi aucune inquiétude.
Tenez, mes chéries, tenez bon. Communiquez avec Jeanneney, avec Herriot. Que personne ne lâche, surtout, tout "est là. Qu'on aille en Algérie, aux colonies, mais qu'on ne cède sous aucun prétexte. Us sont éreintés, ils sont atteints. On les aura. Ici, ne craignez rien, tout se passera dans le calme. Nous ne sommes pas intéressants et l'heure du danger est passée. Il ne faut plus que de la patience, on en aura. Simplement on se demande ce qui s'est produit pour qu'un leur laisse ainsi Paris. On se demande? Moi, oui. La plupart ne se demandent rien. Moi, je me pose des questions troublantes. La crainte des destructions, bon, mais cela ne suffit pas. L'ignorance et la mise à l'écart des préfets me suffoque. Seul le gouverneur militaire a eu des contacts avec les Allemands. Quels Allemands ? Et les préfets n'ont pas l'air au courant. Quel est ce gouverneur? Dentz. Connais pas. Il remplace Hering, appelé ailleurs. Hier matin, après une nuit blanche (réveillé à 2 heures, à 3, à 4 par le chef de la Défense Passive, parl'ingénieur-voyer Gaillard, etc., qui recevaient l'ordre de partir avec leurs services respectifs) j'ai téléphoné à
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Langeron, très nerveux, à qui j'ai demandé qui était ce Dentz, que tous prenaient pour un Boche. Il a raccroché, furieux de mes soupçons. Je l'ai rappelé et engueulé. Je sais maintenant que ce Dentz c'était l'adjoint d'Héring et qu'il lui succède normalement. Mais je conserve une arrière pensée. Pourquoi le Gouverneur militaire seul est-il en jeu? Il [y] a des chefs — militaires — et le Ministre de la Guerre en dernier ressort, sans lequel la capitulation n'a pu être traitée. Le Ministre n'a pas agi seul. Son collègue de l'Intérieur était au courant. Comment n'a-t-il pas téléphoné à ses préfets, pour une affaire qui intéresse leur ressort, il me semble ? Tout cela n'est pas clair et, plus ou moins, tous se posent des questions. Trahison? 5e colonne ? Etc... Ce matin, ici, comme partout sans doute, quand les Allemands sont passés, il s'est trouvé quelques salopards de loin en loin pour les saluer et se mettre à leur disposition. C'était prévu, mais on a besoin de savoir. Qu'on nous dise que Paris s'est rendu par ordre, que c'est régulier, nous accepterons, mais qu'on nous rassure contre toutes les histoires qu'on colporte, de trahison. Fais savoir ceci, téléphone ou va à Tours, puisque tu as Chauvet.
15 heures. — Un soldat allemand m'arrive, c'est le premier, Il vient de Paris pour une affaire personnelle, rechercher un parent, une employée d'ici, disparue depuis trois jours. Tu vois l'atmosphère ! Il est parti avec son renseignement.
— Le convoi part. C'est l'heure et je ferme. Au revoir, mes chéries aimées, je vous aime et vous embrasse. Tenez !
A. MIORIZET].
Samedi 15 juin 40.
Levé de bonne heure, rasé, je pourvois avec le Commissaire au ravitaillement des boulangers et des bouchers. Par ses soins, Wernett et son équipe ramassent les denrées dans les épiceries fermées et les apportent dans le dispensaire en construction, que nous avons baptisé les « Magasins généraux » de Boulogne-Billancourt. Une foule de femmes vient chercher des bons que nous distribuons comme s'ils avaient une valeur. La distribution du lait aux enfants et malades fonctionne parfaitement à l'ancienne.Justice de Paix par les soins du Dr Bezançon et de ses infirmières, qui délivrent sur bons de la Mairie.
A Il heures, je vais voir le préfet avec Grisoni, mais les Allemands ont établi l'heure allemande d'été (1 heure d'avance sur notre heure d'été ) et Grisoni arrivera à l'heure française. BunauVarilla sort de chez lui. « Je viens de lui demander de refaire son [mon?] Journal », me dit-il. Je raconte au préfet ce que j'ai constaté en regardant passer les troupes allemandes et bien qu'il soit affalé. dans son fauteuil, plus mince et petit que jamais, attendant, les événements, il est impressionné.« Avez-vous un moyen de communiquer avec le gouvernement ? » Il lève les bras au ciel : « Hélas!»
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C'est toute sa réaction. « Et Langeron ? — Pas plus que moi, mon pauvre ami ! — J'ai une demi-heure, annoncez-lui que je vais le voir. » Et je pars. Langeron ne me paraît pas plus brillant. « Je ne peux pas croire que vous n'ayiez pas quelque chose : un poste émetteur, un pigeon voyageur, que sais-je ? — Non, rien, rien. Aucun moyen. » Rien à faire avec ces deux hommes. Je retourne chez l'autre, voir Grisoni. On perd son temps.
Je rentre déjeuner. Puis je fais une affiche avec ce que je sais : « Instructions pour la population » : Mesures de police (rentrée à 21 h.), ravitaillement (boulangeries et boucheries approvisionnées. Halles centrales ouvertes, où les commandes peuvent être passées, le Comité de ravitaillement municipal se chargeant du transport des Halles aux « Magasins généraux »), nettoyage (deux fois par semaine, enlèvement des ordures pour économiser l'essence, invitation pour tous à balayer), ouverture des écoles (lundi 17 pour que les enfants ne courent pas les rues). On a trouvé deux typos qui l'impriment dans un atelier abandonné. Elle sera posée demain matin et les gens, qui n'ont besoin que de direction, seront rassurés.
En mon absence, lé matin, un commandant est venu demander trois écoles pour loger 5.000 hommes. C'est son chef qui sera commandant de la place, paraît-il. Je l'attends avec impatience.
Il fait de l'orage. Cela détend une atmosphère que le passage incessant des avions volant au ras des toits et les coups de revolver des agents qui tuent à côté les chiens errants rend singulièrement énervante.
Dimanche 16 juin 40
Mêmes occupations que les autres jours. Moins de monde. C'est curieux que, même en ce moment, l'habitude du dimanche persiste. La messe sonne. Mon collègue le curé s'efforce, lui aussi sans doute, de revigorer ses ouailles. Il est venu ces jours-ci, comme bien d'autres, se mettre à ma disposition, comme le juge de Paix qui est venu me demander s'il devait mardi, comme d'habitude, examiner les dossiers d'allocations militaires !
A 15 heures, je vais avec Le Gallo voir défiler .les Allemands au Rond-Point. Pendant une heure nous regardons. Pas un homme à pied et pourtant cela paraît bien être de l'artillerie à pied. Mais ils ont volé partout des voitures hétéroclites, des chevaux, qui ne doivent pas venir de loin et qui remplaceront les autres en cours de route. Sur toutes les voitures, des provisions pour les hommes et.des bêtes. C'est l'Attila motorisé... avec des moteurs à crottin. Cela tient une place folle, mais au fond il passe peu de matériel et mon impression se confirme. En une heure j'ai vu une batterie de 77 complète à 4 pièces, 3 pièces de 150 et 6 petits obusiers (minenwerfer ?) sous bâches. Peu de chose.
On m'a raconté que ces jours-ci ils prenaient les vélos des promeneurs ou échangeaient les leurs contre de meilleurs et nous faisons rentrer en douce un certain nombre de garçons et de filles qui regardent, leur bécane à la main.
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Je continue mon boulot de ravitaillement avec le Commissaire, qu'un fox ramassé par lui ne quitte plus d'une semelle. Les« Magasins généraux » prennent un développement impressionnant.
Lundi 17 juin 40
La radio nous apprend le changement de ministère. Pétain président, bon c'est la résistance. Je ne remarque pas sur le moment la disparition de Monnet, mais celle de Mandel m'étonne. Quand à Raynaud, sans doute est-il usé. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Enfn, on a l'impression que ça tiendra. C'est l'essentiel et nous nous congratulons, le Commissaire et moi.
Je descends dans son bureau pour ajuster définitivement mon Comité de ravitaillement. Nous choisissons un boulanger et cher chons un épicier pour les joindre aux trois adjoints et moi, au Commissaire, à Hauriot et Fabre qui continuent magnifiquement à débiter dû frigo.
Je cherche Wernert pour lui parler de l'organisation de soupes populaires, qu'il va falloir agencer car nos moyens de fortune ne suffiront pas longtemps. On ne le trouvé pas, il continue à dévaliser les épiceries fermées, mais Le Gallo et Bédène repèrent les restaurants fermés et en retiennent deux, un sur Boulogne et un sur Billancourt avec lesquels on commencera. Il n'en manque pas d'autres et s'il le faut on prendra les cinémas.
Je vais déjeuner, emmenant Szeinerl [?] qui vient de m'arriver. Il a été malade, il est isolé et désemparé, car il est Tchèque, donc sujet allemand. On lui découvrira un autre état civil. Je l'annexe à mon équipe et le présente aux autres, qui l'adoptent aussitôt. Puis je les laisse prendre le café pour revenir entendre l'émission de 13 h. 30.
Mme Jouanne, que j'ai laissée au téléphone, m'accueille en me disant : « Vous avez entendu la radio à midi 30 ? — Non. — Pétain a parlé. Il annonce l'armistice. — Quoi ?» Je tombe de mon haut et me précipite sur l'appareil. Une voix précipitée, à peine intelligible : « Je pense au sort des malheureux réfugiés... J'ai donné l'ordre de cesser le feu... Des négociations sont engagées... »
C'est le coup de bambou définitif. Alors, c'est pour ça qu'on a été chercher des militaires ? Je comprends le départ de Raynaud, de Mandel, de Monnet que je remarque alors seulement.
Je redescends rejoindre les amis : « Les salauds ! Ils capitulent ! » Personne ne dit mot, tant ils sont suffoqués. Je reviens dans mon bureau et m'assieds ; la tête sur les bras je sanglote un bon moment. Le gros Hauriot, qui se trouve là, essaie de me calmer : « Tu as fait ton devoir », me dit-il. Je réponds : « Merde ! Fous-moi la paix !» Il se met à pleurer, lui aussi. Dix minutes, je suis secoué de sanglots violents, puis ça se calme.
Je dis à Bruel de faire mettre le drapeau en berne. Il est resté sur la mairie jusqu'ici, suscitant, paraît-il, des remarques des officiers allemands qui passent. Il y restera en berne jusqu'à ce qu'on nous dise de l'enlever.
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A 16 h., Grisoni a convoqué tous les maires à la Préfecture. J'y pars avec Szeinerl, qui ira pendant ce temps chercher sa valise. Il essaie pendant la route de développer des vues sur l'avenir et me rappelle ce que je lui disais en déjeunant : « Le passé est mort, il n'y a qu'à regarder en avant. » Je réponds : « Qu'est-ce que tu veux que tout cela me fasse maintenant ? Je vais achever mon boulot le temps qu'il faudra, j'irai au Sénat voter contre le traité de paix, puis je donnerai ma démission s'il y a encore un Parlement, et j'irai planter mes choux. La vie est finie pour nous, nos enfants, eux, verront venir. »
Dans la salle du secrétariat général, on s'entasse. Presque tous les maires de banlieue sont là. On ne peut tenir, nous nous transportons au deuxième, dans la salle de la S.T.C.R.P., qui est plus grande. Grisoni préside, le Préfet, Sellier et moi à sa droite, Mounié à sa, gauche. Grisoni fait un laïus patriotique, le Préfet un autre, qui s'achève en pleurs. Je dis : « Il ne s'agit pas de cela, il y a des mesures à prendre, tout de suite. » Tous approuvent. Je continue : « Le ravitaillement, ce n'est plus la question. Il y a trois heures, nous n'avions pas d'autre préoccupation, tous, que de nourrir nos gens. Maintenant, les communications seront rétablies d'ici à quelques jours, il n'y a plus d'inquiétude à avoir de ce côté. Ce qui importe actuellement, ce sont les mesures de police. Des incidents sont à. craindre à chaque instant... » De tous côtés, les interruptions fusent : « Mais qu'y a-t-il ? Que se passe-t-il ? » Je m'aperçois avec stupeur que beaucoup ignorent encore les événements. « Vous n'avez donc pas entendu la radio ? — Non, il n'y a plus d'électricité. Metteznous au courant ! » Un instant de tumulte, puis j'explique. Stupeur. Je reprends sur les mesures de police, la nécessité de se mettre en rapport avec les autorités allemandes pour qu'elles établissent, dans chaque canton au moins, une Kommandantur responsable avec laquelle on puisse se concerter pour le maintien de l'ordre. A défaut de Mounié, qui vient de partir pour recevoir au Sénat avec Hamelin, son collègue questeur, un officier qui s'est annoncé, un collègue expose que la veille, à Antony, au moment où des Allemands désarmaient des soldats français, un de ceux-ci — un nègre, précise Cresp - a tué un Allemand d'un coup de revolver et que les mitrailleuses ont aussitôt ouvert le feu. Cinq où six morts. Marschall Indique qu'à Saint-Denis d'autres incidents ont failli se produire : un colonel à qui on avait coupé la lumière pour je ne sais quelle raison, a menacé de prendre des otages... J'insiste pour qu'on lève là séance, chacun commençant comme d'habitude à raconter sa petite histoire locale, et qu'on nous charge de faire le nécessaire,avec le Préfet.
Je descends avec Grisoni et Sellier, qui refuse de venir chez Villey. Je téléphone du cabinet à Langeron. On me répond que son directeur de cabinet, Revilliod, est à l'Hôtel de Ville, au Comité de Ravitaillement. Je vais l'y trouver, le prie de poser d'urgence à son chef la question des Komandanturs locales. Il me le promet.
Je rentre avec Szeinerl qui m'attend en bas. Des cars d'Alle35
d'Alle35
mands visitent Paris, en touristes. Szeinerl me montre une bourse qui contient des tubes de morphine. « Dans 48 heures, dit-il, je prendrai ma décision. »
Impossible de joindre le Commissaire, qui doit être désespéré, dans un coin. Un tas de braves gens me posent des questions.
Je m'enferme dans mon bureau. A quoi bon ? Les « Magasins généraux » continuent à s'emplir, les agents à exécuter les chiens, les Heinckel à ronfler au-dessus de nos têtes. La vie continue sur le rythme que nous lui avons imprimé depuis quelques jours. On me rapporte que les gens paraissent plutôt satisfaits que ce soit fini: Beaucoup de ceux qui étaient partis dans les derniers moments reviennent déjà. Tout va reprendre...
Dîner rapide à la popote. Tout calme. Nous rentrons ; comme Szeinerl parle toutes les langues, nous écoutons à la radio jusqu'à 10 h. 30 tous les postes, qui nous apprennent que les Allemands sont à Orléans, à Dijon, que Metz est prise et que l'illustre Mussolini part retrouver son complice...
Jeudi 20 juin 40
Je vais prendre le café à côté. Sept ouvriers et ouvrières de Fécamp en font autant. Evacués au sud, ils arrivent de Rennes, d'où un camion les a amenés ici. Ils repartent chez eux à pied. On en voit de tous côtés rappliquer, lamentables.
Je rentre. On m'annonce triomphalement que mes deux chasseurs de bestiaux sont rentrés avec 9 vaches. Ils repartent pour Bois d'Arcy, où nous allons tous les matins chercher du lait, espérant une autre rafle.
Je vais jusqu'à la place Sembat, où on me signale des passages de troupes importants. C'est exact, il défile des convois ininterrompus qui vont cette fois vers Versailles. Voitures en quantité et troupes aussi. J'ai l'impression que ce sont des hommes plus âgés que ceux qu'on a vus jusqu'ici. Troupes d'occupation ?
Bruel m'apporte une lettre de Simone, partie le 11 de Tourame et arrivée probablement le lendemain à Paris, où elle a dormi depuis lors dans un bureau. Simone me demande des nouvelles du Gouvernement, des Chambres ! et me décrit la vie de la colonie. Elle me demande d'écrire souvent !
Zyromski vient déjeuner à la popote. Echange de réflexions avec Szeinerl, de souvenirs mélancoliques sur le Parti. Je le ramène à 15 heures à Paris où il y a réunion des maires à l'Hôtel de Ville. Trop nombreux. Bafouillages énervés. Nous nous retirons furieux, Sellier, Mounié, Grisoni et moi', dans un petit bureau où nous nous réunissons entre nous souvent. Nous rédigeons une lettre signée de nous quatre pour le gouverneur allemand où nous nous plaignons de son ignorance inattendue de l'organisation administrative française, lui expliquons que nous sommes élus et non fonctionnaires, indépendants des préfets et nous posons en administrateurs, les seuls qualifiés, de la banlieue.
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Quand je rentre, j'apprends que la rafle a raté. Toutes les va ches de Bois d'Arcy sont réquisitionnées, par la préfecture de la Seine; nous sommes arirvés 24 heures trop tard, mais on continuera à nous fournir 200 litres de lait. Cela va, je m'en assure en allant dire bonsoir à M. Dick. Il y a du lait pour tous ceux qui doivent en avoir
Mes Camarades pensent que le moment arrive où il faudra ouvrir des soupes. Je voudrais le faire le plus tard possible, mais j'envoie repérer des cuisines. Il s'assure du restaurant 34, avenue Ed.- Vaillant, bien placé et outillé. S'il en faut un second, on prendra sur Boulogne Mayoux, avenue de la Reine.
Pendant ce temps, Szeinerl écoute tous les postes. A la radio allemande on donne des noms de prisonniers. Il y a un nommé Raymond Caudry, 66, rue du Point-du-Jour. Je fais immédiatement porter un mot à cette adresse. Le 66 n'existe pas et vérification faite sur les listes électorales, R. Caudry n'existe pas.
Vendredi 21 -Samedi 22 juin 40
Toujours la même chose : histoires de ravitaillement, avions assourdissants — on cherche à nous impressionner — rafles de denrées, etc. Nous projetons une soupe pour les Nord-Africains qui errent par la ville de tous côtés. Beaucoup sont venus ici des communes voisines, parce qu'il y avait un foyer nord-africain départemental ici rue Traversière.
A 15 h., à l'Hôtel de Ville retrouver [sic] Grisoni, Mounié, Sellier. Celui-ci a préparé une lettre au préfet, comme convenu, sur les questions urgentes : monnaie-papier à créer, allocations et chômage à unifier, mais il l'a faite à sa manière : 20 pages d'engueulade. Impossible. Lainville, sous-directeur des Communes, qui est venu nous retrouver, et nous, demandons à Sellier de confier son texte à Grisoni, qui le refera en deux pages. Nous convenons de convoquer les deux députés présents à Paris : Chiappe et Pinelli, pour reconstituer un petit groupe parlementaire parisien.
Je rentre voir la distribution de lait, Dick, etc. Comme on prend vite des habitudes ! Après dîner, longue promenade par les quais avec Szeinerl, Bédène, Margelli. Radio : négociations de Rethondes pour l'armistice.
Le samedi matin, je vais visiter les « Magasins généraux » où je retrouve le Commissaire. Nous allons ensemble au marché de Billancourt, bien pauvre, où quelques salades s'enlèventvite. On vient m'y chercher parce qu'on me rappelle de Suresnes que nous avons rendez-vous à 11 h. chez Bullitt. Je ne l'avais pas oublié et pars pour retrouver Sellier et Grisoni à l'ambassade.
Bullitt, toujours aussi cordial, nous conte ses contacts avec le gouverneur militaire, qui a été très correct. Il ne sait pas grand chose, sinon que les Etats-Unis font le maximum. Il confirme ce que j'ai appris la veille à la radio, que 80 avions sont arrivés par air en Angleterre et que 20 navires américains ont été « incorporés » a la
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flotte anglaise. Nous lui disons notre désir, à Sellier et à moi, car Grisoni est réticent, d'être en contact avec une autorité allemande qualifiée pour pallier l'insuffisance des préfets, qu'il connaît. Il fait venir son conseiller, qu'il charge de transmettre notre désir. Nous reviendrons lundi à 11 heures chercher la réponse.
J'emmène Sellier déjeuner ; j'ai invité le Commissaire à la popote. A 14 h. 30 nous allons à l'Hôtel de Ville où je fais monter Masbou. On m'a dit avant de partir qu'il avait téléphoné pour annoncer qu'il pouvait envoyer des délégués de municipalités là où sont les enfants en province. Naturellement il fait des sottises et ne parle de rien moins que de ramener ici les enfants évacués. Je le prie de s'en tenir à des missions d'enquête. Le soir, après entente avec les collègues, je lui désignerai Lagrïffoul pour nous.
Sellier, Mounié et Grisoni, pendant que je cause avec Masbou, arrangent les affaires de l'octroi intercommunal.
A 15 h. 30, comme convenu, Pinelli et Çhiappe arrivent. Les cinq parlementaires de la Seine sont présents, plus Grisoni. 3 Italiens et 3 Allemands [?], remarquons-nous. Ils sont en effet 3 Corses. Chiappe, verbeux comme toujours, tient le crachoir. Nous décidons de continuer à nous retrouver tous les jours ou tous les deux jours et de continuer les réunions que les élus de la Seine— plus nombreux alors — tenaient au Sénat
Avant que je ne quitte Boulogne, Hauriot m'a téléphoné qu'il voulait me vbir pour quelque chose de grave, et je l'ai aussitôt appelé. C'est grave en effet. Hauriot avait adhéré au Comité France-Allemagne et il a reçu la visite de l'un des vice-présidents de ce Comité, le Dr Grimm, député de Dusseldorf, qui loge à l'ambassade d'Allemagne où est le fameux Abetz. Çe Grimm lui a demandé s'il y avait ici quelque personnalité avec qui prendre contact et il m'a indiqué. « Veux-tu le voir ? Il viendra à tout hasard à 17 h. 30. » Mon parti est aussitôt pris. « Attends-le à la porte et amène-le-moi. J'amènerai Sellier. ».
A 17 heures, revenu, je reçois Le Pelletier, adjoint à SaintCloud (Ch. Blum, maire, est parti) qui vient me demander divers tuyaux. La situation en Seine-et-Oise est lamentable : préfet parti, police et pompiers partis... Hier le maire de Chaville est venu aussi me conter ses déboires, puis Plier qui est tout seul à Vélisy. Quand je le reconduis, Grimm est là avec Sellier et Hauriot, qui nous quitte. J'ai prié mes adjoints, qui sont au courant, de nous laisser.
La conversation est courte. Grimm nous dit qu'il n'agit ni officiellement ni même officieusement, qu'il se renseigne, qu'il a de l'influence et des amis, qu'il serait heureux d'être utile. Nous lui disons tous deux ce que nous disons partout, que nous voudrions trouver un interlocuteur qualifié avec qui causer publiquement des questions indispensables à résoudre. Nous lui manifestons notre étonnement de voir les Allemands aussi peu au courant de l'organisation administrative française et lui expliquons que les municipalités françaises sont élues et non composées de fonctionnaires, qu'elles ne sont pas subordonnées-au préfet mais contrôlées par lui,
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que nous seuls représentons la population et pas lui qui représente seulement le Gouvernement; et que l'intérêt commun serait que des rapports soient établis entre l'autorité et nous. Il paraît comprendre. Il semble intelligent. C'est un avocat, m'a-t-on dit. Je lui dis : « Nous avons écrit il y a plusieurs jours au gouverneur militaire. Priez ceux que vous connaissez de répondre à notre lettre. » Il répond : « Ce n'est pas l'affaire du gouverneur militaire. Peut-être avons-nous frappé à une mauvaise porte, mais il y a une lettre de nous là, que ceux qui ont qualité pour répondre s'en saisissent. » Nous convenons que je lui téléphonerai lundi matin et il part en répétant encore que tout ce qu'il fait, il le fait à titre absolument personnel.
Je mets aussitôt mes adjoints au courant.
A 22 heures, pendant que je rédige ces notes, Szeinerl m'appelle à la radio. Les Allemands annoncent une communication spéciale. Ils nous apprennent la capitulation des 3, 5° et 8e armées : 500.000 hommes.
Une histoire amusante de la radio anglaise, que me signale Szeinerl : Des prisonniers allemands en Angleterre ont rapporté qu'en Allemagne l'histoire suivante court, qui montre que les Allemands n'att|achent pas une importance complète aux communiqués officiels 7 morts allemands, arrivent au Paradis. Saint Pierre refuse d'en accepter plus de deux. « Mais nous sommes sept ! — Possible, mais moi je lis vos communiqués et j'ai lu que vous n'aviez que deux morts ; je ne puis donc recevoir plus. »
Dimanche 23 et lundi 24 juin 40
Matinée à la Mairie. A 11 h. 30 je vais avec le Commissaire aux soupes que nous avons ouvertes hier pour les Nord-Africains. C'est au Foyer départemental de la rue Damiens, près de l'usine Renault. Le préfet l'a fermé l'an dernier. L'ancien tenancier, Hagia, a été enchanté de reprendre. Il est secondé par un inspecteur de la. police indigène, Théoub, qui a été à La Mecque et jouit d'une grande autorité. 150 mangent là, surtout des Kabyles. On leur donne un morceau de boeuf au macaroni et du pain. Ils paraissent très contents. Autant de moins à tramer par la ville.
A midi 30, je vais déjeuner chez les Koscziusko, que je ravitaille en café. Elle est bien anxieuse sur le sort de Jacques ; j'essaie de lui persuader qu'il est prisonnier, mais elle le voit blessé en Angleterre et suit la radio anglaise où l'on fait parler tous les soirs quelques blessés français.
Au retour, j'emmène mon équipe promener. Nous en avons tous besoin et c'est dimanche, quand même ! Peu de visiteurs aux guichets de la Mairie, où il y a toujours foule, du monde dans les rues, des jeunes gens et jeunes filles à vélo. Nous allons chercher Dick, qui me tire sur les bras désespérément, et partons au parc de Rots39
Rots39
child dans lequel nous restons tout l'après-midi. Très à l'abandon, mais i il y a des roses, de beaux arbres dont Bédène énumère les noms latins, tout cela couvert d'huile et d'essence. Nous nous asseyons longuement dans le jardin japonais, près d'une pagode remplie de débris de potiches que les Allemands ont brisées.
Forichon est revenu le matin de la Nièvre. Nos enfants vont bien, lui souffre de la sciatique. Je l'ai envoyé se coucher.
Après dîner, nous écoutons. Bédène, Szeinerl et moi, la radio qui énumère les conditions de l'armistice et relate les déclarations de Pétain et celles de Churchill, en même temps que l'appel de de Gaulle. C'est écrasant, et cette rupture de la France avec l'Angleterre, que l'Allemagne a tant cherché à provoquer et que nous réalisons nous-mêmes. C'est la fin de tout. Finis Poloniae ! Comment se relever maintenant ? Nous n'espérons plus que dans une révolte dev la flotte, des colonies...
Le 24 à 9 h. je téléphone au Dr Grimm, comme convenu, et prenons rendez-vous à 11 h. 30. Il me propose l'ambassade. Plus souvent ! Je lui indique le Fouquet's et j'amènerai Sellier.
A 11 heures nous nous retrouvons, celui-ci, Grisoni et moi, à l'ambassade des Etats-Unis, où nous allons chez le Conseiller (Howér?) chercher la réponse qu'il devait solliciter à notre demande d'entrée en rapports officiels. Il nous dit qu'il a vu un secrétaire, M. Aschenbach, que les Allemands semblent ne vouloir causer qu'avec lès préfets et nous annonce en même temps du reste qu'ils viennent de destituer Langeron. Toujours très cordial. Nous le prions d'insister.
Au Fouquet's, l'autre confirme. Les. Allemands paraissent nager, et de leur part c'est surprenant. Ils ont à la Chambre des députés une commission composée de « docteurs en économie » qui cherche à organiser quelque chose, sans savoir au juste quoi. Je précise encore une fois nos désirs : nous somme dés administrateurs, non des politiciens, et nous voudrions être en face de quelqu'un pour l'administration, à l'exclusion de toute autre question, Il promet d'en parler de nouveau.
A15 heures, à l'Hôtel de Ville, Mounié, Grisoni et moi revoyons Pinèlli et Chiappe. Celui-ci confirme qu'hier soir trois officiers allemands sont allés informer Langeron qu'on n'avait plus besoin de ses services et que Marchand, directeur de la police municipale, le remplace provisoirement. Langeron n'a même pas prévenu Villey, qui ignorait le fait il y a une heure encore et qui vient de l'apprendre par Grisoni. Oh ! cette administration de la Seine !
Je remets sur le tapis mon éternelle question : je comprends que Villey ne veuille pas des 120 conseillers municipaux ou des 150 conseillers généraux, mais nous sommes cinq, qui avons un certain standing personnel, et qui pourrions constituer avec lui une sorte de Directoire, où chacun dirigerait le rayon pour lequel il est plus particulièrement qualifié. « D'accord, disent les autres, il faut lui en parler. — A quoi bon ? dis-je, vous connaissez d'avance sa ré40
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ponse. » Mounié et Grisoni veulent quand même faire la démarché, et Mounié vient un instant plus tard me dire que Villey nous verra jeudi. Tout cela ne donnera rien, on perd son temps.
Grisoni me raconte comment se fait le journal « Paris-soir », Un nommé Janson, qui y faisait les chiens écrasés et qu'il connaissait parce que celui-ci donnait les comptes rendus des courses de lévriers de Courbevole, est venu le voir hier. Resté au journal, il s'est sauvé au dernier moment. Les Allemands l'ont arrêté à Tours, puis l'ont renvoyé à Paris où il a été prié de passer au journal. Là il a trouvé le garçon de l'ascenseur, un Allemand qui se faisait passer pour Alsacien, installé comme directeur. Celui-ci l'a nommé rédacteur en chef et l'a présenté à un jeune officier, remarquablement intelligent, et à plusieurs autres personnes, avec qui on l'a prié de faire le journal. Il a rédigé un éditorial quelconque qui a passé intégralement le premier jour, avec quelques corrections le deuxième jour. Sans doute « Le Matin » est-il confectionné dans des conditions analogues. « Les Dernières Nouvelles », qui paraissent 108, rue de Richelieu (adresse du « Journal ») aussi. Quant à « La Victoire », elle a disparu au bout de trois jours, supprimée. Hervé a dégoûté les Allemands eux-mêmes.
A la popote, Margelli m'apprend que Zyromski a été arrêté hier. Avant-hier, tandis que j'étais à l'Hôtel de Ville, son chef Séguin, directeur des Affaires départementales, était venu avec lui me trouver pour me dire que les Allemands étaient venus ledemander en son absence et qu'ils avaient informé Séguin qu'ils le considéraient comme responsable de lui'. J'avais suggéré à Séguin dé le faire coucher à l'Hôtel de Ville et il l'avait désigné de permanence. C'est là qu'il a dû être appréhendé. Pourquoi ?
Prochain Bulletin :
Numéro spécial consacré au Colloque : Le Militant ouvrier français au XIXe siècle
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Un agent de la Préfecture
dans la Commission fédérale lyonnaise de la première Internationale
Durant tout le XIXe siècle, Lyon fut l'une des villes de France où le mouvement ouvrier avait atteint une ampleur tout à fait exceptionnelle : les travailleurs y étaient nombreux et concentrés, attentifs aux théories socialistes et prompts à l'action. En dépit de ces traits originaux, il faut constater que, mis à part l'ouvrage de M. Rude sur la période 1827-34, celui de Streten Maritch sur le mouvement économique et social à Lyon sous le Second Empire, le diplôme d'études supérieures de M. Massard sur l'histoire du mouvement anarchiste à Lyon de 1880 à 1894, l'histoire des organisations ouvrières lyonnaises après 1848 reste à écrire.
Un tel sujet n'est pourtant pas sans intérêt et il permettrait - pour autant qu'il nous soit permis d'en juger au point où en sont nos recherches — de donner d'utiles explications sur l'origine historique de tendances comme le réformisme radicalisant et l'anarchosyndicalisme qui marquent jusqu'à nos jours l'histoire du prolétariat lyonnais.
La Première Internationale qui fut ici fondée au début de 1865 mérite une attention particulière et il faut regretter que les travaux de Streten Maritch n'aient pas été poursuivis. En ce qui concerné l'Association Internationale des travailleurs, « l'Histoire de Lyon » de Latreille et Dubacq se contente d'évoquer, avec quelques inexactitudes, les faits essentiels, mais les buts de ce travail n'ont pas permis un approfondissement sérieux des recherches.
Sur un tel sujet pourtant, l'historien ne manque pas de documentation. Les Archives départementales récèlent des dossiers précieux, tels ceux du Conseil de guerre qui jugea les insurgés de la tentative communaliste d'avril 1871, tandis que les archives municipales disposent d'un riche fonds comportant les papiers d'Albert Richard, le dirigeant local de l'Internationale en 1867-71 et de copieuses liasses de documents policiers.
Dépouillant ces rapports de police en vue d'y découvrir des éléments utiles à l'élaboration du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier que prépare J. Maitron, sous les auspices de l'Institut Français d'Histoire sociale, nous avions été plus d'une fois surpris par la précision des renseignements donnés par certaines pièces. Entre autres les rapports concernant les délibérations de la commission fédérale lyonnaise de l'A.LT. comportaient un luxe de détails tel qu'il faisait soupçonner l'existence d'un agent secret opérant au sein même de cette commission. Ce n'était qu'une hypothèse : nous savions pour l'avoir vérifié que le commissaire central Bergeret,
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quelques années auparavant, n'hésitait pas à « compléter » par des additions de son cru une information insuffisante... Mais cette hypothèse devait se vérifier. Dans un document datant de février 1870 (Arch. Mun. de Lyon, 12 55, pièce 27, feuillet 9) où se trouvent réunis des renseignements concernant les internationalistes lyonnais, on peut lire : « Ce sont tous, sauf le dernier qui est un de mes indicateurs, des socialistes avancés... » Le dernier homme auquel fait allusion le rédacteur du rapport est un ouvrier tulliste nommé Pierre Antoine Garnier.
En 1865, l'Internationale avait commencé à s'organiser à Lyon sur la base des quartiers. Vers 1867, on comptait dans la ville une vingtaine de groupes rassemblant quatre à cinq cents adhérents, mais, à la suite des grandes grèves de l'été 1869, les responsables locaux, poussés en cela par Varlin, avaient dû reconsidérer leurs principes d'organisation. Au cours d'un grand meeting tenu le 13 mars 1870, salle de la Rotonde, et auquel assistaient Varlin, Aubry, Bastelica, James Guillaume, on avait mis en place un organisme dirigeant qui correspondait a la nouvelle structure de l'organisation. Il n'était plus désormais question des groupes de quartier, mais l'Internationale, ayant reçu l'adhésion globale d'une vingtaine de corporations, se considérait comme la fédération de celles-ci. A l'adhésion individuelle on substitua l'adhésion collective, à l'organisation sur le lieu de là résidence, on préféra l'organisation dans la profession. A partir de ce moment, la fédération lyonnaise de l'A.I.T. fut dirigée par une commission composée des différentes corporations adhérentes et c'est à la faveur de cette transformation que Pierre Antoine Garnier, désigné comme représentant des tullistes, s'introduisit dans l'organisme directeur où, selon Testut (1) (L'Internationale, pp. 170 à 172), il assuma les fonctions de trésorier. Agent particulier de la préfecture, Garnier transmettait avec beaucoup de zèle les comptes rendus complets de chaque réunion de la commission fédérale et le préfet s'empressait de communiquer tous les renseignements ainsi recueillis au ministre de l'Intérieur. Entre mars et avril 1870, l'abondance des rapports préfectoraux témoigne de l'activité « dévorante » de l'agent secret.
Fin avril, à l'approche du plébiscite, on sait que le gouvernement impérial, soucieux de mettre à la raison des opposants dangereux et d'effrayer l'opinion publique, « découvrit » fort opportunément un complot de l'Internationale, ce qui lui permit d'entreprendre contre elle des poursuites.
(1) Lui-même Indicateur de police dont de très nombreux rapports signés « Le numéro 47 » figurent aux Archives de la Préfecture de Police à Paris.
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Comme ses camarades de la commission, Garnier fut arrêté et la lecture du rapport établi sur lui par le commissaire spécial Delcourt, qui ignorait les activités réelles de l'ouvrier tulliste est fort intéressante:
« Renseignements sur Pierre Antoine Garnier, originaire de Savoie, âgé de 45 ans environ, ouvrier apprèteur de tulles, marié et père de cinq enfants, demeurant à Lyon, rue Bugeaud, 154, qui fait l'objet de la lettre de M. Bonafos, juge d'instruction, en date du 10 mai courant.
« Garnier, qui demeurait précédemment cours Vitton, 74, n'habite que depuis six mois à l'adresse sus indiquée. À ces deux domiciles Garnier est considéré comme un ouvrier laborieux mais sans ordre, aimant à bien vivre et contractant des dettes de toutes parts. Sa femme qui fait des ménages et sert dans les cabarets à l'occasion, abandonne ses enfants qui sont élevés dans de fort mauvais principes.
« La conduite morale et les habitudes de Garnier n'ont jamais donné lieu à des remarques bien défavorables.
« C'est un homme d'un caractère sournois, n'ayant aucune fréquentation avec ses voisins et ne manifestant pas ses opinions, on sait néanmoins qu'il assistait assidument à toutes les réunions publiques ou privées. » (2) Cette description se suffit à elle-même...
En tous cas, il semble bien que sa qualité d'agent particulier de la préfecture fut ignorée jusqu'au bout des services de police du commissaire spécial. Le 4 août 1870, en effet, une enquête était ouverte sur un sujet d'origine, allemande, Jean Child, membre de l'Internationale. Un agent nommé Vollmar (dont le style est aussi pittoresque que l'orthographe corrigée par nous) se rend chez les membres de l'Internationale remis en liberté provisoire et les interroge :
« M. Garnier, qui demeure rue Suchet, n° 29, au rez-de-chaussée et il fait l'état d'apprêteur, et il dit que son état ne va pas du tout et autrement il m'a rien dit de la société d'internationale, il m'a envoyé chez Monsieur Palix, tailleur, cours Vitton... » (3)
On voit que l'agent de la préfecture ne se livrait pas à n'importe qui...
Il est en tous cas utile de connaître le rôle joué par Pierre Antoine, Garnier : les rapports envoyés de Lyon au ministre de l'Intérieur s'en trouvent valorisés. Ajoutons que grâce à ces révélations, on comprend mieux les difficultés de l'Internationale lyonnaise à laquelle les pouvoirs publics, fort bien renseignés, consacraient, une extrême attention. Dans une partie aussi serrée, la moindre faute tactique ou la moindre imprudence ne pouvait manquer d'être exploitées : la saisie chez Albert Richard d'un vocabulaire secret dû à Bakounine devait fournir le prétexte recherché.
Maurice MOISSONNIER,
(2) Arch. Mun., Lyon, 12 55. Rapport' de février 1870, pièce 27, feuillet 9.
(3) Arch. Mun., Lyon, 12 55, pièce 89, rapport de l'agent Vollmar.
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relatives à l'emploi de la sténographie par les anarchistes
Grâce à l'obligeance de M. Avenir Rosell, qui a eu l'amabilité de nous les communiquer, nous pouvons publier ces extraits de deux lettres de Max Nettlau relatifs à l'emploi de la sténographie par les anarchistes et à l'usage que lui-même en faisait.
Max Nettlau, grand linguiste, se servait de sténographie pour ses nombreuses annotations qui se trouvent maintenant à l'Institut International d'Histoire sociale d'Amsterdam. Il répond dans ces lettres à des questions posées par M. Rosell, sténographe à la Chambre, à Montevideo, très intéressé par tout ce qui touche à la sténographie et à son emploi, et sans lesquelles Nettlau n'aurait pas pensé à écrire ces précisions. Ce sont, nous semble-t-il, les seuls documents relatifs à ce sujet ; la profonde conaissance de Nettlau des milieux anarchistes jointe à sa précision coutumière en font la valeur.
R. LAMBERET.
M. Nettlau. — La Revista Blanca, 37 calle Escornalbou (Guinardo), Barcelona, 19-VI-34.
Senor Rosell, Montevideo.
Notre vieil ami Jean Grave m'envoie votre lettre du 14 mai.
Je n'ai jamais eu la moindre information que Kropotkine ait pratiqué la sténographie. Ni dans une de nos nombreuses conversations, ni dans tout ce que j'ai vu de ses manuscrits, brouillons, notes, extraits, etc., concernant ses livres ou les grands articles, il n'y en avait pas la moindre trace. Il écrivait énormément, d'une écriture infiniment rapide et fine, comme parlée, traçant peut-être un mot comme on souffle une pensée, si vite que Seulement en lisant le tout d'un trait, on comprend quel devait être le mot à peine écrit. Ceci démontre, selon mon opinion, que s'il avait pu sténographier, il l'aurait fait a ces mille occasions quand pour son usage personnel il notait une partie ou copiait un extrait, toujours à la hâte, comme il fut toujours pressé par le temps et l'importance de son travail ou de ses lectures.
Si quelqu'un me disait qu'il savait écrire si vite qu'il put prendre proprement des notes d'un discours de Tarrida, je croirais cela beaucoup plus facilement que ce que vous me communiquez sur la foi de Lorenzo. Car, étant d'une intelligence si rapide et d'une agilité, de plume très, grande, il aurait à sa manière noté beaucoup de mots et aurait pu reconstruire le discours, même de Tarrida.
Il a peut-être fait cela ou au moins écrit un bon résumé (pour les Temps Nouveaux ; il a écrit là au sujet d'une de ces réunions, en 1897, celle de Trafalgar Square, je pense), enfin Tarrida, qui
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échangeait tant de lettres avec Lorenzo, a pu écrire d'une manière exubérante au sujet de là rapidité dé Kropotkiné à écrire, et Lorenzo a pu se tromper et penser qu'il faisait de la sténographie.
Tarrida aurait été un problème pour tous lessténographes du monde. Quand je l'ai entendu parler à Paris en septembre 1889, il a dû prononcer 400 mots par minute. A Londres, dix ans après, peutêtre trois cents. Avec cela ses gesticulations des mains et du corps entier durant un discours auraient pu donner la force motrice à une machiné de je ne sais pas quel calibre (nous avions quelquefois discuté cela : il était un perpetuum mobile parlant).
Jamais je n'ai entendu dire qu'un des Reclus savait la sténographie (Elie, Elisée, Paul), ni Malatesta, ni Rocker et je suis certain qu'ils ne la savaient pas. Je ne me rappelle vraiment d'aucune personnalité de marque dans les divers pays qui l'ait connue.
Moi je ne suis rien du tout, mais puisque vous me le demandez, j'ai appris la sténographie à Vienne dans l'été de 1876, à l'âge de 11 ans, les éléments par un répétiteur de langues qui me donnait des leçons privées (à côté du lycée) et ensuite en l'année 1876-77 dans mon lycée (Gymnasium), troisième année, deux heures par semaine (cours facultatif). L'enseignant était un sténographe parlementaire, Griez de Rouse. En allemand, Système Gabelsberger (de Munich), tel qu'on le pratiquait alors en Autriche. Je connais un nombre limité d'abréviations convenues. J'ai pratiqué les autres abréviations le moins possible, pour pouvoir relire facilement ce que j'écris. Cela m'a servi très peu pour les discours rapides; cependant en décembre 1888 j'ai aidé, avec deux autres personnes, à noter les discours d'un congrès socialiste et j'y ai réussi. Mais cela m'a servi énormément pour prendre des notes et des extrait s pour mes travaux historiques, copier les documents, etc. Seulement je ne sais sténographier qu'en allemand et je n'ai pas cherché à connaître les systèmes en usage dans d'autres langues. Ce me fut ainsi très utile j'écris à mon aise, cherchant la précision (pour relire d'un seul coup d'oeil) et non la vitesse.
Je ne me suis jamais intéressé aux modifications qu'on a fait subir au système Gabelsberger et je trouvé ces modifications et fusions tout à fait inutiles. Je peux lire facilement ce que Gabelsberger écrit lui-même (j'ai trouvé Une fois son livre lithographie sur la tachygraphie des Romains, livré écrit par lui en sténographie)* mais je ne saurais pas déchiffrer ce qu'on a fait de ce système clair et précis en 1876 cinquante ans après.
Enfin vous voyez que sur ce terrain je suis conservateur j'ai une bonne chose et je la retiens.
...Pour Kropotkine je dirais : que par la rapidité de son écriture il était son propre sténographe, il n'avait pas besoin de sténographie et s'il s'en était servi, il eut écrit d'une façon si accélérée que rien n'en serait resté : il aurait abrégé la sténographié la plus abrégée. Agréez mes salutations,
Max NETTLAU.
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SECONDE LETTRE
Barcelona, 20 juin 34.
Cher camarade Rosell,
...Ni Uralés, ni Soledad Gustavo ne se rappellent de libertaires tachygraphes.
La tachygraphie a fleuri plutôt avec le parlementarisme dès le commencement du XIXe siècle et elle trouva surtout une application dans le droit (procès) et le commerce-finance. Les libertaires, essentiellement propagandistes, n'ont pas de respect des « assemblées parlantes » et ils font plutôt dix nouveaux discours que d'en retenir un intégralement. Ceci et leur vie mouvementée ne les dispose pas à la sténographie. Elle-même, de nos jours, doit perdre du terrain en face d'appareils mécaniques qui l'éliminent, — comme un phonographe répète directement à la dactylographe ce qu'un capitaliste dicte à une machine.
Mais comme écriture intime des hommes, une bonne sténographie pourra avoir l'avenir pour elle ; de même que notre écriture, étant infiniment plus brève et claire, s'est élevée au-dessus de celle des XVIe et XVIIe siècles. La sténographie Gabelsberger en est précisément un exemple, chaque lettre est une abréviation des lettres latines... et elle exprime, selon notre sentiment Instinctif : le E pas du tout ; le A fort par un renforcement ; le I haut par l'élévation au-dessus de la ligne ou la verticalité ; le O sonore par la curve élargie ; le OE par une curve plus large ; le U profond en mettant la lettre sous la ligne, etc.
Dans tout cela il y a une continuité, une logique et une esthétique très bien exprimées. Dans un âgé non mécanisé, sans vitesse, quand on écrira de nouveau au lieu de téléphoner, une écriture ainsi simplifiée et bien écrite pourra remplacer pour l'usage intime l'écriture présente (comme celle-ci a remplacé les écritures compliquées des siècles passés). Mais il faudra créer cet âge nouveau... Et avec les procès, les parlements, les réunions de sociétés financières, la tachygraphie hâtive s'en ira.
J'ai trouvé un homme, non de marque, mais convenable, qui de la sténographie s'est intéressé au mouvement social, Ebenezer Howard, l'inspirateur des Garden-Cities (Cités-Jardins) qui doivent vous plaire.
Sténographe très expert, il était employé de commerce (Londres, Chicago), transcrivit des procès, des réunions de compagnies financières et travailla au Parlement anglais. Vers 1897 seulement, âgé de plus de soixante ans, il lut l'utopie de Bellamy, Looking backward (1887) et cela lui donna l'idée de construire une cité saine et belle. Sans connaître tous les précurseurs de cette idée, Robert Owen, Silk Buckingham, etc., mais grâce à ce qu'il avait observé dans les
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affaires, dans ces milieux capitalistes et gouvernementaux qui, lorsqu'ils voulaient faire une chose, trouvaient les moyens de là voir faite, il écrivit ce livre sur les Cités-Jardins de demain (1898) qui eut de l'influence en Angleterre. Il s'est trouvé des hommes pour agir selon ces propositions : Letchworth et Welwyn sont deux villes nouvelles construites ainsi. Cet homme modeste, venu en dernier lieu, ignorant le socialisme, fut le seul dans le pays qui ait atteint un tel but. Je ne dis pas qu'il doit cela à la tachygraphie, mais ses occupations comme tachygraphe dans toutes ces assemblées l'ont aidé à donner une expression si pratique à son idée qu'il a frappé l'imagination de beaucoup d'hommes et qu'on a essayé de réaliser son rêve..Ce sont des.faits notoires. Il y à une biographie (un livre) récente sur Sir Ebenezer Howard (car à la fin, comme fondateur de deux villes en pleine Angleterre, il reçut ce titre de noblesse). Ce brave homme, en 1898, a aussi donné une conférence aux anarchistes à Londres ; j'y assistai ; on ne s'est pas compris mutuellement. Mais son idée fut plus tard adoptée par de bons camarades en plusieurs pays.
Le fameux Isaac Pitman a été dans les années soixante (ou plus longtemps) ami des coopérateurs anglais.
En juillet, je pourrai voir les Temps Nouveaux de 1897 au sujet de ce que Kropotkine a écrit sur les réunions à Londres. Si ce fut une réunion dans une salle, alors K. a pu traduire en anglais sur un discours.français de Tarrida et l'a certainement très bien fait', et des remarques de Tarrida sur l'excellence de la traduction ont pu créer le malentendu sur la sténographie de K.
Il aurait donc sténographié en français. D'où et quand l'aurait-il appris ? Nous connaissons depuis 1867 l'emploi de son temps vraiment en détail et seulement par pure supposition (pas par hypothèse), on pourrait dire que peut-être dans la prison, à Clairvaux, il aurait pu s'en occuper — hors cela il avait autre chose à faire. Il se pourrait ainsi qu'à Clairvaux (printemps de 1883 à janvier 1886) quelques camarades prisonniers aient appris la tachygraphie et qu'ainsi lui aussi en aurait eu connaissance. Mais puisqu'il n'existe aucun témoignage autre que celui de Lorenzo, loin de Londres, tout cela ne me paraît basé sur rien. Comme les prisonniers de Clairvaux sont,morts (à moins que Jean Grave n'en soit un survivant), on ne peut,pas éclaircir la question, sauf en écrivant à Mme Sophie Kropotkin, Musée Kropotkin, rue Kropotkin, Moscou (Russie soviétique), sa veuve. Si vous écriviez, il conviendrait d'ajouter un bon postal pour timbre de réponse international et une enveloppe adressée à vous. Elle saura vous répondre. (Ecrivez-lui en français ou en anglais).
Toutes mes salutations.
M. NETLAU.
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L'Usine, la Terre et la Cité, par Robert GAILLOT. - Les Editions
ouvrières.
J'ai trouvé dans ce livre, bourré de chiffres, des formules exactes, situant des faits, des situations sur lesquels on ne réfléchit pas assez, malgré leur importance.
Ainsi : « Le lieu et la fonction du travail sont devenus le milieu humain essentiel, la commune étant reléguée au rang de dortoir. »
Autre réflexion également valable et d'une importance sociale considérable: « Les jeunes ruraux resteront dans leurs communes s'ils y trouvent un climat jeune. » Ce qui n'est pas souvent le cas. En passant l'auteur marque que les ventes à crédit comportent de gros risques, en cas de crise sociale, ce qui est parfaitement exact.
Il y a nécessité — et pour tous — à rétablir l'équilibre villecampagne, tellement bousculé à présent. Et M. Caillot note encore qu'il faut de la solidarité humaine et qu'il ne suffit pas d'être matériellement heureux, qu'il y a aussi le coeur et l'esprit qui ne doivent pas rester vides.
Voilà des pages qui font penser, en signalant tant d'erreurs commises et comment y apporter les palliatifs nécessaires.
Petite Histoire de la Charpenterie. et d'une Charpente, par René
BONNET, — Chez l'auteur, 33, rue Georges-Pitard, Paris (15°).
René Bonnet, contre-maître charpentier et autodidacte (il a déjà écrit des livres sur son enfance) publie une Petite Histoire de la Charpenterie et d'une Charpente. Cela, sous forme d'entretiens entre le technicien qu'il est et un jeune apprenti qu'il doit former.
R. Bonnet a su se.mettre à la portée de ses lecteurs.— même profanes — Rien d'ardu dans son excellent travail, montrant l'évolution de cette profession essentielle et tellement ancienne.
Et comme il serait souhaitable — pour augmenter nos connaissances de l'histoire sociale — que chaque métier trouve celui qui serait capable de le raconter, de le décrire, de ses origines au temps présent.
J'ajoute que cet ouvrage est édité par l'Imprimerie du « Compagnonnage » où la perfection est de rigueur, et qu'il est fort bien illustré.
C'est là un apport de valeur à la bibliothèque du monde, du travail et qu'il était intéressant de signaler.
Le Nouveau nouveau Monde, par Claude JULIEN. — Ed. Julliard. Encore que cet intéressant volume contienne des vues nouvelles sur les U.S.A. (lesquels évoluent à une telle cadence qu'A. Siegfried a dit que ce pays, en 1956, était plus loin de sa situation de 1898, que celle-ci ne l'était de la guerre de sécession), ce qui est surtout à retenir ici, c'est la partie consacrée au syndicalisme.
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L'Influence de celui-ci est grande. La fusion des deux centrales A.F.L. et C.I.O. aboutit à une union de 18 millions de membres. En face de tant de questions à résoudre — les mêmes là-bas qu'en Europe — les chefs syndicalistes ont dressé un plan de défense. Déjà a été obtenu « le salaire annuel garanti », pour pailler aux périodes de chômage. Mais Walter Reuther déclare, afin de montrer le rôle historique du syndicalisme, que « le mouvement ouvrier ne pourrait accomplir sa mission s'il se contentait de revendiquer des augmentations de salaires et des meilleures conditions de travail ». Car si celles-ci sont indispensables, il y a aussi d'autres besognes qui doivent retenir l'attention du syndicalisme.
Le syndicat de l'automobile de Détroit possède son studio radiophonique où il procède à ses propres émissions.
Le prolétariat yankee comporte plus d'employés (53 %) que d'ouvriers (47 %). Les premiers sont moins empressés à se syndiquer que les seconds.
L'auteur est persuadé que le syndicalisme américain est la nouvelle force qui monte, en prenant une importance de plus en plus considérable dans la vie de ce vaste pays. Cela est nécessaire, en raison de toutes les modifications majeures qu'apportent les nouvelles méthodes de travail et qui peuvent changer considérablement les conditions du labeur.
Les Négociations Collectives.
Le « Bureau International du Travail » publie depuis quelques années (et en une dizaine de langues) les cours d'éducation ouvrière qu'il organise.
Le volume qui vient de paraître sous le titre ci-dessus comporte les douze leçons de ce cours, plus d'importants textes de références. Il est en vente au prix de 5 NF. S'adresser au B.I.T., 205, boulevard Saint-Germain, Paris (7e).
Dans cet ouvrage, tout ce qui a trait aux négociations collectives — de plus en plus à l'ordre du jour — est étudié. De même, les cas pouvant se présenter au cours de ces contacts, comme la procédure volontaire en cas de conflits, et jusqu'aux pratiques répréhensibles (contrats antisyndicaux, représailles exercées) ont retenu l'attention de l'organisme international, créateur de cette documentation de valeur. Laquelle apporte un enrichissement nouveau aux connaissances des travailleurs, en les armant plus complètement pour la défense de leurs droits.
Pierre MARIE.
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M. Marcel Rist vient de faire don à l'Institut d'une partie de la bibliothèque de son grand-père, l'illustre économiste et financier Charles Rist, décédé en 1955. C'est là un apport fort précieux pour notre Centre de Documentation. Nombreux sont les volumes dont nous venons de bénéficier (un millier environ), qui se rattachent directement à l'étude des problèmes sociaux. Ceux-ci n'ont cessé, en effet, d'être au centre des préoccupations de Charles Rist, comme il l'a expliqué lui-même :« Quand j'ai commencé à m'intéresser aux questions économiques, c'est le côté social qui m'a passionné tout d'abord. C'est, plus tard seulement, en me rendant compte que la situation des ouvriers est essentiellement dépendante des phénomènes économiques généraux : échanges, production, finances, que je me suis orienté vers.ce côté de l'économie politique » (1).
J'ai eu le privilège d'être la collaboratrice de Charles Rist pendant dix ans. C'est en évoquant le souvenir de ce grand homme que je veillerai avec un soin tout particulier au classement de ses livres et je prie M. Marcel Rist de trouver ici l'expression de la vive reconnaissance de tous les membres de l'Institut Français d'Histoire Sociale.
Lire le nouvel ouvrage de Jean Lhomme, La Grande Bourgeoisie au pouvoir (1830-1880), Essai sur l'Histoire sociale de la France (2), est un plaisir. Les qualités littéraires en sont indéniables, et il constitue un exemple particulièrement remarquable de l'esprit dans lequel devrait être menée aujourd'hui toute recherche.
Pour peindre la grande bourgeoisie française de son avènement au déclin de sa suprématie, pour, déterminer la place qu'elle a occupée, le rôle qu'elle a joué, l'auteur a fait appel à la fois aux méthodes de l'économiste, de l'historien, du sociologue. Il prouve par sa réussite, non seulement que ces méthodes ne sont pas en opposition, maïs que, utilisées avec maîtrise, elles sont complémentaires.
Cet « essai » d'histoire sociale au sens où l'entend l'auteur, c'est-à-dire considérée comme « l'étude de l'évolution, dans le temps, des rapports entre groupes sociaux » est bien l'oeuvre d'un économiste. Son analyse du pouvoir économique (Première partie, Chapitre II paragraphe 4), des cadres économiques (Deuxième partie, Chapitre I, paragraphe 2), ou de la création et du développement des entreprises (Deuxième partie, Chapitre II, paragraphe 4) en témoigne. Mais c'est également l'oeuvre d'un sociologue qui, reconnaissant l'avantage que présente l'étude d'une longue période, fait porter ses observations pour définir une classe sociale, la grande bougeoisie française, sur un « cycle historique complet ».
(1) Voir la Notice biographique de Charles Rist dans la livraison de la Revue d'Economie Politique de novembre-décembre 1955 qui lui est consacrée.
(2) Paris, 1960, Presses Universitaires de France.
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Le livre est d'une grande richesse. Chacune de ses parties mériterait une compte rendu. Signalons que le Chapitre préliminaire intitulé : « Prises de position » est, du point de vue méthodologique, extrêmement important. M. Lhomme situe l'histoire sociale par rapport, notamment, à l'histoire économique, à l'histoire politique, à l'histoire religieuse. Il montre (page 8), combien, d'une spécialité à l'autre, peuvent différer les critères. Il fait donc apparaître, là encore, la nécessité d'entreprendre des études multidisciplinairës, de rompre avec les habitudes d'analyse du siècle passé pour arriver à mieux déchiffrer notre monde.
Denise PAUVEL-ROUIF,
De février à mai, notre ami Ugo Fedeli a fait un cours au Centre Culturel Olivetti d'Ivrea sur Un momento della storia degli italiani: Il Ventennio (1924-1944). Ce cours a été publié par le Centre sous forme ronéotypée (100 pages).
Dans la Revue Africaine, tome CIII, année 1959, X. Yacono a fait paraître une intéressante étude sur Les débuts de la francmaçonnerie à Alger (1830-1852). Il s'agit là d'un véritable ouvrage de 118 pages avec tableaux et illustrations qui repose essentiellement sur des sources d'archives et notamment sur les archives du Grand Orient déposées à la Bibliothèque Nationale et les archives locales de Bélisaire — ou plus exactement ce qu'il en reste — déposées à la Préfecture d'Alger. Quelques autres fonds, la presse, des études antérieures ont également été utilisés.
C'est avant tout l'histoire de. la loge algéroise de Bélisaire du nom d'un général byzantin auquel on attribuait toutes les vertus — que nous conte M. Yacono, et cette histoire nous apprend que pour les Franc-Maçons algérois la colonisation est instrument essentiel de progrès et que c'est grâce à elle que disparaîtra le paupérisme. Cependant la loge échoua complètement dans son effort pour attirer à elle les Indigènes et « reconquérir [ainsi] à la civilisation les peuplades barbares et fanatiques de l'Algérie >>.
Pour terminer, l'auteur étudie l'influence exercée par Bélisaire d'une part dans l'ordre économique et social, et cette influence est notable, d'autre part dans le domaine politique : en 1848 seulement la loge se départit de son neutralisme politique, et très vite ensuite, les idées se mettant au pas des intérêts, Bélisaire reprit une attitude détachée à l'égard de la politique.
La Société d'Histoire de la Révolution de. 1848 vient de publier son recueil 1960 consacré aux Elections de 1869 (France : 10 NF ;
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Etranger : 12 NF, à C. Lecompt, 18, rue de Grenelle, C.C.P. 86.6916). M. Louis Girard, professeur à la Sorbonne, qui a présidé à l'élaboration du recueil, présente les différentes études. Trois exemples urbains : Belleville, le septième arrondissement, Marseille ont été étudiés respectivement par J. Rougerie, J. Gaillard, A. Olivesi, tandis que MM. Faucheux, Levêque et Palmade traitaient la Vendée, une circonscription de la Côte-d'Or et le Gers. La cartographie est due à R. Gossez et J. Bertin.
Chez A. Colin paraît le 16e Cahier des Annales : Seigneurie française et manoir anglais. Il s'agit du cours que Marc Bloch professa en 1936 alors qu'il venait d'occuper à la Sorbonne la nouvelle chaire d'histoire économique. M. Georges Duby a préfacé l'ouvrage qui comporte en annexe une vingtaine de pages d'orientation bibliographique.
De Carlos Rama, professeur à l'Université de Montevideo, Revoluciones sociales del siglo veinte (Cenit, 4, rue de Belfort, Toulouse), 94 pages.
Signalons la création, 5, boulevard Montmartre, Paris, d'un Institut des Etudes Coopératives dont la Revue des Etudes Coopé ratives (directeurs : MM. B. Lavergne et B. Mélamède) devient l'organe.
R. Legrand publie à l'imprimerie Lafosse, Abbeville, une brochure de 21 pages consacrée à Grèves et incidents dans le Sancerre (collection Aspects de la Révolution en Picardie »).
En fascicules de 130 pages, édition intégrale (en italien) de l'oeuvre de Bakounine, avec notes de P.C. Masini. Chaque fascicule, 800 lires (plus 200 lires de frais d'envoi) à Novecento Grafico, Via Pignolo, 9, Bergamo, Italie.
Réédition, après cinquante années, de Parmi les hommes qui rassemble les textes divers — devenus introuvables — publiés par Lucien Jean. L'ouvrage, bien présenté par les éditions Rencontre de Lausanne, comporte une préface de G. Haldas.
La Pensée Catholique, Bruxelles (Office du Livre, Paris, 14 bis, rue Jean-Ferrandi), vient d'enrichir sa collection d'Etudes Sociales de deux ouvrages. L'un (n° 33-34, 152 pages) dû à M. J. Delcourt, professeur de l'Ecole sociale de Louvain, traite de Famille et Civilisation urbaine (préface de M. Y. Urbain, professeur à l'Université de Louvain). Le second (n° 35, 60 pages), de J. Wynants, retrace les Origines de la démocratie chrétienne à Verviers.
Jean MAITRON.
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NOS DEUILS
En l'espace de deux mois nous ont quittés trois membres et fidèles amis de l'Institut : deux militants syndicalistes, l'un athée, Pierre MONATTE, le second chrétien, Gaston TESSIER, enfin M. Max LAMBERT.
Je n'ajouterai rien à ce qui fut écrit sur l'importante carrière militante des deux premiers et je dirai simplement ici le grand vide qu'ils laissent tous les trois parmi nous.
ASSEMBLEE GENERALE
DE L'INSTITUT FRANÇAIS D'HISTOIRE SOCIALE
TENUE LE 23 AVRIL 1960
SOUS LA PRESIDENCE DE M. LE PROFESSEUR E. LABROUSSE
RAPPORT MORAL
Je dois tout d'abord présenter les excuses du Bureau et les miennes propres pour deux retards, à certains égards regrettables, mais qui s'expliquent : la tenue, en avril seulement, de notre Assemblée générale qui, statutairement, doit avoir lieu au cours du premier trimestre, la non parution aujourd'hui encore de L'Actualité de l'Histoire, série 1960. En ce qui concerne le premier point, c'est la tenue du Colloque en février qui a retardé celle de l'Assemblée générale ; quant au second, j'apporte immédiatement des nouvelles rassurantes : les épreuves du premier numéro sont corrigées, le second numéro paraîtra nomalement puisque la copie est déjà aux mains de l'imprimeur.
Accordons quelques mots maintenant à ce Colloque auquel j'ai déjà fait allusion et qui constitua une innovation dans la vie de l'Institut, innovation heureuse et que nous espérons reprendre. Ce fut un essai, jugé audacieux par certains, que de prétendre grouper Un public nombreux et qualifié durant tout un dimanche sur le thème : le militant ouvrier français dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le pari a été gagné et les auditeurs parmi lesquels des Professeurs au Collège de France, des Professeurs de Faculté — certains venus de province — ont attesté par leur présence l'intérêt que. soulève ce problème. Je les remercie comme je remercie M. André Chamson, directeur général des Archives de France, qui à bien voulu accepter la présidence d'honneur du Colloque et mettre à la disposition de l'Institut le magnifique Hôtel de Rohan. Sous la présidence effective de M. Ernest Labrousse, assisté de M. Jean Lhomme, les rapports, dont certains étaient dus à des historiens qui se trouvaient pour la première fois parmi nous ont suscité de nombreuses interventions que leurs auteurs ont accepté ensuite de rédiger et qui paraîtront en complément des rapports. Mlle Chambelland avait mis à la disposition de chaque auditeur des exemplaires ronéotypés de nombreux documents annexes, ce qui a permis de suivre les exposés avec plus de facilité et plus d'intérêt. Je lui dis notre gratitude. Notons enfin que l'organisation matérielle du Colloque fut parfaite et que nous le devons à l'active vigilance de Mme Fauvel-Rouif. Un seul point noir dans ce bilan. Nous avons dû limiter à l'extrême les invitations et nous le regrettons, mais cela nous
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fut imposé par les conditions dans lesquelles se tenait le Colloque et nous pouvons du moins assurer tous nos amis que rapports, documents annexes et interventions seront publiés dès octobre et qu'une réunion sera consacrée en novembre à la discussion du rapport que j'ai moi-même présenté et qui n'a pu être examiné en raison de l'heure tardive.
Notre quête d'archives n'a pas été oubliée au cours de l'année écoulée et pour me limiter à l'essentiel, je noterai l'acquisition des archives Eugène Fournière que notre ami Willard est en train d'inventorier et les archives Simiand, données à l'Institut par M. Ancely de Sceaux. Nos liaisons avec la province se sont développées et nous avons commencé une enquête auprès des Bourses du Travail. Enfin, sur le plan national, nous avons constitué un Groupe de Travail avec le concours des Confédérations ouvrières : C.G.T., C.G.T.-F.O., C.F.T.C., Cadres, Fédération de l'Education Nationale, des Confédérations Patronales : Ç.N.P.F. et Jeunes Patrons, de la Fédération Nationale des Coopératives de Consommation et de la Confédération Générale des Sociétés Coopératives Ouvrières de Production. Nous sommes encore au début de notre effort dans ce domaine mais nous espérons que d'importants résultats pourront être obtenus aussi bien en ce qui concerne la conservation des archives que leur utilisation .
Dans le domaine international s'est poursuivie la participation de l'Institut à l'élaboration du volume II du Répertoire International des Sources relatif à la Première Internationale et. Madame Fauvel-Rouif assure la préparation du Colloque qui aura lieu à Stockholm en août prochain dans le cadre du Congrès international des Sciences historiques.
Je ne voudrais pas développer trop longuement ce rapport et je préfère vous laisser poser des questions et émettre des suggestions sur l'activité de l'Institut. Toutefois avant d'en finir je dirai quelques mots du Bulletin. Ronéotypé puis imprimé, il n'a jamais été l'expression d'une équipe. Bornons-nous à constater le fait et à le regretter puisque cela a été la cause essentielle de la valeur très inégale des fascicules que nous vous avons présentés. LeBureau s'efforce de remédier à cette situation, un Comité de rédaction a été désigné dont nous avons toutes raisons de croire qu'il réussira dans sa tâche. Le premier numéro du Bulletin qui paraîtra dans ces conditions sera celui de fin 1960 consacré au Colloque.
Avant de laisser la place au trésorier, permettez-moi, au nom de tous les adhérents de l'Institut, de remercier nos Présidents, MM. Labrousse et Lhomme qui ne se contentent pas de nous permettre d'user de leur nom et de leurs titres mais qui, en toutes circonstances et en dépit de lourdes charges, apportent à l'oeuvre de l'Institut et aux initiatives de chacun de nous, une collaboration concrète et toujours empreinte d'une souriante amabilité. Jean MAITRON
RAPPORT FINANCIER
Les ressources de l'Institut Français d'Histoire Sociale ne proviennent que des cotisations de ses membres, de la vente au numéro du bulletin et de l'aide généreuse de quelques organisations.
Bien que ces ressources soient toujours demeurées modestes la situation de notre trésorerie au 1er janvier 1959 devenait préoccupante. Compte non tenu de 60.000 francs de valeurs; dont la moitié est statutairement indisponible, nous n'avions plus en caisse que 150.258 francs.
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Cette situation était due pour partie au fait qu'une subvention importante n'avait pu être encaissée avant le 31 décembre 1958. Elle ne fut pas perdue pour autant et nous avons reçu au cours de l'année 1959 la somme totale de 195.000 francs provenant des concours apportés par la Fédération Nationale des Coopératives de Consommation, la Confédération Générale des Sociétés Coopératives Ouvrières de Production et le Syndicat National des Instituteurs.
La vente des numéros de la revue « L'Actualité de l'Histoire » apportait une recette non négligeable de 26.060 francs pour 104 exemplaires expédiés tant en France qu'à l'étranger.
Mais notre effort a surtout porté sur le versement des cotisations. Nous avons adressé à chacun de nos adhérents un appel qui a été entendu puisque nous avons encaissé à ce poste 163.609 francs.
C'est donc compte tenu de 6.600 francs de recettes diverses, un total de 391.269 francs de recettes que nous avons" effectué au cours de l'année écoulée.
L'actif de l'Institut atteignait ainsi pour l'année 1959 : 541.527 francs contre 353.223 francs pour l'année 1958.
Examinons maintenant si les dépenses auxquelles nous avons eu à faire face nous ont permis d'améliorer notre situation. Rappelons que ces dépenses qui proviennent surtout des frais d'impression de la revue et de ceux entraînés par le secrétariat et la collecte des archives s'étaient élevées en 1958 à 202.965 francs.
L'augmentation sensible intervenue au cours de l'année écoulée sur les prix des marchandises et des services a naturellement affecté nos différents postes de dépenses qui se répartissent comme suit :
Frais d'impression de la revue 204 403 francs
Dépenses de secrétariat 31 886 francs
Frais de collecte d'archives 11 510 francs
Taxes et divers 5 232 francs
253 031 francs
ce qui nous permet cependant d'obtenir un solde créditeur au 31 décembre 1959 de 288496 francs en augmentation de 138 238 francs sur celui de l'année précédente.
Mais vous n'ignorez pas que pendant l'année 1960 nous aurons à faire face à des dépenses nouvelles, en particulier celles entraînées par l'organisation du récent colloque, ensuite par la participation de l'Institut au Congrès international des Sciences historiques. En restant dans les limites d'une stricte économie nous vous proposons de fixer à 3.764 NF notre budget de dépenses pour l'année 1960. Les recettes correspondantes a provenir des trois postes habituels :
Cotisations des adhérents Vente de numéros de la revue Subventions.
devraient, sans augmentation du taux de la cotisation qui reste fixé à 10 NF, être au moins égales à celles constatées en 1959. Nous comptons donc sur tous nos amis pour nous donner les moyens de poursuivre notre action et si possible de la développer encore.
Jacques MARILLIER.
Imp. « E.P. », 232, rue de Gharenton, Paris-12e
Le Directeur-Gérant : Jean MAITRON.
CHRONOLOGIE ET BIBLIOGRAPHIE
(1492-1936)
par Carlos M. RAMA
Un volume 14x22 1.500 fr.
DEJA PARUS':
L'Angleterre, la France, l'Allemagne, les Etats-Unis (1750-1918),
par E. DOLLEANS et M.GRÔZIER.
L'Italie (des origines à 1922), par A. LEONETTI.
L'Espagne (1750-1936), par R. LAMBERET.
La Russie, t. : 1725-1907 ; t. Il : 1908-1917, par E. ZALESKI.
COLLECTION PUBLIEE SOUS LES AUSPICES DE L'INSTITUT FRANÇAIS D'HISTOIRE SOCIALE
LES ÉDITIONS OUVRIÈRES
12, avenue Soeur-Rosalie, Paris (13e)
Raymond FUSILIER
ETUDE SUR LES SYSTEMES DE GOUVERNEMENT ( Suède, Norvège, Danemark, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg)
Préface de Marcel PRELOT,
Professeur à la Faculté de Droit de Paris
Un fort volume 14x22 24 NF
L ES É D I T I O N S O U V R I È R E S
12, avenue Soeur-Rosalie, Paris ( 13e)